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Full text of "Histoire du règne de Henri IV"

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600051 843R 


1843R 


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HISTOIRE 


DU  RÈGNE 


DE  HENRI   IV. 


TOME  PREMJER. 


'y 


Parii.  -  Imprimerie  de  MAUTllirr,  «,  me  IHsnon. 


HISTOIRE 


nu  RÈGNE 


DE  HENRI  IV 


PAR 


.  A.  POIRSON, 


Ancien  proviseur  des  Lycées  Sainl-Louis  et  Gharlemagne  , 
Conseiller  honorsire  de  l'Université. 


TOME    PBEMIER. 


PARIS 

LOUIS  COLAS  ET  O^,  LIBRAIRES-ÉDITEURS 

RUE  DAUPHINS,   26. 

1856 


JJ/. 


a. 


PRÉFACE. 


Nous  offrons  au  public  le  résultat  de  quinze  années 
de  recherches  et  d*observations,  entreprises  dans  le  but  de 
présenter  une  histoire  vraie,  complète,  raisonnée,  d^une 
grande  époque  et  d*un  grand  homme.  Bien  que  quinze  ans 
soient  une  portion  considérable  de  la  vie  humaine, 
grande  mortalis  œvi  spatium,  nous  n*aurons  pas  regret 
de  les  avoir  employés  à  cette  œuvre,  si  nous  sommes  par- 
venu à  ox)nsacrer  la  mémoire  de  citoyens  dignes  de  Tad- 
miration  et  de  la  reconnaissance  de  la  postérité,  et  si  nous 
avons  tiré  des  actes  de  cette  génération  forte  et  libre 
d*utiles  leçons  et  diroposants  exemples  pour  les  hommes 
de  notre  âge. 

La  France,  du  temps  de  Henri  IV,  travailla,  opéra,  si 
Ton  peut  s'exprimer  ainsi,  sur  la  situation  que  les  derniers 
Valois  lui  avaient  léguée  :  de  plus,  dans  tout  ce  qu'elle  fit 
sous  le  premier  Bourbon,  il  y  a  solidarité  entre  elle  et  la 
moitié  des  nations  de  TEurope.  Ainsi  foncièrement,  essen- 
tiellement, Phistoire  du  règne  de  Henri  IV  est  presque 
autant  dans  la  période  qui  précède  que  dans  la  période 
comprise  entre  1589  et  1610;  presque  autant  en  Angle- 
terre, dans  les  Pays-Bas,  en  Suisse,  en  Allemagne,  en 
Italie,  en  Espagne  qu'en  France  même.  Il  est  donc  Impos- 
sible d'arriver  h  la  pleine  intelligence  des  faits  si  multi- 
pliés, si  divers,  et  plus  considérables  encxtre  que  nom- 
I.  a 


II  PRiPACK. 

breux,  accomplis  sous  ce  règne,  sans  se  rendre  compte, 
au  moins  d*uue  manière  générale,  de  l*état  de  l*Europe  et 
de  l'état  de  la  France,  pendant  la  plus  grande  partie  du 
XVI*  siècle,  et  avant  Tavénement  de  Henri  IV. 

Le  XVI*  siècle,  qui  offre  la  plus  éclatante  des  contradic- 
fions,  le  plus  étonnant  des  antagonismes  ;  qui,  si  on  Ten- 
visage  sous  un  certain  point  de  vue,  a  été  une  renais- 
sance en  tout  ;  qui  a  plus  servi  Tesprit  humain ,  plus 
favorisé  le  développement  des  institutions  |)olitiques  et 
religieuses  chez  quelques  nations  de  TOccident  que  les 
douze  siècles  précédents;  le  xvi*  siècle,  à  le  considérer  par 
d*autres  côtés,  et  même  dans  les  événements  les  plus  ap«- 
parents,  fit  reculer  la  liberté,  les  rapports  internationaux, 
le  droit  public,  la  morale,  la  vraie  religion,  les  destinées 
de  Thumanité. 

Ferdinand  le  Catholique,  Charles>Quint,  Philippe  il, 
furent  unis  dans  une  même  pensée,  et  suivirent  au  dedans 
et  au  dehors  une  même  politique.  En  laissant  aux  Espa- 
gnols le  vain  simulacre  d'assemblées  nationales,  ils  leur 
arrachèrent  toutes  leurs  libertés  effectives,  et  les  soumirent 
à  rinquisition  ;  terrible  institution,  destinée  à  établir  le 
despotisme  politique  autant  que  le  despotisme  religieux. 
Philippe  H  essaya  de  se  rendre  souverain  absolu  dans  les 
Payi-Uas  comme  11  Tétait  en  Espagne:  il  voulut  abroger 
routes  les  lois,  imposer  des  taxes  arbitraires,  instituer 
rinquisition,  et  versa  des  torrents  de  sang  pour  vaincre 
la  résistance  des  Flamands,  punissant  la  révolte  qu*ii  pro- 
voquait, et  se  transformant  en  bourreau  parce  qu*on  lui 
contestait  d*être  tyran. 

Terrtbfes  à  leurs  sujets,  les  rois  d*li;spagne  ne  furent  pas 
moins  redoutables  aux  étrangers.  Ils  ravirent  par  la  force 
leur  héritage  aux  souverains,  leur  indépendance  aux 
peuples  de  Naples,  de  la  Sicile,  de  la  Navarre  espagnole. 


VtdtTACtU'  III ' 

da  Mllattez^do  Portugal;  ils  assujettirent  TÂmérique  et  les 
iBdes.  Montesquieu  a  défini  le  droit  de  conquête  «  un 
«droit  mallieoreox  qui  laisse  toujours  it  payer  une  dette 
•  immense  pour s*aoquitter  envers  la  nature  bumaine^» 
Deux  exemples,  l'un  pour  TEurope,  l'autre  pour  TAmé- 
rique«  montrent  comment  les  souverains  de  l*Espi^ne 
payèrent  otite  dette.  £n  Portugal,  la  lictoire  oblenue, 
Philippe  11  enveloppa  dans  ses  proscriptions,  ses  confisca- 
tions, ses  supplices,  tous  ceux  qui  avaient  essayé  de  dé- 
fendre leur  patrie  contre  son  usurpation.  Le  nombre  des 
simples  citoyens,  des  officiers  civils  et  militaires,  était 
infini  ;  il  les  sacrifia  sans  pitié  comme  sans  remords  :  le 
meurtre  de  deux  mille  prêtres  et  religieux  lai  Inspira 
quelque  scrupule;  mais  il  arracba  uneabsolution  au  pape, 
et  dés  lors  il  fut  bien  tranquille.  En  Amérique,  son  père 
et  lui  tolérèrent  et  exploitèrent,  dans  rintérèt  de  leur  avi- 
dité, rextermination  de  douze  millions  dlndlvidus,  d'après 
les  calculs  de  Las  Cazas.  L'accroissement  de  territoire  et 
de  population  qu'ils  s'étaient  .donné  par  leurs  eonquêles; 
la  puissance  Impériale  que  Cbarles-Quint  y  avait  jointe; 
les  ricbesses  de  l'Amérique  et  des  Indes  portugaiaes  qu'ils 
s'étaient  assurées,  et  que  tous  les  pablicistesdu  temps  con- 
sidèrent comme  plus  redoutables  encore  que  leurs  armes, 
les  conduisirent  à  ces  projets  de  monarchie  universelle,  dont 
ils  désolèrent  tous  leurs  voisins,  en  même  temps  que  leurs 
propres  sujets.  Celles  des  principautés  italiennes  qu'ils  ne 
réduisirent  pas  en  provinces  espagnoles,  ne  se  sauvèrent 
de  riuvasion  que  par  une  obéissance  passive.  Venise, 
restée  la  plus  indépendante,  envoyait  quinze  vaisseaux  de 
renfort  aux  flottes  de  Philippe  pour  ses  entreprises  mari- 
times. Les  pr tndpatttés  allemandes  abattues  à  Muhlberg, 

relevées  à  Inspruck,  après  le  relâche  momentané  que  leur 

*  ïipcH  des  lois,  Uv.  X,  thé  4. 


It  PRÉPACB. 

doDoa  la  paix  d'Augsbourg,  eurent  à  craindre  de  nou-> 
veau  pour  leur  existence,  quand  Philippe  II  eut  engagé  la 
branche  allemande  de  la  maison  d*Âutrtche  dans  les  pians 
dlnvasion  générale,  et  persuadé  k  Tempereur  Rodolphe 
de  dépouiller  l'électeur  de  Cologne.  Philipiie  II  trama  une 
conspiration  en  Béarn  pour  se  saisir  de  la  personne  de 
Jeanne  d*Âlbret,  la  livrer  a  Tlnquisition,  la  faire  brûler 
comme  hérétique,  et  achever  ce  qu'avait  commencé  son 
aïeul,  en  s*emparant  de  la  Navarre  française  et  de  la  prin- 
cipauté de  Béarn.  L'Angleterre,  qui»  du  vivant  de  la  reine 
Marie,  sa  femme,  lui  avait  donné  ses  subsides  et  shs  ar- 
mées pour  combattre  la  France  à  Saint-Quentin,  ayant, 
sous  Elisabeth,  cessé  d'être  sa  tributaire  et  embrassé  la 
réforme ,  il  lança  contre  elle  la  formidable  Artnada  pont 
la  subjuguer.  Si  l'entreprise  eût  réussi,  les  Espagnols,  sui- 
vant le  serment  qu'ils  lui  avaient  prêté,  auraient  massa- 
cré tous  leshabitants  de  l'Angleterre,  sans  distinction  d'âge 
ni  de  sexe  au-dessus  de  sept  ans,  auraient  marqué  les  en- 
fants au  visage,  et  s'en  seraient  servis  comme  d'esclaves. 
Les  mémoires  trouvés  dans  les  galions  capturés,  les  dépo- 
sitions des  prisonniers  de  toute  condition,  prouvent  la 
vérité  du  fait,  et  la  cruauté  avec  laquelle  son  père  et 
lui  avaient  traité  les  Américains  et  les  habitants  des 
Pays-Bas  en  établit  la  vraisemblance.  L'entreprise  avait 
échoué,  mais  il  s'apprêtait  à  en  tirer  une  éclatante  re- 
vanche. Ainsi  que  l'Angleterre ,  la  France  était  destinée 
au  Joug.  Les  trois  invasions  qu'elle  avait  subies  du  temps 
de  François  I*'  et  de  Henri  H,  ayant  montré  que  la  force 
ouverte  ne  sufflsail  pas,  Philippe  H  y  avait  ajouté  les  ma- 
chinations, les  pratiques  sourdes,  et  sous  Henri  III,  il  bou- 
leversait notre  pays  par  ses  intrigues,  en  même  temps  qu'il 
le  menaçait  de  nouveau  de  ses  armes.  Il  soulevait  contre 
l'autorité  du  souverain  l'ambition  des  Guises,  les  mécon- 
tentements   politiques   et  les   craintes  religieuses    des 


peuples»  et  il  s*appr6taità  fondre  sur  le  royaume  avec  les 
armées  des  Pays-Bas,  du  liilaoez,  de  TEspagne,  jointes  aux 
troupes  d*uoe  coalition  dans  laquelle  il  entraînait  le  duc 
de  Savoie»  le  duc  de  Lorraine,  et  bientôt  après  le  Pape.  Il 
ne  dit  son  mot  que  plus  tard,  mais  il  le  dit»  quand  à  la  fin 
de  1589,  il  demanda  à  être  protecteur  de  la  France,  et  quand 
auxËtals  de  1593,  il  réclama  le  trône  de  France  pour  sa 
fllle. 

Si  rindépendance  de  tous  les  Ëtats  voisins  de  FEspagne 
était  détruite  ou  menacée;  si  les  rapports  internationaux 
et  le  droit  public  de  TEurope  tombaient  pièce  à  pièce  sous 
les  coups  que  leur  portaient  chaque  jour  les  rois  d*Es- 
pagne,  la  morale  publique  n*avait  pas  moins  à  souffrir  de 
leur  politique.  Les  crimes  entraient  comme  complément 
dans  leurs  moyens  d*action,  et  venaient  s*ajouter  aux  res- 
aoaroes  militaires  et  financières  employées  par  eux  pour 
subjuguer  TEurope.  Ferdinand  le  Catholique  répondait  à 
Louis  XII,  qui  se  plaignait  d*avoir  été  trompé  par  lui  dans 
une  circonstance,  qu*il  en  avait  menti,  parce  quMl  Favait 
trompé  plus  de  dix  fois.  Charles-Quint,  en  moins  de 
deux  années,  se  parjurait  it  Tégard  de  François  I*',  au 
sujet  du  Milanez,  et  faisait  assassiner  ses  ambassadeurs 
Frégose  et  Rincon.  Philippe  II  trempait  dans  tous  les  com- 
plots contre  la  vie  d*Élisabeth  et  de  Henri  IV,  alors  roi 
de  Navarre:  il  provoquait  Baltazar  Gérard  au  meurtre  du 
prince  d*Orange,  par  les  récompenses  promises  et  par 
les  Instigations  du  prince  de  Parme,  et  il  anoblissait  la 
lamille  du  meurtrier. 

Que  Ton  pèse  bien  ces  faits  divers,  et  Ton  verra  que 
TEurope  en  était  revenue  au  droit  de.  conquête  des  bar- 
bares dans  toute  sa  violence,  avec  un  degré  de  plus  dans  la 
perfidie  et  Tasçassinat,  avec  les  doctrines  de  Machiavel 
érigées  en  code  et  passées  dans  la  pratique. 

Ce  n*étaiettt  pas  seulement  le  droit  public,  Thumanitét 


VI  ^HiPAGlL 

la  morale,  qui  avaient  profondémetit  souffert:  le  principe 
religieux  avait  été  altéré  et  perverti  partout;  de  la  religion 
de  rÉvangile  on  avait  fait  une  religion  de  sang.  L'Espagne 
avait  eu  contre  les  Juifs,  contre  les  Morisques,  contre  les 
réformés»  le  saint-offlce  et  les  auto-da-^fé  ;  les  Pays-Bas, 
le  tribunal  de  sang  ;  la  France,  la  Saint*BarthéIemy,  puis 
redit  de  Nemours,  qui  enjoignait  aux  calvinistes  d'abjurer 
leur  religion  dans  six  mois  ou  de  sortir  du  royaume,  et  qui 
portail  peine  de  mort  contre  ceux  qui  tenteraient  d*y  ren- 
trer. Le  glaive  et  la  proscription,  partout  employés, 
avaient  frappé  le  catholicisme  de  coups  aussi  sensibles,  de 
blessures  aussi  dangereuses  que  le  protestantisme  lui-même. 
En  France,  d'après  le  témoignage  de  tous  les  hlstorieni,  la 
Sain^Barthélemy  avait  grossi  les  rangs  des  réformés  d'une 
foule  de  catholiques  appartenant  aux  classes  élevées,  qui 
avaient  abandonné  leur  religion  en  haine  des  excès  commis 
en  son  nom  ;  elle  avait  jeté  de  plus  une  autre  classe,  et 
une  classe  très  nombreuse,  dans  l'athéisme,  comme  nous 
rapprend  le  ministre  Villeroy,  aussi  zélé  catholique  qu*at- 
tentlf  observateur  des  mouvements  de  l'opinion  publique. 
Les  rois  d'Espagne,  pour  leurs  projets  de  despotisme 
intérieur  et  de  conquêtes  au  dehors,  avaient  emprunté  le 
bras  d'innombrables  soldats,  l'aide  d'armées  sans  cesse 
recrutées.  Les  rois  d'Espagne  et  les  rois  de  France,  pour  la 
persécution  religieuse,  avaient  trouvé  des  bourreaux,  et 
ceux  de  France  des  complices,  dans  la  moitié  du  peuple, 
une  partie  des  seigneurs,  les  parlements,  les  États-géné- 
raux. Lors  donc  qu'on  veut  aller  au  fond  des  choses,  re^ 
monter  aux  principes  de  ces  projets  sanguinaires,  de  ces 
actes  d'une  ambition  et  d'une  intolérance  qui  vont  jusqu'à 
la  démence,  on  découvre  des  causes  générales  fécondes  en 
désastreuses  conséquences.  Le  droit  du  plus  fort,  légué  par 
l'antiquité  aux  peuples  modernes,  entretenu  par  la  gros- 
sièreté du  moyen-Age,  n'était  pas  usé,  n'avait  pas  fait  son 


t^pt.  LHdée  ifiie  tonte  religion  autre  que  le  catholicisme 
était  aliominable  aux  yeux  de  Dieu  ;  que  tout  Adèle  était 
tenu,  sous  peiuede  risquer  son  salut,  dé  maintenir  de  tout 
son  pouToir  la  pureté  et  l'unité  de  la  foi  ;  que  la  fin  }U8ti* 
flant  les  moyens,  tout  moyen  était  bon  pour  détruire  les 
cultes  dissidents  :  cette  idée  dominait  encore  dans  la  ma- 
jorité d«B  classes  de  la  société  civile.  Condamnée  par  tout 
ce  que  TËglise  avait  d'éminent  et  d'éclairé,  elle  était  sou- 
tenue dans  presque  toutes  les  chaires  par  le  has  clergé,  qui 
ne  consultait  que  son  intérêt»  et  qui,  sentant  son  état  et  son 
existence  menacés  par  Tassautque  leur  livrait  la  Réforme, 
recourait  à  la  violence  pour  les  maintenir.  Elle  était 
exaltée  par  les  écrits,  dont  Fardeur  de  la  passion  multi- 
pliait le  nombre  et  variait  la  forme  à  Finllnl.  Elle  trouvait 
une  aide  puissante  dans  les  craintes  que  les  fureurs  de 
quelques  sectes  nées  de  la  Réforme  en  Allemagne  avalent 
inspirées;  dans  les  appréhensions  que  les  excès  des  calvi- 
nistes français  avaient  fait  naître.  En  voyant  ces  derniers 
commencer  une  guerre  acharnée  contre  ce  qu'ils  nom-' 
malent  TAntechrist,  les  populations  catholiques  avaient 
redouté  de  se  voir  arracher  la  foi  de  leurs  ancêtres.  G*est 
donc  dans  Tétat  de  Tesprit  public  que  l*on  trouve  Texpll- 
cation  de  tout  ce  qui  s'était  passé  en  Europe  Jusqu'aux 
dernières  années  du  xyi*  siècle,  la  cause  dominante  des 
maux  qui  pesaient  alors  sur  Thumanlté. 

Si  après  s*ètre  rendu  compte  de  la  situation  générale  de 
TEurope,  on  cherche  quelle  était  la  situation  particulière 
et  intérieure  de  la  France,  voici  ce  que  Ton  trouve  en  exa- 
minant successivement  Tétat  des  pouvoirs  publics  et  des 
partis  ;  Tétat  du  peuple  dans  son  agriculture,  son  com- 
merce, ses  finances  ;  Tétat  du  pays  dans  ses  rapports  avec 
rétranger. 

Sous  Henri  III,  la  royauté,  haie  pour  le  détestable  gou- 
vernement qu'elle  avait  donné  à  la  France,  méprisée  pour 


nn  PREFACE. 

sa  faiblesse,  dégradée  par  les  ?ioe$  honteux  du  prloce» 
n*était  plus  obéle  que  de  la  moindre  partie  de  la  nation, 
laquelle  avait  le  bon  sens  de  tout  préférer  à  la  guerre 
civile,  et  qui  se  composait  de  six  mille  noblessurhuit  mille, 
de  la  minorité  des  magistrats,  d'un  certain  nombre  de  villes, 
mais  la  plupart  secondaires,  enfin  de  quelques  portions  de 
la  population descaropagnes.  La  royauté neconservait  donc 
plus  que  des  débris  du  pouvoir  royal.  I..es  princes  lorrains 
8*étaientsaisls  d*une  part  de  la  souveraineté,  et  cherchaient 
à  s*en  approprier  le  reste»  projetant  d'usurper  la  couronne 
sur  le  dernier  des  Valois  et  sur  la  maison  de  Bourbon  tout 
ensemble.  Mais  ce  dessein,  qui  n'avait  que  de  médiocres 
chances  de  succès  contre  les  compétiteurs  nationaux,  et 
surtout  contre  le  compétiteur  étranger  Philippe  II,  même 
avec  le  duc  de  Guise,  dominant  et  entraînant  tout  dans  son 
parti,  n'en  conservait  plus  aucunes  avec  Mayenne  ;  et  les 
Guises  n'avaient  pris  de  la  prérogative  brisée  que  juste 
autant  de  parties  qu'il  était  nécessaire  pour  soutenir  la 
rébellion,  perpétuer  l'anarchie,  et  ajouter  prodigieusement 
aux  désastres  publics.  Le  traité  de  la  trêve,  conclu  au  mois 
d'avril  1589,  avait  bien  rapproché  Henri  de  Bourbon  de 
Henri  UI,  confondu  l'intérêt  des  deux  princes,  rendu  à  la 
couronne  une  force  qu'elle  n'avait  plus  depuis  longtemps. 
Mais  Henri  HI  avait  été  frappé  à  mort,  avantque  rien  de 
déiûslf  eût  été  fait  contre  la  révolte  et  pour  la  pacification 
de  l'État.  Henri  IV,  que  la  loi  fondamentale  appelait  k 
régner  après  lui,  était  de  toute  nécessité  un  souverain 
contesté  pour  longtemps.  En  efTetson  pouvoir  était  affaibli 
dans  son  essence  même,  comme  il  arrive  à  tout  change- 
ment de  dynastie  :  ses  ennemis  attaquaient  son  droit  de 
succession,  même  sous  le  rapport  civil  et  politique  ;  ils 
soulevaient  contre  lui  les  masses,  en  leur  inculquant  et  en 
passionnant  chez  elles  deux  idées  également  fausses  :  la 
première,  qu'un  hérétique  était  inca|>able  de  la  royauté; 


phAface*  it 

la  seconde,  qu*il  n*userait  de  son  aotorité  que  pour  dé- 
truire le  catholicisme.  Ainsi,  ni  la  légitimité,  ni  Tusurpa- 
tion  et  la  révolte  ne  pouvaient  donner  à  la  France  i*unité 
d'autorité  et  de  domination.  Le  pouvoir  souverain,  le  pou- 
voir  centrai  et  réglant,  divisé,  armé  contre  lui-même,  au 
lieu  de  fortifler  et  de  contenir  à  la  fois  les  autres  pouvoirs, 
de  maintenir  Tordre  et  la  paix  publics,  n'engendrait  que 
la  guerre  civile* 

Après  l&s  rois,  venaient  dans  Tordre  de  puissance,  les 
grands  seigneurs,  très  différents  du  corps  de  la  noblesse,  et 
les  parlements.  Mais  le  pays  n*avait  rien  à  attendre  d*eux, 
et  tout  à  redouter  pour  son  salut.  Les  grands  seigneurs, 
les  uns  investis  du  gouvernement  des  provinces,  les  autres 
détenteurs  de  domaines  immenses,  avaient  dès  le  temps  de 
Charles  IX  résolu  de  rétablir  l'ancienne  féodalité,  les  uns 
en  se  rendant  propriétaires  des  gouvernements  où  ils 
avaient  commandé  Jusqu'alors  comme  officiers  de  la  cou- 
ronne, les  autres  en  convertissant  leurs  grandes  terres  en 
principautés  semblables  aux  principautés  allemandes.  Déjà 
ils  avaient  pris  les  tailles,  Tautorité  absolue  sur  les  États 
provinciaux,  le  commandement  militaire.  Dans  les  quatre 
jours  qui  suivirent  la  mort  de  Henri  111,  Tun  des  grands 
seigneurs  se  faisait  céder  par  le  nouveau  roi  Henri  lY  le 
Périgord  en  toute  souveraineté;  un  second,  appartenant  au 
parti  catholique,  reconduisait  dans  sou  gouvernement 
d*Angoumoi$  et  deSaintonge  sept  mille  deux  cents  soldats 
qui  ne  connaissaient  d'autre  autorité  que  la  sienne;  un 
troisième,  celui-là  était  calviniste,  ramenait  dans  ses  do- 
maines de  Poitou  neuf  bataillons  de  réformés,  abandonnant 
le  roi  au  milieu  des  périls  qui  le  pressaient.  L*œuvre  de 
quatre  siècles,  Tunité  territoriale  et  Tunité  nationale, 
était  menacée  d'une  prochaine  destruction. 

Les  conseillers  du  Pariement  de  Paris  transféré  à  Tours, 
et  formant  le  plus  grand  nombre  de  beaucoup  d^  m^is* 


trats  de  cette  oovr,  étaient  restés  fidèles  aux  intérêts  de  It 
couronne.  Mais  la  minorité  de  ce  Parlement  demeurée  k 
Paris,  et  la  très  grande  majorité  dans  les  Parlements  de 
province,  étaient  hostiles  à  la  royauté.  Les  Guises  avaient 
peuplé  les  Cours  souveraines  de  leurs  créatures,  qui,  soit 
par  reconnaissance,  soit  par  Tespolr  d*un  grand  avance* 
ment,  favorisaient  leur  usurpation.  Les  Parlements,  réduits 
depuis  Charles  IX  à  n*ôtre  que  des  cours  de  Justice,  sMndi- 
gnaient  de  ce  quMIs  considéraient  comme  une  dégradation, 
et  avaient  ramhition  de  Joindre  le  pouvoir  politique  an 
pouvoir  judiciaire.  Enfin  la  magistrature,  qui,  dès  le  prin- 
cipe, avait  montré  une  intolérance  passionnée  contre  la 
Réforme,  voyait  succéder  k  Henri  III,  qu*elle  accusait  de 
mollesse  contre  Thérésie,  un  prince  hérétique.  Sous  Tin- 
fluence  de  ces  mobiles  divers,  les  Parlements  poussaient  à 
la  révolte  et  k  la  subversion  de  TÉtat. 

I^es  Ëtats-généraux,  qui  en  exigeant  de  Justes  réformes, 
mais  en  se  rangeant  du  côté  de  la  royauté,en  lui  apportant 
la  force  de  la  nation  quMis  représentaient,  auraient  mis  I 
ses  pieds  tous  ces  fanatiques  et  tout  ces  ambitieux,  dans 
leurs  deux  sessions  à  Blois,  en  1576  et  1588,  s*éUient  si- 
gnalés par  leur  esprit  de  faction,  par  leurs  attaques  contre 
le  trône,  et  avalent  porté  le  désordre  au  comble. 

De  quelque  côté  que  la  nation  se  tournât,  elle  ne  trou- 
vait donc  que  des  pouvoirs,  Tun  insuffisant,  tous  les  autres 
trahissant  leurs  devoirs  et  ses  besoins  ;  et  comme  après 
tout  c*étaient  les  pouvoirs,  et  les  pouvoirs  seuls,  soit  mo- 
narchique, soit  aristocratique,  soit  parlementaire,  soit 
représentatif,  qui  pouvaient  mettre  fin  aux  désordres  et 
aux  désastres  du  pays,  la  dégradation  de  ces  pouvoirs  était 
la  plus  profonde  des  plaies,  le  plus  grand  des  malheurs 
publics. 

Chacun  des  vices,  chacun  des  désordres  de  Tétat  poli- 
tlfue  et  religieux  de  la  France  avait  eu  son  oontre-ooup 


daD6  rétat  adninistraUf  et  la  situation  matérielle  du  pays* 
£o  1589,  après  vingt-sept  ans  de  troubles,  et  huit  guerres 
civiles  conduites  par  des  cliefs  tels  que  Montlue  et  le  baron 
des  Adrets,  faites  par  des  soldats  nationaux  qui  étaient 
des  brigands,  par  des  soldats  étrangers  qui  étaient  des 
cannibales»  le  terme  ne  paraîtra  que  juste  à  ceux  qui  liront 
les  détails  fournis  par  d'ÂubIgnésur  les  ArgouUts,  deux 
cent  cinquante  villages  avaient  été  dévorés  par  le  feu,  cent 
vingt-huitmille  maisons  avaient  été  détruites,  la  population 
avait  été  exterminée,  ragriculture  avait  péri  dans  plus  du 
tiers  des  campagnes.  Les  villes,  malgré  des  désastres  par» 
tiels,  avalent  moins  souffert  en  général  :  les  personnes  et 
les  biens  de  leurs  habitants  avaient  été  mieux  respectés. 
Mais  on  peut  imaginer  quel  était  Tétat  de  leur  industrie  et 
de  leur  commerce,  quand  on  voit  chez  les  contemporains 
que,  dans  presque  toutes  les  localités,  le  marchand  ne 
pouvait  faire  deux  lieues  sans  être  rançonné  par  les  péages 
que  les  tyrannies  locales  avaient  établis  sur  les  rivières,  et 
sans  s'exposer  à  être  dépouillé  sMl  voyageait  par  terre.  Les 
finances  avaient  suivi  la  progression  de  la  décadence  de 
ragriculture  et  du  commerce.  Â  la  fin  du  règne  de  Henri  III, 
la  dette  publique  était  montée  à  2A5. millions,  environ  un 
milliard  d'aujourd'hui,  sommç  prodigieuse  pour  le  temps 
et  écrasante  pour  le  gouvernement.  En  effet,  comme  les 
revenus  n'étalent  que  de  81  millions,  et  comme  l'intérêt  de 
la  rente  était  communément  de  huit  pour  cent,  il  en  résul- 
tait que  près  de  la  moitié  de  l'argent  levé  sur  le  peuple,  et 
destiné  à  défrayer  tous  les  services  publics,  était  absorbée 
par  les  arréragesde  la  dette.  Ce  n'était  là  ni  le  seul  ni  le  plus 
grand  mah  Les  finances  étaient  administrées  avec  tant  de 
désordre,  le  produit  des  impôts  si  fort  diminué  par  les 
concussions,  que  l'Épargne  ou  Trésor  public  n'en  perce-» 
vait  que  la  plus  foible  partie.  Il  résultait  de  là  qu'à  tout 
InHant  te  gouvernement  se  trouvait  dans  rimpossibliilé  de 


OUI  *PRiPAC£* 

faire  face  ii  ses  engagements  ou  aux  plus  indispensables 
dépenses.  En  1581,  il  avait  cessé  d*acquitter  les  rentes  sur 
Thôtel  de  ville  de  Paris,  et  fait  banqueroute  aux  créan- 
ciers de  TÉtat  :  en  1589»  il  ne  pouvait  plus  payer  les  armées 
nécessaires  k  sa  défense  et  au  maintien  de  la  paix  publi- 
que; les  Suisses  et  les  Allemands,  que  Henri  111  conduisait 
contre  la  Ligue  et  contre  Paris  révolté,  étalent  soldés  en 
partiedes  deniers  particuliers  deSancy,en  partie  au  moyen 
des  expédients  qu*il  avait  imaginés  pour  les  satisfaire. 

Cette  misère  de  notre  état  intérieur  nous  créait  de  for- 
midables dangers  au  dehors  :  Philippe  11  projetait  et  pré- 
parait notre  asservissement.  Les  Guises,  qui  se  faisaient 
aider  par  lui  dans  leur  tentative  d*usurpation,  pouvaient 
bien  se  flatter  que  pour  loyer  de  son  assistance,  pour  prix 
des  secours  qu*il  leur  fournissait,  il  se  contenterait  d*un 
certain  nombre  de  places  frontières  démembrées  du 
royaume,  de  Marseille,  de  Bordeaux,  de  Boulogne-sur-Mer, 
qu*ils  tentaient  de  lui  livrer  dès  1585;  de  quelques  pro- 
vinces contiguës  à  ses  États  ;  ils  pouvaient  se  repaître  de 
Tespoir  que  le  gros  du  territoire,  le  corps  de  la  monarchie 
leur  resterait.  Mais  Philippe  ^  riait  de  leur  dessein,  et 
s*apprétait  à  le  ruiner.  Son  plan  était  de  nourrir  la  révolte, 
d*alimenter  la  guerre  civilct  en  soutenant  les  Guises  et  la 
Ligue  contre  Henri  IH  et  son  successeur  Henri  de  Bour- 
bon ;  d'ajouter  ainsi  à  i*aiïaiblissement  de  la  France,  et 
quand  elle  serait  arrivée  au  dernier  degré  d'épuisement, 
de  la  serrer  et  de  Tétouffer  avec  ses  armées,  parties  à  la 
fois  de  l'Espagne,  de  l'Italie,  des  Pays-Bas. 

Quand  on  s*est  rendu  un  compte  exact  de  ces  faits  divers, 
les  uns  communs  à  la  moitié  de  TEurope  en  même  temps 
qu*k  la  France,  les  autres  particuliers  à  la  France,  on  peut 
définir  la  tâche  que  la  Providence  donnait  à  accomplir  à 
Henri  IV  :  tirer  le  royaume  de  Tanarchie  et  de  la  guerre 


civile,  le  sauver  à  la  fois  du  démembrement  intérieur  et 
du  Joug  étranger  ;  régénérer  dans  toutes  ses  parties  son 
gouvernement  et  son  administration  et  les  perfectionner  ; 
prêter  Tappul  de  la  France  ainsi  transformée  à  tous  les 
Ëtats  qui  n*étaient  pas  devenus  espagnols  et  autrichiens^ 
garantir  leur  Indépendance»  asseoir  sur  une  base  nouvelle 
et  solide  le  droit  public»  la  morale,  la  vraie  religion,  tous 
les  principes  de  la  civilisation  et  du  progrès.  L'immensité 
et  la  difficulté  du  travail  frappèrent  les  bommes  du  temps. 
«  Quand  Je  me  remets  devant  les  yeux,  dit  Pasquier,  tout 
•  ce  qui  s*est  passé  par  la  France,  depuis  le  mois  de  mars 
»  1585,  Je  ne  pense  pas  qu'entre  les  histoires,  tant  an-* 
»  clennes  que  modernes,  il  y  en  ait  jamais  eu  une  plus  pro- 
»  digieuse  que  celle-ci  >.  »  Un  homme  hors  de  pair,  par  la 
variété  des  talents  comme  par  la  force  de  la  volonté,  était 
seul  capable  de  conduire  à  fin  une  pareille  œuvre.  Notre 
but  est  de  présenter  dans  ce  livre  Tensemble  exact  des 
travaux  de  Henri  dans  la  guerre  et  dans  la  paix,  et  de 
retracer  en  outre  Tétat  de  la  société  et  de  Tesprit  humain 
en  France  sous  un  semblable  chef. 

Après  avoir  fait  connaître  le  fond  et  la  matière  de  l'ou- 
vrage, nous  en  indiquerons  les  grandes  divisions,  tracées 
d'avance  par  la  succession  des  efforts  que  fit  Henri  IV  pour 
la  pacification  et  la  grandeur  de  notre  pays,  intimement 
unies  aux  intérêts  généraux  de  l'Europe.  Son  règne  se- 
divise  en  trois  périodes,  qui  chacune  ont  leur  caractère 
particulier  et  leur  physionomie  différente:  la  période  où 
il  combat  l'ennemi  intérieur  et  extérieur;  celle  où  il  réforme 
rËtatetla  société;  celle  enfin  où  il  revient  à  la  guerre 
étrangère,  entreprise  sur  un  plan  immense,  pour  conjurer 
les  dangers  dont  la  France,  et  toutes  les  nations  restées. 
indépendantes  de  la  maison  d'Autriche,  sont  menacées^ 
non  plus  dans  le  présent,  mais  dans  l'avenir» 

^  Pau|nier,Lflttr»»UT.  \vi,  1ettre.7^t-n»  p.  466, 


IIT  VHÈÉàCÈ, 

Nous  YcnoM  et  donner  1-ar^ment  et  le  plan  de  cette' 
histoire,  nous  allons  exposer  maintenant  comment  nousr 
avons  traité  notre  sujet,  et  quelle  méthode  historique 
nous  avons  suivie.L'taistoire,  pour  être  vraie,  doit  être  non-« 
seulement  critique,  mais  raisonnée.  Elle  doit  s'appuyer  sur 
des  autorités  incontestables,  sur  des  originaux  qui  n'aient 
pas  dénaturé  les  faits  par  llgnorance,  le  mensonge,  la 
passion  aveugle  ;  de  telle  sorte  qu'elle  ne  soit  pas  viciée 
dans  les  éléments  même  dont  elle  se  compose.  Elle  doit  en 
outre  reposer  sur  des  principes  fermement  établis.  Elledoie 
enttn  se  garder  coutre  l'esprit  de  parti  et  contre  Tesprit 
de  aystème,  contre  la  tentation  de  renouveler  les  sujets  par 
le  paradoxe»  aux  époques  vieillies  et  dans  les  sociétés  Ma-* 
sées,  qui  demandent  du  nouveau,  n'en  fût-il  plus  au  monde . 
Dès  le  tempe  de  Tn^^n,  un  rhéteur  composait  un  discours 
ou  traité  pour  prouver  que  Troie  n'avait  pas  été  prise  par 
les  Grecs.  Le  procédé  est  bien  vieux,  comme  on  le  voit, 
mais  il  n'a  pas  cessé  d*ètre  employé,  et  si  Ton  remonte  à 
quelques  années,  on  trouvera  que  Tbistoire  nationale,  et 
particulièrement  celle  de  Tépoque  qui  nous  occupe,  n'a 
guère  moius  été  altérée  dans  certains  ouvrages. 

Pour  échapper  au  danger  de  produire  des  faits  d'une 
certitude  douteuse,  de  présenter  les  faits  sous  un  jour  faux, 
de  mal  juger  les  hommes  et  les  partis,  voici  quelles  règles 
nous  avons  suivies.  D'abord  nous  n'avons  accepté  de  té- 
moignages que  ceux  de  contemporains  qui  commandent  la 
conviction,  toutk  la  fois  parleur  position,  leurs  lumières, 
leur  probité;  et  sur  tout  événement  de  quelque  importance, 
nous  ne  nous  sommes  pas  arrêté  à  un  seul  témoignage, 
nous  avons  entendu  et  pesé  plusieurs  témoignages,  rendus 
par  tes  écrivains  de  sentiments  et  de  partis  entièrement 
opposés.  Par  exemple,  nous  n'avons  ni  composé  l'histoire 
de  la  Ligue,  ni  jugé  la  Ligue  sur  les  seules  dépositkms  àm 
politique  Lestoik,  du  royaliste  de  Thou,  si  gnvis,  si  Modéré 


que  soit  de  Thon  k  regard  des  divers  partis,  înais  snrlenrs 
assertions  confrontées  avec  celles  de  Villeroy  et  de  Mariliac, 
alors  ligueurs,  et  d'après  les  actes  publies  encore  subsis^ 
lants  aujourd'hui,  que  nous  produisons.  Sur  les  diverse^ 
fractions,  les  diverses  nuances  du  parti  royal,  Politiques, 
Noblesse,  Grands  seigneurs,  qu'il  faut  bien  se  garder  de 
confondre  avec  le  corps  de  la  noblesse,  Tiers-parti  enfin, 
nous  ne  nous  en  sommes  pas  rapporté  uniquement  I 
ceux  qui  ont  vécu  parmi  eux,  au  roi  Henri  IV  dans  ses 
lettres  et  ses  discours,  à  d'Angouiéme,  Groulart,  Sancy, 
Suliy,  dans  leurs  mémoires;  nous  avons  recouru  de  plus 
aux  histoires,  aux  mémoires,  aux  pamphlets  même  du  parti 
adverse.  Nous  n'avons  pas  chensfaé  la  vérité  sur  les  projets 
H  les  pians  des  Réformés,  sur  leur  ligne  de  conduite 
depuis  iô9à«  en  consultant  uniquement  les  récits  du  catho- 
lique impartial  de  Thoo,  mais  en  les  comparant  à  ceux 
de  trois  calvinistes,  de  M"*  du  Plessis-Mornay,  de  d'Au* 
bigné,  de  Sully.  Après  avoir  recueilli  sur  les  hommes  et 
sur  les  partis  les  témoignages  ou  divers  ou  contraires  des 
contemporains,  nous  avons  recherché  quel  a  été  sur  eux  le 
gentiment  des  écrivains  des  siècles  suivants,  les  plus  remar- 
quables soitparlenrsavoiret  la  rectitude  de  leur  jugement, 
soit  f>ar  la  supériorité  de  leur  génie;  et  dans  plus  d'un 
point  d'une  haute  importance,  nous  avons  pu  appuyer  les 
idées  et  les  jugements  auxquels  nous  nous  sommes  arrêté 
de  l'opinion  de  fiossuet  et  de  Voltaire. 

En  second  lieu,  nous  avons  apprécié  les  actes  des  hommes 
el  des  partis,  non  d'après  des  principes  arbitraires,  mais, 
selon  les  siûets,  d'après  le  droit  public  laïque  de  la  France; 
d'après  son  droit  public  ecclésiastique,  constant,  continué 
pendant  une  suite  de  siècles,  resté  pur  de  l'invasion  et  de 
la  violeace  des  partis  -,  d'après  les  lois  éternelles  de  la 
aectile  el  de  l'honneur,  et  d'après  les  préceptes  de  l'Évan- 
gile ei  des  Pèrea  de  l'ÊgHse;  enta  undeurs  d'après  les 


grands  Intérêts  nationaux  dairemenl  établis.  Dès  le  début 
de  notre  livre,  nous  avons  employé  cette  méthode  d*exposé 
et  de  discussion  des  doctrines,  seul  moyen  donné  à  Thistoire 
de  ne  pas  soutenir  indifféremment  le  pour  et  le  contre,  le 
vrai  et  le  faux  ;  méthode  qui  est  celle  du  grand  historien 
Polybe,  seulement  appliquée  par  lui  à  d*autres  sujets  et  à 
d*autres  matières.  Notre  soin  s*est  borné,  au  point  de  vue 
de  Tari,  it  placer  ces  expositions  dogmatiques  dans  tel  lieu, 
et  à  les  restreindre  dans  telle  mesure,  qu'elles  ne  vinssent 
pas  embarrasser  le  récit  des  faits,  et  en  alanguir  l'intérêt. 
Nous  n'avons  pas  perdu  de  vue  qu'une  histoire  n'est  pas 
une  dissertation;  mais  nous  avons  voulu  qu'elle  ne  tint 
rien  de  la  fantaisie  en  fait  de  doctrines,  comme  rien  du 
roman  en  fait  d'exposé.  En  employant  les  deux  procédés 
dont  nous  venons  de  parler,  nous  avons  essayé  de  lui 
donner,  ou  peu  s'en  faut,  le  caractère  d'une  science  exacte 
et  la  rigueur  mathématique. 

Nous  allons  signaler  maintenant  quelques-uns  des  sujets 
sur  lesquels  notre  travail  a  dû  porter  spécialement  dans 
chacune  des  trois  périodes  dont  se  compose  le  règne  de 
Henri  IV,  et  indiquer  d'une  manière  générale  le  caractère  par 
lequel  chacune  d'elles  se  distingue  et  se  détache  des  autres. 

Pendant  le  temps  de  la  lutte  contre  la  Ligue  et  contre 
Philippe  II,  la  France  est  divisée  en  huit  partis  ayant 
chacun  leur  passion,  leur  intérêt,  leur  ligue  de  conduite. 
L'histoire  de  ces  partis  était  presque  entièrement  à  faire. 
La  plupart  d'entre  eux  n'étaient  même  pas  nommés  dans 
les  histoires  modernes  de  ce  règne;  sur  les  autres,  on 
ne  trouvait  que  des  renseignements  d'une  exactitude  in- 
sufBsante.  On  va  en  juger  par  deux  exemples,  tirés  de  deux 
ouvrages  d'érudition  assez  récemment  publiés.  On  Ht  dans 
l'un  que,  sous  le  règne  de  Henri  IV»  le  parti  des  Politiques 
et  le  Tiers-fMrti  ne  firent  qu'un  ;  que  ce  fut  une  même 
chose  sous  deux   noms  différents.  H  y  a  Ik  erreur  : 


PKtFkCM.  XVIt 

en  ce  temps,  le  parti  des  Politiques  fut  le  plus  ferme  sou- 
tien, et  le  Tier»-parti  Tun  des  plus  dangereux  ennemis  de 
Henri  :  c'est  ce  qui  est  établi  par  toute  Thistoire  contem- 
poraine, et  par  le  plus  grand  procès  de  Tépoque.  On  trouve 
dans  Tautre  ouvrage  que  les  Sermoneux,  partisans  du  roi» 
firent  des  assemblées  pour  demander  la  paix.  Il  n*y  a  jamais 
eu  de  Sermoneux  ;  mais  bien  des  Semonneus^  ainsi  ap- 
pelés parce  qu'ils  voulaient  semondre  ou  sommer  le  roi 
d'abjurer.  G'està  tort  qu'on  lesqualifiede  partisans  du  roi, 
si  Ton  s'en  lient  à  la  véritable  signification  de  ce  terme;  ils 
appartenaient  à  la  Ligue  française  :  la  Ligue  française  ne 
consentit  Jamais  à  recpnnaitre  le  roi  que  sous  la  condition 
qu'il  se  fît  catholique,  et  tant  qu'il  ne  le  fut  pas,  elle  le 
combattit.  L'histoire  de  ces  partis  a  donc  été  jusqu'à  pré- 
sent mal  connue  :  cependant  elle  est  d'une  importance 
évidente.  D'une  part,  elle  renferme  la  vive  peinture  des 
mœurs  et  de  l'esprit  du  temps  dans  les  diverses  classes  de 
citoyens;  d'une  autre,  elle  contient  tout  le  secret  des  révo- 
lutions de  ce  temps.  La  guerreet  les  négociations  n'agissent 
en  effet  que  d'une  manière  secondaire  su  ries  événements 
politiques  ;  ce  sont  les  déterminations  des  partis  qui  en 
décident  souverainement.  Soutenu  par  deux  partis  qui  se 
prononcèrent  généreusement  pour  lui  dès  son  avènement, 
par  le  corps  de  la  Noblesse  presque  entier,  et  par  les  Poli- 
tiques, Henri  IV  parvint  k  se  faire  reconnaître,  à  établir  sa 
royauté;  et  c'était  un  point  capital»  parce  qu'il  était  seul 
capable  de  sauver  et  de  régénérer  la  France,  parce  que  dans 
les  circonstances  données  il  était  l'homme  indispensable, 
liais  là  s'arrêtèrent  les  résultatset  les  succès  des  premières 
années  de  son  règne.  11  essaya  d'abattre  la  révolte  de  la 
Ligue,  et  de  repousser  les  attaques  de  Philippe  II,  avec  les 
seules  forces  nationales,  et  malgré  les  glorieuses  journées 
d'Arqués  et  d'Ivry,  il  échoua.  H  opposa  ensuite  à  son 

double  ennemi  les  forcesnationales  et  les  forces  étrangères 
I.  h 


I 


combinées  ensemble,  et  il  échoua.  Il  était  h  peine  maître 
de  la  moitié  du  royaume,  et  n'était  venu  à  bout  de  rien  :  la 
lutte  à  main  armée  n*avalt  conjuré  aucun  danger,  parce 
qu*aTec  les  ressources  dont  il  disposait,  il  n*était  donné 
à  personne  de  surmonter  les  ennemis  qu'il  avait  à  com- 
battre. A  la  fln  de  i59i  et  en -1595,  Tinvasion  étrangère 
avait  fait  de  tels  progrès,  l'anarchie  et  la  dissolution  inté- 
rieure avaient  pris  de  si   formidables  développements, 
qii*!aa  Jugement  des  hommes  d'Ëtat  de  tous  les  partis,  de 
Homay  et  de  Rohan,  comme  de  Villeroy,  la  France  tou- 
chait à  Tune  de  ces  catastrophes  qui,  outre  tant  d'autres 
peuples,  ont  aux  deux  limites  extrêmes  des  temps  anciens 
et  des  temps  modernes,  effacé  l'Empire  romain  et  la  Po- 
logne du  nombre  des  nations.  Henri  IV  ne  tira  le  royaume 
de  cet  effroyable  danger  que  par  le  désarmement  des  partis, 
acheté  par  de  si  durs  sacrifices,  mais  opéré,  entre  1593  et 
1598.  Ce  sont,  d'abord,  et  la  concession  indispensable  de 
son  abjuration  faite  à  la  majorité  catholique  de  la  France, 
et  les  traités  consentis  avec  tous  les  chefs  de  la  Ligue,  qui, 
en  le  débarrassant  de  la  moitié  de  ses  ennemis,  lui  permi- 
rent de  combattre  victorieusement  le  Tiers-parti,  et  les 
Grands  seigneurs  s'efforçant  de  ressusciter  la  féodalité; 
e*est,  plus  tard,  l'édit  de  Nantes,  lequel,  en  ce  qui  concer- 
nait l'état  politique  des  Calvinistes,  était  un  véritable  traité 
avec  eux.  Ces  transactions  amenèrent,  à  leur  tour,  le  traité 
de  Tervins,  et  mirent  fin  aux  attaques  de  l'étranger  contre 
notre  indépendance  et  contre  l'intégrité  de  notre  territoire. 
Tout  cela  se  tient,  s'enchatne,  se  déduit  l'un  de  l'autre. 

Notre  premier  soin  a  donc  été  de  composer  une  histoire 
complète  des  partis,  depuis  l'avènement  de  Henri  IV  Jus- 
qu'à rentière  pacification  du  royaume.  Nous  avons  soumis 
à  utt  attentif  examen  leurs  actes  principaux,  la  déclaration 
en  roi  et  des  seigneurs  signée  an  camp  de  Saint-Cloud,  le 
à  aodt  1589;  les  arrêts  des  divers  parlements  rendus  cette 


PREFACE.  kit 

année  et  Tannée  suivante,  en  vertu  de  pouvoirs  nouveaux 
dont  les  circonstances  avaient  investi  ces  corps;  la  décla- 
ration du  clergé  de  France,  assemblé  à  Chartres  en  1591  ; 
la  déclaration  de  Mayenne,  du  24  décembre  1592,  et  celle 
du  roi  du  29  Janvier  1593  ;  les  actes  de  la  conférence  de 
Suresne,  et  la  discussion,  soutenue  avec  tant  d*éc1at  et  tant 
d*effet  dans  son  sein  ;  les  délibérations  des  Ëtats-généraux 
de  la  Ligue  ;  leur  vote  fameux  du  20  juin  ;  la  mention  des 
sommes  qu*ils  reçurent  de  mois  en  mois,  tirée  du  registre 
du  tiers-état,  et  formant  preuve  contre  de  récentes  alléga- 
tions qni  peuvent  étonner  ;  enfin,  Tarrèt  du  parlement  de 
Paris,  du  35  Juin  1593,  dont  le  prélude  et  Texplication  se 
trouvent  dans  Tarrêt  de  cette  même  cour,  en  date  du 
22  décembre  précédent.  Mous  avons  présenté  une  analyse 
nouvelle  et  complète  de  ces  pièces  importantes,  qui  con- 
tiennent la  pensée  môme  et  le  mobile  des  partis  ;  nous 
nous  sommes  attaché  à  en  saisir  le  véritable  sens  et  à  en 
donner  la  pleine  intelligence. 

Les  caractères  des  particuliers  durantcette  période»  la  con- 
duite et  la  moralité  des  partis,  Tétat  de  Topinion  publique, 
les  doctrines  politiques  et  religieuses  soutenues  de  part  et 
d'autre,  ont  été  pour  nous  Tobjet  d'autres  éludes,  et  nous 
avons  donné  une  particulière  attention  à  ce  qui  concernait 
la  Noblesse,  le  parti  des  Politiques,  TÉglise  de  France. 
Profondément  distincts  des  grands  seigneurs,  avec  lesquels 
ils  n'ont  de  commun  que  la  naissance,  les  nobles  et  les 
petits  seigneurs,  que  les  contemporains  nomment  les  gen- 
tilshommes depuis  deux  mille  livres  de  rente  jusqu'à  dix 
et  douze  mille,  vivent  dans  leurs  terres,  et  n*en  sortent 
qae  pour  accomplir  un  devoir  envers  le  souverain  et  en- 
vers le  pays,  pour  payer  une  dette  à  Thonneur  de  leur 
nom,  au  péril  de  leur  vie  et  aux  dépens  de  leur  fortune. 
La  presque  totalité  d*entre  eux  n*a  en  vue  ni  les  gouver- 
nemenisde  provinces,  ni  les  gouvernements  de  villes,  ni 


XX  PRÉFACe. 

même  les  grades  militaires,  puisquMIs  viennent  prendre 
rang,  comme  simples  soldats,  dans  la  cavalerie.  Cette 
cavalerie  n'a  pas  d'action  souveraine  sur  les  événements 
pour  deux  raisons  :  d'une  part,  Tinfanterie  a  déjà  repris 
sa  grande  importance  dans  les  armées;  d'une  autre,  le 
duc  de  Parme  et  le  prince  d'Orange  ont  fait  delà  guerre 
une  guerre  savante,  où  les  opérations  s'enchaînent  et  se 
prolongent,  et  les  gentilshommes  servant  à  leurs  frais,  ce 
service  gratuit  est  de  toute  nécessité  irrégulier  et  court. 
La  noblesse  ne  peut  donc  rien  décider  ni  contre  les  fac- 

m 

tions  intérieures,  ni  contre  l'étranger.  Mais  elle  parait  à 
tous  les  champs  de  bataille  et  à  tous  les  sièges,  depuis 
ArquesetIvry,où  elle  est  de  moitié  dans  les  défaites  des 
armées  de  la  Ligue,  jusqu'à  Fontaine-Française  et  à  l'at- 
taque des  lignes  d'Amiens,  où  elle  repousse  presque  seule 
l'Espagnol  du  territoire.  File  ne  peut  faire  triompher  la 
royauté,  mais  elle  la  soutient  et  la  perpétue;  et  sans  l'au- 
torité royale,  il  n'y  a  actuellement  pour  le  pays  qu'anar- 
chie ou  domination  étrangère  :  elle  ne  peut  élever  le  trône 
sur  les  débris  des  factions  et  de  la  puissance  de  Phi- 
lippe II,  mais  elle  y  place  une  dynastie  qui  doit  donnera 
la  France  Henri  IV  et  Louis  XIV,  avec  Richelieu  pour  in- 
termédiaire. Nous  avons  dressé ,  et  placé  parmi  les  Docu- 
ments historiques,  la  liste  de  ceux  qui  ont  pris  une  part 
active  aux  événements  militaires  de  cette  héroïque  époque. 
C'est  le  registre  d'honneur,  et  en  quelque  sorte  le  livre 
d'or  de  la  France  :  on  y  trouvera  inscrits  les  noms  de  tous 
ceux  qui  ont  bien  mérité  de  la  patrie  ;  tous  les  dévoue- 
ments y  reçoivent  leur  consécration 

Dans  une  solennelle  circonstance,  à  l'ouverture  de  l'as- 
semblée des  Notables  réunis  à  Rouen,  Henri  IV,  rappelant 
les  moyens  que  la  Providence  lui  avait  donnés  de  sauver  le 
pays  de  la  perte,  signalait,  outre  l'épée  de  sa  brave  et  gé- 
néreuse noblesse,  «  les  prières  et  les  bons  conseils  de  ses 


PRàFAC£.  XXI 

1*  serviteurs,  qui  ne  faisoient  profession  des  armes.  »  Ces 
serviteurs  étrangers  à  la  profession  des  armes,  étaient  dans 
Tordre  laïque  les  Politiques;  dans  Tordre  ecclésiastique, 
les  prélats  du  Clergé  gallican  restés  fidèles  k  ses  anciennes 
doctrines.  Bien  que  les  gentilshommes  suivant  le  drapeau 
de  Henri  fussent  des  politiques,  on  a  particulièrement 
affecté  cette  dénomination  aux  magistrats  et  aux  bour- 
geois prononcés  pour  le   roi  dans  les  villes  royales,  et 
même  dans  quelqu&s  villes  soumises  à  la  Ligue.  Les  magis- 
trats politiques  sont  les  deux  cents  membres  du  parlement, 
et  des  autres  cours  souveraines,  transférés  à  Tours,  qui 
ont  pour  représentants  Achille  de  Harlay,  La  Guesle, 
d*Espeisses,  Servin,  de  Thon,  Pasqiiicr,  Fauchet.  Ce  sont 
dans  les  provinces  les  présidents  et  conseillers  qui  sou- 
tiennent l'autorité  du  roi  contre  les  parlements  ligueurs  : 
entre  eux,  on  distingue  le  grand   citoyen   Groulart, 
premier  président  du   parlement  de  Rouen ,  transféré 
âi  Caen  K  Ce  sont,  enfin,  dans  le  parlement  demeuré 
à  Paris,  Edouard  Mole,  du  Vair,  Lemaistre;  et  dans  la 
bourgeoisie,  d*Aubray,   Langlois,   L*huillier,  les  avocats 
Antoine  Aniauld  et  Dolé,  Lestoile,  les  deux  Pitbou,  les 
auteurs  de  la  Ménippée.  l^e  parti  des  Politiques  se  com- 
pose donc  de  ce  que  la  France  a  de  plus  vertueux,  de 
plus  savant,  de  plus  éloquent,  de  plus  spirituel  tout  en- 
semble, et  la  supériorité  des  hommes  doit  se  retrouver 
nécessairement  dans  leurs  principes  et  dans  leurs  actes. 
Kn  politique,  ils  demandent  le  concours  dans  les  affaires 
publiques  des  assemblées  nationales  et  des  grands  corps 
de  TÉtat,  purgés  de  Tesprit  de  sédition  ;  ils  professent  le 
respect  des  lois  fondamentales  qui  séparent  la  monarchie 
du  despotisme,  Tusage  modéré  de  la  prérogative,  la  bonne 
administration,  tout  ce  qui  fait  la  juste  liberté  et  le  bon- 

*  U  e«i  iléMi^nr  itaiis  b  corres^ioiiUatioe  i\^  Henri  IV  suiis  le  uum 
de  De  U  Ciiurt,  seigneurie  ipit  lui  ipparteiuiit. 


XXII  PftiFACB. 

heur  du  peuple.  Mais  ils  veulent  en  même  temps  une 
royauté,  une  première  magistrature  du  pays  qui  soit  forte, 
une  royauté  légitime,  une  succession  légitime  et  établie 
d'après  des  lois  invariables,  comme  iudispensablemeni 
nécessaires  pour  dominer  et  mater  les  factions,  tenir  les 
ambitions  en  bride,  déjouer  les  usurpations.  Leurs  prin- 
cipes  en  religion  sont  la  liberté  de  conscience  et  de  culte, 
qui  laisse  Dieu  seul  Juge  des  croyances,  et  qui  seule  peut 
faire  vivre  en  concitoyens,  faire  concourir  à  la  prospérité 
publique,  des  hommes  acharnés  depuis  un  tiers  de  siècle  à 
leur  commune  ruine  et  à  celle  de  la  France  ;  la  séparation 
des  deux  puissances  et  Tentière  indépendance  de  la  puis- 
sance temporelle  à  Tégard  de  la  puissance  spirituelle  en 
général,  en    particulier  à  Tégard  de  la  puissance  du 
l^pe,  souverain  étranger;  les  droits  du  prince  à  la  souve- 
raineté mis  complètement  en  dehors  de  sa  croyance  ;  la 
défense  des  lois  et  des  préroigatives  du  royaume  dans  ses 
rapports  avec  la  cour  de  Rome,  et  le  maintien  des  libertés 
et  privilèges  de  TÉglise  gallicane,  considérés  comme  notre 
palladium  ;  Tobligation  enfin  imposée  k  tous  les  pouvoirs 
et  il  tous   les  corps  de  TËtat  «  de  se  précautionner»  à 
>»  Texempie  de  leurs  généreux  ancêtres,  contre  les  entre- 
»  prises  et  les  usurpations  des  étrangers;  »  et  de  les  empê- 
cher de  s'immiscer  dans  les  affaires  intérieures  et  politiques 
de  la  France. 

Tout  cela  est  extrait  textuellement  des  écrits  des  Poli- 
tiques, et  leur  conduite  répond  aux  maximes  qu'ils  profes- 
sent. Catholiques  sincères,  mais  libres  de  préjugés  et  guidés 
par  une  raison  ferme,  lors  du  grand  débat  qui,  en  1585» 
après  la  mort  du  duc  d'Âlençon,  s'est  agité  devantia  France 
entière  sur  l'éventualité  de  la  succession  de  Henri  III,  ils 
se  sont  convaincus  par  la  discussion,  et  par  des  précédents 
de  neuf  années  en  Navarre  et  en  Béarn»  que  Henri  de 
Bourbon  ne  prétend  qu*à  garder  sa  religion;  qu*il  n'a  jamais 


PRiFAGI.  XXUl 

pensé  et  qa*U  ne  peut  songer  à  détruire  le  catholicisme» 
par  la  raison  quMi  n*est  ni  persécuteur*  ni  insensé  etdi»- 

• 

posé  k  tenter  l'impossible.  Dès  ce  moment,  ils  ont  résolu  de 
lui  appliquer  le  bénéfice  de  notre  droit  public,  et  de  ra|H 
peler  à  la  couronne  après  Henri  III.  Ils  ont  des  protesta- 
tions afficiiées  à  Rome  contre  la  bulle  de  Sixte-Quint,  qui 
prive  le  roi  de  Navarre  de  ses  principautés  héréditaires  et 
de  la  succession  au  trône  de  France  ^  Ils  ont  des  protes- 
tations contre  l'usurpation  du  duc  de  Guise,  adressées  au 
duc  lui-même  et  jetées  à  sa  face.  Après  Tassassinat  de 
Henri  III,  ils  portent  Henri  IV  au  trône;  ils  le  font  recon- 
naître dans  toutes  les  villes  où  ils  sont  maîtres,  au  sein  de 
tous  les  corps  où  ils  ont  autorité,  d*uu  commun  consente- 
ment, d*un  commun  effort,  et  ils  s'indignent  de  trouver  «  des 
»  âmes  assez  foibles  pour  ne  pouvoir  gouster  l'obéissance 
»  qui  est  due  à  son  prince,  de  quelque  religion  qu'il  fasse 
9  profession.  •  Us  bravent  pour  lui  la  Conciergerie,  la 
Bastille,  le  pillage  de  leurs  maisons,  l'exil,  les  chances  de 
la  proscription,  si  son  parti  succombe.  Us  le  soutiennent 
de  leurs  arrêts,  de  leurs  déclarations,  de  leurs  discours,  de 
leurs  écrits,  depuis  son  avènement  jusqu'à  son  absolution* 
jusqu'au  moment  où  la  Ligue  et  la  cour  de  Rome  ont  cessé 
de  mettre  son  autorité  en  péril.  ▲  aucune  époque  peui^rt 
de  notre  histoire,  le  courage  civU  ne  s'est  sigaalé  par  des 
actes  aussi  dévoués  et  ayant  une  semblable  portée.  C'est  la 
gloire  étemelle  de  la  magistrature  et  d'une  partie  de  la 
boui^eoisie. 
Les  prélats  de  FÊglise  gaUicane  suivent  les  mêmes 


*■  La  protesUtion  affichée  à  Borne,  le  6  noTemtee  i(S4,  emuin 
la  botte  de  Sixte-QuInt,  est  l'ouyrage  non  d*an  calviniste,  mais  do 
ofttlMMqae  poUtiqne  Leitoile,  oomme  on  le  volt  par  Mi  registra- 
iournal  dn  règne  de  Henri  Ul,  page  190  B,  édit.  Miehaud.  «  AaemîMt 
9  escrit,  fait  par  l'auteur  des  présents  tnémoires,  on  a  fait  faire 

•  ém  palaia  de  Parla  m  voyage  à  monune,  oè  on  1^  tnik,  stgnifté  et 

•  afiché.* 


XXlV  PRÉFACe. 

maximes,  la  même  ligne  de  conduite  que  les  Politiques  de 
Tordre  laïque.  Dès  la  fin  de  1589,  sur  cent  dix-huit  évêques 
et  archevêques  qu*on  compte  alors  en  France,  cent  adhè- 
rent à  la  royauté  du  calviniste  Henri  IV.  En  1591,  dans 
leur  assemblée  de  Chartres,  ils  formulent  la  mémorable 
déclaration  qui  met  ses  droits  à  Tabri  des  coups  que  leur 
portent  les  bulles  monitoriales  de  Grégoire  XIV.  En  1593, 
Tun  d^eux,  Farchevêque  de  Bourges,  dans  la  discussion  de 
la  conférence  de  Suresne,  soutient  tout  k  la  fois  la  légiti- 
mité de  son  pouvoir,  les  droits  de  sa  couronne,  et  les  doc- 
trines protectrices  de  TÉglise  gallicane.  Quelques  mois 
plus  tard,  ils  reçoivent  son*abjuration  à  Saint-Denis',  le 
réconcilient  avec  TÉglise,  et  en  même  temps  avec  la  moitié 
de  la  France.  I^  paix  acquise,  ils  s*associent  à  ses  travaux 
pour  la  prospérité  du  pays,  |H)ur  le  développement  de  Fin- 
dustrie,  et  plantent  des  mûriers  dans  tous  les  évèchés  du 
royaume.  Enfln,  on  les  trouve,  à  la  flu  de  ce  règne,  en- 
voyant leurs  missionnaires  en  Amérique,  dans  TÂcadie, 
au  Canada,  répandant  Tagriculture  et  les  bienfaits  de  la 
civilisation,  propageant  chez  les  sauvages  la  foi  par  la  per- 
suasion, protestant  par  tous  leursactes  contre  les  cruautés 
et  les  dévastations  des  Espagnols,  rendant  à  la  religion 
de  rÉvangile  son  esprit  de  charité  et  sa  pureté  sublime. 
Tous  eusemble,  ils  tracent  en  caractères  ineffaçables  Tune 
des  plus  grandes  et  des  plus  belles  pages  de  Thistoire  de 
l'Église  de  France. 

Quand  on  examine  avec  attention  le  cx)rpsdes  doctrines 
des  Politiques  en  matière  de  gouvernement  et  en  matière 
de  religion;  quand  on  y  trouve  si  fortement  établi  ou 
sauvegardé  tout  ce  que  le  souverain,  le  citoyen  etPhomme 
ont  de  plus  précieux,  on  voit  bien  ce  que  les  deux  siècles 
suivants  ont  souvent,  et  pour  longtemps,  abandonné  deces 
grands  principes  avant  d*y  revenir;  maison  cherche  vai- 
nement ce  qu*ils  y  ont  ajouté.  Parmi  ces  doctrines,  celles 


PRÉKACK.  XXV 

relatives  aux  droils  et  prérogatives  de  la  couronne  et  de  la 
nation  dans  leurs  rapports  avec  la  société  religieuse,  et 
celles  concernant  les  libertés  de  TËglise  gallicane,  ont  une 
sagesse  et  une  haute  utilité  pratique  dont  on  devrait  être 
averti,  en  songeant  que  le  dernier  père  de  TËglise,  Bos- 
suet,  et  après  lui  tous  les  prélats  éminents  par  leurs  lu- 
mières jusqu'au  cardinal  de  la  Luzerne  et  h  M.  de  Heausset, 
lèsent  tourk  tour  adoptées,  y  ont  mis  leur  attache  et  leur 
sanction.  Nul  culte  n*est  assuré  de  son  existence,  s'il  peut 
porter  atteinte  aux  droits  essentiels  de  la  nation  et  aux 
droits  du  prince.  L^  moitié  de  PEiirope  n*a  embrassé  la 
Réforme,  ou  n*est  restée  ferme  dans  le  schisme  grec,  que 
parce  que  les  nations  qui  sont  sorties  de  PÉglise,  ou  (|ui 
sont  demeurées  en  dehors,  n'ont  pas  trouvé  de  sufflsantes 
garanties  contre  les  atteintes  que  leur  portait,  ou  contre 
les  craintes  que  leur  inspirait  la  puissance  ecclésiastique. 
Quatre  fois  la  France  a  été  sur  le  point  de  se  détacher  du 
Salnl-Siége,  de  se  donner  un  patriarche,  et  en  continuant 
d*èlre  catholique-^ipoêtoliquetAe  cesser  urètre  romaine,  sous 
Henri  IV,  en  lô9/i  et  au  commencement  de  1595,  sous  le 
ministère  de  Richelieu,  sous  Hazarin,  sous  Louis  XIV 
en  1683  et  1687.  Tout  autant  de  fois  elle  s'est  désisté  des 
projetsde  rupture,  parce  que  le  souverain  et  le  peuple  ont 
regardé  les  libertés  gallicanes,  dont  TËtat  et  TËglise  na- 
tionale étaient  en  possession,  comme  une  arme  suffisante 
pour  défendre  leuiv  droits  et  leurs  grands  intérêts,  dans 
leurs  différends  avec  la  cour  de  Rome,  sans  recourir  à  une 
séparation.  En  1810,  après  son  excommunication.  Napo- 
léon disait  en  propres  termes,  qu'il  renonçait  à  un  schisme 
où  il  entraînerait  quarante  millions  d'hommes,  parce  qu'il 
avait  trouvé  dans  ces  libertés  les  moyens  d'assurer  l'in- 
dépendance du  pouvoir  civil.  Parmi  les  documents  d'un  si 
haut  Intérêt,  dont  abonde  le  grand  et  bel  ouvrage  de 
M.  Thiers,  celui  qu'il  fournit  sur  ce  point,  est  sanscon* 


XXTI  PRÉFACS. 

tredit  Tun  des  plus  curieux  et  des  plus  importante  K  Lai 
libertés  gallicanes,  que  les  Politiques  Jugeaient  et  nom- 
maient le  palladium  de  TËtat,  n'étaient  donc  pas  moins  le 
palladium  du  catholicisme  romain.  Attaquées  de  nos  jours 
par  la  passion  des  uns  comme  une  sorte  d*hérésie  et  de 
sacrilège,  négligées  par  la  légèreté  et  Tignorance  des 
autres  comme  une  vieillerie,  elles  ont  certainement  perdu 
beaucoup  de  leur  autorité.  Qu'il  survienne  un  nouveau 
conflit,  et  Tévénement  décidera  si  le  discrédit  dans  lequel 
elles  sont  tombées  n'entraîne  pas  avec  lui  d'immenses 
dangers,  d'incalculables  conséquences  pour  la  religion. 

Le  dernier  des  sujets  se  rattachant  k  la  première 
période  du  règne  de  Henri  IV,  qui  soit  digne  d'un  grand 
intérêt,  est  la  guerre.  Bien  que  la  guerre,  comme  nous  ve- 
nons de  le  voir,  n'ait  pas  décidé  et  dénoué  les  événemeala, 
elle  soutint  cependant  l'autorité  souveraine  et  TËtat  Nous 
lui  avons  donné  une  attention  proportioiinée  à  son 
importance.  Dans  chaque  camiMigne,  dans  chaque  entra- 
prise,  nous  avons  essayé  de  saisir  et  de  montrer  la  pensée 
militaire,  et  de  suivre  dans  leur  ensemble  les  progrès  de 
l'art,  en  nous  éclairant  des  indications  que  fournisBeut  les 
récits  des  écrivains  spéciaux  dans  celle  partie,  les  ducs 
d'Angonléme  ei  de  Nevers,  d'Aubigné,  Sully  «  Henri  IV. 


*  M.  TMen,  Hirtolre  do  Cooralat  et  de  l'Empire,  IW.  xxxthi, 
U  vn,  p.  Its,  ISS.  IMtooan  de  NapoléoB  an  cÉergé  de  Brabtnt. 
«  Voai  ne  Tovlei  pat  prier  pour  moi.  Btt-ce  parce  qn'wi  prêtre  ro- 
■  main  m'a  excommunié?  Mais  qui  lui  en  avait  donné  le  droit?  Qui 

•  peat  Ici-bat  délier  Isa  anjcfs  de  le«r  eerment  d'obélmanee  an  ËOOft- 
9  ralo  inttltné  par  let  lola?  Peraonne,  ▼cas  devei  le  aavair,  ai  tom 
B  connaiHei  votre  religion.  Ignorei-voni  que  ce  sont  vot  coupabiei 
»  prétentions  qnl  ont  poussé  Luther  et  CaWln  à  séparer  de  Rome  une 

•  partie  dn  monde  cathoUque?  S'il  eAt  été  néoeatalra,  et  ai  }e  n'avala 

•  pas  trouvé  dans  la  religion  de  Bosaaet  les  moyens  d'assurer  Tlndé* 

•  pendanoe  du  pouvoir  dvU,  J*aurais,  mol  aussi,  affranchi  ia  France 

•  de  raaIorHé  fomalne,  et  qaaianle  nUMopa  d'Iioaiaw  m'iaratart 
»  auivl.  • 


Ces  études  conmeocent  au  plan  général  de  guerre  adopté 
par  le  roi  dès  sa  première  campagne,  et  à  ce  que  Vob 
nomme  vulgairement  encore  aujourd*hui  le  combat  d'Ar- 
qués, la  iMitaiUe  d*Arques.  Au  dire  de  tous  les  contem- 
porains, ce  fut  le  siège  de  Die|)pe  et  le  siège  du  camp 
fortifié  que  Henri  avait  donné  à  cette  ville  pour  ouvrages 
avancés»  attaqués  six  fois»  sur  six  points  différents,  par 
Mayenne  et  par  Tarmée  de  la  Ligue.  Ces  observations  se 
terminent  au  siège  d*Amiens,  à  la  campagne  de  Savoie  et 
aux  sièges  de  Charbonnière  et  de  Montmélian,  où  la  guerre 
savante,  la  guerre  de  Turenne  et  de  Vauban,  se  trouvent 
déjà,  non  dans  leur  développement,  mais  dans  leuf 
principe. 

A  la  fin  de  la  première  période  du  règne  de  Henri  IV, 
au  moment  où  il  donnait  Tédit  de  Nantes  et  signait  le 
traité  de  Vervîns^  dont  le  traité  conclu  peu  après  avec  la 
Savoie  fut  Fannexe  et  le  complément,  une  grande  œuvns 
était  accomplie.  La  liberté  religieuse,  à  laquelle  les  rois 
d'Espagne  avaient  fait  une  guerre  acbaméecbez  nous,  aussi 
bien  que  dans  leurs  propres  Ëtats;  que  les  rois  de  France, 
depuis  François  l*' ,  avaient  violemment  persécutée,  la 
liberté  religieuse  était  solidement  et  pleinement  établie 
dans  le  royaume.  Les  réformés  entraient  en  possession, 
nonpasseulemeutdela  liberté  de  conscience,que  Henri  leur 
avait  assurée  dès  le  jour  de  la  déclaration  de  Saint-Cloud, 
dès  son  avènement,  mais  de  la  liberté  de  culte  et  de  ren- 
tière égalité  civile  avec  les  catholiques.  La  Coalition  contre 
la  France,  dans  laquelle  TEspagne  avait  entraîné  la  Sa- 
voie, la  Lorraine,  le  Saint-Siège,  était  dissoute.  Les  pro- 
jets de  conquête  formés  contre  notre  pays  par  Charles- 
Quint,  suivis  par  Philippe  H,  étaient  déjoués.  La  France 
avait  gardé  son  indépendance,  rintégrité  de  son  territoire, 
sa  royauté  nationale,  ses  lois  fondamentales.  A  Tintérieur, 


K 


kXVlll  PRKFAGK. 

tous  les  partis  avaient  été  vaincus  ou  gagnés;  la  royauté 
légitime,  la  succession  légale,  en  remportant  après  une 
pénible  lutte,  avaient  donné  au  pays  Tordre  et  la  paix  à  la 
placede  Fanarchie  et  de  la  guerre  civile.  C*était  le  triomphe 
de  l*esprit  chrétien  sur  Tintolérance,  du  droit  et  de  la 
morale  sur  la  force,  des  principes  conservateurs  sur  les 
princii)es  de  dissolution,  en  même  temps  que  le  triomphe 
de  la  cause  de  Henri  IV. 

Ces  questions  vidées,  deux  autres  se  posaient  au  com- 
mencement de  la  seconde  période  de  son  règne,  et 
n'étaient  ni  moins  graves  ni  moins  difficiles  à  résoudre.  La 
France,  non  plus  après  vingt-sept  ans,  mais  après  trente- 
huit  ans  de  guerre  civile  et  étrangère,  était  arrivée  au  der- 
nier degré  de  misère  et  de  désorganisation  intérieure.  Si 
elle  restait  dans  cet  état,  les  résultats  déjà  obtenus  dans  la 
lutte  contre  TEspagne  et  la  maison  d'Autriche  n'étaient 
que  des  résultats  précaires,  puisque  sa  faiblesse  pouvait 
Ten  priver  dans  un  avenir  rapproché.  D*un  autre  côté,  au 
milieu  des  privations  et  des  souffrances  des  individus,  elle 
s'abaissait  comme  nation,  et  devenait  incapable  soit  de 
hâter,  soit  de  suivre  même  les  progrès  de  la  civilisation. 
Ce  n'était  pas  tout  :  si  sa  détresse  persistait,  aucun  peuple 
de  l'Europe  n'avait  désormais  à  tourner  les  yeux  vers  elle, 
à  rien  attendre  de  son  assistance  dans  les  efforts  qu'il  pou- 
vait tenter,  lui  aussi,  pour  assurer  son  indépendance  et  sa 
liberté  religieuse  :  la  solidarité  politique  et  chrétienne 
n'existait  plus  en  Europe. 

Deux  causes  semblaient  devoir  opposer  un  insurmontable 
ol)stacle  à  la  régénération  de  la  France.  L'excès  même  de  la 
misèreetdu  désordre;  les  idées,  les  passions,  et  jusqu'aux 
habitudes  du  roi.  L'un  de  ses  serviteurs,  qui  ne  l'avait  pas 
quitté  depuis  sa  première  jeunesse,  donne  eu  ces  termes 
le  résumé  de  sa  vie  jusqu'au  jour  où  il  signa  la  paix  avec  In 
duc  de  Savoie  :  «  Les  lauriers  qui  couvrent  son  chef  vé- 


PRiFACB.  XXIX 

•  •     •  •    .. 

•  nérable  ont  été  cueillis  au  champ  de  Irois  batailles  ran- 

•  gées,  de  trente-cioq  rencontres  d*armées,  de  cent  qua- 

•  rante  combats,*  de  trois  cents  sièges  de  places,  où  tou- 
»  jours  son  courage  et  son  bras  ont  paru.  »  Cet  homme  de 
fer,  qui  avait  pris  les  armes  à  quinze  ans,  les  portait  en- 
core  âi  quarante-six;  elles  étaient  à  la  fois  sa  vie  et  sa 
gloire.  Mais  la  France  ne  pouvait  se  rétablir  et  se  relever 
qu'au  milieu  d*une  paix  profonde,  et  il  avait  promis  aux 
Notables  assemblés  à  Rouen  de  la  sauver  de  la  ruine  après 
ravoir  sauvée  de  la  perte.  Maîtrisant  ses  goûts,  domptant 
ses  instinciB,  quittant  toutes  ses  habitudes,  il  remit  Tépée 
dans  le  fourreau,  se  condamnai  dix  ans  d'une  paix  con- 
tinue pour  se  faire  exclusivement  législateur  et  adminis- 
trateur, s'interdit  la  guerre  comme  un  crime,  parcequ'elle 
était  contraire  ii  l'intérêt  public.  Cet  acte  de  renoncement 
volontaire  à  soi-même  est  ce  qui  le  caractérise  d'une  ma- 
nière particulière  dans  l'histoire.  C'est  par  là  qu'il  diffère 
de  tous  les  souverains  venus  après  lui  et  qu'il  les  domine. 
Si,  dans  sa  vie  privée,  il  céda  aux  passions  et  connut  les 
faiblesses,  comme  homme  public,  comme  prince,  il  s'im- 
posa de  n'avoir  d'autre  passion  que  l'amour  de  sa  nation 
et  raccomplissement  de  ses  devoirs  de  roi.  Quant  aux  in- 
croyables difficultés  de  la  seconde  moitié  de  sa  tâche,  la 
restauration  de  l'État  dans  toutes  ses  parties,  le  rétablisse- 
ment de  la  chose  publique  dans  tous  ses  détails,  il  sur- 
monta ces  obstacles  par  la  puissance  et  la  flexibilité  de  son 
génie,  l'énergie  de  sa  volonté,  et  une  activité  qui  tient  du 
prodige. 

Dans  la  seconde  partie  de  son  règne,  on  le  voit  régler  et 
réformer  le  gouvernement  en  ce  qui  concerne  l'exercice 
du  pouvoir,  l'ordre  public,  la  justice,  l'instruction  pu- 
blique. Ses  travaux  administratifs  s'étendent  aux  finances, 
soumises  pour  la  première  fois  à  une  comptabilité  régu- 
lière; aux  impôts  dont  l'assiette  est  changée  par  l'aug- 


mentation  de  Timpôt  Indirect  et  la  diminution  de  lUmpôt 
personnel  ;  à  l^armée  de  terre  transformée,  ou  plut6t  créée 
par  une  organisation  entièrement  nouvelle  ;  à  la  marine, 
aux  arsenaux,  aux  places  fortes,  à  tout  ce  qui  concerne  la 
défense  du  territoire,  comme  aux  établissements  qui  inté- 
ressent la  santé  et  la  salubrité  publique.  Sa  Tigilanceet  sa 
protection  se  portent  sur  les  arts  divers  de  la  paix,  dont  \h 
s*occupe  en  même  temps;  sur  l'agriculture,  sur  les  iudus* 
tries  de  première  nécessité  et  de  luxe,  sur  le  commerre 
intérieur,  sur  les  YOies  de  communication  par  terre  et  par 
eau,  sur  le  corameree  extérieur,  sur  les  colonies  et  ta 
compagnies  de  commerce.  11  a  encore  des  soins  et  des  en- 
conragemente  pour  ce  qui  fait  la  gloire  d*one  nation  ciyi- 
Usée,  et  entretient  chez  die  le  flambeau  de  Flntelligenoe, 
pour  les  sciences,  les  lettres,  les  beaux-arts,  et  il  érige  de 
toutes  parts  de  grands  monuments.  Sully  témoigne  en 
vingt  endroits  de  ses  Mémoires,  quelle  part  active  et  per- 
sonnelle il  prit  à  ces  réformes  et  a  ces  créations.  G*e8t 
bien  de  lui  dont  on  peut  dire  qu*il  pensait  n*avoir  rien 
fait  tant  qu'il  restait  quelque  chose  à  faire  ;  et  quand  11 
n'aurait  fallu  que  le  temps  pour  ce  prodigieux  travail 
de  rentière  réorganisation  d'une  société,  on  s'étonne  que 
le  temps  ait  suffi. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  ces  institutions  et  sur  ces 
établissements  ;  nous  ne  présenterons  pas  ici  en  petit  ce 
que  Ton  trouvera  eu  grand  dans  notre  ouvrage  ;  mais  nous 
réunirons  quelques  traits  épars  pour  donner  une  idée 
précise  de  ce  gouvernement  et  de  cette  administration,  et 
pour  en  faire  connaître  l'esprit.  Lorsque  Henri  IV  demeura 
maître,  la  France  sortait  d'une  anarchie  où  les  dangers 
publics  n'avaient  été  surpassés  que  par  les  souffrances  des 
particuliers,  et  où  le  peuple  avait  vu  tout  ce  qui  avait  été 
détaché  momentanément  du  pouvoir  souverain^  devenir 
une  tyrannie  contre  lui.  Les  masses  souhaitaient  l'ordre 


PR^rACI.  XXXI 

a?ec  pa«ion,  avec  une  sorte  de  fureur,  offraient  tout  pour 
robtenir,  poussaient  elles-mêmes  à  Tabsolutisme.  L'en- 
traînement ne  venait  pas  de  ce  seul  côté.  En  considérant 
que  les  Ëtats-généraux  assemblés  à  Blois,  en  1576  et 
1688,  n'iavaient  pris  que  des  déterminations  factieuses, 
fécondes  en  désastres;  que  le  roi,  en  1596,  ayant  accordé 
nue  part  considérable  à  la  nation  dans  le  gouvernement, 
les  Notables,  égarés  par  Flnexpérience,  n'avaient  usé  de 
levr  prérogative  nouvdle  que  pour  établir  Te  dangereux  et 
stérile  Conseil  de  raison,  bien  des  hommes  du  cœur  le  plus 
B^ble,  et  de  la  plus  haute  intelligence,  pensaient  et  écri- 
vaient que  la  nation  était  incapable  de  tout  rôle  politique; 
qiieceqH*elle  avait  de  mieux  à  faire  était  de  se  démettre 
de  toute  participation  à  ses  affaires,  et  de  confier  unique- 
mentses  destinées  an  pouvoir  sans  contrôle  et  sans  contra- 
dietioD,  qui  lui  convenait  seul.  Henri  IV  repoussa  cette 
dictature  que  le  Ilot  de  Topinion  lui  apportait,  il  jugea  que 
les  barrières  mises  à  la  puissance  du  prince  étaient  seules 
capables  de  le  sauver  des  écarts  et  des  chutes.  Il  pensa 
qu'une  nation  où  les  divers  ordres  se  sentaient  n'être  plus 
rien  était  une  nation  en  marche  vers  la  dégradation,  parce 
que  chacun  des  citoyens  s'abaissait  promptement  de  toute 
la  nullité  à  laqndle  11  était  réduit,  et  devenait  indifférent 
à  la  chose  publique  en  proportion  même  de  ce  qu'il  y  était 
étranger.  11  comprit  où  menait  un  état  de  choses  dans  le- 
quel les  conseils  les  plus  propres  à  éclairer  le  pouvoir  sur 
ses  erreurs,  les  idées  les  plus  utiles  et  les  plus  fécondes  pour 
le  perfectionnement  du  gouvernement  et  de  l'administra- 
tion ne  pouvaient  se  faire  jour.  H  le  comprit,  et  prévint 
cefte  corruption  de  la  monarchie.  Convaincu  que  l'heure 
n*étalt  pas  venue  d'établir  le  régime  représentatif  dans  sa 
permanence  etsa  régularité,  d'agiter  les  questions  politiques 
et  les  grands  intérêts  de  l'État  dans  des  assemblées  générales 
et  réunies  périodiquement,  parce  que  la  nation,  comme 


XXXIt  PnÉFACE. 

le  prouvait  une  récente  expérience,  n*é(ait  pas  mûre  pour 
ce  gouvernemenl  ;  condamnant  d'un  autre  côté  la  monarchie 
absolue,  il  établit  la  monarchie  tempérée,  donnant  pour 
contre-poids  au  pouvoir  royal  la  légalité,  les  libertés  parti- 
culières et  locales,  et  la  liberté  de  parler  avec  la  plume,  de 
s'adresser  à  Topinion  publique,  de  la  prendre  pour  auxi- 
liaire; liberté  qui  seule  suffisait  pour  garantir  les  droits 
de  la  nation,  éclairer  et  contenir  le  gouvernement  Sa 
maxime  et  celle  de  Sully  fut  «  que  plus  les  potentats  s'ar- 
»  rogent  d'authorité,  et  entreprennent  de  faire  des  levées 
»  tortionnaires  sur  leurs  sujets,  plus  ont-ils  des  désirs  de- 
»  réglez,  et  s'engagent  à  des  despenses  plus  excessives  à  la 
»  ruine  de  leurs  peuples.  Que  les  levées  de  deniers  ne  pou- 
»  voient  se  faire  que  par  le  commun  consentement  des 
»  peuples ,  avec  le  gré  et  l'octroi  des  trois  Estats  du 
»  royaume.  »  Conformant  leur  conduite  à  ce  qu'ils  tenaient 
pour  une  loi,  non-seulement  ils  ne  dépassèrent  jamais  la 
somme  votée  par  les  Notables  réunis  à  Rouen ,  mais  res- 
tèrent même  au-dessous  de  quatre  millions  dans  les  der- 
nières années  du  règne,  et  dès  qu'il  devint  possible  de 
diminuer  les  dépenses.  Le  roi  respecta  toutes  les  fran- 
chises et  libertés  de  la  nation  existantes,  et  notamment  le 
système  repr{*sentatif  établi  dans  les  pays  d'£tats.  Ces 
provinces,  au  nombre  de  six  avant  lui,  furent  portées  k 
sept  après  la  réunion  du  Béarn  et  de  la  Navarre  à  la  cou- 
ronne: leurs  assemblées  ne  présentaient  aucun  des  incon- 
vénients des  assemblées  générales  de  la  nation,  leur  pou- 
voir se  bornant  au  vote  des  impôts  et  h  la  décision  de 
questions  d'un  intérêt  local.  Leurs  députés  usèrent  en 
toute  liberté  de  ces  pouvoirs/puisqu'on  voit  par  les  lettres 
du  roi  qu'ils  repoussèrent  en  quelques  circonstances  les 
propositions  du  gouvernemenL  Henri  étendit  le  régime 
représentatif  partiel  en  établissant,  par  les  dispositions  de 
l'édit  de  Nantes,  la  |)ériodicité  et  la  légalité  des  assem- 


PRÉFACE.  XXXIII 

biéesque  les  calviuisles  devaient  tenir.  I.a  prérogative  des 
Parlements,  en  en  retranchant  Texcessive  extension  qu*elle 
avait  prise  durant  les  troubles,  se  bornait  à  faire  des  re- 
montrances. Le  roi  les  souffrit  dans  toutes  les  occasions, 
en  profita  dans  plusieurs,  et  ne  les  combattit  jamais  que 
par  des  raisons  où  éclatait  la  supériorité  de  son  esprit,  de 
sou  expérience,  de  sa  politique:  il  toléra  bien  en  particu- 
lier que  les  remontrances  et  que  le  refus  d*enregistrement 
tinssent  en  échec  son  édit  de  Nantes  pendant  près  d*un  an  ; 
et  il  ne  leva  Topposition  que  quand  il  s*aperçut  qu*elle 
compromettait  la  paix  publique,  en  même  temps  qu'elle 
arrêtait  rétablissement  de  la  plus  précieuse  des  libertés. 
Que  Ton  compare  sa  conduite  :i  Tégard  des  Parlements 
avec  relie  de  Richelieu  et  de  Louis  XIV, et  que  Ton  juffo 
de  la  différence  des  régimes.  Le  Conseil  d*État  jouit  de  la 
plus  entière  liberté  de  discussion,  même  contre  les  senti- 
ments et  les  désirs  du  roi,  et  eut  ce  privilège  de  ramener 
plus  d'une  fois  à  son  opinion.  De  Thoii  raconte,  dans  ses 
Mémoires,  qu'en  1599,  Henri,  qui  avait  alors  besoin  du 
Pa|)e  pour  les  affaires  extérieures,  annonça  dans  le  Conseil 
rintention  arrêtée  où  il  était  de  satisfaire  le  pontife  en 
faisant  publier  en  France  le  concile  de  Trente  ;  que  le  chan- 
celier et  Villeroy  soutinrent  chaleureusement  Futilité  de 
la  mesure,  et  annoncèrent  que  les  lettres  patentes  étaient 
déjà  dressées  pour  en  assurer  l'exécution  ;  que  lui,  de 
Thou,  la  combattit,  en  démontra  les  dangers,  persuada  au 
Conseil  de  la  repousser,  et  au  roi  de  s'en  désister.  Les  par- 
ticuliers trouvèrent  les  mêmes  facilités  que  les  corps  de 
TÊtat  pour  produire  leur  opinion;  chaque  citoyen,  sous 
ce  règne,  put  faire  connaître  la  sienne  par  la  voie  de  l'im- 
pression :  le  nombre  des  écrits  politiques  et  des  satires 
IHibliés  alors,  la  nature  de  plusieurs  comédies,  montrent 
de  quelle  large  liberté  jouirent  les  auteurs  et  le  théâtre. 
Ainsi,  le  gouvernement  avait  mis  la  liberté  partout,  con- 
I.  *• 


xxxiT  raiPÀCB. 

vaincu  que  sans  elle  II  Q*y  avait  plus  pour  lui  ni  lu- 
mières, ni  conseils  utiles,  comme  il  n*y  avait  plus  chez 
les  citoyens  ni  ressort  d*esprit,  ni  caractères  énergiques, 
ni  actions  généreuses.  Il  la  considérait  encore  et  avec 
raison,  comme  le  principe  de  la  vie  et  de  Tactivité  pour 
rindustrie  et  le  commerce,  et  il  Ty  introduisit  en  ren- 
dant libre  le  commerce  des  grains,  avec  les  sages  pré- 
cautions que  commandaient  la  prudena^  et  Tintérêt  pu- 
blic ;  en  délivrant  les  compagnons  et  les  apprentis  de 
Tonéreuse  sujétion  où  ils  étaient  retenus,  et  en  leur  confé- 
rant la  maîtrise;  en  donnant  rindustrie  libre  pour  con- 
currente et  pour  rivale  iï  rindustrie  des  communautés.  On 
complétera  ridée  qu'on  doit  se  faire  de  Tadministration 
de  Henri  IV,  en  observant  que  dans  les  établissements  fon- 
dés, dans  les  grands  monuments  érigés  ou  projetés  par  lui, 
il  s'inspira  constamment  de  la  pensée  nationale,  de  la 
pensée  française,  les  décora  du  nom  et  de  la  représenta- 
tion de  rhistoire  de  la  France.  On  entrera  enfin  complète- 
ment dans  le  secret  de  son  gouvernement,  en  étudiant,  et 
Ton  ne  peut  le  faire  sans  émotion,  les  maximes  morales  et 
religieuses  qu'il  avait  prises  pour  règles  dans  Texerctce  de 
la  puissance  souveraine  et  dans  la  conduite  de  ses  peuples, 
sous  rinspiration  de  sa  conscience  et  sous  Tœil  de  Dieu.  1^ 
roi  chrétien  et  le  grand  roi  sont  là  tout  entiers. 

La  deniière  période  de  ce  règne,  bornée  à  Tannée  1609 
et  k  la  moitié  de  Tannée  1610,  n'offre  pas  dans  sa  courte 
durée  des  événements  d'une  moindre  importance  que  les 
deux  précédentes.  En  1609,  après  dix  ans  de  paix,  après 
dix  ans  de  travaux  administratifs,  Henri  avait  développé 
toutes  les  ressources  intérieures  du  pays  ,  avait  mis  le 
royaume  dans  un  état  de  prospérité  et  de  force  inconnu 
jusqu'alors.  Chaque  année  la  France  rendait  au  delà  de  sa 
consommation,  et  s'enrichissait  eu  exportant  Texcédant  des 


PRtFACC.  XXXV 

produits  de  son  sol.  Le  trésor,  outre  les  revenus  ordi- 
naires, avait,  soit  en  argent  comptant,  soit  en  ressources 
extraordinaires  toutes  prêtes,  iS/i  millions  de  ce  temps, 
environ  372  millions  d^aujourd'hui.  Notre  état  militaire 
répondait  à  ces  ressources  financières.  Les  choses  amenées 
à  ce  point,  Henri  reprit  la  guerre  si  longtemps  aban- 
donnée, parce  que  la  guerre  était  indispensable,  parce 
qu*il  fallait  assurer  dans  Tavenir  les  destinées  de  la  Franco, 
lui  garantir  les  avantages  de  la  paix  de  Vervins,  demeurés 
précaires*  étendre  à  la  moitié  de  l'Europe  le  bienfait  des 
avantages  dont  elle  jouirait  elle-même.  On  ne  saurait  trop 
admirer  cette  politique  du  roi,  si  sage,  si  contenue,  qui 
n*entreprend  la  guerre  qu'en  son  temps,  à  son  heure,  alors 
qu'elle  ne  peut  compromettre  ni  Texistence,  ni  Thonneur 
de  la  nation,  et  qu'elle  n'emploie  que  l'excédant  de  sa 
force,  que  le  luxe  de  ses  ressources. 

Cette  guerre  nouvelle,  dans  laquelle  Henri  s'engageait, 
forme  la  moitié  de  ce  que  l'on  nomme  son  Grand  dessein. 
Le  Grand  dessein  est  resté  jusqu'ici  débattu  et  incertain. 
Nous  lui  avons  donné,  nous  l'espérons,  toute  la  précision 
que  réclame  l'histoire,  en  nous  servant  du  témoignage  de 
six  hommes  d'£tat,  dontquatre  contemporains,  témoins  et 
acteurs  tout  ensemble,  et  de  deux  autres  venus  immédia- 
tement après;  en  consultant  des  états  de  guerre  et  de 
finance,  d'une  authenticité  incontestable;  en  recourant 
aux  clauses  de  traités  existants  et  que  chacun  peut  étu- 
dier. Une  moitié  du  Grand  dessein  se  compose  d'idées  et 
de  projets  qui  préoccupèrent  Henri  IV,  sans  entrer  dans  le 
cercle  de  sa  politique  active.  Sully  proposa,  pour  les 
mettre  à  exécution,  des  moyens  difficiles,  peut-être  im- 
praticables. Les  deux  siècles  et  demi  qui  ont  suivi  ont  ou- 
vert d*autreB  voles,  et  presque  tous  sont  réalisés  aujour- 
d'hui. La  seconde  moitié  du  Grand  dessein  est  une  coalition 
et  un  armement  de  la  France  et  de  la  moitié  de  l'Europe» 


XXXVI  PRÉFACE. 

entrepris  dans  un  but  déterminé  et  présent,  limités  à  un 
temps  fort  court.  Cette  coalition  et  'cet  armement  eurent 
lieu  du  vivant  de  Henri  IV. 

La  branche  allemande  et  la  branche  espagnole  de  la 
maison  d*Autriche  n'avaient  renoncé  ni  à  rétablissement 
de  la  monarchie  universelle,  ni  à  la  destruction  de  la  ré- 
forme et  de  la  liberté  religieuse  :  elles  montraient  alors 
même  leur  ambition  par  Toccupatlon  à  main  armée  de  la 
succession  de  Juliers,  et  leur  haine  implacable  contre  tout 
culte  dissident  par  la  proscription  des  Morisques  :  elles 
n'attendaient  que  le  moment  où  elles  seraient  sorties  des 
circonstances  difficiles  dans  lesquelles  elles  étaient  main- 
tenant jetées,  pour  reprendre  leurs  projets  avec  les  forces 
de  la  moitié  des  peuples  de  l'occident  qui  continuaient  k 
leur  obéir.  L'indépendance  de  toutes  les  nations  qui 
n'avaient  pas  subi  leur  joug,  la  liberté  de  conscience  par- 
tout, restaient  donc  sous  une  perpétuelle  menace.  Après 
les  guerres  de  Charles-Quint  et  de  Philippe  H,  d'autres 
guerres  les  attendaient  dans  un  prochain  avenir.  Henri 
résolut  de  conjurer  ce  danger  commun  à  la  France  et  à  la 
moitié  de  l'Europe»  et  d'en  finir  avec  l'ambition  et  l'into- 
lérance de  la  maison  d'Autriche,  en  lui  enlevant  tous  les 
pays  qu'elle  possédait  hors  de  l'Espagne,  et  en  distribuant 
ses  dépouilles  à  l'Allemagne  et  à  l'Italie  à  jamais  affran- 
chies. Au  commencement  de  l'année  1610,  Il  réunit  dans 
une  coalition  contre  elle  vingt  peuples  appartenant  aux 
couronnes  du  Nord,  à  l'Allemagne,  à  l'Angleterre,  à  la 
Hollande,  ii  la  Suisse,  h  l'Italie,  dont  il  s'était  ménagé  suc- 
cessivement l'alliance,  par  des  négociations  conduites  de- 
puis l'an  1600  avec  une  persévérance  et  une  habileté  infi- 
nies, avec  l'aide  de  diplomates  dont  le  nombre  et  les 
talents  ne  souffraient  aucune  comparaison  avec  ceux  que 
la  France  avait  eus  jusqu'alors.  H  attaquait  la  maison 
d'Autriche  avec  quatre  armées  françaises  et  cent  un  mille 


PRiPACE.'  XXXVII 

soldats,  qui  entraient  en  ligne  le  premier  jour  de  la 
guerre,  et  avec  les  contingents  proportionnés  de  chacun 
des  peuples  entrés  dans  la  coalition.  11  Tattaquait  dans  le 
iDomeut  unique  et  irretrouvable  d*une  guerre  civile  qui 
armait  les  uns  contre  les  autres  les  princes  de  la  branche 
allemande;  de  Texpulsion  des  Morisques,  qui  affaiblissait 
et  bouleversait  TEspagne;  de  la  profonde  incapacité  des 
souverains  qui  régissaient  alors  les  deux  monarchies.  La 
monde  Henri  IV  arrêta  Teffet  de  ses  .admirables calculs, 
de  ses  grands  desseins.  Mais  ils  ne  pouvaient  pas  plus 
périr  que  ne  périrent  les  projets  de  la  maison  d* Autriche, 
que  ne  cessèrent  les  dangers  de  la  moitié  de  TËurope, 
menacée  quelques  années  plus  tard,  fKir  Ferdinand  11, 
dans  son  indépendance  et  sa  liberté  religieuse.  Gustave- 
Adolphe,  Richelieu,  le  grand  Coudé,  le  traité  de  West- 
pbalie,  le  traité  des  Pyrénées,  Touverture  de  la  succession 
d*Espagne,  firent  ce  que  Henri  IV  et  Sully  espéraient  ac- 
complir en  trois  ans,  en  payant  la  France  de  ses  sacrifices 
par  Textension  de  son  territoire  jusqu'à  ses  limites  natu- 
reUes  des  Pyrénées  et  du  Rhin,  et  en  lui  assurant  la  pré- 
dominance dans  FEurope  protégée  par  elle. 

Résumons  ce  qui  vient  d*étre  dit;  réunissons  et  grou- 
pons ce  qui  vient  d'être  exposé  sur  ce  gouvernement,  et 
voici  ce  que  nous  trouverons  pour  résultat.  Dans  les  ma- 
tières de  droit  International  et  de  droit  public,  de  politique 
et  de  religion ,  Téquilibre  européen,  la  liberté  de  con- 
science, les  libertés  gallicanes  et  Tharmonie  des  rapports 
entre  la  société  civile  et  la  société  religieuse  ;  les  libertés 
politiques  dans-leur  essence  et  sous  la  forme  qu'elles  com- 
portaient alors,  en  attendant  qu'elles  en  prissent  une 
autre;  la  liberté  de  penser  et  de  s'adresser  à  l'opinion 
publique  par  l'impression,  telles  furent  les  institutions 
qu'il  créa  ou  qu'il  affermit. -Dans  les  matières  et  les  Inté- 
rêts d'administration,  la  nation  lui  dut  la  réforme  corn- 


XKXTIII  PRéPÀCe. 

plète,  le  perfectionnement,  différant  peu  d*une  création, 
des  finances,  de  l*armée,  de  la  diplomatie;  tous  les  grands 
développements  et  la  liberté  du  commerce  et  de  Tindu»- 
trie.  Ainsi,  tout  ce  qui  tient  à  la  rupture  définitive  entre 
le  moyen«àge  et  les  temps  modernes,  à  la  différence  entre 
le  monde  politique  et  économique  ancien  et  le  monde 
nouveau  ;  tout  ce  qui  constitue  dans  son  principe  l'excel- 
lence de  notre  société,  date  de  ce  règne  et  y  remonte. 
C*est  Tune  des  plus  grandes  époques,  non-seulement  de 
notre  histoire,  mais  de  Thistoire  de  Thumanité. 

Quelque  large  place  qu'occupent  dans  Thistoire  géné- 
rale de  ce  temps  les  desseins  et  les  actions  de  Henri  IV  et 
Sully,  d'un  grand  roi  et  d'un  grand  ministre  donnés  en 
même  temps  à  la  France,  cependant  ils  ne  la  remplissent 
pas  à  beaucoup  près  tout  entière,  et  un  ouvrage  où  ils 
figureraient  seuls  serait  un  ouvrage  incomplet.  L'histo- 
rien, quoique  dans  des  proportions  moindres,  doit  repré- 
senter les  arts  de  la  paix  répondant  par  de  magnifiques 
travaux  ii  l'appel  que  leur  faisaient  le  roi  et  le  ministre, 
et  à  l'impulsion  qu'ils  recevaient  d'hommes  tels  qu'Olivier 
de  Serres  pour  l'agriculture,  Barthélémy  Laffemas  pour 
l'industrie  et  le  commerce,  le  cardinal  de  Joyeuse  pour 
les  canaux,  et  tant  d'autres  citoyens  qui,  à  la  sollicitation 
de  Henri  IV,  consacraient  des  mémoires  ou  des  ouvrages 
au  progrès  de  ces  arts.  L'historien  doU  peindre  encore 
les  mœurs  de  cette  société,  l'esprit  de  ce  temps,  dont  l'ex- 
pression se  trouve  dans  les  sciences,  la  littérature,  les 
beaux-arts.  Nous  nous  sommes  attaché  à  ce  double  travail, 
et  la  génération  de  la  fin  du  xvi*  et  du  commencement 
du  XVII*  siècle,  dans  ce  qu'elle  a  d'émineni,  est  devenue 
le  héros  de  notre  livre  autant  que  le  souverain  lui->méme. 

L'un  de  nos  deux  plus  grands  historiens  anciens,  celui 
qui  le  premier  a  le  mieux  compris  ce  qui  devait  entrer 


PRÉFACE.  XXXiX 

dans  les  annales  d^une  nation  civilisée,  et  qui  a  joint 
Tapplication  à  la  théorie,  Texemple  au  précepte,  a  dit 
d*ane  manière  excellente  :  «  L^histoire  des  arts  est  peut- 
»  être  la  plus  utile  de  toutes,  quand  elle  joint  à  la  con- 
»  naissance  de  Tinvention  et  du  progrès  des  arts,  la  des- 
»  cription  de  leur  mécanisme.  »  Nous  n*examinerons  pas 
ici  tous  les  arts  utiles  qui,  sous  Henri  IV,  prirent  d'im- 
menses développements,  ou  qui  furent  cultivés  chez  nous 
pour  la  première  fois  ;  le  livre  se  chargera  de  ce  soin.  Mais 
par  deux  exemples  seulement  empruntés  à  ce  qui  con- 
cerne rindustrie  et  les  travaux  publics  rapportés  au  com- 
merce, nous  montrerons  combien  il  était  nécessaire  de  sa- 
tisfaire aux  conditions  imposées  par  Thomme  de  génie 
que  nous  venons  de  citer. 

On  ouvre  une  histoire  de  France,  et  Ton  y  trouve  que 
rindustrie  des  soieries  en  France  remonte  à  Louis  XI.  On 
en  consulte  une  autre,  et  on  lit  qu'elle  fut  introduite  dans 
le  royaume  par  François  I*'.  Une  troisième  enfin  affirme 
qu'elle  fut  fondée  par  Henri  IV;  et,  à  l'appui  de  toutes  ces 
assertions,  on  apporte  des  textes  insufBsants  ou  mal  com- 
pris. A  quoi  s'arrêtera  le  lecteur  au  milieu  de  ces  contra- 
dictions, au  milieu  de  ces  faits  que  l'on  n'a  pas  pris  la  peine 
d'expliquer  et  de  mettre  d'accord  entre  eux  ?  Dans  quelle 
îDcerlitude  n'est-il  pas  jeté?  On  passe  des  soieries  et  de 
l'industrie  à  ce  qui  intéresse  au  plus  haut  degré  le  com- 
merce, aux  voies  de  communication  par  eau,  aux  canaux, 
aux  lignes  de  petite  et  de  grande  navigation  intérieure. 
Là,  pas  d'incertitude  :  la  date  exacte,  ou  à  peu  près  exacte, 
de  l'exécution  de  ces  travaux  est  fournie  ;  mais  on  tombe 
dans  une  obscurité  profonde,  résultant  d'un  exposé  où 
l'on  trouve  partout  des  effets  sans  cause.  En  effet,  les 
Oeuves  n'ont  pu  être  joints  entre  eux  qu'après  la  décou- 
verte d'un  système  particulier  de  canaux,  des  canaux 
à  point  de  partage,  système  qui  permettait  de  les  faire 


XL  PHEFAGi:. 

communiquer  entre  eux,  sans  couper  la  chaîne  de  mon- 
tagnes qui  les  séparait,  et  sans  se  jeter  dans  des  travaux 
sans  fin,  dans  des  dépenses  fabuleuses.  Et  une  preuve 
qu'il  en  est  ainsi,  c*est  que,  même  après  l'invention  des 
écluses  à  sas,  dans  les  cent  années  qui  ont  suivi  cette  dé- 
couverte, aucun  i>euple  en  Europe  n'est  parvenu  à  faire 
communiquer  entre  eux  deux  fleuves,  deux  cours  d'eau 
coulant  dans  des  bassins  différents.  Or,  quand  cette  décou- 
verlca-t-elle  eu  lieu  en  France  ?  La  grande  navigation  intc- 
rieure  n'a  pu  être  établie  qu'après  une  étude  éclairée  par 
le  génie  des  aaidents  de  notre  sol,  de  tous  nos  cours  d'eau 
dans  toute  l'étendue  de  notre  territoire,  dans  tout  Tinter- 
valle  qui  sépare  une  merd'une  autre  ;  et  quand  cette  étude 
a-t-elle  été  faite  pour  la  première  fois?  Cependant  si  ces 
questions  ne  sont  résolues,  non-beulement  l'histoire  reste 
vague,  incertaine  ;  mais  même  il  n'y  a  plus  d'histoire  à 
certains  égards.  On  s'en  convaincra  en  réfléchissant  que 
l'industrie  des  soieries,  devenue  aujourd'hui  la  plus  im- 
portante et  la  plus  avantageuse  de  nos  industries,  a  de 
plus,  dans  un  temps  très  rapproché  de  sa  fondation  véri- 
table, permis  au  royaume  de  s'affranchir  d'un  tribut  de 
plusieurs  millions  qu'il  payait  à  l'étranger;  que  les  voies 
de  communication  par  eau  ont  donné  aux  produits  de 
notre  sol,  restés  jusqu'alors  sans  débouchés,  une  valeur 
incalculable  ;  qu'après  avoir  accru  notre  prospérité  inté- 
rieure, ils  nous  ont  fourni  les  moyens  de  les  exportera 
l'étranger  et  de  réaliser  d'immenses  bénéfices;  que  dès 
lors  les  flnances  de  la  France  et  ses  ressources  se  sont 
trouvées  tout  autres;  que  ce  changement  a  exercé  l'in- 
fluence la  plus  directe  et  la  plus  décisive  sur  son  étal  mi- 
litaire, sur  ses  rapports  avec  les  nations  voisines,  sur  sa 
puissance  en  Europe. 

Nous  nous  sommes  donc  astreint  li  composer  une  his- 
toire de  tous  les  arts  de  la  iiaix  et  de  tous  les  grands  tra- 


PRËFACE.  XLI 

vaux  publics,  nous  livrant  aux  études  spéciales  qui  nous 
étaient  nécessaires;  consultant  sur  les  points  restés  obscurs 
et  douteux  les  hommes  qui  à  la  science  joignent  la  pra- 
tique; appuyant  chacun  des  sentiments  et  des  énoncés 
auxquels  nous  nous  sommes  arrêté ,  sur  des  témoignages 
et  des  pièces  de  Tépoquc,  que  Ton  trouvera  dans  le  texte 
ou  dans  les  documents  historiques.  Nous  sommes  parvenu 
ainsi,  si  nous  ne  nous  trompons,  k  éclairer  de  nouvelles 
lumières  Thistoire  générale  de  ce  temps.  Nous  avons  re- 
tracé les  commencements  de  Thistoire  particulière  de  cha- 
cun de  ces  arts.  Nous  avons  donné  enfin  aux  hommes 
spéciaux  des  détails  qui  ont  pour  eux  un  intérêt  particu- 
lier, et  quMIs  sont  en  droit  de  demander,  au  moins  dans 
une  certaine  mesure,  à  Thistoire  de  chacun  des  grands 
règnes.  L*écoDomiste,  1  ingénieur  civil,  Tingénieur  mili- 
taire, rhomme  livré  à  Tindustrie  et  au  commerce,  trou- 
veront dans  cet  ouvrage  des  détails  qui  se  rattachent  aux 
études  et  aux  travaux  qui  ont  rempli  leur  vie. 

Au  commencement  de  Tannée  1853,  nous  avions  entiè- 
rement achevé  la  partie  politique  et  la  partie  économique 
de  cette  histoire  K  Noos  y  avions  ajouté  même  un  aperçu 
de  rétat  moral  et  intellectuel  de  la  société  sous  le  règne  de 
Henri  IV;  mais  nous  n*avions  donné  à  cet  essai  que  des 
développements  restreints.  Quelques-uns  de  nos  amis  nous 
pressèrent  de  combattre,  autant  qu'il  était  en  nous,  la 
disposition  de  notre  temps  à  délaisser  les  préoccupations 
littéraires  et  philosophiques  pour  les  pensées  et  les  goûts 

*  ▲  cette  époque  noiu  comptions  pobUer  très  prochaiDcmcDt 
notre  ouvrage.  Dans  son  numéro  du  1 1  Janvier  1853,  le  Journal  des 
Déliats  voQlut  bien  publier  un  fragment  étendu  de  notre  travail,  et 
M.  Saint^llarc  Girardin  ciprimer  son  opinion  favorable  sur  ce  mor- 
ceau. Dès  Ion  aussi  nous  avons  fait  usage  d'une  partie  de  nos  recher- 
dies»  et  annoncé  les  autres,  dans  la  nouvelle  édition  du  Précis  de 
Thistoire  de  France  |)endant  les  temps  modernes. 


XLII  PRÉFACK. 

d'une  rJvilisalion  quelque  peu  matérielle;  les  travaux  purs 
de  Tesprit  pour  les  applications  utiles  ;  ce  qui  s'adresse  k 
l'âme  pour  ce  qui  touche  aux  calculs  et  aux  intérêts.  Ils 
nous  invitèrent  à  ne  pas  constituer,  par  les  proportions 
mt^mcs  données  à  notre  travail,  les  choses  de  la  théorie  et 
de  rimagination  dans  un  état  d'infériorité  k  l'égard  de 
ce  qui  avait  été  accompli  de  merveilleux  en  économie 
|K)litique  sous  le  règne  de  Henri  IV.  Presque  en  même 
temps,  une  éloquente  réclamation  de  M.  Mignet  en  fa- 
veur des  principes  et  des  tendances  spirituallstes  nous 
décida  à  céder  k  leur  avis^  Bien  que  l'étendue  et  les 
difficultés  de  ce  travail  aient  dépassé  nos  premières  pré- 
visions, nous  l'aurons  embrassé  avec  plaisir,  s'il  peut, 
dans  une  certaine  mesure,  agir  sur  l'esprit  public, 
changer  sa  tendance,  le  reporter  vers  des  régions  plus 
élevées. 

Nous  présentons  le  premier,  nous  le  croyons  du  moins, 
un  tableau  complet  et  de  quelque  étendue  des  travaux  de 
l'esprit  humain  en  France  sous  ce  règne,  embrassant  k  la 
fois  les  sciences,  la  littérature,  les  beaux-arts. 

Un  grand  mouvement  dans  les  sciences  eut  lieu  k  cette 
époque,  qui  est  celle  de  Viète,  de  Riolan  et  de  Belleval. 
Nous  avons  donné  un  exact  énoncé  des  ouvrages  des  sa- 
vants ;  et  nous  n'avons  rien  dit  sur  la  nouveauté  et  Hm- 
portance  des  découvertes  qui  furent  faites  alors,  que  sur 
Tautorité  de  Montucla,  de  Bossut  et  de  Fourier. 

*  Voici  le  beau  passage  de  M.  Mignet  auquel  uoot  falioiu  allu- 
sion :  •  Lk  où  11  n'y  a  pas  de  philosophie,  la  civilisation  dépérit,  et 

•  rhamanité  s'affaisse.  Il  ne  faut  pas  même  supposer  que  le  moove* 

■  ment  'At  ta  science  puisse  de  beancoap  survirre  k  l'ardeur  de  la 

•  pensée.  La  pensée  est  la  sève  qui  vi ville  le  grand  arbre  de  l'esprit 

•  humain.  Nous  touchons  k  l'un  de  ces  moments  où  l'humanité 

■  énervée  n'aspire  qn'k  se  reposer  et  k  Jonlr,  où  la  science  lurtoat, 

•  passant  des  théories  aux  applications,  s'expose  k  perdre  sa  force 

■  iDvenUve,  en  laissant  éteindre  lesoufRe  spirituel  qui  la  lui  avait 

•  donnée.  • 


L'examen  auquel  nous  avons  soumis  la  littérature 
s*étend  à  toutes  les  branches.  U  a  pour  but  de  faire  con- 
naître les  genres,  et  le  développement  que  chaque  genre  a 
pris,  plus  que  la  biographie  des  auteurs  ;  le  point  de  dé- 
part et  le  point  d'arrivée  dans  la  marche  de  Tesprit  humain 
BOUS  ayant  surtout  occupé.  Une  partie  des  ouvrages  appar- 
tenant k  ce  règne  a  donné  lieu,  dans  les  deux  derniers 
siècles,  à  des  recherches  érudites  :  ils  sont  devenus  depuis 
1824  le  sujet  d'écrits  dont  quelques-uns  ont  pris  rang 
parmi  les  monuments  de  la  critique.  Nous  rendons  hom- 
mage à  tous  ces  travaux,  auxquels  nous  essayons  d'agouter. 
Pour  les  auteurs  du  règne  de  Henri  IV  déjà  jugés,  nous 
nous  attachons  aux  portions  de  leurs  ouvrages,  aux  côtés 
de  leur  talent,  aux  tendances  de  leur  esprit  qui  n'avaient 
pas  été  signalés.  Pour  les  autres  auteurs,  très  nombreux, 
dont  les  travaux  embrassent  le  droit  public,  la  science  du 
publiciste,  une  partie  de  l'histoire,  l'éloquence  politique, 
l'éloquence  de  la  chaire  depuis  la  fin  des  troubles,  nous 
donnons  une  analyse  nouvelle  et  une  appréciation  de  leurs 
écrits.  Nous  avons  abordé  toutes  les  questions  de  critique 
que  soulevaient  les  principaux  ouvrages  de  ce  temps.  Nous 
avons  assigné  leur  date  véritable  à  la  publication  des  Tro- 
^t^tt^^  de  d'Âubigné  et  à  celle  de  la  Satire  Ménippée,  qui 
l'un  et  l'autre  exercèrent  une  action  marquée  et  puissante 
sur  les  événements  politiques,  tirant  les  preuves  de  cette 
date  de  nombreux  passages  de  ces  deux  livres.  Nous  avons 
discuté  les  reproches  adressés  aux  OEconomies  royales  de 
Sully,  soit  en  ce  qui  regarde  l'exactitude  des  récits,  soit  en 
ce  qui  concerne  la  transcription  des  pièces  Jointes  à  la 
narration:  nous  espérons  avoir  répondu  victorieusement  à 
ces  accusations,  et  rétabli  pour  tous  les  esprits  non  préve- 
nus la  juste  confiance  que  mérite  le  témoignage  d'un 
grand  ministre  sur  un  grand  règne.  L'étude  des  ouvrages 
appartenant  à  cette  époque  n'a  pas  été  pour  nous  une  étude 


XLIV  PRéFAGtU 

exclusivement  litléraire;  nous  y  avons  trouvé,  et  nous  en 
avons  tiré  une  vive  peinture  des  mœurs,  del'esprit,  des  carac- 
tères du  temps.  Mais  cetre  étude  ne  nous  a  pas  détourné 
de  l'examen  des  progrès  de  Tart,  lesquels  se  résument 
ainsi  pour  nous.  La  littérature  du  temps  de  Henri  IV,  une 
fois  les  troubles  et  les  excès  de  la  I  jgue  passés,  s*inspire 
presque  unanimement  des  idées  d'une  haute  et  sage  poli- 
tique, d*une  saine  morale,  de  Pesprit  chrétien,  de  Fesprit 
d*une  religion  éclairée;  elle  unit  la  supériorité  intellec- 
tuelle à  la  beauté  morale  ;  c'est  là  son  fonds,  et  il  est  ma- 
gnifique. Elle  n'achève  pas  la  perfection  de  la  forme,  mais 
elle  Tavance.  Par  ces  deux  côtés,  les  auteurs  de  ce  règne 
préparent  la  voie  aux  génies  du  temps  de  Louis  XIH  et  de 
Louis  XIV;  ils  sont  dos  précurseurs  en  littérature  comme 
leurs  contemporains  le  sont  en  administration  et  en  éco- 
nomie |K)litique.  A  ne  compter  que  les  genres  élevés,  la 
littérature  du  règne  de  Henri  IV  en  constitue  et  en  fonde 
six,  trois  en  poésie,  et  trois  en  prose,  par  des  ouvrages 
non  pas  seulement  consultés  des  curieux  et  des  érudits, 
mais  lus  de  tout  le  monde  encore  à  présent.  C'est  là  sa 
solide  grandeur  et  sa  gloire  d'utilité.  Son  originalité  est 
d'avoir  produit  dans  l'éloquence  politique,  sous  la  forme 
satirique  et  sous  la  forme  sérieuse,  des  chefs-d'œuvre  que 
les  deux  époques  suivantes  n'auront  pas. 

Il  ne  nous  serait  pas  difficile  de  prouver  que  dans  les 
histoires  générales  du  règne  de  Henri  IV.  l'histoire  parti- 
culière des  Beaux-Arts  n'a  pas  été  traitée  avec  plus  d'exac- 
titude que  l'histoire  des  partis  entre  1589  et  i59A.  Pour 
donner  aux  chapitres  de  notre  ouvrage  qui  traitent  de  l'ar- 
chitecture, de  la  sculpture  et  de  la  peinture,  l'exactitude  et 
la  plénitude  désirables,  nous  avons  consulté  quelques  pré- 
cieuses inscriptions  encore  subsistantes,  des  plans  du  tem|)$, 
les  témoignages  des  historiens  contemporains  et  ceux  des 
auteurs  venus  immédiatement  après,  les  recherches  des 


PRÉFACK.  XLV 

modernes  jusqu'aux  travaux  d'une  critique  si  sûre  et  si 
élevée  dont  nous  sommes  redevable  à  M.  ViteU  Nous  avons 
complété  les  renseignements  que  nous  avions  à  recueillir, 
en  examinant  à  diverses  reprises  et  avec  la  plus  grande 
attention  ceux  des  monuments  qui  subsistent  encore  au- 
jourd'hui. 

Avec  l'aide  de  ces  secours,  nous  avons  pu  présenter 
rénumération  de  toutes  les  œuvres  d'art  de  quelque  im- 
portance, exécutés  sous  ce  règne;  assigner  une  date 
certaine  à  la  plupart  d'entre  elles  ;  dresser  la  liste  de  tous 
les  artistes  qui'sesont  fait  un  nom;  indiquer  toujours, 
souvent  décrire,  les  principaux  produits  des  arts;  préciser 
l'état,  et  signaler  les  progrès  de  l'architecture,  de  la  sculp- 
ture, delà  peinture,  qui  peuvent  se  formuler  peut-^trc 
d*une  manière  cxaclc  en  ces  termes.  L'architecture  donne 
une  continuation,  sinon  très  pure,  au  moins  élégante  et 
variée  dans  la  forme,  de  l'architecture  de  la  Renaissance  : 
elle  y  ajoute  les  premiers  essais  dans  un  genre  très  admiré 
par  les  uns,  attaqué  par  les  autres,  mais  à  coup  sûr  nou- 
veau et  fécond.  La  sculpture  offre  une  forte  et  belle 
transition  entre  la  période  de  Goujon  et  de  Pilon,  et  celle 
de  Coysevox  et  de  Puget.  La  peinture,  par  des  fresques  et 
des  toiles,  admirées,  dit  Sauvai,  de  tous  les  connaisseurs 
de  son  tem|)s,  et  quel  temps  !  s'approprie  noblement  les 
genres  mythologique  et  épique,  dont  les  maîtres  d'Italie 
lui  ont  fourni  des  modèles  à  Fontainebleau  ;  elle  développe 
dans  de  vastes  proportions  les  sujets  de  sainteté  par  des 
compositions  où  éclate  le  plus  grand  talent,  peut-être  le 
génie;  elle  donne  à  notre  art  un  genre  nouveau,  la  repré- 
sentation des  événements  empruntés  à  l'histoire  nationale. 

Nous  venons  d'exposer  au  public  le  plan  et  les  princi- 
paux développements  de  cette  histoire.  Qu'il  nous  soit 
permis  d'indiquer  en  quelques  mots  d'où  elle  proc^ède  et  à 


XLVI  PBÉPACE. 

quoi  elle  se  rattache.  Ce  livre  n*est  pas  seulement  un  ou« 
vrage;  il  est  aussi  Texpression  d'un  enseignement  auquel, 
soit  comme  professeur,  soit  comme  administrateur  chargé 
d'une  direction  partielle,  nous  avons  pris  une  part  active 
pendant  plus  de  trente  années;  auquel,  durant  tout  ce 
temps,  nous  avons  essayé  de  conserver  religieusement  le 
caractère  qu'il  avait  reçu,  à  son  origine,  d'un  homme  qui 
a  honoré  notre  pays  par  ses  talents  et  par  ses  ver  tus.  Quand 
M.  Royer-Gollard,  le  grand  philosophe,  le  grand  orateur, 
le  grand  citoyen,  plaça,  en  1818,  l'enseignement  de  l'his- 
toire dans  les  écoles  de  l'État,  il  donna  ses  instructions  à 
ceux  qu'il  appelait  à  le  fonder  sous  sa  haute  direction. 
Nous  étions  de  ce  nombre,  et  nous  avons  recueilli  ses  pa- 
roles :  «  La  société,  nous  dit-il,  peut  attendre  de  salutaires 
»  résultats  de  l'enseignement  que  je  vous  confie;  il  faut 
»  que  cet  enseignement  les  produise.  Servez-vous  de  l'hi»- 
»  toire  pour  agrandir  l'intelligence  des  jeunes  gens,  et 
»  pour  affermir  leur  raison  ;  ce  sera  quelque  chose. 
>»  Servez-vous-en  pour  développer  chez  eux  l'amour  de  la 
»  patrie,  d'une  liberté  sage,  d'une  religion  éclairée;  ce 
N  sera  beaucoup.  »  Nous  avons  cherché  à  perpétuer  dans 
notre  ouvrage  l'esprit  qui  a  présidé,  en  d'autres  temps,  à 
cet  enseignement  :  si  nous  y  sommes  parvenu,  ce  sera  eu 
nous  inspirant  des  idées  de  son  illustre  fondateur,  et  l'ex- 
pression des  principes  qu'il  soutenait  deviendra  un  nouvel 
hommage  rendu  à  sa  mémoire. 


miRODUCTION. 


QoMtioM  d«  droit  pvbUe  sonlevëcs  par  raTënemeat  d«  Henri  IT. 
Condaite  politique  et  moralitë  de  la  Ligne. 


A  la  fin  du  xvi*  siècle  et  sous  les  derniers  Valois,  la  France 
semblait  conduite  à  ces  extrémités  où  elle  nVriva  qu^à  la  fin 
du  xvin*  siècle,  et  sous  les  derniers  Bourbons.  La  royauté,  le 
pouvoir  central  était  devenu  odieux  pour  le  sang  répandu 
i  flots  et  en  trahison  à  la  Saint-Barthélémy  sous  Charles  IX  ; 
il  s*était  rendu  méprisable  par  les  dilapidations  et  les  débau- 
ches de  Henri  III  ;  il  provoquait  toutes  les  attaques  et  toutes 
les  usurpations  par  sa  faiblesse.  On  Imputait  à  Tinstitution 
les  torts  des  hommes  :  par  lassitude  et  par  dégoût,  le  pays 
se  lançait  dans  un  changement  de  gouvernement,  dans  une 
de  ces  révolutions  où  les  peuples  jouent  leur  existence  pour 
changer  leur  sort. 

La  mort  de  Henri  III  et  Textinction  des  Valois,  au  lieu 
de  simplifier  la  situation,  la  compliquèrent»  La  branche  de 
Bourbon  était  appelée  au  trône;  mais  Henri,  chef  de  cette 
branche,  était  hérétique,  excommunié,  déclaré  Incapable  de 
régner  par  le  pape;  et  parmi  les  catholiques,  une  grande 
moitié ,  soumise  aveuglément  aux  décisions  du  pape ,  docile 
Si  la  voix  des  prêtres  et  des  moines  qui  prêchaient  cette  doc- 
trine ,  animée  enfin  par  trente  ans  de  guerre  et  de  haines 
contre  les  huguenots,  aimait  mieux  périr  que  de  subir  un  roi 

calviniste. 

i 


2   -  INTRODUCTION. 

()Qe  ce  fussent  là  les  sentûnenls  et  la  passion  d^nne  partie 
du  peuple,  il  faudrait  être  aveugle  pour  le  nier.  Que  le  clergé 
de  la  Ligue  trouve  quelque  excuse  dans  la  décision  du  chef 
de  PEgiise,  dans  le  défaut  des  lumières,  dans  Pentralnement, 
on  peut  Tadmettre  pour  ceux  de  cet  ordre  qui  furent  désin- 
téressés et  de  bonne  foL  Mais  que  la  Ugue  armée  contre 
Henri  IV  eût  pour  elle  le  droit  en  général ,  ou  même  le  droit 
public  de  la  France  à  cette  époque ,  c'est  une  erreur  quMI 
faut  combattn  jusqn^à  ee  qu'elle  soit  détruite. 

Un  Illustre  écrivain ,  M.  de  Chateaubriand ,  a  dit  :  «  La 
»  Ligue,  coupable  envers  le  dernier  Valois,  étadt  innocente 
•  envers  le  premier  Bourbon ,  à  moins  de  soutenir  que  les 
»  nations  ne  sont  point  aptes  à  maintenir  le  culte  qu'elles 
»  ont  choisi,  et  les  institutions  qui  leur  conviennent  ^  >  Sur 
cette  phrase,  on  a  construit  tout  un  édi6ce  d'ouvrages  his- 
toriques, oratoires,  polémiques.  Mais  dans  l'assertion  de 
M.  de  Chateaubriand ,  il  y  a  autant  d'erreurs  que  de  mots , 
et  les  nombreux  écrits  élevés  sur  ce  fondement  croulent  né- 
cessairement dès  qu'il  est  détruit. 

Par  la  déclaration  solennelle  qui  date  du  premier  jour  de 
son  règne,  Henri  IV  accordait  aux  catholiques  toutes  les  ga- 
ranties et  toutes  les  sûretés  imaginables  pour  leur  culte  :  les 
catholiques  n'avaient  donc  pas  à  s'armer  contre  Henri  IV 
pour  maintenir  leur  religion  contre  ses  attaques. 

La  révolte  des  ligueurs  contre  lui  ne  se  légidme  pas  plus 
par  la  considération  des  institutions  nouvelles  que  l'on  pré- 
tend qu'ils  s'étaient  données  et  qu'ils  voulaient  soutenir.  Ils 
proclamèrent  pour  roi  le  vieux  cardinal  de  Bourbon,  oncle  de 
Henri  IV,  sous  le  nom  de  Charles  X  ;  ils  reconnurent  Mayenne 
pour  lieutenant  général  de  la  couroime  de  France.  C'était 
certainement  là  une  monarchie  ;  ce  n'était  pas  une  nouvelle 
forme  de  gouvernement ,  de  l'invention  ou  du  choix  des  li- 
gueurs ;  seulement  ils  viciaient  la  vieille  institution  par  luie 
dotible  usurpation,  ib  renversaient  l'ordre  certain  de  suc- 
cession, l'ordre  par  représentation  que  la  France  avait  suivi 
depuis  Philippe  de  Valois,  et  au  moyen  duquel  elle  avait 
échappé  aux  convulsions  et  à  l'anarchie,  lors  de  l'extinction 
successive  de  chaque  branche  de  la  famille  royale.  Ils  invi- 

*  U.  (le  Ckâleaabriand,  Eludes  hisloriquf  s,  t.  Ui,  p.  SM. 


QUESTIOHS  DE  DAOIT  PUBLIC.  3 

Uieot  le  maire  du  palais  Mayenne  à  se  saisir  de  l'autorité  « 
et  poussaient  la  maison  de  Guise  à  TusurpatioB  de  la  cou* 
romie  sur  les  Bourlions,  comme  naguère  ils  l'avaient  aidée  k 
détrôner  les  Valois,  et  ils  inauguraient  ces  belles  innovationa 
par  une  nouvelle  guerre  civile* 

11  est  vrai  que  plus  tard  un  certain  nombre  de  villes  de 
la  Ligue  se  rendirent  indépendantes  de  tous  les  pouvoirs»  de 
tous  les  gouvernements.  Mais  la  liberté  consistait  pour  elles» 
comme  le  témoignent  les  contemporains,  à  ne  fournir  de 
soldats,  à  ne  payer  d'impôts  à  personne,  à  ne  supporter  au* 
cune  des  charges  publiques.  Ce  n'était  pas  tout  à  fait  ainsi 
que  les  Suisses  avaient  compris  la  république,  quand  ils 
avaient  seœué  le  Joug  de  l'Autriche,  et  que  les  Provinces- 
Unies  la  pratiquaient  maintenant  dans  leur  lutte  généreuse 
oontre  le  despotisme  de  Philippe  li.  ^  les  ligueurs  prétendus 
républicains  méritent  quelques  éloges ,  c'est  apparemment 
pour  avoir  cessé  de  remplir  tous  leurs  devoirs  de  citoyens^ 

Il  faut  remarquer  que  les  ligueurs  guisards  et  les  ligueurs 
républicains,  qui  n'éuiient  pas  du  tout  espagnols,  firent  ce- 
pendant tout  ce  qu'ils  purent,  en  combattant  Henri  IV  et  son 
parti ,  pour  mettre  leur  pays  sous  le  joug  de  l'fispagne  ;  que 
si  Philippe  II,  qui  eut  une  garnison  dans  Paris  et  un  vote 
solennel  dans  les  Ëtats  de  1693  pour  la  royauté  de  sa  fille , 
échoua  dans  sa  tentative  d'asservir  la  France,  ce  ne  fut  pas 
leur  fiittte.  On  peut  être  un  sot  sans  être  un  traître;  mais 
dans  les  grandes  crises  politiques,  les  sots  font  autant  de  mal 
que  les  hommes  les  plus  pervers» 

En  s'hisurgeant  contre  Henri  IV,  les  ligueurs  violaient  la 
loi  fondamentale  de  l'État ,  en  vigueur  depuis  Philippe  de 
Val(ri8,  constamment  observée  pendant  deux  cent  soixante  et 
un  ans  dans  notre  pays.  Leur  révolte  se  Justifiait-elle  par 
quelque  disposition  exceptionnelle  et  plus  récente  de  notre 
droit  public?  En  aucune  façon.  Par  les  votes  des  18  octobre 
et  6  novembre  1588,  les  États  de  Blois  avaient  exdu,  il  est 
vrai ,  Henri  de  Bourbon  de  la  succession  à  la  couronne ,  et 
l'avaient  déclaré  crùninel  de  lèse-majesté  divine  et  humaine, 
malgré  l'opposition  de  Henri  IIL  Mais  d'abord  ces  États 
étaient  le  produit  d'élections  corrompues,  et  ils  étaient  pu- 
bliquement vendus  aux  Guises.  En  second  lieu,  même  en 
acceptant  leurs  votes  pour  bons,  on  n'aura  encore  aucune 


^  INTRODUCTION. 

proscription  légale  contre  Henri  de  Boorbon.  En  effet,  dans 
la  constitutioit  de  ce  temps,  les  votes  des  Éuts-généraiix 
n*é talent  qo^m  vœu;  fis  n'étaient  transformés  en  lois  que 
qaand  la  royauté  avait  adopté  et  sanctionné  leurs  disposi- 
tions par  ses  édlts.  Or,  les  derniers  édits  de  Henri  lU  por- 
taient alliance  avec  Henri  de  Bourbon  et  reconnaissance  de 
tous  ses^  droits  au  trône.  En  mourant,  il  Pavait  déclaré  son 
successeur,  et  Taviit  fait  reconnaître  en  cette  qualité  par  tous 
les  seigneurs  catholiques  dn  camp  de  Saint-Gloud  K  Si  du 
roi ,  alors  principal  dépositaire  du  pouvoir  législatif,  on  se 
reporte  à  la  nation,  on  troavera  qu'au  camp  de  Saint-Gloud, 
après  l'assassinat  de  Henri  III,  tous  les  princes  du  sang, 
les  principaux  seigneurs ,  les  gentilshommes  de  Tarmée  en 
forte  majorité,  et  que  bientôt  après  la  moitié  des  parie- 
ments  et  des  villes  du  royaume,  reconnurent  Henri  IV  pour 
leur  roi,  pour  leur  légidme  souverain.  Ainsi  il  est  iaox 
que  le  corps  de  la  nation  ait  repoussé  Henri  IV  ;  et  non  seu- 
lement cela  est  faux,  mais  cela  est  impossible ,  car  s'il  avait 
eu  contre  lui  toute  la  nation ,  il  aurait  nécessairement  suc- 
combé. Par  conséquent  aussi,  la  Ligne  n'a  jamais  embrassé 
la  France  entière ,  et  la  prétendue  unanimité  du  vœu  na- 
tional ,  sur  laquelle  on  fonde  son  droit  à  la  résistance  et  la 
légitimité  de  sa  révolte,  reste  une  fiction. 

Le  droit  rehgieux,  pas  plus  que  le  droit  politique,  ne  don- 
nait l'exclusion  à  Henri  IV,  n'armait  contre  lui  les  ligueurs. 
L'Église  primitive,  l'Église  des  apôtres,  des  trente-trois  pre- 
miers papes  morts  martyrs,  des  saints  Pères,  avait ,  durant 
quatre  siècles,  établi  par  sa  conduite  plus  encore  que  par  ses 
écrits,  avait  scellé  de  son  sang  la  doctrine  que  les  chrétiens 
devaient  obéissance  aux  dépositaires  du  pouvoir  temporel  ^ 
quelle  que  fût  leur  croyance ,  aux  empereurs  même  païens , 
même  persécuteurs  \  I^ur  éviter  les  conflits  de  la  puissance 

'  Traite  de  k  lrév«  entre  Henri  III  et  le  roi  de  Rerarre,  da  96  STrU 
1889.  —  Déclaration  da  roi  (  Henri  III)  sur  la  trcve  accordée  o»  roi  de 
Navarre,  dans  la  lovne  m  des  Mémoires  de  la  Ligue,  pages  300-^iOB.  — 
D^Angoulesme. Mémoires, t.  XI de  la  colleclioa  Michaod,  pageOBB.  Diicoora 
de  Henri  III  aux  seigneurs  catholiques  rasseniklcs  près  desun  lit  de  mort  : 
«  Je  TOUS  prie  comme  met  amis,  et  vous  ordonne  comme  vostre  roy,  qoe 
m  VOUS  recoinoitsies  après  ma  mort  mon  frère  que  voilà...»  Toute  la 
m  noblesse  Tondant  en  larmes,  avec  des  paroles  entrecoupées  de  soupirs  ci 
tt  fie  sanglots,  jurèrent  au  roy  de  Navarre  toute  »arlc  de  ndélite.  » 

*  «  Omnibus  pvUstatibux  stiblimioribus  stibjecli  estote.  Non  est 
M  potestns  nisi  n  Deo  ...  Deum  timeîe^  ngem  honorificate*  Sen^i  sitb' 


QUESTIONS  DE  DROIT  PUBLIC.  5 

temporelle  et  de  la  puissance  spirituelle,  douze  papes  avaient 
sagement  déclaré*  par  leurs  bulles  que  les  roisi^e  France  et 
leur  royaume  ne  pouvaient  être  mis  en  intecdil  K  Tous  les 
corps  de  TÉtat  sans  exception ,  toutes  les  assemblées  natio- 
nales, composées  d'abord  des  seuls  sejgneurs  laïques  et 
ecclésiastiques,  et  plus  tard  des  Irois  ordres  di| .  royaume  ; 
rÉglise  galUcane  réunie  en  synodes  et  en  cofidles  oalionanx  ; 
ces  représentants  de  toutes  les  classes  de  k  nation  et  de  tous 
les  pouvoirs ,  traversant  six  siècles,  trouvant  sur  leur  route 
les  incidents  divers  de  la  querelle  du  Sacerdoce  et  de  TEm- 
pire ,  dqmis  le  dlflërend  de  Louis  le  Débonnaire  et  de  Gré- 
goire  IV  jusqu'à  celui  de  Louis  XII  et  de  Jules  II ,  avaient 
réglé  les  ra^KH^ts  de  la  puissance  temporelle  avec  la  puis- 
sance spiritttflUe  par  des  décisions  constamment  semblables, 
conformes  aux  doctrines  de  la  primitive  Église  et  aux  senti- 
ments des  papes  les  plus  saints  et  les  plus  modérés.  Us 
avaient  fermement  établi  que  les  rois  ne  pouvaient  être 
excommuniés  et  le  royaume  mis  en  interdit  par  une  sentence 
du  pape  seul,  et  que  toute  sentence  semblable  était  de  nul 
effet  ;  qu'en  sui^sant  les  rois  condamnés  par  les  conciles  et 
retranchés  de  la  société  religieuse,  Tanathème  ne  pouvait 
atteindre  leur  pouvoir  temporel,  loucher  à  leur  couronne, 
amoindrir  leur  souveraineté;  que  tous  les  pouvoirs  étant 
établis  par  Dieu  pour  le  gouvernement  des  sociétés  humaines, 
et  les  rois  de  France  puisant  leur  autorité  à  cette  source ,  ils 
ne  relevaient  pour  leur  couronne  d'aucune  puissance  quel- 
conque sur  terre.  D'où  il  résultait  que  Vautorité  politique  du 
prince,  complètement  indépendante  de  àa  croyance,  ne  pou- 
vait jamais  souffiir  de  la  religion  qu'il  professait '. 

Depuis  la  formation  de  la  Ligue,  depuis  douze  ans  seule* 
ment,  la  moitié  de  la  l«Yance  s'était  départie  des  sages  maxhnes 

»  àUi  estote  in  omni  Umport^  iroif  lantàm  bonis  et  modtêtis^  sêd  etiam 
m  discolis,  » 

*  «  Ce  serait  jftAm  perdve  de  copier  ici  les  bulles  ifo  Mattin  III  et  IV, 
n^ëgoîre  Vlll,  IX,  X,  XI,  Alexandre  IV,  acmcnt  IV  et  V,  Nicolas  III, 
»  Urbaiu  V,  Boniface  XTl,  4fut  se  trouvent  au  trésor  des  chartes  du  roi, 
»  poar  tirer  prenve  que,  même  da  coasentement  du.  saiol-siége,  nos  rois 
»  ni  leur  royaume  ne  peuvout  être  mis  en  interdit.  »  (F.  Pilhou.) 

'  François  Pithou  a  établi,  dès  f  K9S,  par  des  preurcs  et  des,  exemplt» 
innombrables,  que  telles  ont  été  les  maximes  de  tous  les  corps  politiques 
et  de  1X^I»<^  ^^  France,  depuis  le  Temps  des  CarloTingiens  jusqu'au 
XVI*  siScIè.  dans  son  traité  '.De  ta  grandeur^  droits,  prééminence  «I 
prtro§alis^es  des  rois  et  da  royaume  de  Ftvnçe  (Mémoires  de  la  Ligue, 
tome  ^  P.T18-7SS,  in-i*;  1788.) 


6  IRTROOnCTlO!!. 

que  ses  ancêtres  avaient  suivies  durant  six  siècles ,  et  dans 
ce  court  espace  de  temps,  l^abandon  des  anciennes  maximes 
avait  suffi  pour  amener  le  royaume  sur  le  pencliant  de  sa 
mine.  Au  lieu  de  réformer  les  abus  du  pouvoir,  au  lieu  de 
donner  h  son  culte,  si  elle  le  croyait  menacé ,  de  plus  fortes 
garanties  en  recourant  à  des  moyens  purement  politiques , 
die  avait  laissé  la  religion ,  ou  ce  que  Ton  nommait  la  rdi* 
gfon,  s'immiscer  dans  le  gouvernement  de  TÉtat  ;  elle  avait 
permis  an  pouvoir  spirituel  de  faire  invasion  sur  le  terrain 
du  pouvoir  temporel.  Quel  avait  été  le  résultat  de  cette  con- 
fusion ?  On  avait  vu  aussitôt  la  société  religieuse,  égarée  par 
ses  propres  erreurs  et  par  les  ambitieux,  voulant  avoir  son 
cbef  à  part,  son  roi  opposé  an  roi  de  la  société  politique, 
sous  prétexte  que  ce  roi,  Henri  III,  le  catholique  par  excel- 
lence, était  hérétique  et  fauteur  d'hérésie  ;  le  peuple  divisé 
en  deux  camps  acharnés  à  leur  perte  mutuelle  ;  le  prince 
tombant  sous  le  poignard  d'un  assassin,  ce  qui ,  dans  une 
monarchie,  était  le  renversement  du  gouvernement  ;  cet  as- 
sassinat transformé  en  action  sainte  et  héroïque,  ce  qui 
était  le  renversement  même  de  la  morale.  Et  la  conséquence 
de  cette  violation  des  lois  humaines  et  divines ,  le  dernier 
not  de  toutes  ces  foreurs,  quel  était-il?  Actuellement,  pré- 
sentement, de  seconder  la  maison  de  Guise  dans  sa  tentative 
d*usurpation  successive  de  la  couronne  sur  les  deux  branches 
de  la  maison  royale,  les  Valois  et  les  Bourbons;  dans  un 
avenir  rapproché,  alors  que  les  prétendants  auraient  nsé  les 
forces  du  pays  contre  lui-même,  d'aider  Philippe  II  à  subju- 
guer le  royaume,!  le  réduire  en  province  espagnole.  La  France 
était  plus  déchirée,  plus  menacée  qu'elle  ne  l'avait  été  de« 
puisqu'un  roi  d'Angleterre  avait  été  couronné  roi  de  France 
dans  Paris. 

Les  papes  Grégoire  XIII,  Sixte-Quint  et  Grégoire  XIV, 
conspiraient  à  la  dissipation  de  l'État  par  leurs  lettres  et  par 
leurs  bulles ,  cédant  à  deux  mobiles  d'une  irrésistible  puis- 
sance. L'intérêt  souverain»  pour  eux,  était  de  voir  la  réforme 
anéantie,  quelle  que  fAt  la  voie  qui  conduisit  à  ce  résultat. 
En  outre,  serrés  entre  le  royaume  de  Naples  espagnol  et  le 
Milanèz  espagnol ,  sans  support  et  sans  appui  contre  le  roi 
catholique ,  depuis  l'abaissement  de  la  France ,  ils  n'avaient 
en  perspective,  sous  Philippe  II,  s'ils  osaient  lui  résister,  que 


qcestiqus  dk  droit  public.  7 

le  sort  lie  leur  prédécesseur  Clément  VI U  captif  daos  Kone 
saccagée  aous  Charles-Quint.  Aussi  formulaient -ils  sous  la 
dictée  de  Philippe  les  bulles  les  pins  favorables  à  ses  pro- 
jets, les  plus  désastreuses  pour  notre  pays,  les  plus  pro- 
pres à  préparer  notre  asservissement  Et  un  peuple,  égaré  par 
la  passion  religieuse,  croyant  travailler  au  salut  du  catholi- 
cisme déclaré  en  danger,  soumettait  ses  décisions,  ks  déci- 
sions de  la  moitié  de  la  France,  à  ces  bulles  des  papes.  VdOà 
ce  que  la  'France  avait  gagné  à  subordonner  Tautorlté  dn 
prince  à  sa  croyance,  à  mêler  le  spirituel  au  temporel;  k 
permettre  que  le  pape ,  souverain  étranger,  travaillant  dans 
son  intérêt,  servant  forcément  les  intérêts  d*nn  antre 
étranger,  capital  ennemi  de  notre  patrie,  réglât  à  sa  ftntaMe 
Tordre  de  succession  au  trône,  et  tout  Tordre  politique  de 
notre  pays. 

Dans  leur  révolte  contre  Henri  IV ,  les  ligueurs  étaient 
donc  condamnés  par  notre  droit  public,  par  notre  droit  re- 
Ugiem,  par  les  maximes  de  la  primitive  Église,  par  les  dan*^ 
gers  dans  lesquels  ils  précipitaient  la  France,  et  ils  n^avaient 
pour  eux  que  des  souvenirs  de  Tomhipotence  papale ,  mal«> 
faearensement  exhumés  du  moyen  fige ,  dans  des  temps  de 
trouble  et  d'anarchie.  Contre  les  excès  de  la  puissance  des 
papes,  contre  les  excès  du  clergé  de  la  Ligne,  les  ligueurs 
ne  trouvaient-ils  pas  pour  se  prémunir,  en  France,  sous  leurs 
yeux,  des  exemples  de  modération  et  de  sagesse  7  Les  faits  ré«- 
pondent  affirmativement.  Parmi  les  cent  dix-huit  archevêques 
oa'évêqnes  que  Ton  comptait  alors  en  France,  cent  embras- 
sèrent le  parti  de  Henri  IV,  dès  le  principe,  plus  de  trois  ans 
avant  sa  conversion.  Les  ordres  religieux  d*origine  française, 
tels  que  les  bénédictins,  les  génovéfains,  les  célestins,  les 
vlctorlns,  les  curés  de  Paris  les  plus  recomroandables  par 
leur  savoir  et  leurs  mœurs,  la  moitié  des  curés  et  des  prê- 
tres de  paroisse  dans  toute  Tétendue  du  royaume,  suivirent 
la  même  conduite ^  Dans  Tassemblée  de  Chartres,  TÉgIfse 
gallicane  rendit  en  1591  une  décision  qui  Thonore  à  jamais, 

*  Cent  archevêques  et  éTÂque*,  rar  cent  dix-liiiit ,  «valent  embraai^ 
le  parti  de  Henri  IV  dès  la  fin  de  1589.  Ce  fait  capiul  est  établi  par  le 
témoignage  det  écrivains  royaliste*  et  des  écrivaiîis  ligueurs  à  la  fois, 
parfaitement  d^accord  entre  eux.  Dans  la  Réponse  k  um  •dvig  publié  k 
la  fin  de  1689,  et  insère  dans  les  Mëinotrea  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  179,  on 
trouve  ce  piMoge  :  «  S^il  laat  éplucbar  lea  cbotes  par  le  menu,  de  ceui 


8  INTROOUGTIOir. 

et  qui  traçait  leur  devoir  à  tous  les  catholiques  qui  voulaient 
écouter  la  raison  et  la  religion  éclairée  au  lieu  de  la  ]>as9ion. 

A  défaut  de  ces  avis  donnés  par  la  partie  la  plus  élevée  et 
la  plus  éclairée  du  clergé ,  les  ligueurs  devaient  être  avertis 
par  leur  conscience  d*homnies  et  de  citoyens  d^abandonner 
un  parti  où  la  proMté  et  Thonneur  étaient  chaque  jour  lui- 
pttdenunent  violés.  Quelle  était,  en  effet,  la  moralité  des 
chefs  de  la  Ligue  ?  Mayenne ,  souillé  de  deux  assassinats  et 
de  débauches  honteuses,  poursuivait  le  projet  formé  d'abord 
par  son  frère  d^usorper  la  couromie,  dût  la  France  périr  par 
les  excès  de  leur  ambition.  La  duchesse  de  Montpensier,  Aies- 
saline  sangalnaire,  avait  poussé  le  bras  du  régicide  Jacques- 
Clément  Bossi^iederc  volait  600«000  francs  aux  suspects 
du  temps.  Aoae  et  Génébrard  souillaient  la  chaire  de  leurs 
déclamations  contre  Henri  pour  obtenir,  le  premier  Tévéché 
de  SealiSy  le  second  Tarchevèchéd^Aix.  Enfin,  eu  1591,  les 
cheb  de  la  Ligue  déféraient  à  l'étranger  Philippe  11  la 
loyauté,  la  souveraineté  de  leur  pays,  par  une  lettre  que  la 
conscience  publique  de  la  France  déclarera  éternellement 
Infâme, 

Tel  a  été  le  jugement  porté  sur  la  Ligue,  au  xvi*  Mède, 
par  ce  que  la  magistrature  a  eu  de  plus  noble  et  de  plus  cou- 
rageux, les  Lemaistre,  les  Mole,  les  de  Harlay,  les  de  Thou, 
les  I^MquIer;  au  xvii*  siècle  par  ce  que  TEglise  a  eu  de  plus 
grand  et  de  phis  saint  :  Bossuet  condamne  la  Ligue  dans  des 
termes  d'une  sévérité  qui  n'a  jamais  été  dépassée  K 

Et  il  faut  bien  remarquer  que  si  les  Ugtîeurs  arrivaient  à 
leurs  fins  et  parvenaient  à  foire  de  leur  patrie  une  province 
espagnole,  Philippe  11,  déjà  maître  de  l'Espagne  et  de  bi 


»  oa  •!>  f  iusts  éve«qaes  cl  arch«vea(|u«t,  qui  Mnl  an  rojaume  d«  Frai 

•  il  n*y  a  (>n  pas  la  disiènie  partie  qui  appiouvc  les  conseils  de  l'Union,  n 
Dans  la  Di^iagu»  du  manant  et  du  mahêwttre^  pamplilel  ligueur,  i*in* 
lerloculeur  du  Ligueur  lui  dit  :  «  Lu  plus'part  de  vos  evesqncs  et  chela 

•  ecdcsiasliqueft  vous  ont  délaisses...  Des  quatorsc  nrrfaevesques  iJc  France, 
»  voua  n'en  aves  que  trois,  et  des  cent  quatre  évraques.  vous  n'en  a  vas 
a  qua  quinte.  »  (Pièces  à  la  suite  de  la  Satire  Ménippee,  t.  lli,  p.  419, 
4«,  édiiioft  1716.) 

I  Sosanal,  Defeasio  déclarai,  cleri  Gallicani,  lib.  m,   c.  SS  :  «  Qiidd 
»  aatem,  tune  temporis,  coninratî.  tcu  L/gir,  ut  Toranl,  addicti,  culholicc 

•  relifiMiia  obtMilo  sloilio,  malta  in  regem  moverent,  eomque  ut  suspec- 
»  imn  haretic»  praTîtatis  apad  vulf  us  tr»dncerenl,  etc..  Non  attendi  deli«t 
■  quld  îllitenserint  val  fecerint,  qui  Guisianos«si  Doo  placct,  Capetis  rc- 

•  fibos.  aaaeliqoe  Ludovici  posteris  autefcnent,  Bispanicltffut  artibus, 
m  imù  Hispanico  aura  corrupti^  ad  haec  lAgm  furoribus  dementati^ 
m  tnspamos^  totharenosque  im  tstê  quant  Francos  mmimbant,  s 


QV&STUIIHI  I>S  DROIT  PUBLIC  9 

iDOttîéée  ritatk,  éomhiaiil  aonverêvuMuati  en  France,  coq- 
servanUa  Belgicpic,  venait  facUemeiit  àbout  de  la  révolte  de» 
Pays-Bas  lipUaadaîs ,  réussissait,  selon  toute  probabilité,  dans 
une  seconde  tentative  d'asservir  TAngieterre,  enfin»  n'avsdt 
qo'à  vouloir  pour  rédoiie  ceux  des  États  d^ttaiie  quiconser- 
vaieyiiiitt  reste  d'indépendance  à  Tétai  de  vassanx  ou  même 
de  sojeto;  et,  mettant  iMmt  à  bout  son  règne  et  sa  ibrtune 
avec  ceux  de  Ferdinand  II  et  de  la  branche  aiiemande  de  la 
maison  d'Autriche,  imposait  à  TËun^  la  menarckie  univer- 
selle de  Charles-Quint  et  l'inquisition*  La  trahison  des  11- 
giKtifs  envers  leiur  pays  allait  donc  à  étouffer  toute  liberté  et 
tonte  lumière  dans  TOccident,  toute  civilisation  dans  le 
monde. 

€e  qnl  confond,  c'est  de  voir  dqmis  vingt  ans  des  histo- 
riens et  dsa  orateurs  se  pesant  comme  religiettx,  aller  chei^ 
cher  la  glorlicaUoii  de  la  religion,  du  catholicisnie,  dans  les 
tareurs  de  la  Ligne,  an  lieu  de  la  prendre  dans  la  «ondttilede 
la  masse  des  évéques  et  du  clergé  français,  et  éuu  les  actes 
de  rassemblée  de  Chartres.  Ils  défilacent,  ponr  l'annihiler, 
la  e^ire  de  la  vraie  religion  et  de  notre  Église. 

L^aberraHon  ne  peut  aller  plus  loin.  Car  enfin,  si  la  Ugne 
a  en  inisoB,  sielle  a  été  dans  son  droit,  Henri  IV  n'a  élé 
qu'on  usurpateur,  les  maglsurats  et  les  évèques  de  son  parti 
que  des  factieux.  La  couronne  devaU  aller  aux  Guises  ou  à 
Philippe  li;  les  Bourbons  devaient  être  écartés.  Et  alors  le 
pays  était  gouverné  par  ces  derniers  rejetons  de  la  maison 
de  Guise,  dont  on  peut  voir  les  violences  et  rinsignffîante 
bizarrerie  dans  Tallemant  des  idéaux  et  dans  les  autres  con- 
temporains ;  ou  bien  par  les  descendants  de  Philippe  II , 
Philippe  m,  Philippe  IV,  Charles  II,  c'est-à-dire  par  la 
nnllfté  incamée.  La  France  n'avait  ni  le  règne  de  Henri  IV, 
ni  le  mhiistère  de  SuUy,  ni  le  ministère  de  iUchelleu,  ni  le 
règne  de  Louis  XIV,  qui  forment  l'époque  la  plus  glorieuse 
de  son  existence  politique  et  civile.  Elle  était  privée  dos  dfeux 
plus  grands  ministres  et  de  deux  des  plus  grands  rois  que 
l'on  trouve  dans  son  histoire  et  dans  l'histoire  de  tous  les 
peuples  :  elle  perdait  ce  prince  qui  par  son  amour  pour  ceux 
que  l'on  nommait  alors  ses  sujefs,  et  qu'il  appelait  ses  en- 
fants, est  l'honneur  de  l'humanité  autant  que  de  notre  na- 
tion. 


10  INTRODDCTIOir. 

Et  comme  le  droit  est  immuable,  comme  il  ne  périt  pM, 
comme  il  ne  s^amoindrit  pas  avec  le  temps  «  si  Henri  IV  ne 
fut  pas  roi  légitime  tant  qu^ii  fut  calviniste  ;  si  Tobéissance 
de  la  France  fot  subordonnée  à  la  croyance  de  son  chef;  si 
la  loi  politique  est  sujette  et  esclave  à  ce  point  de  la  loi  reli- 
gieuse telle  qu'on  Tentend  et  qu'on  la  fait ,  alors  encore  au- 
jourd'hui les  citoyens  de  tout  État  atholique  doivent  secouer 
le  joug  de  leur  roi  protestant  :  la  Belgique  n'a  qu'à  prendre 
les  armes  et  à  se  révolter. 

Telles  sont  les  conséquences  des  doctrines  que  l'on  met 
aujourd'hui  en  avant.  Le  sophisme  s'est  emparé  de  Tbistoire 
et  de  la  politique,  comme  il  s'est  saisi  de  ûmt,  et  par  ses  ap« 
préciations  fausses,  ses  raisonnements  captieux,  il  mine  un  à 
un  tous  les  principes  snr  lesquels  reposent  les  sociétés.  Son 
apologie  de  la  Ligue  n'est  pas  autre  chose  que  l'apologie  de» 
doctrines  de  révolte  et  de  renversement  des  gouvernements  i 
l'Insurrection  devient  le  plus  saint  des  devoirs,  tantôt  au  nom 
de  la  161 ,  tantôt  au  nom  de  la  liberté.  En  même  temps  que 
le  sophisme  ruine  ainsi  par  la  Inse  tout  ordre  pul>lic,  il  liât  en 
brèche  la  religion.  Après  la  Saint-Barthélémy,  rien  n'a  nui  da- 
vantage aux  croyances  que  la  Ugue,  où  des  hisenséset  des  fri- 
pons ont  fait  jouer  à  la  religion  un  si  pitoyable  rôle.  La  Ugue 
avec  son  escorte  de  la  guerre  civile,  de  la  domination  étran- 
gère, de  rinqulrition,  a  excité  une  juste  et  longue  horreur  :  au 
XVII*  siècle,  elle  a  engendré  des  milliers  de  libertins,  d'esprits 
forts ,  comme  on  les  nommait  alors  ;  elle  a  fait  des  millions 
d'incrédules  et  de  phUosophes  au  xviii*  siècle.  A  cette  der- 
nière époque,  en  pariant  du  catholicisme,  on  est  bien  arrivé 
à  dire  n  qu'il  fallait  couper  par  la  racine  un  arbre  qui  pro- 
•  dulsait  sans  cesse  de  pareils  fruits.  »  Et  il  s'est  trouvé  en 
i79/k  des  fanatiques  de  philosophisme  pour  le  couper  1  Réha- 
biliter la  Ligue,  lui  prodiguer  des  éloges  insensés ,  c'est  ra- 
mener tôt  ou  tard  les  esprits  aux  mêmes  dispositions  hostiles, 
et  les  pousser  au  renversement  de  la  religion. 

L'insurrection  sans  cesse  renouvelée  contre  tons  les  pou- 
voirs et  toutes  les  formes  de  gouvernement ,  le  scepticisme 
aussi  mortel  aux  sociétés  qu'aux  individus,  parte  qn'ii  les 
laisse  sans  frein,  ont  amené  la  France  au  milieu  dos  redou- 
tables difficultés  où  elle  se  trouve  aujourd'hui.  Le  devoir  de 


QUESTIONS  DE  DROIT  PUBLIC  il 

rhistoire  est  de  faire  justice  des  dangereuses  erreurs  qui  di- 
rectement ou  indirectement  servent  la  révolte  et  FirréUgion. 
Le  plus  grand  service  qu'elle  puisse  rendre,  c'est  d'établir  un 
certain  nombre  de  principes  fixes,  aussi  nécessaires  en  poli- 
tique qu'en  morale  ;  de  préparer  dans  les  générations  nou- 
velles ces  convictions  raisonnables,  ces  sentiments  honnêtes 
et  retenus,  qui  modifient  lentement,  sagement,  les  institutions 
au  fur  et  à  mesure  des  besoins  nouveaux  de  la  société,  au  lieu 
de  tout  bouleverser  et  de  tout  détruire  ;  qui  font  des  change- 
ments aiu  lois  et  aux  ministères  au  lieu  de  faire  des  révolu- 
tions. Un  peuple  voisin  suit  ces  maximes  depuis  deux  siècles, 
et  leur  a  dû  son  repos  et  sa  grandeur  :  Tordre  public  et  la 
pro^rité  sont  aux  mêmes  conditions  pour  notre  pays. 


HISTOIRE 


DD 


RÈGNE  DE  HENRI  IV 


DE  L^ATÉlfBMBlfT  DB  HENRI  IV  A  LA  FIN  DE  SA  PREMIÈRE 
CAMPAGRE  (AOOT  1589-JAirVIBR  i5^). 


CHAPITRE  I". 

AT^oemeat  de  Henri  lY.  ~  Goureraeinent  rival  éXahli  pat  la  Lieue 

(août  1589). 

La  Fiance  n^ftTait  voulu  ni  des  guerres  civiles  et  de  Fa-  "^SÎ  Bolfrblîr'' 
narchie  du  grand  interrègne  de  T  Allemagne,  ni  des  troubles  &  u  cooroone. 
continuels  de  la  Pologne.  Dans  sa  sagesse,  elle  avait  réglé  la 
anccession  du  pouvoir  souverain  d'une  manière  invariable , 
attribuant  la  couronne  à  une  seule  famUle  ;  appelant  à  la 
porter  les  diverses  branches  de  cette  famille,  au  fur  et  à 
oMsore  des  extinctions  ;  faisant  prédominer  pour  les  rameaux 
de  cbaqve  branche  le  droit  de  primogéniture  et  de  représen- 
ladoD,  sans  s'arrêter  à  aucun  degré.  Dans  son  droit  public, 
cette  loi  était  la  première  4%  ses  lois  fondamentales.  Elle 
avait  reçu  sa  dernière  conflrmation  à  Tavénement  de  Phi- 
lippe de  Valois,  et  depuis  son  application  cimstante,  sans 
Tomlire  d'une  contestation  ni  même  d'un  doute ,  lors  de 
Tavénement  des  branches  collatérales  d'Orléans  et  d'Angou- 
léme.  Tout  cet  ordre  avait  été  établi  non  dans  l'intérêt  d'une 
famille,  mais  dans  l'intérêt  du  pays,  contre  les  ambitions 
du  dedaas  et  les  intrigues  de  l'élranger. 


ih  HISTOIRE  DU  BÈGNE  DE   HENRI  IV. 

A  l*extinction  de  la  maison  de  Valois,  la  maison  de  Bour- 
bon est  appelée  à  occuper  le  trône,  comme  ayant  pour  auteur 
Robert  de  France,  sUième  fils  de  saint  Louis.  Le  chef  de 
cette  branche  est  Henri  de  Bourbon,  roi  de  Navarre,  parce 
qu'il  est  fils  d'Antoine  de  Bourbon,  Talné  de  cette  branche, 
et  qu'il  le  représente.  Le  vieux  cardinal  de  Bourbon,  son  oncle, 
frère  cadet  d'Antoine  ^  no  peut  l'emponer  «ir  lui  qu'au 
mépris  de  droits  établis  par  la  nation  elle-même,  et  d'usages 
demeurés  jusqu'alors  invariables.  Comme  les  contemporains 
le  font  très  bien  remarquer,  le  vieux  cardinal  de  Bourbon 
n'est  que  le  prince  le  plus  proche  du  sang,  tandb  que  Henri 
de  Bourbon  est  le  premier  prince  du  sang. 

Parmi  l'anarchie  du  dernier  règne»  les  factions  ont  attaqué 
les  droits  de  Henri  de  Bourbon.  Une  bulle  de  Sixte-^uint , 
du  10  septembre  1585,  a  déclaré  ce  prince  excoramunié , 
privé  de  ses  £tats ,  incapable  de  régner  en  France.  Par  les 
votes  des  18  octobre  et  5  novembre  1588,  les  États  de  Blois 
l'ont  exclu  pareillement  de  la  couronne.  Mais  la  distinction 
entre  la  puissance  temporelle  et  la  puissance  spirituelle  est 
établie  dans  le  royaume  depuis  six  siècles,  et  tant  que  les 
factions  n'ont  obscurci  ni  troublé  le  droit,  il  a  été  reconnu 
par  tous  les  corps  de  TÊtat,  y  compris  l'ÉgUse,  que  les  papes 
n'ont  aucun  pouvoir  sur  le  temporel  des  rois.  En  second 
lieu,  les  votes  des  États  restent  de  nul  eflet  Jusqu'à  ce  qu'un 
édit  du  roi  les  ait  transformés  en  loL  Or,  les  édita  et  décla- 
rations de  Henri  lU  ont,  au  contraire»  reconnu  les  droits 
de  Henri  de  Bourbon  k  la  couronne  ;  il  s'est  allié  avec  loi 
dans  les  derniers  mois  :  à  son  lit  de  mort ,  U  l'a  déclaré 
solennellement  son  successeur»  et  Ta  lait  reconnaître  par  les 
seigneurs  assemblés  K  Les  droits  du  prétendant  restent  donc 
entiers»  à  moins  que  les  lois  fondamentales  ne  soient  chan* 
gées  ;  et  elles  ne  peuvent  l'être  que  par  la  nation^  on  par  ses 
représentants  réunis  dans  une  aasenblée  légale. 

IMais  la  France  est  en  pleine  guerre  civile,  après  l'assas- 
sinat d'un  roi.  A  moins  de  la  laisser  tomiwr  dans  ime  com* 
plète  subversion»  il  est  impossible  de  s'accommoder  des 
lenteurs  d'une  convocation  et  d'une  réunion  régulière  d'É- 
tais-généraux»  et  d'ajourner  une  décision  à  trois  mois.  Dans 

•  Voyn  d^«Miu  Im  ctlsUoai,  p.  4. 


ATiHBlfXHT  OB  HEimi  IT.  i& 

de  Mlles  etroooftancet ,  il  n*y  a  de  subiltuiiit  que  le»  droit» 
de  Henri  de  Bourbon,  et  il  n'y  a  de  praticable,  pour  r^ler 
les  grands  intérêts  de  TÉtat  et  de  la  religion^  qu'une  déclsioa 
des  chefs  et  ioldats  du  camp  de  Salnt-^Gloud.  Dans  ieurs^ 
rangs  se  trouve  ce  que  Tordre  militaire  et  Tordre  civil 
comptent  de  plus  éminent,  comme  nous  TétabUrons  bientôt. 
A  tout  prendre,  ce  sont  donc  encore  les  représentants  les 
plus  légitimes  du  pays* 

Au  moment  oA  Henri  Ul  fat  Êrappé  par  Jaeques^iUément, 
Tannée  royale  qui  bloquait  Paris  se  trouvait  séparée  en  deux 
grandes  divisions  :  les  catholiques  campaient  k  Saint-Cloud, 
les  calvinistes  avaient  leurs  quartiers  à  Mendon.  Henri  de 
Navarre,  après  avoir  visité  son  beaurfirère  et  reçu  le  serment 
des  seigneurs  catholiques,  retourna  auprès  des  calvUiistes^ 
le  1*'  août,  vers  onxe  heures  du  matin  >. 

Quinze  heures  sMcoulèrent  entre  Tinstanc  «ù  Henri  111  se 
sépara  du  roi  de  Navarre  et  celui  où  11  expir»,  le  2  août,  h 
deux  heures  du  matin.  Pendant  ce  temps,  le  camp  de  Saint- 
Gloud  et  le  quartier,  de  Meudon  furent  livrés  à  une  prodi- 
gleuse  fermentation.  Les  passions  religieuses  et  politiques , 
les  intérêts  que  contenait  et  maîtrisait  le  dernier  Valois ,  roi 
incontesté  dans  son  parti ,  dqiuis  longtemps  établi,  catho- 
lique, Ikdlement  obéi  des  catholiques  royaux,  qui  lormaient 
plus  des  trois  quarts  de  Tarmée  ;  ces  paûions  et  ces  intérêts 
se  déchaînèrent  tout  h  coup,  et  s'exercèrent  avec  la  force  par* 
ticulièreque  leur  devaient  communiquer  un  moment  de  crise 
et  un  changement  de  dynastie* 

Dans  le  camp  de  8aint-€loud,  les  seigneurs  catholiques^     TmnJ^aiho- 
revenus  de  la  surprise  et  de  Tentralnement  auxquete  ils        liqaet 
avaient  cédé,  quand  &  la  voix  de  leur  roi  mourant  ils  avaient  ^^  &,1o^âoiMi. 
juré  fidélité  à  Henri  de  Navarre,  reprirent  la  liberté  de  leurs 
sentiments  et  de  leurs  déterminations,  et  se  divisèrent  sur-le« 
champ  en  trots  factions,  occupées,  durantTagonie  de  Henri  1(1, 
delà  résolution  à  prendre  au  moment  de  sa  mort 

La  première  demandait  que  Ton  observât  Tordre  de  suc- 

*  tKAiigo«l<sm«,  HéakùWêê  dm»  la  colluctian  Mieb«uil«  t.  xi.  p.  64  B,  67, 
.-  Extra»  d*im  dûcovn  d'Bltat  dm  M.  d«  Saney,  daot  les  ICtfaioirea  de 
Heiren,  t.  u,  in-folio,  p.  860.  —  VAuMsnd,  HirtoIrM,  1.  n,  c  iS,  p.165» 
Ils  lont  tons  trois  témoins  oenlairM, 


16  HISTOIRE  DU  RÈGHE  DE  HKKRI  IV. 

cession  étaUi  par  les  lois  ;  que  Ton  reconnût  poor  roi,  immé- 
diatement ec  sans  condition,  Henri  de  Navarre  :  estait  le  seul 
moyen  de  prévenir  les  uswpations  locales,  le  renonvellement 
des  filetions,  la  tyrannie  de  ia  ligue,  la  dissipation  de  l^Êtat  et 
en  définitive  la  domination  de  TEspagnol.  La  conduite  de 
Henri  de  Bourbon  dans  son  gouvernement  de  Guienne  et 
dans  son  royaume  de  Navarre,  pendant  treize  ans  ;  ses  pro- 
messes solennelles  et  récentes  contenues  dans  sa  déclaration 
de  Ghâtellerault ,  ne  permettaient  pas  de  douter  qu'il  ne 
respectât  le  caiMidnne^  :  de  nouvelles  garanties,  de  nou- 
velles assurances  seraient  données  au  maintien  de  la  religion 
par  rengagement  qu'on  tirerait  du  nouveau  roi,  et  par  la 
force  des  catholiques  résultant  de  leur  union  entre  eux.  La 
religion ,  dont  on  avait  fait  depuis  quelques  années  une 
arme  contre  la  royauté,  n'était  qu'un  prétexte  bon  pour 
tromper  et  égarer  un  peuple  prévenu.  On  devait  se  hâter 
de  déférer  Tauloiité  k  l'homme  désigné  et  conduit  par  la 
Providence  elle-même,  au  seul  homme  capable  par  ses  vertus 
et  sBs  talents  de  sauver  la  France.  Tels  étaient  tes  aenUmenis 
et  le  langage  désmlà^tBés  des  politiques» 

Le«econd  parti,  cohii  des  catholiques  ardents,  ne  voulait 
déférer  ia  couronne  à  Henri  de  Navarre  que  sous  la  condi- 
tion qu'il  abjurerait  sur-4e-cliamp  le  calvinisme  :  la  crainte 
de  voirie  calvinisme  chasser  le  catholicisme,  et  lui  demander 
raison  de  la  Saint-Bartliélemy,  dominait  im  certain  nombre 
d'entre  eux.  La  plupart  prétendaient  mettre  le  prinoe  dans 
leur  dépendance,  en  ne  lui  laissant  d'appui  que  le  leur,  et 
en  le  faisant  céder  dès  le  premier  jour  de  son  avènement.  Ils 
voulaient  de  plus  le  confisquer,  l'eiqiloiter  à  leur  profit,  en 
faire  im  catholique  pour  qu'il  accordât  aux  seuls  catholiques» 
à  l'exclusion  dès  huguenots,  les  charges,  les  honneurs,  les 
dignités.  Quelques  uns  ne  se  rendaient  difficiles  sur  la  religion 
du  Béarnais  que  pour  loi  faire  «ch^er  leur  désistement  par 
des  concessions  particulières. 


*  Dam  «l'/kdYerliSMment  lor  Pintenlloa  d«  la  maiaon  àe  IxNTalne,»  pvblM 
en  f  ses,  le  roi  de  Navarre  BTalt  établi  d^one  manière  irre'tisUble,  et  en 
prenant  à  témoin  la  France  entière,  ion  inviolable  reapect  pour  le  catholi- 
eiime,  d'aprèa  ce  q«*il  avait  fait  à  Agen,  dans  tqni  aoo  gonvernenaent  de 
Gnvenne  et  dans  ann  royaame  de  Navarre.  (Mémoires  de  Dupleuit*  t.  il, 
p.  toUmASê.)  —  11  avait  renoaTtlé  solennellement  la  promesse  de  la  même 
tolérance  dans  la  déclaration  de  CbAtellemttll. 


ATÉNEMEIIT  D£  HEHRI  IT»  17 

Enfin  une  dernière  classe  refusait  absdument  de  le  recon- 
naître. Elle  se  composait  de  deux  espèces  dliommes  :  les 
timorés*  qui  voulaient  se  retirer  chez  eux,  voir  venir  les  évé- 
nements, et  se  déclarer  pour  Henri  ou  pour  la  Ligue,  selon 
que  l'un  ou  Tautre  serait  victorieux  ;  les  grands  ambitieux, 
qui  se  proposaient  de  former  dans  leurs  gouvernements  des 
principautés  indépendantes,  de  ramener  TÉtat  et  la  royauté  à 
quatre  siècles  en  deçà,  au  régime  de  la  grande  féodalité,  au 
temps  où  la  France,  comme  TAUemagne,  n^était  qu'une  con- 
fédération de  princes,  de  souverains  locaux,  ayant  un  roi 
non  pour  maître,  mais  pour  chef,  dans  quelques  circonstances 
dont  eux  seuls  ctemeuraient  juges  ^ 

Pendant  que  le  camp  de  Saint-<]3oud  était  agité  en  sens  cou-  D^ii>rratloa 
trahre  par  ces  passions  et  ces  projets,  Henri  de  Navarre  était  '*'  ^^rn  ^*' 
occupé  des  soins  les  plus  divers.  En  quittant  Henri  HI  à  •«  quartier  de 
onze  heures ,  il  revint  au  quartier  de  Meudon  qui  était  celui  *^^'^' 
des  huguenots,  il  employa  le  reste  de  la  journée  du  1*'  août 
à  prémunir  l'armée  contre  l'attaque  des  Ligueurs.  A  minuit, 
il  apprit  que  Henri  III  n'avait  plus  que  quelques  moments  à 
vivre,  et  il  agita  avec  ses  conseillers  huguenots,  Beauvais- 
Lanocle,Ségur,  Guitry,  ce  qu'U  avait  à  résoudre,  dans  les  gra- 
ves circonstances  où  la  France  et  lui-même  se  trouvaient  pla- 
cés. Les  uns  le  jugeaient  mai  en  sûreté  au  milieu  d'une  armée 
catholique  :  ils  voulaient  qu'avec  une  troupe  dévouée,  il  se 
retirât  sur  la  Loire ,  où  il  trouverait  le  parlement  de  Tours, 
et  un  peu  plus  loin  les  calvinistes,  son  gouvernement  de 
Guienne,  ses  États  de  Navarre  :  il  irait  prendre  à  Tours,  où 
Henri  lll  l'avait  laissé  en  dépôt,  tout  ce  qui  constituait  la  sou- 
veraineté, la  justice,  les  monnaies,  les  finances  :  après  s'être 
assuré  des  villes  de  la  Loire ,  après  avoir  affermi  sa  royauté 
et  levé  des  forces  imposantes  dans  le  midi  de  la  France,  il 
viendrait  arracher  le  nord  à  Mayenne  et  à  la  Ligue.  Guitry 
représenta  qu'en  prenant  ce  parti ,  Henri  fuirait  devant  ses 
ennemis,  et  perdrait  la  réputation  qui  est  la  moitié  de  la  force 
à  la  guerre  :  toute  la  noblesse  du  nord  qui  avait  ses  pro- 
priétés dans  111e  de  France,  la  Normandie,  la  Picardie,  la 
Champagne,  se  voyant  abandonnée  par  lui,  passerait  à  la  Ligue 
oa  en  serait  accablée  :  il  se  réduirait  de  roi  de  France  à  être 

'  Thaanus,  1.  cxvii.  S  i,  t.  Vf,  p.  791.  —  D'Angouletoie,  t.  Zi»  p.  67  A. 
■a  Perefixe,  partie  ii,  p.  107, 106,  ëd.  1S23,  in-8. 


Henri  Ta  «u 

camp  da 

SointXIoud. 

D'Anmont, 

d'HumièreSi 

Givry. 


18  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

roi  d'Aquitaine ,  firobablenient  sans  retoar.  Henri  embrassa 
cet  avis  :  résoln  à  ne  pas  se  rapetisser,  à  ne  pas  s'amoindrir, 
par  la  crainte  des  dangers  qui  i'attendaient,  il  arrêta  de  tout 
tenter  pour  maintenir  dans  son  intégrité  le  royaume ,  dans 
son  unité  et  dans  sa  force  le  pard  royal,  qui  pouvait  encore 
exterminer  la  Ligue,  s'il  le  voulait  K 

Là  nuit  linit  avec  ces  déiiiiérations,  et  la  nouvelle  de  la 
mort  de  Henri  ili  étant  parvenue  au  quartier  de  Meudon  le 
matin  du  2  août,  Henri  de  Ma  varre  fut  salué  roi  de  France  par 
les  huguenots.  Mais  ils  formaient  à  peine  5,000  liommes, 
dans  ime  armée  de  /iO,000,  et  Ton  ne  pouvait  compter 
sur  la  moitié  de  leurs  dieCs,  comme  on  le  vit  iiientôt.  Henri 
en  était  donc  réduit  aux  seuls  moyens  de  la  persuasion  dans 
ses  rapports  avec  les  catholiques.  A  dix  heives,  il  entra  au 
.  camp  de  Saint-Cloud,  tout  composé  de  catholiques,  accom- 
pagné de  quelques  centaines  de  huguenots»  Trois  seigneurs 
parmi  les  plus  autorisés,  le  maréchal  d'Aumont,  d'Hiunières 
et  Uivry,  hdèles au  serment  de  la  veille,  le  reconnurent  sans 
condition,  et  coururent  vers  la  noblesse  de  Champagne,  de 
Hcardie,  de  l'Ue-de*J:''rance,  qui  se  U-ouvait  alors  k  Tannée, 
pour  la  gagner  k  sa  cause,  bancy  était  le  seul  seigneur  calvi- 
niste de  marque  au  camp  de  baint-Cloud  ;  il  se  rendit  de  son 
cOté  au  quartier  des  buisses,  avec  le  projet  de  les  décider  en 
faveur  de  UenrL  Mais  en  attendant  les  eilets  de  leur  lèle,  le 
prétendant  tomba  pour  quelque  temps  à  la  merci  des  catho- 
liques ardents  et  des  amlMtieux^. 
Violence  QuRud  il  entra  dans  la  maison  de  Gondy  et  dans  la  chambre 

***' !!!i!!^ll!^^'  ^^  Sisai^  ^^  ^  mort,  il  trouva  plusieurs  seigneurs  de  la 
faction  des  catholiques  ardents,  l'Yançois  d'O,  Balzac  d'Ën- 
tiagues,  Manott,  Château  vieux,  Uampierre  et  autres,  qui 
l'accueillirent  par  des  imprécations ,  des  gestes  de  fureur  et 
de  mépris,  mêlés  de  ces  sinistres  paroles  :  «  Plutôt  mourir 
»  de  mille  morts  que  de  souifrir  un  roi  huguenot,  m  A  peine 
établi  dans  un  logis  voishi  ^ ,  il  vit  arriver  le  maréchal  de 
Biron,  l'homme  le  plus  influent  de  l'armée,  et  le  sujqiUa  de 


•rdenU* 


•  D'ÂDgottktmc,  Xl«  p.  t6-67.  —  E&lralt  a*ua  discourt  d^ÉUI  d«  SI.  de 
SaBcy,  dkiu  !•«  oicn.  tic  Nev«i«,  t.  u,  p.  501,  à  la  tin,  t»9d. —  MiilUùvu. 
HUU  de  Henri  IV,  in-lulio,  1631,  p.  5,  A,  6.  —  Thuuuiu,  1,  97,  $  S,  p.  79S. 

'  O'Auguuleime,  p.  07  A.  «  bur  les  du  du  matin,  1«  roy  de  Navarre, 
$  naiBlenBBl  Micccueur  et  roy  de  France,  arriva  au  camp  de  St.-Cloud.  i 

'  La  maison  de  Outillel. 


