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illlllllll
600051 843R
1843R
6000S1843R
HISTOIRE
DU RÈGNE
DE HENRI IV.
TOME PREMJER.
'y
Parii. - Imprimerie de MAUTllirr, «, me IHsnon.
HISTOIRE
nu RÈGNE
DE HENRI IV
PAR
. A. POIRSON,
Ancien proviseur des Lycées Sainl-Louis et Gharlemagne ,
Conseiller honorsire de l'Université.
TOME PBEMIER.
PARIS
LOUIS COLAS ET O^, LIBRAIRES-ÉDITEURS
RUE DAUPHINS, 26.
1856
JJ/.
a.
PRÉFACE.
Nous offrons au public le résultat de quinze années
de recherches et d*observations, entreprises dans le but de
présenter une histoire vraie, complète, raisonnée, d^une
grande époque et d*un grand homme. Bien que quinze ans
soient une portion considérable de la vie humaine,
grande mortalis œvi spatium, nous n*aurons pas regret
de les avoir employés à cette œuvre, si nous sommes par-
venu à ox)nsacrer la mémoire de citoyens dignes de Tad-
miration et de la reconnaissance de la postérité, et si nous
avons tiré des actes de cette génération forte et libre
d*utiles leçons et diroposants exemples pour les hommes
de notre âge.
La France, du temps de Henri IV, travailla, opéra, si
Ton peut s'exprimer ainsi, sur la situation que les derniers
Valois lui avaient léguée : de plus, dans tout ce qu'elle fit
sous le premier Bourbon, il y a solidarité entre elle et la
moitié des nations de TEurope. Ainsi foncièrement, essen-
tiellement, Phistoire du règne de Henri IV est presque
autant dans la période qui précède que dans la période
comprise entre 1589 et 1610; presque autant en Angle-
terre, dans les Pays-Bas, en Suisse, en Allemagne, en
Italie, en Espagne qu'en France même. Il est donc Impos-
sible d'arriver h la pleine intelligence des faits si multi-
pliés, si divers, et plus considérables encxtre que nom-
I. a
II PRiPACK.
breux, accomplis sous ce règne, sans se rendre compte,
au moins d*uue manière générale, de l*état de l*Europe et
de l'état de la France, pendant la plus grande partie du
XVI* siècle, et avant Tavénement de Henri IV.
Le XVI* siècle, qui offre la plus éclatante des contradic-
fions, le plus étonnant des antagonismes ; qui, si on Ten-
visage sous un certain point de vue, a été une renais-
sance en tout ; qui a plus servi Tesprit humain , plus
favorisé le développement des institutions |)olitiques et
religieuses chez quelques nations de TOccident que les
douze siècles précédents; le xvi* siècle, à le considérer par
d*autres côtés, et même dans les événements les plus ap«-
parents, fit reculer la liberté, les rapports internationaux,
le droit public, la morale, la vraie religion, les destinées
de Thumanité.
Ferdinand le Catholique, Charles>Quint, Philippe il,
furent unis dans une même pensée, et suivirent au dedans
et au dehors une même politique. En laissant aux Espa-
gnols le vain simulacre d'assemblées nationales, ils leur
arrachèrent toutes leurs libertés effectives, et les soumirent
à rinquisition ; terrible institution, destinée à établir le
despotisme politique autant que le despotisme religieux.
Philippe H essaya de se rendre souverain absolu dans les
Payi-Uas comme 11 Tétait en Espagne: il voulut abroger
routes les lois, imposer des taxes arbitraires, instituer
rinquisition, et versa des torrents de sang pour vaincre
la résistance des Flamands, punissant la révolte qu*ii pro-
voquait, et se transformant en bourreau parce qu*on lui
contestait d*être tyran.
Terrtbfes à leurs sujets, les rois d*li;spagne ne furent pas
moins redoutables aux étrangers. Ils ravirent par la force
leur héritage aux souverains, leur indépendance aux
peuples de Naples, de la Sicile, de la Navarre espagnole.
VtdtTACtU' III '
da Mllattez^do Portugal; ils assujettirent TÂmérique et les
iBdes. Montesquieu a défini le droit de conquête « un
«droit mallieoreox qui laisse toujours it payer une dette
• immense pour s*aoquitter envers la nature bumaine^»
Deux exemples, l'un pour TEurope, l'autre pour TAmé-
rique« montrent comment les souverains de l*Espi^ne
payèrent otite dette. £n Portugal, la lictoire oblenue,
Philippe 11 enveloppa dans ses proscriptions, ses confisca-
tions, ses supplices, tous ceux qui avaient essayé de dé-
fendre leur patrie contre son usurpation. Le nombre des
simples citoyens, des officiers civils et militaires, était
infini ; il les sacrifia sans pitié comme sans remords : le
meurtre de deux mille prêtres et religieux lai Inspira
quelque scrupule; mais il arracba uneabsolution au pape,
et dés lors il fut bien tranquille. En Amérique, son père
et lui tolérèrent et exploitèrent, dans rintérèt de leur avi-
dité, rextermination de douze millions dlndlvidus, d'après
les calculs de Las Cazas. L'accroissement de territoire et
de population qu'ils s'étaient .donné par leurs eonquêles;
la puissance Impériale que Cbarles-Quint y avait jointe;
les ricbesses de l'Amérique et des Indes portugaiaes qu'ils
s'étaient assurées, et que tous les pablicistesdu temps con-
sidèrent comme plus redoutables encore que leurs armes,
les conduisirent à ces projets de monarchie universelle, dont
ils désolèrent tous leurs voisins, en même temps que leurs
propres sujets. Celles des principautés italiennes qu'ils ne
réduisirent pas en provinces espagnoles, ne se sauvèrent
de riuvasion que par une obéissance passive. Venise,
restée la plus indépendante, envoyait quinze vaisseaux de
renfort aux flottes de Philippe pour ses entreprises mari-
times. Les pr tndpatttés allemandes abattues à Muhlberg,
relevées à Inspruck, après le relâche momentané que leur
* ïipcH des lois, Uv. X, thé 4.
It PRÉPACB.
doDoa la paix d'Augsbourg, eurent à craindre de nou->
veau pour leur existence, quand Philippe II eut engagé la
branche allemande de la maison d*Âutrtche dans les pians
dlnvasion générale, et persuadé k Tempereur Rodolphe
de dépouiller l'électeur de Cologne. Philipiie II trama une
conspiration en Béarn pour se saisir de la personne de
Jeanne d*Âlbret, la livrer a Tlnquisition, la faire brûler
comme hérétique, et achever ce qu'avait commencé son
aïeul, en s*emparant de la Navarre française et de la prin-
cipauté de Béarn. L'Angleterre, qui» du vivant de la reine
Marie, sa femme, lui avait donné ses subsides et shs ar-
mées pour combattre la France à Saint-Quentin, ayant,
sous Elisabeth, cessé d'être sa tributaire et embrassé la
réforme , il lança contre elle la formidable Artnada pont
la subjuguer. Si l'entreprise eût réussi, les Espagnols, sui-
vant le serment qu'ils lui avaient prêté, auraient massa-
cré tous leshabitants de l'Angleterre, sans distinction d'âge
ni de sexe au-dessus de sept ans, auraient marqué les en-
fants au visage, et s'en seraient servis comme d'esclaves.
Les mémoires trouvés dans les galions capturés, les dépo-
sitions des prisonniers de toute condition, prouvent la
vérité du fait, et la cruauté avec laquelle son père et
lui avaient traité les Américains et les habitants des
Pays-Bas en établit la vraisemblance. L'entreprise avait
échoué, mais il s'apprêtait à en tirer une éclatante re-
vanche. Ainsi que l'Angleterre , la France était destinée
au Joug. Les trois invasions qu'elle avait subies du temps
de François I*' et de Henri H, ayant montré que la force
ouverte ne sufflsail pas, Philippe H y avait ajouté les ma-
chinations, les pratiques sourdes, et sous Henri III, il bou-
leversait notre pays par ses intrigues, en même temps qu'il
le menaçait de nouveau de ses armes. Il soulevait contre
l'autorité du souverain l'ambition des Guises, les mécon-
tentements politiques et les craintes religieuses des
peuples» et il s*appr6taità fondre sur le royaume avec les
armées des Pays-Bas, du liilaoez, de TEspagne, jointes aux
troupes d*uoe coalition dans laquelle il entraînait le duc
de Savoie» le duc de Lorraine, et bientôt après le Pape. Il
ne dit son mot que plus tard, mais il le dit» quand à la fin
de 1589, il demanda à être protecteur de la France, et quand
auxËtals de 1593, il réclama le trône de France pour sa
fllle.
Si rindépendance de tous les Ëtats voisins de FEspagne
était détruite ou menacée; si les rapports internationaux
et le droit public de TEurope tombaient pièce à pièce sous
les coups que leur portaient chaque jour les rois d*Es-
pagne, la morale publique n*avait pas moins à souffrir de
leur politique. Les crimes entraient comme complément
dans leurs moyens d*action, et venaient s*ajouter aux res-
aoaroes militaires et financières employées par eux pour
subjuguer TEurope. Ferdinand le Catholique répondait à
Louis XII, qui se plaignait d*avoir été trompé par lui dans
une circonstance, qu*il en avait menti, parce quMl Favait
trompé plus de dix fois. Charles-Quint, en moins de
deux années, se parjurait it Tégard de François I*', au
sujet du Milanez, et faisait assassiner ses ambassadeurs
Frégose et Rincon. Philippe II trempait dans tous les com-
plots contre la vie d*Élisabeth et de Henri IV, alors roi
de Navarre: il provoquait Baltazar Gérard au meurtre du
prince d*Orange, par les récompenses promises et par
les Instigations du prince de Parme, et il anoblissait la
lamille du meurtrier.
Que Ton pèse bien ces faits divers, et Ton verra que
TEurope en était revenue au droit de. conquête des bar-
bares dans toute sa violence, avec un degré de plus dans la
perfidie et Tasçassinat, avec les doctrines de Machiavel
érigées en code et passées dans la pratique.
Ce n*étaiettt pas seulement le droit public, Thumanitét
VI ^HiPAGlL
la morale, qui avaient profondémetit souffert: le principe
religieux avait été altéré et perverti partout; de la religion
de rÉvangile on avait fait une religion de sang. L'Espagne
avait eu contre les Juifs, contre les Morisques, contre les
réformés» le saint-offlce et les auto-da-^fé ; les Pays-Bas,
le tribunal de sang ; la France, la Saint*BarthéIemy, puis
redit de Nemours, qui enjoignait aux calvinistes d'abjurer
leur religion dans six mois ou de sortir du royaume, et qui
portail peine de mort contre ceux qui tenteraient d*y ren-
trer. Le glaive et la proscription, partout employés,
avaient frappé le catholicisme de coups aussi sensibles, de
blessures aussi dangereuses que le protestantisme lui-même.
En France, d'après le témoignage de tous les hlstorieni, la
Sain^Barthélemy avait grossi les rangs des réformés d'une
foule de catholiques appartenant aux classes élevées, qui
avaient abandonné leur religion en haine des excès commis
en son nom ; elle avait jeté de plus une autre classe, et
une classe très nombreuse, dans l'athéisme, comme nous
rapprend le ministre Villeroy, aussi zélé catholique qu*at-
tentlf observateur des mouvements de l'opinion publique.
Les rois d'Espagne, pour leurs projets de despotisme
intérieur et de conquêtes au dehors, avaient emprunté le
bras d'innombrables soldats, l'aide d'armées sans cesse
recrutées. Les rois d'Espagne et les rois de France, pour la
persécution religieuse, avaient trouvé des bourreaux, et
ceux de France des complices, dans la moitié du peuple,
une partie des seigneurs, les parlements, les États-géné-
raux. Lors donc qu'on veut aller au fond des choses, re^
monter aux principes de ces projets sanguinaires, de ces
actes d'une ambition et d'une intolérance qui vont jusqu'à
la démence, on découvre des causes générales fécondes en
désastreuses conséquences. Le droit du plus fort, légué par
l'antiquité aux peuples modernes, entretenu par la gros-
sièreté du moyen-Age, n'était pas usé, n'avait pas fait son
t^pt. LHdée ifiie tonte religion autre que le catholicisme
était aliominable aux yeux de Dieu ; que tout Adèle était
tenu, sous peiuede risquer son salut, dé maintenir de tout
son pouToir la pureté et l'unité de la foi ; que la fin }U8ti*
flant les moyens, tout moyen était bon pour détruire les
cultes dissidents : cette idée dominait encore dans la ma-
jorité d«B classes de la société civile. Condamnée par tout
ce que TËglise avait d'éminent et d'éclairé, elle était sou-
tenue dans presque toutes les chaires par le has clergé, qui
ne consultait que son intérêt» et qui, sentant son état et son
existence menacés par Tassautque leur livrait la Réforme,
recourait à la violence pour les maintenir. Elle était
exaltée par les écrits, dont Fardeur de la passion multi-
pliait le nombre et variait la forme à Finllnl. Elle trouvait
une aide puissante dans les craintes que les fureurs de
quelques sectes nées de la Réforme en Allemagne avalent
inspirées; dans les appréhensions que les excès des calvi-
nistes français avaient fait naître. En voyant ces derniers
commencer une guerre acharnée contre ce qu'ils nom-'
malent TAntechrist, les populations catholiques avaient
redouté de se voir arracher la foi de leurs ancêtres. G*est
donc dans Tétat de Tesprit public que l*on trouve Texpll-
cation de tout ce qui s'était passé en Europe Jusqu'aux
dernières années du xyi* siècle, la cause dominante des
maux qui pesaient alors sur Thumanlté.
Si après s*ètre rendu compte de la situation générale de
TEurope, on cherche quelle était la situation particulière
et intérieure de la France, voici ce que Ton trouve en exa-
minant successivement Tétat des pouvoirs publics et des
partis ; Tétat du peuple dans son agriculture, son com-
merce, ses finances ; Tétat du pays dans ses rapports avec
rétranger.
Sous Henri III, la royauté, haie pour le détestable gou-
vernement qu'elle avait donné à la France, méprisée pour
nn PREFACE.
sa faiblesse, dégradée par les ?ioe$ honteux du prloce»
n*était plus obéle que de la moindre partie de la nation,
laquelle avait le bon sens de tout préférer à la guerre
civile, et qui se composait de six mille noblessurhuit mille,
de la minorité des magistrats, d'un certain nombre de villes,
mais la plupart secondaires, enfin de quelques portions de
la population descaropagnes. La royauté neconservait donc
plus que des débris du pouvoir royal. I..es princes lorrains
8*étaientsaisls d*une part de la souveraineté, et cherchaient
à s*en approprier le reste» projetant d'usurper la couronne
sur le dernier des Valois et sur la maison de Bourbon tout
ensemble. Mais ce dessein, qui n'avait que de médiocres
chances de succès contre les compétiteurs nationaux, et
surtout contre le compétiteur étranger Philippe II, même
avec le duc de Guise, dominant et entraînant tout dans son
parti, n'en conservait plus aucunes avec Mayenne ; et les
Guises n'avaient pris de la prérogative brisée que juste
autant de parties qu'il était nécessaire pour soutenir la
rébellion, perpétuer l'anarchie, et ajouter prodigieusement
aux désastres publics. Le traité de la trêve, conclu au mois
d'avril 1589, avait bien rapproché Henri de Bourbon de
Henri UI, confondu l'intérêt des deux princes, rendu à la
couronne une force qu'elle n'avait plus depuis longtemps.
Mais Henri HI avait été frappé à mort, avantque rien de
déiûslf eût été fait contre la révolte et pour la pacification
de l'État. Henri IV, que la loi fondamentale appelait k
régner après lui, était de toute nécessité un souverain
contesté pour longtemps. En efTetson pouvoir était affaibli
dans son essence même, comme il arrive à tout change-
ment de dynastie : ses ennemis attaquaient son droit de
succession, même sous le rapport civil et politique ; ils
soulevaient contre lui les masses, en leur inculquant et en
passionnant chez elles deux idées également fausses : la
première, qu'un hérétique était inca|>able de la royauté;
phAface* it
la seconde, qu*il n*userait de son aotorité que pour dé-
truire le catholicisme. Ainsi, ni la légitimité, ni Tusurpa-
tion et la révolte ne pouvaient donner à la France i*unité
d'autorité et de domination. Le pouvoir souverain, le pou-
voir centrai et réglant, divisé, armé contre lui-même, au
lieu de fortifler et de contenir à la fois les autres pouvoirs,
de maintenir Tordre et la paix publics, n'engendrait que
la guerre civile*
Après l&s rois, venaient dans Tordre de puissance, les
grands seigneurs, très différents du corps de la noblesse, et
les parlements. Mais le pays n*avait rien à attendre d*eux,
et tout à redouter pour son salut. Les grands seigneurs,
les uns investis du gouvernement des provinces, les autres
détenteurs de domaines immenses, avaient dès le temps de
Charles IX résolu de rétablir l'ancienne féodalité, les uns
en se rendant propriétaires des gouvernements où ils
avaient commandé Jusqu'alors comme officiers de la cou-
ronne, les autres en convertissant leurs grandes terres en
principautés semblables aux principautés allemandes. Déjà
ils avaient pris les tailles, Tautorité absolue sur les États
provinciaux, le commandement militaire. Dans les quatre
jours qui suivirent la mort de Henri 111, Tun des grands
seigneurs se faisait céder par le nouveau roi Henri lY le
Périgord en toute souveraineté; un second, appartenant au
parti catholique, reconduisait dans sou gouvernement
d*Angoumoi$ et deSaintonge sept mille deux cents soldats
qui ne connaissaient d'autre autorité que la sienne; un
troisième, celui-là était calviniste, ramenait dans ses do-
maines de Poitou neuf bataillons de réformés, abandonnant
le roi au milieu des périls qui le pressaient. L*œuvre de
quatre siècles, Tunité territoriale et Tunité nationale,
était menacée d'une prochaine destruction.
Les conseillers du Pariement de Paris transféré à Tours,
et formant le plus grand nombre de beaucoup d^ m^is*
trats de cette oovr, étaient restés fidèles aux intérêts de It
couronne. Mais la minorité de ce Parlement demeurée k
Paris, et la très grande majorité dans les Parlements de
province, étaient hostiles à la royauté. Les Guises avaient
peuplé les Cours souveraines de leurs créatures, qui, soit
par reconnaissance, soit par Tespolr d*un grand avance*
ment, favorisaient leur usurpation. Les Parlements, réduits
depuis Charles IX à n*ôtre que des cours de Justice, sMndi-
gnaient de ce quMIs considéraient comme une dégradation,
et avaient ramhition de Joindre le pouvoir politique an
pouvoir judiciaire. Enfin la magistrature, qui, dès le prin-
cipe, avait montré une intolérance passionnée contre la
Réforme, voyait succéder k Henri III, qu*elle accusait de
mollesse contre Thérésie, un prince hérétique. Sous Tin-
fluence de ces mobiles divers, les Parlements poussaient à
la révolte et k la subversion de TÉtat.
I^es Ëtats-généraux, qui en exigeant de Justes réformes,
mais en se rangeant du côté de la royauté,en lui apportant
la force de la nation quMis représentaient, auraient mis I
ses pieds tous ces fanatiques et tout ces ambitieux, dans
leurs deux sessions à Blois, en 1576 et 1588, s*éUient si-
gnalés par leur esprit de faction, par leurs attaques contre
le trône, et avalent porté le désordre au comble.
De quelque côté que la nation se tournât, elle ne trou-
vait donc que des pouvoirs, Tun insuffisant, tous les autres
trahissant leurs devoirs et ses besoins ; et comme après
tout c*étaient les pouvoirs, et les pouvoirs seuls, soit mo-
narchique, soit aristocratique, soit parlementaire, soit
représentatif, qui pouvaient mettre fin aux désordres et
aux désastres du pays, la dégradation de ces pouvoirs était
la plus profonde des plaies, le plus grand des malheurs
publics.
Chacun des vices, chacun des désordres de Tétat poli-
tlfue et religieux de la France avait eu son oontre-ooup
daD6 rétat adninistraUf et la situation matérielle du pays*
£o 1589, après vingt-sept ans de troubles, et huit guerres
civiles conduites par des cliefs tels que Montlue et le baron
des Adrets, faites par des soldats nationaux qui étaient
des brigands, par des soldats étrangers qui étaient des
cannibales» le terme ne paraîtra que juste à ceux qui liront
les détails fournis par d'ÂubIgnésur les ArgouUts, deux
cent cinquante villages avaient été dévorés par le feu, cent
vingt-huitmille maisons avaient été détruites, la population
avait été exterminée, ragriculture avait péri dans plus du
tiers des campagnes. Les villes, malgré des désastres par»
tiels, avalent moins souffert en général : les personnes et
les biens de leurs habitants avaient été mieux respectés.
Mais on peut imaginer quel était Tétat de leur industrie et
de leur commerce, quand on voit chez les contemporains
que, dans presque toutes les localités, le marchand ne
pouvait faire deux lieues sans être rançonné par les péages
que les tyrannies locales avaient établis sur les rivières, et
sans s'exposer à être dépouillé sMl voyageait par terre. Les
finances avaient suivi la progression de la décadence de
ragriculture et du commerce. Â la fin du règne de Henri III,
la dette publique était montée à 2A5. millions, environ un
milliard d'aujourd'hui, sommç prodigieuse pour le temps
et écrasante pour le gouvernement. En effet, comme les
revenus n'étalent que de 81 millions, et comme l'intérêt de
la rente était communément de huit pour cent, il en résul-
tait que près de la moitié de l'argent levé sur le peuple, et
destiné à défrayer tous les services publics, était absorbée
par les arréragesde la dette. Ce n'était là ni le seul ni le plus
grand mah Les finances étaient administrées avec tant de
désordre, le produit des impôts si fort diminué par les
concussions, que l'Épargne ou Trésor public n'en perce-»
vait que la plus foible partie. Il résultait de là qu'à tout
InHant te gouvernement se trouvait dans rimpossibliilé de
OUI *PRiPAC£*
faire face ii ses engagements ou aux plus indispensables
dépenses. En 1581, il avait cessé d*acquitter les rentes sur
Thôtel de ville de Paris, et fait banqueroute aux créan-
ciers de TÉtat : en 1589» il ne pouvait plus payer les armées
nécessaires k sa défense et au maintien de la paix publi-
que; les Suisses et les Allemands, que Henri 111 conduisait
contre la Ligue et contre Paris révolté, étalent soldés en
partiedes deniers particuliers deSancy,en partie au moyen
des expédients qu*il avait imaginés pour les satisfaire.
Cette misère de notre état intérieur nous créait de for-
midables dangers au dehors : Philippe 11 projetait et pré-
parait notre asservissement. Les Guises, qui se faisaient
aider par lui dans leur tentative d*usurpation, pouvaient
bien se flatter que pour loyer de son assistance, pour prix
des secours qu*il leur fournissait, il se contenterait d*un
certain nombre de places frontières démembrées du
royaume, de Marseille, de Bordeaux, de Boulogne-sur-Mer,
qu*ils tentaient de lui livrer dès 1585; de quelques pro-
vinces contiguës à ses États ; ils pouvaient se repaître de
Tespoir que le gros du territoire, le corps de la monarchie
leur resterait. Mais Philippe ^ riait de leur dessein, et
s*apprétait à le ruiner. Son plan était de nourrir la révolte,
d*alimenter la guerre civilct en soutenant les Guises et la
Ligue contre Henri IH et son successeur Henri de Bour-
bon ; d'ajouter ainsi à i*aiïaiblissement de la France, et
quand elle serait arrivée au dernier degré d'épuisement,
de la serrer et de Tétouffer avec ses armées, parties à la
fois de l'Espagne, de l'Italie, des Pays-Bas.
Quand on s*est rendu un compte exact de ces faits divers,
les uns communs à la moitié de TEurope en même temps
qu*k la France, les autres particuliers à la France, on peut
définir la tâche que la Providence donnait à accomplir à
Henri IV : tirer le royaume de Tanarchie et de la guerre
civile, le sauver à la fois du démembrement intérieur et
du Joug étranger ; régénérer dans toutes ses parties son
gouvernement et son administration et les perfectionner ;
prêter Tappul de la France ainsi transformée à tous les
Ëtats qui n*étaient pas devenus espagnols et autrichiens^
garantir leur Indépendance» asseoir sur une base nouvelle
et solide le droit public» la morale, la vraie religion, tous
les principes de la civilisation et du progrès. L'immensité
et la difficulté du travail frappèrent les bommes du temps.
« Quand Je me remets devant les yeux, dit Pasquier, tout
• ce qui s*est passé par la France, depuis le mois de mars
» 1585, Je ne pense pas qu'entre les histoires, tant an-*
» clennes que modernes, il y en ait jamais eu une plus pro-
» digieuse que celle-ci >. » Un homme hors de pair, par la
variété des talents comme par la force de la volonté, était
seul capable de conduire à fin une pareille œuvre. Notre
but est de présenter dans ce livre Tensemble exact des
travaux de Henri dans la guerre et dans la paix, et de
retracer en outre Tétat de la société et de Tesprit humain
en France sous un semblable chef.
Après avoir fait connaître le fond et la matière de l'ou-
vrage, nous en indiquerons les grandes divisions, tracées
d'avance par la succession des efforts que fit Henri IV pour
la pacification et la grandeur de notre pays, intimement
unies aux intérêts généraux de l'Europe. Son règne se-
divise en trois périodes, qui chacune ont leur caractère
particulier et leur physionomie différente: la période où
il combat l'ennemi intérieur et extérieur; celle où il réforme
rËtatetla société; celle enfin où il revient à la guerre
étrangère, entreprise sur un plan immense, pour conjurer
les dangers dont la France, et toutes les nations restées.
indépendantes de la maison d'Autriche, sont menacées^
non plus dans le présent, mais dans l'avenir»
^ Pau|nier,Lflttr»»UT. \vi, 1ettre.7^t-n» p. 466,
IIT VHÈÉàCÈ,
Nous YcnoM et donner 1-ar^ment et le plan de cette'
histoire, nous allons exposer maintenant comment nousr
avons traité notre sujet, et quelle méthode historique
nous avons suivie.L'taistoire, pour être vraie, doit être non-«
seulement critique, mais raisonnée. Elle doit s'appuyer sur
des autorités incontestables, sur des originaux qui n'aient
pas dénaturé les faits par llgnorance, le mensonge, la
passion aveugle ; de telle sorte qu'elle ne soit pas viciée
dans les éléments même dont elle se compose. Elle doit en
outre reposer sur des principes fermement établis. Elledoie
enttn se garder coutre l'esprit de parti et contre Tesprit
de aystème, contre la tentation de renouveler les sujets par
le paradoxe» aux époques vieillies et dans les sociétés Ma-*
sées, qui demandent du nouveau, n'en fût-il plus au monde .
Dès le tempe de Tn^^n, un rhéteur composait un discours
ou traité pour prouver que Troie n'avait pas été prise par
les Grecs. Le procédé est bien vieux, comme on le voit,
mais il n'a pas cessé d*ètre employé, et si Ton remonte à
quelques années, on trouvera que Tbistoire nationale, et
particulièrement celle de Tépoque qui nous occupe, n'a
guère moius été altérée dans certains ouvrages.
Pour échapper au danger de produire des faits d'une
certitude douteuse, de présenter les faits sous un jour faux,
de mal juger les hommes et les partis, voici quelles règles
nous avons suivies. D'abord nous n'avons accepté de té-
moignages que ceux de contemporains qui commandent la
conviction, toutk la fois parleur position, leurs lumières,
leur probité; et sur tout événement de quelque importance,
nous ne nous sommes pas arrêté à un seul témoignage,
nous avons entendu et pesé plusieurs témoignages, rendus
par tes écrivains de sentiments et de partis entièrement
opposés. Par exemple, nous n'avons ni composé l'histoire
de la Ligue, ni jugé la Ligue sur les seules dépositkms àm
politique Lestoik, du royaliste de Thou, si gnvis, si Modéré
que soit de Thon k regard des divers partis, înais snrlenrs
assertions confrontées avec celles de Villeroy et de Mariliac,
alors ligueurs, et d'après les actes publies encore subsis^
lants aujourd'hui, que nous produisons. Sur les diverse^
fractions, les diverses nuances du parti royal, Politiques,
Noblesse, Grands seigneurs, qu'il faut bien se garder de
confondre avec le corps de la noblesse, Tiers-parti enfin,
nous ne nous en sommes pas rapporté uniquement I
ceux qui ont vécu parmi eux, au roi Henri IV dans ses
lettres et ses discours, à d'Angouiéme, Groulart, Sancy,
Suliy, dans leurs mémoires; nous avons recouru de plus
aux histoires, aux mémoires, aux pamphlets même du parti
adverse. Nous n'avons pas chensfaé la vérité sur les projets
H les pians des Réformés, sur leur ligne de conduite
depuis iô9à« en consultant uniquement les récits du catho-
lique impartial de Thoo, mais en les comparant à ceux
de trois calvinistes, de M"* du Plessis-Mornay, de d'Au*
bigné, de Sully. Après avoir recueilli sur les hommes et
sur les partis les témoignages ou divers ou contraires des
contemporains, nous avons recherché quel a été sur eux le
gentiment des écrivains des siècles suivants, les plus remar-
quables soitparlenrsavoiret la rectitude de leur jugement,
soit f>ar la supériorité de leur génie; et dans plus d'un
point d'une haute importance, nous avons pu appuyer les
idées et les jugements auxquels nous nous sommes arrêté
de l'opinion de fiossuet et de Voltaire.
En second lieu, nous avons apprécié les actes des hommes
el des partis, non d'après des principes arbitraires, mais,
selon les siûets, d'après le droit public laïque de la France;
d'après son droit public ecclésiastique, constant, continué
pendant une suite de siècles, resté pur de l'invasion et de
la violeace des partis -, d'après les lois éternelles de la
aectile el de l'honneur, et d'après les préceptes de l'Évan-
gile ei des Pèrea de l'ÊgHse; enta undeurs d'après les
grands Intérêts nationaux dairemenl établis. Dès le début
de notre livre, nous avons employé cette méthode d*exposé
et de discussion des doctrines, seul moyen donné à Thistoire
de ne pas soutenir indifféremment le pour et le contre, le
vrai et le faux ; méthode qui est celle du grand historien
Polybe, seulement appliquée par lui à d*autres sujets et à
d*autres matières. Notre soin s*est borné, au point de vue
de Tari, it placer ces expositions dogmatiques dans tel lieu,
et à les restreindre dans telle mesure, qu'elles ne vinssent
pas embarrasser le récit des faits, et en alanguir l'intérêt.
Nous n'avons pas perdu de vue qu'une histoire n'est pas
une dissertation; mais nous avons voulu qu'elle ne tint
rien de la fantaisie en fait de doctrines, comme rien du
roman en fait d'exposé. En employant les deux procédés
dont nous venons de parler, nous avons essayé de lui
donner, ou peu s'en faut, le caractère d'une science exacte
et la rigueur mathématique.
Nous allons signaler maintenant quelques-uns des sujets
sur lesquels notre travail a dû porter spécialement dans
chacune des trois périodes dont se compose le règne de
Henri IV, et indiquer d'une manière générale le caractère par
lequel chacune d'elles se distingue et se détache des autres.
Pendant le temps de la lutte contre la Ligue et contre
Philippe II, la France est divisée en huit partis ayant
chacun leur passion, leur intérêt, leur ligue de conduite.
L'histoire de ces partis était presque entièrement à faire.
La plupart d'entre eux n'étaient même pas nommés dans
les histoires modernes de ce règne; sur les autres, on
ne trouvait que des renseignements d'une exactitude in-
sufBsante. On va en juger par deux exemples, tirés de deux
ouvrages d'érudition assez récemment publiés. On Ht dans
l'un que, sous le règne de Henri IV» le parti des Politiques
et le Tiers-fMrti ne firent qu'un ; que ce fut une même
chose sous deux noms différents. H y a Ik erreur :
PKtFkCM. XVIt
en ce temps, le parti des Politiques fut le plus ferme sou-
tien, et le Tier»-parti Tun des plus dangereux ennemis de
Henri : c'est ce qui est établi par toute Thistoire contem-
poraine, et par le plus grand procès de Tépoque. On trouve
dans Tautre ouvrage que les Sermoneux, partisans du roi»
firent des assemblées pour demander la paix. Il n*y a jamais
eu de Sermoneux ; mais bien des Semonneus^ ainsi ap-
pelés parce qu'ils voulaient semondre ou sommer le roi
d'abjurer. G'està tort qu'on lesqualifiede partisans du roi,
si Ton s'en lient à la véritable signification de ce terme; ils
appartenaient à la Ligue française : la Ligue française ne
consentit Jamais à recpnnaitre le roi que sous la condition
qu'il se fît catholique, et tant qu'il ne le fut pas, elle le
combattit. L'histoire de ces partis a donc été jusqu'à pré-
sent mal connue : cependant elle est d'une importance
évidente. D'une part, elle renferme la vive peinture des
mœurs et de l'esprit du temps dans les diverses classes de
citoyens; d'une autre, elle contient tout le secret des révo-
lutions de ce temps. La guerreet les négociations n'agissent
en effet que d'une manière secondaire su ries événements
politiques ; ce sont les déterminations des partis qui en
décident souverainement. Soutenu par deux partis qui se
prononcèrent généreusement pour lui dès son avènement,
par le corps de la Noblesse presque entier, et par les Poli-
tiques, Henri IV parvint k se faire reconnaître, à établir sa
royauté; et c'était un point capital» parce qu'il était seul
capable de sauver et de régénérer la France, parce que dans
les circonstances données il était l'homme indispensable,
liais là s'arrêtèrent les résultatset les succès des premières
années de son règne. 11 essaya d'abattre la révolte de la
Ligue, et de repousser les attaques de Philippe II, avec les
seules forces nationales, et malgré les glorieuses journées
d'Arqués et d'Ivry, il échoua. H opposa ensuite à son
double ennemi les forcesnationales et les forces étrangères
I. h
I
combinées ensemble, et il échoua. Il était h peine maître
de la moitié du royaume, et n'était venu à bout de rien : la
lutte à main armée n*avalt conjuré aucun danger, parce
qu*aTec les ressources dont il disposait, il n*était donné
à personne de surmonter les ennemis qu'il avait à com-
battre. A la fln de i59i et en -1595, Tinvasion étrangère
avait fait de tels progrès, l'anarchie et la dissolution inté-
rieure avaient pris de si formidables développements,
qii*!aa Jugement des hommes d'Ëtat de tous les partis, de
Homay et de Rohan, comme de Villeroy, la France tou-
chait à Tune de ces catastrophes qui, outre tant d'autres
peuples, ont aux deux limites extrêmes des temps anciens
et des temps modernes, effacé l'Empire romain et la Po-
logne du nombre des nations. Henri IV ne tira le royaume
de cet effroyable danger que par le désarmement des partis,
acheté par de si durs sacrifices, mais opéré, entre 1593 et
1598. Ce sont, d'abord, et la concession indispensable de
son abjuration faite à la majorité catholique de la France,
et les traités consentis avec tous les chefs de la Ligue, qui,
en le débarrassant de la moitié de ses ennemis, lui permi-
rent de combattre victorieusement le Tiers-parti, et les
Grands seigneurs s'efforçant de ressusciter la féodalité;
e*est, plus tard, l'édit de Nantes, lequel, en ce qui concer-
nait l'état politique des Calvinistes, était un véritable traité
avec eux. Ces transactions amenèrent, à leur tour, le traité
de Tervins, et mirent fin aux attaques de l'étranger contre
notre indépendance et contre l'intégrité de notre territoire.
Tout cela se tient, s'enchatne, se déduit l'un de l'autre.
Notre premier soin a donc été de composer une histoire
complète des partis, depuis l'avènement de Henri IV Jus-
qu'à rentière pacification du royaume. Nous avons soumis
à utt attentif examen leurs actes principaux, la déclaration
en roi et des seigneurs signée an camp de Saint-Cloud, le
à aodt 1589; les arrêts des divers parlements rendus cette
PREFACE. kit
année et Tannée suivante, en vertu de pouvoirs nouveaux
dont les circonstances avaient investi ces corps; la décla-
ration du clergé de France, assemblé à Chartres en 1591 ;
la déclaration de Mayenne, du 24 décembre 1592, et celle
du roi du 29 Janvier 1593 ; les actes de la conférence de
Suresne, et la discussion, soutenue avec tant d*éc1at et tant
d*effet dans son sein ; les délibérations des Ëtats-généraux
de la Ligue ; leur vote fameux du 20 juin ; la mention des
sommes qu*ils reçurent de mois en mois, tirée du registre
du tiers-état, et formant preuve contre de récentes alléga-
tions qni peuvent étonner ; enfin, Tarrèt du parlement de
Paris, du 35 Juin 1593, dont le prélude et Texplication se
trouvent dans Tarrêt de cette même cour, en date du
22 décembre précédent. Mous avons présenté une analyse
nouvelle et complète de ces pièces importantes, qui con-
tiennent la pensée môme et le mobile des partis ; nous
nous sommes attaché à en saisir le véritable sens et à en
donner la pleine intelligence.
Les caractères des particuliers durantcette période» la con-
duite et la moralité des partis, Tétat de Topinion publique,
les doctrines politiques et religieuses soutenues de part et
d'autre, ont été pour nous Tobjet d'autres éludes, et nous
avons donné une particulière attention à ce qui concernait
la Noblesse, le parti des Politiques, TÉglise de France.
Profondément distincts des grands seigneurs, avec lesquels
ils n'ont de commun que la naissance, les nobles et les
petits seigneurs, que les contemporains nomment les gen-
tilshommes depuis deux mille livres de rente jusqu'à dix
et douze mille, vivent dans leurs terres, et n*en sortent
qae pour accomplir un devoir envers le souverain et en-
vers le pays, pour payer une dette à Thonneur de leur
nom, au péril de leur vie et aux dépens de leur fortune.
La presque totalité d*entre eux n*a en vue ni les gouver-
nemenisde provinces, ni les gouvernements de villes, ni
XX PRÉFACe.
même les grades militaires, puisquMIs viennent prendre
rang, comme simples soldats, dans la cavalerie. Cette
cavalerie n'a pas d'action souveraine sur les événements
pour deux raisons : d'une part, Tinfanterie a déjà repris
sa grande importance dans les armées; d'une autre, le
duc de Parme et le prince d'Orange ont fait delà guerre
une guerre savante, où les opérations s'enchaînent et se
prolongent, et les gentilshommes servant à leurs frais, ce
service gratuit est de toute nécessité irrégulier et court.
La noblesse ne peut donc rien décider ni contre les fac-
m
tions intérieures, ni contre l'étranger. Mais elle parait à
tous les champs de bataille et à tous les sièges, depuis
ArquesetIvry,où elle est de moitié dans les défaites des
armées de la Ligue, jusqu'à Fontaine-Française et à l'at-
taque des lignes d'Amiens, où elle repousse presque seule
l'Espagnol du territoire. File ne peut faire triompher la
royauté, mais elle la soutient et la perpétue; et sans l'au-
torité royale, il n'y a actuellement pour le pays qu'anar-
chie ou domination étrangère : elle ne peut élever le trône
sur les débris des factions et de la puissance de Phi-
lippe II, mais elle y place une dynastie qui doit donnera
la France Henri IV et Louis XIV, avec Richelieu pour in-
termédiaire. Nous avons dressé , et placé parmi les Docu-
ments historiques, la liste de ceux qui ont pris une part
active aux événements militaires de cette héroïque époque.
C'est le registre d'honneur, et en quelque sorte le livre
d'or de la France : on y trouvera inscrits les noms de tous
ceux qui ont bien mérité de la patrie ; tous les dévoue-
ments y reçoivent leur consécration
Dans une solennelle circonstance, à l'ouverture de l'as-
semblée des Notables réunis à Rouen, Henri IV, rappelant
les moyens que la Providence lui avait donnés de sauver le
pays de la perte, signalait, outre l'épée de sa brave et gé-
néreuse noblesse, « les prières et les bons conseils de ses
PRàFAC£. XXI
1* serviteurs, qui ne faisoient profession des armes. » Ces
serviteurs étrangers à la profession des armes, étaient dans
Tordre laïque les Politiques; dans Tordre ecclésiastique,
les prélats du Clergé gallican restés fidèles k ses anciennes
doctrines. Bien que les gentilshommes suivant le drapeau
de Henri fussent des politiques, on a particulièrement
affecté cette dénomination aux magistrats et aux bour-
geois prononcés pour le roi dans les villes royales, et
même dans quelqu&s villes soumises à la Ligue. Les magis-
trats politiques sont les deux cents membres du parlement,
et des autres cours souveraines, transférés à Tours, qui
ont pour représentants Achille de Harlay, La Guesle,
d*Espeisses, Servin, de Thon, Pasqiiicr, Fauchet. Ce sont
dans les provinces les présidents et conseillers qui sou-
tiennent l'autorité du roi contre les parlements ligueurs :
entre eux, on distingue le grand citoyen Groulart,
premier président du parlement de Rouen , transféré
âi Caen K Ce sont, enfin, dans le parlement demeuré
à Paris, Edouard Mole, du Vair, Lemaistre; et dans la
bourgeoisie, d*Aubray, Langlois, L*huillier, les avocats
Antoine Aniauld et Dolé, Lestoile, les deux Pitbou, les
auteurs de la Ménippée. l^e parti des Politiques se com-
pose donc de ce que la France a de plus vertueux, de
plus savant, de plus éloquent, de plus spirituel tout en-
semble, et la supériorité des hommes doit se retrouver
nécessairement dans leurs principes et dans leurs actes.
Kn politique, ils demandent le concours dans les affaires
publiques des assemblées nationales et des grands corps
de TÉtat, purgés de Tesprit de sédition ; ils professent le
respect des lois fondamentales qui séparent la monarchie
du despotisme, Tusage modéré de la prérogative, la bonne
administration, tout ce qui fait la juste liberté et le bon-
* U e«i iléMi^nr itaiis b corres^ioiiUatioe i\^ Henri IV suiis le uum
de De U Ciiurt, seigneurie ipit lui ipparteiuiit.
XXII PftiFACB.
heur du peuple. Mais ils veulent en même temps une
royauté, une première magistrature du pays qui soit forte,
une royauté légitime, une succession légitime et établie
d'après des lois invariables, comme iudispensablemeni
nécessaires pour dominer et mater les factions, tenir les
ambitions en bride, déjouer les usurpations. Leurs prin-
cipes en religion sont la liberté de conscience et de culte,
qui laisse Dieu seul Juge des croyances, et qui seule peut
faire vivre en concitoyens, faire concourir à la prospérité
publique, des hommes acharnés depuis un tiers de siècle à
leur commune ruine et à celle de la France ; la séparation
des deux puissances et Tentière indépendance de la puis-
sance temporelle à Tégard de la puissance spirituelle en
général, en particulier à Tégard de la puissance du
l^pe, souverain étranger; les droits du prince à la souve-
raineté mis complètement en dehors de sa croyance ; la
défense des lois et des préroigatives du royaume dans ses
rapports avec la cour de Rome, et le maintien des libertés
et privilèges de TÉglise gallicane, considérés comme notre
palladium ; Tobligation enfin imposée k tous les pouvoirs
et il tous les corps de TËtat « de se précautionner» à
>» Texempie de leurs généreux ancêtres, contre les entre-
» prises et les usurpations des étrangers; » et de les empê-
cher de s'immiscer dans les affaires intérieures et politiques
de la France.
Tout cela est extrait textuellement des écrits des Poli-
tiques, et leur conduite répond aux maximes qu'ils profes-
sent. Catholiques sincères, mais libres de préjugés et guidés
par une raison ferme, lors du grand débat qui, en 1585»
après la mort du duc d'Âlençon, s'est agité devantia France
entière sur l'éventualité de la succession de Henri III, ils
se sont convaincus par la discussion, et par des précédents
de neuf années en Navarre et en Béarn» que Henri de
Bourbon ne prétend qu*à garder sa religion; qu*il n'a jamais
PRiFAGI. XXUl
pensé et qa*U ne peut songer à détruire le catholicisme»
par la raison quMi n*est ni persécuteur* ni insensé etdi»-
•
posé k tenter l'impossible. Dès ce moment, ils ont résolu de
lui appliquer le bénéfice de notre droit public, et de ra|H
peler à la couronne après Henri III. Ils ont des protesta-
tions afficiiées à Rome contre la bulle de Sixte-Quint, qui
prive le roi de Navarre de ses principautés héréditaires et
de la succession au trône de France ^ Ils ont des protes-
tations contre l'usurpation du duc de Guise, adressées au
duc lui-même et jetées à sa face. Après Tassassinat de
Henri III, ils portent Henri IV au trône; ils le font recon-
naître dans toutes les villes où ils sont maîtres, au sein de
tous les corps où ils ont autorité, d*uu commun consente-
ment, d*un commun effort, et ils s'indignent de trouver « des
» âmes assez foibles pour ne pouvoir gouster l'obéissance
» qui est due à son prince, de quelque religion qu'il fasse
9 profession. • Us bravent pour lui la Conciergerie, la
Bastille, le pillage de leurs maisons, l'exil, les chances de
la proscription, si son parti succombe. Us le soutiennent
de leurs arrêts, de leurs déclarations, de leurs discours, de
leurs écrits, depuis son avènement jusqu'à son absolution*
jusqu'au moment où la Ligue et la cour de Rome ont cessé
de mettre son autorité en péril. ▲ aucune époque peui^rt
de notre histoire, le courage civU ne s'est sigaalé par des
actes aussi dévoués et ayant une semblable portée. C'est la
gloire étemelle de la magistrature et d'une partie de la
boui^eoisie.
Les prélats de FÊglise gaUicane suivent les mêmes
*■ La protesUtion affichée à Borne, le 6 noTemtee i(S4, emuin
la botte de Sixte-QuInt, est l'ouyrage non d*an calviniste, mais do
ofttlMMqae poUtiqne Leitoile, oomme on le volt par Mi registra-
iournal dn règne de Henri Ul, page 190 B, édit. Miehaud. « AaemîMt
9 escrit, fait par l'auteur des présents tnémoires, on a fait faire
• ém palaia de Parla m voyage à monune, oè on 1^ tnik, stgnifté et
• afiché.*
XXlV PRÉFACe.
maximes, la même ligne de conduite que les Politiques de
Tordre laïque. Dès la fin de 1589, sur cent dix-huit évêques
et archevêques qu*on compte alors en France, cent adhè-
rent à la royauté du calviniste Henri IV. En 1591, dans
leur assemblée de Chartres, ils formulent la mémorable
déclaration qui met ses droits à Tabri des coups que leur
portent les bulles monitoriales de Grégoire XIV. En 1593,
Tun d^eux, Farchevêque de Bourges, dans la discussion de
la conférence de Suresne, soutient tout k la fois la légiti-
mité de son pouvoir, les droits de sa couronne, et les doc-
trines protectrices de TÉglise gallicane. Quelques mois
plus tard, ils reçoivent son*abjuration à Saint-Denis', le
réconcilient avec TÉglise, et en même temps avec la moitié
de la France. I^ paix acquise, ils s*associent à ses travaux
pour la prospérité du pays, |H)ur le développement de Fin-
dustrie, et plantent des mûriers dans tous les évèchés du
royaume. Enfln, on les trouve, à la flu de ce règne, en-
voyant leurs missionnaires en Amérique, dans TÂcadie,
au Canada, répandant Tagriculture et les bienfaits de la
civilisation, propageant chez les sauvages la foi par la per-
suasion, protestant par tous leursactes contre les cruautés
et les dévastations des Espagnols, rendant à la religion
de rÉvangile son esprit de charité et sa pureté sublime.
Tous eusemble, ils tracent en caractères ineffaçables Tune
des plus grandes et des plus belles pages de Thistoire de
l'Église de France.
Quand on examine avec attention le cx)rpsdes doctrines
des Politiques en matière de gouvernement et en matière
de religion; quand on y trouve si fortement établi ou
sauvegardé tout ce que le souverain, le citoyen etPhomme
ont de plus précieux, on voit bien ce que les deux siècles
suivants ont souvent, et pour longtemps, abandonné deces
grands principes avant d*y revenir; maison cherche vai-
nement ce qu*ils y ont ajouté. Parmi ces doctrines, celles
PRÉKACK. XXV
relatives aux droils et prérogatives de la couronne et de la
nation dans leurs rapports avec la société religieuse, et
celles concernant les libertés de TËglise gallicane, ont une
sagesse et une haute utilité pratique dont on devrait être
averti, en songeant que le dernier père de TËglise, Bos-
suet, et après lui tous les prélats éminents par leurs lu-
mières jusqu'au cardinal de la Luzerne et h M. de Heausset,
lèsent tourk tour adoptées, y ont mis leur attache et leur
sanction. Nul culte n*est assuré de son existence, s'il peut
porter atteinte aux droits essentiels de la nation et aux
droits du prince. L^ moitié de PEiirope n*a embrassé la
Réforme, ou n*est restée ferme dans le schisme grec, que
parce que les nations qui sont sorties de PÉglise, ou (|ui
sont demeurées en dehors, n'ont pas trouvé de sufflsantes
garanties contre les atteintes que leur portait, ou contre
les craintes que leur inspirait la puissance ecclésiastique.
Quatre fois la France a été sur le point de se détacher du
Salnl-Siége, de se donner un patriarche, et en continuant
d*èlre catholique-^ipoêtoliquetAe cesser urètre romaine, sous
Henri IV, en lô9/i et au commencement de 1595, sous le
ministère de Richelieu, sous Hazarin, sous Louis XIV
en 1683 et 1687. Tout autant de fois elle s'est désisté des
projetsde rupture, parce que le souverain et le peuple ont
regardé les libertés gallicanes, dont TËtat et TËglise na-
tionale étaient en possession, comme une arme suffisante
pour défendre leuiv droits et leurs grands intérêts, dans
leurs différends avec la cour de Rome, sans recourir à une
séparation. En 1810, après son excommunication. Napo-
léon disait en propres termes, qu'il renonçait à un schisme
où il entraînerait quarante millions d'hommes, parce qu'il
avait trouvé dans ces libertés les moyens d'assurer l'in-
dépendance du pouvoir civil. Parmi les documents d'un si
haut Intérêt, dont abonde le grand et bel ouvrage de
M. Thiers, celui qu'il fournit sur ce point, est sanscon*
XXTI PRÉFACS.
tredit Tun des plus curieux et des plus importante K Lai
libertés gallicanes, que les Politiques Jugeaient et nom-
maient le palladium de TËtat, n'étaient donc pas moins le
palladium du catholicisme romain. Attaquées de nos jours
par la passion des uns comme une sorte d*hérésie et de
sacrilège, négligées par la légèreté et Tignorance des
autres comme une vieillerie, elles ont certainement perdu
beaucoup de leur autorité. Qu'il survienne un nouveau
conflit, et Tévénement décidera si le discrédit dans lequel
elles sont tombées n'entraîne pas avec lui d'immenses
dangers, d'incalculables conséquences pour la religion.
Le dernier des sujets se rattachant k la première
période du règne de Henri IV, qui soit digne d'un grand
intérêt, est la guerre. Bien que la guerre, comme nous ve-
nons de le voir, n'ait pas décidé et dénoué les événemeala,
elle soutint cependant l'autorité souveraine et TËtat Nous
lui avons donné une attention proportioiinée à son
importance. Dans chaque camiMigne, dans chaque entra-
prise, nous avons essayé de saisir et de montrer la pensée
militaire, et de suivre dans leur ensemble les progrès de
l'art, en nous éclairant des indications que fournisBeut les
récits des écrivains spéciaux dans celle partie, les ducs
d'Angonléme ei de Nevers, d'Aubigné, Sully « Henri IV.
* M. TMen, Hirtolre do Cooralat et de l'Empire, IW. xxxthi,
U vn, p. Its, ISS. IMtooan de NapoléoB an cÉergé de Brabtnt.
« Voai ne Tovlei pat prier pour moi. Btt-ce parce qn'wi prêtre ro-
■ main m'a excommunié? Mais qui lui en avait donné le droit? Qui
• peat Ici-bat délier Isa anjcfs de le«r eerment d'obélmanee an ËOOft-
9 ralo inttltné par let lola? Peraonne, ▼cas devei le aavair, ai tom
B connaiHei votre religion. Ignorei-voni que ce sont vot coupabiei
» prétentions qnl ont poussé Luther et CaWln à séparer de Rome une
• partie dn monde cathoUque? S'il eAt été néoeatalra, et ai }e n'avala
• pas trouvé dans la religion de Bosaaet les moyens d'assurer Tlndé*
• pendanoe du pouvoir dvU, J*aurais, mol aussi, affranchi ia France
• de raaIorHé fomalne, et qaaianle nUMopa d'Iioaiaw m'iaratart
» auivl. •
Ces études conmeocent au plan général de guerre adopté
par le roi dès sa première campagne, et à ce que Vob
nomme vulgairement encore aujourd*hui le combat d'Ar-
qués, la iMitaiUe d*Arques. Au dire de tous les contem-
porains, ce fut le siège de Die|)pe et le siège du camp
fortifié que Henri avait donné à cette ville pour ouvrages
avancés» attaqués six fois» sur six points différents, par
Mayenne et par Tarmée de la Ligue. Ces observations se
terminent au siège d*Amiens, à la campagne de Savoie et
aux sièges de Charbonnière et de Montmélian, où la guerre
savante, la guerre de Turenne et de Vauban, se trouvent
déjà, non dans leur développement, mais dans leuf
principe.
A la fin de la première période du règne de Henri IV,
au moment où il donnait Tédit de Nantes et signait le
traité de Vervîns^ dont le traité conclu peu après avec la
Savoie fut Fannexe et le complément, une grande œuvns
était accomplie. La liberté religieuse, à laquelle les rois
d'Espagne avaient fait une guerre acbaméecbez nous, aussi
bien que dans leurs propres Ëtats; que les rois de France,
depuis François l*' , avaient violemment persécutée, la
liberté religieuse était solidement et pleinement établie
dans le royaume. Les réformés entraient en possession,
nonpasseulemeutdela liberté de conscience,que Henri leur
avait assurée dès le jour de la déclaration de Saint-Cloud,
dès son avènement, mais de la liberté de culte et de ren-
tière égalité civile avec les catholiques. La Coalition contre
la France, dans laquelle TEspagne avait entraîné la Sa-
voie, la Lorraine, le Saint-Siège, était dissoute. Les pro-
jets de conquête formés contre notre pays par Charles-
Quint, suivis par Philippe H, étaient déjoués. La France
avait gardé son indépendance, rintégrité de son territoire,
sa royauté nationale, ses lois fondamentales. A Tintérieur,
K
kXVlll PRKFAGK.
tous les partis avaient été vaincus ou gagnés; la royauté
légitime, la succession légale, en remportant après une
pénible lutte, avaient donné au pays Tordre et la paix à la
placede Fanarchie et de la guerre civile. C*était le triomphe
de l*esprit chrétien sur Tintolérance, du droit et de la
morale sur la force, des principes conservateurs sur les
princii)es de dissolution, en même temps que le triomphe
de la cause de Henri IV.
Ces questions vidées, deux autres se posaient au com-
mencement de la seconde période de son règne, et
n'étaient ni moins graves ni moins difficiles à résoudre. La
France, non plus après vingt-sept ans, mais après trente-
huit ans de guerre civile et étrangère, était arrivée au der-
nier degré de misère et de désorganisation intérieure. Si
elle restait dans cet état, les résultats déjà obtenus dans la
lutte contre TEspagne et la maison d'Autriche n'étaient
que des résultats précaires, puisque sa faiblesse pouvait
Ten priver dans un avenir rapproché. D*un autre côté, au
milieu des privations et des souffrances des individus, elle
s'abaissait comme nation, et devenait incapable soit de
hâter, soit de suivre même les progrès de la civilisation.
Ce n'était pas tout : si sa détresse persistait, aucun peuple
de l'Europe n'avait désormais à tourner les yeux vers elle,
à rien attendre de son assistance dans les efforts qu'il pou-
vait tenter, lui aussi, pour assurer son indépendance et sa
liberté religieuse : la solidarité politique et chrétienne
n'existait plus en Europe.
Deux causes semblaient devoir opposer un insurmontable
ol)stacle à la régénération de la France. L'excès même de la
misèreetdu désordre; les idées, les passions, et jusqu'aux
habitudes du roi. L'un de ses serviteurs, qui ne l'avait pas
quitté depuis sa première jeunesse, donne eu ces termes
le résumé de sa vie jusqu'au jour où il signa la paix avec In
duc de Savoie : « Les lauriers qui couvrent son chef vé-
PRiFACB. XXIX
• • • • ..
• nérable ont été cueillis au champ de Irois batailles ran-
• gées, de trente-cioq rencontres d*armées, de cent qua-
• rante combats,* de trois cents sièges de places, où tou-
» jours son courage et son bras ont paru. » Cet homme de
fer, qui avait pris les armes à quinze ans, les portait en-
core âi quarante-six; elles étaient à la fois sa vie et sa
gloire. Mais la France ne pouvait se rétablir et se relever
qu'au milieu d*une paix profonde, et il avait promis aux
Notables assemblés à Rouen de la sauver de la ruine après
ravoir sauvée de la perte. Maîtrisant ses goûts, domptant
ses instinciB, quittant toutes ses habitudes, il remit Tépée
dans le fourreau, se condamnai dix ans d'une paix con-
tinue pour se faire exclusivement législateur et adminis-
trateur, s'interdit la guerre comme un crime, parcequ'elle
était contraire ii l'intérêt public. Cet acte de renoncement
volontaire à soi-même est ce qui le caractérise d'une ma-
nière particulière dans l'histoire. C'est par là qu'il diffère
de tous les souverains venus après lui et qu'il les domine.
Si, dans sa vie privée, il céda aux passions et connut les
faiblesses, comme homme public, comme prince, il s'im-
posa de n'avoir d'autre passion que l'amour de sa nation
et raccomplissement de ses devoirs de roi. Quant aux in-
croyables difficultés de la seconde moitié de sa tâche, la
restauration de l'État dans toutes ses parties, le rétablisse-
ment de la chose publique dans tous ses détails, il sur-
monta ces obstacles par la puissance et la flexibilité de son
génie, l'énergie de sa volonté, et une activité qui tient du
prodige.
Dans la seconde partie de son règne, on le voit régler et
réformer le gouvernement en ce qui concerne l'exercice
du pouvoir, l'ordre public, la justice, l'instruction pu-
blique. Ses travaux administratifs s'étendent aux finances,
soumises pour la première fois à une comptabilité régu-
lière; aux impôts dont l'assiette est changée par l'aug-
mentation de Timpôt Indirect et la diminution de lUmpôt
personnel ; à l^armée de terre transformée, ou plut6t créée
par une organisation entièrement nouvelle ; à la marine,
aux arsenaux, aux places fortes, à tout ce qui concerne la
défense du territoire, comme aux établissements qui inté-
ressent la santé et la salubrité publique. Sa Tigilanceet sa
protection se portent sur les arts divers de la paix, dont \h
s*occupe en même temps; sur l'agriculture, sur les iudus*
tries de première nécessité et de luxe, sur le commerre
intérieur, sur les YOies de communication par terre et par
eau, sur le corameree extérieur, sur les colonies et ta
compagnies de commerce. 11 a encore des soins et des en-
conragemente pour ce qui fait la gloire d*one nation ciyi-
Usée, et entretient chez die le flambeau de Flntelligenoe,
pour les sciences, les lettres, les beaux-arts, et il érige de
toutes parts de grands monuments. Sully témoigne en
vingt endroits de ses Mémoires, quelle part active et per-
sonnelle il prit à ces réformes et a ces créations. G*e8t
bien de lui dont on peut dire qu*il pensait n*avoir rien
fait tant qu'il restait quelque chose à faire ; et quand 11
n'aurait fallu que le temps pour ce prodigieux travail
de rentière réorganisation d'une société, on s'étonne que
le temps ait suffi.
Nous n'insisterons pas sur ces institutions et sur ces
établissements ; nous ne présenterons pas ici en petit ce
que Ton trouvera eu grand dans notre ouvrage ; mais nous
réunirons quelques traits épars pour donner une idée
précise de ce gouvernement et de cette administration, et
pour en faire connaître l'esprit. Lorsque Henri IV demeura
maître, la France sortait d'une anarchie où les dangers
publics n'avaient été surpassés que par les souffrances des
particuliers, et où le peuple avait vu tout ce qui avait été
détaché momentanément du pouvoir souverain^ devenir
une tyrannie contre lui. Les masses souhaitaient l'ordre
PR^rACI. XXXI
a?ec pa«ion, avec une sorte de fureur, offraient tout pour
robtenir, poussaient elles-mêmes à Tabsolutisme. L'en-
traînement ne venait pas de ce seul côté. En considérant
que les Ëtats-généraux assemblés à Blois, en 1576 et
1688, n'iavaient pris que des déterminations factieuses,
fécondes en désastres; que le roi, en 1596, ayant accordé
nue part considérable à la nation dans le gouvernement,
les Notables, égarés par Flnexpérience, n'avaient usé de
levr prérogative nouvdle que pour établir Te dangereux et
stérile Conseil de raison, bien des hommes du cœur le plus
B^ble, et de la plus haute intelligence, pensaient et écri-
vaient que la nation était incapable de tout rôle politique;
qiieceqH*elle avait de mieux à faire était de se démettre
de toute participation à ses affaires, et de confier unique-
mentses destinées an pouvoir sans contrôle et sans contra-
dietioD, qui lui convenait seul. Henri IV repoussa cette
dictature que le Ilot de Topinion lui apportait, il jugea que
les barrières mises à la puissance du prince étaient seules
capables de le sauver des écarts et des chutes. Il pensa
qu'une nation où les divers ordres se sentaient n'être plus
rien était une nation en marche vers la dégradation, parce
que chacun des citoyens s'abaissait promptement de toute
la nullité à laqndle 11 était réduit, et devenait indifférent
à la chose publique en proportion même de ce qu'il y était
étranger. 11 comprit où menait un état de choses dans le-
quel les conseils les plus propres à éclairer le pouvoir sur
ses erreurs, les idées les plus utiles et les plus fécondes pour
le perfectionnement du gouvernement et de l'administra-
tion ne pouvaient se faire jour. H le comprit, et prévint
cefte corruption de la monarchie. Convaincu que l'heure
n*étalt pas venue d'établir le régime représentatif dans sa
permanence etsa régularité, d'agiter les questions politiques
et les grands intérêts de l'État dans des assemblées générales
et réunies périodiquement, parce que la nation, comme
XXXIt PnÉFACE.
le prouvait une récente expérience, n*é(ait pas mûre pour
ce gouvernemenl ; condamnant d'un autre côté la monarchie
absolue, il établit la monarchie tempérée, donnant pour
contre-poids au pouvoir royal la légalité, les libertés parti-
culières et locales, et la liberté de parler avec la plume, de
s'adresser à Topinion publique, de la prendre pour auxi-
liaire; liberté qui seule suffisait pour garantir les droits
de la nation, éclairer et contenir le gouvernement Sa
maxime et celle de Sully fut « que plus les potentats s'ar-
» rogent d'authorité, et entreprennent de faire des levées
» tortionnaires sur leurs sujets, plus ont-ils des désirs de-
» réglez, et s'engagent à des despenses plus excessives à la
» ruine de leurs peuples. Que les levées de deniers ne pou-
» voient se faire que par le commun consentement des
» peuples , avec le gré et l'octroi des trois Estats du
» royaume. » Conformant leur conduite à ce qu'ils tenaient
pour une loi, non-seulement ils ne dépassèrent jamais la
somme votée par les Notables réunis à Rouen , mais res-
tèrent même au-dessous de quatre millions dans les der-
nières années du règne, et dès qu'il devint possible de
diminuer les dépenses. Le roi respecta toutes les fran-
chises et libertés de la nation existantes, et notamment le
système repr{*sentatif établi dans les pays d'£tats. Ces
provinces, au nombre de six avant lui, furent portées k
sept après la réunion du Béarn et de la Navarre à la cou-
ronne: leurs assemblées ne présentaient aucun des incon-
vénients des assemblées générales de la nation, leur pou-
voir se bornant au vote des impôts et h la décision de
questions d'un intérêt local. Leurs députés usèrent en
toute liberté de ces pouvoirs/puisqu'on voit par les lettres
du roi qu'ils repoussèrent en quelques circonstances les
propositions du gouvernemenL Henri étendit le régime
représentatif partiel en établissant, par les dispositions de
l'édit de Nantes, la |)ériodicité et la légalité des assem-
PRÉFACE. XXXIII
biéesque les calviuisles devaient tenir. I.a prérogative des
Parlements, en en retranchant Texcessive extension qu*elle
avait prise durant les troubles, se bornait à faire des re-
montrances. Le roi les souffrit dans toutes les occasions,
en profita dans plusieurs, et ne les combattit jamais que
par des raisons où éclatait la supériorité de son esprit, de
sou expérience, de sa politique: il toléra bien en particu-
lier que les remontrances et que le refus d*enregistrement
tinssent en échec son édit de Nantes pendant près d*un an ;
et il ne leva Topposition que quand il s*aperçut qu*elle
compromettait la paix publique, en même temps qu'elle
arrêtait rétablissement de la plus précieuse des libertés.
Que Ton compare sa conduite :i Tégard des Parlements
avec relie de Richelieu et de Louis XIV, et que Ton juffo
de la différence des régimes. Le Conseil d*État jouit de la
plus entière liberté de discussion, même contre les senti-
ments et les désirs du roi, et eut ce privilège de ramener
plus d'une fois à son opinion. De Thoii raconte, dans ses
Mémoires, qu'en 1599, Henri, qui avait alors besoin du
Pa|)e pour les affaires extérieures, annonça dans le Conseil
rintention arrêtée où il était de satisfaire le pontife en
faisant publier en France le concile de Trente ; que le chan-
celier et Villeroy soutinrent chaleureusement Futilité de
la mesure, et annoncèrent que les lettres patentes étaient
déjà dressées pour en assurer l'exécution ; que lui, de
Thou, la combattit, en démontra les dangers, persuada au
Conseil de la repousser, et au roi de s'en désister. Les par-
ticuliers trouvèrent les mêmes facilités que les corps de
TÊtat pour produire leur opinion; chaque citoyen, sous
ce règne, put faire connaître la sienne par la voie de l'im-
pression : le nombre des écrits politiques et des satires
IHibliés alors, la nature de plusieurs comédies, montrent
de quelle large liberté jouirent les auteurs et le théâtre.
Ainsi, le gouvernement avait mis la liberté partout, con-
I. *•
xxxiT raiPÀCB.
vaincu que sans elle II Q*y avait plus pour lui ni lu-
mières, ni conseils utiles, comme il n*y avait plus chez
les citoyens ni ressort d*esprit, ni caractères énergiques,
ni actions généreuses. Il la considérait encore et avec
raison, comme le principe de la vie et de Tactivité pour
rindustrie et le commerce, et il Ty introduisit en ren-
dant libre le commerce des grains, avec les sages pré-
cautions que commandaient la prudena^ et Tintérêt pu-
blic ; en délivrant les compagnons et les apprentis de
Tonéreuse sujétion où ils étaient retenus, et en leur confé-
rant la maîtrise; en donnant rindustrie libre pour con-
currente et pour rivale iï rindustrie des communautés. On
complétera ridée qu'on doit se faire de Tadministration
de Henri IV, en observant que dans les établissements fon-
dés, dans les grands monuments érigés ou projetés par lui,
il s'inspira constamment de la pensée nationale, de la
pensée française, les décora du nom et de la représenta-
tion de rhistoire de la France. On entrera enfin complète-
ment dans le secret de son gouvernement, en étudiant, et
Ton ne peut le faire sans émotion, les maximes morales et
religieuses qu'il avait prises pour règles dans Texerctce de
la puissance souveraine et dans la conduite de ses peuples,
sous rinspiration de sa conscience et sous Tœil de Dieu. 1^
roi chrétien et le grand roi sont là tout entiers.
La deniière période de ce règne, bornée à Tannée 1609
et k la moitié de Tannée 1610, n'offre pas dans sa courte
durée des événements d'une moindre importance que les
deux précédentes. En 1609, après dix ans de paix, après
dix ans de travaux administratifs, Henri avait développé
toutes les ressources intérieures du pays , avait mis le
royaume dans un état de prospérité et de force inconnu
jusqu'alors. Chaque année la France rendait au delà de sa
consommation, et s'enrichissait eu exportant Texcédant des
PRtFACC. XXXV
produits de son sol. Le trésor, outre les revenus ordi-
naires, avait, soit en argent comptant, soit en ressources
extraordinaires toutes prêtes, iS/i millions de ce temps,
environ 372 millions d^aujourd'hui. Notre état militaire
répondait à ces ressources financières. Les choses amenées
à ce point, Henri reprit la guerre si longtemps aban-
donnée, parce que la guerre était indispensable, parce
qu*il fallait assurer dans Tavenir les destinées de la Franco,
lui garantir les avantages de la paix de Vervins, demeurés
précaires* étendre à la moitié de l'Europe le bienfait des
avantages dont elle jouirait elle-même. On ne saurait trop
admirer cette politique du roi, si sage, si contenue, qui
n*entreprend la guerre qu'en son temps, à son heure, alors
qu'elle ne peut compromettre ni Texistence, ni Thonneur
de la nation, et qu'elle n'emploie que l'excédant de sa
force, que le luxe de ses ressources.
Cette guerre nouvelle, dans laquelle Henri s'engageait,
forme la moitié de ce que l'on nomme son Grand dessein.
Le Grand dessein est resté jusqu'ici débattu et incertain.
Nous lui avons donné, nous l'espérons, toute la précision
que réclame l'histoire, en nous servant du témoignage de
six hommes d'£tat, dontquatre contemporains, témoins et
acteurs tout ensemble, et de deux autres venus immédia-
tement après; en consultant des états de guerre et de
finance, d'une authenticité incontestable; en recourant
aux clauses de traités existants et que chacun peut étu-
dier. Une moitié du Grand dessein se compose d'idées et
de projets qui préoccupèrent Henri IV, sans entrer dans le
cercle de sa politique active. Sully proposa, pour les
mettre à exécution, des moyens difficiles, peut-être im-
praticables. Les deux siècles et demi qui ont suivi ont ou-
vert d*autreB voles, et presque tous sont réalisés aujour-
d'hui. La seconde moitié du Grand dessein est une coalition
et un armement de la France et de la moitié de l'Europe»
XXXVI PRÉFACE.
entrepris dans un but déterminé et présent, limités à un
temps fort court. Cette coalition et 'cet armement eurent
lieu du vivant de Henri IV.
La branche allemande et la branche espagnole de la
maison d*Autriche n'avaient renoncé ni à rétablissement
de la monarchie universelle, ni à la destruction de la ré-
forme et de la liberté religieuse : elles montraient alors
même leur ambition par Toccupatlon à main armée de la
succession de Juliers, et leur haine implacable contre tout
culte dissident par la proscription des Morisques : elles
n'attendaient que le moment où elles seraient sorties des
circonstances difficiles dans lesquelles elles étaient main-
tenant jetées, pour reprendre leurs projets avec les forces
de la moitié des peuples de l'occident qui continuaient k
leur obéir. L'indépendance de toutes les nations qui
n'avaient pas subi leur joug, la liberté de conscience par-
tout, restaient donc sous une perpétuelle menace. Après
les guerres de Charles-Quint et de Philippe H, d'autres
guerres les attendaient dans un prochain avenir. Henri
résolut de conjurer ce danger commun à la France et à la
moitié de l'Europe» et d'en finir avec l'ambition et l'into-
lérance de la maison d'Autriche, en lui enlevant tous les
pays qu'elle possédait hors de l'Espagne, et en distribuant
ses dépouilles à l'Allemagne et à l'Italie à jamais affran-
chies. Au commencement de l'année 1610, Il réunit dans
une coalition contre elle vingt peuples appartenant aux
couronnes du Nord, à l'Allemagne, à l'Angleterre, à la
Hollande, ii la Suisse, h l'Italie, dont il s'était ménagé suc-
cessivement l'alliance, par des négociations conduites de-
puis l'an 1600 avec une persévérance et une habileté infi-
nies, avec l'aide de diplomates dont le nombre et les
talents ne souffraient aucune comparaison avec ceux que
la France avait eus jusqu'alors. H attaquait la maison
d'Autriche avec quatre armées françaises et cent un mille
PRiPACE.' XXXVII
soldats, qui entraient en ligne le premier jour de la
guerre, et avec les contingents proportionnés de chacun
des peuples entrés dans la coalition. 11 Tattaquait dans le
iDomeut unique et irretrouvable d*une guerre civile qui
armait les uns contre les autres les princes de la branche
allemande; de Texpulsion des Morisques, qui affaiblissait
et bouleversait TEspagne; de la profonde incapacité des
souverains qui régissaient alors les deux monarchies. La
monde Henri IV arrêta Teffet de ses .admirables calculs,
de ses grands desseins. Mais ils ne pouvaient pas plus
périr que ne périrent les projets de la maison d* Autriche,
que ne cessèrent les dangers de la moitié de TËurope,
menacée quelques années plus tard, fKir Ferdinand 11,
dans son indépendance et sa liberté religieuse. Gustave-
Adolphe, Richelieu, le grand Coudé, le traité de West-
pbalie, le traité des Pyrénées, Touverture de la succession
d*Espagne, firent ce que Henri IV et Sully espéraient ac-
complir en trois ans, en payant la France de ses sacrifices
par Textension de son territoire jusqu'à ses limites natu-
reUes des Pyrénées et du Rhin, et en lui assurant la pré-
dominance dans FEurope protégée par elle.
Résumons ce qui vient d*étre dit; réunissons et grou-
pons ce qui vient d'être exposé sur ce gouvernement, et
voici ce que nous trouverons pour résultat. Dans les ma-
tières de droit International et de droit public, de politique
et de religion , Téquilibre européen, la liberté de con-
science, les libertés gallicanes et Tharmonie des rapports
entre la société civile et la société religieuse ; les libertés
politiques dans-leur essence et sous la forme qu'elles com-
portaient alors, en attendant qu'elles en prissent une
autre; la liberté de penser et de s'adresser à l'opinion
publique par l'impression, telles furent les institutions
qu'il créa ou qu'il affermit. -Dans les matières et les Inté-
rêts d'administration, la nation lui dut la réforme corn-
XKXTIII PRéPÀCe.
plète, le perfectionnement, différant peu d*une création,
des finances, de l*armée, de la diplomatie; tous les grands
développements et la liberté du commerce et de Tindu»-
trie. Ainsi, tout ce qui tient à la rupture définitive entre
le moyen«àge et les temps modernes, à la différence entre
le monde politique et économique ancien et le monde
nouveau ; tout ce qui constitue dans son principe l'excel-
lence de notre société, date de ce règne et y remonte.
C*est Tune des plus grandes époques, non-seulement de
notre histoire, mais de Thistoire de Thumanité.
Quelque large place qu'occupent dans Thistoire géné-
rale de ce temps les desseins et les actions de Henri IV et
Sully, d'un grand roi et d'un grand ministre donnés en
même temps à la France, cependant ils ne la remplissent
pas à beaucoup près tout entière, et un ouvrage où ils
figureraient seuls serait un ouvrage incomplet. L'histo-
rien, quoique dans des proportions moindres, doit repré-
senter les arts de la paix répondant par de magnifiques
travaux ii l'appel que leur faisaient le roi et le ministre,
et à l'impulsion qu'ils recevaient d'hommes tels qu'Olivier
de Serres pour l'agriculture, Barthélémy Laffemas pour
l'industrie et le commerce, le cardinal de Joyeuse pour
les canaux, et tant d'autres citoyens qui, à la sollicitation
de Henri IV, consacraient des mémoires ou des ouvrages
au progrès de ces arts. L'historien doU peindre encore
les mœurs de cette société, l'esprit de ce temps, dont l'ex-
pression se trouve dans les sciences, la littérature, les
beaux-arts. Nous nous sommes attaché à ce double travail,
et la génération de la fin du xvi* et du commencement
du XVII* siècle, dans ce qu'elle a d'émineni, est devenue
le héros de notre livre autant que le souverain lui->méme.
L'un de nos deux plus grands historiens anciens, celui
qui le premier a le mieux compris ce qui devait entrer
PRÉFACE. XXXiX
dans les annales d^une nation civilisée, et qui a joint
Tapplication à la théorie, Texemple au précepte, a dit
d*ane manière excellente : « L^histoire des arts est peut-
» être la plus utile de toutes, quand elle joint à la con-
» naissance de Tinvention et du progrès des arts, la des-
» cription de leur mécanisme. » Nous n*examinerons pas
ici tous les arts utiles qui, sous Henri IV, prirent d'im-
menses développements, ou qui furent cultivés chez nous
pour la première fois ; le livre se chargera de ce soin. Mais
par deux exemples seulement empruntés à ce qui con-
cerne rindustrie et les travaux publics rapportés au com-
merce, nous montrerons combien il était nécessaire de sa-
tisfaire aux conditions imposées par Thomme de génie
que nous venons de citer.
On ouvre une histoire de France, et Ton y trouve que
rindustrie des soieries en France remonte à Louis XI. On
en consulte une autre, et on lit qu'elle fut introduite dans
le royaume par François I*'. Une troisième enfin affirme
qu'elle fut fondée par Henri IV; et, à l'appui de toutes ces
assertions, on apporte des textes insufBsants ou mal com-
pris. A quoi s'arrêtera le lecteur au milieu de ces contra-
dictions, au milieu de ces faits que l'on n'a pas pris la peine
d'expliquer et de mettre d'accord entre eux ? Dans quelle
îDcerlitude n'est-il pas jeté? On passe des soieries et de
l'industrie à ce qui intéresse au plus haut degré le com-
merce, aux voies de communication par eau, aux canaux,
aux lignes de petite et de grande navigation intérieure.
Là, pas d'incertitude : la date exacte, ou à peu près exacte,
de l'exécution de ces travaux est fournie ; mais on tombe
dans une obscurité profonde, résultant d'un exposé où
l'on trouve partout des effets sans cause. En effet, les
Oeuves n'ont pu être joints entre eux qu'après la décou-
verte d'un système particulier de canaux, des canaux
à point de partage, système qui permettait de les faire
XL PHEFAGi:.
communiquer entre eux, sans couper la chaîne de mon-
tagnes qui les séparait, et sans se jeter dans des travaux
sans fin, dans des dépenses fabuleuses. Et une preuve
qu'il en est ainsi, c*est que, même après l'invention des
écluses à sas, dans les cent années qui ont suivi cette dé-
couverte, aucun i>euple en Europe n'est parvenu à faire
communiquer entre eux deux fleuves, deux cours d'eau
coulant dans des bassins différents. Or, quand cette décou-
verlca-t-elle eu lieu en France ? La grande navigation intc-
rieure n'a pu être établie qu'après une étude éclairée par
le génie des aaidents de notre sol, de tous nos cours d'eau
dans toute l'étendue de notre territoire, dans tout Tinter-
valle qui sépare une merd'une autre ; et quand cette étude
a-t-elle été faite pour la première fois? Cependant si ces
questions ne sont résolues, non-beulement l'histoire reste
vague, incertaine ; mais même il n'y a plus d'histoire à
certains égards. On s'en convaincra en réfléchissant que
l'industrie des soieries, devenue aujourd'hui la plus im-
portante et la plus avantageuse de nos industries, a de
plus, dans un temps très rapproché de sa fondation véri-
table, permis au royaume de s'affranchir d'un tribut de
plusieurs millions qu'il payait à l'étranger; que les voies
de communication par eau ont donné aux produits de
notre sol, restés jusqu'alors sans débouchés, une valeur
incalculable ; qu'après avoir accru notre prospérité inté-
rieure, ils nous ont fourni les moyens de les exportera
l'étranger et de réaliser d'immenses bénéfices; que dès
lors les flnances de la France et ses ressources se sont
trouvées tout autres; que ce changement a exercé l'in-
fluence la plus directe et la plus décisive sur son étal mi-
litaire, sur ses rapports avec les nations voisines, sur sa
puissance en Europe.
Nous nous sommes donc astreint li composer une his-
toire de tous les arts de la iiaix et de tous les grands tra-
PRËFACE. XLI
vaux publics, nous livrant aux études spéciales qui nous
étaient nécessaires; consultant sur les points restés obscurs
et douteux les hommes qui à la science joignent la pra-
tique; appuyant chacun des sentiments et des énoncés
auxquels nous nous sommes arrêté , sur des témoignages
et des pièces de Tépoquc, que Ton trouvera dans le texte
ou dans les documents historiques. Nous sommes parvenu
ainsi, si nous ne nous trompons, k éclairer de nouvelles
lumières Thistoire générale de ce temps. Nous avons re-
tracé les commencements de Thistoire particulière de cha-
cun de ces arts. Nous avons donné enfin aux hommes
spéciaux des détails qui ont pour eux un intérêt particu-
lier, et quMIs sont en droit de demander, au moins dans
une certaine mesure, à Thistoire de chacun des grands
règnes. L*écoDomiste, 1 ingénieur civil, Tingénieur mili-
taire, rhomme livré à Tindustrie et au commerce, trou-
veront dans cet ouvrage des détails qui se rattachent aux
études et aux travaux qui ont rempli leur vie.
Au commencement de Tannée 1853, nous avions entiè-
rement achevé la partie politique et la partie économique
de cette histoire K Noos y avions ajouté même un aperçu
de rétat moral et intellectuel de la société sous le règne de
Henri IV; mais nous n*avions donné à cet essai que des
développements restreints. Quelques-uns de nos amis nous
pressèrent de combattre, autant qu'il était en nous, la
disposition de notre temps à délaisser les préoccupations
littéraires et philosophiques pour les pensées et les goûts
* ▲ cette époque noiu comptions pobUer très prochaiDcmcDt
notre ouvrage. Dans son numéro du 1 1 Janvier 1853, le Journal des
Déliats voQlut bien publier un fragment étendu de notre travail, et
M. Saint^llarc Girardin ciprimer son opinion favorable sur ce mor-
ceau. Dès Ion aussi nous avons fait usage d'une partie de nos recher-
dies» et annoncé les autres, dans la nouvelle édition du Précis de
Thistoire de France |)endant les temps modernes.
XLII PRÉFACK.
d'une rJvilisalion quelque peu matérielle; les travaux purs
de Tesprit pour les applications utiles ; ce qui s'adresse k
l'âme pour ce qui touche aux calculs et aux intérêts. Ils
nous invitèrent à ne pas constituer, par les proportions
mt^mcs données à notre travail, les choses de la théorie et
de rimagination dans un état d'infériorité k l'égard de
ce qui avait été accompli de merveilleux en économie
|K)litique sous le règne de Henri IV. Presque en même
temps, une éloquente réclamation de M. Mignet en fa-
veur des principes et des tendances spirituallstes nous
décida à céder k leur avis^ Bien que l'étendue et les
difficultés de ce travail aient dépassé nos premières pré-
visions, nous l'aurons embrassé avec plaisir, s'il peut,
dans une certaine mesure, agir sur l'esprit public,
changer sa tendance, le reporter vers des régions plus
élevées.
Nous présentons le premier, nous le croyons du moins,
un tableau complet et de quelque étendue des travaux de
l'esprit humain en France sous ce règne, embrassant k la
fois les sciences, la littérature, les beaux-arts.
Un grand mouvement dans les sciences eut lieu k cette
époque, qui est celle de Viète, de Riolan et de Belleval.
Nous avons donné un exact énoncé des ouvrages des sa-
vants ; et nous n'avons rien dit sur la nouveauté et Hm-
portance des découvertes qui furent faites alors, que sur
Tautorité de Montucla, de Bossut et de Fourier.
* Voici le beau passage de M. Mignet auquel uoot falioiu allu-
sion : • Lk où 11 n'y a pas de philosophie, la civilisation dépérit, et
• rhamanité s'affaisse. Il ne faut pas même supposer que le moove*
■ ment 'At ta science puisse de beancoap survirre k l'ardeur de la
• pensée. La pensée est la sève qui vi ville le grand arbre de l'esprit
• humain. Nous touchons k l'un de ces moments où l'humanité
■ énervée n'aspire qn'k se reposer et k Jonlr, où la science lurtoat,
• passant des théories aux applications, s'expose k perdre sa force
■ iDvenUve, en laissant éteindre lesoufRe spirituel qui la lui avait
• donnée. •
L'examen auquel nous avons soumis la littérature
s*étend à toutes les branches. U a pour but de faire con-
naître les genres, et le développement que chaque genre a
pris, plus que la biographie des auteurs ; le point de dé-
part et le point d'arrivée dans la marche de Tesprit humain
BOUS ayant surtout occupé. Une partie des ouvrages appar-
tenant k ce règne a donné lieu, dans les deux derniers
siècles, à des recherches érudites : ils sont devenus depuis
1824 le sujet d'écrits dont quelques-uns ont pris rang
parmi les monuments de la critique. Nous rendons hom-
mage à tous ces travaux, auxquels nous essayons d'agouter.
Pour les auteurs du règne de Henri IV déjà jugés, nous
nous attachons aux portions de leurs ouvrages, aux côtés
de leur talent, aux tendances de leur esprit qui n'avaient
pas été signalés. Pour les autres auteurs, très nombreux,
dont les travaux embrassent le droit public, la science du
publiciste, une partie de l'histoire, l'éloquence politique,
l'éloquence de la chaire depuis la fin des troubles, nous
donnons une analyse nouvelle et une appréciation de leurs
écrits. Nous avons abordé toutes les questions de critique
que soulevaient les principaux ouvrages de ce temps. Nous
avons assigné leur date véritable à la publication des Tro-
^t^tt^^ de d'Âubigné et à celle de la Satire Ménippée, qui
l'un et l'autre exercèrent une action marquée et puissante
sur les événements politiques, tirant les preuves de cette
date de nombreux passages de ces deux livres. Nous avons
discuté les reproches adressés aux OEconomies royales de
Sully, soit en ce qui regarde l'exactitude des récits, soit en
ce qui concerne la transcription des pièces Jointes à la
narration: nous espérons avoir répondu victorieusement à
ces accusations, et rétabli pour tous les esprits non préve-
nus la juste confiance que mérite le témoignage d'un
grand ministre sur un grand règne. L'étude des ouvrages
appartenant à cette époque n'a pas été pour nous une étude
XLIV PRéFAGtU
exclusivement litléraire; nous y avons trouvé, et nous en
avons tiré une vive peinture des mœurs, del'esprit, des carac-
tères du temps. Mais cetre étude ne nous a pas détourné
de l'examen des progrès de Tart, lesquels se résument
ainsi pour nous. La littérature du temps de Henri IV, une
fois les troubles et les excès de la I jgue passés, s*inspire
presque unanimement des idées d'une haute et sage poli-
tique, d*une saine morale, de Pesprit chrétien, de Fesprit
d*une religion éclairée; elle unit la supériorité intellec-
tuelle à la beauté morale ; c'est là son fonds, et il est ma-
gnifique. Elle n'achève pas la perfection de la forme, mais
elle Tavance. Par ces deux côtés, les auteurs de ce règne
préparent la voie aux génies du temps de Louis XIH et de
Louis XIV; ils sont dos précurseurs en littérature comme
leurs contemporains le sont en administration et en éco-
nomie |K)litique. A ne compter que les genres élevés, la
littérature du règne de Henri IV en constitue et en fonde
six, trois en poésie, et trois en prose, par des ouvrages
non pas seulement consultés des curieux et des érudits,
mais lus de tout le monde encore à présent. C'est là sa
solide grandeur et sa gloire d'utilité. Son originalité est
d'avoir produit dans l'éloquence politique, sous la forme
satirique et sous la forme sérieuse, des chefs-d'œuvre que
les deux époques suivantes n'auront pas.
Il ne nous serait pas difficile de prouver que dans les
histoires générales du règne de Henri IV. l'histoire parti-
culière des Beaux-Arts n'a pas été traitée avec plus d'exac-
titude que l'histoire des partis entre 1589 et i59A. Pour
donner aux chapitres de notre ouvrage qui traitent de l'ar-
chitecture, de la sculpture et de la peinture, l'exactitude et
la plénitude désirables, nous avons consulté quelques pré-
cieuses inscriptions encore subsistantes, des plans du tem|)$,
les témoignages des historiens contemporains et ceux des
auteurs venus immédiatement après, les recherches des
PRÉFACK. XLV
modernes jusqu'aux travaux d'une critique si sûre et si
élevée dont nous sommes redevable à M. ViteU Nous avons
complété les renseignements que nous avions à recueillir,
en examinant à diverses reprises et avec la plus grande
attention ceux des monuments qui subsistent encore au-
jourd'hui.
Avec l'aide de ces secours, nous avons pu présenter
rénumération de toutes les œuvres d'art de quelque im-
portance, exécutés sous ce règne; assigner une date
certaine à la plupart d'entre elles ; dresser la liste de tous
les artistes qui'sesont fait un nom; indiquer toujours,
souvent décrire, les principaux produits des arts; préciser
l'état, et signaler les progrès de l'architecture, de la sculp-
ture, delà peinture, qui peuvent se formuler peut-^trc
d*une manière cxaclc en ces termes. L'architecture donne
une continuation, sinon très pure, au moins élégante et
variée dans la forme, de l'architecture de la Renaissance :
elle y ajoute les premiers essais dans un genre très admiré
par les uns, attaqué par les autres, mais à coup sûr nou-
veau et fécond. La sculpture offre une forte et belle
transition entre la période de Goujon et de Pilon, et celle
de Coysevox et de Puget. La peinture, par des fresques et
des toiles, admirées, dit Sauvai, de tous les connaisseurs
de son tem|)s, et quel temps ! s'approprie noblement les
genres mythologique et épique, dont les maîtres d'Italie
lui ont fourni des modèles à Fontainebleau ; elle développe
dans de vastes proportions les sujets de sainteté par des
compositions où éclate le plus grand talent, peut-être le
génie; elle donne à notre art un genre nouveau, la repré-
sentation des événements empruntés à l'histoire nationale.
Nous venons d'exposer au public le plan et les princi-
paux développements de cette histoire. Qu'il nous soit
permis d'indiquer en quelques mots d'où elle proc^ède et à
XLVI PBÉPACE.
quoi elle se rattache. Ce livre n*est pas seulement un ou«
vrage; il est aussi Texpression d'un enseignement auquel,
soit comme professeur, soit comme administrateur chargé
d'une direction partielle, nous avons pris une part active
pendant plus de trente années; auquel, durant tout ce
temps, nous avons essayé de conserver religieusement le
caractère qu'il avait reçu, à son origine, d'un homme qui
a honoré notre pays par ses talents et par ses ver tus. Quand
M. Royer-Gollard, le grand philosophe, le grand orateur,
le grand citoyen, plaça, en 1818, l'enseignement de l'his-
toire dans les écoles de l'État, il donna ses instructions à
ceux qu'il appelait à le fonder sous sa haute direction.
Nous étions de ce nombre, et nous avons recueilli ses pa-
roles : « La société, nous dit-il, peut attendre de salutaires
» résultats de l'enseignement que je vous confie; il faut
» que cet enseignement les produise. Servez-vous de l'hi»-
» toire pour agrandir l'intelligence des jeunes gens, et
» pour affermir leur raison ; ce sera quelque chose.
>» Servez-vous-en pour développer chez eux l'amour de la
» patrie, d'une liberté sage, d'une religion éclairée; ce
N sera beaucoup. » Nous avons cherché à perpétuer dans
notre ouvrage l'esprit qui a présidé, en d'autres temps, à
cet enseignement : si nous y sommes parvenu, ce sera eu
nous inspirant des idées de son illustre fondateur, et l'ex-
pression des principes qu'il soutenait deviendra un nouvel
hommage rendu à sa mémoire.
miRODUCTION.
QoMtioM d« droit pvbUe sonlevëcs par raTënemeat d« Henri IT.
Condaite politique et moralitë de la Ligne.
A la fin du xvi* siècle et sous les derniers Valois, la France
semblait conduite à ces extrémités où elle nVriva qu^à la fin
du xvin* siècle, et sous les derniers Bourbons. La royauté, le
pouvoir central était devenu odieux pour le sang répandu
i flots et en trahison à la Saint-Barthélémy sous Charles IX ;
il s*était rendu méprisable par les dilapidations et les débau-
ches de Henri III ; il provoquait toutes les attaques et toutes
les usurpations par sa faiblesse. On Imputait à Tinstitution
les torts des hommes : par lassitude et par dégoût, le pays
se lançait dans un changement de gouvernement, dans une
de ces révolutions où les peuples jouent leur existence pour
changer leur sort.
La mort de Henri III et Textinction des Valois, au lieu
de simplifier la situation, la compliquèrent» La branche de
Bourbon était appelée au trône; mais Henri, chef de cette
branche, était hérétique, excommunié, déclaré Incapable de
régner par le pape; et parmi les catholiques, une grande
moitié , soumise aveuglément aux décisions du pape , docile
Si la voix des prêtres et des moines qui prêchaient cette doc-
trine , animée enfin par trente ans de guerre et de haines
contre les huguenots, aimait mieux périr que de subir un roi
calviniste.
i
2 - INTRODUCTION.
()Qe ce fussent là les sentûnenls et la passion d^nne partie
du peuple, il faudrait être aveugle pour le nier. Que le clergé
de la Ligue trouve quelque excuse dans la décision du chef
de PEgiise, dans le défaut des lumières, dans Pentralnement,
on peut Tadmettre pour ceux de cet ordre qui furent désin-
téressés et de bonne foL Mais que la Ugue armée contre
Henri IV eût pour elle le droit en général , ou même le droit
public de la France à cette époque , c'est une erreur quMI
faut combattn jusqn^à ee qu'elle soit détruite.
Un Illustre écrivain , M. de Chateaubriand , a dit : « La
» Ligue, coupable envers le dernier Valois, étadt innocente
• envers le premier Bourbon , à moins de soutenir que les
» nations ne sont point aptes à maintenir le culte qu'elles
» ont choisi, et les institutions qui leur conviennent ^ > Sur
cette phrase, on a construit tout un édi6ce d'ouvrages his-
toriques, oratoires, polémiques. Mais dans l'assertion de
M. de Chateaubriand , il y a autant d'erreurs que de mots ,
et les nombreux écrits élevés sur ce fondement croulent né-
cessairement dès qu'il est détruit.
Par la déclaration solennelle qui date du premier jour de
son règne, Henri IV accordait aux catholiques toutes les ga-
ranties et toutes les sûretés imaginables pour leur culte : les
catholiques n'avaient donc pas à s'armer contre Henri IV
pour maintenir leur religion contre ses attaques.
La révolte des ligueurs contre lui ne se légidme pas plus
par la considération des institutions nouvelles que l'on pré-
tend qu'ils s'étaient données et qu'ils voulaient soutenir. Ils
proclamèrent pour roi le vieux cardinal de Bourbon, oncle de
Henri IV, sous le nom de Charles X ; ils reconnurent Mayenne
pour lieutenant général de la couroime de France. C'était
certainement là une monarchie ; ce n'était pas une nouvelle
forme de gouvernement , de l'invention ou du choix des li-
gueurs ; seulement ils viciaient la vieille institution par luie
dotible usurpation, ib renversaient l'ordre certain de suc-
cession, l'ordre par représentation que la France avait suivi
depuis Philippe de Valois, et au moyen duquel elle avait
échappé aux convulsions et à l'anarchie, lors de l'extinction
successive de chaque branche de la famille royale. Ils invi-
* U. (le Ckâleaabriand, Eludes hisloriquf s, t. Ui, p. SM.
QUESTIOHS DE DAOIT PUBLIC. 3
Uieot le maire du palais Mayenne à se saisir de l'autorité «
et poussaient la maison de Guise à TusurpatioB de la cou*
romie sur les Bourlions, comme naguère ils l'avaient aidée k
détrôner les Valois, et ils inauguraient ces belles innovationa
par une nouvelle guerre civile*
11 est vrai que plus tard un certain nombre de villes de
la Ligue se rendirent indépendantes de tous les pouvoirs» de
tous les gouvernements. Mais la liberté consistait pour elles»
comme le témoignent les contemporains, à ne fournir de
soldats, à ne payer d'impôts à personne, à ne supporter au*
cune des charges publiques. Ce n'était pas tout à fait ainsi
que les Suisses avaient compris la république, quand ils
avaient seœué le Joug de l'Autriche, et que les Provinces-
Unies la pratiquaient maintenant dans leur lutte généreuse
oontre le despotisme de Philippe li. ^ les ligueurs prétendus
républicains méritent quelques éloges , c'est apparemment
pour avoir cessé de remplir tous leurs devoirs de citoyens^
Il faut remarquer que les ligueurs guisards et les ligueurs
républicains, qui n'éuiient pas du tout espagnols, firent ce-
pendant tout ce qu'ils purent, en combattant Henri IV et son
parti , pour mettre leur pays sous le joug de l'fispagne ; que
si Philippe II, qui eut une garnison dans Paris et un vote
solennel dans les Ëtats de 1693 pour la royauté de sa fille ,
échoua dans sa tentative d'asservir la France, ce ne fut pas
leur fiittte. On peut être un sot sans être un traître; mais
dans les grandes crises politiques, les sots font autant de mal
que les hommes les plus pervers»
En s'hisurgeant contre Henri IV, les ligueurs violaient la
loi fondamentale de l'État , en vigueur depuis Philippe de
Val(ri8, constamment observée pendant deux cent soixante et
un ans dans notre pays. Leur révolte se Justifiait-elle par
quelque disposition exceptionnelle et plus récente de notre
droit public? En aucune façon. Par les votes des 18 octobre
et 6 novembre 1588, les États de Blois avaient exdu, il est
vrai , Henri de Bourbon de la succession à la couronne , et
l'avaient déclaré crùninel de lèse-majesté divine et humaine,
malgré l'opposition de Henri IIL Mais d'abord ces États
étaient le produit d'élections corrompues, et ils étaient pu-
bliquement vendus aux Guises. En second lieu, même en
acceptant leurs votes pour bons, on n'aura encore aucune
^ INTRODUCTION.
proscription légale contre Henri de Boorbon. En effet, dans
la constitutioit de ce temps, les votes des Éuts-généraiix
n*é talent qo^m vœu; fis n'étaient transformés en lois que
qaand la royauté avait adopté et sanctionné leurs disposi-
tions par ses édlts. Or, les derniers édits de Henri lU por-
taient alliance avec Henri de Bourbon et reconnaissance de
tous ses^ droits au trône. En mourant, il Pavait déclaré son
successeur, et Taviit fait reconnaître en cette qualité par tous
les seigneurs catholiques dn camp de Saint-Gloud K Si du
roi , alors principal dépositaire du pouvoir législatif, on se
reporte à la nation, on troavera qu'au camp de Saint-Gloud,
après l'assassinat de Henri III, tous les princes du sang,
les principaux seigneurs , les gentilshommes de Tarmée en
forte majorité, et que bientôt après la moitié des parie-
ments et des villes du royaume, reconnurent Henri IV pour
leur roi, pour leur légidme souverain. Ainsi il est iaox
que le corps de la nation ait repoussé Henri IV ; et non seu-
lement cela est faux, mais cela est impossible , car s'il avait
eu contre lui toute la nation , il aurait nécessairement suc-
combé. Par conséquent aussi, la Ligne n'a jamais embrassé
la France entière , et la prétendue unanimité du vœu na-
tional , sur laquelle on fonde son droit à la résistance et la
légitimité de sa révolte, reste une fiction.
Le droit rehgieux, pas plus que le droit politique, ne don-
nait l'exclusion à Henri IV, n'armait contre lui les ligueurs.
L'Église primitive, l'Église des apôtres, des trente-trois pre-
miers papes morts martyrs, des saints Pères, avait , durant
quatre siècles, établi par sa conduite plus encore que par ses
écrits, avait scellé de son sang la doctrine que les chrétiens
devaient obéissance aux dépositaires du pouvoir temporel ^
quelle que fût leur croyance , aux empereurs même païens ,
même persécuteurs \ I^ur éviter les conflits de la puissance
' Traite de k lrév« entre Henri III et le roi de Rerarre, da 96 STrU
1889. — Déclaration da roi ( Henri III) sur la trcve accordée o» roi de
Navarre, dans la lovne m des Mémoires de la Ligue, pages 300-^iOB. —
D^Angoulesme. Mémoires, t. XI de la colleclioa Michaod, pageOBB. Diicoora
de Henri III aux seigneurs catholiques rasseniklcs près desun lit de mort :
« Je TOUS prie comme met amis, et vous ordonne comme vostre roy, qoe
m VOUS recoinoitsies après ma mort mon frère que voilà...» Toute la
m noblesse Tondant en larmes, avec des paroles entrecoupées de soupirs ci
tt fie sanglots, jurèrent au roy de Navarre toute »arlc de ndélite. »
* « Omnibus pvUstatibux stiblimioribus stibjecli estote. Non est
M potestns nisi n Deo ... Deum timeîe^ ngem honorificate* Sen^i sitb'
QUESTIONS DE DROIT PUBLIC. 5
temporelle et de la puissance spirituelle, douze papes avaient
sagement déclaré* par leurs bulles que les roisi^e France et
leur royaume ne pouvaient être mis en intecdil K Tous les
corps de TÉtat sans exception , toutes les assemblées natio-
nales, composées d'abord des seuls sejgneurs laïques et
ecclésiastiques, et plus tard des Irois ordres di| . royaume ;
rÉglise galUcane réunie en synodes et en cofidles oalionanx ;
ces représentants de toutes les classes de k nation et de tous
les pouvoirs , traversant six siècles, trouvant sur leur route
les incidents divers de la querelle du Sacerdoce et de TEm-
pire , dqmis le dlflërend de Louis le Débonnaire et de Gré-
goire IV jusqu'à celui de Louis XII et de Jules II , avaient
réglé les ra^KH^ts de la puissance temporelle avec la puis-
sance spiritttflUe par des décisions constamment semblables,
conformes aux doctrines de la primitive Église et aux senti-
ments des papes les plus saints et les plus modérés. Us
avaient fermement établi que les rois ne pouvaient être
excommuniés et le royaume mis en interdit par une sentence
du pape seul, et que toute sentence semblable était de nul
effet ; qu'en sui^sant les rois condamnés par les conciles et
retranchés de la société religieuse, Tanathème ne pouvait
atteindre leur pouvoir temporel, loucher à leur couronne,
amoindrir leur souveraineté; que tous les pouvoirs étant
établis par Dieu pour le gouvernement des sociétés humaines,
et les rois de France puisant leur autorité à cette source , ils
ne relevaient pour leur couronne d'aucune puissance quel-
conque sur terre. D'où il résultait que Vautorité politique du
prince, complètement indépendante de àa croyance, ne pou-
vait jamais souffiir de la religion qu'il professait '.
Depuis la formation de la Ligue, depuis douze ans seule*
ment, la moitié de la l«Yance s'était départie des sages maxhnes
» àUi estote in omni Umport^ iroif lantàm bonis et modtêtis^ sêd etiam
m discolis, »
* « Ce serait jftAm perdve de copier ici les bulles ifo Mattin III et IV,
n^ëgoîre Vlll, IX, X, XI, Alexandre IV, acmcnt IV et V, Nicolas III,
» Urbaiu V, Boniface XTl, 4fut se trouvent au trésor des chartes du roi,
» poar tirer prenve que, même da coasentement du. saiol-siége, nos rois
» ni leur royaume ne peuvout être mis en interdit. » (F. Pilhou.)
' François Pithou a établi, dès f K9S, par des preurcs et des, exemplt»
innombrables, que telles ont été les maximes de tous les corps politiques
et de 1X^I»<^ ^^ France, depuis le Temps des CarloTingiens jusqu'au
XVI* siScIè. dans son traité '.De ta grandeur^ droits, prééminence «I
prtro§alis^es des rois et da royaume de Ftvnçe (Mémoires de la Ligue,
tome ^ P.T18-7SS, in-i*; 1788.)
6 IRTROOnCTlO!!.
que ses ancêtres avaient suivies durant six siècles , et dans
ce court espace de temps, l^abandon des anciennes maximes
avait suffi pour amener le royaume sur le pencliant de sa
mine. Au lieu de réformer les abus du pouvoir, au lieu de
donner h son culte, si elle le croyait menacé , de plus fortes
garanties en recourant à des moyens purement politiques ,
die avait laissé la religion , ou ce que Ton nommait la rdi*
gfon, s'immiscer dans le gouvernement de TÉtat ; elle avait
permis an pouvoir spirituel de faire invasion sur le terrain
du pouvoir temporel. Quel avait été le résultat de cette con-
fusion ? On avait vu aussitôt la société religieuse, égarée par
ses propres erreurs et par les ambitieux, voulant avoir son
cbef à part, son roi opposé an roi de la société politique,
sous prétexte que ce roi, Henri III, le catholique par excel-
lence, était hérétique et fauteur d'hérésie ; le peuple divisé
en deux camps acharnés à leur perte mutuelle ; le prince
tombant sous le poignard d'un assassin, ce qui , dans une
monarchie, était le renversement du gouvernement ; cet as-
sassinat transformé en action sainte et héroïque, ce qui
était le renversement même de la morale. Et la conséquence
de cette violation des lois humaines et divines , le dernier
not de toutes ces foreurs, quel était-il? Actuellement, pré-
sentement, de seconder la maison de Guise dans sa tentative
d*usurpation successive de la couronne sur les deux branches
de la maison royale, les Valois et les Bourbons; dans un
avenir rapproché, alors que les prétendants auraient nsé les
forces du pays contre lui-même, d'aider Philippe II à subju-
guer le royaume,! le réduire en province espagnole. La France
était plus déchirée, plus menacée qu'elle ne l'avait été de«
puisqu'un roi d'Angleterre avait été couronné roi de France
dans Paris.
Les papes Grégoire XIII, Sixte-Quint et Grégoire XIV,
conspiraient à la dissipation de l'État par leurs lettres et par
leurs bulles , cédant à deux mobiles d'une irrésistible puis-
sance. L'intérêt souverain» pour eux, était de voir la réforme
anéantie, quelle que fAt la voie qui conduisit à ce résultat.
En outre, serrés entre le royaume de Naples espagnol et le
Milanèz espagnol , sans support et sans appui contre le roi
catholique , depuis l'abaissement de la France , ils n'avaient
en perspective, sous Philippe II, s'ils osaient lui résister, que
qcestiqus dk droit public. 7
le sort lie leur prédécesseur Clément VI U captif daos Kone
saccagée aous Charles-Quint. Aussi formulaient -ils sous la
dictée de Philippe les bulles les pins favorables à ses pro-
jets, les plus désastreuses pour notre pays, les plus pro-
pres à préparer notre asservissement Et un peuple, égaré par
la passion religieuse, croyant travailler au salut du catholi-
cisme déclaré en danger, soumettait ses décisions, ks déci-
sions de la moitié de la France, à ces bulles des papes. VdOà
ce que la 'France avait gagné à subordonner Tautorlté dn
prince à sa croyance, à mêler le spirituel au temporel; k
permettre que le pape , souverain étranger, travaillant dans
son intérêt, servant forcément les intérêts d*nn antre
étranger, capital ennemi de notre patrie, réglât à sa ftntaMe
Tordre de succession au trône, et tout Tordre politique de
notre pays.
Dans leur révolte contre Henri IV , les ligueurs étaient
donc condamnés par notre droit public, par notre droit re-
Ugiem, par les maximes de la primitive Église, par les dan*^
gers dans lesquels ils précipitaient la France, et ils n^avaient
pour eux que des souvenirs de Tomhipotence papale , mal«>
faearensement exhumés du moyen fige , dans des temps de
trouble et d'anarchie. Contre les excès de la puissance des
papes, contre les excès du clergé de la Ligne, les ligueurs
ne trouvaient-ils pas pour se prémunir, en France, sous leurs
yeux, des exemples de modération et de sagesse 7 Les faits ré«-
pondent affirmativement. Parmi les cent dix-huit archevêques
oa'évêqnes que Ton comptait alors en France, cent embras-
sèrent le parti de Henri IV, dès le principe, plus de trois ans
avant sa conversion. Les ordres religieux d*origine française,
tels que les bénédictins, les génovéfains, les célestins, les
vlctorlns, les curés de Paris les plus recomroandables par
leur savoir et leurs mœurs, la moitié des curés et des prê-
tres de paroisse dans toute Tétendue du royaume, suivirent
la même conduite ^ Dans Tassemblée de Chartres, TÉgIfse
gallicane rendit en 1591 une décision qui Thonore à jamais,
* Cent archevêques et éTÂque*, rar cent dix-liiiit , «valent embraai^
le parti de Henri IV dès la fin de 1589. Ce fait capiul est établi par le
témoignage det écrivains royaliste* et des écrivaiîis ligueurs à la fois,
parfaitement d^accord entre eux. Dans la Réponse k um •dvig publié k
la fin de 1689, et insère dans les Mëinotrea de la Ligue, t. IV, p. 179, on
trouve ce piMoge : « S^il laat éplucbar lea cbotes par le menu, de ceui
8 INTROOUGTIOir.
et qui traçait leur devoir à tous les catholiques qui voulaient
écouter la raison et la religion éclairée au lieu de la ]>as9ion.
A défaut de ces avis donnés par la partie la plus élevée et
la plus éclairée du clergé , les ligueurs devaient être avertis
par leur conscience d*homnies et de citoyens d^abandonner
un parti où la proMté et Thonneur étaient chaque jour lui-
pttdenunent violés. Quelle était, en effet, la moralité des
chefs de la Ligue ? Mayenne , souillé de deux assassinats et
de débauches honteuses, poursuivait le projet formé d'abord
par son frère d^usorper la couromie, dût la France périr par
les excès de leur ambition. La duchesse de Montpensier, Aies-
saline sangalnaire, avait poussé le bras du régicide Jacques-
Clément Bossi^iederc volait 600«000 francs aux suspects
du temps. Aoae et Génébrard souillaient la chaire de leurs
déclamations contre Henri pour obtenir, le premier Tévéché
de SealiSy le second Tarchevèchéd^Aix. Enfin, eu 1591, les
cheb de la Ligue déféraient à l'étranger Philippe 11 la
loyauté, la souveraineté de leur pays, par une lettre que la
conscience publique de la France déclarera éternellement
Infâme,
Tel a été le jugement porté sur la Ligue, au xvi* Mède,
par ce que la magistrature a eu de plus noble et de plus cou-
rageux, les Lemaistre, les Mole, les de Harlay, les de Thou,
les I^MquIer; au xvii* siècle par ce que TEglise a eu de plus
grand et de phis saint : Bossuet condamne la Ligue dans des
termes d'une sévérité qui n'a jamais été dépassée K
Et il faut bien remarquer que si les Ugtîeurs arrivaient à
leurs fins et parvenaient à foire de leur patrie une province
espagnole, Philippe 11, déjà maître de l'Espagne et de bi
» oa •!> f iusts éve«qaes cl arch«vea(|u«t, qui Mnl an rojaume d« Frai
• il n*y a (>n pas la disiènie partie qui appiouvc les conseils de l'Union, n
Dans la Di^iagu» du manant et du mahêwttre^ pamplilel ligueur, i*in*
lerloculeur du Ligueur lui dit : « Lu plus'part de vos evesqncs et chela
• ecdcsiasliqueft vous ont délaisses... Des quatorsc nrrfaevesques iJc France,
» voua n'en aves que trois, et des cent quatre évraques. vous n'en a vas
a qua quinte. » (Pièces à la suite de la Satire Ménippee, t. lli, p. 419,
4«, édiiioft 1716.)
I Sosanal, Defeasio déclarai, cleri Gallicani, lib. m, c. SS : « Qiidd
» aatem, tune temporis, coninratî. tcu L/gir, ut Toranl, addicti, culholicc
• relifiMiia obtMilo sloilio, malta in regem moverent, eomque ut suspec-
» imn haretic» praTîtatis apad vulf us tr»dncerenl, etc.. Non attendi deli«t
■ quld îllitenserint val fecerint, qui Guisianos«si Doo placct, Capetis rc-
• fibos. aaaeliqoe Ludovici posteris autefcnent, Bispanicltffut artibus,
m imù Hispanico aura corrupti^ ad haec lAgm furoribus dementati^
m tnspamos^ totharenosque im tstê quant Francos mmimbant, s
QV&STUIIHI I>S DROIT PUBLIC 9
iDOttîéée ritatk, éomhiaiil aonverêvuMuati en France, coq-
servanUa Belgicpic, venait facUemeiit àbout de la révolte de»
Pays-Bas lipUaadaîs , réussissait, selon toute probabilité, dans
une seconde tentative d'asservir TAngieterre, enfin» n'avsdt
qo'à vouloir pour rédoiie ceux des États d^ttaiie quiconser-
vaieyiiiitt reste d'indépendance à Tétai de vassanx ou même
de sojeto; et, mettant iMmt à bout son règne et sa ibrtune
avec ceux de Ferdinand II et de la branche aiiemande de la
maison d'Autriche, imposait à TËun^ la menarckie univer-
selle de Charles-Quint et l'inquisition* La trahison des 11-
giKtifs envers leiur pays allait donc à étouffer toute liberté et
tonte lumière dans TOccident, toute civilisation dans le
monde.
€e qnl confond, c'est de voir dqmis vingt ans des histo-
riens et dsa orateurs se pesant comme religiettx, aller chei^
cher la glorlicaUoii de la religion, du catholicisnie, dans les
tareurs de la Ligne, an lieu de la prendre dans la «ondttilede
la masse des évéques et du clergé français, et éuu les actes
de rassemblée de Chartres. Ils défilacent, ponr l'annihiler,
la e^ire de la vraie religion et de notre Église.
L^aberraHon ne peut aller plus loin. Car enfin, si la Ugne
a en inisoB, sielle a été dans son droit, Henri IV n'a élé
qu'on usurpateur, les maglsurats et les évèques de son parti
que des factieux. La couronne devaU aller aux Guises ou à
Philippe li; les Bourbons devaient être écartés. Et alors le
pays était gouverné par ces derniers rejetons de la maison
de Guise, dont on peut voir les violences et rinsignffîante
bizarrerie dans Tallemant des idéaux et dans les autres con-
temporains ; ou bien par les descendants de Philippe II ,
Philippe m, Philippe IV, Charles II, c'est-à-dire par la
nnllfté incamée. La France n'avait ni le règne de Henri IV,
ni le mhiistère de SuUy, ni le ministère de iUchelleu, ni le
règne de Louis XIV, qui forment l'époque la plus glorieuse
de son existence politique et civile. Elle était privée dos dfeux
plus grands ministres et de deux des plus grands rois que
l'on trouve dans son histoire et dans l'histoire de tous les
peuples : elle perdait ce prince qui par son amour pour ceux
que l'on nommait alors ses sujefs, et qu'il appelait ses en-
fants, est l'honneur de l'humanité autant que de notre na-
tion.
10 INTRODDCTIOir.
Et comme le droit est immuable, comme il ne périt pM,
comme il ne s^amoindrit pas avec le temps « si Henri IV ne
fut pas roi légitime tant qu^ii fut calviniste ; si Tobéissance
de la France fot subordonnée à la croyance de son chef; si
la loi politique est sujette et esclave à ce point de la loi reli-
gieuse telle qu'on Tentend et qu'on la fait , alors encore au-
jourd'hui les citoyens de tout État atholique doivent secouer
le joug de leur roi protestant : la Belgique n'a qu'à prendre
les armes et à se révolter.
Telles sont les conséquences des doctrines que l'on met
aujourd'hui en avant. Le sophisme s'est emparé de Tbistoire
et de la politique, comme il s'est saisi de ûmt, et par ses ap«
préciations fausses, ses raisonnements captieux, il mine un à
un tous les principes snr lesquels reposent les sociétés. Son
apologie de la Ligue n'est pas autre chose que l'apologie de»
doctrines de révolte et de renversement des gouvernements i
l'Insurrection devient le plus saint des devoirs, tantôt au nom
de la 161 , tantôt au nom de la liberté. En même temps que
le sophisme ruine ainsi par la Inse tout ordre pul>lic, il liât en
brèche la religion. Après la Saint-Barthélémy, rien n'a nui da-
vantage aux croyances que la Ugue, où des hisenséset des fri-
pons ont fait jouer à la religion un si pitoyable rôle. La Ugue
avec son escorte de la guerre civile, de la domination étran-
gère, de rinqulrition, a excité une juste et longue horreur : au
XVII* siècle, elle a engendré des milliers de libertins, d'esprits
forts , comme on les nommait alors ; elle a fait des millions
d'incrédules et de phUosophes au xviii* siècle. A cette der-
nière époque, en pariant du catholicisme, on est bien arrivé
à dire n qu'il fallait couper par la racine un arbre qui pro-
• dulsait sans cesse de pareils fruits. » Et il s'est trouvé en
i79/k des fanatiques de philosophisme pour le couper 1 Réha-
biliter la Ligue, lui prodiguer des éloges insensés , c'est ra-
mener tôt ou tard les esprits aux mêmes dispositions hostiles,
et les pousser au renversement de la religion.
L'insurrection sans cesse renouvelée contre tons les pou-
voirs et toutes les formes de gouvernement , le scepticisme
aussi mortel aux sociétés qu'aux individus, parte qn'ii les
laisse sans frein, ont amené la France au milieu dos redou-
tables difficultés où elle se trouve aujourd'hui. Le devoir de
QUESTIONS DE DROIT PUBLIC il
rhistoire est de faire justice des dangereuses erreurs qui di-
rectement ou indirectement servent la révolte et FirréUgion.
Le plus grand service qu'elle puisse rendre, c'est d'établir un
certain nombre de principes fixes, aussi nécessaires en poli-
tique qu'en morale ; de préparer dans les générations nou-
velles ces convictions raisonnables, ces sentiments honnêtes
et retenus, qui modifient lentement, sagement, les institutions
au fur et à mesure des besoins nouveaux de la société, au lieu
de tout bouleverser et de tout détruire ; qui font des change-
ments aiu lois et aux ministères au lieu de faire des révolu-
tions. Un peuple voisin suit ces maximes depuis deux siècles,
et leur a dû son repos et sa grandeur : Tordre public et la
pro^rité sont aux mêmes conditions pour notre pays.
HISTOIRE
DD
RÈGNE DE HENRI IV
DE L^ATÉlfBMBlfT DB HENRI IV A LA FIN DE SA PREMIÈRE
CAMPAGRE (AOOT 1589-JAirVIBR i5^).
CHAPITRE I".
AT^oemeat de Henri lY. ~ Goureraeinent rival éXahli pat la Lieue
(août 1589).
La Fiance n^ftTait voulu ni des guerres civiles et de Fa- "^SÎ Bolfrblîr''
narchie du grand interrègne de T Allemagne, ni des troubles & u cooroone.
continuels de la Pologne. Dans sa sagesse, elle avait réglé la
anccession du pouvoir souverain d'une manière invariable ,
attribuant la couronne à une seule famUle ; appelant à la
porter les diverses branches de cette famille, au fur et à
oMsore des extinctions ; faisant prédominer pour les rameaux
de cbaqve branche le droit de primogéniture et de représen-
ladoD, sans s'arrêter à aucun degré. Dans son droit public,
cette loi était la première 4% ses lois fondamentales. Elle
avait reçu sa dernière conflrmation à Tavénement de Phi-
lippe de Valois, et depuis son application cimstante, sans
Tomlire d'une contestation ni même d'un doute , lors de
Tavénement des branches collatérales d'Orléans et d'Angou-
léme. Tout cet ordre avait été établi non dans l'intérêt d'une
famille, mais dans l'intérêt du pays, contre les ambitions
du dedaas et les intrigues de l'élranger.
ih HISTOIRE DU BÈGNE DE HENRI IV.
A l*extinction de la maison de Valois, la maison de Bour-
bon est appelée à occuper le trône, comme ayant pour auteur
Robert de France, sUième fils de saint Louis. Le chef de
cette branche est Henri de Bourbon, roi de Navarre, parce
qu'il est fils d'Antoine de Bourbon, Talné de cette branche,
et qu'il le représente. Le vieux cardinal de Bourbon, son oncle,
frère cadet d'Antoine ^ no peut l'emponer «ir lui qu'au
mépris de droits établis par la nation elle-même, et d'usages
demeurés jusqu'alors invariables. Comme les contemporains
le font très bien remarquer, le vieux cardinal de Bourbon
n'est que le prince le plus proche du sang, tandb que Henri
de Bourbon est le premier prince du sang.
Parmi l'anarchie du dernier règne» les factions ont attaqué
les droits de Henri de Bourbon. Une bulle de Sixte-^uint ,
du 10 septembre 1585, a déclaré ce prince excoramunié ,
privé de ses £tats , incapable de régner en France. Par les
votes des 18 octobre et 5 novembre 1588, les États de Blois
l'ont exclu pareillement de la couronne. Mais la distinction
entre la puissance temporelle et la puissance spirituelle est
établie dans le royaume depuis six siècles, et tant que les
factions n'ont obscurci ni troublé le droit, il a été reconnu
par tous les corps de TÊtat, y compris l'ÉgUse, que les papes
n'ont aucun pouvoir sur le temporel des rois. En second
lieu, les votes des États restent de nul eflet Jusqu'à ce qu'un
édit du roi les ait transformés en loL Or, les édita et décla-
rations de Henri lU ont, au contraire» reconnu les droits
de Henri de Bourbon k la couronne ; il s'est allié avec loi
dans les derniers mois : à son lit de mort , U l'a déclaré
solennellement son successeur» et Ta lait reconnaître par les
seigneurs assemblés K Les droits du prétendant restent donc
entiers» à moins que les lois fondamentales ne soient chan*
gées ; et elles ne peuvent l'être que par la nation^ on par ses
représentants réunis dans une aasenblée légale.
IMais la France est en pleine guerre civile, après l'assas-
sinat d'un roi. A moins de la laisser tomiwr dans ime com*
plète subversion» il est impossible de s'accommoder des
lenteurs d'une convocation et d'une réunion régulière d'É-
tais-généraux» et d'ajourner une décision à trois mois. Dans
• Voyn d^«Miu Im ctlsUoai, p. 4.
ATiHBlfXHT OB HEimi IT. i&
de Mlles etroooftancet , il n*y a de subiltuiiit que le» droit»
de Henri de Bourbon, et il n'y a de praticable, pour r^ler
les grands intérêts de TÉtat et de la religion^ qu'une déclsioa
des chefs et ioldats du camp de Salnt-^Gloud. Dans ieurs^
rangs se trouve ce que Tordre militaire et Tordre civil
comptent de plus éminent, comme nous TétabUrons bientôt.
A tout prendre, ce sont donc encore les représentants les
plus légitimes du pays*
Au moment oA Henri Ul fat Êrappé par Jaeques^iUément,
Tannée royale qui bloquait Paris se trouvait séparée en deux
grandes divisions : les catholiques campaient k Saint-Cloud,
les calvinistes avaient leurs quartiers à Mendon. Henri de
Navarre, après avoir visité son beaurfirère et reçu le serment
des seigneurs catholiques, retourna auprès des calvUiistes^
le 1*' août, vers onxe heures du matin >.
Quinze heures sMcoulèrent entre Tinstanc «ù Henri 111 se
sépara du roi de Navarre et celui où 11 expir», le 2 août, h
deux heures du matin. Pendant ce temps, le camp de Saint-
Gloud et le quartier, de Meudon furent livrés à une prodi-
gleuse fermentation. Les passions religieuses et politiques ,
les intérêts que contenait et maîtrisait le dernier Valois , roi
incontesté dans son parti , dqiuis longtemps établi, catho-
lique, Ikdlement obéi des catholiques royaux, qui lormaient
plus des trois quarts de Tarmée ; ces paûions et ces intérêts
se déchaînèrent tout h coup, et s'exercèrent avec la force par*
ticulièreque leur devaient communiquer un moment de crise
et un changement de dynastie*
Dans le camp de 8aint-€loud, les seigneurs catholiques^ TmnJ^aiho-
revenus de la surprise et de Tentralnement auxquete ils liqaet
avaient cédé, quand & la voix de leur roi mourant ils avaient ^^ &,1o^âoiMi.
juré fidélité à Henri de Navarre, reprirent la liberté de leurs
sentiments et de leurs déterminations, et se divisèrent sur-le«
champ en trots factions, occupées, durantTagonie de Henri 1(1,
delà résolution à prendre au moment de sa mort
La première demandait que Ton observât Tordre de suc-
* tKAiigo«l<sm«, HéakùWêê dm» la colluctian Mieb«uil« t. xi. p. 64 B, 67,
.- Extra» d*im dûcovn d'Bltat dm M. d« Saney, daot les ICtfaioirea de
Heiren, t. u, in-folio, p. 860. — VAuMsnd, HirtoIrM, 1. n, c iS, p.165»
Ils lont tons trois témoins oenlairM,
16 HISTOIRE DU RÈGHE DE HKKRI IV.
cession étaUi par les lois ; que Ton reconnût poor roi, immé-
diatement ec sans condition, Henri de Navarre : estait le seul
moyen de prévenir les uswpations locales, le renonvellement
des filetions, la tyrannie de ia ligue, la dissipation de l^Êtat et
en définitive la domination de TEspagnol. La conduite de
Henri de Bourbon dans son gouvernement de Guienne et
dans son royaume de Navarre, pendant treize ans ; ses pro-
messes solennelles et récentes contenues dans sa déclaration
de Ghâtellerault , ne permettaient pas de douter qu'il ne
respectât le caiMidnne^ : de nouvelles garanties, de nou-
velles assurances seraient données au maintien de la religion
par rengagement qu'on tirerait du nouveau roi, et par la
force des catholiques résultant de leur union entre eux. La
religion , dont on avait fait depuis quelques années une
arme contre la royauté, n'était qu'un prétexte bon pour
tromper et égarer un peuple prévenu. On devait se hâter
de déférer Tauloiité k l'homme désigné et conduit par la
Providence elle-même, au seul homme capable par ses vertus
et sBs talents de sauver la France. Tels étaient tes aenUmenis
et le langage désmlà^tBés des politiques»
Le«econd parti, cohii des catholiques ardents, ne voulait
déférer ia couronne à Henri de Navarre que sous la condi-
tion qu'il abjurerait sur-4e-cliamp le calvinisme : la crainte
de voirie calvinisme chasser le catholicisme, et lui demander
raison de la Saint-Bartliélemy, dominait im certain nombre
d'entre eux. La plupart prétendaient mettre le prinoe dans
leur dépendance, en ne lui laissant d'appui que le leur, et
en le faisant céder dès le premier jour de son avènement. Ils
voulaient de plus le confisquer, l'eiqiloiter à leur profit, en
faire im catholique pour qu'il accordât aux seuls catholiques»
à l'exclusion dès huguenots, les charges, les honneurs, les
dignités. Quelques uns ne se rendaient difficiles sur la religion
du Béarnais que pour loi faire «ch^er leur désistement par
des concessions particulières.
* Dam «l'/kdYerliSMment lor Pintenlloa d« la maiaon àe IxNTalne,» pvblM
en f ses, le roi de Navarre BTalt établi d^one manière irre'tisUble, et en
prenant à témoin la France entière, ion inviolable reapect pour le catholi-
eiime, d'aprèa ce q«*il avait fait à Agen, dans tqni aoo gonvernenaent de
Gnvenne et dans ann royaame de Navarre. (Mémoires de Dupleuit* t. il,
p. toUmASê.) — 11 avait renoaTtlé solennellement la promesse de la même
tolérance dans la déclaration de CbAtellemttll.
ATÉNEMEIIT D£ HEHRI IT» 17
Enfin une dernière classe refusait absdument de le recon-
naître. Elle se composait de deux espèces dliommes : les
timorés* qui voulaient se retirer chez eux, voir venir les évé-
nements, et se déclarer pour Henri ou pour la Ligue, selon
que l'un ou Tautre serait victorieux ; les grands ambitieux,
qui se proposaient de former dans leurs gouvernements des
principautés indépendantes, de ramener TÉtat et la royauté à
quatre siècles en deçà, au régime de la grande féodalité, au
temps où la France, comme TAUemagne, n^était qu'une con-
fédération de princes, de souverains locaux, ayant un roi
non pour maître, mais pour chef, dans quelques circonstances
dont eux seuls ctemeuraient juges ^
Pendant que le camp de Saint-<]3oud était agité en sens cou- D^ii>rratloa
trahre par ces passions et ces projets, Henri de Navarre était '*' ^^rn ^*'
occupé des soins les plus divers. En quittant Henri HI à •« quartier de
onze heures , il revint au quartier de Meudon qui était celui *^^'^'
des huguenots, il employa le reste de la journée du 1*' août
à prémunir l'armée contre l'attaque des Ligueurs. A minuit,
il apprit que Henri III n'avait plus que quelques moments à
vivre, et il agita avec ses conseillers huguenots, Beauvais-
Lanocle,Ségur, Guitry, ce qu'U avait à résoudre, dans les gra-
ves circonstances où la France et lui-même se trouvaient pla-
cés. Les uns le jugeaient mai en sûreté au milieu d'une armée
catholique : ils voulaient qu'avec une troupe dévouée, il se
retirât sur la Loire , où il trouverait le parlement de Tours,
et un peu plus loin les calvinistes, son gouvernement de
Guienne, ses États de Navarre : il irait prendre à Tours, où
Henri lll l'avait laissé en dépôt, tout ce qui constituait la sou-
veraineté, la justice, les monnaies, les finances : après s'être
assuré des villes de la Loire , après avoir affermi sa royauté
et levé des forces imposantes dans le midi de la France, il
viendrait arracher le nord à Mayenne et à la Ligue. Guitry
représenta qu'en prenant ce parti , Henri fuirait devant ses
ennemis, et perdrait la réputation qui est la moitié de la force
à la guerre : toute la noblesse du nord qui avait ses pro-
priétés dans 111e de France, la Normandie, la Picardie, la
Champagne, se voyant abandonnée par lui, passerait à la Ligue
oa en serait accablée : il se réduirait de roi de France à être
' Thaanus, 1. cxvii. S i, t. Vf, p. 791. — D'Angouletoie, t. Zi» p. 67 A.
■a Perefixe, partie ii, p. 107, 106, ëd. 1S23, in-8.
Henri Ta «u
camp da
SointXIoud.
D'Anmont,
d'HumièreSi
Givry.
18 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
roi d'Aquitaine , firobablenient sans retoar. Henri embrassa
cet avis : résoln à ne pas se rapetisser, à ne pas s'amoindrir,
par la crainte des dangers qui i'attendaient, il arrêta de tout
tenter pour maintenir dans son intégrité le royaume , dans
son unité et dans sa force le pard royal, qui pouvait encore
exterminer la Ligue, s'il le voulait K
Là nuit linit avec ces déiiiiérations, et la nouvelle de la
mort de Henri ili étant parvenue au quartier de Meudon le
matin du 2 août, Henri de Ma varre fut salué roi de France par
les huguenots. Mais ils formaient à peine 5,000 liommes,
dans ime armée de /iO,000, et Ton ne pouvait compter
sur la moitié de leurs dieCs, comme on le vit iiientôt. Henri
en était donc réduit aux seuls moyens de la persuasion dans
ses rapports avec les catholiques. A dix heives, il entra au
. camp de Saint-Cloud, tout composé de catholiques, accom-
pagné de quelques centaines de huguenots» Trois seigneurs
parmi les plus autorisés, le maréchal d'Aumont, d'Hiunières
et Uivry, hdèles au serment de la veille, le reconnurent sans
condition, et coururent vers la noblesse de Champagne, de
Hcardie, de l'Ue-de*J:''rance, qui se U-ouvait alors k Tannée,
pour la gagner k sa cause, bancy était le seul seigneur calvi-
niste de marque au camp de baint-Cloud ; il se rendit de son
cOté au quartier des buisses, avec le projet de les décider en
faveur de UenrL Mais en attendant les eilets de leur lèle, le
prétendant tomba pour quelque temps à la merci des catho-
liques ardents et des amlMtieux^.
Violence QuRud il entra dans la maison de Gondy et dans la chambre
***' !!!i!!^ll!^^' ^^ Sisai^ ^^ ^ mort, il trouva plusieurs seigneurs de la
faction des catholiques ardents, l'Yançois d'O, Balzac d'Ën-
tiagues, Manott, Château vieux, Uampierre et autres, qui
l'accueillirent par des imprécations , des gestes de fureur et
de mépris, mêlés de ces sinistres paroles : « Plutôt mourir
» de mille morts que de souifrir un roi huguenot, m A peine
établi dans un logis voishi ^ , il vit arriver le maréchal de
Biron, l'homme le plus influent de l'armée, et le sujqiUa de
•rdenU*
• D'ÂDgottktmc, Xl« p. t6-67. — E&lralt a*ua discourt d^ÉUI d« SI. de
SaBcy, dkiu !•« oicn. tic Nev«i«, t. u, p. 501, à la tin, t»9d. — MiilUùvu.
HUU de Henri IV, in-lulio, 1631, p. 5, A, 6. — Thuuuiu, 1, 97, $ S, p. 79S.
' O'Auguuleime, p. 07 A. « bur les du du matin, 1« roy de Navarre,
$ naiBlenBBl Micccueur et roy de France, arriva au camp de St.-Cloud. i
' La maison de Outillel.
AViHEMSIVT SK HfiNRl lY. 19
meure la main à la coiiroime de France, non pour la perdre,
mais pour la sauver. Si Bîron, comme le prétendent quel*
ques liistoriens, se laissa entraîner à un généreux enthou-
siasme, et ce jour-U servit, sans condition, le prétendant et
le pays, il fut repris dès le lendemain par les pensées d*anH
bition et d'égoïsme. Quoi qu'il en soit, il sortit bientôt, et
Henri se vit en butte à la violence des catholiques ardents réu-
nis en corps pour le forcer dans sa conscience. Us lui décla-
rèrent que le moment était venu pour lui de choisir entre
les misères d'un roi de Navarre et la haute fortune d'un roi
de France, et d'abjurer, s'il prétendait à leur suffrage et à la
couronne; car, à leur sens, l'avénement d'un roi huguenot
mettait en danger la religion de leurs pères. Cette sommation
religieuse lui fut adressée par François d'O, l'un des mignons
de Henri lil, et l'un des déprédateurs les plus ébontés de ce
temps. Toutefois elle n'étonna et n'égaya personne parce qu'à
la question religieuse, d'O joignit un grand intérêt politique s
il demanda formellement le monopole des charges et des
honneurs pour les seigneurs catholiques à l'exciusion des
huguenots. Henri refusa d'abandonner sa croyance ; par
cette fermeté, il échappa à une abjuration forcée et immé-
diate, qui l'eût déshonoré et perdu dans l'opinion publique,
et qui lui eût donné en même temps pour ennemis les ré-
formés de la France et de l'Europe entière. Mais il essaya
vainement de ramener les catholiques ardents. Vainement
opposant l'intérêt à l'intérêt, il leur montra qu'ils devaient
éviter de sévir conUre les calvinistes et de jeter ainsi la divi-
sion dans l'armée royale, dans le parti royal, qui protégeaient
seuls contre la Ligue leurs privilèges, leurs biens et leur vie.
Ils persistaient opiniâtrement, et déjà on en venait aux
aigres propos et aux menaces dans un camp où le dernier
exemple donné était celui d'un roi assassiné K
• D'Aalngué, l. il, c. «5, t. in, p. 186, dbcoars d'O à Benri IV : «On
j» dé»ire que vons ne âonnios pas l«i cl«b d« nos Ttes et à» wm honmemn
m enU« l«s mùns da ceux qu« auus avons otfeiuiéi par de Ik Tespoir de la
» cecoQciliatioB... bi les hugucnoU sont devenus plus ambiliaux que leurs
m prcdecessaura, il ne sera pas malaisé de les guérir de celle maladie. » -^
Livre lu, c. i, p. 817 : « Les reformes ayant appris ded*0 meioie qiifii n'y
» Mvait ni secours, ni bienCàôcts pour eux, et les catholiques plus passionnes
» leur ajaut faiet savoir entre Itss clauses promises et lie qui les privoit des
j» bien/ails et honneurs du royaume, m
30 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
R«nri^r«connii GlvTy, Cil entrant, rompit ce dangereux conflit. U appor-
nubtecc« de tait à Henri rengagement de la noblesse de IMle-de-France
' le PiTrrX!'' ^^^ ^* protestation qu'il était le roi des braves, et qu'il ne
de cbumpagne serait abandonné que des lâches. Quelques instants plus tard,
i«rsi!to[ec. d'Ilumières Passura de deux cents gentilshommes de Picar-
die, et d'Aumont de la noblesse de Champagne. Enfin,
Sancy lui présenta les quarante colonels et capitaines suisses
qui, en leur nom et au nom de leurs 12,000 soldats,
lui promirent service pour deux mois, sans exiger actuelle-
ment d'argent Sancy n'avait pas amené les Suisses à cette
résolution sans des prodiges d'éloquence et d'adresse. Ces
étrangers arrangeaient déjà leur départ, en prétextant que
leur engagement contracté avec le seul Uenri IH se trouvait
rompu par la mort de ce prince : en réalité, ils ne cédaient
qu'à l'appréhension d'être mal soldés par un roi contesté et
aux expédients. Sancy opposa à cette crainte une crainte plus
forte, et les fit changer de propos en leur persuadant qu'ils ne
seraient pas payés de ce qui leur était déjà dû , et qu'ils
s'exposeraient à être exterminés sur la route par les paysans
et par les garnisons ennemies ^
Uenri avait désormais tm point d'appui et une défense
dans les Suisses et dans la noblesse de la Picardie, de l'Ile-
de-France et de la Champagne. Les catholiques ardents ne pou-
vaient plus le violenter : ils lâchèrent prise et se retirèrent.
Mais ils se répandirent dans le camp, et travaillèrent active-
ment à y faire prévaloir leurs préjugés et leurs passions, à la
veille de la solennelle délibération où devaient se régler l'état
des religions, la forme du gouvernement , la succession au
trône, c'est-à-dire le sort même de la monarchie.
''***w" Uo!f *'' ^ ^ *^^* '® ^*'"» ^^ ^® lendemain 3, les seigneurs se ren-
des seigneurs nirent dans plusieurs assemblées générales. Les opinions
de sTiQ^ciottd. ^^ P*^ hostiles au prétendant furent mises en avant par
le pard des catholiques ardents', ils proposèrent successi-
vement de l'exclure du trône ; de le contraindre d'abjurer
• D'Angonlesme, t. xi, p. 67 B. — D^Aobigue', 1. H, c. SS, p. 183-188. —
Elirait d'un dise. d'Etat, pur M. de Stincy, duns les Mcm. de Nevers, t. il,
p. 591,89t.— Thita nus, I. xcvil, SS ^i ** p. 79.V794. Les Tuits rapportés par
de Thou lont exacts, mais il place mal le moment où Henri est assure des
Suisses. — Matthieu, Hist. de Henri IV, p. 5.
* Cètaieut prérisëment les mêmes qui avaient essaytf la Teille de le
faire abjurer: d'O, Manou, d^Enlragues, Dampierre, Vitry. (Héseray,
grande HlsU, t. ni, iu-fulio, 1651, p. 6*Jâ.)
AVéNEMEfiT 0£ HEURI IV. 21
sur-le-champ ; de renvoyer rélection aux États-généraux ,
la représentation n'ayant pas lieu en droit civil à un degré
aussi éloigné* Biron, rentré dans les rangs des grands am-
bitieux , proposa de ne pas le nommer roi , qualité incom-
patible avec son hérésie , mais de le reconnalure seulement
pour capitaine général et pour chef du parti royaliste , en
attendant qu'il abjurât. Les politiques repoussèrent cette
ouverture par de graves raisons que Sancy fut chargé d'ex-
poser : TÊtat étant monarchique , son principe et son es-
sence était la royauté : on devait pourvoir à la royauté
d'après les lois de tout temps en vigueur pour la succession
au trône, et choisir l'alné de la maison de Bourbon , seule
branche qui restât de la famille royale : si l'on ne prenait
Henri pour roi dès à présent, on s'exposait à ne pouvoir le
foire reconnaître pltis tard ni par les peuples de la Ligue, ni
par son propre parti : en s'écartant de ces règles on encou-
rait donc le danger d'une révolution complète dans la con-
stitution de l'État et d'une anarchie dont personne ne pou-
vait prévoir le terme. Bûron tira Sancy à part et lui dit « que
B jusqu'alors il avait cru qu'il avait de l'entendement, mais
» qu'il en perdait maintenant toute opinion : en effet, ajou-
» ta-t-il, si avant d'avoir assiuré nos affaires avec le roi de
9 Navarre, nous établissons entièrement les siennes, il ne
» nous connaîtra plus, il ne se souciera plus de nous ; le jour
» est venu pour faire nos affaires; si nous en perdons
» l'occasion, nous ne la recouvrerons jamais , et le repentir
» nous en demeurera toute notre vie. » Sancy comprit que
tous les raisonnements échoueraient contre l'inflexibilité de
llntérèt et de l'ambition, et qu'il fallait capituler. Il demanda
à Biron ce qu'il prétendait : celui-ci répondit que si Henri
voulait lui donner le comté de Périgord, il ne l'abandoimerait
pas et suivrait sa fortune. Sancy alla porter ces conditions au
roi de Navarre, qui assura à Biron ce qu'il demandait >. Nous
verrons plus tard les suites de ce marché , dont les termes
donnent la clef de toute la conduite de Biron. Satisfait dans
ses prétentions, il se sépara des catholiques ardents et il affai-
blit leur opposition.
Il fut convenu alors dans l'assemblée des seigneurs que
' Emirait <l*uii discours «l'Etal de H. de Sancy, daua las Bfem. de Nevert,
p. 808.
Engagement
réciproque
du roi el
des seigncart.
22 HISTOIRE DO RÈGNE DK HENRI IV.
Henri aérait reconnu roi , sans que l^on exigeât de lui une
abjuration immédiate comme prix de la souveraineté qu'on
lui déférait. CTétait le point capital ; mais l)eaucoup d'autres
questions de la plus haute importance, sur le temps et la
forme de rinstruction que recevrait Henri pour rentrer dans
le sein de TÉgllse, sur la liberté de culte des calvinistes, fu-
rent détnttues ensuite et n'arrivèrent à une solution satisfai-
sante que par la promesse que fit Henri de rétablir le catho-
lidame dans tout le royaume, non pas à Texclusion, mais à
côté du calvinisme dans les lieux où il s*était établi , et par
rengagement de rendre leurs biens aux ecclésiastiques. Les
articles furent enfin arrêtés et conclus le soir du 3 août, et
rignés le à. D*autres articles réglèrent les intérêts généraux
du royaume, les intérêts particuliers de la noblesse, les avan-
tages dont jouiraient les serviteurs particuliers de Henri III ^
Void les clauses de cet acte célèbre, nommé déclaration , en
ce qui oonccmait la religion d'une part, le gouvernement
de l'autre.
Henri promit et jura en Ibi et parole de roi de maintenir
dans le royaume la religion catholique , apostolique et ro-
maine, de ne rien changer dans ses dogmes ni dans sa disci-
pline, de ne conférer les bénéfices et autres dignités rcclé-
siastiques qu'à des sujets capables et à des catholiques. Il
renouvela la promesse , faite avant son avènement , de se
soumettre, au sujet de sa religion, à ce qui serait décidé par
nu concile général libre on par un concile national , qu^
aurait aoln de faire assembler au plus tard dans le délai de
six mois. Il s'engagea en outre à ne conférer qu'à des catho-
liques, pendant le même espace de temps, les gouvernements,
charges et autres emplois publics qui deviendraient vacants,
et de leur réserver exclusivement le gouvernement de toutes
les villes qui seraient enlevées à la Ligue, à l'exception d'une
seule dans chaque bailliage on sénéchaussée. La déclaration
garantit aux calvinistes : l"* la liberté entière de conscience
dans l'intérieur de leurs maisons ; 2* l'exercice public de leur
culte dans les places dont ils étaient maîtres, dans une ville
de chaque bailliage ou sénéchaussée parmi celles qui seraient
enlevées à la Ligne, dans la ville de Saumur, à l'armée, et
• TIramae, I. xcni, 1 4. t. iv, p. T94. -> Matthieu, BuL de Ueori IV,
p. 7-S. -.- Méferaj, gr. HitU, U w, ia-blio, 1651. p. ODi^tn.
AViflEMENT DE HENRI IV. 28
partout où le roi se trouverait. Il leur assura les gouverne»
ments, charges et offices dans les mêmes lieux et dans les
mêmes limites où ils obtenaient Texerdce pulilic de leur
culte. Ces dispositions étaient conformes au traité de la trêve,
conclu durant le mois d'avril précédent entre Henri Ht et
Henri IV. EUes restreignaient les avantages accordés aux
huguenots par Tédit de Poitiers ou de 1577 ; mais elles n*é-
talent que provisoires et ne devaient durer que jusqu'au
moment où Tétat des calvinistes serait réglé par une paix
générale du royaume.
Henri promit d'assembler dans le délai de «ix mois les
ËUts-généraux pour régler tous les grands intérêts du
royaume. 11 s'engagea spécialement à maintenir les princes ,
seigneurs, gentilshommes et tous ses bons sujets IndifTérem*-
ment dans leurs biens, charges, dignités, états, offices, pri*
viléges, prérogatives, droits et devoirs Mcoutumés ; d'avoir
en particulière recommandation les serviteurs du feu roi :
de tirer une vengeance exemplaire et à jamais mémorable
du parricide commis en la personne de ce prince.
De leur côté, les princes du sang, ducs, pairs, officiers de
la couronnée! autres seigneurs et gentilshommes reconnurent
pour leur roi et prince naturel, selon la loi fondamentale
du royaume^ Henri quatrième, roi de France et de Navarre,
lui promirent service et obéissance , et lui engagèrent leurs
biens et leurs vies pour exterminer les rebelles et ennemis
qui voulaient usurper VÉtat K
La déclaration fut souscrite par deux princes du sang, Autorité
Gonti et Montpensier, auxquels les autres princes du sang, i^ dëciaiation.
alors absents, ne tardèrent pas à se réunir ; par les deux
maréchaux de France présents, Bhron et d'Aumont, et par
les deux colonels généraux de la cavalerie et de l'infanterie
étrangère, le grand-prieur et Montmorenci ; par les ducs de
Luxembourg, de Longueville, de Uohan et le comte de Givry,
représentant la plus haute noblesse catholique ; par J^a force,
Ghastillon, Guitry, Sancy, Rosny, et quelques jours après,
par Duplessis-Momay, alors à Saumur, représentant le parti
protestant ; enfin par une innombrable multitude de gentils-
hommes présents à l'armée, il importe de remarquer que
' Voyn le texte de la déclaratioB daii« le Recueil dca ancienoe» loi»
françaises, par M. Isambert, t. XY, p. «>5.
2/il HISTOIRE DU RfcGNE DK HENRI IV.
parmi les seigneurs qui vieoneot d'être nommés, se trou-
vaient les gouverneurs de la Normandie , de la Picardie , de
la Bourgogne, de la Champagne, et les représentants légi-
times d'une partie considérable de Tile-de-France, par con-
séquent les plus hauts dignitaires dans Tordre civil comme
dans Tordre militaire. 11 fout ajouter que la déclaration sous-
crite par les seigneurs fut ratifiée par les acclamations et le
consentement des simples soldats de Tarmée K
Isa déclaration , comme son nom même Tindique , ne fut
pas un contrat passé entre la noblesse do camp de Saint-Gloud
et le prétendant. Ce fut une reconnaissance solennelle et ré-
ciproque : par la noblesse, des droits de Henri à la couronne,
aux termes de la constitution ; par Henri , des droits poli-
tiques, civils et religieux de la nation. Les engagements que
prenait Henri n'étaient que le complément des garanties
données à la sauvegarde des droits religieux des catlioliques.
Les signataires disent eux-mêmes qu'ils ne font que maintenir
et continuer notre droit public
La noblesse du camp de Saint-Gloud avait stipulé pour
elle, et engagé en même temps les villes et bourgeois de ses
gouvernements, les paysans de ses terres. En ce qui concer-
nait les seigneurs eux-mêmes, rien de plus libre, de plus lé-
gitime, et qui dût sortir plus promptement son effet. En ce
qui regardait la classe des citoyens dont ils s'étaient portés
pour les représentants, leur résolution avait besoin d'être
justifiée par Tadliésion de la bourgeoisie et des campagnes,
mais elle le fut. Le roi se trouva ainsi reconnu par ime classe
entière de la nation. Les États-généraux seuls , qui devaient
s'assembler six mois plus tard, en supposant qu'ils ne fus-
sent pas faussés par les intrigues des factions, et qu'ils re-
présentassent réellement la nation , auraient eu qualité pour
réformer ce qui avait été résolu à Saint-Cloud. Si leur action
n'était pas contraire, ou si leur action n'intervenait pas, né-
cessairement les résolutions provisoires de Saint-Gloud, con-
formes au droit, devenaient des actes définitifs.
CvntequcDcc» Aux termes de la déclaration, le maintien du catholicisme
la jccLraUon. ^^^ pleinement assuré; Tavénement du calviniste Henri IV
n'entraînait donc pas, comme conséquence, le triomphe de
' Voyem les noms ■ I» Miite d« U déclnratltfn, Recueil des «ne. lois franc.»
I. XV, p. 5.
AVéN£M£NT D£ H£NRI IV. 25
la réfonne et uu changement de religion en France, ainsi que
l*afénenient d'Elisabeth Favait amené en Angleterre. Loin
de là, le nouveau roi faisait un premier pas vers le culte de
la majorité de la nation.
D^nn autre côté , la liberté de conscience entière , et la
liberté de culte dans une certaine mesure , étaient garanties
aux huguenots, non plus par Tun de ces édits royaux aussi
souvent retirés qu'octroyés, mais pour la première fois depuis
les États de Saint-Germain , par les représentants les plus
autorisés d'une partie notable des catholiques.
La propriété et Tétat de chacun, sans cesse violés ou mis
en compromis depuis vingt-sept ans, étaient assurés aux ci-
toyens de toutes les classes*
Une royauté légitime était établie d'après les lois fonda-
mentales de l'État , pour ruiner les espérances de tous les
factieux, et en particulier les tentatives d'usurpation de ces
ambitieux, de ces rebelles^ les princes de la maison de Guise ;
une royauté régulière, première magistrature du pays, pou-
voir réglant et dirigeant, destiné à rétablir l'ordre public, après
avoir désarmé la révolte et le fanatisme des ligueurs; enfin,
une royauté nationale, défendant l'indépendance de la patrie
contre les attaques de Philippe II, qui trouvait moins de res-
sources dans ses armées et dans ses trésors que dans la ré-
volte des Guises et de ligueurs armés, il est vrai, pour se sa-
tisfaire, mais travaillant et combattant réellement pour le roi
catholique.
n n'^est aucun de ces faits résultant de la déclaration qui ne
soit un fait capital ; aucune de ces résolutions qui ne fût une
résolution édaûrée et généreuse. Le choix même de l'homme
que les seigneurs du camp de Saint-Cloud donnaient pour
chef à la France était un choix réfléchi de leur part, et cal-
culé sur les drconstances. Us sentaient et iis disaient que
pour combattre les Espagnols et les ligueurs conjurés, il était
besoin avant tout d'un roi intrépide. L'un d'eux s'exprime
en ces termes : « La France estant en cet estât, il luy falloit
> tm roi sans peur de bazarder sa personne et sa vie : autre-
> ment il luy eust esté impossible de conquérir le partage
• légitime que luy avoient laissé ses prédécesseurs K » Mais
' D*Angoulesme, Mcmcii-es, t. xi de la collect., p. 76 B. Pour éviter lec
confluions et lei erreurs, il faut remarquer que Tauleur de cet Mémoires,
36 HISTOIRE DO RÈGNE DE BKIIRI IV.
un prince brave ne suffisait pas pour résister à Philippe II,
au démon du Midi ; il fallait encore un homme rompn aux
affaires, et profondément habile. Aussi la noblesse du camp
de Saint-doud prenait-elle le prince qui , en soutenant du-
rant treize ans son parti contre Teffort des Gfdses et de
Henri III , en remportant sur ce dernier la victoire de Cou-
tras, n^avait cessé de lui offrir son alliance et son appui,
pour sauver Tautorité et la dignité de la couronne , et les
éléments d*ordre public en France.
n est évident que si la religion de Henri de Bourbon, dif-
férente de celle de la majorité de ses sujets, compliquait la
situation par un c6té, d*une autre part les résolutions du
camp de Saint-CJoud ouvraient une vole de salut au pays, en
établissant solennellement les principes de justice , de tolé-
rance , de fusion , de bon gouvernement, que les factions et
la royamé avaient violés depuis 1560.
u parti Le parti qui entreprit de ftlre triompher ces principes, qui
po luqucf ^ (j[^rma aussitôt après la mort de Henri III, pour défendre
rindépendance et toutes les libertés de notre patrie, pour
venger la morale et la religion de Tapologie du régicide et de
Tapothéose de Jacques dément , pour séparer nettement le
temporel du spirituel, afin de ne rendre le temporel ni
esclave, ni ennemi du spirituel, œ parti, dont les chefii fu-
rent Henri IV et dans la noblesse les Luxembourg, les dMIn-
mières , les Givry, les Grillon, les Duplessis, les Rosny , les
La Force ; dont les membres fiu-ent la portion la plus éclairée
et la plus pure de la magistrature et de la bourgeoisie ; ce
parti, vraiment national et français, est nommé par les his-
toriens du temps, le parti des politiques» Il procédait direc-
tcinent du vertueux THospital, dont il continua les grandes
et généreuses idées : son premier acte fut sa déclaration de
Saint-Gloud ; son dernier, la satire Ménippée. Il eut pour lui
le courage, la saine politique, Tesprit et par-dessus tout le
bon sens.
Si tous les chefs do camp de Saint-doud s'étalent raUiés
Chartes de Valoii, fils natarel de Charlrs IX et de Marie Touchet, ^lait
alors grand-priettr de France elcoloDel général de la caTalerie légère. Il '
aTait seUe au : U fut tëmoia et acteur dam la campagne d'Arqiir», où il |
ddploja heaacoup d'intelligence et de courage. Il devint plus tard comte
d'AoTerfae, puis duc d*Aogonléme.
AVilfElICIlT DE USRRI IV. 27
aa parti des politiques, si l^année de /iO,000 hommes ras-
semblée sous les murs de Paris s^était tenue ensemble, la
Ligne, réduite aux abois lors de l'assassinat de Henri III,
était morte, les dangers de la France conjurés, ses souffrances
finies. Les passions ne permirent pas que ce bien lui fût foit
n faut d'abord distinguer avec soin ceux qui restèrent dans Moiiiios de
le camp royal et ceux qui Taliandonnërent. Parmi ceux qui ' e"^j|.c^,j''||y^^
demeurèrent attachés à Henri, beaucoup de nobles n'obéirent dans
qu'au mobile de l'intérêt privé, teUement exclusif ches eux '* P""^'' ''''^''^'
on tellement exigeant, qu'il nuisait à l'intérêt public, et com-
promettait la cause nationale. Les uns n'eurent en vue que
la sûreté de leurs personnes et de leurs biens. Us se tinrent
serrés à la royauté uniquement pour se défendre contre les
Gauthiers, ces paysans de Normaïudie et de quelques provinces
voisines, sanglants imitateurs des paysans de Sooabe et des
paysans du midi de la France au temps de la première
guerre de religion , qui faisaient une guerre acharnée aux
chAteanx et à leurs propriétaires. L'un des écrivains du temps,
les mieux instruits des sentiments de cette classe de nobles,
les exprime en ces termes s « Le peuple qui aura pu secouer
le joug du souverain de tout le pays, ne tardera guère à se
dépêtrer du petit seigneur de son village, et s'il s'exemple
une fois des millions dus à la taille du roi, il s'affranchira bien
des deux liards de censive qu'il doit à son gentilhomme. Le
noble honoré en France du droit de justice sur le paysan, du
privilège de porter l'épée seul, du droit de franchise de tous
les devoirs qui sont dus au souverain, excepté ceux du ser-
vice de sa personne ; qui a sa qualité séparée de celle du mar-
chand, de l'artisan, du laboureur, ne saurait ni les endurer,
ni être enduré d'eux, ni conserver toutes ces prérogatives
sons leur domination... Si la royatité est éteirUe en France ^
il faut que le même jour la n(Â>lesse soit étoufféeK » Dans
la déclaration du camp de Saint-Gloud, les nobles avaient
en grand soin d'insérer un article par lequel le roi « pro-
mettait de les conserver, garder et maintenir en leurs biens,
privilèges, prééminences, prérogatives, droits et devoirs ac-
oontiunés'. » Ainsi bon nombre de membres de la noblesse re-
connurent Henri, se déclarèrent royaux, uniquement dans la
' Michel Haniull, deuxième discours sur Tëtat de U France « folio 86,
▼erso, édit. 1606.
* /incieonet lois françtises, t. xv, p. 4, $ 4.
38 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI If.
crainte qae leurs droits Téodaux solMistants ne périssent avec la
monarchie. Ils demandèrent sans cesse au roi la protection
de ses gouvemementset de ses garnisons pour leurs propriétés
et leurs manoirs, et ils lui rendirent en échange ce service
personnel auquel ils étaient obligés, d^une manière si res-
treinte , si intermittente, que les opérations militaires qui
exigent un laps de temps un peu considérable devinrent
impossibles avec eux.
D*atttres nobles se déclarèrent royaux pour obtenir du
nouveau roi la garantie ou la concession des honneurs et
dignités. Aux termes d'un article de la déclaration, tous les
favoris de Henri III conservèrent leurs offices. Un autre ar-
ticle portait que toutes les charges et tous les emplois se-
raient réservés aux catholiques, soit dans les villes et pro-
vinces qui reconnaissaient Tautorité de Henri, soit dans celles
qui seraient conquises sur la Ligue, à Texception des villes où
les calvinistes étaient déjà maîtres. Ce monopole était, il est
vrai, restreint à six mois ; mais les seigneurs catholiques
espéraient le rendre déûnitif, en entraînant de gré ou de
force le roi à leur religion dans cet espace de temps. Les
offices et les grandes charges livraient à leurs détenteurs la
plus grande partie des pouvoirs publics ; la surintendance
des finances en particulier, dans laquelle François d*0 s'était
fait continuer, devant foiunur à tous les services, notamment
à celui de Parmée, avait le pouvoir de doimer le mouvement
à la machine du gouvernement ou de Tarréter, et tenait
dans ses mains la fortune de la guerre. On voit donc que
les seigneurs, nommés par les historiens contemporains ca-
tholiques zélés ou ardents, avaient mis par le côté pratique
le roi dans leur sujétion.
Enfin , plusieurs grands firent acheter à Henri la recon-
naissance de sa royauté par la concession de conunande-
ments ou prérogatives qui les tiraient de la condition de
sujets. Le maréchal de Biron obtenait, comme nous Tavons
déjà dit, la souveraineté du Périgord ; le maréchal d'Au-
mont, les gouvernements réunis de Champagne et de Bour-
gogne, enlevés le premier au duc de Ncvcrs, le second à
Mayenne ; le grand-prieur, la charge de colonel-général de
Thifanterie française K
* D'Angoulcsme, llënioir«f, t. Zi d« 1» coliecLt p. TO A. « Le roy n*
AVilVESBNT Dfi HENRI IV. 29
D*après ce que nous venons d^exposer, il est évident que
tontes les factions qui désolèrent le commencement de ce
règne, qui traversèrent ou compromirent la fortune du roi
et de la France, prirent naissance an camp de Salnt-Gloud.
On distingue dès lors clairement la faction des gentils*
hommes libres , ne servant le roi dans ses plus pressants
dangers qu'à leur heure et à leur fantaisie, d'une façon dés-
ordonnée ; la faction des catholiques zélés ou ardents qui se
transformera plus tard en tiers parti; la faction aristocrati-
que des seigneurs aspirant à ressusciter les anciens grands
fiefe, s'emparant en attendant des gouvernements de province
et des principales charges, exerçant tous les droits du roi en
son nom, mais à leur profit
Ces usurpations n'auraient pas empêché encore le parti
royal d'écraser la Ligue expirante. On aurait vu un roi aux
prises avec l'aristocratie , contraint peut-être avec le temps
d'abjurer sa religion, d'abandonner la plupart des préroga-
tives conquises par la couronne depuis Louis XI. On aurait
eu une révolution politique, une royauté féodale. Mais le pays
aurait échappé à l'immense danger qui l'attendait : il ne se
serait pas coupé en deux partis où les forces se balancèrent
dans le principe ; où le parti vaincu appela à son aide l'étran-
ger, et quel étranger! Phihppe II; où les choses furent
amenées au point que l'asservissement et la délivrance de la
France, en dépit de tous les efforts du génie et du patrio^
tisme, ne dépendirent plus que d'un hasard.
Ceux qui infligèrent à leur patrie ces effroyables épreuves che6d«fecUoa.
furent les chefs défectionnaires, qui, d'un même coup, enle- l'arm jrrotaie
vèrent au parti royal sa supériorité, et de l'autre donnèrent <iimiDné«de
à la Ugue le moyen de se relever. Plusieurs chefs, apparte- ™o*^*
nant à la faction des catholiques ardents, prétendirent que
leur conscience ne leur permettait pas de servir un roi hu-
guenot. Vitry et quelques membres de la noblesse passèrent
dans le camp de la Ugue ^ D'Êpernon se retira dans son
gouvernement, emmenant avec lui les forces de l'Angoumols
M confirma 1« mesinc rang qne favoU eu du temps du feu roy... Le mare'-
» chai d'Aumont pressa fe roy de luy accorder les gouTernements de la
a Bourgogne el de la Champagne, disant que le feu roy les luy aroit pro>
» mis; je crois qu'il eitoit vrai pour la Bourgogne. »
* Thuanu», 1. xcvii, $ 5, t. ▼, p. 796. « Unà cum aliquot aliis è nobili-
■ tate. »
80 HISTOIRE OU RÈGNE DB HENRI IV.
et de la Salntonge, qui montaient à 6,000 hommes de pied et
if'iOO cbevaux. Son projet était de se rendre indépendant
dans son gouvernement : dès quii y fut rentré, il usurpa
tous les pouvoirs de la royauté, et notamment celui de lever
la taille et les autres impOts >. Divers autres seigneurs catho-
liques allèrent dans leurs terres attendre les événements.
Tous quittèrent le camp de Saint-Gloud sans avoir signé la
déclaration et le serment, sans avoir reconnu le roL Les dé-
fections furent aussi nombreuses, aussi éclatantes du côté
des réformés que du cOté des catholiques. Parmi les hugue-
nols, le plus considérable alors était La Trémoille : ii partit
avec neuf bataillons de réformés qui formaient toutes les
forces du Poitou. C'étaient aussi de prétendus scrupules de
conscience qui éloignaient celui-là : il mettait en avant qu'il
ne pouvait plus servir celui qui venait de s'engager à proté-
ger ridolfttrie catholique. En réalité, il allait dans son duché
de Thouars et dans le Poitou essayer de s'y constituer tme
principauté calviniste, à cOté de la principauté catholique de
d'Épernon en Angoomois et eu Saintonge. 11 ne songeait pas
seulement à rétablir un grand iief ; il voulait encore prendre
le litre et l'autorité de protecteur des églises réformées,
Henri iV, qui les avait possédés jusqu'à son avènement à la
couronne de France, prétendait les fondre dans la royauté et
les éteindre. La Trémoille se proposait de les perpétuer à son
proût, d'en faire un pouvoir rival de la couronne, et déjouer
en France le rôle des princes d'Orange en Hollande. Trois
lémoins oculaires, de religion différente, attestent que ilenri
fut abandonné par autant de huguenots que de catlioliques^.
Par suite de ces défections, l'armée royale fut réduite de
près de moitié* Au nombre des soldats qui restaient à Henri
figuraient 13,000 Suisses et S,000 Allemands, que Sancy avait
déterminés à servir le nouveau roi en attendant leur solde
pendant deux mois, car il n'avait même pas le premier écu
nécessaire pour les payer.
' La Fm-cc, CcrrMpoaduDcc, t. i, p. 157. — VelXrn luUiiv., t. lil, p. Si,
S5, IxS, l4b« MiUL d»t«« dra 31 novembre 1581) et 9& iuuvior 160Û.
* Le ciilviuule Sully, OEcou. roy., c. 1M. t. i. p. 63G : « Apièf reste
N tflroyabl* mort, Tom feusles ubandonne de la pluspart de tus subjeU ;
M voire pttr qiwtttUc d« ceux de la religion, w— La Force, autre ctilviuisle,
meaioirei ei coirespundaDce, édition de M. de la Gniuge, t. I, p. ttA« ^t
S57. — Le cwlbultque d'Ancoulitme. t. Xi, p. 70 A, dit de son cdte : « Pour
H ceux qui s'en allcreut, il y en eut! auUnl et film de la religion prétendue
» reformée que de catholique*. «
ÂTilIBlfKlIT 0£ HSHRI lf« 31
Paris exerçait dès to» une inflaence marquée sur le» pro- "j"*;;, "^i™^
vioces, comme le remarque Pasquier, et il avait dcmné le de Paris.
branle à la grande insurrectioa contre Henri 111. Toutes les
menées et toutes les intrigues s'y ourdissaient : c'était donc le
centre et le cœur de la Ugue. Henri sentait de quelle impor*
tance il était de s'en saisir ; mais il se trouvait liors d'état de
réaliser ce projet L'assassinat de Henri Ul avait permis à
Mayenne d'introduire dans la ville un corps de troupes qu'il
avait joint à la milice armée des bourgeois. Ce crime avait de
plus inspiré aux ligueurs un détestable, mais redoutable
entbousiasme, et une conliance sans bornes. Si Henri, réduit
à 22,000 bommes environ, tentait une attaque générale et
un assaut, le succès était douteux, et un revers ruinait ses
allaires. Un siège en règle, une entreprise prolongée étaient
impossibles, parce qu'il manquait de munitions, de vivres et
de solde pour ses troupes. £niin, Mayenne, qui trouva d'a-
bord dans Paris de l'argent à discrétion, lui débaucbait de
moment en moment quelques corps de troupes. Le roi fut donc
réduit à retirer son armée de devant Paris, et à la conduire
d'abord à Poissy, ensuite à Beaumont-sur-Oise'.
Henri arrêta le plan de ses opérations militaires à Beau- L'urmëo royale
monu H résolut de montrer son étendard royal et de dé- ^^ uL'is'c^ps.
ployer des ibrces dans la Picardie et la Champagne, dans Pian
toute la France du ^ord. La noblesse de ces provinces avait "^ ae'H*eun."'
reçu son congé de Henri iU pour le moment qui devait suivre
la prise de Paris, moment dont on n'était séparé que par
quelques jours, quand Henri lit fut frappé à mort. De plus,
ces gentiisbommes étaient rappelés dans leurs terres par les
soins de la récolte, et par la nécessité de défendre leurs pro-
priétés et leurs familles contre un effort tout nouveau des
ligueurs que devait provoquer la mort de Henri IIL Le roi
combina admirablement ses plans avec les déairs et les be-
soins de ces gentilshommes, lï envoya Longueville dans son
gouvernement de Picardie, avec la noblesse du pays et un
corps de 3,000 Suisses, en leur donnant pour conseil et pour
guide la vieille expérience de Lanoue. il dirigea en Champagne
le maréchal d'Aumont, nommé gouverneur en remplacement
du duc de Nevers resté neutre, avec la noblesse de la pro-
* Tbiianus, Ub. xcvu. — D'AngoalMme, p. 70 ▲•
32 HISTOIRE DD RÈGNE DE HENRI !▼•
vince et un antre corps de 3,000 Suisses. LongueTille et d'Au-
mont partirent de Beaumont le 5 août. Ils avaient ordre de
décider par leur présence les villes qui, sous Henri IH, s^é-
talent montrées favorables au parti royal ; de défendre puis-
samment contre les attaques du parti contraire tous ceux qui
se prononceraient pour la nouvelle royauté; de rassasier de
la guerre, par d*incessantes hostilités, les villes ligueuses de
diampagne et de Picardie, qui montraient une extrême ani-
mosité ; enfin , de suivre avec une intelligence attentive les
mouvements et les opérations du roi, et de lui amener des
renforts dès quMls le sauraient pressé par rennemi<.
Après avoir distrait de ses forces ces deux corps d^armée
envoyés dans les provinces du Nord , Henri IV restait avec
10,500 soldats français , suisses et allemands , commandés
par Télite de la noblesse française ^, C'était pour le temps une
armée au moins ordinaire, puisque, à Goutras, Tannée royale
ne comptait que 10,000 liommes, et l'armée calviniste la
moitié moins^. Cette énumératlon suffit pour montrer que le
roi ne fut point dans l'abandon général, dans la situation
d'aventurier où le représentent tant d'historiens. Il emporta
quelques petites places dans le territoire alors dépendant de
la Picardie , et plus tard annexé à l'ile-de^France ; s'établit
fortement dansSenlis etCompiègne pour tenir Paris en échec,
en attendant qu'il l'assiégeât ; puis délibéra avec son con-
seil, au camp de Clermont en Beauvolsis, sur le parti qu'il
avait à prendre. Plusieurs le pressaient de nouveau de se
retirer dans les provinces du Midi , où U tiendrait les États-
généraux à Tours, et rassemblerait les forces nécessaires
pour accabler Mayenne et la Ligue. Cette opinion fut com-
iNittue par Biron et par d'autres : n Qui donc, disaient-Us «
» vous croira encore roi de France, quand U verra vos lettres
» datées de Limoges 7 » Henri appuya fortement leur avis
et le fit prévaloir. A la grande considération de l'honneur et
de la réputation, qui sont la moitié de la force d'un parti,
il s'en joignait pour lui l)eaucoup d'autres, il voulait rester
à proximité de la IHcardie et de la Champagne, pour soute-
* Mémoirei de d'Angoulesme, L XI, p. 10 A. — Lettre de La Force à m
femme, du 6 septembre 15S9, U i, p. ^0. — Diacoortau vrai, etc., dant
\ft Mtfm. de Dupleuis, t. T, p. 4, 5.
' La Force, p. tStt.
• Sully, OEcoB. rojal., c. 95, p. 6I«6S.
AVENEMENT DE HENRI IV. 33
nîr ses serviteurs et son parti naissant ; étendre sa royauté
aux pays de rOuest et du Centre, voisins de ces deux §K)uver«
nements, de manière à en faire une masse unie et compacte
dans la France du Nord ; se tenir à quelques journées de
marche des secours qu'il demandait à TAUemagne, et tout à
fait à portée de ceux quMl attendait de moment en moment
de FEcosse et de PAngleierre ; enfin remédier à la pénurie
extrême dans laquelle Tavait laissé son prédécesseur, et se
procurer les vivres, les munitions, Targcnt, dont il manquait
absolument. Les contemporains qui font de la guerre et du
gouvernement avec du bon sens et non avec des phrases, re-
marquent qa'il avait surtout besoin de prendre l'argent des
recettes et de nourrir son armée. La Normandie, la pro-
vince la plus riche de France , réunissait toutes ces condi-
tions : en partant de Méru, en Beauvoisis, il y conduisit ses
troupes et y entra le 20 août K
Ces larges vues, ces sages et belles combinaisons présentent
Henri IV sous un jour tont nouveau, et réforment singuliè-
rement les idées populaires à son égard. On trouve déjà en
lui le grand capitaine et le grand politique, à côté du plus
brave chevalier de Tarmée, du rival de Crillon. Mais ce qui
achève d'imprimer au plan de sa première campagne le ca-
chet du génie, c'est le soin qu'il prit de relier entre elles ,
d'un bout de la France à l'autre, toutes les fractions du parti
royal. Il s'assura de Nogent , d'Étampes , de Pithiviers, qui
dans deux sens différents traversent l'Orléanais et doiment
passage jusqu'à la Loire : il nomma un lieutenant de roi dans
cette province pour tenir tète au gouverneur de la Ligue La-
chastre. Il s'établit fortement dans Tours, Blois, Beaugency,
Jargeau, Gien, villes qui bordent la Loire et qui avaient
presque toutes des ponts sur ce fleuve. Des garnisons en-
tières ou des corps supplémentaires de troupes et des gou-
verneurs d'une fidélité éprouvée furent envoyés par lui dans
toutes ces places \ De la sorte il tenait les commimications
ouvertes entre la France du Nord et la France du Midi où il
trouvait le parti calvisiste , son ancien gouvernement de
* Discoun au vrai, dans lei Mëm. de Dupleub, t. T, p. 6. — Mém.
dHngoolesine, t. XI, p. 71 A. — Suliy, OEcon. roy., c. 98, p. 79 A.' — Sap-
pWment de Lettvile, p. & B. cpUecUon Michaud.
* U^Angouletme, Méni.« t. XI, p. 70. — Madame Dupleuit, Mëm., t. l,
p. 177-178. — Sully, O£cop. roy., c. 98, 1. 1, p. 71.
3
Adhëtions
daoi
Sa HISTÔIRK nu RKG^k DK IIRIVRI IV.
Gnicnnc , ses principautés héréditaires de Navarre et de
Béarn. 11 empècliait au contraire presque complètement les
Ligueurs des deux parties de la France de correspondre
entre eux, de se secourir mutuellement, puisque de Nantes
Jusqu'à Glen , à l'exception d'Orléans, il occupait tous les
ponts et tous les passages de la Loire, et que la Loire coupe
le royaume en deux *.
Pendant les seize jours , depuis celui où Henri fut salué
roi par les seigneurs Jusqu'à celui où il pénétra en Norman-
à la décUrâuon dlc, la déclaration du camp de Saint-Cloud se répandit dans
Sufntxiotid ^^ provinces et y obtint un certain nombre de généreuses
adhésions (/i-20 août). Henri fut reconnu pour roi dans
les localités et par les corps dont voici l'exact énoncé : En
Normandie, dès le 6 août, par le gouverneur Aymar de
Chastes , la garnison et les habitants de Dieppe ; le 19, par
la ville de Gaen et par la portion royaliste du parlement de
Normandie réfugiée dans celte ville, à rinstigation du grand
magistrat Claude Groulart ; presque en m(me temps par
Goutances et Saint-Lô. En Auvergne, le 7 août, par la cour
des aides de Montferrand , par les villes de Montferrand et
de dermont, alors distinctes, par le gouverneur de la basse
Auvergne Rastignac En Champagne, le 12 août, par Langres
et son maire Roussat, par Châlons et Chûteau-Thierry. Dans
l'Ile-de-France et ce qui formait alors la IMcardie, par Pon-
tolse, Meulan, Gompiègne, Sentis et autres villes de moindre
importance. Dans l'Auxois, canton de la Bourgogne, par le
lieutenant de la province Guillaume de Tavannes, la noMesse
du pays, le président Krémiot et la portion royaliste du par-
lement de Dijon réfugiée à Flavlgny. En Anjou, par Saumur
et Loudun ; en Poitou , par Niort et par Fontenay : ces re-
connaissances furent dues au dévouement et a la prodigieuse
activité de Duplessis-Momay, gouverneur de Saumm:. En
Tburaine, par Tours et toutes les villes de la province ; et le
ih août, parla portion du parleihentde Paris transférée à Tours.
* Mëmoiret d« N«vert« t« l, in-folio, p. 406. « La seule ville d*Orli<ani
jt serroit de passage à ceux de la Ligue sur la rivièrr de I<oire, qui Iraver-
M aoit* Toirc divisoit presque tout le royaume de France; tous les autres
m pooU et passages qui ealoient sur ladite rivière |usquci i Nunlrs, eslunt
M ea robciasance de Sa Majesté, cens di* la Ligue n'avoient que le pont soûl
» d^Orlrans pour traverser d'une part à Tautre de la Frunrr; qui r^lnît
m peu, et hcancoup Incommode pour se secourir les uni les autres, quand
m 10 liesoin reqnet roit. ■•
AVÉFTKMRNT DP. HRNRI IV. 35
Celte reconnaissance avait d'autant pïiis d'împortancp que le
véritable parlement de Paris était alors h Tonrs. I^ parlement
de Tours compta bientôt près de deux cents magistrats ayant
à leur tête le premier président de Ilarlay : le parlement de Pa-
ris ou parlement Brisson ne conserva plus que soixante-dix-
hnit magistrats. En Languedoc, par Garcassonne et la partie
orientale de ce gouvernement où prévalait Pautorité du gou-
verneur Montmorency. Les diverses provinces ou gouverne-
ments que nous venons de nommer ne sont qu'au nombre de
dix, et il y avait alors vingt-trois gouvernements. De plus, dans
chacune de ces provinces, la Ligue occupait une certaine éten-
due de territoire et un certain nombre de villes , et, dans la
plupart, la capitale.
Parmi les provinces qui accédèrent, nous ne comptons pas
les États héréditaires de Henri de Bourbon, la Navarre fran-
çaise, le Béarn , le comté de Foix. Henri continua à y être
obéi : il n'eut pas à y être reconnu comme roi de France ,
parce qu'il ne réunit pas sur-le-champ son domaine parti-
cnlier à la couronne, selon l'usage de ses prédécesseurs, 'Au
mflleu des extrémités où il se trouvait, il avait besoin de se
ménager des ressources, surtout des ressources financières ,
et la réunion k la couronne lui aurait créé des difficultés
auxquelles il importait d'échapper. La réunion n'eut donc
Heu que beaucoup plus tard.
- En examinant quelle fut la portion héroïque de la France
qtii eut fe courage de reconnaître Henri IV dès les premiers
jours de son règne, et qui par cette résolution contribua au
salut du pays , en récapitulant le nombre des gouverneurs,
des fractions de parlements , des villes et des portions de
provinces , on trouve que le tout ensemble formait h peine
la sixième partie du royaume. Mais il ne faut pas croire, sur
la foi de l)eaucoup d'historiens , que le reste de la France
suivit le parti de la Lîgtie : c'est une grave erreur. Une
masse considérable de villes et de provmces, ou portions de
provinces, embrassa la neutralité, à l'exemple de Bordeaux
et de la Ouicnne, dont la singulière résolution doit être spé-
cialement mentionnée. Bordeaux et la Guienne observèrent
un édit de leur parlement, en date du 19 août, qui flétris-
sait l'assassinat de Henri IH, assurait aux calvinistes la liberté
de conscience, et ordonnait aux ligueurs qui avaient pris les
36 HISTOIRE pu RÈGNE OB HENRI IV.
armes de les déposer. Mais dans tons les actes publics, elles
s^opiniâtrèrent à placer le nom et le sceau de Henri III,
comme si la France eAt été en inteiTcgne <. Les villes et pro-
vinces demeurées neutres voulurent voir quelle serait la con-
duite de Henri à Tégaixl du catholicisme , et quelle serait
aussi sa fortune, avant de prendre un parti. En joignant aux
neutres, les pays, gouverneurs, magistrats, déclarés tout
d*abord. pour Henri IV, on a environ la moitié de la popu-
lation et du territoire.
Eflbrti de Tandis que Henri et ses partisans travaillaient ainsi à re-
la Li«ue conii« coustituer les principes d\m pouvoir légitime, national, seul
^'^ ' capable de tirer le pays de Panarchie, la Ligue à Paris s'é-
puisait en combinaisons et en efforts pour le renverser. La
veille de la mort de Henri IH, elle n'était plus qu'une faction
expirante ; mais par l'assassinat de ce prince elle se releva
au rang de parti qui pouvait disputer le pays à la royauté.
Après le coup porté par Jacques-Clément, la confusion répan-
due dans le camp de Saint-doud qui cessa de combattre pour
intriguer et délibérer ; quelques jours plus tard le démembre-
ment du parti royal à l'armée et dans les provinces, furent
pour moitié dans ce grand changement : l'opinion et les ac-
tives menées des ennemis de Henri IV firent le reste. Des
fureurs contre le roi mort, et de l'abominable panégyrique
du régicide, la Ligue passa promptement aux attaques contre
le roi vivant , plus utiles à ses desseins. Les prédicateurs ré-
pétèrent dans toutes les chaires que le Béarnais, hérétique et
excommunié , était inhabile à régner ; que si l'autorité lui
était déférée, il en userait aussitôt pour détruire le catholi-
cisme et le remplacer par l'hérésie ; qu'en conséquence, qui-
conque le reconnaîtrait serait excommunié lui-même. Us
ajoutèrent qu'il avait publiquement annoncé vouloir tirer
vengeance de la Saint-Barthélémy, et se baigner le bras
jusqu'au coude dans le sang, le jour où il entrerait dans
Paris. Il y allait donc pour le peuple d'être tué dans cette
vie et damné dans l'autre, s'il laissait Henri IV se saisir du
pouvoir. Sur ces trompeuses assurances, il se porta à le
combattre avec une ardeur ou plutôt une fureur sans bornes.
Ce n'était pas assez que le peuple embrassât la révolte , il
fallait encore qu'il y tint la bourgeoisie parisienne attachée
* Thvtnus, llb. xcm, $ 0, «l lih. xcix, <; 15. t. nr, p. 800, 884
GOUVERNEMENT ORGANISÉ PAR LA LIGUE. 37
et asservie. Chaque bourgeois eut son seize pour espion, et
pour dénonciateur au moment où il broncherait dans la
bonne voie. H ftit loisible d'être ligueur guisard , ligueur
français, ligueur espagnol , rebelle à un degré et sous une
forme quelconque à la loi fondamentale et à la constitution
du pays ; mais on ne put être royaliste, partisan de Henri IV,
sous peine de la vie. Les factions ont toujours entendu ainsi la
liberté. Ce sont deux contemporains qui nous fournissent ces
détaiis. L'un d'eux dit , à la date du 2 août : *< 11 n'estoit pas
permis à Paris de se montrer autre que ligueur : les gens de
bien y estoient exposés à la perte de leurs vies et de leurs
biens, et aux mouvements d'une populace furieuse et empor-
tée , que les moines , les curés et les prédicateurs excitoient
continuellement au sang et au carnage , ne leur preschant
autre évangile '. »
Dans toutes les villes de la Ligue, d'un bout de la France Kouveau Muiè.
h l'autre, les mêmes moyens employés par le bas clergé et les «JpSlSre.
moines amenlTcnt les mêmes résultats. 11 y eut contre
ilenri IV un soulèvement pareil à celui qui eut lieu contre
Henri III après le meurtre des' Guises. Les témoins de ce
mouvement insurrectionnel, qui de Paris s'étendit aux pro-
vinces, le décrivent en ces termes : « Si l'on considère la fa-
veur du peuple, il se fit quasi une seconde révolte à l'avé-
nement du nouveau roi qui demeura presque tout seul dès
le premier jour. Paris chef de la faction ligueuse avec la plu-
part des parlements et des grosses et petites villes n'avoient
d'autres sentiments et d'autres paroles que des injures pour
décrier la juste et équitable autorité de la monarchie, Le
marchand quittoit son commerce pour sauter à la hallebarde,
et porter son cœur et ses mains à l'injuste maintien de l'u-
surpation, contre tonte sorte d'équité. La rue Saint-Denis avoit
ses compagnies de lanciers. Ceux de Lorraine trouvèrent pre-
mièrement, pour les commoditez de la guerre, des montagnes
d'or dans Paris. Le plat pays, sous prétexte de la religion, con-
tribuoit de tout ce qui dépcndoit de ses moyens à l'entière
subversion de l'Etat 2. » Tel fut le mouvement populaire que
provoqua l'avéncment de Henri IV du côté de la Ligue.
* L^uleor conlcinporttin dei Sujiplém. de Lestoile, p. 5, A, B, odiliuu
Hichaad.
* D*ABgoalc«rae, Mëm., U XI, p. 76 A. — LegraÎD, Oécad., L V, p. 190.
— MicberUurauU, 9« discourt, fol. 104, reclo.
PuÎMance
des
prëdicnteuri.
Cuuvvrnemeni
de Li Ligue
organité
par Miiycuuo.
La I<igue
frMUçuise.
38 UISTOIRK DU AÈGKL D£ UfiNRl IV.
Les ardents promoteurs de ces passions , les grands agita*
leurs du temps furent les prédicateurs. Parmi eux , les uns
servaient Philippe II , les autres Mayenne et la maison de
Guise; mais ils étaient d'accord dans leur haine et dans
leurs attaques contre Henri IV, commun ennemi du roi ca-
tholique et des princes lorrains. Ils portaient dans la chaire
les événements du jour, les exposaient et les interprétaient
à leur gré, en même temps qu'ils traitaient les quesiioni
Ihéologiqucs. Ils remuaient donc à la fois les passions i)oli-
Uques et les passions religieuses. Leur autorité fut celle tout
ensemble d'orateurs de clubs dans les' temps de révolution,
et de prédicateurs chrétiens dans les temps de la plus vive
croyance. Leur empire fut sans bornes sur les masses depuis
1580 juscfu'cn 1502, et les résolutions prises dans rinlérieur
des villes de la Ligue le furent toutes sous leur inspiration
ou avec leur concours. Henri IV disait que tout son mal ve-
nait des curés et des prêcheurs. Le mot n'est que juste
quand on le restreint ù la persistance dans la révolte, à
Topposition opiniâtre des populations ligueuses.
Un grand mouvement insurrectionnel contre Henri de
Bourbon était produit à Paris , et s'étendait de moment cp
moment dans les provinces. Il s'agissait maintenant de don-
ner une organisation à cette révolte , et un gouvernement
au pays en opposition avec celui du roi. Mayenne agita avec
sa Emilie et ses conseillers les rétiolutions à prendre. Jl as-
pirait dès lors à la royauté, et il nourrit constamment cette
ambition. Mais d'insurmontables obstacles s'opposaient h ce
qu'il usurpât sur-le-champ la couronne.
Repoussé de Tours, il avait été sur le point de se voû*
forcé et écrasé dans IVis : général sage» mais malheureux,
ses prouesses parlaient peu à Pimagination et laissaient le
peuple très froid à son égard.
Un parti considérable dans la Ligue , Je parti de la bour-
geoisie, ou Ligue française, voulait pour roi le vieux cardinal
de Bourbon , alors enfermé à Chinon. Le prince était cardi-
nal , voilà qui donnait toute garantie h la religion. 11 était
delà maison de Bourbon «de la maison appelée au trône par
la ioLfondamentale de Tf^at , depuis l'extinction des Valois ;
il était chef de cette maison par le fait de Pexclusion de Henri ;
enfin il avait été reconnu pour dief de la Mgue, dès 1Ô85 :
COi;>ER>KMEM OHOAMSÉ 1»AK U LIGUE. 39
voila qui satisfaisait la Itîgitimilé , la légalité, le droit public.
Enfin il était prisonnier cl souffrait pour la bonne cause, et
Il y avait conscience à ne pas lui tenir compte de sa réclu-
sion comme d'une raison déterminante pour le faire roi K
Bonnes gens qui , dans les circonstances les plus périlleuses
où la France eût été placée depuis cent soixante ans, trou-
vaient qu'il n'y avait rien de plus expédient que de lui
donner pour chef un prêtre vieux, infirme, imbécile et cap-
tif; politiques le plus ridiculement logiques , le plus fatale-
ment consciencieux , que Ton rencontre dans Thistoire en-
tière de nos révolutions. Toutefois ils étaient nombreux,
influents, plus entêtés encore qu'aveugles. Mayenne avait
donc à compter avec eux et a les satisfaire.
Mais la considération dominante pour lui était celle des
princes étrangers. Le duc de LoiTaine, le duc de Savoie,
Philippe II, réclamaient le trône pour eux ou pour leurs en-
fants. Si ^laycnne le prenait, il se faisait de ces princes
autant d'ennemis, et, au lieu d'obtenir leurs secours, il avait
Il les combattre en même temps que Henri IV.
Dans cet état de choses, Mayenne donna pour roi ù la Ligue
le vieux cardinal de Bourbon , sous le nom de Charles X.
L'dge et les hifirmités du cardinal devaient nécesbaircraent
ouvrir dans un prochain avenir une nouvelle succession h
la couronne, et ù ce moment tous les princes étrangers feraient
valoir leurs prétentions demeurées intactes. £n attendant, ils
avaient à combattre Henri qui les excluait tous, et ù secourir
Mayenne qui attaquait Henri. Mayenne songea aussi à satis-
faire les républicains de la Ligue , en maintenant l'Union des
villes de la Ligue, et le conseil général de l'Union, auquel
on devait déférer toute» les grandes questions, tous les
grands intérêts. Ce conseil avait été établi après les barri
cades, du vivant de Henri III, et porté à quarante membres.
On lui avait attribué une portion du pouvoir législatif, la
connaissance et la décision des affaires d'État , concmrcm-
ment avec le parlement et le lieutenant général. Les députés
des villes étaient autorisés à venir y siéger et à participer,
au gouvernement du pays. En prenant son mandat au sé-
rieux, ce corps pouvait introduire dans la constitution un
' Villeroy, Mémoires cTEstat, t. xi de la cullecl. Mirbaud, p. 141, 143.
&0 HlSTOinE DU RÈGKË DE HENRI IV.
élément à la fois représentatif et démocratique. 11 pouvait
aussi faire une redoutable concurrence à la royauté du car-
dinal de Bourbon et h la liculenance générale de Mayenne.
Enfin , mal composé et mal dirigé , il avait les moyens de
conjurer contre Tindépendance du pays au profit de Plii-
lippe H-: dans le principe, il présentait ce danger, car alors
les Seize y siégeaient à peu près exclusivement. Mayenne ,
dans rintérêt de sa puissance , bien plus que dans Tintérét
du royaume, avait déjà diminué ces dangers : au mois
de février 1580, il avait changé la composition et Tcs-
prit du conseil en le portant à cinquante-cinq membres ,
et en y faisant entrer bon nombre de ses partisans ou de
représentants de la Ligue française ^ Maintenant ii se flat-
tait que leur ascendant remporterait sur celui des Seize res-
tants; que les députés des villes, arrêtés par la guerre et par
les frais de déplacement, s'abstiendraient de venir siéger dans
le conseil , et quMl aurait , lui Mayenne , pour gagner les
grandes villes de la Ligue , les apparences , sans avoir les
embarras et les dangers d'une institution républicaine,
piiiu Tandis qu'il jetait ces appâts diflTérents aux républicains,
d*«tar|Hiiion ^^^^ princcs étrangers, aux partisans ligueurs de la maison
MajeoRc. de Bourbon , il adoptait les mesures les plus efficaces pour
s'assurer la couronne à lui-même. 11 prenait le titre de lieu-
tenant général de l'État et couronne de France ; ce qui , en
l'absence et pendant la captivité du roi de la Ligue, lui livrait
une grande partie du pouvoir législatif, tout le pouvoir exé-
cutif, et par conséquent la partie réelle et solide de la sou-
veraineté. 11 se flattait d'écraser Henri IV sous la masse des
forces qu'il rassemblerait, et comptait tirer de sa victoire sur
ce prétendant les moyens de ruiner la compétition de tous
lés autres. En efl'et, sa victoire lui assurerait le dévouement
de son armée ; son armée lui donnerait la force de résister
aux souverains étrangers, ainsi que les moyens de surmonter
Fopposition de la bourgeoisie de la Ligue, et ses préférences
pour la maison de Bourbon ; tandis que l'éclat de son succès
*lui ramènerait le peuple et le séduirait à son usurpation par
l'enthousiasme.
DccUraiiuQ Boyauté de Cliarles X et exclusion de Henri de Bourbon,
arr^u^ae^diVart conscfl <le l'Cnion, lieutenance générale pour lui-même,
l«rleoicDU. , p, cayei |, ,, t. ,, p. ioi B, p. lOâ, \0\
COUtER^EHEIfT ORGANISÉ PAR LA LIGUE. &1
Mayenne comprit tout dans sa déclaration du 5 août 1589.
Dans la délil)ération du conseO d'Union, qui avait précédé la
déclaration, les Seize s'étaient montrés d(^s le début ce qu'ils
devaient être constamment : ils avaient demandé que Ton
élût Philippe II pour roi , alléguant que sa piété et ses forces
donnaient seules des garanties suffisantes au maintien de la
religion et des affaires ^ Mais le crédit de Mayenne et de ses
partisans dans le conseil avait fait rejeter cette proposition
antigoisarde et surtout antifrançaise. Dans la déclaration »
le lieutenant général provoquait de plus une croisade contre
Henri IV. Tous les catholiques, disait-il, devaient s'unir à lui
pour assurer la gloire de Dieu et le salut des hommes. Jus-
qu'alors ils n'avaient eu à combattre que les ennemis secrets
de la religion ; mais à présent c'était aux hérétiques eux-
mêmes, aux ennemis déclarés de l'Eglise, qu'ils avaient af-
faire : c'étaient eux qu'ils devaient combattre jusqu'à la mort,
en prenant Mayenne et les princes de la maison de Guise
pour chefe dans cette sainte entreprise. Lé parlement de
l^ris, épuré par Bussy-Leclerc et réduit à soixante-dix-huit
membres, enregistra la déclaration de Mayenne le 7 août, et
donna ainsi l'exclusion à Henri IV. La portion ligueuse du
parlement de Toulouse défendit, sous peine de mort, de le
reconnaître, et le déclara déchu de ses droits à la couronne,
conformément à la bulle d'excommunication de Sixte-Quint
(22 août). Le parlement ligueur de Rouen déclara ses parti-
sans criminels de lèse-majesté divine et humaine, ennemis
de Dieu, de l'ivtat et couronne de France (septembre) '.
Ainsi, pour, l'exclusion de Henri IV, pour l'établissement
du gouvernement de la Ligue, il y avait, après l'approbation
' Villeroy, Apol. «1 duc, t. XI de la coHect., p. I4S. « Aacttnt voaloieat
» que Ton esleui le rpy d'Espagne et «lue Ton te ieltast du toul entre tes
m bnt... aUe'guunt la kônne opinion que la commune a voit do la probité,
m piété, force et moyens dudtct roy d^Espagne. »
' Becuetl des anc. lois frunç., t. XV, p. 5-8. La dcclaralion de Mayenne,
qui date du 5 août, reconnaît la royauté' de Charles X : « A ces causes, en
» attcodant la liberté et présence du roy. m Celte reconnaissance du 5 uoftl
est indépendante d'une proclamation qui eul lieu le 31 novembre 1589.
Les historiens modernes, en rejctunt la royauté de Charles X à cette der-
niers date, indubent dans une grave erreur. -> Ces arrêts des portions
ligueuses des divers parlements sont également omis ou intervertis dans
lout«i les histoires. — Nous avons fiiit remarquer, plus haut, que les par-
lements du royaume se divisèrent eu deux fractions, Tune royaliste, l'uulre
lignense. La portion royaliste du puricment de Paris éUiit à Tours en très
grande majorité; celle du parlement àm Toukfiue à Carcastoane; cfUe du
parlement de Rouen à Caen.
42 HISTOIRE OU RÈGNE D£ HENRI IV,
du dergé ligueur, la sanction des pouvoirs et des corps poli-
tiques , une légalité menteuse. Le peuple était donc poussé
à une résistance désespérée contre Henri de Bourl)on par
toutes les autorités qui pouvaient le conduire et qui Téga-
raient Mais tandis que les intrigues égoïstes de Mayenne, les
étroits et pauvres calculs de la Ligue française jetaient le
pays dans une guerre civile dont ii était impossible de pré-
voir Tissue et de calculer les périls , un fait considérable se
produisait, un principe d'ordre surgissait, hà reconnaissance
des droits de la maison de Bourlion avait lieu : cette réserve
en laveur de la légitimité, maintenant spéculative et stérile,
pouvait, dans certaines combinaisons, produire de grands
effets. Les succès ou )es revers de .Mayenne devaient l'étouf-
fer à sa naissance, ou la rendre viable, coipmc ils devaient
décider aussi si le lieutenant général aurait des chances de
passer roi. Mayenne le sentit, et il s'épuisa en efforts pour
rassembler à Paris une armée si nombreuse et si bien appro-
visionnée, que les coups décisiEs fussent portés dès l'ouver-
ture de ct:ttc grande querelle.
CHAPITOE IL
Première cMBpagne de Henri iV (aoftt 15a9-ianvler IMO).
Prtifrctduroi Le temps que le duc employa à ramasser des troupes et à
„ •" ^. les conduire sur le théâtre de la guerre, le roi le mit à profit
Rormandie. ^ . , . , «., j. n .
pour faire de remarquables progrès en Normandie. Il entra
dans cette province le 20 août. A son approche, Goumay et
Oisors, qui se trouvent à l'extrême frontière, lui ouvrirent
leurs portes. Le 22 août, Durolct, gouverneur du Toul-dc-
PArche, vint lui apporter l^ssurance de sa fidélité et de celle
des habitanu. Henri conduisit ensuite son armée à Darnetal,
près de Rouen, et des combats d'avant-postes commencèrent
entre ses troupes et la garnison. Pendant ces hostilités , 11
courut lui-même avec un fortdéUchement Jusqu'à Dieppe qui
s'était prononcée pour lui dès le 6 août, mais dont il voulait
PREMIÈRE CAMPAGNE DE HENRI IV. &3
éprouver la fidélité et afTermir le dévouement Le gouver-
neur, Aymar de Chastes, remit cette place entièrement à sa
disposition, et les habitants le reconnurent avec acclamations
(26 août).