AViHEMSIVT  SK  HfiNRl  lY.  19 

meure  la  main  à  la  coiiroime  de  France,  non  pour  la  perdre, 
mais  pour  la  sauver.  Si  Bîron,  comme  le  prétendent  quel* 
ques  liistoriens,  se  laissa  entraîner  à  un  généreux  enthou- 
siasme, et  ce  jour-U  servit,  sans  condition,  le  prétendant  et 
le  pays,  il  fut  repris  dès  le  lendemain  par  les  pensées  d*anH 
bition  et  d'égoïsme.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  sortit  bientôt,  et 
Henri  se  vit  en  butte  à  la  violence  des  catholiques  ardents  réu- 
nis en  corps  pour  le  forcer  dans  sa  conscience.  Us  lui  décla- 
rèrent que  le  moment  était  venu  pour  lui  de  choisir  entre 
les  misères  d'un  roi  de  Navarre  et  la  haute  fortune  d'un  roi 
de  France,  et  d'abjurer,  s'il  prétendait  à  leur  suffrage  et  à  la 
couronne;  car,  à  leur  sens,  l'avénement  d'un  roi  huguenot 
mettait  en  danger  la  religion  de  leurs  pères.  Cette  sommation 
religieuse  lui  fut  adressée  par  François  d'O,  l'un  des  mignons 
de  Henri  lil,  et  l'un  des  déprédateurs  les  plus  ébontés  de  ce 
temps.  Toutefois  elle  n'étonna  et  n'égaya  personne  parce  qu'à 
la  question  religieuse,  d'O  joignit  un  grand  intérêt  politique  s 
il  demanda  formellement  le  monopole  des  charges  et  des 
honneurs  pour  les  seigneurs  catholiques  à  l'exciusion  des 
huguenots.  Henri  refusa  d'abandonner  sa  croyance  ;  par 
cette  fermeté,  il  échappa  à  une  abjuration  forcée  et  immé- 
diate, qui  l'eût  déshonoré  et  perdu  dans  l'opinion  publique, 
et  qui  lui  eût  donné  en  même  temps  pour  ennemis  les  ré- 
formés de  la  France  et  de  l'Europe  entière.  Mais  il  essaya 
vainement  de  ramener  les  catholiques  ardents.  Vainement 
opposant  l'intérêt  à  l'intérêt,  il  leur  montra  qu'ils  devaient 
éviter  de  sévir  conUre  les  calvinistes  et  de  jeter  ainsi  la  divi- 
sion dans  l'armée  royale,  dans  le  parti  royal,  qui  protégeaient 
seuls  contre  la  Ligue  leurs  privilèges,  leurs  biens  et  leur  vie. 
Ils  persistaient  opiniâtrement,  et  déjà  on  en  venait  aux 
aigres  propos  et  aux  menaces  dans  un  camp  où  le  dernier 
exemple  donné  était  celui  d'un  roi  assassiné  K 


•  D'Aalngué,  l.  il,  c.  «5,  t.  in,  p.  186,  dbcoars  d'O  à  Benri  IV  :  «On 
j»  dé»ire  que  vons  ne  âonnios  pas  l«i  cl«b  d«  nos  Ttes  et  à»  wm  honmemn 
m  enU«  l«s  mùns  da  ceux  qu«  auus  avons  otfeiuiéi  par  de  Ik  Tespoir  de  la 
»  cecoQciliatioB...  bi  les  hugucnoU  sont  devenus  plus  ambiliaux  que  leurs 
m  prcdecessaura,  il  ne  sera  pas  malaisé  de  les  guérir  de  celle  maladie.  »  -^ 
Livre  lu,  c.  i,  p.  817  :  «  Les  reformes  ayant  appris  ded*0  meioie  qiifii  n'y 
»  Mvait  ni  secours,  ni  bienCàôcts  pour  eux,  et  les  catholiques  plus  passionnes 
»  leur  ajaut  faiet  savoir  entre  Itss  clauses  promises  et  lie  qui  les  privoit  des 
j»  bien/ails  et  honneurs  du  royaume,  m 


30  HISTOIRE  DU  RÈGNE   DE  HENRI  IV. 

R«nri^r«connii       GlvTy,  Cil  entrant,  rompit  ce  dangereux  conflit.  U  appor- 
nubtecc«  de     tait  à  Henri  rengagement  de  la  noblesse  de  IMle-de-France 
'  le  PiTrrX!''  ^^^  ^*  protestation  qu'il  était  le  roi  des  braves,  et  qu'il  ne 
de  cbumpagne  serait  abandonné  que  des  lâches.  Quelques  instants  plus  tard, 
i«rsi!to[ec.     d'Ilumières  Passura  de  deux  cents  gentilshommes  de  Picar- 
die, et  d'Aumont  de  la  noblesse  de  Champagne.  Enfin, 
Sancy  lui  présenta  les  quarante  colonels  et  capitaines  suisses 
qui,  en  leur   nom  et  au  nom  de  leurs  12,000  soldats, 
lui  promirent  service  pour  deux  mois,  sans  exiger  actuelle- 
ment d'argent  Sancy  n'avait  pas  amené  les  Suisses  à  cette 
résolution  sans  des  prodiges  d'éloquence  et  d'adresse.  Ces 
étrangers  arrangeaient  déjà  leur  départ,  en  prétextant  que 
leur  engagement  contracté  avec  le  seul  Uenri  IH  se  trouvait 
rompu  par  la  mort  de  ce  prince  :  en  réalité,  ils  ne  cédaient 
qu'à  l'appréhension  d'être  mal  soldés  par  un  roi  contesté  et 
aux  expédients.  Sancy  opposa  à  cette  crainte  une  crainte  plus 
forte,  et  les  fit  changer  de  propos  en  leur  persuadant  qu'ils  ne 
seraient  pas  payés  de  ce  qui  leur  était  déjà  dû ,  et  qu'ils 
s'exposeraient  à  être  exterminés  sur  la  route  par  les  paysans 
et  par  les  garnisons  ennemies  ^ 

Uenri  avait  désormais  tm  point  d'appui  et  une  défense 
dans  les  Suisses  et  dans  la  noblesse  de  la  Picardie,  de  l'Ile- 
de-France  et  de  la  Champagne.  Les  catholiques  ardents  ne  pou- 
vaient plus  le  violenter  :  ils  lâchèrent  prise  et  se  retirèrent. 
Mais  ils  se  répandirent  dans  le  camp,  et  travaillèrent  active- 
ment à  y  faire  prévaloir  leurs  préjugés  et  leurs  passions,  à  la 
veille  de  la  solennelle  délibération  où  devaient  se  régler  l'état 
des  religions,  la  forme  du  gouvernement ,  la  succession  au 
trône,  c'est-à-dire  le  sort  même  de  la  monarchie. 

''***w"  Uo!f *''       ^  ^  *^^*  '®  ^*'"»  ^^  ^®  lendemain  3,  les  seigneurs  se  ren- 
des seigneurs    nirent  dans  plusieurs  assemblées  générales.  Les  opinions 
de  sTiQ^ciottd.  ^^  P*^  hostiles  au  prétendant  furent  mises  en  avant  par 
le  pard  des  catholiques  ardents',  ils  proposèrent  successi- 
vement de  l'exclure  du  trône  ;  de  le  contraindre  d'abjurer 

•  D'Angonlesme,  t.  xi,  p.  67  B.  —  D^Aobigue',  1.  H,  c.  SS,  p.  183-188.  — 
Elirait  d'un  dise.  d'Etat,  pur  M.  de  Stincy,  duns  les  Mcm.  de  Nevers,  t.  il, 
p.  591,89t.— Thita nus,  I.  xcvil,  SS  ^i  **  p.  79.V794.  Les  Tuits  rapportés  par 
de  Thou  lont  exacts,  mais  il  place  mal  le  moment  où  Henri  est  assure  des 
Suisses.  —  Matthieu,  Hist.  de  Henri  IV,  p.  5. 

*  Cètaieut  prérisëment  les  mêmes  qui  avaient  essaytf  la  Teille  de  le 
faire  abjurer:  d'O,  Manou,  d^Enlragues,  Dampierre,  Vitry.  (Héseray, 
grande  HlsU,  t.  ni,  iu-fulio,  1651,  p.  6*Jâ.) 


AVéNEMEfiT  0£  HEURI  IV.  21 

sur-le-champ  ;  de  renvoyer  rélection  aux  États-généraux , 
la  représentation  n'ayant  pas  lieu  en  droit  civil  à  un  degré 
aussi  éloigné*  Biron,  rentré  dans  les  rangs  des  grands  am- 
bitieux ,  proposa  de  ne  pas  le  nommer  roi ,  qualité  incom- 
patible avec  son  hérésie  ,  mais  de  le  reconnalure  seulement 
pour  capitaine  général  et  pour  chef  du  parti  royaliste ,  en 
attendant  qu'il  abjurât.  Les  politiques  repoussèrent  cette 
ouverture  par  de  graves  raisons  que  Sancy  fut  chargé  d'ex- 
poser :  TÊtat  étant  monarchique ,  son  principe  et  son  es- 
sence était  la  royauté  :  on  devait  pourvoir  à  la  royauté 
d'après  les  lois  de  tout  temps  en  vigueur  pour  la  succession 
au  trône,  et  choisir  l'alné  de  la  maison  de  Bourbon ,  seule 
branche  qui  restât  de  la  famille  royale  :  si  l'on  ne  prenait 
Henri  pour  roi  dès  à  présent,  on  s'exposait  à  ne  pouvoir  le 
foire  reconnaître  pltis  tard  ni  par  les  peuples  de  la  Ligue,  ni 
par  son  propre  parti  :  en  s'écartant  de  ces  règles  on  encou- 
rait donc  le  danger  d'une  révolution  complète  dans  la  con- 
stitution de  l'État  et  d'une  anarchie  dont  personne  ne  pou- 
vait prévoir  le  terme.  Bûron  tira  Sancy  à  part  et  lui  dit  «  que 
B  jusqu'alors  il  avait  cru  qu'il  avait  de  l'entendement,  mais 
»  qu'il  en  perdait  maintenant  toute  opinion  :  en  effet,  ajou- 
»  ta-t-il,  si  avant  d'avoir  assiuré  nos  affaires  avec  le  roi  de 
9  Navarre,  nous  établissons  entièrement  les  siennes,  il  ne 
»  nous  connaîtra  plus,  il  ne  se  souciera  plus  de  nous  ;  le  jour 
»  est  venu  pour  faire  nos  affaires;  si  nous  en  perdons 
»  l'occasion,  nous  ne  la  recouvrerons  jamais ,  et  le  repentir 
»  nous  en  demeurera  toute  notre  vie.  »  Sancy  comprit  que 
tous  les  raisonnements  échoueraient  contre  l'inflexibilité  de 
llntérèt  et  de  l'ambition,  et  qu'il  fallait  capituler.  Il  demanda 
à  Biron  ce  qu'il  prétendait  :  celui-ci  répondit  que  si  Henri 
voulait  lui  donner  le  comté  de  Périgord,  il  ne  l'abandoimerait 
pas  et  suivrait  sa  fortune.  Sancy  alla  porter  ces  conditions  au 
roi  de  Navarre,  qui  assura  à  Biron  ce  qu'il  demandait  >.  Nous 
verrons  plus  tard  les  suites  de  ce  marché ,  dont  les  termes 
donnent  la  clef  de  toute  la  conduite  de  Biron.  Satisfait  dans 
ses  prétentions,  il  se  sépara  des  catholiques  ardents  et  il  affai- 
blit leur  opposition. 

Il  fut  convenu  alors  dans  l'assemblée  des  seigneurs  que 

'  Emirait  <l*uii  discours  «l'Etal  de  H.  de  Sancy,  daua  las  Bfem.  de  Nevert, 
p.  808. 


Engagement 

réciproque 

du  roi  el 

des  seigncart. 


22  HISTOIRE  DO  RÈGNE  DK  HENRI  IV. 

Henri  aérait  reconnu  roi ,  sans  que  l^on  exigeât  de  lui  une 
abjuration  immédiate  comme  prix  de  la  souveraineté  qu'on 
lui  déférait.  CTétait  le  point  capital  ;  mais  l)eaucoup  d'autres 
questions  de  la  plus  haute  importance,  sur  le  temps  et  la 
forme  de  rinstruction  que  recevrait  Henri  pour  rentrer  dans 
le  sein  de  TÉgllse,  sur  la  liberté  de  culte  des  calvinistes,  fu- 
rent détnttues  ensuite  et  n'arrivèrent  à  une  solution  satisfai- 
sante que  par  la  promesse  que  fit  Henri  de  rétablir  le  catho- 
lidame  dans  tout  le  royaume,  non  pas  à  Texclusion,  mais  à 
côté  du  calvinisme  dans  les  lieux  où  il  s*était  établi ,  et  par 
rengagement  de  rendre  leurs  biens  aux  ecclésiastiques.  Les 
articles  furent  enfin  arrêtés  et  conclus  le  soir  du  3  août,  et 
rignés  le  à.  D*autres  articles  réglèrent  les  intérêts  généraux 
du  royaume,  les  intérêts  particuliers  de  la  noblesse,  les  avan- 
tages dont  jouiraient  les  serviteurs  particuliers  de  Henri  III  ^ 
Void  les  clauses  de  cet  acte  célèbre,  nommé  déclaration ,  en 
ce  qui  oonccmait  la  religion  d'une  part,  le  gouvernement 
de  l'autre. 

Henri  promit  et  jura  en  Ibi  et  parole  de  roi  de  maintenir 
dans  le  royaume  la  religion  catholique ,  apostolique  et  ro- 
maine, de  ne  rien  changer  dans  ses  dogmes  ni  dans  sa  disci- 
pline, de  ne  conférer  les  bénéfices  et  autres  dignités  rcclé- 
siastiques  qu'à  des  sujets  capables  et  à  des  catholiques.  Il 
renouvela  la  promesse ,  faite  avant  son  avènement ,  de  se 
soumettre,  au  sujet  de  sa  religion,  à  ce  qui  serait  décidé  par 
nu  concile  général  libre  on  par  un  concile  national ,  qu^ 
aurait  aoln  de  faire  assembler  au  plus  tard  dans  le  délai  de 
six  mois.  Il  s'engagea  en  outre  à  ne  conférer  qu'à  des  catho- 
liques, pendant  le  même  espace  de  temps,  les  gouvernements, 
charges  et  autres  emplois  publics  qui  deviendraient  vacants, 
et  de  leur  réserver  exclusivement  le  gouvernement  de  toutes 
les  villes  qui  seraient  enlevées  à  la  Ligue,  à  l'exception  d'une 
seule  dans  chaque  bailliage  on  sénéchaussée.  La  déclaration 
garantit  aux  calvinistes  :  l"*  la  liberté  entière  de  conscience 
dans  l'intérieur  de  leurs  maisons  ;  2*  l'exercice  public  de  leur 
culte  dans  les  places  dont  ils  étaient  maîtres,  dans  une  ville 
de  chaque  bailliage  ou  sénéchaussée  parmi  celles  qui  seraient 
enlevées  à  la  Ligne,  dans  la  ville  de  Saumur,  à  l'armée,  et 

•  TIramae,  I.  xcni,  1  4.  t.  iv,  p.  T94.  ->  Matthieu,  BuL  de  Ueori  IV, 
p.  7-S.  -.-  Méferaj,  gr.  HitU,  U  w,  ia-blio,  1651.  p.  ODi^tn. 


AViflEMENT  DE  HENRI  IV.  28 

partout  où  le  roi  se  trouverait.  Il  leur  assura  les  gouverne» 
ments,  charges  et  offices  dans  les  mêmes  lieux  et  dans  les 
mêmes  limites  où  ils  obtenaient  Texerdce  pulilic  de  leur 
culte.  Ces  dispositions  étaient  conformes  au  traité  de  la  trêve, 
conclu  durant  le  mois  d'avril  précédent  entre  Henri  Ht  et 
Henri  IV.  EUes  restreignaient  les  avantages  accordés  aux 
huguenots  par  Tédit  de  Poitiers  ou  de  1577  ;  mais  elles  n*é- 
talent  que  provisoires  et  ne  devaient  durer  que  jusqu'au 
moment  où  Tétat  des  calvinistes  serait  réglé  par  une  paix 
générale  du  royaume. 

Henri  promit  d'assembler  dans  le  délai  de  «ix  mois  les 
ËUts-généraux  pour  régler  tous  les  grands  intérêts  du 
royaume.  11  s'engagea  spécialement  à  maintenir  les  princes , 
seigneurs,  gentilshommes  et  tous  ses  bons  sujets  IndifTérem*- 
ment  dans  leurs  biens,  charges,  dignités,  états,  offices,  pri* 
viléges,  prérogatives,  droits  et  devoirs  Mcoutumés  ;  d'avoir 
en  particulière  recommandation  les  serviteurs  du  feu  roi  : 
de  tirer  une  vengeance  exemplaire  et  à  jamais  mémorable 
du  parricide  commis  en  la  personne  de  ce  prince. 

De  leur  côté,  les  princes  du  sang,  ducs,  pairs,  officiers  de 
la  couronnée!  autres  seigneurs  et  gentilshommes  reconnurent 
pour  leur  roi  et  prince  naturel,  selon  la  loi  fondamentale 
du  royaume^  Henri  quatrième,  roi  de  France  et  de  Navarre, 
lui  promirent  service  et  obéissance ,  et  lui  engagèrent  leurs 
biens  et  leurs  vies  pour  exterminer  les  rebelles  et  ennemis 
qui  voulaient  usurper  VÉtat  K 

La  déclaration  fut  souscrite  par  deux  princes  du  sang,  Autorité 
Gonti  et  Montpensier,  auxquels  les  autres  princes  du  sang,  i^  dëciaiation. 
alors  absents,  ne  tardèrent  pas  à  se  réunir  ;  par  les  deux 
maréchaux  de  France  présents,  Bhron  et  d'Aumont,  et  par 
les  deux  colonels  généraux  de  la  cavalerie  et  de  l'infanterie 
étrangère,  le  grand-prieur  et  Montmorenci  ;  par  les  ducs  de 
Luxembourg,  de  Longueville,  de  Uohan  et  le  comte  de  Givry, 
représentant  la  plus  haute  noblesse  catholique  ;  par  J^a  force, 
Ghastillon,  Guitry,  Sancy,  Rosny,  et  quelques  jours  après, 
par  Duplessis-Momay,  alors  à  Saumur,  représentant  le  parti 
protestant  ;  enfin  par  une  innombrable  multitude  de  gentils- 
hommes présents  à  l'armée,  il  importe  de  remarquer  que 

'  Voyn  le  texte  de  la  déclaratioB  daii«  le  Recueil  dca  ancienoe»  loi» 
françaises,  par  M.  Isambert,  t.  XY,  p.  «>5. 


2/il  HISTOIRE  DU  RfcGNE  DK  HENRI  IV. 

parmi  les  seigneurs  qui  vieoneot  d'être  nommés,  se  trou- 
vaient les  gouverneurs  de  la  Normandie ,  de  la  Picardie ,  de 
la  Bourgogne,  de  la  Champagne,  et  les  représentants  légi- 
times d'une  partie  considérable  de  Tile-de-France,  par  con- 
séquent les  plus  hauts  dignitaires  dans  Tordre  civil  comme 
dans  Tordre  militaire.  11  fout  ajouter  que  la  déclaration  sous- 
crite par  les  seigneurs  fut  ratifiée  par  les  acclamations  et  le 
consentement  des  simples  soldats  de  Tarmée  K 

Isa  déclaration ,  comme  son  nom  même  Tindique ,  ne  fut 
pas  un  contrat  passé  entre  la  noblesse  do  camp  de  Saint-Gloud 
et  le  prétendant.  Ce  fut  une  reconnaissance  solennelle  et  ré- 
ciproque :  par  la  noblesse,  des  droits  de  Henri  à  la  couronne, 
aux  termes  de  la  constitution  ;  par  Henri ,  des  droits  poli- 
tiques, civils  et  religieux  de  la  nation.  Les  engagements  que 
prenait  Henri  n'étaient  que  le  complément  des  garanties 
données  à  la  sauvegarde  des  droits  religieux  des  catlioliques. 
Les  signataires  disent  eux-mêmes  qu'ils  ne  font  que  maintenir 
et  continuer  notre  droit  public 

La  noblesse  du  camp  de  Saint-Gloud  avait  stipulé  pour 
elle,  et  engagé  en  même  temps  les  villes  et  bourgeois  de  ses 
gouvernements,  les  paysans  de  ses  terres.  En  ce  qui  concer- 
nait les  seigneurs  eux-mêmes,  rien  de  plus  libre,  de  plus  lé- 
gitime, et  qui  dût  sortir  plus  promptement  son  effet.  En  ce 
qui  regardait  la  classe  des  citoyens  dont  ils  s'étaient  portés 
pour  les  représentants,  leur  résolution  avait  besoin  d'être 
justifiée  par  Tadliésion  de  la  bourgeoisie  et  des  campagnes, 
mais  elle  le  fut.  Le  roi  se  trouva  ainsi  reconnu  par  ime  classe 
entière  de  la  nation.  Les  États-généraux  seuls ,  qui  devaient 
s'assembler  six  mois  plus  tard,  en  supposant  qu'ils  ne  fus- 
sent pas  faussés  par  les  intrigues  des  factions,  et  qu'ils  re- 
présentassent réellement  la  nation ,  auraient  eu  qualité  pour 
réformer  ce  qui  avait  été  résolu  à  Saint-Cloud.  Si  leur  action 
n'était  pas  contraire,  ou  si  leur  action  n'intervenait  pas,  né- 
cessairement les  résolutions  provisoires  de  Saint-Gloud,  con- 
formes au  droit,  devenaient  des  actes  définitifs. 
CvntequcDcc»  Aux  termes  de  la  déclaration,  le  maintien  du  catholicisme 
la  jccLraUon.  ^^^  pleinement  assuré;  Tavénement  du  calviniste  Henri  IV 
n'entraînait  donc  pas,  comme  conséquence,  le  triomphe  de 

'  Voyem  les  noms  ■  I»  Miite  d«  U  déclnratltfn,  Recueil  des  «ne.  lois  franc.» 
I.  XV,  p.  5. 


AVéN£M£NT  D£  H£NRI   IV.  25 

la  réfonne  et  uu  changement  de  religion  en  France,  ainsi  que 
l*afénenient  d'Elisabeth  Favait  amené  en  Angleterre.  Loin 
de  là,  le  nouveau  roi  faisait  un  premier  pas  vers  le  culte  de 
la  majorité  de  la  nation. 

D^nn  autre  côté ,  la  liberté  de  conscience  entière ,  et  la 
liberté  de  culte  dans  une  certaine  mesure ,  étaient  garanties 
aux  huguenots,  non  plus  par  Tun  de  ces  édits  royaux  aussi 
souvent  retirés  qu'octroyés,  mais  pour  la  première  fois  depuis 
les  États  de  Saint-Germain ,  par  les  représentants  les  plus 
autorisés  d'une  partie  notable  des  catholiques. 

La  propriété  et  Tétat  de  chacun,  sans  cesse  violés  ou  mis 
en  compromis  depuis  vingt-sept  ans,  étaient  assurés  aux  ci- 
toyens de  toutes  les  classes* 

Une  royauté  légitime  était  établie  d'après  les  lois  fonda- 
mentales de  l'État ,  pour  ruiner  les  espérances  de  tous  les 
factieux,  et  en  particulier  les  tentatives  d'usurpation  de  ces 
ambitieux,  de  ces  rebelles^  les  princes  de  la  maison  de  Guise  ; 
une  royauté  régulière,  première  magistrature  du  pays,  pou- 
voir réglant  et  dirigeant,  destiné  à  rétablir  l'ordre  public,  après 
avoir  désarmé  la  révolte  et  le  fanatisme  des  ligueurs;  enfin, 
une  royauté  nationale,  défendant  l'indépendance  de  la  patrie 
contre  les  attaques  de  Philippe  II,  qui  trouvait  moins  de  res- 
sources dans  ses  armées  et  dans  ses  trésors  que  dans  la  ré- 
volte des  Guises  et  de  ligueurs  armés,  il  est  vrai,  pour  se  sa- 
tisfaire, mais  travaillant  et  combattant  réellement  pour  le  roi 
catholique. 

n  n'^est  aucun  de  ces  faits  résultant  de  la  déclaration  qui  ne 
soit  un  fait  capital  ;  aucune  de  ces  résolutions  qui  ne  fût  une 
résolution  édaûrée  et  généreuse.  Le  choix  même  de  l'homme 
que  les  seigneurs  du  camp  de  Saint-Cloud  donnaient  pour 
chef  à  la  France  était  un  choix  réfléchi  de  leur  part,  et  cal- 
culé sur  les  drconstances.  Us  sentaient  et  iis  disaient  que 
pour  combattre  les  Espagnols  et  les  ligueurs  conjurés,  il  était 
besoin  avant  tout  d'un  roi  intrépide.  L'un  d'eux  s'exprime 
en  ces  termes  :  «  La  France  estant  en  cet  estât,  il  luy  falloit 

>  tm  roi  sans  peur  de  bazarder  sa  personne  et  sa  vie  :  autre- 

>  ment  il  luy  eust  esté  impossible  de  conquérir  le  partage 
•  légitime  que  luy  avoient  laissé  ses  prédécesseurs  K  »  Mais 

'  D*Angoulesme,  Mcmcii-es,  t.  xi  de  la  collect.,  p.  76  B.  Pour  éviter  lec 
confluions  et  lei  erreurs,  il  faut  remarquer  que  Tauleur  de  cet  Mémoires, 


36  HISTOIRE  DO  RÈGNE  DE  BKIIRI  IV. 

un  prince  brave  ne  suffisait  pas  pour  résister  à  Philippe  II, 
au  démon  du  Midi  ;  il  fallait  encore  un  homme  rompn  aux 
affaires,  et  profondément  habile.  Aussi  la  noblesse  du  camp 
de  Saint-doud  prenait-elle  le  prince  qui ,  en  soutenant  du- 
rant treize  ans  son  parti  contre  Teffort  des  Gfdses  et  de 
Henri  III ,  en  remportant  sur  ce  dernier  la  victoire  de  Cou- 
tras,  n^avait  cessé  de  lui  offrir  son  alliance  et  son  appui, 
pour  sauver  Tautorité  et  la  dignité  de  la  couronne ,  et  les 
éléments  d*ordre  public  en  France. 

n  est  évident  que  si  la  religion  de  Henri  de  Bourbon,  dif- 
férente de  celle  de  la  majorité  de  ses  sujets,  compliquait  la 
situation  par  un  c6té,  d*une  autre  part  les  résolutions  du 
camp  de  Saint-CJoud  ouvraient  une  vole  de  salut  au  pays,  en 
établissant  solennellement  les  principes  de  justice ,  de  tolé- 
rance ,  de  fusion ,  de  bon  gouvernement,  que  les  factions  et 
la  royamé  avaient  violés  depuis  1560. 
u  parti  Le  parti  qui  entreprit  de  ftlre  triompher  ces  principes,  qui 

po  luqucf  ^  (j[^rma  aussitôt  après  la  mort  de  Henri  III,  pour  défendre 
rindépendance  et  toutes  les  libertés  de  notre  patrie,  pour 
venger  la  morale  et  la  religion  de  Tapologie  du  régicide  et  de 
Tapothéose  de  Jacques  dément ,  pour  séparer  nettement  le 
temporel  du  spirituel,  afin  de  ne  rendre  le  temporel  ni 
esclave,  ni  ennemi  du  spirituel,  œ  parti,  dont  les  chefii  fu- 
rent Henri  IV  et  dans  la  noblesse  les  Luxembourg,  les  dMIn- 
mières ,  les  Givry,  les  Grillon,  les  Duplessis,  les  Rosny ,  les 
La  Force  ;  dont  les  membres  fiu-ent  la  portion  la  plus  éclairée 
et  la  plus  pure  de  la  magistrature  et  de  la  bourgeoisie  ;  ce 
parti,  vraiment  national  et  français,  est  nommé  par  les  his- 
toriens du  temps,  le  parti  des  politiques»  Il  procédait  direc- 
tcinent  du  vertueux  THospital,  dont  il  continua  les  grandes 
et  généreuses  idées  :  son  premier  acte  fut  sa  déclaration  de 
Saint-Gloud  ;  son  dernier,  la  satire  Ménippée.  Il  eut  pour  lui 
le  courage,  la  saine  politique,  Tesprit  et  par-dessus  tout  le 
bon  sens. 

Si  tous  les  chefs  do  camp  de  Saint-doud  s'étalent  raUiés 


Chartes  de  Valoii,  fils  natarel  de  Charlrs  IX  et  de  Marie  Touchet,  ^lait 

alors  grand-priettr  de  France  elcoloDel  général  de  la  caTalerie  légère.  Il  ' 

aTait  seUe  au  :  U  fut  tëmoia  et  acteur  dam  la  campagne  d'Arqiir»,  où  il  | 

ddploja  heaacoup  d'intelligence  et  de  courage.  Il  devint  plus  tard  comte 

d'AoTerfae,  puis  duc  d*Aogonléme. 


AVilfElICIlT  DE  USRRI  IV.  27 

aa  parti  des  politiques,  si  l^année  de  /iO,000  hommes  ras- 
semblée sous  les  murs  de  Paris  s^était  tenue  ensemble,  la 
Ligne,  réduite  aux  abois  lors  de  l'assassinat  de  Henri  III, 
était  morte,  les  dangers  de  la  France  conjurés,  ses  souffrances 
finies.  Les  passions  ne  permirent  pas  que  ce  bien  lui  fût  foit 

n  faut  d'abord  distinguer  avec  soin  ceux  qui  restèrent  dans  Moiiiios  de 
le  camp  royal  et  ceux  qui  Taliandonnërent.  Parmi  ceux  qui  '  e"^j|.c^,j''||y^^ 
demeurèrent  attachés  à  Henri,  beaucoup  de  nobles  n'obéirent  dans 
qu'au  mobile  de  l'intérêt  privé,  teUement  exclusif  ches  eux  '*  P""^''  ''''^''^' 
on  tellement  exigeant,  qu'il  nuisait  à  l'intérêt  public,  et  com- 
promettait la  cause  nationale.  Les  uns  n'eurent  en  vue  que 
la  sûreté  de  leurs  personnes  et  de  leurs  biens.  Us  se  tinrent 
serrés  à  la  royauté  uniquement  pour  se  défendre  contre  les 
Gauthiers,  ces  paysans  de  Normaïudie  et  de  quelques  provinces 
voisines,  sanglants  imitateurs  des  paysans  de  Sooabe  et  des 
paysans  du  midi  de  la  France  au  temps  de  la  première 
guerre  de  religion ,  qui  faisaient  une  guerre  acharnée  aux 
chAteanx  et  à  leurs  propriétaires.  L'un  des  écrivains  du  temps, 
les  mieux  instruits  des  sentiments  de  cette  classe  de  nobles, 
les  exprime  en  ces  termes  s  «  Le  peuple  qui  aura  pu  secouer 
le  joug  du  souverain  de  tout  le  pays,  ne  tardera  guère  à  se 
dépêtrer  du  petit  seigneur  de  son  village,  et  s'il  s'exemple 
une  fois  des  millions  dus  à  la  taille  du  roi,  il  s'affranchira  bien 
des  deux  liards  de  censive  qu'il  doit  à  son  gentilhomme.  Le 
noble  honoré  en  France  du  droit  de  justice  sur  le  paysan,  du 
privilège  de  porter  l'épée  seul,  du  droit  de  franchise  de  tous 
les  devoirs  qui  sont  dus  au  souverain,  excepté  ceux  du  ser- 
vice de  sa  personne  ;  qui  a  sa  qualité  séparée  de  celle  du  mar- 
chand, de  l'artisan,  du  laboureur,  ne  saurait  ni  les  endurer, 
ni  être  enduré  d'eux,  ni  conserver  toutes  ces  prérogatives 
sons  leur  domination...  Si  la  royatité  est  éteirUe  en  France ^ 
il  faut  que  le  même  jour  la  n(Â>lesse  soit  étoufféeK  »  Dans 
la  déclaration  du  camp  de  Saint-Gloud,  les  nobles  avaient 
en  grand  soin  d'insérer  un  article  par  lequel  le  roi  «  pro- 
mettait de  les  conserver,  garder  et  maintenir  en  leurs  biens, 
privilèges,  prééminences,  prérogatives,  droits  et  devoirs  ac- 
oontiunés'.  »  Ainsi  bon  nombre  de  membres  de  la  noblesse  re- 
connurent Henri,  se  déclarèrent  royaux,  uniquement  dans  la 

'  Michel  Haniull,  deuxième  discours  sur  Tëtat  de  U  France  «  folio  86, 
▼erso,  édit.  1606. 
*  /incieonet  lois  françtises,  t.  xv,  p.  4,  $  4. 


38  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  If. 

crainte  qae  leurs  droits  Téodaux  solMistants  ne  périssent  avec  la 
monarchie.  Ils  demandèrent  sans  cesse  au  roi  la  protection 
de  ses  gouvemementset  de  ses  garnisons  pour  leurs  propriétés 
et  leurs  manoirs,  et  ils  lui  rendirent  en  échange  ce  service 
personnel  auquel  ils  étaient  obligés,  d^une  manière  si  res- 
treinte ,  si  intermittente,  que  les  opérations  militaires  qui 
exigent  un  laps  de  temps  un  peu  considérable  devinrent 
impossibles  avec  eux. 

D*atttres  nobles  se  déclarèrent  royaux  pour  obtenir  du 
nouveau  roi  la  garantie  ou  la  concession  des  honneurs  et 
dignités.  Aux  termes  d'un  article  de  la  déclaration,  tous  les 
favoris  de  Henri  III  conservèrent  leurs  offices.  Un  autre  ar- 
ticle portait  que  toutes  les  charges  et  tous  les  emplois  se- 
raient réservés  aux  catholiques,  soit  dans  les  villes  et  pro- 
vinces qui  reconnaissaient  Tautorité  de  Henri,  soit  dans  celles 
qui  seraient  conquises  sur  la  Ligue,  à  Texception  des  villes  où 
les  calvinistes  étaient  déjà  maîtres.  Ce  monopole  était,  il  est 
vrai,  restreint  à  six  mois  ;  mais  les  seigneurs  catholiques 
espéraient  le  rendre  déûnitif,  en  entraînant  de  gré  ou  de 
force  le  roi  à  leur  religion  dans  cet  espace  de  temps.  Les 
offices  et  les  grandes  charges  livraient  à  leurs  détenteurs  la 
plus  grande  partie  des  pouvoirs  publics  ;  la  surintendance 
des  finances  en  particulier,  dans  laquelle  François  d*0  s'était 
fait  continuer,  devant  foiunur  à  tous  les  services,  notamment 
à  celui  de  Parmée,  avait  le  pouvoir  de  doimer  le  mouvement 
à  la  machine  du  gouvernement  ou  de  Tarréter,  et  tenait 
dans  ses  mains  la  fortune  de  la  guerre.  On  voit  donc  que 
les  seigneurs,  nommés  par  les  historiens  contemporains  ca- 
tholiques zélés  ou  ardents,  avaient  mis  par  le  côté  pratique 
le  roi  dans  leur  sujétion. 

Enfin ,  plusieurs  grands  firent  acheter  à  Henri  la  recon- 
naissance de  sa  royauté  par  la  concession  de  conunande- 
ments  ou  prérogatives  qui  les  tiraient  de  la  condition  de 
sujets.  Le  maréchal  de  Biron  obtenait,  comme  nous  Tavons 
déjà  dit,  la  souveraineté  du  Périgord  ;  le  maréchal  d'Au- 
mont,  les  gouvernements  réunis  de  Champagne  et  de  Bour- 
gogne, enlevés  le  premier  au  duc  de  Ncvcrs,  le  second  à 
Mayenne  ;  le  grand-prieur,  la  charge  de  colonel-général  de 
Thifanterie  française  K 

*  D'Angoulcsme,  llënioir«f,  t.  Zi  d«  1»  coliecLt  p.  TO  A.  «  Le  roy  n* 


AVilVESBNT  Dfi  HENRI  IV.  29 

D*après  ce  que  nous  venons  d^exposer,  il  est  évident  que 
tontes  les  factions  qui  désolèrent  le  commencement  de  ce 
règne,  qui  traversèrent  ou  compromirent  la  fortune  du  roi 
et  de  la  France,  prirent  naissance  an  camp  de  Salnt-Gloud. 
On  distingue  dès  lors  clairement  la  faction  des  gentils* 
hommes  libres ,  ne  servant  le  roi  dans  ses  plus  pressants 
dangers  qu'à  leur  heure  et  à  leur  fantaisie,  d'une  façon  dés- 
ordonnée ;  la  faction  des  catholiques  zélés  ou  ardents  qui  se 
transformera  plus  tard  en  tiers  parti;  la  faction  aristocrati- 
que des  seigneurs  aspirant  à  ressusciter  les  anciens  grands 
fiefe,  s'emparant  en  attendant  des  gouvernements  de  province 
et  des  principales  charges,  exerçant  tous  les  droits  du  roi  en 
son  nom,  mais  à  leur  profit 

Ces  usurpations  n'auraient  pas  empêché  encore  le  parti 
royal  d'écraser  la  Ligue  expirante.  On  aurait  vu  un  roi  aux 
prises  avec  l'aristocratie ,  contraint  peut-être  avec  le  temps 
d'abjurer  sa  religion,  d'abandonner  la  plupart  des  préroga- 
tives conquises  par  la  couronne  depuis  Louis  XI.  On  aurait 
eu  une  révolution  politique,  une  royauté  féodale.  Mais  le  pays 
aurait  échappé  à  l'immense  danger  qui  l'attendait  :  il  ne  se 
serait  pas  coupé  en  deux  partis  où  les  forces  se  balancèrent 
dans  le  principe  ;  où  le  parti  vaincu  appela  à  son  aide  l'étran- 
ger, et  quel  étranger!  Phihppe  II;  où  les  choses  furent 
amenées  au  point  que  l'asservissement  et  la  délivrance  de  la 
France,  en  dépit  de  tous  les  efforts  du  génie  et  du  patrio^ 
tisme,  ne  dépendirent  plus  que  d'un  hasard. 

Ceux  qui  infligèrent  à  leur  patrie  ces  effroyables  épreuves  che6d«fecUoa. 
furent  les  chefs  défectionnaires,  qui,  d'un  même  coup,  enle-   l'arm jrrotaie 
vèrent  au  parti  royal  sa  supériorité,  et  de  l'autre  donnèrent     <iimiDné«de 
à  la  Ugue  le  moyen  de  se  relever.  Plusieurs  chefs,  apparte-        ™o*^* 
nant  à  la  faction  des  catholiques  ardents,  prétendirent  que 
leur  conscience  ne  leur  permettait  pas  de  servir  un  roi  hu- 
guenot. Vitry  et  quelques  membres  de  la  noblesse  passèrent 
dans  le  camp  de  la  Ugue  ^  D'Êpernon  se  retira  dans  son 
gouvernement,  emmenant  avec  lui  les  forces  de  l'Angoumols 

M  confirma  1«  mesinc  rang  qne  favoU  eu  du  temps  du  feu  roy...  Le  mare'- 
»  chai  d'Aumont  pressa  fe  roy  de  luy  accorder  les  gouTernements  de  la 
a  Bourgogne  el  de  la  Champagne,  disant  que  le  feu  roy  les  luy  aroit  pro> 
»  mis;  je  crois  qu'il  eitoit  vrai  pour  la  Bourgogne.  » 

*  Thuanu»,  1.  xcvii,  $  5,  t.  ▼,  p.  796.  «  Unà  cum  aliquot  aliis  è  nobili- 
■  tate.  » 


80  HISTOIRE  OU  RÈGNE  DB  HENRI  IV. 

et  de  la  Salntonge,  qui  montaient  à  6,000  hommes  de  pied  et 
if'iOO  cbevaux.  Son  projet  était  de  se  rendre  indépendant 
dans  son  gouvernement  :  dès  quii  y  fut  rentré,  il  usurpa 
tous  les  pouvoirs  de  la  royauté,  et  notamment  celui  de  lever 
la  taille  et  les  autres  impOts  >.  Divers  autres  seigneurs  catho- 
liques allèrent  dans  leurs  terres  attendre  les  événements. 
Tous  quittèrent  le  camp  de  Saint-Gloud  sans  avoir  signé  la 
déclaration  et  le  serment,  sans  avoir  reconnu  le  roL  Les  dé- 
fections furent  aussi  nombreuses,  aussi  éclatantes  du  côté 
des  réformés  que  du  cOté  des  catholiques.  Parmi  les  hugue- 
nols,  le  plus  considérable  alors  était  La  Trémoille  :  ii  partit 
avec  neuf  bataillons  de  réformés  qui  formaient  toutes  les 
forces  du  Poitou.  C'étaient  aussi  de  prétendus  scrupules  de 
conscience  qui  éloignaient  celui-là  :  il  mettait  en  avant  qu'il 
ne  pouvait  plus  servir  celui  qui  venait  de  s'engager  à  proté- 
ger ridolfttrie  catholique.  En  réalité,  il  allait  dans  son  duché 
de  Thouars  et  dans  le  Poitou  essayer  de  s'y  constituer  tme 
principauté  calviniste,  à  cOté  de  la  principauté  catholique  de 
d'Épernon  en  Angoomois  et  eu  Saintonge.  11  ne  songeait  pas 
seulement  à  rétablir  un  grand  iief  ;  il  voulait  encore  prendre 
le  litre  et  l'autorité  de  protecteur  des  églises  réformées, 
Henri  iV,  qui  les  avait  possédés  jusqu'à  son  avènement  à  la 
couronne  de  France,  prétendait  les  fondre  dans  la  royauté  et 
les  éteindre.  La  Trémoille  se  proposait  de  les  perpétuer  à  son 
proût,  d'en  faire  un  pouvoir  rival  de  la  couronne,  et  déjouer 
en  France  le  rôle  des  princes  d'Orange  en  Hollande.  Trois 
lémoins  oculaires,  de  religion  différente,  attestent  que  ilenri 
fut  abandonné  par  autant  de  huguenots  que  de  catlioliques^. 
Par  suite  de  ces  défections,  l'armée  royale  fut  réduite  de 
près  de  moitié*  Au  nombre  des  soldats  qui  restaient  à  Henri 
figuraient  13,000  Suisses  et  S,000  Allemands, que  Sancy  avait 
déterminés  à  servir  le  nouveau  roi  en  attendant  leur  solde 
pendant  deux  mois,  car  il  n'avait  même  pas  le  premier  écu 
nécessaire  pour  les  payer. 

'  La  Fm-cc,  CcrrMpoaduDcc,  t.  i,  p.  157.  —  VelXrn  luUiiv.,  t.  lil,  p.  Si, 
S5,  IxS,  l4b«  MiUL  d»t««  dra  31  novembre  1581)  et  9&  iuuvior  160Û. 

*  Le  ciilviuule  Sully,  OEcou.  roy.,  c.  1M.  t.  i.  p.  63G  :  «  Apièf  reste 
N  tflroyabl*  mort,  Tom  feusles  ubandonne  de  la  pluspart  de  tus  subjeU  ; 
M  voire  pttr  qiwtttUc  d«  ceux  de  la  religion,  w—  La  Force,  autre  ctilviuisle, 
meaioirei  ei  coirespundaDce,  édition  de  M.  de  la  Gniuge,  t.  I,  p.  ttA«  ^t 
S57.  —  Le  cwlbultque  d'Ancoulitme.  t.  Xi,  p.  70  A,  dit  de  son  cdte  :  «  Pour 
H  ceux  qui  s'en  allcreut,  il  y  en  eut!  auUnl  et  film  de  la  religion  prétendue 
»  reformée  que  de  catholique*.  « 


ÂTilIBlfKlIT  0£  HSHRI  lf«  31 

Paris  exerçait  dès  to»  une  inflaence  marquée  sur  le»  pro-  "j"*;;,  "^i™^ 
vioces,  comme  le  remarque  Pasquier,  et  il  avait  dcmné  le  de  Paris. 
branle  à  la  grande  insurrectioa  contre  Henri  111.  Toutes  les 
menées  et  toutes  les  intrigues  s'y  ourdissaient  :  c'était  donc  le 
centre  et  le  cœur  de  la  Ugue.  Henri  sentait  de  quelle  impor* 
tance  il  était  de  s'en  saisir  ;  mais  il  se  trouvait  liors  d'état  de 
réaliser  ce  projet  L'assassinat  de  Henri  Ul  avait  permis  à 
Mayenne  d'introduire  dans  la  ville  un  corps  de  troupes  qu'il 
avait  joint  à  la  milice  armée  des  bourgeois.  Ce  crime  avait  de 
plus  inspiré  aux  ligueurs  un  détestable,  mais  redoutable 
entbousiasme,  et  une  conliance  sans  bornes.  Si  Henri,  réduit 
à  22,000  bommes  environ,  tentait  une  attaque  générale  et 
un  assaut,  le  succès  était  douteux,  et  un  revers  ruinait  ses 
allaires.  Un  siège  en  règle,  une  entreprise  prolongée  étaient 
impossibles,  parce  qu'il  manquait  de  munitions,  de  vivres  et 
de  solde  pour  ses  troupes.  £niin,  Mayenne,  qui  trouva  d'a- 
bord dans  Paris  de  l'argent  à  discrétion,  lui  débaucbait  de 
moment  en  moment  quelques  corps  de  troupes.  Le  roi  fut  donc 
réduit  à  retirer  son  armée  de  devant  Paris,  et  à  la  conduire 
d'abord  à  Poissy,  ensuite  à  Beaumont-sur-Oise'. 

Henri  arrêta  le  plan  de  ses  opérations  militaires  à  Beau-  L'urmëo  royale 
monu  H  résolut  de  montrer  son  étendard  royal  et  de  dé-    ^^  uL'is'c^ps. 
ployer  des  ibrces  dans  la  Picardie  et  la  Champagne,  dans         Pian 
toute  la  France  du  ^ord.  La  noblesse  de  ces  provinces  avait    "^  ae'H*eun."' 
reçu  son  congé  de  Henri  iU  pour  le  moment  qui  devait  suivre 
la  prise  de  Paris,  moment  dont  on  n'était  séparé  que  par 
quelques  jours,  quand  Henri  lit  fut  frappé  à  mort.  De  plus, 
ces  gentiisbommes  étaient  rappelés  dans  leurs  terres  par  les 
soins  de  la  récolte,  et  par  la  nécessité  de  défendre  leurs  pro- 
priétés et  leurs  familles  contre  un  effort  tout  nouveau  des 
ligueurs  que  devait  provoquer  la  mort  de  Henri  IIL  Le  roi 
combina  admirablement  ses  plans  avec  les  déairs  et  les  be- 
soins de  ces  gentilshommes,  lï  envoya  Longueville  dans  son 
gouvernement  de  Picardie,  avec  la  noblesse  du  pays  et  un 
corps  de  3,000  Suisses,  en  leur  donnant  pour  conseil  et  pour 
guide  la  vieille  expérience  de  Lanoue.  il  dirigea  en  Champagne 
le  maréchal  d'Aumont,  nommé  gouverneur  en  remplacement 
du  duc  de  Nevers  resté  neutre,  avec  la  noblesse  de  la  pro- 

*  Tbiianus,  Ub.  xcvu.  —  D'AngoalMme,  p.  70  ▲• 


32  HISTOIRE  DD  RÈGNE  DE  HENRI  !▼• 

vince  et  un  antre  corps  de  3,000  Suisses.  LongueTille  et  d'Au- 
mont  partirent  de  Beaumont  le  5  août.  Ils  avaient  ordre  de 
décider  par  leur  présence  les  villes  qui,  sous  Henri  IH,  s^é- 
talent  montrées  favorables  au  parti  royal  ;  de  défendre  puis- 
samment contre  les  attaques  du  parti  contraire  tous  ceux  qui 
se  prononceraient  pour  la  nouvelle  royauté;  de  rassasier  de 
la  guerre,  par  d*incessantes  hostilités,  les  villes  ligueuses  de 
diampagne  et  de  Picardie,  qui  montraient  une  extrême  ani- 
mosité  ;  enfin ,  de  suivre  avec  une  intelligence  attentive  les 
mouvements  et  les  opérations  du  roi,  et  de  lui  amener  des 
renforts  dès  quMls  le  sauraient  pressé  par  rennemi<. 

Après  avoir  distrait  de  ses  forces  ces  deux  corps  d^armée 
envoyés  dans  les  provinces  du  Nord ,  Henri  IV  restait  avec 
10,500  soldats  français ,  suisses  et  allemands ,  commandés 
par  Télite  de  la  noblesse  française  ^,  C'était  pour  le  temps  une 
armée  au  moins  ordinaire,  puisque,  à  Goutras,  Tannée  royale 
ne  comptait  que  10,000  liommes,  et  l'armée  calviniste  la 
moitié  moins^.  Cette  énumératlon  suffit  pour  montrer  que  le 
roi  ne  fut  point  dans  l'abandon  général,  dans  la  situation 
d'aventurier  où  le  représentent  tant  d'historiens.  Il  emporta 
quelques  petites  places  dans  le  territoire  alors  dépendant  de 
la  Picardie ,  et  plus  tard  annexé  à  l'ile-de^France  ;  s'établit 
fortement  dansSenlis  etCompiègne  pour  tenir  Paris  en  échec, 
en  attendant  qu'il  l'assiégeât  ;  puis  délibéra  avec  son  con- 
seil, au  camp  de  Clermont  en  Beauvolsis,  sur  le  parti  qu'il 
avait  à  prendre.  Plusieurs  le  pressaient  de  nouveau  de  se 
retirer  dans  les  provinces  du  Midi ,  où  U  tiendrait  les  États- 
généraux  à  Tours,  et  rassemblerait  les  forces  nécessaires 
pour  accabler  Mayenne  et  la  Ligue.  Cette  opinion  fut  com- 
iNittue  par  Biron  et  par  d'autres  :  n  Qui  donc,  disaient-Us  « 
»  vous  croira  encore  roi  de  France,  quand  U  verra  vos  lettres 
»  datées  de  Limoges  7  »  Henri  appuya  fortement  leur  avis 
et  le  fit  prévaloir.  A  la  grande  considération  de  l'honneur  et 
de  la  réputation,  qui  sont  la  moitié  de  la  force  d'un  parti, 
il  s'en  joignait  pour  lui  l)eaucoup  d'autres,  il  voulait  rester 
à  proximité  de  la  IHcardie  et  de  la  Champagne,  pour  soute- 

*  Mémoirei  de  d'Angoulesme,  L  XI,  p.  10  A.  —  Lettre  de  La  Force  à  m 
femme,  du  6  septembre  15S9,  U  i,  p.  ^0.  —  Diacoortau  vrai,  etc.,  dant 
\ft  Mtfm.  de  Dupleuis,  t.  T,  p.  4,  5. 

'  La  Force,  p.  tStt. 

•  Sully,  OEcoB.  rojal.,  c.  95,  p.  6I«6S. 


AVENEMENT  DE  HENRI   IV.  33 

nîr  ses  serviteurs  et  son  parti  naissant  ;  étendre  sa  royauté 
aux  pays  de  rOuest  et  du  Centre,  voisins  de  ces  deux  §K)uver« 
nements,  de  manière  à  en  faire  une  masse  unie  et  compacte 
dans  la  France  du  Nord  ;  se  tenir  à  quelques  journées  de 
marche  des  secours  qu'il  demandait  à  TAUemagne,  et  tout  à 
fait  à  portée  de  ceux  quMl  attendait  de  moment  en  moment 
de  FEcosse  et  de  PAngleierre  ;  enfin  remédier  à  la  pénurie 
extrême  dans  laquelle  Tavait  laissé  son  prédécesseur,  et  se 
procurer  les  vivres,  les  munitions,  Targcnt,  dont  il  manquait 
absolument.  Les  contemporains  qui  font  de  la  guerre  et  du 
gouvernement  avec  du  bon  sens  et  non  avec  des  phrases,  re- 
marquent qa'il  avait  surtout  besoin  de  prendre  l'argent  des 
recettes  et  de  nourrir  son  armée.  La  Normandie,  la  pro- 
vince la  plus  riche  de  France ,  réunissait  toutes  ces  condi- 
tions :  en  partant  de  Méru,  en  Beauvoisis,  il  y  conduisit  ses 
troupes  et  y  entra  le  20  août  K 

Ces  larges  vues,  ces  sages  et  belles  combinaisons  présentent 
Henri  IV  sous  un  jour  tont  nouveau,  et  réforment  singuliè- 
rement les  idées  populaires  à  son  égard.  On  trouve  déjà  en 
lui  le  grand  capitaine  et  le  grand  politique,  à  côté  du  plus 
brave  chevalier  de  Tarmée,  du  rival  de  Crillon.  Mais  ce  qui 
achève  d'imprimer  au  plan  de  sa  première  campagne  le  ca- 
chet du  génie,  c'est  le  soin  qu'il  prit  de  relier  entre  elles , 
d'un  bout  de  la  France  à  l'autre,  toutes  les  fractions  du  parti 
royal.  Il  s'assura  de  Nogent ,  d'Étampes ,  de  Pithiviers,  qui 
dans  deux  sens  différents  traversent  l'Orléanais  et  doiment 
passage  jusqu'à  la  Loire  :  il  nomma  un  lieutenant  de  roi  dans 
cette  province  pour  tenir  tète  au  gouverneur  de  la  Ligue  La- 
chastre.  Il  s'établit  fortement  dans  Tours,  Blois,  Beaugency, 
Jargeau,  Gien,  villes  qui  bordent  la  Loire  et  qui  avaient 
presque  toutes  des  ponts  sur  ce  fleuve.  Des  garnisons  en- 
tières ou  des  corps  supplémentaires  de  troupes  et  des  gou- 
verneurs d'une  fidélité  éprouvée  furent  envoyés  par  lui  dans 
toutes  ces  places  \  De  la  sorte  il  tenait  les  commimications 
ouvertes  entre  la  France  du  Nord  et  la  France  du  Midi  où  il 
trouvait  le  parti  calvisiste ,  son  ancien  gouvernement  de 

*  Discoun  au  vrai,  dans  lei  Mëm.  de  Dupleub,  t.  T,  p.  6.  —  Mém. 
dHngoolesine,  t.  XI,  p.  71  A.  —  Suliy,  OEcon.  roy.,  c.  98,  p.  79  A.' —  Sap- 
pWment  de  Lettvile,  p.  &  B.  cpUecUon  Michaud. 

*  U^Angouletme,  Méni.«  t.  XI,  p.  70.  —  Madame  Dupleuit,  Mëm.,  t.  l, 
p.  177-178.  —  Sully,  O£cop.  roy.,  c.  98,  1. 1,  p.  71. 

3 


Adhëtions 
daoi 


Sa  HISTÔIRK   nu   RKG^k   DK   IIRIVRI    IV. 

Gnicnnc ,  ses  principautés  héréditaires  de  Navarre  et  de 
Béarn.  11  empècliait  au  contraire  presque  complètement  les 
Ligueurs  des  deux  parties  de  la  France  de  correspondre 
entre  eux,  de  se  secourir  mutuellement,  puisque  de  Nantes 
Jusqu'à  Glen ,  à  l'exception  d'Orléans,  il  occupait  tous  les 
ponts  et  tous  les  passages  de  la  Loire,  et  que  la  Loire  coupe 
le  royaume  en  deux  *. 

Pendant  les  seize  jours ,  depuis  celui  où  Henri  fut  salué 
roi  par  les  seigneurs  Jusqu'à  celui  où  il  pénétra  en  Norman- 
à  la  décUrâuon  dlc,  la  déclaration  du  camp  de  Saint-Cloud  se  répandit  dans 
Sufntxiotid  ^^  provinces  et  y  obtint  un  certain  nombre  de  généreuses 
adhésions  (/i-20  août).  Henri  fut  reconnu  pour  roi  dans 
les  localités  et  par  les  corps  dont  voici  l'exact  énoncé  :  En 
Normandie,  dès  le  6  août,  par  le  gouverneur  Aymar  de 
Chastes ,  la  garnison  et  les  habitants  de  Dieppe  ;  le  19,  par 
la  ville  de  Gaen  et  par  la  portion  royaliste  du  parlement  de 
Normandie  réfugiée  dans  celte  ville,  à  rinstigation  du  grand 
magistrat  Claude  Groulart  ;  presque  en  m(me  temps  par 
Goutances  et  Saint-Lô.  En  Auvergne,  le  7  août,  par  la  cour 
des  aides  de  Montferrand ,  par  les  villes  de  Montferrand  et 
de  dermont,  alors  distinctes,  par  le  gouverneur  de  la  basse 
Auvergne  Rastignac  En  Champagne,  le  12  août,  par  Langres 
et  son  maire  Roussat,  par  Châlons  et  Chûteau-Thierry.  Dans 
l'Ile-de-France  et  ce  qui  formait  alors  la  IMcardie,  par  Pon- 
tolse,  Meulan,  Gompiègne,  Sentis  et  autres  villes  de  moindre 
importance.  Dans  l'Auxois,  canton  de  la  Bourgogne,  par  le 
lieutenant  de  la  province  Guillaume  de  Tavannes,  la  noMesse 
du  pays,  le  président  Krémiot  et  la  portion  royaliste  du  par- 
lement de  Dijon  réfugiée  à  Flavlgny.  En  Anjou,  par  Saumur 
et  Loudun  ;  en  Poitou ,  par  Niort  et  par  Fontenay  :  ces  re- 
connaissances furent  dues  au  dévouement  et  a  la  prodigieuse 
activité  de  Duplessis-Momay,  gouverneur  de  Saumm:.  En 
Tburaine,  par  Tours  et  toutes  les  villes  de  la  province  ;  et  le 
ih  août,  parla  portion  du  parleihentde  Paris  transférée  à  Tours. 

*  Mëmoiret  d«  N«vert«  t«  l,  in-folio,  p.  406.  «  La  seule  ville  d*Orli<ani 
jt  serroit  de  passage  à  ceux  de  la  Ligue  sur  la  rivièrr  de  I<oire,  qui  Iraver- 
M  aoit*  Toirc  divisoit  presque  tout  le  royaume  de  France;  tous  les  autres 
m  pooU  et  passages  qui  ealoient  sur  ladite  rivière  |usquci  i  Nunlrs,  eslunt 
M  ea  robciasance  de  Sa  Majesté,  cens  di*  la  Ligue  n'avoient  que  le  pont  soûl 
»  d^Orlrans  pour  traverser  d'une  part  à  Tautre  de  la  Frunrr;  qui  r^lnît 
m  peu,  et  hcancoup  Incommode  pour  se  secourir  les  uni  les  autres,  quand 
m  10  liesoin  reqnet  roit.  ■• 


AVÉFTKMRNT   DP.  HRNRI  IV.  35 

Celte  reconnaissance  avait  d'autant  pïiis  d'împortancp  que  le 
véritable  parlement  de  Paris  était  alors  h  Tonrs.  I^  parlement 
de  Tours  compta  bientôt  près  de  deux  cents  magistrats  ayant 
à  leur  tête  le  premier  président  de  Ilarlay  :  le  parlement  de  Pa- 
ris ou  parlement  Brisson  ne  conserva  plus  que  soixante-dix- 
hnit  magistrats.  En  Languedoc,  par  Garcassonne  et  la  partie 
orientale  de  ce  gouvernement  où  prévalait  Pautorité  du  gou- 
verneur Montmorency.  Les  diverses  provinces  ou  gouverne- 
ments que  nous  venons  de  nommer  ne  sont  qu'au  nombre  de 
dix,  et  il  y  avait  alors  vingt-trois  gouvernements.  De  plus,  dans 
chacune  de  ces  provinces,  la  Ligue  occupait  une  certaine  éten- 
due de  territoire  et  un  certain  nombre  de  villes ,  et,  dans  la 
plupart,  la  capitale. 

Parmi  les  provinces  qui  accédèrent,  nous  ne  comptons  pas 
les  États  héréditaires  de  Henri  de  Bourbon,  la  Navarre  fran- 
çaise, le  Béarn ,  le  comté  de  Foix.  Henri  continua  à  y  être 
obéi  :  il  n'eut  pas  à  y  être  reconnu  comme  roi  de  France , 
parce  qu'il  ne  réunit  pas  sur-le-champ  son  domaine  parti- 
cnlier  à  la  couronne,  selon  l'usage  de  ses  prédécesseurs,  'Au 
mflleu  des  extrémités  où  il  se  trouvait,  il  avait  besoin  de  se 
ménager  des  ressources,  surtout  des  ressources  financières , 
et  la  réunion  k  la  couronne  lui  aurait  créé  des  difficultés 
auxquelles  il  importait  d'échapper.  La  réunion  n'eut  donc 
Heu  que  beaucoup  plus  tard. 

-  En  examinant  quelle  fut  la  portion  héroïque  de  la  France 
qtii  eut  fe  courage  de  reconnaître  Henri  IV  dès  les  premiers 
jours  de  son  règne,  et  qui  par  cette  résolution  contribua  au 
salut  du  pays ,  en  récapitulant  le  nombre  des  gouverneurs, 
des  fractions  de  parlements ,  des  villes  et  des  portions  de 
provinces ,  on  trouve  que  le  tout  ensemble  formait  h  peine 
la  sixième  partie  du  royaume.  Mais  il  ne  faut  pas  croire,  sur 
la  foi  de  l)eaucoup  d'historiens ,  que  le  reste  de  la  France 
suivit  le  parti  de  la  Lîgtie  :  c'est  une  grave  erreur.  Une 
masse  considérable  de  villes  et  de  provmces,  ou  portions  de 
provinces,  embrassa  la  neutralité,  à  l'exemple  de  Bordeaux 
et  de  la  Ouicnne,  dont  la  singulière  résolution  doit  être  spé- 
cialement mentionnée.  Bordeaux  et  la  Guienne  observèrent 
un  édit  de  leur  parlement,  en  date  du  19  août,  qui  flétris- 
sait l'assassinat  de  Henri  IH,  assurait  aux  calvinistes  la  liberté 
de  conscience,  et  ordonnait  aux  ligueurs  qui  avaient  pris  les 


36  HISTOIRE  pu   RÈGNE  OB  HENRI   IV. 

armes  de  les  déposer.  Mais  dans  tons  les  actes  publics,  elles 
s^opiniâtrèrent  à  placer  le  nom  et  le  sceau  de  Henri  III, 
comme  si  la  France  eAt  été  en  inteiTcgne  <.  Les  villes  et  pro- 
vinces demeurées  neutres  voulurent  voir  quelle  serait  la  con- 
duite de  Henri  à  Tégaixl  du  catholicisme ,  et  quelle  serait 
aussi  sa  fortune,  avant  de  prendre  un  parti.  En  joignant  aux 
neutres,  les  pays,  gouverneurs,  magistrats,  déclarés  tout 
d*abord.  pour  Henri  IV,  on  a  environ  la  moitié  de  la  popu- 
lation et  du  territoire. 
Eflbrti  de  Tandis  que  Henri  et  ses  partisans  travaillaient  ainsi  à  re- 

la  Li«ue  conii«  coustituer  les principes  d\m  pouvoir  légitime,  national,  seul 
^'^  '  capable  de  tirer  le  pays  de  Panarchie,  la  Ligue  à  Paris  s'é- 
puisait en  combinaisons  et  en  efforts  pour  le  renverser.  La 
veille  de  la  mort  de  Henri  IH,  elle  n'était  plus  qu'une  faction 
expirante  ;  mais  par  l'assassinat  de  ce  prince  elle  se  releva 
au  rang  de  parti  qui  pouvait  disputer  le  pays  à  la  royauté. 
Après  le  coup  porté  par  Jacques-Clément,  la  confusion  répan- 
due dans  le  camp  de  Saint-doud  qui  cessa  de  combattre  pour 
intriguer  et  délibérer  ;  quelques  jours  plus  tard  le  démembre- 
ment du  parti  royal  à  l'armée  et  dans  les  provinces,  furent 
pour  moitié  dans  ce  grand  changement  :  l'opinion  et  les  ac- 
tives menées  des  ennemis  de  Henri  IV  firent  le  reste.  Des 
fureurs  contre  le  roi  mort,  et  de  l'abominable  panégyrique 
du  régicide,  la  Ligue  passa  promptement  aux  attaques  contre 
le  roi  vivant ,  plus  utiles  à  ses  desseins.  Les  prédicateurs  ré- 
pétèrent dans  toutes  les  chaires  que  le  Béarnais,  hérétique  et 
excommunié ,  était  inhabile  à  régner  ;  que  si  l'autorité  lui 
était  déférée,  il  en  userait  aussitôt  pour  détruire  le  catholi- 
cisme et  le  remplacer  par  l'hérésie  ;  qu'en  conséquence,  qui- 
conque le  reconnaîtrait  serait  excommunié  lui-même.  Us 
ajoutèrent  qu'il  avait  publiquement  annoncé  vouloir  tirer 
vengeance  de  la  Saint-Barthélémy,  et  se  baigner  le  bras 
jusqu'au  coude  dans  le  sang,  le  jour  où  il  entrerait  dans 
Paris.  Il  y  allait  donc  pour  le  peuple  d'être  tué  dans  cette 
vie  et  damné  dans  l'autre,  s'il  laissait  Henri  IV  se  saisir  du 
pouvoir.  Sur  ces  trompeuses  assurances,  il  se  porta  à  le 
combattre  avec  une  ardeur  ou  plutôt  une  fureur  sans  bornes. 
Ce  n'était  pas  assez  que  le  peuple  embrassât  la  révolte ,  il 
fallait  encore  qu'il  y  tint  la  bourgeoisie  parisienne  attachée 

*  Thvtnus,  llb.  xcm,  $  0,  «l  lih.  xcix,  <;  15.  t.  nr,  p.  800, 884 


GOUVERNEMENT  ORGANISÉ  PAR  LA   LIGUE.  37 

et  asservie.  Chaque  bourgeois  eut  son  seize  pour  espion,  et 
pour  dénonciateur  au  moment  où  il  broncherait  dans  la 
bonne  voie.  H  ftit  loisible  d'être  ligueur  guisard ,  ligueur 
français,  ligueur  espagnol ,  rebelle  à  un  degré  et  sous  une 
forme  quelconque  à  la  loi  fondamentale  et  à  la  constitution 
du  pays  ;  mais  on  ne  put  être  royaliste,  partisan  de  Henri  IV, 
sous  peine  de  la  vie.  Les  factions  ont  toujours  entendu  ainsi  la 
liberté.  Ce  sont  deux  contemporains  qui  nous  fournissent  ces 
détaiis.  L'un  d'eux  dit ,  à  la  date  du  2  août  :  *<  11  n'estoit  pas 
permis  à  Paris  de  se  montrer  autre  que  ligueur  :  les  gens  de 
bien  y  estoient  exposés  à  la  perte  de  leurs  vies  et  de  leurs 
biens,  et  aux  mouvements  d'une  populace  furieuse  et  empor- 
tée ,  que  les  moines ,  les  curés  et  les  prédicateurs  excitoient 
continuellement  au  sang  et  au  carnage ,  ne  leur  preschant 
autre  évangile  '.  » 

Dans  toutes  les  villes  de  la  Ligue,  d'un  bout  de  la  France  Kouveau  Muiè. 
h  l'autre,  les  mêmes  moyens  employés  par  le  bas  clergé  et  les  «JpSlSre. 
moines  amenlTcnt  les  mêmes  résultats.  11  y  eut  contre 
ilenri  IV  un  soulèvement  pareil  à  celui  qui  eut  lieu  contre 
Henri  III  après  le  meurtre  des'  Guises.  Les  témoins  de  ce 
mouvement  insurrectionnel,  qui  de  Paris  s'étendit  aux  pro- 
vinces, le  décrivent  en  ces  termes  :  «  Si  l'on  considère  la  fa- 
veur du  peuple,  il  se  fit  quasi  une  seconde  révolte  à  l'avé- 
nement  du  nouveau  roi  qui  demeura  presque  tout  seul  dès 
le  premier  jour.  Paris  chef  de  la  faction  ligueuse  avec  la  plu- 
part des  parlements  et  des  grosses  et  petites  villes  n'avoient 
d'autres  sentiments  et  d'autres  paroles  que  des  injures  pour 
décrier  la  juste  et  équitable  autorité  de  la  monarchie,  Le 
marchand  quittoit  son  commerce  pour  sauter  à  la  hallebarde, 
et  porter  son  cœur  et  ses  mains  à  l'injuste  maintien  de  l'u- 
surpation, contre  tonte  sorte  d'équité.  La  rue  Saint-Denis  avoit 
ses  compagnies  de  lanciers.  Ceux  de  Lorraine  trouvèrent  pre- 
mièrement, pour  les  commoditez  de  la  guerre,  des  montagnes 
d'or  dans  Paris.  Le  plat  pays,  sous  prétexte  de  la  religion,  con- 
tribuoit  de  tout  ce  qui  dépcndoit  de  ses  moyens  à  l'entière 
subversion  de  l'Etat  2.  »  Tel  fut  le  mouvement  populaire  que 
provoqua  l'avéncment  de  Henri  IV  du  côté  de  la  Ligue. 

*  L^uleor  conlcinporttin  dei  Sujiplém.  de  Lestoile,  p.  5,  A,  B,  odiliuu 
Hichaad. 

*  D*ABgoalc«rae,  Mëm.,  U  XI,  p.  76  A.  —  LegraÎD,  Oécad.,  L  V,  p.  190. 
—  MicberUurauU,  9«  discourt,  fol.  104,  reclo. 


PuÎMance 
des 

prëdicnteuri. 


Cuuvvrnemeni 

de  Li  Ligue 

organité 

par  Miiycuuo. 


La  I<igue 
frMUçuise. 


38  UISTOIRK  DU   AÈGKL  D£  UfiNRl  IV. 

Les  ardents  promoteurs  de  ces  passions ,  les  grands  agita* 
leurs  du  temps  furent  les  prédicateurs.  Parmi  eux ,  les  uns 
servaient  Philippe  II ,  les  autres  Mayenne  et  la  maison  de 
Guise;  mais  ils  étaient  d'accord  dans  leur  haine  et  dans 
leurs  attaques  contre  Henri  IV,  commun  ennemi  du  roi  ca- 
tholique et  des  princes  lorrains.  Ils  portaient  dans  la  chaire 
les  événements  du  jour,  les  exposaient  et  les  interprétaient 
à  leur  gré,  en  même  temps  qu'ils  traitaient  les  quesiioni 
Ihéologiqucs.  Ils  remuaient  donc  à  la  fois  les  passions  i)oli- 
Uques  et  les  passions  religieuses.  Leur  autorité  fut  celle  tout 
ensemble  d'orateurs  de  clubs  dans  les'  temps  de  révolution, 
et  de  prédicateurs  chrétiens  dans  les  temps  de  la  plus  vive 
croyance.  Leur  empire  fut  sans  bornes  sur  les  masses  depuis 
1580  juscfu'cn  1502,  et  les  résolutions  prises  dans  rinlérieur 
des  villes  de  la  Ligue  le  furent  toutes  sous  leur  inspiration 
ou  avec  leur  concours.  Henri  IV  disait  que  tout  son  mal  ve- 
nait des  curés  et  des  prêcheurs.  Le  mot  n'est  que  juste 
quand  on  le  restreint  ù  la  persistance  dans  la  révolte,  à 
Topposition  opiniâtre  des  populations  ligueuses. 

Un  grand  mouvement  insurrectionnel  contre  Henri  de 
Bourbon  était  produit  à  Paris ,  et  s'étendait  de  moment  cp 
moment  dans  les  provinces.  Il  s'agissait  maintenant  de  don- 
ner une  organisation  à  cette  révolte ,  et  un  gouvernement 
au  pays  en  opposition  avec  celui  du  roi.  Mayenne  agita  avec 
sa  Emilie  et  ses  conseillers  les  rétiolutions  à  prendre.  Jl  as- 
pirait dès  lors  à  la  royauté,  et  il  nourrit  constamment  cette 
ambition.  Mais  d'insurmontables  obstacles  s'opposaient  h  ce 
qu'il  usurpât  sur-le-champ  la  couronne. 

Repoussé  de  Tours,  il  avait  été  sur  le  point  de  se  voû* 
forcé  et  écrasé  dans  IVis  :  général  sage»  mais  malheureux, 
ses  prouesses  parlaient  peu  à  Pimagination  et  laissaient  le 
peuple  très  froid  à  son  égard. 

Un  parti  considérable  dans  la  Ligue ,  Je  parti  de  la  bour- 
geoisie, ou  Ligue  française,  voulait  pour  roi  le  vieux  cardinal 
de  Bourbon ,  alors  enfermé  à  Chinon.  Le  prince  était  cardi- 
nal ,  voilà  qui  donnait  toute  garantie  h  la  religion.  11  était 
delà  maison  de  Bourbon  «de  la  maison  appelée  au  trône  par 
la  ioLfondamentale  de  Tf^at ,  depuis  l'extinction  des  Valois  ; 
il  était  chef  de  cette  maison  par  le  fait  de  Pexclusion  de  Henri  ; 
enfin  il  avait  été  reconnu  pour  dief  de  la  Mgue,  dès  1Ô85  : 


COi;>ER>KMEM  OHOAMSÉ   1»AK   U   LIGUE.  39 

voila  qui  satisfaisait  la  Itîgitimilé ,  la  légalité,  le  droit  public. 
Enfin  il  était  prisonnier  cl  souffrait  pour  la  bonne  cause,  et 
Il  y  avait  conscience  à  ne  pas  lui  tenir  compte  de  sa  réclu- 
sion comme  d'une  raison  déterminante  pour  le  faire  roi  K 
Bonnes  gens  qui ,  dans  les  circonstances  les  plus  périlleuses 
où  la  France  eût  été  placée  depuis  cent  soixante  ans,  trou- 
vaient qu'il  n'y  avait  rien  de  plus  expédient  que  de  lui 
donner  pour  chef  un  prêtre  vieux,  infirme,  imbécile  et  cap- 
tif; politiques  le  plus  ridiculement  logiques ,  le  plus  fatale- 
ment consciencieux ,  que  Ton  rencontre  dans  Thistoire  en- 
tière de  nos  révolutions.  Toutefois  ils  étaient  nombreux, 
influents,  plus  entêtés  encore  qu'aveugles.  Mayenne  avait 
donc  à  compter  avec  eux  et  a  les  satisfaire. 

Mais  la  considération  dominante  pour  lui  était  celle  des 
princes  étrangers.  Le  duc  de  LoiTaine,  le  duc  de  Savoie, 
Philippe  II,  réclamaient  le  trône  pour  eux  ou  pour  leurs  en- 
fants. Si  ^laycnne  le  prenait,  il  se  faisait  de  ces  princes 
autant  d'ennemis,  et,  au  lieu  d'obtenir  leurs  secours,  il  avait 
Il  les  combattre  en  même  temps  que  Henri  IV. 

Dans  cet  état  de  choses,  Mayenne  donna  pour  roi  ù  la  Ligue 
le  vieux  cardinal  de  Bourbon ,  sous  le  nom  de  Charles  X. 
L'dge  et  les  hifirmités  du  cardinal  devaient  nécesbaircraent 
ouvrir  dans  un  prochain  avenir  une  nouvelle  succession  h 
la  couronne,  et  ù  ce  moment  tous  les  princes  étrangers  feraient 
valoir  leurs  prétentions  demeurées  intactes.  £n  attendant,  ils 
avaient  à  combattre  Henri  qui  les  excluait  tous,  et  ù  secourir 
Mayenne  qui  attaquait  Henri.  Mayenne  songea  aussi  à  satis- 
faire les  républicains  de  la  Ligue ,  en  maintenant  l'Union  des 
villes  de  la  Ligue,  et  le  conseil  général  de  l'Union,  auquel 
on  devait  déférer  toute»  les  grandes  questions,  tous  les 
grands  intérêts.  Ce  conseil  avait  été  établi  après  les  barri 
cades,  du  vivant  de  Henri  III,  et  porté  à  quarante  membres. 
On  lui  avait  attribué  une  portion  du  pouvoir  législatif,  la 
connaissance  et  la  décision  des  affaires  d'État ,  concmrcm- 
ment  avec  le  parlement  et  le  lieutenant  général.  Les  députés 
des  villes  étaient  autorisés  à  venir  y  siéger  et  à  participer, 
au  gouvernement  du  pays.  En  prenant  son  mandat  au  sé- 
rieux, ce  corps  pouvait  introduire  dans  la  constitution  un 

'  Villeroy,  Mémoires  cTEstat,  t.  xi  de  la  cullecl.  Mirbaud,  p.  141,  143. 


&0  HlSTOinE  DU  RÈGKË  DE  HENRI   IV. 

élément  à  la  fois  représentatif  et  démocratique.  11  pouvait 
aussi  faire  une  redoutable  concurrence  à  la  royauté  du  car- 
dinal de  Bourbon  et  h  la  liculenance  générale  de  Mayenne. 
Enfin ,  mal  composé  et  mal  dirigé ,  il  avait  les  moyens  de 
conjurer  contre  Tindépendance  du  pays  au  profit  de  Plii- 
lippe  H-:  dans  le  principe,  il  présentait  ce  danger,  car  alors 
les  Seize  y  siégeaient  à  peu  près  exclusivement.  Mayenne , 
dans  rintérêt  de  sa  puissance ,  bien  plus  que  dans  Tintérét 
du  royaume,  avait  déjà  diminué  ces  dangers  :  au  mois 
de  février  1580,  il  avait  changé  la  composition  et  Tcs- 
prit  du  conseil  en  le  portant  à  cinquante-cinq  membres , 
et  en  y  faisant  entrer  bon  nombre  de  ses  partisans  ou  de 
représentants  de  la  Ligue  française  ^  Maintenant  ii  se  flat- 
tait que  leur  ascendant  remporterait  sur  celui  des  Seize  res- 
tants; que  les  députés  des  villes,  arrêtés  par  la  guerre  et  par 
les  frais  de  déplacement,  s'abstiendraient  de  venir  siéger  dans 
le  conseil ,  et  quMl  aurait ,  lui  Mayenne ,  pour  gagner  les 
grandes  villes  de  la  Ligue ,  les  apparences ,  sans  avoir  les 
embarras  et  les  dangers  d'une  institution  républicaine, 
piiiu  Tandis  qu'il  jetait  ces  appâts  diflTérents  aux  républicains, 

d*«tar|Hiiion     ^^^^  princcs  étrangers,  aux  partisans  ligueurs  de  la  maison 
MajeoRc.       de  Bourbon ,  il  adoptait  les  mesures  les  plus  efficaces  pour 
s'assurer  la  couronne  à  lui-même.  11  prenait  le  titre  de  lieu- 
tenant général  de  l'État  et  couronne  de  France  ;  ce  qui ,  en 
l'absence  et  pendant  la  captivité  du  roi  de  la  Ligue,  lui  livrait 
une  grande  partie  du  pouvoir  législatif,  tout  le  pouvoir  exé- 
cutif, et  par  conséquent  la  partie  réelle  et  solide  de  la  sou- 
veraineté. 11  se  flattait  d'écraser  Henri  IV  sous  la  masse  des 
forces  qu'il  rassemblerait,  et  comptait  tirer  de  sa  victoire  sur 
ce  prétendant  les  moyens  de  ruiner  la  compétition  de  tous 
lés  autres.  En  efl'et,  sa  victoire  lui  assurerait  le  dévouement 
de  son  armée  ;  son  armée  lui  donnerait  la  force  de  résister 
aux  souverains  étrangers,  ainsi  que  les  moyens  de  surmonter 
Fopposition  de  la  bourgeoisie  de  la  Ligue,  et  ses  préférences 
pour  la  maison  de  Bourbon  ;  tandis  que  l'éclat  de  son  succès 
*lui  ramènerait  le  peuple  et  le  séduirait  à  son  usurpation  par 
l'enthousiasme. 
DccUraiiuQ         Boyauté  de  Cliarles  X  et  exclusion  de  Henri  de  Bourbon, 
arr^u^ae^diVart  conscfl  <le  l'Cnion,  lieutenance  générale  pour  lui-même, 

l«rleoicDU.  ,  p,  cayei   |,  ,,  t.  ,,  p.  ioi  B,  p.  lOâ,  \0\ 


COUtER^EHEIfT    ORGANISÉ    PAR  LA    LIGUE.  &1 

Mayenne  comprit  tout  dans  sa  déclaration  du  5  août  1589. 
Dans  la  délil)ération  du  conseO  d'Union,  qui  avait  précédé  la 
déclaration,  les  Seize  s'étaient  montrés  d(^s  le  début  ce  qu'ils 
devaient  être  constamment  :  ils  avaient  demandé  que  Ton 
élût  Philippe  II  pour  roi ,  alléguant  que  sa  piété  et  ses  forces 
donnaient  seules  des  garanties  suffisantes  au  maintien  de  la 
religion  et  des  affaires  ^  Mais  le  crédit  de  Mayenne  et  de  ses 
partisans  dans  le  conseil  avait  fait  rejeter  cette  proposition 
antigoisarde  et  surtout  antifrançaise.  Dans  la  déclaration  » 
le  lieutenant  général  provoquait  de  plus  une  croisade  contre 
Henri  IV.  Tous  les  catholiques,  disait-il,  devaient  s'unir  à  lui 
pour  assurer  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  hommes.  Jus- 
qu'alors ils  n'avaient  eu  à  combattre  que  les  ennemis  secrets 
de  la  religion  ;  mais  à  présent  c'était  aux  hérétiques  eux- 
mêmes,  aux  ennemis  déclarés  de  l'Eglise,  qu'ils  avaient  af- 
faire :  c'étaient  eux  qu'ils  devaient  combattre  jusqu'à  la  mort, 
en  prenant  Mayenne  et  les  princes  de  la  maison  de  Guise 
pour  chefe  dans  cette  sainte  entreprise.  Lé  parlement  de 
l^ris,  épuré  par  Bussy-Leclerc  et  réduit  à  soixante-dix-huit 
membres,  enregistra  la  déclaration  de  Mayenne  le  7  août,  et 
donna  ainsi  l'exclusion  à  Henri  IV.  La  portion  ligueuse  du 
parlement  de  Toulouse  défendit,  sous  peine  de  mort,  de  le 
reconnaître,  et  le  déclara  déchu  de  ses  droits  à  la  couronne, 
conformément  à  la  bulle  d'excommunication  de  Sixte-Quint 
(22  août).  Le  parlement  ligueur  de  Rouen  déclara  ses  parti- 
sans criminels  de  lèse-majesté  divine  et  humaine,  ennemis 
de  Dieu,  de  l'ivtat  et  couronne  de  France  (septembre)  '. 

Ainsi,  pour,  l'exclusion  de  Henri  IV,  pour  l'établissement 
du  gouvernement  de  la  Ligue,  il  y  avait,  après  l'approbation 

'  Villeroy,  Apol.  «1  duc,  t.  XI  de  la  coHect.,  p.  I4S.  «  Aacttnt  voaloieat 
»  que  Ton  esleui  le  rpy  d'Espagne  et  «lue  Ton  te  ieltast  du  toul  entre  tes 
m  bnt...  aUe'guunt  la  kônne  opinion  que  la  commune  a  voit  do  la  probité, 
m  piété,  force  et  moyens  dudtct  roy  d^Espagne.  » 

'  Becuetl  des  anc.  lois  frunç.,  t.  XV,  p.  5-8.  La  dcclaralion  de  Mayenne, 
qui  date  du  5  août,  reconnaît  la  royauté'  de  Charles  X  :  «  A  ces  causes,  en 
»  attcodant  la  liberté  et  présence  du  roy.  m  Celte  reconnaissance  du  5  uoftl 
est  indépendante  d'une  proclamation  qui  eul  lieu  le  31  novembre  1589. 
Les  historiens  modernes,  en  rejctunt  la  royauté  de  Charles  X  à  cette  der- 
niers date,  indubent  dans  une  grave  erreur.  ->  Ces  arrêts  des  portions 
ligueuses  des  divers  parlements  sont  également  omis  ou  intervertis  dans 
lout«i  les  histoires.  —  Nous  avons  fiiit  remarquer,  plus  haut,  que  les  par- 
lements du  royaume  se  divisèrent  eu  deux  fractions,  Tune  royaliste,  l'uulre 
lignense.  La  portion  royaliste  du  puricment  de  Paris  éUiit  à  Tours  en  très 
grande  majorité;  celle  du  parlement  àm  Toukfiue  à  Carcastoane;  cfUe  du 
parlement  de  Rouen  à  Caen. 


42  HISTOIRE  OU  RÈGNE  D£  HENRI  IV, 

du  dergé  ligueur,  la  sanction  des  pouvoirs  et  des  corps  poli- 
tiques ,  une  légalité  menteuse.  Le  peuple  était  donc  poussé 
à  une  résistance  désespérée  contre  Henri  de  Bourl)on  par 
toutes  les  autorités  qui  pouvaient  le  conduire  et  qui  Téga- 
raient  Mais  tandis  que  les  intrigues  égoïstes  de  Mayenne,  les 
étroits  et  pauvres  calculs  de  la  Ligue  française  jetaient  le 
pays  dans  une  guerre  civile  dont  ii  était  impossible  de  pré- 
voir Tissue  et  de  calculer  les  périls ,  un  fait  considérable  se 
produisait,  un  principe  d'ordre  surgissait,  hà  reconnaissance 
des  droits  de  la  maison  de  Bourlion  avait  lieu  :  cette  réserve 
en  laveur  de  la  légitimité,  maintenant  spéculative  et  stérile, 
pouvait,  dans  certaines  combinaisons,  produire  de  grands 
effets.  Les  succès  ou  )es  revers  de  .Mayenne  devaient  l'étouf- 
fer à  sa  naissance,  ou  la  rendre  viable,  coipmc  ils  devaient 
décider  aussi  si  le  lieutenant  général  aurait  des  chances  de 
passer  roi.  Mayenne  le  sentit,  et  il  s'épuisa  en  efforts  pour 
rassembler  à  Paris  une  armée  si  nombreuse  et  si  bien  appro- 
visionnée, que  les  coups  décisiEs  fussent  portés  dès  l'ouver- 
ture de  ct:ttc  grande  querelle. 


CHAPITOE  IL 

Première  cMBpagne  de  Henri  iV  (aoftt  15a9-ianvler  IMO). 

Prtifrctduroi       Le  temps  que  le  duc  employa  à  ramasser  des  troupes  et  à 
„    •"  ^.       les  conduire  sur  le  théâtre  de  la  guerre,  le  roi  le  mit  à  profit 

Rormandie.  ^  .  ,  .  ,  «.,  j.       n        . 

pour  faire  de  remarquables  progrès  en  Normandie.  Il  entra 
dans  cette  province  le  20  août.  A  son  approche,  Goumay  et 
Oisors,  qui  se  trouvent  à  l'extrême  frontière,  lui  ouvrirent 
leurs  portes.  Le  22  août,  Durolct,  gouverneur  du  Toul-dc- 
PArche,  vint  lui  apporter  l^ssurance  de  sa  fidélité  et  de  celle 
des  habitanu.  Henri  conduisit  ensuite  son  armée  à  Darnetal, 
près  de  Rouen,  et  des  combats  d'avant-postes  commencèrent 
entre  ses  troupes  et  la  garnison.  Pendant  ces  hostilités ,  11 
courut  lui-même  avec  un  fortdéUchement  Jusqu'à  Dieppe  qui 
s'était  prononcée  pour  lui  dès  le  6  août,  mais  dont  il  voulait 


PREMIÈRE  CAMPAGNE  DE  HENRI  IV.         &3 

éprouver  la  fidélité  et  afTermir  le  dévouement  Le  gouver- 
neur, Aymar  de  Chastes,  remit  cette  place  entièrement  à  sa 
disposition,  et  les  habitants  le  reconnurent  avec  acclamations 
(26  août). 

Dieppe  était  alors  forte  et  riche,  et  son  port,  quoique  res-  p*""  «je  SV"."* 
serré,  Tun  des  meilleurs  de  la  Normandie.  Ce  port  ouvrait  au  Dieppe  eiCaea. 
roi  des  communications  avec  la  Hollande,  TEcosse,  1* Angle- 
terre, dont  il  attendait  des  renforts,  et  un  lieu  de  débarque- 
ment pour  les  troupes  de  ces  nations.  S*il  y  soutenait  un 
siège ,  il  avait  moyen  de  recevoir  de  continuels  secours  ; 
s^il  était  réduit  à  Textrémité,  il  trouvait  une  retraite  assiu-ée 
par  mer  et  la  facilité  de  passer  h  la  Rochelle.  Le  choix  de  ce 
lieu  pour  point  de  résistance  était  donc  une  combinaison  stra- 
tégique de  la  plus  haute  portée.  Tandis  qu'il  séjournait  à 
Dieppe,  il  reçut  la  confirmation  de  la  fidélité  des  habitants  et 
du  parlement  de  Cacn,  prononcés  pour  lui  le  19  aoûL  Celte 
ville  mettait  sous  ses  lois  la  moitié  de  la  basse  Normandie» 
La  ville  et  la  contrée  lui  fournirent  pendant  un  mois  de  Tar- 
gent  pour  la  paie,  des  vivres  pour  la  nourriture  de  son  ar- 
mée ,  et  des  munitions  de  guerre.  Elles  firent  donc  presque 
entièrement,  par  le  côté  matériel,  le  sort  de  la  campagne  qui 
s'ouvrait  ;  plus  tard ,  elles  continuèrent  à  influer  d^une  ma- 
nière sensible  sur  les  opérations  de  la  guerre  et  sur  les  évé- 
nements des  quatre  premières  années  de  ce  règne.  Les  histo- 
riens originaux  font  judicieusement  remarquer  Timportance 
de  la  possession  de  ce  pays.  En  quittant  Dieppe ,  Henri  re- 
monta jusqu'à  Rouen,  et  attaqua  les  abords  de  cette  ville. 
Avant  qu'il  eût  fait  des  dispositions  pour  un  assaut  ou  pour 
un  siège ,  11  apprit  que  Mayenne  s'avançait  à  sa  rencontre, 
et  fut  informé  du  nombre  de  ses  troupes.  La  disproportion 
était  énorme.  Il  s'agissait  de  la  faire  disparaître  ou  du  moins 
de  raffalbllr  par  le  choix  habile  des  lieux  et  par  le  genre 
de  guerre  auquel  le  roi  réduirait  son  adversaire.  II  se  retira 
vers  la  mer,  prit  Eu  et  le  Tréport,  se  rendit  de  là  à  Dieppe, 
s'établit  le  ë  septembre  à  Arquas  et  dans  les  villages  envi- 
ronnants, à  une  lieue  en  avant  de  Dieppe ,  fit,  du  8  au  15 
«eptembre,  les  dispositions  nécessaires  pour  une  savante  ré- 
sistance, et,  après  les  avoir  termhiées,  attendit  son  ennemi 
de  pied  ferme  ^ 

*  UMrm  nittiTM  4«  H«ori  iV,  dM  i7  août,  17  scpleoitef,  ii  octobr«. 


Forces  rawcm- 

bléei 

parlLiyenne; 

sa  lOitrchc. 


Guerr« 

de  postes. 

Combats  fl*Ar- 

qaes. 


[id  HISTOIRE  DU   R£GN£  DE  HENRI  IV. 

Mayenne,  ayant  trouvé  de  l'argent  à  discrétion  dans  Paris, 
avait  proniptement  rassemblé  25,000  soldats.  Le  27  août ,  il 
sortit  de  Paris  à  leur  tête  :  sur  la  route,  il  recueillit  encore  des 
renforts  que  lui  envoyaient  le  duc  d'Aumale  de  la  Picardie, 
le  duc  de  Lorraine  de  sa  principaïUé,  Philippe  H  des  Pays- 
Bas.  Quand,  après  avoir  traversé  la  Normandie,  il  arriva  en 
présence  de  Tenncmi,  il  comptait  33,000  hommes,  armée 
triple,  et  au  delà,  de  celle  du  roi.  La  qualité  d'une  partie  con- 
sidérable de  ses  troupes  était  bonne,  puisqu'elles  se  compo- 
saient aux  deux  tiers  de  vieux  soldats ,  d'Allemands  et  de 
Suisses  qui  faisaient  de  la  guerre  leur  métier.  Il  pouvait,  sans 
présomption,  se  flatter  d'accabler  son  adversaire.  Le  peuple, 
dont  le  privilège  est  de  tout  fausser  en  l'exagérant,  rendit  les 
espérances  du  duc  ridicules.  Les  bourgeois  de  l'aris ,  sur  le 
bruit  que  le  Béarnais  était  enfermé  et  acculé  dans  un  coin  de 
la  Normandie,  louèrent  des  fenêtres  rue  Saint-Antoine  pour 
le  voir  conduire  lié  et  garrotté  à  la  Bastille  ^ 

Les  historiens  modernes  n'ont  rien  compris  du  tout  à  la 
lutte  qid  eut  lieu  entre ^enri  et  Mayenne;  les  termes  mêmes 
dont  ils  se  servent  le  prouvent.  11  n'est  question  chez  eux 
que  de  la  bataille  d'Arqués,  comme  si  les  deux  adversaires 
n'avaient  combattu  qu'un  seul  jour  et  s'étaient  mesurés  en 
plaine  et  en  bataille  rangée  ^.  \/*  succès  du  roi,  dans  cette 
supposition ,  serait  une  impossibilité.  Dans  les  temps  mo- 
dernes, et  entre  Européens,  il  n'est  pas  donné  h  une  armée 
trois  fois  moins  nombreuse,  comme  l'était  l'armée  royale,  de 
vaincre  en  plaine  une  armée  ennemie  commandée  par  un 
chef  habile,  tel  que  l'était  Mayenne,  de  l'aveu  des  deux 
partis.  Les  auteurs  du  xvi*  siècle  parlent  partout  de  retran- 
chements  et  de  siège,  et  mettent  ainsi  sur  la  voie  de  la  vérité. 
Une  étude  sérieuse  de  leurs  récits  et  une  inspection  attentive 
des  lieux  nous  apprennent  ce  qid  se  passa  réellement.  Le  roi 


t.  111.  p.  if)-31  ;  49,  50,  56,  S7.  —  Diarours  au  vroi,  ptr.,  Mém.  de  Du- 

Ïilessit,  t.  V,  p.   tf-tl.  — D*Aiigoulc8inc,   t.   xi,    p.    71-73.  <— Thuanus, 
ib.  xorii,  SS  <><  "f*  **• 

*  Sully,  envoyé  pour  rrconnaîlre  l'armeV  de  Muyrnnc,  dit,  rhap.  S8, 

I».  79  A  :  w  Elle  eMoit  roinpoiee  de  f  5,000  bommci  d«  pied  et  de  8,000 
M  cbevauK.  »  U'Angoulome,  uiitrc  témoin  oculaire,  p.  7i  6,  la  porti*  à 
37  ou  38.000  hooinic».  Pour  les  antres  dëtuils,  Toyei  d'Angoulesme, 
p.  7«  ri  74  B. 

*  L'erreur  devenue  populaire  sr  perpétue.  On  vend  rnrurc  auioanrbui 
«ne  dencription  du  rliAteau  d'Arqués,  précédée  d'uoc  gruvorc  ftvec  Tin- 
scripliou  :  Baiaitle  d'Artfuts, 


PREMIÈRE  CAMPAGNE   DE   HENRI  IV.  45 

et  Biron,  avec  une  souveraine  habileté,  évitèrent  toute  action 
générale,  toute  bataille  rangée,  et  contraignirent  Mayenne  à 
leur  faire  une  guerre  de  postes. 

Henri  résolut  de  conserver  Dieppe  à  tout  prix,  nous  avons 
dit  dans  quel  but.  £n  conséquence ,  il  fit  deux  choses.  Il 
pourvut  avec  un  soin  extrême  à  la  défense  de  cette  ville  et 
de  ses  murailles.  De  plus,  il  lui  donna  des  ouvrages  avancés, 
une  seconde  enceinte  fortifiée  pour  la  garantir  davantage. 
Cette  enceinte,  présentant  la  forme  d'un  carré  oblong,  s'avan- 
çait d'une  lieue  dans  les  terres  du  côté  d'Arqués.  Elle  était 
formée  :  1**  du  côté  droit,  par  le  Polct,  fauboi^rg  de  Dieppe, 
par  des  collines  couvertes  de  bois  et  de  treUlcs,  par  des  ter- 
rains pierreux  et  des  ravins,  où  une  armée  ne  pouvait  passer 
sans  être  mise  en  désordre  ;  enfin,  par  une  partie  du  camp 
du  roi  ;  T  h  la  base  du  carré ,  par  la  continuation  du  camp 
du  roi,  et  par  le  village  d'Arqués;  3"  du  côté  gauche,  par  le 
château  d'Arqués,  par  une  suite  d'autres  collines  élevées, 
par  la  citadelle  de  Dieppe.  Le  Polet  avait  reçu  des  retranche- 
ments ,  des  batteries  et  un  corps  d'armée,  de  manière  à 
pouvoir  braver  toutes  les  attaques.  On  n'arrivait  au  camp  du 
roi  que  par  un  chemin  difficile,  périlleux  pour  l'ennemi  :  il 
était  défendu  par  des  tranchées  çt  par  de  rartillerie,  appuyé 
à  un  marais  alors  existant,  protégé  par  le  canon  du  ch&teau 
d'Arqués  ^ 

Le  plan  de  Mayenne  fut  d'emporter  Dieppe,  pour  ôter  à 
Henri  les  moyens  de  recevoir  des  secours  étrangers  et  de  se 
retirer  par  mer;  ensuite  de  l'attaquer  et  de  l'écraser  avec  sa 
nombreuse  armée.  L'état  dans  lequel  le  roi  avait  mis  Dieppe 
et  son  camp  imposa  à  Mayenne  la  nécessité  de  les  assiéger. 
Ce  fut  donc  une  suite  d'assauts,  dirigés  au  moins,  sur  six  points 
différents,  depuis  le  f  5  jusqu'au  27  septembre,  pendant  douze 
jours,  et  dont  le  récit  détaillé,  comme  dit  Sully,  remplirait 
un  volume.  Ce  ne  fut  pas  du  tout  ime  seule  action,  une  seule 
bataille,  comme  on  l'a  imaginé  jusqu'à  présent  ;  nous  ne 
mentionnerons  que  les  faits  principaux. 

Le  15  septembre,  Mayenne,  partant  des  positions  qu'il 

■  D*AogouI««m«i  témoia  et  acteur,  |.  xi  de  la  collccUcn  des  Mémoires, 
p.  73,  74.  A  la  page  73,  on  trouyc  la  mentiou  du  marais,  desséché  aniour- 
dltni,  et  des  vigne*  dont  la  culture  a  cosse.  —  Sully,  OËconomies  royaleiy 
c.  SS,  p.  7i  B.  —  Villeroy.  t.  xi,  p.  143  B. 


hd  HISTOIRE  DO  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

occupait  sur  le  côté  droit,  commença  les  hostilltc^s.  Tl  sépara 
son  armée  en  deux  corps  :  Tnn ,  commandé  par  le  duc  de 
Nemours,  son  frère,  marcha  contre  le  camp  du  rof,  assis 
entre  Dieppe  et  le  village  d* Arques;  Tautre,  conduit  par  lui- 
même^  se  porta  sur  le  Polet.  Son  Intention  était  manifeste. 
Nemours  devait  forcer,  s'il  le  pouvait,  le  camp  du  roi,  et 
tout  au  moins  Pempécher  de  se  porter  au  secours  de  Dieppe. 
Mayenne,  de  son  côté,  après  avoir  enlevé  le  Polet,  devait 
attaquer  Dieppe  et  s'emparer  de  cette  ville.  Ils  trouvèrent 
sur  les  deux  points  un  formidable  appareil  de  résistance , 
dépassant  infiniment  tout  ce  qui  leur  avait  été  annoncé. 
Nemours  fut  repoussé  avec  perte  par  le  roi,  Mayenne  par 
Châtlllon,  fils  de  Gollgny,  auquel  la  défense  du  IMlet  avait 
été  confiée. 

Après  ce  double  échec,  Mayenne  concentra  son  armée,  et 
le  21  septembre  II  la  porta  en  masse  à  Tattaque  du  camp 
retranché  du  roi ,  en  avant  du  village  d'Arqués.  D'après  la 
disposition  des  lieux ,  une  partie  du  camp  était  établie  snr 
une  éminencc  et  près  d*nne  cliapelle  ou  maladrerle  ;  l'autre 
partie  était  assise  plus  bas ,  dans  la  plaine  attenante,  au  voi- 
sinage d'un  marais.  Mayenne  assaillit  les  doux  points  à  la 
fois.  Dans  la  partie  basse,  ses  troupes  ne  se  présentèrent  que 
pour  s'embourt)er  dans  le  marais  et  pour  se  faire  battre. 
Dans  la  partie  haute ,  près  de  la  maladrerie ,  ses  lansque- 
nets, après  le  premier  choc,  demandèrent  à  se  rendre,  furent 
Introduits  dans  le  camp  du  roi  par  les  troupes  royales  elles- 
mêmes  ,  se  saisirent  tout  à  coup  des  tranchées ,  firent  maîn 
basse  sur  tout  ce  quils  rencontrèrent ,  et  par  cette  insip^e 
perfidie,  mirent  un  moment  le  roi  en  péril.  Mais  les  ligueurs 
furent  arrêtés  par  l'insurmontable  bravonro  du  gros  des 
troupes  royales,  et  chassés  ensuite  des  retranchements  par 
Glidtlllon  et  son  corps  d'armée  accourus  en  toute  hâte  au  se-> 
cours  du  roi. 

liC  23  septembre,  Henri,  s'étant  rendu  a  Dîep|)e,  reçut 
de  la  reine  d'Angleterre  un  ftilble,  mais  précieux  serours  en 
argent,  mtmitions,  vivres,  habillements,  an  moment  où  les 
villes  normandes  de  son  parti  commençaient  à  s'épuiser,  et 
tie  fournissaient  qu'avec  une  extrême  dlfRoilté  h  son  armée 
en  approvisionnenients  et  des  moyens  de  défense.  Le  24 «  le 
duc  de  Mayenne  transporta  ses  forces  dans  les  villages  situés 


I>Aeiltli^.RR  CAMPAGNE  DE  HEURT   IV.  /i? 

da  côté  gaoch(^,  et  attaqua,  ce  jour  et  les  suivants,  d^iine  part, 
le  château  et  le  village  d'Arqués  ;  d'une  autre ,  la  ville  de 
Dieppe  du  côté  de  la  citadelle.  Tous  ses  assauts  furent  repous- 
sés, et  de  ces  diverses  tentatives  il  ne  recuieillit  que  honte  et 
perte.  Cependant  la  fatigue  et  Tépuisemcnt  résultaient  pour 
Tarmée  si  peu  nombreuse  du  roi  de  la  continuité  des  hosti- 
lités et  des  avantages  mêmes  qu'elle  avait  remportés.  La  si- 
tuation dans  laquelle  elle  se  trouvait  ne  pouvait  se  prolonger 
sans  devenir  périlleuse.  Enfm ,  les  secours,  qtii  s'étaient  fait 
attendre  scandaleusement,  arrivèrent.  Le  jour  de  la  dernière 
attaque  du  duc  contre  Dieppe,  un  corps  de  1,260  Ecossais» 
conduit  par  le  sieur  d'Ovins,  ancien  serviteur  du  roi  «  débar- 
qua dans  le  port.  En  même  temps  on  eut  nouvelle  que  Lon- 
gtieville,  d'Aumont  et  le  comte  de  Soissons,  longtemps  arrêtés 
par  de  misérables  querelles,  amenaient  de  Picardie  au  roi  une 
seconde  armée,  qui  n'était  plus  qu'à  deux  journées  de  mar- 
die.  Mayenne ,  craignant  de  se  trouver  entre  deux  armées , 
leva  le  siège ,  comme  disent  les  contemporains ,  le  37  sep- 
tembre, et  prit  sa  route  vers  Amiens,  pour  être  à  portée  des 
Pays-Bas  et  des  renforts  quMl  demandait  aux  Espagnols.  Deux 
jours  après  son  départ,  le  29,  Henri  reçut  le  secours  que  lui 
envoyait  la  reine  d'Angleterre,  et  qui  se  composait  de 
/i,000  hommes.  Quelques  jours  plus  tard,  il  conduisit  l'armée 
d'Arqués  à  Gamaches,  la  joignit  à  l'armée  de  I^cardie^  et  il 
se  vit  alors  à  la  tête  de  1^,000  fantassins  et  de  6,000  che- 
vaux. 

Dans  cette  mémorable  lutte ,  il  n'y  eut  pas  une  seule  ba^- 
laille  ;  mais  il  y  eut  tme  grande  victoire  résultant  des  nom- 
breux avantages  remportés  par  le  roi  :  Mayenne  ne  peitlit  pas 
moins  de  17,000  hommes  par  le  fer  de  l'ennemi  et  par  la 
désertion  :  c'était  la  moitié  de  son  armée.  Le  roi  dut  son 
succès  aux  savantes  dispositions  et  à  la  vieille  expérience  de 
Hh'on ,  à  la  bravoure  de  sa  noblesse,  à  la  fermeté  de  ses 
troupes,  et  à  lui-même  autant  qu'à  personne.  Il  déploya  les 
talents  d'^un  capitaine,  une  vigilance  et  une  activité  infatl^ 
gables,  une  intrépidité  héroïque  sans  être  téméraire,  surtout 
au  combat  de  la  maladrerie.  L'artillerie  prépara  ou  d^fda 
presque  constamment  iSi  fortune  de  ces  nombreuses  jour-^ 
nées.  Dans  la  dernière ,  Guitry,  Biron  et  le  roi  firent  usagi^ 
pour  la  première  fols  de  rartlllerie  légère  :  c'était  une  Inno- 


Prise  d«  cinq 

Tnuboorgs 

dePoii*. 

OccatioD  de 

prendre 

celle  Tille 

perdue. 


AS  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI   IV, 

vation  et  un  progn'^s  dans  Tart  de  la  guerre.  Aux  qualités 
solides  dont  Henri  avait  fait  preuve ,  se  joignaient  les  quali- 
tés aimables  qui  exercent  une  légitime  séduction  :  la  bienveiN 
lance  avec  tous,  la  franchise  de  Télogc  pour  les  belles  actions, 
rhumeur  chevaleresque,  les  mots  heureux,  tout  ce  qui  fait 
le  caractère  français  et  qui  enlève  la  nation.  Il  écrivait  à  Tun 
de  ses  serviteurs  absents  :  «  Pends-toi ,  brave  Grillon,  nous 
»  avons  combattu  à  Arques  et  tu  n*y  étais  pas.  »  La  déclara- 
tion 'de  Saint-Gloud  avait  fait  un  roi  :  la  victoire  d'Arqués  le 
consacra  auprès  de  tous  ceux  qui  voulaient  la  fin  des  troubles 
et  le  retour  à  Tordre  avec  Tappui  d'un  homme  fort  et  géné- 
reux. «  Ce  fut,  dit  un  contemporain ,  la  première  porte  par 
»  laquelle  il  entra  dans  le  chemin  de  sa  gloire  et  de  sa  bonne 
n  fortune  ^  »  La  campagne  d'Arqués,  on  peut  TaiDrmer,  donna 
à  la  France  le  règne  de  Henri  IV. 

En  quittant  la  Normandie ,  le  roi  dirigea  ses  deux  armées 
sur  Paris.  L'entreprise ,  selon  les  circonstances ,  devait  ter- 
miner la  guerre,  en  lui  livrant  la  capitale  du  royaume  et  le 
siège  de  la  Ligue,  ou  bien  se  réduire  à  un  hardi  coup  de 
main  et  à  une  occasion  de  ramasser  du  butin  pour  faire 
vivre  ses  troupes.  Il  gagna  trois  marches  sur  Mayenne,  et  le 
1"  novembre ,  il  parut  sous  les  murs  des  I^risiens ,  qui , 
trompés  par  les  impostures  de  la  Ligue,  l'attendaient  encore 
vaincu  et  captif.  Il  emporta  l'épéc  à  la  main ,  en  quelques 
heures,  les  cinq  faubourgs  situés  du  côté  de  l'Université,  les 
faubourgs  Saint-Marceau,  Sahit-VIctor,  Saint-Jacques,  Saint- 
Michel,  Saint-Germain,  et  répandit  ime  épouvante  qui,  selon 
le  ligueur  Villeroy,  devait  amener  une  prompte  soumission. 
Paris  se  rendait  si  l'on  eût  obéi  aux  ordres  formels  du  roi  » 
rompu  le  pont  Saini-Maxént  et  coupé  le  passage  à  Mayenne.  La 
négligence  de  Montmorenci-Thoré  ravit  à  Henri  cette  occasion 
et  cette  fortune  qui  ne  devaient  pas  se  retrouver.  Il  livra  le  pas- 
sage du  pont  Saint-Maxent  au  lieutenant  général,  qid,  le  lende- 
main de  la  Toussaint,  introduisit  son  armée  dans  l^ris  et  la 
Joignit  à  la  garde  bourgeoise.  Paris,  dès  lors,  devait  être  as- 
siégé en  règle  ,  et  un  siège  demande  un  appareil  de  guerre, 


*  Pour  cet  âoq  peragraphe»,  d'Asgoale^me,  p.  73B,  T5Aet76B4 
97  B.  —  I.a  Force.  Mcm..  p.  S6-94.  —  Di»coar«  eu  vrai,  etc.,  p.  I9-S7.  •— 
Lettre  de  Henri  IV  &  Bucenval,  du  t7  août.  —  Sully,  r.  9B,  p.  71,  ne  ra- 
conte qu'une  tr«*a  bible  partie  des  combaU  livre*  aotuur  de  Dieppe  et  d*Ar- 
qnet,  cl  il  y  a  une  erreur  de  dc'tail  manifeste  à  la  fin  de  aoa  récit. 


PREMIÈRE  CAMPAGNE  DE  HENRI  IV.        69 

des  approvisionnements ,  de  I^argent ,  qui  manquaient  égale- 
ment au  roi.  Il  décampa  donc  La  victoire  d'Arqués  n'avait 
pu  lui  servir  à  rédidre  la  capitale  :  il  l'employa  à  subjuguer 
la  plus  grande  étendue  de  pays  possible ,  à  décider  les  neu- 
tres en  se  montrant  au  cœur  du  royaume,  à  conquérir  des 
recettes  en  même  temps  que  des  sujets.  Mais  pour  ne  pas 
perdre  d'im  côté  ce  qu'il  gagnerait  de  l'autre,  il  renvoya 
avec  leurs  troupes  Longueville  en  Picardie,  Givry  dans  l'Ile- 
de-France  et  la  Brie ,  et  bientôt  après,  d'Aumont  en  Cham- 
pagne K 

Henri  reprit  Etampes  enl^é  par  les  lieutenants  de  ISlayennc 
pendant  la  guerre  d'Arqués ,  s'empara  de  Janville,  de  Ghâ- 
teaudun,  de  Vendôme,  de  Montoire,  de  Laverdin  (17  no- 
vembre). Par  ces  conquêtes ,  il  mit  sous  sa  loi  tout  l'Orléa- 
nais ,  excepté  Orléans  et  Chartres,  rétablit  et  élargit  ses 
communications  entre  la  France  du  nord  et  les  provinces  au 
deià  de  la  Loire.  De  là  il  se  rendit  à  Tours.  Il  fut  reconnu 
solennellement  par  le  parlement  ayant  à  sa  tête  Achille  de 
Harlay,  récemment  sorti  des  prisons  de  la  Ligue  ;  par  la  cour 
des  comptes  qui  comptait  Pasquier  au  nombre  de  ses  prési^ 
dents  ;  puis  par  les  autres  cours  souveraines  (21  novembre).  Il 
s'avança  ensuite  dans  le  Maine  et  dans  l'Anjou.  La  présence 
de  son  armée  suffit  pour  amener  presque  sans  résistance  la 
soumission  de  toutes  les  villes.  Une  seule ,  le  Mans ,  essuya 
on  siège  ;  mais  lâchement  défendue  par  le  ligueur  Bois-Dau- 
phin, elle  se  rendit  le  2  décembre.  Alors,  la  Ligue  ne  con- 
serva plus  rien  dans  l'Anjou  :  dans  le  Maine,  il  ne  lui  resta 
que  la  Ferté-Bernard  *. 

En  sortant  de  l'Anjou,  le  roi  rentra  en  Normandie.  Grâce 
aax  nouveaux  subsides  que  Gacn  lui  fournit,  il  acheva  la  ré- 
duction presque  entière  de  la  basse  Normandie,  par  la  con- 
quête  d'Alençon,Domfront,Seez,  Argentan,  Falaise,  Bayeux: 
dans  la  haute  Normandie ,  il  étendit  le  territoire  royal  par 
l'occupation  de  Lizieux,  Pont-Audemer,  Pont-L'Evêque , 
Honfleur,  Touques  (  du  16  décembre  1689  à  la  fm  de  jan- 


Conqaétflt 

«II  Orléanais, 

MaioCf  An  ion, 

Normandie. 


■  Lettres  de  Henri  IV,  des  S  et  30  novembre,  A  Duplessis  et  a  Roauat. 
~  VUJeroy,  Apol.  et  Disc.  1.  XI,  p.  143  B,  f46.  ~  Scliy,  Écoc.  roj.,  c.  19, 
p.  74  A.  —  Thuauus,  lib.  XCTU,  SS  ^^i  ^^' 

*  Dans  !<•  Maine  rt  dans  PAnjou,  outre  le  Mans,  Henri  prit  on  soumit 
Château-du-Loir,  Laval ,  Sablé,  Mayenne,  Beaumont,  Tuvoi ,  Silly,  ChA- 
teatt-Gonlhîer. 


Le  roi  recoanu 

par 

les  Subses 

et  li*«yéoUieni. 


Henri   reroniiu 
•'gairmrnt  par 

le»  gouTer» 

nt^urs,  la  no- 

kle4«r,  le  haut 

clcr|;i*,  les 

fiarlemcnU 

demeurés  nru- 

Irea. 


50  HISTOIRE  DU  H^GlflS  PE  HENRI  IY« 

vî^r  1590.)  La  Ligue  dès  lors  iiq  retint  plus  dans  U  basse 
Norwndie  qu^Avranches  ;  dans  la  liante ,  que  Rouen,  le 
Havre,  et  cinq  autres  villes  tout  h  fait  secondaires.  Les  cinq 
sixièmes  de  cette  importante  prpvince  obéissaient  donc  dès 
lors  à  Henri. 

Là  se  termine  sa  première  campagne.  Pendant  les  six  mois 
écoulés  depuis  son  avènement,  il  avait  vaincu  dans  les  com- 
bats d'Arqués  ;  fait  parcourir  plu9  de  deux  cents  lieues  à  une 
armée  chargée  d'artillerie;  établi  solidement  son  autorité  et 
son  parti  dans  les  huit  provinces  contiguës  du  nord  et  du 
centre  du  royaume,  TIle-de-France,  la  Picardie,  la  Cham- 
pagne, la  Normandie,  l'Orléanais,  la  Touraine,  le  Maine  et 
PAnjou.  11  avait  de  plus  gagné  des  recettes,  de  manière  à 
s'assurer  un  revenu  de  deux  millions  d'écus.  Ce  n'était  pas  là  ce 
qui  était  nécessaire  pour  faire  face  à  la  ibis  aux  dépenses 
d'un  gouvernement  régulier,  et  d'une  guerre  qu'il  iSillait 
poursuivre;  mais  la  détresse  de  l'expédition  d'Arqués  était 
passée  sans  retour. 

Là  s'arrêtaient  les  conquêtes  de  Henri ,  mais  non  pas  les 
avantages,  et  les  avantages  de  la  plus  haute  iipportance  obte- 
nus par  lui.  En  traversant  Châteaudun ,  dan»  TOrléanais,  il 
reçut  lesdéputésde  la  confédération  suisse  qui  venaient  renou- 
veler avec  lui  l'ancienne  alliance  existant  entre  la  république 
et  les  rois  de  France.  A  Tours,  il  rencontra  les  ambassadeurs 
vénitiens,  qui  lui  apportaient  les  hommages  de  )a  Seigneurie 
(21  novembre).  Cette  reconnaissance  solennelle  de  sa  royauté 
par  ces  deux  puissances,  venant  s'ajouter  à  celle  de  l'Angle- 
terre, de  l'Ecosse,  des  provinces  unies  des  Pays-Bas ,  des 
princes  protestants  d'Allemagne,  acquise  dès  les  premiers 
jours  de  son  règne,  lui  assurait  l'adliésion  de  près  de  la 
moitié  des  États  de  l'Europe  qui  prenaient  part  alors  aux 
affaires  générales.  De  plus,  les  Vénitiens  donnaient  aux  puis- 
sances caUioliques  l'exemple  de  reconnaître  sa  légitimité  K 

Pendant  la  durée  de  sa  première  campagne ,  le  roi  ne  fit 
pas  de  moindres  progrès  auprès  des  neutres  que  sur  ses  en- 


<  Letlrci  miMivet  4«  Henri  I¥  des  4  et  SI  noycmbre  {  7,  0,  10,  10, 
9S  décembre;  7  janvier,  t.  m,  p.  66.  85,  86,  US,  tOO,  101,  405.  KTT, 
109,  115.  —  Continuation  de  ce  qui  est  advenu  eu  l^arniée  du  roi.  Mé- 
moires de  la  tàgur,  U  IV,  p.  79-87.  —  P.  Ca)TT,  1. 1,  p.  18l-18,\  1SH-|07i 
1.  Il,  p.  SU8-S09.  —  Tbuimus,  1.  97. 


PREMIÈRE  CAMPAGNE  DE  HSlfRI  IV,  61 

neniis,  La  conduite  qu'il  tint  constamment  depuis  sa  pre* 
mière  entrée  en  Normandie,  avant  la  guerre  d* Arques,  lui 
concilia  raiïection  et  le  respect  des  populations  dans  tous  les 
pays  où  il  pénétra.  D'une  part,  il  considéra  partout  les 
ligueurs  moins  comme  des  ennemis  que  comme  des  Français 
égarés,  et  les  traita  en  roi,  non  en  conquérant.  Il  ôta  à  la 
guerre  toutes  ses  fureurs,  et  presque  toutes  ses  rigueurs. 
Dans  les  villes  prises,  les  personnes  furent  respectées,  la  dé- 
vastation interdite,  le  pillage  restreint  au  strict  nécessaire  des 
soldats.  Tordre  immédiatement  rétabli  :  les  habitants  d'Alen- 
çon  purent  rouvrir  leurs  boutiques,  le  jour  même  où  leur 
ville  tomba  en  son  pouvoir.  D'un  autre  côté,  il  respecta  reli- 
gieusement et  fit  respecter  h  ses  soldats,  même  huguenots, 
les  églises  et  les  cérémonies  catholiques,  notamment  à  la 
prise  des  faubourgs  de  Paris  et  à  celle  de  Vendôme  :  il  proté- 
gea partout  les  évOques  et  autres  ecclésiastiques  restés  étran- 
gers aux  troubles  politiques,  les  réintégra  dans  leurs  biens 
et  dans  leurs  fonctions,  et  en  rétablit  plusieurs  sur  leurs 
sièges,  dont  ils  avaient  été  chassés  par  la  Ligue,  entre  autres 
IVvéque  du  Mans.  11  avait  répondu  ainsi  aux  calomnies  df- 
SCS  ennemis ,  notamment  des  prédicateurs  ,  aux  doutes  et 
aux  craintes  des  neutres,  n  Chacun  sçait,  écrit-il  ^  la  date 
»  du  7  novembre,  combien  de  personnes  farouches  j'ai  eues 
I»  à  apprivoiser,  en  leur  ostant  de  la  fantaisie  que  je  ne  tas- 
A  chois  qu'a  m'establir  pour  puis  après  renverser  l^yr  reli- 
»  gion  ^  » 

Cette  conduite  gagna  les  cœurs,  dissipa  les  préventions  et 
les  craintes,  et  partout  sur  son  passage  ou  à  son  approche 
les  divers  ordres  lui  engagèrent  leur  foi  et  leurs  services. 
IjCs  historiens  mcnlionnenl  à  Tours  les  cardinaux  de  Ven- 
dôme et  de  Lenoncourt  ;  au  siège  du  Mans,  pii^q  ccn^  gen- 
tilshommes du  Maine  et  des  pays  voisins,  l'évéque  et  1^ 
clergé  du  Mans*;  en  Anjou,  le  gouverneur  4' Angers  Fui- 
chérie,  qui  avait  dit  jusque-là  qu'il  était  dur  de  digérei 
un  roi  huguenot ,  et  avec  le  gouverneur  la  partie  encore 
incertaine  de  la  noblesse  *  ;  à  Laval ,  le  clergé  de  Laval,  le 
prince  de  Dombes  et  plus  de  la  moitié  de  la  noblesse  de 

I  L«nrp  (U*  HrnrifJans  les  Mem.  de  DuplcsMs,  1.  lY,  p.4SS,  488. 

*  Mêmes  aulorilés  qu*aiix  prectklfrnls  parugruphrs. 

^  Puirheiîc,  gouTerncur  d*  Angers,  est  engage  dès  Ion  dont  le  parti  au 


t«  royaattf  «1« 
Heori  reconnu* 

en  Bretagne, 

Derri,  Bourltou» 

nau,  Marche, 

Limousin,  Dan* 

phiné. 


Gmdntte  du 

parlement 

do  Grenoble. 


52  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE   HENRI  IV. 

Bretagne  M)éjà  antérieurement,  et  sans  attendre  sa  venue,  le 
parlement  de  Rennes  Pavait  reconnu  le  11  septembre  et  lui 
avait  prêté  serment  de  fidélité  le  'J2  octobre  :  de  la  coïncidence 
de  ces  deux  faits  il  résultait  que  la  moitié  des  campagnes  et  des 
villes  de  la  Bretagne ,  et  Rennes,  la  capitale,  à  leur  tête,  se 
trouvaient  engagées  dans  le  parti  royal  '. 

Hors  du  rayon  de  Tinfluence  directe  exercée  par  la  pré* 
sence  du  roi,  sur  la  nouvelle  des  glorieux  avantages  rem- 
portés à  Arques,  sur  la  renommée  des  actes  répétés  de  sa 
démence  et  de  son  respect  pour  le  catholicisme,  on  voit 
à  la  même  époque  beaucoup  de  gouverneurs  de  provinces, 
plusieurs  pariements ,  joindre  leurs  adhésions  à  celles  dont 
on  vient  de  présenter  le  tableau.  Montigny  dans  le  Berri , 
Ghazeron  dans  le  Bourbonnais,  Lacoste-Mézières  dans  la 
Marche,  Lévy  de  Ventadour  dans  le  Limousin,  arborè- 
rent Tétendard  royal  et  combattirent  vigoureusement  la 
Ligue.  Larochepot  reprit  La  Flèche  sur  les  ennemis  :  Lévy 
comprima  les  Ligueurs  qui  cherchaient  à  se  saisir  de  Li- 
moges ,  et  soumit  cette  ville  et  toute  la  province  à  Tauto- 
rite  du  roi,  le  15  octobre  3.  En  Dauphiné,  Omano,  gouverneur 
pour  le  roi  sous  Henri  III,  et  le  chef  des  protestants  Lesdi- 
guières,  conclurent  une  alliance  le  13  septembre  :  pendant 
les  derniers  mois  de  1589 ,  ils  firent  reconnaître  Pautorité 
du  roi  dans  Vienne ,  Valence ,  Embrun ,  Gap ,  Romans ,  et 
établirent  un  parlement  royaliste  à  Romans  <.  11  ne  resta  à 
la  Ligue  de  villes  importantes  que  Briançon  et  Grenoble. 

En  demeurant  engagé  quelque  temps  encore  dans  la  Ligue, 
le  parlement  de  Grenoble  sut  au  moins  conserver  les  senti-r 
ments  français  et  défendre  Tindépendance  du  territoire.  Les 


roi,  coBune  le  pronre  le  témoignage  de  Henri  IV,  dana  lei  leltrct  mlMÎTei, 
t.  iix«  p.  106,  el  les  fiiiu  lubaéqnenU  consignés  dans  Gayet,  1.  nr,  p.  360  B, 
370  B. 

*  Mêmes  anioritës  qo^anz  précédents  paragraphes. 

*  D.  TaiUandler,  Hbl.  de  Bretagne,  i,  u,  p.  378. 

*  La  Thanroassière,  Hist.du  Berry,  1.  ui,  c.  104,  lOS,  U  1,  p.  905.S08.  — 
P.  Cajet,  1.  I,  p.  105,  194.  U  dit  qu'i  la  fin  d'octobre  ou  an  commence- 
meut  de  novembre,  on  fait  une  sorte  d^arméc  pour  reprendre  Montrichard 
sur  les  ligueurs,  m  i  la  poursuite  de  Montigny  avec  messieurs  du  conseil.  » 
—  Thuauus,  1.  xcvii,  ^  14,  U  IV,  p.  810. 

*  Vie  de  Lesdiguièrei,  1.  m,  p.  OS-iH.  —  Thuaniis,  1.  xcni,  $  St,  t.  iv, 
p.  82S,  893.  —  P.  Coyel,  1.  i,  p.  184,  185.  -  D'Aubigne,  1.  m,  c.  S,  t.  m, 
p.  306.  De  Thou  etCayel  n'indiquent  pas  et  ne  semblent  pas  connaître 
l'cpoquc  où  Grenoble  s'était  engagée  dans  la  Ligue  :  c'ctait  sous  Henri  III, 
U  6  mai  1680.  (Vie  de  Les'JUguièrcs,  p.  9t.) 


PREMIÈRE  CAMPAG?i£  DE    HENRI  IV.  53 

troubles  du  royaume  avaient  déjà  livré  le  marquisat  de  Saluées 
au  duc  de  Savoie,  sous  le  règne  de  Henri  III.  Le  duc  espérait 
que  la  continuation  de  ces  troubles,  sous  le  règne  de  Henri  IV» 
lui  fournirait  les  moyens  de  se  saisir  duDauphiné  et  de  la  Pro- 
vence, et  de  reconstituer  à  son  profit,  par  le  démembrement 
de  la  France,  Tancien  royaume  d^ Arles,  dans  le  cas  où  le  corps 
de  la  monarchie  lui  échapperait,  et  passerait  sous  la  loi,  soit 
de  son  beau-père  Philippe  H,  soit  des  princes  de  la  maison 
de  Guise.  Ses  agents  se  présentèrent  donc  au  parlement  de 
Grenoble,  et  pressèrent  cette  compagnie  de  reconnaître  la 
souveraineté  de  leur  maître.  Ils  alléguaient  pour  la  décider 
les  plus  spécieuses  raisons.  Tous  les  princes  de  la  maison  de 
Bourbon  ayant  été  déclarés  inhabiles  à  régner,  comme  héré- 
tiques ou  fauteurs  d*hérésie,  évidemment  le  trône  était  va- 
cant. Le  parlement  ne  devait-il  pas  y  faire  monter  le  duc  de 
Savoie,  petit-fils  de  François  1*'  par  sa  mère,  descendant  des 
anciens  rois  de  France  ?  Le  duc  mettrait  fin  aux  troubles, 
aux  guerres  civiles,  et  donnerait  au  Dauphiné  la  paix  et  la 
prospérité  dont  il  était  privé  depuis  si  longtemps.  Avec  ses 
propres  forces  et  avec  celles  du  roi  catholique  son  beau-père, 
fl  assurerait  la  religion  dans  la  province.  II  ne  voulait  donc 
derenir  leur  souverain  que  pour  assurer  leur  bonheur  en  ce 
monde  et  leur  salut  dans  Tautre.  Mais,  tandis  que  les  argu- 
ments religieux  hypocrites  et  les  motifs  politiques  captieux 
liTraient  assaut  à  la  conscience  et  à  la  raison  des  magistrats, 
le  KDthnent  de  la  nationalité  les  fortifiait  et  les  retenait.  Ils 
répondirent  «  que  la  requête  du  duc  étoit  importante  à  tout 
»  le  royaume  de  France  ;  que  la  décision,  en  pareille  ma- 
w  tière,  appartenoit  à  une  assemblée  des  trois  Estais,  dont  le 
m  parlement  suivroit  les  avis.  9  Et  ils  congédièrent  les  agents 
da  duc  avec  cette  réponse.  Ce  prince  tourna  vers  la  Provence 
vues  et  les  forces  restreintes  dont  il  disposait  ' 


Cinq  factions  déchiraient  et  dévastaient  la  IVovence.  La  fac-  .î^  «■oy*»*^  •'« 

Hflnrt  reconnue 

tion  du  duc  de  Savoie  se  composait  d'abord  exclusivement  de    «n  Provence, 
gentibhommcs  savoyards  établis  dans  le  pays.  11  la  fortifia  par 
ses  intrigues,  dans  les  derniers  mois  de  1589.  D'une  part,  il 
ft^allia  avec  une  des  factions  de  la  Ligne  ;  d'une  autre,  il  recruta 
i  prix  d^argent  des  partisans  dans  la  basse  classe  et  parmi  les 

*  Tic  d«  Letdiguières,  1.  m,  p.  05-87.  —  P.  Coyet,  I.  I,  p.  184,  185.  ^ 


5&  HISTOIRE  DV  RÈGNB  DE  HENRI  IV. 

hommes  perdus  d' Aix  et  de  Marseille.  11  attendit  roccaslon  de 
les  faire  agir  de  concert  en  sa  faveur,  et  il  la  trouva  bicntôL 
Ces  actives  men<?es  n'empêchèrent  pas  le  parti  royal  de  se 
constituer  et  de  s'organiser  fortement  en  Provence.  Dans  les 
quinze  jours  qui  suivirent  la  nouvelle  de  l'assassinat  de 
Henri  III,  ceux  qui  avaient  combattu  pour  ce  prince  trans- 
portèrent à  Henri  IV  leur  fidélité  et  leurs  services.  C'étaient 
le  gouverneur  Lavalette,  la  portion  royaliste  du  parlement 
d'Alx  réfugiée  à  Pertuis,  la  plus  grande  partie  de  la  noblesse, 
les  villes  et  territoires  de  la  partie  septentrionale  de  la  Pro- 
vence. Le  30  août,  le  parlement  de  Pertuis  reconnut  Henri  IV 
pour  roi.  Quelques  succès  obtenus  par  les  Ligueurs,  aidés  de 
l'argent  et  des  secours  du  duc  de  Savoie,  contraignirent 
le  gouverneur  à  transférer  le  parlement  royaliste  de  Pertuis 
h  Manosque ,  le  1"  novembre  ;  mais  le  parti  royal  reprit  ses 
avantages  sur  d'autres  points  et  s'étendit  à  l'occident  et  au 
midi  de  la  province.  La  noblesse  de  Tarascon  désarma  le 
peuple  et  fit  passer  la  ville  de  l'état  de  neutraUté  et  d'indé- 
pendance à  l'obéissance  envers  le  roi  et  le  gouverneur.  Au 
mois  de  novembre,  Lavalette  prit  Toulon,  puis  peu  après  le 
fort  de  cette  ville,  et  y  commença  des  fortifications  qui  le 
rendirent  bientôt  imprenable  ^ 
La  royautd  de        Enfin,  cu  Langucdoc,  la  fin  de  l'année  1589  fut  marquée 
Henri  reconnue  paf  quelqucs  falts  qul  Servaient  la  cause  de  Henri  dans  l'opl- 
^  "*em*eni'*'    Hlon  publlquc  et  fortifiaient  son  parti.  Montmorenci,  gou- 
ea  Languedoc,   vcmeur  de  la  province,  avait  donné  son  adhésion  avant  la 
guerre  d'Arqués.  Mais  fi  s'agissait  d'y  joindre  le  libre  assen- 
timent des  populations,  dans  un  gouvernement  où  Toulouse 
et  la  partie  occidentale  avaient  embrassé  la  Ligue,  et  dans  un 
pays  d'^ltats,  où  les  représentants  des  trois  ordres  décidaient, 
avec  une  autorité  à  peu  près  égale  à  celle  du  gouverneur,  de 
toutes  les  afialres  d'intérêt  public.  Or,  dans  l'assemblée  des 
États,  tenue  à  Béziers  le  27  septembre,  le  président  de  l'as- 
semblée protesta  de  leur  fidélité  envers  le  roi  :  les  consuls 
de  Garcassonne,  Uzès,  Mende,  Saint-Pons,  le  Puy,  Castres, 
Lodève,  prirent  le  même  engagement  :  les  évèques  de  Bé- 
ziers, de  Montpellier,  de  Mmes,  d'Agde  ;  les  vicaires  gêné- 


*  Boncbe,  Hist.  da  ProTrnce,  I.  X,  p.  131,  VfÈ,  -^  Itoitradamaf,  HUl.  àm 
Provence,  pari,  viu,  p.  877-880. 


PREMIÈRE  CAMPAGNE   DE  HENRI  IT.  d5 

raux  de  Garcassonne,  Uzts,  Mcndc,  Saint-Pons,  le  Puy,  accé- 
dèrent à  ces  promesses.  l*cu  après  le  13  novembre,  l'un  des 
lieutenants  de  ^lontmorcnd  lit  rouvcrlure  du  parlement 
royaliste  de  Garcassonne,  dont  les  arrêts  devaient  infirmer 
ceux  du  parlement  de  Toulouse,  dans  ce  quMls  avaient 
d'hostile  à  Henri  IV  et  à  son  autorité  ^ 

Quand  on  joint  ces  reconnaissances  aux  reconnaisi>ances 
hardies  et  généreuses  des  premiers. jours  du  règne,  et  aux 
soumissions  résultant  des  conquêtes  de  Henri,  on  voit  que 
dans  la  presque  totalité  des  gouvernements  un  parti  pour 
le  roi,  plus  ou  moins  fort,  était  organisé  à  la  fin  de  158d. 
Les  seuls  gouvernements  de  Guiennc,  de  Nivernais,  ott 
commandait  le  duc  de  Nevers,  d'Angoumols  et  de  Saln- 
tonge,  qui  obéissaient  ti  Épernon,  persistaient  encore  dans  la 
neutralité.  Mayenne  et  la  Ligue  essayèrent  bien  de  protester 
contre  ce  résultat  en  faisant  uhc  proclamation  solennelle  de 
la  royauté  du  vieux  caixUnal  de  Bolirbon,  le  21  novembre. 
5tais ,  d'une  part,  Henri  s'était  assuré  de  la  personne  de  c(; 
compétiteur  en  le  tirant  de  Ghllion,  en  le  transférant  à  Fort- 
tcnay,  en  Poitou,  et  en  le  livrant  à  des  mains  d'une  fidélité 
éprouvée  '.  D'un  autre  côté,  la  royauté  de  Gharlcs  X  fi'étall 
appuyée  que  des  revers  d'Arqués,  de  la  perte  des  villes  et 
du  territoire  que  ces  défaites  avaient  amenée  :  cette  royauté 
resta  donc  toute  de  déclaration  et  de  protocole  ;  d'effets 
réels,  elle  n'en  eut  point 

Un  fait  capital,  négligé  jusqu'à  présent  par  l'histoire,  c'est 
que,  dès  la  fin  de  l'année  1589,  plus  des  cinq  sixièmes  du 
haut  clergé  de  France  avaient  adhéré  à  la  royauté  de  Henri  IV. 
L'exposé  des  faits  généraux  vient  de  nous  montrer  le  roi  re- 
connu par  les  cardinaux  de  Vendôme  et  de  Lenoncourt,  par 
les  évèques  et  les  vicaires  généraux  du  haut  et  du  bas  Maine, 
d*une  partie  de  la  Bretagne,  de  la  portion  la  plus  considérable 
du  Languedoc.  Il  faut  ajouter  que  M.  de  Gondy,  évéquc  de 
Paris,  était  si  ouvertement  prononcé  pour  lui ,  que  la  Ligue  le 
força  bientôt  à  se  sauver  de  Paris.  11  en  était  de  même  dans 
toutes  les  provhices  et  sur  tous  les  points.  En  effet ,  nous 


Le  parti  roya  1 
cUibli  fiant 
toutes  les  pru- 

▼inces, 
excepté  trois. 


Le  mi  lecouiiu 
piii'lu  presque 

totalité 

du  huul  rlergci 

calboli'jue. 


'  D.  Veissctte,  Hiil.  gënër.  de  Lenguedoc,  liv.  4f ,  t.  T.  p.  439,  440. 

'  Lettres  missives  de  Heori  lY,  des  S4  août  et  U*  septembre,  t.  m, 
p.  i8,  90,  55,  36.  —  Mémoires  et  correspondances  de  Diiples&i«,  t.  IV» 
p.  399,  kW.  409.  —  P.  Cajet,  1.  L  p.  187. 


56  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

avons  déjà  établi  que  sur  cent  dix-huit  archevêques  on  évè- 
ques  que  l*on  comptait  alors  en  France,  cent  se  prononcèrent 
pour  Henri  dès  son  avènement  ^  Il  ne  pouvait  en  être  autre- 
ment Partout  la  démagogie  de  la  Ligne  avait  foulé  aux  pieds 
la  discipline  de  TÉgliseen  chassant  les  évéques  de  leurs  sièges, 
dans  quelques  localités,  pour  favoriser  Tambition  de  mem- 
bres du  clergé  inférieur,  dans  le  plus  grand  nombre  pour  hc 
rendre  indépendante  de  tout  pouvoir  ecclésiastique  légitime. 
L*ordre  religieux  n'était  pas  moins  violé  par  elle  que  Tordre 
politique.  De  plus,  le  patriotisme  des  évèques  s'indignait  à  Ti- 
dée  de  devenir  espagnols  en  devenant  ligueurs.  Enfin,  leur  bon 
sens  comprenait  et  disait  bien  haut  que  matériellement  la  reli- 
gion ne  pouvait  subsister  sans  TÉtat  ;  et  que  TEtat  courait  le 
risque  d'une  complète  subversion  au  milieu  des  fureurs  de  la 
guerre  civile  et  de  la  guerre  étrangère  indéfiniment  prolon- 
gées. La  Ligue  française,  qui  partageait  les  sentiments  religieux 
des  évéques,  et  qui  aurait  dû  se  laisser  guider  par  eux, 
ferma  les  yeux,  trois  ans  durant,  à  cette  grosse  vérité;  tant 
Il  est  vrai  qu'en  France,  à  toutes  les  époques,  le  bon  sens  a 
été  la  qualité  la  plus  rare ,  et  que  la  passion  est  parvenue  à 
obscurcir  jusqu'à  l'évidence. 


CHAPITRE  II L 

Intérieur  «le  la  Ligne  (teptembro  1589-janvicr  159U). 

Dans  le  temps  même  que  l'autorité  du  roi  sVtendait  ainsi 
chaque  jour  sur  quelque  partie  nouvelle  du  territoire,  et  à 
quelque  classe  de  citoyens,  l'intérieur  de  la  Ligue  était  agité 
par  de  violents  conflits  entre  les  diverses  factions  qui  la  com- 
posaient. Les  revers  d'Arqués  avaient  infiniment  diminué  les 

*  Voycs  ei-desfliii  les  cilations  d«s  pagea  7, 8.  —  Partout  le  haut  rlerge' 
raçot  le  roi  comme  il  le  rc^ut  &  Laval.  <f  Je  mis  prcseiitemenl  arriré  rn 
m  ceale  Tille,  ayant  esir  arrcslc'  près  fl'unc  heure  a  lu  porte,  pour  vuir  lou» 
m  ceulx  du  clcrgc  qui  m'y  sont   venu»  tccpvoir  avec  leurs  ornemeiiM, 

•  comme  oui  fairt  tous  !«•&  uullres  de  crsle  dicte  ville,  ayant  eu  le  plaisir 
»  d'oir  chanter  ViVe  U  Hoy,  eu  musique,  par  les  ecclésiastiques,  avec  le 

•  ploa  grand  applaudissement  du  peuple  que  j*oy  iamai».  »  (I<.eltre  de 
Henri  IV  an  cardinal  de  Vendosme,  écrite  à  Laval  le  10  décembre  1589. 
t.  m,  p.  100, 101.) 


INTÉRIEUR  DE  LA  LIGUE,  FIN  DE  1589.  57 

forces  matérielles  et  la  réputation  de  Mayenne.  Les  Seize 
le  jugèrent  assez  affaibli  pour  qu'il  fût  incapable  de  dé- 
fendre l^ordre  public  contre  leurs  fureurs.  Les  partisans  que 
Targent  et  les  promesses,  ou  Tégarement  du  zèle  religieux, 
avaient  faits  à  TEspagne,  imaginèrent  de  leur  c6té  que  le  mo* 
ment  était  venu  de  remplacer  l'autorité  du  lieutenant-général 
par  l\»urpatlon  de  Philippe  II. 

Pendant  le  mois  de  septembre  et  le  commencement  du  Progrès 
mois  d'octobre  1589,  en  l'absence  de  Mayenne,  les  Seize  ^u^^s^^ 
avaient  donné  de  vastes  développements  à  leur  confrérie,  et 
avaient  porté  leur  nombre,  qui  d'abord  n'excédait  pas  quatre 
mille,  à  quinze  ou  vingt  mille.  Ils  s'étaient  assuré  une  partie 
de  la  populace  en  lui  promettant  le  pillage.  Mais,  parmi  les 
sicaires  qu'ils  avaient  recrutés,  il  ne  faut  pas  ranger  du  tout 
le  peuple  des  halles  :  c'est  une  erreur  grave  consignée  dans 
quelques  histoires  récentes  de  la  Ligue  et  du  règne  de  Henri  IV 
qu'il  Importe  de  rectifier.  Ces  citoyens,  d'un  rang  inférieur, 
mais  d'un  cœur  droit  et  honnête,  dirigés  par  leur  curé  Be- 
Doist,  qu'on  nommait  le  pape  des  halles^  tinrent  constam-* 
ment  pour  le  parti  de  l'ordre  et  de  l'indépendance  nationale, 
pour  la  Ugue  française  d'abord,  pour  le  parti  royal  ensuite'. 
Après  avoir  cherché  des  complices  dans  la  plus  basse  popvH 
lace,  les  Seize  avaient  encore  gagné  quelques  compagnies  de 
la  milice  bourgeoise,  et  les  avaient  jointes  aux  gens  sans  aveu 
qu'ils  tenaient  armés  et  prêts  à  tout  depuis  les  barricades. 
Ces  préparatifs  terminés,  ces  forces  rassemblées,  ils  proû- 
tèrent  d'une  excursion  faites  à  Étampes  par  de  Rosne,  que 
Mayenne  avait  laissé  comme  gouverneur  à  Paris,  pour  se  ruer 
sur  la  société  civile  et  s'en  rendre  maîtres  par  une  soudaine 
attaque.  Le  21  octobre,  Lachapelle-Marteau,  prévôt  des  mar- 
chands, à  la  tête  d'un  certain  nombre  de  bourgeois  armés,  et 
Bussi-Lederc  avec  ses  satellites,  envahirent  le  Palais  de  Justice. 
L'^épée  sur  la  gorge,  ils  contraignirent  le  parlement  à  absou- 
dre en  appel  et  à  mettre  en  liberté  un  sergent  des  Seize,  con- 
damné précédemment  pour  excès  commis  contre  plusieurs 
habitants,  et  poiur  violences  envers  un  conseiller  du  parle- 
ment dans  l'exercice  de  ses  fonctions.  Quand  ils  eurent  réduit 


■  L««toile,  Regist-Jonm.  de  Hrart  IV,  p.  17  B  à  la  fia.  -«-  P.  Cayet,  t.  iii« 
p.  333.  —  D*Attbigiië,  t.  m,  I.  m,  c.  6k). 


58  HISTOIRE  t)V  RÈGNE  DE  HENRI  tlT. 

Ainsi  la  loi  et  le  magistrat  à  une  cortiplètc  impuissance  devant 
la  fbrce,  ils  assassinèrent  et  dc^pouillèrent  chaque  jour  quel- 
que citoyen,  en  Taccusant  d'être  huguenot  et  politique.  liC  2 
■ôvettibre,  an  moment  même  où  Mayenne  rentrait  dans  Paris, 
vditi  ce  qui  s'y  passait  :  n  La  dernière  fête  de  la  Toussaints, 
*  Un  Selte,  nommé  Emonnot,  tua  un  bon  catholique  nommé 
»  Minteme,  duquel  il  fit  accroire  qu'il  étoit  politique,  pour  lui 
»  voler  quatre  cents  écus  qu'il  avolt  sur  lui.  »  Le  témoin  ocu- 
laire^  qiH  fournit  ces  détails,  signale  trois  autres  meurtres 
commis  en  deux  Jours  par  les  Seize,  et  ajoute  que  ces  assas- 
sinats étaient  non  seulement  Impunis  à  Paris,  mais  approu- 
vés et  loués  comme  témoignage  d'un  bon  zèle  à  la  religion 
catholique.  On  volt  ensuite  dans  son  récit  que  ces  excès  con- 
tinuèrent pendant  tout  le  mois  de  novembre  '. 

fcfre  nlLiSl^r'^      ^u  même  tcmps  que  les  Seize  établissaient  cette  sanglante 
Philippe ji      tyrannie,  ils  préparaient  tout  pour  imposer  à  la  France  la  do- 

protectev  «  a  ,„j„3||^j„  ^j^  pEspagnc.  SI  l'ou  voulait  y  réussir,  il  fallait  avant 
tout  renverser,  désarçonner,  comme  disent  les  contempo- 
rains, Mayenne  et  les  princes  lorrains.  Les  Seize  y  travail- 
lèrent activement  de  concert  avec  plusieurs  jésuites  influents 
et  d'autres  partisans  de  PEspagne.  Tons  ensemble  ils  parvin- 
rent ft  reconquérir,  dans  le  conseil  de  PtJnion ,  la  majorité 
que  Mayenne  s'était  tm  moment  assurée  par  l'Introduction  de 
4tllnze  de  ses  paHIsans  dans  ce  corps.  Quand  11  rentra  dans 
Pntïn  le  SI  Novembre,  Il  trouva  hostile  à  ses  desseins  et  à  son 
pouvoir  le  conseil  de  l'Union,  redoutable  dépositaire  d'une 
part  dn  pouvoir  législatif.  Il  chercha  à  prévenir  ses  attaques 
{Kir  un  acte  d'ime  adrohe  politique,  auquel  11  intéressa  facile- 
ment le  parlement  et  la  bonne  bourgeoisie,  qui  composaient 
là  Ligue  française.  Nous  avons  remarqué  que  la  Ligue  fran- 
çaise était  passionnée  pour  la  royauté  du  cardinal  de  Bonr- 
bon«  De  plus,  elle  désirait  ardemment  se  soustraire  au  joug 
des  .Seize,  rétablir  l'ordre  public,  assurer  la  vie  et  les  biens  des 
citoyens;  et,  comme  au  temps  qui  nous  occupe,  elle  n'était 
pas  organisée  pour  la  défense,  elle  se  trouvait  dans  l'absolue 
nécessité  de  s'appuyer  sur  le  lieutenant-général.  Mayenne 
combina  les  désirs  et  les  besoins  de  ce  parti  avec  ses  propres 

'  LestoU*,  Regiil«-Jmini.,p.  6  B,  7  A.B,  S  5  et  6,  10  B.— P.  Ç«7«t«  1. 1. 
p.  i 80  A.  —  ArnauM,  dans  VJnti'espttgnol^  rappelle  cet  ftÀU:  némoires 
de  la  Ugoc,  t.  ir,  p.  91& 


INtÉRlEtJR  DE  LA  LIGUE,    riN  DE  1589.  89 

intérêts.  Le  21  novembre  1589,  il  flt  proclamer  roi  le  cardi- 
nal de  Bourbon  d*une  manière  solennelle,  par  le  parlement. 
L^arrèt  enjoignait  à  toits  les  I*Vançais  de  reconnaître  Charles  X 
pour  héritier  de  la  couronne  et  pour  roi,  de  hii  rendre  fidé- 
lité et  ot)éissance,  d'employer  leur  vie  et  leurs  biens  pour  Ife 
délivrer  de  sa  prison.  IK^s  lors  les  édits,  les  ordonnances,  totls 
les  actes  publics  furent  rendus  en  son  nom,  les  monnaies  frap- 
pées à  sdn  effigie.  Le  même  arrêt  du  parlement  maintenait 
à  Mayenne  Tintégrité  de  son  pouvoir,  en  ordonnant  qu1l 
conserverait  la  lieutenahce-générale  jusqii^à  la  délivrante  du 
roi  •.  La  royauté  de  Gliarles  X  que  Mayenne  avait  jusqUe-lâ 
amoindrie  et  éteinte,  dans  Tintérôt  de  sa  royauté  à  lui- 
même  qu'A  croyait  prochaine ,  la  souveraineté  de  Charles  X 
recevait  ainsi  la  réalité  et  la  vie  dont  elle  était  susceptible  : 
satisfaction  était  donnée  au  Vœu  de  la  Ligue  française,  des 
légitimistes  :  toutes  les  factions  de  la  Ligue  étaient  ramenées, 
autant  que  possible,  à  Tobéissance  du  lieutenant -général.  La 
nue  propriété  de  la  royauté  étant  déférée  au  cardinal  de 
fiourbon,  l'usufruit  à  Mayenne,  il  ne  restait  rien,  au  compte 
de  ce  dernier,  que  Philippe  II  pÛt  prendre. 

Les  Seize,  les  jésuites,  les  ministres  de  Philippe  II  à  Paris, 
n'en  tirèrent  qu'une  conséquence,  c'est  qu*îl  fallait,  en  lais- 
sant aii  cardinal  un  vain  nom,  arracher  le  pouvoir  à  Mayenne^. 
Au  commencement  du  mois  de  décembre  1589,  ils  propo- 
sèrent dans  le  conseil  de  l'Union  dé  déclarer  Philippe  11  pro- 
tecteur du  royaume  de  France,  alléguant  qu'il  était  seul 
capable  désormais  de  soutenir  la  guerre  et  d'enipêcher  l'État 
de  tomber  au  pouvoir  de  Henri  tV  et  des  hérétiques.  «  A  ce 
»  protectorat,  dit  l'un  de  ceux  appelés  à  voter  sur  la  propo- 
»  sillon,  à  ce  protectorat  étoient  attachées  des  autorités  et 
»  puissances  royales  et  souveraines,  comme  de  pourvoir  aut 
•  principales  charges  et  dignités  dii  royaume  ecclésiastiques 
t>  et  séculières,  tout  ainsi  que  fait  le  roi  au  royaume  de  Naptes 
»  et  de  Sicile,  par-dessus  les  vice-rt)is  qu'il  y  envoyé.  »  Tous 


*  Tbuanut,  1.  XCVU,  S  ^^i  L  IT,  p.  814.  —  Arrêt  du  parlement  de  Paris 
dd  il  ttovemlnre,  qui  pcodame  le  cardinal  de  Bourbon  roi,  mu*  le  nom 
de  Charles  X,  manuscrit  de  la  bibliothèque  nation.  Cangé,  toL  1558/10, 
pièce  i8. 

*  P.  Cotet,  Chron.  noven,  1,  t,  pages  191  B,  192.  4  Les  ministres  d'Ei- 
m  pagne*  la  faction  des  Seiae,  avec  qaelqutts  Jésuites,  désiroieot  cesto  pro- 
•  tection  du  roi  d^Espagoe.  » 


60  HISTOIRE  PU  RÈGNE  DE  HENRI  IV» 

ceux,  dans  le  conseil  de  TUnion,  qui  appartenaient  à  la  Ligue 
française  ou  au  parti  de  Mayenne,  qui  conservaient  quelque 
amour  de  la  patrie  et  quelque  pudeur,  combattirent  une  pre- 
mière fois  la  proposition.  Ils  représentèrent  qu'avec  le  titre 
de  protecteur,  le  roi  d'Espagne  commanderait  absolument 
dans  le  pays,  au  moyen  des  officiers  et  fonctionnaires  de  tout 
ordre  qu'il  nommerait  et  des  armées  qu'il  enverrait  ;  qu'il 
s'emparerait  des  principales  places  ;  qu'ainsi  au  milieu  de  la 
division  des  partis,  il  affaiblirait  et  ruinerait  la  monarchie 
française.  Dans  une  nouvelle  réunion ,  à  laquelle  assistaient 
les  agents  du  roi  d'Espagne  Mcndoze  et  Moreo,  la  propo- 
sition ayant  été  remise  en  délibération,  Villeroy  somma 
Mayenne  de  ne  céder  à  personne  sa  qualité  de  chef  de  parti, 
et  lui  annonça  que  s'il  se  mettait  sous  la  protection  d'im  prince 
étranger,  il  serait  aussitôt  abandonné  de  ses  amis,  et  princi- 
palement de  la  noblesse  qui  n'obéirait  jamais  à  l'Espagnol. 
Aux  Ligueurs  français  se  joignirent  le  parlement  et  les  prin- 
cipaux membres  de  la  noblesse  de  la  Ugue.  Ils  déclarèrent 
iwanimement  à  Mayenne  qu'il  ne  devait  pas  souffrir  qu'il  y 
eût  d'autre  chef  que  lui  au  parti  de  l'Union  ;  qu'il  fallait  qu'U 
eût  seul  toute  l'autorité,  et  ils  lui  promirent  de  courir  sa 
fortune.  Le  duc  opposa  leur  avis  et  leur  autorité  à  la  propo- 
sition qui  le  menaçait.  Les  Seize  et  les  autres  partisans  de 
TEspagne,  dans  le  conseil  de  l'Union,  épuisèrent  successive- 
ment tous  les  moyens  pour  le  faire  changer  de  résolution. 
Ils  essayèrent  d'abord  de  la  persuasion.  Ode  Pigenat,  provin- 
cial des  jésuites ,  lui  fit  un  long  discours  pour  l'engager  à 
abandonner  l'avis  de  Villeroy  et  à  se  ranger  au  leur.  Le 
trouvant  inflexible,  ils  résohn^nt  de  lui  faire  violence.  Ils 
annoncèrent  que  le  conseil  de  l'Union ,  qui  avait  donné  la 
lieutenance  générale  à  Mayenne,  conférerait  le  protectorat  à 
Philippe  II,  et  ils  se  mirent  en  mesure  d'exécuter  ce  projet  et 
cette  menace. 
Pour  échapper  lui-même  à  la  déposition ,  pour  soustraire 
rûnira'aîasé  l'État  à  cc  danger,  Mayenne  recourut  aux  plus  énergiques 
par  Mayeane.  mesures  :  il  rulua  en  même  temps  le  dangereux  pouvoir  des 
Seize  et  les  projets  dos  Espagnols.  Il  proclama  le  Pape  seul 
protecteur  du  royaume  et  de  la  religion  en  France.  Il  déclara 
que  le  conseil  de  l'Union,  représentant  une  forme  de  répu- 
blique, était  incompatible  avec  la  royauté  du  cardinal  de 


Le  CoBieil  de 


INTÉRIBDR  DE  LA  LIGUE,  FIN  DE  1589.  61 

Boorbon  et  avec  la  lieutenance-générale.  En  conséquence  il 
cassa  le  conseil  de  PUnion,  et  il  y  substitua  un  conseil  d^Ëtat 
qui  devait  le  suivre  partout,  même  à  Tarmëe,  et  décider  avec 
lui  toutes  les  affaires  administratives  et  les  affaires  politiques 
urgentes.  Ce  partage  des  pouvoirs  et  ce  gouvernement  n*é- 
laient  en  apparence  que  provisoires.  Les  États-généraux  con- 
?oqués  à  Melun  pour  la  Chandeleur,  c*est-à-dire  pour  le  3  fé- 
vrier 1590,  devaient,  en  exerçant  la  souveraineté  de  la  France, 
décider  comment  elle  serait  régie  ;  mais  les  dispositions  de 
Mayenne  et  la  force  des  événements  pouvaient  faire  préjuger 
déjà  que  le  provisoire  établi  pour  quelques  mois  durerait 
probablement  quelques  années.  La  faveur  du  parlement  et  de 
la  bourgeoisie,  la  présence  des  troupes  réunies  par  le  duc 
dans  Paris,  lui  permirent  de  détruire  le  conseil  de  TUnion 
sans  qu'il  rencontrât  aucune  opposition  sérieuse  *. 

La  statistique  et  l'histoire  des  partis  durant  cette  période  Compromb 
demandent  que  Ton  se  rende  compte  des  résultats  qu'entrât-  *"^ia^Ju""* 
nait  le  grand  changement  opéré  par  la  suppression  du  con-  française. 
seii  de  l'Union.  Les  Seize  et  les  Ligueurs  vendus  à  Philippe, 
qui  avaient  ressaisi  la  majorité  dans  ce  conseil,  perdaient  leur 
pouvoir  politique.  Mais  les  Seize  ayant  ime  organisation  et 
des  réunions  qui  n'étaient  pas  détruites,  subsistaient  à  l'état 
de  parti,  et  continuaient  à  influer  sur  la  situation.  Les  villes 
de  la  Ligue  étaient  privées  également  de  leurs  attributs  poli- 
tiques. Tout  le  pouvoir  législatif  était  concentré  jusqu'à  nou- 
vel ordre  entre  les  mains  de  Mayenne  et  du  parlement  :  tout 
le  pouvoir  exécutif  demeurait  à  Mayenne  :  les  grands  intérêts 
de  l'État  étaient  réglés  par  lui  et  par  son  conseil  d'État. 
Mayenne  prétendait  à  la  succession  du  vieux  cardinal  de 
Bouribon  et  au  trône.  La  Ligue  française  continuait  à  vouloir 
y  porter  un  Bourbon  et  à  maintenir  la  grande  et  salutaire 
institution  nommée  loi  sallque.  En  différend  sur  ce  point,  en 
parfait  accord  sur  la  nécessité  de  maintenir  la  société  et 
Tordre  public  contre  le  brigandage  des  Seize,  de  ne  pas  li- 


*  Four  ces  deux  paragraphes  :  Tilleroy,  Apol.  et  Disc.,  t.  XI  de  la  coll., 
p.  I4S«  147.  ^  P.  Cayel,  1. 1, 1. 1,  p.  167,  189  -lOl.  —  Suite  du  dialocue  du 
■Mbcuatre  etda  mauaat,  citée  par  extraits  daus  Lestoile,  p.  665  B,  566.  — 
L'ABti-MpagBol,  dans  les  Mém.  de  la  Ligue,,  t.  IV,  |>.  9K,  SIS.  —  Lettre 
d«  Mayenae  pour  Télection  des  députés  aux  Etals-gcnéraux,  d*abord  pour 
le  3  fcrricr,  ensuite  pour  le  90  mars  1S80,  dans  les  anc.  lois  françaises, 
1.  XT,  p.  18. 


62  BI870IRB  PU  RàCIIE  PB  UKMKl  IV, 

?rer  ta  royiupie  à  Philippe  If  »  de  ne  pas  le  livrer  non  plus 
k  un  hérétique»  la  Ligue  française  et  le  lieutenant-général 
passèrent  ensemble  un  accord,  un  compromis,  pour  la  dé^ 
fense  des  intérêts  qui  leur  éuient  pomrouns.  Ce  compromis 
devait  durer  jusqu'au  moment  où  les  circonstances  les  obli- 
geraient &  vider  leur  didéreDd  au  sujet  de  la  couronne  ;  alors, 
mais  alors  seulement,  ils  devaient  se  séparer  et  devenir 
ennemis, 

La  Ligue  française  se  trouvait  très  bieq  de  U  royauté  du 
cardinal  4b  Bourbon»  doublé^  et  soutenue  de  19  lieutpnance* 
générale  4e  Masfenne,  comme  le  prouvent  divers  actes  éma- 
nés deux  mois  plus  tard  du  parlement  de  Paris,  iwrtion  in- 
tégrante et  considérable  de  la  Ugue  française.  C'est  que  ce  par|| 
de  bourgeois,  restés  étrangers  jusque-là  auxa0airesd*Ël9t,  tai- 
sait de  la  politique  avec  ses  passions  au  lieu  d'en  fair^  avec  la 
réalité,  et  se  conduisait  avec  ses  courtes  vues,  n'apercevant  que 
la  moitié  des  dangers  présents,  ne  voyant  rien  des  eiùgences 
d'un  prodiain  avenir.  Les  cbels,  plus  avisés  que  lui ,  et  Ville- 
roy  entre  auU'es,  ne  partageaient  ni  sa  satisfaction  ni  sa  sé- 
curité. Villeroy  était  l'homme  d'État  de  la  Ligue  française  et 
nullement  l'homme  de  Mayenne.  Le  lieutenant-général  l'avait 
admis  dans  son  conseil,  et  l'employait  comme  négociateur; 
mais  Villeroy  était  entré  dans  son  administration,  comme  on 
entrerait  aujourd'hui  dans  un  ministère  de  coalition ,  sans 
renoncer  à  ses  opinions,  sans  abandonner  sou  parti.  Ville- 
roy, secrétaire  d'Êut,  c'est-à-dire  ministre  sous  les  derniei-s 
Valois,  en  savait  déjà  très  Ipng  sur  l'ambition  de  Philippe  II  : 
la  tentative  de  protectorat  tentée  tout  récemment  au  profil 
du  roi  catliolique  ét^t  un  chapitre  de  plus  ajouté  à  ce  qu'il 
conoaiss^il  des  projets  de  ce  prince  contre  la  France.  11  sen- 
tait qu'il  n'y  avait  pas  à  jouer  ayec  un  pareil  ennemi ,  et  que 
pour  rendre  vaines  ses  attaques,  il  ne  fallait  rien  moins  à  la 
France  que  l'union,  le  libre  cn^plpi  de  toutes  ses  ressoum^K 
contre  l'étranger,  et  tui  pouvoir  fort.  C^  n'était  pas  la  royauté 
du  cardinal  de  Bourbon  qui  assurait  ces  avantages  au  pays,  et 
quand  elle  les  lui  auraient  donnés,  l'ùgc  et  les  infirmités  de  ce 
souverain  imaginaire  avertissaient  de  lui  chercher  promple- 
ment  un  successeur.  Villeroy  essaya  de  diriger  les  gens  do 
son  pai'ti ,  les  Ligneurs  français,  vers  des  idées  plus  raison- 
nables et  plus  pratiques ,  en  partant  dos  doux  grands  prin- 


INTiRIBUR  DS  LA  L|GCE,  Pllf  M  1689.  63 

cipes  de  la  léglUmUé  et  de  la  catholicité,  Vm»  des  condi^ 
tions  de  réussite  pour  le  plan  qu'il  proposait,  était  qu'il  par- 
vint à  tempérer  Tardeur  et  Texagération  du  zèle  religieux 
chez  ses  partisans,  lesquels  considéraieilt  encore  Henri  de 
Bourbon  comme  un  bérétique  et  un  maudit,  endèrepient 
inhabile  h  régner,  et  avec  lequel  il  était  défendu  d'avoir 
même  un  rapport  quelconque  sous  aiicun  prétexte  K  Vilieroy 
aborda  ce  préjugé  de  Iront  et  lui  porta  les  premiers  coupu. 

A  la  fin  du  mois  de  décembre  1589  ^ ,  il  publia  un  re* 
marquable  écrit  portant  pour  titre  ;  Avis  d'État  «i»f  ie$ 
affaires  de  ce  temps.  Il  y  réclamait  en  propres  termes  la  cou* 
ronne  pour  ceux  auxquels  elle  appartenait.  Il  établissait  que 
le  parti  le  plus  sûr  et  le  plus  honorable  pour  Mayenne  était 
de  reconnaître  Henri  lY,  s'il  consentait  à  abjurer;  et  s'il  refu- 
sait, le  comte  de  Solssons  ou  tout  autre  prince  de  la  maison 
de  Bourbon.  De  la  sorte  on  donnerait  à  la  France  un  roi 
catholique  et  légitime  ;  on  parviendrait  à  réunir  dans  on 
même  parti  tous  les  catholique^,  soit  de  la  Ligue  soit  du 
parti  royal  ;  on  couperait  broche,  comme  ii  disait ,  aux  me- 
nées et  pratiques  que  faisaient  les  Seize  et  Philippe  II  contre 
TÉtat  ;  enfin  on  rendrait  la  paix  à  la  France.  Mayenne  et 
les  princes  lorrains,  en  abandonnant  leurs  prétentions  à  la 
souveraineté ,  seraient  récompensés  par  une  grande  position 
qui  leur  serait  faite  3. 

La  glace  était  rompue  et  le  grand  mot  lâché.  Une  voix 
grave  et  autorisée  s^élevait  du  sein  de  la  Ligne  pour  prodîai- 
mer  des  principes  tout  nouveaux.  Henri  IV  n'était  pas  abso- 
lument et  nûment  incapable  de  porter  la  couronne,  à  cause  de 
son  hérésie,  comme  le  mettaient  en  avant  les  Seize  et  les  parti- 
sans de  TËspagnc,  et  comme  les  Ligueurs  français  eux-mêmes 

*  La  Ligue  françaiae  était  encore  complélemwtnt  dans  ces  lentiineuU  on 
mois  de  décembre  1&S9.  C'est  ce  dont  on  se  convaincra  par  les  dispositions 
de  Tarrét  dn  parlement  du  B  mars  1800,  que  l'on  trouvera  citées  teztuel- 
lemenl,  ci-après  et  sous  celte  date. 

*  VUlcroy,  Apolog.  et  Disc.,  t.  xi,  p.  147,  collect.  Micbaud.  —  Lestoile, 
Reg.  Joam.  de  Henri  IV,  p.  9  B  et  f  0,  coliecl.  Micbaud. 

*  ViUeroy;  Advis  d^Estut  sur  les  affaires  de  ce  temps,  I.  xi,  p.  9S3-t34, 
coUect.  Micbaud.  On  trouve  aux  pages  tt7  B,  SSS,  le  passage  suivant  : 
«  Ayant  mis  ce  marcbé  à  la  main  au  roy  de  Navarre...  il  faudroit  donner 
■  contentement  aux  princes  dn  sang  catholiques,  et  spécialement  à  MM.  les 
»  cardinal  de  Yendosme  et  comte  de  Soissons,  en  leur  accordant  le  rang 
»  et  le  lien  que  leur  maison  mérite...  Personne  ne  tous  coni redirait  quand 
»  l'on  cognostroit  par  les  effects  Tostre  Imt  rslre  de  conserver  la  cou- 
»  ronne  a  qui  elle  appartient,  • 


64  HISTOIRE  DU   RfeGNK  DB  HENRI  IV. 

l*avaient  réputé  jusqn^alors  :  son  incapacité  n^était  que  condi^ 
tionnelie,  et  subordonnée  au  cas  où  il  persisterait  dans  ses 
erreurs  :  on  pouvait  se  rapprocher  de  lui,  traiter  avec  lui  : 
sa  royauté  pouvait  être  reconnue  et  obéie.  Ces  idées  certes 
étaient  bien  antipathiques  à  l^ambition  de  Mayenne.  Elles 
heurtaient  même  trop  les  préjugés  des  Ligueurs  français,  des 
catholiques  purs ,  pour  être  adoptées  sur-le-champ  par  eux. 
Mais  elles  devaient  faire  leur  chemin  dans  ce  parti  avec  le 
temps,  gagner  chaque  jour  des  partisans  nouveaux,  agir 
constamment  sur  les  événements  qui  suivirent,  et  enfin  les 
dominer. 


I^IVRE    II. 

DEPUIS  LA  FIN  DE  LA  PREMIÈRE  CAMPAGNE  DE  HENRI  IV, 
JUSQU'A  l'ouverture  DES  ÉTATS-GÉNéRAUX  DE  LA  LIGUE 
(FÉVRIER  1590-JANVIER  1593). 


CIIAPITPiE   l". 

Batoille  d*lrrj  et  ses  sniles  (1590). 

Les  revers  d'Arqucs  et  leurs  dures  conséquences,  les  pertes 
de  villes  et  de  territoire,  la  diminution  de  sa  réputation  avaient 
aflaibli  Mayenne,  mais  ne  l'avaient  pas  abattu.  Sa  récente 
querelle  avecles  Seize  et  avec  les  autres  partisans  de  TEspagne 
avait  mis  un  moment  son  autorité  en  danger;  mais  elle 
s'était  terminée  par  une  notable  augmentation  de  son  pon- 
Toir  à  l'intérieur,  et  de  sa  liberté  dans  ses  rapports  avec  Té- 
tranger.  Il  conservait  encore  assez  d'ascendant  sur  son  parti, 
assez  de  forces  matérielles  pour  qu'il  lui  fût  permis  d'en 
appeler  des  résultats  d'ime  première  campagne,  de  conti- 
nuer à  traiter  sur  le  pied  d'égalité  avec  le  roi  d'Espagne,  et 
de  recevoir  ses  secours  comme  ceux  d'un  auxiliaire  et  non 
d'un  maître,  il  remplit  les  rangs  de  son  armée  par  de  nou- 
velles levées,  et  l'exerça  aux  sièges  de  Pontoise  qu'il  reprit , 
et  de  Meulan  qu'il  ne  put  forcer  :  il  demanda  à  Philippe  II 
et  il  obtint  un  renfort  de '2,000  cavaliers  d'élite  commandés 
par  le  comte  d'Egmont  :  il  se  vit  alors  de  nouveau  à  la  tête 
de  16,000  soldats. 

Gomme  chef  de  parti  insurgé  contre  le  légitime  héritier 
de  la  couronne,  il  était  coupable  de  la  guerre  civile  présente  ; 
mais  il  pouvait  espérer  encore  de  la  terminer  bient6t  par  la 
délaite  de  Henri,  par  la  destraction  du  parti  royal ,  par  la 
pacification  générale  du  pays.  Gomme  prince,  sinon  français, 
an  moins  établi  et  naturalisé  en  France ,  comme  gardien  de 

5 


ffonTclles 
forces  nssom- 

blées 
parMiiyenM». 


Déclarai  Ion  de 
Philippe  II. 


nA:laraliooS 

et 

a  rrci  s  hostiles 

à  Henri  iV. 


66  HISTOIRE  DU  RÈGNE   DE  HENRI  IV. 

l'indépendance  et  de  l'honneur  du  pays ,  il  n'avait  encore 
rien  à  se  reprocher ,  car  les  soldats  qu'il  recevait  de  l'Es- 
pagne n'étaient  dans  son  armée  que  sur  le  pied  de  purs 
auxiliaires  ;  et  le  ^rti  royal ,  comme  la  Ligue ,  demandait 
alors  des  auxiliaires  aux  nations  voisines.  Il  était  coupable 
comme  ambitieux ,  il  n'était  pas  dégradé.  Dans  la  carrière 
qu'il  parcourut ,  il  importe  d'apprécier  chacun  des  pas  qu'il 
fit ,  chacune  des  situations  qu'il  accepta  successivement. 

Lorsqu'on  rapproche  sa  conduite  de  celle  de  Philippe  li,  on 
l'estime  par  comparaison.  En  envoyant  à  Mayenne  le  corps  de 
troupes  qu'il  demandait,  le  roi  catholique  publia  une  déda- 
ration  dans  laquelle  il  disait  :  k  Nous  protestons  devant  Dieu 
»  et  devant  ses  anges  que  les  préparatifs  que  nous  faisons 
»  ne  tendent  à  autre  but  qu'à  l'exaltation  de  notre  mère 
»  saincte  Église  catholique ,  apostolique  et  romaine ,  repos 
»  des  bons  catholiques  sous  l'obéissance  de  leurs  princes  lé~ 
»  gitimes ,  extirpation  entière  de  toutes  sortes  d'hérésies , 
•  paix  et  concorde  des  princes  chrétiens  '.  »  C'était  un 
mois  après  qti'il  avait  poursuivi  le  protectorat  de  la  France 
qu'il  tenait  ce  langage  !  Cet  homme  n'avait  de  roi  et  de  chré- 
tien que  le  nom.  Son  honneur  s'accommodait  de  mentir 
impudemment  à  la  face  de  l'Europe  enlière  ;  sa  religion  de 
conduire  un  peuple  à  l'esclavage  par  les  horreurs  de  In 
guerre  civile  et  étrangère ,  et  d'invoquer  Dieu  à  l'appui  des 
faussetés  qu'il  débitait.  Le  cœur  se  soulève  de  dégoOt  devant 
tant  de  bassesse  et  d'hypocrisie. 

En  même  temps  que  le  duc  de  Mayenne  rassemblait  de  nou- 
velles forces,  il  obtenait,  de  toutes  les  autorités  qui  pouvaient 
commander  à  l'opinion  publique  et  l'égarer,  des  déclarations 
propres  &  affermir  les  peuples  de  la  Ligue  dans  la  révolte,  et 
à  alimenter  l'insurrection.  Le  légat  du  pape  Gaëtano  entra  à 
Ihiris  le  20  janvier  1590,  et  fit  enregistrer  ses  bulles  par  le 
parlement  le  26  du  même  mois.  Il  se  portait  par  cette  dé- 
marche même  pour  ennemi  du  roi  et  de  son  parti  si  ouver- 
tement, que  le  parlement  de  Paris,  transféré  à  Tours,  rendit, 
le  5  février,  un  arrêt  qui  défendait  aux  trois  ordres,  sous 
peine  d'être  traités  comme  crimlnelsde  lèse-majesté,  d'avoir 
auctm  commerce,  d'entretenir  aucune  correspondance  avec 

*  Le  leste  de  la  dëclarnlion  dans  P.  Cayet,  Ch.  noT.,  Uv.  u,  p.  9l0,  A, 
coUmt.  Mlchand. 


SECONDB  CAMPAGNE  DD  ROI.   BATAILLB  D'IVRY.        C7 

te  légat,  jusqu'à  ce  que,  suivant  les  lois  de  TÉtat,  les  droits 
du  royaume,  les  libertés  de  PÉglise  gallicane,  il  se  fût  pré- 
senté au  roi,  eût  fait  apparaître  de  ses  pouvoirs,  et  obtenu  la 
permission  de  résider  en  France.  Le  légat  ne  justifia  que 
trop  les  appréhensions  du  parlement  de  Tours.  A  peine  ar- 
rivé ,  il  entra  en  participation  ou  prit  Tinitiative  des  me- 
sures les  plus  violentes  contre  le  roi.  Le  10  février,  il  exa- 
mina et  approuva  une  délibération  de  la  Sorbonne  portant 
m  que  la  sainte  Union  était  confirmée  ;  que  ceux  qui  recon- 
naissaient Henri  de  Bourbon,  hérétique  et  relaps,  étaient  en 
état  de  péché  mortel  et  de  damnation  ;  qu'il  était  à  jamais 
exclu  de  la  couronne,  qu'il  se  Ot  catholique  ou  non.  u  Henri 
avait  convoqué  les  États-généraux  à  Tours  pour  le  mois  de 
mars,  conformément  à  sa  déclaration  de  Saint-Gloud.  I>cs 
évèqucs  et  les  archevêques  avaient  été  appelés  dans  cette 
ville  pour  former  un  concile  national  et  délibérer  sur  les 
moyens  de  ramener  le  roi  à  la  foi  orthodoxe  et  dans  le  sein 
de  l'Église.  Le  légat  arrêta  ces  projets  de  conciliation  et  de 
paix.  Par  sa  lettre,  en  date  du  1*'  mars,  il  prohiba  tout  con- 
cile qui  se  tiendrait  dans  ce  but,  défendit,  en  vertu  de  l'au- 
torité à  lui  déléguée  par  le  saint-siége,  à  tous  les  prélats  de 
ae  rendre  à  Tours  et  de  s'assembler  en  quelque  manière 
que  ce  fût ,  déclarant  par  avance  les  évêques  qui  se  trouve- 
raient à  cette  réunion  excommuniés  et  déposés.  Le  pouvoir 
civil  conforma  ses  décisions  à  celles  du  pouvoir  ecclésiastique, 
et  pour  l'exécution  leur  prêta  son  autorité.  Le  parlement  de 
Paris,  par  un  nouvel  arrêt  du  5  mars,  défendit,  sous  peine 
de  mort  et  de  confiscation  toute  liaison  et  correspondance , 
tonte  paix  ou  composition,  avec  Henri  de  Bourbon  et  ses 
partisans  ;  ordonna  à  tous  de  reconnaître  Charles  X  pour  seul 
et  légitime  souverain,  et  d'obéir  aux  ordres  de  Mayenne , 
lieutenant-général  de  la  couronne.  Le  parlement  de  llouen, 
de  son  côté,  défendit,  sous  les  peines  les  plus  sévères,  aux 
gentilshommes  de  suivre  le  drapeau  de  Henri.  A  toute  cette 
procédure ,  les  Ligueurs  joignirent  plusieiu's  actes  d'une 
efficacité  funeste  sur  le  peuple  et  d'une  exécution  san- 
glante. A  Paris,  une  procession  de  la  Ligue  eut  lieu  le  11 
mars ,  et  quelques  jours  après  l'Union  fut  confirmée  et  ju- 
rée de  nouveau  sur  les  Évangiles  par  le  prévôt  des  mar- 
chands, les  échevins,  les  colonels  et  capitaines  de  la  garde 


68  HISTOIRE  DU  IIÈGXE  DR   HENRI  17. 

bourgeoise.  A  Rouen,  le  parlement  livra  au  bonrreaa  p1u-> 
sieurs  des  partisans  du  roi^ 
Le  roi  réduit        La  réforme  dans  laquelle  Henri  était  né  et  avait  été  noarri 

A  iiëgiigor      ]„|  ^mj(  chère,  comme  il  le  témoignait  lui-même,  il  ne  pou- 
les moyens  de  ,  , 

concihutioneti  vait  abjurer  sans  a^voir  lair  d échanger  sa  croyance  contre 
à^ulorcc.  ^^^  V^^  ^"  pouvoir,  et  par  conséquent  sans  entamer  son 
honneur.  Enfin  chacim  de  ses  actes,  depuis  son  avènement , 
c'est-à-dire  depuis  six  mois,  avait  été  ime  continuelle  pro- 
testation de  son  respect  pour  la  liberté  de  conscience  et 
de  culte  des  catholiques,  et  il  semblait  que  lui ,  roi  des  ca* 
tboliques  royaux,  vainqueur  des  catholiques  ligueurs,  avait 
bien  le  droit  de  réclamer  pour  lui  cette  liberté  qu'il  assu- 
rait à  tout  le  monde.  Contre  sa  conviction ,  son  honneur 
et  son  droit,  s'élevaient  les  engagements  pris  par  lui  lors  de 
la  déclaration  de  Saint-Cloud,  et  aux  termes  desquels  il 
devait  se  faire  instruire  des  doctrines  catholiques  par  on 
concile  national.  Scrupuleux  observateur  de  sa  parole,  il 
avait  appelé  les  évéques  à  Tours  pour  former  ce  concile,  et 
il  devait  s'y  présenter  non  seulement  sans  parti  pris  contre 
le  catholicisme,  mais  mén^e  avec  la  disposition  de  faire  à  la 
paix  publique  toutes  les  concessions,  tous  les  sacrifices  com- 
patibles avec  sa  dignité  et  sa  conscience.  £t  voilà  que,  dans 
le  môme  moment,  par  la  violence  de  la  Ligue,  il  était  déclaré 
incapable  de  régner,  quoiqu'il  fît;  un  mur  infranchissable  de 
séparation  était  élevé  entre  son  peuple  et  lui;  la  révolte 
était  proclamée  à  la  fois  sainte  et  étemelle.  Dans  cette  situa- 
tion, l'abjuration  de  Henri  ne  pouvait  produire  qu'un  effet  : 
amener  une  rupture  entre  lui  et  les  puissances  protestantes, 
le  priver  des  secours  de  la  reine  d'Angleterre,  des  ilollan- 
dais,  des  princes  réformés  d'yVUemagnc,  peut-être  même  des 
Suisses,  et  lui  enlever  plus  de  la  moitié  des  forces  avec  les- 
quelles il  résistait  déjà  péniblement  à  ses  ennemis.  U  résolut 


*  Thaanus,  tib.  96,  $$  5,  6«  t.  nr,  in -fol.,  p.  S38-S45.  ~  Recueil  des  anr. 
lois  franc.,  t.  XV,  p.  18,  19.  —  L^stoilc,  p.  13.  ^  Cojct,  1.  II,  p.  tlO  A. 
Dmis  l'arrêt  du  porloment  de  Paris,  on  Irouve  lu  disposition  suivante  qui 
ei prime  les  sentiments  dont  lu  Ligue  française  éti*it  enrore  animée  alors 
envers  le  roi.  «  La  cour  fiiict  e&presses  inhibitions  et  défense  à  toutes  per- 
»  sonnes,  de  quelque  condition  et  qualité  qu'elles  soyent,  de  rommuniquer 
M  ei  uToir  intelligence  diiectement  ou  indirectement  avec  ledirt  Henri  d« 
M  Uoutlion  et  ses  ugcuts  ;  nic«nie  de  ne  tniicter  ou  proposer  en  public  ou  en 
n  pui'liculier  de  faire  paix  ou  entrer  en  composiliou  avec  luj,  sur  |>eioe  d« 
M  confiscation  de  corps  et  de  biens.  » 


BATAILLE   D'IVRY   £T  SES  SUITES.  60 

donc,  et  il  devait  résoudre,  d'épuiser  tous  les  moyens  que  la 
guerre,  la  politique  et  ses  talents  pouvaient  lui  fournir,  pour 
détruire  un  ennemi  que  les  négociations,  au  moins  en  ce 
moment,  trouvaient  intraitable  et  même  inabordable. 

Le  roi,  après  avoir  délivré  Meulan  cl  repris  Poissy,  atta-  g^'iJ^fj' J\^"; 
qua  la  ville  de  Dreux ,  dans  Tintenlion  h  la  fois  de  consoli- 
der ses  conquêtes  de  Normandie ,  d'intercepter  les  commu* 
nications  des  Parisiens  avec  TOrléanais,  et  de  les  priver  des 
vivres  qu'ils  tiraient  de  cette  province.  Mayenne  voulait  à 
tout  prix  sauver  Dreux,  et  il  s'avança  avec  son  armée  au 
secours  de  la  place.  Le  roi  leva  le  siège  pour  aller  au* 
devant  de  ses  ennemis.  La  disproportion  entre  les  deux  ar- 
mées était  grande  :  Henri  n'avait  pas  plus  de  10.000  sol- 
dats, Mayenne  en  comptait  16,000.  Cependant  le  duc ,  en 
général  expérimenté  et  instruit  par  l'événement  des  combats 
d'Arqués,  voulait  éviter  ime  bataille  générale,  et,  après 
avoir  dégagé  Dreux,  faire  une  guerre  de  temporisation.  L'a- 
veugle confiance  dc.<^  chefs  de  la  Ligue ,  l'insolence  du  comte 
d'Egmont  et  des  Espagnols ,  ne  lui  permirent  pas  de  suivre 
ses  inspirations.  On  en  vint  aux  mains ,  le  i/i  mars  1590, 
à  Ivry-snr-Eure ,  entre  Dreux  et  Mantes.  En  moins  d'une 
heiu%,  le  roi  remporta  une  victoire  complète.  11  la  dut  à 
d'habUes  dispositions ,  ayant  eu  la  précaution  de  ranger  son 
armée  de  manière  qu'elle  eût  le  soleil  et  la  fumée  à  dos,  et 
le  soin  de  former  sa  cavalerie  non  pas  en  haie,  mais  en  gros 
escadrons  serrés  qui  devaient  rompre  l'ennemi.  11  la  dut 
encore  à  la  supériorité  de  son  artillerie,  à  l'intervention 
de  Biron  qui ,  placé  à  la  réserve ,  soutint  et  rallia  les  trou- 
pes royales  après  la  première  charge  ;  à  l'irrésistible  effort 
d'un  corps  de  2,000  gentilshommes  accourus  à  Ivry  avec  la 
résdntion  de  périr  ou  de  vaincre  ;  enfin  à  son  intrépidité 
personnelle ,  qui  provoqua  des  prodiges  de  valeur  chez  les 
siens.  Ses  eidiortations  héroïques  avant  l'action,  sa  clé- 
mence après  la  victoire  à  l'égard  des  Français,  et  même  des 
Suisses  de  l'armée  ennemie,  n'ont  pas  besoin  d'être  rappelées, 
parce  qu'elles  sont  dans  toutes  les  mémoires.  Six  mille  Ligueurs 
restèrent  sur  le  champ  de  bataille,  le  reste  fut  pris  ou  dis- 
perse  :  leur  artillerie,  leurs  munitions,  leurs  drapeaux  tom- 
bèrent avec  un  riche  butin  au  pouvoir  de  l'armée  royale  K 

'  Leitrcs  nUiiTes  de  Henri  IV,  des  13  et  14  mars,  I.  lu,  p.  164-169.  — 


70  uisTOins  ou  règne  de  hekri  iv. 

BauiUc  «ris-        Le  iU  mars,  le  jour  même  de  la  bataille  dlvry,  en  Au- 
•oirc:  lo  Ligue   vergnc,  le  gouverncuF  Rastignac,  le  marquis  de  Gurlon,  le 
tout.         gouverneur  du  liourbonnais  Cliazeron,  g<ngnèrent  la  bataille 
d'issoirc,  tuèrent  le  ligueur  Larochcfoucauld-llandan  et  dé* 
truisirent  son  armée.  Le  même  jour  encore,  le  ligueur  I^ansac 
fut  repousse  avec  perte  à  Tattaque  du  Mans.  Quelques  jours 
plus  tard ,  les  royaux  défirent  leurs  ennemis  à  Sablé ,  dans 
le  bas  Maine,  et  taillèrent  en  pièces  un  parti  d'Espagnols  dans 
le  pays  Messin.  Ces  diverses  défaites  ne  coûtèrent  pas  moins 
de  /i,000  hommes  à  la  Ligue,  qui,  en  même  temps  et  sur 
tous  les  points  du  royaume  à  la  fois,  fut  vaincue  et  ébranlée  >• 
siiuaiiou  ^^  fuyant  du  champ  de  bataille  d'Ivry,  Mayenne  se  ren- 

de MttyenDe,  dit  d'abord  a  Mantes,  ensuite  à  Saint-Denis,  où  il  concerta 
**'*  '■*^**»*"*»**"*'  SCS  résolutions  avec  le  légat,  les  ambassadeui^  de  Philip{)ell, 
ses  parents  et  ses  principaux  conseillers.  Il  laissa  sa  famille  à 
l'aris,  comme  gage  donné  à  cette  ville,  persuada  au  légat  d^y 
demeurer  pour  soutenir  la  foi  et  ropinidtrelé  des  habitants, 
nomma  le  duc  de  Nemours,  son  frère^  pour  commander , 
avec  injonction  de  faire  une  résistance  désespérée.  H  partit 
le  20  mars  et  se  rendit  à  Soissons.  IJx ,  il  dépécha  à  toutes 
les  cours  étrangères,  envoyant  des  agents  en  Espagne,  en 
Flandre,  à  Ilome,  en  Savoie,  en  Lorraine,  et  demandant  les 
secours  d'hommes  et  d'argent  nécessaires  pour  soutenir  le 
parti.  En  même  temps ,  il  essaya  de  lever  une  nouvelle  ar-* 
mée  ;  Il  appela  sous  ses  drapeaux  les  Ligueurs  de  rile-de- 
France,  de  la  Picardie,  de  la  Gliampagne.  Mais,  après  les 
deux  défaites  d'Arqués  et  d'Ivry,  il  y  avait  mépris  et  défaut 
de  confiance  pour  lui ,  découragement  et  crainte  de  la  part 
des  Ugueurs.  Dans  le  cours  des  cinq  mois  et  demi  qui  suivi- 
rent, il  ne  put  rassembler  que  cinq  ou  six  mille  hommes, 
et  fut  complètement  hors  d'état  de  reparaître  en  ligne  et  de 
rien  tenter  contre  son  ennemi'. 
proçrètiiurui:  Tandis  que  le  duc  rassemblait  les  débris  de  sa  défaite  , 
vut  de  Paris,    le  roi  mettait  la  plus  grande  activité  à  profiter  de  sa  vie* 

Lettre  du  maréchal  de  Diron  à  Diihaintia,  du  14  mars,  dans  l«i  Arcliivci  ca- 
rieuKCS,  t.  Xiii ,  p.  1H5-187.  —  Uiscours  véritable,  dwns  les  Mcm.  de  la 
hi^ue,  t.  nr.  p.  CVS-iSI,  surtout  p.  t^iO,  343.  —  Sully*  OKcon.  roy.,  r.  90, 
p.  75  B,  76.  —  Mi^ni.  de  DupicasU,  l.  IV,  p.  473-47S.  ~  Thuauus,  1.  U8, 
S  10,  t.   IV,  p.  K44  Sit). 

*  P.  Cuyct,  I.  Il,  p.  Sai-nS ,  âSS-Si7.  ~  Thiuous,  Uv.  96,  S  <*f 
n.  S5l-Hoi. 

■  ViUeroy,  M((mair<*s  d^Elut,  t.  kl,  p.  14SB,  iUi  A.  -  Tltuanus,  1.  96. 


BATAILLE  D*1VRY  ET  SES  SniTBS«  71 

tdre.  11  prit  Vcrnon  le  16  mars,  et  Mantes  le  18.  SI,  au 
sortir  de  là,  11  eût  pu  pri^cipiter  sa  marche  et  porter  son 
armiîe  sur  Paris ,  cette  ville  était  prise,  ]a  Ligue  morte ,  le 
triomphe  de  la  cause  royale  assuré.  £n  effet,  si,  dans  le  pre- 
mier moment,  Ghristin  et  les  autres  prédicateurs  de  la  Ligue, 
parleurs  sermons,  M""  de  Montpensier  et  les  Seize, *par 
leurs  impostures  et  la  nouvelle  de  victoires  imaginaires,  sou- 
tinrent le  courage  des  bourgeois,  bientôt  la  vérité  se  fit  jour, 
le  grand  désastre  d'ivry  fut  connu,  et  rabattement  le  plus 
profond  succéda  à  la  confiance.  11  ne  restait  à  l'ans  qu'un 
canon  dont  on  pût  se  servir  ;  les  murs  étaient  si  délabrés 
que  dans  plusieurs  endroits  on  montait  et  Ton  descen- 
dait sans  difficulté  ;  les  habitants  n'avaient  pas  de  vivres 
poiv  quinze  jours  ^  D'un  autre  côté,  la  détresse  et  l'aban- 
don de  Mayenne,  nous  venons  de  le  voir,  étaient  extrêmes: 
dans  les  quinze  derniers  jours,  les  Ligueurs  des  provinces 
comptèrent  presque  chaque  jour  par  uûe  défaite,  et  ils  furent 
jetés  dans  un  découragement  égal  à  leur  impuissance  de  se- 
courir Paris  ;  enfin  les  armées  d'Espagne  se  firent  attendre 
plus  de  cinq  mois. 

Mais  toutes  ces  chances  de  succès  pour  Henri  furent  rul-  Tn»hi«oii»  au». 
nées  par  les  trahisons,  auxqueUes  il  commença  dès  lors  à  ^êsien  buu? 
être  en  butte  dans  son  parti,  et  qui  désormais  s'enchaînèrent  ^"*  •**"  p*"^^* 
les  unes  aux  autres.  Les  catholiques  ardents  qui  ne  vou- 
laient pas  d'un  roi  huguenot,  les  grands  seigneurs  qui  pour- 
suivaient l'abaissement  de  la  royauté  et  la  renaissance  du  sys- 
tème féodal,  traversèrent  désormais  autant  sa  fortune  que  les 
armes  de  Mayenne  et  l'cflorl  de  l'Espagne.  Sully  dit  en  deux 
endroits  de  ses  Mémoires  :  «  Le  roy  ayant  gagné  la  bataille 
d'Ivry,  plusieurs  de  ceux  qui  avoient  hasardé  leur  vie  pour 
cet  effet,  dans  l'ardeur  du  combat,  firent  après  tout  ce  qu'ils 
parent  pour  empescher  que  cette  victoire  n'eust  des  suites, 
lesquelles  estoient  apparemment  la  prise  de  l'aris...  Le  roy 
séjourna  à  Mantes  environ  quinze  jours  inutilement  ;  duquel 
séjour  fiffent  cause  les  nécessitez  d'argent  où  tenolent  enve- 
loppé ce  prince  tous  ceux  qui  avoient  charge  aux  finances. 


*  Dûcnurs  bref  et  véritable  des  choses  mémoroMes,  etc.,  par  le  ligueur 
Corocio,  Icinoia  oculaire.  Mémoires  de  la  Ligye«  t.  iv,  p.  ^77.  -•  DuTÏla, 
Uv.  Il,  L  111,  p.  49.  —  M.  LubiUc,  Les  PreUicateurs  de  la  Ligue, S  ^i 
p.  llf  et  sttiv. 


73  HISTOIRE  DU  RÈC'NK  DE  HENRI   IV. 

et  surtout  le  sieur  d*0,  concerté  pour  cela  avec  les  autres 
catholiques  de  sa  faction,  qui  ne  pouvoient  supporter  la  do- 
mination, quelque  douce  et  familière  qu'elle  fust,  ni  les  pro- 
speritez  d'un  roy  huguenot,  et  ressentoient  autant  d*ennuy  et 
de  desplaisir  de  Thonneur  qu'il  avoit  acquis  et  de  la  victoire 
signalée  qu'il  avoit  remportée  sur  ses  ennemis,  que  ceux  là 
mesme  qui  avoient  perdu  la  bataille.  Et  par  la  malice  de  telles 
gens  furent  perdus  la  pluspart  des  fruits  qui  se  dévoient  per- 
cevoir par  un  si  haut  fait  d'armes  ^  »  Lcsh^uissps  se  mutine* 
rent  et  refusèrent  de  faire  un  ptis  en  avant,  jusqu'à  ce  que 
l'on  eût  trouvé  l'argent  nécessaire  pour  acquitter  leur  paie 
arriérée.  Les  intendants  de  l'armée  la  laissèrent  manquer  des 
munitions  nécessaires  pour  entreprendre  im  siège,  et  le  roi 
ne  put  marcher  sur  Paris  que  quand  il  eut  reçu  de  la  reiuc 
d'Angleterre  les  poudres  et  les  boulets  que  lui  refusait  son 
propre  parti.  La  mauvaise  saison  ne  contraria  pas  moins  les 
projets  du  roi  :  des  pluies  contmuelles  rendirent  longtemps 
les  chemins  impraticables  à  une  armée  diargée  de  bagages 
et  dVtillerie^.  Ces  contre-temps  et  surtout  cette  suite  de 
trahisons  condamnèrent  Henri  ù  la  plus  complète  inaction, 
du  18  mars  au  i*'  avril ,  au  moment  décisif,  à  l'instant  où 
Paris  manquait  de  tout  pour  sa  défense. 


CUÂPITRE  II. 


Blocus  el  délivrance  de  Paris.  Leduc  de  Parme.  Invasion  du  lerrïloire 
par  les  clrangcrs.  Nouvcaii  système  de  guerre  adopte  par  le  itii. 

Le  duc  de  Nemours,  désigné  par  Mayenne  pour  com- 
mander dans  Paris,  et  les  Seize,  mirent  à  profit  le  répit  qui 
leur  était  donné  par  les  serviteurs  du  roi  conjurés  avec  eux. 
Ils  firent  entrer  dans  I^ris  1,500  landskenets  réfugiés  à 
Chartres  après  la  défaite  d'ivry,  et  bientôt  après  les  garni- 
sons des  places  voisines,  et  joignirent  ces  troupes  régulières  à 
la  milice  bourgeoise.  Ils  ramassèrent  des  vivres  et  des  pro- 
visions pour  nourrir  Taris  pendant  un  mois  ;  ils  répantrent 

■  Sully,  OFcon.  roy.,  c.  f40ct  W,  1. 1.  p.  6ôG  cl  80  A.  C^llect.  Micbaud. 
'  P.  6>rutfio,  dans  les  Ucm.  de  la  Ligiie,  t.  IV,  p  377, 178,  979.  —  Ha* 
vlia,  1.  Il,  t.  111,  p.  48. 


BLOCUS  DE  PARIS.  73 

les  murailles  et  les  mirent  en  état  de  soutenir  les  attaques 
de  Tennemi.  Ils  dissipèrent  les  craintes  et  l'abattement  du 
premier  moment  ;  ils  firent  prédominer  chez  les  masses  le 
sentiment  de  la  confiance  dans  leur  nombre  et  la  passion 
pour  la  défense  de  leur  religion.  Tel  était  Tétat  dans  lequel 
ils  avaient  mis  Paris,  quand  le  roi,  sorti  des  embaiTas  où  de 
coupables  calculs  ravalent  jeté,  put  enfin  faire  agir  ses 
troupes  dont  le  nombre  n'excédait  pas  alors  treize  milieu 

11  lid  était  interdit  de  prendre  de  vive  force  Paris,  mis  en  "«""  ropiemi 
état  de  résistance,  défendu  par  3,000  hommes  de  ti*oupes  ré-  **  "*  '  '  *** 
goiières  et  Û0,000  bourgeois  armés.  En  supposant  qu'après 
un  assaut  meurtrier  les  murailles  fussent  prises,  il  fallait  avec 
le  reste  de  13,000  hommes  commencer  la  guerre  des  rues  et 
des  barricades  contre  une  multitude  d'ennemis.  Le  succès 
était  extrêmement  douteux.  Kn  le  supposant  assuré,  il  devait 
être  désastreux  pour  le  roi.  Paris  pris  entraînerait  la  dissi- 
pation de  son  armée  :  les  volontaires  se  retireraient  dans  leurs 
loyers,  les  mercenaires  iraient  mettre  leur  butin  en  sûreté  : 
Mayenne  prévoyait  le  résultat  et  s'en  applaudissait  d'avance. 
Les  motife  de  politique  et  d'humanité  étaient  plus  puissants 
encore  que  les  raisons  militaires.  Paris,  emporté  d'assaut, 
devait  être  pillé  nécessairement ,  peut-être  brûlé  :  le  lende- 
main d'une  si  funeste  conquête,  Henri  devait  voir  sou  royaume 
appauvri  par  la  perte  d'un  capital  incalculable,  des  industries 
rainées,  des  relations  commerciales  détruites.  Enfin  l'âme  du 
roi  se  soulevait  devant  l'idée  de  mettre  à  la  merci  d'ime 
soldatesque  furieuse  et  des  hasards  de  la  guerre  la  vie  de  deux 
cent  mille  Parisiens  qui,  pour  être  des  relx^lles,  ne  cessaient 
pas  d'être  des  Français.  «  Vrai  roi,  dit  de  Tliou,  qui,  plus 
»  attentif  à  la  conservation  de  son  royaume  qu'avide  de  con- 
»  quêtes,  ne  séparait  pas  les  intérêts  de  son  peuple  de  ses 
»  intérêts^  ».  11  fallait  donc  qu'il  sauvât  ses  propres  soldats, 
autant  que  Paris,  d'un  assaut  et  d'une  prise,  et  qu'il  amenât 
la  ville  à  une  capitulation  par  la  famine. 

*  Cornéio  dil  qu'aTant  que  te  roi  se  fiU  empare'  d\iucune  de%  villes  a  voi- 
sinant Paris,  M  on  fit  enlrrr  en  icelle  tiùs  gruiidc  qiianlilc  de  l>Icd,  d'avoine 
»  «t  antres  grains  jusqu^à  trois  mille  niuids  ut  Uuvuutage,  et  plus  de  dix 
I»  mille  muids  de  vin.  »  (Hem.  de  lu  Ligue,  l.  iv,  p.  :i78.)  —  Thuanus, 
lib.  98,  sub/n. 

'  Legroîn,  Décade,  1.  5.  p.  9S4,  in^fol.  —  DauMgnc,  1.  3,  c.  6i 
t.  III,  p.  33»y  —  llalthieu,  Hist-  des  derniers  troubles,  lui.  Si  recto.  — 
De  Tbou,  Me'moircs,  t.  Xi,  p.  351,  Coll.  MichuMd. 


7&  HISTOIRE  OC  RÈGNE  DB  HENRI  IV. 

Biiiciif  Dans  cette  vue,  il  s'empara  de  Gorbeil  et  de  Lagny  (t*% 

lia  Paris.  ^  avril),  pots  successtvemeiit,  dans  le  cours  de  ce  mois,  de 
Melun,  Moret,  Crécy,  Provins,  capitale  de  la  Brie  ;  Montereau, 
Nogent,  Méry.  Le  8  mai,  il  fit  placer  son  canon  sur  les  buttes 
de  Montmartre  et  de  Montfaucon  ;  ic  0,  il  prit  Gbarcnton  et 
Saint-Mam*;  quelques  Jours  après  il  contraignit  Beaumont- 
sur-Olsc  à  capituler.  En  joignant  ces  villes  à  celles  qu*il 
possédait  déjà ,  il  se  trouva  maître  de  lous  les  passages  qui 
amenaient  des  vivres  des  provinces  &  l'aris  ;  du  haut  et  du 
bas  de  la  Seine,  par  Mehm,  Gorbeil,  Saint-Gloud,  Poissy, 
Meulan,  Mantes;  des  affluents  de  la  Seine,  le  Loing  et 
TYonne  par  Moret  et  Montereau;  de  la  Marne,  par  Gha- 
renton,  Lagny,  le  pont  de  Oouniay;  de  TOIse,  par  Gom* 
piègnc ,  Greil  et  Beanmont  Paris  dès  lors  ne  reçut  plus  de 
provisions  par  eau,  et  ne  tira  plus  qu'une  petite  quantité  de 
subsistances  des  campagnes  les  plus  rapprodiées  de  rilc-de«> 
France. 
Décret  Dans  les  premiers  jours  de  mai,  on  reconnut  où  tendaient 

***  J^«^Ôh**  '^  opérations  savantes  et  précises  du  roi,  et  les  diefs  des 
de  lu  Ligur,  Parisiens  cherchèrent  tous  les  moyens  d'échaufler  les  imagi* 
■crmeai.  jjations  et  d'égarer  les  esprits  pour  roldir  les  habitants  con- 
tre les  rudes  privations  et  les  dangers  du  blocus.  Le  7  mai, 
la  Sorbonne  rendit  un  nouveau  décret  portant  que  Henri,  bé« 
rétique  et  excommunié,  était  à  jamais  déchu  de  la  couronne, 
quand  bien  même  U  viendrait  à  obtenir  extérieurement  Tab- 
solution  ;  que,  même  dans  ce  cas,  les  Français  étaient  tenus 
de  ne  faire  aucune  paix  avec  lui  ;  que  la  palme  du  martyre 
et  de  réternelle  félicité  attendait  tons  ceux  qui  périraient 
en  le  combattant.  Les  prédicateurs  et  les  curés  de  la  Ligue, 
les  moines  des  ordres  étrangers,  capucins,  feuillants,  mini- 
mes, cordelicrs,  jacobins,  carmes  formèrent  une  milice  de 
1,300  hommes.  Le  iU  mai,  ils  parurent  dans  une  procession 
tenant  une  épée  d'une  main  et  un  crucifix  de  l'autre  :  Rose, 
évéque  de  Sonlis,  les  conduisait  ;  le  légat  les  bénit  et  les 
nomma  de  nouveaux  Machabc'es  :  au  sortir  de  là,  ils  allèrent 
partager  avec  les  soldats  et  les  bourgeois  les  travaux  du  siège, 
le  guet  et  la  garde.  Il  est  très  remarquable  que  ni  aucun 
des  ordres  français ,  ni  la  saine  partie  du  clergé  des  pa- 
roisses qui  obéissait  à  Tévèque,  M.  de  Gondy,  ne  paru- 
rent dans  ceue  i^arade,  où  Ton  abusait  si  indignement  et  si 


BLOCUS  DB  PARIS.  75 

burlesquemeut  de  la  religion.  Peu  après,  le  lëgat,  d^Es- 
pinac,  archevêque  de  Lyon,  trois  évèques  français,  le  dac 
de  Nemours,  le  parlement,  la  municipalité  de  Paris,  les  co- 
lonels et  les  capitaines  de  la  milice  bourgeoise,  le  parlement 
Brisson  se  rendirent  solennellement  à  Notre-Dame,  et  là  Ju- 
rèrent sur  rÉvangile  de  ne  jamais  rendre  obéissance  à  un 
roi  hérétique  et  d'employer  leur  vie  pour  la  défense  de  la 
religion  et  de  la  ville  de  Paris  ^  La  guerre  à  outrance,  la  ré- 
sistance désespérée  étaient  commandées  par  tous  les  maîtres 
des  consciences ,  du  moins  par  tous  ceux  qui  parlaient ,  qui 
agissaient,  qui  avaient  empire  sur  les  masses. 

Ces  sentiments,  épousés  par  la  populace  et  par  une  por-  uoo"J*îiiiî. 
tien  de  la  bourgeoisie,  furent  rejetés  par  im  autre  parti 
considérable  dans  la  bourgeoisie  qui  manifestement  passait 
aux  politiques,  aux  idées  de  modéradon,  d'ordre,  de  natio- 
nalité. Ils  baptisèrent  la  procession  de  la  Ligue  du  nom  de 
drôlerie;  ils  parlèrent  hautement  de  paix  et  d'accord  avec 
le  roi.  Les  Ligueurs  les  comprimèrent,  il  est  vrai,  par  des 
mesures  violentes,  répandant  dans  tous  les  quartiers  des 
espions  chargés  de  surveiller  les  suspects,  Jetant  en  prison 
beaucoup  d'entre  eux,  mettant  plusieurs  autres  à  mort,  et 
abandonnant  leurs  biens  an  pillage.  Mais  la  ville  n'en  était 
pas  moins  divisée  en  deux  camps  ennemis ,  et  le  premier 
enthousiasme  de  la  multitude  se  refroidit  chaque  jour  par 
reflet  irrésistible  des  privations  et  de  la  disette. 

Le  roi  aurait  donc  eu  toutes  chances  de  réduire  Paris  à  la      WouTeiie» 
fin  du  mois  de  mai  ou  dans  les  premiers  jours  de  jidn,  s'il  u'^mp^^duro!. 
n'avait  été  de  nouveau  trahi  par  ses  propres  serviteurs.  Givry,  * 
celui-là  même  qui  avait  donné  le  premier  l'exemple  de  re- 
connaître Henri  au  camp  de  Saint-Gloud,  Givry,  alors  chargé 
de  la  garde  de  Gharenton  et  de  Gonflans,  laissa  entrer  chaque 
jour  des  vivres  et  des  provisions  dans  Paris.  Cette  coupable 
complaisance  n'avait  pas  pour  motif  unique  le  désir  d'alléger 
les  souflrances  des  amis  et  des  amies  qu'il  comptait  parmi  les 
assiégés:  il  reçut  45,000  écus  pour  prix  de  ce  service.  Plu- 

'  Lestoile  et  son  snppl.,  mai  11(90,  p.  16,  i7,  18  :  &  la  page  17  se  Iroure 
le  texte  du  de'cret  de  la  Sorbonne.  •—  P.  Cayet,  1.  il,  p.  S3.1,  SSé.  — 
Thuanus,  1.  OS,  $$  ^^t  ^*  t.  XV,  p.  S6S.S64.  —  Maimbourg,  Hist.  dft  lu 
Ligne,  t.  IT.  —  Satire  Mdnippëe,  p.  1S,  ëd.  <4M6.  —  Un  tableau  du  temps 
reprtfseoUnt  la  proeessioa  de  la  Ligue,  dans  Tattiquc  du  nord  du  paUis  db 
VersaUIes. 


L«  roi  terre 

Parit 

davantage. 

Famine. 


76  HISTOIRE   DU   RÈGNE  DE   HENRI   IV. 

sieurs  chefs  de  Tamiée  royale  rimitèrent.  De  Thou  et  Gayet 
s'accordent  à  reconnaître  que  »  ceste  seule  action  de  Givry 
»  fut  cause  de  faire  opiniastrer  Paris  contre  le  roi,  et  échouer 
»  Tentreprlse  formée  par  lui  sur  ceste  ville  <.  »  Ainsi  le  parti 
royal,  lui-même,  enleva  pour  la  seconde  fois  à  Henri  cette 
occasion  sûre  de  réduire  ses  ennemis,  de  mettre  Gn  du  même 
coup  à  la  Ligue,  à  la  guerre  civile,  aux  projets  de  Philippe  II, 
aux  souffrances  delà  l*Yance,  au  danger  qu'elle  courait  d'être 
démembrée. 

Aédult  à  un  seul  genre  d'attaque  contre  les  Parisiens,  au 
blocus,  traversé  par  ses  propres  chefs  dans  cette  entreprise, 
il  poursuivit  son  projet  avec  une  constance,  une  activité  et 
une  intelligence  dignes  du  succès.  Il  travailla  à  resserrer 
chaque  jour  Parts  davantage  et  à  lui  enlever  successivement 
les  vivres  qu'il  tirait  des  villes  de  l'Ile-dc-Francc  non  encore 
occupées,  des  vastes  marais  et  des  faubourgs  qui  environ- 
naient la  ville.  Le  9  juillet,  il  prit  Saint-Denis,  puis  ensuite 
Dammartin.  Ayant  reçu  des  renforts  des  provinces  du  Centre 
et  du  Midi,  qui  portèrent  son  armée  à  25,000  soldats,  il  atta- 
qua et  prit,  le  27  juillet,  les  dix  faubourgs  de  Paris.  La  po- 
pulation de  200,000  âmes,  resserrée  dans  l'élroit  espace  de 
la  cité  et  de  la  ville ,  passa  alors  de  la  détresse  à  une  hor- 
rible famine*  La  bouillie  d'avoine  et  de  son ,  qui  tenait  lieu 
de  pain ,  devint  le  luxe  des  riches.  Le  peuple  fut  réduit  à 
manger  les  chiens,  les  rats,  les  herbes  crues,  les  débris  jetés 
dans  les  rmsscaux.  Quand  ces  hideux  aliments  lui  manquè- 
rent ,  il  s'en  prit  aux  cadavres  mêmes,  puis  aux  os  de  ses 
pères.  Une  femme  mangea  ses  enfants  morts ,  et  peu  après 
expira  elle-même  de  remords  et  d'horreur.  Les  gens  du 
peuple  firent  du  pain  avec  les  os  broyés  du  cimetière  des 
Innocents  (16  août)  :  c'est  ce  que  l'on  nomma  le  pain  de 
M**  de  Mpntpensicr.  Cette  nourriture  était  aussi  meurtrière 
que  la  faim  :  ils  mouraient  à  tas  dans  les  rues;  chaque  jour 
il  en  périssait  deux  cents,  trois  cents  ;  les  bras  ne  suffisaient 
pas  pour  les  enterrer  ;  trente  mille  succombèrent  par  le  sup- 
plice de  la  faim  2. 


•  p.  CaycU  1.  3,  p.  «34  B.  —  Tbuanus»  1.  98,  S  17,  t.  iv,  p.  860. 

'  P.  Cornéio,  Méin.  de  la  Ligue,  t.  iv,  p.  990- 39t,  996»997.  —  Tliuanus, 
1.  99«  SS  ^*  ^«  ^'  ^^*  V'  86S-S71.  —  Lesloile,  Regist.  Journ.  de  Henri  IV, 
p.9SB,«  A,9SA,i8B. 


BLOGCS   Dfi  PARIS.  77 

Les  chefs  de  cette  multitude  virent  d*un  œil  sec  ses  atroces  Pitic  du  roi. 
soulTrances.  lie  duc  de  Nemours,  gouverneur,  le  chevalier 
d'Aumale,  M"'  de  Montpensier,  tous  les  princes  de  la  maison 
de  Guise,  tous  ces  étrangers  étaient  bien  résolus  à  laisser 
périr  Paris  et  la  France  entière,  plutôt  que  de  renoncer  à 
leur  ambition  et  à  celle  de  Mayenne  leur  chef.  Les  Seize 
craignaient  la  corde  qu'ils  avaient  méritée  pour  les  meurtres 
et  les  vols  dont  ils  s'étaient  souillés,  et  ils  livraient  leurs 
concitoyens  par  milliers  à  la  mort  pour  échapper  eux-mêmes 
an  supplice.  Henri  seul  eut  pour  le  peuple  des  sentiments 
de  Français  et  des  entrailles  de  père.  Pendant  la  durée  du 
blocus,  il  avait  souffert  que  les  paysans  amenassent  des  vivres 
aux  assiégés  et  que  ses soldatsicur  en  présentassent  au  bout 
de  leurs  piques.  Au  dernier  moment,  sa  pitié  s'étendit  avec 
les  souffrances,  a  U  ne  faut  pas,  dit-il,  que  Paris  soit  un  cime- 
tière ;  je  ne  veux  pas  régner  sur  des  morts.  Aimant  mieux 
failUr  aux  règles  de  la  guerre  qu'à  celles  de  la  nature,  con- 
sultant la  sienne  qui  a  toujours  esté  pleine  de  clémence, 
rompant  la  barrière  des  lois  militaires,  et  considérant  que 
ce  pauvre  peuple  estoit  chrétien  et  que  c'estoient  tous  ses 
sujets,  il  accorda  premièrement  passeport  pour  toutes  les 
femmes,  filles,  enfants  et  escolicrs  qui  voudroient  sortir. 
Lequel  s'estendit  enGn  à  tous  les  autres  jusques  à  ses  plus 
cruels  ennemis,  desquels  même  il  eust  soin  de  commander 
qu'ils  feussent  humainement  receus  en  tontes  les  villes  où  ils 
se  voudroient  reth*er.  »  Ce  départ  de  toutes  les  bouches 
inutiles  eut  lieu  le  20  août*. 

L'enthousiasme  religieux  qui,  quatre  mois  durant,  avait  Erreurs  mr  les 
animé  le  peuple  d'un  courage  sauvage,  mais  empreint  d'une  dJÎ'Kîwtns 
sorte  de  grandeur  dans  son  égarement,  avait  cédé  aux  tor- 
tures de  la  faim  et  aux  approches  de  la  mort  Le  fait  seul 
de  cette  multitude  demandant  grâce  à  Henri  et  la  recevant 
avec  reconnaissance,  suffirait  pour  prouver  qu'on  a  altéré  et 
faussé  l'histoire  en  représentant  le  peuple  de  Paris,  animé 
comme  un  seul  homme,  et  jusqu'au  bout,  d'un  sentiment 
d'invincible  horreur  pour  l'hérésie  et  pour  le  prince  qui  la 
professait  ;  mourant  avec  l'héroïsme  du  martyre  plutôt  que 
de  traiter  avec  lui  et  de  le  reconnaître.  I^  fausseté  de  cette 

'  Sommaire  dise,  de  ce  qui  est  advenu,  Mëmoires  de  la  Ligue,  t.  iv, 
p.  396,  597.  —  Lestoile,  Regist.  Journ.  de  Henri  IV,  ]i.  29  B. 


MiiavaiiefMi  de 

Ne  mon  ri, 

des  Seite, 

de  Uuycnnr. 


Le  doc 

de  Parme  en 

France. 

httée  du 

Mocut  de  Pari». 


78  HISTOIRE  DU  RàGNC  OK  HENllI  IV. 

assertion  est  bien  mieux  démontrée  encore  par  les  faits  sui- 
vants. Deux  conspirations,  nommées  Jouméei  de  la  paix  ou 
du  pain^  furent  ourdies  dans  l*intérieur  de  Paris,  à  onze 
jours  de  distance,  pour  livrer  la  ville  au  roi  (27  Juillet  et 
8  août).  Elles  échouèrent  ;  mais  la  part  que  presque  toute  la 
bourgeoisie  et  le  parlement  Brisson  y  avaient  prise  était  si 
manifeste,  que  le  g;ouvemeur  Nemours  et  les  Seize,  aul- 
gnant  qu^ils  ne  livrassent  d'un  moment  à  Tautre  la  ville  à 
Tennemi,  furent  contraints,  pour  les  calmer  et  les  endormir, 
d'envoyer  au  roi,  avec  Tassentiment  de  la  Sorbonne,  une 
députation  chargée  de  traiter  des  conditions  de  la  paix  et  de 
la  reddition  de  la  ville.  Les  Parisiens  avaient  donc  plus 
envie  de  capituler  que  de  mourir.  L'ardeur  et  les  égare* 
ments  du  zt'lc  religieux  étant  ainsi  tombés,  la  voie  de  la  ré* 
conciliation  de  Paris  et  de  la  France  ligueuse  avec  son  roi 
était  ouveilc. 

Mais  la  perfidie  des  princes  lorrains  et  de  quelques  servi- 
teurs de  Henri  traversèrent  cet  heureux  accommodement. 
L'archevêque  ligueur  de  Lyon ,  chef  de  la  députation ,  qui 
avait  le  secret  du  duc  de  Nemours,  demanda  au  roi  et 
obtint  de  soumettre  les  conditions  du  traité  à  Mayenne  : 
celui-H!i  feignit  de  n'avoir  rien  tant  à  cœur  que  la  paix,  et 
traîna  les  négociations  en  longueur.  Les  uns  et  les  autres  ne 
voulaient  qu'un  délai,  au  moment  où  un  seul  effort  du  roi 
devait  nécessairement  le  rendre  maître  de  Paris,  et  où  quel- 
ques jours  suffisaient  pour  conduire  le  duc  de  Parme  jusque 
sous  les  murs  de  ceUe  ville.  Ce  délai,  ils  parvinrent  à  se  le 
ménager.  D'un  autre  côté,  plusieurs  chefs  de  l'armée  royale, 
qui  voyaient  dans  la  un  des  troubles  le  terme  de  leur. impor- 
tance et  de  leur  pouvoir,  tinrent  Henri  inaclif,  en  inter- 
ceptant les  avis  et  en  lui  cachant  l'entrée  en  France  de 
l'armée  espagnole,  jusqu'à  ce  qu'elle  fût  arrivée  à  Meaux  K 
Rien  cependant  n*était  encore  perdu  sans  ressource,  comme  on 
va  le  voir  ;  mais  de  nouvelles  trahisons  bien  plutôt  qu'une  er- 
reur impardonnable  achevèrent  de  ruiner  la  fortune  du  roi. 

Farnèse,  duc  de  Parme,  partit  des  Pays-Bas,  &  la  tétc  de 
13,000  hommes,  et  joignit  à  Meaux  le  duc  de  Mayenne  et 

*  Ponr  cei  deux  |»aracraphea,  Mëmoiret  de  la  Ligue,  t.  IT,  p.  99S,  SflO, 
SIS,  513,387.  —  Lettoire,  Regitt.  ioum.  p.  SK  A,  S7  A,  R.  —  Thuauot, 
1.99,  $4,  t.  IV,  p.  871. 


ftLOCtJS  DK  PARIS.  79 

son  corps  d^armée,  qui  sMtaient  portés  de  LaoQ  à  Meaux* 
Qnand  le  roi  fut  Informé  de  ces  événements,  il  agita  avec 
son  conseil  le  parti  quMI  avait  à  prendre.  D'accord  avec  les 
plus  vieux  chefs,  il  était  d'avis  de  laisser  seulement  un  corps 
de  cavalerie  devant  Paris,  et  de  se  porter  avec  le  gros  de 
l'armée  à  Oaye,  à  trois  lieues  en  de(^  de  Meaux.  Le  mare* 
chai  de  Biron  fit  rejeter  cette  résolution,  et  sur  son  avis 
l'armée  fut  conduite  à  GheUes  au  lieu  de  Glaye.  Sur  le  choix 
de  ces  deux  positions,  voici  le  témoignage  du  ligueur  Vil- 
leroy  :  «  On  disoit  que  si  Sa  Majesté  eust  deifendu  le  passage 
de  Glaye,  dont  l'abord  est  très  difficile,  à  cause  d'un  ruisseau 
qni  y  passe,  qui  est  accompagné  d'im  marais  fangeux,  et  qu'elle 
eust  laissé  quelque  cavalerie  à  l'entrée  de  Paris  pour  empes- 
cher  l'entrée  des  vivres  et  la  sortie  des  habitants,  elle  eust  ac- 
culé le  duc  de  Parme,  et  l'eust  contrainctde  prendre  un  autre 
chemin  ou  de  combattre  en  ce  passage  avec  désavantage. 
Quoi  faisant,  peut-être  que  les  Parisiens,  qui  n'en  pouvoient 
plus,  eussent  été  contraincts  de  composer  et  venir  à  la  rai* 
son.  Ledit  duc  de  Parme  craignoit  fort,  estant  à  Meaux,  lors* 
qu'on  lui  représenta  le  chemin  qu'il  falloit  qu'il  tint,  que  Sa 
Majesté  prist  ce  conseil.  De  sorte  qu'il  fust  très  aise,  quand  11 
trouva  ce  passage  abandonné  ;  encore  plus  quand  il  sceut  que 
Sa  Majesté  avolt  levé  son  siège,  venoit  au-devant  de  luy,  et 
n'avoit  laissé  aucunes  forces  auprès  de  Paris  *.  »  Sully  té-^ 
moigne  absolument  comme  Villeroy,  sur  la  faute  commise 
dans  le  choix  de  la  position  de  GheUes,  et  le  retrait  du  corps 
de  cavalerie  que  l'on  devait  laisser  sous  les  murs  de  Paris 
pour  intercepter  les  communications  de  cette  ville  avec  le 
dehors.  11  nous  apprend  de  plus  que  cette  faute  fut  imposée 
au  roi  par  la  violence  morale  que  Biron  lui  fit,  à  lui  et  à  son 
conseil  '. 

Les  vices  du  plan  d'opérations  qu'on  avait  adopté  écla-  Puni  mviuiiitf. 
tèrcnt  dès  le  premier  moment.  Aussitôt  que  le  roi  eut  retiré  raiîJé^ÏJJ'rot 
ses  troupes  de  devant  Paris,  les  gouverneurs  des  villes  de  la 
Ligue  y  firent  entrer  des  provisions  du  côté  du  quartier  de 
l'Université.  Le  lendemain  de  la  levée  du  blocus,  le  30  août, 
le  gouverneur  de  Dourdan  envoya  une  grande  quantité  de 
vivres.  Quatre  Jours  après,  mille  charrettes,  parties  des  envi- 

*  ymeroT,  ApoL  et  Disc,  t.  Zl,  p.  100  A,  B. 

*  SttUj,  OEcon.  royaleffC.SI,  p.  81  B. 


80  HISTOIRE  DU   RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

Fons  de  Chartres  et  chargées  de  blé  entrèrent  dans  la  ville  <• 
Dès  lors  Paris  fut  ravitaillé  et  tiré  des  extrémités  auxquelles 
il  avait  été  réduit  jusqu'alors. 

La  seule  chance  qui  restât  au  roi  de  s'en  emparer  était  de 
vaincre  le  duc  de  Parme  en  bataille  rangée  ou  de  le  con- 
traindre à  sortir  de  France,  et  de  retomber  ensuite  avec 
toutes  ses  forces  sur  Paris,  privé  désormais  de  tout  espoir 
d'être  secouru.  Les  moyens  ne  manquaient  pas  à  Henri  pour 
atteindre  ce  but,  puisque  son  armée,  composée  de  25,000  sol- 
dats d'élite,  la  plus  belle  qu'on  eAt  vue  en  France  de  mémoire 
d'homme,  était  bien  supérieure  à  celle  de  Farnèsc,  surtout 
en  cavalerie,  et  qu'elle  frappa  le  duc  lui-même  d'étonncment 
et  d'appréhension'.  Du  1"  au  10  septembre,  le  roi  essaya 
vainement  de  l'attirer  à  une  bataille.  Il  resta  retranché  dans 
une  position  inexpugnable,  et  prit  sons  les  yeux  de  Henri  la 
ville  de  I^agny  qui  suivait  le  parti  royal  (7  septembre).  Mais 
Famèse  ne  pouvait  demeurer  dans  les  marais  voisins  de 
Ghelles  sans  périr,  il  fallait  de  toute  nécessité  qu'il  acceptât 
plus  tard  la  i)ataille  qu'il  refusait  maintenant,  ou  qu'il  fit  re- 
traite. Dans  le  premier  cas,  la  supériorité  des  forces  de 
Henri  ne  rendait  guère  le  succès  douteux  ;  dans  le  second, 
le  départ  des  Espagnols  lui  livrait  Paris,  il  s'agissait  unique- 
ment, pour  le  roi,  que  son  armée  restât  en  corps  et  ttnt 
ferme  pendant  un.  mois.  La  déplorable  indiscipline  de  ses 
serviteurs  tira  d'un  seul  coup  son  ennemi  des  plus  redouta- 
bles difficultés,  et  lui  enleva  à  lui-même  sa  dernière  chance 
de  réussite.  Lies  gentilshommes,  qui  servaient  à  leurs  frais, 
avaient  épuisé  leurs  ressources  :  prêts  à  affronter  la  mort  au 
jour  d'un  combat ,  ils  refusaient  de  subir  les  fatigues  d'une 
guerre,  même  courte,  ajoutées  sans  interruption  aux  fatiguesdu 
blocus.  Ils  exigeaient  impérieusement  la  bataille  sur-le-champ 
ou  le  départ.  l\îndant  les  dix  jours  que  l'on  resta  en  présence 
de  l'ennemi,  la  défection  commença  dans  le  camp  royal.  Vai- 
nement il  leur  fut  représenté  qu'ils  avaient  devant  eux  l'Espa- 
gnol qui,  depuis  le  temps  de  Gliarles-(}uint,  depuis  soixante 
ans,  complotait  tantôt  par  la  force,  tantôt  par  les  intrigues, 
la  rtiine  de  la  France,  et  qui,  à  présent  envahissait  son  terri- 
toire. Vainement  il  leur  fut  demandé  avec  prières,  avec  sup- 

•  p.  Cayct,  I.  II,  p.  Si7,  A,  B. 
'  p.  Cajet,  I.  11,  p.  945  A. 


DiLIVRANCB  DE  PARIS.  81 

pOcations,  de  ne  pas  refuser  au'roi  et  à  la  patrie  les  moyens 
de  Técraser.  Henri  ne  put  obtenir  d*eux  cet  acte  de  patience, 
de  constance  guerrière,  de  déTonement.  11  fallut  qu'il  ac- 
cordât un  congé  qu'on  voulait  prendre,  qu'on  prenait  déjà. 
Le  il  septembre,  il  divisa  l'armée  en  deux  parts.  Il  renvoya 
dans  leurs  provinces  tous  les  chefs  non  soldés,  les  gentils- 
hommes avec  les  hommes  de  leur  suite,  qui  partirent  pour  la 
Touraine,  le  Maine,  l'Anjou,  la  Normandie,  la  Picardie,  la 
Champagne,  la  Bourgogne.  Quant  aux  troupes  soldées,  11  en . 
garda  un  corps  auprès  de  lui,  et  distribua  la  masse  en  fortes 
garnisons  dans  les  villes  voisines  de  Paris  :  Melun,  Gorbeil, 
Senlis,  Meulan  et  Mantes.  Cet  emploi  de  ses  forces  devait 
servir  aux  projets  ultérieurs  qu'il  substituait  déjà  dans  sa' 
pensée  à  ceux  que  ses  serviteurs,  plus  encore  que  la  Ligue  et 
l'étranger,  venaient  de  faire  échouer  si  malheureusement 

Ce  qui  suivit  consolida  les  avantages  obtenus  par  l'ennemi.  t>^ivnp«*  «i« 
Mayenne  entra,  le  17  septembre,  avec  des  troupes  dans  Paris. 
Le  duc  de  Parme  prit  successivement  Saint-Maur,  Gharenton, 
Gorbeil  (16  octobre).  L'occupation  de  ces  places,  après  celle 
de  Lagny,  achevait  de  dégager  Paris  et  de  lui  rouvrir  la  na- 
vigation de  la  Marne,  de  la  Seine  et  de  l'Yonne.  Gorbeil  et 
Lagny  furent  repris  par  les  royaux  ;  le  duc  de  Parme  fut  har- 
celé par  le  roi  dans  sa  retraite  en  Flandre',  qu'il  opéra  du 
1*'  au  39  novembre,  sans  que  ces  événements  secondaires  al- 
térassent les  grands  résultats  acquis.  Ce  qui  restait,  c'est  que 
Famèse,  usant  de  temporisation  et  profitant  des  vices  de 
l'armée  royale,  avait  délivré  Paris  sans  perdre  un  homme, 
avait  arraché  des  mains  du  roi  cette  ville  qui,  dans  quatre 
jours  au  plus  tard,  se  fCR  rendue  à  Henri,  par  l'extrême  fa- 
mine dont  elle  était  pressée  ;  c'est  que  le  duc,  sans  bouger 
du  poste  choisi  par  lui,  avait  amené  la  dispersion  de  l'armée 
royale  ^ 

Devant  ce  résultat  disparaissaient  les  avantages  partiels, 
obtenus  sur  les  divers  points  du  territoire.  Vainement  le  duc 
de  Nevers,  le  duc  d'$pemon,  le  parlement  de  Bordeaux,  dé- 
cidés par  la  victoire  d'ivry,  passaient  de  la  neutralité  au  parti 
royal  ;  vainement,  en  constituant  ce  parti  dans  le  Nivernais, 

*  Pour  ces  trois  paragraphes,  Lettrai  missires  de  Henri  Iv,  des  5,  7, 
Il  seplembro;  10, 15,  97.  98  novembre,  t.  m,  p.  S4S.950,  987,  296,  306- 
»6.  -  P.  Cayet,  l.  il,  p.  Si5  A,  947  B,  948  B-959.  -  Villeroy,  Apol.  «t 
niic.,p.  160  B.  —  SoUy,  OEcoa.  royal,  c.  31,  p.  S1,6f. 

6 


8i  HiSTOltf  DO  RÈOlfS  Iffi  IIBRIII  IV. 

TAiigoiimoifl^  la  Guienne,  ils  Péteodatent  à  toutes  kê  pro- 
vinces :  le  roi,  reconnu  partout,  était  contesté  et  violenté 
partout. 

H  est  nécessaire  d*eiaminer  avec  quelque  attention  et  de 
Juger  la  eonduiie  du  chef  royaliste  qui  ménagea  au  doc  de 
Parme  tous  les  avantages  qu^il  obtint,  et  qui  devint  ainsi  le 
véritable  auteur  de  la  délivrance  de  Paris.  BIron  n^étalt  pas 
homme  à  choisir,  par  erreur  et  par  ignorance ,  le  poste  de 
GheUes  au  lieu  de  celui  de  Glaye.  Quand  11  violenta  le  roi  au 
point  de  conduire  malgré  ce  prince  Tannée  à  Chelles,  il  sa- 
vait parfaitement  quelles  seraient  les  conséquences  de  cette 
déplorable  manœuvre.  Le  roi  n'avait  pu  lui  tenir  la  pro- 
messe fisite  au  camp  de  Saint-€loud  et  lui  abandonner  le  Pé- 
rigotd  en  toute  souveraineté  :  il  lui  avait  remontré  qu^il  serait 
contraint  de  faire  une  pareille  concession  à  tous  les  grands 
seigneurs,  et  que  le  royaume  serait  dès  ce  moment  déchiré 
en  morceaux.  Déçu  dans  son  espoir  et  dans  son  ambition. 
Baron  avait  Juré  dès  lors  dMtemiser  la  guerre  qui  le  rendait 
l*homme  le  plus  puissant  du  royaume ,  et  d^mpécher  le  roi 
d'obtenir  aucun  avantage  décisif  sur  les  Ligueurs  et  sur  les 
Espagnols. 

Paris  manqué  et  Tarmée  royale  dissipée,  la  Ligue  se  trouvait 
lemise  sur  pied,  rétablissement  de  Tautoritéde  Henri  ajourné 
d'une  manière  indéfinie,  la  France  rejetée  dans  les  dangers 
d'une  guerre  civile  et  d'une  guerre  étrangère  à  la  fois,  où  son 
indépendance,  son  existence  même  étaient  mises  en  Jeu.  Au 
milieu  de  l'irrémédiable  alTaiblissement,  résultant  pour  elle 
de  cette  double  lutte,  Philippe  II  pouvait,  sans  trop  de  té- 
mérité, tenter  de  la  subjuguer  et  de  la  réduire  en  province 
espagnole.  Déjà  il  entamait  son  territoire  à  Touest  et  au 
midi»  tandis  que  son  lieutenant  Famèse  promenait  une  ar- 
mée espagnole  du  nord  Jusqu'au  cœur  du  royaume,  recon- 
naissait et  marquait  les  provinces  pour  la  conquête. 
ifiTuion  Dès  la  fin  du  mois  de  mars,  tous  les  chefedes  rebelles  voyant 

d«  i!fBraHn«l  ^  ^'^  miUtaire  de  bi  Ugue  détruite  par  les  défaites  d'Ivry 
lie  u  ProveiiM  et  d'issolre  s'étaient,  à  l'exemple  de  Mayenne,  totunés  vers 
EtPHoJuet    rSspigne,  pour  soutenir  leur  parti  et  leur  misérable  autorité. 
bsSsTojardt.    Philippe  II  s'était  hâté  d'entrer  dans  le  royaume  par  toutes 
les  portes  qui  lui  étaient  ouvertes.  Sur  la  demande  de 
loyeuseet  des  Êuts  de  la  Ligue,  assemblés  à  Lavaur,  les- 


INVASIOH  OIS  PAOVINCEfl  PAR  LfiS  iTRAKGERS.       93 

qoeto  dominaient  à  Toolonse  et  dans  ]e  Languedoc  occidental 
6,000  Espagnols  et  Wallons  avaient  envahi  le  Languedoc  et 
pris  dix-neuf  petites  places.  Montmorency,  le  gouverneur  royal 
de  la  province,  manquant  de  forces  suffisantes,  n*avalt  pu  ni 
les  comlMttre  ni  arrêter  leurs  progrès  (avril-septembre  1590). 
Les  maladies  contagieuses  avaient  emporté  la  moitié  de  ces 
étrangers;  mais  ils  restaient  assez  nombreux  pour  former  à 
Philippe  II  un  établissement  dans  le  pays,  et  poor  favoriser 
la  descente  des  corps  de  troupes  qu^il  enverrait  plus  tard  >• 
En  Bretagne,  Mercœur,  parent  de  Mayenne,  pressé  par  le 
prince  de  Bombes  et  par  la  noblesse  bretonne,  qui  avaient 
poussé  leurs  conqu^es  jttsqu*à  la  mer,  craignant  de  se  voir 
chasser  du  pays,  avait  eu  recours,  comme  Joyeuse,  à  la  pro- 
tection do  roi  catholique.  Cinq  mille  Espagnols,  commandés 
par  don  Juan  d^Aquila,  débarquèrent  ft  Blavet,  au  commence^ 
mentd*pctobre,  et  se  joignirent  aux  Ligueurs.  Tons  ensemble 
ils  reprirent  sur  les  royaux  Hennebon,  poste  de  la  plus 
grande  imjportance,  et  oà  des  provisions  considérables 
avaient  été  amassées.  La  ruine  de  Mercœur  était  ainsi  pré- 
venue. Cétalt  là  Tincident,  le  fait  accessoire  :  le  fait  capital, 
c*est  que  les  Espagnols  avalent  pris  pied  dans  le  pays.  Le 
prince  de  Dombes,  hors  d*état  de  résister  à  tant  de  forces 
réunies,  avait  été  contraint  de  se  replier.  Le  16  octobre,  Il 
écrivit  de  Bennes  aux  États  de  Bretagne  une  lettre  où  la 
France  eUe-mème  semblait  exprimer  son  indignation  contre 
les  chefs  de  la  Ligae  et  éclairer  les  citoyens  sur  la  conduite 
qu^ils  avaient  à  lenir.  «  Pour  satisfaire,  disait-il,  son  ambition 
particulière,  Mercœur  ne  sMtait  pas  contenté  d^avofa*  violé 
tous  les  droits  divins  et  humaiqs,  en  trahissant  lâchement 
Henri  lil,  qui  Tavait  comblé  de  ses  bienfaits  ;  mais,  se  voyant 
hors  d*état  de  se  soutenir  par  lui-même  dans  la  province,  il 
avait  mis  le  comble  à  ses  attentats,  en  y  luisant  entrer  les 
Espagnols.  Ensuite  le  prince  exhortait  les  États  à  tirer  enfin 
ce  voile  de  la  religion,  que  des  prédicateurs  séditieux,  vendus 
à  la  Ligue,  avaient  Jusqu'alors  étendu  smr  leurs  yeux  pour 
les  aveugler»  à  reconnaître  leurs  véritables  intérêts,  à  songer, 
tandis  quUl  en  était  temps  encore,  à  mettre  leur  liberté  à 
couvert  de  la  tyrannie  des  Espagnols,  dont  Tambition  et  les 

•  D.  TaÎMette,  Biiloire  gén.  cl«  LaDgofdM,  1. 41, 1.  V,  i».  4tt,  419. 


84  HISTOIRE  DU  RÈGRfi  DK  HENRI  IV. 

cruautés  avaient  rempli  tous  les  pays  de  l'Europe  et  du  nou- 
veau monde  où  cette  nation  avait  mis  le  [ried.  »  Le  roi,  at- 
tentif à  tous  les  besoins  et  prompt  à  y  pourvoir  autant 
qu'il  le  pouvait,  envoya  au  prince  de  Domt>es,  après  la  dis- 
persion de  son  armée,  un  corps  de  800  landskenets.  Avec 
ce  renfort,  le  parU  royal  put  se  soutenir  en  Bretagne,  et  dis- 
puter au  moins  le  pays  aux  Ligueurs  et  aux  Espagnols  ^ 

L^vasion  étrangère,  commencée  en  Languedoc  et  en 
Bretagne,  s'étendit  à  la  Provence.  Le  duc  de  Savoie  convoi- 
tait la  Provence  pour  lui-même  et  pour  lui  seul,  et  c'est 
a^ec  ces  idées  et  cette  ambition  qu'il  entra  en  Provence  et 
surprit  Fréjus,  au    commencement  du   mois   d'octobre. 
L'échec  considérable  qu'il  essuya,  en  combattant  le  gouver- 
neur royal  La  Valette  et  Lesdiguières,  l'avertit  de  sa  fai- 
blesse et  le  contraignit  à  rabattre  de  ses  prétentions.   Il 
s'adressa  au  roi  d'Espagne,  son  beau-père,  pour  obtçnir  des 
renforts  d'Espagnols  et  de  Napolitains  partis  du  Milanez,  et 
en  écnange  il  lui  abandonna  la  souveraineté  du  pays,  ne  se 
réservant  à  lui-même  que  le  domaine  utile.  Il  obtint,  en 
même  temps  que  les  secours  de  Philippe  II,  l'aide  de  l'un  des 
deux  partie  ligueurs  en  Provence,  celui  de  la  comtesse  de 
Sault,  qu'U  trompa,  par  des  promesses  menteuses.  Se  trou- 
vant alors  à  la  tête  de  forces  très  supérieures  à  celles  de  La- 
valette,  il  le  réduisit  à  l'impuissance  et  put  faire  des  progrès 
considérables  dans  le  pays.  Il  fut  reçu  à  Draguignan  par  un 
peuple  insensé ,  criant  :  «  Vive  la  messe  l  vive  Son  Altesse, 
M  et  soit  chassé  Lavalette  l  •  De  là,  il  alla  recevoir  Lorgère, 
puis  il  entra  à  Alx  le  17  novembre.  Le  clergé,  la  noblesse, 
le  parlement,  le  corps  municipal  allèrent  au-devant  de  lui. 
Trois  jours  après,  ils  le  déclarèrent  protecteur  et  gouverneur 
général  de  la  Provence,  et  en  cette  qualité  lui  Jurèrent  Gdé- 
lité.  n  mit  une  garnison  espagnole  dans  Fréjus.  Dans  l'as- 
semblée des  États,  qui  le  déclarèrent  comte  jM^opriétaire  de 
Provence,  il  fut  proclamé  qu'il  «  tiendrait  le  comté  en  féo- 
»  dalité  de  la  couronne  d'Espagne  au  lieu  de  celle  de  France, 
>  qu'ils  répudiaient  du  tout^.  »  Ainsi,  l'égarement  du  zèle 
religieux  allait  jusqu'à  se  séparer  de  la  patrie  et  à  la  renier. 

•  Thoanni,  I.  OS,  S  «5. 1.  90,  S  1^«  t.  nr,  p,  806,  SS5-S89. 

*  P.  Cayel,  1.  II,  p.  S58,  tSO.  —  TbuDiM,  1.  90,  S  t^i  P*  890-093.  — 
SuUy.  Œcon.  roy.,'*^»  KS,  p.  i$%  A. 


CONDUITS  DBS  PRINCES  LORRAINS.  85 

Toul  s^efface  devant  ces  faits  qui  terminèrent  si  dëplo-  ^^  u  FÏlnc« 
rablement  l'année  1590.  La  France  en  revenait  aux  désastres       au  panu 
et  aux  liontes  du  temps  de  l'invasion  anglaise  :  elle  était  dé-   *  *•  •««>•* wo 
memforée;  elle  voyait  la  souveraineté  de  Tétranger  s'établir 
sur  une  partie  de  son  territoire. 

Mayenne  et  les  autres  princes  de  la  maison  de  Guise  étaient 
seuls  coupables  de  ces  résultats.  Dans  l'ambition  illégitime, 
comme  dans  les  autres  vices,  il  y  a  une  probité  relative  qui 
s'interdit  les  bassesses  et  les  crimes.  Cette  probité,  ils  ne 
l'eurent  pas.  Si  on  les  regardait  comme  naturalisés  parmi 
nous,  comme  FriUiçais,  pour  avoir  séjourné  et  vécu  dans  le 
royaume  depuis  François  I",  ils  étaient  des  traîtres  et  des 
inlâmes.  Si  on  les  considérait  comme  Iiorrains,  comme  étran- 
gers, alors  ils  n'étalent  plus  pour  nous  que  des  ennemis  ; 
mais  des  ennemis  de  la  pire  espèce,  car  ils  payaient  les  innom- 
brables bienlaits  dont  la  France  et  ses  rois  les  avaient  comblés, 
en  frappant  la  France  de  mortelles  blessures.  Jusqu'à  la  ba- 
taille d'Ivry,  Mayenne  avait  été  coupable  d'ambition;  mais 
au  moins  cette  ambition  était  grande  :  il  prétendait  alors 
commander  à  la  France  une<  forte,  indépendante  de  l'étran- 
ger, tenant  dans  l'Europe  une  large  et  belle  place.  Mainte- 
nant, condanmé  par  les  défaites  d'Arques>  et  d'Ivry,  il  ne 
pouvait  pas  être  roi.  11  ne  pouvait  pas  davantage  être  le 
maire  du  palais  d'un  roi  fainéant,  puisque  le  vieux  cardinal  de 
Bourbon  était  mort  dans  sa  prison  de  Fontenay-le-Gomte,  le 
9  mai,  pendant  le  tdocus  de  Paris.  Il  ne  lui  rcfstait  donc  qu'à 
se  soumettre  généreusement,  à  finir  la  révolte  et  les  maux  du 
pays,  ou  à  devenir  l'esclave  et  le  jouet  de  l'Espagne.  Ce  fut 
le  dernier  parti  qu'il  prit  !  Perdu  de  réputation ,  dénué  de 
ressources,*  réduit  à  se  mettre  à  la  merci  du  roi  catholique , 
à  ne  vivre  que  de  ses  secours,  à  ne  combattre  qu'avec  ses 
armées,  il  ne  soutenait  plus  l'étendard  de  la  guerre  civile, 
il  ne  luttait  plus  contre  Henri,  que  pour  livrer  à  Philippe  II 
la  souveraineté  qui  lui  échappait.  Mayenne,  les  princes  de 
la  maison  de  GuJse ,  les  gouverneurs  de  provinces  pour  la 
Ligue  ne  recevaient  plus  un  seul  soldat,  une  seule  piastre, 
sans  faire  en  échange  la  concession  de  quelque  ville,  de 
quelque  territoire,  de  quelque  portion  des  pouvoirs  publics. 
Ce  n'était  pas  là  une  grande  ambition,  mais  une  convoitise  de 
bas  étage,  qui  se  cramponnait  à  un  pouvoir  bâtard  et  sui)or- 


86  HISTOIRS  on  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

donne,  et  ne  voulait  pas  lâcher  prise,  dût  la  France  périr 
par  leurs  violences  et  dans  Tétreinte  de  lenrs  efforts  déses» 
pérés^ 

Le  roi,  avec  une  force  militaire  très  médiocre  par  le  nom- 
bre et  plus  encore  par  Tirrégnlarité  du  service  et  rindlsci- 
(dine,  avait  vaincu  la  Ligue  en  toutes  rencontres,  avait  fait 
chaque  Jour  sur  elle  des  conquêtes,  tant  qu*il  n*avait  trouvé 
qu'elle  pour  adversaire  principal,  et  Tétranger  pour  son 
auxiliaire.  Maintenant  il  comptait  pour  ennemis  déclarés  et 
agissant  contre  lui  avec  toutes  leurs  forces,  outre  la  Ligue, 
qui  tenait  encore  toutes  les  grandes  villes  et  le  tiers  au 
moins  du  territoire^  le  pape,  le  *  duc  de  Savoie,  le  duc 
de  Lorraine,  qui  avait  envoyé  un  corps  d*armée  en  France 
au  moment  de  rentrée  du  duc  de  Parme,   et  qui  déso- 
lait la  Champagne  par  ses  incursions',  enfln  le  roi  d'Es- 
pagne, qui  poussait  contre  notre  malheureux  pays  les  armées 
de  TEspagne,  du  royaume  de  Naples,  du  Milanez,  de  la  Flan- 
dre, commandées  par  un  des  plus  grands  capitaines  de  ce 
siècle.  Le  roi  avait  donc  à  lutter  k  la  fois  contre  la  moidé 
de  l'Europe  et  plus  du  tiers  de  la  France.  La  tAche  était 
au-dessus  de  ses  forces,  avec  les  ressources  dont  il  disposait 
La  nouvelle  situation  qui  lui  était  faite  ne  put  abattre  son 
courage  ;  mais  elle  l'avertit  de  modifier  et  d'étendre  ses 
moyens  de  résistance. 
.       U  se  servit  de  la  présence  même  des  Espagnols  dans  le 

NouTeaiix  pré*  *^  ,,      .         j«.i 

paraiifs  royaume  pour  ranimer  chez  tous  1  ardeur  des  convictions  et 
**"  'SoooVr"  la  pratique  des  principes  des  politiques,  c'est-à-dire  la  haine 
■  i*ytt«qa«.  de  Tétranger  et  de  sa  domination,  la  répression  de  l'abus  de 
la  religion,  transportée  dans  la  politique,  l'horreur  de 
l'anarchie  et  de  la  guerre  civile.  Dans  les  corps  tels  que 
les  pariements  et  le  clergé,  ces  dispositions  produisirent  des 
actes  conservateurs  des  légitimes  prérogatives  de  la  royauté 
et  des  franchises  nationales  tout  ensemble.  Chez  les  particu- 
liers, elles  enfantèrent  des  écrits  modelés  sur  la  lettre  du 

•  m  let  râiU  eux-mAmet  qui  parlaient  »l  haut,  ni  lef  «tIs  n«  maaqnaleDt 
ï  Ifayenoa  «t  à  se*  r^^wU  pour  être  •▼erUs  du  précipice  on  il*  i«Ui«iit  1« 
navs.  Voici  ce  que  disait,  lor»  de  la  prochaine  entrer  du  duc  de  Parme  en 
Frnnce,  le  llgoeur  VUleroy  (Apologie  «t  dite,  t.  XI,  p.  18T  A):«  •T-mnroii 
•  qae  le  royanm*  eoroit  hientotl  rempli  de  Uni  d'«ftr»»|en  qon  Mit 
m  sieur  duc  ne  pourroU  plus  disposer  ny  de  soy^  ny  de  ses  amis,  m 

»  Uttrw  miwiTM  de  Henri  IV,  du  IS  novembre,  t.  m,  p.  SW. 


coalition:  système  db  résistance. du  roi.       87 

prince  de  Dombcs,  et  sur  Tanti-Espagnol  d^Antoine  Ar- 
naold.  Ces  ouvrages,  parmi  lesquels  on  remarque  le  second 
Dfscoors  de  Hurault ,  sur  i^tat  de  la  France,  la  Maintenue 
et  défense  des  princes  souverains  et  églises  chrétiennes, 
le  Traité  des  ricÛcules ,  exercèrent  une  puissante  influence 
sur  Topinion  publique:  après  les  armées  et  les  victoires,  rien 
ne  servit  mieux  la  cause  du  roi.  Daubigné  signale  les  eflets 
qu^ils  produisirent  en  ces  termes  ;  «  Us  ont  mené  les  esprits 
»  aux  pensées,  aux  connoissances,  aux  affections  partisanes, 
»  enfin  aux  choix  qui  ont  enflé  ou  diminué  les  partis,  soit 
m  en  dombre,  wAi  en  ardeur...  Us  ont  dessillé  les  yeux  à 
•  plusieurs  Prant^is  et  les  ont  amenez  au  service  du  roy  ^  > 

Henri  disposa  tout  pour  que  Paris  et  les  autres  villes  de  la 
Ligne,  entourées  de  toutes  parts  pair  les  villes  et  les  garnisons 
royales,  restassent  dans  un  état  de  demi-blocus,  éprouvassent 
des  privations  et  des  souffrances  continues  qui  lassassent  leur 
opiniâtreté  et  les  amenassent  aux  pensées  de  soumission. 

Mais  le  soin  principal  du  roi  fut  nécessairement  de  s*a»- 
sorer  une  force  militaire  proportionnée  à  celle  de  ses  enne- 
mis. Depuis  son  avènement,  il  n'avait  eu  dans  ses  armées 
qu'un  corps  médiocre  de  troupes  régulières  :  tout  le  reste 
se  composait  de  gentilshommes  et  de  leur»  suivants, 
dont  le  service  était  toujours  intermittent  et  court,  et  sou- 
vent capricieux  d'une  manière  désastreuse.  Les  Espagnols, 
au  contraire,  retenaient  leurs  soldats  sous  le  drapeau  autant 
que  Texigeaient  les  circonstances.  Il  sentait  cette  infériorité 
et  Taccttsait  au  moment  où  il  était  contraint  de  licencier 
Tannée  qui  avait  vainement  réduit  Parts  aux  dernières  extré- 
mités. «  Je  vois,  disait-il,  mon  artfiée  quasy  composée  de 
B  noblesse  volontaire,  et  celle  de  mes  ennemys  soldoyée  et 
»  nouvellement  payée'.  »  Il  résolut  de  rétablir  TéquOlbre  en 
se  donnant,  par  un  grand  effort,  une  armée  permanente  et 
égale  en  nombre  à  celle  des  coalisés.  L'Europe  catholique 
était  presque  tout  entière  armée  contre  lui  :  fl  résolut  de  lui 
opposer  l'Europe  protestante,  en  démontrant  à  cette  der- 
nière que  leurs  causes  étaient  étroitement  unies,  et  que  le 
jonr  de  sa  ruine  serait  la  veille  de  celui  où  les  puissances 


'  Daabigué,  Hhl.  iioiv.,  1.  iil.e.  tl,  t.  lit,  p. 

"  Leltrei  da  rui  au  duc  de  Moatpenfier,  5  septembre,  I.  m,  p.  S47. 


88  HISTOIRE  DU   RÈGNE  0E  H£NRI   IV. 

réformées  seraient  asservies.  U  demanda  donc  à  la  reine 
d'Angleterre,  aux  Hollandais,  aux  Suisses,  aux  princes  alle- 
mands une  levée  en  masse,  et  il  assigna  à  la  paie  de  ces  sol- 
dats réguliers  les  sommes  considérables  qu'il  était  parvenu 
à  se  procurera  Les  préparatifs,  commencés  par  Tadresse  et 
ractivité  de  Turenne,  de»  les  derniers  mois  de  1590,  ne  de- 
vaient amener  de  résultats  et  conduire  Tarmée  de  la  réforme 
en  France  qu'à  la  fin  de  1591 .  Mais,  dans  des  mesures  en  appa- 
rence semblables^  Henri  mettait  une  différence  radicale,  on 
abîme,  entre  ses  procédés  et  ceux  de  Mayenne  et  des  autres 
Guises.  Toujours  roi  au  milieu  de  ses  plus  grandes  nécessités, 
il  n'abandonnait  aux  étrangers  qu'il  appelait  dans  le  pays, 
ni  une  ville,  4ii  une  lieue  de  territoire,  ni  la  moindre  partie 
des  pouvoirs  publics.  Il  les  réduisait  à  l'éUt  d'auxiliaires  an 
service  du  royaume,  comme  l'avaient  été  les  Siiisses  depuis 
le  règne  de  Louis  XL 


CHAPITRE  m. 


froUièmc  eamiMipie  du  roi.  Rapports  de  U  FraDc«  avoc  U  SainC-nëge. 
Lot  parUmonU  poliliquet  :  le  clergé  galtican  (1501). 

15911  —  Depuis  la  dispersion  de  son  .armée  nationale ,  et 
dans  l'attente  de  l'armée  étrangère,  dont  il  pressait  la  levée  par 
ses  agents,  Henri  ne  disposait  plus  que  de  six  ou  huit  mille 
hommes  de  troupes  régulières.  Avec  une  force  militaire  aussi 
restreinte,  il  lui  était  imposé  de  n'agir  que  dans  un  rayon  fort 
resserré,  et  tellement  choisi,  qu'il  pût  protéger  les  villes  royales 
de  la  France  du  nord  contre  les  attaques  des  Espagnols  partis 
de  Flandre,  et  du  duc  de  Parme  leur  cbeC  De  plus,  il  ne 
pouvait  se  livrer  qu'à  des  entreprises  d'une  importance  11- 
mitée,  qu'à  l'attaque  de  villes  de  second  ordre. 

Henri  employa  le  petit  nombre  de  soldats  restés  autour  de 
lui  à  deux  usages.  Il  réduisit  les  places  voisines  de  Paris  pour 

'  Letires  de  Henri  au  duc  de  Saxe«  des  5  et  f7  octobre  ;  aux  seigneurs  et 
conseil  des  Provinces-nnies,  du  97  octobre;  à  la  reine  d'Angleterre  cl  à 
tL  de  Beauvoir,  fin  octolire  1500;  à  la  reine  d* Angleterre,  du  30  ian- 
▼ier  «SOI,  t.  m,  p.«l,  «7S«  177, 179,  ISO-ISS,  331,  331. 


COICQUÊT£S  AOTOUR  DE  PARIS  ET  EN  NORMANDIE.      89 

amener  lentement  cette  ville  à  composition,  par  la  souffrance 
continue ,  persuaHé  que  ipund  le  corps  de  la  Ligue  serait 
frappé  dans  la  capitale ,  les  membres  piériraient  bien  vite  en 
province.  Il  avança  aussi  la  réducifon  de  la  Normandie,  pro- 
vince qui  nourrissait  ses  troupes,  remplissait  son  épargne,  lui 
permettait  de  recevoir  incessamment  les  secours  de  la  reine 
d* Angleterre.  11  réussit  dans  cette  double  tentative. 

Mais  hors  d*état  de  porter  secours  sur  la  vaste  étendue 
^u  territoire,  à  tous  les  points  du  royaume  menacés,  et  de 
lutter  tout  ensemble  contre  Tennemi  du  dehors  et  Tenneml 
du  dedans,  quand  ils  étaient  d'accord  pour  Texécution  de 
leurs  projets  destructeurs,  il  vit,  avec  une  impuissance  et  une 
douleur  égales,  Tinvasion  étrangère  faii-e  chaque  jour  de  nou- 
veaux progrès,  grâce  au  concours  de  la  Ligue. 

Dons  ce  qui  est  relatif  à  la  guerre,  les  événements  parti- 
culiers de  Tannée  1591  se  rapportent  tous  à  ces  deux  points 
principaux. 

Dans  Tordre  civil  et  religieux,  de  grands  elTorts  furent 
tentés  en  vue  de  seconder  ceux  du  roi,  et  des  doctrines  de 
salut  pour  le  pays  furent  nouvellement  et  solidement  établies 
au  milieu  des  principes  de  subversion  déchaînés. 

Depuis  la  reprise  de  Gorbeil  et  de  Lagny,  le  roi  occupait,  Conquêufl 
outre  ces  deux  villes,  celles  de  Melun,  Saint-Denis,  Poissy,  'delpTru!*'' 
Meulan,  Mantes,  et  arrêtait  une  grande  partie  des  vivres  que 
Paris  pouvait  tirer  des  pays  voisins.  Les  chefs  de  la  Ligue 
voulurent  rompre  Tune  de  ces  entraves,  et,  dans  cette  inten- 
tion, le  chevalier  d'Aumale,  prince  de  la  maison  de  Guise, 
surprit  Saint-Denis  :  la  fin  de  Tenti-eprise  fut  désastreuse;  il 
fut  accablé  et  périt  avec  hi  plupart  de  ses  soldats  (3  janvier 
1591).  Le  roi,  à  la  Journée  des  Farines,  essaya  vainement 
de  s'emparer  de  Paris  au  moyen  des  intelligences  qu'il  entre- 
tenait dans  la  place  (30  janvier).  Mais  il  réussit  dans  le  projet 
de  resserrer  chaque  jour  Paris,  et  d'ajouter  à  ses  souffrances. 
Après  deux  mois  de  siège,  il  prit  Chartres  (10  avril).  Peu 
afffès,  il  compléta  cette  conquête  par  l'occupation  d'Auneau 
et  de  Dourdan,  et  il  intercepta  alors  presque  entièrement, 
pour  la  capitale,  les  convois  de  la  Beauce.  Dans  le  même 
temps,  Mayenne  s'empara  de  Château-Thierry  (11  avril),  et, 
joignant  cette  ville  à  celle  de  Meaux,  il  rendit  à  la  Ligue  et 
à  Paris  le  cours  de  la  Marne  moyenne  et  une  portion  des 


00  HISTOIRE  DU  RÈGRB  DS  HBMAI  IV. 

blés  de  la  Champagne.  Mais  Henri  leur  enleva,  par  quelques 
dispositions  mOitaires,  cet  avantage  d*un  dioment.  De  plus* 
il  prit  Noyon  le  19  août,  après  avoir  successivement  vaincu 
et  dissipé  quatre  corps  de  troupes  de  Ligueurs  envoyés  au 
secours  de  la  place.  Ve  la  sorte  il  domina  le  cours  de  TOise 
sur  un  nouveau  point,  étendit  et  aCTermit  son  autorité  dans 
ce  pays,  alors  annexé  à  la  Picardie.  Paris  était  dès  lors  en- 
veloppé presque  partout  de  villes  royales.  Dans  ce  réseau 
chaque  jour  plus  serré,  il  n'y  avait  plus  que  Dreux,  Pon* 
toise,  Soissons  et  Meaux  qui  rompissent  encore  et  empêchas- 
sent la  continuité.  C'étaient  les  seules  villes  dont  la  capitale 
tfarât  désormais  des  provisions:  sans  être  réduit  aux  horreurs 
de  la  famine  essuyée  naguère,  Paris  éprouvait  la  disette,  et  il 
ne  souffrait  pas  moins  de  la  totale  interruption  de  son  com- 
merce :  le  marchand  était  sans  profit,  le  peuple  sans  travail 
et  sans  moyens  d'existence  '.  Tous  s'indignèrent,  et  un  no- 
table changement  s'opéra  alors  dans  leurs  dispositions.  Tandis 
que  la  majorité  de  la  bourgeoisie,  échappée  aux  horreurs 
de  la  famine,  était  revenue  aux  sentiments  de  la  Ligue  fran* 
çaise,  le  peuple,  plus  sensible  à  ses  besoins  que  fidèle  à  ses 
opinions,  -se  montrait  prêt  à  déposer  les  armes  et  à  recon- 
naître Henri.  Voici  à  cet  égard  la  déposition  d'un  témoin 
oculaire  :  «  Le  commun  peuple ,  qui  voyoit  qu'on  ne  le  re- 
paissoit  que  de  baies,  et  que  tout  le  secours  qu'on  leur  pro- 
mettoit  n'étoit  que  vent ,  mesdiso^t  &  pleine  bouche  du  duc 
de  Mayenne,  et  le  donnoit  au  diable  avec  la  guerre,  nonob- 
stant les  sermons  de  leurs  curez  et  prédicateurs,  dont  ils 
estoient  tous  bercés,  et  commençoient  à  ne  s'en  plus  guères 
souder,  lis  ne  se  soudoient  qui  l'emportast,  pourvu  qu'on  le 
mist  en  repos  \  »  La  force  était  du  côté  de  Mayenne,  des 
Seize  et  de  la  garnison  espagnole,  dont  nous  parlerons  bien- 
tôt :  ces  nouveaux  sentiments  du  peuple  demeurèrent  donc 
comprimés  en  ce  moment  ;  mais  ils  entrèrent  pour  beaucoup 
dans  les  événements  dont  Paris  fut  le  théâtre  à  la  fin  de  cette 
année,  et,  plus  tard,  l'occasion  donnée,  dans  le  dénoûment 
de  la  situation. 

■  p.  Cayet,  1.  iit,  p.  tSS  A. 

*  Lettrri  de  Uenn  IV  des  \  4  ianvier,  iO  et  99  avril,  30  iaillel,  i,  7, 
49  ao&t,  t.  m,  p.  MTi-SSS,  ^IB  et  RuiTantes.  -~  Mémoires  de  U  Lieae,  t.  nr, 
p.  S40.54S.  -  P.  Ceypt.  I.  5,  p.  W9,  t63,  iôS,  969,  907,  99S.  -^  Theaaiis, 
1.  CI,  $  11,  t.  5,  p.  Ul,  0%  cl  SUIT.  —  SuUj,  OEcou.  roj.,  c.  39,  p.  S4.  — 
Lesloile,  p.  50  S. 


RAPPORTS  DR  LA  PRARCE  AVKG  LE  SAIRT-SléCE.       91 

Tandis  qac  le  roi  s'étendait  en  Beauce  et  en  Picardie,  ses  j^fij^itoî,* au 
lieatenants  soumettaient  à  sa  domination  plusieurs  villes  et        du  rot 
districts  de  Normandie  qui  ne  Pavaient  pas  reconnu  jusqu'à-  "  Wo^"»«n«"«- 
lors.  Le  duc  de  Montpensier  prenait  Avranches,  et  achevait 
ainsi  la  réduction  de  la  basse  Normandie.  Biron  et  son  fils 
soumettaient  Gaudebec,  Harfleur,  Fécamp,  Louviers,  dans 
la  haute,  et  ne  laissaient  plus  guère  à  la  Ligue  que  Rouen  et 
le  Havre  (du  mois  de  Janvier  au  6  ]ain)  ^ 

La  cause  du  roi,  en  présence  de  Tinvasion  étrangère  et  des 
progrès  de  TEspagnoI,  devenait,  chaque  jour  davantage,  la 
cause  nationale.  EUe  n'était  pas  défendue  plus  énergique- 
ment,  plus  heureusement,  par  les  armes  de  ce  prince  et  de 
ses  lieutenants,  que  par  les  décidions  des  parlements  et  du 
clergé  royalistes.  Ces  deux  corps,  qui  jusqu'à  ce  moment 
s'étaient  bornés  à  autoriser  et  à  soutenir  la  souveraineté  de 
Henri  par  leur  adhésion ,  passèrent  plus  avant  cette  année. 
Ils  établirent  fortement  les  principes  qui,  dans  le  champ  de 
l'opinion  comme  sur  le  terrain  du  droit  public,  devaient 
tracer  la  limite  entre  l'Église  et  l'État,  et  servir  de  digue  au 
pouvoir  temporel  contre  les  empiétements  et  les  usurpations 
du  pouvoir  spirituel.  C'était  une  application  en  grand  des 
doctrines  des  politiques. 

Les  victoires  de  Henri  IV  avaient  rendu  à  la  royauté  fran*  Rapports  ao  u 
çaise  assez  de  force  pour  que  les  papes  pussent  y  chercher  ''Skîn*  s»ége/* 
un  point  d'appui  et  une  défense  contre  la  tyrannie  de  l'Es- 
pagne et  de  Philippe  U,  qui  ne  menaçait  guère  moins  Tin- 
dépendance  de  l'Italie  que  celle  de  la  France.  A  la  fin  de  son 
pontificat,  Sixte«Quint,  ayant  repris  confiance  et  liberté,  était 
revenu  à  des  sentiments  de  modération,  et  même  de  faveur 
envers  Henri  IV  et  la  France  royaliste.  Tous  ses  actes,  pen- 
dant Tannée  1590,  avaient  porté  la  marque  de  ses  nouvelles 
dispositions.  Il  avait  refusé  à  Philippe  U  d'excommunier  les 
Vénitiens  déclarés  pour  Henri  IV,  ainsi  que  les  seigneurs 
fîrançais  et  les  antres  citoyens  des  divers  ordres  qui  soute- 
naient la  cause  de  ce  prince.  11  avait  reftisé  également  d*au- 
toriser  un  impOt  que  le  roi  catholique  prétendait  lever  sur 
le  clergé  de  tous  ses  royaumes  et  principautés,  pour  faire 

■  Letlret  de  Henri  lY  du  11  feVrier,  des  S  et  9  mars,  t.  m.  p.  310,  547, 
310.  351.  —  P.  GajpM,  1.  lU,  p.  i6S  A,  à  U  fia  ;  t87,  SSS,  307,  300. 


92  HISTOIRE  OU  RÈGNE  OK  UINRl  IV. 

face  aux  frais  qu'entraînaient  la  guerre  et  les  intrigues  de 
France  (mars  1590).  Sixte-Quint  n'avait  accordé  lui-même  à 
la  Ligue  aucun  des  subsides  qu'il  lui  avait  d'abord  promis: 
il  avait  écrit  plusieurs  fois  à  son  légat  Gaéiano  de  quitter  le 
parti  des  Ligueurs,  de  sortir  de  Paris  pour  se  joindre  aux  car- 
dinaux de  Vendôme  et  de  Lenoncourt,  qui  suivaient  le  parti 
du  roi.  Enfin,  le  pape  avait  ramené  un  grand  nombre  de 
cardinaux  aux  intérêts  de  Henri,  en  faisant  entendre  dans  le 
consistoire  son  ambassadeur,  le  duc  de  Luxembourg,  et  l'ora- 
teur du  duc.  Un  violent  conflit  avait  eu  lieu  alors  entre  l'am- 
bassadeur de  Philippe  II  et  le  pape.  L'ambassadeur  avait 
menacé  Sixte-Quint ,  au  nom  de  son  maître,  de  lui  faire  la 
guerre  et  de  le  faire  déposer  par  un  concile  qu'il  assemble- 
rait dans  ses  États»  Le  premier  mouvement  du  pontife  avait 
été  de  chasser  l'ambassadeur  de  Rome;  mais  il  avait  renoncé 
ensuite  à  cet  éclat  pour  ime  vengeance  plus  sérieuse  et  plus 
utile.  Décidé  à  soustraire  le  Samt-^ége  à  une  servitude  si 
intolérable  que  le  pape  avait  tout  à  craindre  dès  qu'il  refu- 
sait de  servir  l'ambition  et  les  fureurs  des  rois  d'Espagne,  il 
avait  formé  le  projet  de  leur  enlever  le  royaume  de  Naples, 
au  moment  de  la  mort  de  Philippe  II  :  à  cette  entreprise  11 
avait  destiné  les  sommes  immenses  qu'il  avait  amassées,  et 
l'alliance  de  la  France  qu'il  travaillait  plus  que  jamais  à  paci- 
fier. Son  légat  Gaétano  ayant  désobéi  à  ses  injonctions  et 
tardé  à  quitter  le  parti  de  la  Ligue,  il  avait,  au  mois  de  juin, 
annoncé  l'hitention  non  seulement  de  le  rappeler,  mais  même 
de  lui  faire  trancher  la  tète,  s'il  persistait  à  trahir  son  mandat. 
Peu  après  le  pape  avait  succombé  lui-même  à  une  rapide 
maladie,  le  27  août  1590.  Ce  fut  alors  le  bruit  commun  en 
Europe  que  Pliilippe  II  s'était  défait  de  Sixte-Quhit  par  le 
poison,  comme  il  s'était  débarrassé  du  prince  d'Orange  par 
un  assassinat.  La  nouvelle  de  cette  mort  arriva  à  Paris  le 
15  septembre.  Le  curé  de  Saint-André  l'annonça  en  chaire 
«  comme  un  des  grands  biens  et  miracles,  avec  celui  du  siège 
»  de  Paris,  que  Dieu  avoit  faits  entre  les  deux  Notre-Dames; 
>>  usant  de  ces  mots  :  que  Dieu  nous  avoit  délivrés  d'un 
»  meschant  pape  et  politique;  lequel,  s'il  eust  vescu  plus 
»  longuement,  on  eust  esté  bien  étonné  d'ouïr  prescher  à 
»  Paris  contre  le  pape,  et  toute  fois  qu'il  l'eust  fallu  faire  K  » 

•  Tbiwnu*,  I.  9$,  s  7,  tl.   «4.  17.  U  IV,  p.  S41,  951,  8»,  StiO;  1.   100, 


BREF  ET  MONITOIRES  DB  GRÉGOIRE  XIT.  93 

Philippe  II  avait  menacé  le  pape  de  la  guerre  et  de  la  dépo- 
sition, et  peut-être  Pavait  fait  périr,  dès  qu'il  Tavait  trouvé 
rebelle  à  ses  ambitieux  et  iniques  desseins.  Maintenant  telle 
était  Toraison  funèbre  que  le  clergé  ligueur  faisait  au  suc- 
cesseur de  saint  Pierre*  Voilà  quel  était  le  catholicisme  de 
ceux  qui  se  donnaient  pour  les  catholiques  par  excellence. 

Après  le  mort  de  Sixte-Quint,  Philippe,  par  les  intrigues, 
Targent ,  Tintimidation ,  se  rendit  si  pleinement  maître  du 
consistoire ,  que  ses  agents  écrivaient  aux  cardinaux  :  «  Sa 
majesté  ne  veut  pas  qu'un  tel  soit  pape  ;  elle  consent  qu'un 
tel  le  soit  :  elle  veut  qu'un  tel  obtienne  cette  dignité.  »  Au 
pontificat  éphémère  d'Urbain  VU,  succéda  celui  de  Gré- 
goire XIV,  le  5  décembre  1590.  Le  nouveau  pape,  créature 
des  Espagnols  et  entièrement  dévoué  à  leurs  intérêts,  se  dé- 
clara hautement  contre  Henri  IV,  et  l'attaqua  à  la  fois  avec 
les  excommunications  et  les  armées  ^ 

Le  12  février  1591,  le  jour  même  où  une  garnison  espa-  Brefei  baii«t 
gnole  entrait  dans  Paris,  le  pape  fit  une  véritable  déclara-  G^iéjSiïxîvr 
tion  de  guerre  à  Henri  et  à  tout  le  parti  royal,  par  un  bref 
qu*il  adressa  à  son  nonce,  le  cardinal  de  Plaisance^  et  qui 
ne  tarda  pas  à  être  publié  dans  le  royaume.  Le  1"  mars,  il 
donna  à  Rome  deux  bulles  monitoriales,  contenant  trois  par- 
ties principales.  Le  roi  était  frappé  de  nouvelles  censures, 
excommunié,  déchu  de  ses  royaumes  et  seigneuries  comme 
hérétique  et  relaps.  Les  archevêques,  évèques  et  autres  ec- 
clésiastiques, suivant  son  parti,  étaient  excommuniés  et  pri- 
vés de  leurs  bénéfices,  si  dans  quinze  jours  ils  ne  se  reti- 
raient de  l'obéissance  et  de  la  suite  de  Henri  de  Bourbon. 
Enfin,  la  noblesse,  les  parlements,  le  tiers-état,  étaient  som- 
més d'en  faire  autant  s'ils  ne  voulaient  encourir  l'indigna- 
tion  et  les  sévérités  du  pape.  Un  nouveau  nonce,  Landriano, 


t.  ▼.  —  p.  Gayet,  1.  Il,  p.  955,  S36.  «  Cette  morl(d«  Sixte-Qnlot),  odrenaé 
M  aises  sttbilement,  car  il  ae  fat  qae  deux  jours  malade,  ne  fat  sans  soupçon 
»  de  poison.  Quelques  uns  ont  dit  quMl  fut  empoisonne  en  ooTrant  une 
»  lettre  Tenanl  d^Espacne;  d*aalres  d'une  aatrr  ftçon.  »  Voir,  en  outre, 
P.  Cajel,  1.  m,  p.  377  B,  278.  —  M.  Hurauk  deuxième  discours,  fol.  lOi 
verso  «  Sîste-Quint  commença,  sur  la  fin  de  ses  jours,  à  devenir  un  peu 
»  plus  doux  et  à  e«couter  la  raison  :  aussi  ne  dura-t-ii  gitères  après,  » 
—  DupUssift.  Mémoires,  t.  IT,  p.  466,  467.  —  Lesloile ,  régis.  Jours,  de 
Henri  IV,  p.  54  B. 

'  P.  Cajet,  1.  H,  p.  S56  B  :  a  Su  magestad  no  guiere  guêNsea  papa  t 
s  s€  kolgarà  qae  W  le  eea  s  guUra  que  N  lo  tenga,  m  Voir  de  plus 
P.  Cayet,  I.  Il,  p.  965  B. 


9A  niSIOniB  DO  BÈGUfi  D8  flEHRt  tV. 

fut  envoyé  en  France  pour  répandre,  dans  les  diverses  villes 
du  royaume,  ces  bulles,  qui  furent  affichées  le  3  juin  aux 
portes  de  Notre-Dame. 
^"iiï?/*r1r  ^"  même  temps,  pour  justifier  les  paroles  dans  lesquelles 
il  annonçait  qu^il  fournirait  à  la  Ligue  et  aux  ennemis  de 
Henri  les  secours  spirituels,  temporels,  et  même  militaires , 
Grégoire  XIV  employait  les  trésors  amassés  par  Sixte-Quint 
à  lever,  en  Suisse  et  dans  le  Milanez,  dès  le  commencement 
de  mai,  une  armée  de  9,000  hommes,  qui  devait  entrer  en 
Ftance.  Si  Tantorité  exercée  par  le  pape  sur  tous  les  ordres, 
mais  principalement  sur  le  clergé,  les  détadiait  de  la  cause 
du  roi  ;  si  Tarmée  pontificale  venait  se  joindre  à  la  grande 
coalition  des  Ligueurs,  des  Lorrains,  des  Savoyards,  des 
Espagnols,  le  pape,  selon. toute  apparence,  disposait  alors 
plus  littéralement  du  trône  de  France  qu'il  n'avait  disposé 
des  couronnes  à  aucune  époque  du  moyen  âge.  Le  danger 
était  immense. 
Arréis  Les  parlements  avaient  à  sauver  le  parti  du  roi  d'une 

'^de^^cbiiTu^'  grande  défection,  et  à  garantir  l'indépendance  nationale  me- 
«id«  Tourte  nacée.  Dominés  par  la  gravité  des  intérêts  à  défendre,  par 
la  nécessité  d'opposer  des  moyens  de  résistance  égaux  à  l'at- 
taque, dans  l'ardeur  de  la  lutte  ou  plutôt  de  la  guerre.  Ils  ne 
choishent  pas  les  armes,  ils  prirent  toutes  celles  qui  se  trou- 
vèrent sous  leur  main.  Ils  cessèrent  de  considérer  le  pape 
comme  chef  de  la  chrétienté  ;  ils  ne  virent  plus  en  lui  qu'un 
souverain  étranger,  qu'un  ennemi  joignant  à  la  puissance 
temporelle  l'autorité  morale  et  spirituelle,  plus  redoutable 
encore.  Us  s'appliquèrent  &  en  neutraliser  les  effets,  à  tout 
prix,  par  la  vigueur,  par  la  violence  même  des  mesures  de 
répression  adoptées  contre  le  pontife  et  contre  son  nonce. 
Le  parlement  de  Gbâlons  >,  sans  attendre  les  ordres  da  rtrf, 
ouvrit  le  feu  de  la  défense  par  un  premier  arrêt  rendu  le 
10  juin  1591.  La  convenance  exige  que  l'on  supprime  les 
termes  de  ces  arrêts  :  U  suffit  d'en  rapporter  les  dispositions. 
Le  parlement  recevait  le  procureur  général  appelant  comme 
d'abus  des  exconununlcatloDs  et  fulminations  lancées  &  Rome 

•  Vê  parlement,  tflabU  provboIreaiOTit  ft  Gbilons.  était  compoW  i*ao 
ctriain  nombre  de  ma|ittreU  du  parUment  de  Tours,  ddldgiiét  a  ChâloM 
pear  ttaétt  la  )iistlee  ans  haldlaata  ronmx  de  la  Chaanpane,  qui,  au 
«Utoa  de  U  f  uam  eltUa,  tm  troamlnt  dasa  l*lin|ioiilbllUë  le  et  rtsd 
àToan. 


DÉCLARATION  DE  L^GLISS  D8  niAlfCB.  OS 

contre  le  roi  :  il  lui  donnait  acte  de  son  appel  an  futur  con- 
cile de  rélectlon  de  Grégoire  XIV.  L'arrêt  déclarait  les  bulles 
monitorlales  du  pape  nulles  et  abusives;  défenses  étalent 
feites  aux  ecclésiastiques  et  à  toutes  autres  personnes  d*y 
obéir,  de  les  conserver  même,  à  peine  d^être  traités  comme 
criminels  de  lèse-majesté.  Le  légat,  entré  dans  le  royaume 
sans  permission  du  roi,  était  décrété  de  prise  de  corps  ;  qui- 
conque le  recevrait  ou  le  logerait  serait  puni  de  mort. 

Henri  se  conduisit  en  roL  Au  lieu  de  se  mesurer  corps  à  ^^^  «^k  '<**• 
corps  avec  le  pape  et  avec  le  légat,  au  lieu  d*engager  avec  eux 
une  guerre  d'édlu  et  d^ordonnances.  Il  s*appliqna  à  défendre 
l^ndépendance  et  Tintégrité  du  territoire,  les  pouvoirs  et  le 
droit  public  du  royaume.  Dans  son  éditdu  à  Juillet,  il  établit 
Jusqu*à  TéTidenceles  vérités  suivantes.  Par  suite  du  pacte  con- 
clu entre  les  Guises,  les  Lorrains,  les  Savoyards,  les  Espagnols, 
la  France  devenait  pour  eux  une  proie  qu'ils  déchiraient  et 
se  partageaient  La  guerre  faite  à  Henri  était  une  guerre 
d^ambitlon,  non  de  religion  :  la  religion,  mise  en  avant  par 
ses  ennemis,  n'était  qu'un  prétexte  pour  couvrir  leurs  convoi* 
tlses,  un  instrument  pour  satisfaire  leur  avidité  S  puisque 
dès  le  premier  Jour  de  son  règne  11  s'était  engagé  à  mainte- 
nir le  catholicisme  ;  que,  depuis  lors,  son  soin  constant  avait 
été  de  le  protéger  dans  ses  croyances  et  dans  son  exercice, 
comme  le  prouvait  la  notoriété,  comme  le  proclamait  la  voix 
publique;  que  les  oi&ciers  de  la  couronne,  les  ministres, 
les  conseillers  d'État,  les  gouverneurs  de  provinces  et  de 
vides  et  leurs  lieutenants,  en  un  mot  les  dépositaires  des 
pouvoirs  publics  aux  divers  degrés,  étaient  presque  sans  ex- 
ception catholiques.  Sans  négliger  d'éclairer  et  de  convaincre 
les  esprits,  le  roi  sentit  que  des  actes  surtout  étaient  néces- 
saires. Pans  ce  même  édit,  il  prit  de  nouveau  le  solennel 
engagement  de  maintenir  le  catholicisme,  de  lui  donner 
toute  sûreté  et  garantie.  11  promit  de  se  soumettre  à  la  déci- 

■  «  Ils  ont  àhuté  du  ••Int  nom  de  rtlîgion  pour  conrrir  lenr  inantiabla 
»  •mbition....  Il  n'y  «  si  simple  qui  ne  voye  que  le  fiiit  de  lu  religion  dont 
»  ils  s'arment  le  plus,  c\'St  de  qnoy  U  t^egil  le  moins.  Les  ligues  et  as- 
m  sodations  quils  ont  fiiictes  pour  l'inTosion  de  ce  royaume  avec  le  roy 
•  d*Eapegne,  les  ducs  de  Savoie  el  de  Lorraine;  le  portage  de  loule  l'usur- 
»  paliun  faite  et  h  fiiire,  qui  est  conclu  entre  eux',  fémoîgueut  asses  que  ce 
m  tronble  n'est  qu'wae  laelion  d'Estal  ;  outils  ne  tiennent  ceste  guerre  qu*eB 
»  traite  et  en  commerce,  nonr  j  profiter  Mulemant*  »  (Eec«iaii  des  aacé 
lois  franc.,  t.  ZV,  p.  15,  lé.) 


Déclaration   d« 

rÉgllM 
de  France  m> 

wmblëa 
àCbaitra. 


96  RISTOIRB  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

Mon  d\in  concile  libre  ou  d*une  notable  assemblée,  en  ce 
qui  concernait  sa  propre  religion*  Il  renvoya  aux  parlements 
et  au  clergé  de  France  les  bulles  du  pape  pour  en  faire  jus- 
tice ,  dans  tout  ce  qui  attentait  à  Tindépendance  nationale  et 
aux  libertés  de  TÉglise  gallicane.  Par  un  second  édit  du 
même  mois,  il  réublit  Tédit  de  Poitiers  de  1577,  et  abolit 
tous  ceux  que  les  violences  de  la  ligue  avaient  arrachés  plus 
tard  à  Henri  III.  La  conséquence  de  ces  dernières  mesures 
était  à  la  fois  l'annulation  des  actes  qui  avaient  porté  atteinte 
à  ses  droits,  et  la  réintégration  des  calvinistes  dans  la  liberté 
de  conscience  et.  du  culte  la  plus  étendue  qu'ils  eussent  ja- 
mais obtenue.  C'était  un  grave  avertissement  donné  à  tous 
que- dans  là  conjuration  des  diverses  puissances  catholiques 
contre  le  roi,  il  lui  fallait  bien  chercher  un  point  d'appui  du 
c6té  de  la  réforme;  cela  donnait  à  penser  pour  l'avenir. 

Le  pariement  de  Tours  enregistra  ces  édits  par  arrêts  en 
date  des  5  et  6  août.  U  adopta  tontes  les  conclusions  et  toutes 
les  dispositions  de  l'arrêt  du  parlement  de  Ghâlons,  et  il  en 
joignit  une  particulière  contre  la  cour  de  Rome.  U  défendit 
de  s'adresser  à  cette  cour  à  l'effet  d'en  obtenir  aucunes  bulles 
ou  provisions  pour  les  dignités  ecclésiastiques;  intima  aux 
juges  de  n'avoir  aucun  égard  à  celles  qui  pourraient  être  ob- 
tenues ;  ordonna  aux  banquiers  et  autres  personnes  de  ne 
porter  aucun  argent  à  Rome,  le  tout  sous  peine  du  crime  de 
lèse-majesté.  C'était  un  coup  sensible  porté  à  la  fois  à  l'au- 
torité et  aux  finances  du  pape. 

Le  parlement  de  Paris  essaya,  mais  vainement,  d'infirmer 
l'autorité  des  arrêts  des  parlements  de  ChMons  et  de  Tours 
par  celui  qu'il  rendit  le  25  août.  L'opinion  publique  distin- 
guait entre  les  soixante-dix-huit  membres  du  parlement 
Brisson,  dominés  par  les  Seize,  et  les  deux  cents  membres 
du  parlement  de  Tours:  elle  mettait  une  plus  profonde  diffé- 
rence encore  entre  la  légitimité  des  deux  causes. 

Après  les  parlements  dévoués  à  la  cause  nationale  et  & 
l'ordre,  l'Eglise  gallicane  parla,  et  aucune  voix  n'osa  s'élever 
cette  fois  contre  ses  décisions. 

Les  prélats  des  diverses  provinces  attachés  au  parti  royal 
choisirent  comme  représentants  et  déléguèrent  un  certain 
nombre  d'entre  eux,  cardinaux,  évêques,  abbés,  membres 
des  chapitres,  pour  répondre  à  l'appel  contenu  dans  Tédit  du 


DéCLARATION    DE  L'ÉGLISE    DR  FRANCE.  97 

roi,  et  prendre,  au  nom  de  TÉglise  de  France ,  les  décisions 
rédamées  par  les  circonstances.  Ces  prélats  s'assemblèrent 
d*ai)ord  à  Mantes,  ensuite  à  Chartres,  et  signèrent  le  21  sep- 
tembre mie  déclaration  dans  laquelle  ils  surent  ailler  admi- 
rablement le  respect  filial  des  fidèles  pour  le  chef  de  la  reli- 
gion, avec  les  sentiments  et  les  devoirs  de  Français.  L*histoire 
doit  fidèlement  la  reproduire  pour  Tinslruction  de  tous  les 
temps. 

c  Advertis  que  noslre  Saint  Père  le  pape  Grégoire  XIV,  à  présent 
séant,  mal  informé  de  Testât  de  ce  royaume,  auroit  esté,  par  les 
pratiques  et  artifices  des  ennemis  de  cest  Estât,  persuadé  d'en- 
voyer quelques  monîtions,  suspensions,  interdits,  excommunica- 
tions, tant  contre  les  prélats  et  ecclésiastiques,  que  contre  les 
princes,  nobles  et  peuples  de  France,  qui  ne  vouloient  adhérer  à 
leur  faction  et  rébellion, 

»  Après  avoir  conféré  et  meurement  délibéré  sur  le  fait  de  ladite 
bulle,  avons  reconnu  par  Tautorité  de  TËcriture  sainte,  des  saints 
décrets  et  conciles  généraux ,  constitutions  canoniques,  exemples 
des  saints  Pères  dont  Tantiquité  est  pleine;  droits  et  libertés  de 
l'Église  gallicane^  desquels  nos  prédécesseurs  évéques  se  sont  tou- 
jours prévalus  et  défendus  contre  pareilles  entreprises;  enfin  par 
Pimpossibilité  de  Texécutlon  de  ladite  bulle,  pour  les  inconvé- 
nients infinis  qui  en  ensoivroient  au  préjudice  et  ruine  de  nostre 
religion  '; 

•  Que  lesdits  monitoires,  interdictions,  suspensions  et  excom- 
munications, sont  nuls,  tant  en  la  forme  qu^en  la  matière,  injustes 
et  suggérés  par  ta  malice  des  estrangers  ennemis  de  laTranee^ 
et  qa*ils  ne  peuvent  obliger  ny  nous,  ny  autres  François  catho- 
liques estant  en  Tobéissance  du  roy. 

»  Dont  noas  avons  jugé  estre  de  notre  devoir  et  charge  de  vous 
•dvertir,  comme  par  ces  présentes  (sans  entendre  rien  diminuer 
de  rhonneur  et  respect  deu  à  nostre  Saint  Père),  vous  en  advertls- 
ioos,  le  signifions  et  déclarons,  afin  que  les  plus  infirmes  d'entre 
vous  ne  soient  circonvenus,  abusez  ou  diverliz  de  leur  debvoir  en- 
vers leur  roy  et  leurs  prélats,  et  pour  lever  en  cela  tout  scrupule 
de  conscience  aux  bons  catholiques  et  fidèles  François. 

>  Nous  réservant  de  représenter  et  faire  entendre  à  nostre  Saint 

■  Les  ëvéfpi«f  assemblés  àt  Chartres  coiDprenncDtqne  le  plus  sûr  moyen  de 
propeger  le  calvinisme  en  France,  de  lui  donner  des  adhérents  nouveaux  et 
plus  nomhrenx,  est  de  rendre  le  calbolicisme  odieux  en  le  faisant  servir 
•nx  desseins  ambitieox  des  étrangers,  des  Guises,  princes  lorrains,  et  de 
rEspegnol  Philippe  11.  L*édil fis forabi eaux  protestants  que  le  roi  vient  de 
rendre,  poossé  par  la  nécessité  de  se  donner  de  nouveaux  défenseurs,  est 
on  antre  svertieiemant  poar  les  prélats, 

7 


98  HISTOIRE  DU  RÈGltB    DE  HBIini    IT. 

Père  la  jastiee  de  nostre  cause  et  nos  saintes  intentions,  et  rendre 
8a  Sainteté  satisfiiite,  de  laquelle  nous  noas  devons  promettre  la 
même  réponse  que  flt  le  pape  Alexandre  à  rarchevesque  de  Ra- 
▼ennes  :  c  Nom  porterons  patiemment  quand  tous  n'obéirez  à  ce 

•  qui  nous  aura  esté,  par  mauTalses  impressions,  suggéré  et 

•  persuadé.! 

»  Cependant  nous  admonestons  au  nom  de  Dieu  tous  ceux  qui 
font  profession  d^estre  ciu^tiens,  vrais  catholiques  et  bons  Fran* 
cols,  et  pareillement  ceux  de  nostre  profession,  de  joindre  leurs 
Tœux  et  leurs  prières  aux  nostres  pour  impétrer  de  sa  divine  bonté 
qu'il  lui  plaise  illuminer  le  cœur  de  nostre  roy,  et  le  réunir  à  son 
Église  catholique,  apostolique  et  romaine,  comme  il  nous  en  a 
donné  espérance  dès  son  avènement  à  la  couronne,  et  promis  par 
ses  déclarations  ;  et  que  nous  soyons  si  heureux  de  voir  TÊglise 
catholique,  apostolique  et  romaine,  et  ce  royaume,  fleurir  comme 
auparavant  par  une  bonne  et  sainte  paix.  « 

La  plus  grande  publicité  fat  donnée  à  cette  déclaration. 
Tous  les  curés  et  vicaires  eurent  ordre  d'en  faire  afficher 
copie  à  la  porte  de  leurs  églises,  et  de  la  publier  aax  prônes  ^ 

Les  temps  de  révolution  demandent  aux  citoyens,  pour  le 
salut  commun,  de  Textraordinalre,  des  prodiges.  Un  grand 
sens,  une  merveilleose  sagacité,  une  fermeté  à  toute  épreuve, 
sachant  appeler  des  décisions  de  la  plus  imposante  autorité 
au  droit  et  à  la  justice,  éclatent  dans  ces  actes  de  TÉglise  de 
France  et  des  parlements.  Il  ne  fallait  rien  moins  que  ces 
eHorta  de  raison  et  de  vertu ,  combinés  avec  le  courage  et 
la  politique  si  fertile  en  ressources  du  prince,  pour  sauver  le 
pays,  en  maintenant  dans  un  certain  nombre  de  provinces 
et  au  centre  de  la  France  un  parti  national  qui  pût  regagner 
plus  tard  le  terrain  qu'une  force  supérieure  et  des  circon- 
stances contraires  lui  enlevaient  maintenant.  En  effet ,  aux 
extrémités  du  royaume,  Tinvasion  étrangère  faisait  chaque 
jour  de  nouveaux  progrès ,  gagnant  de  proche  en  proche, 
tandis  qu'une  détestable  conspiration  s'ourdissait  à  l'inté- 
rieur, et  devait  livrer  à  l'Espagnol  tous  les  pouvoirs  publics. 

'  Po«r  let  pcngniphet,  depvis  la  page  9f  *  voir  dam  les  anelennei  Lois 
française!,  t.  XT,  p.  19.  tt-t?,  Si,  Si.  la  t«1e  d'uoe  parUe  des  bulles da 
i*t  nart,  en  rectifiant  la  date  erronée  de  1500.  et  en  y  tubaUiuanl  1S9I  ; 
le  texte  des  denx  édits  du  roi,  de  l'niTêt  du  parlement  de  Tours,  de  la  dtf- 
daraUou  dn  dergd  de  France.  Voir  dans  les  Mémoires  de  la  Ligne, 
I.  IV.  p.  Se9,  370,  le  lexle  de  l'arrêt  du  parlement  de  Cbâlona.  Voir  en 
oalre  P.  Caj  et,  L  lu,  p.  SH  B,  fTS,  t79,  M9-S99.  —  Leatolle,  p.  S6  ▲,  69. 


PROGRÈS  DE  t^mTASIOIf  ÉTRANGÈRE. 


99 


nord 
de  lu  France. 


CHAPITRE  IV. 

Progrès  de  rinvasion  élrancère.  Coatpiration  des  Sette  pour  ruiner  Tordre 
publie  et  pour  livrer  le  ruyaume  à  Philippe  II.  Le  tiers-parti. 

Moitié  par  le  consentement  de  Mayenne  et  da  parlement  progrès  dp  rin 
Brisson,  que  la  tentative  du  roi  sur  E^ria  avait  épouvantés,      .  ^"V^*^ 

f'trunaère  au 

moitié  par  ruse,  les  ministres  de  I^ilippe  II  introduisirent 
dans  Riris,  le  12  février,  une  garnison  de  A,000  Espagnols 
et  Napolitains.  A  la  même  époque  ils  en  placèrent  une  auure 
dans  Meaux.  Au  mois  d'avril,  le  Ligueur  Colas,  qui  leur  était 
vendu,  tua  en  trahison  le  marquis  de  Maignelay,  gouverneur 
de  la  Fère,  autre  Ligueur,  mais  ennemi  de  la  domination 
étrangère,  s'assura  le  commandement  de  la  place,  et  prépara 
tout  pour  la  livrer  aux  lieutenants  de  Philippe  II,  dans  le  cas 
où  ils  ne  pourraient  l'obtenir  par  une  autre  voie.  Pendant  le 
mois  de  décembre  de  cette  année,  le  duc  de  Parme  refusa 
de  conduire  une  nouvelle  armée  au  secours  de  la  Ligue, 
jusqu'à  ce  qu'il  eût  arraché  à  Mayenne  l'abandon  de  la  Fère. 
U  promit,  il  est  vrai,  par  écrit  de  la  lui  remettre  à  sa  pre- 
mière réquisition  ;  mais  il  se  joua  de  cet  engagement,  comme 
on  devait  s'y  attendre.  A  peine  entré  dans  la  ville,  il  y  mit  une 
forte  garnison,  et  bâtit  une  citadelle  pour  tenir  les  habitants 
dans  la  sujétion.  Ainsi  une  route  était  frayée  aux  armées  espa- 
gnoles depuis  les  frontières  de  la  Flandre  jusqu'au  centre  du 
royaume;  des  étapes  leur  étaient  préparées  sur  cette  route; 
des  villes  fortes  leur  étaient  livrées,  à  peu  près  de  dix  lieues 
en  dix  lieues,  le  tout  par  Mayenne  et  la  Ligue.  Mais  ces  hon- 
teuses concessions  de  leur  part,  ces  progrès  de  l'ennemi , 
soulevèrent  les  cœurs  d'indignation  et  de  dégoût,  même  dans 
les  centres  de  la  révolte.  A  Paris,  la  présence  de  la  garnison 
étrangère  augmenta  le  nombre  des  politique$,  qui  crièrent 
bien  haut  que  les  Français  se  donnaient  lâchement  aux 
Espagnols  <• 

Au  midi  du  royaume,  le  duc  de  Savoie  étendit  l'invasion 
déjà  commencée  en  Provence.  Aidé  par  ses  partisans,  ceux 
de  la  comtesse  de  Sault  et  l'or  du  roi  d'Espagne,  il  s'empara 
de  l'importante  ville  de  Marseille  (2  mars).  Berre,  dans  le 

■  p.  Giyet,  1.  lu,  p.  965,  tSS.  —  LestoUe,  p.  44  A,  B,  81 B.  —  De  Thon, 
t.  eu,  GUI,  tradnct.,  t.  Xi,  p.  460,  47U.  —  Promeite  du  princ*  de  Parme, 
pour  la  Fère,  dans  les  Hëm.  de  Dupteasis,  t.  ▼,  p.  198. 


Eu  Provence. 


iOO  BISTOIRB  DO  RÈGNE  D£  HENRI  IT. 

voisinage  d*Aix,  lai  fut  rendue  quelque  temps  après,  et  il 
domina  alors  sur  tout  le  midi  de  la  Provence.  La  partie  sep- 
tentrionale ,  de  beaucoup  la  moins  importante,  fut  conservée 
à  la  France  par  le  gouverneur  royal  Lavalette  et  surtout 
par  I^sdiguières.  Lesdiguières  avait  réduit  Grenoble  à  capi- 
tuler le  22  décembre  1590,  et  après  cette  conquête  établi  le 
parti  royal  dans  la  presque  totalité  du  Dauphiné.  Ce  résul- 
tat obtenu,  11  s*était  porté,  au  commencement  dePannée  1591, 
au  secours  de  Lavalette.'  Le  U  avril,  ils  opérèrent  leur  jonction, 
et  dans  les  combats  des  15,  16  et  17,  ils  tuèrent  ou  firent  pri- 
sonniers, à  Esparron  de  Palières,  trois  mille  Savoyards  et 
Provençaux  ligueurs.  Le  duc  de  Savoie  essaya  de  reporter  la 
guerre  sur  le  territoire  de  son  principal  ennemi ,  et  il  envoya 
une  armée  de  buit  mille  hommes  envahir  le  Dauphiné  et 
attaquer  Grenoble;  mais  ses  troupes  furent  vaincues,  le 
48  septembre,  à  Pontcharra,  dans  la  vallée  de  Graisivaudan. 
Deux  mille  cinq  cents  soldats  restèrent  sur  la  place,  et  tout 
ce  qui  ne  périt  pas  fut  mis  en  déroute.  Les  deux  victoires  de 
Lesdiguières  avaient  affranchi  le  Dauphiné  et  conservé  an 
parti  du  roi  le  nord  de  la  Provence.  Il  n*en  restait  pas  moins 
que  le  duc  de  Savoie  avait  envahi  toute  la  partie  méridionale 
de  cette  province,  et,  en  s*emparant  de  Marseille,  s'était  saisi 
de  Tune  des  quatre  villes  les  plus  importantes  de  France,  de 
son  meilleur  port  sur  la  Méditerranée,  du  tiers  environ  de 
son  commerce  extérieur  '. 
Eu  Brciafne.  A  l'occldent  du  territoire,  en  Bretagne,  les  pertes,  quoi- 
que moins  considérables,  furent  encore  très  sensibles. 
Pour  prix  du  secours  de  quatre  mille  hommes  qu*i\  four- 
nissait à  Mercœur,  Philippe  II  se  fit  céder  par  lui  le  port 
et  la  ville  forte  de  Blavet.  Henri  redoubla  d'efforts  pour 
chasser  Tennemi.  Il  dirigea  sur  ce  point ,  outre  un  corps 
d'Allemands,  tous  les  auxiliaires  que  lui  fournissait  Elisabeth, 
presque  aussi  intéressée  que  lui  à  ce  que  l'Espagnol  ne  prît 
pas  pied  en  Bretagne,  en  face  de  l'Angleterre.  Il  donna  pour 
conseil  au  jeune  prince  de  Dombes,  et  pour  chef  à  ces  troupes 
et  h  la  noblesse  bretonne,  Lanoue,  dont  les  talents  et  Tex- 

■  Téritiible  diicours  de  la  iiéraile  de  Tarmee  rebelle  uu  roi  en  ProTenot, 
ftite  par  celle  de  Sa  Majesté,  à  Ei|iarron  de  Palières.  —  Discoart  de  Ift 
def.tiUde  l'armée  du  duc  de  Safoîe.  fuite  par  le  tiear  Lesdicuières  eu  la 
plaim*  de  Pont-r.hiirra,  dans  Ici  Mém.  de  la  Ligue,  t.  ir,  p.  W4<398,  627* 
4ÏXi.  —  P.  Cayei,  1.  Ut,  p  t7f,  173,  308,  306. 


COlfSPIRATlON  DES  SEIZE  A  PARIS.  lOl 

périence  promettaient  les  plus  heureux  succès.  Mais  Lanoue 
fut  tué  au  siège  de  IjamtKiIle.  La  mort  de  ce  chef  illustre 
arrêta  tontes  les  opérations  décisives  à  la  fin  de  cette  année, 
et  prépara  le  grand  revers  qui  devait  bientôt  nous  frapper 
en  Bretagne  ^ 

Dans  les  projets  de  Philippe  II  pour  l'Invasion  de  la  France 
tout  se  liait.  L'occupation  de  plusieurs  grandes  villes  et  d'une 
partie  du  territoire  de  quatre  provinces,  la  présence  surtout 
de  ses  années  et  de  celles  de  son  gendre  en  Provence,  en 
Languedoc,  en  Bretagne,  dans  l'Ile-de-France,  en  Picardie, 
devaient  concourir,  avec  un  grand  effort  fait  par  ses  partisans 
et  ses  sicaires,  au  centre  même  de  la  Ligue,  pour  lui  livrer 
tous  les  pouvoirs  publics  et  la  souveraineté,  après  que  l'on 
aurait  tout  au  moins  dégradé  Mayenne  et  le  Béarnais,  si  l'on 
ne  parvenait  à  s'en  défaire. 

Les  Seize  et  le  clergé  de  la  Ligue  à  Paris,  vendus  à  Phi-    Conspirai  ion 
lippe  II ,  conspirèrent  pendant  tout  le  cours  de  cette  année  en     «f  du^lrgê 
sa  faveur.  Le  résultat  final  du  complot  était  de  rétablir  roi,  lui  Usnour  à  Pfns. 
ou  sa  fille.  Les  moyens  successifs  d'exécution  furent  l'excita- 
tion d^une  fureur  fanatique  et  sanguinaire  chez  le  peuple,  la 
tentative  d'enlever  à  Mayenne  ses  pouvoirs  par  une  mesure 
d'administration  publique,  un  engagement  solennel  pris  avec 
le  roi  catholique,  Tenvahissement  du  pouvoir  judiciairei 
Tosurpation  de  l'autorité  et  de  la  force  armée  communale, 
l'établisseinent  d'un  pouvoir  dictatorial ,  l'essai  d'un  massacre 
général  de  tous  les  citoyens,  ligueurs  ou  non  ligueurs,  qui 
rejetaient  la  domination  espagnole. 

Dès  le  13  mars,  les  prédicateurs  de  la  Ligue  commen-  PrëdicBiion» 
cèrent  à  jeter  dans  l'esprit  du  peuple  les  idées  de  massacre  '''"C"""  *'**-''• 
et  de  pillage,  les  maximes  de  révolte  contre  tous  les  pouvoirs, 
dont  Us  voulaient  l'empoisonner,  u  Boucher,  qui  preschoit  le 
carême  à  Saint-Oermain  rAuxerrois,s'estant  mis  sur  le  Béar* 
nois  e^les politiques^  dit  qu'il  falloit  tout  tuer  et  exterminer  ; 
que  desjà,  par  plusieurs  fois,  il  les  avoit  exhortés  à  ce  faire, 
mais  qu'ils  n'en  tenoient  compte  ;  dont  ils  se  pourraient  bien 
repentir.  U  dit  qu'fi  estoit  grandement  temps  de  mettre  la 
main  &  la  serpe  et  au  couteau ,  et  que  jamais  la  nécessité  n'en 
avoit  esté  si  grande...  U  ne  prescha  que  sang  et  boucherie, 

■  p.  Cayel,  l.   lu, p.  300,301.  "  Thnuous,!.  ai,  traduclion,  L  xi» 
P.30CM0B. 


102  RI8T01RK  DO  RÈGIIE  DB  UBlIllI  IV. 

mesme  contre  ceux  de  la  cour  et  de  la  justice,  qu'il  cridt  ne 
rien  valoir  du  tout;  excitant  le  peuple  par  gestes  et  paroles 
atroces  à  leur  courir  sus  et  ft  s'en  défaire...  11  dit  aussi  qu*il 
eust  voulu  avoir  tué  et  estranglé  de  ses  deux  mains  ce  chien 
de  Béamois  ;  et  que  c'estoit  le  plus  plaisant  et  agréable  sa* 
crifice  qu'on  eust  sçu  faire  à  Dieu  K  » 

n  faut  bien  remarquer  que  parmi  les  politiqueê  Boucher 
comprenait  le  parlement  Brisson,  qui  alors  même  frappait 
de  ses  arrêts  le  roi  et  son  parti  ;  que  par  conséquent  il  proscri* 
valt  non  seulement  les  partisans  secrets  de  Henri ,  mais  aussi 
les  partisans  de  Mayenne  et  de  la  Ligue  française,  en  un  mot, 
tous  ceux  qui  faisaient  obstacle  à  l'usurpation  de  l'étranger. 
Mayenne,  au  lien  de  réprimer  les  prédicateurs,  voulut  con* 
server  auprès  d'eux  une  misérable  popularité  :  sur  leurs 
clameurs  il  exila  presque  toute  la  cour  des  comptes  de 
Paris  (i"  avril)  2.  Cette  Iflcheté  devait  accroître  et  accrut 
leiv  audace.  Dès  lors,  et  jusqu'à  la  mi-novembre,  c'est-à- 
dire  pendant  plus  de  sept  mois,  les  chaires  de  toutes  les 
églises  de  Paris,  excepté  quatre,  retentirent  chaque  dimanche, 
chaque  jour  de  fête,  de  déclamations  furibondes  qui ,  sous 
prétexte  que  la  religion  était  en  pérU ,  poussaient  les  masses 
à  une  guerre  d'extemdnation  contre  le  roi  et  contre  la  bour- 
«geoisie  de  Paris  tout  ensemble.  D'une  part  le  ridicule  et 
Todieux  'étaient  répandus  sur  la  naissance,  la  personne,  l'au- 
torité et  la  religion  du  roi  ;  d'un  autre,  le  peuple  était  excité 
à  se  jeter  comme  une  bête  féroce  sur  des  classes  entières  de 
citoyens,  qu'on  désignait  à  sa  vengeance  et  à  son  avidité. 
Tout  cela  était  exprimé  dans  un  langage  que  Ton  ne  parle 
que  dans  les  mauvais  lieux,  et,  dans  le  bagne,  parmi  les  assas- 
sins. Jamais,  depuis  sa  naissance,  la  religion  n'avait  été  si 
déshonorée.  Une  sorte  d'émulation  s'établit  entre  les  prédi- 
cateurs à  qui  irait  le  plus  loin  dans  cette  voie  ;  et  Boucher, 
iiose,  Aubri,  Lucain,  Gneilly,  Gommelet  acquirent  alors  une 
odieuse  célébrité,  que  l'histoire  leur  conserve,  et  leur  inflige 
«ajoord'hui  comme  châtiment  '. 
Àiuf|u«  £q  niinant  de  tout  leur  pouvoir  la  fortune  du  roi ,  les  Seixe 

Mayenne,      n'avaicut  BCCompU  que  la  moidé  de  leur  tflche  :  il  allait  dé- 

'  Leftoile,  Tao  des  auditenn  de  Boucher,  Repttre  louroal,  p.  45  A. 

•  Lettoile,  p.  47  A. 

'  Lettoile,  Registre  fonrnel,  de  la  page  45  B  &  la  page  6<>,  passim. 


ATTAQUE  DES  SEIZE  CONTRE  MAYENNE.      103 

traire  aussirautoritédeMayenne  pour  faire  place  àla  souverai- 
neté unique  du  roicattiolique.  Les  Seize  y  traTaillaient  avec  ar- 
deur. Ainsi  la  révolte  s'en  prenait  audadeusement  à  Mayenne, 
révolté  lui-même  contre  Henri  III  et  contre  Henri  IV  :  c'est 
Tétemelle  histoire  des  révolutions  et  des  factions.  Dès  que 
les  Seize  se  sentirent  appuyés  par  la  garnison  espagnole  en- 
trée dans  Paria«  ils  présentèrent  au  lieutenant  général,  à  la 
Gn  de  février,  une  requête  et  des  mémoires  tendants  aux  fins 
suivantes  :  V  Le  conseil  de  TUnion  devait  être  rétabli  et 
renouvelé.  Par  suite  de  la  nouvelle  composition,  tous  les  paiv 
tisans  de  Mayenne,  tous  les  membres  des  notables  familles  de 
la  Ligue  devaient  en  être  exclus,  et  faire  place  aux  prédlca* 
teurs  séditieux,  aux  hommes  de  la  lie  du  peuple  ou  à  leurs 
représentants.  Gomme  les  actes  législatifo  auraient  été  rendus 
et  les  intérêts  généraux  de  la  [Jgue  décidés  en  grande  partie 
par  ce  conseil ,  Mayenne  devait  s'attendre  à  voir  un  pouvoir 
rival  surgir  contre  son  pouvoir,  et  commencer  contre  lui  une 
guerre  de  tous  les  moments.  T  Tous  les  citoyens,  convaincus 
d'avoir  favorisé  l'ennemi ,  même  par  une  con;imunication  ou 
un  avertissement  quelconque,  devaient  être  déclarés  héréti- 
ques et  traités  comme  tels  :  leurs  biens  confisqués  seraient  ap- 
pliqués aux  besoins  de  la  ville,  ou  partagés  entre  ceux  qui  en 
seraient  dignes.  3"  Leur  innocence  ou  leur  culpabilité  serait 
prononcée  non  par  le  parlement  de  la  Ligue,  par  les  Juges  or- 
dinaires ,  mais  par  un  tribunal  rdvolutio/inaire ,  composé  de 
commissaires  bons  catholiques  et  bien  pensants.  D'où  11  ré- 
sultait que  tous  les  adversaires  de  la  domination  espagnole, 
tous  les  partisans  à  un  degré  quelconque  de  Mayenne,  men- 
teusement  déclarés  royalistes,  seraient  atteints  par  cette  loi 
des  suspects,  enveloppés  dans  cette  proscription.  Mayenne  ne 
pouvait  accueillhr  ces  propositions  sans  abdiquer  :  il  les  re- 
poussa avec  indignation  à  la  un  de  février,  et  une  seconde 
fois  au  mois  de  septembre,  quand  les  Seize,  se  prévalant  de 
l'évasion  du  jeune  duc  de  Guise ,  arrivée  au  mois  d'août,  et 
de  l'approbation  que  ce  jeune  ambitieux  donnait  k  leurs  pro- 
jets, eurent  l'audace  de  les  représenter  au  lieutenant  général 
dans  la  ville  de  Réthel  K  Ne  pouvant  obtenir  de  Mayenne 
qu'il  se  suicidât  par  une  complaisante  adhésion,  ils  résolu- 
rent de  le  faire  périr  par  les  mains  du  peuple,  au  milieu 

'  Le  lexlediiDi  P.  Cuyei,  1.  m,  p.  963  t65.— l«flitoU«,  SuppUmeat,  p.  68. 


lOA  HISTOIRE  DO  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

d*un  mouvement  insurrectionnel  général ,  que  les  sermons 
provoquaient  chaque  jour. 
LttUr«de«  SeîM      Quaod  les  coDJurés  crurent  le  peuple  disposé  à  leur  prêter 

cierge  liKurar    ^"^  ^^  P^^''  '®  renversement  de  Mayenne  et  le  massacre 
de  Paris       de  la  bourgeoisie,  quand  ils  le  supposèrent  enivré  des  passions 

m  PiitUppe  II.  ^^  ^^  l'esprit  de  désordre,  au  point  de  ne  pas  voir  ou  d'ac- 
cepter les  extrémités  auxquelles  on  Tentralnait,  ils  commen- 
cèrent Texécution  de  leur  secret  projet  par  un  acte  décisif^ 
Us  étaient  favorisés  par  Tabsencede  Mayenne,  alors  retenu 
par  les  soins  de  la  guerre  en  Champagne  et  en  Picardie. 

Les  plus  autorisés  des  Seize  entre  les  laïques  et  les  ecclé- 
siastiques, au  nombre  desquels  on  comptait  Martin,  docteur 
en  théologie.  Sanguin ,  chanoine  de  TËglise  de  Paris,  Gêné- 
brard,  qui  par  cette  démarche  se  frayait  la  route  à  Tarche- 
vèché  d'Aix,  écrivirent,  le  10  septembre,  une  lettre  à 
Philippe  II,  pour  lui  déférer  la  couronne  de  France,  et  lui 
engager  leur  fidélité  comme  ses  sujets.  Voici  le  texte  des 
passages  décisifs  de  cette  lettre  : 

«  Nous  pouvons  certainement  asseurer  Votre  Majesté  Catho- 
lique que  les  vttus  et  les  souhaits  de  tous  les  catholiques  soot  de 
voir  Votre  Majesté  Catholique  tenir  le  sceptre  de  ceste  couronne 
et  régner  sur  nous,  comme  nous  nous  jetions  très  volontiers  entre 
ses  bras,  comme  notre  père,  ou  bien  qu'elle  y  eslabflsse  quelqu'un 
de  sa  postérité. 

»  Que  si  elle  veut  nous  en  donner  une  autre  qu'elle-mesme,  il 
lui  soit  agréable  qu'elle  se  choisisse  un  gendre,  lequel,  avec  toutes 
les  meilleures  affections  et  toute  la  dévotion  et  obeyssance  que 
peut  apporter  un  bon  et  fidelle  peuple ,  nous  recevrons  pour  roy. 

B  Nous  espérons  tant  de  la  grftce  de  Dieu  sur  cestc  alliance,  que 
oe  que  nous  avons  receu  de  cette  très  grande  et  très  chrestienne 
princesse.  Blanche  de  Castille,  mère  de  notre  très  chrétien  et  très 
religieux  roy  sainctLoys,  nous  le  recevrons,  voire  même  an  double, 
de  ceste  grande  et  vertueuse  princesse  Glle  de  Sa  Majesté,  laquellei 
par  ses  rares  vertus,  arrcste  tous  les  yeux  à  son  object;  pour  en 
alliance  perpétuelle  fraterniser  cps  deux  grandes  monarchies,  sous 
leur  règne,  à  l'advancement  de  la  gloire  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  splendeur  de  son  Église  et  union  de  tous  les  habitants  de  la 
terre  sous  les  enseignes  du  christianisme.  » 

La  Sorbonne  écrivit  au  roi  d'Espagne  une  lettre  conforme 
en  tout  à  celle  des  Seize.  L'une  et  l'autre  furent  portées  au 
roi  d'Espagne  par  le  père  Mathieu,  justement  surnommé  le 


L£TTRK  DES  SBIZK  A  PHILIPPE  II.  PROSCRIPTION.      105 

courrier  de  la  Ligue,  lequel  a¥ait  mission  de  réclamer  de 
Pliilippe  assistance  et  secours  pour  les  Seize  dans  le  combat 
qu*ib  allaient  lirrer  au  gouvernement  existant  et  à  la  société*. 

La  conclusion  de  cette  rhétorique  confite  en  hypocrisie 
était  de  donner  pour  roi  à  la  France  ou  Philippe  II  lui- 
même,  ou  sa  fille,  ce  qui  était  la  même  chose  ;  de  lui  livrer 
le  pays  dont  son  père  et  lui-même,  depuis  plus  de  soixante 
ans,  avaient  tenté  l'asservissement  par  toutes  les  voies  de  la 
force  et  de  la  ruse.  Dans  toute  notre  histoire,  il  n'y  a  pas  un 
pacte  plus  ignoble  entre  une  faction  et  l'étranger.  C'est  la 
contre-partie  de  la  déclaration  de  Chartres;  le  chef-d'œuvre 
de  la  mauvaise  religion  opposé  à  l'expression  la  plus  noble 
de  la  religion  éclairée. 

Toutes  les  fois  que  les  entrepreneurs  de  révolutions  ont  Brigani 
voulu  exciter  un  mouvement,  ils  ont  toujours  jeté  parmi  le  «tiesprétendas 
peuple  quelque  incident  propre  à  l'agiter  et  à  le  remuer  pro- 
fondément Les  Seize  pid)liaient  depuis  plusieurs  mois  dans 
Piris  qu'il  existait  un  vaste  complot  du  parlement  et  de  la 
bourgeoisie  pour  livrer  la  ville  au  roi ,  &  l'hérétique,  et  pour 
perdre  la  religion.  Rien  n'était  plus  faux  :  le  parlement  et 
la  majorité  de  la  bourgeoisie,  très  distincts  des  politiques  et  du 
peuple ,  lesquels  en  effet  inclinaient  vers  Henri ,  le  parlement 
et  la  majorité  des  bourgeois  restaient  fidèles  aux  idées  et  aux 
principes  de  la  Ligue  française.  Après  avoir  tout  enduré  pen- 
dant les  quatre  premiers  mois  du  blocus  de  Paris ,  plutôt  que 
d'accepter  un  roi  huguenot ,  ils  n'avaient  cédé  à  la  fin  qu'à  la 
menace  d'une  mort  inévilable  ;  et  depuis  qu'ils  étaient  sortis 
de  ces  extrémités,  ils  étaient  revenus  à  leur  aversion  et  à 
leurs  scrupules  pour  un  dénoûment  qui  devait  mettre  un 
hérétique  sur  le  trône  de  saint  Louis.  Mais  la  Ligue  fran- 
çaise repoussait  énergiquement  le  joug  espagnol,  et  à  ce 
titre  elle  avait  mérité  d'être  dévouée  à  la  mort  par  les  Seize. 
Ainsi  qu'il  arrive  toujours  parmi  les  factieux,  une  partie 
des  Seize  était  animée  contre  l'autre  d'une  haine  furieuse. 
Ils  avaient  dénoncé  l'un  d'eux,  nommé  Mgard ,  à  la  jus- 
tice du  parlement  comme  coupable  de  correspondance  avec 
le  roi  et  de  conspiration  contre  la  ville.  Les  juges,  ne  trou- 

*  L>«  texte  entier  de  la  lettre  des  Seise  se  IrouTe  parmi  les  pièces  ajov* 
léea  rax  Mémoire»  d'EsUt  de  Villeroy,  édit.  in-tti,  l.  lu,  p.  17.99,  «t  uoe 


Miiia  d«  texte  dans  P.  Cayat,  I.  in«  p.  393  B,  3t4  A.  ~  La  lettre  da  la  Sor- 
boansdaHi  LciU>tie«  SoppléDa.,  p.  03  A. 


106  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

vant  aucune  charge  suffisante,  prononcèrent  Tabsolution  et 
rélargissement  de  Brigard  (fin  octobre).  Les  Seize  s'empa- 
rèrent de  cet  incident  pour  ameuter  le  peuple  contre  le  par- 
lement tout  entier,  en  le  présentant  comme  coupable  de  con- 
nivence avec  Taccusé,  comme  complice  de  son  prétendu 
comjdot  contre  la  ville  et  contre  la  religion. 
Pro«cri|.iion         ^^  ^^  premiers  jours  de  novembre ,  les  Seize  arrêtèrent 
générale  artè"  d'euvelopper  dans  une  proscription  générale  le  parlement  et 
^'  la  iMurgeoisie ,  la  Ligue  française,  tous  les  hommes  hon- 

nêtes, ayant  quelque  chose  à  perdre,  hostiles  à  la  domina- 
tion espagnole.  Le  massacre  devait  s'étendre  à  cette  classe 
entière  de  citoyens,  comme  il  s'était  étendu  à  tous  les  calvi- 
nistes, le  jour  de  la  Saint-Bartiiélemy.  Deux  des  principaux 
chefs  des  Seize ,  Gromé  et  Launoy,  établissaient  eux-mêmes 
cet  horrible  rapprochement.  Ils  disaient  «  qu'une  Saint-ltar- 
thélemy  estoit  bien  à  propos  par  le  temps  qui  couroit ,  et 
qu'une  saignée  de  veines  céphaliques  estoit  nécessaire  pour 
la  santé  et  restauration  de  TEstat.  Et  en  reniant  Dieu  par  trois 
et  ((hatre  fois,  ils  ajoutoient  que  les  juges  de  Brigard  en  mour- 
roient.  »  Dans  diacun  des  seize  quartiers  de  Paris,  ils  dres- 
sèrent une  liste  ou  papier  rouge,  contenant  la  liste  de  leurs 
victimes.  «  Cette  liste  ou  papier  rouge  estoit  un  rôle  que  les 
Seize  avoient  dressé  de  tous  les  politiques  de  Paris  quMIs 
appeloienl,  c'est-à-dire  de  tous  ceux  qu'ils  tenoient  pour 
serviteurs  du  roy  en  leur  cœur,  fauteurs  et  adhérents  de 
son  party,  et  qui  ne  trouvoient  bonne  la  volerie,  la  penderie 
et  la  cruauté,  qu'ils  nommoient  zèle  de  Dieu  poiv  la  conser- 
vation de  la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine.  En 
ce  rôle,  ils  avoient  mis  aussi  comme  politiques  tous  ceux , 
quelque  grands  catholiques  et  zélés  qu'ils  fussent,  lesquels, 
comme  vrais  et  naturels  François,  refusoientde  se  soumettre 
à  la  domination  espagnole.  Or,  de  tous  ces  politiques  qu'ils 
appeloient,  qui  eslotent  les  plus  honnêtes  hommes  et  gens  de 
bien  de  i^iris,  ils  avoient  résolu  en  leur  conseil  d'en  pendre 
et  daguer  une  partie  et  chasser  les  autres.  Et  pour  ce ,  en 
leurs  rôles,  ils  les  distinguoient  par  ces  trois  lettres  P.  D.  G.» 
qui  estoit  à  dire  pendu,  dagué,  chassé,  »  Le  témoin  oculaire 
qui  fournit  ces  détails  donne  à  la  suite  une  liste  détaillée  des 
proscrits  de  son  quartier  >.  Cette  boudierie  était  le  renver- 

'  Lc»loile,  Registre  jourujl  de  Ilcuri  IV,  Éd.  Chaaipolliou,  p.  64  A,  69  B. 


CONSEIL  018  DIX.  ASSASSINAT  OB  BRISSOIT.  i07 

semcot  d^im  seul  coap  de  Tordre  social,  de  Tordre  civil ,  de 
Tordre  politique. 

Quand  les  Seixe  eurent  arrêté  leur  complot  dans  toutes  ConscUdetou. 
ses  parties  et  dressé  les  listes  de  leurs  victimes,  ils  procédè- 
rent à  Texécution.  Du  2  au  14  novembre,  ils  se  réunirent  six 
fois.  Après  la  destruction  du  conseil  de  TUnion,  au  mois  de 
décembre  1589,  et  à  cOté  du  conseil  d'Éut  constitué  et  com- 
posé par  Mayenne,  ils  avaient  maintenu  leur  conseil  particu- 
lier, mais  à  Tétat  de  société  secrète,  dont  les  membres  étaient 
les  plus  déterminés  meneurs  de  chaque  quartier.  Dans  leur 
assemblée  du  6  novembre.  Us  formèrent  au  sein  de  ce  conseil 
une  oligarchie  démagogique,  qui  devait  donner  une  force  et 
une  activité  nouvelle  à  leur  faction,  marcher  droit  à  Texécu- 
tkm  de  leurs  projets,  sans  reculer  devant  aucune  violence, 
devant  aucun  crime«  Ils  créèrent  un  canaeil  dés  Dix^  comité 
de  salut  public  du  temps. 

Bussy  le  Clerc,  fameux  par  Temprisonnemeut  de  Tanden  Asuuioai 
parlement  et  par  la  spoliation  des  meilleures  familles  de  la  ^cher*^";^^'^ 
ville  ;  Launoy,  prêtre  deux  fois  renégat  ;  Gromé  dont  le  père 
avait  été  condamné  pour  péculat  commis  envers  les  États  de 
Bourgogne  ;  les  curés  de  Saint-Jacques-la-Boucherie  et  de 
Saint-GOme,  Inspirèrent  toutes  les  résolutions  du  conseil  des 
Dix,  et  se  chargèrent  de  Texécution.  Le  sanguinaire  Bou- 
cher s^absenta  de  Paris  pour  ne  pas  être  trouvé  complice  des 
assassinats  qu*il  avait  conseillés.  Le  i!i  novembre,  pendant  la 
nuit,  Ib  prirent  leurs  dernières  mesures.  Le  15,  ils  arrêtèrent 
le  président  Brisaon  et  le  conseiller  Larcher,  au  moment  où 
ils  se  rendaient  au  palais,  le  conseiller  Tardif  dans  sa  mai- 
son. Ib  les  conduisirent  au  petit  GbAtelet,  et  après  avoir  for^ 
mule  contre  eux  un  jugement  dériaobre,  ils  les  pendirent  à 
une  poutre.  Le  lendemain  16,  ib  conduisirent  «  à  quatre 
heures  du  matin,  les  corps  à  la  Grève,  et  les  attachèrent  à 
une  potence  avec  des  écriteaux  portant  quMb  étaient  héré- 
tiques ,  traîtres  à  b  ville ,  ennemis  des  princes  catholiques. 

Depuis  Torigine  de  la  révolte  contre  Henri  III,  le  parle- 
ment n^était  plus  seulement  un  corps  Judiciaire  :  c'était  de 

LMloilc  B  va  «t  egmiBimé  cm  IUim  lar  IwqmllM  tt  éuh  porltf  lal-mlmc 

Car  éUm  damte.  Ces  lulM  d«  proscrtpUon  pour  les  seise  quartiers  de 
ris,  <|ui  ne  lureat  connues  que  le  S5  novembre,  furent  dressées  dans  les 
islai  qM  tiannl  Itf  Seiie,  di  S  «a  tS  aavwibr*. 


108  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

plus  un  corps  politique  qui,  par  ses  arrêts,  avait  prononcé 
sur  les  plus  importantes  questions  de  droit  public ,  sur  la 
succession  à  la  couronne  et  la  souveraineté.  De  Tbou  et 
Villeroy  témoignent,  qu'après  avoir  supplicié  les  trois  magis- 
trats, les  Seize  devaient  changer  et  cribler  le  parlement,  en 
dresser  un  à  leur  mode  ;  se  servir  du  nom  et  de  Tautorité  de 
la  nouvelle  compagnie,  pour  révoquer  les  pouvoirs  de 
Mayenne ,  à  l'arrivée  du  duc  de  Parme  en  France  ;  dis- 
poser à  leur  gré  de  TÉtat,  et  appeler  le  roi  d'Espagne  à  la 
couronne,  ils  ne  doutaient  pas  que  toutes  les  villes  du 
royaume  ne  suivissent  l'exemple  de  la  capitale,  dont  la  ré- 
volte avait  entraîné  celle  de  la  France.  L'attentat  des  Seize 
était  le  prélude  du  massacre  général  de  la  classe  moyenne, 
et  le  premier  acte  d'une  révolution  conduisant  à  l'esclavage. 
Provocation  I>ans  l'envahissement  des  pouvoirs  publics,  les  Seize  avalent 
a  un  MoièTc-  commeucé  par  la  justice  et  la  grande  moitié  du  pouvoir  lé- 
g  o  ra  .  ^i^^if^  p^^^  ^^pg  maîtres  de  la  situation ,  ils  n'avaient  plus 
qu'à  se  rendre  maîtres  de  la  force  publique,  et  ils  tentèrent 
activement  de  s'en  emparer.  L'assassinat  des  trois  magistrats 
n'avait  été  qu'une  surprise,  qu'im  guet-apens.  Aucun  corps, 
aucime  partie  considérable  de  la  force  publique  que  (^ris 
renfermait  alors  n'y  avait  concouru.  Sur  les  /!i0,000  hommes 
que  comptait  la  garde  bourgeoise ,  les  chefs  des  Seize  n'a- 
vaient été  aidés  que  par  trois  cents  sicaires,  appartenant  k 
quelques  compagnies  dont  ils  étaient  capitaines  ou  lieute- 
nants, et  recrutés  parmi  les  hommes  les  plus  vils  et  les  plus 
scélérats.  La  garnison  espagnole  était  restée  dans  ses  quar- 
tiers. Ce  n'était  pas  avec  une  poignée  de  brigands  qu'ils  pou- 
vaient dominer  Paris  et  y  établir  la  royauté  de  Philippe  IL 
Aussi  essayèrent-ils  de  se  donner  une  force  véritable,  en 
excitant  une  insurrection  générale  parmi  le  peuple ,  et  en 
entraînant  ensuite  la  garde  bourgeoise. 

Quand  le  jour  fut  venu»  la  Ibulc  s'assembla  sur  la  place  de 
la  Grève  pour  voir  le  nouveau  et  horrible  spectacle  que  lui 
donnaient  les  cliefs  des  Seize.  Bussy,  après  avoir  répandu 
ses  complices  parmi  la  multitude,  se  mit  en  devoir  de 
l'ameuter.  Il  leur  dit  que  les  trois  suppliciés  étaient  des  po- 
litiques et  des  traîtres  qui  avaient  vendu  la  ville  à  l'héré- 
tique, et  lui  avaient  déjà  livré  la  porte  Bussy.  Il  ajouta  que 
s'ils  voulaient  le  suivre,  le  soir  ce  serait  fait  de  tous  les  mau- 


LE  PEUPLE»  LA  BOURGEOISIE»  LE  PARLEMENT.    109 

vais  citoyens,  et  qae  Paris  serait  net  de  traîtres;  qu^il  en  avait 
la  liste,  et  qu*il  connaissait  les  maisons  où  ils  auraient  du 
bien  à  bon  marché  ;  qu'enfin  s'ils  ne  prévenaient  leurs  enne- 
mis, leurs  ennemis  leur  couperaient  la  gorge.  Les  affidés  de 
Bussy  répétaient  partout  les  mêmes  discours  :  tous  ensemble 
épuisaient  auprès  des  masses  ce  qu'ils  jugeaient  le  plus  propre 
à  les  émouvoir  au  sang  et  au  pillage,  et  à  déterminer  une  sé- 
dition. 

Mais  ce  jour,  le  peuple  fut  divinement  éclairé  par  le  juste     Conduiia  du 
et  riionnéte,  par  le  sentiment  de  l'indépendance  nationale.   u^b!)^Miiie. 
Insensible  aux  provocations  de  Bussy  et  de  ses  complices ,  il 
demeura  calme  et  froid  pour  l'émeute,  et  ne  témoigna  qu'un 
sentiment  de  pitié  pour  les  magistrats  mis  à  mort. 

Dans  cette  périlleuse  circonstance,  tous  les  ordres  furent 
admirables,  et  montrèrent  combien  sont  impuissants  les  fac- 
tieux à  bouleverser  une  société,  quand  chacun  sait  faire  son 
devoir  et  déployer  du  courage  civil,  au  lieu  de  se  laisser  do- 
miner par  l'entratnement  ou  par  la  peur.  Dès  le  lendemain 
17  novembre,  l'opposition  armée  contre  les  Seize  fut  orga- 
nisée au  sein  de  la  garde  bourgeoise.  Le  colonel  Daubray 
vint  s^olTrir  avec  quatre  cents  hommesau  gouvemeurde  la  ville 
fielin  :  il  l'assura  encore  de  huit  capitaines  qui  en  avaient 
autant,  tous  prêts  à  faire  leur  devoir.  C'étaient  déjà  3,600  sol- 
dats de  l'ordre  à  opposer  aux  factieux,  et  l'on  ne  pouvait 
douter  que  leur  exemple  n'entraînât  la  masse  de  la  garde 
bourgeoise.  Les  chefs  de  la  garnison  espagnole  refusèrent  de 
prêter  main-forte  aux  Seize,  quelques  remontrances  et  pro- 
messes qu'ils  leur  fissent,  et  bien  qu'il  s'agit  d'établir  la  do- 
mination de  Philippe  II  dans  Paris.  On  peut  leur  faire  hon- 
neur de  ne  pas  avoir  voulu  se  souiller  des  meurtres  qu'on 
leur  demandait  ;  mais  bien  évidemment  ce  motif  d'humanité 
n'mllua  pas  seul  sur  leurs  résolutions.  L'attitude  prise  par 
Daubray  et  par  ses  généreux  compagnons  leur  indiquait  de 
reste  qu'il  faudrait  combattre  avant  de  massacrer,  et  dans  la 
ville  des  barricades  la  victoire  était  plus  que  douteuse. 

Les  Seize  n'avaient  pas  réussi  à  donner  un  peuple  et  une   Nouveau  fmrW- 
armée  pour  appui  à  leur  révolte  ;  mais  ils  avaient  frappé     u^amhre  t^- 
d'épouvante  le  gouverneur  de  la  ville,  Belin,  qui  avait  re-  dente. conduite 
poussé  les  offres  de  Daubray.  Us  ne  trouvaient  donc  devant     "  ^'  ^""^"  ' 
eux  aucune  force  publique  pour  les  combattre,  tandis  qu'eux- 


110  HUTOIRE  DO  RÈGNE  ht  flEIfRI  IV. 

mêmes  disposaient  de  la  garnison  de  la  Bastille  dont  Bussy 
était  le  gouverneur  «  et  de  la  troupe  des  factieux  qui  leur 
avait  prêté  son  aide.  Ils  devaient  donc ,  pendant  quelques 
Jours,  donner  un  libre  cours  à  leurs  desseins.  Le  18,  ils  pré- 
sentèrent au  conseil  d*État  de  Mayenne  le  projet  d^une  cham- 
bre ardente,  présidée  par  Gromé ,  laquelle  devait  juger  et 
condamner  les  hérétiques  et  leurs  adhérents,  les  traîtres  et 
conspirateurs  contre  la  religion,  TÉtat  et  la  ville.  Il  n*y  avait  per- 
sonne qui  ne  pût  être  compris  dans  Tune  de  ces  catégories  et 
qui  fût  sûr  de  sauver  sa  tête  :  cMtait  rétablissement  d^un  tri- 
bunal révolutionnaire.  Le  conseil  d^État  refusa  de  sanction- 
ner cette  proscription,  et  fl  fallut  que  les  Seize  Tajournassent. 
Le  20,  ils  composèrent  un  nouveau  parlement  en  prenant 
quarante  membres  parmi  les  soixante-quinze  restants,  en 
portant  leurs  choix  sur  ceux  qu'ils  pensaient  trouver  les  plus 
dociles  à  la  crainte  et  à  leurs  projets.  Bs  pressèrent  le  con- 
seil d'État,  le  gouverneur,  les  princesses  de  la  maison  de 
Guise,  de  se  joindre  à  eux  pour  sommer  les  magistrats  de 
retourner  au  palais,  et  de  reprendre  le  cours  de  la  justice 
interrompue  par  eux  depuis  le  meurtre  de  leurs  collègues. 
Mais  tous  les  membres  du  parlement  résistèrent.  L*avocat  du 
roi  Dorléans,  bien  que  zélé  ligueur  jusqu'alors,  ne  répondit 
aux  sollidtationsdes  Seize  qu'en  les  traitant  de  scélérats  et  de 
meurtriers,  et  Lemaistre  leur  dit  qu'il  ne  rentrerait  au  palais 
que  pour  faire  pendre  ceux  qui  avaient  mis  à  mort  le  prési- 
dent Brisson.  Cette  vigueur.  Jointe  à  l'attitude  de  Daubray  et 
d'une  partie  de  la  garde  bourgeoise,  contint  les  Seize  jusqu'au 
moment  où  la  force  armée  pût  venir  en  aide  aux  classes  me- 
nacées. 

Cet  appui  ne  leur  manqua  pas  et  ne  pouvait  leur  manquer. 
Dans  les  révolutions  violentes,  ne  pas  céder  an  premier  choc, 
donner  à  la  société  le  temps  de  se  reconnaître  et  de  rassem- 
bler ses  forces  pour  se  défendre,  c'est  tout  gagner.  Attaqués 
par  ime  (action  qui  ne  reculait  devant  aucun  attentat,  trahis 
par  le  représentant  du  pouvoir,  par  le  gouverneur  de  la  ville, 
la  partie  saine  du  peuple,  la  boiurgeoisie,  le  parlement,  surent 
par  leur  inébranlable  fermeté  gagner  du  temps,  se  ménager 
ce  répit  déclaiL  La  force  arriva  enfin  à  leur  secours,  et  donna 
gain  de  cause  à  Tordre  social,  à  tous  les  pouvoirs  qui  le  sou* 
tenaient,  en  même  temps  qu'à  nndépendance  nationale.  L'his- 


MATRNNB  A  PARIS  S  IL  RETABLIT  L*ORimB  SOCIAL,     lit 

foire  ne  contient  pas  de  plos  grave  et  de  plus  encourageant 
enseignement  que  celui-là. 

Pendant  la  conspiration  des  Seize,  Mayenne  séjournait  à  Biayennc  i 
Laon  pour  recevoir  l'armée  espagnole  et  la  conduire  à  la  dé-  '' oî'êxInS^s*^' 
livrance  de  Ronen,  dont  le  roi  commençait  le  siège.  Le  duc,  «i»«f»<ïe«  Seitc 
appelé  à  Paris  par  des  envoyés  qui  se  succédaient  d'heure  en 
beare,  entra  dans  la  ville  le  28  novembre,  accompagné  de 
deux  mille  deux  cents  hommes  de  troupes  françaises,  et  de 
Vitry,  homme  de  cœur  et  de  résolution,  qui  le  décida  pour  le 
parti  de  la  vigueur.  Diego  dMbarra,  Tun  des  agents  du  roi 
d'Espagne,  se  jeta  entre  Mayenne  et  les  Seize,  et  s'efforça  de 
les  couvrir  et  de  les  protéger,  en  vue  de  ce  qu'ils  avaient  pro- 
jeté, et  de  ce  qu'ils  pouvaient  encore  fah*e  pour  son  maître. 
Il  échoua.  Le  duc  comprit  que  c'était  fait  de  son  pouvoir 
et  de  la  société  tout  ensemble  s'il  n'accablait  leurs  communs 
ennemis.  Après  avoir  armé  la  garde  bourgeoise,  qu'il  mêla 
aux  troupes  qu'il  avait  amenées ,  après  s'être  concerté  avec 
ses  chefs,  et  avoir  pris  les  précautions  que  commandait  la 
prudence  contre  l'attaque  éventuelle  de  la  garnison  espagnole, 
il  frappa  les  coups  décisifs  {U  décembre).  11  fit  saisir  et  pendre 
dans  une  salle  basse  du  Louvre  quatre  des  cbefe  des  Seize. 
Il  prononça  également  la  peine  de  mort  contre  Launoy  et 
€romé,  et  les  fit  chercher  partout;  n'ayant  pu  s'emparer 
d'eux,  il  les  réduisit  à  s'exfler  en  Flandre.  Enfin  il  jeta  en 
prison  une  douzaine  de  factieux.  U  somma  Bussy  le  Clerc  de 
lui  remettre  la  Bastille.  Cet  homme,  qui  avait  annoncé  qu'il 
se  ferait  enterrer  sotis  les  ruines  de  la  citadelle  pour  défendre 
•a  faction ,  vit  à  peine  les  canons  en  batterie  au  parc  des 
Toumelies,  qu'il  capitula  sous  condition  qu'il  conserverait  la 
vie  et  ses  biens.  Ce  qu'il  avait  volé  et  rançonné  aux  préten- 
dus politiques  et  mauvais  catholiques,  depuis  les  barricades 
jusqu'au  commencement  de  ce  mois,  montait  à  600,000  fr. 
Mab  à  peine  eut-il  retiré  ces  richesses  dans  une  maison  voi- 
aine  qu'elles  devinrent  la  proie  des  soldats.  11  s'en  alla  re- 
joindre en  Flandre  ses  complices.  Tous  traînèrent  leur  cou- 
pable vie  dans  la  misère  et  l'abjection,  où  les  laissa  Philippe  H 
quHIs  ne  pouvaient  plus  servir.  L'ambition  se  sert  des  plus 
vils  instruments  pour  arriver  à  ses  fins,  mais  elle  les  rejette 
dans  la  boue  où  elle  les  a  pris»  dès  qu'ils  cessent  de  lui 
être  utiles. 


Pubsance  des 

Scice    déiraile. 

L*ordre  civil 

«l 
•ocial  rétabli. 


112  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

La  punition  des  chefs  des  Seize  n'était  que  le  premier  acte 
de  l'œuvre  que  Mayenne  avait  projeté  d'accomplir.  Il  réta- 
blit le  parlement  dans  la  plénitude  de  son  pouvoir  et  nomma 
quatre  nouveaux  présidents.  Il  fit  prêter  aux  colonels,  capi- 
taines et  soldats  de  la  garde  bourgeoise  un  serment  aux 
termes  duquel  ils  s'engageaient  à  ne  prendre  les  armes  que 
par  Tordre  de  l'autorité  légitime;  à  combattre  quiconque 
essayerait  de  troubler  la  paix  publique  on  entreprendrait 
contre  les  magistrats  ;  à  saisir  les  coupables  et  à  les  livrer  à  la 
justice.  Sur  deux  cents  capitaines  environ,  à  peine  quinze  re- 
fusèrent le  serment  et  furent  destitués.  Mayenne  détruisit 
le  conseil  pardculier  des  Seize,  différent,  comme  nous  l'avons 
dit,  du  conseil  général  de  l'Union  ;  il  défendit  de  tenir  dé- 
sormais des  assemblées  pour  délil)érer  et  traiter  d'affaires 
quelconques,  à  peiqe  de  la  vie  contre  les  assistants,  et  du 
rasement  des  maisons  dans  lesquelles  les  réunions  auraient 
eu  lieu.  Il  étendit  ces  mesures  à  toutes  les  grandes  villes  de 
la  Ligue.  La  paix  publique  rétablie ,  il  arrêta  le  cours  des 
rigueurs  en  donnant  des  lettres  d'abolition  à  ceux  des  Seize 
que  n'avait  point  atteints  sa  justice  ■• 


Sltsallon  géùé- 

rml«. 
Etat  dM  partis. 


Par  ces  actes  divers,  Mayenne  opéra  une  révolution.  Au 
point  de  vue  de  l'ordre  social  et  de  la  liberté  civile,  les  ci- 
toyens honnêtes  et  les  propriétaires  furent  arrachés  au  dan- 
ger de  perdre  leurs  biens,  leur  liberté ,  que  la  faction  des 
Seize  et  la  partie  viciée  de  la  populace  avaient  si  indignement 
menacés.  IjC  règne  de  la  terreur  de  ce  temps-là  prit  fin. 

En  ce  qui  concerne  le  gouvernement  et  l'état  des  partis, 
les  Seize,  dont  le  nombre  diminua  de  dix  mille,  selon  Lestoile, 
après  l'assassinat  de  Brisson',  et  redescendit  à  quatre  mille 
environ ,  les  Seize  ne  furent  pas  détruits,  mais  ils  perdirent 
leur  pouvoir  politique  ;  ils  cessèrent  d'exister  comme  parti 


*  La  |>artie  d«  la  conspiration  des  Seice,  comprise  «ntre  leur  lettre  aa 
roi  d'Espagne  et  la  destruction  de  leur  fticiion,  etl  renfermée  dans  les  odm 
patagmphfs  piccëdents.  Pour  cottr  curieuse  période,  voir  Lestoile,  Registre 

I'ourn.  da  règne  de  Henri  IV,  et  «on  supplément,  pogps  63-75.  7S.  —  Vif. 
eroy,  Apol.  et  Disc,  t.  Xi,  p.  77.  78,  tous  deux  témoins  et  acteurs.  -^ 
P.  Cuyet,  1.  m  p.  5i4-S5i;  d'opn'-s  les  relations  du  temps  les  pins  cir- 
constjinciées.—  Thuanns,  I.  eu,  5$  H,  13,  fi;  t.  y,  p  104-107.  —  Registre 
d«  rhùtel  de  ville  de  Paris,  toI.  xin,  fol.  94$,  S59.S88.  —  NcTers,  Me- 
moircf ,  u  it,  p.  6i4. 

*  Lrstoile,  llcgistre*Joarnal,  p.  194  R,  $  %. 


LA  PUISSANCE  DES  SEIZE  DÉTRUITE  :  L^ÉQUILIBRE.     113 

or^ganjaé,  pesant  sur  le  goavernement  et  sur  Fadininistration 
IMtblique  :  la  prédominance  qu'ils  avaient  exercée  Jusque-là 
dans  la  Ligue  passa  à  la  classe  bourgeoise ,  à  la  Ligue  fran- 
çaise. Mayenne  sauva  son  pouvoir  que  la  victoire  de  la  faction 
espagnole  lui  aurait  enlevé.  II  opposa  les  Seize  abaissés, 
mais  forts  encore,  aux  poiitiques^  qui  inclinaient  plus  forte- 
ment que  jamais  vers  le  roi ,  et  il  établit  à  son  profit  une 
politique  d'équilibre  entre  les  deux  partis. 

Cette  adresse  lui  réussit  pour  le  moment,  n  y  eut  quatre 
mflle  Seize ,  comme  il  y  avait  quatre  mille  Espagnols,  qui , 
tout  en  détestant  le  duc,  s'opposèrent  aux  projets  des  poli- 
tiques, les  traversèrent  et  les  ajournèrent  Mais,  en  dernier 
résolut ,  cette  tactique  lui  fut  plus  nuisible  qu'utile,  parce 
que  ses  ménagements  calculés  pour  la  masse  des  Seize  loi 
aliépèrent  la  plus  grande  partie  de  la  classe  bourgeoise.  A 
son  retour  à  Paris ,  la  Ligue  française  l'avait  pressé  d'exter- 
miner sans  pitié  et  sans  exception  les  Espagnols  et  les  Seize, 
dans  lesquels  elle  voyait  avec  raison  les  irréconciliables  en- 
nemis de  son  indépendance  et  de  sa  liberté  dvlle.  Elle  pré- 
tendait Jouir  de  ces  biens  non  d'une  manière  précaire  et  va- 
riable an  gré  des  circonstances,  mais  d'une  manière  solide  et 
définitive,  et  elle  demandait  que  Mayenne  les  lui  assurftt  par 
la  mort ,  ou  du  moins  par  le  bannissement  des  Espagnols 
et  des  Seize.  Les  Hennequin  et  Daubray,  qui,  pendant  le 
btocus  de  Paris,  s'étaient  rendus  célèbres  par  l'énergie  de 
leor  résistance  contre  Henri,  portèrent  la  parole  à  Mayenne 
dans  oe  sens,  au  nom  de  la  Ligue  française.  Le  duc  ne  leor 
répondit  que  par  des  demi-mesures ,  et  dès  lors  ils  prirent 
one  résolution  dont  ils  ne  revinrent  pas.  Les  auteurs  con- 
temporains qui  ont  étudié  avec  le  plus  de  soin  l'histoire  des 
pards  témoignent  que,  dès  ce  moment,  Daubray  et  plus  de 
la  moitié  de  la  Ligue  française  passèrent  aux  politiques,  aux 
partisans  de  Henri,  avec  la  conviction  qu'il  fallait  suivre  le 
drapeau  du  roi  quand  on  prétendait  se  maintenir  Français, 
et  conserver  la  propriété,  la  vie,  la  loi,  l'autorité  des  ma- 
gistrats Cette  partie  de  la  Ligue  française,  représentée  par 
Daubray,  composée  des  meilleures  familles  de  la'bourgeoisie 
et  de  la  moitié  du  parlement  de  Paris,  cessa  de  presser  le 
roi  pour  son  changement  de  religion ,  et  se  borna  à  stipuler 
poor  la  conservation  de  la  sienne.  L'autre  portion  de  la  Ligue 

8 


llA  anroiBB  du  nàoRi  m  henih  iv. 

françalM,  qui  avait  pour  chef  Marlllac,  pias  tard  cbaneelier, 
continua  à  exig^er  de  Henri  qu'il  abjurât;  mais,  moyennant 
cette  concession,  eile  offrit  de  le  reconnaître.  Daubray  et  les 
Ugueun  (rançais,  ralliés  désormais  aux  politiques,  ne  rom- 
pirent pas  d*abord  ouvertement  avec  Mayenne;  mais  dans 
toutes  les  circonstances,  comme  nous  le  verrons  bientôt,  ils 
combattirent  ses  prétentions  à  la  souveraineté,  en  attendant 
quHls  lui  arrachassent  Paris  <• 

Quant  à  la  liaison  entre  Tétat  intérieur  de  la  Ugue  et  les 
relations  extérieures,  la  dédite  des  Seise  enleva  à  Philippe  IX 
IHme  des  deux  occasions  principales  qu'il  ait  eues  d'envahir 
le  royaume.  Si,  avec  le  concours  des  Seise,  il  était  parvenu  à 
se  rendre  maître  absolu  dans  Parts,  Tentralnement  résultant 
de  l'exemple  donné  par  la  capitale,  et  l'effort  de  la  nouvelle 
armée  espagnole,  qui  en  ce  moment  passait  la  frontière,  sous 
les  ordres  de  Famëse,  auraient  pu  mettre  sous  sa  loi  tous 
les  pays  situés  entre  k  Flandre  et  la  Loire,  et  peut-^tre  lui  11* 
vrer  plus  tard  les  autres  provinces.  Ces  chances  de  succès 
lui  furent  enlevées,  11  fut  hors  d'état  d'attenter  actuellement, 
présentement,  à  l'indépendance  du  royaume.  Mais  il  n'en 
restait  pas  moins  pour  nous  un  implacable  et  iormidable  en- 
nemi. Ses  troupes  continuaient  à  occuper  sur  trois  points 
notre  territoire  ;  ses  garnisons  tenaient  plusieurs  de  noe  villes 
principales  et  Paris  lui-même;  dans  toutes  les  villes  de  la 
Ligue,  ses  intrigues  et  son  or  lui  gagnaient  chaque  Jour  quel- 
ques partisans  nouveaux  parmi  les  gouverneurs,  les  notables 
citoyens  et  les  magistrats  mimicipaux.  De  plus,  dans  la  pour- 
suite générale  de  ses  desseins,  dans  l'ensemble  de  ses  moyens 
d'attaque  contre  notre  malheureux  pays,  il  avait  trouvé,  au 
moins  pour  l'avenir,  une  compensation  à  l'échec  qu'il  venait 
d'essuyer.  Les  dissensions  nées  au  sein  du  parti  royal,  et  l'af- 
laiblissement  nécessaire  qui  en  résultait,  étaient  la  revanche 
que  notre  mauvaise  fortune  lui  donnait  contre  la  France. 

rormation         D^  ^  tRols  de  UMirs  dc  cette  année  1591,  pendant  le  siège 

autim-parii.    ^e  Chartres,  une  dangereuse  scission  s'était  opérée  dans  le 

parti  et  dans  la  famille  du  roi.  Bon  nombre  de  catholiques 

royaux  qui  voulaient  pour  souverain  un  prince  catholique 

•  p.  C«y«l,  I.  m,  y.  BO  A;  I.  IV,  p.  304  B,  80*.  —  LmIoU#^  p«  V4, 


rOftVATlOlt  f»0  riBllS-l>AKTl.  145 

te  iDOBtraient  découragés  et  rebutés  des  délais  apportés  par 
Henri  à  sa  oonvertioii.  Le  Jeune  cardinal  de  Bourbon,  cousin 
du  roi ,  se  donna  pour  cbef  à  ces  mécontents,  et  se  flatta  de 
parrenir  à  la  couronne  avec  leur  appui.  Il  fut  secondé  dans 
•es  projets  par  son  frère  le  comte  de  Soissons.  Au  dehors,  il 
écrivit  au  pape,  pour  faire  valoir  ses  prétentions  et  obtenir 
une  décision  qui  les  favorisât  Au  dedans,  il  se  mit  dans  un 
état  de  conspiration  latente ,  mais  continue ,  contre  Henri* 
Cette  faction  s'appela  tiers'pariù  Les  politiques  ayant  porté 
ce  nom  sous  Charles  IX  et  sous  Henri  III,  quelques  auteurs 
modernes,  même  parmi  les  érudits,  ont  confondu  les  uns 
avec  les  autres  sous  Henri  IV:  c'est  une  grave  erreur;  an 
temps  de  Henri  IV,  le  tiers-parti  était  précisément  Topposé 
du  parti  politique  K  Après  avoir  restitué  à  cette  faction  son 
caractère ,  il  importe  de  signaler  son  influence  :  au  sein  du 
parti  royal,  du  parti  de  la  légalité,  de  Tordre,  de  Tindépen- 
dance  nationale,  elle  hitroduisait  Tantagonisme  et  Taffaiblls- 
•ement 

Henri  espérait  encore  avilr  raison  de  ces  ennemis  in-  Le  roi  réunit 
térieurs  et  extérieurs  eonjurits  contre  lui ,  dissoudre  et  ** jî'V.'méi*** 
mettre  à  néant  le  tiers-parti,  accabler  la  Ligue,  chasser  le  éuHugèr*. 
roi  d*Espagne  des  vUles  et  des  pays  où  il  s'était  cantonné,  et 
vaincre  serlieutenants,  s'il  osait  les  renvoyer  dans  le  royaume. 
Il  se  flattait  de  délivrer  la  France,  en  gardant  sa  religion,  si 
la  voix  de  la  conscience  lui  commandait  de  persévérer.  Dans 
cette  tentative  décisive ,  il  comptait  sur  la  grande  armée 
étrangère  et  protestante,  qu*il  ramassait  depuis  près  d'un  an, 
avec  des  peines  Infinies.  Il  avait  vendu  des  portions  de  son 
domaine  privé  et  du  domaine  de  la  couronne  Jusqu'à  con- 
cvrrenoe  de  plusieurs  miUions,  et  contracté  des  emprunts  à 
l^émnger  pour  payer  ses  troupes  auxiliaires,  et  leur  solde  se 
trouva  prête  an  moment  où  ils  entrèrent  en  France  K  II  alla 
dans  les  plaines  de  Vandy,  près  Vouriers,  recevoir  l'ar- 
mée aHemaiide  que  lui  amenait  Turenne  et  qui  compuit 

*  Tkaftsus.  Hist.,  1.  a,  %$  7«  9,  I.  y,  p.  55,  56,  58,  69.  -  De  Thoa, 
KéoKMict,  U  XI,  p.  35t,  cuil.  Micbaud.  —  P.  C«3et,  1.  ui,  p.  395  B.  — 
Vi»«tv7,  Apo).  et  dite..  I.  xi,  p.  «01  B. 

*  LeUree  mieMTet  de  Henri  IV,  dn  14  toUlM,  t.  nu  p.  457.  Le  roi  ordmae 
éÊ  Tendre  em  Kormendie  po«r  300,000  écns  d>  domaine  de  le  eonrouue. 
—  MéBoiret  do  vedooie  Punleiiit,  t.  l ,  |^  iSS,  108,  103,  vente  ponr 
tOOjOOO  ëcM  do  domaine  prive. 


116        mSTOIRB  DV   RÈGNE  DB  HENRI  IV. 

1^,000  hommes  (29  septembre).  Dans  un  intervalle  assez 
court,  il  joignit  à  ce  corps  principal  6,000  Anglais  envoyés 
par  Éisabetti  à  diverses  lois,  6,000  Suisses  engagés  dès  lors 
à  son  service,  et  enfin  les  débris  de  quelques  régiments  fran- 
çais formant  6,000  hommes.  Ces  divers  corps  formaient  un 
total  de  30,000  soldats  réguliers,  et  en  grande  majorité  pro- 
testants. Henri  était  donc  sûr  d'échapper  pour  la  prochaine 
campagne  à  Tirrégularité  et  à  l'intermittence  de  service  des 
gentilshommes  et  des  troupes  qu'ils  amenaient  11  pouvait 
espérer  d'opposer  le  zèle  réformé  de  ses  auxiliaires  au  zèle 
catholique  des  Ligueurs  et  des  Espagnols ,  et  de  soustraire 
une  partie  considéral>le  de  l'armée  au  commandement  fort 
peu  sûr  des  grands  seigneurs  du  parti  royal.  En  effet,  les 
étrangers  obéissaient  à  des  chefo  particuliers,  les  Allemands 
au  prince  d'Anhalt,  les  Anglais  à  Roger  Willems  K 
Siège  de  Roaen  il  destius  Ics  forces  cousldérables  dont  il  disposait  au  siège 
projeté.  ^^  Rouen.  La  conquête  de  cette  ville  achevait  la  réduction  de  la 
Normandie,  et  mettait  entièrement  à  sa  disposition  les  ressour- 
ces de  ce  riche  pays.  La  chute  d'une  cité  aussi  importante  de- 
vait produire  un  mouvement  salutaire  d'ébranlement  dans  la 
Ligue  entière.  Enfin  Elisatieth  demandait  avec  instance  cette 
entreprise ,  pour  fermer  Rouen  à  l'occupation  espagnole,  et 
pour  mettre  les  côtes  d'Angleterre  à  l'abri  des  attaques  de 
Philippe  II  et  des  tentatives  d'une  nouvelle  Armada. 

lia  conquête  de  Rouen  et  la  soumission  entière  de  la  Nor- 
mandie devaient  servir  au  roi  de  pohit  de  départ  pour  la  ré- 
duction des  autres  villes  et  des  provfaices  engagées  dans  la 
Ligue.  Henri  ordonna  à  Biron  d'ouvrir  le  siège  de  Rouen  le 
11  novembre.  Il  se  rendit  lui-même  au  camp  le  2â  de  œ 
mois,  et  commença  à  prendre  une  part  personnelle  aux  opé- 
rations le  1*'  décembre,  après  avoir  sommé  les  habitants  de 
se  rendre  et  prévenu  autant  qu'il  était  en  lui  une  nouvelle 
effusion  du  sang  français  \ 

Bien  que  les  premières  attaques  contre  Rouen  aient  en 
lieu  dans  le  cours  du  mois  de  novembre  1591,  comme  les 


*  Lettres  miuive*  det  S  et  91  octobre  iSM,  t.  m.  p.  408,  SOR,  BOi.  -> 
DeuUcaé,  1.  m,  c.  43,  p.  fB7,  ISS.  —  P.  Cajei,  1.  m,  p.  307,  30S. 

*  Letiree  miisives  de  Henri  IV  du  SB  novembre  et  du  4«t  décembre,  t.  m, 
p.  500^11.  "  P.  Cajet»  1.  m,  p.  SSi,  806,  357.  —  Thnanui,  I.  ai,  S  17, 
t.  V,  p.  1 10. 


Sli6£  DE  ROUEN  PROIETÂ.  117 

«^tendons  dédfllves  se  rapportent  à  Tannée  1592,  nous 
rejetterons  à  cette  année  tout  ce  qui  se  rapporte  à  ce  siège 
mémorable. 


CHAPITRE  V. 


CmvMitîoii  honleote  eonMiili«  par  Maj«noc.  Si^«  de  Rouen.  Le  roi  Irabi 
de  -DouTeeu,  et  tous  fcf  desseiai  ruinés.  Situation  def  proTinces* 

1592.  Le  siège  de  Rouen  fournit  à  Philippe  II  l*occasion  CoBTenUon 
d^avancer,  par  les  négociations  et  les  traités,  son  projet  *'**"î^*^^ 
d^assenrir  le  royaume.  Son  ardente  ambition  ne  lâchait  pas  Mayenne  avec 
prise  un  faistant  N'ayant  pu  avec  le  concours  des  Seize  roid^ÊTpegne. 
s^mparer  de  Paris  et  faire  proclamer  sa  royauté,  ou  celle  de 
rinfainte  sa  fille,  ce  qui  était  la  même  chose,  il  résolut  d'ar- 
racher aux  nécessités  de  Mayenne  cette  concession  décisive. 
Le  duc  manquait  des  forces  et  de  Targent  nécessaires  pour 
secourir  Rouen  contre  les  attaques  du  roi  :  Philippe  II  les  lui 
refusa  et  liil  tint  le  couteau  sous  la  gorge ,  jusqu'à  ce  quil 
eût  signé  son  déshonneur  et  le  prélude  de  l'asservissement 
de  la  France.  Dans  les  conférences  de  la  Fère  et  de  Lihons- 
Saintot,  qui  se  tinrent  entre  le  10  et  le  18  janvier  1592,  le  duc 
de  Parme  stipulant  au  nom  du  roi  d'Espagne  et  Mayenne 
signèrent  les  conventions  suivantes  bientôt  converties  en 
traité.  Mayenne  reçut  les  quatre  millions  d'écus  par  an  et 
l'armée  esfKignoie  qui  lui  permettaient  de  combattre  Henri. 
En  échange ,  il  promit  en  son  nom ,  au  nom  des  princes  de 
•a  maison  et  des  grands  seigneurs  de  la  Ligue,  que  l'infante 
Isabelle,  Glaire-Eugénie,  serait  reconnue  reine  souveraine  et 
propriétaire  du  royaume  de  France  ;  que  les  États-généraux 
convoqués  à  cet  effet  reconnaîtraient  son  droit  et  lui  défére- 
raient le  trône  '.  Il  est  vrai  que  Mayenne  stipulait  que  l'in- 

*  Dëpéchei  de  Diego  dMlMrra  an  roi  d'Espagne  des  11,  14,  18  janvier 
VSBfL  •—  nép^be  du  due  de  Parme  au  roi  d^Etpigne  du  18  janTier  IS91. 
*-  lICMOtrea  de  la  Ligne,  t.  V,  p.  SO-70*  —  Ment,  et  correspond,  de  Du- 
plcasts.  t.  Y,  p.  1S7>147.  <  On  Ini  dit  U  parlicularitë  de  la  se'rénissime  in- 

•  ûu\B  au  premier  grade,  ce  qii*U  n'îguoroit,  et  il  respondit  qu'il  estoit 

•  d*opinion  qu'on  j  pourroit  entendre,  ei  que  pour  cette  fois  on  rompit 
m  Im  loi  snlique^  avrc  condition  que  deduns  un  un  elle  &e  raariast,  avec 

•  l'advit  des  princes  et  ofliriers  de  la  couronne  et  Estât  de  France.  — 

•  Faisant   nommer    la    se'rénissime    infunte    royne  souveraine  de    ce 

•  royanne...  Considérant  que  la  sérénissime  infante,  ma  m»ilresse,  sera 
»  déclara  royne  propriétaire  de  ce  royaume.  ■ 


118  HISTOIRE  DU  RÈGIfB  OB  HBKHI  IV. 

fante  prendrait  dans  Tannée  un  mari  de  Tavis  des  conseillers 
et  des  grands  officiers  de  la  couronne  ;  quele  royaume  serait 
conservé  dans  son  entier  ;  que  ses  lois  et  coutumes  seraient 
maintenues.  La  correspondance  diplomatique  du  temps  nous 
apprend  de  plus  que  le  dessein  de  Mayenne  était  de  ne  tenir 
aucun  de  ses  engagements,  et  de  corriger  une  infamie  par 
un  manque  de  foi  ^  Mais  quand  on  examine  de  près  la  situa- 
tion ,  on  reconnaît  dans  quel  péril  il  Jetait  TÊtat.  Philippe 
avait  pour  lui  l'argent ,  les  armées ,  les  talents  du  duc  de 
Parme,  les  intrigues  et  la  corruption  dans  Tintérieur  des  villes 
de  la  Ligue  :  qui  pouvait  répondre  à  Mayenne  qu'il  n'aurait 
pas  la  main  forcée?  En  second  lieu,  Tépuisement  et  les  souf- 
frances du  peuple  étaient  si  extrêmes,  que  dans  un  moment 
de  désespoir  il  était  à  craindre  qu'une  partie  au  moins  de 
la  nation  n'achetât  la  paix' à  tout  prix,  même  par  la  sou^ 
mission  à  l'étranger.  Enfin  la  guerre  et  la  maladie  pouvaient 
emporter  d'un  moment  à  l'autre  Henri  IV  et  Mayenne ,  les 
deux  seuls  honunes  capables  d'arrêter  l'usurpation  espa- 
gnole ;  et  sans  sortir  de  cette  campagne,  ils  faUlirent  succom- 
ber tous  deux,  l'un  à  Aumale,  l'autre  à  Rouen.  Eux  morts, 
Philippe  II  n'cût-il  pas  déchiré  comme  un  vain  papier  les 
restrictions  stipulées  par  Mayenne  en  faveur  de  l'indépen- 
dance nationale?  Dans  cet  état  de  choses,  reconnaître  par 
un  traité  solennel  signé  du  lieutenant  général  du  royaume  et 
de  tous  les  chefs  de  la  Ligue  les  droits  de  l'infante  à  la  cou- 
ronne, c'était  fournir  à  Philippe  li  la  dernière  arme,  l'arme 
d'une  légalité  apparente  pour  accabler  la  liberté  publique. 
Mayenne  Jouait  donc  les  destinées  du  pays  qui  l'avait  adopté, 
pour  conserver  un  pouvoir  désormais  précaire  et  déshonoré, 
n  mettait  d'abord  par  les  traités  l'étranger  sur  le  tr6ne,  pour 
conserver  l'éventualité  chaque  jour  plus  faible  de  le  lui  dis- 
puter plus  tard. 
Siêfe  de  Rouen,  ^  grande  armée  que  Henri  éuit  parvenu  avec  tant  de 
le  roi  irahi  peine  à  rassembler  sous  les  murs  de  Rouen  fournissait  un 
moyen  sûr  et  prompt  de  mettre  à  néant  les  projets  du  roi 
catholique,  les  concessions  de  Mayenne,  de  délivrer  à  la  fois 

*  Lettre  de  Jeannin  i  TUleroj,  Apol.  et  dise.  t.  xi,  p.  18i  B.  «  Ledit 
m  nrësident  mVnTOTa  aotti  certaine  articles  d*an  tratcttf  que  le  duc  de 
»  Mayenne  avoit  d^à  faict  proposer  ■as  Espagnols,  dont  |e  ras  en  grand*- 
m  pdne,  encore  que  ledit  président  me  mandast  quUls  n'avoyent  etW  nia 
•  en  avant  que  pour  les  amuser.  » 


ARUEE  éTRAKGfcRE  RABSKllBLÉE  PAR  HBRRI.  110 

le  pays  de  la  guerre  civile  et  des  menaces  de  la  domination 
étrangère.  Aux  trente  mille  hommes  de  troupes  régulières 
du  roi  vinrent  se  Joindre  dnq  mille  gentilshommes,  qu^on 
était  toujours  sûr  de  trouver  pour  une  courte  guerre^  où  U  y 
avait  des  dangers  à  braver  et  de  la  gloire  à  recueillir.  Le  roi 
djqiosalt  donc  matériellement  des  forces  nécessaires  pour 
écraser  Pennemi  du  dedans  et  celui  du  dehors.  Il  s'agissait 
seulement  que  ces  forces  fussent  loyalement  et  sagement 
employées.  Henri  avait  à  craindre  qu'elles  ne  le  fussent  pas, 
si  elles  tombaient  sous  Tautorité  et  la  direction  des  grands 
seigneurs  catholiques  de  son  parti.  Leurs  dispositions  n*a  valent 
pas  changé.  Par  conviction  religieuse  et  par  intérêt,  ils  étalent 
résolus  à  ne  pas  souffrir  que  Henri  vtnt  au-dessus  de  sei 
affaires  et  se  rendit  absolu,  au  moyen  de  la  victoire  et  de  lu 
paix.  Ils  ne  voulaient  pas  d'un  roi  huguenot  :  lis  ne  voulaient 
pas  d^tn  état  de  choses  où  ils  devaient  perdre  le  comman* 
dément  des  armées,  l'usurpation  des  droits  royaux  dans  leurs 
gouvernements  et  dans  leurs  terres.  Le  roi  devait  donc  les 
retrouver  au  siège  de  Rouen  ce  qu'ils  avaient  été  au  blocus 
de  Paris  et  à  Chelles,  se  faisant  une  étude  de  traverser  ses 
succès,  et  lui  retenant  le  bras  au  moment  où  il  se  disposerait  à 
frapper  ses  ennemis  de  coups  décisifs.  Mais  il  ne  pouvait,  sans 
no  extrême  péril ,  les  écarter  du  commandement ,  surtout 
le  vieux  maréchal  de  BIron,  dont  la  réputation  et  l'auto^ 
rite  dans  la  guerre  étaient  sans  rivales.  Leur  disgrâce  de^ 
vait  mécontenter  et  soulever  la  majorité  4le  la  nation  qui 
était  catholique.  De  plus ,  comme  il  le  disait  lui-même  dans 
l'épanchement  de  l'amitié,  «  ils  étoient  gens  pour  se  séparer 
de  luy ,  et  faire  un  party  à  part ,  ou  se  Joindre  à  ceux  de  la 
Ugue  avec  lesquels  ils  ne  celoient  pohit  qu'ils  compallroleat 
bien  mieux  qu'avec  les  Huguenots  ;  ce  qiïi  serolt  la  ruine  de 
l'État  et  de  la  maison  de  Bourbon  '.  »  Il  tenta  de  surmonter 
ces  difficultés  en  leur  laissant  le  commandement,  et  en  con^ 
fiant  à  Biron  la  conduite  des  opérations  du  siège  de  Rouen  ; 
mais  en  multipliant,  en  épuisant  personnellement  ses  efforts 
pour  prévenir  ou  pour  réparer  leurs  fautes.  Il  trouva  à 
l'épreuve  que  la  tâche  était  au-dessus  de  ses  forces,  et  pro- 
bafatemeot  au-dessus  des  forces  humaines. 