Dieppe était alors forte et riche, et son port, quoique res- p*"" «je SV"."*
serré, Tun des meilleurs de la Normandie. Ce port ouvrait au Dieppe eiCaea.
roi des communications avec la Hollande, TEcosse, 1* Angle-
terre, dont il attendait des renforts, et un lieu de débarque-
ment pour les troupes de ces nations. S*il y soutenait un
siège , il avait moyen de recevoir de continuels secours ;
s^il était réduit à Textrémité, il trouvait une retraite assiu-ée
par mer et la facilité de passer h la Rochelle. Le choix de ce
lieu pour point de résistance était donc une combinaison stra-
tégique de la plus haute portée. Tandis qu'il séjournait à
Dieppe, il reçut la confirmation de la fidélité des habitants et
du parlement de Cacn, prononcés pour lui le 19 aoûL Celte
ville mettait sous ses lois la moitié de la basse Normandie»
La ville et la contrée lui fournirent pendant un mois de Tar-
gent pour la paie, des vivres pour la nourriture de son ar-
mée , et des munitions de guerre. Elles firent donc presque
entièrement, par le côté matériel, le sort de la campagne qui
s'ouvrait ; plus tard , elles continuèrent à influer d^une ma-
nière sensible sur les opérations de la guerre et sur les évé-
nements des quatre premières années de ce règne. Les histo-
riens originaux font judicieusement remarquer Timportance
de la possession de ce pays. En quittant Dieppe , Henri re-
monta jusqu'à Rouen, et attaqua les abords de cette ville.
Avant qu'il eût fait des dispositions pour un assaut ou pour
un siège , 11 apprit que Mayenne s'avançait à sa rencontre,
et fut informé du nombre de ses troupes. La disproportion
était énorme. Il s'agissait de la faire disparaître ou du moins
de raffalbllr par le choix habile des lieux et par le genre
de guerre auquel le roi réduirait son adversaire. II se retira
vers la mer, prit Eu et le Tréport, se rendit de là à Dieppe,
s'établit le ë septembre à Arquas et dans les villages envi-
ronnants, à une lieue en avant de Dieppe , fit, du 8 au 15
«eptembre, les dispositions nécessaires pour une savante ré-
sistance, et, après les avoir termhiées, attendit son ennemi
de pied ferme ^
* UMrm nittiTM 4« H«ori iV, dM i7 août, 17 scpleoitef, ii octobr«.
Forces rawcm-
bléei
parlLiyenne;
sa lOitrchc.
Guerr«
de postes.
Combats fl*Ar-
qaes.
[id HISTOIRE DU R£GN£ DE HENRI IV.
Mayenne, ayant trouvé de l'argent à discrétion dans Paris,
avait proniptement rassemblé 25,000 soldats. Le 27 août , il
sortit de Paris à leur tête : sur la route, il recueillit encore des
renforts que lui envoyaient le duc d'Aumale de la Picardie,
le duc de Lorraine de sa principaïUé, Philippe H des Pays-
Bas. Quand, après avoir traversé la Normandie, il arriva en
présence de Tenncmi, il comptait 33,000 hommes, armée
triple, et au delà, de celle du roi. La qualité d'une partie con-
sidérable de ses troupes était bonne, puisqu'elles se compo-
saient aux deux tiers de vieux soldats , d'Allemands et de
Suisses qui faisaient de la guerre leur métier. Il pouvait, sans
présomption, se flatter d'accabler son adversaire. Le peuple,
dont le privilège est de tout fausser en l'exagérant, rendit les
espérances du duc ridicules. Les bourgeois de l'aris , sur le
bruit que le Béarnais était enfermé et acculé dans un coin de
la Normandie, louèrent des fenêtres rue Saint-Antoine pour
le voir conduire lié et garrotté à la Bastille ^
Les historiens modernes n'ont rien compris du tout à la
lutte qid eut lieu entre ^enri et Mayenne; les termes mêmes
dont ils se servent le prouvent. 11 n'est question chez eux
que de la bataille d'Arqués, comme si les deux adversaires
n'avaient combattu qu'un seul jour et s'étaient mesurés en
plaine et en bataille rangée ^. \/* succès du roi, dans cette
supposition , serait une impossibilité. Dans les temps mo-
dernes, et entre Européens, il n'est pas donné h une armée
trois fois moins nombreuse, comme l'était l'armée royale, de
vaincre en plaine une armée ennemie commandée par un
chef habile, tel que l'était Mayenne, de l'aveu des deux
partis. Les auteurs du xvi* siècle parlent partout de retran-
chements et de siège, et mettent ainsi sur la voie de la vérité.
Une étude sérieuse de leurs récits et une inspection attentive
des lieux nous apprennent ce qid se passa réellement. Le roi
t. 111. p. if)-31 ; 49, 50, 56, S7. — Diarours au vroi, ptr., Mém. de Du-
Ïilessit, t. V, p. tf-tl. — D*Aiigoulc8inc, t. xi, p. 71-73. <— Thuanus,
ib. xorii, SS <>< "f* **•
* Sully, envoyé pour rrconnaîlre l'armeV de Muyrnnc, dit, rhap. S8,
I». 79 A : w Elle eMoit roinpoiee de f 5,000 bommci d« pied et de 8,000
M cbevauK. » U'Angoulome, uiitrc témoin oculaire, p. 7i 6, la porti* à
37 ou 38.000 hooinic». Pour les antres dëtuils, Toyei d'Angoulesme,
p. 7« ri 74 B.
* L'erreur devenue populaire sr perpétue. On vend rnrurc auioanrbui
«ne dencription du rliAteau d'Arqués, précédée d'uoc gruvorc ftvec Tin-
scripliou : Baiaitle d'Artfuts,
PREMIÈRE CAMPAGNE DE HENRI IV. 45
et Biron, avec une souveraine habileté, évitèrent toute action
générale, toute bataille rangée, et contraignirent Mayenne à
leur faire une guerre de postes.
Henri résolut de conserver Dieppe à tout prix, nous avons
dit dans quel but. £n conséquence , il fit deux choses. Il
pourvut avec un soin extrême à la défense de cette ville et
de ses murailles. De plus, il lui donna des ouvrages avancés,
une seconde enceinte fortifiée pour la garantir davantage.
Cette enceinte, présentant la forme d'un carré oblong, s'avan-
çait d'une lieue dans les terres du côté d'Arqués. Elle était
formée : 1** du côté droit, par le Polct, fauboi^rg de Dieppe,
par des collines couvertes de bois et de treUlcs, par des ter-
rains pierreux et des ravins, où une armée ne pouvait passer
sans être mise en désordre ; enfin, par une partie du camp
du roi ; T h la base du carré , par la continuation du camp
du roi, et par le village d'Arqués; 3" du côté gauche, par le
château d'Arqués, par une suite d'autres collines élevées,
par la citadelle de Dieppe. Le Polet avait reçu des retranche-
ments , des batteries et un corps d'armée, de manière à
pouvoir braver toutes les attaques. On n'arrivait au camp du
roi que par un chemin difficile, périlleux pour l'ennemi : il
était défendu par des tranchées çt par de rartillerie, appuyé
à un marais alors existant, protégé par le canon du ch&teau
d'Arqués ^
Le plan de Mayenne fut d'emporter Dieppe, pour ôter à
Henri les moyens de recevoir des secours étrangers et de se
retirer par mer; ensuite de l'attaquer et de l'écraser avec sa
nombreuse armée. L'état dans lequel le roi avait mis Dieppe
et son camp imposa à Mayenne la nécessité de les assiéger.
Ce fut donc une suite d'assauts, dirigés au moins, sur six points
différents, depuis le f 5 jusqu'au 27 septembre, pendant douze
jours, et dont le récit détaillé, comme dit Sully, remplirait
un volume. Ce ne fut pas du tout ime seule action, une seule
bataille, comme on l'a imaginé jusqu'à présent ; nous ne
mentionnerons que les faits principaux.
Le 15 septembre, Mayenne, partant des positions qu'il
■ D*AogouI««m«i témoia et acteur, |. xi de la collccUcn des Mémoires,
p. 73, 74. A la page 73, on trouyc la mentiou du marais, desséché aniour-
dltni, et des vigne* dont la culture a cosse. — Sully, OËconomies royaleiy
c. SS, p. 7i B. — Villeroy. t. xi, p. 143 B.
hd HISTOIRE DO RÈGNE DE HENRI IV.
occupait sur le côté droit, commença les hostilltc^s. Tl sépara
son armée en deux corps : Tnn , commandé par le duc de
Nemours, son frère, marcha contre le camp du rof, assis
entre Dieppe et le village d* Arques; Tautre, conduit par lui-
même^ se porta sur le Polet. Son Intention était manifeste.
Nemours devait forcer, s'il le pouvait, le camp du roi, et
tout au moins Pempécher de se porter au secours de Dieppe.
Mayenne, de son côté, après avoir enlevé le Polet, devait
attaquer Dieppe et s'emparer de cette ville. Ils trouvèrent
sur les deux points un formidable appareil de résistance ,
dépassant infiniment tout ce qui leur avait été annoncé.
Nemours fut repoussé avec perte par le roi, Mayenne par
Châtlllon, fils de Gollgny, auquel la défense du IMlet avait
été confiée.
Après ce double échec, Mayenne concentra son armée, et
le 21 septembre II la porta en masse à Tattaque du camp
retranché du roi , en avant du village d'Arqués. D'après la
disposition des lieux , une partie du camp était établie snr
une éminencc et près d*nne cliapelle ou maladrerle ; l'autre
partie était assise plus bas , dans la plaine attenante, au voi-
sinage d'un marais. Mayenne assaillit les doux points à la
fois. Dans la partie basse, ses troupes ne se présentèrent que
pour s'embourt)er dans le marais et pour se faire battre.
Dans la partie haute , près de la maladrerie , ses lansque-
nets, après le premier choc, demandèrent à se rendre, furent
Introduits dans le camp du roi par les troupes royales elles-
mêmes , se saisirent tout à coup des tranchées , firent maîn
basse sur tout ce quils rencontrèrent , et par cette insip^e
perfidie, mirent un moment le roi en péril. Mais les ligueurs
furent arrêtés par l'insurmontable bravonro du gros des
troupes royales, et chassés ensuite des retranchements par
Glidtlllon et son corps d'armée accourus en toute hâte au se->
cours du roi.
liC 23 septembre, Henri, s'étant rendu a Dîep|)e, reçut
de la reine d'Angleterre un ftilble, mais précieux serours en
argent, mtmitions, vivres, habillements, an moment où les
villes normandes de son parti commençaient à s'épuiser, et
tie fournissaient qu'avec une extrême dlfRoilté h son armée
en approvisionnenients et des moyens de défense. Le 24 « le
duc de Mayenne transporta ses forces dans les villages situés
I>Aeiltli^.RR CAMPAGNE DE HEURT IV. /i?
da côté gaoch(^, et attaqua, ce jour et les suivants, d^iine part,
le château et le village d'Arqués ; d'une autre , la ville de
Dieppe du côté de la citadelle. Tous ses assauts furent repous-
sés, et de ces diverses tentatives il ne recuieillit que honte et
perte. Cependant la fatigue et Tépuisemcnt résultaient pour
Tarmée si peu nombreuse du roi de la continuité des hosti-
lités et des avantages mêmes qu'elle avait remportés. La si-
tuation dans laquelle elle se trouvait ne pouvait se prolonger
sans devenir périlleuse. Enfm , les secours, qtii s'étaient fait
attendre scandaleusement, arrivèrent. Le jour de la dernière
attaque du duc contre Dieppe, un corps de 1,260 Ecossais»
conduit par le sieur d'Ovins, ancien serviteur du roi « débar-
qua dans le port. En même temps on eut nouvelle que Lon-
gtieville, d'Aumont et le comte de Soissons, longtemps arrêtés
par de misérables querelles, amenaient de Picardie au roi une
seconde armée, qui n'était plus qu'à deux journées de mar-
die. Mayenne , craignant de se trouver entre deux armées ,
leva le siège , comme disent les contemporains , le 37 sep-
tembre, et prit sa route vers Amiens, pour être à portée des
Pays-Bas et des renforts quMl demandait aux Espagnols. Deux
jours après son départ, le 29, Henri reçut le secours que lui
envoyait la reine d'Angleterre, et qui se composait de
/i,000 hommes. Quelques jours plus tard, il conduisit l'armée
d'Arqués à Gamaches, la joignit à l'armée de I^cardie^ et il
se vit alors à la tête de 1^,000 fantassins et de 6,000 che-
vaux.
Dans cette mémorable lutte , il n'y eut pas une seule ba^-
laille ; mais il y eut tme grande victoire résultant des nom-
breux avantages remportés par le roi : Mayenne ne peitlit pas
moins de 17,000 hommes par le fer de l'ennemi et par la
désertion : c'était la moitié de son armée. Le roi dut son
succès aux savantes dispositions et à la vieille expérience de
Hh'on , à la bravoure de sa noblesse, à la fermeté de ses
troupes, et à lui-même autant qu'à personne. Il déploya les
talents d'^un capitaine, une vigilance et une activité infatl^
gables, une intrépidité héroïque sans être téméraire, surtout
au combat de la maladrerie. L'artillerie prépara ou d^fda
presque constamment iSi fortune de ces nombreuses jour-^
nées. Dans la dernière , Guitry, Biron et le roi firent usagi^
pour la première fols de rartlllerie légère : c'était une Inno-
Prise d« cinq
Tnuboorgs
dePoii*.
OccatioD de
prendre
celle Tille
perdue.
AS HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV,
vation et un progn'^s dans Tart de la guerre. Aux qualités
solides dont Henri avait fait preuve , se joignaient les quali-
tés aimables qui exercent une légitime séduction : la bienveiN
lance avec tous, la franchise de Télogc pour les belles actions,
rhumeur chevaleresque, les mots heureux, tout ce qui fait
le caractère français et qui enlève la nation. Il écrivait à Tun
de ses serviteurs absents : « Pends-toi , brave Grillon, nous
» avons combattu à Arques et tu n*y étais pas. » La déclara-
tion 'de Saint-Gloud avait fait un roi : la victoire d'Arqués le
consacra auprès de tous ceux qui voulaient la fin des troubles
et le retour à Tordre avec Tappui d'un homme fort et géné-
reux. « Ce fut, dit un contemporain , la première porte par
» laquelle il entra dans le chemin de sa gloire et de sa bonne
n fortune ^ » La campagne d'Arqués, on peut TaiDrmer, donna
à la France le règne de Henri IV.
En quittant la Normandie , le roi dirigea ses deux armées
sur Paris. L'entreprise , selon les circonstances , devait ter-
miner la guerre, en lui livrant la capitale du royaume et le
siège de la Ligue, ou bien se réduire à un hardi coup de
main et à une occasion de ramasser du butin pour faire
vivre ses troupes. Il gagna trois marches sur Mayenne, et le
1" novembre , il parut sous les murs des I^risiens , qui ,
trompés par les impostures de la Ligue, l'attendaient encore
vaincu et captif. Il emporta l'épéc à la main , en quelques
heures, les cinq faubourgs situés du côté de l'Université, les
faubourgs Saint-Marceau, Sahit-VIctor, Saint-Jacques, Saint-
Michel, Saint-Germain, et répandit ime épouvante qui, selon
le ligueur Villeroy, devait amener une prompte soumission.
Paris se rendait si l'on eût obéi aux ordres formels du roi »
rompu le pont Saini-Maxént et coupé le passage à Mayenne. La
négligence de Montmorenci-Thoré ravit à Henri cette occasion
et cette fortune qui ne devaient pas se retrouver. Il livra le pas-
sage du pont Saint-Maxent au lieutenant général, qid, le lende-
main de la Toussaint, introduisit son armée dans l^ris et la
Joignit à la garde bourgeoise. Paris, dès lors, devait être as-
siégé en règle , et un siège demande un appareil de guerre,
* Pour cet âoq peragraphe», d'Asgoale^me, p. 73B, T5Aet76B4
97 B. — I.a Force. Mcm.. p. S6-94. — Di»coar« eu vrai, etc., p. I9-S7. •—
Lettre de Henri IV & Bucenval, du t7 août. — Sully, r. 9B, p. 71, ne ra-
conte qu'une tr«*a bible partie des combaU livre* aotuur de Dieppe et d*Ar-
qnet, cl il y a une erreur de dc'tail manifeste à la fin de aoa récit.
PREMIÈRE CAMPAGNE DE HENRI IV. 69
des approvisionnements , de I^argent , qui manquaient égale-
ment au roi. Il décampa donc La victoire d'Arqués n'avait
pu lui servir à rédidre la capitale : il l'employa à subjuguer
la plus grande étendue de pays possible , à décider les neu-
tres en se montrant au cœur du royaume, à conquérir des
recettes en même temps que des sujets. Mais pour ne pas
perdre d'im côté ce qu'il gagnerait de l'autre, il renvoya
avec leurs troupes Longueville en Picardie, Givry dans l'Ile-
de-France et la Brie , et bientôt après, d'Aumont en Cham-
pagne K
Henri reprit Etampes enl^é par les lieutenants de ISlayennc
pendant la guerre d'Arqués , s'empara de Janville, de Ghâ-
teaudun, de Vendôme, de Montoire, de Laverdin (17 no-
vembre). Par ces conquêtes , il mit sous sa loi tout l'Orléa-
nais , excepté Orléans et Chartres, rétablit et élargit ses
communications entre la France du nord et les provinces au
deià de la Loire. De là il se rendit à Tours. Il fut reconnu
solennellement par le parlement ayant à sa tête Achille de
Harlay, récemment sorti des prisons de la Ligue ; par la cour
des comptes qui comptait Pasquier au nombre de ses prési^
dents ; puis par les autres cours souveraines (21 novembre). Il
s'avança ensuite dans le Maine et dans l'Anjou. La présence
de son armée suffit pour amener presque sans résistance la
soumission de toutes les villes. Une seule , le Mans , essuya
on siège ; mais lâchement défendue par le ligueur Bois-Dau-
phin, elle se rendit le 2 décembre. Alors, la Ligue ne con-
serva plus rien dans l'Anjou : dans le Maine, il ne lui resta
que la Ferté-Bernard *.
En sortant de l'Anjou, le roi rentra en Normandie. Grâce
aax nouveaux subsides que Gacn lui fournit, il acheva la ré-
duction presque entière de la basse Normandie, par la con-
quête d'Alençon,Domfront,Seez, Argentan, Falaise, Bayeux:
dans la haute Normandie , il étendit le territoire royal par
l'occupation de Lizieux, Pont-Audemer, Pont-L'Evêque ,
Honfleur, Touques ( du 16 décembre 1689 à la fm de jan-
Conqaétflt
«II Orléanais,
MaioCf An ion,
Normandie.
■ Lettres de Henri IV, des S et 30 novembre, A Duplessis et a Roauat.
~ VUJeroy, Apol. et Disc. 1. XI, p. 143 B, f46. ~ Scliy, Écoc. roj., c. 19,
p. 74 A. — Thuauus, lib. XCTU, SS ^^i ^^'
* Dans !<• Maine rt dans PAnjou, outre le Mans, Henri prit on soumit
Château-du-Loir, Laval , Sablé, Mayenne, Beaumont, Tuvoi , Silly, ChA-
teatt-Gonlhîer.
Le roi recoanu
par
les Subses
et li*«yéoUieni.
Henri reroniiu
•'gairmrnt par
le» gouTer»
nt^urs, la no-
kle4«r, le haut
clcr|;i*, les
fiarlemcnU
demeurés nru-
Irea.
50 HISTOIRE DU H^GlflS PE HENRI IY«
vî^r 1590.) La Ligue dès lors iiq retint plus dans U basse
Norwndie qu^Avranches ; dans la liante , que Rouen, le
Havre, et cinq autres villes tout h fait secondaires. Les cinq
sixièmes de cette importante prpvince obéissaient donc dès
lors à Henri.
Là se termine sa première campagne. Pendant les six mois
écoulés depuis son avènement, il avait vaincu dans les com-
bats d'Arqués ; fait parcourir plu9 de deux cents lieues à une
armée chargée d'artillerie; établi solidement son autorité et
son parti dans les huit provinces contiguës du nord et du
centre du royaume, TIle-de-France, la Picardie, la Cham-
pagne, la Normandie, l'Orléanais, la Touraine, le Maine et
PAnjou. 11 avait de plus gagné des recettes, de manière à
s'assurer un revenu de deux millions d'écus. Ce n'était pas là ce
qui était nécessaire pour faire face à la ibis aux dépenses
d'un gouvernement régulier, et d'une guerre qu'il iSillait
poursuivre; mais la détresse de l'expédition d'Arqués était
passée sans retour.
Là s'arrêtaient les conquêtes de Henri , mais non pas les
avantages, et les avantages de la plus haute iipportance obte-
nus par lui. En traversant Châteaudun , dan» TOrléanais, il
reçut lesdéputésde la confédération suisse qui venaient renou-
veler avec lui l'ancienne alliance existant entre la république
et les rois de France. A Tours, il rencontra les ambassadeurs
vénitiens, qui lui apportaient les hommages de )a Seigneurie
(21 novembre). Cette reconnaissance solennelle de sa royauté
par ces deux puissances, venant s'ajouter à celle de l'Angle-
terre, de l'Ecosse, des provinces unies des Pays-Bas , des
princes protestants d'Allemagne, acquise dès les premiers
jours de son règne, lui assurait l'adliésion de près de la
moitié des États de l'Europe qui prenaient part alors aux
affaires générales. De plus, les Vénitiens donnaient aux puis-
sances caUioliques l'exemple de reconnaître sa légitimité K
Pendant la durée de sa première campagne , le roi ne fit
pas de moindres progrès auprès des neutres que sur ses en-
< Letlrci miMivet 4« Henri I¥ des 4 et SI noycmbre { 7, 0, 10, 10,
9S décembre; 7 janvier, t. m, p. 66. 85, 86, US, tOO, 101, 405. KTT,
109, 115. — Continuation de ce qui est advenu eu l^arniée du roi. Mé-
moires de la tàgur, U IV, p. 79-87. — P. Ca)TT, 1. 1, p. 18l-18,\ 1SH-|07i
1. Il, p. SU8-S09. — Tbuimus, 1. 97.
PREMIÈRE CAMPAGNE DE HSlfRI IV, 61
neniis, La conduite qu'il tint constamment depuis sa pre*
mière entrée en Normandie, avant la guerre d* Arques, lui
concilia raiïection et le respect des populations dans tous les
pays où il pénétra. D'une part, il considéra partout les
ligueurs moins comme des ennemis que comme des Français
égarés, et les traita en roi, non en conquérant. Il ôta à la
guerre toutes ses fureurs, et presque toutes ses rigueurs.
Dans les villes prises, les personnes furent respectées, la dé-
vastation interdite, le pillage restreint au strict nécessaire des
soldats. Tordre immédiatement rétabli : les habitants d'Alen-
çon purent rouvrir leurs boutiques, le jour même où leur
ville tomba en son pouvoir. D'un autre côté, il respecta reli-
gieusement et fit respecter h ses soldats, même huguenots,
les églises et les cérémonies catholiques, notamment à la
prise des faubourgs de Paris et à celle de Vendôme : il proté-
gea partout les évOques et autres ecclésiastiques restés étran-
gers aux troubles politiques, les réintégra dans leurs biens
et dans leurs fonctions, et en rétablit plusieurs sur leurs
sièges, dont ils avaient été chassés par la Ligue, entre autres
IVvéque du Mans. 11 avait répondu ainsi aux calomnies df-
SCS ennemis , notamment des prédicateurs , aux doutes et
aux craintes des neutres, n Chacun sçait, écrit-il ^ la date
» du 7 novembre, combien de personnes farouches j'ai eues
I» à apprivoiser, en leur ostant de la fantaisie que je ne tas-
A chois qu'a m'establir pour puis après renverser l^yr reli-
» gion ^ »
Cette conduite gagna les cœurs, dissipa les préventions et
les craintes, et partout sur son passage ou à son approche
les divers ordres lui engagèrent leur foi et leurs services.
IjCs historiens mcnlionnenl à Tours les cardinaux de Ven-
dôme et de Lenoncourt ; au siège du Mans, pii^q ccn^ gen-
tilshommes du Maine et des pays voisins, l'évéque et 1^
clergé du Mans*; en Anjou, le gouverneur 4' Angers Fui-
chérie, qui avait dit jusque-là qu'il était dur de digérei
un roi huguenot , et avec le gouverneur la partie encore
incertaine de la noblesse * ; à Laval , le clergé de Laval, le
prince de Dombes et plus de la moitié de la noblesse de
I L«nrp (U* HrnrifJans les Mem. de DuplcsMs, 1. lY, p.4SS, 488.
* Mêmes aulorilés qu*aiix prectklfrnls parugruphrs.
^ Puirheiîc, gouTerncur d* Angers, est engage dès Ion dont le parti au
t« royaattf «1«
Heori reconnu*
en Bretagne,
Derri, Bourltou»
nau, Marche,
Limousin, Dan*
phiné.
Gmdntte du
parlement
do Grenoble.
52 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
Bretagne M)éjà antérieurement, et sans attendre sa venue, le
parlement de Rennes Pavait reconnu le 11 septembre et lui
avait prêté serment de fidélité le 'J2 octobre : de la coïncidence
de ces deux faits il résultait que la moitié des campagnes et des
villes de la Bretagne , et Rennes, la capitale, à leur tête, se
trouvaient engagées dans le parti royal '.
Hors du rayon de Tinfluence directe exercée par la pré*
sence du roi, sur la nouvelle des glorieux avantages rem-
portés à Arques, sur la renommée des actes répétés de sa
démence et de son respect pour le catholicisme, on voit
à la même époque beaucoup de gouverneurs de provinces,
plusieurs pariements , joindre leurs adhésions à celles dont
on vient de présenter le tableau. Montigny dans le Berri ,
Ghazeron dans le Bourbonnais, Lacoste-Mézières dans la
Marche, Lévy de Ventadour dans le Limousin, arborè-
rent Tétendard royal et combattirent vigoureusement la
Ligue. Larochepot reprit La Flèche sur les ennemis : Lévy
comprima les Ligueurs qui cherchaient à se saisir de Li-
moges , et soumit cette ville et toute la province à Tauto-
rite du roi, le 15 octobre 3. En Dauphiné, Omano, gouverneur
pour le roi sous Henri III, et le chef des protestants Lesdi-
guières, conclurent une alliance le 13 septembre : pendant
les derniers mois de 1589 , ils firent reconnaître Pautorité
du roi dans Vienne , Valence , Embrun , Gap , Romans , et
établirent un parlement royaliste à Romans <. 11 ne resta à
la Ligue de villes importantes que Briançon et Grenoble.
En demeurant engagé quelque temps encore dans la Ligue,
le parlement de Grenoble sut au moins conserver les senti-r
ments français et défendre Tindépendance du territoire. Les
roi, coBune le pronre le témoignage de Henri IV, dana lei leltrct mlMÎTei,
t. iix« p. 106, el les fiiiu lubaéqnenU consignés dans Gayet, 1. nr, p. 360 B,
370 B.
* Mêmes anioritës qo^anz précédents paragraphes.
* D. TaiUandler, Hbl. de Bretagne, i, u, p. 378.
* La Thanroassière, Hist.du Berry, 1. ui, c. 104, lOS, U 1, p. 905.S08. —
P. Cajet, 1. I, p. 105, 194. U dit qu'i la fin d'octobre ou an commence-
meut de novembre, on fait une sorte d^arméc pour reprendre Montrichard
sur les ligueurs, m i la poursuite de Montigny avec messieurs du conseil. »
— Thuauus, 1. xcvii, ^ 14, U IV, p. 810.
* Vie de Lesdiguièrei, 1. m, p. OS-iH. — Thuaniis, 1. xcni, $ St, t. iv,
p. 82S, 893. — P. Coyel, 1. i, p. 184, 185. - D'Aubigne, 1. m, c. S, t. m,
p. 306. De Thou etCayel n'indiquent pas et ne semblent pas connaître
l'cpoquc où Grenoble s'était engagée dans la Ligue : c'ctait sous Henri III,
U 6 mai 1680. (Vie de Les'JUguièrcs, p. 9t.)
PREMIÈRE CAMPAG?i£ DE HENRI IV. 53
troubles du royaume avaient déjà livré le marquisat de Saluées
au duc de Savoie, sous le règne de Henri III. Le duc espérait
que la continuation de ces troubles, sous le règne de Henri IV»
lui fournirait les moyens de se saisir duDauphiné et de la Pro-
vence, et de reconstituer à son profit, par le démembrement
de la France, Tancien royaume d^ Arles, dans le cas où le corps
de la monarchie lui échapperait, et passerait sous la loi, soit
de son beau-père Philippe H, soit des princes de la maison
de Guise. Ses agents se présentèrent donc au parlement de
Grenoble, et pressèrent cette compagnie de reconnaître la
souveraineté de leur maître. Ils alléguaient pour la décider
les plus spécieuses raisons. Tous les princes de la maison de
Bourbon ayant été déclarés inhabiles à régner, comme héré-
tiques ou fauteurs d*hérésie, évidemment le trône était va-
cant. Le parlement ne devait-il pas y faire monter le duc de
Savoie, petit-fils de François 1*' par sa mère, descendant des
anciens rois de France ? Le duc mettrait fin aux troubles,
aux guerres civiles, et donnerait au Dauphiné la paix et la
prospérité dont il était privé depuis si longtemps. Avec ses
propres forces et avec celles du roi catholique son beau-père,
fl assurerait la religion dans la province. II ne voulait donc
derenir leur souverain que pour assurer leur bonheur en ce
monde et leur salut dans Tautre. Mais, tandis que les argu-
ments religieux hypocrites et les motifs politiques captieux
liTraient assaut à la conscience et à la raison des magistrats,
le KDthnent de la nationalité les fortifiait et les retenait. Ils
répondirent « que la requête du duc étoit importante à tout
» le royaume de France ; que la décision, en pareille ma-
w tière, appartenoit à une assemblée des trois Estais, dont le
m parlement suivroit les avis. 9 Et ils congédièrent les agents
da duc avec cette réponse. Ce prince tourna vers la Provence
vues et les forces restreintes dont il disposait '
Cinq factions déchiraient et dévastaient la IVovence. La fac- .î^ «■oy*»*^ •'«
Hflnrt reconnue
tion du duc de Savoie se composait d'abord exclusivement de «n Provence,
gentibhommcs savoyards établis dans le pays. 11 la fortifia par
ses intrigues, dans les derniers mois de 1589. D'une part, il
ft^allia avec une des factions de la Ligne ; d'une autre, il recruta
i prix d^argent des partisans dans la basse classe et parmi les
* Tic d« Letdiguières, 1. m, p. 05-87. — P. Coyet, I. I, p. 184, 185. ^
5& HISTOIRE DV RÈGNB DE HENRI IV.
hommes perdus d' Aix et de Marseille. 11 attendit roccaslon de
les faire agir de concert en sa faveur, et il la trouva bicntôL
Ces actives men<?es n'empêchèrent pas le parti royal de se
constituer et de s'organiser fortement en Provence. Dans les
quinze jours qui suivirent la nouvelle de l'assassinat de
Henri III, ceux qui avaient combattu pour ce prince trans-
portèrent à Henri IV leur fidélité et leurs services. C'étaient
le gouverneur Lavalette, la portion royaliste du parlement
d'Alx réfugiée à Pertuis, la plus grande partie de la noblesse,
les villes et territoires de la partie septentrionale de la Pro-
vence. Le 30 août, le parlement de Pertuis reconnut Henri IV
pour roi. Quelques succès obtenus par les Ligueurs, aidés de
l'argent et des secours du duc de Savoie, contraignirent
le gouverneur à transférer le parlement royaliste de Pertuis
h Manosque , le 1" novembre ; mais le parti royal reprit ses
avantages sur d'autres points et s'étendit à l'occident et au
midi de la province. La noblesse de Tarascon désarma le
peuple et fit passer la ville de l'état de neutraUté et d'indé-
pendance à l'obéissance envers le roi et le gouverneur. Au
mois de novembre, Lavalette prit Toulon, puis peu après le
fort de cette ville, et y commença des fortifications qui le
rendirent bientôt imprenable ^
La royautd de Enfin, cu Langucdoc, la fin de l'année 1589 fut marquée
Henri reconnue paf quelqucs falts qul Servaient la cause de Henri dans l'opl-
^ "*em*eni'*' Hlon publlquc et fortifiaient son parti. Montmorenci, gou-
ea Languedoc, vcmeur de la province, avait donné son adhésion avant la
guerre d'Arqués. Mais fi s'agissait d'y joindre le libre assen-
timent des populations, dans un gouvernement où Toulouse
et la partie occidentale avaient embrassé la Ligue, et dans un
pays d'^ltats, où les représentants des trois ordres décidaient,
avec une autorité à peu près égale à celle du gouverneur, de
toutes les afialres d'intérêt public. Or, dans l'assemblée des
États, tenue à Béziers le 27 septembre, le président de l'as-
semblée protesta de leur fidélité envers le roi : les consuls
de Garcassonne, Uzès, Mende, Saint-Pons, le Puy, Castres,
Lodève, prirent le même engagement : les évèques de Bé-
ziers, de Montpellier, de Mmes, d'Agde ; les vicaires gêné-
* Boncbe, Hist. da ProTrnce, I. X, p. 131, VfÈ, -^ Itoitradamaf, HUl. àm
Provence, pari, viu, p. 877-880.
PREMIÈRE CAMPAGNE DE HENRI IT. d5
raux de Garcassonne, Uzts, Mcndc, Saint-Pons, le Puy, accé-
dèrent à ces promesses. l*cu après le 13 novembre, l'un des
lieutenants de ^lontmorcnd lit rouvcrlure du parlement
royaliste de Garcassonne, dont les arrêts devaient infirmer
ceux du parlement de Toulouse, dans ce quMls avaient
d'hostile à Henri IV et à son autorité ^
Quand on joint ces reconnaissances aux reconnaisi>ances
hardies et généreuses des premiers. jours du règne, et aux
soumissions résultant des conquêtes de Henri, on voit que
dans la presque totalité des gouvernements un parti pour
le roi, plus ou moins fort, était organisé à la fin de 158d.
Les seuls gouvernements de Guiennc, de Nivernais, ott
commandait le duc de Nevers, d'Angoumols et de Saln-
tonge, qui obéissaient ti Épernon, persistaient encore dans la
neutralité. Mayenne et la Ligue essayèrent bien de protester
contre ce résultat en faisant uhc proclamation solennelle de
la royauté du vieux caixUnal de Bolirbon, le 21 novembre.
5tais , d'une part, Henri s'était assuré de la personne de c(;
compétiteur en le tirant de Ghllion, en le transférant à Fort-
tcnay, en Poitou, et en le livrant à des mains d'une fidélité
éprouvée '. D'un autre côté, la royauté de Gharlcs X fi'étall
appuyée que des revers d'Arqués, de la perte des villes et
du territoire que ces défaites avaient amenée : cette royauté
resta donc toute de déclaration et de protocole ; d'effets
réels, elle n'en eut point
Un fait capital, négligé jusqu'à présent par l'histoire, c'est
que, dès la fin de l'année 1589, plus des cinq sixièmes du
haut clergé de France avaient adhéré à la royauté de Henri IV.
L'exposé des faits généraux vient de nous montrer le roi re-
connu par les cardinaux de Vendôme et de Lenoncourt, par
les évèques et les vicaires généraux du haut et du bas Maine,
d*une partie de la Bretagne, de la portion la plus considérable
du Languedoc. Il faut ajouter que M. de Gondy, évéquc de
Paris, était si ouvertement prononcé pour lui , que la Ligue le
força bientôt à se sauver de Paris. 11 en était de même dans
toutes les provhices et sur tous les points. En effet , nous
Le parti roya 1
cUibli fiant
toutes les pru-
▼inces,
excepté trois.
Le mi lecouiiu
piii'lu presque
totalité
du huul rlergci
calboli'jue.
' D. Veissctte, Hiil. gënër. de Lenguedoc, liv. 4f , t. T. p. 439, 440.
' Lettres missives de Heori lY, des S4 août et U* septembre, t. m,
p. i8, 90, 55, 36. — Mémoires et correspondances de Diiples&i«, t. IV»
p. 399, kW. 409. — P. Cajet, 1. L p. 187.
56 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
avons déjà établi que sur cent dix-huit archevêques on évè-
ques que l*on comptait alors en France, cent se prononcèrent
pour Henri dès son avènement ^ Il ne pouvait en être autre-
ment Partout la démagogie de la Ligne avait foulé aux pieds
la discipline de TÉgliseen chassant les évéques de leurs sièges,
dans quelques localités, pour favoriser Tambition de mem-
bres du clergé inférieur, dans le plus grand nombre pour hc
rendre indépendante de tout pouvoir ecclésiastique légitime.
L*ordre religieux n'était pas moins violé par elle que Tordre
politique. De plus, le patriotisme des évèques s'indignait à Ti-
dée de devenir espagnols en devenant ligueurs. Enfin, leur bon
sens comprenait et disait bien haut que matériellement la reli-
gion ne pouvait subsister sans TÉtat ; et que TEtat courait le
risque d'une complète subversion au milieu des fureurs de la
guerre civile et de la guerre étrangère indéfiniment prolon-
gées. La Ligue française, qui partageait les sentiments religieux
des évéques, et qui aurait dû se laisser guider par eux,
ferma les yeux, trois ans durant, à cette grosse vérité; tant
Il est vrai qu'en France, à toutes les époques, le bon sens a
été la qualité la plus rare , et que la passion est parvenue à
obscurcir jusqu'à l'évidence.
CHAPITRE II L
Intérieur «le la Ligne (teptembro 1589-janvicr 159U).
Dans le temps même que l'autorité du roi sVtendait ainsi
chaque jour sur quelque partie nouvelle du territoire, et à
quelque classe de citoyens, l'intérieur de la Ligue était agité
par de violents conflits entre les diverses factions qui la com-
posaient. Les revers d'Arqués avaient infiniment diminué les
* Voycs ei-desfliii les cilations d«s pagea 7, 8. — Partout le haut rlerge'
raçot le roi comme il le rc^ut & Laval. <f Je mis prcseiitemenl arriré rn
m ceale Tille, ayant esir arrcslc' près fl'unc heure a lu porte, pour vuir lou»
m ceulx du clcrgc qui m'y sont venu» tccpvoir avec leurs ornemeiiM,
• comme oui fairt tous !«•& uullres de crsle dicte ville, ayant eu le plaisir
» d'oir chanter ViVe U Hoy, eu musique, par les ecclésiastiques, avec le
• ploa grand applaudissement du peuple que j*oy iamai». » (I<.eltre de
Henri IV an cardinal de Vendosme, écrite à Laval le 10 décembre 1589.
t. m, p. 100, 101.)
INTÉRIEUR DE LA LIGUE, FIN DE 1589. 57
forces matérielles et la réputation de Mayenne. Les Seize
le jugèrent assez affaibli pour qu'il fût incapable de dé-
fendre l^ordre public contre leurs fureurs. Les partisans que
Targent et les promesses, ou Tégarement du zèle religieux,
avaient faits à TEspagne, imaginèrent de leur c6té que le mo*
ment était venu de remplacer l'autorité du lieutenant-général
par l\»urpatlon de Philippe II.
Pendant le mois de septembre et le commencement du Progrès
mois d'octobre 1589, en l'absence de Mayenne, les Seize ^u^^s^^
avaient donné de vastes développements à leur confrérie, et
avaient porté leur nombre, qui d'abord n'excédait pas quatre
mille, à quinze ou vingt mille. Ils s'étaient assuré une partie
de la populace en lui promettant le pillage. Mais, parmi les
sicaires qu'ils avaient recrutés, il ne faut pas ranger du tout
le peuple des halles : c'est une erreur grave consignée dans
quelques histoires récentes de la Ligue et du règne de Henri IV
qu'il Importe de rectifier. Ces citoyens, d'un rang inférieur,
mais d'un cœur droit et honnête, dirigés par leur curé Be-
Doist, qu'on nommait le pape des halles^ tinrent constam-*
ment pour le parti de l'ordre et de l'indépendance nationale,
pour la Ugue française d'abord, pour le parti royal ensuite'.
Après avoir cherché des complices dans la plus basse popvH
lace, les Seize avaient encore gagné quelques compagnies de
la milice bourgeoise, et les avaient jointes aux gens sans aveu
qu'ils tenaient armés et prêts à tout depuis les barricades.
Ces préparatifs terminés, ces forces rassemblées, ils proû-
tèrent d'une excursion faites à Étampes par de Rosne, que
Mayenne avait laissé comme gouverneur à Paris, pour se ruer
sur la société civile et s'en rendre maîtres par une soudaine
attaque. Le 21 octobre, Lachapelle-Marteau, prévôt des mar-
chands, à la tête d'un certain nombre de bourgeois armés, et
Bussi-Lederc avec ses satellites, envahirent le Palais de Justice.
L'^épée sur la gorge, ils contraignirent le parlement à absou-
dre en appel et à mettre en liberté un sergent des Seize, con-
damné précédemment pour excès commis contre plusieurs
habitants, et poiur violences envers un conseiller du parle-
ment dans l'exercice de ses fonctions. Quand ils eurent réduit
■ L««toile, Regist-Jonm. de Hrart IV, p. 17 B à la fia. -«- P. Cayet, t. iii«
p. 333. — D*Attbigiië, t. m, I. m, c. 6k).
58 HISTOIRE t)V RÈGNE DE HENRI tlT.
Ainsi la loi et le magistrat à une cortiplètc impuissance devant
la fbrce, ils assassinèrent et dc^pouillèrent chaque jour quel-
que citoyen, en Taccusant d'être huguenot et politique. liC 2
■ôvettibre, an moment même où Mayenne rentrait dans Paris,
vditi ce qui s'y passait : n La dernière fête de la Toussaints,
* Un Selte, nommé Emonnot, tua un bon catholique nommé
» Minteme, duquel il fit accroire qu'il étoit politique, pour lui
» voler quatre cents écus qu'il avolt sur lui. » Le témoin ocu-
laire^ qiH fournit ces détails, signale trois autres meurtres
commis en deux Jours par les Seize, et ajoute que ces assas-
sinats étaient non seulement Impunis à Paris, mais approu-
vés et loués comme témoignage d'un bon zèle à la religion
catholique. On volt ensuite dans son récit que ces excès con-
tinuèrent pendant tout le mois de novembre '.
fcfre nlLiSl^r'^ ^u même tcmps que les Seize établissaient cette sanglante
Philippe ji tyrannie, ils préparaient tout pour imposer à la France la do-
protectev « a ,„j„3||^j„ ^j^ pEspagnc. SI l'ou voulait y réussir, il fallait avant
tout renverser, désarçonner, comme disent les contempo-
rains, Mayenne et les princes lorrains. Les Seize y travail-
lèrent activement de concert avec plusieurs jésuites influents
et d'autres partisans de PEspagne. Tons ensemble ils parvin-
rent ft reconquérir, dans le conseil de PtJnion , la majorité
que Mayenne s'était tm moment assurée par l'Introduction de
4tllnze de ses paHIsans dans ce corps. Quand 11 rentra dans
Pntïn le SI Novembre, Il trouva hostile à ses desseins et à son
pouvoir le conseil de l'Union, redoutable dépositaire d'une
part dn pouvoir législatif. Il chercha à prévenir ses attaques
{Kir un acte d'ime adrohe politique, auquel 11 intéressa facile-
ment le parlement et la bonne bourgeoisie, qui composaient
là Ligue française. Nous avons remarqué que la Ligue fran-
çaise était passionnée pour la royauté du cardinal de Bonr-
bon« De plus, elle désirait ardemment se soustraire au joug
des .Seize, rétablir l'ordre public, assurer la vie et les biens des
citoyens; et, comme au temps qui nous occupe, elle n'était
pas organisée pour la défense, elle se trouvait dans l'absolue
nécessité de s'appuyer sur le lieutenant-général. Mayenne
combina les désirs et les besoins de ce parti avec ses propres
' LestoU*, Regiil«-Jmini.,p. 6 B, 7 A.B, S 5 et 6, 10 B.— P. Ç«7«t« 1. 1.
p. i 80 A. — ArnauM, dans VJnti'espttgnol^ rappelle cet ftÀU: némoires
de la Ugoc, t. ir, p. 91&
INtÉRlEtJR DE LA LIGUE, riN DE 1589. 89
intérêts. Le 21 novembre 1589, il flt proclamer roi le cardi-
nal de Bourbon d*une manière solennelle, par le parlement.
L^arrèt enjoignait à toits les I*Vançais de reconnaître Charles X
pour héritier de la couronne et pour roi, de hii rendre fidé-
lité et ot)éissance, d'employer leur vie et leurs biens pour Ife
délivrer de sa prison. IK^s lors les édits, les ordonnances, totls
les actes publics furent rendus en son nom, les monnaies frap-
pées à sdn effigie. Le même arrêt du parlement maintenait
à Mayenne Tintégrité de son pouvoir, en ordonnant qu1l
conserverait la lieutenahce-générale jusqii^à la délivrante du
roi •. La royauté de Gliarles X que Mayenne avait jusqUe-lâ
amoindrie et éteinte, dans Tintérôt de sa royauté à lui-
même qu'A croyait prochaine , la souveraineté de Charles X
recevait ainsi la réalité et la vie dont elle était susceptible :
satisfaction était donnée au Vœu de la Ligue française, des
légitimistes : toutes les factions de la Ligue étaient ramenées,
autant que possible, à Tobéissance du lieutenant -général. La
nue propriété de la royauté étant déférée au cardinal de
fiourbon, l'usufruit à Mayenne, il ne restait rien, au compte
de ce dernier, que Philippe II pÛt prendre.
Les Seize, les jésuites, les ministres de Philippe II à Paris,
n'en tirèrent qu'une conséquence, c'est qu*îl fallait, en lais-
sant aii cardinal un vain nom, arracher le pouvoir à Mayenne^.
Au commencement du mois de décembre 1589, ils propo-
sèrent dans le conseil de l'Union dé déclarer Philippe 11 pro-
tecteur du royaume de France, alléguant qu'il était seul
capable désormais de soutenir la guerre et d'enipêcher l'État
de tomber au pouvoir de Henri tV et des hérétiques. « A ce
» protectorat, dit l'un de ceux appelés à voter sur la propo-
» sillon, à ce protectorat étoient attachées des autorités et
» puissances royales et souveraines, comme de pourvoir aut
• principales charges et dignités dii royaume ecclésiastiques
t> et séculières, tout ainsi que fait le roi au royaume de Naptes
» et de Sicile, par-dessus les vice-rt)is qu'il y envoyé. » Tous
* Tbuanut, 1. XCVU, S ^^i L IT, p. 814. — Arrêt du parlement de Paris
dd il ttovemlnre, qui pcodame le cardinal de Bourbon roi, mu* le nom
de Charles X, manuscrit de la bibliothèque nation. Cangé, toL 1558/10,
pièce i8.
* P. Cotet, Chron. noven, 1, t, pages 191 B, 192. 4 Les ministres d'Ei-
m pagne* la faction des Seiae, avec qaelqutts Jésuites, désiroieot cesto pro-
• tection du roi d^Espagoe. »
60 HISTOIRE PU RÈGNE DE HENRI IV»
ceux, dans le conseil de TUnion, qui appartenaient à la Ligue
française ou au parti de Mayenne, qui conservaient quelque
amour de la patrie et quelque pudeur, combattirent une pre-
mière fois la proposition. Ils représentèrent qu'avec le titre
de protecteur, le roi d'Espagne commanderait absolument
dans le pays, au moyen des officiers et fonctionnaires de tout
ordre qu'il nommerait et des armées qu'il enverrait ; qu'il
s'emparerait des principales places ; qu'ainsi au milieu de la
division des partis, il affaiblirait et ruinerait la monarchie
française. Dans une nouvelle réunion , à laquelle assistaient
les agents du roi d'Espagne Mcndoze et Moreo, la propo-
sition ayant été remise en délibération, Villeroy somma
Mayenne de ne céder à personne sa qualité de chef de parti,
et lui annonça que s'il se mettait sous la protection d'im prince
étranger, il serait aussitôt abandonné de ses amis, et princi-
palement de la noblesse qui n'obéirait jamais à l'Espagnol.
Aux Ligueurs français se joignirent le parlement et les prin-
cipaux membres de la noblesse de la Ugue. Ils déclarèrent
iwanimement à Mayenne qu'il ne devait pas souffrir qu'il y
eût d'autre chef que lui au parti de l'Union ; qu'il fallait qu'U
eût seul toute l'autorité, et ils lui promirent de courir sa
fortune. Le duc opposa leur avis et leur autorité à la propo-
sition qui le menaçait. Les Seize et les autres partisans de
TEspagne, dans le conseil de l'Union, épuisèrent successive-
ment tous les moyens pour le faire changer de résolution.
Ils essayèrent d'abord de la persuasion. Ode Pigenat, provin-
cial des jésuites , lui fit un long discours pour l'engager à
abandonner l'avis de Villeroy et à se ranger au leur. Le
trouvant inflexible, ils résohn^nt de lui faire violence. Ils
annoncèrent que le conseil de l'Union , qui avait donné la
lieutenance générale à Mayenne, conférerait le protectorat à
Philippe II, et ils se mirent en mesure d'exécuter ce projet et
cette menace.
Pour échapper lui-même à la déposition , pour soustraire
rûnira'aîasé l'État à cc danger, Mayenne recourut aux plus énergiques
par Mayeane. mesures : il rulua en même temps le dangereux pouvoir des
Seize et les projets dos Espagnols. Il proclama le Pape seul
protecteur du royaume et de la religion en France. Il déclara
que le conseil de l'Union, représentant une forme de répu-
blique, était incompatible avec la royauté du cardinal de
Le CoBieil de
INTÉRIBDR DE LA LIGUE, FIN DE 1589. 61
Boorbon et avec la lieutenance-générale. En conséquence il
cassa le conseil de PUnion, et il y substitua un conseil d^Ëtat
qui devait le suivre partout, même à Tarmëe, et décider avec
lui toutes les affaires administratives et les affaires politiques
urgentes. Ce partage des pouvoirs et ce gouvernement n*é-
laient en apparence que provisoires. Les États-généraux con-
?oqués à Melun pour la Chandeleur, c*est-à-dire pour le 3 fé-
vrier 1590, devaient, en exerçant la souveraineté de la France,
décider comment elle serait régie ; mais les dispositions de
Mayenne et la force des événements pouvaient faire préjuger
déjà que le provisoire établi pour quelques mois durerait
probablement quelques années. La faveur du parlement et de
la bourgeoisie, la présence des troupes réunies par le duc
dans Paris, lui permirent de détruire le conseil de TUnion
sans qu'il rencontrât aucune opposition sérieuse *.
La statistique et l'histoire des partis durant cette période Compromb
demandent que Ton se rende compte des résultats qu'entrât- *"^ia^Ju""*
nait le grand changement opéré par la suppression du con- française.
seii de l'Union. Les Seize et les Ligueurs vendus à Philippe,
qui avaient ressaisi la majorité dans ce conseil, perdaient leur
pouvoir politique. Mais les Seize ayant ime organisation et
des réunions qui n'étaient pas détruites, subsistaient à l'état
de parti, et continuaient à influer sur la situation. Les villes
de la Ligue étaient privées également de leurs attributs poli-
tiques. Tout le pouvoir législatif était concentré jusqu'à nou-
vel ordre entre les mains de Mayenne et du parlement : tout
le pouvoir exécutif demeurait à Mayenne : les grands intérêts
de l'État étaient réglés par lui et par son conseil d'État.
Mayenne prétendait à la succession du vieux cardinal de
Bouribon et au trône. La Ligue française continuait à vouloir
y porter un Bourbon et à maintenir la grande et salutaire
institution nommée loi sallque. En différend sur ce point, en
parfait accord sur la nécessité de maintenir la société et
Tordre public contre le brigandage des Seize, de ne pas li-
* Four ces deux paragraphes : Tilleroy, Apol. et Disc., t. XI de la coll.,
p. I4S« 147. ^ P. Cayel, 1. 1, 1. 1, p. 167, 189 -lOl. — Suite du dialocue du
■Mbcuatre etda mauaat, citée par extraits daus Lestoile, p. 665 B, 566. —
L'ABti-MpagBol, dans les Mém. de la Ligue,, t. IV, |>. 9K, SIS. — Lettre
d« Mayenae pour Télection des députés aux Etals-gcnéraux, d*abord pour
le 3 fcrricr, ensuite pour le 90 mars 1S80, dans les anc. lois françaises,
1. XT, p. 18.
62 BI870IRB PU RàCIIE PB UKMKl IV,
?rer ta royiupie à Philippe If » de ne pas le livrer non plus
k un hérétique» la Ligue française et le lieutenant-général
passèrent ensemble un accord, un compromis, pour la dé^
fense des intérêts qui leur éuient pomrouns. Ce compromis
devait durer jusqu'au moment où les circonstances les obli-
geraient & vider leur didéreDd au sujet de la couronne ; alors,
mais alors seulement, ils devaient se séparer et devenir
ennemis,
La Ligue française se trouvait très bieq de U royauté du
cardinal 4b Bourbon» doublé^ et soutenue de 19 lieutpnance*
générale 4e Masfenne, comme le prouvent divers actes éma-
nés deux mois plus tard du parlement de Paris, iwrtion in-
tégrante et considérable de la Ugue française. C'est que ce par||
de bourgeois, restés étrangers jusque-là auxa0airesd*Ël9t, tai-
sait de la politique avec ses passions au lieu d'en fair^ avec la
réalité, et se conduisait avec ses courtes vues, n'apercevant que
la moitié des dangers présents, ne voyant rien des eiùgences
d'un prodiain avenir. Les cbels, plus avisés que lui , et Ville-
roy entre auU'es, ne partageaient ni sa satisfaction ni sa sé-
curité. Villeroy était l'homme d'État de la Ligue française et
nullement l'homme de Mayenne. Le lieutenant-général l'avait
admis dans son conseil, et l'employait comme négociateur;
mais Villeroy était entré dans son administration, comme on
entrerait aujourd'hui dans un ministère de coalition , sans
renoncer à ses opinions, sans abandonner sou parti. Ville-
roy, secrétaire d'Êut, c'est-à-dire ministre sous les derniei-s
Valois, en savait déjà très Ipng sur l'ambition de Philippe II :
la tentative de protectorat tentée tout récemment au profil
du roi catliolique ét^t un chapitre de plus ajouté à ce qu'il
conoaiss^il des projets de ce prince contre la France. 11 sen-
tait qu'il n'y avait pas à jouer ayec un pareil ennemi , et que
pour rendre vaines ses attaques, il ne fallait rien moins à la
France que l'union, le libre cn^plpi de toutes ses ressoum^K
contre l'étranger, et tui pouvoir fort. C^ n'était pas la royauté
du cardinal de Bourbon qui assurait ces avantages au pays, et
quand elle les lui auraient donnés, l'ùgc et les infirmités de ce
souverain imaginaire avertissaient de lui chercher promple-
ment un successeur. Villeroy essaya de diriger les gens do
son pai'ti , les Ligneurs français, vers des idées plus raison-
nables et plus pratiques , en partant dos doux grands prin-
INTiRIBUR DS LA L|GCE, Pllf M 1689. 63
cipes de la léglUmUé et de la catholicité, Vm» des condi^
tions de réussite pour le plan qu'il proposait, était qu'il par-
vint à tempérer Tardeur et Texagération du zèle religieux
chez ses partisans, lesquels considéraieilt encore Henri de
Bourbon comme un bérétique et un maudit, endèrepient
inhabile h régner, et avec lequel il était défendu d'avoir
même un rapport quelconque sous aiicun prétexte K Vilieroy
aborda ce préjugé de Iront et lui porta les premiers coupu.
A la fin du mois de décembre 1589 ^ , il publia un re*
marquable écrit portant pour titre ; Avis d'État «i»f ie$
affaires de ce temps. Il y réclamait en propres termes la cou*
ronne pour ceux auxquels elle appartenait. Il établissait que
le parti le plus sûr et le plus honorable pour Mayenne était
de reconnaître Henri lY, s'il consentait à abjurer; et s'il refu-
sait, le comte de Solssons ou tout autre prince de la maison
de Bourbon. De la sorte on donnerait à la France un roi
catholique et légitime ; on parviendrait à réunir dans on
même parti tous les catholique^, soit de la Ligue soit du
parti royal ; on couperait broche, comme ii disait , aux me-
nées et pratiques que faisaient les Seize et Philippe II contre
TÉtat ; enfin on rendrait la paix à la France. Mayenne et
les princes lorrains, en abandonnant leurs prétentions à la
souveraineté , seraient récompensés par une grande position
qui leur serait faite 3.
La glace était rompue et le grand mot lâché. Une voix
grave et autorisée s^élevait du sein de la Ligne pour prodîai-
mer des principes tout nouveaux. Henri IV n'était pas abso-
lument et nûment incapable de porter la couronne, à cause de
son hérésie, comme le mettaient en avant les Seize et les parti-
sans de TËspagnc, et comme les Ligueurs français eux-mêmes
* La Ligue françaiae était encore complélemwtnt dans ces lentiineuU on
mois de décembre 1&S9. C'est ce dont on se convaincra par les dispositions
de Tarrét dn parlement du B mars 1800, que l'on trouvera citées teztuel-
lemenl, ci-après et sous celte date.
* VUlcroy, Apolog. et Disc., t. xi, p. 147, collect. Micbaud. — Lestoile,
Reg. Joam. de Henri IV, p. 9 B et f 0, coliecl. Micbaud.
* ViUeroy; Advis d^Estut sur les affaires de ce temps, I. xi, p. 9S3-t34,
coUect. Micbaud. On trouve aux pages tt7 B, SSS, le passage suivant :
« Ayant mis ce marcbé à la main au roy de Navarre... il faudroit donner
■ contentement aux princes dn sang catholiques, et spécialement à MM. les
» cardinal de Yendosme et comte de Soissons, en leur accordant le rang
» et le lien que leur maison mérite... Personne ne tous coni redirait quand
» l'on cognostroit par les effects Tostre Imt rslre de conserver la cou-
» ronne a qui elle appartient, •
64 HISTOIRE DU RfeGNK DB HENRI IV.
l*avaient réputé jusqn^alors : son incapacité n^était que condi^
tionnelie, et subordonnée au cas où il persisterait dans ses
erreurs : on pouvait se rapprocher de lui, traiter avec lui :
sa royauté pouvait être reconnue et obéie. Ces idées certes
étaient bien antipathiques à l^ambition de Mayenne. Elles
heurtaient même trop les préjugés des Ligueurs français, des
catholiques purs , pour être adoptées sur-le-champ par eux.
Mais elles devaient faire leur chemin dans ce parti avec le
temps, gagner chaque jour des partisans nouveaux, agir
constamment sur les événements qui suivirent, et enfin les
dominer.
I^IVRE II.
DEPUIS LA FIN DE LA PREMIÈRE CAMPAGNE DE HENRI IV,
JUSQU'A l'ouverture DES ÉTATS-GÉNéRAUX DE LA LIGUE
(FÉVRIER 1590-JANVIER 1593).
CIIAPITPiE l".
Batoille d*lrrj et ses sniles (1590).
Les revers d'Arqucs et leurs dures conséquences, les pertes
de villes et de territoire, la diminution de sa réputation avaient
aflaibli Mayenne, mais ne l'avaient pas abattu. Sa récente
querelle avecles Seize et avec les autres partisans de TEspagne
avait mis un moment son autorité en danger; mais elle
s'était terminée par une notable augmentation de son pon-
Toir à l'intérieur, et de sa liberté dans ses rapports avec Té-
tranger. Il conservait encore assez d'ascendant sur son parti,
assez de forces matérielles pour qu'il lui fût permis d'en
appeler des résultats d'ime première campagne, de conti-
nuer à traiter sur le pied d'égalité avec le roi d'Espagne, et
de recevoir ses secours comme ceux d'un auxiliaire et non
d'un maître, il remplit les rangs de son armée par de nou-
velles levées, et l'exerça aux sièges de Pontoise qu'il reprit ,
et de Meulan qu'il ne put forcer : il demanda à Philippe II
et il obtint un renfort de '2,000 cavaliers d'élite commandés
par le comte d'Egmont : il se vit alors de nouveau à la tête
de 16,000 soldats.
Gomme chef de parti insurgé contre le légitime héritier
de la couronne, il était coupable de la guerre civile présente ;
mais il pouvait espérer encore de la terminer bient6t par la
délaite de Henri, par la destraction du parti royal , par la
pacification générale du pays. Gomme prince, sinon français,
an moins établi et naturalisé en France , comme gardien de
5
ffonTclles
forces nssom-
blées
parMiiyenM».
Déclarai Ion de
Philippe II.
nA:laraliooS
et
a rrci s hostiles
à Henri iV.
66 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
l'indépendance et de l'honneur du pays , il n'avait encore
rien à se reprocher , car les soldats qu'il recevait de l'Es-
pagne n'étaient dans son armée que sur le pied de purs
auxiliaires ; et le ^rti royal , comme la Ligue , demandait
alors des auxiliaires aux nations voisines. Il était coupable
comme ambitieux , il n'était pas dégradé. Dans la carrière
qu'il parcourut , il importe d'apprécier chacun des pas qu'il
fit , chacune des situations qu'il accepta successivement.
Lorsqu'on rapproche sa conduite de celle de Philippe li, on
l'estime par comparaison. En envoyant à Mayenne le corps de
troupes qu'il demandait, le roi catholique publia une déda-
ration dans laquelle il disait : k Nous protestons devant Dieu
» et devant ses anges que les préparatifs que nous faisons
» ne tendent à autre but qu'à l'exaltation de notre mère
» saincte Église catholique , apostolique et romaine , repos
» des bons catholiques sous l'obéissance de leurs princes lé~
» gitimes , extirpation entière de toutes sortes d'hérésies ,
• paix et concorde des princes chrétiens '. » C'était un
mois après qti'il avait poursuivi le protectorat de la France
qu'il tenait ce langage ! Cet homme n'avait de roi et de chré-
tien que le nom. Son honneur s'accommodait de mentir
impudemment à la face de l'Europe enlière ; sa religion de
conduire un peuple à l'esclavage par les horreurs de In
guerre civile et étrangère , et d'invoquer Dieu à l'appui des
faussetés qu'il débitait. Le cœur se soulève de dégoOt devant
tant de bassesse et d'hypocrisie.
En même temps que le duc de Mayenne rassemblait de nou-
velles forces, il obtenait, de toutes les autorités qui pouvaient
commander à l'opinion publique et l'égarer, des déclarations
propres & affermir les peuples de la Ligue dans la révolte, et
à alimenter l'insurrection. Le légat du pape Gaëtano entra à
Ihiris le 20 janvier 1590, et fit enregistrer ses bulles par le
parlement le 26 du même mois. Il se portait par cette dé-
marche même pour ennemi du roi et de son parti si ouver-
tement, que le parlement de Paris, transféré à Tours, rendit,
le 5 février, un arrêt qui défendait aux trois ordres, sous
peine d'être traités comme crimlnelsde lèse-majesté, d'avoir
auctm commerce, d'entretenir aucune correspondance avec
* Le leste de la dëclarnlion dans P. Cayet, Ch. noT., Uv. u, p. 9l0, A,
coUmt. Mlchand.
SECONDB CAMPAGNE DD ROI. BATAILLB D'IVRY. C7
te légat, jusqu'à ce que, suivant les lois de TÉtat, les droits
du royaume, les libertés de PÉglise gallicane, il se fût pré-
senté au roi, eût fait apparaître de ses pouvoirs, et obtenu la
permission de résider en France. Le légat ne justifia que
trop les appréhensions du parlement de Tours. A peine ar-
rivé , il entra en participation ou prit Tinitiative des me-
sures les plus violentes contre le roi. Le 10 février, il exa-
mina et approuva une délibération de la Sorbonne portant
m que la sainte Union était confirmée ; que ceux qui recon-
naissaient Henri de Bourbon, hérétique et relaps, étaient en
état de péché mortel et de damnation ; qu'il était à jamais
exclu de la couronne, qu'il se Ot catholique ou non. u Henri
avait convoqué les États-généraux à Tours pour le mois de
mars, conformément à sa déclaration de Saint-Gloud. I>cs
évèqucs et les archevêques avaient été appelés dans cette
ville pour former un concile national et délibérer sur les
moyens de ramener le roi à la foi orthodoxe et dans le sein
de l'Église. Le légat arrêta ces projets de conciliation et de
paix. Par sa lettre, en date du 1*' mars, il prohiba tout con-
cile qui se tiendrait dans ce but, défendit, en vertu de l'au-
torité à lui déléguée par le saint-siége, à tous les prélats de
ae rendre à Tours et de s'assembler en quelque manière
que ce fût , déclarant par avance les évêques qui se trouve-
raient à cette réunion excommuniés et déposés. Le pouvoir
civil conforma ses décisions à celles du pouvoir ecclésiastique,
et pour l'exécution leur prêta son autorité. Le parlement de
Paris, par un nouvel arrêt du 5 mars, défendit, sous peine
de mort et de confiscation toute liaison et correspondance ,
tonte paix ou composition, avec Henri de Bourbon et ses
partisans ; ordonna à tous de reconnaître Charles X pour seul
et légitime souverain, et d'obéir aux ordres de Mayenne ,
lieutenant-général de la couronne. Le parlement de llouen,
de son côté, défendit, sous les peines les plus sévères, aux
gentilshommes de suivre le drapeau de Henri. A toute cette
procédure , les Ligueurs joignirent plusieiu's actes d'une
efficacité funeste sur le peuple et d'une exécution san-
glante. A Paris, une procession de la Ligue eut lieu le 11
mars , et quelques jours après l'Union fut confirmée et ju-
rée de nouveau sur les Évangiles par le prévôt des mar-
chands, les échevins, les colonels et capitaines de la garde
68 HISTOIRE DU IIÈGXE DR HENRI 17.
bourgeoise. A Rouen, le parlement livra au bonrreaa p1u->
sieurs des partisans du roi^
Le roi réduit La réforme dans laquelle Henri était né et avait été noarri
A iiëgiigor ]„| ^mj( chère, comme il le témoignait lui-même, il ne pou-
les moyens de , ,
concihutioneti vait abjurer sans a^voir lair d échanger sa croyance contre
à^ulorcc. ^^^ V^^ ^" pouvoir, et par conséquent sans entamer son
honneur. Enfin chacim de ses actes, depuis son avènement ,
c'est-à-dire depuis six mois, avait été ime continuelle pro-
testation de son respect pour la liberté de conscience et
de culte des catholiques, et il semblait que lui , roi des ca*
tboliques royaux, vainqueur des catholiques ligueurs, avait
bien le droit de réclamer pour lui cette liberté qu'il assu-
rait à tout le monde. Contre sa conviction , son honneur
et son droit, s'élevaient les engagements pris par lui lors de
la déclaration de Saint-Cloud, et aux termes desquels il
devait se faire instruire des doctrines catholiques par on
concile national. Scrupuleux observateur de sa parole, il
avait appelé les évéques à Tours pour former ce concile, et
il devait s'y présenter non seulement sans parti pris contre
le catholicisme, mais mén^e avec la disposition de faire à la
paix publique toutes les concessions, tous les sacrifices com-
patibles avec sa dignité et sa conscience. £t voilà que, dans
le môme moment, par la violence de la Ligue, il était déclaré
incapable de régner, quoiqu'il fît; un mur infranchissable de
séparation était élevé entre son peuple et lui; la révolte
était proclamée à la fois sainte et étemelle. Dans cette situa-
tion, l'abjuration de Henri ne pouvait produire qu'un effet :
amener une rupture entre lui et les puissances protestantes,
le priver des secours de la reine d'Angleterre, des ilollan-
dais, des princes réformés d'yVUemagnc, peut-être même des
Suisses, et lui enlever plus de la moitié des forces avec les-
quelles il résistait déjà péniblement à ses ennemis. U résolut
* Thaanus, tib. 96, $$ 5, 6« t. nr, in -fol., p. S38-S45. ~ Recueil des anr.
lois franc., t. XV, p. 18, 19. — L^stoilc, p. 13. ^ Cojct, 1. II, p. tlO A.
Dmis l'arrêt du porloment de Paris, on Irouve lu disposition suivante qui
ei prime les sentiments dont lu Ligue française éti*it enrore animée alors
envers le roi. « La cour fiiict e&presses inhibitions et défense à toutes per-
» sonnes, de quelque condition et qualité qu'elles soyent, de rommuniquer
M ei uToir intelligence diiectement ou indirectement avec ledirt Henri d«
M Uoutlion et ses ugcuts ; nic«nie de ne tniicter ou proposer en public ou en
n pui'liculier de faire paix ou entrer en composiliou avec luj, sur |>eioe d«
M confiscation de corps et de biens. »
BATAILLE D'IVRY £T SES SUITES. 60
donc, et il devait résoudre, d'épuiser tous les moyens que la
guerre, la politique et ses talents pouvaient lui fournir, pour
détruire un ennemi que les négociations, au moins en ce
moment, trouvaient intraitable et même inabordable.
Le roi, après avoir délivré Meulan cl repris Poissy, atta- g^'iJ^fj' J\^";
qua la ville de Dreux , dans Tintenlion h la fois de consoli-
der ses conquêtes de Normandie , d'intercepter les commu*
nications des Parisiens avec TOrléanais, et de les priver des
vivres qu'ils tiraient de cette province. Mayenne voulait à
tout prix sauver Dreux, et il s'avança avec son armée au
secours de la place. Le roi leva le siège pour aller au*
devant de ses ennemis. La disproportion entre les deux ar-
mées était grande : Henri n'avait pas plus de 10.000 sol-
dats, Mayenne en comptait 16,000. Cependant le duc , en
général expérimenté et instruit par l'événement des combats
d'Arqués, voulait éviter ime bataille générale, et, après
avoir dégagé Dreux, faire une guerre de temporisation. L'a-
veugle confiance dc.<^ chefs de la Ligue , l'insolence du comte
d'Egmont et des Espagnols , ne lui permirent pas de suivre
ses inspirations. On en vint aux mains , le i/i mars 1590,
à Ivry-snr-Eure , entre Dreux et Mantes. En moins d'une
heiu%, le roi remporta une victoire complète. 11 la dut à
d'habUes dispositions , ayant eu la précaution de ranger son
armée de manière qu'elle eût le soleil et la fumée à dos, et
le soin de former sa cavalerie non pas en haie, mais en gros
escadrons serrés qui devaient rompre l'ennemi. 11 la dut
encore à la supériorité de son artillerie, à l'intervention
de Biron qui , placé à la réserve , soutint et rallia les trou-
pes royales après la première charge ; à l'irrésistible effort
d'un corps de 2,000 gentilshommes accourus à Ivry avec la
résdntion de périr ou de vaincre ; enfin à son intrépidité
personnelle , qui provoqua des prodiges de valeur chez les
siens. Ses eidiortations héroïques avant l'action, sa clé-
mence après la victoire à l'égard des Français, et même des
Suisses de l'armée ennemie, n'ont pas besoin d'être rappelées,
parce qu'elles sont dans toutes les mémoires. Six mille Ligueurs
restèrent sur le champ de bataille, le reste fut pris ou dis-
perse : leur artillerie, leurs munitions, leurs drapeaux tom-
bèrent avec un riche butin au pouvoir de l'armée royale K
' Leitrcs nUiiTes de Henri IV, des 13 et 14 mars, I. lu, p. 164-169. —
70 uisTOins ou règne de hekri iv.
BauiUc «ris- Le iU mars, le jour même de la bataille dlvry, en Au-
•oirc: lo Ligue vergnc, le gouverncuF Rastignac, le marquis de Gurlon, le
tout. gouverneur du liourbonnais Cliazeron, g<ngnèrent la bataille
d'issoirc, tuèrent le ligueur Larochcfoucauld-llandan et dé*
truisirent son armée. Le même jour encore, le ligueur I^ansac
fut repousse avec perte à Tattaque du Mans. Quelques jours
plus tard , les royaux défirent leurs ennemis à Sablé , dans
le bas Maine, et taillèrent en pièces un parti d'Espagnols dans
le pays Messin. Ces diverses défaites ne coûtèrent pas moins
de /i,000 hommes à la Ligue, qui, en même temps et sur
tous les points du royaume à la fois, fut vaincue et ébranlée >•
siiuaiiou ^^ fuyant du champ de bataille d'Ivry, Mayenne se ren-
de MttyenDe, dit d'abord a Mantes, ensuite à Saint-Denis, où il concerta
**'* '■*^**»*"*»**"*' SCS résolutions avec le légat, les ambassadeui^ de Philip{)ell,
ses parents et ses principaux conseillers. Il laissa sa famille à
l'aris, comme gage donné à cette ville, persuada au légat d^y
demeurer pour soutenir la foi et ropinidtrelé des habitants,
nomma le duc de Nemours, son frère^ pour commander ,
avec injonction de faire une résistance désespérée. H partit
le 20 mars et se rendit à Soissons. IJx , il dépécha à toutes
les cours étrangères, envoyant des agents en Espagne, en
Flandre, à Ilome, en Savoie, en Lorraine, et demandant les
secours d'hommes et d'argent nécessaires pour soutenir le
parti. En même temps , il essaya de lever une nouvelle ar-*
mée ; Il appela sous ses drapeaux les Ligueurs de rile-de-
France, de la Picardie, de la Gliampagne. Mais, après les
deux défaites d'Arqués et d'Ivry, il y avait mépris et défaut
de confiance pour lui , découragement et crainte de la part
des Ugueurs. Dans le cours des cinq mois et demi qui suivi-
rent, il ne put rassembler que cinq ou six mille hommes,
et fut complètement hors d'état de reparaître en ligne et de
rien tenter contre son ennemi'.
proçrètiiurui: Tandis que le duc rassemblait les débris de sa défaite ,
vut de Paris, le roi mettait la plus grande activité à profiter de sa vie*
Lettre du maréchal de Diron à Diihaintia, du 14 mars, dans l«i Arcliivci ca-
rieuKCS, t. Xiii , p. 1H5-187. — Uiscours véritable, dwns les Mcm. de la
hi^ue, t. nr. p. CVS-iSI, surtout p. t^iO, 343. — Sully* OKcon. roy., r. 90,
p. 75 B, 76. — Mi^ni. de DupicasU, l. IV, p. 473-47S. ~ Thuauus, 1. U8,
S 10, t. IV, p. K44 Sit).
* P. Cuyct, I. Il, p. Sai-nS , âSS-Si7. ~ Thiuous, Uv. 96, S <*f
n. S5l-Hoi.
■ ViUeroy, M((mair<*s d^Elut, t. kl, p. 14SB, iUi A. - Tltuanus, 1. 96.
BATAILLE D*1VRY ET SES SniTBS« 71
tdre. 11 prit Vcrnon le 16 mars, et Mantes le 18. SI, au
sortir de là, 11 eût pu pri^cipiter sa marche et porter son
armiîe sur Paris , cette ville était prise, ]a Ligue morte , le
triomphe de la cause royale assuré. £n effet, si, dans le pre-
mier moment, Ghristin et les autres prédicateurs de la Ligue,
parleurs sermons, M"" de Montpensier et les Seize, *par
leurs impostures et la nouvelle de victoires imaginaires, sou-
tinrent le courage des bourgeois, bientôt la vérité se fit jour,
le grand désastre d'ivry fut connu, et rabattement le plus
profond succéda à la confiance. 11 ne restait à l'ans qu'un
canon dont on pût se servir ; les murs étaient si délabrés
que dans plusieurs endroits on montait et Ton descen-
dait sans difficulté ; les habitants n'avaient pas de vivres
poiv quinze jours ^ D'un autre côté, la détresse et l'aban-
don de Mayenne, nous venons de le voir, étaient extrêmes:
dans les quinze derniers jours, les Ligueurs des provinces
comptèrent presque chaque jour par uûe défaite, et ils furent
jetés dans un découragement égal à leur impuissance de se-
courir Paris ; enfin les armées d'Espagne se firent attendre
plus de cinq mois.
Mais toutes ces chances de succès pour Henri furent rul- Tn»hi«oii» au».
nées par les trahisons, auxqueUes il commença dès lors à ^êsien buu?
être en butte dans son parti, et qui désormais s'enchaînèrent ^"* •**" p*"^^*
les unes aux autres. Les catholiques ardents qui ne vou-
laient pas d'un roi huguenot, les grands seigneurs qui pour-
suivaient l'abaissement de la royauté et la renaissance du sys-
tème féodal, traversèrent désormais autant sa fortune que les
armes de Mayenne et l'cflorl de l'Espagne. Sully dit en deux
endroits de ses Mémoires : « Le roy ayant gagné la bataille
d'Ivry, plusieurs de ceux qui avoient hasardé leur vie pour
cet effet, dans l'ardeur du combat, firent après tout ce qu'ils
parent pour empescher que cette victoire n'eust des suites,
lesquelles estoient apparemment la prise de l'aris... Le roy
séjourna à Mantes environ quinze jours inutilement ; duquel
séjour fiffent cause les nécessitez d'argent où tenolent enve-
loppé ce prince tous ceux qui avoient charge aux finances.
* Dûcnurs bref et véritable des choses mémoroMes, etc., par le ligueur
Corocio, Icinoia oculaire. Mémoires de la Ligye« t. iv, p. ^77. -• DuTÏla,
Uv. Il, L 111, p. 49. — M. LubiUc, Les PreUicateurs de la Ligue, S ^i
p. llf et sttiv.
73 HISTOIRE DU RÈC'NK DE HENRI IV.
et surtout le sieur d*0, concerté pour cela avec les autres
catholiques de sa faction, qui ne pouvoient supporter la do-
mination, quelque douce et familière qu'elle fust, ni les pro-
speritez d'un roy huguenot, et ressentoient autant d*ennuy et
de desplaisir de Thonneur qu'il avoit acquis et de la victoire
signalée qu'il avoit remportée sur ses ennemis, que ceux là
mesme qui avoient perdu la bataille. Et par la malice de telles
gens furent perdus la pluspart des fruits qui se dévoient per-
cevoir par un si haut fait d'armes ^ » Lcsh^uissps se mutine*
rent et refusèrent de faire un ptis en avant, jusqu'à ce que
l'on eût trouvé l'argent nécessaire pour acquitter leur paie
arriérée. Les intendants de l'armée la laissèrent manquer des
munitions nécessaires pour entreprendre im siège, et le roi
ne put marcher sur Paris que quand il eut reçu de la reiuc
d'Angleterre les poudres et les boulets que lui refusait son
propre parti. La mauvaise saison ne contraria pas moins les
projets du roi : des pluies contmuelles rendirent longtemps
les chemins impraticables à une armée diargée de bagages
et dVtillerie^. Ces contre-temps et surtout cette suite de
trahisons condamnèrent Henri ù la plus complète inaction,
du 18 mars au i*' avril , au moment décisif, à l'instant où
Paris manquait de tout pour sa défense.
CUÂPITRE II.
Blocus el délivrance de Paris. Leduc de Parme. Invasion du lerrïloire
par les clrangcrs. Nouvcaii système de guerre adopte par le itii.
Le duc de Nemours, désigné par Mayenne pour com-
mander dans Paris, et les Seize, mirent à profit le répit qui
leur était donné par les serviteurs du roi conjurés avec eux.
Ils firent entrer dans I^ris 1,500 landskenets réfugiés à
Chartres après la défaite d'ivry, et bientôt après les garni-
sons des places voisines, et joignirent ces troupes régulières à
la milice bourgeoise. Ils ramassèrent des vivres et des pro-
visions pour nourrir Taris pendant un mois ; ils répantrent
■ Sully, OFcon. roy., c. f40ct W, 1. 1. p. 6ôG cl 80 A. C^llect. Micbaud.
' P. 6>rutfio, dans les Ucm. de la Ligiie, t. IV, p 377, 178, 979. — Ha*
vlia, 1. Il, t. 111, p. 48.
BLOCUS DE PARIS. 73
les murailles et les mirent en état de soutenir les attaques
de Tennemi. Ils dissipèrent les craintes et l'abattement du
premier moment ; ils firent prédominer chez les masses le
sentiment de la confiance dans leur nombre et la passion
pour la défense de leur religion. Tel était Tétat dans lequel
ils avaient mis Paris, quand le roi, sorti des embaiTas où de
coupables calculs ravalent jeté, put enfin faire agir ses
troupes dont le nombre n'excédait pas alors treize milieu
11 lid était interdit de prendre de vive force Paris, mis en "«"" ropiemi
état de résistance, défendu par 3,000 hommes de ti*oupes ré- ** "* ' ' ***
goiières et Û0,000 bourgeois armés. En supposant qu'après
un assaut meurtrier les murailles fussent prises, il fallait avec
le reste de 13,000 hommes commencer la guerre des rues et
des barricades contre une multitude d'ennemis. Le succès
était extrêmement douteux. Kn le supposant assuré, il devait
être désastreux pour le roi. Paris pris entraînerait la dissi-
pation de son armée : les volontaires se retireraient dans leurs
loyers, les mercenaires iraient mettre leur butin en sûreté :
Mayenne prévoyait le résultat et s'en applaudissait d'avance.
Les motife de politique et d'humanité étaient plus puissants
encore que les raisons militaires. Paris, emporté d'assaut,
devait être pillé nécessairement , peut-être brûlé : le lende-
main d'une si funeste conquête, Henri devait voir sou royaume
appauvri par la perte d'un capital incalculable, des industries
rainées, des relations commerciales détruites. Enfin l'âme du
roi se soulevait devant l'idée de mettre à la merci d'ime
soldatesque furieuse et des hasards de la guerre la vie de deux
cent mille Parisiens qui, pour être des relx^lles, ne cessaient
pas d'être des Français. « Vrai roi, dit de Tliou, qui, plus
» attentif à la conservation de son royaume qu'avide de con-
» quêtes, ne séparait pas les intérêts de son peuple de ses
» intérêts^ ». 11 fallait donc qu'il sauvât ses propres soldats,
autant que Paris, d'un assaut et d'une prise, et qu'il amenât
la ville à une capitulation par la famine.
* Cornéio dil qu'aTant que te roi se fiU empare' d\iucune de% villes a voi-
sinant Paris, M on fit enlrrr en icelle tiùs gruiidc qiianlilc de l>Icd, d'avoine
» «t antres grains jusqu^à trois mille niuids ut Uuvuutage, et plus de dix
I» mille muids de vin. » (Hem. de lu Ligue, l. iv, p. :i78.) — Thuanus,
lib. 98, sub/n.
' Legroîn, Décade, 1. 5. p. 9S4, in^fol. — DauMgnc, 1. 3, c. 6i
t. III, p. 33»y — llalthieu, Hist- des derniers troubles, lui. Si recto. —
De Tbou, Me'moircs, t. Xi, p. 351, Coll. MichuMd.
7& HISTOIRE OC RÈGNE DB HENRI IV.
Biiiciif Dans cette vue, il s'empara de Gorbeil et de Lagny (t*%
lia Paris. ^ avril), pots successtvemeiit, dans le cours de ce mois, de
Melun, Moret, Crécy, Provins, capitale de la Brie ; Montereau,
Nogent, Méry. Le 8 mai, il fit placer son canon sur les buttes
de Montmartre et de Montfaucon ; ic 0, il prit Gbarcnton et
Saint-Mam*; quelques Jours après il contraignit Beaumont-
sur-Olsc à capituler. En joignant ces villes à celles qu*il
possédait déjà , il se trouva maître de lous les passages qui
amenaient des vivres des provinces & l'aris ; du haut et du
bas de la Seine, par Mehm, Gorbeil, Saint-Gloud, Poissy,
Meulan, Mantes; des affluents de la Seine, le Loing et
TYonne par Moret et Montereau; de la Marne, par Gha-
renton, Lagny, le pont de Oouniay; de TOIse, par Gom*
piègnc , Greil et Beanmont Paris dès lors ne reçut plus de
provisions par eau, et ne tira plus qu'une petite quantité de
subsistances des campagnes les plus rapprodiées de rilc-de«>
France.
Décret Dans les premiers jours de mai, on reconnut où tendaient
*** J^«^Ôh** '^ opérations savantes et précises du roi, et les diefs des
de lu Ligur, Parisiens cherchèrent tous les moyens d'échaufler les imagi*
■crmeai. jjations et d'égarer les esprits pour roldir les habitants con-
tre les rudes privations et les dangers du blocus. Le 7 mai,
la Sorbonne rendit un nouveau décret portant que Henri, bé«
rétique et excommunié, était à jamais déchu de la couronne,
quand bien même U viendrait à obtenir extérieurement Tab-
solution ; que, même dans ce cas, les Français étaient tenus
de ne faire aucune paix avec lui ; que la palme du martyre
et de réternelle félicité attendait tons ceux qui périraient
en le combattant. Les prédicateurs et les curés de la Ligue,
les moines des ordres étrangers, capucins, feuillants, mini-
mes, cordelicrs, jacobins, carmes formèrent une milice de
1,300 hommes. Le iU mai, ils parurent dans une procession
tenant une épée d'une main et un crucifix de l'autre : Rose,
évéque de Sonlis, les conduisait ; le légat les bénit et les
nomma de nouveaux Machabc'es : au sortir de là, ils allèrent
partager avec les soldats et les bourgeois les travaux du siège,
le guet et la garde. Il est très remarquable que ni aucun
des ordres français , ni la saine partie du clergé des pa-
roisses qui obéissait à Tévèque, M. de Gondy, ne paru-
rent dans ceue i^arade, où Ton abusait si indignement et si
BLOCUS DB PARIS. 75
burlesquemeut de la religion. Peu après, le lëgat, d^Es-
pinac, archevêque de Lyon, trois évèques français, le dac
de Nemours, le parlement, la municipalité de Paris, les co-
lonels et les capitaines de la milice bourgeoise, le parlement
Brisson se rendirent solennellement à Notre-Dame, et là Ju-
rèrent sur rÉvangile de ne jamais rendre obéissance à un
roi hérétique et d'employer leur vie pour la défense de la
religion et de la ville de Paris ^ La guerre à outrance, la ré-
sistance désespérée étaient commandées par tous les maîtres
des consciences , du moins par tous ceux qui parlaient , qui
agissaient, qui avaient empire sur les masses.
Ces sentiments, épousés par la populace et par une por- uoo"J*îiiiî.
tien de la bourgeoisie, furent rejetés par im autre parti
considérable dans la bourgeoisie qui manifestement passait
aux politiques, aux idées de modéradon, d'ordre, de natio-
nalité. Ils baptisèrent la procession de la Ligue du nom de
drôlerie; ils parlèrent hautement de paix et d'accord avec
le roi. Les Ligueurs les comprimèrent, il est vrai, par des
mesures violentes, répandant dans tous les quartiers des
espions chargés de surveiller les suspects, Jetant en prison
beaucoup d'entre eux, mettant plusieurs autres à mort, et
abandonnant leurs biens an pillage. Mais la ville n'en était
pas moins divisée en deux camps ennemis , et le premier
enthousiasme de la multitude se refroidit chaque jour par
reflet irrésistible des privations et de la disette.
Le roi aurait donc eu toutes chances de réduire Paris à la WouTeiie»
fin du mois de mai ou dans les premiers jours de jidn, s'il u'^mp^^duro!.
n'avait été de nouveau trahi par ses propres serviteurs. Givry, *
celui-là même qui avait donné le premier l'exemple de re-
connaître Henri au camp de Saint-Gloud, Givry, alors chargé
de la garde de Gharenton et de Gonflans, laissa entrer chaque
jour des vivres et des provisions dans Paris. Cette coupable
complaisance n'avait pas pour motif unique le désir d'alléger
les souflrances des amis et des amies qu'il comptait parmi les
assiégés: il reçut 45,000 écus pour prix de ce service. Plu-
' Lestoile et son snppl., mai 11(90, p. 16, i7, 18 : & la page 17 se Iroure
le texte du de'cret de la Sorbonne. •— P. Cayet, 1. il, p. S3.1, SSé. —
Thuanus, 1. OS, $$ ^^t ^* t. XV, p. S6S.S64. — Maimbourg, Hist. dft lu
Ligne, t. IT. — Satire Mdnippëe, p. 1S, ëd. <4M6. — Un tableau du temps
reprtfseoUnt la proeessioa de la Ligue, dans Tattiquc du nord du paUis db
VersaUIes.
L« roi terre
Parit
davantage.
Famine.
76 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
sieurs chefs de Tamiée royale rimitèrent. De Thou et Gayet
s'accordent à reconnaître que » ceste seule action de Givry
» fut cause de faire opiniastrer Paris contre le roi, et échouer
» Tentreprlse formée par lui sur ceste ville <. » Ainsi le parti
royal, lui-même, enleva pour la seconde fois à Henri cette
occasion sûre de réduire ses ennemis, de mettre Gn du même
coup à la Ligue, à la guerre civile, aux projets de Philippe II,
aux souffrances delà l*Yance, au danger qu'elle courait d'être
démembrée.
Aédult à un seul genre d'attaque contre les Parisiens, au
blocus, traversé par ses propres chefs dans cette entreprise,
il poursuivit son projet avec une constance, une activité et
une intelligence dignes du succès. Il travailla à resserrer
chaque jour Parts davantage et à lui enlever successivement
les vivres qu'il tirait des villes de l'Ile-dc-Francc non encore
occupées, des vastes marais et des faubourgs qui environ-
naient la ville. Le 9 juillet, il prit Saint-Denis, puis ensuite
Dammartin. Ayant reçu des renforts des provinces du Centre
et du Midi, qui portèrent son armée à 25,000 soldats, il atta-
qua et prit, le 27 juillet, les dix faubourgs de Paris. La po-
pulation de 200,000 âmes, resserrée dans l'élroit espace de
la cité et de la ville , passa alors de la détresse à une hor-
rible famine* La bouillie d'avoine et de son , qui tenait lieu
de pain , devint le luxe des riches. Le peuple fut réduit à
manger les chiens, les rats, les herbes crues, les débris jetés
dans les rmsscaux. Quand ces hideux aliments lui manquè-
rent , il s'en prit aux cadavres mêmes, puis aux os de ses
pères. Une femme mangea ses enfants morts , et peu après
expira elle-même de remords et d'horreur. Les gens du
peuple firent du pain avec les os broyés du cimetière des
Innocents (16 août) : c'est ce que l'on nomma le pain de
M** de Mpntpensicr. Cette nourriture était aussi meurtrière
que la faim : ils mouraient à tas dans les rues; chaque jour
il en périssait deux cents, trois cents ; les bras ne suffisaient
pas pour les enterrer ; trente mille succombèrent par le sup-
plice de la faim 2.
• p. CaycU 1. 3, p. «34 B. — Tbuanus» 1. 98, S 17, t. iv, p. 860.
' P. Cornéio, Méin. de la Ligue, t. iv, p. 990- 39t, 996»997. — Tliuanus,
1. 99« SS ^* ^« ^' ^^* V' 86S-S71. — Lesloile, Regist. Journ. de Henri IV,
p.9SB,« A,9SA,i8B.
BLOGCS Dfi PARIS. 77
Les chefs de cette multitude virent d*un œil sec ses atroces Pitic du roi.
soulTrances. lie duc de Nemours, gouverneur, le chevalier
d'Aumale, M"' de Montpensier, tous les princes de la maison
de Guise, tous ces étrangers étaient bien résolus à laisser
périr Paris et la France entière, plutôt que de renoncer à
leur ambition et à celle de Mayenne leur chef. Les Seize
craignaient la corde qu'ils avaient méritée pour les meurtres
et les vols dont ils s'étaient souillés, et ils livraient leurs
concitoyens par milliers à la mort pour échapper eux-mêmes
an supplice. Henri seul eut pour le peuple des sentiments
de Français et des entrailles de père. Pendant la durée du
blocus, il avait souffert que les paysans amenassent des vivres
aux assiégés et que ses soldatsicur en présentassent au bout
de leurs piques. Au dernier moment, sa pitié s'étendit avec
les souffrances, a U ne faut pas, dit-il, que Paris soit un cime-
tière ; je ne veux pas régner sur des morts. Aimant mieux
failUr aux règles de la guerre qu'à celles de la nature, con-
sultant la sienne qui a toujours esté pleine de clémence,
rompant la barrière des lois militaires, et considérant que
ce pauvre peuple estoit chrétien et que c'estoient tous ses
sujets, il accorda premièrement passeport pour toutes les
femmes, filles, enfants et escolicrs qui voudroient sortir.
Lequel s'estendit enGn à tous les autres jusques à ses plus
cruels ennemis, desquels même il eust soin de commander
qu'ils feussent humainement receus en tontes les villes où ils
se voudroient reth*er. » Ce départ de toutes les bouches
inutiles eut lieu le 20 août*.
L'enthousiasme religieux qui, quatre mois durant, avait Erreurs mr les
animé le peuple d'un courage sauvage, mais empreint d'une dJÎ'Kîwtns
sorte de grandeur dans son égarement, avait cédé aux tor-
tures de la faim et aux approches de la mort Le fait seul
de cette multitude demandant grâce à Henri et la recevant
avec reconnaissance, suffirait pour prouver qu'on a altéré et
faussé l'histoire en représentant le peuple de Paris, animé
comme un seul homme, et jusqu'au bout, d'un sentiment
d'invincible horreur pour l'hérésie et pour le prince qui la
professait ; mourant avec l'héroïsme du martyre plutôt que
de traiter avec lui et de le reconnaître. I^ fausseté de cette
' Sommaire dise, de ce qui est advenu, Mëmoires de la Ligue, t. iv,
p. 396, 597. — Lestoile, Regist. Journ. de Henri IV, ]i. 29 B.
MiiavaiiefMi de
Ne mon ri,
des Seite,
de Uuycnnr.
Le doc
de Parme en
France.
httée du
Mocut de Pari».
78 HISTOIRE DU RàGNC OK HENllI IV.
assertion est bien mieux démontrée encore par les faits sui-
vants. Deux conspirations, nommées Jouméei de la paix ou
du pain^ furent ourdies dans l*intérieur de Paris, à onze
jours de distance, pour livrer la ville au roi (27 Juillet et
8 août). Elles échouèrent ; mais la part que presque toute la
bourgeoisie et le parlement Brisson y avaient prise était si
manifeste, que le g;ouvemeur Nemours et les Seize, aul-
gnant qu^ils ne livrassent d'un moment à Tautre la ville à
Tennemi, furent contraints, pour les calmer et les endormir,
d'envoyer au roi, avec Tassentiment de la Sorbonne, une
députation chargée de traiter des conditions de la paix et de
la reddition de la ville. Les Parisiens avaient donc plus
envie de capituler que de mourir. L'ardeur et les égare*
ments du zt'lc religieux étant ainsi tombés, la voie de la ré*
conciliation de Paris et de la France ligueuse avec son roi
était ouveilc.
Mais la perfidie des princes lorrains et de quelques servi-
teurs de Henri traversèrent cet heureux accommodement.
L'archevêque ligueur de Lyon , chef de la députation , qui
avait le secret du duc de Nemours, demanda au roi et
obtint de soumettre les conditions du traité à Mayenne :
celui-H!i feignit de n'avoir rien tant à cœur que la paix, et
traîna les négociations en longueur. Les uns et les autres ne
voulaient qu'un délai, au moment où un seul effort du roi
devait nécessairement le rendre maître de Paris, et où quel-
ques jours suffisaient pour conduire le duc de Parme jusque
sous les murs de ceUe ville. Ce délai, ils parvinrent à se le
ménager. D'un autre côté, plusieurs chefs de l'armée royale,
qui voyaient dans la un des troubles le terme de leur. impor-
tance et de leur pouvoir, tinrent Henri inaclif, en inter-
ceptant les avis et en lui cachant l'entrée en France de
l'armée espagnole, jusqu'à ce qu'elle fût arrivée à Meaux K
Rien cependant n*était encore perdu sans ressource, comme on
va le voir ; mais de nouvelles trahisons bien plutôt qu'une er-
reur impardonnable achevèrent de ruiner la fortune du roi.
Farnèse, duc de Parme, partit des Pays-Bas, & la tétc de
13,000 hommes, et joignit à Meaux le duc de Mayenne et
* Ponr cei deux |»aracraphea, Mëmoiret de la Ligue, t. IT, p. 99S, SflO,
SIS, 513,387. — Lettoire, Regitt. ioum. p. SK A, S7 A, R. — Thuauot,
1.99, $4, t. IV, p. 871.
ftLOCtJS DK PARIS. 79
son corps d^armée, qui sMtaient portés de LaoQ à Meaux*
Qnand le roi fut Informé de ces événements, il agita avec
son conseil le parti quMI avait à prendre. D'accord avec les
plus vieux chefs, il était d'avis de laisser seulement un corps
de cavalerie devant Paris, et de se porter avec le gros de
l'armée à Oaye, à trois lieues en de(^ de Meaux. Le mare*
chai de Biron fit rejeter cette résolution, et sur son avis
l'armée fut conduite à GheUes au lieu de Glaye. Sur le choix
de ces deux positions, voici le témoignage du ligueur Vil-
leroy : « On disoit que si Sa Majesté eust deifendu le passage
de Glaye, dont l'abord est très difficile, à cause d'un ruisseau
qni y passe, qui est accompagné d'im marais fangeux, et qu'elle
eust laissé quelque cavalerie à l'entrée de Paris pour empes-
cher l'entrée des vivres et la sortie des habitants, elle eust ac-
culé le duc de Parme, et l'eust contrainctde prendre un autre
chemin ou de combattre en ce passage avec désavantage.
Quoi faisant, peut-être que les Parisiens, qui n'en pouvoient
plus, eussent été contraincts de composer et venir à la rai*
son. Ledit duc de Parme craignoit fort, estant à Meaux, lors*
qu'on lui représenta le chemin qu'il falloit qu'il tint, que Sa
Majesté prist ce conseil. De sorte qu'il fust très aise, quand 11
trouva ce passage abandonné ; encore plus quand il sceut que
Sa Majesté avolt levé son siège, venoit au-devant de luy, et
n'avoit laissé aucunes forces auprès de Paris *. » Sully té-^
moigne absolument comme Villeroy, sur la faute commise
dans le choix de la position de GheUes, et le retrait du corps
de cavalerie que l'on devait laisser sous les murs de Paris
pour intercepter les communications de cette ville avec le
dehors. 11 nous apprend de plus que cette faute fut imposée
au roi par la violence morale que Biron lui fit, à lui et à son
conseil '.
Les vices du plan d'opérations qu'on avait adopté écla- Puni mviuiiitf.
tèrcnt dès le premier moment. Aussitôt que le roi eut retiré raiîJé^ÏJJ'rot
ses troupes de devant Paris, les gouverneurs des villes de la
Ligue y firent entrer des provisions du côté du quartier de
l'Université. Le lendemain de la levée du blocus, le 30 août,
le gouverneur de Dourdan envoya une grande quantité de
vivres. Quatre Jours après, mille charrettes, parties des envi-
* ymeroT, ApoL et Disc, t. Zl, p. 100 A, B.
* SttUj, OEcon. royaleffC.SI, p. 81 B.
80 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
Fons de Chartres et chargées de blé entrèrent dans la ville <•
Dès lors Paris fut ravitaillé et tiré des extrémités auxquelles
il avait été réduit jusqu'alors.
La seule chance qui restât au roi de s'en emparer était de
vaincre le duc de Parme en bataille rangée ou de le con-
traindre à sortir de France, et de retomber ensuite avec
toutes ses forces sur Paris, privé désormais de tout espoir
d'être secouru. Les moyens ne manquaient pas à Henri pour
atteindre ce but, puisque son armée, composée de 25,000 sol-
dats d'élite, la plus belle qu'on eAt vue en France de mémoire
d'homme, était bien supérieure à celle de Farnèsc, surtout
en cavalerie, et qu'elle frappa le duc lui-même d'étonncment
et d'appréhension'. Du 1" au 10 septembre, le roi essaya
vainement de l'attirer à une bataille. Il resta retranché dans
une position inexpugnable, et prit sons les yeux de Henri la
ville de I^agny qui suivait le parti royal (7 septembre). Mais
Famèse ne pouvait demeurer dans les marais voisins de
Ghelles sans périr, il fallait de toute nécessité qu'il acceptât
plus tard la i)ataille qu'il refusait maintenant, ou qu'il fit re-
traite. Dans le premier cas, la supériorité des forces de
Henri ne rendait guère le succès douteux ; dans le second,
le départ des Espagnols lui livrait Paris, il s'agissait unique-
ment, pour le roi, que son armée restât en corps et ttnt
ferme pendant un. mois. La déplorable indiscipline de ses
serviteurs tira d'un seul coup son ennemi des plus redouta-
bles difficultés, et lui enleva à lui-même sa dernière chance
de réussite. Lies gentilshommes, qui servaient à leurs frais,
avaient épuisé leurs ressources : prêts à affronter la mort au
jour d'un combat , ils refusaient de subir les fatigues d'une
guerre, même courte, ajoutées sans interruption aux fatiguesdu
blocus. Ils exigeaient impérieusement la bataille sur-le-champ
ou le départ. l\îndant les dix jours que l'on resta en présence
de l'ennemi, la défection commença dans le camp royal. Vai-
nement il leur fut représenté qu'ils avaient devant eux l'Espa-
gnol qui, depuis le temps de Gliarles-(}uint, depuis soixante
ans, complotait tantôt par la force, tantôt par les intrigues,
la rtiine de la France, et qui, à présent envahissait son terri-
toire. Vainement il leur fut demandé avec prières, avec sup-
• p. Cayct, I. II, p. Si7, A, B.
' p. Cajet, I. 11, p. 945 A.
DiLIVRANCB DE PARIS. 81
pOcations, de ne pas refuser au'roi et à la patrie les moyens
de Técraser. Henri ne put obtenir d*eux cet acte de patience,
de constance guerrière, de déTonement. 11 fallut qu'il ac-
cordât un congé qu'on voulait prendre, qu'on prenait déjà.
Le il septembre, il divisa l'armée en deux parts. Il renvoya
dans leurs provinces tous les chefs non soldés, les gentils-
hommes avec les hommes de leur suite, qui partirent pour la
Touraine, le Maine, l'Anjou, la Normandie, la Picardie, la
Champagne, la Bourgogne. Quant aux troupes soldées, 11 en .
garda un corps auprès de lui, et distribua la masse en fortes
garnisons dans les villes voisines de Paris : Melun, Gorbeil,
Senlis, Meulan et Mantes. Cet emploi de ses forces devait
servir aux projets ultérieurs qu'il substituait déjà dans sa'
pensée à ceux que ses serviteurs, plus encore que la Ligue et
l'étranger, venaient de faire échouer si malheureusement
Ce qui suivit consolida les avantages obtenus par l'ennemi. t>^ivnp«* «i«
Mayenne entra, le 17 septembre, avec des troupes dans Paris.
Le duc de Parme prit successivement Saint-Maur, Gharenton,
Gorbeil (16 octobre). L'occupation de ces places, après celle
de Lagny, achevait de dégager Paris et de lui rouvrir la na-
vigation de la Marne, de la Seine et de l'Yonne. Gorbeil et
Lagny furent repris par les royaux ; le duc de Parme fut har-
celé par le roi dans sa retraite en Flandre', qu'il opéra du
1*' au 39 novembre, sans que ces événements secondaires al-
térassent les grands résultats acquis. Ce qui restait, c'est que
Famèse, usant de temporisation et profitant des vices de
l'armée royale, avait délivré Paris sans perdre un homme,
avait arraché des mains du roi cette ville qui, dans quatre
jours au plus tard, se fCR rendue à Henri, par l'extrême fa-
mine dont elle était pressée ; c'est que le duc, sans bouger
du poste choisi par lui, avait amené la dispersion de l'armée
royale ^
Devant ce résultat disparaissaient les avantages partiels,
obtenus sur les divers points du territoire. Vainement le duc
de Nevers, le duc d'$pemon, le parlement de Bordeaux, dé-
cidés par la victoire d'ivry, passaient de la neutralité au parti
royal ; vainement, en constituant ce parti dans le Nivernais,
* Pour ces trois paragraphes, Lettrai missires de Henri Iv, des 5, 7,
Il seplembro; 10, 15, 97. 98 novembre, t. m, p. S4S.950, 987, 296, 306-
»6. - P. Cayet, l. il, p. Si5 A, 947 B, 948 B-959. - Villeroy, Apol. «t
niic.,p. 160 B. — SoUy, OEcoa. royal, c. 31, p. S1,6f.
6
8i HiSTOltf DO RÈOlfS Iffi IIBRIII IV.
TAiigoiimoifl^ la Guienne, ils Péteodatent à toutes kê pro-
vinces : le roi, reconnu partout, était contesté et violenté
partout.
H est nécessaire d*eiaminer avec quelque attention et de
Juger la eonduiie du chef royaliste qui ménagea au doc de
Parme tous les avantages qu^il obtint, et qui devint ainsi le
véritable auteur de la délivrance de Paris. BIron n^étalt pas
homme à choisir, par erreur et par ignorance , le poste de
GheUes au lieu de celui de Glaye. Quand 11 violenta le roi au
point de conduire malgré ce prince Tannée à Chelles, il sa-
vait parfaitement quelles seraient les conséquences de cette
déplorable manœuvre. Le roi n'avait pu lui tenir la pro-
messe fisite au camp de Saint-€loud et lui abandonner le Pé-
rigotd en toute souveraineté : il lui avait remontré qu^il serait
contraint de faire une pareille concession à tous les grands
seigneurs, et que le royaume serait dès ce moment déchiré
en morceaux. Déçu dans son espoir et dans son ambition.
Baron avait Juré dès lors dMtemiser la guerre qui le rendait
l*homme le plus puissant du royaume , et d^mpécher le roi
d'obtenir aucun avantage décisif sur les Ligueurs et sur les
Espagnols.
Paris manqué et Tarmée royale dissipée, la Ligue se trouvait
lemise sur pied, rétablissement de Tautoritéde Henri ajourné
d'une manière indéfinie, la France rejetée dans les dangers
d'une guerre civile et d'une guerre étrangère à la fois, où son
indépendance, son existence même étaient mises en Jeu. Au
milieu de l'irrémédiable alTaiblissement, résultant pour elle
de cette double lutte, Philippe II pouvait, sans trop de té-
mérité, tenter de la subjuguer et de la réduire en province
espagnole. Déjà il entamait son territoire à Touest et au
midi» tandis que son lieutenant Famèse promenait une ar-
mée espagnole du nord Jusqu'au cœur du royaume, recon-
naissait et marquait les provinces pour la conquête.
ifiTuion Dès la fin du mois de mars, tous les chefedes rebelles voyant
d« i!fBraHn«l ^ ^'^ miUtaire de bi Ugue détruite par les défaites d'Ivry
lie u ProveiiM et d'issolre s'étaient, à l'exemple de Mayenne, totunés vers
EtPHoJuet rSspigne, pour soutenir leur parti et leur misérable autorité.
bsSsTojardt. Philippe II s'était hâté d'entrer dans le royaume par toutes
les portes qui lui étaient ouvertes. Sur la demande de
loyeuseet des Êuts de la Ligue, assemblés à Lavaur, les-
INVASIOH OIS PAOVINCEfl PAR LfiS iTRAKGERS. 93
qoeto dominaient à Toolonse et dans ]e Languedoc occidental
6,000 Espagnols et Wallons avaient envahi le Languedoc et
pris dix-neuf petites places. Montmorency, le gouverneur royal
de la province, manquant de forces suffisantes, n*avalt pu ni
les comlMttre ni arrêter leurs progrès (avril-septembre 1590).
Les maladies contagieuses avaient emporté la moitié de ces
étrangers; mais ils restaient assez nombreux pour former à
Philippe II un établissement dans le pays, et poor favoriser
la descente des corps de troupes qu^il enverrait plus tard >•
En Bretagne, Mercœur, parent de Mayenne, pressé par le
prince de Bombes et par la noblesse bretonne, qui avaient
poussé leurs conqu^es jttsqu*à la mer, craignant de se voir
chasser du pays, avait eu recours, comme Joyeuse, à la pro-
tection do roi catholique. Cinq mille Espagnols, commandés
par don Juan d^Aquila, débarquèrent ft Blavet, au commence^
mentd*pctobre, et se joignirent aux Ligueurs. Tons ensemble
ils reprirent sur les royaux Hennebon, poste de la plus
grande imjportance, et oà des provisions considérables
avaient été amassées. La ruine de Mercœur était ainsi pré-
venue. Cétalt là Tincident, le fait accessoire : le fait capital,
c*est que les Espagnols avalent pris pied dans le pays. Le
prince de Dombes, hors d*état de résister à tant de forces
réunies, avait été contraint de se replier. Le 16 octobre, Il
écrivit de Bennes aux États de Bretagne une lettre où la
France eUe-mème semblait exprimer son indignation contre
les chefs de la Ligae et éclairer les citoyens sur la conduite
qu^ils avaient à lenir. « Pour satisfaire, disait-il, son ambition
particulière, Mercœur ne sMtait pas contenté d^avofa* violé
tous les droits divins et humaiqs, en trahissant lâchement
Henri lil, qui Tavait comblé de ses bienfaits ; mais, se voyant
hors d*état de se soutenir par lui-même dans la province, il
avait mis le comble à ses attentats, en y luisant entrer les
Espagnols. Ensuite le prince exhortait les États à tirer enfin
ce voile de la religion, que des prédicateurs séditieux, vendus
à la Ligue, avaient Jusqu'alors étendu smr leurs yeux pour
les aveugler» à reconnaître leurs véritables intérêts, à songer,
tandis quUl en était temps encore, à mettre leur liberté à
couvert de la tyrannie des Espagnols, dont Tambition et les
• D. TaÎMette, Biiloire gén. cl« LaDgofdM, 1. 41, 1. V, i». 4tt, 419.
84 HISTOIRE DU RÈGRfi DK HENRI IV.
cruautés avaient rempli tous les pays de l'Europe et du nou-
veau monde où cette nation avait mis le [ried. » Le roi, at-
tentif à tous les besoins et prompt à y pourvoir autant
qu'il le pouvait, envoya au prince de Domt>es, après la dis-
persion de son armée, un corps de 800 landskenets. Avec
ce renfort, le parU royal put se soutenir en Bretagne, et dis-
puter au moins le pays aux Ligueurs et aux Espagnols ^
L^vasion étrangère, commencée en Languedoc et en
Bretagne, s'étendit à la Provence. Le duc de Savoie convoi-
tait la Provence pour lui-même et pour lui seul, et c'est
a^ec ces idées et cette ambition qu'il entra en Provence et
surprit Fréjus, au commencement du mois d'octobre.
L'échec considérable qu'il essuya, en combattant le gouver-
neur royal La Valette et Lesdiguières, l'avertit de sa fai-
blesse et le contraignit à rabattre de ses prétentions. Il
s'adressa au roi d'Espagne, son beau-père, pour obtçnir des
renforts d'Espagnols et de Napolitains partis du Milanez, et
en écnange il lui abandonna la souveraineté du pays, ne se
réservant à lui-même que le domaine utile. Il obtint, en
même temps que les secours de Philippe II, l'aide de l'un des
deux partie ligueurs en Provence, celui de la comtesse de
Sault, qu'U trompa, par des promesses menteuses. Se trou-
vant alors à la tête de forces très supérieures à celles de La-
valette, il le réduisit à l'impuissance et put faire des progrès
considérables dans le pays. Il fut reçu à Draguignan par un
peuple insensé , criant : « Vive la messe l vive Son Altesse,
M et soit chassé Lavalette l • De là, il alla recevoir Lorgère,
puis il entra à Alx le 17 novembre. Le clergé, la noblesse,
le parlement, le corps municipal allèrent au-devant de lui.
Trois jours après, ils le déclarèrent protecteur et gouverneur
général de la Provence, et en cette qualité lui Jurèrent Gdé-
lité. n mit une garnison espagnole dans Fréjus. Dans l'as-
semblée des États, qui le déclarèrent comte jM^opriétaire de
Provence, il fut proclamé qu'il « tiendrait le comté en féo-
» dalité de la couronne d'Espagne au lieu de celle de France,
> qu'ils répudiaient du tout^. » Ainsi, l'égarement du zèle
religieux allait jusqu'à se séparer de la patrie et à la renier.
• Thoanni, I. OS, S «5. 1. 90, S 1^« t. nr, p, 806, SS5-S89.
* P. Cayel, 1. II, p. S58, tSO. — TbuDiM, 1. 90, S t^i P* 890-093. —
SuUy. Œcon. roy.,'*^» KS, p. i$% A.
CONDUITS DBS PRINCES LORRAINS. 85
Toul s^efface devant ces faits qui terminèrent si dëplo- ^^ u FÏlnc«
rablement l'année 1590. La France en revenait aux désastres au panu
et aux liontes du temps de l'invasion anglaise : elle était dé- * *• •««>•* wo
memforée; elle voyait la souveraineté de Tétranger s'établir
sur une partie de son territoire.
Mayenne et les autres princes de la maison de Guise étaient
seuls coupables de ces résultats. Dans l'ambition illégitime,
comme dans les autres vices, il y a une probité relative qui
s'interdit les bassesses et les crimes. Cette probité, ils ne
l'eurent pas. Si on les regardait comme naturalisés parmi
nous, comme FriUiçais, pour avoir séjourné et vécu dans le
royaume depuis François I", ils étaient des traîtres et des
inlâmes. Si on les considérait comme Iiorrains, comme étran-
gers, alors ils n'étalent plus pour nous que des ennemis ;
mais des ennemis de la pire espèce, car ils payaient les innom-
brables bienlaits dont la France et ses rois les avaient comblés,
en frappant la France de mortelles blessures. Jusqu'à la ba-
taille d'Ivry, Mayenne avait été coupable d'ambition; mais
au moins cette ambition était grande : il prétendait alors
commander à la France une< forte, indépendante de l'étran-
ger, tenant dans l'Europe une large et belle place. Mainte-
nant, condanmé par les défaites d'Arques> et d'Ivry, il ne
pouvait pas être roi. 11 ne pouvait pas davantage être le
maire du palais d'un roi fainéant, puisque le vieux cardinal de
Bourbon était mort dans sa prison de Fontenay-le-Gomte, le
9 mai, pendant le tdocus de Paris. Il ne lui rcfstait donc qu'à
se soumettre généreusement, à finir la révolte et les maux du
pays, ou à devenir l'esclave et le jouet de l'Espagne. Ce fut
le dernier parti qu'il prit ! Perdu de réputation , dénué de
ressources,* réduit à se mettre à la merci du roi catholique ,
à ne vivre que de ses secours, à ne combattre qu'avec ses
armées, il ne soutenait plus l'étendard de la guerre civile,
il ne luttait plus contre Henri, que pour livrer à Philippe II
la souveraineté qui lui échappait. Mayenne, les princes de
la maison de GuJse , les gouverneurs de provinces pour la
Ligue ne recevaient plus un seul soldat, une seule piastre,
sans faire en échange la concession de quelque ville, de
quelque territoire, de quelque portion des pouvoirs publics.
Ce n'était pas là une grande ambition, mais une convoitise de
bas étage, qui se cramponnait à un pouvoir bâtard et sui)or-
86 HISTOIRS on RÈGNE DE HENRI IV.
donne, et ne voulait pas lâcher prise, dût la France périr
par leurs violences et dans Tétreinte de lenrs efforts déses»
pérés^
Le roi, avec une force militaire très médiocre par le nom-
bre et plus encore par Tirrégnlarité du service et rindlsci-
(dine, avait vaincu la Ligue en toutes rencontres, avait fait
chaque Jour sur elle des conquêtes, tant qu*il n*avait trouvé
qu'elle pour adversaire principal, et Tétranger pour son
auxiliaire. Maintenant il comptait pour ennemis déclarés et
agissant contre lui avec toutes leurs forces, outre la Ligue,
qui tenait encore toutes les grandes villes et le tiers au
moins du territoire^ le pape, le * duc de Savoie, le duc
de Lorraine, qui avait envoyé un corps d*armée en France
au moment de rentrée du duc de Parme, et qui déso-
lait la Champagne par ses incursions', enfln le roi d'Es-
pagne, qui poussait contre notre malheureux pays les armées
de TEspagne, du royaume de Naples, du Milanez, de la Flan-
dre, commandées par un des plus grands capitaines de ce
siècle. Le roi avait donc à lutter k la fois contre la moidé
de l'Europe et plus du tiers de la France. La tAche était
au-dessus de ses forces, avec les ressources dont il disposait
La nouvelle situation qui lui était faite ne put abattre son
courage ; mais elle l'avertit de modifier et d'étendre ses
moyens de résistance.
. U se servit de la présence même des Espagnols dans le
NouTeaiix pré* *^ ,, . j«.i
paraiifs royaume pour ranimer chez tous 1 ardeur des convictions et
**" 'SoooVr" la pratique des principes des politiques, c'est-à-dire la haine
■ i*ytt«qa«. de Tétranger et de sa domination, la répression de l'abus de
la religion, transportée dans la politique, l'horreur de
l'anarchie et de la guerre civile. Dans les corps tels que
les pariements et le clergé, ces dispositions produisirent des
actes conservateurs des légitimes prérogatives de la royauté
et des franchises nationales tout ensemble. Chez les particu-
liers, elles enfantèrent des écrits modelés sur la lettre du
• m let râiU eux-mAmet qui parlaient »l haut, ni lef «tIs n« maaqnaleDt
ï Ifayenoa «t à se* r^^wU pour être •▼erUs du précipice on il* i«Ui«iit 1«
navs. Voici ce que disait, lor» de la prochaine entrer du duc de Parme en
Frnnce, le llgoeur VUleroy (Apologie «t dite, t. XI, p. 18T A):« •T-mnroii
• qae le royanm* eoroit hientotl rempli de Uni d'«ftr»»|en qon Mit
m sieur duc ne pourroU plus disposer ny de soy^ ny de ses amis, m
» Uttrw miwiTM de Henri IV, du IS novembre, t. m, p. SW.
coalition: système db résistance. du roi. 87
prince de Dombcs, et sur Tanti-Espagnol d^Antoine Ar-
naold. Ces ouvrages, parmi lesquels on remarque le second
Dfscoors de Hurault , sur i^tat de la France, la Maintenue
et défense des princes souverains et églises chrétiennes,
le Traité des ricÛcules , exercèrent une puissante influence
sur Topinion publique: après les armées et les victoires, rien
ne servit mieux la cause du roi. Daubigné signale les eflets
qu^ils produisirent en ces termes ; « Us ont mené les esprits
» aux pensées, aux connoissances, aux affections partisanes,
» enfin aux choix qui ont enflé ou diminué les partis, soit
m en dombre, wAi en ardeur... Us ont dessillé les yeux à
• plusieurs Prant^is et les ont amenez au service du roy ^ >
Henri disposa tout pour que Paris et les autres villes de la
Ligne, entourées de toutes parts pair les villes et les garnisons
royales, restassent dans un état de demi-blocus, éprouvassent
des privations et des souffrances continues qui lassassent leur
opiniâtreté et les amenassent aux pensées de soumission.
Mais le soin principal du roi fut nécessairement de s*a»-
sorer une force militaire proportionnée à celle de ses enne-
mis. Depuis son avènement, il n'avait eu dans ses armées
qu'un corps médiocre de troupes régulières : tout le reste
se composait de gentilshommes et de leur» suivants,
dont le service était toujours intermittent et court, et sou-
vent capricieux d'une manière désastreuse. Les Espagnols,
au contraire, retenaient leurs soldats sous le drapeau autant
que Texigeaient les circonstances. Il sentait cette infériorité
et Taccttsait au moment où il était contraint de licencier
Tannée qui avait vainement réduit Parts aux dernières extré-
mités. « Je vois, disait-il, mon artfiée quasy composée de
B noblesse volontaire, et celle de mes ennemys soldoyée et
» nouvellement payée'. » Il résolut de rétablir TéquOlbre en
se donnant, par un grand effort, une armée permanente et
égale en nombre à celle des coalisés. L'Europe catholique
était presque tout entière armée contre lui : fl résolut de lui
opposer l'Europe protestante, en démontrant à cette der-
nière que leurs causes étaient étroitement unies, et que le
jonr de sa ruine serait la veille de celui où les puissances
' Daabigué, Hhl. iioiv., 1. iil.e. tl, t. lit, p.
" Leltrei da rui au duc de Moatpenfier, 5 septembre, I. m, p. S47.
88 HISTOIRE DU RÈGNE 0E H£NRI IV.
réformées seraient asservies. U demanda donc à la reine
d'Angleterre, aux Hollandais, aux Suisses, aux princes alle-
mands une levée en masse, et il assigna à la paie de ces sol-
dats réguliers les sommes considérables qu'il était parvenu
à se procurera Les préparatifs, commencés par Tadresse et
ractivité de Turenne, de» les derniers mois de 1590, ne de-
vaient amener de résultats et conduire Tarmée de la réforme
en France qu'à la fin de 1591 . Mais, dans des mesures en appa-
rence semblables^ Henri mettait une différence radicale, on
abîme, entre ses procédés et ceux de Mayenne et des autres
Guises. Toujours roi au milieu de ses plus grandes nécessités,
il n'abandonnait aux étrangers qu'il appelait dans le pays,
ni une ville, 4ii une lieue de territoire, ni la moindre partie
des pouvoirs publics. Il les réduisait à l'éUt d'auxiliaires an
service du royaume, comme l'avaient été les Siiisses depuis
le règne de Louis XL
CHAPITRE m.
froUièmc eamiMipie du roi. Rapports de U FraDc« avoc U SainC-nëge.
Lot parUmonU poliliquet : le clergé galtican (1501).
15911 — Depuis la dispersion de son .armée nationale , et
dans l'attente de l'armée étrangère, dont il pressait la levée par
ses agents, Henri ne disposait plus que de six ou huit mille
hommes de troupes régulières. Avec une force militaire aussi
restreinte, il lui était imposé de n'agir que dans un rayon fort
resserré, et tellement choisi, qu'il pût protéger les villes royales
de la France du nord contre les attaques des Espagnols partis
de Flandre, et du duc de Parme leur cbeC De plus, il ne
pouvait se livrer qu'à des entreprises d'une importance 11-
mitée, qu'à l'attaque de villes de second ordre.
Henri employa le petit nombre de soldats restés autour de
lui à deux usages. Il réduisit les places voisines de Paris pour
' Letires de Henri au duc de Saxe« des 5 et f7 octobre ; aux seigneurs et
conseil des Provinces-nnies, du 97 octobre; à la reine d'Angleterre cl à
tL de Beauvoir, fin octolire 1500; à la reine d* Angleterre, du 30 ian-
▼ier «SOI, t. m, p.«l, «7S« 177, 179, ISO-ISS, 331, 331.
COICQUÊT£S AOTOUR DE PARIS ET EN NORMANDIE. 89
amener lentement cette ville à composition, par la souffrance
continue , persuaHé que ipund le corps de la Ligue serait
frappé dans la capitale , les membres piériraient bien vite en
province. Il avança aussi la réducifon de la Normandie, pro-
vince qui nourrissait ses troupes, remplissait son épargne, lui
permettait de recevoir incessamment les secours de la reine
d* Angleterre. 11 réussit dans cette double tentative.
Mais hors d*état de porter secours sur la vaste étendue
^u territoire, à tous les points du royaume menacés, et de
lutter tout ensemble contre Tennemi du dehors et Tenneml
du dedans, quand ils étaient d'accord pour Texécution de
leurs projets destructeurs, il vit, avec une impuissance et une
douleur égales, Tinvasion étrangère faii-e chaque jour de nou-
veaux progrès, grâce au concours de la Ligue.
Dons ce qui est relatif à la guerre, les événements parti-
culiers de Tannée 1591 se rapportent tous à ces deux points
principaux.
Dans Tordre civil et religieux, de grands elTorts furent
tentés en vue de seconder ceux du roi, et des doctrines de
salut pour le pays furent nouvellement et solidement établies
au milieu des principes de subversion déchaînés.
Depuis la reprise de Gorbeil et de Lagny, le roi occupait, Conquêufl
outre ces deux villes, celles de Melun, Saint-Denis, Poissy, 'delpTru!*''
Meulan, Mantes, et arrêtait une grande partie des vivres que
Paris pouvait tirer des pays voisins. Les chefs de la Ligue
voulurent rompre Tune de ces entraves, et, dans cette inten-
tion, le chevalier d'Aumale, prince de la maison de Guise,
surprit Saint-Denis : la fin de Tenti-eprise fut désastreuse; il
fut accablé et périt avec hi plupart de ses soldats (3 janvier
1591). Le roi, à la Journée des Farines, essaya vainement
de s'emparer de Paris au moyen des intelligences qu'il entre-
tenait dans la place (30 janvier). Mais il réussit dans le projet
de resserrer chaque jour Paris, et d'ajouter à ses souffrances.
Après deux mois de siège, il prit Chartres (10 avril). Peu
afffès, il compléta cette conquête par l'occupation d'Auneau
et de Dourdan, et il intercepta alors presque entièrement,
pour la capitale, les convois de la Beauce. Dans le même
temps, Mayenne s'empara de Château-Thierry (11 avril), et,
joignant cette ville à celle de Meaux, il rendit à la Ligue et
à Paris le cours de la Marne moyenne et une portion des
00 HISTOIRE DU RÈGRB DS HBMAI IV.
blés de la Champagne. Mais Henri leur enleva, par quelques
dispositions mOitaires, cet avantage d*un dioment. De plus*
il prit Noyon le 19 août, après avoir successivement vaincu
et dissipé quatre corps de troupes de Ligueurs envoyés au
secours de la place. Ve la sorte il domina le cours de TOise
sur un nouveau point, étendit et aCTermit son autorité dans
ce pays, alors annexé à la Picardie. Paris était dès lors en-
veloppé presque partout de villes royales. Dans ce réseau
chaque jour plus serré, il n'y avait plus que Dreux, Pon*
toise, Soissons et Meaux qui rompissent encore et empêchas-
sent la continuité. C'étaient les seules villes dont la capitale
tfarât désormais des provisions: sans être réduit aux horreurs
de la famine essuyée naguère, Paris éprouvait la disette, et il
ne souffrait pas moins de la totale interruption de son com-
merce : le marchand était sans profit, le peuple sans travail
et sans moyens d'existence '. Tous s'indignèrent, et un no-
table changement s'opéra alors dans leurs dispositions. Tandis
que la majorité de la bourgeoisie, échappée aux horreurs
de la famine, était revenue aux sentiments de la Ligue fran*
çaise, le peuple, plus sensible à ses besoins que fidèle à ses
opinions, -se montrait prêt à déposer les armes et à recon-
naître Henri. Voici à cet égard la déposition d'un témoin
oculaire : « Le commun peuple , qui voyoit qu'on ne le re-
paissoit que de baies, et que tout le secours qu'on leur pro-
mettoit n'étoit que vent , mesdiso^t & pleine bouche du duc
de Mayenne, et le donnoit au diable avec la guerre, nonob-
stant les sermons de leurs curez et prédicateurs, dont ils
estoient tous bercés, et commençoient à ne s'en plus guères
souder, lis ne se soudoient qui l'emportast, pourvu qu'on le
mist en repos \ » La force était du côté de Mayenne, des
Seize et de la garnison espagnole, dont nous parlerons bien-
tôt : ces nouveaux sentiments du peuple demeurèrent donc
comprimés en ce moment ; mais ils entrèrent pour beaucoup
dans les événements dont Paris fut le théâtre à la fin de cette
année, et, plus tard, l'occasion donnée, dans le dénoûment
de la situation.
■ p. Cayet, 1. iit, p. tSS A.
* Lettrri de Uenn IV des \ 4 ianvier, iO et 99 avril, 30 iaillel, i, 7,
49 ao&t, t. m, p. MTi-SSS, ^IB et RuiTantes. -~ Mémoires de U Lieae, t. nr,
p. S40.54S. - P. Ceypt. I. 5, p. W9, t63, iôS, 969, 907, 99S. -^ Theaaiis,
1. CI, $ 11, t. 5, p. Ul, 0% cl SUIT. — SuUj, OEcou. roj., c. 39, p. S4. —
Lesloile, p. 50 S.
RAPPORTS DR LA PRARCE AVKG LE SAIRT-SléCE. 91
Tandis qac le roi s'étendait en Beauce et en Picardie, ses j^fij^itoî,* au
lieatenants soumettaient à sa domination plusieurs villes et du rot
districts de Normandie qui ne Pavaient pas reconnu jusqu'à- " Wo^"»«n«"«-
lors. Le duc de Montpensier prenait Avranches, et achevait
ainsi la réduction de la basse Normandie. Biron et son fils
soumettaient Gaudebec, Harfleur, Fécamp, Louviers, dans
la haute, et ne laissaient plus guère à la Ligue que Rouen et
le Havre (du mois de Janvier au 6 ]ain) ^
La cause du roi, en présence de Tinvasion étrangère et des
progrès de TEspagnoI, devenait, chaque jour davantage, la
cause nationale. EUe n'était pas défendue plus énergique-
ment, plus heureusement, par les armes de ce prince et de
ses lieutenants, que par les décidions des parlements et du
clergé royalistes. Ces deux corps, qui jusqu'à ce moment
s'étaient bornés à autoriser et à soutenir la souveraineté de
Henri par leur adhésion , passèrent plus avant cette année.
Ils établirent fortement les principes qui, dans le champ de
l'opinion comme sur le terrain du droit public, devaient
tracer la limite entre l'Église et l'État, et servir de digue au
pouvoir temporel contre les empiétements et les usurpations
du pouvoir spirituel. C'était une application en grand des
doctrines des politiques.
Les victoires de Henri IV avaient rendu à la royauté fran* Rapports ao u
çaise assez de force pour que les papes pussent y chercher ''Skîn* s»ége/*
un point d'appui et une défense contre la tyrannie de l'Es-
pagne et de Philippe U, qui ne menaçait guère moins Tin-
dépendance de l'Italie que celle de la France. A la fin de son
pontificat, Sixte«Quint, ayant repris confiance et liberté, était
revenu à des sentiments de modération, et même de faveur
envers Henri IV et la France royaliste. Tous ses actes, pen-
dant Tannée 1590, avaient porté la marque de ses nouvelles
dispositions. Il avait refusé à Philippe U d'excommunier les
Vénitiens déclarés pour Henri IV, ainsi que les seigneurs
fîrançais et les antres citoyens des divers ordres qui soute-
naient la cause de ce prince. 11 avait reftisé également d*au-
toriser un impOt que le roi catholique prétendait lever sur
le clergé de tous ses royaumes et principautés, pour faire
■ Letlret de Henri lY du 11 feVrier, des S et 9 mars, t. m. p. 310, 547,
310. 351. — P. GajpM, 1. lU, p. i6S A, à U fia ; t87, SSS, 307, 300.
92 HISTOIRE OU RÈGNE OK UINRl IV.
face aux frais qu'entraînaient la guerre et les intrigues de
France (mars 1590). Sixte-Quint n'avait accordé lui-même à
la Ligue aucun des subsides qu'il lui avait d'abord promis:
il avait écrit plusieurs fois à son légat Gaéiano de quitter le
parti des Ligueurs, de sortir de Paris pour se joindre aux car-
dinaux de Vendôme et de Lenoncourt, qui suivaient le parti
du roi. Enfin, le pape avait ramené un grand nombre de
cardinaux aux intérêts de Henri, en faisant entendre dans le
consistoire son ambassadeur, le duc de Luxembourg, et l'ora-
teur du duc. Un violent conflit avait eu lieu alors entre l'am-
bassadeur de Philippe II et le pape. L'ambassadeur avait
menacé Sixte-Quint , au nom de son maître, de lui faire la
guerre et de le faire déposer par un concile qu'il assemble-
rait dans ses États» Le premier mouvement du pontife avait
été de chasser l'ambassadeur de Rome; mais il avait renoncé
ensuite à cet éclat pour ime vengeance plus sérieuse et plus
utile. Décidé à soustraire le Samt-^ége à une servitude si
intolérable que le pape avait tout à craindre dès qu'il refu-
sait de servir l'ambition et les fureurs des rois d'Espagne, il
avait formé le projet de leur enlever le royaume de Naples,
au moment de la mort de Philippe II : à cette entreprise 11
avait destiné les sommes immenses qu'il avait amassées, et
l'alliance de la France qu'il travaillait plus que jamais à paci-
fier. Son légat Gaétano ayant désobéi à ses injonctions et
tardé à quitter le parti de la Ligue, il avait, au mois de juin,
annoncé l'hitention non seulement de le rappeler, mais même
de lui faire trancher la tète, s'il persistait à trahir son mandat.
Peu après le pape avait succombé lui-même à une rapide
maladie, le 27 août 1590. Ce fut alors le bruit commun en
Europe que Pliilippe II s'était défait de Sixte-Quhit par le
poison, comme il s'était débarrassé du prince d'Orange par
un assassinat. La nouvelle de cette mort arriva à Paris le
15 septembre. Le curé de Saint-André l'annonça en chaire
« comme un des grands biens et miracles, avec celui du siège
» de Paris, que Dieu avoit faits entre les deux Notre-Dames;
>> usant de ces mots : que Dieu nous avoit délivrés d'un
» meschant pape et politique; lequel, s'il eust vescu plus
» longuement, on eust esté bien étonné d'ouïr prescher à
» Paris contre le pape, et toute fois qu'il l'eust fallu faire K »
• Tbiwnu*, I. 9$, s 7, tl. «4. 17. U IV, p. S41, 951, 8», StiO; 1. 100,
BREF ET MONITOIRES DB GRÉGOIRE XIT. 93
Philippe II avait menacé le pape de la guerre et de la dépo-
sition, et peut-être Pavait fait périr, dès qu'il Tavait trouvé
rebelle à ses ambitieux et iniques desseins. Maintenant telle
était Toraison funèbre que le clergé ligueur faisait au suc-
cesseur de saint Pierre* Voilà quel était le catholicisme de
ceux qui se donnaient pour les catholiques par excellence.
Après le mort de Sixte-Quint, Philippe, par les intrigues,
Targent , Tintimidation , se rendit si pleinement maître du
consistoire , que ses agents écrivaient aux cardinaux : « Sa
majesté ne veut pas qu'un tel soit pape ; elle consent qu'un
tel le soit : elle veut qu'un tel obtienne cette dignité. » Au
pontificat éphémère d'Urbain VU, succéda celui de Gré-
goire XIV, le 5 décembre 1590. Le nouveau pape, créature
des Espagnols et entièrement dévoué à leurs intérêts, se dé-
clara hautement contre Henri IV, et l'attaqua à la fois avec
les excommunications et les armées ^
Le 12 février 1591, le jour même où une garnison espa- Brefei baii«t
gnole entrait dans Paris, le pape fit une véritable déclara- G^iéjSiïxîvr
tion de guerre à Henri et à tout le parti royal, par un bref
qu*il adressa à son nonce, le cardinal de Plaisance^ et qui
ne tarda pas à être publié dans le royaume. Le 1" mars, il
donna à Rome deux bulles monitoriales, contenant trois par-
ties principales. Le roi était frappé de nouvelles censures,
excommunié, déchu de ses royaumes et seigneuries comme
hérétique et relaps. Les archevêques, évèques et autres ec-
clésiastiques, suivant son parti, étaient excommuniés et pri-
vés de leurs bénéfices, si dans quinze jours ils ne se reti-
raient de l'obéissance et de la suite de Henri de Bourbon.
Enfin, la noblesse, les parlements, le tiers-état, étaient som-
més d'en faire autant s'ils ne voulaient encourir l'indigna-
tion et les sévérités du pape. Un nouveau nonce, Landriano,
t. ▼. — p. Gayet, 1. Il, p. 955, S36. « Cette morl(d« Sixte-Qnlot), odrenaé
M aises sttbilement, car il ae fat qae deux jours malade, ne fat sans soupçon
» de poison. Quelques uns ont dit quMl fut empoisonne en ooTrant une
» lettre Tenanl d^Espacne; d*aalres d'une aatrr ftçon. » Voir, en outre,
P. Cajel, 1. m, p. 377 B, 278. — M. Hurauk deuxième discours, fol. lOi
verso « Sîste-Quint commença, sur la fin de ses jours, à devenir un peu
» plus doux et à e«couter la raison : aussi ne dura-t-ii gitères après, »
— DupUssift. Mémoires, t. IT, p. 466, 467. — Lesloile , régis. Jours, de
Henri IV, p. 54 B.
' P. Cajet, 1. H, p. S56 B : a Su magestad no guiere guêNsea papa t
s s€ kolgarà qae W le eea s guUra que N lo tenga, m Voir de plus
P. Cayet, I. Il, p. 965 B.
9A niSIOniB DO BÈGUfi D8 flEHRt tV.
fut envoyé en France pour répandre, dans les diverses villes
du royaume, ces bulles, qui furent affichées le 3 juin aux
portes de Notre-Dame.
^"iiï?/*r1r ^" même temps, pour justifier les paroles dans lesquelles
il annonçait qu^il fournirait à la Ligue et aux ennemis de
Henri les secours spirituels, temporels, et même militaires ,
Grégoire XIV employait les trésors amassés par Sixte-Quint
à lever, en Suisse et dans le Milanez, dès le commencement
de mai, une armée de 9,000 hommes, qui devait entrer en
Ftance. Si Tantorité exercée par le pape sur tous les ordres,
mais principalement sur le clergé, les détadiait de la cause
du roi ; si Tarmée pontificale venait se joindre à la grande
coalition des Ligueurs, des Lorrains, des Savoyards, des
Espagnols, le pape, selon. toute apparence, disposait alors
plus littéralement du trône de France qu'il n'avait disposé
des couronnes à aucune époque du moyen âge. Le danger
était immense.
Arréis Les parlements avaient à sauver le parti du roi d'une
'^de^^cbiiTu^' grande défection, et à garantir l'indépendance nationale me-
«id« Tourte nacée. Dominés par la gravité des intérêts à défendre, par
la nécessité d'opposer des moyens de résistance égaux à l'at-
taque, dans l'ardeur de la lutte ou plutôt de la guerre. Ils ne
choishent pas les armes, ils prirent toutes celles qui se trou-
vèrent sous leur main. Ils cessèrent de considérer le pape
comme chef de la chrétienté ; ils ne virent plus en lui qu'un
souverain étranger, qu'un ennemi joignant à la puissance
temporelle l'autorité morale et spirituelle, plus redoutable
encore. Us s'appliquèrent & en neutraliser les effets, à tout
prix, par la vigueur, par la violence même des mesures de
répression adoptées contre le pontife et contre son nonce.
Le parlement de Gbâlons >, sans attendre les ordres da rtrf,
ouvrit le feu de la défense par un premier arrêt rendu le
10 juin 1591. La convenance exige que l'on supprime les
termes de ces arrêts : U suffit d'en rapporter les dispositions.
Le parlement recevait le procureur général appelant comme
d'abus des exconununlcatloDs et fulminations lancées & Rome
• Vê parlement, tflabU provboIreaiOTit ft Gbilons. était compoW i*ao
ctriain nombre de ma|ittreU du parUment de Tours, ddldgiiét a ChâloM
pear ttaétt la )iistlee ans haldlaata ronmx de la Chaanpane, qui, au
«Utoa de U f uam eltUa, tm troamlnt dasa l*lin|ioiilbllUë le et rtsd
àToan.
DÉCLARATION DE L^GLISS D8 niAlfCB. OS
contre le roi : il lui donnait acte de son appel an futur con-
cile de rélectlon de Grégoire XIV. L'arrêt déclarait les bulles
monitorlales du pape nulles et abusives; défenses étalent
feites aux ecclésiastiques et à toutes autres personnes d*y
obéir, de les conserver même, à peine d^être traités comme
criminels de lèse-majesté. Le légat, entré dans le royaume
sans permission du roi, était décrété de prise de corps ; qui-
conque le recevrait ou le logerait serait puni de mort.
Henri se conduisit en roL Au lieu de se mesurer corps à ^^^ «^k '<**•
corps avec le pape et avec le légat, au lieu d*engager avec eux
une guerre d'édlu et d^ordonnances. Il s*appliqna à défendre
l^ndépendance et Tintégrité du territoire, les pouvoirs et le
droit public du royaume. Dans son éditdu à Juillet, il établit
Jusqu*à TéTidenceles vérités suivantes. Par suite du pacte con-
clu entre les Guises, les Lorrains, les Savoyards, les Espagnols,
la France devenait pour eux une proie qu'ils déchiraient et
se partageaient La guerre faite à Henri était une guerre
d^ambitlon, non de religion : la religion, mise en avant par
ses ennemis, n'était qu'un prétexte pour couvrir leurs convoi*
tlses, un instrument pour satisfaire leur avidité S puisque
dès le premier Jour de son règne 11 s'était engagé à mainte-
nir le catholicisme ; que, depuis lors, son soin constant avait
été de le protéger dans ses croyances et dans son exercice,
comme le prouvait la notoriété, comme le proclamait la voix
publique; que les oi&ciers de la couronne, les ministres,
les conseillers d'État, les gouverneurs de provinces et de
vides et leurs lieutenants, en un mot les dépositaires des
pouvoirs publics aux divers degrés, étaient presque sans ex-
ception catholiques. Sans négliger d'éclairer et de convaincre
les esprits, le roi sentit que des actes surtout étaient néces-
saires. Pans ce même édit, il prit de nouveau le solennel
engagement de maintenir le catholicisme, de lui donner
toute sûreté et garantie. 11 promit de se soumettre à la déci-
■ « Ils ont àhuté du ••Int nom de rtlîgion pour conrrir lenr inantiabla
» •mbition.... Il n'y « si simple qui ne voye que le fiiit de lu religion dont
» ils s'arment le plus, c\'St de qnoy U t^egil le moins. Les ligues et as-
m sodations quils ont fiiictes pour l'inTosion de ce royaume avec le roy
• d*Eapegne, les ducs de Savoie el de Lorraine; le portage de loule l'usur-
» paliun faite et h fiiire, qui est conclu entre eux', fémoîgueut asses que ce
m tronble n'est qu'wae laelion d'Estal ; outils ne tiennent ceste guerre qu*eB
» traite et en commerce, nonr j profiter Mulemant* » (Eec«iaii des aacé
lois franc., t. ZV, p. 15, lé.)
Déclaration d«
rÉgllM
de France m>
wmblëa
àCbaitra.
96 RISTOIRB DU RÈGNE DE HENRI IV.
Mon d\in concile libre ou d*une notable assemblée, en ce
qui concernait sa propre religion* Il renvoya aux parlements
et au clergé de France les bulles du pape pour en faire jus-
tice , dans tout ce qui attentait à Tindépendance nationale et
aux libertés de TÉglise gallicane. Par un second édit du
même mois, il réublit Tédit de Poitiers de 1577, et abolit
tous ceux que les violences de la ligue avaient arrachés plus
tard à Henri III. La conséquence de ces dernières mesures
était à la fois l'annulation des actes qui avaient porté atteinte
à ses droits, et la réintégration des calvinistes dans la liberté
de conscience et. du culte la plus étendue qu'ils eussent ja-
mais obtenue. C'était un grave avertissement donné à tous
que- dans là conjuration des diverses puissances catholiques
contre le roi, il lui fallait bien chercher un point d'appui du
c6té de la réforme; cela donnait à penser pour l'avenir.
Le pariement de Tours enregistra ces édits par arrêts en
date des 5 et 6 août. U adopta tontes les conclusions et toutes
les dispositions de l'arrêt du parlement de Ghâlons, et il en
joignit une particulière contre la cour de Rome. U défendit
de s'adresser à cette cour à l'effet d'en obtenir aucunes bulles
ou provisions pour les dignités ecclésiastiques; intima aux
juges de n'avoir aucun égard à celles qui pourraient être ob-
tenues ; ordonna aux banquiers et autres personnes de ne
porter aucun argent à Rome, le tout sous peine du crime de
lèse-majesté. C'était un coup sensible porté à la fois à l'au-
torité et aux finances du pape.
Le parlement de Paris essaya, mais vainement, d'infirmer
l'autorité des arrêts des parlements de ChMons et de Tours
par celui qu'il rendit le 25 août. L'opinion publique distin-
guait entre les soixante-dix-huit membres du parlement
Brisson, dominés par les Seize, et les deux cents membres
du parlement de Tours: elle mettait une plus profonde diffé-
rence encore entre la légitimité des deux causes.
Après les parlements dévoués à la cause nationale et &
l'ordre, l'Eglise gallicane parla, et aucune voix n'osa s'élever
cette fois contre ses décisions.
Les prélats des diverses provinces attachés au parti royal
choisirent comme représentants et déléguèrent un certain
nombre d'entre eux, cardinaux, évêques, abbés, membres
des chapitres, pour répondre à l'appel contenu dans Tédit du
DéCLARATION DE L'ÉGLISE DR FRANCE. 97
roi, et prendre, au nom de TÉglise de France , les décisions
rédamées par les circonstances. Ces prélats s'assemblèrent
d*ai)ord à Mantes, ensuite à Chartres, et signèrent le 21 sep-
tembre mie déclaration dans laquelle ils surent ailler admi-
rablement le respect filial des fidèles pour le chef de la reli-
gion, avec les sentiments et les devoirs de Français. L*histoire
doit fidèlement la reproduire pour Tinslruction de tous les
temps.
c Advertis que noslre Saint Père le pape Grégoire XIV, à présent
séant, mal informé de Testât de ce royaume, auroit esté, par les
pratiques et artifices des ennemis de cest Estât, persuadé d'en-
voyer quelques monîtions, suspensions, interdits, excommunica-
tions, tant contre les prélats et ecclésiastiques, que contre les
princes, nobles et peuples de France, qui ne vouloient adhérer à
leur faction et rébellion,
» Après avoir conféré et meurement délibéré sur le fait de ladite
bulle, avons reconnu par Tautorité de TËcriture sainte, des saints
décrets et conciles généraux , constitutions canoniques, exemples
des saints Pères dont Tantiquité est pleine; droits et libertés de
l'Église gallicane^ desquels nos prédécesseurs évéques se sont tou-
jours prévalus et défendus contre pareilles entreprises; enfin par
Pimpossibilité de Texécutlon de ladite bulle, pour les inconvé-
nients infinis qui en ensoivroient au préjudice et ruine de nostre
religion ';
• Que lesdits monitoires, interdictions, suspensions et excom-
munications, sont nuls, tant en la forme qu^en la matière, injustes
et suggérés par ta malice des estrangers ennemis de laTranee^
et qa*ils ne peuvent obliger ny nous, ny autres François catho-
liques estant en Tobéissance du roy.
» Dont noas avons jugé estre de notre devoir et charge de vous
•dvertir, comme par ces présentes (sans entendre rien diminuer
de rhonneur et respect deu à nostre Saint Père), vous en advertls-
ioos, le signifions et déclarons, afin que les plus infirmes d'entre
vous ne soient circonvenus, abusez ou diverliz de leur debvoir en-
vers leur roy et leurs prélats, et pour lever en cela tout scrupule
de conscience aux bons catholiques et fidèles François.
> Nous réservant de représenter et faire entendre à nostre Saint
■ Les ëvéfpi«f assemblés àt Chartres coiDprenncDtqne le plus sûr moyen de
propeger le calvinisme en France, de lui donner des adhérents nouveaux et
plus nomhrenx, est de rendre le calbolicisme odieux en le faisant servir
•nx desseins ambitieox des étrangers, des Guises, princes lorrains, et de
rEspegnol Philippe 11. L*édil fis forabi eaux protestants que le roi vient de
rendre, poossé par la nécessité de se donner de nouveaux défenseurs, est
on antre svertieiemant poar les prélats,
7
98 HISTOIRE DU RÈGltB DE HBIini IT.
Père la jastiee de nostre cause et nos saintes intentions, et rendre
8a Sainteté satisfiiite, de laquelle nous noas devons promettre la
même réponse que flt le pape Alexandre à rarchevesque de Ra-
▼ennes : c Nom porterons patiemment quand tous n'obéirez à ce
• qui nous aura esté, par mauTalses impressions, suggéré et
• persuadé.!
» Cependant nous admonestons au nom de Dieu tous ceux qui
font profession d^estre ciu^tiens, vrais catholiques et bons Fran*
cols, et pareillement ceux de nostre profession, de joindre leurs
Tœux et leurs prières aux nostres pour impétrer de sa divine bonté
qu'il lui plaise illuminer le cœur de nostre roy, et le réunir à son
Église catholique, apostolique et romaine, comme il nous en a
donné espérance dès son avènement à la couronne, et promis par
ses déclarations ; et que nous soyons si heureux de voir TÊglise
catholique, apostolique et romaine, et ce royaume, fleurir comme
auparavant par une bonne et sainte paix. «
La plus grande publicité fat donnée à cette déclaration.
Tous les curés et vicaires eurent ordre d'en faire afficher
copie à la porte de leurs églises, et de la publier aax prônes ^
Les temps de révolution demandent aux citoyens, pour le
salut commun, de Textraordinalre, des prodiges. Un grand
sens, une merveilleose sagacité, une fermeté à toute épreuve,
sachant appeler des décisions de la plus imposante autorité
au droit et à la justice, éclatent dans ces actes de TÉglise de
France et des parlements. Il ne fallait rien moins que ces
eHorta de raison et de vertu , combinés avec le courage et
la politique si fertile en ressources du prince, pour sauver le
pays, en maintenant dans un certain nombre de provinces
et au centre de la France un parti national qui pût regagner
plus tard le terrain qu'une force supérieure et des circon-
stances contraires lui enlevaient maintenant. En effet , aux
extrémités du royaume, Tinvasion étrangère faisait chaque
jour de nouveaux progrès , gagnant de proche en proche,
tandis qu'une détestable conspiration s'ourdissait à l'inté-
rieur, et devait livrer à l'Espagnol tous les pouvoirs publics.
' Po«r let pcngniphet, depvis la page 9f * voir dam les anelennei Lois
française!, t. XT, p. 19. tt-t?, Si, Si. la t«1e d'uoe parUe des bulles da
i*t nart, en rectifiant la date erronée de 1500. et en y tubaUiuanl 1S9I ;
le texte des denx édits du roi, de l'niTêt du parlement de Tours, de la dtf-
daraUou dn dergd de France. Voir dans les Mémoires de la Ligne,
I. IV. p. Se9, 370, le lexle de l'arrêt du parlement de Cbâlona. Voir en
oalre P. Caj et, L lu, p. SH B, fTS, t79, M9-S99. — Leatolle, p. S6 ▲, 69.
PROGRÈS DE t^mTASIOIf ÉTRANGÈRE.
99
nord
de lu France.
CHAPITRE IV.
Progrès de rinvasion élrancère. Coatpiration des Sette pour ruiner Tordre
publie et pour livrer le ruyaume à Philippe II. Le tiers-parti.
Moitié par le consentement de Mayenne et da parlement progrès dp rin
Brisson, que la tentative du roi sur E^ria avait épouvantés, . ^"V^*^
f'trunaère au
moitié par ruse, les ministres de I^ilippe II introduisirent
dans Riris, le 12 février, une garnison de A,000 Espagnols
et Napolitains. A la même époque ils en placèrent une auure
dans Meaux. Au mois d'avril, le Ligueur Colas, qui leur était
vendu, tua en trahison le marquis de Maignelay, gouverneur
de la Fère, autre Ligueur, mais ennemi de la domination
étrangère, s'assura le commandement de la place, et prépara
tout pour la livrer aux lieutenants de Philippe II, dans le cas
où ils ne pourraient l'obtenir par une autre voie. Pendant le
mois de décembre de cette année, le duc de Parme refusa
de conduire une nouvelle armée au secours de la Ligue,
jusqu'à ce qu'il eût arraché à Mayenne l'abandon de la Fère.
U promit, il est vrai, par écrit de la lui remettre à sa pre-
mière réquisition ; mais il se joua de cet engagement, comme
on devait s'y attendre. A peine entré dans la ville, il y mit une
forte garnison, et bâtit une citadelle pour tenir les habitants
dans la sujétion. Ainsi une route était frayée aux armées espa-
gnoles depuis les frontières de la Flandre jusqu'au centre du
royaume; des étapes leur étaient préparées sur cette route;
des villes fortes leur étaient livrées, à peu près de dix lieues
en dix lieues, le tout par Mayenne et la Ligue. Mais ces hon-
teuses concessions de leur part, ces progrès de l'ennemi ,
soulevèrent les cœurs d'indignation et de dégoût, même dans
les centres de la révolte. A Paris, la présence de la garnison
étrangère augmenta le nombre des politique$, qui crièrent
bien haut que les Français se donnaient lâchement aux
Espagnols <•
Au midi du royaume, le duc de Savoie étendit l'invasion
déjà commencée en Provence. Aidé par ses partisans, ceux
de la comtesse de Sault et l'or du roi d'Espagne, il s'empara
de l'importante ville de Marseille (2 mars). Berre, dans le
■ p. Giyet, 1. lu, p. 965, tSS. — LestoUe, p. 44 A, B, 81 B. — De Thon,
t. eu, GUI, tradnct., t. Xi, p. 460, 47U. — Promeite du princ* de Parme,
pour la Fère, dans les Hëm. de Dupteasis, t. ▼, p. 198.
Eu Provence.
iOO BISTOIRB DO RÈGNE D£ HENRI IT.
voisinage d*Aix, lai fut rendue quelque temps après, et il
domina alors sur tout le midi de la Provence. La partie sep-
tentrionale , de beaucoup la moins importante, fut conservée
à la France par le gouverneur royal Lavalette et surtout
par I^sdiguières. Lesdiguières avait réduit Grenoble à capi-
tuler le 22 décembre 1590, et après cette conquête établi le
parti royal dans la presque totalité du Dauphiné. Ce résul-
tat obtenu, 11 s*était porté, au commencement dePannée 1591,
au secours de Lavalette.' Le U avril, ils opérèrent leur jonction,
et dans les combats des 15, 16 et 17, ils tuèrent ou firent pri-
sonniers, à Esparron de Palières, trois mille Savoyards et
Provençaux ligueurs. Le duc de Savoie essaya de reporter la
guerre sur le territoire de son principal ennemi , et il envoya
une armée de buit mille hommes envahir le Dauphiné et
attaquer Grenoble; mais ses troupes furent vaincues, le
48 septembre, à Pontcharra, dans la vallée de Graisivaudan.
Deux mille cinq cents soldats restèrent sur la place, et tout
ce qui ne périt pas fut mis en déroute. Les deux victoires de
Lesdiguières avaient affranchi le Dauphiné et conservé an
parti du roi le nord de la Provence. Il n*en restait pas moins
que le duc de Savoie avait envahi toute la partie méridionale
de cette province, et, en s*emparant de Marseille, s'était saisi
de Tune des quatre villes les plus importantes de France, de
son meilleur port sur la Méditerranée, du tiers environ de
son commerce extérieur '.
Eu Brciafne. A l'occldent du territoire, en Bretagne, les pertes, quoi-
que moins considérables, furent encore très sensibles.
Pour prix du secours de quatre mille hommes qu*i\ four-
nissait à Mercœur, Philippe II se fit céder par lui le port
et la ville forte de Blavet. Henri redoubla d'efforts pour
chasser Tennemi. Il dirigea sur ce point , outre un corps
d'Allemands, tous les auxiliaires que lui fournissait Elisabeth,
presque aussi intéressée que lui à ce que l'Espagnol ne prît
pas pied en Bretagne, en face de l'Angleterre. Il donna pour
conseil au jeune prince de Dombes, et pour chef à ces troupes
et h la noblesse bretonne, Lanoue, dont les talents et Tex-
■ Téritiible diicours de la iiéraile de Tarmee rebelle uu roi en ProTenot,
ftite par celle de Sa Majesté, à Ei|iarron de Palières. — Discoart de Ift
def.tiUde l'armée du duc de Safoîe. fuite par le tiear Lesdicuières eu la
plaim* de Pont-r.hiirra, dans Ici Mém. de la Ligue, t. ir, p. W4<398, 627*
4ÏXi. — P. Cayei, 1. Ut, p t7f, 173, 308, 306.
COlfSPIRATlON DES SEIZE A PARIS. lOl
périence promettaient les plus heureux succès. Mais Lanoue
fut tué au siège de IjamtKiIle. La mort de ce chef illustre
arrêta tontes les opérations décisives à la fin de cette année,
et prépara le grand revers qui devait bientôt nous frapper
en Bretagne ^
Dans les projets de Philippe II pour l'Invasion de la France
tout se liait. L'occupation de plusieurs grandes villes et d'une
partie du territoire de quatre provinces, la présence surtout
de ses années et de celles de son gendre en Provence, en
Languedoc, en Bretagne, dans l'Ile-de-France, en Picardie,
devaient concourir, avec un grand effort fait par ses partisans
et ses sicaires, au centre même de la Ligue, pour lui livrer
tous les pouvoirs publics et la souveraineté, après que l'on
aurait tout au moins dégradé Mayenne et le Béarnais, si l'on
ne parvenait à s'en défaire.
Les Seize et le clergé de la Ligue à Paris, vendus à Phi- Conspirai ion
lippe II , conspirèrent pendant tout le cours de cette année en «f du^lrgê
sa faveur. Le résultat final du complot était de rétablir roi, lui Usnour à Pfns.
ou sa fille. Les moyens successifs d'exécution furent l'excita-
tion d^une fureur fanatique et sanguinaire chez le peuple, la
tentative d'enlever à Mayenne ses pouvoirs par une mesure
d'administration publique, un engagement solennel pris avec
le roi catholique, Tenvahissement du pouvoir judiciairei
Tosurpation de l'autorité et de la force armée communale,
l'établisseinent d'un pouvoir dictatorial , l'essai d'un massacre
général de tous les citoyens, ligueurs ou non ligueurs, qui
rejetaient la domination espagnole.
Dès le 13 mars, les prédicateurs de la Ligue commen- PrëdicBiion»
cèrent à jeter dans l'esprit du peuple les idées de massacre '''"C""" *'**-''•
et de pillage, les maximes de révolte contre tous les pouvoirs,
dont Us voulaient l'empoisonner, u Boucher, qui preschoit le
carême à Saint-Oermain rAuxerrois,s'estant mis sur le Béar*
nois e^les politiques^ dit qu'il falloit tout tuer et exterminer ;
que desjà, par plusieurs fois, il les avoit exhortés à ce faire,
mais qu'ils n'en tenoient compte ; dont ils se pourraient bien
repentir. U dit qu'fi estoit grandement temps de mettre la
main & la serpe et au couteau , et que jamais la nécessité n'en
avoit esté si grande... U ne prescha que sang et boucherie,
■ p. Cayel, l. lu, p. 300,301. " Thnuous,!. ai, traduclion, L xi»
P.30CM0B.
102 RI8T01RK DO RÈGIIE DB UBlIllI IV.
mesme contre ceux de la cour et de la justice, qu'il cridt ne
rien valoir du tout; excitant le peuple par gestes et paroles
atroces à leur courir sus et ft s'en défaire... 11 dit aussi qu*il
eust voulu avoir tué et estranglé de ses deux mains ce chien
de Béamois ; et que c'estoit le plus plaisant et agréable sa*
crifice qu'on eust sçu faire à Dieu K »
n faut bien remarquer que parmi les politiqueê Boucher
comprenait le parlement Brisson, qui alors même frappait
de ses arrêts le roi et son parti ; que par conséquent il proscri*
valt non seulement les partisans secrets de Henri , mais aussi
les partisans de Mayenne et de la Ligue française, en un mot,
tous ceux qui faisaient obstacle à l'usurpation de l'étranger.
Mayenne, au lien de réprimer les prédicateurs, voulut con*
server auprès d'eux une misérable popularité : sur leurs
clameurs il exila presque toute la cour des comptes de
Paris (i" avril) 2. Cette Iflcheté devait accroître et accrut
leiv audace. Dès lors, et jusqu'à la mi-novembre, c'est-à-
dire pendant plus de sept mois, les chaires de toutes les
églises de Paris, excepté quatre, retentirent chaque dimanche,
chaque jour de fête, de déclamations furibondes qui , sous
prétexte que la religion était en pérU , poussaient les masses
à une guerre d'extemdnation contre le roi et contre la bour-
«geoisie de Paris tout ensemble. D'une part le ridicule et
Todieux 'étaient répandus sur la naissance, la personne, l'au-
torité et la religion du roi ; d'un autre, le peuple était excité
à se jeter comme une bête féroce sur des classes entières de
citoyens, qu'on désignait à sa vengeance et à son avidité.
Tout cela était exprimé dans un langage que Ton ne parle
que dans les mauvais lieux, et, dans le bagne, parmi les assas-
sins. Jamais, depuis sa naissance, la religion n'avait été si
déshonorée. Une sorte d'émulation s'établit entre les prédi-
cateurs à qui irait le plus loin dans cette voie ; et Boucher,
iiose, Aubri, Lucain, Gneilly, Gommelet acquirent alors une
odieuse célébrité, que l'histoire leur conserve, et leur inflige
«ajoord'hui comme châtiment '.
Àiuf|u« £q niinant de tout leur pouvoir la fortune du roi , les Seixe
Mayenne, n'avaicut BCCompU que la moidé de leur tflche : il allait dé-
' Leftoile, Tao des auditenn de Boucher, Repttre louroal, p. 45 A.
• Lettoile, p. 47 A.
' Lettoile, Registre fonrnel, de la page 45 B & la page 6<>, passim.
ATTAQUE DES SEIZE CONTRE MAYENNE. 103
traire aussirautoritédeMayenne pour faire place àla souverai-
neté unique du roicattiolique. Les Seize y traTaillaient avec ar-
deur. Ainsi la révolte s'en prenait audadeusement à Mayenne,
révolté lui-même contre Henri III et contre Henri IV : c'est
Tétemelle histoire des révolutions et des factions. Dès que
les Seize se sentirent appuyés par la garnison espagnole en-
trée dans Paria« ils présentèrent au lieutenant général, à la
Gn de février, une requête et des mémoires tendants aux fins
suivantes : V Le conseil de TUnion devait être rétabli et
renouvelé. Par suite de la nouvelle composition, tous les paiv
tisans de Mayenne, tous les membres des notables familles de
la Ligue devaient en être exclus, et faire place aux prédlca*
teurs séditieux, aux hommes de la lie du peuple ou à leurs
représentants. Gomme les actes législatifo auraient été rendus
et les intérêts généraux de la [Jgue décidés en grande partie
par ce conseil , Mayenne devait s'attendre à voir un pouvoir
rival surgir contre son pouvoir, et commencer contre lui une
guerre de tous les moments. T Tous les citoyens, convaincus
d'avoir favorisé l'ennemi , même par une con;imunication ou
un avertissement quelconque, devaient être déclarés héréti-
ques et traités comme tels : leurs biens confisqués seraient ap-
pliqués aux besoins de la ville, ou partagés entre ceux qui en
seraient dignes. 3" Leur innocence ou leur culpabilité serait
prononcée non par le parlement de la Ligue, par les Juges or-
dinaires , mais par un tribunal rdvolutio/inaire , composé de
commissaires bons catholiques et bien pensants. D'où 11 ré-
sultait que tous les adversaires de la domination espagnole,
tous les partisans à un degré quelconque de Mayenne, men-
teusement déclarés royalistes, seraient atteints par cette loi
des suspects, enveloppés dans cette proscription. Mayenne ne
pouvait accueillhr ces propositions sans abdiquer : il les re-
poussa avec indignation à la un de février, et une seconde
fois au mois de septembre, quand les Seize, se prévalant de
l'évasion du jeune duc de Guise , arrivée au mois d'août, et
de l'approbation que ce jeune ambitieux donnait k leurs pro-
jets, eurent l'audace de les représenter au lieutenant général
dans la ville de Réthel K Ne pouvant obtenir de Mayenne
qu'il se suicidât par une complaisante adhésion, ils résolu-
rent de le faire périr par les mains du peuple, au milieu
' Le lexlediiDi P. Cuyei, 1. m, p. 963 t65.— l«flitoU«, SuppUmeat, p. 68.
lOA HISTOIRE DO RÈGNE DE HENRI IV.
d*un mouvement insurrectionnel général , que les sermons
provoquaient chaque jour.
LttUr«de« SeîM Quaod les coDJurés crurent le peuple disposé à leur prêter
cierge liKurar ^"^ ^^ P^^'' '® renversement de Mayenne et le massacre
de Paris de la bourgeoisie, quand ils le supposèrent enivré des passions
m PiitUppe II. ^^ ^^ l'esprit de désordre, au point de ne pas voir ou d'ac-
cepter les extrémités auxquelles on Tentralnait, ils commen-
cèrent Texécution de leur secret projet par un acte décisif^
Us étaient favorisés par Tabsencede Mayenne, alors retenu
par les soins de la guerre en Champagne et en Picardie.
Les plus autorisés des Seize entre les laïques et les ecclé-
siastiques, au nombre desquels on comptait Martin, docteur
en théologie. Sanguin , chanoine de TËglise de Paris, Gêné-
brard, qui par cette démarche se frayait la route à Tarche-
vèché d'Aix, écrivirent, le 10 septembre, une lettre à
Philippe II, pour lui déférer la couronne de France, et lui
engager leur fidélité comme ses sujets. Voici le texte des
passages décisifs de cette lettre :
« Nous pouvons certainement asseurer Votre Majesté Catho-
lique que les vttus et les souhaits de tous les catholiques soot de
voir Votre Majesté Catholique tenir le sceptre de ceste couronne
et régner sur nous, comme nous nous jetions très volontiers entre
ses bras, comme notre père, ou bien qu'elle y eslabflsse quelqu'un
de sa postérité.
» Que si elle veut nous en donner une autre qu'elle-mesme, il
lui soit agréable qu'elle se choisisse un gendre, lequel, avec toutes
les meilleures affections et toute la dévotion et obeyssance que
peut apporter un bon et fidelle peuple , nous recevrons pour roy.
B Nous espérons tant de la grftce de Dieu sur cestc alliance, que
oe que nous avons receu de cette très grande et très chrestienne
princesse. Blanche de Castille, mère de notre très chrétien et très
religieux roy sainctLoys, nous le recevrons, voire même an double,
de ceste grande et vertueuse princesse Glle de Sa Majesté, laquellei
par ses rares vertus, arrcste tous les yeux à son object; pour en
alliance perpétuelle fraterniser cps deux grandes monarchies, sous
leur règne, à l'advancement de la gloire de Notre-Seigneur Jésus-
Christ, splendeur de son Église et union de tous les habitants de la
terre sous les enseignes du christianisme. »
La Sorbonne écrivit au roi d'Espagne une lettre conforme
en tout à celle des Seize. L'une et l'autre furent portées au
roi d'Espagne par le père Mathieu, justement surnommé le
L£TTRK DES SBIZK A PHILIPPE II. PROSCRIPTION. 105
courrier de la Ligue, lequel a¥ait mission de réclamer de
Pliilippe assistance et secours pour les Seize dans le combat
qu*ib allaient lirrer au gouvernement existant et à la société*.
La conclusion de cette rhétorique confite en hypocrisie
était de donner pour roi à la France ou Philippe II lui-
même, ou sa fille, ce qui était la même chose ; de lui livrer
le pays dont son père et lui-même, depuis plus de soixante
ans, avaient tenté l'asservissement par toutes les voies de la
force et de la ruse. Dans toute notre histoire, il n'y a pas un
pacte plus ignoble entre une faction et l'étranger. C'est la
contre-partie de la déclaration de Chartres; le chef-d'œuvre
de la mauvaise religion opposé à l'expression la plus noble
de la religion éclairée.
Toutes les fois que les entrepreneurs de révolutions ont Brigani
voulu exciter un mouvement, ils ont toujours jeté parmi le «tiesprétendas
peuple quelque incident propre à l'agiter et à le remuer pro-
fondément Les Seize pid)liaient depuis plusieurs mois dans
Piris qu'il existait un vaste complot du parlement et de la
bourgeoisie pour livrer la ville au roi , & l'hérétique, et pour
perdre la religion. Rien n'était plus faux : le parlement et
la majorité de la bourgeoisie, très distincts des politiques et du
peuple , lesquels en effet inclinaient vers Henri , le parlement
et la majorité des bourgeois restaient fidèles aux idées et aux
principes de la Ligue française. Après avoir tout enduré pen-
dant les quatre premiers mois du blocus de Paris , plutôt que
d'accepter un roi huguenot , ils n'avaient cédé à la fin qu'à la
menace d'une mort inévilable ; et depuis qu'ils étaient sortis
de ces extrémités, ils étaient revenus à leur aversion et à
leurs scrupules pour un dénoûment qui devait mettre un
hérétique sur le trône de saint Louis. Mais la Ligue fran-
çaise repoussait énergiquement le joug espagnol, et à ce
titre elle avait mérité d'être dévouée à la mort par les Seize.
Ainsi qu'il arrive toujours parmi les factieux, une partie
des Seize était animée contre l'autre d'une haine furieuse.
Ils avaient dénoncé l'un d'eux, nommé Mgard , à la jus-
tice du parlement comme coupable de correspondance avec
le roi et de conspiration contre la ville. Les juges, ne trou-
* L>« texte entier de la lettre des Seise se IrouTe parmi les pièces ajov*
léea rax Mémoire» d'EsUt de Villeroy, édit. in-tti, l. lu, p. 17.99, «t uoe
Miiia d« texte dans P. Cayat, I. in« p. 393 B, 3t4 A. ~ La lettre da la Sor-
boansdaHi LciU>tie« SoppléDa., p. 03 A.
106 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
vant aucune charge suffisante, prononcèrent Tabsolution et
rélargissement de Brigard (fin octobre). Les Seize s'empa-
rèrent de cet incident pour ameuter le peuple contre le par-
lement tout entier, en le présentant comme coupable de con-
nivence avec Taccusé, comme complice de son prétendu
comjdot contre la ville et contre la religion.
Pro«cri|.iion ^^ ^^ premiers jours de novembre , les Seize arrêtèrent
générale artè" d'euvelopper dans une proscription générale le parlement et
^' la iMurgeoisie , la Ligue française, tous les hommes hon-
nêtes, ayant quelque chose à perdre, hostiles à la domina-
tion espagnole. Le massacre devait s'étendre à cette classe
entière de citoyens, comme il s'était étendu à tous les calvi-
nistes, le jour de la Saint-Bartiiélemy. Deux des principaux
chefs des Seize , Gromé et Launoy, établissaient eux-mêmes
cet horrible rapprochement. Ils disaient « qu'une Saint-ltar-
thélemy estoit bien à propos par le temps qui couroit , et
qu'une saignée de veines céphaliques estoit nécessaire pour
la santé et restauration de TEstat. Et en reniant Dieu par trois
et ((hatre fois, ils ajoutoient que les juges de Brigard en mour-
roient. » Dans diacun des seize quartiers de Paris, ils dres-
sèrent une liste ou papier rouge, contenant la liste de leurs
victimes. « Cette liste ou papier rouge estoit un rôle que les
Seize avoient dressé de tous les politiques de Paris quMIs
appeloienl, c'est-à-dire de tous ceux qu'ils tenoient pour
serviteurs du roy en leur cœur, fauteurs et adhérents de
son party, et qui ne trouvoient bonne la volerie, la penderie
et la cruauté, qu'ils nommoient zèle de Dieu poiv la conser-
vation de la religion catholique, apostolique et romaine. En
ce rôle, ils avoient mis aussi comme politiques tous ceux ,
quelque grands catholiques et zélés qu'ils fussent, lesquels,
comme vrais et naturels François, refusoientde se soumettre
à la domination espagnole. Or, de tous ces politiques qu'ils
appeloient, qui eslotent les plus honnêtes hommes et gens de
bien de i^iris, ils avoient résolu en leur conseil d'en pendre
et daguer une partie et chasser les autres. Et pour ce , en
leurs rôles, ils les distinguoient par ces trois lettres P. D. G.»
qui estoit à dire pendu, dagué, chassé, » Le témoin oculaire
qui fournit ces détails donne à la suite une liste détaillée des
proscrits de son quartier >. Cette boudierie était le renver-
' Lc»loile, Registre jourujl de Ilcuri IV, Éd. Chaaipolliou, p. 64 A, 69 B.
CONSEIL 018 DIX. ASSASSINAT OB BRISSOIT. i07
semcot d^im seul coap de Tordre social, de Tordre civil , de
Tordre politique.
Quand les Seixe eurent arrêté leur complot dans toutes ConscUdetou.
ses parties et dressé les listes de leurs victimes, ils procédè-
rent à Texécution. Du 2 au 14 novembre, ils se réunirent six
fois. Après la destruction du conseil de TUnion, au mois de
décembre 1589, et à cOté du conseil d'Éut constitué et com-
posé par Mayenne, ils avaient maintenu leur conseil particu-
lier, mais à Tétat de société secrète, dont les membres étaient
les plus déterminés meneurs de chaque quartier. Dans leur
assemblée du 6 novembre. Us formèrent au sein de ce conseil
une oligarchie démagogique, qui devait donner une force et
une activité nouvelle à leur faction, marcher droit à Texécu-
tkm de leurs projets, sans reculer devant aucune violence,
devant aucun crime« Ils créèrent un canaeil dés Dix^ comité
de salut public du temps.
Bussy le Clerc, fameux par Temprisonnemeut de Tanden Asuuioai
parlement et par la spoliation des meilleures familles de la ^cher*^";^^'^
ville ; Launoy, prêtre deux fois renégat ; Gromé dont le père
avait été condamné pour péculat commis envers les États de
Bourgogne ; les curés de Saint-Jacques-la-Boucherie et de
Saint-GOme, Inspirèrent toutes les résolutions du conseil des
Dix, et se chargèrent de Texécution. Le sanguinaire Bou-
cher s^absenta de Paris pour ne pas être trouvé complice des
assassinats qu*il avait conseillés. Le i!i novembre, pendant la
nuit, Ib prirent leurs dernières mesures. Le 15, ils arrêtèrent
le président Brisaon et le conseiller Larcher, au moment où
ils se rendaient au palais, le conseiller Tardif dans sa mai-
son. Ib les conduisirent au petit GbAtelet, et après avoir for^
mule contre eux un jugement dériaobre, ils les pendirent à
une poutre. Le lendemain 16, ib conduisirent « à quatre
heures du matin, les corps à la Grève, et les attachèrent à
une potence avec des écriteaux portant quMb étaient héré-
tiques , traîtres à b ville , ennemis des princes catholiques.
Depuis Torigine de la révolte contre Henri III, le parle-
ment n^était plus seulement un corps Judiciaire : c'était de
LMloilc B va «t egmiBimé cm IUim lar IwqmllM tt éuh porltf lal-mlmc
Car éUm damte. Ces lulM d« proscrtpUon pour les seise quartiers de
ris, <|ui ne lureat connues que le S5 novembre, furent dressées dans les
islai qM tiannl Itf Seiie, di S «a tS aavwibr*.
108 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
plus un corps politique qui, par ses arrêts, avait prononcé
sur les plus importantes questions de droit public , sur la
succession à la couronne et la souveraineté. De Tbou et
Villeroy témoignent, qu'après avoir supplicié les trois magis-
trats, les Seize devaient changer et cribler le parlement, en
dresser un à leur mode ; se servir du nom et de Tautorité de
la nouvelle compagnie, pour révoquer les pouvoirs de
Mayenne , à l'arrivée du duc de Parme en France ; dis-
poser à leur gré de TÉtat, et appeler le roi d'Espagne à la
couronne, ils ne doutaient pas que toutes les villes du
royaume ne suivissent l'exemple de la capitale, dont la ré-
volte avait entraîné celle de la France. L'attentat des Seize
était le prélude du massacre général de la classe moyenne,
et le premier acte d'une révolution conduisant à l'esclavage.
Provocation I>ans l'envahissement des pouvoirs publics, les Seize avalent
a un MoièTc- commeucé par la justice et la grande moitié du pouvoir lé-
g o ra . ^i^^if^ p^^^ ^^pg maîtres de la situation , ils n'avaient plus
qu'à se rendre maîtres de la force publique, et ils tentèrent
activement de s'en emparer. L'assassinat des trois magistrats
n'avait été qu'une surprise, qu'im guet-apens. Aucun corps,
aucime partie considérable de la force publique que (^ris
renfermait alors n'y avait concouru. Sur les /!i0,000 hommes
que comptait la garde bourgeoise , les chefs des Seize n'a-
vaient été aidés que par trois cents sicaires, appartenant k
quelques compagnies dont ils étaient capitaines ou lieute-
nants, et recrutés parmi les hommes les plus vils et les plus
scélérats. La garnison espagnole était restée dans ses quar-
tiers. Ce n'était pas avec une poignée de brigands qu'ils pou-
vaient dominer Paris et y établir la royauté de Philippe IL
Aussi essayèrent-ils de se donner une force véritable, en
excitant une insurrection générale parmi le peuple , et en
entraînant ensuite la garde bourgeoise.
Quand le jour fut venu» la Ibulc s'assembla sur la place de
la Grève pour voir le nouveau et horrible spectacle que lui
donnaient les cliefs des Seize. Bussy, après avoir répandu
ses complices parmi la multitude, se mit en devoir de
l'ameuter. Il leur dit que les trois suppliciés étaient des po-
litiques et des traîtres qui avaient vendu la ville à l'héré-
tique, et lui avaient déjà livré la porte Bussy. Il ajouta que
s'ils voulaient le suivre, le soir ce serait fait de tous les mau-
LE PEUPLE» LA BOURGEOISIE» LE PARLEMENT. 109
vais citoyens, et qae Paris serait net de traîtres; qu^il en avait
la liste, et qu*il connaissait les maisons où ils auraient du
bien à bon marché ; qu'enfin s'ils ne prévenaient leurs enne-
mis, leurs ennemis leur couperaient la gorge. Les affidés de
Bussy répétaient partout les mêmes discours : tous ensemble
épuisaient auprès des masses ce qu'ils jugeaient le plus propre
à les émouvoir au sang et au pillage, et à déterminer une sé-
dition.
Mais ce jour, le peuple fut divinement éclairé par le juste Conduiia du
et riionnéte, par le sentiment de l'indépendance nationale. u^b!)^Miiie.
Insensible aux provocations de Bussy et de ses complices , il
demeura calme et froid pour l'émeute, et ne témoigna qu'un
sentiment de pitié pour les magistrats mis à mort.
Dans cette périlleuse circonstance, tous les ordres furent
admirables, et montrèrent combien sont impuissants les fac-
tieux à bouleverser une société, quand chacun sait faire son
devoir et déployer du courage civil, au lieu de se laisser do-
miner par l'entratnement ou par la peur. Dès le lendemain
17 novembre, l'opposition armée contre les Seize fut orga-
nisée au sein de la garde bourgeoise. Le colonel Daubray
vint s^olTrir avec quatre cents hommesau gouvemeurde la ville
fielin : il l'assura encore de huit capitaines qui en avaient
autant, tous prêts à faire leur devoir. C'étaient déjà 3,600 sol-
dats de l'ordre à opposer aux factieux, et l'on ne pouvait
douter que leur exemple n'entraînât la masse de la garde
bourgeoise. Les chefs de la garnison espagnole refusèrent de
prêter main-forte aux Seize, quelques remontrances et pro-
messes qu'ils leur fissent, et bien qu'il s'agit d'établir la do-
mination de Philippe II dans Paris. On peut leur faire hon-
neur de ne pas avoir voulu se souiller des meurtres qu'on
leur demandait ; mais bien évidemment ce motif d'humanité
n'mllua pas seul sur leurs résolutions. L'attitude prise par
Daubray et par ses généreux compagnons leur indiquait de
reste qu'il faudrait combattre avant de massacrer, et dans la
ville des barricades la victoire était plus que douteuse.
Les Seize n'avaient pas réussi à donner un peuple et une Nouveau fmrW-
armée pour appui à leur révolte ; mais ils avaient frappé u^amhre t^-
d'épouvante le gouverneur de la ville, Belin, qui avait re- dente. conduite
poussé les offres de Daubray. Us ne trouvaient donc devant " ^' ^""^" '
eux aucune force publique pour les combattre, tandis qu'eux-
110 HUTOIRE DO RÈGNE ht flEIfRI IV.
mêmes disposaient de la garnison de la Bastille dont Bussy
était le gouverneur « et de la troupe des factieux qui leur
avait prêté son aide. Ils devaient donc , pendant quelques
Jours, donner un libre cours à leurs desseins. Le 18, ils pré-
sentèrent au conseil d*État de Mayenne le projet d^une cham-
bre ardente, présidée par Gromé , laquelle devait juger et
condamner les hérétiques et leurs adhérents, les traîtres et
conspirateurs contre la religion, TÉtat et la ville. Il n*y avait per-
sonne qui ne pût être compris dans Tune de ces catégories et
qui fût sûr de sauver sa tête : cMtait rétablissement d^un tri-
bunal révolutionnaire. Le conseil d^État refusa de sanction-
ner cette proscription, et fl fallut que les Seize Tajournassent.
Le 20, ils composèrent un nouveau parlement en prenant
quarante membres parmi les soixante-quinze restants, en
portant leurs choix sur ceux qu'ils pensaient trouver les plus
dociles à la crainte et à leurs projets. Bs pressèrent le con-
seil d'État, le gouverneur, les princesses de la maison de
Guise, de se joindre à eux pour sommer les magistrats de
retourner au palais, et de reprendre le cours de la justice
interrompue par eux depuis le meurtre de leurs collègues.
Mais tous les membres du parlement résistèrent. L*avocat du
roi Dorléans, bien que zélé ligueur jusqu'alors, ne répondit
aux sollidtationsdes Seize qu'en les traitant de scélérats et de
meurtriers, et Lemaistre leur dit qu'il ne rentrerait au palais
que pour faire pendre ceux qui avaient mis à mort le prési-
dent Brisson. Cette vigueur. Jointe à l'attitude de Daubray et
d'une partie de la garde bourgeoise, contint les Seize jusqu'au
moment où la force armée pût venir en aide aux classes me-
nacées.
Cet appui ne leur manqua pas et ne pouvait leur manquer.
Dans les révolutions violentes, ne pas céder an premier choc,
donner à la société le temps de se reconnaître et de rassem-
bler ses forces pour se défendre, c'est tout gagner. Attaqués
par ime (action qui ne reculait devant aucun attentat, trahis
par le représentant du pouvoir, par le gouverneur de la ville,
la partie saine du peuple, la boiurgeoisie, le parlement, surent
par leur inébranlable fermeté gagner du temps, se ménager
ce répit déclaiL La force arriva enfin à leur secours, et donna
gain de cause à Tordre social, à tous les pouvoirs qui le sou*
tenaient, en même temps qu'à nndépendance nationale. L'his-
MATRNNB A PARIS S IL RETABLIT L*ORimB SOCIAL, lit
foire ne contient pas de plos grave et de plus encourageant
enseignement que celui-là.
Pendant la conspiration des Seize, Mayenne séjournait à Biayennc i
Laon pour recevoir l'armée espagnole et la conduire à la dé- '' oî'êxInS^s*^'
livrance de Ronen, dont le roi commençait le siège. Le duc, «i»«f»<ïe« Seitc
appelé à Paris par des envoyés qui se succédaient d'heure en
beare, entra dans la ville le 28 novembre, accompagné de
deux mille deux cents hommes de troupes françaises, et de
Vitry, homme de cœur et de résolution, qui le décida pour le
parti de la vigueur. Diego dMbarra, Tun des agents du roi
d'Espagne, se jeta entre Mayenne et les Seize, et s'efforça de
les couvrir et de les protéger, en vue de ce qu'ils avaient pro-
jeté, et de ce qu'ils pouvaient encore fah*e pour son maître.
Il échoua. Le duc comprit que c'était fait de son pouvoir
et de la société tout ensemble s'il n'accablait leurs communs
ennemis. Après avoir armé la garde bourgeoise, qu'il mêla
aux troupes qu'il avait amenées , après s'être concerté avec
ses chefs, et avoir pris les précautions que commandait la
prudence contre l'attaque éventuelle de la garnison espagnole,
il frappa les coups décisifs {U décembre). 11 fit saisir et pendre
dans une salle basse du Louvre quatre des cbefe des Seize.
Il prononça également la peine de mort contre Launoy et
€romé, et les fit chercher partout; n'ayant pu s'emparer
d'eux, il les réduisit à s'exfler en Flandre. Enfin il jeta en
prison une douzaine de factieux. U somma Bussy le Clerc de
lui remettre la Bastille. Cet homme, qui avait annoncé qu'il
se ferait enterrer sotis les ruines de la citadelle pour défendre
•a faction , vit à peine les canons en batterie au parc des
Toumelies, qu'il capitula sous condition qu'il conserverait la
vie et ses biens. Ce qu'il avait volé et rançonné aux préten-
dus politiques et mauvais catholiques, depuis les barricades
jusqu'au commencement de ce mois, montait à 600,000 fr.
Mab à peine eut-il retiré ces richesses dans une maison voi-
aine qu'elles devinrent la proie des soldats. 11 s'en alla re-
joindre en Flandre ses complices. Tous traînèrent leur cou-
pable vie dans la misère et l'abjection, où les laissa Philippe H
quHIs ne pouvaient plus servir. L'ambition se sert des plus
vils instruments pour arriver à ses fins, mais elle les rejette
dans la boue où elle les a pris» dès qu'ils cessent de lui
être utiles.
Pubsance des
Scice déiraile.
L*ordre civil
«l
•ocial rétabli.
112 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
La punition des chefs des Seize n'était que le premier acte
de l'œuvre que Mayenne avait projeté d'accomplir. Il réta-
blit le parlement dans la plénitude de son pouvoir et nomma
quatre nouveaux présidents. Il fit prêter aux colonels, capi-
taines et soldats de la garde bourgeoise un serment aux
termes duquel ils s'engageaient à ne prendre les armes que
par Tordre de l'autorité légitime; à combattre quiconque
essayerait de troubler la paix publique on entreprendrait
contre les magistrats ; à saisir les coupables et à les livrer à la
justice. Sur deux cents capitaines environ, à peine quinze re-
fusèrent le serment et furent destitués. Mayenne détruisit
le conseil pardculier des Seize, différent, comme nous l'avons
dit, du conseil général de l'Union ; il défendit de tenir dé-
sormais des assemblées pour délil)érer et traiter d'affaires
quelconques, à peiqe de la vie contre les assistants, et du
rasement des maisons dans lesquelles les réunions auraient
eu lieu. Il étendit ces mesures à toutes les grandes villes de
la Ligue. La paix publique rétablie , il arrêta le cours des
rigueurs en donnant des lettres d'abolition à ceux des Seize
que n'avait point atteints sa justice ■•
Sltsallon géùé-
rml«.
Etat dM partis.
Par ces actes divers, Mayenne opéra une révolution. Au
point de vue de l'ordre social et de la liberté civile, les ci-
toyens honnêtes et les propriétaires furent arrachés au dan-
ger de perdre leurs biens, leur liberté , que la faction des
Seize et la partie viciée de la populace avaient si indignement
menacés. IjC règne de la terreur de ce temps-là prit fin.
En ce qui concerne le gouvernement et l'état des partis,
les Seize, dont le nombre diminua de dix mille, selon Lestoile,
après l'assassinat de Brisson', et redescendit à quatre mille
environ , les Seize ne furent pas détruits, mais ils perdirent
leur pouvoir politique ; ils cessèrent d'exister comme parti
* La |>artie d« la conspiration des Seice, comprise «ntre leur lettre aa
roi d'Espagne et la destruction de leur fticiion, etl renfermée dans les odm
patagmphfs piccëdents. Pour cottr curieuse période, voir Lestoile, Registre
I'ourn. da règne de Henri IV, et «on supplément, pogps 63-75. 7S. — Vif.
eroy, Apol. et Disc, t. Xi, p. 77. 78, tous deux témoins et acteurs. -^
P. Cuyet, 1. m p. 5i4-S5i; d'opn'-s les relations du temps les pins cir-
constjinciées.— Thuanns, I. eu, 5$ H, 13, fi; t. y, p 104-107. — Registre
d« rhùtel de ville de Paris, toI. xin, fol. 94$, S59.S88. — NcTers, Me-
moircf , u it, p. 6i4.
* Lrstoile, llcgistre*Joarnal, p. 194 R, $ %.
LA PUISSANCE DES SEIZE DÉTRUITE : L^ÉQUILIBRE. 113
or^ganjaé, pesant sur le goavernement et sur Fadininistration
IMtblique : la prédominance qu'ils avaient exercée Jusque-là
dans la Ligue passa à la classe bourgeoise , à la Ligue fran-
çaise. Mayenne sauva son pouvoir que la victoire de la faction
espagnole lui aurait enlevé. II opposa les Seize abaissés,
mais forts encore, aux poiitiques^ qui inclinaient plus forte-
ment que jamais vers le roi , et il établit à son profit une
politique d'équilibre entre les deux partis.
Cette adresse lui réussit pour le moment, n y eut quatre
mflle Seize , comme il y avait quatre mille Espagnols, qui ,
tout en détestant le duc, s'opposèrent aux projets des poli-
tiques, les traversèrent et les ajournèrent Mais, en dernier
résolut , cette tactique lui fut plus nuisible qu'utile, parce
que ses ménagements calculés pour la masse des Seize loi
aliépèrent la plus grande partie de la classe bourgeoise. A
son retour à Paris , la Ligue française l'avait pressé d'exter-
miner sans pitié et sans exception les Espagnols et les Seize,
dans lesquels elle voyait avec raison les irréconciliables en-
nemis de son indépendance et de sa liberté dvlle. Elle pré-
tendait Jouir de ces biens non d'une manière précaire et va-
riable an gré des circonstances, mais d'une manière solide et
définitive, et elle demandait que Mayenne les lui assurftt par
la mort , ou du moins par le bannissement des Espagnols
et des Seize. Les Hennequin et Daubray, qui, pendant le
btocus de Paris, s'étaient rendus célèbres par l'énergie de
leor résistance contre Henri, portèrent la parole à Mayenne
dans oe sens, au nom de la Ligue française. Le duc ne leor
répondit que par des demi-mesures , et dès lors ils prirent
one résolution dont ils ne revinrent pas. Les auteurs con-
temporains qui ont étudié avec le plus de soin l'histoire des
pards témoignent que, dès ce moment, Daubray et plus de
la moitié de la Ligue française passèrent aux politiques, aux
partisans de Henri, avec la conviction qu'il fallait suivre le
drapeau du roi quand on prétendait se maintenir Français,
et conserver la propriété, la vie, la loi, l'autorité des ma-
gistrats Cette partie de la Ligue française, représentée par
Daubray, composée des meilleures familles de la'bourgeoisie
et de la moitié du parlement de Paris, cessa de presser le
roi pour son changement de religion , et se borna à stipuler
poor la conservation de la sienne. L'autre portion de la Ligue
8
llA anroiBB du nàoRi m henih iv.
françalM, qui avait pour chef Marlllac, pias tard cbaneelier,
continua à exig^er de Henri qu'il abjurât; mais, moyennant
cette concession, eile offrit de le reconnaître. Daubray et les
Ugueun (rançais, ralliés désormais aux politiques, ne rom-
pirent pas d*abord ouvertement avec Mayenne; mais dans
toutes les circonstances, comme nous le verrons bientôt, ils
combattirent ses prétentions à la souveraineté, en attendant
quHls lui arrachassent Paris <•
Quant à la liaison entre Tétat intérieur de la Ugue et les
relations extérieures, la dédite des Seise enleva à Philippe IX
IHme des deux occasions principales qu'il ait eues d'envahir
le royaume. Si, avec le concours des Seise, il était parvenu à
se rendre maître absolu dans Parts, Tentralnement résultant
de l'exemple donné par la capitale, et l'effort de la nouvelle
armée espagnole, qui en ce moment passait la frontière, sous
les ordres de Famëse, auraient pu mettre sous sa loi tous
les pays situés entre k Flandre et la Loire, et peut-^tre lui 11*
vrer plus tard les autres provinces. Ces chances de succès
lui furent enlevées, 11 fut hors d'état d'attenter actuellement,
présentement, à l'indépendance du royaume. Mais il n'en
restait pas moins pour nous un implacable et iormidable en-
nemi. Ses troupes continuaient à occuper sur trois points
notre territoire ; ses garnisons tenaient plusieurs de noe villes
principales et Paris lui-même; dans toutes les villes de la
Ligue, ses intrigues et son or lui gagnaient chaque Jour quel-
ques partisans nouveaux parmi les gouverneurs, les notables
citoyens et les magistrats mimicipaux. De plus, dans la pour-
suite générale de ses desseins, dans l'ensemble de ses moyens
d'attaque contre notre malheureux pays, il avait trouvé, au
moins pour l'avenir, une compensation à l'échec qu'il venait
d'essuyer. Les dissensions nées au sein du parti royal, et l'af-
laiblissement nécessaire qui en résultait, étaient la revanche
que notre mauvaise fortune lui donnait contre la France.
rormation D^ ^ tRols de UMirs dc cette année 1591, pendant le siège
autim-parii. ^e Chartres, une dangereuse scission s'était opérée dans le
parti et dans la famille du roi. Bon nombre de catholiques
royaux qui voulaient pour souverain un prince catholique
• p. C«y«l, I. m, y. BO A; I. IV, p. 304 B, 80*. — LmIoU#^ p« V4,
rOftVATlOlt f»0 riBllS-l>AKTl. 145
te iDOBtraient découragés et rebutés des délais apportés par
Henri à sa oonvertioii. Le Jeune cardinal de Bourbon, cousin
du roi , se donna pour cbef à ces mécontents, et se flatta de
parrenir à la couronne avec leur appui. Il fut secondé dans
•es projets par son frère le comte de Soissons. Au dehors, il
écrivit au pape, pour faire valoir ses prétentions et obtenir
une décision qui les favorisât Au dedans, il se mit dans un
état de conspiration latente , mais continue , contre Henri*
Cette faction s'appela tiers'pariù Les politiques ayant porté
ce nom sous Charles IX et sous Henri III, quelques auteurs
modernes, même parmi les érudits, ont confondu les uns
avec les autres sous Henri IV: c'est une grave erreur; an
temps de Henri IV, le tiers-parti était précisément Topposé
du parti politique K Après avoir restitué à cette faction son
caractère , il importe de signaler son influence : au sein du
parti royal, du parti de la légalité, de Tordre, de Tindépen-
dance nationale, elle hitroduisait Tantagonisme et Taffaiblls-
•ement
Henri espérait encore avilr raison de ces ennemis in- Le roi réunit
térieurs et extérieurs eonjurits contre lui , dissoudre et ** jî'V.'méi***
mettre à néant le tiers-parti, accabler la Ligue, chasser le éuHugèr*.
roi d*Espagne des vUles et des pays où il s'était cantonné, et
vaincre serlieutenants, s'il osait les renvoyer dans le royaume.
Il se flattait de délivrer la France, en gardant sa religion, si
la voix de la conscience lui commandait de persévérer. Dans
cette tentative décisive , il comptait sur la grande armée
étrangère et protestante, qu*il ramassait depuis près d'un an,
avec des peines Infinies. Il avait vendu des portions de son
domaine privé et du domaine de la couronne Jusqu'à con-
cvrrenoe de plusieurs miUions, et contracté des emprunts à
l^émnger pour payer ses troupes auxiliaires, et leur solde se
trouva prête an moment où ils entrèrent en France K II alla
dans les plaines de Vandy, près Vouriers, recevoir l'ar-
mée aHemaiide que lui amenait Turenne et qui compuit
* Tkaftsus. Hist., 1. a, %$ 7« 9, I. y, p. 55, 56, 58, 69. - De Thoa,
KéoKMict, U XI, p. 35t, cuil. Micbaud. — P. C«3et, 1. ui, p. 395 B. —
Vi»«tv7, Apo). et dite.. I. xi, p. «01 B.
* LeUree mieMTet de Henri IV, dn 14 toUlM, t. nu p. 457. Le roi ordmae
éÊ Tendre em Kormendie po«r 300,000 écns d> domaine de le eonrouue.
— MéBoiret do vedooie Punleiiit, t. l , |^ iSS, 108, 103, vente ponr
tOOjOOO ëcM do domaine prive.
116 mSTOIRB DV RÈGNE DB HENRI IV.
1^,000 hommes (29 septembre). Dans un intervalle assez
court, il joignit à ce corps principal 6,000 Anglais envoyés
par Éisabetti à diverses lois, 6,000 Suisses engagés dès lors
à son service, et enfin les débris de quelques régiments fran-
çais formant 6,000 hommes. Ces divers corps formaient un
total de 30,000 soldats réguliers, et en grande majorité pro-
testants. Henri était donc sûr d'échapper pour la prochaine
campagne à Tirrégularité et à l'intermittence de service des
gentilshommes et des troupes qu'ils amenaient 11 pouvait
espérer d'opposer le zèle réformé de ses auxiliaires au zèle
catholique des Ligueurs et des Espagnols , et de soustraire
une partie considéral>le de l'armée au commandement fort
peu sûr des grands seigneurs du parti royal. En effet, les
étrangers obéissaient à des chefo particuliers, les Allemands
au prince d'Anhalt, les Anglais à Roger Willems K
Siège de Roaen il destius Ics forces cousldérables dont il disposait au siège
projeté. ^^ Rouen. La conquête de cette ville achevait la réduction de la
Normandie, et mettait entièrement à sa disposition les ressour-
ces de ce riche pays. La chute d'une cité aussi importante de-
vait produire un mouvement salutaire d'ébranlement dans la
Ligue entière. Enfin Elisatieth demandait avec instance cette
entreprise , pour fermer Rouen à l'occupation espagnole, et
pour mettre les côtes d'Angleterre à l'abri des attaques de
Philippe II et des tentatives d'une nouvelle Armada.
lia conquête de Rouen et la soumission entière de la Nor-
mandie devaient servir au roi de pohit de départ pour la ré-
duction des autres villes et des provfaices engagées dans la
Ligue. Henri ordonna à Biron d'ouvrir le siège de Rouen le
11 novembre. Il se rendit lui-même au camp le 2â de œ
mois, et commença à prendre une part personnelle aux opé-
rations le 1*' décembre, après avoir sommé les habitants de
se rendre et prévenu autant qu'il était en lui une nouvelle
effusion du sang français \
Bien que les premières attaques contre Rouen aient en
lieu dans le cours du mois de novembre 1591, comme les
* Lettres miuive* det S et 91 octobre iSM, t. m. p. 408, SOR, BOi. ->
DeuUcaé, 1. m, c. 43, p. fB7, ISS. — P. Cajei, 1. m, p. 307, 30S.
* Letiree miisives de Henri IV du SB novembre et du 4«t décembre, t. m,
p. 500^11. " P. Cajet» 1. m, p. SSi, 806, 357. — Thnanui, I. ai, S 17,
t. V, p. 1 10.
Sli6£ DE ROUEN PROIETÂ. 117
«^tendons dédfllves se rapportent à Tannée 1592, nous
rejetterons à cette année tout ce qui se rapporte à ce siège
mémorable.
CHAPITRE V.
CmvMitîoii honleote eonMiili« par Maj«noc. Si^« de Rouen. Le roi Irabi
de -DouTeeu, et tous fcf desseiai ruinés. Situation def proTinces*
1592. Le siège de Rouen fournit à Philippe II l*occasion CoBTenUon
d^avancer, par les négociations et les traités, son projet *'**"î^*^^
d^assenrir le royaume. Son ardente ambition ne lâchait pas Mayenne avec
prise un faistant N'ayant pu avec le concours des Seize roid^ÊTpegne.
s^mparer de Paris et faire proclamer sa royauté, ou celle de
rinfainte sa fille, ce qui était la même chose, il résolut d'ar-
racher aux nécessités de Mayenne cette concession décisive.
Le duc manquait des forces et de Targent nécessaires pour
secourir Rouen contre les attaques du roi : Philippe II les lui
refusa et liil tint le couteau sous la gorge , jusqu'à ce quil
eût signé son déshonneur et le prélude de l'asservissement
de la France. Dans les conférences de la Fère et de Lihons-
Saintot, qui se tinrent entre le 10 et le 18 janvier 1592, le duc
de Parme stipulant au nom du roi d'Espagne et Mayenne
signèrent les conventions suivantes bientôt converties en
traité. Mayenne reçut les quatre millions d'écus par an et
l'armée esfKignoie qui lui permettaient de combattre Henri.
En échange , il promit en son nom , au nom des princes de
•a maison et des grands seigneurs de la Ligue, que l'infante
Isabelle, Glaire-Eugénie, serait reconnue reine souveraine et
propriétaire du royaume de France ; que les États-généraux
convoqués à cet effet reconnaîtraient son droit et lui défére-
raient le trône '. Il est vrai que Mayenne stipulait que l'in-
* Dëpéchei de Diego dMlMrra an roi d'Espagne des 11, 14, 18 janvier
VSBfL •— nép^be du due de Parme au roi d^Etpigne du 18 janTier IS91.
*- lICMOtrea de la Ligne, t. V, p. SO-70* — Ment, et correspond, de Du-
plcasts. t. Y, p. 1S7>147. < On Ini dit U parlicularitë de la se'rénissime in-
• ûu\B au premier grade, ce qii*U n'îguoroit, et il respondit qu'il estoit
• d*opinion qu'on j pourroit entendre, ei que pour cette fois on rompit
m Im loi snlique^ avrc condition que deduns un un elle &e raariast, avec
• l'advit des princes et ofliriers de la couronne et Estât de France. —
• Faisant nommer la se'rénissime infunte royne souveraine de ce
• royanne... Considérant que la sérénissime infante, ma m»ilresse, sera
» déclara royne propriétaire de ce royaume. ■
118 HISTOIRE DU RÈGIfB OB HBKHI IV.
fante prendrait dans Tannée un mari de Tavis des conseillers
et des grands officiers de la couronne ; quele royaume serait
conservé dans son entier ; que ses lois et coutumes seraient
maintenues. La correspondance diplomatique du temps nous
apprend de plus que le dessein de Mayenne était de ne tenir
aucun de ses engagements, et de corriger une infamie par
un manque de foi ^ Mais quand on examine de près la situa-
tion , on reconnaît dans quel péril il Jetait TÊtat. Philippe
avait pour lui l'argent , les armées , les talents du duc de
Parme, les intrigues et la corruption dans Tintérieur des villes
de la Ligue : qui pouvait répondre à Mayenne qu'il n'aurait
pas la main forcée? En second lieu, Tépuisement et les souf-
frances du peuple étaient si extrêmes, que dans un moment
de désespoir il était à craindre qu'une partie au moins de
la nation n'achetât la paix' à tout prix, même par la sou^
mission à l'étranger. Enfin la guerre et la maladie pouvaient
emporter d'un moment à l'autre Henri IV et Mayenne , les
deux seuls honunes capables d'arrêter l'usurpation espa-
gnole ; et sans sortir de cette campagne, ils faUlirent succom-
ber tous deux, l'un à Aumale, l'autre à Rouen. Eux morts,
Philippe II n'cût-il pas déchiré comme un vain papier les
restrictions stipulées par Mayenne en faveur de l'indépen-
dance nationale? Dans cet état de choses, reconnaître par
un traité solennel signé du lieutenant général du royaume et
de tous les chefs de la Ligue les droits de l'infante à la cou-
ronne, c'était fournir à Philippe li la dernière arme, l'arme
d'une légalité apparente pour accabler la liberté publique.
Mayenne Jouait donc les destinées du pays qui l'avait adopté,
pour conserver un pouvoir désormais précaire et déshonoré,
n mettait d'abord par les traités l'étranger sur le tr6ne, pour
conserver l'éventualité chaque jour plus faible de le lui dis-
puter plus tard.
Siêfe de Rouen, ^ grande armée que Henri éuit parvenu avec tant de
le roi irahi peine à rassembler sous les murs de Rouen fournissait un
moyen sûr et prompt de mettre à néant les projets du roi
catholique, les concessions de Mayenne, de délivrer à la fois
* Lettre de Jeannin i TUleroj, Apol. et dise. t. xi, p. 18i B. « Ledit
m nrësident mVnTOTa aotti certaine articles d*an tratcttf que le duc de
» Mayenne avoit d^à faict proposer ■as Espagnols, dont |e ras en grand*-
m pdne, encore que ledit président me mandast quUls n'avoyent etW nia
• en avant que pour les amuser. »
ARUEE éTRAKGfcRE RABSKllBLÉE PAR HBRRI. 110
le pays de la guerre civile et des menaces de la domination
étrangère. Aux trente mille hommes de troupes régulières
du roi vinrent se Joindre dnq mille gentilshommes, qu^on
était toujours sûr de trouver pour une courte guerre^ où U y
avait des dangers à braver et de la gloire à recueillir. Le roi
djqiosalt donc matériellement des forces nécessaires pour
écraser Pennemi du dedans et celui du dehors. Il s'agissait
seulement que ces forces fussent loyalement et sagement
employées. Henri avait à craindre qu'elles ne le fussent pas,
si elles tombaient sous Tautorité et la direction des grands
seigneurs catholiques de son parti. Leurs dispositions n*a valent
pas changé. Par conviction religieuse et par intérêt, ils étalent
résolus à ne pas souffrir que Henri vtnt au-dessus de sei
affaires et se rendit absolu, au moyen de la victoire et de lu
paix. Ils ne voulaient pas d'un roi huguenot : lis ne voulaient
pas d^tn état de choses où ils devaient perdre le comman*
dément des armées, l'usurpation des droits royaux dans leurs
gouvernements et dans leurs terres. Le roi devait donc les
retrouver au siège de Rouen ce qu'ils avaient été au blocus
de Paris et à Chelles, se faisant une étude de traverser ses
succès, et lui retenant le bras au moment où il se disposerait à
frapper ses ennemis de coups décisifs. Mais il ne pouvait, sans
no extrême péril , les écarter du commandement , surtout
le vieux maréchal de BIron, dont la réputation et l'auto^
rite dans la guerre étaient sans rivales. Leur disgrâce de^
vait mécontenter et soulever la majorité 4le la nation qui
était catholique. De plus , comme il le disait lui-même dans
l'épanchement de l'amitié, « ils étoient gens pour se séparer
de luy , et faire un party à part , ou se Joindre à ceux de la
Ugue avec lesquels ils ne celoient pohit qu'ils compallroleat
bien mieux qu'avec les Huguenots ; ce qiïi serolt la ruine de
l'État et de la maison de Bourbon '. » Il tenta de surmonter
ces difficultés en leur laissant le commandement, et en con^
fiant à Biron la conduite des opérations du siège de Rouen ;
mais en multipliant, en épuisant personnellement ses efforts
pour prévenir ou pour réparer leurs fautes. Il trouva à
l'épreuve que la tâche était au-dessus de ses forces, et pro-
bafatemeot au-dessus des forces humaines.
' S«U j, OEcMu royalM, u 39, |wst SI A.
120 HISTOIRC DU rAGNE DE HENRI IV.
Outre les raisons générales et communes à son parti, Biron
avait un motif particulier de dissiper en pure perte les fcNxres
de IlenrL II lui avait demandé le gouvernement de Rouen
après la réduction de la ville : le roi engagé d'avance avec le
duc de Montpensier , gouverneur de Normandie, à donner à
un autre ce gouvernement, s'était vu contraint de le lui refuser
pour ne pas faillir à sa parole. De là chez Biron un profond
mécontentement. Ce n'est pas seulement Sully, ce sont pres-
que tous les contemporains qui témoignent qu'au siège de
Rouen, le vieux maréchal « fist toutes choses par despît, et
ne voulut nullement que la ville se prist K » Au début du
siège, plusieurs chefs demandaient qu'en se conformant à la
grande maxime de guerre, ville prise^ chdUau rendu^ on
dirigeât tout d'atwrd les attaques contre Rouen. Ils se fon-
daient sur ce que la ville était alors mal fortifiée et mal pour-
vue de munitions, et ils prétendaient, avec la plus grande
apparence de raison , que la prise de la place entraînerait
celle de la citadelle. Biron laissa d'abord à l'actif et hitelli-
gent Villars, gouverneur de Rouen, le temps nécessaire pour
mettre le fort Sainte-Catherine dans un état formidable de
défense, il porta ensuite sur cette citadelle toutes les forces
et toutes les attaques de l'armée royale. Les royaux trouvant
à chaque pas un retranchement à emporter, un combat à
rendre Contre des chefs et des soldats d'un courage éprouvé,
harcelés de plus par de continuelles sorties, ne purent même,
an commencement, entamer les ouvrages de l'ennemi. Il
resta prouvé alors que s'attaquer au fort Sainte-Catherine,
c'était de toutes les manières de prendre Rouen choisir la
plus difficile et la plus mauvaise. Cependant c'en était une,
parce que la citadelle dominait la ville, et qu'en s'en rendant
maître, on pouvait foudroyer Rouen. Aussi dès que le rot
vint, à partir du i" décembre, prendre une part active aux
opérations, il fit des eflTorts inouïs pour prendre le fort Sainte-
Catherine et pour réparer la faute calculée du maréchal ,
dirigeant lui-même les travaux, entrant de quatre nuits l'une
dans la tranchée, conduisant les soldats à l'assaut, repoussant
les sorties, exposant sa vie plusieurs fois chaque Jour. Villars,
son ennemi, mais son ennemi généreux, s'écriait avec admi-
* SaUy, OEcoD. roy., c. 33, p. 89 A, 90. — P. C*y«t, I. IV, p. SS6 B,
387 B, et Lcfrain, Dccade, confirment à cet égard le Ûniolgnegs de SoUy.
SliGE D£ ROUEN : TRAHISON DES GRANDS ET DE BIRON. 121
ntioo que ce prince, par son habileté et sa valeur, avait mé-
rité mille couronnes pareilles à celle qu*il portait'. MaL<i les
difficultés de l'entreprise et les rigueurs de Thlver Tempe-
chèrent d'obtenir ^ucun avantage décisif pendant le mois de
décembre 1591 et la première moitié du mois de janvier 1593.
11 n'avait encore emporté qu'une partie des ouvrages avancés
de l'ennemi , quand il apprit que les ducs de Parme et de
Mayenne s'avançaient avec une armée de 23,000 hommes
pour lui faire lever le siège. U laissa au maréchal Biron le
soin d'en continuer les opérations avec toute l'infanterie de
l'armée royale. U prit le commandement de la cavalerie qui
comptait 6,000 hommes, quitta le camp de Rouen avec elle
le 20 janvier, et s^avança au-devant de l'armée hispano-
ligueuse'.
Les différends de Fâmèse et de Mayenne étant accommodés,
par les honteuses concessions que le dernier avait faites & <r Aumlie.
l'Espagne, les deux ducs avaient joint leurs forces ensemble,
et en suivant la route de la Fère et de Péronne, étaient arri-
vés à la frontière de la Picardie et de la Normandie, avec le
dessein de secourir Rouen. Le roi résolut d'aller les recon-
naître, de tout tenter pour attirer leur cavalerie, seule et sé-
parée de leur infanterie, à un combat où il pouvait se pro-
mettre une victoire à peu près certaine ; dans tous les cas,
de harceler leur armée à chaque pas, et de leur disputer le
terrain pied à pied. Ayant laissé le gros de la cavalerie à
Neufchâtel, il poussa une reconnaissance jusqu'à Aumale
avec quelques centaines d'hommes d'élite. Dans cette ren-
contre où il flt plus les fonctions de maréchal de camp que
de général et de roi , il courut d'extrêmes dangers, et fut
blessé aux rehis d'un coup d'arquebuse (5 février). Mais il
rejoignit son gros corps de cavalerie, et invincible à la dou-
leur comme à la fatigue, il poursuivit son dessein, dont les
événements se chargèrent de montrer l'intelligence et la
sagesse. Après la prise de Neufchâtel, les ducs, poursuivant
' Sully 1 P. Cay«l, ibU. — Daubigntf, I. m, c. iS, p. S88.
' SoUy, OKcoii. roy., c. 33, p. 90 A, 01 B, U9. — Daubignc, 1. ni, c. 13,
p. 259. «0, — P. C«yrl, I. iv, p. S59, 360. — Thuanus, 1. cii, subJÎH,
— ITaprèa !•• lettre» minWee, t. m, p. 549, 553, 555, Henri «'avance iua-
mCk GiMM-t, 1» f 5 lanvier : U en rcTiciit el campe à Darnetul, dcTaot
Ronen, le 19; il eu est parll le tl, et séjoarne alors à Sommcreuil, en
122 HISTOIBE DO RÈGNE DE HENRI I?.
leur marclie vers Aoaen, s^étaient avancés jusqa'aa bouiig de
Bore. Henri, campé à Buchy, à cinq lieues nord-est de
lUmen, attaqua et siuprit les deux quartiers de Mayenne et
du duc d'Aumale, du duc de Guise et du comte de Gbaligni*
tua on di^rsa tout ce qui s'y rencontrait, et fit un butin
immense (17 février).
R«Tertde Biron Depuis uu mois, Henri tenait les deux ducs en écbec, leur
licge d« Rouen. ^^^^^^ ^^ cbemîn , couvrait Rouen , donnait les moyens à
Biron et à son infanterie d*en poursuivre et d'en achever le
siège. Grâce à ses Ulents et à son intrépidité, il était donc
arrivé au siège de Rouen Topposé de ce que l'on avait vu se
produire au blocus de Paris. Mais pour que la ville attaquée fût
réduite, il fallait de toute nécessité que les opérations du siège
fussent habilement et vigoureusement conduites, et elles le
furent aussi mal que possible. Pendant tout ce grand mois,
le vieux maréchal de Biron ne fit aucun progrès décisif, et h la
fin du mois, en l'absence du roi, il essuya un revers terrible.
Son incurie laissa Villars faire, le ^2U février, une sortie géné-
rale. L'armée royale perdit huit cents hommes, ses provisions
de poudre, une partie de son artillerie traînée en triomphe
par l'ennemi; Biron fut blessé à la cuisse, les plus braves
capitames tués sur place, les tranchées comblées , les mines
éventées, l'entreprise ramenée au point où elle était le pre-
mier jour du siège.
DUp^ninn Vainement le roi répara cette faute énorme ; vainement il
•i%ine partie d« concentra les divers corps de son armée, ranima leur cou-
^imee ruya «. ^^^ opposa aux ducs uuc force tellement supérieure, que
ne pouvant faire lever le siège sans en venir aux mains , et
n'osant livrer bataille, ils se retirèrent sur la Somme. Inuli^
lement encore, Henri rétablit les tranchées, éleva des forts,
renversa une partie des murailles de Rouen , vainquit les
assiégés dans une sanglante sortie près de la porte Gaudioise,
réduisit Villars à de telles extrémités, qu'il écrivit aux ducs
que s'il n'était secouru dans huit jours il capitulerait. l'ar le
fait seul que le siège avait duré pendant cinq mois d'un ri-
goureux hiver, l'entreprise était manquèe. En effet, le pins
grand nombre dcH soldats étrangers avait succombé à la fa-
tigue, à la maladie ou dans les combats. La noblesse, selon
sa coutume, après un mois ou six semaines de service, s'était
retirée dans ses domaines. A la date du 29 mars, bien que
EFFORTS DU ROI : LEVÉE DU SIÉGÉ DE ROUEN. 123
Henri eût reçu nn renfort de 6,000 Hollandais et Anglais, il
ne comptait plus que lâ,000 hommes dans son armée, et
n^avait presque pas de cavalerie. Dès lors il se trouvait dans
Timposaibflité à la fois de disputer le passage aux ducs, de-
venus depuis peu très supérieurs en forces, et d'accepter
contre eux une bataille pour les empêcher de faire lever le
siège.
Instnilts de Tétat de lîiiblesse où 0 était réduit, et princi- Lavtft du nég«
paiement de son manque presque absolu de cavalerie fran- * *'"'"*
çaise, Famèse et Mayenne se rendirent en trois jours (16*19
avril), par une marche précipitée, des bords de la Somme
sous les murs de Rouen. Non seulement Ils trouvèrent la
route libre , mais ils contraignirent Henri, qui ne pouvait
les attendre sans s'exposer à une défaite, de retirer ses trou-
pes à Bans, à deux lieues de Houen. Les ducs entrèrent le 30
avril dans Rouen délivré : ils détruisirent tous les travaux
élevés par Tarmée royale , ravitaillèrent la ville, et ne lais •
sèrent plus de trace de la longue et pénible entreprise du
roi».
La délivrance de Rouen ne devait être complète que quand suge do Cou-
ceite ville pourrait communiquer librement avec le Havre , '^****^;i^°"'*^'
recevoir des provisions par le cours de la Seine , et rétablir adinir>.bie
son commerce. Pour obtenir ce résultat, les ducs avaient à ^^ '^"*'
prendre Gaudebec occupé par Parmée royale. La prise de
cette place importante par sa situation et par Tamas de vivres
et de munitions que le roi y avait formé était nn complé-
ment nécessaire de la levée du siège de Rouen. Famèse et
Mayenne se laissèrent prendre à cet appât, et après trois
Journées seulement de séjour à Rouen , Ils portèrent leurs
forces sur Gaudebec dont ils s'emparèrent. A ce siége, Far-
nèse reçut un coup d'arquebuse et fut dangereusement blessé
en deux endroits. De Gaudebec ils se transportèrent à Yvetot,
pour réduire le pays Jusqu'à la mer et chercher des vivres^
* Poar l«*cinq paraKrHphptprécddenU, relalift au tiéee de Roaen.roir
le« l^lliet misstres de Henri IV, i. m, p. SW, S63,S66-S70, 574-57T, 89.1,
90*. S09, 616, 617. — P. Cayet, 1. m, p. 366-366. — Thuanui, 1. ai, ail.
— Dsobigné, 1. ni, c. i\ 14, U ui, p. 95S-965. — On lit dans les leltret de
Henri, dei iO et SI avril : m Sachans met ennemis que festoia deipourrev
• ém CBTaUerie fraoçoife, Ua ont nad de telle diligence, qn^en Iroia |oai^
» Dce« tta Mnt venna de la rivière de Somme 4 raoj; qui a etltf caose qae
• fay l«vd le litffe. i
i2/ii HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
C'était à cette démarche que Henri les attendait Quand il les
vit enfoncés dans la Normandie, il résolut de les y enfermer
et de les exterminer, tournant contre eux , par une com-
binaison de génie, leur succès d'un moment et la levée du
siège de Rouen. Avant de se séparer de sa noblesse, il avait
tiré d'elle la promesse de venir le joindre au premier appel
Cet appel, il le fit; les gentilshommes y répondirent, les gar-
nisons des places voisines accoururent, et en quelques jours
il réunit 23,000 hommes , parmi lesquels 6,000 cavaliers,
forces très supérieures à celles de l'ennemi qu'il attaqua
aussitôt
Cinq comuu Assailli par l'armée improvisée que son adversaire avait su
prit* '^/'ttou rassembler, le duc de Parme disait « que le roi faisoit la
de RiiDton. guerre en aigle. » 11 put se convaincre bientôt qu'il la faisait
aussi en lion. En effet, Henri, du 28 avril au 10 mai, livra
aux environs d'Yvetot cinq combats , dans lesquels les ducs
essuyèrent des échecs successifs et très rudes. De plus, il les
rédtdsit à une telle disette de vivres et de provisions , que
dans leur camp le pain se vendit dix sous la livre, le vin
trente «ous la pinte, l'eau même des fontaines à un prix très
élevé, tandis que la paille et les fourrages manquaient abso-
lument Us avaient déjà perdu le tiers de leur armée par la
maladie, les combats et la désertion, quand ils levèrent leur
camp le 11 mai, et allèrent prendre position à Ranson, vil-
lage distant d'un quart de lieue de Gaudebec. Le roi les
poursuivit l'épée dans les reins, attaché, avec un légitime
acharnement , à leur perte qu'il lui fut donné ce jour-là de
consommer. En effet, ayant séparé son armée en deux corps,
il se mit à la tête de l'un, et attaqua avec la plus grande vi-
gueur les quartiers des ducs , tandis qu'U envoyait Bht>n ,
avec l'autre division, donner contre le reste de l'armée enne-
mie dans Ranson même. Le corps que commandait le roi
détruisit deux régiments hispano-ligueurs. De son côté, le
corps commandé par Biron renversa tout ce qui se trouvait
devant lui, tua huit cents hommes, mit le reste en fuite, et dé-
truisit la cavalerie légère des ducs, composée de vingt-deux
compagnies. L'armée des ducs était profondément ébranlée
et découragée ; la victoire était à moitié remportée : pour
l'achever, il suffisait de vouloir et de marcher. Dans ce mo-
ment le baron de Bhx>n demanda à son père cinq cents cbe-
COMBINAISON ADMIRABLE DU ROI : NOUVELLE TRABISO{«. 125
Taux suffisants, disait-il , pour décider l'entière déroute des
Espagnols et des Ligueurs. Le vieux maréchal les lui refusa
en lui disant : « Maraud, nous veux-tu donc renvoyer planter
» des choux à Biron?» Le jeune Biron, qui ne voyait alors
qu*un éclatant succès qu'on lui arrachait des mains, s'écriait,
dans les transports de son indignation , que s'il était roi de
France, il ferait couper la tète au maréchal.
Famèse s'aida de cette collusion : en capitaine consommé,
il avait jugé que c'était fait de lui et de son armée , s'il ne
parvenait à échapper à un adversaire tel que Henri, et de-
pois huit jours il avait préparé ses moyens de retraite. Dans
la nuit du 16 mai, il construisit en face de Gaudebec un pont
avec les bateaux qu'il avait fait descendre de Rouen, trans-
porta ses troupes sur la rive opposée, rompit le pont, et mit
ainsi entre lui et Henri la Seine, qui en cet endroit n'est plus
un fleuve, mais un bras de mer. Le roi assura à son conseil
que rien encore n'était perdu pour la destruction de l'en-
nemi, si l'on voulait précipiter 6,000 cavaliers vers le Pont-
de-1'Arche, harceler les Espagnols et les Ligueurs épuisés par
la fatigue, la faim et les combats, et donner le temps au gros
de rarmée royale de les joindre pour les extermfaier. Toutes
les mauvaises raisons qu'on lui opposa étaient réfutées par
le fait que Souvré, avec un corps de cavalerie, en suivant la
route indiquée par Henri, avait joint l'ennemi et l'avait com-
battu avec avantage. D'un autre côté, ces misérables pré-
textes pouvaient être surmontés par un acte énergique de la
vokmté royale. Mais les ambitieux qui voulaient éterniser la
guerre pour se perpétuer dans le commandement, et les ca-
tholiques passionnés mirent ordre à ce que cette volonté, si
elle se produisait, restât impuissante. Renouvelant une pra-
tique dont ils avaient déjà usé deux ans auparavant à Mantes,
ils excitèrent les Suisses à exiger impérieusement leur solde
avant de marcher, et ils refusèrent au roi l'argent indispen-
sable pour les satisfaire. Parmi ces embarras et ces trahisons,
Henri perdit le moment utile de la poursuite , et la dernière
chance de la victoire.
Famèse put gagner Paris, et de là ramener en Flandre
son armée, diminuée du reste de 7,000 hommes. C'est Sully,
témoin de ce qui se passa au camp royal dans cette mémo-
rable circonstance; ce sont Mézeray et Pêréfixe, placés si
PasMge
de lu Sriii»
par FarD««f.
Retiatte
il« Farnèsv.
i^ BtSTOIflB Ot) RiONH 0B nEKBI IV.
près pour rocueillir les témoignages des contemporains, qui
fournissent les délails que nous venons de reproduire, cl qui
montrent comment les chefs royaux parvinrent à faire
avorter les admirables combinaisons et les prodiges d'acti-
vité de Henri K
Famèse , défait en toutes rencontres et blessé , avait été
contraint à la retraite , ou plus exactement à la fuite : le
territoire était momentanément délivré de l'invasion de
l*armée espagnole, dont près de la moitié avait été détruite.
Gâtait à ces incomplets et insuffisants résultats que se bor-
nait tout Teflort de cette guerre« Le roi avait espéré , juste-
ment espéré, « qu'il feroit perdre aux Espagnols le chemin
■ ou Tenvie de plus venir troubler et ravager le royaume;
» que la campagne d'Yvetot seroit un coup de partie pour la
» France et pour lui-même \ » Ces espérances étaient ren-
versées, ce coup de partie perdu. Ses généraux et ses servi-
teurs, ou ceux qui se disaient tels, avaient fait échouer le
tiége de Rouen, comme ils avaient fait avorter le blocus de
Paris. La Ligue demeurait debout; toutes les grandes villes,
toutes les capitales de provinces, au nombre de vingt-quatre,
révoltées et les armes à la main ; le roi épuisé d'argent, hors
d'état de rassembler de nouveau une grande armée, con-
vaincu d'impuissance dans son projet d'atiattre la révolte ; la
France enfln déchirée, ouverte aiu nouvelles invasions de
Philippe H, livrée intérieurement à ses intrigues et à ses
]n*ogrès.
KréntmmiB Durant les premiers mois qui suivirent le siège de Rouen,
^proTiS^rat/*' ce qui se passa sur presque tous les points du territoire con-
* Pour !•• iiuntr* drrniert piira|rHphet, letU-fi missives des l*', 5, 7,
II, 17 ntui, t. m, p. OM, 09^, Sirt, ôlM, ft^t. 6:>4, 657. ~ À la diit« du
17 mai, H«aH iodiqu« comme nccumpli la pasaags de I» Jielne à GMiidebec
Bar Faruèse. Cela esl ronlirmd par Lesiuiie, qui place le pas»age de la
Seine, por le duc de Parme, le samedi IS du mots de mai. Trille de la Pen-
tecAte, et qui • to, le IS mai, Turmée des ducs passer par Paris (RegisC
|oaro,, p. 1M> aj. — Les autres cuiitentpoiains placent ce passage an SU et
an 89 mai. — Thuanus, I. ciu. — Supplém. de Lesloile, p. S7 B. — Cayel,
1. nr, p. ôfiB À, B. Il y a cbee eux erreur de date prouvée par les Ictlies
missives. G>nlre le lémoigiiag<> des mêmes lettres, p. 6i5, Sully, c. 35,
p. OS A, Dauhigné, c. 16, p. S66, Cheveiuy, i. X . p. 516 B, placeal la
blessure de Faruèse, non au siège de Caude)>cc, muis & Tun des comlMls
3ue lui livra Henri entre Yvetot et Runsoii. — Pour la conJuiic du vieux
iroii, 4 Itansou, voir, outre !»uliy, le Suppl. de Lesloile, p. 97 B; Meaeny,
Grande histoire, t. lU, p. 946, 947, in-fol. \ Péréfixe, i> partie, p. 167.
ill4o, édiU IS».
• UUiea MlMivfs det 7 «t U «Ml, I, w, p. 6Bi, 684.
Les PLANS DtJ ROt RKimiRSÉS ! ÉTAT DES PROVINCES. 1S7
ffrma , aggrava même ce malheureux état de choses. Pans
le rayon de Parts, après le départ des Allemands auxiliaires,
après les pertes et les fatigues du siège de Rouen , tons les
progrès de Tarméc royale se bornèrent à Toccupation de
deux places très secondaires. L'une était Épemay, dont le
duc de Parme s*était emparé an milieu de sa retraite , et que
le roi reprit le 8 août; au commencement du siège, le
vieux maréchal de Biron ftit emporté d'un coup de canon *.
L'autre était Provins. En voyant le roi tombé de Tattaque
de Paris et de Rouen à celle d*Epemay et de Provins, qui lui
résistent longtemps , on sent quel était le déclin de sa for-
tune.
Philippe II avait envoyé un nouveau corps de 5,000 Espa- BiatagM.
gnols au gouverneur de Bretagne, Mercœur. Celui-ci s'in-
dignait des secours trop grands et trop fréquents que lui
Imposait le roi catholique; mais dans la situation hon-
teuse où il s'était placé , il n'avait plus la liberté ni de la ré-
sistance ni même de la plainte : il était réduit à laisser
faire. Les royaux , commandés par deux princes du sang,
Dombes et Gonti , perdirent la bataille de Graon en Anjou,
sur les confins de la Bretagne : toute Tarmée royale fut dé-
truite ou dispersée (23 mai 1599). Les confédérés s'empa-
rèrent de Laval dans le Maine, deChâteau-Gonthieren Anjou.
Cette victoire Ait bien moins utile à .Mercœur et à la Ligue
qu'à Philippe II. Son pouvoir s'affermit et s'étendit en Bre-
tagne. Les Espagnols et leur chef don Juan d'Aqoila ne
tardèrent pas à dominer d'une manière absolue, non seule-
ment dans Blavet, qui leur avait été abandonné , et dans le
fort Grozon, qu'ils construisirent près de Brest, mais aussi
dans plusieurs villes dont ils gagnèrent les gouverneurs,
telles que Douarnenez et Vannes '. De plus, Philippe trouva
devant lai les marches d'Anjou et de Maine tout ouvertes ,
* Lettres minives, 10 InUlet ISSf, t. ni, p. 648. — P. Cayet, I. it,
p. 374 B.
* Mëm. de madame Duplestb, t. i, p. ti4. « Le duc de Merccaar fiiit
» quelque mloe d'entendre à une paix avec le rof. Il ettoil en défiance du
» secours que le roy d'Espaigne luy enTuyoit plus souvent el plus grunt
» qu'il ne Tonloit. Mais il n osa offenser l'ambossudeur d'Espaîgne, qui
» loodeia lai imetliua les principaux du cierge' pour luy eu foire rrmon-
» trunre. » Lettres misiivei du 19 juin, t. in« p. 6S0. — Tbuanus, I. cm,
SS 14, 5S, el 1. «sni, S 15, t. V, p. 143.145, 145,600. - P. Ceyet, 1. it,
p.3604ni,407B.
Lungu«doc cl
Gaienne.
ProTcnce.
128 HISTOIRE DD RÈGNE DE HENRI IV.
et menaça de relier Tinvasion des provinces de TOuest à celle
des provinces du Nord, déjà commencée par les garnisons
mises dans Paris, Meaux et la Fère«
Dans le Languedoc, le Ligueur Antoine-Scipion de Joyeuse
succéda à Tautorité de son père Guillaume sur Toulouse et
le Languedoc occidental , s'appuya comme lui sur les Espar-
gnols , et fut contraint de les mettre de part avec lui dans
son gouvernement et dans les conquêtes qu'il fit. Ayant reçu
de Philippe II un corps d'Allemands auxiliaires , il se saisit
de plusieurs villes en Languedoc sur le gouverneur royal
Montmorency, et lui enleva Garcassonne, la seconde ville du
pays, n défit deux fois les royaux à Lautrec et à Lacourt
dans les mois de mars et de juin , entra dans le Quercy,
province dépendant de la Guienne , prit quelques places se-
condaires, et attaqua Villemur avec le dessein d'occuper tout
le Quercy et de pénétrer ensuite dans l'intérieur de la
Guienne. Presque toutes ses forces étaient étrangères. Sur
ce point donc on retrouve l'invasion espagnole , et on la voit
poussant une pointe menaçante vers les provinces centrales
de la France. En Guienne même, Philippe faillit s'emparer
de Bayonne au moyen d'un complot qui devait aider une
armée de terre et de mer (août). Un hasard fit échouer l'en-
treprise ; mais toutes les places frontières étaient travaillées
par de semblables menées , et ne conservaient plus qu'une
indépendance incertaine et précaire K
En Provence, après la mort du brave et loyal La Valette,
le nord du pays fut maintenu dans l'obéissance de Henri
par l'énergie du parlement royal résidant à Sisteron >, et
par les secours que Lesdiguières y amena de Dauphiné an
commencement de l'année. Dans la partie méridionale, le
duc de Savoie, ayant rompu avec la comtesse de Sault,
avait été chassé de Marseille l'année précédente , et cette
année 11 perdit toute autorité dans Aix. Mais il conservait
Berre et Grasse, et dans sa conquête momentanée d'Antibes,
qui eut lieu le 7 août, il fit un butin immense qui épuisait
le pays et le laissait sans défense. De plus, le roi d'Espagne,
• Lettres miMiret du f7 fcrrier, t. m. p. 67i. ^ Thmoiu, 1. Clil, SS tS«
17. p. 150-164. — P. Cayet, 1. nr, p. 387, 388,395.
■ l.e purlement royuliste de Pi^oreuce retourna la même ennife, el quel-
que temps Hprè*, à Maiiotqao.
ÉTAT DES PROVINCES. PROGRÈS DU TIERS-PARTI. 129
bien plus redoutable à la France , hérita de presque tout ce
qui échappait à son gendre. En effet, Marseille étant tombée
au pouvoir des deux tyrans Gasaulx et Louis d'Aix, Phi-
lippe II en fit ce que Bussy le Clerc et les chefs des Seize
avaient été à Paris, les agents de ses desseins , les promo-
teurs de son usurpation. De {dus, il envoya une flotte dans
le port de Marseille pour préparer les voies à sa conquête >.
En Dauphiné, durant Tabsence de Lesdiguières , alors DBaphinë.
occupé en Provence , la trahison du gouverneur royal Mau-
giron livra Vienne , la seconde ville de la province , au duc
de Nemours, gouverneur pour la Ligue du Lyonnais (10 juil-
let). L'ambitieux Nemours, presque aussi hostile à Mayenne
qu'à Henri, voulait rétablir à son profit Tancien royaume
d'Arles, en détachant le Lyonnais et le Dauphiné du corps
de la monarchie. Mais l'armée du duc de Savoie, avec la-
quelle il exécuta cette entreprise, était presque entièrement
composée d'Espagnols et d'Italiens du Milanez, sujets de Phi- .
Uppe II \ Là donc, comme en Provence, comme en Lan-
goedoc , comme en Bretagne , les Espagnols se montrent
derrière les ligueurs, marchent à leur suite, pour se saisir
de la proie qui ne fait que passer entre les mains de la Li-
gne, et qui s'arrêtera dans celles de l'étranger.
Dans le même temps que Henri avait à gémir et à s'in- Progrèn
qidéter de ces pertes essuyées sur les divers points du ter- *" **«"'i**^
lîtoire, il voyait les principes de dissolution se développer au
sein de ce parti royal qui, depuis trois ans, avait fait seul le salut
dn pays. A partir de la fin du mois d'avril, et après le mau-
vais succès du siège de Rouen, le tiers-parti s'était grossi de
d^Auinont, de Longueville, des principaux chefs royalistes.
On voit dans la correspondance des ligueurs Villeroy et Jean-
nln pendant le mois de mai, que ces chefs étaient entrés en
relations suivies avec Mayenne qui les trompait, et n'affectait de
vouloir s*entendre avec eux pour pacifier la France, que dans
k double but de les débaucher du parti du roi, et de les opposer
à Philippe II, pour ralentir les poursuites de ce dernier. On
' Lvltrca nisriTct des 3 décembre 1091 et 77 terrier i80t, t. m, p. M3,
91%, 5TS. — P. Cayet, 1. iv, p. 3Sl, 381. — Thuanus, 1. cm, ibid.
' P. Ceyel* I. nr, p. 579 B. « Le duc de SaToie fiit assembler set troupes
» auprès da lac du Bourget, où ac trouvèrent sept à buil mille Espagnols^
m Savoyards, luUens, lesquels, sous la conduite du comte Olitarès, se ren-
» dirent tous à Lyon. »
9
roi.
130 BUTOIRE DU RàGNE.OB BERRI IV»
voit que ces aeigneiirs prévoyaient le cas et annonçaient le
moment où ils abandonneraient le roi, si dans un délai fixe
il ne leur donnait satisfaction au sujet de la religion et des
intt^réts de leur ambition tout ensemble K On voit encore
dans les divers écrits du temps que les grands seigneurs des
deux partis pressentaient la prochaine dissolution de TÉtat t
et s'apprêtaient chacun à en saisir un lambeau.
EirctioB Ces mauvais vouloirs et cette désaffection, ces projets
prochaia* «Pua ^gofstes et lusensés, ûtaient toute force sérieuse et durable
au parti national, en morcelant , en éparpillant ce qui i réuni
jusqu'alors en faisceau, lui avait permis de résister à Fétren-
ger. Un nouveau et plus pressant danger le menaçait encore*
La Ligue allait entrer forcément dans Télection d'un roi.
Cette faction, comme le. déclare ViUeroy, ne pouvait plus se
soutenir avec l'autorité bâtarde de la lieutenance générale de
Blayenne, encore abaissée et affaiblie par ses défaites. La
Ligue avait indispensablement besoin d'un pouvoir plus légi-
time, plus franc et plus fort \ D'une autre part , Philippe II
exigeait l'élection « et Mayenne, à bout de mensonges et de
promesses trompeuses , était obUgé de la lui concéder pour
obtenir de lui les armées et l'argent qu'il ne voulait plus ac*
corder qu'à ce prix. Enfln le nouveau pape Clément VIII ,
élevé comme son prédécesseur au pontificat par la feveur de
l'Espagne, entièrement livré comme lui à Philippe II, pres-
sait la France de se choisir un souverain , et un souverain
catholique. Il s'adressait à la fois aux princes et aux* villes de
la Ligue, comme rétablissent ses brefs adressés au duc de
Neversct à la ville d'Arles (15 février et 7 mai). Il les pres-
sait, les conjurait de sauver la France et la fol catholique*
Par un autre bref en date du 15 avril, il déléguait exprrâsé^
ment son légat en France, le cardinal de Plaisance, l'un des
diplomates les plus adroits et les plus actifs de ce temps, pour
concourir à cette élection. D excluait du trône Henri IV qu'il
nommait tm tyran hérétique ; il demandait qu'en son lien et
place, on choisit un roi catholique qui pût le terrasser «t
rextermlner >•
* Uttt* dt JaMln à Vilktoy i U daU da 8 mal 1801, Apol. «idlMn
t. XI, p. 191 B.
* Vlllffroy* Apol, «t diic., p. Vf! A. « L« duc de Mayanat ■• poavoit
« pl«i naliiUBlr le party taai an roj. m
* Bieft da pape Clément TllI dans les Aac. lois fraBçateei, t. ZV, pi 8t,
étfiCttOK MijOCâAIffB O^OK ftOI S DAlfOElU» ÙB U rAANCE. i8i
Pressé par ces autorités et ces nécessités si diverses»
^yenne^dèsie Gominencementde 1502, avait formellement
consenti Sélection d*un roi et la convocation d*une assemblée
d'États-généraux chargés de foire l*é]ection et de déférer la sou-
veraineté. L^inoertitude ne portait plus que sur le terme et le
lieu de la convocation. 11 était impossiirie que la décision d*une
pareille assemblée, pour peu qu'on la rendit respectable par la
composition de rassemblée elle-même, n'eûlpas la plus grande
autorité, et» dans la lassitude des partis, n'obtint pas de
nombreuses adhésions. SI le choix des députés appelait à la
couronne Philippe II ou sa fille, cet acte législatif doublait
la force qu'il tirait de ses arméesi de son argent, de ses nom«
breux partisans en France, et pouvait tout emporter et tout
décider sur-le-champ en sa faveuri SI l'élection avait lieu
en faveur d'un prince de k maison de Guise ou du jeune
cardinal de Bourbon, ce candidat catholique accepté par les
royalistes celés et ambitieux devenait pour Henri un rival
redoutable; la guerre civile se ranimait plus vive que Ja-
mais ; les deux partis s'affaiblissaient et se minaient l'un par
Tautre : Philippe II, survenant à la fin de la lutte avec des
forces supérieures, les écrasait tous deux, et subjuguait en-
core la France, seulement à terme et avec quelques délais»
au lieu de le faire sans remise.
Ces dangers épouvantaient Henri IV, Rosny, Duplessis-
Momay, le chancelier Ghevemy, tous les hommes politiques
qui avaient sondé le plus profondément la plaie de la France»
et qui connaissaient le mieux le secret de la situation. Voici
le témoignage de Rosny t « La pluspart des notables person-
» nages catholiques , tenans le parti du roy, disoient qu'ils
s avoient trop temporisé et trop longtemps supporté un roy
s huguenot, au préjudice de leur ccmscience. Qu'il falloit le
s supplier, voire mesme le sommer de se faire catholique
s dans un temps préfixe ; et à fautte de œ faire» se joindrâ à
» ceux de la Ligue et tous ensemble procéder à i'eslectiofn
* d'un roy de leur religion» soit des princes de son sang, ou au-*
9 très àdéfaut de ceux-là. s Duplessis-Momay écrivait, au mois
SI,SO. « Vtftlni <iint parte* r«goi ifUiu uluieoi «l cathoUca fidei «iiMm
n coAtMrit cai «trique rel infeetut animo «lqa« «rmis tyrannu* h»re-
m Ucuâ, lUiiai furori opponalur vlrius reiie optiml TercqiM chrUtiiidii«
* ûaA, Fora aaim onnas vktont «t hoc taolo Ulini Tirai mloiniitHr at
é plaal eouddanu »
132 HISTOIRE DU RÈGNB DB HENRI IV,
de mai, dans rintimité de ramitié : « I^es ligueurs et noust
» nous sommes sur un précipice, incertains qui y jettera son
» compagnon ; en danger, même en le poussant, de tomber
» en même temps que lui.... Le remède aux maux de la
» France ne se peut trouver que dans une bonne paix, au-
9 trefois utile, maintenant plus que nécessaire. » On voit
dans un autre contemporain que les souverains étrangers
jugeaient comme les nationaux de Textréme péril du roi :
« Tous ses voisins, dit-il, commençoientdesjàà traiter avec lui
» comme avec un souverain dépossédé. » Enfin, le duc de
Roban, esprit supérieur, qui, au commencement du règne
de Liouis XIII , jugeait froidement une situation et un péril
passés, ajoute : « Philippe II poussa les affaires si avant que
» le royaume de France n^est écbappé de ses mains que par
n miracle ■. » Quelques publicistes modernes ont prétendu
que Philippe II était hors d'état de garder la France , en
supposant quMl pût en faire la conquête, et que la domina-
tion espagnole n'aurait pas pris plus racine dans notre pays
que la domhiation anglaise n'était parvenue autrefois à s'y
affermir. Nous croyons moins à leurs conjectures qu'an ju-
gement des hommes politiques haut placés et pratiques que
nous venons de rapporter, et que confirme une étude appro-
fondie de la situation. Mais même en admettant leur opinion
pour vraie, il resterait encore que la délivrance du pays au-
rait été adietée par une nouvelle guerre et par d'intolérables
souffrances, d'une durée indéfinie. »
Le miracle qui sauva notre patrie du joug de l'étranger
ou de la ruine intérieure, ce miracle, pour reprendre l'ex-
pression du duc de Roban, fut le génie politique et la patrio-
tique abnégation du roi. 11 avait épuisé l'un après l'autre
tous les moyens de la contrainte pour abattre la révolte,
pour rétablir l'ordre et la paix. Depuis son avènement jusqu'à
la fin du siège de Paris il s'était servi plus particulièrement
des catholiques et des nationaux. Depuis la fin de l'année
1591 jusqu'à la mauvaise issue du siège de Rouen , il avait
* SaUjr, OEcon. rov., c. W, p. 100. — Dupletsis-Momay, Mémoire à La-
fboUine. du 16- mai, et lettre au premier président de Rouen, t. T,
p. ?(36, 3S1. — Medame Doplettii, Mémoires, t. i, p. tfl. - Diaconrs de
H. le dur de Rohan «ur l'aHinire de la Ligue, cité dans la Satire Ménippée,
1. 1« p. SB, édit. 17S6. — ClicTerny, Mémoires, collect. Micbaud, t. z,
p. BtS! B.
PIOPOSITIOHS DE'PAIX ADRESSÉES PAR LE ROI A LA LIGUE. 133
eni[doyé surtout les réformés de France , les réformés de
toute TEorope ; il en avait fait le fonds de son armée, de sa
force militaire, et il ne s'était aidé des catholiques royaux
qœ comme d'auxiliaires. Avec les uns comme avec les au-
tres, la guerre, les moyens de la force avaient complètement
trompé ses efforts et ses espérances.
n ne lui restait plus que deux moyens de mettre fln à une ^^H ••^jo
guerre civile de trente années, et de retenir le pays qui glis- MMvnm'^etin
sait vers Tablme. Le premier était d'amener Mayenne et **^J •*• *•
la Ligue à poser les armes, à se réconcilier avec lui, et d'op- 4 ftiira la paix,
poser à l'Espagnol les partis réunb au moins dans cette pen-
sée. Dès qu'il vit le siège de Rouen mal tourner, il entama
des négociations, qui durèrent pendant les trois mois d^avril,
de mai et de juin 1592. Il poussa les concessions jusqu'aux
dernières limites pour obtenir une paix indispensable.
Mayenne, ses parents, les principaux seigneurs de la Ligue Lei chefi d« b
élevèrent alors des prétentions qui révèlent à la fois combien .xifeit'u r-
fls avaient hardiment exploité la religion et les croyances du ttfcmion
peuple, au profit de leur ambition; quels projets féodaux "dém*«îîrbiî-**
nourrissait alors la haute noblesse ; dans quel affaiblissement "*<'^ ^^^^^ <*«
la Pnaiica
étaient tombés le parti et la puissance du roi pour que l'on
osât élever de pareilles prétentions; enfin quel échec irré-
parable devaient subir les principes de force et de grandeur
du pays, la liberté civile, la liberté religieuse, si la Ligue
était appelée à dicter des lois.
Mayenne exigeait d'abord : 1" que si l'on voulait permet-
tre aux réformés de demeurer dans le royaume, ce ne fût
que par un édit de tolérance , limité à un certain temps,
sauf à le proroger s'il était jugé à propos; T que les réfor-
més fussent exclus de tous les emplois civils et militaires, de
tons les honneurs et dignités. Ainsi les calvinistes pouvaient
être chassés de leur patrie d'un jour à l'autre, et, en atten-
dant. Ils étaient traités comme des coupables et des maudits.
Après les propositions religieuses mises en avant par
Mayenne, venaient les propositions politiques qui les va-
laient bien. Voici le tableau des gouvernements que Mayenne
el les chefs de la Ligue exigeaient, l'énoncé des conditions
auxquelles ils entendaient les tenir, l'indication des charges
et dignités et des sommes d'argent qu'ils réclamaient.
i3& HISTOIRE DU MgNE OS HENIil IT.
Princes de ta maieon de Gt^ise.
Mayenne, . • La Bourgogne, plus le Lyonnais, Fores,
Beaujolais, enlevés à Nemours.
P^Aumale . • La Picardie,
Guise. . • • La Champagne.
Mercceur. . . La Bretagne.
D^EUxBuf. . . Le Bourbonnais et la Marche.
Nemours. • . La Provence, en échange du Lyonnais.
Principaux seigneurs de la Ligue.
Joyeuse ... Le Languedoc
De Rosne. . L'Ue-de-France, moins le Veiin français.
ViUars. • • , La Normandie, moins le Vexin normand.
La Ghastre. • L'Orléanais et le Berri.
Saint «'Pol. . Le Rethelols et la lieutenance de ta
Champagne.
Gela ne fiiisalt pas moins de treiie provinces et gouverne-
ments.
Quelques autres chefli de la Ligue mobis puissants devaient
être satisihits par des gouvernements de portions de pro-
vinces ou de villes. A leur tête on comptait d'Alincourt, qui
recevait le Vexhi français et le Vexin normand; et Boisdau:-
phin, qui obtenait les villes de Laval et de Sablé.
Les chefo de la LJgue voulaient obtenir ces diverses pro*
vlnces à titre héréditaire ; avoir chacun dans leur gouverne-
ment la nomination des gouverneurs des villes, des magis-
trats, des archevêques, évêques, abbés ; la disposition des
garnisons à Pentretlen desquelles seraient affectés les taillons
et tailles des provinces. Ainsi ils ôtalent à la couronne tous
les droits régaliens et se les appropriaient. De plus, ils deman-
daient, Mayenne la lieutenance générale ou la charge de con-
nétable ; et les autres, quatre diargesde maréchaux de France.
Enfin ils exigeaient que pour vingt d^entre eux le roi payât
toutes leurs dettes, et leur fit des pensions proportionnées à
la qualité de chacun d*enx; ta seuta pension annueUe du dœ
de Mayenne montait à 300,000 francs de ce temps, environ
DéM£|lBA£MËNT FJÎOOAL DE LA FRANCE PROJETÉ, 135
an million d'aujourd'hui i. On voit ce qu'il y avait d'ambi-
tion et d'avidité caché sous ce zèle religieux des chefs de la
Ligue.
Gomme il était impossible au roi, ainsi que le faisaient i*e*
marquer les négociateurs, de traiter les princes du sang et
les principaux seigneurs qui l'avaient reconnu et soutenu de*
puis son avènement , plus mal que les ligueurs qui l'avaient
combattu, il fallait alors qu'il accordât encore dix gouverne-
ments en toute souveraineté ;
An duc de Montpensier. A.u duc de Montmorencl.
Au comte de Soissons, Au duc de Nevei*s.
Au prince de Gonti. A Lesdiguiërcs.
Au maréchal de Biron. A la Trémoillc.
Au maréchal d'Aumont. Au duc d'Épernon K
Le duc d^Épemon, ap^^s la mort de son frère La Valette,
rédamait le gouvernement de Provence, qui lui avait été
donné autrefois par IlenrlIII, et qu'il prétendait ajoutera celui
d'Angoiunois. Joignant les anciens soldats de. son frère aux
troupes nouvellement levées par lui, il commandait à dix mille
Gascons qui ne ÎHîConnafssaient d'autorité et de volonté que
la sienne. C'était sans contredit l'un des chefs qui avaient alors
le plus de disposition à tout exiger, et le plus de moyens de
tout obtenir. Si on lui ôtait la Provence pour l'attribuer à
Nemours, il fallait le récompenser en lui accordant un autre
gouvernement.
il n'existait alors que vingt-trois gouvernements en France.
■ Sully, OEcon. royales, c. 40, p. M\ IU« rapporio le texte même des
coaditioot. - Villemy, Apol. et dise., t. Xt, p. 189 B, 1!N). Madame
Dttplessîs* MemoirL't, u i, p. 810, SiO, Sil, «ionoe le rcsumd des de-
■landes de Muyenne rt diM chefi Ho la Ligue. — Pour rhi'roJitc des gou-
«rmementi, Sally, p. 1 1-4 A. « Le préûdent Jeannin respondil au sieiir de
m Yilleroy |<ar lettres du 8 »i*ai 1K9Î, du camp de Cuu'iebtx,... (|ue M, du
m Miiyne et les autres princes se plaindmient rju^l u*urait point este' p^rlé
m d«i Tilles de seiirete qui csiotent domaificc*, uy des cDgagenieulit des
» dumaines de provinces dont ils auraient 1rs gouvernements^ ny de
• les rendre he'reditnires a leurs enfants^ dmii il (Muyenne) nvoit souvent
» tliscourii avec liiy. » — Villeroy, Apol. et dise , p. 449 B*I{KI.
* Re|^>onsc d<« Dupirs&is aux prupokilioiis de Mayentie et des princes de
la Ugttc, dans les Mémoires de pnpUssis, 1. 1, p. 9s0. « Viendraient i plus
• furte raison les prino'sdu sang qui no vouidroient pus avoir moins acquis
» en bien serrant, que les aultres «n disant au pis. » -^ P. Cayel, I. IV,
p..S06« 3ST..— Boiicbe, Uisl de Provence, I. x, p. 768 et suiv., pour
d*Epernon.
136 HISTOIRE DO RÈGNE DE HENRI IV.
Si treize étaient donnés anx chefs de la Ligue et dix aux sei-
gneurs royaux, en toute souveraineté, de compte fait, il n*en
restait pas un seul pour Henri, et, comme le dit un contem-
porain : « il n'y avait désormais rien en France de moins roi
n que le roi '. » La couronne n'avait plus même le domaine
des premiers Capétiens, TIle-de-France et TOrléanais. La
conséquence de cette révolution territoriale était bien autre
chose que la ruine de la grandeur d'un homme, que la ruine
même d'une institution, de la royauté : c'était la destruction
de l'unité territoriale et nationale, c'était le «déchirement de
la France en morceaux. Et cependant le renversement de œ
pouvoir central et régulateur, qu'on nommait la royauté,
était à Itii seul une calamité publique. En effet, il entraînait
pour les masses la perte de la liberté civile : déjà du côté de
la Ligue, comme du côté du parti royal, les seigneurs, ne
trouvant plus de répression, inauguraient leur nouveau pou-
voir féodal par les exactions et les tyrannies les plus odieuses
exercées contre le peuple des campagnes.
Henri ne pouvait accepter ces conditions, donner les mains
à ces désastreuses mesures. 11 consentait bien, selon l'ex-
pression de ses négociateurs, « à se couper un bras pour
» sauver le corps. » 11 offrait donc d'abandonner à Mayenne et
à ses descendants la Bourgogne en toute souveraineté. 11
promettait encore d'abandonner aux principaux seigneurs de
la Ligue les gouvernements dont ils étaient maîtres. Mais il
refusa à Mayenne, et le gouvernement de Lyonnais, Forez,
Beaujolais, et la lieutenance générale. Il refusa pareillement
aux grands de la Ligue de leur accorder l'hérédité et l'exer-
cice des droits régaliens dans les provinces ; les réduisant aux
prérogatives et au pouvoir de gouverneurs, c'est-à-dire d'oifi-
ders dépendant de la couronne, et soumis au pouvoir central
de la royauté \ Mayenne et les seigneurs de son parti se flat-
tèrent que la continuation de la guerre civile leur livrerait ce
que Henri leur déniait Mayenne en particulier ayant obtenu,
par le traité même entamé avec le roi, quelque relâche et
quelques concessions temporaires de la part des Espagnols,
revint avec prédilection aux troubles, qui le maintenaient
dans le premier rang, dans la royauté dissimulée de la lieu-
* M«m. d« madain« DapUtttt, p. SO.
' M«ni. de matlant DapUttu, 1. 1« p. tll, tti. — Sallj« c. 40, p. 114 A.
LE ROI s'adresse AUX PEUPLES DE LA LIGUE. 137
tenance générale, et qui loi promettaient de 8*y afTermlr. Dès
le commencement da mois de juillet 1592, Henri s*aperçut
que les négociations avec les chefs de la Ligue n'amèneraient
aucun résultat satisfaisant, et il dut chercher ailleurs les
moyens de pacifier le royaume et de combattre TEspagnol ^
Le dernier moyen qui loi restait était de détacher les peu- Henri t^dresM
pies de la Ligue de leurs chefs, de les gagner, de les attirer 3îî*|J*ÎJ'i^
à lui par son abjuration , et par la séduction légitime de la Etet des purtu
paix qu'ils désiraient ardemment, tandis qu'il les pousserait *''"' '* ^''"^
à la soumission en continuant à les presser par ses armes,
et en augmentant momentanément leurs souffrances.
Le changement de religion consenti par lui l'aurait, an
début de son règne, déshonoré sans profit : les peuples de la
Ligue n'y auraient tu que le désir d'acheter un royaume par
une apostasie, et l'auraient méprisé sans se soumettre. Main-
tenant, après trois années durant lesquelles il avait épuisé
tout ce qu'il est possible humainement de faire par la guerre
et par les négociations pour pacifier le royaume, le change- .
ment de religion paraissait à tous les hommes de bonne foi,
à tons les bons citoyens, la dernière planche de salut qui restât
à la France, et l'abjuration du roi, appelée par leurs vœux,
devait être reçue avec reconnaissance. Cette abjuration ré-
pugnait à sa conscience '; mais après un sérieux examen,
comme on le voit dans Sully, il jugea que le premier devoir
d^an prince était de sauver à tout prix l'État dont la Provi-
dence lui avait confié le gouvernement, et 11 surmonta ses
répugnances. Or l'abjuration était de tous les moyens le plus
sûr de tirer la France de ses nombreux et pressants périls ;
parce que si elle refroidissait à son égard les huguenots de
France et les réformés d'Europe, avec lesquels il n'avait pu
conquérir son royaume , elle lui donnait la majorité natio-
nale, et mettait à néant les intrigues et les cabales des partis.
* |fé«. de roMUme Dapleuit, p. BO. — Mdm. et eorr. de Duplenia,
i. ▼, p. sas, 3f7, 345. Le note mlie per avence ans deux premièret pages
doil être refetée k U page 346 et à la Sa de \vàja. — Villeroy, ApoL et
diK.. t. u. p. 195-SOl.
* Ceat ce qne proarent les ttfmoigiiages rtfanit de VtUeroy, t. Xi*
J» lt5 B, el de OoplewU, t. ▼, p. S3i et taiT. La boatade : Pwis vaut
Un «iM mesje^ n>*t pus établie hisluriqaement. Quand elle 1« leraU,
dla oe nroaTerait rien coDtrc quatre ans d'attente et tout let autres noyeat
de paciAer le royanim tfpaiiét wccatiiTemeat avant d'en venir à oe moyen
138 HISTOIRE DD RÈGNE DE UENRI IV.
En effet, elle ôtait à la Ligue sa raison d'être, son principe
vital, ses plus puissants soutiens. A Pans et dans les villes
ligueuses, il existait bien des gouverneurs, des magistrats
municipaux, une portion de la populace, déterminés à rester
ennemis du roi, quoi qu*il fit; mais ils étaient en minorité,
et ils se partageaient d'ailleurs entre Mayenne, les grands
ambitieux, les Espagnols. La grande majorité se composait
des ligueurs français et des politiques dans le parti de la Ligue,
des catholiques royaux et des politiques dans le parti de Henri.
Les ligueurs français, ruinés par la guerre, las de Tanarchie
et du despotisme de leurs cheis, détestant et redoutant la
domination étrangère, soupiraient après le rétablissement de
l'autorité royale qui devait les délivrer de tous ces maux : se*
parés de Henri par la seule barrière de la religion, ils n'atten-
daient que le moment où il se ferait catholique pour lui
porter avec ciïusion leur obéissance. Dans les deux partis, les
lumières supérieures des politiques adoptaient également la
souveraineté d'un prmce dissident et d'un prince orthodoxe.
Enfin, parmi les catholiques royaux, la conversion du roi
coupait dans leur racine même le tiers-parti, les intrigues
des princes du sang, des seigneurs ambitieux, des catholiques
zélés. Car qui pouvait songer au jeune cardinal de Bourbon,
ou au comte de Soissons,dès qu'ils n'auraient plus sur Henri
l'imique avantage du catholicisme? Or, ces trois partis, les ca-
tholiques royaux, les politiques, les ligueurs français, formaient
de beaucoup la majorité nationale, et, dans un mouvement gé-
néral, comme il était arrivé lors de la révolte de la Ligue,
comme il arrive toujours en France, ils devaient entraîner
tous les autres.
DispotiiiontdM Lcs dispositious dcs Parisiens étaient pour le roi im puis-
sant encouragement à entrer dans les voies de la conciliation.
>Ious avons vu, dès la fin de l'année 1591, la moitié de la
Ligue française, dont le principal représentant était Daubray,
passer aux politiques ^ Durant les premiers mois de 1592,
ia défection fit des progrès, et s'organisa en parti armé d'abord
pour la défense des intérêts sociaiu et nationaux, mais bien-
tôt après pour le triomphe de la cause du roL Les Seize,
privés de leurs chefs, mais épargnés en masse par Mayenne,
•
* Vofct d-<lcsittt« p. 113, 114.
ParUieoi.
DISPOSITIONS DES PARISIENS : L'EXPÉDIENT. 13$
afaient renoué presque aussitôt leurs relations avec les Espa-
gnols pour leur livrer Paris et la France, avaient annoncé ne
reconnattre ni Tautorlté, ni la puissance Judiciaire du parle-
ment, avaient menacé de nouveau la classe bourgeoise. Du
moto de Janvier au mois de mal, les ligueurs français, deve-
nus politiques, se constituèrent en état d'association ayant
ses assemblées, son point de réunion chez les colonels qui
devaient, chacun dans leur quartier, s*opposer aux Seize et
aux Espagnols et les combattre. Cette pratique fut si bien
menée et conduite, qu'au mois de mai 1592, treize des Seize
colonels, tous les quarteniers, excepté quatre, grand nombre
de capitaines et de bourgeois, tout le parlement, excepté cinq
de ses membres, avaient embrassé ce parti. Dans ce même
mob de mai, ils donnèrent une preuve éclatante de leur force
et de leur résolution contre les Espagnols K Si le roi parve-
nait à se concilier ceux des habitants qui restaient encore dans
la Ugue française, qui continuaient à exiger qu'il changeât de
religion, 0 gagnait alors toute la population de Paris, à Tex-
ceplion des Seize et des rares partisans de Mayenne.
Henri TatUra puissamment à lui par la première démarche Promenet
qu'A flt pour se rapprocher de l'Église catholique. Dans les <i*abiuraiii>a :
conférences pour la paix, qui eurent lieu entre ses négo- •»p^~*-
dateurs et ceux de Mayenne, depuis le mois d*avrll Jusqu'à
la Un du mois de Juin de cette année. Il fut convenu « qu'il
prendrait un temps préflxe pour se foire Instruire, avec dé-
air et intention de s'unir et joindre à TËglise catholique ; en
outre, qu'il autoriserait les seigneurs de son parti à députer
ven le pape pour l'Informer de son intention, et concerter
avec lui les moyens de son instruction. » On nomma cet
accord Vexpédimt K En dehors de l'abjuration formelle,
c'était la plus grande avance qu'U pût faire, qu'il eût encore
Mte aux catholiques, puisqu'il en venait maintenant à Texé-
cation. La nouvelle en fut bientôt répandue partout, et dis-
posa d'une manière très sensible les masses en sa faveur.
11 résolut d'attaquer leurs résolutions par un autre cOté, VoaTeUet m—
de les décider à se séparer de la révolte et à se soumettre, coerciul^i
contre les tUIm
• P. Cayet, I. iv, f. SOI, S», d*aprèt les rédU délalll/t da temps. * * *"*'
• Currwpoiidenoe de DujplettU prec le ni «i aiUret. t, y, p. SkW* «l
friKlnleaMSt tTO. — Mémoiret Aë madame DopleasU, t I. P. ai1-tl9,
'▼illertty,ApoLcldiM.,l.xi,p.lSS-l(n.
lAO HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
en employant les moyens de la contrainte , en même temps
que ceux de la persuasion. 11 renonça contre Paris et les
principales villes de la Ligue à la guerre des batailles et des
sièges, avec des années coûteuses ; il leur fit la guerre de la
gêne et des privations, au moyen des blocus avec des postes
fortifiés. £n interceptant pour elles le cours des grandes
rivières, il les priva de la plus grande partie de leurs provi-
sions et de tout commerce. Ainsi, dès le 12 mai, il fit forti*
fier Quillebeuf, à Temboucbure de la Seine, de manière à
empêcher tous les navires, grands et petits, de remonter jus-
qu'à Rouen. Mayenne fit un grand eflbrt pour prendre Quille-
beuf et pour délivrer Rouen ; mais il échoua contre Thé-
roîque résistance des habitants et du gouverneur Bellegarde
(20 juillet). Le roi prit contre plusieurs des grandes villes de
la Ligue des mesures coerdtives analogues à celles adoptées
contre Rouen. Par une surveillance plus active, il amena les
gouverneurs commandant dans les villes royales, situées au-
tour de Paris, à ne plus laisser passer des vivres, moyennant
argent : dès lors tous les passages des convois furent inter-
ceptés, hormis deux, celui du côté de Dreux, et celui du
côté de Château-Thierry par la Marne. Henri coupa ce der-
nier, pendant les mois d'août et de septembre, en faisant
construire à Goumay, dans une lie de la Marne, à trois lieues
au-dessus de Paris, un nouveau fort, dont il donna la garde
à rincorruptible Odet, fils de Lanoue : ses soldats nommèrent
ce fort Ètrille-BadoMds K
Ammbi^ La disette rentra dans Paris, la ville s^émut profondément ;
•*•• P®JjJj<i'*«« • les anciens et les nouveaux politiques se réunirent le 28 sep-
•tfmonneaz. tembre chez Tabbé de Sainte-Geneviève. On est heureux de
retrouver dans cette circonstance Pintervention du clergé
gallican, du clergé éclairé, et les sages inspirations de Pévê-
que Mgr. de Gondy. Il fut décidé que, pour échapper à de
nouveaux désastres et finir les misères de Paris, il fallait faire
la paix et reconnaître le roi, qui recevrait les habitants hu-
mainement et les laisserait jouir de Texerdce de la religion
catholique romaine. Ds convinrent de travailler à sa recon-
. naissance, en faisant tout ce qui serait en leur pouvoir pour
son avancement et pour la ruine de ceux qui voudraient y
■ p. Caytt, 1. nr, p. S7I-S74, 398 B. « Thnanu, 1. cm, S 7, t. T, p. 191.
— LtttoiU, p. 94 A.
HOSTIUTÉS CONTBX LA LIGUE : LES POLITIQUES, ETC. lAl
oootndire. A Teflet de s'entendre, de concerter. leors me-
sures, de prendre le signal et le mot du gaet, ils désignèrent
les maisons de quatre colonels, entre lesquels Daubray, dans
les quartiers de TUniversité et de la Cité, du Louvre, des
Halles, de la Grève. Les ligueurs français suivirent ce mou-
▼ement , qndque de plus loin, en décidant qu'il y avait lien
de lui envoyer une députati(Hi pour le semondre de se faire
catholique, et le reconnaître après aon abjuration : de là
leur vient le nom de Sémonneux ^
Henri donna une nouvelle satisfaction à leurs scrupules
religieux, imprima une nouvelle force au mouvement de
, défection qui se manifestait au sein de la Ligue, en en-
voyant, le 4 octobre, comme ambassadeurs au pape Clé-
ment VIII, le cardinal de Gondy et le marquis de PisanL U
les chargeait de témoigner au pape « qu'il ne serait rien
» omis de sa part pour contenter le pape et les catholiques
» qui affectionnaient son instruction. » A ces avances, il joignit
une lettre adressée par lui-même au pontife. Enûn il obtint
de Venise et do grand-duc de Toscane qu'ils emploieraient
leur médiation et leur crédit pour ménager sa réconciliation
avec le salnt-siége ^.
L'efiet de ces mesures combinées avec les nouvelles dis-
posltiotts militaires prises par le roi ne se fit pas attendre.
Le 11 octobre, le parlement de Paris rendit un arrêt portant
que Mole et Séguier seraient députés au duc de Mayenne
pour lui exposer la misérable condition de Paris et l'extré-
mité à laquelle les habitants étaient réduits. Cette première
démonstration, partie du parlement, fut suivie d'une autre
beaucoup plus sérieuse faite par la bourgeoisie. Un grand
nombre de bourgeois, anciens et nouveaux politiques, se
réunirent sur divers points de la ville, et mirent en avant la
proposition de traiter avec Henri, et d'obtenir de lui la li-
berté de labourage et du commerce pour Paris et les autres
TlUes de la Ligue. En conséquence , à la suite d'assemblées
particulières des quartiers, Ils allèrent à l'hôtel de ville de-
mander une asseinblée générale pour inrévenlr les malheurs
Aiiib««sad«aa
|m|i«.
Arrêt
du parlemant
dePurlii.
Attffnblëe
des bourgtoif*
* P. Cajct, 1. IV, p. SOS A, let deux dernières lignes, et B. — Letloile,
p.«IB,llg.1.9.
* Letlres misiivet <fu 8 octobre au pepe et nu grand-^oe de Totcan^t
t. n, p. S7i-eT7. — Thuanut, Hitt, I. cui; Mena., t. XI, p. 566 A. — Vil-
leivj, Apol. et diac., t. Zi, p. 199 B.
Reloar
de Muyenue.
Nouvel les
attemblérs , la
cour
des tuin|ilet«
BtfvisUuee de
'IfoyMtit.
I&3 tttSTOlAM bt) llàottK Dit HMtlilt tV«
qiil les menaçaient (13, 16, 31 octobre). Le bioavenient dt
la population allait à priver Mayenne du droit de guerre et
de paix, à di!lruire sa iientcnance générale» à ae soiiniettre
au roi *•
Mayenne i pour conjurer ce danger, accourut à Paria le
SA octobre avec un corps de cavalerie et les troupes oompo*
sant les garnisons de deux villes voisines. Les réunions et les
délibérations des bourgeois continuèrent, malgré sa présence.
Dans les assemblées particulières des quartiers de Paris*
treize sur seize décidèrent que Ton sommerait le roi de
Navarre de se faire catholique, parce que le seul motif de
la religion séparait de lui le plus grand nombre de ses so«
Jets, lesquels n'attendaient que d'être rassurés dans cette
crainte pour poser les armes. Ds demandèrent en même
temps que Ton traitât avec lui de la liberté du commerce et
du traflc Cette résolution, prise le 26 octobre, dut êlre portée
par leurs députés à l'assemblée générale de Thôtel de ville*
Le lendemain 27, la cour des comptes prit les mêmes con-
clusions, et chargea son président d*Ormes8on de les porter
à Mayenne, et d'insister auprès de lui pour qu'il avisât à
faire la paix ^.
A cet entraînement de la bourgeoisie vers la conciliation
et vers l'autorité légitime, Mayenne opposa tous les moyens
de résistance que lui offrirent le pouvoir exécutif dont il était
détenteur, sa politique rusée, son alliance intermittente avec
l'Espagne et Rome, ses ennemies il est vrai, mais plus en-
nemies du roi, habituées à se réunir avec lui contre Ilenrii
dans les moments de péril commcm , sauf à le combattre
loi-même plus tard, quand la victoire serait acquise. 0
opposa ses troupes et la garnison espagnole à toute mani-
festation armée de la population parisienne. Le nouveau
légat, le cardinal Séga, avait reçu du pape un bref daté du
15 avril, par lequel il était délégué pour procurer l'éleclioo
d*un roi catholique, à l'exclusion de Henri, qui, disait le
bref, persécutant les catholiques, les animant tous les jours
les ons contre les autres, protégeant les hérétiques, ne pou*
' LcitoUe, p. M A, deiniw ptragrapb*, tt B, $ t tt dtrtUri p. SB A,
$l;8appltfin^p.9SA.
' Leltret mbslTee do 14 octobre, t. tn, p. SOES.^LtttoUi «t ••■ ftopp.,
p. 06 A, 9S A. » Uim, d« Morilloc, t. kl, p. 546 B.
LE PkKltU. , L£S jU)0ltGfiOI&, L^HÀTSL DE V1U& DE PARIS. 1 kZ
m
vait jamais remplir le trône de France. Mayenne, à Taide d^
la sarprise et peut-être de la complaisance de trois des quatre
présidents qu'il avait nommés Tannée précédente, fit enre*
gistrer au parlement, le 27 octobre, les facultés du légat qui
comprenaient précisément l'élection d'un roi catholique. Les
prédicateurs tonnèrent dans toutes les chaires contre les
politiques et les sémonneux. Aux fêtes de la Toussaint,
Boucher et Cueilly les excommunièrent et les privèrent des ;
sacrements dans leurs paroisses : les Seize les insultèrent et
les menacèrent partout. La Sorbonne déclara que toute pro-
position tendant à traiter avec le Béarnais et à le presser
d'embrasser le catholicisme était inepte, séditieuse et impie
(3 novembre).
Cette croisade contre Henri et contre la paix n^intimida ni oëcision
n^arréta les bourgeois. Ils firent deux assemblées générales ^*J^^*^"^^*l"^
à l'hôtel de ville, le 31 octobre et le U novembre , dans les- mtei d« viiio.
quelles furent agitées les deux propositions : i** de traiter
avec le roi de Navarre de la paix pour obtenir le commerce et
le trafic libres , et rendre ainsi les vivres et les denrées au
peuple «t tant atténué et nécessiteux qu'il n'en pouvoit plus ; t»
T dMnviler Henri à se faire catholique pour mettre fin aux
troubles. Mayenne survint pendant la délibération du k no-
vembre. Tl annonça que Paris ne pouvait traiter avec Henri
sans les autres villes de la Ligue, sans les princes lorrains et
les seigneurs de l'Union ; que les États-généraux qui allaient
prochainement s'assembler décideraient de tous les grands in-
térêts du parti et de la France : il ajouta qu'il traiterait en
ennemi quiconque proposerait désormais d'entrer en accom- ,
oiodement avec le roi de Navarre, de l'inviter ou de le
sommer de se faire catholique. A ce mot, l'assemblée se leva
et se rompit, estimant sa liberté opprimée par ce langage.
La bourgeoisie suivit son dessein avec une fermeté inébran-
bble. Une nouvelle assemblée se réunit le 6 novembre, et,
malgré la présence de Mayenne, elle décida qu'une députa-
ûon serait envoyée au roi « pour obtenir la liberté du com-
» merce et dn trafic en ce royaume, sans laquelle Ton ne
» pouvott pins subsister en attendant sa venue , ce que le
» dttc fut contraint d'agréer contre son intérêt et son inten-
» tlon *• » En effet, des négociations s'ouvrirent avec le roi,
• ThntAM, 1. cm, t, XI, 1^ 800 de la Iradadioa. — LisUll«, p. 00 0,
ift& HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
qne la Ligue française avait dû jasqa*alors, en sa qualité
d'hérétique , combattre à outrance sous peine de sacrilège :
la barrière entre lui et le peuple était renversée ; un pre-
mier pas, et un pas immense, était fait vers la paix, qui devait
détruire la lieutenance générale et la puissance usurpée de
Mayenne.
Arrêt Quelques Jours après, le parlement royaliste et politique
^iJoiSmuf^ de Ghâlons rendit un arrêt conservateur des droits et de
Tautorité de Henri, seconda les dbpositions de la bourgeoisie
de Paris, et augmenta les chances de salut du pays. L'arrêt
du parlement de Ghftions rendu le 18 novembre portait, que
les rebelles, après avoir tenté d'usurper la couronne par une
guerre qui avait couvert la France de s^ng et de ruines et y
avait introduit l'Espagnol, s'efforçaient maintenant d'obtenir
par l'élection d'un roi ce que les armes et la victoire n'avaient
pu leur donner ; que leur entreprise, contraire à la loi de
Dieu, aux principes de la primitive Église, aux libertés de
l'Église gallicane, devait amener la ruine de l'État par la
violation de la loi fondamentale relative à la succession, en
armant à tout jamais la moitié de la nation contre l'autre;
qu'ils soutenaient et autorisaient l'élection projetée et l'usur-
pation qui devait la suivre d'une bulle du pape et des pou-
voirs ou facultés du légat En conséquence, le parlement
donnait un ajournement personnel contre le légat, et déclarait
crimineb de lèse-majesté tous ceux qui assisteraient aux États
de Paris K
s,,^^ La fortune des armes qui avait abandonné Henri au siège
dm iiMtmaati de Roueu et eu Bretagne, durant les premiers mois de cette
ïM^vfim. année , lui revint dans les derniers mois de 1592 , et aida
heureusement les parlements , la bourgeoisie et le roi. Tu-
renne, auquel Henri avait l'année précédente procuré la
main de l'héritière de Bouillon et la principauté de Sedan,
paya en 1592 sa dette de reconnaissance au roi et à la
France, par les avantages qu'il remporta sur le duc de Lor-
raine. Ce prince, après avoir menacé et ravagé la Champagne
pendant une partie de cette année, fit attaquer la petite ville
97 A, 99 A, et 9S A ; Sapplém.. p. 101 A, B, pour le texit de la «irfdiioB d»
la Sorbonne. — Mémoires de Ibrlllac, t. Zl, p. 647 R. — Mémoires do la
Lie oe, U ▼, p. 175. — Mén. de Cbevrrny, U X, p. ttt9 A.
• Mém. do la Ugue, t. V, p. 17tt-l7S. - P. Cayot, t IV, p. 406.
A11B£t du PARUBMIRT DB CRÂLOlfS. SUCCÈS DBS ROYAUX. iA5
de BéanmoDt par son grand maréchal d'AmbUze et une ar-
mée de 2,800 hommes. Bouillon la mit en déroute le 14 oc-
tobre, loi toa sept cents hommes, lai fit quatre cents prison*
niers, délivra Beaumont, et au commencement de décembre
enleva au duc de Lorraine la vUlede Dun, située à huit lieues de
Sedan. En Languedoc, tous les gouverneurs royaux des pro-
vinces voisines, ayant compris que la prise de Villemur ouvrir
nità Joyeuse et à Tinvasion espagnole les provinces centrales
do royaume, se réunirent pour sauver cette place, ib atta-
quèrent Tannée de Joyeuse composée de 6,000 soldats, la
phipart fournis par Philippe II, en tuèrent deux mille, dis-
persèrent le reste, réduisirent Joyeuse lui-même à une fuite
honteuse dans laquelle il trouva la mort (19 octobre). Son
frère le capucin, Ange de Joyeuse, prit le commandement
après loi ; mais le parti hi$pano4igueur, considérablement
alfûbli , sollicita une trêve du gouverneur royal Montmo-
rend , et fut désormais réduit à Pinaction. En Provence ,
d^Épemon releva le parti royal et reprit Antibes au duc de
Savoie. En Dauphiné, Lesdiguières avec les moyens les plus
restreints, avec une armée de quatre ou cinq mille hommes,
conçut et exécuta le dessehi d^un grand capitaine. Pour arra-
cher le duc de Savoie de la Provence et du Dauphhié, il porta
la guerre en Savoie, n entra dans ce pays le 26 septembre»
se saisit d*abord de la Pérouse, vainquit les Savoyards à
Vigon, leur enleva Stafiarde et Briqueras, les défit de nou-
veau à Gandgliana, et conquit Gavoors (5 décembre). Il for-
tifia avec soin cette place et Briqueras, et établit ainsi les
Français à seize milles de Turin, au cœur des États du duc.
A la fin du xvi* siècle, la guerre ne présente pas une suite
d*opérations phis hardies et plus heureuses tout ensemble K,
Les afiaires de la ligue et de TEspagne commençant ahisi Wwn profeii
k se débire partout, comme parient les contemporains, detÉtaugëoë-
Mayenne et Philippe II tentèrent de les rétablir par la ^{^^vm
prompte convocation des États-généraux et Télection d'un
rai qui devait à la fois afTaiblir Henri en lui suscitant im.
eompétitenr, et rendre à TUnion de la cohésion et de la force,
en lui donnant un chef qui tirerait son autorité et sa puis-
nnœ des sufirages d'cme assemblée en apparence nationale.
• Mte. àê U Utac, t. T, p. 18^169, 179-l«i» 778-789. — P. Cijtl,
I. IV, p. 980-368, 3B|.»9.—'nittaiin9, lib. ail, $$ 16, 17, t.V, p. tSO-IS*.
10
IM HtIfOllIt OQ RiOfll 01 HBIflIt IV.
L*ëleclloii oavnlt de plus om noaYaUe carrière au prétea«
tiom da Uentenant général et dn roi catholique.
Mayenne, qui avait annoncé les Étatt-fénéram dès 1689,
les avait élodés pendant deox ans, espérant que la victoire
et les intrigues lui livreraient la souveraineté. Au mois d'août
1691 , il avait réuni quelques députés à Reims ; mais ce notait
là que le vain slmulaere d'une assemblée. En 1692, il lui
avait fellu en venir aux effets, ft une convocation sérieuse.
En effet, d^one part , il était lié par les engagements solen-»
nels pris ft Libons-Saintot, et il avait plus besoin que jamais
des secours de TEspagne pour résister h Henri ; d'un autre
côté, un vote national Ivd était nécessaire pour arrêter la
défection au sein de la ligue K
DmmIm da dM Le duc de Bsrme voulait que Ton ttnt les Étals^néraux à
da Pimn*. ftehns ou à Soissons, villes voisines de la Flandre, tandis qu'il
entrerait dans le royaume avec une armée de 20,000 hommes.
La plupart des députés devaient être pgnés d'avance par l'or
de l'Eqngne ; et le 30 mai 1592, Famèse s'entendit avec Diego
d*Ibarra pour la répartition d'une somme de 200,000 éeus
entre ceux qui avaient des chances à la députation. En suih
posant que rassemblée se montrftt moins dodle que ne l'es-
pendent les Espagnols, elle devait être domptée, asservie par
leurs troupes. Cette armée mettrait en même temps à la rai*>
son Mayenne et les grands de la Ligue, et réduirait les
peuples à l'obéissance passive par la force. Elle se saisirai!
fecllement de Reims ou de Soissons pendant la tenue des
ttats qu'elle serait chargée de protéger, et de là étendrait la
domhiation absolue de Philippe sur Meaux et aur JRsris, déjà
occupés par aes garnisons, intimidés et entraînés par le vote
des État»^énéraux. Toutes les forces, tout l'argent dont le
rot eatholiqne pourrait disposer ultérieurement, seraient em-
ployés à oonsoUder et à étendre l'occupation.
tlMTOfiaMi Mayenne connut ce vaaie et fonnidable projet, dont aes
u^kMa^ oeupsibles liaisons avec l'Espagne faisaient remonter, pour
^^ une si lar^e part, la wigionsabilité Jusque luL D essaya de
I Vgv, Im Donimlioat d« dëmitét k Paris, aq moU da nal, pour Ta^
nM% da moU «aaàt 1801, LaaiaUa, f. 84 B. ~ VlUaroy, I. », p. ITS 4.
— Lettra da Majanna du 13 ooTambra IBBI. — ExtraiU daa rafbtrcsda
lliltal da Tilla da Sa^M» fUlda daM TAppandica dM CUU-iàidran
4t«aBa.p.7ai,70tti
DtlSSÊlNS D£ VAYftimi ET DB fkUnkMfL MORT DsrARNKSE. 1/|7
le iravener en concloant d^abord avec toos les princes de la
maison de Lorraine un pacte de famille pbiir la défense de
leurs communs Intérêts, et en arrêtant ensuite, d*accord avec
eux, que les iUiU^énénnx, selon le conseil de Jeannin et de
Villcroy, seraient assemblés & Paris, où la présence de
40,000 bourgeois armés rendait bien plus dlfHcUe et bien
plus aventureuse une violence contre les députés de la Ligue
(!*' octobre). Mais le duc de Parme protesta contre cette réso-
lution en laisant entrer en France Tavant-garde de Tarmée
espagnole (20 novembre). On ne volt pas que Mayenne, qui
manquait déjà de forces sufiisantes pour résister aux attaques
du roi seul, ait eu à sa disposition un seul régiment pour pnK>
Kéger la mesure relative à la tenue des États-généraux à Paris,
ni pour s'opposer aux conquêtes du duc de Parme dans la
Champagne, la Picardie, rile*d&-France. Il se lançait \nU
même et jetait le royaume dans Tinconnu, et pouvait n^en
sortir que pour trouver un abîme.
Un événement où se marque la protection visible de la Murt du duc
Providence envers la France la tira du nouveau et grave *'' ^'"'"'^ -
danger où la précJ|rftaU Mayenne. Dès le 11 octobre, le duc de ccit« ii.ort.
de Parme avait éprouvé à Bruxelles les mortelles consé-
quences de la blessure dont il avait été atteint sous Gaudebec
Le 2 décembre, il succomba à Arras, au moment même où
il avait commencé et où il pressait sa troisième invasion dans
le royaume. Pbillppe II perdait en lui le seul capitaine dont
les talents pussent lui assurer de grands et durables succès
dans b guerre de France. Il perdait le seid homme dont la
gloire et Tascendant imposassent dans les Pays-Bas h Parmée
eqMgnole mal payée : aussi après sa mort , elle se dispersa,
se mutina , mit an plUage les villes de la Flandre, ^t parti-
culièrement Maubeuge. De plus, sa mort rompait le seul lien
qui tenait unis les 'soldats Italiens et les soldats espagnols :
dès lors les Italiens se prirent contre les Espagnols d*une
haioe irréconciliable, et servirent Philippe avec une désaffec*
tiOB et one mollesse que tout son despotisme ne put vaincre.
Enfin FteBèae, dont les talents politiques égalaient les talents
guerriers, avait une connaissance et une expérience des
afiynit des hommea , des partis en France , qui manqua
complètement au duc de Ferla, son successeur. Dans le
temps que Phllinne éprouvait cette perte Irréparable, Il voyait
Dernières me*
•oret edoplëei
pur XayeoDe
pour relever
•oa parti.
lAS HISTOIRE DtJ RàGNB DB HENRI IV.
le désordre et répuisement dans ses finances se développer
d'une manière alarmante, et il était réduit à n'envoyer à ses
ministres que le tiers des sommes nécessaires aux affaires de
France ^ Au milieu de la dissolution imminente et déjà
commencée de la Ligue , le roi catholique avait à faire un
effort extraordinaire s'il voulait se saisir de la souveraineté
en France , comme l'avait supérieurement vu le duc de
Parme. Et contrairement à ce qu'exigeaient le temps et l'état
des partis, les moyens de la force et ceux de la politique s'af-
faiblissaient tous à la fois entre les mains de Philippe II.
Nûment et absolument, cette décadence des affaires de
l'Espagne diminuait le danger qu'avait couru l'indépendance
de la France. Mais pour quelle ne profitât pas à l'ambition
de Mayenne, échappé aux étreintes de Philippe, autant qu'elle
servait à l'intérêt du pays ; pour que la supériorité du parti
royal et national, du parti de la paix, devint décisive, il fal-
lait que ce parti ne perdit pas du côté des nationaux ce qu'il
gagnait du côté des étrangers ; il fallait que les dispositions
de la Ligue française ne changeassent pas; qu'elle restât atta-
chée au roi et aux politiques ; que Mayenne ne parvint pas
à la ramener vers lui, et à débaucher & Henri le tiers-parti
et les catholiques zélés.
Mayenne fit une dernière tentative, un suprême effort
pour ranimer l'ardeur et le dévouement des ligueurs gui-
sards, et pour regagner et rattacher à sa cause les ligueurs
français. En traitant avec les premiers, il s'adressa à l'hitérét
personnel : parmi les seigneurs qui avaient suivi sa fortune
et celle de sa fomille, il éleva à la dignité de maréchaux de
France La Chastre, de Rosne, Boisdauphin, Saint-Pol, et à
celle d'amiral Villars, le défenseur de Rouen ; cette nomina-
tion, faite dès le mois de décembre 1592, reçutsa publicité
et sa consécration en parlement au mois de janvier de l'année
suivante. Avec les ligueurs français, Mayenne fit agir d'au-
tres mobiles. Le 22 décembre, fi obthit du parlement de
Paris un arrêt qui cassait celui du parlement de Ghâlons,
comme portant atteinte au respect dû au saint-siége. Ses
■ Po«r cet deux peregraphet, pepiers de SioMiitte, cote A, 87/40S. —
TiUeroy, Apol. et dise., l. zi, p. SOI B, 20t. — Letloile et wn Sopnl.,
£. 97, 105 B. — P. Ci^et, I. IT, p. 403-408. ^ Lettres minif ee des 7 et
1 décembre, U lll, p. TDS, 710.
EFFORTS DK HATEIINC POUR RELEVER SOA PARTI. iti9
émissaires envoyés à Rome , joignant leurs importonltés à
celles des ministres espagnols, empéchèrentClément vni d'ac-
cueillir les avances du roi et de prêter une oreille favorable
4 ses ambassadeurs Gondy et PisanL Boucher et les prédica-
teurs de la Ugue eurent grand soin d'en répandre la nou-
velk à Paris du haut des chaires, et intimidèrent la conscience
des catholiques en prétendant qu'ils ne pouvaient reconnaître
Henri et traiter avec lui, sans fouler préalablement aux pieds
rautorité du pape (27 décembre). En même temps arrivait à
Paris le cardinal Pelevé, archevêque de Reims, qui devait
présider dans les États la chambre du clergé , et qui, animé
contre le roi d'une haine irréconciliable, essaya de la commu-
niquer à plusieurs des chefs de la bourgeoisie , avec lesquels
fl se mit en rapport. Tous ces membres du clergé ligueur
étaient plus favorables à Philippe II qu'à Mayenne ; mais le
duc se servait d'eux pour nuire à Henri, et comptait sur son
adresse et sur la mauvaise fortune présente du roi catholique
pour les empêcher de potter les choses aux extrémités où ils
voulaient les conduire.
Enfin Mayenne fit à l'ophiion publique un appel, et pré- DëcUratkm
senta aux ligueurs français un espoir très dangereux pour ^* ><*7«"b*«
le roL II publia une déclaration raisonnée et adroite, desti-
née k Justifier sa conduite, à rejeter sur Henri tout l'odieux
des malheurs publics, & détacher de son parti, et & entraîner
dans celui de la Ligue, le tiers-parti et les catholiques zélés
qui jusqu'alors, tout en traversant le roi, en intriguant contre
lui, étaient pourtant restés sous ses drapeaux. Dans ce ma-
nifeste, il cherchait à établir que la Ugue avait légitimement
combattu, et devait contmuer & combattre un prince qui
s'était placé lui-même hors de la coutume et de la loi de la
France. Tous les rois de France depuis Glovis, disait-il,
avaient suivi la foi catholique : à leur sacre, ils promettaient
de vivre et de mourir dans cette foi, de la défendre et de
h maintenir, d'extirper l'hérésie ; sur ce serment était fondé
cdui d'obéissance et de fidélité que leur prêtaient leurs su-
Jets ; les États de 1576 et de 1588 avaient converti radica-
lement l'antique coutume en loi fondamentale de l'État, et
exdu du trOne, comme incapables, tous les princes héré-
tiques. Mayenne ajoutait que Henri avait perdu tous ses titres
4 la royauté pour les catholiques de la Ugue, parce qu*il
150 mlTOlAK ou RiEONE DS Hf Rlkl If.
était eECOnummié par TEgUte et privé des droits quMl pou-
vait préteAdre ; pour les. catholiques royaui, parce qu*il ajour-
nait depuis quatre ans la promesse qu*il avait faite à son
avènement de se convertir et d*abjurer dans les six mois. S*il
parvenait à établir son pouvoir d*une manière incontestée, la
religion catholique serait perdue dans le royaume, comme
le prouvaient les violences de ses parlements contre le saint-
siège. Mayenne exhortait les princes et les seigneurs royaux
& se séparer des hérétiques et à abandonner le roi. Quelque
détermination qu'ils prissent, il les invitait jusqu'à trois fois,
dans te cours de sa déclaration, & députer un certain nombre
d-entre eux aux États qui allaient s'ouvrir, et à prendre avec
eux des mesures en commun pour sauver l'État et la religion.
Ce manifeste, émis le 2/i décembre 1592 , fut enregistré au
parlement et publié le 5 janvier 1593.
La grande adresse de Mayenne, comme le remarquent les
contemporains, consistait en ce qu'il ouvrait une combinaison
dans laquelle la paix, si ardemment désirée par la Ligue fran-
çaise , pouvait étire obtenue sans traiter avec le roi , et en
s'adressant aux seigneurs de son parti. La question de la paix
étant dégagée de celle de la soumission envers Henri, il res-
tait que la croyance de ce prince, suivant la déclaration, me-
naçait le catholicisme, et Mayenne appelait la Ligue française
à défendre la religion, sans s'exposer à périr ni à subir la do-
mination espagnole. Le lieutenant général espérait, de plus,
qu'au milieu des négociations qui s'ouvriraient nécessaire-
ment, il attirerait à lui le tiers-pard et les catholiques royaux,
et réduirait ainsi Henri aux dernières extrémités K
u Ugon fren. Ce dcruier assaut livré par Mayenne à la conscience et
^^^*^*^^ aux convictions des catholiques des deux partis troubla un
seutimcDU : momcnt les esprits, mais ne put les égarer. On ne tarda pas
à reconnaître que la paix avec le roi était le seul moyen sûr
de mettre fin aux calamités et aux dangers de la France, et
que hors de là on ne trouvait que périlleuses incertitudes.
La Ligue française et les catholiques royaux agirent en con-
séquence. A te fin de Tarrèt du 22 décembre, qui cassait
* PMr Mt trolt ptfftfrtplMt, L«itoU«, p. 100 i, B, 100 B, IIS B. — lU-
moU-M M Marillac, t. », p. 545 A, B. ^ MchraUoa âm MayeoM «Um !••
Aaciennw loii françaiMi, t. XV, p. 44-51. — MiiriUac, p. 54T B. ^ Uém.
àê Cb«Tf rny, t X« p. 518 B, SSD B.
tri McUt.
CO?ID0ITE DE LA LIOOE PRARÇAlSiS* i5i
celai de Ghâlons^ les membres du parlement de Paris itisé«
rèrent cette clause mémorable : « Que les États-généraux
» estofent convoqués uniquement pour procéder à la déda«
» ration et estabUssement d*un prince catholique françois^
» suivant les lois du royaume; lesquels mots de déclaration
• tieâtablissement renversoient tous les desseins d*élection et
» de nouveauté ^ » En premier lieu, Texciusion était ainsi
donnée au roi d'Espagne, à sa fille, à Mayenne et à tous les
princes lorrains, puisque les États devaient se conformer aux
lois du royaume et à la succession héréditaire. En second
lieu, Henri devait être reconnu pour rpi k Texcluslon dea
autres membres de sa famille et des princes du tiers-parti,
dès qull deviendrait catholique par râbjuration. Cet arrdt si
important, qui maintenait inébranlables les résolutions prises
par la Ligue ft l*hôtel de ville, a été ignoré de tous les hiato*
riens modernes : c*est la préface et Texplication du mémo-
rable arrêt du 28 Juin 1593.
Mayenne avait fixé d'abord Touverture des États de la seDUmrats
Ligue au 20 décembre 1592 : à cette date, un pedt nombre ^ f^pn»>«><oii
■ m jt M t m . coDir* iM Etats
seulement de députés étant rendus à Paris, il remit siicce»* «i* la ugae.
slvement les États au 17, puis au 25 janvier 1593. lundis
que les députés arrivaient isolément et lentement, les senti**
ments de réprobation qu'inspirait cette assemblée éclatèrent
i Paris et dans les provinces. Parmi les bourgeois, les uns
ne considéraient et ne se rappelaient qu'une chose, c'est que
Mayenne et les princes lorrains avaient introduit les Espa-
gnds sur quatre points du territoire, et leurs garnisons dans
nos Tilles, dans Paris même : ils voyaient en outre entrer aux
États des députés « lesquels estoient pour la plus part fac-*
9 tleux, nécessiteux, ennemis du repos public, alTaroes du
• bien d'autruy, cslns et venus exprès pour favoriser les des-.
• seins des Espagnols >. • Aux yeux de èes bourgeois, qui
s'arrêtaient aux apparences et ne sondaient pas la situation«
une pareille assemblée et Mayenne n'étaient que les Instru^
ments d^me prochaine inftimie, n'étaient que des tralties,
destinés à livrer le royaume à l'Espagnol, comme les États-
généraux de 1420 et le traité de Troyes avaient livré la France
. ' M«moir«« d« MiirUlac, t. XU p. 345 B, 8441 A. ^ PiècM k la tiiita dM
EiaU da 1505 dans las DorumenU Inédits, p. 744. • « ii«>
» U lifiMur Villtroy, Apol. at dîic, |. xi, p. fOS B.
162 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
à TADglais K Du reste, dans la fluctuation des événements,
un retour subit de fortune survenu à Philippe II pouvait
donner raison à leurs craintes. D'autres bourgeois, plus ini-
tiés aux secrets de la politique et au jeu des partis, pensaient
que la mort du duc de Parme et Tépuisement actuel de TEs-
pagne mettaient Mayenne en mesure de résister au roi ca-
tholique, et de combattre avec succès dans les États les
dispositions des députés vendus à l'étranger. Ceux-là se rap-
prochèrent momentanément de Mayenne et pactisèrent avec
lui^ mais uniquement pour ruiner les prétentions de Phi-
lippe II, et pas du tout pour favoriser celles du duc \ Ainsi
le cardinal Séga, légat du pape, ayant publié le 15 janvier
1593 une exhortation adressée à tous les catholiques du
royaume, dans laquelle, après avoir proclamé rinhabilité de
Henri à occuper le trône, il les exhortait à concourir de tout
leur pouvoir à l'élection d'un roi catholique, du Vair, membre
du parlement et l'un des députés de Paris aux États-généraux
qui semblaient dévoués à Mayenne, fit au légat une anonyme
mais vigoureuse réponse, dans laquelle il battait en brèche
l'élection, et maintenait les droits du roi Henri lY contre les
prétentions de Philippe II et de Mayenne tout ensemble. Dans
les rangs de la bourgeoisie, la Ugue française se tint donc
attachée aux sentiments et aux dispositions qu'elle avait em-
brassés depuis le commencement de 1592. Quant au petit
commerce de Paris, formant la partie honnête du peuple,
il se montrait comme toujours, ardent, passionné pour l'in-
dépendance de la patrie, sans aller chercher si Mayenne,
publiquement allié des Espagnols, était secrètement leur
ennemi , et les combattrait dans les États. Aussi les mar-
chands de sablon, les meuniers et leurs garçons, inju-
riaient journellement Mayenne et les États de la Ugue. « Le
n curé de Saint-Eustache, méprisant la difficulté de la re-
» ligion, preschoit hardiment pour que l'on traitât avec
» Henri avec plehie qualité de roi, et esmouvoit ses pa-
» roissiens qui se comptoient au nombre de 16,000 por-
' Panbigntf, I. m, c. iS. p. ÎTS.
* Daubi|oë, L m. c. IS, p. 976 : « Il tembU q«« 1« duc d« Maycnoa
» eût repris uu« iiuiivelle viguettr par U mort d*uii riviil qui lai osloil tua
» luitr*. et «ncore celle liMine d^Eipegne, et TripéraDe* tranchée eu
» debnrt, ëpprli enx Parlti«oi qoMI fatlIoilM réconcilier k ce duc; eê t/mi
» tê fit en apparence et pour un tempe, •
L'OPimo.^ PUBLIQUE SUR LES ÉTATS DE LA LIGUE. 153
• tant armes. » C'était le quartier des Halles, qa*on repré-
sente si faussement dans quelques histoires récentes comme
le foyer de la Ligue. Enfin de Thon témoigne que, dans les
provinces, les États-généraux étaient Tobjet d*un blâme gé-
néral et de publiques attaques. Sully et Lestoile nous appren-
nent que, dans toutes les grandes villes de la Ligue, la majo-
rité partageait Tentralnement des habitants et du parlement
de Paris vers la paix, vers un accommodement avec le roi,
parce que ces villes ne souffraient guère moins de la guerre
des blocus que Paris, et ils nomment Amiens, Âbbeville,
Troyes, Reims, Orléans, Poitiers, Lyon, Riom, Arles, Aix et
même Toulouse ^
Henri avait à fortifier ces salutaires dispositions, et à dis- ProposiUon
siper les derniers scrupules que le manifeste de Mayenne et ^^^SnwS^
royaoz.
* ExborlalloB de monMigocnr l« tardinal d« Plaisance, Itfgat da pape,
aux caUioliquat, etc. Dana les M^fmoires de la Ligne, t. Y, p. S96-306.
Entre autres pattagei, on trouve le inlvant à la |>Bge 305 : m Le crimn de
» rtcofnoiêtre pour roi un hérétique rtlaps et obstiné vuut tcmble
• trop airore et énorme pour tous en confesser coupables. Puisque son
» obstination l'a desia pHvë de tous les droits qu'il pouimit prétendre^
» U est temps DMinlenant que vous Uescouvries hardiment ce cjur vous
• avcs dans le coenr. Et s'il n'y a rtrn que de catholique, prononcea libre*
• ment, au nom de Diew, avec le reste des catholiques, que vous ne dëai-
• res rien tant que de vous voir tous réunis sous C obéissance d'un roi,
m de nom et tt effet très chrétien et catholique. » C'était, après tant
4'antrea actes, l'excluaion la plus formelle donuée à Henri, et ta provoca-
tion A Telectlun d*un autre prince pour roi. Du Vatr, au nom de la classe
des Lignears français qu'il représentait, a*opposa aux conclusions dn Idgat
par nn écrit qu'on trouve dans ans œuvres, p. 618, in-folio, et qui est inti-
tulé : Képonse d'un bourgeois de Paris h un écrit Jait contre te roy
Henri ly par le cardinnl Séga, — Sur les dispositions du petit commerce
et de la partie bonnét« Uu peuple Je Purii, vovrx Lestoile, Begi»t. joum.,
pw f 13 A. « En ce mois de {anvierfiist fouette, i la porte de Paris, nn
» porinnr de fablon, pour avoir cbasië son asne anx Estats et s'ea être
M mocqué. Et en niesme trmps eust le fouet au Cbastelet, sous la custode,
» le serrtleur de Baudoin In meusnier, pour s*estra pareillement mooqné
» deadkts Ealatx et dn dac de Mayenne, ayant dict tout haut, parlant à ton
» asne et frappant deMus : Allons, Gros- Jean, allons anx Eatats. Sur quoy
• Mst rnnconird i Paria le quatrain inivant :
a Hay, mon asne, qu'on te meine
» Aux Estati de monsienr dn Maint,
» Afin que tu sois de plein vol,
• Fait de François un Hespagnol. »
La Sntir* Mdnippée, en s'approprient ce fait, page f , a dans celte circoo-
•lance, comme dans toutes les autres, fait un emprunt à l'histoire. —
Four ce qui regarde le cure de Saint-Eustache et ses i6,000 puroissiens,
coMullea Danbigné, 1. ui, c. iS, t. m, p. t76. — Pour ce qui concerne les
provincee et les grandes ville» de la Ligue, voy. de Tbou, 1. CV. $ IS^ t. ▼,
p. 254 : « Qui extra urbem erani, palam deridebant. m — SoUy, OEcon.
rayai., c. S7 et 41, p. lOT A, f 18 A. -- Lettoile, à la date du S9 et du
S* ianvier 1503, avant l'osTertv* d«t Euta de U Ligue, p. lit A, B.
i5A HISTOIRE DU RÈGNB DE HENRI IV.
Texhortation du légat avalent pu laisser chez un certain
nombre de ligueurs lionnêtes, mais timorés. Il avait aussi à
raffermir les catholiques royaux et à contenir le tiers-parti,
il le fit par deux actes , correspondant et satisfaisant aux
deux grandes passions de la majorité nationale, soit ligueuse,
soit royale, Tardeur du catholicisme, le désir de la paix*
Avec son autorisation et sa permission formellement expri-
mées, les princes, prélats, officiers de la couronne et prin-
cipaux seigneurs de son parti adressèrent le 27 Janvier ^
aux chefs de la Ligue, une proposition solennelle ayant pour
but d^opérer une réconciliation entre les deux partis, et de
préparer une paix qui devait suivre immédiatement. Le
moyen offert était une conférence entre les deux partis. Hs
établissaient que la paix était le seul moyen de sauver non
seulement les particuliers et TÉtat, mais la religion même,
dont les ministres et les temples périssaient chaque Jour au
milieu des fureurs prolongées de la guerre civile, lis pro-
testaient devant Dieu et devant les hommes que si la voie de
la réconciliation était rejetée, la responsabilité des maux ré-
sultant de ce refus pèserait sur ceux qui préféreraient les
expédients propres ft servir leur ambition personnelle an sa-
lut du royaume et à Thonnear de Dieu. La proposition des
seigneurs était la réponse directe à Tinvitation que leur
adressait Mayenne dans son manifeste, de prendre part aux
délibérations qui allaient s^ouvrir à Paris sur les destinées de
la France: sans mettre le pied dans les Éuts, ils résolvaient
par avance et selon le vœu de la nation la question capitale,
en offrant la paix.
Dtfciaratioo Le 29 janvier, deux Jours après la proposition des sei-
gneurs royaux, Henri publia tme déclaration qui n*était pas
moins explicite, qui n'allait pas moins directement au but.
Il Otait, pour ce qui le concernait, tout prétexte de guerre,
en offrant de réaliser par les moyens les plus prompts les
promesses d'abjuration et de conversion qu'il avait mises en
avant dès la précédente année. « Pour changer nostre reli-
» gion, disait-il, nous n'avons pas pensé faillir de désirer la
» convocation d'un concile, comme nous Tiroputent les re-
» belles... Toutefois s'il se trouve quelque autre meiUeor et
• plus prompt moyen, pour parvenir à ladite Instruction,
» tant s*en faut que nous le rejetions, qu'au contraire nous
(lu roi.
DéCtARATIOIf DU ROI. 155
» le désirons et embrassons de tout notre cœur. » Le roi, met-
tant ensuite en évidence les artificesdu manifeste de Mayenne,
prouvait que le duc avait seul empêché la paix jusqu'alors,
et Tempèchait encore, en chargeant ses émissaires à Rome de
se concerter avec les ministres d'Espagne pour s'opposer à ce
que le pape donnât audience aux ambassadeurs du roi, Gondy
et Pisani. Enfin Henri exposait les vices de la convocation et
de la composilioades États de Paris, démontrait jusqu'à l'évi-
dence qu'aucun acte valide ne pouvait émaner d'une assem-
blée ainsi composée, frappait formellement de nullité toutes
les résolutions qu'elle prendrait, et déclarait criminels de
lèse-majesté au premier chef tous les Français qui obéiraient
ou participeraient de consentement ou d'effet à ses actes ^
11 ne pouvait empêcher qu'elle délibérât et votât ; mais il at-
tachait par avance à ses décisions tout ce qui, d'après les
sentiments de la Ligue française, devait en entraver» peut-
être même en arrêter complètement l'exécution, et les réduire
à n'être plus qu'une lettre morte.
Tel était donc l'état de l'opinion publique au moment où
les États-généraux de la Ligue s'ouvrirent à Paris à la fin du
mois de janvier 1503. La grande majorité de la nation, tant
du côté de la Ligue que du parti royal, tous les citoyens
honnêtes, étrangers à la cupidité et à l'ambition, amis de leur
patrie et de son indépendance, se portaient du côté de la paix
et de la reconnaissance du roi. Mais un accord entre
Mayenne et Philippe 11, ou bien entre Mayenne et le tiers-
parti, qu'un seul moment pouvait amener et rendre durable ,
l'intervention hostile du légat, la corruption des Seize, des
sélés, du clergé ligueur, des gouverneurs, des magistrats
municipaux dans la plupart des villes de la Ligue, pouvaient
encore rejeter le pays dans des complications dont la tenue
des Êuts et l'éventualité de l'élection d'un roi augmentaient
k danger.
* Ponr c«t d«az |mra««pb«t, MéttuAm d« U Liga*, I. V, p. l7S>fl91. —
P. Cft|et, 1. Y, p. 4tS«4i9. — Ane. loU frabçaises^ U Xr, p. Sft-5S. —
M^n. 4« CheTernj, t. x, p. BlOB, 5tl.
liiiri&E III.
DEPUIS l'ouverture DES ÉTATS DE LA LIGUE JUSQU'A
L'ABJURATION DU ROI (JANVIER-JUILLET 15930*
^^▼•rtartdM Mayenne oavrit les États de la Ligne le 26 janvier 1593.
Ligtt«; Dans les premiers Jours de la session, le nombre des dépu-
**"'uon'^* ^ n'excéda pas quarante-dnq. Quand les provinces furent
Uen convaincues qu'une tenue d'États avait lieu, quand elles
eurent envoyé leurs représentants retardataires, le nombre
des députés s'éleva, mais beaucoup plus tard, à cent vingt-
huiL Les États de Blois de 1588 avaient compté cinq cent
cinq députés ; ceux de Paris de 1614 en réunirent quatre
cent soixante-quatre. Les États de la Ligue n'eurent donc
que le quart des députés qui se trouvèrent à nos dernières
assenkblées nationales. Plusieurs provinces, entre autres le
Languedoc, dont la moitié appartenait à la Ligue, n'y en-
voyèrent aucun député. La représentation d'autres provinces
fut dérisoire : ainsi, tandis qu'aux États-généraux réguliers
on voyait pour la Guyenne les députés de seize sénéchaussées,
on ne trouvait à ceux de la Ligue que les députés de deux
sénéchaussées. L'assemblée prétendit conserver la division
législative en douze grands gouvernements, division qui
n'était en usage que pour la tenue des États. Mab comme
le Languedoc était complètement absent, on fut réduit à
diviser le gouvernement unique de Paris en deux gouverne-
ments, celui de Paris et celui de l'Ile-de-France >• On peut
' Les procèt-TcrlNias dm ÉtaU-géoëraux fl« 1585 ont éié publies pour
la première foif en I84i par M. A. Bemaril, diius la coUection des doctt-
ments inédits sur l'hittoire de France. — De Tliou« dans les lirres CT, CVl,
om de son Histoire, donoe un extrait fort étendu «i fort bon, quoi qa*oa
en ait dit. de ces Etats.
' Procèa-Terliauz, nocni das d^Nitdt, p. S et 9.
C01I^0SITI0N DBS iTATS DE LA LIGUB. 157
donc affirmer que cette assemblée ne fut la représentation ni
de la France, ni même de la France ligueuse, au moins en
son entier ; et que si les formes pratiquées pour la tenue
ordinaire des États furent maintenues en apparence, elles
furent violées en réalité. De pareilles illégalités suffisaient
déjà pour vicier les délibérations des Ëtats de la Ligue ; mais
elles étaient entachées d'avance, et bien plus gravement,
par les circonstances qui avaient présidé aux élections. Les
électeurs avaient été gagnés par l*argent de Philippe n ;
grand nombre de députés s'étaient ensuite mis à sa solde K
Nous avons fait connaître précédemment leur moralité et
nous n'y reviendrons pas ; mais il est nécessaire de préciser
quel engagement ib avaient pris avec le roi catholique. Ils
lui avaient vendu seulement la promesse de trahir leur patrie
et de la lui livrer; quant à l'acte lui-même, ils attendaient
à en être payés séparément et à im prix bien plus élevé :
c'était un marché à terme.
Les partisans du roi d'Espagne formaient la majorité dans MaforiU. mino-
les ÉUts de la Ligue hnmédiatement après les élections et "^^s'iâû* ^
avant l'ouverture de la session. Cette majorité se composait de
toute la chambre du clergé, excepté cinq membres, et de la
pluralité des membres de la chambre du tiers-état. La mi-
norité était formée par la chambre de la noblesse presque
entière et par quelques membres de la chambre du tiers-
état : les uns, en petit nombre, étaient dévoués à la cause de
Mayenne ; presque tous appartenaient à la Ugue française et
soutenaient la cause nationale. Nuls ne lui rendirent plus de
services dans les questions décisives que Habutin-Delavau,
La Chastre et Vitry, de la chambre de la noblesse ; Lhuiflier,
Langlois, Thielement, Lemaistre, du Vair, Daubray, de la
chambre du tiers'.
Dès que Mayenne connut les élections des provinces, dès n«j«^««««y«
qu^ fut assuré qu'il devait perdre la majorité dans les États mi* maMii
ca ta fiiT«iir.
* CMt c« qi|« tënoignent 1m contemporains poar le temps ante'riear à
la session des Elats, notamment de Serres, InTentiiire gëuër. de lliist. de
France, p. lOOf, 1003 : « Ces EstaU estoient choisis presque de la lie du
• peuple; de pins, mutins, séditieux, corrompus par argent, m C*esC ee
qne prouTeruni, durant la session, les actes mêmes des dépotes que nous
sifnalerOBS plus tard.
* Les fiiU énonces i la fia de ce paragraphe trouveront leurs preuves
dans lee faits subséquents.
I5ft miTOIftlt DtJ RkeNK Dfe HK^RtlV.
|Mr la compoiition de la chambre du clergd et de celle dti
tien, Il essaya de la reconquérir en altérant la composition
habituelle des fitats. Il voulut y introduire deux nouvelles
chambres. La première se composait des princes lorrains,
des officiers de la couronne, des maréchaux et de Tamiral de
France qu*il venait de créer an nombre de cinq, des gou-
yerneurs de province ; la seconde avait reçu les délégués des
divers parlements ligueurs, les délégués de la cour des
comptes» les membres du conseil d*Étal^ Les deux nouvelles
chambres siégèrent et prirent part d*abord aux délibérations
des États de la Ligne. Si Tinnovation eût duré et la combi-
naison réussi, Mayenne aurait formé lue majorité favorable
à ses vues des deux nouvelles chambres et de la chambre de
la noblesse.
B^serre qit« fiiit Le parlement de Paris ne nomma ses délégués pour former
''dTparhT' Tune des deux chambres que sous la condition et la réserve
expresses que l'assistance aux États dé ses membres ne les.
empêcherait pas de prendre part à la vérification que ferait
le parlement des décisions prises par les États'. La vérifi-
cation , c'est-à-dire Tacceptation ou le rejet par la magistra-
ture des actes d'une assemblée qui se prétendait nationale ;
la souveraineté du pays soumise à Taulorité d'un corps Judi-
ciaire, était une usm-pation évidente de la part des parle-
ments. Mais elle tenait à tout un système qui datait déjà de
plusieurs années. Depuis les Barricades, les parlements avaient
cessé d'être des corps exclusivement judiciaires, pour devenir
en même temps des corps politiques; ils avaient participé dès
lors aux décisions qui avaient réglé les destinées de la France,
et notamment à U collation, sous un nom ou sous nn autre,
de la puissance souveraine, à la reconnaissance de la royauté
de Charles X et de la lieutenance générale de Mayenne, à la
reconnaissance de la royauté de Henri. Ce droit, qui avait
été accepté par tous les partis, était passé dans les habitudes,
conmne le prouve en dernier lieu l'arrêt du parlement de
Paris à la date du 22 décembre 1592.
> VUltrov, Apol. «1 dite., t. xt, p. 108 A, B. — Kecudt Urtf 4m regif
tfM dn p«rl«m«ttl d« Parif , 1601, lii-4*. — Procès-vrrbuax des Etait d«
1065, appendice d* fS, p. SOO, SOI. ^ Uéutuj, Grande hblolrt, t. ta,
' Procèa-varbauz d«« ÉtaU, mlm* appendlM, mkmm paf«t«
LEâ NO0VELLE8 GHAHSASft DS MAYENNfi, SES pftOJETS. 159
Quand Mayenne, par la création des deux nouvelles cbam* Projeit
bres , crut avoir ressaisi la majorité dans les ÉUts , û revint ^^ Mayenne.
plus TÎTement que jamais au projet de se faire élire roi, ou
de faire déférer la couronne à son fils, en gardant pour lui-
même la lieutenance générale et Teffectif du pouvoir, il ne
se dissimulait pas l'opposition redoutable qu'il devait trouver
à ce dessein de la part de Philippe II, de la part du pape et
de son légat jusqu'alors asservis aux volontés du roi catho-
ttqae, de la part des ligueurs français, partisans constants et
plus prononcés alors que jamais de la légitimité. Mais ces
obstacles ne lui semblaient pas Insurmontables, il se proposa
d'abord d'amener Philippe U h un désistement par deux
moyens: d'abord en lui préparant des échecs successifs dans
les États de la Ligue et à la guerre, et en lui persuadant que,
depuis la mort du duc de Parme et le dérangement de ses
affaires, il était hors d'état de prendre la couronne et de sub-
juguer la France ; ensuite en satisfaisant son ambition par de
grandes concessions, 11 offrait de lui abandonner, au nord,
la Picardie avec Calais, Boulogne, Ardres, le Catelet ; k l'ouest,
Blavet en Bretagne; au sud, la Provence, C'était démembrer
le royaume, l'ouvrir incessamment à l'invasion étrangère du
côté des l^ys-Bas, du c6té du Milanez et du côté de l'Océan ;
l'affaiblir ainsi doublement; livrer à l'Espagne ce que Charles-
Quint et Philippe II, en soixante-dix ans de guerre et d'in-
troues, n'avalent pu lui arracher. Quand Mayenne et les
princes lorrains n'auraient que ce crime à se reprocher, ils
mériteraient encore d'être à jamais maudits par la France K
* TUltray, Apol. «t dise., t. X, p. t05 A. « M. dm Maymne etpëroll
• ^Q« l« roj iTlÙMgn*, Muret lu i>«ile d'an t«l capiUiioe et »er«itf ur (U
• 4nc de Parme), te reUscheroU de tes premiers dfitseins.... M. de
■ Mayenite etpéroll fiiire tellemenl •«• aflatret que t'U n'oblenoU le pr«*
m mier lies, ii s^etubliroit si bien ao second qne celuy aui teroil e»ieu
m roj ne Ir terolt en efTett plus que lai. m ~ Lettre dMbana à Phi-
Eppe II : • Il parull qve la ferme iiiteplioa de Moyenne est d'ujuuroer
m Telection iutqu'i ce qu'on le cboisitse. * — Lellre du duc de FèrÏM à
Pbilippe II : « Oo m'atture qae le duc de Mayenne prèfër«>rolt Uvrer la
m coarouM aa Omnd Turc avant de couieniir a l'éleciion d*un roy de sa
■ salioB, necpld tooterois iui-méme. » — InsIruciionsdeMujremie }iie-
pardeepONT da RoMe, qui doTalt aller à Rome. « Créer des difficnliés ponr
a toata a«tr« élection aue celle du dnc de Mayenne. Si celte dernière est
■ accordde, promettre a Sa ]la)esté calboliqne la cession ds la Proyenee,
m et um» mmtra protfimce àa Wrmmca h sa eomi'mmamce^ em iaissanê
m pouriani sntendrs qas ce ssra ta Picardie ; céder encan Biavei, en
m Bretagna^ éa plus lee plaças é^ Ardres^ Calais^ Bamtogma. m (Papiert
de Simancna, oote B, 7S, pièce 29, folio 4 recto ; cote B, 7S, piè< e ilS,
Mlof recttt.
160 HISTOIRE DU RfeGNB DB flBNRI IV.
Le duc arrêta de gagner le pape et le légat en leur prouvant
quMl était seul puissant dans le royaume, et en y faisant pu-
blier et observer le concile de Trente. Enfin il résolut de
surmonter les répugnances de la Ligue française en lui per-
suadant qu*elle serait impuissante à réaliser son vcen de re-
connaître le roi , et qu^elle ne verrait la fin de ses maux que
quand elle lui aurait conféré à lui-même le pouvoir et les
forces nécessaires pour Taccabler. Tout dans les États de la
Ligue, du c6té de Mayenne et de ses conseillers, tendit à ce
but et tourna sur ce pivot
Pramiiret l^ 26 janvier , à la séance d'ouverture des États de la
det Eu!?rde u ^8^^» Mayenne prononça un discours dans lequel il annonça
Lifiie. le grand changement où toutes les ambitions trouvaient leur
compte. Il dit que le sujet principal pour lequel les États
avaient été assemblés était Télection d'un rot catholique;
et par ce seul mot il était à Henri son droit héréditaire et la
chance même d'être choisi, puisqu'il n'était pas catholique <•
Le duc recommanda, mais avec discrétion et indirectement»
sa candidature et celle de son fils, en rappelant ses services.
Le cardinal Pelevé parla après lui ; et cet homme , qui après
avoir trahi les intérêts de la France était resté vingt ans à
Rome pensionné par l'Espagne, opposa' à la candidature de
Mayenne celle de Philippe II, en faisant un pompeux éloge
de ce prince.
Le discours de Pelevé n'excita que le mépris et le rire,
non pas seulement parce qu'il était ridicule, mais parce que
la composition actuelle des États était peu favorable à son
ardeur antifrançaise. Très peu de députés des provinces
étaient arrivés : l'assemblée se composait presque entière-
ment des deux nouvelles chambres de Mayenne et de la dé-
putation de Paris; or cette députatlon ne comptait alors dans
ses rangs que des politiques, des ligueurs français ou des
hommes modérés, même dans l'ordre du clergé.
La présence exclusive' aux États des bons citoyens se fit
sendr encore dans les délibérations des jours suivants. Le 27,
dans une assemblée particulière tenue à son domicile, le lé-
gat ayant proposé aux principaux députés de signer, i la
première séance, un serment par lequel ils s'engageraient à
■ Voyra ci-4lcttu8 U noU d« la pmge IBS.
PREUIÈRES SÉANCES. MAJORITÉ POCR PHILIPPE IT. iGl
ne jamais traiter, h ne conclure jamais de paix avec le roi
de Navarre, cette ouverture fut rejetée. Le même jour, à la
séance des Ëtats, le l<^gat tenta tout aussi vainement de se
faire déférer la pri^sidence de l'assemblée : on décida qu*il
ne paraîtrait aux États que pour les i)énir; qu'en qualité
d'étranger, il n'y aurait ni séance ni voix. Le 28, la propo-
sition des royaux pour une conférence fut apportée au con-
seil d'État. Le légat et Pelevé tirent d'incroyables efforts pour
empêcher que la proportion ne fût déférée aux États : le
conseil décida au contraire que l'assemblée en serait saisie ^
Mayenne et son conseil ne désiraient pas plus la paix avec
le rot que les agents de l'Espagne ; mais, sous peine de s'a-
liéner les esprits et les cœurs dans son propre parti , le dac
était tenu d'accepter la conférence qu'il avait proposée lui-
même dans son manifeste, et de se prêter en apparence aux
voies d'une conciliation ardemment désirée par les villes de
la Ligue. De plus, il espérait dans le rapprochement et l'a-
bandon d'une conférence séduire les seigneurs royaux à sa
cause par l'adresse de ses agents. Il comptait enfin tenir les
Espagnols en respect par la crainte de le voir traiter avec
le roi.
liiilippe II , ses mmistres et se^ créatures à Paris, ne tar-
dèrent pas à regagner dans les États le terrain qu'ils avaient
perdu lors de l'ouverture de cette assemblée. Dans les pre-
miers jours de février, les représentants des provinces arri-
vèrent en grand nombre : la seule séance du U février en
reçut dix-huit nouveaux. Presque tous ces députés étaient
vendus an roi catholique. Le parti es])agnol se trouva alors
assez fort pour faire adopter, au moment de la vérification
des pouvoirs, des mesures d'une liante gravité. L'innovation
des délégués des parlements, la formation de deux nouvelles
chambres furent rejetées par les États : les délégués des par-
lements qui continuèrent jusqu'à la fin du mois de mai à
siéger dans l'assemblée n'y eurent plus de voix, furent réduits
à donner leur avis comme simple conseil , et virent jusqu'à
leur présence souvent contestée. La députai ion des ecclésias-
tiques de Paris, composée d'hommes modérés, fut renversée
Pro^rèfl
de la farUon
espagnole dans
Ira Étuis.
* Pour ces trois paragraphes, Lestoilc et son Siippl.,p. 114 B, 1 1S, 1 1 1 B.
— Tlmanns, I. cv, J IH, t. V, p. 854. — YiUeiuy, Apol. et dise, I. XI,
p. soi l(, 9tl5 A. — Registre du licrsrlut, p. 91, à In fin, 3ô, S4.
Il
16'i HISTOIRE DU nÈGNK DE HENRI IT.
contre toutes les formes, ot remplac<^c i>ar les membres les
plas fougueux du parti ligueur. On comptait parmi eux
Boucher, Génébrard et Gueilly. Le 8 février, Mayenne fut con-
traint de quitter Paris pour aller recevoir et contenir à la
fois Tarmée espagnole, qui entrait alors, pour la troisième
fois, dans le royaume : son départ et la présence des troupes
étrangères ajoutèrent infiniment à la force et à Taudace de
ses adversaires. Les jours suivants, bon nombre de députés
arrivèrent encore, et la. plupart appartenaient au tiersH^tat
et à la faction espagnole. Le 21 février, les États comptèrent
quatre-vingt-neuf députés, le double de ce qui s*était trouvé
à la séance d'ouverture ^ Par suite de ces divers incidents,
dans le cours du mois de février, une majorité en faveur de
Philippe H s'était formée au sein des États. Elle avait adopté
le programme suivant : renverser Mayenne aussi bien que
Henri, élever à la souveraineté le roi d'Espagne avec les
votes et les mains de la Ligue : pour obtenir ce résultat, ren-
dre la Ligue et le parti royal irréconciliables, et, par consé-
quent, combattre à outrance la proposition de la conférence.
Dans Taltitude hostile que prit l'assemblée, elle trouva
l'appui de tous les factieux de Paris. Les Seize affichèrent
des placards où ils protestaient contre la conférence et dé-
claraient nuls par avance tous ses actes, si elle avait lieu.
Les prédicateurs l'anathématisèrcnt en chaire ; de plus , ils
demandèrent un Ahod, un Jéhu, pour se débarrasser du roi
par les horribles moyens qui leur avaient réussi contre
Henri II I. Le 19 février, le légat obtint de la Sorbonne un
décret qui déclarait la proposition de traiter avec les sei-
gneurs suivant le parti du roi hérétique, schisma tique ,
pleine de blasphèmes et de rébellion à l'Église '.
' Registre du ticrs-ctal, p. 3o, 43, 56; registre da clergé, p. 378, pour
la vérification des ponvoirs; li^te des députés, p. 5. — Lcsioile, p. Ît7 A.
•— VtlitTuy, Apul. et dise, l. Xi, p. fb3 B. C'est Villrroj, témoin oculaire,
qui T'urnit It's renseignements sur lu nullité à laquelle le parti rfl|tagnol
dans les Etats réduisit les délrgues des parlements, et sur raltéralion que
le<i Seize et les partisans du Philippe iireul>uhir k la députation de% ecrle*
stustiqui'A de Puri». «< Ils avoirnl tant de puissance, qu'ils avuirnt faicl ren«
• Ttrser la députation de« ecclésiastiques de Paris, contre les formes urdi-
» nairei. »
* Lestolle et son Suppl., p. IIG A. «Commolet crioitdans Siiint'Barlhé-
m \9tnj : Il nous fault un Ahod, un Jebu. Oui, oui, mes umis, il le faiiU,
m Tusl-il clerc, fust-il soldat, fust-ll huguenot meame.»» (Pages liS B, tt!l.)
— T«xto dit décret de la Sorbonno dans le registre du clergé, p. 387, 38B»
de la confé-
r«Dce passe
dans les Etals;
par quels
moyens.
LA GONPéRBIfC£ ACCEPTER PAR LES KTATS. 163
La propoailioa de la conférence fut agitée dans les Etats La proposititm
du 4 aa 25 février. Elle y suscita d'interminables déiiats, et
y rencontra d'abord une contradiction qu'on put désespérer
de vaincre; car, dans le principe « la proposition n'eut pour
die que la chambre de la noblesse. li s'agissait de déplacer
la majorité qui s'était formée en faveur de l'Espagne : voici
comment on- y parvint. D'abord, dans cette affaire, l'intécét
de Mayenne étant le même que celui de la Ligue française ,
les deux partis s'unirent étroitemenL En second lieu les deux
agents du duc, Jeannin et d'Espinac, à force d'adresse et
d'instances, parvinrent à persuader au légat de se prononcer
pour la conférence , et par son intermédiaire et son autorité
gagnèrent à la proposition la chambre du tiers-état, et sur-
tout celle du clergé, d'abord hostiles. Us représentèrent au
légat que , dans la passion que montraient pour la paix la
noblesse et les grandes villes de la Ligue , si l'on repoussait
la conférence, si on leur ôtait violemment et de prime abord
tout cspoû* d'accommodement, on courait risque de les jeter
dans la résolution désespérée d'abandonner la Ligue et de
se soumettre au roL Ils ajoutèrent que le parti de Henri se
prévalait déjà de ce que l'on avait laissé , pendant tout un
mois, ses propositions sans réponse, et trouvait créance au-
près des peuples. Us remontrèrent -en outre au légat, qu'en
se déclarant ouvertement pour Philippe II , en obéissant à
ses instructions et en servant ses intérêts, il se rendait per-
sonnellement suspect et odieux aux Français, dont la majo-
rité , même dans la Ligue , détestait les projets et la domi-
nation espagnole ; que de plus il compromettait de la manière
b plus grave les intérêts du saint-siégc en ^exposant à voir
la frVance se détacher de son obédience. Ce dernier argument
tirait une grande force des résolutions agitées en ce moment
même par le parlement de Tours, qui, apprenant le refus
Eut par le pape d'accueiUir les ambassadeurs du roi , propo-
sait, pour la seconde ÙÀ&^ d'établir un patriarche en France.
Enfin , on ne peut douter, d'après les faits subséquents,
que Jeannin et d'Espinac n'aient séduit le légat par l'er-
rance de faire recevoir et publier en France le concile de
Trente. Séga se laissa vaincre à ces raisons, les fit goûter aux
chambres du clergé et du Uers, et leur persuada de voter
pour la conférence. VlUeroy, qui prit une part active à ces
16& HISTOIRfi DO R^GNE DE HENRI IV.
débats, témoigne que sans l'intervention du légat, la propo-
sition de la conférence aurait été, selon toute apparence,
renversée dans les Ëtats.
Dans les séances des 25 et 26 février, les trois chambres
décidèrent en principe que la conférence aurait lien , mais
sous une forme déterminée et avec une restriction. Le 1*' mars,
elles rédigèrent , et le 6 , elles adressèrent leur réponse aux
catholiques royaux. Les deux points principaux étaient ainsi
exprimés : 1* Il a été résolu et arrêté par les chambres que
Ton ne doit conférer directement ou indirectement avec le
roi de Navarre , ni avec aucun hérétique , pour rétablisse-
ment de ce prince ; 2' il a été arrêté que Ton pourra con-
férer avec les catholiques , suivant son parti , pour ce qui
touche la conservation de la religion, le bien de TËtat et le
repos du royaume, et pour leur réunion à TËglise catholique,
apostolique et romaine <.
D'Espinac et Jeannin avaient pressé la conférence dans
l'intérêt et les vues de Mayenne, que nous avons exposés
précédemment. Les partisans de TEspagne, dans, la chambre
du tiers et dans celte du clergé , Pavaient consentie sur la
crainte de se voir abandonnés par les villes de la Ligue en
cas de refus de leur part '. lis comptaient qu'elle ne produi-
rait pas de résultats, ou qu'elle n'en amènerait que de favo-
rables à la Ligue. lie parti de Mayenne et le parti espagnol
se flattaient également de rompre la conférence à leur gré,
si elle venait -à présenter le moindre danger, en renvoyant
au pape la connaissance et la pleine décision de ce qui con-
cernait la conversion de Henri. Mais Villeroy, qui, bien que
conseiller d'I^tat de Mayenne , agissait uniquement pour la
Ligue française , mais les représentants de ce parti dans les
Étals, entre antres Lemaistre , jugeaient tout autrement les
effets et l'issue probable de la conférence. Dans la restriction
mise par les Ëtats de la Ligue de ne pas traiter avec le roi ,
et de ne traiter qu'avec les catholiques de son parti, ils ne
voyaient qu'une vaine procédtire parlementaire qui ne pou-
vait nuire au fond de la négociation. Appréciant d*une ma-
' Pour ces deux paragraphes, Villeroy. Apol. .K tlisr., I. xi, p. 904,
SOS. — RoRlslrc du tiers, p. Si, 65, 7.V76. — Rcgislif du riergc, p. 385-
387, 301-303. ~ Registre de la noblesse, p. S70.
* Refislre du clerg«, p. 385. « Davautage In peuples ne pourront
M trouver moyen ny ocra «ion de se fascher. »
ACCORD DE MAYENNE ET DES ESPAGNOLS. 165
nière juste les dispositions des peuples et même d*une por-
tioD des chefs, ils estimaient que, dans la lassitude générale
de la guerre et la crainte de la domination étrangère , la
conlërence n*amènerait pas seulement un armistice dont
Mayenne et les partisans de TEspagne pourraient se jouer à
leur gré , mais bien une trêve , après laquelle personne ne
consentirait plus à reprendre les armes ; que , par consé-
quent , la conférence deviendrait un sûr acheminement à la
pacification du royaume et à la reconnaissance du roi^
L*événement jastifia leurs calculs, et, après le consentement
donné par Henri à son changement de religion, la conférence
devint le plus puissant moyen de salut de la France. Voyons
quelles épreuves elle eut à traverser et quels obstacles à
vaincre.
Tandis que cette résolution si importante était prise à N«gociatiiint
Paris, Mayenne, les Espagnols, le tiers-parti, s'épuisaient en '"'rîerÊÎJÏ-*
efforts et en combinaisons pour donner gain de cause à leurs §«>«>*«• Jonciion
« . wf . 1 A <•, . '.. Il de leur» forcM.
prétentions. En qmttant l^ns. le 8 février, Mayenne alla
d^abord conférer avec les princes de sa famille. Le 20 février,
il se rendit à Soissons , où il s'aboucha avec le duc de Féria
et les autres ministres du roi d'Espagne. Les négociations se
prolongèrent pendant plus de quinze jours, du 20 février au
8 mars. Mayenne demandait que Philippe II se désistât de
ses prétentions à la couronne et avouât la poursuite du duc
ou de son fils , en se contentant de l'abandon des provinces
de Provence et de Picardie , et de la cession de cinq places
fortes sur deux autres points du territoire. Les ministres de
Philippe II réclamèrent opiniâtrement, pour sa fille Glaire-
Eugénie , le corps de la monarchie , en faisant à IMayenne la
part suivante : la Bourgogne en toute propriété pour lui et
ses descendants ; la Picardie , sa vie durant ; la lieutenance
générale de la reine en France ; l'argent nécessaire pour
acquitter ses dettes , sous l'expresse condition de travailler
de tout son pouvoir à 'faire élire reine l'infante d'Espagne.
Mayenne contesta vainement : il trouva Philippe II et ses
ministres inébranlables dans leur ambition. Gomme il avait
un besoin impérieux de leurs troupes et de leur argent pour
tenir la campagne contre Henri , secourir les villes de la
• ViUaroy, Apol. el dise., p. 90S B, 105 B,
166 HISTOIRE DU RÈGNE 1)E HENRI IV.
Ligue, et surtout Paris plus pressé que jamais, il promit tout
aux Espagnols, avec le dessein de ne rien tenir, selon sa cou-
tume. Il tira d'eux 20,000 écus comptatits, et des assignations
à quelques mois pour 200,000 écns. II prit également leurs
troupes venues des Pays-Bas , sous la conduite du tomte de
. Mansreld, au nombre de /i,500 hommes seulement , les joi-
gnit & 1,000 soldats fournis parle pape, et aux ligueurs qu^H
avait rassemblés lui-mCme. C'était en tout & peine 10,000
soldats. De pareUles ressources en argent , une pareille force
militaire étaient bonnes tout an plus à quelque entreprise
secondaire , ou à la défense de quelque point déterminé du
territoire : elles ne pouvaient rien de grand, rien de décisif.
Les Espagnols, en particulier, réduits à leurs 6,500 hommes,
se trouvaient parfaitement hors d'état de faire la loi aux
États de la Ligue et à la France. Mayenne, avec ceue armée,
alla assiéger Noyon , dont la prise , combinée avec l'occupa-
tion de Pontoise par les ligueurs, devait rendre libre le cours
de l'Oise, et rouvrir à Paris des pays d'approvisionnement ^
Le due da Le duc de Ferla, comptant fort peu sur les promesses et
^•rVtetiJtrres* ^^ '® concours de Mayenne,' parce qu'il le connaissait bien ,
decoiniption commc le prouve sa correspondance, quitta Soissons pour
dira» corps. ^ rendre à Paris où fl entra le 9 mars. Il arriva mal pourvu
de ce qui était nécessaire pour séduire des chambres telles
que celles du tiers-état et du clergé. Au milieu du grave
dérangement survenu dans ses finances , Philippe II n'avait
de disponible pour les intrigues et pour la corruption qu'une
somme de 200,000 écus ou 600^00 livres de ce temps.-
Féria avait ouvert l'avis d'employer cette somme tout en-
tière dès Touverture des Etats à gagner les députés. Mais il
n'avait pu faire partager ce sentiment à son maihre : Vhï-
lippe II avait remis à un an la distribution de la plus grande
partie de cet argent, et prescrit formellement à ses ministres
de ne récompenser les traîtres qu'après le service rendu ^
c*est-à-dlre après le vote émis en faveur de sa royauté ou de
* Supplément de Lestoile, p. 193 A, 5 1er. — L*exaclUude das déuili
relatiis nus conventions entre M«yenna et let Eapagiiolt, qn*il rapporta,
e»t attestée par VUleroy dans le pas»uge suivant, p. âU5 A, à la fin : « Le
» duc de Mayenne rencontra à Soissons le duc de Féria... Il eus! baau-
» coup de peine d*en tirer de Targent, et fust contrainct de leur pro-
m mettrt des choses qu'il ne leur observa^ ainsi quMls l*ottt public
• depuis. M
TENTATION 0£ CORAUPTION A PARIS PAR FÉRIA. 167
celle de Tlnfante K Féria arriva donc ù Paris avec 30,000
doublons ou 90,000 livres, c'cst-à-diro avec la septième par-
tie seulement des deniers destinés par Philippe II à Tachât
des consciences. La somme était trop faible pour que Féria
songeât à l'appliquer à la corruption des trois chambres des
États. 11 résolut donc de s'en servir pour gagner au parti es-
pagnol les magistrats municipaux, les chefs de la force armée
et du clergé de la Ligue française. Â son instigation, les
Seize pressèrent Lhuillier, nouveau prévôt des marchands,
de recourir à ses largesses pour payer les rentes de Phôtcl de
ville : Lhuillier répondit qu'il n'était pas Espagnol, et qu'il
ne lui serait jamais reproché que, pendant sa prévôté, il au-
rait engagé le domaine de la ville à l'étranger. Féria se tourna
alors vers les capitaines et les colonels de la garde bour-
geoise (1/i mars). Malgré la misère des meilleures familles,
ils repoussèrent ses offres avec indignation , en disant que ce
qu'ils avaient fait n'était pour de telles récompenses ; qu'ils
avaient toujours été ce qu'ils resteraient, catholiques, mais
l'Yançais; dévoués à la cause de la religion , mais en même
temps à celle de la ville et de l'État : Daubray se signala entre
tous par la liberté et l'énergie de son refus. L'ambassadeur
chercha tout aussi vainement à tenter le chapitre de Notre-
Dame qui mourait de faim : le doyen Seguier l'invita à ne
pas se mêler des nécessités et dés ressources du chapitre. Le
peu d'argent dont Féria disposait s'écoula entre les mains
des Seize et des prédicateurs de la Ligue. Ces derniers com-
mencèrent , le 19 mars, à attaquer tous ensemble dans leurs
chaires Mayenne et Henri IV, ajoutant : a Qu'ils vouloient
» bien qu'on sçut qu'ils aimoient mieux avoir l'Espagnol ca-
» tholique pour roy, que non pas l'hérétique Béarnais. »
Mais ces déclarations éboulées et 'antinationales ne provo-
* CorTMpODdance de Philippe II avec J. R. de Taxis, à la fin de 1M)9.
« Je Tout ai laissé inatlre de disposer d'une somme de 900,OCO ëcus pour
» nuiis rendre favorables les Français récalcitranls, ou pour distribuer ■
• eeax qui rendront quelques services iropurtants, mau seulement après
M le service rendu; Vexperienre ayant prouvé que Ton obtient plus par
» Tespoir de la récompense que par Je payement anticipé. » Le 9tt jan*
*ier ISO.*), Féria avait écrit à Philippe II : «c D. J. Idiaquei jugeuil uéces-
» saire d'avoir quant à présent une bonne somme d'argent pour gagner
« des voix.,. En ayant parlé a J. B. de Taxis, il me montra un ordre de
n Votre Majesté pour disposer de 900,000 ëcus payables dans un an,
1 Mais il seroit beaucoup plus profitable que l'argent vint mainlenunl. >•
(Papiers 'de Simancas.) Philippe II ne se rendit pas à cetaTÎs de Féria.
Ce ministre vint k Paris avec peu d'argent, et ne donna rien aux députes
entre le mois de mars et le mois de iuin.
168 UISTCIHË DU KKONË DE HEMRl IV.
quaienl plus depuis lon^cinps que le mépris et le dégoût,
même chez les dernières classes du peuple de Paris K
nouvel Ici «lit- Ccs manifestations éclatantes des sentiments français par-
Cïn"«î'«» d«« ^« ^^ toutes les classes de la population de Paris déconcer-
Eiuu. tèrent et intimidèrent les partisans de TEspagne dans les
États. De plus , ils ne tardèrent pas à reconnaître que Féria
n*ayait pas apporté de quoi satisfaire leur avidité, et qu'il ne
pouvait leur donner que des promesses à long terme. Dès
lors un notable changement survint dans les dispositions de
l'assemblée : « Tels qu'ils esloient venus disposés de les fa-
» voriscr et servir en payant, les maudissoient, voyant qu'il
» n'y avoit rien à gagner avec eux '. »
Prise de Noyon, Les événements de la guerre achevèrent de porter la.dés-
'*!*I^^ * organisation dans le parti que les Espagnols avaient eu d'à-
cftpagnuio. iiQfd jm ^{q ^^ États. Le 29 mars, l'armée hispano-ligueuse,
coHHnandée par Mayenne et Mansfeld , s'empara de Noyon.
Après la prise de cette ville, les Parisiens s'attendaient
à la voir s'approcher de leurs murs, enlever les places et les
forts occupés par Henri, particulièrement Goumay et Saint-
Denis , ramener l'abondance dans la ville , rétablir ses com-
munications avec les provinces. Les autres grandes villes de
la Ligue ne demandaient pas moins à l'armée des confédérés.
Ma» , pendant le siège de Noyon , qui avait duré trois se-
maines, elle avait perdu /i,ÔOO hommes par les combats et
par la désertion : réduite à 6,000 soldats, elle était hors
d'état de rien entreprendre d'important Les Espagnols , qui
la composaient par moitié , étaient rappelés dans les Pays-
Bas par la prise de Gertruydenberg , les progrès du prince
Maurice et des Hollandais. Enfin, elle était aussi mal payée
que mal disciplinée. Aussi après la prise de Noyon , elle se
dispersa. Les soldats de Mayenne se retirèrent dans leurs
garnisons de licardic : les Espagnols de Mansfeld rega-
gnèrent la frontière des I^ys-Bas, et ne Urdèrcnt pas à se
mutiner de nouveau ; les uns désertèrent , les autres rega-
gnèrent l'Artois et le llainaut, où ils mirent tout au pillage
pendant près d'un an \
• Lettoile. p. 190 B. iSt, 193.
* Villeroy, Apol. et dUc, p. SOS B.
> Lettres luissiTes de Henri IV des S, 4, liiivril 15(13, t. m, p. 7<5.7:iâ.
— P. ûiyel, I. ▼, p. 43i A» Am, 4BI. — l^tioile,|i. ir» A. I» B. - Thii«-
nitt, I. or, SS 0« i, p. 908« SI 1-113. — ViUeroj, Apol. cl dise., p. iU5 A.
DÉNIJMJSNT 0£S ESPAGNOLS, SES GO?IS£QU£l<iC£S. 169
AJiisi, au moment décisif, Pliilippe II se trouvait sans
armée et presque sans argent en Ifrance. Un pareil résultat
suffit pour prouver que cet homme qui, dans ses intrigues,
se jouait de tout , même de la religion et de Dieu , qui se
permettait tout, y compris le crime, était étranger à la
grande politique.
Dans leur état de dénûment et de faiblesse , Pliilippe II et HHineetmepn*
ses ministres conservèrent entières leurs prétentions et leurs emmii!)".
espérances : ils ne songeaient à rien moins^ qu^à asservir la i>«n» !«> Ki»ts
France. Ce contraste entre leur ambition et leurs ressources '" ^Îm'*'
les rendit odieux et ridicules , tandis que leur grand étalage ^ MayeuM.
de catholicisme et leur hypocrisie excitaient le mépris. On
trouve les actes de tous les partis empreints de ces senti-
ments. Les politiques et les ligueurs français de Paris, ac-
crus chaque Jour de nombre , attaquèrent publiquement les
Seize , et se préparèrent à combattre tontes les usurpations
de la couronne, de quelque côté qu'elles vinssent. Les Ëtats
de la Ligue, Instruits jour par Jour des événements et dos
suites du siège de Noyon , à cause de la proximité de cette
ville et de Paris, changèrent d'attitude et de conduite. Les
députés du tiers-^tat étaient arrivés avec la disposilion de
servir le roi catholique, et ils l'avaient prouvé par leur ré-
sistance si longtemps prolongée dans Taffaire de la confé^
rence. Maintenant ils trouvaient qu'il n'y avait rien à gagner
avec lui , et qu'il y avait tout à craindre , puisque, après la
dimmution d'abord et ensuite la dispersion de son armée , il
s'agissait pour eux de se déclarer à la fois les adversaires du
roi et les ennemis de Mayenne. Dès lors ils passèrent à
Mayenne et à son parti, ils le prirent pour chef et pour guide.
Ils le consultèrent dans toutes les questions avant de rien
décider. Au tiers-état se joignait la noblesse, qui, dès le
prhiclpe, s'était prononcée pour le lieutenant général. Phi-
lippe II ne conservait donc plus dans les États que la cham-
bre du clergé , dont il fallait même distraire d'Espinac et
quelques autres prélats très influents, partisans de Mayenne
ou du jeune duc de Guise. Ainsi , dès la fm du mois de
mars, la majorité fut acquise h Mayenne dans les États, et ,
comme le dit un témoin oculaire, rien ne s'y fit plus que
sous son bon plaisir K Ce changement est capital.
• ^Ukroy, Ap«l. «t dite., p. 203 B. 906 A, 908 B. - LctioHe, p. 191 B.
Prraûèra pro-
position des
Es|MgnoU dans
les Étais. Passe-
port doDué
aux rojraux
pour la
cunférence.
170 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
La révolntion sarvenoe dans les dispositions des Étals
échappa complètement aux ministres espagnols : aussi lear
conduite ne fat-^He dès lors qu'une suite de contre^sens et de
fausses démarctics. Féiia, toujours en soupçon de Mayenne,
croyait qu'il importait aux intérêts de son maître de produire
ses prétentions dans les États durant Tabsencc du lieutenant
général. U voulait de pi as prévenir la conférence avec les
royaux, qu'il redoutait comme upe occasion de rapprodie-
ment entre les partis et de danger pour Philippe II. Or, le
moyen le plus efficace pour l'empêcher était de nouer une
négociation entre les États et le roi d'Espagne , d'entamer
l'élection de ce prince ou de l'infante, qui, en mettant à néant
les droits de Henri, excluait nécessairement tout rapproche-
ment, même momentané, entre le parti du roi et les États
de la Ligue. En conséquence , Féria demanda audience aux
États , le 29 mars , pour leur conununiquer les propositions
de Iliilippe, et obtint d'être reçu le 2 avriL 11 leur parla en
censeur qui blAme , en maître qui ordonne, il condanma ,
dans les termes les plus sévères , la conduite du gouverne-
ment français sous Catherine de Médicis et sous Henri III,
h l'égard de l'Espagne et à l'égard de la religion, il ajouta
que, depuis la mort de Henri III , le catholicisme ne s'était
soutenu dans le royaume que par les secoivs d'hommes et
d'argent fournis à la Ligue par PhiUppe II, et à la manière
dont il rappela ces bienfaits, il en fit un sujet de reproche et
par conséquent d'offense. U termina en leilr disant que le
seul moyen qu'ils eussent de sauver la religion et l'État en
péril, était d'élire, sans hésiution et sans retard, tm roi
catliolique , embrasé du zèle de la religion , assez puissant
pour les défendre. Et comme si, par ce qu'il venait de dire,
il n'eût pas assez clairement désigné son maître, il leur lut
une lettre de l*hllippe II, contenant l'expression la plus naïve
et même la plus grossière de ses prétentions. « Puisque,
disait-il , après tant d'autres choses par moy faites pour ce
royaume, que Ton a vues et que l'on peut voir à présent , je
fais encore celle-ci, il sera raisonnable que vous sachiez faire
profit de l'occasion, et que l'on me paye et rende tout ce que
j'ai mérité envers ce royaume, en pne donnant satisfacliou.»
Après le discotu^ de Féria et la lecture de cette lettre, le
cardinal Pelevé, président de la chambre du clergé, prit la
PREMIÈRES OUVERTURES DES ESPAGNOLS DANS LES ÉTATS. 171
parok. Il s^était aperçu que rassemblée avait été révoltée
d^ntendre la satire de la conduite de ses derniers rois;
quVIle avait tenu à offense les bienfaits de Philippe H, dès
quMls avalent été reprochés; que Féria avait fait par consé-
quent un tort infini à sa cause. U chercha à détrufa*e celte
impression en prouvant, par beaucoup de traits historiques,
que la France et ses rois avaient dans d'autres temps aussi
bien servi la foi catliolique et la nation espagnole que l'Es-
pagne pouvait servir aujourd'hui la religion et la France.
Quand il eut donné cette satisfaction aux susceptibilités de
rassemblée, et quand il crut les esprits ramenés, il donna
lui-même et provoqua de la part des députés la plus entière
adhésion aux propositions de Féria, à la candidature de Plii-
lippe H, en exaltant les mérites de ce prince et en outrant
son éloge jusqu'à l'apothéose. Il dit à l'ambassadeur : « Je
reviens maintenant à vostre roy, qui est le roy catholique,
lequel la France , après Dieu , a reconnu et recognolst pour
son libérateur.... Nous confessons que votre prince, le roy
catholique, non seulement les a surpassez (les Guises et les
papes), non seulement par abondance de richesses, mais
aussy par une large munificence et honnestc libéralité en-
yers nous. Pour lequel bienfait, immortel certes et divin,
nous rendons grâces immortelles j non telles que nous de-
vons, mais telles que nous pouvons, à sa royale majesté
et à vostre Excellence, qui s'est voulu charger de cette am-
bassade envers nous, et nous offrons en récompense tout
le devoir de bienveillance et d'affection que l'on peut
espérer de notis^ vous promettant que la mémoire de ce
bienfait ne sera jamais ellacée de nos entendements... C'est
par ce degré que Sa Catholique Majesté se fera chemin
dans le ciel, où entre les âmes célestes et blenheiureuses
des saints, elle contemplera la face de Dieu, où gist le sou*
verain bien des bienheureux ; et lorsque polir le loyer de
tant de labeurs, soulTerts en la cause de la religion , elle
sera introduite par la bonté divbie dans les célestes taber-
nacles, non seulement mille miliions d'anges, serviteurs du
Très-Haut, iront au-devant d^eile, mais une infinité de peu-
ples qu'elle a retirez de l'erreur, de l'infidélité ou de la
méchanceté de l'hérésie K »
* EcgUlre da tiers, p. 141, fl4t. Tons les coDtemporaiiu ont compris
172 lllbT01A£ DU RËON£ 1>£ UEKAI IV.
Les députés de la noblesse n^avaient jamais varié
dans leurs scnliments patriotiques: les députés du tiers,
depuis qu'ils avaient perdu l'espoir des largesses du roi
catholique, étaient devenus singulièrement délicats sur Tin*
dépendance et Thonneur national comme sur leur propn*.
dignité. Ils s'indignèrent du fond même des propositions :
l'arrogance des Espagnols les révolta ; ils n'accueillirent que
par des sarcasmes le plaidoyer de l^evé pour l'intérêt de
l'étranger et la servitude de la France. Au lieu donc de pas-
ser à la délibération et au vote immédiats, auxquels Féria les
invitait, les États, à une grande majorité, décidèrent que les
propositions du roi d'Espagne seraient soumises à un examen
attentif et ultérieur : ils ajournèrent de plus leur décision
jusqu'au retour de Mayenne, qu'ils pressèrent par une lettre
écrite quelques jours plus tard. D'un autre côté ils firent
précisément l'opposé de ce que désiraient et poursuivaient
les ministres d'Espagne. A peine Féria avait quitté ' l'assem-
blée , qu'ils ordonnèrent de donner lecture de la dernière
proposition des royaux, datée du 29 mars. Le 2 et le 5 avril,
ib arrêtèrent de leur répondre ; d'accepter de nouveau et
plus explicitement la conférence pour laquelle Mayenne s'était
prononcé ; d'offrir enfin des passe-<ports aux députés que le
parti contraire enverrait à la conférence '. Rien ne manqua
donc à ce premier échec des Espagnols.
conne noiu te dUcoiiri de Pelevé ; tous en ont été alTeclct conme non* :
Uf f ont vu un aveu de* prétendus droits de Philippe II, un appui donné
de la manière la plus eiplicite à ses pvctcntîons. Dauhigiic, I. m, c. 1S,
t. lu, p. 275, édit. idâO, s'exprime ainsi : « IJn légat italien, homme d*un
» prince estranger, qui renvcrsoit tout recclésiaslique , et n'ajunt guvres
M M que des prettrcs dcsbauchea, teitr donnoit tes leçons WEspagne^ se-
» condé par le caniinal Pele^e', m L^antenr du supplément de Leatoile,
coll. Micliaud, p. 1S9 B, ajoule: « A crlte harangne, le cardinal Pelevc,
n président de rassemblée, a répondu par nne autre beaucoup pins longne,
>• qnk a roulé sur le bonheur de la France lorsqu'elle était gouTornée par
» des rois catholiques ;... sur les malheurs que rhérétie avoit causés a la
• France ; sur les grandes obligations que Pon avoit au aèle du roy catho-
M lique, qui avoit -pris ta défense de la religion par toute la terre. Il a coo-
» tinné jusqu'à la fin les élof^esdudit Roy, le béaUriant par avance... ToiU
» cela pour porter rassemblée de contenter le dit Boy dans te'lection
M d'un roy^ en reconnaissance de ce que la France luydoit, m Le conti-
nuateur de de Serres, p* 1009, lOOCl, donne absolument le même sens et la
même portée au discours de Pelevé. Voici comment il s'exprime : « Un
» rardiual Pelevé, Frunç«>is de nation, mais plaidant la cause du roy d'Es-
m pagne, m D'après le sentiment unanime des contemporains , nous nous
cioyons autorisé & ne pas adopter, sur le discourt de Pelevé, le iugenenfc
qn*rn a porté un célèbre )urtsconsuUe moderne , M. Vivien, dans sun
JHe'moire historique sur les Ètats-gënéraux de 1895, p. tt.
' Registre du ticrs^elal conlepanl, outre les délibéralions de U cbain-
LA COlfréR. ACC£PTi£. LES PRÉDIGATBCRS, LES SEIZE. 173
Le dnc de Féria assembla chez loi ler^éputés de son Jour et ii«u
parti, presque tous de la chambre du clergé, et chercha avec ''*"om*J^J"'"
eux les moyens d*arrèter Tentralnement des États et de rom- ponr u coure-
pre la conférence (7 avril). Cette tentative ne lui réussit pas ^*^^*'
mieuxlque la première. Dans les séances des 21, 23, 24 avril,
les États nommèrent les députés à la conférence , leur don-
nèrent les pouvoirs nécessaires, fixèrent le lieu où elle se tien-
drait à Surène, et le jour où elle devait s'ouvrir au 29 avril.
Leurs principaux députés étaient Tarchevèque de Lyon,
d'Espinac, et le président Jcannln, représentant le parti et dé-
fendant Tintérêt de Mayenne ; Villeroy et Lemalstre, dévoués
k la Ligue française, dont les vues et les sentiments se con-
fondaient alors avec ceux des politiques. Du c6té des royaux,
les principaux députés étaient Tarchevèque de Bourges,
Schomberg , Thistorien de Thon. L'archevêque de Lyon et
Tardievéque de Bourges devaient soutenir , de chaque côté ,
la discussion , et avoir la hante direction de la conférence K
BaUtts du côté des États, les ministres de PhUippe II l«
se tournèrent du côté des prédicateurs de la Ligue et des '*''*^^îi '"7 ***
Seize , et cherchèrent leur point d'appui dans leur faction, les seu/rri«nr
Les prédicateurs déclarèrent que ceux qui favorisaient la con- p"»'««*"«»oii.
férence notaient pas cathoUqnes; et que si Ton essayait de
Caire de la conférence une transition ù la paix avec les hugue-
nots et les politiques, il y aurait du sang répandu (25*28
avril). Les Seize affichèrent , le 26 avril , des placards dans
tous les quartiers de I^ris. Ils protestaient avec fureur contre
la conférence , et demandaient aux États de nommer un roi
catholique assez puissant pour défendre la religion et maintenir
l'État, agréédu pape et du roi d'Espagne, sous le bon plaisir des-
quels se ferait l'élection. Dans ces termes, Henri IV et Mayenne
devaient être nécessairement exclus l'un et l'autre. Les Seize
cherchaient en même temps à gagner les anciens républicains
de la Ligne et les partisans des réformes : ils tentaient surtout
fcrc 2^* la KiniBgne da duc do Ftria ; 2o la l«Ure dit roi d'Espagne ani
F.tals ; 5» la harangue dn, cardinal Pelevë ; 4» la réplique des royiiux aux
lUatt; 5o la rëpoue des EUts à ladite réplique. (Registres du tiers, p. tll.
144; dtt elergé, p. 407; de la noblesse, p. R88-S00.) ~ P. Cayet. I. ▼,
p. 4S7.440. ^ Lestoila et ton Snppl., p. iS4, liS, IS».
' Reg iatret du tierSf p. iOI-IIO; du clergé, p. 4tl-4S0, 447, 449 ; de la
noblesse, p. 894-887. — P. Cayet, I. ▼, p. 440 B. — Letloile, p. iSS A,
1t9 B, 130. Le fonr et le lien de la eonrërence furent plusieurs Ibis chan-
gés atant d'élre fixés comme nous l'iodiqnons.
Noavcaux com-
«1b tiers parti
et du |Mirli
ralTÎDUte con-
trc le roi.
174 UISTOIRB DU RfcCNR DE HKHRI IV.
de séduire les chambres, eà domiant aux droits de ia nation
et aux prérogatives des États-généraux la plus grande exten-
sion, an détriment de la puissance royale. Les placards por-
taient que les États seraient convoqués désormais tons les
cinq ans, et qne le roi se tiendrait à dix lieues, pour ne pas
gêner leurs délibérations. Que les États ne délibéreraient plus
seulement, quMls résoudraient : que le roi et ses successeurs
seraient tenus d^observer inviolablement leurs décisions. Que
les ministres et les conseillers d'État seraient nommés par les
assemblées qui se succéderaient. QuMl serait pourvu, par
élections, aux dignités et bénéfices ecclésiastiques, ainsi
qu^aux charges de Judicature , qui cesseraient d*être véna-
les. Ce développement des libertés publiques , mis en avant
par les signataires de Tinfâme lettre adressée à Philippe 11
en 1591 ; cet appel menteur à une liberté qu'on devait trou-
ver sous le joug de Tétranger et sous la domination du tyran
des Pays-Bas, ne provoquèrent que le rire et le dégoût chez
la bourgeoisie et chez le peuple. Quant aux Etats, ils répon-
dirent aux avances des Seize en ordonnant des poursuites
contre les auteurs des placards K
Jusqu'alors le parti espagnol et le parti de Mayenne , di-
visés, opposés Fun à Feutre, se tenaient mutuellement en
échec Mais un seul moment suffisait pour amener la victoire
de Fun des deux , ou leur réunion plus redoutable encore
pour Henri. Oc plus , les différends une fois composés , les
États de Paris avaient à se décider, & prendre un parti, et
Félection d'un roi était toujours menaçante.
Henri trouvait autant d'ennemis , autant de dangers dans
son propre parti qne du cAté de la Ligue. Au milieu du mois
d'avril , il revint à Mantes, d'un voyage forcé qu'il avait fait
dans les provinces du centre jusqu'à S^umnr '. Son premier
soin fut d'étudier la situation, et il fai trouva pleine de dangers.
L'ancienne faction des catholiques passionnés dans le parti
royal d'O, Manou , Giâteauvieux , d'Entragucs, Sourdis et
beaucoup d'antres, avaient attiré à eux plusieurs des prlnci-
• p. Cayel, I. V, p. 440-444 : il doBD« la texte de* pl«c»rd*, proCcsIa-
llovs, pru|MMilioiis 4e« SeiM'. ^ LcstoUe, p. 116. ^ Eeg isire dH tiers,
*. 170. 171.
• LeUtea viMivM des iS et 19 nart, 4, 16, 10 avril, p. 740, 744, 747,
755.7S7. — P. Cajet, 1. V, p. 431 A.
LE TISIkS-PARTI, LES CALVINISTES. 175
paox seigneoTs du parti royal , tels que le duc de Nevers,
Longue ville, Painirai de Biron, fils du maréchal. Tons ensem-
ble sMtaient joints an tiers-parti. Plusieurs seigneurs et ecclé-
siastiques de la Ligue, qui répugnaient à la domination
étrangère. Inclinaient du même côté. Chaque Jour le roi ap-
prenait que la faction avait ou gagné quelque gouverneur,
quelque ville, ou ébranlé leur fidélité ; et il ne trouvait plus
autour de lui que « les visages et les cœurs des siens aliénez
» de luL » Leur plan était d'écarter Henri, de reconnaître pour
roi le cardinal de Bourbon, et de déshitéresser Philippe II en
faisant épouser Tinfante sa fille au cardinal relevé de ses
vœux. Les agents du prince s'abouchaient avec Jeannin et
Villeroy pour persuader à Mayenne de favoriser cette com-
binaison , sous promesse d'immenses avantages qui lui se-
. raient faits: le cardinal tirait lui-même parole du sieur de
Villars qui commandait dans Rouen. Les chefs de cette in-
trigue complotaient contre la liberté et les jours du roi, les
plus modérés opinant à se saisir de sa personne et à le jeter
en prison , les plus vidents demandant sa mort. Henri fut
contraint, pour sa sûreté, d'appeler un corps de troupes an-
glaises , et de le loger dans Limay, faubourg de Mantes. En
supposant qu'il échappât à ces trames odieuses, il suflisait
encore que le tiers-parti en vint à un éclat , à une rupture
ouverte avec lui, à la division du parti royal en deux camps
ennemis, pour ruiner entièrement ses affaires , et jeter le
pays dans une confusIoR dont nulle main humaine n'eût pu
le tirer. Henri disait à ses familiers « que le tiers-parti qucl-
• que mal fait qu'il fust, en périssant, ferait périr l'Estat. »
Et les contemporains qui en jugeaient comme lui ajoutaient
que « c'étoit pour mettre la France au dernier soupir et pour
• lui faire pôtlre jusqu'au nom de monarchie. • Toutefois
ce n'était là encore que la moitié des dangers du moment.
Depuis que Henri avait fait un pas décisif vers les calholi*
qucs par l'envol de Gondy et de Pisani à Rome , et par la
déclaration du 29 janvier , les meneurs et les ambitieux,
parmi les seigneurs réformés, poussaient & la révolte le corps
des calvinistes français, ils leur répétaient que la persécution
commencerait contre eux le jour de l'abjuration du roi ;
qu'ils devaient pourvoir à leur sûreté en rétablissant leurs
* conseils et leur protectorat , c'est-à-dire leur gouvernement
176 HISTOIRIS DU RÈGNR DE HENRI lY.
républicain, abolis depuis ravénement de Henri. De la sorte,
le roi perdait tout pouvoir sur la partie de la nation, sur la
classe de citoyens qui professait la réforme : ce pouvoir pas-
sait à Bouillon ou à la TrémouUle, qui bri{(uaicnt le protec-
torat, correspondant an stathoudérat des IVovinces-Unies ^
L'unité nationale était brisée de ce côté, le pays livré à la
continuation du terrible antagonisme que la Ligne lui avait
déjà fait essuyer. Ainsi les ambitions particulières, en exploi-
tant les passions et les erreurs des masses, tiraient violem-
ment de deux côtés le parti royal pour le diviser et le dis-
soudre«
An milieu de ces pressants et nouveaux dangers, Henri
prit Tune de ces vigoureuses .et décisives résolutions qui en-
traînent les masses, et donnent un subit dénoûment à la si-
tuation , tandis que les factions délibèrent et se perdent dans
leurs intrigues croisées. En premier Heu , il renversa les cal-
culs et les moyens de succès du tiers-parti, raiTermit dans
Tobéissance et dans le dévouement à sa cause les catholiques
royaux de toutes les nuances, attira irrésistiblement à lui la
Ligue française par des engagements si publics et si solennels
de changement de religion , que lui-même n*avait plus à se
dédire , ni personne à douter de sa prochaine conversion. Le
26 avril , il promit par écrit au duc de Toscane , en foi et pa-
role de roi , de faire déclaration et profession de la religion
catholique dans les deux mois qui suivraient un traité avec le
duc de Lx>rralne, que Ton croyait alors sur le point de se con-
clure. liC 28 avril, le roi annonça la même résolution à d*0,
Tun des chefs du tiers-parti, et k Tarclievéque de Bourges, au
moment où ce prélat partait pour la conférence de Surène
' Voyes, & riippui de cet fuîls, 1rs discours de Henri IV, dons Siilljr,
OEcon. roy., c. 3S, p. lOS B, 100 » ; c. TAK p. 1 11 A : f Sur le tiers-purU :
« Ils ue sont plus retenus que d^nnc scutr dinVriilu*, qui est de sçvvoir ce
M quNls feront de ma personne, les uns 'disant qu*il s'en fuut saisir elas-
m seurer, et les autres, plut malins et audacieux, qu'il me faut detpecher,
M adjoutant que de tels oyseaux, que moy ue valent rien en mue, ny a
H garder en cage. » S* Sur les clirfsdes calvinistes : « Je sçais de certain
M qtt« MM. de Turenne et de la Trrmouîlle, et leur sequeile, sollicitent
Il iournellement de toutes puits, afin que si je me fais catholique il soit
M demandé une asseniliU'e pour ceux dv lu /^lligion, pour Tuire rrsondre
a un protecteur^ et un esiulilissenienl de conseils^ Kubsistuus dans lespro-
t* vinces. u — Tous 1rs futl« ilunt urguc Henri, nu .sujet du tiers-parti et
des principaux calvinistes, tout conlirmct par Groularl, Vuyuges eu cour,
t. XI de la collcctina, p. lUi'J A; — pur l*. C:iyct, I. V, p. 445 A; — par
Dauhignc', I. lit, c. 8i, 1. m, p. éiMi: — par msulanio Un|>lessis, Mcmoircti
t. I, p. SS5. ibfi.
CONPÉBEfIGES D£ SURÈNE. 177
avec charge de présider le parti royal et de parler en son nom.
Le tiers-parti et la Ligue française étant ainsi gagnés, et joints
anx politiques qui n'avaient jamais fait dépendre leur obéis-
sance de la religion du roi, Henri s'emparait fortement de la
majorité dans la nation : il n'avait plus qu'à attendre les sou*
missions successives des chefs et des villes de la Ligue, que le
temps et Toccasion devaient amener, pour étendre sa bienfai-
sante autorité sur les cinq sixièmes du territoire. En second
lieu, il pourvut à ce que la paix, obtenue par ces moyens du
côté catholique , n'engendrât pas la révolte et la guerre du
côté calviniste. Dans son passage d'une religion à une autre,
il avait à prendre, à l'égard des huguenots, des mesures de
prudence et de justice tout ensemble. Il ne faillit ni aux unes
ni aux autres. Avant d'abjurer, il prit soin de réunir auprès
de lui , à Mantes , le duc de Bouillon et la plupart des diefs
calvinistes , prévenant et empêchant ainsi toute tentative et
tonte provocation de leur part auprès des églises réformées.
Dans la démarche décisive qu'il allait faire , il se ménagea
l'assentiment et le concours des seigneurs protestants qui
suivaient les principes des politiques, entre autres, de Laforce
el de Kosny. Il s'assura qu'il obtiendrait des seigneurs catho-
liques les garanties propres à rassurer les calvinistes sur leur
liberté religieuse et leur liberté civile ^ Ainsi au moment de
l'ouverture de la conférence de Surène , Henri avait pourvu
avec une prudence et une habileté consommée à toutes les
éventualités qu'elle devait ouvrir.
Là conférence de Surène commença le 29 avril 1593. L'on- Première
verturc même de la conférence donna lieu à une éclatante '^'ôfcîJÎrJ'
manifestation des désirs et des besoins du peuple. Quand les ae surèna. Ma-
députés de la Ligue sortirent de Paris, un grand peuple, !l![*^u|li"*
amassé à la porte Neuve , leur cria tout haut : « La paix !
» la paix ! Bénis soient ceux qui la procurent et qui la de-
» mandent ! maudits et à tous les diables soient tous les au-
■ très! • Ceux des villages, par où les députés passèrent , se
mirent à genoux et leur demandèrent la paix à mains Jointes.
Les trois premières séances de la conférence ( 29, 30 avril,
• Discourt de Henri IV A d'O, dans CsTet, 1. y, p. 445 ■. ^ SuUy,
OEcon. roy., c> 39, p. 110 B. — Dupleuit, Corrrsp., t. Y, p. 4<VS. On Tolt
par leurs ténoiçiuges réanis, qu^à lo date du 19 avril, les chefs des calri-
Dtstes, Turenne (Bouillon), Sancy, Sulignac, Constans, llorlas, Valette, sunt
rétinU anprès de Henri IV, à Mantes.
12
178 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
3 mai ) , furent employées aui préliminaires de la vérifica-
tion des passe-ports et des pouvoirs , aux sûretés données de
part et d'autre , à la convention d'une suspension d'armes
pour dix jours, à quatre lieues autour de Paris et quatre
lieues autour de Surène. Cet armistice , quoique restreint et
précaire, excita chez les habitants de Paris une joie impos-
sible à rendre. Ils goûtaient avec délices le relâche aux maux
présents, et Pespoir de la paix les transportait. La voix du
peuple pour la paix se renforçait de moment en moment,
dit un contemporain , et il ajoute les détails suivants. Dès
qu'il leur fut donné de quitter les murailles , qui depuis
si longtemps leur servaient de prison , ils se précipitèrent
presque tous dehors. Les champs étaient noirs d'une multi-
tude allant visiter ses héritages hors de Paris, faire ses dévo-
tions à Notre-Dame des Vertus , se mêler dans Saint-Denis
aux serviteurs du roi dont cette ville était pleine. Les Seize
et les prédicatetirs de la Ugue essayèrent vainement de s'op-
poser à cet entraînement. 11 n'y avait plus d'écoutés que les
vertueux curés de Saint-Eustache , de Samt-Merri, de Saint-
Oermain, de Saint-Sulpicc, qui, invariablement ûdèles à l'esprit
de l'Évangile et à la cause nationale , après avoir résisté aux
furçursde la Ligue, durant sa puissance, prêtaient maintenant
l'appui de leur parole et de leur autorité au rapprochement des
partis et aux vœux de la Ligue française. Paris se calmait et
s'épurait en les entendant répéter du haut de leur chaire :
« Qu'il falloit embrasser l'hérétique se convertissant , qu'il
falloit aller au-devant de lui pour 4e recevoir ; que ceux qui
demandoientla paix, demandoicnt une chose bonne et sainte :
que ceux qui l'empeschoient étoient des méchants et des en-
fants du diable K n
Quatrième Les premières séances de la conférence de Surène avaient
*' V2?oï«"*' toutes été remplies par les formes. Dans les séances des
dr la conférence 5 et 6 mai, OU en vint aux affaires, et l'on traita les grandes
dUculio*! questions de la religion» du gouvernement, des dangers
publics. L'archevêque de Bourges, parlant au nom du
parti royal, exposa d'abord que la paix était désormais la
condition d'existence pour la France, comme pour les par-
< LesloUc, p. 137, ISt B, iSS, 105, 135 A, B. t45 A, 144 B. - Regisirr
du ticrt-èUI, p. 173-177. — l.r« ortri de lii ronrérence, dans P. Ciiyrt. 1. v.
p. 447-449 B. / • ^'
DISCUSSION DANS LA CONFiRENCB : LES GALLICANS. 179
ticuliers. Il établit en principe que la royauté de Henri était
un droit ; que ni la religion du prince, ni les décisions de
r^glise , n'avaient pu porter atteinte à ce droit, parce que
ies rois de France étaient complètement indépendants du
Saint-Siège en ce qui regardait leur puissance temporelle. Il
ajouta que dans la pratique Henri pouvait bien faire des con-
cessions volontaires au sujet de la religion, pour satisfaire au
vœu de la majorité de ses sujets et pour faciliter la paix,
mais que ces concessions auxquelles il était disposé , étaient
de sa part une condescendance , le droit demeurant intact.
Il pressii les ligueurs de reconnaître Henri , de mettre (in à
la guerre civile , et de donner ainsi au pays qui périssait le
M*ul moyen sérieux de salut qui lui restât.
D'Kspinac, chef du parti contraire, convint et des dangers
publics et de la nécessité de reconnaître un roi pour y mettre
On. Mais il ajouta que les sulTrages des ligueurs ne pouvaient
se porter que sur un prince très chrétien de nom et d'effet ,
qu'ils ne voulaient même pas entendre parler de la recon*
naissance du roi de Navarre, et qu'ils mourraient avant
d'obcHr à im hérétique. 11 invoqua les Pères de TÉgllse , les
canons, Tautorité des six derniers papes, pour établir la pu-
reti^ de cette doctrine et la légitimité de cette résolution.
Dans la seconde partie de son discours, il déploya beaucoup
d'éioquence et d'adresse pour prouver que le véritable moyen
de pourvoir à la sûreté de la religion et de l'État tout en-
srmbie, était, non que les ligueurs désertassent la cause qu'ils
avaient suivie Jusqu'alors, mais que les catholiques déclarés
jusqu'alors pour Henri abandonnassent ce prince hérétique ;
que tous les catholiques réunis désormais dans un grand
parti, prissent, d'un commun accord, un chef et un roi avoué
par r Église.
L'archevêque de Bourges reprit une à une Icsdoctrines de son
adversaire , le suivit à la fois sur le terrain de la religion et
de la politique , ne laissa pas un seul de ses arguments sans
réponse et sans réfutation. Aux passages des Pères de l'Église
et des canons, il en opposa de contraires, et invoqua l'auto-
rité de l'Évangile comme interprétation souveraine des sen-
timents des Pères, et comme règle absolue des opinions en
ce qui concernait la puissance des princes. Dans la suite de
la discussion, l'un des députés royaux perçant à travers le
180 HISTOIRE DU RiSGNF. DE HENRI IV.
luxe de rërndition de d'Espinac et les adresses de son élo-
quence pour aller au fond des choses , lui dit que dans la
grande querelle qui divisait la France , la religion notait
qu'un prétexte et qu'un nom ; que les royaux n'avalent ja-
mais combattu la religion, qu'ils combattaient seulement
pour l'État contre ceux qui voulaient l'usurper. A ce conds
et lumineux exposé de la question par le bon sens, les au-
tres députés du même parti ajoutèrent plas tard que ce
n'était pas en France qu'il fallait parler d'élire et de rejeter
les rois; que la couronne était héréditaire , et que cotte sage
coutume prévenait les rivalités ambitieuses et les guerres
qui ruinaient les empires ; que fermement attachés aux li-
bertés gallicanes en ce qui concernait l'État , comme en ce
qui touchait la religion, ils ne laisseraient jamais les papes
s'immiscer dans la succession au trOne et provoquer une
élection par bulles, autorité qui ne leur appartenait dans
aucun cas , et qui , lorsque les pontifes étaient asservis par
les ennemis de la France, ouvrait la porte à l'usurpation du
royaume par les étrangers. Les députés royaux terminèrent
en exhortant les ligueurs à bien aviser avant de faire leur
prétendue élection ; car le roi n'était pas homme à fuir de-
vant leur élu, et ne manquerait pas de serviteurs pour dé-
fendre la couronne qu'il tenait de sa naissance et de Dieu.
Ainsi les discours de l'archevêque de Bourges reprodui-
saient dans leur pureté et leur vigueur les doctrines gallicanes
déjà hautement professées par les prélats de l'assemblée de
Chartres et par la déclaration de 1591. Les discours des au-
tres députés soutenaient et continuaient les salutaires prin-
cipes des politiques. Les députés royaux à la conférence de
Surène ne s'étaient donc laissé entamer par aucun côté.
Ainsi, plus de la moitié des plans et des espérances de
Mayenne, relativement à la conférence, se trouvait ren-
versée : il était décidé dès lors que le lieutenant général ne
parviendrait pas à entraîner les catholiques royaux dans le
parti de la Ligue , et à alTaiblir ainsi le roi d'une manière
irrémédiable.
Sixième leance A la séauce du 10 mai, les députés royaux dirent qu'il n'y
de SurèM : ^^.^^^ ^^^^ |jgy ^^j^ discours et aux disputes, qu'il fallait en
(|Bctiioii po»ce ^ * ■
per les venir aux résolutions. En conséquence , ils sommèrent les
''îrili\1temeu" Hgucurs dc s'cxpllquor sur le parti qu'ils prendraient dans
LA GOKV£HSION 1)U ROI M1S£ KN AVANT. 181
le cas OÙ le roi se convertirait, et de déclarer s'ils voulaient & lu convenUiu
se joindre à eux pour le presser d'abj urer. D'Espinac répondit j^îiSqûedo
qu'ils faisaient des vœux à Dieu pour que le roi se convertit Ma jeune
et se fit bon catholique , mais qu'au pape seul appartenait de «»***»«»»B'»"'
juger et de décider ce point, et qu'ik étaient résolus à ne se
départir jamais de l'avis et de l'autorité du Saint-Siège.
Mayenne et d'Espinac doutaient encore que Henri bravât les
dangers attachés à sa conversion en ce qui concernait les ré-
formés, et s'exposât à l'abandon des protestants de France et
de l'Europe entière. Toutefois ils se mettaient en garde contre
les éventualités de sa conversion à l'égard des catholiques de
la Ligue. Il était sûr que le pape, placé entre les menaces du
roi d'Espagne et les obsessions de la Ligue, n'absoudrait pas
le roi de Navarre. La réserve faite par l'archevêque de Lyon
était donc un moyen ménagé à Mayenne d'attaquer en nullité
la conversion de Henri par le défaut d'absolution du pape, de
l'attacher et de le river à son hérésie en dépit de lui-même >.
Mayenne et ses conseillers sauvaient ainsi le principe de la
révolte de la Ligue. Mais cette précaution de roués en poli-
tique n'aboutissait à rien si dans la Ligue le peuple , ardent
à mettre fin à ses misères en mettant fin à la guerre , si les
grands, craignant de se trouver bientôt dans un parti vaincu,
ne se montraient pas difficiles sur la conversion du roi, et
l'acceptaient pour catholique sans l'absolution du pape.
A l'ouverture des conférences de Surène, le peuple avait fait
éclater sa passion pour la paix. Les seigneurs de la Ligue
ne se montraient ni plus sélés ni plus fermes. Le gouverneur
* Actes d« la conférence dans P. Cayet, 1. V. p. 465, 464. — Lettres
miss, de lirnri IV, t. m. p. 769. — La politique de Mayenne est snpe'riea-
rement saisie et exposée dans le passage sniTonl de la lettre de Henri IV an
prince de Conli, en date du 10 mat. « Plusieurs de rassemblée de Paris ont
» déûr de s'accommoder avec moi si |*étois de leur religion. Ceux qui ont
» autre inteniion, qui sont les chef*, montrent néanmoins semblable intea-
N tion, parce qu^ils ne veulent faire connoîtrc s'ctre nourris d^autre cause
» que de leur relif;ion. Mais en faisant semblant d*adhérer 4 la même
N opinion de« autres, ils la traitent avec termes qu'ils sont bien assurés y
» former une impossibilité, quand ils seroient pris au mot de ma conver-
m siott, la ^envoyant, comme ils font, an pape, quMIs savent n'avoir en
> cela mandement ni volonté que celle du rot d'Espagne. Cela les a rendus
» plus libres i faire quelque démonstration de me vouloir reconnotlre, après
» que cette formalité seroit intervenue, pensant tirer du refus que feu
m ferois, on de la difficulté que j'y trouvarois, quand je le voudrois tenter,
» une Krande confirmation de leur prétexte et crédit envers le peuple, et
» pnr la le faire plus facilement condescendre à ce qn*ik désirent, m fVons
n'avons changé qne Porlhugraphe de ce passage, précaution qui nons a
semblé nécessaire pour le rendre plus clair et pfus intelligible.
182 HISTOIRE DU RÉ:GNE de HENRI IV.
de Paris pour Mayenne, le comte de Belin, disait puliiique-
tnent que si le roi de Navarre se faisait catliolique, il voyait
la noblesse en bonne disposition de le reconnaître^ Mayenne
résolut d'arrêter le peuple et les grands sur cette pente glis-
sante, et de les lier à la révolte par un acte politique qui rom-
pît la composition et les accommodements, et rendit irrécon-
ciliables la Ligue et le parti royal. Il se hdta de porter aux
États-généraux la question de Télection d*un roi.
Les ministres de Philippe H n^avalent été éclairés ni par la
défaveur avec laquelle les États avaient reçu leurs premières
ouvertures, ni par Tinutilité de leur opposition à la tenue de
la conférence de Surëne. Us n'avalent rien rabattu de leur
orgueil et de leurs prétendons. Us s'imaginaient que les chefs
de la Ligue, au milieu de leurs dangers, étaient trop heureux
de les trouver pour protecteurs, môme à condition de les
recevoir pour maîtres. Us jugeaient leur position empirée et
leur docilité plus nécessaire depuis que les peuples inclinaient
vers le roi. Us comptaient enfin sur la présence de leur gar-
nison à Paris, sur l'appui d'un certain nombre de prédica-
teurs, qui, pendant les premières conférences de Surène,
n'avaient pas rougi de proclamer en chaire « qu'ils aimaient
» mieux avoir un étranger catholique pour roi que non pas un
» français hérétique '. » Enfin les ministres espagnols s'en re-
posaient sur les promesses que Mayenne leur avait faites dans
la conférence de Soissons, et attendaient son concours pour
amener les États à céder et à les satisfaire. Mayenne les trouva
donc espérant tout et demandant outre mesure.
U était rentré à Paris le 6 mai. I^ 10, il tint une séance
solennelle des États, et il introduisit la question de l'élection
en produisant les demandes des Espagnols ; il annonça que les
minisires du roi catholique requéraient d'être reçus par l'as-
semblée et de lui exposer les prétentions de leur maître et
de i'infente d'Espagne. Les chambres ordonnèrent qu'ils se-
raient d'abord entendus, et leurs propositions examinées par
ime commission composée du duc de Mayenne, des princes de
sa famille, et de six députés des États, deux de chaque ordre ^
* Lettoilc, p. IS7 A.
* L«itoilc, p. 15t A, B.
* Regût. da tiers, p. I78«184; du derRc, p. 4SI-459; de la dobleàie,
p. 601-005. — Lefttoile el «00 auppl., p. 133 A et 139 B. '— Hajenn* éuit
rentré À Paru le 6 oiai.
PROPOSITIONS VERBALES DUS ESPAGNOLS : BOUCHER. ROSE. IB3
Maypnne était résolu, crime part, à favoriser l'élection^
pour dépouiller Henri de Navarre; d'une autre, à faire
érliouer toutes les propositions qui ne donneraient pas une
part dans la royauté à son fils et à lui-même : en conséquence,
ii avait à convaincre Ptiilippe ii, par des échecs successifs,
qu'il poursuivrait vainement la souveraineté exclusive en
faveur de sa fille. Mayenne avait calculé très justement que,
dans l'opposition à faire aux Espagnols, il serait aidé par
le parlement où dominaient les principes de la Ligue
française et l'amour de l'indépendance nationale, et qui de-
puis cinq ans jouissait d'un pouvoir politique tel, que la
question de l'élection lui serait nécessairement soumise ; par
la bourgeoisie, qui partageait l'aversion du parlement pour la
domination étrangère et qui la considérait de plus comme un
moyen de rendre les partis irréconciliables et la paix impos^
sible: enfin, par la majorité des Rtats de la Ligue, deventie
hostile h Philippe II depuis les preuves données de sa parci-
monie et la dispersion de son armée. Mayenne n'avait pas né-
gligé non plus l'appui d'une partie des prédicateurs qu'il
avait détachés momentanément du parti des Seize et de l'Es-
pagne, gagnant les uns à force d'argent, réveillant chez les
autres le sentiment français. Dès le 25 avril, le fougueux
Boucher, curé de Saint-Benoît, les curés de Saint-Nicolas et
de 5iaint-André, avaient loué et recommandé le lieutenant-
général dans leurs sermons. Le 12 mai. Doucher, après avoir
établi par des raisonnements mêlés d'injures que le Béarnais,
même converti, était Inhabile & régner ; après avoir supplié
Dieu de débourber la France et donné l'exclusion par ce jeu
de mots à tous les princes de la maison de Bourbon, plaidait
en propres termes pour la royauté de Mayenne ^ itose ,
évéque de Sentis, prédicateur couru, membre des États, non
moins populaire, non moins puissant que Boucher, agissait
dans le même sens que lui, soit qu'il cédât aux séductions de
Mayenne , soit qu'il obétt au sentiment de l'indépendance
Propositions
vorbales
(les Espagnol»
ches le légat.
Boucher et
Hoi«.
' L^sloile, p. 116 A, 133 B. « Boucher preicha que diins la ville de
■ Rheiois sVsluient trouves six Charles piolecleurs de la fuy ; que nous
» psiious pmbourbra depuis longtemps et qu'il fulloit uoui di-hourher ;
» que ce ii^rsluil à tel boueux que la couronoe d« France Mppurlenoit, mais
« à un de ces Charles le preux, comme s'il eu^t touIu designer le duc de
a Mayenne qui estoii fis-à-fis de luy. s Mayenne se BuD>miiit Charles d«
Lorraine.
ISA HISTOIRE DU RÈGNE DE UËMRI IV.
natiouale, qui chez quelques ligueurs se conciliaii avec une
haine fiurieuse contre Henri. Tandis que les ministres espa-
gnols comptaient entièrement sur lui et regrettaient qu'il ne
fit pas partie de la députation pour la conférence de Surène ^
il préparait une violente sortie contre Tambition de Vhï-
lippe II et contre les tentatives d'envahissement delà France
par l'étranger. La conférence pour entendre les propositions
des Espagnols eut lieu chez le légat le 13 iiyai. Le duc de Féria
réclama la couronne pour Tinfante par droit de naissance, du
titre de sa mère, et requit qu'on y joignit IVlection, si ox\ la
Jugeait nécessaire. 11 demanda que Henri fût exclu comme
hérétique, et tous les princes de la maison de Bourbon comme
fauteurs d'hérétiques. A peine avait-il achevé, que Rose pré-
seoi à la conférence, comme député du clergé, répondit : Les
politiques avaient bon nez et avaient bien senti quand ils di-
saient que chez les Espagnols il y avait de l'ambition mêlée à
la religion. Nous nous sommes souvent courroucés en chaire,
mes compagnons et moi, pour maintenir qu'il n'y avait rien
autre chose que le zèle de la religion ; je reconnais aujour-
d'hui que nous nous sommes trompés. Le royatune de France
s'est conservé douze cents ans, sous la domination des rois,
^lon la loi saliquc et coutume du royaume. Si l'on rompiiil
cette loi et que par élection on nommât une fille, elle pour-
rait se marier avec un prince étranger : avec le terni» ce
prince changerait les lois du royaume, et le royaume lui-
même courrait risque d'être dissipé. L.C contemporain auquel
on doit ces détails, ajoute que ce coup porté de la main de
Rose contre l'iilspagnol en valait quatre d'un autre '-. VA en ef-
fety ce jour-là, Tévèquede Senlis ouvrit les yeux à une frac-
tion tout entière de la Ligue : sans quitter la révolte, elle
passa au moins avec lui dans les rangs des partisans de Tin-
dépendance nationale.
l\>ur l'intelligence de ce qui précède et de plusieurs faits
suivants, IL faut remarquer que Aosc et une partie de la
■ Voyet le ingemeut porlu sur Rose pur D. Diego d'I barra, Pupirrs de
Stmanois, liasse fi 78, pièce 35i.— Ap|>otidîcc aux EuUgcoèruux p. 7UJ,
701.
* Manuscrit Ti dans le registre du lier», en noli*. p. 184, 18*>. — L<stuilr
et son suppl., p. 1>(4, 141. — Villeroy, l. xi, p. 900 b. — ThuMniis, i. cvi,
C|{ 8 10, t. V, p. 9Gl-9b3. I^ conférence eut lirait le 15, cl non Je âll, «oninie
le marquent de Thuu et d'uulres historiens. Elle ne peut avoir «n lieu le
90f puisque dès le 10 Mule protestait, comme nous allons le voir.
LA CONV£BSION DU ROI ANNONCÉE A LA CONFÉRENCE. 185
Ligue entendaient par maintien de la loi salique Texclusion
des femmes et des étrang;ers, réiecUou d'un prince fran<;als
en général, mais non pas la réserve de la souveraineté pour
une seule famille, en suivant la proximité du sang, le droit
de primogéniture et le privilège de la maison de Bourbon.
Les États de la Ligue allaient élre saisis de la question de
Télection d'un roi, principal objet de leur convocati(Hi : en
supposant qu'ils écartassent du trône Philippe et sa 611e, ils
pouvaient y appeler Mayenne, le Jeune duc de Guise, le car-
dinal de Bourbon. La guerre civile sans fm était attachée à
chacune de ces combinaisons, et dans l'épuisement résultant
de la guerre civile, l'Espagnol devait trouver les moyens
d'enlever de côté ce qu'il ne pouvait emporter de front, de
subjuguer ou au moins de démembrer le royaume. Henri
fit tout ce qui était en lui pour éloigner ce danger de la France
en prenant à temps une résolution décisive. Le 16 mai, il
déclara à son conseil l'intention où il était d'abjurer, et fixa
le mois de juillet prochain pour cet acte important. 11 con-
voqua par lettres, pour le 15 juillet et dans la ville de Mantes,
un certain nombre de prélats et docteurs tant du parti royal
que du parti de la Ligue, dont il devait recevoir les instruc-
tions. 11 convoqua en même temps les seigneurs catholiques
et calvinistes et les députés des divers parlements pour
assister à sa réconciliation avec l'Église, et pour décider
toutes les hautes questions relatives ù la religion et à l'État.
£n se séparant des huguenots, il prévint leurs alarmes : le
même jour 16 mai, il promit par une déclaration spéciale
que dans tout ce qui serait fait aux conférences de Surène,
il ne serait pas dérogé aux édits et déclarations donnés par
les rois précédents et assurant aux réformés la liberté de
leurs personnes et la liberté de conscience : il fit souscrire cette
promesse par le diancelier et par les plus grands seigneurs
du parti catholique alors réuiiis autour de lui. Certes, Henri
ne pouvait se flatter de fali-e par cette déclaration déposer
aux réformés de France ou d'Europe toutes les craintes ou
tous les mécontentements nés de son abjuration. De ce côté,
le parti auquel il se déterminait avait donc ses périls. Mais
d'abord ce danger était bien moindre que celui de laisser
élire un roi. En second lieu, il avait la presque certitude de
rallier h lui et à sa cause, par sa conversion, la masse de la
Henri •nnonci*
iiu conieil
•on inteniioa
d*Mbinrer :
g^araoUet aux
hiiguenoU.
La conversion
proclwine
du roi annoDcce
aux ligiieurt.
RtfpOUM
d« d*Eftpinac.
186 HISTOIRE Dn'RfcGNB DE HENRI IT.
nation, et si les réformés de* France et d*Earope devaient
le botider et Tabandonner, an moins devait-il trouver dans sa
nouvelle et grande position les moyens de les empAcher de
s'armer contre lui et de recommencer la guerre civile en
Fronce. 11 ordonna aux députés de la conférence d'annoncer
aux ligueurs, aussitôt après leur retour à Surène, la déter-
mination qu'il venait de prendre an sujet de la religion et
les actes qui en assuraient l'exécution. Il les autorisa à pro-
poser en même temps une trêve durant laquelle on réglerait
les conditions d'une paix définitive : il leur enjoignit enfin,
dans le cas où les ligueurs repousseraient ces moyens, de faire
des protestations qu'on rendrait publiques^ afin de rejeter
sur le parti contraire la haine que méritait le refus obstiné
d'un accommodement équitable ^
Le 17 mai, les députés à la conférence se réunirent de
nouveau. L'archevêque de Bourges annonça aux ligueurs la
résolution prise par le roi de retourner au catholicisme.
Il ajouta que Henri, pour sa réconciliation avec l'Église,
s'adresserait aux prélats de son royaume et non au pape,
parce que les pressants dangers de la France ne s'accommo-
daient pas de l'éloignement et des lenteurs de la cour de
Rome, et parce qu'on savait trop que la volonté et la liberté
du pape éuiient enchaînées par les ennemis du roi. Il an-
non<^ cependant l'intention où Henri était de rendre au Saint-
Siège le respect et la soumission qu'on pouvait attendre d'ud
fils de l'Église. D offrit en même temps en son nom une trêve
de trois mois, comme préliminaire de la pacification générale
du royaume. Mayenne et ses conseillers, Jeannin et d'Espi-
nac, avaient cru que les convictions de Henri et la considé-
ration des calvinistes de France et d'Europe le retiendraient
à jamais parmi les dissidents. La nouvelle de sa conversion
étonna et troubla d'Espinac L'archevêque essaya de parer
le coup en contestant par des faits de détail la sincérité des
intentions du roi, et en s'é tendant sur les dangers que cour-
rait la religion si l'on ajoutait une UA aveugle à ses pro-
messes. Pour toute réponse les royaux remirent par écrit
aux députés ligueurs les propositions, en les sommant de
• ' Les aclM dana P. Cayat, 1. ▼, p. 466, 467. — Thnanai, I. cvi, $$ 7, S.
U ▼, p. SS8, KO. — Lettres da Duplecsis, t. ▼, p. 4i6-4S9. Les JcUres de
cooTocatioto du roi mux prëlaU et docteurs des deux partis sont da IS mai.