'  S«U  j,  OEcMu  royalM,  u  39,  |wst  SI  A. 


120  HISTOIRC  DU  rAGNE  DE  HENRI  IV. 

Outre  les  raisons  générales  et  communes  à  son  parti,  Biron 
avait  un  motif  particulier  de  dissiper  en  pure  perte  les  fcNxres 
de  IlenrL  II  lui  avait  demandé  le  gouvernement  de  Rouen 
après  la  réduction  de  la  ville  :  le  roi  engagé  d'avance  avec  le 
duc  de  Montpensier ,  gouverneur  de  Normandie,  à  donner  à 
un  autre  ce  gouvernement,  s'était  vu  contraint  de  le  lui  refuser 
pour  ne  pas  faillir  à  sa  parole.  De  là  chez  Biron  un  profond 
mécontentement.  Ce  n'est  pas  seulement  Sully,  ce  sont  pres- 
que tous  les  contemporains  qui  témoignent  qu'au  siège  de 
Rouen,  le  vieux  maréchal  «  fist  toutes  choses  par  despît,  et 
ne  voulut  nullement  que  la  ville  se  prist  K  »  Au  début  du 
siège,  plusieurs  chefs  demandaient  qu'en  se  conformant  à  la 
grande  maxime  de  guerre,  ville  prise^  chdUau  rendu^  on 
dirigeât  tout  d'atwrd  les  attaques  contre  Rouen.  Ils  se  fon- 
daient sur  ce  que  la  ville  était  alors  mal  fortifiée  et  mal  pour- 
vue de  munitions,  et  ils  prétendaient,  avec  la  plus  grande 
apparence  de  raison ,  que  la  prise  de  la  place  entraînerait 
celle  de  la  citadelle.  Biron  laissa  d'abord  à  l'actif  et  hitelli- 
gent  Villars,  gouverneur  de  Rouen,  le  temps  nécessaire  pour 
mettre  le  fort  Sainte-Catherine  dans  un  état  formidable  de 
défense,  il  porta  ensuite  sur  cette  citadelle  toutes  les  forces 
et  toutes  les  attaques  de  l'armée  royale.  Les  royaux  trouvant 
à  chaque  pas  un  retranchement  à  emporter,  un  combat  à 
rendre  Contre  des  chefs  et  des  soldats  d'un  courage  éprouvé, 
harcelés  de  plus  par  de  continuelles  sorties,  ne  purent  même, 
an  commencement,  entamer  les  ouvrages  de  l'ennemi.  Il 
resta  prouvé  alors  que  s'attaquer  au  fort  Sainte-Catherine, 
c'était  de  toutes  les  manières  de  prendre  Rouen  choisir  la 
plus  difficile  et  la  plus  mauvaise.  Cependant  c'en  était  une, 
parce  que  la  citadelle  dominait  la  ville,  et  qu'en  s'en  rendant 
maître,  on  pouvait  foudroyer  Rouen.  Aussi  dès  que  le  rot 
vint,  à  partir  du  i"  décembre,  prendre  une  part  active  aux 
opérations,  il  fit  des  eflTorts  inouïs  pour  prendre  le  fort  Sainte- 
Catherine  et  pour  réparer  la  faute  calculée  du  maréchal , 
dirigeant  lui-même  les  travaux,  entrant  de  quatre  nuits  l'une 
dans  la  tranchée,  conduisant  les  soldats  à  l'assaut,  repoussant 
les  sorties,  exposant  sa  vie  plusieurs  fois  chaque  Jour.  Villars, 
son  ennemi,  mais  son  ennemi  généreux,  s'écriait  avec  admi- 

*  SaUy,  OEcoD.  roy.,  c.  33,  p.  89  A,  90.  —  P.  C*y«t,  I.  IV,  p.  SS6  B, 
387  B,  et  Lcfrain,  Dccade,  confirment  à  cet  égard  le  Ûniolgnegs  de  SoUy. 


SliGE  D£  ROUEN  :  TRAHISON  DES  GRANDS  ET  DE  BIRON.    121 

ntioo  que  ce  prince,  par  son  habileté  et  sa  valeur,  avait  mé- 
rité mille  couronnes  pareilles  à  celle  qu*il  portait'.  MaL<i  les 
difficultés  de  l'entreprise  et  les  rigueurs  de  Thlver  Tempe- 
chèrent  d'obtenir  ^ucun  avantage  décisif  pendant  le  mois  de 
décembre  1591  et  la  première  moitié  du  mois  de  janvier  1593. 
11  n'avait  encore  emporté  qu'une  partie  des  ouvrages  avancés 
de  l'ennemi ,  quand  il  apprit  que  les  ducs  de  Parme  et  de 
Mayenne  s'avançaient  avec  une  armée  de  23,000  hommes 
pour  lui  faire  lever  le  siège.  U  laissa  au  maréchal  Biron  le 
soin  d'en  continuer  les  opérations  avec  toute  l'infanterie  de 
l'armée  royale.  U  prit  le  commandement  de  la  cavalerie  qui 
comptait  6,000  hommes,  quitta  le  camp  de  Rouen  avec  elle 
le  20  janvier,  et  s^avança  au-devant  de  l'armée  hispano- 
ligueuse'. 

Les  différends  de  Fâmèse  et  de  Mayenne  étant  accommodés, 
par  les  honteuses  concessions  que  le  dernier  avait  faites  &  <r  Aumlie. 
l'Espagne,  les  deux  ducs  avaient  joint  leurs  forces  ensemble, 
et  en  suivant  la  route  de  la  Fère  et  de  Péronne,  étaient  arri- 
vés à  la  frontière  de  la  Picardie  et  de  la  Normandie,  avec  le 
dessein  de  secourir  Rouen.  Le  roi  résolut  d'aller  les  recon- 
naître, de  tout  tenter  pour  attirer  leur  cavalerie,  seule  et  sé- 
parée de  leur  infanterie,  à  un  combat  où  il  pouvait  se  pro- 
mettre une  victoire  à  peu  près  certaine  ;  dans  tous  les  cas, 
de  harceler  leur  armée  à  chaque  pas,  et  de  leur  disputer  le 
terrain  pied  à  pied.  Ayant  laissé  le  gros  de  la  cavalerie  à 
Neufchâtel,  il  poussa  une  reconnaissance  jusqu'à  Aumale 
avec  quelques  centaines  d'hommes  d'élite.  Dans  cette  ren- 
contre où  il  flt  plus  les  fonctions  de  maréchal  de  camp  que 
de  général  et  de  roi ,  il  courut  d'extrêmes  dangers,  et  fut 
blessé  aux  rehis  d'un  coup  d'arquebuse  (5  février).  Mais  il 
rejoignit  son  gros  corps  de  cavalerie,  et  invincible  à  la  dou- 
leur comme  à  la  fatigue,  il  poursuivit  son  dessein,  dont  les 
événements  se  chargèrent  de  montrer  l'intelligence  et  la 
sagesse.  Après  la  prise  de  Neufchâtel,  les  ducs,  poursuivant 

'  Sully  1  P.  Cay«l,  ibU.  —  Daubigntf,  I.  m,  c.  iS,  p.  S88. 

'  SoUy,  OKcoii.  roy.,  c.  33,  p.  90  A,  01  B,  U9.  —  Daubignc,  1.  ni,  c.  13, 
p.  259.  «0,  —  P.  C«yrl,  I.  iv,  p.  S59,  360.  —  Thuanus,  1.  cii,  subJÎH, 
—  ITaprèa  !••  lettre»  minWee,  t.  m,  p.  549,  553,  555,  Henri  «'avance  iua- 
mCk  GiMM-t,  1»  f  5  lanvier  :  U  en  rcTiciit  el  campe  à  Darnetul,  dcTaot 
Ronen,  le  19;  il  eu  est  parll  le  tl,  et  séjoarne  alors  à  Sommcreuil,  en 


122  HISTOIBE  DO  RÈGNE  DE  HENRI  I?. 

leur  marclie  vers  Aoaen,  s^étaient  avancés  jusqa'aa  bouiig  de 
Bore.  Henri,  campé  à  Buchy,  à  cinq  lieues  nord-est  de 
lUmen,  attaqua  et  siuprit  les  deux  quartiers  de  Mayenne  et 
du  duc  d'Aumale,  du  duc  de  Guise  et  du  comte  de  Gbaligni* 
tua  on  di^rsa  tout  ce  qui  s'y  rencontrait,  et  fit  un  butin 
immense  (17  février). 
R«Tertde  Biron  Depuis  uu  mois,  Henri  tenait  les  deux  ducs  en  écbec,  leur 
licge  d«  Rouen.  ^^^^^^  ^^  cbemîn ,  couvrait  Rouen ,  donnait  les  moyens  à 
Biron  et  à  son  infanterie  d*en  poursuivre  et  d'en  achever  le 
siège.  Grâce  à  ses  Ulents  et  à  son  intrépidité,  il  était  donc 
arrivé  au  siège  de  Rouen  Topposé  de  ce  que  l'on  avait  vu  se 
produire  au  blocus  de  Paris.  Mais  pour  que  la  ville  attaquée  fût 
réduite,  il  fallait  de  toute  nécessité  que  les  opérations  du  siège 
fussent  habilement  et  vigoureusement  conduites,  et  elles  le 
furent  aussi  mal  que  possible.  Pendant  tout  ce  grand  mois, 
le  vieux  maréchal  de  Biron  ne  fit  aucun  progrès  décisif,  et  h  la 
fin  du  mois,  en  l'absence  du  roi,  il  essuya  un  revers  terrible. 
Son  incurie  laissa  Villars  faire,  le  ^2U  février,  une  sortie  géné- 
rale. L'armée  royale  perdit  huit  cents  hommes,  ses  provisions 
de  poudre,  une  partie  de  son  artillerie  traînée  en  triomphe 
par  l'ennemi;  Biron  fut  blessé  à  la  cuisse,  les  plus  braves 
capitames  tués  sur  place,  les  tranchées  comblées ,  les  mines 
éventées,  l'entreprise  ramenée  au  point  où  elle  était  le  pre- 
mier jour  du  siège. 
DUp^ninn  Vainement  le  roi  répara  cette  faute  énorme  ;  vainement  il 

•i%ine  partie  d«  concentra  les  divers  corps  de  son  armée,  ranima  leur  cou- 
^imee  ruya  «.  ^^^  opposa  aux  ducs  uuc  force  tellement  supérieure,  que 
ne  pouvant  faire  lever  le  siège  sans  en  venir  aux  mains  ,  et 
n'osant  livrer  bataille,  ils  se  retirèrent  sur  la  Somme.  Inuli^ 
lement  encore,  Henri  rétablit  les  tranchées,  éleva  des  forts, 
renversa  une  partie  des  murailles  de  Rouen ,  vainquit  les 
assiégés  dans  une  sanglante  sortie  près  de  la  porte  Gaudioise, 
réduisit  Villars  à  de  telles  extrémités,  qu'il  écrivit  aux  ducs 
que  s'il  n'était  secouru  dans  huit  jours  il  capitulerait.  l'ar  le 
fait  seul  que  le  siège  avait  duré  pendant  cinq  mois  d'un  ri- 
goureux hiver,  l'entreprise  était  manquèe.  En  effet,  le  pins 
grand  nombre  dcH  soldats  étrangers  avait  succombé  à  la  fa- 
tigue, à  la  maladie  ou  dans  les  combats.  La  noblesse,  selon 
sa  coutume,  après  un  mois  ou  six  semaines  de  service,  s'était 
retirée  dans  ses  domaines.  A  la  date  du  29  mars,  bien  que 


EFFORTS  DU  ROI  :  LEVÉE  DU  SIÉGÉ  DE  ROUEN.        123 

Henri  eût  reçu  nn  renfort  de  6,000  Hollandais  et  Anglais,  il 
ne  comptait  plus  que  lâ,000  hommes  dans  son  armée,  et 
n^avait  presque  pas  de  cavalerie.  Dès  lors  il  se  trouvait  dans 
Timposaibflité  à  la  fois  de  disputer  le  passage  aux  ducs,  de- 
venus depuis  peu  très  supérieurs  en  forces,  et  d'accepter 
contre  eux  une  bataille  pour  les  empêcher  de  faire  lever  le 
siège. 

Instnilts  de  Tétat  de  lîiiblesse  où  0  était  réduit,  et  princi-  Lavtft  du  nég« 
paiement  de  son  manque  presque  absolu  de  cavalerie  fran-  *  *'"'"* 
çaise,  Famèse  et  Mayenne  se  rendirent  en  trois  jours  (16*19 
avril),  par  une  marche  précipitée,  des  bords  de  la  Somme 
sous  les  murs  de  Rouen.  Non  seulement  Ils  trouvèrent  la 
route  libre ,  mais  ils  contraignirent  Henri,  qui  ne  pouvait 
les  attendre  sans  s'exposer  à  une  défaite,  de  retirer  ses  trou- 
pes à  Bans,  à  deux  lieues  de  Houen.  Les  ducs  entrèrent  le  30 
avril  dans  Rouen  délivré  :  ils  détruisirent  tous  les  travaux 
élevés  par  Tarmée  royale ,  ravitaillèrent  la  ville,  et  ne  lais  • 
sèrent  plus  de  trace  de  la  longue  et  pénible  entreprise  du 
roi». 

La  délivrance  de  Rouen  ne  devait  être  complète  que  quand    suge  do  Cou- 
ceite  ville  pourrait  communiquer  librement  avec  le  Havre  ,  '^****^;i^°"'*^' 
recevoir  des  provisions  par  le  cours  de  la  Seine ,  et  rétablir      adinir>.bie 
son  commerce.  Pour  obtenir  ce  résultat,  les  ducs  avaient  à        ^^  '^"*' 
prendre  Gaudebec  occupé  par  Parmée  royale.  La  prise  de 
cette  place  importante  par  sa  situation  et  par  Tamas  de  vivres 
et  de  munitions  que  le  roi  y  avait  formé  était  nn  complé- 
ment nécessaire  de  la  levée  du  siège  de  Rouen.    Famèse  et 
Mayenne  se  laissèrent  prendre  à  cet  appât,  et  après  trois 
Journées  seulement  de  séjour  à  Rouen ,  Ils  portèrent  leurs 
forces  sur  Gaudebec  dont  ils  s'emparèrent.  A  ce  siége,  Far- 
nèse  reçut  un  coup  d'arquebuse  et  fut  dangereusement  blessé 
en  deux  endroits.  De  Gaudebec  ils  se  transportèrent  à  Yvetot, 
pour  réduire  le  pays  Jusqu'à  la  mer  et  chercher  des  vivres^ 


*  Poar  l«*cinq  paraKrHphptprécddenU,  relalift  au  tiéee  de  Roaen.roir 
le«  l^lliet  misstres  de  Henri  IV,  i.  m,  p.  SW,  S63,S66-S70,  574-57T,  89.1, 
90*.  S09,  616, 617.  —  P.  Cayet,  1.  m,  p.  366-366.  —  Thuanui,  1.  ai,  ail. 
—  Dsobigné,  1.  ni,  c.  i\  14,  U  ui,  p.  95S-965.  —  On  lit  dans  les  leltret  de 
Henri,  dei  iO  et  SI  avril  :  m  Sachans  met  ennemis  que  festoia  deipourrev 

•  ém  CBTaUerie  fraoçoife,  Ua  ont  nad  de  telle  diligence,  qn^en  Iroia  |oai^ 
»  Dce«  tta  Mnt  venna  de  la  rivière  de  Somme  4  raoj;  qui  a  etltf  caose  qae 

•  fay  l«vd  le  litffe.  i 


i2/ii  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

C'était  à  cette  démarche  que  Henri  les  attendait  Quand  il  les 
vit  enfoncés  dans  la  Normandie,  il  résolut  de  les  y  enfermer 
et  de  les  exterminer,  tournant  contre  eux ,  par  une  com- 
binaison de  génie,  leur  succès  d'un  moment  et  la  levée  du 
siège  de  Rouen.  Avant  de  se  séparer  de  sa  noblesse,  il  avait 
tiré  d'elle  la  promesse  de  venir  le  joindre  au  premier  appel 
Cet  appel,  il  le  fit;  les  gentilshommes  y  répondirent,  les  gar- 
nisons des  places  voisines  accoururent,  et  en  quelques  jours 
il  réunit  23,000  hommes ,  parmi  lesquels  6,000  cavaliers, 
forces  très  supérieures  à  celles  de  l'ennemi  qu'il  attaqua 
aussitôt 
Cinq  comuu  Assailli  par  l'armée  improvisée  que  son  adversaire  avait  su 
prit*  '^/'ttou  rassembler,  le  duc  de  Parme  disait  «  que  le  roi  faisoit  la 
de  RiiDton.  guerre  en  aigle.  »  11  put  se  convaincre  bientôt  qu'il  la  faisait 
aussi  en  lion.  En  effet,  Henri,  du  28  avril  au  10  mai,  livra 
aux  environs  d'Yvetot  cinq  combats ,  dans  lesquels  les  ducs 
essuyèrent  des  échecs  successifs  et  très  rudes.  De  plus,  il  les 
rédtdsit  à  une  telle  disette  de  vivres  et  de  provisions ,  que 
dans  leur  camp  le  pain  se  vendit  dix  sous  la  livre,  le  vin 
trente  «ous  la  pinte,  l'eau  même  des  fontaines  à  un  prix  très 
élevé,  tandis  que  la  paille  et  les  fourrages  manquaient  abso- 
lument Us  avaient  déjà  perdu  le  tiers  de  leur  armée  par  la 
maladie,  les  combats  et  la  désertion,  quand  ils  levèrent  leur 
camp  le  11  mai,  et  allèrent  prendre  position  à  Ranson,  vil- 
lage distant  d'un  quart  de  lieue  de  Gaudebec.  Le  roi  les 
poursuivit  l'épée  dans  les  reins,  attaché,  avec  un  légitime 
acharnement ,  à  leur  perte  qu'il  lui  fut  donné  ce  jour-là  de 
consommer.  En  effet,  ayant  séparé  son  armée  en  deux  corps, 
il  se  mit  à  la  tête  de  l'un,  et  attaqua  avec  la  plus  grande  vi- 
gueur les  quartiers  des  ducs ,  tandis  qu'U  envoyait  Bht>n , 
avec  l'autre  division,  donner  contre  le  reste  de  l'armée  enne- 
mie dans  Ranson  même.  Le  corps  que  commandait  le  roi 
détruisit  deux  régiments  hispano-ligueurs.  De  son  côté,  le 
corps  commandé  par  Biron  renversa  tout  ce  qui  se  trouvait 
devant  lui,  tua  huit  cents  hommes,  mit  le  reste  en  fuite,  et  dé- 
truisit la  cavalerie  légère  des  ducs,  composée  de  vingt-deux 
compagnies.  L'armée  des  ducs  était  profondément  ébranlée 
et  découragée  ;  la  victoire  était  à  moitié  remportée  :  pour 
l'achever,  il  suffisait  de  vouloir  et  de  marcher.  Dans  ce  mo- 
ment le  baron  de  Bhx>n  demanda  à  son  père  cinq  cents  cbe- 


COMBINAISON  ADMIRABLE  DU  ROI  :  NOUVELLE  TRABISO{«.  125 

Taux  suffisants,  disait-il ,  pour  décider  l'entière  déroute  des 
Espagnols  et  des  Ligueurs.  Le  vieux  maréchal  les  lui  refusa 
en  lui  disant  :  «  Maraud,  nous  veux-tu  donc  renvoyer  planter 
»  des  choux  à  Biron?»  Le  jeune  Biron,  qui  ne  voyait  alors 
qu*un  éclatant  succès  qu'on  lui  arrachait  des  mains,  s'écriait, 
dans  les  transports  de  son  indignation ,  que  s'il  était  roi  de 
France,  il  ferait  couper  la  tète  au  maréchal. 

Famèse  s'aida  de  cette  collusion  :  en  capitaine  consommé, 
il  avait  jugé  que  c'était  fait  de  lui  et  de  son  armée ,  s'il  ne 
parvenait  à  échapper  à  un  adversaire  tel  que  Henri,  et  de- 
pois  huit  jours  il  avait  préparé  ses  moyens  de  retraite.  Dans 
la  nuit  du  16  mai,  il  construisit  en  face  de  Gaudebec  un  pont 
avec  les  bateaux  qu'il  avait  fait  descendre  de  Rouen,  trans- 
porta ses  troupes  sur  la  rive  opposée,  rompit  le  pont,  et  mit 
ainsi  entre  lui  et  Henri  la  Seine,  qui  en  cet  endroit  n'est  plus 
un  fleuve,  mais  un  bras  de  mer.  Le  roi  assura  à  son  conseil 
que  rien  encore  n'était  perdu  pour  la  destruction  de  l'en- 
nemi, si  l'on  voulait  précipiter  6,000  cavaliers  vers  le  Pont- 
de-1'Arche,  harceler  les  Espagnols  et  les  Ligueurs  épuisés  par 
la  fatigue,  la  faim  et  les  combats,  et  donner  le  temps  au  gros 
de  rarmée  royale  de  les  joindre  pour  les  extermfaier.  Toutes 
les  mauvaises  raisons  qu'on  lui  opposa  étaient  réfutées  par 
le  fait  que  Souvré,  avec  un  corps  de  cavalerie,  en  suivant  la 
route  indiquée  par  Henri,  avait  joint  l'ennemi  et  l'avait  com- 
battu avec  avantage.  D'un  autre  côté,  ces  misérables  pré- 
textes pouvaient  être  surmontés  par  un  acte  énergique  de  la 
vokmté  royale.  Mais  les  ambitieux  qui  voulaient  éterniser  la 
guerre  pour  se  perpétuer  dans  le  commandement,  et  les  ca- 
tholiques passionnés  mirent  ordre  à  ce  que  cette  volonté,  si 
elle  se  produisait,  restât  impuissante.  Renouvelant  une  pra- 
tique dont  ils  avaient  déjà  usé  deux  ans  auparavant  à  Mantes, 
ils  excitèrent  les  Suisses  à  exiger  impérieusement  leur  solde 
avant  de  marcher,  et  ils  refusèrent  au  roi  l'argent  indispen- 
sable pour  les  satisfaire.  Parmi  ces  embarras  et  ces  trahisons, 
Henri  perdit  le  moment  utile  de  la  poursuite ,  et  la  dernière 
chance  de  la  victoire. 

Famèse  put  gagner  Paris,  et  de  là  ramener  en  Flandre 
son  armée,  diminuée  du  reste  de  7,000  hommes.  C'est  Sully, 
témoin  de  ce  qui  se  passa  au  camp  royal  dans  cette  mémo- 
rable circonstance;  ce  sont  Mézeray  et  Pêréfixe,  placés  si 


PasMge 

de  lu  Sriii» 

par  FarD««f. 


Retiatte 
il«  Farnèsv. 


i^  BtSTOIflB  Ot)  RiONH  0B  nEKBI  IV. 

près  pour  rocueillir  les  témoignages  des  contemporains,  qui 
fournissent  les  délails  que  nous  venons  de  reproduire,  cl  qui 
montrent  comment  les  chefs  royaux  parvinrent  à  faire 
avorter  les  admirables  combinaisons  et  les  prodiges  d'acti- 
vité de  Henri  K 

Famèse ,  défait  en  toutes  rencontres  et  blessé ,  avait  été 
contraint  à  la  retraite ,  ou  plus  exactement  à  la  fuite  :  le 
territoire  était  momentanément  délivré  de  l'invasion  de 
l*armée  espagnole,  dont  près  de  la  moitié  avait  été  détruite. 
Gâtait  à  ces  incomplets  et  insuffisants  résultats  que  se  bor- 
nait tout  Teflort  de  cette  guerre«  Le  roi  avait  espéré ,  juste- 
ment espéré,  «  qu'il  feroit  perdre  aux  Espagnols  le  chemin 
■  ou  Tenvie  de  plus  venir  troubler  et  ravager  le  royaume; 
»  que  la  campagne  d'Yvetot  seroit  un  coup  de  partie  pour  la 
»  France  et  pour  lui-même  \  »  Ces  espérances  étaient  ren- 
versées, ce  coup  de  partie  perdu.  Ses  généraux  et  ses  servi- 
teurs, ou  ceux  qui  se  disaient  tels,  avaient  fait  échouer  le 
tiége  de  Rouen,  comme  ils  avaient  fait  avorter  le  blocus  de 
Paris.  La  Ligue  demeurait  debout;  toutes  les  grandes  villes, 
toutes  les  capitales  de  provinces,  au  nombre  de  vingt-quatre, 
révoltées  et  les  armes  à  la  main  ;  le  roi  épuisé  d'argent,  hors 
d'état  de  rassembler  de  nouveau  une  grande  armée,  con- 
vaincu d'impuissance  dans  son  projet  d'atiattre  la  révolte  ;  la 
France  enfln  déchirée,  ouverte  aiu  nouvelles  invasions  de 
Philippe  H,  livrée  intérieurement  à  ses  intrigues  et  à  ses 
]n*ogrès. 
KréntmmiB  Durant  les  premiers  mois  qui  suivirent  le  siège  de  Rouen, 
^proTiS^rat/*'  ce  qui  se  passa  sur  presque  tous  les  points  du  territoire  con- 

*  Pour  !••  iiuntr*  drrniert  piira|rHphet,  letU-fi  missives  des  l*',  5,  7, 
II,  17  ntui,  t.  m,  p.  OM,  09^,  Sirt,  ôlM,  ft^t.  6:>4,  657.  ~  À  la  diit«  du 
17  mai,  H«aH  iodiqu«  comme  nccumpli  la  pasaags  de  I»  Jielne  à  GMiidebec 
Bar  Faruèse.  Cela  esl  ronlirmd  par  Lesiuiie,  qui  place  le  pas»age  de  la 
Seine,  por  le  duc  de  Parme,  le  samedi  IS  du  mots  de  mai.  Trille  de  la  Pen- 
tecAte,  et  qui  •  to,  le  IS  mai,  Turmée  des  ducs  passer  par  Paris  (RegisC 
|oaro,,  p.  1M>  aj.  —  Les  autres  cuiitentpoiains  placent  ce  passage  an  SU  et 
an  89  mai.  —  Thuanus,  I.  ciu.  —  Supplém.  de  Lesloile,  p.  S7  B.  —  Cayel, 
1.  nr,  p.  ôfiB  À,  B.  Il  y  a  cbee  eux  erreur  de  date  prouvée  par  les  Ictlies 
missives.  G>nlre  le  lémoigiiag<>  des  mêmes  lettres,  p.  6i5,  Sully,  c.  35, 
p.  OS  A,  Dauhigné,  c.  16,  p.  S66,  Cheveiuy,  i.  X .  p.  516  B,  placeal  la 
blessure  de  Faruèse,  non  au  siège  de  Caude)>cc,  muis  &  Tun  des  comlMls 

3ue  lui  livra  Henri  entre  Yvetot  et  Runsoii.  —  Pour  la  conJuiic  du  vieux 
iroii,  4  Itansou,  voir,  outre  !»uliy,  le  Suppl.  de  Lesloile,  p.  97  B;  Meaeny, 
Grande  histoire,  t.  lU,  p.  946,  947,  in-fol.  \  Péréfixe,  i>  partie,  p.  167. 
ill4o,  édiU  IS». 

•  UUiea  MlMivfs  det  7  «t  U  «Ml,  I,  w,  p.  6Bi,  684. 


Les  PLANS  DtJ  ROt  RKimiRSÉS  !  ÉTAT  DES  PROVINCES.    1S7 

ffrma ,  aggrava  même  ce  malheureux  état  de  choses.  Pans 
le  rayon  de  Parts,  après  le  départ  des  Allemands  auxiliaires, 
après  les  pertes  et  les  fatigues  du  siège  de  Rouen ,  tons  les 
progrès  de  Tarméc  royale  se  bornèrent  à  Toccupation  de 
deux  places  très  secondaires.  L'une  était  Épemay,  dont  le 
duc  de  Parme  s*était  emparé  an  milieu  de  sa  retraite ,  et  que 
le  roi  reprit  le  8  août;  au  commencement  du  siège,  le 
vieux  maréchal  de  Biron  ftit  emporté  d'un  coup  de  canon  *. 
L'autre  était  Provins.  En  voyant  le  roi  tombé  de  Tattaque 
de  Paris  et  de  Rouen  à  celle  d*Epemay  et  de  Provins,  qui  lui 
résistent  longtemps ,  on  sent  quel  était  le  déclin  de  sa  for- 
tune. 

Philippe  II  avait  envoyé  un  nouveau  corps  de  5,000  Espa-  BiatagM. 
gnols  au  gouverneur  de  Bretagne,  Mercœur.  Celui-ci  s'in- 
dignait  des  secours  trop  grands  et  trop  fréquents  que  lui 
Imposait  le  roi  catholique;  mais  dans  la  situation  hon- 
teuse où  il  s'était  placé ,  il  n'avait  plus  la  liberté  ni  de  la  ré- 
sistance ni  même  de  la  plainte  :  il  était  réduit  à  laisser 
faire.  Les  royaux ,  commandés  par  deux  princes  du  sang, 
Dombes  et  Gonti ,  perdirent  la  bataille  de  Graon  en  Anjou, 
sur  les  confins  de  la  Bretagne  :  toute  Tarmée  royale  fut  dé- 
truite ou  dispersée  (23  mai  1599).  Les  confédérés  s'empa- 
rèrent de  Laval  dans  le  Maine,  deChâteau-Gonthieren  Anjou. 
Cette  victoire  Ait  bien  moins  utile  à  .Mercœur  et  à  la  Ligue 
qu'à  Philippe  II.  Son  pouvoir  s'affermit  et  s'étendit  en  Bre- 
tagne. Les  Espagnols  et  leur  chef  don  Juan  d'Aqoila  ne 
tardèrent  pas  à  dominer  d'une  manière  absolue,  non  seule- 
ment dans  Blavet,  qui  leur  avait  été  abandonné ,  et  dans  le 
fort  Grozon,  qu'ils  construisirent  près  de  Brest,  mais  aussi 
dans  plusieurs  villes  dont  ils  gagnèrent  les  gouverneurs, 
telles  que  Douarnenez  et  Vannes  '.  De  plus,  Philippe  trouva 
devant  lai  les  marches  d'Anjou  et  de  Maine  tout  ouvertes , 

*  Lettres  minives,  10  InUlet  ISSf,  t.  ni,  p.  648.  —  P.  Cayet,  I.  it, 
p.  374  B. 

*  Mëm.  de  madame  Duplestb,  t.  i,  p.  ti4.  «  Le  duc  de  Merccaar  fiiit 
»  quelque  mloe  d'entendre  à  une  paix  avec  le  rof.  Il  ettoil  en  défiance  du 
»  secours  que  le  roy  d'Espaigne  luy  enTuyoit  plus  souvent  el  plus  grunt 
»  qu'il  ne  Tonloit.  Mais  il  n  osa  offenser  l'ambossudeur  d'Espaîgne,  qui 
»  loodeia  lai  imetliua  les  principaux  du  cierge'  pour  luy  eu  foire  rrmon- 
»  trunre.  »  Lettres  misiivei  du  19  juin,  t.  in«  p.  6S0.  —  Tbuanus,  I.  cm, 
SS  14,  5S,  el  1.  «sni,  S  15,  t.  V,  p.  143.145,  145,600.  -  P.  Ceyet,  1.  it, 
p.3604ni,407B. 


Lungu«doc  cl 
Gaienne. 


ProTcnce. 


128  HISTOIRE  DD  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

et  menaça  de  relier  Tinvasion  des  provinces  de  TOuest  à  celle 
des  provinces  du  Nord,  déjà  commencée  par  les  garnisons 
mises  dans  Paris,  Meaux  et  la  Fère« 

Dans  le  Languedoc,  le  Ligueur  Antoine-Scipion  de  Joyeuse 
succéda  à  Tautorité  de  son  père  Guillaume  sur  Toulouse  et 
le  Languedoc  occidental ,  s'appuya  comme  lui  sur  les  Espar- 
gnols ,  et  fut  contraint  de  les  mettre  de  part  avec  lui  dans 
son  gouvernement  et  dans  les  conquêtes  qu'il  fit.  Ayant  reçu 
de  Philippe  II  un  corps  d'Allemands  auxiliaires ,  il  se  saisit 
de  plusieurs  villes  en  Languedoc  sur  le  gouverneur  royal 
Montmorency,  et  lui  enleva  Garcassonne,  la  seconde  ville  du 
pays,  n  défit  deux  fois  les  royaux  à  Lautrec  et  à  Lacourt 
dans  les  mois  de  mars  et  de  juin ,  entra  dans  le  Quercy, 
province  dépendant  de  la  Guienne ,  prit  quelques  places  se- 
condaires, et  attaqua  Villemur  avec  le  dessein  d'occuper  tout 
le  Quercy  et  de  pénétrer  ensuite  dans  l'intérieur  de  la 
Guienne.  Presque  toutes  ses  forces  étaient  étrangères.  Sur 
ce  point  donc  on  retrouve  l'invasion  espagnole ,  et  on  la  voit 
poussant  une  pointe  menaçante  vers  les  provinces  centrales 
de  la  France.  En  Guienne  même,  Philippe  faillit  s'emparer 
de  Bayonne  au  moyen  d'un  complot  qui  devait  aider  une 
armée  de  terre  et  de  mer  (août).  Un  hasard  fit  échouer  l'en- 
treprise ;  mais  toutes  les  places  frontières  étaient  travaillées 
par  de  semblables  menées ,  et  ne  conservaient  plus  qu'une 
indépendance  incertaine  et  précaire  K 

En  Provence,  après  la  mort  du  brave  et  loyal  La  Valette, 
le  nord  du  pays  fut  maintenu  dans  l'obéissance  de  Henri 
par  l'énergie  du  parlement  royal  résidant  à  Sisteron  >,  et 
par  les  secours  que  Lesdiguières  y  amena  de  Dauphiné  an 
commencement  de  l'année.  Dans  la  partie  méridionale,  le 
duc  de  Savoie,  ayant  rompu  avec  la  comtesse  de  Sault, 
avait  été  chassé  de  Marseille  l'année  précédente ,  et  cette 
année  11  perdit  toute  autorité  dans  Aix.  Mais  il  conservait 
Berre  et  Grasse,  et  dans  sa  conquête  momentanée  d'Antibes, 
qui  eut  lieu  le  7  août,  il  fit  un  butin  immense  qui  épuisait 
le  pays  et  le  laissait  sans  défense.  De  plus,  le  roi  d'Espagne, 


•  Lettres  miMiret  du  f7  fcrrier,  t.  m.  p.  67i.  ^  Thmoiu,  1.  Clil,  SS  tS« 
17.  p.  150-164.  —  P.  Cayet,  1.  nr,  p.  387,  388,395. 

■  l.e  purlement  royuliste  de  Pi^oreuce  retourna  la  même  ennife,  el  quel- 
que temps  Hprè*,  à  Maiiotqao. 


ÉTAT  DES  PROVINCES.  PROGRÈS  DU  TIERS-PARTI.      129 

bien  plus  redoutable  à  la  France ,  hérita  de  presque  tout  ce 
qui  échappait  à  son  gendre.  En  effet,  Marseille  étant  tombée 
au  pouvoir  des  deux  tyrans  Gasaulx  et  Louis  d'Aix,  Phi- 
lippe II  en  fit  ce  que  Bussy  le  Clerc  et  les  chefs  des  Seize 
avaient  été  à  Paris,  les  agents  de  ses  desseins ,  les  promo- 
teurs de  son  usurpation.  De  {dus,  il  envoya  une  flotte  dans 
le  port  de  Marseille  pour  préparer  les  voies  à  sa  conquête  >. 

En  Dauphiné,  durant  Tabsence  de  Lesdiguières ,  alors  DBaphinë. 
occupé  en  Provence ,  la  trahison  du  gouverneur  royal  Mau- 
giron  livra  Vienne ,  la  seconde  ville  de  la  province ,  au  duc 
de  Nemours,  gouverneur  pour  la  Ligue  du  Lyonnais  (10  juil- 
let). L'ambitieux  Nemours,  presque  aussi  hostile  à  Mayenne 
qu'à  Henri,  voulait  rétablir  à  son  profit  Tancien  royaume 
d'Arles,  en  détachant  le  Lyonnais  et  le  Dauphiné  du  corps 
de  la  monarchie.  Mais  l'armée  du  duc  de  Savoie,  avec  la- 
quelle il  exécuta  cette  entreprise,  était  presque  entièrement 
composée  d'Espagnols  et  d'Italiens  du  Milanez,  sujets  de  Phi-  . 
Uppe  II  \  Là  donc,  comme  en  Provence,  comme  en  Lan- 
goedoc ,  comme  en  Bretagne ,  les  Espagnols  se  montrent 
derrière  les  ligueurs,  marchent  à  leur  suite,  pour  se  saisir 
de  la  proie  qui  ne  fait  que  passer  entre  les  mains  de  la  Li- 
gne, et  qui  s'arrêtera  dans  celles  de  l'étranger. 

Dans  le  même  temps  que  Henri  avait  à  gémir  et  à  s'in-  Progrèn 
qidéter  de  ces  pertes  essuyées  sur  les  divers  points  du  ter-  *"  **«"'i**^ 
lîtoire,  il  voyait  les  principes  de  dissolution  se  développer  au 
sein  de  ce  parti  royal  qui,  depuis  trois  ans,  avait  fait  seul  le  salut 
dn  pays.  A  partir  de  la  fin  du  mois  d'avril,  et  après  le  mau- 
vais succès  du  siège  de  Rouen,  le  tiers-parti  s'était  grossi  de 
d^Auinont,  de  Longueville,  des  principaux  chefs  royalistes. 
On  voit  dans  la  correspondance  des  ligueurs  Villeroy  et  Jean- 
nln  pendant  le  mois  de  mai,  que  ces  chefs  étaient  entrés  en 
relations  suivies  avec  Mayenne  qui  les  trompait,  et  n'affectait  de 
vouloir  s*entendre  avec  eux  pour  pacifier  la  France,  que  dans 
k  double  but  de  les  débaucher  du  parti  du  roi,  et  de  les  opposer 
à  Philippe  II,  pour  ralentir  les  poursuites  de  ce  dernier.  On 

'  Lvltrca  nisriTct  des  3  décembre  1091  et  77  terrier  i80t,  t.  m,  p.  M3, 
91%,  5TS.  —  P.  Cayet,  1.  iv,  p.  3Sl,  381.  —  Thuanus,  1.  cm,  ibid. 

'  P.  Ceyel*  I.  nr,  p.  579  B.  «  Le  duc  de  SaToie  fiit  assembler  set  troupes 
»  auprès  da  lac  du  Bourget,  où  ac  trouvèrent  sept  à  buil  mille  Espagnols^ 
m  Savoyards,  luUens,  lesquels,  sous  la  conduite  du  comte  Olitarès,  se  ren- 
»  dirent  tous  à  Lyon.  » 

9 


roi. 


130  BUTOIRE  DU  RàGNE.OB  BERRI  IV» 

voit  que  ces  aeigneiirs  prévoyaient  le  cas  et  annonçaient  le 
moment  où  ils  abandonneraient  le  roi,  si  dans  un  délai  fixe 
il  ne  leur  donnait  satisfaction  au  sujet  de  la  religion  et  des 
intt^réts  de  leur  ambition  tout  ensemble  K  On  voit  encore 
dans  les  divers  écrits  du  temps  que  les  grands  seigneurs  des 
deux  partis  pressentaient  la  prochaine  dissolution  de  TÉtat  t 
et  s'apprêtaient  chacun  à  en  saisir  un  lambeau. 
EirctioB  Ces  mauvais  vouloirs  et  cette  désaffection,  ces  projets 

prochaia*  «Pua  ^gofstes  et  lusensés,  ûtaient  toute  force  sérieuse  et  durable 
au  parti  national,  en  morcelant ,  en  éparpillant  ce  qui  i  réuni 
jusqu'alors  en  faisceau,  lui  avait  permis  de  résister  à  Fétren- 
ger.  Un  nouveau  et  plus  pressant  danger  le  menaçait  encore* 
La  Ligue  allait  entrer  forcément  dans  Télection  d'un  roi. 
Cette  faction,  comme  le. déclare  ViUeroy,  ne  pouvait  plus  se 
soutenir  avec  l'autorité  bâtarde  de  la  lieutenance  générale  de 
Blayenne,  encore  abaissée  et  affaiblie  par  ses  défaites.  La 
Ligue  avait  indispensablement  besoin  d'un  pouvoir  plus  légi- 
time, plus  franc  et  plus  fort  \  D'une  autre  part ,  Philippe  II 
exigeait  l'élection  «  et  Mayenne,  à  bout  de  mensonges  et  de 
promesses  trompeuses ,  était  obUgé  de  la  lui  concéder  pour 
obtenir  de  lui  les  armées  et  l'argent  qu'il  ne  voulait  plus  ac* 
corder  qu'à  ce  prix.  Enfln  le  nouveau  pape  Clément  VIII , 
élevé  comme  son  prédécesseur  au  pontificat  par  la  feveur  de 
l'Espagne,  entièrement  livré  comme  lui  à  Philippe  II,  pres- 
sait la  France  de  se  choisir  un  souverain ,  et  un  souverain 
catholique.  Il  s'adressait  à  la  fois  aux  princes  et  aux*  villes  de 
la  Ligue,  comme  rétablissent  ses  brefs  adressés  au  duc  de 
Neversct  à  la  ville  d'Arles  (15  février  et  7  mai).  Il  les  pres- 
sait, les  conjurait  de  sauver  la  France  et  la  fol  catholique* 
Par  un  autre  bref  en  date  du  15  avril,  il  déléguait  exprrâsé^ 
ment  son  légat  en  France,  le  cardinal  de  Plaisance,  l'un  des 
diplomates  les  plus  adroits  et  les  plus  actifs  de  ce  temps,  pour 
concourir  à  cette  élection.  D  excluait  du  trône  Henri  IV  qu'il 
nommait  tm  tyran  hérétique  ;  il  demandait  qu'en  son  lien  et 
place,  on  choisit  un  roi  catholique  qui  pût  le  terrasser  «t 
rextermlner  >• 

*  Uttt*  dt  JaMln  à  Vilktoy  i  U  daU  da  8  mal  1801,  Apol.  «idlMn 
t.  XI,  p.  191  B. 

*  Vlllffroy*  Apol,  «t  diic.,  p.  Vf!  A.  «  L«  duc  de  Mayanat  ■•  poavoit 
«  pl«i  naliiUBlr  le  party  taai  an  roj.  m 

*  Bieft  da  pape  Clément  TllI  dans  les  Aac.  lois  fraBçateei,  t.  ZV,  pi  8t, 


étfiCttOK  MijOCâAIffB  O^OK  ftOI  S  DAlfOElU»  ÙB  U  rAANCE.  i8i 

Pressé  par  ces  autorités  et  ces  nécessités  si  diverses» 
^yenne^dèsie  Gominencementde  1502,  avait  formellement 
consenti  Sélection  d*un  roi  et  la  convocation  d*une  assemblée 
d'États-généraux  chargés  de  foire  l*é]ection  et  de  déférer  la  sou- 
veraineté. L^inoertitude  ne  portait  plus  que  sur  le  terme  et  le 
lieu  de  la  convocation.  11  était  impossiirie  que  la  décision  d*une 
pareille  assemblée,  pour  peu  qu'on  la  rendit  respectable  par  la 
composition  de  rassemblée  elle-même,  n'eûlpas  la  plus  grande 
autorité,  et»  dans  la  lassitude  des  partis,  n'obtint  pas  de 
nombreuses  adhésions.  SI  le  choix  des  députés  appelait  à  la 
couronne  Philippe  II  ou  sa  fille,  cet  acte  législatif  doublait 
la  force  qu'il  tirait  de  ses  arméesi  de  son  argent,  de  ses  nom« 
breux  partisans  en  France,  et  pouvait  tout  emporter  et  tout 
décider  sur-le-champ  en  sa  faveuri  SI  l'élection  avait  lieu 
en  faveur  d'un  prince  de  k  maison  de  Guise  ou  du  jeune 
cardinal  de  Bourbon,  ce  candidat  catholique  accepté  par  les 
royalistes  celés  et  ambitieux  devenait  pour  Henri  un  rival 
redoutable;  la  guerre  civile  se  ranimait  plus  vive  que  Ja- 
mais ;  les  deux  partis  s'affaiblissaient  et  se  minaient  l'un  par 
Tautre  :  Philippe  II,  survenant  à  la  fin  de  la  lutte  avec  des 
forces  supérieures,  les  écrasait  tous  deux,  et  subjuguait  en- 
core la  France,  seulement  à  terme  et  avec  quelques  délais» 
au  lieu  de  le  faire  sans  remise. 

Ces  dangers  épouvantaient  Henri  IV,  Rosny,  Duplessis- 
Momay,  le  chancelier  Ghevemy,  tous  les  hommes  politiques 
qui  avaient  sondé  le  plus  profondément  la  plaie  de  la  France» 
et  qui  connaissaient  le  mieux  le  secret  de  la  situation.  Voici 
le  témoignage  de  Rosny  t  «  La  pluspart  des  notables  person- 
»  nages  catholiques ,  tenans  le  parti  du  roy,  disoient  qu'ils 
s  avoient  trop  temporisé  et  trop  longtemps  supporté  un  roy 
s  huguenot,  au  préjudice  de  leur  ccmscience.  Qu'il  falloit  le 
s  supplier,  voire  mesme  le  sommer  de  se  faire  catholique 
s  dans  un  temps  préfixe  ;  et  à  fautte  de  œ  faire»  se  joindrâ  à 
»  ceux  de  la  Ligue  et  tous  ensemble  procéder  à  i'eslectiofn 
*  d'un  roy  de  leur  religion»  soit  des  princes  de  son  sang,  ou  au-* 
9  très  àdéfaut  de  ceux-là.  s  Duplessis-Momay  écrivait,  au  mois 

SI,SO.  «  Vtftlni  <iint  parte*  r«goi  ifUiu  uluieoi  «l  cathoUca  fidei  «iiMm 
n  coAtMrit  cai  «trique  rel  infeetut  animo  «lqa«  «rmis  tyrannu*  h»re- 
m  Ucuâ,  lUiiai  furori  opponalur  vlrius  reiie  optiml  TercqiM  chrUtiiidii« 
*  ûaA,  Fora  aaim  onnas  vktont  «t  hoc  taolo  Ulini  Tirai  mloiniitHr  at 
é  plaal  eouddanu  » 


132  HISTOIRE  DU  RÈGNB  DB  HENRI  IV, 

de  mai,  dans  rintimité  de  ramitié  :  «  I^es  ligueurs  et  noust 
»  nous  sommes  sur  un  précipice,  incertains  qui  y  jettera  son 
»  compagnon  ;  en  danger,  même  en  le  poussant,  de  tomber 
»  en  même  temps  que  lui....  Le  remède  aux  maux  de  la 
»  France  ne  se  peut  trouver  que  dans  une  bonne  paix,  au- 
9  trefois  utile,  maintenant  plus  que  nécessaire.  »  On  voit 
dans  un  autre  contemporain  que  les  souverains  étrangers 
jugeaient  comme  les  nationaux  de  Textréme  péril  du  roi  : 
«  Tous  ses  voisins,  dit-il,  commençoientdesjàà  traiter  avec  lui 
»  comme  avec  un  souverain  dépossédé.  »  Enfin,  le  duc  de 
Roban,  esprit  supérieur,  qui,  au  commencement  du  règne 
de  Liouis  XIII ,  jugeait  froidement  une  situation  et  un  péril 
passés,  ajoute  :  «  Philippe  II  poussa  les  affaires  si  avant  que 
»  le  royaume  de  France  n^est  écbappé  de  ses  mains  que  par 
n  miracle  ■.  »  Quelques  publicistes  modernes  ont  prétendu 
que  Philippe  II  était  hors  d'état  de  garder  la  France ,  en 
supposant  quMl  pût  en  faire  la  conquête,  et  que  la  domina- 
tion espagnole  n'aurait  pas  pris  plus  racine  dans  notre  pays 
que  la  domhiation  anglaise  n'était  parvenue  autrefois  à  s'y 
affermir.  Nous  croyons  moins  à  leurs  conjectures  qu'an  ju- 
gement des  hommes  politiques  haut  placés  et  pratiques  que 
nous  venons  de  rapporter,  et  que  confirme  une  étude  appro- 
fondie de  la  situation.  Mais  même  en  admettant  leur  opinion 
pour  vraie,  il  resterait  encore  que  la  délivrance  du  pays  au- 
rait été  adietée  par  une  nouvelle  guerre  et  par  d'intolérables 
souffrances,  d'une  durée  indéfinie.  » 

Le  miracle  qui  sauva  notre  patrie  du  joug  de  l'étranger 
ou  de  la  ruine  intérieure,  ce  miracle,  pour  reprendre  l'ex- 
pression du  duc  de  Roban,  fut  le  génie  politique  et  la  patrio- 
tique abnégation  du  roi.  11  avait  épuisé  l'un  après  l'autre 
tous  les  moyens  de  la  contrainte  pour  abattre  la  révolte, 
pour  rétablir  l'ordre  et  la  paix.  Depuis  son  avènement  jusqu'à 
la  fin  du  siège  de  Paris  il  s'était  servi  plus  particulièrement 
des  catholiques  et  des  nationaux.  Depuis  la  fin  de  l'année 
1591  jusqu'à  la  mauvaise  issue  du  siège  de  Rouen ,  il  avait 

*  SaUjr,  OEcon.  rov.,  c.  W,  p.  100.  —  Dupletsis-Momay,  Mémoire  à  La- 
fboUine.  du  16-  mai,  et  lettre  au  premier  président  de  Rouen,  t.  T, 
p.  ?(36,  3S1.  —  Medame  Doplettii,  Mémoires,  t.  i,  p.  tfl.  -  Diaconrs  de 
H.  le  dur  de  Rohan  «ur  l'aHinire  de  la  Ligue,  cité  dans  la  Satire  Ménippée, 
1. 1«  p.  SB,  édit.  17S6.  —  ClicTerny,  Mémoires,  collect.  Micbaud,  t.  z, 
p.  BtS!  B. 


PIOPOSITIOHS  DE'PAIX  ADRESSÉES  PAR  LE  ROI  A  LA  LIGUE.  133 

eni[doyé  surtout  les  réformés  de  France ,  les  réformés  de 
toute  TEorope  ;  il  en  avait  fait  le  fonds  de  son  armée,  de  sa 
force  militaire,  et  il  ne  s'était  aidé  des  catholiques  royaux 
qœ  comme  d'auxiliaires.  Avec  les  uns  comme  avec  les  au- 
tres, la  guerre,  les  moyens  de  la  force  avaient  complètement 
trompé  ses  efforts  et  ses  espérances. 

n  ne  lui  restait  plus  que  deux  moyens  de  mettre  fln  à  une    ^^H  ••^jo 
guerre  civile  de  trente  années,  et  de  retenir  le  pays  qui  glis-  MMvnm'^etin 
sait  vers  Tablme.  Le  premier  était  d'amener  Mayenne  et      **^J  •*•  *• 
la  Ligue  à  poser  les  armes,  à  se  réconcilier  avec  lui,  et  d'op-  4  ftiira  la  paix, 
poser  à  l'Espagnol  les  partis  réunb  au  moins  dans  cette  pen- 
sée. Dès  qu'il  vit  le  siège  de  Rouen  mal  tourner,  il  entama 
des  négociations,  qui  durèrent  pendant  les  trois  mois  d^avril, 
de  mai  et  de  juin  1592.  Il  poussa  les  concessions  jusqu'aux 
dernières  limites  pour  obtenir  une  paix  indispensable. 

Mayenne,  ses  parents,  les  principaux  seigneurs  de  la  Ligue  Lei  chefi  d«  b 
élevèrent  alors  des  prétentions  qui  révèlent  à  la  fois  combien  .xifeit'u    r- 
fls  avaient  hardiment  exploité  la  religion  et  les  croyances  du       ttfcmion 
peuple,  au  profit  de  leur  ambition;  quels  projets  féodaux  "dém*«îîrbiî-** 
nourrissait  alors  la  haute  noblesse  ;  dans  quel  affaiblissement  "*<'^  ^^^^^  <*« 

la  Pnaiica 

étaient  tombés  le  parti  et  la  puissance  du  roi  pour  que  l'on 
osât  élever  de  pareilles  prétentions;  enfin  quel  échec  irré- 
parable devaient  subir  les  principes  de  force  et  de  grandeur 
du  pays,  la  liberté  civile,  la  liberté  religieuse,  si  la  Ligue 
était  appelée  à  dicter  des  lois. 

Mayenne  exigeait  d'abord  :  1"  que  si  l'on  voulait  permet- 
tre aux  réformés  de  demeurer  dans  le  royaume,  ce  ne  fût 
que  par  un  édit  de  tolérance ,  limité  à  un  certain  temps, 
sauf  à  le  proroger  s'il  était  jugé  à  propos;  T  que  les  réfor- 
més fussent  exclus  de  tous  les  emplois  civils  et  militaires,  de 
tons  les  honneurs  et  dignités.  Ainsi  les  calvinistes  pouvaient 
être  chassés  de  leur  patrie  d'un  jour  à  l'autre,  et,  en  atten- 
dant. Ils  étaient  traités  comme  des  coupables  et  des  maudits. 

Après  les  propositions  religieuses  mises  en  avant  par 
Mayenne,  venaient  les  propositions  politiques  qui  les  va- 
laient bien.  Voici  le  tableau  des  gouvernements  que  Mayenne 
el  les  chefs  de  la  Ligue  exigeaient,  l'énoncé  des  conditions 
auxquelles  ils  entendaient  les  tenir,  l'indication  des  charges 
et  dignités  et  des  sommes  d'argent  qu'ils  réclamaient. 


i3&  HISTOIRE  DU  MgNE  OS  HENIil  IT. 

Princes  de  ta  maieon  de  Gt^ise. 

Mayenne,  .  •  La  Bourgogne,  plus  le  Lyonnais,  Fores, 

Beaujolais,  enlevés  à  Nemours. 

P^Aumale .  •  La  Picardie, 

Guise.  .  •  •  La  Champagne. 

Mercceur.  .  .  La  Bretagne. 

D^EUxBuf. .  .  Le  Bourbonnais  et  la  Marche. 

Nemours.  •  .  La  Provence,  en  échange  du  Lyonnais. 

Principaux  seigneurs  de  la  Ligue. 

Joyeuse  ...    Le  Languedoc 
De  Rosne.  .    L'Ue-de-France,  moins  le  Veiin  français. 
ViUars.  •  •  ,    La  Normandie,  moins  le  Vexin  normand. 
La  Ghastre.  •    L'Orléanais  et  le  Berri. 
Saint  «'Pol.  .    Le  Rethelols  et  la  lieutenance  de  ta 

Champagne. 

Gela  ne  fiiisalt  pas  moins  de  treiie  provinces  et  gouverne- 
ments. 

Quelques  autres  chefli  de  la  Ligue  mobis  puissants  devaient 
être  satisihits  par  des  gouvernements  de  portions  de  pro- 
vinces ou  de  villes.  A  leur  tête  on  comptait  d'Alincourt,  qui 
recevait  le  Vexhi  français  et  le  Vexin  normand;  et  Boisdau:- 
phin,  qui  obtenait  les  villes  de  Laval  et  de  Sablé. 

Les  chefo  de  la  LJgue  voulaient  obtenir  ces  diverses  pro* 
vlnces  à  titre  héréditaire  ;  avoir  chacun  dans  leur  gouverne- 
ment la  nomination  des  gouverneurs  des  villes,  des  magis- 
trats, des  archevêques,  évêques,  abbés  ;  la  disposition  des 
garnisons  à  Pentretlen  desquelles  seraient  affectés  les  taillons 
et  tailles  des  provinces.  Ainsi  ils  ôtalent  à  la  couronne  tous 
les  droits  régaliens  et  se  les  appropriaient.  De  plus,  ils  deman- 
daient, Mayenne  la  lieutenance  générale  ou  la  charge  de  con- 
nétable ;  et  les  autres,  quatre  diargesde  maréchaux  de  France. 
Enfin  ils  exigeaient  que  pour  vingt  d^entre  eux  le  roi  payât 
toutes  leurs  dettes,  et  leur  fit  des  pensions  proportionnées  à 
la  qualité  de  chacun  d*enx;  ta  seuta  pension  annueUe  du  dœ 
de  Mayenne  montait  à  300,000  francs  de  ce  temps,  environ 


DéM£|lBA£MËNT  FJÎOOAL  DE  LA  FRANCE  PROJETÉ,     135 

an  million  d'aujourd'hui  i.  On  voit  ce  qu'il  y  avait  d'ambi- 
tion et  d'avidité  caché  sous  ce  zèle  religieux  des  chefs  de  la 
Ligue. 

Gomme  il  était  impossible  au  roi,  ainsi  que  le  faisaient  i*e* 
marquer  les  négociateurs,  de  traiter  les  princes  du  sang  et 
les  principaux  seigneurs  qui  l'avaient  reconnu  et  soutenu  de* 
puis  son  avènement ,  plus  mal  que  les  ligueurs  qui  l'avaient 
combattu,  il  fallait  alors  qu'il  accordât  encore  dix  gouverne- 
ments en  toute  souveraineté  ; 

An  duc  de  Montpensier.  A.u  duc  de  Montmorencl. 

Au  comte  de  Soissons,  Au  duc  de  Nevei*s. 

Au  prince  de  Gonti.  A  Lesdiguiërcs. 

Au  maréchal  de  Biron.  A  la  Trémoillc. 

Au  maréchal  d'Aumont.  Au  duc  d'Épernon  K 

Le  duc  d^Épemon,  ap^^s  la  mort  de  son  frère  La  Valette, 
rédamait  le  gouvernement  de  Provence,  qui  lui  avait  été 
donné  autrefois  par  IlenrlIII,  et  qu'il  prétendait  ajoutera  celui 
d'Angoiunois.  Joignant  les  anciens  soldats  de.  son  frère  aux 
troupes  nouvellement  levées  par  lui,  il  commandait  à  dix  mille 
Gascons  qui  ne  ÎHîConnafssaient  d'autorité  et  de  volonté  que 
la  sienne.  C'était  sans  contredit  l'un  des  chefs  qui  avaient  alors 
le  plus  de  disposition  à  tout  exiger,  et  le  plus  de  moyens  de 
tout  obtenir.  Si  on  lui  ôtait  la  Provence  pour  l'attribuer  à 
Nemours,  il  fallait  le  récompenser  en  lui  accordant  un  autre 
gouvernement. 

il  n'existait  alors  que  vingt-trois  gouvernements  en  France. 


■  Sully,  OEcon.  royales,  c.  40,  p.  M\  IU«  rapporio  le  texte  même  des 
coaditioot.  -  Villemy,  Apol.  et  dise.,  t.  Xt,  p.  189  B,  1!N).  Madame 
Dttplessîs*  MemoirL't,  u  i,  p.  810,  SiO,  Sil,  «ionoe  le  rcsumd  des  de- 
■landes  de  Muyenne  rt  diM  chefi  Ho  la  Ligue.  —  Pour  rhi'roJitc  des  gou- 
«rmementi,  Sally,  p.  1 1-4  A.  «  Le  préûdent  Jeannin  respondil  au  sieiir  de 
m  Yilleroy  |<ar  lettres  du  8  »i*ai  1K9Î,  du  camp  de  Cuu'iebtx,...  (|ue  M,  du 
m  Miiyne  et  les  autres  princes  se  plaindmient  rju^l  u*urait  point  este'  p^rlé 
m  d«i  Tilles  de  seiirete  qui  csiotent  domaificc*,  uy  des  cDgagenieulit  des 
»  dumaines  de  provinces  dont  ils  auraient  1rs  gouvernements^  ny  de 

•  les  rendre  he'reditnires  a  leurs  enfants^  dmii  il  (Muyenne)  nvoit  souvent 
»  tliscourii  avec  liiy.  »  —  Villeroy,  Apol.  et  dise  ,  p.  449  B*I{KI. 

*  Re|^>onsc  d<«  Dupirs&is  aux  prupokilioiis  de  Mayentie  et  des  princes  de 
la  Ugttc,  dans  les  Mémoires  de  pnpUssis,  1. 1,  p.  9s0.  «  Viendraient  i  plus 

•  furte  raison  les  prino'sdu  sang  qui  no  vouidroient  pus  avoir  moins  acquis 
»  en  bien  serrant,  que  les  aultres  «n  disant  au  pis.  »  -^  P.  Cayel,  I.  IV, 
p..S06«  3ST..— Boiicbe,  Uisl  de  Provence,  I.  x,  p.  768  et  suiv.,  pour 
d*Epernon. 


136  HISTOIRE  DO  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

Si  treize  étaient  donnés  anx  chefs  de  la  Ligue  et  dix  aux  sei- 
gneurs royaux,  en  toute  souveraineté,  de  compte  fait,  il  n*en 
restait  pas  un  seul  pour  Henri,  et,  comme  le  dit  un  contem- 
porain :  «  il  n'y  avait  désormais  rien  en  France  de  moins  roi 
n  que  le  roi  '.  »  La  couronne  n'avait  plus  même  le  domaine 
des  premiers  Capétiens,  TIle-de-France  et  TOrléanais.  La 
conséquence  de  cette  révolution  territoriale  était  bien  autre 
chose  que  la  ruine  de  la  grandeur  d'un  homme,  que  la  ruine 
même  d'une  institution,  de  la  royauté  :  c'était  la  destruction 
de  l'unité  territoriale  et  nationale,  c'était  le  «déchirement  de 
la  France  en  morceaux.  Et  cependant  le  renversement  de  œ 
pouvoir  central  et  régulateur,  qu'on  nommait  la  royauté, 
était  à  Itii  seul  une  calamité  publique.  En  effet,  il  entraînait 
pour  les  masses  la  perte  de  la  liberté  civile  :  déjà  du  côté  de 
la  Ligue,  comme  du  côté  du  parti  royal,  les  seigneurs,  ne 
trouvant  plus  de  répression,  inauguraient  leur  nouveau  pou- 
voir féodal  par  les  exactions  et  les  tyrannies  les  plus  odieuses 
exercées  contre  le  peuple  des  campagnes. 

Henri  ne  pouvait  accepter  ces  conditions,  donner  les  mains 
à  ces  désastreuses  mesures.  11  consentait  bien,  selon  l'ex- 
pression de  ses  négociateurs,  «  à  se  couper  un  bras  pour 
»  sauver  le  corps.  »  11  offrait  donc  d'abandonner  à  Mayenne  et 
à  ses  descendants  la  Bourgogne  en  toute  souveraineté.  11 
promettait  encore  d'abandonner  aux  principaux  seigneurs  de 
la  Ligue  les  gouvernements  dont  ils  étaient  maîtres.  Mais  il 
refusa  à  Mayenne,  et  le  gouvernement  de  Lyonnais,  Forez, 
Beaujolais,  et  la  lieutenance  générale.  Il  refusa  pareillement 
aux  grands  de  la  Ligue  de  leur  accorder  l'hérédité  et  l'exer- 
cice des  droits  régaliens  dans  les  provinces  ;  les  réduisant  aux 
prérogatives  et  au  pouvoir  de  gouverneurs,  c'est-à-dire  d'oifi- 
ders  dépendant  de  la  couronne,  et  soumis  au  pouvoir  central 
de  la  royauté  \  Mayenne  et  les  seigneurs  de  son  parti  se  flat- 
tèrent que  la  continuation  de  la  guerre  civile  leur  livrerait  ce 
que  Henri  leur  déniait  Mayenne  en  particulier  ayant  obtenu, 
par  le  traité  même  entamé  avec  le  roi,  quelque  relâche  et 
quelques  concessions  temporaires  de  la  part  des  Espagnols, 
revint  avec  prédilection  aux  troubles,  qui  le  maintenaient 
dans  le  premier  rang,  dans  la  royauté  dissimulée  de  la  lieu- 

*  M«m.  d«  madain«  DapUtttt,  p.  SO. 

'  M«ni.  de  matlant  DapUttu,  1. 1«  p.  tll,  tti.  —  Sallj«  c.  40,  p.  114  A. 


LE  ROI  s'adresse  AUX  PEUPLES  DE  LA  LIGUE.        137 

tenance  générale,  et  qui  loi  promettaient  de  8*y  afTermlr.  Dès 
le  commencement  da  mois  de  juillet  1592,  Henri  s*aperçut 
que  les  négociations  avec  les  chefs  de  la  Ligue  n'amèneraient 
aucun  résultat  satisfaisant,  et  il  dut  chercher  ailleurs  les 
moyens  de  pacifier  le  royaume  et  de  combattre  TEspagnol  ^ 

Le  dernier  moyen  qui  loi  restait  était  de  détacher  les  peu-  Henri  t^dresM 
pies  de  la  Ligue  de  leurs  chefs,  de  les  gagner,  de  les  attirer     3îî*|J*ÎJ'i^ 
à  lui  par  son  abjuration ,  et  par  la  séduction  légitime  de  la   Etet  des  purtu 
paix  qu'ils  désiraient  ardemment,  tandis  qu'il  les  pousserait    *''"'  '*  ^''"^ 
à  la  soumission  en  continuant  à  les  presser  par  ses  armes, 
et  en  augmentant  momentanément  leurs  souffrances. 

Le  changement  de  religion  consenti  par  lui  l'aurait,  an 
début  de  son  règne,  déshonoré  sans  profit  :  les  peuples  de  la 
Ligue  n'y  auraient  tu  que  le  désir  d'acheter  un  royaume  par 
une  apostasie,  et  l'auraient  méprisé  sans  se  soumettre.  Main- 
tenant, après  trois  années  durant  lesquelles  il  avait  épuisé 
tout  ce  qu'il  est  possible  humainement  de  faire  par  la  guerre 
et  par  les  négociations  pour  pacifier  le  royaume,  le  change-  . 
ment  de  religion  paraissait  à  tous  les  hommes  de  bonne  foi, 
à  tons  les  bons  citoyens,  la  dernière  planche  de  salut  qui  restât 
à  la  France,  et  l'abjuration  du  roi,  appelée  par  leurs  vœux, 
devait  être  reçue  avec  reconnaissance.  Cette  abjuration  ré- 
pugnait à  sa  conscience  ';  mais  après  un  sérieux  examen, 
comme  on  le  voit  dans  Sully,  il  jugea  que  le  premier  devoir 
d^an  prince  était  de  sauver  à  tout  prix  l'État  dont  la  Provi- 
dence lui  avait  confié  le  gouvernement,  et  11  surmonta  ses 
répugnances.  Or  l'abjuration  était  de  tous  les  moyens  le  plus 
sûr  de  tirer  la  France  de  ses  nombreux  et  pressants  périls  ; 
parce  que  si  elle  refroidissait  à  son  égard  les  huguenots  de 
France  et  les  réformés  d'Europe,  avec  lesquels  il  n'avait  pu 
conquérir  son  royaume ,  elle  lui  donnait  la  majorité  natio- 
nale, et  mettait  à  néant  les  intrigues  et  les  cabales  des  partis. 


*  |fé«.  de  roMUme  Dapleuit,  p.  BO.  —  Mdm.  et  eorr.  de  Duplenia, 
i.  ▼,  p.  sas,  3f7,  345.  Le  note  mlie  per  avence  ans  deux  premièret  pages 
doil  être  refetée  k  U  page  346  et  à  la  Sa  de  \vàja.  —  Villeroy,  ApoL  et 
diK..  t.  u.  p.  195-SOl. 

*  Ceat  ce  qne  proarent  les  ttfmoigiiages  rtfanit  de  VtUeroy,   t.   Xi* 

J»  lt5  B,  el  de  OoplewU,  t.  ▼,  p.  S3i  et  taiT.  La  boatade  :  Pwis  vaut 
Un  «iM  mesje^  n>*t  pus  établie  hisluriqaement.  Quand  elle  1«  leraU, 
dla  oe  nroaTerait  rien  coDtrc  quatre  ans  d'attente  et  tout  let  autres  noyeat 
de  paciAer  le  royanim  tfpaiiét  wccatiiTemeat  avant  d'en  venir  à  oe  moyen 


138  HISTOIRE  DD  RÈGNE  DE  UENRI   IV. 

En  effet,  elle  ôtait  à  la  Ligue  sa  raison  d'être,  son  principe 
vital,  ses  plus  puissants  soutiens.  A  Pans  et  dans  les  villes 
ligueuses,  il  existait  bien  des  gouverneurs,  des  magistrats 
municipaux,  une  portion  de  la  populace,  déterminés  à  rester 
ennemis  du  roi,  quoi  qu*il  fit;  mais  ils  étaient  en  minorité, 
et  ils  se  partageaient  d'ailleurs  entre  Mayenne,  les  grands 
ambitieux,  les  Espagnols.  La  grande  majorité  se  composait 
des  ligueurs  français  et  des  politiques  dans  le  parti  de  la  Ligue, 
des  catholiques  royaux  et  des  politiques  dans  le  parti  de  Henri. 
Les  ligueurs  français,  ruinés  par  la  guerre,  las  de  Tanarchie 
et  du  despotisme  de  leurs  cheis,  détestant  et  redoutant  la 
domination  étrangère,  soupiraient  après  le  rétablissement  de 
l'autorité  royale  qui  devait  les  délivrer  de  tous  ces  maux  :  se* 
parés  de  Henri  par  la  seule  barrière  de  la  religion,  ils  n'atten- 
daient que  le  moment  où  il  se  ferait  catholique  pour  lui 
porter  avec  ciïusion  leur  obéissance.  Dans  les  deux  partis,  les 
lumières  supérieures  des  politiques  adoptaient  également  la 
souveraineté  d'un  prmce  dissident  et  d'un  prince  orthodoxe. 
Enfin,  parmi  les  catholiques  royaux,  la  conversion  du  roi 
coupait  dans  leur  racine  même  le  tiers-parti,  les  intrigues 
des  princes  du  sang,  des  seigneurs  ambitieux,  des  catholiques 
zélés.  Car  qui  pouvait  songer  au  jeune  cardinal  de  Bourbon, 
ou  au  comte  de  Soissons,dès  qu'ils  n'auraient  plus  sur  Henri 
l'imique  avantage  du  catholicisme?  Or,  ces  trois  partis,  les  ca- 
tholiques royaux,  les  politiques,  les  ligueurs  français,  formaient 
de  beaucoup  la  majorité  nationale,  et,  dans  un  mouvement  gé- 
néral, comme  il  était  arrivé  lors  de  la  révolte  de  la  Ligue, 
comme  il  arrive  toujours  en  France,  ils  devaient  entraîner 
tous  les  autres. 
DispotiiiontdM  Lcs  dispositious  dcs  Parisiens  étaient  pour  le  roi  im  puis- 
sant encouragement  à  entrer  dans  les  voies  de  la  conciliation. 
>Ious  avons  vu,  dès  la  fin  de  l'année  1591,  la  moitié  de  la 
Ligue  française,  dont  le  principal  représentant  était  Daubray, 
passer  aux  politiques  ^  Durant  les  premiers  mois  de  1592, 
ia  défection  fit  des  progrès,  et  s'organisa  en  parti  armé  d'abord 
pour  la  défense  des  intérêts  sociaiu  et  nationaux,  mais  bien- 
tôt après  pour  le  triomphe  de  la  cause  du  roL  Les  Seize, 

privés  de  leurs  chefs,  mais  épargnés  en  masse  par  Mayenne, 

• 

*  Vofct  d-<lcsittt«  p.  113,  114. 


ParUieoi. 


DISPOSITIONS  DES  PARISIENS  :  L'EXPÉDIENT.  13$ 

afaient  renoué  presque  aussitôt  leurs  relations  avec  les  Espa- 
gnols pour  leur  livrer  Paris  et  la  France,  avaient  annoncé  ne 
reconnattre  ni  Tautorlté,  ni  la  puissance  Judiciaire  du  parle- 
ment, avaient  menacé  de  nouveau  la  classe  bourgeoise.  Du 
moto  de  Janvier  au  mois  de  mal,  les  ligueurs  français,  deve- 
nus politiques,  se  constituèrent  en  état  d'association  ayant 
ses  assemblées,  son  point  de  réunion  chez  les  colonels  qui 
devaient,  chacun  dans  leur  quartier,  s*opposer  aux  Seize  et 
aux  Espagnols  et  les  combattre.  Cette  pratique  fut  si  bien 
menée  et  conduite,  qu'au  mois  de  mai  1592,  treize  des  Seize 
colonels,  tous  les  quarteniers,  excepté  quatre,  grand  nombre 
de  capitaines  et  de  bourgeois,  tout  le  parlement,  excepté  cinq 
de  ses  membres,  avaient  embrassé  ce  parti.  Dans  ce  même 
mob  de  mai,  ils  donnèrent  une  preuve  éclatante  de  leur  force 
et  de  leur  résolution  contre  les  Espagnols  K  Si  le  roi  parve- 
nait à  se  concilier  ceux  des  habitants  qui  restaient  encore  dans 
la  Ugue  française,  qui  continuaient  à  exiger  qu'il  changeât  de 
religion,  0  gagnait  alors  toute  la  population  de  Paris,  à  Tex- 
ceplion  des  Seize  et  des  rares  partisans  de  Mayenne. 

Henri  TatUra  puissamment  à  lui  par  la  première  démarche     Promenet 
qu'A  flt  pour  se  rapprocher  de  l'Église  catholique.  Dans  les    <i*abiuraiii>a  : 
conférences  pour  la  paix,  qui  eurent  lieu  entre  ses  négo-      •»p^~*- 
dateurs  et  ceux  de  Mayenne,  depuis  le  mois  d*avrll  Jusqu'à 
la  Un  du  mois  de  Juin  de  cette  année.  Il  fut  convenu  «  qu'il 
prendrait  un  temps  préflxe  pour  se  foire  Instruire,  avec  dé- 
air  et  intention  de  s'unir  et  joindre  à  TËglise  catholique  ;  en 
outre,  qu'il  autoriserait  les  seigneurs  de  son  parti  à  députer 
ven  le  pape  pour  l'Informer  de  son  intention,  et  concerter 
avec  lui  les  moyens  de  son  instruction.  »  On  nomma  cet 
accord  Vexpédimt  K  En  dehors  de  l'abjuration  formelle, 
c'était  la  plus  grande  avance  qu'U  pût  faire,  qu'il  eût  encore 
Mte  aux  catholiques,  puisqu'il  en  venait  maintenant  à  Texé- 
cation.  La  nouvelle  en  fut  bientôt  répandue  partout,  et  dis- 
posa d'une  manière  très  sensible  les  masses  en  sa  faveur. 

11  résolut  d'attaquer  leurs  résolutions  par  un  autre  cOté,  VoaTeUet  m— 
de  les  décider  à  se  séparer  de  la  révolte  et  à  se  soumettre,     coerciul^i 

contre  les  tUIm 

•  P.  Cayet,  I.  iv,  f.  SOI,  S»,  d*aprèt  les  rédU délalll/t  da  temps.  *  *     *"*' 

•  Currwpoiidenoe  de  DujplettU  prec  le  ni  «i  aiUret.  t,  y,  p.  SkW*  «l 
friKlnleaMSt  tTO.  —  Mémoiret  Aë  madame  DopleasU,  t  I.  P.  ai1-tl9, 
'▼illertty,ApoLcldiM.,l.xi,p.lSS-l(n. 


lAO  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

en  employant  les  moyens  de  la  contrainte ,  en  même  temps 
que  ceux  de  la  persuasion.  11  renonça  contre  Paris  et  les 
principales  villes  de  la  Ligue  à  la  guerre  des  batailles  et  des 
sièges,  avec  des  années  coûteuses  ;  il  leur  fit  la  guerre  de  la 
gêne  et  des  privations,  au  moyen  des  blocus  avec  des  postes 
fortifiés.  £n  interceptant  pour  elles  le  cours  des  grandes 
rivières,  il  les  priva  de  la  plus  grande  partie  de  leurs  provi- 
sions et  de  tout  commerce.  Ainsi,  dès  le  12  mai,  il  fit  forti* 
fier  Quillebeuf,  à  Temboucbure  de  la  Seine,  de  manière  à 
empêcher  tous  les  navires,  grands  et  petits,  de  remonter  jus- 
qu'à Rouen.  Mayenne  fit  un  grand  eflbrt  pour  prendre  Quille- 
beuf et  pour  délivrer  Rouen  ;  mais  il  échoua  contre  Thé- 
roîque  résistance  des  habitants  et  du  gouverneur  Bellegarde 
(20  juillet).  Le  roi  prit  contre  plusieurs  des  grandes  villes  de 
la  Ligue  des  mesures  coerdtives  analogues  à  celles  adoptées 
contre  Rouen.  Par  une  surveillance  plus  active,  il  amena  les 
gouverneurs  commandant  dans  les  villes  royales,  situées  au- 
tour de  Paris,  à  ne  plus  laisser  passer  des  vivres,  moyennant 
argent  :  dès  lors  tous  les  passages  des  convois  furent  inter- 
ceptés, hormis  deux,  celui  du  côté  de  Dreux,  et  celui  du 
côté  de  Château-Thierry  par  la  Marne.  Henri  coupa  ce  der- 
nier, pendant  les  mois  d'août  et  de  septembre,  en  faisant 
construire  à  Goumay,  dans  une  lie  de  la  Marne,  à  trois  lieues 
au-dessus  de  Paris,  un  nouveau  fort,  dont  il  donna  la  garde 
à  rincorruptible  Odet,  fils  de  Lanoue  :  ses  soldats  nommèrent 
ce  fort  Ètrille-BadoMds  K 
Ammbi^  La  disette  rentra  dans  Paris,  la  ville  s^émut  profondément  ; 
•*••  P®JjJj<i'*««  •  les  anciens  et  les  nouveaux  politiques  se  réunirent  le  28  sep- 
•tfmonneaz.  tembre  chez  Tabbé  de  Sainte-Geneviève.  On  est  heureux  de 
retrouver  dans  cette  circonstance  Pintervention  du  clergé 
gallican,  du  clergé  éclairé,  et  les  sages  inspirations  de  Pévê- 
que  Mgr.  de  Gondy.  Il  fut  décidé  que,  pour  échapper  à  de 
nouveaux  désastres  et  finir  les  misères  de  Paris,  il  fallait  faire 
la  paix  et  reconnaître  le  roi,  qui  recevrait  les  habitants  hu- 
mainement et  les  laisserait  jouir  de  Texerdce  de  la  religion 
catholique  romaine.  Ds  convinrent  de  travailler  à  sa  recon- 
.  naissance,  en  faisant  tout  ce  qui  serait  en  leur  pouvoir  pour 
son  avancement  et  pour  la  ruine  de  ceux  qui  voudraient  y 

■  p.  Caytt,  1.  nr,  p.  S7I-S74, 398  B.  «  Thnanu,  1.  cm,  S  7,  t.  T,  p.  191. 
—  LtttoiU,  p.  94  A. 


HOSTIUTÉS  CONTBX  LA  LIGUE  :  LES  POLITIQUES,  ETC.    lAl 

oootndire.  A  Teflet  de  s'entendre,  de  concerter. leors  me- 
sures, de  prendre  le  signal  et  le  mot  du  gaet,  ils  désignèrent 
les  maisons  de  quatre  colonels,  entre  lesquels  Daubray,  dans 
les  quartiers  de  TUniversité  et  de  la  Cité,  du  Louvre,  des 
Halles,  de  la  Grève.  Les  ligueurs  français  suivirent  ce  mou- 
▼ement ,  qndque  de  plus  loin,  en  décidant  qu'il  y  avait  lien 
de  lui  envoyer  une  députati(Hi  pour  le  semondre  de  se  faire 
catholique,  et  le  reconnaître  après  aon  abjuration  :  de  là 
leur  vient  le  nom  de  Sémonneux  ^ 

Henri  donna  une  nouvelle  satisfaction  à  leurs  scrupules 
religieux,  imprima  une  nouvelle  force  au  mouvement  de 
, défection  qui  se  manifestait  au  sein  de  la  Ligue,  en  en- 
voyant, le  4  octobre,  comme  ambassadeurs  au  pape  Clé- 
ment VIII,  le  cardinal  de  Gondy  et  le  marquis  de  PisanL  U 
les  chargeait  de  témoigner  au  pape  «  qu'il  ne  serait  rien 
»  omis  de  sa  part  pour  contenter  le  pape  et  les  catholiques 
»  qui  affectionnaient  son  instruction.  »  A  ces  avances,  il  joignit 
une  lettre  adressée  par  lui-même  au  pontife.  Enûn  il  obtint 
de  Venise  et  do  grand-duc  de  Toscane  qu'ils  emploieraient 
leur  médiation  et  leur  crédit  pour  ménager  sa  réconciliation 
avec  le  salnt-siége  ^. 

L'efiet  de  ces  mesures  combinées  avec  les  nouvelles  dis- 
posltiotts  militaires  prises  par  le  roi  ne  se  fit  pas  attendre. 
Le  11  octobre,  le  parlement  de  Paris  rendit  un  arrêt  portant 
que  Mole  et  Séguier  seraient  députés  au  duc  de  Mayenne 
pour  lui  exposer  la  misérable  condition  de  Paris  et  l'extré- 
mité à  laquelle  les  habitants  étaient  réduits.  Cette  première 
démonstration,  partie  du  parlement,  fut  suivie  d'une  autre 
beaucoup  plus  sérieuse  faite  par  la  bourgeoisie.  Un  grand 
nombre  de  bourgeois,  anciens  et  nouveaux  politiques,  se 
réunirent  sur  divers  points  de  la  ville,  et  mirent  en  avant  la 
proposition  de  traiter  avec  Henri,  et  d'obtenir  de  lui  la  li- 
berté de  labourage  et  du  commerce  pour  Paris  et  les  autres 
TlUes  de  la  Ligue.  En  conséquence ,  à  la  suite  d'assemblées 
particulières  des  quartiers,  Ils  allèrent  à  l'hôtel  de  ville  de- 
mander une  asseinblée  générale  pour  inrévenlr  les  malheurs 


Aiiib««sad«aa 

|m|i«. 


Arrêt 

du  parlemant 

dePurlii. 

Attffnblëe 

des  bourgtoif* 


*  P.  Cajct,  1.  IV,  p.  SOS  A,  let  deux  dernières  lignes,  et  B.  —  Letloile, 
p.«IB,llg.1.9. 

*  Letlres  misiivet  <fu  8  octobre  au  pepe  et  nu  grand-^oe  de  Totcan^t 
t.  n,  p.  S7i-eT7.  —  Thuanut,  Hitt,  I.  cui;  Mena.,  t.  XI,  p.  566  A.  —  Vil- 
leivj,  Apol.  et  diac.,  t.  Zi,  p.  199  B. 


Reloar 

de  Muyenue. 

Nouvel  les 

attemblérs ,  la 

cour 
des  tuin|ilet« 


BtfvisUuee  de 
'IfoyMtit. 


I&3  tttSTOlAM  bt)  llàottK  Dit  HMtlilt  tV« 

qiil  les  menaçaient  (13, 16,  31  octobre).  Le  bioavenient  dt 
la  population  allait  à  priver  Mayenne  du  droit  de  guerre  et 
de  paix,  à  di!lruire  sa  iientcnance  générale»  à  ae  soiiniettre 
au  roi  *• 

Mayenne  i  pour  conjurer  ce  danger,  accourut  à  Paria  le 
SA  octobre  avec  un  corps  de  cavalerie  et  les  troupes  oompo* 
sant  les  garnisons  de  deux  villes  voisines.  Les  réunions  et  les 
délibérations  des  bourgeois  continuèrent,  malgré  sa  présence. 
Dans  les  assemblées  particulières  des  quartiers  de  Paris* 
treize  sur  seize  décidèrent  que  Ton  sommerait  le  roi  de 
Navarre  de  se  faire  catholique,  parce  que  le  seul  motif  de 
la  religion  séparait  de  lui  le  plus  grand  nombre  de  ses  so« 
Jets,  lesquels  n'attendaient  que  d'être  rassurés  dans  cette 
crainte  pour  poser  les  armes.  Ds  demandèrent  en  même 
temps  que  Ton  traitât  avec  lui  de  la  liberté  du  commerce  et 
du  traflc  Cette  résolution,  prise  le  26  octobre,  dut  êlre  portée 
par  leurs  députés  à  l'assemblée  générale  de  Thôtel  de  ville* 
Le  lendemain  27,  la  cour  des  comptes  prit  les  mêmes  con- 
clusions, et  chargea  son  président  d*Ormes8on  de  les  porter 
à  Mayenne,  et  d'insister  auprès  de  lui  pour  qu'il  avisât  à 
faire  la  paix  ^. 

A  cet  entraînement  de  la  bourgeoisie  vers  la  conciliation 
et  vers  l'autorité  légitime,  Mayenne  opposa  tous  les  moyens 
de  résistance  que  lui  offrirent  le  pouvoir  exécutif  dont  il  était 
détenteur,  sa  politique  rusée,  son  alliance  intermittente  avec 
l'Espagne  et  Rome,  ses  ennemies  il  est  vrai,  mais  plus  en- 
nemies du  roi,  habituées  à  se  réunir  avec  lui  contre  Ilenrii 
dans  les  moments  de  péril  commcm ,  sauf  à  le  combattre 
loi-même  plus  tard,  quand  la  victoire  serait  acquise.  0 
opposa  ses  troupes  et  la  garnison  espagnole  à  toute  mani- 
festation armée  de  la  population  parisienne.  Le  nouveau 
légat,  le  cardinal  Séga,  avait  reçu  du  pape  un  bref  daté  du 
15  avril,  par  lequel  il  était  délégué  pour  procurer  l'éleclioo 
d*un  roi  catholique,  à  l'exclusion  de  Henri,  qui,  disait  le 
bref,  persécutant  les  catholiques,  les  animant  tous  les  jours 
les  ons  contre  les  autres,  protégeant  les  hérétiques,  ne  pou* 


'  LcitoUe,  p.  M  A,  deiniw  ptragrapb*,  tt  B,  $  t  tt  dtrtUri  p.  SB  A, 
$l;8appltfin^p.9SA. 

'  Leltret  mbslTee  do  14  octobre,  t.  tn,  p.  SOES.^LtttoUi  «t  ••■  ftopp., 
p.  06  A,  9S  A.  »  Uim,  d«  Morilloc,  t.  kl,  p.  546  B. 


LE  PkKltU. ,  L£S  jU)0ltGfiOI&,  L^HÀTSL  DE  V1U&  DE  PARIS.  1  kZ 

m 

vait  jamais  remplir  le  trône  de  France.  Mayenne,  à  Taide  d^ 
la  sarprise  et  peut-être  de  la  complaisance  de  trois  des  quatre 
présidents  qu'il  avait  nommés  Tannée  précédente,  fit  enre* 
gistrer  au  parlement,  le  27  octobre,  les  facultés  du  légat  qui 
comprenaient  précisément  l'élection  d'un  roi  catholique.  Les 
prédicateurs  tonnèrent  dans  toutes  les  chaires  contre  les 
politiques  et  les  sémonneux.  Aux  fêtes  de  la  Toussaint, 
Boucher  et  Cueilly  les  excommunièrent  et  les  privèrent  des  ; 
sacrements  dans  leurs  paroisses  :  les  Seize  les  insultèrent  et 
les  menacèrent  partout.  La  Sorbonne  déclara  que  toute  pro- 
position tendant  à  traiter  avec  le  Béarnais  et  à  le  presser 
d'embrasser  le  catholicisme  était  inepte,  séditieuse  et  impie 
(3  novembre). 

Cette  croisade  contre  Henri  et  contre  la  paix  n^intimida  ni  oëcision 
n^arréta  les  bourgeois.  Ils  firent  deux  assemblées  générales  ^*J^^*^"^^*l"^ 
à  l'hôtel  de  ville,  le  31  octobre  et  le  U  novembre ,  dans  les-  mtei  d«  viiio. 
quelles  furent  agitées  les  deux  propositions  :  i**  de  traiter 
avec  le  roi  de  Navarre  de  la  paix  pour  obtenir  le  commerce  et 
le  trafic  libres ,  et  rendre  ainsi  les  vivres  et  les  denrées  au 
peuple  «t  tant  atténué  et  nécessiteux  qu'il  n'en  pouvoit  plus  ;  t» 
T  dMnviler  Henri  à  se  faire  catholique  pour  mettre  fin  aux 
troubles.  Mayenne  survint  pendant  la  délibération  du  k  no- 
vembre. Tl  annonça  que  Paris  ne  pouvait  traiter  avec  Henri 
sans  les  autres  villes  de  la  Ligue,  sans  les  princes  lorrains  et 
les  seigneurs  de  l'Union  ;  que  les  États-généraux  qui  allaient 
prochainement  s'assembler  décideraient  de  tous  les  grands  in- 
térêts du  parti  et  de  la  France  :  il  ajouta  qu'il  traiterait  en 
ennemi  quiconque  proposerait  désormais  d'entrer  en  accom-  , 
oiodement  avec  le  roi  de  Navarre,  de  l'inviter  ou  de  le 
sommer  de  se  faire  catholique.  A  ce  mot,  l'assemblée  se  leva 
et  se  rompit,  estimant  sa  liberté  opprimée  par  ce  langage. 
La  bourgeoisie  suivit  son  dessein  avec  une  fermeté  inébran- 
bble.  Une  nouvelle  assemblée  se  réunit  le  6  novembre,  et, 
malgré  la  présence  de  Mayenne,  elle  décida  qu'une  députa- 
ûon  serait  envoyée  au  roi  «  pour  obtenir  la  liberté  du  com- 
»  merce  et  dn  trafic  en  ce  royaume,  sans  laquelle  Ton  ne 
»  pouvott  pins  subsister  en  attendant  sa  venue ,  ce  que  le 
»  dttc  fut  contraint  d'agréer  contre  son  intérêt  et  son  inten- 
»  tlon  *•  »  En  effet,  des  négociations  s'ouvrirent  avec  le  roi, 

•  ThntAM,  1.  cm,  t,  XI,  1^  800  de  la  Iradadioa.  —  LisUll«,  p.  00  0, 


ift&  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

qne  la  Ligue  française  avait  dû  jasqa*alors,  en  sa  qualité 
d'hérétique ,  combattre  à  outrance  sous  peine  de  sacrilège  : 
la  barrière  entre  lui  et  le  peuple  était  renversée  ;  un  pre- 
mier pas,  et  un  pas  immense,  était  fait  vers  la  paix,  qui  devait 
détruire  la  lieutenance  générale  et  la  puissance  usurpée  de 
Mayenne. 
Arrêt  Quelques  Jours  après,  le  parlement  royaliste  et  politique 

^iJoiSmuf^  de  Ghâlons  rendit  un  arrêt  conservateur  des  droits  et  de 
Tautorité  de  Henri,  seconda  les  dbpositions  de  la  bourgeoisie 
de  Paris,  et  augmenta  les  chances  de  salut  du  pays.  L'arrêt 
du  parlement  de  Ghftions  rendu  le  18  novembre  portait,  que 
les  rebelles,  après  avoir  tenté  d'usurper  la  couronne  par  une 
guerre  qui  avait  couvert  la  France  de  s^ng  et  de  ruines  et  y 
avait  introduit  l'Espagnol,  s'efforçaient  maintenant  d'obtenir 
par  l'élection  d'un  roi  ce  que  les  armes  et  la  victoire  n'avaient 
pu  leur  donner  ;  que  leur  entreprise,  contraire  à  la  loi  de 
Dieu,  aux  principes  de  la  primitive  Église,  aux  libertés  de 
l'Église  gallicane,  devait  amener  la  ruine  de  l'État  par  la 
violation  de  la  loi  fondamentale  relative  à  la  succession,  en 
armant  à  tout  jamais  la  moitié  de  la  nation  contre  l'autre; 
qu'ils  soutenaient  et  autorisaient  l'élection  projetée  et  l'usur- 
pation qui  devait  la  suivre  d'une  bulle  du  pape  et  des  pou- 
voirs ou  facultés  du  légat  En  conséquence,  le  parlement 
donnait  un  ajournement  personnel  contre  le  légat,  et  déclarait 
crimineb  de  lèse-majesté  tous  ceux  qui  assisteraient  aux  États 
de  Paris  K 
s,,^^  La  fortune  des  armes  qui  avait  abandonné  Henri  au  siège 

dm  iiMtmaati  de  Roueu  et  eu  Bretagne,  durant  les  premiers  mois  de  cette 
ïM^vfim.  année ,  lui  revint  dans  les  derniers  mois  de  1592 ,  et  aida 
heureusement  les  parlements ,  la  bourgeoisie  et  le  roi.  Tu- 
renne,  auquel  Henri  avait  l'année  précédente  procuré  la 
main  de  l'héritière  de  Bouillon  et  la  principauté  de  Sedan, 
paya  en  1592  sa  dette  de  reconnaissance  au  roi  et  à  la 
France,  par  les  avantages  qu'il  remporta  sur  le  duc  de  Lor- 
raine. Ce  prince,  après  avoir  menacé  et  ravagé  la  Champagne 
pendant  une  partie  de  cette  année,  fit  attaquer  la  petite  ville 

97  A,  99  A,  et  9S  A  ;  Sapplém..  p.  101  A,  B,  pour  le  texit  de  la  «irfdiioB  d» 
la  Sorbonne.  —  Mémoires  de  Ibrlllac,  t.  Zl,  p.  647  R.  —  Mémoires  do  la 
Lie oe,  U  ▼,  p.  175.  —  Mén.  de  Cbevrrny,  U  X,  p.  ttt9  A. 
•  Mém.  do  la  Ugue,  t.  V,  p.  17tt-l7S.  -  P.  Cayot,  t  IV,  p.  406. 


A11B£t  du  PARUBMIRT  DB  CRÂLOlfS.  SUCCÈS  DBS  ROYAUX.  iA5 

de  BéanmoDt  par  son  grand  maréchal  d'AmbUze  et  une  ar- 
mée de  2,800  hommes.  Bouillon  la  mit  en  déroute  le  14  oc- 
tobre, loi  toa  sept  cents  hommes,  lai  fit  quatre  cents  prison* 
niers,  délivra  Beaumont,  et  au  commencement  de  décembre 
enleva  au  duc  de  Lorraine  la  vUlede  Dun,  située  à  huit  lieues  de 
Sedan.  En  Languedoc,  tous  les  gouverneurs  royaux  des  pro- 
vinces voisines,  ayant  compris  que  la  prise  de  Villemur  ouvrir 
nità  Joyeuse  et  à  Tinvasion  espagnole  les  provinces  centrales 
do  royaume,  se  réunirent  pour  sauver  cette  place,  ib  atta- 
quèrent Tannée  de  Joyeuse  composée  de  6,000  soldats,  la 
phipart  fournis  par  Philippe  II,  en  tuèrent  deux  mille,  dis- 
persèrent le  reste,  réduisirent  Joyeuse  lui-même  à  une  fuite 
honteuse  dans  laquelle  il  trouva  la  mort  (19  octobre).  Son 
frère  le  capucin,  Ange  de  Joyeuse,  prit  le  commandement 
après  loi  ;  mais  le  parti  hi$pano4igueur,  considérablement 
alfûbli ,  sollicita  une  trêve  du  gouverneur  royal  Montmo- 
rend ,  et  fut  désormais  réduit  à  Pinaction.  En  Provence , 
d^Épemon  releva  le  parti  royal  et  reprit  Antibes  au  duc  de 
Savoie.  En  Dauphiné,  Lesdiguières  avec  les  moyens  les  plus 
restreints,  avec  une  armée  de  quatre  ou  cinq  mille  hommes, 
conçut  et  exécuta  le  dessehi  d^un  grand  capitaine.  Pour  arra- 
cher le  duc  de  Savoie  de  la  Provence  et  du  Dauphhié,  il  porta 
la  guerre  en  Savoie,  n  entra  dans  ce  pays  le  26  septembre» 
se  saisit  d*abord  de  la  Pérouse,  vainquit  les  Savoyards  à 
Vigon,  leur  enleva  Stafiarde  et  Briqueras,  les  défit  de  nou- 
veau à  Gandgliana,  et  conquit  Gavoors  (5  décembre).  Il  for- 
tifia avec  soin  cette  place  et  Briqueras,  et  établit  ainsi  les 
Français  à  seize  milles  de  Turin,  au  cœur  des  États  du  duc. 
A  la  fin  du  xvi*  siècle,  la  guerre  ne  présente  pas  une  suite 
d*opérations  phis  hardies  et  plus  heureuses  tout  ensemble  K, 

Les  afiaires  de  la  ligue  et  de  TEspagne  commençant  ahisi    Wwn  profeii 
k  se  débire  partout,  comme  parient  les  contemporains,  detÉtaugëoë- 
Mayenne  et  Philippe  II  tentèrent  de  les  rétablir  par  la     ^{^^vm 
prompte  convocation  des  États-généraux  et  Télection  d'un 
rai  qui  devait  à  la  fois  afTaiblir  Henri  en  lui  suscitant  im. 
eompétitenr,  et  rendre  à  TUnion  de  la  cohésion  et  de  la  force, 
en  lui  donnant  un  chef  qui  tirerait  son  autorité  et  sa  puis- 
nnœ  des  sufirages  d'cme  assemblée  en  apparence  nationale. 

•  Mte.  àê  U  Utac,  t.  T,  p.  18^169,  179-l«i»  778-789.  —  P.  Cijtl, 
I.  IV, p.  980-368, 3B|.»9.—'nittaiin9,  lib.  ail,  $$  16, 17,  t.V,  p.  tSO-IS*. 

10 


IM  HtIfOllIt  OQ  RiOfll  01  HBIflIt  IV. 

L*ëleclloii  oavnlt  de  plus  om  noaYaUe  carrière  au  prétea« 
tiom  da  Uentenant  général  et  dn  roi  catholique. 

Mayenne,  qui  avait  annoncé  les  Étatt-fénéram  dès  1689, 
les  avait  élodés  pendant  deox  ans,  espérant  que  la  victoire 
et  les  intrigues  lui  livreraient  la  souveraineté.  Au  mois  d'août 
1691 ,  il  avait  réuni  quelques  députés  à  Reims  ;  mais  ce  notait 
là  que  le  vain  slmulaere  d'une  assemblée.  En  1692,  il  lui 
avait  fellu  en  venir  aux  effets,  ft  une  convocation  sérieuse. 
En  effet,  d^one  part ,  il  était  lié  par  les  engagements  solen-» 
nels  pris  ft  Libons-Saintot,  et  il  avait  plus  besoin  que  jamais 
des  secours  de  TEspagne  pour  résister  h  Henri  ;  d'un  autre 
côté,  un  vote  national  Ivd  était  nécessaire  pour  arrêter  la 
défection  au  sein  de  la  ligue  K 
DmmIm  da  dM  Le  duc  de  Bsrme  voulait  que  Ton  ttnt  les  Étals^néraux  à 
da  Pimn*.  ftehns  ou  à  Soissons,  villes  voisines  de  la  Flandre,  tandis  qu'il 
entrerait  dans  le  royaume  avec  une  armée  de  20,000  hommes. 
La  plupart  des  députés  devaient  être  pgnés  d'avance  par  l'or 
de  l'Eqngne  ;  et  le  30  mai  1592,  Famèse  s'entendit  avec  Diego 
d*Ibarra  pour  la  répartition  d'une  somme  de  200,000  éeus 
entre  ceux  qui  avaient  des  chances  à  la  députation.  En  suih 
posant  que  rassemblée  se  montrftt  moins  dodle  que  ne  l'es- 
pendent  les  Espagnols,  elle  devait  être  domptée,  asservie  par 
leurs  troupes.  Cette  armée  mettrait  en  même  temps  à  la  rai*> 
son  Mayenne  et  les  grands  de  la  Ligue,  et  réduirait  les 
peuples  à  l'obéissance  passive  par  la  force.  Elle  se  saisirai! 
fecllement  de  Reims  ou  de  Soissons  pendant  la  tenue  des 
ttats  qu'elle  serait  chargée  de  protéger,  et  de  là  étendrait  la 
domhiation  absolue  de  Philippe  sur  Meaux  et  aur  JRsris,  déjà 
occupés  par  aes  garnisons,  intimidés  et  entraînés  par  le  vote 
des  État»^énéraux.  Toutes  les  forces,  tout  l'argent  dont  le 
rot  eatholiqne  pourrait  disposer  ultérieurement,  seraient  em- 
ployés à  oonsoUder  et  à  étendre  l'occupation. 
tlMTOfiaMi  Mayenne  connut  ce  vaaie  et  fonnidable  projet,  dont  aes 
u^kMa^  oeupsibles  liaisons  avec  l'Espagne  faisaient  remonter,  pour 
^^  une  si  lar^e  part,  la  wigionsabilité  Jusque  luL  D  essaya  de 


I  Vgv,  Im  Donimlioat  d«  dëmitét  k  Paris,  aq  moU  da  nal,  pour  Ta^ 
nM%  da  moU  «aaàt  1801,  LaaiaUa,  f.  84  B.  ~  VlUaroy,  I.  »,  p.  ITS  4. 

—  Lettra  da  Majanna  du  13  ooTambra  IBBI.  —  ExtraiU  daa  rafbtrcsda 
lliltal  da  Tilla  da  Sa^M»  fUlda   daM  TAppandica  dM  CUU-iàidran 

4t«aBa.p.7ai,70tti 


DtlSSÊlNS  D£  VAYftimi  ET  DB  fkUnkMfL  MORT  DsrARNKSE.  1/|7 

le  iravener  en  concloant  d^abord  avec  toos  les  princes  de  la 
maison  de  Lorraine  un  pacte  de  famille  pbiir  la  défense  de 
leurs  communs  Intérêts,  et  en  arrêtant  ensuite,  d*accord  avec 
eux,  que  les  iUiU^énénnx,  selon  le  conseil  de  Jeannin  et  de 
Villcroy,  seraient  assemblés  &  Paris,  où  la  présence  de 
40,000  bourgeois  armés  rendait  bien  plus  dlfHcUe  et  bien 
plus  aventureuse  une  violence  contre  les  députés  de  la  Ligue 
(!*' octobre).  Mais  le  duc  de  Parme  protesta  contre  cette  réso- 
lution en  laisant  entrer  en  France  Tavant-garde  de  Tarmée 
espagnole  (20  novembre).  On  ne  volt  pas  que  Mayenne,  qui 
manquait  déjà  de  forces  sufiisantes  pour  résister  aux  attaques 
du  roi  seul,  ait  eu  à  sa  disposition  un  seul  régiment  pour  pnK> 
Kéger  la  mesure  relative  à  la  tenue  des  États-généraux  à  Paris, 
ni  pour  s'opposer  aux  conquêtes  du  duc  de  Parme  dans  la 
Champagne,  la  Picardie,  rile*d&-France.  Il  se  lançait  \nU 
même  et  jetait  le  royaume  dans  Tinconnu,  et  pouvait  n^en 
sortir  que  pour  trouver  un  abîme. 

Un  événement  où  se  marque  la  protection  visible  de  la    Murt  du  duc 
Providence  envers  la  France  la  tira  du  nouveau  et  grave      *''  ^'"'"'^  - 
danger  où  la  précJ|rftaU  Mayenne.  Dès  le  11  octobre,  le  duc  de  ccit«  ii.ort. 
de  Parme  avait  éprouvé  à  Bruxelles  les  mortelles  consé- 
quences de  la  blessure  dont  il  avait  été  atteint  sous  Gaudebec 
Le  2  décembre,  il  succomba  à  Arras,  au  moment  même  où 
il  avait  commencé  et  où  il  pressait  sa  troisième  invasion  dans 
le  royaume.  Pbillppe  II  perdait  en  lui  le  seul  capitaine  dont 
les  talents  pussent  lui  assurer  de  grands  et  durables  succès 
dans  b  guerre  de  France.  Il  perdait  le  seid  homme  dont  la 
gloire  et  Tascendant  imposassent  dans  les  Pays-Bas  h  Parmée 
eqMgnole  mal  payée  :  aussi  après  sa  mort ,  elle  se  dispersa, 
se  mutina ,  mit  an  plUage  les  villes  de  la  Flandre,  ^t  parti- 
culièrement Maubeuge.  De  plus,  sa  mort  rompait  le  seul  lien 
qui  tenait  unis  les  'soldats  Italiens  et  les  soldats  espagnols  : 
dès  lors  les  Italiens  se  prirent  contre  les  Espagnols  d*une 
haioe  irréconciliable,  et  servirent  Philippe  avec  une  désaffec* 
tiOB  et  one  mollesse  que  tout  son  despotisme  ne  put  vaincre. 
Enfin  FteBèae,  dont  les  talents  politiques  égalaient  les  talents 
guerriers,  avait  une  connaissance  et  une  expérience  des 
afiynit  des  hommea ,  des  partis  en  France ,  qui  manqua 
complètement  au  duc  de  Ferla,  son  successeur.  Dans  le 
temps  que  Phllinne  éprouvait  cette  perte  Irréparable,  Il  voyait 


Dernières  me* 

•oret    edoplëei 

pur  XayeoDe 

pour  relever 

•oa  parti. 


lAS  HISTOIRE  DtJ  RàGNB  DB  HENRI  IV. 

le  désordre  et  répuisement  dans  ses  finances  se  développer 
d'une  manière  alarmante,  et  il  était  réduit  à  n'envoyer  à  ses 
ministres  que  le  tiers  des  sommes  nécessaires  aux  affaires  de 
France  ^  Au  milieu  de  la  dissolution  imminente  et  déjà 
commencée  de  la  Ligue ,  le  roi  catholique  avait  à  faire  un 
effort  extraordinaire  s'il  voulait  se  saisir  de  la  souveraineté 
en  France ,  comme  l'avait  supérieurement  vu  le  duc  de 
Parme.  Et  contrairement  à  ce  qu'exigeaient  le  temps  et  l'état 
des  partis,  les  moyens  de  la  force  et  ceux  de  la  politique  s'af- 
faiblissaient tous  à  la  fois  entre  les  mains  de  Philippe  II. 

Nûment  et  absolument,  cette  décadence  des  affaires  de 
l'Espagne  diminuait  le  danger  qu'avait  couru  l'indépendance 
de  la  France.  Mais  pour  quelle  ne  profitât  pas  à  l'ambition 
de  Mayenne,  échappé  aux  étreintes  de  Philippe,  autant  qu'elle 
servait  à  l'intérêt  du  pays  ;  pour  que  la  supériorité  du  parti 
royal  et  national,  du  parti  de  la  paix,  devint  décisive,  il  fal- 
lait que  ce  parti  ne  perdit  pas  du  côté  des  nationaux  ce  qu'il 
gagnait  du  côté  des  étrangers  ;  il  fallait  que  les  dispositions 
de  la  Ligue  française  ne  changeassent  pas;  qu'elle  restât  atta- 
chée au  roi  et  aux  politiques  ;  que  Mayenne  ne  parvint  pas 
à  la  ramener  vers  lui,  et  à  débaucher  &  Henri  le  tiers-parti 
et  les  catholiques  zélés. 

Mayenne  fit  une  dernière  tentative,  un  suprême  effort 
pour  ranimer  l'ardeur  et  le  dévouement  des  ligueurs  gui- 
sards,  et  pour  regagner  et  rattacher  à  sa  cause  les  ligueurs 
français.  En  traitant  avec  les  premiers,  il  s'adressa  à  l'hitérét 
personnel  :  parmi  les  seigneurs  qui  avaient  suivi  sa  fortune 
et  celle  de  sa  fomille,  il  éleva  à  la  dignité  de  maréchaux  de 
France  La  Chastre,  de  Rosne,  Boisdauphin,  Saint-Pol,  et  à 
celle  d'amiral  Villars,  le  défenseur  de  Rouen  ;  cette  nomina- 
tion, faite  dès  le  mois  de  décembre  1592,  reçutsa  publicité 
et  sa  consécration  en  parlement  au  mois  de  janvier  de  l'année 
suivante.  Avec  les  ligueurs  français,  Mayenne  fit  agir  d'au- 
tres mobiles.  Le  22  décembre,  fi  obthit  du  parlement  de 
Paris  un  arrêt  qui  cassait  celui  du  parlement  de  Ghâlons, 
comme  portant  atteinte  au  respect  dû  au  saint-siége.  Ses 


■  Po«r  cet  deux  peregraphet,  pepiers  de  SioMiitte,  cote  A,  87/40S.  — 
TiUeroy,  Apol.  et  dise.,  l.  zi,  p.  SOI   B,  20t.  —  Letloile  et  wn  Sopnl., 

£.  97,  105  B.  —  P.  Ci^et,  I.  IT,  p.  403-408.  ^  Lettres  minif ee  des  7  et 
1  décembre,  U  lll,  p.  TDS,  710. 


EFFORTS  DK  HATEIINC  POUR  RELEVER  SOA  PARTI.      iti9 

émissaires  envoyés  à  Rome ,  joignant  leurs  importonltés  à 
celles  des  ministres  espagnols,  empéchèrentClément  vni d'ac- 
cueillir les  avances  du  roi  et  de  prêter  une  oreille  favorable 
4  ses  ambassadeurs  Gondy  et  PisanL  Boucher  et  les  prédica- 
teurs de  la  Ugue  eurent  grand  soin  d'en  répandre  la  nou- 
velk  à  Paris  du  haut  des  chaires,  et  intimidèrent  la  conscience 
des  catholiques  en  prétendant  qu'ils  ne  pouvaient  reconnaître 
Henri  et  traiter  avec  lui,  sans  fouler  préalablement  aux  pieds 
rautorité  du  pape  (27  décembre).  En  même  temps  arrivait  à 
Paris  le  cardinal  Pelevé,  archevêque  de  Reims,  qui  devait 
présider  dans  les  États  la  chambre  du  clergé ,  et  qui,  animé 
contre  le  roi  d'une  haine  irréconciliable,  essaya  de  la  commu- 
niquer à  plusieurs  des  chefs  de  la  bourgeoisie ,  avec  lesquels 
fl  se  mit  en  rapport.  Tous  ces  membres  du  clergé  ligueur 
étaient  plus  favorables  à  Philippe  II  qu'à  Mayenne  ;  mais  le 
duc  se  servait  d'eux  pour  nuire  à  Henri,  et  comptait  sur  son 
adresse  et  sur  la  mauvaise  fortune  présente  du  roi  catholique 
pour  les  empêcher  de  potter  les  choses  aux  extrémités  où  ils 
voulaient  les  conduire. 

Enfin  Mayenne  fit  à  l'ophiion  publique  un  appel,  et  pré-  DëcUratkm 
senta  aux  ligueurs  français  un  espoir  très  dangereux  pour  ^*  ><*7«"b*« 
le  roL  II  publia  une  déclaration  raisonnée  et  adroite,  desti- 
née k  Justifier  sa  conduite,  à  rejeter  sur  Henri  tout  l'odieux 
des  malheurs  publics,  &  détacher  de  son  parti,  et  &  entraîner 
dans  celui  de  la  Ligue,  le  tiers-parti  et  les  catholiques  zélés 
qui  jusqu'alors,  tout  en  traversant  le  roi,  en  intriguant  contre 
lui,  étaient  pourtant  restés  sous  ses  drapeaux.  Dans  ce  ma- 
nifeste, il  cherchait  à  établir  que  la  Ugue  avait  légitimement 
combattu,  et  devait  contmuer  &  combattre  un  prince  qui 
s'était  placé  lui-même  hors  de  la  coutume  et  de  la  loi  de  la 
France.  Tous  les  rois  de  France  depuis  Glovis,  disait-il, 
avaient  suivi  la  foi  catholique  :  à  leur  sacre,  ils  promettaient 
de  vivre  et  de  mourir  dans  cette  foi,  de  la  défendre  et  de 
h  maintenir,  d'extirper  l'hérésie  ;  sur  ce  serment  était  fondé 
cdui  d'obéissance  et  de  fidélité  que  leur  prêtaient  leurs  su- 
Jets  ;  les  États  de  1576  et  de  1588  avaient  converti  radica- 
lement l'antique  coutume  en  loi  fondamentale  de  l'État,  et 
exdu  du  trOne,  comme  incapables,  tous  les  princes  héré- 
tiques. Mayenne  ajoutait  que  Henri  avait  perdu  tous  ses  titres 
4  la  royauté  pour  les  catholiques  de  la  Ugue,  parce  qu*il 


150  mlTOlAK  ou  RiEONE  DS  Hf Rlkl  If. 

était  eECOnummié  par  TEgUte  et  privé  des  droits  quMl  pou- 
vait préteAdre  ;  pour  les.  catholiques  royaui,  parce  qu*il  ajour- 
nait depuis  quatre  ans  la  promesse  qu*il  avait  faite  à  son 
avènement  de  se  convertir  et  d*abjurer  dans  les  six  mois.  S*il 
parvenait  à  établir  son  pouvoir  d*une  manière  incontestée,  la 
religion  catholique  serait  perdue  dans  le  royaume,  comme 
le  prouvaient  les  violences  de  ses  parlements  contre  le  saint- 
siège.  Mayenne  exhortait  les  princes  et  les  seigneurs  royaux 
&  se  séparer  des  hérétiques  et  à  abandonner  le  roi.  Quelque 
détermination  qu'ils  prissent,  il  les  invitait  jusqu'à  trois  fois, 
dans  te  cours  de  sa  déclaration,  &  députer  un  certain  nombre 
d-entre  eux  aux  États  qui  allaient  s'ouvrir,  et  à  prendre  avec 
eux  des  mesures  en  commun  pour  sauver  l'État  et  la  religion. 
Ce  manifeste,  émis  le  2/i  décembre  1592 ,  fut  enregistré  au 
parlement  et  publié  le  5  janvier  1593. 

La  grande  adresse  de  Mayenne,  comme  le  remarquent  les 
contemporains,  consistait  en  ce  qu'il  ouvrait  une  combinaison 
dans  laquelle  la  paix,  si  ardemment  désirée  par  la  Ligue  fran- 
çaise ,  pouvait  étire  obtenue  sans  traiter  avec  le  roi ,  et  en 
s'adressant  aux  seigneurs  de  son  parti.  La  question  de  la  paix 
étant  dégagée  de  celle  de  la  soumission  envers  Henri,  il  res- 
tait que  la  croyance  de  ce  prince,  suivant  la  déclaration,  me- 
naçait le  catholicisme,  et  Mayenne  appelait  la  Ligue  française 
à  défendre  la  religion,  sans  s'exposer  à  périr  ni  à  subir  la  do- 
mination espagnole.  Le  lieutenant  général  espérait,  de  plus, 
qu'au  milieu  des  négociations  qui  s'ouvriraient  nécessaire- 
ment, il  attirerait  à  lui  le  tiers-pard  et  les  catholiques  royaux, 
et  réduirait  ainsi  Henri  aux  dernières  extrémités  K 
u  Ugon  fren.  Ce  dcruier  assaut  livré  par  Mayenne  à  la  conscience  et 
^^^*^*^^  aux  convictions  des  catholiques  des  deux  partis  troubla  un 
seutimcDU  :  momcnt  les  esprits,  mais  ne  put  les  égarer.  On  ne  tarda  pas 
à  reconnaître  que  la  paix  avec  le  roi  était  le  seul  moyen  sûr 
de  mettre  fin  aux  calamités  et  aux  dangers  de  la  France,  et 
que  hors  de  là  on  ne  trouvait  que  périlleuses  incertitudes. 
La  Ligue  française  et  les  catholiques  royaux  agirent  en  con- 
séquence. A  te  fin  de  Tarrèt  du  22  décembre,  qui  cassait 

*  PMr  Mt  trolt  ptfftfrtplMt,  L«itoU«,  p.  100  i,  B,  100  B,  IIS  B.  —  lU- 
moU-M  M  Marillac,  t.  »,  p.  545  A,  B.  ^  MchraUoa  âm  MayeoM  «Um  !•• 
Aaciennw  loii  françaiMi,  t.  XV,  p.  44-51.  —  MiiriUac,  p.  54T  B.  ^  Uém. 
àê  Cb«Tf rny,  t  X«  p.  518  B,  SSD  B. 


tri  McUt. 


CO?ID0ITE  DE  LA  LIOOE  PRARÇAlSiS*  i5i 

celai  de  Ghâlons^  les  membres  du  parlement  de  Paris  itisé« 
rèrent  cette  clause  mémorable  :  «  Que  les  États-généraux 
»  estofent  convoqués  uniquement  pour  procéder  à  la  déda« 
»  ration  et  estabUssement  d*un  prince  catholique  françois^ 
»  suivant  les  lois  du  royaume;  lesquels  mots  de  déclaration 
•  tieâtablissement  renversoient  tous  les  desseins  d*élection  et 
»  de  nouveauté  ^  »  En  premier  lieu,  Texciusion  était  ainsi 
donnée  au  roi  d'Espagne,  à  sa  fille,  à  Mayenne  et  à  tous  les 
princes  lorrains,  puisque  les  États  devaient  se  conformer  aux 
lois  du  royaume  et  à  la  succession  héréditaire.  En  second 
lieu,  Henri  devait  être  reconnu  pour  rpi  k  Texcluslon  dea 
autres  membres  de  sa  famille  et  des  princes  du  tiers-parti, 
dès  qull  deviendrait  catholique  par  râbjuration.  Cet  arrdt  si 
important,  qui  maintenait  inébranlables  les  résolutions  prises 
par  la  Ligue  ft  l*hôtel  de  ville,  a  été  ignoré  de  tous  les  hiato* 
riens  modernes  :  c*est  la  préface  et  Texplication  du  mémo- 
rable arrêt  du  28  Juin  1593. 

Mayenne  avait  fixé  d'abord  Touverture  des  États  de  la     seDUmrats 
Ligue  au  20  décembre  1592  :  à  cette  date,  un  pedt  nombre  ^  f^pn»>«><oii 

■  m      jt  M        t     m  .  coDir*  iM  Etats 

seulement  de  députés  étant  rendus  à  Paris,  il  remit  siicce»*     «i*  la  ugae. 

slvement  les  États  au  17,  puis  au  25  janvier  1593.  lundis 

que  les  députés  arrivaient  isolément  et  lentement,  les  senti** 

ments  de  réprobation  qu'inspirait  cette  assemblée  éclatèrent 

i  Paris  et  dans  les  provinces.  Parmi  les  bourgeois,  les  uns 

ne  considéraient  et  ne  se  rappelaient  qu'une  chose,  c'est  que 

Mayenne  et  les  princes  lorrains  avaient  introduit  les  Espa- 

gnds  sur  quatre  points  du  territoire,  et  leurs  garnisons  dans 

nos  Tilles,  dans  Paris  même  :  ils  voyaient  en  outre  entrer  aux 

États  des  députés  «  lesquels  estoient  pour  la  plus  part  fac-* 

9  tleux,  nécessiteux,  ennemis  du  repos  public,  alTaroes  du 

•  bien  d'autruy,  cslns  et  venus  exprès  pour  favoriser  les  des-. 

•  seins  des  Espagnols  >.  •  Aux  yeux  de  èes  bourgeois,  qui 
s'arrêtaient  aux  apparences  et  ne  sondaient  pas  la  situation« 
une  pareille  assemblée  et  Mayenne  n'étaient  que  les  Instru^ 
ments  d^me  prochaine  inftimie,  n'étaient  que  des  tralties, 
destinés  à  livrer  le  royaume  à  l'Espagnol,  comme  les  États- 
généraux  de  1420  et  le  traité  de  Troyes  avaient  livré  la  France 

.  '  M«moir««  d«  MiirUlac,  t.  XU  p.  345  B,  8441  A.  ^  PiècM  k  la  tiiita  dM 
EiaU  da  1505  dans  las  DorumenU  Inédits,  p.  744.  •  «  ii«> 

»  U  lifiMur  Villtroy,  Apol.  at  dîic,  |.  xi,  p.  fOS  B. 


162  HISTOIRE  DU   RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

à  TADglais  K  Du  reste,  dans  la  fluctuation  des  événements, 
un  retour  subit  de  fortune  survenu  à  Philippe  II  pouvait 
donner  raison  à  leurs  craintes.  D'autres  bourgeois,  plus  ini- 
tiés aux  secrets  de  la  politique  et  au  jeu  des  partis,  pensaient 
que  la  mort  du  duc  de  Parme  et  Tépuisement  actuel  de  TEs- 
pagne  mettaient  Mayenne  en  mesure  de  résister  au  roi  ca- 
tholique, et  de  combattre  avec  succès  dans  les  États  les 
dispositions  des  députés  vendus  à  l'étranger.  Ceux-là  se  rap- 
prochèrent momentanément  de  Mayenne  et  pactisèrent  avec 
lui^  mais  uniquement  pour  ruiner  les  prétentions  de  Phi- 
lippe II,  et  pas  du  tout  pour  favoriser  celles  du  duc  \  Ainsi 
le  cardinal  Séga,  légat  du  pape,  ayant  publié  le  15  janvier 
1593  une  exhortation  adressée  à  tous  les  catholiques  du 
royaume,  dans  laquelle,  après  avoir  proclamé  rinhabilité  de 
Henri  à  occuper  le  trône,  il  les  exhortait  à  concourir  de  tout 
leur  pouvoir  à  l'élection  d'un  roi  catholique,  du  Vair,  membre 
du  parlement  et  l'un  des  députés  de  Paris  aux  États-généraux 
qui  semblaient  dévoués  à  Mayenne,  fit  au  légat  une  anonyme 
mais  vigoureuse  réponse,  dans  laquelle  il  battait  en  brèche 
l'élection,  et  maintenait  les  droits  du  roi  Henri  lY  contre  les 
prétentions  de  Philippe  II  et  de  Mayenne  tout  ensemble.  Dans 
les  rangs  de  la  bourgeoisie,  la  Ugue  française  se  tint  donc 
attachée  aux  sentiments  et  aux  dispositions  qu'elle  avait  em- 
brassés depuis  le  commencement  de  1592.  Quant  au  petit 
commerce  de  Paris,  formant  la  partie  honnête  du  peuple, 
il  se  montrait  comme  toujours,  ardent,  passionné  pour  l'in- 
dépendance de  la  patrie,  sans  aller  chercher  si  Mayenne, 
publiquement  allié  des  Espagnols,  était  secrètement  leur 
ennemi ,  et  les  combattrait  dans  les  États.  Aussi  les  mar- 
chands de  sablon,  les  meuniers  et  leurs  garçons,  inju- 
riaient journellement  Mayenne  et  les  États  de  la  Ugue.  «  Le 
n  curé  de  Saint-Eustache,  méprisant  la  difficulté  de  la  re- 
»  ligion,  preschoit  hardiment  pour  que  l'on  traitât  avec 
»  Henri  avec  plehie  qualité  de  roi,  et  esmouvoit  ses  pa- 
»  roissiens  qui  se  comptoient  au  nombre  de  16,000  por- 

'  Panbigntf,  I.  m,  c.  iS.  p.  ÎTS. 

*  Daubi|oë,  L  m.  c.  IS,  p.  976  :  «  Il  tembU  q««  1«  duc  d«  Maycnoa 
»  eût  repris  uu«  iiuiivelle  viguettr  par  U  mort  d*uii  riviil  qui  lai  osloil  tua 
»  luitr*.  et  «ncore  celle  liMine  d^Eipegne,  et  TripéraDe*  tranchée  eu 
»  debnrt,  ëpprli  enx  Parlti«oi qoMI  fatlIoilM  réconcilier  k  ce  duc;  eê  t/mi 
»  tê  fit  en  apparence  et  pour  un  tempe,  • 


L'OPimo.^  PUBLIQUE  SUR  LES  ÉTATS  DE  LA  LIGUE.     153 

•  tant  armes.  »  C'était  le  quartier  des  Halles,  qa*on  repré- 
sente si  faussement  dans  quelques  histoires  récentes  comme 
le  foyer  de  la  Ligue.  Enfin  de  Thon  témoigne  que,  dans  les 
provinces,  les  États-généraux  étaient  Tobjet  d*un  blâme  gé- 
néral et  de  publiques  attaques.  Sully  et  Lestoile  nous  appren- 
nent que,  dans  toutes  les  grandes  villes  de  la  Ligue,  la  majo- 
rité partageait  Tentralnement  des  habitants  et  du  parlement 
de  Paris  vers  la  paix,  vers  un  accommodement  avec  le  roi, 
parce  que  ces  villes  ne  souffraient  guère  moins  de  la  guerre 
des  blocus  que  Paris,  et  ils  nomment  Amiens,  Âbbeville, 
Troyes,  Reims,  Orléans,  Poitiers,  Lyon,  Riom,  Arles,  Aix  et 
même  Toulouse  ^ 

Henri  avait  à  fortifier  ces  salutaires  dispositions,  et  à  dis-     ProposiUon 
siper  les  derniers  scrupules  que  le  manifeste  de  Mayenne  et  ^^^SnwS^ 

royaoz. 

*  ExborlalloB  de  monMigocnr  l«  tardinal  d«  Plaisance,  Itfgat  da  pape, 
aux  caUioliquat,  etc.  Dana  les  M^fmoires  de  la  Ligne,  t.  Y,  p.  S96-306. 
Entre  autres  pattagei,  on  trouve  le  inlvant  à  la  |>Bge  305  :  m  Le  crimn  de 
»  rtcofnoiêtre  pour  roi  un  hérétique  rtlaps  et  obstiné  vuut  tcmble 

•  trop  airore  et  énorme  pour  tous  en  confesser  coupables.  Puisque  son 
»  obstination  l'a  desia  pHvë  de  tous  les  droits  qu'il  pouimit  prétendre^ 
»  U  est  temps  DMinlenant  que  vous  Uescouvries  hardiment  ce  cjur  vous 

•  avcs  dans  le  coenr.  Et  s'il  n'y  a  rtrn  que  de  catholique,  prononcea  libre* 

•  ment,  au  nom  de  Diew,  avec  le  reste  des  catholiques,  que  vous  ne  dëai- 

•  res  rien  tant  que  de  vous  voir  tous  réunis  sous  C obéissance  d'un  roi, 
m  de  nom  et  tt effet  très  chrétien  et  catholique.  »  C'était,  après  tant 
4'antrea  actes,  l'excluaion  la  plus  formelle  donuée  à  Henri,  et  ta  provoca- 
tion A  Telectlun  d*un  autre  prince  pour  roi.  Du  Vatr,  au  nom  de  la  classe 
des  Lignears  français  qu'il  représentait,  a*opposa  aux  conclusions  dn  Idgat 
par  nn  écrit  qu'on  trouve  dans  ans  œuvres,  p.  618,  in-folio,  et  qui  est  inti- 
tulé :  Képonse  d'un  bourgeois  de  Paris  h  un  écrit  Jait  contre  te  roy 
Henri  ly  par  le  cardinnl  Séga,  —  Sur  les  dispositions  du  petit  commerce 
et  de  la  partie  bonnét«  Uu  peuple  Je  Purii,  vovrx  Lestoile,  Begi»t.  joum., 
pw  f  13  A.  «  En  ce  mois  de  {anvierfiist  fouette,  i  la  porte  de  Paris,  nn 
»  porinnr  de  fablon,  pour  avoir  cbasië  son  asne  anx  Estats  et  s'ea  être 
M  mocqué.  Et  en  niesme  trmps  eust  le  fouet  au  Cbastelet,  sous  la  custode, 
»  le  serrtleur  de  Baudoin  In  meusnier,  pour  s*estra  pareillement  mooqné 
»  deadkts  Ealatx  et  dn  dac  de  Mayenne,  ayant  dict  tout  haut,  parlant  à  ton 
»  asne  et  frappant  deMus  :  Allons,  Gros- Jean,  allons  anx  Eatats.  Sur  quoy 

•  Mst  rnnconird  i  Paria  le  quatrain  inivant  : 

a  Hay,  mon  asne,  qu'on  te  meine 
»  Aux  Estati  de  monsienr  dn  Maint, 
»  Afin  que  tu  sois  de  plein  vol, 
•  Fait  de  François  un  Hespagnol.  » 

La  Sntir*  Mdnippée,  en  s'approprient  ce  fait,  page  f ,  a  dans  celte  circoo- 
•lance,  comme  dans  toutes  les  autres,  fait  un  emprunt  à  l'histoire.  — 
Four  ce  qui  regarde  le  cure  de  Saint-Eustache  et  ses  i6,000  puroissiens, 
coMullea  Danbigné,  1.  ui,  c.  iS,  t.  m,  p.  t76.  —  Pour  ce  qui  concerne  les 
provincee  et  les  grandes  ville»  de  la  Ligue,  voy.  de  Tbou,  1.  CV.  $  IS^  t.  ▼, 
p.  254  :  «  Qui  extra  urbem  erani,  palam  deridebant.  m  —  SoUy,  OEcon. 
rayai.,  c.  S7  et  41,  p.  lOT  A,  f  18  A.  --  Lettoile,  à  la  date  du  S9  et  du 
S*  ianvier  1503,  avant  l'osTertv*  d«t  Euta  de  U  Ligue,  p.  lit  A,  B. 


i5A  HISTOIRE  DU  RÈGNB  DE  HENRI  IV. 

Texhortation  du  légat  avalent  pu  laisser  chez  un  certain 
nombre  de  ligueurs  lionnêtes,  mais  timorés.  Il  avait  aussi  à 
raffermir  les  catholiques  royaux  et  à  contenir  le  tiers-parti, 
il  le  fit  par  deux  actes ,  correspondant  et  satisfaisant  aux 
deux  grandes  passions  de  la  majorité  nationale,  soit  ligueuse, 
soit  royale,  Tardeur  du  catholicisme,  le  désir  de  la  paix* 
Avec  son  autorisation  et  sa  permission  formellement  expri- 
mées, les  princes,  prélats,  officiers  de  la  couronne  et  prin- 
cipaux seigneurs  de  son  parti  adressèrent  le  27  Janvier  ^ 
aux  chefs  de  la  Ligue,  une  proposition  solennelle  ayant  pour 
but  d^opérer  une  réconciliation  entre  les  deux  partis,  et  de 
préparer  une  paix  qui  devait  suivre  immédiatement.  Le 
moyen  offert  était  une  conférence  entre  les  deux  partis.  Hs 
établissaient  que  la  paix  était  le  seul  moyen  de  sauver  non 
seulement  les  particuliers  et  TÉtat,  mais  la  religion  même, 
dont  les  ministres  et  les  temples  périssaient  chaque  Jour  au 
milieu  des  fureurs  prolongées  de  la  guerre  civile,  lis  pro- 
testaient devant  Dieu  et  devant  les  hommes  que  si  la  voie  de 
la  réconciliation  était  rejetée,  la  responsabilité  des  maux  ré- 
sultant de  ce  refus  pèserait  sur  ceux  qui  préféreraient  les 
expédients  propres  ft  servir  leur  ambition  personnelle  an  sa- 
lut du  royaume  et  à  Thonnear  de  Dieu.  La  proposition  des 
seigneurs  était  la  réponse  directe  à  Tinvitation  que  leur 
adressait  Mayenne  dans  son  manifeste,  de  prendre  part  aux 
délibérations  qui  allaient  s^ouvrir  à  Paris  sur  les  destinées  de 
la  France:  sans  mettre  le  pied  dans  les  Éuts,  ils  résolvaient 
par  avance  et  selon  le  vœu  de  la  nation  la  question  capitale, 
en  offrant  la  paix. 
Dtfciaratioo  Le  29  janvier,  deux  Jours  après  la  proposition  des  sei- 
gneurs royaux,  Henri  publia  tme  déclaration  qui  n*était  pas 
moins  explicite,  qui  n'allait  pas  moins  directement  au  but. 
Il  Otait,  pour  ce  qui  le  concernait,  tout  prétexte  de  guerre, 
en  offrant  de  réaliser  par  les  moyens  les  plus  prompts  les 
promesses  d'abjuration  et  de  conversion  qu'il  avait  mises  en 
avant  dès  la  précédente  année.  «  Pour  changer  nostre  reli- 
»  gion,  disait-il,  nous  n'avons  pas  pensé  faillir  de  désirer  la 
»  convocation  d'un  concile,  comme  nous  Tiroputent  les  re- 
»  belles...  Toutefois  s'il  se  trouve  quelque  autre  meiUeor  et 
•  plus  prompt  moyen,  pour  parvenir  à  ladite  Instruction, 
»  tant  s*en  faut  que  nous  le  rejetions,  qu'au  contraire  nous 


(lu  roi. 


DéCtARATIOIf  DU  ROI.  155 

»  le  désirons  et  embrassons  de  tout  notre  cœur.  »  Le  roi,  met- 
tant ensuite  en  évidence  les  artificesdu  manifeste  de  Mayenne, 
prouvait  que  le  duc  avait  seul  empêché  la  paix  jusqu'alors, 
et  Tempèchait  encore,  en  chargeant  ses  émissaires  à  Rome  de 
se  concerter  avec  les  ministres  d'Espagne  pour  s'opposer  à  ce 
que  le  pape  donnât  audience  aux  ambassadeurs  du  roi,  Gondy 
et  Pisani.  Enfin  Henri  exposait  les  vices  de  la  convocation  et 
de  la  composilioades  États  de  Paris,  démontrait  jusqu'à  l'évi- 
dence qu'aucun  acte  valide  ne  pouvait  émaner  d'une  assem- 
blée ainsi  composée,  frappait  formellement  de  nullité  toutes 
les  résolutions  qu'elle  prendrait,  et  déclarait  criminels  de 
lèse-majesté  au  premier  chef  tous  les  Français  qui  obéiraient 
ou  participeraient  de  consentement  ou  d'effet  à  ses  actes  ^ 
11  ne  pouvait  empêcher  qu'elle  délibérât  et  votât  ;  mais  il  at- 
tachait par  avance  à  ses  décisions  tout  ce  qui,  d'après  les 
sentiments  de  la  Ligue  française,  devait  en  entraver»  peut- 
être  même  en  arrêter  complètement  l'exécution,  et  les  réduire 
à  n'être  plus  qu'une  lettre  morte. 

Tel  était  donc  l'état  de  l'opinion  publique  au  moment  où 
les  États-généraux  de  la  Ligue  s'ouvrirent  à  Paris  à  la  fin  du 
mois  de  janvier  1503.  La  grande  majorité  de  la  nation,  tant 
du  côté  de  la  Ligue  que  du  parti  royal,  tous  les  citoyens 
honnêtes,  étrangers  à  la  cupidité  et  à  l'ambition,  amis  de  leur 
patrie  et  de  son  indépendance,  se  portaient  du  côté  de  la  paix 
et  de  la  reconnaissance  du  roi.  Mais  un  accord  entre 
Mayenne  et  Philippe  11,  ou  bien  entre  Mayenne  et  le  tiers- 
parti,  qu'un  seul  moment  pouvait  amener  et  rendre  durable , 
l'intervention  hostile  du  légat,  la  corruption  des  Seize,  des 
sélés,  du  clergé  ligueur,  des  gouverneurs,  des  magistrats 
municipaux  dans  la  plupart  des  villes  de  la  Ligue,  pouvaient 
encore  rejeter  le  pays  dans  des  complications  dont  la  tenue 
des  Êuts  et  l'éventualité  de  l'élection  d'un  roi  augmentaient 
k  danger. 

*  Ponr  c«t  d«az  |mra««pb«t,  MéttuAm  d«  U  Liga*,  I.  V,  p.  l7S>fl91.  — 
P.  Cft|et,  1.  Y,  p.  4tS«4i9.  —  Ane.  loU  frabçaises^  U  Xr,  p.  Sft-5S.  — 
M^n.  4«  CheTernj,  t.  x,  p.  BlOB,  5tl. 


liiiri&E  III. 

DEPUIS  l'ouverture  DES  ÉTATS  DE  LA  LIGUE  JUSQU'A 
L'ABJURATION  DU  ROI  (JANVIER-JUILLET  15930* 


^^▼•rtartdM       Mayenne  oavrit  les  États  de  la  Ligne  le  26  janvier  1593. 
Ligtt«;        Dans  les  premiers  Jours  de  la  session,  le  nombre  des  dépu- 

**"'uon'^*  ^  n'excéda  pas  quarante-dnq.  Quand  les  provinces  furent 
Uen  convaincues  qu'une  tenue  d'États  avait  lieu,  quand  elles 
eurent  envoyé  leurs  représentants  retardataires,  le  nombre 
des  députés  s'éleva,  mais  beaucoup  plus  tard,  à  cent  vingt- 
huiL  Les  États  de  Blois  de  1588  avaient  compté  cinq  cent 
cinq  députés  ;  ceux  de  Paris  de  1614  en  réunirent  quatre 
cent  soixante-quatre.  Les  États  de  la  Ligue  n'eurent  donc 
que  le  quart  des  députés  qui  se  trouvèrent  à  nos  dernières 
assenkblées  nationales.  Plusieurs  provinces,  entre  autres  le 
Languedoc,  dont  la  moitié  appartenait  à  la  Ligue,  n'y  en- 
voyèrent aucun  député.  La  représentation  d'autres  provinces 
fut  dérisoire  :  ainsi,  tandis  qu'aux  États-généraux  réguliers 
on  voyait  pour  la  Guyenne  les  députés  de  seize  sénéchaussées, 
on  ne  trouvait  à  ceux  de  la  Ligue  que  les  députés  de  deux 
sénéchaussées.  L'assemblée  prétendit  conserver  la  division 
législative  en  douze  grands  gouvernements,  division  qui 
n'était  en  usage  que  pour  la  tenue  des  États.  Mab  comme 
le  Languedoc  était  complètement  absent,  on  fut  réduit  à 
diviser  le  gouvernement  unique  de  Paris  en  deux  gouverne- 
ments, celui  de  Paris  et  celui  de  l'Ile-de-France  >•  On  peut 

'  Les  procèt-TcrlNias  dm  ÉtaU-géoëraux  fl«  1585  ont  éié  publies  pour 
la  première  foif  en  I84i  par  M.  A.  Bemaril,  diius  la  coUection  des  doctt- 
ments  inédits  sur  l'hittoire  de  France.  —  De  Tliou«  dans  les  lirres  CT,  CVl, 
om  de  son  Histoire,  donoe  un  extrait  fort  étendu  «i  fort  bon,  quoi  qa*oa 
en  ait  dit.  de  ces  Etats. 

'  Procèa-Terliauz,  nocni  das  d^Nitdt,  p.  S  et  9. 


C01I^0SITI0N  DBS  iTATS  DE  LA  LIGUB.  157 

donc  affirmer  que  cette  assemblée  ne  fut  la  représentation  ni 
de  la  France,  ni  même  de  la  France  ligueuse,  au  moins  en 
son  entier  ;  et  que  si  les  formes  pratiquées  pour  la  tenue 
ordinaire  des  États  furent  maintenues  en  apparence,  elles 
furent  violées  en  réalité.  De  pareilles  illégalités  suffisaient 
déjà  pour  vicier  les  délibérations  des  Ëtats  de  la  Ligue  ;  mais 
elles  étaient  entachées  d'avance,  et  bien  plus  gravement, 
par  les  circonstances  qui  avaient  présidé  aux  élections.  Les 
électeurs  avaient  été  gagnés  par  l*argent  de  Philippe  n  ; 
grand  nombre  de  députés  s'étaient  ensuite  mis  à  sa  solde  K 
Nous  avons  fait  connaître  précédemment  leur  moralité  et 
nous  n'y  reviendrons  pas  ;  mais  il  est  nécessaire  de  préciser 
quel  engagement  ib  avaient  pris  avec  le  roi  catholique.  Ils 
lui  avaient  vendu  seulement  la  promesse  de  trahir  leur  patrie 
et  de  la  lui  livrer;  quant  à  l'acte  lui-même,  ils  attendaient 
à  en  être  payés  séparément  et  à  im  prix  bien  plus  élevé  : 
c'était  un  marché  à  terme. 

Les  partisans  du  roi  d'Espagne  formaient  la  majorité  dans  MaforiU.  mino- 
les  ÉUts  de  la  Ligue  hnmédiatement  après  les  élections  et  "^^s'iâû*  ^ 
avant  l'ouverture  de  la  session.  Cette  majorité  se  composait  de 
toute  la  chambre  du  clergé,  excepté  cinq  membres,  et  de  la 
pluralité  des  membres  de  la  chambre  du  tiers-état.  La  mi- 
norité était  formée  par  la  chambre  de  la  noblesse  presque 
entière  et  par  quelques  membres  de  la  chambre  du  tiers- 
état  :  les  uns,  en  petit  nombre,  étaient  dévoués  à  la  cause  de 
Mayenne  ;  presque  tous  appartenaient  à  la  Ugue  française  et 
soutenaient  la  cause  nationale.  Nuls  ne  lui  rendirent  plus  de 
services  dans  les  questions  décisives  que  Habutin-Delavau, 
La  Chastre  et  Vitry,  de  la  chambre  de  la  noblesse  ;  Lhuiflier, 
Langlois,  Thielement,  Lemaistre,  du  Vair,  Daubray,  de  la 
chambre  du  tiers'. 

Dès  que  Mayenne  connut  les  élections  des  provinces,  dès  n«j«^««««y« 
qu^  fut  assuré  qu'il  devait  perdre  la  majorité  dans  les  États    mi*  maMii 

ca  ta  fiiT«iir. 

*  CMt  c«  qi|«  tënoignent  1m  contemporains  poar  le  temps  ante'riear  à 
la  session  des  Elats,  notamment  de  Serres,  InTentiiire  gëuër.  de  lliist.  de 
France,  p.  lOOf,  1003  :  «  Ces  EstaU  estoient  choisis  presque  de  la  lie  du 
•  peuple;  de  pins,  mutins,  séditieux,  corrompus  par  argent,  m  C*esC  ee 
qne  prouTeruni,  durant  la  session,  les  actes  mêmes  des  dépotes  que  nous 
sifnalerOBS  plus  tard. 

*  Les  fiiU  énonces  i  la  fia  de  ce  paragraphe  trouveront  leurs  preuves 
dans  lee  faits  subséquents. 


I5ft  miTOIftlt  DtJ  RkeNK  Dfe  HK^RtlV. 

|Mr  la  compoiition  de  la  chambre  du  clergd  et  de  celle  dti 
tien,  Il  essaya  de  la  reconquérir  en  altérant  la  composition 
habituelle  des  fitats.  Il  voulut  y  introduire  deux  nouvelles 
chambres.  La  première  se  composait  des  princes  lorrains, 
des  officiers  de  la  couronne,  des  maréchaux  et  de  Tamiral  de 
France  qu*il  venait  de  créer  an  nombre  de  cinq,  des  gou- 
yerneurs  de  province  ;  la  seconde  avait  reçu  les  délégués  des 
divers  parlements  ligueurs,  les  délégués  de  la  cour  des 
comptes»  les  membres  du  conseil  d*Étal^  Les  deux  nouvelles 
chambres  siégèrent  et  prirent  part  d*abord  aux  délibérations 
des  États  de  la  Ligne.  Si  Tinnovation  eût  duré  et  la  combi- 
naison réussi,  Mayenne  aurait  formé  lue  majorité  favorable 
à  ses  vues  des  deux  nouvelles  chambres  et  de  la  chambre  de 
la  noblesse. 
B^serre  qit«  fiiit      Le  parlement  de  Paris  ne  nomma  ses  délégués  pour  former 
''dTparhT'    Tune  des  deux  chambres  que  sous  la  condition  et  la  réserve 
expresses  que  l'assistance  aux  États  dé  ses  membres  ne  les. 
empêcherait  pas  de  prendre  part  à  la  vérification  que  ferait 
le  parlement  des  décisions  prises  par  les  États'.  La  vérifi- 
cation ,  c'est-à-dire  Tacceptation  ou  le  rejet  par  la  magistra- 
ture des  actes  d'une  assemblée  qui  se  prétendait  nationale  ; 
la  souveraineté  du  pays  soumise  à  Taulorité  d'un  corps  Judi- 
ciaire, était  une  usm-pation  évidente  de  la  part  des  parle- 
ments. Mais  elle  tenait  à  tout  un  système  qui  datait  déjà  de 
plusieurs  années.  Depuis  les  Barricades,  les  parlements  avaient 
cessé  d'être  des  corps  exclusivement  judiciaires,  pour  devenir 
en  même  temps  des  corps  politiques;  ils  avaient  participé  dès 
lors  aux  décisions  qui  avaient  réglé  les  destinées  de  la  France, 
et  notamment  à  U  collation,  sous  un  nom  ou  sous  nn  autre, 
de  la  puissance  souveraine,  à  la  reconnaissance  de  la  royauté 
de  Charles  X  et  de  la  lieutenance  générale  de  Mayenne,  à  la 
reconnaissance  de  la  royauté  de  Henri.  Ce  droit,  qui  avait 
été  accepté  par  tous  les  partis,  était  passé  dans  les  habitudes, 
conmne  le  prouve  en  dernier  lieu  l'arrêt  du  parlement  de 
Paris  à  la  date  du  22  décembre  1592. 


>  VUltrov,  Apol.  «1  dite.,  t.  xt,  p.  108  A,  B.  —  Kecudt  Urtf  4m  regif 
tfM  dn  p«rl«m«ttl  d«  Parif ,  1601,  lii-4*.  —  Procès-vrrbuax  des  Etait  d« 
1065,  appendice  d*  fS,  p.  SOO,  SOI.  ^  Uéutuj,  Grande  hblolrt,  t.  ta, 

'  Procèa-varbauz  d««  ÉtaU,  mlm*  appendlM,  mkmm  paf«t« 


LEâ  NO0VELLE8  GHAHSASft  DS  MAYENNfi,  SES  pftOJETS.  159 

Quand  Mayenne,  par  la  création  des  deux  nouvelles  cbam*  Projeit 
bres ,  crut  avoir  ressaisi  la  majorité  dans  les  ÉUts ,  û  revint  ^^  Mayenne. 
plus  TÎTement  que  jamais  au  projet  de  se  faire  élire  roi,  ou 
de  faire  déférer  la  couronne  à  son  fils,  en  gardant  pour  lui- 
même  la  lieutenance  générale  et  Teffectif  du  pouvoir,  il  ne 
se  dissimulait  pas  l'opposition  redoutable  qu'il  devait  trouver 
à  ce  dessein  de  la  part  de  Philippe  II,  de  la  part  du  pape  et 
de  son  légat  jusqu'alors  asservis  aux  volontés  du  roi  catho- 
ttqae,  de  la  part  des  ligueurs  français,  partisans  constants  et 
plus  prononcés  alors  que  jamais  de  la  légitimité.  Mais  ces 
obstacles  ne  lui  semblaient  pas  Insurmontables,  il  se  proposa 
d'abord  d'amener  Philippe  U  h  un  désistement  par  deux 
moyens:  d'abord  en  lui  préparant  des  échecs  successifs  dans 
les  États  de  la  Ligue  et  à  la  guerre,  et  en  lui  persuadant  que, 
depuis  la  mort  du  duc  de  Parme  et  le  dérangement  de  ses 
affaires,  il  était  hors  d'état  de  prendre  la  couronne  et  de  sub- 
juguer la  France  ;  ensuite  en  satisfaisant  son  ambition  par  de 
grandes  concessions,  11  offrait  de  lui  abandonner,  au  nord, 
la  Picardie  avec  Calais,  Boulogne,  Ardres,  le  Catelet  ;  k  l'ouest, 
Blavet  en  Bretagne;  au  sud,  la  Provence,  C'était  démembrer 
le  royaume,  l'ouvrir  incessamment  à  l'invasion  étrangère  du 
côté  des  l^ys-Bas,  du  c6té  du  Milanez  et  du  côté  de  l'Océan  ; 
l'affaiblir  ainsi  doublement;  livrer  à  l'Espagne  ce  que  Charles- 
Quint  et  Philippe  II,  en  soixante-dix  ans  de  guerre  et  d'in- 
troues,  n'avalent  pu  lui  arracher.  Quand  Mayenne  et  les 
princes  lorrains  n'auraient  que  ce  crime  à  se  reprocher,  ils 
mériteraient  encore  d'être  à  jamais  maudits  par  la  France  K 

*  TUltray,  Apol.  «t  dise.,  t.  X,  p.  t05  A.  «  M.  dm  Maymne  etpëroll 

•  ^Q«  l«  roj  iTlÙMgn*,  Muret  lu  i>«ile  d'an  t«l  capiUiioe  et  »er«itf  ur  (U 

•  4nc  de  Parme),  te  reUscheroU  de  tes   premiers  dfitseins....   M.  de 

■  Mayenite  etpéroll  fiiire  tellemenl  •«•  aflatret  que  t'U  n'oblenoU  le  pr«* 
m  mier  lies,  ii  s^etubliroit  si  bien  ao  second  qne  celuy  aui  teroil  e»ieu 
m  roj  ne  Ir  terolt  en  efTett  plus  que  lai.  m  ~  Lettre  dMbana  à  Phi- 
Eppe  II  :  •  Il  parull  qve  la  ferme  iiiteplioa  de  Moyenne  est  d'ujuuroer 
m  Telection  iutqu'i  ce  qu'on  le  cboisitse.  *  —  Lellre  du  duc  de  FèrÏM  à 
Pbilippe  II  :  «  Oo  m'atture  qae  le  duc  de  Mayenne  prèfër«>rolt  Uvrer  la 
m  coarouM  aa  Omnd  Turc  avant  de  couieniir  a  l'éleciion  d*un  roy  de  sa 

■  salioB,  necpld  tooterois  iui-méme.  »  —  InsIruciionsdeMujremie  }iie- 
pardeepONT  da  RoMe,  qui  doTalt  aller  à  Rome.  «  Créer  des  difficnliés  ponr 
a  toata  a«tr«  élection  aue  celle  du  dnc  de  Mayenne.  Si  celte  dernière  est 

■  accordde,  promettre  a  Sa  ]la)esté  calboliqne  la  cession  ds  la  Proyenee, 
m  et  um»  mmtra  protfimce  àa  Wrmmca  h  sa  eomi'mmamce^  em  iaissanê 
m  pouriani  sntendrs  qas  ce  ssra  ta  Picardie  ;  céder  encan  Biavei,  en 
m  Bretagna^  éa  plus  lee  plaças  é^ Ardres^  Calais^  Bamtogma.  m  (Papiert 
de  Simancna,  oote  B,  7S,  pièce  29,  folio  4  recto  ;  cote  B,  7S,  piè<  e  ilS, 
Mlof  recttt. 


160  HISTOIRE  DU  RfeGNB  DB  flBNRI  IV. 

Le  duc  arrêta  de  gagner  le  pape  et  le  légat  en  leur  prouvant 
quMl  était  seul  puissant  dans  le  royaume,  et  en  y  faisant  pu- 
blier et  observer  le  concile  de  Trente.  Enfin  il  résolut  de 
surmonter  les  répugnances  de  la  Ligue  française  en  lui  per- 
suadant qu*elle  serait  impuissante  à  réaliser  son  vcen  de  re- 
connaître le  roi ,  et  qu^elle  ne  verrait  la  fin  de  ses  maux  que 
quand  elle  lui  aurait  conféré  à  lui-même  le  pouvoir  et  les 
forces  nécessaires  pour  Taccabler.  Tout  dans  les  États  de  la 
Ligue,  du  c6té  de  Mayenne  et  de  ses  conseillers,  tendit  à  ce 
but  et  tourna  sur  ce  pivot 
Pramiiret         l^  26  janvier ,  à  la  séance  d'ouverture  des  États  de  la 
det  Eu!?rde  u  ^8^^»  Mayenne  prononça  un  discours  dans  lequel  il  annonça 
Lifiie.        le  grand  changement  où  toutes  les  ambitions  trouvaient  leur 
compte.  Il  dit  que  le  sujet  principal  pour  lequel  les  États 
avaient  été  assemblés  était  Télection  d'un  rot  catholique; 
et  par  ce  seul  mot  il  était  à  Henri  son  droit  héréditaire  et  la 
chance  même  d'être  choisi,  puisqu'il  n'était  pas  catholique  <• 
Le  duc  recommanda,  mais  avec  discrétion  et  indirectement» 
sa  candidature  et  celle  de  son  fils,  en  rappelant  ses  services. 
Le  cardinal  Pelevé  parla  après  lui  ;  et  cet  homme ,  qui  après 
avoir  trahi  les  intérêts  de  la  France  était  resté  vingt  ans  à 
Rome  pensionné  par  l'Espagne,  opposa'  à  la  candidature  de 
Mayenne  celle  de  Philippe  II,  en  faisant  un  pompeux  éloge 
de  ce  prince. 

Le  discours  de  Pelevé  n'excita  que  le  mépris  et  le  rire, 
non  pas  seulement  parce  qu'il  était  ridicule,  mais  parce  que 
la  composition  actuelle  des  États  était  peu  favorable  à  son 
ardeur  antifrançaise.  Très  peu  de  députés  des  provinces 
étaient  arrivés  :  l'assemblée  se  composait  presque  entière- 
ment des  deux  nouvelles  chambres  de  Mayenne  et  de  la  dé- 
putation  de  Paris;  or  cette  députatlon  ne  comptait  alors  dans 
ses  rangs  que  des  politiques,  des  ligueurs  français  ou  des 
hommes  modérés,  même  dans  l'ordre  du  clergé. 

La  présence  exclusive'  aux  États  des  bons  citoyens  se  fit 
sendr  encore  dans  les  délibérations  des  jours  suivants.  Le  27, 
dans  une  assemblée  particulière  tenue  à  son  domicile,  le  lé- 
gat ayant  proposé  aux  principaux  députés  de  signer,  i  la 
première  séance,  un  serment  par  lequel  ils  s'engageraient  à 

■  Voyra  ci-4lcttu8  U  noU  d«  la  pmge  IBS. 


PREUIÈRES  SÉANCES.  MAJORITÉ  POCR  PHILIPPE  IT.      iGl 

ne  jamais  traiter,  h  ne  conclure  jamais  de  paix  avec  le  roi 
de  Navarre,  cette  ouverture  fut  rejetée.  Le  même  jour,  à  la 
séance  des  Ëtats,  le  l<^gat  tenta  tout  aussi  vainement  de  se 
faire  déférer  la  pri^sidence  de  l'assemblée  :  on  décida  qu*il 
ne  paraîtrait  aux  États  que  pour  les  i)énir;  qu'en  qualité 
d'étranger,  il  n'y  aurait  ni  séance  ni  voix.  Le  28,  la  propo- 
sition des  royaux  pour  une  conférence  fut  apportée  au  con- 
seil d'État.  Le  légat  et  Pelevé  tirent  d'incroyables  efforts  pour 
empêcher  que  la  proportion  ne  fût  déférée  aux  États  :  le 
conseil  décida  au  contraire  que  l'assemblée  en  serait  saisie  ^ 

Mayenne  et  son  conseil  ne  désiraient  pas  plus  la  paix  avec 
le  rot  que  les  agents  de  l'Espagne  ;  mais,  sous  peine  de  s'a- 
liéner les  esprits  et  les  cœurs  dans  son  propre  parti ,  le  dac 
était  tenu  d'accepter  la  conférence  qu'il  avait  proposée  lui- 
même  dans  son  manifeste,  et  de  se  prêter  en  apparence  aux 
voies  d'une  conciliation  ardemment  désirée  par  les  villes  de 
la  Ligue.  De  plus,  il  espérait  dans  le  rapprochement  et  l'a- 
bandon d'une  conférence  séduire  les  seigneurs  royaux  à  sa 
cause  par  l'adresse  de  ses  agents.  Il  comptait  enfin  tenir  les 
Espagnols  en  respect  par  la  crainte  de  le  voir  traiter  avec 
le  roi. 

liiilippe  II ,  ses  mmistres  et  se^  créatures  à  Paris,  ne  tar- 
dèrent pas  à  regagner  dans  les  États  le  terrain  qu'ils  avaient 
perdu  lors  de  l'ouverture  de  cette  assemblée.  Dans  les  pre- 
miers jours  de  février,  les  représentants  des  provinces  arri- 
vèrent en  grand  nombre  :  la  seule  séance  du  U  février  en 
reçut  dix-huit  nouveaux.  Presque  tous  ces  députés  étaient 
vendus  an  roi  catholique.  Le  parti  es])agnol  se  trouva  alors 
assez  fort  pour  faire  adopter,  au  moment  de  la  vérification 
des  pouvoirs,  des  mesures  d'une  liante  gravité.  L'innovation 
des  délégués  des  parlements,  la  formation  de  deux  nouvelles 
chambres  furent  rejetées  par  les  États  :  les  délégués  des  par- 
lements  qui  continuèrent  jusqu'à  la  fin  du  mois  de  mai  à 
siéger  dans  l'assemblée  n'y  eurent  plus  de  voix,  furent  réduits 
à  donner  leur  avis  comme  simple  conseil ,  et  virent  jusqu'à 
leur  présence  souvent  contestée.  La  députai  ion  des  ecclésias- 
tiques de  Paris,  composée  d'hommes  modérés,  fut  renversée 


Pro^rèfl 

de  la  farUon 

espagnole  dans 

Ira  Étuis. 


*  Pour  ces  trois  paragraphes,  Lestoilc  et  son  Siippl.,p.  114  B,  1 1S,  1 1 1  B. 
—  Tlmanns,  I.  cv,  J  IH,  t.  V,  p.  854.  —  YiUeiuy,  Apol.  et  dise,  I.  XI, 
p.  soi  l(,  9tl5  A.  —  Registre  du  licrsrlut,  p.  91,  à  In  fin,  3ô,  S4. 

Il 


16'i  HISTOIRE   DU   nÈGNK   DE   HENRI   IT. 

contre  toutes  les  formes,  ot  remplac<^c  i>ar  les  membres  les 
plas  fougueux  du  parti  ligueur.  On  comptait  parmi  eux 
Boucher,  Génébrard  et  Gueilly.  Le  8  février,  Mayenne  fut  con- 
traint de  quitter  Paris  pour  aller  recevoir  et  contenir  à  la 
fois  Tarmée  espagnole,  qui  entrait  alors,  pour  la  troisième 
fois,  dans  le  royaume  :  son  départ  et  la  présence  des  troupes 
étrangères  ajoutèrent  infiniment  à  la  force  et  à  Taudace  de 
ses  adversaires.  Les  jours  suivants,  bon  nombre  de  députés 
arrivèrent  encore,  et  la.  plupart  appartenaient  au  tiersH^tat 
et  à  la  faction  espagnole.  Le  21  février,  les  États  comptèrent 
quatre-vingt-neuf  députés,  le  double  de  ce  qui  s*était  trouvé 
à  la  séance  d'ouverture  ^  Par  suite  de  ces  divers  incidents, 
dans  le  cours  du  mois  de  février,  une  majorité  en  faveur  de 
Philippe  H  s'était  formée  au  sein  des  États.  Elle  avait  adopté 
le  programme  suivant  :  renverser  Mayenne  aussi  bien  que 
Henri,  élever  à  la  souveraineté  le  roi  d'Espagne  avec  les 
votes  et  les  mains  de  la  Ligue  :  pour  obtenir  ce  résultat,  ren- 
dre la  Ligue  et  le  parti  royal  irréconciliables,  et,  par  consé- 
quent, combattre  à  outrance  la  proposition  de  la  conférence. 
Dans  Taltitude  hostile  que  prit  l'assemblée,  elle  trouva 
l'appui  de  tous  les  factieux  de  Paris.  Les  Seize  affichèrent 
des  placards  où  ils  protestaient  contre  la  conférence  et  dé- 
claraient nuls  par  avance  tous  ses  actes,  si  elle  avait  lieu. 
Les  prédicateurs  l'anathématisèrcnt  en  chaire  ;  de  plus ,  ils 
demandèrent  un  Ahod,  un  Jéhu,  pour  se  débarrasser  du  roi 
par  les  horribles  moyens  qui  leur  avaient  réussi  contre 
Henri  II I.  Le  19  février,  le  légat  obtint  de  la  Sorbonne  un 
décret  qui  déclarait  la  proposition  de  traiter  avec  les  sei- 
gneurs suivant  le  parti  du  roi  hérétique,  schisma tique , 
pleine  de  blasphèmes  et  de  rébellion  à  l'Église  '. 


'  Registre  du  ticrs-ctal,  p.  3o,  43,  56;  registre  da  clergé,  p.  378,  pour 
la  vérification  des  ponvoirs;  li^te  des  députés,  p.  5.  —  Lcsioile,  p.  Ît7  A. 
•—  VtlitTuy,  Apul.  et  dise,  l.  Xi,  p.  fb3  B.  C'est  Villrroj,  témoin  oculaire, 
qui  T'urnit  It's  renseignements  sur  lu  nullité  à  laquelle  le  parti  rfl|tagnol 
dans  les  Etats  réduisit  les  délrgues  des  parlements,  et  sur  raltéralion  que 
le<i  Seize  et  les  partisans  du  Philippe  iireul>uhir  k  la  députation  de%  ecrle* 
stustiqui'A  de  Puri».  «<  Ils  avoirnl  tant  de  puissance,  qu'ils  avuirnt  faicl  ren« 
•  Ttrser  la  députation  de«  ecclésiastiques  de  Paris,  contre  les  formes  urdi- 
»  nairei.  » 

*  Lestolle  et  son  Suppl.,  p.  IIG  A.  «Commolet  crioitdans  Siiint'Barlhé- 
m  \9tnj  :  Il  nous  fault  un  Ahod,  un  Jebu.  Oui,  oui,  mes  umis,  il  le  faiiU, 
m  Tusl-il  clerc,  fust-il  soldat,  fust-ll  huguenot  meame.»»  (Pages  liS  B,  tt!l.) 
—  T«xto  dit  décret  de  la  Sorbonno  dans  le  registre  du  clergé,  p.  387, 38B» 


de  la  confé- 

r«Dce  passe 

dans  les  Etals; 

par  quels 

moyens. 


LA  GONPéRBIfC£  ACCEPTER  PAR  LES  KTATS.  163 

La  propoailioa  de  la  conférence  fut  agitée  dans  les  Etats  La  proposititm 
du  4  aa  25  février.  Elle  y  suscita  d'interminables  déiiats,  et 
y  rencontra  d'abord  une  contradiction  qu'on  put  désespérer 
de  vaincre;  car,  dans  le  principe  «  la  proposition  n'eut  pour 
die  que  la  chambre  de  la  noblesse.  li  s'agissait  de  déplacer 
la  majorité  qui  s'était  formée  en  faveur  de  l'Espagne  :  voici 
comment  on-  y  parvint.  D'abord,  dans  cette  affaire,  l'intécét 
de  Mayenne  étant  le  même  que  celui  de  la  Ligue  française , 
les  deux  partis  s'unirent  étroitemenL  En  second  lieu  les  deux 
agents  du  duc,  Jeannin  et  d'Espinac,  à  force  d'adresse  et 
d'instances,  parvinrent  à  persuader  au  légat  de  se  prononcer 
pour  la  conférence ,  et  par  son  intermédiaire  et  son  autorité 
gagnèrent  à  la  proposition  la  chambre  du  tiers-état,  et  sur- 
tout celle  du  clergé,  d'abord  hostiles.  Us  représentèrent  au 
légat  que ,  dans  la  passion  que  montraient  pour  la  paix  la 
noblesse  et  les  grandes  villes  de  la  Ligue ,  si  l'on  repoussait 
la  conférence,  si  on  leur  ôtait  violemment  et  de  prime  abord 
tout  cspoû*  d'accommodement,  on  courait  risque  de  les  jeter 
dans  la  résolution  désespérée  d'abandonner  la  Ligue  et  de 
se  soumettre  au  roL  Ils  ajoutèrent  que  le  parti  de  Henri  se 
prévalait  déjà  de  ce  que  l'on  avait  laissé ,  pendant  tout  un 
mois,  ses  propositions  sans  réponse,  et  trouvait  créance  au- 
près des  peuples.  Us  remontrèrent  -en  outre  au  légat,  qu'en 
se  déclarant  ouvertement  pour  Philippe  II ,  en  obéissant  à 
ses  instructions  et  en  servant  ses  intérêts,  il  se  rendait  per- 
sonnellement suspect  et  odieux  aux  Français,  dont  la  majo- 
rité ,  même  dans  la  Ligue ,  détestait  les  projets  et  la  domi- 
nation espagnole  ;  que  de  plus  il  compromettait  de  la  manière 
b  plus  grave  les  intérêts  du  saint-siégc  en  ^exposant  à  voir 
la  frVance  se  détacher  de  son  obédience.  Ce  dernier  argument 
tirait  une  grande  force  des  résolutions  agitées  en  ce  moment 
même  par  le  parlement  de  Tours,  qui,  apprenant  le  refus 
Eut  par  le  pape  d'accueiUir  les  ambassadeurs  du  roi ,  propo- 
sait, pour  la  seconde  ÙÀ&^  d'établir  un  patriarche  en  France. 
Enfin ,  on  ne  peut  douter,  d'après  les  faits  subséquents, 
que  Jeannin  et  d'Espinac  n'aient  séduit  le  légat  par  l'er- 
rance de  faire  recevoir  et  publier  en  France  le  concile  de 
Trente.  Séga  se  laissa  vaincre  à  ces  raisons,  les  fit  goûter  aux 
chambres  du  clergé  et  du  Uers,  et  leur  persuada  de  voter 
pour  la  conférence.  VlUeroy,  qui  prit  une  part  active  à  ces 


16&  HISTOIRfi  DO  R^GNE  DE  HENRI  IV. 

débats,  témoigne  que  sans  l'intervention  du  légat,  la  propo- 
sition de  la  conférence  aurait  été,  selon  toute  apparence, 
renversée  dans  les  Ëtats. 

Dans  les  séances  des  25  et  26  février,  les  trois  chambres 
décidèrent  en  principe  que  la  conférence  aurait  lien ,  mais 
sous  une  forme  déterminée  et  avec  une  restriction.  Le  1*'  mars, 
elles  rédigèrent ,  et  le  6 ,  elles  adressèrent  leur  réponse  aux 
catholiques  royaux.  Les  deux  points  principaux  étaient  ainsi 
exprimés  :  1*  Il  a  été  résolu  et  arrêté  par  les  chambres  que 
Ton  ne  doit  conférer  directement  ou  indirectement  avec  le 
roi  de  Navarre ,  ni  avec  aucun  hérétique ,  pour  rétablisse- 
ment de  ce  prince  ;  2'  il  a  été  arrêté  que  Ton  pourra  con- 
férer avec  les  catholiques ,  suivant  son  parti ,  pour  ce  qui 
touche  la  conservation  de  la  religion,  le  bien  de  TËtat  et  le 
repos  du  royaume,  et  pour  leur  réunion  à  TËglise  catholique, 
apostolique  et  romaine  <. 

D'Espinac  et  Jeannin  avaient  pressé  la  conférence  dans 
l'intérêt  et  les  vues  de  Mayenne,  que  nous  avons  exposés 
précédemment.  Les  partisans  de  TEspagne,  dans,  la  chambre 
du  tiers  et  dans  celte  du  clergé ,  Pavaient  consentie  sur  la 
crainte  de  se  voir  abandonnés  par  les  villes  de  la  Ligue  en 
cas  de  refus  de  leur  part  '.  lis  comptaient  qu'elle  ne  produi- 
rait pas  de  résultats,  ou  qu'elle  n'en  amènerait  que  de  favo- 
rables à  la  Ligue.  lie  parti  de  Mayenne  et  le  parti  espagnol 
se  flattaient  également  de  rompre  la  conférence  à  leur  gré, 
si  elle  venait  -à  présenter  le  moindre  danger,  en  renvoyant 
au  pape  la  connaissance  et  la  pleine  décision  de  ce  qui  con- 
cernait la  conversion  de  Henri.  Mais  Villeroy,  qui,  bien  que 
conseiller  d'I^tat  de  Mayenne ,  agissait  uniquement  pour  la 
Ligue  française ,  mais  les  représentants  de  ce  parti  dans  les 
Étals,  entre  antres  Lemaistre ,  jugeaient  tout  autrement  les 
effets  et  l'issue  probable  de  la  conférence.  Dans  la  restriction 
mise  par  les  Ëtats  de  la  Ligue  de  ne  pas  traiter  avec  le  roi , 
et  de  ne  traiter  qu'avec  les  catholiques  de  son  parti,  ils  ne 
voyaient  qu'une  vaine  procédtire  parlementaire  qui  ne  pou- 
vait nuire  au  fond  de  la  négociation.  Appréciant  d*une  ma- 

'  Pour  ces  deux  paragraphes,  Villeroy.  Apol.  .K  tlisr.,  I.  xi,  p.  904, 
SOS.  —  RoRlslrc  du  tiers,  p.  Si,  65,  7.V76.  —  Rcgislif  du  riergc,  p.  385- 
387, 301-303.  ~  Registre  de  la  noblesse,  p.  S70. 

*  Refislre  du  clerg«,  p.  385.  «  Davautage  In  peuples  ne  pourront 
M  trouver  moyen  ny  ocra  «ion  de  se  fascher.  » 


ACCORD  DE  MAYENNE  ET  DES  ESPAGNOLS.  165 

nière  juste  les  dispositions  des  peuples  et  même  d*une  por- 
tioD  des  chefs,  ils  estimaient  que,  dans  la  lassitude  générale 
de  la  guerre  et  la  crainte  de  la  domination  étrangère ,  la 
conlërence  n*amènerait  pas  seulement  un  armistice  dont 
Mayenne  et  les  partisans  de  TEspagne  pourraient  se  jouer  à 
leur  gré ,  mais  bien  une  trêve ,  après  laquelle  personne  ne 
consentirait  plus  à  reprendre  les  armes  ;  que ,  par  consé- 
quent ,  la  conférence  deviendrait  un  sûr  acheminement  à  la 
pacification  du  royaume  et  à  la  reconnaissance  du  roi^ 
L*événement  jastifia  leurs  calculs,  et,  après  le  consentement 
donné  par  Henri  à  son  changement  de  religion,  la  conférence 
devint  le  plus  puissant  moyen  de  salut  de  la  France.  Voyons 
quelles  épreuves  elle  eut  à  traverser  et  quels  obstacles  à 
vaincre. 

Tandis  que  cette  résolution  si  importante  était  prise  à     N«gociatiiint 
Paris,  Mayenne,  les  Espagnols,  le  tiers-parti,  s'épuisaient  en   '"'rîerÊÎJÏ-* 
efforts  et  en  combinaisons  pour  donner  gain  de  cause  à  leurs  §«>«>*«•  Jonciion 

«  .  wf    .       1     A   <•,     .       '..  Il      de  leur»  forcM. 

prétentions.  En  qmttant  l^ns.  le  8  février,  Mayenne  alla 
d^abord  conférer  avec  les  princes  de  sa  famille.  Le  20  février, 
il  se  rendit  à  Soissons ,  où  il  s'aboucha  avec  le  duc  de  Féria 
et  les  autres  ministres  du  roi  d'Espagne.  Les  négociations  se 
prolongèrent  pendant  plus  de  quinze  jours,  du  20  février  au 
8  mars.  Mayenne  demandait  que  Philippe  II  se  désistât  de 
ses  prétentions  à  la  couronne  et  avouât  la  poursuite  du  duc 
ou  de  son  fils ,  en  se  contentant  de  l'abandon  des  provinces 
de  Provence  et  de  Picardie ,  et  de  la  cession  de  cinq  places 
fortes  sur  deux  autres  points  du  territoire.  Les  ministres  de 
Philippe  II  réclamèrent  opiniâtrement,  pour  sa  fille  Glaire- 
Eugénie ,  le  corps  de  la  monarchie ,  en  faisant  à  IMayenne  la 
part  suivante  :  la  Bourgogne  en  toute  propriété  pour  lui  et 
ses  descendants  ;  la  Picardie ,  sa  vie  durant  ;  la  lieutenance 
générale  de  la  reine  en  France  ;  l'argent  nécessaire  pour 
acquitter  ses  dettes ,  sous  l'expresse  condition  de  travailler 
de  tout  son  pouvoir  à  'faire  élire  reine  l'infante  d'Espagne. 
Mayenne  contesta  vainement  :  il  trouva  Philippe  II  et  ses 
ministres  inébranlables  dans  leur  ambition.  Gomme  il  avait 
un  besoin  impérieux  de  leurs  troupes  et  de  leur  argent  pour 
tenir  la  campagne  contre  Henri ,  secourir  les  villes  de  la 

•  ViUaroy,  Apol.  el  dise.,  p.  90S  B,  105  B, 


166  HISTOIRE   DU   RÈGNE  1)E  HENRI   IV. 

Ligue,  et  surtout  Paris  plus  pressé  que  jamais,  il  promit  tout 
aux  Espagnols,  avec  le  dessein  de  ne  rien  tenir,  selon  sa  cou- 
tume. Il  tira  d'eux  20,000  écus  comptatits,  et  des  assignations 
à  quelques  mois  pour  200,000  écns.  II  prit  également  leurs 
troupes  venues  des  Pays-Bas ,  sous  la  conduite  du  tomte  de 
.  Mansreld,  au  nombre  de  /i,500  hommes  seulement ,  les  joi- 
gnit &  1,000  soldats  fournis  parle  pape,  et  aux  ligueurs  qu^H 
avait  rassemblés  lui-mCme.  C'était  en  tout  &  peine  10,000 
soldats.  De  pareUles  ressources  en  argent ,  une  pareille  force 
militaire  étaient  bonnes  tout  an  plus  à  quelque  entreprise 
secondaire ,  ou  à  la  défense  de  quelque  point  déterminé  du 
territoire  :  elles  ne  pouvaient  rien  de  grand,  rien  de  décisif. 
Les  Espagnols,  en  particulier,  réduits  à  leurs  6,500  hommes, 
se  trouvaient  parfaitement  hors  d'état  de  faire  la  loi  aux 
États  de  la  Ligue  et  à  la  France.  Mayenne,  avec  ceue  armée, 
alla  assiéger  Noyon ,  dont  la  prise ,  combinée  avec  l'occupa- 
tion de  Pontoise  par  les  ligueurs,  devait  rendre  libre  le  cours 
de  l'Oise,  et  rouvrir  à  Paris  des  pays  d'approvisionnement  ^ 
Le  due  da  Le  duc  de  Ferla,  comptant  fort  peu  sur  les  promesses  et 

^•rVtetiJtrres*  ^^  '®  concours  de  Mayenne,' parce  qu'il  le  connaissait  bien , 
decoiniption  commc  le  prouve  sa  correspondance,  quitta  Soissons  pour 
dira»  corps.  ^  rendre  à  Paris  où  fl  entra  le  9  mars.  Il  arriva  mal  pourvu 
de  ce  qui  était  nécessaire  pour  séduire  des  chambres  telles 
que  celles  du  tiers-état  et  du  clergé.  Au  milieu  du  grave 
dérangement  survenu  dans  ses  finances ,  Philippe  II  n'avait 
de  disponible  pour  les  intrigues  et  pour  la  corruption  qu'une 
somme  de  200,000  écus  ou  600^00  livres  de  ce  temps.- 
Féria  avait  ouvert  l'avis  d'employer  cette  somme  tout  en- 
tière dès  Touverture  des  Etats  à  gagner  les  députés.  Mais  il 
n'avait  pu  faire  partager  ce  sentiment  à  son  maihre  :  Vhï- 
lippe  II  avait  remis  à  un  an  la  distribution  de  la  plus  grande 
partie  de  cet  argent,  et  prescrit  formellement  à  ses  ministres 
de  ne  récompenser  les  traîtres  qu'après  le  service  rendu  ^ 
c*est-à-dlre  après  le  vote  émis  en  faveur  de  sa  royauté  ou  de 


*  Supplément  de  Lestoile,  p.  193  A,  5  1er.  —  L*exaclUude  das  déuili 
relatiis  nus  conventions  entre  M«yenna  et  let  Eapagiiolt,  qn*il  rapporta, 
e»t  attestée  par  VUleroy  dans  le  pas»uge  suivant,  p.  âU5  A,  à  la  fin  :  «  Le 
»  duc  de  Mayenne  rencontra  à  Soissons  le  duc  de  Féria...  Il  eus!  baau- 
»  coup  de  peine  d*en  tirer  de  Targent,  et  fust  contrainct  de  leur  pro- 
m  mettrt  des  choses  qu'il  ne  leur  observa^  ainsi  quMls  l*ottt  public 
•  depuis.  M 


TENTATION  0£  CORAUPTION  A  PARIS  PAR  FÉRIA.      167 

celle  de  Tlnfante  K  Féria  arriva  donc  ù  Paris  avec  30,000 
doublons  ou  90,000  livres,  c'cst-à-diro  avec  la  septième  par- 
tie seulement  des  deniers  destinés  par  Philippe  II  à  Tachât 
des  consciences.  La  somme  était  trop  faible  pour  que  Féria 
songeât  à  l'appliquer  à  la  corruption  des  trois  chambres  des 
États.  11  résolut  donc  de  s'en  servir  pour  gagner  au  parti  es- 
pagnol les  magistrats  municipaux,  les  chefs  de  la  force  armée 
et  du  clergé  de  la  Ligue  française.  Â  son  instigation,  les 
Seize  pressèrent  Lhuillier,  nouveau  prévôt  des  marchands, 
de  recourir  à  ses  largesses  pour  payer  les  rentes  de  Phôtcl  de 
ville  :  Lhuillier  répondit  qu'il  n'était  pas  Espagnol,  et  qu'il 
ne  lui  serait  jamais  reproché  que,  pendant  sa  prévôté,  il  au- 
rait engagé  le  domaine  de  la  ville  à  l'étranger.  Féria  se  tourna 
alors  vers  les  capitaines  et  les  colonels  de  la  garde  bour- 
geoise (1/i  mars).  Malgré  la  misère  des  meilleures  familles, 
ils  repoussèrent  ses  offres  avec  indignation ,  en  disant  que  ce 
qu'ils  avaient  fait  n'était  pour  de  telles  récompenses  ;  qu'ils 
avaient  toujours  été  ce  qu'ils  resteraient,  catholiques,  mais 
l'Yançais;  dévoués  à  la  cause  de  la  religion ,  mais  en  même 
temps  à  celle  de  la  ville  et  de  l'État  :  Daubray  se  signala  entre 
tous  par  la  liberté  et  l'énergie  de  son  refus.  L'ambassadeur 
chercha  tout  aussi  vainement  à  tenter  le  chapitre  de  Notre- 
Dame  qui  mourait  de  faim  :  le  doyen  Seguier  l'invita  à  ne 
pas  se  mêler  des  nécessités  et  dés  ressources  du  chapitre.  Le 
peu  d'argent  dont  Féria  disposait  s'écoula  entre  les  mains 
des  Seize  et  des  prédicateurs  de  la  Ligue.  Ces  derniers  com- 
mencèrent ,  le  19  mars,  à  attaquer  tous  ensemble  dans  leurs 
chaires  Mayenne  et  Henri  IV,  ajoutant  :  a  Qu'ils  vouloient 
»  bien  qu'on  sçut  qu'ils  aimoient  mieux  avoir  l'Espagnol  ca- 
»  tholique  pour  roy,  que  non  pas  l'hérétique  Béarnais.  » 
Mais  ces  déclarations  éboulées  et  'antinationales  ne  provo- 

*  CorTMpODdance  de  Philippe  II  avec  J.  R.  de  Taxis,  à  la  fin  de  1M)9. 
«  Je  Tout  ai  laissé  inatlre  de  disposer  d'une  somme  de  900,OCO  ëcus  pour 
»  nuiis  rendre  favorables  les  Français  récalcitranls,  ou  pour  distribuer  ■ 
•  eeax  qui  rendront  quelques  services  iropurtants,  mau  seulement  après 
M  le  service  rendu;  Vexperienre  ayant  prouvé  que  Ton  obtient  plus  par 
»  Tespoir  de  la  récompense  que  par  Je  payement  anticipé.  »   Le  9tt  jan* 
*ier  ISO.*),  Féria  avait  écrit  à  Philippe  II  :  «c  D.  J.  Idiaquei  jugeuil  uéces- 
»  saire  d'avoir  quant  à  présent  une  bonne  somme  d'argent  pour  gagner 
«  des  voix.,.  En  ayant  parlé  a  J.  B.  de  Taxis,  il  me  montra  un  ordre  de 
n  Votre  Majesté  pour  disposer  de  900,000  ëcus  payables  dans  un  an, 
1  Mais  il  seroit  beaucoup  plus  profitable  que  l'argent  vint  mainlenunl.  >• 
(Papiers  'de  Simancas.)  Philippe  II  ne  se  rendit  pas  à  cetaTÎs  de  Féria. 
Ce  ministre  vint  k  Paris  avec  peu  d'argent,  et  ne  donna  rien  aux  députes 
entre  le  mois  de  mars  et  le  mois  de  iuin. 