MAYlSffNE KS8AIB DE GAGNER LK PARLEMENT. iS7
les faire connaître aux princes et aux grands de lenr parti m
aux États de la Ugue. Des copies de ces propositions se
répandirent bientôt dans. Paris et dans la France entière:
leur contenu agit de la manière la plus puissante sur Topi^
nion publique et sur la marche des événements. À son Incon-
testable légitimité, à sa valeur personnelle, tlenri allait
joindre la catholicité, et il ofirait la paix si ardemment dé-
sirée. Dès ce moment, les politiques anciens et nouveaux
de la Ligne, dans la bourgeoisie et dans le parlement, pli^
rent une attitude plus assurée ; les setnonneuœ lui furent
acquis ; plus de la moitié du bas peuple se prononça haute-
ment pour lui. Le 10 mai'. Mole se rendit au parlement, fit
des remontrances sur la proposition que devaient faire les
Espagnols de rompre la loi saUque fondamentale du ropume,
somma la cour d'en délibérer, déclara s'y opposer, et de-
manda acte de son opposition. En même temps, une vive
agitation se manifestait dans ime portion considérable du
bas peuple, et les politiques députaient à Mayenne pour le
presser de conclure la paix (17, 18, 27 mai) K
Mayenne et ses conseillers se flattèrent de dominer , de
maîtriser cet élan, de le réduire aux proportions d'un moyen
d*opposition et de défense contre les Espagnols* Ils voulureni
battre I^ilippe il avec l'aversion de la Ligue française pour
la domination étrangère et avec le discrédit dans lequel le
roi catholique était tombé auprès des États ; Henri IV avec
l'attachement des États pour le catholicisme, et les traverses
que jetteraient le légat et les Espagnols à toute proposition, à
tout traité, tendant à amener la reconnaissance et l'établisse-
ment du roi.
Le lieutenant général fit de particuliers et considérables if«renue «smi*
efforts pour se concilier le parlement» et pour le mèler^ le^nVomi'id*
comme corps politique, aux discussions qui allaient s'ouvrir. . ^f**-
Au lieu des deux chambres nouvelles dont il avait projeté ^^llq^n dlT *'
l'érection, lors de l'ouverture des États, il résolut d'en créer ^ ^■v**
une seule. Cette quatrième chambre devait avoir dans ka
délibérations même voix et même pouvoir que les trois an-
ciennes, et se composer en minorité des membres du conseil
' p. r«Tet, 1. ▼, t. 1, 464-406. — RegUtre du Uart« mnaïucril T', p. ISS,
noie, 90i<aOS ; RegiU. da cierge, p. 4"!^. — Le»toUe et aon luppl., p. 134,
ISS, 440, 141. 1^ texte da Cayet, p. 464 A, porte par erreur «x mai, aa
lieu de dÏE'tepI maL
188 HISTOIRK DU RÈGNE DE HENRI IV.
d^Êtat, en majorité des membres du parlement et autres
cours souveraines. Par sa constitution et son origine, cette
chambre semblait devoir 4>trc acquise , dévouée à Mayenne,
et lui assurer l'avantage dans les délibérations des États, lors
de la discussion sur Télection et la royauté. De plus, le lieu-
tenant général pouvait espérer que le parlement, accru par
lui dans sa puissance politique, lui témoignerait sa reconnais-
sance, au moment où les décisions législatives des États se-
raient portées à sa sanction et à son enregistrement. D*après
ces calculs, Mayenne soumit la proposition aux chambres
le 27 mal, et provoqua la formation d'une commission pour
Texaminer <.
La commission, composée de trois députés de chaque ordre,
conféra le 27 mal avec le conseil d'État sur la proposition.
Mayenne et Jeannin revinrent jusqu'ù trois fols h la charge
pour amener les députés à concéder au parlement le droit de
former une quatrième chambre. Ils échouèrent contre leurs
répugnances, leurs réclamations et le mandat qu'ils avaient
reçu, mandat portant qu'il ne serait rien changé à l'ancienne
forme des États. Mayenne avait trop besoin de la faveur et
du vote des États pour les mécontenter. Il céda à Toppositlon
de la commission, et à celle des chambres, quand la dis-
cussion y fut portée quelques jours plus tard. Sa tentative ne
donna donc pas au parlement la prérogative politique qui
faisait l'objet de sa plus vive ambition, et le parlement en
grande majorité resta hostile aux prétentions de Mayenne.
Mais 11 sortit de la discussion la reconnaissance en faveur du
parlement d'un droit d'une immense importance, pour lequel
cette compagnie ne se crut obligée h aucune reconnaissance
envers le lieutenant général. Dans la discussion qui eut lieu
au sein de la commission , Jeannin , parlant au nom de
Mayenne, dit que « toutes les fois que les États généraux de
« France a voient été convoqués, les États a voient été comme
» requérants; le roi avec les princes et les gens de son
» conseil avoient résolu ; les cours de parlement vérifié, ap-
• prouvé, entériné ; qu'autrement ce qui avoit été résolu i)ar
* Ref ist. «lu tiers, p. 908, S09 ; du rlergi^, p. 47S, 4S0 ; de lu noble«»e,
p. 610. — A la dato du S7 mai, on trouve daps le registre du tiers, p. S1&.
ia preuTe que Mayenne a fait proposer aos Etats, le 95 mai, <rétablir une
qnairièiDe chambre « sur Tadvis donné aux chamlirci touchant son inten-
s tion d^appeler les cours souveraines aux assemblées générales. »
PREMIÈRE PROPOSITION ÉCRITE DES ESPAGNOLS. MOLE. 189
« le roi n*aY0it ni force ni autorité ^ » Aucan député de la
commission ne s*inscrivit en faux contre cette doctrine : au-
cune voix au sein des États ne contesta le principe, quand les
chambres forent saisies de la question dans les derniers
jours du mois de mai'. Ainsi d*un commun accord le parle-
ment resta maître an moyen de Tenregistrement de la sanc-
tion des actes législatife : sa part dans le pouvoir législatif
égalait donc dès lors, si elle ne surpassait celle des États et
celle du lieutenant général, il ne s*agit pas de savoir si c'était
là de la part du parlement une évidente et énorme usurpa-
tion sur le pouvoir royal et sur la souveraineté des États.
Ce qu'il importe de constater, c'est qu'une prétention mise
en avant avec audace par le parlement à l'ouverture des
Etats, était élevée, par ce qui venait d'avoir lieu, à l'état
de droit discuté et reconnu par les pouvoirs publics. Faute
d'avoir constaté la puissance attribuée au parlement dans
cette circonstance, les historiens modernes rendent inex-
plicable l'arrêt postérieur de cette compagnie , à la date du
â8 juin, sur la plus importante décision des États généraux
de la Ligue.
liC 28 mai, les ministres espagnols furent introduits dans Première pro-
ies Ktats de la Ugue, et l'un des secrétaires d'État français po>>tioii ^rii«
donna lecture de leur première proposition écrite. La sortie Eapncnôîs daoi
énergique de Rose et la promesse de conversion du roi qui o'**dik>'*de
avaient si fortement remué une partie des ligueurs les plus Mole et
avancés et les États, avaient laissiî les Espagnols inébranlables "*" pu-temAou
dans leur ambition et leur orgueil : leur première proposi-
tion écrite fut de tous points conforme aux ouvertures faites
dans la conférence chez le légat. Au nom de Philippe II, ils
demandèrent que les États reconnussent sa fille Isabelle-
* Ce roémorable passage se trouve mol à mol dans le registre du tiers,
p. tl7, et dans relui de la noblesse, où l'on trouve, p. Slt : « D'abondant
M estoit encore nécessaire que ce qui avoit este resoleu et arresté par le roj
N sur les dictes i emonstrances (des EtalS'gc'néraus) Tust apporté et envoyé
m ans cours aonveraines pour estre vériHé et esmologué; amtnm^nt ii
m h'hvoU ni force ni atUhorité. »
* R#>glstre du tiers, p. 915-190, 99:;; du rlergé, p. 478 et note, 4S0, 481,
483>485; de la noblesse, p. ttlO-617. Au momeut où la commission rend
compta aux chambres de ce qui s^est passé dans la conférence avec le con-
seil d*Etat, les réclamations et l'uppostiion ne portent qoe sur un point,
sur l'érecllon du parlement en quatrième chambre : aucan nVtlaque le
droit du parlement de vérifier les décisions des Ktatf, ce qui emporte le
droit de les Infirmer.
190 BtSTOiRB DU RÈGHE DE REIIRI IV.
dairc-Eogénie comme héritière de la couronne de France
en sa qualité de petite-fille de Henri II; qu'ils y joignissent
Télection, s'ils la jugeaient nécessaire ; qu'ils déclarassent Tin-
tante reine sans hésitation et sans délai. A les entendre,
c'était le seul moyen de sauver la religion catliolique dans le
royaume, et le pape y donnerait plein consentement. Le roi
catholique appuyerait la décision des États d'une armée de
dix miUeh ommes dans un mois, d'une autre armée de pareil
nombre au commencement du mois de septembre suivant, et
payerait de plus les soldats français rassemblés par Mayenne.
A pdne k lecture de cette proposition fut achevée, que le
procureur général Mole, qui assistait aux États comme l'un
des délégués ^ se leva et dit, que selon le devoir de sa charge
il s'opposait à la proposition, et qu'il invitait les membres du
parlement è la combattre avec lui , comme notoirement ré-
pugnante et contraire aux lois en vigueur dans le royaume
depuis douze cents ans. On contesta à Mole le droit de former
opposition à la face des États. Le président de liacquevilio
répliqua que s'il en était ainsi, il valait mieux que les délégués
du parlement sortissent des États. l'iusieurs députés s'étant
écriés qu'ils y consentaient volontiers, les magistrats se le tin-
rent pour dit, et résolurent de ne plus paraître dans l'assem-
blée. Le même jour, le parlement de Paris s'assembla depuis
trois heures jusqu'à six heures, et examina les propositions
relatives aux prétentions de l'infante et à l'abolition de la loi
salique. Lieurs députés allèrent trouver Mayenne au bailliage
du palais; l'avocat du roi Hotoman lui signifia la résolution
de la cour en ces mots, qu'ils ne pouvaient ni ne devaienL
Lemalstre, Damours, Duvair, joignirent leurs libres remon-
trances à la déclaration, et Mole termina en protestant qu'il
était né Français, qu'il mourrait Français, qu'avant d'être
jamais autre il y perdrait les biens et la vie.
Cette démonstration n'apprit rien encore aux Espagnols.
daMeDUÔsa: Le lendemain 29, le légiste Mendoza, admis h parler aux
^ "^ilîai^! **" ^'l^l** d^^ii^ pendant deux heures en latin contre la loi
salique, et pour les droits de l'infante Ibndés en droit divin,
civil et naturel. Les assistants secouaient la tète en se mo-
quant, et sans la présence du lieutenant général, ils eussent
* Yoyo cinletiuf p« 161, 163 el U ouIp ; vuyeg dp plut les |wrtigni|>b«K
suivants
DlKoiirs
LA QUATRlàUB GUAMBRE DANS LM ÉTATS RCJETÉE. 191
interrompu le pédantenque orateur'. La question se traîna
longtemps encore dans les incidents et dans la forme ; mais,
quant au fond, elle était dès lors résolue : Mayenne avait
cause gagnée contre les prétentions exclusives du roi d'Es*
pagne.
Il aurait désiré ardemment satisfaire la grande ambition Profet
du parlement, qui était d'étendre incessamment son pouvoir ^'"° blmbre""*
politique, afin de trouver Tappui de ce corps au moment où d«ns im Éum :
U poursuivrait la souveraineté pour lui ou pour son fils. Ce d^M^^rvl^irs
ftit un compromis entre eux quMl tenta, mais sans succès. pubiirs.
Lors de la convocation des États de la Ligue, il avait appelé
les délégués du parlement à y siéger. Après les premiers •
jours de la session, nous avons vu les délégués f>erdre le droit
de voter dans les États, et ne plus conserver que le privilège
fPy assister et d'y donner leur avis sous forme de conseil ;
encore leur présence était-elle souvent contestée par leivs
adversaires. Du 25 au 31 mai, Mayenne travailla activement
par lui-même et par son conseil à régulariser la position des
magistrats et à créer au profit du parlement une quatrième
chambre au sein des itats. Il fut battu sur ce point par le
vote du 3i mai : les IrUals maintinrent Tordre ancien et le
nombre de trois chambres. Mais il eut l'avantage sur deux
autres points, il fut convenu et reconnu que Mayenne et les
princes de sa famille, dans toutes les questions importantes,
jouiraient du droit d'examen concurremment avec les États,
et du droit de vote ; que les États requerraient seulement, et
que Mayenne, représentant le roi, déciderait et résoudrait
avec son conseil ; que le lieutenant général et les Étals ne
feraient rien que de parfaite intelligence entre eux, promet-
tant les États de ne jamais dévier d'avec lui, pas plus que
les membres avec le corps. D'un autre côté, Mayenne réserva
au parlement le droit« dont il jouissait elfectivement depuis
les Barricades, de vérifier et d'entériner tout ce qui serait
résolu par les deux autres pouvoirs'. De la sorte, il était k
peu près impossible que les États prissent aucune dédsion
* Refiatrcdu Uert, p. tlCSU, iitkSSS, Stô, 94» j reguL du clergé,
p. 4S9, 4H3, 4S7, 4SS ; regisL de U nobli-sse, p. 617-61». — Appendice
no 6, p. 704.7SS. - Lestoile, p. 136, 137, 14i A. ~ Mém. de Blarilliic,
l. xs. p. SU S.
• RrgUt. de la noblesse, p. 6I0-6|7 ; 'lu tien, p. 916, 91 V, 994, Rifi; da
cierge, p. 47S, 485.485, 49i>.4t*9.
dfs ligueurs
tnr In conver-
lion du roi
et In trère
Êlat do parti*
du cAlè
de la Ligne.
192 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
favorable à TEspagne, et s^Us la prenaient, le lieutenant
général pouvait toujours l'annuler.
Ainsi fortifié de tous côtés contre Philippe II, Mayenne se
tourna contre Henri et se flatta de lui ravir d'un coup et en
un moment le terrain qu'il avait gagné depuis six mois, et
notamment depuis la déclaration du 17 mai. Sous sou in^i-
ration et par ses intrigues, les Etats de la Ligue firent la
réponse suivante aux propositions du parti royal et à la pro-
messe d'abjurer que Henri y avait ajoutée (5 juin). « I^ur
la conversion du roi de Navarre, les royaux auront à se
pourvoir par devers Sa Sainteté, à qui appartient de l'ab-
soudre et de le remettre au sein de l'Église. Quand la con-
version sera approuvée par le Saint-père, les ligueurs auront
h se consulter sur les sûretés nécessaires à prendre pour
conserver la religion catholique dans le royaume. Les li-
gueurs ne pourront traiter de la trêve avec les royaux que
quand ils connaîtront leurs intentions sur les deux points
précédents'.»
lie pape, esclave de Philippe II et circonvenu par la Ligue,
devait refuser à tout jamais l'absolution à Henri , et Henri
resier hérétique malgré lui. Incapable d'être accepté pour roi
par la Ligue. Mayenne espérait avoir élevé ainsi une barrière
infranchissable entre le roi et les peuples de l'union, au mo-
ment où Henri les attirait à lui par son relour au catholicisme.
Ainsi tout moyen sérieux d'accommodement avec le roi était
repoussé, et la religion servait à ce résultat politique.
Dans le même temps que Mayenne amenait les États à
rendre cette réponse au parti royal, il les disposait à ren-
verser les prétentions et les desseins des Espagnols. L'avarice
forcée ou calculée des minisires de Philippe H lui vint mer-
veilleusement en aide. Grand nombre de députés étaient
pauvres et avides : ils recevaient si peu de chose de l'Es-
pagne, qu'ils se plaignaient, le i" juin, à Mayenne, de leur
extrême nécessité, et qu'ils demandaient la clôture des États
ou une aumône qui leur permit de siéger plus longtemps^.
Ptiilippe prétendait ne les payer qu'après le service rendu :
ils voulaient eux, au contraire, être largement pensionnés et
* Regislr. du tiers, p. 230, XM, 333. S37S40 ; du cierge, 4M-I96; de lu
TiobleMr, p. en, 62S. ^ F. Cayel, I. Y, p. 4W R.
* Registre du tiers, p. 907, til.
RÉPONSE DES ÉTATS SUR LA CONVERSION DU ROI. 193
n*avoir pas le couteau sur la gorge ^ Leurs votes se res-
sentirent de leur mécontentement Les agents Espagnols se
flattaient de les entraîner par la force des circonstances exté-
rieures et par les autres moyens dont ils disposaient, moyens
sur la puissance desquels ils se faisaient illusion. Ils comp-
taient que la présence de leur garnison intimiderait tous les
partis ; ils employaient le légat et avaient regagné la moitié
du clergé ligueur ; ils mettaient en mouvement les Seize et
une partie du bas peuple. EnGn ils ne désespéraient pas de
se défaire du roi comme ils s'étaient débarrassés du prince
d'Orange, par un assassinat La plupart des prédicateurs
publiaient déjà en chaire que Ton n'aurait ni paix ni trêve,
et s'appuyaient de la parole et de Tantorité du légat. Les
Seize et plusieurs ecclésiastiques de la Ligue présentèrent
requête aux Étals pour qu'ils eussent à élire un roi, et à
rompre la conférence jusqu'à ce que le pape, consulté, eût
prononcé. En même temps le curé de Saint*Jacques endoc-
trinait deux scélérats pour sortir de Paris le jeudi de la Pen-
tecôte, et aller tuer le roi (6, 7, 8 juin). Les Espagnols se
promettaient tout de ce concours de circonstances, et ils
demeuraient sourds à l'avis indirect que leur donnait Boucher.
Boucher, député aux États, histruit des sentiments de cette
assemblée, jugeait très justement que Philippe 11 échouerait
quand il prétendrait mettre sur le trône sa fille et l'un des
princes de sa maison. Devenu, an mois de juin, l'ennemi de
Mayenne, qu'il servait au mois d'avril, il invectivait en chaire
contre le lieutenant général, demandait qu'on changeât le
parlement et les ofGciers de tous états, allait en son nom et
au nom d'une partie du clergé sommer Mayenne de donner
un roi à la Ligue (9 juin). Mais il se gardait bien d'indiquer
Philippe, l'infante sa fille, ni aucun prince de la maison
d'Autriche : il désignait le jeune duc de Guise'. Boucher
suivait la même Ugne de conduite politique que Rose.
■ Voms ci-deuas p. 167* t6B, la corrMpondance de* igentt de Phi-
lippe if et le témoignege de Villeroy.
« ÉUU de 1605, p. 3, 461. — LestoUe, p. 149, 14S : « Le c«rtf de Selnl-
m Germain... dit qu'il estoit bien «dTertiqu^on n^anroit ni paix ni treulVe;
• et que M. le légat lui avoit dit... Le conseil de tuer le roy avoit esté tena
M sur le cnrë de Saint'Jacoues ; et en mist-on deux en besongne, qui de-
» voient partir le jeudi de la Pentecoste pour essayer à blre le coup. ■ —
« 9 |uin. Boucber U-deitus va trouver le duc de Blaycnne pour lui denandor
13
196 HISTOIRE DU RÈGNE DE fiENRi IV.
Deuxième pro- Les agptits espagnols lie tinrent fHis compte de cette repu-
de< Kpuio" it : goatlce pour eux , que ressentaient même plusieurs des plus
l'aichidiic fougueux Uguciirs. Le 11 juin, les Ëtats décidèrent qu'avant
et Pit?Liito : de répondre à la dctnande de Miilippe réclamant le trône
elle est rejetée. pour l'infante, ils Sommeraient ses ministres de déclarer si*
rintcntion de leur mattre était de marier sa fille à un prince
fran<^s. Les Espagnols osèrent bien gourmandcr les États au
sujet de leurs scrupules pour le maintien de leur loi salique
en ce qtil cohcemait Texclusion des femmes, et leur repro-
chei* leurs répugnances pour Tinfante ; ils proposèrent ensuite la
seule combinaison que Philippe pût accepter à défautde la pre-
mière : c'étaitde déclarer roi Tarcliiduc Ernest, frère del'empe-
reur, prince de la maison d'Autriche, et de le marier à Tinfante
(13 juin). Dans la chambre de la noblesse, la Châtre réduisit
la proposition à ses véritables termes et Pattaqua ouverte-
ment : (I Messieurs, dit-il, les députatlons de quelques uns
d'entre nous permettent d'élire pour roi , si besoin est , un
prince françois, bon catholique ; mais elles ne parlent nul-
lement d'élire une femme ni un étranger. » Ainsi chaque jour
un plus grand nombre de citoyens répugnait à violer la plus
importante des lois fondamentales et à livrer la France â
l'Espagne et à la maison d'Autriche : chaque jour l'opposi-
tion à la domination étrangère, dans ce qu'elle avait de plus
général, gagnait et s'étendait. La déclaration de la Châti*e
fortifia ces sentiments. Les États trouvèrent dérisoire la con-
cession des Espagnols et la rejetèrent dans la séance du
19 juin, avec cette déclaration particulièit* de la chambre de
la noblesse c que c'estoit une chose à laquelle ils ne pou voient
» mesme toucher, et qui excédoit leurs pouvoirs, pour estre
» contre les loix et ordres de France. » En même temps,
du iti au 19 juin, Mayétine faisait voter par les deux cham-
bres de la noblesse et du tiers-état l'opportunité de la trêve
en principe , tout en remettant l'exécution au lieutenant
générai K C'était un moyen et une menace de traiter avec le
parti roval, dans le cas où les Espagnols se montreraient hostiles
à la combinaison que Mayenne produisit dès te lendemain.
m «A rojr, et le supplier de trouver bon que ce loll le dnc de Guise^ et (fu'il
m esloit chargé de la pari des ecclésiastiques de luy porter cette parole...
» Co mpsme jour les Scise s'assmiblcieut raprès-diuée. »
' Rcgist. du tirr», p. 979, SSU. 281, d64, 967-W9; reg. de Id nohlette,
p. 631, 6ilt. — Appendice, p. 731, 732.
DEUXIÈME PROPOSITION DES ESPAGNOLS RBJETÉE. 195
Mais si les chambres de la noblesse el du tiers, pous- Voie f9meaz
s^ par quelques bons citoyens, parce que cela était bon- /•!<?.*"?•
nèle, et par Mayenne, parce que cela était de son intérêt, Le pnnciîir de
avaient voté contre la royauté pure de l'étranger, elles adop- d'un*ro1*ïdinî»
tèrcnt, dès le lendemain, sons la pression toute-pnissante de «*! <aTeara«uu
Mayenne, une résolution qui, tout d'abord, ranimait la guerre ?"■«• JJ'*»^»"
civile et infligeait au pays de nouvelles et intolérables souf- ^* riafiinte.
frances, et qui pouvait devenir une cause finale de son asser-
vissement. Le 20 juin, Mayenne porta aux chambres un
projet de réponse aux Espagnols, contenant deux parties
distinctes. La première exprimait le refus voté la veille par
les États de la royauté de Tarchiduc Ernest et de Tinfante. La
seconde renfermait le passage suivant :
c S'il plaisait à Sa Majesté catholique avoir pour agréable U
choix qui sera fait de l'un de nos princes pour être roi^ et Tbono-
rer de tant, pour le bien de la chrétienté et de ce royaume, que de
lui donner en mariage la sérénissime infante sa fille, nous lui au-
ronsinfinies obligations, et pourrons espérer parce remède, moyen-
nant la grâce de Dieu, de metu-e quelque jour fin à nos misères,
avec la conservation de la religion et de TËtat ' . >
La proposition de Mayenne fut acceptée sans difDculté par
la chambre du clergé et par celle de la noblesse. Dans la
chambre du tiers, elle excita de vives réclamations. Thiele-
ment, secrétaire de la chambre, et Du Vair, conseiller au par-
lement, distinguèrent la proposition relative à la royauté
d'Ernest et de l'infante , déjà étouffée sous la réprobation
universelle,' de la proposition toute nouvelle concernant l'élec-
tion d'un roi, lesquelles avaient été adroitement mêlées et
confondues. Ils remontrèrent énergiquement que l'élection,
en rompant tous les projets et toutes les tentatives d'accord
avec le parti royal, entraînerait la France dans un abîme de
malheurs el la réduirait à un épuisement qui la livrerait selon
toute apparence à l'étranger; que les députés de l'ile-de-
France n'avaient ni cahier ni pouvoirs pour consentir une
pareille résolution; qu'avant de la prendre, ils devaient con-
sulter le corps de la ville de Paris. Du Vair demanda acte de
son opposition et sortit de l'assemblée. Ils n^entrahièrent à
* Sons confCT-Toiis 1rs propret poroirs, mais non Torlbograplie do texte.
196 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI 11^.
leor opinion que les provinces de l'Ile-de-France et de Bour-
gogne, et les villes de Ghaumont en Bassigny et d'Orléans.
Tout le reste vota pour la double proposition , et Tavis de
l'élection passa à la majorité dans la chambre du tiers. Les
trois chambres se trouvèrent alors d'accord sur ce point
capital K
Les prétentions exclusives de Philippe II étaient ainsi ren-
versées : la France ne devait avoir pour souverain ni l'infante
seule, ni l'infante et un prince de la maison d'Autriche ; par
ce cOté, Mayenne faisait essuyer au roi catholique un second
et rude échec. Par l'élection, la succession à la couronne des
Valois se trouvait ouverte; la déchéance était prononcée
contre Henri IV, puisque l'élection avait pour objet de con-
férer la royauté à un prince actuellement catholique : l'ex-
clusion s'étendait aux autres princes de la maison de Bour-
bon, non pas en droit, mais en fait, puisque l'élection était
remise à des États-généraux où l'immense majorité apparte-
nait Il Mayenne et au jeune duc de Guise, ou bien à Phi-
lippe H. L'infante devenait reine de France, non \ïas comme
épouse du roi seulement, mais comme propriétaire pour
moitié de la couronne. Si sur ce point il restait quelque
incertitude dans la proposition que venait de faire Mayenne,
le doute fut levé au profit de l'infante par ime décision que
prirent, le 26, Mayenne et ia commission des États. Une
étrangère était donc admise au partage de la souveraineté
nationale ^. Outre cette honte, il y avait un grave danger
pour l'hidépendancc du royaume, parce que Philippe II se
trouvait immiscé à toutes les aflfaires de l'État, et en cas de
mort du roi, en position de réclamer la totalité de la royauté.
Mayenne n'était pas appelé au trône, puisqu'il éuit marié ;
mais il entendait y porter son fils, et garder pour lui l'im-
* Po«r cet deaK paragraphes, regist. du tiers, p. 981-985; du cierge,
p. 895,696; de la noblesse, p. 631-633.— Lettre de Henri auK Étala-
généraux des Pays-Bas, 90 inin 4B9S, dans les lett. miss., L lli, p. 806.
« Je puis bien tous assenrer que l'assemblée de Parts a tellement adrancé
» rcsIecUon d'un nouveau roy, qu'elle semble du tout inévitable A moins
m d^un extresme remède. »
' Dans ce que propose et fait Totcr Mayenne les 90 et 96 juin, il y a si
bien partage de la souTcraineté pour Tmiante, que le 98 inin, la chambre
de la noLlose, qui u été écluircc sur sou propre vole, vient lui déclarer
que licancoup d entre eux ne veulent consentir h faire esleetion de /en»'
meSt 't que ranél du parlement parle de VestabUssement de prince on
princesse estrangers au détriment de la loi salique.
VOTE DU 20 JUIN : L*éL£GT10M DÉCRÉTÉE. 197
mense pouvoir de la lieutenance-générale K Tel était Tétat
précis des affaires après le vote mémorable du 20 juin. L'anar-
chie, la guerre civile entre la Ligue et le parti du roi toujours
debout, continuaient, et recevaient même un nouvel aliment
par Télection d*un compétiteur de Henri ; l'étranger restait
menaçant, l'avenir était gros de périls ; mais actuellement,
présentement, Mayenne fermait l'accès du trône à l'Infante
seule et l'ouvrait à son propre fils : fidèle à ses précédents,
Il était satisfait et s'applaudissait du succès de sa politique
tortueuse.
Du 20 au 26 juin, le lieutenant général et les ministres de
Philippe II luttèrent avec acharnement, le premier pour
garder la position qu'il venait d'enlever, les seconds pour l'en
chasser. Les agents espagnols crurent pouvoir ressaisir
l'avantage en substituant à l'ambition franche et insolente
qui leur avait mal réussi la corruption et la ruse. Ils réso-
lurent donc d'acheter les députés et de tromper les États et
Mayenne par un traité qui en apparence appellerait au par-
tage de la souveraineté un prince français et \m prince lor-
rain, mais qui effectivement, et en dernier résultat, livrerait le
royaume à Philippe seul.
Dès le 21 juin, ils adressèrent aux chambres réunies leur TroUièin« pro-
troisième proposition qui se réduisait à ces deux points : liCS dw^ranols.
États déclareront sur le champ rois propriétaires de la cou- Corrupiioo
renne et solidairement (in solidum) l'infante Isabelle et l'un ^^ ^*f^***
des pridces français en y comprenant ceux de la maison de
Guise : Philippe, dans l'espace de deux mois, déclarera celui
d'entre eux qu'il choisira pour gendre. Contre la décision du
27 janvier, le légat fut admis à siéger et à parler dans les
États, il exalta la nouvelle proposition des Espagnols, an-
nonça que le Saint-Siège lui donnait son entière approbation
et pressa les États de l'accepter^.
Après avoir employé l'influence religieuse, les ministres
espagnols tentèrent la voie de la corruption. Le 22 juin, le
lendemam de leiur nouvelle proposition, ils firent distribuer
entre les trois chambres une somme de 8,000 écus ou
' Leilolle, Suf plëmenl, p. 154 B.
* RegMire du tiert, acle* de Panemblëe, lexlt de la proposition dm
EtpogBoU et da discourt du lécat, p. tt6-t90; du clergrf, p. 816^: do
la ooUesse, p. 654. — Lestoile, p. 147 B. ^ VUleroy, ApoL «t dise,
p. 106 B.
198
HISTOIRE DU RÈGNK DE HENRI IV.
Esame«
•(rei«t 4e la
Iroisiàne pro*
potîtion
det Espagnols.
24,000 livres de ce tempfMà K Us renonçaient ainsi au sys-
tème absolu de leur maître de ne rien donner qu^après le ser-
vice rendu. Mais la somme quMls livraient était tellement
au-dessous des prétentions et des espérances des députés
qu^ils n*en acquirent pas un aux nouveaux projets de Phi*
lippe II. Les députés trouvaient que pour la quantité d'argent
qu'ils recevaient, ils en avaient assez fait en votant rélectioD
et la possibilité pour Tinfante de partager le trône. On es-
saya d'abord de sauver leur misérable bonncur en publiant
que l'argent sortait des mains de Mayenne ; mais on décou*
vrit bientôt la véritable provenance, et personne ne put plus
la révoquer en doute, quand quelques députés restés purs et
dignes, tels que Tbielementet Du Vair, eurentenvoyé publique-
ment la part qui leur revenait à l'Hôtel-Dieu de Paris pour
nourrir les pauvres ^, L'éclat vint donc s'ajouter à la honte
de l'action. Les États, déjà décrédltés par leur composition,
par leur petit nombre, par leur patience à recevoir les pro-
positions des Espagnols, tombèrent dès lors dans le plus pro-
fond mépris. Cette disposition des esprits aida merveilleuse-
ment les ligueurs français dans le combat qu'ils livrèrent
quelques jom-s plus tard au vole des États, au principe de
l'élection et de l'usurpation.
L'élection donnait des chances i la royauté du fils de
Mayenne et à la prolongation indéfinie de sa lieutenance gé-
nérale : Mayenne voulait donc que l'on travaillât le plus
promptement possible à sqipUqaer le principe de l'élection,
fl voulait également faire la part dans l'élection k MiiUppe
et à sa fille, pour avoir l'appui du roi catliolique au lieu de
son hostilité ; mais il entendait ne pas se laisser duper par lui.
Dans celte double disposition, il renvoya l'examen de la troi-
sîèfiie proposition des Espagnols à l'examen du conseil d'État
et des commissaires des États, sous sa présidence. Elle fut
■ EnriroB 8S,000 francs d'au}Oonrhoi. Voyex ladistributtoo Am Vmr^emi è
la date du 9t juin, dans le rrgUtre du Uers-etat, p. 991. « Eux retires, sur
m la i>roposilion fatcle par MM. Labeequc et Gella à ce quHl pleuat A la
M chambre commettre de chascnne prorince telles personnes qu'elle ver-
» ruit bon estre pour HUtribuer les 9,700 esrus destines pour ladicte
M chambre, Langlois, Remon, Lebarbier, ont este commis. » L'argent étoii
/7romi> drpuis plusieurs jours, comme le prouve lu kootease dispute des
trois cbaiobrcs au sujet du |>arta€e dans les séances des 11 et 4S {ttûi (re«
giniree du tîcr» et du rleiigc', p. S49, S7li, Wil ). Mais Targent ne fut livre «t
distribue que le 93 iuia.
' Registre du tiers, p. 971, $$ 5, 975.
TROISliHE P|10P0$ITI0N PES |iSP4GI((;)LS a^ETKE. 199
rxainîni^o dans )cy confôrcnce^ qui curent lieu du 23 911
26 juin. La Cliaslre et Yilleroy la combatUrent jivec éucrgjcet
avec une profonde intelligence. Les Espagnols, disaient-ils,
demandent pour Tin faute uiuî élection et une royautiS pré-
sentes, et n'offrent qu'un mariage futur. Quand les États au-
ront fait rélcction et déféré ki souveraineté à la lille du mi
d'Espagne, sous la condition du mariage, les Espagnols trou-
veront facilement, dans les deux mois qui suivront, rocca-
sion de changer ou d'ôter tout à fait la condition. Ues ÉUis
seront alors séparés; ils ne pourront défendre leur décisioMi
obtenir une exécution conforme à leur vœu et h leur vote :
conséquemment Tinfante jouira seule du bénéfice de Télec-
tlon, et ne contractera pas le mariage promis. Ccpeiidant la
Ligue, par le fait de Télection, se sera rendue iiTéconciliablc
avec le roi de Navarre, les autres princes du sang, tout le
parti royal, et perdra tous ses autres moyens de salut. Dès
lors, les Ligueurs tomberont à la merci des Espagnols, qui uc
les traiteront plus en amis, mais en esclaves. La Ch^slrc
demandait que, si Ton voulait enU'er dans cette voie, on
contraignit du moins les Espagnols à nommer sur-le-chuuip
le prince qu'ils choisiraient pour mari à Tinfante; qu'en
même temps on exigeât d'eux ime armée et des soronu'-s
suffisantes pour appuyer Télcction et protéger la Ligue. Il
ne s'en tint pas là : il rappela à l'assemblée que, quand méim
elle obtiendrait ces concessions , elle violerait encore la loi
salique et les coutumes du royaume, et il posa courageuse-
ment la question si la Ligue ne trouverait pas plus de
sâreté et d'honneur à traiter avec le roi de Navarre, dans le
cas où il se ferait catholique. Les députés royaux à la con-
férence de Surène essayèrent, de leur côté, de traverser
rélertion en écrivant aux IJgueurs ime lettre éloquente dans
laquelle ils leur démontraient que cette fauile résolution doa-
nerait un nouvel aliment aux troubles, ouvrirait une nou-
velle guerre civile dont personne ne verrait la fin, où les
])articuliers perdraient la fortune et la vie , à la fm de la-
quelle l'État deviendrait la proie de l'étranger (2^ juj^) *.
' Appcudkr no 7 aux EtuU de IS9S. p. 796-718. u Ad vis de H. de U
» r.liattrf iiux K&luUdc ia Ligur. w Ce qui v«*ut diir uvis di>noe l'wr H. de
I^ Cliatirr Jau» i» ronffrcnce à IttqucUc as^islaieut Iv* ruiuniias.tii«*i des
Euudc lu Ligue. Il ne fwul |mis du tuul changer les dalcs, comme le pio-
200 HISTOIRE DD RÈGNE DE HENRI IV.
Dans les idées et jusque dans les expressions, Us se rencon-
traient avec Du Vair et le petit nombre d*opposants vertueux
que renfermaient les États de la Ligue.
G^était la France elle-même, c'était la patrie en danger, qui
parla voix des royaux et des ligueurs honnêtes à la fois, de-
mandait grâce h Mayenne , le suppliait de meure fin à ses
souffrances et à ses périls, en traitant avec Henri, à des con-
ditions également honorables et avantageuses pour lui. Mais
Mayenne était parfaitement incapable de prêter Toreilie à
leurs généreuses prières : il n'avait aucune grandeur d'âme,
et il était perdu d'une ambition vulgaire et obstinée qui ne
savait céder ni à une pensée généreuse, ni même aux conseils
de son intérêt bien entendu. Sa seule pensée, son unique
but restaient de contraindre les Espagnols à partager la sou-
veraineté avec son fils et avec lui. Il repoussa donc les con-
seils de La GhasUre , et fit rejeter toutes les ouvertures des
royaux. Il fit adopter par le conseil et les commissaires des
ÎTiE^ei* *•' ^^^» ^1 porter aux Espagnols le 26 juin, la proposition sui-
■rr/tëe vautc : Lcs États et le lieutenant général remettront par pro-
'*î2iè«*Mr'*" cur^^ion tous leurs pouvoirs à des représentants qui se ren-
ia EspagaoU. drout en Espagne ; Philippe leur désignera sur-le-champ
parmi les princes français celui qu'il voudra choisir pour le
mari de l'infante ; le mariage sera conclu ; les représentants
déclareront alors, mais alors seulement, le prince choisi et
l'infante rois en commun. Par ces précautions, Mayenne et
ses conseillers échappaient au danger d'être trompés i)<ir les
Espagnols, puisque l'infante n'arrivait au trône qu'au moment
où le prince français y montait lui-inêiiic. Les ministres es-
pagnols ne rougû-ent pas de repousser cette offre, et par leur
refus dévoilèrent leur insigne mauvaise foi et la fourberie de
leur maître. Mayenne assembla les États le lendemain,
27 juin, et usant de l'ascendant qu'il avait sur eux, il leur
fit adopter en principe la décision déjà prise par leurs com-
missakes et par le conseil d'État, à savoir que l'élection et le
poM IL Bernard. -^ VUleroy, Apol. et discours, p. 907 A. — Lctlie des
dépotés royalistes, lue dons la conférence où siogesiient Mayenne vi les
commissaires des Ktuts, \e 44 iuin. (Regist. du clergé, p. biO-bôl), aux pages
034,535, les dangers de Téleclion sont mis dans tout leur jour). — Regtjl.
da tiers, i la date du 97 juin, où se troure rappelé ce qui s'est Tuit tous \c*
lonra précédents dans la conrérence des ligueurs, p. 992-995 ; regist. de la
ooblesM, p. <S34-«36. — P. Cayet, 1. V, p. 484-4S9.
COMBINAISON DE MAYENNE, REFUS DES ESPAGNOLS. 201
mariage seraient ajournés josqu^à ce que Ton fût tombé
d'accord des conditions avec les ministres du roi d*Es|>agne.
Bien que la décision n'ait été signifiée par écrit aux Espagnols
que cinq jours plus tard, Tassentiment des États lui fut acquis
dès le 27 juin ^
La question de l'élection et de la royauté nouvelle n'était
ajournée que par la querelle entre PhÙippe II, qui voulait
tout avoir par force ou par ruse, et Mayenne, qui prétendait
partager avec lui. Aussitôt qu'ils se seraient mis d'accord, la
question devait être reprise, et les btats procéder h l'élection,
dans l'esprit du vole du 20 juin, et avec ses incalculables consé-
quences. L'élection était favorisée par la présence des quatre
mille Espagnols, qui continuaient à tenir garnison dans Parb ;
par l'appui des Seize , qui avaient cessé d'être pouvoir poli-
tique, mais qui restaient nombreux et redoutables ; par l'au-
torité du lieutenant-général Mayenne. Avec un roi élu par
les États et soutenu par une sorte de légalité attachée à leur
vote, la Ligue aurait un dief plus autorisé et plus obéi, une
unité et une force de commandement dont elle avait man-
qué jusqu'alors. Si le roi d'Espagne accédait enûn à la
nouvelle combinaison, il devait prodiguer ses forces pour
consolider le trône de sa fille. En ce moment, il est vrai,
l'épuisement du roi catliolique était extrême, puisqu'il ne
disposait que d'une seule armée, et si faible, qu'elle ne pouvait
tenir la campagne en France : mais il était facile de pré voir que,
dans un laps de temps donné, le souverain d'une si vaste mo-
narchie retrouverait quelque part de l'argent et des troupes. Les
dangers dans lesquels il jeta la France de 1595 à 1597, après
que Henri eut détruit la LJgue et l'eut ralliée à lui, monti*ent
ce qu'il eût pu faire, à la lin de 1593 et en 1596« avec un roi
élu et la Ligue encore debout. Ces i)érils , si grands qu'ils
fussent, n'étaient pas les plus sérieux dqnt Henri fût assailli.
11 courait risque de voir une partie d&s catholiques royaux,
qui depuis son avènement avaient suivi son drapeau, passer
sous celui du roi que les États éliraienL La lettre des députés
royaux ù la conférence de Surêne expose une partie de celte
situation si tendue, si alarmante; la correspondance de
* Villcroy. Apol. el dUc, t. xi, p. SOG R. — Opiiiiou de La Chaslie,
Appesdice Tll uus États, p. 73S-7S4. — Registre du tiers, p. 9M, 895,
sot, SOS i du dersé, p. 541-544; do la noblesse, p. 6?(>.
202 HISTOIHE DV lM^GIÏ£ P£ HENRI |V,
Henri IV avec ses alliés d'AUiepiagne et de Ilollaïuia à la dale
du 20 juin, dévoile le reste, « lie roi d*Ëspjigne, dit-41, con-
u tinuant toujours ses pratiques et desseins, a pu faire tenir
» une forme d'États dans Paris ppur faire procéder & rékjctioq
» de sa fille ou de quelque prince qui fût à sa disposition. Ce
» que j'ai jugé si pernicieux pour le bien de mon f'ta^elde
j» ceux qui sont conjoints en ma cause, que j'ai estimé à pro-
y pos de convoquer une notable assemblée. Je ne doute i)as
s que la suite des affaires et les efforts que les ennemis font
j» tous les jours de nouveau ne vous fassent appréhender
» quelque sinistre accident en mon royaume , n'étant plus
» possible que les choses puissent subsister d'une ni d'autre
» part, sans quelque nouveau changement. Je vous puis bien
H assurer que l'assemblée de Paris a tellement avancé l'élec-
» lion d'un nouveau roi, qu'elle semble du tout inévitable,
9 ians un extrême remède^ et que la longueur de la guerre
•» et les ruines qui la suivent ordinairement ont formé tant
» d'opinions dans l'esprit de ceux qui jusqu^ici ont persisté
» dans mon obéissancCf que je ne puis attendre que de per^
» niciewB effets. Snir quoi j'ai bien voulu envoyer vers vous
» le sieur de Morlans, pour vous faire entendre les extré-
» mités auooquelles mes affaires sont réduites *. » Et Henri
évidemment était contraint de cacher une partie de sa pensée
et de ses justes craintes, pour ne pas jeter le découragement
parmi ses alliés et ne pas pousser lui-même à ce qu'ils l'aban-
donnassent
La fYance était donc arrivée k Tun de ces moments qui
décideni du sort d'une nation. Il y avait deux choses princi-
pales k faire pour l'empêcher de glisser dans l'abtme ouvert
près d'elle : épouvanter les peuples de la Ligue et accroître
leurs souffrances par de nouveaux succbs et de plus âpres
Incursions, afm de les contraindre k se jeter entre les bras
du roi ; les attirer an même temps d'une mani^re puissante
par sa conversion au catholicisme. Cette partie de la grande
lAcfae regardait Henri , et il avait déjà commencé à l'accom-
plir par son engagement solennel du 26 avril et du 17 mai au
sujet de la religion '. Arrêter par des actes d'opposition, qui y
' Loilres nÙM.. 90 iuiu. au UadgraTS de Htiic el mis proTÎucfS unies
dM Piiy«-Bui, t. ui, p. SUS-SOT. Koui o^ptoo* cbansè que rorUiogr«i|ib««
• Vojct ci^e«»as p. 176, 177, 1S5, iSS.
DANG£aS DE LA FftANCB. 208
fisëeni ua obstacle sérieux, Télection du roi ; donoer le temps
k Henri d'arriver sans compétiteur jusqu*au moment de Tab*
juration, laquelle ne pouvait avoir lieu avant le milieu du
mois de juillet, puisque les sei^eura des deux partis n'étaient
convoqués que pour cette époque ; telles étaient les obliga*
tions politiques qui incombaient à la Ligue française, au par^
lement et à la iwurgeoisie de Paris et des provinces, aux
députés de TopposiUon nationale dans les États de la Ligue,
Ni le roi, ni la Ligue française ne faillirenl aux pénibles de*
voirs que leur imposait la France, dans les redoutables cir*'
constances où elle était jetée.
l\>ur se rendre un compte exact de ce que pouvaient ou ^ ^^^ ''•"-
ne pouvaient pas la Ligue française et le roi, et des cinum* roruse : •«•
stances, au milieu desquelles il leur était donné de se mou- **^^
voir et d'agir, il faut remonter à un mois et tracer le résumé
des événements accomplis dans ce laps de temps. A peine
connut-on k l^ris la déclaration solennelle faite le i7 mai par
les députés royaux à la conférence de Surène, la grande cou*
cession de Henri au sujet de la religion qui renversait la barr
riî'rc entre lui et ses sujets catholiques, les offres de trêve H
de paix qu'il y joignait, que les politiques et la Ligue fra»f
raise à I^ris firent chaque jour quelque effort et quelque dé-
monstration pour lui soumettre la ville et tout leur parti,
sortir de leurs misères, décider une réconciliation, mettre it
royaume à Tabri des attaques de PEspagnol. Une première
députation de cent vingt bourgeois, le prévôt des marchands
en télé, se rendit chez le gouverneur de Paris, le pria de les
introduire auprès du duc de Mayenne, et de les mettre en
demeure de lui demander la paix, aujoutant que leur requéie
ïierait signée au l>esoin par dix mille bourgeois (37 mai). Le
lendemain, les colonels I^ssart et Marchand parièrwt de
faire des barricades. Quatre jours plus lard , une cochée de
prédicateurs opposés à la paix, parmi lesquels on remarquait
Boucher, traversant le pont Notre-Dame, Durent accueillis par
les insultes et les huées du peuple. Bientôt les citoyens sans
distinction de classes crièrent tout haut dans les rues qu'il
fallait tuer ou noyer les évéques députés aux Ëtats, tous les
prêtres qui empédiaient que l'on lit la trêve et la paix > et
qui causaient ainsi la ruine du peuple (1 i, 13 jttiB)# Ces wèr
20/| HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
nifestations ayant effrayé Mayenne et Payant contraint à por-
ter la proposition de la trêve au conseil d'État et aux États*
généraux, pour tromper et calmer le peuple par le faux sem-
blant d'intentions pacifiques, le légat résolut de la traverser
de tout son pouvoir dans les chambres. Mais les dangers
de cette démarche étaient tels qu'il se retira au monastère de
Saint-Martin des Champs, le remplit de soldats et le conver-
tit en citadelle : n'osant traverser la ville pour se rendre aux
États, il leur fit connaître ses intentions par une lettre qu'il
leur adressa. Les bouchers disaient que s'il s'avisait de s'op-
poser à la trêve, ils savaient bien comment il fallait mettre la
main au sang et écorcher les veaux tels que lui ^ Ces violences,
ces sanguinaires menaces prouvaient combien le peuple avait
déposé tout respect pour les hommes qu'il avait vénérés si
longtemps; avec quelle force il se retournait maintenant
contre ceux auxquels il avait aveuglément obéi ; quel appui
la Ligne française pouvait, à un jour donné , trouver dans
son redoutable concours. Les événements qui suivirent ajou-
tèrent encore à son irritation contre Mayenne et contre tons
les meneurs nationaux et étrangers de la Ligue. Le duc, hos-
tile à la paix, se prélait à la trêve pour deux raisons, il ne
pouvait ni rassembler lui-même une armée , ni en obtenir
une en ce moment du roi d'Espagne. En second lieu, il vou-
lait calmer le peuple et la bourgeoisie, qu'il voyait passionnés
pour un accommodement. Il favorisa donc la proposition de
* Lestoile, RegliL iourn. de Henri IV, p. lôG A, 137 A, 138 A, 114 A, B.
— Regitt. du clergé pour le tl juin, p. fi06, 507. « Les députes des trois
m ordres ont ckorge de remonttrer a AI. de Blayeuue que nos ereMines cl
» autres personnes ecclésiastiques i^esloient plaints en relie assemblée que
» quelques personnes leur aToieut usé de paroles fort inralentes et de roe»
• naces, et estoient adrcrtis de plusieurs endroits que Ton faisolt le sens-
» blable À plusieurs autres, avec propos fort scandaleux quMl falluit tuer
» ou Boyer tous les prestres qui cmpescboient que l'on no fist la trèvo on
m la paix, et causoient par ce moyeu la ruyne du peuple, i» — M. de Sis-
mondi, Htsl. des Français, I. xxi, p. 187, prétend que les bouchers de
Paris éUtent de forcenés ligueurs et de grands partisans de Philip|>e II.
D'après le propos et la menace contre le légat que nous rappelons dans le
texia, diaprés les injures que leur prodigue Boucher (Lestuile, p. 144 B,
146 A), on Tuitque le* bouchers étaient, au contraire, de terribles politi-
ques et ligueurs français. Nous aronseu occasion prccodcmmcut de signaler
Tarreur répétée vingt fois dans une moderne histoire de la Ligue et du
règne de Henri IV, où l'on affirme que le peuple des hblU'S devait être
rancé dans la classe des exaltcK ligueurs, tandis qu'en téalité le peuple des
haltes et lear curé éuient politiques et prononcés pour le rot. Dans las
histoires modernes de Henri IV et de sou règue, tes erreurs et les omis-
•iooa foormillent et s'étandent, comme on le voit, aux moindres détaili*
LUTTE DE LA LIGUE PRANÇAISE CONTRE MAYENNE. 305
la trêve dans les chambres de la noblesse et du tiers, qui la
votèrent. Mais sur le rejet de la chambre du clergé et sur
Topposition du légat, il flt déclarer par le conseil d'État qu'il
y avait lieu d'ajourner la trêve (1/i, i5 juin). Déjà en guerre
avec Philippe II, il ne voulait pas se donner encore pour en-
nemis une des chambres des États, le clergé, le légat. 11 trou-
vait que c'était acheter trop cher la faveur des Parisiens, il
essaya seulement de se décharger de l'odieux de la continuation
des hostilités en arguant de son respect pour le clergé et pour le
Saint-Siège. Il n'y réussit pas; le peuple prétendaitque Mayenne,
maître de la paix et de la guerre en sa qualité de lieutenant
général, et autorisé de plus par le vote de deux des trois
chambres, avait doublement le pouvoir d'entrer en accom-
modement avec le parti contraire, et il s'attacha opiniâtrement
à lui pour lui arracher la conclusion de la trêve. La nouvelle
de la détermhiation prise par le conseil d'État s'étant répan-
due dans la ville, l'agitation fut portée au comble. Deux ou
trois cents bourgeois se rendirent d'abord à l'hOtel de ville,
et ensuite auprès de Mayenne, réclamant avec énergie l'ac^
ceptation et la publication de la trêve, se prenant de querelle
avec les Seize,. j[es hijurlant, les réduisant au silence et à la
retraite. Au palais on se passait de main en main des vers
où l'on demandait la tête du légat Le 16, ce prélat s'étant
rendu chez le duc de Mayenne, le peuple qui se trouva sur
son passage ne le salua point, et lui tourna le dos quand fl
voulut lui donner sa bénédiction ; il insulta le duc de Féria
de gestes et de paroles. La bourgeoisie et le peuple étendaient
ainsi leur haine et leur indignation à tous les opposants à la
trêve. C'était chaque jour h Paris une demi-sédition. Les dis-
positions étaient pareilles dans une partie des grandes villes
de la Ligue: ainsi, le 15 juin, huit cents bourgeois d'Orléans
envoyaient lem* procuration à La Ghastre, leur gouverneur et
l'un de leurs députés, pour qu'il demandât en leur nom et en
pleins États la trêve et quelques soulagements & leurs maux,
protestant que s'ils ne l'obtenaient, ils traiteraient en parti-
culier avec le roi ^
Les politiques et la Ligue française avaient fait leur devoir,
* DclibëraUons det ÉteU et te&le de U lettre da le'gat, regbU do U«n,
p. «0-909, S74; regbt. dn dergé, p. 516^i0: de U nob.lesfe, p. <»7 StO.
— Manuscrit T', cité en noie aux p«sc* ^^^ ^0, dei Etata-f éndranz de
206 ntSTOIttC DU RlsGlfE DE HKNRl IV.
en prenant cette hostfle attitude h regard de Mayenne , du
légat, des Espagnols, et en préparant tout pour leur livrer
bientôt un combat h outrance. Le roi, de son côté, devait se
ménager à la guerre des avantages décisifs sur ses ennemis,
avant que Ffiilippe fût sorti de ses embarras et de son épui-
sement : il devait se servir des succès mêmes obtenus par
ses armes pour communiquer une nouvelle force et une nou-
velle assurance à ses partisans dans I^rls et dans les grandes
villes de la Ligue. Henri ne laissa pas échapper cette occasion
fkvorable, mais fugitive, ce moment qu*il fallait saisir au
passage, sous peine de le perdre sans retour.
Pendant que Philippe et Mayenne en étalent tous deux
J^i^ B^^ expédients, Henri avait en Thabileté de se procurer chez
'^^^a^r"*' ''<t**ttK«r l'argent qu'il ne trouvait plus dans son royaume,
° dLn«°"* et de se donner ce nerf de la guerre, ce principe de tous les
les proTioces. succès : scul des troîs compétiteurs à la couronne, il conser-
vait une armée capable de tenir la campagne sur le théâtre
des événements. Au mois d'avril précédent, il avait conclu
avec le duc de Toscane un emprunt qui lui assurait la solde
do 5,000 Suisses, pour un an, et 200,000 écns comptants
pour payer ses soldats français ! à ces troupes régulières
il joignit bon nombre &e volontaires de la noblesse avec les
détachements qu'ils lui amenèrent, et il se vit alors à la tête
de forces considérables ^ H disposait de ces ressources au
mois de juin, et il en fit l'usage le plus intelligent et le plus
décisif, dès qu'il eut reçu, le 3 juin, la réponse des États
qui repoussaient ses propositions de conversion et de trêve.
.Son plan fut de resserrer partout les grandes villes de la
Ligtie, et de leur faire essuyer les rigueurs de la guerre
d*une maniée plus sensible et plus poignante. Il avait déjà
intercepté toutes les provisions que le cours de la Marne
IS9S. — Lesloilc, p. 144-1 46. — l^grain décade, I. V, p. 9S3. Il rapporte
lt% rm qui conralent ou palais contre le lëgat :
Le lént fait gaerre A la trère.
Le trêve fait guerre aa légat :
Si ToQ coupait sa tetle en Grère
Ce teroit un b«au coup d^EsIeL
' Lcltrci tnîssiyes, I. Ili« p. 764.— Lettre an grand-duc de Toscane, du 96
avril 4593. « U (Goody) vous dira que me fuisaut ce plaisir de m'arcom-
• iMNler de deux cent mille escus comptant, oultre In levée et «nlretme-
n ment des dicta Suiaiet... Par ce moyen» je ponn-ay rcfluin* It ville d<*
M Paria m ai brief temps qnVn aaret grand contentement, romme plus
» particulièrement vous apprendras du sieur de Gondy. a
PRISE DE mtVX. SUCCÈS tiES LlfiOTfcflAUTS DU ROI. 207
apposait k t%ri9, eti hAtissant le fort de Gonrnay. Le 8 Juin,
il commença le ^iége de Dreat, Tille dti pays chartrain, alors
d'nne extrême importance, comme étant Tentrepôt principal
des Yitres qne Paris pouvait encore recevoir du côté du
midi. 11 étendit ett même temps aux provinces ces moyens
de coercition^ U ordontia ft Longneville et à Bouillon de
rassembler un corps d'armée en Thléraclie pour presser
les liseurs de Picardie, en même temps que pour faire tête
aux Espagnols s'ils tentaient de rentrer en France. Il fit
commencer par ses lieutenants le blocus de Polders. Cepen-
dant, continuant de Joindre la conclUatlon 5 la force, et dé
tendre les bras à son peuple, il confirmait rengagement d'ab-
jurer, et offrait incessamment une trêve générale par Pinter-
médiaire de ses députés h la conférence de Surènel. Après
avoir poussé les travaux du siège de Dreux avec une telle
ardeur, qu'en une circonstance il p.issa deux Jours et deux
nuits sans dormir, il prit la ville le 19 juin. La tour Grise et
le château résistaient encore, mais il les pressait avec viguêuri
et l'on prévoyait déjà le moment où fis seraient contraints
de se rendre. Mansfeld, qui aToit amené des Pays-Bas Un
corps d'armée, n'osa jamais franchir la fronlièrc de Picardie,
et se retira précipitamment sur la nouvelle que le roi mar-
chait à sa rencontre. Henri fut dès lors en mesure de tout
entreprendre contre Paris, et poussa, le 26 Juin, des partis
jusque sous les murs de la ville. Dans les provinces, ses
lieutenants obtinrent divers avantages : Lesdiguières défit les
Savoyards et les Espagnols dans la vallée d'Otdx, avec une
perte pour eux de 600 hommes et de leurs deux chefs ; les
royaux qui bloquaient Poitiers firent essuyer un autre échec
aux ligueurs et à Brissac qui les commandait *i
Ces succès du roi et de ses lieutenants réagirent dHine
* Pour Drens et les rUles de Piraidie, LeUres mis*, aa due de Nevert,
en date du 9 iuiti; au duc d'E|MTrnoD, en date du tO juin, t. ill, p. TtR,
794^ 801. — Pour PotUtH t Letlre de Daplessis À Busental , dd 18 {ttlB
t. T, p. 460. *c Nous kommes tcdus a bloquer Poiliert. » — Lctlre ntiias.
k la date du Su |uîn, où est relate un échec cstuyé par le ligueur Bristiac,
t. m, p. 809. — Pour rengagement d^abiurer pruchainemeiii, iHiret mii-
lircs au marquis de Pisani , à Henôist, curé «le Suirtl-EusUche, à d'Efternon,
de» 9 et 10 iuin, t. m, p. 788-791, 798, 800, 801.
* Thuanus. I. 107, t ▼. p. S79-S8I. — Lettn-s mifts. des 15 0, 98
juin, t. m, p. 801, M)9-81t. — SuUy, OEcon. loy. c. 4U, 1. 1, p. )ISB —
teUre des U(?putés k-uyuuk ft la conférence di* Su rêne, en date du tS juin,
indiquant la priae de Dreut comme un Tait accompli. (Regist. du clergé,
|i. Sôti.)
208 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
manière paissante et heureuse sur la situation, et donnèrent
aux politiques et aux ligueurs français de tous ordres, clergé,
hommes politiques, chambre de la nc^lesse dans les Ëlats,
parlement de Paris, les moyens et le courage de s^opposer à
l'élection d'un roi et de conjurer ce grand danger public.
La portion du clergé de Paris restée fidèle aux doctrines
gallicanes et à la cause nationale, les curés de Saint-Eus-
tache, de Saint-Merri, de Saint-Sulpice, Guincestre, nouvel-
lement converti à ces principes, prêchaient hardiment la
paix et la ^umission au roi, s'il se faisait catholique. Le curé
de Saint-Sulpice en particulier, prenant à partie ceux qui
accusaient d'hypocrisie la conversion de ce prince, dit que
Dieu seul sondait les cœurs et les consciences, et qu'il fallait
être bien hardi pour se substituer à lui (27 juin). Cette pro-
testation en faveur des droits de Henri avait lieu en face des
propositions faites chez le légat en faveur de l'infante et d'un
prince, lorrain '. Villeroy, l'homme d'État et le négociateur
de la Ligue française, avait sans cesse travaillé, depuis 1589,
à obtenir du roi qu'il afcyurât, et de Mayenne qu'il traitât
Son programme était : la royauté catholique, la légitimité
des Bourbons et la résistance à l'Espagnol, il s'y montra
fidèle dans les graves circonstances où l'on était arrivé. Dès
qu'il se vit hors d'état de traverser les préludes sérieux d'un
accord entre Mayenne et Piiilippe H au sujet de la couronne,
il déclara qu'il ne voulait se trouver en lieu où Ton fît si
boii marclié des lois et de l'honneur de la nation, de l'indé-
pendance du royaume, et il protesta par son départ 11
quitta Paris le 28 juin, à quatre heures du matm : sa retraite
fit la plus grande sensation, et avertit la Ligue française que
le salut du pays était en danger^.
u Chambre lies corps de l'ÉUt montrèrent le même courage, la même
d« b ^obicna f^golution quc les particuliers, avec un degré d'autorité plus
grand. Éclairée par La aiastre, la chambre de la noblesse
était revenue peu à peu sur son vole du 20 juin, qui per-
» Leston«, p. 147. 149.
• Villeroy. Apol. cl dUc, l. Xi. p. «7 A. — MaDuicrit T' cilc en noto
dan* le rcgiil. du lier», p. «6, «ÎKJ. « M. de Villeroy s'en alla à qaatr«i
» henrct du malin, le lundy !28 du mois de juin, et comme on disoit sans
m dire adieu ; ce qui donna à penser quM se faisott quelque chose contre
» les lois rondamentales du royaume, parce qu'il aToit tousiours esté estime
m délirant le bien du royaume, u'atlectionnanl reslranger, mais désirant
» U réunion de tous les bons François ensemble. •
RÉTRAGTATIOlf DE LA CHAMBRE DE LA NOBLESSE. 209
mettait Télcction de Hnfante et d'un prince français. I^ 27«
la noblesse de Bourgogne déclara cpi'elle voidait « ne point
1* opiner pour traiter avec les étrangers, et que telle avait
» esté toujours son intention. » Le 28, le matin, le président
Rabutin-Delavau alla trouver extraordinairement Mayenne
et lui déclara, au sujet de l'élection, « que beaucoup d'entre
• eux disoient leur pouvoir ne porter ^ avant que d'entrer
» en eslection d'aucun prince^ et nommément de faire eslec-
» tion de femmes ; que tous estoient d'accord quMls ne pou-
» voient donner leurs suffrages à personnes à eux incognues,
» et soubs le choix de Sa Majesté catholique ^ » Par cette
déclaration, la noblesse arrêtait court, non seulement l'usur-
pation espagnole, mais même l'élection, mais même la négo-
ciation entamée entre Mayenne et Philippe II, puisqu'elle
portait sur les termes mêmes dans lesquels Mayenne présen-
tait en dernier lieu le traité au roi d'Espagne. L'opposition
de la noblesse s'est éclipsée et perdue dans des actes plus
trancliés et plus significatifs que fit alors le parlement, mais
die mérite d'être tirée de l'oubli dans lequel elle est tombée.
En effet, elle agit fortement sur l'opinion publique, sur les
déterminations de Mayeime, et elle donna im utile apptii à
l'arrêt même du parlement qui se trouvait ainsi d'accord
avec l'ime des chambres des États.
Le parlement de Paris était rentré dans sa liberté à l'égard ^ parUaMot
de Mayenne et des États « et pleinement rendu & son rOle i^BarTét
de défenseur des lois du royaume et de l'indépendance natio- ^'* ^ !"'"•
nale, depuis que le vote des États, en lui refusant l'iionneur
de former une quatrième chambre, l'avait affranclii à l'égard
de tous des ménagements et des capitulations. Du 23 au
28 juin, I^maistre, Du Yair, Mole parmi les politiques. Ma-
rillac parmi les semonneux et les zélés ralliés, travaillèrent
activement à réimir les chambres du parlement et à préparer
les esprits. Mayenne pouvait traverser leur assemblée et leur
résolution : ils échappèrent à ce danger en publiant qu'ils
ne s'occuperaient que de la trêve à laquelle Mayenne était
favorable^ Le lundi 28 juin, toutes les chambres, assemblées
depuis le matin jusqu'à onze heures, rendirent un arrêt
• Ref(«4 **• *• noblesse, p. 636, 657.
Mémoires a«, MeriUac. L H, p. 541 B, 5U A.
210 BISTOIRB DU RiGNS DE HENRI IV.
longtemi» connu sous le nom d^arrét du président Le-
maiêtret parce que ce magistrat, à la fois député aux Étals
et membre du parlement, y prit une part plus large et plus
active que tout autre>. L'arrêt était conçu en ces termes :
Eipliralion
de l'arrêt
dn {larlenenti
• La eour, toutes les chambres tMemblées, n'ayant, comme
elle n'a jamais eu, autre intention que de maintenir la religion
catholique, apostolique et romaine, et TÉtat et couronne de
France sous la protection d*un roi très chrétien, catholique et
fhinçois, a ordonné .et ordonne que des remontrances seront
faites cette après -dîner, par M. le président Lemaistre, assisté
d'un bon nombre de conseillers de la dite cour, à M. le duc de
Mayenne, lieutenant général de TÊtat et couronne de France,
étant de présent en cette ville, à ce que aucun traité ne se Tasse
pour transférer la couronne en la main de prince ou princetse
étrangère; que les lois fondamentales du royaume soient gardées,
et les arrêts donnés par ladite cour pour la déclaration d'un roi
catholique et françois exécutés ; quMI ait & employer raotorilé
qui lui est conOée, pour empêcher que, sous le prétexte de la
religion, la couronne ne se transfère en main étrangère, contre
les lois do royaume, et pourvoir le plus promptement que fiiire
se pourra au repos do peuple, pour reitrêrae nécessité en laquelle
il est réduit. Et néanmoins dès à présentas, la dite cour, déclaré
et déclare tous traités faits ou à faire à-aprés pour Vétahliêse'
ment de prince ou princesse étrangers, nuls et de nul effet et
valeur, comme faits au 'préjudice de la loi salique et autres lois
fondamentales de ce royaume*, t
Cet arrêt demande explication, car Jusqu'à présent il n'a
été qu'imparfaitement compris. Il contient deux dispositions
très distinctes. La première est une résolution du parlement
d'adresser des remontrances à Mayenne sur les règles qu'il
doit suivre, sur les lois qu'il doit faire observer dans l'éta-
blissement d'un roi. Si le parlement s'arrêtait là, il ne don-
nerait qu'un avertissement ; il n'exercerait qu'une autorité
morale sur la politique du moment, sur les grands événe-
ments qui s'accomplissent. Mais la seconde partie de l'arrêt
du 28 juin renferme tme décision. Là, le parlement n'exhorte
■ Lettoile, p. i40 B.
* Extrait des re|;istret du parlement dans le registre du clergë.^^^
ge'Déraax de 1503, p. 646-648. - Mém. de la Uga«, 1. V. f- <'7l- >-
P. Gayel. 1. v, p. 4fV).
ARRÊT DU PARLEMENT DU 28 JUIN. 311
plus» il agit, et agit souyerainement : il prononce la casflatioD»
Tabrogation de certains actes légialatlfii déjà accomplis, de
certaines mesures politiques déjà adoptées : il rend son Auto-
rité et son empire au droit public ébranlé, et Timpose comme
règle suprême aux individus et aux corps politiques. L'arrél
proclame que , dans rétablissement d'un roi , on se confor*
mcra à la loi salique et aux lois fondamentales du royaume. Or
la loi salique, comme on la comprenait depuis le XIY* siècle,
comme on Pavait appliquée à Tavénement des Valois
directs, des Valois Orléans, des Valois Angouléme, loin de
permettre Télection quand un rameau ou une branche de la
famille royale venait à s'éteindre, appelait au trône le prince
le plus rapproché par le sang du dernier roi. L'arrêt fnppt
donc de nullité la décision des États du 20 juin, qui ordon-
nait l'élection d'un roi K En défendant l'élablissemerU de
prince et princesse étrangers, le parlement écarte clairement
Philippe II, l'infante, l'archiduc Ernest, tous les princes es-
pagnols et autrichiens. 11 donne aussi l'exclusion à Mayenne,
à son fils, à son neveu le jeune duc de Guise. Ce sont deux
contemporains versés dans le langage des lois et dans la po-
litique du temps , de Thou et le duc de Nevers, qui nous ap-
prennent que par le mot de princes étrangers l'arrêt du par-
lement atteignait et écartait du trône les princes de la maison
de Guise, parce que la qualification d'étrangers s'appliquait à
tous les princes qui n'étaient pas du sang royal et qui étaient
Issus de maisons étrangères, en supposant même qu'ils fus-
sent nés en France et régnicoles^. L'exclusion explicite pro-
' « I.«t opinioDi M portèrent non & remonslrer, mais i casserez qui i«
m/aisoit aux Estais contre la loy «alique. » Rien n*ett plu fornel* et
c'est MariUac, l'un des anleurt de Tarrèt, qui respliqae. (Mëu. de Ma«
lillac, t. XI, p. 643 B.)
* Tbuanus, l.xcvui , $S, t. ▼, p. ôSO. « Ida reliquiii senata» paruieasis,
» qui Lulelte est, nuper prononcialam fuisse. Decreto autem iltt kalend.
M Jul. làcto quid aliud sibi eosdem voluisse?... Nimlrum ne extranei in
• regnum suce edei eut, et nomine extmneorum omntt comprehendùsê
m qui ex sanguine regio projfnati non essent^ iicet in Gallia nali,
m etiam bona ac foriunas tn ea cottoeassent, m — Discours que St M. de
Acvers dans son vojage à Rome, dans les Mem. de Ncrers, t. III, p. 40U,
410, in-fulio. t II ne se ponToit eslire «n roy de race pstrangère, au préju-
M dic<> des princes du sang. Trais héritiers de la couronne. C'est ee que de
M reste Ir iwilenient reste à Paris aToit faict cognoistre par rinterpréti-
» tion du mol d'eslection. Cela a ealé depuis confirmé par un autre arrest
M 4i4 <M iuia dernier, donné sur telle nomination de l'infiinte et de Tarcbi-
I» duc F.niesi, ei puis da duc de Guiae, in soUémm» Il fust ordonné par le
M dict p«trl«>inenl qu'il ne siMoit point esleu de prince estninger, et que lli
212 HISTOIRE DU RÈGNE DR HENRI IV.
noDcée contre eux par ce mot de Parr6t est le complément
de rexcloslon implicite et générale résultant du maintien or-
donné de la loi salique. Enfin, Parrét attaquant Tusurpation
dans ses actes consommés et dans ses tentatives à venir,
déclare nuls et de nul effet les traités entamés par Mayenne
et par les ministres de Philippe II pour le partage de la sou-
veraineté, et les pactes qu'ils pourraient conclure dans la
suite. En résumé, Tarrét du parlement contient la revendi-
cation la plus haute, la sauvegarde la plus entière des droits
de la maison de Bourbon à la couronne, et en particulier des
droits de Henri IV. Les historiens modernes n'ont vu dans
cet acte célèbre que Tappui donné à Tindépendance natio-
nale contre les attaques de Philippe II : ils n'ont aperçu ni
le coup porté aux États de la Ligue , ni l'entrave mise aux
prétentions des Guises et aux efforts de Mayenne. C'est di-
minuer l'arrêt des deux tiers, et le réduire dans sa portée et
dans ses conséquences.
PidiMBce de Après lui avoir rendu sa véritable signification, il faut exa-
Vnréu noiner quelles étaient sa force et son autorité : on a vu ce quUl
voulait, cherchons ce qu'il pouvait. Était-ce la protestation
de quelques magistrats pour le maintien des lois, généreuse
mais vaine, mise un Jour en lumière pour rentrer le lende-
main dans la poudre du greffe ; ou bien un acte politique ca-
pable d'arrêter et de changer le cours des événements? Les
faits bien étudiés répondent à cette question. Tout récem-
ment, à la fin du mois de mai, le conseil d'État de la Ligue,
Mayenne, les États-généraux, consacrant les prétentions éle-
vées par le parlement depuis plusieurs années et reproduites
avec plus de force au moment de l'ouverture des Etats,
avaient reconnu à ce corps le droit de vérifier leurs actes
législatifs, d'accorder ou de refuser à ces actes une sanction
qui leur donnait une autorité définitive, ou les frappait de
» loj mUquc seroit gardée, ayant fuicl paroiitre par ces deux arreiti qull
» Q^etloil loiiiblc de procéder à aucuue cglection, et moias en la personne
m d'un prince ou d'uue personne eslraiigèrc. En ceste déclaration sont
» compris^ et Vont este de tout temps ^ les princes sortis des maisons
m estrangères, bien qu'ils /eussent habitues en France et re'gnicoies. •
Ce discours fut prononce par le duc de Nevers, le â5 uoTcmbre 4509,
•Tant qu'aucune défection dans la Ligue se fût opérée en laveur du roi. O
n*est doue pos une explication forcée, bile «près coup, de Tarrét du fMir*
lement, dans Tinlérét du principe nnonarchique qui o triomphé. (P. <^T*^
U T, p. SU, 616.)
PORTÉE £T PDISSANCE DE L^ ARRÊT. 213
cadacitë *. Le parlement était devenu corps politique en même
temps que cour de justice : à la puissance judiciaire il avait
joint une part de pouvoir législatif, et même la part la plus
décisive. Son arrêt était donc un veto opposé à Télection d'un
roi, à la décision des États-généraux, aux transactions de
Mayenne et des Espagnols ; un empêchement politique et lé-
gal à ce que Tordre de la succession au trône fût troublé.
Dans une ville où Mayenne commandait à la force militaire,
où les Espagnols avaient une garnison et le bras des Seize as-
sassins de Brisson, Topposition du parlement pouvait être
vaincue par un coup d'État et par la violence^. Mais le parle-
ment et son arrêt avaient pour appui dans Paris le dernier
vote de la chambre de la noblesse , la faveur des politiques
et de la masse du peuple ; au dehors, Tarmée et les succès
du roi.
L'arrêt, rendu le 28 juin, fut signifié le lendemain à RMnontnacet
Mayenne par vingt conseillers qui lui adressèrent en même «* i'^SÎÎÎît*'*
temps des remontrances. Lemaistre portait la parole. Dans à iUy«BM.
la première partie de son discours, il établit par une argu-
mentation serrée et vigoureuse que la loi sallque, destinée à
préserver la monarchie du gouvernement des femmes et de
la domination de TéUrangcr, était Tune de ces lois fonda-
mentales qui ne pouvaient être prescrites par auam temps,
abolies par aucun pouvoir. Appliquée à chaque vacance du
trône, toujours vivante et puissante, elle avait reçu récem-
ment une nouvelle consécration qui, sans rien ajouter 5 sa
force, rappelait plus impérieusement la nation à son obéis-
sance. Un arrêt du 22 décembre dernier, rendu par le parle-
ment en présence et avec le concours de Mayenne, et par
conséquent faisant loi , portait que les États - généraux
seraient assemblés pour la déclaration et rétablissement d'un
roi catholique et français, suivant les lois du royaume : par
ces termes mêmes, l'arrêt maintenait à la loi sallque toute sa
puissance, consacrait l'hérédité, excluait l'élection. Le choix
d'un roi, ainsi frappé d'illégalité dans son principe par le
. * VoyeB ci-d«Mai les dëlibérationtda cobmU d*Élat,delaooniinîttioiidef
EUU et des Élats-géoéraux des i7, 98, 19, 30 mai, p. 188, 189, et les arrêts
du iMrlement des 45 et 95 iauTier ISSn, relatés pa^e 158.
* Mém. de Marillac, t. XI, p. 644 A. « Dans ce temps, le péril était si
■ éTideol qu*il faUoit s*exp<»ser à tonte chose «xtresme pour oser quelque
a chose de temblable. »
2iti HISTOIRK OD RÈGNB DE HENRI lY.
droit public de la France, se trouverait encore vieil! par le
petit nombre de députés présents aux États, par l'insuffisance
de leurs pouvoirs pour un acte pareil, par Fabsence des
représentants du Languedoc, du Dauphiné, de TAuvergne
et d'autres provinces. La royauté nouvelle, si justement
contestable, acceptée par les uns, reniée par les autres, au
lieu de finir la guerre civile, Tétemiserait. Dans le cours des
remontrances, Lemaistre nomma sans cesse, attaqua sans
cesse PEspagne, au nom de Tindépendance nationale mena-
cée. C'était le seul ennemi auquel les convenances lui per-
missent de s'en prendre ouvertement et sans relâche.
Mais en ménageant les coups contre Mayenne et la maison
de Guise, il n'épargna pas davantage leurs prétentions, ne
laissa pas plus de prise à leur usurpation. Kn achevant la
première partie de son discours, il cita textuellement h
Mayenne la déclaration du parlement qui ordonnait l'étroite
observation de la loi salique et des autres lois fondamentales,
et qui cassait tous les traités faits ou à foire pour l'établisse-
ment d'un prince étranger. Dans la seconde partie des
remontrances, Lemaistre pressa Mayenne de donner satis-
faction au VŒU et à l'extrême nécessité du peuple en con-
cluant la trêve. Le légat du pape y faisait opposition ; mais
la mesure avait pour elle le vote des deux chambres et
rinstante prière du parlement Dépositaire de l'autorité des
rois de France, le lieutenant-général devait suivre leur poli-
tique , dans ce qui concernait le temporel du royaume, ne
reconnaître d'autre supérieur que Dieu , s'affrandiir de toute
dépendance à l'égard de la cour de Kome. Ainsi, par ime
combinaison profondément adroite et forte, le parlement
établissait la communauté, la solidarité entre la passion du
peuple pour la paix d'une part, la défense des droits de la
famille royale et du parlement de l'autre.
Efibru Mayenne comprit sur-le-champ l'intention et ^imp0l^>
poM wîrro'ii. •*occ de l'arrêt, qui, en rejetant l'élection, le repoussait da
pra l'arrêt : frôue lui et SOU fils, ct qul, en excluant l'infante du partage
y énonce. ^^ j^ couronuc, le privàdt à jamais de l'assentiment et de
l'appui de l'Espagne. Pendant que Lemaistre parlait, on le
vit changer de couleur, et U laissa tomber deux ou trois fois
son chapeau. ISa réponse fut courte et pleine de mécontente-
ment, lie lendemain 30 juin, Lemaistre fit rapport au par-
l'arrêt signifié a MAYENNE : SES SUITES. S15
lement de ce qui s'était passé : les magistrats protestèrent
alors tous de mourir avant de permettre que Tarrét fût
rompu ou changé. Dans la soirée, Mayenne appela auprès
(ie lui trois membres de la cour, les pria de changer ieur
arrêt, et ajouta que s'ils ne cédaient à ses instances, il recour-
rait ù la force, quoique h son grand regret II ne gagna rien :
l'entrevue fut toute remplie par les aigres propos que
Lemaistre échangea avec lui et avec Tarchevèque de Lyon ;
elle se termina par cette menace du lieutenant général :
Je verrai si j'ai la puissance de faire rompre votre arrêt. Pour
réponse, le parlement lui envoya, le i" juillet, une seconde
députation chargée de lui faire connaître leur serment de
mourir avant de se départir de leur première résolution.
Mayenne, furieux de voir ses desaehis déjoués, se rapprochait
des Seize, prêtait Toreilie aux violents conseils de Pelevé et
des autres factieux, agitait dans le conseil d'État s'il ne
jetterait pas en prison vingt membres du parlement. Mais
l'avis de La Ghastre l'arrêta, les dispositions de la bourgeoisie
l'épouvantèrent, et il recula devant un conflit. Un colonel,
Dauiiray sans doute, avait mandé aux parlementaires quils
ne s'effrayassent pas; que lui seul leur fournirait deux mille
hommes armés qu'il tenait prêts pour leur défense. Peu de
jours auparavant, deux autres colonels, Passart et Marchand,
avaient parlé de se barricader. Enfin, d'après l'accord passé
l'année précédente entre la bourgeoisie et le parlement, tout
faisait présumer que douze colonels sur seize et presque tous
les capitaines de la milice bourgeoise opposeraient vingt ou
vingt-cinq mille hommes aux violences dont le parlement était
menacé. Il y avait donc chance que le mouvement bourgeois
emportât du même coup l'autorité du lieutenant-général,
les restes de la puissance des Seize, la domhiation des Espa-
gnols , après l'expulsion ou le massacre de leur garnison.
Mayenne n'afironta pas ce danger, et n'osa toucher ni au
parlement ni à son arrêta
On lit dans quelques histoires que Mayenne s'était con-
certé avec le parlement pour lui faire rendre l'arrêt du
>iir cet il^ttx paragraphes Toyet : Extrait des regittresdu parlement et
ration du parlemeul sur les remontrances dans l'appendice aux Ktats
• Poi
dêlibëratioii du parlemeul sur les remontrances dans i app
de 1803, no g, p. 740-7S0. -> Mêm. de Marillac, t. Xi, p. 543 B. S4I. —
Lestoile, «out les dates des 38, t9 juin et ter luillet, p. 150 A, R et 165 A.
— L«ttr« de Bmori lY, du S luillet, dans les Lettres mÎM., t. m. p. 849.
Assertion
erronée an su|et
de Tarrét:
efleti qu'il pro«
duisU.
316 HISTOIRE DD RÈGNE DE HENRI IV.
28 Juin et traverser les desseins des Espagncds. Il n'y aurait
quelque vraisemblance dans cette sapposition que si Tarrèt n Sa-
vait pas en même temps confondu tous les projets de Mayenne.
Cette assertion est réfutée par les faits mêmes que nous avons
exposés, et par le témoignage unanime des hommes d'État
des deux partis : Villeroy, le chancelier Cheverny, Sully, dé-
posent, chacun de leur côté, que Mayenne, complètement
étranger à Tarrêt, raccuellllt avec étonnement et colère*.
Mous ne nous arrêterons pas à cette supposition qui ne sou-
tient pas un moment d'examen sérieux, et nous recherche-
rons quels furent les effets de Tarrêt, comment il affecta les
partis et la situation. Pour les politiques de Paris, auxquels
s'étaient ralliées récemment toutes les nuances de la Ligue
française, ce fut le passage des résolutions aux actes, la pre-
mière attaque contre les prétendants espagnols et lorrains,
le point de départ de la reconnaissance du roi. Pour les
politiques des provinces, ce fut un manifeste qui leur traçait
la conduite à tenir, et un signe de ralliement. Aussitôt après
Tarrêt, le ligueur français Vitry se retira dans son gouver-
nement de Meaux, commença son traité de réduction au ser-
vice du roi, et fut bientôt suivi de phisiem's autres, parmi
lesquels il faut signaler La Ghastre'. Ainsi, dans un moment
* Villeroy, Apol. et Disc, t. xi, p. 908 A. el B. « Les Espa^uols rreu-
• rentqae le duc de Mayenne BToit poussé le parlrment a donner leur
sarrest; mais cela n^estoitpoinl, car lu dicte cour avoil pris ce conseil
» d*elle mesme, mené de son honneur et devoir. Il apparut aussi par
» Pacctteil que receul M. le président Lemaistre et ceux qui Tassistoient
m dn duc de Bfayenne, quand il luy porta le dicl arresl el fil la remons>
m trance de la cour qa*il n'y avoit consenti et s*entendoit très mal avec
m iceile. — Snlly, OEcon. roy., c. 41, p. 118 A. « Les peuples ont pris la
■ hardiesse d^approuvcr en quelque sorte Tarrfst que les ^ens du parle-
» ment restans à Paris se sont hasardés de donner ooiir ta conservation
» de la royauté en la maUon royale^ dwjuel H. du Maine s'est tant
• irrite', » — Mémoires du chancelier Cheverny, t. X, p. 523, 524, collect.
m Michaud. « Ceux du parlement demeures à Paris.,, se resolcnrent pru-
M demment par inspiration divine de s*opposer avec courage à cesie
» entreprise... Après la remonstrance faicte par ledit président, le dit sieur
» du Mayne, pour response, se plaignit grandement & eux de Ta liront qu'il
a dlsoit lui avoir esté faict, de donner lel arrcst et de telle couM'qucucc,
■ sans luy en avoir auparavant communiqué. » — H. de Sismoiidi, t. xxi,
p, 196, et plusieurs historiens modernes, sont tombes dans l'erreur que
nous venons de réfuter, en suivant le témoignage d\in historien étranger
médiocrement informé des ailUires de notre pays, et celui d'un historien
français qui ne duuue que comme une coujcclure Taccord de Mayt'iiuc
et du parlement dans l'arrêt du 38 fuin. Le témoignage du dornier a
d*ailleurs mille fois moins de poids que celui de Villcruy, de Cheverny cl
de Sully réunie.
' Mém. de Marillac, t. Zl, p. 544 B, 545. «c Cesl arresl estant rousidcré
a donna grand estonnemeut a tous ceux de la faction, voyant celte C4>ni<
HODYBLLES INTRIGUES DE MAYENNE. 217
OÙ les esprits étaient troublés, les consciences et les résolu-
tions Incertaines, le parlement traça à la Ligue française ce
qu'elle avait à faire, lui donna pour règle de omduite poli-
tique un arrêt qui avait alors force de loi, et opposa cette
loi comme barrière aux efforts de l'usurpation qu'elle
démasqua et déconcerta. Le parlement rendit ainsi un im-
mense service au pays. « Cette action, dit Villeroy, fut d'au-
» tant plus louée que le péril était plus pressant : certaine-
B ment elle servit grandement, et il faut que je dise que le
» royaume en demeure obligé à la dite cour^ »
Ni Mayenne ni Philippe II ne se tinrent pour vaincus.
Revenus de leur première stupeur, ils cherchèrent à réparer
par des intrigues nouvelles l'échec qu'ils venaient d'essuyer,
rassemblèrent leurs forces et livrèrent un combat désespéré
tout à la fois aux politiques et à leurs propres rivaux dans la
Ligue. Ce fut leur suprême effort, et le dernier assaut sérieux
qu'essuya la cause nationale. Mayenne, poursuivant son pro-
jet de vaincre les répugnances de Philippe II h son égard à
force de défaites, et de l'amener à partager le trône avec lui,
usa de son ascendant dans les États pour infliger au roi ca-
tholique une nouvelle humiliation. Conformément à la der-
nière décision de la commission, il répondit le U juillet dans
une assemblée générale à la troisième proposition des Espa-
gnols : « Les États estiment qu'il serait non seulement hors
de propos, mais périlleux pour la religion et pour le royaume
de faûre élection et déclaration d'une royauté, dans un temps
où la Ligue est si peu fortifiée d'hommes et de moyens ^. »
A cette déclaration , Mayenne donnait pour commentaire
l'arrêt du parlement , et pour appui les succès du roi qui ,
sous les yeux des Espagnols, achevait la conquête de DreuK
par la prise du château et de la tour grise (3, 5 juillet).
Mayenne battait ainsi ses ennemis les uns par les autres. En
même temps, il entrait en négociation avec le jeune cardinal
de Bourbon, et lui envoyait un projet de traité à signer. Il
lui offrait de le faire reconnaître roi par les États, et lui pré-
sentait comme garantie de ses promesses Soissons et quelques
m mgni« opposée à lenr deisein, H croyant que les FranfftU se raogeroicot
• lort volontien à son opinion (du ]nitlenicnl). m
* Tilleroy, Apol. et dise, t. xi, p. SU8 B.
* Bcgistre du tiers, p. 301-304 ; du clergé, p. 559.
218 HISTOIRE DU RiGlfE DE HENRI IV.
autres places fortes, sous la condition que le cardinal passe-
rait à la Ligne avec ceux des seigneurs et des villes du tiers-
parti qu*il pourrait entraîner. 11 espérait faire mieux ses
affaires avec ce prince qu*avec les autres compétiteurs, c'est-
à-dire leurrer plus facilement sa faiblesse de promesses sans
effets au sujet de la royauté ; ou s'il était contraint de lui
tenir parole, du moins ne lui céder que la royauté nominale,
et conserver la souveraineté effective avec la lieutenance-géné-
rale. La défection du cardinal devait encore affaiblir le parti
du roi, porter le trouble dans ses affaires, lui enlever tous
les avantages obtenus depuis le commencement des confé-
rences de Surène jusqu'à l'arrêt du parlement Elle devait
enfin donner un concurrent redoutable pour la couronne au
candidat des Espagnols'.
Quatrième pro- Les ministres de Philippe II mirent leurs soins à déjouer
dea^^i^b. ^^^^ lutrigue de Mayenne et à regagner les États qu'ils
avaient remplis de mécontentement et de défiance, en reje-
tant la condition qui garantissait le partage de la couronne à
un prince français. Dans de nouvelles réunions où assistaient
le légat, les commissaires des trois chambres, les membres
du conseil d'État, les princes et principaux seigneurs de
la Ligue, ils proposèrent d'élire rois en commun et sur-le-
champ, et d^unir par un mariage, le duc de Guise et l'faifante
d'Espagne. L'élection du duc de Guise annulait la candida-
ture du cardinal de Bourbon : sa désignation nominative et
son élévation immédiate devaient convaincre les États que la
France aurait, selon leur vœo, un roi indigène. Il restait aux
Espagnols à désarmer l'opposition de Mayenne, à obtenir son
assentiment et son concours pour la nouvelle combinaison ,
qui l'excluait lui et son fils de la royauté, et qui ne lui laissait
même pas la lieutenance-générale. En échange de tout ou
partie de la souveraineté du pays, ils lui offrirent la souverai-
neté de plusieurs provinces détachées de la monarchie fran-
* ▼iilffOT, Apol. et due., t. zi, p. tOT A et B. — D*Aabignë, I. m,
e. 9i. p« 191. — SaUy, OBoom. roy., c. 41« p. 117 A. L« trois auteurs
tëmoignent des intrigues Uées entre Mayenne, le caixiinal de Bourbon et le
tiers-parti. Selon d*Aubignë, les négociations furent ponsse'es asses avant
E>ur que d*0, Vvp. des seigneurs du tiers-parti, ot&t dire nrès de Dreux à
enrl, qu'un roi serait élu en France dans huit jours, sUl ne prenait une
prompte et galaute résolution d*ouîr une messe. — Lestoile , sous le 4
înillet, p. 156 B, 156. — Mém. deGroolart, c. 4. t. xi, p. 550. — Thuanus,
I . cm, Is S, 6, t. T, p. 185, 190.
QUATRIÈME PROPOSITION DES ESPAGNOLS. 319
çaise et de la monarchie espagnole. Le duc de GuJse et Phi-
lippe n s'engageaient à lui abandonner en toute propriété la
Normandie, la Bourgogne, la Franche-Comté, la principauté
de Joinville, les villes de Sainl-Dizier et de Vitry : ils pro-
mettaient, en outre, d'assurer à son fils le gouvernement de
Champagne. Ces nouvelles propositions occupèrent et agitè-
rent le parti de la Ligue du 5 au 20 juillet Soutenues par le
légat, les prédicateurs, les Seize, adoptées avec enthousiasme
par ta lie du peuple et par la garnison espagnole, elles furent
même accueillies avec faveur dans les chambres et dans le
conseil d*État par beaucoup de ceux qui, jusqu'alors, s'étaient
montrés hostiles aux prétentions exclusives des Espagnols ;
ils se laissèrent séduire en faveur du jeune duc de Guise par
leur cntliousiasme pour le père et par Tidée que le pays au-
rait un roi français. Le duc de Guise fut salué roi par la
multitude, et vit tous les seigneurs de la Ligue, hormb trois,
abandonner son oncle pour se ranger autour de lui et loi
former une cour. Mayenne lui-même, soit qu'il craignit d'être
entraîné par le flot de la faveur populaire, soit qu'il fût séduit
par les offres magnifiques qu'on lui adressait, et qu'A écou-
tât plus la cupidité que l'ambition, donna un moment les
mains à la combinaison hispano-ligueuse. Les 9 et 10 juillet,
il signa avec un secrétaire d'État l'engagement de favorlsep
l'élection et le mariage du duc de Guise et de l'infante, sous
la condition qu'il recevrait satisfaction et assurance pour ce qui
concernait ses intéréLs particuliers. Seul des hommes d'État
du parti, depuis le départ de Villeroy, La Chastre combattit la
nouvelle proposition avec une inébranlable fermeté. Il sou-
tint qu'elle n'était qu'une rose des Espagnols pour obtenir
sur-le-champ une élection et une royauté de l'Infante ; que
quand elle serait faite, ils ne tiendraient leurs promesses ni
au duc de Guise, ni à Mayenne ; que liiilippe ne marierait
jamais sa fille qu'à un prince de la maison d'Autriche ; que
la facilité avec laquelle ses ministres avaient en quelques
jours changé au sujet de l'infante, de l'archiduc Ernest, du
duc de Guise, accusait de reste et le peu de sérieux qu'Us
avaient mis dans leurs propositions, et le peu de fonds qu'on
devait faire sur leur parole.
lies réflexions de La Cliastre et le mot divulgué des doc^ Ueombiiuiioii
leurs de Sorbonne au légat qu'il fallait hardiment tout pro- échoue.
Ii«triT«aT«cIe
parti royal
CMiç^ae par Ut
EtaUet
parMayenna.
Oppotitiun
320 HISTOIRE OU RÈGNE DE HENRI IV.
mettre à Mayenne, saaf ensuite à ne lui rien tenir, ramenèrent
Mayenne de l'entraînement et de la sécurité à la défiance :
bientôt le dépit de se voir préférer son neveu pour la royauté,
fortement entretenu et excité chez lui par sa femme et par
la duchesse de Montpensier, domina tous les antres senti-
ments, et il traversa dès lors, même avec passion, les ouver-
tures et les propositions des ministres espagnols. Dès le
20 juillet, la nouvelle combinaison avait échoué : le projet
d'élection, de royauté et de mariage du duc de Guise et de
rinfante, était évanoui comme tous les précédents. Quatre
Jours plus tard, Mayenne assembla les trois chambres des
Etats pour leur notifier ce résultat : il était déjà si connu,
et la combinaison tellement morte, qu'elle ne donna même
pas lieu à une discussion au sein de l'assemblée '•
Sorti pour un temps de son conflit avec les Espagnols au
sujet de la royauté, Mayenne se trouvait en présence des
exigences de la Ligue française et de la multitude, de leur
passion pour la paix, ou au moins pour une trêve, qu'il lui
fallait satisfaire, s'il voulait conjurer un soulèvement.
Dès le 20 juillet, époque à laquelle la proposition relative
à rinfante et au duc deGulsc fut décidément écartée, Mayenne
reprit le projet de la trêve avec le parti royal et le porta à la
commission des délégués des États et des chefs de la Ligue.
La commission adopta le principe, et la nouvelle d'une trêve
prochaine se répandit aussilôt dans l'aris. Le légat, fidèle
jusqu^au bout à l'intérêt espagnol , ne voyant plus jour h
donner le trône à l'Infante, s'eflbrça du moins de perpétuer
la guerre civile et l'afTaiblissement de la France. 11 publia
* Manntcrit T*, cittf en note do registre du Uer», p. 30T-309. — Maltliien,
Hiil.dr Henri IV, 1. 1, p. 143, Paru, 1631 : « Chacun commença de jeter les
m yens sur le duc de Guise, comme si desjà le roy d'Espagne Teust choisi
» pour geadra. Les choses passèrent si avaut, que j'ay en main nn cscrit de
» la main de Tarcheresque de Lyon, par lequel le duc de Mayenne promet
m a« duc de Gube, son neveu, de se foindre avec luy pour poursuivre Texë-
• cation de ct'sie proposition. » — Lettres de Henri IV, du li iuil)et« h Ga«
brielle. « L'on ne parle icy que de crsie royauté nouvelle. » 11 y a par
erreur dans les lettres missives, t. m, p. 819 : « l«*on ne parle iry quo
m de ceste beauté nouvelle. — > Avis donné au con«ril tenu & Paris. etCt
par Claude de La Chastre, dans PAppendice aux Ktats de 4595, u* Yii,
p. 729, 730. '- Regist. du clergé, p. ft.*>4-K56. ~ RegisL du tiers et de la
aokless«>, p. 517, 640. — Villeroy, Apol. et dise. t. xi, ii. 907 B, 9U8 A.
— Tliuanus, I. CVll, l. V. — P. Caycl, I. V, p. 49t B, 494. — Lestoile
«t son Suppl., p. IKS B, ISO. 165 B. 166. — Sout la date du tO )uillet, U y
a dans le supplément de Lestoile une erreur que les cahiers du tiers «
p. 310, 311, de la nohlesse, p. 659, 640, permettent de rectifier.
TRiVE AVEC LE ROI, ALLIANCE AVEC SES ENNEMIS. 221
ane déclaratloii , et annonça Tintention de quitter Paris, et
de se retirer à Soissons ou à Reims, si l'on passait outre à
la trêve. L'affaire fut portée aux chambres le 23 juillet. La
chambre du clergé opina pour que les députés, considérant
le légat comme le chef des États, le suivissent dans la ville
où fl chercherait un refuge , et continuassent à y tenir les
Étals. Cette proposition nltramontaine fut combattue avec
énergie et succès par le prévôt des marchands et par Le-
maistre. Ils établirent que les députés ne pouvaient consi-
dérer le pape et le légat pour leurs supérieurs que dans les
choses purement spirituelles ; dans les affaires d'État, Os ne
devaient reconnaître que le souverain magistrat représenté
par Mayenne, et ne prendre avis que de lui seul. Cette opi-
nion l'emporta dans la cliambre du tiers et dans celle de la
noblesse, et il fut décidé que les États resteraient et délibé-
reraient à Paris. Le 2i!i, ils agitèrent la question de la trêve :
la noblesse et le tiers la résolurent affîrmativement, toujours
en contradiction avec la chambre du clergé qui s'y opposa,
mais en vain. Quelques jours plus tard, Mayenne conclut la
trêve pour trois mois avec Henri, et la fit publier à Paris, le
1" août K
Ce traité n'était pour Mayenne qu'un répit et tm expé- iioar«U« «l-
dient : tout accommodement sérieux avec Henri et le parti iJjîlîSlîîgc
royal, toute mesure propre à donner la paix au pays, étaient 1m Bipagnob.
à mille lieues de sa pensée. La veille même du jour où il
traitait avec le roi. Il concluait contre le roi un nouveau pacte
avec les Espagnols, et préparait le renouvellement de la
guerre civile, il avait amené les ministres espagnols, battus
quatre fois par lui dans la poursuite de la couronne, à ajour-
ner leurs différends avec lui sur ce point poiu* s'associer à
ses complots contre Henri, et pour arrêter les progrès de ce
prince, leur commun ennemi. Le 23 juillet, ils se promirent
et jurèrent sur l'hostie, la croix et l'Évangile, en présence et
avec le concoiuv du légat , de ne pas faire actuellement de
royauté catholique, et de la différer à un temps plus oppor-
tun ; de maintenir inviolablement la Ligne et ce qui était con-
tenu sous ce nom, et de ne s'en départir jamais pour aucime
> lU|irtn du tien, p. 313^^19, 31S4R1. — Blanascrit T' dté dans 1«
r^gUlre du tiert , i la noie de la page 31tf . — > Regittre do la noUeuo.
p. 640-64t. . LestoUe, p. 159 B. ^ P. Cayot, 1. v, p. 4B94M)a
22à HISTOIRE DU RiGNE DE HENRI I?.
cause ; de ne jamais consentir de paix avec le roi de Navarre,
quelque acte de catholicisme qu'il fit ; de lever une forte armée,
composée de mUices françaises et de quatorze mille Espagnols,
laquelle serait soudoyée pendant quelque temps par le roi
d'Espagne ; de procéder à Télection d'un roi catholique dès que
les circonstances le permettraient, et à cet effet d'assurer la
continuation des États-généraux. Il était dit que le nouveau
pacte avait pour but de défendre la religion et d'extirper l'hé-
résie, grand prétexte dont on continuait jusqu'au bout à cou-
vrir tontes les ambitions et à légitimer toutes les fureurs K
Mayenne parvint à joindre le pape au roi catholique : il
attira le Saint-Siège dans la coalition par une concession
inouïe , dans une matière soumise depuis plusieurs mois à
la discussion des Êtats-généraux.
Examen par la Dès le 8 mars, la chambre du clergé, dont les sentiments
Chambre du j^^m^^ ^ |j| gocj^té poUtique et civilc du pays étaient encore
de la réception aulmés par Ics suggestions du légat et du cardinal Pelevé ,
dn concile de avait anuoucé au tiers-état la résolution qu'elle avait prise
Trente. d'accordcr la réception en France do concile de Trente. Le
tiers résolut de soumettre la question h une sérieuse délii)é-
radonavantde se décider. L'avocat du roi, d'Orléans, quoique
zélé ligueur, fit aussitôt des réserves en faveur des droits de
la couronne, des franchises et libertés de l'Église gallicane,
et s'en référa aux mémoires et instructions laissés par Cappel,
son prédécesseur. Une commission à la tête de laquelle se
trouvaient d'Orléans et Lemaistre fut nommée pour exa-
miner de nouveau les dispositions du concile et en faire un
rapport à la chambre (10 mars). Un mois plus lard, le tra-
vail fut terminé , et présenté aux députés du tiers par Le-
maistre et Du Vair (9 avril). L.es commissaires concluaient à
la non-acceptation et publication du concile dans le royaume,
parce qu'il contenait 23 articles contraires à l'autorité de la
couronne, à celle des parlements et des autres cours souve-
raines, au droit et aux maximes de France, aux libertés de
l'Église gallicane, aux décrets des conciles précédents, à la
liberté des opinions, qui, au lieu d'être contenues par le pou-
voir civil, tombaient sous l'inquisition des évèques. Le rap-
* Lettre de Moyenne an roi d^Eapagne, dam Cayet, 1. v, p« 49S A. —
VUleroj, Apol. et dise., t. », p. tlt, tIS. — Lestoile, Suppl., p. 17^
A, B, — Sttllj, OEcoo. roy., c. 43, 1. 1, p. It4 : il traite ce serment d*esé*
crabie.
LB CONCILE DK TRENTE REÇU EN PAANCE. 223
port des oommissairesf où le patriotisme se montre servi par
Ténidition, est un excellent trayail, utile à consulter en tout
temps : on le trouve consigné à la fin du livre cv de de Thou,
et dans le registre du tiers-état nouvellement publié,
La décision de cette grave affaire resta suspendue jusqu^au vote d«ni \m
temps où nous sommes parvenus. Mayenne voulait à tout |,^S^î£"d«
prix engager le pape dans la coalition, s'autoriser de son co&c&ie
nom, se servir de son appui et de ses secours » et pour les ***p,I^Me.'"
obtenir il sacrifia bontensement Tbonneur et les intérêts de
la France. Son parti dans les États s'unit au parti des Eélés
et à celui des ecclésiastiques : tous ensemble ils formèrent
une majorité, et les chambres votèrent le 30 juillet l'accepta-
tion pare et simple et l'observation dans le royaume du con-
cile de Trente. La Ligue française, vaincue après une longue
et mémorable résistance, fut réduite à une protestation <•
Mayenne, bien qu'il eût chagriné et aigri le légat dans la
question de la trêve, n'en avait pas moins, par l'acceptation
du concile de Trente , gagné le Saint-Siège. Il en acquit bien-
tôt la preuve. Dans une circonstance solennelle. Clément VIII,
ayant à se prononcer enUre le parti de Henri et celui de
Mayenne , fit éclater sa prédilection pour ce dernier. « Je
» tiens , dit-il , pour déserteurs de la religion et de la cou-
• ronne les catholiques qui ont suivi le parti du roi; ils ne
9 sont qu'enfants bâtards de la servante : ceux de la Ligue
• sont les vrais enfants légitimes , les vrais arc»-boutants, et
» même les vrais piliers de la religion catholique >• » Sur
cette déclaration, Mayenne put s'applaudir de ses ruses et de
ses complaisances pour le Saint-Siège. Dans la laveur du
pape, il balançait au moins Philippe II ; il n'avait plus à
crafaidre que, dans une circonstance donnée et décisive, le
pontife prononçât contre lui pour les Espagnols. 11 n'avait pas
non plus à redouter qu'il se laissât fléchir et qu'il mollit en
faveur de Henri, tout le temps du moms que la Ligue parta-
gerait encore la France et tiendrait la fortune incertaine.
11 ne restait plus à Mayenne qu'à placer les États de la
p
p
■ Registre du lien, p. T7, 78. 80, 14% ISS, SâS. — RtgUt. dn elergtf,
». SW, 400. — Thuanos, I. CT, S S* « t- V, p. SS^SM. — P. Cayel, l. T,
I. 500 B. « Le duc de Mayenne advisa de frira publier le concile de Trente
pour contcQler le pape* » * Letloilc, p. I6S B, p. iSO B, 17SBL
* DIacours de ce que fit M. de Ncven, dan* lei Mrfniiires, L 11, p. 414,
in-1bliob
224 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IT.
Ligue hors de la portée el de Tinfluence des Espagnols, dans
le cas où l'occasion favorable de Télection d'un roi calho-
lique viendrait à se présenter, et à les tenir en apparence
assemblés pour satisfaire à ses derniers engagements avec
les ministres de Philippe IL Sa poliUque cauteleuse résolut
ce problème. D^s le 17 juillet , au temps où il était le plus
sérieusement question de la royauté de l'infante et du duc
de Guise, il avait autorisé, si ce n'est provoqué, le départ de
Delavau-RabuUn , président de la chambre de la noblesse.
Chaque jour il se faisait presser par les trois chambres de
leur accorder leur congé après une session de sept mois ,
avec menace de le prendre, s'il ne le leur accordait pas. Le
2 août, il fut décidé que les États seraient non pas dissous,
mais prorogés ; qu'un député de chaque ordre cl de chaque
province resterait à Paris auprès de Mayenne , lequel pour-
voirait à leurs besoins ; que les députés qui obtiendraient un
congé s'engageraient à revenir à Paris au moment de l'expi-
ration de la trêve. Le 8 août, Mayenne leur fit prêter un ser-
ment qui contenait, outre la promesse du retour, l'engage-
ment de demeurer unis pour la défense de la religion, de ne
rien consentir à l'avantage de l'hérésie, d'obéir aux décrets
et ordonnances du Sakit-Slége en ce qui concernerait la reli-
gion : ce serment fut suivi de l'acceptation solennelle du
concile de Trente. Le lendemain, les députés quittèrent
Paris pour retourner dans leurs provinces, à l'exception de
ceux qui étaient convenus de demeurer auprès de Mayenne,
et de rester comme pierre d'attente pour la réunion d'une
nouvelle assemblée complète des États-généraux K
Ainsi tandis que Mayenne traitait avec Henri d'une trêve
dont il avait besoin, il formait en même temps une nouvelle
alliance contre ce prince avec les Espagnols et le pape. De
plus, il maintenait la Ligue par le serment qu'il tirait des
États, et dans la personne de leurs représentants il obligeait
les provinces à combattre comme hérétique le roi qui venait
d'abjurer, tant que le pape n'aurait pas approuvé sa conver-
sion ; car le serment prêté par les États avait réellement ce
sens et cette portée : or Mayenne et Philippe II tenaient en*
• RecUtn du ti«rt, p. 309, 310, 313, SfO, 34t.346; regist. de la no.
UetM, p. 630, 645,-«l6. «4S. ^ Mémoires de la Unie, t. y, p. 409-411.
-. UttoU«, Suppl., p. 179, 173. • P. Cajet, 1. ▼, p. 600 B, SOI, 00t.
SITUATION DE MAYENNE. 225
chaînée la volonté du pape. Telles étaient les conséquences
des derniers actes et des dernièi'es intrigues de Mayenne.
«Quant au résultat général de la campagne politique quMl
achevait en ce moment, il semblait Tavoir rendu pleinement
favorable à ses intérêts. En effet , il gardait la lieutenance-
générale , c'est-à-dire la souveraineté de la moitié de la
France : il avait prouvé, dans une longue session des États-
généraux, que ni TEspagne, ni aucun autre parti ne pouvait
la lui ravir , sans lui offrir en échange la royauté au moins
partagée : il avait tout combiné pour que la nation ne vit la
fin de SOS maux et de la guerre civile, qu^après avoir con-
tenté son ambition sur ce point capital : il ne lui laissait ,
autant qu'il était en lui , d'autre alternative que de périr on
de le faire roi. C'était là que tendaient cette politique à la
Médicis, ces perfidies innombrables et croisées, qui lui fai-
saient donner par le légat la qualification du plus grand
trompeur et du fourbe le plus assuré de son temps K
Mais à cet édifice de puissance, élevé par la ruse, il man-
quait une base solide : pendant les sept mois qui venaient de
s'écouler, Mayenne n'avait pu se donner l'autorité et la force
matérielle nécessaires pour retenir et contraindre les peuples.
Une voie sûre s'ouvrait devant eux pour se tirer de l'abîme :
c'était que la Ligue se jetât entre les bras de Henri, et par
cet acte de bon sens déjouât les calculs et les machinations
de Mayenne. L'entreprise sans doute était ardue et difficile,
il s'agissait à la fois pour les villes de la Ligue d'abjurer
l'obéissance à Mayenne , de s'insurger contre leurs gouver-
neurs ou de les entraîner, de vaincre les partisans et les
garnisons de l'Espagne, de méconnaître les ordres du Saint-
Siège s'immisçant dans les affaires temporelles , et par con-
séquent de changer autant d'opinion que de conduite, et de
passer du parti des zélés dans celui des politiques. Un grand
effort de la raison publique, un mouvement national étaient
donc nécessaires. Mais s'ils éclataient , Mayenne n'avait ni
armée ni pouvoir suffisants pour les maîtriser et pour résis-
ter au choc
Nous en avons fini avec ce grand artisan d'intrigues : depois
ce moment, s'il occupe encore la scène, il n'y joue plus qoe
* Voyet Vhkoncé dea l«ttret du Irgat aa pape dam VUleroy, ApoL •!
dise., p. Mi B.
15
926 HISTOIRE pu BÈGNE DE HENRI IV.
Apprëcbtion le seçQDd rôle. Av^nt 0e reporter noti*^ attention vers Hepri
**• *' ^^^^^ et ver^ le parti royal, il faut jeter un dernier coup d'œil sur
ÈtMi%^énénmx. fes ^tats-généra^x de i503, et juger les actes et la conduite
de i68.\. ^g ^^^ assemblée qui, sept ipois durant, avait tenu entre ses
m^ins les destinées du pays. îje devoif strict des États, au
œo^ient de leuf réunion, était de mettre un terme à \^ guerre
civile, et après avoir délivré la nation de ce fléau, de réunir
et de concentrer ses forces pour sauver son indépendance
mefiacée, dans Tordre purement politique, par le roi d'Es-
pagne, dans Tordre politique c( religieqx, par le pape. Les
Ë|ats avaient deux moyens de pacifier le pays : ou bien de
reconnaître Henri et de mettre à ses pieds tous les partis et
toutes les ambitions particMliërcs, après avoir tiré de lui les
garanties suffisantes pour le maintien du catholicisme ; ou
bi^n de d<>i^ner à la Ligue i^q roi, saps lequel elle ne pouvait
s^ sqpt^nU* d'une manière durable , comme Villeroy et tous
les hommes politiques le recounaissaienf dès 1592 ; de re*
lever et de fortifier ce parti de telle sorte qu'il pût venir à
hput d^ Henfi, établir dans le p«iys iin seul souverain et une
seule loi.
Ce devoir, les É;ats le trahirent bontcuseipen^ En se se-
p^r^nt » ils Pe laissèrent h la France , au lieu de la paix ,
qu'une trêve précaire de trois mois, 9U dpl^ de laquelle pn
entrevoyait |e renouvellement de la guerre ciyile avec foutes
«es (lorreurs. Çu effet, aucun roi n'avait été nommé : M^yenpe
et (lenri restaient aux prises avec leur titre et leur pouvoir
précédents, avec les mêmes prétentions et les qi^lilPS forces.
Kon seulement la porte restait ouverte à l'anarchie par cet
epdroit, mais les États lui avaient donné accès dans Iq société
par plusieurs côtés npuveaux. Leur fameuse d^cisiou du
30 juin, eu proclamant le principe de l'élection, sans le res-
treindre et sans l'appliquer immédiatement, p'attepUit i|ux
drqiis de lienri, le prince vraiment u^MPP^I* que pour établir
une déplorable concurrence entre les usurpations de Mayeunf ,
du duc de (iuiseet de Philippe U : c'était doubler les prin-
cipes de troubles et de dissolution. Les États n'avaieut pas
mieux réglé les rapports de l'État avec l'Église. En acceptant
te concile de Trente, malgré Tavis de leurs propres commis-
saires, ils avaient sciemment livré au Saint-Siège les libertés
gallicanes, et abandonné au pape, non pas conanie chef ^e
APPRECIATION DES ÉTATS DB tA U^VE, 227
i^IslgUse, mais comme prince étranger, une partie importante
de la souveraineté nationale.
L'immoralité de cette assemblée égale, si elle ne surpasse
son incapacité politique. De Paveu des historiens des deux
partis ^ l'immense majorité des députés était arrivée à l^ris
avec le projet arrêté d'appeler au trône un prince espagnol,
de livrer la France à l'étranger. Plus tard la majorité passa
de Philippe II à. Mayenne, et alors elle rejeta les propositions
successives faites par les ministres espagnols pour la royauté
exclusive de Tinfantc et de la maison d'Autriche. A ce propos,
on s'est récrié de nos joui*s sur le patriotisme et le courage de
rassemblée. 11 nous semble qu'elle a mérité cet éloge ù bon mar-
ché, p'abord si elle cessa de favoriser la poursuite exclusive de
l'iufante et d'un prince autriclûen, c'est qu'elle ne trouva ni
son compte dans les libéralités de l'hillppe, ni une protection
suffisante contre le ressentiment de Mayenne et des politl-
ques à la fois, dans les armées du roi catholique, qui, sous
la conduite de Mansfeld , n'osèrent dépasser la frontière de
l^jcardie. £n second lieu, par le vote du 20 juin, et par les
pouvoirs confiés à ses commissaires, elle ouvrit l'élection au
profit de la royaqté partagée de l'infante, et si elle ne livra pas
a une étrangère la moitié de la souveraineté du pays, c'est uni-
quement parce que les mésintelligences de Mayenne et de Phi-
lippe II, c'est parce que les progrès de Henri, tous faits indé-
pendants des résolutions de l'assemblée, frappèrent son vote
d'un ajournement qui devint plus tard une nullité. Il faut
n'avoir ni compris le sens de cette résolution, ni aperçu les
conséquences qu'elle devait entraîner, pour faire aux États
de la Ligue honneur de leur conduite : loin d'avoir défendu
l'indépendance nationale, ils y aUentèrcnt.
Leur conduite morale offre au bhlme plus de prise encore
que leur conduite politique. Selon la coutume de ces temps.
Us étaient payés par leurs provinces au prix, les uns de li écus
ou V2 livres, les autres au prix de '6 écus un tiers ou lu li-
vres du temps, pour chaque jour de leur législat^re '. pre*
' Voye* ci -dessus, pnges ISI , t67.
* Lettres pitonles di* Mujenne pour faire payer U taie de n d^pntutioD
à Oudel Soiet, k^uo des d«rpules de Ih Normandie. — Appendice aux Etals,
p. ti7U. M Mandons et ordonnons que vous aye> à fuire le département de l«i
n homme eu laquello se trouvera monter et revenir les frais dnrani le dict
M temps dudictToyage, ù commencer du 19* jour de |auvier dernier {uMiue*
228 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
nons rindemnité la moins forte , celle de 10 livres. La li?re
du temps éqoiTalant à 3 francs 66 centimes d'aujourd^hni,
chaque député recevait 36 francs 60 centimes pour chaque
Jour de session aux États. C'était certes un salaire plus que
sufBsant pour couvrir toutes leurs dépenses pendant leur sé-
jour à Paris. En supposant que l'argent leur manquât à la
fin de la session, leur ressource devait être un emprunt sans
danger pour eux, puisqu'ils étaient sûrs d'être remboursés à
leur retour par le pays qui les avait députés. Leurs commet-
tants, comme on le voit, ne mettaient pas leur désintéresse-
ment à une trop rude épreuve. Cependant elle passa leurs
forces. Dès le mois de juin, ils entrèrent à la solde de l'Es-
pagne, lis reçurent pour les mois de juin et de Juillet
8,000 écus (2/1,000 livres) ; pour le mois d'août 6,000 écus
(18,000 livres); pour le mois de septembre 5,000 écus
(15,000 livres) ; pour le mois d'octobre 5,068 écus (15,lii2i li-
vres). Ils savaient , et leurs registres portent qu'ils savaient
que cet argent était fourni par le duc de Féria. Il est vrai
qu'ils annonçaient la prétention de recevoir ces sommes non
de Philippe H, mais de Mayenne. L'excuse est si misérable,
que ceux d'entre eux qui avaient conservé quelque sentiment
d'honneur refusaient, comme nous l'avons vu, de toucher à
cet argent de crainte d'en être souillés, et qu'ils l'envoyaient
aux hôpitaux de Paris ^ Us reçurent donc, outre le salaire
de leurs provinces, une haute paie de l'Espagne, qui trou-
vait son argent bien placé , et avec raison. En effet , si les
États, prenant le mot d'ordre de Mayenne, refusèrent à Phi-
lippe II et à sa fille la totalité du pouvoir souverain, ils les
appelèrent au partage du trône, et par le principe de l'élec-
tion donnèrent un nouvel et actif aliment à la guerre civile.
Or après l'usurpation de la France, le grand but de Philippe
» An four de ion retour, à raiion de trois escn« un tiers pour chacun jour,
» et ce sur tous les snbiects contribuables aux tailles d'icelle eslectiou. »-.
Ballly, Hist. fin., t. il, pages ôOO, SOI.
' Registres du tiers-éut, p. S49, S9I. 353, 354, 361, 565, ri6S, 373, 374.
^ A la date du 6 décembre 1595, on trouve une dispute dégoûtanta entre
les chambres au sujet du parta.ge de l'argent espagnol. Le clergé, qui a
trente membres présents aux Etals, veut aToir la plus grosse part. Le
tiers-état entend avoir part égale, c'est-à-dire 2,000 écus. m MM. Bourgoing
M et Langlois ont esté envoyés dire h M. d^Amient, i cause que la chambre
» du clergé estoil levée, ffue nons tomme* fermes h deux miile escus^
m et protester à défaut de les ItuiUer, que la chambre n*entren»it plus. »
(Registre du tiers, p. 374.)
DERNIÈRES IMTRI(;(J£S DU TIERS-PARTI. 229
était son affaiblissement, sa décadence, au moyen des trou-
bles , et le vote des États servait merveilleusement ce projet'.
Ce n'est pas seulement la Ménippée , la satire contempo-
raine, c*est Tbistoire entière du temps, ce sont leurs actes
surtout, qui accusent et condamnent les États de 1593* La
critique moderne a fait appel de ce jugement ; mais à un
nouvel et sérieux examen du procès, le bon sens public, la
conscience publique, confirmeront la sentence et repousse-
ront la réhabilitation demandée : Tincapacité politique, sala-
riée par rétranger, n'obtiendra pas amnistie. Les États de la
Ligne eurent une honorable minorité dont nous nous sommes
plu à proclamer en toute circonstance les lumières et le cou-
rage, mais ce serait fausser rhistoire que de prendre les
actes de cette minorité et de les reverser sur la majorité pour
la blanchir aux yeux de la postérité.
Nous n'avons pas encore épuisé la longue et triste énumé- i^rDièrminUi-
ration de toutes les tentatives faites par les passions égoïstes, ui^f^ru ;
par les ambitions coupables, pour se satisfaire an détriment '•«^«•«3» w^
des grands intérêts et même du salut du pays. Le parti
royal fournit un supplément aux intrigues et aux excès de
la Ligue.
Henri avait fixé le milieu du mois de juillet comme l'époque
où il devait acx:ompIir la promesse d'abjurer faite par lui au
mois d'avril. A l'approche de cet acte décisif, qui devait à la
lois lui gagner les catholiques sincères de la Ligue et réduire
& néant le tiers-parti, cette faction essaya une dernière ten-
tative pour lui arracher d'abord le sceptre, ensuite des con-
ditions iniques contre les calvinistes et ruineuses pour l'au-
torité royale. A la fin du mois de juin et dans les premiers
jours de juillet, le cardinal de Bourbon accueillit les propo-
sitions d'un traité mis en avant par Mayenne et tendant à
faire reconnaître le cardinal pour roi par la Ligue et par les
seigneurs et les villes du tiers-parti. Henri fut informé par
d'O , en termes grossiers , des intrigues dirigées contre lui,
• SttUj, OEcou. rojM c. 39. p. III B. . U roy d'EtpagiM voulolt m
m uot cas maintenir les divitiona rommenc^ea, par les dWenea ^apérancea
» qu 11 donaei oit i chascan dea chcfc, afin que ne pouvant avoir la France
» pour Iny, il easayasl d'en faire autant de paris qu'il y a voit de préten-
» danl^ suivant l'ancien désir de l'euiperenr Charlet-QuinU »
230 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
pendant qtt*il était arrêté au siège du château et de la tour
grise de Dreux : d*0 lui dit quMl s'agissait pour lui de re-
noncer à la couronne ou de prendre la résolution d'ouïr ga-
lamment une messe dans les huit jours. En cédant , le roi
aurait échappé à un danger très réel du moment ; mais il
aurait eu la honte d'abjurer par nécessité et sur Tordre de
ses ennemis. Il pensa que les vues et les brigues sans cesse
ciiangeantcs des Espagnols, de Mayenne, du cardinal, pour-
raient se combattre et se neutraliser les unes par les autres ;
que leur manque de forces suffisantes pour soutenir TélecUoD
en diminuait le péril ; que Teflet de sa conversion serait tout
difTérent, tout autrement puissant sur l'esprit du peuple si son
abjuration était volontaire, et s'il l'ajournait au temps où la
Ligue et le tiers-parti seraient convaincus d'impuissance dans
tontes leurs tentatives pour faire un roi. L'événement jus-
tifia sa fermeté et ses prévisions. A la suite des nouvelles pro-
positions que les Espagnols mirent en avant le A juillet,
Mayenne rompit les ouvertures faites au cardinal de Bourbon.
La santé de ce prince , déjà atteinte , s'altéra profondément
par le désespoir de l'ambition trompée : au milieu du dépé-
rissement de ses forces, il devint incapable de montrer autre
chose qu'une mauvaise volonté Inutile. Dans la ville de Mantes,
où les seigneurs et les députés des parlements royalistes se
rendaient avant de passer à Saint-Denis, le cardinal s'abou-
chait avec les serviteurs de Henri et tentait de leur prouver
que le roi n'était pas recevabic par i'Église, et que sa con-
version était impossible. A cette attaque du chef du tiers-
parti succédèrent celles des seigneurs de la faction, ils es-
sayèrent de tirer de Henri l'engagement qu'il exclurait les
huguenots de toutes les charges et de tous les honneurs pour
les réserver exclusivement aux catholiques : renouvelant ime
dernière fois un ancien projet, ils tentèrent encore de lui
arracher l'hérédité de leurs gouvernements (16-21 juillet).
Par la pnidence de sa conduite, il échappa à leurs demandes
et à leurs poursuites sans les jeter dans une rupture ^ 11 ob-
tint d'eux un délai : dans l'intervalle, il sut gagner la masse
* Vitlet oy, Aptil. et dUc, t. xi, p. fOT A, B. — Thuaiius. 1. C7II, % 3.
l. ▼, p. tt3. — D^Aul)ign<*, 1. m» c. îf, !. m, p. 291. S!)5. — GroiUart ,
c. 4, t. XI, p. S59 B. — Lftlre Ar Uiipli>«sti & Laharthe, âO iuillet tSa*^,
t. ▼, p. SU), SOI. « J'ai lettres rlu 16 et du tt de la cour... On prcssoit le
m roj d'exclure cculx de la rcUigion de loutes les charges et noDueurs :
AfiJDRATibN bu ROI. 231
de la dation, et qttand il Teiit pour lUl, il l'Opposa ilctoHcii-
scment à l'aristocratie.
Tandis que les ambitions rivales de Philippe II, de
Mayenne, du jeune atrdinal de Bourbon, se perdaient dans
ces intrigues qui ne pouvaient aboutir, Henri, par des actes
Trancs et décisirs, ralliait à lui presqtie toutes les classes de
la nation et préparait d'une manière sOre rétablissement de
son pouvoir sur la ruine des diverses factions. Ses sujets ca-
tholiques désiraient , et les ligueurs français exigeaient sa
réunion à TÊglise. Les uns et les autres demandaient à grands
cris la fln de la guerre et le soulagement des intolérables
calamités qu'elle entraînait après elle ; la répression des
tyrans locaux , qui s'étaient établis partout au milieu de
l'anarchie ; l'union des partis contre l'Espagnol qlii menaçait
l'indépendance nationale.
Henri satisfît à toutes ces exigences. Les prélats qtl'll avait Auembiée
convoqués pour le mois de juillet se trouv^^ent réunis lé "iî^M *"
2i de ce mois à Saint-Denis : on tonlptait i>anbi eux l'ar- •. Saim-DcnU :
chevèque de Bourges, neuf évêqiles, treize membres du Abiurmiioa
moyen et du bas clergé, et tout le chapitre de Saint-Denis.
Ces ecclésiastiques, animés de l'esprit de l'Évangile et fidèles
aux maximes gallicanes, continuèrent dignement l'œuvre de
l'assemblée de Chartres. Les prélats de Chartres avaietit enn-
pèché que les excommunications d'un pape dévoué &
l'Espagne ne détachassent les catholiques royaux de l'obéis-
sance du roi et ne perdissent le parti français. Le clergé,
réunie Saint-Denis, donna aussi les moyens de se réconcilier
avec l'Église, moyens que lui refusait tm autrt» pape circon-
venu par le roi catholique et par la Ligue : les sages résolu-
tlons de ces ecclésiastiques amenèrent ainsi M soumission au
roi de la masse de ses sujets, la réunion des partis au mo-
ment où elle était une condition de salut pour la nation : la
nation leur doit une étemelle reconnaissance. Le 21 juillet,
ils décidèrent que les évéques français avaient le droit d'ab-
soudre le roi sans l'intervention immédiate du pape ; qtie le
roi n'était tenu à l'égard du Salni-Siége qu'à faire des soii-
» D'il oe •> opp«aolt. J^uiirois & vous diic un autre monopole i'i-fte«siis,
• ffui a t%\v (Usrouvert par m tnajrtlr, de rrndre tonis les gouvernements
m he'réditaires : ce Mra pour le Uir« mourir trois ioura après, m
du TVU
23S HISTOIRE BU RÈGNE DE HENRI IV.
missions et à demander la ratification de son absolution. Le
23 juillet, dans une conférence de cinq heures, le roi reçut
i*instruction des prélats et des docteurs sur tous les points où
sa croyance différait de celle de Tf^glise. Le 25, il fit abjura-
tion publique du calvinisme dans Téglise de Saint-Denis, et
reçut Fabsolution de Tarchevèque de Bourges et de tous les
prélats qui avaient assisté aux conférences. Les habitants de
Paris se portèrent à Saint-Denis, même sans passe-port, et ils
assistèrent en plus grand nombre que les royaux eux-mêmes
à Tabjuratlon du roi K Cette circonstance indiquait assez, et
rimportance qu'ils attachaient à un pareil acte, et la nature
des sentiments dont ils étalent désormais animés envers lui.
u roi cootraiot Pour achever de les gagner, Henri n'avait qu'à s'efforcer de
àï^uî"! mettre un à ime guerre où chaque jour les peuples s'appro-
chaient d'un pas de plus vers une ruine entière et vers le joug
espagnol : cette recommandation auprès d'eux ne lui manqua
pas. Depuis sept mois, il offrait à Mayenne de suspendre les
hostilités et de composer leurs différends par un traité.
Gomme le lieutenant-général n'avait accueilli ses ouvertures
que par des tergiversations, il s'était mis en devoir de l'y
contraindre par la force des armes et il avait pris Dreux.
Bientôt après, voyant la Ligue et l'Espagne agiter la royauté
du duc de Guise et de l'infante, il avait rompu l'armistice
conclu pour I^ris et pour les environs, ordonné à ses garni-
sons de recommencer leurs courses, d'arrêter les provisions,
et de menacer la capitale d'un blocus nouveau et plus étroit
(12, 13, 1/i juillet). Contraint par la nécessité et par la pro-
fonde irritation qui se manifesta alors dans la population de
Paris, Mayenne consentit la trêve de trois mots, qui fut signée
le 31 juillet Durant cette trêve, les négociateurs des deux
partis devaient travailler aux conditions de la paix, et ceux de
Henri s'y employèrent énergiquement \ Le désir le plus ar-
dent des peuples était la fin des hostilités : Henri eut tout
* Procès-Terhal des ccrémoaiet de rub)ttration du roY. — Discours des
et^rëmouies observées à la couTersioa de Henri, roy de Navarre, duos
rHistoirc de Toulouse, par Lafaille, t. u, p. 89 el suivantes, et duns les
Mémoires de la Ligue, U ▼, p. 38.V387. — P. Cayet, t. Y, p. 495-497. >
Tboanos. 1. CVii, $$ ti^, t. Y, p. 990-S95, p€usim.
* Manuscrit T', cité par fragmeals dans le regblie du tiers, p. 30't, 510.
— Le texte de la trêve dans le regist. du tiers, p. 5S7-33I. — P. Cajet,
L V, p. 496.500.
LE ROI RALLIE A LUI LA MAJORITÉ DE LA NATION. 233
rhonneiir de les avoir suspendues et tout le mérite d*avoir
cherché à les terminer.
il avait satisfait aux deux grands vœux de la masse de la l« matoihé
nation en se faisant catholique, et en donnant relâche à la *" g. iJT^
misère publique. Dès lors, Topinion fut pour lui et la majo-
rité nationale passa de son côté. Cette majorité se composait
des politiques parmi les catholiques et les huguenots, hom-
mes supérieurs à leur temps, qui séparaient la religion du
gouvernement et reconnaissaient Henri pour roi légitime ,
quelle que fût sa croyance : Rosny fut le représentant des
politiques parmi les huguenots. La majorité se composa en-
core du tiers-parti, qui tenant pour les droits de la maison
de Bourbon contre les Guises et les Espagnols, se trouvait
fatalement amené à obéir à Henri, dès quMl n'avait plus
conUre lui Tobjection de son hérésie. Enfin, la dernière et la
plus considérable partie de la majorité était la Ligue fran-
çaise, qui n'était également séparée de lui que par la religion,
et qu'il venait d'attirer par son abjuration. Entre les ligueurs
français, les plus difticiles purent bien attendre son sacre et
son absolution par le pape,conune complément indispensable
pour eux de son catholicisme ; mais la masse se soumit à lui
de cœur et d'intention aussitôt après qu'il fut réconcilié ù
l'Ëglise par les prélats français. Les peuples, potur abandon-
ner le parti de l'Union, n'attendirent plus, les uns que la lin
de la trêve, les autres qu'une occasion favorable. Ces dispo-
sitions étaient celles de l*aris et de beaucoup d'autres villes.
Dès que Henri obtint la majorité nationale, il eut cause ga-
gnée : dans l'appui que lui donnait cette majorité, il devait
trouver et il trouva la force nécessaire pour vaincre toutes
les factions et les mettre à ses pieds.
lilVKE IV.
DE L*ABJURATIOfl DU ROI A LA DÉCLARATION DE GUEllRE
A L'ESPAGNE (JDILLET 1593-JANVIER 1595).
CHAPITRE r.
La Mcuippée. Allentat de Barriire. Premières defeclionii dans la Ligue,
durant la trêve. Révolle de Lyon. Derniers eflbrU des liRUKurs fraufaU
auprès de Mayenne. Soumission de Vitry et de Meaax (1S93).
Nous sommes arrivés au moment de ta dissolution dis la
Li^e. Nous alions voir les gouverneurs, dans certaines loca-
lilés, entratrier les villes et les provinces où ils comman-
dent ; dans d'autres, au contraire, les villes et les provinces
se décider contre les intentions et les efTorts contraires des
gouverneurs; mais toutes les fractions de l'Union passer
successivement au parti du roi et s'y fondre. Les causes
principales de la révolution royaliste furent d'abord celles que
nous venons de signaler, la conversion de Ileilri et ses efforts
pour donner la paix ait pays; la supériorité actuelle et incon-
testable de ses forces sur celles de Mayenne et de Philippe 11,
lui seul conservant pour le moment une armée à sa disposition ;
ses derniers succès à la guerre ; la haine invétérée de la na-
tion pour la domination espagnole, et le besoin immense
qu'elle éprouvait de mettre fln aux désastres de la guerre et
à ses souffrances ; le ressentiment que nourrissaient beaucoup
de populations de la Ligue contre la tyrannie de leurs gou-
verneurs; la mésintelligence et les querelles violentes de
plusieurs de ces gouverneurs entre eux. Los causes secon-
daires furent la publication et l'influence de divers écrits des
Politiques qid séparèrent habilement la religion de la politique,
mêlées ensemble par l'adresse des Guises et du roi catho-
lique ; firent touclier au doigt leurs ruses cachées et Icuram-
LA UÉMlPPÈ^é ATTKNTAT DE BARRIÈRE. 235
bition; ramenèrent les esprits de Texaltation religieuse à la
raison et au sentiment des dangers publics. De tous ces écrits,
le plus célèbre est la iSatire Ménippée^ immortel pamphlet
qui couvrit la Ligue de ridicule et d'odieux à la fois. C'était
plus de la moitié de ce qui était nécessaire pour faire un tort
irréparable à la Ligue, car en France un parti atteint par le
ridicule est un parti à demi mort. Malgré les assertions con-
traires de plusieui's critiques modernes, il est certain que la
première partie de la Ménippée, composée par Louis Leroi,
« prêtre normand, homme de probité, ennemi des factions,
ft et qui a voit été aumônier du jeune cardinal de Bourbon, »
fut publiée non-seulement dans le com's de Tannée 1593,
mais même peu de temps après Touverture des États de la
Ligue. Tel est le témoignage du contemporain de Tbou. La
Ménippée, telle que nous la possédons aujourd'hui, se com-
pose, outre la première partie, celle de Leroi, d'une seconde
partie, la plus considérable de beaucoup, qui fut l'œuvre
collective de Pierre i^tliou, de Gillot, de Hapin, de FI. Chré-
tien, de Passerat. ^ous établirons plus tard sur des preuves
irrécusables, tirées du livre lui-même, que cette seconde
partie, moins quelques courts passages, ajoutés après coup,
fut composée avant l'abjuration du roi, c'est-à-dire avant le
^5 juillet 1593 ; qu'elle fut dès lors répandue par la voie des
manuscrits multipliés, ainsi que t)eaucoup d'autres rcrlls de
ce temps ; que bien que la publication par voie d'impression
n'ait eu lieu que dans les premiers mois de l'année 1594, la
publication restreinte, par la voie des manuscrits, exerça une
influence marquée sur les esprits et sur la situation dès le
milieu de l'année 1593 ^ On a dit avec raison que cette sa-
tire ne fut guère moins utile à Henri IV que la bataille d'ivry.
C'est un nouveau service d'un nouveau genre que le parti
politique rendit au roi et à la France.
Les Seize et la Ugue espagnole suivaient avec attention et Aiteotat
Inquiétude les dispositions nouveUes qui se manifestaient de d« Barrière.
toutes parts, et ils en prévoyaient les résultats, ils essayèrent
de les conjurer par une première tentative d'assassinat contre
Henri. Pendant la durée de la trêve, plusieurs ecclésiastiques
affiliés aux Seize, un capucin, un carme et deux prêtres à Lyon,
le curé Aubry et le recteur du collège des jésuites, Varade, à
Paris, persuadèrent à l'aventurier Barrière, en lui promettant
le paradis et hi félicité étemelle, de tuer le roi d^un coup de
* ThMDW, 1. cv, s 1S« t. V, p. t34, S35. — Vojem, au second volame éi
cetle Histoire, le chapitre de U Litléralare.
!• 15*
PreBtièr«t
défections dnns
la Ligop :
fioisrusé
h Fécamp,
Balagnj
à Cambrai.
Bëvolte
lia Ljun,
236 HISTOIRE DO RÈGNK OB HERRI IV.
couteau. Barrière, dénoncé par le dominicain Bianclil, quMl
avait consulté pendant son séjour à Lyon, fut arrêté le 27 août
1593 à Melun, où il avait suivi le roi, convaincu de son crime
sur des preuves irrécusables et sur ses propres aveux, et livré
quelques jours après au bourreau ^ Le meurtre comme
moyen politique ayant échoué, les événements furent rendus
à leur cours naturel et marchèrent rapidement.
Les querelles des gouverneurs de TUnion entre eux et avec
Philippe il amenèrent les premières défections dans la Ligue
peu après la conversion du roi. Boisrosé craignait de se voir
enlever Kécamp et LUlebonne parVillars, gouverneur de
Rouen : il fit sa soumission au roi dès les premiers jours
d'août et lui livra ses deux villes pour en garder le com-
mandement \ Balagny avait usurpé la souveraineté de Cam-
brai après la mort du duc d'Anjou, il se voyait à la fois
menacé par le propriétaire légitime, et par Philippe H qui
convoitait Cambrai : il craignait d'être ou mal défendu ou
même trahi par Mayenne. Au milieu de ces dangers, il cher-
cha un protecteur dans Henri, le reconnut pour suzerain, et
abandonna la Ligue, à laquelle il avait jusqu'alors adliéré,
par le traité conclu avec le roi le 19 novembre 1593 '.
Le duc de Nemours, frère utérin du duc de Mayenne, et
cependant son ennemi déclaré, depuis que le lieutenant géné-
ral avait traversé ses prétentions à la couronne de France,
projetait de séparer Lyon et le Lyonnais du corps de la mo-
narchie, et de transformer son gouvernement en une princi-
pauté indépendante ou même eu un nouveau royaume de
Bourgogne. Il avait aigri les habitants par son orgueil, ses
' Briefdisc. du procès rriminrl fuit i Rarrièie, et extrait des registres du
parirmcni, dans les ArcliÎT^s curieuses, t. xiii, p. 566-368. 389, 390. On
lit uux pages 367 à In Tin. et 368 : « Ledit Hariière ayant déclaré audit curé
M (Aubrj) son iulenlion et résolution t|u'il avoU de tuer le roy, ledit curé
j* l'asscura ou* ce scroit bien ftiit, et gagoeroit une grande gloire en paradis :
m celte parole le conTirma et incita tort K continuer sa résolution... Ledit
a curé lut dit riu^il fallait aller wert un jésuite «|u'il lai nomma lors (Va-
H rade), pour 1 advertir de cette volonté et résolutiun qu^il avoit de tuar le
M Toy... L^uyunt trouvé, il lui découvrit sa mauvaise volonté et intention,
M que ledit jésuite loua, lui disant qu« c^ëtoit une l>«lle chose, avec autres
«propos sembltfbles; l'exhorta d*avoir bon couru gr, d^eMre constant, et
m f|uM1 se falloit bien confesser et faire ses pasques. Et npris l'avoir excité
a de continuer, et assuré qu'il gagnerait paradis, ledit jéiuite lui bailla sa
m bénédiction, disant qu^il eust bon courage, qu'il priast bien Dieu, et Dieu
a l'astisteroit en son entreprise. » — Tout cela est confirmé par P. Cayel,
I. V, p. 805-6(n, et par de Thon, 1. CVII, t. Xli. p. 80 de la traduction, édi-
tion i7<>l, in>4e.
* Snlly, OEcun. roy., c.44, p. ItS A. 136 A. — Mém. de madame Du-
plessis, 1. 1, p.MS. — P. Cajet, 1. v, p. 5i4 A.
• P. favtt, 1. V, p. 8t« A. — Thuanus, L CXI, $ 6, t. V, p. 4*7. 4».
!■* DiPECTIONS DANS LA LIGVB. EFFETS DE LA TRÈYE. 237
violences, l^éléTation et la rigueur des impôts, et il se prépa*
rait à établir son despotisme en concentrant des troupes
nombreuses à Lyon et en y bâtissant des citadelles. D'EspInac,
archevêque de la ville et Tun des deux agents principaux
de Mayenne, retourna à Lyon après la prorogation des États
de la Ligue, se mit en rapport avec la boivgeoisie et la sou-
leva contre Nemours. Le 18 septembre , les habitants éle-
vèrent des barricades ; le lendemahi, ils firent prisonniers leur
gouverneur Nemours avec ses conseillers et ses gentils-
hommes, et les enfermèrent à Pierre-Encise. Ils élurent
ensuite pour gouverneur leur arclievèque d^Espinac, protes-
tant ne vouloir se départir ni de la Ligue ni de Tobélssance
au lieutenant général *. Mayenne ne vit d'abord dans ce mou-
vement populaire que le rétablissement de son autorité, et
sVn applaudit Mais il y avait tonte autre chose : Texemple
était donné par les bourgeois de la seconde ville de France de
se révolter contre la tyrannie des gouverneurs de la Ligue, et
beaucoup de chefs de ce parti résolurent dès lors d*échapper
au danger où Nemours venait de succomber, en traitant avec
le roi.
La trêve conclue pour nrols mois fut prolongée effective- EfbCf d«ia
ment pendant cinq mois, et jusqu'à la fin de Tannée 1593. <^v« l^^^
Elle permit, il est vrai, aux villes de TUnion de respirer et Bomiie/dëfei:-
de s'approvisionner ; mais loin de nuire à la cause de Henri, *^?]l
elle la servit. Les populations, une fois sorties des horreurs
de la guerre, ne voulaient plus à aucun prix y rentrer :
c'étaient de nouvelles et pacifiques habitudes dont il fut
impossible de les tirer. Écoutons Sully à ce sujet : « Les
» peuples, qui n'entendent pas raillerie en matière d'aise et
» de repos, et ont toujours en haine ceux qui les en privent,
» et aiment tous ceux qui le^ leur procurent, nonobstant les
» serments prêtés à Paris entre les mains du légat du pape,
» de ne vous reconnoltre jamais pour roy, quelque catho-
■ lique que vous puissiez devenir... les peuples, sitôt qu'ils
9 entendirent votre changement de religion, n'attendirent
» pas à vous reconnoltre pour roy qu'il fût venu du pape
» l'entière absolution^ • Cette disposition des esprits doit être
* p. Cajet, 1. ▼. p. SOS-SIt. — Thaanas, 1. CVU, $ 14, t. V, p. 306, S07«
» LctIoUe, regitt. Jonni., pag« 175 B.
* SuUj, OEcon. roj.p c. 1 M, t. i, p. 6S7 A. (font ne chaageoiu qo»
rortbognphc.
S38 HISTOIBB DD RàGlffB DB HEHRI IV.
ajoutée aux causes les plus influentes que nous avons précé-
demment signalées comme devant amener la soumission
d'une notable partie du pays à la légitime domination de
Henri.
Dernieneflbrt* Les conféreuces pour la paix entre le roi et Mayenne con-
fran* 'iî atmîèt tù^w^^^c"^ ^ An4ré8y et à MiUy, et la trêve qui devait expirer
de Mojenne. à la fin d'octobre fut prolongée le 13 octobre jusqu'à la fih
4li mois de décembre 1593 1. La plupart des seigneurs qui
avaient été chefs de la ligue, mais de la Ligue française,
firent un puissant et loyal effort pour amener Mayenne à
traiter avec le roi et à donner la paix k la France. Ces sei-
gneurs n'étaient ni des héros de désintéressement, comme
noi^ le terrons bientôt, ni des martyrs prêts à donner leur
vie pour la défense d'un principe. Mais ils aimaient leur
pays, qu'ils pe voulaient rejeter ni dans des périls extrêmes
ni dans d'exur^mes souffrances : ils avaient de l'honneur, et
ils ne voulaient pas composer avec le roi et sortir de la Ligue
avant d'avoir donné le temps à Mayenne d'obtenir pour lui-
même les plus honorables conditions. Us n'épargnèrent donc
ni avis ni sollicitations pour l'amener à traiter en même
temps qu'eux, taudis que la Ligue était encore debout Au
mois de novembre, Vitry lui déclara « qu'il ne pouvait plus
» le servir ni suivre le parti de la Ligue, et qu'étant le roi
Il catholique, il ne pouvait être autre que son serviteur'. »
Yilleroy, qui avait découvert le pacte et le serment du
2i5 juillet, épuisa les plus solides arguments de la raison, de
la saine politique, du patriotisme, pour engager Mayenne à
roiiipre ses engagements avec l'Espagne et à se tourner du
côté du roi. )| lui exposa de vive voix et à deux reprises U*s
faits et les raisons qu'il consigna quelque temps après par
écrit (lans une lettre. Comme elle peint vivement la situation,
les scntii})cnt8 des scjgncurs de la Ligue française et des
villes, ifous en citerons les principaux passages. « Nous vous
» demandons une négociation de bonne foi, publique et
» aut|icntlque... Vous estimez ce chemin être trop périlleux
M (>t hopteux. Je crois, pour mon regard, non seulement
» qu'il ne peut être que très silr et utile au général, à votre
• VUlrroy, Apol. et Dite, l. xi, p. 311 B« Sti, 9lG B. — (.mIoUo el mui
supp!., p. 177 A, b. — Lt'Urcs de Henri IV k Luftiirr, (i u«tiil»rc el ."i iiu->
▼erobiv. -- Meiii. de Lafurre, i. l, p. 24*. ^M*
' Munifestc de Vitry dans Cuyet, 1. v, p. hi» A.
DERNIERS AVIS DES UGUEpRS FRANÇAIS A MAYENNE. 2^9
» particulier trè^ bpDorable et à votre gninde décharge, mais
» aussi qu*il est unique et qu'il ne vous en reste point d'autre
» pour arrêter le mal qui nous presse. Monseigneur, je vpus
» dis ceci francbcmcnt, commp ami de ma patrie, jaloux de
» la conservation de notre religion et de votre réputatioa et
» service. Chacun est |as de la guerre, et il ne sera plus à
» Tavenir question de la religion : il ne sera plus en votre
» pui&sance de vous défendfe et conserver et bien faire à
» vous-même. Je ne vous dirai Jcs raisons sur lesquelles ils
» se fondent, car vous les sçavez et sentez jnlQnx que per-
» sonne ; mais croyez, je vous supplie, qu'il y a peu de gens
» qui prennent plaisir de se perdre de gaieté de cœur, et
» d'épouser un désespoir pour le reste de leur vie et de leur
A postérité. Les bpunes villes et cooimunaplés sont le plus
» bandées à la paix, comme celles qui se trouvent déchues
w de l'espérance qu'elles avalent conçue de celte guerre, et
» en supportent plus de tourment que les autres. N'attendez
■ donc pas les elleLi de leur désespoir : vous êtes trop fpibie
9 pour l'empéclier, et il est déjà passé trop avant pour étr^^
A retenu par douceur et pa): art. Vous l'éprouverez et con-
» naîtrez, monseigneur, et Dieif veuille que ce pe soit trop
B tard pour son service et pour votre service particulier K »
La Cliaslre écrivait à Mayenne, lui adressait des déclaratjons
non moins expliciles, non moins franches, tandis que )a (r^ye
durait encore'.
9
* La Irtlr* de ViUcroy m IrouTe « la suite de ses Biéinotrei d'Etat, t. VI
de la coUecliou Mirbaml, p. ^4, ^tôS. CeUe lellre es| du i iauvicr tS94,
u|>rc» le moment où VlUei\»y s^cst sépare de Miiyennc. Vais ou voit qu'elle
o>tl que la reproduction par écrit des principales raisont ■llefuëe* de vive
vuii par VilieruY, durant la trvve, pour décider Mayenne à la paix. (Vil
leruy, Apol. et dise. t. XI, p. :tl4-Sltt, il9 A.)
* La lellre de L« Qwtlre i Hayenne •• trouve d«os lei Méa. de Never»*
t. II, m folio, p. 7U4-706. Celle letiie, très pressante, est antérieure à la
Kn de la Irère. « En ce qui est de mon particulier et de mon devoir, voua
• m'y trouvères toujours tel, et vou« vous kouvienurei qun je vous ai plu-
• sieurs fois discouru de ce qui pourroît arriver à ta lin de la trêve, si
■ aupai avant icelle vous ne prenei quelque rësolutiou. Je ends que ce a^ett
n pas eu celte ^illu seule qu'il se Irouvi? la plupart uu peuple qui désire
s ardemment le repos.... Pour Dieu, monseigneur, penses & vous, • In retl-
- giou, à PHlut, à votre maison et fùmiU«!, et n*a<isu|eltissea cet chnses si
• procieu4e9 sous lu domination ii'aulrui. • Les ministres Ue Philippe 11, à
Puiis, puiivuieiit l'ien accuser La Chustre, Vilry,Vin«-roy, de tialiisonquiind
fl« ttliundoiinuirut M.i^oniie ; mait les liislorii-ns iVriU(.ii» tnut récents, entre
autres M. disinuudi, t. XXI, p. ^M, qui icpètenl ces impulutiou> et laxeul
1rs ligu«ura'fr.iuçatt de' perlitlie, nVut pu le faite ane |>nr une romidète
lf;iiorance des pièces qu'on «irut fie lire.
2!i0 HISTOIRE DtJ RÈGNE DE HENRI IT«
SitMition Les faits parlaient plus haut que les avertissements de ces
•* 2^^ ^* sincères amis. Malgré le pacte secret du 23 juillet, les Espa-
gnols continuaient contre Mayenne une guerre acharnée, et
s^eflbrçaient de le perdre dans son propre parti, de le ren-
verser, en déchaînant contre lui tout ce qu^ils conservaient
de partisans dans Paris, les Seize et les prédicateurs. Au mois
de décembre 1593, les Seize publièrent un pamphlet intitulé
le Dialogue du manant et du maheustre, où il était plus
cniellemcnt déchiré que dans la Ménippéc ellc-ra<^mo. IVesqre
destitué déjà de la force matérielle, il perdit alors tout appui
dansPopinion publique, et ne conserva plus que de misérables
restes de son ancienne puissance. Les prédicateurs provo-
quèrent les assassins à le frapper : ils le comparèrent h Églon,
le qualifièrent en propres termes de gros pourceau gorgé de
bons morceaux et de délices, et appelèrent contre lui, aussi
bien que contre le roi, le glaive d*un Ahod^ llien de tout
cela ne le ramena à de plus sages résolutions, ne le guérit de
la passion du pouvoir souverain, passée chez lui à Tétat de
monomanie. Il se flatta de fléchir la haine de Philippe II, de
ramener à une alliance et au partage de la domination avec
luL Plein de ces projets, il lui envoya, à la fm de cette année,
une ambassade chargée de lui témoigner que s*il persistait
dans le projet de marier Tinfante au duc de Guise, lui,
Mayenne, accepterait et favoriserait cette combinaison, sous
condition qu'il conserverait la lieutcnance-générale, le com-
mandement des armées et une part dans le gouvernement 3.
Les seigneurs, chefs de la Ligue française, trouvant dans
Mayenne cette inflexibilité d'ambition, séparèrent alors leur
cause de la sienne : beaucoup de villes avaient déjà pris leur
résolution. Seigneui*s et villes passèrent à i'envi au parti du
roi : ce fut un sauve qui peut général dans la Ligue.
Recniu d« Mayenne demandait la prolongation de la trêve unique-
^uli*™d* V*" "**"* P^""^ donner le temps aiix forces des Espagnols de
et de u s'avancer et pour recommencer la guerre avec plus d'avan-
vUUdeMeen. j^gg^ Henri dut repousscr ces propositions de mauvaise fof,
■ Lettoile, sous lei 10, 13, 19 décembre, p. IKï A, 184 A. —P. Gayet.
L ▼, p. 53i A. — Le dialo^ae du munant et du moheuitre* dans les preuTes
de la latirc Ille'Qit»pée, t. UL
* Montpcsat eult chef de cette Bmba»fade qui traita aTec PliUippe II au
commencemcnl de 1594, mnii wnii anrun résultat. — Tfauaaus, I. cmi,
S 9, t. V. p. 358.
£tAT D£ la PROV£KCe« 241
et à la fin du mois de décembre , on sut généralement que
les hostilités allaient recommencer. Alors plusieurs hommes
politiques, plusieurs gouverneurs, et bon nombre de villes
de la Ligue prirent la résolution d'embrasser le parti du roi«
Les uns se prononcèrent avant Fexpiration de la trêve et la
fin de Tannée 1593, les autres au moment même oCi les deux
partis reprenaient les armes. Le 23 décembre , Yilleroy se
sépara solennellement de Mayenne , et se retira à Pontoise
pour disposer son fils à rentrer au service du roi et à lui re-
meture cette ville. Le 2ù décembre, veille de Noël, Vitry dé--
clara qu'il ne pouvait plus combattre le roi depuis qu'il était
devenu catholique , et qu'fi avait acquis ainsi le seul titre à
l'obéissance des Français qui lui manquât encore. Les habi-
tants de Meaux prirent le même parti que lui , et tous en-
semble se soumirent à Henri, Le manifeste qu'ils répandi-
rent, dans les premiers jours de janvier, pour expliquer leur
conduite, fit sur les populations de la Ligue une impression
plus forte encore que leur exemple. Le roi, de son côté, pu-
blia le 27 décembre une déclaration dans laquelle il comparait
sa conduite à celle de ses ennemis, dénommait leurs projets à la
France, prouvait qu'on le contraignait à reprendre ies armes»
ouvrait enfin une nouvelle voie à la pacification , en offrant
amnistie à ceux qui dans l'espace d'mi mois abandonneraient
le parti contraû% K Ces faits, qui se prêtaient un mutuel
appui , ajoutèrent à l'ébranlement général de la Ligue.
CUAPITOE IL
Swmitaloii d*Aix et d*ao« partie de le Provence. Perlement d*Alz. 8o««
million de Villeroj, de plutieurs gouvemenrt, de U ville de Lyon, de
Le Cbettre, eTec Orléans et Boargei. État de Paris, le perlemenl. Paris
reeda en roi («1S0«).
Au moment où les hostilités recommencèrent entre les
deux partis, Henri et les peuples de la Ligue se préoccu-
pèrent manifestement de deux grandes idées. Le roi sentit
que le moment éiait venu de reconstituer la France , de
recomposer à la fois le territoire et le pouvoir central néces-
• iriUeroy, Apol. et dise, p. «19, StO. — P. Ceyef , !• T, p.
Tbnenus, I. cmi, SS <0, 11. -> LestoUe et son SuppL, p. IS5, f9t. — Mtf-
moires de le Ligae, t. Ti, p. f 4-<5.
16
2il2 HISTOIRR DU RÈGlfE DE RElfRI IV.
saire au maintien de la société, que les guerres de religion,
et en dernier lien la révolte de la Ligue, avaient tous deux
mis en pièces. Les peuples dé la Ligue comprirent de leui
côté qu'il était temps pour eux de se délivrer de la dure
servitude à laquelle Tanarchie et la puissance espagnole les
avaient réduits, et proclamèrent partout leur intention de ré-
tablir la liberté française. Le roi et les peuples de la Ligue
résolurent de concert d'exécuter leur projet à tout prix,
tandis que répuisemcnt de Philippe II le contraignait à feire
trêve pour le moment à son inimitié, et donnait à la France
un relâche qu'elle ne devait pas retrouver plus tard. L'oc-
casion était trouvée : Ils arrêtèrent d'en user, même en se
soumettant aux plus durs sacriflces, quand H le fallut, et lis
montrèrent ainsi qu'ils se conduisaient par les principes de la
plus généreuse et de la plus grande politique.
Éui 159Û. Nul pays peut-être dans tout le royaume n'avait au-
Soami»rôn tant souffcrt de l'anarchie que la Provence. Le nombre des
d*antt partie du factlous, pucorc accru, s'élcvalt à six au commencement de
paytrtd Aïs,
!59à. Le parti de la Ligue s'était scindé en quatre factions:
celle de la comtesse de Sault , celle du comte de Garces et
de Mayenne , celle de l'étranger dont une branche tenait
pour le duc de .^vole, et l'autre inclinait vers Philippe 11.
lie parti du roi était divisé de son côté en deux fractions,
lios chefs de la première étaient Lesdlgulères depuis la mort
do lia Valette, et quelques membres du parlement d'Aix ré-
fugiés à Sisteron et constitués en parlement royal , qui sou-
tenaient franchement la cause de Henri. A la tête de la
seconde se trouvait d'Épcmon , qui, au milieu des dangers
du roi, lui avait extorqué le titre de gouverneur de ia pnn
vlnce , et qui voulait employer l'autorité attachée à ce titre
et une armée de Gascons qui ne dépendait que de lui à sub-
juguer le pays et à s*y créer une principauté féodale et in-
dépendante. Au milieu de ce chaos, chacun des six partis
avait ses créatures, ses soldats, ses villes, et exerçait ses
proscriptions et ses ravages sur les districts du pays qui ne le
reconnaissaient pas. Comme la Provence avait fait une plus
rude expérience des révolutions que toute autre province, elle
se déclara aussi l'une des premières du royaume en favcUr de
Henri, cherchant sous son autorité et sa protection une fin k
SOUMISSION D^AIX, LE PARLCMKNT, dV.PBBNON. 2/ii3
ses maux. Les partisans de la comtesse de Sault et les Car-
cistes se réunirent aux royalistes purs pour se déliarrasser à
la fois du despotisme de d'Épernon et de la domination de
l'étranger. A la fin de 1593, plusieurs seigneurs et plusieurs
villes telles que Pertuls, Manosque, Digne, Toulon, Tarascon,
se révoltèrent contre d'Épernon et se confédérèrenU L«
3 janvier 459A, les principaux seigneurs assemblés déci*
dèrent de reconnaître Henri, de lui livrer Aix, capitale de la
province , de faire désormais administrer et rendre la Justice
en son nom, de poursuivre la destitution de d'Èpemon comme
gouverneur, de continuer la guerre pour détruire le fort qu'il
avait bâti près d'Aix dans le dessein de Fasservir. Le 5 jan-
vier cette décision fut approuvée par le conseil général du
pays et par le parlement d'Aix , qui deux jours plus tard
rendit un arrêt en conséquence.''
On n'aurait qu'une idée incomplète du r6le politique que l« |Miil«nicni
jouèrent les parlements à cette époque de notre histoire , si ^'^^
l'on n'examinait d'une manière particulière ce qui concerne
le parlement d'Aix. Ce corps, qui avait été l'un des promo*
teurs de la révolte contre le dernier Valois, qui en 1589 avait
levé et commandé des armées, puis en 1590 déféré la sou-
veraineté du pays au duc de Savoie, décidait maintenant en
dernier ressort de la soumission à Henri IV. Les détermina-
tions de la noblesse et des représentants ou procureurs de la
province ne prenaient force de résolution définitive qu'avec le
concours et la sanction du parlement, qui gouvernait plus en-
core qu'il ne rendait la justice. On doit remarquer aussi que
de tous les parlements de la Ligue , celui d'Aix passa le pre-
mier au parti royal.
En conséquence de l'arrêt de cette cour et du vœu des
antres ordres , des députés furent envoyés au roi pour lui
porter la soumission d'Aix; l'archevêque Génébrard, qui
s'efforçait de soutenir la Ligue, fut chassé et contraint de se
retirer à Marseille. Quelques mois plus tard l'ordre public
fut consolidée Aix par la reconstitution du parlement Le par-
lement royal établi à Sisteron, et quelques magistrats réfugiés
à Marseille, rentrèrent à Aix et se réunirent au parlement qui
venait d'abandonner la IJgue ; tous ensemble ils ne formèrent
plus qu'un même corps. Mais plusieurs années s'écoulèrent
encore avant que la Provence pût se débarrasser de ses ty-
Soumission
de Tllleroy et
de divers gou-
▼ernrurs
«Tec .
leurs Tilles.
Il# Ltoo. de f«a
Chastre,
d*Or lésas . de
Bourges.
2A& HISTOIRE DU RÈGIfK DC HENRI IV.
rans locaux. Le duc d'Êpernon refusait d^abandonner le
gouvernement, même après la révocation royale , et tenait
encore plusieurs villes : le duc de Savoie occupait Berre et
Grasse ; Casaux et Louis d'Aix exerçaient à Marseille un
odieux despotisme, et quand ils le virent s*échapper de leurs
mains, ils essayèrent de livrer la ville à Philippe 11 '•
Tandis qu'au midi de la France, Aix et la moitié des Pro-
vençaux quittaient la Ligue par horreur de la tyrannie de
d'Èpernon et de Tanarchie, à Tautre extrémité du royaume,
plusieurs chefs et gouverneurs de TUnion abandonnaient leur
parti, poussés par des motifs divers , mais non moins puis-
sants. L'intérêt public et Tintérét privé agissaient également
sur eux. Ils voulaient sauver à leur patrie le renouvellement
de la guerre civile, et les dangers de Tinvaslon espagnole, plus
redoutable dans le Nord que|)artout ailleurs, à cause du voisi-
nage des Pays-Bas. Ils étaient jaloux de mettre leur fortune à
Tabri des coups qui venaient de frapper Nemours. Villeroy,
Thomme politique et le principal représentant des ligueurs
français, avait entamé des négociations avec le roi dès la fin de
la trêve. Le !2 janvier, par une lettre fameuse dans ces temps, il
somma le duc de Mayenne de traiter. N'ayant pu le persuader,
il fit son accord avec le roi pour lui-même et pour son fils
d'Alincourt, qui livra la ville de Pontoise : il reçut la charge
de secrétaire d'État, et son fils garda son gouvernement
(i" février). Dans le même temps, d'Estourmel rendit les trois
villes de Picardie : Péronne, IVoye, Montdidier'.
Entre ces faits et le désarmement d\\ix , il n'y a que si-
multanéité : entre la soumission d'Aix et la soumission de
Lyon , il y a connexité ; l'exemple de la première ville en-
traîna la seconde. Les habitants de Lyon appréhendaient que
les deux frères Mayenne et Nemours ne fissent la paix à leurs
dépens ; ils redoutaient les vengeances et la tyrannie de Ne-
mours, comme les Provençaux celle de d'Ëpemon ; ils voyaient
enfin l'invasion des Savoyards et des Espagnols menaçante :
contre tous ces dangers ils ne trouvaient de recours et de
* Pour ces trois poragraphrs, les registres du pays cités pnr Douche,
Hist. de Prorence, 1. x, p. 784-787, 7S15, 79<>, 799, 8U7.~Tbuanns, I. cvin,
^ 15, L V, p. Ô39. — La réunion du parlement royal de Sisleroii au |Mirle«
menl d^Aix eut lieu au mois de iuiii 1584.
' Villeroy, Apol. H duc, p. !ll9 B, el lettre m Mayenne, p. 954, 956.—
P. Cayet, 1. vi, p. USB 4. — Tbuanus, 1. CTill, $ 16, t. ▼, p. 539. —
liOttollc, Sapplëfni*nt, p. 906 A, ponr la date.
SOL'MISSION DE VILLEHOY, D£ LA GUASTRE» DE LYON. 245
protection assurés que dans le parti du roi. Ils achevèrent
leur révolution entre le 6 et le 8 février 1594. Malgré les
efforts de d'Espinac , agent de Mayenne, leur arclievéque et
leur nouveau gouverneur, ils prirent les armes, élevèrent de
nouveau des barricades aux cris de : « Vive la liberté fran-
» çaise ! Périssent la tyrannie étrangère et la servitude do-
• mestique. > llsdéposèrent leurs échevins qui étaient ligueurs
en grande majorité, et reçurent dans leurs murs les troupes
et le gouverneur du roi Omano. Peu après La Ghastre, qui
durant les États de la Ligue avait vigoureusement combattu
la royauté de Tinfante et l^élection d'un roi, et qui suivait la
même ligne de conduite que Villeroy, traita avec Henri pour
Orléans, Bourges, et toute la partie de rOrléanais et du
Berry qui jusqu'alors avait obéi à TUnion (16 février)^
Le roi aidait puissamment h la défection qui s'opérait dans Sacrc da rat
la Ligue, en continuant à employer simultanément les moyens
de la force et ceux de la condliation. Depuis la rupture de la
trêve, ses garnisons avaient recommencé les ravages aux en-
virons des villes restées ligueuses et notamment de Paris, qui
souffraient de nouveau de Tinterruption de leur commerce
et de la faim. iVun autre côté, il se donnait successivement
toutes les fractions de légitimité que lui demandait l'opinion
populaire : le 27 février il se fit sacrer et couronner à
Chartres >•
Entraîné par ces circonstances , sollicité par l'exemple
d'Aix, de Lyon, d'Orléans, de Bourges, pressé par le besoin,
le peuple de Paris n'aspirait qu'à se replacer sous rol)éis-
sance de Henri. Les politiques et les ligueurs français dans
la haute bourgeoisie et dans le pariement partageaient ces
sentiments, mais déterminés par de plus hautes considéra-
tions. Ils voulaient couper la racine de la guerre civile, et
garantir leur patrie de la domination ét^ngère que les déli-
bérations des États de la Ligue leur avaient montrée pro-
chaîne et menaçante : pour y parvenir , ils voulaient rendre
Parb au roi, et ils y travaUlalent chaque jour depuis sa con-
KUl de Paris :
IcspolitiquM*!
le parlement:
du parti arlfto '
craliqve.
i M. Pericaud, Noie» et documents pour sertir k Thistoire de Lyon,
p. 186-190. — D'Aubieoé, llist. universelle, l. IV, r. 1, S; t. m,
p. »0-SM. — P. Cajet, 1. VI, p. 542-549. ~ Thuanus, 1. cvni, % 14, U V,
p. SftT-Â-n. et S n, p. 340-549.
• P. Cayei, I. Vi.'p. S39 A« 555-56i. - Tliuanus, 1. cvin, S tS, p. 341-
SIS.
2A6 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
versioii. Instruit de leur dessein, Mayenne avait pris d'éner*
giques mesures pour l'arrêter. Dans les premiers jours de
1594, 11 avait destitué le gouverneur BelJn, et Tavait rem->
placé par Cossé-Brissac , sur lequel il croyait pouvoir en-
tièrement compter. Il avait banni de Paris plusieurs des
chefs du parti politique, entre autres les trots colonels Dau-
bray , Passart et Marchand, ressuscité le pouvoir des Seize ,
armé contre la bourgeoisie la plus vile populace, les Mino^
tiers àu nombre d'environ dix mille, et donné enfin pour appui
à tons les ennemis du roi la garnison espagnole augmen*
tée. Sur les promesses vraies ou fausses des agents espa-
gnols il espérait avoir amené Philippe II à marier Tinfante
avec son fils, et il faisait plus étroitement que jamais cause
commune avec lui ^ Le parti des grands qui entouraient le
roi travailla jusqu'au bout à Tempécher de se rendre absolu,
et Ton surprend les seigneurs à la fin de cette longue lutte ,
honteux auxiliaires de Mayenne, aidant le chef de la Ligue à
garder les derniers restes de sa puissance. François d'O, an-
cien gouverneur de Paris, mit tout en œuvre pour foire
échouer les intelligences que Henri entretenait dans cette
ville, et pour Tempècher de s'en rendre maître : au gouverne-
ment de Paris, d'O préférait une royauté faible, les vols im-
punis, le pouvoir désordonné qu'il trouvait dans l'anar-
chie'. Entre Içs trahisons des prétendus serviteurs du roi, et
les fureurs des ligueurs lorrains et espagnols, le parti poli-
tique marcha droit à son but. Le parlement essaya d'abord
des moyens ouverts et de la franchise. C'était lui qui , au
commencement de 1589, avait conféré pour moitié le pou-
voir de lieutenant-général à Mayenne : en Iô9/|, il tenta de
le lui retirer par les moyens légaux et en vertu de ses
propres attributs politiques, affermis et accrus chaque jour
par les circonsUnces des quatre dernières années. Les 12 et
ià janvier, il rendit un arrêt et rédigea par écrit des remon-
trances portant • qu'il protestait s'opposer aux mauvais des-
seins de l'Espagnol et de ceux qui le voudroient introduire
en France ; qu'il ordonnoit aux garnisons étrangères de sor-
* Tbaanos, I. orm, $S 1^< *'. <• ▼« P* 336, Xrr. — LMtoUe. p. 186,
ItT, 195, 196-198, Mt A, 904, n4.— A cettr dernière puce, il dit qn^il y
avait 4,000 minotien dans le quartier de rUoivonlte. —F, Cavel, I. V,
p. 631. S»S; 1. VI, p. 540, 541.
* fially, OEcoB. roy., c. 46, p. 140, et c. 148, p. 637 B.
RÉDUCTION DE PABIS. 2/^7
tir de la ville de I^rte; qu'il interpelloit le duc de Mayenne
de recoonoitre le roy que Dieu et les lois avoient donné au
royaume et de procurer la paix^ » Pour toute réponse,
Mayenne défendit au parlement de s'assembler et de déli-
bérer.
Les politiques, désespérant désormais de Tamener à traiter ^^^**
avec Henri, résolurent de livrer Paris an roi, jouant leur vie ** '" *"
et s'exposant au supplice de Brisson si le complot était décou-
vert, sans avoir rien sdpulé pour prix de ces périlleux ser*
vices. Dans la haute bourgeoisie, le prévôt des marchands
Lhuillier et les échevins Langlois et Néret ; dans le parlement
et la cour des comptes, Lemaistre, Mole, Du Vair, Damours,
Mariliac, Boucher d'Orçay, se signalèrent entre une foule
d'autres bons citoyens, et prirent la part la plus active à
l'entreprise^. 11 eût été difficile de la mener à bonne fin, si
l'habile négociateur Saint-Luc n*eût gagné, à force de con-
cessions, le nouveau gouverneur de Paris, l'infidèle et avide
Cuftsé-Brissac Mayenne sortit de Paris le 6 mars pour aller
se mettre à la tête de la nouvelle armée espagnole et ligueuse
qui s'assemblait autour de Soissons, et, par son départ, faci*
Uta l'exécution.
Le 19 et le 21 mars 1594, dans deux réunions qui eurent
lieu à l'arsenal et chez le prévôt des marchands, Brissac, le
prévôt des marchands, les échevins, les colonels et les capi-
taines de quartier de la garde bourgeoise, sur la foi desquels
on pouvait compter, les membres du parlement, Lemaistre
et Mole arrêtèrent, d'une manière précise, le plan et l'ordre
que l'on suivrait dans la réduction de Paris. Les colonels et
les capitaines de quartier passèrent la nuit du 21 au 22 sous
les armes , et les firent prendre à tous les bourgeois politi-
ques, sans les mettre dans le secret de l'entreprise. Ûs ré-
pandirent le bruit que la paix était accordée entre le roi et
Mayenne, et ils invitèrent tous les bons citoyens à s'armer
eux et leurs amis, pour favoriser le lendemain l'entrée dans
Paris des députés des deux partis qui viendraient proclamer
la paix , objet de tous les voeux : les Espagnols et les Seixe
* Extrait d*t rpgUtr«i do parUmcnl «as 4atei de» 12 el 14 [énwmr 1904.
«- M^moir^i dr U Ligue, U Tl, p. 5t. — LrttoUe et ton Sopplëmenl,
^ «M, 196, lOi , sot, ft7 B.
' P. Pfjet. l. VI, p. S63 B. ~ LesloUe et son SuppUmeot, p. ttt B, tS,
ft4 k, fl9 B.
2/^8 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
tenteraient nécessairement de s'y opposer ; il s^'agissait de les
contenir, et les bourgeois étaient invités k s'y employer avec
vigaeur.
Le 22, à quatre heures du matin, Brissac, LhoUlier, Lan-
glois, Nérct et le capitaine (Grossier introduisirent les troupes
du roi sur trois points différents de Paris, par la porte Saint-
Denis, par le quartier Salnl-i^aul, par la Porte-Neuve, d''où
elles gagnèrent la porte Sainl-Uonoré. Les forces du roi se
composaient des garnisons de plusieurs villes qu'il occupait
autour de Paria, d'un petit nombre de compagnies de gen-
darmes à pied, d'un gros de seigneurs et de gentilshommes,
d'un corps d'élite de six cents hommes , que Henri condui*
sait lui-même. Tout cela réuni ne montait pas à plus de
quatre mille hommes, et n'aurait pas été capable de prendre
et de garder un seul des seize quartiers de Paris. Mais les trou-
pes royales furent aidées partout, grossies partout sur leur
passage par les officiers et les soldats de la garde bourgeoise.
Ce fut donc un soulèvement de la bourgeoisie, secondé par
un corps de troupes régulières, contre les Seize, les JJf t-
notiers, la garnison espagnole, au nombre de dix-huit mille
hommes, armés pour la défense de la domination de Phi-
lippe il et de l'Espagne.
L'entreprise fut conduite d'après un plan savant de stra-
tégie, et d'après les dispositions connues d'avance des habi-
tants. Paris conservait eqcore alors ses trois grandes divisions
de la Ville au nord, de la Cité au centre, de l'Université au
midi, le tout subdivisé en seize quartiers. L'occupation eut
lieu sur trois points, dans la Ville et dans la Cité. Un déta-
chement de troupes royales, commandé par Vitry, partit de
la porte Saint-Denis, se recruta de bourgeois armés, et forma
Mentôt un corps considérable. 11 se plaça résolument entre
les deux parties de la garnison étrangère, les Espagnols postés
près de la porte Saint-Denis et à la pohitc Saint-Eustache, et
les Wallons établis au Temple : il les coupa, les empêcha de
se réunir, de se concerter, de s'entr'aider. Placés dans cette
situation, et craignant d'affronter tout un peuple insurgé, les
étrangers se tinrent renfermés dans leurs corps de garde, et
restèrent immobiles spectateurs des événements. Les troupes
de Vitry, soldais et bourgeois, occupèrent la rue Saint-Denis
et les lieux envhronnants, mirent en fidte une cinquantaine
REDUCTION DE PAAIS. 2/i|9
de facUoox qui leur disputaient le passage, et arrivèrent au
grand Cbâtelet. Ils trouvèrent cette forteresse déjà envahie
par un autre corps de royaux. C'étaient les garnisons de Cor-
heÛ et de Melun, parties du quartier Saint-Paul, auxquelles
la population s'était jointe : d'un commun effort, elles s'étalent
rendues maîtresses de la partie de la Ville située le long de
la rivière, depuis l'Arsenal jusqu'au Gliâtelet. Les deux corps
se réunirent et envahirent aussitôt la Cité, favorisés dans
leur entreprise par un corps de bourgeois qui étaient des-
cendus de l'Université pour se saisir du petit Chfttelet, et
qui gardaient ce passage. Les royaux ne trouvèrent dans la
Cité que deux hommes sortis en armes pour les combattre :
ils la réduisirent tout entière et s'emparèrent du Palais.
Ainsi l'occupation avait eu lieu au nord et à l'orient de
Paris, sur deux grandes lignes formant angle droit, qui ve-
naient se réunir au Cliâtelet et par continuation à la Cité.
Dans le même temps, l'occupation s'elTectuait de la manière
suivante à l'occident de la Ville. Brissac et Lhuiliicr intro-
duisirent les troupes royales à la Porte-Neuve, près des Tui-
leries. Le premier corps, commandé par Saint-Luc, après s'être
assuré de cette porte, pénétra en éclaireur dans la ville, d'abord
jusqu'à Saint-Thomas du Louvre, ensuite jusqu'au carrefour
de la Croix du Traboir. La seconde division occupa les bords
de la Seine, depuis les Tuileries jusqu'au pont au Change et
au pont Saint-Michel : dans sa route, elle rencontra sur le
quai de l'École un corps de garde de vingt-cinq landskenets
qui tenta de résister et qu'elle tailla en pièces. Eiie se fit
appuyer par Saint-Luc, et opéra bientôt sa jonction avec les
royaux qui avaient suivi les deux directions de la rue Saint-
Denis et des quais depids l'Arsenal jusqu'au Cbâtelet Le
troisième corps se saisit des remparts, depuis la porte Neuve
jusqu'à la porte Saint-llonoré, où elle se fortifia : elle tourna
les canons, placés sur les remparts, du côté de la ville et en
face des grandes rues, de manière à foudroyer ceux qui ten-
teraient d'opposer résistance. Un quatrième corps, com-
mué par Matignon et Bellegarde, alla joindre et renforcer
Saiot-Luc, et sur son chemin prit possession du Louvre.
Henri marchait à la tète du cinquième corps. Brissac, 1 Jiuil-
lier, les échevins, plusieurs compagnies bourgeoises s'avan-
cèrent au-devant de lui pour le saluer, lui faire leurs sou«
960 HISTOIRK DU RÈGNE DE HBMRI IV.
minionB et lui présenter les défis de la ville. Le roi rentrait
dans Paris en traversant la même porte par laquelle Henri III
en était sorti. C'était mie revanche des liarricades prise par
le pouvoir protecteur de Tordre public, un contraste éclatant
propre à frapper Tesprit de la multitude d'une manière sa-
lutaire. Henri et sa troupe remontèrent de la porte Neuve à
la porte Saint-IIonoré, parcoururent la rue Saint-Honoré
et les rues qui en forment la continuation, Jusqu'aux !nno«
cents et au pont Notre-Dame. On doit remarquer que la
seconde division et la troupe du roi avaient suivi parallèlement
la même direction, mais en mettant entre elles la distance
qui sépare les bords de la Seine de la rue Saint-Honoré, et
en s'assurant de ce vaste carré ; qu'elles avaient convergé
toutes deux vers le point où elles devaient rencontrer le
corps de Vitry et le corps parti de l'Arsenal, L'invasion avait
donc été laite en conformité d'un plan savamment combiné,
d'après lequel les parties occupées de la ville formaient
deux angles adjacents; d'après lequel encore les divers corps
des troupes royales, partis de points opposés, devaient se
rejoindre et s'unir, après avoir surmonté sur leur route toutes
les résistances qui pouvaient se présenter. Gomme elles
s'étaient recrutées à cbaque pas de capitaines de quartier et
de troupes de bourgeois armés, elles avaient, avec leur con*
cours, occupé les principales places, les carrefours, les ave-
nues des ponts, toutes lès positions fortes, tous les points
stratégiques.
Les choses étant en cet état, le roi et les politiques n'em*
ployèrent plus que la clémence et la persuasion, pour pré-
venir ou désarmer la résistance partout ailleurs, et pour en-
traîner la masse de la population. Henri, en se rendant à la
cathédrale, arriva au pont Notre-Dame, suivi de cinq ou six
cents hommes, qui, au lieu de se servir de leurs armes, « trat-
p naient leurs piques en signe de victoire volontaire , »
comme parlent les contemporains, c'est-A-dlre en sigfte de
victoire procédant de la volonté même de ceux qui ae sou-
mettaient. Sur le pont Notre-Dame, entendant le peuple
crier avec allégresse Vice U roit il dit : « Je vols bien que
• ce pauvre peuple a été tyrannisé. « Arrivé devant réglisc
Notre-Dame, il mit pied à terre. La foule était si nombreuse
qu'il en était porté. Ses capitaines des gardes voulaient faire
REDUCTION DE PARIS. 3Ôi
retirer le peuple. U les en empêcha, disant qa*il aimait mieux
avoir plus de peine et qu'ils le vissent à leur aise, « car,
» aj<Mila*t-il, ils sont affamés de voir un roL » 11 assista, dans
la cathédrale à une messe solennelle et au Te Deum. Vain-
queur maintenant, pleinement maître de ses déterminations»
n'ayant plus rien à feindre, rien à ménager, il annonçait par
cet acte, et par une promesse formelle, contenue dans sa
déclaration, que sa résolution était de vivre désormais dans
la religion de la majorité des Français. Tandis qu'il entendait
la messe à Notre-Dame, le gouverneur, le prévôt des mar-
chands, les échevins, accompagnés de quelques soldats et
d'une foule de bourgeois politiques, se tranHK)rtaient de
proche en proche jusque dans les quartiers les plus éloignés.
Ils répandaient de nombreuses copies de l'amnistie que le
roi avait accordée aux Parisiens, sans en excepter personne,
pas même les Seize : ils annonçaient en même temps la paix.
Cette proclamation excita la reconnaissance et l'enthousiasme
dans la masse du peuple, dont les démonstrations réduisirent
les opposants au silence et à l'inaction. Les habitants témoi-
gnaient leur joie par les cris répétés de Vive le roi, vive la
paix! se mêlaient librement et familièrement avec les sol*
dats qu'ils faisaient boire et entrer dans leurs maisons. La
lutte acharnée que la population parisienne, dominée par les
chefs de la Ligue, avait soutenue quatre ans durant contre
le parti royal, se terminait par un rapprochement et une
fusion qui les confondait tous désormais dans un même
peuple de concitoyens et de frères.
En sortant de Notre-Dame, Henri se rendit au Louvre, où
il réinstalla la royauté. A dix heures, il était maître de la
Cité et de toute la ville, excepté des quartiers Saint-Martin,
du Temple et Saint-Antoine, où trois mille Espagnols, Na-
politains, Wallons et leurs chefs le duc de Féria et Diego
d'ibarra restaient encore maîtres. lUen n'était si facile au
roi que de les exterminer, en poussant contre eux ses
troupes et la masse des Parisiens qui demandaient à finir la
journée et à effacer le passé en exterminant les étrangers,
liais il y avait lieu d'espérer encore que Miilippe II céde-
rait comme la Ligue, qu'il cesserait de harceler la France,
que dès lors l'on pourrait rendre U paix au royaume, en lui
épargnant une guerre au dehors. Dans cette éventualité.
262 HISTOIRE DO RÈGKE D£ UËKRI IV.
Henri se garda de pousser les choses à ]'extrèine à IVgard
du roi catholique. U se borna à signifier aux Espagnols qu'ils
eussent à ne pas l>ouger de leurs quartiers, à sortir de Paris
dans le jour, k promettre de ne plus porter les armes contre
lui dans la guerre de France. Us acceptèrent avec recon-
naissance les conditions proposées, et les jurèrent.
Cette capitulation acheva de mettre sous la loi de Henri
toute la partie de Paris située sur la rive droite de la Seine.
Cependant au delà de la rivière, et dans la partie de Paris
nommée TUnlversité, on ne savait encore que confusé-
ment rentrée du roi dans la ville, et Ton ignorait ses suc-
cès. Là les étrangers et les Seize firent une tentative de sé-
rieuse résistance en s'emparant de deux des portes de Paris,
qui étaient alors de véritables citadelles. Les Napolitains, au
nombre de douze cents, se saisirent de la porte Bussy, et leur
chef se disposa à repousser les attaques que Ton dirigeait sur
ce point. Les Seize, soutenus par les Minotiers, dont on
comptait quatre mille dans PUniversité, s'attroupèrent autour
de la porte Saint-Jacques. Deux autres bandes dMnsurgés,
Tune commandée par Crucé, Tautre par Hamilton, curé de
Saint-Côme, avaient dessein de se réunir à eux. Tous en-
semble devaient s'emparer de la porte Saint-Jacques et s*y
fortifier. Mais ils ne purent se réunir et exécuter leur réso-
lution. Hamilton, parti de Saint-Côme ', armé lui-même, et
entouré d'hommes armés, trouva sur son passage, rue des
Mathurins Saint-Jacques, le conseiller Du Vair, qui , dès la
veille avait réuni et placé des soldats de la garde bourgeoise
à rhôtel Climy et aux Mathurins. Du Vair, secondé de ses
soldats, dissipa la bande du curé, et le renvoya lui-même
dans son église prier Dieu pour le roi. La troupe de Crucé et
les factieux rassemblés près de la porte Saint-Jacques furent
attaqués par les royaux avant d'avoir pu joindre leurs
forces et rien commencer de sérieux. Les enfants de Paris,
que Ton retrouve dans les grands mouvements de toutes les
époques, et une multitude de peuple avaient franchi le pont
Sahit-Micliel, et s'étaient précipités sur le quartier de l'Uni-
versité aux cris mille fois répétés de La paix ! la paix!
Après avoir parcouru la rue de la Harpe et celle des Matha-
' C'est l*cglis« plMcëe presque en face de l'École de mëdeciDe actuelle*
RÉDUCTION DE PARIS. 253
rittfl. Us trouvèrent, à Textréinitâ de la dernière, Brissac, le
seigneur de Humières, le prévôt des marchands, avec des
gendarmes à pied, qui avaient pénétré dans TUniversitë
par un autre point. La force militaire et le peuple réunis for-
maient déjà un corps considérable; Us ne lardèrent pas
A recevoir un important renfort. C'étaient les conseUlers du
parlement Damours, MarUlac, Boucher -d^Orçay qui, ac-
compagnés d'un nombre considérable de bourgeois armés,
descendaient de Sainte-Geneviève par la rue Saint-Ëtienne
des Grès. Tous ensemble, ils mirent en fuite les deux troupes
de factieux. Peu après, les Napolitains et leur colonel
Alexandre del Monte, qui s'étaient saisis de la porte Bussy»
reçurent Tordre du duc de Féria de se soumettre à la capi-
tulation consentie par lui : ils obéirent et abandonnèrent
cette porte. Dès lors le quartier de l'Université, où U y avait
eu le plus de bruit et de tumulte, fut aussi paisible que les
autres, et vers midi les trois parties de la viUc étaient entiè-
rement réduites sous l'obéissance du roi, qui dîna au Louvre.
A trois heures, la garnison espagnole à laquelle PbUippe II
avait commis, depuis 1591, la garde de sa bonne ville de
Pariê^ évacuait la capitale et prenait le chemin des Pays-Bas.
Henri assista à son départ, placé à une fenêtre au haut de
la porte Saint-Denis, entouré de sa noblesse et de ses gardes.
En défilant devant lui, les étrangers, qui lui devaient la vie*
sMncUnaient respectueusement. 11 vit passer à leur rang le
duc de Féria, Diego d'Jbarra et Taxis, les trois ministres de
PhUippe If, qui, par leurs actives intrigues, avaient le plus
traversé sa fortune du vivant du duc de Parme, et qui en
dernier lieu avaient le plus travaillé, dans les États de 1593, à
le chasser du trône pour y placer l'Infante. Il leur rendit
leur salut comme aux autres et leur dit : Hecommandez-moi
à votre maitre : AlUz-vous-en^ à la bonne heure^ mais n'y
revenez plus.
La reprise de la capiule de la France sur les étrangers, les
Seize et les Minotiers n'araient coûté la vie qu'à vingt-deux
landskenets sur le quai de l'Ëcole , à deux Français dans la
rue Saint-Denis, et à deux autres dans la Cité. Toute violence
contre les habitants avait été défendue aux soldats royaux
sous peine de la vie, et pas une seule n'avait été commise :
chaciw des citoyens avait été respecté dans ses biens, dans
S5A HISTOIRE DD RÈGNE DB HENRI IT.
88 vie, dans son honneur. Dès midi, Tordre était si bien
rétabli et la confiance tellement revenue que Ton eût cru
que le roi éuit entré dans Paris au milieu d^une paix assu-
rée : les boutiques étaient ouvertes, les marchands à leurs
comptoirs, les ouvriers et artisans à leurs ouvrages ordinai-
res. L*amnistie accordée aux Seize fut observée scrupuleuse-
ment : pas un seul d'entre eux n*expla par le supplice ou
la prison ses excès politiques ; cent vingt seulement des
plus furieux furent bannis pour assurer la vie du prince et
la paix publique : il n*y eut de recherchés et de punis, en
petit nombre, que ceux qui s'étaient rendus coupables de
crimes dans Tordre civil. Dès son entrée à Paris, Henri avait
donné des gardes au légat du pape et à Tarchevèque Pelevé»
pour les garantir contre le courroux de la multitude. U
avait aussi généreusement garanti leur liberté, leurs biens*
leur état à madame de Nemours, mère des Guise, et à ma-
dame de Montpensier sa mortelle ennemie, qui, à la nouvelle
qu'il était entré à Paris, avait demandé le matin qu'on lui
donnât d'un poignard dans le cœur : le soir il conversait fa-
milièrement et jouait aux cartes avec elle. La haine de cette
femme céda à tant de clémence, cachée sous tant de courtoi-
sie et de familiarité. Le légat et Pelevé persistèrent dans
leurs sentiments hostiles. Le légat, après avoir pris quelques
jours pour mettre ses biens en sûreté, sortit de J^ris et du
royaume sans vouloir avoir une entrevue avec le roL l^elevé
malade, et renfermé dans ThOtel de Sens, mourut le samedi
suivant dans les transports d'une folie furieuse, au milieu
desqueb il criait sans cesse: « Qu'on le prenne 1 qu'on le
» prenne I » Quatre jours après son entrée à Paris, Henri reçut
à composition la fiastiile et le château de Vlncennes, et se
vit alors complètement maître de la capitale (26 mars).
A chaque ligne que Ton vient de lire, on a pu remarquer
que la réduction de I^ris avait été l'œuvre en commun du
roi, des politiques , des ligueurs irançais, aidés par l'assen-
timent et le concours de la masse de la population ; que
Henri avait par conséquent repris cette ville, comme il le
désirait en 1590, lors du blocus, non en conquérant, mais en
vrai roi qui reçoit ses sujets égarés à pardon , comme on
s'exprimait alors, ou en chef de l'État qui se rapproche de
ses concitoyens. Nous avons emprunté les détails de hi red
RâDOGTIOIl DE PARIS. 355
dition de Paris à dix contemporains, dont cinq farent témoins
oculaires , et qai tous déposent de la même manière K Les
historiens les plus récents nous parlent d'une occupation
violente de Paris, de l'entrée d*un dief armé de toutes pièces,
et la dague au côté, entouré de vieux arquebusiers k rœii
farouche, au teint basané, lesquels font feu sur des habitants
qui fuient ou se précipitent dans la rivière \ hc récit de ces
historiens est une confusion erronée en un point , et , en
tous les autres points, un roman. Ils coniondent l'engage*
ment partiel qui eut lieu sur le quai de r£cole, avec ce qui
se passa dans tous les autres quartiers, dans toutes les rues
de I^ris : ils confondent encore vingt-cinq landsiienets,
vingt-cinq étrangers, avec deux cent mille habitants. Dans
tout le reste, leur narration n'est qu'une pure invention^
qu'une (able inventée à plaisir pour dénaturer à la fois la
conduite du roi et celle des Parisiens. Ce roman repose sur
une impossibilité. En elTet, dans son entreprise sur Paris, le
roi ne disposait pas de plus de quatre mille soldats. Quatre
mille soldats ne viennent pas à bout de quatre mille hommes
de garnison , et d'une population de deux cent mille Ames,
qu'ils traitent en ennemie, et à laquelle ils mettent par con-
séquent les armes à la main. La fureur de faire du nouveau,
* Poitr les sept puragrwphaf reltiUf« i. la iiidiiction de Parii, Tuyes P^u*
leur <le« Meinviree «le le Ligue, AverliMcmeut en ié(e de redit dn roi,
L VI, iu-4*, p. b7. » Lestuile, Heguire-jouriMil. — Premier Supplemea*
MlreUeLesioile.-— Deuxième &upploineuUire, p. iU(i A,il4S,'il5tt,dell7 à
S3U. — Legrein, Décède, 1. VI. p. t7â.M.V ~ P. Cujet, 1. VI, p. SHt-U»,
d^wprès l«s reluùoni cuntempurHinct le plut ctrcun»Uacieee cumme il le
témoigne. — Mattbien, Hutoirede Heure IV. — 5ully, c. 4S, t. i, p. 41,
edil, Micliuud. — D'Anbigiie, 1. IV, c. S, t. lli. p. K4-3M. — Thuwuufl,
I. eu, S)^ 4, b, p. 5bU-36S. De ces «.oolempuruiiife, noue ne ciluDs que quel-
i|u«e Uue de* pe»Mgci lee plus importante rclelifs eu petit nombre de
troupes dont le roi dîsposwit et eu coucuurs que lui prêtèrent partout le*
liouigeoîs et le peuple. « Ce fut uue clio^e remet qu«il>le que queire mill*
» hommes à piea et à chevul, entrée let>eriues en poing ucUans ce monde
• de Furia, imposesMUt en molu* de rien illence à U Ligise ;... que tout In
m pmple se mesle iiiconitucnt purmi les gens de guerre et wulrei enirre
» ueec le roy, eu toute telle priventé que k'iK eusswui tous )ours demeuiea
• ensemble, taiseut retentir les rues «le cris tie iuie et de iMerveiU«us«
e allégresse, unlent que s'ils feusseot ecbtippes de» meius d'un bouirruii,
• p«ni levoir la face de leur père et de i«uis meilleurs émis, a — « A|<rès
m qu'il eut occupe ou Cditoccuper par le* capitaineê dt quartier rajaiùUSt
m le LAfuvre, le Paleb, le giend Lbâtelet. — Lhuillier, prévdt des mur-
• cbaiuls, Lengluis, ecbeviu, et bon nombre d'eutree eccompagnes de
• hereults, tiumpcttes et gens de toute sorte, couruieut et alloient eu tous
• lee quartiers ei ruot de la ville, dont Us ê'atêûroitnt par tes eapttatnes
» et bons bourgsots. •
* M. 5ismondi, et les bistorieus modernei qu'U cite et dont il adopte les
réciU et Topinion, dans son Histoire dea Français, t. XXI, p. S83, SM.
256 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
et surtout l'esprit de parti , dénaturent les évënemcnL<( et
les caractères , détruisent la vérité, et jusqu'à la vraisem-
blance.
Dans la révolution de Paris, comme dans celle de Lyon,
comme dans celle de Marseille plus tard , et de toutes les
grandes villes de la Ligtie, le peuple invoqua la liberté, non
sans raison. En effet, quel joug est pins odieux, plus intolé-
rable que celui des étrangers et des factieux exploitant Ta-
narchie à leur profit? La fin de leur règne était donc une
délivrance. Les populations le sentaient, et les contemporains
Texprimaient vivement. L'un d'eux parle en ces termes :
« Après cette sortie d'étrangers, furent faits feux de joie et
» grandes réjouissances par les rues de Paris, et en tous les
» quartiers de la ville, avec cris de : vive le Roy ! virent la
» paix et la liberté! Tous les bons bourgeois, le moyen et
9 menu peuple étaient fort contents de se voir hors d'escla-
M vage, et de la faction et gouvernement des Seize, et remis
» en liberté dans leurs honneurs et biens, déIi\Tés de la ty-
» rannie des Espagnols et étrangers , estimée très dure et
» insupportable aux Français ^ »
La réduction de Paris est le dernier acte des Politiques de
cette ville et des Ligueurs français qui , depuis la fin de 1591,
étaient passés aux politiques. Leur effort commun contri-
buait puissamment à donner pour dénouement à la situation
la fin de la guerre civile et la pacification de l'État. Les pre-
miers terminaient dignement leur tâche. Les seconds rache-
taient la faute immense qu'ils avaient commise au mois de
mai 1588, et au mois d'août 1589 , lorsqu'ils s'étaiant ran-
gés du côté de l'insurrection et de l'intolérance , contre le
pouvoir légitime et la lil)erté de conscience. Us s'étaient
sauvés d'autres fautes irréparables, en se tenant au moins
attachés à la cause de l'indépendance nationale , de la loi et
de l'ordre public C'est par Ih qu'ils étaient rentrés dans la
voie de la saine politique. Lorsque, même en cédant à la
passion , on reste honnête , on redevient , à un jour donné,
sensé, habile, utile à son pays : la conscience finit par éclai-
rer l'esprit et redresser la raison. Avant de quitter pour tou-
jours la Ligue française qui expire, il faut observer une der-
* Lettoile, Supplément, p. t95 A, $ 6.
RÉDDCTIOIf DK PARIS. 257
nière foLs ses chefs, les membres du parlement. Eq lisant le
récit de la réduction de Paris , il n'est personne qui n*ait
remarqué le rôle militaire, la part d'action des conseillers
.Duvair, Damours, Marillac , Boucher-d'Orçay, dans cette
mémorable journée. Singulière et admirable magistrature
de ce temps-là, qu'on trouve à la fois rendant la justice , li-
bellant depuis qïdnze mois des arrêts politiques, qui ont
force de loi, pour conjurer la dissipation de TÉtat par les
ambitieux, et Tenvaliissementdela France par les étrangers,
enfin maniant le mousquet, combattant de son corps et au
péril de sa vie, pour dissiper les factieux, rétablir Tordre
public, la société civile, le pouvoir légitime. On pourra itse
laisser séduire à Tidée qu^elle eût mieux fait de se tenir en
dehors des troubles , parce que cette calme situation allait
mieux à la gravité de ses fonctions. Mais en examinant d«
plus près les choses, on change d'avis à cet égard. Quand
on considère quels immenses services elle rendit au pays à
la fin de 1591, dans la conspiration des Seize; en 1593,
pendant les États de la Ligue ; en 1596, dans la réduction
de Paris, on reconnaît de quelle utilité est la présence des
bons citoyens dans les troubles civils et dans les révolutions.
En supposant qu'ils soient subjugués im moment par les
idées du jour, par les erreurs et les passions régnantes, ils
ne tardent pas à les dominer : au lieu de laisser la société en
proie aux factieux, ils la leur arrachent
La réduction de i^aris entraîna après elle des conséquences
d'une immense portée. Elle conféra d'abord à la royauté de
Henri une haute consécration ; car, dans Topinion du peuple*
quiconque n'était pas roi de Paris, n'était pas roi de France,
Sous Henri HI, l'exemple de Paris avait jeté la moitié du
royaume dans la révolte ; sous Henri IV, il la ramena à
l'obéissance. La soumission des grandes villes et des pro-
vinces renversa à son tour les projets de domination ultra-
montaine, d'invasion et de partage du territoire, nourris
jusqu'alors par la cour de Rome, la Lorraine, la Savoie et
surtout l'Espagne. Ces résultats n'ont pas échappé aux con-
temporains. L'un dit « que de Paris plusieurs grandes villes
» apprirent en même temps leur leçon. » Un second témoigne
« que le roi trouva au Louvre, dans un coiïre, toutes les
Il clefs des villes de son royaume. » Ln troisième ajoute
17
258 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IT.