168  UISTCIHË  DU    KKONË  DE  HEMRl    IV. 

quaienl  plus  depuis  lon^cinps  que  le  mépris  et  le  dégoût, 
même  chez  les  dernières  classes  du  peuple  de  Paris  K 
nouvel  Ici  «lit-  Ccs  manifestations  éclatantes  des  sentiments  français  par- 
Cïn"«î'«»  d««  ^«  ^^  toutes  les  classes  de  la  population  de  Paris  déconcer- 
Eiuu.  tèrent  et  intimidèrent  les  partisans  de  TEspagne  dans  les 
États.  De  plus ,  ils  ne  tardèrent  pas  à  reconnaître  que  Féria 
n*ayait  pas  apporté  de  quoi  satisfaire  leur  avidité,  et  qu'il  ne 
pouvait  leur  donner  que  des  promesses  à  long  terme.  Dès 
lors  un  notable  changement  survint  dans  les  dispositions  de 
l'assemblée  :  «  Tels  qu'ils  esloient  venus  disposés  de  les  fa- 
»  voriscr  et  servir  en  payant,  les  maudissoient,  voyant  qu'il 
»  n'y  avoit  rien  à  gagner  avec  eux  '.  » 
Prise  de  Noyon,  Les  événements  de  la  guerre  achevèrent  de  porter  la.dés- 
'*!*I^^  *  organisation  dans  le  parti  que  les  Espagnols  avaient  eu  d'à- 
cftpagnuio.  iiQfd  jm  ^{q  ^^  États.  Le  29  mars,  l'armée  hispano-ligueuse, 
coHHnandée  par  Mayenne  et  Mansfeld ,  s'empara  de  Noyon. 
Après  la  prise  de  cette  ville,  les  Parisiens  s'attendaient 
à  la  voir  s'approcher  de  leurs  murs,  enlever  les  places  et  les 
forts  occupés  par  Henri,  particulièrement  Goumay  et  Saint- 
Denis  ,  ramener  l'abondance  dans  la  ville ,  rétablir  ses  com- 
munications avec  les  provinces.  Les  autres  grandes  villes  de 
la  Ligue  ne  demandaient  pas  moins  à  l'armée  des  confédérés. 
Ma» ,  pendant  le  siège  de  Noyon ,  qui  avait  duré  trois  se- 
maines, elle  avait  perdu  /i,ÔOO  hommes  par  les  combats  et 
par  la  désertion  :  réduite  à  6,000  soldats,  elle  était  hors 
d'état  de  rien  entreprendre  d'important  Les  Espagnols ,  qui 
la  composaient  par  moitié ,  étaient  rappelés  dans  les  Pays- 
Bas  par  la  prise  de  Gertruydenberg ,  les  progrès  du  prince 
Maurice  et  des  Hollandais.  Enfin,  elle  était  aussi  mal  payée 
que  mal  disciplinée.  Aussi  après  la  prise  de  Noyon ,  elle  se 
dispersa.  Les  soldats  de  Mayenne  se  retirèrent  dans  leurs 
garnisons  de  licardic  :  les  Espagnols  de  Mansfeld  rega- 
gnèrent la  frontière  des  I^ys-Bas,  et  ne  Urdèrcnt  pas  à  se 
mutiner  de  nouveau  ;  les  uns  désertèrent ,  les  autres  rega- 
gnèrent l'Artois  et  le  llainaut,  où  ils  mirent  tout  au  pillage 
pendant  près  d'un  an  \ 

•  Lettoile.  p.  190  B.  iSt,  193. 

*  Villeroy,  Apol.  et  dUc,  p.  SOS  B. 

>  Lettres  luissiTes  de  Henri  IV  des  S,  4,  liiivril  15(13,  t.  m,  p.  7<5.7:iâ. 
—  P.  ûiyel,  I.  ▼,  p.  43i  A»  Am,  4BI.  —  l^tioile,|i.  ir»  A.  I»  B.  -  Thii«- 
nitt,  I.  or,  SS  0«  i,  p.  908«  SI  1-113.  —  ViUeroj,  Apol.  cl  dise.,  p.  iU5  A. 


DÉNIJMJSNT  0£S  ESPAGNOLS,  SES  GO?IS£QU£l<iC£S.       169 

AJiisi,  au  moment  décisif,  Pliilippe  II  se  trouvait  sans 
armée  et  presque  sans  argent  en  Ifrance.  Un  pareil  résultat 
suffit  pour  prouver  que  cet  homme  qui,  dans  ses  intrigues, 
se  jouait  de  tout ,  même  de  la  religion  et  de  Dieu ,  qui  se 
permettait  tout,  y  compris  le  crime,  était  étranger  à  la 
grande  politique. 

Dans  leur  état  de  dénûment  et  de  faiblesse ,  Pliilippe  II  et  HHineetmepn* 
ses  ministres  conservèrent  entières  leurs  prétentions  et  leurs     emmii!)". 
espérances  :  ils  ne  songeaient  à  rien  moins^  qu^à  asservir  la    i>«n»  !«>  Ki»ts 
France.  Ce  contraste  entre  leur  ambition  et  leurs  ressources     '"  ^Îm'*' 
les  rendit  odieux  et  ridicules ,  tandis  que  leur  grand  étalage     ^  MayeuM. 
de  catholicisme  et  leur  hypocrisie  excitaient  le  mépris.  On 
trouve  les  actes  de  tous  les  partis  empreints  de  ces  senti- 
ments. Les  politiques  et  les  ligueurs  français  de  Paris,  ac- 
crus chaque  Jour  de  nombre ,  attaquèrent  publiquement  les 
Seize ,  et  se  préparèrent  à  combattre  tontes  les  usurpations 
de  la  couronne,  de  quelque  côté  qu'elles  vinssent.  Les  Ëtats 
de  la  Ligue,  Instruits  jour  par  Jour  des  événements  et  dos 
suites  du  siège  de  Noyon ,  à  cause  de  la  proximité  de  cette 
ville  et  de  Paris,  changèrent  d'attitude  et  de  conduite.  Les 
députés  du  tiers-^tat  étaient  arrivés  avec  la  disposilion  de 
servir  le  roi  catholique,  et  ils  l'avaient  prouvé  par  leur  ré- 
sistance si  longtemps  prolongée  dans  Taffaire  de  la  confé^ 
rence.  Maintenant  ils  trouvaient  qu'il  n'y  avait  rien  à  gagner 
avec  lui ,  et  qu'il  y  avait  tout  à  craindre ,  puisque,  après  la 
dimmution  d'abord  et  ensuite  la  dispersion  de  son  armée ,  il 
s'agissait  pour  eux  de  se  déclarer  à  la  fois  les  adversaires  du 
roi  et  les  ennemis  de  Mayenne.  Dès  lors  ils  passèrent  à 
Mayenne  et  à  son  parti,  ils  le  prirent  pour  chef  et  pour  guide. 
Ils  le  consultèrent  dans  toutes  les  questions  avant  de  rien 
décider.  Au  tiers-état  se  joignait  la  noblesse,  qui,  dès  le 
prhiclpe,  s'était  prononcée  pour  le  lieutenant  général.  Phi- 
lippe II  ne  conservait  donc  plus  dans  les  États  que  la  cham- 
bre du  clergé ,  dont  il  fallait  même  distraire  d'Espinac  et 
quelques  autres  prélats  très  influents,  partisans  de  Mayenne 
ou  du  jeune  duc  de  Guise.  Ainsi ,  dès  la  fm  du  mois  de 
mars,  la  majorité  fut  acquise  h  Mayenne  dans  les  États,  et , 
comme  le  dit  un  témoin  oculaire,  rien  ne  s'y  fit  plus  que 
sous  son  bon  plaisir  K  Ce  changement  est  capital. 

•  ^Ukroy,  Ap«l.  «t  dite.,  p.  203  B.  906  A,  908  B.  -  LctioHe,  p.  191 B. 


Prraûèra    pro- 
position des 
Es|MgnoU  dans 
les  Étais.  Passe- 
port doDué 
aux   rojraux 

pour  la 
cunférence. 


170  HISTOIRE  DU   RÈGNE  DE  HENRI   IV. 

La  révolntion  sarvenoe  dans  les  dispositions  des  Étals 
échappa  complètement  aux  ministres  espagnols  :  aussi  lear 
conduite  ne  fat-^He  dès  lors  qu'une  suite  de  contre^sens  et  de 
fausses  démarctics.  Féiia,  toujours  en  soupçon  de  Mayenne, 
croyait  qu'il  importait  aux  intérêts  de  son  maître  de  produire 
ses  prétentions  dans  les  États  durant  Tabsencc  du  lieutenant 
général.  U  voulait  de  pi  as  prévenir  la  conférence  avec  les 
royaux,  qu'il  redoutait  comme  upe  occasion  de  rapprodie- 
ment  entre  les  partis  et  de  danger  pour  Philippe  II.  Or,  le 
moyen  le  plus  efficace  pour  l'empêcher  était  de  nouer  une 
négociation  entre  les  États  et  le  roi  d'Espagne ,  d'entamer 
l'élection  de  ce  prince  ou  de  l'infante,  qui,  en  mettant  à  néant 
les  droits  de  Henri,  excluait  nécessairement  tout  rapproche- 
ment, même  momentané,  entre  le  parti  du  roi  et  les  États 
de  la  Ligue.  En  conséquence ,  Féria  demanda  audience  aux 
États ,  le  29  mars ,  pour  leur  conununiquer  les  propositions 
de  Iliilippe,  et  obtint  d'être  reçu  le  2  avriL  11  leur  parla  en 
censeur  qui  blAme ,  en  maître  qui  ordonne,  il  condanma , 
dans  les  termes  les  plus  sévères ,  la  conduite  du  gouverne- 
ment français  sous  Catherine  de  Médicis  et  sous  Henri  III, 
h  l'égard  de  l'Espagne  et  à  l'égard  de  la  religion,  il  ajouta 
que,  depuis  la  mort  de  Henri  III ,  le  catholicisme  ne  s'était 
soutenu  dans  le  royaume  que  par  les  secoivs  d'hommes  et 
d'argent  fournis  à  la  Ligue  par  PhiUppe  II,  et  à  la  manière 
dont  il  rappela  ces  bienfaits,  il  en  fit  un  sujet  de  reproche  et 
par  conséquent  d'offense.  U  termina  en  leilr  disant  que  le 
seul  moyen  qu'ils  eussent  de  sauver  la  religion  et  l'État  en 
péril,  était  d'élire,  sans  hésiution  et  sans  retard,  tm  roi 
catliolique ,  embrasé  du  zèle  de  la  religion ,  assez  puissant 
pour  les  défendre.  Et  comme  si,  par  ce  qu'il  venait  de  dire, 
il  n'eût  pas  assez  clairement  désigné  son  maître,  il  leur  lut 
une  lettre  de  l*hllippe  II,  contenant  l'expression  la  plus  naïve 
et  même  la  plus  grossière  de  ses  prétentions.  «  Puisque, 
disait-il ,  après  tant  d'autres  choses  par  moy  faites  pour  ce 
royaume,  que  Ton  a  vues  et  que  l'on  peut  voir  à  présent ,  je 
fais  encore  celle-ci,  il  sera  raisonnable  que  vous  sachiez  faire 
profit  de  l'occasion,  et  que  l'on  me  paye  et  rende  tout  ce  que 
j'ai  mérité  envers  ce  royaume,  en  pne  donnant  satisfacliou.» 

Après  le  discotu^  de  Féria  et  la  lecture  de  cette  lettre,  le 
cardinal  Pelevé,  président  de  la  chambre  du  clergé,  prit  la 


PREMIÈRES  OUVERTURES  DES  ESPAGNOLS  DANS  LES  ÉTATS.  171 

parok.  Il  s^était  aperçu  que  rassemblée  avait  été  révoltée 
d^ntendre  la  satire  de  la  conduite  de  ses  derniers  rois; 
quVIle  avait  tenu  à  offense  les  bienfaits  de  Philippe  H,  dès 
quMls  avalent  été  reprochés;  que  Féria  avait  fait  par  consé- 
quent un  tort  infini  à  sa  cause.  U  chercha  à  détrufa*e  celte 
impression  en  prouvant,  par  beaucoup  de  traits  historiques, 
que  la  France  et  ses  rois  avaient  dans  d'autres  temps  aussi 
bien  servi  la  foi  catliolique  et  la  nation  espagnole  que  l'Es- 
pagne pouvait  servir  aujourd'hui  la  religion  et  la  France. 
Quand  il  eut  donné  cette  satisfaction  aux  susceptibilités  de 
rassemblée,  et  quand  il  crut  les  esprits  ramenés,  il  donna 
lui-même  et  provoqua  de  la  part  des  députés  la  plus  entière 
adhésion  aux  propositions  de  Féria,  à  la  candidature  de  Plii- 
lippe  H,  en  exaltant  les  mérites  de  ce  prince  et  en  outrant 
son  éloge  jusqu'à  l'apothéose.  Il  dit  à  l'ambassadeur  :  «  Je 
reviens  maintenant  à  vostre  roy,  qui  est  le  roy  catholique, 
lequel  la  France ,  après  Dieu ,  a  reconnu  et  recognolst  pour 
son  libérateur....  Nous  confessons  que  votre  prince,  le  roy 
catholique,  non  seulement  les  a  surpassez  (les  Guises  et  les 
papes),  non  seulement  par  abondance  de  richesses,  mais 
aussy  par  une  large  munificence  et  honnestc  libéralité  en- 
yers  nous.  Pour  lequel  bienfait,  immortel  certes  et  divin, 
nous  rendons  grâces  immortelles j  non  telles  que  nous  de- 
vons,  mais  telles  que  nous  pouvons,  à  sa  royale  majesté 
et  à  vostre  Excellence,  qui  s'est  voulu  charger  de  cette  am- 
bassade envers  nous,  et  nous  offrons  en  récompense  tout 
le  devoir  de  bienveillance  et  d'affection  que  l'on  peut 
espérer  de  notis^  vous  promettant  que  la  mémoire  de  ce 
bienfait  ne  sera  jamais  ellacée  de  nos  entendements...  C'est 
par  ce  degré  que  Sa  Catholique  Majesté  se  fera  chemin 
dans  le  ciel,  où  entre  les  âmes  célestes  et  blenheiureuses 
des  saints,  elle  contemplera  la  face  de  Dieu,  où  gist  le  sou* 
verain  bien  des  bienheureux  ;  et  lorsque  polir  le  loyer  de 
tant  de  labeurs,  soulTerts  en  la  cause  de  la  religion ,  elle 
sera  introduite  par  la  bonté  divbie  dans  les  célestes  taber- 
nacles, non  seulement  mille  miliions  d'anges,  serviteurs  du 
Très-Haut,  iront  au-devant  d^eile,  mais  une  infinité  de  peu- 
ples qu'elle  a  retirez  de  l'erreur,  de  l'infidélité  ou  de  la 
méchanceté  de  l'hérésie  K  » 

*  EcgUlre  da  tiers,  p.  141,  fl4t.  Tons  les  coDtemporaiiu  ont  compris 


172  lllbT01A£   DU   RËON£  1>£   UEKAI   IV. 

Les  députés  de  la  noblesse  n^avaient  jamais  varié 
dans  leurs  scnliments  patriotiques:  les  députés  du  tiers, 
depuis  qu'ils  avaient  perdu  l'espoir  des  largesses  du  roi 
catholique,  étaient  devenus  singulièrement  délicats  sur  Tin* 
dépendance  et  Thonneur  national  comme  sur  leur  propn*. 
dignité.  Ils  s'indignèrent  du  fond  même  des  propositions  : 
l'arrogance  des  Espagnols  les  révolta  ;  ils  n'accueillirent  que 
par  des  sarcasmes  le  plaidoyer  de  l^evé  pour  l'intérêt  de 
l'étranger  et  la  servitude  de  la  France.  Au  lieu  donc  de  pas- 
ser à  la  délibération  et  au  vote  immédiats,  auxquels  Féria  les 
invitait,  les  États,  à  une  grande  majorité,  décidèrent  que  les 
propositions  du  roi  d'Espagne  seraient  soumises  à  un  examen 
attentif  et  ultérieur  :  ils  ajournèrent  de  plus  leur  décision 
jusqu'au  retour  de  Mayenne,  qu'ils  pressèrent  par  une  lettre 
écrite  quelques  jours  plus  tard.  D'un  autre  côté  ils  firent 
précisément  l'opposé  de  ce  que  désiraient  et  poursuivaient 
les  ministres  d'Espagne.  A  peine  Féria  avait  quitté  '  l'assem- 
blée ,  qu'ils  ordonnèrent  de  donner  lecture  de  la  dernière 
proposition  des  royaux,  datée  du  29  mars.  Le  2  et  le  5  avril, 
ib  arrêtèrent  de  leur  répondre  ;  d'accepter  de  nouveau  et 
plus  explicitement  la  conférence  pour  laquelle  Mayenne  s'était 
prononcé  ;  d'offrir  enfin  des  passe-<ports  aux  députés  que  le 
parti  contraire  enverrait  à  la  conférence  '.  Rien  ne  manqua 
donc  à  ce  premier  échec  des  Espagnols. 

conne  noiu  te  dUcoiiri  de  Pelevé  ;  tous  en  ont  été  alTeclct  conme  non*  : 
Uf  f  ont  vu  un  aveu  de*  prétendus  droits  de  Philippe  II,  un  appui  donné 
de  la  manière  la  plus  eiplicite  à  ses  pvctcntîons.  Dauhigiic,  I.  m,  c.  1S, 
t.  lu,  p.  275,  édit.  idâO,  s'exprime  ainsi  :  «  IJn  légat  italien,  homme  d*un 
»  prince  estranger,  qui  renvcrsoit  tout  recclésiaslique ,  et  n'ajunt  guvres 
M  M  que  des  prettrcs  dcsbauchea,  teitr  donnoit  tes  leçons  WEspagne^  se- 
»  condé  par  le  caniinal  Pele^e',  m  L^antenr  du  supplément  de  Leatoile, 
coll.  Micliaud,  p.  1S9  B,  ajoule:  «  A  crlte  harangne,  le  cardinal  Pelevc, 
n  président  de  rassemblée,  a  répondu  par  nne  autre  beaucoup  pins  longne, 
>•  qnk  a  roulé  sur  le  bonheur  de  la  France  lorsqu'elle  était  gouTornée  par 
»  des  rois  catholiques  ;...  sur  les  malheurs  que  rhérétie  avoit  causés  a  la 
•  France  ;  sur  les  grandes  obligations  que  Pon  avoit  au  aèle  du  roy  catho- 
M  lique,  qui  avoit -pris  ta  défense  de  la  religion  par  toute  la  terre.  Il  a  coo- 
»  tinné  jusqu'à  la  fin  les  élof^esdudit  Roy,  le  béaUriant  par  avance...  ToiU 
»  cela  pour  porter  rassemblée  de  contenter  le  dit  Boy  dans  te'lection 
M  d'un  roy^  en  reconnaissance  de  ce  que  la  France  luydoit,  m  Le  conti- 
nuateur de  de  Serres,  p*  1009,  lOOCl,  donne  absolument  le  même  sens  et  la 
même  portée  au  discours  de  Pelevé.  Voici  comment  il  s'exprime  :  «  Un 
»  rardiual  Pelevé,  Frunç«>is  de  nation,  mais  plaidant  la  cause  du  roy  d'Es- 
m  pagne,  m  D'après  le  sentiment  unanime  des  contemporains ,  nous  nous 
cioyons  autorisé  &  ne  pas  adopter,  sur  le  discourt  de  Pelevé,  le  iugenenfc 
qn*rn  a  porté  un  célèbre  )urtsconsuUe  moderne ,  M.  Vivien,  dans  sun 
JHe'moire  historique  sur  les  Ètats-gënéraux  de  1895,  p.  tt. 
'  Registre  du  ticrs^elal  conlepanl,  outre  les  délibéralions  de  U  cbain- 


LA  COlfréR.  ACC£PTi£.  LES  PRÉDIGATBCRS,  LES  SEIZE.   173 

Le  dnc  de  Féria  assembla  chez  loi  ler^éputés  de  son     Jour  et  ii«u 
parti,  presque  tous  de  la  chambre  du  clergé,  et  chercha  avec    ''*"om*J^J"'" 
eux  les  moyens  d*arrèter  Tentralnement  des  États  et  de  rom-  ponr  u  coure- 
pre  la  conférence  (7  avril).  Cette  tentative  ne  lui  réussit  pas        ^*^^*' 
mieuxlque  la  première.  Dans  les  séances  des  21,  23,  24  avril, 
les  États  nommèrent  les  députés  à  la  conférence ,  leur  don- 
nèrent les  pouvoirs  nécessaires,  fixèrent  le  lieu  où  elle  se  tien- 
drait à  Surène,  et  le  jour  où  elle  devait  s'ouvrir  au  29  avril. 
Leurs  principaux  députés  étaient  Tarchevèque  de  Lyon, 
d'Espinac,  et  le  président  Jcannln,  représentant  le  parti  et  dé- 
fendant Tintérêt  de  Mayenne  ;  Villeroy  et  Lemalstre,  dévoués 
k  la  Ligue  française,  dont  les  vues  et  les  sentiments  se  con- 
fondaient alors  avec  ceux  des  politiques.  Du  c6té  des  royaux, 
les  principaux  députés  étaient  Tarchevèque  de  Bourges, 
Schomberg ,  Thistorien  de  Thon.  L'archevêque  de  Lyon  et 
Tardievéque  de  Bourges  devaient  soutenir ,  de  chaque  côté , 
la  discussion ,  et  avoir  la  hante  direction  de  la  conférence  K 

BaUtts  du  côté  des  États,  les  ministres  de  PhUippe  II  l« 

se  tournèrent  du  côté  des  prédicateurs  de  la  Ligue  et  des  '*''*^^îi '"7  *** 
Seize ,  et  cherchèrent  leur  point  d'appui  dans  leur  faction,   les  seu/rri«nr 
Les  prédicateurs  déclarèrent  que  ceux  qui  favorisaient  la  con-     p"»'««*"«»oii. 
férence  notaient  pas  cathoUqnes;  et  que  si  Ton  essayait  de 
Caire  de  la  conférence  une  transition  ù  la  paix  avec  les  hugue- 
nots et  les  politiques,  il  y  aurait  du  sang  répandu  (25*28 
avril).  Les  Seize  affichèrent ,  le  26  avril ,  des  placards  dans 
tous  les  quartiers  de  I^ris.  Ils  protestaient  avec  fureur  contre 
la  conférence ,  et  demandaient  aux  États  de  nommer  un  roi 
catholique  assez  puissant  pour  défendre  la  religion  et  maintenir 
l'État,  agréédu  pape  et  du  roi  d'Espagne,  sous  le  bon  plaisir  des- 
quels se  ferait  l'élection.  Dans  ces  termes,  Henri  IV  et  Mayenne 
devaient  être  nécessairement  exclus  l'un  et  l'autre.  Les  Seize 
cherchaient  en  même  temps  à  gagner  les  anciens  républicains 
de  la  Ligne  et  les  partisans  des  réformes  :  ils  tentaient  surtout 

fcrc  2^*  la  KiniBgne  da  duc  do  Ftria  ;  2o  la  l«Ure  dit  roi  d'Espagne  ani 
F.tals  ;  5»  la  harangue  dn,  cardinal  Pelevë  ;  4»  la  réplique  des  royiiux  aux 
lUatt;  5o  la  rëpoue  des  EUts  à  ladite  réplique.  (Registres  du  tiers,  p.  tll. 
144;  dtt  elergé,  p.  407;  de  la  noblesse,  p.  R88-S00.)  ~  P.  Cayet.  I.  ▼, 
p.  4S7.440.  ^  Lestoila  et  ton  Snppl.,  p.  iS4,  liS,  IS». 

'  Reg iatret  du  tierSf  p.  iOI-IIO;  du  clergé,  p.  4tl-4S0,  447, 449  ;  de  la 
noblesse,  p.  894-887.  —  P.  Cayet,  I.  ▼,  p.  440  B.  —  Letloile,  p.  iSS  A, 
1t9  B,  130.  Le  fonr  et  le  lien  de  la  eonrërence  furent  plusieurs  Ibis  chan- 
gés atant  d'élre  fixés  comme  nous  l'iodiqnons. 


Noavcaux  com- 

«1b  tiers  parti 

et  du  |Mirli 

ralTÎDUte   con- 

trc  le  roi. 


174  UISTOIRB  DU  RfcCNR  DE  HKHRI  IV. 

de  séduire  les  chambres,  eà  domiant  aux  droits  de  ia  nation 
et  aux  prérogatives  des  États-généraux  la  plus  grande  exten- 
sion, an  détriment  de  la  puissance  royale.  Les  placards  por- 
taient que  les  États  seraient  convoqués  désormais  tons  les 
cinq  ans,  et  qne  le  roi  se  tiendrait  à  dix  lieues,  pour  ne  pas 
gêner  leurs  délibérations.  Que  les  États  ne  délibéreraient  plus 
seulement,  quMls  résoudraient  :  que  le  roi  et  ses  successeurs 
seraient  tenus  d^observer  inviolablement  leurs  décisions.  Que 
les  ministres  et  les  conseillers  d'État  seraient  nommés  par  les 
assemblées  qui  se  succéderaient.  QuMl  serait  pourvu,  par 
élections,  aux  dignités  et  bénéfices  ecclésiastiques,  ainsi 
qu^aux  charges  de  Judicature ,  qui  cesseraient  d*être  véna- 
les. Ce  développement  des  libertés  publiques ,  mis  en  avant 
par  les  signataires  de  Tinfâme  lettre  adressée  à  Philippe  11 
en  1591  ;  cet  appel  menteur  à  une  liberté  qu'on  devait  trou- 
ver sous  le  joug  de  Tétranger  et  sous  la  domination  du  tyran 
des  Pays-Bas,  ne  provoquèrent  que  le  rire  et  le  dégoût  chez 
la  bourgeoisie  et  chez  le  peuple.  Quant  aux  Etats,  ils  répon- 
dirent aux  avances  des  Seize  en  ordonnant  des  poursuites 
contre  les  auteurs  des  placards  K 

Jusqu'alors  le  parti  espagnol  et  le  parti  de  Mayenne ,  di- 
visés, opposés  Fun  à  Feutre,  se  tenaient  mutuellement  en 
échec  Mais  un  seul  moment  suffisait  pour  amener  la  victoire 
de  Fun  des  deux ,  ou  leur  réunion  plus  redoutable  encore 
pour  Henri.  Oc  plus ,  les  différends  une  fois  composés ,  les 
États  de  Paris  avaient  à  se  décider,  &  prendre  un  parti,  et 
Félection  d'un  roi  était  toujours  menaçante. 

Henri  trouvait  autant  d'ennemis ,  autant  de  dangers  dans 
son  propre  parti  qne  du  cAté  de  la  Ligue.  Au  milieu  du  mois 
d'avril ,  il  revint  à  Mantes,  d'un  voyage  forcé  qu'il  avait  fait 
dans  les  provinces  du  centre  jusqu'à  S^umnr  '.  Son  premier 
soin  fut  d'étudier  la  situation,  et  il  fai  trouva  pleine  de  dangers. 
L'ancienne  faction  des  catholiques  passionnés  dans  le  parti 
royal  d'O,  Manou ,  Giâteauvieux ,  d'Entragucs,  Sourdis  et 
beaucoup  d'antres,  avaient  attiré  à  eux  plusieurs  des  prlnci- 


•  p.  Cayel,  I.  V,  p.  440-444  :  il  doBD«  la  texte  de*  pl«c»rd*,  proCcsIa- 
llovs,  pru|MMilioiis  4e«  SeiM'.  ^  LcstoUe,  p.  116.  ^  Eeg isire  dH  tiers, 
*.  170. 171. 

•  LeUtea  viMivM  des  iS  et  19  nart,  4, 16, 10  avril,  p.  740,  744, 747, 
755.7S7.  —  P.  Cajet,  1.  V,  p.  431  A. 


LE  TISIkS-PARTI,  LES  CALVINISTES.  175 

paox  seigneoTs  du  parti  royal ,  tels  que  le  duc  de  Nevers, 
Longue  ville,  Painirai  de  Biron,  fils  du  maréchal.  Tons  ensem- 
ble sMtaient  joints  an  tiers-parti.  Plusieurs  seigneurs  et  ecclé- 
siastiques de  la  Ligue,  qui  répugnaient  à  la  domination 
étrangère.  Inclinaient  du  même  côté.  Chaque  Jour  le  roi  ap- 
prenait que  la  faction  avait  ou  gagné  quelque  gouverneur, 
quelque  ville,  ou  ébranlé  leur  fidélité  ;  et  il  ne  trouvait  plus 
autour  de  lui  que  «  les  visages  et  les  cœurs  des  siens  aliénez 
»  de  luL  »  Leur  plan  était  d'écarter  Henri,  de  reconnaître  pour 
roi  le  cardinal  de  Bourbon,  et  de  déshitéresser  Philippe  II  en 
faisant  épouser  Tinfante  sa  fille  au  cardinal  relevé  de  ses 
vœux.  Les  agents  du  prince  s'abouchaient  avec  Jeannin  et 
Villeroy  pour  persuader  à  Mayenne  de  favoriser  cette  com- 
binaison ,  sous  promesse  d'immenses  avantages  qui  lui  se- 
. raient  faits:  le  cardinal  tirait  lui-même  parole  du  sieur  de 
Villars  qui  commandait  dans  Rouen.  Les  chefs  de  cette  in- 
trigue complotaient  contre  la  liberté  et  les  jours  du  roi,  les 
plus  modérés  opinant  à  se  saisir  de  sa  personne  et  à  le  jeter 
en  prison ,  les  plus  vidents  demandant  sa  mort.  Henri  fut 
contraint,  pour  sa  sûreté,  d'appeler  un  corps  de  troupes  an- 
glaises ,  et  de  le  loger  dans  Limay,  faubourg  de  Mantes.  En 
supposant  qu'il  échappât  à  ces  trames  odieuses,  il  suflisait 
encore  que  le  tiers-parti  en  vint  à  un  éclat ,  à  une  rupture 
ouverte  avec  lui,  à  la  division  du  parti  royal  en  deux  camps 
ennemis,  pour  ruiner  entièrement  ses  affaires ,  et  jeter  le 
pays  dans  une  confusIoR  dont  nulle  main  humaine  n'eût  pu 
le  tirer.  Henri  disait  à  ses  familiers  «  que  le  tiers-parti  qucl- 

•  que  mal  fait  qu'il  fust,  en  périssant,  ferait  périr  l'Estat.  » 
Et  les  contemporains  qui  en  jugeaient  comme  lui  ajoutaient 
que  «  c'étoit  pour  mettre  la  France  au  dernier  soupir  et  pour 

•  lui  faire  pôtlre  jusqu'au  nom  de  monarchie.  •  Toutefois 
ce  n'était  là  encore  que  la  moitié  des  dangers  du  moment. 
Depuis  que  Henri  avait  fait  un  pas  décisif  vers  les  calholi* 
qucs  par  l'envol  de  Gondy  et  de  Pisani  à  Rome ,  et  par  la 
déclaration  du  29  janvier ,  les  meneurs  et  les  ambitieux, 
parmi  les  seigneurs  réformés,  poussaient  &  la  révolte  le  corps 
des  calvinistes  français,  ils  leur  répétaient  que  la  persécution 
commencerait  contre  eux  le  jour  de  l'abjuration  du  roi  ; 
qu'ils  devaient  pourvoir  à  leur  sûreté  en  rétablissant  leurs 

*  conseils  et  leur  protectorat ,  c'est-à-dire  leur  gouvernement 


176  HISTOIRIS  DU  RÈGNR  DE  HENRI  lY. 

républicain,  abolis  depuis  ravénement  de  Henri.  De  la  sorte, 
le  roi  perdait  tout  pouvoir  sur  la  partie  de  la  nation,  sur  la 
classe  de  citoyens  qui  professait  la  réforme  :  ce  pouvoir  pas- 
sait à  Bouillon  ou  à  la  TrémouUle,  qui  bri{(uaicnt  le  protec- 
torat, correspondant  an  stathoudérat  des  IVovinces-Unies  ^ 
L'unité  nationale  était  brisée  de  ce  côté,  le  pays  livré  à  la 
continuation  du  terrible  antagonisme  que  la  Ligne  lui  avait 
déjà  fait  essuyer.  Ainsi  les  ambitions  particulières,  en  exploi- 
tant les  passions  et  les  erreurs  des  masses,  tiraient  violem- 
ment de  deux  côtés  le  parti  royal  pour  le  diviser  et  le  dis- 
soudre« 

An  milieu  de  ces  pressants  et  nouveaux  dangers,  Henri 
prit  Tune  de  ces  vigoureuses  .et  décisives  résolutions  qui  en- 
traînent les  masses,  et  donnent  un  subit  dénoûment  à  la  si- 
tuation ,  tandis  que  les  factions  délibèrent  et  se  perdent  dans 
leurs  intrigues  croisées.  En  premier  Heu ,  il  renversa  les  cal- 
culs et  les  moyens  de  succès  du  tiers-parti,  raiTermit  dans 
Tobéissance  et  dans  le  dévouement  à  sa  cause  les  catholiques 
royaux  de  toutes  les  nuances,  attira  irrésistiblement  à  lui  la 
Ligue  française  par  des  engagements  si  publics  et  si  solennels 
de  changement  de  religion ,  que  lui-même  n*avait  plus  à  se 
dédire ,  ni  personne  à  douter  de  sa  prochaine  conversion.  Le 
26  avril ,  il  promit  par  écrit  au  duc  de  Toscane ,  en  foi  et  pa- 
role de  roi ,  de  faire  déclaration  et  profession  de  la  religion 
catholique  dans  les  deux  mois  qui  suivraient  un  traité  avec  le 
duc  de  Lx>rralne,  que  Ton  croyait  alors  sur  le  point  de  se  con- 
clure. liC  28  avril,  le  roi  annonça  la  même  résolution  à  d*0, 
Tun  des  chefs  du  tiers-parti,  et  k  Tarclievéque  de  Bourges,  au 
moment  où  ce  prélat  partait  pour  la  conférence  de  Surène 

'  Voyes,  &  riippui  de  cet  fuîls,  1rs  discours  de  Henri  IV,  dons  Siilljr, 
OEcon.  roy.,  c.  3S,  p.  lOS  B,  100  »  ;  c.  TAK  p.  1  11  A  :  f  Sur  le  tiers-purU  : 
«  Ils  ue  sont  plus  retenus  que  d^nnc  scutr  dinVriilu*,  qui  est  de  sçvvoir  ce 
M  quNls  feront  de  ma  personne,  les  uns 'disant  qu*il  s'en  fuut  saisir  elas- 
m  seurer,  et  les  autres,  plut  malins  et  audacieux,  qu'il  me  faut  detpecher, 
M  adjoutant  que  de  tels  oyseaux,  que  moy  ue  valent  rien  en  mue,  ny  a 
H  garder  en  cage.  »  S*  Sur  les  clirfsdes  calvinistes  :  «  Je  sçais  de  certain 
M  qtt«  MM.  de  Turenne  et  de  la  Trrmouîlle,  et  leur  sequeile,  sollicitent 
Il  iournellement  de  toutes  puits,  afin  que  si  je  me  fais  catholique  il  soit 
M  demandé  une  asseniliU'e  pour  ceux  dv  lu  /^lligion,  pour  Tuire  rrsondre 
a  un  protecteur^  et  un  esiulilissenienl  de  conseils^  Kubsistuus  dans  lespro- 
t*  vinces.  u — Tous  1rs  futl«  ilunt  urguc  Henri,  nu  .sujet  du  tiers-parti  et 
des  principaux  calvinistes,  tout  conlirmct  par  Groularl,  Vuyuges  eu  cour, 
t.  XI  de  la  collcctina,  p.  lUi'J  A;  —  pur  l*.  C:iyct,  I.  V,  p.  445  A;  —  par 
Dauhignc',  I.  lit,  c.  8i,  1.  m,  p.  éiMi:  —  par  msulanio  Un|>lessis,  Mcmoircti 
t.  I,  p.  SS5.  ibfi. 


CONPÉBEfIGES  D£  SURÈNE.  177 

avec  charge  de  présider  le  parti  royal  et  de  parler  en  son  nom. 
Le  tiers-parti  et  la  Ligue  française  étant  ainsi  gagnés,  et  joints 
anx  politiques  qui  n'avaient  jamais  fait  dépendre  leur  obéis- 
sance de  la  religion  du  roi,  Henri  s'emparait  fortement  de  la 
majorité  dans  la  nation  :  il  n'avait  plus  qu'à  attendre  les  sou* 
missions  successives  des  chefs  et  des  villes  de  la  Ligue,  que  le 
temps  et  Toccasion  devaient  amener,  pour  étendre  sa  bienfai- 
sante autorité  sur  les  cinq  sixièmes  du  territoire.  En  second 
lieu,  il  pourvut  à  ce  que  la  paix,  obtenue  par  ces  moyens  du 
côté  catholique ,  n'engendrât  pas  la  révolte  et  la  guerre  du 
côté  calviniste.  Dans  son  passage  d'une  religion  à  une  autre, 
il  avait  à  prendre,  à  l'égard  des  huguenots,  des  mesures  de 
prudence  et  de  justice  tout  ensemble.  Il  ne  faillit  ni  aux  unes 
ni  aux  autres.  Avant  d'abjurer,  il  prit  soin  de  réunir  auprès 
de  lui ,  à  Mantes ,  le  duc  de  Bouillon  et  la  plupart  des  diefs 
calvinistes ,  prévenant  et  empêchant  ainsi  toute  tentative  et 
tonte  provocation  de  leur  part  auprès  des  églises  réformées. 
Dans  la  démarche  décisive  qu'il  allait  faire ,  il  se  ménagea 
l'assentiment  et  le  concours  des  seigneurs  protestants  qui 
suivaient  les  principes  des  politiques,  entre  autres,  de  Laforce 
el  de  Kosny.  Il  s'assura  qu'il  obtiendrait  des  seigneurs  catho- 
liques les  garanties  propres  à  rassurer  les  calvinistes  sur  leur 
liberté  religieuse  et  leur  liberté  civile  ^  Ainsi  au  moment  de 
l'ouverture  de  la  conférence  de  Surène ,  Henri  avait  pourvu 
avec  une  prudence  et  une  habileté  consommée  à  toutes  les 
éventualités  qu'elle  devait  ouvrir. 

Là  conférence  de  Surène  commença  le  29  avril  1593.  L'on-      Première 
verturc  même  de  la  conférence  donna  lieu  à  une  éclatante    '^'ôfcîJÎrJ' 
manifestation  des  désirs  et  des  besoins  du  peuple.  Quand  les  ae  surèna.  Ma- 
députés  de  la  Ligue  sortirent  de  Paris,  un  grand  peuple,      !l![*^u|li"* 
amassé  à  la  porte  Neuve ,  leur  cria  tout  haut  :  «  La  paix  ! 
»  la  paix  !  Bénis  soient  ceux  qui  la  procurent  et  qui  la  de- 
»  mandent  !  maudits  et  à  tous  les  diables  soient  tous  les  au- 
■  très!  •  Ceux  des  villages,  par  où  les  députés  passèrent ,  se 
mirent  à  genoux  et  leur  demandèrent  la  paix  à  mains  Jointes. 

Les  trois  premières  séances  de  la  conférence  (  29,  30  avril, 

•  Discourt  de  Henri  IV  A  d'O,  dans  CsTet,  1.  y,  p.  445  ■.  ^  SuUy, 
OEcon.  roy.,  c>  39,  p.  110  B.  —  Dupleuit,  Corrrsp.,  t.  Y,  p.  4<VS.  On  Tolt 
par  leurs  ténoiçiuges  réanis,  qu^à  lo  date  du  19  avril,  les  chefs  des  calri- 
Dtstes,  Turenne  (Bouillon),  Sancy,  Sulignac,  Constans,  llorlas,  Valette,  sunt 
rétinU  anprès  de  Henri  IV,  à  Mantes. 

12 


178  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

3  mai  ) ,  furent  employées  aui  préliminaires  de  la  vérifica- 
tion des  passe-ports  et  des  pouvoirs ,  aux  sûretés  données  de 
part  et  d'autre ,  à  la  convention  d'une  suspension  d'armes 
pour  dix  jours,  à  quatre  lieues  autour  de  Paris  et  quatre 
lieues  autour  de  Surène.  Cet  armistice ,  quoique  restreint  et 
précaire,  excita  chez  les  habitants  de  Paris  une  joie  impos- 
sible à  rendre.  Ils  goûtaient  avec  délices  le  relâche  aux  maux 
présents,  et  Pespoir  de  la  paix  les  transportait.  La  voix  du 
peuple  pour  la  paix  se  renforçait  de  moment  en  moment, 
dit  un  contemporain ,  et  il  ajoute  les  détails  suivants.  Dès 
qu'il  leur  fut  donné  de  quitter  les  murailles ,  qui  depuis 
si  longtemps  leur  servaient  de  prison ,  ils  se  précipitèrent 
presque  tous  dehors.  Les  champs  étaient  noirs  d'une  multi- 
tude allant  visiter  ses  héritages  hors  de  Paris,  faire  ses  dévo- 
tions à  Notre-Dame  des  Vertus ,  se  mêler  dans  Saint-Denis 
aux  serviteurs  du  roi  dont  cette  ville  était  pleine.  Les  Seize 
et  les  prédicatetirs  de  la  Ugue  essayèrent  vainement  de  s'op- 
poser à  cet  entraînement.  11  n'y  avait  plus  d'écoutés  que  les 
vertueux  curés  de  Saint-Eustache ,  de  Samt-Merri,  de  Saint- 
Oermain,  de  Saint-Sulpicc,  qui,  invariablement  ûdèles  à  l'esprit 
de  l'Évangile  et  à  la  cause  nationale ,  après  avoir  résisté  aux 
furçursde  la  Ligue,  durant  sa  puissance,  prêtaient  maintenant 
l'appui  de  leur  parole  et  de  leur  autorité  au  rapprochement  des 
partis  et  aux  vœux  de  la  Ligue  française.  Paris  se  calmait  et 
s'épurait  en  les  entendant  répéter  du  haut  de  leur  chaire  : 
«  Qu'il  falloit  embrasser  l'hérétique  se  convertissant ,  qu'il 
falloit  aller  au-devant  de  lui  pour  4e  recevoir  ;  que  ceux  qui 
demandoientla  paix,  demandoicnt  une  chose  bonne  et  sainte  : 
que  ceux  qui  l'empeschoient  étoient  des  méchants  et  des  en- 
fants du  diable  K  n 
Quatrième  Les  premières  séances  de  la  conférence  de  Surène  avaient 
*'  V2?oï«"*'  toutes  été  remplies  par  les  formes.  Dans  les  séances  des 
dr  la  conférence  5  et  6  mai,  OU  en  vint  aux  affaires,  et  l'on  traita  les  grandes 
dUculio*!  questions  de  la  religion»  du  gouvernement,  des  dangers 
publics.  L'archevêque  de  Bourges,  parlant  au  nom  du 
parti  royal,  exposa  d'abord  que  la  paix  était  désormais  la 
condition  d'existence  pour  la  France,  comme  pour  les  par- 

<  LesloUc,  p.  137,  ISt  B,  iSS,  105,  135  A,  B.  t45  A,  144  B.  -  Regisirr 
du  ticrt-èUI,  p.  173-177. —  l.r«  ortri  de  lii  ronrérence,  dans  P.  Ciiyrt.  1.  v. 
p.  447-449  B.  /    •      ^' 


DISCUSSION  DANS  LA  CONFiRENCB  :  LES  GALLICANS.   179 

ticuliers.  Il  établit  en  principe  que  la  royauté  de  Henri  était 
un  droit  ;  que  ni  la  religion  du  prince,  ni  les  décisions  de 
r^glise ,  n'avaient  pu  porter  atteinte  à  ce  droit,  parce  que 
ies  rois  de  France  étaient  complètement  indépendants  du 
Saint-Siège  en  ce  qui  regardait  leur  puissance  temporelle.  Il 
ajouta  que  dans  la  pratique  Henri  pouvait  bien  faire  des  con- 
cessions volontaires  au  sujet  de  la  religion,  pour  satisfaire  au 
vœu  de  la  majorité  de  ses  sujets  et  pour  faciliter  la  paix, 
mais  que  ces  concessions  auxquelles  il  était  disposé ,  étaient 
de  sa  part  une  condescendance ,  le  droit  demeurant  intact. 
Il  pressii  les  ligueurs  de  reconnaître  Henri ,  de  mettre  (in  à 
la  guerre  civile ,  et  de  donner  ainsi  au  pays  qui  périssait  le 
M*ul  moyen  sérieux  de  salut  qui  lui  restât. 

D'Kspinac,  chef  du  parti  contraire,  convint  et  des  dangers 
publics  et  de  la  nécessité  de  reconnaître  un  roi  pour  y  mettre 
On.  Mais  il  ajouta  que  les  sulTrages  des  ligueurs  ne  pouvaient 
se  porter  que  sur  un  prince  très  chrétien  de  nom  et  d'effet , 
qu'ils  ne  voulaient  même  pas  entendre  parler  de  la  recon* 
naissance  du  roi  de  Navarre,  et  qu'ils  mourraient  avant 
d'obcHr  à  im  hérétique.  11  invoqua  les  Pères  de  TÉgllse ,  les 
canons,  Tautorité  des  six  derniers  papes,  pour  établir  la  pu- 
reti^  de  cette  doctrine  et  la  légitimité  de  cette  résolution. 
Dans  la  seconde  partie  de  son  discours,  il  déploya  beaucoup 
d'éioquence  et  d'adresse  pour  prouver  que  le  véritable  moyen 
de  pourvoir  à  la  sûreté  de  la  religion  et  de  l'État  tout  en- 
srmbie,  était,  non  que  les  ligueurs  désertassent  la  cause  qu'ils 
avaient  suivie  Jusqu'alors,  mais  que  les  catholiques  déclarés 
jusqu'alors  pour  Henri  abandonnassent  ce  prince  hérétique  ; 
que  tous  les  catholiques  réunis  désormais  dans  un  grand 
parti,  prissent,  d'un  commun  accord,  un  chef  et  un  roi  avoué 
par  r Église. 

L'archevêque  de  Bourges  reprit  une  à  une  Icsdoctrines  de  son 
adversaire ,  le  suivit  à  la  fois  sur  le  terrain  de  la  religion  et 
de  la  politique  ,  ne  laissa  pas  un  seul  de  ses  arguments  sans 
réponse  et  sans  réfutation.  Aux  passages  des  Pères  de  l'Église 
et  des  canons,  il  en  opposa  de  contraires,  et  invoqua  l'auto- 
rité de  l'Évangile  comme  interprétation  souveraine  des  sen- 
timents des  Pères,  et  comme  règle  absolue  des  opinions  en 
ce  qui  concernait  la  puissance  des  princes.  Dans  la  suite  de 
la  discussion,  l'un  des  députés  royaux  perçant  à  travers  le 


180  HISTOIRE  DU  RiSGNF.  DE  HENRI   IV. 

luxe  de  rërndition  de  d'Espinac  et  les  adresses  de  son  élo- 
quence pour  aller  au  fond  des  choses ,  lui  dit  que  dans  la 
grande  querelle  qui  divisait  la  France ,  la  religion  notait 
qu'un  prétexte  et  qu'un  nom  ;  que  les  royaux  n'avalent  ja- 
mais combattu  la  religion,  qu'ils  combattaient  seulement 
pour  l'État  contre  ceux  qui  voulaient  l'usurper.  A  ce  conds 
et  lumineux  exposé  de  la  question  par  le  bon  sens,  les  au- 
tres députés  du  même  parti  ajoutèrent  plas  tard  que  ce 
n'était  pas  en  France  qu'il  fallait  parler  d'élire  et  de  rejeter 
les  rois;  que  la  couronne  était  héréditaire ,  et  que  cotte  sage 
coutume  prévenait  les  rivalités  ambitieuses  et  les  guerres 
qui  ruinaient  les  empires  ;  que  fermement  attachés  aux  li- 
bertés gallicanes  en  ce  qui  concernait  l'État ,  comme  en  ce 
qui  touchait  la  religion,  ils  ne  laisseraient  jamais  les  papes 
s'immiscer  dans  la  succession  au  trOne  et  provoquer  une 
élection  par  bulles,  autorité  qui  ne  leur  appartenait  dans 
aucun  cas ,  et  qui ,  lorsque  les  pontifes  étaient  asservis  par 
les  ennemis  de  la  France,  ouvrait  la  porte  à  l'usurpation  du 
royaume  par  les  étrangers.  Les  députés  royaux  terminèrent 
en  exhortant  les  ligueurs  à  bien  aviser  avant  de  faire  leur 
prétendue  élection  ;  car  le  roi  n'était  pas  homme  à  fuir  de- 
vant leur  élu,  et  ne  manquerait  pas  de  serviteurs  pour  dé- 
fendre la  couronne  qu'il  tenait  de  sa  naissance  et  de  Dieu. 

Ainsi  les  discours  de  l'archevêque  de  Bourges  reprodui- 
saient dans  leur  pureté  et  leur  vigueur  les  doctrines  gallicanes 
déjà  hautement  professées  par  les  prélats  de  l'assemblée  de 
Chartres  et  par  la  déclaration  de  1591.  Les  discours  des  au- 
tres députés  soutenaient  et  continuaient  les  salutaires  prin- 
cipes des  politiques.  Les  députés  royaux  à  la  conférence  de 
Surène  ne  s'étaient  donc  laissé  entamer  par  aucun  côté. 
Ainsi,  plus  de  la  moitié  des  plans  et  des  espérances  de 
Mayenne,  relativement  à  la  conférence,  se  trouvait  ren- 
versée :  il  était  décidé  dès  lors  que  le  lieutenant  général  ne 
parviendrait  pas  à  entraîner  les  catholiques  royaux  dans  le 
parti  de  la  Ligue ,  et  à  alTaiblir  ainsi  le  roi  d'une  manière 
irrémédiable. 
Sixième  leance  A  la  séauce  du  10  mai,  les  députés  royaux  dirent  qu'il  n'y 
de  SurèM  :     ^^.^^^  ^^^^  |jgy  ^^j^  discours  et  aux  disputes,  qu'il  fallait  en 

(|Bctiioii    po»ce  ^  *  ■ 

per  les        venir  aux  résolutions.  En  conséquence ,  ils  sommèrent  les 
''îrili\1temeu"  Hgucurs  dc  s'cxpllquor  sur  le  parti  qu'ils  prendraient  dans 


LA  GOKV£HSION  1)U  ROI  M1S£  KN  AVANT.       181 

le  cas  OÙ  le  roi  se  convertirait,  et  de  déclarer  s'ils  voulaient  &  lu  convenUiu 
se  joindre  à  eux  pour  le  presser  d'abj  urer.  D'Espinac  répondit  j^îiSqûedo 
qu'ils  faisaient  des  vœux  à  Dieu  pour  que  le  roi  se  convertit  Ma  jeune 
et  se  fit  bon  catholique ,  mais  qu'au  pape  seul  appartenait  de  «»***»«»»B'»"' 
juger  et  de  décider  ce  point,  et  qu'ik  étaient  résolus  à  ne  se 
départir  jamais  de  l'avis  et  de  l'autorité  du  Saint-Siège. 
Mayenne  et  d'Espinac  doutaient  encore  que  Henri  bravât  les 
dangers  attachés  à  sa  conversion  en  ce  qui  concernait  les  ré- 
formés, et  s'exposât  à  l'abandon  des  protestants  de  France  et 
de  l'Europe  entière.  Toutefois  ils  se  mettaient  en  garde  contre 
les  éventualités  de  sa  conversion  à  l'égard  des  catholiques  de 
la  Ligue.  Il  était  sûr  que  le  pape,  placé  entre  les  menaces  du 
roi  d'Espagne  et  les  obsessions  de  la  Ligue,  n'absoudrait  pas 
le  roi  de  Navarre.  La  réserve  faite  par  l'archevêque  de  Lyon 
était  donc  un  moyen  ménagé  à  Mayenne  d'attaquer  en  nullité 
la  conversion  de  Henri  par  le  défaut  d'absolution  du  pape,  de 
l'attacher  et  de  le  river  à  son  hérésie  en  dépit  de  lui-même  >. 
Mayenne  et  ses  conseillers  sauvaient  ainsi  le  principe  de  la 
révolte  de  la  Ligue.  Mais  cette  précaution  de  roués  en  poli- 
tique n'aboutissait  à  rien  si  dans  la  Ligue  le  peuple ,  ardent 
à  mettre  fin  à  ses  misères  en  mettant  fin  à  la  guerre ,  si  les 
grands,  craignant  de  se  trouver  bientôt  dans  un  parti  vaincu, 
ne  se  montraient  pas  difficiles  sur  la  conversion  du  roi,  et 
l'acceptaient  pour  catholique  sans  l'absolution  du  pape. 
A  l'ouverture  des  conférences  de  Surène,  le  peuple  avait  fait 
éclater  sa  passion  pour  la  paix.  Les  seigneurs  de  la  Ligue 
ne  se  montraient  ni  plus  sélés  ni  plus  fermes.  Le  gouverneur 

*  Actes  d«  la  conférence  dans  P.  Cayet,  1.  V.  p.  465,  464.  —  Lettres 
miss,  de  lirnri  IV,  t.  m.  p.  769.  —  La  politique  de  Mayenne  est  snpe'riea- 
rement  saisie  et  exposée  dans  le  passage  sniTonl  de  la  lettre  de  Henri  IV  an 
prince  de  Conli,  en  date  du  10  mat.  «  Plusieurs  de  rassemblée  de  Paris  ont 
»  déûr  de  s'accommoder  avec  moi  si  |*étois  de  leur  religion.  Ceux  qui  ont 
»  autre  inteniion,  qui  sont  les  chef*,  montrent  néanmoins  semblable  intea- 
N  tion,  parce  qu^ils  ne  veulent  faire  connoîtrc  s'ctre  nourris  d^autre  cause 
»  que  de  leur  relif;ion.  Mais  en  faisant  semblant  d*adhérer  4  la  même 
N  opinion  de«  autres,  ils  la  traitent  avec  termes  qu'ils  sont  bien  assurés  y 
»  former  une  impossibilité,  quand  ils  seroient  pris  au  mot  de  ma  conver- 
m  siott,  la  ^envoyant,  comme  ils  font,  an  pape,  quMIs  savent  n'avoir  en 
>  cela  mandement  ni  volonté  que  celle  du  rot  d'Espagne.  Cela  les  a  rendus 
»  plus  libres  i  faire  quelque  démonstration  de  me  vouloir  reconnotlre,  après 
»  que  cette  formalité  seroit  intervenue,  pensant  tirer  du  refus  que  feu 
m  ferois,  on  de  la  difficulté  que  j'y  trouvarois,  quand  je  le  voudrois  tenter, 
»  une  Krande  confirmation  de  leur  prétexte  et  crédit  envers  le  peuple,  et 
»  pnr  la  le  faire  plus  facilement  condescendre  à  ce  qn*ik  désirent,  m  fVons 
n'avons  changé  qne  Porlhugraphe  de  ce  passage,  précaution  qui  nons  a 
semblé  nécessaire  pour  le  rendre  plus  clair  et  pfus  intelligible. 


182  HISTOIRE  DU  RÉ:GNE  de  HENRI  IV. 

de  Paris  pour  Mayenne,  le  comte  de  Belin,  disait  puliiique- 
tnent  que  si  le  roi  de  Navarre  se  faisait  catliolique,  il  voyait 
la  noblesse  en  bonne  disposition  de  le  reconnaître^  Mayenne 
résolut  d'arrêter  le  peuple  et  les  grands  sur  cette  pente  glis- 
sante, et  de  les  lier  à  la  révolte  par  un  acte  politique  qui  rom- 
pît la  composition  et  les  accommodements,  et  rendit  irrécon- 
ciliables la  Ligue  et  le  parti  royal.  Il  se  hdta  de  porter  aux 
États-généraux  la  question  de  Télection  d*un  roi. 

Les  ministres  de  Philippe  H  n^avalent  été  éclairés  ni  par  la 
défaveur  avec  laquelle  les  États  avaient  reçu  leurs  premières 
ouvertures,  ni  par  Tinutilité  de  leur  opposition  à  la  tenue  de 
la  conférence  de  Surëne.  Us  n'avalent  rien  rabattu  de  leur 
orgueil  et  de  leurs  prétendons.  Us  s'imaginaient  que  les  chefs 
de  la  Ligue,  au  milieu  de  leurs  dangers,  étaient  trop  heureux 
de  les  trouver  pour  protecteurs,  môme  à  condition  de  les 
recevoir  pour  maîtres.  Us  jugeaient  leur  position  empirée  et 
leur  docilité  plus  nécessaire  depuis  que  les  peuples  inclinaient 
vers  le  roi.  Us  comptaient  enfin  sur  la  présence  de  leur  gar- 
nison à  Paris,  sur  l'appui  d'un  certain  nombre  de  prédica- 
teurs, qui,  pendant  les  premières  conférences  de  Surène, 
n'avaient  pas  rougi  de  proclamer  en  chaire  «  qu'ils  aimaient 
»  mieux  avoir  un  étranger  catholique  pour  roi  que  non  pas  un 
»  français  hérétique  '.  »  Enfin  les  ministres  espagnols  s'en  re- 
posaient sur  les  promesses  que  Mayenne  leur  avait  faites  dans 
la  conférence  de  Soissons,  et  attendaient  son  concours  pour 
amener  les  États  à  céder  et  à  les  satisfaire.  Mayenne  les  trouva 
donc  espérant  tout  et  demandant  outre  mesure. 

U  était  rentré  à  Paris  le  6  mai.  I^  10,  il  tint  une  séance 
solennelle  des  États,  et  il  introduisit  la  question  de  l'élection 
en  produisant  les  demandes  des  Espagnols  ;  il  annonça  que  les 
minisires  du  roi  catholique  requéraient  d'être  reçus  par  l'as- 
semblée et  de  lui  exposer  les  prétentions  de  leur  maître  et 
de  i'infente  d'Espagne.  Les  chambres  ordonnèrent  qu'ils  se- 
raient d'abord  entendus,  et  leurs  propositions  examinées  par 
ime  commission  composée  du  duc  de  Mayenne,  des  princes  de 
sa  famille,  et  de  six  députés  des  États,  deux  de  chaque  ordre  ^ 

*  Lettoilc,  p.  IS7  A. 

*  L«itoilc,  p.  15t  A,  B. 

*  Regût.  da  tiers,  p.  I78«184;  du  derRc,  p.  4SI-459;  de  la  dobleàie, 
p.  601-005.  —  Lefttoile  el  «00  auppl.,  p.  133  A  et  139  B.  '—  Hajenn*  éuit 
rentré  À  Paru  le  6  oiai. 


PROPOSITIONS  VERBALES  DUS  ESPAGNOLS  :  BOUCHER.  ROSE.  IB3 

Maypnne  était  résolu,  crime  part,  à  favoriser  l'élection^ 
pour  dépouiller  Henri  de  Navarre;  d'une  autre,  à  faire 
érliouer  toutes  les  propositions  qui  ne  donneraient  pas  une 
part  dans  la  royauté  à  son  fils  et  à  lui-même  :  en  conséquence, 
ii  avait  à  convaincre  Ptiilippe  ii,  par  des  échecs  successifs, 
qu'il  poursuivrait  vainement  la  souveraineté  exclusive  en 
faveur  de  sa  fille.  Mayenne  avait  calculé  très  justement  que, 
dans  l'opposition  à  faire  aux  Espagnols,  il  serait  aidé  par 
le  parlement  où  dominaient  les  principes  de  la  Ligue 
française  et  l'amour  de  l'indépendance  nationale,  et  qui  de- 
puis cinq  ans  jouissait  d'un  pouvoir  politique  tel,  que  la 
question  de  l'élection  lui  serait  nécessairement  soumise  ;  par 
la  bourgeoisie,  qui  partageait  l'aversion  du  parlement  pour  la 
domination  étrangère  et  qui  la  considérait  de  plus  comme  un 
moyen  de  rendre  les  partis  irréconciliables  et  la  paix  impos^ 
sible:  enfin,  par  la  majorité  des  Rtats  de  la  Ligue,  deventie 
hostile  h  Philippe  II  depuis  les  preuves  données  de  sa  parci- 
monie et  la  dispersion  de  son  armée.  Mayenne  n'avait  pas  né- 
gligé non  plus  l'appui  d'une  partie  des  prédicateurs  qu'il 
avait  détachés  momentanément  du  parti  des  Seize  et  de  l'Es- 
pagne, gagnant  les  uns  à  force  d'argent,  réveillant  chez  les 
autres  le  sentiment  français.  Dès  le  25  avril,  le  fougueux 
Boucher,  curé  de  Saint-Benoît,  les  curés  de  Saint-Nicolas  et 
de  5iaint-André,  avaient  loué  et  recommandé  le  lieutenant- 
général  dans  leurs  sermons.  Le  12  mai.  Doucher,  après  avoir 
établi  par  des  raisonnements  mêlés  d'injures  que  le  Béarnais, 
même  converti,  était  Inhabile  &  régner  ;  après  avoir  supplié 
Dieu  de  débourber  la  France  et  donné  l'exclusion  par  ce  jeu 
de  mots  à  tous  les  princes  de  la  maison  de  Bourbon,  plaidait 
en  propres  termes  pour  la  royauté  de  Mayenne  ^  itose , 
évéque  de  Sentis,  prédicateur  couru,  membre  des  États,  non 
moins  populaire,  non  moins  puissant  que  Boucher,  agissait 
dans  le  même  sens  que  lui,  soit  qu'il  cédât  aux  séductions  de 
Mayenne ,  soit  qu'il  obétt  au  sentiment  de  l'indépendance 


Propositions 

vorbales 

(les  Espagnol» 

ches  le  légat. 

Boucher  et 

Hoi«. 


'  L^sloile,  p.  116  A,  133  B.  «  Boucher  preicha  que  diins  la  ville  de 
■  Rheiois  sVsluient  trouves  six  Charles  piolecleurs  de  la  fuy  ;  que  nous 
»  psiious  pmbourbra  depuis  longtemps  et  qu'il  fulloit  uoui  di-hourher  ; 
»  que  ce  ii^rsluil  à  tel  boueux  que  la  couronoe  d«  France  Mppurlenoit,  mais 
«  à  un  de  ces  Charles  le  preux,  comme  s'il  eu^t  touIu  designer  le  duc  de 
a  Mayenne  qui  estoii  fis-à-fis  de  luy.  s  Mayenne  se  BuD>miiit  Charles d« 
Lorraine. 


ISA  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  UËMRI   IV. 

natiouale,  qui  chez  quelques  ligueurs  se  conciliaii  avec  une 
haine  fiurieuse  contre  Henri.  Tandis  que  les  ministres  espa- 
gnols comptaient  entièrement  sur  lui  et  regrettaient  qu'il  ne 
fit  pas  partie  de  la  députation  pour  la  conférence  de  Surène  ^ 
il  préparait  une  violente  sortie  contre  Tambition  de  Vhï- 
lippe  II  et  contre  les  tentatives  d'envahissement  delà  France 
par  l'étranger.  La  conférence  pour  entendre  les  propositions 
des  Espagnols  eut  lieu  chez  le  légat  le  13  iiyai.  Le  duc  de  Féria 
réclama  la  couronne  pour  Tinfante  par  droit  de  naissance,  du 
titre  de  sa  mère,  et  requit  qu'on  y  joignit  IVlection,  si  ox\  la 
Jugeait  nécessaire.  11  demanda  que  Henri  fût  exclu  comme 
hérétique,  et  tous  les  princes  de  la  maison  de  Bourbon  comme 
fauteurs  d'hérétiques.  A  peine  avait-il  achevé,  que  Rose  pré- 
seoi  à  la  conférence,  comme  député  du  clergé,  répondit  :  Les 
politiques  avaient  bon  nez  et  avaient  bien  senti  quand  ils  di- 
saient que  chez  les  Espagnols  il  y  avait  de  l'ambition  mêlée  à 
la  religion.  Nous  nous  sommes  souvent  courroucés  en  chaire, 
mes  compagnons  et  moi,  pour  maintenir  qu'il  n'y  avait  rien 
autre  chose  que  le  zèle  de  la  religion  ;  je  reconnais  aujour- 
d'hui que  nous  nous  sommes  trompés.  Le  royatune  de  France 
s'est  conservé  douze  cents  ans,  sous  la  domination  des  rois, 
^lon  la  loi  saliquc  et  coutume  du  royaume.  Si  l'on  rompiiil 
cette  loi  et  que  par  élection  on  nommât  une  fille,  elle  pour- 
rait se  marier  avec  un  prince  étranger  :  avec  le  terni»  ce 
prince  changerait  les  lois  du  royaume,  et  le  royaume  lui- 
même  courrait  risque  d'être  dissipé.  L.C  contemporain  auquel 
on  doit  ces  détails,  ajoute  que  ce  coup  porté  de  la  main  de 
Rose  contre  l'iilspagnol  en  valait  quatre  d'un  autre  '-.  VA  en  ef- 
fety  ce  jour-là,  Tévèquede  Senlis  ouvrit  les  yeux  à  une  frac- 
tion tout  entière  de  la  Ligue  :  sans  quitter  la  révolte,  elle 
passa  au  moins  avec  lui  dans  les  rangs  des  partisans  de  Tin- 
dépendance  nationale. 

l\>ur  l'intelligence  de  ce  qui  précède  et  de  plusieurs  faits 
suivants,  IL  faut  remarquer  que  Aosc  et  une  partie  de  la 

■  Voyet  le  ingemeut  porlu  sur  Rose  pur  D.  Diego  d'I barra,  Pupirrs  de 
Stmanois,  liasse  fi  78,  pièce  35i.—  Ap|>otidîcc  aux  EuUgcoèruux  p.  7UJ, 
701. 

*  Manuscrit Ti  dans  le  registre  du  lier»,  en  noli*.  p.  184,  18*>.  —  L<stuilr 
et  son  suppl.,  p.  1>(4, 141.  —  Villeroy,  l.  xi,  p.  900  b.  —  ThuMniis,  i.  cvi, 
C|{  8  10,  t.  V,  p.  9Gl-9b3.  I^  conférence  eut  lirait  le  15,  cl  non  Je  âll,  «oninie 
le  marquent  de  Thuu  et  d'uulres  historiens.  Elle  ne  peut  avoir  «n  lieu  le 
90f  puisque  dès  le  10  Mule  protestait,  comme  nous  allons  le  voir. 


LA  CONV£BSION  DU  ROI  ANNONCÉE  A  LA  CONFÉRENCE.    185 

Ligue  entendaient  par  maintien  de  la  loi  salique  Texclusion 
des  femmes  et  des  étrang;ers,  réiecUou  d'un  prince  fran<;als 
en  général,  mais  non  pas  la  réserve  de  la  souveraineté  pour 
une  seule  famille,  en  suivant  la  proximité  du  sang,  le  droit 
de  primogéniture  et  le  privilège  de  la  maison  de  Bourbon. 

Les  États  de  la  Ligue  allaient  élre  saisis  de  la  question  de 
Télection  d'un  roi,  principal  objet  de  leur  convocati(Hi  :  en 
supposant  qu'ils  écartassent  du  trône  Philippe  et  sa  611e,  ils 
pouvaient  y  appeler  Mayenne,  le  Jeune  duc  de  Guise,  le  car- 
dinal de  Bourbon.  La  guerre  civile  sans  fm  était  attachée  à 
chacune  de  ces  combinaisons,  et  dans  l'épuisement  résultant 
de  la  guerre  civile,  l'Espagnol  devait  trouver  les  moyens 
d'enlever  de  côté  ce  qu'il  ne  pouvait  emporter  de  front,  de 
subjuguer  ou  au  moins  de  démembrer  le  royaume.  Henri 
fit  tout  ce  qui  était  en  lui  pour  éloigner  ce  danger  de  la  France 
en  prenant  à  temps  une  résolution  décisive.  Le  16  mai,  il 
déclara  à  son  conseil  l'intention  où  il  était  d'abjurer,  et  fixa 
le  mois  de  juillet  prochain  pour  cet  acte  important.  11  con- 
voqua par  lettres,  pour  le  15  juillet  et  dans  la  ville  de  Mantes, 
un  certain  nombre  de  prélats  et  docteurs  tant  du  parti  royal 
que  du  parti  de  la  Ligue,  dont  il  devait  recevoir  les  instruc- 
tions. 11  convoqua  en  même  temps  les  seigneurs  catholiques 
et  calvinistes  et  les  députés  des  divers  parlements  pour 
assister  à  sa  réconciliation  avec  l'Église,  et  pour  décider 
toutes  les  hautes  questions  relatives  ù  la  religion  et  à  l'État. 
£n  se  séparant  des  huguenots,  il  prévint  leurs  alarmes  :  le 
même  jour  16  mai,  il  promit  par  une  déclaration  spéciale 
que  dans  tout  ce  qui  serait  fait  aux  conférences  de  Surène, 
il  ne  serait  pas  dérogé  aux  édits  et  déclarations  donnés  par 
les  rois  précédents  et  assurant  aux  réformés  la  liberté  de 
leurs  personnes  et  la  liberté  de  conscience  :  il  fit  souscrire  cette 
promesse  par  le  diancelier  et  par  les  plus  grands  seigneurs 
du  parti  catholique  alors  réuiiis  autour  de  lui.  Certes,  Henri 
ne  pouvait  se  flatter  de  fali-e  par  cette  déclaration  déposer 
aux  réformés  de  France  ou  d'Europe  toutes  les  craintes  ou 
tous  les  mécontentements  nés  de  son  abjuration.  De  ce  côté, 
le  parti  auquel  il  se  déterminait  avait  donc  ses  périls.  Mais 
d'abord  ce  danger  était  bien  moindre  que  celui  de  laisser 
élire  un  roi.  En  second  lieu,  il  avait  la  presque  certitude  de 
rallier  h  lui  et  à  sa  cause,  par  sa  conversion,  la  masse  de  la 


Henri  •nnonci* 

iiu  conieil 

•on  inteniioa 

d*Mbinrer  : 

g^araoUet  aux 

hiiguenoU. 


La  conversion 

proclwine 

du  roi  annoDcce 

aux  ligiieurt. 

RtfpOUM 

d«  d*Eftpinac. 


186  HISTOIRE  Dn'RfcGNB   DE  HENRI  IT. 

nation,  et  si  les  réformés  de*  France  et  d*Earope  devaient 
le  botider  et  Tabandonner,  an  moins  devait-il  trouver  dans  sa 
nouvelle  et  grande  position  les  moyens  de  les  empAcher  de 
s'armer  contre  lui  et  de  recommencer  la  guerre  civile  en 
Fronce.  11  ordonna  aux  députés  de  la  conférence  d'annoncer 
aux  ligueurs,  aussitôt  après  leur  retour  à  Surène,  la  déter- 
mination qu'il  venait  de  prendre  an  sujet  de  la  religion  et 
les  actes  qui  en  assuraient  l'exécution.  Il  les  autorisa  à  pro- 
poser en  même  temps  une  trêve  durant  laquelle  on  réglerait 
les  conditions  d'une  paix  définitive  :  il  leur  enjoignit  enfin, 
dans  le  cas  où  les  ligueurs  repousseraient  ces  moyens,  de  faire 
des  protestations  qu'on  rendrait  publiques^  afin  de  rejeter 
sur  le  parti  contraire  la  haine  que  méritait  le  refus  obstiné 
d'un  accommodement  équitable  ^ 

Le  17  mai,  les  députés  à  la  conférence  se  réunirent  de 
nouveau.  L'archevêque  de  Bourges  annonça  aux  ligueurs  la 
résolution  prise  par  le  roi  de  retourner  au  catholicisme. 
Il  ajouta  que  Henri,  pour  sa  réconciliation  avec  l'Église, 
s'adresserait  aux  prélats  de  son  royaume  et  non  au  pape, 
parce  que  les  pressants  dangers  de  la  France  ne  s'accommo- 
daient pas  de  l'éloignement  et  des  lenteurs  de  la  cour  de 
Rome,  et  parce  qu'on  savait  trop  que  la  volonté  et  la  liberté 
du  pape  éuiient  enchaînées  par  les  ennemis  du  roi.  Il  an- 
non<^  cependant  l'intention  où  Henri  était  de  rendre  au  Saint- 
Siège  le  respect  et  la  soumission  qu'on  pouvait  attendre  d'ud 
fils  de  l'Église.  D  offrit  en  même  temps  en  son  nom  une  trêve 
de  trois  mois,  comme  préliminaire  de  la  pacification  générale 
du  royaume.  Mayenne  et  ses  conseillers,  Jeannin  et  d'Espi- 
nac,  avaient  cru  que  les  convictions  de  Henri  et  la  considé- 
ration des  calvinistes  de  France  et  d'Europe  le  retiendraient 
à  jamais  parmi  les  dissidents.  La  nouvelle  de  sa  conversion 
étonna  et  troubla  d'Espinac  L'archevêque  essaya  de  parer 
le  coup  en  contestant  par  des  faits  de  détail  la  sincérité  des 
intentions  du  roi,  et  en  s'é tendant  sur  les  dangers  que  cour- 
rait la  religion  si  l'on  ajoutait  une  UA  aveugle  à  ses  pro- 
messes. Pour  toute  réponse  les  royaux  remirent  par  écrit 
aux  députés  ligueurs  les  propositions,  en  les  sommant  de 


•  '  Les  aclM  dana  P.  Cayat,  1.  ▼,  p.  466,  467.  —  Thnanai,  I.  cvi,  $$  7,  S. 
U  ▼,  p.  SS8,  KO.  —  Lettres  da  Duplecsis,  t.  ▼,  p.  4i6-4S9.  Les  JcUres  de 
cooTocatioto  du  roi  mux  prëlaU  et  docteurs  des  deux  partis  sont  da  IS  mai. 


MAYlSffNE  KS8AIB  DE  GAGNER  LK  PARLEMENT.         iS7 

les  faire  connaître  aux  princes  et  aux  grands  de  lenr  parti  m 
aux  États  de  la  Ugue.  Des  copies  de  ces  propositions  se 
répandirent  bientôt  dans. Paris  et  dans  la  France  entière: 
leur  contenu  agit  de  la  manière  la  plus  puissante  sur  Topi^ 
nion  publique  et  sur  la  marche  des  événements.  À  son  Incon- 
testable légitimité,  à  sa  valeur  personnelle,  tlenri  allait 
joindre  la  catholicité,  et  il  ofirait  la  paix  si  ardemment  dé- 
sirée. Dès  ce  moment,  les  politiques  anciens  et  nouveaux 
de  la  Ligne,  dans  la  bourgeoisie  et  dans  le  parlement,  pli^ 
rent  une  attitude  plus  assurée  ;  les  setnonneuœ  lui  furent 
acquis  ;  plus  de  la  moitié  du  bas  peuple  se  prononça  haute- 
ment pour  lui.  Le  10  mai'.  Mole  se  rendit  au  parlement,  fit 
des  remontrances  sur  la  proposition  que  devaient  faire  les 
Espagnols  de  rompre  la  loi  saUque  fondamentale  du  ropume, 
somma  la  cour  d'en  délibérer,  déclara  s'y  opposer,  et  de- 
manda acte  de  son  opposition.  En  même  temps,  une  vive 
agitation  se  manifestait  dans  ime  portion  considérable  du 
bas  peuple,  et  les  politiques  députaient  à  Mayenne  pour  le 
presser  de  conclure  la  paix  (17,  18,  27  mai)  K 

Mayenne  et  ses  conseillers  se  flattèrent  de  dominer ,  de 
maîtriser  cet  élan,  de  le  réduire  aux  proportions  d'un  moyen 
d*opposition  et  de  défense  contre  les  Espagnols*  Ils  voulureni 
battre  I^ilippe  il  avec  l'aversion  de  la  Ligue  française  pour 
la  domination  étrangère  et  avec  le  discrédit  dans  lequel  le 
roi  catholique  était  tombé  auprès  des  États  ;  Henri  IV  avec 
l'attachement  des  États  pour  le  catholicisme,  et  les  traverses 
que  jetteraient  le  légat  et  les  Espagnols  à  toute  proposition,  à 
tout  traité,  tendant  à  amener  la  reconnaissance  et  l'établisse- 
ment du  roi. 

Le  lieutenant  général  fit  de  particuliers  et  considérables  if«renue  «smi* 
efforts  pour  se  concilier  le  parlement»  et  pour  le  mèler^   le^nVomi'id* 
comme  corps  politique,  aux  discussions  qui  allaient  s'ouvrir.        .  ^f**- 
Au  lieu  des  deux  chambres  nouvelles  dont  il  avait  projeté     ^^llq^n  dlT  *' 
l'érection,  lors  de  l'ouverture  des  États,  il  résolut  d'en  créer       ^  ^■v** 
une  seule.  Cette  quatrième  chambre  devait  avoir  dans  ka 
délibérations  même  voix  et  même  pouvoir  que  les  trois  an- 
ciennes, et  se  composer  en  minorité  des  membres  du  conseil 

'  p.  r«Tet,  1.  ▼,  t.  1, 464-406.  —  RegUtre  du  Uart«  mnaïucril  T',  p.  ISS, 
noie,  90i<aOS  ;  RegiU.  da  cierge,  p.  4"!^.  —  Le»toUe  et  aon  luppl.,  p.  134, 
ISS,  440, 141. 1^  texte  da  Cayet,  p.  464  A,  porte  par  erreur  «x  mai,  aa 
lieu  de  dÏE'tepI  maL 


188  HISTOIRK   DU   RÈGNE   DE   HENRI   IV. 

d^Êtat,  en  majorité  des  membres  du  parlement  et  autres 
cours  souveraines.  Par  sa  constitution  et  son  origine,  cette 
chambre  semblait  devoir  4>trc  acquise ,  dévouée  à  Mayenne, 
et  lui  assurer  l'avantage  dans  les  délibérations  des  États,  lors 
de  la  discussion  sur  Télection  et  la  royauté.  De  plus,  le  lieu- 
tenant général  pouvait  espérer  que  le  parlement,  accru  par 
lui  dans  sa  puissance  politique,  lui  témoignerait  sa  reconnais- 
sance, au  moment  où  les  décisions  législatives  des  États  se- 
raient portées  à  sa  sanction  et  à  son  enregistrement.  D*après 
ces  calculs,  Mayenne  soumit  la  proposition  aux  chambres 
le  27  mal,  et  provoqua  la  formation  d'une  commission  pour 
Texaminer  <. 

La  commission,  composée  de  trois  députés  de  chaque  ordre, 
conféra  le  27  mal  avec  le  conseil  d'État  sur  la  proposition. 
Mayenne  et  Jeannin  revinrent  jusqu'ù  trois  fols  h  la  charge 
pour  amener  les  députés  à  concéder  au  parlement  le  droit  de 
former  une  quatrième  chambre.  Ils  échouèrent  contre  leurs 
répugnances,  leurs  réclamations  et  le  mandat  qu'ils  avaient 
reçu,  mandat  portant  qu'il  ne  serait  rien  changé  à  l'ancienne 
forme  des  États.  Mayenne  avait  trop  besoin  de  la  faveur  et 
du  vote  des  États  pour  les  mécontenter.  Il  céda  à  Toppositlon 
de  la  commission,  et  à  celle  des  chambres,  quand  la  dis- 
cussion y  fut  portée  quelques  jours  plus  tard.  Sa  tentative  ne 
donna  donc  pas  au  parlement  la  prérogative  politique  qui 
faisait  l'objet  de  sa  plus  vive  ambition,  et  le  parlement  en 
grande  majorité  resta  hostile  aux  prétentions  de  Mayenne. 
Mais  11  sortit  de  la  discussion  la  reconnaissance  en  faveur  du 
parlement  d'un  droit  d'une  immense  importance,  pour  lequel 
cette  compagnie  ne  se  crut  obligée  h  aucune  reconnaissance 
envers  le  lieutenant  général.  Dans  la  discussion  qui  eut  lieu 
au  sein  de  la  commission ,  Jeannin ,  parlant  au  nom  de 
Mayenne,  dit  que  «  toutes  les  fois  que  les  États  généraux  de 
«  France  a  voient  été  convoqués,  les  États  a  voient  été  comme 
»  requérants;  le  roi  avec  les  princes  et  les  gens  de  son 
»  conseil  avoient  résolu  ;  les  cours  de  parlement  vérifié,  ap- 
•  prouvé,  entériné  ;  qu'autrement  ce  qui  avoit  été  résolu  i)ar 

*  Ref  ist.  «lu  tiers,  p.  908,  S09  ;  du  rlergi^,  p.  47S,  4S0  ;  de  lu  noble«»e, 
p.  610.  —  A  la  dato  du  S7  mai,  on  trouve  daps  le  registre  du  tiers,  p.  S1&. 
ia  preuTe  que  Mayenne  a  fait  proposer  aos  Etats,  le  95  mai,  <rétablir  une 
qnairièiDe  chambre  «  sur  Tadvis  donné  aux  chamlirci  touchant  son  inten- 
s  tion  d^appeler  les  cours  souveraines  aux  assemblées  générales.  » 


PREMIÈRE  PROPOSITION  ÉCRITE  DES  ESPAGNOLS.  MOLE.    189 

«  le  roi  n*aY0it  ni  force  ni  autorité  ^  »  Aucan  député  de  la 
commission  ne  s*inscrivit  en  faux  contre  cette  doctrine  :  au- 
cune voix  au  sein  des  États  ne  contesta  le  principe,  quand  les 
chambres  forent  saisies  de  la  question  dans  les  derniers 
jours  du  mois  de  mai'.  Ainsi  d*un  commun  accord  le  parle- 
ment resta  maître  an  moyen  de  Tenregistrement  de  la  sanc- 
tion des  actes  législatife  :  sa  part  dans  le  pouvoir  législatif 
égalait  donc  dès  lors,  si  elle  ne  surpassait  celle  des  États  et 
celle  du  lieutenant  général,  il  ne  s*agit  pas  de  savoir  si  c'était 
là  de  la  part  du  parlement  une  évidente  et  énorme  usurpa- 
tion sur  le  pouvoir  royal  et  sur  la  souveraineté  des  États. 
Ce  qu'il  importe  de  constater,  c'est  qu'une  prétention  mise 
en  avant  avec  audace  par  le  parlement  à  l'ouverture  des 
Etats,  était  élevée,  par  ce  qui  venait  d'avoir  lieu,  à  l'état 
de  droit  discuté  et  reconnu  par  les  pouvoirs  publics.  Faute 
d'avoir  constaté  la  puissance  attribuée  au  parlement  dans 
cette  circonstance,  les  historiens  modernes  rendent  inex- 
plicable l'arrêt  postérieur  de  cette  compagnie ,  à  la  date  du 
â8  juin,  sur  la  plus  importante  décision  des  États  généraux 
de  la  Ligue. 

liC  28  mai,  les  ministres  espagnols  furent  introduits  dans  Première  pro- 
ies Ktats  de  la  Ugue,  et  l'un  des  secrétaires  d'État  français    po>>tioii  ^rii« 
donna  lecture  de  leur  première  proposition  écrite.  La  sortie  Eapncnôîs  daoi 
énergique  de  Rose  et  la  promesse  de  conversion  du  roi  qui    o'**dik>'*de 
avaient  si  fortement  remué  une  partie  des  ligueurs  les  plus        Mole  et 
avancés  et  les  États,  avaient  laissiî  les  Espagnols  inébranlables  "*"  pu-temAou 
dans  leur  ambition  et  leur  orgueil  :  leur  première  proposi- 
tion écrite  fut  de  tous  points  conforme  aux  ouvertures  faites 
dans  la  conférence  chez  le  légat.  Au  nom  de  Philippe  II,  ils 
demandèrent  que  les  États  reconnussent  sa  fille  Isabelle- 


*  Ce  roémorable  passage  se  trouve  mol  à  mol  dans  le  registre  du  tiers, 
p.  tl7,  et  dans  relui  de  la  noblesse,  où  l'on  trouve,  p.  Slt  :  «  D'abondant 
M  estoit  encore  nécessaire  que  ce  qui  avoit  este  resoleu  et  arresté  par  le  roj 
N  sur  les  dictes  i  emonstrances  (des  EtalS'gc'néraus)  Tust  apporté  et  envoyé 
m  ans  cours  aonveraines  pour  estre  vériHé  et  esmologué;  amtnm^nt  ii 
m  h'hvoU  ni  force  ni  atUhorité.  » 

*  R#>glstre  du  tiers,  p.  915-190,  99:;;  du  rlergé,  p.  478  et  note,  4S0,  481, 
483>485;  de  la  noblesse,  p.  ttlO-617.  Au  momeut  où  la  commission  rend 
compta  aux  chambres  de  ce  qui  s^est  passé  dans  la  conférence  avec  le  con- 
seil d*Etat,  les  réclamations  et  l'uppostiion  ne  portent  qoe  sur  un  point, 
sur  l'érecllon  du  parlement  en  quatrième  chambre  :  aucan  nVtlaque  le 
droit  du  parlement  de  vérifier  les  décisions  des  Ktatf,  ce  qui  emporte  le 
droit  de  les  Infirmer. 


190  BtSTOiRB  DU  RÈGHE  DE  REIIRI  IV. 

dairc-Eogénie  comme  héritière  de  la  couronne  de  France 
en  sa  qualité  de  petite-fille  de  Henri  II;  qu'ils  y  joignissent 
Télection,  s'ils  la  jugeaient  nécessaire  ;  qu'ils  déclarassent  Tin- 
tante reine  sans  hésitation  et  sans  délai.  A  les  entendre, 
c'était  le  seul  moyen  de  sauver  la  religion  catliolique  dans  le 
royaume,  et  le  pape  y  donnerait  plein  consentement.  Le  roi 
catholique  appuyerait  la  décision  des  États  d'une  armée  de 
dix  miUeh  ommes  dans  un  mois,  d'une  autre  armée  de  pareil 
nombre  au  commencement  du  mois  de  septembre  suivant,  et 
payerait  de  plus  les  soldats  français  rassemblés  par  Mayenne. 
A  pdne  k  lecture  de  cette  proposition  fut  achevée,  que  le 
procureur  général  Mole,  qui  assistait  aux  États  comme  l'un 
des  délégués  ^  se  leva  et  dit,  que  selon  le  devoir  de  sa  charge 
il  s'opposait  à  la  proposition,  et  qu'il  invitait  les  membres  du 
parlement  è  la  combattre  avec  lui ,  comme  notoirement  ré- 
pugnante et  contraire  aux  lois  en  vigueur  dans  le  royaume 
depuis  douze  cents  ans.  On  contesta  à  Mole  le  droit  de  former 
opposition  à  la  face  des  États.  Le  président  de  liacquevilio 
répliqua  que  s'il  en  était  ainsi,  il  valait  mieux  que  les  délégués 
du  parlement  sortissent  des  États.  l'iusieurs  députés  s'étant 
écriés  qu'ils  y  consentaient  volontiers,  les  magistrats  se  le  tin- 
rent pour  dit,  et  résolurent  de  ne  plus  paraître  dans  l'assem- 
blée. Le  même  jour,  le  parlement  de  Paris  s'assembla  depuis 
trois  heures  jusqu'à  six  heures,  et  examina  les  propositions 
relatives  aux  prétentions  de  l'infante  et  à  l'abolition  de  la  loi 
salique.  Lieurs  députés  allèrent  trouver  Mayenne  au  bailliage 
du  palais;  l'avocat  du  roi  Hotoman  lui  signifia  la  résolution 
de  la  cour  en  ces  mots,  qu'ils  ne  pouvaient  ni  ne  devaienL 
Lemalstre,  Damours,  Duvair,  joignirent  leurs  libres  remon- 
trances à  la  déclaration,  et  Mole  termina  en  protestant  qu'il 
était  né  Français,  qu'il  mourrait  Français,  qu'avant  d'être 
jamais  autre  il  y  perdrait  les  biens  et  la  vie. 
Cette  démonstration  n'apprit  rien  encore  aux  Espagnols. 
daMeDUÔsa:  Le  lendemain  29,  le  légiste  Mendoza,  admis  h  parler  aux 
^  "^ilîai^!  **"  ^'l^l**  d^^ii^  pendant  deux  heures  en  latin  contre  la  loi 
salique,  et  pour  les  droits  de  l'infante  Ibndés  en  droit  divin, 
civil  et  naturel.  Les  assistants  secouaient  la  tète  en  se  mo- 
quant, et  sans  la  présence  du  lieutenant  général,  ils  eussent 

*  Yoyo  cinletiuf  p«  161,  163  el  U  ouIp  ;  vuyeg  dp  plut  les  |wrtigni|>b«K 
suivants 


DlKoiirs 


LA  QUATRlàUB  GUAMBRE  DANS  LM  ÉTATS  RCJETÉE.     191 

interrompu  le  pédantenque  orateur'.  La  question  se  traîna 
longtemps  encore  dans  les  incidents  et  dans  la  forme  ;  mais, 
quant  au  fond,  elle  était  dès  lors  résolue  :  Mayenne  avait 
cause  gagnée  contre  les  prétentions  exclusives  du  roi  d'Es* 
pagne. 

Il  aurait  désiré  ardemment  satisfaire  la  grande  ambition        Profet 
du  parlement,  qui  était  d'étendre  incessamment  son  pouvoir  ^'"°  blmbre""* 
politique,  afin  de  trouver  Tappui  de  ce  corps  au  moment  où  d«ns  im  Éum  : 
U  poursuivrait  la  souveraineté  pour  lui  ou  pour  son  fils.  Ce    d^M^^rvl^irs 
ftit  un  compromis  entre  eux  quMl  tenta,  mais  sans  succès.        pubiirs. 
Lors  de  la  convocation  des  États  de  la  Ligue,  il  avait  appelé 
les  délégués  du  parlement  à  y  siéger.  Après  les  premiers  • 
jours  de  la  session,  nous  avons  vu  les  délégués  f>erdre  le  droit 
de  voter  dans  les  États,  et  ne  plus  conserver  que  le  privilège 
fPy  assister  et  d'y  donner  leur  avis  sous  forme  de  conseil  ; 
encore  leur  présence  était-elle  souvent  contestée  par  leivs 
adversaires.  Du  25  au  31  mai,  Mayenne  travailla  activement 
par  lui-même  et  par  son  conseil  à  régulariser  la  position  des 
magistrats  et  à  créer  au  profit  du  parlement  une  quatrième 
chambre  au  sein  des  itats.  Il  fut  battu  sur  ce  point  par  le 
vote  du  3i  mai  :  les  IrUals  maintinrent  Tordre  ancien  et  le 
nombre  de  trois  chambres.  Mais  il  eut  l'avantage  sur  deux 
autres  points,  il  fut  convenu  et  reconnu  que  Mayenne  et  les 
princes  de  sa  famille,  dans  toutes  les  questions  importantes, 
jouiraient  du  droit  d'examen  concurremment  avec  les  États, 
et  du  droit  de  vote  ;  que  les  États  requerraient  seulement,  et 
que  Mayenne,  représentant  le  roi,  déciderait  et  résoudrait 
avec  son  conseil  ;  que  le  lieutenant  général  et  les  Étals  ne 
feraient  rien  que  de  parfaite  intelligence  entre  eux,  promet- 
tant les  États  de  ne  jamais  dévier  d'avec  lui,  pas  plus  que 
les  membres  avec  le  corps.  D'un  autre  côté,  Mayenne  réserva 
au  parlement  le  droit«  dont  il  jouissait  elfectivement  depuis 
les  Barricades,  de  vérifier  et  d'entériner  tout  ce  qui  serait 
résolu  par  les  deux  autres  pouvoirs'.  De  la  sorte,  il  était  k 
peu  près  impossible  que  les  États  prissent  aucune  dédsion 

*  Refiatrcdu  Uert,  p.  tlCSU,  iitkSSS,  Stô,  94»  j  reguL  du  clergé, 
p.  4S9,  4H3,  4S7,  4SS  ;  regisL  de  U  nobli-sse,  p.  617-61».  —  Appendice 
no  6,  p.  704.7SS.  -  Lestoile,  p.  136,  137,  14i  A.  ~  Mém.  de  Blarilliic, 
l.  xs.  p.  SU  S. 

•  RrgUt.  de  la  noblesse,  p.  6I0-6|7  ;  'lu  tien,  p.  916,  91 V,  994,  Rifi;  da 
cierge,  p.  47S,  485.485,  49i>.4t*9. 


dfs  ligueurs 
tnr  In   conver- 
lion  du  roi 
et  In  trère 


Êlat  do  parti* 

du  cAlè 

de  la  Ligne. 


192  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

favorable  à  TEspagne,  et  s^Us  la  prenaient,  le  lieutenant 
général  pouvait  toujours  l'annuler. 

Ainsi  fortifié  de  tous  côtés  contre  Philippe  II,  Mayenne  se 
tourna  contre  Henri  et  se  flatta  de  lui  ravir  d'un  coup  et  en 
un  moment  le  terrain  qu'il  avait  gagné  depuis  six  mois,  et 
notamment  depuis  la  déclaration  du  17  mai.  Sous  sou  in^i- 
ration  et  par  ses  intrigues,  les  Etats  de  la  Ligue  firent  la 
réponse  suivante  aux  propositions  du  parti  royal  et  à  la  pro- 
messe d'abjurer  que  Henri  y  avait  ajoutée  (5  juin).  «  I^ur 
la  conversion  du  roi  de  Navarre,  les  royaux  auront  à  se 
pourvoir  par  devers  Sa  Sainteté,  à  qui  appartient  de  l'ab- 
soudre et  de  le  remettre  au  sein  de  l'Église.  Quand  la  con- 
version sera  approuvée  par  le  Saint-père,  les  ligueurs  auront 
h  se  consulter  sur  les  sûretés  nécessaires  à  prendre  pour 
conserver  la  religion  catholique  dans  le  royaume.  Les  li- 
gueurs ne  pourront  traiter  de  la  trêve  avec  les  royaux  que 
quand  ils  connaîtront  leurs  intentions  sur  les  deux  points 
précédents'.» 

lie  pape,  esclave  de  Philippe  II  et  circonvenu  par  la  Ligue, 
devait  refuser  à  tout  jamais  l'absolution  à  Henri ,  et  Henri 
resier  hérétique  malgré  lui.  Incapable  d'être  accepté  pour  roi 
par  la  Ligue.  Mayenne  espérait  avoir  élevé  ainsi  une  barrière 
infranchissable  entre  le  roi  et  les  peuples  de  l'union,  au  mo- 
ment où  Henri  les  attirait  à  lui  par  son  relour  au  catholicisme. 
Ainsi  tout  moyen  sérieux  d'accommodement  avec  le  roi  était 
repoussé,  et  la  religion  servait  à  ce  résultat  politique. 

Dans  le  même  temps  que  Mayenne  amenait  les  États  à 
rendre  cette  réponse  au  parti  royal,  il  les  disposait  à  ren- 
verser les  prétentions  et  les  desseins  des  Espagnols.  L'avarice 
forcée  ou  calculée  des  minisires  de  Philippe  H  lui  vint  mer- 
veilleusement en  aide.  Grand  nombre  de  députés  étaient 
pauvres  et  avides  :  ils  recevaient  si  peu  de  chose  de  l'Es- 
pagne, qu'ils  se  plaignaient,  le  i"  juin,  à  Mayenne,  de  leur 
extrême  nécessité,  et  qu'ils  demandaient  la  clôture  des  États 
ou  une  aumône  qui  leur  permit  de  siéger  plus  longtemps^. 
Ptiilippe  prétendait  ne  les  payer  qu'après  le  service  rendu  : 
ils  voulaient  eux,  au  contraire,  être  largement  pensionnés  et 


*  Regislr.  du  tiers,  p.  230,  XM,  333.  S37S40  ;  du  cierge,  4M-I96;  de  lu 
TiobleMr,  p.  en,  62S.  ^  F.  Cayel,  I.  Y,  p.  4W  R. 

*  Registre  du  tiers,  p.  907,  til. 


RÉPONSE  DES  ÉTATS  SUR  LA  CONVERSION  DU  ROI.   193 

n*avoir  pas  le  couteau  sur  la  gorge  ^  Leurs  votes  se  res- 
sentirent de  leur  mécontentement  Les  agents  Espagnols  se 
flattaient  de  les  entraîner  par  la  force  des  circonstances  exté- 
rieures et  par  les  autres  moyens  dont  ils  disposaient,  moyens 
sur  la  puissance  desquels  ils  se  faisaient  illusion.  Ils  comp- 
taient que  la  présence  de  leur  garnison  intimiderait  tous  les 
partis  ;  ils  employaient  le  légat  et  avaient  regagné  la  moitié 
du  clergé  ligueur  ;  ils  mettaient  en  mouvement  les  Seize  et 
une  partie  du  bas  peuple.  EnGn  ils  ne  désespéraient  pas  de 
se  défaire  du  roi  comme  ils  s'étaient  débarrassés  du  prince 
d'Orange,  par  un  assassinat  La  plupart  des  prédicateurs 
publiaient  déjà  en  chaire  que  Ton  n'aurait  ni  paix  ni  trêve, 
et  s'appuyaient  de  la  parole  et  de  Tantorité  du  légat.  Les 
Seize  et  plusieurs  ecclésiastiques  de  la  Ligue  présentèrent 
requête  aux  Étals  pour  qu'ils  eussent  à  élire  un  roi,  et  à 
rompre  la  conférence  jusqu'à  ce  que  le  pape,  consulté,  eût 
prononcé.  En  même  temps  le  curé  de  Saint*Jacques  endoc- 
trinait deux  scélérats  pour  sortir  de  Paris  le  jeudi  de  la  Pen- 
tecôte, et  aller  tuer  le  roi  (6,  7,  8  juin).  Les  Espagnols  se 
promettaient  tout  de  ce  concours  de  circonstances,  et  ils 
demeuraient  sourds  à  l'avis  indirect  que  leur  donnait  Boucher. 
Boucher,  député  aux  États,  histruit  des  sentiments  de  cette 
assemblée,  jugeait  très  justement  que  Philippe  11  échouerait 
quand  il  prétendrait  mettre  sur  le  trône  sa  fille  et  l'un  des 
princes  de  sa  maison.  Devenu,  an  mois  de  juin,  l'ennemi  de 
Mayenne,  qu'il  servait  au  mois  d'avril,  il  invectivait  en  chaire 
contre  le  lieutenant  général,  demandait  qu'on  changeât  le 
parlement  et  les  ofGciers  de  tous  états,  allait  en  son  nom  et 
au  nom  d'une  partie  du  clergé  sommer  Mayenne  de  donner 
un  roi  à  la  Ligue  (9  juin).  Mais  il  se  gardait  bien  d'indiquer 
Philippe,  l'infante  sa  fille,  ni  aucun  prince  de  la  maison 
d'Autriche  :  il  désignait  le  jeune  duc  de  Guise'.   Boucher 
suivait  la  même  Ugne  de  conduite  politique  que  Rose. 


■  Voms  ci-deuas  p.  167*  t6B,  la  corrMpondance  de*  igentt  de  Phi- 
lippe if  et  le  témoignege  de  Villeroy. 

«  ÉUU  de  1605,  p.  3,  461.  —  LestoUe,  p.  149,  14S  :  «  Le  c«rtf  de  Selnl- 
m  Germain...  dit  qu'il  estoit  bien  «dTertiqu^on  n^anroit  ni  paix  ni  treulVe; 
•  et  que  M.  le  légat  lui  avoit  dit...  Le  conseil  de  tuer  le  roy  avoit  esté  tena 
M  sur  le  cnrë  de  Saint'Jacoues  ;  et  en  mist-on  deux  en  besongne,  qui  de- 
»  voient  partir  le  jeudi  de  la  Pentecoste  pour  essayer  à  blre  le  coup.  ■  — 
«  9  |uin.  Boucber  U-deitus  va  trouver  le  duc  de  Blaycnne  pour  lui  denandor 

13 


196  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  fiENRi  IV. 

Deuxième  pro-      Les  agptits  espagnols  lie  tinrent  fHis  compte  de  cette  repu- 
de<  Kpuio"  it  :  goatlce  pour  eux ,  que  ressentaient  même  plusieurs  des  plus 
l'aichidiic      fougueux  Uguciirs.  Le  11  juin,  les  Ëtats  décidèrent  qu'avant 
et  Pit?Liito  :    de  répondre  à  la  dctnande  de  Miilippe  réclamant  le  trône 
elle  est  rejetée.  pour  l'infante,  ils  Sommeraient  ses  ministres  de  déclarer  si* 
rintcntion  de  leur  mattre  était  de  marier  sa  fille  à  un  prince 
fran<^s.  Les  Espagnols  osèrent  bien  gourmandcr  les  États  au 
sujet  de  leurs  scrupules  pour  le  maintien  de  leur  loi  salique 
en  ce  qtil  cohcemait  Texclusion  des  femmes,  et  leur  repro- 
chei*  leurs  répugnances  pour  Tinfante  ;  ils  proposèrent  ensuite  la 
seule  combinaison  que  Philippe  pût  accepter  à  défautde  la  pre- 
mière :  c'étaitde  déclarer  roi  Tarcliiduc  Ernest,  frère  del'empe- 
reur,  prince  de  la  maison  d'Autriche,  et  de  le  marier  à  Tinfante 
(13  juin).  Dans  la  chambre  de  la  noblesse,  la  Châtre  réduisit 
la  proposition  à  ses  véritables  termes  et  Pattaqua  ouverte- 
ment :  (I  Messieurs,  dit-il,  les  députatlons  de  quelques  uns 
d'entre  nous  permettent  d'élire  pour  roi ,  si  besoin  est ,  un 
prince  françois,  bon  catholique  ;  mais  elles  ne  parlent  nul- 
lement d'élire  une  femme  ni  un  étranger.  »  Ainsi  chaque  jour 
un  plus  grand  nombre  de  citoyens  répugnait  à  violer  la  plus 
importante  des  lois  fondamentales  et  à  livrer  la  France  â 
l'Espagne  et  à  la  maison  d'Autriche  :  chaque  jour  l'opposi- 
tion à  la  domination  étrangère,  dans  ce  qu'elle  avait  de  plus 
général,  gagnait  et  s'étendait.  La  déclaration  de  la  Châti*e 
fortifia  ces  sentiments.  Les  États  trouvèrent  dérisoire  la  con- 
cession des  Espagnols  et  la  rejetèrent  dans  la  séance  du 
19  juin,  avec  cette  déclaration  particulièit*  de  la  chambre  de 
la  noblesse  c  que  c'estoit  une  chose  à  laquelle  ils  ne  pou  voient 
»  mesme  toucher,  et  qui  excédoit  leurs  pouvoirs,  pour  estre 
»  contre  les  loix  et  ordres  de  France.  »  En  même  temps, 
du  iti  au  19  juin,  Mayétine  faisait  voter  par  les  deux  cham- 
bres de  la  noblesse  et  du  tiers-état  l'opportunité  de  la  trêve 
en  principe ,  tout  en  remettant  l'exécution  au   lieutenant 
générai  K  C'était  un  moyen  et  une  menace  de  traiter  avec  le 
parti  roval,  dans  le  cas  où  les  Espagnols  se  montreraient  hostiles 
à  la  combinaison  que  Mayenne  produisit  dès  te  lendemain. 

m  «A  rojr,  et  le  supplier  de  trouver  bon  que  ce  loll  le  dnc  de  Guise^  et  (fu'il 
m  esloit  chargé  de  la  pari  des  ecclésiastiques  de  luy  porter  cette  parole... 
»  Co  mpsme  jour  les  Scise  s'assmiblcieut  raprès-diuée.  » 

'  Rcgist.  du  tirr»,  p.  979,  SSU.  281,  d64,  967-W9;  reg.  de  Id  nohlette, 
p.  631,  6ilt.  —  Appendice,  p.  731,  732. 


DEUXIÈME  PROPOSITION  DES  ESPAGNOLS  RBJETÉE.      195 

Mais  si  les  chambres  de  la  noblesse  el  du  tiers,  pous-    Voie  f9meaz 
s^  par  quelques  bons  citoyens,  parce  que  cela  était  bon-      /•!<?.*"?• 
nèle,  et  par  Mayenne,  parce  que  cela  était  de  son  intérêt,  Le  pnnciîir  de 
avaient  voté  contre  la  royauté  pure  de  l'étranger,  elles  adop-  d'un*ro1*ïdinî» 
tèrcnt,  dès  le  lendemain,  sons  la  pression  toute-pnissante  de    «*!  <aTeara«uu 
Mayenne,  une  résolution  qui,  tout  d'abord,  ranimait  la  guerre  ?"■«•  JJ'*»^»" 
civile  et  infligeait  au  pays  de  nouvelles  et  intolérables  souf-     ^*  riafiinte. 
frances,  et  qui  pouvait  devenir  une  cause  finale  de  son  asser- 
vissement. Le  20  juin,  Mayenne  porta  aux  chambres  un 
projet  de  réponse  aux  Espagnols,  contenant  deux  parties 
distinctes.  La  première  exprimait  le  refus  voté  la  veille  par 
les  États  de  la  royauté  de  Tarchiduc  Ernest  et  de  Tinfante.  La 
seconde  renfermait  le  passage  suivant  : 

c  S'il  plaisait  à  Sa  Majesté  catholique  avoir  pour  agréable  U 
choix  qui  sera  fait  de  l'un  de  nos  princes  pour  être  roi^  et  Tbono- 
rer  de  tant,  pour  le  bien  de  la  chrétienté  et  de  ce  royaume,  que  de 
lui  donner  en  mariage  la  sérénissime  infante  sa  fille,  nous  lui  au- 
ronsinfinies  obligations,  et  pourrons  espérer  parce  remède,  moyen- 
nant la  grâce  de  Dieu,  de  metu-e  quelque  jour  fin  à  nos  misères, 
avec  la  conservation  de  la  religion  et  de  TËtat  ' .  > 

La  proposition  de  Mayenne  fut  acceptée  sans  difDculté  par 
la  chambre  du  clergé  et  par  celle  de  la  noblesse.  Dans  la 
chambre  du  tiers,  elle  excita  de  vives  réclamations.  Thiele- 
ment,  secrétaire  de  la  chambre,  et  Du  Vair,  conseiller  au  par- 
lement, distinguèrent  la  proposition  relative  à  la  royauté 
d'Ernest  et  de  l'infante ,  déjà  étouffée  sous  la  réprobation 
universelle,' de  la  proposition  toute  nouvelle  concernant  l'élec- 
tion d'un  roi,  lesquelles  avaient  été  adroitement  mêlées  et 
confondues.  Ils  remontrèrent  énergiquement  que  l'élection, 
en  rompant  tous  les  projets  et  toutes  les  tentatives  d'accord 
avec  le  parti  royal,  entraînerait  la  France  dans  un  abîme  de 
malheurs  el  la  réduirait  à  un  épuisement  qui  la  livrerait  selon 
toute  apparence  à  l'étranger;  que  les  députés  de  l'ile-de- 
France  n'avaient  ni  cahier  ni  pouvoirs  pour  consentir  une 
pareille  résolution;  qu'avant  de  la  prendre,  ils  devaient  con- 
sulter le  corps  de  la  ville  de  Paris.  Du  Vair  demanda  acte  de 
son  opposition  et  sortit  de  l'assemblée.  Ils  n^entrahièrent  à 

*  Sons  confCT-Toiis  1rs  propret  poroirs,  mais  non  Torlbograplie  do  texte. 


196  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  11^. 

leor  opinion  que  les  provinces  de  l'Ile-de-France  et  de  Bour- 
gogne, et  les  villes  de  Ghaumont  en  Bassigny  et  d'Orléans. 
Tout  le  reste  vota  pour  la  double  proposition ,  et  Tavis  de 
l'élection  passa  à  la  majorité  dans  la  chambre  du  tiers.  Les 
trois  chambres  se  trouvèrent  alors  d'accord  sur  ce  point 
capital  K 

Les  prétentions  exclusives  de  Philippe  II  étaient  ainsi  ren- 
versées :  la  France  ne  devait  avoir  pour  souverain  ni  l'infante 
seule,  ni  l'infante  et  un  prince  de  la  maison  d'Autriche  ;  par 
ce  cOté,  Mayenne  faisait  essuyer  au  roi  catholique  un  second 
et  rude  échec.  Par  l'élection,  la  succession  à  la  couronne  des 
Valois  se  trouvait  ouverte;  la  déchéance  était  prononcée 
contre  Henri  IV,  puisque  l'élection  avait  pour  objet  de  con- 
férer la  royauté  à  un  prince  actuellement  catholique  :  l'ex- 
clusion s'étendait  aux  autres  princes  de  la  maison  de  Bour- 
bon, non  pas  en  droit,  mais  en  fait,  puisque  l'élection  était 
remise  à  des  États-généraux  où  l'immense  majorité  apparte- 
nait Il  Mayenne  et  au  jeune  duc  de  Guise,  ou  bien  à  Phi- 
lippe H.  L'infante  devenait  reine  de  France,  non  \ïas  comme 
épouse  du  roi  seulement,  mais  comme  propriétaire  pour 
moitié  de  la  couronne.  Si  sur  ce  point  il  restait  quelque 
incertitude  dans  la  proposition  que  venait  de  faire  Mayenne, 
le  doute  fut  levé  au  profit  de  l'infante  par  ime  décision  que 
prirent,  le  26,  Mayenne  et  ia  commission  des  États.  Une 
étrangère  était  donc  admise  au  partage  de  la  souveraineté 
nationale  ^.  Outre  cette  honte,  il  y  avait  un  grave  danger 
pour  l'hidépendancc  du  royaume,  parce  que  Philippe  II  se 
trouvait  immiscé  à  toutes  les  aflfaires  de  l'État,  et  en  cas  de 
mort  du  roi,  en  position  de  réclamer  la  totalité  de  la  royauté. 
Mayenne  n'était  pas  appelé  au  trône,  puisqu'il  éuit  marié  ; 
mais  il  entendait  y  porter  son  fils,  et  garder  pour  lui  l'im- 

*  Po«r  cet  deaK  paragraphes,  regist.  du  tiers,  p.  981-985;  du  cierge, 
p.  895,696;  de  la  noblesse,  p.  631-633.—  Lettre  de  Henri  auK  Étala- 
généraux  des  Pays-Bas,  90  inin  4B9S,  dans  les  lett.  miss.,  L  lli,  p.  806. 
«  Je  puis  bien  tous  assenrer  que  l'assemblée  de  Parts  a  tellement  adrancé 
»  rcsIecUon  d'un  nouveau  roy,  qu'elle  semble  du  tout  inévitable  A  moins 
m  d^un  extresme  remède.  » 

'  Dans  ce  que  propose  et  fait  Totcr  Mayenne  les  90  et  96  juin,  il  y  a  si 
bien  partage  de  la  souTcraineté  pour  Tmiante,  que  le  98  inin,  la  chambre 
de  la  noLlose,  qui  u  été  écluircc  sur  sou  propre  vole,  vient  lui  déclarer 
que  licancoup  d  entre  eux  ne  veulent  consentir  h  faire  esleetion  de /en»' 
meSt  't  que  ranél  du  parlement  parle  de  VestabUssement  de  prince  on 
princesse  estrangers  au  détriment  de  la  loi  salique. 


VOTE  DU  20  JUIN  :  L*éL£GT10M  DÉCRÉTÉE.  197 

mense  pouvoir  de  la  lieutenance-générale  K  Tel  était  Tétat 
précis  des  affaires  après  le  vote  mémorable  du  20  juin.  L'anar- 
chie, la  guerre  civile  entre  la  Ligue  et  le  parti  du  roi  toujours 
debout,  continuaient,  et  recevaient  même  un  nouvel  aliment 
par  Télection  d*un  compétiteur  de  Henri  ;  l'étranger  restait 
menaçant,  l'avenir  était  gros  de  périls  ;  mais  actuellement, 
présentement,  Mayenne  fermait  l'accès  du  trône  à  l'Infante 
seule  et  l'ouvrait  à  son  propre  fils  :  fidèle  à  ses  précédents, 
Il  était  satisfait  et  s'applaudissait  du  succès  de  sa  politique 
tortueuse. 

Du  20  au  26  juin,  le  lieutenant  général  et  les  ministres  de 
Philippe  II  luttèrent  avec  acharnement,  le  premier  pour 
garder  la  position  qu'il  venait  d'enlever,  les  seconds  pour  l'en 
chasser.  Les  agents  espagnols  crurent  pouvoir  ressaisir 
l'avantage  en  substituant  à  l'ambition  franche  et  insolente 
qui  leur  avait  mal  réussi  la  corruption  et  la  ruse.  Ils  réso- 
lurent donc  d'acheter  les  députés  et  de  tromper  les  États  et 
Mayenne  par  un  traité  qui  en  apparence  appellerait  au  par- 
tage de  la  souveraineté  un  prince  français  et  \m  prince  lor- 
rain, mais  qui  effectivement,  et  en  dernier  résultat,  livrerait  le 
royaume  à  Philippe  seul. 

Dès  le  21  juin,  ils  adressèrent  aux  chambres  réunies  leur  TroUièin«  pro- 
troisième  proposition  qui  se  réduisait  à  ces  deux  points  :  liCS  dw^ranols. 
États  déclareront  sur  le  champ  rois  propriétaires  de  la  cou-      Corrupiioo 
renne  et  solidairement  (in  solidum)  l'infante  Isabelle  et  l'un     ^^  ^*f^*** 
des  pridces  français  en  y  comprenant  ceux  de  la  maison  de 
Guise  :  Philippe,  dans  l'espace  de  deux  mois,  déclarera  celui 
d'entre  eux  qu'il  choisira  pour  gendre.  Contre  la  décision  du 
27  janvier,  le  légat  fut  admis  à  siéger  et  à  parler  dans  les 
États,  il  exalta  la  nouvelle  proposition  des  Espagnols,  an- 
nonça que  le  Saint-Siège  lui  donnait  son  entière  approbation 
et  pressa  les  États  de  l'accepter^. 

Après  avoir  employé  l'influence  religieuse,  les  ministres 
espagnols  tentèrent  la  voie  de  la  corruption.  Le  22  juin,  le 
lendemam  de  leiur  nouvelle  proposition,  ils  firent  distribuer 
entre  les  trois  chambres  une  somme  de  8,000  écus  ou 

'  Leilolle,  Suf  plëmenl,  p.  154  B. 

*  RegMire  du  tiert,  acle*  de  Panemblëe,  lexlt  de  la  proposition  dm 
EtpogBoU  et  da  discourt  du  lécat,  p.  tt6-t90;  du  clergrf,  p.  816^:  do 
la  ooUesse,  p.  654.  —  Lestoile,  p.  147  B.  ^  VUleroy,  ApoL  «t  dise, 
p.  106  B. 


198 


HISTOIRE  DU  RÈGNK  DE  HENRI  IV. 


Esame« 

•(rei«t  4e  la 
Iroisiàne   pro* 

potîtion 
det  Espagnols. 


24,000  livres  de  ce  tempfMà  K  Us  renonçaient  ainsi  au  sys- 
tème absolu  de  leur  maître  de  ne  rien  donner  qu^après  le  ser- 
vice rendu.  Mais  la  somme  quMls  livraient  était  tellement 
au-dessous  des  prétentions  et  des  espérances  des  députés 
qu^ils  n*en  acquirent  pas  un  aux  nouveaux  projets  de  Phi* 
lippe  II.  Les  députés  trouvaient  que  pour  la  quantité  d'argent 
qu'ils  recevaient,  ils  en  avaient  assez  fait  en  votant  rélectioD 
et  la  possibilité  pour  Tinfante  de  partager  le  trône.  On  es- 
saya d'abord  de  sauver  leur  misérable  bonncur  en  publiant 
que  l'argent  sortait  des  mains  de  Mayenne  ;  mais  on  décou* 
vrit  bientôt  la  véritable  provenance,  et  personne  ne  put  plus 
la  révoquer  en  doute,  quand  quelques  députés  restés  purs  et 
dignes,  tels  que  Tbielementet  Du  Vair,  eurentenvoyé  publique- 
ment la  part  qui  leur  revenait  à  l'Hôtel-Dieu  de  Paris  pour 
nourrir  les  pauvres  ^,  L'éclat  vint  donc  s'ajouter  à  la  honte 
de  l'action.  Les  États,  déjà  décrédltés  par  leur  composition, 
par  leur  petit  nombre,  par  leur  patience  à  recevoir  les  pro- 
positions des  Espagnols,  tombèrent  dès  lors  dans  le  plus  pro- 
fond mépris.  Cette  disposition  des  esprits  aida  merveilleuse- 
ment les  ligueurs  français  dans  le  combat  qu'ils  livrèrent 
quelques  jom-s  plus  tard  au  vole  des  États,  au  principe  de 
l'élection  et  de  l'usurpation. 

L'élection  donnait  des  chances  i  la  royauté  du  fils  de 
Mayenne  et  à  la  prolongation  indéfinie  de  sa  lieutenance  gé- 
nérale :  Mayenne  voulait  donc  que  l'on  travaillât  le  plus 
promptement  possible  à  sqipUqaer  le  principe  de  l'élection, 
fl  voulait  également  faire  la  part  dans  l'élection  k  MiiUppe 
et  à  sa  fille,  pour  avoir  l'appui  du  roi  catliolique  au  lieu  de 
son  hostilité  ;  mais  il  entendait  ne  pas  se  laisser  duper  par  lui. 
Dans  celte  double  disposition,  il  renvoya  l'examen  de  la  troi- 
sîèfiie  proposition  des  Espagnols  à  l'examen  du  conseil  d'État 
et  des  commissaires  des  États,  sous  sa  présidence.  Elle  fut 


■  EnriroB  8S,000  francs  d'au}Oonrhoi.  Voyex  ladistributtoo  Am  Vmr^emi  è 
la  date  du  9t  juin,  dans  le  rrgUtre  du  Uers-etat,  p.  991.  «  Eux  retires,  sur 
m  la  i>roposilion  fatcle  par  MM.  Labeequc  et  Gella  à  ce  quHl  pleuat  A  la 
M  chambre  commettre  de  chascnne  prorince  telles  personnes  qu'elle  ver- 
»  ruit  bon  estre  pour  HUtribuer  les  9,700  esrus  destines  pour  ladicte 
M  chambre,  Langlois,  Remon,  Lebarbier,  ont  este  commis.  »  L'argent  étoii 
/7romi>  drpuis  plusieurs  jours,  comme  le  prouve  lu  kootease  dispute  des 
trois  cbaiobrcs  au  sujet  du  |>arta€e  dans  les  séances  des  11  et  4S  {ttûi  (re« 
giniree  du  tîcr»  et  du  rleiigc',  p.  S49,  S7li,  Wil  ).  Mais  Targent  ne  fut  livre  «t 
distribue  que  le  93  iuia.  

'  Registre  du  tiers,  p.  971,  $$  5,  975. 


TROISliHE  P|10P0$ITI0N  PES  |iSP4GI((;)LS  a^ETKE.      199 

rxainîni^o  dans  )cy  confôrcnce^  qui  curent  lieu  du  23  911 
26  juin.  La  Cliaslre  et  Yilleroy  la  combatUrent  jivec  éucrgjcet 
avec  une  profonde  intelligence.  Les  Espagnols,  disaient-ils, 
demandent  pour  Tin  faute  uiuî  élection  et  une  royautiS  pré- 
sentes, et  n'offrent  qu'un  mariage  futur.  Quand  les  États  au- 
ront fait  rélcction  et  déféré  ki  souveraineté  à  la  lille  du  mi 
d'Espagne,  sous  la  condition  du  mariage,  les  Espagnols  trou- 
veront facilement,  dans  les  deux  mois  qui  suivront,  rocca- 
sion  de  changer  ou  d'ôter  tout  à  fait  la  condition.  Ues  ÉUis 
seront  alors  séparés;  ils  ne  pourront  défendre  leur  décisioMi 
obtenir  une  exécution  conforme  à  leur  vœu  et  h  leur  vote  : 
conséquemment  Tinfante  jouira  seule  du  bénéfice  de  Télec- 
tlon,  et  ne  contractera  pas  le  mariage  promis.  Ccpeiidant  la 
Ligue,  par  le  fait  de  Télection,  se  sera  rendue  iiTéconciliablc 
avec  le  roi  de  Navarre,  les  autres  princes  du  sang,  tout  le 
parti  royal,  et  perdra  tous  ses  autres  moyens  de  salut.  Dès 
lors,  les  Ligueurs  tomberont  à  la  merci  des  Espagnols,  qui  uc 
les  traiteront  plus  en  amis,  mais  en  esclaves.  La  Ch^slrc 
demandait  que,  si  Ton  voulait  enU'er  dans  cette  voie,  on 
contraignit  du  moins  les  Espagnols  à  nommer  sur-le-chuuip 
le  prince  qu'ils  choisiraient  pour  mari  à  Tinfante;  qu'en 
même  temps  on  exigeât  d'eux  ime  armée  et  des  soronu'-s 
suffisantes  pour  appuyer  Télcction  et  protéger  la  Ligue.  Il 
ne  s'en  tint  pas  là  :  il  rappela  à  l'assemblée  que,  quand  méim 
elle  obtiendrait  ces  concessions ,  elle  violerait  encore  la  loi 
salique  et  les  coutumes  du  royaume,  et  il  posa  courageuse- 
ment la   question  si  la  Ligue    ne  trouverait  pas  plus  de 
sâreté  et  d'honneur  à  traiter  avec  le  roi  de  Navarre,  dans  le 
cas  où  il  se  ferait  catholique.  Les  députés  royaux  à  la  con- 
férence de  Surène  essayèrent,  de   leur  côté,  de  traverser 
rélertion  en  écrivant  aux  IJgueurs  ime  lettre  éloquente  dans 
laquelle  ils  leur  démontraient  que  cette  fauile  résolution  doa- 
nerait  un  nouvel  aliment  aux  troubles,  ouvrirait  une  nou- 
velle guerre  civile  dont  personne  ne  verrait  la  fin,  où  les 
])articuliers  perdraient  la  fortune  et  la  vie ,  à  la  fm  de  la- 
quelle l'État  deviendrait  la  proie  de  l'étranger  (2^  juj^)  *. 


'  Appcudkr  no  7  aux  EtuU  de  IS9S.  p.  796-718.  u  Ad  vis  de  H.  de  U 
»  r.liattrf  iiux  K&luUdc  ia  Ligur.  w  Ce  qui  v«*ut  diir  uvis  di>noe  l'wr  H.  de 
I^  Cliatirr  Jau»  i»  ronffrcnce  à  IttqucUc  as^islaieut  Iv*  ruiuniias.tii«*i  des 
Euudc  lu  Ligue.  Il  ne  fwul  |mis  du  tuul  changer  les  dalcs,  comme  le  pio- 


200  HISTOIRE  DD  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

Dans  les  idées  et  jusque  dans  les  expressions,  Us  se  rencon- 
traient avec  Du  Vair  et  le  petit  nombre  d*opposants  vertueux 
que  renfermaient  les  États  de  la  Ligue. 

G^était  la  France  elle-même,  c'était  la  patrie  en  danger,  qui 
parla  voix  des  royaux  et  des  ligueurs  honnêtes  à  la  fois,  de- 
mandait grâce  h  Mayenne ,  le  suppliait  de  meure  fin  à  ses 
souffrances  et  à  ses  périls,  en  traitant  avec  Henri,  à  des  con- 
ditions également  honorables  et  avantageuses  pour  lui.  Mais 
Mayenne  était  parfaitement  incapable  de  prêter  Toreilie  à 
leurs  généreuses  prières  :  il  n'avait  aucune  grandeur  d'âme, 
et  il  était  perdu  d'une  ambition  vulgaire  et  obstinée  qui  ne 
savait  céder  ni  à  une  pensée  généreuse,  ni  même  aux  conseils 
de  son  intérêt  bien  entendu.  Sa  seule  pensée,  son  unique 
but  restaient  de  contraindre  les  Espagnols  à  partager  la  sou- 
veraineté avec  son  fils  et  avec  lui.  Il  repoussa  donc  les  con- 
seils de  La  GhasUre ,  et  fit  rejeter  toutes  les  ouvertures  des 
royaux.  Il  fit  adopter  par  le  conseil  et  les  commissaires  des 
ÎTiE^ei* *•'     ^^^»  ^1  porter  aux  Espagnols  le  26  juin,  la  proposition  sui- 
■rr/tëe        vautc  :  Lcs  États  et  le  lieutenant  général  remettront  par  pro- 
'*î2iè«*Mr'*"  cur^^ion  tous  leurs  pouvoirs  à  des  représentants  qui  se  ren- 
ia EspagaoU.    drout  en  Espagne  ;   Philippe  leur  désignera  sur-le-champ 
parmi  les  princes  français  celui  qu'il  voudra  choisir  pour  le 
mari  de  l'infante  ;  le  mariage  sera  conclu  ;  les  représentants 
déclareront  alors,  mais  alors  seulement,  le  prince  choisi  et 
l'infante  rois  en  commun.  Par  ces  précautions,  Mayenne  et 
ses  conseillers  échappaient  au  danger  d'être  trompés  i)<ir  les 
Espagnols,  puisque  l'infante  n'arrivait  au  trône  qu'au  moment 
où  le  prince  français  y  montait  lui-inêiiic.  Les  ministres  es- 
pagnols  ne  rougû-ent  pas  de  repousser  cette  offre,  et  par  leur 
refus  dévoilèrent  leur  insigne  mauvaise  foi  et  la  fourberie  de 
leur   maître.    Mayenne  assembla  les  États  le   lendemain, 
27  juin,  et  usant  de  l'ascendant  qu'il  avait  sur  eux,  il  leur 
fit  adopter  en  principe  la  décision  déjà  prise  par  leurs  com- 
missakes  et  par  le  conseil  d'État,  à  savoir  que  l'élection  et  le 

poM  IL  Bernard.  -^  VUleroy,  Apol.  et  discours,  p.  907  A.  —  Lctlie  des 
dépotés  royalistes,  lue  dons  la  conférence  où  siogesiient  Mayenne  vi  les 
commissaires  des  Ktuts,  \e  44  iuin.  (Regist.  du  clergé,  p.  biO-bôl),  aux  pages 
034,535,  les  dangers  de  Téleclion  sont  mis  dans  tout  leur  jour).  —  Regtjl. 
da  tiers,  i  la  date  du  97  juin,  où  se  troure  rappelé  ce  qui  s'est  Tuit  tous  \c* 
lonra  précédents  dans  la  conrérence  des  ligueurs,  p.  992-995  ;  regist.  de  la 
ooblesM,  p.  <S34-«36.  —  P.  Cayet,  1.  V,  p.  484-4S9. 


COMBINAISON  DE  MAYENNE,  REFUS  DES  ESPAGNOLS.      201 

mariage  seraient  ajournés  josqu^à  ce  que  Ton  fût  tombé 
d'accord  des  conditions  avec  les  ministres  du  roi  d*Es|>agne. 
Bien  que  la  décision  n'ait  été  signifiée  par  écrit  aux  Espagnols 
que  cinq  jours  plus  tard,  Tassentiment  des  États  lui  fut  acquis 
dès  le  27  juin  ^ 

La  question  de  l'élection  et  de  la  royauté  nouvelle  n'était 
ajournée  que  par  la  querelle  entre  PhÙippe  II,  qui  voulait 
tout  avoir  par  force  ou  par  ruse,  et  Mayenne,  qui  prétendait 
partager  avec  lui.  Aussitôt  qu'ils  se  seraient  mis  d'accord,  la 
question  devait  être  reprise,  et  les  btats  procéder  h  l'élection, 
dans  l'esprit  du  vole  du  20  juin,  et  avec  ses  incalculables  consé- 
quences. L'élection  était  favorisée  par  la  présence  des  quatre 
mille  Espagnols,  qui  continuaient  à  tenir  garnison  dans  Parb  ; 
par  l'appui  des  Seize ,  qui  avaient  cessé  d'être  pouvoir  poli- 
tique, mais  qui  restaient  nombreux  et  redoutables  ;  par  l'au- 
torité du  lieutenant-général  Mayenne.  Avec  un  roi  élu  par 
les  États  et  soutenu  par  une  sorte  de  légalité  attachée  à  leur 
vote,  la  Ligue  aurait  un  dief  plus  autorisé  et  plus  obéi,  une 
unité  et  une  force  de  commandement  dont  elle  avait  man- 
qué jusqu'alors.  Si  le  roi  d'Espagne  accédait  enûn  à  la 
nouvelle  combinaison,  il  devait  prodiguer  ses  forces  pour 
consolider  le  trône  de  sa  fille.  En  ce  moment,  il  est  vrai, 
l'épuisement  du  roi  catliolique  était  extrême,  puisqu'il  ne 
disposait  que  d'une  seule  armée,  et  si  faible,  qu'elle  ne  pouvait 
tenir  la  campagne  en  France  :  mais  il  était  facile  de  pré  voir  que, 
dans  un  laps  de  temps  donné,  le  souverain  d'une  si  vaste  mo- 
narchie retrouverait  quelque  part  de  l'argent  et  des  troupes.  Les 
dangers  dans  lesquels  il  jeta  la  France  de  1595  à  1597,  après 
que  Henri  eut  détruit  la  LJgue  et  l'eut  ralliée  à  lui,  monti*ent 
ce  qu'il  eût  pu  faire,  à  la  lin  de  1593  et  en  1596«  avec  un  roi 
élu  et  la  Ligue  encore  debout.  Ces  i)érils ,  si  grands  qu'ils 
fussent,  n'étaient  pas  les  plus  sérieux  dqnt  Henri  fût  assailli. 
11  courait  risque  de  voir  une  partie  d&s  catholiques  royaux, 
qui  depuis  son  avènement  avaient  suivi  son  drapeau,  passer 
sous  celui  du  roi  que  les  États  éliraienL  La  lettre  des  députés 
royaux  ù  la  conférence  de  Surêne  expose  une  partie  de  celte 
situation  si  tendue,  si  alarmante;    la  correspondance  de 

*  Villcroy.  Apol.  el  dUc,  t.  xi,  p.  SOG  R.  —  Opiiiiou  de  La  Chaslie, 
Appesdice  Tll  uus  États,  p.  73S-7S4.  —  Registre  du  tiers,  p.  9M,  895, 
sot,  SOS  i  du  dersé,  p.  541-544;  do  la  noblesse,  p.  6?(>. 


202  HISTOIHE  DV  lM^GIÏ£  P£  HENRI  |V, 

Henri  IV  avec  ses  alliés  d'AUiepiagne  et  de  Ilollaïuia  à  la  dale 
du  20  juin,  dévoile  le  reste,  «  lie  roi  d*Ëspjigne,  dit-41,  con- 
u  tinuant  toujours  ses  pratiques  et  desseins,  a  pu  faire  tenir 
»  une  forme  d'États  dans  Paris  ppur  faire  procéder  &  rékjctioq 
»  de  sa  fille  ou  de  quelque  prince  qui  fût  à  sa  disposition.  Ce 
»  que  j'ai  jugé  si  pernicieux  pour  le  bien  de  mon  f'ta^elde 
j»  ceux  qui  sont  conjoints  en  ma  cause,  que  j'ai  estimé  à  pro- 
y  pos  de  convoquer  une  notable  assemblée.  Je  ne  doute  i)as 
s  que  la  suite  des  affaires  et  les  efforts  que  les  ennemis  font 
j»  tous  les  jours  de  nouveau  ne  vous  fassent  appréhender 
»  quelque  sinistre  accident  en  mon  royaume ,  n'étant  plus 
»  possible  que  les  choses  puissent  subsister  d'une  ni  d'autre 
»  part,  sans  quelque  nouveau  changement.  Je  vous  puis  bien 
H  assurer  que  l'assemblée  de  Paris  a  tellement  avancé  l'élec- 
»  lion  d'un  nouveau  roi,  qu'elle  semble  du  tout  inévitable, 
9  ians  un  extrême  remède^  et  que  la  longueur  de  la  guerre 
•»  et  les  ruines  qui  la  suivent  ordinairement  ont  formé  tant 
»  d'opinions  dans  l'esprit  de  ceux  qui  jusqu^ici  ont  persisté 
»  dans  mon  obéissancCf  que  je  ne  puis  attendre  que  de  per^ 
»  niciewB  effets.  Snir  quoi  j'ai  bien  voulu  envoyer  vers  vous 
»  le  sieur  de  Morlans,  pour  vous  faire  entendre  les  extré- 
»  mités  auooquelles  mes  affaires  sont  réduites  *.  »  Et  Henri 
évidemment  était  contraint  de  cacher  une  partie  de  sa  pensée 
et  de  ses  justes  craintes,  pour  ne  pas  jeter  le  découragement 
parmi  ses  alliés  et  ne  pas  pousser  lui-même  à  ce  qu'ils  l'aban- 
donnassent 

La  fYance  était  donc  arrivée  k  Tun  de  ces  moments  qui 
décideni  du  sort  d'une  nation.  Il  y  avait  deux  choses  princi- 
pales k  faire  pour  l'empêcher  de  glisser  dans  l'abtme  ouvert 
près  d'elle  :  épouvanter  les  peuples  de  la  Ligue  et  accroître 
leurs  souffrances  par  de  nouveaux  succbs  et  de  plus  âpres 
Incursions,  afm  de  les  contraindre  k  se  jeter  entre  les  bras 
du  roi  ;  les  attirer  an  même  temps  d'une  mani^re  puissante 
par  sa  conversion  au  catholicisme.  Cette  partie  de  la  grande 
lAcfae  regardait  Henri ,  et  il  avait  déjà  commencé  à  l'accom- 
plir par  son  engagement  solennel  du  26  avril  et  du  17  mai  au 
sujet  de  la  religion  '.  Arrêter  par  des  actes  d'opposition,  qui  y 

'  Loilres  nÙM..  90  iuiu.  au  UadgraTS  de  Htiic  el  mis  proTÎucfS  unies 
dM  Piiy«-Bui,  t.  ui,  p.  SUS-SOT.  Koui  o^ptoo*  cbansè  que  rorUiogr«i|ib«« 
•  Vojct  ci^e«»as  p.  176, 177, 1S5,  iSS. 


DANG£aS  DE  LA  FftANCB.  208 

fisëeni  ua  obstacle  sérieux,  Télection  du  roi  ;  donoer  le  temps 
k  Henri  d'arriver  sans  compétiteur  jusqu*au  moment  de  Tab* 
juration,  laquelle  ne  pouvait  avoir  lieu  avant  le  milieu  du 
mois  de  juillet,  puisque  les  sei^eura  des  deux  partis  n'étaient 
convoqués  que  pour  cette  époque  ;  telles  étaient  les  obliga* 
tions  politiques  qui  incombaient  à  la  Ligue  française,  au  par^ 
lement  et  à  la  iwurgeoisie  de  Paris  et  des  provinces,  aux 
députés  de  TopposiUon  nationale  dans  les  États  de  la  Ligue, 
Ni  le  roi,  ni  la  Ligue  française  ne  faillirenl  aux  pénibles  de* 
voirs  que  leur  imposait  la  France,  dans  les  redoutables  cir*' 
constances  où  elle  était  jetée. 

l\>ur  se  rendre  un  compte  exact  de  ce  que  pouvaient  ou  ^  ^^^  ''•"- 
ne  pouvaient  pas  la  Ligue  française  et  le  roi,  et  des  cinum*     roruse  :  •«• 
stances,  au  milieu  desquelles  il  leur  était  donné  de  se  mou-         **^^ 
voir  et  d'agir,  il  faut  remonter  à  un  mois  et  tracer  le  résumé 
des  événements  accomplis  dans  ce  laps  de  temps.  A  peine 
connut-on  k  l^ris  la  déclaration  solennelle  faite  le  i7  mai  par 
les  députés  royaux  à  la  conférence  de  Surène,  la  grande  cou* 
cession  de  Henri  au  sujet  de  la  religion  qui  renversait  la  barr 
riî'rc  entre  lui  et  ses  sujets  catholiques,  les  offres  de  trêve  H 
de  paix  qu'il  y  joignait,  que  les  politiques  et  la  Ligue  fra»f 
raise  à  I^ris  firent  chaque  jour  quelque  effort  et  quelque  dé- 
monstration pour  lui  soumettre  la  ville  et  tout  leur  parti, 
sortir  de  leurs  misères,  décider  une  réconciliation,  mettre  it 
royaume  à  Tabri  des  attaques  de  PEspagnol.  Une  première 
députation  de  cent  vingt  bourgeois,  le  prévôt  des  marchands 
en  télé,  se  rendit  chez  le  gouverneur  de  Paris,  le  pria  de  les 
introduire  auprès  du  duc  de  Mayenne,  et  de  les  mettre  en 
demeure  de  lui  demander  la  paix,  aujoutant  que  leur  requéie 
ïierait  signée  au  l>esoin  par  dix  mille  bourgeois  (37  mai).  Le 
lendemain,  les  colonels  I^ssart  et  Marchand  parièrwt  de 
faire  des  barricades.  Quatre  jours  plus  lard ,  une  cochée  de 
prédicateurs  opposés  à  la  paix,  parmi  lesquels  on  remarquait 
Boucher,  traversant  le  pont  Notre-Dame,  Durent  accueillis  par 
les  insultes  et  les  huées  du  peuple.  Bientôt  les  citoyens  sans 
distinction  de  classes  crièrent  tout  haut  dans  les  rues  qu'il 
fallait  tuer  ou  noyer  les  évéques  députés  aux  Ëtats,  tous  les 
prêtres  qui  empédiaient  que  l'on  lit  la  trêve  et  la  paix  >  et 
qui  causaient  ainsi  la  ruine  du  peuple  (1  i,  13  jttiB)#  Ces  wèr 


20/|  HISTOIRE   DU   RÈGNE  DE   HENRI   IV. 

nifestations  ayant  effrayé  Mayenne  et  Payant  contraint  à  por- 
ter  la  proposition  de  la  trêve  au  conseil  d'État  et  aux  États* 
généraux,  pour  tromper  et  calmer  le  peuple  par  le  faux  sem- 
blant d'intentions  pacifiques,  le  légat  résolut  de  la  traverser 
de  tout  son  pouvoir  dans  les  chambres.  Mais  les  dangers 
de  cette  démarche  étaient  tels  qu'il  se  retira  au  monastère  de 
Saint-Martin  des  Champs,  le  remplit  de  soldats  et  le  conver- 
tit en  citadelle  :  n'osant  traverser  la  ville  pour  se  rendre  aux 
États,  il  leur  fit  connaître  ses  intentions  par  une  lettre  qu'il 
leur  adressa.  Les  bouchers  disaient  que  s'il  s'avisait  de  s'op- 
poser à  la  trêve,  ils  savaient  bien  comment  il  fallait  mettre  la 
main  au  sang  et  écorcher  les  veaux  tels  que  lui  ^  Ces  violences, 
ces  sanguinaires  menaces  prouvaient  combien  le  peuple  avait 
déposé  tout  respect  pour  les  hommes  qu'il  avait  vénérés  si 
longtemps;  avec  quelle  force  il  se  retournait  maintenant 
contre  ceux  auxquels  il  avait  aveuglément  obéi  ;  quel  appui 
la  Ligne  française  pouvait,  à  un  jour  donné ,  trouver  dans 
son  redoutable  concours.  Les  événements  qui  suivirent  ajou- 
tèrent encore  à  son  irritation  contre  Mayenne  et  contre  tons 
les  meneurs  nationaux  et  étrangers  de  la  Ligue.  Le  duc,  hos- 
tile à  la  paix,  se  prélait  à  la  trêve  pour  deux  raisons,  il  ne 
pouvait  ni  rassembler  lui-même  une  armée ,  ni  en  obtenir 
une  en  ce  moment  du  roi  d'Espagne.  En  second  lieu,  il  vou- 
lait calmer  le  peuple  et  la  bourgeoisie,  qu'il  voyait  passionnés 
pour  un  accommodement.  Il  favorisa  donc  la  proposition  de 


*  Lestoile,  RegliL  iourn.  de  Henri  IV,  p.  lôG  A,  137  A,  138  A,  114  A,  B. 
—  Regitt.  du  clergé  pour  le  tl  juin,  p.  fi06,  507.  «  Les  députes  des  trois 
m  ordres  ont  ckorge  de  remonttrer  a  AI.  de  Blayeuue  que  nos  ereMines  cl 
»  autres  personnes  ecclésiastiques  i^esloient  plaints  en  relie  assemblée  que 
»  quelques  personnes  leur  aToieut  usé  de  paroles  fort  inralentes  et  de  roe» 
•  naces,  et  estoient  adrcrtis  de  plusieurs  endroits  que  Ton  faisolt  le  sens- 
»  blable  À  plusieurs  autres,  avec  propos  fort  scandaleux  quMl  falluit  tuer 
»  ou  Boyer  tous  les  prestres  qui  cmpescboient  que  l'on  no  fist  la  trèvo  on 
m  la  paix,  et  causoient  par  ce  moyeu  la  ruyne  du  peuple,  i»  —  M.  de  Sis- 
mondi,  Htsl.  des  Français,  I.  xxi,  p.  187,  prétend  que  les  bouchers  de 
Paris  éUtent  de  forcenés  ligueurs  et  de  grands  partisans  de  Philip|>e  II. 
D'après  le  propos  et  la  menace  contre  le  légat  que  nous  rappelons  dans  le 
texia,  diaprés  les  injures  que  leur  prodigue  Boucher  (Lestuile,  p.  144  B, 
146  A),  on  Tuitque  le*  bouchers  étaient,  au  contraire,  de  terribles  politi- 
ques et  ligueurs  français.  Nous  aronseu  occasion  prccodcmmcut  de  signaler 
Tarreur  répétée  vingt  fois  dans  une  moderne  histoire  de  la  Ligue  et  du 
règne  de  Henri  IV,  où  l'on  affirme  que  le  peuple  des  hblU'S  devait  être 
rancé  dans  la  classe  des  exaltcK  ligueurs,  tandis  qu'en  téalité  le  peuple  des 
haltes  et  lear  curé  éuient  politiques  et  prononcés  pour  le  rot.  Dans  las 
histoires  modernes  de  Henri  IV  et  de  sou  règue,  tes  erreurs  et  les  omis- 
•iooa  foormillent  et  s'étandent,  comme  on  le  voit,  aux  moindres  détaili* 


LUTTE  DE  LA  LIGUE  PRANÇAISE  CONTRE  MAYENNE.      305 

la  trêve  dans  les  chambres  de  la  noblesse  et  du  tiers,  qui  la 
votèrent.  Mais  sur  le  rejet  de  la  chambre  du  clergé  et  sur 
Topposition  du  légat,  il  flt  déclarer  par  le  conseil  d'État  qu'il 
y  avait  lieu  d'ajourner  la  trêve  (1/i,  i5  juin).  Déjà  en  guerre 
avec  Philippe  II,  il  ne  voulait  pas  se  donner  encore  pour  en- 
nemis une  des  chambres  des  États,  le  clergé,  le  légat.  11  trou- 
vait que  c'était  acheter  trop  cher  la  faveur  des  Parisiens,  il 
essaya  seulement  de  se  décharger  de  l'odieux  de  la  continuation 
des  hostilités  en  arguant  de  son  respect  pour  le  clergé  et  pour  le 
Saint-Siège.  Il  n'y  réussit  pas;  le  peuple  prétendaitque  Mayenne, 
maître  de  la  paix  et  de  la  guerre  en  sa  qualité  de  lieutenant 
général,  et  autorisé  de  plus  par  le  vote  de  deux  des  trois 
chambres,  avait  doublement  le  pouvoir  d'entrer  en  accom- 
modement avec  le  parti  contraire,  et  il  s'attacha  opiniâtrement 
à  lui  pour  lui  arracher  la  conclusion  de  la  trêve.  La  nouvelle 
de  la  détermhiation  prise  par  le  conseil  d'État  s'étant  répan- 
due dans  la  ville,  l'agitation  fut  portée  au  comble.  Deux  ou 
trois  cents  bourgeois  se  rendirent  d'abord  à  l'hOtel  de  ville, 
et  ensuite  auprès  de  Mayenne,  réclamant  avec  énergie  l'ac^ 
ceptation  et  la  publication  de  la  trêve,  se  prenant  de  querelle 
avec  les  Seize,. j[es  hijurlant,  les  réduisant  au  silence  et  à  la 
retraite.  Au  palais  on  se  passait  de  main  en  main  des  vers 
où  l'on  demandait  la  tête  du  légat  Le  16,  ce  prélat  s'étant 
rendu  chez  le  duc  de  Mayenne,  le  peuple  qui  se  trouva  sur 
son  passage  ne  le  salua  point,  et  lui  tourna  le  dos  quand  fl 
voulut  lui  donner  sa  bénédiction  ;  il  insulta  le  duc  de  Féria 
de  gestes  et  de  paroles.  La  bourgeoisie  et  le  peuple  étendaient 
ainsi  leur  haine  et  leur  indignation  à  tous  les  opposants  à  la 
trêve.  C'était  chaque  jour  h  Paris  une  demi-sédition.  Les  dis- 
positions étaient  pareilles  dans  une  partie  des  grandes  villes 
de  la  Ligue:  ainsi,  le  15  juin,  huit  cents  bourgeois  d'Orléans 
envoyaient  lem*  procuration  à  La  Ghastre,  leur  gouverneur  et 
l'un  de  leurs  députés,  pour  qu'il  demandât  en  leur  nom  et  en 
pleins  États  la  trêve  et  quelques  soulagements  &  leurs  maux, 
protestant  que  s'ils  ne  l'obtenaient,  ils  traiteraient  en  parti- 
culier avec  le  roi  ^ 
Les  politiques  et  la  Ligue  française  avaient  fait  leur  devoir, 

*  DclibëraUons  det  ÉteU  et  te&le  de  U  lettre  da  le'gat,  regbU  do  U«n, 
p.  «0-909,  S74;  regbt.  dn  dergé,  p.  516^i0:  de  U  nob.lesfe,  p.  <»7  StO. 
—  Manuscrit  T',  cité  en  noie  aux  p«sc*  ^^^  ^0,  dei  Etata-f  éndranz  de 


206  ntSTOIttC  DU  RlsGlfE  DE  HKNRl  IV. 

en  prenant  cette  hostfle  attitude  h  regard  de  Mayenne ,  du 
légat,  des  Espagnols,  et  en  préparant  tout  pour  leur  livrer 
bientôt  un  combat  h  outrance.  Le  roi,  de  son  côté,  devait  se 
ménager  à  la  guerre  des  avantages  décisifs  sur  ses  ennemis, 
avant  que  Ffiilippe  fût  sorti  de  ses  embarras  et  de  son  épui- 
sement :  il  devait  se  servir  des  succès  mêmes  obtenus  par 
ses  armes  pour  communiquer  une  nouvelle  force  et  une  nou- 
velle assurance  à  ses  partisans  dans  I^rls  et  dans  les  grandes 
villes  de  la  Ligue.  Henri  ne  laissa  pas  échapper  cette  occasion 
fkvorable,  mais  fugitive,  ce  moment  qu*il  fallait  saisir  au 
passage,  sous  peine  de  le  perdre  sans  retour. 
Pendant  que  Philippe  et  Mayenne  en  étalent  tous  deux 
J^i^      B^^  expédients,  Henri  avait  en  Thabileté  de  se  procurer  chez 

'^^^a^r"*'  ''<t**ttK«r  l'argent  qu'il  ne  trouvait  plus  dans  son  royaume, 
°  dLn«°"*     et  de  se  donner  ce  nerf  de  la  guerre,  ce  principe  de  tous  les 

les  proTioces.  succès  :  scul  des  troîs  compétiteurs  à  la  couronne,  il  conser- 
vait une  armée  capable  de  tenir  la  campagne  sur  le  théâtre 
des  événements.  Au  mois  d'avril  précédent,  il  avait  conclu 
avec  le  duc  de  Toscane  un  emprunt  qui  lui  assurait  la  solde 
do  5,000  Suisses,  pour  un  an,  et  200,000  écns  comptants 
pour  payer  ses  soldats  français  !  à  ces  troupes  régulières 
il  joignit  bon  nombre  &e  volontaires  de  la  noblesse  avec  les 
détachements  qu'ils  lui  amenèrent,  et  il  se  vit  alors  à  la  tête 
de  forces  considérables  ^  H  disposait  de  ces  ressources  au 
mois  de  juin,  et  il  en  fit  l'usage  le  plus  intelligent  et  le  plus 
décisif,  dès  qu'il  eut  reçu,  le  3  juin,  la  réponse  des  États 
qui  repoussaient  ses  propositions  de  conversion  et  de  trêve. 
.Son  plan  fut  de  resserrer  partout  les  grandes  villes  de  la 
Ligtie,  et  de  leur  faire  essuyer  les  rigueurs  de  la  guerre 
d*une  maniée  plus  sensible  et  plus  poignante.  Il  avait  déjà 
intercepté  toutes  les  provisions  que  le  cours  de  la  Marne 

IS9S.  —  Lesloilc,  p.  144-1 46.  —  l^grain  décade,  I.  V,  p.  9S3.  Il  rapporte 
lt%  rm  qui  conralent  ou  palais  contre  le  lëgat  : 

Le  lént  fait  gaerre  A  la  trère. 
Le  trêve  fait  guerre  aa  légat  : 
Si  ToQ  coupait  sa  tetle  en  Grère 
Ce  teroit  un  b«au  coup  d^EsIeL 

'  Lcltrci  tnîssiyes,  I.  Ili«  p.  764.— Lettre  an  grand-duc  de  Toscane,  du  96 
avril  4593.  «  U  (Goody)  vous  dira  que  me  fuisaut  ce  plaisir  de  m'arcom- 
•  iMNler  de  deux  cent  mille  escus  comptant,  oultre  In  levée  et  «nlretme- 
n  ment  des  dicta  Suiaiet...  Par  ce  moyen»  je  ponn-ay  rcfluin*  It  ville  d<* 
M  Paria  m  ai  brief  temps  qnVn  aaret  grand  contentement,  romme  plus 
»  particulièrement  vous  apprendras  du  sieur  de  Gondy.  a 


PRISE  DE  mtVX.  SUCCÈS  tiES  LlfiOTfcflAUTS  DU  ROI.   207 

apposait  k  t%ri9,  eti  hAtissant  le  fort  de  Gonrnay.  Le  8  Juin, 
il  commença  le  ^iége  de  Dreat,  Tille  dti  pays  chartrain,  alors 
d'nne  extrême  importance,  comme  étant  Tentrepôt  principal 
des  Yitres  qne  Paris  pouvait  encore  recevoir  du  côté  du 
midi.  11  étendit  ett  même  temps  aux  provinces  ces  moyens 
de  coercition^  U  ordontia  ft  Longneville  et  à  Bouillon  de 
rassembler  un  corps  d'armée  en  Thléraclie  pour  presser 
les  liseurs  de  Picardie,  en  même  temps  que  pour  faire  tête 
aux  Espagnols  s'ils  tentaient  de  rentrer  en  France.  Il  fit 
commencer  par  ses  lieutenants  le  blocus  de  Polders.  Cepen- 
dant, continuant  de  Joindre  la  conclUatlon  5  la  force,  et  dé 
tendre  les  bras  à  son  peuple,  il  confirmait  rengagement  d'ab- 
jurer, et  offrait  incessamment  une  trêve  générale  par  Pinter- 
médiaire  de  ses  députés  h  la  conférence  de  Surènel.  Après 
avoir  poussé  les  travaux  du  siège  de  Dreux  avec  une  telle 
ardeur,  qu'en  une  circonstance  il  p.issa  deux  Jours  et  deux 
nuits  sans  dormir,  il  prit  la  ville  le  19  juin.  La  tour  Grise  et 
le  château  résistaient  encore,  mais  il  les  pressait  avec  viguêuri 
et  l'on  prévoyait  déjà  le  moment  où  fis  seraient  contraints 
de  se  rendre.  Mansfeld,  qui  aToit  amené  des  Pays-Bas  Un 
corps  d'armée,  n'osa  jamais  franchir  la  fronlièrc  de  Picardie, 
et  se  retira  précipitamment  sur  la  nouvelle  que  le  roi  mar- 
chait à  sa  rencontre.  Henri  fut  dès  lors  en  mesure  de  tout 
entreprendre  contre  Paris,  et  poussa,  le  26  Juin,  des  partis 
jusque  sous  les  murs  de  la  ville.  Dans  les  provinces,  ses 
lieutenants  obtinrent  divers  avantages  :  Lesdiguières  défit  les 
Savoyards  et  les  Espagnols  dans  la  vallée  d'Otdx,  avec  une 
perte  pour  eux  de  600  hommes  et  de  leurs  deux  chefs  ;  les 
royaux  qui  bloquaient  Poitiers  firent  essuyer  un  autre  échec 
aux  ligueurs  et  à  Brissac  qui  les  commandait  *i 
Ces  succès  du  roi  et  de  ses  lieutenants  réagirent  dHine 

*  Pour  Drens  et  les  rUles  de  Piraidie,  LeUres  mis*,  aa  due  de  Nevert, 
en  date  du  9  iuiti;  au  duc  d'E|MTrnoD,  en  date  du  tO  juin,  t.  ill,  p.  TtR, 
794^  801.  —  Pour  PotUtH  t  Letlre  de  Daplessis  À  Busental ,  dd  18  {ttlB 
t.  T,  p.  460.  *c  Nous  kommes  tcdus  a  bloquer  Poiliert.  »  —  Lctlre  ntiias. 
k  la  date  du  Su  |uîn,  où  est  relate  un  échec  cstuyé  par  le  ligueur  Bristiac, 
t.  m,  p.  809.  —  Pour  rengagement  d^abiurer  pruchainemeiii,  iHiret  mii- 
lircs  au  marquis  de  Pisani ,  à  Henôist,  curé  «le  Suirtl-EusUche,  à  d'Efternon, 
de»  9  et  10  iuin,  t.  m,  p.  788-791,  798,  800,  801. 

*  Thuanus.  I.  107,  t  ▼.  p.  S79-S8I.  —  Lettn-s  mifts.  des  15  0,  98 
juin,  t.  m,  p.  801,  M)9-81t.  —  SuUy,  OEcon.  loy.  c.  4U,  1. 1,  p.  )ISB  — 
teUre  des  U(?putés  k-uyuuk  ft  la  conférence  di*  Su  rêne,  en  date  du  tS  juin, 
indiquant  la  priae  de  Dreut  comme  un  Tait  accompli.  (Regist.  du  clergé, 
|i.  Sôti.) 


208  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

manière  paissante  et  heureuse  sur  la  situation,  et  donnèrent 
aux  politiques  et  aux  ligueurs  français  de  tous  ordres,  clergé, 
hommes  politiques,  chambre  de  la  nc^lesse  dans  les  Ëlats, 
parlement  de  Paris,  les  moyens  et  le  courage  de  s^opposer  à 
l'élection  d'un  roi  et  de  conjurer  ce  grand  danger  public. 

La  portion  du  clergé  de  Paris  restée  fidèle  aux  doctrines 
gallicanes  et  à  la  cause  nationale,  les  curés  de  Saint-Eus- 
tache,  de  Saint-Merri,  de  Saint-Sulpice,  Guincestre,  nouvel- 
lement converti  à  ces  principes,  prêchaient  hardiment  la 
paix  et  la  ^umission  au  roi,  s'il  se  faisait  catholique.  Le  curé 
de  Saint-Sulpice  en  particulier,  prenant  à  partie  ceux  qui 
accusaient  d'hypocrisie  la  conversion  de  ce  prince,  dit  que 
Dieu  seul  sondait  les  cœurs  et  les  consciences,  et  qu'il  fallait 
être  bien  hardi  pour  se  substituer  à  lui  (27  juin).  Cette  pro- 
testation en  faveur  des  droits  de  Henri  avait  lieu  en  face  des 
propositions  faites  chez  le  légat  en  faveur  de  l'infante  et  d'un 
prince,  lorrain  '.  Villeroy,  l'homme  d'État  et  le  négociateur 
de  la  Ligue  française,  avait  sans  cesse  travaillé,  depuis  1589, 
à  obtenir  du  roi  qu'il  afcyurât,  et  de  Mayenne  qu'il  traitât 
Son  programme  était  :  la  royauté  catholique,  la  légitimité 
des  Bourbons  et  la  résistance  à  l'Espagnol,   il  s'y  montra 
fidèle  dans  les  graves  circonstances  où  l'on  était  arrivé.  Dès 
qu'il  se  vit  hors  d'état  de  traverser  les  préludes  sérieux  d'un 
accord  entre  Mayenne  et  Piiilippe  H  au  sujet  de  la  couronne, 
il  déclara  qu'il  ne  voulait  se  trouver  en  lieu  où  Ton  fît  si 
boii  marclié  des  lois  et  de  l'honneur  de  la  nation,  de  l'indé- 
pendance du  royaume,  et  il  protesta  par  son  départ    11 
quitta  Paris  le  28  juin,  à  quatre  heures  du  matm  :  sa  retraite 
fit  la  plus  grande  sensation,  et  avertit  la  Ligue  française  que 
le  salut  du  pays  était  en  danger^. 
u  Chambre        lies  corps  de  l'ÉUt  montrèrent  le  même  courage,  la  même 
d«  b  ^obicna  f^golution  quc  les  particuliers,  avec  un  degré  d'autorité  plus 
grand.  Éclairée  par  La  aiastre,  la  chambre  de  la  noblesse 
était  revenue  peu  à  peu  sur  son  vole  du  20  juin,  qui  per- 

»  Leston«,  p.  147.  149. 

•  Villeroy.  Apol.  cl  dUc,  l.  Xi.  p.  «7  A.  —  MaDuicrit  T'  cilc  en  noto 
dan*  le  rcgiil.  du  lier»,  p.  «6,  «ÎKJ.  «  M.  de  Villeroy  s'en  alla  à  qaatr«i 
»  henrct  du  malin,  le  lundy  !28  du  mois  de  juin,  et  comme  on  disoit  sans 
m  dire  adieu  ;  ce  qui  donna  à  penser  quM  se  faisott  quelque  chose  contre 
»  les  lois  rondamentales  du  royaume,  parce  qu'il  aToit  tousiours  esté  estime 
m  délirant  le  bien  du  royaume,  u'atlectionnanl  reslranger,  mais  désirant 
»  U  réunion  de  tous  les  bons  François  ensemble.  • 


RÉTRAGTATIOlf  DE  LA  CHAMBRE  DE  LA  NOBLESSE.   209 

mettait  Télcction  de  Hnfante  et  d'un  prince  français.  I^  27« 
la  noblesse  de  Bourgogne  déclara  cpi'elle  voidait  «  ne  point 
1*  opiner  pour  traiter  avec  les  étrangers,  et  que  telle  avait 
»  esté  toujours  son  intention.  »  Le  28,  le  matin,  le  président 
Rabutin-Delavau  alla  trouver  extraordinairement  Mayenne 
et  lui  déclara,  au  sujet  de  l'élection,  «  que  beaucoup  d'entre 
•  eux  disoient  leur  pouvoir  ne  porter  ^  avant  que  d'entrer 
»  en  eslection  d'aucun  prince^  et  nommément  de  faire  eslec- 
»  tion  de  femmes  ;  que  tous  estoient  d'accord  quMls  ne  pou- 
»  voient  donner  leurs  suffrages  à  personnes  à  eux  incognues, 
»  et  soubs  le  choix  de  Sa  Majesté  catholique  ^  »  Par  cette 
déclaration,  la  noblesse  arrêtait  court,  non  seulement  l'usur- 
pation espagnole,  mais  même  l'élection,  mais  même  la  négo- 
ciation entamée  entre  Mayenne  et  Philippe  II,  puisqu'elle 
portait  sur  les  termes  mêmes  dans  lesquels  Mayenne  présen- 
tait en  dernier  lieu  le  traité  au  roi  d'Espagne.  L'opposition 
de  la  noblesse  s'est  éclipsée  et  perdue  dans  des  actes  plus 
trancliés  et  plus  significatifs  que  fit  alors  le  parlement,  mais 
die  mérite  d'être  tirée  de  l'oubli  dans  lequel  elle  est  tombée. 
En  effet,  elle  agit  fortement  sur  l'opinion  publique,  sur  les 
déterminations  de  Mayeime,  et  elle  donna  im  utile  apptii  à 
l'arrêt  même  du  parlement  qui  se  trouvait  ainsi  d'accord 
avec  l'ime  des  chambres  des  États. 

Le  parlement  de  Paris  était  rentré  dans  sa  liberté  à  l'égard    ^  parUaMot 
de  Mayenne  et  des  États  «  et  pleinement  rendu  &  son  rOle       i^BarTét 
de  défenseur  des  lois  du  royaume  et  de  l'indépendance  natio-     ^'*  ^  !"'"• 
nale,  depuis  que  le  vote  des  États,  en  lui  refusant  l'iionneur 
de  former  une  quatrième  chambre,  l'avait  affranclii  à  l'égard 
de  tous  des  ménagements  et  des  capitulations.  Du  23  au 
28  juin,  I^maistre,  Du  Yair,  Mole  parmi  les  politiques.  Ma- 
rillac  parmi  les  semonneux  et  les  zélés  ralliés,  travaillèrent 
activement  à  réimir  les  chambres  du  parlement  et  à  préparer 
les  esprits.  Mayenne  pouvait  traverser  leur  assemblée  et  leur 
résolution  :  ils  échappèrent  à  ce  danger  en  publiant  qu'ils 
ne  s'occuperaient  que  de  la  trêve  à  laquelle  Mayenne  était 
favorable^  Le  lundi  28  juin,  toutes  les  chambres,  assemblées 
depuis  le  matin  jusqu'à  onze  heures,  rendirent  un  arrêt 

•  Ref(«4  **•  *•  noblesse,  p.  636,  657. 
Mémoires  a«,  MeriUac.  L  H,  p.  541  B,  5U  A. 


210  BISTOIRB  DU  RiGNS  DE  HENRI  IV. 

longtemi»  connu  sous  le  nom  d^arrét  du  président  Le- 
maiêtret  parce  que  ce  magistrat,  à  la  fois  député  aux  Étals 
et  membre  du  parlement,  y  prit  une  part  plus  large  et  plus 
active  que  tout  autre>.  L'arrêt  était  conçu  en  ces  termes  : 


Eipliralion 

de  l'arrêt 

dn    {larlenenti 


•  La  eour,  toutes  les  chambres  tMemblées,  n'ayant,  comme 
elle  n'a  jamais  eu,  autre  intention  que  de  maintenir  la  religion 
catholique,  apostolique  et  romaine,  et  TÉtat  et  couronne  de 
France  sous  la  protection  d*un  roi  très  chrétien,  catholique  et 
fhinçois,  a  ordonné  .et  ordonne  que  des  remontrances  seront 
faites  cette  après -dîner,  par  M.  le  président  Lemaistre,  assisté 
d'un  bon  nombre  de  conseillers  de  la  dite  cour,  à  M.  le  duc  de 
Mayenne,  lieutenant  général  de  TÊtat  et  couronne  de  France, 
étant  de  présent  en  cette  ville,  à  ce  que  aucun  traité  ne  se  Tasse 
pour  transférer  la  couronne  en  la  main  de  prince  ou  princetse 
étrangère;  que  les  lois  fondamentales  du  royaume  soient  gardées, 
et  les  arrêts  donnés  par  ladite  cour  pour  la  déclaration  d'un  roi 
catholique  et  françois  exécutés  ;  quMI  ait  &  employer  raotorilé 
qui  lui  est  conOée,  pour  empêcher  que,  sous  le  prétexte  de  la 
religion,  la  couronne  ne  se  transfère  en  main  étrangère,  contre 
les  lois  do  royaume,  et  pourvoir  le  plus  promptement  que  fiiire 
se  pourra  au  repos  do  peuple,  pour  reitrêrae  nécessité  en  laquelle 
il  est  réduit.  Et  néanmoins  dès  à  présentas,  la  dite  cour,  déclaré 
et  déclare  tous  traités  faits  ou  à  faire  à-aprés  pour  Vétahliêse' 
ment  de  prince  ou  princesse  étrangers,  nuls  et  de  nul  effet  et 
valeur,  comme  faits  au  'préjudice  de  la  loi  salique  et  autres  lois 
fondamentales  de  ce  royaume*,  t 

Cet  arrêt  demande  explication,  car  Jusqu'à  présent  il  n'a 
été  qu'imparfaitement  compris.  Il  contient  deux  dispositions 
très  distinctes.  La  première  est  une  résolution  du  parlement 
d'adresser  des  remontrances  à  Mayenne  sur  les  règles  qu'il 
doit  suivre,  sur  les  lois  qu'il  doit  faire  observer  dans  l'éta- 
blissement d'un  roi.  Si  le  parlement  s'arrêtait  là,  il  ne  don- 
nerait qu'un  avertissement  ;  il  n'exercerait  qu'une  autorité 
morale  sur  la  politique  du  moment,  sur  les  grands  événe- 
ments qui  s'accomplissent.  Mais  la  seconde  partie  de  l'arrêt 
du  28  juin  renferme  tme  décision.  Là,  le  parlement  n'exhorte 


■  Lettoile,  p.  i40  B. 

*  Extrait  des  re|;istret  du  parlement  dans  le  registre  du  clergë.^^^ 
ge'Déraax  de  1503,  p.  646-648.  -  Mém.  de  la  Uga«,  1.  V.  f-  <'7l-  >- 
P.  Gayel.  1.  v,  p.  4fV). 


ARRÊT  DU  PARLEMENT  DU  28  JUIN.  311 

plus»  il  agit,  et  agit  souyerainement  :  il  prononce  la  casflatioD» 
Tabrogation  de  certains  actes  légialatlfii  déjà  accomplis,  de 
certaines  mesures  politiques  déjà  adoptées  :  il  rend  son  Auto- 
rité et  son  empire  au  droit  public  ébranlé,  et  Timpose  comme 
règle  suprême  aux  individus  et  aux  corps  politiques.  L'arrél 
proclame  que ,  dans  rétablissement  d'un  roi ,  on  se  confor* 
mcra  à  la  loi  salique  et  aux  lois  fondamentales  du  royaume.  Or 
la  loi  salique,  comme  on  la  comprenait  depuis  le  XIY*  siècle, 
comme  on  Pavait  appliquée  à  Tavénement  des  Valois 
directs,  des  Valois  Orléans,  des  Valois  Angouléme,  loin  de 
permettre  Télection  quand  un  rameau  ou  une  branche  de  la 
famille  royale  venait  à  s'éteindre,  appelait  au  trône  le  prince 
le  plus  rapproché  par  le  sang  du  dernier  roi.  L'arrêt  fnppt 
donc  de  nullité  la  décision  des  États  du  20  juin,  qui  ordon- 
nait l'élection  d'un  roi  K  En  défendant  l'élablissemerU  de 
prince  et  princesse  étrangers,  le  parlement  écarte  clairement 
Philippe  II,  l'infante,  l'archiduc  Ernest,  tous  les  princes  es- 
pagnols  et  autrichiens.  11  donne  aussi  l'exclusion  à  Mayenne, 
à  son  fils,  à  son  neveu  le  jeune  duc  de  Guise.  Ce  sont  deux 
contemporains  versés  dans  le  langage  des  lois  et  dans  la  po- 
litique du  temps ,  de  Thou  et  le  duc  de  Nevers,  qui  nous  ap- 
prennent que  par  le  mot  de  princes  étrangers  l'arrêt  du  par- 
lement atteignait  et  écartait  du  trône  les  princes  de  la  maison 
de  Guise,  parce  que  la  qualification  d'étrangers  s'appliquait  à 
tous  les  princes  qui  n'étaient  pas  du  sang  royal  et  qui  étaient 
Issus  de  maisons  étrangères,  en  supposant  même  qu'ils  fus- 
sent nés  en  France  et  régnicoles^.  L'exclusion  explicite  pro- 


'  «  I.«t  opinioDi  M  portèrent  non  &  remonslrer,  mais  i  casserez  qui  i« 
m/aisoit  aux  Estais  contre  la  loy  «alique.  »  Rien  n*ett  plu  fornel*  et 
c'est  MariUac,  l'un  des  anleurt  de  Tarrèt,  qui  respliqae.  (Mëu.  de  Ma« 
lillac,  t.  XI,  p.  643  B.) 

*  Tbuanus,  l.xcvui ,  $S,  t.  ▼,  p.  ôSO.  «  Ida  reliquiii  senata» paruieasis, 
»  qui  Lulelte  est,  nuper  prononcialam  fuisse.  Decreto  autem  iltt  kalend. 
M  Jul.  làcto  quid  aliud  sibi  eosdem  voluisse?...  Nimlrum  ne  extranei  in 
•  regnum  suce edei eut,  et  nomine  extmneorum  omntt  comprehendùsê 
m  qui  ex  sanguine  regio  projfnati  non  essent^  iicet  in  Gallia  nali, 
m  etiam  bona  ac  foriunas  tn  ea  cottoeassent,  m  —  Discours  que  St  M.  de 
Acvers  dans  son  vojage  à  Rome,  dans  les  Mem.  de  Ncrers,  t.  III,  p.  40U, 
410,  in-fulio.  t  II  ne  se  ponToit  eslire  «n  roy  de  race  pstrangère,  au  préju- 
M  dic<>  des  princes  du  sang.  Trais  héritiers  de  la  couronne.  C'est  ee  que  de 
M  reste  Ir  iwilenient  reste  à  Paris  aToit  faict  cognoistre  par  rinterpréti- 
»  tion  du  mol  d'eslection.  Cela  a  ealé  depuis  confirmé  par  un  autre  arrest 
M  4i4  <M  iuia  dernier,  donné  sur  telle  nomination  de  l'infiinte  et  de  Tarcbi- 
I»  duc  F.niesi,  ei  puis  da  duc  de  Guiae,  in  soUémm»  Il  fust  ordonné  par  le 
M  dict  p«trl«>inenl  qu'il  ne  siMoit  point  esleu  de  prince  estninger,  et  que  lli 


212  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DR  HENRI  IV. 

noDcée  contre  eux  par  ce  mot  de  Parr6t  est  le  complément 
de  rexcloslon  implicite  et  générale  résultant  du  maintien  or- 
donné de  la  loi  salique.  Enfin,  Parrét  attaquant  Tusurpation 
dans  ses  actes  consommés  et  dans  ses  tentatives  à  venir, 
déclare  nuls  et  de  nul  effet  les  traités  entamés  par  Mayenne 
et  par  les  ministres  de  Philippe  II  pour  le  partage  de  la  sou- 
veraineté, et  les  pactes  qu'ils  pourraient  conclure  dans  la 
suite.  En  résumé,  Tarrét  du  parlement  contient  la  revendi- 
cation la  plus  haute,  la  sauvegarde  la  plus  entière  des  droits 
de  la  maison  de  Bourbon  à  la  couronne,  et  en  particulier  des 
droits  de  Henri  IV.  Les  historiens  modernes  n'ont  vu  dans 
cet  acte  célèbre  que  Tappui  donné  à  Tindépendance  natio- 
nale contre  les  attaques  de  Philippe  II  :  ils  n'ont  aperçu  ni 
le  coup  porté  aux  États  de  la  Ligue ,  ni  l'entrave  mise  aux 
prétentions  des  Guises  et  aux  efforts  de  Mayenne.  C'est  di- 
minuer l'arrêt  des  deux  tiers,  et  le  réduire  dans  sa  portée  et 
dans  ses  conséquences. 
PidiMBce  de        Après  lui  avoir  rendu  sa  véritable  signification,  il  faut  exa- 
Vnréu        noiner  quelles  étaient  sa  force  et  son  autorité  :  on  a  vu  ce  quUl 
voulait,  cherchons  ce  qu'il  pouvait.  Était-ce  la  protestation 
de  quelques  magistrats  pour  le  maintien  des  lois,  généreuse 
mais  vaine,  mise  un  Jour  en  lumière  pour  rentrer  le  lende- 
main dans  la  poudre  du  greffe  ;  ou  bien  un  acte  politique  ca- 
pable d'arrêter  et  de  changer  le  cours  des  événements?  Les 
faits  bien  étudiés  répondent  à  cette  question.  Tout  récem- 
ment, à  la  fin  du  mois  de  mai,  le  conseil  d'État  de  la  Ligue, 
Mayenne,  les  États-généraux,  consacrant  les  prétentions  éle- 
vées par  le  parlement  depuis  plusieurs  années  et  reproduites 
avec  plus  de  force  au  moment  de  l'ouverture  des  Etats, 
avaient  reconnu  à  ce  corps  le  droit  de  vérifier  leurs  actes 
législatifs,  d'accorder  ou  de  refuser  à  ces  actes  une  sanction 
qui  leur  donnait  une  autorité  définitive,  ou  les  frappait  de 

»  loj  mUquc  seroit  gardée,  ayant  fuicl  paroiitre  par  ces  deux  arreiti  qull 
»  Q^etloil  loiiiblc  de  procéder  à  aucuue  cglection,  et  moias  en  la  personne 
m  d'un  prince  ou  d'uue  personne  eslraiigèrc.  En  ceste  déclaration  sont 
»  compris^  et  Vont  este  de  tout  temps ^  les  princes  sortis  des  maisons 
m  estrangères,  bien  qu'ils  /eussent  habitues  en  France  et  re'gnicoies.  • 
Ce  discours  fut  prononce  par  le  duc  de  Nevers,  le  â5  uoTcmbre  4509, 
•Tant  qu'aucune  défection  dans  la  Ligue  se  fût  opérée  en  laveur  du  roi.  O 
n*est  doue  pos  une  explication  forcée,  bile  «près  coup,  de  Tarrét  du  fMir* 
lement,  dans  Tinlérét  du  principe  nnonarchique  qui  o  triomphé.  (P.  <^T*^ 
U  T,  p.  SU,  616.) 


PORTÉE  £T  PDISSANCE  DE  L^ ARRÊT.        213 

cadacitë  *.  Le  parlement  était  devenu  corps  politique  en  même 
temps  que  cour  de  justice  :  à  la  puissance  judiciaire  il  avait 
joint  une  part  de  pouvoir  législatif,  et  même  la  part  la  plus 
décisive.  Son  arrêt  était  donc  un  veto  opposé  à  Télection  d'un 
roi,  à  la  décision  des  États-généraux,  aux  transactions  de 
Mayenne  et  des  Espagnols  ;  un  empêchement  politique  et  lé- 
gal à  ce  que  Tordre  de  la  succession  au  trône  fût  troublé. 
Dans  une  ville  où  Mayenne  commandait  à  la  force  militaire, 
où  les  Espagnols  avaient  une  garnison  et  le  bras  des  Seize  as- 
sassins de  Brisson,  Topposition  du  parlement  pouvait  être 
vaincue  par  un  coup  d'État  et  par  la  violence^.  Mais  le  parle- 
ment et  son  arrêt  avaient  pour  appui  dans  Paris  le  dernier 
vote  de  la  chambre  de  la  noblesse ,  la  faveur  des  politiques 
et  de  la  masse  du  peuple  ;  au  dehors,  Tarmée  et  les  succès 
du  roi. 

L'arrêt,  rendu  le  28  juin,  fut  signifié  le  lendemain  à  RMnontnacet 
Mayenne  par  vingt  conseillers  qui  lui  adressèrent  en  même  «*  i'^SÎÎÎît*'* 
temps  des  remontrances.  Lemaistre  portait  la  parole.  Dans  à  iUy«BM. 
la  première  partie  de  son  discours,  il  établit  par  une  argu- 
mentation serrée  et  vigoureuse  que  la  loi  sallque,  destinée  à 
préserver  la  monarchie  du  gouvernement  des  femmes  et  de 
la  domination  de  TéUrangcr,  était  Tune  de  ces  lois  fonda- 
mentales qui  ne  pouvaient  être  prescrites  par  auam  temps, 
abolies  par  aucun  pouvoir.  Appliquée  à  chaque  vacance  du 
trône,  toujours  vivante  et  puissante,  elle  avait  reçu  récem- 
ment une  nouvelle  consécration  qui,  sans  rien  ajouter  5  sa 
force,  rappelait  plus  impérieusement  la  nation  à  son  obéis- 
sance. Un  arrêt  du  22  décembre  dernier,  rendu  par  le  parle- 
ment en  présence  et  avec  le  concours  de  Mayenne,  et  par 
conséquent  faisant  loi ,  portait  que  les  États  -  généraux 
seraient  assemblés  pour  la  déclaration  et  rétablissement  d'un 
roi  catholique  et  français,  suivant  les  lois  du  royaume  :  par 
ces  termes  mêmes,  l'arrêt  maintenait  à  la  loi  sallque  toute  sa 
puissance,  consacrait  l'hérédité,  excluait  l'élection.  Le  choix 
d'un  roi,  ainsi  frappé  d'illégalité  dans  son  principe  par  le 

.  *  VoyeB  ci-d«Mai  les  dëlibérationtda  cobmU  d*Élat,delaooniinîttioiidef 
EUU  et  des  Élats-géoéraux  des  i7,  98, 19, 30 mai,  p.  188, 189,  et  les  arrêts 
du  iMrlement  des  45  et  95  iauTier  ISSn,  relatés  pa^e  158. 

*  Mém.  de  Marillac,  t.  XI,  p.  644  A.  «  Dans  ce  temps,  le  péril  était  si 
■  éTideol  qu*il  faUoit  s*exp<»ser  à  tonte  chose  «xtresme  pour  oser  quelque 
a  chose  de  temblable.  » 


2iti  HISTOIRK  OD  RÈGNB  DE  HENRI  lY. 

droit  public  de  la  France,  se  trouverait  encore  vieil!  par  le 
petit  nombre  de  députés  présents  aux  États,  par  l'insuffisance 
de  leurs  pouvoirs  pour  un  acte  pareil,  par  Fabsence  des 
représentants  du  Languedoc,  du  Dauphiné,  de  TAuvergne 
et  d'autres  provinces.  La  royauté  nouvelle,  si  justement 
contestable,  acceptée  par  les  uns,  reniée  par  les  autres,  au 
lieu  de  finir  la  guerre  civile,  Tétemiserait.  Dans  le  cours  des 
remontrances,  Lemaistre  nomma  sans  cesse,  attaqua  sans 
cesse  PEspagne,  au  nom  de  Tindépendance  nationale  mena- 
cée. C'était  le  seul  ennemi  auquel  les  convenances  lui  per- 
missent de  s'en  prendre  ouvertement  et  sans  relâche. 
Mais  en  ménageant  les  coups  contre  Mayenne  et  la  maison 
de  Guise,  il  n'épargna  pas  davantage  leurs  prétentions,  ne 
laissa  pas  plus  de  prise  à  leur  usurpation.  Kn  achevant  la 
première  partie  de  son  discours,  il  cita  textuellement  h 
Mayenne  la  déclaration  du  parlement  qui  ordonnait  l'étroite 
observation  de  la  loi  salique  et  des  autres  lois  fondamentales, 
et  qui  cassait  tous  les  traités  faits  ou  à  foire  pour  l'établisse- 
ment d'un  prince  étranger.  Dans  la  seconde  partie  des 
remontrances,  Lemaistre  pressa  Mayenne  de  donner  satis- 
faction au  VŒU  et  à  l'extrême  nécessité  du  peuple  en  con- 
cluant la  trêve.  Le  légat  du  pape  y  faisait  opposition  ;  mais 
la  mesure  avait  pour  elle  le  vote  des  deux  chambres  et 
rinstante  prière  du  parlement  Dépositaire  de  l'autorité  des 
rois  de  France,  le  lieutenant-général  devait  suivre  leur  poli- 
tique ,  dans  ce  qui  concernait  le  temporel  du  royaume,  ne 
reconnaître  d'autre  supérieur  que  Dieu ,  s'affrandiir  de  toute 
dépendance  à  l'égard  de  la  cour  de  Kome.  Ainsi,  par  ime 
combinaison  profondément  adroite  et  forte,  le  parlement 
établissait  la  communauté,  la  solidarité  entre  la  passion  du 
peuple  pour  la  paix  d'une  part,  la  défense  des  droits  de  la 
famille  royale  et  du  parlement  de  l'autre. 
Efibru  Mayenne  comprit  sur-le-champ  l'intention  et  ^imp0l^> 

poM  wîrro'ii.  •*occ  de  l'arrêt,  qui,  en  rejetant  l'élection,  le  repoussait  da 
pra  l'arrêt  :  frôue  lui  et  SOU  fils,  ct  qul,  en  excluant  l'infante  du  partage 
y  énonce.  ^^  j^  couronuc,  le  privàdt  à  jamais  de  l'assentiment  et  de 
l'appui  de  l'Espagne.  Pendant  que  Lemaistre  parlait,  on  le 
vit  changer  de  couleur,  et  U  laissa  tomber  deux  ou  trois  fois 
son  chapeau.  ISa  réponse  fut  courte  et  pleine  de  mécontente- 
ment, lie  lendemain  30  juin,  Lemaistre  fit  rapport  au  par- 


l'arrêt  signifié  a  MAYENNE  :  SES  SUITES.  S15 

lement  de  ce  qui  s'était  passé  :  les  magistrats  protestèrent 
alors  tous  de  mourir  avant  de  permettre  que  Tarrét  fût 
rompu  ou  changé.  Dans  la  soirée,  Mayenne  appela  auprès 
(ie  lui  trois  membres  de  la  cour,  les  pria  de  changer  ieur 
arrêt,  et  ajouta  que  s'ils  ne  cédaient  à  ses  instances,  il  recour- 
rait ù  la  force,  quoique  h  son  grand  regret  II  ne  gagna  rien  : 
l'entrevue  fut  toute  remplie  par  les  aigres  propos  que 
Lemaistre  échangea  avec  lui  et  avec  Tarchevèque  de  Lyon  ; 
elle  se  termina  par  cette  menace  du  lieutenant  général  : 
Je  verrai  si  j'ai  la  puissance  de  faire  rompre  votre  arrêt.  Pour 
réponse,  le  parlement  lui  envoya,  le  i"  juillet,  une  seconde 
députation  chargée  de  lui  faire  connaître  leur  serment  de 
mourir  avant  de  se  départir  de  leur  première  résolution. 
Mayenne,  furieux  de  voir  ses  desaehis  déjoués,  se  rapprochait 
des  Seize,  prêtait  Toreilie  aux  violents  conseils  de  Pelevé  et 
des  autres  factieux,  agitait  dans  le  conseil  d'État  s'il  ne 
jetterait  pas  en  prison  vingt  membres  du  parlement.  Mais 
l'avis  de  La  Ghastre  l'arrêta,  les  dispositions  de  la  bourgeoisie 
l'épouvantèrent,  et  il  recula  devant  un  conflit.  Un  colonel, 
Dauiiray  sans  doute,  avait  mandé  aux  parlementaires  quils 
ne  s'effrayassent  pas;  que  lui  seul  leur  fournirait  deux  mille 
hommes  armés  qu'il  tenait  prêts  pour  leur  défense.  Peu  de 
jours  auparavant,  deux  autres  colonels,  Passart  et  Marchand, 
avaient  parlé  de  se  barricader.  Enfin,  d'après  l'accord  passé 
l'année  précédente  entre  la  bourgeoisie  et  le  parlement,  tout 
faisait  présumer  que  douze  colonels  sur  seize  et  presque  tous 
les  capitaines  de  la  milice  bourgeoise  opposeraient  vingt  ou 
vingt-cinq  mille  hommes  aux  violences  dont  le  parlement  était 
menacé.  Il  y  avait  donc  chance  que  le  mouvement  bourgeois 
emportât  du  même  coup  l'autorité  du  lieutenant-général, 
les  restes  de  la  puissance  des  Seize,  la  domhiation  des  Espa- 
gnols ,  après  l'expulsion  ou  le  massacre  de  leur  garnison. 
Mayenne  n'afironta  pas  ce  danger,  et  n'osa  toucher  ni  au 
parlement  ni  à  son  arrêta 

On  lit  dans  quelques  histoires  que  Mayenne  s'était  con- 
certé avec  le  parlement  pour  lui  faire  rendre  l'arrêt  du 


>iir  cet  il^ttx  paragraphes  Toyet  :  Extrait  des  regittresdu  parlement  et 
ration  du  parlemeul  sur  les  remontrances  dans  l'appendice  aux  Ktats 


•  Poi 
dêlibëratioii  du  parlemeul  sur  les  remontrances  dans  i  app 
de  1803,  no  g,  p.  740-7S0.  ->  Mêm.  de  Marillac,  t.  Xi,  p.  543  B.  S4I.  — 
Lestoile,  «out  les  dates  des  38,  t9  juin  et  ter  luillet,  p.  150  A,  R  et  165  A. 
—  L«ttr«  de  Bmori  lY,  du  S  luillet,  dans  les  Lettres  mÎM.,  t.  m.  p.  849. 