» qu*il triompha en un coup des rebelles, et de plus des deux
• tiers de TËurope joints à eux^ »
CHAPITRE III.
ninistn^tion.
L*ordre public, lu jaslice, radmioUtratioB, rétablb k Paris. Arrêt da
parlement. Conduite da clergé de Pari«« Rapporta de la France et de
Miilippell arec le Saint-Siège (lfiG4).
L'ordre public Au fuf et à mesure que Ilend enleva quelque ville ou
'puu u^uîicé' qufilQW* province à la révolte, il y rétablit aussitôt la paix,
eti'ad- Tordre religieux et civil, un gouvernement régulier, mar-
quant son œuvre du sceau spécial de la démence et de la
bonté. On peut en juger par ce qu'il fit à Paris. Le 28 mars,
il rendit un édit sur la réduction de cette ville, dont voici les
principales dispositions. La religion catholique, la religion
de la majorité, est partout rétablie : Texercice de cette reli-
gion est seul permis à Paris et à dix lieues à la ronde, con-
formément à redit de 1577, qui cependant élait le plus favo-
rable de tous aux réformés. Paris conserve ses droits,
privilèges, franchises et libertés : la inôme faveur est accor-
dée à tous les corps et corporations. L^amuistie la plus en-
tière, rabolilion et la décharge pour tout ce qui s'est pas«é
dans Tordre politique est accordée aux habitants, sous condi-
tion qu'ils prêteront serment de fidélité au roi : Toubli du
passé et le silence sont prescrits à tous ; les seuls aimes dans
Tordre civil, commis depuis cinq ans, seront poursuivis et
punis ; les -jugements rendus, les actes passés pendant le
gouvernement de la Ligue reçoivent leur exécution. Ceux
qui ont été pourvus d'oflices civils ou militaires par Mayenne
les conservent, sous la condition seulement de recevoir du roi
de nouvelles provisions. Les saisies faites siur les habitants sont
annulées, et diacun rentre dans ses biens. Les débiteurs de
rentes ne sont obligés à payer que les intérêts de Tannée
courante : les arrérages des années précédentes seront réglés
par im arrangement amiable entre eux et leurs créanders,
afin qu'au milieu du profond dérangement des fortunes par-
■
* D'AuLignr, L iv, c. 4, t. lit, p. 338. — Lcstuile, Regisl.-Jouni. de
Henri IV| p. tîl A, à la fin. ~ Legratn, Dccade, I. VI.
l'ordrb civil rétabli a paris. 259
tictilières les débiteurs ne soient pas réduits an désespoir.
Après avoir rétabli i*ordre public dans les rap|iorts des
citoyens avec le gouvernement, et des particuliers entre eux,
il fallait restaurer la justice et Tadministration. Le roi y
pourvut par ses lettres patentes du même jour 28 mars. Il
leva rinterdiction prononcée contre le parlement et les au-
tres cours souveraines de Paris, au commencement de 1589,
et au moment de la translation des cours de justice à Tours,
0 rendit au parlement de Paris le droit de rendre la justice,
et réintégra pareillement dans leurs attributions la chambre
des comptes, la cour des aides, la cour des monnaies ^
Le premier usage que le parlement de Paris ût de ses Arrêt daptr-
nouveaux pouvoirs fut de réparer les atteintes portées à la 'Xaso mais!^"
puissance royale, et de lui rendre toutes les portions d'auto-
rité que les factions en avaient distraites. Par son arrêt du
30 mars, ii abolit les arrêts donnés, les ordonnances et dé-
crets faits, les serments prêtés contre Henri 111 et contre
Henri IV depuis le 29 décembre 1588. 11 dla à Mayenne le
titre et la puissance de lieutenant-général : il enjoignit à ce
prince et à tous les princes lorrains de reconnaître Henri pour
roi. 11 ordonna aux princes, nobles, prélats, villes, de renon*
cer à la Ligue, sous peine d'être traités comme criminels de
lèse-majesté. 11 cassa et révoqua en général les délibérations
et les actes des États de 1593, et il atteignit ainsi le fameux
vote du 20 juin, qui, en décrétant Télection, appelait au
trône un autre prince que Henri 2.
On s'étonne au premier abord de voir le roi provoquer ou Contéquencps
souffrir un pareil arrêt, et chercher la confirmation de ses ^ '*"*''''
droits et de sa légitimité dans les décisions d'un parlement,
la veille encore ligueur et ennemL Mais depuis cinq ans, le
parlement de l^ris était constitué en corps politique ; et de-
puis l'arrêt du 28 juin ce corps avait dominé les autres pou-
voirs publics, la lieutenance-générale et les États-généraux :
il n'est donc pas douteux qu'auprès du peuple de Paris ses
actes n'eussent une autorité supérieure à celle de tous les
* L'cdit et les lettre» petenlei du 3S nart 1694, dans les Mémoires de la
Lif ue, t. VA, p. 71-83. — LegruÏR, L Yi, p. tHk. — P. Cajet. L Vl, p. fitifil,
57U.
' Arrêt da parlement de Paru dant les Ancienues lois françaises, t. XV,
D. S5, mi, 87. — Uaia lis Meoi. de la Ligue, U VI, p. 8fr-S7. — P. Uyel,
1. n, p. 671.
260 HISTOIRE DU RÈGNE DE HEKRI IV.
pouvoirs alors existants. Mais Henri ne pouvait se servir de
lui impunément et une seule fois : Tarrét qu*il lui laissait
rendre devenait une confirmation de ses attributs politiques et
de sa puissance législative ; le parlement conserva pleinement
ces pouvoirs Jusqu'à Tannée 1599.
n«ioar Plus il avait d'autorité dans les affaires d'État, plus il était
'""'lUToîwr'* nécessaire que le roi se bâtât de partager ce pouvoir entre des
et dii cbâioni. magistrats si longtemps ligueurs, pouvant redevenir si facile-
ment bostOes, et les serviteurs éprouvés de la couronne. Même
comme cour judiciaire, le parlement de Paris ne pouvait être
considéré comme reœnstitué , tant que ses membres roya*
listes continueraient à siéger hors de la capitale. Dès le
27 mars, Henri rappela les magistrats, au nombre de plus de
deux cents, qui, depuis son avènement, avaient composé les
parlements de Tours et de Gbâlons, et les cours des comptes,
des aides et des monnaies. Ib rentrèrent à Paris , le fidèle
Harlay en tète, le l/i avril et le 15 mai , et se réunirent à
leurs collègues. lie roi leur accorda le pas sur les ligueurs,
et par cette marque honorifique il consacra le souvenir de
leur fidélité ; mais il leur ordonna d'oublier le passé, comme
lui, saisissant toutes les occasions de fondre et de réunir les
partis contraires dans un grand parti national K
Etti *i riwgrf Le roi avait été reconnu par le peuple^ l'hôtel de ville, le
parlement ; il ne lui restait plus qu'à obtenir l'adhésion du
clergé, pour que la soumission de tous les ordres à son auto-
rité fût entière. Nous avons signalé précédemment et honoré
de justes éloges la conduite de la partie du clergé qui, parmi
les folies et les fureurs de la Ligue, était restée ferme dans
la voie de l'Évangile et des principes gallicans , de l'évéque
Gondy, des trois curés Benoist, Ghavaignac, de Morenne, de
quelques ordres religieux, les Génovéfains et les Bénédictins^
qui avaient refusé de rien faire d'hostile contre le roi, ou qui
même avaient travaillé à ramener les esprits vers lui. Si bo*
norables que fussent ces exceptions, ce n'étaient que des ex-*"
ceplions ; la grande majorité du clergé de Paris, docteurs de
Sorbonne, prédicateurs, curés, moines, s'étaient montrés ses
ardents ennemis. Quelques uns avaient embrassé la révolte
par un enthousiasme fanatique; d'autres sur l'espoir de
* Anciennes lois françaiiies, t. XV, p. 86. — P. Cayet, I. VI, p. 073 A, —
Thiinnu«, I. cm, S G, t. v, p. ^i, 3SÂ.
LE HOl RECONNU PAR LE CLERGÉ DE PARIS. 261
commettre impunément tous les excès et tous les crimes au
milieu de Tanarchie ; le grand nombre par docilité au pou-
▼oir et par obéissance aux ordres de Mayenne et du légat, ou
par ambition et par airidité , car la plupart convoitaient des
cures et des évêchés, et recevaient des pensions du parti
lorrain et de TEspagne. Pendant les derniers jours de mars,
ceux qui persistèrent dans leur haine et dans leurs emporte-
ments, tels que Aubry et Boucher, ceux qui, indépendamment
des excès politiques, s'étaient souillés de vols et de meurtres
et se trouvaient passibles de la justice dvUe, s'exilèrent vo-
lontairement ou furent comprb dans la liste des iMnnis. Le 22,
soixante sortirent de Paris, avec la garnison espagnole,
et se retirèrent en Flandre sur les terres du roi d'Espagne :
le 22i, neuf curés, quelques prédicateurs et moines des plus
ardents parmi les Seize, curent à s'éloigner temporairement.
Dès lors il ne restait plus que le clergé politique ou éclairé,
et la portion du clergé ligueur qui craignait le pouvoir et se
conduisait par son intérêt.
Rien ne s'opposait plus à ce que l'autorité de Henri fût Heuri reconnu
acceptée et reconnue par les ecclésiastiques comme par les **' «««'8 •
autres ordres de citoyens. Le 2 avril, la Sorbonne se rendit
en corps auprès de lui et lui offrit ses hommages et l'assu-
rance de sa fidélité. En môme temps Gommolet , Gulncestre
et d'autres prédicateurs, de ligueurs forcenés devenus tout
i coup royalistes, recommandèrent dans leurs sermons sa
personne, et ne tarirent plus sur ses éloges ^ Le 22 avril, la
Sorbonne , les quatre facultés de l'Université, les curés, les
ordres religieux, prêtèrent serment à Henri et signèrent une
déclaration portant qu'il était vrai et légitime roi ; que tous
ses sujets était tenus de lui obéir, quoique ses ennemis eus*
* LfMtoUc et »on Supplément, p. §31 B pour U sortie de Boucher «t de
•oisante moines et prédicateurs; p. 398 B, Si!^ S30, pour le hanntssemrnt
des neuf curés et d'autres prédicateurs cl moines; p. 930 B pour U Surbonne
•l les prédicateurs licueurs dnrenus royalistes : s Ce jour, crux de la Sor-
» bonne en corps allèrent saluer le roy... Il leur dit qu'il avoit rnvie de
•» réunir par la douceur tous ses subjcctii, principalement ceux di* rKgli>c ;
» Hinis singulièrement leur corps et faculté, bquelle il honoroit et aimc-
» loit touiours. De quoy, messieurs nos maistres aVn allèrent fort contents,
» disant autant de bien de sa maicstr, comme peu auparatant ils en avoient
» dit d« oial. Commolet et Incestre (Guîncestre) de grands ligueurs devenus
» royaux, ou pour le moins feignant de Testre, recommandèrent fort en
• leurs sermons la personne du roy, nostre sire, principalement Incestre,
• qni sV*slendit si avant sur les louanges de sa maiesté, qu'on peusoil qu'il
• n*eu dusl îamais sortir, a — Thuauus, 1. CiX, S 7« U Yt p. K7.
262. HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
sent empêché jusqu'alors le Saint-Siège de le recevoir dans
la communion de TÉglise ; qu'ils renonçaient eux-mêmes à
toute ligue et association, et qu'ils déclaraient excommuniés,
coupables de haute trahison et ennemis publics, tous ceux qui
pensaient ou agiraient autrement. Cette déclaration eut alors
une hante importance, parce que les ennemis du roi s'effor-
çaient de persuader qu'on ne pouvait lui obéir avant qu'il
eût été absous par le pape et reconnu pour fils aîné de
l'Église. Déjà un schisme éclatait parmi le clergé, et il était à
craindre qu'on ne parvint à détacher du roi les plus pieux
et les plus timorés d'entre les laïcs. Ce danger était prévenu
par la déclaration et le serment ^
Leg iésaitet. Dcttx dcs Ordres religieux, les Jésuites et lest^pucins, re-
fusèrent seuls d'y adhérer. Ils dénièrent à Henri la qualité et
l'autorité de roi , jusqu'à ce qu'il fût relevé et admis par le
pape', n restait donc usurpateur et hérétique, et par consé-
quent digne de mort comme Henri HI, pour les fanatiques
sanguinaires que la Ligue avait prêches et pervertis depuis
dnq ans. De plus, la vie du prince et tout Tordre politique
de la France dépendaient de la décision d'un souverain étran*
ger. Ces doctrines subversives, maintenues par les Jésuites,
produisirent bientôt de nouveaux crimes.
Conduiie da Henri ne pouvait conjurer ces périls qu'en faisant valider
son abjuration et son autorité par le pape. Dès le mois d'oc-
tobre de l'année précédente, il avait envoyé le duc de Ne vers
en ambassade au pape, pour lui rendre obédience et solliciter
l'absolution. Clément VIII était disposé à agir en vicaire de
Jésus-Christ et en père commun des fidèles. Mais la puis-
sance de Henri n'était pas encore assez affermie, pour que le
pape pût opposer la France à l'Espagne, et se soustraire à
l'indigne esclavage où le retenait le roi catholique. Philippe
le menaça par son ambassadeur d'une guerre à outrance, de
la perte de ses États et même de la déposition, s'il sanction-
nait la conversion du roi. Le duc de Nevers fit valoir en
' Le texte de le déclaration et du ferment dans les Mëni. de la Liffoe,
t. Tl, p. 8S.95 ; Suppl. de TEstoile, p. iSS-â."». — P. Cayet, 1. Tl, p. 571-
873.
" Thncnas, 1. cix, S 7, t. y, p. 387. « Ex sacro nrviinr mH In nrhe resta-
» bant Je«uiliric Kchniv lodalfs ac noTÎ in (raHia froncitrnni caporinî. qui
M M lariKdirlioni rrgiit exempto^ crndniitet, ponttBcH auctoritatem cxprc-
a tandaoi aiebant ; interimque prere^ pro rcge facore aal ei fidem tanquam
• principl lefilimo addicere recaiabant, »
pape.
LES JÉSUITES. CONDUITE DU PAPE, v 263
vain les plus fortes considérations tirées de la justice, de la
politique, et même de la religion : vainement il pria, il sup-
plia. Le pape resta forcément inflexible, et la France ne put
recevoir le gage de la paix qu'elle attendait de la cour de
Itome, asservie elle-même à la cour de Madrid >.
Cet exposé succinct suffit sans doute pour expliquer Tétat
intérieur de la France au commencement de 159/i, les rap-
ports de ce royaume avec le Saint-Siégc , la connexité de la
politique et de la religion. Mais il doit nous être permis de
faire un pas hors de notre sujet, et d'entrer dans de plus
grands détails pour montrer quel était véritablement le ca-
tholicisme de l%illppe II, de ses ministres et de ses partisans
dans les divers États de TEurope ; quelle conduite ils tenaient
k regard des papes; quel respect ils portaient à leur carac-
tère et à leur autorité ; quel usage ils faisaient de la religion ;
à quel point ils se jouaient de ce que les hommes ont de plus
saint et de plus sacré. Sans ces développements , on con-
naîtrait mal Tesprit du temps, les sçcrets ressorts de la poli-
tique espagnole, son intervention dans les affaires, la a)n-
dnite des cours'étrangëres, la situation générale de TEurope
à IVpoque qui nous occupe.
Trois relations contemporaines déposent d*une manière lUpporu
uniforme sur les moyens employés par I Philippe II et par son .teTïe SS'li
ambassadeur pour empêcher Clément YIII d'accueillir la de- let autr«t
mamle d'absolution que lui adressait Henri IV. Nous repro- jo t'Ênrap*.
dnirons ici la relation qui se trouve dans les Mémoires du
duc de Ne\crs, ambassadeur de la cour de France, et qui a
pour auteur le duc lui-même ou l'un de ses secrétaires, tous
deux témoins oculaires. « Le duc de Sessa, voyant le pape
aucunement incliné à admettre la conversion du roi, dont il
se réjouissait, comme même il l'a voit fait entendre par le
jésuite Houssevin à M. de Nevers, se résolut de l'empêcher
en ce dessein , et avec ses partisans intimider Sa Sainteté de
la part du roi d'Espagne, son maître ; usant de telles menaces,
que si le pape se laissait aller à la requête dudit sieur de
Nevers, son maître lui dédaroit qu'il aflameraitRome, ne
permettant qu'il y vint aucunes graines ni autres commodités
* * DUcoiir* dp cr que fit M. de ffpreni I son Toyoge à Romp, en Vun 1B9CI.
— Oittroars de la Ir^ation de M. de Nevent, dans les lC<^oîre« de M. le dae
de NeTcm, I. il, n, 44tS.491 in-folio. — P. Cayel, Chron. noT., 1. y, p. 514,
ttii ; I. Ti, p. 648.503. -> Tkunns, I. CVin, SS l-^« (• ▼« pi SI 8^30.
H6U HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
de Sicile, Napics et autres siennes terres. Qu'il ferait un
schisme en Espag^ne et autres siens royaumes, qu'il mettroit
telle division parmi les cardinaux que cela lui apporlcroit un
grand préjudice. Qu'il susciterait l'Empereur à redemander
Rome et antres villes appartenantes à l'Empereur, comme
mal données au pape par l'empereur Constantin. Que son dit
maître scroit exécuteur lui-même des dites demandes ; le-
quel au pis aller lui ferait la guerre ouverte, comme son
père a voit fait à Paul Farnèse. Qu'il ferait intimer un concile
général contre Sa Sainteté , par le moyen de l'Empereur et
autres princes d'Allemagne , lesquels lui pourraient faire la
guerre jusqnes aux portes de Rome, pour la commodité qu'il
leur en donneroit.
• Et au contraire remontroit à Sa Sainteté qu'elle devoit
plutôt laisser ruiner la France et y permettre la guerre...
Que ce seroit le grand avantage de Sa Sainteté et du Saint-
Siège si la couronne de France se divisoit, parce qu'étant en
parcelles, et sous la comqiunauté des villes particulières, ou
sous la domination de princes et seigneurs qui en usurpe-
raient chacim sa part , Sa Sainteté en seroit 'mieux obéie et
respectée qu'elle n'a été et n'est à présent ; parce que n'y
ayant qu'un rai , le corps demeure fort et entier, même le
clergé, qui ,« jaloux de ses privilèges et libertés anciennes, les
débaL Ce qu'il ne pourra faire pour être divisé en mille parts
et sous la domination de divers princes , de la volonté des-
quels lesdites parts dépendront ; et n'aura plus la force ledit
clergé de débattre ses dits privilèges comme il a fait, s'oppa«
sant à plusieurs ordonnances, décrets et canons des papes.
Que l'autorité du roi étoit aidée et supportée de deux autres
corps non moins forts, à savoir la Sorbonne de Paris et les
cours de parlement de France. Que les parlements ne pour-
ront plus s'entremettre de corriger ou retrancher les facultés
des papes et légats ; car le parlement n'aura plus ses auto-
rités passées, voulant chacun seigneur avoir le sien. Quant ù
la Sorbonne, elle sera ruinée et ira par terre, parce qu'étant
composée de docteurs de toutes les provinces de France , et
partant représentant tout le corps du royaume , la ville de-
venant franche à elle-même, les autres villes et seigneurs
ne lui voudront déférer ce privilège, ni la reconnottre en au-
cune chose. De manière que Pautorité du clergé , du parle-
RAPPORTS DK PHILIPPE II AVEC LE S A 1 ?1 T-SIÉGE. 265
ment, de la Sorbonne, s'en iront en famée, avec les privilèges
et lil)erlés de TÉgltse gallicane ; et sera le pape reconnu et
obéi de tous sans contredit et sans difficulté K »
On peut donner pour contr^VIe aux assertions du duc de
Nevers, seigneur du parti du roi, les assertions de La Gliastrc
pendant si longtemps i*nn des principaux conseOiers de
Mayenne, et initié en cette qualité à tous les secrets du parti
de la Ligue et de la cour de Madrid. La Ghastre confirme de
point en point dans son discours du 17 février 159/i les allé-
gations du duc de Nevers. Gomme lui, il représente le pape
en butte aux menaces et aux violences de Philippe II, ne
pouvant plus ni agir, ni même vouloir, qu'au gré des Espa-
gnols : comme lui, il montre le roi catholique ayant réduit
Tautorité du vicaire de Jésus-Ghrist au service de sa politique,
et il apprécie sa religion avec une fermeté de raison et une
liberté qui jettent sur Tesprit du temps une lumière toute
nouvelle *.
Ges faits étaient répandus et connus dans le royaume dès
le commencement de Tannée i59/i. Le défaut d'absolution
du roi pouvait encore armer contre ses jours quelques furieux
poussés par les stipendiés de TEspagne, auxquels la clémence
de Henri -épargnait le supplice et Texil ; mais cette raison re-
ligieuse ne pouvait balancer les raisons politiques qui pous-
saient les villes et les seigneurs de la Ligue à désarmer. Les
gouverneurs de ce parti connaissaient les disposKions du
peuple avide de paix , las de leur autorité : entraînés par
Texemple des grandes villes, et surtout de Paris, ils sentaient
qu'il était temps encore de faire acheter leur soumission, mais
qu'il (allait se hâter. Les princes de la maison de Guise ,
* Les intimidations qui furent faiiei au (Mpc Clignent VIII par le duc de
SesM, flans les Hem. du duc de Ncrcrs, t. il, p. 716, 717, in>folio. Nous
u*avous chaugc que ^orthographe.
' Difcours de La Chantre aux habitants d'Orléans, le 17 fer rier 1594,
dans Cayet, h Tl, p« 545 B. — ■ lje% Espagnols ont nié si avant que l'am •
» hasiadcur du roy calboUqur« ri'sidt'ut à Rome près de .Sa Saincteié, Ta
I» hien osé nirnacrr, stius h' nom de vin mui&lrc, qu'il rnmproit Tulliauce ri
• amilié, s*il cousrnluit à ri-rinroir le roy à su conversiun. Et de plus luy
» dit qu'il empeschcroil les traites de bled qui viennent de Naplrs et de
m Sicile k Rome pour la nourriture dv rc grand peuple. Kons voyez par
m ià, messieurs^ de quelie piété et religion sont tonchez ces nouveaux
» chrettiens» Je vous diray bien enrorfs que le pape reçut ce»te indi-
» KDÎté là avec tant de rrgift et de df.%pluisir, qu'il s'en mist an lict et en
» pleura ; »c plaignant k quelques rurdinaus. qui esloient autour de luy, de
» se Toir forré en se« volontci, et ne pouvoir distribuer ses licucdiclions
m sans le gré et consentemeol des Espagnols. »
:266 HISTOIRE DU RÈGNE DB HENRI IV.
inspirés de i'ambition de Mayenne, essayèrent d*al}ord de
tenir lx)n, mais ils virent les villes les abandonner pour passer
du côté du roi.
Sonmitiion
de VUlar*, de
Rouen
et de toute
U Normandie.
CHAPITRE rV.
Soumitsion de Villart, de Rouen et du reste de la Normandie. Soumissions
d'autres TUles et chefs de lii Ligue. Prise de Luon. Traités avec deut
princes de la maison de Guise et iTec le duc de Lorraine. Fin du tiers-
fiartj. Attentat de Chatcl, eipulsion des jésuites. Prix auquel les chefs de
a Ligue mettent leur soumission (1594).
A la suite d'une épineuse négociati<Miy conduite par Rosny,
Villars acceptait un traité qui devait replacer sous la loi de
Henri Rouen, le Havre, Montivillier, Pont-Audemer, Ver-
neuil. Mais Villars mettait sa soumission à un prix exorbi-
tant. Il exigeait la charge d'amiral de France, le gouverne-
ment en chef des bailliages de Rouen et de Caux, c'est-à-dire
outre le gouvernement particulier de Rouen, la domination
de toute la Normandie entre la Seine et les frontières de
rile-de-France et de la Picardie^ enfin une somme de
3,477,800 livres, correspondant à plus de 12,500,000 francs
d'aujourd'hui ^ Rosny hésitait à infliger au roi et au pays de
si dures conditions. Henri montra alors que tout daps sa
conduite était réfléchi, calculé, dicté par une politique que
l'expérience pratique et l'étude des temps précédents avaient
également mflrie. Arrêté à l'idée que rien n'était si dange-
reux, ni même si coûteux pour la France que la révolte, Ta-
narchie, le partage du pouvoir souverain, il écrivit à Rosny :
«Mon amy, vous pstes une bcste d'user de tant de remises, et
apporter tant de difCcullez et de me«Dage, en une aflaire ûo.
laquelle la conclusion m'esi de si grande importance pour Pesla-
blissement de mon autborilé et le soulagement de mes pruplrs.
Ne vou<( souvient-il plus des conseils que vous m'aves tant de fuis
donnei, m'allégunni pour exemple celuy d'un certain dur tic
Milan au roy Louis XI, au temps de la guerre nommée du Hien
public, qui estolt de séparer par interests particnHers tous ceux
qui esloient ligiiei contre lu y, qui est ce que je veux essayer de
faire maintenant ; aymant beaucoup mieux quMI m*en coule deux
fois autant, en travaillant séparément avec chaque particulier,
* Sully, OEcon. roy., c. 47, 1. 1, p. IS7 A ; c. 151, t* n, p. 30 A.
SOUMISSION DE VILLARS BT DE ROUEN. 267
que de pairenir à mesmes effects par le moyen d^un traieté gé-
néral fiiict avec un seul chef (comme rons sariet bien des gens qui
me le rouloient ainsi persuader) qui pust parce moyen entretenir
toujours un pnrty formé dans mon Estât ^ Partant ne vous amuset
plus à faire le respectueux pour ceux dont il est question % les-
quels nous contenterons d'ailleurs ; ny le bon mesnager ne vous
arrc5tant k de l'argent : car nous payerons tout des metmes choses
que Con nous Uvrerot lesquelles, s^il nous faltoit prendre par la
force, nous cousteroient dix fois autant,.. Conclue! au plus tmt
aviîc M. de Villars. Puis, lorsque je seray roy paisible, nous use-
rons des bons mesnnges dont vous m'avez tant parlé, et pouvei
TOUS a^vurer que je n'épargneray travail* ny ne craindray péril
pour eslever ma gloire et mon Estât en leur pluii grande splen-
deur. Adieu, mon amy *. •
Le traité fut conclu, conformément aux larges vues du roi,
par Phabileté, le sang-froid, l'infatigable activité de Rosny.
L'une dos quatre villes les plus importantes du royaume, et
avec elle tout le reste de la Normandie, l'im des deux capi-
taines les plus habiles et les plus braves de la Ligue, furent
réduits sous l'obéissance de Henri (27 mars 159^). Par leur
exemple autant que par les rrssources qu'ils fourniront,
ils contribuèrent puissamment à la soumission des aiUres
provinces. I^ fraction royaliste du parlement de Normandie
établie à Caen, et présidée par le grand citoyen Groulart
qui avait rendu au parti national d'Inappréciables services,
la partie royaliste du parlement de Normandie revint à
IioueUf ot se confondit avec le parlement ligueur (26 avril).
L'unité et la régularité de la justice, l'empire de la loi, y
furent rétablis presque en même temps qu'à Paris 1.
Le duc de Guise était gouverneur de Champagne et avait
établi son frère, le prince de Joinville, pour gouverneur par-
ticulier de Troyes, capitale de la province. \jet duc d'Aumale
avait le gouvernement de Picardie, qui comprenait alors plu-
* Un Iniittf gffnrral que Hnnri auroil fait bt^c le dnc d* M«yenn«.
* Riron, Mnntpensirr, B4»i«-Roié (SuHy. c. 47, p. 136 A).
■ Lettres nii<tlT«*<i. 8 mars 1594, t. IT, p. 110. 111.— Siilly, OCeon. rov.,
e. 47, 1. 1, p. 136, iTt.
* Pour l'ensemble des négociations relatlTes \ la itfdaction de Viltars et
Ae Riiiieo, Toyea SuUy, OF.con. roy., c. 45, 46, 47. t. I, p. I3t-I3f). —
P. CoTet, Chr. noveo., I. Tl. I. I. p. 577. — Lesloi!^», p, 9fit A, Sappl.
p. *JB A. — ThuaniiB. 1. cix. ^ 8, t. ▼, p. M8. — D'Anbigné, I. rv, e. 4,
t. ni, p. 338. — M. floquet, Hist. du parlement de ftormandie. t. m,
p. 611-613.
Soamistion
de Troyes S«na
AbbeTille,
lConlr«>iiil;
dans le Midi, de
Riom
et d'Agen.
SoumiMÎon
lie Trojes, Sent,
Abbcville,
Monlr«u|l,
Eion, Agen.
Henri
pnod
268 HISTOIRE DU R£GN£ DE UEiNKl IV.
sieurs villes et pays annexés plus tard à l'Ile-de-Kraiice. Les
princes lorrains essayèrent de lutter contre le torrent, mais le
torrent les emporta : les échevins et les habitants des villes,
les gouverneurs particuliers, précipitèrent leur soumission.
Au mois d*avril, on trouve la réduction de Troyes, après
Texpulsion du prince de Joinville, et celle de Sens en Cham-
pagne ; celle d'Abbeville et de Montreuil-sur-Mer en Picardie.
Dans les provinces du Midi, Hiom, Tune des deux princi-
pales villes d*Auvergne, reconnaissait Tautorité de Henri, et
les habitants publiaient un manifeste dans lequel ils décla-
raient qu'ils n'avaient suivi le parti de la Ligue que pour
rintérét de la religion, et que ce motif n'exislant plus, ils
s'empressaient de rendre obéissance au prince légitime (avril).
Montluc, sénéchal d'Agcnois, et les trois villes d'Agen, de
Villeneuve, de Marmande, dépendantes du gouvernement de
Guyenne, envoyèrent en même temps leurs députés au roi
La France du Nord était la partie du royaume oft Ton pou-
vait soutenir le plus aisément la Ligne à cause du voisinage
des Pays-Bas et du secours des armées espagnoles. Les
Guises comprenaient que leur parti était perdu s'il succom-
bait dans ces provinces. Aussi Mayenne, le duc d'Aumale, le
duc de Guise, s'eflTorcêrent-ils, par leur présence et parleurs
armes, d'arrêter le mouvement de défection imprimé à la
Picardie et à là Champagne, par les quatre villes qui venaient
de se soumettre. Mayenne et le duc d'Aumale furent aidés
par une armée de dix mille Espagnols , que Philippe , sorti
de ses plus pressants embarras, leur envoya sous la conduite
de Mansfeld. Henri, de son côté, seconda la révolution près
d'éclater dans ces pays, en y envoyant ses troupes, et en as-
siégeant la ville de Liaon (25 mai). Laon dépendait alors de
la Picardie, et depuis la réduction de i^ris était devenue la
capitale de la Ligue. Mayenne et Mansfeld essayèrent de la
dégager ; mais après la perte de deux convois, et de quinze
cents hommes tués dans plusieurs combats , ils furent con-
traints de s'éloigner. Laon capitula le 22 juillet et ouvrit ses
portes au commencement d'août ^.
• Tbuanns* I. cix, t. V. — P. Cojel, I. VI, p. 578, 579. — MuUbieu,
Hiftt. de» deruiert troubles, folio 60 verso.
' D*Auhi£nc, 1. iv, c. 5, t. ui, p. 54t-^45. » P. Cayal. 1. Yl, p. 579-892,
585 B. — Thuaaus, 1. cxi, t. Y.
DE LA CHAMPAGNE, DE LA PIGARDIR, DE l'ADVERGNE. 269
Les revers de Mayenne et des Espagnols au siège de Laon Sonminioa
laissèrent un libre cours aux déterminations des villes de "* Twtl^"'
Champagne et de Picardie, et au désarmement de ces pro- Amiens, b^o-
vinces. Tandis que Henri campait encore sous les murs de ^^••''''y®*^
Laon, il reçut la soumission de Château-Thierry (juillet).
Amiens fit la sienne le 16 août, après avoir chassé le duc
d'Anmale; Beauvais le 32 du même mois, Noyon dans les
premiers jours d'octohre. Dans toute retendue de la Picardie
il ne resta plus alors que Soissons au doc de Mayenne, Ham
an duc d'Aumale , La Père aui Espagnols '.
En même temps la Ligue éprouvait dans le Poitou, 1* Anjou d« Poitlcn*
et le Maine, des pertes qui la réduisaient aux proportions les ^^ ^^1%* d«
plus e&ignés : elle s'affaiblissait aussi en Bretagne. Le duc d*El- ^ Bratugne.
beuf, de la famille de Guise, s'était fait gouverneur de Poi-
tiers, et le ligueur Boisdauphin occupait les villes de Laval,
Ghâteao-Gonthicr et Sablé. L'évèque de Poitiers et le corde-
lier Porthaise, qui exerçaient un grand empire dans Poitiers,
se laissèrent gagner par le roi, et concertant leurs efforts avec
Sainte-Marthe, i*un de ses zélés serviteurs, ils amenèrent les
habitants à reconnaître son autorité (juillet). Le duc d'Au-
mont, lieutenant de Henri, enleva I^val à Boisdauphin. Dès
lors la Ligue ne conserva plus que le château de Mirebeau en
Poitou, Château-Gonthier dans TAnjou. Sablé dans le Maine.
D'Aumont porta ensuite ses armes dans la basse Bretagne et
contre Mercœur. Il subjugua pendant Tété Concarneau, Tune
des meilleures places maritimes, Morlaix, Quimper-Gorentin.
11 attaqua ensuite le formidable établissement formé par les
Espagnols sur les côtes. Us s'étaient emparés de Blavet; Us
avaient bâti la citadelle de Grodon , qui dominait Brest ; lis
projetaient d'englober le Conquet dans leurs possessions.
Dès lors ils auraient établi une douane qui aurait produit des
sommes immenses, tenu dans leur sujétion tme partie de la
Bretagne, occupé im poste d'où ils pouvaient à la fois entrer
chaque jour en France et menacer l'Angleterre. D'Aumont
renversa leurs projets par la prise et la destruction du fort
de Grodon. D'un autre côté, Saint-Maio, la troisième ville de
la Bretagne , fit sa soumission volontaire au mois de sep*
temhre. Après ces revers, le parti de la Ligue, du duc de
* D*Aabi(n^, 1. IT, r. 4, t. m. p. 338. — P. Cayet, I. vi, p. S85 A, BSO,
587, 608 A. — Thiinnos, I. CYl, $$ 4, K, I. y, p. 4U, 4ST.
Fin
au ti«rt.p«rlL
SoiimiMlon
de d^Elbeuf.
dit GuiM« de la
Chjin|«giie.
Traité da duc
de Ijorruine.
Reddition
de triiis villes
deU
Bourgogne.
270 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
Mercœur , de Tétrangcr, ddclina dans cette province d^me
manière sensible ^
¥ji même temps le tiers-parti, qui avait longtemps armé
contre Henri des princes de sa propre famille, etqai lui avait
fait une guerre presque aussi dangereuse que la Ligue, le
tiers-parti perdait ses deux chefs et périssait avec eux. Le
jeune cardinal de Bourbon succomba au chagrin d'une am-
bition déçue et à la maladie, le 28 juillet, et Françobd'O
mourut de débauche le 28 octobre 1694 \ Ainsi toutes les
factions tombaient à la fois devant Henri.
Plusieurs membres de la famille de Guise, au milieu de
risolement où ils commençaient à se trouver, craignirent de
n'être bientôt plus traités comme des chefs de parti,, mab
comme d'obscurs factieux, et pour échapper à ce danger, ils
abandonnèrent Mayenne et TUnion. Le duc d'Elbeuf se
soumit à condition qu'il rentrerait dans le gouvernement de
Poitiers, ce qui lui fut accordé. 11 fut suivi par le duc de
Guise, qui tenait le gouvernement de la Gliampagne pour la
Ligue. L'un des chefs rebelles dans cette province. Saint-
Pol, créé maréchal de France par Mayenne, avait péri dès le
mois de mai précédent Comme il prétendait , contre l'avis
du duc de Guise, maintenir des dispositions qui lui permet-
taient d'asservir les habitants de Ileims, il s'était pris de que-
relle avec le duc et avait été tué par lui. Guise traita avec le
roi au mois de novembre : il lui remit le gouvernement de
Champagne et reçut en échange celui de l^vence ; il rendit
les villes de Keiuis, llocroi, baiut-Dizier, Guise, Jolii ville,
tismes, MonlcorncL
Les villes soumises particulièrement à l'autorité de Saint-
IH)1, Yitry, Mézières et autres, traitèrent de leur côté. Dès
lors la Ligue fut entièrement extirpée de la Champagne. Dans
le même mois de novembre, le duc de Lorraine, chef de la
maison de Lorraine, conclut un traité de paix avec Henri K
11 désavouait ainsi la conduite des princes dé sa famille,
Mayenne et Mercœur, qui persistaient dans la guerre contre
• Tbuanus, 1. cix, $ 8, t. V, p. 359; 1. CXI, $$ iO-tt, p. 433-43». ->
p. Cityet. 1. Yi, p. 585 B, 613, 613.
> Thuaniu, 1. cz, $ 14, et 1. CXI, $ 9, U Y, p. 419 et 433. — LmIoO*,
p. «48, 449. — P- Cayel. 1. VI, p. 608.
* Thuantu. 1- cix, $ 8, «t l.cxi, S S, t. V, p. 3»9, 431, ATiÈ, * P. Gajel,
l. VI, p. e08-61i.
PIN DU TI£RS-PARTI. SOUMISSION DES PRINCES LORRAINS. 371
Henri. Le premier aussi des souverains étrangers, U sortait
de la coalition formée depuis cinq ans par Pliilippe II, le duc
de Savoie, le pape, et lui-même enfin, contre la France. Un fait
non moins significatif, non moins désastreux pour Mayenne
que Taliandon du chef et des princes de sa maison, c'était la
défection des villes de son propre gouvernement. On vit à la
fin de 1596 trois villes importantes de Bourgogne, Mâcon,
Avallon, Auxerre, se soustraire à son obéissance pour ren-
trer sous celle du roi < .
Un horrible attentat laiUit trancher les jours du roi et Attenut
arrêter la France dans sa marche vers des destinées meil- ^* chuiei, e».
pulsion
leures. Jean Ghatel se mêla aux seigneurs qui venaient saluer des i^tuUes.
le roi et essaya de le tuer d'un coup de couteau. Gomme il le
frappa au moment où il se tiaissaitpour embrasser i^un d*eux,
le coup fendit seulement la lèvre supérieure et brisa une
dent (37 décembre 1596). L'instruction prouva que la per-
version des idées religieuses avait amené le crime, et qu*après
avoir conduit le pays sur le bord de Tablme par la Ligue, elle
pouvait Vy précipiter par le régicide. Ghatel n^avait que dix-
neuf ans, et Û tenait évidemment de ses maîtres les principes
d'après lesquels U avait agi. Coupable de monstrueuses dé-
bauches et de pensées plus infâmes encore, il s'était cru irré-
vocablement dévoué à l'enfer, et il n'avait plus cherché dès
lors qu'à diminuer la peine de sa damnation étemelle. IVins
le collège des Jésuites, chez lesquels 11 avait été élevé, il avait
entendu répéter fréquemment qu'il était permis de tuer le '
roi, parce que c'était un tyran et qu'il n'était pas approuvé
par le pape. Il avait alors formé le projet d'assassiner Henri,
enpérant mériter par cet acic que les huit degrés de tour*
ments auxquels il était condamné fussent réduits à quatre.
Ghatel subit le supplicç des parricides Le parlement informa
ensuite contre les jésuites ses maîtres. L'opinion publique
leur reprochait amèrement et justement la participation du
père Varade dans le crime de Barrière et leur récent refus
de reconnaître le roi et de prier pour lui. De plus, ils soute-
naient dans ce moment un procès contre l'Université et contre
les curés de Paris, qui tous ù la fois les accusaient d'usurper
sur leurs attributions et leur autorité , et demandaient leur
* L«Ur« d« MaycniM à Philippe U, dans Gav«t, I. Yl, p. 618 B, à la £«,
— Mcm. de Tavunncs, U Viu, di* la collccU IbclMiid, p. 498 A.
272 HISTOIRE DO BÈGNR D£ HKNRI I?.
expulsion. Le crédit de leurs partisans avait obtenu Pajour-
nement de la cause : elle fut reprise alors. Les dépositions
de Gbatel ayant établi qu'ils professaient des doctrines sub-
versives, le parlement les déclara corrupteurs de la jeunesse,
perturbateurs du repos public, ennemis du roi et de TÉtat,
et les bannit du royaume. Défenses furent faites à tous les
sujets du roi d'envoyer leurs enfants étudier chez les jésuites
hors de France, sous peine d'être déclarés ennemis de l'État
(29 décembre). Le père Guéret, qui avait enseigné la philo-
sophie h Ghatel, et le père Hay, reconnu coupable de vœux
formés pour la mort du roi, mais avant l'amnistie, furent
bannis à perpétuité du royaume. Le père Guignard, que l'on
trouva détenteur d'écrits rédigés par lui, et dans lesquels il
justifiait la Saint-Barthélémy et l'assassinat de Henri III , et
provoquait au meurtre de Henri IV, fut pendu en Grève.
Les parlements de Kouen et de Dijon chassèrent également
les jésuites de leur ressort; mais ceux de Bordeaux et de
Toulouse les retinrent ^
lu luti obt«- Échappé au couteau de Ghatel et aux provocations sangui-
nut |Mr u roi. nalres de docteurs en délire, Henri put continuer l'œuvre de
la régénération de la France. Les résultats obtenus étaient
déjà d'une immense importance. A peine une année s'était
écoulée depuis son abjuration , «t Henri avait rétabli l'auto-
rité royale dans huit provinces où la Ligue était sinon seule
maltresse , au moins dominante , puisqu'elle en occupait les
' capitales : c'étaient la Champagne, la Picardie, l'Ue-Kle-
France, la Normandie, l'Orléanais, le Berri, l'Auvergne, k
Provence. En outre, Henri avait achevé de détruire Temi^e
de cette faction dans l'Anjou, le Maine, la Guyenne. Le corps
de la monarchie et l'unité du territoire peuvent être regardés
dès lors coDune reconstitués en principe^ quoique la Ligue et
• Procédure fuicte contr* Jehan Cbulcl, ArchlTM car., t. Sin, p. 919,
S60 : « A dit qu^ajant opinion d^cstre oublié d« Dieu, et esloot aucartf
m d'Mtre damné connine Punie-christ, il Totiloit de deni maux ëriter le
m pire, et estant domné aimoit mieux que ce fuit iil quatuor qu* ut oetof
m qu*il crojoit que cret itcte, estant laict por luj, Mnriroil à la diroiuulion
k de ses peines, rslanl certain quM setvit plus puni s'il mourait sans
m avoir attenté de tuer le roj, et qu*il le seroit moins s' il faisait effort
m de tuy osterlavit,., Enquis si les piopos de tuer le roy nV'ttuient pas
» ordinaires aux fesuites, a dit leur avoir ouy dire qu^il estott loisible ào
M tuer le roj, et ne falloit luy obéir ny le tenir pour roy iusqu*ù ce quHl
k fust approuTC par le pape. » «i^- P. Cayet, 1. Vit p« 6M. — > Thauioa,
l. CXI, S «•. «» ▼' P« ♦**-*^.
CHATEL ET LES JÉSUITES. PRIX DES SOLMISSIONS. 573
les seigneurs, cherchant à réiablir la puissance féodale,
tinssent encore Quelques viDes et quelques pays.
On ne peut juger de la moralité des chefs de la Ugue et
de leur sincérité religieuse pendant le temps qu'ils portèrent
les armes contre le roi huguenot , qu'en rappelant la con-
duite qu'ils tinrent avec le roi devenu catholique. Si la reli-
gion eût été leur seul mobile, évidemment après la conversion
de Henri , réputée valable par eux, ils se seraient soumfo
sans conditions. Tous, au contrafa^, mirent leur obéis-
sance à un prix énorme. Pour presque tous la religion ne
fut donc qu'un prétexte et qu'un moyen de satisfaire leur am-
bition : Us furent ligueurs et rebeUes pour obtenir des charges
et un grand établissement que l'ordre légal ne leur aurait pas
donnés. Chez quelques uns, de nobles mobiles se mêlèrent à
celui de l'intérêt; association de sentiments contraires, capi-
tulations de la conscience avec la cupidité, que Ton retrouve
dans presque toutes les révolutions. La religion parait avoir
exercé un véritable empire sur les détermhiations de ViUeroy.
!.e même ViUeroy, La Chastre, Vitry, conservèrent toujours
pur et vif le sentiment français : ils traversèrent constam-
ment, énergiquement, les projets de PhUippe II, combatti-
rent son usurpation, défendirent l'indépendance du royaume
et contribuèrent à la sauver.
Vitry, en traitant avec le roi, stipula le gouvernement de
Meaux, la promesse d'une charge de capitaine des gardes et
une somme de 168,890 livres du temps (618,137 francs
d'aujourd'hui). ViUeroy reçut pour son fils d'Alincourt le
gouvernement de Pontoise ; pour lui-même la charge de se-
crétaire d'État, qu'il avait perdue sous Henri III et qu'U
poursuivait depuis ce temps, et 476,594 livres du temps
(1,744,333 francs d'aujourd'hui). La Chastre exigea la con-
firmation de la dignité de maréchal, le gouvernement de l'Or-
léanais pour lui , celui de Berrl pour son fils, avec 898,900 U-
vres du temps (3,289,974 francs d'aujourd'hui). Brissac ne
rendit pas Paris au roi : U le lui vendit, comme disait Henri,
moyennant une charge de maréchal et 1,695,400 Uvres
du temps (6,205,164 francs d'aujourd'hui). ViUars se flt
payer la reddition de Rouen de la charge d'amiral de France,
qu'U fallut 6ter au jeune BIron en lui donnant en compensa-
tion celle de maréchal ; Villai*s exigea de plus 3,470,800 II*
18
MobllM
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UfM.
Coiiditioiu
dtlaKmmistioa
dMchefs
d«laL%ae.
Sr7fe HISTOIRE DD RÈGlfl PB HEUlll lY.
vres du teinpt (12,703,138 franca d*aidounl*bui). D'fil<*
beuf obtint le gouverneaient de Poitiers et 970,834 litres
(3,553,315 francs d*attjourd*hui). Guise eut ie gouvernement
de Provence et partagea avec son frère et sa mère Ténorme
somme de 3,888,830 livres (14,333,117 francs d^aujourd'bui).
La paix avec le duc de Lorraine fut payée 3,766,835 livres
(13,786,579 francs). Les petiu gouverneurs tirèrent du roi
des sommes dont chacune était faible, mais dont la réunion
et la multiplicité formaient un pesant fardeau. Nous ne re-
viendrons pas sur les honteuses rapacités des seigneurs de la
Ligue : nous ferons seulement remarquer par avance que
Boisdauphili , Mayenne, Mercosur, traûquèrent comme les
aulres du sang du peuple et de la paix publique. Le total des
sommes qu'il foUut payer pour les capitulations de la Ligue
monu ftplusde33milUonsde livres du temps, correspondant
4 118 millions d'aujourd'hnL Groulart , auquel on montrait
Peut des sommes dues, s'écriait : « On nous fit voir de grandes
» vilenies et de Targent hicroyable baillé ft ceux qui avalent
» trahi TËtat et été cause des grandes guerres de la Liguée»
L'exaction était honteuse, Tinfamie flagrante au point de
vue de la morale. En ce qui concernait la politique, c'était
un accroissement de la dette publique qui la rendait écra-»
santé pour le pays dans Tétat où il se trouvait, ragriculture,
l'industrie, le commerce ayant péri dans la moitié du
royaume par les ravages des deux partis. Mais ces partis
étaient presque entièrement désarmés, la guerre dviie ces-
sait, les principes de la richesse publique allaient donc se
raviver. D'un autre côté, les grands de la Ligue n'obtenaient
que des charges de la couronne, que des gouvernements, et
non des principautés. Il n'y avait à leur profit ni distraction
des pouvoirs publics, ni atteinte portée à la souveraineté et
4 l'unité nationale. C'étaient là deux immenses résuluts que
1« fermeté et la politique de Henri avaient obtenus.
' Pilcovn ém roi rapportés dans UttoUe. p. 190 A, MS S. «QumI k
m Tictry, Je puis jurer qu'il n'y u eu que Irt grands •tlvanuget que je luy
« al ftiicta qui Ponl mis de mon party et rien entre chose. — Sur le m«il
a on a rendu à Cëser ce qui apnartenoit à César, comme U faut rendre à
m Dieu ce qui appartient à Dieu, le roy dit : Ventre SMin(-|ris, on ne m*a pat
m fiiict comme i Céiar, ear on ne me l*a paa rettda à mey, en me l'a bUa
• reudu.» —Plut le Supplément, p. 906 A.996 A, poar Villeroy cl ViUar&.
— D*Atthigné, I. nr. c. t. S, I. lU, p. 5'1, 855. — Thuanus I. CIS, $ S, at
t pu, S S. ~ thiUy, OCeao. toy., c. 4T, p. 139. ^ l.ea dllfrrentet iui
Byees ans clieli de la Ligue se trouTcnl dans Sully, c. 151, t. O, p. 99,
, édition Mlehand. On trontera ft U Sa du f oluBM dtn dlali eotiart de
cet iommei.
DIPL» LU COUMINCKlfEIlT DE LA GlCRRI CONTRE l'eEPA-
ans, JVSQC*A LA FIN UE LA GCSRRE CONTRE LA SAVOIE
(lAlITIER 1505-IANVIER 1601).
CHAPITRE r.
Gutrrtf c«tttr« l'Espagne et contre Ici reilM de la Ligne. CtmiMit J« Pou-
lelne*PraDçel«e. Alftolallon da roi par le |>ape. SoumÎMioo de tons le«
Ï rinces lorraips, excrpté Mercnnr ; soiimission de Boisdaupbia « de
ojrnae, de d^Epemon : réduction du Lyonnais, de la Bourgognf , du Lan-
fardoe oc«id«nUl,de la ProTtnct} paciriralion du MaÎDeetde l'Anloii
IS05).
Cette période de six ans reofertne la fin de la latte de
Henri et da parti national contre TEspagne, la Savoie son
alliée y les restes de la Ligne et du parti aristocratique. La
guerre continue à être étrangère et civile à la fob ; mais elle
diffëre de celle des six années précédentes, en ce que l'Es-
pagne soutient désormais le principal eflort de la guerre, et
que les seigneurs et les pays, encore engagés dans la Ligue,
ne paraissent plus que comme auxiliaires. ElTectivement cl
foncièrement, TEspagne reste épuisée ; mais Philippe H sort
momentanément des plus graves embarras où il s'était trouvé
lors de la mort du duc de I^rme , embarras qui ravalent
empêché d*agir au moment décisif des États de la Ligue. Il
se procure de Targent par des expédients; Il se sert de la
préMnce et de Tautorité d'un prince de la maison d'Autriche
dans les l^ys-Bas pour disposer plus librement des ressources
et de la fKce militaire de ces provinces, et pour les diriger
contre la France. Enfin, il est puissamment secondé parTex-
pérlence et les ulents du ligueur de Rosne, qui, en passant
4 l'étranger, cherche à se rendre plus considérable auprès de
lui par l'excès du mal qu'il fait I son pays. Ces ciroonaunres
276 HISTOIRE DU RiGNE DE HENRI IV.
réunies rendirent la fin de la lutte très laborieuse pour Henri
et pour la France , et la remplirent de dangers qui mirent
leur fortune et même un moment leur existence en périt.
Hunri déclara 1595. Le 16 janvier 1595, Henri déclara solennellement la
à r£*'"*e« P*^""^ ^^ ^^ catholique. Il lirait deux avantages de cette dé-
lon * marche. Ayant guerre ouverte avec TEspagne, les ligueurs de
pi»n d'attaque, p^juce ne pouvaicntplus échapper au titre d'Espagnols, titre
qui lesrendaitpartout odieux : cette politique porta un nouveau
coup , et un coup sensible aux restes de la Ligue. Henri se
portait aux yeux des puissances étrangères pour principal
adversaire de Philippe II, et cette attitude le grandit prodi-
gieusement dans Popinion publique. Joignant l'adresse à la
résolution, il établit dans son manifeste que l'Europe entière
était menacée par l'ambition de Philippe et de la maison
d'Autriche , et que la cause de la France était celle de la
chrétienté entière ^
11 résolut de porter les hostilités sur le territoire espagnol,
afin do détourner du royaume les ravages de la guerre, d'at-
taquer Philippe II au cœur même de sa puissance, et, s'il
n'était pas possible de ruiner entièrement sa domination dans
les Pays-Bas, de lui enlever au moins les provinces voisines du
royaume. 11 fit attaquer le Luxembourg par le maréchal de
Bouillon et par le comte de Nassau , l'Artois par le duc de
I^nguevillc, la Franchc-Gomté par un corps de six mille
hommes, qui du service du duc de Lorrame passa au sien.
On plan , si sagement combiné , réussit d'abord. Tant qu'il
resta à I^ris, tant qu'il surveilla et tint en haleine ses lieu-
tenants, ils ravagèrent le Luxembourg et l'Artois durant les
mois de février et de mars , et par la prise des places fron-
tières semblèrent préluder à de plus importantes conquêtes'.
Ayant tout à espérer de ce côté, Henri tourna son attention
et se porta de sa personne sur d'autres points, dont les uns
étaient menacés, dont les autres réclamaient sa présence
* Le texte de la de'clarallon de gaerre dam les Anciannaa Iota franc.,
t. XY, p. 94-97, et dam Cayet. L Tii, p. 054, 655. Henri parle formelle-
metil diins on passage «du pe'ril prient qui m^oace la chretllenté, leqnel
» cbaicun recognuUl procéder de la dtacordo et )alottai« qne l'ambûion du
» roy d'RtpHgne a excité en Icelle. m — D'Aabtgné, 1. IT, c. 6, t. m, p. 347.
— Sully, OEcon. roy., c. 60, P. 491 B.
* P. Cayet, 1. vu, p.656.'-Tlinnus, I. cm, S H, t. ▼, n. 445, t( I. cxn,
j H , p. 4TO.
DECLARATION bZ OUERRE A l'BSPAGIVE. 277
pour opérer leur révolation* sortir de la Ligue et se rattacher
k la France.
Philippe n comprenait très bien que la monarchie univer-
selle était pour lui an prix de la conquête de la France, et
dans cette âme où les passions politiques ne reculaient que
devant les désastres et ne cédaient qu*à la ruine , les échecs
qu*il avait essuyés aux États de 1593, les progrès du parti
royal dans le cours de Tannée 159/i , n'avaient eu d'autre
elTet que d'ajouter l'exaspération des espérances déçues aux
fureurs de l'ambition. 11 avait donc arrêté de jouer ses der-
nières ressources et la grandeur de l'Flspagne dans la pour-
suite de ses projets contre la France. Écoutons le témoi-
gnage de Sully : « U avait mandé au comte de Fuentes»
» général de ses armées aux Pays-Bas, aussi bien qu'enjoint
» au connéuihle de Gastille , que quand ce serait même à la
> perte et au préjudice de ses États de Flandre et de Milan,
» ils eussent à entrer en France >.
11 attaqua le royaume sur cinq points à la fois, soit avec
srs armées, soit avec le concours des seigneurs qui soute-
naient encore le parti de la Ligue ou le parti aristocratique,
il ordonna à son armée des Pays-Bas de s'employer tout en-
tière & chasser les Français du Luxembourg et de l'Artois
envahis par eux, et à pénétrer ensuite en Picardie. Il me-
naça en même temps la Bretagne par les troupes espagnoles,
dont Mercœur continuait à subir la dangereuse assistance ; la
fionrgogne'par celles que Mayenne était contraint d'y appeler
pour la défendre; le Lyonnais par les corps auxiliaires que
son gendre, le duc de Savoie, envoyait au duc de Nemours,
échappé récemment de la prison de Saint-Herre-Endse ; la
IVovence enfin par son alliance avec Louis d'Aix, Gasaux et
d'Êpernon. Il entretenait déjà d'étroites relations avec Louis
d'Aix et Gasaux, tyrans nés de la démagogie, qui asservis-
saient Marseille : il en noua au commencement de 1595 avec
d'Épemon,et il les convertit en traité formel à la fin de cette
année.
Dans le Lyonnais et la Bourgogne , tes intérêts les plus
graves appelaient l'attention et l'intervention de IJenrL Au
mob de Juillet de la précédente année , Nemours» rede-
DUpoMtwBC dt
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Soumission
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la nourgt'gne.
Comliat de
FoolMne-Fran*
fuisc»
278 HISTOIRE DD RÈGRK Df RKHIII IV.
venu libre, avait rassemblé ses partisans et reçu do dœ
de Savoie un secours de trois mille Suisses. Avec cet
forces, il avait établi ou raflTermi sa domination dans Thisy,
Feurs, Saint-Germain, Saint-Bonnet, Montbrison, Vienne,
n était sur le point de se rendre maître de tout le plat pays
du Forez, BeaujoUais, Lyonnais : il avait commencé le
blocus de Lyon avec le dessein et quelques chances de
ramener cette ville sous sa lui. Contre cet actif ennemi,
le roi employa utilement les négociations auprès des gou*
verneurs des villes ligueuses et le concours de Montmo*
rend , qui , après avoir échangé ses prétentions aristocrati-
ques contre la charge de connétable, ne songeait plus qu*à
honorer sa nouvelle dignité et à rétablir le royaume dont il
était devenu la seconde personne. Montmorend amena du
Languedoc dans le Lyonnais cinq mille hommes qui arrêtè-
rent d'abord les progrès de Nemours. Il pratiqua ensuite
Dizimieu, gouverneur de Vienne pour le duc, et lui persuada
de livrer la ville au roi (9â avril 1505), La perte de cette
place importante renversa tous les desseins de Nemours et
ruina ses espérances sans retour. « Ce fùti dit un contempo-
• rain, le coup d*Êtat qui amena avec soi le repos de tout ce
• pays-lft ^ »
Les dispositions qui naguère avaient décidé la réduction
de tant de villes de la Ligue avaient pénétré dans les villes
de la Bourgogne, gouvernement particulier de Mayenne. Les
habitants craignaient de passer de Tesclavage où les tenaient
les lieutenants de Mayenne sous la domination du roi d*Es-
pagne et complotaient partout contre leurs garnisons. Henri
envoya le nouveau maréchal de Biron avec un corps d*armée
pour favoriser ces dispositions, et la révolte éclata partout
Mayenne disait que, qui lui Oterait Beaune lui arracherait le
cœur, parce que cette ville dominait une partie de la Boui^
gogne. Les habitants se soulevèrent, massacrèrent la moitié
de la garnison, ouvrirent leurs portes à Biron, et Taldèrent
à réduire le château, qui passait pour imprenable (5 fé-
vrier et 19 mars). Une capitulation livra Auxonne à la On
d^avrfl. Au mois de mai, Autun et Dijon renouvelèrent les
* p. Ciiyet, 1. VII, p. OOl-eOTi. _ D*Anbigiië, 1. iv, c. 6, t. m, p. 34S. —
SiiUy, c. ce, p. ini A et B. « Le coniirtlable de Montmoreocj... voaloil
k easajrvr de luire Taloir et cJonoer qunlaue |u»(re k cette etpée flenrde-
» îxtée qui luy avoit esté noufellMIettlailM tu •éIb. »
LYONNAIS, BOURGOGNE «iDUITS. PONTAINE-FRANÇAISE. 379
scènes qui avalent accompagné la reddition de Beaune, et se
donnèrent au roi. Velasco, connétable de Gastille et gouver*
neuf du Milanez, tira une armée espagnole de ce pays et là
conduisit d*abord à la défense de la Franche-Comté contre
les Lorrains auxiliaires du roi, dont il arrêta les ravages et
les progrès. Mayenne vint bientôt le Joindre avec ce quMl avait
pu rassembler de forces, et tous deux se disposaient & péné*
trer en Bourgogne et à reprendre les places qui avaient fait
défection. Biron appela le roi à son secours. Henri partit en
toute hdte de Paris, passa par Troyes, et , arrivé en Bour*
gogne, se mit aussitôt à la tète de ses troupes. Dans une
reconnaissance qu'il fit de Tarmée espagnole et ligneuse, un
vif combat s^engagea près de Fontaine-Française, à cli\q lieues
de Dijon. Quoique Penneml fût six fols plus nombreux, le roi,
aidé de Biron, qui fut blessé deux fols dans cette Journée, ferma
aux Espagnols et aux ligueurs rentrée de la Bourgogne par une
dédite (juin 1595). lieicrritolre était sur ce point sauvé de
Tinvasion, et la Ligue abattue sans^tour au moment où elle
tentait de se relever. LMmporlance de ce résultat n'excuse pas
entièrement Taudace que ilenri montra dans cette action, les
dangers qu'il courut et qu'il avouait à sa sœur, quand il lu!
écrivait qu'elle avait failli être son héritière. Pour sortir de
la décadence, la France avait besoin qu'il vécût, et 11 avait
exposé plusieurs fois sa vie à la journée de Fontaine-Fran-
çaise, non moins périlleuse que celle d'Anmale. Après le
succèsde cette Journée, le château de Dijon et celui de Talan,
qui commandaient Dijon, se rendirent, et dans toute l'étendue
de la Bourgogne il ne resta plus à Mayenne et ft la Ligue que
la seule ville de Ghâlon. De FonUiine-Française, le roi entra
en Franche-Comté et y fit la guerre pendant les mob de juin,
de JuUlet et d'août. 11 soumit tout le plat pays, et réduisit les
petites vUles : Il se préparait à emporter les places fortes, à faire
la conquête de la province et à l'annexer à la France, quand
les Suisses l'envoyèrent supplier de retirer son armée, et de
respecter la neutralité d*nh pays qui leur était voisin. Henri
crut devoir céder à leur désir pour ne pas perdre leur alUancei
et se rendit à Lyon , où rappelaient les plus tmportantea
affaires K
• Ullrt 4i t«likt»«ri| à KM«f ; ItUm U llMri W k BMty •! è M
•«nir, éant Sully, OEroo. roy., c. éO, p. 196-199, «t dans L«itoU«, p. MSI.
Gaem
ta Pkardit,
défaite
de Doorleof.
280 HISTOIRE DU R£GK£ DE H£.NRI IV.
Tandis que ses armes obtenaient ces avantages à l'est da
royaame, elles éprouvaient des revers au nord, où son ab-
sence ne se faisait que trop sentir. Les Espagnols, en partant
de la Flandre et de TArtois, avaient résolu d'envahir la Pi~
cardie, de subjuguer cette province, et, quelle que fût Tissue
de ce dessein, de se saisir de toutes les places frontières, no-
tamment de Cambrai , de s'y établir fortement , et de tenir
ainsi les clefs du royaume. Quatorze mille hommes, sous la
conduite du comte de Fuentes, furent destinés à cette expé-
dition, et puissamment secondés par les conseils du ligueur
de Rosne. De Rosne avait abandonné le parti de la France et
même celui de Mayenne, pour se livrer entièrement aux
Espagnols. 11 était également redoutable par ses talents mi>
Utaires et par son habileté à conduire les intrigues. Seul des
anciens chefs de la Ligue, il savait combiner un plan de cam-
pagne : longtemps conseiller de Mayenne , initié à toutes les
affaires et à tous les secrets, il savait quels ressorts on pou-
vait faire jouer utilement dans les villes qui avaient autrefois
appartenu à la Ligue, comme Cambrai, et dans celles qui lui
obéissaient encore : il ne connaissait pas moins bien le côté
faible des villes royales. Tous les succès des Espagnols dans
cette campagne et dans la suivante doivent être rapportés à
cet habile et dangereux transfuge.
Les Espagnols avaient contraint Mayenne à leur aban-
donner La Fère trois ans auparavant et en avaient fait leur
place d'armes. Au commencement de la campagne de 1595,
ils y conduisirent un grand convoi de vivres et de munitions
destiné à favoriser leurs opérations. Ils essayèrent de s'em-
parer de Ilam, ville forte du voisinage, qui appartenait au duc
d'Aumale, et employèrent à la fois la force et la perfidie ;
mais les lieutenants du roi, introduits dans le château, tail-
lèrent en pièces la garnison, presque toute composée d'Espa-
gnols, et réduisirent Ilam sous la domination de Henri
(20 juin). Ce léger avantage fut bientôt effacé par de nom-
breux revers. Les Espagnols prirent le Castelet (25 juin),
puis assiégèrent Dou riens (15 juillet) : leur projet, en occu-
pant ces villes, était de fermer aux Français la route de Cam-
brai et d'attaquer ensuite cette place importante , réduite à
—p. Cajpl. I. vit, n. 680, 660. 665.666.— D'Aubigné. l.iT, c. 6, U m, p. 580-
i». — Tboanus, f . czu, $$ 3, 4, l. y, p. 467-463. — Uttoil*, p. 960, «3.
(;Li:Rn£ t:^ Picardie, défaite du doublets. 28i
•es seules forces. Henri , occupé contre les E^gnols ea
Franche-Comté et en Bourgogne, fut réduit à leur opposer
en Picardie ses lieutenants et ses alliés. Il ordonna donc au
duc de Bouillon, souverain de Sedan, au duc de Nevers»
gouverneur de Champagne, au comte de Saint-Pol, qui ve-
nait d'être créé gouverneur de Picardie après la mort de Lon-
gucville , enfin à l'amiral de Villars, lieutenant-général aux
bailliages de Rouen et de Caeb « de lever le plus de troupes
possible dans les provinces où ils exerçaient respectivement
Fautorité, et de les porter au secours des villes de la Picardie
et des frontières du Nord. Ils réunirent leurs forces non loin
deDourlens avec le dessein de secourir cetle ville, et en vin-
rent aux mains avec les Espagnols le 2/i juillet Leur mésin-
telligence les perdit : ils essuyèrent une défaite dans laquelle
succombèrent trois mille hommes et un plus grand nombre
de noblesse qu'il n'en avait péri à Coutras , Arques et Ivry.
L'amiral de Villars fut massacré de sang-froid après l'action ;
peu auparavant, le brave d'Ilumièrcs avait été tué au siège
de Ham : la perte de ces deux hommes, qui pour la valeur
et les talents militaires n'avaient pas de supérieurs et avaient
peu d'égaux dans le parti royal , fut aussi sensible au pays
que celle des nombreux soldats qui étaient tombés sous les
coups de l'ennemi. Les Espagnols profilèrent de leur victoire
pour prendre Dourlens, où ils exercèrent des cruautés qu ou
s'étonne et qu'on s'indigne de trouver chez une nation
civilisée. L'occupation de Dourlens , jointe à celle du Cas-
telet et de La Fère, fermait aux Français presque tous les
passages jusqu'à Cambrai : le moment était donc venu pour
les Espagnols d'attaquer cetle ville , et ils en commencèrent
incontinent le siège (13 août) *.
La nouvelle des revers essuyés au Nord vint trouver le roi
en Franche-Comté. 11 quitta ce pays pour se rendre à Lyon, Boi«û7piiia.
où il entra le h septembre , déjà en mesure de couvrir les
désastres de la guerre et les fautes de ses lieutenants par les
avantages que l'adresse de sa politique et l'activité de ses
négociations avaient préparés. Le ligueur Boisdauphln fit sa
soumission : il rendit les villes de Chàteau-CSonthier en Anjou
' Leitrp lie Lu fond prêtent • la ba titille de Dourleot, d«a» Sullv,
OBcon, rvy., c. 0U, p. 1W« I9S.— Tbuanut, I. cui, SS <3-l9; I. ▼, p. 47s.
495, #1 1. cxoi, S I, p. 49S, 400. — P. C8j«t, 1. vn, p. «M B. W74n0.
ttS RI8T01RB DU RÈONB DE HENRI IV.
et de Sablé dans le Maine, ainsi que divers châteam qnV
tenait ; il livra ainsi au roi les moyens de rétablir complète*
ment son autorité et la paix publique dans les deux provinces
de Maine et d* Anjou. L*accord, arrêté dès le mots d*aoAt, fut
signé ft Lyon dans les premiers jours de septembre. Comme
tous les chefs de la Ligue, Boisdauphin ne déposa les armes
que moyennant forte récompense : la dignité de maréchal de
France lui fut confirmée, et il reçut 070,000 livres du temps
(2,510,000 francs d'aujourd'hui).
u roi «Inom La force des événements donnait un caractère plus décidé
p^t*!»!*» aux intentions naturellement conciliantes du pape Clé-
ment Vill. La soumission de tant de villes et de seigneurs,
la réduction de la capitale, fiiisalent désormais de Henri un
roi puissant. T)'unc part, si la cour de Rome le poussait à
bout, elle avait h craindre qu'il ne séparât à jamais la France
du Saint-Siège })ar un schisme ; d'un autre côté, Henri pou**
vait désormais servir de défenseur au pape contre Philippe H,
qui l'avait tenu jusc|u'alors opprimé et captif. Dans ces dr«
constances, Clément V 111 se montra disposé à renouer des
négociations dont Duperron et d'Ossat furent chargés. Lie
30 aoât, il déclara en son nom, et au nom des deux tiers du
consistoire, l'intention où Us étaient de prononcer l'absolu**
lion du roi, et il effectua cette résolution te 17 septembre 1595.
Triv« «t iniM La réconciliation de Henri avec le Saint-Siège Atalt aux
MaVeoM. derniers ligueurs les derniers prétextes de résistance contre
ce prince. Mayenne, vaincu h Fontaine-Française après tant
d'autres défaites, réduit à la seule ville de Clidlon, craignant
tout des Espagnols, qui dans son dernier voyage aux Pays--
Bas avaient agité s'ils ne le Jetteraient pas en prison ; informé
dès les premiers jours de septembre que Henri allait être
relevé par le Saint-Siège des anathèmes prononcés contre
lui , sentit que sa position n'était plus tenable, et entama dès
lors des négociations. Elles se terminèrent le 23 septembre^
six jours après l'absolution du roi, par un traité préliminaire
entre Henri et Mayenne. Ils convinrent d'une trêve de trois
mois, et arrêtèrent les bases d'un traité déflnitif, suivant le-
quel Mayenne résignait les pouvoirs que lui avait conférés la
Ligue, et se replaçait dans la condition de sujet h l'égard de
HtnrI, qui rtatralt dans les droits pleins et entiers d« la son*
veratoeté. L'édit de Follembrâi ne lût âlgné qu'an emniMii-
ABSOLUTION DU ROI. TRAITÉ AVEC MATINNE. 28S
cément de Tannée tulYante ; malt 11 fat convenu dès londane
a« clause principale >• L*absolution de Henri rendait son au*
toHttf respeclabie et sacrée , même à ceux des catholiques
qui placent la loi religieuse au-dessus de toutes les lois po-
litiques : rabdication de Mayenne laissait Tautorlté de Henri
sans rivale, même nominale. Mayenne avait été le concurrent
de Henri : Meroœnr, Joyeuse, les tyrans obscurs de Marseille,
d'Épernon, ne Tétaient pas. Après la soumission du chef de
la Ligue, ils n'étaient que des partisans sur quelques pointa
du territoire.
Il était capiul d'en avoir fini, non pas avec les restes, mais st^ga
avec le principe de la révolte intérieure : cVtait, de plus, le ^^k2!^{||'
trait d'une adresse consommée d'avoir obtenu ce résultat au
moment où la France faiblissait dans sa lutte avec l'Espagne
du c6té du Nord. Les Espagnols avaient commencé le siégi
de Cambrai le 13 aoAt. La possession de Cambrai et du Cam«
brésis donnait à la France les moyens de couvrir toute si
frontière de Picardie et de Champagne i sa perte ouvrait an
contraire ces deux provinces k Philippe II et raffermissait la
puissance de ce prbice dans les Pays-Bas. U était donc de la
plus haute importance que Cambrai fût réduit sous la domi*'
nation ou restât du moins sous la haute suceraineié de bi
France, reconnue dès la On de 1593. Le despotisme de Ba*
lagny, la fierté et l'avidité de sa femme, avaient irrité les
habitants; de plus, un parti considérable complotait en ap«
parence pour l'archevêque, en réalité pour l'Espagne : de
Kosne était l'âme des hitrlgues. Les habitants envoyèrent une
dépuiation au roi tandis qu'il séjournait â Lyon ; ils le sup-
plièrent de les délivrer de Baiagny commesouverain et comme
gouverneur, de leur rendre leur ancienne liberté, de mettre
seulement une garnison française dans le château pour as-
surer la ville contre les attaques du dehors, A ces conditions,
ils offraient de se défendre asseï résolument pour déjouer
les attaques de l'armée espagnole et la contraindre â lever lo
siège. Henri n'accueillit ni ces plaintes, ni cette demande *
soit qu*ll cédât aux suggestions de Gabrielle d'Estrées , ga-
gnée par Balagny ; soit plutôt qu'il trouvât indigne de lui et
• Thmut. 1. ou, iSJ, 6, SI. as, t. irp. 4M, 405, 4ea. SI
9, e»yti, 1. «Ut I». èfs-Hni sso-sis, ssi sio. * un^ik, p. ses
SIS-SSB.-
28/i HISTOIRE fit nKGM£ DC HENRI IV.
dangereux tout ensemble de manquer de foi envers celui des
anciens chefs de la IJgue qui le premier avait traité avec lui.
Quatorze cents Français avaient augmenté la garnison de
Cambrai ; mais ce nombre était insuffisant pour repousser les
attaques des Espagnols et pour tenir en même temps les
habitants dans Tobéissance. La route était coupée aux Fran-
çais du côté de la Picardie : le duc de Bouillon et le dtic de
Nevers auraient pu, avec un grand eiTort, jeter dans la place
des secours partis de Sedan et de la Champagne ; cet effort,
ils ne le firent pas.
Le roi à PtirU; Henri tenta de suppléer à leur défaut de résolution , et
dq ^TlemsDi; V^^ <Iti*c'^ aient dit quelques historiens, il déploya dans cette
p-iM . circonstance son activité et sa promptitude oitiinaires. Le
d«Combr.i. 2^ septembre, U signait & Lyon le traité préUminaire avec
Mayenne. Le 30 septembre, il était à Paris , s'occupant de
créer des ressources pour secourir Cambrai. Le désordre des
finances, porté au comble par François d'O, continuait sous
le conseil des finances qui avait succédé à la surintendance ;
le peuple était écrasé dMmpôts et le trésor vide. 11 fallait
pourtant de Pargent pour solder des troupes et amasser des
munitions, si Pon voulait sauver Cambrai et arracher à l'en-
nemi les villes déjà prises par lui en Picardie. Henri recourut
aux expédients et fit plusieurs nouveaux édits bursaux. Le
parlement, qui durant la Ligue avait mis la main aux affaires
publiques, voulut gouverner de moitié avec la royauté après
les troubles, et inaugura sa participation au pouvoir par une
intempestive et désastreuse opposition. Plus touché des né-
cessités des particuliers que des besoins de TÊtat , il refusa
d'enregistrer les nouveaux édits, et ne céda qu'après des jus-
sions réitérées. TiO roi consuma un temps irréparable dans
ce conflit, et Cambrai fut perdu. Tandis que les Espagnols
donnaient un assaut à la ville , les habitants se révoltèrent
contre Balagny, et le lendemain ouvrirent leurs portes aux
Espagnols (3 octobre). Les Français tentèrent de défendre la
citadelle ; mais le duc de Nevcrs, qu'ils informèrent de leur
péril, leur ayant envoyé au lieu de renfort le conseil de ca-
pituler, ils rendirent la forteresse le 9 octobre, au moment
où le roi s'avançait à leur secours. Les Espagnols n'acco^
dèrent à l'archevêque de Cambrai que des droits honorifiques
et vains ; ils se réservèrent la souveraineté effective de Gam-^
PRISE DE CAMBRAI, TRAITÉ DE D'éPERNON AVEC I/ESPAGNE. 285
brai et dti Gambrésis, d*où ils menacèrent incessamment la
France *.
Henri résolut de réparer le g^ave écbec que venaient d'es- st^g* d« UF«r«
tuyer le royaume et sa réputation , en expulsant l'Espagnol conmencé.
de rintérieur de la France. Dans cette vue, après avoir réuni
à ses troupes les soldats auxiliaires de l'Angleterre et de la
Hollande , il commença le siège de ta Fère au commence-
ment du mois de novembre.
En même temps, il pressait ses lieutenants en Bretagne et É(«t
en Provence de faire elTort pour extirper la Ligue et chasser * re»»!»»*
entièrement l'Espagnol de ces provinces. En Bretagne, Phi-
lippe H avait essayé de réparer par les intrigues Técbec que
ses armes avaient essuyé Tannée précédente, et de rendre à
rétablissement de Blavet son étendue et son importance : il
avait introduit une garnison espagnole dans Vannes, et gagné
le gouverneur de Doua menés. La blessure et la mort du ma-
récba d'Aumont privèrent Parmée française de la direction
dont elle avait besoin , et tous nos efforts se bornèrent à la
prise de la forte place de Comper, près de Rennes.
Mais, en Provence, le parti français obtint de nouveaux et Progrètdoi»rti
importants avantages sur les restes de la révolte et sur la Tenr*. ^idUbm
faction de l'étranger. Dans ce pays, au commencement de -i'**a'É^*"rooa
Tannée 1595, Arles persistait dans la Ligue ; bon nombre de avec l'Etpagna,
villes remplies des garnisons de d'Épernon lui obéissaient
de force ; Berre et Grasse étaient encore occupées par le duc
de Savoie ; Marseille subissait le joug de Casaux et de Louis
d^Aix, décidés à passer au roi d'Espagne, s'ils ne pouvaient
maintenir leur tyrannie. Rien de tout cela ne devait être du-
rable, et rien ne pouvait arrêter le retour, chaque jour plus
marqué, de la Provence vers Tordre' et la pacification, si Ton
considère quels étaient les rapports de la France avec l'étranger.
Le plus prochain de nos ennemis extérieurs, le duc de Savoie,
avait recouvré Briqueras en lo9/i, et au mois de mai 1595 il
reprit Gavours. Mais peu auparavant Lesdiguières avait battu
deux fois les troupes de Savoie et d'Espagne, et s'était em-
paré d'Exilés, en sorte que les États héréditaires du duc res-
taient ouverts aux Français, et qu'il ne pouvait, sans craindre
* Poor Mt deux puragraphes. — Thiuoiu, I. CXUI, $S 9 8, t. V, p. 401.
»l. — P. Ciiyel, I. ^¥11, p. CT^ 674. 68t-(iK4. — D'Aubigac», 1. iv, c. 9,
t, m, p. 300. 361.
de le§ perdre, porter de» force* en Provenee. Aussi celte pro-
vince suivit-elle rimpulaion que la noblesse et le parlement
lui avalent imprimée dès Tannée précédente. Aussitôt querah-
solution du roi prononcée par le pape fut connue , Arles se
soumit à son autorité. Le connétable de Montmorenci et
de Fresne sommèrent d'Épemon.de céder le gouvernement de
la Provence an duc de Guise et de sortir du pays. Il répondit
à cette injonction en traitant avec le roi d^Espagne le 10 no-
ipembre 1595. La convention portait quMl ferait la guerre au
prince de Béam, aux bérétiques et à leurs fauteurs ; qu*ll ne
traiterait et ne résoudrait aucun accord ni paix avec eux ,
sans en avoir obtenu la permission de Sa Majesté catholique ;
qu'après s'être emparé de Toulon, il y introdub^it une gar-
nison espagnole. Philippe, de son côté , s'engageait à lui
itournir six mUle hommes de troupes , quelques galères, des
munitions et 432,000 livres par an. D'Ëpemon, on le volt,
ne reculait devant aucune extrémité , devant aucun crime ,
pour se maintenir contre le duc de Guise dans le gouverne-
ment de la Provence, et pour s'y créer une principauté indé-
pendante. Cette ambition aurait été trompée par Philippe II,
qui seul aurait profité de la trahison de d'Êpemon , si leur
accord avait sorti son plein et entier effet. Mais il fut étouffé
i sa naissance. A peine la destitution de d'Êpemon fut-elle
confirmée par Montmorenci , que ses principaux partisans
l'abandonnèrent et que les villes se soulevèrent contre lui.
Moustiers, Aulps, Forcalquier, chassèrent ses garnisons. Le
parlement d'Alx confirma les ieures patentes portant nomi*-
nation du duc de Guise comme gouverneur, et déclara
d'Êpemon criminel de lèse-majesté s'il ne vidait le pays
(17 novembre). Quatre jours plus tard, le duc de Guise entra
en Provence, secondé des troupes royales et des forces que
loi prétait Lesdiguières comme son lieutenant (21 novembre).
Sisteron, Riez, Martigues, Marignane, se rendirent à lui, et
Il prit Grasse au duc de Savoie. Tandis que la guerre et la
défection enlevaient à d'Êpemon la plupart de ses posses-
sions, la haine des Provençaux attentait à ses jours par la
fbugade de Brignolle. fl était évident que sa domination et
l'établissement du duc de Savoie en France touchaient à leur
fin. C'était un Indirect , mais grave échec pour Philippe II,
qui travaillait derrière eux à la conquête de la Provencfl^
PROGRÈS DU ROI IN PROVENCE. TRAITA DE POUIMBRAI. 297
liilt la tenace ambition du roi catholique disputait pied 4
pied le terrain à la fortune contraire. Désespérant désormais
d^envahir toute la Provence, il voulut la mettre en pièces et
en prendre au moins le principal débris. Il Jeta son dévolu
sur MareeOle, et pour se saisir de cette ville , resserra son
alliance avec les tyrans Casaux et Louis d'Aix, qui, menacés
par le parti royal, se réfugiaient sous sa protection K
1596. Henri prouva que son génie et sa puissante activité
suffisaient à la double tache de désarmer les factions au de*
dans et de combattre Tennemi du dehors. Mais dans la mul-
tiplicité des combinaisons et des actes qu*elle nécessitait, il
était impossible quil échappât à toutes les erreurs , à toutes
les (autes de détalL D'ailleurs, le travail de la reconstitution du
pays et celui de sa défense se nuisaient Tun à Tautre. L'épuisé-
mentde la France était extrême et ses finances en désordre ; ce-
pendant il fallait en même temps défrayer la guerre et satis*
foire les chefs de la Ligue, qui exigeaient en argent tout ce
qu'ils abandoiinaient en indépendance : l'argent manqua
souvent à l'une des deux dépenses. Aussi alions^noos voir
Henri dans le cours des trois dernières années poursuivre
d'une part sans déviation et accomplir la pacification du
royaume ; d'une autre, dans la guerre contre l'Espagne, es-
suyer quelques grands revers, réparables il est vrai, mais
difficilement réparables.
La réduction d'un grand nombre de seigneurs et de pays, ^^
préparée par d'activés et adroites négociations dès Tannée '«"•"'»'•*•
précédente , s'accomplit au commencement de l'an 1596.
I Poor CM d«iix pftragraphHt, Tbuanai, I. GXi. { 19, t. V, p 415, 444)
I. XUl, SS 9« tl-t«K U V, »i SOI, soi 51%. -> Hoacbe, HiiL de IVovracc,
1. X, I. n, p. S06-8I0 <— Tralif conclu p«r d'Épernon avec I» roi d*Eipa*
|o«, le 9 Buvembr* 1SQl1« et «ngiigenienlcoiit raclé |wr lui «iiTeis U ifi4aie
ffiuee, le lendemain 10 noTemine, dam l'-« papien de Stmancat cote S,
SS, ¥0, Voici le leite de renpgrmenl i « Je tout^if nd, Jean-Lonb de Le
• Valeur, due d'Éprmoo, elc.*,. proaelt à Sa Mui«»ld calholi«|ue étfairm
m iu guerrm nu prince de Btam^ rt uuk hérétiques et Sniteun d'ic^vs
a ditn» le royaume de France^ et ne tialler ni resoudri* aucuH accoid al
• puis avec eux, Mnt en avoir la permiuioa de Sa Maleité c^tlbolique,
a et nprùs lui du pnuce PtiUippe, lou fils. Lrtqiielt me promettront, par
• Bi4tt« noyés, de me tenir et mei amii lout leur prolecli«u e| m*n»titler
a qoand |'eu aurai l>etoln. El de leui côté, ne concluronl aucune pals
• atec le prince de Bearn que |e n'y toUci»M|irto pour la coneervêtlMi et
a moi, de met amii^ de aoe bieut et cbargw. Eu foi de quoi, |'wi dit e|
a signé \m préienteet cacbelé du sceau de mes armrs, pour obteiTer ce
m «ne dmass au fâdlUo— f Mtésa. k SahiUMaiimin, It 10 «of—lwi
• l«S6,o
288 HISTOIRE DU BÈONR DE HENRI IV.
Le 31 janvier, Mayenne fit sa soumission publique. Par Pëdit
de Foliembrai, le roi lui accordait, à lui et à ses partisans,
amnistie pleine et entière pour le passe ; trois places de sû-
reté pour six ans , Chalon-sur-Saône , Seurre et Soissons ;
des sommes enfin qui, soit pour Tacquittement de ses dettes,
soit pour l*accroissement de sa fortune, ne montaient pas à
moins de 3,580,000 livres du temps (12,888,000 francs
d'aujourd'hui). On s'indignait que Mayenne obtint non seu-
lement impunité , mais récompense pour les maux dont il
avait accablé le royaume et pour le meurtre de Henri III ,
dans lequel la voix publique l'accusait d'avoir trempé. Aussi
le parlement de l^ris refusa-t-il d'abord d'enregistrer l'édit,
et ne céda-t-il qu'à trois jussions réitérées du roi, le
9 avril 1596. Mais Henri pensait, avec les hommes les plus
sages et les plus expérimentés du temps , qu'au moment où
la France épuisée faiblissait dans la guerre contre rEspagne«
on ne pouvait payer trop cher la soumission du chef de la
Ligue et le retrait du gouvernement de Bourgogne, placé sur
les frontières et dans le voisinage des possessions espagnoles.
Les événements qui suivirent justifièrent de reste les prévi-*
sions du roi et les concessions faites à Mayenne.
SoamittioB Dans le même mois de janvier, et par deux autres édits ren-
^JjT*w* ^^^ également à FoUembrai, il traita avec le duc de Nemours
vt d« TouioiM. et avec le duc de Joyeuse, qui tous deux reconnaissaient son
aTrôaiooM. aiitorité et ne devaient plus agir désormais qu'en qualité d^otfi-
ciers de la couronne. Par la prompte mort du duc de Nemours,
Il se trouva libéré des engagements contractés avec lui. II
accorda à Joyeuse la charge de maréchal de France, la lieu-
tenance générale de la moitié du Languedoc avec des États
provinciaux particuliers, et de plus 1,670,000 livres du temps
(plus de 5 millions d'aujourd'hui) : par la soumission de ce
chef, il pacifia et rattacha au royaume Toulouse et la por-
tion du Languedoc qui jusqu'alors avait persisté dans la
révolte. Les avantages offerts à Joyeuse n'auraient pas suffi
pour le désarmer : il céda à la crainte de se voir abandonné.
A la fin de l'année précédente et après l'absolution de Henri,
la plus grande partie du parlement ligueur de Toulouse
s^était séparé de Joyeuse, transporté à Gastel-Sarrasin , et
uni au parlement royaliste de Bézlers : il avait reconnu l'au-
torité du roi, et amené les États ligueurs du pays à traiter
NOUVEAUX PROJETS DE PHILIPPE II. 289
avec lui» et profondément ébranlé la population de Toulouse*
Ce parlement, ainsi que ceux d*Aix et de Paris, interposa
Tautorité politique dont les circonstances Tavaient investi
pour mettre fin aux troubles, comme il s'en était servi
sept ans auparavant pour favoriser la prise d'armes contre
les rois Henri III et Henri IV. L'usurpation des attributs
politiques par les corps judiciaires, l'appui qu'ils avaient
donné à la révolte , l'erreur par suite de laquelle ils avaient
mêlé le temporel au spirituel et soumis l'État à la religion ,
leur retour à l'ordre avant les autres corps de l'État, aussitôt
après les satisfoctions données à la religion et les dangers
publics reconnus, sont également dignes d'observation K
Après la soumission des parlements, de presque toutes les NoaTMox pro-
grandes villes, de la plupart des seigneurs , la guerre civile |^*
étant près d'expirer, et l'unité nationale sur le point d'être * *^^
complètement rétablie, le projet si longtemps nourri par
Philippe il, de subjuguer toute la France, devenait une chi-
mère, et il y renonça. 11 ne songea plus qu'à conquérir une
seule province frontière, la Picardie , qu'il comptait joindre
aux Pays-Bas , et à occuper trois points importants. 11 vou-
lait s'assurer de Marseille, dans le Midi; de Blavet, dans
l'Ouest ; de Calais, au Nord. Ces villes eussent été trois portes
par lesquelles il serait entré à son gré dans le royaume ,
comme les Anglais pendant tout le moyen âge. De plus, il
en eût fait des postes dominateurs sur la Méditerranée et
l'Océan , semblables à ce que Gibraltar et Malte sont deve-
nus depuis un siècle pour les Anglais. Enfin, de Blavet et de
Calais il eût menacé sans cesse la côte d'Angleterre, et suivi
contre cette puissance ses idées de vengeance et d'invasion.
Chez cet homme, l'instinct de l'ambition était quelque chose
de prodigieux : il n'est peut-être pas un moyen de domina-
tion dans lequel il n'ait à lui seul devancé les plus avides et
les plus sagaces réunis ensemble.
Philippe échoua dans ses desseins sur ^farseille. Le duc de R^MacUon d«
Guise d'un côté, les milices provençales de l'autre, après avoir iLin«iii«
enlevé plusieurs petites villes à d'Êpcmon, se réunirent sous ded^É^rstm.
• Texte de Tëdit de FoUembrai, Abc. lois fr., (. XV, p. 104-116.-.
Solly, OEcon. roy., c. ISi, L u, p. 19, 30.— Thuanus, I. cxiil, S 1*. «t
1. cxv, KS la, SO, 91, t. y, p. SOS, M5-5S9. ^ D. Vaiswlte, I. xu, t. T,
p. 472, 476.
19
90 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
les mnrs de Marseille, le i/i février 1596, Gasaux et Louis
d'Aix, menacés par les forces royales, introduisirent six cents
Espagnols dans la ville , en postèrent deux mille autres à
rentrée du port, tandis que la flotte de Philippe II mouillait
dans le port même. Marseille toucha donc an moment de
subir le joug espagnol. Pierre de Libertat, originaire de
Corse, aidé de plusieurs colonels et capitaines de la ville,
Parracha à ce danger. Par un adroit stratagème il Isola
Gasaux de la masse de ses sicaires, le tua de sa propre main,
Introduisit dans la ville les troupes du duc de Guise, les joi-
gnit aux serviteurs que le roi conservait dans Marseille, dés-
arma Iiouis d*Aix et les partisans de Philippe H, contraignit
Louis d'ALx à la fuite et les Espagnols à la retraite (17 février).
Ainsi qu*à Lyon, la révolution se fit à Marseille aux cris de :
« Vive le roi ! Vive la liberté ! » Et rien n'était plus exact,
puisque le rétablissement de Tautorité légitime délivrait à la
ibis les habitants des tyrans domestiques et de la domination
étrangère. Telle était Pimportance de la réduction de cette
ville, qu*en en recevant la nouvelle , Henri s'écria : « G'est
» maintenant que Je suis roi I « D'Ëpemon était encore en
Provence à la tète d'un corps de troupes considérable ; mais
il n'avait plus de point d'appui ni dans la population, ni dans
les villes, ni dans l'étranger, et le duc de Guise le vainquit près
de la rivière d'Argens. Après ce dernier coup, il obtempéra
aux ordres du roi , portés par Roquelaure , et consentit à
évacuer la Provence (2û mars). Toutefois la France était telle-
ment pressée par l'Espagne dans la guerre vers la frontière
du Nord ; il était si nécessaire de diriger sur ce point toutes
les forces dont elle disposait, que d'Épernon, vaincu et cou-
pable d'im récent traité où il s'alliait étroitement avec le
roi d'Espagne, put stipuler et obtenir les conditions les plus
avantageuses. Il reçut de la Provence 150,000 livres du
temps pour lui, et 90,000 livres pour ses capitaines : il ob-
tint du roi la promesse de A96,000 livres, et le maintien de
son gouvernement d'Angoumois et de Saintongi\ Par sa re-
traite, la Provence était pacifiée et entièrement rattachée au
corps de la monarchie.
De tous les seigneurs qui avalent tenté depuis huit ans de
ressaisir l'indépendance féodale, il ne restait plus, d'Ëpemon
soumis, que Merccrur en Bretagne : rinsiirrection de Paris*
RÉDUCTION DE MARSEILLE ET DE D'ÉPERNON. 391
tocratle touchait à sa fin , et Ton pouvait prévoii* le moment Eut
où la souveraineté publique, naguère brisée, serait reformée '^^ SSique!'***
en faisceau. D*un autre côté, les anciens parlements de la l« parlement
Ligue abjuraient les principes de cette faction, et adoptaient Genebnni.
ceux gue le parlement de Tours avait constamment pro-
fessés pendant la grande tourmente du royaume. Dans les
rapports de TÉglise avec TÉtat, Ils contraignaient le clergé à
Tobéissance envers la puissance civile et Tautorité royale.
Genebrard, archevêque d'Aix , ayant persisté dans la révolte
contre Henri , fut déclaré par le parlement d'Aix criminel
de lèse-majesté, banni à perpétuité du royaume, et ses biens
confisqués au roi (Î26 janvier 1596). Il se sauva à Avignon :
rindulgence de Henri lui permit plus tard de se retirer dans
son prieuré de Semur en Bourgogne ; mais 11 perdit son ar-
chevêché ^ Le besoin de Tordre et de la paix provoquait une
réaction de la Ugue contre elle-même.
CHAPITRE IL
ËpuUemrnl île la France, ruine de set finances. Rerert dans la gnerre
conlie TEspngne, perte de Calait et autres places frontières. Prise
de La Fèrv par le roi el les frontières couvertes. Proposition féodale
des seigneurs. Nouvelle ligue de lu France, de TAngleterre, de la HoU
laode contre l'Espagne ; prise de Cadix, épuisement de TEspegne.
Tandis que ces laits se passaient en Provence, le roi conti-
nuait le siège de La Kère, qui lui opposait une opiniâtre résis-
tance. Depuis la fin de Tannée 1593 , les événements heu-
reux s'étaient succédé presque sans interruption et sans
mélange. Du mois d'avril 1596 au mois de septembre 1597*
il y eut arrêt dans les progrès de la fortune du roi et de la
pacification du royaume. La France essuya de grands revers,
et tout ce que les talents et la constance de Henri avaient fait
si péniblement jusqu'alors pour sa délivrance fut remis en
question. Ce retour d'adversité, cette dernière et dure épreuve
eurent pour cause l'état d'épuisement presque total dans
lequel se trouvaient les finances de l'État et toutes les classes
' Pour ces trois paragraphes, Bouche, Hîst. de ProTence, I. X, t. n,
p. S10-K93.— >Thuauus, 1. «vi, el 1. CXIX, $17, t. ▼, p. 716. ~ Sully,
OEcon. roy., c. bS, t« i, p. it»\ c. 79, p. Ml; c. IftI, t. n, p. SO A
^ P. Cajet, 1. Tni, p. 7l6.7ti. — Lettre du roi da 99 février IS86
(l^ttr. miss. t. nr, p. IliOT.)
2d2 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
de citoyens sans exception. Le jeu de la machine politique
fut menacé d'une complète perturbation ; on put craindre de
voir tous les services publics s'arrêter à la fois faute d'ar-
gent , et par une déplorable conséquence, les provinces fron-
tières, si ce n'est le corps de la monarchie, devenir la proie
de l'étranger.
A la mort de Henri lit, la France était déjà couverte de
blessures profondes par lesquelles une partie de sa force
s'était écoulée. On comptait neuf villes rasées ; le feu avait
anéanti deux cent cinquante villages ; cent vingt-huit mille
maisons étaient détruites, la plupart des églises dépouillées
ou démolies ; les campagnes étaient dévastées par les bri-
gandages des soldats de tous les partis , le commerce inter-
rompu , les ateliers sans travaux ; la dette publique montait
à 2/Ï5 millions de ce temps-là ^ Les sept années du règne de
Henri lY remplies par la guerre étrangère, et par la guerre
civile étendue à toutes les provinces à la fois , avaient pro-
digieusement ajouté aux souffrances des villes, aux désastres
de l'agriculture et du commerce , à la somme des maux qui
pesaient sur les citoyens de tous les états. Les traités de la
Ligue y -mirent le comble. Les contemporains ont très bien
montré par quel fatal enchaînement toutes les classes étaient
atteintes à la fois ; quel contre-coup déplorable les fermages
des propriétaires, les contrats des créanciers avaient reçu de
la détresse des paysans, de la ruine des marchands. « Les
édits, traités et conventions, dit de Thou, que le roi fut
obligé de faire avec les princes, les grands, les villes, les
gouverneurs des places rebelles, pour rendre la paix au
royaume, coûtèrent à l'État 18 millions de livres. Il fallut les
imposer sur le malheureux peuple, que la guerre avait réduit
à une extrême disette , et qui aurait eu un grand besoin
d'être soulagé. Ces sommes qu'on exigea avec une rigueur
inouïe, jointes aux impôts ordinaires, ruinèrent presque sans
ressource non seulement le petit peuple, mais les familles les
plus honorables , dont les fonds et les revenus se trouvèrent
anéantis par la misère même où le peuple était réduit'. »
L'exécution des traités de la Ligue avait commencé deux ans
' Le Mcrat dei finances, par Fromenteaa; HUU rmanc. d« la Franc*,
pai M. BuiUy, L l, p. 984, 989.
* Thnanus, 1. cxt, S SI, t. V, p. 689. De Thou dit 18 nlUiontde livres
ou 6 mUlioDi d'écui; mais il no parie que des trailéi codcIm avec la
iTAT DES HNANCES DU ROYAUME. 292(
Iiliis tôt, en 159â, et les effets s*en faisaient pleinenient sentir
en 159e.
La rigueur affreuse des temps avait fait le fond de la mi*
sère publique. Le désordre des finances Pavait complétée et
portée à un tel excès, que la mesure débordait. A la mort
de François d*0, en 159/i , la dette de TÉtat , prodigieuse-
ment accnie, montait h 315 millions environ de ce temps-là,
plus d*un milliard du nôtre. Depuis , les sommes forcément
données aux chefs de la Ligue Ta valent encore augmentée.
Le payement des intérêts de cette dette, détestablcment
organisé, comme nous le verrons bientôt, absorbait la plus
grande partie des revenus de ia France. Une auUre par-
tie , très considérable encore, des deniers levés sur la na-
tion, au lieu d*arriver au trésor public, élait détournée
par les officiers de finances chargés de les recucUlir. Après
la mort de François d'O, Henri avait supprimé la sur-
intendance des finances et y avait substitué un conseil de
finances composé de douze grands seigneurs, magistrats, con-
seillers d'État, intendants, et d*un secrétaire. Ce furent treize
incapables ou concussionnaires à brevet. Henri ne tarda pas
à reconnaître leur insuffisance ou leur infidélité , et il écri-
vait d*eux : « qu'ils avoient bien encore fait pis que leur de-
» vancier. >• 11 essaya en 1595 de faire entrer Ilosny dans
leur conseil pour les surveiller et les réprimer ; mais à iorc!
de déboires et d'injures, ils le contraignirent à quitter la place
et à se retirer dans ses domaines. A la fin de 1595 et au cjom^
mencement de 1596, 11 ne fut employé par le roi que comme
surveillant et comme solliciteur auprès du conseil des finances :
son action se borna à ce qui regaidait l'approvisionnement et
la paye de l'armée qui continuait le siège de La Fère. Revêtu
par le roi d'une commission particulière et de pouvoirs spé-
ciaux pour cet objet auprès du conseil de finances, il le
pressa, le persécuta de manière à en tirer une partie des som-
mes nécessaires pour la continuation de l'entreprise. U con-
clut aussi avec les fournisseurs un certain nombre de marchés
avantageux ^ Même dans ces attributions si restreintes, Rosny
Llgu« {usqu'an coinm«ncemeiil de lSn6« el il ne connait pas lei conditions
Mcrèlct de cei traitet. — SuUy, DKroD. roy., c. 161, t. ii, p. SU, nom
apprend que le total de cet somme* fut d« ai, 141,000 livret da tempe,
plut de lis milliout d'aujoard'hui.
* Snlly, OEcon.roy., c. 50, 1. 1. p. 100 B; c. 00, p. lOt, 105; c. 0\
p. S>4, <Ô6. « Près de cens du coosc il det finncct, tou» deritt Mrtir du
20Â HISTOIRE 1)0 RÉGNE DE HENRI IV.
était loin d*agir avec toute liberté et toute-puissance, comme
on le verra bientôt ; et il faut ajouter que dans Tensemble
des affaires publiques et des opérations, le siège de La Fère
n'était qu'un point. Son action était donc très faible et très
bornée, et làoù sa main n'atteignait pas, c'est-à-dire alors près*
que partout, il y avait dilapidation de la richesse et ruine de la
chose publique. Telle était au commencement de lô96 la si-
tuation financière de la France, sous le rapport des deniers
publics et du personnel des administrateurs. La correspon-
dance de Henri IV la peint énergiquement, et jour par jour.
Tandis qu'il continue le siège de La Fère, ses relations avec
son conseil de finances pour obtenir ce dont il a strictement
besoin, ce qui est indispensable pour faire réussir l'entre-
prise, forment une suite non interrompue de demandes
pressantes, de reproches, d'ordres réitérés, après lesquels
Il n'est qu'imparfaitement obéi. Nous ouvrons cette corres-
pondance et nous lisons :
t Le 6 mars 1596. Si je ne suis secouru d'argent bientôt pour
payer les dépenses que je vous ai mandées, je me trouverai en une
très grande peine ; car les Suisses de Diesbach se débandent tous
les jours ; nos ouvrages demeurent ; ma cavalerie ne peut subsister
fiiute de payement. Toutefois j'ai avis de toutes parts que nos en-
nemis s'assemblent à l'eotour de Mons; que le dixième de ce
mois Ils seront prêts à marcher, et qu'ils viennent droit à nous. Je
vous prie, avec ceux de mon conseil, de me secourir en cette oc-
casion, qui est la plus importante qui se présentera jamais...
J'ottbliois à vous dire que le sieur de Buhy m'a écrit n'avoir pu
être payé de la montre qui lui fut ordonnée et assignée l'année
passée sur les deniers du taillon. Partant, je vous prie de foire
venir les trésoriers ordinaires des guerres pour vous en rendre
compte ; car ils doivent avoir reçu les dits deniers. Êdaircissex-
vous en donc, je vous prie, et avertissez le sieur de Buhy de l'ordre
que vous y aurez donné et de ce qu'il en peut espérer ; car il ne
marchera pas sans argent, et je serois bien aise de l'avoir auprès
de moi quand les ennemis se présenteront. •
c Le 8 mars. Les treize mille écus que vous m'avez envoyés
sont arrivés sûrement et très à propos pour contenter notre cava-
lerie qui étoit à la faim, et retenir nos Suisses qui se voulolent
débander, comme pour continuer nos ouvrages. »
m lollicUrur el île ihatt«-aTant pour le reroaTrrmmt et enroj Um cbotet
» nécessaires pour faciliter et ailTanccr la prise de La Fèie* n
DANGKKS RÉSULTANT 0£ L*KTAT DES KiNANCKS. 295
« Le 10 man. 11 ne iD*est pas possible de fkire attendre plot
loDgtempa les Suisses : principaleoient Diesbach, et ses gens oe
menacent pas moins qae de ployer leurs enseignes et m*abandon-
ner : ce qui m*arriveroit Irfts mal à propos sur Tattente des enne-
mis en laquelle je me trouve, comme tous pouvei trop mieux
juger. »
« Le 18 mars. J*ai nécessairement aflaire des dites dix mille
livres, pour satisfaire à ce qui manque du payement de mon
armée du mois passé, et aux autres dépenses qui sont si pressées
que je ne m*en puis passer ; qui me fait \ous prier de tenir la
main pour me foire envoyer promptement la dite somme... Vous
savet combien je suis pmsé pour le payement de la cavalerie qui
est en mon armée, pour celle des lansquenets, pour le travail qui
se fiiit à la chaussée, et beaucoup d*autres dépenses qui sont né-
cessaires, et sans lesquelles ce siège ne peut être continué. Le sel«>
gneur dlncarville vous représentera ce que je lui mande de Tétat
des vivres de mon armée, I quoi il est aussi besoin de pourvoir
promptemenu J*en éerb à ceux de mon conseil auxquels je vous
prie de faire entendre l'état et les nécessités de mon armée, et
tous ensemble y apporter un si prompt remède, que le mal que je
prévols ne puisse arriver. •
« 23 mars. H me reste de vous prier de tenir la main à ce qui est
requis pour la nourriture de mon armée, et que vous donniez
ordre qu*il soit envoyé quantité de bled et promptement, comme
il est nécessaire ; car il y en a si peu qu'elle ne vit qu'au jour la
journée, et bien souvent les gens de guerre n'ont que demi -muni-
tion (demi-ration), et quelquefois ne reçoivent rien *• ■
On s'indigne de voir le roi, le chef de l'État, non pas se
perdre , mats s^user dans ces détails , dans ces soins d'un
commb aux vivres et d'un sous-intendant de finances. Tout
ce que les sollicitations de Henri, tout ce que la poursuite de
Rosny piutint obtenir du conseil de finances ou plutôt lui
arradier, ce fut la subsistance restreinte et la paye souvent
arriérée, mais enfin l'une et l'autre à peu près suffisantes de
cette armée. Les soldats, astreints à la discipline et aux tra-
vaux militaires, furent retenus dans leur camp i)cndant tout
le temps que l'exigea l'intérêt public , pendant plus de six
mois et demi. Les sièges de Paris et de Rouen avaient écboué ;
• Leltrm miMÎTw, U IV, p. 014, 010, 519, 531, 836, 649. L*orUiosr»plie
•cule a dé cli«ns«e.
2^6 HJST01R£ DU RÈGNE DE HENRI IV.
celui de La Fèrc réussit : les contemporains s'accordent à
reconnaître que la différence dans Tissue de ces diverses en-
treprises provient uniquement de la différence dans i*état de
rintendance de Tarmée aux deux époques.
Mais si Henri parvint par des efforts inouïs à pourvoir aux
besoins de Tarméc de La Fère, il fut impuissant à rétablir et
à régulariser les autres services publics, dont dépendaient
pourtant la sûreté et Tintégrité du territoire, la bonne admi-
nistration de rÉtat Les garnisons des places frontières, les
fortiûcations, le matériel et le personnel de rartillcric, les
munitions restèrent dans une misérable insuffisance qui nous
mettait à la merci de TennemL Henri était personnellement
réduit à une véritable indigence, qui ôtait à sa royauté toute
dignité et tout prestige, chez une nation essentiellement va-
niteuse. Le mal provenait de la dilapidation des finances, et
un acte de la volonté du prince , si énergique qu'il fût, ne
suffisait pas alors pour y remédier. Il fallait que Rosny, dans
une suite de grandes opérations financières, eût acquis Tex-
périence et la capacité, ainsi que Tautorité résultant du suc-
cès , qui lui manquaient encore : il fallait que Henri Télcvât
peu à peu en puissance et en dignité avant de lui confier la
direction des deniers publics, où il devait trouver pour con-
tradicteurs et pour ennemis tout ce qu'il y avait de puissant
dans le royaume. Voici sur ces différents points les rensei-
gnements que fournissent les lettres du roi :
c 8 mars 1596. Vous verrei par les IcUres du sieur de Sobolc et
celle deshabitant« delà ville de Metz ce qu'ils me représentent tou-
chant la garnison de ladile ville, et Topinion qu'ils ont de l*établis-
sement de l'imposition pour laquelle j'ai envoyé le sieur de Bus^^y
par delà ; en quoi j*e$time qu'il pourra se présenter l)eaucoup de
dilBcultés... D'autant que les moyens qui peuvent provenir des
dites impositions ne sont présents, et que les soldats qui sont en
cette garnison ne peuvent être entretenus d*espérances, attendu la
nécessité en laquelle ils sont, qui a contraint le sieur de Sobole de
vendre la partie des bleds du magasin de la dite ville, je vous prie
de foire que ceux de mon conseil qui sont à Paris trouvent jusqu'à
cinq ou six mille écus pour envoyer promptement à Melz pour la
dite garnison *• •
* Letlrat miuivM, U nr, p. 511. -— Nous n« cb«DS«on« dant cet extiaiu
qae l'orlhograph«.
DÉTRESSE DU ROI ET DU ROYAUME. 297
« 21 mars, au sujet de la ville de Guise et des autres places si-
tuées sur la frontière de Picardie. — J'ai trouvé ces villes de Tron-
tière en très mauvais état, parce que Ton n*cmploie rien aux forti-
ficatlons, et que les gens de guerre, tant de cheval que de pied, ne
sont pas payés ; de sorte que les soldats quittent leurs gardes et
leurs compagnies, lesquelU* »ont déjà ai foibïes qu'il y en a plu^
sieurs où il n'y a pas vingt-cinq et trente hommes au lieu de cent
dont elles doivent être composées. De sorte que je crains qu'il en
arrive inconvénient ; et pareillement de celles de Champagne qui
sont encore en plus mauvais état. Partant, je vous prie de fair^
délivrer au trésor de Textraordinaire des guerres les assignations
que vous avez destinées au payement des dites garnisons, et, sMI
est possible, faire que Ton avance quelque somme sur icelles pour
leur départir, afin d'empêcher ce débandemcnt, lequel advenant
sera inévitable, dont s* en suivra la ruine de mes affaires^ car je ne
puis être partout, et quand mes ennemis me tiendront d*un côté,
ils m'auront bientôt enlevé une place de Vautre. Dont je vous
confesse être en extrême peine, à laquelle je ne puis remédier
qu'en payant les dits gens de guerre *. •
c 15 avril, à Rosny. Je vous jure avec vérité que toutes les tra-
verses que j'ai subies jusqu'ici ne m'ont pas tant affligé et dépité
l'esprit que je me trouve maintenant chagrin et ennuyé de me voir
en de continuelles contradictions avec mesplusautorisés serviteurs,
officiers et conseillers d'État, lorsque je veux entreprendre quelque
chose digne d'un généreux courage et de ma naissance et qualité,
à dessein d'élever mon honneur, ma gloire et ma fortune, et celle
de toute la France, au suprême degré que je me suis toujours
proposé. Ayant écrit à ceux de mon conseil des finances comme
j'avais un dessein d*extréme importance en main, où j'avais besoin
qu'il me flkt fait un fonds de 800,000 écus, et partant les priois et
conjurois, par leurs loyautés et sincères aflecttons envers moi et la
France, de travailler en diligence au recouvrement certain de cette
somme, toutes leurs réponses, après plusieurs remises, excuses et
raisons pleines de discours embarrassés dont les uns détruisoient
les autres , n'ont eu finalement autre conclusion que des repré*
sentations de diflicuUés et impossibilités. Voire ils n'ont pas craint
de me mander que tant s'en falioit qu'ils me pussent fournir une si
notable somme, qu'ils se trouvoient bien empêchés à recouvrer les
fonds pour faire rouler ma maison. Cela m'afflige infiniment, voire
me porte quasi au désespoir, et m'aigrit de sorte l'esprit contre
eux, que cela m'a fait absolument jeter les yeux sur vous, sur les
' Lcttrei mlsiiTCfl, 1. iv, p. 540.
298 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
anarances que voas in*avei souvent données d'avoir le vouloir et
le pouvoir de me bien servir en cette charge, et m'a remis en mé-
moire ce que vous me dites à Saint-Quentin des grands divertisse-
ments qui avoient été Taits depuis la mort de M. d'O, de notables
sommes de deniers provenues des aliénations que l*on a faites de
mes aides, gabelles et autres revenus. Ce qui m*ayant donné Tenvie
de m'en éclaircir davantage, j'ai bien encore appris d'autres plus
que de vous; car pn m'a donné pour certain, et s'est-on fait fort
de ie vérifier, que ces huit personnes que j'ai mises en mes finances
ont bien encore lait [pis que leurs devanciers, et qu'en l'année der-
nière et la présente, que j'ai eu tant d'affaires sur les bras foute
d'argent, ces messieurs là, et cette effrénée quantité d'intendants
qui se sont fourrés avec eux par compère et par commère, ont bien
augmenté les grivelées, et, mangeant le cochon ensemble, ont con^
sommé pliu de quinte cent mille écui, qui étaient somme su/litante
pour ehoêterV Espagnol de France^ en payement de vieilles dettes
par eux prétendues. Je vous veux bien dire l'état où je me trouve
réduit, qui est tel, que je suis fort proche des ennemis, et n'ai
quasi pas un cheval sur lequel je puisse combattre, ni un hamois
complet que je puisse endosser ; mes chemises sont toutes déchirées,
mes pourpoints troués au coude ; ma marmite est souvent renver-
sée, et depuis deux jours, je dîne et soupe chei les uns et les autres,
mes pourvoyeurs disant n'avoir plus moyen de rien fournir pour
ma table, d'autant qu'il y a plus de six mois qu'ils n'ont reçu d'ar-
genL Partant jugei si je mérite d'être ainsi traité ; si je dois plus
longtemps souffrir que les financiers et trésoriers me fassent mou-
rir de ftiim, et qu'eux tiennent des tables friandes et bien servies;
que ma maison soit pleine de nécessités, et les leurs de richesse et
d'opulence, et si vous n'êtes pas obligé de me venir assister loyale-
ment, comme je vous en prie'. »
La misère , c'est le mot , la misère scandaleuse h laquelle
le roi est réduit n'est que le signe d'un effroyable désordre :
* LellrM niifttiyes. t. iT, p. 66S-668. Tous les fuili éooDc^t duni celle
Icllre, luatrs Ict iil<'es, tous les tcntiineots lout incontestahlemrnt de
Henri IV : la forme seule en partie et le style dans les détails Me lunt pas
de lui. Itarbuult, ennemi de Sully, qui Taccuse plus d^nne fois d'avoir
suppoië des lettres du roi, rn reconnaissant que celle-ri était de Loincnie,
reconnatl en même temps qu^elle était du roi pour le fond (remun|ues
sur le chapitre <>3 de l'édition originale, p. lU A). Kn effet, Itoménie, admis à
la pins familière intimité du roi, dans celte circonstance comme dans
vingt autres, écrit sous sa dictée, reproduit exartcment ses pensées, et se
horne & donner h ses phrases un tour un peu différent. S'il y sTait one
discussion à rlerer sur celte lettre, ce ue serait sur son authenticité quant
au fond, c'cst-ik-dire quant à ce qui est cxclusÏTement important, mais
bien quant à sa date*
PËAT£ DE CALAIS, UAM, G01NE8, ARDRKS. 299
tous les services publics sont en souffrance , et les vols des
financiers, l'incapacité ou la mollesse des serviteurs demeurés
intègres, en laissant TÉtai sans force et sans défense, le livrent
à la conquête espagnole. A cet égard, les craintes de Henri
sont prophétiques et déplorablcmeut Justifiées par les évé-
nements.
De Rosne, voyant toutes les forces dont Henri pouvait dis» PriM de CaUU,
poser et toute son attention occupées au siège de La Fère , Âl!jrei!^?*
proposa au nouveau chef des Espagnols, le cardinal Albert, >«• Eapaguok.
de conquérir Calais, qu*il savait dépourvu de moyens de ré-
sistance suffisants. L'artillerie était mal montée et mal servie
par un corps de canonnicrs trop peu nombreux ; on n*avait
fait aucun des préparatifs extraordinaires que la défense
d'une telle place. Tune des clefs du royaume, aurait de-
mandés. Nous venons de voir, par la correspondance de
Henri , qu'il sentait et déplorait cette insuffisance pour Ca-
lais comme pour toutes les places frontières. Mais de nou-
veaux travaux de fortification , l'augmentation du corps de
Fartillerie et de la masse des munitions entraînaient des dé-
penses que lui rendaient impossibles les malversations des
financiers plus que l'épuisement des peuples. De Rosne atta-
qua Calais avec secret et rapidité , et enleva les ouvrages
avancés de la place le 9 avril : U informa de ce succès le car-
dinal Albert d'Autriche, qui se hâta de venir le seconder
avec une armée. A la première nouvelle de leur attaque,
Henri, laissant à ses lieutenants la continuation du siège de
La Fèrc , se porta rapidement à la défense de Calais avec le
peu de forces dont il pouvait disposer : soit sur mer au milieu
des tempêtes, soit sur terre , il exposa deux fois sa vie pour
jeter des secours dans la place assiégée. En même temps il
implora, U pressa l'assistance des Hollandais et des Anglais.
L'Angleterre n'était guère moins intéressée que la France à
ce que Calais ne tombât pas au pouvoir des Espagnols, Ce-
pendant les !iecours qu'elle promit et qu'elle annonça ne par-
vinrent pas à Henri, soit que les mesures fussent mal prises,
soit plutôt qu'Elisabeth témoignât par cet abandon le pro-
fond mécontentement que lui avaient causé l'abjuration de
Henri et le refus qu'fi avait fait de livrer Calais aux Anglais.
I.OS historiens contemporains ne laissent Ignorer ni la froi-
deur ni le mauvais vouloir du gouvernement anglais dans
300 HISTOIRE DU RÈGHE I)£ HENRI IV.
ces circom^tanccs ■• Henri, abandonné à lui-même , trouva
moyen de jeter un secours dans la place ; mais le renfort
était insuffisant ou il fut mal employé. La ville de Calais ca-
pitula après un assaut le 17 avril, et le château fut emporté
le 24. Les Espagnols firent un butin immense et s*emparèrent
d'un grand amas de provisions : la guerre nourrit ainsi la
guerre pendant quelques mois. C'étaient là les avantages
pour le présent ; pour l'avenir , Philippe occupait Tun de ces
postes qui dominaient l'Océan ef tenaient à la fois en échec
la France et l'Angleterre. Après Calais, les Espagnols prirent
llam, Guines et la forte place d'Ardres (23 mai). Ils étaient
maîtres de toute la frontière du Nord , et ils paraissaient
s'achemfaier à la conquête de la Picardie entière 2.
Au milieu de cette rude épreuve, la résolution et la liberté
d'esprit de Henri restèrent inébranlables. Il fit face à tout,
résistant aux Espagnols autant qu'il lui était donné de le faire
avec les moyens restreints dont il disposait, commençant la
répression des financiers, ennemis plus redoutables au pays
que l'Espagnol lui-même ; renouant ses rapports avec les
Hollandais et les Anglais qui, si impolltiquemcnt, si impru-
demment pour eux-mêmes , avaient abandonné le roi dans
son danger, et obtenant d'eux une importante et utile diver-
sion, une attaque contre les États mêmes de Philippe H.
deU^Fè'rV les ^ ^^ ™^* 1596, il prit La Fère après tm siège de sept
froauèret fa- mois, et chassa ainsi les Espagnols du cœur de la Picardie ,
tandis qu'ils envahissaient les frontières de cette province.
La réduction de La Fère lui avait rendu, au moins en partie,
* LeUre de Villeroy, dans len Mémoires de Daplettii, t. vi, p. 461. A
la date du 96 février 1896, il dit : «c Nous avons advis de toutes paris que
» les eniiamis se pr<fparent i attaquer quelque plare. En quoi nous som-
N mes très mal assistée de nos voisins ^ lesquels se reposent maintenant
a à l*omhre du feu qui nous consume, sans appréhender davanlai;c le hi«>n
m ni U mal qui leur en peut arriver. » -> Thuanus, i. cxvi, $ 7, p. 603 :
« Verum rex qui Anglos non satis bona fide in eo negotio vorsari videret. s
L'historien donne dans le même livre le motif du refroidissement de la
reine «1 du gouvernement d* Angleterre à IVgard de Henri. An J 11, p. 608,
il rapporte la conférence de Cecil, principal ministre dT.lisabeth avec
l'ambassadeur de France, et il dit : « Sancios Gulielmum Cecilium, pcnet
» qacm somma rerum. adit : a quo ambiguum et aliénions animi respon-
» sum tulit. Anlea reginam cum rege religionis cnusa conjunctam ;
» nunc, vinculo illo solato, tantam vicinia utriusque regnl et antiquornm
B foxierum ralione... Poslea tamen consilii de non miltendis auxiliariLns,
• nlsi Caleto tradito, pspiiilait. •
■ Lettres missives des 18 et 90 avril et 99 mai, t. ir, p. 879, 873, 8W.
— Thuanus, 1. cxvi, t. XH de la traduct., p. 699^644. — P. Cayet, 1. ym,
p. 734.736. — Sully, OEcon. roy., c. 61, l. i, p. 199-901 A.
ranlies.
PRISE DE LA PÈRE PAR LE ROI : PROPOSITION FÉODALE. 301
la libre disposition de la seule armée qui fût alors sur pied.
11 s*en servit pour arrêter les progrès des Espagnols après la
prise de Calais , en pourvoyant à la défense de ik)ulogne ,
Montreuil , Monthulln, Abbeville , et autres places voisines.
La mort ne tarda pas à le débarrasser du plus redoutable de
ses ennemis : De Rosne fut tué au siège de Hulst, dans les
Pays-Bas, et Henri put tourner contre d'autres adversaires
les forces que Taudace, Tadresse, les talents militaires de ce
transfuge avaient tenues occupées jusqu'alors <•
Ces efforts heureux faits parle roi pour arrêter les progrèsde
Tennemi et pour protéger le territoire ne furent pas appréciés
parTopinion publique, et ses revers furent exploités par l'am-
bition. La perte de Calais avait nui à sa réputation, altéré et
ébranlé les esprits. La faction des seigneurs qui venait de
voir d'Épemon désarmer, après tant d'autres, et qtii allait
chaque jour s'aflaiblissant, crut avoir trouvé l'occasion de se
relever, de reprendre d'un coup tous ses avantages, lis espé-
rèrent que Henri, au milieu du dénûment où il se trouvait,
leur aliénerait pour prix d'un secours présent la souveraineté
publique, et rétablirait en leur faveur l'organisation et la
puissance féodales. Dans Saint-Quentin , ils lui ofTrirent de
mettre à sa disposition une armée nombreuse et bien payée,
qui semblait alors indispensable à la défense du pays , s'il
consentait « à ce que ceux qui avoient des gouvernements
» par commission les pussent jyosséder en propriété, en re-
» connaissant les tenir de la couronne par un simple honi'-
» mage lige, m Ahisi aux gouvernements auraient été suIh
stitués les tiefs : la propriété et l'hérédité aivaient remplacé
l'ordre actuel suivant lequel le roi nommait à chaque va-
cance pour gouverneur celui qui lui donnait le plus de ga-
ranties de capacité et de fidélité, et Otait les gouvernements
aux indignes et aux séditieux , comme il venait de le prati-
quer à l'égard de d'Ëpemon pour la i'rovence. Les seigneurs
avaient entraîné dans leurs projets les prhices du sang et
persuadé au duc de Montpensier de porter au roi leur pro-
position. Henri n'avait pas alors d*eufants légithnes : il flt
Propotiiion
féoiJaU
des seignears .
' Lcttret mluivei des 46 et Si mai, et dn 8 aoAt, t. IV, p. 581, 586,
590, (>54, G35. — SuU]f,OEcon. roy., r. 6t, p. SOI A. — TbiuiniM, 1. cxvi,
t. xu. iraducl., p. 644-4M6 ; I. cxvii, U ziu, p. 48. — P. Oiyet, I. viii,
y, 73tt.7»).
302 HISTOmS DU RÈGNE DE HENRI IV.
facilement comprendre au duc de Montpensier et aux princes
de sa famille qu'ils demandaient la d<^gradation de la royauté
à laquelle les événements pouvaient d'un moment à l'autre
les appeler ; il parvint à les tirer de la ligue des seigneurs et
même à les rendre ses contradicteurs et ses adversaires >.
Ligae oflensWe Tandis quc Henri préservait ainsi TÉtat de nouveaux trou*
"^^•Tec^^^ blés, d'un nouvel affaiblissement, il lui cherchait au dehor»
*'t°H*îf"* ^ ^^"^ ^^^^^ ^^ ^^* appuis contre la persistante cl redoutable
attaque des Espagnols. Les mécontentements d'Elisabeth «
servis par la complaisance ou l'aveuglement de ses ministres,
avaient été pour moitié dans la prise de Calais. Getle con*
quête des Espagnols était si menaçante pour l'Angleterre,
qu'elle avait excité une fermentation dangereuse et presque
une sédition parmi le peuple de Londres. Longtemps avant
cet événement , Henri avait proposé à Elisabeth une ligue
offensive et défensive contre l'Espagne, et lui avait demandé
l'aide nécessaire pour combattre leur commun ennemi, alors
que la France épuisée après une si longue guerre civile et
étrangère ne pouvait plus supporter seule le poids de la
lutte. Les ouvertures du roi n'avaient été accueillies que par
les froideurs et même les insultes de la cour d'Angleterre.
Ces dispositions changèrent après la prise de Calais et les ma-
nifestadons du peuple de Londres. Les ambassadeurs français
furent écoutés avec plus de faveur et amenèrent la reine et ses
ministres à convenir d'une ligue offensive et défensive dans la-
quelle se trouvaient les deux clauses suivantes : que le roi
de France et la reine d'Angleterre défendraient réciproque-
ment leurs Ëtats ; qu'ils porteraient la guerre dans ceux du
roi d'Espagne. Le roi obtenait en outre quelques avantages
particuliers, dont il avait dans les circonstances présentes le
plus pressant besoin , tels qu'un corps de quatre mille sol-
dats auxiliaires et une somme de soixante mille livres. Jus-
qu'alors Elisabeth avait accordé des secours à Henri , mais
elle avait constamment refusé de déclarer la guerre à Philippe
et de la porter sur son territoire, dans la crainte des repré-
sailles. Les nouvelles conditions forent arrêtées le 26 mai :
bien que le traité n'ait reçu que trois mois plus tard les signa-
tures des parties contractantes et les dernières formalités,
• Sollj, OEron. roy., c. 01, t. I, p. 90t, 901
PRISE DE CADIX : BANQUEROCTE DE PHILIPPE II. 303
rexécadon commença presque immédiatement La Hollande,
dès le principe, prit part aux hostilités comme placée sous le
protectorat de TAngleterre ; bientôt après elle accéda à la
ligne déjà conclue par la France et par TAngleterre K
La flotte combinée d'Angleterre et de Hollande parut en Pris«dec«dix
rade de Cadix à la fin du mois de Juin, détruisit après un dJI'AHois.
combat acharné la flotte espagnole, assiégea et prit Cadix le
i*' août, s'empara de richesses immenses provenant du pil-
lage de la ville, des marchandi<ies destinées pour les Indes ,
du chargement de dix-huit vaisseaux qui arrivaient en ce
moment dans le port de Cadix avec les lingots du nouveau
monde. Depuis huit ans qu'il avait commencé les hostilités
contre rAngleterre et la France, Philippe, pour la première
fois, était attaqué en Espagne, au centre même de sa monar-
chie : une partie de sa marine avait été détruite, et quoique
les maladies contraignissent les ailiers à évacuer Cadix, le coup
que sa puissance et sa réputation venaient d'essuyer était
Infiniment sensible. De plus, il avait souffert des pertes ma-
térielles immenses : le pillage de Cadix et la prise des galions
d* Amérique lui avaient causé un préjudice de 20 millions de
ducats, plus de 60 millions du temps. Ces dommages furent
accrus par les attaques de Henri, qui, presque en même temps
que ses alliés, envahissait une autre partie de la monarchie
espagnole. Les Français , sous la conduite du nouveau ma-
réchal de Biron , ravagèrent deux fois l'Artois dans le cours
du mois de septembre, en emportèrent un immense butin,
un mois après que les Anglais et les Hollandais avaient pris et
pillé Cadix'.
Ces perles multipliées jetèrent un si grand désordre dans R.inqa^route
les finances de Philippe II que le 20 novembre il fit une **• PhiUpp» u.
seconde banqueroute. Il annonça qu'il cessait de payer les
intér<^ts des sommes qui lui avaient été prêtées par les l>an-
quiers d'Espagne, d'Italie, d'Allemagne et des Pays-Bas;
* La ligne oReiuÎTe et défensive entre U France et rAngleterre fut
convenue ot arrêtée le 96 mal : elle fut lignée par le roi de France le S)
aoèt. Les Étati des ProvIncea^Uniet y accédèrent le SI octobre 15M : le roi
ratifia le« conTcntlons faites avec eux an mois de janricr 1797. Biais bien
aTaot que tontes ces lenteurs de la diplomatie fussent dpnisees, et dès la
fin dn mois de |nin 1596, les conféde'rés firent un mal infini en roi
d'Espagne.
» ThnaniH, I. c»TI, SS *<>-*5, t. V, p. 007-691. et I. CXVU, «S tO, II,
p. 616, 660, 651. - P. Cajf t, 1. tdi, p. 741 B, 749 B, 74S. 1U, 740.
30/i HISTOIRE DU BÈGNE DE HENRI IT.
qu*il leur 6tait de plus le gage de leurs créances, en leur
retirant les produits des revenus et domaines royaux sur
lesquels leurs créances avaient été assignées, en déclarant
que les deniers provenant de ces revenus et domaines se-
raient désormais versés dans ses coffres. Il les frustrait à la
fois du capital et des intérêts. Ce vol, qui ruina les princi-
pales maisons de banque de TEurope, lui rendait la Jouis-
sance de ses revenus dans Tavenir, mais il augmenta ses
embarras dans le présent. Depuis l(mgtemps, il vivait non de
ses revenus épuisés, mais des avances que les banquiers lui
faisaient : les banquiers cessèrent tout à coup de verser on
seul ducat dans ses caisses, et il se trouva, lui et ses gouver-
neurs, dans un dénûraent complet d'argent. L'archiduc
Albert d'Autriche vit ses lettres de change protestées, et,
faute de deniers, fut réduit pendant quatre mois à une entière
inaction^
Dans le même temps, Henri adoptait des mesures dont
les unes donnaient pour garantie aux créanciers de TÉtat la
fortune publique et sa fortune particulière ; dont les autres
tendaient à diminuer les dilapidations des financiers , en
attendant qu'une réforme générale les détruisit. Sans entrer
encore dans un état prospère, le roi et la France allaient au
moins sortir de la détresse, et trouver de nouvelles ressources
contre leur redoutable ennemi, le roi catholique.
CHAPITRE IIL
RosDj entre aa conseil des fiDances : commencement de réforme peitieUf :
cflbrti des diiapitlatcurs pour perdre Rosnj.
Roiny entre en Après la prisc de La Père et vers le milieu de Tannée 1596,
Son voyage Hcuri découvrit quc, malgré des promesses récentes et cou-
dant cinq gène- traires, le conseil des finances persévérait dans ses mal-
versations. Il acquit la preuve que Ton avait vendu pour
30,000 écus, c'est-à-dire à vil prix, les aides de Normandie ; que
le prix en provenant ne serait même pas versé dans ses caisses,
' Thu&nus, I. cxvii, S H. t. V, p. 651.— P. Cayot, 1. viii, p. 746,
• Lesquelles assignations baillées sur tous ci quelconques de s<*s domaines,
• il tenoit «n suspens et vouloit que les marchands n'en pussent iouir et
> les reccTotr, ains que les deniers qui en prucederoient scroicnt remit en
a ses coffres, et que tous rontracts d'intérêts cessassent. •
ROSNY ENTRR AU CONSEIL DES FINANCES. 305
mais appliqué an paiement d'anciennes dettes prétendues ;
que les cinq grosses fermes, gabelles du sel et parties ca-
suelles, étaient données à ferme pour le quart seulement de
ce qu'elles valaient , les membres du conseil des finances
étant intéressés dans les baux avec les financiers auxquels
les baux avaient été passés. Ces deux points particuliers éta-
blis, il en conclut que dans les diverses parties de l'admi-
nistration des finances , il était « mal servi et dérobé. »
Pour remédier au mal, il fallait d'abord le reconnaître, le
voir par des yeux éclairés et intègres. Dans ce but, il fit
entrer Rosny au conseil de&finances, et lui délivra les pro-
visions de sa charge vers le milieu du mois d'octobre 1596.
C'est une époque mémorable dans l'histoire, non pas seule-
ment des finances et des ressources intérieures du royaume,
mais aussi de son gouvernement, car la royauté sortit bientôt
de l'état précaire et de la faiblesse auxquels elle avait été
réduite jusqu'alors, et prit sur ses ennemis du dedans comme
du dehors un ascendant irrésistible. Dès son entrée au con-
seil des finances, Rosny obtint du roi l'autorisation de visiter
quatre généralités ou recettes générales. De cette enquête
devaient résulter deux eflets, l'un spécial et présent, l'autre
général et à venir. D'une part, il devait essayer par tous les
moyens de ramasser une somme de trois ou quatre cent mille
écus que le roi demandait en vain depuis longtemps à son
conseil des finances, et dont il avait indisponsablement be-
soin pour continuer la guerre contre l'Espagne. D'un auti-e
cùté, Rosny voulait s'instruire du produit exact des impôts
et des revenus royaux, de la manière dont ils avaient été
administrés jusqu'alors, des améliorations dont ils étaient
susceptibles , et il comptait faire servir ces connaissances à
la réforme des finances sur une échelle plus ou moins grande,
selon que son autorité serait plus ou moins étendue. Pour
arriver à connaître la vérité, il fallait obtenir des renseigne-
ments suffisants des divers officiers de finances, et s'ils refu-
saient de les fournir, avoir les moyens de les contraindre.
Rosny se munit des pouvoirs nécessaires avant de commencer
la visite des généralités. A son arrivée, les trésoriers de
France, élus, contrôleurs, greffiers des bureaux et élections,
receveurs, poussés par le conseil des finances lui-même, ou
s'absentèrent ou refusèrent de lui rien dire et de produire
20
300 HISTOTRR DU RJ:r.NR DE nENRI IV.
aucun registre. Il les interdit et suspendit tous de leurs
offices, et en amen<i plusieurs h la soumission par la crainte.
Commence- H choisit alors parmi eux- deux trésoriers en chaque bu-
de réforme par- Fcau, et dcux élus en chaque élection, pour remplir lesfonc-
tieiie. y^jn5 ^j^» j^Qg^ II obtint d'cux: 1" les comptes et les états de
Somme notable , , , , « <^ ■
foamieauroL Tannée courantc et des quatre années précédentes ; 2* le re-
levé exact de tous les prélèvements faits à titre quelconque
sur les divers impôls avant quMls fussent versés dans les
caisses du roi : il sut, par exemple, que les intérêts de telle
dette étaient pris d'avance sur les gabelles, et que telle pen-
sion était acquittée d'avance aussi sur les aides. Ces antici-
pations étaient la cause de la moitié au moins des désordres,
comme nous le verrons bientôt. Il possédait dès lors les
documents nécessaires pour établir les principes d'une ré-
forme financière. Il s'occupa en même temps du soin de
ramasser les sommes dont Henri avait un si pressant be-
soin. 11 n'examina les comptes que de quatre généralités
pendant quatre ans et l'année courante : parmi les in-
nombrables articles de dépense , il n'apura que ce qui con-
cernait les assignations pour de vieilles dettes, le rembourse-
ment de prêts, les arrérages de gages, les rentes et pensions
à des gens obscurs et indignes, les rescriptions en blanc ou
sous des noms supposés. Et sur ces seuls articles, soit en re-
fusant le paiement, soit en exigeant le remboursement, toiUes
les fois qu'il n'y avait pas titre suffisant, ou qu'il y avait fraude
manifeste, il rassembla 500,000 écus, c'est-à-dire 1,500,000 li-
vres du temps (environ 5,/i90,000 francs d'aujourd'hui). Il
plaça ces sommes sur soixante-dix charrettes, et les conduisit
à Rouen, où se tenait alors l'assemblée des notables.
Si un sévère examen des titres et ime comptabilité régu-
lière s'établissaient dans les finances, dès lors la source des
grâces pour les pensionnaires abusifs, et des gains Illicites
et énormes pour les financiers, était tarie. Ils firent donc
d'incroyables efforts pour perdre Rosny sur sa première
démarche. Pendant son absence, ils publièrent qu'il avait
usé de ses pouvoirs avec une tyrannie qui rendait le roi
(Mlieux ; qu'il avait rempli les prisons des officiers et des
commis des finances; que par un raffinement de cruauté et
d'insolence, il traînait à sa suite cinquante des principaux
d'entre eux enchaînés. Ils ajoutaient que l'argent ramassé
EFFORTS FAITS POUR PERDRE ROSIfY. 307
par Rosny était le produit des plus violentes «exaciions exer-
cées sur le peuple ; que ces rigueurs n^auraient même pas
le mérite de soulager le roi ni l'État, puisque les sommes
dont Rosny remplissait le trésor avec tant de peine étant
celles-là même sur lesquelles étaient assignées les pétlstons
des princes du sang, du connétable et des autres grands offi-
ciers de la couronne, de la foule de ceux qui s'étaient déclarés
pour le roi, surtout dans les derniers temps, ce prince serait
réduit ou à rendre d'une main ce qu'il recevait de l'autre,
ou à s'exposer à un mécontentement général et peiitM(tv« ft
une dangereuse défection. Les financiers espéraient faire
condamner Rosny avant qu'il fût entendu, et ils soulevèrent
tant de clameurs contre lui qu'ils ébranlèrent le roi. Toute-
fols Henri s'arrêta, heureusement pour la France, à la réso-
lution d'examiner, et à la première explication avec Rosny,
il se convainquit que toutes les allégations de ses ennemis
étaient autant d'Impostures. Battus sur ce terrain, les finan-
ciers et les courtisans se placèrent aussitôt sur un autre pour
continuer leurs attaques. Ils tentèrent d'épuiser en quelques
Jours les sommes apportées par Rosny, de telle sorte qu'il ne
restât ni à ce fidèle serviteur le mérite d'avoir secouru le
roi dans ses nécessités, ni à Henri les ressources nécessaires
pour tenir tête à l'étranger et au parti aristocratique. Ceux
qui étaient chargés de la solde des Suisses réclamaient
30,000 écus, quand ils en avaient 10,000 seulement à payer.
Une nuée de créanciers de l'État prétendaient être remboursés
Immédiatement sur l'argent voiture à Rouen, dont il ne serait
pas resté un seul denier. Knfin les agents du fisc osaient bien
nier une partie des sommes versées par Rosny entre leurs
mains; le contrôleur général tenta de soustraire par ce moyen
90,000 écus ou 370,000 livres du temps. Rosny ne com-
battit victorieusement ce vol qu'en produisant quatre borde-
reaux conservés par lui à Tinsu de ses ennemis, dressés pen-
dant sa visite des généralités, et signés par les receveurs
généraux des deux dernières années. I^e roi resta maître des
sommes qui lui appartenaient, et les appliqua aux prépara-
tifs du sii^ge d'Arras, qu'il projetait depuis quelque temps <•
* Pour rea trois paragraphes, Sully, OEcon. roy., c. 67, 68« 09, t. i,
p. ttS-£î5. — Lettre dn roi du 17 octobre 1506. prouvant qae, dès celle
date. llo«n7 est entr^ au conseil dea finances et a été charge' de visiter quatre
rrcettrN générales. (Leltra miss., t. IV, p. 650.)
308 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI tV.
Henri r^ouide Ktaîs Cet argent était à peine un expédient pour les l)esoins
uDe°ttIi!!li"hié« <!'**" moment et pour une entreprise particulière. Il fallait
ât noubies. des rcssources bien autrement étendues et durables, si Ton
voidait terminer honorablement pour la France la guerre
dangereuse et prolongée qu^elle soutenait contre TEspagne,
si Ton prétendait fournir aux dépenses des divers services
publics, la plupart interrompus. Même après le premier
effort de Rosny, les contemporains représentent les affaires
de Henri comme réduites encore à Textrémité, et les moyens
les plus violents comme indispensables à leur rétablissement^
On ne pouvait trouver de ressources que dans la réforme et
Tamélioration des branches de revenus publics déjà existants,
et dans rétablissement au moins temporaire de nouveaux
impôts. Pour Tune comme pour Tautre mesure, le concours
et Tautorité d*une assemblée nationale étaient indispen-
sables. Henri avait à choisir entre des États-généraux et une
assemblée de notables. En droit, la seule prérogative des
États-généraux était de présenter des remontrances et des
avis, que la royauté, seule dépositaire de la puissance légis-
lative, se réservait d'admettre ou de rejeter. En fait, les
Élats-généraux, forts de leur nombre et de l'ascendant qu'ils
exerçaient dans les provinces, réduisaient tout roi faible ou
embarrassé à vouloir ce qu'ils voulaient ; et quand ils obéis-
saient à l'esprit de fanatisme ou de faction, ils précipitaient
l'État dans la guerre civile et dans l'anarchie. C'est la con-
duite qu'avaient tenue, sous Henri IH, les États de 1577 et
ceux de 1588. L'autorité de Henri iV était trop récemment
reconnue par la moitié du royaume, trop mal affermie, pour
qu'il pût convoquer des États-généraux sans compromettre
la paix et l'ordre public à peine renaissants. Le plus libre et
le plus hardi des contemporains, d'Aublgné, ne laisse aucun
doute h cet égard. Après avoir annoncé l'assemblée des no-
tables, il ajoute : « Les troubles, qui n'estoient pas esteints
» par la France, ne permcttoient une plus grande convoca-
p tion ; les cœurs des peuples n'estoient pas encore assez
» ployez à l'obéissance, comme il parut par les esmotions qui
* Laforce, lettre à sa femme du 9 janvier 1507 ; il rappelle quel a éié
iVlal des l'iDonces dans li*s derniers mois, et il dit : « On craint i|ue !••
m notables Teuillent retarder tous les |i;i\«*menti pour un an ou deux, afin
V de relever les aflairrs ci a ro^, car on sVst trouré tout à coup A Vwx»
» tréoiité. » (Mem. de Laforce, 1. 1, p. SSO.)
NOTABLES DE BOUEKT. DISCOURS DV ROI. 309
» survinrent'. » Wais Henri voulut, d'un autre côté, que la
première assemblée nationale réunie sous son r^gne fût libre
sans Hre Tactieuse. Il ne nomma pas lui-même les notablctt,
il ne les fit pas nommer par les gouverneurs de provinces ;
Il en laissa le choix au clergé, à la noblesse, au tiers-étaU
Dès le principe, il annonça l'intention de ne leur prescrire
aucunes règles, formes ni limites >. Enfin, nous allons le voir
leur livrer tous les pouvoirs qu'ils pouvaient exercer sans
danger pour la chose publique. Lors donc que des écrivains
modernes lui imputent d'avoir nommé lui-même les nota-
bles, d'avoir préféré les notables aux ËUts-généraux pour avoir
meilleur marché des libertés publiques, pour continuer le sys-
tème du pouvoir absolu et du bon plaisir, ils mettent des
accusations passionnées à la place de la vérité 3.
aiAPlTHE IV.
Aisembl^ dci noUbles à Rouan. G>iiseU d« raison (1S96, 15U7).
Les notables se réunirent h Rouen au nombre de quatre-
vingts : neuf du clergé, dix-neuf de la noblesse, cinquante-
deux du tiers-état, ces derniers presque tous membres des
parlements ou des cours des comptes. Le roi ouvrit leur
assemblée, le U novembre 1596, par un discours qui est dans
le souvenir de tous les bons citoyens, a Si je voulois, dit-il^
» acquérir le titre d'orateur, j'aurois appris quelque belle et
» longue harangue, et je vous la prononcerois avec assez de
» gravité. Mais, messieurs, mon désir me pousse à deux plus
» glorieux titres, qui sont de m'appeler libérateur et restau-
» rateur de cet Estât. Pour à quoi parvenir je vous ai assem-
» blés. Vous savez à vos dépens, comme moi aux miens, que
< D'AuhUné, 1. !▼, c. 14, U ui, p. 38S; Mttillv, 16^. -- Legmiu, Dec,
I. VI, p. 5*0.
* Sully, OKcon. roT., c. 60, 1. i, p. 9S2 D. m Que comme il iravoil uull«-
m mrnl voulu imilcr le» ruys ses devanciers en Voffectation et dèsignatiott
m de ctfrtnins lii'putet puriicuUert à sa fnntntsie^ pour m di»|iOicr mIoo
» icelle, «oitl'oune, soit mauvaise, mai» en avoit deC'cit* la nomination k
m ceux df l'F(;li<e, de la noblesse et du peuple, aussi ne vouloit-il mainte»
m nant, qu'ils osloient a^trmbles en corps, pieKrtr* aucanes rè|let,
m fof mes, homes, ay limites. »
• M. de Sumondi, Uisl. des Fri)U(., t. sii, p. 443, 446.
310 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
n lorsque Dieu m'a appelé à cette couronne, J'ai trouvé la
» France non seulement quasi ruinée, mais presque toute
» perdue pour les François. Par la grâce divine, par les
» prières et par les bons conseils de mes serviteurs qui ne font
» profession des armes ; par Tépée de ma brave et généreuse
» noblesse, de laquelle je ne distingue point les princes, pour
» être notre plus beau titre ; foi de gentilbonmie, par mes
» peines et labeurs, je Tai sauvée de la perte. Sauvons-la à
» cette heure de la ruine. Participez, mes chers sujets, à cette
n seconde gloire, comme vous avez fait à la première. Je ne
I» vous ai point appelés, comme faisoient mes prédécesseurs,
n pour vous faire approuver leurs volontés. Je vous a! fait
» assembler pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour
» les suivre, bref, pour me mettre en tutelle entre vos mains,
» envie qui ne prend guères aux rois, aux barbes grises et
» aux victorieux. Mais la violente amour que je porte à mes
» sujets, Textréme envie que j'ai d'ajouter ces deux beaux titres
» à celui de roi, me font trouver tout aisé et honorable^ »
Le chancelier prit ensuite la parole pour développer et expli-
quer les intentions du roi, et pour adresser des propositions
à l'assemblée. Dans la première partie, il conviait les notables
à prendre avec réflexion et maturité les mesures les plus
propres à réformer l'État. Dans la seconde, U ne s'occupait
que du danger présent et des moyens de le conjurer. Jl
s'agissait de trouver sans retard les sommes nécessaires au
roi pour résister à l'étranger, et préserver le royaume de
l'invasion de l'Espagnol, déjà maître des villes frontières.
Le domaine du roi était entièrement engagé ; son crédit chez
ses alliés, la reine d'Angleterre, les Hollandais, les Suisses,
les prbices d'Allemagne , était tout à fait épuisé , et il ne
fallait pas compter sur eux pour de nouveaux emprunts. U
était donc nécessaire de tirer de la nation l'argent dont on
avait besoin. Le roi connaissait la profonde misère du peuple
et en gémissait : aussi suppliait-ii les notables de choisir
parmi les mesures à adopter celles qui lui seraient le moins
pesantes, qui étendraient les charges à tous les ordres indis-
' Ce discourt, imprimé en dernier lieu sur l'original dans lei Lettres
missives, t. iv, p. 657, 658, se troaTe déjà complet et pur de toute alté-
ratiou dans P. Coyet, 1. Vili, p. 746, 747, et dans les Mém. de lu Ligue,
t, VI, p. 364. Pu rlont ailleurs il est tronque' cl aUcrc. Nous n'avons changé
que rorthographe.
I'K0I»USIT10> d'établi il t.\ GULVi:nMÙUi:>T MIXTK. 311
tiuctcment, qui pcrniettraicnl de Iovit les dciiiiTs le plus
Insensiblemeul que faire me pourrait, et avec la moindre
oppression du peuple *.
CiCttc demande d'un prompt secours pour satisfaire ù une >'• rai
jK^cossité du moment ne forme dans les propositions du roi stimer im
et du chancelier que la partie spéciale, limitée, secondaire, ««««^«rneineoi
11 en e&t une autre restée inaperçue jusqu'ici , mais bien potivoirabMiu.
plus générale, bien plus importante , où ils provoquent un
changement fondamental dans le système du gouvernement
et de Tadministration. Le roi, par dMiéroIques efforts , pres-
que exclusivement avec ses ressources et son crédit person-
nels , avec Taide d'un certain nombre de serviteurs fidèles
bien plus qu'avec le concours de la nation engagée par moitié
dans la Ligue, a préservé jusqu'ici le royaume de l'invasion
étrangère et du démembrement intérieur. A ce régime che-
valeresque et en grande partie féodal, doit succéder un sys-
tème politique dans lequel la nation entière prenne une
part aux événements qui vont décider de son sort, et se
charge elle-même de ses destinées. Philippe U et l'Espagne
continuent à la menacer et envahissent sa frontière : dans la
défense du territoire , elle doit seconder le roi et ses servi-
teurs qui ne suiDsent plus seuls à cette tâche. Tout occupé
de la guerre, Henri n'a pu ni détruire les abus du règne pré-
cédent , ni réprimer durant les premières années de son
i*ègne les malversations de ses propres agents, les désordres
et la désorganisation nés de l'anarchie. Autre devoir, autre
travail pour la nation appelée à examiner et à discuter les
affaires, à se mêler d'administration et de finances, à inter-
poser son autorité pour réduire et dompter les défenseurs
intéressés et tout-puissants dos abus. Ces obligations nou-
velles lui donnent an droit nécessaire à une portion de la
souveraineté. Aussi le roi renonce-t-il à imposer désormais
ses volontés pour lois : il offre de partager avec ses repré-
sentants le pouvoir législatif et le gouvernement du pays.
C'est donc de sa part une tentative sérieuse de substituer au
pouvoir absolu un gouvernement mêlé de démocratie et de
royauté , un gouvernement représentatif, comme nous di-
rions aujourd'hui. Si les intentions et les offres de Henri
' Mrm. de Cheveruy, coll. Blichand, t. X, p. S3I. — > Legiain, Décade,
I. VI, p. 331, nf'
312 HISTOIRE DU RÈOE DE HENRI IV.
n'avaient ëlé tels , sa propre conduite et les actes des no-
tables, au milieu des circonstances qui suivirent , devien-
draient également inexplicables.
RaTCDUf Les revenus publics ne montaient qu'à 23 millions du
^ de^i596. ** temps, dont 16 millions en tailles et le reste en autres droits.
Les charges montaient à 16 millions. D*où il résultait que
pour subvenir aux frais de la guerre , pour entretenir les
fortifications, les grands chemins, les ponts et chaussées, la
maison du roi , sans parler de la marine, dont il n'était pas
alors question, l'État ne pouvait disposer que de 7 mil-
lions ^ Cette somme était tout à fait insuffisante, et les no-
tables résolurent , en portant les recettes de 23 millions
à trente , d'augmenter les ressources de 7 millions. Pour
combler la différence et se procurer les 7 millions en plus, ils
résolurent de réformer et d'améliorer quelques unes des
branches des revenus publics pour 2 millions , et d'établir
un nouvel impôt nommé sou pour livre ou pancarte, dont
ils estimèrent le produit à 5 millions. Ils statuèrent donc
qu'on lèverait un droit d'entrée d'un sou pour livre sur
toutes les denrées et marchandises qui se vendraient désor-
mais dans les villes, bourgs, bourgades, foires du royaume,
excepté sur le blé ^. C'était sous un autre nom les octrois et
impôts indirects d'aujourd'hui , mais étendus à un bien plus
grand nombre d'objets. La plupart des impôts de l'ancienne
monarchie frappaient le peuple seul , et principalement le
peuple des campagnes. Dès l'établissement du sou pour livre,
les esprits réfléchis virent clairement que le nouvel impôt
était plus juste et plus également réparti. L'un des contem-
porains dit en termes formels : « C'est la plus juste et la pli»
» raisonnable subvention que l'on puisse inventer, parce
» que toutes personnes y contribuent et à l'égal , selon les
» facultés d'un chacun, sans qu'il soit besoin de les discuter.
N Car chacun y contribue selon qu'il a moyeu d'avoir des
u marchandises, et autant l'ecclésiastique et le noble que le
B roturier et non privilégié \ • En peu de temps le sou pour
* Véroo de ForboDnaû.Rech.sarlea fioancpi delà Fronce, t. i, p. 38,39.
■ SuUy, OEcon. roy., c. 70. t. i, p. S37 B. et STiQ B. — Le Uxte rfii
premier ëdil pour la Irvée de la pancurte uu droit d'enirëe &ur toutes les
deuréei et murrhandiiei <*ii toute» villes, boarg«, bourgades, foires du
roT»nine, duos Fontanuii, t, il, p. 551.
* Legraio, Decudc de Ueuii le Grand, I. vi, p. 3t3, iu-folio, 16U*
REVENUS PUBLICS EN 1596. CONSEIL DE RAISON. 313
livre devait par son produit permettre de diminuer les autres
Impôts, notamment la taille. I^c peuple devait donc i*ac-
cueillir avec transport : loin de là, il le combattit h outrance,
surtout en Poitou, Saintonge, Limosin, P^^ri^ord, Agenois,
Quercy K Sa résistance s'explique par des dispositions per-
manentes et par des circonstances particulières. Le peuple,
surtout dans les provinces du midi de la France , a fait de
tout temps une violente opposition aux nouveaux impôts,
quMl a considt^rés comme des attentats à sa liberté, et non
comme une dette payée à la patrie. Eu 1596, la misère était
au* comble : un impôt sur les consommations était ajouté
aux impôts personnels que la nécessité forçait de maintenir
provisoirement dans leur entier. Le peuple fut uniquement
sensible au léger renchérissement dans les denrées que pro-
duisait le sou pour livre , ferma les yeux sur les résultats
avantageux qu'il devait amener plus tard , et s'opposa avec
fureur à son établissement.
Quand les notables eurent porté fictivement les revenus pu-
blics à 30 millions, ils résolurent d'en faire l'emploi et la dis-
tribution, et dans les mesures adoptées par eux, ils prirent au
mot le roi qui avait dit qu'il se mettait en tutelle entre leiurs
mains. Ils établirent un Conseil de raison dont les membres,
pris parmi les notables, seraient nommés pour la première
fois (Mr eux, et quand des vacances surviendraient, par les
parlements. Ils partagi'^rent les revenus de l'État en deux
portions égales : Tune nationale, l'autre royale. I^a première
portion montant à 13 millions de livres ou 5 millions d'écus,
était aflectée aux gages des officiers , aux fiefs et aumônes ,
aux rentes et à leurs arrérages, aux dettes du royaume et des
particuliers. Le Conseil de raison devait disposer d'une ma-
nière absolue de cette moitié des revenus publics , sans que
le roi, son conseil, les parlements pussent apporter le moin-
dre changement h la destination que le Conseil lui aurait
donnée. Iâi seconde portion , également de 15 millions, était
attribuée au roi et au conseil des finances pour les dépenses
de sa personne et de sa maison, pour les frais de la guerre,
de Tartillerie, des forlilications, des ambassades, des dons et
* D^AubigDf^, 1. IT, c. 14, t. ni, p. 399. — Plarioartdetconlemporain»
nous ««mhlcnt avoir jugr le loti pour livre plus Minemcnt que queli]ae«
uns ile« lihtoriciii lutHiernci.
Le CoDMÎl dm
raison,
«rreur* et excès
dei noUbIca*
314 HISTOIRIS DC RÈG.NE D£ U£?(RI IV.
pensions et des bâtiments ■• LHntention de la plupart des dé-
putés était droite: ils avaient dessein, en administrant la moi-
tié des revenus publics, d*empêcber les dilapidations exercées
jusqu*alor8 par les agents royaux. Mais leur imprudence était
extrême. Les moindres inconvénients de leur mesure étaient
de troubler et de confondre tous les pouvoirs, d'attribuer à
un corps délibérant, auquel le pouvoir législatif convient seul,
Tadministration qui est du domaine exclusif du pouvoir exé-
cutif, de soustraire à tout contrôle et à toute responsabilité
tm corps qui devenait comptable. Livrer au Conseil de raison
la moitié des revenus publics , c'était partager effectivement
la royauté, créer un État dans im État , et peut-être donner
à Henri les plus dangereux ennemis qu'il eût eus encore. En
eflct , que le Conseil de raison devint un seul moment acces-
sible à l'ambition et à l'esprit de révolte, il attaquait la royauté
avec la moitié de l'argent de la France, et, en abaissant, en
dégradant le roi, il replongeait le pays dans la guerre civile
et dans l'anarchie. Les plus factieux et les plus imprudents
États-généraux n'avaient pas surpassé les noiables en audace.
Avii du coDscit Les ouvertures des notables furent accueillies par le con-
•nr lei'propoti. ^î^ du roi avec indignation, et par Henri avec crainte. Uosny
liotif seul lui conseilla secrètement de les accepter, en se fon-
de* BOtablet. , .,11 , ,.
Avis de Rosoy. daut sur des raisons Urées de la connaissance approfondie
des hommes et des affaires. La continuation de la guerre
contre l'Espagne exigeait impérieusement qu'on adoptât des
mesures qui augmentaient réellement les revenus publics,
quoique d'une somme bien inférieure à l'estimation des
notables. Le roi ne pouvait, sans se déshonorer et sans perdre
la confiance de ses peuples, violer la parole qu'il avait donnée,
à la première séance des notables, de se conformer aux réso-
lutions de l'assemblée. Le Conseil de raison et la dangereuse
autorité qu'il s'attribuait ne pouvaient pas durer trois mois,
' Snlly, OEroD. roy., r. 70, p. X)7, VS. m L*uDe desquelles portions
» monlant ili cinq millions d'escus seroit affectée on payement des ga^es des
» onîciers, fîcfs et auniosnes. renies, arriTagrsd'icelles, œuTres publiques,
M et dettes du gênerai et des particuliers, ilunt ce conseil de raison auroit
» la disposition et ordination absolue, sans tfite le roy^ son conseilt ni les
M cours souveraines y eussent aucnn pouvoir^ ny qu'ils en peussent
n rien diverlir^ changer ny innover, s Lu manière dont s*ex prime Grou»
lurt sur les actes des notables, c. 7, t. XI, p. 574 A, prouve la parfaite
boane foi, mats aussi riaetperience et l'imprévoyance de cette assemblée,
duns rétablissement du conseil de raison, ei d^ns toutes S4'S drlermiua>
tions.
PARTAGE D£S REVENUS ET DU POUVOIR. 315
coinine on le verrait à Tépreufe et à la pratique. En effet,
d'une part ce conseil trouverait des difficultés insurmontables
dans la levée des impôts qui lui seraient assignés en partage,
et notamment dans celle du sou pour livre qu'on le char-
gerait d'établir. D'an autre côté, le conseil serait composé
d'un nombre considérable d'hommes de divers pays, de sen-
timents et d'humeurs contraires, d'intérêts opposés en ce qui
les concernait personnellement et en ce qui regardait leurs
provinces ; leurs différends en un ne pourraient être terminés
par l'intervention d'une autorité supérieure , puisqu'ils n'en
reconnaissaient aucune. On verrait donc dès le premier jour
naître dans le sein de ce corps des disputes et des rivalités
qui mineraient son existence, et détruiraient en peu de temps
les chimériques et périlleux établissements imaginés par les
notables de Rouen.
Le roi céda à ces raisons , et contrairement à l'avis una*
nime de son conseil, il accepta, dans la séance du 38 janvier
1597, l'établissement du Conseil de raison et le partage des
revenus publics. 11 demanda seulement, et il obtint, qu'on loi
laissât choisir les branches de revenus publics dont il devait
tirer les 15 millions dont la disposition lui était laissée.
D'après la connaissance approfondie que Rosny avait de la
nature et du mode de perception des divers impôts, il garan-
tissait au roi que sa portion, sagement administrée, augmen-
terait de plus d'un tiers en moins de deux ans, et serait d'un
facile recouvrement, tandis que le Conseil de raison trouve-
rait d'insurmontables difficultés dans la levée des impôts qui
lui étaient abandonnés. Dans la division des revenus publics,
les gabelles, les anciennes aides, les traites, les droits de navi-
gation, furent attribués au roi; la plus grande partie des tailles
et le nouvel impôt du sou pour livre au Conseil de raison.
iips notables présentèrent leurs cahiers le même jour,
28 janvier. Le clergé demandait qu'on pourvAt par la voie de
l'élection aux archevêchés et évêchés ; que s'il ne plaisait
au roi de rétablir présentement l'élection, il observât au
moins l'ordonnance faite à ce sujet par les éuts de Blois de
1677, et fit faire de sévères informations sur la religion , la
vie , les mœurs des sujets qu'il élèverait à l'épiscopat ; que
pour réformer les abus, et corriger les dérèglements du clergé,
les métropolitains thissent de trois en trois ans des conciles
Le roi acecple
1rs
propoittioDi.
Gabier;
des nolablc».
316 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
provinciaux; que l'on dirigeât de rigoureuses redierclies
contre les simonlaques et les confidentiaires « ; que Ton rétablit
la discipline dans les couvents de filles, où elle était entière-
ment détruite au grand scandale du pays ; que le gouverne-
ment protégeât les églises contre les violences et les profa-
nations des gens de guerre. — La noblesse demandait que,
comme salaire de ses services, on préférât les membres de
son ordre aux autres dans la distribution des dignités ecclé-
siastiques ; qu'on choisît exclusivement parmi eux les baillis
et les sénéchaux, et de préférence les présidents, conseillers,
lieutenants des bailliages , quand ils feraient preuve de suffi-
sante capacité ; que dans les compagnies de cavalerie toutes
les places et soldes fussent réservées pour les gentilshommes ;
que les lettres de noblesse ne fussent accordées qu'à ceux qui
les auraient méritées par d'éclatants services rendus à l'État ;
que les roturiers et ceux qui avaient acheté des lettres de
noblesse ne pussent porter les noms des terres , châteaux ,
places, qu'ils auraient acquis ; que les gentilshommes domi-
ciliés dans les villes conservassent les privilèges de la no-
blesse et fussent exempts des gardes et corvées. — Le tiers-
État demandait que l'on ramenât les mœurs ù la simplicité
et à la frugalité anciennes ; que pour diminuer les dépenses,
que le luxe et l'émulation de la noblesse faisaient croître tous
les jours , on renouvelât les anciennes lois somptuaires; que
les magistratures dans les bailliages, après que le nombre en
aurait été diminué, conformément aux décisions des états de
Blois, cessassent d'être vénales ; que l'on fixât les honoraires
des avocats et le salaire des procureurs dans les cours sou-
veraines, et qu'on prévint ainsi la ruine des plaideurs. Le
lendemain du jour où le roi re(;ut les cahiers, il congédia
l'assemblée des notables. Ia Conseil de raison se constitua
aussitôt , entra en exercice , exerça les pouvoirs énormes et
extraordinaires que le roi avait consentis ^.
Groulart et quelques autres grands citoyens appartenant
au parti politique siégeaient aux notables de I\oucn. De pa-
reils hommes n'avaient certainement d'autre but que de
* Ceux qui ovaient la disposition ou le revenu illicites de bcnéficet ercle-
»iastiques, sous le nom des Utulaires qu'ils avaient fuit pourvoir de ces
bénëGce».
* Sully, OEcon. roy., c. 70, t. l, p. «59, «40. — Thuauus, 1. CXVU, $ 5,
t. T, p. (>3S, 636. — Groulart, Mém., c. 7, t. XI, p. 574.
CAHIERS DES NOTABLES. FIN DO CONSEIL. 317
soostraire TËtat et le roi aux vols des financiers , en 6tant
aux ofliriers royaux la disposition de la moitié des reve-
nus publics. Mais la majorité des notables prétendait autre
chose.
Pendant les troubles de la Ligue, les trois ordres avaient Effort d«p«rii«
à Tenvi empiété sur le roi. Il est curieux de voir la première «jes'plrlemenu
assemblée nationale, bien que restreinte aux proportions ^jJJ"^^^^
d'assemblée de notables, suivre les mêmes projets , obéir grand pommir
à la même ambition, se jeter sur les prérogatives de la cou- p«i»tiq»«.
ronne pour les partager. Il faut noter que les parlements en
particulier, qui avaient siégé en majorité dans l'assemblée ,
espéraient par rétablissement du Conseil de raison opérer
un grand démembrement de la puissance royale, et, par le
privilège qu'ils se réservèrent de nommer les membres du
conseil au fur et à mesure des vacances, étendre infmiment
leurs attributions et leur puissance politiques. Que Ton dégra-
dât et que Ton aiïaibitt la royauté, qu'on lui suscitât des riva-
lités dangereuses ; que pour agrandir im corps sans donner de
nouvelles libertés à la nation , on jouât ainsi l'ordre public ,
la silreté et l'honneur de la France, dans sa lutte prolongée
contre l'Espagne, c'est ce qui ne parait ni avoir frappé les
bons, mais fort aveugles citoyens, qui siégeaient dans l'assem-
blée , ni avoir arrêté ceux qui déplaçaient les pouvoirs avec
le sentiment de ce qu'ils tentaient. Le cours des événements
fit rciil justice de ces imprudents essais et de ces usurpations.
1597. Le Conseil de raison exerça ses fonctions durant rin
trois mois environ. Ceux qui le composaient n'étaient pas <*■ c«nik«ii de
ntsoii
suffisamment rompus aux affaires , et paraissent avoir été
tout à fait étrangers à la connaissance des finances, alors
véritable science occulte. Dès les premières opérations pour
le recouvrement des deniers de 1597 , ils tombèrent dans
d'inextricables difficultés. Le sou pour livre leur avait été
attribué : ils ne trouvèrent personne qui voulût s'en charger.
On leur demanda les autres fermes, mais à un rabais qui les
déconcerta. Les pensionnaires de l'État les pressaient de leurs
demandes , et ne parlaient que par millions à des gens qui
n'avaient pas encore recouvré une obole. Aigris par le chagrin
et le dépit , ils s'accusèrent bientôt réciproquement d'ign<H
rance et de précipitation, et leur mésintelligence hâta la dis-
318 HISTOIRE DU RÈGNE DF. HENRI IV.
solution da conseil. Al)out de toute industrie, et succombant
sous le faix, ils vinrent trouver le roi, confessèrent qu'ils
avaient eu grand tort d*aspirer à gouverner TÉtat, et le sup-
plièrent de reprendre et le maniement de tous les deniers
publics, et Tautorité qu'ils lui avaient enlevée ^ Ainsi se
termina Timportant, mais court démembrement des préro-
gatives royales : la couronne recouvra et exerça dès lors la
plénitude des pouvoirs publics.
Dans la situation critique où se trouvait TEtat lors de leur
convocation , ayant affaire à un prince qui ne faussa jamais
sa parole et qui s'était engagé à accepter les réformes pro-
posées, rassemblée des notables pouvait facilement, et utile-
ment pour le bien public, donnera la nation Tim portante
prérogative du vote annuel et du contrôle de l'impôt. En dé-
passant le but, en confondant tous les pouvoirs. Us ajour-
nèrent pour deux siècles la participation légitime de la nation
au gouvernement de ses affaires.
CilAPlTOE V.
Perte d* Amiens. État des partis et de Topiiiion. Reprise d* Amiens.
Expéditions de Lesdigutères contre la Sevoie (f SSI7).
pr^paraUft Pendant la malheureuse tentative du Conseil de raison ,
Rosny, qui avait gagné la confiance du roi et pris la princi-
pale autorité dans le conseil des finances , commençait avec
un travail infini, mais commençait seulement, une réforme
dans les finances dont nous parlerons ailleurs. Les revenus
publics ne purent augmenter sur-le-cbamp ; il fallait du temps
pour rétablissement du nouvel impôt sur les denrées et pour
l'amélioration des fermes. Le roi , réduit à l'argent qu'avait
fourni la visite des généralités et au produit des impôts cou-
rants , l'appliqua à un grand dessein, il projetait le siège
d'Arras : il forma et plaça dans les villes de Picardie, par-
ticulièrement à Amiens, un amas considérable d'artillerie et
de munitions , et il s'assura des vivres pour toute la durée
du siège 2. La conquête de tout l'Artois aurait suivi la prise
* SuUy, OEcon. roy., c. 73, p. S45.
■ Sully, OEcon. roy., c. 73, p. 14S, S44.
PERTE D'AWENS, dangers DE LA FRANCE. 319
d'Arras, et les pertes faites par la France en Picardie auraient
é\é de la sorte plas que couvertes.
Au moment même où Henri était tout occupe de ces pro- Surprise,
Jets, les bourgeois d'Amiens, qui avaient le privilège de se **da rojâumï^
garder eux-mêmes, et qui avaient refusé opiniâtrement au
roi de recevoir garnison dans leurs murs, laissèrent sur-
prendre leur ville par les Espagnols (il mars 1597). Cette
conquête ne coûta à Pennemi que quelques sacs de noix et de
pommes, au pillage desquelles se précipitèrent les bourgeois
de garde à Tune des portes, tandis que la masse de la po-
pulation était retenue au sermon. Il était impossible de faire
plus sottement plus de mal à la l^nce. Les Espagnols, déjà
maîtres de Calais, de Ham, de Guines, dWrdres, venaient
d*enlever une grande ville jusqu'alors réputée imprenable,
et paraissaient au moment de conquérir la Picardie entière,
lis pouvaient faire des courses jusqu'aux portes de Paris et
attaquer la capitale elle-même : le centre du royaume allait
en devenir la frontière. Jamais, depuis le commencement de
la rivalité entre la France et la maison d'Autriche, ils n'avaient
été ni établis si avant dans le royaume, ni si menaçants. Avec
Amiens ils avaient pris un amas immense de vivres et de
munitions de guerre, et une formidable artillerie : ils tour-
naient contre la France tout ce que le roi avait préparé pour
l'attaque de l'Artois et les conquêtes dans les Pays-Bas. A
ces dangers du dehors se joignaient les graves embarras de
la situation intérieure. Le duc de Mercœur soutenait la ré-
volte en Bretagne , province sur laquelle les Espagnols pré*
tendaient avoir des droits, et qu'ils pouvaient facilement atta-
quer. Beaucoup de villes soumises depuis peu n'étaient pas
alfermies dans l'obéissance, et, dans plusieurs provinces, les
esprits étaient flottants. Ix; roi était abandonné des protestants
français, que les traités conclus avec la Ligue avaient aigris.
Ils s'étaient donné tout récemment une nouvelle organisation :
ils avaient présenté une requête pleine d'exigences et de repro-
ches, l'année précédente, durant le siège de La Fère : depuis
ce temps, Us continuaient leurs assemblées sousdiflérents pré-
textes et s'abstenaient de paraître à l'armée : à l'égard du roi
et du royaume , ils en étaient à la séparation et pouvaient
facilement passer à la révolte. Le peuple, succombant à la
misère et à une maladie pestilentielle, périssait par milliers.
320 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
même à Paris. Enfin, Téclat imprudent que Henri donnait à
sa liaison avec Gabriellc d^Estrées excitait les murmures d'un
peuple qui , après s'être livré lui-même pendant huit ans
aux excès politiques les plus désastreux , ne s'en montrait
pas moins impitoyable pour une faiblesse. La prise d'Amiens
ne pouvait arriver dans de plus mauvaises circonstances.
Pasquier dit : « 11 semblait que le roi eût perdu et sa bonne
» ville et sa réputation, et le cœur de ses sujets tout en-
» semble. » De Thou ajoute : « Ge triste revers semblait avoir
» éteint à la fois et la majesté royale et le nom français ^ »
WeMm prîtes Par son com'age inébranlable, par la prompte résolution
i>oû?reco!ilqiië. ^^^^ csprit Supérieur, Henri répara une faute qui n'était pas
iirAmi«Ds la sienne, et prévint les désastres qu'elle devait entraîner.
Il courut en Picardie ; il préserva et rassura les villes voi-
sines, Beauvais, Montdidier, Gorbie, Pequigny, et commença
sur-le-champ les opérations nécessaires pour reprendre
Amiens. Il jeta toutes les forces dont il disposait dans Gorbie
et dans Pcquigny : ces deux villes sont situées sur la Somme,
au-dessus et au-dessous d'Amiens, et celui qui en est maître
tient Amiens bloqué, il ordonna à Blron d'investir la ville
et de commencer la circonvallation du côté de la Flandre par
où les ennemis pouvaient y jeter du secours. Il convoqua le
ban et l'arrière-ban, et assembla en peu de temps une armée
suffisante pour un siège régulier, puis revint à Paris préparer
les ressources nécessaires au succès de l'entreprise, il fallait
avant tout de l'argent pour remplacer l'artillerie et les mu-
nitions perdues dans Amiens et pour nourrir l'armée. La
réforme financière ébauchée , le nouvel impôt voté , n'en
pouvaient fournir que plus tard, quand ils auraient eu leur
effet Le roi fut donc obligé de recourir aux expédients. Il
ordonna des prêts volontaires et la recherche des financiers
qui avaient malvcrsé. Il rendit des édils biu'saux pour la
création de nouveaux oflices , savoir quatre conseillers en
diaque cour souveraine , deux conseillers en chaque prési-
dial, un troisième officier comptable dans cliacun des offices
de trésoriers, de receveurs, de contrôleurs, d'élus: c'est ce
que l'on nomma les triennaux. Les nouveaux magistrats et les
• Tboanus, I. CXVIU, SS 0» 7, t. V, p. 074-676. — Pasqnier, I. m,
lettre 7, l. u, p. 475 B. ^ Lcstoile, p. S7t, S74, SSO, S81, iVS. S8ft.-«
P. Cayet, I. IX, p. 75».
OPPOSITION DES PARLEMENTS. CONSPIRATIONS. 321
noaveaux officiers de finances dev«iient payer snr-le-charop
le prix de leur charge K
Les offices étaient déjà trop nombreux, la vénalité était OppoMiion
un vice, la création dé nouvelles places de conseillers dans **àSpJutt^
les parlements et dans les autres cours souveraines restreignait ^*j^^l^'
les gains que les anciens conseillers tiraient des épices^ et di- cooipiots.
minuait la dignité et Timportance de leurs charges. Ces motifs
de bon ordre et d'intérêt privé frappèrent seuls le parlement
de Paris. 11 ne vit pas la grande nécessité qui dominait tout»
qui commandait de mettre sous les pieds toutes les considéra*
lions, la nécessité de conjurer à tout prix le danger en face du-
quel on se trouvait. Tandis que les Espagnols étaient à trente
lieues de Paris, que le duc de Savoie du côté de la Provence et
du Dauphiné , le duc de Mercœur en Bretagne » faisaient un
nouvel et grand effort, les restes de la Ligue' s^agitaient d'un
bout du royaume à Tautre et menaçaient TÊtat de subver-
sion. Dans le cours du mois d'avril seul, trois tentatives
furent faites pour enlever au roi Reims, Poitiers et Rouen*
Le cardinal Albert d'Autriche devait partir des Pays-Bas ,
Mercceur de la Bretagne, et se trouver en même temps sous
les murs de Rouen. Un Anglais et un ancien conseiller du
parlement ligueur qui avaient des intelligences dans la ville
promettaient de leur en livrer les portes. L'entreprise avait
de grandes chances de succès, et, pour la faire échouer, il
fallut h la fois prévenir et réprimer. A la suite de l'assem-
blée des notables, le roi changea les capitaines de la garde
bourgeoise de Rouen, presque tous ligueurs, et les fit rem-
placer par des hommes d'un dévouement sûr. D'un autre
côté , les conspirateurs, au moment où le complot devait
éclater, furent contenus par la vigilance et la fermeté des ser-
viteurs fidèles de la couronne. Pendant toute la durée du
siège d'Amiens, on apprit chaque jour la nouvelle de quelque
complot pareil ourdi dans les autres grandes villes. Le comte
d'Auvergne et le vicomte de Tavannes tentèrent d'exciter
des soulèvements, et l'on savait qu*ils devaient être suivis d^
bien d^autres. Aussi les contemporains disent-ils que l'Eu-
rope entière était attentive au siège d'Amiens , parce qu'à
l'événement de ce siège étaient attachées l'invasion par
* Thaannt, 1. cxyiii, $ 7, t. ▼, p. 678. ~ Legnin, Dccadc, 1. VT, p. 330,
3SI. — SiiUy, OEcon. roy., c. 65, t. i, p. 348, «49.
21
322 IIISTOIRB DO RfefiNÈ Dfi HBIVRI IT.
Tétranger ou la délivrance du territoire, la destmction ou
l'affermissement de Tordre social en France •. Le parlement
de Paris, égaré par Fesprit d'ane légalité hors de circonstance
et parrintérêt personnel, s^opposa à la création des nouvelles
charges. Ces magistrats continuaient à sMmmiscer dans le
gouvernement, et Ton ne pouvait 3'en mêler d'une manière
plus aveugle et plus malheureuse. Le roi leur dit : « QuMls
feroient comme ces fous d'Amiens, qui lui avoient refusé deux
mille écus et qui en avoient livré un million à Tennemi. Que
pour lui il s*en iroit en Flandre se faire donner peut-être
quelque coup de pistolet par la tête ; qu'alors ils sauroient à
leurs dépens ce que c'étoit que de perdre un roi (23 avril). »
Ils ne se rendirent ni à ces raisons, ni à plusieurs Jussions
l'éitérées : pour vaincre leur aveugle réslstatice , pour faire
enregistrer les édits bursaux et les autres mesures corn*'
mandées par les circonstances, il fallut que le roi ttnt un lit
de justice. Le parlement de Normandie resta également in*
sensible aux dangers publics et aux exhortations de son pré-
sident Groulart. Vainement le roi épuisait-il auprès de cecorps
les moyens de persuasion employés auprès du parlement de
I>arLs; vainement lui écrivait-il dans ces termes mêlés de
raison profonde et d'éloquence : « Pensez donc aux dangers
» d'une Invasion plutôt qu'aux formalités des lois et ordon*
» nances, qu'il faut maintenant accommoder aux temps, et
» non prétendre forcer par elles le temps et la nécessité,
to // n V a d'irrémédiable que la perte de l'État (2B mai) K »
Ils résistèrent deux mois encore, et cédèrent moini qu'ils ne
composèrent, quand Henri eut réduit de moitié ia cotisation
qu'il demandait à la ville de Rouen, ainsi que le nombre des
charges de judicature qu'il voulait établir, et quand il les eut
menacés de recourir à la force armée et à un lit de justice.
Ces détails contiennent l'histoire de l'esprit public en ce temps.
* Lestoile, p. SS4 A, S85 B, SS7 A. — Ducoqrs sur la réduction d« la
ville d^Amicns dans les Mémoires de la Ligne, t. Vi, p. 5i9 : « Ceox qai
> diflcouroîcnl de ce aiége, publioienl tout hant que ii te manioit le dealia
» de la France; que du succès dépendoit son salut ou sa perte; qu*il j
• alloit de nostre serrilude ou de nostre franchise. » — Blémoires de Grou-
lart dans la coll. de Miche ud, c. 7, t. xu p« 575 A, B. -^ Regist. sécréta
du parlement de Normundie, aux dates des 19 et 30 aTril, cités par M. Flo-
qnct, t. IV, p. llft-llS.
' Lettre close du roi au parlement de Roneui en date du SS mai 1507,
êk\4e par M. Ploquet, t. nr, p. iSO. — Cette lettre ne se trouve pas dans
le recueil des Lettres miatÎTes.
SIÉ6B BT REPRISE D^AHIEICS. 393
On ne rencontre partout qoe des vues étroites, des passions
égoïstes « l*esprit de corps et de localité. La royauté seule
s^élève aai considérations d^ensemble i s^occupe seule des
Intérêts généraux et des dangers publics, se trouve avoir le
monopole de la grande politique et du patriotisme.
Le roi, sorti avec des peines infinies des contradictions
qu^il avait rencontrées dans les villes et dans les parlements*
tira des prêts volontaires 300,000 écus; des triennaux,
1,200,000 écus; des financiers, 1,200,000 écus: ces der-
niers aimèrent mieux se taxer eux-mêmes et donner cette
somme que de souffrir une recherche (mal-août). C'était en
tout 2,700,000 écus , c'est-à-dire au delà de 8 millions de
livres du temps, et des fonds suffisants pour reprendre Amiens
et terminer glorieusement la guerre contre TEspagne. Mais
vainement se serait-il procuré de l'argent, si l'argent eût été
mal dépensé. 11 écaru ce danger en donnant à Rosny la
principale autorité dans le département des finances , sans
rétatilir encore pour lui la charge de siuintendant. L'entre*
prise dura six mois et coûta 6 millions de livres. Le 26 Juil-
let , au quatri^me mois du siège , quand on pouvait déjà
espérer une issue favorable, le conseil des finances du roi lui
témoignait qu'il n'avait plus d'argent à lui envoyer. Si Ton
fût resté sur ce refus . le siège d'Amiens aurait fini comme
ceux de I^ris et de Kouen : les soldats auraient déserté, ou
se seraient mutinés, comme les Suisses en 1590 et 1592, et
tout eût été perdu K Mais Rosny sut rassembler et envoyer
à Henri les sommes nécessaires pour payer et retenir ses
troupes. Une formidable artillerie et un matériel immense fu-
rent rassemblés sous les murs d'Amiens. A la fin de chaque
mois l'armée entière reçut régulièrement sa solde. Un mar-
ché perpétuel fut établi dans le camp, de manière que les
vivres fussent aus^ abondants et ne fussent pas plus chers
qu'à Paris. Ce fut la seule armée, depuis trente ans, qui fût
pourvue du nécessaire ; la première qui eût un hOpiUi réglé
dans lequel les blessés et les malades reçussent les secours
Restoarcet «a
«rgeni:
ordre admira-
ble «UbU an
siège d'Amieps.
Reprise
de ceUe TlUe.
' P. Cayrt, 1. K, |i. S60 A, $ 5. ~ Lettre du roi, du fl7 juillrl ItiST.
û»o* les il'tlia» misfti«res, U iv, p. S14 : « Mon armée ne peut subsister sî
» elle iiVsl |Niy«c. » — Tbuanus, 1. CXVUI. — De Tbou, dans ie texte latin,
dit %ix milUuas d'vcus ou dik-buil miliiuua de livres de ce lempa-la. Oa
croît qu'il y a erreur dans ii« texte, et qu*il faut Hre deux raillions à'éeuê
ou six niillitiiis de litres.
32/| HISTOIRE DU RÈGNE DE REffRI IV.
qu'on leur donnait alors pour la première fois : chaque troupe
auparavant avait soin de ses blessés comme elle pouvait, et le
manque de soins avait fait périr autant de monde que les armes.
Le cardinal Albert, gouverneur des Pays-Bas, partit de ces pro-
vinces avec une armée de dix-huit mille hommes pour faire
lever le siège d'Amiens. Mais il échoua dans cette tentative,
fut contraint de se retirer avec honte et avec perte, et
Amiens fut rendu au roi le 25 septembre 1597 '•
La réduction de cette ville importante raffermit Tautorilé
du roi, la paix publique , la situation de la France à Pégard
de rétranger, également ébranlées. Le bon état, non pas
encore des finances , mais au moins de la caisse de Tarmée,
fit le succès. L'action puissante des divers services de TËtat
les uns sur les autres, leur solidarité entre eux, éclatent dans
cette circonstance où les résultats de la guerre changent,
parce que Tétat du trésor public a changé. Si des observa-
tions générales sur l'ensemble de ce siège remarquable on
descend aux détails, on en trouvera quelques uns dignes
de remarque. L'établissement d'un hôpital pour l'armée n'é-
tait pas seulement une satisfaction donnée à l'humanité, une
institution qui, en diminuant les horreurs de la guerre, ho-
norait souverainement la France ; c'était encore un établis-
sement qui intéressait la force militaire du pays. l)e Thou, en
signalant les effets, sans remonter à la cause , témoigne que
l'état sanitaire de l'armée française fut excellent, tandis que
les maladies décimèrent la garnison et l'armée de l'archiduc '•
Cette différence fit en grande partie le succès de la guerre.
' Ponr l'ensemble âe ees deux parogrophes, lettres de Henri IV et de
Rosny pendant le siège d'Amiens.— Lettres de Ilemando Tcllo, gouvemenr
d^ Amiens, aux dates des ^3 iiiillet vt 14 août. — Lettres du camp, des
S8 août, 4S, 19 septembre. — DiTers discours et avis sur ce qui s'est
passe au fticge d'Amiens, compris duns les citations suivantes : — Sully,
OEcon. roy.. c. 74 h la fin, 75, 7(i, 77. t. i, p. S !<). 964. — Mémoires
de la Ligue, t. Tl, p. &05.619, 691-S30. — Lesloile, p. 984 B, 985 B, 287.
fSO. — Legrain, Décade, 1. VI, p. 331-356. Sur la rcsistanre du parlement
à la Tcrificotion des édits bursanx, il dit, p. 331 : m Chose estrange que la
» Tille de Paris, devenue frontière par la prise d'Amiens, ne se falcl sage
• par l'exemple du désastre d'Amiens... Lu cour du parlement ne vent
> i>n fuçon quelconque vérifier ces «'dicts, le roy s*y opiniastre et i bon
M droici, de sorte qu'il y va en personm* les vérifier Ini-niesme séant en
M son lict de justice. » — Registres secrets du parlement de Normandie,
nnx dates des 98 mars, 98 mai. 1er Qoût 1597, dans M. Floquel, t. IT,
p. 119-195. — De Thou, 1. cxviil. $$ 7-15. ne donne aucun détail sur la
résistance des parlements de Paris et de Rouen, sans doute pour éviter
l'occasion de blâmer un corps dont il foisuit partie.— Voltaire, Essai sur lef
mœurs, chup, 174.
' Thuanus, 1. CZTIII.
EXPÉDITIONS DE LESDIGDIÈRES CONTRE LA SAVOIE. 325
Les événements qui se passaient eu même temps à l'autre
extrémité du royaume confirmaient les glorieux résultats ob-
tenus par le roi. Le duc de Savoie était moins Tallié que le
lieutenant de Philippe il, car il avait constamment attaqué
la France avec les troupes espagnoles du Milanez ou avec
des Suisses soudoyés par FEspagne. Dans Tannée 1597, il
reçut du roi catholique Tinjonction de tout hasarder pour
conquérir le Dauphiné, tandis que le cardinal Alt)ert et Par-
mée des I^ys-Bas com[>attaient en Picardie. Lesdiguières, le
constant adversaire du duc de Savoie, déjoua tous ses des-
seins : il délivra et couvrit notre territoire , en transportant
la guerre sur celui de l*ennend. Dans les campagnes pré-
cédentes, il avait envahi les états du duc du côté du Vié^
mont; dans celle de 1597, il dirigea ses efforts contre la
Savoie proprement dite. 11 commença les hostilités à la fin
du mois de juin, enleva successivement Saint-Jean de Mau-
rienne, Sahit-Micbel,*Aiguebelle, le fort de TEugly, soumit
toute la vallée de Maurienne en moins de quarante jours,
et vainquit les Savoyards aux Molettes, à une dcml-lieue de
Montmélian, avec une perte considérable de leur côté
{\ii août). Le duc de Savoie se fiatta de tirer parti de ses
propres revers et attaqua le Dauphiné, quMl croyait trouver
dégarni , pendant que Lesdiguières employait ses forces à
s'établir dans sa récente conquête. Mais Lesdiguières Tavait
deviné et prévenu. Le duc trouva un corps d'armée qui
avait été détaché pour lui disputer l'entrée du Dauphiné, et
il paya par de nombreuses défaites ses tentatives d'invasion.
Une première division de ses troupes qu'U avait envoyée
contre Briançon perdit quatorze cents hommes, et fut presque
entièrement détruite ; une autre fut vaincue et dbpersée près
de Lafrette : ces faits se rapportent aux mois d'août et de sep-
tembre 1597. Durant les mois d'octobre et de décembre, il
essuya deux nouvelles délaites. Nous ajouterons id quelques
faits qui se rapportent au commencement de l'année 1598,
mais qui tiennent intimement à ceux qui viennent d'être ra-
contés, et qui ne peuvent en être séparés. liC duc de Savoie
parvint à reprendre la Maurienne ; mais il perdit le fort de Bar-
raux,que I>^sdiguières lui enleva par escalade le 15 mars 1598.
11 avait construit cette forteresse Tannée précédente , et y
avait employé des sommes énormes. La place était située à
Gu«rie eotre
leducdeS«vuia
«l
Lesdiguières.
326 HISTOIRE DU RÈGNE D£ HENRI IV,
rextrême frontière du Dauphiné» et à une égale distance de
Grenoble et de Montmélian. Tant qu^elle restait au pouvoir
des Savoyards , elle favorisait lears tentatives sur Grenoble,
et leurs perpétuelles incursions dans le Dauphiné. Mais si elle
tombait aux mains des Français, elle leur ouvrait l'entrée des
états du duc, et devenait aussi menaçante pour Montmélian
qu'elle avait été dangereuse pour Grenoble. Lesdiguières avait
dit qu'il fallait la laisser achever au duc, et qu*alors il la pren*
drait : il tint parole ^ Ainsi il était parvenu non seulement à
préserver le territoire, mais même à le couvrir d'ouvrages
élevés par les mains, payés par l'argent de l'ennemi, et à
renvoyer à la Savoie les dangers du voisinage et de la guerre.
Au Midi comme au Nord, Philippe II et ses alliés avaient
donc échoué dans leur dernière tentative, dans leur dernier
eflfort pour entamer et démembrer le royaume.
Dès lors la face des alTaires changea entièrement ; les dan*
gcrs de la France diminuèrent de moitié , et elle sortit du
dernier pas glissant où elle pouvait périr. Au dehors, elle
avait encore à soutenir l'attaque de l'Espagne et de la Savoie,
pénible effort dans l'état d'épuisement où elle était réduite;
mais cette guerre était désormais ime guerre de chicane et
de frontières, et non une guerre d'invasion :'elle avait à dis-
puter quelques places, elle n'avait plus à craindre la perted'une
seule province. Au dedans, les résultats acquis étaient conso-
lidés, les grandes villesdc la Ligue étaient confirmées dans leur
obéissance, momentanément ébranlée : les factieux ne pou-
vaient plus ni échauffer les imaginations par Téclat des succès
des Espagnols, ni tenter la fidélité des faibles par la perspective
de l'appui d« l'étranger et par l'assurance de l'impunité. Les
ligueurs en petit nombre qui n'avaient pas encore déposé les
armes sentaient eux-mêmes que Philippe II était désormais
incapable de les protéger contre le roi uni au corps de la na-
tion, et ils désespéraient de se soutenir. Les contemporains ont
parfaitement compris et montré cette correspondance, cette
* Sommaire récit dat progrès de Tarmëo du rot en SaToie. — DUcoun tar
U twitc du fort dn]Barraux, daits Ici Méni. de lu Ligue, t. VI, p. 4S9-406,
S71-S7S. — P. Coyet, I. IX. p. 761-764, 783, 78*. — Thuanui, 1. cxix,
SS f-3, t. V, p. 094-700. «l 1. cxx. i S, p. 799-731. Lot déluils donnés por
D'Aubigné, I. iv, c. iO, t. m, p. 4(ji, sur les opéruliontdv Lesdiguières el
du duc de SiiToie, soni erronés ; ils se riippurieril ou&auuccs piccédcnlcs,
«l non à r«n iSOT.
LA KKAACK SORT OBS PLVS PRESSANTS DANGERS. 327
soUdaritë entre la révolte et l'état des aOaires des Espagnols.
L^un d'eux dit à ce snjet : « Le duc de Mercoeur étoit étonné
des quatre pieds, aussi bien que le petit roi d'Amboise» et
tant d'autres petits roitelets, desquels les royautés expirèrent
avec la reprise d'Amiens ; car leurs états n'avoient de fon->
dément que sur les ruines de la France, et leurs revenus
étoient assignés sur la cuisine d'Espagne ^ » Les réformés
restaient menaçants; mais au milieu de l'effroi et du décou-
ragement des derniers ligueurs , il n'y avait pas ft craindre
qu'un mouvement catholique cobiddât avec un soulèvement
calviniste. SI ia situation restait très grave, si les alTaires de-
mandaient à être traitées avec une prudence infinie, du moins
pouvait-on espérer dès lors que la politique , la décision et
la valeur du roi amèneraient ime heureuse solution.
Les notables n'avalent compté ni avec la misère de la masse
de la nation, qui restreignit pendant longtemps les achats au
strict nécessaire, ni avec la fraude, ni avec les soulèvements
du THittou et des provinces voisines, qui s'opposèrent à l'éta-
blissement du nouvel Impôt dans une partie du royaume.
Les notables avaient estimé le produit annuel du sou pour
livre à 5 millions : Il ne rendit jamais au delà de 1,100,000 li-
vres >. Ils se troml)èrent encore dans l'espoir d Wroltre sur-«
le-champ les produits de plusieurs branches des revenus
publics. Ces augmentations ne vinrent que bien plus tard, &
la suite de pénibles et lentesamélioratlons, et ce nVst qu*après
les réformes de Sully et ft la fin du règne que l'on trouve le
chliTre de 30 millions de recette , qu'ils avaient rêvé pour
Pannée 1597 K
CHAPITRE VL
Fio éê U |ii«T« coBtre la Ufv« et cnatr« l*E<pacae. SoqmlMioii de
Mercceur. Paix de Vervios (159S).
Henri avait tout préparé en hiver pour écraser les der- «•«»«*^«<»n*t
niers restes de la Ligue et du parti aristocratique, qui ne se h '
d« la Bretagne.
* Lettoile, Mptembre 1597, p. SB9 A.
* Svlly. OEcon. roy., c. 70. p^ 137 B. è la fin.— Lce<HaU reciwiUia par
ForkoonaU, p. Vt, — L«p[rara, IMcade, 1. Ti, p. Mi.
* Voyea les elats recaeillU par ForbooDais, I. i. p. i9(k
328 HISTOIRE DU RÈGNK DE HENRI IV.
soutenait plus que sur les marches du Poitou et de l'Anjou, et
dans la Bretagne avec Mercœur. Une première armée, laissée
en Picardie sous la conduite du connétable de Montmorend,
devait com[>attrc l'Espagnol, s'il osait se présenter. Une se-
conde armée de quatorze mille hommes avait été rassemblée
pour suivre le roi dans les provinces de l'Ouest, et agir contre
les derniers ennemis intérieurs*. Sur ces nouvelles, plusieurs
villes de Bretagne se disposèrent à attaquer les gouverneurs
et les garnisons que leur avaient donnés Mercœur, pour se
soumettre à Henri et se rattacher à la France. C'est la con-
duite qu'avaient tenue quelques années auparavant les villes
de Bourgogne. Les bourgeois de Dinan prirent les armes,
élevèrent des retranchements pour se mettre à l'abri du feu
de la garnison, introduisirent dans leurs murs Brissac, lieu-
tenant du roi , et l'aidèrent à prendre la citadelle ( 12 fé-
vrier 1598). La réduction de cette ville importante frappa
d'étonnement et de terreur toutes celles qui tenaient en Bre-
tagne le parti de Mercœur : le Piessis-Bertrand et la tour de
Scsson se rendirent incontinent Le roi partit de Paris quel-
ques jours après, il reçut sur sa route la soumission du gou-
verneur de Craon en Anjou, le 21 février ; celle du gouverneur
de Bochefort en Anjou et de Mirebeau en Poitou, le 1" mars.
La série des crimes et des brigandages dont ils s'étaient
souillés se trouve dans les capitulations qu'ils obtinrent, et
montre quel avait été l'état de la France au moyen âge et
quel il aurait été si la seconde féodalité avait pu s'établir.
GeUe suite de défections ôtait à Mercœur jusqu'à la possibi-
lité d'une résistance sérieuse, même avec l'assistance des Es-
pagnols, qui étaient affaiblis en Bretagne comme partout ail-
leurs. 11 n'attendit pas que le roi entrât en Bretagne ; il lui
envoya ses plénipotentiaires à Angers, et accepta la paix à tout
prix. Le traité fut signé le 20 mars. Le duc renonçait au
gouvernement de Bretagne et sortait de la province ; il ren-
dait toutes les villes et châteaux où il avait garnison. 11 con-
sentait au mariage de sa fille unique avec le fils naturel du
* Dans les Méni. de Dupicssis, t. Tn, p. 384, ^^85, lettre de Menri IV
à Duplessis, 8 novembre 15!I7 : «Je serai le 16 du prochain ù Blots» bien
m résolu d'apprendre le pas»e>pied de Bretagne, n Des afl'aires urgentes
le coolraignirent à diflérer de quelques mois l'expédition de Bretagne des
lors résolue et préparée. — Mémoires de Sully, c. 79, l. ], p. â(î8, 1109. —
P. Cayel, 1. IX, p. 783 A.
SOUMISSION DËUEftCOeUR, FIN D£LA MGOK. LKSPARLËM. 329
roi, César, duc de Vendôme, et il leur assurait les imincuses
domaines de la maison de Pentliièvrc dans les diocèses de
Dol et de Saint-Brieuc. En échange, le duc et tous ceux qid
avaient suivi son parti obtenaient pardon et abolition, et de
plus rénorme somme de iï,295,000 livres du* temps K
La soumission de Mercœur termina le soulèvement de la Tia de lo Ligue
moitié du royaume, commencé dix ans auparavant sous le Lirévôiiè'rmée
règne de Henri 111. Elle mit fin à la Ligue considérée comme . «i*-* .
révolte de la société religieuse contre le gouvernement poli- »»'»«•
tique. Elle mit fin «ussi à la tentative armée de Taristocratie
pour démembrer le royaume en principautés indépendantes;
Mcrcanir était le dernier des grands seigneurs qui avaient
essayé de changer leurs gouvernements en comtés et en du-
chés féodaux. Les biens de la maison de l^ntbièvre, dernier
grand domaine qui fût en France , entrés par mariage dans
la maison royale, étaient un fait capital dont nous apprécie*
rons plus tard les conséquences.