Assertion 
erronée  an  su|et 

de  Tarrét: 

efleti  qu'il  pro« 

duisU. 


316  HISTOIRE  DD  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

28  Juin  et  traverser  les  desseins  des  Espagncds.  Il  n'y  aurait 
quelque  vraisemblance  dans  cette  sapposition  que  si  Tarrèt  n Sa- 
vait pas  en  même  temps  confondu  tous  les  projets  de  Mayenne. 
Cette  assertion  est  réfutée  par  les  faits  mêmes  que  nous  avons 
exposés,  et  par  le  témoignage  unanime  des  hommes  d'État 
des  deux  partis  :  Villeroy,  le  chancelier  Cheverny,  Sully,  dé- 
posent, chacun  de  leur  côté,  que  Mayenne,  complètement 
étranger  à  Tarrêt,  raccuellllt  avec  étonnement  et  colère*. 
Mous  ne  nous  arrêterons  pas  à  cette  supposition  qui  ne  sou- 
tient pas  un  moment  d'examen  sérieux,  et  nous  recherche- 
rons quels  furent  les  effets  de  Tarrêt,  comment  il  affecta  les 
partis  et  la  situation.  Pour  les  politiques  de  Paris,  auxquels 
s'étaient  ralliées  récemment  toutes  les  nuances  de  la  Ligue 
française,  ce  fut  le  passage  des  résolutions  aux  actes,  la  pre- 
mière attaque  contre  les  prétendants  espagnols  et  lorrains, 
le  point  de  départ  de  la  reconnaissance  du  roi.  Pour  les 
politiques  des  provinces,  ce  fut  un  manifeste  qui  leur  traçait 
la  conduite  à  tenir,  et  un  signe  de  ralliement.  Aussitôt  après 
Tarrêt,  le  ligueur  français  Vitry  se  retira  dans  son  gouver- 
nement de  Meaux,  commença  son  traité  de  réduction  au  ser- 
vice du  roi,  et  fut  bientôt  suivi  de  phisiem's  autres,  parmi 
lesquels  il  faut  signaler  La  Ghastre'.  Ainsi,  dans  un  moment 

*  Villeroy,  Apol.  et  Disc,  t.  xi,  p.  908  A.  el  B.  «  Les  Espa^uols  rreu- 

•  rentqae  le  duc  de  Mayenne  BToit  poussé  le  parlrment  a  donner  leur 
sarrest;  mais  cela  n^estoitpoinl,  car  lu  dicte  cour  avoil  pris  ce  conseil 
»  d*elle  mesme,  mené  de  son  honneur  et  devoir.  Il  apparut  aussi  par 
»  Pacctteil  que  receul  M.  le  président  Lemaistre  et  ceux  qui  Tassistoient 
m  dn  duc  de  Bfayenne,  quand  il  luy  porta  le  dicl  arresl  el  fil  la  remons> 
m  trance  de  la  cour  qa*il  n'y  avoit  consenti  et  s*entendoit  très  mal  avec 
m  iceile.  —  Snlly,  OEcon.  roy.,  c.  41,  p.  118  A.  «  Les  peuples  ont  pris  la 

■  hardiesse  d^approuvcr  en  quelque  sorte  Tarrfst  que  les  ^ens  du  parle- 
»  ment  restans  à  Paris  se  sont  hasardés  de  donner  ooiir  ta  conservation 
»  de  la  royauté  en  la  maUon  royale^  dwjuel  H.  du  Maine  s'est  tant 

•  irrite',  »  —  Mémoires  du  chancelier  Cheverny,  t.  X,  p.  523,  524,  collect. 
m  Michaud.  «  Ceux  du  parlement  demeures  à  Paris.,,  se  resolcnrent  pru- 
M  demment  par  inspiration  divine  de  s*opposer  avec  courage  à  cesie 
»  entreprise...  Après  la  remonstrance  faicte  par  ledit  président,  le  dit  sieur 
»  du  Mayne,  pour  response,  se  plaignit  grandement  &  eux  de  Ta  liront  qu'il 
a  dlsoit  lui  avoir  esté  faict,  de  donner  lel  arrcst  et  de  telle  couM'qucucc, 

■  sans  luy  en  avoir  auparavant  communiqué.  »  —  H.  de  Sismoiidi,  t.  xxi, 
p,  196,  et  plusieurs  historiens  modernes,  sont  tombes  dans  l'erreur  que 
nous  venons  de  réfuter,  en  suivant  le  témoignage  d\in  historien  étranger 
médiocrement  informé  des  ailUires  de  notre  pays,  et  celui  d'un  historien 
français  qui  ne  duuue  que  comme  une  coujcclure  Taccord  de  Mayt'iiuc 
et  du  parlement  dans  l'arrêt  du  38  fuin.  Le  témoignage  du  dornier  a 
d*ailleurs  mille  fois  moins  de  poids  que  celui  de  Villcruy,  de  Cheverny  cl 
de  Sully  réunie. 

'  Mém.  de  Marillac,  t.  Zl,  p.  544  B,  545.  «c  Cesl  arresl  estant  rousidcré 
a  donna  grand  estonnemeut  a  tous  ceux  de  la  faction,  voyant  celte  C4>ni< 


HODYBLLES  INTRIGUES  DE  MAYENNE.  217 

OÙ  les  esprits  étaient  troublés,  les  consciences  et  les  résolu- 
tions Incertaines,  le  parlement  traça  à  la  Ligue  française  ce 
qu'elle  avait  à  faire,  lui  donna  pour  règle  de  omduite  poli- 
tique un  arrêt  qui  avait  alors  force  de  loi,  et  opposa  cette 
loi  comme  barrière  aux  efforts  de  l'usurpation  qu'elle 
démasqua  et  déconcerta.  Le  parlement  rendit  ainsi  un  im- 
mense service  au  pays.  «  Cette  action,  dit  Villeroy,  fut  d'au- 
»  tant  plus  louée  que  le  péril  était  plus  pressant  :  certaine- 
B  ment  elle  servit  grandement,  et  il  faut  que  je  dise  que  le 
»  royaume  en  demeure  obligé  à  la  dite  cour^  » 

Ni  Mayenne  ni  Philippe  II  ne  se  tinrent  pour  vaincus. 
Revenus  de  leur  première  stupeur,  ils  cherchèrent  à  réparer 
par  des  intrigues  nouvelles  l'échec  qu'ils  venaient  d'essuyer, 
rassemblèrent  leurs  forces  et  livrèrent  un  combat  désespéré 
tout  à  la  fois  aux  politiques  et  à  leurs  propres  rivaux  dans  la 
Ligue.  Ce  fut  leur  suprême  effort,  et  le  dernier  assaut  sérieux 
qu'essuya  la  cause  nationale.  Mayenne,  poursuivant  son  pro- 
jet de  vaincre  les  répugnances  de  Philippe  II  h  son  égard  à 
force  de  défaites,  et  de  l'amener  à  partager  le  trône  avec  lui, 
usa  de  son  ascendant  dans  les  États  pour  infliger  au  roi  ca- 
tholique une  nouvelle  humiliation.  Conformément  à  la  der- 
nière décision  de  la  commission,  il  répondit  le  U  juillet  dans 
une  assemblée  générale  à  la  troisième  proposition  des  Espa- 
gnols :  «  Les  États  estiment  qu'il  serait  non  seulement  hors 
de  propos,  mais  périlleux  pour  la  religion  et  pour  le  royaume 
de  faûre  élection  et  déclaration  d'une  royauté,  dans  un  temps 
où  la  Ligue  est  si  peu  fortifiée  d'hommes  et  de  moyens  ^.  » 
A  cette  déclaration ,  Mayenne  donnait  pour  commentaire 
l'arrêt  du  parlement ,  et  pour  appui  les  succès  du  roi  qui , 
sous  les  yeux  des  Espagnols,  achevait  la  conquête  de  DreuK 
par  la  prise  du  château  et  de  la  tour  grise  (3,  5  juillet). 
Mayenne  battait  ainsi  ses  ennemis  les  uns  par  les  autres.  En 
même  temps,  il  entrait  en  négociation  avec  le  jeune  cardinal 
de  Bourbon,  et  lui  envoyait  un  projet  de  traité  à  signer.  Il 
lui  offrait  de  le  faire  reconnaître  roi  par  les  États,  et  lui  pré- 
sentait comme  garantie  de  ses  promesses  Soissons  et  quelques 


m  mgni«  opposée  à  lenr  deisein,  H  croyant  que  les  FranfftU  se  raogeroicot 
•  lort  volontien  à  son  opinion  (du  ]nitlenicnl).  m 

*  Tilleroy,  Apol.  et  dise,  t.  xi,  p.  SU8  B. 

*  Bcgistre  du  tiers,  p.  301-304  ;  du  clergé,  p.  559. 


218  HISTOIRE  DU  RiGlfE  DE  HENRI  IV. 

autres  places  fortes,  sous  la  condition  que  le  cardinal  passe- 
rait à  la  Ligne  avec  ceux  des  seigneurs  et  des  villes  du  tiers- 
parti  qu*il  pourrait  entraîner.  11  espérait  faire  mieux  ses 
affaires  avec  ce  prince  qu*avec  les  autres  compétiteurs,  c'est- 
à-dire  leurrer  plus  facilement  sa  faiblesse  de  promesses  sans 
effets  au  sujet  de  la  royauté  ;  ou  s'il  était  contraint  de  lui 
tenir  parole,  du  moins  ne  lui  céder  que  la  royauté  nominale, 
et  conserver  la  souveraineté  effective  avec  la  lieutenance-géné- 
rale.  La  défection  du  cardinal  devait  encore  affaiblir  le  parti 
du  roi,  porter  le  trouble  dans  ses  affaires,  lui  enlever  tous 
les  avantages  obtenus  depuis  le  commencement  des  confé- 
rences de  Surène  jusqu'à  l'arrêt  du  parlement  Elle  devait 
enfin  donner  un  concurrent  redoutable  pour  la  couronne  au 
candidat  des  Espagnols'. 
Quatrième  pro-  Les  ministres  de  Philippe  II  mirent  leurs  soins  à  déjouer 
dea^^i^b.  ^^^^  lutrigue  de  Mayenne  et  à  regagner  les  États  qu'ils 
avaient  remplis  de  mécontentement  et  de  défiance,  en  reje- 
tant la  condition  qui  garantissait  le  partage  de  la  couronne  à 
un  prince  français.  Dans  de  nouvelles  réunions  où  assistaient 
le  légat,  les  commissaires  des  trois  chambres,  les  membres 
du  conseil  d'État,  les  princes  et  principaux  seigneurs  de 
la  Ligue,  ils  proposèrent  d'élire  rois  en  commun  et  sur-le- 
champ,  et  d^unir  par  un  mariage,  le  duc  de  Guise  et  l'faifante 
d'Espagne.  L'élection  du  duc  de  Guise  annulait  la  candida- 
ture du  cardinal  de  Bourbon  :  sa  désignation  nominative  et 
son  élévation  immédiate  devaient  convaincre  les  États  que  la 
France  aurait,  selon  leur  vœo,  un  roi  indigène.  Il  restait  aux 
Espagnols  à  désarmer  l'opposition  de  Mayenne,  à  obtenir  son 
assentiment  et  son  concours  pour  la  nouvelle  combinaison , 
qui  l'excluait  lui  et  son  fils  de  la  royauté,  et  qui  ne  lui  laissait 
même  pas  la  lieutenance-générale.  En  échange  de  tout  ou 
partie  de  la  souveraineté  du  pays,  ils  lui  offrirent  la  souverai- 
neté de  plusieurs  provinces  détachées  de  la  monarchie  fran- 

*  ▼iilffOT,  Apol.  et  due.,  t.  zi,  p.  tOT  A  et  B.  —  D*Aabignë,  I.  m, 
e.  9i.  p«  191.  —  SaUy,  OBoom.  roy.,  c.  41«  p.  117  A.  L«  trois  auteurs 
tëmoignent  des  intrigues  Uées  entre  Mayenne,  le  caixiinal  de  Bourbon  et  le 
tiers-parti.  Selon  d*Aubignë,  les  négociations  furent  ponsse'es  asses  avant 

E>ur  que  d*0,  Vvp.  des  seigneurs  du  tiers-parti,  ot&t  dire  nrès  de  Dreux  à 
enrl,  qu'un  roi  serait  élu  en  France  dans  huit  jours,  sUl  ne  prenait  une 
prompte  et  galaute  résolution  d*ouîr  une  messe.  —  Lestoile ,  sous  le  4 
înillet,  p.  156  B,  156.  —  Mém.  deGroolart,  c.  4.  t.  xi,  p.  550.  —  Thuanus, 
I .  cm,  Is  S,  6,  t.  T,  p.  185, 190. 


QUATRIÈME  PROPOSITION  DES  ESPAGNOLS.  319 

çaise  et  de  la  monarchie  espagnole.  Le  duc  de  GuJse  et  Phi- 
lippe n  s'engageaient  à  lui  abandonner  en  toute  propriété  la 
Normandie,  la  Bourgogne,  la  Franche-Comté,  la  principauté 
de  Joinville,  les  villes  de  Sainl-Dizier  et  de  Vitry  :  ils  pro- 
mettaient, en  outre,  d'assurer  à  son  fils  le  gouvernement  de 
Champagne.  Ces  nouvelles  propositions  occupèrent  et  agitè- 
rent le  parti  de  la  Ligue  du  5  au  20  juillet  Soutenues  par  le 
légat,  les  prédicateurs,  les  Seize,  adoptées  avec  enthousiasme 
par  ta  lie  du  peuple  et  par  la  garnison  espagnole,  elles  furent 
même  accueillies  avec  faveur  dans  les  chambres  et  dans  le 
conseil  d*État  par  beaucoup  de  ceux  qui,  jusqu'alors,  s'étaient 
montrés  hostiles  aux  prétentions  exclusives  des  Espagnols  ; 
ils  se  laissèrent  séduire  en  faveur  du  jeune  duc  de  Guise  par 
leur  cntliousiasme  pour  le  père  et  par  Tidée  que  le  pays  au- 
rait un  roi  français.  Le  duc  de  Guise  fut  salué  roi  par  la 
multitude,  et  vit  tous  les  seigneurs  de  la  Ligue,  hormb  trois, 
abandonner  son  oncle  pour  se  ranger  autour  de  lui  et  loi 
former  une  cour.  Mayenne  lui-même,  soit  qu'il  craignit  d'être 
entraîné  par  le  flot  de  la  faveur  populaire,  soit  qu'il  fût  séduit 
par  les  offres  magnifiques  qu'on  lui  adressait,  et  qu'A  écou- 
tât plus  la  cupidité  que  l'ambition,  donna  un  moment  les 
mains  à  la  combinaison  hispano-ligueuse.  Les  9  et  10  juillet, 
il  signa  avec  un  secrétaire  d'État  l'engagement  de  favorlsep 
l'élection  et  le  mariage  du  duc  de  Guise  et  de  l'infante,  sous 
la  condition  qu'il  recevrait  satisfaction  et  assurance  pour  ce  qui 
concernait  ses  intéréLs  particuliers.  Seul  des  hommes  d'État 
du  parti,  depuis  le  départ  de  Villeroy,  La  Chastre  combattit  la 
nouvelle  proposition  avec  une  inébranlable  fermeté.  Il  sou- 
tint qu'elle  n'était  qu'une  rose  des  Espagnols  pour  obtenir 
sur-le-champ  une  élection  et  une  royauté  de  l'Infante  ;  que 
quand  elle  serait  faite,  ils  ne  tiendraient  leurs  promesses  ni 
au  duc  de  Guise,  ni  à  Mayenne  ;  que  liiilippe  ne  marierait 
jamais  sa  fille  qu'à  un  prince  de  la  maison  d'Autriche  ;  que 
la  facilité  avec  laquelle  ses  ministres  avaient  en  quelques 
jours  changé  au  sujet  de  l'infante,  de  l'archiduc  Ernest,  du 
duc  de  Guise,  accusait  de  reste  et  le  peu  de  sérieux  qu'Us 
avaient  mis  dans  leurs  propositions,  et  le  peu  de  fonds  qu'on 
devait  faire  sur  leur  parole. 

lies  réflexions  de  La  Cliastre  et  le  mot  divulgué  des  doc^  Ueombiiuiioii 
leurs  de  Sorbonne  au  légat  qu'il  fallait  hardiment  tout  pro-       échoue. 


Ii«triT«aT«cIe 

parti  royal 

CMiç^ae  par  Ut 

EtaUet 

parMayenna. 

Oppotitiun 


320  HISTOIRE  OU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

mettre  à  Mayenne,  saaf  ensuite  à  ne  lui  rien  tenir,  ramenèrent 
Mayenne  de  l'entraînement  et  de  la  sécurité  à  la  défiance  : 
bientôt  le  dépit  de  se  voir  préférer  son  neveu  pour  la  royauté, 
fortement  entretenu  et  excité  chez  lui  par  sa  femme  et  par 
la  duchesse  de  Montpensier,  domina  tous  les  antres  senti- 
ments, et  il  traversa  dès  lors,  même  avec  passion,  les  ouver- 
tures et  les  propositions  des  ministres  espagnols.  Dès  le 
20  juillet,  la  nouvelle  combinaison  avait  échoué  :  le  projet 
d'élection,  de  royauté  et  de  mariage  du  duc  de  Guise  et  de 
rinfante,  était  évanoui  comme  tous  les  précédents.  Quatre 
Jours  plus  tard,  Mayenne  assembla  les  trois  chambres  des 
Etats  pour  leur  notifier  ce  résultat  :  il  était  déjà  si  connu, 
et  la  combinaison  tellement  morte,  qu'elle  ne  donna  même 
pas  lieu  à  une  discussion  au  sein  de  l'assemblée  '• 

Sorti  pour  un  temps  de  son  conflit  avec  les  Espagnols  au 
sujet  de  la  royauté,  Mayenne  se  trouvait  en  présence  des 
exigences  de  la  Ligue  française  et  de  la  multitude,  de  leur 
passion  pour  la  paix,  ou  au  moins  pour  une  trêve,  qu'il  lui 
fallait  satisfaire,  s'il  voulait  conjurer  un  soulèvement. 

Dès  le  20  juillet,  époque  à  laquelle  la  proposition  relative 
à  rinfante  et  au  duc  deGulsc  fut  décidément  écartée,  Mayenne 
reprit  le  projet  de  la  trêve  avec  le  parti  royal  et  le  porta  à  la 
commission  des  délégués  des  États  et  des  chefs  de  la  Ligue. 
La  commission  adopta  le  principe,  et  la  nouvelle  d'une  trêve 
prochaine  se  répandit  aussilôt  dans  l'aris.  Le  légat,  fidèle 
jusqu^au  bout  à  l'intérêt  espagnol ,  ne  voyant  plus  jour  h 
donner  le  trône  à  l'Infante,  s'eflbrça  du  moins  de  perpétuer 
la  guerre  civile  et  l'afTaiblissement  de  la  France.  11  publia 


*  Manntcrit  T*,  cittf  en  note  do  registre  du  Uer»,  p.  30T-309.  —  Maltliien, 
Hiil.dr Henri  IV,  1. 1,  p.  143,  Paru,  1631  :  «  Chacun  commença  de  jeter  les 
m  yens  sur  le  duc  de  Guise,  comme  si  desjà  le  roy  d'Espagne  Teust  choisi 
»  pour  geadra.  Les  choses  passèrent  si  avaut,  que  j'ay  en  main  nn  cscrit  de 
»  la  main  de  Tarcheresque  de  Lyon,  par  lequel  le  duc  de  Mayenne  promet 
m  a«  duc  de  Gube,  son  neveu,  de  se  foindre  avec  luy  pour  poursuivre  Texë- 
•  cation  de  ct'sie  proposition.  »  —  Lettres  de  Henri  IV,  du  li  iuil)et«  h  Ga« 
brielle.  «  L'on  ne  parle  icy  que  de  crsie  royauté  nouvelle.  »  11  y  a  par 
erreur  dans  les  lettres  missives,  t.  m,  p.  819  :  «  l«*on  ne  parle  iry  quo 
m  de  ceste  beauté  nouvelle.  — >  Avis  donné  au  con«ril  tenu  &  Paris.  etCt 
par  Claude  de  La  Chastre,  dans  PAppendice  aux  Ktats  de  4595,  u*  Yii, 
p.  729,  730.  '-  Regist.  du  clergé,  p.  ft.*>4-K56.  ~  RegisL  du  tiers  et  de  la 
aokless«>,  p.  517,  640.  —  Villeroy,  Apol.  et  dise.  t.  xi,  ii.  907  B,  9U8  A. 
—  Tliuanus,  I.  CVll,  l.  V.  —  P.  Caycl,  I.  V,  p.  49t  B,  494.  —  Lestoile 
«t  son  Suppl.,  p.  IKS  B,  ISO.  165  B.  166.  —  Sout  la  date  du  tO  )uillet,  U  y 
a  dans  le  supplément  de  Lestoile  une  erreur  que  les  cahiers  du  tiers  « 
p.  310,  311,  de  la  nohlesse,  p.  659,  640,  permettent  de  rectifier. 


TRiVE  AVEC  LE  ROI,  ALLIANCE  AVEC  SES  ENNEMIS.  221 

ane  déclaratloii ,  et  annonça  Tintention  de  quitter  Paris,  et 
de  se  retirer  à  Soissons  ou  à  Reims,  si  l'on  passait  outre  à 
la  trêve.  L'affaire  fut  portée  aux  chambres  le  23  juillet.  La 
chambre  du  clergé  opina  pour  que  les  députés,  considérant 
le  légat  comme  le  chef  des  États,  le  suivissent  dans  la  ville 
où  fl  chercherait  un  refuge ,  et  continuassent  à  y  tenir  les 
Étals.  Cette  proposition  nltramontaine  fut  combattue  avec 
énergie  et  succès  par  le  prévôt  des  marchands  et  par  Le- 
maistre.  Ils  établirent  que  les  députés  ne  pouvaient  consi- 
dérer le  pape  et  le  légat  pour  leurs  supérieurs  que  dans  les 
choses  purement  spirituelles  ;  dans  les  affaires  d'État,  Os  ne 
devaient  reconnaître  que  le  souverain  magistrat  représenté 
par  Mayenne,  et  ne  prendre  avis  que  de  lui  seul.  Cette  opi- 
nion l'emporta  dans  la  cliambre  du  tiers  et  dans  celle  de  la 
noblesse,  et  il  fut  décidé  que  les  États  resteraient  et  délibé- 
reraient à  Paris.  Le  2i!i,  ils  agitèrent  la  question  de  la  trêve  : 
la  noblesse  et  le  tiers  la  résolurent  affîrmativement,  toujours 
en  contradiction  avec  la  chambre  du  clergé  qui  s'y  opposa, 
mais  en  vain.  Quelques  jours  plus  tard,  Mayenne  conclut  la 
trêve  pour  trois  mois  avec  Henri,  et  la  fit  publier  à  Paris,  le 
1"  août  K 

Ce  traité  n'était  pour  Mayenne  qu'un  répit  et  tm  expé-  iioar«U«  «l- 
dient  :  tout  accommodement  sérieux  avec  Henri  et  le  parti  iJjîlîSlîîgc 
royal,  toute  mesure  propre  à  donner  la  paix  au  pays,  étaient  1m  Bipagnob. 
à  mille  lieues  de  sa  pensée.  La  veille  même  du  jour  où  il 
traitait  avec  le  roi.  Il  concluait  contre  le  roi  un  nouveau  pacte 
avec  les  Espagnols,  et  préparait  le  renouvellement  de  la 
guerre  civile,  il  avait  amené  les  ministres  espagnols,  battus 
quatre  fois  par  lui  dans  la  poursuite  de  la  couronne,  à  ajour- 
ner leurs  différends  avec  lui  sur  ce  point  poiu*  s'associer  à 
ses  complots  contre  Henri,  et  pour  arrêter  les  progrès  de  ce 
prince,  leur  commun  ennemi.  Le  23  juillet,  ils  se  promirent 
et  jurèrent  sur  l'hostie,  la  croix  et  l'Évangile,  en  présence  et 
avec  le  concoiuv  du  légat ,  de  ne  pas  faire  actuellement  de 
royauté  catholique,  et  de  la  différer  à  un  temps  plus  oppor- 
tun ;  de  maintenir  inviolablement  la  Ligne  et  ce  qui  était  con- 
tenu sous  ce  nom,  et  de  ne  s'en  départir  jamais  pour  aucime 

>  lU|irtn  du  tien,  p.  313^^19,  31S4R1.  —  Blanascrit  T'  dté  dans  1« 
r^gUlre  du  tiert ,  i  la  noie  de  la  page  31tf .  — >  Regittre  do  la  noUeuo. 
p.  640-64t. .  LestoUe,  p.  159  B.  ^  P.  Cayot,  1.  v,  p.  4B94M)a 


22à  HISTOIRE  DU  RiGNE  DE  HENRI  I?. 

cause  ;  de  ne  jamais  consentir  de  paix  avec  le  roi  de  Navarre, 
quelque  acte  de  catholicisme  qu'il  fit  ;  de  lever  une  forte  armée, 
composée  de  mUices  françaises  et  de  quatorze  mille  Espagnols, 
laquelle  serait  soudoyée  pendant  quelque  temps  par  le  roi 
d'Espagne  ;  de  procéder  à  Télection  d'un  roi  catholique  dès  que 
les  circonstances  le  permettraient,  et  à  cet  effet  d'assurer  la 
continuation  des  États-généraux.  Il  était  dit  que  le  nouveau 
pacte  avait  pour  but  de  défendre  la  religion  et  d'extirper  l'hé- 
résie, grand  prétexte  dont  on  continuait  jusqu'au  bout  à  cou- 
vrir tontes  les  ambitions  et  à  légitimer  toutes  les  fureurs  K 
Mayenne  parvint  à  joindre  le  pape  au  roi  catholique  :  il 
attira  le  Saint-Siège  dans  la  coalition  par  une  concession 
inouïe ,  dans  une  matière  soumise  depuis  plusieurs  mois  à 
la  discussion  des  Êtats-généraux. 
Examen  par  la  Dès  le  8  mars,  la  chambre  du  clergé,  dont  les  sentiments 
Chambre  du  j^^m^^  ^  |j|  gocj^té  poUtique  et  civilc  du  pays  étaient  encore 
de  la  réception  aulmés  par  Ics  suggestions  du  légat  et  du  cardinal  Pelevé , 
dn  concile  de  avait  anuoucé  au  tiers-état  la  résolution  qu'elle  avait  prise 
Trente.  d'accordcr  la  réception  en  France  do  concile  de  Trente.  Le 
tiers  résolut  de  soumettre  la  question  h  une  sérieuse  délii)é- 
radonavantde  se  décider.  L'avocat  du  roi,  d'Orléans,  quoique 
zélé  ligueur,  fit  aussitôt  des  réserves  en  faveur  des  droits  de 
la  couronne,  des  franchises  et  libertés  de  l'Église  gallicane, 
et  s'en  référa  aux  mémoires  et  instructions  laissés  par  Cappel, 
son  prédécesseur.  Une  commission  à  la  tête  de  laquelle  se 
trouvaient  d'Orléans  et  Lemaistre  fut  nommée  pour  exa- 
miner de  nouveau  les  dispositions  du  concile  et  en  faire  un 
rapport  à  la  chambre  (10  mars).  Un  mois  plus  lard,  le  tra- 
vail fut  terminé ,  et  présenté  aux  députés  du  tiers  par  Le- 
maistre et  Du  Vair  (9  avril).  L.es  commissaires  concluaient  à 
la  non-acceptation  et  publication  du  concile  dans  le  royaume, 
parce  qu'il  contenait  23  articles  contraires  à  l'autorité  de  la 
couronne,  à  celle  des  parlements  et  des  autres  cours  souve- 
raines, au  droit  et  aux  maximes  de  France,  aux  libertés  de 
l'Église  gallicane,  aux  décrets  des  conciles  précédents,  à  la 
liberté  des  opinions,  qui,  au  lieu  d'être  contenues  par  le  pou- 
voir civil,  tombaient  sous  l'inquisition  des  évèques.  Le  rap- 

*  Lettre  de  Moyenne  an  roi  d^Eapagne,  dam  Cayet,  1.  v,  p«  49S  A.  — 
VUleroj,  Apol.  et  dise.,  t.  »,  p.  tlt,  tIS.  —  Lestoile,  Suppl.,  p.  17^ 
A,  B,  —  Sttllj,  OEcoo.  roy.,  c.  43, 1. 1,  p.  It4  :  il  traite  ce  serment  d*esé* 
crabie. 


LB  CONCILE  DK  TRENTE  REÇU  EN  PAANCE.     223 

port  des  oommissairesf  où  le  patriotisme  se  montre  servi  par 
Ténidition,  est  un  excellent  trayail,  utile  à  consulter  en  tout 
temps  :  on  le  trouve  consigné  à  la  fin  du  livre  cv  de  de  Thou, 
et  dans  le  registre  du  tiers-état  nouvellement  publié, 

La  décision  de  cette  grave  affaire  resta  suspendue  jusqu^au    vote  d«ni  \m 
temps  où  nous  sommes  parvenus.  Mayenne  voulait  à  tout  |,^S^î£"d« 
prix  engager  le  pape  dans  la  coalition,  s'autoriser  de  son       co&c&ie 
nom,  se  servir  de  son  appui  et  de  ses  secours  »  et  pour  les    ***p,I^Me.'" 
obtenir  il  sacrifia  bontensement  Tbonneur  et  les  intérêts  de 
la  France.  Son  parti  dans  les  États  s'unit  au  parti  des  Eélés 
et  à  celui  des  ecclésiastiques  :  tous  ensemble  ils  formèrent 
une  majorité,  et  les  chambres  votèrent  le  30  juillet  l'accepta- 
tion  pare  et  simple  et  l'observation  dans  le  royaume  du  con- 
cile de  Trente.  La  Ligue  française,  vaincue  après  une  longue 
et  mémorable  résistance,  fut  réduite  à  une  protestation  <• 
Mayenne,  bien  qu'il  eût  chagriné  et  aigri  le  légat  dans  la 
question  de  la  trêve,  n'en  avait  pas  moins,  par  l'acceptation 
du  concile  de  Trente ,  gagné  le  Saint-Siège.  Il  en  acquit  bien- 
tôt la  preuve.  Dans  une  circonstance  solennelle.  Clément  VIII, 
ayant  à  se  prononcer  enUre  le  parti  de  Henri  et  celui  de 
Mayenne ,  fit  éclater  sa  prédilection  pour  ce  dernier.  «  Je 
»  tiens ,  dit-il ,  pour  déserteurs  de  la  religion  et  de  la  cou- 

•  ronne  les  catholiques  qui  ont  suivi  le  parti  du  roi;  ils  ne 
9  sont  qu'enfants  bâtards  de  la  servante  :  ceux  de  la  Ligue 

•  sont  les  vrais  enfants  légitimes ,  les  vrais  arc»-boutants,  et 
»  même  les  vrais  piliers  de  la  religion  catholique  >•  »  Sur 
cette  déclaration,  Mayenne  put  s'applaudir  de  ses  ruses  et  de 
ses  complaisances  pour  le  Saint-Siège.  Dans  la  laveur  du 
pape,  il  balançait  au  moins  Philippe  II  ;  il  n'avait  plus  à 
crafaidre  que,  dans  une  circonstance  donnée  et  décisive,  le 
pontife  prononçât  contre  lui  pour  les  Espagnols.  11  n'avait  pas 
non  plus  à  redouter  qu'il  se  laissât  fléchir  et  qu'il  mollit  en 
faveur  de  Henri,  tout  le  temps  du  moms  que  la  Ligue  parta- 
gerait encore  la  France  et  tiendrait  la  fortune  incertaine. 

11  ne  restait  plus  à  Mayenne  qu'à  placer  les  États  de  la 


p 
p 


■  Registre  du  lien,  p.  T7,  78.  80,  14% ISS,  SâS.  —  RtgUt.  dn  elergtf, 
».  SW,  400.  —  Thuanos,  I.  CT,  S  S*  «  t-  V,   p.  SS^SM.  —  P.  Cayel,  l.  T, 
I.  500  B.  «  Le  duc  de  Mayenne  advisa  de  frira  publier  le  concile  de  Trente 
pour  contcQler  le  pape*  »  *  Letloilc,  p.  I6S  B,  p.  iSO  B,  17SBL 
*  DIacours  de  ce  que  fit  M.  de  Ncven,  dan*  lei  Mrfniiires,  L  11,  p.  414, 


in-1bliob 


224  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IT. 

Ligue  hors  de  la  portée  el  de  Tinfluence  des  Espagnols,  dans 
le  cas  où  l'occasion  favorable  de  Télection  d'un  roi  calho- 
lique  viendrait  à  se  présenter,  et  à  les  tenir  en  apparence 
assemblés  pour  satisfaire  à  ses  derniers  engagements  avec 
les  ministres  de  Philippe  IL  Sa  poliUque  cauteleuse  résolut 
ce  problème.  D^s  le  17  juillet ,  au  temps  où  il  était  le  plus 
sérieusement  question  de  la  royauté  de  l'infante  et  du  duc 
de  Guise,  il  avait  autorisé,  si  ce  n'est  provoqué,  le  départ  de 
Delavau-RabuUn ,  président  de  la  chambre  de  la  noblesse. 
Chaque  jour  il  se  faisait  presser  par  les  trois  chambres  de 
leur  accorder  leur  congé  après  une  session  de  sept  mois , 
avec  menace  de  le  prendre,  s'il  ne  le  leur  accordait  pas.  Le 
2  août,  il  fut  décidé  que  les  États  seraient  non  pas  dissous, 
mais  prorogés  ;  qu'un  député  de  chaque  ordre  cl  de  chaque 
province  resterait  à  Paris  auprès  de  Mayenne ,  lequel  pour- 
voirait à  leurs  besoins  ;  que  les  députés  qui  obtiendraient  un 
congé  s'engageraient  à  revenir  à  Paris  au  moment  de  l'expi- 
ration de  la  trêve.  Le  8  août,  Mayenne  leur  fit  prêter  un  ser- 
ment qui  contenait,  outre  la  promesse  du  retour,  l'engage- 
ment de  demeurer  unis  pour  la  défense  de  la  religion,  de  ne 
rien  consentir  à  l'avantage  de  l'hérésie,  d'obéir  aux  décrets 
et  ordonnances  du  Sakit-Slége  en  ce  qui  concernerait  la  reli- 
gion :  ce  serment  fut  suivi  de  l'acceptation  solennelle  du 
concile  de  Trente.    Le  lendemain,  les  députés  quittèrent 
Paris  pour  retourner  dans  leurs  provinces,  à  l'exception  de 
ceux  qui  étaient  convenus  de  demeurer  auprès  de  Mayenne, 
et  de  rester  comme  pierre  d'attente  pour  la  réunion  d'une 
nouvelle  assemblée  complète  des  États-généraux  K 

Ainsi  tandis  que  Mayenne  traitait  avec  Henri  d'une  trêve 
dont  il  avait  besoin,  il  formait  en  même  temps  une  nouvelle 
alliance  contre  ce  prince  avec  les  Espagnols  et  le  pape.  De 
plus,  il  maintenait  la  Ligue  par  le  serment  qu'il  tirait  des 
États,  et  dans  la  personne  de  leurs  représentants  il  obligeait 
les  provinces  à  combattre  comme  hérétique  le  roi  qui  venait 
d'abjurer,  tant  que  le  pape  n'aurait  pas  approuvé  sa  conver- 
sion ;  car  le  serment  prêté  par  les  États  avait  réellement  ce 
sens  et  cette  portée  :  or  Mayenne  et  Philippe  II  tenaient  en* 

•  RecUtn  du  ti«rt,  p.  309,  310,  313,  SfO,  34t.346;  regist.  de  la  no. 
UetM,  p.  630, 645,-«l6.  «4S.  ^  Mémoires  de  la  Unie,  t.  y,  p.  409-411. 
-.  UttoU«,  Suppl.,  p.  179, 173.  •  P.  Cajet,  1.  ▼,  p.  600  B,  SOI,  00t. 


SITUATION  DE  MAYENNE.  225 

chaînée  la  volonté  du  pape.  Telles  étaient  les  conséquences 
des  derniers  actes  et  des  dernièi'es  intrigues  de  Mayenne. 
«Quant  au  résultat  général  de  la  campagne  politique  quMl 
achevait  en  ce  moment,  il  semblait  Tavoir  rendu  pleinement 
favorable  à  ses  intérêts.  En  effet ,  il  gardait  la  lieutenance- 
générale ,  c'est-à-dire  la  souveraineté  de  la  moitié  de  la 
France  :  il  avait  prouvé,  dans  une  longue  session  des  États- 
généraux,  que  ni  TEspagne,  ni  aucun  autre  parti  ne  pouvait 
la  lui  ravir ,  sans  lui  offrir  en  échange  la  royauté  au  moins 
partagée  :  il  avait  tout  combiné  pour  que  la  nation  ne  vit  la 
fin  de  SOS  maux  et  de  la  guerre  civile,  qu^après  avoir  con- 
tenté  son  ambition  sur  ce  point  capital  :  il  ne  lui  laissait , 
autant  qu'il  était  en  lui ,  d'autre  alternative  que  de  périr  on 
de  le  faire  roi.  C'était  là  que  tendaient  cette  politique  à  la 
Médicis,  ces  perfidies  innombrables  et  croisées,  qui  lui  fai- 
saient donner  par  le  légat  la  qualification  du  plus  grand 
trompeur  et  du  fourbe  le  plus  assuré  de  son  temps  K 

Mais  à  cet  édifice  de  puissance,  élevé  par  la  ruse,  il  man- 
quait une  base  solide  :  pendant  les  sept  mois  qui  venaient  de 
s'écouler,  Mayenne  n'avait  pu  se  donner  l'autorité  et  la  force 
matérielle  nécessaires  pour  retenir  et  contraindre  les  peuples. 
Une  voie  sûre  s'ouvrait  devant  eux  pour  se  tirer  de  l'abîme  : 
c'était  que  la  Ligue  se  jetât  entre  les  bras  de  Henri,  et  par 
cet  acte  de  bon  sens  déjouât  les  calculs  et  les  machinations 
de  Mayenne.  L'entreprise  sans  doute  était  ardue  et  difficile, 
il  s'agissait  à  la  fois  pour  les  villes  de  la  Ligue  d'abjurer 
l'obéissance  à  Mayenne ,  de  s'insurger  contre  leurs  gouver- 
neurs ou  de  les  entraîner,  de  vaincre  les  partisans  et  les 
garnisons  de  l'Espagne,  de  méconnaître  les  ordres  du  Saint- 
Siège  s'immisçant  dans  les  affaires  temporelles ,  et  par  con- 
séquent de  changer  autant  d'opinion  que  de  conduite,  et  de 
passer  du  parti  des  zélés  dans  celui  des  politiques.  Un  grand 
effort  de  la  raison  publique,  un  mouvement  national  étaient 
donc  nécessaires.  Mais  s'ils  éclataient ,  Mayenne  n'avait  ni 
armée  ni  pouvoir  suffisants  pour  les  maîtriser  et  pour  résis- 
ter au  choc 

Nous  en  avons  fini  avec  ce  grand  artisan  d'intrigues  :  depois 
ce  moment,  s'il  occupe  encore  la  scène,  il  n'y  joue  plus  qoe 

*  Voyet  Vhkoncé  dea  l«ttret  du  Irgat  aa  pape  dam  VUleroy,  ApoL  •! 
dise.,  p.  Mi  B. 

15 


926  HISTOIRE  pu  BÈGNE  DE  HENRI   IV. 

Apprëcbtion  le  seçQDd  rôle.  Av^nt  0e  reporter  noti*^  attention  vers  Hepri 
**•  *'  ^^^^^  et  ver^  le  parti  royal,  il  faut  jeter  un  dernier  coup  d'œil  sur 
ÈtMi%^énénmx.  fes  ^tats-généra^x  de  i503,  et  juger  les  actes  et  la  conduite 
de  i68.\.  ^g  ^^^  assemblée  qui,  sept  ipois  durant,  avait  tenu  entre  ses 
m^ins  les  destinées  du  pays.  îje  devoif  strict  des  États,  au 
œo^ient  de  leuf  réunion,  était  de  mettre  un  terme  à  \^  guerre 
civile,  et  après  avoir  délivré  la  nation  de  ce  fléau,  de  réunir 
et  de  concentrer  ses  forces  pour  sauver  son  indépendance 
mefiacée,  dans  Tordre  purement  politique,  par  le  roi  d'Es- 
pagne, dans  Tordre  politique  c(  religieqx,  par  le  pape.  Les 
Ë|ats  avaient  deux  moyens  de  pacifier  le  pays  :  ou  bien  de 
reconnaître  Henri  et  de  mettre  à  ses  pieds  tous  les  partis  et 
toutes  les  ambitions  particMliërcs,  après  avoir  tiré  de  lui  les 
garanties  suffisantes  pour  le  maintien  du  catholicisme  ;  ou 
bi^n  de  d<>i^ner  à  la  Ligue  i^q  roi,  saps  lequel  elle  ne  pouvait 
s^  sqpt^nU*  d'une  manière  durable ,  comme  Villeroy  et  tous 
les  hommes  politiques  le  recounaissaienf  dès  1592  ;  de  re* 
lever  et  de  fortifier  ce  parti  de  telle  sorte  qu'il  pût  venir  à 
hput  d^  Henfi,  établir  dans  le  p«iys  iin  seul  souverain  et  une 
seule  loi. 

Ce  devoir,  les  É;ats  le  trahirent  bontcuseipen^  En  se  se- 
p^r^nt  »  ils  Pe  laissèrent  h  la  France ,  au  lieu  de  la  paix , 
qu'une  trêve  précaire  de  trois  mois,  9U  dpl^  de  laquelle  pn 
entrevoyait  |e  renouvellement  de  la  guerre  ciyile  avec  foutes 
«es  (lorreurs.  Çu  effet,  aucun  roi  n'avait  été  nommé  :  M^yenpe 
et  (lenri  restaient  aux  prises  avec  leur  titre  et  leur  pouvoir 
précédents,  avec  les  mêmes  prétentions  et  les  qi^lilPS  forces. 
Kon  seulement  la  porte  restait  ouverte  à  l'anarchie  par  cet 
epdroit,  mais  les  États  lui  avaient  donné  accès  dans  Iq  société 
par  plusieurs  côtés  npuveaux.  Leur  fameuse  d^cisiou  du 
30  juin,  eu  proclamant  le  principe  de  l'élection,  sans  le  res- 
treindre et  sans  l'appliquer  immédiatement,  p'attepUit  i|ux 
drqiis  de  lienri,  le  prince  vraiment  u^MPP^I*  que  pour  établir 
une  déplorable  concurrence  entre  les  usurpations  de  Mayeunf , 
du  duc  de  (iuiseet  de  Philippe  U  :  c'était  doubler  les  prin- 
cipes de  troubles  et  de  dissolution.  Les  États  n'avaieut  pas 
mieux  réglé  les  rapports  de  l'État  avec  l'Église.  En  acceptant 
te  concile  de  Trente,  malgré  Tavis  de  leurs  propres  commis- 
saires, ils  avaient  sciemment  livré  au  Saint-Siège  les  libertés 
gallicanes,  et  abandonné  au  pape,  non  pas  conanie  chef  ^e 


APPRECIATION  DES  ÉTATS  DB  tA  U^VE,  227 

i^IslgUse,  mais  comme  prince  étranger,  une  partie  importante 
de  la  souveraineté  nationale. 

L'immoralité  de  cette  assemblée  égale,  si  elle  ne  surpasse 
son  incapacité  politique.  De  Paveu  des  historiens  des  deux 
partis  ^  l'immense  majorité  des  députés  était  arrivée  à  l^ris 
avec  le  projet  arrêté  d'appeler  au  trône  un  prince  espagnol, 
de  livrer  la  France  à  l'étranger.  Plus  tard  la  majorité  passa 
de  Philippe  II  à. Mayenne,  et  alors  elle  rejeta  les  propositions 
successives  faites  par  les  ministres  espagnols  pour  la  royauté 
exclusive  de  Tinfantc  et  de  la  maison  d'Autriche.  A  ce  propos, 
on  s'est  récrié  de  nos  joui*s  sur  le  patriotisme  et  le  courage  de 
rassemblée.  11  nous  semble  qu'elle  a  mérité  cet  éloge  ù  bon  mar- 
ché, p'abord  si  elle  cessa  de  favoriser  la  poursuite  exclusive  de 
l'iufante  et  d'un  prince  autriclûen,  c'est  qu'elle  ne  trouva  ni 
son  compte  dans  les  libéralités  de  l'hillppe,  ni  une  protection 
suffisante  contre  le  ressentiment  de  Mayenne  et  des  politl- 
ques  à  la  fois,  dans  les  armées  du  roi  catholique,  qui,  sous 
la  conduite  de  Mansfeld ,  n'osèrent  dépasser  la  frontière  de 
l^jcardie.  £n  second  lieu,  par  le  vote  du  20  juin,  et  par  les 
pouvoirs  confiés  à  ses  commissaires,  elle  ouvrit  l'élection  au 
profit  de  la  royaqté  partagée  de  l'infante,  et  si  elle  ne  livra  pas 
a  une  étrangère  la  moitié  de  la  souveraineté  du  pays,  c'est  uni- 
quement parce  que  les  mésintelligences  de  Mayenne  et  de  Phi- 
lippe II,  c'est  parce  que  les  progrès  de  Henri,  tous  faits  indé- 
pendants des  résolutions  de  l'assemblée,  frappèrent  son  vote 
d'un  ajournement  qui  devint  plus  tard  une  nullité.  Il  faut 
n'avoir  ni  compris  le  sens  de  cette  résolution,  ni  aperçu  les 
conséquences  qu'elle  devait  entraîner,  pour  faire  aux  États 
de  la  Ligue  honneur  de  leur  conduite  :  loin  d'avoir  défendu 
l'indépendance  nationale,  ils  y  aUentèrcnt. 

Leur  conduite  morale  offre  au  bhlme  plus  de  prise  encore 
que  leur  conduite  politique.  Selon  la  coutume  de  ces  temps. 
Us  étaient  payés  par  leurs  provinces  au  prix,  les  uns  de  li  écus 
ou  V2  livres,  les  autres  au  prix  de  '6  écus  un  tiers  ou  lu  li- 
vres du  temps,  pour  chaque  jour  de  leur  législat^re  '.  pre* 


'  Voye*  ci -dessus,  pnges  ISI ,  t67. 

*  Lettres  pitonles  di*  Mujenne  pour  faire  payer  U  taie  de  n  d^pntutioD 
à  Oudel  Soiet,  k^uo  des  d«rpules  de  Ih  Normandie.  —  Appendice  aux  Etals, 
p.  ti7U.  M  Mandons  et  ordonnons  que  vous  aye>  à  fuire  le  département  de  l«i 
n  homme  eu  laquello  se  trouvera  monter  et  revenir  les  frais  dnrani  le  dict 
M  temps  dudictToyage,  ù  commencer  du  19*  jour  de  |auvier  dernier  {uMiue* 


228  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

nons  rindemnité  la  moins  forte ,  celle  de  10  livres.  La  li?re 
du  temps  éqoiTalant  à  3  francs  66  centimes  d'aujourd^hni, 
chaque  député  recevait  36  francs  60  centimes  pour  chaque 
Jour  de  session  aux  États.  C'était  certes  un  salaire  plus  que 
sufBsant  pour  couvrir  toutes  leurs  dépenses  pendant  leur  sé- 
jour à  Paris.  En  supposant  que  l'argent  leur  manquât  à  la 
fin  de  la  session,  leur  ressource  devait  être  un  emprunt  sans 
danger  pour  eux,  puisqu'ils  étaient  sûrs  d'être  remboursés  à 
leur  retour  par  le  pays  qui  les  avait  députés.  Leurs  commet- 
tants, comme  on  le  voit,  ne  mettaient  pas  leur  désintéresse- 
ment à  une  trop  rude  épreuve.  Cependant  elle  passa  leurs 
forces.  Dès  le  mois  de  juin,  ils  entrèrent  à  la  solde  de  l'Es- 
pagne, lis  reçurent  pour  les  mois  de  juin  et  de  Juillet 
8,000  écus  (2/1,000  livres)  ;  pour  le  mois  d'août  6,000  écus 
(18,000  livres);  pour  le  mois  de  septembre  5,000  écus 
(15,000  livres)  ;  pour  le  mois  d'octobre  5,068  écus  (15,lii2i  li- 
vres). Ils  savaient ,  et  leurs  registres  portent  qu'ils  savaient 
que  cet  argent  était  fourni  par  le  duc  de  Féria.   Il  est  vrai 
qu'ils  annonçaient  la  prétention  de  recevoir  ces  sommes  non 
de  Philippe  H,  mais  de  Mayenne.  L'excuse  est  si  misérable, 
que  ceux  d'entre  eux  qui  avaient  conservé  quelque  sentiment 
d'honneur  refusaient,  comme  nous  l'avons  vu,  de  toucher  à 
cet  argent  de  crainte  d'en  être  souillés,  et  qu'ils  l'envoyaient 
aux  hôpitaux  de  Paris  ^  Us  reçurent  donc,  outre  le  salaire 
de  leurs  provinces,  une  haute  paie  de  l'Espagne,  qui  trou- 
vait son  argent  bien  placé ,  et  avec  raison.  En  effet ,  si  les 
États,  prenant  le  mot  d'ordre  de  Mayenne,  refusèrent  à  Phi- 
lippe II  et  à  sa  fille  la  totalité  du  pouvoir  souverain,  ils  les 
appelèrent  au  partage  du  trône,  et  par  le  principe  de  l'élec- 
tion donnèrent  un  nouvel  et  actif  aliment  à  la  guerre  civile. 
Or  après  l'usurpation  de  la  France,  le  grand  but  de  Philippe 

»  An  four  de  ion  retour,  à  raiion  de  trois  escn«  un  tiers  pour  chacun  jour, 
»  et  ce  sur  tous  les  snbiects  contribuables  aux  tailles  d'icelle  eslectiou.  »-. 
Ballly,  Hist.  fin.,  t.  il,  pages  ôOO,  SOI. 

'  Registres  du  tiers-éut,  p.  S49,  S9I.  353,  354,  361,  565,  ri6S,  373, 374. 
^  A  la  date  du  6  décembre  1595,  on  trouve  une  dispute  dégoûtanta  entre 
les  chambres  au  sujet  du  parta.ge  de  l'argent  espagnol.  Le  clergé,  qui  a 
trente  membres  présents  aux  Etals,  veut  aToir  la  plus  grosse  part.  Le 
tiers-état  entend  avoir  part  égale,  c'est-à-dire  2,000  écus.  m  MM.  Bourgoing 
M  et  Langlois  ont  esté  envoyés  dire  h  M.  d^Amient,  i  cause  que  la  chambre 
»  du  clergé  estoil  levée,  ffue  nons  tomme*  fermes  h  deux  miile  escus^ 
m  et  protester  à  défaut  de  les  ItuiUer,  que  la  chambre  n*entren»it  plus.  » 
(Registre  du  tiers,  p.  374.) 


DERNIÈRES  IMTRI(;(J£S  DU  TIERS-PARTI.  229 

était  son  affaiblissement,  sa  décadence,  au  moyen  des  trou- 
bles ,  et  le  vote  des  États  servait  merveilleusement  ce  projet'. 
Ce  n'est  pas  seulement  la  Ménippée ,  la  satire  contempo- 
raine, c*est  Tbistoire  entière  du  temps,  ce  sont  leurs  actes 
surtout,  qui  accusent  et  condamnent  les  États  de  1593*  La 
critique  moderne  a  fait  appel  de  ce  jugement  ;  mais  à  un 
nouvel  et  sérieux  examen  du  procès,  le  bon  sens  public,  la 
conscience  publique,  confirmeront  la  sentence  et  repousse- 
ront la  réhabilitation  demandée  :  Tincapacité  politique,  sala- 
riée par  rétranger,  n'obtiendra  pas  amnistie.  Les  États  de  la 
Ligne  eurent  une  honorable  minorité  dont  nous  nous  sommes 
plu  à  proclamer  en  toute  circonstance  les  lumières  et  le  cou- 
rage, mais  ce  serait  fausser  rhistoire  que  de  prendre  les 
actes  de  cette  minorité  et  de  les  reverser  sur  la  majorité  pour 
la  blanchir  aux  yeux  de  la  postérité. 

Nous  n'avons  pas  encore  épuisé  la  longue  et  triste  énumé-  i^rDièrminUi- 
ration  de  toutes  les  tentatives  faites  par  les  passions  égoïstes,      ui^f^ru  ; 
par  les  ambitions  coupables,  pour  se  satisfaire  an  détriment  '•«^«•«3»  w^ 
des  grands  intérêts  et  même  du  salut  du  pays.  Le  parti 
royal  fournit  un  supplément  aux  intrigues  et  aux  excès  de 
la  Ligue. 

Henri  avait  fixé  le  milieu  du  mois  de  juillet  comme  l'époque 
où  il  devait  acx:ompIir  la  promesse  d'abjurer  faite  par  lui  au 
mois  d'avril.  A  l'approche  de  cet  acte  décisif,  qui  devait  à  la 
lois  lui  gagner  les  catholiques  sincères  de  la  Ligue  et  réduire 
&  néant  le  tiers-parti,  cette  faction  essaya  une  dernière  ten- 
tative pour  lui  arracher  d'abord  le  sceptre,  ensuite  des  con- 
ditions iniques  contre  les  calvinistes  et  ruineuses  pour  l'au- 
torité royale.  A  la  fin  du  mois  de  juin  et  dans  les  premiers 
jours  de  juillet,  le  cardinal  de  Bourbon  accueillit  les  propo- 
sitions d'un  traité  mis  en  avant  par  Mayenne  et  tendant  à 
faire  reconnaître  le  cardinal  pour  roi  par  la  Ligue  et  par  les 
seigneurs  et  les  villes  du  tiers-parti.  Henri  fut  informé  par 
d'O ,  en  termes  grossiers ,  des  intrigues  dirigées  contre  lui, 

•  SttUj,  OEcou.  rojM  c.  39.  p.  III  B.  .  U  roy  d'EtpagiM  voulolt  m 
m  uot  cas  maintenir  les  divitiona  rommenc^ea,  par  les  dWenea  ^apérancea 
»  qu  11  donaei  oit  i  chascan  dea  chcfc,  afin  que  ne  pouvant  avoir  la  France 
»  pour  Iny,  il  easayasl  d'en  faire  autant  de  paris  qu'il  y  a  voit  de  préten- 
»  danl^  suivant  l'ancien  désir  de  l'euiperenr  Charlet-QuinU  » 


230  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI   IV. 

pendant  qtt*il  était  arrêté  au  siège  du  château  et  de  la  tour 
grise  de  Dreux  :  d*0  lui  dit  quMl  s'agissait  pour  lui  de  re- 
noncer à  la  couronne  ou  de  prendre  la  résolution  d'ouïr  ga- 
lamment une  messe  dans  les  huit  jours.  En  cédant ,  le  roi 
aurait  échappé  à  un  danger  très  réel  du  moment  ;  mais  il 
aurait  eu  la  honte  d'abjurer  par  nécessité  et  sur  Tordre  de 
ses  ennemis.  Il  pensa  que  les  vues  et  les  brigues  sans  cesse 
ciiangeantcs  des  Espagnols,  de  Mayenne,  du  cardinal,  pour- 
raient se  combattre  et  se  neutraliser  les  unes  par  les  autres  ; 
que  leur  manque  de  forces  suffisantes  pour  soutenir  TélecUoD 
en  diminuait  le  péril  ;  que  Teflet  de  sa  conversion  serait  tout 
difTérent,  tout  autrement  puissant  sur  l'esprit  du  peuple  si  son 
abjuration  était  volontaire,  et  s'il  l'ajournait  au  temps  où  la 
Ligue  et  le  tiers-parti  seraient  convaincus  d'impuissance  dans 
tontes  leurs  tentatives  pour  faire  un  roi.  L'événement  jus- 
tifia sa  fermeté  et  ses  prévisions.  A  la  suite  des  nouvelles  pro- 
positions que  les  Espagnols  mirent  en  avant  le  A  juillet, 
Mayenne  rompit  les  ouvertures  faites  au  cardinal  de  Bourbon. 
La  santé  de  ce  prince ,  déjà  atteinte ,  s'altéra  profondément 
par  le  désespoir  de  l'ambition  trompée  :  au  milieu  du  dépé- 
rissement de  ses  forces,  il  devint  incapable  de  montrer  autre 
chose  qu'une  mauvaise  volonté  Inutile.  Dans  la  ville  de  Mantes, 
où  les  seigneurs  et  les  députés  des  parlements  royalistes  se 
rendaient  avant  de  passer  à  Saint-Denis,  le  cardinal  s'abou- 
chait avec  les  serviteurs  de  Henri  et  tentait  de  leur  prouver 
que  le  roi  n'était  pas  recevabic  par  i'Église,  et  que  sa  con- 
version était  impossible.  A  cette  attaque  du  chef  du  tiers- 
parti  succédèrent  celles  des  seigneurs  de  la  faction,  ils  es- 
sayèrent de  tirer  de  Henri  l'engagement  qu'il  exclurait  les 
huguenots  de  toutes  les  charges  et  de  tous  les  honneurs  pour 
les  réserver  exclusivement  aux  catholiques  :  renouvelant  ime 
dernière  fois  un  ancien  projet,  ils  tentèrent  encore  de  lui 
arracher  l'hérédité  de  leurs  gouvernements  (16-21  juillet). 
Par  la  pnidence  de  sa  conduite,  il  échappa  à  leurs  demandes 
et  à  leurs  poursuites  sans  les  jeter  dans  une  rupture  ^  11  ob- 
tint d'eux  un  délai  :  dans  l'intervalle,  il  sut  gagner  la  masse 

*  Vitlet  oy,  Aptil.  et  dUc,  t.  xi,  p.  fOT  A,  B.  —  Thuaiius.  1.  C7II,  %  3. 
l.  ▼,  p.  tt3.  —  D^Aul)ign<*,  1.  m»  c.  îf,  !.  m,  p.  291.  S!)5.  —  GroiUart , 
c.  4,  t.  XI,  p.  S59  B.  —  Lftlre  Ar  Uiipli>«sti  &  Laharthe,  âO  iuillet  tSa*^, 
t.  ▼,  p.  SU),  SOI.  «  J'ai  lettres  rlu  16  et  du  tt  de  la  cour...  On  prcssoit  le 
m  roj  d'exclure  cculx  de  la  rcUigion  de  loutes  les  charges  et  noDueurs  : 


AfiJDRATibN  bu  ROI.  231 

de  la  dation,  et  qttand  il  Teiit  pour  lUl,  il  l'Opposa  ilctoHcii- 
scment  à  l'aristocratie. 

Tandis  que  les  ambitions  rivales  de  Philippe  II,  de 
Mayenne,  du  jeune  atrdinal  de  Bourbon,  se  perdaient  dans 
ces  intrigues  qui  ne  pouvaient  aboutir,  Henri,  par  des  actes 
Trancs  et  décisirs,  ralliait  à  lui  presqtie  toutes  les  classes  de 
la  nation  et  préparait  d'une  manière  sOre  rétablissement  de 
son  pouvoir  sur  la  ruine  des  diverses  factions.  Ses  sujets  ca- 
tholiques désiraient ,  et  les  ligueurs  français  exigeaient  sa 
réunion  à  TÊglise.  Les  uns  et  les  autres  demandaient  à  grands 
cris  la  fln  de  la  guerre  et  le  soulagement  des  intolérables 
calamités  qu'elle  entraînait  après  elle  ;  la  répression  des 
tyrans  locaux ,  qui  s'étaient  établis  partout  au  milieu  de 
l'anarchie  ;  l'union  des  partis  contre  l'Espagnol  qlii  menaçait 
l'indépendance  nationale. 

Henri  satisfît  à  toutes  ces  exigences.  Les  prélats  qtl'll  avait  Auembiée 
convoqués  pour  le  mois  de  juillet  se  trouv^^ent  réunis  lé  "iî^M  *" 
2i  de  ce  mois  à  Saint-Denis  :  on  tonlptait  i>anbi  eux  l'ar-  •.  Saim-DcnU  : 
chevèque  de  Bourges,  neuf  évêqiles,  treize  membres  du  Abiurmiioa 
moyen  et  du  bas  clergé,  et  tout  le  chapitre  de  Saint-Denis. 
Ces  ecclésiastiques,  animés  de  l'esprit  de  l'Évangile  et  fidèles 
aux  maximes  gallicanes,  continuèrent  dignement  l'œuvre  de 
l'assemblée  de  Chartres.  Les  prélats  de  Chartres  avaietit  enn- 
pèché  que  les  excommunications  d'un  pape  dévoué  & 
l'Espagne  ne  détachassent  les  catholiques  royaux  de  l'obéis- 
sance du  roi  et  ne  perdissent  le  parti  français.  Le  clergé, 
réunie  Saint-Denis,  donna  aussi  les  moyens  de  se  réconcilier 
avec  l'Église,  moyens  que  lui  refusait  tm  autrt»  pape  circon- 
venu par  le  roi  catholique  et  par  la  Ligue  :  les  sages  résolu- 
tlons  de  ces  ecclésiastiques  amenèrent  ainsi  M  soumission  au 
roi  de  la  masse  de  ses  sujets,  la  réunion  des  partis  au  mo- 
ment où  elle  était  une  condition  de  salut  pour  la  nation  :  la 
nation  leur  doit  une  étemelle  reconnaissance.  Le  21  juillet, 
ils  décidèrent  que  les  évéques  français  avaient  le  droit  d'ab- 
soudre le  roi  sans  l'intervention  immédiate  du  pape  ;  qtie  le 
roi  n'était  tenu  à  l'égard  du  Salni-Siége  qu'à  faire  des  soii- 

»  D'il  oe  •>  opp«aolt.  J^uiirois  &  vous  diic  un  autre  monopole  i'i-fte«siis, 
•  ffui  a  t%\v  (Usrouvert  par  m  tnajrtlr,  de  rrndre  tonis  les  gouvernements 
m  he'réditaires  :  ce  Mra  pour  le  Uir«  mourir  trois  ioura  après,  m 


du  TVU 


23S  HISTOIRE  BU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

missions  et  à  demander  la  ratification  de  son  absolution.  Le 
23  juillet,  dans  une  conférence  de  cinq  heures,  le  roi  reçut 
i*instruction  des  prélats  et  des  docteurs  sur  tous  les  points  où 
sa  croyance  différait  de  celle  de  Tf^glise.  Le  25,  il  fit  abjura- 
tion publique  du  calvinisme  dans  Téglise  de  Saint-Denis,  et 
reçut  Fabsolution  de  Tarchevèque  de  Bourges  et  de  tous  les 
prélats  qui  avaient  assisté  aux  conférences.  Les  habitants  de 
Paris  se  portèrent  à  Saint-Denis,  même  sans  passe-port,  et  ils 
assistèrent  en  plus  grand  nombre  que  les  royaux  eux-mêmes 
à  Tabjuratlon  du  roi  K  Cette  circonstance  indiquait  assez,  et 
rimportance  qu'ils  attachaient  à  un  pareil  acte,  et  la  nature 
des  sentiments  dont  ils  étalent  désormais  animés  envers  lui. 
u  roi  cootraiot  Pour  achever  de  les  gagner,  Henri  n'avait  qu'à  s'efforcer  de 
àï^uî"!  mettre  un  à  ime  guerre  où  chaque  jour  les  peuples  s'appro- 
chaient d'un  pas  de  plus  vers  une  ruine  entière  et  vers  le  joug 
espagnol  :  cette  recommandation  auprès  d'eux  ne  lui  manqua 
pas.  Depuis  sept  mois,  il  offrait  à  Mayenne  de  suspendre  les 
hostilités  et  de  composer  leurs  différends  par  un  traité. 
Gomme  le  lieutenant-général  n'avait  accueilli  ses  ouvertures 
que  par  des  tergiversations,  il  s'était  mis  en  devoir  de  l'y 
contraindre  par  la  force  des  armes  et  il  avait  pris  Dreux. 
Bientôt  après,  voyant  la  Ligue  et  l'Espagne  agiter  la  royauté 
du  duc  de  Guise  et  de  l'infante,  il  avait  rompu  l'armistice 
conclu  pour  I^ris  et  pour  les  environs,  ordonné  à  ses  garni- 
sons de  recommencer  leurs  courses,  d'arrêter  les  provisions, 
et  de  menacer  la  capitale  d'un  blocus  nouveau  et  plus  étroit 
(12,  13,  1/i  juillet).  Contraint  par  la  nécessité  et  par  la  pro- 
fonde irritation  qui  se  manifesta  alors  dans  la  population  de 
Paris,  Mayenne  consentit  la  trêve  de  trois  mots,  qui  fut  signée 
le  31  juillet  Durant  cette  trêve,  les  négociateurs  des  deux 
partis  devaient  travailler  aux  conditions  de  la  paix,  et  ceux  de 
Henri  s'y  employèrent  énergiquement  \  Le  désir  le  plus  ar- 
dent des  peuples  était  la  fin  des  hostilités  :  Henri  eut  tout 


*  Procès-Terhal  des  ccrémoaiet  de  rub)ttration  du  roY.  —  Discours  des 
et^rëmouies  observées  à  la  couTersioa  de  Henri,  roy  de  Navarre,  duos 
rHistoirc  de  Toulouse,  par  Lafaille,  t.  u,  p.  89  el  suivantes,  et  duns  les 
Mémoires  de  la  Ligue,  U  ▼,  p.  38.V387.  —  P.  Cayet,  t.  Y,  p.  495-497.  > 
Tboanos.  1.  CVii,  $$  ti^,  t.  Y,  p.  990-S95,  p€usim. 

*  Manuscrit  T',  cité  par  fragmeals  dans  le  regblie  du  tiers,  p.  30't,  510. 
—  Le  texte  de  la  trêve  dans  le  regist.  du  tiers,  p.  5S7-33I.  —  P.  Cajet, 
L  V,  p.  496.500. 


LE  ROI  RALLIE  A  LUI  LA  MAJORITÉ  DE  LA  NATION.      233 

rhonneiir  de  les  avoir  suspendues  et  tout  le  mérite  d*avoir 
cherché  à  les  terminer. 

il  avait  satisfait  aux  deux  grands  vœux  de  la  masse  de  la  l«  matoihé 
nation  en  se  faisant  catholique,  et  en  donnant  relâche  à  la  *"  g.  iJT^ 
misère  publique.  Dès  lors,  Topinion  fut  pour  lui  et  la  majo- 
rité nationale  passa  de  son  côté.  Cette  majorité  se  composait 
des  politiques  parmi  les  catholiques  et  les  huguenots,  hom- 
mes supérieurs  à  leur  temps,  qui  séparaient  la  religion  du 
gouvernement  et  reconnaissaient  Henri  pour  roi  légitime , 
quelle  que  fût  sa  croyance  :  Rosny  fut  le  représentant  des 
politiques  parmi  les  huguenots.  La  majorité  se  composa  en- 
core du  tiers-parti,  qui  tenant  pour  les  droits  de  la  maison 
de  Bourbon  contre  les  Guises  et  les  Espagnols,  se  trouvait 
fatalement  amené  à  obéir  à  Henri,  dès  quMl  n'avait  plus 
conUre  lui  Tobjection  de  son  hérésie.  Enfin,  la  dernière  et  la 
plus  considérable  partie  de  la  majorité  était  la  Ligue  fran- 
çaise, qui  n'était  également  séparée  de  lui  que  par  la  religion, 
et  qu'il  venait  d'attirer  par  son  abjuration.  Entre  les  ligueurs 
français,  les  plus  difticiles  purent  bien  attendre  son  sacre  et 
son  absolution  par  le  pape,conune  complément  indispensable 
pour  eux  de  son  catholicisme  ;  mais  la  masse  se  soumit  à  lui 
de  cœur  et  d'intention  aussitôt  après  qu'il  fut  réconcilié  ù 
l'Ëglise  par  les  prélats  français.  Les  peuples,  potur  abandon- 
ner le  parti  de  l'Union,  n'attendirent  plus,  les  uns  que  la  lin 
de  la  trêve,  les  autres  qu'une  occasion  favorable.  Ces  dispo- 
sitions étaient  celles  de  l*aris  et  de  beaucoup  d'autres  villes. 
Dès  que  Henri  obtint  la  majorité  nationale,  il  eut  cause  ga- 
gnée :  dans  l'appui  que  lui  donnait  cette  majorité,  il  devait 
trouver  et  il  trouva  la  force  nécessaire  pour  vaincre  toutes 
les  factions  et  les  mettre  à  ses  pieds. 


lilVKE    IV. 

DE   L*ABJURATIOfl    DU   ROI  A  LA  DÉCLARATION    DE   GUEllRE 
A  L'ESPAGNE   (JDILLET  1593-JANVIER   1595). 


CHAPITRE   r. 

La  Mcuippée.  Allentat  de  Barriire.  Premières  defeclionii  dans  la  Ligue, 
durant  la  trêve.  Révolle  de  Lyon.  Derniers  eflbrU  des  liRUKurs  fraufaU 
auprès  de  Mayenne.  Soumission  de  Vitry  et  de  Meaax  (1S93). 

Nous  sommes  arrivés  au  moment  de  ta  dissolution  dis  la 
Li^e.  Nous  alions  voir  les  gouverneurs,  dans  certaines  loca- 
lilés,  entratrier  les  villes  et  les  provinces  où  ils  comman- 
dent ;  dans  d'autres,  au  contraire,  les  villes  et  les  provinces 
se  décider  contre  les  intentions  et  les  efTorts  contraires  des 
gouverneurs;  mais  toutes  les  fractions  de  l'Union  passer 
successivement  au  parti  du  roi  et  s'y  fondre.  Les  causes 
principales  de  la  révolution  royaliste  furent  d'abord  celles  que 
nous  venons  de  signaler,  la  conversion  de  Ileilri  et  ses  efforts 
pour  donner  la  paix  ait  pays;  la  supériorité  actuelle  et  incon- 
testable de  ses  forces  sur  celles  de  Mayenne  et  de  Philippe  11, 
lui  seul  conservant  pour  le  moment  une  armée  à  sa  disposition  ; 
ses  derniers  succès  à  la  guerre  ;  la  haine  invétérée  de  la  na- 
tion pour  la  domination  espagnole,  et  le  besoin  immense 
qu'elle  éprouvait  de  mettre  fln  aux  désastres  de  la  guerre  et 
à  ses  souffrances  ;  le  ressentiment  que  nourrissaient  beaucoup 
de  populations  de  la  Ligue  contre  la  tyrannie  de  leurs  gou- 
verneurs; la  mésintelligence  et  les  querelles  violentes  de 
plusieurs  de  ces  gouverneurs  entre  eux.  Los  causes  secon- 
daires furent  la  publication  et  l'influence  de  divers  écrits  des 
Politiques  qid  séparèrent  habilement  la  religion  de  la  politique, 
mêlées  ensemble  par  l'adresse  des  Guises  et  du  roi  catho- 
lique ;  firent  touclier  au  doigt  leurs  ruses  cachées  et  Icuram- 


LA  UÉMlPPÈ^é  ATTKNTAT  DE  BARRIÈRE.  235 

bition;  ramenèrent  les  esprits  de  Texaltation  religieuse  à  la 
raison  et  au  sentiment  des  dangers  publics.  De  tous  ces  écrits, 
le  plus  célèbre  est  la  iSatire  Ménippée^  immortel  pamphlet 
qui  couvrit  la  Ligue  de  ridicule  et  d'odieux  à  la  fois.  C'était 
plus  de  la  moitié  de  ce  qui  était  nécessaire  pour  faire  un  tort 
irréparable  à  la  Ligue,  car  en  France  un  parti  atteint  par  le 
ridicule  est  un  parti  à  demi  mort.  Malgré  les  assertions  con- 
traires de  plusieui's  critiques  modernes,  il  est  certain  que  la 
première  partie  de  la  Ménippée,  composée  par  Louis  Leroi, 
«  prêtre  normand,  homme  de  probité,  ennemi  des  factions, 
ft  et  qui  a  voit  été  aumônier  du  jeune  cardinal  de  Bourbon,  » 
fut  publiée  non-seulement  dans  le  com's  de  Tannée  1593, 
mais  même  peu  de  temps  après  Touverture  des  États  de  la 
Ligue.  Tel  est  le  témoignage  du  contemporain  de  Tbou.  La 
Ménippée,  telle  que  nous  la  possédons  aujourd'hui,  se  com- 
pose, outre  la  première  partie,  celle  de  Leroi,  d'une  seconde 
partie,  la  plus  considérable  de  beaucoup,  qui  fut  l'œuvre 
collective  de  Pierre  i^tliou,  de  Gillot,  de  Hapin,  de  FI.  Chré- 
tien, de  Passerat.  ^ous  établirons  plus  tard  sur  des  preuves 
irrécusables,  tirées  du  livre  lui-même,  que  cette  seconde 
partie,  moins  quelques  courts  passages,  ajoutés  après  coup, 
fut  composée  avant  l'abjuration  du  roi,  c'est-à-dire  avant  le 
^5  juillet  1593  ;  qu'elle  fut  dès  lors  répandue  par  la  voie  des 
manuscrits  multipliés,  ainsi  que  t)eaucoup  d'autres  rcrlls  de 
ce  temps  ;  que  bien  que  la  publication  par  voie  d'impression 
n'ait  eu  lieu  que  dans  les  premiers  mois  de  l'année  1594,  la 
publication  restreinte,  par  la  voie  des  manuscrits,  exerça  une 
influence  marquée  sur  les  esprits  et  sur  la  situation  dès  le 
milieu  de  l'année  1593  ^  On  a  dit  avec  raison  que  cette  sa- 
tire ne  fut  guère  moins  utile  à  Henri  IV  que  la  bataille  d'ivry. 
C'est  un  nouveau  service  d'un  nouveau  genre  que  le  parti 
politique  rendit  au  roi  et  à  la  France. 

Les  Seize  et  la  Ugue  espagnole  suivaient  avec  attention  et  Aiteotat 
Inquiétude  les  dispositions  nouveUes  qui  se  manifestaient  de  d«  Barrière. 
toutes  parts,  et  ils  en  prévoyaient  les  résultats,  ils  essayèrent 
de  les  conjurer  par  une  première  tentative  d'assassinat  contre 
Henri.  Pendant  la  durée  de  la  trêve,  plusieurs  ecclésiastiques 
affiliés  aux  Seize,  un  capucin,  un  carme  et  deux  prêtres  à  Lyon, 
le  curé  Aubry  et  le  recteur  du  collège  des  jésuites,  Varade,  à 
Paris,  persuadèrent  à  l'aventurier  Barrière,  en  lui  promettant 
le  paradis  et  hi  félicité  étemelle,  de  tuer  le  roi  d^un  coup  de 

*  ThMDW,  1.  cv,  s  1S«  t.  V,  p.  t34,  S35.  —  Vojem,  au  second  volame  éi 
cetle  Histoire,  le  chapitre  de  U  Litléralare. 

!•  15* 


PreBtièr«t 

défections  dnns 

la  Ligop  : 

fioisrusé 

h  Fécamp, 

Balagnj 
à  Cambrai. 


Bëvolte 
lia  Ljun, 


236  HISTOIRE  DO  RÈGNK  OB  HERRI  IV. 

couteau.  Barrière,  dénoncé  par  le  dominicain  Bianclil,  quMl 
avait  consulté  pendant  son  séjour  à  Lyon,  fut  arrêté  le  27  août 
1593  à  Melun,  où  il  avait  suivi  le  roi,  convaincu  de  son  crime 
sur  des  preuves  irrécusables  et  sur  ses  propres  aveux,  et  livré 
quelques  jours  après  au  bourreau  ^  Le  meurtre  comme 
moyen  politique  ayant  échoué,  les  événements  furent  rendus 
à  leur  cours  naturel  et  marchèrent  rapidement. 

Les  querelles  des  gouverneurs  de  TUnion  entre  eux  et  avec 
Philippe  il  amenèrent  les  premières  défections  dans  la  Ligue 
peu  après  la  conversion  du  roi.  Boisrosé  craignait  de  se  voir 
enlever  Kécamp  et  LUlebonne  parVillars,  gouverneur  de 
Rouen  :  il  fit  sa  soumission  au  roi  dès  les  premiers  jours 
d'août  et  lui  livra  ses  deux  villes  pour  en  garder  le  com- 
mandement \  Balagny  avait  usurpé  la  souveraineté  de  Cam- 
brai après  la  mort  du  duc  d'Anjou,  il  se  voyait  à  la  fois 
menacé  par  le  propriétaire  légitime,  et  par  Philippe  H  qui 
convoitait  Cambrai  :  il  craignait  d'être  ou  mal  défendu  ou 
même  trahi  par  Mayenne.  Au  milieu  de  ces  dangers,  il  cher- 
cha un  protecteur  dans  Henri,  le  reconnut  pour  suzerain,  et 
abandonna  la  Ligue,  à  laquelle  il  avait  jusqu'alors  adliéré, 
par  le  traité  conclu  avec  le  roi  le  19  novembre  1593  '. 

Le  duc  de  Nemours,  frère  utérin  du  duc  de  Mayenne,  et 
cependant  son  ennemi  déclaré,  depuis  que  le  lieutenant  géné- 
ral avait  traversé  ses  prétentions  à  la  couronne  de  France, 
projetait  de  séparer  Lyon  et  le  Lyonnais  du  corps  de  la  mo- 
narchie, et  de  transformer  son  gouvernement  en  une  princi- 
pauté indépendante  ou  même  eu  un  nouveau  royaume  de 
Bourgogne.  Il  avait  aigri  les  habitants  par  son  orgueil,  ses 


'  Briefdisc.  du  procès  rriminrl  fuit  i  Rarrièie,  et  extrait  des  registres  du 
parirmcni,  dans  les  ArcliÎT^s  curieuses,  t.  xiii,  p.  566-368.  389,  390.  On 
lit  uux  pages  367  à  In  Tin.  et  368  :  «  Ledit  Hariière  ayant  déclaré  audit  curé 
M  (Aubrj)  son  iulenlion  et  résolution  t|u'il  avoU  de  tuer  le  roy,  ledit  curé 
j*  l'asscura  ou*  ce  scroit  bien  ftiit,  et  gagoeroit  une  grande  gloire  en  paradis  : 
m  celte  parole  le  conTirma  et  incita  tort  K  continuer  sa  résolution...  Ledit 
a  curé  lut  dit  riu^il  fallait  aller  wert  un  jésuite  «|u'il  lai  nomma  lors  (Va- 
H  rade),  pour  1  advertir  de  cette  volonté  et  résolutiun  qu^il  avoit  de  tuar  le 
M  Toy...  L^uyunt  trouvé,  il  lui  découvrit  sa  mauvaise  volonté  et  intention, 
M  que  ledit  jésuite  loua,  lui  disant  qu«  c^ëtoit  une  l>«lle  chose,  avec  autres 
«propos  sembltfbles;  l'exhorta  d*avoir  bon  couru  gr,  d^eMre  constant,  et 
m  f|uM1  se  falloit  bien  confesser  et  faire  ses  pasques.  Et  npris  l'avoir  excité 
a  de  continuer,  et  assuré  qu'il  gagnerait  paradis,  ledit  jéiuite  lui  bailla  sa 
m  bénédiction,  disant  qu^il  eust  bon  courage,  qu'il  priast  bien  Dieu,  et  Dieu 
a  l'astisteroit  en  son  entreprise.  »  —  Tout  cela  est  confirmé  par  P.  Cayel, 
I.  V,  p.  805-6(n,  et  par  de  Thon,  1.  CVII,  t.  Xli.  p.  80  de  la  traduction,  édi- 
tion i7<>l,  in>4e. 

*  Snlly,  OEcun.  roy.,  c.44,  p.  ItS  A.  136  A.  —  Mém.  de  madame  Du- 
plessis,  1. 1,  p.MS.  —  P.  Cajet,  1.  v,  p.  5i4  A. 

•  P.  favtt,  1.  V,  p.  8t«  A.  —  Thuanus,  L  CXI,  $  6,  t.  V,  p.  4*7.  4». 


!■*  DiPECTIONS  DANS  LA  LIGVB.  EFFETS  DE  LA  TRÈYE.   237 

violences,  l^éléTation  et  la  rigueur  des  impôts,  et  il  se  prépa* 
rait  à  établir  son  despotisme  en  concentrant  des  troupes 
nombreuses  à  Lyon  et  en  y  bâtissant  des  citadelles.  D'EspInac, 
archevêque  de  la  ville  et  Tun  des  deux  agents  principaux 
de  Mayenne,  retourna  à  Lyon  après  la  prorogation  des  États 
de  la  Ligue,  se  mit  en  rapport  avec  la  boivgeoisie  et  la  sou- 
leva contre  Nemours.  Le  18  septembre ,  les  habitants  éle- 
vèrent des  barricades  ;  le  lendemahi,  ils  firent  prisonniers  leur 
gouverneur  Nemours  avec  ses  conseillers  et  ses  gentils- 
hommes, et  les  enfermèrent  à  Pierre-Encise.  Ils  élurent 
ensuite  pour  gouverneur  leur  arclievèque  d^Espinac,  protes- 
tant ne  vouloir  se  départir  ni  de  la  Ligue  ni  de  Tobélssance 
au  lieutenant  général  *.  Mayenne  ne  vit  d'abord  dans  ce  mou- 
vement populaire  que  le  rétablissement  de  son  autorité,  et 
sVn  applaudit  Mais  il  y  avait  tonte  autre  chose  :  Texemple 
était  donné  par  les  bourgeois  de  la  seconde  ville  de  France  de 
se  révolter  contre  la  tyrannie  des  gouverneurs  de  la  Ligue,  et 
beaucoup  de  chefs  de  ce  parti  résolurent  dès  lors  d*échapper 
au  danger  où  Nemours  venait  de  succomber,  en  traitant  avec 
le  roi. 

La  trêve  conclue  pour  nrols  mois  fut  prolongée  effective-     EfbCf  d«ia 
ment  pendant  cinq  mois,  et  jusqu'à  la  fin  de  Tannée  1593.    <^v«  l^^^ 
Elle  permit,  il  est  vrai,  aux  villes  de  TUnion  de  respirer  et  Bomiie/dëfei:- 
de  s'approvisionner  ;  mais  loin  de  nuire  à  la  cause  de  Henri,  *^?]l 

elle  la  servit.  Les  populations,  une  fois  sorties  des  horreurs 
de  la  guerre,  ne  voulaient  plus  à  aucun  prix  y  rentrer  : 
c'étaient  de  nouvelles  et  pacifiques  habitudes  dont  il  fut 
impossible  de  les  tirer.  Écoutons  Sully  à  ce  sujet  :  «  Les 
»  peuples,  qui  n'entendent  pas  raillerie  en  matière  d'aise  et 
»  de  repos,  et  ont  toujours  en  haine  ceux  qui  les  en  privent, 
»  et  aiment  tous  ceux  qui  le^  leur  procurent,  nonobstant  les 
»  serments  prêtés  à  Paris  entre  les  mains  du  légat  du  pape, 
»  de  ne  vous  reconnoltre  jamais  pour  roy,  quelque  catho- 
■  lique  que  vous  puissiez  devenir...  les  peuples,  sitôt  qu'ils 
9  entendirent  votre  changement  de  religion,  n'attendirent 
»  pas  à  vous  reconnoltre  pour  roy  qu'il  fût  venu  du  pape 
»  l'entière  absolution^  •  Cette  disposition  des  esprits  doit  être 

*  p.  Cajet,  1.  ▼.  p.  SOS-SIt.  —  Thaanas,  1.  CVU,  $  14,  t.  V,  p.  306,  S07« 
»  LctIoUe,  regitt.  Jonni.,  pag«  175  B. 

*  SuUj,  OEcon.  roj.p  c.  1  M,  t.  i,  p.  6S7  A.  (font  ne  chaageoiu  qo» 
rortbognphc. 


S38  HISTOIBB  DD  RàGlffB  DB  HEHRI  IV. 

ajoutée  aux  causes  les  plus  influentes  que  nous  avons  précé- 
demment signalées  comme  devant  amener  la  soumission 
d'une  notable  partie  du  pays  à  la  légitime  domination  de 
Henri. 
Dernieneflbrt*      Les  conféreuces  pour  la  paix  entre  le  roi  et  Mayenne  con- 
fran*  'iî  atmîèt  tù^w^^^c"^  ^  An4ré8y  et  à  MiUy,  et  la  trêve  qui  devait  expirer 
de  Mojenne.     à  la  fin  d'octobre  fut  prolongée  le  13  octobre  jusqu'à  la  fih 
4li  mois  de  décembre  1593 1.  La  plupart  des  seigneurs  qui 
avaient  été  chefs  de  la  ligue,  mais  de  la  Ligue  française, 
firent  un  puissant  et  loyal  effort  pour  amener  Mayenne  à 
traiter  avec  le  roi  et  à  donner  la  paix  k  la  France.  Ces  sei- 
gneurs n'étaient  ni  des  héros  de  désintéressement,  comme 
noi^  le  terrons  bientôt,  ni  des  martyrs  prêts  à  donner  leur 
vie  pour  la  défense  d'un  principe.  Mais  ils  aimaient  leur 
pays,  qu'ils  pe  voulaient  rejeter  ni  dans  des  périls  extrêmes 
ni  dans  d'exur^mes  souffrances  :  ils  avaient  de  l'honneur,  et 
ils  ne  voulaient  pas  composer  avec  le  roi  et  sortir  de  la  Ligue 
avant  d'avoir  donné  le  temps  à  Mayenne  d'obtenir  pour  lui- 
même  les  plus  honorables  conditions.  Us  n'épargnèrent  donc 
ni  avis  ni  sollicitations  pour  l'amener  à  traiter  en  même 
temps  qu'eux,  taudis  que  la  Ligue  était  encore  debout  Au 
mois  de  novembre,  Vitry  lui  déclara  «  qu'il  ne  pouvait  plus 
»  le  servir  ni  suivre  le  parti  de  la  Ligue,  et  qu'étant  le  roi 
Il  catholique,  il  ne  pouvait  être  autre  que  son  serviteur'.  » 
Yilleroy,  qui  avait  découvert  le  pacte  et  le  serment  du 
2i5  juillet,  épuisa  les  plus  solides  arguments  de  la  raison,  de 
la  saine  politique,  du  patriotisme,  pour  engager  Mayenne  à 
roiiipre  ses  engagements  avec  l'Espagne  et  à  se  tourner  du 
côté  du  roi.  )|  lui  exposa  de  vive  voix  et  à  deux  reprises  U*s 
faits  et  les  raisons  qu'il  consigna  quelque  temps  après  par 
écrit  (lans  une  lettre.  Comme  elle  peint  vivement  la  situation, 
les  scntii})cnt8  des  scjgncurs  de  la  Ligue  française  et  des 
villes,  ifous  en  citerons  les  principaux  passages.  «  Nous  vous 
»  demandons  une  négociation  de  bonne  foi,   publique  et 
»  aut|icntlque...  Vous  estimez  ce  chemin  être  trop  périlleux 
M  (>t  hopteux.  Je  crois,  pour  mon  regard,  non  seulement 
»  qu'il  ne  peut  être  que  très  silr  et  utile  au  général,  à  votre 

•  VUlrroy,  Apol.  et  Dite,  l.  xi,  p.  311  B«  Sti,  9lG  B.  —  (.mIoUo  el  mui 
supp!.,  p.  177  A,  b.  —  Lt'Urcs  de  Henri  IV  k  Luftiirr,  (i  u«tiil»rc  el  ."i  iiu-> 
▼erobiv.  --  Meiii.  de  Lafurre,  i.  l,  p.  24*.  ^M* 

'  Munifestc  de  Vitry  dans  Cuyet,  1.  v,  p.  hi»  A. 


DERNIERS  AVIS  DES  UGUEpRS  FRANÇAIS  A  MAYENNE.    2^9 

»  particulier  trè^  bpDorable  et  à  votre  gninde  décharge,  mais 
»  aussi  qu*il  est  unique  et  qu'il  ne  vous  en  reste  point  d'autre 
»  pour  arrêter  le  mal  qui  nous  presse.  Monseigneur,  je  vpus 
»  dis  ceci  francbcmcnt,  commp  ami  de  ma  patrie,  jaloux  de 
»  la  conservation  de  notre  religion  et  de  votre  réputatioa  et 
»  service.  Chacun  est  |as  de  la  guerre,  et  il  ne  sera  plus  à 
»  Tavenir  question  de  la  religion  :  il  ne  sera  plus  en  votre 
»  pui&sance  de  vous  défendfe  et  conserver  et  bien  faire  à 
»  vous-même.  Je  ne  vous  dirai  Jcs  raisons  sur  lesquelles  ils 
»  se  fondent,  car  vous  les  sçavez  et  sentez  jnlQnx  que  per- 
»  sonne  ;  mais  croyez,  je  vous  supplie,  qu'il  y  a  peu  de  gens 
»  qui  prennent  plaisir  de  se  perdre  de  gaieté  de  cœur,  et 
»  d'épouser  un  désespoir  pour  le  reste  de  leur  vie  et  de  leur 
A  postérité.  Les  bpunes  villes  et  cooimunaplés  sont  le  plus 
»  bandées  à  la  paix,  comme  celles  qui  se  trouvent  déchues 
w  de  l'espérance  qu'elles  avalent  conçue  de  celte  guerre,  et 
»  en  supportent  plus  de  tourment  que  les  autres.  N'attendez 
■  donc  pas  les  elleLi  de  leur  désespoir  :  vous  êtes  trop  fpibie 
9  pour  l'empéclier,  et  il  est  déjà  passé  trop  avant  pour  étr^^ 
A  retenu  par  douceur  et  pa):  art.  Vous  l'éprouverez  et  con- 
»  naîtrez,  monseigneur,  et  Dieif  veuille  que  ce  pe  soit  trop 
B  tard  pour  son  service  et  pour  votre  service  particulier  K  » 
La  Cliaslre  écrivait  à  Mayenne,  lui  adressait  des  déclaratjons 
non  moins  expliciles,  non  moins  franches,  tandis  que  )a  (r^ye 
durait  encore'. 


9 

*  La  Irtlr*  de  ViUcroy  m  IrouTe  «  la  suite  de  ses  Biéinotrei  d'Etat,  t.  VI 
de  la  coUecliou  Mirbaml,  p.  ^4,  ^tôS.  CeUe  lellre  es|  du  i  iauvicr  tS94, 
u|>rc»  le  moment  où  VlUei\»y  s^cst  sépare  de  Miiyennc.  Vais  ou  voit  qu'elle 
o>tl  que  la  reproduction  par  écrit  des  principales  raisont  ■llefuëe*  de  vive 
vuii  par  VilieruY,  durant  la  trvve,  pour  décider  Mayenne  à  la  paix.  (Vil 
leruy,  Apol.  et  dise.  t.  XI,  p.  :tl4-Sltt,  il9  A.) 

*  La  lellre  de  L«  Qwtlre  i  Hayenne  ••  trouve  d«os  lei  Méa.  de  Never»* 
t.  II,  m  folio,  p.  7U4-706.  Celle  letiie,  très  pressante,  est  antérieure  à  la 
Kn  de  la  Irère.  «  En  ce  qui  est  de  mon  particulier  et  de  mon  devoir,  voua 

•  m'y  trouvères  toujours  tel,  et  vou«  vous  kouvienurei  qun  je  vous  ai  plu- 

•  sieurs  fois  discouru  de  ce  qui  pourroît  arriver  à  ta  lin  de  la  trêve,  si 
■  aupai  avant  icelle  vous  ne  prenei  quelque  rësolutiou.  Je  ends  que  ce  a^ett 
n  pas  eu  celte  ^illu  seule  qu'il  se  Irouvi?  la  plupart  uu  peuple  qui  désire 
s  ardemment  le  repos....  Pour  Dieu,  monseigneur,  penses  &  vous,  •  In  retl- 
-  giou,  à  PHlut,  à  votre  maison  et  fùmiU«!,  et  n*a<isu|eltissea  cet  chnses  si 

•  procieu4e9  sous  lu  domination  ii'aulrui.  •  Les  ministres  Ue  Philippe  11,  à 
Puiis,  puiivuieiit  l'ien  accuser  La  Chustre,  Vilry,Vin«-roy,  de  tialiisonquiind 
fl«  ttliundoiinuirut  M.i^oniie  ;  mait  les  liislorii-ns  iVriU(.ii»  tnut  récents,  entre 
autres  M.  disinuudi,  t.  XXI,  p.  ^M,  qui  icpètenl  ces  impulutiou>  et  laxeul 
1rs  ligu«ura'fr.iuçatt  de' perlitlie,  nVut  pu  le  faite  ane  |>nr  une  romidète 
lf;iiorance  des  pièces  qu'on  «irut  fie  lire. 


2!i0  HISTOIRE  DtJ  RÈGNE    DE  HENRI    IT« 

SitMition  Les  faits  parlaient  plus  haut  que  les  avertissements  de  ces 

•*  2^^  ^*  sincères  amis.  Malgré  le  pacte  secret  du  23  juillet,  les  Espa- 
gnols continuaient  contre  Mayenne  une  guerre  acharnée,  et 
s^eflbrçaient  de  le  perdre  dans  son  propre  parti,  de  le  ren- 
verser, en  déchaînant  contre  lui  tout  ce  qu^ils  conservaient 
de  partisans  dans  Paris,  les  Seize  et  les  prédicateurs.  Au  mois 
de  décembre  1593,  les  Seize  publièrent  un  pamphlet  intitulé 
le  Dialogue  du  manant  et  du  maheustre,  où  il  était  plus 
cniellemcnt  déchiré  que  dans  la  Ménippéc  ellc-ra<^mo.  IVesqre 
destitué  déjà  de  la  force  matérielle,  il  perdit  alors  tout  appui 
dansPopinion  publique,  et  ne  conserva  plus  que  de  misérables 
restes  de  son  ancienne  puissance.  Les  prédicateurs  provo- 
quèrent les  assassins  à  le  frapper  :  ils  le  comparèrent  h  Églon, 
le  qualifièrent  en  propres  termes  de  gros  pourceau  gorgé  de 
bons  morceaux  et  de  délices,  et  appelèrent  contre  lui,  aussi 
bien  que  contre  le  roi,  le  glaive  d*un  Ahod^  llien  de  tout 
cela  ne  le  ramena  à  de  plus  sages  résolutions,  ne  le  guérit  de 
la  passion  du  pouvoir  souverain,  passée  chez  lui  à  Tétat  de 
monomanie.  Il  se  flatta  de  fléchir  la  haine  de  Philippe  II,  de 
ramener  à  une  alliance  et  au  partage  de  la  domination  avec 
luL  Plein  de  ces  projets,  il  lui  envoya,  à  la  fm  de  cette  année, 
une  ambassade  chargée  de  lui  témoigner  que  s*il  persistait 
dans  le  projet  de  marier  Tinfante  au  duc  de  Guise,  lui, 
Mayenne,  accepterait  et  favoriserait  cette  combinaison,  sous 
condition  qu'il  conserverait  la  lieutcnance-générale,  le  com- 
mandement des  armées  et  une  part  dans  le  gouvernement  3. 
Les  seigneurs,  chefs  de  la  Ligue  française,  trouvant  dans 
Mayenne  cette  inflexibilité  d'ambition,  séparèrent  alors  leur 
cause  de  la  sienne  :  beaucoup  de  villes  avaient  déjà  pris  leur 
résolution.  Seigneui*s  et  villes  passèrent  à  i'envi  au  parti  du 
roi  :  ce  fut  un  sauve  qui  peut  général  dans  la  Ligue. 
Recniu  d«  Mayenne  demandait  la  prolongation  de  la  trêve  unique- 
^uli*™d*  V*"  "**"*  P^""^  donner  le  temps  aiix  forces  des  Espagnols  de 
et  de  u  s'avancer  et  pour  recommencer  la  guerre  avec  plus  d'avan- 
vUUdeMeen.  j^gg^  Henri  dut  repousscr  ces  propositions  de  mauvaise  fof, 

■  Lettoile,  sous  lei  10, 13, 19  décembre,  p.  IKï  A,  184  A.  —P.  Gayet. 
L  ▼,  p.  53i  A.  —  Le  dialo^ae  du  munant  et  du  moheuitre*  dans  les  preuTes 
de  la  latirc  Ille'Qit»pée,  t.  UL 

*  Montpcsat  eult  chef  de  cette  Bmba»fade  qui  traita  aTec  PliUippe  II  au 
commencemcnl  de  1594,  mnii  wnii  anrun  résultat.  —  Tfauaaus,  I.  cmi, 
S  9,  t.  V.  p.  358. 


£tAT  D£  la  PROV£KCe«  241 

et  à  la  fin  du  mois  de  décembre ,  on  sut  généralement  que 
les  hostilités  allaient  recommencer.  Alors  plusieurs  hommes 
politiques,  plusieurs  gouverneurs,  et  bon  nombre  de  villes 
de  la  Ligue  prirent  la  résolution  d'embrasser  le  parti  du  roi« 
Les  uns  se  prononcèrent  avant  Fexpiration  de  la  trêve  et  la 
fin  de  Tannée  1593,  les  autres  au  moment  même  oCi  les  deux 
partis  reprenaient  les  armes.  Le  23  décembre ,  Yilleroy  se 
sépara  solennellement  de  Mayenne ,  et  se  retira  à  Pontoise 
pour  disposer  son  fils  à  rentrer  au  service  du  roi  et  à  lui  re- 
meture  cette  ville.  Le  2ù  décembre,  veille  de  Noël,  Vitry  dé-- 
clara  qu'il  ne  pouvait  plus  combattre  le  roi  depuis  qu'il  était 
devenu  catholique ,  et  qu'fi  avait  acquis  ainsi  le  seul  titre  à 
l'obéissance  des  Français  qui  lui  manquât  encore.  Les  habi- 
tants de  Meaux  prirent  le  même  parti  que  lui ,  et  tous  en- 
semble se  soumirent  à  Henri,  Le  manifeste  qu'ils  répandi- 
rent, dans  les  premiers  jours  de  janvier,  pour  expliquer  leur 
conduite,  fit  sur  les  populations  de  la  Ligue  une  impression 
plus  forte  encore  que  leur  exemple.  Le  roi,  de  son  côté,  pu- 
blia le  27  décembre  une  déclaration  dans  laquelle  il  comparait 
sa  conduite  à  celle  de  ses  ennemis,  dénommait  leurs  projets  à  la 
France,  prouvait  qu'on  le  contraignait  à  reprendre  ies  armes» 
ouvrait  enfin  une  nouvelle  voie  à  la  pacification ,  en  offrant 
amnistie  à  ceux  qui  dans  l'espace  d'mi  mois  abandonneraient 
le  parti  contraû%  K  Ces  faits,  qui  se  prêtaient  un  mutuel 
appui ,  ajoutèrent  à  l'ébranlement  général  de  la  Ligue. 


CUAPITOE  IL 


Swmitaloii  d*Aix  et  d*ao«  partie  de  le  Provence.  Perlement  d*Alz.  8o«« 
million  de  Villeroj,  de  plutieurs  gouvemenrt,  de  U  ville  de  Lyon,  de 
Le  Cbettre,  eTec  Orléans  et  Boargei.  État  de  Paris,  le  perlemenl.  Paris 
reeda  en  roi  («1S0«). 

Au  moment  où  les  hostilités  recommencèrent  entre  les 
deux  partis,  Henri  et  les  peuples  de  la  Ligue  se  préoccu- 
pèrent manifestement  de  deux  grandes  idées.  Le  roi  sentit 
que  le  moment  éiait  venu  de  reconstituer  la  France ,  de 
recomposer  à  la  fois  le  territoire  et  le  pouvoir  central  néces- 


•  iriUeroy,  Apol.  et  dise,  p.  «19,  StO.  —  P.  Ceyef ,  !•  T,  p. 

Tbnenus,  I.  cmi,  SS  <0, 11.  ->  LestoUe  et  son  SuppL,  p.  IS5,  f9t.  —  Mtf- 
moires  de  le  Ligae,  t.  Ti,  p.  f  4-<5. 

16 


2il2  HISTOIRR  DU  RÈGlfE  DE  RElfRI  IV. 

saire  au  maintien  de  la  société,  que  les  guerres  de  religion, 
et  en  dernier  lien  la  révolte  de  la  Ligue,  avaient  tous  deux 
mis  en  pièces.  Les  peuples  dé  la  Ligue  comprirent  de  leui 
côté  qu'il  était  temps  pour  eux  de  se  délivrer  de  la  dure 
servitude  à  laquelle  Tanarchie  et  la  puissance  espagnole  les 
avaient  réduits,  et  proclamèrent  partout  leur  intention  de  ré- 
tablir la  liberté  française.  Le  roi  et  les  peuples  de  la  Ligue 
résolurent  de  concert  d'exécuter  leur  projet  à  tout  prix, 
tandis  que  répuisemcnt  de  Philippe  II  le  contraignait  à  feire 
trêve  pour  le  moment  à  son  inimitié,  et  donnait  à  la  France 
un  relâche  qu'elle  ne  devait  pas  retrouver  plus  tard.  L'oc- 
casion était  trouvée  :  Ils  arrêtèrent  d'en  user,  même  en  se 
soumettant  aux  plus  durs  sacriflces,  quand  H  le  fallut,  et  lis 
montrèrent  ainsi  qu'ils  se  conduisaient  par  les  principes  de  la 
plus  généreuse  et  de  la  plus  grande  politique. 

Éui  159Û.  Nul  pays  peut-être  dans  tout  le  royaume  n'avait  au- 

Soami»rôn     tant  souffcrt  de  l'anarchie  que  la  Provence.  Le  nombre  des 

d*antt  partie  du  factlous,  pucorc  accru,  s'élcvalt  à  six  au  commencement  de 

paytrtd  Aïs, 

!59à.  Le  parti  de  la  Ligue  s'était  scindé  en  quatre  factions: 
celle  de  la  comtesse  de  Sault ,  celle  du  comte  de  Garces  et 
de  Mayenne ,  celle  de  l'étranger  dont  une  branche  tenait 
pour  le  duc  de  .^vole,  et  l'autre  inclinait  vers  Philippe  11. 
lie  parti  du  roi  était  divisé  de  son  côté  en  deux  fractions, 
lios  chefs  de  la  première  étaient  Lesdlgulères  depuis  la  mort 
do  lia  Valette,  et  quelques  membres  du  parlement  d'Aix  ré- 
fugiés à  Sisteron  et  constitués  en  parlement  royal ,  qui  sou- 
tenaient franchement  la  cause  de  Henri.  A  la  tête  de  la 
seconde  se  trouvait  d'Épcmon ,  qui,  au  milieu  des  dangers 
du  roi,  lui  avait  extorqué  le  titre  de  gouverneur  de  ia  pnn 
vlnce ,  et  qui  voulait  employer  l'autorité  attachée  à  ce  titre 
et  une  armée  de  Gascons  qui  ne  dépendait  que  de  lui  à  sub- 
juguer le  pays  et  à  s*y  créer  une  principauté  féodale  et  in- 
dépendante. Au  milieu  de  ce  chaos,  chacun  des  six  partis 
avait  ses  créatures,  ses  soldats,  ses  villes,  et  exerçait  ses 
proscriptions  et  ses  ravages  sur  les  districts  du  pays  qui  ne  le 
reconnaissaient  pas.  Comme  la  Provence  avait  fait  une  plus 
rude  expérience  des  révolutions  que  toute  autre  province,  elle 
se  déclara  aussi  l'une  des  premières  du  royaume  en  favcUr  de 
Henri,  cherchant  sous  son  autorité  et  sa  protection  une  fin  k 


SOUMISSION  D^AIX,  LE  PARLCMKNT,  dV.PBBNON.       2/ii3 

ses  maux.  Les  partisans  de  la  comtesse  de  Sault  et  les  Car- 
cistes  se  réunirent  aux  royalistes  purs  pour  se  déliarrasser  à 
la  fois  du  despotisme  de  d'Épernon  et  de  la  domination  de 
l'étranger.  A  la  fin  de  1593,  plusieurs  seigneurs  et  plusieurs 
villes  telles  que  Pertuls,  Manosque,  Digne,  Toulon,  Tarascon, 
se  révoltèrent  contre  d'Épernon  et  se  confédérèrenU  L« 
3  janvier  459A,  les  principaux  seigneurs  assemblés  déci* 
dèrent  de  reconnaître  Henri,  de  lui  livrer  Aix,  capitale  de  la 
province ,  de  faire  désormais  administrer  et  rendre  la  Justice 
en  son  nom, de  poursuivre  la  destitution  de  d'Èpemon  comme 
gouverneur,  de  continuer  la  guerre  pour  détruire  le  fort  qu'il 
avait  bâti  près  d'Aix  dans  le  dessein  de  Fasservir.  Le  5  jan- 
vier cette  décision  fut  approuvée  par  le  conseil  général  du 
pays  et  par  le  parlement  d'Aix ,  qui  deux  jours  plus  tard 
rendit  un  arrêt  en  conséquence.'' 

On  n'aurait  qu'une  idée  incomplète  du  r6le  politique  que  l«  |Miil«nicni 
jouèrent  les  parlements  à  cette  époque  de  notre  histoire ,  si  ^'^^ 
l'on  n'examinait  d'une  manière  particulière  ce  qui  concerne 
le  parlement  d'Aix.  Ce  corps,  qui  avait  été  l'un  des  promo* 
teurs  de  la  révolte  contre  le  dernier  Valois,  qui  en  1589  avait 
levé  et  commandé  des  armées,  puis  en  1590  déféré  la  sou- 
veraineté du  pays  au  duc  de  Savoie,  décidait  maintenant  en 
dernier  ressort  de  la  soumission  à  Henri  IV.  Les  détermina- 
tions de  la  noblesse  et  des  représentants  ou  procureurs  de  la 
province  ne  prenaient  force  de  résolution  définitive  qu'avec  le 
concours  et  la  sanction  du  parlement,  qui  gouvernait  plus  en- 
core qu'il  ne  rendait  la  justice.  On  doit  remarquer  aussi  que 
de  tous  les  parlements  de  la  Ligue  ,  celui  d'Aix  passa  le  pre- 
mier au  parti  royal. 

En  conséquence  de  l'arrêt  de  cette  cour  et  du  vœu  des 
antres  ordres ,  des  députés  furent  envoyés  au  roi  pour  lui 
porter  la  soumission  d'Aix;  l'archevêque  Génébrard,  qui 
s'efforçait  de  soutenir  la  Ligue,  fut  chassé  et  contraint  de  se 
retirer  à  Marseille.  Quelques  mois  plus  tard  l'ordre  public 
fut  consolidée  Aix  par  la  reconstitution  du  parlement  Le  par- 
lement royal  établi  à  Sisteron,  et  quelques  magistrats  réfugiés 
à  Marseille,  rentrèrent  à  Aix  et  se  réunirent  au  parlement  qui 
venait  d'abandonner  la  IJgue  ;  tous  ensemble  ils  ne  formèrent 
plus  qu'un  même  corps.  Mais  plusieurs  années  s'écoulèrent 
encore  avant  que  la  Provence  pût  se  débarrasser  de  ses  ty- 


Soumission 

de  Tllleroy  et 

de  divers  gou- 

▼ernrurs 

«Tec  . 

leurs  Tilles. 


Il#  Ltoo.  de  f«a 

Chastre, 

d*Or  lésas .  de 

Bourges. 


2A&  HISTOIRE  DU  RÈGIfK  DC  HENRI   IV. 

rans  locaux.  Le  duc  d'Êpernon  refusait  d^abandonner  le 
gouvernement,  même  après  la  révocation  royale ,  et  tenait 
encore  plusieurs  villes  :  le  duc  de  Savoie  occupait  Berre  et 
Grasse  ;  Casaux  et  Louis  d'Aix  exerçaient  à  Marseille  un 
odieux  despotisme,  et  quand  ils  le  virent  s*échapper  de  leurs 
mains,  ils  essayèrent  de  livrer  la  ville  à  Philippe  11  '• 

Tandis  qu'au  midi  de  la  France,  Aix  et  la  moitié  des  Pro- 
vençaux quittaient  la  Ligue  par  horreur  de  la  tyrannie  de 
d'Èpernon  et  de  Tanarchie,  à  Tautre  extrémité  du  royaume, 
plusieurs  chefs  et  gouverneurs  de  TUnion  abandonnaient  leur 
parti,  poussés  par  des  motifs  divers ,  mais  non  moins  puis- 
sants. L'intérêt  public  et  Tintérét  privé  agissaient  également 
sur  eux.  Ils  voulaient  sauver  à  leur  patrie  le  renouvellement 
de  la  guerre  civile,  et  les  dangers  de  Tinvaslon  espagnole,  plus 
redoutable  dans  le  Nord  que|)artout  ailleurs,  à  cause  du  voisi- 
nage des  Pays-Bas.  Ils  étaient  jaloux  de  mettre  leur  fortune  à 
Tabri  des  coups  qui  venaient  de  frapper  Nemours.  Villeroy, 
Thomme  politique  et  le  principal  représentant  des  ligueurs 
français,  avait  entamé  des  négociations  avec  le  roi  dès  la  fin  de 
la  trêve.  Le  !2  janvier,  par  une  lettre  fameuse  dans  ces  temps,  il 
somma  le  duc  de  Mayenne  de  traiter.  N'ayant  pu  le  persuader, 
il  fit  son  accord  avec  le  roi  pour  lui-même  et  pour  son  fils 
d'Alincourt,  qui  livra  la  ville  de  Pontoise  :  il  reçut  la  charge 
de  secrétaire  d'État,  et  son  fils  garda  son  gouvernement 
(i"  février).  Dans  le  même  temps,  d'Estourmel  rendit  les  trois 
villes  de  Picardie  :  Péronne,  IVoye,  Montdidier'. 

Entre  ces  faits  et  le  désarmement  d\\ix ,  il  n'y  a  que  si- 
multanéité :  entre  la  soumission  d'Aix  et  la  soumission  de 
Lyon ,  il  y  a  connexité  ;  l'exemple  de  la  première  ville  en- 
traîna la  seconde.  Les  habitants  de  Lyon  appréhendaient  que 
les  deux  frères  Mayenne  et  Nemours  ne  fissent  la  paix  à  leurs 
dépens  ;  ils  redoutaient  les  vengeances  et  la  tyrannie  de  Ne- 
mours, comme  les  Provençaux  celle  de  d'Ëpemon  ;  ils  voyaient 
enfin  l'invasion  des  Savoyards  et  des  Espagnols  menaçante  : 
contre  tous  ces  dangers  ils  ne  trouvaient  de  recours  et  de 

*  Pour  ces  trois  poragraphrs,  les  registres  du  pays  cités  pnr  Douche, 
Hist.  de  Prorence,  1.  x,  p.  784-787,  7S15, 79<>,  799, 8U7.~Tbuanns,  I.  cvin, 
^  15,  L  V,  p.  Ô39.  —  La  réunion  du  parlement  royal  de  Sisleroii  au  |Mirle« 
menl  d^Aix  eut  lieu  au  mois  de  iuiii  1584. 

'  Villeroy,  Apol.  H  duc,  p.  !ll9  B,  el  lettre  m  Mayenne,  p.  954,  956.— 
P.  Cayet,  1.  vi,  p.  USB  4.  —  Tbuanus,  1.  CTill,  $  16,  t.  ▼,  p.  539.  — 
liOttollc,  Sapplëfni*nt,  p.  906  A,  ponr  la  date. 


SOL'MISSION  DE  VILLEHOY,  D£  LA  GUASTRE»  DE  LYON.    245 

protection  assurés  que  dans  le  parti  du  roi.  Ils  achevèrent 
leur  révolution  entre  le  6  et  le  8  février  1594.  Malgré  les 
efforts  de  d'Espinac ,  agent  de  Mayenne,  leur  arclievéque  et 
leur  nouveau  gouverneur,  ils  prirent  les  armes,  élevèrent  de 
nouveau  des  barricades  aux  cris  de  :  «  Vive  la  liberté  fran- 
»  çaise  !  Périssent  la  tyrannie  étrangère  et  la  servitude  do- 
•  mestique.  >  llsdéposèrent  leurs  échevins  qui  étaient  ligueurs 
en  grande  majorité,  et  reçurent  dans  leurs  murs  les  troupes 
et  le  gouverneur  du  roi  Omano.  Peu  après  La  Ghastre,  qui 
durant  les  États  de  la  Ligue  avait  vigoureusement  combattu 
la  royauté  de  Tinfante  et  l^élection  d'un  roi,  et  qui  suivait  la 
même  ligne  de  conduite  que  Villeroy,  traita  avec  Henri  pour 
Orléans,  Bourges,  et  toute  la  partie  de  rOrléanais  et  du 
Berry  qui  jusqu'alors  avait  obéi  à  TUnion  (16  février)^ 

Le  roi  aidait  puissamment  h  la  défection  qui  s'opérait  dans  Sacrc  da  rat 
la  Ligue,  en  continuant  à  employer  simultanément  les  moyens 
de  la  force  et  ceux  de  la  condliation.  Depuis  la  rupture  de  la 
trêve,  ses  garnisons  avaient  recommencé  les  ravages  aux  en- 
virons des  villes  restées  ligueuses  et  notamment  de  Paris,  qui 
souffraient  de  nouveau  de  Tinterruption  de  leur  commerce 
et  de  la  faim.  iVun  autre  côté,  il  se  donnait  successivement 
toutes  les  fractions  de  légitimité  que  lui  demandait  l'opinion 
populaire  :  le  27  février  il  se  fit  sacrer  et  couronner  à 
Chartres  >• 

Entraîné  par  ces  circonstances ,  sollicité  par  l'exemple 
d'Aix,  de  Lyon,  d'Orléans,  de  Bourges,  pressé  par  le  besoin, 
le  peuple  de  Paris  n'aspirait  qu'à  se  replacer  sous  rol)éis- 
sance  de  Henri.  Les  politiques  et  les  ligueurs  français  dans 
la  haute  bourgeoisie  et  dans  le  pariement  partageaient  ces 
sentiments,  mais  déterminés  par  de  plus  hautes  considéra- 
tions. Ils  voulaient  couper  la  racine  de  la  guerre  civile,  et 
garantir  leur  patrie  de  la  domination  ét^ngère  que  les  déli- 
bérations des  États  de  la  Ligue  leur  avaient  montrée  pro- 
chaîne et  menaçante  :  pour  y  parvenir ,  ils  voulaient  rendre 
Parb  au  roi,  et  ils  y  travaUlalent  chaque  jour  depuis  sa  con- 


KUl  de  Paris  : 

IcspolitiquM*! 

le  parlement: 


du  parti  arlfto  ' 
craliqve. 


i  M.  Pericaud,  Noie»  et  documents  pour  sertir  k  Thistoire  de  Lyon, 
p.  186-190.  —  D'Aubieoé,  llist.  universelle,  l.  IV,  r.  1,  S;  t.  m, 
p.  »0-SM.  —  P.  Cajet,  1.  VI,  p.  542-549.  ~  Thuanus,  1.  cvni,  %  14,  U  V, 
p.  SftT-Â-n.  et  S  n,  p.  340-549. 

•  P.  Cayei,  I.  Vi.'p.  S39  A«  555-56i.  -  Tliuanus,  1.  cvin,  S  tS,  p.  341- 
SIS. 


2A6  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI   IV. 

versioii.  Instruit  de  leur  dessein,  Mayenne  avait  pris  d'éner* 
giques  mesures  pour  l'arrêter.  Dans  les  premiers  jours  de 
1594, 11  avait  destitué  le  gouverneur  BelJn,  et  Tavait  rem-> 
placé  par  Cossé-Brissac ,  sur  lequel  il  croyait  pouvoir  en- 
tièrement compter.  Il  avait  banni  de  Paris  plusieurs  des 
chefs  du  parti  politique,  entre  autres  les  trots  colonels  Dau- 
bray ,  Passart  et  Marchand,  ressuscité  le  pouvoir  des  Seize , 
armé  contre  la  bourgeoisie  la  plus  vile  populace,  les  Mino^ 
tiers  àu  nombre  d'environ  dix  mille,  et  donné  enfin  pour  appui 
à  tons  les  ennemis  du  roi  la  garnison  espagnole  augmen* 
tée.  Sur  les  promesses  vraies  ou  fausses  des  agents  espa- 
gnols il  espérait  avoir  amené  Philippe  II  à  marier  Tinfante 
avec  son  fils,  et  il  faisait  plus  étroitement  que  jamais  cause 
commune  avec  lui  ^  Le  parti  des  grands  qui  entouraient  le 
roi  travailla  jusqu'au  bout  à  Tempécher  de  se  rendre  absolu, 
et  Ton  surprend  les  seigneurs  à  la  fin  de  cette  longue  lutte , 
honteux  auxiliaires  de  Mayenne,  aidant  le  chef  de  la  Ligue  à 
garder  les  derniers  restes  de  sa  puissance.  François  d'O,  an- 
cien gouverneur  de  Paris,  mit  tout  en  œuvre  pour  foire 
échouer  les  intelligences  que  Henri  entretenait  dans  cette 
ville,  et  pour  Tempècher  de  s'en  rendre  maître  :  au  gouverne- 
ment de  Paris,  d'O  préférait  une  royauté  faible,  les  vols  im- 
punis, le  pouvoir  désordonné  qu'il  trouvait  dans  l'anar- 
chie'. Entre  Içs  trahisons  des  prétendus  serviteurs  du  roi,  et 
les  fureurs  des  ligueurs  lorrains  et  espagnols,  le  parti  poli- 
tique marcha  droit  à  son  but.  Le  parlement  essaya  d'abord 
des  moyens  ouverts  et  de  la  franchise.  C'était  lui  qui ,  au 
commencement  de  1589,  avait  conféré  pour  moitié  le  pou- 
voir de  lieutenant-général  à  Mayenne  :  en  Iô9/|,  il  tenta  de 
le  lui  retirer  par  les  moyens  légaux  et  en  vertu  de  ses 
propres  attributs  politiques,  affermis  et  accrus  chaque  jour 
par  les  circonsUnces  des  quatre  dernières  années.  Les  12  et 
ià  janvier,  il  rendit  un  arrêt  et  rédigea  par  écrit  des  remon- 
trances portant  •  qu'il  protestait  s'opposer  aux  mauvais  des- 
seins de  l'Espagnol  et  de  ceux  qui  le  voudroient  introduire 
en  France  ;  qu'il  ordonnoit  aux  garnisons  étrangères  de  sor- 

*  Tbaanos,  I.  orm,  $S  1^<  *'.  <•  ▼«  P*  336,  Xrr.  —  LMtoUe.  p.  186, 
ItT,  195,  196-198,  Mt  A,  904,  n4.—  A  cettr  dernière  puce,  il  dit  qn^il  y 
avait 4,000  minotien  dans  le  quartier  de  rUoivonlte.  —F,  Cavel,  I.  V, 
p.  631.  S»S;  1.  VI,  p.  540,  541. 

*  fially,  OEcoB.  roy.,  c.  46,  p.  140,  et  c.  148,  p.  637  B. 


RÉDUCTION  DE  PABIS.  2/^7 

tir  de  la  ville  de  I^rte;  qu'il  interpelloit  le  duc  de  Mayenne 
de  recoonoitre  le  roy  que  Dieu  et  les  lois  avoient  donné  au 
royaume  et  de  procurer  la  paix^  »  Pour  toute  réponse, 
Mayenne  défendit  au  parlement  de  s'assembler  et  de  déli- 
bérer. 

Les  politiques,  désespérant  désormais  de  Tamener  à  traiter  ^^^** 
avec  Henri,  résolurent  de  livrer  Paris  an  roi,  jouant  leur  vie  **  '"  *" 
et  s'exposant  au  supplice  de  Brisson  si  le  complot  était  décou- 
vert, sans  avoir  rien  sdpulé  pour  prix  de  ces  périlleux  ser* 
vices.  Dans  la  haute  bourgeoisie,  le  prévôt  des  marchands 
Lhuillier  et  les  échevins  Langlois  et  Néret  ;  dans  le  parlement 
et  la  cour  des  comptes,  Lemaistre,  Mole,  Du  Vair,  Damours, 
Mariliac,  Boucher  d'Orçay,  se  signalèrent  entre  une  foule 
d'autres  bons  citoyens,  et  prirent  la  part  la  plus  active  à 
l'entreprise^.  11  eût  été  difficile  de  la  mener  à  bonne  fin,  si 
l'habile  négociateur  Saint-Luc  n*eût  gagné,  à  force  de  con- 
cessions, le  nouveau  gouverneur  de  Paris,  l'infidèle  et  avide 
Cuftsé-Brissac  Mayenne  sortit  de  Paris  le  6  mars  pour  aller 
se  mettre  à  la  tête  de  la  nouvelle  armée  espagnole  et  ligueuse 
qui  s'assemblait  autour  de  Soissons,  et,  par  son  départ,  faci* 
Uta  l'exécution. 

Le  19  et  le  21  mars  1594,  dans  deux  réunions  qui  eurent 
lieu  à  l'arsenal  et  chez  le  prévôt  des  marchands,  Brissac,  le 
prévôt  des  marchands,  les  échevins,  les  colonels  et  les  capi- 
taines de  quartier  de  la  garde  bourgeoise,  sur  la  foi  desquels 
on  pouvait  compter,  les  membres  du  parlement,  Lemaistre 
et  Mole  arrêtèrent,  d'une  manière  précise,  le  plan  et  l'ordre 
que  l'on  suivrait  dans  la  réduction  de  Paris.  Les  colonels  et 
les  capitaines  de  quartier  passèrent  la  nuit  du  21  au  22  sous 
les  armes ,  et  les  firent  prendre  à  tous  les  bourgeois  politi- 
ques, sans  les  mettre  dans  le  secret  de  l'entreprise.  Ûs  ré- 
pandirent le  bruit  que  la  paix  était  accordée  entre  le  roi  et 
Mayenne,  et  ils  invitèrent  tous  les  bons  citoyens  à  s'armer 
eux  et  leurs  amis,  pour  favoriser  le  lendemain  l'entrée  dans 
Paris  des  députés  des  deux  partis  qui  viendraient  proclamer 
la  paix ,  objet  de  tous  les  voeux  :  les  Espagnols  et  les  Seixe 

*  Extrait  d*t  rpgUtr«i  do  parUmcnl  «as  4atei  de»  12  el  14  [énwmr  1904. 
«-  M^moir^i  dr  U  Ligue,  U  Tl,  p.  5t.  —  LrttoUe  et  ton  Sopplëmenl, 
^  «M,  196,  lOi ,  sot,  ft7  B. 

'  P.  Pfjet.  l.  VI,  p.  S63  B.  ~  LesloUe  et  son  SuppUmeot,  p.  ttt  B,  tS, 
ft4  k,  fl9  B. 


2/^8  HISTOIRE   DU  RÈGNE  DE  HENRI   IV. 

tenteraient  nécessairement  de  s'y  opposer  ;  il  s^'agissait  de  les 
contenir,  et  les  bourgeois  étaient  invités  k  s'y  employer  avec 
vigaeur. 

Le  22,  à  quatre  heures  du  matin,  Brissac,  LhoUlier,  Lan- 
glois,  Nérct  et  le  capitaine  (Grossier  introduisirent  les  troupes 
du  roi  sur  trois  points  différents  de  Paris,  par  la  porte  Saint- 
Denis,  par  le  quartier  Salnl-i^aul,  par  la  Porte-Neuve,  d''où 
elles  gagnèrent  la  porte  Sainl-Uonoré.  Les  forces  du  roi  se 
composaient  des  garnisons  de  plusieurs  villes  qu'il  occupait 
autour  de  Paria,  d'un  petit  nombre  de  compagnies  de  gen- 
darmes à  pied,  d'un  gros  de  seigneurs  et  de  gentilshommes, 
d'un  corps  d'élite  de  six  cents  hommes ,  que  Henri  condui* 
sait  lui-même.  Tout  cela  réuni  ne  montait  pas  à  plus  de 
quatre  mille  hommes,  et  n'aurait  pas  été  capable  de  prendre 
et  de  garder  un  seul  des  seize  quartiers  de  Paris.  Mais  les  trou- 
pes royales  furent  aidées  partout,  grossies  partout  sur  leur 
passage  par  les  officiers  et  les  soldats  de  la  garde  bourgeoise. 
Ce  fut  donc  un  soulèvement  de  la  bourgeoisie,  secondé  par 
un  corps  de  troupes  régulières,  contre  les  Seize,  les  JJf t- 
notiers,  la  garnison  espagnole,  au  nombre  de  dix-huit  mille 
hommes,  armés  pour  la  défense  de  la  domination  de  Phi- 
lippe il  et  de  l'Espagne. 

L'entreprise  fut  conduite  d'après  un  plan  savant  de  stra- 
tégie, et  d'après  les  dispositions  connues  d'avance  des  habi- 
tants. Paris  conservait  eqcore  alors  ses  trois  grandes  divisions 
de  la  Ville  au  nord,  de  la  Cité  au  centre,  de  l'Université  au 
midi,  le  tout  subdivisé  en  seize  quartiers.  L'occupation  eut 
lieu  sur  trois  points,  dans  la  Ville  et  dans  la  Cité.  Un  déta- 
chement de  troupes  royales,  commandé  par  Vitry,  partit  de 
la  porte  Saint-Denis,  se  recruta  de  bourgeois  armés,  et  forma 
Mentôt  un  corps  considérable.  11  se  plaça  résolument  entre 
les  deux  parties  de  la  garnison  étrangère,  les  Espagnols  postés 
près  de  la  porte  Saint-Denis  et  à  la  pohitc  Saint-Eustache,  et 
les  Wallons  établis  au  Temple  :  il  les  coupa,  les  empêcha  de 
se  réunir,  de  se  concerter,  de  s'entr'aider.  Placés  dans  cette 
situation,  et  craignant  d'affronter  tout  un  peuple  insurgé,  les 
étrangers  se  tinrent  renfermés  dans  leurs  corps  de  garde,  et 
restèrent  immobiles  spectateurs  des  événements.  Les  troupes 
de  Vitry,  soldais  et  bourgeois,  occupèrent  la  rue  Saint-Denis 
et  les  lieux  envhronnants,  mirent  en  fidte  une  cinquantaine 


REDUCTION   DE   PAAIS.  2/i|9 

de  facUoox  qui  leur  disputaient  le  passage,  et  arrivèrent  au 
grand  Cbâtelet.  Ils  trouvèrent  cette  forteresse  déjà  envahie 
par  un  autre  corps  de  royaux.  C'étaient  les  garnisons  de  Cor- 
heÛ  et  de  Melun,  parties  du  quartier  Saint-Paul,  auxquelles 
la  population  s'était  jointe  :  d'un  commun  effort,  elles  s'étalent 
rendues  maîtresses  de  la  partie  de  la  Ville  située  le  long  de 
la  rivière,  depuis  l'Arsenal  jusqu'au  Gliâtelet.  Les  deux  corps 
se  réunirent  et  envahirent  aussitôt  la  Cité,  favorisés  dans 
leur  entreprise  par  un  corps  de  bourgeois  qui  étaient  des- 
cendus de  l'Université  pour  se  saisir  du  petit  Chfttelet,  et 
qui  gardaient  ce  passage.  Les  royaux  ne  trouvèrent  dans  la 
Cité  que  deux  hommes  sortis  en  armes  pour  les  combattre  : 
ils  la  réduisirent  tout  entière  et  s'emparèrent  du  Palais. 

Ainsi  l'occupation  avait  eu  lieu  au  nord  et  à  l'orient  de 
Paris,  sur  deux  grandes  lignes  formant  angle  droit,  qui  ve- 
naient se  réunir  au  Cliâtelet  et  par  continuation  à  la  Cité. 
Dans  le  même  temps,  l'occupation  s'elTectuait  de  la  manière 
suivante  à  l'occident  de  la  Ville.  Brissac  et  Lhuiliicr  intro- 
duisirent les  troupes  royales  à  la  Porte-Neuve,  près  des  Tui- 
leries. Le  premier  corps,  commandé  par  Saint-Luc,  après  s'être 
assuré  de  cette  porte,  pénétra  en  éclaireur  dans  la  ville,  d'abord 
jusqu'à  Saint-Thomas  du  Louvre,  ensuite  jusqu'au  carrefour 
de  la  Croix  du  Traboir.  La  seconde  division  occupa  les  bords 
de  la  Seine,  depuis  les  Tuileries  jusqu'au  pont  au  Change  et 
au  pont  Saint-Michel  :  dans  sa  route,  elle  rencontra  sur  le 
quai  de  l'École  un  corps  de  garde  de  vingt-cinq  landskenets 
qui  tenta  de  résister  et  qu'elle  tailla  en  pièces.  Eiie  se  fit 
appuyer  par  Saint-Luc,  et  opéra  bientôt  sa  jonction  avec  les 
royaux  qui  avaient  suivi  les  deux  directions  de  la  rue  Saint- 
Denis  et  des  quais  depids  l'Arsenal  jusqu'au  Cbâtelet  Le 
troisième  corps  se  saisit  des  remparts,  depuis  la  porte  Neuve 
jusqu'à  la  porte  Saint-llonoré,  où  elle  se  fortifia  :  elle  tourna 
les  canons,  placés  sur  les  remparts,  du  côté  de  la  ville  et  en 
face  des  grandes  rues,  de  manière  à  foudroyer  ceux  qui  ten- 
teraient d'opposer  résistance.  Un  quatrième  corps,  com- 
mué par  Matignon  et  Bellegarde,  alla  joindre  et  renforcer 
Saiot-Luc,  et  sur  son  chemin  prit  possession  du  Louvre. 
Henri  marchait  à  la  tète  du  cinquième  corps.  Brissac,  1  Jiuil- 
lier,  les  échevins,  plusieurs  compagnies  bourgeoises  s'avan- 
cèrent au-devant  de  lui  pour  le  saluer,  lui  faire  leurs  sou« 


960  HISTOIRK  DU  RÈGNE    DE  HBMRI    IV. 

minionB  et  lui  présenter  les  défis  de  la  ville.  Le  roi  rentrait 
dans  Paris  en  traversant  la  même  porte  par  laquelle  Henri  III 
en  était  sorti.  C'était  mie  revanche  des  liarricades  prise  par 
le  pouvoir  protecteur  de  Tordre  public,  un  contraste  éclatant 
propre  à  frapper  Tesprit  de  la  multitude  d'une  manière  sa- 
lutaire. Henri  et  sa  troupe  remontèrent  de  la  porte  Neuve  à 
la  porte  Saint-IIonoré,  parcoururent  la  rue  Saint-Honoré 
et  les  rues  qui  en  forment  la  continuation,  Jusqu'aux  !nno« 
cents  et  au  pont  Notre-Dame.  On  doit  remarquer  que  la 
seconde  division  et  la  troupe  du  roi  avaient  suivi  parallèlement 
la  même  direction,  mais  en  mettant  entre  elles  la  distance 
qui  sépare  les  bords  de  la  Seine  de  la  rue  Saint-Honoré,  et 
en  s'assurant  de  ce  vaste  carré  ;  qu'elles  avaient  convergé 
toutes  deux  vers  le  point  où  elles  devaient  rencontrer  le 
corps  de  Vitry  et  le  corps  parti  de  l'Arsenal,  L'invasion  avait 
donc  été  laite  en  conformité  d'un  plan  savamment  combiné, 
d'après  lequel  les  parties  occupées  de  la  ville  formaient 
deux  angles  adjacents;  d'après  lequel  encore  les  divers  corps 
des  troupes  royales,  partis  de  points  opposés,  devaient  se 
rejoindre  et  s'unir,  après  avoir  surmonté  sur  leur  route  toutes 
les  résistances  qui  pouvaient  se  présenter.   Gomme  elles 
s'étaient  recrutées  à  cbaque  pas  de  capitaines  de  quartier  et 
de  troupes  de  bourgeois  armés,  elles  avaient,  avec  leur  con* 
cours,  occupé  les  principales  places,  les  carrefours,  les  ave- 
nues des  ponts,  toutes  lès  positions  fortes,  tous  les  points 
stratégiques. 

Les  choses  étant  en  cet  état,  le  roi  et  les  politiques  n'em* 
ployèrent  plus  que  la  clémence  et  la  persuasion,  pour  pré- 
venir ou  désarmer  la  résistance  partout  ailleurs,  et  pour  en- 
traîner la  masse  de  la  population.  Henri,  en  se  rendant  à  la 
cathédrale,  arriva  au  pont  Notre-Dame,  suivi  de  cinq  ou  six 
cents  hommes,  qui,  au  lieu  de  se  servir  de  leurs  armes,  «  trat- 
p  naient  leurs  piques  en  signe  de  victoire  volontaire ,  » 
comme  parlent  les  contemporains,  c'est-A-dlre  en  sigfte  de 
victoire  procédant  de  la  volonté  même  de  ceux  qui  ae  sou- 
mettaient. Sur  le  pont  Notre-Dame,  entendant  le  peuple 
crier  avec  allégresse  Vice  U  roit  il  dit  :  «  Je  vols  bien  que 
•  ce  pauvre  peuple  a  été  tyrannisé.  «  Arrivé  devant  réglisc 
Notre-Dame,  il  mit  pied  à  terre.  La  foule  était  si  nombreuse 
qu'il  en  était  porté.  Ses  capitaines  des  gardes  voulaient  faire 


REDUCTION  DE  PARIS.  3Ôi 

retirer  le  peuple.  U  les  en  empêcha,  disant  qa*il  aimait  mieux 
avoir  plus  de  peine  et  qu'ils  le  vissent  à  leur  aise,  «  car, 
»  aj<Mila*t-il,  ils  sont  affamés  de  voir  un  roL  »  11  assista,  dans 
la  cathédrale  à  une  messe  solennelle  et  au  Te  Deum.  Vain- 
queur maintenant,  pleinement  maître  de  ses  déterminations» 
n'ayant  plus  rien  à  feindre,  rien  à  ménager,  il  annonçait  par 
cet  acte,  et  par  une  promesse  formelle,  contenue  dans  sa 
déclaration,  que  sa  résolution  était  de  vivre  désormais  dans 
la  religion  de  la  majorité  des  Français.  Tandis  qu'il  entendait 
la  messe  à  Notre-Dame,  le  gouverneur,  le  prévôt  des  mar- 
chands, les  échevins,  accompagnés  de  quelques  soldats  et 
d'une  foule  de  bourgeois  politiques,  se  tranHK)rtaient  de 
proche  en  proche  jusque  dans  les  quartiers  les  plus  éloignés. 
Ils  répandaient  de  nombreuses  copies  de  l'amnistie  que  le 
roi  avait  accordée  aux  Parisiens,  sans  en  excepter  personne, 
pas  même  les  Seize  :  ils  annonçaient  en  même  temps  la  paix. 
Cette  proclamation  excita  la  reconnaissance  et  l'enthousiasme 
dans  la  masse  du  peuple,  dont  les  démonstrations  réduisirent 
les  opposants  au  silence  et  à  l'inaction.  Les  habitants  témoi- 
gnaient leur  joie  par  les  cris  répétés  de  Vive  le  roi,  vive  la 
paix!  se  mêlaient  librement  et  familièrement  avec  les  sol* 
dats  qu'ils  faisaient  boire  et  entrer  dans  leurs  maisons.  La 
lutte  acharnée  que  la  population  parisienne,  dominée  par  les 
chefs  de  la  Ligue,  avait  soutenue  quatre  ans  durant  contre 
le  parti  royal,  se  terminait  par  un  rapprochement  et  une 
fusion  qui  les  confondait  tous  désormais  dans  un  même 
peuple  de  concitoyens  et  de  frères. 

En  sortant  de  Notre-Dame,  Henri  se  rendit  au  Louvre,  où 
il  réinstalla  la  royauté.  A  dix  heures,  il  était  maître  de  la 
Cité  et  de  toute  la  ville,  excepté  des  quartiers  Saint-Martin, 
du  Temple  et  Saint-Antoine,  où  trois  mille  Espagnols,  Na- 
politains, Wallons  et  leurs  chefs  le  duc  de  Féria  et  Diego 
d'ibarra  restaient  encore  maîtres.  lUen  n'était  si  facile  au 
roi  que  de  les  exterminer,  en  poussant  contre  eux  ses 
troupes  et  la  masse  des  Parisiens  qui  demandaient  à  finir  la 
journée  et  à  effacer  le  passé  en  exterminant  les  étrangers, 
liais  il  y  avait  lieu  d'espérer  encore  que  Miilippe  II  céde- 
rait comme  la  Ligue,  qu'il  cesserait  de  harceler  la  France, 
que  dès  lors  l'on  pourrait  rendre  U  paix  au  royaume,  en  lui 
épargnant  une  guerre  au  dehors.  Dans  cette  éventualité. 


262  HISTOIRE  DO  RÈGKE  D£  UËKRI   IV. 

Henri  se  garda  de  pousser  les  choses  à  ]'extrèine  à  IVgard 
du  roi  catholique.  U  se  borna  à  signifier  aux  Espagnols  qu'ils 
eussent  à  ne  pas  l>ouger  de  leurs  quartiers,  à  sortir  de  Paris 
dans  le  jour,  k  promettre  de  ne  plus  porter  les  armes  contre 
lui  dans  la  guerre  de  France.  Us  acceptèrent  avec  recon- 
naissance les  conditions  proposées,  et  les  jurèrent. 

Cette  capitulation  acheva  de  mettre  sous  la  loi  de  Henri 
toute  la  partie  de  Paris  située  sur  la  rive  droite  de  la  Seine. 
Cependant  au  delà  de  la  rivière,  et  dans  la  partie  de  Paris 
nommée  TUnlversité,  on  ne  savait  encore  que  confusé- 
ment rentrée  du  roi  dans  la  ville,  et  Ton  ignorait  ses  suc- 
cès. Là  les  étrangers  et  les  Seize  firent  une  tentative  de  sé- 
rieuse résistance  en  s'emparant  de  deux  des  portes  de  Paris, 
qui  étaient  alors  de  véritables  citadelles.  Les  Napolitains,  au 
nombre  de  douze  cents,  se  saisirent  de  la  porte  Bussy,  et  leur 
chef  se  disposa  à  repousser  les  attaques  que  Ton  dirigeait  sur 
ce  point.  Les  Seize,  soutenus  par  les  Minotiers,  dont  on 
comptait  quatre  mille  dans  PUniversité,  s'attroupèrent  autour 
de  la  porte  Saint-Jacques.  Deux  autres  bandes  dMnsurgés, 
Tune  commandée  par  Crucé,  Tautre  par  Hamilton,  curé  de 
Saint-Côme,  avaient  dessein  de  se  réunir  à  eux.  Tous  en- 
semble devaient  s'emparer  de  la  porte  Saint-Jacques  et  s*y 
fortifier.  Mais  ils  ne  purent  se  réunir  et  exécuter  leur  réso- 
lution. Hamilton,  parti  de  Saint-Côme  ',  armé  lui-même,  et 
entouré  d'hommes  armés,  trouva  sur  son  passage,  rue  des 
Mathurins  Saint-Jacques,  le  conseiller  Du  Vair,  qui ,  dès  la 
veille  avait  réuni  et  placé  des  soldats  de  la  garde  bourgeoise 
à  rhôtel  Climy  et  aux  Mathurins.  Du  Vair,  secondé  de  ses 
soldats,  dissipa  la  bande  du  curé,  et  le  renvoya  lui-même 
dans  son  église  prier  Dieu  pour  le  roi.  La  troupe  de  Crucé  et 
les  factieux  rassemblés  près  de  la  porte  Saint-Jacques  furent 
attaqués  par  les  royaux  avant  d'avoir  pu  joindre  leurs 
forces  et  rien  commencer  de  sérieux.  Les  enfants  de  Paris, 
que  Ton  retrouve  dans  les  grands  mouvements  de  toutes  les 
époques,  et  une  multitude  de  peuple  avaient  franchi  le  pont 
Sahit-Micliel,  et  s'étaient  précipités  sur  le  quartier  de  l'Uni- 
versité aux  cris  mille  fois  répétés  de  La  paix  !  la  paix! 
Après  avoir  parcouru  la  rue  de  la  Harpe  et  celle  des  Matha- 

'  C'est  l*cglis«  plMcëe  presque  en  face  de  l'École  de  mëdeciDe  actuelle* 


RÉDUCTION  DE  PARIS.  253 

rittfl.  Us  trouvèrent,  à  Textréinitâ  de  la  dernière,  Brissac,  le 
seigneur  de  Humières,  le  prévôt  des  marchands,  avec  des 
gendarmes  à  pied,  qui  avaient  pénétré  dans  TUniversitë 
par  un  autre  point.  La  force  militaire  et  le  peuple  réunis  for- 
maient déjà  un  corps  considérable;  Us  ne  lardèrent  pas 
A  recevoir  un  important  renfort.  C'étaient  les  conseUlers  du 
parlement  Damours,  MarUlac,  Boucher -d^Orçay  qui,  ac- 
compagnés d'un  nombre  considérable  de  bourgeois  armés, 
descendaient  de  Sainte-Geneviève  par  la  rue  Saint-Ëtienne 
des  Grès.  Tous  ensemble,  ils  mirent  en  fuite  les  deux  troupes 
de  factieux.  Peu  après,  les  Napolitains  et  leur  colonel 
Alexandre  del  Monte,  qui  s'étaient  saisis  de  la  porte  Bussy» 
reçurent  Tordre  du  duc  de  Féria  de  se  soumettre  à  la  capi- 
tulation consentie  par  lui  :  ils  obéirent  et  abandonnèrent 
cette  porte.  Dès  lors  le  quartier  de  l'Université,  où  U  y  avait 
eu  le  plus  de  bruit  et  de  tumulte,  fut  aussi  paisible  que  les 
autres,  et  vers  midi  les  trois  parties  de  la  viUc  étaient  entiè- 
rement réduites  sous  l'obéissance  du  roi,  qui  dîna  au  Louvre. 
A  trois  heures,  la  garnison  espagnole  à  laquelle  PbUippe  II 
avait  commis,  depuis  1591,  la  garde  de  sa  bonne  ville  de 
Pariê^  évacuait  la  capitale  et  prenait  le  chemin  des  Pays-Bas. 
Henri  assista  à  son  départ,  placé  à  une  fenêtre  au  haut  de 
la  porte  Saint-Denis,  entouré  de  sa  noblesse  et  de  ses  gardes. 
En  défilant  devant  lui,  les  étrangers,  qui  lui  devaient  la  vie* 
sMncUnaient  respectueusement.  11  vit  passer  à  leur  rang  le 
duc  de  Féria,  Diego  d'Jbarra  et  Taxis,  les  trois  ministres  de 
PhUippe  If,  qui,  par  leurs  actives  intrigues,  avaient  le  plus 
traversé  sa  fortune  du  vivant  du  duc  de  Parme,  et  qui  en 
dernier  lieu  avaient  le  plus  travaillé,  dans  les  États  de  1593,  à 
le  chasser  du  trône  pour  y  placer  l'Infante.  Il  leur  rendit 
leur  salut  comme  aux  autres  et  leur  dit  :  Hecommandez-moi 
à  votre  maitre  :  AlUz-vous-en^  à  la  bonne  heure^  mais  n'y 
revenez  plus. 

La  reprise  de  la  capiule  de  la  France  sur  les  étrangers,  les 
Seize  et  les  Minotiers  n'araient  coûté  la  vie  qu'à  vingt-deux 
landskenets  sur  le  quai  de  l'Ëcole ,  à  deux  Français  dans  la 
rue  Saint-Denis,  et  à  deux  autres  dans  la  Cité.  Toute  violence 
contre  les  habitants  avait  été  défendue  aux  soldats  royaux 
sous  peine  de  la  vie,  et  pas  une  seule  n'avait  été  commise  : 
chaciw  des  citoyens  avait  été  respecté  dans  ses  biens,  dans 


S5A  HISTOIRE  DD  RÈGNE  DB  HENRI  IT. 

88  vie,  dans  son  honneur.  Dès  midi,  Tordre  était  si  bien 
rétabli  et  la  confiance  tellement  revenue  que  Ton  eût  cru 
que  le  roi  éuit  entré  dans  Paris  au  milieu  d^une  paix  assu- 
rée :  les  boutiques  étaient  ouvertes,  les  marchands  à  leurs 
comptoirs,  les  ouvriers  et  artisans  à  leurs  ouvrages  ordinai- 
res. L*amnistie  accordée  aux  Seize  fut  observée  scrupuleuse- 
ment :  pas  un  seul  d'entre  eux  n*expla  par  le  supplice  ou 
la  prison  ses  excès  politiques  ;  cent  vingt  seulement  des 
plus  furieux  furent  bannis  pour  assurer  la  vie  du  prince  et 
la  paix  publique  :  il  n*y  eut  de  recherchés  et  de  punis,  en 
petit  nombre,  que  ceux  qui  s'étaient  rendus  coupables  de 
crimes  dans  Tordre  civil.  Dès  son  entrée  à  Paris,  Henri  avait 
donné  des  gardes  au  légat  du  pape  et  à  Tarchevèque  Pelevé» 
pour  les  garantir  contre  le  courroux  de  la  multitude.  U 
avait  aussi  généreusement  garanti  leur  liberté,  leurs  biens* 
leur  état  à  madame  de  Nemours,  mère  des  Guise,  et  à  ma- 
dame de  Montpensier  sa  mortelle  ennemie,  qui,  à  la  nouvelle 
qu'il  était  entré  à  Paris,  avait  demandé  le  matin  qu'on  lui 
donnât  d'un  poignard  dans  le  cœur  :  le  soir  il  conversait  fa- 
milièrement et  jouait  aux  cartes  avec  elle.  La  haine  de  cette 
femme  céda  à  tant  de  clémence,  cachée  sous  tant  de  courtoi- 
sie et  de  familiarité.  Le  légat  et  Pelevé  persistèrent  dans 
leurs  sentiments  hostiles.  Le  légat,  après  avoir  pris  quelques 
jours  pour  mettre  ses  biens  en  sûreté,  sortit  de  J^ris  et  du 
royaume  sans  vouloir  avoir  une  entrevue  avec  le  roL  l^elevé 
malade,  et  renfermé  dans  ThOtel  de  Sens,  mourut  le  samedi 
suivant  dans  les  transports  d'une  folie  furieuse,  au  milieu 
desqueb  il  criait  sans  cesse:  «  Qu'on  le  prenne  1  qu'on  le 
»  prenne  I  »  Quatre  jours  après  son  entrée  à  Paris,  Henri  reçut 
à  composition  la  fiastiile  et  le  château  de  Vlncennes,  et  se 
vit  alors  complètement  maître  de  la  capitale  (26  mars). 

A  chaque  ligne  que  Ton  vient  de  lire,  on  a  pu  remarquer 
que  la  réduction  de  I^ris  avait  été  l'œuvre  en  commun  du 
roi,  des  politiques ,  des  ligueurs  irançais,  aidés  par  l'assen- 
timent et  le  concours  de  la  masse  de  la  population  ;  que 
Henri  avait  par  conséquent  repris  cette  ville,  comme  il  le 
désirait  en  1590,  lors  du  blocus,  non  en  conquérant,  mais  en 
vrai  roi  qui  reçoit  ses  sujets  égarés  à  pardon ,  comme  on 
s'exprimait  alors,  ou  en  chef  de  l'État  qui  se  rapproche  de 
ses  concitoyens.  Nous  avons  emprunté  les  détails  de  hi  red 


RâDOGTIOIl  DE  PARIS.  355 

dition  de  Paris  à  dix  contemporains,  dont  cinq  farent  témoins 
oculaires ,  et  qai  tous  déposent  de  la  même  manière  K  Les 
historiens  les  plus  récents  nous  parlent  d'une  occupation 
violente  de  Paris,  de  l'entrée  d*un  dief  armé  de  toutes  pièces, 
et  la  dague  au  côté,  entouré  de  vieux  arquebusiers  k  rœii 
farouche,  au  teint  basané,  lesquels  font  feu  sur  des  habitants 
qui  fuient  ou  se  précipitent  dans  la  rivière  \  hc  récit  de  ces 
historiens  est  une  confusion  erronée  en  un  point ,  et ,  en 
tous  les  autres  points,  un  roman.  Ils  coniondent  l'engage* 
ment  partiel  qui  eut  lieu  sur  le  quai  de  r£cole,  avec  ce  qui 
se  passa  dans  tous  les  autres  quartiers,  dans  toutes  les  rues 
de  I^ris  :  ils  confondent  encore  vingt-cinq  landsiienets, 
vingt-cinq  étrangers,  avec  deux  cent  mille  habitants.  Dans 
tout  le  reste,  leur  narration  n'est  qu'une  pure  invention^ 
qu'une  (able  inventée  à  plaisir  pour  dénaturer  à  la  fois  la 
conduite  du  roi  et  celle  des  Parisiens.  Ce  roman  repose  sur 
une  impossibilité.  En  elTet,  dans  son  entreprise  sur  Paris,  le 
roi  ne  disposait  pas  de  plus  de  quatre  mille  soldats.  Quatre 
mille  soldats  ne  viennent  pas  à  bout  de  quatre  mille  hommes 
de  garnison ,  et  d'une  population  de  deux  cent  mille  Ames, 
qu'ils  traitent  en  ennemie,  et  à  laquelle  ils  mettent  par  con- 
séquent les  armes  à  la  main.  La  fureur  de  faire  du  nouveau, 

*  Poitr  les  sept  puragrwphaf  reltiUf«  i.  la  iiidiiction  de  Parii,  Tuyes  P^u* 
leur  <le«  Meinviree  «le  le  Ligue,  AverliMcmeut  en  ié(e  de  redit  dn  roi, 
L  VI,  iu-4*,  p.  b7.  »  Lestuile,  Heguire-jouriMil.  —  Premier  Supplemea* 
MlreUeLesioile.-— Deuxième &upploineuUire,  p.  iU(i  A,il4S,'il5tt,dell7  à 
S3U.  —  Legrein,  Décède,  1.  VI.  p.  t7â.M.V  ~  P.  Cujet,  1.  VI,  p.  SHt-U», 
d^wprès  l«s  reluùoni  cuntempurHinct  le  plut  ctrcun»Uacieee  cumme  il  le 
témoigne.  —  Mattbien,  Hutoirede  Heure  IV.  —  5ully,  c.  4S,  t.  i,  p.  41, 
edil,  Micliuud.  —  D'Anbigiie,  1.  IV,  c.  S,  t.  lli.  p.  K4-3M.  —  Thuwuufl, 
I.  eu,  S)^  4,  b,  p.  5bU-36S.  De  ces  «.oolempuruiiife,  noue  ne  ciluDs  que  quel- 
i|u«e  Uue  de*  pe»Mgci  lee  plus  importante  rclelifs  eu  petit  nombre  de 
troupes  dont  le  roi  dîsposwit  et  eu  coucuurs  que  lui  prêtèrent  partout  le* 
liouigeoîs  et  le  peuple.  «  Ce  fut  uue  clio^e  remet  qu«il>le  que  queire  mill* 
»  hommes  à  piea  et  à  chevul,  entrée  let>eriues  en  poing  ucUans  ce  monde 

•  de  Furia,  imposesMUt  en  molu*  de  rien  illence  à  U  Ligise  ;...  que  tout  In 
m  pmple  se  mesle  iiiconitucnt  purmi  les  gens  de  guerre  et  wulrei  enirre 
»  ueec  le  roy,  eu  toute  telle  priventé  que  k'iK  eusswui  tous  )ours  demeuiea 

•  ensemble,  taiseut  retentir  les  rues  «le  cris  tie  iuie  et  de  iMerveiU«us« 
e  allégresse,  unlent  que  s'ils  feusseot  ecbtippes  de»  meius  d'un  bouirruii, 

•  p«ni  levoir  la  face  de  leur  père  et  de  i«uis  meilleurs  émis,  a  —  «  A|<rès 
m  qu'il  eut  occupe  ou  Cditoccuper  par  le*  capitaineê  dt  quartier rajaiùUSt 
m  le  LAfuvre,  le  Paleb,  le  giend  Lbâtelet.  —  Lhuillier,  prévdt  des  mur- 

•  cbaiuls,   Lengluis,  ecbeviu,  et  bon  nombre  d'eutree  eccompagnes  de 

•  hereults,  tiumpcttes  et  gens  de  toute  sorte,  couruieut  et  alloient  eu  tous 

•  lee  quartiers  ei  ruot  de  la  ville,  dont  Us  ê'atêûroitnt  par  tes  eapttatnes 
»  et  bons  bourgsots.  • 

*  M.  5ismondi,  et  les  bistorieus  modernei  qu'U  cite  et  dont  il  adopte  les 
réciU  et  Topinion,  dans  son  Histoire  dea  Français,  t.  XXI,  p.  S83,  SM. 


256  HISTOIRE   DU  RÈGNE   DE  HENRI   IV. 

et  surtout  l'esprit  de  parti ,  dénaturent  les  évënemcnL<(  et 
les  caractères ,  détruisent  la  vérité,  et  jusqu'à  la  vraisem- 
blance. 

Dans  la  révolution  de  Paris,  comme  dans  celle  de  Lyon, 
comme  dans  celle  de  Marseille  plus  tard ,  et  de  toutes  les 
grandes  villes  de  la  Ligtie,  le  peuple  invoqua  la  liberté,  non 
sans  raison.  En  effet,  quel  joug  est  pins  odieux,  plus  intolé- 
rable que  celui  des  étrangers  et  des  factieux  exploitant  Ta- 
narchie  à  leur  profit?  La  fin  de  leur  règne  était  donc  une 
délivrance.  Les  populations  le  sentaient,  et  les  contemporains 
Texprimaient  vivement.  L'un  d'eux  parle  en  ces  termes  : 
«  Après  cette  sortie  d'étrangers,  furent  faits  feux  de  joie  et 
»  grandes  réjouissances  par  les  rues  de  Paris,  et  en  tous  les 
»  quartiers  de  la  ville,  avec  cris  de  :  vive  le  Roy  !  virent  la 
»  paix  et  la  liberté!  Tous  les  bons  bourgeois,  le  moyen  et 
9  menu  peuple  étaient  fort  contents  de  se  voir  hors  d'escla- 
M  vage,  et  de  la  faction  et  gouvernement  des  Seize,  et  remis 
»  en  liberté  dans  leurs  honneurs  et  biens,  déIi\Tés  de  la  ty- 
»  rannie  des  Espagnols  et  étrangers ,  estimée  très  dure  et 
»  insupportable  aux  Français  ^  » 

La  réduction  de  Paris  est  le  dernier  acte  des  Politiques  de 
cette  ville  et  des  Ligueurs  français  qui ,  depuis  la  fin  de  1591, 
étaient  passés  aux  politiques.  Leur  effort  commun  contri- 
buait puissamment  à  donner  pour  dénouement  à  la  situation 
la  fin  de  la  guerre  civile  et  la  pacification  de  l'État.  Les  pre- 
miers terminaient  dignement  leur  tâche.  Les  seconds  rache- 
taient la  faute  immense  qu'ils  avaient  commise  au  mois  de 
mai  1588,  et  au  mois  d'août  1589 ,  lorsqu'ils  s'étaiant  ran- 
gés du  côté  de  l'insurrection  et  de  l'intolérance ,  contre  le 
pouvoir  légitime  et  la  lil)erté  de  conscience.  Us  s'étaient 
sauvés  d'autres  fautes  irréparables,  en  se  tenant  au  moins 
attachés  à  la  cause  de  l'indépendance  nationale ,  de  la  loi  et 
de  l'ordre  public  C'est  par  Ih  qu'ils  étaient  rentrés  dans  la 
voie  de  la  saine  politique.  Lorsque,  même  en  cédant  à  la 
passion ,  on  reste  honnête ,  on  redevient ,  à  un  jour  donné, 
sensé,  habile,  utile  à  son  pays  :  la  conscience  finit  par  éclai- 
rer l'esprit  et  redresser  la  raison.  Avant  de  quitter  pour  tou- 
jours la  Ligue  française  qui  expire,  il  faut  observer  une  der- 

*  Lettoile,  Supplément,  p.  t95  A,  $  6. 


RÉDDCTIOIf  DK  PARIS.  257 

nière  foLs  ses  chefs,  les  membres  du  parlement.  Eq  lisant  le 
récit  de  la  réduction  de  Paris ,  il  n'est  personne  qui  n*ait 
remarqué  le  rôle  militaire,  la  part  d'action  des  conseillers 
.Duvair,  Damours,  Marillac ,  Boucher-d'Orçay,  dans  cette 
mémorable  journée.  Singulière  et  admirable  magistrature 
de  ce  temps-là,  qu'on  trouve  à  la  fois  rendant  la  justice ,  li- 
bellant depuis  qïdnze  mois  des  arrêts  politiques,  qui  ont 
force  de  loi,  pour  conjurer  la  dissipation  de  TÉtat  par  les 
ambitieux,  et  Tenvaliissementdela  France  par  les  étrangers, 
enfin  maniant  le  mousquet,  combattant  de  son  corps  et  au 
péril  de  sa  vie,  pour  dissiper  les  factieux,  rétablir  Tordre 
public,  la  société  civile,  le  pouvoir  légitime.  On  pourra  itse 
laisser  séduire  à  Tidée  qu^elle  eût  mieux  fait  de  se  tenir  en 
dehors  des  troubles ,  parce  que  cette  calme  situation  allait 
mieux  à  la  gravité  de  ses  fonctions.  Mais  en  examinant  d« 
plus  près  les  choses,  on  change  d'avis  à  cet  égard.  Quand 
on  considère  quels  immenses  services  elle  rendit  au  pays  à 
la  fin  de  1591,  dans  la  conspiration  des  Seize;  en  1593, 
pendant  les  États  de  la  Ligue  ;  en  1596,  dans  la  réduction 
de  Paris,  on  reconnaît  de  quelle  utilité  est  la  présence  des 
bons  citoyens  dans  les  troubles  civils  et  dans  les  révolutions. 
En  supposant  qu'ils  soient  subjugués  im  moment  par  les 
idées  du  jour,  par  les  erreurs  et  les  passions  régnantes,  ils 
ne  tardent  pas  à  les  dominer  :  au  lieu  de  laisser  la  société  en 
proie  aux  factieux,  ils  la  leur  arrachent 

La  réduction  de  i^aris  entraîna  après  elle  des  conséquences 
d'une  immense  portée.  Elle  conféra  d'abord  à  la  royauté  de 
Henri  une  haute  consécration  ;  car,  dans  Topinion  du  peuple* 
quiconque  n'était  pas  roi  de  Paris,  n'était  pas  roi  de  France, 
Sous  Henri  HI,  l'exemple  de  Paris  avait  jeté  la  moitié  du 
royaume  dans  la  révolte  ;  sous  Henri  IV,  il  la  ramena  à 
l'obéissance.  La  soumission  des  grandes  villes  et  des  pro- 
vinces renversa  à  son  tour  les  projets  de  domination  ultra- 
montaine,  d'invasion  et  de  partage  du  territoire,  nourris 
jusqu'alors  par  la  cour  de  Rome,  la  Lorraine,  la  Savoie  et 
surtout  l'Espagne.  Ces  résultats  n'ont  pas  échappé  aux  con- 
temporains. L'un  dit  «  que  de  Paris  plusieurs  grandes  villes 
»  apprirent  en  même  temps  leur  leçon.  »  Un  second  témoigne 
«  que  le  roi  trouva  au  Louvre,  dans  un  coiïre,  toutes  les 
Il  clefs  des  villes  de  son  royaume.  »  Ln  troisième  ajoute 

17 


258  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IT. 

»  qu*il  triompha  en  un  coup  des  rebelles,  et  de  plus  des  deux 
•  tiers  de  TËurope  joints  à  eux^  » 


CHAPITRE  III. 


ninistn^tion. 


L*ordre  public,  lu  jaslice,  radmioUtratioB,  rétablb  k  Paris.  Arrêt  da 
parlement.  Conduite  da  clergé  de  Pari««  Rapporta  de  la  France  et  de 
Miilippell  arec  le  Saint-Siège  (lfiG4). 

L'ordre  public  Au  fuf  et  à  mesure  que  Ilend  enleva  quelque  ville  ou 
'puu  u^uîicé'  qufilQW*  province  à  la  révolte,  il  y  rétablit  aussitôt  la  paix, 
eti'ad-  Tordre  religieux  et  civil,  un  gouvernement  régulier,  mar- 
quant son  œuvre  du  sceau  spécial  de  la  démence  et  de  la 
bonté.  On  peut  en  juger  par  ce  qu'il  fit  à  Paris.  Le  28  mars, 
il  rendit  un  édit  sur  la  réduction  de  cette  ville,  dont  voici  les 
principales  dispositions.  La  religion  catholique,  la  religion 
de  la  majorité,  est  partout  rétablie  :  Texercice  de  cette  reli- 
gion est  seul  permis  à  Paris  et  à  dix  lieues  à  la  ronde,  con- 
formément à  redit  de  1577,  qui  cependant  élait  le  plus  favo- 
rable de  tous  aux  réformés.  Paris  conserve  ses  droits, 
privilèges,  franchises  et  libertés  :  la  inôme  faveur  est  accor- 
dée à  tous  les  corps  et  corporations.  L^amuistie  la  plus  en- 
tière, rabolilion  et  la  décharge  pour  tout  ce  qui  s'est  pas«é 
dans  Tordre  politique  est  accordée  aux  habitants,  sous  condi- 
tion qu'ils  prêteront  serment  de  fidélité  au  roi  :  Toubli  du 
passé  et  le  silence  sont  prescrits  à  tous  ;  les  seuls  aimes  dans 
Tordre  civil,  commis  depuis  cinq  ans,  seront  poursuivis  et 
punis  ;  les  -jugements  rendus,  les  actes  passés  pendant  le 
gouvernement  de  la  Ligue  reçoivent  leur  exécution.  Ceux 
qui  ont  été  pourvus  d'oflices  civils  ou  militaires  par  Mayenne 
les  conservent,  sous  la  condition  seulement  de  recevoir  du  roi 
de  nouvelles  provisions.  Les  saisies  faites  siur  les  habitants  sont 
annulées,  et  diacun  rentre  dans  ses  biens.  Les  débiteurs  de 
rentes  ne  sont  obligés  à  payer  que  les  intérêts  de  Tannée 
courante  :  les  arrérages  des  années  précédentes  seront  réglés 
par  im  arrangement  amiable  entre  eux  et  leurs  créanders, 
afin  qu'au  milieu  du  profond  dérangement  des  fortunes  par- 

■ 

*  D'AuLignr,  L  iv,  c.  4,  t.  lit,  p.  338.  —  Lcstuile,  Regisl.-Jouni.  de 
Henri  IV|  p.  tîl  A,  à  la  fin.  ~  Legratn,  Dccade,  I.  VI. 


l'ordrb  civil  rétabli  a  paris.  259 

tictilières  les  débiteurs  ne  soient  pas  réduits  an  désespoir. 
Après  avoir  rétabli  i*ordre  public  dans  les  rap|iorts  des 
citoyens  avec  le  gouvernement,  et  des  particuliers  entre  eux, 
il  fallait  restaurer  la  justice  et  Tadministration.  Le  roi  y 
pourvut  par  ses  lettres  patentes  du  même  jour  28  mars.  Il 
leva  rinterdiction  prononcée  contre  le  parlement  et  les  au- 
tres cours  souveraines  de  Paris,  au  commencement  de  1589, 
et  au  moment  de  la  translation  des  cours  de  justice  à  Tours, 
0  rendit  au  parlement  de  Paris  le  droit  de  rendre  la  justice, 
et  réintégra  pareillement  dans  leurs  attributions  la  chambre 
des  comptes,  la  cour  des  aides,  la  cour  des  monnaies  ^ 

Le  premier  usage  que  le  parlement  de  Paris  ût  de  ses  Arrêt  daptr- 
nouveaux  pouvoirs  fut  de  réparer  les  atteintes  portées  à  la  'Xaso  mais!^" 
puissance  royale,  et  de  lui  rendre  toutes  les  portions  d'auto- 
rité que  les  factions  en  avaient  distraites.  Par  son  arrêt  du 
30  mars,  ii  abolit  les  arrêts  donnés,  les  ordonnances  et  dé- 
crets faits,  les  serments  prêtés  contre  Henri  111  et  contre 
Henri  IV  depuis  le  29  décembre  1588.  11  dla  à  Mayenne  le 
titre  et  la  puissance  de  lieutenant-général  :  il  enjoignit  à  ce 
prince  et  à  tous  les  princes  lorrains  de  reconnaître  Henri  pour 
roi.  11  ordonna  aux  princes,  nobles,  prélats,  villes,  de  renon* 
cer  à  la  Ligue,  sous  peine  d'être  traités  comme  criminels  de 
lèse-majesté.  11  cassa  et  révoqua  en  général  les  délibérations 
et  les  actes  des  États  de  1593,  et  il  atteignit  ainsi  le  fameux 
vote  du  20  juin,  qui,  en  décrétant  Télection,  appelait  au 
trône  un  autre  prince  que  Henri  2. 

On  s'étonne  au  premier  abord  de  voir  le  roi  provoquer  ou  Contéquencps 
souffrir  un  pareil  arrêt,  et  chercher  la  confirmation  de  ses  ^  '*"*'''' 
droits  et  de  sa  légitimité  dans  les  décisions  d'un  parlement, 
la  veille  encore  ligueur  et  ennemL  Mais  depuis  cinq  ans,  le 
parlement  de  l^ris  était  constitué  en  corps  politique  ;  et  de- 
puis l'arrêt  du  28  juin  ce  corps  avait  dominé  les  autres  pou- 
voirs publics,  la  lieutenance-générale  et  les  États-généraux  : 
il  n'est  donc  pas  douteux  qu'auprès  du  peuple  de  Paris  ses 
actes  n'eussent  une  autorité  supérieure  à  celle  de  tous  les 

*  L'cdit  et  les  lettre»  petenlei  du  3S  nart  1694,  dans  les  Mémoires  de  la 
Lif  ue,  t.  VA,  p.  71-83.  —  LegruÏR,  L  Yi,  p.  tHk.  —  P.  Cajet.  L  Vl,  p.  fitifil, 
57U. 

'  Arrêt  da  parlement  de  Paru  dant  les  Ancienues  lois  françaises,  t.  XV, 
D.  S5,  mi,  87.  —  Uaia  lis  Meoi.  de  la  Ligue,  U  VI,  p.  8fr-S7.  —  P.  Uyel, 
1.  n,  p.  671. 


260  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HEKRI  IV. 

pouvoirs  alors  existants.  Mais  Henri  ne  pouvait  se  servir  de 
lui  impunément  et  une  seule  fois  :  Tarrét  qu*il  lui  laissait 
rendre  devenait  une  confirmation  de  ses  attributs  politiques  et 
de  sa  puissance  législative  ;  le  parlement  conserva  pleinement 
ces  pouvoirs  Jusqu'à  Tannée  1599. 
n«ioar  Plus  il  avait  d'autorité  dans  les  affaires  d'État,  plus  il  était 

'""'lUToîwr'*  nécessaire  que  le  roi  se  bâtât  de  partager  ce  pouvoir  entre  des 
et  dii  cbâioni.  magistrats  si  longtemps  ligueurs,  pouvant  redevenir  si  facile- 
ment bostOes,  et  les  serviteurs  éprouvés  de  la  couronne.  Même 
comme  cour  judiciaire,  le  parlement  de  Paris  ne  pouvait  être 
considéré  comme  reœnstitué ,  tant  que  ses  membres  roya* 
listes  continueraient  à  siéger  hors  de  la  capitale.  Dès  le 
27  mars,  Henri  rappela  les  magistrats,  au  nombre  de  plus  de 
deux  cents,  qui,  depuis  son  avènement,  avaient  composé  les 
parlements  de  Tours  et  de  Gbâlons,  et  les  cours  des  comptes, 
des  aides  et  des  monnaies.  Ib  rentrèrent  à  Paris ,  le  fidèle 
Harlay  en  tète,  le  l/i  avril  et  le  15  mai ,  et  se  réunirent  à 
leurs  collègues.  lie  roi  leur  accorda  le  pas  sur  les  ligueurs, 
et  par  cette  marque  honorifique  il  consacra  le  souvenir  de 
leur  fidélité  ;  mais  il  leur  ordonna  d'oublier  le  passé,  comme 
lui,  saisissant  toutes  les  occasions  de  fondre  et  de  réunir  les 
partis  contraires  dans  un  grand  parti  national  K 
Etti  *i  riwgrf  Le  roi  avait  été  reconnu  par  le  peuple^  l'hôtel  de  ville,  le 
parlement  ;  il  ne  lui  restait  plus  qu'à  obtenir  l'adhésion  du 
clergé,  pour  que  la  soumission  de  tous  les  ordres  à  son  auto- 
rité fût  entière.  Nous  avons  signalé  précédemment  et  honoré 
de  justes  éloges  la  conduite  de  la  partie  du  clergé  qui,  parmi 
les  folies  et  les  fureurs  de  la  Ligue,  était  restée  ferme  dans 
la  voie  de  l'Évangile  et  des  principes  gallicans ,  de  l'évéque 
Gondy,  des  trois  curés  Benoist,  Ghavaignac,  de  Morenne,  de 
quelques  ordres  religieux,  les  Génovéfains  et  les  Bénédictins^ 
qui  avaient  refusé  de  rien  faire  d'hostile  contre  le  roi,  ou  qui 
même  avaient  travaillé  à  ramener  les  esprits  vers  lui.  Si  bo* 
norables  que  fussent  ces  exceptions,  ce  n'étaient  que  des  ex-*" 
ceplions  ;  la  grande  majorité  du  clergé  de  Paris,  docteurs  de 
Sorbonne,  prédicateurs,  curés,  moines,  s'étaient  montrés  ses 
ardents  ennemis.  Quelques  uns  avaient  embrassé  la  révolte 
par  un  enthousiasme  fanatique;  d'autres  sur  l'espoir  de 

*  Anciennes  lois  françaiiies,  t.  XV,  p.  86.  —  P.  Cayet,  I.  VI,  p.  073  A,  — 
Thiinnu«,  I.  cm,  S  G,  t.  v,  p.  ^i,  3SÂ. 


LE  HOl  RECONNU  PAR  LE  CLERGÉ  DE  PARIS.     261 

commettre  impunément  tous  les  excès  et  tous  les  crimes  au 
milieu  de  Tanarchie  ;  le  grand  nombre  par  docilité  au  pou- 
▼oir  et  par  obéissance  aux  ordres  de  Mayenne  et  du  légat,  ou 
par  ambition  et  par  airidité ,  car  la  plupart  convoitaient  des 
cures  et  des  évêchés,  et  recevaient  des  pensions  du  parti 
lorrain  et  de  TEspagne.  Pendant  les  derniers  jours  de  mars, 
ceux  qui  persistèrent  dans  leur  haine  et  dans  leurs  emporte- 
ments, tels  que  Aubry  et  Boucher,  ceux  qui,  indépendamment 
des  excès  politiques,  s'étaient  souillés  de  vols  et  de  meurtres 
et  se  trouvaient  passibles  de  la  justice  dvUe,  s'exilèrent  vo- 
lontairement ou  furent  comprb  dans  la  liste  des  iMnnis.  Le  22, 
soixante  sortirent  de  Paris,  avec  la  garnison  espagnole, 
et  se  retirèrent  en  Flandre  sur  les  terres  du  roi  d'Espagne  : 
le  22i,  neuf  curés,  quelques  prédicateurs  et  moines  des  plus 
ardents  parmi  les  Seize,  curent  à  s'éloigner  temporairement. 
Dès  lors  il  ne  restait  plus  que  le  clergé  politique  ou  éclairé, 
et  la  portion  du  clergé  ligueur  qui  craignait  le  pouvoir  et  se 
conduisait  par  son  intérêt. 

Rien  ne  s'opposait  plus  à  ce  que  l'autorité  de  Henri  fût  Heuri  reconnu 
acceptée  et  reconnue  par  les  ecclésiastiques  comme  par  les  **'  «««'8  • 
autres  ordres  de  citoyens.  Le  2  avril,  la  Sorbonne  se  rendit 
en  corps  auprès  de  lui  et  lui  offrit  ses  hommages  et  l'assu- 
rance de  sa  fidélité.  En  môme  temps  Gommolet ,  Gulncestre 
et  d'autres  prédicateurs,  de  ligueurs  forcenés  devenus  tout 
i  coup  royalistes,  recommandèrent  dans  leurs  sermons  sa 
personne,  et  ne  tarirent  plus  sur  ses  éloges  ^  Le  22  avril,  la 
Sorbonne ,  les  quatre  facultés  de  l'Université,  les  curés,  les 
ordres  religieux,  prêtèrent  serment  à  Henri  et  signèrent  une 
déclaration  portant  qu'il  était  vrai  et  légitime  roi  ;  que  tous 
ses  sujets  était  tenus  de  lui  obéir,  quoique  ses  ennemis  eus* 

*  LfMtoUc  et  »on  Supplément,  p.  §31  B  pour  U  sortie  de  Boucher  «t  de 
•oisante  moines  et  prédicateurs;  p.  398  B,  Si!^  S30,  pour  le  hanntssemrnt 
des  neuf  curés  et  d'autres  prédicateurs  cl  moines;  p.  930  B  pour  U  Surbonne 
•l  les  prédicateurs  licueurs  dnrenus  royalistes  :  s  Ce  jour,  crux  de  la  Sor- 
»  bonne  en  corps  allèrent  saluer  le  roy...  Il  leur  dit  qu'il  avoit  rnvie  de 
•»  réunir  par  la  douceur  tous  ses  subjcctii,  principalement  ceux  di*  rKgli>c  ; 
»  Hinis  singulièrement  leur  corps  et  faculté,  bquelle  il  honoroit  et  aimc- 
»  loit  touiours.  De  quoy,  messieurs  nos  maistres  aVn  allèrent  fort  contents, 
»  disant  autant  de  bien  de  sa  maicstr,  comme  peu  auparatant  ils  en  avoient 
»  dit  d«  oial.  Commolet  et  Incestre  (Guîncestre)  de  grands  ligueurs  devenus 
»  royaux,  ou   pour  le  moins  feignant  de  Testre,  recommandèrent  fort  en 

•  leurs  sermons  la  personne  du  roy,  nostre  sire,  principalement  Incestre, 

•  qni  sV*slendit  si  avant  sur  les  louanges  de  sa  maiesté,  qu'on  peusoil  qu'il 

•  n*eu  dusl  îamais  sortir,  a  —  Thuauus,  1.  CiX,  S  7«  U  Yt  p.  K7. 


262.  HISTOIRE   DU   RÈGNE   DE   HENRI   IV. 

sent  empêché  jusqu'alors  le  Saint-Siège  de  le  recevoir  dans 
la  communion  de  TÉglise  ;  qu'ils  renonçaient  eux-mêmes  à 
toute  ligue  et  association,  et  qu'ils  déclaraient  excommuniés, 
coupables  de  haute  trahison  et  ennemis  publics,  tous  ceux  qui 
pensaient  ou  agiraient  autrement.  Cette  déclaration  eut  alors 
une  hante  importance,  parce  que  les  ennemis  du  roi  s'effor- 
çaient de  persuader  qu'on  ne  pouvait  lui  obéir  avant  qu'il 
eût  été  absous  par  le  pape  et  reconnu  pour  fils  aîné  de 
l'Église.  Déjà  un  schisme  éclatait  parmi  le  clergé,  et  il  était  à 
craindre  qu'on  ne  parvint  à  détacher  du  roi  les  plus  pieux 
et  les  plus  timorés  d'entre  les  laïcs.  Ce  danger  était  prévenu 
par  la  déclaration  et  le  serment  ^ 

Leg  iésaitet.  Dcttx  dcs  Ordres  religieux,  les  Jésuites  et  lest^pucins,  re- 
fusèrent seuls  d'y  adhérer.  Ils  dénièrent  à  Henri  la  qualité  et 
l'autorité  de  roi ,  jusqu'à  ce  qu'il  fût  relevé  et  admis  par  le 
pape',  n  restait  donc  usurpateur  et  hérétique,  et  par  consé- 
quent digne  de  mort  comme  Henri  HI,  pour  les  fanatiques 
sanguinaires  que  la  Ligue  avait  prêches  et  pervertis  depuis 
dnq  ans.  De  plus,  la  vie  du  prince  et  tout  Tordre  politique 
de  la  France  dépendaient  de  la  décision  d'un  souverain  étran* 
ger.  Ces  doctrines  subversives,  maintenues  par  les  Jésuites, 
produisirent  bientôt  de  nouveaux  crimes. 

Conduiie  da  Henri  ne  pouvait  conjurer  ces  périls  qu'en  faisant  valider 
son  abjuration  et  son  autorité  par  le  pape.  Dès  le  mois  d'oc- 
tobre de  l'année  précédente,  il  avait  envoyé  le  duc  de  Ne  vers 
en  ambassade  au  pape,  pour  lui  rendre  obédience  et  solliciter 
l'absolution.  Clément  VIII  était  disposé  à  agir  en  vicaire  de 
Jésus-Christ  et  en  père  commun  des  fidèles.  Mais  la  puis- 
sance de  Henri  n'était  pas  encore  assez  affermie,  pour  que  le 
pape  pût  opposer  la  France  à  l'Espagne,  et  se  soustraire  à 
l'indigne  esclavage  où  le  retenait  le  roi  catholique.  Philippe 
le  menaça  par  son  ambassadeur  d'une  guerre  à  outrance,  de 
la  perte  de  ses  États  et  même  de  la  déposition,  s'il  sanction- 
nait la  conversion  du  roi.  Le  duc  de  Nevers  fit  valoir  en 

'  Le  texte  de  le  déclaration  et  du  ferment  dans  les  Mëni.  de  la  Liffoe, 
t.  Tl,  p.  8S.95  ;  Suppl.  de  TEstoile,  p.  iSS-â."».  —  P.  Cayet,  1.  Tl,  p.  571- 
873. 

"  Thncnas,  1.  cix,  S  7,  t.  y,  p.  387.  «  Ex  sacro  nrviinr  mH  In  nrhe  resta- 
»  bant  Je«uiliric  Kchniv  lodalfs  ac  noTÎ  in  (raHia  froncitrnni  caporinî.  qui 
M  M  lariKdirlioni  rrgiit  exempto^  crndniitet,  ponttBcH  auctoritatem  cxprc- 
a  tandaoi  aiebant  ;  interimque  prere^  pro  rcge  facore  aal  ei  fidem  tanquam 
•  principl  lefilimo  addicere  recaiabant,  » 


pape. 


LES  JÉSUITES.  CONDUITE  DU  PAPE,  v    263 

vain  les  plus  fortes  considérations  tirées  de  la  justice,  de  la 
politique,  et  même  de  la  religion  :  vainement  il  pria,  il  sup- 
plia. Le  pape  resta  forcément  inflexible,  et  la  France  ne  put 
recevoir  le  gage  de  la  paix  qu'elle  attendait  de  la  cour  de 
Itome,  asservie  elle-même  à  la  cour  de  Madrid  >. 

Cet  exposé  succinct  suffit  sans  doute  pour  expliquer  Tétat 
intérieur  de  la  France  au  commencement  de  159/i,  les  rap- 
ports de  ce  royaume  avec  le  Saint-Siégc ,  la  connexité  de  la 
politique  et  de  la  religion.  Mais  il  doit  nous  être  permis  de 
faire  un  pas  hors  de  notre  sujet,  et  d'entrer  dans  de  plus 
grands  détails  pour  montrer  quel  était  véritablement  le  ca- 
tholicisme de  l%illppe  II,  de  ses  ministres  et  de  ses  partisans 
dans  les  divers  États  de  TEurope  ;  quelle  conduite  ils  tenaient 
k  regard  des  papes;  quel  respect  ils  portaient  à  leur  carac- 
tère et  à  leur  autorité  ;  quel  usage  ils  faisaient  de  la  religion  ; 
à  quel  point  ils  se  jouaient  de  ce  que  les  hommes  ont  de  plus 
saint  et  de  plus  sacré.  Sans  ces  développements ,  on  con- 
naîtrait mal  Tesprit  du  temps,  les  sçcrets  ressorts  de  la  poli- 
tique espagnole,  son  intervention  dans  les  affaires,  la  a)n- 
dnite  des  cours'étrangëres,  la  situation  générale  de  TEurope 
à  IVpoque  qui  nous  occupe. 

Trois  relations  contemporaines  déposent  d*une  manière       lUpporu 
uniforme  sur  les  moyens  employés  par  I Philippe  II  et  par  son  .teTïe  SS'li 
ambassadeur  pour  empêcher  Clément  YIII  d'accueillir  la  de-      let  autr«t 
mamle  d'absolution  que  lui  adressait  Henri  IV.  Nous  repro-     jo  t'Ênrap*. 
dnirons  ici  la  relation  qui  se  trouve  dans  les  Mémoires  du 
duc  de  Ne\crs,  ambassadeur  de  la  cour  de  France,  et  qui  a 
pour  auteur  le  duc  lui-même  ou  l'un  de  ses  secrétaires,  tous 
deux  témoins  oculaires.  «  Le  duc  de  Sessa,  voyant  le  pape 
aucunement  incliné  à  admettre  la  conversion  du  roi,  dont  il 
se  réjouissait,  comme  même  il  l'a  voit  fait  entendre  par  le 
jésuite  Houssevin  à  M.  de  Nevers,  se  résolut  de  l'empêcher 
en  ce  dessein ,  et  avec  ses  partisans  intimider  Sa  Sainteté  de 
la  part  du  roi  d'Espagne,  son  maître  ;  usant  de  telles  menaces, 
que  si  le  pape  se  laissait  aller  à  la  requête  dudit  sieur  de 
Nevers,  son  maître  lui  dédaroit  qu'il  aflameraitRome,  ne 
permettant  qu'il  y  vint  aucunes  graines  ni  autres  commodités 

*  *  DUcoiir*  dp  cr  que  fit  M.  de  ffpreni  I  son  Toyoge  à  Romp,  en  Vun  1B9CI. 
—  Oittroars  de  la  Ir^ation  de  M.  de  Nevent,  dans  les  lC<^oîre«  de  M.  le  dae 
de  NeTcm,  I.  il,  n,  44tS.491  in-folio.  —  P.  Cayel,  Chron.  noT.,  1.  y,  p.  514, 
ttii  ;  I.  Ti,  p.  648.503.  ->  Tkunns,  I.  CVin,  SS  l-^«  (•  ▼«  pi  SI 8^30. 


H6U  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE   HENRI   IV. 

de  Sicile,  Napics  et  autres  siennes  terres.  Qu'il  ferait  un 
schisme  en  Espag^ne  et  autres  siens  royaumes,  qu'il  mettroit 
telle  division  parmi  les  cardinaux  que  cela  lui  apporlcroit  un 
grand  préjudice.  Qu'il  susciterait  l'Empereur  à  redemander 
Rome  et  antres  villes  appartenantes  à  l'Empereur,  comme 
mal  données  au  pape  par  l'empereur  Constantin.  Que  son  dit 
maître  scroit  exécuteur  lui-même  des  dites  demandes  ;  le- 
quel au  pis  aller  lui  ferait  la  guerre  ouverte,  comme  son 
père  a  voit  fait  à  Paul  Farnèse.  Qu'il  ferait  intimer  un  concile 
général  contre  Sa  Sainteté ,  par  le  moyen  de  l'Empereur  et 
autres  princes  d'Allemagne ,  lesquels  lui  pourraient  faire  la 
guerre  jusqnes  aux  portes  de  Rome,  pour  la  commodité  qu'il 
leur  en  donneroit. 

•  Et  au  contraire  remontroit  à  Sa  Sainteté  qu'elle  devoit 
plutôt  laisser  ruiner  la  France  et  y  permettre  la  guerre... 
Que  ce  seroit  le  grand  avantage  de  Sa  Sainteté  et  du  Saint- 
Siège  si  la  couronne  de  France  se  divisoit,  parce  qu'étant  en 
parcelles,  et  sous  la  comqiunauté  des  villes  particulières,  ou 
sous  la  domination  de  princes  et  seigneurs  qui  en  usurpe- 
raient chacim  sa  part ,  Sa  Sainteté  en  seroit  'mieux  obéie  et 
respectée  qu'elle  n'a  été  et  n'est  à  présent  ;  parce  que  n'y 
ayant  qu'un  rai ,  le  corps  demeure  fort  et  entier,  même  le 
clergé,  qui ,«  jaloux  de  ses  privilèges  et  libertés  anciennes,  les 
débaL  Ce  qu'il  ne  pourra  faire  pour  être  divisé  en  mille  parts 
et  sous  la  domination  de  divers  princes ,  de  la  volonté  des- 
quels lesdites  parts  dépendront  ;  et  n'aura  plus  la  force  ledit 
clergé  de  débattre  ses  dits  privilèges  comme  il  a  fait,  s'oppa« 
sant  à  plusieurs  ordonnances,  décrets  et  canons  des  papes. 
Que  l'autorité  du  roi  étoit  aidée  et  supportée  de  deux  autres 
corps  non  moins  forts,  à  savoir  la  Sorbonne  de  Paris  et  les 
cours  de  parlement  de  France.  Que  les  parlements  ne  pour- 
ront plus  s'entremettre  de  corriger  ou  retrancher  les  facultés 
des  papes  et  légats  ;  car  le  parlement  n'aura  plus  ses  auto- 
rités passées,  voulant  chacun  seigneur  avoir  le  sien.  Quant  ù 
la  Sorbonne,  elle  sera  ruinée  et  ira  par  terre,  parce  qu'étant 
composée  de  docteurs  de  toutes  les  provinces  de  France ,  et 
partant  représentant  tout  le  corps  du  royaume ,  la  ville  de- 
venant franche  à  elle-même,  les  autres  villes  et  seigneurs 
ne  lui  voudront  déférer  ce  privilège,  ni  la  reconnottre  en  au- 
cune chose.  De  manière  que  Pautorité  du  clergé ,  du  parle- 


RAPPORTS  DK  PHILIPPE  II  AVEC  LE  S  A 1  ?1  T-SIÉGE.        265 

ment,  de  la  Sorbonne,  s'en  iront  en  famée,  avec  les  privilèges 
et  lil)erlés  de  TÉgltse  gallicane  ;  et  sera  le  pape  reconnu  et 
obéi  de  tous  sans  contredit  et  sans  difficulté  K  » 

On  peut  donner  pour  contr^VIe  aux  assertions  du  duc  de 
Nevers,  seigneur  du  parti  du  roi,  les  assertions  de  La  Gliastrc 
pendant  si  longtemps  i*nn  des  principaux  conseOiers  de 
Mayenne,  et  initié  en  cette  qualité  à  tous  les  secrets  du  parti 
de  la  Ligue  et  de  la  cour  de  Madrid.  La  Ghastre  confirme  de 
point  en  point  dans  son  discours  du  17  février  159/i  les  allé- 
gations du  duc  de  Nevers.  Gomme  lui,  il  représente  le  pape 
en  butte  aux  menaces  et  aux  violences  de  Philippe  II,  ne 
pouvant  plus  ni  agir,  ni  même  vouloir,  qu'au  gré  des  Espa- 
gnols :  comme  lui,  il  montre  le  roi  catholique  ayant  réduit 
Tautorité  du  vicaire  de  Jésus-Ghrist  au  service  de  sa  politique, 
et  il  apprécie  sa  religion  avec  une  fermeté  de  raison  et  une 
liberté  qui  jettent  sur  Tesprit  du  temps  une  lumière  toute 
nouvelle  *. 

Ges  faits  étaient  répandus  et  connus  dans  le  royaume  dès 
le  commencement  de  Tannée  i59/i.  Le  défaut  d'absolution 
du  roi  pouvait  encore  armer  contre  ses  jours  quelques  furieux 
poussés  par  les  stipendiés  de  TEspagne,  auxquels  la  clémence 
de  Henri -épargnait  le  supplice  et  Texil  ;  mais  cette  raison  re- 
ligieuse ne  pouvait  balancer  les  raisons  politiques  qui  pous- 
saient les  villes  et  les  seigneurs  de  la  Ligue  à  désarmer.  Les 
gouverneurs  de  ce  parti  connaissaient  les  disposKions  du 
peuple  avide  de  paix ,  las  de  leur  autorité  :  entraînés  par 
Texemple  des  grandes  villes,  et  surtout  de  Paris,  ils  sentaient 
qu'il  était  temps  encore  de  faire  acheter  leur  soumission,  mais 
qu'il  (allait  se  hâter.  Les  princes  de  la  maison  de  Guise , 

*  Les  intimidations  qui  furent  faiiei  au  (Mpc  Clignent  VIII  par  le  duc  de 
SesM,  flans  les  Hem.  du  duc  de  Ncrcrs,  t.  il,  p.  716,  717,  in>folio.  Nous 
u*avous  chaugc  que  ^orthographe. 

'  Difcours  de  La  Chantre  aux  habitants  d'Orléans,  le  17  fer rier  1594, 
dans  Cayet,  h  Tl,  p«  545  B.  —  ■  lje%  Espagnols  ont  nié  si  avant  que  l'am  • 
»  hasiadcur  du  roy  calboUqur«  ri'sidt'ut  à  Rome  près  de  .Sa  Saincteié,  Ta 
I»  hien  osé  nirnacrr,  stius  h'  nom  de  vin  mui&lrc,  qu'il  rnmproit  Tulliauce  ri 
•  amilié,  s*il  cousrnluit  à  ri-rinroir  le  roy  à  su  conversiun.  Et  de  plus  luy 
»  dit  qu'il  empeschcroil  les  traites  de  bled  qui  viennent  de  Naplrs  et  de 
m  Sicile  k  Rome  pour  la  nourriture  dv  rc  grand  peuple.  Kons  voyez  par 
m  ià,  messieurs^  de  quelie  piété  et  religion  sont  tonchez  ces  nouveaux 
»  chrettiens»  Je  vous  diray  bien  enrorfs  que  le  pape  reçut  ce»te  indi- 
»  KDÎté  là  avec  tant  de  rrgift  et  de  df.%pluisir,  qu'il  s'en  mist  an  lict  et  en 
»  pleura  ;  »c  plaignant  k  quelques  rurdinaus.  qui  esloient  autour  de  luy,  de 
»  se  Toir  forré  en  se«  volontci,  et  ne  pouvoir  distribuer  ses  licucdiclions 
m  sans  le  gré  et  consentemeol  des  Espagnols.  » 


:266  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DB  HENRI   IV. 

inspirés  de  i'ambition  de  Mayenne,  essayèrent  d*al}ord  de 
tenir  lx)n,  mais  ils  virent  les  villes  les  abandonner  pour  passer 
du  côté  du  roi. 


Sonmitiion 

de  VUlar*,  de 

Rouen 

et  de  toute 
U   Normandie. 


CHAPITRE  rV. 

Soumitsion  de  Villart,  de  Rouen  et  du  reste  de  la  Normandie.  Soumissions 
d'autres  TUles  et  chefs  de  lii  Ligue.  Prise  de  Luon.  Traités  avec  deut 
princes  de  la  maison  de  Guise  et  iTec  le  duc  de  Lorraine.  Fin  du  tiers- 

fiartj.  Attentat  de  Chatcl,  eipulsion  des  jésuites.  Prix  auquel  les  chefs  de 
a  Ligue  mettent  leur  soumission  (1594). 

A  la  suite  d'une  épineuse  négociati<Miy  conduite  par  Rosny, 
Villars  acceptait  un  traité  qui  devait  replacer  sous  la  loi  de 
Henri  Rouen,  le  Havre,  Montivillier,  Pont-Audemer,  Ver- 
neuil.  Mais  Villars  mettait  sa  soumission  à  un  prix  exorbi- 
tant. Il  exigeait  la  charge  d'amiral  de  France,  le  gouverne- 
ment en  chef  des  bailliages  de  Rouen  et  de  Caux,  c'est-à-dire 
outre  le  gouvernement  particulier  de  Rouen,  la  domination 
de  toute  la  Normandie  entre  la  Seine  et  les  frontières  de 
rile-de-France  et  de  la  Picardie^  enfin  une  somme  de 
3,477,800  livres,  correspondant  à  plus  de  12,500,000  francs 
d'aujourd'hui  ^  Rosny  hésitait  à  infliger  au  roi  et  au  pays  de 
si  dures  conditions.  Henri  montra  alors  que  tout  daps  sa 
conduite  était  réfléchi,  calculé,  dicté  par  une  politique  que 
l'expérience  pratique  et  l'étude  des  temps  précédents  avaient 
également  mflrie.  Arrêté  à  l'idée  que  rien  n'était  si  dange- 
reux, ni  même  si  coûteux  pour  la  France  que  la  révolte,  Ta- 
narchie,  le  partage  du  pouvoir  souverain,  il  écrivit  à  Rosny  : 

«Mon  amy,  vous  pstes  une  bcste  d'user  de  tant  de  remises,  et 
apporter  tant  de  difCcullez  et  de  me«Dage,  en  une  aflaire  ûo. 
laquelle  la  conclusion  m'esi  de  si  grande  importance  pour  Pesla- 
blissement  de  mon  autborilé  et  le  soulagement  de  mes  pruplrs. 
Ne  vou<(  souvient-il  plus  des  conseils  que  vous  m'aves  tant  de  fuis 
donnei,  m'allégunni  pour  exemple  celuy  d'un  certain  dur  tic 
Milan  au  roy  Louis  XI,  au  temps  de  la  guerre  nommée  du  Hien 
public,  qui  estolt  de  séparer  par  interests  particnHers  tous  ceux 
qui  esloient  ligiiei  contre  lu  y,  qui  est  ce  que  je  veux  essayer  de 
faire  maintenant  ;  aymant  beaucoup  mieux  quMI  m*en  coule  deux 
fois  autant,  en  travaillant  séparément  avec  chaque  particulier, 

*  Sully,  OEcon.  roy.,  c.  47, 1. 1,  p.  IS7  A  ;  c.  151,  t*  n,  p.  30  A. 


SOUMISSION  DE  VILLARS  BT  DE  ROUEN.  267 

que  de  pairenir  à  mesmes  effects  par  le  moyen  d^un  traieté  gé- 
néral fiiict  avec  un  seul  chef  (comme  rons  sariet  bien  des  gens  qui 
me  le  rouloient  ainsi  persuader)  qui  pust  parce  moyen  entretenir 
toujours  un  pnrty  formé  dans  mon  Estât  ^  Partant  ne  vous  amuset 
plus  à  faire  le  respectueux  pour  ceux  dont  il  est  question  %  les- 
quels nous  contenterons  d'ailleurs  ;  ny  le  bon  mesnager  ne  vous 
arrc5tant  k  de  l'argent  :  car  nous  payerons  tout  des  metmes  choses 
que  Con  nous  Uvrerot  lesquelles,  s^il  nous  faltoit  prendre  par  la 
force,  nous  cousteroient  dix  fois  autant,..  Conclue!  au  plus  tmt 
aviîc  M.  de  Villars.  Puis,  lorsque  je  seray  roy  paisible,  nous  use- 
rons des  bons  mesnnges  dont  vous  m'avez  tant  parlé,  et  pouvei 
TOUS  a^vurer  que  je  n'épargneray  travail*  ny  ne  craindray  péril 
pour  eslever  ma  gloire  et  mon  Estât  en  leur  pluii  grande  splen- 
deur. Adieu,  mon  amy  *.  • 

Le  traité  fut  conclu,  conformément  aux  larges  vues  du  roi, 
par  Phabileté,  le  sang-froid,  l'infatigable  activité  de  Rosny. 
L'une  dos  quatre  villes  les  plus  importantes  du  royaume,  et 
avec  elle  tout  le  reste  de  la  Normandie,  l'im  des  deux  capi- 
taines les  plus  habiles  et  les  plus  braves  de  la  Ligue,  furent 
réduits  sous  l'obéissance  de  Henri  (27  mars  159^).  Par  leur 
exemple  autant  que  par  les  rrssources  qu'ils  fourniront, 
ils  contribuèrent  puissamment  à  la  soumission  des  aiUres 
provinces.  I^  fraction  royaliste  du  parlement  de  Normandie 
établie  à  Caen,  et  présidée  par  le  grand  citoyen  Groulart 
qui  avait  rendu  au  parti  national  d'Inappréciables  services, 
la  partie  royaliste  du  parlement  de  Normandie  revint  à 
IioueUf  ot  se  confondit  avec  le  parlement  ligueur  (26  avril). 
L'unité  et  la  régularité  de  la  justice,  l'empire  de  la  loi,  y 
furent  rétablis  presque  en  même  temps  qu'à  Paris  1. 

Le  duc  de  Guise  était  gouverneur  de  Champagne  et  avait 
établi  son  frère,  le  prince  de  Joinville,  pour  gouverneur  par- 
ticulier de  Troyes,  capitale  de  la  province.  \jet  duc  d'Aumale 
avait  le  gouvernement  de  Picardie,  qui  comprenait  alors  plu- 

*  Un  Iniittf  gffnrral  que  Hnnri  auroil  fait  bt^c  le  dnc  d*  M«yenn«. 

*  Riron,  Mnntpensirr,  B4»i«-Roié  (SuHy.  c.  47,  p.  136  A). 

■  Lettres  nii<tlT«*<i.  8  mars  1594,  t.  IT,  p.  110.  111.—  Siilly,  OCeon.  rov., 
e.  47,  1. 1,  p.  136,  iTt. 

*  Pour  l'ensemble  des  négociations  relatlTes  \  la  itfdaction  de  Viltars  et 
Ae  Riiiieo,  Toyea  SuUy,  OF.con.  roy.,  c.  45,  46,  47.  t.  I,  p.  I3t-I3f).  — 
P.  CoTet,  Chr.  noveo.,  I.  Tl.  I.  I.  p.  577.  —  Lesloi!^»,  p,  9fit  A,  Sappl. 
p.  *JB  A.  —  ThuaniiB.  1.  cix.  ^  8,  t.  ▼,  p.  M8.  —  D'Anbigné,  I.  rv,  e.  4, 
t.  ni,  p.  338.  —  M.  floquet,  Hist.  du  parlement  de  ftormandie.  t.  m, 
p.  611-613. 


Soamistion 

de  Troyes  S«na 

AbbeTille, 

lConlr«>iiil; 

dans  le  Midi,  de 

Riom 

et  d'Agen. 


SoumiMÎon 

lie  Trojes,  Sent, 

Abbcville, 

Monlr«u|l, 

Eion,  Agen. 


Henri 
pnod 


268  HISTOIRE  DU    R£GN£   DE  UEiNKl   IV. 

sieurs  villes  et  pays  annexés  plus  tard  à  l'Ile-de-Kraiice.  Les 
princes  lorrains  essayèrent  de  lutter  contre  le  torrent,  mais  le 
torrent  les  emporta  :  les  échevins  et  les  habitants  des  villes, 
les  gouverneurs  particuliers,  précipitèrent  leur  soumission. 

Au  mois  d*avril,  on  trouve  la  réduction  de  Troyes,  après 
Texpulsion  du  prince  de  Joinville,  et  celle  de  Sens  en  Cham- 
pagne ;  celle  d'Abbeville  et  de  Montreuil-sur-Mer  en  Picardie. 

Dans  les  provinces  du  Midi,  Hiom,  Tune  des  deux  princi- 
pales villes  d*Auvergne,  reconnaissait  Tautorité  de  Henri,  et 
les  habitants  publiaient  un  manifeste  dans  lequel  ils  décla- 
raient qu'ils  n'avaient  suivi  le  parti  de  la  Ligue  que  pour 
rintérét  de  la  religion,  et  que  ce  motif  n'exislant  plus,  ils 
s'empressaient  de  rendre  obéissance  au  prince  légitime  (avril). 
Montluc,  sénéchal  d'Agcnois,  et  les  trois  villes  d'Agen,  de 
Villeneuve,  de  Marmande,  dépendantes  du  gouvernement  de 
Guyenne,  envoyèrent  en  même  temps  leurs  députés  au  roi 

La  France  du  Nord  était  la  partie  du  royaume  oft  Ton  pou- 
vait soutenir  le  plus  aisément  la  Ligne  à  cause  du  voisinage 
des  Pays-Bas  et  du  secours  des  armées  espagnoles.  Les 
Guises  comprenaient  que  leur  parti  était  perdu  s'il  succom- 
bait dans  ces  provinces.  Aussi  Mayenne,  le  duc  d'Aumale,  le 
duc  de  Guise,  s'eflTorcêrent-ils,  par  leur  présence  et  parleurs 
armes,  d'arrêter  le  mouvement  de  défection  imprimé  à  la 
Picardie  et  à  là  Champagne,  par  les  quatre  villes  qui  venaient 
de  se  soumettre.  Mayenne  et  le  duc  d'Aumale  furent  aidés 
par  une  armée  de  dix  mille  Espagnols ,  que  Philippe ,  sorti 
de  ses  plus  pressants  embarras,  leur  envoya  sous  la  conduite 
de  Mansfeld.  Henri,  de  son  côté,  seconda  la  révolution  près 
d'éclater  dans  ces  pays,  en  y  envoyant  ses  troupes,  et  en  as- 
siégeant la  ville  de  Liaon  (25  mai).  Laon  dépendait  alors  de 
la  Picardie,  et  depuis  la  réduction  de  i^ris  était  devenue  la 
capitale  de  la  Ligue.  Mayenne  et  Mansfeld  essayèrent  de  la 
dégager  ;  mais  après  la  perte  de  deux  convois,  et  de  quinze 
cents  hommes  tués  dans  plusieurs  combats ,  ils  furent  con- 
traints de  s'éloigner.  Laon  capitula  le  22  juillet  et  ouvrit  ses 
portes  au  commencement  d'août  ^. 

•  Tbuanns*  I.  cix,  t.  V.  —  P.  Cojel,  I.  VI,  p.  578,  579.  —  MuUbieu, 
Hiftt.  de»  deruiert  troubles,  folio  60  verso. 

'  D*Auhi£nc,  1.  iv,  c.  5,  t.  ui,  p.  54t-^45.  »  P.  Cayal.  1.  Yl,  p.  579-892, 
585  B.  —  Thuaaus,  1.  cxi,  t.  Y. 


DE  LA  CHAMPAGNE,  DE  LA  PIGARDIR,  DE  l'ADVERGNE.      269 

Les  revers  de  Mayenne  et  des  Espagnols  au  siège  de  Laon      Sonminioa 
laissèrent  un  libre  cours  aux  déterminations  des  villes  de     "*  Twtl^"' 
Champagne  et  de  Picardie,  et  au  désarmement  de  ces  pro-   Amiens,  b^o- 
vinces.  Tandis  que  Henri  campait  encore  sous  les  murs  de     ^^••''''y®*^ 
Laon,  il  reçut  la  soumission  de  Château-Thierry  (juillet). 
Amiens  fit  la  sienne  le  16  août,  après  avoir  chassé  le  duc 
d'Anmale;  Beauvais  le  32  du  même  mois,  Noyon  dans  les 
premiers  jours  d'octohre.  Dans  toute  retendue  de  la  Picardie 
il  ne  resta  plus  alors  que  Soissons  au  doc  de  Mayenne,  Ham 
an  duc  d'Aumale ,  La  Père  aui  Espagnols  '. 

En  même  temps  la  Ligue  éprouvait  dans  le  Poitou,  1* Anjou     d«  Poitlcn* 
et  le  Maine,  des  pertes  qui  la  réduisaient  aux  proportions  les  ^^  ^^1%*  d« 
plus  e&ignés  :  elle  s'affaiblissait  aussi  en  Bretagne.  Le  duc  d*El-     ^  Bratugne. 
beuf,  de  la  famille  de  Guise,  s'était  fait  gouverneur  de  Poi- 
tiers, et  le  ligueur  Boisdauphin  occupait  les  villes  de  Laval, 
Ghâteao-Gonthicr  et  Sablé.  L'évèque  de  Poitiers  et  le  corde- 
lier  Porthaise,  qui  exerçaient  un  grand  empire  dans  Poitiers, 
se  laissèrent  gagner  par  le  roi,  et  concertant  leurs  efforts  avec 
Sainte-Marthe,  i*un  de  ses  zélés  serviteurs,  ils  amenèrent  les 
habitants  à  reconnaître  son  autorité  (juillet).  Le  duc  d'Au- 
mont,  lieutenant  de  Henri,  enleva  I^val  à  Boisdauphin.  Dès 
lors  la  Ligue  ne  conserva  plus  que  le  château  de  Mirebeau  en 
Poitou,  Château-Gonthier  dans  TAnjou.  Sablé  dans  le  Maine. 
D'Aumont  porta  ensuite  ses  armes  dans  la  basse  Bretagne  et 
contre  Mercœur.  Il  subjugua  pendant  Tété  Concarneau,  Tune 
des  meilleures  places  maritimes,  Morlaix,  Quimper-Gorentin. 
11  attaqua  ensuite  le  formidable  établissement  formé  par  les 
Espagnols  sur  les  côtes.  Us  s'étaient  emparés  de  Blavet;  Us 
avaient  bâti  la  citadelle  de  Grodon ,  qui  dominait  Brest  ;  lis 
projetaient  d'englober  le  Conquet  dans  leurs  possessions. 
Dès  lors  ils  auraient  établi  une  douane  qui  aurait  produit  des 
sommes  immenses,  tenu  dans  leur  sujétion  tme  partie  de  la 
Bretagne,  occupé  im  poste  d'où  ils  pouvaient  à  la  fois  entrer 
chaque  jour  en  France  et  menacer  l'Angleterre.  D'Aumont 
renversa  leurs  projets  par  la  prise  et  la  destruction  du  fort 
de  Grodon.  D'un  autre  côté,  Saint-Maio,  la  troisième  ville  de 
la  Bretagne ,  fit  sa  soumission  volontaire  au  mois  de  sep* 
temhre.  Après  ces  revers,  le  parti  de  la  Ligue,  du  duc  de 

*  D*Aabi(n^,  1.  IT,  r.  4,  t.  m.  p.  338.  —  P.  Cayet,  I.  vi,  p.  S85  A,  BSO, 
587,  608  A.  —  Thiinnos,  I.  CYl,  $$  4,  K,  I.  y,  p.  4U,  4ST. 


Fin 
au  ti«rt.p«rlL 


SoiimiMlon 

de    d^Elbeuf. 

dit  GuiM«  de  la 

Chjin|«giie. 


Traité  da  duc 

de  Ijorruine. 

Reddition 

de   triiis    villes 

deU 

Bourgogne. 


270  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

Mercœur ,  de  Tétrangcr,  ddclina  dans  cette  province  d^me 
manière  sensible  ^ 

¥ji  même  temps  le  tiers-parti,  qui  avait  longtemps  armé 
contre  Henri  des  princes  de  sa  propre  famille,  etqai  lui  avait 
fait  une  guerre  presque  aussi  dangereuse  que  la  Ligue,  le 
tiers-parti  perdait  ses  deux  chefs  et  périssait  avec  eux.  Le 
jeune  cardinal  de  Bourbon  succomba  au  chagrin  d'une  am- 
bition déçue  et  à  la  maladie,  le  28  juillet,  et  Françobd'O 
mourut  de  débauche  le  28  octobre  1694  \  Ainsi  toutes  les 
factions  tombaient  à  la  fois  devant  Henri. 

Plusieurs  membres  de  la  famille  de  Guise,  au  milieu  de 
risolement  où  ils  commençaient  à  se  trouver,  craignirent  de 
n'être  bientôt  plus  traités  comme  des  chefs  de  parti,,  mab 
comme  d'obscurs  factieux,  et  pour  échapper  à  ce  danger,  ils 
abandonnèrent  Mayenne  et  TUnion.  Le  duc  d'Elbeuf  se 
soumit  à  condition  qu'il  rentrerait  dans  le  gouvernement  de 
Poitiers,  ce  qui  lui  fut  accordé.  11  fut  suivi  par  le  duc  de 
Guise,  qui  tenait  le  gouvernement  de  la  Gliampagne  pour  la 
Ligue.  L'un  des  chefs  rebelles  dans  cette  province.  Saint- 
Pol,  créé  maréchal  de  France  par  Mayenne,  avait  péri  dès  le 
mois  de  mai  précédent  Comme  il  prétendait ,  contre  l'avis 
du  duc  de  Guise,  maintenir  des  dispositions  qui  lui  permet- 
taient d'asservir  les  habitants  de  Ileims,  il  s'était  pris  de  que- 
relle avec  le  duc  et  avait  été  tué  par  lui.  Guise  traita  avec  le 
roi  au  mois  de  novembre  :  il  lui  remit  le  gouvernement  de 
Champagne  et  reçut  en  échange  celui  de  l^vence  ;  il  rendit 
les  villes  de  Keiuis,  llocroi,  baiut-Dizier,  Guise,  Jolii ville, 
tismes,  MonlcorncL 

Les  villes  soumises  particulièrement  à  l'autorité  de  Saint- 
IH)1,  Yitry,  Mézières  et  autres,  traitèrent  de  leur  côté.  Dès 
lors  la  Ligue  fut  entièrement  extirpée  de  la  Champagne.  Dans 
le  même  mois  de  novembre,  le  duc  de  Lorraine,  chef  de  la 
maison  de  Lorraine,  conclut  un  traité  de  paix  avec  Henri  K 
11  désavouait  ainsi  la  conduite  des  princes  dé  sa  famille, 
Mayenne  et  Mercœur,  qui  persistaient  dans  la  guerre  contre 


•  Tbuanus,  1.  cix,  $  8,  t.  V,  p.  359;  1.  CXI,  $$  iO-tt,  p.  433-43».  -> 
p.  Cityet.  1.  Yi,  p.  585  B,  613,  613. 

>  Thuaniu,  1.  cz,  $  14,  et  1.  CXI,  $  9,  U  Y,  p.  419  et  433.  —  LmIoO*, 
p.  «48,  449.  —  P-  Cayel.  1.  VI,  p.  608. 

*  Thuantu.  1-  cix,  $  8,  «t  l.cxi,  S  S,  t.  V,  p.  3»9,  431,  ATiÈ,  *  P.  Gajel, 
l.  VI,  p.  e08-61i. 


PIN  DU  TI£RS-PARTI.  SOUMISSION  DES  PRINCES  LORRAINS.  371 

Henri.  Le  premier  aussi  des  souverains  étrangers,  U  sortait 
de  la  coalition  formée  depuis  cinq  ans  par  Pliilippe  II,  le  duc 
de  Savoie,  le  pape,  et  lui-même  enfin,  contre  la  France.  Un  fait 
non  moins  significatif,  non  moins  désastreux  pour  Mayenne 
que  Taliandon  du  chef  et  des  princes  de  sa  maison,  c'était  la 
défection  des  villes  de  son  propre  gouvernement.  On  vit  à  la 
fin  de  1596  trois  villes  importantes  de  Bourgogne,  Mâcon, 
Avallon,  Auxerre,  se  soustraire  à  son  obéissance  pour  ren- 
trer sous  celle  du  roi  < . 

Un  horrible  attentat  laiUit  trancher  les  jours  du  roi  et       Attenut 
arrêter  la  France  dans  sa  marche  vers  des  destinées  meil-  ^*  chuiei,  e». 

pulsion 

leures.  Jean  Ghatel  se  mêla  aux  seigneurs  qui  venaient  saluer  des  i^tuUes. 
le  roi  et  essaya  de  le  tuer  d'un  coup  de  couteau.  Gomme  il  le 
frappa  au  moment  où  il  se  tiaissaitpour  embrasser  i^un  d*eux, 
le  coup  fendit  seulement  la  lèvre  supérieure  et  brisa  une 
dent  (37  décembre  1596).  L'instruction  prouva  que  la  per- 
version des  idées  religieuses  avait  amené  le  crime, et  qu*après 
avoir  conduit  le  pays  sur  le  bord  de  Tablme  par  la  Ligue,  elle 
pouvait  Vy  précipiter  par  le  régicide.  Ghatel  n^avait  que  dix- 
neuf  ans,  et  Û  tenait  évidemment  de  ses  maîtres  les  principes 
d'après  lesquels  U  avait  agi.  Coupable  de  monstrueuses  dé- 
bauches et  de  pensées  plus  infâmes  encore,  il  s'était  cru  irré- 
vocablement dévoué  à  l'enfer,  et  il  n'avait  plus  cherché  dès 
lors  qu'à  diminuer  la  peine  de  sa  damnation  étemelle.  IVins 
le  collège  des  Jésuites,  chez  lesquels  11  avait  été  élevé,  il  avait 
entendu  répéter  fréquemment  qu'il  était  permis  de  tuer  le  ' 
roi,  parce  que  c'était  un  tyran  et  qu'il  n'était  pas  approuvé 
par  le  pape.  Il  avait  alors  formé  le  projet  d'assassiner  Henri, 
enpérant  mériter  par  cet  acic  que  les  huit  degrés  de  tour* 
ments  auxquels  il  était  condamné  fussent  réduits  à  quatre. 
Ghatel  subit  le  supplicç  des  parricides  Le  parlement  informa 
ensuite  contre  les  jésuites  ses  maîtres.  L'opinion  publique 
leur  reprochait  amèrement  et  justement  la  participation  du 
père  Varade  dans  le  crime  de  Barrière  et  leur  récent  refus 
de  reconnaître  le  roi  et  de  prier  pour  lui.  De  plus,  ils  soute- 
naient dans  ce  moment  un  procès  contre  l'Université  et  contre 
les  curés  de  Paris,  qui  tous  ù  la  fois  les  accusaient  d'usurper 
sur  leurs  attributions  et  leur  autorité ,  et  demandaient  leur 

*  L«Ur«  d«  MaycniM  à  Philippe  U,  dans  Gav«t,  I.  Yl,  p.  618  B,  à  la  £«, 
—  Mcm.  de  Tavunncs,  U  Viu,  di*  la  collccU  IbclMiid,  p.  498  A. 


272  HISTOIRE  DO   BÈGNR  D£  HKNRI   I?. 

expulsion.  Le  crédit  de  leurs  partisans  avait  obtenu  Pajour- 
nement  de  la  cause  :  elle  fut  reprise  alors.  Les  dépositions 
de  Gbatel  ayant  établi  qu'ils  professaient  des  doctrines  sub- 
versives, le  parlement  les  déclara  corrupteurs  de  la  jeunesse, 
perturbateurs  du  repos  public,  ennemis  du  roi  et  de  TÉtat, 
et  les  bannit  du  royaume.  Défenses  furent  faites  à  tous  les 
sujets  du  roi  d'envoyer  leurs  enfants  étudier  chez  les  jésuites 
hors  de  France,  sous  peine  d'être  déclarés  ennemis  de  l'État 
(29  décembre).  Le  père  Guéret,  qui  avait  enseigné  la  philo- 
sophie h  Ghatel,  et  le  père  Hay,  reconnu  coupable  de  vœux 
formés  pour  la  mort  du  roi,  mais  avant  l'amnistie,  furent 
bannis  à  perpétuité  du  royaume.  Le  père  Guignard,  que  l'on 
trouva  détenteur  d'écrits  rédigés  par  lui,  et  dans  lesquels  il 
justifiait  la  Saint-Barthélémy  et  l'assassinat  de  Henri  III ,  et 
provoquait  au  meurtre  de  Henri  IV,  fut  pendu  en  Grève. 
Les  parlements  de  Kouen  et  de  Dijon  chassèrent  également 
les  jésuites  de  leur  ressort;  mais  ceux  de  Bordeaux  et  de 
Toulouse  les  retinrent  ^ 
lu  luti  obt«-      Échappé  au  couteau  de  Ghatel  et  aux  provocations  sangui- 
nut  |Mr  u  roi.    nalres  de  docteurs  en  délire,  Henri  put  continuer  l'œuvre  de 
la  régénération  de  la  France.  Les  résultats  obtenus  étaient 
déjà  d'une  immense  importance.  A  peine  une  année  s'était 
écoulée  depuis  son  abjuration ,  «t  Henri  avait  rétabli  l'auto- 
rité royale  dans  huit  provinces  où  la  Ligue  était  sinon  seule 
maltresse ,  au  moins  dominante ,  puisqu'elle  en  occupait  les 
'   capitales  :  c'étaient  la  Champagne,  la  Picardie,  l'Ue-Kle- 
France,  la  Normandie,  l'Orléanais,  le  Berri,  l'Auvergne, k 
Provence.  En  outre,  Henri  avait  achevé  de  détruire  Temi^e 
de  cette  faction  dans  l'Anjou,  le  Maine,  la  Guyenne.  Le  corps 
de  la  monarchie  et  l'unité  du  territoire  peuvent  être  regardés 
dès  lors  coDune  reconstitués  en  principe^  quoique  la  Ligue  et 

•  Procédure  fuicte  contr*  Jehan  Cbulcl,  ArchlTM  car.,  t.  Sin,  p.  919, 
S60  :  «  A  dit  qu^ajant  opinion  d^cstre  oublié  d«  Dieu,  et  esloot  aucartf 
m  d'Mtre  damné  connine  Punie-christ,  il  Totiloit  de  deni  maux  ëriter  le 
m  pire,  et  estant  domné  aimoit  mieux  que  ce  fuit  iil  quatuor  qu*  ut  oetof 
m  qu*il  crojoit  que  cret  itcte,  estant  laict  por  luj,  Mnriroil  à  la  diroiuulion 
k  de  ses  peines,  rslanl  certain  quM  setvit  plus  puni  s'il  mourait  sans 
m  avoir  attenté  de  tuer  le  roj,  et  qu*il  le  seroit  moins  s' il  faisait  effort 
m  de  tuy  osterlavit,.,  Enquis  si  les  piopos  de  tuer  le  roy  nV'ttuient  pas 
»  ordinaires  aux  fesuites,  a  dit  leur  avoir  ouy  dire  qu^il  estott  loisible  ào 
M  tuer  le  roj,  et  ne  falloit  luy  obéir  ny  le  tenir  pour  roy  iusqu*ù  ce  quHl 
k  fust  approuTC  par  le  pape.  »  «i^-  P.  Cayet,  1.  Vit  p«  6M.  — >  Thauioa, 
l.  CXI,  S  «•.  «»  ▼'  P«  ♦**-*^. 


CHATEL  ET  LES  JÉSUITES.  PRIX  DES  SOLMISSIONS.      573 

les  seigneurs,  cherchant  à  réiablir  la  puissance  féodale, 
tinssent  encore  Quelques  viDes  et  quelques  pays. 

On  ne  peut  juger  de  la  moralité  des  chefs  de  la  Ugue  et 
de  leur  sincérité  religieuse  pendant  le  temps  qu'ils  portèrent 
les  armes  contre  le  roi  huguenot ,  qu'en  rappelant  la  con- 
duite qu'ils  tinrent  avec  le  roi  devenu  catholique.  Si  la  reli- 
gion eût  été  leur  seul  mobile,  évidemment  après  la  conversion 
de  Henri ,  réputée  valable  par  eux,  ils  se  seraient  soumfo 
sans  conditions.  Tous,  au  contrafa^,  mirent  leur  obéis- 
sance à  un  prix  énorme.  Pour  presque  tous  la  religion  ne 
fut  donc  qu'un  prétexte  et  qu'un  moyen  de  satisfaire  leur  am- 
bition :  Us  furent  ligueurs  et  rebeUes  pour  obtenir  des  charges 
et  un  grand  établissement  que  l'ordre  légal  ne  leur  aurait  pas 
donnés.  Chez  quelques  uns,  de  nobles  mobiles  se  mêlèrent  à 
celui  de  l'intérêt;  association  de  sentiments  contraires,  capi- 
tulations de  la  conscience  avec  la  cupidité,  que  Ton  retrouve 
dans  presque  toutes  les  révolutions.  La  religion  parait  avoir 
exercé  un  véritable  empire  sur  les  détermhiations  de  ViUeroy. 
!.e  même  ViUeroy,  La  Chastre,  Vitry,  conservèrent  toujours 
pur  et  vif  le  sentiment  français  :  ils  traversèrent  constam- 
ment, énergiquement,  les  projets  de  PhUippe  II,  combatti- 
rent son  usurpation,  défendirent  l'indépendance  du  royaume 
et  contribuèrent  à  la  sauver. 

Vitry,  en  traitant  avec  le  roi,  stipula  le  gouvernement  de 
Meaux,  la  promesse  d'une  charge  de  capitaine  des  gardes  et 
une  somme  de  168,890  livres  du  temps  (618,137  francs 
d'aujourd'hui).  ViUeroy  reçut  pour  son  fils  d'Alincourt  le 
gouvernement  de  Pontoise  ;  pour  lui-même  la  charge  de  se- 
crétaire d'État,  qu'il  avait  perdue  sous  Henri  III  et  qu'U 
poursuivait  depuis  ce  temps,  et  476,594  livres  du  temps 
(1,744,333  francs  d'aujourd'hui).  La  Chastre  exigea  la  con- 
firmation de  la  dignité  de  maréchal,  le  gouvernement  de  l'Or- 
léanais pour  lui ,  celui  de  Berrl  pour  son  fils,  avec  898,900  U- 
vres  du  temps  (3,289,974  francs  d'aujourd'hui).  Brissac  ne 
rendit  pas  Paris  au  roi  :  U  le  lui  vendit,  comme  disait  Henri, 
moyennant  une  charge  de  maréchal  et  1,695,400  Uvres 
du  temps  (6,205,164  francs  d'aujourd'hui).  ViUars  se  flt 
payer  la  reddition  de  Rouen  de  la  charge  d'amiral  de  France, 
qu'U  fallut  6ter  au  jeune  BIron  en  lui  donnant  en  compensa- 
tion celle  de  maréchal  ;  Villai*s  exigea  de  plus  3,470,800  II* 

18 


MobllM 
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Coiiditioiu 

dtlaKmmistioa 

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d«laL%ae. 


Sr7fe  HISTOIRE  DD  RÈGlfl  PB  HEUlll  lY. 

vres  du  teinpt  (12,703,138  franca  d*aidounl*bui).  D'fil<* 
beuf  obtint  le  gouverneaient  de  Poitiers  et  970,834  litres 
(3,553,315  francs  d*attjourd*hui).  Guise  eut  ie gouvernement 
de  Provence  et  partagea  avec  son  frère  et  sa  mère  Ténorme 
somme  de  3,888,830  livres  (14,333,117  francs  d^aujourd'bui). 
La  paix  avec  le  duc  de  Lorraine  fut  payée  3,766,835  livres 
(13,786,579  francs).  Les  petiu  gouverneurs  tirèrent  du  roi 
des  sommes  dont  chacune  était  faible,  mais  dont  la  réunion 
et  la  multiplicité  formaient  un  pesant  fardeau.  Nous  ne  re- 
viendrons pas  sur  les  honteuses  rapacités  des  seigneurs  de  la 
Ligue  :  nous  ferons  seulement  remarquer  par  avance  que 
Boisdauphili ,  Mayenne,  Mercosur,  traûquèrent  comme  les 
aulres  du  sang  du  peuple  et  de  la  paix  publique.  Le  total  des 
sommes  qu'il  foUut  payer  pour  les  capitulations  de  la  Ligue 
monu  ftplusde33milUonsde  livres  du  temps,  correspondant 
4  118  millions  d'aujourd'hnL  Groulart ,  auquel  on  montrait 
Peut  des  sommes  dues,  s'écriait  :  «  On  nous  fit  voir  de  grandes 
»  vilenies  et  de  Targent  hicroyable  baillé  ft  ceux  qui  avalent 
»  trahi  TËtat  et  été  cause  des  grandes  guerres  de  la  Liguée» 
L'exaction  était  honteuse,  Tinfamie  flagrante  au  point  de 
vue  de  la  morale.  En  ce  qui  concernait  la  politique,  c'était 
un  accroissement  de  la  dette  publique  qui  la  rendait  écra-» 
santé  pour  le  pays  dans  Tétat  où  il  se  trouvait,  ragriculture, 
l'industrie,  le  commerce  ayant  péri  dans  la  moitié  du 
royaume  par  les  ravages  des  deux  partis.  Mais  ces  partis 
étaient  presque  entièrement  désarmés,  la  guerre  dviie  ces- 
sait, les  principes  de  la  richesse  publique  allaient  donc  se 
raviver.  D'un  autre  côté,  les  grands  de  la  Ligue  n'obtenaient 
que  des  charges  de  la  couronne,  que  des  gouvernements,  et 
non  des  principautés.  Il  n'y  avait  à  leur  profit  ni  distraction 
des  pouvoirs  publics,  ni  atteinte  portée  à  la  souveraineté  et 
4  l'unité  nationale.  C'étaient  là  deux  immenses  résuluts  que 
1«  fermeté  et  la  politique  de  Henri  avaient  obtenus. 

'  Pilcovn  ém  roi  rapportés  dans  UttoUe.  p.  190  A,  MS  S.  «QumI  k 
m  Tictry,  Je  puis  jurer  qu'il  n'y  u  eu  que  Irt  grands  •tlvanuget  que  je  luy 
«  al  ftiicta  qui  Ponl  mis  de  mon  party  et  rien  entre  chose.  —  Sur  le  m«il 
a  on  a  rendu  à  Cëser  ce  qui  apnartenoit  à  César,  comme  U  faut  rendre  à 
m  Dieu  ce  qui  appartient  à  Dieu,  le  roy  dit  :  Ventre  SMin(-|ris,  on  ne  m*a  pat 
m  fiiict  comme  i  Céiar,  ear  on  ne  me  l*a  paa  rettda  à  mey,  en  me  l'a  bUa 
•  reudu.»  —Plut  le  Supplément,  p.  906  A.996  A,  poar  Villeroy  cl  ViUar&. 
—  D*Atthigné,  I.  nr.  c.  t.  S,  I.  lU,  p.  5'1,  855.  —  Thuanus  I.  CIS,  $  S,  at 


t  pu,  S  S.  ~  thiUy,  OCeao.  toy.,  c.  4T,  p.  139.  ^  l.ea  dllfrrentet  iui 

Byees  ans  clieli  de  la  Ligue  se  trouTcnl  dans  Sully,  c.  151,  t.  O,  p.  99, 
,  édition  Mlehand.  On  trontera  ft  U  Sa  du  f  oluBM  dtn  dlali  eotiart  de 
cet  iommei. 


DIPL»  LU  COUMINCKlfEIlT  DE  LA  GlCRRI  CONTRE  l'eEPA- 
ans,  JVSQC*A  LA  FIN  UE  LA  GCSRRE  CONTRE  LA  SAVOIE 
(lAlITIER  1505-IANVIER  1601). 


CHAPITRE  r. 

Gutrrtf  c«tttr«  l'Espagne  et  contre  Ici  reilM  de  la  Ligne.  CtmiMit  J«  Pou- 
lelne*PraDçel«e.  Alftolallon  da  roi  par  le  |>ape.  SoumÎMioo  de  tons  le« 

Ï rinces  lorraips,  excrpté  Mercnnr  ;  soiimission  de  Boisdaupbia  «  de 
ojrnae,  de  d^Epemon  :  réduction  du  Lyonnais,  de  la  Bourgognf ,  du  Lan- 
fardoe  oc«id«nUl,de  la  ProTtnct}  paciriralion  du  MaÎDeetde  l'Anloii 
IS05). 

Cette  période  de  six  ans  reofertne  la  fin  de  la  latte  de 
Henri  et  da  parti  national  contre  TEspagne,  la  Savoie  son 
alliée  y  les  restes  de  la  Ligne  et  du  parti  aristocratique.  La 
guerre  continue  à  être  étrangère  et  civile  à  la  fob  ;  mais  elle 
diffëre  de  celle  des  six  années  précédentes,  en  ce  que  l'Es- 
pagne soutient  désormais  le  principal  eflort  de  la  guerre,  et 
que  les  seigneurs  et  les  pays,  encore  engagés  dans  la  Ligue, 
ne  paraissent  plus  que  comme  auxiliaires.  ElTectivement  cl 
foncièrement,  TEspagne  reste  épuisée  ;  mais  Philippe  H  sort 
momentanément  des  plus  graves  embarras  où  il  s'était  trouvé 
lors  de  la  mort  du  duc  de  I^rme ,  embarras  qui  ravalent 
empêché  d*agir  au  moment  décisif  des  États  de  la  Ligue.  Il 
se  procure  de  Targent  par  des  expédients;  Il  se  sert  de  la 
préMnce  et  de  Tautorité  d'un  prince  de  la  maison  d'Autriche 
dans  les  l^ys-Bas  pour  disposer  plus  librement  des  ressources 
et  de  la  fKce  militaire  de  ces  provinces,  et  pour  les  diriger 
contre  la  France.  Enfin,  il  est  puissamment  secondé  parTex- 
pérlence  et  les  ulents  du  ligueur  de  Rosne,  qui,  en  passant 
4  l'étranger,  cherche  à  se  rendre  plus  considérable  auprès  de 
lui  par  l'excès  du  mal  qu'il  fait  I  son  pays.  Ces  ciroonaunres 


276  HISTOIRE  DU  RiGNE   DE  HENRI   IV. 

réunies  rendirent  la  fin  de  la  lutte  très  laborieuse  pour  Henri 
et  pour  la  France ,  et  la  remplirent  de  dangers  qui  mirent 
leur  fortune  et  même  un  moment  leur  existence  en  périt. 

Hunri  déclara        1595.  Le  16  janvier  1595,  Henri  déclara  solennellement  la 
à  r£*'"*e«    P*^""^  ^^  ^^  catholique.  Il  lirait  deux  avantages  de  cette  dé- 
lon      *    marche.  Ayant  guerre  ouverte  avec  TEspagne,  les  ligueurs  de 
pi»n  d'attaque,  p^juce  ne  pouvaicntplus  échapper  au  titre  d'Espagnols,  titre 
qui  lesrendaitpartout  odieux  :  cette  politique  porta  un  nouveau 
coup ,  et  un  coup  sensible  aux  restes  de  la  Ligue.  Henri  se 
portait  aux  yeux  des  puissances  étrangères  pour  principal 
adversaire  de  Philippe  II,  et  cette  attitude  le  grandit  prodi- 
gieusement dans  Popinion  publique.  Joignant  l'adresse  à  la 
résolution,  il  établit  dans  son  manifeste  que  l'Europe  entière 
était  menacée  par  l'ambition  de  Philippe  et  de  la  maison 
d'Autriche ,  et  que  la  cause  de  la  France  était  celle  de  la 
chrétienté  entière  ^ 

11  résolut  de  porter  les  hostilités  sur  le  territoire  espagnol, 
afin  do  détourner  du  royaume  les  ravages  de  la  guerre,  d'at- 
taquer Philippe  II  au  cœur  même  de  sa  puissance,  et,  s'il 
n'était  pas  possible  de  ruiner  entièrement  sa  domination  dans 
les  Pays-Bas,  de  lui  enlever  au  moins  les  provinces  voisines  du 
royaume.  11  fit  attaquer  le  Luxembourg  par  le  maréchal  de 
Bouillon  et  par  le  comte  de  Nassau ,  l'Artois  par  le  duc  de 
I^nguevillc,  la  Franchc-Gomté  par  un  corps  de  six  mille 
hommes,  qui  du  service  du  duc  de  Lorrame  passa  au  sien. 
On  plan ,  si  sagement  combiné ,  réussit  d'abord.  Tant  qu'il 
resta  à  I^ris,  tant  qu'il  surveilla  et  tint  en  haleine  ses  lieu- 
tenants, ils  ravagèrent  le  Luxembourg  et  l'Artois  durant  les 
mois  de  février  et  de  mars ,  et  par  la  prise  des  places  fron- 
tières semblèrent  préluder  à  de  plus  importantes  conquêtes'. 
Ayant  tout  à  espérer  de  ce  côté,  Henri  tourna  son  attention 
et  se  porta  de  sa  personne  sur  d'autres  points,  dont  les  uns 
étaient  menacés,  dont  les  autres  réclamaient  sa  présence 

*  Le  texte  de  la  de'clarallon  de  gaerre  dam  les  Anciannaa  Iota  franc., 
t.  XY,  p.  94-97,  et  dam  Cayet.  L  Tii,  p.  054,  655.  Henri  parle  formelle- 
metil diins on  passage  «du  pe'ril  prient  qui  m^oace  la  chretllenté,  leqnel 
»  cbaicun  recognuUl  procéder  de  la  dtacordo  et  )alottai«  qne  l'ambûion  du 
»  roy  d'RtpHgne  a  excité  en  Icelle.  m  —  D'Aabtgné,  1.  IT,  c.  6,  t.  m,  p.  347. 
—  Sully,  OEcon.  roy.,  c.  60,  P.  491  B. 

*  P.  Cayet,  1.  vu,  p.656.'-Tlinnus,  I.  cm,  S  H,  t.  ▼,  n.  445,  t(  I.  cxn, 
j  H ,  p.  4TO. 


DECLARATION  bZ  OUERRE  A  l'BSPAGIVE.  277 

pour  opérer  leur  révolation*  sortir  de  la  Ligue  et  se  rattacher 
k  la  France. 

Philippe  n  comprenait  très  bien  que  la  monarchie  univer- 
selle était  pour  lui  an  prix  de  la  conquête  de  la  France,  et 
dans  cette  âme  où  les  passions  politiques  ne  reculaient  que 
devant  les  désastres  et  ne  cédaient  qu*à  la  ruine ,  les  échecs 
qu*il  avait  essuyés  aux  États  de  1593,  les  progrès  du  parti 
royal  dans  le  cours  de  Tannée  159/i ,  n'avaient  eu  d'autre 
elTet  que  d'ajouter  l'exaspération  des  espérances  déçues  aux 
fureurs  de  l'ambition.  11  avait  donc  arrêté  de  jouer  ses  der- 
nières ressources  et  la  grandeur  de  l'Flspagne  dans  la  pour- 
suite de  ses  projets  contre  la  France.  Écoutons  le  témoi- 
gnage de  Sully  :  «  U  avait  mandé  au  comte  de  Fuentes» 
»  général  de  ses  armées  aux  Pays-Bas,  aussi  bien  qu'enjoint 
»  au  connéuihle  de  Gastille ,  que  quand  ce  serait  même  à  la 
>  perte  et  au  préjudice  de  ses  États  de  Flandre  et  de  Milan, 
»  ils  eussent  à  entrer  en  France  >. 

11  attaqua  le  royaume  sur  cinq  points  à  la  fois,  soit  avec 
srs  armées,  soit  avec  le  concours  des  seigneurs  qui  soute- 
naient encore  le  parti  de  la  Ligue  ou  le  parti  aristocratique, 
il  ordonna  à  son  armée  des  Pays-Bas  de  s'employer  tout  en- 
tière &  chasser  les  Français  du  Luxembourg  et  de  l'Artois 
envahis  par  eux,  et  à  pénétrer  ensuite  en  Picardie.  Il  me- 
naça en  même  temps  la  Bretagne  par  les  troupes  espagnoles, 
dont  Mercœur  continuait  à  subir  la  dangereuse  assistance  ;  la 
fionrgogne'par  celles  que  Mayenne  était  contraint  d'y  appeler 
pour  la  défendre;  le  Lyonnais  par  les  corps  auxiliaires  que 
son  gendre,  le  duc  de  Savoie,  envoyait  au  duc  de  Nemours, 
échappé  récemment  de  la  prison  de  Saint-Herre-Endse  ;  la 
IVovence  enfin  par  son  alliance  avec  Louis  d'Aix,  Gasaux  et 
d'Êpernon.  Il  entretenait  déjà  d'étroites  relations  avec  Louis 
d'Aix  et  Gasaux,  tyrans  nés  de  la  démagogie,  qui  asservis- 
saient  Marseille  :  il  en  noua  au  commencement  de  1595  avec 
d'Épemon,et  il  les  convertit  en  traité  formel  à  la  fin  de  cette 
année. 

Dans  le  Lyonnais  et  la  Bourgogne ,  tes  intérêts  les  plus 
graves  appelaient  l'attention  et  l'intervention  de  IJenrL  Au 
mob  de  Juillet  de  la  précédente  année ,  Nemours»  rede- 


DUpoMtwBC  dt 
lipp«  lU 


PUli] 


IaltUigenc«s  d« 
PhU7pp«  Il 

ftTCc  lat  rwte» 
d«  la  Ligne 
•t  da  parti 
dtsgramU. 


Iddaction 
ém  LyoBttiils. 


«  SmWjt  OEcofl.  roj.«  c  tt,  p.  IM  B. 


Soumission 

d« 

la  nourgt'gne. 

Comliat  de 

FoolMne-Fran* 

fuisc» 


278  HISTOIRE  DD  RÈGRK  Df  RKHIII  IV. 

venu  libre,  avait  rassemblé  ses  partisans  et  reçu  do  dœ 
de  Savoie  un  secours  de  trois  mille  Suisses.  Avec  cet 
forces,  il  avait  établi  ou  raflTermi  sa  domination  dans  Thisy, 
Feurs,  Saint-Germain,  Saint-Bonnet,  Montbrison,  Vienne, 
n  était  sur  le  point  de  se  rendre  maître  de  tout  le  plat  pays 
du  Forez,  BeaujoUais,  Lyonnais  :  il  avait  commencé  le 
blocus  de  Lyon  avec  le  dessein  et  quelques  chances  de 
ramener  cette  ville  sous  sa  lui.  Contre  cet  actif  ennemi, 
le  roi  employa  utilement  les  négociations  auprès  des  gou* 
verneurs  des  villes  ligueuses  et  le  concours  de  Montmo* 
rend ,  qui ,  après  avoir  échangé  ses  prétentions  aristocrati- 
ques contre  la  charge  de  connétable,  ne  songeait  plus  qu*à 
honorer  sa  nouvelle  dignité  et  à  rétablir  le  royaume  dont  il 
était  devenu  la  seconde  personne.  Montmorend  amena  du 
Languedoc  dans  le  Lyonnais  cinq  mille  hommes  qui  arrêtè- 
rent d'abord  les  progrès  de  Nemours.  Il  pratiqua  ensuite 
Dizimieu,  gouverneur  de  Vienne  pour  le  duc,  et  lui  persuada 
de  livrer  la  ville  au  roi  (9â  avril  1505),  La  perte  de  cette 
place  importante  renversa  tous  les  desseins  de  Nemours  et 
ruina  ses  espérances  sans  retour.  «  Ce  fùti  dit  un  contempo- 

•  rain,  le  coup  d*Êtat  qui  amena  avec  soi  le  repos  de  tout  ce 

•  pays-lft  ^  » 

Les  dispositions  qui  naguère  avaient  décidé  la  réduction 
de  tant  de  villes  de  la  Ligue  avaient  pénétré  dans  les  villes 
de  la  Bourgogne,  gouvernement  particulier  de  Mayenne.  Les 
habitants  craignaient  de  passer  de  Tesclavage  où  les  tenaient 
les  lieutenants  de  Mayenne  sous  la  domination  du  roi  d*Es- 
pagne  et  complotaient  partout  contre  leurs  garnisons.  Henri 
envoya  le  nouveau  maréchal  de  Biron  avec  un  corps  d*armée 
pour  favoriser  ces  dispositions,  et  la  révolte  éclata  partout 
Mayenne  disait  que,  qui  lui  Oterait  Beaune  lui  arracherait  le 
cœur,  parce  que  cette  ville  dominait  une  partie  de  la  Boui^ 
gogne.  Les  habitants  se  soulevèrent,  massacrèrent  la  moitié 
de  la  garnison,  ouvrirent  leurs  portes  à  Biron,  et  Taldèrent 
à  réduire  le  château,  qui  passait  pour  imprenable  (5  fé- 
vrier et  19  mars).  Une  capitulation  livra  Auxonne  à  la  On 
d^avrfl.  Au  mois  de  mai,  Autun  et  Dijon  renouvelèrent  les 

*  p.  Ciiyet,  1.  VII,  p.  OOl-eOTi.  _  D*Anbigiië,  1.  iv,  c.  6,  t.  m,  p.  34S.  — 
SiiUy,  c.  ce,  p.  ini  A  et  B.  «  Le  coniirtlable  de  Montmoreocj...  voaloil 
k  easajrvr  de  luire  Taloir  et  cJonoer  qunlaue  |u»(re  k  cette  etpée  flenrde- 
»  îxtée  qui  luy  avoit  esté  noufellMIettlailM  tu  •éIb.  » 


LYONNAIS,  BOURGOGNE  «iDUITS.  PONTAINE-FRANÇAISE.    379 

scènes  qui  avalent  accompagné  la  reddition  de  Beaune,  et  se 
donnèrent  au  roi.  Velasco,  connétable  de  Gastille  et  gouver* 
neuf  du  Milanez,  tira  une  armée  espagnole  de  ce  pays  et  là 
conduisit  d*abord  à  la  défense  de  la  Franche-Comté  contre 
les  Lorrains  auxiliaires  du  roi,  dont  il  arrêta  les  ravages  et 
les  progrès.  Mayenne  vint  bientôt  le  Joindre  avec  ce  quMl  avait 
pu  rassembler  de  forces,  et  tous  deux  se  disposaient  &  péné* 
trer  en  Bourgogne  et  à  reprendre  les  places  qui  avaient  fait 
défection.  Biron  appela  le  roi  à  son  secours.  Henri  partit  en 
toute  hdte  de  Paris,  passa  par  Troyes,  et ,  arrivé  en  Bour* 
gogne,  se  mit  aussitôt  à  la  tète  de  ses  troupes.  Dans  une 
reconnaissance  qu'il  fit  de  Tarmée  espagnole  et  ligneuse,  un 
vif  combat  s^engagea  près  de  Fontaine-Française,  à  cli\q  lieues 
de  Dijon.  Quoique  Penneml  fût  six  fols  plus  nombreux,  le  roi, 
aidé  de  Biron,  qui  fut  blessé  deux  fols  dans  cette  Journée,  ferma 
aux  Espagnols  et  aux  ligueurs  rentrée  de  la  Bourgogne  par  une 
dédite  (juin  1595).  lieicrritolre  était  sur  ce  point  sauvé  de 
Tinvasion,  et  la  Ligue  abattue  sans^tour  au  moment  où  elle 
tentait  de  se  relever.  LMmporlance  de  ce  résultat  n'excuse  pas 
entièrement  Taudace  que  ilenri  montra  dans  cette  action,  les 
dangers  qu'il  courut  et  qu'il  avouait  à  sa  sœur,  quand  il  lu! 
écrivait  qu'elle  avait  failli  être  son  héritière.  Pour  sortir  de 
la  décadence,  la  France  avait  besoin  qu'il  vécût,  et  11  avait 
exposé  plusieurs  fois  sa  vie  à  la  journée  de  Fontaine-Fran- 
çaise, non  moins  périlleuse  que  celle  d'Anmale.  Après  le 
succèsde  cette  Journée,  le  château  de  Dijon  et  celui  de  Talan, 
qui  commandaient  Dijon,  se  rendirent,  et  dans  toute  l'étendue 
de  la  Bourgogne  il  ne  resta  plus  à  Mayenne  et  ft  la  Ligue  que 
la  seule  ville  de  Ghâlon.  De  FonUiine-Française,  le  roi  entra 
en  Franche-Comté  et  y  fit  la  guerre  pendant  les  mob  de  juin, 
de  JuUlet  et  d'août.  11  soumit  tout  le  plat  pays,  et  réduisit  les 
petites  vUles  :  Il  se  préparait  à  emporter  les  places  fortes,  à  faire 
la  conquête  de  la  province  et  à  l'annexer  à  la  France,  quand 
les  Suisses  l'envoyèrent  supplier  de  retirer  son  armée,  et  de 
respecter  la  neutralité  d*nh  pays  qui  leur  était  voisin.  Henri 
crut  devoir  céder  à  leur  désir  pour  ne  pas  perdre  leur  alUancei 
et  se  rendit  à  Lyon ,  où  rappelaient  les  plus  tmportantea 
affaires  K 

•  Ullrt  4i  t«likt»«ri|  à  KM«f  ;  ItUm  U  llMri  W  k  BMty  •!  è  M 

•«nir,  éant  Sully,  OEroo. roy.,  c. éO,  p.  196-199,  «t  dans  L«itoU«,  p. MSI. 


Gaem 

ta  Pkardit, 

défaite 
de  Doorleof. 


280  HISTOIRE   DU   R£GK£   DE  H£.NRI   IV. 

Tandis  que  ses  armes  obtenaient  ces  avantages  à  l'est  da 
royaame,  elles  éprouvaient  des  revers  au  nord,  où  son  ab- 
sence ne  se  faisait  que  trop  sentir.  Les  Espagnols,  en  partant 
de  la  Flandre  et  de  TArtois,  avaient  résolu  d'envahir  la  Pi~ 
cardie,  de  subjuguer  cette  province,  et,  quelle  que  fût  Tissue 
de  ce  dessein,  de  se  saisir  de  toutes  les  places  frontières,  no- 
tamment de  Cambrai ,  de  s'y  établir  fortement ,  et  de  tenir 
ainsi  les  clefs  du  royaume.  Quatorze  mille  hommes,  sous  la 
conduite  du  comte  de  Fuentes,  furent  destinés  à  cette  expé- 
dition, et  puissamment  secondés  par  les  conseils  du  ligueur 
de  Rosne.  De  Rosne  avait  abandonné  le  parti  de  la  France  et 
même  celui  de  Mayenne,  pour  se  livrer  entièrement  aux 
Espagnols.  11  était  également  redoutable  par  ses  talents  mi> 
Utaires  et  par  son  habileté  à  conduire  les  intrigues.  Seul  des 
anciens  chefs  de  la  Ligue,  il  savait  combiner  un  plan  de  cam- 
pagne :  longtemps  conseiller  de  Mayenne ,  initié  à  toutes  les 
affaires  et  à  tous  les  secrets,  il  savait  quels  ressorts  on  pou- 
vait faire  jouer  utilement  dans  les  villes  qui  avaient  autrefois 
appartenu  à  la  Ligue,  comme  Cambrai,  et  dans  celles  qui  lui 
obéissaient  encore  :  il  ne  connaissait  pas  moins  bien  le  côté 
faible  des  villes  royales.  Tous  les  succès  des  Espagnols  dans 
cette  campagne  et  dans  la  suivante  doivent  être  rapportés  à 
cet  habile  et  dangereux  transfuge. 

Les  Espagnols  avaient  contraint  Mayenne  à  leur  aban- 
donner La  Fère  trois  ans  auparavant  et  en  avaient  fait  leur 
place  d'armes.  Au  commencement  de  la  campagne  de  1595, 
ils  y  conduisirent  un  grand  convoi  de  vivres  et  de  munitions 
destiné  à  favoriser  leurs  opérations.  Ils  essayèrent  de  s'em- 
parer de  Ilam,  ville  forte  du  voisinage,  qui  appartenait  au  duc 
d'Aumale,  et  employèrent  à  la  fois  la  force  et  la  perfidie  ; 
mais  les  lieutenants  du  roi,  introduits  dans  le  château,  tail- 
lèrent en  pièces  la  garnison,  presque  toute  composée  d'Espa- 
gnols, et  réduisirent  Ilam  sous  la  domination  de  Henri 
(20  juin).  Ce  léger  avantage  fut  bientôt  effacé  par  de  nom- 
breux revers.  Les  Espagnols  prirent  le  Castelet  (25  juin), 
puis  assiégèrent  Dou riens  (15  juillet)  :  leur  projet,  en  occu- 
pant ces  villes,  était  de  fermer  aux  Français  la  route  de  Cam- 
brai et  d'attaquer  ensuite  cette  place  importante ,  réduite  à 

—p.  Cajpl.  I.  vit,  n.  680, 660. 665.666.— D'Aubigné.  l.iT,  c.  6,  U  m,  p.  580- 
i».  —  Tboanus,  f .  czu,  $$  3,  4,  l.  y,  p.  467-463.  —  Uttoil*,  p.  960,  «3. 


(;Li:Rn£  t:^  Picardie,  défaite  du  doublets.      28i 

•es  seules  forces.  Henri ,  occupé  contre  les  E^gnols  ea 
Franche-Comté  et  en  Bourgogne,  fut  réduit  à  leur  opposer 
en  Picardie  ses  lieutenants  et  ses  alliés.  Il  ordonna  donc  au 
duc  de  Bouillon,  souverain  de  Sedan,  au  duc  de  Nevers» 
gouverneur  de  Champagne,  au  comte  de  Saint-Pol,  qui  ve- 
nait d'être  créé  gouverneur  de  Picardie  après  la  mort  de  Lon- 
gucville ,  enfin  à  l'amiral  de  Villars,  lieutenant-général  aux 
bailliages  de  Rouen  et  de  Caeb  «  de  lever  le  plus  de  troupes 
possible  dans  les  provinces  où  ils  exerçaient  respectivement 
Fautorité,  et  de  les  porter  au  secours  des  villes  de  la  Picardie 
et  des  frontières  du  Nord.  Ils  réunirent  leurs  forces  non  loin 
deDourlens  avec  le  dessein  de  secourir  cetle  ville,  et  en  vin- 
rent aux  mains  avec  les  Espagnols  le  2/i  juillet  Leur  mésin- 
telligence les  perdit  :  ils  essuyèrent  une  défaite  dans  laquelle 
succombèrent  trois  mille  hommes  et  un  plus  grand  nombre 
de  noblesse  qu'il  n'en  avait  péri  à  Coutras ,  Arques  et  Ivry. 
L'amiral  de  Villars  fut  massacré  de  sang-froid  après  l'action  ; 
peu  auparavant,  le  brave  d'Ilumièrcs  avait  été  tué  au  siège 
de  Ham  :  la  perte  de  ces  deux  hommes,  qui  pour  la  valeur 
et  les  talents  militaires  n'avaient  pas  de  supérieurs  et  avaient 
peu  d'égaux  dans  le  parti  royal ,  fut  aussi  sensible  au  pays 
que  celle  des  nombreux  soldats  qui  étaient  tombés  sous  les 
coups  de  l'ennemi.  Les  Espagnols  profilèrent  de  leur  victoire 
pour  prendre  Dourlens,  où  ils  exercèrent  des  cruautés  qu  ou 
s'étonne  et  qu'on  s'indigne  de  trouver  chez  une  nation 
civilisée.  L'occupation  de  Dourlens ,  jointe  à  celle  du  Cas- 
telet  et  de  La  Fère,  fermait  aux  Français  presque  tous  les 
passages  jusqu'à  Cambrai  :  le  moment  était  donc  venu  pour 
les  Espagnols  d'attaquer  cetle  ville ,  et  ils  en  commencèrent 
incontinent  le  siège  (13  août)  *. 

La  nouvelle  des  revers  essuyés  au  Nord  vint  trouver  le  roi 
en  Franche-Comté.  11  quitta  ce  pays  pour  se  rendre  à  Lyon,  Boi«û7piiia. 
où  il  entra  le  h  septembre ,  déjà  en  mesure  de  couvrir  les 
désastres  de  la  guerre  et  les  fautes  de  ses  lieutenants  par  les 
avantages  que  l'adresse  de  sa  politique  et  l'activité  de  ses 
négociations  avaient  préparés.  Le  ligueur  Boisdauphln  fit  sa 
soumission  :  il  rendit  les  villes  de  Chàteau-CSonthier  en  Anjou 

'  Leitrp  lie  Lu  fond  prêtent  •  la  ba  titille  de  Dourleot,  d«a»  Sullv, 
OBcon,  rvy.,  c.  0U,  p.  1W«  I9S.— Tbuanut,  I.  cui,  SS  <3-l9;  I.  ▼,  p.  47s. 
495,  #1 1.  cxoi,  S  I,  p.  49S,  400.  —  P.  C8j«t,  1.  vn,  p.  «M B.  W74n0. 


ttS  RI8T01RB  DU  RÈONB  DE  HENRI  IV. 

et  de  Sablé  dans  le  Maine,  ainsi  que  divers  châteam  qnV 
tenait  ;  il  livra  ainsi  au  roi  les  moyens  de  rétablir  complète* 
ment  son  autorité  et  la  paix  publique  dans  les  deux  provinces 
de  Maine  et  d* Anjou.  L*accord,  arrêté  dès  le  mots  d*aoAt,  fut 
signé  ft  Lyon  dans  les  premiers  jours  de  septembre.  Comme 
tous  les  chefs  de  la  Ligue,  Boisdauphin  ne  déposa  les  armes 
que  moyennant  forte  récompense  :  la  dignité  de  maréchal  de 
France  lui  fut  confirmée,  et  il  reçut  070,000  livres  du  temps 
(2,510,000  francs  d'aujourd'hui). 
u  roi  «Inom        La  force  des  événements  donnait  un  caractère  plus  décidé 
p^t*!»!*»     aux  intentions  naturellement  conciliantes  du  pape   Clé- 
ment Vill.  La  soumission  de  tant  de  villes  et  de  seigneurs, 
la  réduction  de  la  capitale,  fiiisalent  désormais  de  Henri  un 
roi  puissant.  T)'unc  part,  si  la  cour  de  Rome  le  poussait  à 
bout,  elle  avait  h  craindre  qu'il  ne  séparât  à  jamais  la  France 
du  Saint-Siège  })ar  un  schisme  ;  d'un  autre  côté,  Henri  pou** 
vait  désormais  servir  de  défenseur  au  pape  contre  Philippe  H, 
qui  l'avait  tenu  jusc|u'alors  opprimé  et  captif.  Dans  ces  dr« 
constances,  Clément  V 111  se  montra  disposé  à  renouer  des 
négociations  dont  Duperron  et  d'Ossat  furent  chargés.  Lie 
30  aoât,  il  déclara  en  son  nom,  et  au  nom  des  deux  tiers  du 
consistoire,  l'intention  où  Us  étaient  de  prononcer  l'absolu** 
lion  du  roi,  et  il  effectua  cette  résolution  te  17  septembre  1595. 
Triv«  «t  iniM       La  réconciliation  de  Henri  avec  le  Saint-Siège  Atalt  aux 
MaVeoM.       derniers  ligueurs  les  derniers  prétextes  de  résistance  contre 
ce  prince.  Mayenne,  vaincu  h  Fontaine-Française  après  tant 
d'autres  défaites,  réduit  à  la  seule  ville  de  Clidlon,  craignant 
tout  des  Espagnols,  qui  dans  son  dernier  voyage  aux  Pays-- 
Bas avaient  agité  s'ils  ne  le  Jetteraient  pas  en  prison  ;  informé 
dès  les  premiers  jours  de  septembre  que  Henri  allait  être 
relevé  par  le  Saint-Siège  des  anathèmes  prononcés  contre 
lui ,  sentit  que  sa  position  n'était  plus  tenable,  et  entama  dès 
lors  des  négociations.  Elles  se  terminèrent  le  23  septembre^ 
six  jours  après  l'absolution  du  roi,  par  un  traité  préliminaire 
entre  Henri  et  Mayenne.  Ils  convinrent  d'une  trêve  de  trois 
mois,  et  arrêtèrent  les  bases  d'un  traité  déflnitif,  suivant  le- 
quel Mayenne  résignait  les  pouvoirs  que  lui  avait  conférés  la 
Ligue,  et  se  replaçait  dans  la  condition  de  sujet  h  l'égard  de 
HtnrI,  qui  rtatralt  dans  les  droits  pleins  et  entiers  d«  la  son* 
veratoeté.  L'édit  de  Follembrâi  ne  lût  âlgné  qu'an  emniMii- 


ABSOLUTION  DU  ROI.  TRAITÉ  AVEC  MATINNE.        28S 

cément  de  Tannée  tulYante  ;  malt  11  fat  convenu  dès  londane 
a«  clause  principale  >•  L*absolution  de  Henri  rendait  son  au* 
toHttf  respeclabie  et  sacrée ,  même  à  ceux  des  catholiques 
qui  placent  la  loi  religieuse  au-dessus  de  toutes  les  lois  po- 
litiques :  rabdication  de  Mayenne  laissait  Tautorlté  de  Henri 
sans  rivale,  même  nominale.  Mayenne  avait  été  le  concurrent 
de  Henri  :  Meroœnr,  Joyeuse,  les  tyrans  obscurs  de  Marseille, 
d'Épernon,  ne  Tétaient  pas.  Après  la  soumission  du  chef  de 
la  Ligue,  ils  n'étaient  que  des  partisans  sur  quelques  pointa 
du  territoire. 

Il  était  capiul  d'en  avoir  fini,  non  pas  avec  les  restes,  mais  st^ga 
avec  le  principe  de  la  révolte  intérieure  :  cVtait,  de  plus,  le  ^^k2!^{||' 
trait  d'une  adresse  consommée  d'avoir  obtenu  ce  résultat  au 
moment  où  la  France  faiblissait  dans  sa  lutte  avec  l'Espagne 
du  c6té  du  Nord.  Les  Espagnols  avaient  commencé  le  siégi 
de  Cambrai  le  13  aoAt.  La  possession  de  Cambrai  et  du  Cam« 
brésis  donnait  à  la  France  les  moyens  de  couvrir  toute  si 
frontière  de  Picardie  et  de  Champagne  i  sa  perte  ouvrait  an 
contraire  ces  deux  provinces  k  Philippe  II  et  raffermissait  la 
puissance  de  ce  prbice  dans  les  Pays-Bas.  U  était  donc  de  la 
plus  haute  importance  que  Cambrai  fût  réduit  sous  la  domi*' 
nation  ou  restât  du  moins  sous  la  haute  suceraineié  de  bi 
France,  reconnue  dès  la  On  de  1593.  Le  despotisme  de  Ba* 
lagny,  la  fierté  et  l'avidité  de  sa  femme,  avaient  irrité  les 
habitants;  de  plus,  un  parti  considérable  complotait  en  ap« 
parence  pour  l'archevêque,  en  réalité  pour  l'Espagne  :  de 
Kosne  était  l'âme  des  hitrlgues.  Les  habitants  envoyèrent  une 
dépuiation  au  roi  tandis  qu'il  séjournait  â  Lyon  ;  ils  le  sup- 
plièrent de  les  délivrer  de  Baiagny  commesouverain  et  comme 
gouverneur,  de  leur  rendre  leur  ancienne  liberté,  de  mettre 
seulement  une  garnison  française  dans  le  château  pour  as- 
surer la  ville  contre  les  attaques  du  dehors,  A  ces  conditions, 
ils  offraient  de  se  défendre  asseï  résolument  pour  déjouer 
les  attaques  de  l'armée  espagnole  et  la  contraindre  â  lever  lo 
siège.  Henri  n'accueillit  ni  ces  plaintes,  ni  cette  demande  * 
soit  qu*ll  cédât  aux  suggestions  de  Gabrielle  d'Estrées ,  ga- 
gnée par  Balagny  ;  soit  plutôt  qu'il  trouvât  indigne  de  lui  et 


•  Thmut.  1.  ou,  iSJ,  6,  SI.  as,  t.  irp.  4M,  405,  4ea.  SI 

9,  e»yti,  1.  «Ut  I».  èfs-Hni  sso-sis,  ssi  sio.  *  un^ik,  p.  ses 


SIS-SSB.- 


28/i  HISTOIRE  fit   nKGM£   DC   HENRI  IV. 

dangereux  tout  ensemble  de  manquer  de  foi  envers  celui  des 
anciens  chefs  de  la  IJgue  qui  le  premier  avait  traité  avec  lui. 
Quatorze  cents  Français  avaient  augmenté  la  garnison  de 
Cambrai  ;  mais  ce  nombre  était  insuffisant  pour  repousser  les 
attaques  des  Espagnols  et  pour  tenir  en  même  temps  les 
habitants  dans  Tobéissance.  La  route  était  coupée  aux  Fran- 
çais du  côté  de  la  Picardie  :  le  duc  de  Bouillon  et  le  dtic  de 
Nevers  auraient  pu,  avec  un  grand  eiTort,  jeter  dans  la  place 
des  secours  partis  de  Sedan  et  de  la  Champagne  ;  cet  effort, 
ils  ne  le  firent  pas. 
Le  roi  à  PtirU;  Henri  tenta  de  suppléer  à  leur  défaut  de  résolution ,  et 
dq  ^TlemsDi;  V^^  <Iti*c'^  aient  dit  quelques  historiens,  il  déploya  dans  cette 
p-iM  .  circonstance  son  activité  et  sa  promptitude  oitiinaires.  Le 
d«Combr.i.  2^  septembre,  U  signait  &  Lyon  le  traité  préUminaire  avec 
Mayenne.  Le  30  septembre,  il  était  à  Paris ,  s'occupant  de 
créer  des  ressources  pour  secourir  Cambrai.  Le  désordre  des 
finances,  porté  au  comble  par  François  d'O,  continuait  sous 
le  conseil  des  finances  qui  avait  succédé  à  la  surintendance  ; 
le  peuple  était  écrasé  dMmpôts  et  le  trésor  vide.  11  fallait 
pourtant  de  Pargent  pour  solder  des  troupes  et  amasser  des 
munitions,  si  Pon  voulait  sauver  Cambrai  et  arracher  à  l'en- 
nemi les  villes  déjà  prises  par  lui  en  Picardie.  Henri  recourut 
aux  expédients  et  fit  plusieurs  nouveaux  édits  bursaux.  Le 
parlement,  qui  durant  la  Ligue  avait  mis  la  main  aux  affaires 
publiques,  voulut  gouverner  de  moitié  avec  la  royauté  après 
les  troubles,  et  inaugura  sa  participation  au  pouvoir  par  une 
intempestive  et  désastreuse  opposition.  Plus  touché  des  né- 
cessités des  particuliers  que  des  besoins  de  TÊtat ,  il  refusa 
d'enregistrer  les  nouveaux  édits,  et  ne  céda  qu'après  des  jus- 
sions  réitérées.  TiO  roi  consuma  un  temps  irréparable  dans 
ce  conflit,  et  Cambrai  fut  perdu.  Tandis  que  les  Espagnols 
donnaient  un  assaut  à  la  ville ,  les  habitants  se  révoltèrent 
contre  Balagny,  et  le  lendemain  ouvrirent  leurs  portes  aux 
Espagnols  (3  octobre).  Les  Français  tentèrent  de  défendre  la 
citadelle  ;  mais  le  duc  de  Nevcrs,  qu'ils  informèrent  de  leur 
péril,  leur  ayant  envoyé  au  lieu  de  renfort  le  conseil  de  ca- 
pituler, ils  rendirent  la  forteresse  le  9  octobre,  au  moment 
où  le  roi  s'avançait  à  leur  secours.  Les  Espagnols  n'acco^ 
dèrent  à  l'archevêque  de  Cambrai  que  des  droits  honorifiques 
et  vains  ;  ils  se  réservèrent  la  souveraineté  effective  de  Gam-^ 


PRISE  DE  CAMBRAI,  TRAITÉ  DE  D'éPERNON  AVEC  I/ESPAGNE.  285 

brai  et  dti  Gambrésis,  d*où  ils  menacèrent  incessamment  la 
France  *. 

Henri  résolut  de  réparer  le  g^ave  écbec  que  venaient  d'es-  st^g*  d«  UF«r« 
tuyer  le  royaume  et  sa  réputation ,  en  expulsant  l'Espagnol      conmencé. 
de  rintérieur  de  la  France.  Dans  cette  vue,  après  avoir  réuni 
à  ses  troupes  les  soldats  auxiliaires  de  l'Angleterre  et  de  la 
Hollande ,  il  commença  le  siège  de  ta  Fère  au  commence- 
ment du  mois  de  novembre. 

En  même  temps,  il  pressait  ses  lieutenants  en  Bretagne  et  É(«t 

en  Provence  de  faire  elTort  pour  extirper  la  Ligue  et  chasser  *  re»»!»»* 
entièrement  l'Espagnol  de  ces  provinces.  En  Bretagne,  Phi- 
lippe H  avait  essayé  de  réparer  par  les  intrigues  Técbec  que 
ses  armes  avaient  essuyé  Tannée  précédente,  et  de  rendre  à 
rétablissement  de  Blavet  son  étendue  et  son  importance  :  il 
avait  introduit  une  garnison  espagnole  dans  Vannes,  et  gagné 
le  gouverneur  de  Doua  menés.  La  blessure  et  la  mort  du  ma- 
récba  d'Aumont  privèrent  Parmée  française  de  la  direction 
dont  elle  avait  besoin ,  et  tous  nos  efforts  se  bornèrent  à  la 
prise  de  la  forte  place  de  Comper,  près  de  Rennes. 

Mais,  en  Provence,  le  parti  français  obtint  de  nouveaux  et  Progrètdoi»rti 
importants  avantages  sur  les  restes  de  la  révolte  et  sur  la  Tenr*.  ^idUbm 
faction  de  l'étranger.  Dans  ce  pays,  au  commencement  de  -i'**a'É^*"rooa 
Tannée  1595,  Arles  persistait  dans  la  Ligue  ;  bon  nombre  de  avec  l'Etpagna, 
villes  remplies  des  garnisons  de  d'Épernon  lui  obéissaient 
de  force  ;  Berre  et  Grasse  étaient  encore  occupées  par  le  duc 
de  Savoie  ;  Marseille  subissait  le  joug  de  Casaux  et  de  Louis 
d^Aix,  décidés  à  passer  au  roi  d'Espagne,  s'ils  ne  pouvaient 
maintenir  leur  tyrannie.  Rien  de  tout  cela  ne  devait  être  du- 
rable, et  rien  ne  pouvait  arrêter  le  retour,  chaque  jour  plus 
marqué,  de  la  Provence  vers  Tordre' et  la  pacification,  si  Ton 
considère  quels  étaient  les  rapports  de  la  France  avec  l'étranger. 
Le  plus  prochain  de  nos  ennemis  extérieurs,  le  duc  de  Savoie, 
avait  recouvré  Briqueras  en  lo9/i,  et  au  mois  de  mai  1595  il 
reprit  Gavours.  Mais  peu  auparavant  Lesdiguières  avait  battu 
deux  fois  les  troupes  de  Savoie  et  d'Espagne,  et  s'était  em- 
paré d'Exilés,  en  sorte  que  les  États  héréditaires  du  duc  res- 
taient ouverts  aux  Français,  et  qu'il  ne  pouvait,  sans  craindre 

*  Poor  Mt  deux  puragraphes.  —  Thiuoiu,  I.  CXUI,  $S  9  8,  t.  V,  p.  401. 
»l.  —  P.  Ciiyel,  I.  ^¥11,  p.  CT^  674.  68t-(iK4.  —  D'Aubigac»,  1.  iv,  c.  9, 
t,  m,  p.  300.  361. 


de  le§  perdre,  porter  de»  force*  en  Provenee.  Aussi  celte  pro- 
vince suivit-elle  rimpulaion  que  la  noblesse  et  le  parlement 
lui  avalent  imprimée  dès  Tannée  précédente.  Aussitôt  querah- 
solution  du  roi  prononcée  par  le  pape  fut  connue ,  Arles  se 
soumit  à  son  autorité.  Le  connétable  de  Montmorenci  et 
de  Fresne  sommèrent  d'Épemon.de  céder  le  gouvernement  de 
la  Provence  an  duc  de  Guise  et  de  sortir  du  pays.  Il  répondit 
à  cette  injonction  en  traitant  avec  le  roi  d^Espagne  le  10  no- 
ipembre  1595.  La  convention  portait  quMl  ferait  la  guerre  au 
prince  de  Béam,  aux  bérétiques  et  à  leurs  fauteurs  ;  qu*ll  ne 
traiterait  et  ne  résoudrait  aucun  accord  ni  paix  avec  eux , 
sans  en  avoir  obtenu  la  permission  de  Sa  Majesté  catholique  ; 
qu'après  s'être  emparé  de  Toulon,  il  y  introdub^it  une  gar- 
nison espagnole.   Philippe,  de  son  côté ,  s'engageait  à  lui 
itournir  six  mUle  hommes  de  troupes ,  quelques  galères,  des 
munitions  et  432,000  livres  par  an.  D'Ëpemon,  on  le  volt, 
ne  reculait  devant  aucune  extrémité ,  devant  aucun  crime , 
pour  se  maintenir  contre  le  duc  de  Guise  dans  le  gouverne- 
ment de  la  Provence,  et  pour  s'y  créer  une  principauté  indé- 
pendante. Cette  ambition  aurait  été  trompée  par  Philippe  II, 
qui  seul  aurait  profité  de  la  trahison  de  d'Êpemon ,  si  leur 
accord  avait  sorti  son  plein  et  entier  effet.  Mais  il  fut  étouffé 
i  sa  naissance.  A  peine  la  destitution  de  d'Êpemon  fut-elle 
confirmée  par  Montmorenci ,  que  ses  principaux  partisans 
l'abandonnèrent  et  que  les  villes  se  soulevèrent  contre  lui. 
Moustiers,  Aulps,  Forcalquier,  chassèrent  ses  garnisons.  Le 
parlement  d'Alx  confirma  les  ieures  patentes  portant  nomi*- 
nation  du  duc  de  Guise  comme  gouverneur,  et  déclara 
d'Êpemon  criminel  de  lèse-majesté  s'il  ne  vidait  le  pays 
(17  novembre).  Quatre  jours  plus  tard,  le  duc  de  Guise  entra 
en  Provence,  secondé  des  troupes  royales  et  des  forces  que 
loi  prétait  Lesdiguières  comme  son  lieutenant  (21  novembre). 
Sisteron,  Riez,  Martigues,  Marignane,  se  rendirent  à  lui,  et 
Il  prit  Grasse  au  duc  de  Savoie.  Tandis  que  la  guerre  et  la 
défection  enlevaient  à  d'Êpemon  la  plupart  de  ses  posses- 
sions, la  haine  des  Provençaux  attentait  à  ses  jours  par  la 
fbugade  de  Brignolle.  fl  était  évident  que  sa  domination  et 
l'établissement  du  duc  de  Savoie  en  France  touchaient  à  leur 
fin.  C'était  un  Indirect ,  mais  grave  échec  pour  Philippe  II, 
qui  travaillait  derrière  eux  à  la  conquête  de  la  Provencfl^ 


PROGRÈS  DU  ROI  IN  PROVENCE.  TRAITA  DE  POUIMBRAI.    297 

liilt  la  tenace  ambition  du  roi  catholique  disputait  pied  4 
pied  le  terrain  à  la  fortune  contraire.  Désespérant  désormais 
d^envahir  toute  la  Provence,  il  voulut  la  mettre  en  pièces  et 
en  prendre  au  moins  le  principal  débris.  Il  Jeta  son  dévolu 
sur  MareeOle,  et  pour  se  saisir  de  cette  ville ,  resserra  son 
alliance  avec  les  tyrans  Casaux  et  Louis  d'Aix,  qui,  menacés 
par  le  parti  royal,  se  réfugiaient  sous  sa  protection  K 

1596.  Henri  prouva  que  son  génie  et  sa  puissante  activité 
suffisaient  à  la  double  tache  de  désarmer  les  factions  au  de* 
dans  et  de  combattre  Tennemi  du  dehors.  Mais  dans  la  mul- 
tiplicité des  combinaisons  et  des  actes  qu*elle  nécessitait,  il 
était  impossible  quil  échappât  à  toutes  les  erreurs ,  à  toutes 
les  (autes  de  détalL  D'ailleurs,  le  travail  de  la  reconstitution  du 
pays  et  celui  de  sa  défense  se  nuisaient  Tun  à  Tautre.  L'épuisé- 
mentde  la  France  était  extrême  et  ses  finances  en  désordre  ;  ce- 
pendant il  fallait  en  même  temps  défrayer  la  guerre  et  satis* 
foire  les  chefs  de  la  Ligue,  qui  exigeaient  en  argent  tout  ce 
qu'ils  abandoiinaient  en  indépendance  :  l'argent  manqua 
souvent  à  l'une  des  deux  dépenses.  Aussi  alions^noos  voir 
Henri  dans  le  cours  des  trois  dernières  années  poursuivre 
d'une  part  sans  déviation  et  accomplir  la  pacification  du 
royaume  ;  d'une  autre,  dans  la  guerre  contre  l'Espagne,  es- 
suyer quelques  grands  revers,  réparables  il  est  vrai,  mais 
difficilement  réparables. 

La  réduction  d'un  grand  nombre  de  seigneurs  et  de  pays,         ^^ 
préparée  par  d'activés  et  adroites  négociations  dès  Tannée       '«"•"'»'•*• 
précédente ,  s'accomplit  au  commencement  de  l'an  1596. 

I  Poor  CM  d«iix  pftragraphHt,  Tbuanai,  I.  GXi.  {  19,  t.  V,  p  415,  444) 
I.  XUl,  SS  9«  tl-t«K  U  V,  »i  SOI,  soi  51%.  ->  Hoacbe,  HiiL  de  IVovracc, 
1.  X,  I.  n,  p.  S06-8I0  <—  Tralif  conclu  p«r  d'Épernon  avec  I»  roi  d*Eipa* 
|o«,  le  9  Buvembr*  1SQl1«  et  «ngiigenienlcoiit raclé  |wr  lui  «iiTeis  U  ifi4aie 
ffiuee,  le  lendemain  10  noTemine,  dam  l'-«  papien  de  Stmancat  cote  S, 
SS,  ¥0,  Voici  le  leite  de  renpgrmenl  i  «  Je  tout^if  nd,  Jean-Lonb  de  Le 

•  Valeur,  due  d'Éprmoo,  elc.*,.  proaelt  à  Sa  Mui«»ld  calholi«|ue  étfairm 
m  iu  guerrm  nu  prince  de  Btam^  rt  uuk  hérétiques  et  Sniteun  d'ic^vs 
a  ditn»  le  royaume  de  France^  et  ne  tialler  ni  resoudri*  aucuH  accoid  al 

•  puis  avec  eux,  Mnt  en  avoir  la  permiuioa  de  Sa  Maleité  c^tlbolique, 
a  et  nprùs  lui  du  pnuce  PtiUippe,  lou  fils.  Lrtqiielt  me  promettront,  par 

•  Bi4tt«  noyés,  de  me  tenir  et  mei  amii  lout  leur  prolecli«u  e|  m*n»titler 
a  qoand  |'eu  aurai  l>etoln.  El  de  leui  côté,  ne  concluronl  aucune  pals 

•  atec  le  prince  de  Bearn  que  |e  n'y  toUci»M|irto  pour  la  coneervêtlMi  et 
a  moi,  de  met  amii^  de  aoe  bieut  et  cbargw.  Eu  foi  de  quoi,  |'wi  dit  e| 
a  signé  \m  préienteet  cacbelé  du  sceau  de  mes  armrs,  pour  obteiTer  ce 
m  «ne  dmass  au  fâdlUo—  f  Mtésa.  k  SahiUMaiimin,  It  10  «of—lwi 

•  l«S6,o 


288  HISTOIRE   DU   BÈONR   DE   HENRI   IV. 

Le  31  janvier,  Mayenne  fit  sa  soumission  publique.  Par  Pëdit 
de  Foliembrai,  le  roi  lui  accordait,  à  lui  et  à  ses  partisans, 
amnistie  pleine  et  entière  pour  le  passe  ;  trois  places  de  sû- 
reté pour  six  ans ,  Chalon-sur-Saône ,  Seurre  et  Soissons  ; 
des  sommes  enfin  qui,  soit  pour  Tacquittement  de  ses  dettes, 
soit  pour  l*accroissement  de  sa  fortune,  ne  montaient  pas  à 
moins  de  3,580,000  livres  du  temps  (12,888,000  francs 
d'aujourd'hui).  On  s'indignait  que  Mayenne  obtint  non  seu- 
lement impunité ,  mais  récompense  pour  les  maux  dont  il 
avait  accablé  le  royaume  et  pour  le  meurtre  de  Henri  III , 
dans  lequel  la  voix  publique  l'accusait  d'avoir  trempé.  Aussi 
le  parlement  de  l^ris  refusa-t-il  d'abord  d'enregistrer  l'édit, 
et  ne  céda-t-il  qu'à  trois  jussions  réitérées  du  roi,  le 
9  avril  1596.  Mais  Henri  pensait,  avec  les  hommes  les  plus 
sages  et  les  plus  expérimentés  du  temps ,  qu'au  moment  où 
la  France  épuisée  faiblissait  dans  la  guerre  contre  rEspagne« 
on  ne  pouvait  payer  trop  cher  la  soumission  du  chef  de  la 
Ligue  et  le  retrait  du  gouvernement  de  Bourgogne,  placé  sur 
les  frontières  et  dans  le  voisinage  des  possessions  espagnoles. 
Les  événements  qui  suivirent  justifièrent  de  reste  les  prévi-* 
sions  du  roi  et  les  concessions  faites  à  Mayenne. 
SoamittioB         Dans  le  même  mois  de  janvier,  et  par  deux  autres  édits  ren- 

^JjT*w*    ^^^  également  à  FoUembrai,  il  traita  avec  le  duc  de  Nemours 
vt  d«  TouioiM.  et  avec  le  duc  de  Joyeuse,  qui  tous  deux  reconnaissaient  son 

aTrôaiooM.  aiitorité  et  ne  devaient  plus  agir  désormais  qu'en  qualité  d^otfi- 
ciers  de  la  couronne.  Par  la  prompte  mort  du  duc  de  Nemours, 
Il  se  trouva  libéré  des  engagements  contractés  avec  lui.  II 
accorda  à  Joyeuse  la  charge  de  maréchal  de  France,  la  lieu- 
tenance  générale  de  la  moitié  du  Languedoc  avec  des  États 
provinciaux  particuliers,  et  de  plus  1,670,000  livres  du  temps 
(plus  de  5  millions  d'aujourd'hui)  :  par  la  soumission  de  ce 
chef,  il  pacifia  et  rattacha  au  royaume  Toulouse  et  la  por- 
tion du  Languedoc  qui  jusqu'alors  avait  persisté  dans  la 
révolte.  Les  avantages  offerts  à  Joyeuse  n'auraient  pas  suffi 
pour  le  désarmer  :  il  céda  à  la  crainte  de  se  voir  abandonné. 
A  la  fin  de  l'année  précédente  et  après  l'absolution  de  Henri, 
la  plus  grande  partie  du  parlement  ligueur  de  Toulouse 
s^était  séparé  de  Joyeuse,  transporté  à  Gastel-Sarrasin ,  et 
uni  au  parlement  royaliste  de  Bézlers  :  il  avait  reconnu  l'au- 
torité du  roi,  et  amené  les  États  ligueurs  du  pays  à  traiter 


NOUVEAUX  PROJETS  DE  PHILIPPE  II.  289 

avec  lui»  et  profondément  ébranlé  la  population  de  Toulouse* 
Ce  parlement,  ainsi  que  ceux  d*Aix  et  de  Paris,  interposa 
Tautorité  politique  dont  les  circonstances  Tavaient  investi 
pour  mettre  fin  aux  troubles,  comme  il  s'en  était  servi 
sept  ans  auparavant  pour  favoriser  la  prise  d'armes  contre 
les  rois  Henri  III  et  Henri  IV.  L'usurpation  des  attributs 
politiques  par  les  corps  judiciaires,  l'appui  qu'ils  avaient 
donné  à  la  révolte ,  l'erreur  par  suite  de  laquelle  ils  avaient 
mêlé  le  temporel  au  spirituel  et  soumis  l'État  à  la  religion , 
leur  retour  à  l'ordre  avant  les  autres  corps  de  l'État,  aussitôt 
après  les  satisfoctions  données  à  la  religion  et  les  dangers 
publics  reconnus,  sont  également  dignes  d'observation  K 

Après  la  soumission  des  parlements,  de  presque  toutes  les  NoaTMox  pro- 
grandes villes,  de  la  plupart  des  seigneurs ,  la  guerre  civile  |^* 
étant  près  d'expirer,  et  l'unité  nationale  sur  le  point  d'être  *  *^^ 
complètement  rétablie,  le  projet  si  longtemps  nourri  par 
Philippe  il,  de  subjuguer  toute  la  France,  devenait  une  chi- 
mère, et  il  y  renonça.  11  ne  songea  plus  qu'à  conquérir  une 
seule  province  frontière,  la  Picardie ,  qu'il  comptait  joindre 
aux  Pays-Bas ,  et  à  occuper  trois  points  importants.  11  vou- 
lait s'assurer  de  Marseille,  dans  le  Midi;  de  Blavet,  dans 
l'Ouest  ;  de  Calais,  au  Nord.  Ces  villes  eussent  été  trois  portes 
par  lesquelles  il  serait  entré  à  son  gré  dans  le  royaume , 
comme  les  Anglais  pendant  tout  le  moyen  âge.  De  plus,  il 
en  eût  fait  des  postes  dominateurs  sur  la  Méditerranée  et 
l'Océan ,  semblables  à  ce  que  Gibraltar  et  Malte  sont  deve- 
nus depuis  un  siècle  pour  les  Anglais.  Enfin,  de  Blavet  et  de 
Calais  il  eût  menacé  sans  cesse  la  côte  d'Angleterre,  et  suivi 
contre  cette  puissance  ses  idées  de  vengeance  et  d'invasion. 
Chez  cet  homme,  l'instinct  de  l'ambition  était  quelque  chose 
de  prodigieux  :  il  n'est  peut-être  pas  un  moyen  de  domina- 
tion dans  lequel  il  n'ait  à  lui  seul  devancé  les  plus  avides  et 
les  plus  sagaces  réunis  ensemble. 

Philippe  échoua  dans  ses  desseins  sur  ^farseille.  Le  duc  de    R^MacUon  d« 
Guise  d'un  côté,  les  milices  provençales  de  l'autre,  après  avoir      iLin«iii« 
enlevé  plusieurs  petites  villes  à  d'Êpcmon,  se  réunirent  sous  ded^É^rstm. 

•  Texte  de  Tëdit  de  FoUembrai,  Abc.  lois  fr.,  (.  XV,  p.  104-116.-. 
Solly,  OEcon.  roy.,  c.  ISi,  L  u,  p.  19,  30.— Thuanus,  I.  cxiil,  S  1*.  «t 
1.  cxv,  KS  la,  SO,  91,  t.  y,  p.  SOS,  M5-5S9.  ^  D.  Vaiswlte,  I.  xu,  t.  T, 
p.  472,  476. 

19 


90  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

les  mnrs  de  Marseille,  le  i/i  février  1596,  Gasaux  et  Louis 
d'Aix,  menacés  par  les  forces  royales,  introduisirent  six  cents 
Espagnols  dans  la  ville ,  en  postèrent  deux  mille  autres  à 
rentrée  du  port,  tandis  que  la  flotte  de  Philippe  II  mouillait 
dans  le  port  même.  Marseille  toucha  donc  an  moment  de 
subir  le  joug  espagnol.  Pierre  de  Libertat,  originaire  de 
Corse,  aidé  de  plusieurs  colonels  et  capitaines  de  la  ville, 
Parracha  à  ce  danger.  Par  un  adroit  stratagème  il  Isola 
Gasaux  de  la  masse  de  ses  sicaires,  le  tua  de  sa  propre  main, 
Introduisit  dans  la  ville  les  troupes  du  duc  de  Guise,  les  joi- 
gnit aux  serviteurs  que  le  roi  conservait  dans  Marseille,  dés- 
arma Iiouis  d*Aix  et  les  partisans  de  Philippe  H,  contraignit 
Louis  d'ALx  à  la  fuite  et  les  Espagnols  à  la  retraite  (17  février). 
Ainsi  qu*à  Lyon,  la  révolution  se  fit  à  Marseille  aux  cris  de  : 
«  Vive  le  roi  !  Vive  la  liberté  !  »  Et  rien  n'était  plus  exact, 
puisque  le  rétablissement  de  Tautorité  légitime  délivrait  à  la 
ibis  les  habitants  des  tyrans  domestiques  et  de  la  domination 
étrangère.  Telle  était  Pimportance  de  la  réduction  de  cette 
ville,  qu*en  en  recevant  la  nouvelle ,  Henri  s'écria  :  «  G'est 
»  maintenant  que  Je  suis  roi  I  «  D'Ëpemon  était  encore  en 
Provence  à  la  tète  d'un  corps  de  troupes  considérable  ;  mais 
il  n'avait  plus  de  point  d'appui  ni  dans  la  population,  ni  dans 
les  villes,  ni  dans  l'étranger,  et  le  duc  de  Guise  le  vainquit  près 
de  la  rivière  d'Argens.  Après  ce  dernier  coup,  il  obtempéra 
aux  ordres  du  roi ,  portés  par  Roquelaure ,  et  consentit  à 
évacuer  la  Provence  (2û  mars).  Toutefois  la  France  était  telle- 
ment pressée  par  l'Espagne  dans  la  guerre  vers  la  frontière 
du  Nord  ;  il  était  si  nécessaire  de  diriger  sur  ce  point  toutes 
les  forces  dont  elle  disposait,  que  d'Épernon,  vaincu  et  cou- 
pable d'im  récent  traité  où  il  s'alliait  étroitement  avec  le 
roi  d'Espagne,  put  stipuler  et  obtenir  les  conditions  les  plus 
avantageuses.  Il  reçut  de  la  Provence  150,000  livres  du 
temps  pour  lui,  et  90,000  livres  pour  ses  capitaines  :  il  ob- 
tint du  roi  la  promesse  de  A96,000  livres,  et  le  maintien  de 
son  gouvernement  d'Angoumois  et  de  Saintongi\  Par  sa  re- 
traite, la  Provence  était  pacifiée  et  entièrement  rattachée  au 
corps  de  la  monarchie. 

De  tous  les  seigneurs  qui  avalent  tenté  depuis  huit  ans  de 
ressaisir  l'indépendance  féodale,  il  ne  restait  plus,  d'Ëpemon 
soumis,  que  Merccrur  en  Bretagne  :  rinsiirrection  de  Paris* 


RÉDUCTION  DE  MARSEILLE  ET  DE  D'ÉPERNON.        391 

tocratle  touchait  à  sa  fin ,  et  Ton  pouvait  prévoii*  le  moment         Eut 
où  la  souveraineté  publique,  naguère  brisée,  serait  reformée  '^^  SSique!'*** 
en  faisceau.  D*un  autre  côté,  les  anciens  parlements  de  la    l« parlement 
Ligue  abjuraient  les  principes  de  cette  faction,  et  adoptaient     Genebnni. 
ceux  gue  le  parlement  de  Tours  avait  constamment  pro- 
fessés pendant  la  grande  tourmente  du  royaume.  Dans  les 
rapports  de  TÉglise  avec  TÉtat,  Ils  contraignaient  le  clergé  à 
Tobéissance  envers  la  puissance  civile  et  Tautorité  royale. 
Genebrard,  archevêque  d'Aix ,  ayant  persisté  dans  la  révolte 
contre  Henri ,  fut  déclaré  par  le  parlement  d'Aix  criminel 
de  lèse-majesté,  banni  à  perpétuité  du  royaume,  et  ses  biens 
confisqués  au  roi  (Î26  janvier  1596).  Il  se  sauva  à  Avignon  : 
rindulgence  de  Henri  lui  permit  plus  tard  de  se  retirer  dans 
son  prieuré  de  Semur  en  Bourgogne  ;  mais  11  perdit  son  ar- 
chevêché ^  Le  besoin  de  Tordre  et  de  la  paix  provoquait  une 
réaction  de  la  Ugue  contre  elle-même. 


CHAPITRE  IL 


ËpuUemrnl  île  la  France,  ruine  de  set  finances.  Rerert  dans  la  gnerre 
conlie  TEspngne,  perte  de  Calait  et  autres  places  frontières.  Prise 
de  La  Fèrv  par  le  roi  el  les  frontières  couvertes.  Proposition  féodale 
des  seigneurs.  Nouvelle  ligue  de  lu  France,  de  TAngleterre,  de  la  HoU 
laode  contre  l'Espagne  ;  prise  de  Cadix,  épuisement  de  TEspegne. 

Tandis  que  ces  laits  se  passaient  en  Provence,  le  roi  conti- 
nuait le  siège  de  La  Kère,  qui  lui  opposait  une  opiniâtre  résis- 
tance. Depuis  la  fin  de  Tannée  1593 ,  les  événements  heu- 
reux s'étaient  succédé  presque  sans  interruption  et  sans 
mélange.  Du  mois  d'avril  1596  au  mois  de  septembre  1597* 
il  y  eut  arrêt  dans  les  progrès  de  la  fortune  du  roi  et  de  la 
pacification  du  royaume.  La  France  essuya  de  grands  revers, 
et  tout  ce  que  les  talents  et  la  constance  de  Henri  avaient  fait 
si  péniblement  jusqu'alors  pour  sa  délivrance  fut  remis  en 
question.  Ce  retour  d'adversité,  cette  dernière  et  dure  épreuve 
eurent  pour  cause  l'état  d'épuisement  presque  total  dans 
lequel  se  trouvaient  les  finances  de  l'État  et  toutes  les  classes 

'  Pour  ces  trois  paragraphes,  Bouche,  Hîst.  de  ProTence,  I.  X,  t.  n, 
p.  S10-K93.— >Thuauus,  1.  «vi,  el  1.  CXIX,  $17,  t.  ▼,  p.  716.  ~  Sully, 
OEcon.  roy.,  c.  bS,  t«  i,  p.  it»\  c.  79,  p.  Ml;  c.   IftI,  t.  n,  p.  SO  A 
^   P.  Cajet,  1.   Tni,  p.  7l6.7ti.  —  Lettre  du   roi  da  99  février  IS86 
(l^ttr.  miss.  t.  nr,  p.  IliOT.) 


2d2  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

de  citoyens  sans  exception.  Le  jeu  de  la  machine  politique 
fut  menacé  d'une  complète  perturbation  ;  on  put  craindre  de 
voir  tous  les  services  publics  s'arrêter  à  la  fois  faute  d'ar- 
gent ,  et  par  une  déplorable  conséquence,  les  provinces  fron- 
tières, si  ce  n'est  le  corps  de  la  monarchie,  devenir  la  proie 
de  l'étranger. 

A  la  mort  de  Henri  lit,  la  France  était  déjà  couverte  de 
blessures  profondes  par  lesquelles  une  partie  de  sa  force 
s'était  écoulée.  On  comptait  neuf  villes  rasées  ;  le  feu  avait 
anéanti  deux  cent  cinquante  villages  ;  cent  vingt-huit  mille 
maisons  étaient  détruites,  la  plupart  des  églises  dépouillées 
ou  démolies  ;  les  campagnes  étaient  dévastées  par  les  bri- 
gandages des  soldats  de  tous  les  partis ,  le  commerce  inter- 
rompu ,  les  ateliers  sans  travaux  ;  la  dette  publique  montait 
à  2/Ï5  millions  de  ce  temps-là  ^  Les  sept  années  du  règne  de 
Henri  lY  remplies  par  la  guerre  étrangère,  et  par  la  guerre 
civile  étendue  à  toutes  les  provinces  à  la  fois ,  avaient  pro- 
digieusement ajouté  aux  souffrances  des  villes,  aux  désastres 
de  l'agriculture  et  du  commerce ,  à  la  somme  des  maux  qui 
pesaient  sur  les  citoyens  de  tous  les  états.  Les  traités  de  la 
Ligue  y  -mirent  le  comble.  Les  contemporains  ont  très  bien 
montré  par  quel  fatal  enchaînement  toutes  les  classes  étaient 
atteintes  à  la  fois  ;  quel  contre-coup  déplorable  les  fermages 
des  propriétaires,  les  contrats  des  créanciers  avaient  reçu  de 
la  détresse  des  paysans,  de  la  ruine  des  marchands.  «  Les 
édits,  traités  et  conventions,  dit  de  Thou,  que  le  roi  fut 
obligé  de  faire  avec  les  princes,  les  grands,  les  villes,  les 
gouverneurs  des  places  rebelles,  pour  rendre  la  paix  au 
royaume,  coûtèrent  à  l'État  18  millions  de  livres.  Il  fallut  les 
imposer  sur  le  malheureux  peuple,  que  la  guerre  avait  réduit 
à  une  extrême  disette ,  et  qui  aurait  eu  un  grand  besoin 
d'être  soulagé.  Ces  sommes  qu'on  exigea  avec  une  rigueur 
inouïe,  jointes  aux  impôts  ordinaires,  ruinèrent  presque  sans 
ressource  non  seulement  le  petit  peuple,  mais  les  familles  les 
plus  honorables ,  dont  les  fonds  et  les  revenus  se  trouvèrent 
anéantis  par  la  misère  même  où  le  peuple  était  réduit'.  » 
L'exécution  des  traités  de  la  Ligue  avait  commencé  deux  ans 

'  Le  Mcrat  dei  finances,  par  Fromenteaa;  HUU  rmanc.  d«  la  Franc*, 
pai  M.  BuiUy,  L  l,  p.  984,  989. 

*  Thnanus,  1.  cxt,  S  SI,  t.  V,  p.  689.  De  Thou  dit  18  nlUiontde  livres 
ou  6  mUlioDi  d'écui;  mais  il  no  parie  que  des  trailéi  codcIm  avec  la 


iTAT  DES  HNANCES  DU  ROYAUME.  292( 

Iiliis  tôt,  en  159â,  et  les  effets  s*en  faisaient  pleinenient  sentir 
en  159e. 

La  rigueur  affreuse  des  temps  avait  fait  le  fond  de  la  mi* 
sère  publique.  Le  désordre  des  finances  Pavait  complétée  et 
portée  à  un  tel  excès,  que  la  mesure  débordait.  A  la  mort 
de  François  d*0,  en  159/i ,  la  dette  de  TÉtat ,  prodigieuse- 
ment accnie,  montait  h  315  millions  environ  de  ce  temps-là, 
plus  d*un  milliard  du  nôtre.  Depuis ,  les  sommes  forcément 
données  aux  chefs  de  la  Ligue  Ta  valent  encore  augmentée. 
Le  payement  des  intérêts  de  cette  dette,  détestablcment 
organisé,  comme  nous  le  verrons  bientôt,  absorbait  la  plus 
grande  partie  des  revenus  de  ia  France.  Une  auUre  par- 
tie ,  très  considérable  encore,  des  deniers  levés  sur  la  na- 
tion, au  lieu  d*arriver  au  trésor  public,  élait  détournée 
par  les  officiers  de  finances  chargés  de  les  recucUlir.  Après 
la  mort  de  François  d'O,  Henri  avait  supprimé  la  sur- 
intendance des  finances  et  y  avait  substitué  un  conseil  de 
finances  composé  de  douze  grands  seigneurs,  magistrats,  con- 
seillers d'État,  intendants,  et  d*un  secrétaire.  Ce  furent  treize 
incapables  ou  concussionnaires  à  brevet.  Henri  ne  tarda  pas 
à  reconnaître  leur  insuffisance  ou  leur  infidélité ,  et  il  écri- 
vait d*eux  :  «  qu'ils  avoient  bien  encore  fait  pis  que  leur  de- 
»  vancier.  >•  11  essaya  en  1595  de  faire  entrer  Ilosny  dans 
leur  conseil  pour  les  surveiller  et  les  réprimer  ;  mais  à  iorc! 
de  déboires  et  d'injures,  ils  le  contraignirent  à  quitter  la  place 
et  à  se  retirer  dans  ses  domaines.  A  la  fin  de  1595  et  au  cjom^ 
mencement  de  1596, 11  ne  fut  employé  par  le  roi  que  comme 
surveillant  et  comme  solliciteur  auprès  du  conseil  des  finances  : 
son  action  se  borna  à  ce  qui  regaidait  l'approvisionnement  et 
la  paye  de  l'armée  qui  continuait  le  siège  de  La  Fère.  Revêtu 
par  le  roi  d'une  commission  particulière  et  de  pouvoirs  spé- 
ciaux  pour  cet  objet  auprès  du  conseil  de  finances,  il  le 
pressa,  le  persécuta  de  manière  à  en  tirer  une  partie  des  som- 
mes nécessaires  pour  la  continuation  de  l'entreprise.  U  con- 
clut aussi  avec  les  fournisseurs  un  certain  nombre  de  marchés 
avantageux ^  Même  dans  ces  attributions  si  restreintes,  Rosny 

Llgu«  {usqu'an  coinm«ncemeiil  de  lSn6«  el  il  ne  connait  pas  lei  conditions 
Mcrèlct  de  cei  traitet.  —  SuUy,  DKroD.  roy.,  c.  161,  t.  ii,  p.  SU,  nom 
apprend  que  le  total  de  cet  somme*  fut  d«  ai,  141,000  livret  da  tempe, 
plut  de  lis  milliout  d'aujoard'hui. 

*  Snlly,  OEcon.roy.,  c.  50,  1. 1.  p.  100  B;  c.  00,  p.  lOt,  105;  c.  0\ 
p.  S>4,  <Ô6.  «  Près  de  cens  du  coosc il  det  finncct,  tou»  deritt  Mrtir  du 


20Â  HISTOIRE  1)0   RÉGNE  DE  HENRI  IV. 

était  loin  d*agir  avec  toute  liberté  et  toute-puissance,  comme 
on  le  verra  bientôt  ;  et  il  faut  ajouter  que  dans  Tensemble 
des  affaires  publiques  et  des  opérations,  le  siège  de  La  Fère 
n'était  qu'un  point.  Son  action  était  donc  très  faible  et  très 
bornée,  et  làoù  sa  main  n'atteignait  pas,  c'est-à-dire  alors  près* 
que  partout,  il  y  avait  dilapidation  de  la  richesse  et  ruine  de  la 
chose  publique.  Telle  était  au  commencement  de  lô96  la  si- 
tuation financière  de  la  France,  sous  le  rapport  des  deniers 
publics  et  du  personnel  des  administrateurs.  La  correspon- 
dance de  Henri  IV  la  peint  énergiquement,  et  jour  par  jour. 
Tandis  qu'il  continue  le  siège  de  La  Fère,  ses  relations  avec 
son  conseil  de  finances  pour  obtenir  ce  dont  il  a  strictement 
besoin,  ce  qui  est  indispensable  pour  faire  réussir  l'entre- 
prise, forment  une  suite  non  interrompue  de  demandes 
pressantes,  de  reproches,  d'ordres  réitérés,  après  lesquels 
Il  n'est  qu'imparfaitement  obéi.  Nous  ouvrons  cette  corres- 
pondance et  nous  lisons  : 

t  Le  6  mars  1596.  Si  je  ne  suis  secouru  d'argent  bientôt  pour 
payer  les  dépenses  que  je  vous  ai  mandées,  je  me  trouverai  en  une 
très  grande  peine  ;  car  les  Suisses  de  Diesbach  se  débandent  tous 
les  jours  ;  nos  ouvrages  demeurent  ;  ma  cavalerie  ne  peut  subsister 
fiiute  de  payement.  Toutefois  j'ai  avis  de  toutes  parts  que  nos  en- 
nemis s'assemblent  à  l'eotour  de  Mons;  que  le  dixième  de  ce 
mois  Ils  seront  prêts  à  marcher,  et  qu'ils  viennent  droit  à  nous.  Je 
vous  prie,  avec  ceux  de  mon  conseil,  de  me  secourir  en  cette  oc- 
casion, qui  est  la  plus  importante  qui  se  présentera  jamais... 
J'ottbliois  à  vous  dire  que  le  sieur  de  Buhy  m'a  écrit  n'avoir  pu 
être  payé  de  la  montre  qui  lui  fut  ordonnée  et  assignée  l'année 
passée  sur  les  deniers  du  taillon.  Partant,  je  vous  prie  de  foire 
venir  les  trésoriers  ordinaires  des  guerres  pour  vous  en  rendre 
compte  ;  car  ils  doivent  avoir  reçu  les  dits  deniers.  Êdaircissex- 
vous  en  donc,  je  vous  prie,  et  avertissez  le  sieur  de  Buhy  de  l'ordre 
que  vous  y  aurez  donné  et  de  ce  qu'il  en  peut  espérer  ;  car  il  ne 
marchera  pas  sans  argent,  et  je  serois  bien  aise  de  l'avoir  auprès 
de  moi  quand  les  ennemis  se  présenteront.  • 

c  Le  8  mars.  Les  treize  mille  écus  que  vous  m'avez  envoyés 
sont  arrivés  sûrement  et  très  à  propos  pour  contenter  notre  cava- 
lerie qui  étoit  à  la  faim,  et  retenir  nos  Suisses  qui  se  voulolent 
débander,  comme  pour  continuer  nos  ouvrages.  » 

m  lollicUrur  el  île  ihatt«-aTant  pour  le  reroaTrrmmt  et  enroj  Um  cbotet 
»  nécessaires  pour  faciliter  et  ailTanccr  la  prise  de  La  Fèie*  n 


DANGKKS  RÉSULTANT  0£  L*KTAT  DES  KiNANCKS.       295 

«  Le  10  man.  11  ne  iD*est  pas  possible  de  fkire  attendre  plot 
loDgtempa  les  Suisses  :  principaleoient  Diesbach,  et  ses  gens  oe 
menacent  pas  moins  qae  de  ployer  leurs  enseignes  et  m*abandon- 
ner  :  ce  qui  m*arriveroit  Irfts  mal  à  propos  sur  Tattente  des  enne- 
mis en  laquelle  je  me  trouve,  comme  tous  pouvei  trop  mieux 
juger.  » 

«  Le  18  mars.  J*ai  nécessairement  aflaire  des  dites  dix  mille 
livres,  pour  satisfaire  à  ce  qui  manque  du  payement  de  mon 
armée  du  mois  passé,  et  aux  autres  dépenses  qui  sont  si  pressées 
que  je  ne  m*en  puis  passer  ;  qui  me  fait  \ous  prier  de  tenir  la 
main  pour  me  foire  envoyer  promptement  la  dite  somme...  Vous 
savet  combien  je  suis  pmsé  pour  le  payement  de  la  cavalerie  qui 
est  en  mon  armée,  pour  celle  des  lansquenets,  pour  le  travail  qui 
se  fiiit  à  la  chaussée,  et  beaucoup  d*autres  dépenses  qui  sont  né- 
cessaires, et  sans  lesquelles  ce  siège  ne  peut  être  continué.  Le  sel«> 
gneur  dlncarville  vous  représentera  ce  que  je  lui  mande  de  Tétat 
des  vivres  de  mon  armée,  I  quoi  il  est  aussi  besoin  de  pourvoir 
promptemenu  J*en  éerb  à  ceux  de  mon  conseil  auxquels  je  vous 
prie  de  faire  entendre  l'état  et  les  nécessités  de  mon  armée,  et 
tous  ensemble  y  apporter  un  si  prompt  remède,  que  le  mal  que  je 
prévols  ne  puisse  arriver.  • 

«  23  mars.  H  me  reste  de  vous  prier  de  tenir  la  main  à  ce  qui  est 
requis  pour  la  nourriture  de  mon  armée,  et  que  vous  donniez 
ordre  qu*il  soit  envoyé  quantité  de  bled  et  promptement,  comme 
il  est  nécessaire  ;  car  il  y  en  a  si  peu  qu'elle  ne  vit  qu'au  jour  la 
journée,  et  bien  souvent  les  gens  de  guerre  n'ont  que  demi -muni- 
tion (demi-ration),  et  quelquefois  ne  reçoivent  rien  *•  ■ 

On  s'indigne  de  voir  le  roi,  le  chef  de  l'État,  non  pas  se 
perdre  ,  mats  s^user  dans  ces  détails ,  dans  ces  soins  d'un 
commb  aux  vivres  et  d'un  sous-intendant  de  finances.  Tout 
ce  que  les  sollicitations  de  Henri,  tout  ce  que  la  poursuite  de 
Rosny  piutint  obtenir  du  conseil  de  finances  ou  plutôt  lui 
arradier,  ce  fut  la  subsistance  restreinte  et  la  paye  souvent 
arriérée,  mais  enfin  l'une  et  l'autre  à  peu  près  suffisantes  de 
cette  armée.  Les  soldats,  astreints  à  la  discipline  et  aux  tra- 
vaux militaires,  furent  retenus  dans  leur  camp  i)cndant  tout 
le  temps  que  l'exigea  l'intérêt  public ,  pendant  plus  de  six 
mois  et  demi.  Les  sièges  de  Paris  et  de  Rouen  avaient  écboué  ; 


•  Leltrm  miMÎTw,  U  IV,  p.  014, 010,  519,  531, 836, 649.  L*orUiosr»plie 
•cule  a  dé  cli«ns«e. 


2^6  HJST01R£  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

celui  de  La  Fèrc  réussit  :  les  contemporains  s'accordent  à 
reconnaître  que  la  différence  dans  Tissue  de  ces  diverses  en- 
treprises provient  uniquement  de  la  différence  dans  i*état  de 
rintendance  de  Tarmée  aux  deux  époques. 

Mais  si  Henri  parvint  par  des  efforts  inouïs  à  pourvoir  aux 
besoins  de  Tarméc  de  La  Fère,  il  fut  impuissant  à  rétablir  et 
à  régulariser  les  autres  services  publics,  dont  dépendaient 
pourtant  la  sûreté  et  Tintégrité  du  territoire,  la  bonne  admi- 
nistration de  rÉtat  Les  garnisons  des  places  frontières,  les 
fortiûcations,  le  matériel  et  le  personnel  de  rartillcric,  les 
munitions  restèrent  dans  une  misérable  insuffisance  qui  nous 
mettait  à  la  merci  de  TennemL  Henri  était  personnellement 
réduit  à  une  véritable  indigence,  qui  ôtait  à  sa  royauté  toute 
dignité  et  tout  prestige,  chez  une  nation  essentiellement  va- 
niteuse. Le  mal  provenait  de  la  dilapidation  des  finances,  et 
un  acte  de  la  volonté  du  prince ,  si  énergique  qu'il  fût,  ne 
suffisait  pas  alors  pour  y  remédier.  Il  fallait  que  Rosny,  dans 
une  suite  de  grandes  opérations  financières,  eût  acquis  Tex- 
périence  et  la  capacité,  ainsi  que  Tautorité  résultant  du  suc- 
cès ,  qui  lui  manquaient  encore  :  il  fallait  que  Henri  Télcvât 
peu  à  peu  en  puissance  et  en  dignité  avant  de  lui  confier  la 
direction  des  deniers  publics,  où  il  devait  trouver  pour  con- 
tradicteurs et  pour  ennemis  tout  ce  qu'il  y  avait  de  puissant 
dans  le  royaume.  Voici  sur  ces  différents  points  les  rensei- 
gnements que  fournissent  les  lettres  du  roi  : 

c  8  mars  1596.  Vous  verrei  par  les  IcUres  du  sieur  de  Sobolc  et 
celle  deshabitant«  delà  ville  de  Metz  ce  qu'ils  me  représentent  tou- 
chant la  garnison  de  ladile  ville,  et  Topinion  qu'ils  ont  de  l*établis- 
sement  de  l'imposition  pour  laquelle  j'ai  envoyé  le  sieur  de  Bus^^y 
par  delà  ;  en  quoi  j*e$time  qu'il  pourra  se  présenter  l)eaucoup  de 
dilBcultés...  D'autant  que  les  moyens  qui  peuvent  provenir  des 
dites  impositions  ne  sont  présents,  et  que  les  soldats  qui  sont  en 
cette  garnison  ne  peuvent  être  entretenus  d*espérances,  attendu  la 
nécessité  en  laquelle  ils  sont,  qui  a  contraint  le  sieur  de  Sobole  de 
vendre  la  partie  des  bleds  du  magasin  de  la  dite  ville,  je  vous  prie 
de  foire  que  ceux  de  mon  conseil  qui  sont  à  Paris  trouvent  jusqu'à 
cinq  ou  six  mille  écus  pour  envoyer  promptement  à  Melz  pour  la 
dite  garnison  *•  • 

*  Letlrat  miuivM,  U  nr,  p.  511.  -—  Nous  n«  cb«DS«on«  dant  cet  extiaiu 
qae  l'orlhograph«. 


DÉTRESSE  DU  ROI  ET  DU  ROYAUME.        297 

«  21  mars,  au  sujet  de  la  ville  de  Guise  et  des  autres  places  si- 
tuées sur  la  frontière  de  Picardie.  —  J'ai  trouvé  ces  villes  de  Tron- 
tière  en  très  mauvais  état,  parce  que  Ton  n*cmploie  rien  aux  forti- 
ficatlons,  et  que  les  gens  de  guerre,  tant  de  cheval  que  de  pied,  ne 
sont  pas  payés  ;  de  sorte  que  les  soldats  quittent  leurs  gardes  et 
leurs  compagnies,  lesquelU*  »ont  déjà  ai  foibïes  qu'il  y  en  a  plu^ 
sieurs  où  il  n'y  a  pas  vingt-cinq  et  trente  hommes  au  lieu  de  cent 
dont  elles  doivent  être  composées.  De  sorte  que  je  crains  qu'il  en 
arrive  inconvénient  ;  et  pareillement  de  celles  de  Champagne  qui 
sont  encore  en  plus  mauvais  état.  Partant,  je  vous  prie  de  fair^ 
délivrer  au  trésor  de  Textraordinaire  des  guerres  les  assignations 
que  vous  avez  destinées  au  payement  des  dites  garnisons,  et,  sMI 
est  possible,  faire  que  Ton  avance  quelque  somme  sur  icelles  pour 
leur  départir,  afin  d'empêcher  ce  débandemcnt,  lequel  advenant 
sera  inévitable,  dont  s* en  suivra  la  ruine  de  mes  affaires^  car  je  ne 
puis  être  partout,  et  quand  mes  ennemis  me  tiendront  d*un  côté, 
ils  m'auront  bientôt  enlevé  une  place  de  Vautre.  Dont  je  vous 
confesse  être  en  extrême  peine,  à  laquelle  je  ne  puis  remédier 
qu'en  payant  les  dits  gens  de  guerre  *.  • 

c  15  avril,  à  Rosny.  Je  vous  jure  avec  vérité  que  toutes  les  tra- 
verses que  j'ai  subies  jusqu'ici  ne  m'ont  pas  tant  affligé  et  dépité 
l'esprit  que  je  me  trouve  maintenant  chagrin  et  ennuyé  de  me  voir 
en  de  continuelles  contradictions  avec  mesplusautorisés  serviteurs, 
officiers  et  conseillers  d'État,  lorsque  je  veux  entreprendre  quelque 
chose  digne  d'un  généreux  courage  et  de  ma  naissance  et  qualité, 
à  dessein  d'élever  mon  honneur,  ma  gloire  et  ma  fortune,  et  celle 
de  toute  la  France,  au  suprême  degré  que  je  me  suis  toujours 
proposé.  Ayant  écrit  à  ceux  de  mon  conseil  des  finances  comme 
j'avais  un  dessein  d*extréme  importance  en  main,  où  j'avais  besoin 
qu'il  me  flkt  fait  un  fonds  de  800,000  écus,  et  partant  les  priois  et 
conjurois,  par  leurs  loyautés  et  sincères  aflecttons  envers  moi  et  la 
France,  de  travailler  en  diligence  au  recouvrement  certain  de  cette 
somme,  toutes  leurs  réponses,  après  plusieurs  remises,  excuses  et 
raisons  pleines  de  discours  embarrassés  dont  les  uns  détruisoient 
les  autres ,  n'ont  eu  finalement  autre  conclusion  que  des  repré* 
sentations  de  diflicuUés  et  impossibilités.  Voire  ils  n'ont  pas  craint 
de  me  mander  que  tant  s'en  falioit  qu'ils  me  pussent  fournir  une  si 
notable  somme,  qu'ils  se  trouvoient  bien  empêchés  à  recouvrer  les 
fonds  pour  faire  rouler  ma  maison.  Cela  m'afflige  infiniment,  voire 
me  porte  quasi  au  désespoir,  et  m'aigrit  de  sorte  l'esprit  contre 
eux,  que  cela  m'a  fait  absolument  jeter  les  yeux  sur  vous,  sur  les 

'  Lcttrei  mlsiiTCfl,  1.  iv,  p.  540. 


298  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

anarances  que  voas  in*avei  souvent  données  d'avoir  le  vouloir  et 
le  pouvoir  de  me  bien  servir  en  cette  charge,  et  m'a  remis  en  mé- 
moire ce  que  vous  me  dites  à  Saint-Quentin  des  grands  divertisse- 
ments qui  avoient  été  Taits  depuis  la  mort  de  M.  d'O,  de  notables 
sommes  de  deniers  provenues  des  aliénations  que  l*on  a  faites  de 
mes  aides,  gabelles  et  autres  revenus.  Ce  qui  m*ayant  donné  Tenvie 
de  m'en  éclaircir  davantage,  j'ai  bien  encore  appris  d'autres  plus 
que  de  vous;  car  pn  m'a  donné  pour  certain,  et  s'est-on  fait  fort 
de  ie  vérifier,  que  ces  huit  personnes  que  j'ai  mises  en  mes  finances 
ont  bien  encore  lait  [pis  que  leurs  devanciers,  et  qu'en  l'année  der- 
nière et  la  présente,  que  j'ai  eu  tant  d'affaires  sur  les  bras  foute 
d'argent,  ces  messieurs  là,  et  cette  effrénée  quantité  d'intendants 
qui  se  sont  fourrés  avec  eux  par  compère  et  par  commère,  ont  bien 
augmenté  les  grivelées,  et,  mangeant  le  cochon  ensemble,  ont  con^ 
sommé  pliu  de  quinte  cent  mille  écui,  qui  étaient  somme  su/litante 
pour  ehoêterV Espagnol  de  France^  en  payement  de  vieilles  dettes 
par  eux  prétendues.  Je  vous  veux  bien  dire  l'état  où  je  me  trouve 
réduit,  qui  est  tel,  que  je  suis  fort  proche  des  ennemis,  et  n'ai 
quasi  pas  un  cheval  sur  lequel  je  puisse  combattre,  ni  un  hamois 
complet  que  je  puisse  endosser  ;  mes  chemises  sont  toutes  déchirées, 
mes  pourpoints  troués  au  coude  ;  ma  marmite  est  souvent  renver- 
sée, et  depuis  deux  jours,  je  dîne  et  soupe  chei  les  uns  et  les  autres, 
mes  pourvoyeurs  disant  n'avoir  plus  moyen  de  rien  fournir  pour 
ma  table,  d'autant  qu'il  y  a  plus  de  six  mois  qu'ils  n'ont  reçu  d'ar- 
genL  Partant  jugei  si  je  mérite  d'être  ainsi  traité  ;  si  je  dois  plus 
longtemps  souffrir  que  les  financiers  et  trésoriers  me  fassent  mou- 
rir de  ftiim,  et  qu'eux  tiennent  des  tables  friandes  et  bien  servies; 
que  ma  maison  soit  pleine  de  nécessités,  et  les  leurs  de  richesse  et 
d'opulence,  et  si  vous  n'êtes  pas  obligé  de  me  venir  assister  loyale- 
ment, comme  je  vous  en  prie'.  » 

La  misère ,  c'est  le  mot ,  la  misère  scandaleuse  h  laquelle 
le  roi  est  réduit  n'est  que  le  signe  d'un  effroyable  désordre  : 

*  LellrM  niifttiyes.  t.  iT,  p.  66S-668.  Tous  les  fuili  éooDc^t  duni  celle 
Icllre,  luatrs  Ict  iil<'es,  tous  les  tcntiineots  lout  incontestahlemrnt  de 
Henri  IV  :  la  forme  seule  en  partie  et  le  style  dans  les  détails  Me  lunt  pas 
de  lui.  Itarbuult,  ennemi  de  Sully,  qui  Taccuse  plus  d^nne  fois  d'avoir 
suppoië  des  lettres  du  roi,  rn  reconnaissant  que  celle-ri  était  de  Loincnie, 
reconnatl  en  même  temps  qu^elle  était  du  roi  pour  le  fond  (remun|ues 
sur  le  chapitre  <>3  de  l'édition  originale,  p.  lU  A).  Kn  effet,  Itoménie,  admis  à 
la  pins  familière  intimité  du  roi,  dans  celte  circonstance  comme  dans 
vingt  autres,  écrit  sous  sa  dictée,  reproduit  exartcment  ses  pensées,  et  se 
horne  &  donner  h  ses  phrases  un  tour  un  peu  différent.  S'il  y  sTait  one 
discussion  à  rlerer  sur  celte  lettre,  ce  ue  serait  sur  son  authenticité  quant 
au  fond,  c'cst-ik-dire  quant  à  ce  qui  est  cxclusÏTement  important,  mais 
bien  quant  à  sa  date* 


PËAT£  DE  CALAIS,  UAM,  G01NE8,  ARDRKS.  299 

tous  les  services  publics  sont  en  souffrance ,  et  les  vols  des 
financiers,  l'incapacité  ou  la  mollesse  des  serviteurs  demeurés 
intègres,  en  laissant  TÉtai  sans  force  et  sans  défense,  le  livrent 
à  la  conquête  espagnole.  A  cet  égard,  les  craintes  de  Henri 
sont  prophétiques  et  déplorablcmeut  Justifiées  par  les  évé- 
nements. 

De  Rosne,  voyant  toutes  les  forces  dont  Henri  pouvait  dis»  PriM  de  CaUU, 
poser  et  toute  son  attention  occupées  au  siège  de  La  Fère ,  Âl!jrei!^?* 
proposa  au  nouveau  chef  des  Espagnols,  le  cardinal  Albert,  >«•  Eapaguok. 
de  conquérir  Calais,  qu*il  savait  dépourvu  de  moyens  de  ré- 
sistance suffisants.  L'artillerie  était  mal  montée  et  mal  servie 
par  un  corps  de  canonnicrs  trop  peu  nombreux  ;  on  n*avait 
fait  aucun  des  préparatifs  extraordinaires  que  la  défense 
d'une  telle  place.  Tune  des  clefs  du  royaume,  aurait  de- 
mandés. Nous  venons  de  voir,  par  la  correspondance  de 
Henri ,  qu'il  sentait  et  déplorait  cette  insuffisance  pour  Ca- 
lais comme  pour  toutes  les  places  frontières.  Mais  de  nou- 
veaux travaux  de  fortification ,  l'augmentation  du  corps  de 
Fartillerie  et  de  la  masse  des  munitions  entraînaient  des  dé- 
penses que  lui  rendaient  impossibles  les  malversations  des 
financiers  plus  que  l'épuisement  des  peuples.  De  Rosne  atta- 
qua Calais  avec  secret  et  rapidité ,  et  enleva  les  ouvrages 
avancés  de  la  place  le  9  avril  :  U  informa  de  ce  succès  le  car- 
dinal Albert  d'Autriche,  qui  se  hâta  de  venir  le  seconder 
avec  une  armée.  A  la  première  nouvelle  de  leur  attaque, 
Henri,  laissant  à  ses  lieutenants  la  continuation  du  siège  de 
La  Fèrc ,  se  porta  rapidement  à  la  défense  de  Calais  avec  le 
peu  de  forces  dont  il  pouvait  disposer  :  soit  sur  mer  au  milieu 
des  tempêtes,  soit  sur  terre ,  il  exposa  deux  fois  sa  vie  pour 
jeter  des  secours  dans  la  place  assiégée.  En  même  temps  il 
implora,  U  pressa  l'assistance  des  Hollandais  et  des  Anglais. 
L'Angleterre  n'était  guère  moins  intéressée  que  la  France  à 
ce  que  Calais  ne  tombât  pas  au  pouvoir  des  Espagnols,  Ce- 
pendant les  !iecours  qu'elle  promit  et  qu'elle  annonça  ne  par- 
vinrent pas  à  Henri,  soit  que  les  mesures  fussent  mal  prises, 
soit  plutôt  qu'Elisabeth  témoignât  par  cet  abandon  le  pro- 
fond mécontentement  que  lui  avaient  causé  l'abjuration  de 
Henri  et  le  refus  qu'fi  avait  fait  de  livrer  Calais  aux  Anglais. 
I.OS  historiens  contemporains  ne  laissent  Ignorer  ni  la  froi- 
deur ni  le  mauvais  vouloir  du  gouvernement  anglais  dans 


300  HISTOIRE  DU  RÈGHE  I)£  HENRI  IV. 

ces  circom^tanccs  ■•  Henri,  abandonné  à  lui-même ,  trouva 
moyen  de  jeter  un  secours  dans  la  place  ;  mais  le  renfort 
était  insuffisant  ou  il  fut  mal  employé.  La  ville  de  Calais  ca- 
pitula après  un  assaut  le  17  avril,  et  le  château  fut  emporté 
le  24.  Les  Espagnols  firent  un  butin  immense  et  s*emparèrent 
d'un  grand  amas  de  provisions  :  la  guerre  nourrit  ainsi  la 
guerre  pendant  quelques  mois.  C'étaient  là  les  avantages 
pour  le  présent  ;  pour  l'avenir ,  Philippe  occupait  Tun  de  ces 
postes  qui  dominaient  l'Océan  ef  tenaient  à  la  fois  en  échec 
la  France  et  l'Angleterre.  Après  Calais,  les  Espagnols  prirent 
llam,  Guines  et  la  forte  place  d'Ardres  (23  mai).  Ils  étaient 
maîtres  de  toute  la  frontière  du  Nord ,  et  ils  paraissaient 
s'achemfaier  à  la  conquête  de  la  Picardie  entière  2. 

Au  milieu  de  cette  rude  épreuve,  la  résolution  et  la  liberté 
d'esprit  de  Henri  restèrent  inébranlables.  Il  fit  face  à  tout, 
résistant  aux  Espagnols  autant  qu'il  lui  était  donné  de  le  faire 
avec  les  moyens  restreints  dont  il  disposait,  commençant  la 
répression  des  financiers,  ennemis  plus  redoutables  au  pays 
que  l'Espagnol  lui-même  ;  renouant  ses  rapports  avec  les 
Hollandais  et  les  Anglais  qui,  si  impolltiquemcnt,  si  impru- 
demment pour  eux-mêmes ,  avaient  abandonné  le  roi  dans 
son  danger,  et  obtenant  d'eux  une  importante  et  utile  diver- 
sion, une  attaque  contre  les  États  mêmes  de  Philippe  H. 

deU^Fè'rV  les       ^  ^^  ™^*  1596,  il  prit  La  Fère  après  tm  siège  de  sept 
froauèret  fa-    mois,  et  chassa  ainsi  les  Espagnols  du  cœur  de  la  Picardie , 
tandis  qu'ils  envahissaient  les  frontières  de  cette  province. 
La  réduction  de  La  Fère  lui  avait  rendu,  au  moins  en  partie, 

*  LeUre  de  Villeroy,  dans  len  Mémoires  de  Daplettii,  t.  vi,  p.  461.  A 
la  date  du  96  février  1896,  il  dit  :  «c  Nous  avons  advis  de  toutes  paris  que 
»  les  eniiamis  se  pr<fparent  i  attaquer  quelque  plare.  En  quoi  nous  som- 
N  mes  très  mal  assistée  de  nos  voisins ^  lesquels  se  reposent  maintenant 
a  à  l*omhre  du  feu  qui  nous  consume,  sans  appréhender  davanlai;c  le  hi«>n 
m  ni  U  mal  qui  leur  en  peut  arriver.  »  ->  Thuanus,  i.  cxvi,  $  7,  p.  603  : 
«  Verum  rex  qui  Anglos  non  satis  bona  fide  in  eo  negotio  vorsari  videret.  s 
L'historien  donne  dans  le  même  livre  le  motif  du  refroidissement  de  la 
reine  «1  du  gouvernement  d* Angleterre  à  IVgard  de  Henri.  An  J  11,  p.  608, 
il  rapporte  la  conférence  de  Cecil,  principal  ministre  dT.lisabeth  avec 
l'ambassadeur  de  France,  et  il  dit  :  «  Sancios  Gulielmum  Cecilium,  pcnet 
»  qacm  somma  rerum.  adit  :  a  quo  ambiguum  et  aliénions  animi  respon- 
»  sum  tulit.  Anlea  reginam  cum  rege  religionis  cnusa  conjunctam  ; 
»  nunc,  vinculo  illo  solato,  tantam  vicinia  utriusque  regnl  et  antiquornm 
B  foxierum  ralione...  Poslea  tamen  consilii  de  non  miltendis  auxiliariLns, 
•  nlsi  Caleto  tradito,  pspiiilait.  • 

■  Lettres  missives  des  18  et  90  avril  et  99  mai,  t.  ir,  p.  879,  873,  8W. 
—  Thuanus,  1.  cxvi,  t.  XH  de  la  traduct.,  p.  699^644.  —  P.  Cayet,  1.  ym, 
p.  734.736.  —  Sully,  OEcon.  roy.,  c.  61,  l.  i,  p.  199-901  A. 


ranlies. 


PRISE  DE  LA  PÈRE  PAR  LE  ROI  :  PROPOSITION  FÉODALE.  301 

la  libre  disposition  de  la  seule  armée  qui  fût  alors  sur  pied. 
11  s*en  servit  pour  arrêter  les  progrès  des  Espagnols  après  la 
prise  de  Calais ,  en  pourvoyant  à  la  défense  de  ik)ulogne , 
Montreuil ,  Monthulln,  Abbeville ,  et  autres  places  voisines. 
La  mort  ne  tarda  pas  à  le  débarrasser  du  plus  redoutable  de 
ses  ennemis  :  De  Rosne  fut  tué  au  siège  de  Hulst,  dans  les 
Pays-Bas,  et  Henri  put  tourner  contre  d'autres  adversaires 
les  forces  que  Taudace,  Tadresse,  les  talents  militaires  de  ce 
transfuge  avaient  tenues  occupées  jusqu'alors  <• 

Ces  efforts  heureux  faits  parle  roi  pour  arrêter  les  progrèsde 
Tennemi  et  pour  protéger  le  territoire  ne  furent  pas  appréciés 
parTopinion  publique,  et  ses  revers  furent  exploités  par  l'am- 
bition. La  perte  de  Calais  avait  nui  à  sa  réputation,  altéré  et 
ébranlé  les  esprits.  La  faction  des  seigneurs  qui  venait  de 
voir  d'Épemon  désarmer,  après  tant  d'autres,  et  qtii  allait 
chaque  jour  s'aflaiblissant,  crut  avoir  trouvé  l'occasion  de  se 
relever,  de  reprendre  d'un  coup  tous  ses  avantages,  lis  espé- 
rèrent que  Henri,  au  milieu  du  dénûment  où  il  se  trouvait, 
leur  aliénerait  pour  prix  d'un  secours  présent  la  souveraineté 
publique,  et  rétablirait  en  leur  faveur  l'organisation  et  la 
puissance  féodales.  Dans  Saint-Quentin ,  ils  lui  ofTrirent  de 
mettre  à  sa  disposition  une  armée  nombreuse  et  bien  payée, 
qui  semblait  alors  indispensable  à  la  défense  du  pays ,  s'il 
consentait  «  à  ce  que  ceux  qui  avoient  des  gouvernements 
»  par  commission  les  pussent  jyosséder  en  propriété,  en  re- 
»  connaissant  les  tenir  de  la  couronne  par  un  simple  honi'- 
»  mage  lige,  m  Ahisi  aux  gouvernements  auraient  été  suIh 
stitués  les  tiefs  :  la  propriété  et  l'hérédité  aivaient  remplacé 
l'ordre  actuel  suivant  lequel  le  roi  nommait  à  chaque  va- 
cance pour  gouverneur  celui  qui  lui  donnait  le  plus  de  ga- 
ranties de  capacité  et  de  fidélité,  et  Otait  les  gouvernements 
aux  indignes  et  aux  séditieux ,  comme  il  venait  de  le  prati- 
quer à  l'égard  de  d'Ëpemon  pour  la  i'rovence.  Les  seigneurs 
avaient  entraîné  dans  leurs  projets  les  prhices  du  sang  et 
persuadé  au  duc  de  Montpensier  de  porter  au  roi  leur  pro- 
position. Henri  n'avait  pas  alors  d*eufants  légithnes  :  il  flt 


Propotiiion 

féoiJaU 

des  seignears . 


'  Lcttret  mluivei  des  46  et  Si  mai,  et  dn  8  aoAt,  t.  IV,  p.  581,  586, 
590,  (>54,  G35.  —  SuU]f,OEcon.  roy.,  r.  6t,  p.  SOI  A.  —  TbiuiniM,  1.  cxvi, 
t.  xu.  iraducl.,  p.  644-4M6  ;  I.  cxvii,  U  ziu,  p.  48.  —  P.  Oiyet,  I.  viii, 
y,  73tt.7»). 


302  HISTOmS   DU  RÈGNE   DE  HENRI  IV. 

facilement  comprendre  au  duc  de  Montpensier  et  aux  princes 
de  sa  famille  qu'ils  demandaient  la  d<^gradation  de  la  royauté 
à  laquelle  les  événements  pouvaient  d'un  moment  à  l'autre 
les  appeler  ;  il  parvint  à  les  tirer  de  la  ligue  des  seigneurs  et 
même  à  les  rendre  ses  contradicteurs  et  ses  adversaires  >. 

Ligae  oflensWe      Tandis  quc  Henri  préservait  ainsi  TÉtat  de  nouveaux  trou* 
"^^•Tec^^^     blés,  d'un  nouvel  affaiblissement,  il  lui  cherchait  au  dehor» 

*'t°H*îf"*  ^  ^^"^  ^^^^^  ^^  ^^*  appuis  contre  la  persistante  cl  redoutable 
attaque  des  Espagnols.  Les  mécontentements  d'Elisabeth  « 
servis  par  la  complaisance  ou  l'aveuglement  de  ses  ministres, 
avaient  été  pour  moitié  dans  la  prise  de  Calais.  Getle  con* 
quête  des  Espagnols  était  si  menaçante  pour  l'Angleterre, 
qu'elle  avait  excité  une  fermentation  dangereuse  et  presque 
une  sédition  parmi  le  peuple  de  Londres.  Longtemps  avant 
cet  événement ,  Henri  avait  proposé  à  Elisabeth  une  ligue 
offensive  et  défensive  contre  l'Espagne,  et  lui  avait  demandé 
l'aide  nécessaire  pour  combattre  leur  commun  ennemi,  alors 
que  la  France  épuisée  après  une  si  longue  guerre  civile  et 
étrangère  ne  pouvait  plus  supporter  seule  le  poids  de  la 
lutte.  Les  ouvertures  du  roi  n'avaient  été  accueillies  que  par 
les  froideurs  et  même  les  insultes  de  la  cour  d'Angleterre. 
Ces  dispositions  changèrent  après  la  prise  de  Calais  et  les  ma- 
nifestadons  du  peuple  de  Londres.  Les  ambassadeurs  français 
furent  écoutés  avec  plus  de  faveur  et  amenèrent  la  reine  et  ses 
ministres  à  convenir  d'une  ligue  offensive  et  défensive  dans  la- 
quelle se  trouvaient  les  deux  clauses  suivantes  :  que  le  roi 
de  France  et  la  reine  d'Angleterre  défendraient  réciproque- 
ment leurs  Ëtats  ;  qu'ils  porteraient  la  guerre  dans  ceux  du 
roi  d'Espagne.  Le  roi  obtenait  en  outre  quelques  avantages 
particuliers,  dont  il  avait  dans  les  circonstances  présentes  le 
plus  pressant  besoin  ,  tels  qu'un  corps  de  quatre  mille  sol- 
dats auxiliaires  et  une  somme  de  soixante  mille  livres.  Jus- 
qu'alors Elisabeth  avait  accordé  des  secours  à  Henri ,  mais 
elle  avait  constamment  refusé  de  déclarer  la  guerre  à  Philippe 
et  de  la  porter  sur  son  territoire,  dans  la  crainte  des  repré- 
sailles. Les  nouvelles  conditions  forent  arrêtées  le  26  mai  : 
bien  que  le  traité  n'ait  reçu  que  trois  mois  plus  tard  les  signa- 
tures des  parties  contractantes  et  les  dernières  formalités, 

•  Sollj,  OEron.  roy.,  c.  01,  t.  I,  p.  90t,  901 


PRISE  DE  CADIX  :  BANQUEROCTE  DE  PHILIPPE  II.        303 

rexécadon  commença  presque  immédiatement  La  Hollande, 
dès  le  principe,  prit  part  aux  hostilités  comme  placée  sous  le 
protectorat  de  TAngleterre  ;  bientôt  après  elle  accéda  à  la 
ligne  déjà  conclue  par  la  France  et  par  TAngleterre  K 

La  flotte  combinée  d'Angleterre  et  de  Hollande  parut  en  Pris«dec«dix 
rade  de  Cadix  à  la  fin  du  mois  de  Juin,  détruisit  après  un  dJI'AHois. 
combat  acharné  la  flotte  espagnole,  assiégea  et  prit  Cadix  le 
i*'  août,  s'empara  de  richesses  immenses  provenant  du  pil- 
lage de  la  ville,  des  marchandi<ies  destinées  pour  les  Indes , 
du  chargement  de  dix-huit  vaisseaux  qui  arrivaient  en  ce 
moment  dans  le  port  de  Cadix  avec  les  lingots  du  nouveau 
monde.  Depuis  huit  ans  qu'il  avait  commencé  les  hostilités 
contre  rAngleterre  et  la  France,  Philippe,  pour  la  première 
fois,  était  attaqué  en  Espagne,  au  centre  même  de  sa  monar- 
chie :  une  partie  de  sa  marine  avait  été  détruite,  et  quoique 
les  maladies  contraignissent  les  ailiers  à  évacuer  Cadix,  le  coup 
que  sa  puissance  et  sa  réputation  venaient  d'essuyer  était 
Infiniment  sensible.  De  plus, il  avait  souffert  des  pertes  ma- 
térielles immenses  :  le  pillage  de  Cadix  et  la  prise  des  galions 
d* Amérique  lui  avaient  causé  un  préjudice  de  20  millions  de 
ducats,  plus  de  60  millions  du  temps.  Ces  dommages  furent 
accrus  par  les  attaques  de  Henri,  qui,  presque  en  même  temps 
que  ses  alliés,  envahissait  une  autre  partie  de  la  monarchie 
espagnole.  Les  Français ,  sous  la  conduite  du  nouveau  ma- 
réchal de  Biron ,  ravagèrent  deux  fois  l'Artois  dans  le  cours 
du  mois  de  septembre,  en  emportèrent  un  immense  butin, 
un  mois  après  que  les  Anglais  et  les  Hollandais  avaient  pris  et 
pillé  Cadix'. 

Ces  perles  multipliées  jetèrent  un  si  grand  désordre  dans     R.inqa^route 
les  finances  de  Philippe  II  que  le  20  novembre  il  fit  une  **•  PhiUpp»  u. 
seconde  banqueroute.  Il  annonça  qu'il  cessait  de  payer  les 
intér<^ts  des  sommes  qui  lui  avaient  été  prêtées  par  les  l>an- 
quiers  d'Espagne,  d'Italie,  d'Allemagne  et  des  Pays-Bas; 

*  La  ligne  oReiuÎTe  et  défensive  entre  U  France  et  rAngleterre  fut 
convenue  ot  arrêtée  le  96  mal  :  elle  fut  lignée  par  le  roi  de  France  le  S) 
aoèt.  Les  Étati  des  ProvIncea^Uniet  y  accédèrent  le  SI  octobre  15M  :  le  roi 
ratifia  le«  conTcntlons  faites  avec  eux  an  mois  de  janricr  1797.  Biais  bien 
aTaot  que  tontes  ces  lenteurs  de  la  diplomatie  fussent  dpnisees,  et  dès  la 
fin  dn  mois  de  |nin  1596,  les  conféde'rés  firent  un  mal  infini  en  roi 
d'Espagne. 

»  ThnaniH,  I.  c»TI,  SS  *<>-*5,  t.  V,  p.  007-691.  et  I.  CXVU,  «S  tO,  II, 
p.  616, 660, 651.  -  P.  Cajf  t,  1.  tdi,  p.  741  B,  749  B,  74S.  1U,  740. 


30/i  HISTOIRE  DU  BÈGNE  DE  HENRI  IT. 

qu*il  leur  6tait  de  plus  le  gage  de  leurs  créances,  en  leur 
retirant  les  produits  des  revenus  et  domaines  royaux  sur 
lesquels  leurs  créances  avaient  été  assignées,  en  déclarant 
que  les  deniers  provenant  de  ces  revenus  et  domaines  se- 
raient désormais  versés  dans  ses  coffres.  Il  les  frustrait  à  la 
fois  du  capital  et  des  intérêts.  Ce  vol,  qui  ruina  les  princi- 
pales maisons  de  banque  de  TEurope,  lui  rendait  la  Jouis- 
sance de  ses  revenus  dans  Tavenir,  mais  il  augmenta  ses 
embarras  dans  le  présent.  Depuis  l(mgtemps,  il  vivait  non  de 
ses  revenus  épuisés,  mais  des  avances  que  les  banquiers  lui 
faisaient  :  les  banquiers  cessèrent  tout  à  coup  de  verser  on 
seul  ducat  dans  ses  caisses,  et  il  se  trouva,  lui  et  ses  gouver- 
neurs, dans  un  dénûraent  complet  d'argent.  L'archiduc 
Albert  d'Autriche  vit  ses  lettres  de  change  protestées,  et, 
faute  de  deniers,  fut  réduit  pendant  quatre  mois  à  une  entière 
inaction^ 

Dans  le  même  temps,  Henri  adoptait  des  mesures  dont 
les  unes  donnaient  pour  garantie  aux  créanciers  de  TÉtat  la 
fortune  publique  et  sa  fortune  particulière  ;  dont  les  autres 
tendaient  à  diminuer  les  dilapidations  des  financiers ,  en 
attendant  qu'une  réforme  générale  les  détruisit.  Sans  entrer 
encore  dans  un  état  prospère,  le  roi  et  la  France  allaient  au 
moins  sortir  de  la  détresse,  et  trouver  de  nouvelles  ressources 
contre  leur  redoutable  ennemi,  le  roi  catholique. 


CHAPITRE  IIL 


RosDj  entre  aa  conseil  des  fiDances  :  commencement  de  réforme  peitieUf  : 

cflbrti  des  diiapitlatcurs  pour  perdre  Rosnj. 

Roiny  entre  en       Après  la  prisc  de  La  Père  et  vers  le  milieu  de  Tannée  1596, 
Son  voyage      Hcuri  découvrit  quc,  malgré  des  promesses  récentes  et  cou- 
dant cinq  gène-  traires,  le  conseil  des  finances  persévérait  dans  ses  mal- 
versations. Il  acquit  la  preuve  que  Ton  avait  vendu  pour 
30,000  écus,  c'est-à-dire  à  vil  prix,  les  aides  de  Normandie  ;  que 
le  prix  en  provenant  ne  serait  même  pas  versé  dans  ses  caisses, 

'  Thu&nus,  I.  cxvii,  S  H.  t.  V,  p.  651.—  P.  Cayot,  1.  viii,  p.  746, 

•  Lesquelles  assignations  baillées  sur  tous  ci  quelconques  de  s<*s  domaines, 

•  il  tenoit  «n  suspens  et  vouloit  que  les  marchands  n'en  pussent  iouir  et 
>  les  reccTotr,  ains  que  les  deniers  qui  en  prucederoient  scroicnt  remit  en 
a  ses  coffres,  et  que  tous  rontracts  d'intérêts  cessassent.  • 


ROSNY  ENTRR  AU  CONSEIL   DES  FINANCES.  305 

mais  appliqué  an  paiement  d'anciennes  dettes  prétendues  ; 
que  les  cinq  grosses  fermes,  gabelles  du  sel  et  parties  ca- 
suelles,  étaient  données  à  ferme  pour  le  quart  seulement  de 
ce  qu'elles  valaient ,  les  membres  du  conseil  des  finances 
étant  intéressés  dans  les  baux  avec  les  financiers  auxquels 
les  baux  avaient  été  passés.  Ces  deux  points  particuliers  éta- 
blis, il  en  conclut  que  dans  les  diverses  parties  de  l'admi- 
nistration des  finances ,  il  était  «  mal  servi  et  dérobé.  » 
Pour  remédier  au  mal,  il  fallait  d'abord  le  reconnaître,  le 
voir  par  des  yeux  éclairés  et  intègres.  Dans  ce  but,  il  fit 
entrer  Rosny  au  conseil  de&finances,  et  lui  délivra  les  pro- 
visions de  sa  charge  vers  le  milieu  du  mois  d'octobre  1596. 
C'est  une  époque  mémorable  dans  l'histoire,  non  pas  seule- 
ment des  finances  et  des  ressources  intérieures  du  royaume, 
mais  aussi  de  son  gouvernement,  car  la  royauté  sortit  bientôt 
de  l'état  précaire  et  de  la  faiblesse  auxquels  elle  avait  été 
réduite  jusqu'alors,  et  prit  sur  ses  ennemis  du  dedans  comme 
du  dehors  un  ascendant  irrésistible.  Dès  son  entrée  au  con- 
seil des  finances,  Rosny  obtint  du  roi  l'autorisation  de  visiter 
quatre  généralités  ou  recettes  générales.  De  cette  enquête 
devaient  résulter  deux  eflets,  l'un  spécial  et  présent,  l'autre 
général  et  à  venir.  D'une  part,  il  devait  essayer  par  tous  les 
moyens  de  ramasser  une  somme  de  trois  ou  quatre  cent  mille 
écus  que  le  roi  demandait  en  vain  depuis  longtemps  à  son 
conseil  des  finances,  et  dont  il  avait  indisponsablement  be- 
soin pour  continuer  la  guerre  contre  l'Espagne.  D'un  auti-e 
cùté,  Rosny  voulait  s'instruire  du  produit  exact  des  impôts 
et  des  revenus  royaux,  de  la  manière  dont  ils  avaient  été 
administrés  jusqu'alors,  des  améliorations  dont  ils  étaient 
susceptibles ,  et  il  comptait  faire  servir  ces  connaissances  à 
la  réforme  des  finances  sur  une  échelle  plus  ou  moins  grande, 
selon  que  son  autorité  serait  plus  ou  moins  étendue.  Pour 
arriver  à  connaître  la  vérité,  il  fallait  obtenir  des  renseigne- 
ments suffisants  des  divers  officiers  de  finances,  et  s'ils  refu- 
saient de  les  fournir,  avoir  les  moyens  de  les  contraindre. 
Rosny  se  munit  des  pouvoirs  nécessaires  avant  de  commencer 
la  visite  des  généralités.  A  son  arrivée,  les  trésoriers  de 
France,  élus,  contrôleurs,  greffiers  des  bureaux  et  élections, 
receveurs,  poussés  par  le  conseil  des  finances  lui-même,  ou 
s'absentèrent  ou  refusèrent  de  lui  rien  dire  et  de  produire 

20 


300  HISTOTRR   DU   RJ:r.NR   DE   nENRI  IV. 

aucun  registre.  Il  les  interdit  et  suspendit  tous  de  leurs 

offices,  et  en  amen<i  plusieurs  h  la  soumission  par  la  crainte. 

Commence-         H  choisit  alors  parmi  eux- deux  trésoriers  en  chaque  bu- 

de  réforme  par-  Fcau,  et  dcux  élus  en  chaque  élection,  pour  remplir  lesfonc- 

tieiie.         y^jn5  ^j^»  j^Qg^  II  obtint  d'cux:  1"  les  comptes  et  les  états  de 

Somme  notable  ,  ,  ,    ,  «  <^    ■ 

foamieauroL  Tannée  courantc  et  des  quatre  années  précédentes  ;  2*  le  re- 
levé exact  de  tous  les  prélèvements  faits  à  titre  quelconque 
sur  les  divers  impôls  avant  quMls  fussent  versés  dans  les 
caisses  du  roi  :  il  sut,  par  exemple,  que  les  intérêts  de  telle 
dette  étaient  pris  d'avance  sur  les  gabelles,  et  que  telle  pen- 
sion était  acquittée  d'avance  aussi  sur  les  aides.  Ces  antici- 
pations étaient  la  cause  de  la  moitié  au  moins  des  désordres, 
comme  nous  le  verrons  bientôt.  Il  possédait  dès  lors  les 
documents  nécessaires  pour  établir  les  principes  d'une  ré- 
forme financière.  Il  s'occupa  en  même  temps  du  soin  de 
ramasser  les  sommes  dont  Henri  avait  un  si  pressant  be- 
soin. 11  n'examina  les  comptes  que  de  quatre  généralités 
pendant  quatre  ans  et  l'année  courante  :  parmi  les  in- 
nombrables articles  de  dépense ,  il  n'apura  que  ce  qui  con- 
cernait les  assignations  pour  de  vieilles  dettes,  le  rembourse- 
ment de  prêts,  les  arrérages  de  gages,  les  rentes  et  pensions 
à  des  gens  obscurs  et  indignes,  les  rescriptions  en  blanc  ou 
sous  des  noms  supposés.  Et  sur  ces  seuls  articles,  soit  en  re- 
fusant le  paiement,  soit  en  exigeant  le  remboursement,  toiUes 
les  fois  qu'il  n'y  avait  pas  titre  suffisant,  ou  qu'il  y  avait  fraude 
manifeste,  il  rassembla  500,000  écus,  c'est-à-dire  1,500,000 li- 
vres du  temps  (environ  5,/i90,000  francs  d'aujourd'hui).  Il 
plaça  ces  sommes  sur  soixante-dix  charrettes,  et  les  conduisit 
à  Rouen,  où  se  tenait  alors  l'assemblée  des  notables. 

Si  un  sévère  examen  des  titres  et  ime  comptabilité  régu- 
lière s'établissaient  dans  les  finances,  dès  lors  la  source  des 
grâces  pour  les  pensionnaires  abusifs,  et  des  gains  Illicites 
et  énormes  pour  les  financiers,  était  tarie.  Ils  firent  donc 
d'incroyables  efforts  pour  perdre  Rosny  sur  sa  première 
démarche.  Pendant  son  absence,  ils  publièrent  qu'il  avait 
usé  de  ses  pouvoirs  avec  une  tyrannie  qui  rendait  le  roi 
(Mlieux  ;  qu'il  avait  rempli  les  prisons  des  officiers  et  des 
commis  des  finances;  que  par  un  raffinement  de  cruauté  et 
d'insolence,  il  traînait  à  sa  suite  cinquante  des  principaux 
d'entre  eux  enchaînés.  Ils  ajoutaient  que  l'argent  ramassé 


EFFORTS  FAITS  POUR  PERDRE  ROSIfY.  307 

par  Rosny  était  le  produit  des  plus  violentes  «exaciions  exer- 
cées sur  le  peuple  ;  que  ces  rigueurs  n^auraient  même  pas 
le  mérite  de  soulager  le  roi  ni  l'État,  puisque  les  sommes 
dont  Rosny  remplissait  le  trésor  avec  tant  de  peine  étant 
celles-là  même  sur  lesquelles  étaient  assignées  les  pétlstons 
des  princes  du  sang,  du  connétable  et  des  autres  grands  offi- 
ciers de  la  couronne,  de  la  foule  de  ceux  qui  s'étaient  déclarés 
pour  le  roi,  surtout  dans  les  derniers  temps,  ce  prince  serait 
réduit  ou  à  rendre  d'une  main  ce  qu'il  recevait  de  l'autre, 
ou  à  s'exposer  à  un  mécontentement  général  et  peiitM(tv«  ft 
une  dangereuse  défection.  Les  financiers  espéraient  faire 
condamner  Rosny  avant  qu'il  fût  entendu,  et  ils  soulevèrent 
tant  de  clameurs  contre  lui  qu'ils  ébranlèrent  le  roi.  Toute- 
fols  Henri  s'arrêta,  heureusement  pour  la  France,  à  la  réso- 
lution d'examiner,  et  à  la  première  explication  avec  Rosny, 
il  se  convainquit  que  toutes  les  allégations  de  ses  ennemis 
étaient  autant  d'Impostures.  Battus  sur  ce  terrain,  les  finan- 
ciers et  les  courtisans  se  placèrent  aussitôt  sur  un  autre  pour 
continuer  leurs  attaques.  Ils  tentèrent  d'épuiser  en  quelques 
Jours  les  sommes  apportées  par  Rosny,  de  telle  sorte  qu'il  ne 
restât  ni  à  ce  fidèle  serviteur  le  mérite  d'avoir  secouru  le 
roi  dans  ses  nécessités,  ni  à  Henri  les  ressources  nécessaires 
pour  tenir  tête  à  l'étranger  et  au  parti  aristocratique.  Ceux 
qui  étaient  chargés  de  la  solde  des  Suisses  réclamaient 
30,000  écus,  quand  ils  en  avaient  10,000  seulement  à  payer. 
Une  nuée  de  créanciers  de  l'État  prétendaient  être  remboursés 
Immédiatement  sur  l'argent  voiture  à  Rouen,  dont  il  ne  serait 
pas  resté  un  seul  denier.  Knfin  les  agents  du  fisc  osaient  bien 
nier  une  partie  des  sommes  versées  par  Rosny  entre  leurs 
mains;  le  contrôleur  général  tenta  de  soustraire  par  ce  moyen 
90,000  écus  ou  370,000  livres  du  temps.  Rosny  ne  com- 
battit victorieusement  ce  vol  qu'en  produisant  quatre  borde- 
reaux conservés  par  lui  à  Tinsu  de  ses  ennemis,  dressés  pen- 
dant sa  visite  des  généralités,  et  signés  par  les  receveurs 
généraux  des  deux  dernières  années.  I^e  roi  resta  maître  des 
sommes  qui  lui  appartenaient,  et  les  appliqua  aux  prépara- 
tifs du  sii^ge  d'Arras,  qu'il  projetait  depuis  quelque  temps  <• 

*  Pour  rea  trois  paragraphes,  Sully,  OEcon.  roy.,  c.  67,  68«  09,  t.  i, 
p.  ttS-£î5.  —  Lettre  dn  roi  du  17  octobre  1506.  prouvant  qae,  dès  celle 
date.  llo«n7  est  entr^  au  conseil  dea  finances  et  a  été  charge'  de  visiter  quatre 
rrcettrN  générales.  (Leltra  miss.,  t.  IV,  p.  650.) 


308  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI   tV. 

Henri  r^ouide       Ktaîs  Cet  argent  était  à  peine  un  expédient  pour  les  l)esoins 
uDe°ttIi!!li"hié«  <!'**"  moment  et  pour  une  entreprise  particulière.  Il  fallait 
ât  noubies.     des  rcssources  bien  autrement  étendues  et  durables,  si  Ton 
voidait  terminer  honorablement  pour  la  France  la  guerre 
dangereuse  et  prolongée  qu^elle  soutenait  contre  TEspagne, 
si  Ton  prétendait  fournir  aux  dépenses  des  divers  services 
publics,  la  plupart  interrompus.    Même  après  le  premier 
effort  de  Rosny,  les  contemporains  représentent  les  affaires 
de  Henri  comme  réduites  encore  à  Textrémité,  et  les  moyens 
les  plus  violents  comme  indispensables  à  leur  rétablissement^ 
On  ne  pouvait  trouver  de  ressources  que  dans  la  réforme  et 
Tamélioration  des  branches  de  revenus  publics  déjà  existants, 
et  dans  rétablissement  au  moins  temporaire  de  nouveaux 
impôts.  Pour  Tune  comme  pour  Tautre  mesure,  le  concours 
et  Tautorité  d*une    assemblée  nationale  étaient  indispen- 
sables. Henri  avait  à  choisir  entre  des  États-généraux  et  une 
assemblée  de  notables.  En  droit,  la  seule  prérogative  des 
États-généraux  était  de  présenter  des  remontrances  et  des 
avis,  que  la  royauté,  seule  dépositaire  de  la  puissance  légis- 
lative, se  réservait  d'admettre  ou  de  rejeter.  En  fait,  les 
Élats-généraux,  forts  de  leur  nombre  et  de  l'ascendant  qu'ils 
exerçaient  dans  les  provinces,  réduisaient  tout  roi  faible  ou 
embarrassé  à  vouloir  ce  qu'ils  voulaient  ;  et  quand  ils  obéis- 
saient à  l'esprit  de  fanatisme  ou  de  faction,  ils  précipitaient 
l'État  dans  la  guerre  civile  et  dans  l'anarchie.  C'est  la  con- 
duite qu'avaient  tenue,  sous  Henri  IH,  les  États  de  1577  et 
ceux  de  1588.  L'autorité  de  Henri  iV  était  trop  récemment 
reconnue  par  la  moitié  du  royaume,  trop  mal  affermie,  pour 
qu'il  pût  convoquer  des  États-généraux  sans  compromettre 
la  paix  et  l'ordre  public  à  peine  renaissants.  Le  plus  libre  et 
le  plus  hardi  des  contemporains,  d'Aublgné,  ne  laisse  aucun 
doute  h  cet  égard.  Après  avoir  annoncé  l'assemblée  des  no- 
tables, il  ajoute  :  «  Les  troubles,  qui  n'estoient  pas  esteints 
»  par  la  France,  ne  permcttoient  une  plus  grande  convoca- 
p  tion  ;    les  cœurs  des  peuples  n'estoient  pas  encore  assez 
»  ployez  à  l'obéissance,  comme  il  parut  par  les  esmotions  qui 

*  Laforce,  lettre  à  sa  femme  du  9  janvier  1507  ;  il  rappelle  quel  a  éié 
iVlal  des  l'iDonces  dans  li*s  derniers  mois,  et  il  dit  :  «  On  craint  i|ue  !•• 
m  notables  Teuillent  retarder  tous  les  |i;i\«*menti  pour  un  an  ou  deux,  afin 
V  de  relever  les  aflairrs  ci  a  ro^,  car  on  sVst  trouré  tout  à  coup  A  Vwx» 
»  tréoiité.  »  (Mem.  de  Laforce,  1. 1,  p.  SSO.) 


NOTABLES  DE  BOUEKT.  DISCOURS  DV  ROI.  309 

»  survinrent'.  »  Wais  Henri  voulut,  d'un  autre  côté,  que  la 
première  assemblée  nationale  réunie  sous  son  r^gne  fût  libre 
sans  Hre  Tactieuse.  Il  ne  nomma  pas  lui-même  les  notablctt, 
il  ne  les  fit  pas  nommer  par  les  gouverneurs  de  provinces  ; 
Il  en  laissa  le  choix  au  clergé,  à  la  noblesse,  au  tiers-étaU 
Dès  le  principe,  il  annonça  l'intention  de  ne  leur  prescrire 
aucunes  règles,  formes  ni  limites >.  Enfin,  nous  allons  le  voir 
leur  livrer  tous  les  pouvoirs  qu'ils  pouvaient  exercer  sans 
danger  pour  la  chose  publique.  Lors  donc  que  des  écrivains 
modernes  lui  imputent  d'avoir  nommé  lui-même  les  nota- 
bles, d'avoir  préféré  les  notables  aux  ËUts-généraux  pour  avoir 
meilleur  marché  des  libertés  publiques,  pour  continuer  le  sys- 
tème du  pouvoir  absolu  et  du  bon  plaisir,  ils  mettent  des 
accusations  passionnées  à  la  place  de  la  vérité  3. 


aiAPlTHE  IV. 

Aisembl^  dci  noUbles  à  Rouan.  G>iiseU  d«  raison  (1S96, 15U7). 

Les  notables  se  réunirent  h  Rouen  au  nombre  de  quatre- 
vingts  :  neuf  du  clergé,  dix-neuf  de  la  noblesse,  cinquante- 
deux  du  tiers-état,  ces  derniers  presque  tous  membres  des 
parlements  ou  des  cours  des  comptes.  Le  roi  ouvrit  leur 
assemblée,  le  U  novembre  1596,  par  un  discours  qui  est  dans 
le  souvenir  de  tous  les  bons  citoyens,  a  Si  je  voulois,  dit-il^ 
»  acquérir  le  titre  d'orateur,  j'aurois  appris  quelque  belle  et 
»  longue  harangue,  et  je  vous  la  prononcerois  avec  assez  de 
»  gravité.  Mais,  messieurs,  mon  désir  me  pousse  à  deux  plus 
»  glorieux  titres,  qui  sont  de  m'appeler  libérateur  et  restau- 
»  rateur  de  cet  Estât.  Pour  à  quoi  parvenir  je  vous  ai  assem- 
»  blés.  Vous  savez  à  vos  dépens,  comme  moi  aux  miens,  que 

<  D'AuhUné,  1.  !▼,  c.  14,  U  ui,  p.  38S;  Mttillv,  16^.  --  Legmiu,  Dec, 
I.  VI,  p.  5*0. 

*  Sully,  OKcon.  roT.,  c.  60, 1.  i,  p.  9S2  D.  m  Que  comme  il  iravoil  uull«- 
m  mrnl  voulu  imilcr  le»  ruys  ses  devanciers  en  Voffectation  et  dèsignatiott 
m  de  ctfrtnins  lii'putet  puriicuUert  à  sa  fnntntsie^  pour  m  di»|iOicr  mIoo 
»  icelle,  «oitl'oune,  soit  mauvaise,  mai»  en  avoit  deC'cit*  la  nomination  k 
m  ceux  df  l'F(;li<e,  de  la  noblesse  et  du  peuple,  aussi  ne  vouloit-il  mainte» 
m  nant,  qu'ils  osloient  a^trmbles  en  corps,  pieKrtr*  aucanes  rè|let, 
m  fof  mes,  homes,  ay  limites.  » 

•  M.  de  Sumondi,  Uisl.  des  Fri)U(.,  t.  sii,  p.  443,  446. 


310  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI   IV. 

n  lorsque  Dieu  m'a  appelé  à  cette  couronne,  J'ai  trouvé  la 
»  France  non  seulement  quasi  ruinée,  mais  presque  toute 
»  perdue  pour  les  François.  Par  la  grâce  divine,  par  les 
»  prières  et  par  les  bons  conseils  de  mes  serviteurs  qui  ne  font 
»  profession  des  armes  ;  par  Tépée  de  ma  brave  et  généreuse 
»  noblesse,  de  laquelle  je  ne  distingue  point  les  princes,  pour 
»  être  notre  plus  beau  titre  ;  foi  de  gentilbonmie,  par  mes 
»  peines  et  labeurs,  je  Tai  sauvée  de  la  perte.  Sauvons-la  à 
»  cette  heure  de  la  ruine.  Participez,  mes  chers  sujets,  à  cette 
n  seconde  gloire,  comme  vous  avez  fait  à  la  première.  Je  ne 
I»  vous  ai  point  appelés,  comme  faisoient  mes  prédécesseurs, 
n  pour  vous  faire  approuver  leurs  volontés.  Je  vous  a!  fait 
»  assembler  pour  recevoir  vos  conseils,  pour  les  croire,  pour 
»  les  suivre,  bref,  pour  me  mettre  en  tutelle  entre  vos  mains, 
»  envie  qui  ne  prend  guères  aux  rois,  aux  barbes  grises  et 
»  aux  victorieux.  Mais  la  violente  amour  que  je  porte  à  mes 
»  sujets,  Textréme  envie  que  j'ai  d'ajouter  ces  deux  beaux  titres 
»  à  celui  de  roi,  me  font  trouver  tout  aisé  et  honorable^  » 
Le  chancelier  prit  ensuite  la  parole  pour  développer  et  expli- 
quer les  intentions  du  roi,  et  pour  adresser  des  propositions 
à  l'assemblée.  Dans  la  première  partie,  il  conviait  les  notables 
à  prendre  avec  réflexion  et  maturité  les  mesures  les  plus 
propres  à  réformer  l'État.  Dans  la  seconde,  U  ne  s'occupait 
que  du  danger  présent  et  des  moyens  de  le  conjurer.  Jl 
s'agissait  de  trouver  sans  retard  les  sommes  nécessaires  au 
roi  pour  résister  à  l'étranger,  et  préserver  le  royaume  de 
l'invasion  de  l'Espagnol,  déjà  maître  des  villes  frontières. 
Le  domaine  du  roi  était  entièrement  engagé  ;  son  crédit  chez 
ses  alliés,  la  reine  d'Angleterre,  les  Hollandais,  les  Suisses, 
les  prbices  d'Allemagne ,  était  tout  à  fait  épuisé ,  et  il  ne 
fallait  pas  compter  sur  eux  pour  de  nouveaux  emprunts.  U 
était  donc  nécessaire  de  tirer  de  la  nation  l'argent  dont  on 
avait  besoin.  Le  roi  connaissait  la  profonde  misère  du  peuple 
et  en  gémissait  :  aussi  suppliait-ii  les  notables  de  choisir 
parmi  les  mesures  à  adopter  celles  qui  lui  seraient  le  moins 
pesantes,  qui  étendraient  les  charges  à  tous  les  ordres  indis- 

'  Ce  discourt,  imprimé  en  dernier  lieu  sur  l'original  dans  lei  Lettres 
missives,  t.  iv,  p.  657,  658,  se  troaTe  déjà  complet  et  pur  de  toute  alté- 
ratiou  dans  P.  Coyet,  1.  Vili,  p.  746,  747,  et  dans  les  Mém.  de  lu  Ligue, 
t,  VI,  p.  364.  Pu rlont  ailleurs  il  est  tronque'  cl  aUcrc.  Nous  n'avons  changé 
que  rorthographe. 


I'K0I»USIT10>  d'établi  il   t.\  GULVi:nMÙUi:>T  MIXTK.    311 

tiuctcment,  qui  pcrniettraicnl  de  Iovit  les  dciiiiTs  le  plus 
Insensiblemeul  que  faire  me  pourrait,  et  avec  la  moindre 
oppression  du  peuple  *. 

CiCttc  demande  d'un  prompt  secours  pour  satisfaire  ù  une         >'•  rai 
jK^cossité  du  moment  ne  forme  dans  les  propositions  du  roi       stimer  im 
et  du  chancelier  que  la  partie  spéciale,  limitée,  secondaire,    ««««^«rneineoi 
11  en  e&t  une  autre  restée  inaperçue  jusqu'ici ,  mais  bien  potivoirabMiu. 
plus  générale,  bien  plus  importante ,  où  ils  provoquent  un 
changement  fondamental  dans  le  système  du  gouvernement 
et  de  Tadministration.  Le  roi,  par  dMiéroIques  efforts ,  pres- 
que exclusivement  avec  ses  ressources  et  son  crédit  person- 
nels ,  avec  Taide  d'un  certain  nombre  de  serviteurs  fidèles 
bien  plus  qu'avec  le  concours  de  la  nation  engagée  par  moitié 
dans  la  Ligue,  a  préservé  jusqu'ici  le  royaume  de  l'invasion 
étrangère  et  du  démembrement  intérieur.  A  ce  régime  che- 
valeresque et  en  grande  partie  féodal,  doit  succéder  un  sys- 
tème politique  dans  lequel  la  nation   entière  prenne  une 
part  aux  événements  qui  vont  décider  de  son  sort,  et  se 
charge  elle-même  de  ses  destinées.  Philippe  U  et  l'Espagne 
continuent  à  la  menacer  et  envahissent  sa  frontière  :  dans  la 
défense  du  territoire ,  elle  doit  seconder  le  roi  et  ses  servi- 
teurs qui  ne  suiDsent  plus  seuls  à  cette  tâche.  Tout  occupé 
de  la  guerre,  Henri  n'a  pu  ni  détruire  les  abus  du  règne  pré- 
cédent ,  ni  réprimer  durant  les  premières  années  de  son 
i*ègne  les  malversations  de  ses  propres  agents,  les  désordres 
et  la  désorganisation  nés  de  l'anarchie.  Autre  devoir,  autre 
travail  pour  la  nation  appelée  à  examiner  et  à  discuter  les 
affaires,  à  se  mêler  d'administration  et  de  finances,  à  inter- 
poser son  autorité  pour  réduire  et  dompter  les  défenseurs 
intéressés  et  tout-puissants  dos  abus.  Ces  obligations  nou- 
velles lui  donnent  an  droit  nécessaire  à  une  portion  de  la 
souveraineté.  Aussi  le  roi  renonce-t-il  à  imposer  désormais 
ses  volontés  pour  lois  :  il  offre  de  partager  avec  ses  repré- 
sentants le  pouvoir  législatif  et  le  gouvernement  du  pays. 
C'est  donc  de  sa  part  une  tentative  sérieuse  de  substituer  au 
pouvoir  absolu  un  gouvernement  mêlé  de  démocratie  et  de 
royauté ,  un  gouvernement  représentatif,  comme  nous  di- 
rions aujourd'hui.  Si  les  intentions  et  les  offres  de  Henri 

'  Mrm.  de  Cheveruy,  coll.  Blichand,  t.  X,  p.  S3I.  — >  Legiain,  Décade, 
I.  VI,  p.  331,  nf' 


312  HISTOIRE   DU    RÈOE   DE  HENRI    IV. 

n'avaient  ëlé  tels ,  sa  propre  conduite  et  les  actes  des  no- 
tables, au  milieu  des  circonstances  qui  suivirent ,  devien- 
draient également  inexplicables. 
RaTCDUf  Les  revenus  publics  ne  montaient  qu'à  23  millions  du 

^  de^i596.  **  temps,  dont  16  millions  en  tailles  et  le  reste  en  autres  droits. 
Les  charges  montaient  à  16  millions.  D*où  il  résultait  que 
pour  subvenir  aux  frais  de  la  guerre ,  pour  entretenir  les 
fortifications,  les  grands  chemins,  les  ponts  et  chaussées,  la 
maison  du  roi ,  sans  parler  de  la  marine,  dont  il  n'était  pas 
alors  question,  l'État  ne  pouvait  disposer  que  de  7  mil- 
lions ^  Cette  somme  était  tout  à  fait  insuffisante,  et  les  no- 
tables résolurent ,  en  portant  les  recettes  de  23  millions 
à  trente ,  d'augmenter  les  ressources  de  7  millions.  Pour 
combler  la  différence  et  se  procurer  les  7  millions  en  plus,  ils 
résolurent  de  réformer  et  d'améliorer  quelques  unes  des 
branches  des  revenus  publics  pour  2  millions ,  et  d'établir 
un  nouvel  impôt  nommé  sou  pour  livre  ou  pancarte,  dont 
ils  estimèrent  le  produit  à  5  millions.  Ils  statuèrent  donc 
qu'on  lèverait  un  droit  d'entrée  d'un  sou  pour  livre  sur 
toutes  les  denrées  et  marchandises  qui  se  vendraient  désor- 
mais dans  les  villes,  bourgs,  bourgades,  foires  du  royaume, 
excepté  sur  le  blé  ^.  C'était  sous  un  autre  nom  les  octrois  et 
impôts  indirects  d'aujourd'hui ,  mais  étendus  à  un  bien  plus 
grand  nombre  d'objets.  La  plupart  des  impôts  de  l'ancienne 
monarchie  frappaient  le  peuple  seul ,  et  principalement  le 
peuple  des  campagnes.  Dès  l'établissement  du  sou  pour  livre, 
les  esprits  réfléchis  virent  clairement  que  le  nouvel  impôt 
était  plus  juste  et  plus  également  réparti.  L'un  des  contem- 
porains dit  en  termes  formels  :  «  C'est  la  plus  juste  et  la  pli» 
»  raisonnable  subvention  que  l'on  puisse  inventer,  parce 
»  que  toutes  personnes  y  contribuent  et  à  l'égal ,  selon  les 
»  facultés  d'un  chacun,  sans  qu'il  soit  besoin  de  les  discuter. 
N  Car  chacun  y  contribue  selon  qu'il  a  moyeu  d'avoir  des 
u  marchandises,  et  autant  l'ecclésiastique  et  le  noble  que  le 
B  roturier  et  non  privilégié  \  •  En  peu  de  temps  le  sou  pour 

*  Véroo  de  ForboDnaû.Rech.sarlea  fioancpi  delà  Fronce,  t.  i,  p.  38,39. 
■  SuUy,  OEcon.  roy.,  c.  70.  t.  i,  p.  S37  B.  et  STiQ  B.  —  Le  Uxte  rfii 

premier  ëdil  pour  la  Irvée  de  la  pancurte  uu  droit  d'enirëe  &ur  toutes  les 
deuréei  et  murrhandiiei  <*ii  toute»  villes,  boarg«,  bourgades,  foires  du 
roT»nine,  duos  Fontanuii,  t,  il,  p.  551. 