La prudence demandait que Ton se liAtât d'assurer ces Cominiie
importants résultats. En effet, au moment où le roi éteignait <^sp»ri«iu«ni*«
la guerre civile du côté des catholiques par la soumission de
Mercœur, il avait à craindre de la voir renaître du côté des
calvinistes, qui préludaient à une révolte ouverte par les actes
de la plus violente opposition. Philippe 11 était toujours en
armes, et, dans de nouveaux troubles intérieurs, pouvait re-
trouver tout à coup les chances de succès que la reprise
d'Amiens lui avait enlevées. Le pariemeut de Paris comprit la
gravité des circonstances, et, libre des préventions religieuses,
car Mercœur était catholique, libre de tout intérêt personnel,
il se hâta de sanctionner les conventions arrêtées par le roL
Le parlement enregistra Tédit accordé au duc de Mercœur le
26 mars , la cour des comptes le lendemain, la coiu* des aides
deux jours plus tard« La cour des comptes de Nantes se
montra moins sage, éleva dos difficultés, et mit des restrictions
que Henri eut k vaincre par len prescriptions les plus impé-
ratives. Cependant, au milieu de l'impatience que lui causiiit
l'aveuglement des magistrats, il n'oubliait pas de rappeler les
* Thuanot, 1. cxx. $S S- 4, t. v, p. 7il.7i6. — P. Caret, 1. », p. 7Si.
7S4. — Articles accordes par le roi aux siear^ de Saint-Offange et au ftieui
Dapleft&is de Cosd«« duii« les edil« de Henri IV «iir U reunion de tes suK>
jecls. in-folio, p. 41 4-lâH. — Edict tnr lea artirUt accordes à M. le duc do
Mcrcoeur, ia«fulio, p. liU-135. — Mcro. de SuUy, c. I51«i. U, p. 30 A.
830 HISTOUE DU RfeGN£ DB HENRI IV.
principes de la juste distribnlion des poufoirs, et ii annou-
çait que, s'il ne tenait aucun compte de leur opposition, c'est
qu'ils s'immisçaient dans les droits de faire la guerre et la
naix, de conclure les traités qui appartenaient eKclusivement
■ la couronne. « Je vous envoyé mes lettres de Jussion pour
ma cour des comptes afin de lever les modifications au régis-
trement des articles secrets que j'ai accordés à mon cousin
le duc de Mercœur. Elle s'est tant oubliée que d'avoir pensé
que je les envoyois pour en avoir avis et les mettre en déli-
bération. En telles aiTaires, je ne communique mon pouvoir
à personne : à moi seid appartient , en mon royaume , d'ac-
corder, traiter, faire guerre ou faire paix , ainsi qu'il me
plaira. Ça été une grande témérité aux officiers de ma dite
cbambrc de penser diminuer un iota de ce que j^ai accordé ;
nulle compagnie de mon royaume n'a été si présomptueuse,
aussi ne les fais-je pas juges ni arbitres de tcUes choses; cela
ne s'achète pas aux parties casuelles. Faites donc entendre
ma volonté à ma dite diambre, qu'elle obéisse à mes com-
mandements , et m'envoye incontinent l'arrêt d'enregistré-*
ment pur et simple par ce porteur ^ «
Quelques jours après avoir désarmé Mercœur, le roi acheva
la pacification du royaume en réglant par l'édit de Nantes Pétat
religieux, civil et politique des calvinistes français, et en pré-
venant les troubles dont leur mécontentement menaçait
l'Eut ; il scella l'édit le 13 avril lô98i Ces résultats obtenus
au dedans réagirent fortement sur ta politique extérieure :
Philippe II termina les négociations depuis longtemps enta-*
mées en signant à Vervins la paix avec la I*Yanee, le
*2 mai 1598 h Des difficultés de détail ayant ajourné jusqu'à
l'année suivante l'exécution de l'édit de Nantes, il convient
d'accorder la priorité au traité de Yervins, et d'en exposer
d'abord les causes, le contenu et les résultats.
Ou projet primitif d'envahir la France entière, Philippe H
était passé à l'idée de la démembrer seulement et de s'appro-
* Lettre de Henri !▼ i Rosnj.dn 30 avril 1898,den8 les Lettres nilnivet,
l. IV, p. 970. — Kdîl sur les articles nccurdés au duc de Mercœur, fulio ISS
▼erio. — Thaamus, ibid.
' DumoDl, Corps diplom.. l. V, part, i, p. S6f. — Pièces justifie, de
l'tfdil de Nautes à la fin du t. i, p. tii. — Thnanus, 1. cuit SS ^« ''t t V,
p. 717. — P. Cayel, Chr. noT.« 1. ix, p. 786, 7S7, et Cbr. septen*, 1. 1,
p. ll.etL 11, p. 46.
ÉTAT DIS LA MONARCHIE ESPAGNOLS. 331
prier la Bretagne et les provinces du Nord. Les conquêtes
faites en licardie par ses années, Tébranlement qu^elles
avaient produit, avaient soutenu josqu^au bout ses espérances.
Elles furent emportées par la reprise d* Amiens, la soumis-
sion de Mercœur, la réconciliation des calvinistes avec le roi,
qui, en ôtant à Philippe II Paide des factions, lui enlevaient
sa principale force. Alors il se trouva, avec ses desseins d'ag-
grandissement extérieur confondus, en présence de la déca-
dence de sa propre monarchie.
Après dix ans de guerre et d'intrigues chèrement payées ^ ^Jjjf.'îciiie
contre l'Angleterre, les Provinces-Unies, la France à la fois, csp»Baoi«.
il voyait sa marine à demi détruite, ses armées de terre in-
siiiGsantes et souvent révoltées, son territoire diminué, ses
états exposés partout aux incursions de Tennemi. La Hol-
lande avait affermi sa constitution républicaine, conquis les
principales villes de la Gueidre, d*Over-Yssel, de Groningue,
ajouté à son territoire ces trois pays qui auparavant ne lui
appartenaient guère que de nomU Philif^ie avait ainsi perdu
sept provinces des Pays-'Bas. Ses ennemis, quittant la défen-
sive pour Tettaque, portaient Tinvasion, les Hollandais dans
les provinces catholiques des Pays-Bas, les Anglais en Es-
pagne, où ils prenaient Cadix. Ses finances étaient dans un
état déplorable de désordre et d'épuisement. Depuis cinq
années, il avait été réduit à laisser fréquemment sans solde
ses troupes, qui pillaient alors les villes et les campagnes
voisines. En 1596, il avait frustré des intérêts et du gage
même de leurs créances les banquiers de la moitié de l'Eu-
rope, auxquels fl avait emprunté des sommes immenses, ses
revenus des deux mondes ne lui suffisant pas. Mais comme
ceux qui n'étaient pas entièrement ruinés lui avaient dès lors
fermé letir bourse, et l'avaient réduit, ainsi que l'ircbiduc
Albert, son gouverneur des Pays-Bas, à tme incroyable pé-
nurie, il s'était trouvé hors d'état de pousser jusqu'au bout son
manque de fol et de soutenir sa lianqueroute : venant à oouh
• D« fSOO k I5M, iMHoHaDdait «Tatont prit Im prindpalM tIUm da la
Guridrc, de rOTrr*Yssel, de Groningue : Zutphcn et Ninègue pu Gueldr«,
Utrventer «ians^l'Over^Y&sel, Grontague dans le |MT*de ce nom, outre
une foule d'antrrs places moins importantes. En 1S!)7, pendant que la
curdinal AUtcrtcliarchait à défendre Amiens contre Henri IV, ils av^iant
pm|Mirli* sept nouvelles places, et achcTc ainsi la conqucta des trois pro«
vincca (P. Caycl, 1. ix, p. TTt.)
Etat
«le lu France.
Truite
de Vervini.
332 HISTOIRE DU RÈGNK DE HENRI IV.
posilion,!] avait été contraint, quelques mois plus lard, de leur
restituer une partie de ce qu'il leur avait enlevé. Il n'obtint
un nouvel emprunt qu'en engageant les principaux revenus
publics jusqu'en 1600 ; et comme les ressources étaient ainsi
dévorées d'avance, il fut obligé, en 1598, d'imposer de nou-
veau ses sujets déjà écrasés, et de faire demander de porte
en porte un don gratuit que Davila appelle une aumône'.
Au milieu de ces embarras et de ces humiliations, il sentait
la mort approcher, et craignait de léguer à son successeur
la guerre contre la France, l'Angleterre, la Hollande, sans
moyens de la soutenir. L'état de la monarchie espagnole lui
faisait donc une nécessité impérieuse de la paix.
La France avait à demander un compte rigoureux de ses
injures à l'Espagne ; mais le moment des représailles était
bien loin pour elle. Elle était aussi épuisée que son ennemie
par trente-huit années de guerre civile et par neuf années
de guerre contra l'Espagne, la Lorraine, la Savoie, le Saint-
Siège, c'est-à-dire contre la moitié de l'Europe. La dévasta-
tion et la dépopulation de ses campagnes , le désordre de ses
finances, auxquelles Rosny commençait à peine à toucher ,
l'énormité de sa dette, la condamnaient à un long repos. De
plus, Henri avait à raffermir l'autorité royale , tous les pou-
voirs secondaires et l'ordre public, profondément ébranlés au
milieu des longs troubles dont on sortait à peine. Les seuls
avantages qu'elle pût poursuivre présentement étaient donc la
paix, qui lui donnait les moyens de se rétablir, la délivrance
de son territoire, le recouvrement des villes et pays tombés
au pouvoir de l'Espagnol^.
Ge fut sur ces bases qu'elle entama les négociations à Ver-
vins, le 7 février 1598, et qu'elle les poursuivit pendant trois
mois. Henri avait à stipuler pour lui et pour ses alliés, l'An-
gleterre, la Hollande, Genève. On trouve dans une récente
histoire qu'il était toujours prêt à sacrifier ses alliés, pourvu
quMl obtint pour lui-môme des conditions avantageuses, et
qu'à Ver vins il conforma sa conduite à ces principes 3. Il n'y
a pas un mot de vrai dans cette accusation, i'endaut tout le
' M. Rank, Hiit. des OsmanlU et de la luouarcbie eipagDole, p. 405,
406. — Davila.
' Sully, OEcon. roy., c. 90, p. S74, 978. Voyex ci-aprcs les citalions des
pages SVf et 554.
* M. de Sisraoudi, Hist. des Français, t. XXI, p. 473-4T7.
CONDUITE DE HENRI A L'ÉGARD DE SES ALLIÉS. 333
conrs des négociations, il ne sépara pas un moment sa cause
de celles de rAngteterre et de la Hollande. 11 refusa de trai-
ter avec Philippe H jusqu'à ce que ce prince eût consenti les
deux conditions suivantes : que TAngleterre et la Hollande
seraient comprises dans la paix, si elles le voulaient; qu'une
suspension d'armes de deux mois aurait lien entre l'Espagne,
l'Angleterre et la Hollande, pour donner le temps à ces deux
dernières puissances de peser mûrement le parti qu'elles
avaient à prendre, et d'entrer au traité ou de rester en
dehors K
Henri ne devait point aller au delà, dans l'intérêt de ses Coudait* de
peuples : bien plus, il ne pouvait aller au delà, puisqu'il ne ^^e^Mt •inS'^^
disposait pas de la volonté de ses alliés. Or la ferme inten- |
tion de l'Angleterre et de la Hollande était de continuer la
guerre contre l'Espagne, et d'empteher par tous les moyens
la France de traiter avec Philippe H. De nombreux motife
leur inspirèrent cette résolution. lia guerre ne présentait aucun '
danger à l'Angleterre : depuis la ruine de l'Armada et la j
destruction d'une autre flotte espagnole dirigée contre l'Ir- i
lande en 1596, les Anglais, dont la marine prenait chaque
jour de nouveaux accroissements, se trouvaient dans leur lie
parfaitement à l'abri des descentes et des invasions de Phi-
lippe IP. Elisabeth regrettait la perte de Calais, faite par les
Anglais en 1558 : elle avait voulu obtenir cette ville par la
libre cession de Henri en 1590 et en 1596 ; elle l'avait laissé
prendre aux Espagnols en 1596 ; elle prétendait empêcher
le roi de la recouvrer par la paix, en attendant l'occasion de
s'en saisir elle-même 3. Enûn l'Angleterre voulait la continua-
I Lettre de Yilleroy aux négocialeari français Bellièvre et ^ll«rj«
31 mars 1506, dans les Mvin. de Duplestis, t. XTiii, p. SttO. « itaMaiMtédict
9 qu'elle a loujouit dict k M. le légat qu'elle demandoit le siea, «t que set
» allies fusseol cumpris en lu paix, comme elle, oe Toullunt les abeu-
M donner... Sa Majesté voit maintcuaut qu^on l'a refusée afin du la surcharger
» de honte et de leproche enver« ses allies, et oou seulement leur roan-
M quer de fojr, mais aus^i estre faulteur de leur ruyne... Le roy perdra
M pliislosl, je ne dirai pas le« yilles que l'on parle de luy rendre, mais son
M estât que de fuire une telle laschele. » Le roi dit la même chose pres-
que dans les mêmes termes, le 9 avril, p. 996.— Uenii ubligea Phi-
lippe Il à accorder deux mois à la reine d'Angleterre et aux llullandais
puur leur donner le temps de se dérider, amsi qu'il résulte i I* de lu
corre4|K>ndance de Villcroj, de BelliLTie et de billery, an 96 avril eC
l«r mai 1598, p. 539, 417 ; i* de Tacte annexé au traite de Vervint, et
portant pour titre : ■ Négociation pour la cessation de guerre avec lu
» ruyne d'Angleterre et les provinces-uoies des Pays-Bas. » P. 457« 4fitl«
• P. Cayel, 1. \in, p. 746 A.
* Correspondance de Bellièvre, de SiUcry, de Villcroy, de Henri IV, «ns
d3& HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
tion de la guerre, parce que la guerre l*avait enrichie par la
prise des galions chargés des richesses du nouveau monde
et par le butin de Cadix, et qu'elle se promettait plus encore
de l'avenir» IjCS Hollandais, en continuant les hostilités,
avaient à redouter Teifort de toute la monarchie espagnole
et des dangers qiii épouvantaient Henri. Mais les conseiisde
l'Angleterre, l'influence de Maurice, qui craignait de voir son
autorité diminuer dans la paix, l'espoir d'enlever aux Espa-
gnols les possessions portugaises des Indes, dont lis avaient
commencé la reconnaissance depuis 1595, leur flrent rejeter
les voies de conciliation ^
Henri représenta vainement à ses aliiés que son dessein
arrêté et son plus vif désir étaient d'alMisser la maison d'Au-
triche et d'assurer ainsi l'indépendance générale de l'Europe
comme celle de la France ; mais que le royaume avait indis-
pensablement besoin de reprendre haleine et de réparer ses
ibrces avant de recommencer cette grande lutte : vainement
il les convia à déposer momentanément les armes en même
temps que lui, pour les reprendre eu commun plus lard et
plus efficacement. Ils restèrent fermes dans leur résolution,
s^efiorcèrent d'entraver les négociations et de retenir la France
dans une guerre où elle pouvait périr, mais dont elle dimi-
nuait le poids pour eux en le parlageanl. Henri les trouvant
disposés à ne voir qu'eux, à tout rapporter à leur intérêt, fut
obligé de se séparer d'eux pour conclure la paix. Mais il resta
leur allié, leur gai*da affection et dévouement; il fournit aux
Hollandais des secours de toute espèce, et particulièrement
dttef des 1t fôvrier, 4 aTril. 9 avril. 13 aTril, 16 mai 1898, dam le t. Tlii
d«s Mëm. de Daplessis, p. Si, S73, 3UI, 313, 6SS. « Si nous nous arrestoDt
» anx conseils de la loyno d^Angleterre et dei Estols, nous aurons dix uns
» de cuerre et jamais de paix : si tous vous atlendea qu'ils faMcnl nos
» aflaTres, tous tous trouvcrea fort trompés. — La royiie d^Anglrtcrro se
• promet qu'il est impos»ible quMI ne naisse qaelque acddenl qni fera
• que, veuÛîe ou non Voi^tre Majesté, elle seia contruincte de continuer la
» guerre avec PEspulKiiol. C'est le seul moyen qui lui reste pour cmpes*
M cher que Vostre Majesté ne recouvre Calais ; ce qu*etie crnint comme
» la mort, — Je ne double point que lesdils ambassadeurs (des Hrovinct*^
a Unies et de la royne d*AnglctcrrcJ ne soyent très marris que Gtlais me
» soit rendu, et partant qu'ils ne (asscnl souhs main ce qu'ils pourront
• pour m'y traverser par une voye ou par aullre. — Si nous retardons A
» conclure ce traiclé, ce que nous avons dici qui nous préjiidicicroit, peut
s servir aux desseins de la royne d'Angleterre qui sont principalement
a d'entrer dans Calais et que nous en demeurions exclus, »
• P. Cayct, 1. IX, p. 78S. — Lettre de Henri IV à Bellièvre, dn M avril,
éenu les liém. de Duplessii, t. Vin, p. S90.
PAIX ms VERviirs. 335
des subsides, qui entrèrefit pour moitié à pea près dans le
triomphe de leur cause'.
Les^ifficultésqul aviient entravé ia marchedes négociations
étant enfin surmontées, les plénipotentiaires de France et d*Es-
pagne signèrent la paix à Vei^vina, le 2 mai 1598. Le traité de
Cateau-Cambrésisétait remis en vignear et devenait la loi corn-
manedes deax couronnes. Le commerce entre leurs snjetsétait
rétabli. L'Espagne abandonnait toutes ses conquêtes et resti-
tuait à la France, dans le nord, les six villes de Calais, Ardres,
Ifonthulin, Douriens, la Capelle, le Castclet ; en Bretagne, la
viOe de Biavei« Le doc de Savoie était compris dans le traité :
y rendait Berre, la aeulo place qu^ll Unt encore en Provence:
le marquisat de Saluées, usurpé par lui sur la France, durant
les troubles de la fin du règne de Henri 111, éuit remis à
rarbitrage du pape, qui dans Tespace d*un an devait rendre
sa sentence et l^KlJuger à celui qu'il en Jugerait légitime
propriétaire. Genève, qui depuis 1589 avait sans cesse été
aidée par la Franco, restait sous sa protection, parce qu'elle
se trouvait conq)rise au nombre des confédérés de la Suisse,
et que la Suisse elte-mémc était nommée au traité comme
alliée de Hemi*. Le grand résultat du traité de Vervins était
que la France recouvrait entièrement Tintégrité de son terri-
toire; que les dernières des profondes blessures que la Ligue
lai avait faites dans les rapports avec l'étranger étaient cica-
trisées et fermées.
Le pape Clément VU! sMtalt porté pour médiateur de la
paix entre la France at TEspagne, et son légat, le cardinal
Alexandre de Médlcis, avait présidé et dirigé les conférences
Prind|wl«i
clause! (lu trailtf
de Verviot.
GondttUe
delà
coar de Homr.
' Sully, OEcon. roy., c. 79, SO, l. i, p. *7I B, 2T5 B. 874, 975. « J'ay
# dent rMprit ledesseki formel de fsitre un |our putuammenl la guerre â
m l'Kspagnol, ^ant ccfte pauion la plut %iolrnle «le toute* cellrn que |e
« ptiurroh Bvuir. — Il n^ a parmi U't Fraoçoîs que ruyne, JUsolutiun et
m dëftordre..* n^y ayant quasi ny ville ny chasteaa en mon ruyuume qui ne
■ se Mil senti des raine» et désolations de la guerre, ui revenus publics et
» privei qui ne soyent en drcgat et non valeur, la Franre et moy avons
» heioin de reprendre baleine, et sous le benrfic<* de quelque cessation
• d^armes, pouvoir réparer tou<i cet drf^iuts. — > l4i paix de Vervins ne
• Pempesrha pas de continuer ses alliances avec l'Augletrrre et les l'ro-
* Tinces-Unirs, et de leur promettre toute assistance d'argent.»— 'Lettres
de Henri IV et de Vilirroy à Ik'llièvre et à Sillery, du |cr mai 1598, dans
les Mém. de Duplcssis, t. Vin, p. 414^17.
* Le texte du traité, dans les Mém. de Duplesiis, r. vm, p. 45I.>4B3;
plus pour la reine d'Anglelerie et les Hollandais, p. 457, 458. — Dumonl,
Corps diplomatique, t. V, partie l***, p. 861.
336 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
du congrès de Venins*. Ce même pape, au commencement
de son pontificat, et cinq de ses prédécesseurs, avaient lancé
contre Henri III et Henri IV des excommunications qui
livraient le royaume en proie à Philippe II, et quelques uns
avalent aidé le roi catholique de leurs armées et de leurs
trésors dans ses projets de conquête* Ge grand changement
de la cour de Rome à Tégard de la France était loin de pou-
voir s'expliquer par la seule abjuration du roi, puisque Henri»
devenu catholique, avait trouvé cette cour inflexible pendant
plusieurs années. Il fallait donc en chercher les causes dans les
graves modifications qu'avait subies depuis quelques années
la politique générale de TEurope. Les revers essuyés par
TEspagne dans sa lutte contre l'Angleterre et la Hollande
auraient pu être plus que couverts par la conquête de la
France. La guerre de France au contraire avait coûté à Phi*
lippe II d'énormes sacrifices sans compensation. L'Espagne
affaiblie pesait d'un poids bien moins lourd sur les États
secondaires de l'Italie. La France était épuisée , mais elle
avait déjà retitiuvé son unité politique et un gouvernement
ferme sous un grand homme, et l'on prévoyait déjà qu'il
lui rendrait bientôt sa prospérité et sa force. Les papes et
les autres princes italiens pouvaient donc sans danger se
montrer bienveillants envers la France, en attendant qu'ils
embrassassent son alliance, et en fissent le rempart de leur
indépendance contre l'Espagne. Placé dans une nouvelle et
meilleure condition, rendu au moins en partie à la liberté, le
pape Clément VIII avait pu se livrer & ses sentiments natu-
rellement droits et justes, et redevenir le père conunun de
la chrétienté.
' Relation de ce qui se passa à la coiirérence poar la pais à Verrint,
Mém. de Dupicssis, t. VUI, p. 55S-419.
ÉTAT DES CALVimSTES* £d1T DE NAKTES. 337
CHAPITRE VIL
Étal im cftlTiaiMM da 1889 k f 687. Êdit da ITaBiM, ïMi,
Le traité concla avec Mercœar avait achevé de désarmer
la Ligoe, et mis fin à la guerre civile du côté du partt catho*
iique. L*édlt de Nantes dissipa d^injostes mais profonds mé*
contentements, calma une agitation dangereuse , et prévint
une autre guerre dvile tout près d'édater du c6té du parti
protestant
L'édit de Nantes régla Tétat reiigieuz, civil et politique
des réformés français : il devint leur charte et leur code
pour près d*un siècle : encore aujourdliui« il n'est ni sans
influence, ni sans application, toutes les fois que l'on in-
voque le principe de la parûdte égalité des cultes et des
citoyens devant la loi et devant le gouvernement Aucun acte
n'est plus célèbre dans notre ancienne histoire*
n est impossible de se (aire une juste idée de cet édlt, d'en
bien comprendre le contenu, l'esprit et les conséquences»
lorsqu'on ne se rend pas compte d'abord de la législation
qui régit les calvinistes français Jusqu'au moment où ils ob-
tinrent le nouvel édlt; dès passons et des projets de leurs
chefs; de la différence I établir entre leurs droits comme
citoyens, et leur état politique comme parti.
Sur ces divers pofaits, 11 y avait à foire im travafl nouveau
et complet, que nous entreprenons. Après avoir lu avec ime
scrupuleuse attention tout ce qui a été écrit sur la réforme
et les réformés en France, depuis les histoires et traités du
commencement du xvii' siècle Jusqu'aux ouvrages le plus
récemment publiés, nous avons reconnu avec étonnement
que les auteurs de ces écrits avaient négligé les documents
propres à éclairer le sujet, et s'étaient privés des moyens de
le traiter avec vérité et impartialité. Au lieu de consulter les
édits et les ordonnances, c'est-à-dire le droit publie du
pays, et de s'attacher à en pénétrer le sens ; au lien de s'aa-
surer si ces actes légisiatib avaient reçu leur exécution ou
avaient été violés, en interrogeant à cet égard les histoires et
les mémoires du xvi* siècle , ils s'en sont tenus au témoi-
gnage tmique d'nn auteur qui , sans donner aucune ga-
92
388 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
nulle de sa véracité et sans oser se nommer, publia, en
1597, les Plaintes des églises réformées de France K lis
ne se sont pas bornés à adopter de confiance toutes les
allégations de ce pamphlet anonyme parti d*ane main ré-
formée, et destiné probablement à jeter les calvinistes dans
une révolte oiiverte : ils ont étendu et généralisé les asser-
tions qtt*il contient, changé par erreur la date des fUts qu*on
f trouve, de manière à donner la plus fausse Idée de Tétat
des calvinistes, et de leurs rapports avec la société du temps
€1 avec le gouvernement de Henri iV. Nous essayerons de
rétablir Texactitude historique en produisant les monuments
de Tépoque* On nous pardonnera la citation fort aride des
actes législatifii et la disôission des folts : c'est le seul moyen
de lever les doutes et de dissiper les incertitudes dans cette
délictte et importante matière.
I h État des calvinistes^ législation qui les régit
de 1589 à 1594.
L*édlt de Bergerac ou de Poitiers accordé par Henri HI
auiL réformés, Tan 1577, les conventions de Nérac et de
Fkkif complément de cet édit , leur avaient garanti la liberté
de conscience entière ; Texerdce dé leur culte dans les châ-
tenu des seigneurs calvinistes au nombre de 3,500, et dans
les faubourgs d'une ville ou bourgade de chaque bailliage ou
sénéchaussée du royaume, excepté dans lebaûliage de Paris ;
k possession des biens et des héritages; Tunion par ma-
riages avec les catholiques; une justice impartiale dans les
parlements; Taccès aux emplois, aux charges et dignités du
royaume >• C'était la liberté religieuse presque entière, et la
liberté civile complète, an mohis en droit et en principe.
De 1686 au commencement de 1589, les violences de la ligue
avaient contraint Henri III de remplacer cette tolérance par
k guerre et par de nouvelles proscriptions contre les hugue-
nots. Mak le traité delà trêve, conduentreUenrilll et k roi de
Navarre au mok d'avril 1589, avait remk en vigueur Téditde
* Oa tro«v« cet écrit d«u 1m MémoirM de U Ukim , t. vi, p. IWiOB,
la 4*, I7SS.
* Lt testa d« Pédlt daPoitlOTf «t dM coBTcntloi», daot les Traitdt da pafac,
I, n, p. 8S0-300, cl dans lei pUcM )iutificatiTM à Ja toitc d« rbiatoira àê
rSiildallaBtOT.
ÉTAT DIS CALTlIflSTfiS D% 1589 A 1696. 339
Poftien, et les dbsideiits en posseaaion de tous les aféntages
que cet édit leur assaraiL L'article 2 du traité de k trèfe
portait en outre que « le roi de Navarre pourrait retenir
» une place en chacun bailliage ou sénéchaussée, de celles
» qui seroient prises par lui ou par les siens. ■ a était dit à
rarticle supplémentaire « que ceux de la religion ne seroient
«plus recherchés. Que Texerdoe de leur religion seroit
m libre et public en ia yille du passage (Saumur) ; en Tarmée
»et là où seroit la personne du roi de Navarre; et aussi
» dans les villes qui en chacun bailliage seroient baillées au
» dit seigneur roi K
Henri, à son a¥énenient au trône, eut grand sohi de leur
garantir tout ce que le parti, alors dominant et Impérieux, des
catholiques lui permit de leur laisser de liberté religieuse et
civile. Par les articles 2, 3 et A de k dédantion de Salnt^
dood, en date du U août 1589, le traité de k trêve fut ooa-
flrmé de point en point '.
Voilà le droit, le droit établi non pas seulement par im
édit, c*est-à-dh« par un acte émané de la seule prérogative
royale et pouvant être révoqué par elle, mais de plus par
une déclaration que le roi et les représentants de k moitié de
k France avaient signée en commun. £t quand on consulte les
histoireset les mémoires contemporains, on voitquele kit suivit
le droit, auUint que le désordre du temps put le permettre, et
que, dans rensemble,réut descalvinistesdepuk l'événement
de Henri IV fut conforme à la légisktion. Alors on ne peut lire
sans surprise dans de récentes hktoires des protestants en
France, « qu'aucun édit, rendu selon les formes régulières,
n^avalt aboli les arrêts d'extermination prononcés contre les
* L« UtUdu trailëdsDi Ici Mémoiret d« DHpl«nlt.||orMy, l. ir, p,8BI«
365, édit. ISt4.
• Déelantioa d« Ssint-Cload daai 1m tiic. lob françaiies, t. ht, p. S, 4.
« Il D« ••ra fait aucuo exercice d'autre relligioDqoe de la catholique, apos-»
m toliqiie et romuiue qui* flile* et Ueux de noslrm royaume^ où elle M
» fcU à préMttt, tuiTaiit les arUcles accordra au mois d*a*rll dernier enlro
» le feu roy Heun 111 et nuus. — Nous prunielloDi que le* Tilleat pleCM «1
» forterestet qui leront prifos sur nos rebelles e( réduites par force oa
» •■llrrment, en no\Ue obéissance, seront fiar nous cummisos an gonrer-
» Dément et charge de nos boit» tubjecls^rdlbuluiues} et non d'autre», #/tn/
% «1 réservé ctUes qut^ par Its sututts ariUies, /untnt réservée* par
m ledit J9H *t«ur tx>j à ceux de ia reitigion reformée, en chascun bail'
m liage et *ene*chnu*$ee. » — « Nous prometlous qu'à tous les ofScei et
m gouTcrnooionU Tonans à vaquor aiUcun qae dans te* villêê et plact*
» qui *eront au pouvoir de ceux de im rtligion réformée^ il sera par nom
n powau da parsoonaa caU»lh|naa.a
3A0 HISTOIR£ DU RÈGRE DE HENRI IV.
réformés; que les parlements pouTaient, aux termes des
ordonnances, décréter les calvinistes de prise de corps, les
condamner an bannissement et à la peine capitale;... qae
les réformés étaient maltraités, persécutés, ne pouvant aller
nulle part invoquer Dieu, sans sécurité dans leurs propres
maisons^. »
Cest le contre-pied de tout cela qu^il faut prendre pour
être dans la vérité. Ces assertions erronées ne reposent que
sur deux passages, interprétés à contre-sens, du traité des
Plaintes des églises réformées de France, On lit dans ce
pamphlet que les parlements n*étaient pas fort consciencieux
en ce qui concernait les biens, la vie, Thonneur des calvi-
nistes'. D'abord, dans ce passage, il s'agit non pas de tous
les calvinistes , comme Tentend lliistorien moderne , mais
seulement des calvinistes appelés en justice, c'est-à-dire d'ane
infime minorité dans l'ensemble de la population. En second
lieu, pour la période de sept ans, écoulée entre 1589 et
1597, l'auteur du pamphlet ne peut citer qu'un calviniste
privé de ses biens par le siège présidial de Poitiers, et deux
calvinistes condamnés à mort par le parlement de Bor-
deaux'. Et encore est-il impossible de discerner aujourd'hui
si les condamnations ont été dictées par la passion et par la
haine contre les réformés, ou si elles ont été prononcées
justement. Supposons qu'elles ont été l'effet de l'animosité,
il résultera de là, qu'en sept ans, trois calvinistes sur deux
millions de calvinistes ont perdu injustement les biens ou la
vie. Ces trois iniquités, que trente ans ans d'inimitiés fu-
rieuses entre les réformés et les catholiques expliquent de
reste, laissaient la masse des calvinistes parfaitement à l'abri
de toute persécution. Les attentats contre leur honneur, ne
furent ni plus multipliés ni plus sérieux. L'auteur des Plaintes
des églises ne peut citer que trois circonstances, toujours en
sept ans, dans lesquelles quelques avocats auraient prodi-
gué des qualifications injurieuses aux réformés, sans avoir
été réprimés par les juges devant lesquels ils parlaient Telles
sont les proportions auxquelles il iaut réduire les prétendues
* Pages S86, «6..
* Plainle» dei Egllf es rërormées, dans les Mémoires de la Ltrue. t. vt.
D 40S es. fc • w
* Même Iralttf, /&/<!., p. 46G, 407.
ÉTAT DIS CALVINISTES DE 1589 A i59&. S&l
penécadons dirigées omtre les réformés sous Henri IV.
Quant au passage où rameur des Plaintes parle des édlts qui
proscrifent, qui bannissent les huguenots, et que les parle-
ments accueillent avec enthousiasme ^ il indique les édlts
rendus sous Charles IX et sous Henri III, et pas du tout les
édlts rendus sous Henri IV, par la grande raison que ce der-
nier prince n*a jamais donné un pareil édlt, et qu'ail en a
donné plusieurs de tout contraires. G*est par rinintélligence
du passage en question , par la coniiision des rois et des
temps, que les historiens modernes sont arrivés à prêter à
Henri IV et à son gouvernement les rigueurs qui appartien-
nent à ses deux prédécesseurs.
Ainsi donc les calvinistes en masse, sauf dMnsignifiantes
exceptions. Jouirent, ft partir du premier Jour du règne ât
Henri IV, et dans toutes les localités, de la liberté civile en
ce qui regardait leurs biens, leur vie, leur honneur. Ils obtin-
rent la liberté de conscience, pleine et entière, dans Tintérieur
delenrs maisons : ils cessèrent coii^étementd^ètre recherchés
et tourmentés pour le fait de leur croyance, et des pratiques
de cette croyance, lorsqu'elles n'apparaisBaient pas et ne se
produisaient pas au dehors. Quant à la liberté et ft Texerdce
de leur culte, qui est tout autre chose que la liberté de
conscience, voici queUes distinctions sont à établir, et dans
quelle mesure les dissidents la reçurent Le culte peut être
privé et restreint à Tintérietir des malsons : il peut être pu-
blic, mais restreint à un certahi nombre de localités : il peut
être public et généraL Ce fut le culte public restrehit qui
fut accordé aux calvinistes. Us Tobtlnrent dans les 200 viUes
des provinces du midi où lis étaient maîtres, dans les 3,500
châteaux des seigneurs réformés, dans une ville par chaque
bailliage ou sénéchaussée du royaume. Un immense et heu-
reux changement s'opéra dans leur état, depuis Tavénement
de Henri IV, leur coreligionnaire jusqu'en 1593, et leur
nmi toujours. Ils jouirent sans trouble et sans interruption
des avantages qui leur étaient concédés^ tandis que, sous
Chartes IX et sous Henri IH, lis ne les avaient arrachés que
par force, et ne les avalent gardés qu^un court espace de
temps, jusqu'à ce que le mauvais vouloir du prince ou la
fureur des factions vînt les leur ravir.
* M ém« miU daaa Ut lUaioirtt é» la Ligot, t. VX, p, 408.
342 HisToms do RiCNe pc ncifiu iv.
Après ifoir établi d'une manière exacte, nous respérons,
les droits en possession desquels les réformés furent envoyés
sous Henri lY, et en grande partie grâce à lui, il laut indi-
quer quels droits leur furent refusés, ou ne leur fuitînt concé-
dés que partiellement et avec le temps. Pour qu*ils eussent
eu la liberté civile pleine et entière et Tégalilé des citoyens
devant la loi, il aurait fallu qu'ils fussent admis, comme les
catboliqiiîes, aux cbarges, dignités et offices. Le roi, cédant à
la violence qui lui fut (aile par les seigneurs catholiques au
camp de Saint-Gloud, inséra dans la déclaration du k août
une clause restrictive de Féditde Poitiers, et défavorable aux
dissidents : il fut forcé de décréter que, pour le temps qui
s'écoulerait entre son avènement et la convocation desËtat»-
généraux chargés de régler les rapports entre les deux rett-
glotts, les huguenots seraient privés des oiBces et gouverne-
ments dans toutes les villes autres que celles qui étaient en
leur pouvoir au moment de la déclaration, et que ces offioss
et gouvernements seraient réservés aux seuls catholiques^
Pareillement une restriction avait été apportée à la liberté r^
ligieuse des dissidents, entière, absolue, telle qu'ils pouvaient
la prétendre en droit strict. Par Tartide 2 de la déclaration de
Saint-Gloud, ils conservaient bien rexerdce de leur culte dans
les villes et châteaux mentionnés par Tédit de Poitiers et par
le traité de la trêve, c'est-à-dire dans tous les lieux que nous
venons de rappeler au précédent paragraphe, mais l'exercice
de leur culte leur était interdit dans les autres villes, ce qui
comprenait la plupart des villes moyennes du nord, du centre,
de l'est de la France, et toutes les grandes villes, à l'excep-
tion d'un petit nombre situées au midi du royaume '. Cette
restriction, déjà contenue dans l'édit de Poitiers, n'était pas
une aggravation de la situation des calvhiistes, mais le main-
tien d'un état inégal et pénible pour eux. Dans ces villes, ils
ne conservaient que la liberté de consdence et la faculté de se
livrer individuellement aux pratiques de leur religion dans
l'intérieur de leurs maisons : pour l'exercice de leur culte, ib
devaient se transporter dans la ville du bailliage où il était
établi. Les périls où le roi avait été jeté, au moment de son
■ Attcieonei loli franc., t, XV, p. 4. «- DaplcMlSa M^voirM, U IV,
p. ssi-ass.
* AndeanM lois firaoçÙMt, t. zv, p. 3, 4.
ÉTAT DIS CAI.TIN1STBS D» 1569 ▲ i69/i|. ftU
•f énemeot, ne loi avaient pas permis de faire plus et tnieitt
en laveur des calvinistes, comme Pavaient reconnu les dissi-
dents qui Tentouraient alors, GhâUUon, Bcauvais-Lanocle i
Gnitry, Lanoue ^
Dès qu*ll eut pris plus d^autorité, il se bAta de revenir sur
l*injuste eidusion relative aux charges, dignitésetoffioes^pro*
noncée contre les réformés, et de lever, autant qu^ll était en
lui, la prohibition de leur culte dans les grandes et moyen*
nés villes. Par Tédit de Mantes du mois de juillet 1591, il re-
mit en vigueur les édits de pacification, et notamment celui
de Poitiers, ou de 1577, lequel rendait les calvinistes apias
aux offices et dignités >. Avant son abjuration, que le salut de
la France lui arracha, il obtint des seigneurs catholiques de
son parti une déclaration et promesse solennelle portant qn*il
ne serait rien fait an préjudice des réformés, ni dérogé en
rien aux édita rendus en leur faveur (16 mai 1593) K Après
son abjuration, et aumoisde novembre 1693, il leur accorda
les articles de Iklantes qui leur assuraient des avantages de
deux espèces distfaictes. En premier lieu, ils obtenaient une
confirmation solennelle de Tédit de Poitiers et des oonven*
tions supplémentaires, ainsiqu'une abrogation également so*
lennelle des édita de 1585 et 1588, que la violence de la
Ligue avait arrachés à Henri lii, et par lesquels ils avaient
été proscrits de nouveau. Le roi avait bien résolu précédem*
ment ces deux points dans ce sens, et en leur foveur, par
Tédit du mois de juillet 1591, mais cetédlt allait recevoir mio
nouvelle force par Tenregistrement dans tous les parlements
du royaume. En second lieu, les calvinistes obtenaient jus-
qu'à cinq extensions de Tédit de Poitiers, notamment Tenga*
gement pris par le roi de ne jamais leur faire la guerre ,
quelque serment qu'il prêtât à son sacre et à k oérénMmle
de la réception des chevaliers du Saint-Esprit ; Texerdoe de
leur culte dans toutes les viUes de la domination du roi » a«
' Lettre da roi, du 7 ooT«nbr« 1SS9 : « Après plutieurt roiil«tUtlom,
• je ftt lu prutrstMiion aa'avrs veae, pour let coosrrvei muIm mon obéu*
• sance (In raiboliqurg) et l'Eatat IohI cD«rBibU; car cVitoicatlo frl«».
m part ufliciers de U (uuronno. A crU. j'eus le* tifurt de CbMilIlmi, de
• l>anou», de BreiiTwift>L«HOcle, de Guitry, et plusieart •uilm pottr
• iMmuiiiffl et routfiliert* •
* Aocienoct lois Troaç., L XV, p. tS-51. — P. Cayet, I. m, p. tSS* ^
Tbueniu, 1. ui« S ^t t- V, p. 439, 153. -> Mcm. de de Tbou, dans b coU««L,
t. XS, p. 353 A.
' Lé testtt de U piomeise dant P. C«yel, t. V, p. 476 B.
3AA HISTOmK DU RiGHK Dl HlNftl IV.
lieu d*one ville par bailliage on sénédiausséc ; Tentretien de
leurs ministres ; la fondation de collèges pour Tédiication des
Jeunes gens de leur religion^
Les articles de Mantes reçorent promptement leur exèca-
tiony et eurent toute la publicité nécessaire, dans les parties
où Texécution demandait la publicité et devait en tirer sa
principale force. Ainsi Tédit de Poitiers , renouvelé par le
roi dès la fin de Tannée 159/k, fut enregistré dans le parlement
de Paris au commencement de 4595, et successivement dans
les autres parlements du royaume , comme nous le verrons
bientôt 2. G*était tout ce que la difficulté des temps permet*
tait de faire ouvertement. Les concessions importantes, les
extensions àTédit de Poitiers, contenues dans les articles de
Mantes, furent revêtues de la signature du roi et données en
garde au chancelier et aux secrétaires d*État ; mais elles n*eu-
rent pas la sanction de la publicité et de Tenregistrement
dans les parlements. Pareillement, dans tous les lieux autres
que cwx qui leur étaient concédés par Tédit de Poitiers,
Pexercice du culte pour les réformés , au Heu d*étre public,
dut rester secret. Les gouverneurs et les officiers du roi
étaient chargés de leur assurer sans bruit les nouveaux et
précieux avantages qui leur étaient -accordés '. Mais quel
homme honnête, quel bon citoyen, avec un peu de sens et
d^expérience, ne devait pas s'associer à ces ménagements.
Impérieusement dictés par les circonstances ? Au moment où
forent aceordés les wtides de Mantes , au mois de novembre
1593, aucune des grandes villes de la Ligue ne s'était encore
soumise au roi. Pour obtenir cette soumission à laquelle le
salut de PÉUt émit attaché, il était indispensable que Henri
ne ûivorisât pas trop ouvertement le calvinisme , même dans
ses prétentions légitimes : pour rendre durable Tobéissance
des ligueurs , il fallait user de la même prudence , de la même
réserve dorant plusieurs années.
Noos alICHis exandner maintenant quels changements les
* MAnoirM de maduBM DnplMcif, 1. 1, p. 965-t6S.
" Tboaaat, I. cxi et czn. t. zii, p. 308, 346« d« la tradacUuB. —
M. FloqiMt, Hbt. dn parleneDt de Norroftodle, t. IT, p. 71 «SB.
* lladave Daplcnit, Mëmoiref , p. ISS, SOS. ■ Lequel règlement prof i*
m ilonnel. Se lle|ettd foroll entendrâ A «et cours de parlement, gouver*
m MMUn el lieateDanle*gdoëran& èt-provlnce», et aultrm let oGBclen qu'U
• eppertiendrott... que Se ]l«)e»ld eu ddcbreroit n Toloalé i Mt gouTCr*
m m»wn «1 oflkien pour | tenir U main. »
ÉTAT DES CALVIinsiES DE 1589 A 159/i. 3^5
Stipulations des seigneurs et des villes de la Ligue apportèrent
& Tétat des calvinistes. En traitant avec le roi, les grandes et
moyennes villes de la Ligue exigèrent que le culte calviniste ne
fût pas rétabli dans leur enceinte et dans leurs faubourgs.
Trois grandes villes, Paris, Rouen, Amiens, passant plusavant,
* le proscrivirent non-seulement dans leurs murs, mais encore
dans toute l'étendue de leur vicomte ou bailliage , enfreignant
à cet égard un des articles de Tédit de Poitiers. Rouen in-
scrivit de plus, dans son traité, que les huguenots seraient
exclus des offices, charges, dignités, exercés dans la ville.
Enfin une province entière , la Provence bannit complètement
le calvinisme de son territoire par son traité de réduction
sigaé au mois de Janvier 1594 K
Ces actes d*intolérance qui révoltent sont très-propres &
faire illusion sur la situation véritable des dissidents : on ima-
gine qu*il en était de même d*un bout de la France à Taotre,
et Ton est porté à croire que les plus mauvais temps étaient
revenus pour le protestantisme. Mais quand on examine de
sang-froid les conséquences de ces actes, on reconnaît qu'ils
affectèrent très-peu Tétat des réformés. D'abord que Ton dé-
pouille le recueil des édits du roi pour la pacification de ses
sujets, et Ton verra que vingt-six villes delà Ligue seulement
traitèrent arec Henri K Supposons que les grandes villes jaient
stipulé pour elles-mêmes et pour quelques villes des envi-
rons, et portons, si Ton veut, le nombre à quarante. Il y avait
dans la France d*alors environ huit cents ailles \ Par consé-
quent, aux termes des édits de padOcatlon, Texercice du
culte calviniste était exclu de quarante villes sur huit cents.
U était maintenu dans toutes les autres villes, bourgs, villa-
ges où redit de Poitiers lui avait permis de s'établir, dans
les trois mille cinq centschflteaux des seigneurs réformés, dans
* Êdltf âa roi pour U r^itnion de set lujeli, recueilUi par Valthieu,
Pkria, 1001, 1606 : roir Irt 1S5 fcuiUcti du recnril. On IroaTO renoncé
des clauses prinrlpulcs do beaucoup de ces ëdlts di*ns (rAiibigné, L m,
e. 10, 1. m«p. Stt; de Thon, 1. cviiiriax, t. xu. p. 100, 144, trad ac-
tion ; P. Cayel, 1. Ti, L I, p. 543. 54S, S»70, S77, SS7; Me'moires de la Ucue,
I. Tl, p. 58-Si. Le trallê pour lu l'rotrnre se troure dans Bouche, Hist.
do Provence, I. X, t. II, p. 786, et dans Doplessb, Mémoiret, t. vil,
p. SSS, k la fin.
* Édits du roi pour la n'union de ses tuiels. font le recueil.
* Dans le nombre do SOO rilles, nous comprenons celles qnl sont ctt^
dans les gëographies »ërlons^s et étendues, par exemple, dans celle do
M. Baibi : nous excluons collet qoi a*ont appartenu k U Franco qno par
snite di rëuioni nltériearca.
346 HISTOIRE DU RÈGMB DB HENRI IT,
les deux cents Tilles ou boorgades da midi où ils étaieni
maîtres. Secondement, Tédit de Poitiers, comme on Ta re-
marqué, accordait aux calvinistes, pour Texercice de leur
culte, une ville ou un village par chaque bailliage et sénéchaus-
sée* Les villes grandes et moyennes de la Ligue qui, par leurs
traités de réduction , bannirent le culte réformé de leurs
murs, n'étaient pas celles où ce culte était alors établi. G*é^
tait partout , excepté dans le Midi, une petite ville on un vil-
lage dépendant du bailliage où les grandes et moyennes villes
étaient situées elles-mêmes. C'est ce que reconnaissent les
écrivains protestants eux-mêmes ^ Par conséquent les traités
de réduction n'ôtaient rien sous ce rapport aux calvhiistea»
En troisième lieu, dans tous ses traités avec les provinces da
la Ligue, excepté une, avec toutes les villes, sauf trois, Henri
maintint en termes formels Tédit de Poitiers \ Il leur accor-
dait bien d*exclure le culte protestant de leurs murs, ce qui
était le fait partout, comme nous venons de le voir; mais il
leur refusait de le bannir de leur bailliage ou sénéchaussée*
c'est-à-dire de leur circonscription administrative. Il ne déro-
gea, sous l'empire de circonstances de force majeure, à la loi
qu'il s'était imposée à cet égard, qu'avec la i^vence et avec
les villes de Paris, de Rouen, d'Amiens. La Provence avait
quatorze baUliages K Paris, Rouen, Amiens avaient trois
bailliages. C'étaient donc, par suite des traitésde la Ligue, dix-
sept bailliages que les calvinistes avaient perdus pour l'exer-
cice de leur culte, sur trois cent vingt bailliages et sénéchaus-
sées environ qui existaient alors dans toute l'étendue du
royaume : dans les trois cents bailliages et sénéchaussées res-
tants, ib conservaient tous leurs droits religieux^. Ajoutes
que la perte éprouvée par eux était à peu près nulle, parce
que, dans toutes les localités où leur culte n'était plus toléré»
* HiaUMffld* redit de Nattl**, t. l, p. ttS. Go trouver», ei-Mpràt, «a
■ob d« leplembra iSOS, l'aT«a dw aoUuri calvioiclet lur c« poisi coih
ii|ii« tcsta«lUiacttl.
" Voy«s lei ëdil* da roi poar la rëuoioa de s«« raists, édit, 10(H,
lui. 9 Terso, 15 rerao, S7 recto, SS verio, 3S recto, 49 recto et Tvrso, 4S
recto, S5 recto.
' Bouche, HUt. de Piorence, chorogrephie, 1. !▼, c. C, t. l, p. âiS.
* C'est ce que Duplessia-Morouj reconnutt loi-méme dam le paaaiige
•ulrauUde sou BrteJ discours ^ inaeié au tome Vil de se* Mémoire*, p. SOI
an r^mmcncemcnt, « L'exercice de la religiou demeuroit e&clua eo quêt'
qu0t tndroit* de» TÎcomtés, bailliages , seneschausséei entières. • Lat
noti quetaues endroits rèduiseot potilivcmeot rexclusioo à oa petit
Dombre de localitéi.
ÉTAT DU CALV1NI8TB8 M 1589 ▲ 1594. M7
ils ne comptaient qn^un nombre exceadvement limité de co-
religionnaires. On peut en juger par ce qui concerne le ImU-
liage d'AmienSy ainsi que toute la Picardie : les huguenots
éuient si clairsemés dans cette province, que de Faveu de
Tauteur des Plaintes , ils n'avaient jamais eu, au temps qui
nous occupe, au delà d'une seule église, laquelle était établie
au Castelet >. En admettant même qu'il y eût pour eux perte
réelle, n'était-elle pas compensée au centuple par les articles
de Mantes, qui leur donnaient la liberté du culte dans toutes
les villes de la domination du roi , et dans celles qui, dès le
principe, s'étaient prononcées en sa faveur, et dans celles qu'il
avait conquises sur la Ugue, depuis son avènement jusqu'à
la fin de 1593, et avec lesquelles il n'avait pas fait de traité?
Quant à la lil>erté de conscience , distincte de l'exercice du
culte, elle leur était assurée dans toutes les villes sans dis-
tinction : nulle part ils ne pouvaient être recherchés ni pour»
suivis pour leur croyance.
Telle est la condition que la législation, que les édits et con-
ventions avaient faite aux réformés; mais quand on compare
la pratique, la réalité avec le droit, on voit qu'effectivement
leur eut était plus avantageux, et que leur culte était bien
moins exclu des provinces et villes de la Ligue que les traités ne
le faisaient supposer. Par les articles de Mantes, le roi s'était
engagé à leur assurer l'exercice de leur culte dans toutes les
villes de son obéissance. {H>ur ravoir Paris, U avait signé, au
mois de mars 1 50ili, l'édit qui prohibait ce même exercice dans
la capitale et à dix lieues à la ronde. Mais dès les mois de juillet
et d'août lô9à, trois mois après son entrée à Paris, U leur mé-
nageait les moyens d'organiser secrètement le prèclie au fau-
iMMirg Saint-Oermain : au mois d'octobre, il leur appliquait
le bénéfice de l'article de la trêve et de l'un des articles de
Mantes, qui autorisait l'exercice de leur culte à la cour; U
permettait que sa sœur fît célébrer au Louvre les cérémonies
de leur religion, le prêche et les mariages : il défendait enfin
la liberté qu*il leur accordait contre les réclamations du clergé
de Paris'. Il en est de même pour la Provence. Le tiailé conclu
avec Henri IV, au commencement de 1594, banniiwaitentière-
* PUlDtet de* ÊgliMt,d«u l«t Mtoioirct de U Lif uc, U Tl, p. 438.
* Letloile, R«f ui.-joaro. aus dalM àm 3 |iiilUl, 18 «oàt, 16 «dpWtt
1864, p. flSBÂ, S>«6l3B,tUA,S4SÂ,$4.
3A8 HISTOIRE DO RÈGNE DE HERRI IT.
ment le culte calYiniste du pays. Cependant, diaprés le témoi-
gnage des réformés eux-mêmes, Texerclce de leur adte fut
maintenu trois ans dorant depuis le traité, etprobablementfnt
maintenu toujours, dans deux endroits dépendant de la pio-
Tince elle-même, Lormarin et la Roque d^Anteron, et dans deux
localités placées sur la lisière de la proyincc, Mérindol et Ga-
brières ^ Ces quatre lieux d*exerdce suffisaient au très-^tit
nombre de coreligionnaires quils conserYalent dans ce pays
passionnément catholique. 11 en est de même enfin de Rouen»
autre centre d^intolérance , autre ville ayant stipulé la pro-
scription de la réforme. Incontestablement, en ce qui concer-
nait la publicité de leur culte, les réformés y essuyèrent des
yexations , des persécutions ; mais nous croyons qu*ils
y jouirent de la liberté de conscience, et même de la liberté
du culte, tant que le culte n*ent au dehors ni édat ni
retentissement : nous appuyons cette opinion sur le témoi-
gnage formel du président Groulart, Tun des plus grands
magistrats et des plus grands citoyens du temps, dont il n^est
permis de révoquer en doute ni la véracité ni la modération.
Dans la poursuite que faisait le gouvernement auprès du par-
lement de Rouen, à la fin de Tan i59û, pour Penregistrement
de redit de Poitiers, Groulart disait : « Les religionnaires sont
» aujourd'hui en liberté plus grande chez nous, que quand
» ils auroient ce quMls poursuivent ^. »
Nous avons établi quel fut Tétat des calvinistes depuis IV
vénement de Henri IV jusqu'à la fin de i59/ii, en ce qui re-
gardait la liberté de conscience, la liberté du culte, la liberté
civile étendue aux biens, à la vie, à Thonneur. Pour achever
d'exposer quels furent, durant ce temps, leurs rapports avec
le gouvernement et avec le reste du pays, nous n'avons plus
qu'à fixer dans quelle mesure Us obtinrent les offices,
charges et dignités: cette participation achève et complète la
* PUhitet des Églises reformées, dans les Mémoires de le Ligue, t. vi,
p. 435, 443. L'anUnrparle de deax nrréis da parlement de Provence,
rendus à la fin de 1596, qui devaient 6ter cet quatre lieux d*esercice ans
calvinistes, et il a)oate que les réfmrmës en avaient ioni insqn^alors : donc
le traité de proscription de tSM était resté une lettre morte. Nous pensons
Îu'il devait continuer heureusement & en être ainsi et que les deux arrêts,
lits seulement pour la montre, ne devaient avoir et n'eurent aucune exé-
cution, parce que le calviniste Lesdiguières était tout-poissanl par ses
armées en Provence, aossi bien qu'en Danphiné.
* Registres seercU da parlrmeal de Boueo, cités par M. Floqnet, t. IV,
p. 74.
ÉTAT DBS GALVmiSTBS DE IÔ80 A 1604. 3&9
liberté civile des citoyens, et commence leur liberté poli-
tique, à cause de la considération et du pouvoir attachés à
Texerdce des emplois publics. Un examen impartial prou-
vera, nous le pensons, qu*en ce dernier point, comme dans
tous les autres, la condition des dissidents avait été prodi-
gieusement améliorée. Après les six mois écoulés depuis la
déclaration de Saint-Cloud, et en attendant la convocation des
État»-généraux, Henri, devenu plus maître par ses victoires
d* Arques etdlvry, s'était empressé d'appeler on grand nom-
bre d'entre eux à toutes les charges et dignités du royaume.
En 1590, il avait pourvu Palleseuil du gouvernement de
NeufchAtel en Normandie. 11 avait fait entrer Hnrault-Dufay
et Duplessis-Mornay au conseil d'Éut, et depuis lors il avait
chargé Duplessis des affaires et des négociations lesplus impor-
tantes. La même année, il avait nommé Uosny conseiller
d'État et lui avait donné le gouvernement de Pacy-sur-Eure :
à la fin de 159/é, il l'avait nommé membre du conseil des fi-
nances. En 1592, il avait accordé à Soflroy de Calignon la
succession de Hurault-Dufay dans le conseil d'État en même
temps que dans la chancellerie de Navarre. Laforce, gratifiét
à la fin de 1589, d'une commission de capitaine de gens
d'armes, d'une somme de 38,00 écus, d'un commandement
en Guyenne, avait été promu, en 1592 et 1593, à la charge
de capitaine des gardes, puis au gouvernement du Béarn et de
la principauté de Navarre. Lesdiguières,|lieutenantduroi en
Dauphiné, exerçait dans les alTaires de la paix comme dans
celles de la guerre un pouvoir absolu, dont aucun seigneur en
France ne Jouissait alors. Sancy, nommé membre du conseil
d'État et de finances après la mort de François d'O, eut la prin-
cipale autorité dans les finances. Jusqu'à ce qu'il la cédât k
un autre réformé, à Rosny. Turenne, déjà mis en possession
de la principauté de Bouillon et de Sedan par la protection
de Henri, était honoré, en 159à, de la dignité de maréchal de
France : la Trémoille de la duché-pairie, au commencement
de l'année suivante K Voilà une série de laits qui n'ont Ja-
■ GronUrt, Mémoirei, c. S. t. xi, p. 55S. cottecl. Vlchanil. — SoUy,
OEeoa. roy., c. », 30, 59. 60, 157, U l, p. 74. 75. 78. IH9 S, I9i B, 1»3 ;
t II. p. 90, même collection. — BLidame DuplesiU, Mtfm. ca télc de ceux
de MW mari, L l, p. 189. — Vie de SolTroj de Celignoa, par GHj-Allard,
p. 50, 60. « Sa Maie«td le fil Ue soa cooMil prit e, qaoiqQ*ii f4l hagueaoi.»
~ Laforce, Mém., c. 4, t. l. p. tOI, 106. — Thuanua, 1. CXI. $ tf, t. V,
350 HISTOIBS DO RfcGRE DE HSNRI IV.
mais été relevés ni mis en lamiëre ; et ces faits qui concer-
nent les chefo des calvinistes, desquels seuls Tbistoirc et les
mémoires du temps se sont occupés, en supposent, de toute
nécessité, une multitude d'autres semblables relatifs à la
masse des huguenots plus obscurs.
En résumant ce qui vient d^'étre exposé, on trouve que de
1589 à i59A, les calvinistes jouirent de la pleine liberté de
conscience et de Texerclce secret de leur culte dans tontes les
localités sans exception, de Texerdce public de leur culte
dans les lieux de chaque bailliage et sénéchaussée fixés par
redit de Poitiers, moins dix-sept, et dans presque toutes les
villes de la domination du roi : on trouve encore que la li-
berié civile, en ce qui concernait leurs biens, leur vie, leur
honneur, leur fut garantie à Tégal des autres classes de ci-
toyens ; que Taccès aux charges, dignités, offices , leur fut
aplani par la Justice du roi. Tel fut en général leur eut
depuis Tavénement de UenrL
Maintenant qu'ils aient enduré quelques gênes et qu'ils
aient eu à se plaindre de quelques vexations de détail, cela
n'est pas douteux; qu'ils aient eu à souffrir, dans un petit
nombre de localités, des préjugés, du mauvais vouloir , de
haines enradnées entre les catholiques et les protestants ,
personne ne songe à le contester. Ainsi on peut admettre sur
leur témoignage que, dans trente localités environ sur trois
cent vingt hidiquées par l'éditde Poitiers, ils ont été réduiu
ft faire des voyages pénibles ou coûteux pour l'exercice de
leur culte; qu'en certaines villes ou bourgades, l'Inhumation
leur fut refusée dans le cimetière catholique, ou même que
leurs sépultures furent violées, parce que, dans les habitudes
et les idées du temps, le cimetière étant terre sainte, il y avait
profanation à y enterrer les hérétiques ; que dans les lieux où
l'exercice de leur culte était interdit et où ils tentaient de
l'Introduire sans désordre, et parfois même dans les lieux
où l'exercice était permis, ils furent injuriés et dispersés par
une multitude fanatique, il faut reconnaître encore que, s'ils
furent admis aux premières dignités militaires et civiles ,
comme nous venons de le constater, si, d'après leurs propres
p* 430 el Mémoirci, t. XI4 p* 36S A. -»» t^llres d*éreclion d'an dyché*
Khrle m Urwr du sImt d« U TrémoiU«, aoAt ifittS, da*s let ànc. lois
isf., t XV, p. iOI*
ÉTAT D» CALTI1IISTB8 DE 1589 A 159&. 351
indications, Vulson et plusieurs autres de leur communiou
siégèrent dans les parlements et dans les cours souveraines ',
cependant la plupart des parlements chez lesquels la majo
rite avait été longtemps ligueuse , usèrent de difficultés et
d^ajoumements, quand U s'agit de recevoir dans leur sein de
nouveaux magistrats calvinistes. 11 faut reconnaître enfin
qu^un parlement, le parlement de Normandie, viola à la fois
la liberté religieuse et la lilierté civile en privant d*abord deux
calvinistes de leur office de procureurs, et en ne le leur ren-
dant qu'à condition qu*Us feraient profession, au moins ex-
térieurement, de catliolicisme '.
Mais quand on a épuisé tous les grlefii des calvlnistesi
dont une partie porte sur la période écoulée entre 1589 et
159iï, et le reste sur les années suivantes, quand on les a
examinés et pesés équitablement, on arrive aux conclu-
sions suivantes :
Les violences dont ils avaient à se plaindre n'étaient que
des exceptions , même rares , comparativement à Tensemble
et à la masse des faits. Si Pou appréciait l'état d'un pays par
les exceptions, par les infractions faites toujours et partout
à l'ordre public, au lieu d'en Juger par l'ensemble des faits «
on arriverait ft croire que les sociétés les mieux réglées, les
mieux policées, ne sont que des repaires de voleurs et d'as-
sassins.
En prenant l'état des calvinistes dans son ensemble, leur
état normal depuis l'avènement de Henri IV, on trouve qu'ils
Jouissaient de la liberté civile , de la liberté de conscience
pleine et entière, de la liberté de culte et du partage des of-
fices, charges et dignités, dans une mesure déjà fort étendue.
Ils étaient donc heureusement à mille lieues de la condition
qu'ils avaient subie, des temps qu'Os avaient traversés sous
• DuplcMÎA-Viiraaj, Brl«f difcoan, dan» Ma Mamolrti, U Til, p. 1S7.
m L« désir «Je pais «t le respect du roy les emporta (le* caUinUta*) è
a aoToycr d«rccli«f vert Sa Mateftld}, le tiear de Velson , conseiller ao
a iiarlenieni de Grenoble, avec uae rc4|aeate ronipreoapi fort brieCvemenl
m lears priacipales deniaDdes. »
* IMaÎBies des egliees réformcee, dans lea Mtfnelres de la Ligne, p. 4^
et SDÎvaotes. Nous refusons et tout le neade refnaera aree nous, comae
Inique & Pègard du roi et de son gouvernement, de lui imputer on de Inl
reprocbrr ce qne les ▼illes et gouTemeurs qni tenaient encore po«r In
Ligue, tels «ine Rocbefort, firent i La Chil»i|neraie et aillenrs contre lea
calvinifliec rojw p. 440. 441. — M. Floqnet, HisL dn pnrlenent de llof
Mendie, C |Y, p. ds, po«r Int dmu procnreon «alviaftêlie privée 49 tonr
•flice per le parlement de Kone*.
352 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
les derniers Valois ; temps horriblesoù rintennède des guerres
d'extermination contre eux était le massacre de la Saint-Bar-
thélémy. L'équité demandait qu'ils tiossent un peu compte
d'un pareil changement.
Relativement aux vexations et aux injustices de détail dont
ils avaient droit de demander et d'attendre la répression, U
y a plusieurs observations à faire. D'abord, Jusqu'en 1598»
le brigandage fut maître dans toutes les campagnes et dans
toutes les petites villes de France : avant ce temps, le roi se
trouva complètement hors d'état de les faire respecter dans
l'exercice de leur religion, comme il fut impuissant à proté-
ger les trois quarts de ses sujets. En second lieu , les réfor-
més étaient maîtres dans deux cents villes du midi de la
France, entre lesquelles on comptait plusieurs grandes villes,
La Rochelle, Montauban, Nîmes, Montpellier. Ceux d'entre
eux auxquels la liberté de conscience et le culte secret ne suf-
fisaient pas, n'avaient-ils pas la ressource de se transporter
dans l'une de ces villes du midi, où ils auraient complète-
ment échappé à la contrainte 7 n'avaient-ils pas à faire, dans
l'intérêt de leur religion, ce que tant d'autres s'imposent
dans un intérêt de commerce, d'économie ou de simple con-
venance ? Enfin, depuis 1589, qui est:ce qui n'avait pas
cruellement souflert 7 qui est-ce qui n'avait pas été obligé et
qui n'était pas contraint encore actuellement de faire des sa-
crifices sans mesure 7 Le roi, forcé dans ses croyances et abju-
rant la religion de toute sa vie ; la France, prodiguant son ar*
gent et ses plus hautes dignités aux chefs de la Ligue, à ceux
qui l'avaient, peu s'en (allait, perdue et mise sous le joug de
l'étranger I Dans cette rançon du pays, les huguenots ne de-
vaient-ils pas payer leur part, en souffrant pour un temps
seulement quelques atteintes et quelques retranchements à
leur liberté reli^euse et civile?
Malgré les notables améliorations survenues dans leur état,
ik pouvaient légitimement désirer mieux. Avant d'être mis
sur la même ligne que les catholiques, avant d'arriver à l'en-
tière égalité des citoyens devant la loi, à laquelle ils avaient
un droit incontestable, quelques conquêtes leur restaient à
faire. Ils avaient à obtenir, pour l'exercice de leur culte, des
facilités, une publicité, une protection constante, gui leur
manquaient encore en partie : ils avaient à poursuivre le U-
ÉTAT DES CALVINISTES DE 1589 A 159^. 353
bre et entier accès aux magistratures municipales, aux divers
offices et notamment à ceux de judicature : ils avaient quel-
ques garanties de plus à exiger pour obtenir une justice im-
partiale. Mais dans la poursuite de ces nouveaux droits, il leur
était interdit de recourir à des moyens que n'avouât pas Tin*
térét du pays, et de se montrer plus impatients, plus exigeants
que les autres ordres. Jusqu*en 1598, jusqu'à rentier désar-
mement des ennemis intérieurs et extérieurs, le calvinisme
n'avait été ni le seul maltraité, ni le plus maltraité. L'ordre
public, les Gnances, l'agriculture, le commerce étaient ruinés :
pour obtenir des réformes indispensables, pour échapper à
d'intolérables souffrances, aucune des classes de citoyens
n'avait intrigué et comploté rx>ntre le gouvernement Les ré-
formés étaient tenus à la même résignation. L'édit de Mantes
de 1591, les articles de Plantes de 1593, le renouvellement
solennel de l'édit de Poitiers en 1595, leur donnaient l'assu-
rance et la preuve que Henri serait juste et bienveillant à
leur égard K Ils devaient donc s'en remettre au temps, aux
promesses et à la justice du roi, pour obtenir le redresse-
ment de leurs grie&, l'extension des avantages réels et im-
portants dont ils jouissaient déjà, la plénitude de la liberté
religieuse, civile, politique. Lioin de là, ils employèrent des
moyens violents qui pouvaient perdre leur patrie dans les
circonstances présentes, et qui lui préparaient un avenir gros
de dangers. Ils se firent dans la France une I«>ance à part,
ils formèrent un État dans TÉtat, démembrèrent le royau-
me , rompirent l'unité nationale et territoriale. Qu'avec des
rois tels que Charles IX et Henri III, passant envers eux de
la tolérance et des concessions à la guerre, aux proscriptions,
aux assassinats, ils recourussent à ces extrémités désastreuses
pour le pays, c'est ce dont on gémit, mais c'est ce qu'on ex-
cuse quand on songe qu*ils avaient à défendre leur vie et leur
religion. Mais les bons citoyens les blâmeront éternellement
' Duplessis reconnaît que la roaiiTtise rolontc monlrcr anx calvinistef
por (|uelqurs psii Irments «si contraire aux îolenliont du roi. On lit, dans
ta Irtiru à la Trcnioille, juin 1594, Lvi, p. 6i : « Cvnlx de la rellision
m ont i >e plaindre du traiclemrnl ù eulx (uict pur Itt parlemruls comtrt
k l'intention ttu ro), » — Dans son bricf discours, t. Vit, p. 281 à la fin,
il rrronniiU rncore que le roi s'engageait à clendre progressivement le*
a%ant.«gr« ilf|à assures aux huguenots par l'edil de f577 et les urticletdo
Mantes, m Sa Maieslc promit, avec le temps, de ft*cslendre davantago an
m contentement de ses subjett d« la rclligion. »
23
354 HISTOIRE DO RÈGNE QE HENRI IV.
d^ayoir employé les mêmes moyens avec un prince ^\e\é.
dans leurs croyances, qu*il n*avait quittées qu*à regret, ami de
leurs personnes, religieux observateur de sa parole même
avec ses plus cruels ennemis. Dans Fexécution de leurs pro-
jets, les calvinistes prirent le mot d'ordre de plusieurs chefs
animés de sentiments très différents. Les uns, purs de tout
intérêt humain, se laissèrent entraîner par ime ardeur reli-
gieuse et un prosélytisme aveugles : de ce nombre était
Duplessis-Momay, qui, même au milieu de ses erreurs, servit
uUlemcnt le roi et la France en arrêtant son parti sur la
limite des derniers excès. Les autres, tels que la Trémoille
et Bouillon, perdus d'ambition, aspiraient au rôle et à la
puissance de Condé et de Goligny en France, des princes
d'Orange en Hollande, et ils ne pouvaient réussir qu'en per-
pétuant les troubles et en tenant les huguenots constitués en
parti armé. Les uns et les autres furent condamnés par les
calvinistes modérés, restés fidèles aux principes des politiques
qtd voyaient la- France avant leur secte et leurs passions. La-
force se tint à l'écart de son parti ; Rosny et Galignon com-
battirent ces prétentions exagérées K Leur conduite accuse
plus les huguenots que les reproches de tous les catholiques
réunis.
1 2. Nouvelle organiscUion de la république calviniste
en 159Û.
La république calviniste et le protectorat , ou la charge
de chef de cette république , avaient pris fin à l'avènement
de Henri IV. Mais les huguenots étaient restés maîtres
des villes que les guerres et les traités précédents avaient
mises entre leurs mains, et dont le nombre n'était pas moindre
de deux cents. Sans dominer entièrement dans aucune pro-
vince, sans posséder en général les capitales, ils avaient un
parti puissant dans le Poitou, l'Aunis, la Saintonge, l'Angou-
* Toyem les opinioiu et la conduite de $u\lj dani lei OEconomies
royales, principalement c. 55, t. i, p. i65-170; c. 75, p. iSS, 153. — CaU«
tnon essaya constamment, mais inutilement, d'amener le parti calvinisie
se contenter de sûretés suffisantes pour itfnr religiun, snns empiéter sur
la puissance publique et sur l'autoritë du roi. f De Tbou, Memoirci, t. f i,
p. o(i5, 34*7. — Madame Duplessis, t. l, p. 301, 30i. - Diiplrssis, Brirf
discours, t. VII, p. 988, 989, 999.)
ÉTAT DES CALVINISTES DE 159/| A 1598. 355
moiSy le vaste gouvernement de haute et basse Guyenne, le
Languedoc, le Dauphiné. Après Tabjuration du roi et à la
fin de Tannée 1593, ils renouvelèrent, à Mantes, leur union
ancienne, et jurèrent de vivre et mourir unis en leur confes^
sion defoL Henri espérait qu'ils s'arrêteraient à une démons-
tration religieuse , mais ils en firent le point de départ d'une
nouvelle organisation politique et militaire pour le parti
calviniste. Ils abusèrent d'une permission générale que
Henri leur avait accordée, et se réunirent, non pas en synode,
mats en assemblée générale dans la ville de Sainte-Foy, au
mois de juin 159^ K Là ils divisèrent toute la France en neuf
grandes provinces ou cercles, composés chacun de plusieurs
gouvernements ou provinces du rojaume^. Chaque cercle
avait im conseil particulier composé de cinq à sept membres,
et chargé de fixer et de répartir les impôts particuliers, de
tenir sur pied les gens de guerre , d'amasser les munitions
nécessaires au maintien et à la défense du parti. La répu-
blique calviniste eut ses assemblées générales composées de
neuf députés ou représentants des neuf cercles. Ces assem*
blées furent investies de l'autorité « d'ordonner pour le gé-
» néral tout ce que le temps requerrait, » c'est-à-dire d'un
pouvoir législatif distinct de celui de la couronne et de la
nation. Le parti calviniste s'assura par diverses mesures le
' tfëmolres de modume Duplculs, t. 1, p. 168, K9. <— D*Attbignë« L IT,
c. 10, t. lii« p> 3M>i ^T' « L.e> reirurmcs, tout permUsion du roy, en ter*
m mes geaeruux et non ex{>tè«, «Mignèreul une asscmbice générale pour
• leurs ult'iiiret i Suiate-frui, ayant trouTé par le* plainte a de tous côtes
» occusion tulfisunte pour user cette nouveauté, »
* Les cuUinUtt'S diYisvrriit ta tr^nce d^abord eu dix provinces on cer-
cles, dans l'assvmblee de SMinte-Foy ; m«is eu»uilc, par décision du 20 juin,
ils reilui>irei>t ce nombre dt* dix à neul. C'est ce que l'un trouve dans
d'Aubigne, 1. IT, r. Il, t. IT, p. 507, 3ti8, 373. il luut corriger les nut
par lea autre» les énonces des pages 367, 36ll, pour éviter les erreurs. Il
rst curieux de conuaitre cette divisiuu du royaume en M cercles protêt»
Uinls :
\*t cercle : Bretagni», Normandie.
i* cercle : Picaidie, tlhampagne, Sedun, Pays messin.
ô« cercle: Ile-de-Fiance, Orléanais, ik-rri.
4« ceicle: Tour^ine, Ao|uu, Maine, Perche, Ix»udunois, SainloDge,
▲unis, 1.* Hocbelie, Angaumois, bas Poitou.
S* cercle : Haut Poitou.
tk cercle: liourgogiio, Lyonnais, Daupbinc, Provence.
7« cercle: Bas Languedoc, ViviàraLî, basse Auvergne.
S* cercle : Haut l^tigucdoc, liaulv Auvergne, haute (juirnae, Quercy,
lioufigue. Armagnac, Commingrs, Bigoire.
^ cercle: Bjis>e Oui«*une, i^aMogue , Hordclai», AgeiMiis, Perigonl,
l.imousiu.
356 HISTOIRE DO règne de HCIVRI ir.
recrntement d*une armée en cas de nécessité, des garnisons,
des places fortes, des finances à part Le règlement de Sainte-
Foy pourvut à ce que les gouvernements de provinces et de
villes, occupés une fois par les réformés, ne sortissent plus de
leurs mains. Si le roi cessait de payer les sommes néces-
saires à Tentretien des garnisons dans les villes laissées aux
réformés, les gouverneurs devaient saisir les tailles et le
taUlon entre les mains des receveurs royaux, et appliquer ces
deniers au paiement des garnisons. Et dans le cas où le
pouvoir central essaierait de réprimer ces violences, ou bien
de substituer dans le commandement des places im catho-
lique à un protestant, tous les calvinistes de la localité et des
pays environnants devaient s'unir et se lever pour prêter
main-forte aux gouverneurs protestants attaqués. Indépen-
damment des impôts ordinaires, un impôt particulier était
établi sur les calvinistes, et donnait à leurs chefs la disposi*
tion d'une somme annuelle de 120,000 livres (/t/iO,000 francs
d'aujourd'hui). Quelques mois plus tard, ils essayèrent de
rétablir le protectorat ou commandement suprême des hugue-
nots et cherchèrent un protecteur parmi les grands seigneurs
français et parmi les princes étrangers <. D'où il résultait que
le parti calviniste avait une circonscription territoriale, une
administration, des finances, un pouvoir législatif, un pou-
voir exécutif en dehors de ceux du pays, ou, en d'autres
termes, les moyens de prendre des résolutions contraires à
celles du corps de la nation et de les soutenir par la révolte.
Il ne leur manquait qu'un stathouder huguenot à opposer au
roi de France, et ils le cherchaient. Cette organisation répu-
blicaine était calquée sur celle des Provinces-Unies, et la
France devait avoir sa Hollande comme les Pays-Bas.
Ces violences, contraires à l'intérêt de la France, et par
conséquent au devoir de tout bon citoyen, n'avaient aucun
motif sérieux, puisque les huguenots avaient par devers eux.
* Le tc«le du icglcmenl df> S.iiiile-Foy et toute la nouvelle organintion
rrpublicoinr des rulTinUtesduns d'Aubigne, Hisl. univ., l. IV, c. Il« t. m,
p. r)<j7-375. Madnme Uuples>i« les nieiiliunne seulement, t. i, p. S76. —
i^e projot de ressusciter le protrclorat et de nommer un protecleur, dons
Lrstuile, novembre 15!)4, p. iîil B. « Pour le regiird d*un protecteur, li*
M roy leur uvuil rcpomlu quMl Touloil bien quMs entenduscnt qu*il n*y
m uvoit autre prutecleur en Frnnce que luy, des uns et des uuircs ; et que
M le premier qui stM-oil si o^é d>u prendre le filtre, il lui feroit courir
» foi tune de su vie, ot quUI sVn nsseurust. •
ÉTAT DES CALVIMSTKS D£ 1596 A 1598. 357
pour !$e rassurer, outre le traité de la trêve ot la déclaration
du roi de 1589, IVdit de Mantes de 1591 , les articles de
Mantes de 1593. Elles n*avaient qu'un prétexte, l'abjuration
du roi et ses traités avec une province et trois villes de la
Ligne, qui ne donnaient qu'à la malveillance la plus perfide,
mais enfin qui donnaient à la malveillance l'occasion et les
moyens de calomnier les dispositions et les sentiments du roi
à l'égard des huguenots. Or ce prétexte s'évanouit au mo-
ment où redit de Saint-Germain transforma Tédit de Poi-
tiers en loi de l'État pouf les provinces qui avaient suivi la
Ligne, comme pour le reste du royaume, consacra l'édlt de
I\)itiers par une nouvelle et solennelle promulgation, et par
l'enregistrement dans les anciens parlements de cette même
ligue. En eflTet, pour tout homme modéré et sincère, l'édlt
de Poitiers contenait non pas tous les développements, mais
toutes les parties principales et essentielles de la liberté re-
ligieuse et civile des dissidents. L'édit de Saint-(jermain, éla-
boré par le roi et par son conseil, fut dressé au mois de
novembre 1596. Il portait que l'édlt de l^itiei^ rendu en
1577, les conférences de Nérac et de Fleix, les articles
secrets qui s'y trouvaient annexés seraient enregistrés dans
tous les parlements du royaume, et tous les citoyens tenus d'y
obéir; qu'en outre on ferait jouir tacitement, mais efiTecti-
Tement, les calvinistes des articles de Mantes. Un article
spécial déclarait les huguenots aptes à remplir tous les offices
et toutes les dignités du royaume, pour surmonter les diffi-
cultés élevées à cet égard par plusieurs parlements et cours
souveraines. L'édit de Saint-(jermain fut enregistré au mois
de février i595 par le parlement de I^ris, le premier et
le plus autorisé des parlements, et, successivement, par le
parlement de Dijon et par les autres parlements du royaume,
sur les équitables et incessantes poursuites du roi ^ Dès lors
les calvinistes devaient rompre leur association républicaine,
destructive de l'unité de France, et poser les armes.
Mais leurs chefs, qu'une si sage n^solution aurait fait ren-
trer dans la vie privée et dans la condition commune, |)ar-
' Mémoires de madame Dnplcs.Mi, t. i, p. 979, f90, — Thoanut , I. c\i«
$8. et 1. CXil, S^« *• V* P* ^^* ^^* ^** 45:».— Mémoires •!• Oe Tliou«
t. XI d« la collecl., p. 364 B.— M. l'ioquet, Ujst* du parlcm. d« Normandie,
I. IT, p. 73. 74, »|.«J$.
358 UISTOIIIË DU RKGNK DE UKNUl IV.
vinrent à la traverser. A l'assemblée de Saumur, ouverte le
iU février 1595, ils tinrent les esprits dans Tagitation el
reflervesccnce, et firent résoudre que les Églises réformées
solliciteraient du roi un nouvel édlt et une condition toute
nouvelle. Des députés portèrent leurs demandes à Henri, au
mois de septembre, pendant qu'il séjournait à Lyon, au mo»
ment où les Espagnols, après la prise du Gatelet et la défaite
de Dourlens, assiégeaient Cambrai. Ils exigeaient : i" qu'on
les admit indistinctement avec les catholiques aux emplois et
aux charges publiques ; 2" qu'on assignât des appointements
sur les deniers publics à leurs ministres et à ceux qui seraient
chargés de l'éducation de la jeunesse calviniste ; qu'on leur
accordât lue entière et générale liberté d'exercer publique-
ment leur culte dans tous les lieux sans exception ; 4° qu'on
nommât autant de magistrats réformés que de catholiques
dans les parlements et dans les autres tribunaux du royaume;
5* qu'on leur laissât en garde , pour leur sûreté, les villes
qu'ils avaient entre les mains, et que les garnisons en fussent
payées des deniers du roi. Toutes ces clauses devaient être
consignées dans l'édit qu'ils poursuivaient ^
Le premier article, déjà porté dans l'édit de Poitiers, ve-
nait d'être renouvelé, et d'une manière spéciale, dans l'édit
de Saint-Germain ; de plus , le roi l'avait mis sans cesse en
pratique depuis 1590, et il n'attendait que le moment où il
pourrait se faire pleinement obéir, pour en étendre l'exécu-
tion aux villes qui l'avaient rejeté jusqu'alors, à Rouen, par
exemple. Les chefs du parti calviniste n'avaient donc inséré
l'article dans leurs cahiers que pour entretenir un profond
mécontentement dans la masse mal informée de leurs coreli-
gionnaires, en leur donnant à croire que les emplois civils
d'huissiers, de procureurs, de notaires, d'avocats leur étaient
fermés. Le roi avait accordé la seconde demande par les ar-
ticles de Mantes : seulement, il assurait l'usage sans la publi-
cité, qui devait lui susciter la haine du parti catholique. 1^
demande du libre et public exercice du culte dans tous les
lieux sans exception était propre à rallumer le feu aux quatre
coins du royaume, presque partout sans avantage pour les
huguenots. En eflet, d'une part ils ne tardèrent pas à recon-
* Thunuc, 1. czin, $ 8, l. t, p. 406. ^^ Hul. ds redit de Nantes, 1. lu,
p. 140, «41.
ÉTAT UKS CALVINISTES D£ 159Û h 1598. 359
naître et à avouer que les villes de la Ligue qui venaient de
traiter avec le roi à des conditions contraires, et même plu-
sieurs villes de tout temps attachées au parti royal, étaient
résolues à recommencer la guerre civile plutôt que de souf-
frir dans leurs murs l'exercice public du culte réformé; d*un
autre côté, il ne se trouvait pas un seul habitant calviniste
dans la plupart de ces villes K Le partage égal des charges
de magistrature dans toutes les juridictions du royaume était
souverainement injuste, puisque le nombre des calvinistes
était alors, avec la population catholique, dans la proportion
de un ft dix, et peut-être moins. Ce partage n'était pas néces-
saire pour assurer tme justice impartiale aux réformés : le
choix de magistrats intègres et soumis d'ailleurs à être ré*
cusés par eux dans les parlements du Nord ; les chambres
mi-parties dans les parlements du Midi, où ils se trouvaient
presque entièrement concentrés, suffisaient à ce besoin, et
ces garanties leur étaient assurées par les édits de Poitiers et
de Saint-Germain \ En ce qui concernait les places de sûreté,
les édits ne leur en avaient doimé que neuf, et ib en te-
naient plus de deux cents'. Le roi consentait ft leur en
laisser la jouissance pendant quelques années, et jusqu'au mo*
ment où son autorité, pleinement aflTermie, suffirait seule pour
les protéger, et où les haines dont la plupart des catholk[ue9
les poursuivaient encore seraient calmées. Mais il ne voulait
pas transformer cette jouissance en propriété, aliéner h tout
jamais une partie considérable de la foree publique et de la
souveraineté nationale, consentir un démembrement du
royaume. En conséquence , il refusait de leur faire abandon
I L*antoiir c«lTiaut« d« l*Bbtoii« de TMit d« Ifanlet dit, au 1. ▼, U t,
p. tas : « Il y oToil des grandca Tilles où U n'y «toîI pas on habitaat
■ refomn, et où por cons*queol U cooression ouroil é\e forl inutile. 11 y
• en aTtil des plus împorUnIct, comme Thoulonse, Bordeoo» et autrat,
» qui auroirnt plutôl rrcommcnré la giirrre que de «ouffrir TelubUsscmcnt
•I d*nn esercice de la religion réforinee dans leur» murs. » ...
• Articles SI.», «3 et ariicle 10 secret de Tcdii de Poitiers, ou edil de
1577. puges 85 el S6 do» pièces iosliticutivrs de IVdit de Wanles. L «rticle
«0 secret porte : « Il a été avivé et convenu qne les présidents el conseillers,
(des chambres de l'ëdil) seront, par sa dite Uajetté, choisis sur le tableau
» des officiers d'iceui parlements, des plus équiUtbitê^ paisibitt 9i mo-
• dëres. Desquels la liste sera cummuniqM^a aux députés du dit sieur roi
. de N.Tarre el de ce« de la dite religion qui se trouveront auprès de
s Sa Maieaté. arant qu'être ordonnea ponr servir leadilas chanibres. El oh
a aurums J'icemx leur seraient suspscts, Uur str^ loisibU le fniiT
m entendra H sa dite Majesté, laquelle en élira d'amtns a leur place, m
* Hist. de l'édit de Nanlea, 1. ▼, 1. 1, p. t40.
360 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
des villes de sûreté, sans terme, et par acte écrit et au*
thentique sur lequel il fût impossible de revenir plus tard K
Ainsi le roi conduisait les calvinistes à la plénitude de la
liberté religieuse et civile, mais avec des délais et des tempé-
raments qui prévenaient de nouveaux mouvements chez les
catholiques, de nouvelles révolutions ; en second lieu, il re-
poussait les concessions qui auraient permis aux réfonnés de
cesser d*étre citoyens et Français. Les ambitieux, les me-
neurs. Bouillon et La Trémoiile, poursuivaient une émanci-
pation religieuse complète et brusque, qui satisfit les hugue-
nots enthousiastes, et les rendit, eux, durant la paix, les
idoles du parti calviniste. Ils s*efibrçaient de donner à ce
paru ime organisation politique et des forces qui, en cas de
guerre, leur assurassent le commandement et leur permis-
sent de se soutenir contre le roi et contre le reste de la
France. Là était tout le débat.
Le roi avait ajourné les demandes qu'ils lui avaient por-
tées à Lyon. Ils se mirent en devoir de le contraindre, et
ils employèrent à la fois les calvinistes et Tétranger pour lui
faire violence. Dans le synode de Saumur et l'assemblée de
Loudun, tenus en 1596, ils échauffèrent les têtes et les ame-
nèrent aux plus extrêmes résolutions. Ils profitèrent aussi
des circonstances extérieures : les Espagnols enlevaient, eu
ce moment même, leCatelet, Calais et Ardres ; le roi continuait
péniblement le siège de La Fère. Exploitant ses embarras et
ses dangers publics, ils lui envoyèrent, au camp de La Fère,
une nouvelle députalion chargée d'une requête plus aigre et
plus pressante. Sur sa réponse dilatoire, ils en vinrent à une
rupture ouverte. Bouillon et La Trémoiile quittèrent l'ar-
mée. C'était , comme le remarque de Thou , la formation
définitive d*un nouveau parti dans le royaume et sa déclara-
tion de guerre. D'un côté, leur départ affaiblissait singulière-
ment le roi, au moment le plus critique de ses affaires , car
* Mi'm. de madame Duplessis, t. I, p. 388. « Los articles coiiceruaiit
M la rcUi{>iun, iusttce et police iuy uuruieiil Jiien este ciiTuyem signes du
9 roy, ruiilresignes d^ing secrctairc d'Esiut, mais non ccltiy <|ui courcrnoil
i> les seuretex, Kçavoir que toutes les villei tenues |Hir cculx de la reUiptoii
M leur demeuroioirnl pour scurclé, avec les garnisons etiirclenucs. Dunl se
M pLignanl le liicl siaur DeUnoue lai /tut dici r/u'il {t'articlr) semit
» entretenu, mais ne pourrait etlre baillé par escrit, n — Duplessis.
Bri«r dise, t. vu. p. S8J, dit que les réponse» de Mautcs u*ctaicnt pas en
forme autlicutique.
ÉTAT DES CALVINISTES DE 1594 A 1598. 361
ils le privaient à la fois de leurs troupes, et de leurs talents,
de leur expérience, de leur ascendant sur les soldats ■. D'un
autre côté, les députés des réformés à rassemblée de Loudun
se disposèrent à retournerdans leurs provinces pour leur faire
prendre les armes et commencer la guerre contre le roi. Le
témoignage de Duplessis-Mornay et de sa femme ne laisse
aucun doute h cet égard. Le premier dit, en parlant des dis-
positions des liuguenots : « Ces gens-ci, rebutés de la cour,
m sont résolus de chercher leurs remèdes en eux-mêmes, sont
» autorisés à cette fin, et par des actions qui ne les y sem-
» bient pas mener tout droit, se trouveront avoir passé le
• Uubicon fort gaiement. » Madame Duplessis ajoute : « Les
» députés sVn retoumoient chacun en sa province, en inten-
» tion de chercher les remèdes de leurs maux en eux-mêmes,
» donl se fût infailliblement suivi un trouble, pour achever
» la ruine de cet Etat, si par Tindustrie de M. Duplessis le
i> ^i n'eût été averti à propos de ce danger imminent,
» et par liu persuadé d'envoyer à bon escient traiter avec
» sieurs de ladite assemblée \ » Les actes répondaient déjà
aux dispositions. Le parti calviniste, se plaignant que les gar-
nisons des places de sûreté n'étaient pas payées, et ne tenant
aucun compte de la détresse dans laquelle se trouvait alors
le gouvernement, fit un premier acte de révolte contre le roi
en saisissant les deniers publics entre les mains de ses rece-
veurs, et en les appliquant au paiement des garnisons (sep-
tembre, octobre 1596) ^.
Quatre commissaires furent chargés par le roi de traiter
aviT les calvinistes, qui transportèrent leurs assemblées à Sau-
* Tliuaniis. I. CXTil, $ ^, .t. V, p. GiO. «< Kx eo proi estant et. capta ocoi-
» tionc, partes ipai in le^iiu farerr vitleliantiir : per itiani si cjuidem scissu-
it rum fieUit, ut régie viios niuiinie delàlilureutur, prwsUiuliuiniit belli
m tluciliut, quorum u|K>ia rcx. uli cuiisuevriut« ab exprcilu ahsciitilius;
t» magnunique ob id invidiani pusteti sutlinueniDl Cluudiiis Tiemollius
• TItoarlii ri Heniicus Turriu« Bulliuuii duces et aroilini cuRuali. «— Il
ufoutc dans ses Memoiiv»*, t. XI, p. ^'> A. roUert. Micbaad : m Les pmtes-
M Unis prirent le temps que ce prince etnil occupé ou sirgr de La Fère,
a et sous prétexte de 1j sûrrte de leur religion, ils lui pirsentèrent une
» requt'te dans la situation la plut fâcheuse de ses affaires. Les suites eu
9 éltiient dangereuses. ••
* Lettre de Duplessis & Bouillon, du 10 iiiia ISOG, dans le t. VI de tes
Mc'moire^ et correspoudauce, p. M)4. — Mad^ime Duplessis, t. l, p. SOI. <—
l>jus le inênii* lunie vi de Duplessis, on trouve, du "à mai au S juillet l&!JG,
Iteaucoup de lettres de Duplessis au roi et à divers, el des lettres auto-
graphes du roi, vu date de» é ou 14 mai, 2 juin, 13 juin, 8 |uillet, qni
présentent la marche et les progrùs de Tutsurrection calviniste.
* Duplessis, dans sou firief discourt, U vu, p. 988, S89i avoua cet fisiU.
363 UISTOIRE DU RÈGNB UK H£NRl IV.
inurctà,GhateUcrauU,àlafin de Tannée 1596 et pendant Tan-
née 1597. Des quatre commissaires, Galignon était huguenot;
les trois autres, Schomberg, de Vie, de Thou étaient catlioli-
ques, mais d*une telle modération, d'un esprit si éclairé et si
tolérant, que les calvinistes eux-mêmes sollicitaient leur mé-
diation K Us consentirent toutes les conditions qui devaient
assurer aux dissidents la plénitude de la liberté civile, la
plénitude de la libellé de conscience, Texerdce de leur culte
dans les limites que pouvaient fixer les plus zélés d'entre
eux, pourvu qu'ils ne fussent ni aveugles ni factieux. Les
commissaires ne repoussèrent que les demandes contraires à
la légitime autorité du roi et à Tinlérèt de TÉUt Henri, de
son côté, tint à justifier la parole de ses envoyés parles actes
les plus significatifs. A la suite des notables de Rouen, et
après une lutte prolongée contre le parlement de Normandie,
il fit enregistrer par cette cour , Tune des plus hostiles aux
huguenots, Tédit de Poitiers; il sanctionna d'ime manière
éclatante les dispositions de Tédit et l'enregistrement en ré-
tablissant dans son siège un conseiller du parlement de Rouen
qui en avait été chassé pour cause de calvinisme ( 2, 5 fé-
vrier 1597) \ Mais les conditions relatives à l'organisation
politique et à la force militaire des huguenots, auxquelles le
roi et ses commissaires essayaient si justement de se sous-
traire, étaient précisément celles que Bouillon et Ija TrémoUle
avaient à cœur de faire passer, pour fonder leur pouvoir. 11
s'établit entre eux et les commissaires une lutte dans laquelle
ils eurent le triste avantage de l'emporter, favorisés par les
progrès de l'Espagnol, par les dangereuses menées du parti
aristocratique, et par la crainte qu'ils surent inspirer, en vio-
lant leurs plus saints devoirs, Tandis*que les Espagnols pre-
naient Amiens et que les grands complotaient, tandis que
l'État était évidemment incliné vers sa ruine et que les am-
bitieux attendaient ce naufrage pour se jeter chacun sur sa
* Dupletftit écrit au tecrétaire dTJat Lomenlc, le 19 piin lb96,t. VI,
p« soi : « Fuilrs donc adTancerM. d'Emery, je dit le prétident de Thou. »
"• L'auteur caWinule da rHisloire de Tédit de Nantes, 1. IV, t. ],
p. 176 : w 1^ roi voulut donner la conmUsion au président de Thou,
j» homme d^uiie équité cl d^nne probité reconnue* de tout le monde. »
' Mém. de Groiilarl, c. 7, t. XI. p. 574-676. — Registres serreti du
parlement de Normandie dans THist. de M. Floquet, t. IV, p. 8I-1U0. l<e
conseiller calviniste réintégré au parlement de Ronen se nommait
MoyDet de Tancourt. ^ Hisi. de Tédit de Nantes, I. ir, p. i76-fS0.
ÉTAT DES CALVINISTES DE 159/i A 1598. 368
pièce ^ les chefs calvinistes attaquaient d*un antre côte le roi
et le pays pour les faire céder ou les faire périr, et, dans
ce dernier cas, prendre leur part des dépouilles. De Thou
pressa , conjura fiouillon et La Trémoille d'amener à Henri
les secours dont il avait besoin pour reprendre Amiens.
Non seulement ils persuadèrent à rassemblée de Gliâtelle*
rauh de lui refuser les troupes dont le corps des Églises ré-
formées disposait , mais ils employèrent même ailleurs les
soldats qu'ils levèrent dans les provinces du Midi, au nom
du roi et avec ses deniers. Bouillon, avec les forces qu'il avait
ramassées, s'en alla dans l'Auvergne et le Gévaudan, où
Montmorency-Fosseuse avait repris les armes par ses conseils
et à son instigation. Ixi Trémoille resta inactif en Poitou.
On craignait qu'ils ne persuadassent à ces soldats de lever
Pétendard contre le roi. En même temps les députés calvi«
nistes formant rassemblée de Gliâtellerault imploraient l'as-
sistance de la reine d'Angleterre et de la Hollande, et leur
demandaient d'intervenir entre eux et le roi. Ils poussaient
les Églises réformées à prendre les armes, en publiant un
pamphlet où ils peignaient la condition des calvinistes comme
celle de vaincus et d'esclaves en butte à d'intolérables ri-
gueurs, et en représentant le roi , dans toutes leurs assem-
blées, comme un apostat dont ils n*avaient rien & espérer et
tout à craindre ^. Selon toute apparence, ils les auraient dé-
cidés à une révolte ouverte et à la guerre contre Henri, si la
mésintelligence n'eût éclaté subitement entre eux ; la no*
' Osl madame Daplc»&is, 1. 1. p. 398, qui iroce ella>mém« c« Ublea«
de Pctat de la Franco avcr rrltp vi*rît(( et cette rnergie.
' Le pamphlet, (Hirtant fvur titre : Pl.iint<*sdes Kglites r^formëei de France,
e»t celui que duu« avon^ citt* pluiicurt fois au commencement de ce cha-
pitre. Il fut public' uu commtMirt'mrtit de Paimoe 1507 (P. Cajet, 1. Vili,
p. 7H0 K.) Il se trouve tout entier duos les Hcmoircs de la Ligue, t. Tl,
p. 4!ÏS-486. — Sully. OEcon. roy., c. 7.S, t. i, p. iS*. m Le roy disoit que
m la plutpart do ••glisrs, et surtout des grande* Tilles et des principaux de
M la unblrMC, avouMit bien déclaré ne le vouloir pas presser d'ancunet
» nunvellcs couces^iiont, tau! (|ue le sivge d'Amiens dnreroit; dont U W9
» sentoit leur estre obliï;e. Mais qu'il craignoit qu*i la longue ces me»*
M sieurs de Bouillon, de I^a Trcmnille, Dupirstis, accompaanet par qainsa
M ou vingt de leur caballc de* plus cschaullra qui les sollTcitoient i cela,
jk nr les y dispo^a»si'nt avant qu'il eu<tt prit Amiens, qui seroit la ruine
• entièrr de ses ufl'aires. » On verra, dans la note suivante, le roi recon*
n»iln\ dans une lettre du 18 janvier iriM, la diire'rence entre la conduite
d«* I>uplesai« et telle dt* Bouillon et de La Trémoille, mais maintenir jas-
qu'au l»out ses accusations contre les deuv derniers ; on verra les hommet
d^F.tai et les historiens cootemporains témoigner nnanimement que ces accu-
ulions étaient fondcci.
36^ HISTOIRE DU RÈGN£ DE IIEiNRI IV.
blesse calviniste voulait manier les deniers qu'on lèverait ;
les ministres et les anciens prétendaient, au contraire, que
la paie des soldats passât par les mains des députés des
Églises. Ce diflérend élevé parmi les calvinistes , les nouvelles
concessions faites par les commissaires du roi , toutes pro-
pres à calmer les esprits dans l'assemblée de Châtellerault , la
reprise d'Amiens, qui rendait à Henri la puissance de Topi-
nion et la libre disposition de ses forces à Tintérieur, mirent
un temps d'arrêt dans les projets des factieux. Mais la trêve
entre les deux partis pouvait se terminer d'un moment à
l'autre par une prise d'armes des réformés. En effet, môme
après que le roi eut chassé l'Espagnol d'Amiens , les cliefs
des huguenots agitèrent de surprendre Tours avec un corps
d'armée de trois mille cinq cents hommes tout dévoués à
La Trémoille. Ils prétendaient que leur requête datée d'une
si bonne ville serait merveilleusement eiDcace pour persua-
der le roi et son conseil K
Le roi et le pays ne pouvaient donc se le dissimuler : le len-
demain du jour où il mettait fm à la Ligue catholique par
■ De Thon, H^moires, l. xi, p. 367. r Durant la longueur «t IMncerti-
• tude «lu tiege d^Amiens, de Thou avoit «ouvent pressé les ducs de
» Bouillon et de la Trémoille de lever des troupes et de les roeuer «levant
m Amiens... Le duc de Bouillon, avec des troupes qu'il avoit levées dans le
» Limousin aux dépens du roi, s>n alla dans TAuTorgne et dans le Ge-
a vaudan où Montroorency-Fosseuse avoit recommencé la guerre; et le
a duc de La Trémoille avec des troupes levées sur le même pied dans le
m Poitou j resta inutilement, sans que Pun ni Tautre donnassent de secours
» au roi. a Mêmes faits indiqués par Sully, c. 80, t. i, p. S73 B, édition
Michaud, avec celle circonslance de plus : < la prise de Mande par Fosseuae,
a et Tescapade du comte d* Au vergue, lesquels tCtH'oienl rien faict qum
t» suivant les conseils de M. de Bouillon. » •— D*Aubigné, 1. Y, c. 9,
t. III, p. 459, parle de huguenots qui prirent part au sicge d'Amiens. Mais
ils ne vinrent que comme sujets particuliers du roi pour sa principauté de
Navarre, comme olBciers de sa maison, ou comme ses amis. Les calvinistes
ne servirent pas an siège d'Amiens comme faisant corps & part, ayant des
troupes à eux, ainsi qu'ils Pavaient toujours pratiqué. L*assemblée de
Ch&lellerault et les chefs Bouillon et La Trémoille rrfuscrenl formelle-
ment d^aider le roi dans cette guerre, cl de lui amener cinq ou six mille
hommes dont ils disposaient. C'est ce qui est reconnu par les historiens
calvinistes eux-mêmes, Hist. de Fcdit de Nantes, l. IV, U i, p. f92. —
Discours de Henri à Sully, même chapitre, p. S7S B, 973, t Je n*ai pas
a laissé de rantentevoir à M. de Bouillon quelques unes de ses plat noires
M et plus grandes malices... que luy et M. de La Trémoille a «oient couru
M et tracassé par les églises et synodes, et usé d'une infinité de mauvais
H discours, artifices et calomnies, non seulement )K>ur mettre tous ceux de
» la rcUigion en omhrage de moy, mais anui pour les disposer h prendre
» ouuertemenl les armes; alléguant entre autres raisons que moy ayant
a aiiMÎ légèrement changé de relligion, etc., etc. » — P. Cayet* 1. viu,
p. 7S0 A. « Le bruit courut que ceux de hi relligion prétendue n^enaseot
£0IT DE RAKiTES. 365
le désarmement du duc de Mercœur, ils allaient se trouver
en présence d'une ligue protestante. Une nouvelle guerre
religieuse et politique attendait un État sortant de trente-
liidt années de guerre civile et étrangère, et arrivé à ce degré
d'épuisement où une dernière crise suiBt pour décider la
mort Le roi sauva à la France cette fatale épreuve en ac-
cordant redit de Nantes aux calvinistes. Le pacte qu'il con-
clut avec eux contenait des conditions pleines de danger pour
l'avenir; mais, dans le présent, la paix était assurée, le pays
pouvait se reprendre h la vie et à la prospérité : la sagesse
île Henri allait au plus pressé.
S 3. Le roi accorde aux calvinistes l'édit de Nantes,
L'édit de Nantes fut la charte des réformés français pour
près d'un siècle. La clarté demande qu'on range tous les ar-
ticles dont il se compose sous deux titres principaux , dont
l'un comprenne leur droit public et religieux et leur état
civil, dont l'autre présente leur condition politique. Dans ce
tableau se trouvent compris et coordonnés l'édit de Nantes
avec les modifications qu'il subit entre le moment où il fut
rendu et celui où il fut enregistré , les articles secrets et les
deux brevets accordés par le roi aux calvinistes, et contenant
une extension remarquable des avantages portés dans l'édit.
Li's réformés obtiennent la liberté la plus entière de con- p^^jj p„|,ng
science : ils ne peuvent être ni recherchés dans leurs maisons n reiigieu|L
pour leurs croyances et les pratiques non publiques de leur
culte, ni asti-eints à faire aucun acte contraire à leur religion.
Ils obtiennent l'exercice de leur culte dans trois espèces
distinctes de lieux : 1* dans les châteaux des seigneurs hauts
m p.i$ laUse tie faire la guem au my^ s'ils %e fussent pu accorder; caria
m iiuhirs»* «iViilre eux vuuloit nionier l'argriit qui te leveroit |>odr faire
M lj gueire, et les ministre* et les ancieus vouloieut que ce fnaseut cer-
• i;iiiis <lr}>nlri de leurs vglurs qui putrroieul les gtns de guerre. » —
8ui TinteiTisnliou de Du p lésais, les me mu ires de sa lemne, t. I, p. 313,
3t4; lu cuire» poud^iuce de Duplessis uvec le roi et avec diver*, t. VU,
p. :iU)i-3tl>, 3tîU, 373, et sutiuut li* mémoire de Dupiessis, p. 49!i et suir. et
ia lellr» du roi, du 18 janvier 15îtS, p. 5âS. « M. Dupiessis, j*ui esté fvrt
n aise du mémoire que vous m'avea envoyé, suivant lequel et votire advit
» |e faik uue depesrhe aux sieur d'Emery ^de Thou) et de Calignoa, qn'ili
i» {lourrout moiiilicr à 1 assemblée. ■ — Sur le |)ro|et des huguenots de
•urpifudrc Tour», après I» re}irise d'Amiens, d*Au)iigoé, I. v, c. l, t. m,
p. 4^:^. r.iit. Itîjl).
des réformes.
366 HISTOIRE DV RiGNK DB HENRI IV.
Justiciers, au nombre de trois miUe cinq cents, lesquels sont
autorisés à admettre à Texercice, outre leur famille et leurs
vassaux, tous autres dissidents qui voudraient s'y rendre, sans
limiter le nombre, et de plus dans les châteaux des gentils-
hommes ne jouissant pas de la haute justice, en restreignant
le nombre à trente ; T dans deux endroits au lieu d'un, de
chaque iMilliage ou sénéchaussée du royaume ; 3" dans les
villes et villages où Texercice public du calvinisme s'est intro-
duit récemment, jusqu'au mois d'août 1597. Il leur était per-
mis d'avoir des temples dans ces localités fort nombreuses. 11
était pourvu aux appointements de leurs ministres et des ré-
gents de leurs collèges et écoles par l'allocation d'une somme
de 165,000 livres du temps (/iVlô,000 francs d'aujourd'hui), et
par la permission de recevoir des donations et legs pour cet
usage. L'édit de Nantes donnait donc un large développement
aux concessions déjà faites par l'édit de l\)iUcrs et les traités
subséquents. Toutefois il n'établissait pas l'exercice public
du culte réformé dans toutes les villes du royaume : il en
maintenait même l'interdiction dans les grandes villes de la
Ligue, qui l'avaient proscrit par leurs traités avec le roi.
Le parti calviniste donna lui-même les mains à cette restric-
tion, contrairement à ce qu'il avait précédemnienl demandé
à Lyon. Il se convainquit que dans plusieurs de ces villes, pas
un seul habitant ne professait la réforme ; il reconnut que
dans d'autres, l'établissement de l'exercice trouverait d'insur-
montables obstacles. Du reste, le roi une fois aflcrmi et les
esprits calmés, le gouvernement accorda plus aux calvinistes
qu'il ne leur avait promis par l'édit de Nantes. L'exercice
était défendu à cinq lieues de Paris : il fut autorisé d'aiwrd
à Ablon, qui n'en est qu'à quatre, et ensuite à Cliarenton,
qui n'en est qu'à deux lieues. Il était prohll)é dans tout le
bailliage de Rouen ; il fut établi à une demi-lieuc de celte
ville^ Ces procédés de IJenri et l'abandon fait par les hugue-
nots eux-mêmes de plusieurs de leurs prétentions donnent
• Edil de Nantes, articles publics 6, 7, 8, 9, 10, If, 16; oiticles secrets,
de il à 53 et 43, breTcl du 30 aTiii 160S, dan» les piècrs justilicuiives à la
aHilc de misloiie de Tedil de Nantes, p. t»6-67, 87-00, 91, U4, 95. L'édit
de Manies et les articles secrets sont imprimes aussi dans les Aiicimncs
lois françaises, i. XT, p. 171) et suivantes ; mais on n'y troure pas les drux
brevets. ^ Histoire de ledit de Nantes, 1. T, p. )(i8, S33, 334, 947 ;
I. Tl, p. 377 ; I. IX, p. 434, 435.
riTormés.
£d1T de NANTES. 367
beaucoup à réfléchir : on y trouve la réfutation des soupçons
et (les accusations précédemment dirigés contre le roi par les
calvinistes, et la condamnation de leurs démarches sédi-
tieuses.
Les réformés jouissaient des mêmes droits civils que les État ciwi drs
catholiques, en tout ce qui concernait leur domicile dans le
royaume, les mariages, la possession des biens, les héritages.
Des dispositions particulières leur garantissaient certains
droits et les protégeaient contre des dangers qu*ils avaient
longtemps courus. Il était défendu aux prédicateurs et aux
professeurs de leur adresser des qualifications injurieuses
et de soulever les peuples contre eux : il était interdit à leurs
parents de les déshériter pour cause de religion : personne
ne pouvait leur enlever leurs enfants par force ou par repta-
tion pour les élever dans la religion catholique : leurs enfants
devaient être admis dans les universités, collèges, écoles, et
leurs malades dans les hôpitaux, sans distinction, avec les
catholiques K
Des précautions infinies étaient prises poivqulls obtinssent
une justice impartiale dans tous les parlements du royaume.
Leurs causes étaient portées à une chambre spéciale, établie
pour eux et nommée Chambre de l'édit. Les juges catholiques,
désignés pour la composition de cette chambre, déjà choisis
parmi les magistrats les plus modérés et les plus Intègres,
n'y siégeaient que de l'aveu des calvinistes et sur leur pré-
sentation. Dans les parlements de Paris et de Normandie, la
chambre de Fédit fut composée de seize membres : quinze
catholiques et un réformé. La population calviniste habitait
en presque totalité les provinces méridionales du royaume.
]jà cliambrc de Tédlt, dans les parlements de* Bordeaux, de
Toulouse, de Grenoble, leur ofl'rit de plus grandes garanties
encore : elle fut composée de deux présidents , Tun catho-
lique, l'autre réformé, et de douze conseillers, dont six
réformés >.
liCs réformés étaient déclarés capables de tenir et d'exer-
cer tous les étals, offices, charges, dignités, tant royales que
' Édit de Nantei, articles palilic* 6, 17, 18, 32, 96, p. &*> A, 67 B.
es A , H.
• Kditdr Nuntes, articles 30, ôl, |w ft), 70. — UUloire d«- l'édil, I. Vi,
p. STU, 277.
368 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
seigneuriales et municipales. Sons le rapport de Taptitude,
Ils étaient mis sur le pied d'une parfaite égalité avec les
catholiques : quant à la proportion dans laquelle ils obtien-
draient les offices et charges, Tédit ne la réglait pas, parce
quMls avaient reconnu eux-mêmes qu'il était impossible de la
fixer. Le roi avait prévenu Tédit en nommant beaucoup de
dissidents à tous les emplois, sans excepter celui de maré-
chal. Une nouvelle sanction fut donnée à Tédit par de nom-
breuses promotions faites en leur faveur. De tous les corps
de TÉtat, les parlements avaient opposé jusqu'alors la plus
vive résistance à les admettre dans leur sein. Cette résistance
fut surmontée : ils entrèrent dans tous les parlements du
royaume, et le parlement de Paris en particulier admit six
d'entre eux, un dans la chambre de l'édit, cinq dans celle
des enquêtes ^
^4at politique L'organisation politique des calvinistes, telle que leurs
cal?iiiistcs. clicfs l'avaient rétablie à Sainte-Foy, i-eposaitsur trois choses
principales : les assemblées politiques, les places fortes, les
finances. L'édit de Nantes leur laissa deux espèces d'assem-
blées : les assemblées pour cause de religion, telles que con-
sistoires, colloques, synodes provinciaux et nationaux, et
les assemblées politiques '. Ils avaient d'abord obtenu un
article qui leur donnait par le fait une liberté illimitée* Cet
article portait qu'ils pourraient s'assembler, pour les synodes,
en tel lieu et en tel temps qu'ils voudraient ; qu'ils pourraient
admettre les étrangers dans leurs synodes ; qu'ils pourraient
aller hors du royaume aux synodes étrangers. Or comme rien
n'était plus facile que de transformer leurs assemblées syno-
dales en assemblées politiques, ainsi qu'on le vit plus tard à celles
de La Rochelle, il en résultait qu'ils auraient puse passerdel'au-
torité du roi pour leurs assemblées politiques. Sur les réclama-
tions du parlement et du clergé, Henri s'aperçut qu'il avait
été surpris, et supprima ces trois clauses qui ouvraient la
porte aux intrigues avec l'étranger, aux conspirations dans
l'intérieur, et particulièrement aux menées de Bouillon, qui
voulait que son église de Sedan pût faire corps avec les
églises de France. I^ar suite des stipulations de l'édit de
* Kdit de Nanles, nrliclei pablicf 97, SO. p. G8 B, 60, 70. — Histoire <1«
TÂUl «le Nanle», 1. V, t. i. p. 239.
' Artirlex publics, 89; articles «ecrrts M, p. 8i B, 90 A.
ÉDIT DE NANTIS. 369
Nantes et des transactions postérieures de 1605, il fnt réglé
qne les calvinistes ne s'assembleraient qne quand ils auraient
obtenu Tautorlsation royale, et quand le roi aurait préalable-
ment reconnu qu'il ne pouvait régler leurs Intérêts et satis-
faire leurs demandes d'accord avec les deux députés généraux
des églises, chargés de résider auprès de lui. Avec ces res-
trictions qui limitaient l'usage, mais maintenaient la posses-
sion, ils gardèrent leurs assemblées politiques, et ils en
tinrent plusieiu^ dans les dernières années du règne de Henri,
et sous le règne de son successeur Jusqu'à la prise de La Ro-
chelle ^
Les calvinistes conservèrent, aux termes de l'édit de
Nantes, les deux cents vUles que les traités et la guerre
avaient mises entre leurs mains. Cent de ces places pouvaient
attendre une armée : quelques unes, telles que La Rochelle,
Montpellier, Montauban, résistèrent plus tard aux forces de
la monarchie entière. Les places du Dauphlné, obéissant an
calviniste Lcsdiguières , n'étaient pas comprises dans cet
accord, et augmentaient encore le nombre de celles tenues
par le parti réformé. Le roi supporta l'entretien des fortifica-
tions et la solde des garnisons : il afiîecta à cette dépense une
somme annuelle de 560,000 livres du temps (environ 2 mfl-
lions d'aujourd'hui). U s'engagea à ne nommer pour gouver-
neurs que des réformés, et de plus des réformés ayant ob-
tenu l'attestation du colloque local et l'agrément des églises :
les gouverneurs devaient conserver leur charge, même après
l'expiration du temps pendant lequel les huguenots détien-
draient les places de sûreté. Ce temps fut fixé d'abord à huit
années à partir de l'an 1599, et prolongé ensuite de quatre
années, ce qui condidsait jusqu'à 1611, au delà du règne de
Henri IV \
■ SiiUj, OEcoD. roy., c. 00« t. i, p. S06-310; c. ISt, t. il, p. 41^ et «niv.,
Kttr IVssenblée de CbâtcUcranlt en 1605 ; c. 165, t. n, p. f TB^ilT, pour
•temblce syaotlale de La RocheUe et ce qni s'y fil eo 1607. — Mén. d«
mnilame Dopleuis, t. i. p. 335, 440 et suir. — H. Cayet. Chrodotogie
•eplcn., 1. u, P. 40 B, coll. Michaud. — Bist. de Tédit de Naatca, I. vni,
t. I, p. 74», et 1. IX, p. 4i5. 496.
* Breret du 90 avril 1508, dans les pièces loitlficatÎTes de mUt, d«
IVilU de Nintes, p. 96. — lotlruclion a M. le maniuis de Roany pour
{'•«'cmbliH* di* Cbatrlleraalt, en 160.%. — Brevets du roi pour la proton*
8ati«>n ôf» plarei de sùrele 4 ceux de la religion, du 4 août 1605, dans les
»F.roii. ruy. de Sully, c. 153, t. il, p. 45, etc. 154, p. 67. — llist. d« Tëdit
de Nantes, 1. 1, p. i40.
Oppniilion
h redit
de Nantes.
LVdit
enregistre a a
paileroent
de Paris.
370 HISTOIRE OU RÈGIfB DE HENRI IV.
Le roi n*avait provenu une révolte et une prise d^armes de
la part des calvinistes, qu^eo leur accordant Tédit de Nantes.
La publication et Fenregistrement de cet ëdit faillirent exciter
un soulèvement chez les catholiques exaltés. Vainement
Henri, dans le dessein de les gagner et d'assurer la liberté
de conscience à tous ses sujets, de Tune comme de Tautre
religion, avait stipulé en même temps que le catholicisme
serait rétabli dans les lieux où la violence Tavait aboli durant
les troubles ; vainement il leur montrait qu'il relevait ainsi
leurs autels dans cent villes doses et dans mille paroisses ^
Us restaient imsensibles à cet avantage , et proclamaient la
religion en péril, depuis que Tédit de Nantes allait consacrer
et étendre les droits des calvinistes par des dispositions dont
la puissance du roi, chaque jour plus affermie, assurerait
partout Texécution. Le clergé dénonçait la prédication libre
et Texercice public du culte comme des moyens actifs de
propagande livrés aux réformés. Il appréhendait surtout que
redit, en leur ouvrant Taccès aux charges et dignités, ne
leur fournit un moyen d'accroître leur puissance, e» qu'ils ne
remportassent enfin sur les catholiques par leur nombre et
par leur crédit. Les catholiques exaltés opposèrent les plus
violents moyens à Tacceptalion et à l'exécution de la nou-
velle loi. Ils firent célébrer des processions à Tours pour
soulever le peuple contre Tédit; an Mans, pour inspirer au
parlement de Normandie et aux autres juges du ressort la
résolution de le rejeter. Les chaires retentirent des plus sédi-
tieux sermons, et les prédicateurs rallumèrent chez les
masses les passions qui avaient amené les barricades et le
meurtre de Henri llh
Les catholiques passionnés intriguèrent en outre dans le
parlement de Paris an sujet de l'article relatif aux charges et
dignités ; ranimant chez ceux qui avaient appartenu à la
Ligue la haine des hérétiques ; excitant les scrupules des
hommes modérés, mais religieux, par Tautorité des constitu-
tions de Théodose et 'de Constantin et des décisions de
rÉglise ; faisant agir auprès de tous l'intérêt personnel , et
les engageant à repousser un édlt qui diminuait leur impor-
tance et leurs revenus par l'adjonction des conseillers calvi-
• Éilil de Nuulct, article 3, p. 6t. — P. Cayet, Chron. frplm., 1. i,
p. 48 R.
^DIT D£ NANTES. 371
nistes. 11 est très remarquable que pas un des of^HMants ne
combattit Tédit au point de vue de Tinlérèt de la France et
par le motif qu'il accordait forcément au parti calviniste un
pouvoir politique exccitsif et dangereux. Le parlement ap-
porta à Tenregistrement des lenteurs qui pouvaient présager
un refus. Le roi appela au Louvre les députés de toutes les
chambres, et leur remontra énergiquement Timprudence et
les erreurs de leur conduite. Ils repoussaient un édit seul
capable de prévenir la prise d'armes des huguenots et le
rcnouveiiemcnt de la guerre civile : ils laissaient impunis les
excès des catlioliques qui menaçaient son autorité et sa vie :
ils compromettaient ainsi doublement Tordre et la paix pu-
blics. Ils agissaient pour Tédit de Nantes comme ils avaient
agi pour les édits bursaux, au moment du siège d'Amiens,
se préoccupant de petits intérêts et perdant de vue le salut de
l'État Ses exhortations, ses ordres, les efforts de quelques
bons citoyens, enure autres de Lazare Coqueley, ancien ligueur
converd aux idées modérées, tempérèrent chez la majorité
Topposition de telle sorte qu'il fut inutile de recourir aux
moyens extrêmes : le parlement reçut plusieurs jusslons du
roi, mais il n'attendit pas tm lit de justice, et il enregistra
l'édit le 25 février 1599 «.
> Tbuaaas, t. cxxu, SS <6» 17, 18, t. T. p. S14 «t tuïT. *- P. CaytI. Chr^
nologie »cplrnoaire, 1. il, p. 47, 48. — A la page 47 Aj U dit : • Eofin
» l'oiiicl, «près ptuateurs futttont, rst publie rt Térifié an parlement de
m Paru, i — Supplemeut de Lesloile, %> ferrier I50U, p. 300 B. — Dis*
court du rot, ruppoitc |ar UMlibieu, llUt. de Fiauce |K'Ddant les eept
•nnées de paix. IbUS, ln-4*, I. ii, Nuir).t. I, t. l, p. IOt-104. En Told les
principuux pauaget : ■ Of que i'rn ai faict est pour le bien de la paix; |0
M l'ay tAciv au dehors, je lu veu& faiie kU dedans de mon royaume... La
M nrcesailr m*a fjict taire ccal ëdict... Ceox qui empcicbenl que mon édict
» ne puue ▼eulent la guerre... On dict que |c veux favoiiser ceux de U
li rvligiun, et l'un veut eutier en queli|ue méfiance de moj... Vos Ion*
■ gueurs et ^os diflîculles donnent suLiect de remuements estrangcs dans
m les Tilles. L'ou a f«iict des piocessions cooire Tcdict à Tours... L'on es
• a ftticl aussi au Mans pour Inspirer aux iuges de rcieUer IVdict... Ja
• sfay qu'on u lalct des brigues au parlement, que Ton a snscilé dea pré*
B diculeurs séditieux... Les prédicateurs duuuent des paroles en doctrine
s plus pour Instruire que pour aelruire la sédition. Ces butes, qui me
9 regardent, ne sont pas relevées... L*cst le chemin qu'on a pris pvur faire
a autrefois les barricades et venir par degrés au parricide du feu roi. Je
m couperai les racines de toutes ces factions ; je ferai acconrcir tous ceux
» qui les fomeuteroul. J'uisautie sur des murailles Je villes, je sanlterai
■ bien «ur des barricades... U faut |uger que ce que |C f.<is est pour un bon
M elfeci, par la raÎMin de tou« mes deportemenls passes. Témoin cm tfum
m j'ai faict pour in recom/ueste d'Amiens^ où. j'ny employé Varient
a des ed%ctê //u# vous n'eussiez passes, si Je ne /eusse mile au parle'
a ment. •
372 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
V«s poriemenii La discussion élcvéc au sujet de Tédil de Nantes forme la
moro'entBnë- transUion à un état de choses entièrement nouveau. A partir
ment leuri |.oa- ^q qq moment, et pendant les onze années qui forment la fin du
poUtiqaet. règne de Henri IV, le parlement changea de conduite dans
ses rapports avec la couronne. Il continua à lui donner ses
avis, et des avis en général éclairés et salutaires sur des ma-
tières de législation et d'ordre public dans lesquelles il était
parfaitement compétent ; mais ramené par les sévères con-
seils et par la fermeté du roi, convaincu de Tinsuffisance de
son autorité comme de ses lumières, il s'abstint désormais
d'intervenir dans les questions de politique générale : il com-
prit que les intérêts publics ne pouvaient être bien réglés que
par ceux qui en voyaient l'ensemble, la diversité et souvent
le conflit. Il résigna les pouvoirs politiques qu'il avait long-
temps aflectés, et il se tint renfermé dans ses attributs de corps
Judiciaire et administratif. Son exemple fut suivi par les autres
parlements du royaume, et l'influence parlementaire se retira
pour quelque temps des questions d'État.
Contidtfraiiont Après tout cc qu'on a écrit sur l'édit de Nantes, il nous
d "wanici ^"^^^ ^"'*' ^^^^^ encore à porter un jugement réfléchi et impar-
tial sur cet édit. Ses eflets immédiats furent salutaires. En 1598
et 1599, il sauva l'État d'une nouvelle conflagration, devint
le gage de la paix et de la prospérité publiques. Durant le
reste de ce règne, il resta pur de tout excès, n'engen-
dra aucun trouble : Henri contint les calvinistes par sa
puissance, par l'ascendant de sa gloire, par l'obéissance et
l'amour de la nation, dont il sut s'entourer et s'appuyer.
Mais il faut examiner les principes mêmes de l'édit, et,
jetant un regard sur l'avenir, voir quelles conséquences il
entraîna bientôt à sa suite. Les réformés restaient constitués
en parti qui avait ses assemblées politiques, ses finances, ses
nombreuses places de défense, sa force militaire, tout ce
qui était nécessaire pour résoudre et pour agir contre le
corps de la nation, le jour où ils se laisseraient égarer par
l'esprit de faction ou par l'ambition de leurs chefs. L'édit de
Nantes était donc plus funeste que les traités avec la Ligue,
puisque les traités ne concédaient que de l'argent et des
charges en viager, tandis que l'édit contenait Taliénation
d'une partie do la sduvoraineté nationale. L'engagement était
ÉDIT DE MANTES. 373
à terme, il est vrai, mais le terme arrivé, la couronne fut
hors d'état, même sous Henri IV, de retirer des mains des
huguenots le gage qu'elle leur avait livré. Si ce prince les
réduisit à n'en point abuser, ce fut par des moyens inhérents
h sa personne, mais étrangers à l'autorité royale. Sous son
successeur tout changea : dès que le gouvernement eut faibli,
les réformés employèrent les forces dangereuses dont ils
disposaient à un soulèvement et à deux guerres civUes. Ce
résultat suffirait seul pour montrer les vices de leur consti-
tution politique.
On les saisit bien mieux quand on voit qu^elle ne iMx>tégea
ni leur existence comme parti, ni leur liberté civile et reli-
gieuse comme citoyens ; qu'elle ne leur sauva ni la prise de
La Rochelle, ni la révocation de Tédlt de Nantes. Les réfor-
més commirent une faute énorme en cherchant leur point
d'appui et leur sûreté dans leur force matérielle, laquelle ne
pouvait jamais être que médiocre, puisqu'ils formaient la
minorité, et la très faible minorité de la nation. Leurs véri-
tables garanties résidaient dans des moyens qu'ils négligèrent.
Ils devaient avant tout rester sévèrement étrangers aux sédi-
tions, et convaincre la France qu'elle n'avait rien à redouter
d'eux. Us devaient se concilier les catholiques par l'union
des familles au moyen des mariages ; accroître leur influence
par les services rendus dans les emplois civils, les grands
services mtérieurs du gouvernement, les négociations et les
amlxissades; agir incessamment sur l'opinion publique par
les écrits, la gagner et la mettre de leur c6té. Ces moyens
leur étaient faciles, car, de l'aveu même de leurs ennemis,
ils avaient, au xvi* siècle, conquis la supériorité intellec-
tuelle, et U ne s'agissait pour eux que de la conserver. Sans
sortir des probabilités , on peut croire qu'ils auraient ainsi,
à force de services et de raison, élevé à leur liberté civile et
religieuse un solide rempart contre le despotisme et l'aveugle
intolérance de Louis \IV.
Nous avons relevé dans l'édit de Nantes ses vices et ses
conséquences funestes, voyons maintenant ses sérieux avan-
tages , ses importants et salutaires effets. lie principe de la
tolérance religieuse proclamé par Lhospital et inscrit par lui
le premier dans notre législation, était resté, malgré ses géné-
reux efforts, l'exception et non la règle. Mis en pratique durant
37/ii UlSTOinK DU RÈGNE DE HENRI IV.
de faibles intervalles, quand la nécessite commandait, il avait
été habituellement combattu avec fureur par les peuples et
par les rois : il notait passé dans les usages ni de la nation ni
du gouvernement. L^édit de Nantes donna k ce principe la
force et la durée dont il avait manqué Jusqu^alors : par sa
vertu propre , par son efficace puissance , il assura aux ré-
formés, pour près d'un siècle, la liberté civile et la liberté de
conscience. La merveilleuse sagesse de Richelieu vainqueur
rayant respecté dans sa partie religieuse, en lui enlevant sa
partie politique, parasite et dangereuse annexe, le mit à Té-
tât de loi pure qui protégeait une classe entière de citoyens,
sans dommage pour la chose publique. Par un excès sans
nom de Tabsolu pouvoir, Louis XIY put bien révoquer Tédit,
proscrire les calvinistes, et frapper ainsi la France d'une plaie
plus profonde que toutes celles que lui flrent les désastres
réunis de la fin de son règne. Mais le scandale surpassa en-
core le mal. Ce fut, au moment même, une clameur et une
malédiction dans TEurope entière. Ge fut plus tard en France
une réclamation permanente, passionnée, de la raison et de
la Justice, contre Tintolérance de cet acte inouï. L'édit de
Nantes servit peut-^tre autant au triomphe définitif de la li-
berté de conscience par sa suppression que par ses quatre-
vingt-six années d'existence. Une chose bonne et salutaire ne
dure pas impunément un siècle au sein d'une nation. Quand
on la rase au sol ^ elle vit dans ses racines, et pousse bientôt
après au dehors des rejets d'une telle vigueur, que nulle
main humaine n'a plus la puissance de l'arracher. •
CHAPITRE VIIL
Gaerre de SaToie. Dirorce et mariage da roi.
Rapporu Après avoir chèrement acheté par l'édit de Nantes la paix
du duc intérieure, au moins pour le moment , Henri reporta sur les
''"la "frln^!**^ rcUitions extérieuH» sa sollicitude et son activité. Par les di-
vers traités conclus de 1594 à 1598, il avait terminé les dif-
férends de la France avec le duc de Lorraine, le pape, le roi
d'Espagne» et dissous la coalition formée originairement pour
GlElin£ DE SAVOIE. 375
ia conquête et le partage du royaume. Lcn dangereuses dif-
ficultés dont la Ligne avait surchargé son r^gne n^étaient
cependant pas tontes résolues , et il restait à vider la vieille
querelle que nous avions avec le doc de Savoie.
De tous les voisins de la France, le duc de Savoie s*était
pendant douze ans montré le plus hostile et le plus injuste.
Les comptes que nous avions à lui demander étalent inflnis. A
la lin du règne de Henri III, en pleine paix, il nous avait enlevé
le marquisat de Saluées : c'était un brigandage. Durant les
cinq premières années du règne de Henri IV, U avait envahi
et cherché à nous arracher le Dauphlné et la Provence, sans
pouvoir alléguer d'autres raisons que celles de sa convenance
et de son avidité. Henri, par amour de la paix, renonçant à
la vengeance de tant d*injures, se bornait à réclamer son
bien, le marquisat de Saluées.
En ce qui concernait le marquisat , la France avait pour
elle, outre la possession jusqu'en 1588, le droit et les traités.
Le traité de GAteau-Cambrésis l'avait déclaré partie inté-
grante des possessions françaises, et le traité avait servi de
base à celui de Vervins, dans lequel le duc de Savoie s'était
trouvé heureux d'être compris, grâce à l'intervention du roi
d'Espagne , son beau-père. Il était donc obligé à restitution
par le droit commun et par deux traités dont l'un était signé
par lui-même ^
Ce qu'il était tenu de rendre, il prétendit le garder : la j„'f df^f^î?*-
lutte qu'une politique éclairée l'engageait & éviter avec le compiou
plus grand soin , il l'affronta. Voici par quelles espérances ~"^ " *• '"**
vaines et quels faux calculs II fut conduit h cet Imprudent
éclat. Il imagina d'abordque, pour garder le marquisat usurpé,
il ne s'agissait que de gagner du temps, attendu que, dans le
cours des négociations et des pourparlers , s'ils se prolon-
geaient, n surviendrait nécessairement des Incidents qui l'af*
franchiraient de l'obligation de se dessaisir. En conséquence.
Il parvint ft faire insérer dans le traité de Vervins que le pape
Oément VIII prononcerait comme arbitre entre loi et le roi
de France au sujet de la possession du marquisat de Salu-
ées (1598). Il refusa ensuite les conditions les plus équitables,
■ L« dar de Saroie rattfi» le traite deTerviat, leff juin 1506 (Thuanug,
I. en, t. Sill, p. 911, Iradsclioo).
376 HISTOIRB DD RÈGNE DE HEIIRI IV.
en proposa chaque jour de nouvelles, et fatigua tellement le
pape, que le pontife renonça au compromis fait entre ses
mains (1599). Le duc annonça alors qu'il traiterait lui-même
avec le roi, et il se transporta en effet à sa cour au mois de
décembre 1599. Depuis le traité de Vcrvins, il s'était main-
tenu vingt mois dans la possession du marquisat, en tempo-
risant : il se flatta de le conserver à jamais en troublant la
France par ses intrigues. Il gagna Biron, déjà perdu d'am-
bition et de ressentiment contre Henri , en lui promettant
Tune de ses filles en mariage et la souveraineté de son gou-
vernement de Bourgogne ; il débaucha du roi quelques sei-
gneurs de la cour, qui , selon de Thon, n'étaient que trop dis-
posés à la révolte, suite presque infaillible des guerres civiles.
Il s'attacha encore par ses largesses plusieurs membres du
conseil, notamment le chancelier Bclliëvre. Il partit de France
après avoir signé un traité aux termes duquel il s'engageait
à restituer le marquisat de Saluées , ou à céder en échange
la Bresse, le Bugey, le pays de Gex et le val Uomey. Mais il
obtenait encore trois mois de délai pour se décider : durant
ce laps de temps, il espérait que la persuasion ou la force
mettraient le roi dans l'mipossibililé de rien réclamer de lui.
Aussitôt après son départ, ses partisans à la cour de France
commencèrent à répandre partout que la garde et la défense
du marquisat de Saluces coûteraient six fois plus que celte
principauté ne rendrait de revenu ; que l'alliance du duc
de Savoie était incomparablement préférable au recouvre-
ment du marquisat ; que si le roi employait la force des armes
pour se faire justice, il trouverait pour adversaires, outre le
duc, le roi d'Espagne et tous les alliés de l'Espagne; que la
France, à laquelle le traité de Vervins venait à peine de
rendre la paix, serait rejetée dans une guerre terrible contre
la moitié de l'Europe. En môme temps, le duc de Savoie re-
nouait ses relations avec l'Espagne , et recevait du comte de
Fuentes, gouverneur du MUanez, l'assurance qu'il serait se-
couru de toutes les forces du roi catiiolique s'il voulait rom-
pre le traité qu'il venait de conclure. H cherchait d'un autre
côté à se ménager une puissante diversion en France et à
enchaîner Henri dans ses États par une révolte, s'il quittait
les négociations pour la guerre. A son instigation, Biron
traita avec le comte de Fuentes et les Espagnols , et après
GLERRE DE SAVOIE. 377
avoir engagé dans son complot quelques uns des grands sei-
gneurs , il promit de faire soulever une partie du royaume
contre Henri, au moment où celui-ci en viendrait k une rup-
ture avec le duc de Savoie. Dans certaines éventualités, la
révolte pouvait prendre des proportions redoutables, parce
que Biron, gouverneur de la Bourgogne, se trouvait en po-
sition de recevoir sans obstacles les troupes que l'Espagne
lui enverrait de la Franche-Comté qui touchait à cette pro-
vince, de la Savoie et du Milanez qui en étaient si voisins, et
que le comte de Fuentes rassembla bientôt dans le Milanez
jusqu'à ùO,000 hommes. Le duc de Savoie, faisant allusion
ù la réussite et au progrès de ses intrigues auprès de Biron
et des seigneurs ses complices, disait qu'on ne pourrait effa-
cer qu'avec IVfiée les traces profondes que son passage avait
imprimées en France ^
Les considérations de prudence que les partisans du duc Guerre contre
de Savoie en France faisaient valoir auraient ébranlé un roi ^^^ de Sutoîe.
faible, les complots de Tintérieur Tauraicnt mis en périL Une
seule considération frappa Henri, c'est que son honneur et
celui du pays exigeaient qu'un petit prince ne retint pas ce qui
leur appartenait, et ne les bravât pas par ses ruses, ses ter-
giversations , ses délais sans (in. Il résolut donc d'abord de
le mettre à ses pieds par la force. En examinant avec atten-
tion les conséquences que le parti de la vigueur entraînait à
sa suite, il se convainquit qu'il n'imposait nullement a la
France une guerre contre TKspagne et contre une partie de
l'Europe. Le nouveau roi d'Espagne, Philippe 111, était aussi
timide de cœurque faible d'intelligence; ses finances étaient
très embarrassées : son premier ministre, le duc de Lermc,
entendait employer les sommes restreintes dont la couronne
pouvait encore disposer, non pas ù guerroyer, mais à s'enri-
chir. Henri était donc assuré qu'ils i-esteraient sourds aux
prières du duc de Siivoie, aux provocations du comte de
F4ientes \ L'armée que lèverait le roi s^'rvirait à la fois à
écraser le duc de Savoie, et à tenir eu respect liiron et les
seigneurs ses complices qui n'oseraient en venir à une ré-
• Pour cei deux paragraphes, Tliuanuf , I. cx\, CKXiif, CXXT, t. Xiil» d«
U Iradiichou, p. ill, 454-445, bil-lAiO, — SuUy, OE<on. rov., c. U4.tMi.
l. I, p. \io A, r>«», 330. J » . .
' 5uU7« Ubcou. roy., c. 96, t, i, p. 331 A.
378 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
voltc ouverte. Il s^agissait seulement que cette armée fût
forte, commandée par un chef sur la fidélité duquel Henri pût
compter et suffisamment pourvue d'artUleric et de munitions
pour une guerre où les sièges devaient jouer le rôle princi-
pal. En effet, les États du duc de Savoie .étalent hérissés de
vUles qui toutes pouvaient attendre Tennemi , et garnis des
deux places de Bourg et de Montmélian qui comptaient
parmi les plus fortes de TEurope.
La prudence de Henri aplanit les difficultés et pourvut
à tous tes besoins. Biron, en sa qualité de maréchal-général
des camps et armées , avait seul commandé jusqu'alors aux
forces rassemblées par le roi : Henri avait des renseignements
certains sur ses tramés, mais il n'avait pas de preuves; et
jusqu'à ce qu'il en eût, il ne pouvait éloigner des années ce
chef que ses talents et ses services avaient rendu populaire,
sans soulever contre lui toute la noblesse et même toute la
nation. Dans cette situation difficile, Henri usa de tempéra*
ments adroits. Pour la guerre de Savoie, il partagea le com-
mandement entre Biron et Lesdiguières : il remplit la division
confiée à Biron d'officiers dont la fidélité, aussi bien que la
valeur, était éprouvée , et qui devaient neutraliser le mau-
vais vouloir et la trahison de leur général, dès qu'ils se pro-
duiraient Le roi écarta de la grande maîtrise de l'artUlerie
le vieux d'Estrécs qui manquait de l'activité et de l'habileté
réclamées par les circonstances, et il investit Rosny de ces
importantes fonctions. Pour Rosiiy, le renouvellement pres-
que complet du corps des officiers d'artfilerie, dont U chassa
près de cinq cents incapables, la fonte de /|0 nouveaux ca-
nons et de 6,000 boulets , la fabrication de 120 mlUlers de
poudre, furent l'affaire de quelques mois, et le transport d'un
Immense matériel de siège à Lyon et à Grenoble , celle de
quelques jours. Gomme il joignait alors la surintendance
des finances à la grande maîtrise de l'artiUerie , fi appUqua
pour quelque temps tous les revenus pubUcs aux dépenses
de la guerre et à la solde de l'armée, qu'U quadrupla par des
recrues faites subitement dans toutes les provinces. Le roi
qui, au mois de janvier 1600, n'avait que six canons en état,
presque pas d'armes ni de munitions, et qui ne comptait que
huit mille dnq cents soldats, au mois de septembre de la même
année, se trouva à la tête d'une armée de 23«000 hommes,
GUERRE DE SAVOIE. 879
portée bientôt à 30,000, pourvue d'une artillerie formidable
et d*approviâionnenients immenses *.
Le mois de juin 1600 étant arrivé, terme fatal ûxé an duc
de Savoie pour la cession du marquisat de Saluées ou celle
de la Bresse, ce prince éluda de nouveau ses promesses, et
mit en avant d*autres conditions. Henri se rendit à Lyon et
se prépara à entrer en campagne. Le duc feignit alors d*en
revenir aux idées d'accommodement, et 11 dépécha au roi
des ambassadeurs chargés en apparence de lui donner satis-
faction. Mais il leur avait ordonné d'élever sur les articles du
traité des dilDcultés si nombreuses, que les négociations
consumassent les derniers mois de Tannée, après quoi il rom-
prait de nouveau. Son but et son espérance étaient d'ajour-
ner les hostilités jusqu'au commencement de l'hiver : les
opérations d'une guerre faite en Savoie dans cette saison
devenant extrêmement difficiles, parfois même impossibles,
le roi ne retirerait de sa campagne que des revers ou des
lenteurs ruineuses pour ses finances , se dégoûterait de la
lutte contre le duc, et la terminerait sans le contraindre à
restitution. Son étoignement de la France, l'Insuccès de son
entreprise, fourniraient peut-être aussi à Biron, et aux sei-
gneurs qui conjuraient avec lui, Poccasion d'éclater et de se jeter
dans une révolte ouverte. Henri se laissa tromper quelque
temps aux artifices du duc cachés sous un vernis de fran-
chise. Il crut ci sa soumission, et pour épargner à la France
d'énormes dépenses inutiles, il ordonna à Uosny de sus-
pendre tous les préparatifs de la guerre, tous les envois de
munitions et d'approvisionnements. Rosny, mieux servi par
ses émissaires, avait été plus tOt instruit que le roi lui-même
des véritables intentions du duc de Savoie ; comprenant le
devoir d'un vrai ministre, il n'hésita pas à résister et k déso-
béir à son maître pour le mieux servir^ Il lui écrivit :
Sire, je vous supplie très liumblement de m'exciMcr, ti je con-
trarie vos opinions, et contreviens à vos commandements. Je sçals
de science que M. de Savoye ne veut que tromper, à quoi beau-»
coup de ceux qui sont auprès de vous ne lui nuisent pas, et ne
deoiande qu'a gagner l'hiver. C'est pourquoi j'avancerai UNites
• Sully, OEcop. roT., c. 93 i Ib fin, 04, ÎW, 1. 1, p. 5M B, 313 B. 330 A.
SSI B. — Thiiunas. I. cxxv, t. xm, p. 5« de Ift Uaductloo. — LeUrt da
rot du 3 teplrmltre, t. V, p. 29t>.
380 iiisTOini: do règne de uemai iv.
chosest el me rendrai près de vous dans quinze jours, bien fourni
de toul ce qu'ii faut pour vous empéclier de recevoir ni lionte ni
dommage.
Henri, éclairé quelques jours après sur la mauvaise foi
du duc par la conduite de ses ambassadeurs, répondit alors à
son verluetix serviteur :
Mon ami, vous avez bien deviné, car M. de Savoye se moque
de nous : partant venez en diligence, et n*oubliez rien de ce qui
est nécessaire pour lui faire sentir sa perfidie. Adieu '•
Henri et Rosny s^étant mis d'accord et ayant uni leurs con-
seils, leurs talents et leurs efforts, la lutte commença sans
que Tissuc pût désormais en être douteuse. Le il août, le
roi donna à Lyon une déclaration dans laquelle il protestait
quMl avait épuisé tous les moyens et toutes les condescen-*
dances pour ne pas rompre la paix de TEurope, et pour
amener le duc à restituer ce qui appartenait à la France;
que désormais il ne lui restait que la voie des armes pour
arracher par la force ce que Téquité n*avait pu obtenir de
son ennemi. Il annonçait en môme temps qu'il respecterait
et protégerait tous les sujets de la Savoie qui ne s'arme-
raient pas contre lui, et donnerait à la guerre un nouveau
caractère en lui ùtant ses violences, ses rapines et ses sacri-
lèges 2. Le jour même où il donna celte déclaration, il partit
pour Grenoble, ordonna ù Biron et à Lesdiguièrcs de com-
mencer les hostilités, et se prépara à les seconder lui-même.
Les États du duc de Savoie étaient partagés en trois
grandes divisions territoriales. Dans la première, comprise
entre la Bourgogne et le Uhùne, se trouvaient la Bresse
* Lettres missives de Henri IV, en date des 9 et 96 iutn, dc« 1, S, li,
44, 18, 30|uillet, 8 noât^ t. v, p. »9, ^4, 345. 346, «50, S51, S6S, 354,
963. t69. — Sully, OEcon. roj., c. 96, t. l, p. 333 A. — P. Cayct. Chroo.
seplen., I. m, p. 107 B, le texte des dernières condiliont proposées pur
le duc de SaToie, puis repoussées per lui. — D'apris le récit de Sully, le
billet du roi que nous citons dans le texte trouva Sully à Monlargis, se di-
rigeant vers la Savoie, mais n^clant pas encore entié dans ce pays (OEcun.
roy., c. 96, p. 333 A). 11 assista et contribua A la reddition du chftleau de
Cliambéry (OËcuD. roy., p. 333 B) : celte reddition eut lieu le 31 août 1600
(Lettres tnisstv., t. v, p. 384). Donc le billet dn roi est d'une date anté-
rieure, quMl faut placer dans la première moitié da mois d'août, et non ^
dans le mois de novembre. 11 est probable qu'il y u erreur dans l'énonce
du lieu oti le billet fut écrit.
* P. Cayct, ChroQ. seplen., I. ui, p. 107 D, 108. — Tbuanus, I. cxxt,
t. Ziu. p. 51 'J.
GUERRE D6 SAVOIE. 38L
ayant Bourg pour capitale, le Bngey, le pays de Gex, le val
Romey : à cette division peut se rattacher le fort Sainte-Cathe-
rine, élevé par le duc à deux lieues de Genève, à Tefiet d'in-
quiéter cette république, et de favoriser les entreprises quMl
renouvelait incessamment pour la surprendre et la subjuguer.
La seconde division se composait de la Savoie proprement dite,
située en deçà des Alpes, et où Ton distinguait les provinces
de Tarentaise et de Maurienne ; la capitale était Ghambéry. La
troisième division était formée au delà des Alpes par le I^é-
mont, ayant Turin pour capitale. Bourg était la place la plus
forte en même temps que la capitale delà Bresse; Montmélian
en Savoie était Tune des plus fortes places de toute TEurope.
La Savoie possédait encore plusieurs villes ou châteaux soi-
gneusement fortifiés : Gonflans, qui défendait l'entrée de la
Tarentaise; le château de Charbonnière, clef de la Maurienne,
réputé inexpugnable et m^me inaccessible; le château de
Miolans, les forts de Briançon et de Saint-JacomonL
Henri fit attaquer les Ëtats du duc sur deux points à la
fois : du côté de la Bresse par Biron, du côté de la Savoie
par Lesdiguières. Biron porta son corps d'armée sur Bourg
le 13 août, deux jours après la déclaration de Lyon. Confor-
mément aux honteux engagements qu'il avait pris avec le
duc, il avertit le gouverneur de Bourg de la prochaine at-
taque des Français. Cette trahison fut inutile : les troupes
royales, arrêtées par un obstacle imprévu, se présentèrent
devant la place à un moment où le gouverneur ne les
attendait plus , et surprirent la garnison : les ofDciers
qui entouraient Biron, tout dévoués au roi et à Rosny, en-
traînèrent leur général à une attaque qui réussit, malgré lui,
par leur intrépidité et leur intelligence des opérations mili-
taires, lies portes cédèrent à l'explosion d'un pétard qu'on
y attacha, la ville fut prise, et le siège de la citadelle com-
mença aussitôt ^
L'attaque contre la Savoie eut lieu presque en même temps.
Elle prit tout le monde au dépourvu : le duc comptait sur
ses intrigues, les gouverneurs et les habitants se reposaient
sur les négociations ; ils furent frappés de surprise et d'époiH
< Letlres miMirrs «les 14 et t6 aoùl, 1. v, p. S73. 174. — SaUj, OEcoa.
roy., r. UG, 1. i, p, X5à^ 533. — Thuuuus, 1. cxxv, t. xili, p. oiO, 5SI,
Iraiiuction. — H. Cojtl, Cbron. Mpten., 1. in, t. Il, p. 108,
S89 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI Vf,
vante. Le 17 août, ravant-^rde de Lesdiguières emporta d'as-
saut la ville de Montmélian, la forteresse restant à réduire.
EUe enleva ensuite les faubourgs de Chambéry, capitale de la
Savoie, et se logea aux portes de la ville. Le roi, accouru le
premier avec sa noblesse sur le tbéâtre de la guerre, se mit à
la tête de cette avant-garde, somma hardiment Ciiambéry de
se rendre, et obtint sa soumission (20 août). La garnison,
retirée dans le château, voulait s'y défendre ; mais cette ré-
solution ne dura pas plus d'un jour. Lesdiguières venait d'ar-
river avec le gros de l'armée, et Rosny avec une partie du
matériel de guerre qu'il avait préparé de longue main : une
batterie de huit canons, dressée contre le château, consterna
la garnison et l'amena à capituler (21 août). La terreur des armes
du roi s'étant dès lors répandue partout, la résistance, du côté
de l'ennemi, ne fut plus que l'exception. Conflans qui défend
l'entrée de la Tarentaise, et Miolansqui en est proche, quoique
pourvues de fortes garnisons , n'attendirent pas un premier
assaut pour se rendre. Le château de Charl>onnière, qui est
la clef de la Maurienne, fort de son assiette exceptionnelle,
crut pouvoir tenir bon. Il était placé sur un roc inaccessible
et bien garni d'artillerie et de munitions. Quelques montagnes
le dominaient, mais tellement abruptes, que c'était tout ce
que pouvait faire un honune à pied que d'y monter; pour
arriver au sommet, il fallait de plus passer devant le
château et essuyer son feu. Il paraissait insensé de songer à
conduire du canon en pareil lieu. Toutefois Rosny, profitant
d'une nuit obscure et pluvieuse, détournant habilement l'at-
tention et l'eflort des ennemis sur un autre point, faisant
traîner et souvent porter ses canons à force de bras par
quatre cents soldats, établit une batterie de douze canons au
sommet d'une montagne qui commandait la place, tira contre
le fort jusqu'à six cent trente-sept coups en quelques jours,
et contiraignit la garnison à capituler aux conditions qu'il lui
convint de lui imposer (2 septembre). L'entrée de la Ta-
rentaise étant ouverte par l'occupation de Conilans, et celle
de la Maurienne par la prise de Charbonnière, la conquête
marcha avec une prodigieuse rapidité. Lesdiguières soumit
d'abord Saint-Jean-de-Maurienne, puis ensuite toutes les
places de la vallée jusqu'au inont Genis. De là il entra dans
hi Tarentaise, et prit successivement Moustiers, capitale du
GUERRE DE SAVOIE. 383
pays et les forts de Briançon et de Saint-Jacomont. H ne restait
plus dans toute la Savoie propre que la citadelle de Mont-
mélian qui n'cilt pas subi la loi du roi K
Henri laissa la conduite honoraire du siège au comte de Sois^
sons, la conduite eflecti ve à Lesdiguières et à Rosny, et alla faire
un voyage dans la Bresse et le Genevois pour presser les opéra-
tions de la guerre et surtout pour surveiller la conduite et les
desseins de Biron. Cinq lettres de Biron, saisies plus tard, mais
écrites à cette époque, prouvent manifestement ses intelli-
gences de tous les jours avec le duc de Savoie et avec un
certain nombre de grands seigneurs de la oour conjurés tous
ensemble. Tant que le maréchal n'avait été poussé que par
ses ambitieuses espérances et par le dépit de n'avoir pas
seul conduit la guerre de Savoie, il ne s'était attaqué qu'à
l'autorité de Henri. Mais quand le roi, qui en savait déjà
assez pour ne plus compter sur sa fidélité, lui eut refusé le
gouvernement de Bourg et de la citadelle après qu'il l'aurait
réduite, sa fureur ne connut plus de bornes, et il forma le projet
d'attenter à la vie du prince. Un soldat enfermé dans le fort
Sainte-Catherine, honune d'une adresse éprouvée, reçut de
Biron le signalement exact du roi, et fut chargé de le tuer d'un
coup de mousquet an moment où Biron conduirait Henri à la
reconnaissance du fort. Toutefois, au moment de l'exécution,
le maréchal recula devant l'énormité de cet acte, et détourna
l'accomplissement du crime dont il était complice, en empê-
chant Henri d'approcher assez près des murailles pour être
atteint. Au moment où le roi n'échappait à une mort cer-
taine que par le hasard d'un remords, il conservait toute
son affection pour Biron ; il le priait, le pressait d'éloigner
de lui le traître iafin, son agent et son intermédiaire auprès
du duc de Savoie, et d'échapper ainsi au déshonneur et à la
rume \ l^lalheureusemcnt Biron fut sourd à la voix de son
* LeUrri mtutvr» dfi SO. 99, t7 aoAl, dci S, 9. 10 sepUmbre, t. T,
p. 98a, iS4. 291 , 91«. 999, 300, SOI. U y a nne diflVrrnre de quelquct
jouri |>our les dul«*t de la pris** de ces placrt entre les leltret mUsives
et le tecil des hisluriens rontemporains. — Sully, ORroit. roy.. c. 96, l. i,
t. r^SS B, 3!(i-3r>S. — Buftsompierre, Mém., t. vi, «ir ^ér'u*, p. 9S-ft4. — >
.Cayet, Chron. srptcn.. I. m. t. n. p. 109, 110. ~ TbuaDus, I. CXXT.
I. xiiî, p. Ml, bS>y KiS de U iradaction.
* Th Mil nus. 1. cxxr. t. xiii, p. .%d6-.'>!i9. — Sully, OF.con. roy., c. 97,
I. I, p. &i3, S44 A ; c. 96, p. .>4i B. — P. Ctyet, Cbroa. septen., I, m,
t. II, p. m B.
38/i HISTOIRE ne RÈGNE DE HENRI IV.
souverain, resté son ami malgré la connaissance qu'il avait
de ses intelligences avec les ennemis de TÉtat, et poussant
ainsi la clémence peut-être jusqu'à Texcès, certainement
jusqu'à riiéroismc.
De retour en Savoie, Henri trouva le siège de la citadelle de
Montmélian fort avancé par la prodigieuse activité et Tintelli-
gence de Rosny. Toutes les difficultés naturelles que l'assiette
des lieux présentait à Charbonnière se retrouvaient plusgrandes
et plus nombreuses encore à Montmélian. Cependant elles
avaient toutes été surmontées. Rosny avait élevé autour et au-
dessus de la forteresse jusqu'à huit batteries,' formant une
masse de cinquante canons, qui foudroyaient incessamment la
place et ne laissaient à la garnison que l'alternative de s'ense-
velir sous les débris ou de se rendre. Le gouverneur capitula
le 16 octobre, s'engageant à remettre la citadelle au roi un
mois plus tard, si, durant ce laps de temps, le duc de Savoie
ne s'avançait pas avec une armée capable de faire lever le
siège. Le duc était resté jusqu'alors à Turin, attendant que la
conspiration de Biron éclatât, que la surprise de Marseille,
dont on l'avait flatté, s'effectuât, et que ces événements, fai-
sant pour lui la guerre au roi , arrachassent violemment ce
prince de la Savoie et le contraignissent à rentrer dans ses
États pour y combattre des ennemis intérieurs. Déçu dans
toutes SCS espérances, le duc rassembla quinze mille soldats
et les conduisit jusqu'à Aoste pour secourir Montmélian. xMais
il n'osa en venir aux mains avec l'armée du roi, et la place
se rendit le 16 novembre. Henri, décidé à enlever au duc
toutes ses possessions en deçà des Alpes, se porta dans le Ge-
nevois et commença le siège du fort Sainte-Catherine. La
garnison, épouvantée de l'appareil de forces déployées contre
elle, rendit la citadelle sans même essayer de la défendre
(commencement de décembre). Il ne restait plus au duc que
la citadelle de Bourg, et malgré le courage du gouverneur,
on pouvait fixer déjà le jour où le roi le contraindrait à
capitulera
Traita Bvee u Réduit à ces extrémités, le duc renonça enfin aux tcrgî-
tluc de Stvoir.
• Sully, OEcon. roj., c. 97, 1. 1, p. 330-»*». — Lcltrf» mUtivcs des 19,
20 octobre, J novembre, t. V, p. 3i5, 5Î6, 348, SÔ7. — P. Cayel, Cbrnn.
ftepUn.. 1. m, l. Il, p. 1H-H5. — Thuanuf, l. cxtsv, t. xiii, p. ÏB5, 5»,
b3i, 533, 537, 558.541 de la traduction.
GUERRK DE SAVOIE. 385
versations, implora sérieusement la paix, et chargea le légat
du pape d^en stipuler les conditions. Pendant les négocia-
tions, Rosny, au moyen de la mine, fit sauter les fortifications
du fort Sainte-Catherine; les Genevois en enlevèrent les ma-
tériaux ; il ne resta même pas trace de celte citadelle, et
Genève fut délivrée du siège perpétuel dans lequel le duc
Tavait tenue si longtemps. La paix fut signée le 17 janvier
1601. Aux termes du traité, le duc conserva le marquisat de
Saluées. Il céda au roi la Bresse, le Bugey , le pays de Gex,
le val Romey , avec la citadelle de Bourg, qui se défendait
encore. Il paya au roi 300,000 francs, et lui abandonna
rartillerie et les munitions dont il s'était emparé dans les
villes conquises par lui en Savoie ^
Ainsi la France rentrait et au delà, par un équivalent ,
dans rintégrité de ses possessions : les frais de la guerre
qu'elle venait de soutenir étaient couverts ; les places du duc
de Savoie , son ennemi , restaient désarmées et pour long-
temps incapables de défense. La France, au contraire, en
Incorporant à son territoire la Bresse et le Bugey, étendait sa
frontière de trente lieues, s'avançait jusqu'au Khône, et obte-
nait ainsi Tune de ses limites naturelles ; de plus, elle couvrait
ses frontières de Bourgogne et de Lyonnais contre l'Espagne
et contre la Savoie, par l'occupation de deux pays nouveaux et
de la forte place de Bourg. Il était impossible à Henri de termi-
ner plus glorieusement et plus avantageusement pour le pays
sa lutte de onze ans contre quatre princes conjurés à son avè-
nement pour le perdre lui-même et pour asservir le royaume.
L'expédition de Savoie donna lieu à un cliangement con-
sidérable dans le système de la guerre. Henri et llosny
étaient convaincus tous deux, comme ils l'avaient prouvé à
Coutras, à Arques et à Ivry, que le principal et presque in-
faillible moyen de succès à la guerre était le développement
sur une grande échelle de l'artillerie et du génie militaire.
Mais depuis l'avènement de Henri ils n'avaient pu mettre ce
principe en pratique que dans quelques circonstances rares,
exceptionnelles. L'artillerie et le génie coûtent cher et de-
• Sally, OEcon. roy., r. M. t. i, p. 3iS B-348. — P. Cayal, Chroo.
Mplcn., I. nr. t. 11, p. 13t«irt8, le tc&U (lu iTHiU* — Thuaoua, I. CXXT,
t. Xiu, p. 06t -Sn, tradnclioD.
25
386 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IT.
mandent des finances en bon état ; ils exigent chez les oiTi-
ciers dos connaissances qui ne s'obtiennent que par de lon-
gues et sérieuses études ; ils veulent enûn être soumis à la
direction d'hommes spéciaux et supérieurs dans ces deux
armes. Aussi les sièges de Paris et de Rouen avaient échoué;
les sièges de La Fère et d'Amiens avaient duré plus de six
mois. Tout cela changea dans TexpécUtion de Siivoie : la for-
teresse de Charbonnière, capable d'arrêter une armée', ne
résista que dix jours; le siège de Montmélian, l'une des plus
fortes places de l'Europe, ne se prolongea pas au delà de deux
mois. Le duc de Savoie, comptant sur la difficulté des lieux, sur
la rigueur des saisons, sur le soin avec lequel il avait fortifié ses
villes, sur les allures de la guerre depuis dix ans, même quand
elle était conduite par un aussi grand capitaine que Lesdiguières,
avait dit que, « quiconque l'attaquerait dans son pays, il lui
M donnerait de l'occupation et de la besogne pour quarante ans. »
Et voiià, comme le remarquent les contemporains, que tout
avait été, sinon terminé, au moins décidé en quarante jours 2.
Quel prodige avait ainsi changé soudainement et perfectionné
Fart de la guerre 7 Uosny, nommé surintendant et grand-
mattre de l'artillerie, avait, par les réformes déjà introduites
dans les finances, rendu à l'État une partie de ses ressources;
il avait de plus appliqué aux entreprises militaires ses talents
et son expérience. Il faut observer , en effet, qu'en diri-
geant les opérations qui mirent Charbonnière et Montmélian
an pouvoir des Français. Rusny, dans l'artillerie et dans ic
génie militaire, fit preuve d'une capacité que l'on ne retrouve
plus à tm degré pareil que chez les plus grands tacticiens
du siècle de Louis XIV. Malgré tous les perfectionnements
apportés à Part de la guerre depuis le XVL* siècle, nous som-
mes convaincu que les militaires liront toujours avec fruit
les chapitres 96 et 97 des Économies royales, où Sully ra-
conte les sièges de Charbonnière et de Montmélian, parce
qu'il y a des choses qui ne cliangent pas : ce sont les règles
générales d'un art, et chez ceux qui le pratiquent, le coup
d'œil, les combinaisons de génie, la volonté puissante qui
vient à bout de tous les obstacles, et souvent les tourne
contre l'ennemi.
* P« Oayel, Chron. Mplen., 1. m, I. ii, p. HO A, i la fin.
* P. Cajel, Chron. Mpleii.« U iii« 1. Il, p. US A« $ 3.
DIVORCE ET MARIAGE J>V ROI. 387
La guerre de Savoie, comme la guerre d'Espagne, avaient Dirorce du roi
donné raison à la France contre tous ses ennemis du dehors, deMarguerii»
et cependant son repos n'était pas encore assuré. La trans- ^ Vaiois.
mission du pouvoir, si nécessaire à la paix publique, restait
incertaine et précaire. Bien que la maison de Bourbon
comptât alors, en dehors du roi, quatre branches de princes
du sang, les parlements et tous les corps de TÉtat sentaient
que la consolidation de la grande oeuvre de Henri dépendait
en partie d'une descendance légitime qu'il pût laisser au
pays après lui. La succession collatérale, qui avait pour elle
le droit et les précédents , ne pouvait avoir la puissance et
l'autorité de la succession directe. C'était Henri, et non
quelque prince du sang, qui avait arraché la France aux fac-
tions et à l'étranger ; c'était lui seul qui avait donné le trône
à la maison de Bourbon. L'avènement des Bourbons à la cou-«
ronne était donc trop récent et trop personnel à Henri, les
prétentions et contentions entre le jeune prince de Condé et
les autres princes du sang étaient trop préparées ^ pour que
des troubles ne fussent pas à redouter, si la couronne ne pas*
sait pas de la tête de Henri sur celle de l'un de ses fils. 11
était séparé de sa femme, Marguerite de Valois, depuis qua •
torze ans, et la conduite de Marguerite avait rendu cette sé-
paration forcément irrévocable : d'ailleurs, elle avait passé
1 âge où elle pouvait lui donner des enfants. Ceux qu'il avait
eusdcCiabriclle d'Estrées pouvaient bien, comme Dunois, faire
une souche de guerriers dans lesquels la France se plût à
reconnaître le sang de ses rois , mais, dès qu'il s'agissait pour
eux de la surpression au trône, ils étaient impitoyablement
condamnés par le droit civil et politique, et exclus par les
princes du sang. Ln divorce avec Marguerite, un mariage
avoué par la loi et par la religion, une descendance léglUmo,
voilà ce que réclamaient l'intérêt de la France et la gloire du
roi. Sa passion pour Gabriclle, à laquelle le temps avait donné
une nouvelle force que l'honneur approuve et que la morale
la plus austère a peine à bldmer, cet attacbemejit profond dont
Sully nous apprend les secrets *, se serait, selon toute appa-
rence, opposé pour toujours à une autre union. Mais une
' SttUy, OEcon. roy.. c. 90, 1. 1, p. fT6 A.
* Svtly, OEcun. roy., c. 8U, 1. 1, p. tTS Bt78.
388 HISTOIRE DU R^XNI<: DE HENRI IV.
mort violente et presque subite avait enlevé Gabriellc ]e
10 avril 1599 et rendu au roi une liberté que son libre ar-
bitre ne lui aurait jamais procurée ^ cette mort avait levé un
autre obstacle : Marguerite, le dernier rejeton légitime des
Valois, avait tout Torgueil du sang royal ; elle voulait bien
se séparer de Henri et descendre du trône, mais pour faire
place à une princesse seulement, et non à une femme d'une
condition inférieure. Jusqu'alors elle avait refusé son consen-
tement à un divorce : Gabrielle morte, elle Taccorda 2.
Toutes les difficultés ayant ainsi disparu, une procédure
s'ouvrit pour la rupture du lien qui avait uni Henri et Mar-
guerite. C'est un trait caractéristique des mœurs du temps,
de la confusion encore subsistante en plusieurs points du
droit civil et du droit canonique, de l'empire expirant des
idées du moyen âge, que, dans une affaire toute civile et po-
litique, on se soit adressé, non pas aux parlements, à la cour
des pairs, aux États-généraux, mais bien au pape; qu'au
lieu de présenter les véritables et solides raisons qui com-
mandaient le divorce entre Henri et Marguerite, on ait re-
couni aux misérables prétextes d'une parenté au troisième
degré, du défaut de dispense par le pape, nécessaire en pa-
reil cas pour contracter mariage, d'une prétendue parenté
spirituelle résultant de ce que le roi avait eu pour parrain
Henri H, père de Marguerite, de la diversité de religion, de
la contrainte imaginaire à laquelle les deux époux avaient cédé
en se mariant. Une dernière remarque à laquelle donne lien
la procédure, c'est qu'un président du parlement, un esprit
élevé et en général libre de préjugés, l'historien de Tliou,
ait pris pour bonnes de semblables arguties avec lesquelles
il n'y avait plus dans la société civile de droit qui pût rester
debout, de pacte qui pût subsister. Le pape, par un bref
du 2/i septembre 1599, nomma une commission composée
du nonce en FYance, d'un cardinal, d'un archevêque, de
l'évêque de Paiis, et la chargea d'examiner les moyens de
cassation. La commission, par décision du 10 novembre, dé-
clara les moyens valides, le mariage nul, les parties libres
' p. Cay^t, Chron. Rcptcn., I. il, t. il, p. Sô, 54. — Lestoile, Sapplé-
mrnt, p. 3U2 A. — Thuunus, I. CXXii, 1. Xiii, p. :>K8. ôftl), li-aducUon.
* IxYltre d« Tdargiiertle de Yalou à Rosny, du 30 juillet VJ&9. — Suily,
OEcon. roj., c. 86, 99, t. i, p. 995, 296, 317, ÛI8.
DIVORCE ET MARIAGE DU ROI. 389
de sG marier où bon leur semblerait. Le pape ratifia la dé-
cision; le 17 décembre 1599, la dissolution du mariage du
roi fut prononcée. Ses ministres et Tagent de la cour de Flo-
rence arrêtèrent alors à Paris les conventions de son mariage
avec Marie de Médicis, nièce du grand-duc de Toscane ^
Dans le temps même que Ilonri sacrifiait ainsi à la raison Promette du
d'État et au repos de la France les profondes répugnances '«» ^ modrinoi-
que son union avec Marguerite de Valois lui avait inspirées d'Eoiniguet.
contre les mariages de convenance et de politique, les lâches
complaisances de quelques courtisans et une faiblesse de
sa part , sans porter une atteinte sérieuse à la détermination
qu'il avait prise, le jetaient cependant dans des actes qui
contrariaient cette n^solution, et qui lui préparaient bien des
déboires, bien des traverses pour Tavenir. La perte de
Gabrielle d'Estréos Tavait jeté dans un chagrin qui empoison-
nait sa vie et nuisait à sa santé. Parmi ceux qui rappro-
chaient, les uns lui cherchant une distraction, les autres
bâtissant leur fortune sur leur faveur auprès d'une nouvelle
maltresse et sur l'ascendant qu'elle prendrait, lui vantèrent
sans relâche la beauté et surtout l'esprit et l'humeur enjouée
de mademoiselle Balzac d'Entragues jusqu'à ce qu'ils lui
eussent inspiré pour elle ime violente passion. Cette
femme artificieuse, conseillée par des parents sans consdence*
avides, ambitieux, grands calculateurs en fait d'infamie,
exploita l'amour du roi et son propre déshonneur. Non con-
tente d'avoir obtenu de lui une somme de 300,000 francs
et le marquisat de Verneuil, elle lui extorqua une promesse
où se trouvait la clause suivante : « Au cas que la demoi-
selle Henriette Catherine de Balzac, dans six mois à com-
mencer du premier jour du présent, devienne grosse, et qu'elle
accouche d'un fils, alors et à l'instant nous la prendrons à
femme et légitime épouse, dont nous solenniserons le ma-
riage publiquement et en face de notre sainte Église, selon
les solennités en tel cas requises et accoutumées. » Rosny,
consulté par le roi et dépositaire momentanément de la pro-
messe, eut en vain le courage de la déchirer : une autre fut
faite et livrée i^ mademoiselle d'Entragues le 1*' octobre 1599.
■ Thuanus, I. cxxiii, t. Xlii, p. 4W>4'>*, tradoclioD. — P. Cayct, Chron.
tepUn., 1. Il, t. Il, i>. 64, tî5. — Supplrmeiil de Lesloile, p. SOS A. —
Art d« vérifier les dûtes, l. Ti, iii-8*. — &uUy« OEcon. roj., c. 94, p. ô3SB,
3«>.
390 HISTOIRE DD RÈGNE DE HENRI lY.
Au commencement du mois de juillet 1600, tandis que le
roi se rendait à Moulins, pour marcher ensuite contre le duc
de Savoie, la marquise, demeurée à Paris, accouchait d'un
cnrant mort « La promesse portait une condition qui de sa
» propre nature la rendoit nulle de toute nullité, » en droit
civil comme en droit politique. En effet, d'une part le mariage
requiert le consentement mutuel des parties et n'admet ni con-
dition ni éventualité : en second lieu, les princes appartiennent
à la nation ; pour les unions qu'ils contractent, ce n'est pas
assez d'être conformes au droit civil, eUes doivent être, de
plus, d'accord avec l'intérêt public Mais même en supposant
que le roi ne fût pas d'avance délié par le bénéfice du droit,
il était redevenu libre par l'événement : l'engagement qu'il
avait pris se trouvait rompu du moment que mademoiselle
d'Entragues ne lui avait pas donné un enfant mâle dans le
délai indiqué ^ Nous sommes entré dans ces détails des petites
passions et des faiblesses d'un grand homme, parce qu'elles
entraînèrent plus tard des conséquences politiques qui , à
défaut de ces explications et d'un certain nombre de dates
précises, resteraient fort obscures.
Mnrbge Taudls quc Honri s'engageait, malheureusement pour son
de Henri avec rcpos et pour SOU bouheur, dans une nouvelle liaison avec
'"dicil '' une femme qui n'aima Jamais de lui que les richesses et la
haute position qu'elle en pouvait tirer, ses ambassadeurs
poursuivaient pour lui une légitime alliance. Par ses lettres
patentes du 6 janvier 1600, il donna pouvoir au sieur de
Sillery d'accorder le mariage entre lui et Marie de Médl-
cls, ni^ce du grand-duc de Toscane. Le contrat fut passé
' Sully, OEcoD. roy., r. 93. t. i. p. M9, 390; c. 06, p. 330 B. — Le
texte de la promesse du rot i mademolielle d'Entragues, dans les notes
da Supplément de Lesloile, p. 308, 309; aalret détails relatifs k mada*
moiselle d'Entragues, p. 317 A.
On tomberait dans la confusion et dans de nomlireuses erreurs, si l'on
oe prenait soin de faire concorder ensemble le récit des historiens et le té-
moignage des Lettres miskives, au sujet du séjour du roi en divers lieux, et
de ses rapports avec madame de Yernenil arant et pendant la guerre da
Savoie. Pu 1*^ juillet au 13 septembre, le roi va à Moulius, à Lyon, à Gre-
noble, et fait la conquête de la plu « grande partie de la Savoie. Pendant ce
temps, madame de Vcrueull, resiée d'abord à Paris, accouche d'un euftot
mort : rétablie de sa couche, elle se met eu vuyage pour aller rejoindre le
rui. Henri, après avoir quitté IVxpédition de Savoie, la {oint le 13 ou la
14 septembre à Saint- Andre-Jc- la-Côte, la conduit i Grenoble, puis en
Savoir, uu elle séjourne jusqu'à la réduction de la forteresse de Monlmé-
lian. Après cet événement, elle retourna en France. (Sully, OEcon. roy.,
e. 96, p. 330 B. — Bassompierre, Méraoiraa, t« Vl, S itfrie, p. S4 B, IS. —
Lettre* missives, t. V, p. SI4-3I3. )
DIVORCE ET UAniAGE DU ROf. 391
le 25 avril : le 5 octobre, le grand-dnc, muni de la procuration
du roi, ëpousa la princesse en son nom. Pen de jours après,
la nouvelle reine aborda en France ot se rendit de Marseille
à Lyon, où Henri la joignit le 9 d(^cembre, pendant que ses
négociateurs mettaient la dcmit^re main au traité avec le duc
de Savoie. Le mariage fut consommé le même jour, et con-
sacré le lendemain par les cérémonies de la religion. Le
27 septembre 1601, Marie de Médicis donna à la France un
dauphin dont la naissance assurait la succession directe à la
couronne, déconcertait et prévenait les compétitions dange-
reuses pour le repos public, contenait déjà en germe la nais-
sance et le règne de Louis XIV. Ce ne futqu*un mois après,
le 27 octobre 1601, que la marquise de Vemeuil donna le
jour à un fils : d'où il résultait que les ennemis du dehors et
les fauteurs de troubles à Pintérieur ne pouvaient s'aider
même de la simple primogénliure pour élever les prétentions
du bâtard contre les droits du fils légitime '.
Le temps des révoltes semblait donc fini sans retour, et les
derniers aliments enlevés à Tagitation fiévreuse qui avait pos-
sédé le pays depuis 1560. Cependant les années qui suivirent
virent éclore sans interruption des complots. Les étrangers y
trempèrent sans doute, mais dans une moindre proportion
que les nationaux. Parti catholique exagéré, parti calviniste,
grands seigneurs, courtisans, s'agitèrent de nouveau avec
violence. Évidemment ils ne voulaient ni laisser prescrire
contre les troubles, ni laisser la masse de la nation se reposer
dans la paix dôlinitive dont la naissance du dauphin donnait
le signaL Leur ambition raisonnait juste. En effet une fois
que les idées d'ordre, les habitudes de calme se sont enraci-
nées chez un peuple ; quand les arts de la paix se sont forte-
ment emparés de lui, oui absorbé et employé son activité tout
entière, alors, souvent pour un demi-siècle, les ambitieux et
les esprits inquiets qui poussent les masses aux révolutions
ne les trouvent qu'inertes ou rel>elles sous leur main*
• p. CajH, Cbron. septen.. 1. m. t. il, p. St A, IIS. 116. Il y a oiii>
«rr^iird* (ljt« ù la puge 115: il fiiiit lire S5 avril «t non t6 aoAl. Plu»
1. IV, p. 1G5 B. — Thiianu)!. I. cxxv, cxxv^ t. Xiit. p. 559861, 649, 650.
— Solly. OKcon. my., c. HU, I. i. p. r»"l B. — Biogr. ooiTt^rt., I. XLTIU,
p. i4<).
I. 25*
LIVRE VI.
ÉVÉNEMENTS POLITIQDES DURANT LA PÉRIODE UElGOO AiOiO.
— GOUVERNEMENT ET ADMINISTRATION DE HENRI IV. —
MINISTÈRE DE SULLY. — ÉTAT DK LA SOCIÉTÉ, DES SCIEN-
CES, DES LETTRES, DES BEAUX-ARTS SOUS CE RÉGNE.
En dix ans et demi de règne, ilenri avait abattu et désarmé
les deux grands partis de la Ligue et du calvinisme, et trois
autres factions secondaires : il avait ainsi détruit dans notre
pays tous les principes de révolution et de bouleversement.
En même temps, ii avait vaincu les ennemis étrangers, le
duc de Lorraine, le i^pe, le roi d'Espagne, le duc de Savoie,
la DDoitié de l'Europe réunie en coalition contre la France.
Il avait accompli cette grande tâche au milieu de difficultés
inouïes, qid avaient exigé plus de talents politiques encore
que de vertus guerrières. Les utiles et glorieuses consé-
quences de ses efforts étaient le rétablissement de Tcmpire
de la loi et de Tordre public, Tindépendance sauvée, Tunité
du territoire garantie, Phonneur national vengé. Après tant
de travaux accomplis, on aurait cru volontiers qu'il ne res-
tait au roi d'énergie et de volonté que pour consolider son
ouvrage, en déjouant les tentatives suprêmes des ambitieux
et des brouillons, dont nous présenterons tout à l'heure le
tableau, en maîtrisant les dernières convulsions des partis
vaincus et blessés à moru Si Henri se fût arrêté à ce point,
s'il se ^fût borné à ce rôle, il aurait encore été un prince
éminent, il aurait tenu tme large place dans l'histoire de
notre pays et même dans celle du monde, car la cause de la
France était celle de la liberté, de la civilisation, et il avait
sauvé la France.
CONSPIRATIONS. 393
Mais le caractère du grand homme est d^ètre complet ;
celui de ses œuvres de s'étendre à tout, de tout embrasser*
Le royaume , ^auvé de la mine , était faible et épuisé ;
ses habitants , remis en possession de leur indépendance ,
étaient misérables. Henri sentit qu*il n'avait accompli que la
moitié de Pœuvre à laquelle rappelaient la Providence et
son génie. Rendre au pays sa prospérité et sa puissance des
meilleurs temps, assurer au plus humble des citoyens, au
dernier des paysans, la somme de bonheur à laquelle il avait
droit de prétendre, à Faide d'un gouvernement protecteur
et d'une administration savante , telles furent les préoccupa-
lions, tel fut le travail de Henri durant la seconde moitié de
son W^gnc. Dans l'assemblée des notables de Rouen , il avait
annoncé que ce n'était pas assez pour lui d'être le libérateur,
qu'il voulait être de plus le restaurateur de la France. Ce
projet, il l'accomplit; cette parole, il la tint, trouvant dans sa
merveilleuse organisation la puissance d'esprit , la fécondité
et la souplesse d'intelligence nécessaires pour devenir à Fim-
proviste administrateur et législateur.
Il fut souvent troublé, jamais interrompu dans ses nou-
veaux travaux, par des complots et des soulèvements par-
tiels que nous réunirons ici dans un même chapitre, afin de
nous occuper ensuite sans distraction de ce qui fait la partie,
sinon la plus populaire, au moins la plus solide de sa gloire,
et le point de départ véritable de la France dans la carrière
des arts de la paix.
CHAPITRE !•'.
Conspirations» tcdilioni, atlontaU contre U Tin dn roî. Bnppel dns iésoiln.
Depuis quarante ans, quatre causes avalent donné nais-
sance aux guerres civiles en France et les avaient alimentées.
C'étaient les persécutions dirigées contre la liberté religieuse
des réformés, et, les armes une fois prises, les passions dé-
chaînées, la nécessité où s'étaient trouvés les catholiques de
défendre leur culte. C'éUient la puissance et l'ambition des
Guises, qui avaient disputé le trOne aux Valois d'abord, aux
39A HISTOIRE DU' RÈGNE DE HENRI IT.
Bourbons ensuite, en s'aidant au dehors de TEspagne. A ces
causes principales s'étaient jointes deux causes secondaires,
mais très puissantes encore. En premier lieu, Pusurpation
des pouvoirs royaux par I^s gouverneurs de province, dont
plusieurs s'étaient placés dans un état d'indépendance à peu
près absolue à l'égard de la couronne. En second Heu, l'exis-
tence prolongée du dernier grand fief véritable qui restât
encore en France. La branche afnée de la maison de Bour-
bon possédait en toute souveraineté, soit par le droit, soit par le
fait, un royaume et seize principautés, duchés, comtés, dont
la plus grande partie était située loin du centre du gouver-
nement. Les maîtres de ces vastes domaines avaient le titre
de rois et de premiers princes du sang. Dans la guerre des
deux religions, dans le débat relativement à la succession de
là couronne, ils avaient donné à leur parti des forces maté-
rielles et une autorité qui lui avaient permis de tenir tète à
la royauté.
En 1601, aucune â^ ces causes n'existait plus. Les calvi-
nistes avaient reçu la liberté de conscience et la pleine liberté
Civile par l'édit de Nantes : les catholiques, qui dès le prin-
cipe avaient obtenu toutes les garanties pour le maintien de
leur religion, avaient vu ensuite le roi passer dans leurs
rangs. Dans une luUe prolongée et solennelle de neuf ans,
les Guises, les princes lorrains avalent été vaincus toujours
et partout, avaient été terrassés par les Bourbons : leur allié
le roi d'Espagne s'était tellement épuisé, que loin d'avoir des
armées à prêter désormais aux révoltés de France, il s'était
défendu lui-même à la fin avec peine et avait recherché ime
paix désavantageuse. Henri, couvert de gloire et rentré en
possession de la plénitude de la puissance royale, avait ra-
mené les gouverneurs de province à n'être plus que les offi-
ciers et les agents, supérieurs il est vrai, mais enfin les agents
de la royauté dans l'ordre militaire et civil. Bien que Henri
n'ait réuni son vaste domaine privé à la couronne par un
acte législatif qu'en 1607, il en avait mis les ressources au
service de la couronne, il en avait augmenté d'autant la force
et la puissance de la royauté depuis son avènement. Ajoutez
que la France était régie par un prince belliqueux, vainqueur
de tous ses ennemis, grand administrateur autant que grand
guerrier, admiré et redouté de ses voisins. Or, pour qui'^
COMPLOTS DE BIROIf. 395
conque connaît le caractère français, il n'est pas douteux
qu'à toutes les (époques les qualités bonnes ou mauvaises du
chef de TÉtat n'aient exercé la plus puissante influence sur le
gouvernement et les destinées du pays. Enfin , et par-dessus
tout, les citoyens de toutes les classes dans le clergé, la bour-
geoisie, le peuple, sentaient trop vivement le prix de la fin
des troubles, du rétablissement de Tordre public, pour y
porter atteinte, en se faisant les soldats de Témeute à la voix
des ambitieux : IVsprit public n'était plus, pour longtemps,
tourné vers la révolte.
La France étant en cet état, les guerres civUes n'étaient
plus possibles; mais les conspirations, les troubles, les assas-
sinats. Tétaient encore. L'esprit de faction, nourri pendant
quarante ans, avait survécu aux factions. Parmi les grands,
les imaginations ardentes, les esprits faux, croyaient que rien
n'était si facile que de ramener les jours de la Ligue , et leurs
désordres leur faisaient une nécessité de la révolte : en effet
la guerre civile et le pillage pouvaient seuls fournir à leurs
plaisirs, à leur luxe, à leur Jeu effréné. En considérant Ténor-
mité de ses pertes au jeu, Biron disait : n Je ne sais si je
> mourrai sur un échafaud, mais je sais bien que je mourrai
» à l'hôpital. » Et pour faire une fin plus digne d'un grand
seigneur, il prenait de préférence le parti qui mettait sa tète
en jeu. « Lorsque la paix sera conclue, ajoutait-il, les mécon-
» tenlements de plusieurs, les amours du roi, la stérilité de
» ses largesses, pousseront force divisions, et plus qu'il n'en
» faut pour brouiller les États les plus paisibles du monde. El
M quand cela manquerait, nous en trouverons en la religion
■ tant que nous voudrons, pour mettre les plus froids Ilugue-
» nots en col^re et les plus repentants Ligueurs en fureur. »
La connaissance approfondie des affaires aiaquelles il avait
été mêlé dès son enfance, et un merveilleux instinct de fac-
tion avaient révélé à Biron toutes les parties faibles du sys-
t^me politique et social de la France, an temps de la paix de
Vervins et de la paix avec le duc de Savoie : elles sont toutes
ronlenues dans le peu de mots que Ton vient de lire. Mais il
voyait avec les yeux de la passion, se grossissait les objets,
exagérait les principes de troubles déposés au sein de la
France. 11 n'y avait plus de quoi bouleverser le royaume,
mais il restait de quoi Tagiter : le fanatisme religieux he
396 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
pouvait plus armer les masses contre Henri IV ; mais il pou-
vait pousser le bras de quelques furieux et l'assassiner.
Complots de Les trames du duc de Biron remontent à Tannée 1595 K
"*"*' Cet homme que Henri avait pris baron de Biron pour en
faire d'abord un amiral de France, puis un maréchal de
France, un lieutenant général de ses armées, un gouverneur
de Bourgogne, un duc et pair; sur lequel il avait accu-
mulé toutes les charges et tous les honneurs qu'un prince
reconnaissant trouvait dans le pays pour payer ses ser-
vices , cet homme complota sept ans de suite pour détrôner
le roi et bouleverser sa patrie. En 1599, il conclut avec les
Espagnols et le duc de Savoie un traité, par suite duquel il
devait obtenir la main de Tune des Gllcs du duc de Savoie,
la souveraineté de la Bourgogne démembrée de la France, et
celle de la Franche-Comté que lui abandonnait le roi d'Es-
pagne : en échange de ces avantages, il devait exciter un
vaste soulèvement en France. L'année suivante, la guerre
ayant éclaté contre le duc de Savoie, Biron prodigua aux en-
nemis les avis nécessaires pour faire échouer les efforts de
l'armée dont il avait le commandement Et comme la valeur
des troupes trompait sa trahison, il prépara tout, de concert
avec le commandant de Sainte-Catherine, pour que le rot
pérît en allant visiter la tranchée. A la vérité il arrêta lui-
même l'exécution de cet assassinat ; mais à la fin de la guerre,
il conclut avec la Savoie et l'Espagne im nouveau traité,
conforme de tous points à celui qu'il avait signé précédem-
ment. En s'éloignant de la Savoie, le roi se rendit à Lyon :
là, instruit imparfaitement des trames de Biron, il lui en ac-
corda le pardon, en l'avertissant toutefois qu'il payerait de
sa tête une nouvelle faute. Cette nouvelle faute fut commise.
Biron continua ses liaisons avec l'Espagne et la Savoie, et
après son ambassade en Angleterre, il trempa dans le complot
formé par le duc de Bouillon et par le comte d'Auvergne
dans le but de ruiner l'autorité du roi par une révolte, et de
faire passer la couronne de la tête du Dauphin sur celle du
fils que Henriette d'Entragues avait donné au roi. Le comte
d'Auvergne attaquait le roi à la cour ; Biron et le duc de
t Lcllres missives de Henri IV, da iS ittiUet 1601, t. V, p. 6:19, 630.
COMPLOTS DE BIRON. 397
Bouillon, sur les frontières à la fois et dans les pays calvi-
nistes. Ijeur complicité est établie par un engagement mutuel
écrit, et daté de 1602, dont on trouve le texte dans les uié-
moires de Sidly '. Cotte révolte partielle ne pouvait s'étendre,
prendre de la consistance, atteindre les proportions, sinon
d'une guerre civile, au moins d*une insurrection dangereusi*,
si les conjurés n'attiraient à eux une partie des populations
et quelques unes des classes de citoyens, en exploitant ha-
bilement la souffrance des tms, la croyance acx!ordée par les
autres aux calomnies dirigées contre le gouvernement. Mais
la vigilance et Tactivité du roi ne permirent pas que cette in-
telligence s'établit entre le mécontentement et la conspira-
tion : les sages mesures qu'il adopta laissèrent la conspira-
tion seule et isolée lutter contre la puissance royale.
L'impôt du sou pour livre sur toute chose vénale, nommé
pancarte dans le langage populaire, avait été établi par les
notables de Rouen en 1597. Il était donc parfaitement légal,
de plus II était très nécessaire, car il formait une notable
partie di's revenus publics et des ressources du gouverne-
ment, ^lais cet impôt nouveau, vexatoire h quelques égards,
insupportable aux populations du midi de la France, avait
excité une sédition à IJmoges, et une grande fermcjitation
en i^kitou et en (Uiyenne, au commencement de l'année 160*2.
Biron, Bouillon et leurs agents travaillèrent à envenimer ces
dispositions. Ils publièrent que Henri voulait liawiser les
imp<>ts , priver de leurs privilèges la noblesse, le clergé, la
magistrature, élever partout des citadelles, et gouverner
despotiquement Le roi se rendit ù IH>itiers (*i5 mai). Il en-
voya des commissaires à Limoges pour punir les auteurs de
l'émotion populaire et destituer les consuls en charge. Il
re<;ut lui-même les députations de la Guyenne, et calma les
esprits en démontrant la fausseté des imputations dirigées
contre lui. Quand les séditieux eurent fait leur soumission,
il rétablit momentanément la pancarte, pour que force de-
meurât à la loi. Mais quelque temps après, ayant reconnu,
sur les remontrances respectueuses qui lui furent adressées,
combien cet impôt cliargeait son peuple, il l'abolit le 10 no-
vembre 1G02, et le remplaça par une augmentation légère
de la crue extraordinaire des tailles et du droit d'entrée sur
Conoience»
mant
d« «MiUon dans
les piiyt
i]*outr«* Loire.
* SuUt, OF.ron. royalrt, C. 144, 1. I, p. tiffl B. rolled.lCi^hrfUiJ.
398 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
les marchandises dans un certain nombre de villes : il sup-
prima ainsi la première cause du mécontentement et Tappai
que fiiron aurait pu trouver dans les masses K
Suii0 Henri fut averti en général par son ambassadeur à Ve-
**" ^'iîilîSl?' *** ^^* Dufresne Ganaye, que Ton travaillait contre lui chez
Tétranger et en France. Lafm, longtemps employé par Biron,
qui maintenant demandait au duc de Savoie de le débar-
rasser de ce complice, Lafm fournit au roi des détails précis
et écrits sur le complot de Biron. I^e maréchal , appelé à
Fontainebleau, pouvait échapper au châtiment par la fran-
chise de son repentir et de ses aveux, u S'ils pleurent,
» disait le roi, je pleurerai avec eux : ils me trouveront
» aussi plein de clémence qu'ils sont vuides de bonnes af-
» fections. Je ne voudrois pas que le maréclial de Biron
i> fût le premier exemple de la sévérité de ma justice. »
Mais dans les entretiens particuliers qu'il eut avec le maré-
clial, au lieu du repentir et des épanchements de Tamitié
qu'il provoquait, il ne trouva qu'une dissimulation profonde,
une hauteur inflexible, et des propos outrageants. Il ne se
rebuta pas encore : il le 6t presser une dernière fois par
Rosny de mériter sa grâce en ouvrant son cœur avec sin-
cérité, et en recourant à une soumission qui désarme la
justice sans s'avilir. Henri échoua dans cette tentative
comme dans les précédentes. Persuadé alors que s'il lui
pardonnait, Biron ne pardonnerait ni à lui, ni à ses enfants,
ni à l'État ; convaincu qu'il avait affah-e à un conspirateur
incorrigible, prêt à recommencer sans cesse les complots
ourdis depuis trois ans, il le livra à la justice régulière
du parlement. Cette cour le convainquit par le témoi-
gnage de ses deux complices, Lafm et Renazé, qu'il avait
d'abord reconnus pour irréprochables ; et par le contenu de
lettres et instructions écrites de sa main. Quand il vit ses in-
trigues découvertes, il prétendit que le pardon de Lyon ne
laissait aucune prise à la rigueur de la justice, et aucune ap-
plication contre lui aux peines portées par les lois. On pro-
duisit alors une autre de ses lettres dans laquelle il disait :
n qu'il ne voulait plus se mêler d'intrigues ; que la naissance
• Lettres miuivet Jet 15 aTril, 17 et 95 mai 1602, t. V. p. 571. 590-
889. — Sully, OEcon. royales, G. iOO, 1. 1, p. 365, 806.-- P. Gayet. Chron ,
septénaire. I. V, p. fSl, iS3. — Ancieoaet lois franc, t. XV, p. é76-3T8 .
COMPLOTS DE BIRON. 399
» du Dauphin avait dissipé ses ombrages et ses variétés. » Or
le Dauphin n'éuit né qu'au mois de septembre 1601 ; et le
pardon de Lyon datait du mois de janvier de la même année.
D'où il résultait, qu'après le pardon obtenu, Biron avait
continué, au moins pendant neuf mob, les relations les plus
coupables avec les ennemis de la France : le pardon ne pou-
vait en aucune manière s'étendre à ces dernières intrigues et
les couvrir. Le parlement, à l'unanimité de cent vingt-sept
juges qui siégeaient, le déclara coupable « de conspirations
» faites contre la personne du roi, entreprises sur son état,
» proditions, et traités faits avec les ennemis de l'État » Il
fut condamné à avoir la tète tranchée en place de Grève :
la famille, craignant de voir entacher son honneur par la pu-
blicité du cliâtiment, demanda et obtint que l'exécution eût
lieu h la Bastille (31 juillet 1602). Biron, grand dans sa vie,
noble dans sa défense, l'im des morceaux les plus éloquents
de notre langue, affaiblit l'intérêt et la pitié qu'on lui aurait
conservés au milieu de ses torts politiques, en se dégradant à
ses derniers moments par des violences et des fureurs, trop
dignes d'un homme du peuple qui redoute la mort '.
Gomme il n'est pas de caractère si noble qu'on ne puisse
attaquer, comme il n'est pas de vérité si évidente sur laquelle
on ne parvienne à répandre des doutes, quelques écrivains
ont prétendu que, dans toute cette affaire, Henri iV s'était
montré petit, dissimulé, ingrat, sévère jusqu'à la cruauté ;
que Biron, s'il n'était innocent, était du moins innocenté ; que
le parlement trop complaisant, pour ne pas dire servile, avait
prononcé un supplice, là où il n'y avait à décerner qu'une
peine correctionnelle. Nous avons extrait des originaux une
si^rie de faits inattaquables qui réfutent une à une ces asser-
tions. Au témoignage résultant de ces faits vient s'en joindre
un autre, celui-là irrécusable, à la complète décliarge du roi
et du parlement La force, beau-frère de Biron, qui, pour la
* Poar les complots et la condamnation de Biron, Toir lettres missives
de Henri IV. des 15 et «3 mai ; 5, 14, 15. It, iS, f7 et » loin -, t, IS. SI,
fl, i6« tS et r>l iuillcl; 9, 7, 11 et «S août, t. V, p. MKS. 508, N99, GÛ3,
GUI, 611-650, 660 et 661. -> Le rvcit contemporain InUtulé: Histoire de ta
▼ie. conspiration et mort du roareschalde Biron, dans les Archifetcuruust*^
I. XIV, p. 99-151; surtout les pages 137-130 ou Penttère culpabilité de
Biron estcUblie.— Voir de plus le supplément daLestoile contenant des dé-
tails très curieux, p.SSSÙ?. — -Thuanus,!. liS. — Sully, OEcon.^ya les*
c.tt. p. tti; c. lOi, p. saO-361; c. 10S, p. 367-369; c. 109. p. 903-400.
— P. llaynt, Chr. teptenaire, 1. Y, p. Itt-iOS, i06, B. collecl. Michand.
/iOO HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
défense du coupable, mil en œuvre toul ce que le sang etlV
mitié pouvaient suggérer, écrit à sa femme dans l'intimité :
« Je ne puis vous taire que j'ai vu les choses les plus étranges
» des malheureux desseins de M. de Biron qui se puissent
» dire, et que c'est un vrai jugement de Dieu que ce que nous
» voyons à présent. Son insatiable ambition Tavait porté à
» de si horribles projets que le discours en est monstrueux >. »
Sous le rapport politique, le supplice de Biron eut de graves
conséquences. Depuis le règne de Henri If, il y avait eu im-
punité pour les grands à se révolter, à allumer la guerre ci-
vile, à traiter avec Tétranger. En dernier lieu, les chefs do
la Ligue avaient tous tarifé leur obéissance à une certaine
quantité d'argent, ù certaines charges, et avaient reçu le prix
qu'ils avaient voulu y mettre. Le supplice de Biron produisit
les mômes résultats que le supplice de Saint-1H)1 et des d'Ar-
magnac au temps de Louis XI. Il apprit à la noblesse qu'il y
allait de la tête à conjurer contre le pays et contre le prnice :
en frappant les grands de terreur, il rétablit l'ordre public
cl donna à la royauté une force qu'elle n'avait plus depuis
un demi-siècle. Dans les complots qui suivirent la mort de
Biron , on ne trouve que des imprudences de jeune homme
sans portée , des engagements douteux, timides, suliordonnés
à la mort préalable du roi. Celle dernière circonslanco. csl une
preuve éclatante de l'afTaiblissemenl de l'aristocratie ; elle ne
pouvait et n'osait s'en prendre désormais à une royauté virile,
et ne projetait de lutte que contre une royauté de femmes et
d'enfants, au milieu de droits contestés et des troubles d'une
minorité.
Compiotdufiac Le princc de Joinville, fils du duc de Guise , contrarié
de Joinv^H«. ^^^ j^ ^^j ^ ^^^^^^ jj ^{3^ \ç, ^ival , dans sa passion pour la
marquise de Verneuil , traduisit son dépit amoureux en In-
trigue politique, et signa avec l'Espagne et la Savoie un traité
qui ne présentait qu'un assemblage confus de projets inco-
hérents. Le roi comprit que l'éloignement était une punition
et ime précaution suflisantes contre ce très jeune ennemi, et
lui ordonna de voyager dans les états voisins ^,
i L«Ure d« Laforce à so femme, du 4 |uillet, t. I. p. 330. dans tu cor-
recpondnoce pabliée à lu saile de «et mémoires par M. le murquit de
Luerauge, in-8*, 1B43.
* Sully. OEcon. royales, c. 1 10, p. 404 B. — P. Cayel, CUroo. seplcuuire,
1. V, p. 'JffI B, «08, collect. Micbaud.
CONSPIRATION D'ENTRAGDES. . AOi
La promesse de mariage faite par Henri IV à Henriette d'En- G>as|»tr«timi
tragues, détenue depuis marquise de Vemeuil, était double- ^*E"*'*«*«'
ment nulle, en droit civil comme en droit politique, ainsi que
nous Tavons établi. Mais aux yeux d'un public ignorant, cette
promesse constituait un semblant d'engagement, et Taudacc
des factions intérieures, appuyée au dehors par l'étranger,
pouvait donner à ce dangereux écrit une valeur qu'il n'avait
pas légalement. Marie de Médicis craignait que si Henri ve-
nait à être enlevé par une mort prématurée, au milieu des
troubles et de la faiblesse d'une minorité, la marquise ne fit
valoir la promesse en faveur de la maltresse contre l'épouse,
en faveur des enfants naturels contre les enfants légitimes.
Pour calmer les inqitiétudes et la jalousie de Marie, qui em-
poisonnaient sa vie intérieure, Henri exigea et obtint de la
famille d'Entragues la restitution de sa promesse le 2 juillet
1604. Le comte d'Entragues, père d'Henriette, son fr(;re
utérin le comte d'Auvergne, et la marquise elle-même for-
mèrent alors une conspiration. lieur projet était de se retirer
d'abord sur les terres du roi d'Espagne et de lui livrer les
enfants que la marquise avait eus de Henri ; de faire assas-
siner le roi, et de proclamer pour son successeur le fils qu'il
avait eu de la marquise à l'exclusion des enfants de Marie de
Médicis ; d'appuyer cette audacieuse tentative de l'appui de
Fuentes et du duc de Savoie du cOté de l'Italie et de la Bour-
gogne y de Spinola du c6té des Pa>s-Bas , du duc de Bouillon
du côté de l'Allemagne ; et dans l'Intérieur de d'Ëpemon à
Metz, de Montmorency en Languedoc, de Bellegarde en
(iuienne, de d'Humières en Dauphiné et de Montigny en
I\>itou. lies conjurés espéraient que le comte d'Auvergne,
étant fils naturel de Charles IX et le dernier rejeton subsis-
tant de la branche de Valois, exercerait une puissante in-
fluence sur tous ceux qui avaient vu avec répugnance Henri IV
et les Bourbons arriver an trône. Tels étaient les projets et
les espérances des d'Entragues ; mais quant à l'appui réel
qu'ils pouvaient attendre des seigneurs, il est demeuré com-
plètement problématique. Selon toute apparence, il n'y eut
de la part des grands aucun engagement formel, mais seule-
ment des plaintes, du mécontentement, des paroles vagues,
données à la légère et accueillies par les conjurés avec une
souveraine imprudence.
26
It02 HISTOIRE DU RÈGNB DE HENRI IV.
Les d'Entragues essayèrent deux fois de tuer le roi en em-
buscade, et deux fois ils échouèrent lia présence dVsprit et la
vigueur de Henri dans une circonstance, les avis de la seconde
fille du comle d'Entragues dans une autre , le tirèrent des
périlleuses situations où 11 se jetait encore en jeune homme,
parvenu à sa cinquantième année.
Le comte d'Auvergne fut pris par adresse , en Auvergne ,
et conduit à la Bastille , le comte d'Hntragues et la marquise
de Yerneuil, arrêtés et gardés. Parmi les papiers saisis du
comte d'Entragues, on trouva trois lettres du roi d'Espagne
et rengagement pris par ce prince envers la marquise , de
faire reconnaître son lils pour dauphin de France. Ces com-
plots étaient sans doute d'une nature dangereuse ; mais quand
on examine les moyens d'exécution , on voit combien l'au-
torité royale et les garanties données au maintien de l'ordre
public avaient fait de progrès , surtout depuis le supplice de
Biron. Les seigneurs, du temps des guerres de religion et du
temps de la Ligue, levaient des soldats sur leurs terres ou
dans leurs gouvernements et marchaient contre le roi. Le
comte d'Auvergne, au Ueu de l'attaquer , se cache dans des
retraites longtemps inaccessibles, et attend des hasards d'un
crime qui eût ôté la vie au roi , les seules chances de succès
que ses complots puissent avoir. Les coupables furent jugés
et condamnés : le comte d'Auvergne et le comte d'Entragues
à la peine capitale ; la marquise à une réclusion perpétuelle
(!*' février 1605). Le roi remit leur peine à d'Entragues et
à sa fille ; mais il tint enfermé à la Bastille le comte d'Au-
vergne, l'un des deux esprits de ce temps les plus féconds en
redoutables intrigues ^
Intriguas de Au fur et à mesure que l'on avance dans le règne de
Bouillon. Henri IV, l'on trouve la rébellion prenant des formes plus
MouvemenU ' , . ...... .
ddosiei provins affaiblies, et se réduisant au\ proportions de lintrigticchez
Aw>m*i.iîe*d* '^ grauds seigneurs, chez ceux qui pourraient servir de
ckiMiriierauiu chcfs aux partis. Biron avait commis des actes de haute
* Pour la conspiration d'Entragucf, roir dans le Supplément de Lestoile
le lexle de la proroeMe et de lu reroÎM de celle proraetsf« p. 308, «MKI,
notes. Détails sur le procès, p. .%S0-3S3. L'écrit du temps : Discourt d'une
tr«hi<«on attenlée contre le rui Henri IV, dans les Ârchiv, Cur.^ t. I4«
p. 167-174. — Leltret de Henri, du H juin 1604; de YiUeroy, du
3 juillet; trois lettres de Henri IV et de Rosny, dans le&OEcon. roy., c. 140,
141, 144, L 1, p. S73, 577, 899-603; et r. 150, t. 2. p. 18. — Thuanus,
I. cxxxii. — P. Cajet, Chron» septen.^ l. vii, p. 517, 318.
INTRIGUES DE BOUILLON. &08
trahison dans la guerre de Savoie, et conclu des traites avec
IVtranger : le comte d^Auvergne et d*Entragues avalent seu-
lement contracté des engagements avec TEspagne. Bouillon
n'ose plus rien de tout cela, n et retranche sur son propre
n passe!. Il En 1G02, il avait signé un pacte de défense mu-
tuelle avec Biron et d'Auvergne > , et il s'était rendu dans
le midi de la France , pour payer de sa personne et aider k
l'insurrection. A présent il trouve toutes ces démarches trop
audacieuses, trop compromettantes. Les lettres et les instruc-
tions par lesquelles il excite les troubles ne sont ni écrites par
lui, ni signées de lui. 11 se tient à l'écart : dès que l'entreprise
de Biron a mal tourné, il s'est sauvé dans les villes du
Quercy et du Languedoc, tenues par les protestants, Montau-
ban, Figeac, Castres : de là il est passé à Genève, puis à llei>
delberg, d'où il est revenu dans sa principauté de Sedan. De
cette forteresse, il reste en. observation, il épie, il guette. Il
attend que de simples gentilshommes se jetant dans les aven-
tures, ou que des populations, égarées et mécontentes, aient
fait la préalable et périlleuse besogne d'ime révolte, et d'une
révolte solide : quand il comptera une armée de soldats pour
défenseurs, et que la moitié de la France lui servira de bou-
clier, alors, mais seulement alors, il se mêlera aux troubles
pour en recueillir le fruit
IV^ le commencement de l'année 1605, deux mouvements
inquiétants agitèrent les provinces du Midi. D'une part des
gentilshommes, parents ou amis du duc de biron , prétendi-
rent venger sa mort en s'appuyant siu* les Espagnols , et en
s'aîdant des mécontentements du peuple, qui trouvait les
impôts excessifs, quoiqu'ils eussent été diminués, parce
qu'il les supportait au milieu de la misère engendrée par les
guerres civiles. Ces trames partant du Limousin et du IVri-
gord, s'étendaient au bas Languedoc et à la I^rovence. Vn
certain Meyrargues devait livrer aux Espagnols Marseille et
Toulon en l*rovence ; et les deux Lucquissos INarbonnc et
Béziers en Languedoc '.
' Sullj, OEcoa. royal., c. 144, 1. I, p. ft9T t.
' Lettre de Rosuy au roi, da 14 iuUlet 1605, dan* letOEcon. roy., c. I5!f,
1. 1, P. 4<i B r « Le prétexte doit e«(re \m vengeance de la morl du feu duc
• de Birott, et restinctioa dei excetsift impotts que Too lève sur le |iettplp. i
RiMoy est Informe «eulemenl & celte date de ce qoi a été complota prrf*
cedeaunent. Lettre de Villeroy d« 16 îailUt, c. 154, l> aeciion, lomt t,
p. SSA.
UOti HISTOIRE DU RÈGNE DE HEIIRI IV.
D*un autre côté, les calvinistes, voyant arriver le terme pour
lequel des places de sâreté leur avaient été accordées par Tédit
de Nantes, s'inquiétèrent d'abord. Bientôt ils furent travaillés,
excités par les émissaires de Bouillon dans les synodes qu'ils
tinrent au commencement de cette année, et qui servaient de
préliminaires à l'assemblée générale de Ghâtelleraidt où leurs
députés devaient se réunir au mois de juillet. Ils conçurent
alors les plus vives appréhensions ; ils craignirent de voir le
roi leur retirer leurs places de sûreté , leur retrancher les
fonds destinés à payer leurs ministres , et les traiter ensuite
avec la rigueur du plus intolérant catholique. Ces calomnies
répandues à la Rochelle, en Poitou, Limousin, Périgord,
Quercy, et jusqu'en Dauphiné , jetèrent les peuples dans des
pensées de révolte, et nombre de gentilshommes dans le projet
de s'emparer des villes de Domme , de Sarlat , de Gahors , de
Villeneuve d'Agenois. Il fut agité dans les réunions des
mécontents de reconstituer l'ancienne union des calvinistes,
leur ancien corps indépendant du reste de la monarchie : ce
corps aurait eu tme tète, qui eOt été le duc de Bouillon : le pro-
tectorat se serait trouvé de la sorte reconstitué à son profit.
Lesdiguières , tout-puissant en Dauphiné , fut vivement solli-
cité de prêter son concoiu^ et son appui à ces projets , et il
délibéra au moins sur le parti qu'il avait à prendre, s'il ne fit
pas plus '•
Henri arrêta ces principes de soulèvement avec prompti-
tude et avec une prudence consommée. 11 coupa court aux me-
naces des Espagnols contre les villes de Languedoc, en faisant
arrêter les frères Lucquisses et leurs complices par le cheva-
' Lettres du roi à Rotnj, des ôO mars cl 7 avril 16ÛS, OEcon. roy., c. 153,
t. S, p. 41. « J'ai eu nonrelles du premier président de Toulouse et d*au-
m ires de Guyenne, par lesquelles on me mande que ceux de la religion de
» Guyenne et de Languedoc y font rage, et ont en leurs assemblées tenu
M des langages qae je Yons diray. » — Copie d'une lettre de Bouillon au
sieur de Saint Germain, qu'il a ea la précaution de faire écrire par un
secrétaire et de ne pas signer, mais que ses partisans savent être de fui : la
date est du 30 mai. « Il faut disposer les provinces ; il faut IraTailler en
n Poictou et à la Rochelle, et fermement : tous en sçarei mieux que raoy
M les moyens... Se conlionera le bastimenl de l'union duquel les fonde-
t menis sont bien adTances, et n*en doutes. » (OEcon. roy., c. 154, 9* sec-
tion, l S, p. 54 R, 55 A.) — Voir en outre les lettres de Villeroy, du
95 juillet; de Rosny, fin juillet; de Villeroy, du .% août, dans les OËcoo.
roy., p. 55 B, 56 A et B, à la Gn; 60 A, 61 B; et les discours de Rosny,
c. 15i, p. 50 A, B, et c. 155, p. 71 B. Voir enfin Thuanus, 1. cxxxtv, t. 14,
p. 45 i, 45!» de la traduction.
INTRIGUES DE BOUILLON. A05
lier de Montmorency, au milieu du mois de juillet 1605 K 11 eut
soin de sé]>arcr la masse des huguenots de leurs chefs et des
meneurs. Il envoya Rosny présider TAssemhlée générale des
calvinistes, qui s'ouvrit à ChAtellerault, à la fin de juillet II
calma les craintes, et convertit les pensées de révolte en dis-
positions reconnaissantes, en accordant, le U août, des brevets
par lesquels les calvinistes obtenaient pour quatre ans la
prolongation de la garde de leurs places de sûreté, et les fonds
nécessaires pour Tentretien de leurs ministres. La moitié du
personnel de la révolte , tous les desseins de séparation du
corps de la monarchie , de protectorat déféré à Bouillon , se
trouvaient ainsi dissipés. Quand le roi en eut fini ainsi avec
les églises protestantes , il se tourna contre Bouillon et ses
agents maintenant délaissés, et contre les conjurés qui pour-
suivaient la vengeance du supplice de Biron. U partit de
Taris, le 15 septembre, et se rendit dans les provinces du
Midi accompagné de sept mille hommes. Tout se soumit à
son approche. Avant quMl fût arrivé à Orléans, deux gentils-
hommes vinrent lui demander grâce au nom de cent cin-
quante nobles du Quercy qui avaient trempé dans les projets
de Bouillon (22 septembre). Quant à Bouillon lui-même, Tun
des ministres du roi en avait dit naguère : • Nous ne croyons
» pas que celui que Ton dit estre le chef principal de ces me-
» nées, abandonne le lieu où il est, pour venir en Limousin
» hasarder sa fortune avec ceux qui offrent de le servir et
» assister. » Bouillon se chargea de vérifier cette prédiction
et de la dépasser de beaucoup. Non seulement il se tint en-
fermé à Sedan , pendant que ceux qu'il avait entraînés dans
ses menées restaient exposés aux vengeances de Henri, mais
il ordonna même à ses capitaines d'ouvrir aux officiers du
roi les portes des villes qui lui a|^rtenaient en propre : Tu-
renne, Montfort, Sinceray (20, 30 septembre). Ces faits pei-
gnent parfaitement rattitude des grands à Tégard de la
royauté , depuis le supplice de Biron. Henri , en s'avançant
jusqu'à Limoges , ne trouva sur sa route qu'obéissance ou
repentir, et il n'eut plus qu'à laisser le cours à la justice pour
détruire les dernières traces de rébellion. Une chambre des
grands-jours , établie à Limoges, condamna au dernier sup-
* Lettre (le YlUeroj à Rosar, du 15 iaillaC, daot les OEcoo. roy., c. 154,
I. fl, p. ((6 B. Lé Cftil alors accompli rcmoaU à plMiaon io«ra •Tant.
Expédilion
contre Sedan,
pl«in« soumia-
sion de
Bouillon.
606 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
plice treize gentilshommes coupables soit d'intelligences avec
Bouillon et d'attaques résolues contre les villes royales, soit
de complot tendant à venger Biron. Six furent décapités : les
autres , qui avaient cherché un refuge en Espagne , furent
condamnés par contumace (16 décembre). Peu de jours
après, le parlement de Toulouse déclara les frères Lucquisses
et deux capitaines leurs complices coupables de complot ten-
dant à livrer Béziers et Narbonne aux Espagnols, et les punit
du supplice des traîtres. Enfin, Meyrargues, gentilhomme pro-
vençal, proche parent des comtes de Sault, député à Paris par
les Etats de son pays pour soutenir leurs intérêts au sujet des
impôts , après avoir eu plusieurs entrevues avec l'ambas-
sadeur d'Espagne Zuniga, dans le but de livrer Marseille au
roi d'Espagne , fut surpris au milieu d'une conférence qu'il
avait avec Bruneau, secrétaire de cet ambassadeur, fut con-
damné par le parlement de Paris, et eut la tête tranchée en
place de Grève, le 19 décembre K
Le complet avortement des projets de Bouillon et des
Espagnols, le supplice de leurs suppôts lâchement aban-
donnés par eux, étaient déjà une grave leçon pour le public
Toutefois , il était nécessaire de recourir à quelque chose de
plus décisif pour déraciner les pensées de complots et de ré-
volte : il fallait convaincre Bouillon d'une impuissance absolue
et le réduire aux actes de la plus complète obéissance, dans
sa principauté même de Bouillon , dans celte ville de Sedan
que l'on donnait pour imprenable , et qui pouvait être se-
courue par tous les princes protestants d'Allemagne inté-
ressés à soutenir leur co-religionnaire. L^ordre public n'était
pas seul intéressé à cette entreprise : la France y gagnait
d'assurer l'un des points principaux de la frontière de Gliani-
pagne. Au mois de février 1606 , le roi ordonna à Rosny,
qu'il venait de créer duc de Sully et pair du royaume , de
préparer, comme grand-maltre de l'artillerie, le matériel
nécessaire pour faire le siège de Sedan et pour réduire cette
( Lettre de VUleroy à Roiny, du 13 JoiUet. — Lettres du roi à Ruiny,
dos 4 et 19 «o&t, des tO, tt, aO «epterabre 1006. >- Texte des brerels de
prolongation des places de tûrrlë à ceux de la religion.— Lettre de Bouillon
an roi, du 90 septembre. — Récit do ers érënenients par Rosny, dans les
OEcon. roy., c. i54. «55, t. «, p. 53 A, «5 A, 67, 73, 75 A, à la Sn, 7S. -
Thuanus, 1. cxuuv, I. M, p. 435-443 de U traduci. — Bist. gënéralo dm
Languedoc, L sut, p* 401*
£XPiDITIOIf CONTRE séOAII. 407
place. L'alannc fut grande parmi les protestants de France ,
et leurs comiiiissaires essayèrent de ménager on accommo-
dement entre le duc et le roi. Mats Henri exigea que Bouillon
reçût dans St^dan un gouverneur et une garnison , et les né*
gociations furent rompues. Le roi marcha sur Sedan avec
une armée et cinquante pièces de canon , artillerie formidable
|K)ur le temps (T6 mars). Sully resta toujours fidèle à sa reli-
gion , et y sacrifia pour lui-même et pour son fils la plus
grande fortune qu'un sujet pût faire. Mais il voulait cou-
per jusqu'à la racine les principes de rébellion et de guerre
civile qui désolaient le royaume depuis quarante-<:inq ans.
lV>uillou ayant osé attendre le roi , Sully prétendait qu'il fal-
lait prendre Sedan de vive force et user du droit de conquête :
il afiirmait qu'il connaissait les parties bibles de la place, et
qu'en moins d'un mois il la remettrait prise ou rendue entre
les mains de Henri. L'événement aurait justifié ses prévi-
sions, car lk)uillon n'avait réuni qu'un nombre insufiisant de
troupes mal aguerries, et les princes protestants de l'empire*
sur l'armée desquels il comptait , n'envoyèrent pas un soldat
à son secours. Dans cet abandon, il fut réduit à se soumettre.
Après avoir reçu des lettres d'abolition , il se rendit auprès
du roi, à Donchery, et l'aborda en se mettant à genoux, pos-
ture non d'un suppliant, mais d'un sujet dans les usages
d'alors (6 avril). 11 remit sa principauté i la discrétion du
roi. Henri entra dans Sedan où il séjourna trois jours : il
reçut la ville et la citadelle qui lui furent livrées : il y établit
pour gouverneur le calviniste Nettencourt: il tira de la gar-
nisim et des bourgeois un serment par lequel ils s'engageaient
à s4T\ir la couronne envers et contre tous, même contre le
duc de llouillon, s'il entrait dans des intérêts contraires &
ceux du roi : enfin, Henri obligea le duc à se rendre à Paris
et à déposer les allures d'un prince indépendant pour prendre
celles d'un sujet *. Le roi pouvait le perdre et le dépouiller ;
il lui conserva sa principauté, et se borna à exiger de lui les
' l.cUm de Daplessis, de Lanour ,de Grtvrr. dr Saint^Angrl. do roi, du
17 ttxTitr ju 13 ■vril l6ÛS,dBD« les Mem. el correip.de Duplexsu-Morna;,
t. X, p. ISti-ITI, et dans les rorre^iMUidantes à U »uitc des Mem. de Ljc
fo.ce, I. i,p. 44^437. — SuUy, OKcon. roy., c. f,S8, à U fin, 15», ffiO.
t II. de la lui^e 133 B à la p«g« tiS. Plu» pour le serment prêté par les
habiUnU el U carniMo, c. 174. L U, p- tlO, ill. ^ Thoanus, 1. CIIXYl,
I 14, p. 547.5â) d« U tradnctioB.
A08 HISTOIRE DU RÈGNli DK HENRI IV.
actes dUine pleine obéissance : comme il le disait ingénieuse*
ment, il n'avait pas conqois Sedan, mais il avait conquis le
seigneur de cette ville. Dans toute sa conduite, à Tégard de
Bouillon, il est évident qu'il fit sans cesse acception du parti
protestant; qu'il s'appliqua à prévenir ses craintes et ses
mécontentements, tout en rétablissant pleinement les préro-
gatives de la puissance royale. C'est par ces sages tempéra-
ments , par cette modération politique , par ce respect pour
les divei'ses classes de la nation, que l'on consolide le pouvoir,
et que l'on ferme l'ère des révolutions. Depuis le commence-
ment de l'année 1606 jusqu'à la mort de Henri, on ne
trouve plus trace d'un seul complot, même d'une seule
menée des grands seigneurs.
Retraite du Henri , parveuu à sa cinquante-sixième année , eut la
'^"°^che« ^ faiblesse de ne pas rester insensible à l'incomparable beauté
ie«EKp«saois. jç mademoiselle de Montmorency, femme de seize ans, qui
épousa le prince de Gondé le 3 mars 1609. Gondé craignit
pour son honneur, et fut poussé aux mesures extrêmes par
la jalousie de Marie de Médicis et par les intrigues des agents
espagnols : la première redoutait d'être supplantée par cette
nouvelle rivale ; les autres voulaient donner à cet incident un
éclat et des proportions redoutables pour le roi et poiu* la
France. Le prince se sauva du .royaume avec sa femme. Au
lieu de chercher un refuge soit en Allemagne , soit en Italie,
chez une puissance amie de Henri , il se retira auprès de l'ar-
chiduc Albert et de l'infante Glaire Eugénie , qui gouvernaient
les Pays-Bas sous l'influence et la dépendance de l'Espagne
(29 août 1609). Henri employa l'adresse de ses ambassadeurs
et la menace pour retirer le premier prince du sang des mains
de SCS constants ennemis, et pour prévenir l'abus qu'ils pou-
vaient faire de sa présence et de son nom. Il n'y parvint pas.
Gondé passa des Pays-Bas dans le Milanèz, où il fut accueilli
par le gouverneur espagnol, le comte de Fuentes^ Toutefois
les Espagnols ne retirèrent aucun avantage de l'hospitalité in-
téressée et hostile qu'ils avaient accordée au prince de Gondé ;
la tranquillité et l'ordre public, désormais aflermis en France,
ne furent pas un moment troublés. La réputation du roi ,
malgré le ridicule pour lui qui s'attachait à la fuite de Gondé,
■ SuUy, OEcon. roy., c. iS9, 190, I9t, «98, 194, i05. — Mtfnoirts d« Bat-
sompicrrc, eoUecti<ni Micbaud. — Mënioirtt de L«aet.
ATTKMTAX^ CONTRK LA VlC DU ROI. A09
ne souffrit aucune atteinte au dehors : son Influence dans les
aiïaires de l'Eivope, qui était prépondérante depuis plu-
.sieurs années, resU la même : il fallait qu*il fût bien grand
par d^autres cAtés.
La ligue avait été la révolte contre la royauté, contre la ^"^"f^^^ic
premi(*re magistrature du pays : elle avait en outre attenté do roi.
à la vie des rois eux-mêmes. Une doctrine perverse, propre
à troubler et à bouleverser un état, ne cesse jamais en même
temps que le fait principal qu'elle a produit : déposée dans
un grand nombre d'esprits quelle a pervertis, elle a tou-
jours une longue suite. C'est là honte des gouvernements
faibles ou aveugles, c'est leur étemelle responsabilité de-
\ant iMeu, que cette durable conséquence d'im principe vi-
cieux , répandu dans les masses par suite de leur coupable
tolérance. La doctrine de la révolte , mise d'abord en avant
IKMir favoriser l'ambition des Guises, devait, après les Guises
abattus, donner naissance aux complots de Biron, des d'En-
tragues, de Bouillon. L'abominable doctrine du régicide,
pratiquée contre Henri 111, devait faire souche, et amener
toute une succession d'attentats contre Henri IV. Les assassins
ne relevant plus que des docteurs du meurtre, avaient secoué
rautorité de tous les làaltres légitimes que leur avaient dou-
mas la société civile et la société religieuse. Foulant aux pieds
les lois civiles et politiques, s'Insurgeant contre les divins
préceptes de r£vangile, des apôtres, des Pères de l'Église , Us
ne se mettaient pas moins en révolte contre la discipline et la
hiérarchie catholique , puisqu'ils attentaient aux jours d'un
prince absous par leurs évéques , absous par le pape de-
puis 1595, et, dès lors, devant être sacré pour eux. Voilà à
quels excès sans nom un odieux fanatisme avait entraîné des
esprits pervertis et des consciences faussées. Et c'est là où
l'on arrivera Inévitablement en partant soit de la religion,
soit de la politique , dès qu'un gouvernement permettra à de
dangereux sophistes, agissant individuellement* ou organisés
en sociétés particulières , de prévaloir contre la société gêné*
raie, contre ses lob, contre ses magistrats.
liCs attentats contre la vie du roi allèrent de pair , se pro-
duisirent simultanément avec les complots contre son auto-
rité. Ces complots eurent tous Heu après la réconciliation du
hiO HISTOIRE DU RÈGNE OK HENRI IV.
rui avec le Saint-Siège , arrivée en 1595. Les assassins crurent
et protestèrent uniformément que l'absolution prononcée par
le pape était sans valeur ; que le roi était un tyran et un usur-
pateur opprimant la Mhcné de ses sujets ; qu'il était un héré-
tique perdant les âmes dans un royaume chrétien ; que sa
mort était un sacriûce agréable à Dieu ; que leur action était
propre à racheter leurs péchés, et notamment les débauches
dont la plupart d'entre eux étaiem souillés. C'est l'histoire
continuée de Jean Ghâtel. La liste de ces furieux , dont nous
ne citons que les plus connus, s'ouvre, en 1596, par Jean
(iuédon, avocat d'Angers; en 1597, par un tapissier de Pa-
ris, qui annonçait que si Ghâtel avait manqué son coup, il
ne manquerait pas le sien ; en 1598 , par le chartreux Pierre
Ouin , du couvent de Nantes , excité à ce crime par l'agent
espagnol Licdcsma. Cette liste se poursuit, en 1599, par deux
jacobins du couvent de Gand , Ridicoux et Argier , apparte-
nant au même ordre que Jacques Clément, imbus des mômes
principes que lui , recevant à Bruxelles, à Rome, à Milan,
les instructions et Pargent des agents espagnols. 11 faut y
joindre le capucin I^anglois , du diocèse de Tout : tous furent
exécutés le 3 avril 1599. On rencontre ensuite, en 1600,
Nicole Mignon , qui avait formé le projet d'empoisonner le
roi; en 1602 , Julien Guédon, digne frère de Jean, qui vou-
lait employer le fer contre Henri , et qui avait impunément
contié son secret au grand pénitencier de l'évéque d'Angers:
en 1603 , un prêtre et un gentilhomme de Bordeaux , qui
avaient concerté de l'assassiner de loin d'un coup d'arlïa- '
lète K
Rnppci ^s complots empoisonnaient l'existence de Henri , moins
des ir»uiiri. encore par les dangers auxquels ils Tcxposaient sans relâche,
que par le spectacle de l'incurable perversité qu'ils lui don-
naient, et par l'amère pensée que sa mort interromprait le
cours de la régénération de la France '.
L'énergie déployée par la justice pour la répression de ces
crimes, la rigueur des supplices n'avaient arrêté aucun des
• Tbuanui, l. cxviii, cxxiu, cxxix, t. 15, p. ISO, 140, 417-4i3: et
t. ii, p. m de U traduction. — P. Cayet, Chron. tcplen., 1. lil, p. 94, 95.
— Loforce, Corrrap., lettre du 14 fe'Trier, l. 1, p. M6. — L«*»toile et ioa
SappUment, p. «70 B, 2S0, 516, 547.- SuUy, OEcuu. ray., c. 96, p. 530 A.
' Thuanus, I. cxxxii, t. U, p. 506. « H ajouta que ce u'éloil que pour
• !• Mlnl d9% antret qu^il voalôit m coaMrver lui-méne. m
RAPPEL DES JÉSUITES. 411
coupables , et l'inutilité de ces moyens invitait le roi à en
cherclicr de différents. D'un autre côté , plusieurs circon-
stances lui faisaient conjecturer que sll ne trouvait un prompt
remiVle, l'avenir serait plus chargé encore que le passé de pro-
jets iiomicides contre lui. Depuis longtemps le pape sollicitait
auprt^s de lui le rappel des jésuites en France, i^epousser
cette demande , c*était pour Henri mécontenter le pontife et
nuire à sa politique en Italie; c^était, de plus, se déclarer
l'ennemi de cet ordre. Au commencement de Tannée 1603,
les jésuites s'étaient adressés directement à lui , deux fois , à
Verdun et à Metz , pour obtenir la faveur réclamée par le
pape. L'un de leurs membres les plus autorisés, le I^re Majus,
lui disait que si , dans d'autres temps , la Société s'était mon-
trée si hostile à la ïYance et à ses rois , et si fovorable à l'Es-
pagne , on devait l'imputer à ce que, bien accueillie partout
ailleurs, et surtout dans les États du roi catholique, elle
n'avait essuyé en France que des persécutions et des oppro-
bres. Il ajoutait que si Henri voulait loi témoigner de l'af-
fection et de la bienveillance, il la trouverait en peu de temps
dévouée à sa personne et à la couronne de France. Le roi
craignait qu'en repoussant ces avances et ces supplications
Il ne ranimât ches les jésuites la haine dont ils lui avaient
donné des preuves si redoutables pendant la Ligue. Un fait
récent Justifiait ses appréhensions : le jésuite flamand Ho-
dnm, instruit du complot de Ridicoux, n'y avait apporté au-
cun empêchement, et s'était borné à dire froidement qu'un
pareil acte demandait un homme plus fort et plus robuste K
Henri espérait au contraire que les jésuites , une fois gagnés
par les bienfaits, useraient de leur autorité dans la confes-
sion, et de leurs rapports si étendus avec toutes les classes
de la société, pour écarter les coups dont la fureur des fana-
tiques pouvait le menacer.
Le rappel des jésuites fut agité plusieurs fois dans le con-
seil du roi et dans les entretiens particuliers de Henri avec
llosny. Kosny s'opposait à cette mesure, et à l'appui de son
sentiment il apportait jusqu'à sept raisons. Nous ne rappel-
lerons ici que les deux principales. • E^ur la seconde de mes
a appréhensions , sire , c'est que ces gens, lesquels, j'avoue,
' Thuuus, 1. cszni, l. i\ p. 418, 419.
ili2 HISTOIRE 1>I) RÈGNE DE HENRI IV.
u être lion seulement habiles, mais pleins de ruses et iner-
» veilleux artiflces « étant une fois remis en pleine Mberié sans
u aucunes limites ni restriction , comme je vois lieaucoup
• d'apparence qu'ils gagneront ce point-là, n'excitent des
M aigreurs , haines et animositës entre vos sujets et serviteurs
» de différente religion, par le moyen de leurs familières con-
h vcrsations, propos déceptife, prédications, confessions et
i> pénitences.... Je crains qu'ils ne vous jettent enûn dans une
» guerre civile en votre royaume contre ceux de la religion,
» comme le plus excellent moyen, voire quasi Tunique et
«l'infaillible, pour affaiblir vous et votre Ëtat Pour la
u troisième appréhension , qu'ils ni gagnent tellement voUre
A oreille, voire peut-être même votre cœur , qu'ils n'empiè-
)i teut une puissance d'éloigner ou d'approcher de votre per-
■» sunne et de l'administration de vos affaires tous ceux que
A bon leur semblera. » Ainsi la force de cet esprit mer-
veilleux d'observation , prodigieux de sagacité , lisait dans
l'avenir, voyait tout ce qui devait arriver sous le petit-fils de
Henri IV. Les faits lui apparaissaient dans leur essence ; il n'y
avait que les noms à ajouter : le choix de tous les officiers
dans l'ordre civil et militaire, dicté par les jésuites dans les
dernières années de Louis XIY ; la révocation de l'édit de
Nantes, les dragonades; la France faisant la fortune de ses
voisins, se ruinant elle-même et se déshonorant dans l'Eu-
rope entière.
Henri, incapable d'une pareille faiblesse, ne pouvait la
concevoir dans les autres. Il voyait le parlement de Paris,
dont le ressort comprenait la moitié du royaume, les parle-
ments de Normandie et de Bourgogne, prononcés ouTerte-
ment contre les jésuites : la magistrature devait donc les
surveiller et les contenir. Enfin, dans la réintégration qu'il
projetait en leur faveur, il mettait d'amples et sages restric-
tions. D'après l'ensemble de ces faits, il conclut qu'ils ne
pourraient jamais exercer un emph« dangereux en France,
il resta uniquement frappé du danger qui menaçait le pays
beaucoup plus que lui-même, et du secours qu'il pouvait tirer
des jésuites pour le conjurer. Il répondit à Rosny : « Par
« nécessité il me faut à présent faire de deux choses l'une :
u à savoir de les admettre purement et simplement, les dé-
» charger des diffames et opprobres desquels ils ont été flé-
RAPPEL DES JÉSDITES. 613
n tris, et les mettre à Tépreave de leur tant beaux serments
a et promesses excellentes; ou bien les rejeter pins absolu-
» ment que jamais, et leur oser de tontes les rigueurs et
» duretés dont Ton se pourra aviser, afin quMls n^approchent
k jamais de moi et de mes Ëtats. Auquel cas, il n*y a point
" de donte qne ce ne aoit les jeter au dernier désespoir, et
n par icelui dans les desseins d^attenter à ma vie. Ce qui me
» la rendrait si misérable et langoureuse, demeurant tou-
n jours dans la défiance d^étre empoisonné ou bien assassiné
» (car ces gens ont des intelligences et correspondances par-
» tout, et grande dextérité à disposer les esprits selon qu*il
B leur plaît) , qu*il me vaudrait mieux être déjà mort, étant
B en cela de Topinion de César, que la plus douce mort
» est la moins prévue et attendue. » Sur cette parole, Hosny
passa sur-le-champ à Tavis du roi >. L'opposition de Paml de
Henri devait céder à ses craintes : Topposidon du ministre,
de rhomme d*État, pouvait céder non moins légitimement
sur la considération que la haine et les vengeances des
jésuites donnaient tout k craindre, et qu'on ne pouvait expo-
ser Henri, et la France avec lui, à im danger présent, pour
conjurer les dangers à venir.
Au mois de septembre 1603, les jésuites obtinrent du roi
des lettres de rétablissement qui furent portées au Parlement.
La cour les examina pendant les mois suivants , et le 2ft dé-
cembre elle adressa à Henri des remontrances demeurées cé-
lèbres, par Torgane de son premier président de Harlay,
relui-là même qui avait signalé son courage et sa fidélité en-
vers la royauté en résistant au duc de Guise, lies remon-
trances établissaient le danger de rappeler les jésuites , sur la
doctrine de ces pères, sur leurs précédents , sur Tinévitable
adoption d'opinions et de sentiments dangereux pour la jeu-
nesse élevée dans leurs écoles. Le système de leur doctrine
suivi et uniforme, disait de llariay, était de ne nronnaltre
d'autre supérieur que le pape, de lui obéir en tout et partout
comme de fidèles sujets ; de croire comme chose incontestable
que le pape était en droit d'excommunier les rois, et qu'un
roi excommunié était un tyran & qui ses sujets pouvaient
' Pour Im trois |Mnis'^«plw« précédmls, Thnant, 1. nix, ckxiii, cxxix*
t. ir», p. «5f, 15», 418, 419; t. «4, p. ISl-IM. — Sully, OKcou. roy.,
c. t». U 1, p. S«7-.%S1», édiUoB Micbaml.
UiU HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI lY.
impunément refuser obéissance ; qu'un simple tonsuré notait
plus sujet du roi, ni soumis à sa juridiction, et que, par con-
séquent, il ne pouvait, quoi qu'il fit, se rendre coupable du
crime de lèse-majesté. Par cette doctrine séditieuse, ils sous-
trayaient les ecclésiastiques à la puissance séculière, en ce qui
concernait le temporel ; ils favorisaient les auentats contre
la personne ^crée des rois, et la subversion de tout gou-
vernement et de tout ordre civil. Tous leurs actes avaient
été conformes à ces doctrines : ils avaient soulevé la moitié
du royaume contre Henri III, comme coupable de protéger
Phérésie au détriment du Saint-Siège , et ils avaient prodigué
les éloges au meurure de ce prince comme à un acte de jus-
tice. Toute la société, sans aucune exception, avait conspiré
contre Henri IV, et s'était liguée avec les anciens ennemis de
la couronne, avec les Espagnols. Les Seize avaient choisi pour
Tun des chefs de leur faction Odon Pigenat, membre de la so-
ciété. Barrière, enrôlé par les jésuites, armé par Varade, muni
de Tabsolulion, avait comploté d'enfoncer un poignard dans
le sein du roi. Cliastel qui l'avait frappé au visage était sorti
de leur école. Leurs doctrines, répandues au moyen de l'en-
seignement , devaient avec le temps changer l'opinion pu-
blique et la pervertir. Ija Sorbonne qui, dans le principe, avait
été leur plus grand adversaire , qui avait déclaré même par
un décret que cette société était née pour détruire et non pour
édifier, la Sorbonne peuplée peu à peu de théologiens formés
dans leurs écoles s'était plus tard mise à leur dévotion, asso-
ciée à leurs excès. De pareils maîtres, poursuivait de llarlay,
formeront des écoliers dociles, dont plusieurs occuperont un
jour les premières places du Parlement et du gouvernement. Fi-
dèles aux instructions qu'ils auront reçues, ils se soustrairont
peu à peu à l'obéissance due au prince, compteront pour rien
les droits et l'autorité du roi ; laisseront périr les libertés de
l'Église gallicane. £n s'appuyant sur ces faits et ces considéra-
tions, de Harlay pressait le roi de retirer ses lettres patentes,
et de laisser intact l'arrêt par lequel le Parlement avait banni
1rs jésuites. 11 ajoutait que les sentiments qui avaient dicté cet
arrêt n'étaient pas particuliers au l^rlement de l^ris , mais
communs à cette cour et aux l^rlements de iNormandie et de
Bourgogne, par conséquent aux deux tiers des magistrats de
la France. A ces raisons du magistrat et de l'homme d'Ktat,
RAPPEL DES l^SUITES. A!5
le premier président joigoit en son nom et au nom do Parle-
ment l*expression de leur reconnaissance et de leur dévoue-
ment envers le roi, protestant que dépouillés de tout intérêt
et de toute affection dans cette affaire, ils ne travaillaient qu*à
sauvegarder sa personne et à garantir son autorité qui, pour
eux et pour la France, étaient celles d'un père.
Henri fut ému et ébranlé , et il remercia le Parlement en
termes pleins d'affection. 11 persista cependant dans son des-
sein. 11 répondit qu'il ne fallait plus reprocher la Ligue aux
jésuites , que c'était l'injure du temps ; qu'il voulait les em-
ployer comme le roi d'Espagne s'en était servi, et il ajouta :
« Laissez-moi conduire celte affaire , j'en ai manié d'autres
bien plus difficiles. Ne pensez plus qu'à faire ce que je dis et
ordonne. » Le Parlement ne songea plus dès lors qu'à obéir,
quoique à regret, et il enregistra les lettres patentes le 2 jan-
vier 160A.
L'édit du rétablissement des jésuites était marqué au coin
de la sagesse ordinaire de Henri, et bien évidemment res-
treint dans certaines limites d'après les remontrances du Par-
lement, comme le prouve le discours de I)e Malsse. Le roi leur
permettait de résider désormais légalement en France, et d'ou-
vrir leurs collèges dans douze villes du midi, Toulouse, fié-
ziers, Anch, Hhodez, Bordeaux, Périgueux, IJmoges, Tour-
non, Aubenaz, Le IHiy, Lyon, et dans deux villes du centre,
Dijon et I^a Fl^clle. 11 leur rendait tous les biens présents et
passés : il les dotait du collégede La Flèche, dont l'érection ayait
roAté 300,000 livres, et dont les chaires étalent par lui riche-
ment dotiH^s. Ces bienfaits devaient les gagner et lui concilier
leur affection. Mais en niante temps 11 leur défendait de s'éta-
blir dans aucune autre ville sans une expresse permission du
roi ; d'où il résultait qu'à l\iris et dans plus des trois quarts
du royaume, l'enseignement restait confié aux Universités ,
ot présentait au gouvernement les garanties qu'il pouvait dé-
sirer. Il leur interdisait de rien entreprendre et de rien faire,
tant au spirituel qu'au temporel, au préjudice des évéques,
rurés, chapitn*8, universités, et leur enjoignait, au contraire,
(l<* se conformer au droit commun. Il leur défendait égale-
ment d'administrer les sacrements , et celui de la confession
en particulier, à d*autres qu'à des jésuites, à moins qu'ils n'en
ot)tinssent la permission des évéqnes, et celle des parlements
&I6 HISTOIRE eu RÈGNE DE HEKRI IV.
de Toulouse, Bordeaux et Dijon, dans le ressort desquels ils
étaient établis. U leur défendait d*acquérir aucun immeoble
en France, par achat, par donation ou autrement, sans auto-
risation préalable du roi , et de prendre ou recevoir aucune
succession soit directe , soit collatérale. Les membres de la
société , admis en France , devaient tous être Français. Ils
étaient astreints de prêter serment de ne rien faire, ni entre-
prendre contre le service du roi , la paix publique, le repos
du royaume , sans aucune exception ni réserve ; et cet enga-
gement solennel était pris par eux à ime époque où les par-
ticuliers se tenaient pour liés et engagés par un serment.
L'un d'eux devait toujours séjourner à la cour, et répondre
de la conduite des membres de la société. L'infraction aux
conditions qui leur étaient Imposées devait entraîner la dé-
chéance de redit de rétablissement ^
Dans les limites où la prudence et la fermeté du roi les
avait renfermés , ils ne pouvaient nuire , et ils ne nuisirent
pas. Loin de là , ils semblent avoir été utiles : il est très re-
marquable , en effet , que les complots contre la vie du roi
cessèrent durant les six dernières années de son règne , soit
par rintervention de ces reUgieux . soit par l'idée répandue
dans des masses ignorantes que sa réconciliation avec eux
était une preuve de son orthodoxie. Il est impossible d'im-
puter à ce prince les conséquences finales qu'eut le rappel des
jésuites, alors que la faiblesse et l'aveuglement des gouver-
nements qui succédèrent au sien eurent ôté toutes les res-
trictions qu'il avait mises à leur rétablissement.
' Pour tel troU demieri paragrapliei, Toir Tbuanu». 1. cxxxu, t. Il,
Lt99-5lt. — Le texte de Pëdit de rètuhliitemfiU des jésuilea, daiit le
ciMÏl dea ancienne* lois françaiset, 1. 15, p. SSS-SUO. — P. djel, Chrom»
s€pt€n,t I. VU, t. 9, p. S74-S76.
GOUVERNUMENT : R^.GIMË RF.PR^^SF.NTATIK. /|17
CUAPlTnE 11.
G<Mivi'rneincnt, justice, ordre publir.
' § 1. Gouvernement.
Soas le règne de Henri, le gouvernement de la France
n*eat rieq d'homogène et d*uniforme ; mais dans la diver*
site des systèmes et des régimes politiques auxquels furent
soumises les diverses populations, on trouve une masse con-
sidérable de lll)erté en général, et tous les genres de libertés
accordés aux citoyens. C'est là le caractère général et distinc-
tif de ce gouvernement
D'abord une partie de la France obtint le régime représen-
tatif, très réel, très effectif quant au fond, différent seule-
ment dans la forme de ce qu'il est aujourd'hui.
Les Calvinistes, depuis l'édit de Nantes jusqu'à la mort du it^me rrpr^
roi, jouirent, pendant onie ans, de cette forme de gouver- •«■«•**' p«''»»«i»
nement. Dans leurs assemblées générales étaient agitées
toutes les questions qui intéressaient l'existence et la pros-
périté du parti ; et ces questions furent résolues par la cou-
ronne, conformément à leurs vœux et à leurs votes, au moins
dans l'ensemble. Les modifications que le roi put introduire
dans les détails n'excédèrent pas la part de pouvoir législatif
qu'il devait conserver dans une monarchie représentative.
Au delà des limites où ils furent contenus sous ce règne,
les calvinistes entraient dans le régime républicain; ils étaient
exposés alors à prendre des résolutions contraires à l'intérêt
général et à se séparer du reste de la nation : c'est ce qui
arriva sous le règne de Louis Xlil. l^servés de la licence
pur la fermeté et l'autorité de Henri, ils jouirent d'une liberté
contenue et sérieuse. Tel fut le caractère de leurs assemblées
générales de Châtellerault en 1605, de Jargeau en 1608, dans
lesquelles ils nommèrent leurs députés ou représentants
auprès du roi , chargés de traiter avec lui leurs affaires
courantes ; dans lesquelles encore ils obtinrent la continua-
lion de leurs places de sûreté pour le délai de quatre ans,
successivement renouvelé, et le maintien de gouverneurs
27
418 HISTOIRK DU RÈGRE DE HSIIRI IV.
protestants dans les diverses villes où ils étaient maîtres ^ .
Les six provinces ou pays d*états, la Bourgogne, le Dau-
phiné, la Provence, le Languedoc, la Bretagae, la Norman-
die, continuèrent à se régir par leurs formes propres, selon
leurs anciens usages '. Dans leurs états provinciaux, où sié-
geaient les députés des trois ordres, les impôts royaux étaient
périodiquement arrêtés à une certaine somme et votés : ces
assemblées connaissaient et décidaient en outre, non seule-
ment d'une multitude de questions d'intérêt local , mais sou-
vent même des plus graves intérêts généraux : dai^s les der-
niers mois de 1589, nous avons vu les états du Langudoc
reconnaître le roi et lui assurer leur obéissance. A ces pro-
vinces de Tancienne Firance, il faut joindre les pays hénSdi-
taires de Foix, Béarn, Navarre, que Henri réunit h la couronne
en 1607 : soit avant, soit après la réunion, le régime des
états y fut constamment en vigueur K
Ces libertés spéciales et particulières aux calvinistes et aux
pays d'états ne les empêchaient pas de participer aux libertés
générales ou locales attribuées à la masse de la nation, dont
nous allons présenter le tableau.
Régim«monar- ^ régime monarchique gouvernait la masse de la nation,
chique. Ce système de gouvernement était bien éloigné de la monar-
chieabsolue, qui ne fut établie que pendant les règnes suivants.
La grande maxime de Henri, souvent répétée par lui, était
« qu'il ne falloit pas, pour bien régner, qu'un roy fit tout ce
• qu'il pouvoit faire ^. • Et, comme nous allons le voir, il
apporta, en effet, des restrictions de toute sorte à l'exercice
de son pouvoir. Sous Henri IV, la couronne, il est vrai, pos^
sédait d'une manière générale tout le pouvoir exécutif; le
pouvoir législatif, réglant par des édita et des ordonnances
les questions d'intérêt public ou d'utilité, au fur et à mesure
qu'elles se présentaient ; le pouvoir même de fixer, chaque
année, le chiffre de l'impôt, et de le lever sans l'assentiment
national émis régulièrement et périodiquement. C'était bien
' Sallj. OBcon. roy., c. IBI, 183, 184. t. n, p. 61, jS7, 149, fSO.flKl.
la correipoodanee du roi, de Sully et det seeréiaire* d'État sur cet deus
•Memblées de» calTinUtei. — Vojei ci-deMua en outre, p. 405.
' La Normandie arait det Étais doot les pririlégei ëlwieot inCifrlenrs 4
ceux des cioq autres proTincea.
* Laforce, Mémoires, 1. 1, c. IV, p. i08, 109.
« Mrtfftze^ HisL de Heurt le Grand, p. 409, M. Ia-t% ItB.
!>«•
ttonalet.
GODVIRNBMIHT : LIBERTES DB LA MON ARCHIB. 419
là la marche habituelle des choses dans les temps ordinaires;
c*était bien là les prérogatives de la couronne, prises d^une
manière nue et théorique.
Mais d*abord, dès qu'il survenait des drconstancei» graves ^^'^ conwr-
nécessitant des sacrifices extraordinaires ; dès que la pertur- osLmMé«i **
bation introduite dans Tétat des divers ordres, ou dans les
services publics, appelait une réforme générale, dès lors la
nation était appelée et consultée. Cest ce qui était arrivé en
1596, alors que les deniers levés sur le peuple n'avaient plus
suffi aux dépenses de la guerre étrangère et de la défense du
territoire, alors que la guerre civile prolongée avait jeté par-
tout le désordre et Panarchie. La royauté n'avait pas provo-
qué les États-généraux, qui, sous Tempire des souvenirs de
1577 et de 1588, apparaissaient menaçants à tous ; mais
elle avait réuni les notables. Les notables, et non pas la cou-
ronne, avaient établi le nouvel impôt du sou pour livre. Les
notables, et non pas la couronne, avaient ordonné la réforme
du clergé, de la justice, au sujet du conflit des juridictions,
des monnaies, de la milice, delà police des métiers, laissant
à la royauté l'exécution des décisions prises par eux ^
Le pouvoir législatif, sous Henri, fut donc bien lom d'être
concentré dans les mains du roi seul, quand il s'agit de me-
sures exceptionnelles et générales.
En second lieu, même dans les circonstances ordinaires»
même dans les cas où le roi décida, sans consulter les repré-
sentants de la nation, il y eut une immense diiTérence entre
les prérogatives absolues de la couronne et l'application, entre
les décisions du prince et l'exécution. Dans l'exécution inter-
vint le concours des corps de l'État, l'action constante des
parlements par les remontrances, l'enregistrement, souvent
même la non-exécution des édits. Après l'arrêt du parle-
ment de l'aria, du 38 décembre 159/i , survint un édit du
roi« en date du 7 janvier 1595, lequel expulsa les jésuites du
royaume \ Cet édit fut observé dans le ressort du parlement
de Paris qui comprenait presque la moitié du royaume, et
m«nta.
' Thoaant, t. OSVn. t. xm. p. ID-SS de la lni<laeUon.— 4nc. loU fniaç.,
t. XV, p. 13S, pov Véàkt au «Mb d'«Tril 1597. 11 eH Uès rMnnfuabU
q«'«m tltod««l4dlt, rfUtif aas «MttriaM •! & la polie* das m^Uan, Too
tnmf Vémumai mItuI : lyaprès VmuU dës molakUs msêmmèUs à
êm ÂM. kb teaç., L ZV. ^ tl, 9L
â20 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
ensuite dans Pétendue de la juridiction des parlements de
Bourgogne et de Normandie. Mais les parlements de Bor-
deaux et de Toulouse éludèrent Tédit et gardèrent ces reli-
gieux jusqu^aa temps où une autre décision royale les rap-
pela'. Henri, cédant aux dangers publics, décréta en principe
redit de Nantes avec ses clauses si singulièrement favorables
aux calvinistes. Le parlement de Paris, qui jugeait imparfai-
tement la situation politique, fit opposition, par ses remon-
trances, à redit tout entier. Le roi avait une vue bien plus
nette des nécessités publiques : il tint bon et il eut raison.
Mais il accueillit et donna place dans Tédit à quelques ob-
servations très sages du parlement, relativement à la né-
cessité de ne permettre aux calvinistes de s'assembler
qu*après avoir reçu Tautorisation du roi, et relativement à
la répartition des magistrats calvinistes dans toutes les cham-
bres du parlement de Paris '.
De l'année i601 à Tannée 1608, il laissa examiner et dis-
cuter par le parlement de Rouen plusieurs de ses édits
relatifs à la création d'offices nouveaux, aux ventes de garde-
noble et de haute justice, à la coupe des bois de hante futaie,
que le gouvernement voulait abattre pour faire de l'argent.
Le résultat de l'opposition des magistrats de cette cour fut
l'annulation ou la non-exécution de ces édits K Même inter-
vention du parlement de Paris, avec un plein succès, dans
la discussion des édits mis en avant, l'an 1609. Le roi, sur
le point d'attaquer les deux branches de la maison d'Autri-
che, et de commencer une guerre européenne, avait besoin
de grandes ressources en argent, et il en cherchait partout.
A la fin du mois de juillet 1609, il fut proposé au conseil
d'État plusieurs édits fiscaux : l'un sur les monnaies, pour
changer leur valeur et tirer, à ce que l'on prétendait, la cin-
quième partie du bien de tout le monde ; l'autre portant ré-
forme des habits et règlement des soieries, entraînant une
forte contribudon sur les marchands de sole, les orfèvres,
les joailliers, et, partant, troublant leurs industries; un
troisième enfin relatif aux nantissements. Le roi souffrit les
• Thunai, 1. CUZ« L XUI, p. 158, 159. de la tnidnction.
• SbIW, OEcon. roy., c. ic, 1. 1, p. 308-310. — Thnanns, I. C3«ii, l. xill,
p. 374, de la tradacUon.
• Registres secreU du parlement de Normandie, cités par M. Floqnet,
t. lY, p. 168*t9ft. — Grodlarl, Voyages en cour, c. n.
i
GOt\ft:RNft:)l£>T : liberté de la 2UU.\ARCU1£. U*2i
réclamations des marcbands, les libres remontrances du ma-
réchal d'Ornano, le refus et le rejet par le parlement de
Tédil des monnaies, au moment de l'enregistrement, c^est-à-
dire le Ô août, et Tajoumemenl indéûnl des autres, le 16 août :
après ces épreuves, il abandonna les édits proposés '.
Plus d'une fois Henri laissa les magistrats municipaux, Par u» corpi et
ainsi que les parlements, contredire et traverser les projets '•• "••|»»»'«i«
de son gouvernement, et défendre contre lui les intérêts de
quelques classes de citoyens, mémo quand il avait pour lui
le droit, mais le droit rigoureux. On en vit un exemple re-
marquable en 1605 dans Taflaire des rentes de PHôtel-de-
Ville de Paris. Le roi voulait soumettre ù une vérification sévère
les titres de ces renies, dont une partie avait été établie d'une
manière irrégulière ou frauduleuse; rejeter celles qui avaient
été constituées sur des édits non vérifiés en parlement ; rem-
bourser le reste, ou n'en plus payer l'intérêt qu'à quatre pour
cent, tandis que l'intérêt de ces rentes était servi à huit pour
cent et pour moitié environ par le trésor public En exécu-
tant la mesure, le roi aurait en peu de temps déchargé ses
finances d'une dépense annuelle de 1 million 800 mille livres
du temps. L'opération, juste en elle-même, était très rigou*
reuse. En effet, beaucoup de particuliers avaient acquis de
bonne foi par achat, par mariage, par partage entre héri-
tiers, la portion de ces rentes dont l'origine était vicieuse.
I)e plus , les rentes sur ril6tel-de-Ville étaient le principal
revenu, la plus claire subsistttice, comme disent les contem-
porains, de la bourgeoisie de Paris. Miron, prévôt des mar-
chands, après avoir siégé quelque temps dans la commission
chargée de la révision des rentes, voyant cette assemblée
adopter avec faveur le projet du gouvernement, s'en sépara
sur-le-champ, fit, le 22 avril, des protestations pour obtenir
surséance à des recherches si dangereuses , et adressa des
remontrances au roi. Homme d'ordre, et aussi bon citoyen,
aussi fidèle serviteur de Henri que zélé prévôt des marchands,
il voulait qu'on s'arrêtât à des représentations faites au
pouvoir. Mais les bourgeois , que la mesure menaçait de
mine, s'assemblaient en grande» troupes à la porte de leur
prévôt, et parlaient hautement de prendre les armes, quoique
* LMloil«, Begtol. {oanial <!• Henri IV. iaillet, ««At 1009, p. 514406 A.
R4pporis du
goaTrmrmcnl
avec
le cierge
•t b noblesM.
Ù22 HISTOIRE DU RÈ6N8 DS HENRI IT.
Miron les conjurât de ne pas se rendre coupables, et de ne
pas le rendre coupable lui-même par ces démonstrations.
Les conseils et les instigations ne manquèrent pas au roi pour
lui persuader d'enlever Miron, de châtier les bourgeois, d'im-
poser la réduction ou le remlwursement des rentes, et de
faire prévaloir son autorité souveraine. Henri répondit aux
courtisans que Pautorité ne consistait pas toujours à pousser
les choses avec la dernière hauteur ; qu'il fallait regarder le
temps, les personnes, le sujet ; qu'ayant employé dix ans à
éteindre la guerre civile, il craignait d'en rallumer jusqu'aux
moindres étincelles ; que Paris lui avait trop coûté pour s'ex-
poser à le perdre ; qu'il ne consentirait jamais, d'ailleurs, &
perdre en un jour, par de terribles exemples, la gloire de sa
clémence et l'amour de ses peuples. Après quoi , ayant or-
donné à son conseil d'examiner les remontrances que la dé-
putation de Paris lui avait apportées , il abandonna la re-
cherche des rentes, et laissa Miron, dans sa charge de prévôt,
continuer ses grands travaux, assainir Paris, Tembellir, le
protéger par une police exacte K
li résulte de tous ces faits que les opinions libres, les
résistances consciencieuses étaient souffertes et prises en
bonne part par le gouvernement, qui , dans l'intérêt pu-
blic, cédait à celles qui étaient fondées. La monarchie
de Henri IV avait donc, sous d'autres formes, son opposi-
tion, comme le gouvernement représentatif, et Topposition,
sous ce prince, quand elle avait la raison pour elle, battait
les ministres et le conseil d'État.
Cette salutaire opposition , qui prévient les écarts et les
fautes du pouvoir, périt nécessairement par l'avilissement des
grands corps de l'État. Une fois atteints par l'oisiveté, l'igno-
rance et la pauvreté, ils perdent toute autorité auprès du
prince comme auprès de la nation, et toml)ent dans l'entière
dépendance du pouvoir absolu, auquel leur dégradation con-
vient : que Ton voie l'état et le degré d'influence du clergé
russe aujourd'hui. La monarchie limitée vit d'autres prin-
cipes : elle emprunte une partie de sa propre force aux
ordres de l'État ; il faut donc qu'elle perpétue leur pros-
' Thuanui, l. CSXXIV, t. X1V| P* ^M« ^^ <!• U truduction. — Bkitlhi«a«
Hist. d« Henri IV, Ut. ill« p. 706, iti-fol. — Bleieray, gr. liittoir*, U lli«
p. 1M8. — Pér^fi&t, Hùt. d« Henri U Grand, p. Utt-SéH, m-ll.
RAPPORTS AVEC LE CLERGÉ ET LA NOBLESSE. A28
périté , tout en les tenant, par une sage fermeté , dans le
devoir. Le gonYemement de Henri satisfit à ces obligations
de la monarchie modérée. 11 commença la réforme du clergé,
sons le rapport des nururs et de i^lnstniction : s*il ne la
poussa pas bien avant, c>st qne le temps Itii manqua. Son
but était que ce corps , par sa fidélité à accomplir ses de-
voirs, prit assez d^empire sur la nation pour quil parvint
à faire refleurir la religion délaissée et la jusdce , qne le
roi regardait comme les fondements de tous les États, et sur
lesquels il voulait asseoir le sien. Il demandait aussi aux ecclé-
siastiques d'appuyer autant par leurs exemples la légitime
autorité du gouvernement et la morale publique, quMls les
avaient ébranlées du temps de la Ligue K II savait ce qne la
nobles!»e pouvait fournir et ce qu'elle ne pouvait pas donner.
11 ne fallait pas demander à la masse des gentilshommes un
service régulier dans une guerre savante et prolongée. Mais
on devait en attendre des exploits chevaleresques en un Jour
de bataille. De plus elle fournissait aux troupes régulières elle»*
m<^mos la plupart de leurs officiers, et tous leurs généraux :
les officiers continuaient à se montrer d'une bravoure éprou-
vée; les deux Biron, Lcsdigulères, Sully avaient fait preuve
de véritables talents militaires. Pour garder à la nation cette
race et cette recrue de capitaines, Il fallait la tenir entourée
de la considération qui s'attache à l'aisance, et la préparer
aux rudes travaux de la guerre par la vie de la campagne
et les exercices de la chasse. Aussi, Henri, faisant la guerre
au luxe ruineux des nobles, disait-Il, qu'il se « moquait bien
n de ceux qui portaient leurs moulins sur les épaules. ■ De
plus, au lieu de les attirer à sa cour, pour les réduire au rôle
de souples courtisans, Il les renvoyait vivre dans leurs châteaux
et dans leurs terres. Un autre avantage s'attachait au séjour
des gentilshommes parmi leurs paysans : en cas d^invasion
* p. Caj«l, rhroo. M^ptfo., 1. i, t. U, p. 37 A. •- Thutnat, 1. CXZ,
I. Xlli« p. Slî de U traduction. D« Tlioa donne un« paraphrii»* felMe du
beau ilUcourt de Henri IV à l'uti^mblée du clrri;^, eti 16!)S, qa« Cajét
rap|>orle root à mot : • Je «ruy que U religion rt la jiutire tout 1m fonde»
• menU et ctilonuci dr r<>>l Ftt.it, qui ke ronkerve par pieté et |a«tice.
m Quand elle» n'y tcroienl p«s, je lat y Touilrnls e^ilahlir pied è pied
» romme \e fuis toute* rhoxt... tailet |tar toi bons exemples qne U pea-
» pie toit autant exhorté i bien faire, cootm* Il ■ etté rl^drTantdétownê...
» Vont m*aTet exhorte de mon devoir, \9 rwa «ihorte d«^voftf«... Un
• predëcewmri «out ont donné det pnrolet, mnii moi, «fec Ba |aqa«tti
a grito, |e voua donaeray de4 effccla. ■
U*2U HISTOIRE DU K£GN£ D£ UËMRI IV.
étrangère, leur voix était bien mieux connue , ils étaient bien
plus facilement stiivis, Tennemi trouvait une bien autre ré-
sistance. Dans ses rapports avec la noblesse, Henri se con-
duisit par des principes absolument opposés à ceux de
Louis XIV, et, à notre sens, selon les vrais principes de la
monarchie, qui n'est ni Tabsolutisme ni la république.
Rapporu du Henri laissa aux villes des libertés fort étendues, qui, pour
KouTerneineut pjj,gjçm.j d'entre elles, étaient des restes importants des li-
i^'^^lu* bertés communales, qui, pour les autres, étaient la consé-
gct. q^jçjjçg jg jçy|.j privilèges. Toutes les grandes villes, soit
qu'elles eussent reconnu son autorité dès son avènement,
soit qu'elles eussent traité avec lui à partir de ibdlx et de la
fin de la Ligue, conservèrent le droit de se garder elles-
mêmes. Elles ne reçurent point de garnisons du tout, ou
quand elles étaient frontières, elles ne reçurent de troupes
que ce qui était strictement nécessaire pour aider les bour-
geois à se défendre contre l'étranger : elles ne furent com-
mandées ni dominées par des forteresses, la maxime du roi
étant qu'il ne voulait « avoir de citadelles que dans les cœurs
Il de ses sujets i. » La ville d'Amiens fit, au dommage de la
France, un criminel abus du respect de Henri pour ses fran-
chises, quand, se trouvant alors sur la frontière, et la guerre
déclarée contre l'Espagne, elle refusa de recevoir une garni-
son dans ses murs. Mais cet accident, si gi*ave qu'il fût,
n'induisit pas Henri k changer les rapports généraux de son
gouvernement avec les villes. Elles obéirent donc sans con-
trainte, parce qu'elles sentaient l'utilité et la nécessité pour
elles d'obéir, et de maintenir fortement l'ordre public De
159/1 à 1610, dans un espace de seize ans, le roi n'eut pas à
réprimer une seule révolte dans les grandes villes; leur res-
pect pour son autorité justifie complètement sa confiance et
les principes d'après lesquels II se conduisit à leur égard. Il
* Trsitët du roi ■▼ec les tIUcs de la Ligue, dons le recueil de MaUhieu,
dans d'Aubigntf, 1. m, c. xix, et daus P. Cayet, 1. VI. 1* Meaux : m Qu'il
m ne aéra mis en ladite ville autre garnison, soit de cheval, soit de pied,
B que la compagnie do chevaux légers du sieur de Vilry ; 2* Lyon, que le
M roj ne busliruit |ainois de citadelles en leur ville que dans leurs ctenrs
M et bonites volontés, qu'ils n^anroient que 600 Suisses de garnison ;
M V Orléans , article 7, promeltont aussi en parole «le roy qu'il ne
M sera par nous ou uns surces^curs li l'advenir faict, construit, ni hasty,
» aucune citadelle, ni Torts en ladicte ville, ni en icelle mis aucune gar-
M nison de gens de guerre. » Tous les autres traités portent des clauses
pareilles.
PRINCIPE OË LA LIBKIITË MAl^TENC. !l25
laissa complètement aux villes l'administration de la com»
manauté, de la famille mmilcipale, et le choix de Tadminis-
trateur, dans tout ce qui n'intéressait qu'elle. Il respecta
avec scrupule la liberté des choix dans la nomination des
magistrats municipaux, prévôts des marchands, maires, ca-
pitouls, échevins, consuls, jurats. Il les confirma dans la
Jouissance et la di^fmsition de leurs revenus. 11 leur donna
toutes facilités et protection pour se maintenir dans la pro-
priété de leurs biens commimaux ou pour y rentrer. Par
suite du malheur des temps, la plupart des communes ayant
été réduites à aliéner leurs terres pour acquitter les impôts,
ou pour satisfaire aux exactions de la Ligue, Henri leur ac-
corda, par son édit de 1600, la faculté d'y rentrer, à la
charge par elles d'acquitter en quatre ans le prix très vil au-*
quel elles les avaient vendues *. On a remarqué avec justesse
et sagacité que, dans la Jouissance des biens communaux, le
paysan pauvre et laborieux puise une ressource qui le met à
l'abride la mendicité etde la servitude. Henri fitdonc immensé-
ment pour la liberté de cette classe nombreuse de la nation.
En tenant tous les ordres de citoyens, le clergé, la noblesse,
les parlements, la bourgeoisie, les habitants des campagnes
dans cet état de dignité et d'indépendance, en leur conti-
nuant à tous une existence distincte, une vie qui leur était
propre, Henri se conduisait par les maxhnes de la politique
la plus élevée. H entretenait chez sa nation la mâle vigueur,
la noblesse de sentiments et d'idées, qui font la grandeur des
Individus et des peuples tout ensemble, parce qu'elles pous-
sent la nature humaine à fournir tout ce qu'elle peut don-
ner. Les bourgeois d'Orléans, les bourgeois de Beauvais
avaient opposé aux Anglais et aux Bourguignons ime résis-
tance héroïque et indomptable ; les parlements et les villes,
tout récemment, venaient de reconquérir la patrie sur les
tyrans de la Ligue et sur l'Espagnol. Cette fierté de courage,
* ÈJit du mois d» mars 1600, aHicle S7, Anr. loU franc., I. XT, p. B7.
« Ayant este conlralnt* 1m pluipart det bahitanls des paroutei de ce
M rovaitme, de Tendre leurs u«aKes et communes (terres commanes) à fort
» Til pris, pour payer les tailles et aulret grandes sommes qai •« levoient
t> avec violence snr eux durant le4 tronblvs, Toulons et ordonnons qne
a quoique lesdietes renies ayent esté faides purement et sans rachapt, qu'il
m soit loisible ans habitants d« les retirer en rembonraanl la pris adneU
•• leroent payé par les acquéreurs dans quatre ans. a — M. Leber, Hiatoire
Jtt poatoâr municipal, p. 445, 454.
626 HISTOIRE DU RÈ6MS DR HENRI IT.
qui ne connaît pas de dangers dans la guerre, se transforme,
les hostilités finies, d*une part en courage dvil, d*une
autre en une force calme qui ne connaît pas de difficultés
insurmontables dans les arts et les entreprises de la paix.
Toutes ces vertus se retirent des populations à mesure que les
populationsse fondent, se perdent, s'effacent dansune masse de
trente millions d'individus, et qu'elles subissent Tabsolutisme.
L'excès de la centralisation et de l'unité administrative tue
cbez elles la puissance de l'individualité ! l'excès du pouvoir
étouffe le sentiment de la liberté, principe de tobtes les
grandes choses. La souveraine habileté pour les gouverne-
ments, même monarchiques, est de laisser aux corps et aux
communautés assez de vie locale, aux citoyens assez d'in-
dépendance, pour qu'ils restent énergiques et dignes, et de
ménager à la royauté assez de force pour réprimer la liberté,
au moment où l'abus se produit et où la révolte commence.
Henri, en faisant à la nation une large part d'Indépendance «
ne négligea aucun des grands moyens propres à fonder un
pouvoir central très fort, très en état de prévenir ou de ré-
primer les troubles; et d'assurer l'ordre public Tous les
malheurs, toutes les humiliations de la France à la fin du
moyen âge, avaient découlé d'une source unique : les apa-
nages avaient constitué ime seconde féodalité, avalent per-
mis aux ducs de Bourgogne, peu h peu agrandis, de devenir,
comme princes terriens, les rivaux des rois de France. Au
temps des guerres de religion et de la Ligue, les deux der-
nières principautés féodales subsistantes, où se maintenaient
encore l'Indépendance de fait et les moyens de faire la guerre,
au moins à un gouvernement faible, avaient alimenté les
troubles dans le royaume durent trente-six ans. Le parti
calviniste avait pu tenir tète toujours à la royauté, parfois
même comme à Goutras, la vaincre, l'humilier, parce qu'il
avait été soutenu par les rois de Mavarre, princes de Béam,
seigneurs de seize duchés et comtés dont la plupart étaient
groupés autour de la Navarre. Les grandes villes de la Ligue
étant déjà réduites, tous les autres princes de la maison de
Lorraine, y compris ^layenne, déjà abattus ou soumb, le
duc de Mcrcœur avait pu soutenir la Ligue Jusqu'en i598«
parce qu'il appuyait la révolte des immennes domaines de ta
maison de Penthièvre, possédés par lui en Bretagne.
rAcnion a la cocronms du domaine PRlVi. 427
A son avènement, Henri avait relîuiéde réunir son domaine
particulier au domaine de la couronne : il avait établi la sépa-
ration par ses lettres-patentes du 13 avril 1590 et par ses
lettres de jussion des 18 avril et 29 mai 1691 K Rien n'était
plus juste que cette séparation et désunion : en effet, la moitié
de la FVance était alors armée contre lui ; Hssue de la lutte
incertaine, et il ne pouvait sans une générosité folie doter de
son domaine particulier une couronne quUI risquait de ne pos-
séder jamais. La justice demandait encore qu'il conservât
ses biens pour sauvegarder les droits de sa sœur Catberine,
Enfin ilntérét de l'État, autant que son intérêt privé et celai
de sa famille, plaidait contre la réunion. Pour défendre la
cause nationale contre les efforts conjurés de la Ligue, du roi
d'Espagne, d'une partie de l'Europe, il fallait pouvoir con-
tracter d'immenses emprunts, et ses domaines propres avaient
été incessamment le gage qu'il avait donné à ses créanciers
pour en obtenir de l'argent ^. Quand il fut affermi sur le tr6ne«
et quand il eut perdu sa srpur, morte sans enfants, 11 céda aui
instances que le procureur-général Ijaguesie et le parlement
de Paris avaient faites auprès de lui depuis le mois d'avril
1591. Par son édit du mois de juillet 1607, il réunit son do-
maine privé au domaine de la couronne. Jamais roi de France
n'avait enrichi la couronne de terres si nombreuses et si belles.
Il lui donna la partie française du royaume de Navarre, la
principauté de Béam, et de plus, dans le Midi du royaume,
an duché et neuf comtés, qui étaient le duché d'Albret, les
comtés de Foix, d'Armagnac, de Bifeorre, de Rouerguc, de
Roch, de Cuiversan, de Tarascon, de l*érigord, de Limoges)
dans le centre de la France, le duché de Beaumont-le- Vi-
comte ; dans le Nord, le duché d'Alençon et les trois comtés
de Soissons, de Marie, de La Fère. De tous les biens dont 11
était propriétaire lors de son avènement, le seul duché de
Vendôme ne fut pas réuni à la couronne; il en avait disposé
en 1598 au profit de son fils naturel César K
' Am ienn#s lois frvnc., t. ZT, p. SOB^nltS.
' Mrmoiret d« miidaror Du|tlr»»i», p. 955, 9M. ■ Sa ILi|Mtr doona
» chaigr «t commiuion i M. Duplnm pour Tendra |ttsqa'à iîS.OOO ciroi
a du fonda de son domaine de N«
■iivarre
I pour pa^rmeiit dr« Croit irieus
• r^gimenU des &ulue*, Tenle i laquelle M. Dupli>wi« contrcdici plot d'uo
• an, |H>iir ne voir diMïper cesie maiwo en tel mains, mais A laquelle
r pour
loia franc., t. XT, p. 3t9.
, Ane loia franf., t. ZT, p. 80-SIQ. Ponr
• flaalcmcnt Sm Hajatte lui commanda il« cMer pour la nécessite argenlt
Ri^unioii
au domaine de
la rouroune,
du domaine
pariirulicr du
ruL
» de aaa affairas. « — > Ane
• Poar l'adii d«
Conséquences
«l«s réunions.
U2S HISTOIRE DU RÈGMi DE HENRI IV.
Les donmuies Les itniiicnses domaines de la maison de l^enlliièvrc situés
PeniMèrre ^^^ ^^^ dîocèses de Dol el de Saint-Brietic et possédés par
et de Mercosur. ]e duc de MercŒUT et par sa femme, passèrent au fils naturel
de Henri IV et de Gabrielie d^Estrées, César de Vendôme, par
]e mariage de ce prince, conclu le 5 avril 1598, avec la fille
et Tunique héritière du duc et de la duchesse de Mercœur, la
plus riche héritière du royaume ^
Les conséquences capitales de ce mariage el de la réunion
du domaine du roi à la couronne sont faciles à saisir. La réu-
nion mettait désormais du côté de la royauté toutes les forces
militaires, toutes les ressources financières qui Pavaient tenue
en échec, affaiblie, humiliée, pendant la longue période des
guerres de religion. Le mariage, en livrant rinunense héri-
tage du dernier ligueur au fils du roi, le livrait à peu de
chose près à la royauté elle-même. En effet, les Vendômes,
par riUégitimité de leur naissance, par la situation de leurs
domaines, entourés, enveloppés de toutes parts des provinces
royales, ne pouvaient, par aucun côté, renouveler le rôle
des ducs de Bourgogne. Le premier duc de Vendôme, le fils
même de Henri IV, en i6i/!i, alors qu'il avait vmgt ans, alors
que ceux qui l'entouraient voulaient et décidaient pour lui, fit
bien une sorte de parade insurrectionnelle de quelques mois
contre le plus faible et le plus décrié des gouvernements,
contre la régence de Marie de Médids. Mais il échoua ,
et depuis ce moment, lui-même et tous ses descendants ne
furent plus, pour les rois, que des généraux utiles, sou-
vent héroïques, parfois indispensables comme dans la guerre
de la succession d'Espagne. La réunion du domaine privé
des rois de Navarre au domaine de la couronne , et l'acqui-
sition des domaines de la maison de Penthièvre eurent donc
ces résultats. Désormais , aucim seigneur en France n'eut
plus par lui-même les moyens de tenir tête à la royauté :
quand désormais les gouverneurs de province et les princes
du sang s'insurgèrent, ils s'en prhrent à des régentes dont le
Vétumcé des domaines prir^s du roi, son eccord el capituUUon avec le
duc Cssimir, Blénioires de Duplestis. t. !▼, p. 56 ; Arl de Tërifîer 1rs dates
t. Vi, p. 930, in-8* — Le duché de Vendôme ne fut dms réani à la cou-
ronne, parce que le roi en disposo en fiivear de son ftls naturel Cesor, pai
•rte du S oTril 1508. (Thuanus, 1. cxx, t. xiii, p. 90((, de la traduction).
Les BéoédicUns font donc erreur au suicide cette réunion.
* Tbaantts, 1. csx, ibid.
PRÉCAUTIONS A L'ÉGARD DES PRINCES ET DES GOUVERN. A'i9
pouvoir était contesté, au lieu de s*en prendre à des rots, co
qui était fort différent : déplus ils empruntèrent à la couronne
pour les retourner contre elle les pouvoirs, les soldats, les
deniers dont lis firent usage ; et celte force d^mprunt, qui est
un contre-sens en même temps qu'un monstrueux abus, ne
dure jamais.
Un vaste domaine privé réuni à la couronne, le dernier 'J:^*»'*«»J.p^
héritage princier assuré à la branche bAtarde de la famille ga'id1ict*pnoeêt
royale, sont les deux mesures décisives par lesquelles Henri _ "^ **^
assura à la royauté une force et une puissance dont elle avait
besoin dans Tintérèt du pays. Mais ces mesures ne furent pas
les seules : il en est plusieurs autres qui, bien que secon-
daires, prêtèrent aux premières un utile appui. Les princes
du sang et les princes de la maison de Lorraine avaient servi
de chefe aux factieux des deux partis, pendant toute la durée
des guerres de religion. Henri les tint dans un état d'abaisse-
ment relatif. Quand il leur accorda des gouvernements, il prit
k leur égard des mesures si exactes qu'ils ne pouvaient ni dis-
poser arbitrairement, ni abuser contre l'autorité du roi, des
forces militaires et des finances de la province où ils comman-
daient Il traversa et empêcha tous les mariages honorables
et riches qui se présentèrent pour les princes de la maison
de Lorraine, notamment pour le duc d'Aiguillon et pour le
duc de Guise. Un homme d'État contemporain dit à ce sujet :
« Il fallait que leur race finist en eux, ou, s'ils se marioient,
» que ce fust avec tant de désavantage, que se trouvant après
■ sans biens et fort déchus de réputation, ils ne peussent pas
» soutenirleurs prétentions, ni résister à ce qu'il voudroit ^ »
H refusa aux princes du sang, notamment au comte de Sois-
sons et au prince de Gondé, les domaines et la fortune néces-
saires pour soutenir leur rang, avec l'intention bien arrêtée
de les garder dans sa dépendance et dans la soumission par
l'argent: un pensionnaire n'a pas beaucoup d'idées d'insur-
rection. Quant aux antres grands seigneurs chargés du gou-
vernement des provinces, il tempéra ce que leurs pouvoirs
avaient eu jusqu'alors d'excessif et de dangereux pour l'autorité
royale etpour la tranquillité publique. A côté du gouverneur
de la province. Il mit tm lieutenant du roi sur la fidélité
* Ponteoay-Mar«uil, t. ▼, 9* série ii« 1» roUrction, p. S5 0, à U An»
«G A.
430 HI8T01BS DU RiGlIB DE HKHRl IT.
duquel il pouvait compter, n donna au gouverneur de la pro-
vince des rivaux d'autorité, d*une part, dans les gouverneurs
des grandes villes et dans les gouverneurs des citadelles,
d'une autre, dans les parlements. Il priva les gouverneurs
de province des impôts arbitraires qu'ils avalent levés jus-
qu'alors sur les populations, et au moyen desquels ils s'étaient
constitué, avec d'immenses revenus, des moyens d'indépen-
dance et de révolte. On pourrait établir par des faits nom-
breux la condition nouvelle et la juste dépendance à l'égard
de la couronne dans laquelle furent placés les gouverneurs.
11 suffira de rapporter les détails relatifs à l'un d'eux, au duc
d'Épernon. En 1598, Henri et Bosny enlevèrent au duc, mal-
gré ses réclamations et ses menaces, un revenu de 180,000
livres de ce temps-là, qu^il se faisait au moyen de taxes arbi^
traires dont il frappait les populations de son gouvernement
d*Angoumois et de Saintonge ^ En 1603, le roi parvint à sous*
traire à sa puissance la ville et la citadelle de Metz, dont il
avait le gouvernement, et auxquelles il avait doimé pour sous-
gouverneur le sieur de Sobolles. Metz couvrait dès lors toute
la frontière de la France au nord-est. Le roi en connais-
sait l'importance et la signalait dans ses lettres à Sully '. Il
sentait aussi que le seul moyen sûr de s'en assurer la pro-
priété était d'en conserver la possession. « Metz estant ville de
» l'Empire, disait-il, si je venois à la perdre, je n'aurois jamais
« droict de la redemander \ » D'Épernon, qui avait traité
avec les Espagnols pour leur livrer Marseille et la Provence,
pouvait parfaitement traiter avec l'empereur ou les princes
de l'Empire pour leur livrer Metz. La tyrannie et les exactions
du frère du sieur de Sobolles étaient très propres à inspirer
aux habitants la résolution désespérée de se séparer de la
France, et de se réunir à l'Empire auquel ils avaient si long-
temps appartenu. En 1603, Henri fit tout exprès un voyage
à Metz pour conjurer ces dangers et faire tout rentrer dans
l'ordre, il contraignit Sobolles à lui livrer sans condition la
* SnUy, OEeoo. roy.. e. txzx^, 1. 1, p. 998 A.
" Lottre du roi à Rosnj, du 15 mars ISOS. • Cette TiUe «et des plu«
» b«lle« et de* mieux astUei, et trois foli plus grande que celle d*Orlêans ;
» la citadelle ne roat rien. Je roudrois que tous eussiea fiiict icj un tour,
«et que TOUS euseies veu ceste frontière pour juger rintportunce qu*elle
» m*e«L ■ (Lelt. raist., t. Ti, p. 48.)
' Diaeows 4a ni I Sally, OBcob. roy., e. OOV, 1. 1, p. 40 A.
SXCBLLBlfCB PRATIQOB DU GOUVBRNEMBirT : 8BS CHOIX. A31
dtadelle de Mets (16 mars* 1603). Il établit pour lieutenant
du roi dans le pays Montigny, et pourgouYemenr partieuller
delà ville et do la citadelle de Metz dVVrquien, frère de Mon*
tJgny, tous deux serviteurs d*une fidélité éprouvée, le duc
d'Ëpcmon conservant le gouvernement nominal. La politique
de Henri, à Tégard de tous les gouverneurs de provinces et
de villes, est révélée par la conduite qu^il tint à Tégard de
ceux de Metz, et renfermée dans la remarquable observation
de Sully : » Le roy fist le voyage qui donna ordre à tout, 8*as-
■ seurant de la place en laissant au duc d*Epernon le simple
• titre, et la puissance au sieur de Montigny *. •
Par les diverses mesures adoptées à Pégard des gouver*
neurs et des princes, par les réunions de domaines à la cou-
ronne, Henri compléta U puissance royale et organisa le
véritable régime monarchique. On y trouvait, avecla royau-
té, un pouvoir central très fort, très capable d*enchatner les
factions, de préserver la France des calamités des trois der-
niers règnes, d'assurer Tordre public d'une manière inébran-
lable, de favoriser le développement des fortunes particu-
lières et de la prospérité publique. A tous ces titres, le
pouvoir était très aimé, très respecté, très populaire. A côté
de cette royauté forte, on trouvait ime liberté contenue, dont
la royauté souffrait non-seulement le voisinage, mais le con-
cours et Faction puissante, pour entretenir la vie et la dignité i
au sein de la nation.
Nous venons de voir ce qui constituait la force matérielle
et la force morale de la monarchie de Henri IV : nous allons
examhier rapidement ce qui disait Texceilence pratique de
ce gouvernement
Même dans ses expéditions, même dans ses voyages ayant Eceaiienc* «lu
pour but de prévenir ou de réprimer des séditions, il se fal- pa««rii«m#ni.
. ^ • . j 1 .«*.''« "»* connaît
sait accompagner de plusieurs de ses secrétaires d Etat, les de toaie* !«••
ministres d'alors, et examinait avec eux, mais par lui-même, •«»&'«■•
toutes les affaires Importantes. La correspondance de ses
crétaires d'Èut et le témoignage des historiens contemporains
établit ce fait jusqu'à l'évidence. Pour ne citer ici que deux ou
trois détails, nous rappellerons que Henri recevait les requêtes
* UOrm mbalvw d« Brart IT, <!• IS «an 1609, t. ti, p. 40.~ SaUy,
OBcM. i«y.. c. «xiii, esiv. t.1, p.4ll>Â,4i4A«« TkMut, I, aux,
U ziv, p. laa, 131, d« u tradaelioa.
Choix «dml*
rable des ml-
nitlrM «Idet
autres
functionusires.
/k32 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
des calvinistes au sujet de leurs intérêts, dans la ville de Lyon,
ail sortir de la conquête de la Bourgogne, du combat de Fon-
taine- Française, et quUl rendait à Nantes Tédit qui régla leur
sort, à la fin de son expédition contre le duc de Mercœur;
que durant son voyage à Metz, en 1603, il était accompagné
de Vilieroy et de quelques autres de ses secrétaires d'État, et
que tout en poursuivant le changement de gouverneur de
cette ville et de la citadelle, il continuait d'importantes né-
gociations avec la Hollande et les princes d'Allemagne K Pen-
dant la paix, le roi tenait et présidait chaque jour le conseil,
et faisait débattre en sa présence toutes les questions où
rintérèt de TÉtat éuit engagé, appliquant k toutes son expé-
rience, ses lumières naturelles, les lumières qu'il avait tirées
des autres, dans ses rapports et ses perpétuels entretiens avec
toute«i les classes de citoyens. Après la discussion , il prenait
une résolution invariable et la faisait exécuter sans retard.
Ses secrétaires d'État lui rendaient également compte chaque
jour des affaires de leur département '-'. L'œil du maître était
donc partout et toujours , entretenant chez ceux qu'il em-
ployait le travail, le zèle, la probité ; donnant au service une
exactitude et une promptitude qui font souvent plus de la
moitié du succès des entreprises.
Le choix de ses conseillers et de ses secrétaires d*État fut
admirable. 11 ne consulta ni la qualité ni la faveur: il ne se
décida que par la capacité, que par les talents qui pouvaient
être utiles à la chose publique , employant indifféremment
Bellièvre,SiUery, Rosny, qui avaient toujours suivi son parti;
Vilieroy et Jeannin, qui avaient servi la Ligue.
11 se détermina à employer ces deux derniers sur cette
considération, qu'ils étaient consommés dans la connaissance
des affaires , fertiles en ressources et en expédients , et que
dans les conseils de la Ligue ils s'étaient montrés bons Fran-
çais, s'opposant constamment au démembrement de la cou-
ronne et aux prétentions des Espagnols '. Une preuve que
ces deux hommes, malgré leur grande habileté, étaient très
inférieurs au roi dans le maniement des grandes affaires,
' Thunus, I. c»ii et cxx. t. xn, p, 4f7, 4i8, et t. xiii, p. 909, de la
trsdnclioii. — Lettre de ViUeroy • Rosny, du 4 mars 1603, dans les
OEcon. roy., c. cxti. t. i, p. 4U B, 415 A.
* FotileoayMureuil. t. v. 9» série, p. 18 A, 19 A, eolleclloa Miehand.
' FoDtenaj-lIarenil, t. V, p. 18 B.
FONCTIONS. IRR/.l>ilOCHABL£S DKVENUS INAMOVIBLES. /k33
r.Vst que la Ligue qu'ils soutcnahmt fut vaincue par lui, et
qu'après sa mort le ministère dont ils firent partie ne se si-
gnala que par une timide et insuffisante adresse, et ne vint
à bout d'aucune des difficultés du temps. lia main puissante
qui les faisait valoir s'était retirée , et il ne restait plus dès
lors que des hommes d'État incomplets. Il y a lieu de s'éton-
ner que cette remarque n'ait jamais été faite, et que Ton n'en
ait pas tiré la conséquence légitime que Henri était le plus
grand politique de son conseil.
Préoccupé de l'idée que la force et la grandeur d'un État
dépendent de la perfection de chacun des services publics, il
ne tint compte pareillement que du mérite éprouvé dans tous
les choix où l'intérêt général se trouvait engagé. Quand il
s'agissait de quelque charge ou office de sa maison. Il pre-
nait ceux qu'il aimait le plus et qui lui agréaient davantage ;
dès qu'il était question des grandes affaires intérieures ou de
la guerre, il ne songeait qu'aux plus capables. La présence et
les instances des demandeurs, la haute position de leurs pa-
trons, ne servaient de rien. Il écartait ces sollicitations et ces
brigues pour aller chercher le mérite, et pour lui remettre le
pouvoir et les dignités. Il éleva très souvent aux charges les
plus importantes des hommes absents ou qui ne demandaient
rien. Entre cent autres on citait de Vie, qu'il fit gouverneur
de Calais ; Lcsdiguières, maréchal de France ; d'Ossat et La-
rocbefoucauld, cardinaux '. Une pareille monarchie valait,
sous ce rapport, les meilleures républiques.
Après avoir choisi les sujets avec justice et discernement,
pour les plus grands comme pour les plus humbles emplois,
Henri les y maintenait biébninhiblement tant qu'ils n'avaient
pas démérité. Voici à cet égard le témoignage d'un content-
poniin : « Ajoutez à tout ceci une chose qui devroit être ab-
» solttnient pratiquée par tous les rois et potentats : c'est que
i> non-obstant toute la grande faveur , crédit et emploi de
» Sully près du roi, cependant n'estoit-il pas en sa puissance,
u ni de nul autre, de faire prendre à ce prince ni oster aucun
» serviteur à sa fantaisie. Le roy vouloit estre informé de tout
« au vrai, en sorte que nul mauvais office, par haine ou par
Toul fonction-
nuire irrëpro-
cbiibl* J«TeMii
iuamotibU.
* Fonli na^-llitiruil, p. ti R.
!2K
/i34 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI TV»
» malice, ne pouvait noire à aucan K » On le voit, Henri
était pénétré de Tidée que l'on ne doit attendre ni attache-
ment pour le gouvernement, ni dévouement pour leurs fonc-
tions, ni même ordinairement probité , des hommes qui ne
peuvent considérer leur charge que comme un passage, et
leur pouvoir que comme un accident qu'il faut se hâter
d'exploiter.
§ 2. Justice.
Les vingt années de troubles, de guerre civile et étran-
gère, qui avaient marqué l'existence de la Ligue, avaient ap-
porté dans la justice les mêmes désordres, la même désorga-
nisation que dans les autres parties de l'administration, dans
les autres services publics. En 1597, les garanties que la jus-
tice est chargée de donner aux biens, à la vie, à l'honneur
des citoyens, n'existaient plus qu'incomplètes , et même,
dans certains cas, n'existaient plus. Le pays, entraîné vers
un état de choses où la furce et la ruse remplaçaient le
droit, retournait à grands pas vers la barbarie. Les dangers
dans lesquels la couronne s'était trouvée placée avaient fait
une partie du mal, l'entraînement et la perversité des parti -
ailiers avaient fait le reste,
La royauté, harcelée par. ses ennemis, exclusivement oc-
cupée de la guerre, n'avait plus eu ni attention, ni surveil-
lance pour Texercice de la justice. De plus, occupée sans
cesse, et forcément, à gagner ou ù conserver des partisans,
ayant besoin de tout le monde, des gens de guerre, des ma-
gistrats de toutes les juridictions, des officiers municipaux,
des bourgeois, elle avait usé d'une pareille et fatale indul-
gence envers les juges et envers les justiciables. Les chefs de
la Ligue, les usurpateurs Guise et Mayenne avaient subi des
exigences plus grandes encore , et fait au désordre plus de
concessions.
Enormes ■bas L'actlou ct la répr&ssiou salutaires de l'autorité souveraine
fo^Vln 'StWT* 3y*ï*t cessé, les abus avaient pullulé aussitôt. Le moindre
était le prix exorbitant auquel le citoyen , conduit pour une
affaire civile ou criminelle devant les tribunaux , était con-
■ Sully, OEcon. royal., c. CLYU, S* section, t. ii, p. 100 A.
jQSTice. 635
traint de payer les services de toiis les suppôts de la justice.
En ce temps, les magistrats des parlements et des tribunaux
inférieurs étaient rémunérés du travail qu'entraînent les
procès, par le gouvernement qui leur donnait des gages mo-
diques, et par les particuliers dont ils recevaient une rétribu-
tion nommée épices. Les juges avaient porté leurs épices à
un taux excessif : autant en avaient fait les procureurs pour
leurs procédures, les avocats pour leurs plaidoyers : le plai-
deur perdait une partie de sa fortune pour défendre et con-
server Tautre. Les juges les meilleurs étaient ceux qui se fai-
saient payer cher une sentence juste. Le parlement de Paris
était demeuré intègre ; mais dans les provinces les parle-
ments, les autres cours souveraines et. les tribunaux infé-
rieurs, perdant toute conscience et toute pudeur, avaient mis
presque partout leurs sentences à prix d'argent Au temps
même qui nous occupe, en 1598, Henri disait : » J'aime mon
» parlement de Paris par dessus tous les autres. Il faut que
u je recognoLsse la vérité que c'est le seul lieu où la justice
» se rend aujourd'hui dans mon royaume. Il n'est pas cor-
» rompu par argent; en la plupart des autres, la justice s'y
m vend ; et qui donné deux mille cscus l'emporte sur celluy qui
» donne moins. Je le s<;ais parce que j'ay aidé autrefois à
I* boursiller» » C'était pendant la durée de la Ligue, alors
qu'il avait à soutenir et à défendre ses serviteurs contre les
iniquités des tribunaux de province. Le témoignage qu'il
porte contre eux est conlinné par un magistrat des cours
souveraines de province, lequel avoue que la décadence des
parlements est arrivée de son temps ^ Quand les plaideurs
de mauvaise foi trouvaient par exception dans une localité les
juges inaccessibles à la corruption, ils prenaient un autre
moyen de violer La justice. C'était d'obtenir une évocation^
c'est-^-dire le transport de leur cause du tribunal qui devait
naturellement en connaître à un autre tribunal , soit parle-
ment, soit grand conseil, soit conseil d'État ib gagnaient
alors leurs procès par suite de diverses circonstances. Tantôt
Us triomphaient par l'éloignement, leur partie adverse man-
* DboQ«n4« HMii IT un parlenait d« Pftrtf . «• 1898, m fa|«t de redit
d« Ifanics, dast rHiitoire da p«rlemeat de l'aru, c. 40, p. ti9, éd. 1919.
— Laroctw-navln, L X, c. Ti. Céuit as coiudUer au parlameot de
/i36 HISTOIRE DU RÈGNK DE IlENItl IV.
quant de ressources suffisantes pour se transporter à cent,
deux cents lieues de sa résidence , pour clioisir des défen-
seurs habiies, pour solliciter et éclairer les juges. Tantôt ils
remportaient par le choix du rapporteur de leur procès ou
par la composition du tribunal : les uns avaient assez de crédit
pour ctioisir eux-mêmes à leur gré leur rapporteur : les
autres se faisaient renvoyer devant des juges parmi lesquels
ils comptaient beaucoup d'amis ou sur lesquels ils pouvaient
exercer une influence, soit directe, soit indirecte : les princes,
les ministres, les courtisans, pesaient d*un poids irrésistible,
pour eux-mêmes ou pour leurs protégés , sur le grand con-
seil , sur le conseil d'État, sur certains parlements. C'était ,
comme le témoignent les monuments contemporains , « le
» plus grand moyen qu'eussent les hommes puissants de faire
» injustice aux foibles contre lesquels ils plaidoient < » Bien
d'autres abus encore corrompaient et déshonoraient la jus-
tice. Beaucoup de magistrats ne présentaient plus les garan-
ties d'Age, de capacité, de moralité voulues pour assurer de
bons juges et une justice impartiale. Beaucoup d'autres se
chargeaient des alTaires des princes, des prélats, des cha-
pitres, ou bien prenaient intérêt dans des affaires de finance,
d'industrie, de commerce ; de sorte qu'ils se trouvaient sou-
vent juges et parties dans leur propre cause ou dans celle
de leurs clients, et qu'ils consacraient toujours à des intérêts
particuliers le temps qu'ils devaient au public. On trouvait
dans certains tribunaux un si grand nombre de magistrats
parents ou alliés entre eux , qu'ils pouvaient se concerter et
s'accorder pour faire rendre les jugements au gré de leurs
passions et de leur intérêt. Très souvent les causes étaient
enlevées aux tribunaux ordinaires pour être livrées aux tri-
bunaux d'exception, aux commissions. Enfin, pour comble
de désordre, les arrêts des parlements et autres cours souve-
raines étaient souvent cassés ou rétractés sur la poursuite
d*hommes puissants : leur exécution était suspendue, quel-
quefois indéfiniment, par des lettres ou requêtes présentées
au conseil d'État : leur exécution n'avait pas lieu du tout
quand les chefs de la force armée, les gouverneurs de viiles
ou de province, les grands seigneurs puissants dans leurs
* AnricDDrt lois françiiisef, I. xy, p. Itt.
JIST1C£. U'ôl
terres s'rii irouvaiciu It^sés; il y avait alors uiie ipultilude de
gens plus forts que la loi.
On peut donc dire que littéralement la Justice périssait en ÉdU «t r^n mt
France, lorsque Henri la sauva par son édit du mois de jan- ^* *^^'
vier 1597. Cet édit remettant en vigueur les dispositions des
ordonnances d'Orléans, de Moulins et de Blois, réglait avec
sagesse trois points principaux : la composition et le person-
nel des divers tribunaux , la juridiction des tribunaux, les
frais des procès.
Tous les magistrats des bailliages, des sièges présidiaux,
des parlements, ainsi que ceux des cours des comptes et des
aides, étaient désormais soumis de nouveau à de sévères
examens porUnt sur leur âge, sur leur capacité, sur leur
moralité, avant de recevoir Tinvestiture de leur office et le
pouvoir de décider des plus graves intérêts des particuliers
et de la société. U était pourvu h ce qu'un trop grand nom-
bre de juges, parents et alliés entre eux, ne siégeassent plus
dans un même tribunal, et ne pussent plus y établir une
coupable connivence. 11 éuit défendu à tous les magistrats
de se charger désormais des affaires des princes, des prélats,
des chapitres, comme de se mêler d'aucun parti de finance,
d'aucune industrie, d'aucun commerce : à cet égard, la plus
exacte surveillance devait être exercée par les procureurs
généraux, et les magistrats délinquants privés de leur office
et poursuivis selon la rigueur des ordonnances K
En principe, et dans presque tous les cas, nul citoyen
n'était plus distrait de ses juges naturels et de son ressort.
Le conseil d'État n'éuit plus saisi des causes qui consisUient
en juridiction contentieuse. Les évocations qui troublaient
l'ordre de la justice, n'avaient plus lieu que conformément
aux édits de Cbantelou et de la Bourdaisière, aux ordon-
nances de Moulins et de Blois ; elles étaient de plus soumises à
des formes et à des précautions qui les restreignaient à un
petit nombre de cas et en établissaient la justice. Elles de-
vaient être signées par l'un des secréUires d'Étal, c'est-à-
dire par un des ministres, ou par un des secrétaires du con-
seil d'ÈUt et de finances ; le grand conseil devait décider au
préalable qu'elles étaient fondées en raison et en droit. La
• Édit d« («iiTitr tSOT, dam le» Ave. lou franc,, u XT, p. IflO-ltS.
•rticlcs 8, 4, A, 7, S, 9. '^
A38 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IT.
Justice exceptionnelle, celle des commissions et des commis-
saires, dont reflet était de suspendre et de paralyser la jus-
tice ordinaire, était restreinte aux seuls cas portés par Tor-
donnance de Moulins. Il était ordonné que les arrêts rendtui
par les cours souveraines seraient désormais reçus par tous
avec le respect qu*on devait à la justice ; qu'ils ne pourrraient
être rétractés ni cassés que par les voies de droit, et selon
les formes portées par les ordonnances ; que l'exécution n'en
serait suspendue ni retardée par aucune autorité, sous aucun
prétexte, par suite d'aucune instance illégale introduite ail-
leurs, et notamment par les lettres ou requêtes présentées
au conseil du roi '.
Enfin l'édit guérit en grande partie le mal qui rongeait les
citoyens assez malheureux pour être traduits devant les tri-
bunaux civils ou criminels , qui consumait en frais de jus-
tice la moitié des fortunes particulières. Les éplces excessives
furent réduites dans le grand conseil, dans les parlements,
dans les autres cours souveraines, dans les tribunaux infé-
rieurs, pour les juges, pour les avocats, pour les procureurs.
Les présidents des cours souveraines taxèrent le salaire des
juges de ces tribunaux, des avocats, des procureurs, et Ils
durent répondre au roi de la taxe arrêtée par eux. Quant
aux juges des tribunaux inférieurs, ils eurent pour arbitres
les conseillers des parlements qui reçurent le pouvoir « de
les reprendre et de les corriger » toutes les fois qu'ils dé-
passaient les bornes de la modération \ *
Henri fit, en 160^, un changement d'une importance ex-
trême dans la collation par le gouvernement, et dans l'ob-
tention par les particuliers, des offices de finance et de ju-
dfcature. Les offices de finance, depuis Louis XII, les offices
de judicature, depuis François I*', avaient été acquis à prix
d'argent. Ce prix payé par les financiers et par les magis-
trats avait semblé constituer en leur faveur certains droits sur
leurs charges. Aussi, l'usage s'était-il introduit de leur per-
mettre de résigner, c'est-à-dire de céder par contrat, ou, plus
exactement, de vendre la charge qu'ils possédaient ; mais il
fallait qu'ils survécussent quarante jours au marché. Quand
cette condition n'avait pas été remi^ie, ou quand il n^ avait
• Fdit d* 1507« ariiclei 13, 15, i7, 18, St, p. 193, 194, ÎU.
* Mém« ë<lit, article Itf, p. 194, 19B.
JUSTICE. 639
pas eu résignation, Toffice revenait à la coaronne qoi en dis-
posait à son gré.
Henri changea cet état de choses, principalement par le u PkttUit*.
conseil de Roany. Dans les derniers jours de Tannée i60iï,
il donna, non pas nn édit, mais un arrêt, suivant lequel les
ofDciers de flnance et de judicature devenaient propriétaires
de leurs charges, en payant chaque année quatre deniers pour
livre, c'est-à-dire la soixantième partie du prix de ces charges,
d'après la récente estimation qui en avait été faite. A
leur mort, leurs charges restaient à leurs héritiers, qui en
disposaient comme d'un bien patrimonial, sauf les exceptions
et les cas qui vont être spécifiés. La redevance à laquelle ils
étaient assujettis fut appelée droit annuel. Les charges des
premiers présidents , des procureurs et avocats généraux
dans les parlements, étaient formellement exceptées du droit
annuel et réservées à la nomination du roi. Pour les offices
compris dans le droit annuel, c'est-à-dire pour tous les au-
tres offices de justice et de finance, le gouvernement se ré-
servait le pouvoir d'en disposer, quand Us viendraient à va-
quer, sous la seule condition de payer préalablement aux
héritiers de ceux qui en étaient pourvus le prix auquel ils
seraient évalués. De cette sorte , pour les charges de sim-
ples conseillers dans les parlements, de simples juges dans
les tribunaux inférieurs, la couronne conservait toujours le
droit et les moyens d'écarter les sujets indignes ou dange-
reux. Ces restrictions capitales donnaient au gouvernement
tous les moyens d'arrêter les conséquences et de prévenir les
abus qui pouvaient résulter de l'établissement du droit an-
nuel K 11 est bien singulier que les histoires modernes n'en
fassent pas mention. Le droit annuel fut appelé Paulette, du .
nom du financier Paulet, qui avait donné la première idée
de ce nouvel impôt et qui en fut le premier fermier.
Il y eut dans cette mesure un côté fiscal. En eiïet, les der- R^inoiit Agr«i«a
niers Valois, et Henri IV après eux, ne vendaient plus les de**u 'fIÏuÎÛ
charges judiciaires, n'en retiraient plus aucim profit pour
* ThiwDiM, I. cxxzn, L znr, p. SU, SV, 4« U tndactioa. — RicbdlM.
TmUoicdI poliliqD», 1** partie, c IT, ledion 1««. ■ Le* maux que €•■••
• prrMoteiDeiit !• droit annuel ii« pr&cèd«al pat tant d« Tice d« m Mter*
» qa« d« IMmprndrace avec laqucUe on s UpéUê eorrtcHfi qtt« M graad
;^/tO HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
leur trésor. Quand il y avait résiguation, ils permettaient au
magistrat et au financier de tirer de sa charge le prix qu'il
m trouvait : quand l'office revenait à la couronne, le roi en
disposait, il est vrai, mais toujours sur la désignation de quel-
que seigneur en crédit, qui touchait le prix de l'office à la
place du roi. Rosny prétendait qu'au lieu de laisser couler
cet argent dans les coffres des particuliers, il était encore
plus raisonnable d'en détourner le cours au profit du trésor
public; que le roi aurait ainsi les moyens de payer en tout ou
en partie les gages des officiers de justice ; que les im-
pôts seraient diminués et les contribuables déchargés d'au-
tant , ou que le trésor public aurait plus de fonds à consa-
crer aux entreprises utiles <. Mais en établissant le droit an-
nuel ou Paulette, Henri se détermina par une considération
politique beaucoup plus puissante sur son esprit que l'intérêt
fiscal. 11 avait vu que les Guises, durant leur faveiur, soit en
intervenant dans les résignations, soit en fixant le choix
royal en faveur de leurs candidats, étaient parvenus à faire
donner tous les offices vacants à des gens qui dépendaient
d'eux ; qu'ils s'étaient acquis un crédit sans bornes parmi les
officiers qui les connaissaient plus que les rois ; que cette
circonstance, plus que toute autre, les avait aidés à faire la
Ligue. Henri crut qu'on ne pourrait jamais établir de règle
certaine contre les favoris, ni les empêcher d'abuser de leur
crédit II crut remédier à cet abus et à ce danger, en privant
la royauté elle-même du droit qu'elle avait à la collation des
offices, et en en donnant la propriété aux particuliers et &
leiu-s héritiers. Richelieu tenait de la bouche même de Sully
les raisons politiques qui avaient conduit Henri à cette alié-
nation de l'une des principales prérogatives de hi couronne K
Opinion ' Richelieu approuvait sans restriction le droit annuel. 11
J« Richelien* prétendait que les magistratures devaient rester dans les fa-
milles auxquelles leur fortune permettait d'en soutenir Tim-
portance ; que si l'accès à ces charges était ouvert indistinc-
tement à tous sans payer, tous, éblouis par leur éclat, y
courraient, et déserteraient les autres professions, principa-
* Thuunus« 1. cxxxii. t. xiv, p. 595, de la traduction. — Perefixr, Hisl.
dfl Henri le Grautl, iu-tl, p. obî.
' Foatenay-Miireuil, U V, de la collection, p. 31 B. — Richelieu, Testa-
ment politique, ibiH,
J08T1GK. kài
leraent le commerce et l*indiistrie ; qae sous le régime de la
résignatioQ, le magistral étail réduit à se démettre de lx>nne
heure dans la crainte d'être surpris par la mort et de frustrer
sa famille du prix de sa charge, taudis que, sous le régime
du droit annuel, il vieillissait tranquillement dans ses fonc-
tions, et y apportait la science et la maturité que ks années
donnent seules, lies restrictions apportées au droit annuel
lui semblaient armer tout gouvernement intelligent et ferme
de moyens suffisants pour réprimer les abus qui naîtraient
de cette mesure, au moment où les abus commenceraient à
se produire ^
Henri IV, Suily et Kiclielieu avaient gain de cause conure y.^^^ ^^ j^
le système de résignation, mais ils n'avaient pas raison contre mentre sot» !«•
les vices de la vénaUté et de l'hérédité des charges ; hérédité mïÔu fcTû.,
qui naquit du droit annuel, qui s'établit malgré les sages res-
trictions de Henri, par Tincurie et la faiblesse du gouverne-
ment qui succéda au sien. Les contemporains les plus Instruits
dans les afiaires de la magistrature et de la justice, tels que
de Thou, plusieurs hommes d'£tat, entre autres Fonlenay-
Mareuil, élevèrent la voix, dès le principe, contre le droit
annuel et contre ses conséquences, qu'ils prévirent et annon-
cèrent. L'hérédité des offices de judicature ayant constitué au
profit de certaines familles un monopole, un privilège, qui
leur conféra la noblesse de robe, la plus haute considération
dans la société, une part de pouvoh* dans le gouvernement,
il en résulta que les charges ne tardèrent pas à monter à des
prix exorbitants. Les magistrats eurent, naturellement, la ten-
tation de fahe payer aux plaideurs ce qui leur avait coûté si
cher, de revendre en détail ce qu'ils avaient acheté en gros.
N'étant plus contenus par la main ferme de Henri, ils échap-
pèrent aux enuraves et à la réforme de l'édit de 1597, repor-
tèrent les épices à un taux excessif, et ruinèrent les plaideurs
en frais de procès. Les examens d'admission se relâchèrent
d'abord, et ensuite devinrent illusoires ; l'argent tint heu aux
juges de probité et d'instruction. Malgré d'honorables excep-
tions, kl magisU'ature cessa d'éure intègre et éclairée, et la
justice se corrompit de nouveau : il ne serait pas difficile d*éu-
blir la vérité historique du personnage de Perrin Dandin. Dans
* Rich«lMu, TeiUment poliUqua, ibié.
U
28*
Uh2 HISTOIRE DU AEGNK D£ HENRI IV.
les rapports de la magistrature avec le gouvernement, Tabus
du système de la résignation avait en partie produit la Ligue:
Tabus de rbérédité devait engendrer d'autres désordres sous
une royauté également faible; les hommes politiques les
redoutaient et entrevoyaient la Fronde ^
il n*y avait donc pas à remplacer la résignation par le droit
annuel ; il fallait supprimer Tune et ne pas établir Tautre. Il
éuit digne de Henri IV de ramener la justice à l'état où elle
avait été depuis Louis XI jusqu'à François 1*% époque où la
roya jti^ choisissait les magistrats, sur la présentation des
corps, parmi les avocats les plus intègres et les plus instruits
de chaque barreau, et où la complète indépendance du juge
était assurée par Tinamovibilité. Il n'est guère douteux que
Henri n'eût ouvert les yeux sur les vices de la Paulette, et,
après l'avoir détruite, n'eût opéré les réformes voulues, s'il
eût véai quelques années de plus. En elTet, avec ce senti-
ment i-eligieux qu'il portait dans l'accomplissement de tous
les devoirs de la royauté, il répétait souvent : « Dieu me fera
M peut-être la grâce, dans ma vieillesse, de me donner le
» temps d'aller deux ou trois fois par semaine au parlement,
» comme y allait le bon roi Louis XII, pour travailler à l'abré-
» viation des procès. Ce seront là mes dernières prome-
» nades '. n La Providence ne lui accorda pas ces dernières
années ; il ne put voir l'exercice de la justice en face et à nu ;
il ne put exercer son contrôle sur le jeu de ce pouvoir pu-
blic, reconnatrte les tendances du droit annuel et les vices de
l'hérédité. Dès lors, la réforme de la magistrature et de la
justice fut ajournée en partie jusqu'au règne de Louis XIV,
en partie jusqu'à la révolution française.
■ Thuonus, 1. cxxxil; tonutt xiV, p. 515, de U Irodaction. — Lettoile,
Supplément, p. 39U B. « On fit «umî en ce lempa en France un parti de la
m justice en Tcdit de Paulet, toal propre |iour la ruiner et abolir. La
m dispense des quarante jours que les officiers uchètenV fera qnMU se dis •
m peuteront aisément de bien faire, et feront porter injustement au peaple
» le tribut annuel qu'elle leur coAte. ■ — FonlenHy-Mareuil , t. ▼ de la
collection, p. îli B. '— « Les officiers en sont deTonui si «udacieux et entre*
M prenants, principalement ceux des parlemenlt, qu'ils sont tuosîonrs prêta
m d*ttbuser de rauthorité que les roys leur ont donnée et de l'employer
m contre eax-mémes. m
' Tablettes historiques des rois de France.
ORDRE PUBLIC. âA3
I 3. Ordre public.
Lorsque la Ligue, en 1598, posa les armes en Bretagne, la
dernière province du royaume où elle les eût encore gardées.
Ton comptait alors en France vingt années de révolte et
trente-huit ans de guerre civile intermittente, mais jamais
Interrompue. Les habitudes prises pendant cette longue pé-
riode d'anarchie avaient survécu au désordre lui-même, et ces
habitudes étaient celles du plus odieux brigandage. Si les
soldats de Henri, toujours payés, avaient été astreints à lue
sévère discipline, les soldats de la Ligue n'avaient connu ni
loi, ni frein, vivant chez le paysan h discrétion, lui arrachant
tout ce qui tentait leur cupidité, et le ruinant beaucoup plus
par ce qu'ils gâtaient et détruisaient que par ce qu'ils déro-
baient. Du côté du parti royal comme du côté du parti de la
Ligue, les gentilshommes de province ou ruinés, ou dégradés
et pervertis, attendaient les marchands au passage des ri-
vières, les voyageurs au coin des bois, pour les dépouiller.
Partant de leurs châteaux fortifiés, à la tête d'une troupe ar-
mée, ils allaient dans les lieux voisins enlever les habitants
qui avaient sauvé quelques débris de leur fortune, les rete-
naient prisonniers dans leur repaire et les livraient aux tor-
tures jusqu'à ce qu'ils leur eussent arraché une rançon. La
France était peut-être alors de tous les pays de l'Europe celui
où les habitants étaient le plus malheureux, et la décadence
de l'État avait suivi la progression de la misère. Une partie
de la population avait péri, ou, quittant une terre maudite,
s'était sau\ée dans les pays étrangers. L'agriculture languis-
sait dans un état voisin de la mort, et la moitié des campagnes
restait en friche. Tout commerce intérieiu' avait cessé, par le
manque de cr>mmunications sâres entre les diverses villes et
entre les diverses provinces, et même par )e manque de com-
munications possibles, car la plupart des routes avaient dis-
paru : n'ayant plus rien à fournir au commerce, l'industrie,
dans l'intérieur des villes, se bornait aux objets de première
nécessité, et ne s'exerçait plus que d'une manière grossière.
Le roi opéra une véritable délivrance du pays, et rendit en
même temps leur libre essor aux principes de la pnBpériié
Dstkmale enclialDés, en adoptant d^énergiqQes mesures pro-
Ulxll HISTOIRE DU RfeGNK UK HENRI IV.
près à réublir la sûreté publique, et en protégeant la vie, le
travail, la liberté des habitants des villes et des campagnes,
mais surtout des laboureurs, contre les violences et les excès
auxquels ils avaient été abandonnés jusqu'alors sans défense.
Par deux mesures prises coup sur coup, Henri désarma tous
leurs persécuteurs, et les gentillfttres cantonnés dans leurs
châteaux, et les soldats qui avaient suivi la Ligue, et les sol-
dats employés jusqu'alors contre TEspagne, qu'on voyait déjà
ne quitter leurs drapeaux et ne rentrer dans les campa-
gnes que pour les piller. Il s'agissait , comme il le dit lui-
même, 0 d'arrester les excès insupportables, injures et vio-
» lences que recevoient ses pauvres subjects du plat pays
» par l'oppression et barbare cruauté de la plupart des gens
» de guerre. ^ Il s'agissait de sauver la France des fureurs
des routiers et des malandrins. Le 24 février 1597, il pu-
blia une déclaration qui défendait aux gens de guerre de se
répandre dans les champs, et qui ordonnait aux gouverneurs
de leur courir sus et de les tailler en pièces. Le U août 1598,11
rendit à Monceaux une ordonnance sur le port d'armes, conte-
nant défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condi-
tion qu'elles fussent, de porter sur les grands chemins des ar-
quebuses, pistolets et autres armes à feu. Les gentilshommes
ne pouvaient s'en servir que sur leurs terres et pour la chasse
seulement. Il était permis aux populations d'arrêter ceux qui
en porteraient sur les routes, de les conduire dans les pri-
sons royales les plus prochaines des lieux, et de déposer les
armes entre les mains des officiers royaux : si l'on manquait
de forces suffisantes pour les saisir, on pouvait sonner le
tocsin afin d'avoir main-forte. Les chevaux et les équipages
des contrevenants devaient appartenir à ceux qui les arrê-
teraient. En étant les armes a ceux qui pouvaient opprimer
les habitants paisibles, Henri les laissait avec soin à ceux qui
pouvaient les protéger, à quelques corps de cavalerie sur la
discipline desquels on pouvait compter, à tous les prévôts
et à leurs archers, à la maréchaussée de France. Les peines
décernées par l'ordonnance contre le port d'armes indu étaient
les suivantes : pour la première fois la confiscation, l'amende
et la prison ; pour la seconde fois la mort *. On s'est récrié
* FoDtanon, I. i, p. 657; t. m, p. 143. — Ane. loU françaiMs, l. xv,
p. Ii9*l31. — Tbuanus, 1. cxx, t. xui, de la traductioD, p. SI8. il9.
ORDRE PUBLIC. /i/l5
bien aveagltîincnt et bien injustement contre la rigueur de
cette dernière peine, qui n*était appliquée quVn cas de réci-
dive. Henri comprit que, s'il n*y recourait, il ne viendrait
jamais à bout du nombre et de Paudace des gens de guerre
et des petits nobles transformés en brigands. Il sentit encore
que le seul moyen de diminuer infiniment, dès le principe,
le nombre des condamnations, et en peu de temps de le ré-
duire à rien, était de recourir, dès Tabord, aux châtiments
len plus durs : la sévérité devenait ainsi de l'indulgence. Il
ne se trompa pas : il en coûta seulement la vie à trois gen-
darmes, et la tranquillité des campagnes, la sArcté de» routes,
la facilité des communications furent rétablies. Il était diffi-
cile d'acheter moins cher cet immense résultat.
CHAPITRE III.
Ailiiiiiiistruliuu. Finaiires.
Les grands travaux «idministratifs de Henri remontent,
sauf un petit nombre d'exceptions, à la clôture des notables
de Rouen et a la fin de Tannée 1596. Une exactitude rigou-
reuse ferait partir la période des réformes du commencement
de 1597, l'arrêterait au mois de mai 1610, et en fixerait la
durée à treize ans et quatre mois. Mais le plus grand nom-
bre des mesures qui changèrent la face du royaume ayant
été prises depuis la fin de la guerre de Savoie, nous n'avons
pas hésité à les réunir toutes dans la période qui comprend
seulement les dix dernières aimées du règne. Cette concen-
tration nous parait légitime, parce que, surtout à cette époque,
Henri, libre des grandes difficultés, put réaliser la plupart de
ses projets, donner presque toutes leurs applications à ses
généreuses et bienfaisantes idées.
Dans les matières d'économie |x>litiqne, le meilleur ordre
à établir est im point essentiellement controversable. On
peut soutenir qu'il faut traiter des causes avant les résultats ,
des principes avant les conséquences; qu'on doit donc s'occu-
per de l'agriculture, du commerce, de l'industrie, de toutes
les rhoses qui produisent la richesse ptibliqne, les finances
&&6 HISTOIRE DU RÈGNE DE HEIIRI IT.
prospères, leslmpôts élevés sans fttrelottrds, a?antde traiter des
finances et des impOts eux-mêmes. Main il est tout aussi facile
de renverser la proposition et de dire : les finances en Imxi
état permettent seules d'entretenir une force publique suffi-
sante, de défendre à la fois le pays contre Tattaque de l'étran-
ger et contre Tanarchie ; Tagriculture, l'industrie, le commerce
ne prospèrent et ne se développent que quand ils ne sont
troublés ni par Tennemi du dehors, ni par les factieux; il
faut donc placer avant tout les finances qui entretiennent la
force publique, et permettent de résister avec succès à ces
deux ennemis. Nous adopterons ce dernier ordre, parce qu'il
fut évidemment suivi par Henri IV et par Sully. Sans viser k
aucune classification systématique, nous nous bornerons à
établir deux grandes divisions. Dans la première, nous ran-
gerons toutes les mesures qui eurent pour but de pourvoir
suffisamment les divers services publics et de les rendre fa-
ciles ; de donner à l'État les moyens de se défendre et de se
faire respecter au dehors ; enfin d'établir l'ordre et la régu-
larité dans les diverses parties de l'administration publique.
Nous ferons entrer dans la seconde division les réformes et les
créations qui tendirent à développer les ressources du pays,
et à accroître sa prospérité et sa puissance.
§ 1. Situation financière de la France en 1598.
Aucun service public n'avait autant souffert que les
finances , parce qu'aucun n'avait provoqué autant de mau-
vaises passions à le troubler. En détournant les fonds pu-
blics, on satisfaisait tous les instincts pervers, tous les appétits
sans règle.
De plus, en dépouillant l'État, les catholiques ardents te-
naient le roi faible et abaissé ; les gouverneurs de villes et de
provinces soudoyaient une force armée plus ou moins con-
sidérable et assuraient leur puissance. Les passions ordi-
naires et les passions politiques avaient donc conjuré en-
semble contre les finances de la France, et l'on ne s'en
apercevait que trop à leur déplorable état.
Sully, dans ses OËconomies royales ou Mémoires, a laissé
une fouie de renseignements précieux sur l'état où il trouva
les finances, et sur les réformes opérées par luL Dans le der-
SUBTERSlOlf DIS rilfANCCS. bH)
n|er siècle, Forbonnais, et de notre temps plusieurs auteurs
occupés de Thistoire financière de la France, sont revenus
sur ce sujet, et pour le traiter ont consulté, outre Touvrage
de Sully, un grand nombre de documents importants. Ce*
pendant nous ne voyons pas que nulle part on se soit attaché
à rassembler d'une manière complète et à préciser les causes
générales qui avaient produit Tétrange et Catale subversion
où se trouvaient les finances en 159$.
Voici quelles étaient ces causes, dont les unes tenaient aux
vices qui s'étaient introduits dans la gestion financière elle-
même, dont les autres provenaient du mauvais emploi des
ressources publiques.
£n première ligne, il faut mettre le manque d*un pouvoir
unique, exercé par la nation ou par le roi, auquel toutes les
classes de citoyens indistinctement fussent tenues d'obéir en
fait de finances, mais qu'elles pussent aussi invoquer et trouver
au besoin comme protecteur contre les tyrannies individuelles
et locales. Pour soutenir la guerre contre la Ligue et contre
l'Espagne, le roi avait contracté des emprunts avec la reine
d'Angleterre, le comte palatin, le duc de Wurtemberg, les
iKNirgeois de Strasbourg, les Suisses, Venise, le duc de Flo-
rence, plusieurs banquiers italiens. Dans ces temps malheu-
reux, la couronne étant mal affermie sur la tète du roi, son
autorité ou mal obéieou désobéie partout hors de son camp,
les étrangers , pour garantie des sommes qu'ils lui avaient
prêtées, ne s'étaient contentés ni de sa parole, ni de sa signa-
ture ; ils avaient exigé un gage, ils s'étaient fait transférer
par lui le droit qu'il avait de lever quelque impôt , tel que
dime, aides, gabelle, traite foraine ou domaniale, sur un cer-
tain pays ou sur une certaine ville : ils s'étaient rendus ainsi
propriétaires de ces impôts, non seulement quant au pro-
duit, mais même quant au fond. Les étrangers n'étaient pas
les seuls auxquels un pareil abandon eût été fait. IHmit ga-
gner ou pour retenir des serviteurs, pour les couvrir sou-
vent des dépenses faites par eux en combattant ses ennemis,
pour donner à ses parents de quoi vivre et se soutenir, pour
acheter enfin la soumission des chefs de la Ligue, qui n'avait
pas coûté moins de 3*2 miUions, Henri, depuis 1589 jus-
qu'en 1598, manquant ordinairement d'argent, même pour
les dépenses publiques les plus indispensables, avait été ré-
CanMide
!• subrersion
dei
fiaaDcet.
hhS HISTOIRE DU RÈGMK DE HENRI IV.
(luit à les gratifier ou à les satisfaire par Tabandon de quelque
branche des revenus publics. Dans le nombre des conces-
sionnaires on comptait la sœur du roi, le connétable de
Montmorency, Duplessis-Momay, Puicheric, gouverneur
d* Angers, tous les princes et grands seigneurs de la Ligue.
Il y avait donc, sur une multitude de points du territoire,
abandon du droit royal de lever Timpôt, démembrement de
la souveraineté en ce point capital. Les conséquences étaient
ruineuses pour le trésor public, effroyables pour le peuple.
Les portions dMmpôt ainsi abandonnées aux étrangers, aux
serviteurs du roi , aux chefs de la Ligue , Pavaient été par
diverses raisons que nous exposerons bientôt , à un rabais
considérable, à un taux bien au-dessous de ce que chacune
des impositions pouvait rendre effectivenient. Peu importait :
IMmpôt était cédé, le roi et ses agents n*avaient plus rien k
y voir, rien à y changer, ne pouvaient plus en rien retirer,
même en supposant quMl produisit plus tard au delà de la
somme pour laquelle il avait été engagé. Les agents préposés
par les concessionnaires levaient sur le peuple le tiers , le
double de ce qui était dû, effrontément, impunément. En effet,
ces populations n'appartenaient plus au roi pour Timpôt et
ne pouvaient recourir à lut pour se défendre contre Textor-
sion. Cette plaie n'était pas la seule qui les rongeât. Souvent
le gouverneur royal n'était pas moins redoutable pour elles
que ragent du fisc de l'étranger. Dans son gouvernement
d'Angoumois et de Saintonge, le duc d'Ëpernon, outre qu'il
détournait une partie des impôts publics à son profit, ran-
çonnait annuellement le peuple de la province d'une somme
de 60,000 écus ou 180,000 livres du temps, correspondant
à 630,000 francs environ d'aujourd'hui '. Pour échapper
à l'impitoyable avidité de tant de tyrans, les populations dans
beaucoup de pays abandonnaient leurs terres et leurs mai-
sons : la friche et le désert s'étendaient chaque jour en France :
le principe même de la richesse publique, de l'impôt, des
finances, périssait.
* SuUy, OEcon. roy., r. 85, l. p. 294; c. 75, |i. Sti B; c. 86,
p. 998 A. «Art» diTiiii-r rudruit, on trouve le reiist>i|;n«ni«^nt ttiivuut:
« OituÏD» denier» le levol^ut deVauthorilé de M. d'Epemoii, dent tri
>« guttvrrneinriitu , ttius aucunes teltrrs p*itenlrs tfu roy, et se niuii*
j liiient re^ tommes prc« île GUM'^K) r^nis. m (tKO.UOO livri»s du temps.)
SUBVEASIOIf DBS FINANCES. A69
II faut chercher la seconde cause da désordre des finances
dans Tabsence d'un système de dépenses régulier et annuel,
et dans des imputations de dépense sur la recette hors de
proportion avec les ressources de la recette <• De là naissait
rirrégularité forcée dans Tépoque des paiements, et par suite
une inextricable confusion. Une recette génénde , celle de
houen, par exemple, reœTait par an /Ii60,000 écus d'impôts.
Si on la chargeait pour un an seulement de faire face à une
dépense de 500,000 écus, on avait dès lors un excédant de
dépense sur la recette de /iO,000 écus. Dès lors aussi une
partie des créanciers de l'État était payée dans Tannée cou-
rante ; une autre Tannée suivante ou deux ans après : dès
lors aussi cet arriéré venait incessamment se mêler et se con-
fondre avec le courant pour Tembrouiller. Des calculs sans
fm, une attention dont peu d'hommes étaient capables, de-
venaient nécessaires pour voir clair dans ce chaos, et toutes
les fois que ce contrôle presque impossible n'était pas exercé,
TËtat était volé parle receveur-général de toutes les sommes
dont il parvenait à faire double emploi dans la dépense, et de
toutes celles qu'il parvenait à cacher dans la recette.
La troisième cause était le manque d'ordonnancement ré-
gulier des dépenses, le mépris pour l'autorité qui avait or-
donnancé, l'état de désordre et l'inexactitude des registres
où Ton Inscrivait la recette et la dépense, le peu de foi que
ces registres faisaient contre les agents comptables. Un grand
seigneur, un homme en crédit était chargé d'un service pu-
blic : pour couvrir la dépense de ce service, ii demandait
fréquemment au trésor royal bien au delà de ce qui était
nécessaire, et il emportait presque toujours cet excédant de
haute lutte. Le commis auquel il avait affaire n'osait le lui
refuser, et il arrivait de deux choses Tune : ou la concussion
n'était remarquée de personne, ou bien si elle Tétait, per-
sonne n'osait en demander compte au coupable tout puissant.
Les vices de la comptabilité offraient aux agents comptables
de non moins nombreuses facilités pour prévariquer eux-
mêmes.
Dans l'intervalle éconlé entre 1 59â et 1 597 , le contrôleur gé-
néral des tinancesétalt cbargédu maniement général des fonds;
■ 8«lly, ORmb. roy., e. 73, 1. 1, p. fil R.
29
(|52 HISTOIRE DU RÈGNE DE DENRI IV.
rcncy tirait d*une assignation que le roi lui avait faite sur
Tune des impositions du Languedoc une somme annuelle de
27,000 livres, et il était facile de porter le produit de cette
imposition à 150,000 livres >. Cette dépréciation provenait,
dans le cas particulier de Montmorency et des autres servi-
teurs et parents du roi, de leur insouciance et.de leur inha-
bileté financière. Mais dans la plupart des cas, elle résultait
de la collusion conpable des agents royaux. Soit que le roi
eût conservé la propriété des impôts et le droit de les affer-
mer, soit qu'il les eût cédés aux étrangers, ces impôts avaient
été adjugés aux fermiers bien au-dessous de lenr produit par
François d'O d'abord, et ensuite par les membres du conseil
des finances qui lui avaient succédé ;on va voir dans quelle
intention et dans quel intérêt. Sur le produit réel et total de
chaque impôt , une part était donnée au gouvernement ou
aux étrangers allénalaires pour prix du fermage; une autre
était abandonnée au fermier pour son salaire et ses bénéfices ;
mais une troisième, très forte, était réservée à d'Oetaux
membres du conseil des finances, qui avaient fait adjuger le
fermage à vil prix, sous l'expresse condition que l'adjudica-
taire lenr livrerait sous main cet énorme bénéfice'. Quand
le roi, dans Tignorance de ce qu'il concédait, avait voulu mé-
nager sur les impositions de Languedoc une pension de
27,000 livres à Montmorency, qui n'en retirait pas davan-
tage, le trésor perdait par an 66,000 livres. Quand le roi,
dans l'abandon fait au duc de Florence, était trahi et volé
par ses propres conseillers, sur cette seule partie des revenus
publics, le trésor perdait par an 2 millions. Ce brigandage
devait durer jusqu'à ce que les finances fussent administrées
par un homme intègre et éclairé qui, d'après des renseigne-
ments certains, passftt les baux à un prix approchant du pro-
duit véritable des impôts pour le verser dans le trésor royal ;
ou qui, mieux encore, créât la concurrence entre ceux qui
disputaient les fermes en établissant des enchères publiques.
■ Snlly, OEcoa. roy., e. 73, L i, p. SU B ; e. 8S, p. 994, S98.
' Sully, OEcon. ruy., c. 73, p. 144 B. • Let parlisi casaeUes, gftbellM,
u ciuq grosses fermes , péages des ririères , que les anciens partisans
m tenoieitl àj vil prix par l'inlclligeoce d'aucans du conseil , lesquels y
m avoient part. • — Plus c. ISO, l. il, p. 16, 17; liste des seigneurs inté-
ressés dans IfS gabell<*s pour diverses sommei , et te&te U*iine assorialioa
do François d*0 avec les partisans du sel.
SUBVERSION DES FINANCES. ' ^53
La cinquième cause de ia décadence des flnances était le
prix exorbitant des fournitures faites au goovemenient par
tous les marchands depuis de longues années. La difficulté
de se procurer et de transporter des denrées au milieu de la
guerre civile et étrangère ; Tincertitude de Tépoque du pale*
ment dans un état financier si vicieux que les recettes gé-
nérales étaient chargées chaque année de payer plus qu*eUes
ne recevaient, et qu'une créance, attendant son tour de rôle,
pouvait être rejetée d*un an, de deux ans au delà du terme
de l'échéance et perdre pendant tout ce temps ses intérêts ;
la nécessité pour le marchand, quand il était pressé d'argent,
de vendre sa créance à vil prix, ou de se rendre, moyeimant
de lourds sacrifices. Vomi du ctgur du receveur général et
d'acheter de lui un tour de faveur et un prompt paiement ;
ces diverses causes avaient toutes contribué au renchérisse-
ment des fournitures faites au gouvernement Mais ce qui les
avait portées à un prix excessif, c'était le cynisme concus-
sionnaire des Intendants des flnances et des membres du
conseil eux-mêmes. Tantôt ils passaient des marchés au
tiers, à moitié au-dessus de la valeur des denrées, sous la
condition que le marchand adjudicataire mettrait entre leurs
mains la dlflérence. Tantôt en vérifiant les comptes, ils re-
connaissaient comme fournies ft l'État des quantités de mar-
chandises très supérieures ft celles qui avaient été réellement
livrées, et partageaient avec les marchands le prix du vol K
La sixième cause était le nombre elTréné des offices, sur*
tout de jiidicature et de finances, nombre qn'U avait fallu
encore augmenter pour se procurer les ressources nécessaires
à la reprise d'Amiens et ft la fin des liostiUtés contre l'Espa-
gne. Les officiers et commis ft titres divers formaient toute
une nation au sein de la nation, li fallait payer leurs gages
■ SalW, OEcon. roy., e. SB, 1. 1, p. SOS, «a «xponnt let rëfbrmet opé-
ië«t par iDi, npp«Ue en mène teoipi les ebut qui •▼•(ent cxisië araDt cet
tefonnct, el rn pré»eDle aioti le tabicaa. «FaiMBl obserrer cet ordres
m Uni rsactement qac nnU complahlet... se poeTeient pint recnler les
» payenienls îles uns pour proférer ceux des aalres, ni làvoriser ea aucuoe
• façon les parents el mmi* du cœur^ comme Us nommoient cens qoi
M csloient les pins amiables compositeurs. • On trouve, an c. 65, t. i,
p. a05 A, ponr ce qni regarde le siéfe de La Fère, en 1896* m Le roy
m vous renvoya encore à nris pour urrestcr les comptes avec le« mar-
I» ckands lÎMinilsseurs, ayant este' adverti qne d^Escnres et La Corbioerie
k joint m¥€C mmcuiu éê son eonstii^ s'estoient intéresses en ces marches;
» croyans qaa les «ttalt de la despeuM en seroienl par eu vëriSea. a
A5& ' BUTOIRS DD ftÈGRK Dl BSRRl IT.
et appointements qui coûtaient moins cher encore au peuple
que leurs exactions, accrues chaque jour au milieu du dé-
sordre des temps K
Enfin, les deux dernières causes, et peut-être les principales,
étaient les non-valeurs sur les divers impôts, la mauvaise
assiette et la mauvaise répartition de la taille. Une partie de
la population complètement ruinée par les gens de guerre
était hors d*état depuis quelques années d'acquitter la Uiille
ou impôt personnel. L'arriéré sur cet impôt depuis 1588 était
de plus de *iO millions en 1597 ^. C'était tme perte sèche d'au-
tant pour le trésor public De plus les frais de poursuites
dirigées contre le paysan pour obtenir de lid l'arriéré, ache~
vaut de le ruiner, tout faisait craindre que les non-valeurs
sur le produit des années suivantes ne se maintinssent et
même ne s'accrussent. Les impôts établis sur le transport et
la vente des marchandises étaient frappés d'une égale dépré-
ciation, parce qu'au milieu de la guerre et de t'anarchie, les
communications étant devenues d'une extrême diflficulté, l'in-
dustrie et le commerce avaient presque entièrement cessé.
L'impôt avait à peu près disparu avec la matière de l'impôt
lui-même. Enfin par suite des vices introduits dans l'assiette
et la répartition des charges publiques, la population impo-
sable diminuait chaque jour : ceux qui restaient pour l'acquit-
ter devaient se trouver bientôt dans l'impossibilité absolue de
porter un semblable fardeau, et par conséquent le rejeter.
Les roturiers seuls étaient sujets à la taille ; les nobles et les
ecclésiastiques en étaient exempts. La bourgeoisie avait fait
d'incroyables eflbris pour se faire exempter de la taille, par
avidité sans doute, mais plus encore par vanité, personne ne
voulant plus être du peuple, du oommim. La plupart de ceux
qui avalent frauduleusement obtenu l'exemption appartenaient
> SnUy, OBcoo. roy., c SS, p. MO à. « Cttta effrcnëe qaaptittf d*olB-
m ciert qoi deÉtraUol«nt tout 1m rcveDM du roy.)» — Cbap. 74, p. tiS S.
— > FromvDt«aa« Secrcl des fioancci.
* LoUre du roy à Rotuy, du 17 o<lol>r« 1S97. p. 167 A. « La cauio qui
» donne le plui de couleur aux decordrei en radroiniatratiou de mes
M finuncet, et qui. en eH'et, produit le plat df mal, ett celle qui e«t fondée
m sur les non-valeurs que 1rs comptables disent eslrr et se trouver pour
M chascun an eu la recepte de leurs charges... — Je sfais l»ien que mon
• peuple est trèi pauvre, de sorte qu'il est diflicile qu'il paye sa taille
M enlierenieot comme il faisoit devant la gurrre, et que ceste pauvreté
m rngeodre «les noo-valeura qui sont inévilMblet. a — Sully, OEcoa. roy.,
c. S5, p. S93 B.
LA DJCTTJC PUBLIQUE. ^55.
à la classe des citoyens qui, après aroir porté les annes dorant
les guerres civiles, avaient usurpé des titres de noblesse. Un
moindre nombre, mais considéraJ>le encore, se composait de
ceux qui avaient gagné les élus, chargés de la répartition de
la taille. L.es élus n'étaient plus de véritables élus, des hom-
mes choisis par le peuple ; mais des agents désignés par les
oificiers du roi. li résultait de cet abus qu'une multitude de
bourgeois riches étaient sortis de la classe qui payait la taille;
que cet impôt n'était plus acquitté par ceux qui étaient le plus
en état de le supporter ; que leur contingent était reversé sur
le peuple qu'il écrasait K Les GnancessoulTraient autant que
l'humanité de cette criante injustice.
Les résultats de tous ces désordres étaient une dette énorme,
l'absence de tout crédit qui aurait permis d'en répartir nne
portion sur l'avenir, des ressources annuelles insuffisantes et
tous les services publics en souffrance ; les arts de la paix^
même les plus indispensables, si mal proK'gés que le peuple
mourait de faim dans les campagnes et dans les villes; la
guerre de défensive soutenue d'une façon tellement précaire
que, jusqu'à la reprise d'Amiens, on ne savait pas si les revers
n'amèneraient pas le démembrement du territoire et la chute
du gouvernement tout ensemlile.
Dès Tannée 1507, Rosny fut en mesure dtntrodcdre quel- l*
ques réformes utiles dans le régime intérieur des finances. '**^** p«"W««.
Mais il ne pouvait rien contre les événements de force majeure,
résultant soit de la guerre étrangère, soit de la guerre civile
qui hese terminait qu'alors. I^ dette continua donc à augmenter
pendant un an encore, l^r suite de l'empnmt conclu pour la
reprise d'Amiens, par suite des traités conclus avec liercœur
et d'autres chefs pour la pacification de la Bretagne ', la dette
* Voir U prÀtnlv«le et !•• «rticlet 4, 17, 15 de rëdil au aioU de mtmn
1600, portant retiraient gënëral sur les Uiillet et Ici utarpaliont àm titre
de nomesae. (Ane. loie fr., t. XT, p. tfT. fllS.)
* SalU« OEron. roy.« c. 74, 1. 1, p. t4S B. « Uo emprunt sur toa« let pint
m «ites tant d» la eenr <|ae de* crandeR Wllce; » c. IBl, t. it. p. 30 A et B.
• Ponr II. de Merr<nir. Rlevet, M. de Ynadotme et aulrMpiirltcnliert, ■■!•
• %anl Icnrt tritites pour la province de Bretagne, 4,tfB,:V0 livret. —
I» Pour le* sienrt Daradon, Le Pardieu, Soint-OHenget, Dinao et iinelqnet
m villpt, tSO.OOO iifTft. — Pour Ira sienn de Lrriston, Baudouto, etc.,
m tuivant le> proDiMiet è eux dites, 100,000 IWrea. » Cela &U ■• lirtU de
4.eaMM U«rw. riM «M PMT k ~
.^56 HISTOIRE DU RÈGN£ DE HENRI IV.
s*accrot dans une notable proportion, comparativement à ce
qo^elle était au moment de l'assemblée des notables de Kooen.
Void de quels éléments elle était formée, et à quel chiffre
total elle montait en 1598.
La dette exigible se composait : 1* de ce que Henri lil avait
emprunté et de ce qu'A avait laissé dû au moment de sa mort ;
2* des dettes que Henri IV avait contractées ou des engage-
ments qu'il avait pris depuis son avènement jusqu'à la paix
de Vervins, avec les puissances étrangères, tels que la reine
d'Angleterre, les Suisses, les princes d'Allemagne, la Hol-
lande, le grand-duc de Florence ; avec ses propres servi-
teurs, qui avaient soutenu la guerre pour faire reconnaître
son autorité; avec les chefs de la Ligue dont le désarmement
avait coûté plus de trente-deux millions. La dette exigible
monuit à 157,602,250 Uvres.
L'aliénation du domaine, les rentes
assignées sur les diverses branches des
revenus publics, formaient une autre
dette, non exigible, dont le capital
était d'environ 150,000,000
Il était dû en outre quarante et un
millions pour trois millions quatre cent
mille livres de rentes, créées sur la ville
de Paris, du temps de François l", de
Henri II et de ses trois fils, et consti-
tuées au denier douze â1, 000,000
Total 368,602,250
Ainsi la dette de la France formait une masse de plus de
trois cent quarante-huit millions de ce temps-là, lesquels
correspondraient à environ un milliard deux cent cinquante-
quatre millions d'aujourd'hui.
Sully qui, dans ses Mémoires, présente un tableau de la
dette, ne la fait monter qu'à trois cent sept millions six cent
deux mille deux cent cinquante livres, parce qu'il néglige
1rs quarante et un millions de capital dus pour les trois
millions quatre cent mille livres de rentes créées sur la ville
de Paris K
' Sully, OEcon. roj., c. 151, t. Il, p. », S9, ^tl. Michaud. — L'addilion
dtf% divers «rtictet enonc4<t par Solly, ne dooDe qae 106,m0,m livret.
L£$ RBV£NIJS rUBLICS £N 1597. Û57
11 y a une giande différence à établir, comme nous )e Rev«nas
verrons bienl6t« entre les revenus publics et les impôts : les p«>*Hcs.
impôts ne sont que Tune des branches, plus ou moins éten-
dues, plus ou moins fécondes, selon les temps, des ressources
nationales. Nous ne nous occuperons ici que des revenus
publics, sans rechercher de quelle source ils émanaient. Au
commencement de Tannée 1597 et à la fin du Conseil de
raison, on croyait, d'après Pestimation des notables de
Rouen, que les revenus publics montaient à 30 millions par
an ; mais c'était une erreur K Pour porter les revenus publics à
ce chiffre, les notables avaient établi Timpôt du sou pour
livre, ou la pancarte, en suf^sant que le produit du nouvel
impôt serait de 5 mfllions par an. Or cet impôt ne rendit
Jamab au delà de 1 million 100,000 francs >. 11 y avait des
différences en moins sur d'autres articles encore. Au pre-
mier état général des finances qui fut dressé pourTannée 1597,
après le départ des notables de Rouen et la dissolution du
Conseil de raison, il se trouva sur les ressources qu'ilsavaient
espérées un déficit de 7 millions, ce qui réduisait les revenus
publics à 33 millions K Sur ces 23 millions, il fallait déduire
16 millions de dépenses payables par prélèvement, lesquelles
étaient les gages des officiers de justice et autres, les travaux
publics, les intérêts de la dette, les arréra^ des rentes ; c'est
•a lti>a fl« 7l07.60t,S57 Hrret. Mait l*ëdilioa wiginmU d«t OEcoDomies
Tojulmt oa MémotrcÉ d* Sully, foumUaanl c« dcrDÎer chiffre pour total,
Bom pensons quHl fant 1* maintonir. Nous croyons qn*au momant d«
l^inprassion dat lltfaotrcs. il y a an omission da Tua des articles de la
dalte portés dans U manuscrit de Sully. — Au chapitra 160, f . ii« p, 16 B,
Sully donna la chiffre da 160 millions pour ralicnatlon du domaine et les
rentes assignées sur diTers revenus publics. — Forhonnais, U i, p. SI, et
M. Bailly. Hist. financièta da la France, I. l, p. t96, (bumlssaot le chiff'ra
de 41 millions ponr les S millions 400 mUle livras de rentes créées sur la
tUU de Paris.
■ Sully, OEcon. roy., eh. 10, t, i, p. SS(7 b, pour !•• détails at le toUl de
cette somaM.
' Sully, OEcon. royal., c. 10, L i, n« 07 B, tSO B; c. 13, p. S45 À.
c. 181, t. Il, p. 213 B. a Le son pour livre qui coustoit tous les ans an
» peuple plus de anse cent mille livret. ■
' Les notables, en partageant entre eux et le roi les revenus publics
montant, suivant leur esliniaiion. i 30 millions, s*éuient réservé la dispo«
sition da 15 millions, on de 5 millions d^écus d*or. Mais quand ils en vin-
rent A la réalimtion da ces 15 millions, « ils se trouvèrent circonvenus
• il€ ptms de 5 millions de livres par an m dit Sully, c. Lixui, p. t4S À. Ce
qui vent dire que sur les 15 mUlions qui formaient leur part, ils ne purent
même pas lever 10 millions. Ils n'en levèrent que S. Par conséquent,
comme nom le disons dans le texte, il y eut nn déficit da 1 millions. Par
conséquent aussi las revenus publics qu'ils espéraient Toir mottlar à SOmiU
lioBi, étaient réduits à S5 millions par an.
i58 filSTOIRK DU BàGRK M HUtl IT.
ce que Ton nommait les charges. De tdle sorte qa^il n^entrait
dans rëpargne on trésor royal que 7 millions par an. Les res*
sources publiques étaient donc réduites ft cette misérable
somme pour faire face au reste des services publics, les^
quels comprenaient l'armée, Tartillerie, les fortifications, les
garnisons, les ambassades, les dons et pensions, les bâtiments
royaux, la dépense personnelle du roi K Ces services devaient
de toute nécessité rester dans un tel état de souffrance, que
la défense du territoire et la position de la France ft Tégard
de TËurope se trouvaient gravement compromises , et que
toutes les améliorations intérieures étaient impossibles. Telle
était la situation des finances en France lorsque le roi en
confia la direction à Rosny.
I 2. Réformes opérées dans les finances par Henri IV
et par StAlly,
Bien que le marquis de Rosny n^ait échangé son titre et
son nom contre celui de duc de Sully que le 12 février 1606 \
comme la réforme radicale qu'il opéra dans les finances de
la France s'attache par des souvenirs invincibles à la der-
nière qualification qu'il prit, nous anticiperons sur les temps
et nous le désignerons désormais par le nom de Sully.
Ses querelles avec Sancy et d'Incarville, en 1596, produi-
sbent deux effets. Elles apprirent au roi • de qui il devoit se
» fier et se défier', » Elles établirent ainsi son crédit auprès
de Henri et son autorité en matière de finances sur une base
large et solide. En second lieu, elles apprirent aux dilapida*
teurs que leur règne était fini , parce qu*un homme s'était
trouvé capable de voir et décidé à réprimer. Il faut voir main*»
tenant par quels degrés Sully parvint à la direction absolue
des finances. Si l'on s*en rapporte à deux historiens, Tun
du XVI*, Tautre du xvii* siècle, après la mort de François
d'O, arrivée en 1694, l'administra tion des finances fut con-
fiée à un conseil on commission des finances, dont les mem«
bres furent au nombre de douze selon les uns, de huit ou
môme de six selon les autres. Ce conseil ne fonctionna qu'un
an, du mois d'octobre 159û au mois d^octobre 1595. 11 fut
remplacé alors par une surintendance que Sancy exerça de
* SnUy, OCcoa. roy., o. LKX. t. i, p. 9S7 B.
' Sully. OficoB. roj., O. CLvm, t. ii,
* Sidlj, OEcoM. r«y., a. flS, I. i, ^
! ^ully. Ofic4m.roy., o. OLvm, t. ii, jp. tS5 B, 134 A.
AOTORITÉ BT SORINTINDÂNCB DB 8DLLT. 459
1 595 à 1599. Voilà comment de Thou et Péréfixe présentent
la suite de ces faits. Dans leur récit, il y a un point douteux
et une erreur évidente. En premier lieu, Sully témoigne d^une
manière positive et semble établir solidement qu*après la mort
de François d'O et Tintérim de 1595, la surintendance ne fut
pas rétablie dans la personne de Sancy, mais demeura pro-
visoirement supprimée ; que Sancy, par conséquent, n*exer^
Jamais cette cbarge, mais seulement une grande autorité dans
la direction des finances depuis la fin de 1595 jusqu^en 1597 ;
que cette autorité alla toujours en déclinant de 1597 à 1599.
Ce récit a pour lui la vraisemblance. En second lieu , il est
certain que le conseil des finances ne4ut jamais détruit, et qu*ll
subsista sans interruption depuis la mort de François d*0 :
c*est ce qu'établissent une multitude de lettres do roi et de Sully.
Au reste, ces points qui regardent la critique et Texactituda
historique dans les détails , n'ont pas le moindre intérêt pour
lesaflaires et la fortune publique. Gequiestimportant, c'est qu*à
partir de Tan 1597 et du commencement du siège d'Amiens,
Sully devint non plus seulement le commissaire , mais le
lieutenant du roi auprès du conseil d'État et de finances ]
c'est qu'en 1598 les membres de ce conseil désertèrent en
général les séances quand il s'agit d'aflaires financières ; que
par leur départ ils livrèrent à Sully presque seul ce pénibln
service, et laissèrent le champ libre à ses réformes >•
En 1599, d'incarviile mourut, Sancy se retira et fut employé
■ ThuAun», 1. CXI, t. XII, D. 304 d« la Indadloo; PtfrtfSs«,HltL da ReDry
la Grand, in-S', p. ttl ; Siillj. OEcon. roy., & t57, t. il, p. 99 A, B. !<••
laltrM du roi daa 16 avril IBM, 9 |uin. 9, l\ t7, IS {ulllet; ft. ». aoftt;
tt et 17 Mptembr*^ 9 octobre ISilT, prouvant que la rooeeU 4*Btol al
da Anatice» D*a pas cesM d'asUtcr et de fbnrtioDOcr depuU la ftn île I80S;
qa'il cootinue à s'occuper det affUroa AnaDcièm et i en d^cidar paodant lai
uoneet 1506, 1597. (Lelln^ miu., t. IT p. 565,779, 779, 807, 810, SI t, SIS,
ai§, 917, SSl . 985, S64, 96^.) C«t lettres prouvent es mime tempe : f * oue
Sally avait dès lora toute U confianco du roi pour «m qui cooraraail 1^
Bnances; SvquadaDflleconMil U avait la part priDctpule d'action et presque
tonte reiérullon. On Ut dans las lettres dn roi, en date des 13 et 99 |oillet :
m 11 me semble que i*eo suis bien plus fort en mon conseil, quand (e sçay
m que TOUS y i>stea... Je vous envoyé lu lettre que m'esrrivenl reuls «Je mon
m ronicil, par laquelle ils me désespèrent de pouvoir fournir pina d*nn«
» roon»tr<> i mon armée, if/in que youâ %^mâ acqmUli** «U C0 OM# m'm¥^»
m promis^ et fassiet voir yue votu en sçmveM plêu ^n'eiur. S'il y a dos
• dilBrultrs qui requièrent votre présence près de moy, nfim qm* âoye»
m tusiâté de mon amctoritét vtntB en éUigence, et je voua mseieimrmy em
m toMl. • Réponse de Sully en date des 19 et 'iS iuillet, dans Us OEcon.
roy., G. uxv, LXXTi, 1. 1, p. 9B6 S, 957 B, 9B9. — Pour In reiralu daa
membres dn conseil dns ftnancns, voir SnUy« OEcon. roy., c. «^^«»". 1. 1,
pblBB B.
460 UISTOIAE DU EÈGNE DE UE2III1 IV.
ailleurs par le roL Henri attrilraa régolièrenient alors à Solly,
par un titre, les fonctions qu^îl remplissait par le fait depuis
lottgtemps, et loi donna la charge de sarintendant des
finances : même après cette nomination, le conseil des
finances continua à fonctionner et put toujours être saisi de
ces matières '• La même année, Sully fut pourvu des deux
autres charges de surintendant des bâtiments et de grand-
maltre de Tartillerie \ I/autorlté qu'il tira de ces diverses
dignités, lesquelles faisaient de lui Tun des hommes les plus
puissants du royaume, Tunité d*action qu^il put imprimer aux
diverses opérations, contribuèrent puissamment au succès
des réformes.
Henri, en choisissant son ministre avec discernement, en
le maintenant avec fermeté, avait fait tout son devoir de roi.
U 8*en Mut bien cependant que là se bomM son intervention
dans les grands changements qui rétablirent la fortune pu-
blique. Il s*occupa personnellement de la gestion financière,
écrivant de longs mémoires de sa main : il transmit à Sully
tous les avis qu'il reçut lui-même, et qui pouvaient aider le
surintendant à détruire des désordres ou à réaliser des per-
fectionnements : il lui fit part incessamment de ses observa-
tions e't de ses idées, heureux produits de Texpérience et de
la sagacité, qui ordinairement étaient des traits de lumière.
En donnant tant de soins aux finances, il se conduisait par
la conviction, dès longtemps arrêtée chex lui, que pour un
royaume livré aux dilapidations, il n'y avait ni prospérité
intérieure possible, ni sûreté et force dans les rapports avec
Tétranger. Q traduisait ces grandes pensées en langage vif et
familier, quand il disait à Sully : « Or sus, mon amy, ne
^ » pourrons*nous, vous et moy, couper bras et jambes ft ma-
» dame Grivelée, par ce moyen me tirer de nécessité, et as-
» sembler armes et thrésors à suffisance, pour rendre aux
» Espagnols ce qu'ils nous ont preste ^ ? »
rcUHr^jr »s ^^ ^^^^t ^ Tépoquc OÙ saus être surintendant il était
• Mear le cliaocelier, vous et ceux de mon conseil ordinaire Het finances,
» Tcnani icy. ■ (Lettre* m»».. I. v, p. 41.'^, t. Ti. p. 949.)
* Sally. OEcon. roj., c. xci, t. l, p. ôlO B i U fia; c. XOI, p. M9 A ;
c. xcm. p. !I99 B. — Matthieu, Hbl. de Henri IV, 1. u, p. 978, ëdilion de
ISSI.ln.folio.
* Sally, OEcon. roy., c. 88, U l, p. 304 B, 306 A. Ses trcr^Uires lui disenl
en purlant de lai et da rot : « En la plut |«rt de vos grandes recherches,
• IniIrBcUoiu et inventions, il y avoit pins du sien que da vostre, y en ayant
RÉFORMES DANS LES PINAIICCS. A61
déjà le membre le plus aatorisé do conseil, Sully commença
la réforme parlkllc, mais raisonnéeet systématique des finan-
ces. Dans Tétat général des finances pour cette année, qu*ii
dressait en commun avec le contrôleur général, les trésoriers
de France et les receveitfs généraux, il trouva une insuffi-
sance ou faute de fonds de deux millions pour couvrir les
dépenses par les recettes. U proposa d'y remédier en reti-
rant des mains du duc de Florence et de ses agents la por-
tion des impôts qui lui avait été engagée pour sûreté des
sommes qu'il avait prêtées au roi, et d^aifermer cette portion
à de meilleures conditions. 11 rencontra une forte opposition
de la part de ceux qui tiraient im honteux profit de cet état
de choses < ; mais il la surmonta par Tautorlté et rinterven-
tion personnelle du roi, passa un bail pour cette portion des
impôts, avec une augmentation de plus de deux millions sur
ce qu'elle rendait jusqu'alors, et combla le déficit qui se
présentait sur les recettes de 1507 2. En 1598, il acheva
cette réforme capitale enredrant À tous les antres souverains
étrangers, la reine d'Angleterre, le comte I^latin, le duc de
Wurtemberg, la ville de Strasbourg, les Suisses, les Véni-
tiens, en reprenant à plusieura banquiers italiens, et à un
nombre considérable de princes et seigneurs français les
portions d'impôts du roi, d'impôts pul>lics, qui leur avaient
été engagées soit pour servir les intérêts de leivs prêts, soit
pour payer leurs services. On déchaîna contre lui tout ce
qu'il y avait de titré et de puissant dans le royaume, la sœur
du roi et le connétable tout les premiers, en leur faisant ac-
croire qu'ils perdraient par une banqueroute leurs créances
ou leurs pensions. 11 vint à bout de cette seconde attaque,
conune de la première, parce qu'il put démontrer jusqu'à
» p«u , sur lasqaellet ▼oas nVuttin reçu Jm ordrM , vègleoMsU , ordon-
» naocM et commandeineiiU, voire i|ii«lqa«fuit det m^moàret bien ampl«t
• et bien iottruclift... Vout vou* reodies lojal et toignaat è «Mcaler c«
m qu'il voua ordoonattf et dont le ulus soavmmi U vou* €ni»oyoii dtê mé'
» moins 40 sa propre mmiti. m Voir à l'appui de ce lêmoigoage plusieurs
été lettres de Heori IV, à Rosny, par exemple les lettres des § octobre, 6
fl S novembre I59S. (Lellret mittiT., I. V, p. 45, 64, 6!i). Pour ce qui r^
farde les dltaniditlioDs et madame Orivelée, voir Satlvi OEc. rov. c. ST.
p. M4 A.
' Voir ci-demas, page 451.
* Sully, OKroo. ro}., c. Vk I. I, p. S44 S. Les imiiôls aliènes au duc de
Florence était* ul les partie» casurlles, g«l»rlles, cinq grosses fÎM^aes, pÂites
de rivières : m Le roj j ap|iwrtM >un «utliurité tout entière et s'en vonlut
■ faire croire, m
A6à aUtOtAI DO ftJKGHI ÙM aiRlt HT.
Tévidence* à Henri lui-même ék>ranlé par tant de dameora,
et aux intéressés, qu*ii ne leur serait |>as fait tort d*un denier.
Bu reprenant les impôts aux souverains étrangers et aux
particuliers, en en rendant la perception ou l'exploitation au
gouvernement, en en tirant ce qu*ils devaient rendre par
une bonne administration, ii augmenta les ressources de
rfitat dans une proportion dont on peut juger par un foit
particulier, par ce qui concernait la seule pension du conné-
table. La madère imposable, abandonnée au connétable pour
lui servir une pension de 27,000 livres de ce temps-U, dès
qu^elle fut rendue au gouvernement, lui donna 150,000 li-
vres, h ce changement TËtat gagnait par an, sur un seul et
^ faible article, 123,000 livres, que les financiers s'étaient ap-
propriées Jusqu'alors K il en fut de même de tous les autres
impôts aliénés. A partir de ce moment, le trésor royal, en
payant lui-même les intérêts des dettes diverses et les pen*
sions, reçut le montant intégral des impôts précédemment
engagés, dans la propriété desquels il rentrait.
kn\ impAu L.es impôts restés en la possession du roi n'étalent pas
■n^MMu'de mieux administrés. Après des recherches d'une longueur et
leur râleur, d'uuc diificulté effrayantes, Sully reconnut que les princi-
^^ "ricil **" P^ux revenus étaient affermés à deux tiers au-dessous de
leur valeur et de leur produit réel, et que ces deux tiers,
qui n'entraient pas dans le trésor du roi, entraient dans la
pocbe des fermiers généraux, des membres du conseil et des
trésoriers de France. Geux-d faisaient adjuger les impôts ft
vil prix aux fermiers généraux, lesquels, à leur tour, cédaient
avec des liénéfices énormes l'exploitation de l'impôt à des
90us-fermiers. Sully s'en était convaincu « ayant vérifié que
i les sous-fermages montaient quasi deux fois autant que les
» adjudications générales faites au conseil du roy ou par de-
• vaut les trésoriers de France..., et ayant fait commande-
» ment aux sous-fermiers de rapporter leurs sous-baui. »
Appuyé de l'autorité du roi, il contraignit, en 1598, les sous-
fermiers à verser le montant de leurs sous-baux, c'est-è-dire
la valeur réelle à peu près des impôts, dans le trésor, au lien
de le payer aux fermiers généraux. Il cassa ensuite les ad-
* 8«Uj, dcoa. roy., c. SS, 1. 1, p. HM, fSS A. à cMte dernière page oa
Ul S S : « Le leodeiBeln voiu fletet parler ee roi on bonne qel, toulM le
• «on dee Balati, prit la fenae à daqMMto mU eacat » (180,000 tttrea).
RiFORVIS DANS LIS riRARCtS. &A3
Judicalionset Icsbaos précédents» allèniia les Impôts à leur
mleur, en remplaçant les adjudications faites an conseil ou
en particulier, par des adjudications aux enchères publiques,
et il olMittt ainsi une augmentation considérable dans les re-
eettes pour les années 1599 et suinntes K
De 1598 à 1605» U étudia les causes de U stérilité de plu-
sieurs impôts, qui couvraient à peine les frais de leur per-
ception, et il parvint ft en rendre plusieurs productif. En
1605, il introduisit on tel ordre dans Tadministration des
aides et des parties casueUes , dont on n*avait presque rien
tiré Jusqu'alors au proflt de TÉtat, qu'en peu d'années il en
fit un revenu annuel de trois millions'.
U mit fin aux autres dilapidations qui Jusqu'alors avaient kux vob faiu
épuisé le trésor, par quatre mesures capitales. La première ^i^SS!£.'
de ces mesures fut rétablissement d'une comptabilité régu* , wineot
lière. Conformément aux instructions formelles et précises biiué r^n'ûSra!
qu'il donna en 1598 et 1599, il y eut assignation de chaque
dépense sur l'une des recettes générales du royaume nommé-
ment désignée, et distribution de deniers conforme aux des-
tinations, le surintendant « ayant fait suivre aiisolument deux
» certains états de dis&rilHition de recepte sur la despense, et
» de la despense sur la recepte. » Chaque recette générale ne
supporta de dépenses qu'en proportion Juste de ce qu'elle
percevait de deniers ; de la sorte, il n'y eut plus ni double
payement tantôt réel, tantôt supposé, d'une seule et même
dette, ni arriéré, ni empiétement d'une année sur une au-
tre, et partant plus de confusion cachant les détournements
de fonds. Toutes les natures de deniers royaux et publics»
tous les produits Jusqu'aux moindres, furent relevés et con-
signés; les suppositions de non-valeurs, les rentes et dettes
imaginaires disparurent. Par dessus tout, les coropubles de
l'Eut, aoit dans les recettes génécales et particulières, soit à
l'épargne ou trésor royal, furent astreints à tenir des livres-
Journaux, des registres en bon ordre, où la recette et la dé-
pense étaient inscrites Jour par Jour, et qui donnaient les
moyens de vérifier, en tout temps, ce que les comptables
avaient reçu et ce qu'ils avalent payé. Les nouveaux tltulab^
de chaque recette générale ou particulière furent astreints à
• 8«Ily, OBcon. roy., c. SB. 1. 1, p. iB4 A.
* Sally, OHcM. roj., c 180, t. n, p. t7 A.
Û64 HISTOIRR DU RfcGNR DE HENRI IV.
poursuivre la reddition de^ comptes de leurs prédécesseurs;
et le payement de leurs appointements et remises fut sus-
pendu jusqu*à la rentrée des reliquats >. La comptabilité de
Sully n^eut pas tonte la rigueur, toute la précision, que des
perfectionnements assez récents ont donnée à la comptabilité
moderne'; mais elle fut déjà assez régulière et assez exacte
pour que, dans presque tous les cas, les agents du trésor se
trouvassent hors d*état ou de s*approprier les deniers publics
pendant leur gestion, ou de les retenir à l'expiration de leurs
fonctions, comme ils Pavaient fait jusqu'alors, au moyen de
la confusion et de Tobscurité de leurs comptes. Sully avait,
par cette réforme, prévenu et empêché les péculats à venir.
Il punit les délits passés, utilement pour PËtat, en contrai-
gnant quatre receveurs généraux & rendre 1,500,000 livres
de ce temps-là, et en commençant une recherche sur la for-
tune des financiers qui valut au trésor une restitution de
3,600,000 livres, déguisée sous le nom de prêt (1596, 1597)'.
^"'J^^'* En second lieu, Sully détruisit les impOts arbitraires établis
par les gouvcr. par Ics gouvcmeurs à leur profit, lesquels, en épuisant les
'"""'** peuples, les mettaient dans l'impossibilité d'acquitter l'impOt
royal. 11 défendit de lever aucuns deniers dans les gouverne-
ments sans lettres patentes du roi, et arrêta les levées com-
mencées (1598). D'Épernon fit entendre an sein du conseil
de hautaines et insolentes réclamations. Sully lui répondit
sur le même ton, et, reprenant son rôle d'ancien soldat, il se
montra prêt à appuyer ses mesures administratives avec son
épée. Le roi lui écrivit de Fontainebleau, qu'au besoin il lui
servirait de second. VoUà à quel prix s'achetaient alors les
réformes : il fallait y mettre jusqu'à la vie. Sully ne recula
pas devant ces dangers, et vint à bout des gouverneurs,
comme de tous les autres déprédateurs publics \
Aux r«ni«f. ^ troisième mesure atteignit les abus introduits dans les
* Solly, OEcoo. roy., «• 73 el 88, L i, p. tii B, 305 à.
* Lu comptabilité de Sally n'eut pai les Éentures en parties doublet^
qui d<>'i4 ëtaiiml utilées dans le commerce, et que Sterin. <ie Bruges, pro-
pou au surinleodent d^epplîquer à la comptabilité publique daDS an ou>
yn%a composé exprcs vn 16U7 (M. Baiily, Hist. riuanc. de la Fraoce, 1. 1,
p. 307. )
* SullT, OEcon. roy., c. 68 «t 74, t, i, p. 989 A, 149 B, à la lia.
* Sully. OEcoo. ruy., c. H6, t. i, p. ftM. — Legrein, décade, 1. yii : « 8a
■ Mufestc déclara à quelques grandi, qui TOuloient quereller II. de Sully.
» i|u il «rn*tt Miii seruiMl. ••
RirORMRS DANS LES nifAlfCES. &65
rentes, et les usurpations du domaine royal. Les rentes de ce
temps répondaient à ce que nous appelons aujourd'hui du
nom plus général de la rente : c'était rintérèt payé par TËtat
d'un capital qu'on lui avait prêté, ou qu'on était censé lui avoir
prêté. Sous Henri, il y avait des rentes de différentes créa-
tions. Les unes étaient irréprochables ; l'intérêt était propor-
tionné à la somme d'argent, ou, comme on disait alors, à la
finance, que les particuliers avaient versée dans le trésor
public pour lui venir en aide. D'autres étaient exagérées et
usuraires ; les créanciers de l'État, profitant de sa détresse et
de ses besoins, n'avaient livré au Trésor que la moitié ou le
tiers même du capital, et percevaient la totalité de l'intérêt.
D'autres, enfin, étaient frauduleuses : les particuliers n'a-
vaient rien payé du tout, et avaient acquis des titres usurpés
par la complicité des agents du fisc. Après une vérification
qui dura trois ans, Sully opéra la réforme en 160à. U con-
solida les rentes irréprochables et les fit payer dès lors avec
la plus grande exactitude. Il remboursa les rentes exagérées
sur le pied du principal, c'est-A-dire au prix qu'elles avaient
coûté lors de leur création ; ou bien il les réduisit du denier
douze au denier dix-huit, au denier vingt, parfois même au
denier vingt-cinq ; ou, en d'autres termes, il diminua l'Inté-
rêt excessif de huit pour cent à cinq et demi, à cinq, ou à
quatre pour cent. Dans certains cas, les possesseurs des rentes
furent astreints à rapporter les arrérages qu'ils avaient per-
çus injustement ; dans d'autres, l'État imputa les arrérages
touchés , sur le principal qu'ils servirent à amortir. Quant
aux rentes frauduleuses, Sully les supprima. Ces diverses
opérations , commencées en 160/^ , poursuivies les années
suivantes, amenèrent au profit du roi et du trésor un rem-
boursement et une extinction de 5 millions de rente. On sait
positivement que l'extinction des rentes sur l'Hôtel-de-Ville
fut de 1,390,000 livres : d'après les présomptions les plus
graves , oq peut admettre que l'extinction des rentes sur
l'État fut de 3,610,000 livres. La réunion des deux sommes
forme le total que nous venons d'indiquer >. On peut juger
* Lrtlre tia roi 4a 30 avril 1601, dans les lettres laittÎTei, I. Tl, p. tit.
<— Sully. OErnn. my., c. ISS, I36« t. i, p. 553, bS6, 557. — On trouve •»&
pofrei .*»66, 6B7, les refilemenu qui furent cinblis et •ppliqaês, à partir
de f4f04, pour 1« rembovrsemeiit et la réduction des rentes.— A la pagtSSS S,
30
À rall^oatioB
du
domaiiic rojal.
&66 BISTOnUB DU RÈGITK DK HENRI IV.
des effets d*une pareille réforme quand on songe qu'en 1604
la totalité des revenus publics» sans déduction des charges,
sMlevait à peine annuellement à 30 millions, et que sur ces
30 millions que recevait le gouvernement pour fournir à tous
les besoins publics sans exception, il eut 5 millions, c*est-à-
dire le sixième de moins à payor. Les opérations furent faites,
nous venons de le voir, avec discernement et Justice; elles
furent conduites de plus avec prudence et polidque. Le gou-
vernement ne les commença que six ans après la un des trou-
bles, quand la plupart des fortunes particulières étaient déjà
réparées. De plus, il y renonça, quand il trouva, comme
dans Taflaire des rentes de Paris, en 1605, que pour dimi-
nuer ses charges et accroître sesressources financières, il lui
foUait perdre sa popularité et provoquer de nouveaux trou-
bles <•
Les usmrpations et les abus qui s^étaient glissés dans les
rentes étaient moins nombreux et moins criants que ceux
par suite desquels une notable partie du domaine royal était
sortie des mains du roi pour passer dans celles des particu-
liers.
Plusieurs de ceux qui étaient actuellement détenteurs du
domaine en jouissaient sans titre, et par une pure usurpation;
d^autres avaient acquis à si vil prix qu'ils avaient été , dans
la première année de leur jouissance, plus que remboursés
des sommes prêtées par eux au roi ou à TÉlat. Sully retira
une portion considérable du domaine des niaius des aliéna-
laires, en expulsant les usurpateurs, ainsi que ceux qui, par
la seule jouissance, avaient plus que couvert le faible capital dé-
boursé originairement par eux, et les intérêts légitimes de cette
SaUy dît : « Il y «voit moyen, mii» faire aucune in|uBtire, de tirer de la r«.
m cherche des rente* un profit de 6 milliona pour Sa Ma|eiU. » L*opéni<
tion eût donné ce réiulial «i elle eût été complète ; mwis elle ne Je fut paa.
1* Toua le* hiatoriens témoignent quVlle fui artêtce et rt'Kla Incomplète
pour les rente* eonstilueea sur i'Uôlel-de-Ville de Paiis; l* d'après lu ré-
daction totale de* charges à la fin de ce règne, on ^erra quM iaut «ie toute
néceksiie que la reduclion rt le rembour^ment de* rente* aient été par-
Uel* en lieu d'être complets. Non* croyuus dune que Forboniiaia «e trompe
quand II dit tome W, page 63 : ■ Celte viTiticution produisit au roi <* mil-
■ lion* de rente i » et quand il reciinaîl, page* M) et 117, qu'il fut rem*
boni se en outre t,aQM,UOO francsde rente* sur rHôtei^e-Ville. Cela lerail
en Itiut une extinction de renies de 7,ô*J0,Uj0 livres, et cela n'est pas poa»
•àble, comme nous le verrons plu* tard. Pnr le sérieux de ses recherches
et por sa sagacité, Forbonnais tail autoiilé en général pour nous; maia aar
ce point porticnlier, non* pensons qa'il est tumbédana Terreur.
' Thuaaua. L CXXXIY, U xiV« p. 444, 445 de la traduction.
ftArOIIMCS DANS LB8 PIM ARCES. &67
lomme. 0 fit rentrer la couronne dans une seconde portion
plus considérable de domaine par une antre mesure. Il or-
donna que les biens acquis de bonne fol et d'une manière
sérieuse par les détenteurs actuels, mais dont le prix d'ac-
quisition »e trouvait au-dessous de la valeur réelle, seraient
soumis à une revente quand 11 se présenterait des enchéris-
seurs. Une compagnie s'offrit, et Sully lui transféra cette
partie du domaine, sous condition qu'elle désintéresserait les
premiers acquéreurs, et qu'après une jouissance de seize ans
elle rendrait au roi le domaine quitte et franc de toute obli-
gation. Tour compléter les explications nécessaires au rachat
du domaine, il faut ajouter que le domaine ne se composait
pas uniquement de terres, mais aussi d'offices lucratifs dont
la couronne disposait, et notamment des greffes, dont il est
si souvent question dans les historiens contemporains. Les
chiffres que l'on trouvera à ia fin de ce paragraphe consacré
aux finances démontreront la merveilleuse eflicacité des me-
sures adoptées par Sully pour le rachat du domaine et des
rentes K
En remettant l'État et la couronne, dont les intérêts se
confondaient alors, en possession de tout ce qui leur appar- «lauTeVëesde
tenait en fait de propriétés et d'impôts ; en leur restituant troupo.
tout ce qui était productif et qui avait été usurpé sur eux,
Henri et Sully n'avaient encore opéré que la moitié des ré-
formes nécessaires pour la bouue admmistration de la for-
tune publique, il s'agissait encore de faire le meilleur et le
plus utile emploi pour la 1* rauce de Targcut qu'on rucueiliail,
en bannissant le vol et le gaspillage des dépendes qu'on mam-
tenait, en supprimant ou en restreignant plusieurs dépenses
selon que le temps le permettait, en réduisant certains services
au strict nécessaire, pour en étendre et en développer d'au-
tres.
C'est à quoi le roi et Sully appliquèrent leurs soins et leur
* Sollj, OEcon. roy.. c. IS7, 1. 1. p. U7 B, 55S A; c lAO, t. u, p. I« B.
^ LctUede Sully au roi, du tl mrril l<Mi7. ~ U«u& à«Uf«a au r%a^ as otoM
4c Biui IMH, sur de» piu|>oMliuii» de ntchat du donuiiuCi dtm* le* ULcon.
toy.t c l<it>, Ibî, u 11, p. IMIb, lM>, 1S7. — lùuoucc dccuil r«liiU»rn>cat
iiii fchut du doniaiu« u urme^ dkiia ie» CILcon. luy., c slb, L M« p. 4ô7 A
et B. « t^tus touft le» p«rlicul(ci» (|ttx uBiciiuincc pour les rmt.kapuà9
m dowi"**t S'*'^*^*« (^Bt** *t tttiril>MUi*M *ur le ruj, kiai «lire de limiU
m tiou* puyultlM eu Uou eos, e'il plui»! « te Mii|€»u de proiomgtr /• umys
&68 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
discernement. Ainsi, dans les marchés passés par les four-
nisseurs avec TÉtat, ils amenèrent les soumissionnaires à se
contenter de bénéGces légitimes et peu dilTérents de ceux
qu'ils auraient réalisés avec les particuliers. Cette sévère éco-
nomie présida aux fournitures de vivres et de munitions faites
pour le siège de Lafère en 1596, quand Sully n'était encore
que commissaire du roi ; pour le siège projeté d'Arras, après
qu'il fut entré au conseil ; pour le siège d'Amiens, en 1597 ;
pour le transport des armes et munitions, dans la guerre de
Savoie, en 1600. Dans cette dernière circonstance, Sully
montra comment FÉtat pouvait, dans certaines circonstances,
s^adresser à l'industrie privée et l'appliquer aux services pu-
blics, en obtenant d'immenses économies, une régularité égale,
et une promptitude quatre fois plus grande ^ Aussitôt après
les hostilités contre la Ligue et contre r£spagne terminées
par le traité avec Mercœur et par le traité de Vervins, en
1598, Henri et son ministre se hâtèrent de réduire les dé-
penses de la guerre : ils licencièrent la plus grande partie des
troupes régulières et ne conservèrent sous le drapeau que huit
mille hommes, lesquels suffisaient pour maintenir l'ordre in-
térieur, et pour former le noyau d'une armée, si l'on était
attaqué de nouveau par l'étranger. L'issue de la guerre de
Savoie, durant laquelle on augmenta les forces par des levées
soudaines et momentanées, prouva que cette réduction n'a-
vait rien d'imprudent Aussi, le roi et Sully la pratiquèrent-
ils de nouveau après la défaite du duc de Savoie '. Dans le
* Snlly^ OEcoo, roy., e. 65, 1. 1, p. 904 A. ft la fin, SOS A. S 3; c. 73, 1. 1,
p. 343 B à la fin, 344 A; c. 75, p. 950 B. — Lettre de Rosny aa roi, da
19 juillet 1597, p. 95S A ; lettres du roi, à Rosny, des 8 juillet, 4 aoAt, 18
aeptenbre 1597, dunt les lettres missir., t. IT« p. S04, SIS, 847. « Vont
» ne me mandes rien des 190 milliers de poudre que nous avions ochelca
M avant que de partyr... J'approuTe le marché que tous avei fait pour les
M vïTres de l'armée. » — Voyet de plat le chap. 96, p. 351 B. Sully dit
dans ce dernier endroit en parlant des armes et des munitions qu'il Tallait
transporter en SoToie : u Les toituriert tous rendirent le tout dans 16
» jours à Lyon. Que s^il IVust fallu mener avec cfaeTaiix d*achapt ou de
> solde roulière, comme l'on avoii accoutumé^ et Touloit-on que tous le
» fissies, TOUS n*en fussies pas venu à bout, sans une excessÏTe despente,
» et un temps de deux on trois mois. »
* A la date du 90 mars 1601. Lettres missÎT.. t. ▼, p. 396, Henri écrit à
Sully : « Mon ami, je tous dirai que je trouTe bon que l'on réduise les
M compognies des régiments de NaTurre, Piedmont et Champo|ne qui ei«
» loient a Bourg, à raison de SO hommes pour enseigne, compris les chefs ;
» comme aussi qu'où licencie celles du s' de bt.-Augel, et les compa-
» gnîet des %•• de Lux. et du Breuil, et la crue des carabins de M. de Biron;
u uu«8i que Tuu fiisst le semblable du régiment du ir de Créi|uy, i mesure
RÉFORMES DANS LES FINANCES. /i69
voyage militaire de Quercy et de Limosin , dans l'expédition
même contre Sedan , l'armée commandée par le roi ne dé-
passait pas sept ou huit mille hommes* Chaque soldat rece-
vait dès lors de TËtat les armes , la nourriture et la paye.
Des économies capitales résultèrent donc naturellement de
cette diminution du personnel des troupes.
Une autre économie considérable pour le trésor public, en Sapprtiaioa
même temps qu'une décharge pour toutes les classes de ci- officM inaUlet.
toyens, résulta de la suppression des offices inutiles. Le tré-
sor n'avait plus à payer leurs gages et appointements ; les
contribuables cessaient de fournir ce qui était nécessaire à ce
paiement ; ils cessaient surtout d'être en butte aux exigences
avides des gens pourvus d'offices publics. Ceux-ci, contenas
par les édits et la surveillance du roi et de Sully, s'étaient
bien interdit les concussions à l'égard du gouvernement, les
exactions, la violation de la loi, les épices excessifs à l'égard
des particuliers. Mais ils continuaient à percevoir divers droits
et attributions introduits par l'usage, perpétués par la tolé-
rance, et très onéreux pour les particuliers > ; ils n'avaient
cessé qu'à moitié d'être des ennemis publics. « Le roy, dit
• Sully, sachant par expérience qu'il n'y a rien qui témoigne
9 davantage de la prochaine décadance d'un État que l'ef-
9 frénée multitude d'offices, et la licence que se donnent ceux
» de justice et de finance de s'enrichir excessivement aux
9 dépens des revenus publics et des biens des particuliers,
> fist premièrement un grand retranchement d'officiers '. m
Dans cette première suppression, qui date de 1601, furent
compris les comptables trienneaux, dont Sully avait con-
seillé lui-même la création après la prise d'Amiens, comme
un expédient nécessaire pour se procurer de Targent Le
prix qu'ils avaient pa>é pour Tachât de leurs charges leur
» ^ne l'on sorti» dtt pi «ces qa« nom rendront. Je IrouTe fort à propos
• qa*oB la lue quelques )ours encore en Provence les compagnies dn re^i*
» ment de nés ganJes, et celles de* Cônes, l^s rédaisant wu nombre que
» |e voas ay ordonne: comme aauj que l'on licencie celles du S' Du Bourf
m et du chevulier de Montmorcnci. m
< Snlly. OEron. royul., c. SIS, L n, p. 440. « Plus des règlements A
» Ciire sur loutes sortes de crues et impositions qui se IcTent en grand
i> Domhre, è« villes et provinces, son« couleur de pefemens des gages,
I» éroiU^ mttribulioHS^ vacations d'oflicier* royaux, tant au« nurlemenlt,
» que sieces royaux et seigneuriaux.* — «Plus des réglemeols i faire dans
> tontes les Chambres des comptes et Cours des «Ides, tonchanl In fwrcrp»
> tiom dm divers druiU et aUrthutions pnr lotermnce, •
* Sullj, OEcon. royal., c 104, 1. 1, p. 37S A«
A70 HISTOIRE DU RÈGffB DE HENRI IV.
fut remboursé. Avec le même tempérament dicté par la Jas-
tice, le gouvernement détruisit, à diverses reprises, une
multitude d^autres offices inutiles. Dans les années 1606 et
1609, les états de finances portent une somme de 200,000
livres « pour suppression d'offices et extinction des droits qui
9 se levaient par iceux sur le peuple. ^ »
Quand on résume ce qui vient d*ètre exposé , Ton voit
que Sully, avec le concours et Tautorité d'Henri , avait res-
titué à rËtat la propriété et la libre disposition d'une foule
d'impOts aliénés aux étrangers et aux nationaux ; qu'il avait
rendu à ces impOts leur valeur et enrichi le trésor public de
la différence ; qu'il avait créé au trésor d'autres ressources
en l'exonérant d'une partie des rentes qu'il payait, et en lui
rendant le produit d'une portion considérable du domaine
dégagé ; qu'il avait donné au peuple le moyen de supporter
les charges publiques en le délivrant des contributiuns levées
par les gouverneurs, et en ne laissant subsister que l'impôt
royal ; qu'il avait dressé un budget annuel régulier, mis le
budget en équilibre et empêché ainsi les empiétements d'une
année sur une autre, les confusions, les désordres ; qu'il
avait établi une comptabilité régulière et coupé court aux
vols des comptables eux-mêmes, et à ceux ûas grands sei-
gneurs imposant leur volonté d'une manière souveraine aux
officiers du roi. Par ces diverses mesures, comme l'a remar-
qué un ancien historien, Sully était parvenu à diriger l'ar-
gent, depuis le moment où il sortait des mains du peuple jus-
qu'à celui où il entrait dans le trésor public, par des conduits
si solides et si sûrs qu'il ne s'en perdait plus rien en route»
et à le placer dans un réservoir dont il ne sortait rien non
plus que pour les besoins publics. Il faut ajouter que ces
besoins eux-mêmes étaient servis avec économie et intelli-
gence ; que les services improductifs, tels que ceux de la
guerre, de la justice et des flnances, étaient réduits dès que
la défense ou le service du pays n'exigeait plus leur main-
tien intégral ; que les finances, enfin, étaient dirigées, pour
les féconder, vers les arts de la paix, dont le propre est de
développer toutes les ressources intérieures , toutes les ri-
chesses propres d'une nation.
* SaUj, OEoon. ff9yal.,[c 187. t. u, p. 17S B, t7ai|B.
EPTETS DBS RirORMBS 0PiRi£8 DANS US nNAlfCBS. A7i
§ 3. — Effets des réformes dé Henri IV et dé Sully ^
relativement au produit des divers revenus publics, el
notamment des impôts* -^ Produit des impôts sous oe
règne.
n faut voir maintenant les effets de ces diverses mesures,
les admirables résultats qu'eurent pour la fortune de la France
les efforts combinés de Henri et de son ministre. Ce n*est
qu'après les avoir constatés que Ton comprend le sens du titre
donné par Sully à ses Mémoires : Les sages et royales œco^
nomies d' Estât de Henri le grande et les servitudes utiles,
obéissances convenables ^ et administrations loyales de
Maximilien de Bethune. Ce titre est un peu long; mais U
donne une exacte idi^e du contenu de Touvrage, et Pouvrage
est lui-même une Adèle représentation des actes administra-
tifs de Henri et de Sully.
Même avant que Sully fût élevé à la surintendance, dès De coraiiim
Tannée 1597, époque à laquelle il entra au conseil des ûnan- i/p,^uk des
ces avec une autorité suffisante pour faire le bien, les rêve- impèu,
nus publics commencèrent à s'accroître et ils suivirent une '"i^formM.*'
progression ascendante depuis ce moment Jusqu'au dernier
jour du règne.
Premièrement^ en 1597, après le retrait d'une portion
des impôts au grand duc de Florence, et après l'améliora-
tion de la ferme des gabelles et des cinq grosses fermes <, les
revenus publics augmentèrent, par an, de . 2,000,000 llv.
Deuxièmement^ en 1598, après le retrait
d'une seconde portion des impôts à divers
autres aliénalaires, soit souverains étrangers,
soit nationaux^ de...» i,800,000
Troisièmement^ en 1605, après la réforme
introduite dans les aides et les parties ca-
snelles', de 3,000,000
A reporter. . . • 6,800,000 llv.
'SttUr.OEffM. r«f.f «. 13. m p. su», s « A ■• tel «• n« 1 1,
■ Sally, OEcoB. roy., cSS, I. l, p.l9BA, Ctilafln.
• S«Ur«0BeQfl.ro7., a.lOO,t.ll,p.l7AàUia.~Crt««il.
•r !• c«MBpls àm r«c«U« de lOOS, m. lit. IIS.
' a«Ur« OEcQfl. roy., c 100, t. n, p. 17 A à I
pv !• c«MBpls âm r«c«U« de lOOS, p. lit, IIS.
&72 HISTOIRB DU RÈGNE DE HENRI IV.
Report 6,800,000 liv.
Quatrièmement, de 1597 à 1609, i>ar les
produits de la Pancarte durant six années,
et, quand la pancarte fut détruite, par Taug-
mentation du droit d'entrée sur les mar-
chandises et notamment sur les vins dans
plusieurs villes; par suite de diverses aug-
mentations sur chaque minot de sel, du
maintien du péage de Vienne, et de la nou-
velle imposition d'Anjou; paries produits
enfin du domaine racheté et de quelques
autres branches qui seront d-après spécifiées,
les revenus publics s'accrurent , en moyenne,
d'environ! 1,662,000
Total 8,262,000 liv.
Ainsi, dans la période de doiuse ans, de 1597 à 1609, il y
eut une augmentation annuelle de 8 millions 262 mille
livres environ dans les revenus publics.
L'augmentation de 6 millions 800 mille francs provenant
des trois premiers articles et formant les trois quarts de
Taugmentation totale, résulta exclusivement d'une meilleure
administration des impôts : les contribuables ne payèrent pas
plus, une classe même paya beaucoup moins, ainsi que nous
aurons Toccasion de le constater bientôt, et le gouvernement
reçut bien davantage. Le secret de ce double changement se
trouve dans la suppression des vols et des gaspillages ; dans
Textension de Pimpôt à plusieurs classes nouvelles de ci-
toyens capables de le supporter ^; dans le moyen donné à un
plus grand nombre de contribuables de satisfaire aux charges
publiques, par la destruction de la guerre civile et du bri-
gandage. Tel fut le caractère le plus général et le plus mar-
qué de Tadministration financière sous ce règne : on n'a pas
su ie voir, ou on Ta caché dans plusieurs histoires publiées
de nos jours.
■ Sully, OEcoD. roy., c. 74, 1. 1. p. 348 B, 949 B. ^ Edit du nob d9
B«ptemb. 1602 dans les anc. lois franc., t. XV, p. S70. — Véron de For-
boan»u, Recb. sur les finonc, t. i. — M. Bailly, Hist. financ, 1. 1, p. 311,
311.
* Voyet le paragraphe suivant pour rëtablusement et U prcute de et
f»U importa ut.
EPPETS DBS RérORMBS SUR LES REVENUS PUBLICS. ii73
Sur les trois premiers articles de Paiigmentation des re-
venus publics, formant 6 millions 800 mille livres, on a le
témoignage formel de Sully, et des chiffres exacts fournis
par lui ; par conséquent il n'y a pas de doute possible. Sur le
quatrième article, se composant de 1 million &62 mille livres,
on peut arriver à une précision à peu près aussi rigoureuse,
par une comparaison et un contrôle.
Les notables de Rouen et le gouvernement, en dissidence
sur beaucoup d'autres points, tombèrent entièrement d^ac-
cord sur les dépenses publiques. Ils les estimèrent, en y com-
prenant les divers services et les charges, à la somme totale
de 30 millions par an, et ils ne se trompèrent pas. Les dé-
penses atteignirent ce chiffre pendant les onze années écou-
lées du commencement de 1597 à la fin de i607; et dans
les années 1608 et 1609, après Tamortissement d'une partie
de la dette, après Textinction de Tintérêt de cette partie de
la dette, les dépenses montèrent encore à 26 millions, comme
TéUblit le compte de 1609 K Gela fait pour les treize années
une somme de 382 millions ; il faut y ajouter 26 millions que
le gouvernement remit au peuple sur les tailles de 1599 à
1610. En effet, ni les notables, ni la couronne n'avaient, au
commencement de 1597, prévn et fait entrer cette diminu-
tion dans leurs calculs, et il faut ajouter aux dépenses ce que
le gouvernement perdit on manqua de recueUlir de ce côté.
En réunisunt ces deux sommes, on arrive à un total de
606 millions pour les dépenses de treize années. Au com-
mencement de 1597, les revenus publics ne s'élevaient qu'à
23 millions par an. Ces 23 millions ne devaient produire en
treize années que 299 millions. Il y aurait donc eu un déficit
de 107 millions de la recette sur la dépense. Ce fut de cette
somme qu'il s'agit de relever les revenus publics, et que l'ha-
bileté de Henri IV et de Sully parvint à les accroître. Or, les
trois premiers articles d'augmentation des revenus , dus aux
réformes de Sully, donnèrent en treize ans 88 millions
àOO mille livres. Vom trouver les 19 millions restants, pour
arriver jusqu'à 107 millions, il faut de toute nécessité que le
quatrième article d'augmentation ait produit 19 millions en
treize ans, ou 1 million 662 mille livres par an.
■ Cr$i ce q«« l'on IrovTera ëUbU un p<a plni loin.
A7A HISTOIRE DD RÈGIIB DE HEHRI IT.
DiycriM Pour prévenir les malentendus et les confodons si faciles
TJlipXr "^ en matière de chiffres et de finances, il est nécessaire dindi-
le produit des guer dans quelle mesure la plupart des historiens réduisent
revenus publicf , . . i . ^^ . • •_•. «« _. n»
et en particu- le prodult des impôts et les revenus publics sous Henri IV,
lier des impôu. gj pourquoi ils Icur font subir cette réduction. Le cas excepté
où les assemblées nationales s'occupent de la fortune pubU*
que, et par exemple sous ce règne, excepté lors des résolu*
lions prises par les notables de Rouen, Sully, et avec lui tous
les historiens et les économistes du xvi* siècle, ne s'occupent
jamais de Tensemble des revenus publics et de Tensemble
des dépenses. Ils laissent en dehors de leurs énoncés et de
leurs calculs les charges et la portion des revenus nécessaire
pour y satisfaire, en un mot, tout ce qui se payait par prélè-^
vemenL Ils ne parlent que de la partie des services publics
que le gouvernement payait lui-même, et de la partie des
revenus qui entrait dans l'épargne ou trésor public, déduc-
tion faite des charges ; c'est ce qu'ils nomment Us deniers
revenants bons en l'épargne. A une distance de deux siècles
et demi, celte manière de dresser un état général des finances
ou budget, peut tromper, tantôt de moitié, tantôt d'un tiers,
sur les revenus publics et sur les dépenses des lecteurs peu
familiarisés avec ces matières. Parmi les modernes, ceux qui ont
écrit l'histoire financière de la France, ont presque tous adopté
la manière de compter de Sully et des auteurs du xvi* siède.
De plus les uns donnent le chiffre des revenus publics, les
charges déduites, pour la fin de 1596, ou le commencement
de 1597, avant les premières réformes de Sully, et ils disent
alors qu'U n'entrait bon dans l'épargne que 7 millions. Les
autres établissent le même chiffre pour iô99, après plusieurs
améliorations importantes introduites par Sully, lesquelles
avaient lx>nifié les revenus de ti millions, et Us disent que
l'épargne recevait il millions *. Tous ces calculs reviennent
au même et concordent ensemble ; mais Ils ont grandement
besoin d'être commentés etédaircis.
Qaei fut U s'agit maintenant de rechercher pour quelle proportion
le prodaittoui |es impôts entraient dans les revenus publics. Nous essaierons
sou?ce"rèsne. d'établir sur des documents irrécusables, et de consacrer en
quelque sorte la quotité des revenus publics provenant de
* TéroB de Forbonnais, Recherc «l contid., t. i, p. 99. — M. BeiUy,
RUl. fisancière, t. l. p.
BFPET8 DBS RirORlUS SUE UBS RETENUS PUBLICS. A75
l^pOt, en 1609 et 1610, à la fin de ce règne. U est éton-
nant qu'un chiffre aussi important n*ait reçu dans aucun
ouvrage moderne l'authenticité nécessaire par la production
et la discussion des pièces originales. A la suite d'un travail
général que le roi lui avait demandé sur les impôts aux di-
verses époques de notre histoire, Sully, au moment de la pu-
blication de ses mémoires, ajouta la note suivante qui ne fut
contredite par aucun des contemporains : « Le roy Henri le
• Grand, quatrième du nom, mourut le iUuay 1610, et lors
• il revenoit de deniers bons en son espargne, moitié prove-
» nans des tailles et moitié des fermes, environ 16 milliotu
» de livres >. •
On possède un document contemporain qui sert de con- Apparente coo-
trAle à renoncé de Sully : c'est un compte des recettes de •■tre l'ënouctf
Tépargne pour l'année 1609, reçu. à la chambre des comptes ^^* Sil'te
le 11 février 1610 \ Le compte ne s'occupe pas, et n'a pas à <i« i(iU9.
s'occuper de la provenance des deniers : il rétmit en masse
tout ce que possède l'épargne à la fin de 1609, et il donne
pour somme totale, sans distinction, 32,589,659 livres K En
Texaminant avec soin et en l'analysant, on trouve qu'fi se
compose de deux parties très distinctes, 1" d'une portion des
économies déjà faites les années précédentes et déposées à la
Bastille, qui s'élèvent au chiffre de 12,350,000, et qui ne
peuvent à auctm titre figurer parmi les revenus publics de
l'année, soit impôts, soit ressources d'une autre nature ;
2* du produit de l'année, lequel monte, charges déduites, à
20,^39,659 <.
Même en réduisant, comme on doit le faire, le produit de
l'année 1609 à ce dernier chiffre, on trouve au premier abord
une contradiction flagrante entre l'énoncé du surintendant,
du ministre des finances d'alors, lequel est de 16 millions
environ, avec le compte fait sous sa surveillance et dans ses
bureaux qui donne 20,239,000 livres en chiffres ronds'. Biais
■ Sally, OEcoa. roy.. c. 186, t. n, p. 168 A, Mit. lUehaiid.
* Oa 1« trouT* teKli«ell«m<*nt daot l«s BMharchM «t oootid. lar !«•
finances de Pr.«iic«, t« I, p. l09-tl9.
' Voir 1« toUl du com|>l«, p. 110.
* L« ronpte, p. 116 à U fin, 117. Qim l*oa TevilU Mm dira •tUnlioa
qiM c*e<l le produit d* ruiinë*, que ce sont les reTeoa* pablîe* d«
Pen 1600, charges déduites. Si ce nVuit pas eharget de'JiUtet, le prodaiC
de raan^, comme les dépentes de l'anaée, leraient de 16,i6S,3tS livrée,
ftlnei qu'il sera éUbli ci-epri«.
* Il est bien sla|Blier qae ForboaMU el qMlq«M ••Itm aalMrt f «I
/l76 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
en se lirrant à un examen plus attentif, en pénétrant davantage
dans l'intérieur et les détails du compte, on trouve que la
contradiction disparaît ; que les deux énoncés concordent, et
quMIs se prêtent un mutuel appui. Le produit de Tannée
Coneordanee ^Qog g^ divlsc en deux parties, 1* les recettes provenant de
documenu. Timpôt ; 2* Ics recettes provenant de ressources diverses,
autres que Timpôt. Ces dernières sont clairement énoncées
dans la seconde partie du compte, et y figurent pour près de
1 million 78 mille livres. Au contraire, dans la première
partie -du compte, elles sont confondues avec Timpèt dans le
produit des recettes générales: si elles en étaient détachées et
distinguées, elles y figureraient pour une somme de 3 millions
161 mille livres environ. Nous les ferons connaître bientôt
en détail ; nous nous bornons pour le moment à constater
Texistence de cette branche importante des ressources na-
tionales, et à en indiquer le produit. En joignant les 1 mil-
lion 78 mille livres de la seconde partie du compte avec les
3 millions 161 mille livres de la première. Ton arrive à un
total de U millions 239 mille livres pour les ressources autres
que rimpôt. Si Ton déduit cette somme du produit général de
Tannée 1609, lequel est de 20,239 mille livres, charges acquit-
tées, il reste alors pour le produit des impôts seid 16 millions.
Or Sully mentionne en propres termes les tailles et les
fermes : il parle expressément de Timpôt et il ne parle que
de Timpôt, dans ce passage en particulier, comme dans tout
le chapitre dont ce passage est tiré. Ne s'occupant que de ce
que le roi levait sur ses peuples, et du produit de Timpôt
seul, il donne pour chiffre 16 millions. Le compte de 1609
au contraire relate le produit de toutes les branches de reve-
nus publics indistinctement, et le porte conformément à la
réalité à 20,239 mille livres. Par conséquent Ténoncé partiel
de Sully s'accorde avec Ténoncé général du compte.
D'après ce qui vient d'être exposé. Ton a pu se convaincre
que Timpôt n'était pas la seule branche des revenus publics.
On a dû reconnaître en même temps qu'il formait les
quatre cinquièmes de ces revenus. Enfin le chiffre réel de
Timpôt, à la fin de ce règne, toutes charges acquittées, a été
établi sur des documents irrécusables. Nous allons porter
•e sont occupes •érieoteinent de ThUloire financière de la France, n'uteat
pal posé ce problème et abordé cette diORcullé.
PIWÂNCES : PRODUIT DES IMPÔTS SOUS CE RÈGNE. 477
nos recherches maintenant sur la nature, Tassiette, la\>ercep-
tJon des impôts.
§ A. — Nature et assiette des impôts sous Henri IV. —
Réformes de dii>ers impôts*
Les anciens impOts subsistèrent sous ce règne. Ils sont ^"^"[!g
tous compris dans les deux grandes divisions, 1* des tailles soutHmniv.
ou impOts directs et personnels ; 2* des fermes, ce mot étant
pris dans Tacception la plus large, embrassant toutes les im-
positions qui étaient données à ferme, et correspondant en
générai aux impôts indirects '. Les subdivisions des tailles
étaient le principal de la taille, la crue ordinaire, la crue
extraordinaire de la taille, k taillon. Les subdivisions prin-
cipales des fermes étaient la gabelle, les aides, les parties
casuelles, les cinq grosses fermes. On trouvera la nomencla-
ture complète des impôts au chapitre 187 des Mémoires de
Sully 3. Aucun impôt nouveau, à proprement parler, ne
prit naissance sous ce règne. Le sol pour livre ou pan-
carte qui était un véritable impôt, et d'une assez grande im-
portance, n'eut que six années d'existence, de 1597 à 1602,
et fut supprimé cette dernière année. Le gouvernement
maintint, accrut même deux subsides qui n'auraient dû être
que temporaires : c'étaient la traite ou nouvelle imposi-
tion d'Anjou et le péage ou la douane de Vienne ; mais elles
n'atteignaient que trois provinces, et non pas la France en-
tière. Il fit revivre le droit de franc-fief^ et établit le droil
an ri lie/ ; mais ces redevances ne concernaient que les bour-
geois qui voulaient acquérir des biens nobles, et les magistrats
qui prétendaient convertir leurs charges en propriété : elles
ne touchaient en aucune manière les autres ordres de citoyens
et les grandes classes de la nation \ Ce ne sont pas là de vé-
ritables impôts. Au reste, ces divers subsides et redevances
réunis tous ensemble étalent d'un faible produit.
La traite d'Anjou, ou imposition établie sur toutes les
denrées sortant de cette province pour entrer en Bretagne,
' SiilW. OKion. lov.. r. ISfi, t. il. p. iti6 A.
• Sully, c. IK7, 188, t. Il, p. i6«»175.
^ SuUy le« uomrae itn c. 187, i. U, P- ^^ A et au c. 188, t. il, \\ S74 B.
27!» A. — Le cuniptr ilri rrrrUc» de luO'), |t. \W
tllB HISTOIRE DU rIgHE DE HENEI IT.
fut non seulement maintenue, mais accrue en 1699 d'un snp-
[dément qui prit le nom de nouvelle imposition d'Anjou. Le
péage ou douane de Vienne, créé en lô9ôpour payer le gou-
verneur de cette ville d'une somme de 20,000 écus qu'il
avait mise comme prix à sa soumission, devait s'éteindre
après l'acquittement de cette somme : cependant il fut con-
tinué et converti en subside permanent Toutes les marchan-
dises des provinces voisines venant de Lyon, soit par terre,
soit par eau, furent tenues de passer à Vienne en Dauphiné,
et d'acquitter un droit réglé sur un tarif divisé en vingt
classes : il en fut de même pour toutes les denrées des pays
étrangers, notanunent du Levant, dirigées sur Lyon K
AMMito ^ ^^^^ examiner maintenant quelles furent, sous ce règne,
•I percepUon Tassiettc ct la perception de l'impôt Un impôt juste et bon
Euigëiïr?k!n'«i de sa nature, restreint à un chiUre modéré par le gouverne-
vicet de la mcut, pcut néanmoins écraser le contribuable par suite du
|utquViiii»7. malheur des temps au milieu desquels il se perçoit; des
malversations desagents du iiscqui l'augmentent, l'exagèrent ;
de la circonstance enfin qu'il est assis et réparti d'une mau-
vaise manière. Tels furent précisément les vices de la taille
jusqu'aux réformes opérées par Henri IV et par Sully. La pé-
riode écoulée entre 15b9 et iô9ô futie temps à la fois du plus
grand désordre dans les iinances, des vols les plus impunis
des comptables, de la recrudescence la plus terrible de la guerre
civile. Plusieurs renseignements précis fournis par les états de
finances et par les édits promulgués prouvent que pendant ces
six années, la taille exigée du peuple par le gouvernement
montait seulement à 16 millions 230 mille livres, et qu'elle
était portée à 20 millions par les concussions des agents du
fisc '• De plus elle était parfaitement mal assise et répartie.
* Matthieu, Hiil. de BeDii lY, 1. il, p. 804 in-foiio. ~ ForbonDaii, 1. 1,
p. 40-43,335.
* 1* Pour le inonlant de la taille ezi|é des coiiii iktutble* par le gouver»
nemenl : Elatt des levées des UiUet pour le» anneei îbmH ei «uivantet,
Iraoscrils texturllttuenl daus les O£c(.>uoiuies royntes, c 1b7,t. Il, p. S7fl
B, 973 B. Le moDlaul de la taille en IMW ctl le même que pendanl i«s dia
MaéM fr«cédenlca, de IfiSO à 160».
« Grande crue appelée c&traordinaire. . . • • 6,i5S,700 livres
« Principal de la taille nommée ordinaire • • 9»17l,717
ToUL • • . . 16>30«417 Uvrea
t* Pour ce qui était lire du poople par snilo det vois dos af enta du fisc
inaqtt*oa lSe7 et avant lea rélomes de SnUj dana la complnlHUtt, na
nilAHGBS : IMPÔTS. Â79
Nous a?oii8 constaté qu^iine multitade de boargeoîs et de
gens de guerre appartenant k la classe la plus capable de
supporter et d'acquitter la taille, s'y étaient soustraits par
Tobtention abusive de la noblesse, ou par la collusion des
élus, et avaient rejeté le fardeau sur les habitants des
campagnes. Ce n'était là, qui le croirait 7 que la moitié des
misères et des ruines du paysan. Incessamment pillé par une
soldatesque sans frein, il s'était vu hors d'état de payer la
taille du roi, et il avait été réduit à emprunter pour se nour-
rir et pour nourrir sa famille. Poursuivi par les agents du
fisc, poursuivi par les recors de ses créanciers, il abandon-
nait à la justice les misérables débris de son petit avoir, et il
se sauvait dans les villes ou dans les pays étrangers. Nous
examinerons ailleurs quelles étaient les conséquences de ce
monstrueux état de choses pour la population et pour l'agri-
culture ; ici nous n'avons à voir que les résultats qui tou-
chaient à l'impOL Le paysan mis en fuite, et le champ resté
sans culture, il n'y avait plus rien à tirer des propriétés ru-
rales pour les revenus publics. Le roi combattit l'excès du
mal, en adoucissant la rigueur de la loi et en renfermant les
droits de l'État et ceux du créancier dans les limites pres-
crites par la saine poUtique et par l'humanité. Dès le mois
de mars 1595, alors qu'il avait encore près du tiers du
royaume à arracher à la Ligue, et que les soins de la guerre
semblaient devoir l'occuper tout entier, plus de dix-huit mois
avant l'entrée de Sully au con&eil des Ùnances, et quatre ans
avant sa surintendance, iienri ne prenant conseil alors que
de ses lumières et de son amour pour le peuple, vint au
secours de la classe des laboureurs qui périssait, et sauva
Tun des deux éléments principaux de la richesse publique.
Par la déclaration du 10 mars 1595 il annonça qu'il enten-
dait faire cesser « les contraintes et exécutions que l'on Cai-
» soit contre les laboureurs, et la crainte qu'ils a voient d'estre
» vexez et tourmentez, tant pour les grandcsdebtes desquelles
» la malice et inconinioditez du temps les avoit surchargez,
» que pour la recherche du payement des tailles et autres
autre cUI dreue par lui à U Tin de f!>97 ou uo conmencemeat d« 1698,
dMD» 1m OfùcuDom. roy., c. S4, 1. i, p. tM A à U Sa et B. « Plu*, pour ion-
m !•• torirt de Utiles qui m lèvoal ponr !• roj« en rertu de ses romniii-
• ftioo* •! doDl 1m officier* HmI Ica mUU, telou m qui «e monte en ce«le
» ttanen. SU,000kWlO Utfmw m
&80 HISTOIRE DtJ RÈGNC DE HENRI IV.
» levées qu'ils estoient tenas de payer. » Et pour assurer ce
soulagement aux laboureurs, le roi exclut des poursuites qui
pouvaient être dirigées contre eux par les agents du iisc et
par les créanciers, la contrainte par corps, ainsi que la saisie
des bestiaux et des instruments aratoires K
Ayant retrouvé sa liberté et ses moyens de travail, favorisé
bientôt par rentier désarmement de la Ligue et la fin de ki
guerre civile, le paysan remit son champ en culture ; mais il
en retira à peine de quoi fournir à ses besoins et à payer les
subsides de Tannée. L'exigence de l'arriéré des tailles et des
aides dépassait ses facultés, le réduisait à la détresse, nui-
sait à la rentrée des impôts courants. Le roi, alors aidé des
conseils de Sully, recourut à une mesure capitale pour tirer
le laboureur et le système financier de ces embarras. Par un
édit du commencement de Tannée 1598, il fit la remise de
Tarriéré des tailles, en parlant de 1596 et en remontant àsept
années au delà : Tarriéré montait à 20 millions de ce temps,
près de 80 millions d'aujourd'hui 2. C'était un Immense sou-
lagement, et cependant cette bonne œuvre, comme la nomme
Sully, ne fil qu'ouvrir la série des actes par lesquels le gou-
vernement montra sa constante sollicitude pour le laboureur.
La répression des vols des comptables que Sully mit dans
l'impuissance de lever plus sur les contribuables que n'exigeait
le gouvernement, exonéra la classe des taUlablesde 3 millions
770 mille livres. En effet, nous venons de constater que,
pendant tout le temps que dura le désordre, c'est-à-dire jus-
qu'à la fin de 1597, jusqu'à la réforme de Sully,- le montant
de la taille ofiicielle n'étant que de 16 millions, le moulant de la
taille effective, grossi par les concussionnaires, fut de 20 mil-
lions, tandis qu'après la réforme, en 1599, la taille descendit
à 16 millions 230 mille livres «. En 1600, Henri et Sully di-
minuèrent la taille, principal et grande crue de 1 million
700 mille livres, elles aides de 100 mille livres, en tout 1 million
800 mille livres 4. Dans les années suivantes, avec des alter-
* Déclaration du roi dans FonUnoo, l. Il, p. 1191 ; dans !«• «ne. loU
franc,, t. XV, p. 98-101. . j> ^ i «..
« Sully, OEcon. roy., c. 85, l. l, p. »3. — Legroin décade, 1. Vil,
p. Ô66 in-folio.
* Voir ci-dcBsos, p. 478. .^_
* Sully, Elals de fiounce prcsculcs au roi dani lc« OEcon. 'oy., c. W.
t. II, p. 471 B, 275 B. — Mëacray, Gr. Hist., t. m, p. 1227, édition de 1W5.
— Dans le préambule Je l'édil de 1602. Henri dit que dans les années IWU,
nNANCES: REMISE DE 1598» DHUNUTIOH DE LA TAILLE. 681
natives de hausse et de baisse , ils firent subir cependant en
moyenne à cet impôt une réduction de 2 millions 200 mille
livres. En 1609, la taille n'était que de 16 millions 295 mille
livres , et dans quelques unes des années précédentes , elle
était descendue beaucoup plus bas. De plus, sur cette
somme, près de 2 autres millions étaient consacrés à des dé-
penses qui tournaient au soulagement ou à Tavanlage du
peuple, et que la nation aurait supportées en d'autres temps.
De telle sorte que Sully rendant compte à Henri de la gestion
financière depuis 1599, époque où il avait reçu la surinten-
dance jusqu'en Tannée 1609, pouvait rendre au roi et se rendre
& lui-môme le témoignage suivant : « Il est à noter que la crue
» extraordinaire des tailles pour Tannée présente 1609, est
» composée de diverses natures, dont aucunes tournent à la
» deschargedu peuple, facllitéde son commerce, ou décoration
» du royaume.... Plus pour la crue extraordinaire, tournée
» en ordinaire, 2,526,000 livres ;9ut>st moins de 3,927,700
» livres, qu'en la première des dix années précédentes ; de
» laquelle somme, par conséquent, la bénéficence du Roy a
» deschargé ses peuples peu à peu durant icelles'. • Mais,
môme en laissant de côté ce second allégement des charges
publiques, quelque réel qu'il fût ; môme en s'en tenant à la
seule diminution matérielle qui fut faite sur la taille, entre
Tannée 1597 où elle montait à 20 millions, et les années qui
suivirent 1600 et où elle baissa Jusqu'à 16 millions, on voit
que la diminution de cet impôt, pendant la durée du règne,
fut de près de 6 millions.
Le laboureur et l'artisan commencèrent à respirer par le
fait qu'ils eurent beaucoup moins à payer au gouvernement
Leur soulagement fut complété par l'autre fait, qu'ils gar-
dèrent beaucoup plus d^argent pour acquitter cette somme
moindre ; et qu'une classe nombreuse et riche fut appelée à
1601, 1601, il a remif aa p«upte sur let taillef une fomme toUU de
1,4U0,0U0 crus ou 4 mil I ioot 9U0 mille livret. « Encore* 4|oe bo«i ayon*
» ussri rnit rognoitlre quel est notre driir et alFertion au •oulagemenl do
M no« lubj^clt, laiil |Mir la dimmuiion ife l,4U0,()OU rscus que nous a vont
» fiiirle tlcuui la rreue extraoïtlinalro de m** tailles depui» trois aiM« ifÊiê
» par le rctratirltement et modrrritiOM de plusieurs sul'Sides et impôsi*
» tions. » (Ane. luit frauf ., l. XV, p. i76.) La diminuiton des tailles avait él4
do 1,1100,0(10 livres pour l'.n 1600. et do 9,400,000 Uvrtt poar Im bb-
ntt% IfiOl, 1b(H; en tout i.iOO.OOU livret.
* Sullj. OEcon. rov., c. Ili, t, i, p. 413 A, ta fDilko;c. 1S7, K. Il,
r. 973 B, f74 A.
31
A83 BUTOIRS DU RÈONB DE HEHRI IV.
partager avec eux le fardeaa de la taille. En premier lieu ,
TaboUtion de Pimpôt concussionnaire levé par les gouverneurs
à leur proflt, en dehors de Timpôt royal, exonéra les paysans
de 2 ou 3 millions, en supposant que le duc d^Épernon n'ait
eu pour imitateurs de ses exactions que la moitié des gou-
verneurs de provinces. £n second lieu, une mesure non
moins efDcace que Juste restreignit tout à coup le privilège,
et étendit la matière imposable : ce fut le refoulement dans la
classe des contribuables à la taille de tous les usurpateurs de
noblesse dans Tordre civil et dans Tordre militaire. Ce grand
changement fut opéré par deux édits dans lesquels tout est
remarquable Jusqu'au titre. Le premier est du mois de Janvier
1598; le second, du mois de mars 1600 *. Voici ce qu'on
y Ut:
c Édict du roy contenant règlement lur les exempUontet iCritin-
ohissements de la taille, au soulagemenidu pauvre peuple, d'après
l'avis des notables de Rouen.
» li est impossible non seulement que nos tailles soyent levées,
mais aussi que Tagricullure continue, si l'abus introduict plu-
sieurs années en ça n'est osié. D*aulautplus que les charges et im-
positions ont esté augmentées, d'autont plus les riches et personnes
■ysées, contribuables à nos tailles, se sont efforcez de s*en exempter.
» Les uns, moyennant quelque lég^rc somme de deniers, ont
acheté le privilège de noblesse. Autres, pour avoir porté l'espée du-
rant len troubles, l'ont induemeiit usurpé, et s*y conservent par
force et violence. Autres se prévalent de Tappuy de quelques
gentils-hommes au service desquels ils se trouvent maintenant, non
seulement pour les suivre à la guerre, mais même pour tenir leurs
bleus à Terme, et par ce moyen s'exemptent dudit poyement. Au-
tres moyennant quelque somme légère ont acquis les privilèges
d*exemption à cause des charges et oflices de judicature et de
finance dont ils se trouvent pourveus. Autres se servent des pri-
vilèges accordés aux officiers domestiques des rois et roines dé-
funts. Autres des privilèges accordés à ceux de Tartillerie, vénerie,
fauconnerie, officiers de nos forêts, archers des prevosts des maré-
chaux, rhevaucheurs et maistres de poste.
» Lesquelles exemptions reviennent au très grand préjudice de
la chose publique de cestuy nostre royaume, oppression et totale
ruyne de nossubjects qui payent la taille.
• F ontanoD, avM Ut ■ddlUoaa d« Gahrttl llickol« LU,». STa-S», la.
riRANCES : R^FORIIE BT DIIIINUTIOII DE LA TAILLE. A83
* Tout eeui quisool nés et m trouveront de oonditioD roturière
•eront mis et imposes à la luille, et cottiseï à la proportion de
leurs moyens et iacuiies ; révoquant à cette lin tous privilèges et
lettres à ce contraire. >
En conséquence, tous ceui qui avaient usurpé la noblesse
depuis trente* ans, en furent dépouillés et rejetés parmi les
talllables, les uns avec remboursement des sommes qu^ils
avaient payées, les autres sans indemnité. On peut apprécier
à peu près le nombre de ceux que les édits atteignirent, par
ce qui se passa en .Normandie. Henri ill, dans une de ses
nécessités, y avait vendu la noblesse et rexemption à mille
roturiers: deux mille, en cette seule circonstance, avaient
trouvé moyen de se faire classer parmi les privilégiés, sans
compter ceux qui , antérieurement et par d'autres moyens,
avaient obtenu la même faveur <. l'ous redevinrent sujets à
la taille par fetlét des deux édits de Henri IV, et comme la
même chose eut lieu dans toutes les provinces de France ,
Ton ne peut estimer à moins de quarante mille ceux qui ren-
trèrent dans les rangs des imposables. Or, comme l'on con-
tribuait à la taille en proportion de ses facultés , comme la
foi tune de chacun des nouveaux imposables égalait celle de
dix, vingt, et souvent trente paysans réunis; comme d'un
autre côté le cliillrv de la taille loin de monter sous ce règne
en proi)ortiou du nombre et de la richesse des contribuables,
alla toujours en diminuant, Tcllet des adjonctions fut de di-
minuer dans une proportion considérable la quote-part du
paysan dans ce qu'il y a > ait à |)a)er en général pour la taille.
Eu résumé , le montant de la taille qui , jusqu'en 15U7,
était de 120 millions, sans déduction des diarges, ne fut
plus en ItiOU que de IG millions, et en 1009 que de iti
millions, en négligeant les (raclions, l'ar conséquent la taille,
cet impôt qui IrapiMÎt directement sur rhabitant des cam-
pagnes et sur l'artisan , fut réduite de ti millions et de
près d*uu tiers, en ce qui aincernait la somme ie\ée sur
les con(rd>uables. Elle fut réduite de moitié environ en
ce qui regardait les deniers sortant de la bourse du paysan,
parce qu*une partie de la somme dont le montant de la taille
* I««gr.iiii. Décini', 1. TU. p. 34>l« io-fulio. — Hctfray, crunde UUt.«
UUl,i>. Iil7.
AM HISTOIBE DV RÈGIOE DE HENRI IT.
se composait, fat acquittée non plus par lui, mais par la
classe nombreuse et riche des bourgeois dépouillés de la no^
blesse et de Texemption. Si Ton joint à ces mesures la remise
des 20 millions arriérés , qui fut prononcée en 1598, on se
convaincra que le soulagement du peuple fut immense et
durable.
^ <^'** ^ gabelle , ou impôt du sel , appelait une réforme non
"* *** moins énergique, non moins radicale que la taille. Il est
impossible d'imaginer un impôt plus mal réparti et plus des^
potiquemcnt perçu que ne Tétait la gabelle. C'était une ceuvre
du moyen-âge, restée entière dans son inintelligence, sa du-
reté et sa violence contre le peuple. Le sel avait cessé com-
plètement d'être une marchandise dans la plupart des pro-
vinces de la France. 11 était déposé dans des greniers. Les
agents du fisc et des traitants en imposaient à leur caprice
telle quantité qu'ils voulaient à chaque citoyen , même dans
le cas où cette quantité excédait ce que le contribuable vou-
lait et pouvait en consommer ; de plus ils le lui faisaient payer
au prix fixé par le gouvernement , si élevé, si excessif qu'il
pût être. 11 était défendu au contribuable de recevoir du sd
en don , de revendre aucune portion de la quantité qui lui
avait été assignée , même quand il en avait de trop '• Les
poursuites pour la répression de ces contraventions étaient
déjà nombreuses : elles étaient infinies et terribles pour le
cas où le contribuable , surtout dans les campagnes , avait
caché le nombre des membres de sa famille, et pour le cas
où il s'était procuré du sel par contrebande. Après les pour-
suites venaient les recherches, dirigées par le pouvoir pour
s'assiver si, par suite des changements de domicile, et de
vingt autres circonstances pareilles , les imposables avaient
satisfait ou non à la gabelle. Tous les ordres étaient soumis à
cet impôt La noblesse , le clergé , la bourgeoisie en étaient
quittes pour des vexations infinies, et pour l'acquittement de
droits que leur aisance leur permettait de supporter. Quant
au paysan, que l'avidité et surtout la misère poussait à frau-
der le gouvernement, la gabelle entraînait pour lui des frais
de poursuite, les amendes, la prison, la ruine. La répartition
et la perception de la gabelle , la répression des contraven-
* SuUy, OEcon. roy.y c. 160, p. 1$ A.
FUI ANGES : GABELUS, SES TIGES, PROJET DE RÉFORME. &S5
tiens étaient d*une si odieuse difficolté qa*en relevant le
nombre de ceux qui s*y trouvaient employés sous ce règne y
tels que officiers, greneliers, contrôleurs, commis, sergents,
archers. Ton avait trouvé que œ nombre était de vingt mille»
tous nourris et payés aux dépens du roi et du public
n était imposôible qu*un impôt si absurde et si tyrannique FrotM
n'appelât pas ratlention et la sollicitude du ministre et du ^ J^t^e?
prince. En 1005, Suliy en parla au roi à plusieurs reprises et
dans les termes les plus forts. • Le roy demanda un estât de
» ce que coustoit le sel sur les marais salans, et de ce à quoy
» revenoient toutes les sortes de frais qu'il y failoit faire jus-
» ques à la vente d'icelny dans les greniers '. » Sur ce mé-
moire, Henri forma le projet d'acheter des particuliers tous
les marais salants de Poitou et de Bretagne. Après s'en étn^
rendu propriétaire, il eût lait vendre le sel sur les lieux, à tel
prix qu'il eût voulu, à des marchands qui l'eussent revendu
par tout le ropume , comme on y rend le blé, sans aucune
contrahite et sans aucune imposition. N'ayant plus de frais
de poursuite à acquitter, plus d'armée d'agents du fisc à sou-
doyer, le peuple eût payé le sel quatre fois moins cher, et le
roi en eût tiré bien plus d'argent qu'il ne faisait, sans frais,
sans peine et sans vexations de ses sujets 3. Ce monopole eût
été une délivrance et un blenfeit En attendant une réforme
générale, Sully ménagea au peuple tous les soulagements de
détail qui étalent en son pouvoir. Par deux règlements de
1606 et de 1607, il ordonna aux commissaires envoyés an-
nuellement dans les provinces, de procéder pour la réparti-
tion de l'impôt du sel non par généralités, mais par paroisses ;
d'augmenter la contribution des paroisses qui s'étalent enri-
chies, et de diminuer en proportion celles des paroisses qui
s'étaient appauvries. Ces commissaires étaient chargés en
même temps de la répression des délits relatifs h la gabelle.
11 leur prescrivit de punir avec sévérité les faux sauniers ,
c'est-à-dire ceux qui trafiquaient du sel fabriqué et introduit
en fraude, mais d'user d'indulgence à l'égard du paysan que
la misère entraînait à acheter ce sel vendu à bas prix, de lui
épargner le plus possible les poursuites et les amendes K
' Snlly, OEeoo. roy., e. 150, t. u, p. 17 Â à U fia, B.
' P)0r«fix«. UUU d* H«nri4«.GraiMi. p. 34», 343. io^", IM3L
* SoUf, OEcoB. loyiL, «• I63« U U, p. Itt^B, S S; c. fW, L D, pi. «7t
Errearf
d« Henri lY «t
d« SoUy
daDf l« maia-
tien d« qael-
qmu subâdet.
ÊM BI8T0IB1 0 Bien DB HBHKI IT.
Les projets de Henri IV et de SoU j sur la gabelle n^aboa-
tirent pas : le roi fut assassiné dans les premiers mois ds
Tannée 1610, le ministre fut destitué att mois de janvier 1611.
fls n^eurent pas de successeurs de leurs grandes et gêné-
reuses idées, dont Taccomplissement fut rejeté dès lors dans
on immense lointain. Mais l'équitable postérité ne leur impu-
tera à tort ni la mort ni la disgrâce, et, d'après les réformes
quMls avaient réalisées dans la taille, elle tiendra pour accooH
plies celles qu'ils avaient méditées pour la gabelle : comme
la justice, elle juge plus sur Tintention que sur les actes.
Henri IV et Sully étaient hommes : ils ont dû commettre
des erreurs et des fautes, et ils en ont commis. La confirmation
et l'aggravation de la traite d'Anjou, le maintien de la douane
de Vienne apportaient des entraves telles au commerce de
trois provinces et de la ville de Lyon , qu'il devait y dépérir
chaque jour. L'historien Matthieu, député en 1600 pour com-
battre ces mauvaises mesures , a tracé énergjquenient le ta-
bleau des abus et des funestes conséquences qu'elles entraî-
naient après elles. En voici le résumé : Les douanes établies
sur la frontière de deux provinces augmentaient le prix des
denrées du montant de l'imposition , et c'était encore là le
moindre de leurs inconvénients. Elles nécessitaient pour leur
perception la création de bureaux qui étaient placés sur un
petit nombre de points où devaient se rendre les marchands :
de là pour eux de longs détours, de longs voyages, entraînant
des frais et une perte de temps considérable. Arrivés aux ba-
reaux, les marchands trouvaient les fermiers et leurs commis
qui exigeaient non ce qui était ordonné par le gouvernement,
mais ce qui leur plaisait ; qui les retenaient pendant des semai-
nes entières, avant de visiter leurs marchandises et de fixer le
droit qu'ils avaient à payer ; qui les soumettaient à mille vexa*
tions pour les amener à composer ; qui ne leur rendaient la
« liberté qu'après avoir vu à la fois le fond de leurs balles et
» de leurs bourses. • Les marchands regardaient ces bureaux
de douane comme des gouffres et des coupe-gorge, et ne les
nommaient pas autrement Les résultats prochains de cet état
B. • Begardet à tootager Ira fab{ecU da roj, le plus qa*il Tom wen pont-
• ble. SI Toiu leg tourmentei d^ameodes eicemTes et tans grandea rai*
• sont, il oat eertaia gae roa» ferea perdre au roy sur lea deaiera de aet
• UillM ce qiw voas tem foVMr au partisan da ad tur aa foma»»
IRREURS DANS LB M AIRTIBH DB QUELQUBS BDBSIDES. 4^7
de choses étaient dans les provinces d'AnJoa , de Bretagne ,
de Lyonnais, le découragement de ragriculture et du com-
merce des denrées de première nécessité, qui ne trouvaient
plus que des débouchés si entravés, si dangereux. C'était le
dépérissement de l*industrie et du commerce de luxe de Lyon,
Tappauvrissement et ia décadence de cette grande ville. Ce-
tait enfin pour tout le royaume la perte des bénéfices résul-
tant du transit des marchandises du Levant. En effet , Jus-
qu*alors ces denrées débarquées à Marseille, avaient suivi la
route du Rhône et de Lyon, pour être répandues ensuite dans
les diverses provinces de France et dans les pays étrangers :
maintenant les marchands, fuyant la douane de Valence
comme un écueil, cherchaient d'autres routes, dont quelques
unes hors du royaume ', Henri IV et Sully ayant d'abord à
payer une dette immense et à diminuer la taille, plus tard à
se ménager l'argent nécessaire pour une guerre européenne
contre les deux branches de la maison d'Autriche , ne pou-
vaient se priver en même temps du produit de ces subsides.
L.a faute n^est pas d^avoir maintenu des droits sur Tagriculture
et le commerce de ces trob provinces, mais de ne les avoir
pas établis de telle sorte que les cultivateurs et les marchands
fussent délivrés des entraves et des tyrannies qui s'attachaient
à leur assiette et à leur perception vicieuses. Nous reconnais-
sons ces erreurs ; mais nous ajoutons que le comble de Tin-
justice serait d'étendre le bUme que méritent ces détails k
l'ensemble de l'administration financière de ce règne, ainsi
qu'à l'ensemble des mesures adoptées à l'égard de l'agri-
culture et du commerce. Nous verrons bientôt que dans les
vingt autres provinces du royaume , jamais gouvernement
n'a accordé autant de liberté et de protection à l'agriculture
et au commerce que le gouvernement de Henri leur en pro«
digua.
I 6. — Revenus publics autres que l'impôt, ^ Total des
revenus publics^ recette, dépense^ économie annuelle à la
fin de 1609.
Nous avons termhié la revue et l'examen des Impôts. Afec BraaeiMda
les accroissements considérables que l'intégrité, lloteillgenoe, """i"" JJiu**
• «ttttUM, HlMolN 4«U Pftis; HUtoIra 4« Heuf IV, 1. n, p. 8M, la-
488 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
la fermeté de Sully lear avaient donnés, les impôts formaient
la branche la plus considérable des revenus publics ; mais
ce notait pas la seule. D'antres sources abondantes de re-
venus étaient le produit des portions de Tancien domaine de
la couronne, dégagées depuis 1604 et 1607, et accrues d'an-
née en année ; les revenus de Timmense domaine particulier
possédé par le roi, soit en France, soit en Navarre, et réuni
par lui à la couronne depuis 1607; les revenus des domaines
et desdroits, dont il avait été fait donation au roi et au dauphin
par la reine Marguerite ; le produit de différences en faveur
du trésor, d'amendes prononcées pour malversations, d'éco-
nomies faites sur divers services, de légitimes préférences
accordées moyennant argent à ceux qui servaient d'inter-
médiaires pour la libération du domaine, de remises de l'exer-
cice des droits du roi daas l'administration intérieure de
quelques provinces, de reliquats de comptes, de ressources
aléatoires.
Dans la première partie du compte des recettes pour l'an
1609, laquelle se compose des parties ordinaires, les revenus
du domaine dégagé avant 1608 sont confondus et englobés,
comme nous l'avons déjà fait observer, dans le produit des
recettes générales. 11 en est de même pour d'autres ressources.
Le tout ensemble monte à 3 millions 139 mille livres envi-
ron. Sur cet article l'on est réduit à un total, on ne connaît
pas les détails.
Mais dans la seconde partie du compte de 1609, qui com-
prend les parties extraordinaires. Ton trouve mentionnées
toutes les ressources autres que l'impôt, ressources dont nous
venons de présenter la nomenclature. 11 faut observer que
le revenu du domaine racheté dans trois provinces, au lieu
d'aller se perdre dans le produit des recettes générales,
comme celui des dix-neuf autres provinces du royaume,
ligure en articles spéciaux parmi les parties extraordinaires,
parce que cette portion du domaine a été rachetée dans le
cours de l'année 1609, et n*a pu, par conséquent, être at-
teinte par la perception des recettes générales.
Mous transcrivons les énoncés du compte de 1609 qui font
connaître les revenus autres que l'impôt, en groupant les
nstsources de même nature :
BRANGBES Dfi REVENDS AUTRES QUE L'IMJ^T. 489
Remboanemcnt de domaine en Champagne
ju«|u*à 200,000 livres, de Nicolas liocqucUn,
traitent 12,000 livres.
Rachat du domaine de Calais, Boulogne,
Ardres, de Benjamin Letailleur, traitant • • • 14,200
lî achat du domaine de Normandie, d'Aleun-
dre Marchand, traitant ^ • 15,000
Domaine de Navarre uni à la couronne, de
A. Billard, traitant (réunion) 20,000
Ancien domaine de Navarre, de P. Legoux,
trésorier * (réunion) 12,889
Ferme du comté de Glermont donné par la
royne Marguerite à monseigneur le dauphin, de
Ferrier, fermier, pour demi-année (donation}. 12,000
Revente des greffes d*Angenois et Loudo-
mois, appartenans à la royne Marguerite (do*
nation) 30,000
Taxes sur les notaires et tabellions des terres
de la royne Marguerite, par forme de supplé-
ment pour rhérédité, et revente desdites ofD-
ces * (conséquence de la donation) 30,000
Quatre sous pour escus des deniers que les
officiers comptables ont entre leurs mains à
cause du surhaussement des monnoies (diflé*
renoe en faveur du trésor) 00,000
Recherches contre les collecteurs du sel, es-
généralités de Bourges et de Moulins, de C.
Lecomte, commis ^ (amende) A, 593
Étal de Diiuphiaé, pour Tentretenement des
garnisons diceluy, de Paul Porroy, receveur
(économie) 12,000
Trésorerie des grands ordres, de Bcaulieu-
Rusé, trésorier (économie) 31,500
Ordinaire des guerres, des sieurs de Lancry
et Olier, trésoriers (économie) A00,000
Extraordinaire des guerres, des sieurs Le-
A reporter. 654,282 livret*
' Pour ces trois ariirles. I«> comple d« 1609, p. 115, 1 17, lt9.
' Pour c«B d«tts articles, le compte, p. 117, 118.
-Pour ces trois articles, le compte, p. 118, 115.
* L« compU, p. 114.
AOO HISTOIRE DU RÈGlfB Dl HfHU !▼•
Report 654,SMHfrei*
charon, Collon, Dutremblay, trésoriers (éco-
nomie) 9l»791
Rerenaas-bons de l^extraordinaire des guer-
res, de Jean Murât, trésorier (économie) . . • 12,685
Revenans - bons du maniement des ligues
suisses, de Bug nous, trésorier ' (économie). • 1&,855
Du trésorier des états de Bretagne, sur les
200,000 livres accordées à Sa Majesté, pour
la préférence au parti du rachat du domaine
(préférence) 100,000
États de Bourgogne , de Pierre Fournerel ,
receveur général, pour ce qui a été accordé à
Sa Majesté pour la révocation de Tédit de créa-
tion, en titre d^ofnce des receveurs-commis-
saires dpsdils états ' (remise de Pexercice des
droits du roi) 120,000
Reçu de Carleret, des deniers restans de son
premier bail (reliquat de compte) 1,198
Francs-Gefs et nouveaux acquêts, au ressort
du parlement de Paris * (ressources aléatoires). 57,100
De divers autres articles épars. 26,69&
1,078,000 livres.
Cela fait doQC un total de i million 78 mille livres, pour
les produits des ressources autres que TimpOt, figurant daos
Ja seconde partie du compte de 1609 et comprises parmi les
parties extraordinaires.
Nous avons yvl précédemment que les produits des res-
sources distinctes de Timpôt, entraient dans la première
partie du compte, et dans les parties ordinaires^ pour ime
somme de 3,161,000 livres.
Par conséquent, le total des branches de revenus publics,
autres que Timpôt, était de U millions 239 mille livres.
Produit dês di- Après avoir établi Tindispensable distinction entre les dl-
pubUcTên* 600. ^«^8 revenus publics, il faut rechercher quelle était leur im-
ComporBiton portauce, à la fin de Tannée 1609, quatre mois avant la fin
de» chargM ^
publique* en
1597 eteuiOOe. , p^,,^ ^ ^ «rtlclet, le compte, p. «14. 115, tl6, tl8, Itfl.
* Pour cet deux articlrt, le compte, p. IIS.
* Poar cee deux erUclei, le comple, p. 114, ii7.
RECETTE ET DÉPSHSB ORDIRAIBl ▲ LA flH DR 1609. A9i
de ce règne. Le compte, dont noiu avons présenté Tanal jse,
fournit à cet égard la plus grande partie des données, mais
non pas toutes les données nécessaires, et il exige des expli-
cations.
Le compte des recettes d'une part porte indistinctement
toutes les sommes entrées dans Pépargne ou trésor public ;
d'une autre part, il néglige celles qui n*y sont pas entrées, qui
ont été reçues et encaissées ailleurs. Ainsi, comme nous
Pavons précédemment remarqué, il fait figurer dans ses
chiffres les économies ou réserves considérables déjà obte-
nues, bien que ces économies ne soient pas un revenu, at
qu'elles soient le produit non de la seule année 1609, mais de
plusieurs annexes. Le compte omet au contraire les sommes
destinées à couvrir les charges, parce que les charges étant
acquittées par prélèvement et sur place, cet argent n'est pas
tombé dans l'épargne. 11 est évident que, pour établir le
chiiïre des revenus de 1609, il faut retrandier du compte
les économies, et qu*il faut y ajouter le montant des charges,
ces charges n*ayant pu être payées par prélèvement qu'avec
le produit des revenus.
On peut voir ci-dessus < que, déduction faite d'une portion
des économies placées à la Bastille ets'élevant à 12,350,000
livres, argent comptant, le total des revenus entrés dans
Pépargne pour Tan 1009 montait à la
somme de ... , 20,239,659 lir.
On a établi avant nous avec beaucoup de
probabihté, qu'en 1609, le total des char-
ges acquittées par prélèvement était de
6,025,606 livres*. 0\h charges payées avec
le produit des revenus publics doivent, de
toute nécessité, être ajoutées au chiffre de
ses revenus 6,025,666
Total . . 26,265,325
Ainsi l'importance on le total des revenus publics, i la fia
de 1609, était de 26 millions 265 mille livres, correspondant
\ 95 millions environ aujourd'hui
• Voir f . 47R.
* ForboannU, R«ch«rcbei et coiuidératioat tar !•• flBancM, 1. 1, p. IflT.
&92 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
Sur cette somme, il n*entrait dans l'épargne ou trésor pu*
bile que 20 millions 239 mille livres, le reste des reveniu
publics acquittant les charges par prélèvement.
Des 20 millions 239 mille livres versés dans le trésor»
16 millions étaient le produit des impôts ; It millions 239 mille
livres étaient le produit soit d'économies, soit d'autres bran*
cbes des revenus publics, entre lesquelles figurait principa-
lement le revenu du domaine dégagé ou réuni.
La dépense ordinaire, d'après le compte, était de 16 mil*
lions 500 mille livres. Les recettes, charges déduites, étaient*
comme nous venons de le voir, de 20 millions 239 mille li-
vres. Par conséquent, l'économie annuelle était de 3 millions
739 mille livres, et devait accroître d'autant les ressources
de l'État 1.
Ces chifTres et ces calculs ne comprennent que le budget
politique, le budget de l'État, comme on dirait aujourd'hui.
Nous laissons en dehors le budget du clergé et de la cour de
Rome, pour les sommes considérables que la nation leur
payait ; le budget de la noblesse, pour les redevances et cor-
vées auxquelles le paysan était astreint k son égard ; le bud-
get des communes, avec les sommes auxquelles elles s'impo-
saient pour leurs dépenses intérieures.
Les charges qui, comme nous l'avons établi, montaient au
commencement de 1597 à 16 millions, et qui s'accrurent
encore momentanément en 1598, étaient descendues à la fin
de 1609 à 6 millions. Cette diminution de 10 millions an*
nuellement sur les charges avait permis à Henri et à son
ministre d'appliquer chaque année une plus forte partie des
revenus publics à l'amortissement de la dette exigible, au
rachat du domaine et des rentes. Us avaient déjà obtenu sous
ce rapport de prodigieux résultats que nous exposerons lout
à l'heure : disposant maintenant de ressources plus étendues,
ils préparaient de plus grandes choses encore.
Les sommes à lever sur la nation, au commencement de
1597, pour faire face soit aux charges, soit aux services pu-
blics, montaient à 30 millions, et tout ce qui manquait k ce
chiffre devait être demandé ou h des impôts nouveaux, tel
' Nous donnons ici d— cbiflrM exactf : dans ccUet des histoirn oà m
trouve quelque partie de ots calculs, U n'y a que des nombres apprvsi-
maUfii.
LES CHARGES PUBLIQUES EN 1597 ET Blf 1609. &93
que le sou pour livre, ou à des réformes. G^est ce que prou-
vent inviDciblcmeni les décisions de rassemblée des notables
de Rouen. A la fin de 1609, les sommes nécessaires à toutes
les dépenses publiques sans exception, n*étaient plus que de
36 millions. C^était une première diminution de U millions.
En 1597, Targent levé , sauf d^inslgnifiantes exceptions,
provenait exclusivement de Timpôt sous lequel le peuple, ré«
duit à la misère, succombait.
En 1609, sur les 26 millions exigés, plus de 4 millions
étaient fournis par des branches de revenus publics autres
que TimpOL l^r conséquent, PimpOt avait été diminué en
tout de 6 millions , dont 2 millions environ pour la taille
seule, celle des contributions qui pesait le plus directement
sur le laboureur.
Cette réduction de 8 millions de ce temps, environ 29 mil-
lions d'aujourd'hui, avait adouci le sort de toutes les classes
de citoyens sujettes à Timpôt : la condition du bourgeois
et du marchand était devenue tolérable; celle du laboureur
avait été infiniment améliorée au moins en général. La terre
ne restait plus en friche, personne ne quittait plus la France,
tous même trouvaient la vie meilleure dans leur pays que
dans les )>ays voisins. C'était là le grand pas fait , le progrès
acquis. Cependant les Impôts, sans écraser désormais les
contribuables, sans atteindre la dernière limite de leurs forces
et de leurs moyens, restaient encore fort lourds, comme
Sully nous l'apprend lui-même. Le roi et le surintendant
déploraient cet élat de choses, mais Ils étaient impuissants &
le changer avant quatre années. Jusque-là ils étalent réduits
à soulager partiellement les plus grandes misères, tantôt en
accordant des remises ou des réductions d'impôt aux paroisses
les plus pauvres ; tantôt en intervenant auprès des autorités
locales, pour que l'on diminuât temporairement les dépenses
et les impositions provinciales et municipales*. Les charges ^
* I^Ure^ et in«tnirlioni de SuUy à dtren orfirim dn fisances, •« date
Hm mois de décemlire ItiO'i ri d*a«rîl ltil)7, dam les OKcod. roy., c. ISS et
l(i(>,l. Il, p. I6»i, 178. m J« irouT* MM. le» ct»mmw*im bien fondât à
n dtnirrr la diminution dr« iinpuM(iuns;r<ir jl ta i^érUé elles sont exctêsi'
» ves au grand regret du roj et tle moy auMy. Miiis sa mMJi'kte est cbur-
M gee fit» trop tle kurt»s d«* dr^iirusi*» par la niourHÏi nirinaga de aea
m prederec^enrt, et par le« ocrasious qui «e prêta nient ionmcllrroent aux
m Mtniir«« du dehors. Non senlement. je trouve très bon la dvscbarga qn«
n MM. les commissaires ont apportée au peuple, mais encore enasé-)e
I» bien esté d*adri« ipie Ton en«i deschar |é la province dea autres sommet
&9& HISTOIRE Dtl RÈ6NC DC BENRI IT.
d(i passé, les nécessités du présent expliquaient Timpul»-
sance de Henri et de Sully à réduire Timpôt d*une manière
générale et plus sensible. De t597 à 1609, ils avaient eu à
payer une dette exigible immense, à dégager le domaine,
onéreuses obligations que leur avait léguées la guerre ci-
vile. Maintenant ils se trouvaient à la veille d'une nouvelle
lutte contre la maison d^Autriche, commandée par la néces-
sité d'assurer à jamais Tindépendance du royaume et sa pré-
pondérance en Europe. Il fallait donc ajourner les dégrève-
ments. La gêne , si ce n'est la soulTrance , dans laquelle
restaient les bourgeois des villes, les marchands, les' paysans
même dans certaines localités, était la peine de leurs erreurs
et de leurs excès, ils s'étaient jetés avec Tureur dans la Ugue.
Au lieu de faire au pouvoir qui abusait une opposition
calme et ferme, une résistance civique, ils avaient fait de la
révolte. La révolte coûte cher et s'acquitte lentement ; Os en
payaient les frais par des sacrifices prolongés.
§ 6.— Dette acquittée, rente remboursée^ domaine racheté^
réserve ou économie en argent, ressources extraordi^
naires au commencement efe 1610.
Il ne reste plus qu'à établir ce que Henri iV et Sully
payèrent de dettes, rachetèrent de domaine public, réalisèrent
d'économies, dans un espace de treize années et quatre
mois, avec des revenus publics qui, sans déduction des char-
ges, ne montaient, au commencement de 1597, qu'à 23 mit-
lions; qui durant quelques années seulement atteignirent
30 millions; qui en 1609 éuient redescendues à 26 millions,
par suite des diminutions considérables accordées sur ia
taille et sur les aides.
De longs discours et de spécieux raisonnements ont été
^ faits par quelques économistes sur l'utilité et les avantages
» etnplojëef pour •flaire* qui ne concertieot point en particulier le serrice
• du ruy, Iptquelles comprit lei orne mil et taut d^escus , dont les ■u»dit«
» coDimistnires ont detchar|ë le peuple, montent à S4U.5t(1 livrrs... Tou-
• lea lef quelles sommes ont esté augtnentëe* depuis nuelques années, sans
» qufl le roy s*en prévale d'un sol, mais seulement les provinceê et les
• particuliers. Peut- estro que les peuples se passeront mieux de toutes ces
• réparations publieques et antres effets pitrUculiers, que d'une dea-
m rharge de somme si notable qui leur apportera grand soulagement. —
m Les subjecU de sa mafettë sont si fort charges de tallies et autres tm^
» posMoms quHtê n» tês peuvent quasi payer, »
riNANCES : DETTE ACQtlITTéE. ti9&
qn'un État retire de sa dette. Toutefois, tant qne le sophisme
n'aara pas prévalu contre la vérité, il restera certain qu^une
dette est le ver rongeur de toute nation assez malheureuse
pour l*a voir contractée, assez peu courageuse pour ne savoir pas
réteindre. La dette dévore chaque année par avance, tantôt
le cinquième , tantôt le quart des revenus de cette nation,
lui interdit toute tentative en grand pour améliorer sa con-
dition , toute résolution énergique dans ses rapports avec
Tétranger. Tôt ou tard le jour des complications* des embar-
ras survient, jette une elTroyahle perturbation dans la fortune
publique et dans les fortunes particulières, engendre la ban-
queroute et les révolutions. Au seizième siècle, une dette
était encore plus vicieuse qu'aujourd'hui, parce que le véri-
table crédit public n'étant pas établi, le prêt du créancier
était toujours usuraire, et l'emprunt ruineux pour TÉUit
Après rentière soumission de la Ligue et la fin de la guerre
avec TEspagne, la dette de la France s'élevait, en iô98, à
3Ù8 millions de ce temps-là, environ 1 milliard 25/i millions
d'aujourd'huL La portion de la dette afférente aux neuf pre-
mières années du règne de Henri IV était d'environ 100 mil-
lions du temps : la guerre contre la Ligue, contre l'Espagne
et la moitié de TEurope, avait coûté 63 millions, et le désar-
mement de la Ligue au delà de 32 millions. La dette exigible
montait à 157 millions tiU2 mille livres : sur cette somme» il
était dû 68 millions aux puissances étrangères >.
On voit dans les Mémoires de Sully le tableau de l'amor-
tissement progressif de la dette publique. A la un de 1606,
l'acquittement de la dette exigible, très distincte de la rente
et de l'aliénation du domaine, éuit déjà de 67 millions
330 mille livres. Dans TéUt détaillé que présente Sully, Il
faut se garder de confondre les dépenses d'utiUté publique
avec les dettes acquittées, dont le chilTre se réduit à celui
que nous venons de présenter. Sur les 67 millions rembour-
sés, on avait attribué 'SU millions aux étrangers, et pareille
somme à peu près aux nationaux; les chefs de la Ligue
avaient reçu 13 millions pour leur part ^.
' Voir d>ni Pélat de* deites dm^tf par Sullv au c. 101, t. u, p. SB, i9,
c« qui m été rmpruuté poar U guerre conlre la Ligue et eooire l'Espagne
•t ce qui eti dû aux puisa^inces eirangère*.
' bully, O£cou. roy., c. 164, t. u, p. 171. «Estât de pajamèlits de*
m dabtaa présanié as roj «a 1607.
à96 HISTOIRE DU RÈGNE DE HEITRI IV.
Trois ans plus tard, an moment de la mort du roi, le
chiffre total de la dette exigible acquittée s*élève à 100 mil-
lions ^
Ainsi le total de la dette contractée sous ce règne se trou-
vait remboursé. Ainsi se trouvait vérifié le mot profond pro-
féré par Henri, en 1596, au moment des traités avec la Ligue :
« Qu*'û ne fallait alors ni faire le bon mesnager, ni s'arrêter à
» Targent, car le roi payeroit tout plus tard des mêmes choses
» qu'on lui livreroit^» En effet, il avait tout payé, et en même
temps il avait mis fin à la guerre civile, et chassé TEspagnol
du royaume. Il est donné à peu d'hommes d'accomplir avec
une pareille ponctualité de si grandes promesses.
PoHioa Henri et Sully avaient travaillé en même temps à faire ren-
^^ 'chVtél! '^ ^^^ ^^ couronne dans la possession du domaine aliéné, et à
éteindre peu à peu les rentes constituées sur TÉtat. Cette
grande opération financière , commencée en 160/i , prodi-
gieusement développée en 1606 -et 1607, continuée depuis
avec persévérance, amena les résultats suivants au commen-
cement de 1610.
Les rentes constituées sur riIôtel-de-Ville de Paris, depuis
François I'% montaient à 3 millions 628,000 livres. Le déses-
poir des bourgeois et l'opposition de Miron empêchèrent le
gouvernement de rembourser en totalité cette partie de la
dette publique ; mais en 1605, il racheta 1 million 390,000 li-
vres de ces rentes. De 1606 à 1610, il racheta 3 millions
610,000 livres environ de rentes constituées sur l'État. La
réunion de ces deux sommes porte le total de la rente ra-
chetée à 5 millions 3. U est impossible que Henri et Sully
aient poussé plus lohi le remboursement de la rente. En
effet, entre les années 1597 et 1609, les charges publiques
diminuèrent de 10 millions , comme le prouve le compte de
1609. Le remboursement de 100 millions sur la dette exi-
gible , même après la réduction de l'intérêt , avait exonéré
l'État d'au moins 5 millions d'intérêts à payer par an, et di-
' Snllj, OEcon. roy., c. 186, p. S66 A. c Le roj Henri-Ie-Grand, qiu«
i« trième du nom. aprèi «Toir reconquit fon royaume par la Talenr et
M prudenre* ncquillé pour cent miliiont de Hebtes delà couronne... mon-
w rut le 14 muy 1610. • — Cet ënoncé si précttett contmire à ce qu*aTancent
quelques historiens modernes lesquels portent le remboursement de la
dette à 147 millions.
' Voir ci-dessus, p. 967.
I Voir ci-dessus, p. 465, 466, texte et note*.
FINANCES : DOMAINE ET RENTES RACHETÉS. 697
minué les charges de pareille somme. Pour compléter le
total de 10 millions dans la diminution des charges, il n'y a
place que pour 5 millions ; c'est donc à ce chiffre qu'il faut
réduire forcément le remboursement de la rente K
Le gouvernement avait payé 100 millions pour l'acquitte-
ment de la dette exigible : il paya moins pour le rembour-
sement des rentes, à cause de la distinction établie entre les
rentes sincères et les rentes frauduleuses, et la composition
à laquelle il amena un certain nombre de rentiers. Mais le
résultat des deux opérations fut de rendre à la nation la va-
leur et la disponibilité d'un capital de 200 miUions , même
après l'abaissement de l'intérêt.
Le domaine racheté de 1604 à 1610 se composait de deux
parties distinctes, ainsi que nous l'avons vu précédemment.
La première , reprise aux usurpateurs ou rachetée à pris
d'argent >, était d'une valeur de 35 millions : la couronne ea
était rentrée en possession avant 1610. La seconde » dota la
Jouissance temporaire avait été laissée à des traitants oa k
des compagnies , ne devait faire retour à la couronne qu'aa
bout de seize ans ; mais la propriété lui en était dès lors as-
surée : cette seconde partie était de Itb millions. La totalitS
du domaine racheté , par divers moyens et à diverses con-
ditions, était donc de 80 millions. Sully donne divers chiffres
pour le rachat du domaine, parce qu'il parle de parties dif-
férentes : nous prenons celui qui se trouve consigné dans les
états de finances présentés au roi au commencement de
l'année 1610 \
Le complément, grand comme tout le reste, de l'adminis-
tration financière de Henri IV et de Sully, se trouve dans la
réserve en argent, ou économie qu'ils avaient su ménager à
* Nous ne savons sur quelle •utoriltf ni sur quel raisonnement s^appuient
les bisloriens modernes qui portent le remboursement des rentes sur VH&-
tel -de-Ville et sur TElat, îes uns i 7 millions, les autres à 7 milUooa
300 mille livres.
' Letire de Sully aux trésoriers de Bourgogne de Tan IGOS, dans les
OEcon. roj., c. iS3, t. il, p. S47 A. « Je trouve qu'il est raisonnable que
9 les partbans du rachapt du domaine fassent leur rarhapt de six vingt mil
» livres premier. » — Le compte de 1609, p. 115, 119. ■ Remboursement
» du domaine en Champagne iusqu'à la somme de 900,000 livres. — Rachat
» du domaine de Normandie. »
> Sull, OEcon. roy., c. 916, t. il, p. 437 A. « Plus tons parlicnliert qui
I» ont contracte pour les rach/ipli de quatre t^ingt mittiont de domaines,
• grefles« rentes et attributions sur le roy font oHire de doute millions, s'il
» plaist à sa mniesté de prolonger te tempe de leurs rachaplt de quatre
M année*, m Compares avec le r. 186, t. n, p. 966 A.
OomAlM ra-
chsttf.
tiWÊtem
en tfcoaomto.
A98 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI ÎV.
rÉtat , et qoî se trouva dans Tépargne oa trésor public, aa
moment de la mort du roi.
Sur cet article, comme sur celui du domaine et des rentes»
nous possédons divers états dressés par Sully, et des rensei*
gnements fournis par le compte de Tépargne de 1609. Quel-
ques courtes explications établiront leur concordance , pour
le fond, en exposant leur diversité dans les détails. L*épargne
ou trésor se bornait à recevoir le produit des revenus natio-
naux dans la mesure réglée par le roi et par le surintendant,
et à faire face aux besoins et aux services publics, d*aprèsle
cbiflre de la dépense ordinaire, arrêté chaque année au mo-
ment de la confection de Tétat général des finances d^alors ,
notre budget d'aujourd'hui. L'épargne , établissement pure-
ment passif, ne créait ni ne provoquait même aucune res-
source nouvelle : elle ne faisait ni prêts, ni avances, ne se
livrait à aucune des opérations d'une banque. Tonte cette
partie de Tadministration active était réservée à la sarinten-
dance , laquelle , au moment du renouvellement de la lutte
contre la maison d'Autriche, tenait en réserve et cachée une
portion des ressources du gouvernement , pour assurer ses
dessins et surprendre ses ennemis.
Le compte de 1609 ne porte et ne doit porter que l'argent
comptant tout seul : aussi ne fait^l nulle part mention d'un
seul prêt, d'une seule créance parmi les valeurs appartenant
A l'État De plus , comme l'indique un énoncé formel , il ne
mentionne que l'argent comptant encaissé par l'épargne et
provenant de Pexercice de 1608 et des exercices antérieurs :
les produits en deniers comptants de Tannée 1609 n'y sont
pas compris >. Restreint dans ces limites, le compte de
1609 ne porte la réserve ou économie qu'à 13 millions
350,000 livres.
Tandis que l'administration dé l'épargne, durant l'exercice
de 1609, se bornait à ce mouvement régulier, mais sans
* Le compte d« 1600, tiens Forbonniiis, 1. 1. p. 116,117. Remarque!
bien les termes et le portée des deux anirles suivunts : « De M. Vincent
m Bouhier, sieur de BeaumBrrhuU, trésoriei de l'esparene, des deniers de
n sa charge de Vannée 16()8, (),M>0,(H)0 livies. — De lui, dcc deniers qui
a avoienl esté mu compiaot au cltAlean de la Bu.stille, 7,000,000. a Ces
7 millions sont les économies fuites antérieurement à I6US. '^ Snlljr,
OEron. roj.,c. 1S7, t. u, p. itiO B. • L^estat des deniers atmnct» en raB-
• oée 1607 et 1608, par les trésoriers de Tespergiie, et dont le recoavre-
• ment se doit bire en Vwmaém 1600. a
FINANCES : RÉSERVE, RESSOURCES EXTRAORDINAIRES. /|99
initiative» & ce foDctionnement presque machinal, la surinten-
dance, pendant le cours même de cet exercice, préparait, par
son industrieuse activité et par sa puissance, des ressources
publiques nouvelles , dont la fécondité devait apparaluredèsle
commencement de Texercice suivanL £lle avait soin, en par-
ticulier, de faire rentrer dans l'épargne, à point nommé et à
jour iixe, tout l'argent comptant qui lui était dû pour Tannée
1609. Ainsi, au i" janvier i6t0, jour solennel durant tout
ce règne, jour où l'on voit que chacun des secrétaires d'État
venait présenter au roi un exposé général du service public
dont il était chargé, Sully faisait connaître l'ensemble de la
siluaiiun liuancière par quatre états de longue main préparés
qu'il remettait à UenrL Le troisième et le quatrième établis-
saient quelles ressources possédait actuellement r£tat , non
seulement en argent comptant, mais aussi en avances et prêts,
en créance» solides et à courtes échéances , dont rien n'était
entré dans l'épargne et dont rien ne figurait dans son compte.
L'argent comptant , porté de 12 millions 500,000 livres à
15 millions 870,000 livres, était déposé dans les chambres
voûtées de la Bastille K Le prêt fait au trésorier de l'épargne,
Puget, pour lui ladliter ses avances d'argent comptant, pen-
dant l'année de son exercice, montait à 10 millions» Les
créances, se composant de ce que les recettes générales et le
clergé redevaient, montaient à 0 millions 4^0,000 livres. Ces
sommes réunies formaient un total de '62 millions 300,000 li-
vres. Eu comme le faisait remarquer le surintendant, la so-
I 8«lly« OEcon. roy., c 167, 1. il, p. 106 B pour U dau, 106 B poar Im
aiU ! « ToucbaQt Iri cttuiB que vous baiUaates an rojf le premier {our de
• Tas, en foraM «l'ealreta«s, sost ton» ramenteTriHif ca qai Mit..* Far la
m troisièma de ce» aaUU vont fîii»ica cofooitlre an roj roninaol il
■ avait daoi les cbambrca To&lcet, coflret al euques. ettaot i le Bat-
• Ulle IB^O^OÛO lirrie.
» Outre 10 DiUlioDâ, que rou* eo «Tica tirca al iMillea
m Mm tréaorier da l'aapar|Ba Paf et, pour lui ladliter act
a avaacat d*ar|eDt comptent, da l'anoée de »oa azar»
a rice, à U cnaiga d« le* remplacer d»n» lae qaaira
» moia «le Tiiuoire «ubacquenla. ••••.•••.•••• tOJOOOJOQQ
m Par le quairiènie da rei cslaU votti laUles Toir
• an roy cunac il lui rtioit dcu. S,430,0U0
» de» mie» des anoeve i>récedeDtes, lasi dae reccttet
m géucralee ai parlirnliarce dce t^illrs, das fermes du
» rojttiuDo, da la coiupoeitico de* Suaaciart, qaa dae
» retiitatloM auxqaallaa aetoiani tauM les racavann
a du cUr|d. »
TMaL .... Si,3U),000
Résultats
do radministn-
lion financier*
do Henri IV
et de Sullj.
nctsonrcet
cxlraordinni-
rM,
500 HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
lidité des débiteurs et la facilité de les Caire payer à bref délai
étaient telles, que Ton devait considérer toutes ces sommes
comme argent comptant. Quelques jours plus tard, le 10 jan-
vier 1609, par suite de nouveaux versements, les ressources
publiques étaient encore accrues, et, suivant un état authen-
tique et détaillé, l'argent comptant, ou ce que Ton devait re«
garder comme tel, montait à ^3 millions 138,000 livres '.
Ainsi, il avait été acquitté 100 millions de dette exigible ,
remboursé 5 millions de rente représentant un autre capital
d'environ 100 millions, racheté pour 35 millions de domaine.
Ces 235 millions du temps équivalent à plus de 8i!i0 millions
d'à présent II suit de là que les deux tiers de la dette géné-
rale avaient été acquittés, et que sur le tiers restant, A5 mil-
lions d'aliénation du domaine devaient encore être éteints
dans seize ans. Si aux 235 millions de dette déjà payée « ou
de rente et de domaine déjà recouvrés, l'on joint les U^ mil-
lions d'argent comptant, on arrive au total de 278 millions
pour chiffre du capital que Henri IV et Sully avaient rendu à
la France pendant une administration de seize ans; les
278 millions de ce temps-là correspondant à 1 milliard d'au-
jouitl'hui. Telles étaient les immenses ressources dont Us
l'avaient remise en possession et dont elle devait user, sans
inquiétude de l'avenir, dans les temps calmes, dans les cir-
constances normales et régulières.
Mais en outre ils lui avaient préparé pour les circonstances
extraordinaires , pour l'éventualité d'hostilités nouvelles et
d'une lutte prolongée , des ressources également extraordi-
naires de deux sortes. 1" En se bornant à employer la réserve
en argent comptant, et à supprimer dans la dépense ordinaire
le double emploi des sommes destinées à la guerre, la plu-
part des dons et pensions, ainsi que quelques dépenses per-
* Sully, OEcon. roy., c. 109, t. ii, p. 3T7 A pour la date : « Fait à Plaria
» le 10 janvier 1610. m Pour les fuiU « même p. 377 B: « Premièrement
m dant la DaKille 17,000,000 livret.
» Plus il a déjà etlé mis à part dans la BaïUlle, atti-
» vant les liltres patentes du roy, pour commencer
» 1rs despeniM de lu guerre 7,000,000
M Plus, M. Philippeaux a mis ès-muins de M. Pnget,
M en truis fois, des deniers revenans bons de son année . 8,800,000
I Plus, en une promesse de Bforant, etc., e(c. s A
partir de cet article Sully ënnmère nue suite de sonv
mes dues an roi, dont la réunion forme un total de. . . 10,338,400
Toul. .... 43,138,490
FINANCES : l'intérêt DE L*ARGENT DIMINUÉ. oOl
iiouneiks aa roi ; en proûtant des offres faites pour i^augmen-
talion des fermes du royaame , lors db renouvellement des
baux; en consentant à prolonger pendant un petit nombre
d'années,, au profit des détenteurs, la jouissance du domaine
aliéné dans lequel le roi devait rentrer ; sans toucher au
fonds de la dépense ordinaire en ce qui concernait les ser-
vices publics intérieurs ; sans augmenter les impôts ni charger
les peuples, le gouvernement pouvait, en trois ans, faire un
loods extraordinaire de 81 millions et l'employer à la guerre
contre la maison d'Autriche en l'attaquant d'abord par le
pays de Gèves de Juiiers ; ces 81 millions valaient environ
292 millions d'aujourd'hui 2* En recourant, en cas dé besoin,
à des créations d'offices, à des concessions de droits et attri-
butions, sorte d'impôts indirects qu'il était facile d'établir
« sans grande foule des subjects du roy, » et en ajoutant cette
ressource de 112 millions aux précédentes, le gouvernement
pouvait se procurer dans le même espace de trob ans au delà
de 193 millions du temps, environ 69/i millions d'aujour-
d'hui. Telles étaient les ressources extraordinaires que la
couronne, sans recourir & l'emprunt, était en mesure de réa-
liser en trob ans et de fournir à la France, pour les besoins
de sa défense ou de sa grandeur ^
I 7. — L'intérêt de VargetU diminué ; ressources fournies
à l'agriculture, à VindustriSf au commerce.
Tous les services de la paix, tous les services de la guerre, iJtfM
même éventuels, étaient ainsi largement pourvus : dans tous ''d?Suiiy'iu/'
les UéVi*lopp«*
■ Sally, OEcoii. roy., c. lOS, t. U« p. 57S B,S70 A. Go trouTero dans ton d« la richesM
leita loui !«• chiflTret at tout 1«« calculs que doui produisoat ici. Au pre> nationato.
Micrarticla de i*«Ut des ressources eslraordinairrs, il exprime delà ma-
aière la plus formelle que la rcnnionda ces diverses ressources n'apportera
aucun trouhle dans la dtfpente ordinaire, dans le budc(>t normal, dans les
scrrices publics, m Premièrement, sans loucher an fonds de la dépense
• ordinaire de t'Etpargne «i* puisas«eurer Totre'mafestëde mmasscr, etc.»
Hous croyons que les 95 millions d'argent rompiani, dont il parle dam co
premier article, doivent se fondre dans l'état de Targont comptant qu'il
donne nn peu plut loin, page 377 B, et qui monte, comme nous l'avons
dit. k 43 millions.» A Taiiicle 6. il dit : « Plut Votre Maiesté se sonvienUm
a des grandes opposiiious que f ny toosiours faites à tous nouveaux édite
a pécuniaires, crralious d'officiers, en corps et en partlrnlier, augroenta-
m Uotts de gages, diotis. atlribnlions. Ce que (e faisois exprès afin d'y
a trouver un grand fonds d*argent en cas de hesoio. De tons lesquels advis
» t'ai fait un recueil et dressé un estât abrégé par lequel, sans grande fonle
n M» Toa sttbietf , il se povra recouvrer plus de IIS milUona, ■
Edit
de initlel IGOI :
l'intérêt d«
rnrgcnl
■h«Usè; eflett
de le mesare
•or les fortunet
perticuUiret.
602 H18T01RS DD RÈGUIB DE HENRI IT.
'ses besoins légitimes^le pays n^avait qa'à se tourner vers son
gooTernement et à demander pour recevoir : des fonds faits
d*avance, des mesures prises avec précision permettaient de
satisfaire sur-le-champ à toutes les exigences publiques.
Quand on considère que le désordre des finances, légué par
Henri III à son successeur, avait été pour plus de moitié
dans l^efTroyable anarchie où le royaume avait été plongé, et
dans les dangers qu^avait courus son indépendance, on sent
que Henri IV et Sully avalent été au plus pressé et au plus
important, en remplaçant les dissipations et Pindigence du
dernier règne, par la régularité et la prospérité financière
dans laquelle ils avaient replacé le pouvoir et la nation. Mais
leur génie pénétrant, leur admirable sagacité leur révélèrent
quUls n'auraient rien fait de durable ni de complet, s'ils se
bornaient aux exigences du gouvernement et du temps pré-
sent; s'ils ne voyaient pas les familles, la société, Tavenir;
sMls ne fournissaient pas au pays les nouvelles richesses que
les développements delà civilisation lui rendraient nécessaires
au moment où il s'avancerait dans la voie du perfectionne-
ment ouverte par la Providence au génie de l'homme.
Ils travaillèrent à cette œuvre importante en même temps
qu'au rétablissement des finances publiques et Ils y réus^-
rent également. En premier lieu , ils consolidèrent la pro-
priété ébranlée dans l'ordre de la bourgeoisie et delà noblesse,
en partant du principe que la fortune publique n'aurait une
base soUde que quand les fortunes particulières seraient raf-
fermies. Par suite des dévastations des guerres civiles, beau-
coup d'hommes du tiers-état, beaucoup de nobles, réduits
au plus extrême besoin, avaient recouru à l'emprunt, n'a-
vaient trouvé de l'argent qu'à un taux excessif, et s'étaient
vos bientôt dans l'impuissance de remplir leurs engagements.
Les uns étaient déjà expropriés, mais leurs biens avaient été
adjugés à des gens hors d'état de couvrir le prix de l'acqui-
sition : les autres étaient sur le point d'être dépossédés. Henri
et Sully Intervinrent au milieu de cette effrayante perturba-
tion, et la firent cesser par l'édit du mois de juillet 1601. La
guerre contre la Ligue, contre l'Espagne, contre la Savoie
venait de prendre fin, l'ordre public était affermi, les capiUuz
rassurés avaient reparu. Us profitèrent de ces circonsunces
favordbles, pour abaisser l'intérêt de l'argent de 8 et 10 {wor
Pllf AIICBS : l'intérêt DB L'ARGKRT OIMINUâ. 503
iOO A G pour 100 par an. L*é(lit ayant reçu une facile eié*
cuiion, les débiteurs remboursèrent leurs anciens créanciers
avec de Targent emprunté ailleurs aux nouvelles conditions,
cessèrent d*étre écrasés par Tintérét, et parvinrent en grand
nombre, les uns à rentrer dans leur patrimoine, les autres à
le conserver.
Par rabaissement de l'intérêt de l'argent, Henri et Sully
atteignirent un autre but, réalisèrent un autre projet d'une
égale importance, ils entreprirent de développer et d'aug-
menter les ressources intérieures du royaume ; et telle était
la puissance de ces esprits créateurs, que par leurs hardis et
féconds essais, ils ouvrirent les premiers à l'Europe entière,
en même temps qu'à la t'rance, les sources de la véritable
richesse des nations. L'argent est impuissant et stérile par
lui-même, si stérile que les 6« 5, 6 francs, dont un capital de
100 francs se trouve accru au bout d'un an par Tintérét,
sont sortis de la poche de l'emprunteur pour entrer dans
celle du créancier. Mais dans la constitution de nos sociétés
modernes, Targent peut tout, et produit tout, en s'alllant k
l'industrie. Legrand secret et le grand art des gouvernements
est de le mettre h la portée de Pagriculture, pour qu'avec son
aide elle double les richesses du sol ; de le livrer à l'Industrie
manufactu^i^^e, pour qu'elle se procure les denrées pre-
mières dont elle décuplera la valeur par l'art avec lequel
elle les travaillera ; de le fournir enfm abondant et facile au
commerce, pour qu'il en achète les marchandises qu'il re-
vendra ensuite avec des bénéûces énormes, en se chargeant
de les transporter et de les placer. Depuis quarante ans,
l'argent s'était refusé en h'rance à l'agriculture, à l'in-
dustrie et au commerce. U avait été prêté aux particuliers
pour les besoins de la vie, A un gouvernement toujours aux
expédients pour les guerres de religion et pour ses folles
prodigalités, au taux usuralre que nous avons signalé plus
haut. Dès lors il était devenu inabordable et insaisissable aux
arts de la paix : il s'i^tait d<<pensé, écoulé, sans rien féconder,
sans rien ajouter à la production et a la richesse de la France.
L'effet décisif et immédiat de la réduction de rint<<rèt de ^ Effeude
l'argent fut de le porter des rentes et de la dette publique sur éB^rï^é^èi'^
l'industrie agricole et commerciale, et de fournir à celle-ci le r»f •truitar»,
secours qui lui manquait, et qu'elle implorait depuis si Iod^ J itMiiuiria,
50A HISTOIRE 00 RÈGNE DE HENRI IV.
temps. La nation n^avait pas moins à profiter par Pexposé des
principes d*après lesquels Henri IV et Sully se conduisaient,
qoe par les actes mêmes de leur administration, et les leçons
de profonde sagesse économique que contient Tédit de 1601
doivent être reproduites pour instruction de tous les temps.
« Après avoir, par Passistance de la souveraine bonté, pacifié
de toutes parts nostre royaume et fait rendre A chacun de nos
sujets ce qui leur appartenoit et leur avoit été ravi |iar la licence
des guerres passées, en telle sorte que chacun à présent jouit pai-
siblement du sien, nous avons jugé être aussi important, et de non
moindre gloire à nôtre Ëtat royal , d*apporter pareil soin et dili-
gence à la conservation de leurs possessions. •
« Et pour cet effet, ayant reclKrché de plus près les causes qui
plus ordinairement appauvrissent et travaillent nos dits sujets en
la jouissance de leurs biens, et surtout notre noblesse, nous avons
reconnu au doigt et à TœU que les rentes constituées à prix d'ar-
gent au denier 10 ou 12, qui ont eu cours principalement depuis
quarante ans en ça , et les intérêts provenant tant des changes et
rechanges que des condamnations qui s'ordonnent par nos juges,
à Ikute de payement des dettes, ont été en partie cause de la ruine
de plusieurs bonnes et anciennes familles, pour avoir été accablées
dMntérêls, et soulTert la vente de tous leurs biens à personnes qui
se sont trouvées insolvables. Ce qui pourroit à lu longue aussi bien
occasionner quelques remuements en cet Ëtet monarchique, que
les usures et grandes dettes ont fait par le passé en plusieurs ré-
publiques. •
« Nous avons reconnu que ces mêmes causes avoient empcsché
U trafic et commerce de la marehaniise, qui auparavant aroit pHui
de vogue en nostre royaume qu'en aucun autre de l* Europe, et fait
négliger l'agriculture €t manufacture; almans mieux plusieurs de
nos sujets, sous la facilité d'un gain à la fin trompeur, vivre de
leurs rentes parmi les villes , qu'employer lenr industrie aux aris
libéraux ou & cultiver et approprier leurs héritages. >
c Pour à quoi remédier ï Ta venir, et par le retranchement du
profit excessif desdiles rentes, et iutérêu réprouvés des changes et
rechanges, qui rendent ingrate la fertilité des terres, convier nos
sujets à s'enrichir de gains plus convenables , ou se contenter de
profits modérés; même faciliter les moyens à notre dite noblesse de
rétablir en leurs maisons les dégftts , ruines et désordres qui leur
ont été causés par les troubles. >
« Nous avons dit et statué, statuons et ordonnons qu'en tous
lieux, terres et seigneuries de notre royaume, ne seront ci-après
CO.NSIDÉRilTtOHS 8DR L^ADHINUTRATION FINANCIER!. 505
eonstitnè renies à plus haut pris qu'à U ratsoo da dernier mim,
revenant à «û» éctu quinte eoli pour cemî éeue, par ckaemt an ^ t
Le bénéfice de la réduction était d'aatant plus grand pour
BOUS que nos voisins payaient Tintérèt à un taux plus élevé*
Les capitaux détournés, égarés depuis quarante ans, se por-
tèrent de nouveau sur l'agriculture, Tindustrie, le commerce»
dont les produits multipliés dans une immense proportion»
enrichirent le royaume, comme nous aurons bientôt Toccasion
de le constater. Il ne faut pas oublier que c'est de la France
et du règne de Henri iV que partit ce grand perfectionnement
de l'économie politique ; que tous les autres États de l'Eu-
rope le reçurent de leur main et lui durent leur prospérité ;
que les plus habiles écrivains parmi les Anglais proposèrent
depuis ï'édit de 1601 conune un modèle & imiter chez eux.
S 8. — Observations sur l'administration financière de
Henri 1 y et de Sully, — La France devient la première
Jouissance financière de l'Europe.
L'exposition qui précède a fait connaître les travaux et les
établissements financiers de Henri IV et de Sully dans leurs
détails. Nous avons maintenant à en juger l'ensemble au
point de vue administratif et au point de vue politique.
Lorsque, dans les dernières années du xvi* siècle, Us res-
tèrent maîtres de la situation, une grande révolution, dont
l'origine remontait à cinquante ans, s'était accomplie dans le
système économique et financier du royaume. La taille, qui
à elle seule formait la moitié du produit de tous les subsides
réunis, la taille, parreiïetdcs anoblissements, des collusions
et des fraudes, n'était plus payée par la bourgeoisie, par la
portion du peuple la plus riche ; elle était entièrement sup-
portée par le laboureur et l'artisan, la classe du peuple la
plus pauvre : les sacrifices étaient en raison inverse des
moyens. Il résultait de là que les dernières classes étaient
écrasées et que l'impôt était maigre, insuffisant, complète-
ment au-dessous des besoins publics, toutes les rigueurs du
fisc ne pouvant arracher à la misère du peuple ce qu'il n'avait
CoDtiiUraUoBs
mwIm
^«bliMcroenU
Saanefen
•B poisl de VIM
•dmiaUlnitir.
FenUuoD. 1. 1, p. 783, 784. •» Nous «Toot cbsoge rorthocraplie «t
ipé ase phrMC d« redit po«r l« rwtdn pliu iaUtlif ibic.
506 HISTOIRB DU RftONB DE HBNRI IT.
pas. Henri et Sally renversèrent cet ordre de clioses : ils
sujettlrent de noaTeau à IHmpôt cens ^ui s*en étalent affran-
chis dans la bourgeoisie, dans le tiers-état, n*exceptant pas
la magistrature elle-même : la taille et le droit annael les
atteignirent tous. Limpôt fut diminué pour le laboureur et
l'artisan : il augmenta cependant en général d'une manière
très sensible, et 11 fournit au pays des ressources incon-
nues depuis François I*'. La concussion et la prodigalité
avaient opéré un autre changement non moins profond,
non moins funeste. Un petit nombre d'hommes, comp-
tables infidèles et grands seigneurs avides, s'appropriaient
la moitié des sacrifices faits par tous pour subvenir aux néces-
sités de l'État : le reste était follement ou honteusement dis-
sipé par une royauté insensée, qui ne trouvait plus trente
livres dans son épargne au milieu de ses plus pressants be-
soins, et qui mettait les diamants de la couronne en gage,
quand elle voulait avoir une armée contre la révolte. Henri
et Sully se constituèretit les adversaires systématiques du
désordre, réprimèrent le vol, réduisirent dans d'étroites
limites les dépenses du souverain, appliquèrent aux services
publics l'argent du public dans l'intérêt et au profit de tous.
Sur le premier point comme sur le second point, ils avaient
pris précisément le contre-pied de ce qui se pratiquait avant
eux depuis un demi-siècle. Dans la première réforme, ils
avaient trouvé pour adversaire tout un ordre de la nation, la
bourgeoisie ; dans la seconde, tout ce qu'il y avait d'habile
et de puissant, les financiers et l'aristocratie ; dans les deux,
des habitudes invétérées, des désordres ayant pour eux la
prescription et passés à l'état de coutume. Ce qu'il leur fallut
de lumières et de volonté pour venir à bout de leur entreprise
est prodigieux.
Avant eux, les deux impositions principales, la taille et la
gabelle, étaient constituées de la manière la plus violente et
la plus injuste à l'état d'impôts personnels et directs, bien
qu'il fût essentiellement de la nature de la gabelle d'être une
imposition indirecte. Elles frappaient partout où elles ren-
contraient une tête, atteignant tous les degrés, toutes les mi-
sères, ne s'arrêtant que devant la complète indigence. Le
pauvre payait moins sans doute, mais il payait encore, alors
qu'il aurait dû être exempté de toute charge publique : le roi
GORSlDiRÀTIORS SUR L^ADHimSTRATlOlf FIHANClfcRB. 607
ne perdait ms droits que là où il n*y avait rien. Le premier
des économistes et des ministres en France, Sally reconnut
la vérité et Thamanité tout ensemble des principes opposés ;
plaida constamment en leur favear auprès du pouvoir soave«-
rain ; proclama leur excellence dans des actes solennels et
publics, dont Téclat et la durée devaient tôt ou tard aider à
leur triomphe. « Gomme Sully parlolt au Roy des diverses
» impositions qui se levoient sur son peuple, il lui remons-
9 troit avec afTection qu'il n'y avolt |x>int de plus onéreuses
« impositions que celles qui se levoient par cajntation sur le
» sel, ni de plus équitables que les réelles sur les denrées et
» marchandises K » C'est un mot profond et vrai qtii suffit à
éuiblir la distinction entre les impôts qui se tirent de la per-
sonne du citoyen si pauvre qu'il soit, uniquement parce qu'il
eiiste, et les impôts qui proviennent des choses, et qui n'at-
teignent par conséquent que ceux qui ont tout à la toto le be-
soin et le moyen de se procurer ces choses ; c'est une excel-
lente maxime qui révèle l'incontesuble supériorité de l'impôt
Indirect sur l'impôt direct. Sully parle avec amertume dans
ses Mémoires de l'exagération ridicule avec laquelle les no-
tables de Itouen avaient estimé le produit du iol pour livre.
Quant à l'impôt lui-même, impôt indirect, l'un des contem-
porains nous apprend que Sully en avait été l'inventeur et
qu'il voulait l'étendre à tout le royaume '. Lorsque cédant
aux répugnances aveugles et routinières du peuple qui de-
mandait la destruction de ce qui lui était avantageux, le mi-
nistre consentit à Tabolitlon du sol pour livre, il protesta dans
le préambule de Tédit de 1602 contre les erreurs et l'entrat-
nement de son temps, et en appela à la postérité pour l'adop-
tlon ultérieure du principe salutaire de l'impôt indirect contre
l'impôt direct et par capilation. 11 dicta au roi ces notables pa-
roles : « Becognoissant qu'il n'y a charge qui soit plus insup-
» portable et odieuse à notre peuple que rimposition du sol
M pour livre, nommée en plusieurs lieux pancarte, quoi-
' Sully, c. fSO. t. n, p. 17 A, H.
* Mar battit renneml J« Sully «l l'homme le plui imbu de* pre|u|ës d«
aos temps, dit dam te« Reiharquet, tar let c. 6*). 19 et H (seconde partie)
des OEconomirt royaUs, p. Si A, 68 A, éJ. Michdud : «« Il voulut faire esta*
m btir PimpoMtion du sol |M)ar livre partout le roytume, qui etdla dee
» s^ditioD% m4><im« i Oiléans, de sorte que le roy fut contralnct de U
» révoquer, m Marheult ne «e doute pas qu'en portant, comme il le erolt,
eoUe accuMlion contre SaUy, U fait son plus grand éloge.
dl8 HISTOIRE DD RÈGNE DE HENRI IV.
i qu'elle eût esté estimée de tous les subsides le plus juste
* t^ ie plus équitable ; et qtie par Paasemblëe des trois ordres
» ètmoBtn royaume tenue A Rouen, elle nous ail esté acoor-
» dée, nèantmoins désirant oomme un bon roy et un bon père,
•^ insi accommoder hu désir général de nos peuples..,^noias
y» nous sommes à ceste fois résolus d*estaiiidre et abolir oeste
» imposition du sol pour livre K »
Henri et Sully conforfenèrent tous leurs actes à ces sages
principes. Ainsi Ils remplacèrent en grande partie Timpôt in-
direct de la pancarte par un autre impôt indirect, Taugmen-
talion des droits d^entrëê sur les marchandises et surtout sur
les vins \ Les subsides Nouveaux qu'ils établirent furent tous
des subsides indirects. Se trouvant bors d'état de réformer
entièrement la taille et la gabelle avant Tannée i6ii!i, en at-
tendant cet avenir qifi ne leur fut pas donné, ils apportèrent
A ces deux impôts de profondes améliorations , par la nou-
velle assiette et la diminution progressive de la taille , par la
forme nouvelle donnée à la gabelle. Me pouvant encore rendre
cet impôt proportionnel aux individus, ils le rendirent au
moins proportionnel aux localités. Voici quelles instructions
ils donnaient en 1607 : « Nous avons ordonné de n'augmenter
» point rimpost du sel par généralitez ; mais, le laissant à la
» mesme quantité, le distribuer après au sol la livre, par
• greniers et par paroisses, selon les moyens et facultez de
» chascune d'elles K »
Ils montrèrent un esprit aussi dégagé de préjugés, aussi
supérieur à leur temps, en réglant les conditions du prêt et
les transactions des particuliers entre eux, qu'en réglant les
rapports des contribuables avec le gouvernement. L'abaisse-
ment de l'intérêt orduMé par eux fit autant pour le patri-
moine des famffes , pour la fortune et la prospérité publi-
ques , que leUrs réformes avaient fait pour les finances de
l'État <.
Henri IV ei Sully ont donc étét en matière de finances et
d'impôts, les t^lus grands novateurs, les plus grands i-évolu-
' Prëambulc dA l*édU de 160t, anc. lois fr., t. xv, p. t76, 9X1,
• IbUi,
" SuUj. OEcon. h>y., c 166. t. u, p. 178 B.
* Edit du moU àk juUlet 1601 qui défend d« cooatilner l«i rcnlei (inlé-
rét de rergent) à plut beat prii que le deoier Mise (0 pour cent) dans
FoB(aoeo, 1. 1, p. TBS,
CONSIDinATIOllS 5VR LUDlfllfltrtÀTIOlf niTAlfClfcRE. 509
tionnaires que Ton tnmfÊÊÊÊ^ toote notre ancienne histoire.
H fisiat ajouter que^MMff des koaMOes, même ëminents, s'é-
loignèrent de leurs idéess ces hommes échouèrent Oimptëtc*
ment dans leurs ttntatiTes de ilMuiu. Il en fut ainsi pour
la gabelle : HeniierStalfy voulaient faire du sel une marchan-
dise, au lieu d*un imp6t : ils avaient Gxë Tëpoque de ce chan-
gement à Tannée i6ih , à la fin de la lutte contre la 'maison
d'Autriche ; la mort et la perte du pouvoir empêchèrent seules
Texécution de ce projet. Louis XIY et Coibert tentèrent de
remédier aux criants «bus de la gabelle, mais en partant du
principe que le sel devait être maintenu A Pétat d'imp6t , et
non converti en marchandise K Ils n'opérèrent qu'une ré-
forme insuffisante et momentanée. La gabelle reprit bientôt
toute son inique âpreté, tontes ses violences : elle porta pro-
gressivement le sel jusqu'à quatone sous la livre, et con-
traignit l'homme du peuple k le prendre bon gré mal gré à ce
prix ; elle resta le fléau, le supplice des classes pauvres jus-
qu'à la révolution de 1789, laquelle n'opéra leur délivrance
qu'en mettant en pratique les idées de Henri et de son mi-
nistre.
Nous connaissons mataitenant ce qu'ils ont fait et ce qu'ils
ont projeté pour la nation en général, pour le peuple en par-
ticulier ; tout ce qu'il y eut de sagesse profonde, de lumières
et d'humanité dans leurs établissements financiers considérés
par le c6té admlnistratit Nous n'avons pas oublié en parti-
culier que la gabelle infiniment mieux répartie, devint de
plus proportionnelle ; que la taille fut réduite de 6 millions
sur le chilTre de 1597, c'est-à-dire de près du tkrs; qu'enfin
le toUl des impôts descendit de 30 millions à 2fi milUona.
De récents historiens disent:
« Sully ne songeait pas à soulager les contribuables en modifiant
les impositions les plus oppressives, la gabelle, la taille, la corvée.
Lorsque nous passons en revue toutes Jet ordonoanees rendues
sous son mintslère, nous n*cn trouvons qu'une qui poisse être con-
sidérée comme un soulageoMnt du peuple ; c*est eelle de mars
1600, par le premier article de laquelle il fiiisait reaise aux con-
tribuables du reste des lalUes de rannée 1596 et années antê-
rieures '. •
* Forbonaait, RechcrchM cl eoMU^., t. I. p. SOS, 510.
■ M. de Sttmomll, u xm, p. %9,
510 HISTOIRE DC RÈOHI DS HllIRI IT.
D^aatres ajoutent :
c Le système de Sully n'inventa rien de vaste : il fut loudeai
des petites ressources. 11 eut peu de conception, car augmenter
rimpôt pour agrandir les recettes» c'est Tidée la plus commune,
Tenfance de Tart dans les combinaisons Gnancières ^ >
Ge8 assertions sont une suite d'erreurs qu'il faut Joindre à
toutes les erreurs sur ce règne que nous avons déjà relevées.
L^hisloire n'a été longtemps que le panégyrique des rois et de
leurs ministres : depuis vingt ans, elle n'en est qoe la satire :
U est temps qu'elle redevienne une appréciation éclairée et
nne justice.
Contidi<raUoDi L'administratlon flnancière de Henri et de Sully n^est pas
hv^ '^' moins admirable par le côté politique que par le côté écono-
'finàDcîrn'* mlque. lis se rendirent un compte exact de la forme la plut
au po|nf d« to« générale de gouvernement que la plupart des États de l'Eu-
rope , et la France en particulier, avaient adoptée de préfé-
rence, et ils constatèrent que la concentration et l'unité mo-
narchique avaient définitivement remplacé le morcellement
féodaL Us reconnurent également que le mode de la guerre
étant complètement changé, la force militaire d'un État con-
sistait désormais dans la solde plus ou moins assurée , plus
ou moins prolongée de troupes nationales et aguerries, dans
les développements donnés à l'artillerie et au génie militaire,
deux armes Infiniment dispendieuses. Ils arrivèrent dès lors
à la grande idée que l'argent concentré entre les mains d'un
gouvernement éclairé et d'une administration intègre, était
le plus puissant moyen que possédât une nation de développer
sa prospérité intérieure , de fouder au dehors sa grandeur et
sa prépondérance. C'est le principe du système d*économie
politique moderne opposé au système du moyen âge. Henri IV
et Sully l'adoptèrent en grand, ils mirent à la disposition de
la royauté , du pouvoir central » les fonds nécessaires pour
couvrir largement les déi>enses ordinaires et extiaordinaircs,
f ondant ce nouvel état de choses sur deux mesures décisives :
Taccroissement du revenu public, la diminution de la dette.
Au commencement de 1697, sur un revenu de 23 millions,
les charges, dont l'intérêt de la dette formait la plus grande
■ Hist. ÔÊ la Rcfbi-n*, 4« la Ligna, eu règne da BesrI IV, t. vm, p. Itt.
CONSIDÉRÀTIOIIS SUR L*ADIfIN]8TRATI0JI FIllANCliRE. 5il
partie, emportaient 16 millions, oo les deux tiers du revenu.
De 1598 k 160Â , après les réformes dans l^administration
des finances, mais avant le remboursement de la dette, le
revenu fut porté à près de 30 millions , et les charges nVn
absorbèrent plus que la moitié. Au commencement de 1610,
après racquittcment de plus de la moitié de la dette et le ra-
chat du domaine, sur nn budget des recettes de 26 millions,
les charges ne prirent plus que 6 millions, ou m<rfns du quart
du reveniL De 1598 à 16 tO* la totalité des revenus publics
variant entre 30 et 26 millions, 10 millions s*ëtaient détournés
de Tacquittement Improductif des charges, et avaient été ap-
pliqués à tous les services publics, aux arts de la paix pour
les féconder, aox arts de la guerre pour mettre le royaume
sur on pied formidable de défense et même d*attaque. Cette
prospérité financière de la France fut complétée par une ré-
serve ou économie de /j3 millions du temps , environ 155
millions d*anjourd*hui en argent comptant, que ménagèrent
Henri IV et Sully. Cet amas de numéraire , cette formation
d*une sorte de trésor ont été blâmés par quelques écono-
mistes. Les objections dont ils ont été Pohjet nous semblent
tomber tontes devant les deux considérations suivantes:
1* Une partie de cet argent, an lieu de demeurer inerte, était
prêtée comme avance par Sully au trésorier de Tépargne, et
employée par ce dernier à son service courant ; selon toute
apparence , elle portait intérêt : une autre partie se compo-
sait de créances exigibles, restait. Jusqu'au moment où il y
aurait nécessité d*y faire appel, entre les mains des débiteurs
et servait à leui*s usages ; 2* le reste de la réserve devait être
appliqué aux dépenses de la guerre qne Ton allait commencer
contre les deux branches de la maison d'Autriche : si le gou-
vernement n'avait pas eu la libre disposition de cet argent,
il aurait été contraint de contracter un emprunt. C'est ce que
prouvent les états fournis par Sully, et dont nous avons donné
le texte plus haut ^
Par les mesures combinées qu'adoptèrent Henri 1 V et Sully,
ils firent de la France une puissance infiniment supérieure à
l'Espagne, à l'Allemagne, à l'Angleterre ; ils en firent la pre-
mière puissance financière de l'Europe. En lui donnant celle
Toêr cl dMMt la dtallMi an mIm 4m pagM 400, BOO.
512 HISTOIRE DD BÈGIIB DE HENRI IV.
force, que les souverains étrangers reconnurent bien vite, Is
la rendirent à la fin de ce règne l'arbitre pacifique de TEurope
dans les démêlés de TEspagne et de la Hollande, des Vénitiens
et du pape. Dans les questions de politique générale et de su-
prématie, qui ne pouvaient se résoudre que par la guerre, ils
lai fournirent les moyens d'intervenir avec une armée de
109,000 hommes, qu'aucune puissance en Europe n'était en
état ni de lever, ni d'entretenir ; de décider irrésistiblement
ces questions à ^n avantage ; de prendre dès l'abord et sans
obstacle sérieux le rang que Richelieu et Louis XIV ne lui as-
signèrent que bien plus tard et avec tant d'elTorts.
Mais au-dessus des prodigieux résultats obtenus par Hen-
ri IV et par Sully, au-dessus de leurs réformes et de leurs éta-
blissements en matière d'économie politique et de finances,
il faut placer leur respect pour le droit imprescriptible des
peuples à voter l'impOt, à consentir les sacrifices qu'ib s'im-
posent uniquement dans l'intérêt de la chose publique, et
qui cessent d'être légitimes dès qu'ils dépassent les besoins de
l'État. Ce droit éteint, l'impôt levé sur les sueurs et sur les
privations des niasses , ne sert plus qu'à satisfaire l'ambition
et les plaisirs d'un homme et à payer l'esclavage de la nation.
Henri interrogea Sully, à diverses reprises , sur l'origine et
l'histoire des subsides, sur ses propres droits et sur ceux de
la France , et Sully, continuant la tradition des antiques li-
bertés , et reproduisant les énergiques protestations de Go-
mines, répondit avec une franchise et une netteté qui laissent
plus de place à l'admiration qu'à l'étonncment.
• Par le premier de ces estais, Sully représentoit au roi comme
il se levoit maintenant dans son royaume des sommes de deniers,
sur ses peuples, par forme de tailles, beaucoup plus grandes qu'il
ne se faisoit premièrement sous le règne de plusieurs roys, lesquels
n'avoient laissé pour cela de bien satisfaire à leurs despenses ordi-
naires, et aux cUraordlnaires , par les assistance» volontaires et
résolutions générales des trois Estats du royaume. Ces despenses
ne consistoient Ion qu'en la seule défense et tuilion de leur Estât. •
• Esloit encore une chose plus digne de considération de dire
que plus les roys ont levé de lai Mes sur leurs sujets, plus se sont-
ils veus constitués en des despenses excessives, et en sont devenus
plus pauvres et nécessiteux, estant une maxime tenue pour infail-
lilile par les plus sages que plus les potentats s'arrogent d'authorilé.
GO1I8IDÉRAT10N8 SUR L'ADMIHISTRATIOII FINANCIÈRE. 513
et enCreprenneat de &lre des letéet torUonnaires tar leurs sojels,
plus ont-ils les désirs dérègles, et par ooDaéquent s^eogasent à des
despenies plus exceisiTes à la mine des peuples. Et est chose cer-
taine que ies letées ordinaires par forme de tailles et cottisatloos
personnelles, qui sont les plus iniques de toutes, n*aToient com-
mencé que sous Charles VII '. »
t François !•' augmenta les tailles jusques à 15 millions 780,000
livres; mais qui pis fut encore, il laissa en instruction et en prao-
tiqne à ses suocemeurs de ne requérir plu$ le eon$eHtement des
peupiei, aim de Us ordonner de pleine puissance et authorité
royale^ sans alléguer autre cause ny raison que celle de : • Tel est
• nostre bon plaisir '• >
« Sire, disait Sully dans une antre occasion, les histoires et nostre
propre expérience nous apprennent qu'il n'y enst jamab fonne de
gOQfemement, soit dans un Estât d*un seul, de plusieurs, de la
commune, on pesle-mesle des trois» auquel ne soit leté quelques
deniers sur les subjects d*iceluj, et surtout lorsqu'il estoit question
d*accrolstre la domination de l*Estat, de le deflSndre de toute In-
Tasion, ou de Tenger une oflfenoe reoeOe. >
« Mais ces levées de deniers, pour produire bien, et jamais mal,
ne se Ihisoient que par le commun consentement des peupUs pU
ies pcjfoîent^ et peu souvent les souverains en ont-ils voulu user
autrement , qii*ils n*ayent suscité des plainctes et des esniotloiis,
les quelles ont mis bien souvent leur autorité en compromis. De
qnoy il se trouve tant d'exemples dans les histoires anciennes et
modernes que l*on en pourroit (hire un gros volume» Mab je me
redulray à ceux de France et encore des principaux.. • Du lempa
de Louis-Hutin s'cstoit fait une notable assemblée où estoit présent
Philippe de Valois, en laquelle il fut conclu que les roys ne levé-
roient nuis deniers extraordinaires sur les peuples sans Voctrojf
et gré des trois E$tatSj et qu*ils en prcsterotent le serment à leur
sacre... Sous Charles VI, à cause qu'il ftit troublé de sens, et que
de grandes confusions furent suscitées par les princes , tons or-
dres, aussi bien que tontes bonnes moeurs, lurent pervertis, et s'itt«
traduisit lors la cottitation des tailles par teste^ sans assemblée njf
consentement d^ Estais. Charles VII, à cause des grandes alCdres
qo*iI eust pour chasser les Anglois de France , trouva molen <te
réduire en ordinaire cette levée par fonne de tailles^ qu'aucunes
provinces établirent par forme de capiiation, et les autres de
réalité sur les héritages, et autres mistement *• >
* Sully, OEcon. r«y., c. l!»7, t il, p. 406 A.
* Sitllj, OiCcoD. riiy., c. 167, L u, p. 105 B.
* Sully, OEcoo. roy.. c. 186, L U, p. tB5, «i.
33
bià HISTOIRB DO RiGlIK DB BBHRI IV.
Ainsi, SoIIyet Henri IV tenaienlqa'en matière de finances et
d1mp6t, ce qui était ancien en France, c^était la lilwrté ; que
ce qai était récent et d'iiîer c^était le pouvoir absolu ; que le
consentement de la nation était Indispensable pour la levée
des impôts ; que les subsides extorqués d'autorité au peuple
provoquaient les révoltes. Ces maximes réglèrent toute leur
conduite. G*est d'après Tavis des Notables réunis à Rouen
qu'ils mirent à la taille ceux qui s'en étaient exemptés. lia
n'exigèrent les anciens impôts, ils ne perçurent l'impôt nou-
veau du sol pour livre pendant six ans ; ils ne remplacèrent,'
sur la demande du peuple, ce subside par des équivalents,
que conformément au vote des notables de Rouen. La légiti-
mité de la perception du sol pour livre, la légitimité du ren»-
placement, sont établies avec soin par Benri dans k préan»-
bule de l'édit de 1602 : « Geste imposition, dit-il, nonsavoit
9 été accordée par l'assemMée des trois ordres de notre
» royaume tenue à Rouen, pour subvenir aux grandes de»*
» penses à quoy nous estions astreints pour la conservation
» de nostre Estât*. » Les notables avaient fixé à 30 millions,
charges comprises, tout ce que la couronne avait le droit de
lever sur la nation. Même en y comprenant les produits du
péage de Vienne^ de la nouvelle imposition d'Anjou, du droit
de franc-fief, du droit annuel, redevances qu'il maintint, fit
revivre, on transforma, mais qu'il n'établit pas, Henri n'ex*
céda jamais le chifiTre légal de âO millions : dans ks dernières
année» de tum règne , comme nous l'avons vu, il se bâta de
rabaisser à 26 millions, dès que la sûreté et le bien de l'État
le permirent. U accomplissait de lui<>même tout ce que le
peuple aurait pu demander.
• édll â9 160f , daoi Im «ne. lois Franc,, t. XV, p. tW.
nu DU GflAPITRB Ht 0tJ LIVRE VI ET OU TOlTE I.
^•CIJHBlVVft HI«V*RI91JBS<
L
Déclaration du roy Henri IV, et det seignmrs aeeemblét au
camp de 5affU-Clotid, du 4 août 15891.
Cctlc dëclarBlion m tfo«T« éêm Ut MéaÊotrm «t
du PUuU Morsaj, tonaiT, pafM 3ël-3S4i édilioa d« IMii'daM U !•-
ai«il des ancIcnnM lob françviMf, |Mr Bl. lMmb«rl, tome XT, !!•(«■ 3-5.
Mous Beorf y par U f rAce de Dien, roy d« France el do Navarre,
promettons et jurons, en foi et parole de roj, par ces présentes
signées de nostre main, à tous nos bons et fidèles subjects, de
maintenir et conserver en nostre royaume la relliyion catholique,
apostolique et romaine en son entier, sans y innover ni changer
aulcune chose, soit en la police et exercice d'iceUe, ou aux per-
sonnes el biens ecclésiastiques, provision et économie d'iceulx à
personnes capables et catholiques, selon qu'il a esté ci-devant
accousturaé ; et que^ suivant la déclaration patenle* par noua
faicte avant nostre advénement à cesie couronne, nous soramei
tout prest, et ne désirons rien d'advantage que d'estre instruiet
par ung bon, légitime et libre concile général ou national, pour
en suivre et observer ce qui sera conclu et arresté, qu*à ces fine
nous ferons convoquer et assembler dans six mois, ou plus toal
s'il est possible.
Cependant, qu*il ne se fsra aulcung exercice d^auttre reUigif
que de la dicte catholique, apeatoliqae et romaine, que es viUee
et lieux de nostre diet royaume où elle se faiet à pfîftsent, suivaal
les articles accordés au mois d'avril dernier, entre le fni ni
Henri III de bonne mémoire, nostre très honoré frère et seignev
et nous, jusques à ce qu'aultrement en ait été advisé el arrealé
par une paix générale en neatre dict royaume, ou par lea Eslata
généraux d'icelui, qui seront par nous convoqués et assemblée
dans le dict temps de six aw>ia.
Nous promettons en oullre que les villes, places et fsrteressee
qui seront prises sur nos rebelles et reduictes par force ou aultre-
ment en neatre obéissanee, seront par nous commises au gower^
nement, et charges de nos bons subjects catholiques et non
d'aultres, sauf et réservé celles qui, par lesdits articles, ffsurenl
réservées par le dkt feu roy à ceux de la relligion réfsrmée en
' 5oas D'aiipoitoDS d'aotrc cban|emenl k celle pièce qae la puact
lloB : iMws preooaa le teitc dana les Mémoires et correepoadance
dm Pl«mie« <-* Celle pèèco se repporte «aNf . i, db. i, pi> ta^M de Town
516 HISTOiaE DU RÈGNE DE HENRI IV.
chacuDg balliage etseneschaulsée, aulx conditlont y conteneues.
Nous promettons aussi qu'à tous offices et gouvernements venans
à vaquer ailleurs que dans les villes et places qui sont au pouvoir
de ceulx de la dicte relligion réformée, il sera par nous, durant le
mesme temps de six mois, pourveu de personnes catholiques,
suffisantes et capables, qui nous soient fidèles subjects.
D'advantage noUH^ promettons de conserver, garder et main-
tenir les princes, ducs, pairs, officiers de la couronne, seigneurs,
gentilshommes et tous aulUres nos bons subjects indifféremment,
en leurs biens, charges, dignités, estats et devoirs accoustumés ;
spécialement de recognoistre de tout ce que nous pourrons les
bons et fidèles serviteurs dudict feu seigneur roy.
Finalement d'exposer, si besoing est, nostre vie et moyens,
avec l'assistance de nos dicts bons subjects, pour faire justice
exemplairo de l'énorme meurtre, meschanceté, félonnie et de-
loyauté commise en la personne dudict feu seigneur roy.
Signé : Henry ; et plus bas. Rusé.
Faict au camp de Sainct-Gloud, le 4* jour d'Àoust 1589.
Nous princes du sang et aultres, ducs, pairs, officiers de la
couronne de France, seigneurs, gentilshommes et aultres soub-
signés, attendant une assemblée des princes, ducs, pairs de
France, officiers de. la couronne, et aultres seigneurs quiestoient
fidèles serviteurs et subjects du roy deffunct Henry, troisiesme
roy de ce nom, que Dieu absolve, lors de son décès, recognois-
sons pour nostro roy et prince naturel, selon la loi fondamentale
de ce royaume f Henri IV, roi de France et de Navarre, et lui
promettons tout service et obéissance, sur le serment et la pro-
messe qu'il nous a faicte, ci-dessus escrite, et aux conditions que
dans deux mois Sa Majesté fera interpeller et assembler les dicts
princes, ducs, pairs et officiers de la couronne, et aultres sei-
gneurs qui estoient fidèles serviteurs dudict deffunct roy, lors de
son décès, pour tous ensemble prendro plus ample délibération et
résolution sur les affaires de ce royaume, attendant les décisions
des Conciles et Estats généraulx, ainsi qu'il est porté par la dicte
promesse de Sa Majesté, laquelle aura aussi agréable, comme
nous l'en supplions très humblement, que de nostre part soit
délégué quelque notable personnage vers nostre Sainct-Pèro le
Pape, pour lui présenter particulièrement les raisons qui nous
ont meus de faire cette promesse, et sur ce impetror de lui ce
que nous cognoiiirons nécessaire tant pour le bien de la chres-
tienté, utilité et service de Sa Majesté, que ccnser%>ation de eest
Estât et couronne en son entier.
Nous supplions aussi très humblement Sa Migesté, suivant ce
qu'il nous a volontairement offert et promis, comme chef de la
justice et père commun de tous ses subjects, intéressé en leurs
dommages, de fiûre justice exemplaire de l'énorme meschanceté»
DOCUMENTS HISTORIQUBS. 6 17
félonnie, desloyauté et assassinat commis en la personne du feu
roy Henry, nostre bon roy dernier, décédé, que Dieu absolve ;
pramettont à sa dkte Majesté toute Vassistance et le très humble
service qu*U nous sera possible, de nos vies et de nos moyeni ,
pour ce faire^ et pour chasser et exterminer les r^fMes et ennemis
qui veuUent usurper cet Estât.
Faict au camp de Sainct-Gloud, le 4* jq|ir d'Aoust 1589.
Signé: François de Bourbon, François de Bourbon, Henry
d'Orléans, François de Luxembourg, Louis de Rohan, Biron,
d'Aumont, DinleTille, Dangennes, Chaleauvieux, Clermont, Manou,
François Du Plessis, Charles Martel, François Martel, De Renty,
La Curée, vicomte d'Auchy, et infinis autres seigneurs et gentils-
hommes ^
IL
Betevé des noms des princes du sang, des principaux seigneurs,
des geniilS'hommes, des capitaines de compagnies, des chefs
de corps étrangers, qui suivirent Henri IV dans sa première
campagne, et qui prirent part, avec lui, aux divers combats
livrés aux environs de Dieppe et d* Arques, dui}^ au 27 sep-
tembre 1 589.
CeUe Ucle ett ilr«née d'après let Mémoires el telatioos du temps. Ce sont
les Mémoires du duc d*Ancoulême, aciear dans ces e'rëneroenU, lesquels
soat imprimés dans la collecUoo des Mémoires rcUtirs à l'Histoire de
France de BIM. Micbaud et Poujoalal, l>« sirrie, tome XI, pages 76-99. —
Le discours au vrai, de ce qui s^est passé en i'urmée conduite par sa Ma-
lesté, depuis son aTéncment à la coaronoe fusqu'à la prise des fauxbourgs
de Paris, dans les Mémoires et correspondance de Duplessis-Momaj,
odilion de lVt4, tome V, pages 6-S7. — 2iullj, OEconomies royales, cha-
pitre S8, lome I, page 7t Mémoires de La Force, tome I, pages 86-94.
— De Thou, Histoire, livre 97.— D*Anhigné, Histoire iiatTerseUe,toneIll,
liTrc 111, chapitre t. pages 9l9-i9S, édition de 1690.
Princes du sang et principaux seigneurs.
Le prince de Conti, prince du sang.
Le duc de Montpensier, prince du sang.
Le maréchal de Biron, chargé du commandement de Tannée.
D'Aligre, d'Aubosse. — De Bacqueville (Charles-Martel), de
Beaupré, de Beauvais-La-Nocle, de Bellegarde, de Bouveron, de
Brigneux, maître de camp. — De Canisy, de Chartres ( Vidame),
de Châlillon (François Coligny), colonel de Tinfanterie française,
de Châleauvieux, Clermont -d*Amboise, de Crévecœur. — De
Damville (Charles de Montmorency), colonel-général des Suisses.
— D'Espave. — De Guitry, maréchal de camp. — De La Force,
' Les deux premiers signataires de la Déclaration sont François de
Bnarbon. prince de (>>nli, et François de Bourbon, dnc de Montpensier,
tons dcB& princes dn sang ; le troisième est le dnc de LongaeviUe, comme
le témoigne de Thon, an Urre 97 de son histoire, ce qni est confirme |Hir
d'AngonlémCtdans ses Mémoires, t. xi, p. 60 A, 70 A. D*Angouléme a|onte
à cruK qui renouTelèrent le serment de fidélité an roi et très prohahlemcnt
signèrent U déclar<ition : de Seocy, de Bellegarde, Chemeranlt.
6i8 HisToms DU Btens db hbhri it.
(laequei de Gaumont), de La Garde, mattre de camp, de Larehaiil
(de Grinovilte), le jeune, de ^ Rochefoncault, de La Rodiejae-
quelin, de Lor^ (de Montgommery). — De Maiotenon, de Mèru
(Montmorency), de Malligny, de Monglat, de Moutatère, de
MontiMson, de Montcenerpon. — D*0. — De Pont-Goiirlay. —
De Rambures (ou d^Harambure), de Rhodes (le fila), de Rieux,
maréchal de campipie Richelieu, grand-prévôt, de Roannès, de
Rocbefort (de Rohan) le comte, de Roquelaure, de Roussy (iosias
de La Rochefoucault) le comte. — Sainte-Marie-du-llont. — De
Thorigny, le comte. — De Valois (Charles), grand-prieur, colonel-
général de la cavalerie légère, successivement comte d'Auvergne
et duc d'Angoulême, de VignoUes.
Gentils-hommes, capilamesy chefs élrangert.
D'Apancy, d'Aventigny. — Baltazar Grissac, colonel de Tun des
régiments suisses, de Bossy, gentilhomme qui amène au roi les
munitions et Targent venus d'Angleterre, de Brasseuse. — De
Gourbouzon. — Des Esmars. — De Fouquerolles, Foumier,
capitaine. — Galaty, colonel de l'un des régiments suisses, de
Gié. — Lacroix, capitaine. — De MarciUy, de MignonviUe. —
D'Ovins, gentilhomme qui amène au roi le corps auxiliaire des
Écossais. — De Palcheux, de Puivinel. — De Rosny (plus lard
Sully). — De Saint- Aubin. — De Tournerolles, Tilladet, capitaine.
— Yeausse.
III.
Relevé des noms des principaux chefs des armées envoyées en
Picardie et en Champagne , des gouverneurs de places
nommés ou confirmés par Henri /K, dans le cours de sa
première campagne, de ceux qui Vont reçu dans leurs villes.
CeUe liste *csl drtM^e car tes iodicalions fournies par lei auteurs con-
temporains, cités dans le name'ro II.
Noms des principaux chefs de Varmée de Picardie.
Le duc de l^ngueville, chargé du commandement de Tarmée
de Picardie.
De Lanoue, lieutenant-général.
D'Armantières, d'Auchy. — De Bnmel. — De Chaulnes. —
De Givry, de Guitry, mattre delà cavalerie légère. — D'Humières.
— • De La Boissière, de La Vergne. — De Palaiseau.
Noms des principoÊUS chefs de l'armée de Champagne.
Le maréchal d'Aumont, chargé du commandement de l'armée
de Champagne. — De Dinteville, lieutenant-général.
Noms des gouverneurs déplaces, nommés par Henri IV, dans le
cours de sa première campagne, et noms de ceux qui Font
reçu dans leurs villes.
De Bellengreville, gouverneur de Meulan. — De Chastes, g<ra-
D0CUMS1IT8 mSTOBIQOU. 519
vwneur de Dieppe. — De Danet, lientenaiit du rot au fourer-
nement d'Orléiuii, DvroUet, fouvemeur du Pont-de»l*Arehe. —
D*Enlragu6t, fouverneur de BeaugPcy, d'Estnunel, fouverneur
de Nofeoi. — Du Fort, fouverneur de Jargeiu, de FroatenàLC,
gottTernevr de Saint-Germain. — De Hallot de Montmoreney,
gouverneur de Giton. — iouuin, gouvenieiir d*£tanipet. ^ De
Mont Saint-Arpont, gouverneur d'£u, de Miraumoot (l'atné),
gouverneur de Pontoise, de Miraumont (le jeune), gouverneur
de Pluviers, de Montigny, gouverneur de Blois. — De Rubempré,
gouverneur de Goumai. — De TannAre, gouverneur de Gien*
IV.
Mivéên noms des prmcss du samg^ des ftrineêpaux seigneurs,
des genlUs-hommes, des eapUames et gouverneurs de places
voisines, des chefs de corps étrangers, qui combatUrent avec
loheiàUs baiaiUêd^lvry^kiA mars 1590.
Les nom» tonl foarDit par les Lettres, reUtïoDS et histoires contcmpo-
rainée, dont void \** |irincipales. Lrttre clrcaUire do Hoorl IT sor la ba-
taille d'Ury, daas le Becaeil dot Lotires aiiielTee, tome m, |Mgoi 167, 108,
Eoor plusieors noms. — Discours Térîtable sar la Tictoiro obteuuo par lo
oi, m la bataille donnée près lf> village d'Tvri. inséré dans les Mémoires
de la LIkuo. lome lY, pages t36-t4e, in-4*, ITit. — Mémoire do M. d«
HoMis (MoroajrV de ce qni se paasa tant pour lo général que pour ton par*
ticulier, à la oataille d'TTrjr, Mémoires et correspondance, lome IT,
pages 4T5-4T7, in-8a, IM4. — Lettre do roi i Boaoy. dans les OÊcon. roj.,
diap. li), lone l, page 75 B. >- Bully, OEcon. royaica, chap. 30, pages 7M0.
— Histoire di> de Thou, liv. 90, $ 10, tome IV, DogetB44-B49. de rédiUoa
latine, Londres, 1733, in-folio. — D'Aubigné, biat. uaivenelle, tomo Ui,
Uv. lU, cbap. B, pages ttt-S3S, édit. de lOÉH.
Le prince de Conti, prince du lang.
Le duc de Montpensier, prince du sang.
Le maréchal de Biron, chef de Tarmée sous les ordres du roi,
placé à la résene.
D'Andelot, d'Aumont, oiaréchaL -* Baltnar Grissac, colonel
de Tun des régiments suisses, de Biron, baron, maréchal de
camp général, de Brasseuse, de Brigneux, de Buhy, frère de
Duplessis-Momay. — De Chastes, commandeur, gouverneur de
Dieppe, de Charobray, de Crenai, de Crève -cœur, de La Curée.
— Durollet. — DXntragues (de Balaac de Clermont). — De
Fargy, de Fcuquièrps (de Pas), de Fonslebon. — De Givry,
Grissac (voir Baltasar). — de I/Hospital (de Choisy), comte,
d'Humières. — Do Laborde, de Laboissière, de La Guicbe,
grand-matlre de l'artillerie, de Larchant (Grimoville), de
Lavergne, de Longuauoay (ou de Lancaulnay), gentilhomme
normand, mort dans celte journée en combattant à 70 ans, du
Ludc (Daillon), comte. — De Malligny, de Marrivault, de Mon-
louet (d'Angennps), de Montigny, de Mouy (de Vaudray). — De
Nesle (Guy de Laval), marquis. — D'O (François}. ^ Dupleasit*
520 HISTOIRE DU nÈGXE DE HENRI IV.
Mornay, de Palcheux. — De Rhodes (Pot), de Rosny. <-* De
Saint-Jean, de Saint-Paul, c^te, Schomberg (Théodoric), com-
mandant des rettres, de Sussff frère de Duplessis-Momay. — De
Tborigny, comte, de la Trémoille. — De Valois (Charles), grand-
prieur, de Vie, (Sarret), maître de camp de l'infanterie, et sergent
de bataille à la journée d'Ivry, de VignoUes, colonel.
V.
Belevédet noms des seigneurs qui combattirent autour du roi à
Fontaine^Française^ ou qui arrivèrent à son secours à l'issue
de ce combat.
D*sprèf Im lémoignages |o des Lettrei de Henri IV à ta lONir Getherine
de Bonrboo et à du Pletris-Moraay, en date des 7 el 9 jaio 1S9S« dans le
Recneit des Lettres missiTes, tome nr, pages 365-365, 371, 373 ; 9o de
de Thon, dans son Histoire, Uv. GUI, S ** toi»e V, page 401, de Tëdition
latine; 3» de P. Cayek, dans sa Chronologie ooTenalre, tir. yii, pages 664-
666 ; Ton et l'antre eontemporains.
D'Aussonville (voir d'Haussonville). — De Biron, maréchal,
plus tard duc, de Boissy. — De Cheverny (Henri-Hurault), comte,
de Gréquy, sieur dé Rissey. — D'Escars, sieur d*Aix. — De
Grammont. — D'Haussonville, sieur de Saint-Georges. — De
La Curée, de L'Hospital (de Vitry), baron, de Levis (de Mirepoix).
— De Mirebeau, marquis, de Montigny (de La Grange). —
D'Oise, chevalier. — De Pisany (de Vivonne), marquis, Du Plessis-
Liancourt. — De Roquelaure. — De Termes, de La Trémoille.
— Des Ursins (de Tresnel), marquis. — De Valois (Charles),
comte d'Auvergne.
VI.
Note sur les personnages français auoDqwls les LeUres de
Henri IV sont adressées.
On connaissait déjà plusieurs centaines de Lettres de Henri IV,
par la publication successive de Recueils de pièces du temps, de
Mémoires, d'histoires, où le texte de ces Lettres était donné, pu-
bl'^stion qui en parlant du commencement du xvii* siècle, en con-
tinuantdanslexvm*, s'était prolongée jusque dans le nôtre. Parmi
ces ouvrages nous ne citerons que quelques-uns des plus anciens :
la première édition des Mémoires de la Ligue, le Recueil de divers
Mémoires servant à l'histoire de notre temps, les Mémoires de
Du Plessis-Momay, de Sully, du duc de Nevers, ceux du duc de
La Force mis au jour, en 1843, par M. le marquis de La Grange,
les négociations du président Jeannin, les Registres journaux de
•Lestoile, la Décade de Le Grain, l'histoire de Matthieu.
L'Intervention du gouvernement, le travail de l'érudition et de
la critique ont plus que doublé dans le [Recueil des Lettres missives
/
• DOCUMENTS HISTORIQUES* 521
de Henri /K, confléà M. Berger de Xivrey, membre de rinsUtut,
le nombre déjà si considérable des Lettres du roi.
Dans ces Lettres, Henri IV s'adre^te tout à la fois aux membres
du clergé, de la noblesse, de la magistrature, de la bourgeoisie : sa
correspondance embrasse la grande migorité de ce que la France
possédait alors d'illustre ou de recommandable dans les rangs de
l'armée, dans les diverses branches du gouvernement et de Tad-
ministration, dans les diverses professions; c'est l'aristocratie de
la naissance, du talent, des services rendus à la patrie.
Nous avons eu l'idée d'abord de donner la liste générale des
Français auxquels les Lettres de Henri IV sont adressées. Nous
avons renoncé ensuite à publier le résultat de ce dépouillement.
Nous avons pensé que ceux qui souhaitaient connaître les notabi-
lités du pays, i la fln du xvi* et au commencement du xvii* siècle,
avaient moyen de satisfaire ce désir, en consultant les listes par-
ticulières de noms que M. Berger de Xivrey a jointes à chacun
des volumes du Recueil, et en recourant aux notes généalogiques
et historiques qui sont devenues une partie considérable de son
travail.
Nous nous bornerons donc à énoncer, en résumé, que la partie
du Recueil déjà publiée, laquelle embrasse l'enfance, la jeu-
nesse, tout le règne de Henri IV en Navarre, et son règne en
France jusqu'au milieu du mois de septembre 1606, fournit au
delà de trois cent vingt noms de personnages français, sans compter
eeux des personnages étrangers.
VIL
Éua des sommes que les chefs de la ligue exigèrent de Henri iV
pour leur désarmement.
Ces sommes sont énoncées dans trois états différents fournis
par Groulart, par Sully, par Pierre Dupuy.
Groulart, député à l'assemblée des Notables réunis à Rouen, a
dressé son état d'après les communications faites aux Notables, et a
consigné cette pièce sous l'an 1596, dans le chapitre 7 de ses
Mémoires ou Voyages en cour. On la trouve au tome xi, première
série des Mémoires relatifs à l'histoire de France, collection de
MM. Michaud et Poujoulat, pages 568, 569. Groulart donne pour
argument à son relevé les réflexions suivantes : « Le lundy
• 25 novembre 1 596, nous lùsmes Sisner ches M. le président
> Séguier, M. d'Incarvilleet moy, pour, par le commandement de
* Sa M^esté, voir le menu de ce que coutoieot les capitulations
m des villes de ce royaume ; où l'on nous flst veoir de grandes
m viUenies^ et de V argent incrogaJble baiUé à ceux gui avaient
m trahy VEstaty et esté cause des grandes guerres de la Ligue, m
Sully a inséré l'état qu'il fournit, dans le chapitre 15t de ses
(Economies royales, tome n, pages 29, 30, de l'édition de
622 HISTOIRB DU RÈOIIS DB BSITRI iT.
M. Niehaud. GMIe pièce dit partîA des documents politiques de
l'année 1605, et il importe de bien remarquer cette date.
Eu regard de Tétat produit par Sully, on en trouvera un autre
qui est identique, excepté pour l'orthographe de quelques mots
et le commencement de quelques phrases, diflTérences qui prou-
vent que les deux états relevés sur la même pièce officielle n'ont
pas été copiés l'un sur l'autre. Nous ne savons pas si cet état est
celui qui a été imprimé dans un ouvrage publié en 1835. L'auteur
dît qu'il est original, et écrit de la main de Henri IV. Celui que
nous donnons n'est qu'une copie, et cette copie est tout entière
de la main de Pierre Dupuy« dont l'écriture est bien connue. On
le trouve dans le volume 549 de ses manuscrits, numéros 87
et 88. Nous l'avons étudié avec soin, et nous croyons être arrivé
à une entière exactitude sous le rapport des noms, des qualifica-
tions, des sommes qui s'y trouvent portés. Cet état est très impor-
tant. Copié par Dupuy, sur quelque pièce officielle du temps,
probablement du vivant de Henri IV, et certainement bien des
années avant la publication de la première partie des (Economies
royales qui date de J638, l'état en question sert de contrôle et
de confirmation à celui qui est produit par Sully et par ses secré-
taires, et devient une preuve de plus de leur exactitude, non pas
dans de minutieux et insignifiants détails, mais dans toutes les
matières importantes.
Groulart porte moins haut, que Sully et que Dupuy, les
sommes extorquées au roi et au royaume par les cfaefii de la
Ligue. Cette difTérence en moins provient de plusieurs causes.
D'abord, indépendamment des stipulations que les princes lorrains
et autres seigneurs de la Ligue firent avec Henri, et qui devaient
avoir au moins une demi-publicité, puisqu'il était impossible
qu'un grand nombre de fonctionnaires publics et les Etat» géné-
raux ou les Notables n'en eussent pas connaissance, ils lui arra-
chèrent des promesses secretteSf des arUclei tecrets, aux termes
desquels il dut leur payer, avec le temps, des sommes bien plus
considérable^ que celles portées dans leurs traités. Ils agirent
ainsi, ou bien parce qu'ils avaient à couvrir des dépenses qu'ils
rougissaient d'avouer ; ou bien parce qu'ils voulaient cacher en
partie au pays l'énormité de leurs exigences, lesquelles, dans ce
qui était connu, excitaient déjà contre eux l'a nimad version
publique, comme nous venons de le voir. En second lieu, outra
les chefs de la Ligue, le roi eut à payer leurs principaux servi-
teurs, leurs conseillers, pour qu'ils persuadassent à leurs maîtres
de prondre le parti de la soumission. Pour ces dernières sommes,
on sent bien qu'il n'y avait rien d'écrit : c'était de l'argent qu'il
fallait donner de la main i la main, sous le manteau. En troisième
lieu, les chefs de la Ligue eontraigniront Henri, dans bien des
ciroonstances, à dépouiller ses serviteurs de dignités et de droits
Incratifii, pour les leur attribaer à eux-mêmes. Par exemple.
DOCUMENTS HISrORIQWft* 523
pour obtenir le désarmement de Villars, qui tenait Rouen* le roi
Alt obligé d*éter la charge d'amiral à fiiron le fils, et de la donner
4 Villart ; d'ôter encore d'autres prérogatives et d'autres avan<-
tages au due de Montpensier, gouverneur de la Normandie et au
chancelier de Cheverny. Même pour pacifier le royaume, Henri
lie pouvait sacrifier ceux qui l'avaient aidé à le sauver. Il lui
fallut donner récompense à ses serviteurs. U les indemnisa en
argent, n'ayant aucune autre compensation à leur offrir dans les
circonstances oà il se trouvait. Ces diverses causes élevèrent
prodigieusement le chiffre des dépenses occasionnées par la
soumission des chefs de la Ligue, comme on va le voir par deux
ou trois faits choisis entre tous les autres. Le duc de Lorraine a
stipulé par son traité que le roi lui donnerait 900,000 écus ou
2,T00,ÔO0 livres; mais il a tiré en outre du roi des prùmesêes
tecrètu^ soit pour lui-même, soit pour divers particuliers qui
Tentourent, et la somme de 2,700,000 livres portée dans son
traité se transforme en une somme de 3,766,825 livres. Mayenne
par son traité n'a exigé que 820,000 écus ou 2,460,000 livres ;
mais il a obligé le roi de se charger de payer deux régiments
suisses, qu'il a employés pendant la guerre civile sans en acquitter
la solde, et les 2,460,000 livres, qui lui sont en apparence attri-
buées, deviennent effectivement 8,580,000 livres. Villars, le chef
des Ligueurs à Rouen, ft'a demandé en argent que 715,430 écus
ou 2,146,290 livres; mais il a dépouillé Biron, Montpensier,
Cheverny, contraint Henri à donner det récompenses à ses servi-
teurs^ et la soumission de ce chef, tout mis ensemble, ne coûte pas
mois de 3,477,800 livres. Le gouvernement du roi ne put
montrer aux Notables assemblés a Rouen que les sommes portées
dans les traités signés par les chefs de la Ligue : l'honneur et la
politique lui commandaient cette réserve. Il avait promis de ne
pas faire connattre les promesses secrettes^ les articles secrets; il
fallait qu'il tînt sa parole. Il venait à peine de pacifier le royaume :
il ne pouvait, en mécontentant profondément les princes de la
maison de Lorraine et les autres cheft des rebelles, les pousser
soit à se révolter de nouveau, soit h se joindre aux Espagnols,
avec lesquels il était encore en guerre ouverte en 1596. Il lui
était tout aussi sévèrement interdit de rien révéler de ce qu'il
avait & payer pour désintéresser ses serviteurs. Quoique cette
indemnité fût de toute justice, elle pouvait être mal interprétée,
et ceux qui la recevaient étaient exposés à ce qu'on les accusât de
manquer de désintéressement et de délicatesse : la reconnaissance
et la prudence voulaient qu'il ne s'aliénât pas ses partisans.
Groulart n'a pu connattre et n'a pu faire figurer dans son état
que les sommes portées dans^les traités souscrits par les chefs de
la Ligue, et dont le gouvernement du roi donna connaissance aux
Notables. Une pièce manuscrite, qu'on trouve dans les Cinq cents
de Colbert, au volume 32, qui se rapporte article par article à
b2à HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.
Tétat produit par Groulart, et qui semble avoir appartenu à l'un des
Notables, mieux informé queOroulart, indique formellement dans
son intitulé, qu'elle contient, non pas la totalité, mais une partie
seulement des sommes reçues par les chefo de la Ligue. « Eœtraict
» des sommes' de deniers qui ont esté donnez et accordez aux
» Ligueurs pour plusieurs traictez, et soumission des provinces,
» villes, chasteaux et forteresses qu'ils ont réduictsen l'obéissance
» du Roy. » Enfin, une dernière cause de la différence en moins
qui se trouve entre l'état donné par Groulart et celui présenté par
Sully, c'est que Groulart n'a pu nécessairement comprendre dans
le sien les sommes qui ne devaient être payées que plus tard,
aux termes de traités dont les uns étaient entamés, mais non
conclus, dont les autres n'étaient que projetés. Lui-même pré-
vient que son état, pour cette raison, demeure incomplet, et il
termine son relevé par l'observation suivante : « Il y en aura
» encor pour trois cent mille escus (900,000 livres) qui ne sont
» icy compris ; et si on traite avec M. de Mercure (Mercœur) qui
» en aura encore bonne sonune. 0 temporal ! »
Sully, en sa qualité de surintendant des finances, a connu
toutes lessommes dépensées, soit directement, soit indirectement,
pour le désarmement des chefs de la Ligue ; les promesses secrètes
faites à ces chefs ; les UbértUités accordées à leurs conseillers et à
leurs partisans, désignés sous le nom de particuliers; les récom^
penses données, aux serviteurs du roi qu'on dépouillait, tout aussi
bien que les sommes portées dans les traités mêmes, conclus par
princes et seigneurs du parti de la Ligue. Sully a pu tout porter
dans son état, parce que cet état n'était destiné dans l'origine
qu'au roi qui le demandait; parce qu'il ne fut dressé qu'en 1605,
après la mort de tous les intéressés parmi les serviteurs du roi,
qui s'y trouvent nommés; parce qu'enfin, il ne fut publié
qu'en 1638, après la mort de tous les chefs de la Ligue eux-
mêmes. Dans presque tous les articles de l'état qu'on doit à
Sully, on trouve les raisons de la différence en plus, comparati-
vement avec ce que le Gouvernement fit connaître aux Notables
assemblés à Rouen, et avec les énoncés de Groulart. On s'en
convaincra, si l'on veut étudier avec quelque attention les sept
premiers articles seulement, et particulièrement entre ces articles,
le premier relatif au duc de Lorraine, le second relatif à Mayenne,
le septième relatif à Yillars.
Il n'échappera pas au lecteur que Groulart compte partout en
écus; que, par conséquent, il faut tripler les sommes portées à
chacun des articles de son étal ; et qu'en commençant par le
premier article, celui relatif au duc de Lorraine, on doit compter
pour les 900,000 écus, attribués à ce prince, une somme de
2,700,000 livres.
Gronlart, Voyages en cour, chap. vn, p. S09 B.
DOCUMENTS HISTOBIQUSS.
525
ETAT fourui par groulaht.
■ En tnit 1m loamtt de deDÎert qaî onl «tU •ccordra par pliuicnrs traicles
•t compotiliont d« nrovioco. Tilles et clutleanx, forteresws et honmet,
«|ai M aonl redaiu à l'obéisuDce du Roy, compris ce qui a esté accordé
à Bl. le duc de Lorraine, m
KartM.
Au liour doc de Lorraine. 900^000
Ao ticnr de ^itrr, poor
Heauz 36,000
An sieur d*Alinconrt et an-
tres pour Pontoise. . . . lS4,i00
An sieur mareschal de La
Chastre, pour Orléans,
Bourges , et à d^autres
pour le mesne subiect • 980,000
Au sieur mareaclial de Brla*
sac et antres pour la ville
de Pai-U 4tt,000
An sieur admirai de TU-
lars et autres pour Rouen,
le HaTre et le Ponl-Au-
demer 716,430
Au sieur Médavv et antres
pour ▼ernenif. 44,000
Au sieur de Bobsuae pour
Tombelaine 90,000
Au sieur maresdial de Ba<-
lagoy pour Cambray. . . 140,000
Au sieur de MIgoieux pour
Monlreuil , . S7,400
An commandeur de Gril-
lon pour Honflenr. . . . ISjOOO
Au sieur de Fonlalne-Mar-
tel poor le Neufchastol . 16.000
Au tieur Ducluscaux pour
Noyon 5t,S00
A M. de Guise et plusieurs
aulret, compris M«« sa
mère , . 699,800
Au siear de Lamet pour
Coucy 6,500
A M. d*Elb<nnr ei autres
pour Poictiers. . . , . . 909,93.'^
A U. du Maine et antres. . 990,000
A M« de ffeoMurs et an-
tres 990.000
A plusieurs pnrticnliors
pour Lyon 60,000
A M. de Bois-Danphin. . . 170,000
Au sienr de Montespan et
autres 98,000
An sieur de Lussan .... 41,300
An sif ur de Giniel 10.000
AU sieur mareschal de
Joyeuse ST9,000
A plusieurs particuliers
ponr Troyos. 88,000
Au sieur de La RiTâère
pour Mésicres 70,000
8,813,663
D*»utrt pttri 8^
A plusieurs, ponr Amiens*
Abeville ei BeauTais. . •
An sieur de Talhonet ponr
Rhedoo
Au sienr de Libertat et au-
tres pour Marseille . . .
A M. d^Espernon. .....
A plusieurs pour Veselay.
A diTfrses personnes ponr
diverses places
A plusieurs pour Rocroy,
Moncornet , QMumont
en Bassigny, etanOrct
places
Au sieur dn La Sullo ponr
Saint-Germain
A plusieurs pour Miascon
et ChalraïuPorcian « . .
Au sienr de Frémicourt
pour Titry-Ie-Françols .
Aux sieurs de Sawillac et
de Monflans
A plusieurs pour BeUkol et
Nogent en Oumpagne,
et antres places
An Ticomte de Chastean-
rouz
A plusieurs pour Pierrefunds
et «.bastean-Tkierry. . .
An sieur de Thouves ot
autres
Au sieur d'Estournel ponr
Pcroone
Au sienr comte de Cbanl-
nes
A plusieurs ponr Mar-
mande. Villeneufve d*A-
genob «t autres places
en Guyenne
Au sieur de La Vangujon
pour Fronsac ......
Au baron de Chaâiore on
Bretagne
An sienr de la Séverie
poor laGarnacbe. • • .
Au sieur de la Mothe pour
Pesuis
An sieur de Taillac pour
le Oiastaan-Trompette •
A plusieurs ponr Sainl-
Poursain
A pinsienrs ponr Vienne. .
98,500
tt,500
109,000
19S,U00
10,500
90,300
40,000
10,000
91,000
90,00i)
99,000
37.300
6,000
69,000
36,500
43,000
30,000
36,000
7,600
14,000
6,000
16,000
94,000
36,000
Sommotottto. • .6,467.866
526
aiSTOIRl DU RÈGWB DE HENRI !▼.
ÉTAT FOURNI PA» StJBLY.
«Pour toutes dcbtrs, i qnoy montent
ton* les traictes fuits {wur lu réduc-
tion des pays, rillcs, places et
particoliers , en Tobëiiiviico dn
Roj afin de pacifier le royanme.»
A II. de Lorraine, et an-
tres particalicrs, sni-
rant son traictè et p«o*
messes secrettes ....
Plus à M. dn Maine
(Mayenne) et antres
particuliers suivant son
traité, compris les deb-
tes des deux régiments
de Suisses que le Roy
s*eft chargé de payer. .
Plus à M. deGayse, pr ince
de JolnvUle, et autres
particalieri , sniTint
son traiclé ..••«*.
Plus M. de Nemours et
autres parlicnliers, sui-
vant son traieté ....
Pins pour M. de Mer-
cœur, Blavet, M. de
Yendosme, et antres
{larticnliers , suirant
«urs traictes pour la
province de Bretagne .
Plus pour M. d*Elbœuf,
Poictiers et divers par-
ticuliers en Poictou ,
•uÎTBnt leur traiclé . .
Plus ù M. de Tillars, Unt
pour lui, le cheraller
a^Oise, son frère, les
rilles de Rouen, le Ha-
vre, et autres places,
que pour les récom-
penses qu'il a fallu don*
ner à MM. de Montpen-
sier, mareschal de Bl-
ron , chancelier de
Chiverany, et autres
particuliers compris en
gon traieté
Plus à M. d'EspemoD et
autres particuliers, sui-
vant leur traieté. . . .
Plus pour la réduction de
Marseille
Plus pour M. de Brissac,
la ville de Paris et au-
tres, particuliers em-
ployés en son traieté. .
Plus à M. de Joyeuse pour
Iny, Tbonlonse et au-
tres villes suivant son
traieté
Plus à M. de la Chaslre
pour luy , Orléans,Bour-
ges, et auties parti-
culiers , suivant leur
traiclé #
Livrr».
3,766.8»
8,mo,ooo
5,888,890
978,000
4,895.390
970,824
^jBmjan
8,477,800
406,000
406,000
1,886.400
1,470,000
896,900
88,3»,989
ÉTAT FOURNI PAR P. DUPUY.
« Mémoire des sommes payées par te
Roy pour traictea faicU pour ré-
ductions de païs, villes, places, et
«tfigueurs parlicnliers en Tobéis-
gânce du Roy, afin de pacifier le
royu«~- - ^^
A M. àe Lorraine, et au-
tres parlicttliers, sut-
Tant son traieté et pro-
messes secrètes 9,766,6»
A M. du Maine «1 autrea
particulien anivaut Mu
trsicié , compris les
debles du deux régi-
menu de Suiaoea que
le Roi s'ust chargé de
païer. .•....••••
A M. de Guise, prince de
Joluvllle et autrea par-
ticuliers, tuivant son
traiclé • • •
A M. de Nemours et au-
tres partieuUars, aui- _^-__
vant son Iraiuté • . . • WlWiVmJ
Pour M, de Mercosur,
Blavel, M. de Yendos-
me, et autrea particn-
liera , suivant lenra
traictea pour lu
vinec de Bretagne
Plus pour M. d Blbeu^
Poictiers et diver» par-
ticuliers en Poictou,
suivant leur traiclé . .
Plus à M. de Vilars, tant
pour lui, le chevuUer
d'Oise , son frère , les
villes de Roous, le Ba-
rre et autres plaçât,
et pour lea récompen-
ses qu'il a fiilla donner
à MM. de Monipensier,
mareschal de Biron ,
chancelier de Chiver-
ny, et autres pariicn.
liera compria en sob
traieté 8,477,880
Plus à M. d'Bspamun et
aulres parlicnlieri, iui-
vant leur traieté . , . . 486,800
Plus pour la réduction de
MarseUle 406,1
Plus pour M. du Brieaac,
la ville de Parla et au-
tres particuliers em-
ployés en son traieté. .
Plus à M. de Joyeuse pour
lui, Toulouse et au-
tres villes suivant son
traieté f ,4W^0(F
Pins 4 M. de k Chaslre,
pour lui, Orléans, Bour»
ges et autres parti-
coliers » suivant leur ^^^^
traieté . 898,900
25,8n,9»
4,886^380
WO
«,
476,894
1,161, 880
DOCUMENTS
ÉTAT FOTJR^I PAR SULLY.
LlTrrs.
De f autre part. . •
Plut i M. de Yilleroy,
pour luy, ton filt, Pon-
loite, et autret partie
cnliert, tuiranl lenr
traicte •.•••••••
Plat À M. de Boi«> Dau-
phin, etantvMftaiTanl
tontraicte' 670,800
Plot à M. de Balaliny, ponr
lay, Gembra y, et antres
particnlien , aaWanl
ton traicte' 838,930
Plut a BUl de ViUy ei
MëdaTit, tuivani leurt
deux traicles 380,000
Pins pour let sienrs Ti.
datme U'Amient, d^Es-
tournel , marqub de
Trenel , Seceval , Le
Pèche, Lametet autres,
et les villes d'Amiens,
Abeville , Peronne «
Couey, Pierrefont et
autres pLtcet. . • • . .
Plot pour let tieurt de
Belan, Quionvelle, Jof-
frerille. Le Pèche, et
autret particnliers ,
Troye, flogent, ViUy,
Chaumont , Rocroy ,
Chatteau-Portien et au-
tres placée , tniTant
leori dÎTert traicles. . 8IO,04d
Plus pour Vaaelay, Mat-
run , Huilly , el let
tieurs de ftcMchefort, et
autres parlicnliert en
Bourgogne 457,000
Plut pour let tieurt de
Camllac, Uachon, Li-
gncrac,Blon&n, Fnmel
et autret, lu Tille dttPuy
et autret ytUet, tuiTant
leurs divers traictes . . B4T,000
Plus pour di-verset viiles
en Ûnienne^ et let tieurt
de Monpesat, Montes*
peu et autres particu^
Ikrs .
Plut pour les traitles de
Lyon, Tienne, Taleoce
et autres Tilles et par-
ticuliert, en Lionnois
et DiÉuphiné
Plus pour let sieurs Dara-
doo, La Pariiieu, Bour-
cani f Sainct-Otlenges ,
Dinan et quelques villes. 180,000
Plut ponr let tieurt Le-
▼itlon, Baudoiog et Be-
rilliert , sutvunt les
promesses à eux failet. 160,000
Somme totale det traites. 3t,i4i,981
' L'édition origioile porte 33,273,S81
livres : c*e»t une dilTércuce de 1.10,400 li*
vres, provenant sans douta de ce que le
premier transcri^eur de la pièce fournie
Str le gooveraenient auraptiité no article
e pareille tonne.
HISTORIQUES.
527
380,000
636,800
ÉTAT FOURNI PAR P. DUPOY.
Livres.
Ih^ l'autn part. . .S5,3S.\9i»
Plus à M. de ViUeroy,
pour lui, son fils, Pou-
toise, et autret parti-
culiert, sniTant leur
traictë 476,804
Pins à M. de Boit-Dau-
phin, et auUes, snirant
ton traicté 670,800
PI as à M. de Balagny , pour
luy , Cambray, el autres
partieulien , snlTant
son traictë 8S8,930
Plut à M. de Titry et
Hedavid, tniTanl leurs
deux traictea 380.000
Plue pour les sieurs Tî-
dame d'Animis, d^Es-
trumel , marquis de
Tretnel, Setteval, Le
Pèche, Lamet etautres,
et les Tilles d* Amiens,
Abberille , Feronne «
Coucy, Pierrefons et
antres places I, Ml ,880
Pins pour 1rs sieurs de
Belan, GuiouTelle, Jof>
froTille, Le Pèche, et
autres particnliers ,
Troyes, Nogent, Vilry,
Rocroy , Chaumont ,
Chatteau-Portien et au-
très places, tuivant
leurt traictes 850,048
Plut ponr VrseLay, Mat>
cou , Mailly , et let
tieurt de Rucbelort, et
autres particuliers en
Bourgogne 4ft7,000
Plus pour le» sieurs de
Ganlllac, Dapchon, Li-
gnerae, llontau. Fumet
et Bulret, la Tille du
Puy et autret Tillet,
luirent leurt traictes. . 347,000
Plus pour divertet Tilles
en Guienne, et les sieurs
de Monlpesat, Montes-
pan et autres particu-
liers
Pour les traites de Lion,
Vienne, Valence el au-
tres Tilles et particu-
liera, en Lionoit et
Daufiné 636,800
Pour let tieurt Daradon,
La Paidieu, Bourcani,
Sainl-Offenge , Dinan
el quelquet Tîilet . . • 180,000
Plut pour let tieurt de
Leviston , Baudoin et
Bevilliert, tnirant let
promettes à eus faites. 160,000
Somme totale -des traites. 39,14t,061 '
* La tomme totale, portie dans Têtat
de P. Dopu7, est de 32,37S,38l livret,
quoique les divers articles ne donnent
que 31,14'1,9H Uvres, c'est U mène dif-
léreoce que dans Tétat fourni par SuUy.
528 HISTOIRE DU RÈGRC DE HENRI IT.
VIII.
Traité du rwenu et dépeme de France de Vannée 1607.
C* traite M rapporte aux quettioni finandires qui ont été traitées, aax
ealcttb qui ont été éUblii, pages 474, 476, 491, 49i de celte Histoire.
' On trouve dans la collection de Dupuy, volume 89, folio 243
et suivants, un manuscrit ayant pour titre : Traité du revenu et
despense de France de Vannée 1607, dont Fauteur est resté
inconnu. Cette pièce a été imprimée ces dernières années dans
un Recueil littéraire, tome nr, pages 159-184, et l'on ne peut
qu'applaudir au travail de celui qui Ta publiée, à l'essai qu'il a
tenté pour faire entrer ce document dans le domaine historique.
Mais la transcription donnée dans ce Recueil n'est pas assez
exacte pour qu'elle puisse servir à établir des calculs solides sur
la situation financière de la France à la fin du règne de Henri lY.
En effet, à un examen un peu attentif, on s'aperçoit qu'en plu-
sieurs endroits les sommes partielles portées à chacun des articles,
quand on vient à les additionner, se trouvent en désaccord
complet avec les totaux. Dans une partie du compte, la différence
est de 2 millions; dans une autre, elle est de 10 millions, sans
parler d'autres différences moindres que révèle la collation du
manuscrit avec l'imprimé.
Nous nous proposons : 1* de rétablir partout où cela est néces-
saire les chiffres exacts di Traité du revenu et despense de
France de Vannée 1607, en mettant les sommes fournies par le
texte du manuscrit, en regard avec les sommes données par la
leçon imprimée ; 2* de comparer les parties principales du revenu
et de la dépense, telles que les présente le traité manuscrit avec
celles que contient le compte de l'Épargne de l'année 1609,
inséré dans le premier volume des Recherches et considérations
sur les finances de France par Forbonnais ; 3* d'établir la diffé-
rence qui existait entre les sources de revenus publics, et. la
différence qui existait dans la somme totale de deniers qui était
levée sur la nation aux deux époques de 1607 et de 1609, très
rapprochées pour le temps, très éloignées pour les résultats.
DOCOMIRTS HI8TOIU00B8L
639
LêfOM àomnéè par Fimprim^é
LiTTN.
Paria Mi,000
Fm 110. » OéaénlUé 4«
Poiliart- 888,000
Pbm 170. » Somma das
dilaa (rfadraliUi.» . . . 9,866,000
TexU du mmmuerit du TrmM du
r» van» 9t detp^uM de Fnmc9 d€
runnéè 1807.
LiTrrt.
Folio 845 rado. « Géodra-
litë 4a Paris 918,000
Folto 845. • GdntfrmUtë da
Poitiers OMjOOO
Folio 845. * Sonmaa daa
ditat g^érmlitéi. m. . . 0,810,000
Crue de fMXtrmordinaitm,
Paga f Tl. ■ Et caa lomma» eompri-
taa, cbacana |ënéralittf porta lat
ditaa aonmaa ypprozimalivaa da
qaatra mUliona Sêpi cent dix-éuit
miUe canl livret»
Paga «78. » ToUl da ca «|M Sa Ifa-
|aattf lait tftat da ratlrar •u ladite
anntfa da chacvna daa gdntfralittfi,
taol poar Pordioalra qvvpour
raxtraordinalre. . . . 8,a98,n8
livras.
Page 180. » Ainsi las chargea étaot
sur cette aaoonda raeatte ddduiiea,
leaqvallaB mooUnt à 6,830,000 U*
▼ree, il paat reveiitr k l*Epar-
ne. 6,00,000
liTras.
Page ISS. » Somme totale de la sut-
ditodëpaasa 6,515,551
livras, a
CriM d0 rnetruordinmin.
Folio 846 recto, c Et ces sommes com-
prises, ^aciiae généralité porte dea
dites sommes de qnatre millions
sJpt ctml trois mUiê^ Uat de li-
vres.
Folio 847 verso. » Total de ce qne Sa
Malasté fait état da retirer en ladite
année da chacnBe dea généralités,
tant pour rordinaire qnaponr
raxtraordinaira .... 8,877,900
Unt de livres.
Folio 848 verso. « Ainsi les rharget
estant snr oetta seconda rccapla
desdnitet. lesqnelles montant en-
viron 6JBO,000 livres, il peut re-
venir i l'Espargna. • . 8,085|000
tant de livrée.
FoUo84ever«o. a
Uvrea'.
me totale de la
. 16,805,885
Le traité du revenu et dépense de France donne des rensei-
gnements très précis sur la situation financière du royaume au
* Nons donnons la taxte dn mannsciit dans Pétat asact oà il est, et dans
eet état, il anffit ponr indiquer la aanle différence vraiment importante.
qu'indique l*imprimé, et 16 millions qne porte la
Donr
celle entre 6 millions
mannacrit.
Cependant, il est clair qn'ana finie da copie a Intfodnit une légèm
«rrenr dans cette somme de 16,808,888 livres. En eflêt la manuscrit coa-
tinna ainsi : » Laquelle (somme) avec Us charges, tant sur les generalitaa
m que sur les fermes, qui montent f S millions, 100 mille, 700 tant de
a Ûvres, le tout revient è 30 millions dix mille livres, m An lieu da lira
an premier article 16,005,853 livres, il laut Ure 16,900,385 livres, comaaa
le demande la correspondance entre la somme portée an premier article»
et celle indiquée au second dans le total.
Somme dn premier article 16,900,385 livres»
Somme du second article 13,109,700
Total 30,010,065
Total égal à celui indiqué dans la manuscrit, moins la
I livres, qui a ctc négligée par le copiste ponr énooear n»
34
frndinn d*
530, HISTOIBB OD BiONS OK HSHBl IV.
couamencement de l'année 1607; mais cet état n'est qu'un état
de passage, fia 1607, il n'y a que deux sources de revenus
publies : 1* les Tailles, subdivisées en iNrtneipal de la tailla, crue
ordinaire, crue extraordinaire ; 2* les Fermes. Le domaine et les
deniers extraordinaires sont à peu près stériles, rendent si peu
de chose que l'auteur du Traité prévient qu'il les négligera, qu'il
ne les fera pas entrer dans ses comptes. « Le domainû^ dii-il,
» ayant été aliéné depuis les guerres civiles, comme chacun sçait,
« et ne s'en tirant aucune chose dans la plupart des généralités,
» des autres peu, nous laisserons cette partie encore qu'elle soit
» le ioBdementdes autres. — Les denieti ^xlraordmaim sont ceux
» desquels n'est pas fait état, qui se sont plus étendus qu'à présent,
» qu'ils sont presque réduits aux nouvelles créations d'offices.
» De aorte que cette seconde espèce éiantpeude chomt casuelle,
» et, par conséquent, sans règle, nous parlerons seulement de la
» première espèce (des deniers ordinaires). »
En 1609, au contraire, le domaine et les deniers extraordi*
naires produisent 4 millions, sur 20 millions qui entrent dans
l'Épargne ou Trésor, après le prélèvement des charges. Donnent
le cinquième de ce que l'jon appelle, en ce temps, les deniers
revenant bons en l'Épargne. En effet, Sully dit positivement, au
chapitre 186 des (Economies royales ^ qu'Henri lY, à sa mort,
ne tirait que 16 millions, moitié de la taille, moitié des fermes.
Or, comme les actes publics, les pièces authentiques établissent
clairement qu'en cette année il entrait 20 millions dans l'Epargne,
il est clair que les 4 millions de surplus étaient fournis, soit par
le produit du domaine racheté, du domaine particulier de
Henri IV, réuni à la couronne en 1 607, du domaine de la reine
. Marguerite donné au Dauphin, des diverses autres branches de
revenus, dont nous avons présenté le tableau ' ; soit par suile de
la diminution des charges résultant de l'amortissementd'une partie
déjà considérable de la rente qu'on n'avait plus à payer.
£n 1596, avant l'assemblée des Notables tenue à Rouen, la
somme totale, non pas de ce qui entrait dans l'Épargne ou Trésor,
mais de ce qui était levé sur la nation, pour &ire face à la fois
aux charges et aux services publics, n'était que de 23 millions,
les charges emportant à elles seules 1 6 millions, et l'État, dénué
de ressources, était sur le point de périr. En 1597, après l'as-
semblée des Notables et conformément à leur vote, les revenus
publics dirent portés de 23 millions à 30 millions, les chargea
continuante être de 16 millions'.
En 1607, le chiff're des sommes imposées au peuple restait de
30 millions, mais les charges avaient diminué, et étaient réduites
de 16 millions à 13 millions, comme le témoigne l'auteur du
' Voir U citation d« co patnfe, ci<-deuiu, p. 478.
■ Toir ci^euai, p« 489, 480, Tes «xlraiU do conpts d« 1609.
*■ Voir ci-dtuni, p. 31S, 4OT, 402.
DOCUMENTS HISTORIQUES. 531
Traité du revenu et despense de France dans le passage suivant
de la fin de son traité. « Laquelle somme totale de la despense,
• avec les chargei^ tant sur les généralités que sur les fermes
» qui montent à treize millions, cent neuf mille sept cent et tant
» de livres, le tout revient à trente millions dix mille livres '. »
En 1609, les sommes levées sor le peuple ne sont plus que
de 26 millions, les charges sont réduites à 6 millions : ce qui
entre dans l'Épargne ou Trésor monte à 20 millions, et permet
tout à la fois de donner bien plus à tous les services publics, et de
réaliser les importantes économies, les réserves considérables
qui se trouvèrent à la Bastille, lors de la mort du roi. Tout cela
résulte du compta de l'Épargne de 1609, et des calculs de For-
bonnais'.
Ainsi leTraité du revenu et dépense de France, de Tannée 1607,
ne représente qu'un état de transition. Los finances du royaume
ne sont plus dans l'état désastreux où SuUy et Henri IV les prirent
en 1696, avant l'assemblée des Notables tenue à Rouen. Elles
ne sont pas dans Tétat florissant où elles parvinrent en 1609
et 1610, par l'effet de mesures dont le principe existait déjà
en 1607, mais dont les effets ne devaient se produire que durant
les années suivantes, comme l'auteur le prévoit et rexprime lui-
même, au moment où il publie son ouvrage, c Le peuple, dit-il,
« peut mieux espérer pour l'avenir. Sa Majesté recouvrant^
■ comme elle a continué de jour à Vautre^ le douaire sacré de
• ta couronne, dont il y a parti fait dès la fin de l'année der*
» nière, pour près de trente millions '. »
D'où il résulte que le Traité sur le revenu et dépense de France,
qui fournit de précieuses indications sur l'état financier du pays
pendant la période de 1600 à 1607, est un document compté*
tement insuffisant pour faire connaître cette même situation à la
fin de 1609 et au commencement de 1610, et pour conduire à
rintelligence des résultats déflnitiCi, et à la juste appréciation de
l'administration de Henri IV et de Sully.
* Ifaauicril, folio t40 Terso, «1 folio fSO reclo.
* Toir TcslrBit da compte Se l*EpBr|n« «t Im réralUls qao Sobim l'tftado
dt ce compte, dwni les Recborcliet el con«ideraUoii« >ar le* Snaocot éê
PrsBce, |Mir ForbooiuU, U I, p. iOO-119, ISS, ItT.
* Vanoicrit, folio SBO rocto.
nu DU TOKB PABiaiB.
CORRECTIONS ET ADDITIONS
Pfe|* n« ligne 31 : de la cavalerie et
de rinfiinlerie étrangère, lUes : de .
la cavalerie et de rinfaaterie fran-
çaiee rt étrangère.
Page 48, ligne 7. L*antlienUeiltf de ce
billet de Henri IV à Grillon nt at-
' taquéraujourdliai parla critiqae.
Page 7f , note f , Snllj, OEcon. roj.
' ch. 140 et 30, lises : ch. «48 et 30.
Page 198, ligne 30 : il renToya reza-
meadela troisième propoaition dea
Eapagnola à rezamen da Conaeil
d*EUt, tUes : il renvoya la troi-
sième proposition dea ^pagnola k
Tezamen du Gonaeil d'Etat.
Page SI, ligne S7 : donna anui les
mojena. tises ; donna au roi les
moyens.
Page S53, ligne 6 : Cette majorité se
composait, lises : Cette roaioritë
se composa.
Page 185, note I : Thuaans, I. au,
lises : L cxm.
Page t87, note |, ligne t, 1. uu, % 9,
«1-46, tUês t i. cxm, S9f H-t6.
Page t88, ligne 96 : Par la prompte
mort dn duc de Nemours, il s«
trouva libérédesenpiements con-
tractés avec Ini. Effaces cette
phrase qni a été déplacée et tron-
quée, et qni ne préaenle plus qu'un
énoncé erroné. Le premier duc de
Nemours, celui qui avait été en-
fermé è Pierre>Encise, est mort le
13 aoAt ISOft. Le second doc de
Nemonrs, qui traite avec le roi au
mois de janvier 1696, est le mar*
qnis de Saint-Sorlin, devenu duc
de Nemours per la mort de son
frère.
Pace304, à la manchette : Son voyage
dans cinq généralllés, lises : Son
voyage Xlans quatre généralités.
Page 333, noU I , ligne 2 : dans les
Mém. de du Plessis, t. XTiil,
p. !I59, lises : dans les Méin. de
du Plessis, t. Tin, p. 188.
Page 3S!f, notel, ligne 4: d'Auhigné,
I. IV, c. II, t. IV, p. 367, 368, 313,
lises : d'Auhigné, 1. iv, c. u, U m,
p. 367, 368, 373.
Page 300, ligne 14 : les Espagnols
enlevaient en ce même moment le
Castelet, Calais et Antres, lises !
les Espagnols. dé\k maîtres dn
Castelet. enlevaient en ce même
moment Calais et Ardres.
Page 361, ligne 1 : Des quatre com-
missaires, Calignon était hugue-
not, les trois antres, SchomMrg,
de Tic, de Thnn étaient catholi-
ques, lises s Des quatre commis-
saires, Calignon était huguenot,
Scbomherg luthérien, les denz au»
très, de Tic et de Thon, étaient ca-
tholiques.
Page 446, ligne 18 : à U fin de Pen-
née 1896, lises .- à U fin dn mois
de ianvier 1807.
TABLE DES MATIERES.
INTRODUCTION. QoMtioiu de droit public sooktdet par rnàMutnl d«
Henri IV. Condnita politique el moralité de le Ligue i
LIVRE !•'.
ut L'AvimnNT m mmi nr a la fin di 8a mniiiuE campaoi»
(AOUT 1589-IANVIIR 1590).
CHAPITRE I*'. ^ Avènement de Henri tV, Go¥i9emement rUnl
établi par to iÀgUe {aoàt i 589).
IM9. Droite de Henri de Boortion à le oooronne i3
Trois pertis permi let enlhoiiqiiet en cemp de Seinl-Clond 15
Dâibdntion de Henri de Nenrre an qoutier de Mendon il
Henri Te en eemp de Seint-Clood. D*Anniont, d'Hnmiéree, Gvny, • 18
Violence dee caUioliqaes ardente 18
Henri reconnu per le nobleaae de rHe-de-Freoee, de Picardie, de
Champegne, et per les Suisaes tO
NouTelle délibération des seigneurs en cemp de Seint-Clood. ... 30
Engagement réciproque du roi et dee seigneurs 3i
Autorité de la déclaration 33
CooMquenoes de la déclaration 34
Le parti des Politiques 36
Mobiles de l'intérôt priré et fiictions daps le perti royal 37
Chefs défedionnaires : l'armée royale diminuée de moitié 39
Henri est forcé de s'éloigner de Paris 3i
L'année royale dirisée en trois corps. Plan de campagne de Henri. . 31
Adhésions dans les provinces à la déderation de Saint-Cloud. . . 34
Bflbrtsdela Ligue contre Henri IV 30
NouTeau soulèvement populaire 37
Puissance des prédicateurs 38
Gouvernement de la Ligue organisé per Mayenne 38
La Ligue française 38
Plan d'usurpation de Mayenne 40
Déclaration du 5 août : arrlts de divers parlaoïenls 40
CHAPITRE n. ^Première campagne ie lfoiH/r(M«ll589-icf|.
vjerl590).
Progrès du roi en Normandie 43
Plan de gnerre de Henri : Dieppe et Caen 48
Forces rassemblées per Mayenne; sa narehe 44
1589-1580.
Ado4«. 63& TABLE DES MATIÈRES.
15S9. Guerre de postes. Gombets d'Arqués 44
Secours amenés à Henri d'Angleterre, d'écosse, de France. ... 46
Guerre savanle faite par le roi aux environs d'Arqués et de Dieppe. 47
Prise de cinq faubourgs de Paris.Occasionde preudre cette viDe perdue. 48
1589-IQ60. Conquêtes en Orléanais, Maine, Anjou, Normandie 49
Le roi reconnu par les Suisses et les Vénitiens 50
Henri reconnu également par les goutemeura, la noblesse, le haut
clergé, les parlements demeurés neutres 50
La royauté de Henri reconnue en Bretagne, Berri, Bourbonaais,
Marche, Limosin, Dauphiné 53
Conduite du parlement de Grenoble 53
La royauté de Henri reconnue dans une partie de la Provence. • . 53
La royauté de Henri reconnue plus explicitement en Languedoc. . 54
Le perti royal élabU dans toutes les provinces, excepté trois. ... S5
Le roi reconna par la presque totalité du hant clergé cttKoliqne. . . 55
CHAPITRE m. — Inlérieur de la Ligue {teptembre i589-janvier
t590).
Progrès et exeès exécrables des Seise S7
Tentative pour faire nommer Philippe H proteclmr de la France. 58
Le conseil de l'Union cassé par Mayenne 60
Compromis entre Mayenne et la Ligue française 6i
LIVRE II.
D8PUIS LA HN D8 Uk mniM CAMPAONI M miM IV, ltJIQtJ*A L*Otl?lKT!IM
DBS ^TATs-oiniRAUx D8 LA Lioui (rimuRi l590WAimKll 1598).
CHAPITRE I. — BataUle d'ivry et eet tuitef (1590).
Nouvelles forces rassemblées par Mayenne 65
Déclaration de Philippe II 66
Déclarations et arrdU hosttles ft Henri IV 66
Le roi réduit à négliger les moyens de conciliation et k feeoorir à
la force 68
Siège de Dreux, bataiDe d'ivry 69
Bataille d'Issoire : la Ligue vaincue partout 70
Situation de Mayenne, ses résolutions 70
Progrès du roi : état de Paris 70
Trahisons auxquelles le roi est en butte dans son parti 71
CHAPITRE n. — fiJociu et iéUvranu de Parie. Ledmede Pwrme.
Invasion du territoire par les étrangère, NouiHêu effeUme dé
guerre adopté par le roi.
1500. Henri reprend les hostilités 7S
Blocus do Paris 74
Décret de la Sorbonne, procession de la Ligne, serment 74
Deux partis dans la ville 75
Nouvelles trahisons dans le camp dn ni 75
Le roi serre Paris davantage. Famine 76
Pitié du roi 77
Erreurs sur les dispositions des Parisiens 77
Mauvaise foi de Nemours, des Seiie, de Mayenne 78
Le duc de Parme en France. Levée du bloens de Pvif 78
Paris ravitaillé : dispenion de rarmée dti rai 70
1500.
Aontfe. TABLE DIS MATIÈRES. 636
158a DëHtnoM de Pirif 61
Invasion du Lan^fuedoc, de la Bretagne, de la Provence, par ke Ba-
pagnoUet lea Savo]fards 69
État de la France et des parUs à la fin do 1590 83
Nouveaux pnjparatilii du roi, proportionnés k l'atlaqne 86
GHAPITftE lU. — TniêUmê eampagtu eu roi, HapporU *e la France
avec le Saint-Siège. Lee parlements polUiquet: Uckr§é gaUiean
(i591).
1891. Conquêtes du roi autour de Paris 89
Conquêtes des lieutenants du roi en Normandie 91
Rapports de ia France avec le Saint-Sié^e ^ 91
Brefii et bulles monitoriales de Grégoire XIV. . . .*^ 93
Armée levée contre le roi. -. « t . . . 94
Arrêts des parlements de Châlons el de Tonrs 94
Édita du roi 95
Déciaralion de l'Église de France assemblée à Chartres 96
CHAPITRE IV. —Progrèi de Vinvatian étrangère. Conspiration éee
Sei*e powr rtàner V ordre puMio et pour livrer le roifoume à
PhiUppe IL Le Tiers-parti.
Progrès de Tinvasion étrangère au nord de la France 99
En Provence 99
En Brniagne 108
Conspiration des Seize et du clergé ligueur k ParU 101
Prédications sanguinaires 101
Attaque des Seiie contre Mayenne 109
Lettre des Seiae el du clergé ligueur de Paris k Philippe II 104
Brigard et les prétendus traîtres 105
Proscription générale arrêtée 106
Conseil des Dix 107
Assassinat de Brisson, Larcher, TardiT. 107
Provocation a un soulèvement général 108
Conduite du peuple et de la bourgeoisie 109
Nouveau parlement projeté. Chambre ardente. Conduite du parle-
ment. . * '. 109
Mayenne à'Paris. Supplice et exil des chefs des Seiie 111
Puissance des Seize détruite. L'ordre civil et social rétabli 118
Situation générale. État dos partis 119
Formation du Tiers-parti 114
Le roi réunit les divers corps de l'armée étrangère 114
Siège de Rouen projeté et commencé (11 novembre 1591). . . . 116
CHAPITRE V^ — 1. Convention honteuse consentie par Magennt.
sage de Rouen. Le roi trahi de nouveau, et tous ses desseins
ruinés. Situation des provinces. -— IL Extrêmes dangers de la
Frsnce. Henri n'ayant pu abattre la révolte par la guerre^
teeourt aust négociations avec les ehefk de la Ugue, aux OM»-
ceMiofw mêlées de mesures coerdtives avec les peuples de
l'Union. Les peuples inclinent vers lui : efforts de Mayenne
pour relever son parti.
I5QS. Convention honteuse •onclue par Ma|eoae «tw le roi d'Bspag ne. . il 7
Biége de Rouen, le roi trahi de noaiwii • 118
Aontf*. 536 TABLE DES MATIÈRES.
189t. Firnéte entre de nouveau en France avec une arm^. Reoeonlre
d'Anmale itl
Rerera de Biron au liëge de Rouen Itt
Dicpenion d*une partie de Tannée royale IM
Lerëe du siège de Rouen it3
Siëge de Caudebec. Combinaiaon admirable du roi It3
Cinq combats prés dTvetot. Affliire de Ranson It4
Passage de la Seine par Famèse It5
Retraite de Famèse 495
Événements divers dans les provinces 196
Bretagne 497
Languedoc ei Guienne 498
Provence 499
Dauphiné 199
Progrès du Tiers-parti 199
Élection prochaine d'un roi 130
BxtréiMs dangers de la France d'après tous les contemporains. . . 131
Henri '^saie d'amener Mayenne et les chefe de la Ligue à fidre la
paix 133
Les cbefe de la Ligne eiigent la persécution rdigieuae et le dé-
membrement féodal de la France • 1 33
Henri s'adresse aux peuples de la Ligue. État des partis dans la Ligue. 137
Dispositions des Parisiens 138
. Promesse d'abjuration : l'eipédient 139
Nouvelles mesures coercitives contre les villes de la Ligue. ... 139
Assemblée des Politiques : les sémonneux 140
Ambassade au Pape * 141
Arrêt du parlement de Paris. Asaemblée des bomgeois 141
Retour de Mayenne. Nouvelles assemblées, la cour des Comptes. . 149
Résistance de Mayenne 149
Décision de l'assemblée générale à l*h4telde ville 143
Arrêt du parlement deChâlons 144
Succès des lieutenants du roi dans les provinces 1 44
Divers projets de convocation des États généraux de la Ligne. ... 145
Desseins du duc de Parme 146
Convocation des États de la Ligue à Paris 146
Mort du duc de Parme : conséquence de cette mort 147
Dernières mesures adoptées par Mayenne pour rdever son parti. . 148
Déclaration de Mayenne 149
La Ligue française persiste dans ses sentiments : ses actes. ... 1 50
1508. Sentiments de réprobation contre les États de la Ligue 151
Proposition des principaux seigneurs royaux d'ouvrir une confé-
rence pour la paix entre le parti royal et la Ligue (97 janvier). . 1 53
Déclaration du roi du 99 janvier 154
LIVRE III.
DIPOn L'OUVEKTDM DBS iTATfl M LA UOUB JUSQU'A L'ABIURATION OU ROI
(JAlfViniWUILLBT 1593).
I50SL Ouverture des États de la Ligue ; leur composition 156
Minorité, minorité, dans les ÉUU 157
MsôfenM essaie de former une mqorité en sa Isveor 1 57
Réserve que Mt le parlement de Paris 158
knnée, TABLK OU MATIÈRIS. &37
1088. Projet de Maymne 159
PremièrM lëanoes des éuto de la Ligne 1 60
Progrès de la Cation espagnole dans les Étals : Philippe II obtient
d'abord la m^orilë 461
La proposition de la Conférence passe dans les États; par qnds
moyens 163
Négodations entre Mayenne et les Espagnols. Jonction de lenrs forées. 165
Le duc de Përia à Paris ; ses tentations de corruption auprès des di-
vers corps 166
Nouvelles dispositions ches les députés des Étals 168
Prise de Noyon, dispersion do l'armée espagnole 108
Haine et mépris pour les Espegnols. Dans les États, la majorité passe
k Mayenne 169
Premiers proposition des Bspagnob dans les Étals. Passe port
donné aux royaux pour la Conférence 170
Jour et lieu fixés, dépotés nommés pour la Conférence 173
Les prédicateurs de la Ligue, les Seise et leur protestation. . . . 173
Nouveaux complots du fiers-parti et du parti cahiniste contre le rol« 1 74
Prsmière séance de la Conférence de Suréne. Manifestations du
peuple 177
Quatrième et cinquième séances de la Conférence de Suréne ; dis-
cussion 1 78
Kxième séance de Surfine : question posée par les d^tés royaux
relativement à la conversion de Henri. Politique de Mayenne et
de ses agents 181
Propositions verbales des Espegnols ches le légat. Boudier et Rose. 183
Henri annonce au conseil son intention d*abjurer : garanties aux
hoguenols 185
La conversion procbaino du roi annoncée aux ligueurs, dans la con-
férence. Réponse de d'Espinac 1 36
Mayenne essaie de gagner le parlement de Paris. Attriboto politi-
ques de œ corps 187
Prcimière proposition écrito des Espegnols dans les Étals. Opposi-
tion de Mole et du pariement 189
Discours deMendon: sentiment des États 100
Projet d'une quatrième chambre dans les États : distribution des
pouvoirs publics 191
Réponse des ligueurs sur la conversion du roi et sur la trêve. ... 19S
Etat des partis du oAlé de la Ligue 193
Deuxième proposition des Espagnols : rarcfaiduc Ernest et Tinbute :
elle est r«ietée 194
Vole fameux des Buts du tO juin. Le principe de Télection d'un
roi admis en fiveur d*ttn prince français et de rinfknte 195
Troisième propoeition des Espagnols. Corruption des députés. . . 197
Examen et rqet de la Iroisiènie proposition des Espagnels 108
Combinaison de Mayenne arrêtée le S6 juin et reftisée per les Ee-
pagnols iOO
La Ligue française se fortifie : ses sdes i03
Ressources du roi, siège de Dreux, opérations dans les provinces. • t06
La Chambre de la noblesse des Euts. t08
Le parlaoïent de Paris : son trrH du 38 juin t09
Bxpllcaliott de l'arrêt du pariement tlO
Puissance de l'arrêt 313
Reasontrasees et signification de l'arrêt à Maymme 313
kané: 6dS TABLB BIS HATlillC8«
I89B. Siforfs de Mayenne poor faire rompre Tarrét : il y reeoaeê. . . . 9i4
Assertion. erronée au siqet de l'arrêt: alfeta qv*U produisit. ... 815
Quatriàme propoiltion des Bapagnols. 918
ûi combinaison ëchoue SI 9
La trAve a^ee le parti royal eondue par les Étals et par Mayenne.
Opposition du lé^t. ...» 220
Nouvelle allianee de Mayenne tvee les Bspepwls 221
Examen par la Chamtire du tiers-diat de la réception en France d«
concile de Trente 222
Vote dans les Etats pour la réception du concile de Trente en France. 823
Appréciation de la conduite des Blats-généranx de 1 593 : les dé>
pûtes salariés psr TEspayne, d'après tous les historiens eontem-
porains et d'après les registres des Etats 826
Dernières intrigues du TienHperti ; fermeté da roi. ...... . 829
Assemblée des prélats gallicans à Saint-Denis : leur conduite.' Abju-
ration du roi 831
Le roi contraint Mayenne à la trêve 832
La dmofité nnlioaale passe an roi 833
LIVRE IV.
DE L*ABJtnUTIOM DU ROI A LA oiCLARAnON M «UIRRI rAlTI A L*lttAGNB
(JUILLBT 1 593-JANVnil 1 595).
*
CHAPITRE !•*. — état TÉtpeetif du parti royal et du parti ée la
lÀgue du 31 juUUt au 31 ddoem^re 1593. Première déftetimê
danêlalÀ0ue»
Publications diverses et successives de la satire Ménippée : influence
de cet ouvrage sur la situation politique 834
Attentat de Barrière 835
Premières défections dans la Ligpe : Boisrosé, révolte de Lyon. . 836
Effets de la trêve : fin de la trêve, nouvelles défectioiu dans la Ligne. 837
Derniers efforts des ligueurs français auprès de Mayenne 838
Situation et conduite de Mayenne 240
Retraite de ViUeroy, soumission de Vitry et de la villa de Meam. . 840
*
CHAPITRE D. — Soumietion de diverte$ viUts et de div^n ehefê de
la ligue au roi, depui» la lin de la trêve et le oommtnùtmeni
de l'année 1594 juêqu'à la réduetwn de Parié.
1804. Élat de la Provence. Soumission d*une partie du pays et d'Aix. . . 242
Le pariement d*Aix 843
Soumission de ViUeroy et de divers gouverneurs avec leurs villes. . 844
De Lyon ; du maréchal de la Ghastre, d'Orléans et Bourgea. . . 244
Sacre du roi 845
État de Paris : les Politiques et le parlement : menées du parti aris-
tocratique » • • . . 845
Paris se litre an roi (88 niir< 1594) 846
TABLB 918 VATliRBSt 589
CBAPITHB m. — l'ordre puMie, lajuitieé, rMbnMtCroKMi, ftfte-
bHi à Parit. Arrêt du parlement. Conduite du derfi de Périi,
Rapporte de la Pranu et de Philippe II mm la Sait^Sié§ê
(1594).
1881. L'ordfB public rétabli I Parit; puis la jusUee et radminbtration. . 158
Arrél du parlement de Paria do 30 mars t59
Cooadqueilcés de Tarrét. t59
Retour de» pariemenU de Tours et de GhDona (14 arril, 1 5 mai). . 260
Eut du elerg^ de Paria t60
Henri recowin par le dergd (91 arril) 261
Les Jésuites 261
Conduite du Pape 262
Rapporta de Philippe II atec le Pape et les autres cours de l'Europe. 263
CHAPITRE IV. — SuiU des eoumietione dee viUee et dee ehefk de la
U§u4t depuie la réduction de Parie juêqu'à la fin de Vannée
1594. Traitée avec deuxprinceede la maieon de Guiee etavec
le due de Lorraine. Fin du Tiere-^rti» Attentat de Chatel,
Sounlasion de VWan, de Rouen et de toute le Ifomiandie (27 man) . 266
Soumission de Troyes, Sens, Abberille, Montreuil ; dana le midi, de
Riom et d'Afeo (sTril) 267
Henri prend Laon (22 juillet) 268
Soumission de Gbiteau-Thierry, Amiena, Beanvaia, Noyon (iuUlet,
août et octobre) 269
De Poitiers, de Laval, d*wie partie de la Bretagne 269
Fin du Tiera-parti 270
Soumiaaion de d'Elbeuf, de Guiae et de la GbaapagDe 270
Traité du duc de Lorraine. Reddition de troia TiUea de la Bourfogoe. 270
Attentat de Gbalel, eipulaion daa Jésuites (27, 20 déceoabr*). ... 271
RénuhaU obtenus par le roi 872
l|obiles des chef» de la Ligue S73
Prit anquellea obalb de la UgM nUrent leur sounlaiion 273
LIVRE V.
MPC» Ll COMMINCtlIlifT N LA omMUC COIfntl L'MPAORB, IUIKKJ'A LA flM
Dl LA OUBRMCONTIIB LA AAVOU (JAXVIIIi 1595-JAlfVnR 1601).
CHAPITRE !**. — Guerre eontrt FKepagne et lutte contre Ue reetee
delà Lifue, depuie la déclaratumde guerre à l'Kepaone en jan-
vier 1 595iiMf u'd la réduction de Marêeille et de d:ipem&n en
fétrier et mare 1596. Abeolution du roi par le Pape.
1306. Henri dMara la ipierreè l*Bapefne (16 janrier) : ans plan d*altaqae. 276
Dispositions de Philippe n 277
Intelligences de Philippe H avec les rtstea de la Ligue et du parti
des grands 277
Vienne en Daiiphiné enlevée au duc de Nemours par Hontmoranci,
et ranlorilé du roi affermie dans le Lyonnais 177
Soumiaaion de la Bourgogne. Combat de PottlaiDe-PruBceiae. . . 278 *
Guerre en Pktfdie, défaite de DoorieM 280
ABDé«. 5A0 TABLE DBS MATIÈRES.
iS06. Soumission de Boisdauphin : pacification da Maine et de TAi^oa,
moins qudques Tilles de la marche d*Aigoa 881
Le roi absous par le Pape tSt
Tréte et traité contenu arec Mayenne 2S9
Siège de Cambrai par les Espagnols 283
Le roi à Paris; conduite du parlement; prise de Cambrai t8A
Siège de la Père commencé 285
Eut de la Bretagne 285
Progrès du psrti royal en Provence. Inflime traité conclu par
d'Épemon avec l*E^pagne 285
1596. Édit de Follembrai (janvier). Soumission de Mayenne 287
Soumission du nouveau duc de Nemours, de Joyeuse et de Tou-
louse. Parlement de Toulouse . . 288
Nouveaux projets de Philippe II 289
Réduction de Marseille : soumission du duc d'Épemon (février et
mars) 290
Étal du parti aristocratique. Arr£t du parlement d'Aix contre
Genebrard 291
•
CHAPITRE n. — Beveti et la France iant la guerre eemre VE$-
pofftte : canêtanee et habileté de Henri, Situation intérieure âee
deux raifaumes.
Épuisement de la France. Détails tirés des lettres du roi, montrant
combien l'étiit financier du royaume est misérable, et combien il
influe sur son état militaire 292
Prise de Calais, Ham, Guines, Ardres, par les Espagnols 299
Prise de la Fère par Henri : les frontières garanties 300
Proposition féodale des seigneurs 301
Ligue offensive et défensive conclue par la France avec l'Angleterre
et la Hollande contre l'Espagne - 302
Prise de Cadix : ravages de TArtob : pertes énormes des Espagnols. 303
Epuisement de l'Espagne : banqueroute de Philippe H 303
CHAPITRE ni. — Roeny entre au eonteil det financée : eommenee^
ment de réforme partielle,
Rosny entre au conseil des finances (octobre 1596); son voyage
dans quatre généralités; 305
n fsit rentrer les sommes diverties sbusivoDoent dans ces quatre gé-
néralités, et fournit su roi une somme notable de deniers. . . . 306
Efforts des dUapidateors pour le perdre 306
L'argent ramassé par Rosny ne peut fournir sux nécessités publiques
que pour un court espsœ de temps et pour une entreprise par-
ticulière , . . . 308
Le roi résout de convoquer une assemblée nationale à l'effet d'opé-
rer une réforme générale dans les finances, et de porter les re-
venus au chiflire nécessaire pour les divers services publics et
pour la continuation de la guerre contre l'Espagne. Raisons d'après
lesquelles il se décide pour une assemblée de Notsbles 308
CHAPITRE IV. — Àiâemblée det notablet à Rouen. Conseil de
raiion. (Fin de 1596, 1597).
IS06- Discours du roi et du chancelier k l'ouverture de l'assemblée des No-
ieS07. tsbies (4 novembre 1596) 309
Le roi essaie de substituer un gouvernement mixte au pouvoir abiolu. 311
Aanëe. TABLE DES MATIÈRES. S&l
^ISr Rerema publics à là fin de i 596. Remarquable dëciaion de ra«eiu-
1597. 1^1^ ^ Notables relativonent au cfaiffine auquel seront portés les
revenus publics, et à l'établisiiement d'un nouvel impôt 313
Le Conseil de raison : erreurs et excès des Notables 31 3
Avis du conseil du roi sur les propositions des Notables, Avis de
Rosny ; 314
Le roi accepte les propositions 315
Gabiers des Notables 315
Bffort des partis, etsurtout des parlements, pour se donner un grand
pouvoir politique 317
1597. Fin du Conseil de raison 317
CHAPITRE V. —PerU dTAmient. ÉUU des partU et de l'opinion.
Reprite d'Amient. ExpéditUme de Leediifuièrei contre la
Savoie (1597).
Préparatifs du roi 318
Surprise d*Amiens par les EIspagnols (1 1 mars 1 597) . État du royaume 319
Mesures militaires et financi^es prises par le roi pour reconquérir
Amiens 320
Opposition des parlements de Paris et de Normandie. Profond
ébranlement de Topinion publique, nombreux complots 321
Ressources en argent : ordre admirable établi au siège d'Amiens
par Henri IV et Rosny 323
Vain effort des Espagnols commandés par le cardinal Albert
pour faire lever le siège d'Amiens : reprise de cotte ville
(35 septembre) 324
Guerre entre le duc de Savoie et Lesdiguières 325
CHAPITRE W.-^ Fin de la guerre contre la Ligue et contre VEê-
pagne. Soumnion Mercœur. Paix de VertHnt (1598).
1509. Soumission de Mercœur et de la Bretagne 327
Fin de la Ligue et de la révoile armée de l'aristocratie 329
Conduite des parlements 329
État de la monarchie espagnole 331
Eut de la France 332
Traité de Vervins (3 mai 1598) 332
Conduite de Henri à l'égard de ses alliés 333
Principales clauses du traité de Vervins 335
Conduite de la cour de Rome 335
CHAPITRE Vn. — État des calvinUtes de 1589 d 1597. ÉdU de
Nantes {ib9S).
g 1 > Eut des calvinistes, légisUtion qui les régit de i 589 à 1 594. 338
g 3. Nouvelle organisation de U république calviniste en 1594. . 854
8 3. Le roi accorde aux calvinistes l'édit de Nantes 365
Droit public et religieux des réformés, aux termes de l'édit de Nantes. 365
Eut civil des réformés 367
Eut politique des calvinistes 368
OpposiUon à l'édit de Nantes 370
1599. L'édit enregistré an parlement de Paris (25 février) 370
Les pariemenU résignent momentanément leure pouvoirs politiques. 373
Considérations sur l'édit de Nantes 373
CHAPITRE Vin. — Guerre de Savoie. Divorce et mariaie du roi.
RapporU du duc de Savoie avec U France de 1 588 à 1 598. ... 374
!ân?* Intrigues du duc de Savoie ; oomploU contre le roi (1599, 1600). 375
Guerre contre le duc de Savoie (11 août 1600). 377
1601.
kwé: 5A3 TABLS DBS MATliSES.
1599- Conquête àù ]« Bresse et du Bugey, excepté li citadeUe de Bourg,
i^l* et de toute la Savoie proprement dite, par Henri IV, Biron,
Lesdi^ièrea et SuUy 384
Traité avec le duc de Savoie (17 janvier 1601) 884
Grands résultats obtenus dans U guerre , par Textenaion donnée an
. génie mililaire et à Tartinerie 385
Divorce du roi et de Marguerite de Valois (11 décembre 1590). . 387
Promesse du roi à mademoiselle d'Entragues (1" octobre 1599)« . 889
Mariage de Henri avec Marie de Médicis (5 octobre 1600) 890
LIVRE VI.
iviimiINTS P0UTIQUI8 PBNDAMT LA pilUOM W 1600 A 1010. MOVIMI»
MENT BT ADHOIUTRATION 01 BBNRl IV. HWISTillB M tOLLY. ÉTAT Dl LA
BOCsiri, DBS SCIBNCES, DB la LITTiRATDBB, DBS BBAQX-AIITS tOVS CB
GHAPITRB 1**. — Contpirationi, séditiont, attentati ccntn la vU
du roi. Rappel dei JituUes (de 1599 à 1609).
Complota de Biron • . 896
Cooimenoeroent de sédition dans les pays d'outre- Loive 397
Suite des complots de Binm. ^n jugement et sa oondamnalim. . . 398
Complot du duc de JoinvilJe • 400
Con^iration d'Entragues « 401
Intrigues de Bouillon. Mouvement dans Isa provincea du MitU. As-
semblée de Cbâtelleraut 408
Expédition contre Sedan, pleine soumisaion de Bouilloo 40G
Retraite du prince de Condé cbex lea Espagnols 408
Attentats contre la vie du roi 409
Rappel des Jésuites. 410
CHAPITRE n. — G9Wf«mtmeiU,juttke, ûtétc puèUe,
8 1. dnAvem^ment,
Régime représentatif partiel . . • . 417
Régime niunarcltique 418
Liberté conservée par les assemblées nationales 419
Par les parlements. « 419
Par les corps et les magistrats municipaux. 421
Rapports du gouvernement avec le clergé et la noblesse 429
Rapporta du gouvernement avec les villes et les villages 424
Réunion au domaine de la couronne du domaine particulier du roi. 427
Les donaines de Penlhièvre et de Mereoar 428
Conséquences des réunions 428
Précautions poliliquca à Tégard des princes et des gouverneurs. . 429
Excellence du gonvememenl. Le roi connaSt de lovles ka aCUrea. 430
Choix admirable des ministres et des autrea fonctionaaina 481
Tout fonctionnaire irréprocbable devenu Inamniildij ....... 488
§ 2. Juitke,
Énormes abus dans laiustiee juaqu'ep 4507 . 484
Edil et réforme de 1597 437
La Paulclte 489
Raisons fiscales et politiques de la Paulette 489
Opinion de Richelieu. 440
Vices do k OMsunioiiB les fouverDemaiti Mldes. , 481
TABIB DES VATliRBS. 543
I 3. Ordre pubUe.
L'ordre public entièreoMot détroit dans les campegnes. Biifaii4a(es
des chefs militaires et des aoldJils. Effets de est étal de ebeees sur
l'agriculture, le conuDerce, la population 443
Première tentotive de reforme : déclaration du 24 février 4697 . . 444
L'ordre public rétabli par l'ordouoance sur le port d'armée du
4 août 1598 444
CHAPITRE m. — AdnUniitration,
g 4. SUmtUm MMmèrt de la Framê m 4599.
Cause de la sobvenion des finances < • 447
La dette publique 455
Revenus publics 457
% 9. Refermée opéréu dame ke finaneeepat Bmri IVetpir
SuUy.
Réformes relatives aux 'uugêH» engagés 460
Aux impôts afrermës au-dessous de leur valeur, ou ne rendant rien. 46S
Aux vols faits par les comptables. EtabUssemanl d'une oonptabiUlé
régulière 463
Aux impdls levés par les gouverneurs . • 464
Aux rentes ...• 464
A l'aliénation <bi domaine roj'al. 466
Aux marchés et aux levées de troupes 467
Suppression des oifDces inutiles 469
g 3 . E/fele du réformée de Henri lY etde SuUy relativement
au produit dee dkvere revenue fublice, et notamment dee
impôte. Produit dee impôts eoue ce règne.
De combien augmenta le produis des inipéts, par suite de réformes. 474
Diverses manières do supputer le produit des revenus publics, et en
particulier des impôts 474
Quel fut le produit total des impôts sous ce règne. 474
Apparente contradiction entre l'énoncé de SuUy et un compte de
4609 475
Concordance réelle des deux documents 476
I 4. Nature et aeeietU dee tmpéte eoua Uemi lY. Béfermeê
de dUmere mpùte.
Nature des impôts sous Henri IV 477
Assiette et perception de l'impôt. Exagération et vices de la taille
jusqu'en 1597 478
La gabdle, ses vices 484
Projet de reformer la gabeUe 485
Erreurs de Henri IV et de Sully dans le maintien de quelques sub-
sides 486
§ 5. Bevenue publiée autree que Vknp&t. Total dee reimmê
publiée, recette^ dipenee, économie aemueUa à U fin éé
4609.
Blanches de revenns publies antres que l'impôt. • • . 481
Produit des divers revenus publics en 4609 491
Recette, dépense, économie annuelle, en ce qui oonoeme le budget
de l'Eut, àU fin de 4 609 49S
Comparaison des charges et des tevenus publics en 4 597 et en 4609. 492
DiniBUtion des impôts, et notamment de U taille, en 4609 .... 498
••
5tUl TABLK DE$ MATIÈRES.
g 6. DetU acquittée, rmte^nuboynie, domaku racheté,
réserve 9U éamomie en .argent, reisource» extraordi- '
naùres au commencement 44 IMO.
Portion de la r«nte rachetée, •!• 496
Domaine racheté .> « « 497
Réserve ou économie toCale à la fi^ de ce règne 491
Résultats de l'admiustn^fion financière de Henri IV et de Sully. . 500
Ressources extraordinaire . 500
§ 7. L'intérêt tfe l'argent dimimié ; retsourees 'fbumies à
Vaipr^Uurc, à tindmtrie, au commerce.
Idées de.Hcnn IVet'de Sully sur les J^^lo^pements de la richesse
nAionâle / . • . 1^
' édil'dé jinilei 1601 ; l'iniérct de IVgeni abaiyé ; eff^de la me-
suré stir les fortunes particulières* •.....*..,.... Sifi
Effets de rabaissement de l'intérêt tur ragricntture,rindttstrie, le
commerce 503
I 8. ObeervaHone tur V administration financière de
Henri IV et de SuUy.
Considérations sur les établissement! financiers au point de vue
administratif. , 505
Considérations sur les établissements financiers au point de vue
politique. La France devient la première puissance financière de
l'Europe. Application du principe du consentement de la nation
aux impôts 510
Table des Documents historiques.
I. Déclaration du roi Henri IV et des seigneurs assemblés au camp
de Sainl-Cloud, du 4 août 1589 515
II. Rcle%-é4leK noms dos princes i)u sang, des principaux seigneofs,
^es ' gentilshommes, des capilaines de compagnies, des chefs de
corps étrangers, qui suivirent Henri IV dans sa première cam-
pagne, et qui prirent part avec lui aux divers combats livrés aux
environs de Dieppe et d'Arqués du 15 au 27 septembre 1589. . SI 7
in. Relevé des noms des principaux chebdes armées envoyées en
Picardie et en Champagne, des gouverneurs de places nommés ou
confirmés par Henri IV, dans le cours de la première campagne,
el de oevx qui le reçurent dans leurs villes 518
IV. Relevé des noms des princes du sang, des principaux seigneurs,
des gentilshommes, des capitaines et gouverneurs de places voi-
sines, des chefs de corps étrangers, qui combattirent avec le roi
àlabatailled'Ivry, 1ol4mars 1590 519
V. Relevé des noms des seigneurs qui combattirent autour du roi V
Fontaine-Française, ou qui arrivèrent à son secours à l'issue tle
ce combat 580
VI. Note sur les |)crsonnages français auxquels les lettres de Henri IV
sont adressées. . , , 5S0
VII. États des sommes quetei chefs de la Ligue exigèrent de Henri IV
pour leur désarmonenl. État fourni par Groulart. États fournis
par Sully et par P. Dupuy 5H
VnL Traité du revenu et dépense de France do l'année 1607. . . . 528
Corrections et additions 532
FIN Dl LA TABLE DES VATtiAIS DU fRSMIBR VOLUME.