*  Legraio,  Decudc  de  Ueuii  le  Grand,  I.  vi,  p.  3t3,  iu-folio,  16U* 


REVENUS  PUBLICS  EN  1596.  CONSEIL  DE  RAISON.      313 

livre  devait  par  son  produit  permettre  de  diminuer  les  autres 
Impôts,  notamment  la  taille.  I^c  peuple  devait  donc  i*ac- 
cueillir  avec  transport  :  loin  de  là,  il  le  combattit  h  outrance, 
surtout  en  Poitou,  Saintonge,  Limosin,  P^^ri^ord,  Agenois, 
Quercy  K  Sa  résistance  s'explique  par  des  dispositions  per- 
manentes et  par  des  circonstances  particulières.  Le  peuple, 
surtout  dans  les  provinces  du  midi  de  la  France ,  a  fait  de 
tout  temps  une  violente  opposition  aux  nouveaux  impôts, 
quMl  a  considt^rés  comme  des  attentats  à  sa  liberté,  et  non 
comme  une  dette  payée  à  la  patrie.  Eu  1596,  la  misère  était 
au*  comble  :  un  impôt  sur  les  consommations  était  ajouté 
aux  impôts  personnels  que  la  nécessité  forçait  de  maintenir 
provisoirement  dans  leur  entier.  Le  peuple  fut  uniquement 
sensible  au  léger  renchérissement  dans  les  denrées  que  pro- 
duisait le  sou  pour  livre ,  ferma  les  yeux  sur  les  résultats 
avantageux  qu'il  devait  amener  plus  tard ,  et  s'opposa  avec 
fureur  à  son  établissement. 

Quand  les  notables  eurent  porté  fictivement  les  revenus  pu- 
blics à  30  millions,  ils  résolurent  d'en  faire  l'emploi  et  la  dis- 
tribution, et  dans  les  mesures  adoptées  par  eux,  ils  prirent  au 
mot  le  roi  qui  avait  dit  qu'il  se  mettait  en  tutelle  entre  leiurs 
mains.  Ils  établirent  un  Conseil  de  raison  dont  les  membres, 
pris  parmi  les  notables,  seraient  nommés  pour  la  première 
fois  (Mr  eux,  et  quand  des  vacances  surviendraient,  par  les 
parlements.  Ils  partagi'^rent  les  revenus  de  l'État  en  deux 
portions  égales  :  Tune  nationale,  l'autre  royale.  I^a  première 
portion  montant  à  13  millions  de  livres  ou  5  millions  d'écus, 
était  aflectée  aux  gages  des  officiers ,  aux  fiefs  et  aumônes , 
aux  rentes  et  à  leurs  arrérages,  aux  dettes  du  royaume  et  des 
particuliers.  Le  Conseil  de  raison  devait  disposer  d'une  ma- 
nière absolue  de  cette  moitié  des  revenus  publics ,  sans  que 
le  roi,  son  conseil,  les  parlements  pussent  apporter  le  moin- 
dre changement  h  la  destination  que  le  Conseil  lui  aurait 
donnée.  Iâi  seconde  portion ,  également  de  15  millions,  était 
attribuée  au  roi  et  au  conseil  des  finances  pour  les  dépenses 
de  sa  personne  et  de  sa  maison,  pour  les  frais  de  la  guerre, 
de  Tartillerie,  des  forlilications,  des  ambassades,  des  dons  et 

*  D^AubigDf^,  1.  IT,  c.  14,  t.  ni,  p.  399.  —  Plarioartdetconlemporain» 
nous  ««mhlcnt  avoir  jugr  le  loti  pour  livre  plus  Minemcnt  que  queli]ae« 
uns  ile«  lihtoriciii  lutHiernci. 


Le  CoDMÎl  dm 

raison, 

«rreur*  et  excès 

dei  noUbIca* 


314  HISTOIRIS  DC   RÈG.NE  D£  U£?(RI   IV. 

pensions  et  des  bâtiments  ■•  LHntention  de  la  plupart  des  dé- 
putés était  droite:  ils  avaient  dessein,  en  administrant  la  moi- 
tié des  revenus  publics,  d*empêcber  les  dilapidations  exercées 
jusqu*alor8  par  les  agents  royaux.  Mais  leur  imprudence  était 
extrême.  Les  moindres  inconvénients  de  leur  mesure  étaient 
de  troubler  et  de  confondre  tous  les  pouvoirs,  d'attribuer  à 
un  corps  délibérant,  auquel  le  pouvoir  législatif  convient  seul, 
Tadministration  qui  est  du  domaine  exclusif  du  pouvoir  exé- 
cutif, de  soustraire  à  tout  contrôle  et  à  toute  responsabilité 
tm  corps  qui  devenait  comptable.  Livrer  au  Conseil  de  raison 
la  moitié  des  revenus  publics ,  c'était  partager  effectivement 
la  royauté,  créer  un  État  dans  im  État ,  et  peut-être  donner 
à  Henri  les  plus  dangereux  ennemis  qu'il  eût  eus  encore.  En 
eflct ,  que  le  Conseil  de  raison  devint  un  seul  moment  acces- 
sible à  l'ambition  et  à  l'esprit  de  révolte,  il  attaquait  la  royauté 
avec  la  moitié  de  l'argent  de  la  France,  et,  en  abaissant,  en 
dégradant  le  roi,  il  replongeait  le  pays  dans  la  guerre  civile 
et  dans  l'anarchie.  Les  plus  factieux  et  les  plus  imprudents 
États-généraux  n'avaient  pas  surpassé  les  noiables  en  audace. 
Avii  du  coDscit  Les  ouvertures  des  notables  furent  accueillies  par  le  con- 
•nr  lei'propoti.  ^î^  du  roi  avec  indignation,  et  par  Henri  avec  crainte.  Uosny 

liotif         seul  lui  conseilla  secrètement  de  les  accepter,  en  se  fon- 
de* BOtablet.  ,  .,11  ,      ,. 

Avis  de  Rosoy.  daut  sur  des  raisons  Urées  de  la  connaissance  approfondie 
des  hommes  et  des  affaires.  La  continuation  de  la  guerre 
contre  l'Espagne  exigeait  impérieusement  qu'on  adoptât  des 
mesures  qui  augmentaient  réellement  les  revenus  publics, 
quoique  d'une  somme  bien  inférieure  à  l'estimation  des 
notables.  Le  roi  ne  pouvait,  sans  se  déshonorer  et  sans  perdre 
la  confiance  de  ses  peuples,  violer  la  parole  qu'il  avait  donnée, 
à  la  première  séance  des  notables,  de  se  conformer  aux  réso- 
lutions de  l'assemblée.  Le  Conseil  de  raison  et  la  dangereuse 
autorité  qu'il  s'attribuait  ne  pouvaient  pas  durer  trois  mois, 

'  Snlly,  OEroD.  roy.,  r.  70,  p.  X)7,  VS.  m  L*uDe  desquelles  portions 
»  monlant  ili  cinq  millions  d'escus  seroit  affectée  on  payement  des  ga^es  des 
»  onîciers,  fîcfs  et  auniosnes.  renies,  arriTagrsd'icelles,  œuTres  publiques, 
M  et  dettes  du  gênerai  et  des  particuliers,  ilunt  ce  conseil  de  raison  auroit 
»  la  disposition  et  ordination  absolue,  sans  tfite  le  roy^  son  conseilt  ni  les 
M  cours  souveraines  y  eussent  aucnn  pouvoir^  ny  qu'ils  en  peussent 
n  rien  diverlir^  changer  ny  innover,  s  Lu  manière  dont  s*ex prime  Grou» 
lurt  sur  les  actes  des  notables,  c.  7,  t.  XI,  p.  574  A,  prouve  la  parfaite 
boane  foi,  mats  aussi  riaetperience  et  l'imprévoyance  de  cette  assemblée, 
duns  rétablissement  du  conseil  de  raison,  ei  d^ns  toutes  S4'S  drlermiua> 
tions. 


PARTAGE  D£S  REVENUS  ET  DU  POUVOIR.       315 

coinine  on  le  verrait  à  Tépreufe  et  à  la  pratique.  En  effet, 
d'une  part  ce  conseil  trouverait  des  difficultés  insurmontables 
dans  la  levée  des  impôts  qui  lui  seraient  assignés  en  partage, 
et  notamment  dans  celle  du  sou  pour  livre  qu'on  le  char- 
gerait d'établir.  D'an  autre  côté,  le  conseil  serait  composé 
d'un  nombre  considérable  d'hommes  de  divers  pays,  de  sen- 
timents et  d'humeurs  contraires,  d'intérêts  opposés  en  ce  qui 
les  concernait  personnellement  et  en  ce  qui  regardait  leurs 
provinces  ;  leurs  différends  en  un  ne  pourraient  être  terminés 
par  l'intervention  d'une  autorité  supérieure ,  puisqu'ils  n'en 
reconnaissaient  aucune.  On  verrait  donc  dès  le  premier  jour 
naître  dans  le  sein  de  ce  corps  des  disputes  et  des  rivalités 
qui  mineraient  son  existence,  et  détruiraient  en  peu  de  temps 
les  chimériques  et  périlleux  établissements  imaginés  par  les 
notables  de  Rouen. 

Le  roi  céda  à  ces  raisons ,  et  contrairement  à  l'avis  una* 
nime  de  son  conseil,  il  accepta,  dans  la  séance  du  38  janvier 
1597,  l'établissement  du  Conseil  de  raison  et  le  partage  des 
revenus  publics.  11  demanda  seulement,  et  il  obtint,  qu'on  loi 
laissât  choisir  les  branches  de  revenus  publics  dont  il  devait 
tirer  les  15  millions  dont  la  disposition  lui  était  laissée. 
D'après  la  connaissance  approfondie  que  Rosny  avait  de  la 
nature  et  du  mode  de  perception  des  divers  impôts,  il  garan- 
tissait au  roi  que  sa  portion,  sagement  administrée,  augmen- 
terait de  plus  d'un  tiers  en  moins  de  deux  ans,  et  serait  d'un 
facile  recouvrement,  tandis  que  le  Conseil  de  raison  trouve- 
rait d'insurmontables  difficultés  dans  la  levée  des  impôts  qui 
lui  étaient  abandonnés.  Dans  la  division  des  revenus  publics, 
les  gabelles,  les  anciennes  aides,  les  traites,  les  droits  de  navi- 
gation, furent  attribués  au  roi;  la  plus  grande  partie  des  tailles 
et  le  nouvel  impôt  du  sou  pour  livre  au  Conseil  de  raison. 

iips  notables  présentèrent  leurs  cahiers  le  même  jour, 
28  janvier.  Le  clergé  demandait  qu'on  pourvAt  par  la  voie  de 
l'élection  aux  archevêchés  et  évêchés  ;  que  s'il  ne  plaisait 
au  roi  de  rétablir  présentement  l'élection,  il  observât  au 
moins  l'ordonnance  faite  à  ce  sujet  par  les  éuts  de  Blois  de 
1677,  et  fit  faire  de  sévères  informations  sur  la  religion ,  la 
vie ,  les  mœurs  des  sujets  qu'il  élèverait  à  l'épiscopat  ;  que 
pour  réformer  les  abus,  et  corriger  les  dérèglements  du  clergé, 
les  métropolitains  thissent  de  trois  en  trois  ans  des  conciles 


Le  roi  acecple 

1rs 

propoittioDi. 


Gabier; 
des  nolablc». 


316  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

provinciaux;  que  l'on  dirigeât  de  rigoureuses  redierclies 
contre  les  simonlaques  et  les  confidentiaires  «  ;  que  Ton  rétablit 
la  discipline  dans  les  couvents  de  filles,  où  elle  était  entière- 
ment détruite  au  grand  scandale  du  pays  ;  que  le  gouverne- 
ment protégeât  les  églises  contre  les  violences  et  les  profa- 
nations des  gens  de  guerre.  —  La  noblesse  demandait  que, 
comme  salaire  de  ses  services,  on  préférât  les  membres  de 
son  ordre  aux  autres  dans  la  distribution  des  dignités  ecclé- 
siastiques ;  qu'on  choisît  exclusivement  parmi  eux  les  baillis 
et  les  sénéchaux,  et  de  préférence  les  présidents,  conseillers, 
lieutenants  des  bailliages ,  quand  ils  feraient  preuve  de  suffi- 
sante capacité  ;  que  dans  les  compagnies  de  cavalerie  toutes 
les  places  et  soldes  fussent  réservées  pour  les  gentilshommes  ; 
que  les  lettres  de  noblesse  ne  fussent  accordées  qu'à  ceux  qui 
les  auraient  méritées  par  d'éclatants  services  rendus  à  l'État  ; 
que  les  roturiers  et  ceux  qui  avaient  acheté  des  lettres  de 
noblesse  ne  pussent  porter  les  noms  des  terres ,  châteaux , 
places,  qu'ils  auraient  acquis  ;  que  les  gentilshommes  domi- 
ciliés dans  les  villes  conservassent  les  privilèges  de  la  no- 
blesse et  fussent  exempts  des  gardes  et  corvées.  —  Le  tiers- 
État  demandait  que  l'on  ramenât  les  mœurs  ù  la  simplicité 
et  à  la  frugalité  anciennes  ;  que  pour  diminuer  les  dépenses, 
que  le  luxe  et  l'émulation  de  la  noblesse  faisaient  croître  tous 
les  jours ,  on  renouvelât  les  anciennes  lois  somptuaires;  que 
les  magistratures  dans  les  bailliages,  après  que  le  nombre  en 
aurait  été  diminué,  conformément  aux  décisions  des  états  de 
Blois,  cessassent  d'être  vénales  ;  que  l'on  fixât  les  honoraires 
des  avocats  et  le  salaire  des  procureurs  dans  les  cours  sou- 
veraines, et  qu'on  prévint  ainsi  la  ruine  des  plaideurs.  Le 
lendemain  du  jour  où  le  roi  re(;ut  les  cahiers,  il  congédia 
l'assemblée  des  notables.  Ia  Conseil  de  raison  se  constitua 
aussitôt ,  entra  en  exercice ,  exerça  les  pouvoirs  énormes  et 
extraordinaires  que  le  roi  avait  consentis  ^. 

Groulart  et  quelques  autres  grands  citoyens  appartenant 
au  parti  politique  siégeaient  aux  notables  de  I\oucn.  De  pa- 
reils hommes  n'avaient  certainement  d'autre  but  que  de 

*  Ceux  qui  ovaient  la  disposition  ou  le  revenu  illicites  de  bcnéficet  ercle- 
»iastiques,  sous  le  nom  des  Utulaires  qu'ils  avaient  fuit  pourvoir  de  ces 
bénëGce». 

*  Sully,  OEcon.  roy.,  c.  70,  t.  l,  p.  «59,  «40.  —  Thuauus,  1.  CXVU,  $  5, 
t.  T,  p.  (>3S,  636.  —  Groulart,  Mém.,  c.  7,  t.  XI,  p.  574. 


CAHIERS  DES  NOTABLES.  FIN  DO  CONSEIL.  317 

soostraire  TËtat  et  le  roi  aux  vols  des  financiers ,  en  6tant 
aux  ofliriers  royaux  la  disposition  de  la  moitié  des  reve- 
nus publics.  Mais  la  majorité  des  notables  prétendait  autre 
chose. 

Pendant  les  troubles  de  la  Ligue,  les  trois  ordres  avaient  Effort d«p«rii« 
à  Tenvi  empiété  sur  le  roi.  Il  est  curieux  de  voir  la  première  «jes'plrlemenu 
assemblée  nationale,  bien  que  restreinte  aux  proportions    ^jJJ"^^^^ 
d'assemblée  de  notables,  suivre  les  mêmes  projets ,  obéir    grand  pommir 
à  la  même  ambition,  se  jeter  sur  les  prérogatives  de  la  cou-      p«i»tiq»«. 
ronne  pour  les  partager.  Il  faut  noter  que  les  parlements  en 
particulier,  qui  avaient  siégé  en  majorité  dans  l'assemblée , 
espéraient  par  rétablissement  du  Conseil  de  raison  opérer 
un  grand  démembrement  de  la  puissance  royale,  et,  par  le 
privilège  qu'ils  se  réservèrent  de  nommer  les  membres  du 
conseil  au  fur  et  à  mesure  des  vacances,  étendre  infmiment 
leurs  attributions  et  leur  puissance  politiques.  Que  Ton  dégra- 
dât et  que  Ton  aiïaibitt  la  royauté,  qu'on  lui  suscitât  des  riva- 
lités dangereuses  ;  que  pour  agrandir  im  corps  sans  donner  de 
nouvelles  libertés  à  la  nation ,  on  jouât  ainsi  l'ordre  public , 
la  silreté  et  l'honneur  de  la  France,  dans  sa  lutte  prolongée 
contre  l'Espagne,  c'est  ce  qui  ne  parait  ni  avoir  frappé  les 
bons,  mais  fort  aveugles  citoyens,  qui  siégeaient  dans  l'assem- 
blée ,  ni  avoir  arrêté  ceux  qui  déplaçaient  les  pouvoirs  avec 
le  sentiment  de  ce  qu'ils  tentaient.  Le  cours  des  événements 
fit  rciil  justice  de  ces  imprudents  essais  et  de  ces  usurpations. 

1597.  Le  Conseil  de  raison  exerça  ses  fonctions  durant  rin 

trois  mois  environ.  Ceux  qui  le  composaient  n'étaient  pas    <*■  c«nik«ii  de 

ntsoii 

suffisamment  rompus  aux  affaires ,  et  paraissent  avoir  été 
tout  à  fait  étrangers  à  la  connaissance  des  finances,  alors 
véritable  science  occulte.  Dès  les  premières  opérations  pour 
le  recouvrement  des  deniers  de  1597 ,  ils  tombèrent  dans 
d'inextricables  difficultés.  Le  sou  pour  livre  leur  avait  été 
attribué  :  ils  ne  trouvèrent  personne  qui  voulût  s'en  charger. 
On  leur  demanda  les  autres  fermes,  mais  à  un  rabais  qui  les 
déconcerta.  Les  pensionnaires  de  l'État  les  pressaient  de  leurs 
demandes ,  et  ne  parlaient  que  par  millions  à  des  gens  qui 
n'avaient  pas  encore  recouvré  une  obole.  Aigris  par  le  chagrin 
et  le  dépit ,  ils  s'accusèrent  bientôt  réciproquement  d'ign<H 
rance  et  de  précipitation,  et  leur  mésintelligence  hâta  la  dis- 


318  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DF.  HENRI  IV. 

solution  da  conseil.  Al)out  de  toute  industrie,  et  succombant 
sous  le  faix,  ils  vinrent  trouver  le  roi,  confessèrent  qu'ils 
avaient  eu  grand  tort  d*aspirer  à  gouverner  TÉtat,  et  le  sup- 
plièrent de  reprendre  et  le  maniement  de  tous  les  deniers 
publics,  et  Tautorité  qu'ils  lui  avaient  enlevée  ^  Ainsi  se 
termina  Timportant,  mais  court  démembrement  des  préro- 
gatives royales  :  la  couronne  recouvra  et  exerça  dès  lors  la 
plénitude  des  pouvoirs  publics. 

Dans  la  situation  critique  où  se  trouvait  TEtat  lors  de  leur 
convocation ,  ayant  affaire  à  un  prince  qui  ne  faussa  jamais 
sa  parole  et  qui  s'était  engagé  à  accepter  les  réformes  pro- 
posées, rassemblée  des  notables  pouvait  facilement,  et  utile- 
ment pour  le  bien  public,  donnera  la  nation  Tim  portante 
prérogative  du  vote  annuel  et  du  contrôle  de  l'impôt.  En  dé- 
passant le  but,  en  confondant  tous  les  pouvoirs.  Us  ajour- 
nèrent pour  deux  siècles  la  participation  légitime  de  la  nation 
au  gouvernement  de  ses  affaires. 


CilAPlTOE  V. 


Perte  d* Amiens.  État  des  partis  et  de  Topiiiion.  Reprise  d* Amiens. 
Expéditions  de  Lesdigutères  contre  la  Sevoie  (f  SSI7). 

pr^paraUft  Pendant  la  malheureuse  tentative  du  Conseil  de  raison , 
Rosny,  qui  avait  gagné  la  confiance  du  roi  et  pris  la  princi- 
pale autorité  dans  le  conseil  des  finances ,  commençait  avec 
un  travail  infini,  mais  commençait  seulement,  une  réforme 
dans  les  finances  dont  nous  parlerons  ailleurs.  Les  revenus 
publics  ne  purent  augmenter  sur-le-cbamp  ;  il  fallait  du  temps 
pour  rétablissement  du  nouvel  impôt  sur  les  denrées  et  pour 
l'amélioration  des  fermes.  Le  roi ,  réduit  à  l'argent  qu'avait 
fourni  la  visite  des  généralités  et  au  produit  des  impôts  cou- 
rants ,  l'appliqua  à  un  grand  dessein,  il  projetait  le  siège 
d'Arras  :  il  forma  et  plaça  dans  les  villes  de  Picardie,  par- 
ticulièrement à  Amiens,  un  amas  considérable  d'artillerie  et 
de  munitions ,  et  il  s'assura  des  vivres  pour  toute  la  durée 
du  siège  2.  La  conquête  de  tout  l'Artois  aurait  suivi  la  prise 

*  SuUy,  OEcon.  roy.,  c.  73,  p.  S45. 

■  Sully,  OEcon.  roy.,  c.  73,  p.  14S,  S44. 


PERTE  D'AWENS,  dangers  DE  LA  FRANCE.  319 

d'Arras,  et  les  pertes  faites  par  la  France  en  Picardie  auraient 
é\é  de  la  sorte  plas  que  couvertes. 

Au  moment  même  où  Henri  était  tout  occupe  de  ces  pro-  Surprise, 
Jets,  les  bourgeois  d'Amiens,  qui  avaient  le  privilège  de  se  **da  rojâumï^ 
garder  eux-mêmes,  et  qui  avaient  refusé  opiniâtrement  au 
roi  de  recevoir  garnison  dans  leurs  murs,  laissèrent  sur- 
prendre leur  ville  par  les  Espagnols  (il  mars  1597).  Cette 
conquête  ne  coûta  à  Pennemi  que  quelques  sacs  de  noix  et  de 
pommes,  au  pillage  desquelles  se  précipitèrent  les  bourgeois 
de  garde  à  Tune  des  portes,  tandis  que  la  masse  de  la  po- 
pulation était  retenue  au  sermon.  Il  était  impossible  de  faire 
plus  sottement  plus  de  mal  à  la  l^nce.  Les  Espagnols,  déjà 
maîtres  de  Calais,  de  Ham,  de  Guines,  dWrdres,  venaient 
d*enlever  une  grande  ville  jusqu'alors  réputée  imprenable, 
et  paraissaient  au  moment  de  conquérir  la  Picardie  entière, 
lis  pouvaient  faire  des  courses  jusqu'aux  portes  de  Paris  et 
attaquer  la  capitale  elle-même  :  le  centre  du  royaume  allait 
en  devenir  la  frontière.  Jamais,  depuis  le  commencement  de 
la  rivalité  entre  la  France  et  la  maison  d'Autriche,  ils  n'avaient 
été  ni  établis  si  avant  dans  le  royaume,  ni  si  menaçants.  Avec 
Amiens  ils  avaient  pris  un  amas  immense  de  vivres  et  de 
munitions  de  guerre,  et  une  formidable  artillerie  :  ils  tour- 
naient contre  la  France  tout  ce  que  le  roi  avait  préparé  pour 
l'attaque  de  l'Artois  et  les  conquêtes  dans  les  Pays-Bas.  A 
ces  dangers  du  dehors  se  joignaient  les  graves  embarras  de 
la  situation  intérieure.  Le  duc  de  Mercœur  soutenait  la  ré- 
volte en  Bretagne ,  province  sur  laquelle  les  Espagnols  pré* 
tendaient  avoir  des  droits,  et  qu'ils  pouvaient  facilement  atta- 
quer. Beaucoup  de  villes  soumises  depuis  peu  n'étaient  pas 
alfermies  dans  l'obéissance,  et,  dans  plusieurs  provinces,  les 
esprits  étaient  flottants.  Ix;  roi  était  abandonné  des  protestants 
français,  que  les  traités  conclus  avec  la  Ligue  avaient  aigris. 
Ils  s'étaient  donné  tout  récemment  une  nouvelle  organisation  : 
ils  avaient  présenté  une  requête  pleine  d'exigences  et  de  repro- 
ches, l'année  précédente,  durant  le  siège  de  La  Fère  :  depuis 
ce  temps,  Us  continuaient  leurs  assemblées  sousdiflérents  pré- 
textes et  s'abstenaient  de  paraître  à  l'armée  :  à  l'égard  du  roi 
et  du  royaume ,  ils  en  étaient  à  la  séparation  et  pouvaient 
facilement  passer  à  la  révolte.  Le  peuple,  succombant  à  la 
misère  et  à  une  maladie  pestilentielle,  périssait  par  milliers. 


320  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

même  à  Paris.  Enfin,  Téclat  imprudent  que  Henri  donnait  à 
sa  liaison  avec  Gabriellc  d^Estrées  excitait  les  murmures  d'un 
peuple  qui ,  après  s'être  livré  lui-même  pendant  huit  ans 
aux  excès  politiques  les  plus  désastreux ,  ne  s'en  montrait 
pas  moins  impitoyable  pour  une  faiblesse.  La  prise  d'Amiens 
ne  pouvait  arriver  dans  de  plus  mauvaises  circonstances. 
Pasquier  dit  :  «  11  semblait  que  le  roi  eût  perdu  et  sa  bonne 
»  ville  et  sa  réputation,  et  le  cœur  de  ses  sujets  tout  en- 
»  semble.  »  De  Thou  ajoute  :  «  Ge  triste  revers  semblait  avoir 
»  éteint  à  la  fois  et  la  majesté  royale  et  le  nom  français  ^  » 
WeMm  prîtes  Par  son  com'age  inébranlable,  par  la  prompte  résolution 
i>oû?reco!ilqiië.  ^^^^  csprit  Supérieur,  Henri  répara  une  faute  qui  n'était  pas 
iirAmi«Ds  la  sienne,  et  prévint  les  désastres  qu'elle  devait  entraîner. 
Il  courut  en  Picardie  ;  il  préserva  et  rassura  les  villes  voi- 
sines, Beauvais,  Montdidier,  Gorbie,  Pequigny,  et  commença 
sur-le-champ  les  opérations  nécessaires  pour  reprendre 
Amiens.  Il  jeta  toutes  les  forces  dont  il  disposait  dans  Gorbie 
et  dans  Pcquigny  :  ces  deux  villes  sont  situées  sur  la  Somme, 
au-dessus  et  au-dessous  d'Amiens,  et  celui  qui  en  est  maître 
tient  Amiens  bloqué,  il  ordonna  à  Blron  d'investir  la  ville 
et  de  commencer  la  circonvallation  du  côté  de  la  Flandre  par 
où  les  ennemis  pouvaient  y  jeter  du  secours.  Il  convoqua  le 
ban  et  l'arrière-ban,  et  assembla  en  peu  de  temps  une  armée 
suffisante  pour  un  siège  régulier,  puis  revint  à  Paris  préparer 
les  ressources  nécessaires  au  succès  de  l'entreprise,  il  fallait 
avant  tout  de  l'argent  pour  remplacer  l'artillerie  et  les  mu- 
nitions perdues  dans  Amiens  et  pour  nourrir  l'armée.  La 
réforme  financière  ébauchée ,  le  nouvel  impôt  voté ,  n'en 
pouvaient  fournir  que  plus  tard,  quand  ils  auraient  eu  leur 
effet  Le  roi  fut  donc  obligé  de  recourir  aux  expédients.  Il 
ordonna  des  prêts  volontaires  et  la  recherche  des  financiers 
qui  avaient  malvcrsé.  Il  rendit  des  édils  biu'saux  pour  la 
création  de  nouveaux  oflices ,  savoir  quatre  conseillers  en 
diaque  cour  souveraine ,  deux  conseillers  en  chaque  prési- 
dial,  un  troisième  officier  comptable  dans  cliacun  des  offices 
de  trésoriers,  de  receveurs,  de  contrôleurs,  d'élus:  c'est  ce 
que  l'on  nomma  les  triennaux.  Les  nouveaux  magistrats  et  les 

•  Tboanus,  I.  CXVIU,  SS  0»  7,  t.  V,  p.  074-676.  —  Pasqnier,  I.  m, 
lettre  7,  l.  u,  p.  475  B.  ^  Lcstoile,  p.  S7t,  S74,  SSO,  S81,  iVS.  S8ft.-« 
P.  Cayet,  I.  IX,  p.  75». 


OPPOSITION  DES  PARLEMENTS.  CONSPIRATIONS.        321 

noaveaux  officiers  de  finances  dev«iient  payer  snr-le-charop 
le  prix  de  leur  charge  K 

Les  offices  étaient  déjà  trop  nombreux,  la  vénalité  était      OppoMiion 
un  vice,  la  création  dé  nouvelles  places  de  conseillers  dans    **àSpJutt^ 
les  parlements  et  dans  les  autres  cours  souveraines  restreignait  ^*j^^l^' 
les  gains  que  les  anciens  conseillers  tiraient  des  épices^  et  di-      cooipiots. 
minuait  la  dignité  et  Timportance  de  leurs  charges.  Ces  motifs 
de  bon  ordre  et  d'intérêt  privé  frappèrent  seuls  le  parlement 
de  Paris.  11  ne  vit  pas  la  grande  nécessité  qui  dominait  tout» 
qui  commandait  de  mettre  sous  les  pieds  toutes  les  considéra* 
lions,  la  nécessité  de  conjurer  à  tout  prix  le  danger  en  face  du- 
quel on  se  trouvait.  Tandis  que  les  Espagnols  étaient  à  trente 
lieues  de  Paris,  que  le  duc  de  Savoie  du  côté  de  la  Provence  et 
du  Dauphiné ,  le  duc  de  Mercœur  en  Bretagne  »  faisaient  un 
nouvel  et  grand  effort,  les  restes  de  la  Ligue'  s^agitaient  d'un 
bout  du  royaume  à  Tautre  et  menaçaient  TÊtat  de  subver- 
sion. Dans  le  cours  du  mois  d'avril  seul,  trois  tentatives 
furent  faites  pour  enlever  au  roi  Reims,  Poitiers  et  Rouen* 
Le  cardinal  Albert  d'Autriche  devait  partir  des  Pays-Bas , 
Mercceur  de  la  Bretagne,  et  se  trouver  en  même  temps  sous 
les  murs  de  Rouen.  Un  Anglais  et  un  ancien  conseiller  du 
parlement  ligueur  qui  avaient  des  intelligences  dans  la  ville 
promettaient  de  leur  en  livrer  les  portes.  L'entreprise  avait 
de  grandes  chances  de  succès,  et,  pour  la  faire  échouer,  il 
fallut  h  la  fois  prévenir  et  réprimer.  A  la  suite  de  l'assem- 
blée des  notables,  le  roi  changea  les  capitaines  de  la  garde 
bourgeoise  de  Rouen,  presque  tous  ligueurs,  et  les  fit  rem- 
placer par  des  hommes  d'un  dévouement  sûr.  D'un  autre 
côté ,  les  conspirateurs,  au  moment  où  le  complot  devait 
éclater,  furent  contenus  par  la  vigilance  et  la  fermeté  des  ser- 
viteurs fidèles  de  la  couronne.  Pendant  toute  la  durée  du 
siège  d'Amiens,  on  apprit  chaque  jour  la  nouvelle  de  quelque 
complot  pareil  ourdi  dans  les  autres  grandes  villes.  Le  comte 
d'Auvergne  et  le  vicomte  de  Tavannes  tentèrent  d'exciter 
des  soulèvements,  et  l'on  savait  qu*ils  devaient  être  suivis  d^ 
bien  d^autres.  Aussi  les  contemporains  disent-ils  que  l'Eu- 
rope entière  était  attentive  au  siège  d'Amiens ,  parce  qu'à 
l'événement  de  ce  siège  étaient  attachées  l'invasion  par 

*  Thaannt,  1.  cxyiii,  $  7,  t.  ▼,  p.  678.  ~  Legnin,  Dccadc,  1.  VT,  p.  330, 
3SI.  —  SiiUy,  OEcon.  roy.,  c.  65,  t.  i,  p.  348,  «49. 

21 


322  IIISTOIRB  DO  RfefiNÈ  Dfi  HBIVRI  IT. 

Tétranger  ou  la  délivrance  du  territoire,  la  destmction  ou 
l'affermissement  de  Tordre  social  en  France  •.  Le  parlement 
de  Paris,  égaré  par  Fesprit  d'ane  légalité  hors  de  circonstance 
et  parrintérêt  personnel,  s^opposa  à  la  création  des  nouvelles 
charges.  Ces  magistrats  continuaient  à  sMmmiscer  dans  le 
gouvernement,  et  Ton  ne  pouvait  3'en  mêler  d'une  manière 
plus  aveugle  et  plus  malheureuse.  Le  roi  leur  dit  :  «  QuMls 
feroient  comme  ces  fous  d'Amiens,  qui  lui  avoient  refusé  deux 
mille  écus  et  qui  en  avoient  livré  un  million  à  Tennemi.  Que 
pour  lui  il  s*en  iroit  en  Flandre  se  faire  donner  peut-être 
quelque  coup  de  pistolet  par  la  tête  ;  qu'alors  ils  sauroient  à 
leurs  dépens  ce  que  c'étoit  que  de  perdre  un  roi  (23  avril).  » 
Ils  ne  se  rendirent  ni  à  ces  raisons,  ni  à  plusieurs  Jussions 
l'éitérées  :  pour  vaincre  leur  aveugle  réslstatice ,  pour  faire 
enregistrer  les  édits  bursaux  et  les  autres  mesures  corn*' 
mandées  par  les  circonstances,  il  fallut  que  le  roi  ttnt  un  lit 
de  justice.  Le  parlement  de  Normandie  resta  également  in* 
sensible  aux  dangers  publics  et  aux  exhortations  de  son  pré- 
sident Groulart.  Vainement  le  roi  épuisait-il  auprès  de  cecorps 
les  moyens  de  persuasion  employés  auprès  du  parlement  de 
I>arLs;  vainement  lui  écrivait-il  dans  ces  termes  mêlés  de 
raison  profonde  et  d'éloquence  :  «  Pensez  donc  aux  dangers 
»  d'une  Invasion  plutôt  qu'aux  formalités  des  lois  et  ordon* 
»  nances,  qu'il  faut  maintenant  accommoder  aux  temps,  et 
»  non  prétendre  forcer  par  elles  le  temps  et  la  nécessité, 
to  //  n  V  a  d'irrémédiable  que  la  perte  de  l'État  (2B  mai)  K  » 
Ils  résistèrent  deux  mois  encore,  et  cédèrent  moini  qu'ils  ne 
composèrent,  quand  Henri  eut  réduit  de  moitié  ia  cotisation 
qu'il  demandait  à  la  ville  de  Rouen,  ainsi  que  le  nombre  des 
charges  de  judicature  qu'il  voulait  établir,  et  quand  il  les  eut 
menacés  de  recourir  à  la  force  armée  et  à  un  lit  de  justice. 
Ces  détails  contiennent  l'histoire  de  l'esprit  public  en  ce  temps. 

*  Lestoile,  p.  SS4  A,  S85  B,  SS7  A.  —  Ducoqrs  sur  la  réduction  d«  la 
ville  d^Amicns  dans  les  Mémoires  de  la  Ligne,  t.  Vi,  p.  5i9  :  «  Ceox  qai 
>  diflcouroîcnl  de  ce  aiége,  publioienl  tout  hant  que  ii  te  manioit  le  dealia 
»  de  la  France;  que  du  succès  dépendoit  son  salut  ou  sa  perte;  qu*il  j 
•  alloit  de  nostre  serrilude  ou  de  nostre  franchise.  »  —  Blémoires  de  Grou- 
lart dans  la  coll.  de  Miche  ud,  c.  7,  t.  xu  p«  575  A,  B.  -^  Regist.  sécréta 
du  parlement  de  Normundie,  aux  dates  des  19  et  30  aTril,  cités  par  M.  Flo- 
qnct,  t.  IV,  p.  llft-llS. 

'  Lettre  close  du  roi  au  parlement  de  Roneui  en  date  du  SS  mai  1507, 
êk\4e  par  M.  Ploquet,  t.  nr,  p.  iSO.  —  Cette  lettre  ne  se  trouve  pas  dans 
le  recueil  des  Lettres  miatÎTes. 


SIÉ6B  BT  REPRISE  D^AHIEICS.  393 

On  ne  rencontre  partout  qoe  des  vues  étroites,  des  passions 
égoïstes  «  l*esprit  de  corps  et  de  localité.  La  royauté  seule 
s^élève  aai  considérations  d^ensemble  i  s^occupe  seule  des 
Intérêts  généraux  et  des  dangers  publics,  se  trouve  avoir  le 
monopole  de  la  grande  politique  et  du  patriotisme. 

Le  roi,  sorti  avec  des  peines  infinies  des  contradictions 
qu^il  avait  rencontrées  dans  les  villes  et  dans  les  parlements* 
tira  des  prêts  volontaires  300,000  écus;  des  triennaux, 
1,200,000  écus;  des  financiers,  1,200,000  écus:  ces  der- 
niers aimèrent  mieux  se  taxer  eux-mêmes  et  donner  cette 
somme  que  de  souffrir  une  recherche  (mal-août).  C'était  en 
tout  2,700,000  écus ,  c'est-à-dire  au  delà  de  8  millions  de 
livres  du  temps,  et  des  fonds  suffisants  pour  reprendre  Amiens 
et  terminer  glorieusement  la  guerre  contre  TEspagne.  Mais 
vainement  se  serait-il  procuré  de  l'argent,  si  l'argent  eût  été 
mal  dépensé.  11  écaru  ce  danger  en  donnant  à  Rosny  la 
principale  autorité  dans  le  département  des  finances ,  sans 
rétatilir  encore  pour  lui  la  charge  de  siuintendant.  L'entre* 
prise  dura  six  mois  et  coûta  6  millions  de  livres.  Le  26  Juil- 
let ,  au  quatri^me  mois  du  siège ,  quand  on  pouvait  déjà 
espérer  une  issue  favorable,  le  conseil  des  finances  du  roi  lui 
témoignait  qu'il  n'avait  plus  d'argent  à  lui  envoyer.  Si  Ton 
fût  resté  sur  ce  refus .  le  siège  d'Amiens  aurait  fini  comme 
ceux  de  I^ris  et  de  Kouen  :  les  soldats  auraient  déserté,  ou 
se  seraient  mutinés,  comme  les  Suisses  en  1590  et  1592,  et 
tout  eût  été  perdu  K  Mais  Rosny  sut  rassembler  et  envoyer 
à  Henri  les  sommes  nécessaires  pour  payer  et  retenir  ses 
troupes.  Une  formidable  artillerie  et  un  matériel  immense  fu- 
rent rassemblés  sous  les  murs  d'Amiens.  A  la  fin  de  chaque 
mois  l'armée  entière  reçut  régulièrement  sa  solde.  Un  mar- 
ché perpétuel  fut  établi  dans  le  camp,  de  manière  que  les 
vivres  fussent  aus^  abondants  et  ne  fussent  pas  plus  chers 
qu'à  Paris.  Ce  fut  la  seule  armée,  depuis  trente  ans,  qui  fût 
pourvue  du  nécessaire  ;  la  première  qui  eût  un  hOpiUi  réglé 
dans  lequel  les  blessés  et  les  malades  reçussent  les  secours 


Restoarcet  «a 

«rgeni: 
ordre  admira- 
ble «UbU  an 
siège  d'Amieps. 

Reprise 
de  ceUe  TlUe. 


'  P.  Cayrt,  1.  K,  |i.  S60  A,  $  5.  ~  Lettre  du  roi,  du  fl7  juillrl  ItiST. 
û»o*  les  il'tlia»  misfti«res,  U  iv,  p.  S14  :  «  Mon  armée  ne  peut  subsister  sî 
»  elle  iiVsl  |Niy«c.  »  —  Tbuanus,  1.  CXVUI.  —  De  Tbou,  dans  ie  texte  latin, 
dit  %ix  milUuas  d'vcus  ou  dik-buil  miliiuua  de  livres  de  ce  lempa-la.  Oa 
croît  qu'il  y  a  erreur  dans  ii«  texte,  et  qu*il  faut  Hre  deux  raillions  à'éeuê 
ou  six  niillitiiis  de  litres. 


32/|  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  REffRI  IV. 

qu'on  leur  donnait  alors  pour  la  première  fois  :  chaque  troupe 
auparavant  avait  soin  de  ses  blessés  comme  elle  pouvait,  et  le 
manque  de  soins  avait  fait  périr  autant  de  monde  que  les  armes. 
Le  cardinal  Albert,  gouverneur  des  Pays-Bas,  partit  de  ces  pro- 
vinces avec  une  armée  de  dix-huit  mille  hommes  pour  faire 
lever  le  siège  d'Amiens.  Mais  il  échoua  dans  cette  tentative, 
fut  contraint  de  se  retirer  avec  honte  et  avec  perte,  et 
Amiens  fut  rendu  au  roi  le  25  septembre  1597  '• 

La  réduction  de  cette  ville  importante  raffermit  Tautorilé 
du  roi,  la  paix  publique ,  la  situation  de  la  France  à  Pégard 
de  rétranger,  également  ébranlées.  Le  bon  état,  non  pas 
encore  des  finances ,  mais  au  moins  de  la  caisse  de  Tarmée, 
fit  le  succès.  L'action  puissante  des  divers  services  de  TËtat 
les  uns  sur  les  autres,  leur  solidarité  entre  eux,  éclatent  dans 
cette  circonstance  où  les  résultats  de  la  guerre  changent, 
parce  que  Tétat  du  trésor  public  a  changé.  Si  des  observa- 
tions générales  sur  l'ensemble  de  ce  siège  remarquable  on 
descend  aux  détails,  on  en  trouvera  quelques  uns  dignes 
de  remarque.  L'établissement  d'un  hôpital  pour  l'armée  n'é- 
tait pas  seulement  une  satisfaction  donnée  à  l'humanité,  une 
institution  qui,  en  diminuant  les  horreurs  de  la  guerre,  ho- 
norait souverainement  la  France  ;  c'était  encore  un  établis- 
sement qui  intéressait  la  force  militaire  du  pays.  l)e  Thou,  en 
signalant  les  effets,  sans  remonter  à  la  cause ,  témoigne  que 
l'état  sanitaire  de  l'armée  française  fut  excellent,  tandis  que 
les  maladies  décimèrent  la  garnison  et  l'armée  de  l'archiduc  '• 
Cette  différence  fit  en  grande  partie  le  succès  de  la  guerre. 

'  Ponr  l'ensemble  âe  ees  deux  parogrophes,  lettres  de  Henri  IV  et  de 
Rosny  pendant  le  siège  d'Amiens.— Lettres  de  Ilemando  Tcllo,  gouvemenr 
d^ Amiens,  aux  dates  des  ^3  iiiillet  vt  14  août.  —  Lettres  du  camp,  des 
S8  août,  4S,  19  septembre.  —  DiTers  discours  et  avis  sur  ce  qui  s'est 
passe  au  fticge  d'Amiens,  compris  duns  les  citations  suivantes  :  —  Sully, 
OEcon.  roy..  c.  74  h  la  fin,  75,  7(i,  77.  t.  i,  p.  S !<). 964.  —  Mémoires 
de  la  Ligue,  t.  Tl,  p.  &05.619,  691-S30.  —  Lesloile,  p.  984  B,  985  B,  287. 
fSO.  —  Legrain,  Décade,  1.  VI,  p.  331-356.  Sur  la  rcsistanre  du  parlement 
à  la  Tcrificotion  des  édits  bursanx,  il  dit,  p.  331  :  m  Chose  estrange  que  la 
»  Tille  de  Paris,  devenue  frontière  par  la  prise  d'Amiens,  ne  se  falcl  sage 
•  par  l'exemple  du  désastre  d'Amiens...  Lu  cour  du  parlement  ne  vent 
>  i>n  fuçon  quelconque  vérifier  ces  «'dicts,  le  roy  s*y  opiniastre  et  i  bon 
M  droici,  de  sorte  qu'il  y  va  en  personm*  les  vérifier  Ini-niesme  séant  en 
M  son  lict  de  justice.  »  —  Registres  secrets  du  parlement  de  Normandie, 
nnx  dates  des  98  mars,  98  mai.  1er  Qoût  1597,  dans  M.  Floquel,  t.  IT, 
p.  119-195.  —  De  Thou,  1.  cxviil.  $$  7-15.  ne  donne  aucun  détail  sur  la 
résistance  des  parlements  de  Paris  et  de  Rouen,  sans  doute  pour  éviter 
l'occasion  de  blâmer  un  corps  dont  il  foisuit  partie.— Voltaire,  Essai  sur  lef 
mœurs,  chup,  174. 

'  Thuanus,  1.  CZTIII. 


EXPÉDITIONS  DE  LESDIGDIÈRES  CONTRE  LA  SAVOIE.    325 

Les  événements  qui  se  passaient  eu  même  temps  à  l'autre 
extrémité  du  royaume  confirmaient  les  glorieux  résultats  ob- 
tenus par  le  roi.  Le  duc  de  Savoie  était  moins  Tallié  que  le 
lieutenant  de  Philippe  il,  car  il  avait  constamment  attaqué 
la  France  avec  les  troupes  espagnoles  du  Milanez  ou  avec 
des  Suisses  soudoyés  par  FEspagne.  Dans  Tannée  1597,  il 
reçut  du  roi  catholique  Tinjonction  de  tout  hasarder  pour 
conquérir  le  Dauphiné,  tandis  que  le  cardinal  Alt)ert  et  Par- 
mée  des  I^ys-Bas  com[>attaient  en  Picardie.  Lesdiguières,  le 
constant  adversaire  du  duc  de  Savoie,  déjoua  tous  ses  des- 
seins :  il  délivra  et  couvrit  notre  territoire  ,  en  transportant 
la  guerre  sur  celui  de  l*ennend.  Dans  les  campagnes  pré- 
cédentes, il  avait  envahi  les  états  du  duc  du  côté  du  Vié^ 
mont;  dans  celle  de  1597,  il  dirigea  ses  efforts  contre  la 
Savoie  proprement  dite.  11  commença  les  hostilités  à  la  fin 
du  mois  de  juin,  enleva  successivement  Saint-Jean  de  Mau- 
rienne,  Sahit-Micbel,*Aiguebelle,  le  fort  de  TEugly,  soumit 
toute  la  vallée  de  Maurienne  en  moins  de  quarante  jours, 
et  vainquit  les  Savoyards  aux  Molettes,  à  une  dcml-lieue  de 
Montmélian,  avec  une  perte  considérable  de  leur  côté 
{\ii  août).  Le  duc  de  Savoie  se  fiatta  de  tirer  parti  de  ses 
propres  revers  et  attaqua  le  Dauphiné,  quMl  croyait  trouver 
dégarni ,  pendant  que  Lesdiguières  employait  ses  forces  à 
s'établir  dans  sa  récente  conquête.  Mais  Lesdiguières  Tavait 
deviné  et  prévenu.  Le  duc  trouva  un  corps  d'armée  qui 
avait  été  détaché  pour  lui  disputer  l'entrée  du  Dauphiné,  et 
il  paya  par  de  nombreuses  défaites  ses  tentatives  d'invasion. 
Une  première  division  de  ses  troupes  qu'U  avait  envoyée 
contre  Briançon  perdit  quatorze  cents  hommes,  et  fut  presque 
entièrement  détruite  ;  une  autre  fut  vaincue  et  dbpersée  près 
de  Lafrette  :  ces  faits  se  rapportent  aux  mois  d'août  et  de  sep- 
tembre 1597.  Durant  les  mois  d'octobre  et  de  décembre,  il 
essuya  deux  nouvelles  délaites.  Nous  ajouterons  id  quelques 
faits  qui  se  rapportent  au  commencement  de  l'année  1598, 
mais  qui  tiennent  intimement  à  ceux  qui  viennent  d'être  ra- 
contés, et  qui  ne  peuvent  en  être  séparés.  liC  duc  de  Savoie 
parvint  à  reprendre  la  Maurienne  ;  mais  il  perdit  le  fort  de  Bar- 
raux,que  I>^sdiguières  lui  enleva  par  escalade  le  15  mars  1598. 
11  avait  construit  cette  forteresse  Tannée  précédente ,  et  y 
avait  employé  des  sommes  énormes.  La  place  était  située  à 


Gu«rie  eotre 

leducdeS«vuia 

«l 

Lesdiguières. 


326  HISTOIRE  DU  RÈGNE  D£  HENRI  IV, 

rextrême  frontière  du  Dauphiné»  et  à  une  égale  distance  de 
Grenoble  et  de  Montmélian.  Tant  qu^elle  restait  au  pouvoir 
des  Savoyards ,  elle  favorisait  lears  tentatives  sur  Grenoble, 
et  leurs  perpétuelles  incursions  dans  le  Dauphiné.  Mais  si  elle 
tombait  aux  mains  des  Français,  elle  leur  ouvrait  l'entrée  des 
états  du  duc,  et  devenait  aussi  menaçante  pour  Montmélian 
qu'elle  avait  été  dangereuse  pour  Grenoble.  Lesdiguières  avait 
dit  qu'il  fallait  la  laisser  achever  au  duc,  et  qu*alors  il  la  pren* 
drait  :  il  tint  parole  ^  Ainsi  il  était  parvenu  non  seulement  à 
préserver  le  territoire,  mais  même  à  le  couvrir  d'ouvrages 
élevés  par  les  mains,  payés  par  l'argent  de  l'ennemi,  et  à 
renvoyer  à  la  Savoie  les  dangers  du  voisinage  et  de  la  guerre. 
Au  Midi  comme  au  Nord,  Philippe  II  et  ses  alliés  avaient 
donc  échoué  dans  leur  dernière  tentative,  dans  leur  dernier 
eflfort  pour  entamer  et  démembrer  le  royaume. 

Dès  lors  la  face  des  alTaires  changea  entièrement  ;  les  dan* 
gcrs  de  la  France  diminuèrent  de  moitié ,  et  elle  sortit  du 
dernier  pas  glissant  où  elle  pouvait  périr.  Au  dehors,  elle 
avait  encore  à  soutenir  l'attaque  de  l'Espagne  et  de  la  Savoie, 
pénible  effort  dans  l'état  d'épuisement  où  elle  était  réduite; 
mais  cette  guerre  était  désormais  ime  guerre  de  chicane  et 
de  frontières,  et  non  une  guerre  d'invasion  :'elle  avait  à  dis- 
puter quelques  places,  elle  n'avait  plus  à  craindre  la  perted'une 
seule  province.  Au  dedans,  les  résultats  acquis  étaient  conso- 
lidés, les  grandes  villesdc  la  Ligue  étaient  confirmées  dans  leur 
obéissance,  momentanément  ébranlée  :  les  factieux  ne  pou- 
vaient plus  ni  échauffer  les  imaginations  par  Téclat  des  succès 
des  Espagnols,  ni  tenter  la  fidélité  des  faibles  par  la  perspective 
de  l'appui  d«  l'étranger  et  par  l'assurance  de  l'impunité.  Les 
ligueurs  en  petit  nombre  qui  n'avaient  pas  encore  déposé  les 
armes  sentaient  eux-mêmes  que  Philippe  II  était  désormais 
incapable  de  les  protéger  contre  le  roi  uni  au  corps  de  la  na- 
tion, et  ils  désespéraient  de  se  soutenir.  Les  contemporains  ont 
parfaitement  compris  et  montré  cette  correspondance,  cette 

*  Sommaire  récit  dat  progrès  de  Tarmëo  du  rot  en  SaToie.  —  DUcoun  tar 
U  twitc  du  fort  dn]Barraux,  daits  Ici  Méni.  de  lu  Ligue,  t.  VI,  p.  4S9-406, 
S71-S7S.  —  P.  Coyet,  I.  IX.  p.  761-764,  783,  78*.  —  Thuanui,  1.  cxix, 
SS  f-3,  t.  V,  p.  094-700.  «l  1.  cxx.  i  S,  p.  799-731.  Lot  déluils  donnés  por 
D'Aubigné,  I.  iv,  c.  iO,  t.  m,  p.  4(ji,  sur  les  opéruliontdv  Lesdiguières  el 
du  duc  de  SiiToie, soni  erronés  ;  ils  se  riippurieril  ou&auuccs  piccédcnlcs, 
«l  non  à  r«n  iSOT. 


LA  KKAACK  SORT  OBS  PLVS  PRESSANTS  DANGERS.   327 

soUdaritë  entre  la  révolte  et  l'état  des  aOaires  des  Espagnols. 
L^un  d'eux  dit  à  ce  snjet  :  «  Le  duc  de  Mercoeur  étoit  étonné 
des  quatre  pieds,  aussi  bien  que  le  petit  roi  d'Amboise»  et 
tant  d'autres  petits  roitelets,  desquels  les  royautés  expirèrent 
avec  la  reprise  d'Amiens  ;  car  leurs  états  n'avoient  de  fon-> 
dément  que  sur  les  ruines  de  la  France,  et  leurs  revenus 
étoient  assignés  sur  la  cuisine  d'Espagne  ^  »  Les  réformés 
restaient  menaçants;  mais  au  milieu  de  l'effroi  et  du  décou- 
ragement des  derniers  ligueurs ,  il  n'y  avait  pas  ft  craindre 
qu'un  mouvement  catholique  cobiddât  avec  un  soulèvement 
calviniste.  SI  ia  situation  restait  très  grave,  si  les  alTaires  de- 
mandaient à  être  traitées  avec  une  prudence  infinie,  du  moins 
pouvait-on  espérer  dès  lors  que  la  politique ,  la  décision  et 
la  valeur  du  roi  amèneraient  ime  heureuse  solution. 

Les  notables  n'avalent  compté  ni  avec  la  misère  de  la  masse 
de  la  nation,  qui  restreignit  pendant  longtemps  les  achats  au 
strict  nécessaire,  ni  avec  la  fraude,  ni  avec  les  soulèvements 
du  THittou  et  des  provinces  voisines,  qui  s'opposèrent  à  l'éta- 
blissement du  nouvel  Impôt  dans  une  partie  du  royaume. 
Les  notables  avaient  estimé  le  produit  annuel  du  sou  pour 
livre  à  5  millions  :  Il  ne  rendit  jamais  au  delà  de  1,100,000  li- 
vres >.  Ils  se  troml)èrent  encore  dans  l'espoir  d  Wroltre  sur-« 
le-champ  les  produits  de  plusieurs  branches  des  revenus 
publics.  Ces  augmentations  ne  vinrent  que  bien  plus  tard,  & 
la  suite  de  pénibles  et  lentesamélioratlons,  et  ce  nVst  qu*après 
les  réformes  de  Sully  et  ft  la  fin  du  règne  que  l'on  trouve  le 
chliTre  de  30  millions  de  recette ,  qu'ils  avaient  rêvé  pour 
Pannée  1597  K 


CHAPITRE  VL 


Fio  éê  U  |ii«T«  coBtre  la  Ufv«  et  cnatr«  l*E<pacae.  SoqmlMioii  de 
Mercceur.  Paix  de  Vervios  (159S). 


Henri  avait  tout  préparé  en  hiver  pour  écraser  les  der-    «•«»«*^«<»n*t 
niers  restes  de  la  Ligue  et  du  parti  aristocratique,  qui  ne  se  h    ' 

d«  la  Bretagne. 

*  Lettoile,  Mptembre  1597,  p.  SB9  A. 

*  Svlly.  OEcon.  roy.,  c.  70.  p^  137  B.  è  la  fin.—  Lce<HaU  reciwiUia  par 
ForkoonaU,  p.  Vt,  —  L«p[rara,  IMcade,  1.  Ti,  p.  Mi. 

*  Voyea  les  elats  recaeillU  par  ForbooDais,  I.  i.  p.  i9(k 


328  HISTOIRE  DU  RÈGNK  DE  HENRI   IV. 

soutenait  plus  que  sur  les  marches  du  Poitou  et  de  l'Anjou,  et 
dans  la  Bretagne  avec  Mercœur.  Une  première  armée,  laissée 
en  Picardie  sous  la  conduite  du  connétable  de  Montmorend, 
devait  com[>attrc  l'Espagnol,  s'il  osait  se  présenter.  Une  se- 
conde armée  de  quatorze  mille  hommes  avait  été  rassemblée 
pour  suivre  le  roi  dans  les  provinces  de  l'Ouest,  et  agir  contre 
les  derniers  ennemis  intérieurs*.  Sur  ces  nouvelles,  plusieurs 
villes  de  Bretagne  se  disposèrent  à  attaquer  les  gouverneurs 
et  les  garnisons  que  leur  avaient  donnés  Mercœur,  pour  se 
soumettre  à  Henri  et  se  rattacher  à  la  France.  C'est  la  con- 
duite qu'avaient  tenue  quelques  années  auparavant  les  villes 
de  Bourgogne.  Les  bourgeois  de  Dinan  prirent  les  armes, 
élevèrent  des  retranchements  pour  se  mettre  à  l'abri  du  feu 
de  la  garnison,  introduisirent  dans  leurs  murs  Brissac,  lieu- 
tenant du  roi ,  et  l'aidèrent  à  prendre  la  citadelle  (  12  fé- 
vrier 1598).  La  réduction  de  cette  ville  importante  frappa 
d'étonnement  et  de  terreur  toutes  celles  qui  tenaient  en  Bre- 
tagne le  parti  de  Mercœur  :  le  Piessis-Bertrand  et  la  tour  de 
Scsson  se  rendirent  incontinent  Le  roi  partit  de  Paris  quel- 
ques jours  après,  il  reçut  sur  sa  route  la  soumission  du  gou- 
verneur de  Craon  en  Anjou,  le  21  février  ;  celle  du  gouverneur 
de  Bochefort  en  Anjou  et  de  Mirebeau  en  Poitou,  le  1"  mars. 
La  série  des  crimes  et  des  brigandages  dont  ils  s'étaient 
souillés  se  trouve  dans  les  capitulations  qu'ils  obtinrent,  et 
montre  quel  avait  été  l'état  de  la  France  au  moyen  âge  et 
quel  il  aurait  été  si  la  seconde  féodalité  avait  pu  s'établir. 
GeUe  suite  de  défections  ôtait  à  Mercœur  jusqu'à  la  possibi- 
lité d'une  résistance  sérieuse,  même  avec  l'assistance  des  Es- 
pagnols, qui  étaient  affaiblis  en  Bretagne  comme  partout  ail- 
leurs. 11  n'attendit  pas  que  le  roi  entrât  en  Bretagne  ;  il  lui 
envoya  ses  plénipotentiaires  à  Angers,  et  accepta  la  paix  à  tout 
prix.  Le  traité  fut  signé  le  20  mars.  Le  duc  renonçait  au 
gouvernement  de  Bretagne  et  sortait  de  la  province  ;  il  ren- 
dait  toutes  les  villes  et  châteaux  où  il  avait  garnison.  11  con- 
sentait au  mariage  de  sa  fille  unique  avec  le  fils  naturel  du 

*  Dans  les  Méni.  de  Dupicssis,  t.  Tn,  p.  384,  ^^85,  lettre  de  Menri  IV 
à  Duplessis,  8  novembre  15!I7  :  «Je  serai  le  16  du  prochain  ù  Blots»  bien 
m  résolu  d'apprendre  le  pas»e>pied  de  Bretagne,  n  Des  afl'aires  urgentes 
le  coolraignirent  à  diflérer  de  quelques  mois  l'expédition  de  Bretagne  des 
lors  résolue  et  préparée.  —  Mémoires  de  Sully,  c.  79,  l.  ],  p.  â(î8, 1109.  — 
P.  Cayel,  1.  IX,  p.  783  A. 


SOUMISSION  DËUEftCOeUR,  FIN  D£LA  MGOK.  LKSPARLËM.     329 

roi,  César,  duc  de  Vendôme,  et  il  leur  assurait  les  imincuses 
domaines  de  la  maison  de  Pentliièvrc  dans  les  diocèses  de 
Dol  et  de  Saint-Brieuc.  En  échange,  le  duc  et  tous  ceux  qid 
avaient  suivi  son  parti  obtenaient  pardon  et  abolition,  et  de 
plus  rénorme  somme  de  iï,295,000  livres  du*  temps  K 

La  soumission  de  Mercœur  termina  le  soulèvement  de  la   Tia  de  lo  Ligue 
moitié  du  royaume,  commencé  dix  ans  auparavant  sous  le  Lirévôiiè'rmée 
règne  de  Henri  111.  Elle  mit  fin  à  la  Ligue  considérée  comme         .  «i*-*    . 
révolte  de  la  société  religieuse  contre  le  gouvernement  poli-      »»'»«• 
tique.  Elle  mit  fin  «ussi  à  la  tentative  armée  de  Taristocratie 
pour  démembrer  le  royaume  en  principautés  indépendantes; 
Mcrcanir  était  le  dernier  des  grands  seigneurs  qui  avaient 
essayé  de  changer  leurs  gouvernements  en  comtés  et  en  du- 
chés féodaux.  Les  biens  de  la  maison  de  l^ntbièvre,  dernier 
grand  domaine  qui  fût  en  France ,  entrés  par  mariage  dans 
la  maison  royale,  étaient  un  fait  capital  dont  nous  apprécie* 
rons  plus  tard  les  conséquences. 

La  prudence  demandait  que  Ton  se  liAtât  d'assurer  ces  Cominiie 
importants  résultats.  En  effet,  au  moment  où  le  roi  éteignait  <^sp»ri«iu«ni*« 
la  guerre  civile  du  côté  des  catholiques  par  la  soumission  de 
Mercœur,  il  avait  à  craindre  de  la  voir  renaître  du  côté  des 
calvinistes,  qui  préludaient  à  une  révolte  ouverte  par  les  actes 
de  la  plus  violente  opposition.  Philippe  11  était  toujours  en 
armes,  et,  dans  de  nouveaux  troubles  intérieurs,  pouvait  re- 
trouver tout  à  coup  les  chances  de  succès  que  la  reprise 
d'Amiens  lui  avait  enlevées.  Le  pariemeut  de  Paris  comprit  la 
gravité  des  circonstances,  et,  libre  des  préventions  religieuses, 
car  Mercœur  était  catholique,  libre  de  tout  intérêt  personnel, 
il  se  hâta  de  sanctionner  les  conventions  arrêtées  par  le  roL 
Le  parlement  enregistra  Tédit  accordé  au  duc  de  Mercœur  le 
26  mars ,  la  cour  des  comptes  le  lendemain,  la  coiu*  des  aides 
deux  jours  plus  tard«  La  cour  des  comptes  de  Nantes  se 
montra  moins  sage,  éleva  dos  difficultés,  et  mit  des  restrictions 
que  Henri  eut  k  vaincre  par  len  prescriptions  les  plus  impé- 
ratives.  Cependant,  au  milieu  de  l'impatience  que  lui  causiiit 
l'aveuglement  des  magistrats,  il  n'oubliait  pas  de  rappeler  les 

*  Thuanot,  1.  cxx.  $S  S- 4,  t.  v,  p.  7il.7i6.  —  P.  Caret,  1.  »,  p.  7Si. 
7S4.  —  Articles  accordes  par  le  roi  aux  siear^  de  Saint-Offange  et  au  ftieui 
Dapleft&is  de  Cosd««  duii«  les  edil«  de  Henri  IV  «iir  U  reunion  de  tes  suK> 
jecls.  in-folio,  p.  41 4-lâH.  —  Edict  tnr  lea  artirUt  accordes  à  M.  le  duc  do 
Mcrcoeur,  ia«fulio,  p.  liU-135.  —  Mcro.  de  SuUy,  c.  I51«i.  U,  p.  30  A. 


830  HISTOUE  DU  RfeGN£  DB  HENRI  IV. 

principes  de  la  juste  distribnlion  des  poufoirs,  et  ii  annou- 
çait  que,  s'il  ne  tenait  aucun  compte  de  leur  opposition,  c'est 
qu'ils  s'immisçaient  dans  les  droits  de  faire  la  guerre  et  la 
naix,  de  conclure  les  traités  qui  appartenaient  eKclusivement 
■  la  couronne.  «  Je  vous  envoyé  mes  lettres  de  Jussion  pour 
ma  cour  des  comptes  afin  de  lever  les  modifications  au  régis- 
trement  des  articles  secrets  que  j'ai  accordés  à  mon  cousin 
le  duc  de  Mercœur.  Elle  s'est  tant  oubliée  que  d'avoir  pensé 
que  je  les  envoyois  pour  en  avoir  avis  et  les  mettre  en  déli- 
bération. En  telles  aiTaires,  je  ne  communique  mon  pouvoir 
à  personne  :  à  moi  seid  appartient ,  en  mon  royaume ,  d'ac- 
corder, traiter,  faire  guerre  ou  faire  paix ,  ainsi  qu'il  me 
plaira.  Ça  été  une  grande  témérité  aux  officiers  de  ma  dite 
cbambrc  de  penser  diminuer  un  iota  de  ce  que  j^ai  accordé  ; 
nulle  compagnie  de  mon  royaume  n'a  été  si  présomptueuse, 
aussi  ne  les  fais-je  pas  juges  ni  arbitres  de  tcUes  choses;  cela 
ne  s'achète  pas  aux  parties  casuelles.  Faites  donc  entendre 
ma  volonté  à  ma  dite  diambre,  qu'elle  obéisse  à  mes  com- 
mandements ,  et  m'envoye  incontinent  l'arrêt  d'enregistré-* 
ment  pur  et  simple  par  ce  porteur  ^  « 

Quelques  jours  après  avoir  désarmé  Mercœur,  le  roi  acheva 
la  pacification  du  royaume  en  réglant  par  l'édit  de  Nantes  Pétat 
religieux,  civil  et  politique  des  calvinistes  français,  et  en  pré- 
venant les  troubles  dont  leur  mécontentement  menaçait 
l'Eut  ;  il  scella  l'édit  le  13  avril  lô98i  Ces  résultats  obtenus 
au  dedans  réagirent  fortement  sur  ta  politique  extérieure  : 
Philippe  II  termina  les  négociations  depuis  longtemps  enta-* 
mées  en  signant  à  Vervins  la  paix  avec  la  I*Yanee,  le 
*2  mai  1598  h  Des  difficultés  de  détail  ayant  ajourné  jusqu'à 
l'année  suivante  l'exécution  de  l'édit  de  Nantes,  il  convient 
d'accorder  la  priorité  au  traité  de  Yervins,  et  d'en  exposer 
d'abord  les  causes,  le  contenu  et  les  résultats. 

Ou  projet  primitif  d'envahir  la  France  entière,  Philippe  H 
était  passé  à  l'idée  de  la  démembrer  seulement  et  de  s'appro- 


*  Lettre  de  Henri  !▼  i  Rosnj.dn  30 avril  1898,den8  les  Lettres  nilnivet, 
l.  IV,  p.  970.  —  Kdîl  sur  les  articles  nccurdés  au  duc  de  Mercœur,  fulio  ISS 
▼erio.  —  Thaamus,  ibid. 

'  DumoDl,  Corps  diplom..  l.  V,  part,  i,  p.  S6f.  —  Pièces  justifie,  de 
l'tfdil  de  Nautes  à  la  fin  du  t.  i,  p.  tii.  —  Thnanus,  1.  cuit  SS  ^«  ''t  t  V, 
p.  717.  —  P.  Cayel,  Chr.  noT.«  1.  ix,  p.  786,  7S7,  et  Cbr.  septen*,  1. 1, 
p.  ll.etL  11,  p.  46. 


ÉTAT  DIS  LA  MONARCHIE  ESPAGNOLS.  331 

prier  la  Bretagne  et  les  provinces  du  Nord.  Les  conquêtes 
faites  en  licardie  par  ses  années,  Tébranlement  qu^elles 
avaient  produit,  avaient  soutenu  josqu^au  bout  ses  espérances. 
Elles  furent  emportées  par  la  reprise  d* Amiens,  la  soumis- 
sion de  Mercœur,  la  réconciliation  des  calvinistes  avec  le  roi, 
qui,  en  ôtant  à  Philippe  II  Paide  des  factions,  lui  enlevaient 
sa  principale  force.  Alors  il  se  trouva,  avec  ses  desseins  d'ag- 
grandissement  extérieur  confondus,  en  présence  de  la  déca- 
dence de  sa  propre  monarchie. 

Après  dix  ans  de  guerre  et  d'intrigues  chèrement  payées  ^  ^Jjjf.'îciiie 
contre  l'Angleterre,  les  Provinces-Unies,  la  France  à  la  fois,  csp»Baoi«. 
il  voyait  sa  marine  à  demi  détruite,  ses  armées  de  terre  in- 
siiiGsantes  et  souvent  révoltées,  son  territoire  diminué,  ses 
états  exposés  partout  aux  incursions  de  Tennemi.  La  Hol- 
lande avait  affermi  sa  constitution  républicaine,  conquis  les 
principales  villes  de  la  Gueidre,  d*Over-Yssel,  de  Groningue, 
ajouté  à  son  territoire  ces  trois  pays  qui  auparavant  ne  lui 
appartenaient  guère  que  de  nomU  Philif^ie  avait  ainsi  perdu 
sept  provinces  des  Pays-'Bas.  Ses  ennemis,  quittant  la  défen- 
sive pour  Tettaque,  portaient  Tinvasion,  les  Hollandais  dans 
les  provinces  catholiques  des  Pays-Bas,  les  Anglais  en  Es- 
pagne, où  ils  prenaient  Cadix.  Ses  finances  étaient  dans  un 
état  déplorable  de  désordre  et  d'épuisement.  Depuis  cinq 
années,  il  avait  été  réduit  à  laisser  fréquemment  sans  solde 
ses  troupes,  qui  pillaient  alors  les  villes  et  les  campagnes 
voisines.  En  1596,  il  avait  frustré  des  intérêts  et  du  gage 
même  de  leurs  créances  les  banquiers  de  la  moitié  de  l'Eu- 
rope, auxquels  fl  avait  emprunté  des  sommes  immenses,  ses 
revenus  des  deux  mondes  ne  lui  suffisant  pas.  Mais  comme 
ceux  qui  n'étaient  pas  entièrement  ruinés  lui  avaient  dès  lors 
fermé  letir  bourse,  et  l'avaient  réduit,  ainsi  que  l'ircbiduc 
Albert,  son  gouverneur  des  Pays-Bas,  à  tme  incroyable  pé- 
nurie, il  s'était  trouvé  hors  d'état  de  pousser  jusqu'au  bout  son 
manque  de  fol  et  de  soutenir  sa  lianqueroute  :  venant  à  oouh 

•  D«  fSOO  k  I5M,  iMHoHaDdait  «Tatont  prit  Im  prindpalM  tIUm  da  la 
Guridrc,  de  rOTrr*Yssel,  de  Groningue  :  Zutphcn  et  Ninègue  pu  Gueldr«, 
Utrventer  «ians^l'Over^Y&sel,  Grontague  dans  le  |MT*de  ce  nom,  outre 
une  foule  d'antrrs  places  moins  importantes.  En  1S!)7,  pendant  que  la 
curdinal  AUtcrtcliarchait  à  défendre  Amiens  contre  Henri  IV,  ils  av^iant 
pm|Mirli*  sept  nouvelles  places,  et  achcTc  ainsi  la  conqucta  des  trois  pro« 
vincca  (P.  Caycl,  1.  ix,  p.  TTt.) 


Etat 
«le  lu  France. 


Truite 
de  Vervini. 


332  HISTOIRE   DU  RÈGNK  DE   HENRI   IV. 

posilion,!]  avait  été  contraint,  quelques  mois  plus  lard,  de  leur 
restituer  une  partie  de  ce  qu'il  leur  avait  enlevé.  Il  n'obtint 
un  nouvel  emprunt  qu'en  engageant  les  principaux  revenus 
publics  jusqu'en  1600  ;  et  comme  les  ressources  étaient  ainsi 
dévorées  d'avance,  il  fut  obligé,  en  1598,  d'imposer  de  nou- 
veau ses  sujets  déjà  écrasés,  et  de  faire  demander  de  porte 
en  porte  un  don  gratuit  que  Davila  appelle  une  aumône'. 
Au  milieu  de  ces  embarras  et  de  ces  humiliations,  il  sentait 
la  mort  approcher,  et  craignait  de  léguer  à  son  successeur 
la  guerre  contre  la  France,  l'Angleterre,  la  Hollande,  sans 
moyens  de  la  soutenir.  L'état  de  la  monarchie  espagnole  lui 
faisait  donc  une  nécessité  impérieuse  de  la  paix. 

La  France  avait  à  demander  un  compte  rigoureux  de  ses 
injures  à  l'Espagne  ;  mais  le  moment  des  représailles  était 
bien  loin  pour  elle.  Elle  était  aussi  épuisée  que  son  ennemie 
par  trente-huit  années  de  guerre  civile  et  par  neuf  années 
de  guerre  contra  l'Espagne,  la  Lorraine,  la  Savoie,  le  Saint- 
Siège,  c'est-à-dire  contre  la  moitié  de  l'Europe.  La  dévasta- 
tion et  la  dépopulation  de  ses  campagnes ,  le  désordre  de  ses 
finances,  auxquelles  Rosny  commençait  à  peine  à  toucher  , 
l'énormité  de  sa  dette,  la  condamnaient  à  un  long  repos.  De 
plus,  Henri  avait  à  raffermir  l'autorité  royale ,  tous  les  pou- 
voirs secondaires  et  l'ordre  public,  profondément  ébranlés  au 
milieu  des  longs  troubles  dont  on  sortait  à  peine.  Les  seuls 
avantages  qu'elle  pût  poursuivre  présentement  étaient  donc  la 
paix,  qui  lui  donnait  les  moyens  de  se  rétablir,  la  délivrance 
de  son  territoire,  le  recouvrement  des  villes  et  pays  tombés 
au  pouvoir  de  l'Espagnol^. 

Ge  fut  sur  ces  bases  qu'elle  entama  les  négociations  à  Ver- 
vins,  le  7  février  1598,  et  qu'elle  les  poursuivit  pendant  trois 
mois.  Henri  avait  à  stipuler  pour  lui  et  pour  ses  alliés,  l'An- 
gleterre, la  Hollande,  Genève.  On  trouve  dans  une  récente 
histoire  qu'il  était  toujours  prêt  à  sacrifier  ses  alliés,  pourvu 
quMl  obtint  pour  lui-môme  des  conditions  avantageuses,  et 
qu'à  Ver  vins  il  conforma  sa  conduite  à  ces  principes  3.  Il  n'y 
a  pas  un  mot  de  vrai  dans  cette  accusation,  i'endaut  tout  le 


'  M.  Rank,  Hiit.  des  OsmanlU  et  de  la  luouarcbie  eipagDole,  p.  405, 
406.  —  Davila. 

'  Sully,  OEcon.  roy.,  c.  90,  p.  S74,  978.  Voyex  ci-aprcs  les  citalions  des 
pages  SVf  et  554. 

*  M.  de  Sisraoudi,  Hist.  des  Français,  t.  XXI,  p.  473-4T7. 


CONDUITE  DE  HENRI  A  L'ÉGARD  DE  SES  ALLIÉS.        333 

conrs  des  négociations,  il  ne  sépara  pas  un  moment  sa  cause 
de  celles  de  rAngteterre  et  de  la  Hollande.  11  refusa  de  trai- 
ter avec  Philippe  H  jusqu'à  ce  que  ce  prince  eût  consenti  les 
deux  conditions  suivantes  :  que  TAngleterre  et  la  Hollande 
seraient  comprises  dans  la  paix,  si  elles  le  voulaient;  qu'une 
suspension  d'armes  de  deux  mois  aurait  lien  entre  l'Espagne, 
l'Angleterre  et  la  Hollande,  pour  donner  le  temps  à  ces  deux 
dernières  puissances  de  peser  mûrement  le  parti  qu'elles 
avaient  à  prendre,  et  d'entrer  au  traité  ou  de  rester  en 
dehors  K 

Henri  ne  devait  point  aller  au  delà,  dans  l'intérêt  de  ses     Coudait*  de 
peuples  :  bien  plus,  il  ne  pouvait  aller  au  delà,  puisqu'il  ne   ^^e^Mt  •inS'^^ 
disposait  pas  de  la  volonté  de  ses  alliés.  Or  la  ferme  inten-  | 

tion  de  l'Angleterre  et  de  la  Hollande  était  de  continuer  la 
guerre  contre  l'Espagne,  et  d'empteher  par  tous  les  moyens 
la  France  de  traiter  avec  Philippe  H.  De  nombreux  motife 
leur  inspirèrent  cette  résolution.  lia  guerre  ne  présentait  aucun  ' 

danger  à  l'Angleterre  :  depuis  la  ruine  de  l'Armada  et  la  j 

destruction  d'une  autre  flotte  espagnole  dirigée  contre  l'Ir-  i 

lande  en  1596,  les  Anglais,  dont  la  marine  prenait  chaque 
jour  de  nouveaux  accroissements,  se  trouvaient  dans  leur  lie 
parfaitement  à  l'abri  des  descentes  et  des  invasions  de  Phi- 
lippe IP.  Elisabeth  regrettait  la  perte  de  Calais,  faite  par  les 
Anglais  en  1558  :  elle  avait  voulu  obtenir  cette  ville  par  la 
libre  cession  de  Henri  en  1590  et  en  1596  ;  elle  l'avait  laissé 
prendre  aux  Espagnols  en  1596  ;  elle  prétendait  empêcher 
le  roi  de  la  recouvrer  par  la  paix,  en  attendant  l'occasion  de 
s'en  saisir  elle-même  3.  Enûn  l'Angleterre  voulait  la  continua- 

I  Lettre  de  Yilleroy  aux  négocialeari  français  Bellièvre  et  ^ll«rj« 
31  mars  1506,  dans  les  Mvin.  de  Duplestis,  t.  XTiii,  p.  SttO.  «  itaMaiMtédict 
9  qu'elle  a  loujouit  dict  k  M.  le  légat  qu'elle  demandoit  le  siea,  «t  que  set 
»  allies  fusseol  cumpris  en  lu  paix,  comme  elle,  oe  Toullunt  les  abeu- 
M  donner...  Sa  Majesté  voit  maintcuaut  qu^on  l'a  refusée  afin  du  la  surcharger 
»  de  honte  et  de  leproche  enver«  ses  allies,  et  oou  seulement  leur  roan- 
M  quer  de  fojr,  mais  aus^i  estre  faulteur  de  leur  ruyne...  Le  roy  perdra 
M  pliislosl,  je  ne  dirai  pas  le«  yilles  que  l'on  parle  de  luy  rendre,  mais  son 
M  estât  que  de  fuire  une  telle  laschele.  »  Le  roi  dit  la  même  chose  pres- 
que dans  les  mêmes  termes,  le  9  avril,  p.  996.—  Uenii  ubligea  Phi- 
lippe Il  à  accorder  deux  mois  à  la  reine  d'Angleterre  et  aux  llullandais 
puur  leur  donner  le  temps  de  se  dérider,  amsi  qu'il  résulte  i  I*  de  lu 
corre4|K>ndance  de  Villcroj,  de  BelliLTie  et  de  billery,  an  96  avril  eC 
l«r  mai  1598,  p.  539,  417  ;  i*  de  Tacte  annexé  au  traite  de  Vervint,  et 
portant  pour  titre  :  ■  Négociation  pour  la  cessation  de  guerre  avec  lu 
»  ruyne  d'Angleterre  et  les  provinces-uoies  des  Pays-Bas.  »  P.  457«  4fitl« 

•  P.  Cayel,  1.  \in,  p.  746  A. 

*  Correspondance  de  Bellièvre,  de  SiUcry,  de  Villcroy,  de  Henri  IV,  «ns 


d3&  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

tion  de  la  guerre,  parce  que  la  guerre  l*avait  enrichie  par  la 
prise  des  galions  chargés  des  richesses  du  nouveau  monde 
et  par  le  butin  de  Cadix,  et  qu'elle  se  promettait  plus  encore 
de  l'avenir»  IjCS  Hollandais,  en  continuant  les  hostilités, 
avaient  à  redouter  Teifort  de  toute  la  monarchie  espagnole 
et  des  dangers  qiii  épouvantaient  Henri.  Mais  les  conseiisde 
l'Angleterre,  l'influence  de  Maurice,  qui  craignait  de  voir  son 
autorité  diminuer  dans  la  paix,  l'espoir  d'enlever  aux  Espa- 
gnols les  possessions  portugaises  des  Indes,  dont  lis  avaient 
commencé  la  reconnaissance  depuis  1595,  leur  flrent  rejeter 
les  voies  de  conciliation  ^ 

Henri  représenta  vainement  à  ses  aliiés  que  son  dessein 
arrêté  et  son  plus  vif  désir  étaient  d'alMisser  la  maison  d'Au- 
triche et  d'assurer  ainsi  l'indépendance  générale  de  l'Europe 
comme  celle  de  la  France  ;  mais  que  le  royaume  avait  indis- 
pensablement  besoin  de  reprendre  haleine  et  de  réparer  ses 
ibrces  avant  de  recommencer  cette  grande  lutte  :  vainement 
il  les  convia  à  déposer  momentanément  les  armes  en  même 
temps  que  lui,  pour  les  reprendre  eu  commun  plus  lard  et 
plus  efficacement.  Ils  restèrent  fermes  dans  leur  résolution, 
s^efiorcèrent  d'entraver  les  négociations  et  de  retenir  la  France 
dans  une  guerre  où  elle  pouvait  périr,  mais  dont  elle  dimi- 
nuait le  poids  pour  eux  en  le  parlageanl.  Henri  les  trouvant 
disposés  à  ne  voir  qu'eux,  à  tout  rapporter  à  leur  intérêt,  fut 
obligé  de  se  séparer  d'eux  pour  conclure  la  paix.  Mais  il  resta 
leur  allié,  leur  gai*da  affection  et  dévouement;  il  fournit  aux 
Hollandais  des  secours  de  toute  espèce,  et  particulièrement 


dttef  des  1t  fôvrier,  4  aTril.  9  avril.  13  aTril,  16  mai  1898,  dam  le  t.  Tlii 
d«s  Mëm.  de  Daplessis,  p.  Si,  S73,  3UI,  313,  6SS.  «  Si  nous  nous  arrestoDt 
»  anx  conseils  de  la  loyno  d^Angleterre  et  dei  Estols,  nous  aurons  dix  uns 
»  de  cuerre  et  jamais  de  paix  :  si  tous  vous  atlendea  qu'ils  faMcnl  nos 
»  aflaTres,  tous  tous  trouvcrea  fort  trompés.  —  La  royiie  d^Anglrtcrro  se 

•  promet  qu'il  est  impos»ible  quMI  ne  naisse  qaelque  acddenl  qni  fera 

•  que,  veuÛîe  ou  non  Voi^tre  Majesté,  elle  seia  contruincte  de  continuer  la 
»  guerre  avec  PEspulKiiol.  C'est  le  seul  moyen  qui  lui  reste  pour  cmpes* 
M  cher  que  Vostre  Majesté  ne  recouvre  Calais  ;  ce  qu*etie  crnint  comme 
»  la  mort,  —  Je  ne  double  point  que  lesdils  ambassadeurs  (des  Hrovinct*^ 
a  Unies  et  de  la  royne  d*AnglctcrrcJ  ne  soyent  très  marris  que  Gtlais  me 
»  soit  rendu,  et  partant  qu'ils  ne  (asscnl  souhs  main    ce  qu'ils  pourront 

•  pour  m'y  traverser  par  une  voye  ou  par  aullre.  —  Si  nous  retardons  A 
»  conclure  ce  traiclé,  ce  que  nous  avons  dici  qui  nous  préjiidicicroit,  peut 
s  servir  aux  desseins  de  la  royne  d'Angleterre  qui  sont  principalement 
a  d'entrer  dans  Calais  et  que  nous  en  demeurions  exclus,  » 

•  P.  Cayct,  1.  IX,  p.  78S.  —  Lettre  de  Henri  IV  à  Bellièvre,  dn  M  avril, 
éenu  les  liém.  de  Duplessii,  t.  Vin,  p.  S90. 


PAIX  ms  VERviirs.  335 

des  subsides,  qui  entrèrefit  pour  moitié  à  pea  près  dans  le 
triomphe  de  leur  cause'. 

Les^ifficultésqul  aviient  entravé  ia  marchedes  négociations 
étant  enfin  surmontées,  les  plénipotentiaires  de  France  et  d*Es- 
pagne  signèrent  la  paix  à  Vei^vina,  le  2  mai  1598.  Le  traité  de 
Cateau-Cambrésisétait  remis  en  vignear  et  devenait  la  loi  corn- 
manedes  deax couronnes.  Le  commerce  entre  leurs snjetsétait 
rétabli.  L'Espagne  abandonnait  toutes  ses  conquêtes  et  resti- 
tuait à  la  France,  dans  le  nord,  les  six  villes  de  Calais,  Ardres, 
Ifonthulin,  Douriens,  la  Capelle,  le  Castclet  ;  en  Bretagne,  la 
viOe  de  Biavei«  Le  doc  de  Savoie  était  compris  dans  le  traité  : 
y  rendait  Berre,  la  aeulo  place  qu^ll  Unt  encore  en  Provence: 
le  marquisat  de  Saluées,  usurpé  par  lui  sur  la  France,  durant 
les  troubles  de  la  fin  du  règne  de  Henri  111,  éuit  remis  à 
rarbitrage  du  pape,  qui  dans  Tespace  d*un  an  devait  rendre 
sa  sentence  et  l^KlJuger  à  celui  qu'il  en  Jugerait  légitime 
propriétaire.  Genève,  qui  depuis  1589  avait  sans  cesse  été 
aidée  par  la  Franco,  restait  sous  sa  protection,  parce  qu'elle 
se  trouvait  conq)rise  au  nombre  des  confédérés  de  la  Suisse, 
et  que  la  Suisse  elte-mémc  était  nommée  au  traité  comme 
alliée  de  Hemi*.  Le  grand  résultat  du  traité  de  Vervins  était 
que  la  France  recouvrait  entièrement  Tintégrité  de  son  terri- 
toire; que  les  dernières  des  profondes  blessures  que  la  Ligue 
lai  avait  faites  dans  les  rapports  avec  l'étranger  étaient  cica- 
trisées et  fermées. 

Le  pape  Clément  VU!  sMtalt  porté  pour  médiateur  de  la 
paix  entre  la  France  at  TEspagne,  et  son  légat,  le  cardinal 
Alexandre  de  Médlcis,  avait  présidé  et  dirigé  les  conférences 


Prind|wl«i 

clause!  (lu  trailtf 

de  Verviot. 


GondttUe 

delà 

coar  de  Homr. 


'  Sully,  OEcon.  roy.,  c.  79,  SO,  l.  i,  p.  *7I  B,  2T5  B.  874,  975.  «  J'ay 

#  dent  rMprit  ledesseki  formel  de  fsitre  un  |our  putuammenl  la  guerre  â 
m  l'Kspagnol,  ^ant  ccfte  pauion  la  plut  %iolrnle  «le  toute*  cellrn  que  |e 
«  ptiurroh  Bvuir.  —  Il  n^  a  parmi  U't  Fraoçoîs  que  ruyne,  JUsolutiun  et 
m  dëftordre..*  n^y  ayant  quasi  ny  ville  ny  chasteaa  en  mon  ruyuume  qui  ne 
■  se  Mil  senti  des  raine»  et  désolations  de  la  guerre,  ui  revenus  publics  et 
»  privei  qui  ne  soyent  en  drcgat  et  non  valeur,  la  Franre  et  moy  avons 
»  heioin  de  reprendre  baleine,  et  sous  le  benrfic<*  de  quelque  cessation 

•  d^armes,  pouvoir  réparer  tou<i  cet  drf^iuts.  — >  l4i  paix  de  Vervins   ne 

•  Pempesrha  pas  de  continuer  ses  alliances  avec  l'Augletrrre  et  les  l'ro- 

*  Tinces-Unirs,  et  de  leur  promettre  toute  assistance  d'argent.»— 'Lettres 
de  Henri  IV  et  de  Vilirroy  à  Ik'llièvre  et  à  Sillery,  du  |cr  mai  1598,  dans 
les  Mém.  de  Duplcssis,  t.  Vin,  p.  414^17. 

*  Le  texte  du  traité,  dans  les  Mém.  de  Duplesiis,  r.  vm,  p.  45I.>4B3; 
plus  pour  la  reine  d'Anglelerie  et  les  Hollandais,  p.  457,  458.  —  Dumonl, 
Corps  diplomatique,  t.  V,  partie  l***,  p.  861. 


336  HISTOIRE  DU   RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

du  congrès  de  Venins*.  Ce  même  pape,  au  commencement 
de  son  pontificat,  et  cinq  de  ses  prédécesseurs,  avaient  lancé 
contre  Henri  III  et  Henri  IV  des  excommunications  qui 
livraient  le  royaume  en  proie  à  Philippe  II,  et  quelques  uns 
avalent  aidé  le  roi  catholique  de  leurs  armées  et  de  leurs 
trésors  dans  ses  projets  de  conquête*  Ge  grand  changement 
de  la  cour  de  Rome  à  Tégard  de  la  France  était  loin  de  pou- 
voir s'expliquer  par  la  seule  abjuration  du  roi,  puisque  Henri» 
devenu  catholique,  avait  trouvé  cette  cour  inflexible  pendant 
plusieurs  années.  Il  fallait  donc  en  chercher  les  causes  dans  les 
graves  modifications  qu'avait  subies  depuis  quelques  années 
la  politique  générale  de  TEurope.  Les  revers  essuyés  par 
TEspagne  dans  sa  lutte  contre  l'Angleterre  et  la  Hollande 
auraient  pu  être  plus  que  couverts  par  la  conquête  de  la 
France.  La  guerre  de  France  au  contraire  avait  coûté  à  Phi* 
lippe  II  d'énormes  sacrifices  sans  compensation.  L'Espagne 
affaiblie  pesait  d'un  poids  bien  moins  lourd  sur  les  États 
secondaires  de  l'Italie.  La  France  était  épuisée ,  mais  elle 
avait  déjà  retitiuvé  son  unité  politique  et  un  gouvernement 
ferme  sous  un  grand  homme,  et  l'on  prévoyait  déjà  qu'il 
lui  rendrait  bientôt  sa  prospérité  et  sa  force.  Les  papes  et 
les  autres  princes  italiens  pouvaient  donc  sans  danger  se 
montrer  bienveillants  envers  la  France,  en  attendant  qu'ils 
embrassassent  son  alliance,  et  en  fissent  le  rempart  de  leur 
indépendance  contre  l'Espagne.  Placé  dans  une  nouvelle  et 
meilleure  condition,  rendu  au  moins  en  partie  à  la  liberté,  le 
pape  Clément  VIII  avait  pu  se  livrer  &  ses  sentiments  natu- 
rellement droits  et  justes,  et  redevenir  le  père  conunun  de 
la  chrétienté. 

'  Relation  de  ce  qui  se  passa  à  la  coiirérence  poar  la  pais  à  Verrint, 
Mém.  de  Dupicssis,  t.  VUI,  p.  55S-419. 


ÉTAT  DES  CALVimSTES*  £d1T  DE  NAKTES.  337 

CHAPITRE  VIL 

Étal  im  cftlTiaiMM  da  1889  k  f  687.  Êdit  da  ITaBiM,  ïMi, 

Le  traité  concla  avec  Mercœar  avait  achevé  de  désarmer 
la  Ligoe,  et  mis  fin  à  la  guerre  civile  du  côté  du  partt  catho* 
iique.  L*édlt  de  Nantes  dissipa  d^injostes  mais  profonds  mé* 
contentements,  calma  une  agitation  dangereuse ,  et  prévint 
une  autre  guerre  dvile  tout  près  d'édater  du  c6té  du  parti 
protestant 

L'édit  de  Nantes  régla  Tétat  reiigieuz,  civil  et  politique 
des  réformés  français  :  il  devint  leur  charte  et  leur  code 
pour  près  d*un  siècle  :  encore  aujourdliui«  il  n'est  ni  sans 
influence,  ni  sans  application,  toutes  les  fois  que  l'on  in- 
voque le  principe  de  la  parûdte  égalité  des  cultes  et  des 
citoyens  devant  la  loi  et  devant  le  gouvernement  Aucun  acte 
n'est  plus  célèbre  dans  notre  ancienne  histoire* 

n  est  impossible  de  se  (aire  une  juste  idée  de  cet  édlt,  d'en 
bien  comprendre  le  contenu,  l'esprit  et  les  conséquences» 
lorsqu'on  ne  se  rend  pas  compte  d'abord  de  la  législation 
qui  régit  les  calvinistes  français  Jusqu'au  moment  où  ils  ob- 
tinrent le  nouvel  édlt;  dès  passons  et  des  projets  de  leurs 
chefs;  de  la  différence  I  établir  entre  leurs  droits  comme 
citoyens,  et  leur  état  politique  comme  parti. 

Sur  ces  divers  pofaits,  11  y  avait  à  foire  im  travafl  nouveau 
et  complet,  que  nous  entreprenons.  Après  avoir  lu  avec  ime 
scrupuleuse  attention  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  la  réforme 
et  les  réformés  en  France,  depuis  les  histoires  et  traités  du 
commencement  du  xvii'  siècle  Jusqu'aux  ouvrages  le  plus 
récemment  publiés,  nous  avons  reconnu  avec  étonnement 
que  les  auteurs  de  ces  écrits  avaient  négligé  les  documents 
propres  à  éclairer  le  sujet,  et  s'étaient  privés  des  moyens  de 
le  traiter  avec  vérité  et  impartialité.  Au  lieu  de  consulter  les 
édits  et  les  ordonnances,  c'est-à-dire  le  droit  publie  du 
pays,  et  de  s'attacher  à  en  pénétrer  le  sens  ;  au  lien  de  s'aa- 
surer  si  ces  actes  légisiatib  avaient  reçu  leur  exécution  ou 
avaient  été  violés,  en  interrogeant  à  cet  égard  les  histoires  et 
les  mémoires  du  xvi*  siècle ,  ils  s'en  sont  tenus  au  témoi- 
gnage tmique  d'nn  auteur  qui ,  sans  donner  aucune  ga- 

92 


388  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

nulle  de  sa  véracité  et  sans  oser  se  nommer,  publia,  en 
1597,  les  Plaintes  des  églises  réformées  de  France  K  lis 
ne  se  sont  pas  bornés  à  adopter  de  confiance  toutes  les 
allégations  de  ce  pamphlet  anonyme  parti  d*ane  main  ré- 
formée, et  destiné  probablement  à  jeter  les  calvinistes  dans 
une  révolte  oiiverte  :  ils  ont  étendu  et  généralisé  les  asser- 
tions qtt*il  contient,  changé  par  erreur  la  date  des  fUts  qu*on 
f  trouve,  de  manière  à  donner  la  plus  fausse  Idée  de  Tétat 
des  calvinistes,  et  de  leurs  rapports  avec  la  société  du  temps 
€1  avec  le  gouvernement  de  Henri  iV.  Nous  essayerons  de 
rétablir  Texactitude  historique  en  produisant  les  monuments 
de  Tépoque*  On  nous  pardonnera  la  citation  fort  aride  des 
actes  législatifii  et  la  disôission  des  folts  :  c'est  le  seul  moyen 
de  lever  les  doutes  et  de  dissiper  les  incertitudes  dans  cette 
délictte  et  importante  matière. 

I  h  État  des  calvinistes^  législation  qui  les  régit 

de  1589  à  1594. 

L*édlt  de  Bergerac  ou  de  Poitiers  accordé  par  Henri  HI 
auiL  réformés,  Tan  1577,  les  conventions  de  Nérac  et  de 
Fkkif  complément  de  cet  édit ,  leur  avaient  garanti  la  liberté 
de  conscience  entière  ;  Texerdce  dé  leur  culte  dans  les  châ- 
tenu  des  seigneurs  calvinistes  au  nombre  de  3,500,  et  dans 
les  faubourgs  d'une  ville  ou  bourgade  de  chaque  bailliage  ou 
sénéchaussée  du  royaume,  excepté  dans  lebaûliage  de  Paris  ; 
k  possession  des  biens  et  des  héritages;  Tunion  par  ma- 
riages avec  les  catholiques;  une  justice  impartiale  dans  les 
parlements;  Taccès  aux  emplois,  aux  charges  et  dignités  du 
royaume >•  C'était  la  liberté  religieuse  presque  entière,  et  la 
liberté  civile  complète,  an  mohis  en  droit  et  en  principe. 
De  1686  au  commencement  de  1589,  les  violences  de  la  ligue 
avaient  contraint  Henri  III  de  remplacer  cette  tolérance  par 
k  guerre  et  par  de  nouvelles  proscriptions  contre  les  hugue- 
nots. Mak  le  traité  delà  trêve,  conduentreUenrilll  et  k  roi  de 
Navarre  au  mok  d'avril  1589,  avait  remk  en  vigueur  Téditde 

*  Oa  tro«v«  cet  écrit d«u  1m  MémoirM  de  U  Ukim ,  t.  vi,  p.  IWiOB, 
la  4*,  I7SS. 

*  Lt  testa  d«  Pédlt  daPoitlOTf  «t  dM  coBTcntloi»,  daot  les  Traitdt  da  pafac, 
I,  n,  p.  8S0-300,  cl  dans  lei  pUcM  )iutificatiTM  à  Ja  toitc  d«  rbiatoira  àê 
rSiildallaBtOT. 


ÉTAT  DIS  CALTlIflSTfiS  D%  1589  A  1696.  339 

Poftien,  et  les  dbsideiits  en  posseaaion  de  tous  les  aféntages 
que  cet  édit  leur  assaraiL  L'article  2  du  traité  de  k  trèfe 
portait  en  outre  que  «  le  roi  de  Navarre  pourrait  retenir 
»  une  place  en  chacun  bailliage  ou  sénéchaussée,  de  celles 
»  qui  seroient  prises  par  lui  ou  par  les  siens.  ■  a  était  dit  à 
rarticle  supplémentaire  «  que  ceux  de  la  religion  ne  seroient 
«plus  recherchés.  Que  Texerdoe  de  leur  religion  seroit 
m  libre  et  public  en  ia  yille  du  passage  (Saumur)  ;  en  Tarmée 
»et  là  où  seroit  la  personne  du  roi  de  Navarre;  et  aussi 
»  dans  les  villes  qui  en  chacun  bailliage  seroient  baillées  au 
»  dit  seigneur  roi  K 

Henri,  à  son  a¥énenient  au  trône,  eut  grand  sohi  de  leur 
garantir  tout  ce  que  le  parti,  alors  dominant  et  Impérieux,  des 
catholiques  lui  permit  de  leur  laisser  de  liberté  religieuse  et 
civile.  Par  les  articles  2,  3  et  A  de  k  dédantion  de  Salnt^ 
dood,  en  date  du  U  août  1589,  le  traité  de  k  trêve  fut  ooa- 
flrmé  de  point  en  point '. 

Voilà  le  droit,  le  droit  établi  non  pas  seulement  par  im 
édit,  c*est-à-dh«  par  un  acte  émané  de  la  seule  prérogative 
royale  et  pouvant  être  révoqué  par  elle,  mais  de  plus  par 
une  déclaration  que  le  roi  et  les  représentants  de  k  moitié  de 
k  France  avaient  signée  en  commun.  £t  quand  on  consulte  les 
histoireset  les  mémoires  contemporains,  on  voitquele  kit  suivit 
le  droit,  auUint  que  le  désordre  du  temps  put  le  permettre,  et 
que,  dans  rensemble,réut  descalvinistesdepuk  l'événement 
de  Henri  IV  fut  conforme  à  la  légisktion.  Alors  on  ne  peut  lire 
sans  surprise  dans  de  récentes  hktoires  des  protestants  en 
France,  «  qu'aucun  édit,  rendu  selon  les  formes  régulières, 
n^avalt  aboli  les  arrêts  d'extermination  prononcés  contre  les 

*  L«  UtUdu  trailëdsDi  Ici  Mémoiret  d«  DHpl«nlt.||orMy,  l.  ir,  p,8BI« 
365,  édit.  ISt4. 

•  Déelantioa  d«  Ssint-Cload  daai  1m  tiic.  lob  françaiies,  t.  ht,  p.  S,  4. 
«  Il  D«  ••ra  fait  aucuo  exercice  d'autre  relligioDqoe  de  la  catholique,  apos-» 
m  toliqiie  et  romuiue  qui*  flile*  et  Ueux  de  noslrm  royaume^  où  elle  M 
»  fcU  à  préMttt,  tuiTaiit  les  arUcles  accordra  au  mois  d*a*rll  dernier  enlro 
»  le  feu  roy  Heun  111  et  nuus.  —  Nous  prunielloDi  que  le*  Tilleat  pleCM  «1 
»  forterestet  qui  leront  prifos  sur  nos  rebelles  e(  réduites  par  force  oa 
»  •■llrrment,  en  no\Ue  obéissance,  seront  fiar  nous  cummisos  an  gonrer- 
»  Dément  et  charge  de  nos  boit»  tubjecls^rdlbuluiues}  et  non  d'autre»,  #/tn/ 
%  «1  réservé  ctUes  qut^  par  Its  sututts  ariUies,  /untnt  réservée*  par 
m  ledit  J9H  *t«ur  tx>j  à  ceux  de  ia  reitigion  reformée,  en  chascun  bail' 
m  liage  et  *ene*chnu*$ee.  »  —  «  Nous  prometlous  qu'à  tous  les  ofScei  et 
m  gouTcrnooionU  Tonans  à  vaquor  aiUcun  qae  dans  te*  villêê  et  plact* 
»  qui  *eront  au  pouvoir  de  ceux  de  im  rtligion  réformée^  il  sera  par  nom 
n  powau  da  parsoonaa  caU»lh|naa.a 


3A0  HISTOIR£  DU  RÈGRE  DE  HENRI  IV. 

réformés;  que  les  parlements  pouTaient,  aux  termes  des 
ordonnances,  décréter  les  calvinistes  de  prise  de  corps,  les 
condamner  an  bannissement  et  à  la  peine  capitale;...  qae 
les  réformés  étaient  maltraités,  persécutés,  ne  pouvant  aller 
nulle  part  invoquer  Dieu,  sans  sécurité  dans  leurs  propres 
maisons^.  » 

Cest  le  contre-pied  de  tout  cela  qu^il  faut  prendre  pour 
être  dans  la  vérité.  Ces  assertions  erronées  ne  reposent  que 
sur  deux  passages,  interprétés  à  contre-sens,  du  traité  des 
Plaintes  des  églises  réformées  de  France,  On  lit  dans  ce 
pamphlet  que  les  parlements  n*étaient  pas  fort  consciencieux 
en  ce  qui  concernait  les  biens,  la  vie,  Thonneur  des  calvi- 
nistes'. D'abord,  dans  ce  passage,  il  s'agit  non  pas  de  tous 
les  calvinistes ,  comme  Tentend  lliistorien  moderne ,  mais 
seulement  des  calvinistes  appelés  en  justice,  c'est-à-dire  d'ane 
infime  minorité  dans  l'ensemble  de  la  population.  En  second 
lieu,  pour  la  période  de  sept  ans,  écoulée  entre  1589  et 
1597,  l'auteur  du  pamphlet  ne  peut  citer  qu'un  calviniste 
privé  de  ses  biens  par  le  siège  présidial  de  Poitiers,  et  deux 
calvinistes  condamnés  à  mort  par  le  parlement  de  Bor- 
deaux'. Et  encore  est-il  impossible  de  discerner  aujourd'hui 
si  les  condamnations  ont  été  dictées  par  la  passion  et  par  la 
haine  contre  les  réformés,  ou  si  elles  ont  été  prononcées 
justement.  Supposons  qu'elles  ont  été  l'effet  de  l'animosité, 
il  résultera  de  là,  qu'en  sept  ans,  trois  calvinistes  sur  deux 
millions  de  calvinistes  ont  perdu  injustement  les  biens  ou  la 
vie.  Ces  trois  iniquités,  que  trente  ans  ans  d'inimitiés  fu- 
rieuses entre  les  réformés  et  les  catholiques  expliquent  de 
reste,  laissaient  la  masse  des  calvinistes  parfaitement  à  l'abri 
de  toute  persécution.  Les  attentats  contre  leur  honneur,  ne 
furent  ni  plus  multipliés  ni  plus  sérieux.  L'auteur  des  Plaintes 
des  églises  ne  peut  citer  que  trois  circonstances,  toujours  en 
sept  ans,  dans  lesquelles  quelques  avocats  auraient  prodi- 
gué des  qualifications  injurieuses  aux  réformés,  sans  avoir 
été  réprimés  par  les  juges  devant  lesquels  ils  parlaient  Telles 
sont  les  proportions  auxquelles  il  iaut  réduire  les  prétendues 


*  Pages  S86,  «6.. 

*  Plainle»  dei  Egllf  es  rërormées,  dans  les  Mémoires  de  la  Ltrue.  t.  vt. 
D  40S  es.  fc     •  w 

*  Même  Iralttf,  /&/<!.,  p.  46G,  407. 


ÉTAT  DIS  CALVINISTES  DE  1589  A  i59&.     S&l 

penécadons  dirigées  omtre  les  réformés  sous  Henri  IV. 
Quant  au  passage  où  rameur  des  Plaintes  parle  des  édlts  qui 
proscrifent,  qui  bannissent  les  huguenots,  et  que  les  parle- 
ments accueillent  avec  enthousiasme  ^  il  indique  les  édlts 
rendus  sous  Charles  IX  et  sous  Henri  III,  et  pas  du  tout  les 
édlts  rendus  sous  Henri  IV,  par  la  grande  raison  que  ce  der- 
nier prince  n*a  jamais  donné  un  pareil  édlt,  et  qu'ail  en  a 
donné  plusieurs  de  tout  contraires.  G*est  par  rinintélligence 
du  passage  en  question ,  par  la  coniiision  des  rois  et  des 
temps,  que  les  historiens  modernes  sont  arrivés  à  prêter  à 
Henri  IV  et  à  son  gouvernement  les  rigueurs  qui  appartien- 
nent à  ses  deux  prédécesseurs. 

Ainsi  donc  les  calvinistes  en  masse,  sauf  dMnsignifiantes 
exceptions.  Jouirent,  ft  partir  du  premier  Jour  du  règne  ât 
Henri  IV,  et  dans  toutes  les  localités,  de  la  liberté  civile  en 
ce  qui  regardait  leurs  biens,  leur  vie,  leur  honneur.  Ils  obtin- 
rent la  liberté  de  conscience,  pleine  et  entière,  dans  Tintérieur 
delenrs maisons  :  ils  cessèrent  coii^étementd^ètre  recherchés 
et  tourmentés  pour  le  fait  de  leur  croyance,  et  des  pratiques 
de  cette  croyance,  lorsqu'elles  n'apparaisBaient  pas  et  ne  se 
produisaient  pas  au  dehors.  Quant  à  la  liberté  et  ft  Texerdce 
de  leur  culte,  qui  est  tout  autre  chose  que  la  liberté  de 
conscience,  voici  queUes  distinctions  sont  à  établir,  et  dans 
quelle  mesure  les  dissidents  la  reçurent  Le  culte  peut  être 
privé  et  restreint  à  Tintérietir  des  malsons  :  il  peut  être  pu- 
blic, mais  restreint  à  un  certahi  nombre  de  localités  :  il  peut 
être  public  et  généraL  Ce  fut  le  culte  public  restrehit  qui 
fut  accordé  aux  calvinistes.  Us  Tobtlnrent  dans  les  200  viUes 
des  provinces  du  midi  où  lis  étaient  maîtres,  dans  les  3,500 
châteaux  des  seigneurs  réformés,  dans  une  ville  par  chaque 
bailliage  ou  sénéchaussée  du  royaume.  Un  immense  et  heu- 
reux changement  s'opéra  dans  leur  état,  depuis  Tavénement 
de  Henri  IV,  leur  coreligionnaire  jusqu'en  1593,  et  leur 
nmi  toujours.  Ils  jouirent  sans  trouble  et  sans  interruption 
des  avantages  qui  leur  étaient  concédés^  tandis  que,  sous 
Chartes  IX  et  sous  Henri  IH,  lis  ne  les  avaient  arrachés  que 
par  force,  et  ne  les  avalent  gardés  qu^un  court  espace  de 
temps,  jusqu'à  ce  que  le  mauvais  vouloir  du  prince  ou  la 
fureur  des  factions  vînt  les  leur  ravir. 

*  M ém«  miU  daaa  Ut  lUaioirtt  é»  la  Ligot,  t.  VX,  p,  408. 


342  HisToms  do  RiCNe  pc  ncifiu  iv. 

Après  ifoir  établi  d'une  manière  exacte,  nous  respérons, 
les  droits  en  possession  desquels  les  réformés  furent  envoyés 
sous  Henri  lY,  et  en  grande  partie  grâce  à  lui,  il  laut  indi- 
quer quels  droits  leur  furent  refusés,  ou  ne  leur  fuitînt  concé- 
dés que  partiellement  et  avec  le  temps.  Pour  qu*ils  eussent 
eu  la  liberté  civile  pleine  et  entière  et  Tégalilé  des  citoyens 
devant  la  loi,  il  aurait  fallu  qu'ils  fussent  admis,  comme  les 
catboliqiiîes,  aux  cbarges,  dignités  et  offices.  Le  roi,  cédant  à 
la  violence  qui  lui  fut  (aile  par  les  seigneurs  catholiques  au 
camp  de  Saint-Gloud,  inséra  dans  la  déclaration  du  k  août 
une  clause  restrictive  de  Féditde  Poitiers,  et  défavorable  aux 
dissidents  :  il  fut  forcé  de  décréter  que,  pour  le  temps  qui 
s'écoulerait  entre  son  avènement  et  la  convocation  desËtat»- 
généraux  chargés  de  régler  les  rapports  entre  les  deux  rett- 
glotts,  les  huguenots  seraient  privés  des  oiBces  et  gouverne- 
ments  dans  toutes  les  villes  autres  que  celles  qui  étaient  en 
leur  pouvoir  au  moment  de  la  déclaration,  et  que  ces  offioss 
et  gouvernements  seraient  réservés  aux  seuls  catholiques^ 
Pareillement  une  restriction  avait  été  apportée  à  la  liberté  r^ 
ligieuse  des  dissidents,  entière,  absolue,  telle  qu'ils  pouvaient 
la  prétendre  en  droit  strict.  Par  Tartide  2  de  la  déclaration  de 
Saint-Gloud,  ils  conservaient  bien  rexerdce  de  leur  culte  dans 
les  villes  et  châteaux  mentionnés  par  Tédit  de  Poitiers  et  par 
le  traité  de  la  trêve,  c'est-à-dire  dans  tous  les  lieux  que  nous 
venons  de  rappeler  au  précédent  paragraphe,  mais  l'exercice 
de  leur  culte  leur  était  interdit  dans  les  autres  villes,  ce  qui 
comprenait  la  plupart  des  villes  moyennes  du  nord,  du  centre, 
de  l'est  de  la  France,  et  toutes  les  grandes  villes,  à  l'excep- 
tion d'un  petit  nombre  situées  au  midi  du  royaume  '.  Cette 
restriction,  déjà  contenue  dans  l'édit  de  Poitiers,  n'était  pas 
une  aggravation  de  la  situation  des  calvhiistes,  mais  le  main- 
tien d'un  état  inégal  et  pénible  pour  eux.  Dans  ces  villes,  ils 
ne  conservaient  que  la  liberté  de  consdence  et  la  faculté  de  se 
livrer  individuellement  aux  pratiques  de  leur  religion  dans 
l'intérieur  de  leurs  maisons  :  pour  l'exercice  de  leur  culte,  ib 
devaient  se  transporter  dans  la  ville  du  bailliage  où  il  était 
établi.  Les  périls  où  le  roi  avait  été  jeté,  au  moment  de  son 

■  Attcieonei  loli  franc.,  t,  XV,  p.  4.  «-  DaplcMlSa    M^voirM,   U  IV, 

p.  ssi-ass. 

*  AndeanM  lois  firaoçÙMt,  t.  zv,  p.  3,  4. 


ÉTAT  DIS  CAI.TIN1STBS  D»  1569  ▲  i69/i|.  ftU 

•f  énemeot,  ne  loi  avaient  pas  permis  de  faire  plus  et  tnieitt 
en  laveur  des  calvinistes,  comme  Pavaient  reconnu  les  dissi- 
dents qui  Tentouraient  alors,  GhâUUon,  Bcauvais-Lanocle  i 
Gnitry,  Lanoue  ^ 

Dès  qu*ll  eut  pris  plus  d^autorité,  il  se  bAta  de  revenir  sur 
l*injuste  eidusion  relative  aux  charges,  dignitésetoffioes^pro* 
noncée  contre  les  réformés,  et  de  lever,  autant  qu^ll  était  en 
lui,  la  prohibition  de  leur  culte  dans  les  grandes  et  moyen* 
nés  villes.  Par  Tédit  de  Mantes  du  mois  de  juillet  1591,  il  re- 
mit en  vigueur  les  édits  de  pacification,  et  notamment  celui 
de  Poitiers,  ou  de  1577,  lequel  rendait  les  calvinistes  apias 
aux  offices  et  dignités  >.  Avant  son  abjuration,  que  le  salut  de 
la  France  lui  arracha,  il  obtint  des  seigneurs  catholiques  de 
son  parti  une  déclaration  et  promesse  solennelle  portant  qn*il 
ne  serait  rien  fait  an  préjudice  des  réformés,  ni  dérogé  en 
rien  aux  édita  rendus  en  leur  faveur  (16  mai  1593)  K  Après 
son  abjuration,  et  aumoisde  novembre  1693,  il  leur  accorda 
les  articles  de  Iklantes  qui  leur  assuraient  des  avantages  de 
deux  espèces  distfaictes.  En  premier  lieu,  ils  obtenaient  une 
confirmation  solennelle  de  Tédit  de  Poitiers  et  des  oonven* 
tions  supplémentaires,  ainsiqu'une  abrogation  également  so* 
lennelle  des  édita  de  1585  et  1588,  que  la  violence  de  la 
Ligue  avait  arrachés  à  Henri  lii,  et  par  lesquels  ils  avaient 
été  proscrits  de  nouveau.  Le  roi  avait  bien  résolu  précédem* 
ment  ces  deux  points  dans  ce  sens,  et  en  leur  foveur,  par 
Tédit  du  mois  de  juillet  1591,  mais  cetédlt  allait  recevoir  mio 
nouvelle  force  par  Tenregistrement  dans  tous  les  parlements 
du  royaume.  En  second  lieu,  les  calvinistes  obtenaient  jus- 
qu'à cinq  extensions  de  Tédit  de  Poitiers,  notamment  Tenga* 
gement  pris  par  le  roi  de  ne  jamais  leur  faire  la  guerre , 
quelque  serment  qu'il  prêtât  à  son  sacre  et  à  k  oérénMmle 
de  la  réception  des  chevaliers  du  Saint-Esprit  ;  Texerdoe  de 
leur  culte  dans  toutes  les  viUes  de  la  domination  du  roi  »  a« 

'  Lettre  da  roi,  du  7  ooT«nbr«  1SS9  :  «  Après  plutieurt  roiil«tUtlom, 

•  je  ftt  lu  prutrstMiion  aa'avrs  veae,  pour  let  coosrrvei  muIm  mon  obéu* 

•  sance  (In  raiboliqurg)  et  l'Eatat   IohI  cD«rBibU;  car  cVitoicatlo  frl«». 
m  part  ufliciers  de   U  (uuronno.  A  crU.  j'eus  le*  tifurt  de  CbMilIlmi,  de 

•  l>anou»,  de  BreiiTwift>L«HOcle,    de  Guitry,  et  plusieart  •uilm  pottr 

•  iMmuiiiffl  et  routfiliert*  • 

*  Aocienoct  lois  Troaç.,  L  XV,  p.  tS-51.  —  P.  Cayet,  I.  m,  p.  tSS*  ^ 
Tbueniu,  1.  ui«  S  ^t  t-  V,  p.  439, 153.  ->  Mcm.  de  de  Tbou,  dans  b  coU««L, 
t.  XS,  p.  353  A. 

'  Lé  testtt  de  U  piomeise  dant  P.  C«yel,  t.  V,  p.  476  B. 


3AA  HISTOmK  DU  RiGHK  Dl  HlNftl  IV. 

lieu  d*one  ville  par  bailliage  on  sénédiausséc  ;  Tentretien  de 
leurs  ministres  ;  la  fondation  de  collèges  pour  Tédiication  des 
Jeunes  gens  de  leur  religion^ 

Les  articles  de  Mantes  reçorent  promptement  leur  exèca- 
tiony  et  eurent  toute  la  publicité  nécessaire,  dans  les  parties 
où  Texécution  demandait  la  publicité  et  devait  en  tirer  sa 
principale  force.  Ainsi  Tédit  de  Poitiers ,  renouvelé  par  le 
roi  dès  la  fin  de  Tannée  159/k,  fut  enregistré  dans  le  parlement 
de  Paris  au  commencement  de  4595,  et  successivement  dans 
les  autres  parlements  du  royaume ,  comme  nous  le  verrons 
bientôt  2.  G*était  tout  ce  que  la  difficulté  des  temps  permet* 
tait  de  faire  ouvertement.  Les  concessions  importantes,  les 
extensions  àTédit  de  Poitiers,  contenues  dans  les  articles  de 
Mantes,  furent  revêtues  de  la  signature  du  roi  et  données  en 
garde  au  chancelier  et  aux  secrétaires  d*État  ;  mais  elles  n*eu- 
rent  pas  la  sanction  de  la  publicité  et  de  Tenregistrement 
dans  les  parlements.  Pareillement,  dans  tous  les  lieux  autres 
que  cwx  qui  leur  étaient  concédés  par  Tédit  de  Poitiers, 
Pexercice  du  culte  pour  les  réformés ,  au  Heu  d*étre  public, 
dut  rester  secret.  Les  gouverneurs  et  les  officiers  du  roi 
étaient  chargés  de  leur  assurer  sans  bruit  les  nouveaux  et 
précieux  avantages  qui  leur  étaient  -accordés  '.  Mais  quel 
homme  honnête,  quel  bon  citoyen,  avec  un  peu  de  sens  et 
d^expérience,  ne  devait  pas  s'associer  à  ces  ménagements. 
Impérieusement  dictés  par  les  circonstances  ?  Au  moment  où 
forent  aceordés  les  wtides  de  Mantes ,  au  mois  de  novembre 
1593,  aucune  des  grandes  villes  de  la  Ligue  ne  s'était  encore 
soumise  au  roi.  Pour  obtenir  cette  soumission  à  laquelle  le 
salut  de  PÉUt  émit  attaché,  il  était  indispensable  que  Henri 
ne  ûivorisât  pas  trop  ouvertement  le  calvinisme ,  même  dans 
ses  prétentions  légitimes  :  pour  rendre  durable  Tobéissance 
des  ligueurs ,  il  fallait  user  de  la  même  prudence ,  de  la  même 
réserve  dorant  plusieurs  années. 

Noos  alICHis  exandner  maintenant  quels  changements  les 

*  MAnoirM  de  maduBM  DnplMcif,  1. 1,  p.  965-t6S. 

"  Tboaaat,  I.  cxi  et  czn.  t.  zii,  p.  308,  346«  d«  la  tradacUuB.  — 
M.  FloqiMt,  Hbt.  dn  parleneDt  de  Norroftodle,  t.  IT,  p.  71  «SB. 

*  lladave  Daplcnit,  Mëmoiref ,  p.  ISS,  SOS.  ■  Lequel  règlement  prof i* 
m  ilonnel.  Se  lle|ettd  foroll  entendrâ  A  «et  cours  de  parlement,  gouver* 
m  MMUn  el  lieateDanle*gdoëran&  èt-provlnce»,  et  aultrm  let  oGBclen  qu'U 
•  eppertiendrott...  que  Se  ]l«)e»ld  eu  ddcbreroit  n  Toloalé  i  Mt  gouTCr* 
m  m»wn  «1  oflkien  pour  |  tenir  U  main.  » 


ÉTAT  DES  CALVIinsiES  DE  1589  A  159/i.  3^5 

Stipulations  des  seigneurs  et  des  villes  de  la  Ligue  apportèrent 
&  Tétat  des  calvinistes.  En  traitant  avec  le  roi,  les  grandes  et 
moyennes  villes  de  la  Ligue  exigèrent  que  le  culte  calviniste  ne 
fût  pas  rétabli  dans  leur  enceinte  et  dans  leurs  faubourgs. 
Trois  grandes  villes,  Paris,  Rouen,  Amiens,  passant  plusavant, 
*  le  proscrivirent  non-seulement  dans  leurs  murs,  mais  encore 
dans  toute  l'étendue  de  leur  vicomte  ou  bailliage ,  enfreignant 
à  cet  égard  un  des  articles  de  Tédit  de  Poitiers.  Rouen  in- 
scrivit de  plus,  dans  son  traité,  que  les  huguenots  seraient 
exclus  des  offices,  charges,  dignités,  exercés  dans  la  ville. 
Enfin  une  province  entière ,  la  Provence  bannit  complètement 
le  calvinisme  de  son  territoire  par  son  traité  de  réduction 
sigaé  au  mois  de  Janvier  1594  K 

Ces  actes  d*intolérance  qui  révoltent  sont  très-propres  & 
faire  illusion  sur  la  situation  véritable  des  dissidents  :  on  ima- 
gine qu*il  en  était  de  même  d*un  bout  de  la  France  à  Taotre, 
et  Ton  est  porté  à  croire  que  les  plus  mauvais  temps  étaient 
revenus  pour  le  protestantisme.  Mais  quand  on  examine  de 
sang-froid  les  conséquences  de  ces  actes,  on  reconnaît  qu'ils 
affectèrent  très-peu  Tétat  des  réformés.  D'abord  que  Ton  dé- 
pouille le  recueil  des  édits  du  roi  pour  la  pacification  de  ses 
sujets,  et  Ton  verra  que  vingt-six  villes  delà  Ligue  seulement 
traitèrent  arec  Henri  K  Supposons  que  les  grandes  villes  jaient 
stipulé  pour  elles-mêmes  et  pour  quelques  villes  des  envi- 
rons, et  portons,  si  Ton  veut,  le  nombre  à  quarante.  Il  y  avait 
dans  la  France  d*alors  environ  huit  cents  ailles  \  Par  consé- 
quent, aux  termes  des  édits  de  padOcatlon,  Texercice  du 
culte  calviniste  était  exclu  de  quarante  villes  sur  huit  cents. 
U  était  maintenu  dans  toutes  les  autres  villes,  bourgs,  villa- 
ges où  redit  de  Poitiers  lui  avait  permis  de  s'établir,  dans 
les  trois  mille  cinq  centschflteaux  des  seigneurs  réformés,  dans 

*  Êdltf  âa  roi  pour  U  r^itnion  de  set  lujeli,  recueilUi  par  Valthieu, 
Pkria,  1001,  1606  :  roir  Irt  1S5  fcuiUcti  du  recnril.  On  IroaTO  renoncé 
des  clauses  prinrlpulcs  do  beaucoup  de  ces  ëdlts  di*ns  (rAiibigné,  L  m, 
e.  10,  1.  m«p.  Stt;  de  Thon,  1.  cviiiriax,  t.  xu.  p.  100,  144,  trad ac- 
tion ;  P.  Cayel,  1.  Ti,  L  I,  p.  543. 54S,  S»70,  S77,  SS7;  Me'moires  de  la  Ucue, 
I.  Tl,  p.  58-Si.  Le  trallê  pour  lu  l'rotrnre  se  troure  dans  Bouche,  Hist. 
do  Provence,  I.  X,  t.  II,  p.  786,  et  dans  Doplessb,  Mémoiret,  t.  vil, 
p.  SSS,  k  la  fin. 

*  Édits  du  roi  pour  la  n'union  de  ses  tuiels.  font  le  recueil. 

*  Dans  le  nombre  do  SOO  rilles,  nous  comprenons  celles  qnl  sont  ctt^ 
dans  les  gëographies  »ërlons^s  et  étendues,  par  exemple,  dans  celle  do 
M.  Baibi  :  nous  excluons  collet  qoi  a*ont  appartenu  k  U  Franco  qno  par 
snite  di  rëuioni  nltériearca. 


346  HISTOIRE  DU  RÈGMB  DB  HENRI  IT, 

les  deux  cents  Tilles  ou  boorgades  da  midi  où  ils  étaieni 
maîtres.  Secondement,  Tédit  de  Poitiers,  comme  on  Ta  re- 
marqué, accordait  aux  calvinistes,  pour  Texercice  de  leur 
culte,  une  ville  ou  un  village  par  chaque  bailliage  et  sénéchaus- 
sée* Les  villes  grandes  et  moyennes  de  la  Ligue  qui,  par  leurs 
traités  de  réduction ,  bannirent  le  culte  réformé  de  leurs 
murs,  n'étaient  pas  celles  où  ce  culte  était  alors  établi.  G*é^ 
tait  partout ,  excepté  dans  le  Midi,  une  petite  ville  on  un  vil- 
lage dépendant  du  bailliage  où  les  grandes  et  moyennes  villes 
étaient  situées  elles-mêmes.  C'est  ce  que  reconnaissent  les 
écrivains  protestants  eux-mêmes  ^  Par  conséquent  les  traités 
de  réduction  n'ôtaient  rien  sous  ce  rapport  aux  calvhiistea» 
En  troisième  lieu,  dans  tous  ses  traités  avec  les  provinces  da 
la  Ligue,  excepté  une,  avec  toutes  les  villes,  sauf  trois,  Henri 
maintint  en  termes  formels  Tédit  de  Poitiers  \  Il  leur  accor- 
dait bien  d*exclure  le  culte  protestant  de  leurs  murs,  ce  qui 
était  le  fait  partout,  comme  nous  venons  de  le  voir;  mais  il 
leur  refusait  de  le  bannir  de  leur  bailliage  ou  sénéchaussée* 
c'est-à-dire  de  leur  circonscription  administrative.  Il  ne  déro- 
gea, sous  l'empire  de  circonstances  de  force  majeure,  à  la  loi 
qu'il  s'était  imposée  à  cet  égard,  qu'avec  la  i^vence  et  avec 
les  villes  de  Paris,  de  Rouen,  d'Amiens.  La  Provence  avait 
quatorze  baUliages  K  Paris,  Rouen,  Amiens  avaient  trois 
bailliages.  C'étaient  donc,  par  suite  des  traitésde  la  Ligue, dix- 
sept  bailliages  que  les  calvinistes  avaient  perdus  pour  l'exer- 
cice de  leur  culte,  sur  trois  cent  vingt  bailliages  et  sénéchaus- 
sées environ  qui  existaient  alors  dans  toute  l'étendue  du 
royaume  :  dans  les  trois  cents  bailliages  et  sénéchaussées  res- 
tants, ib  conservaient  tous  leurs  droits  religieux^.  Ajoutes 
que  la  perte  éprouvée  par  eux  était  à  peu  près  nulle,  parce 
que,  dans  toutes  les  localités  où  leur  culte  n'était  plus  toléré» 

*  HiaUMffld*  redit  de  Nattl**,  t.  l,  p.  ttS.  Go  trouver»,  ei-Mpràt,  «a 
■ob  d«  leplembra  iSOS,  l'aT«a  dw  aoUuri  calvioiclet  lur  c«  poisi  coih 
ii|ii«  tcsta«lUiacttl. 

"  Voy«s  lei  ëdil*  da  roi  poar  la  rëuoioa  de  s««  raists,  édit,  10(H, 
lui.  9  Terso,  15  rerao,  S7  recto,  SS  verio,  3S  recto,  49  recto  et  Tvrso,  4S 
recto,  S5  recto. 

'  Bouche,  HUt.  de  Piorence,  chorogrephie,  1.  !▼,  c.  C,  t.  l,  p.  âiS. 

*  C'est  ce  que  Duplessia-Morouj  reconnutt  loi-méme  dam  le  paaaiige 
•ulrauUde  sou  BrteJ  discours ^  inaeié  au  tome  Vil  de  se*  Mémoire*,  p.  SOI 
an  r^mmcncemcnt,  «  L'exercice  de  la  religiou  demeuroit  e&clua  eo  quêt' 
qu0t  tndroit*  de»  TÎcomtés,  bailliages ,  seneschausséei  entières.  •  Lat 
noti  quetaues  endroits  rèduiseot  potilivcmeot  rexclusioo  à  oa  petit 
Dombre  de  localitéi. 


ÉTAT  DU  CALV1NI8TB8  M  1589  ▲  1594.  M7 

ils  ne  comptaient  qn^un  nombre  exceadvement  limité  de  co- 
religionnaires. On  peut  en  juger  par  ce  qui  concerne  le  ImU- 
liage  d'AmienSy  ainsi  que  toute  la  Picardie  :  les  huguenots 
éuient  si  clairsemés  dans  cette  province,  que  de  Faveu  de 
Tauteur  des  Plaintes ,  ils  n'avaient  jamais  eu,  au  temps  qui 
nous  occupe,  au  delà  d'une  seule  église,  laquelle  était  établie 
au  Castelet  >.  En  admettant  même  qu'il  y  eût  pour  eux  perte 
réelle,  n'était-elle  pas  compensée  au  centuple  par  les  articles 
de  Mantes,  qui  leur  donnaient  la  liberté  du  culte  dans  toutes 
les  villes  de  la  domination  du  roi ,  et  dans  celles  qui,  dès  le 
principe,  s'étaient  prononcées  en  sa  faveur,  et  dans  celles  qu'il 
avait  conquises  sur  la  Ugue,  depuis  son  avènement  jusqu'à 
la  fin  de  1593,  et  avec  lesquelles  il  n'avait  pas  fait  de  traité? 
Quant  à  la  lil>erté  de  conscience ,  distincte  de  l'exercice  du 
culte,  elle  leur  était  assurée  dans  toutes  les  villes  sans  dis- 
tinction :  nulle  part  ils  ne  pouvaient  être  recherchés  ni  pour» 
suivis  pour  leur  croyance. 

Telle  est  la  condition  que  la  législation,  que  les  édits  et  con- 
ventions avaient  faite  aux  réformés;  mais  quand  on  compare 
la  pratique,  la  réalité  avec  le  droit,  on  voit  qu'effectivement 
leur  eut  était  plus  avantageux,  et  que  leur  culte  était  bien 
moins  exclu  des  provinces  et  villes  de  la  Ligue  que  les  traités  ne 
le  faisaient  supposer.  Par  les  articles  de  Mantes,  le  roi  s'était 
engagé  à  leur  assurer  l'exercice  de  leur  culte  dans  toutes  les 
villes  de  son  obéissance.  {H>ur  ravoir  Paris,  U  avait  signé,  au 
mois  de  mars  1 50ili,  l'édit  qui  prohibait  ce  même  exercice  dans 
la  capitale  et  à  dix  lieues  à  la  ronde.  Mais  dès  les  mois  de  juillet 
et  d'août  lô9à,  trois  mois  après  son  entrée  à  Paris,  U  leur  mé- 
nageait les  moyens  d'organiser  secrètement  le  prèclie  au  fau- 
iMMirg  Saint-Oermain  :  au  mois  d'octobre,  il  leur  appliquait 
le  bénéfice  de  l'article  de  la  trêve  et  de  l'un  des  articles  de 
Mantes,  qui  autorisait  l'exercice  de  leur  culte  à  la  cour;  U 
permettait  que  sa  sœur  fît  célébrer  au  Louvre  les  cérémonies 
de  leur  religion,  le  prêche  et  les  mariages  :  il  défendait  enfin 
la  liberté  qu*il  leur  accordait  contre  les  réclamations  du  clergé 
de  Paris'.  Il  en  est  de  même  pour  la  Provence.  Le  tiailé  conclu 
avec  Henri  IV,  au  commencement  de  1594,  banniiwaitentière- 

*  PUlDtet  de*  ÊgliMt,d«u  l«t  Mtoioirct  de  U  Lif  uc,  U  Tl,  p.  438. 

*  Letloile,  R«f ui.-joaro.  aus  dalM  àm  3  |iiilUl,  18  «oàt,  16  «dpWtt 
1864,  p.  flSBÂ,  S>«6l3B,tUA,S4SÂ,$4. 


3A8  HISTOIRE  DO  RÈGNE  DE  HERRI  IT. 

ment  le  culte  calYiniste  du  pays.  Cependant,  diaprés  le  témoi- 
gnage des  réformés  eux-mêmes,  Texerclce  de  leur  adte  fut 
maintenu  trois  ans  dorant  depuis  le  traité,  etprobablementfnt 
maintenu  toujours,  dans  deux  endroits  dépendant  de  la  pio- 
Tince  elle-même,  Lormarin  et  la  Roque  d^Anteron,  et  dans  deux 
localités  placées  sur  la  lisière  de  la  proyincc,  Mérindol  et  Ga- 
brières  ^  Ces  quatre  lieux  d*exerdce  suffisaient  au  très-^tit 
nombre  de  coreligionnaires  quils  conserYalent  dans  ce  pays 
passionnément  catholique.  11  en  est  de  même  enfin  de  Rouen» 
autre  centre  d^intolérance ,  autre  ville  ayant  stipulé  la  pro- 
scription de  la  réforme.  Incontestablement,  en  ce  qui  concer- 
nait la  publicité  de  leur  culte,  les  réformés  y  essuyèrent  des 
yexations ,  des  persécutions  ;  mais  nous  croyons  qu*ils 
y  jouirent  de  la  liberté  de  conscience,  et  même  de  la  liberté 
du  culte,  tant  que  le  culte  n*ent  au  dehors  ni  édat  ni 
retentissement  :  nous  appuyons  cette  opinion  sur  le  témoi- 
gnage formel  du  président  Groulart,  Tun  des  plus  grands 
magistrats  et  des  plus  grands  citoyens  du  temps,  dont  il  n^est 
permis  de  révoquer  en  doute  ni  la  véracité  ni  la  modération. 
Dans  la  poursuite  que  faisait  le  gouvernement  auprès  du  par- 
lement de  Rouen,  à  la  fin  de  Tan  i59û,  pour  Penregistrement 
de  redit  de  Poitiers,  Groulart  disait  :  «  Les  religionnaires  sont 
»  aujourd'hui  en  liberté  plus  grande  chez  nous,  que  quand 
»  ils  auroient  ce  quMls  poursuivent  ^.  » 

Nous  avons  établi  quel  fut  Tétat  des  calvinistes  depuis  IV 
vénement  de  Henri  IV  jusqu'à  la  fin  de  i59/ii,  en  ce  qui  re- 
gardait la  liberté  de  conscience,  la  liberté  du  culte,  la  liberté 
civile  étendue  aux  biens,  à  la  vie,  à  Thonneur.  Pour  achever 
d'exposer  quels  furent,  durant  ce  temps,  leurs  rapports  avec 
le  gouvernement  et  avec  le  reste  du  pays,  nous  n'avons  plus 
qu'à  fixer  dans  quelle  mesure  Us  obtinrent  les  offices, 
charges  et  dignités:  cette  participation  achève  et  complète  la 

*  PUhitet  des  Églises  reformées,  dans  les  Mémoires  de  le  Ligue,  t.  vi, 
p.  435,  443.  L'anUnrparle  de  deax  nrréis  da  parlement  de  Provence, 
rendus  à  la  fin  de  1596,  qui  devaient  6ter  cet  quatre  lieux  d*esercice  ans 
calvinistes,  et  il  a)oate  que  les  réfmrmës  en  avaient  ioni  insqn^alors  :  donc 
le  traité  de  proscription  de  tSM  était  resté  une  lettre  morte.  Nous  pensons 

Îu'il  devait  continuer  heureusement  &  en  être  ainsi  et  que  les  deux  arrêts, 
lits  seulement  pour  la  montre,  ne  devaient  avoir  et  n'eurent  aucune  exé- 
cution, parce  que  le  calviniste  Lesdiguières  était  tout-poissanl  par  ses 
armées  en  Provence,  aossi  bien  qu'en  Danphiné. 

*  Registres  seercU  da  parlrmeal  de  Boueo,  cités  par  M.  Floqnet,  t.  IV, 
p.  74. 


ÉTAT  DBS  GALVmiSTBS  DE  IÔ80  A  1604.      3&9 

liberté  civile  des  citoyens,  et  commence  leur  liberté  poli- 
tique, à  cause  de  la  considération  et  du  pouvoir  attachés  à 
Texerdce  des  emplois  publics.  Un  examen  impartial  prou- 
vera, nous  le  pensons,  qu*en  ce  dernier  point,  comme  dans 
tous  les  autres,  la  condition  des  dissidents  avait  été  prodi- 
gieusement améliorée.  Après  les  six  mois  écoulés  depuis  la 
déclaration  de  Saint-Cloud,  et  en  attendant  la  convocation  des 
État»-généraux,  Henri,  devenu  plus  maître  par  ses  victoires 
d* Arques  etdlvry,  s'était  empressé  d'appeler  on  grand  nom- 
bre d'entre  eux  à  toutes  les  charges  et  dignités  du  royaume. 
En  1590,  il  avait  pourvu  Palleseuil  du  gouvernement  de 
NeufchAtel  en  Normandie.  11  avait  fait  entrer  Hnrault-Dufay 
et  Duplessis-Mornay  au  conseil  d'Éut,  et  depuis  lors  il  avait 
chargé  Duplessis  des  affaires  et  des  négociations  lesplus  impor- 
tantes. La  même  année,  il  avait  nommé  Uosny  conseiller 
d'État  et  lui  avait  donné  le  gouvernement  de  Pacy-sur-Eure  : 
à  la  fin  de  159/é,  il  l'avait  nommé  membre  du  conseil  des  fi- 
nances. En  1592,  il  avait  accordé  à  Soflroy  de  Calignon  la 
succession  de  Hurault-Dufay  dans  le  conseil  d'État  en  même 
temps  que  dans  la  chancellerie  de  Navarre.  Laforce,  gratifiét 
à  la  fin  de  1589,  d'une  commission  de  capitaine  de  gens 
d'armes,  d'une  somme  de  38,00  écus,  d'un  commandement 
en  Guyenne,  avait  été  promu,  en  1592  et  1593,  à  la  charge 
de  capitaine  des  gardes,  puis  au  gouvernement  du  Béarn  et  de 
la  principauté  de  Navarre.  Lesdiguières,|lieutenantduroi  en 
Dauphiné,  exerçait  dans  les  alTaires  de  la  paix  comme  dans 
celles  de  la  guerre  un  pouvoir  absolu,  dont  aucun  seigneur  en 
France  ne  Jouissait  alors.  Sancy,  nommé  membre  du  conseil 
d'État  et  de  finances  après  la  mort  de  François  d'O,  eut  la  prin- 
cipale autorité  dans  les  finances.  Jusqu'à  ce  qu'il  la  cédât  k 
un  autre  réformé,  à  Rosny.  Turenne,  déjà  mis  en  possession 
de  la  principauté  de  Bouillon  et  de  Sedan  par  la  protection 
de  Henri,  était  honoré,  en  159à,  de  la  dignité  de  maréchal  de 
France  :  la  Trémoille  de  la  duché-pairie,  au  commencement 
de  l'année  suivante  K  Voilà  une  série  de  laits  qui  n'ont  Ja- 


■  GronUrt,  Mémoirei,  c.  S.  t.  xi,  p.  55S.  cottecl.  Vlchanil.  —  SoUy, 
OEeoa.  roy.,  c.  »,  30,  59.  60,  157,  U  l,  p.  74.  75. 78.  IH9  S,  I9i  B,  1»3  ; 
t  II.  p.  90,  même  collection.  —  BLidame  DuplesiU,  Mtfm.  ca  télc  de  ceux 
de  MW  mari,  L  l,  p.  189.  —  Vie  de  SolTroj  de  Celignoa,  par  GHj-Allard, 
p.  50,  60.  «  Sa  Maie«td  le  fil  Ue  soa  cooMil  prit e,  qaoiqQ*ii  f4l  hagueaoi.» 
~  Laforce,  Mém.,  c.  4,  t.  l.  p.  tOI,  106.  —  Thuanua,  1.  CXI.  $  tf,  t.  V, 


350  HISTOIBS  DO  RfcGRE  DE  HSNRI  IV. 

mais  été  relevés  ni  mis  en  lamiëre  ;  et  ces  faits  qui  concer- 
nent les  chefo  des  calvinistes,  desquels  seuls  Tbistoirc  et  les 
mémoires  du  temps  se  sont  occupés,  en  supposent,  de  toute 
nécessité,  une  multitude  d'autres  semblables  relatifs  à  la 
masse  des  huguenots  plus  obscurs. 

En  résumant  ce  qui  vient  d^'étre  exposé,  on  trouve  que  de 
1589  à  i59A,  les  calvinistes  jouirent  de  la  pleine  liberté  de 
conscience  et  de  Texerclce  secret  de  leur  culte  dans  tontes  les 
localités  sans  exception,  de  Texerdce  public  de  leur  culte 
dans  les  lieux  de  chaque  bailliage  et  sénéchaussée  fixés  par 
redit  de  Poitiers,  moins  dix-sept,  et  dans  presque  toutes  les 
villes  de  la  domination  du  roi  :  on  trouve  encore  que  la  li- 
berié  civile,  en  ce  qui  concernait  leurs  biens,  leur  vie,  leur 
honneur,  leur  fut  garantie  à  Tégal  des  autres  classes  de  ci- 
toyens ;  que  Taccès  aux  charges,  dignités,  offices ,  leur  fut 
aplani  par  la  Justice  du  roi.  Tel  fut  en  général  leur  eut 
depuis  Tavénement  de  UenrL 

Maintenant  qu'ils  aient  enduré  quelques  gênes  et  qu'ils 
aient  eu  à  se  plaindre  de  quelques  vexations  de  détail,  cela 
n'est  pas  douteux;  qu'ils  aient  eu  à  souffrir,  dans  un  petit 
nombre  de  localités,  des  préjugés,  du  mauvais  vouloir ,  de 
haines  enradnées  entre  les  catholiques  et  les  protestants , 
personne  ne  songe  à  le  contester.  Ainsi  on  peut  admettre  sur 
leur  témoignage  que,  dans  trente  localités  environ  sur  trois 
cent  vingt  hidiquées  par  l'éditde  Poitiers,  ils  ont  été  réduiu 
ft  faire  des  voyages  pénibles  ou  coûteux  pour  l'exercice  de 
leur  culte;  qu'en  certaines  villes  ou  bourgades,  l'Inhumation 
leur  fut  refusée  dans  le  cimetière  catholique,  ou  même  que 
leurs  sépultures  furent  violées,  parce  que,  dans  les  habitudes 
et  les  idées  du  temps,  le  cimetière  étant  terre  sainte,  il  y  avait 
profanation  à  y  enterrer  les  hérétiques  ;  que  dans  les  lieux  où 
l'exercice  de  leur  culte  était  interdit  et  où  ils  tentaient  de 
l'Introduire  sans  désordre,  et  parfois  même  dans  les  lieux 
où  l'exercice  était  permis,  ils  furent  injuriés  et  dispersés  par 
une  multitude  fanatique,  il  faut  reconnaître  encore  que,  s'ils 
furent  admis  aux  premières  dignités  militaires  et  civiles , 
comme  nous  venons  de  le  constater,  si,  d'après  leurs  propres 

p*  430  el  Mémoirci,   t.  XI4  p*  36S  A.  -»»  t^llres  d*éreclion  d'an  dyché* 

Khrle    m  Urwr  du  sImt  d«  U  TrémoiU«,  aoAt  ifittS,  da*s  let  ànc.  lois 
isf.,  t  XV,  p.  iOI* 


ÉTAT  D»  CALTI1IISTB8  DE  1589  A  159&.  351 

indications,  Vulson  et  plusieurs  autres  de  leur  communiou 
siégèrent  dans  les  parlements  et  dans  les  cours  souveraines ', 
cependant  la  plupart  des  parlements  chez  lesquels  la  majo 
rite  avait  été  longtemps  ligueuse ,  usèrent  de  difficultés  et 
d^ajoumements,  quand  U  s'agit  de  recevoir  dans  leur  sein  de 
nouveaux  magistrats  calvinistes.  11  faut  reconnaître  enfin 
qu^un  parlement,  le  parlement  de  Normandie,  viola  à  la  fois 
la  liberté  religieuse  et  la  lilierté  civile  en  privant  d*abord  deux 
calvinistes  de  leur  office  de  procureurs,  et  en  ne  le  leur  ren- 
dant qu'à  condition  qu*Us  feraient  profession,  au  moins  ex- 
térieurement, de  catliolicisme  '. 

Mais  quand  on  a  épuisé  tous  les  grlefii  des  calvlnistesi 
dont  une  partie  porte  sur  la  période  écoulée  entre  1589  et 
159iï,  et  le  reste  sur  les  années  suivantes,  quand  on  les  a 
examinés  et  pesés  équitablement,  on  arrive  aux  conclu- 
sions suivantes  : 

Les  violences  dont  ils  avaient  à  se  plaindre  n'étaient  que 
des  exceptions ,  même  rares ,  comparativement  à  Tensemble 
et  à  la  masse  des  faits.  Si  Pou  appréciait  l'état  d'un  pays  par 
les  exceptions,  par  les  infractions  faites  toujours  et  partout 
à  l'ordre  public,  au  lieu  d'en  Juger  par  l'ensemble  des  faits  « 
on  arriverait  ft  croire  que  les  sociétés  les  mieux  réglées,  les 
mieux  policées,  ne  sont  que  des  repaires  de  voleurs  et  d'as- 
sassins. 

En  prenant  l'état  des  calvinistes  dans  son  ensemble,  leur 
état  normal  depuis  l'avènement  de  Henri  IV,  on  trouve  qu'ils 
Jouissaient  de  la  liberté  civile ,  de  la  liberté  de  conscience 
pleine  et  entière,  de  la  liberté  de  culte  et  du  partage  des  of- 
fices, charges  et  dignités,  dans  une  mesure  déjà  fort  étendue. 
Ils  étaient  donc  heureusement  à  mille  lieues  de  la  condition 
qu'ils  avaient  subie,  des  temps  qu'Os  avaient  traversés  sous 

•  DuplcMÎA-Viiraaj,  Brl«f  difcoan,  dan»  Ma  Mamolrti,  U  Til,  p.  1S7. 
m  L«  désir  «Je  pais  «t  le  respect  du  roy  les  emporta  (le*  caUinUta*)  è 
a  aoToycr  d«rccli«f  vert  Sa  Mateftld},  le  tiear  de  Velson  ,  conseiller  ao 
a  iiarlenieni  de  Grenoble,  avec  uae  rc4|aeate  ronipreoapi  fort  brieCvemenl 
m  lears  priacipales  deniaDdes.  » 

*  IMaÎBies  des  egliees  réformcee,  dans  lea  Mtfnelres  de  la  Ligne,  p.  4^ 
et  SDÎvaotes.  Nous  refusons  et  tout  le  neade  refnaera  aree  nous,  comae 
Inique  &  Pègard  du  roi  et  de  son  gouvernement,  de  lui  imputer  on  de  Inl 
reprocbrr  ce  qne  les  ▼illes  et  gouTemeurs  qni  tenaient  encore  po«r  In 
Ligue,  tels  «ine  Rocbefort,  firent  i  La  Chil»i|neraie  et  aillenrs  contre  lea 
calvinifliec  rojw  p.  440.  441.  —  M.  Floqnet,  HisL  dn  pnrlenent  de  llof 
Mendie,  C  |Y,  p.  ds,  po«r  Int  dmu  procnreon  «alviaftêlie  privée  49  tonr 
•flice  per  le  parlement  de  Kone*. 


352  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

les  derniers  Valois  ;  temps  horriblesoù  rintennède  des  guerres 
d'extermination  contre  eux  était  le  massacre  de  la  Saint-Bar- 
thélémy. L'équité  demandait  qu'ils  tiossent  un  peu  compte 
d'un  pareil  changement. 

Relativement  aux  vexations  et  aux  injustices  de  détail  dont 
ils  avaient  droit  de  demander  et  d'attendre  la  répression,  U 
y  a  plusieurs  observations  à  faire.  D'abord,  Jusqu'en  1598» 
le  brigandage  fut  maître  dans  toutes  les  campagnes  et  dans 
toutes  les  petites  villes  de  France  :  avant  ce  temps,  le  roi  se 
trouva  complètement  hors  d'état  de  les  faire  respecter  dans 
l'exercice  de  leur  religion,  comme  il  fut  impuissant  à  proté- 
ger les  trois  quarts  de  ses  sujets.  En  second  lieu ,  les  réfor- 
més étaient  maîtres  dans  deux  cents  villes  du  midi  de  la 
France,  entre  lesquelles  on  comptait  plusieurs  grandes  villes, 
La  Rochelle,  Montauban,  Nîmes,  Montpellier.  Ceux  d'entre 
eux  auxquels  la  liberté  de  conscience  et  le  culte  secret  ne  suf- 
fisaient pas,  n'avaient-ils  pas  la  ressource  de  se  transporter 
dans  l'une  de  ces  villes  du  midi,  où  ils  auraient  complète- 
ment échappé  à  la  contrainte  7  n'avaient-ils  pas  à  faire,  dans 
l'intérêt  de  leur  religion,  ce  que  tant  d'autres  s'imposent 
dans  un  intérêt  de  commerce,  d'économie  ou  de  simple  con- 
venance ?  Enfin,  depuis  1589,  qui  est:ce  qui  n'avait  pas 
cruellement  souflert  7  qui  est-ce  qui  n'avait  pas  été  obligé  et 
qui  n'était  pas  contraint  encore  actuellement  de  faire  des  sa- 
crifices sans  mesure  7  Le  roi,  forcé  dans  ses  croyances  et  abju- 
rant la  religion  de  toute  sa  vie  ;  la  France,  prodiguant  son  ar* 
gent  et  ses  plus  hautes  dignités  aux  chefs  de  la  Ligue,  à  ceux 
qui  l'avaient,  peu  s'en  (allait,  perdue  et  mise  sous  le  joug  de 
l'étranger  I  Dans  cette  rançon  du  pays,  les  huguenots  ne  de- 
vaient-ils pas  payer  leur  part,  en  souffrant  pour  un  temps 
seulement  quelques  atteintes  et  quelques  retranchements  à 
leur  liberté  reli^euse  et  civile? 

Malgré  les  notables  améliorations  survenues  dans  leur  état, 
ik  pouvaient  légitimement  désirer  mieux.  Avant  d'être  mis 
sur  la  même  ligne  que  les  catholiques,  avant  d'arriver  à  l'en- 
tière égalité  des  citoyens  devant  la  loi,  à  laquelle  ils  avaient 
un  droit  incontestable,  quelques  conquêtes  leur  restaient  à 
faire.  Ils  avaient  à  obtenir,  pour  l'exercice  de  leur  culte,  des 
facilités,  une  publicité,  une  protection  constante,  gui  leur 
manquaient  encore  en  partie  :  ils  avaient  à  poursuivre  le  U- 


ÉTAT  DES  CALVINISTES  DE  1589  A  159^.  353 

bre  et  entier  accès  aux  magistratures  municipales,  aux  divers 
offices  et  notamment  à  ceux  de  judicature  :  ils  avaient  quel- 
ques garanties  de  plus  à  exiger  pour  obtenir  une  justice  im- 
partiale. Mais  dans  la  poursuite  de  ces  nouveaux  droits,  il  leur 
était  interdit  de  recourir  à  des  moyens  que  n'avouât  pas  Tin* 
térét  du  pays,  et  de  se  montrer  plus  impatients,  plus  exigeants 
que  les  autres  ordres.  Jusqu*en  1598,  jusqu'à  rentier  désar- 
mement des  ennemis  intérieurs  et  extérieurs,  le  calvinisme 
n'avait  été  ni  le  seul  maltraité,  ni  le  plus  maltraité.  L'ordre 
public,  les  Gnances,  l'agriculture,  le  commerce  étaient  ruinés  : 
pour  obtenir  des  réformes  indispensables,  pour  échapper  à 
d'intolérables  souffrances,  aucune  des  classes  de  citoyens 
n'avait  intrigué  et  comploté  rx>ntre  le  gouvernement  Les  ré- 
formés étaient  tenus  à  la  même  résignation.  L'édit  de  Mantes 
de  1591,  les  articles  de  Plantes  de  1593,  le  renouvellement 
solennel  de  l'édit  de  Poitiers  en  1595,  leur  donnaient  l'assu- 
rance et  la  preuve  que  Henri  serait  juste  et  bienveillant  à 
leur  égard  K  Ils  devaient  donc  s'en  remettre  au  temps,  aux 
promesses  et  à  la  justice  du  roi,  pour  obtenir  le  redresse- 
ment de  leurs  grie&,  l'extension  des  avantages  réels  et  im- 
portants dont  ils  jouissaient  déjà,  la  plénitude  de  la  liberté 
religieuse,  civile,  politique.  Lioin  de  là,  ils  employèrent  des 
moyens  violents  qui  pouvaient  perdre  leur  patrie  dans  les 
circonstances  présentes,  et  qui  lui  préparaient  un  avenir  gros 
de  dangers.  Ils  se  firent  dans  la  France  une  I«>ance  à  part, 
ils  formèrent  un  État  dans  TÉtat,  démembrèrent  le  royau- 
me ,  rompirent  l'unité  nationale  et  territoriale.  Qu'avec  des 
rois  tels  que  Charles  IX  et  Henri  III,  passant  envers  eux  de 
la  tolérance  et  des  concessions  à  la  guerre,  aux  proscriptions, 
aux  assassinats,  ils  recourussent  à  ces  extrémités  désastreuses 
pour  le  pays,  c'est  ce  dont  on  gémit,  mais  c'est  ce  qu'on  ex- 
cuse quand  on  songe  qu*ils  avaient  à  défendre  leur  vie  et  leur 
religion.  Mais  les  bons  citoyens  les  blâmeront  éternellement 

'  Duplessis  reconnaît  que  la  roaiiTtise  rolontc  monlrcr  anx  calvinistef 
por  (|uelqurs  psii  Irments  «si  contraire  aux  îolenliont  du  roi.  On  lit,  dans 
ta  Irtiru  à  la  Trcnioille,  juin  1594,  Lvi,  p.  6i  :  «  Cvnlx  de  la  rellision 
m  ont  i  >e  plaindre  du  traiclemrnl  ù  eulx  (uict  pur  Itt  parlemruls  comtrt 
k  l'intention  ttu  ro),  »  —  Dans  son  bricf  discours,  t.  Vit,  p.  281  à  la  fin, 
il  rrronniiU  rncore  que  le  roi  s'engageait  à  clendre  progressivement  le* 
a%ant.«gr«  ilf|à  assures  aux  huguenots  par  l'edil  de  f577  et  les  urticletdo 
Mantes,  m  Sa  Maieslc  promit,  avec  le  temps,  de  ft*cslendre  davantago  an 
m  contentement  de  ses  subjett  d«  la  rclligion.  » 

23 


354  HISTOIRE  DO  RÈGNE  QE  HENRI   IV. 

d^ayoir  employé  les  mêmes  moyens  avec  un  prince  ^\e\é. 
dans  leurs  croyances,  qu*il  n*avait  quittées  qu*à  regret,  ami  de 
leurs  personnes,  religieux  observateur  de  sa  parole  même 
avec  ses  plus  cruels  ennemis.  Dans  Fexécution  de  leurs  pro- 
jets, les  calvinistes  prirent  le  mot  d'ordre  de  plusieurs  chefs 
animés  de  sentiments  très  différents.  Les  uns,  purs  de  tout 
intérêt  humain,  se  laissèrent  entraîner  par  ime  ardeur  reli- 
gieuse et  un  prosélytisme  aveugles  :  de  ce  nombre  était 
Duplessis-Momay,  qui,  même  au  milieu  de  ses  erreurs,  servit 
uUlemcnt  le  roi  et  la  France  en  arrêtant  son  parti  sur  la 
limite  des  derniers  excès.  Les  autres,  tels  que  la  Trémoille 
et  Bouillon,  perdus  d'ambition,  aspiraient  au  rôle  et  à  la 
puissance  de  Condé  et  de  Goligny  en  France,  des  princes 
d'Orange  en  Hollande,  et  ils  ne  pouvaient  réussir  qu'en  per- 
pétuant les  troubles  et  en  tenant  les  huguenots  constitués  en 
parti  armé.  Les  uns  et  les  autres  furent  condamnés  par  les 
calvinistes  modérés,  restés  fidèles  aux  principes  des  politiques 
qtd  voyaient  la- France  avant  leur  secte  et  leurs  passions.  La- 
force  se  tint  à  l'écart  de  son  parti  ;  Rosny  et  Galignon  com- 
battirent ces  prétentions  exagérées  K  Leur  conduite  accuse 
plus  les  huguenots  que  les  reproches  de  tous  les  catholiques 
réunis. 

1 2.  Nouvelle  organiscUion  de  la  république  calviniste 

en  159Û. 

La  république  calviniste  et  le  protectorat ,  ou  la  charge 
de  chef  de  cette  république ,  avaient  pris  fin  à  l'avènement 
de  Henri  IV.  Mais  les  huguenots  étaient  restés  maîtres 
des  villes  que  les  guerres  et  les  traités  précédents  avaient 
mises  entre  leurs  mains,  et  dont  le  nombre  n'était  pas  moindre 
de  deux  cents.  Sans  dominer  entièrement  dans  aucune  pro- 
vince, sans  posséder  en  général  les  capitales,  ils  avaient  un 
parti  puissant  dans  le  Poitou,  l'Aunis,  la  Saintonge,  l'Angou- 

*  Toyem  les  opinioiu  et  la  conduite  de  $u\lj  dani  lei  OEconomies 
royales,  principalement  c.  55,  t.  i,  p.  i65-170;  c.  75,  p.  iSS,  153.  —  CaU« 

tnon  essaya  constamment,  mais  inutilement,  d'amener  le  parti  calvinisie 
se  contenter  de  sûretés  suffisantes  pour  itfnr  religiun,  snns  empiéter  sur 
la  puissance  publique  et  sur  l'autoritë  du  roi.  f  De  Tbou,  Memoirci,  t.  f  i, 
p.  o(i5,  34*7.  —  Madame  Duplessis,  t.  l,  p.  301,  30i.  -  Diiplrssis,  Brirf 
discours,  t.  VII,  p.  988,  989,  999.) 


ÉTAT  DES  CALVINISTES  DE  159/|  A  1598.  355 

moiSy  le  vaste  gouvernement  de  haute  et  basse  Guyenne,  le 
Languedoc,  le  Dauphiné.  Après  Tabjuration  du  roi  et  à  la 
fin  de  Tannée  1593,  ils  renouvelèrent,  à  Mantes,  leur  union 
ancienne,  et  jurèrent  de  vivre  et  mourir  unis  en  leur  confes^ 
sion  defoL  Henri  espérait  qu'ils  s'arrêteraient  à  une  démons- 
tration religieuse ,  mais  ils  en  firent  le  point  de  départ  d'une 
nouvelle  organisation  politique  et  militaire  pour  le  parti 
calviniste.  Ils  abusèrent  d'une  permission  générale  que 
Henri  leur  avait  accordée,  et  se  réunirent,  non  pas  en  synode, 
mats  en  assemblée  générale  dans  la  ville  de  Sainte-Foy,  au 
mois  de  juin  159^  K  Là  ils  divisèrent  toute  la  France  en  neuf 
grandes  provinces  ou  cercles,  composés  chacun  de  plusieurs 
gouvernements  ou  provinces  du  rojaume^.  Chaque  cercle 
avait  im  conseil  particulier  composé  de  cinq  à  sept  membres, 
et  chargé  de  fixer  et  de  répartir  les  impôts  particuliers,  de 
tenir  sur  pied  les  gens  de  guerre ,  d'amasser  les  munitions 
nécessaires  au  maintien  et  à  la  défense  du  parti.  La  répu- 
blique calviniste  eut  ses  assemblées  générales  composées  de 
neuf  députés  ou  représentants  des  neuf  cercles.  Ces  assem* 
blées  furent  investies  de  l'autorité  «  d'ordonner  pour  le  gé- 
»  néral  tout  ce  que  le  temps  requerrait,  »  c'est-à-dire  d'un 
pouvoir  législatif  distinct  de  celui  de  la  couronne  et  de  la 
nation.  Le  parti  calviniste  s'assura  par  diverses  mesures  le 


'  tfëmolres  de  modume  Duplculs,  t.  1,  p.  168,  K9.  <—  D*Attbignë«  L  IT, 
c.  10,  t.  lii«  p>  3M>i  ^T'  «  L.e>  reirurmcs,  tout  permUsion  du  roy,  en  ter* 
m  mes  geaeruux  et  non  ex{>tè«,  «Mignèreul  une  asscmbice  générale  pour 
•  leurs  ult'iiiret  i  Suiate-frui,  ayant  trouTé  par  le*  plainte  a  de  tous  côtes 
»  occusion  tulfisunte  pour  user  cette  nouveauté,  » 

*  Les  cuUinUtt'S  diYisvrriit  ta  tr^nce  d^abord  eu  dix  provinces  on  cer- 
cles, dans  l'assvmblee  de  SMinte-Foy  ;  m«is  eu»uilc,  par  décision  du  20  juin, 
ils  reilui>irei>t  ce  nombre  dt*  dix  à  neul.  C'est  ce  que  l'un  trouve  dans 
d'Aubigne,  1.  IT,  r.  Il,  t.  IT,  p.  507,  3ti8,  373.  il  luut  corriger  les  nut 
par  lea  autre»  les  énonces  des  pages  367,  36ll,  pour  éviter  les  erreurs.  Il 
rst  curieux  de  conuaitre  cette  divisiuu  du  royaume  en  M  cercles  protêt» 
Uinls  : 

\*t  cercle  :  Bretagni»,  Normandie. 

i*  cercle  :  Picaidie,  tlhampagne,  Sedun,  Pays  messin. 

ô«    cercle:  Ile-de-Fiance,  Orléanais,  ik-rri. 

4«    ceicle:  Tour^ine,  Ao|uu,  Maine,  Perche,  Ix»udunois,  SainloDge, 

▲unis,  1.*  Hocbelie,  Angaumois,  bas  Poitou. 
S*    cercle  :  Haut  Poitou. 

tk    cercle:  liourgogiio,  Lyonnais,  Daupbinc,  Provence. 
7«    cercle:  Bas  Languedoc,  ViviàraLî,  basse  Auvergne. 
S*    cercle  :  Haut  l^tigucdoc,  liaulv  Auvergne,  haute  (juirnae,  Quercy, 

lioufigue.  Armagnac,  Commingrs,  Bigoire. 
^    cercle:  Bjis>e  Oui«*une,  i^aMogue  ,  Hordclai»,  AgeiMiis,  Perigonl, 

l.imousiu. 


356  HISTOIRE  DO  règne  de  HCIVRI   ir. 

recrntement  d*une  armée  en  cas  de  nécessité,  des  garnisons, 
des  places  fortes,  des  finances  à  part  Le  règlement  de  Sainte- 
Foy  pourvut  à  ce  que  les  gouvernements  de  provinces  et  de 
villes,  occupés  une  fois  par  les  réformés,  ne  sortissent  plus  de 
leurs  mains.  Si  le  roi  cessait  de  payer  les  sommes  néces- 
saires à  Tentretien  des  garnisons  dans  les  villes  laissées  aux 
réformés,  les  gouverneurs  devaient  saisir  les  tailles  et  le 
taUlon  entre  les  mains  des  receveurs  royaux,  et  appliquer  ces 
deniers  au  paiement  des  garnisons.  Et  dans  le  cas  où  le 
pouvoir  central  essaierait  de  réprimer  ces  violences,  ou  bien 
de  substituer  dans  le  commandement  des  places  im  catho- 
lique à  un  protestant,  tous  les  calvinistes  de  la  localité  et  des 
pays  environnants  devaient  s'unir  et  se  lever  pour  prêter 
main-forte  aux  gouverneurs  protestants  attaqués.  Indépen- 
damment des  impôts  ordinaires,  un  impôt  particulier  était 
établi  sur  les  calvinistes,  et  donnait  à  leurs  chefs  la  disposi* 
tion  d'une  somme  annuelle  de  120,000  livres  (/t/iO,000  francs 
d'aujourd'hui).  Quelques  mois  plus  tard,  ils  essayèrent  de 
rétablir  le  protectorat  ou  commandement  suprême  des  hugue- 
nots et  cherchèrent  un  protecteur  parmi  les  grands  seigneurs 
français  et  parmi  les  princes  étrangers  <.  D'où  il  résultait  que 
le  parti  calviniste  avait  une  circonscription  territoriale,  une 
administration,  des  finances,  un  pouvoir  législatif,  un  pou- 
voir exécutif  en  dehors  de  ceux  du  pays,  ou,  en  d'autres 
termes,  les  moyens  de  prendre  des  résolutions  contraires  à 
celles  du  corps  de  la  nation  et  de  les  soutenir  par  la  révolte. 
Il  ne  leur  manquait  qu'un  stathouder  huguenot  à  opposer  au 
roi  de  France,  et  ils  le  cherchaient.  Cette  organisation  répu- 
blicaine était  calquée  sur  celle  des  Provinces-Unies,  et  la 
France  devait  avoir  sa  Hollande  comme  les  Pays-Bas. 

Ces  violences,  contraires  à  l'intérêt  de  la  France,  et  par 
conséquent  au  devoir  de  tout  bon  citoyen,  n'avaient  aucun 
motif  sérieux,  puisque  les  huguenots  avaient  par  devers  eux. 


*  Le  tc«le  du  icglcmenl  df>  S.iiiile-Foy  et  toute  la  nouvelle  organintion 
rrpublicoinr  des  rulTinUtesduns  d'Aubigne,  Hisl.  univ.,  l.  IV,  c.  Il«  t.  m, 
p.  r)<j7-375.  Madnme  Uuples>i«  les  nieiiliunne  seulement,  t.  i,  p.  S76.  — 
i^e  projot  de  ressusciter  le  protrclorat  et  de  nommer  un  protecleur,  dons 
Lrstuile,  novembre  15!)4,  p.  iîil  B.  «  Pour  le  regiird  d*un  protecteur,  li* 
M  roy  leur  uvuil  rcpomlu  quMl  Touloil  bien  quMs  entenduscnt  qu*il  n*y 
m  uvoit  autre  prutecleur  en  Frnnce  que  luy,  des  uns  et  des  uuircs  ;  et  que 
M  le  premier  qui  stM-oil  si  o^é  d>u  prendre  le  filtre,  il  lui  feroit  courir 
»  foi  tune  de  su  vie,  ot  quUI  sVn  nsseurust.  • 


ÉTAT  DES  CALVIMSTKS  D£  1596  A  1598.  357 

pour  !$e  rassurer,  outre  le  traité  de  la  trêve  ot  la  déclaration 
du  roi  de  1589,  IVdit  de  Mantes  de  1591 ,  les  articles  de 
Mantes  de  1593.  Elles  n*avaient  qu'un  prétexte,  l'abjuration 
du  roi  et  ses  traités  avec  une  province  et  trois  villes  de  la 
Ligne,  qui  ne  donnaient  qu'à  la  malveillance  la  plus  perfide, 
mais  enfin  qui  donnaient  à  la  malveillance  l'occasion  et  les 
moyens  de  calomnier  les  dispositions  et  les  sentiments  du  roi 
à  l'égard  des  huguenots.  Or  ce  prétexte  s'évanouit  au  mo- 
ment où  redit  de  Saint-Germain  transforma  Tédit  de  Poi- 
tiers en  loi  de  l'État  pouf  les  provinces  qui  avaient  suivi  la 
Ligne,  comme  pour  le  reste  du  royaume,  consacra  l'édlt  de 
I\)itiers  par  une  nouvelle  et  solennelle  promulgation,  et  par 
l'enregistrement  dans  les  anciens  parlements  de  cette  même 
ligue.  En  eflTet,  pour  tout  homme  modéré  et  sincère,  l'édlt 
de  Poitiers  contenait  non  pas  tous  les  développements,  mais 
toutes  les  parties  principales  et  essentielles  de  la  liberté  re- 
ligieuse et  civile  des  dissidents.  L'édit  de  Saint-(jermain,  éla- 
boré par  le  roi  et  par  son  conseil,  fut  dressé  au  mois  de 
novembre  1596.  Il  portait  que  l'édlt  de  l^itiei^  rendu  en 
1577,  les  conférences  de  Nérac  et  de  Fleix,  les  articles 
secrets  qui  s'y  trouvaient  annexés  seraient  enregistrés  dans 
tous  les  parlements  du  royaume,  et  tous  les  citoyens  tenus  d'y 
obéir;  qu'en  outre  on  ferait  jouir  tacitement,  mais  efiTecti- 
Tement,  les  calvinistes  des  articles  de  Mantes.  Un  article 
spécial  déclarait  les  huguenots  aptes  à  remplir  tous  les  offices 
et  toutes  les  dignités  du  royaume,  pour  surmonter  les  diffi- 
cultés élevées  à  cet  égard  par  plusieurs  parlements  et  cours 
souveraines.  L'édit  de  Saint-(jermain  fut  enregistré  au  mois 
de  février  i595  par  le  parlement  de  I^ris,  le  premier  et 
le  plus  autorisé  des  parlements,  et,  successivement,  par  le 
parlement  de  Dijon  et  par  les  autres  parlements  du  royaume, 
sur  les  équitables  et  incessantes  poursuites  du  roi  ^  Dès  lors 
les  calvinistes  devaient  rompre  leur  association  républicaine, 
destructive  de  l'unité  de  France,  et  poser  les  armes. 

Mais  leurs  chefs,  qu'une  si  sage  n^solution  aurait  fait  ren- 
trer dans  la  vie  privée  et  dans  la  condition  commune,  |)ar- 


'  Mémoires  de  madame  Dnplcs.Mi,  t.  i,  p.  979,  f90,  —  Thoanut ,  I.  c\i« 
$8.  et  1.  CXil,  S^«  *•  V*  P*  ^^*  ^^*  ^**  45:».— Mémoires  •!•  Oe  Tliou« 
t.  XI d« la  collecl.,  p.  364  B.—  M. l'ioquet,  Ujst*  du  parlcm. d«  Normandie, 
I.  IT,  p.  73.  74,  »|.«J$. 


358  UISTOIIIË   DU    RKGNK   DE  UKNUl   IV. 

vinrent  à  la  traverser.  A  l'assemblée  de  Saumur,  ouverte  le 
iU  février  1595,  ils  tinrent  les  esprits  dans  Tagitation  el 
reflervesccnce,  et  firent  résoudre  que  les  Églises  réformées 
solliciteraient  du  roi  un  nouvel  édlt  et  une  condition  toute 
nouvelle.  Des  députés  portèrent  leurs  demandes  à  Henri,  au 
mois  de  septembre,  pendant  qu'il  séjournait  à  Lyon,  au  mo» 
ment  où  les  Espagnols,  après  la  prise  du  Gatelet  et  la  défaite 
de  Dourlens,  assiégeaient  Cambrai.  Ils  exigeaient  :  i"  qu'on 
les  admit  indistinctement  avec  les  catholiques  aux  emplois  et 
aux  charges  publiques  ;  2"  qu'on  assignât  des  appointements 
sur  les  deniers  publics  à  leurs  ministres  et  à  ceux  qui  seraient 
chargés  de  l'éducation  de  la  jeunesse  calviniste  ;  qu'on  leur 
accordât  lue  entière  et  générale  liberté  d'exercer  publique- 
ment leur  culte  dans  tous  les  lieux  sans  exception  ;  4°  qu'on 
nommât  autant  de  magistrats  réformés  que  de  catholiques 
dans  les  parlements  et  dans  les  autres  tribunaux  du  royaume; 
5*  qu'on  leur  laissât  en  garde ,  pour  leur  sûreté,  les  villes 
qu'ils  avaient  entre  les  mains,  et  que  les  garnisons  en  fussent 
payées  des  deniers  du  roi.  Toutes  ces  clauses  devaient  être 
consignées  dans  l'édit  qu'ils  poursuivaient  ^ 

Le  premier  article,  déjà  porté  dans  l'édit  de  Poitiers,  ve- 
nait d'être  renouvelé,  et  d'une  manière  spéciale,  dans  l'édit 
de  Saint-Germain  ;  de  plus ,  le  roi  l'avait  mis  sans  cesse  en 
pratique  depuis  1590,  et  il  n'attendait  que  le  moment  où  il 
pourrait  se  faire  pleinement  obéir,  pour  en  étendre  l'exécu- 
tion aux  villes  qui  l'avaient  rejeté  jusqu'alors,  à  Rouen,  par 
exemple.  Les  chefs  du  parti  calviniste  n'avaient  donc  inséré 
l'article  dans  leurs  cahiers  que  pour  entretenir  un  profond 
mécontentement  dans  la  masse  mal  informée  de  leurs  coreli- 
gionnaires, en  leur  donnant  à  croire  que  les  emplois  civils 
d'huissiers,  de  procureurs,  de  notaires,  d'avocats  leur  étaient 
fermés.  Le  roi  avait  accordé  la  seconde  demande  par  les  ar- 
ticles de  Mantes  :  seulement,  il  assurait  l'usage  sans  la  publi- 
cité, qui  devait  lui  susciter  la  haine  du  parti  catholique.  1^ 
demande  du  libre  et  public  exercice  du  culte  dans  tous  les 
lieux  sans  exception  était  propre  à  rallumer  le  feu  aux  quatre 
coins  du  royaume,  presque  partout  sans  avantage  pour  les 
huguenots.  En  eflet,  d'une  part  ils  ne  tardèrent  pas  à  recon- 

*  Thunuc,  1.  czin,  $  8,  l.  t,  p.  406.  ^^  Hul.  ds  redit  de  Nantes,  1.  lu, 
p.  140,  «41. 


ÉTAT  UKS  CALVINISTES  D£  159Û  h   1598.      359 

naître  et  à  avouer  que  les  villes  de  la  Ligue  qui  venaient  de 
traiter  avec  le  roi  à  des  conditions  contraires,  et  même  plu- 
sieurs villes  de  tout  temps  attachées  au  parti  royal,  étaient 
résolues  à  recommencer  la  guerre  civile  plutôt  que  de  souf- 
frir dans  leurs  murs  l'exercice  public  du  culte  réformé;  d*un 
autre  côté,  il  ne  se  trouvait  pas  un  seul  habitant  calviniste 
dans  la  plupart  de  ces  villes  K  Le  partage  égal  des  charges 
de  magistrature  dans  toutes  les  juridictions  du  royaume  était 
souverainement  injuste,  puisque  le  nombre  des  calvinistes 
était  alors,  avec  la  population  catholique,  dans  la  proportion 
de  un  ft  dix,  et  peut-être  moins.  Ce  partage  n'était  pas  néces- 
saire pour  assurer  tme  justice  impartiale  aux  réformés  :  le 
choix  de  magistrats  intègres  et  soumis  d'ailleurs  à  être  ré* 
cusés  par  eux  dans  les  parlements  du  Nord  ;  les  chambres 
mi-parties  dans  les  parlements  du  Midi,  où  ils  se  trouvaient 
presque  entièrement  concentrés,  suffisaient  à  ce  besoin,  et 
ces  garanties  leur  étaient  assurées  par  les  édits  de  Poitiers  et 
de  Saint-Germain  \  En  ce  qui  concernait  les  places  de  sûreté, 
les  édits  ne  leur  en  avaient  doimé  que  neuf,  et  ib  en  te- 
naient plus  de  deux  cents'.  Le  roi  consentait  ft  leur  en 
laisser  la  jouissance  pendant  quelques  années,  et  jusqu'au  mo* 
ment  où  son  autorité,  pleinement  aflTermie,  suffirait  seule  pour 
les  protéger,  et  où  les  haines  dont  la  plupart  des  catholk[ue9 
les  poursuivaient  encore  seraient  calmées.  Mais  il  ne  voulait 
pas  transformer  cette  jouissance  en  propriété,  aliéner  h  tout 
jamais  une  partie  considérable  de  la  foree  publique  et  de  la 
souveraineté  nationale,  consentir  un  démembrement  du 
royaume.  En  conséquence ,  il  refusait  de  leur  faire  abandon 

I  L*antoiir  c«lTiaut«  d«  l*Bbtoii«  de  TMit  d«  Ifanlet  dit,  au  1.  ▼,  U  t, 
p.  tas  :  «  Il  y  oToil  des  grandca  Tilles  où  U  n'y  «toîI  pas  on  habitaat 
■  refomn,  et  où  por  cons*queol  U  cooression  ouroil  é\e  forl  inutile.  11  y 

•  en  aTtil  des  plus  împorUnIct,  comme  Thoulonse,  Bordeoo»  et  autrat, 
»  qui  auroirnt  plutôl  rrcommcnré  la  giirrre  que  de  «ouffrir  TelubUsscmcnt 
•I  d*nn  esercice  de  la  religion  réforinee  dans  leur»  murs.  »  ... 

•  Articles  SI.»,  «3  et  ariicle  10  secret  de  Tcdii  de  Poitiers,  ou  edil  de 
1577.  puges  85  el  S6  do»  pièces  iosliticutivrs  de  IVdit  de  Wanles.  L  «rticle 
«0  secret  porte  :  «  Il  a  été  avivé  et  convenu  qne  les  présidents  el  conseillers, 
(des  chambres  de  l'ëdil)  seront,  par  sa  dite  Uajetté,  choisis  sur  le  tableau 
»  des  officiers  d'iceui  parlements,  des  plus  équiUtbitê^  paisibitt  9i  mo- 

•  dëres.  Desquels  la  liste  sera  cummuniqM^a  aux  députés  du  dit  sieur  roi 
.  de  N.Tarre  el  de  ce«  de  la  dite  religion  qui  se  trouveront  auprès  de 
s  Sa  Maieaté.  arant  qu'être  ordonnea  ponr  servir  leadilas  chanibres.  El  oh 
a  aurums  J'icemx  leur  seraient  suspscts,  Uur  str^  loisibU  le  fniiT 
m  entendra  H  sa  dite  Majesté,  laquelle  en  élira  d'amtns  a  leur  place,  m 

*  Hist.  de  l'édit  de  Nanlea,  1.  ▼,  1. 1,  p.  t40. 


360  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE   HENRI  IV. 

des  villes  de  sûreté,  sans  terme,  et  par  acte  écrit  et  au* 
thentique  sur  lequel  il  fût  impossible  de  revenir  plus  tard  K 
Ainsi  le  roi  conduisait  les  calvinistes  à  la  plénitude  de  la 
liberté  religieuse  et  civile,  mais  avec  des  délais  et  des  tempé- 
raments qui  prévenaient  de  nouveaux  mouvements  chez  les 
catholiques,  de  nouvelles  révolutions  ;  en  second  lieu,  il  re- 
poussait les  concessions  qui  auraient  permis  aux  réfonnés  de 
cesser  d*étre  citoyens  et  Français.  Les  ambitieux,  les  me- 
neurs. Bouillon  et  La  Trémoiile,  poursuivaient  une  émanci- 
pation religieuse  complète  et  brusque,  qui  satisfit  les  hugue- 
nots enthousiastes,  et  les  rendit,  eux,  durant  la  paix,  les 
idoles  du  parti  calviniste.  Ils  s*efibrçaient  de  donner  à  ce 
paru  ime  organisation  politique  et  des  forces  qui,  en  cas  de 
guerre,  leur  assurassent  le  commandement  et  leur  permis- 
sent de  se  soutenir  contre  le  roi  et  contre  le  reste  de  la 
France.  Là  était  tout  le  débat. 

Le  roi  avait  ajourné  les  demandes  qu'ils  lui  avaient  por- 
tées à  Lyon.  Ils  se  mirent  en  devoir  de  le  contraindre,  et 
ils  employèrent  à  la  fois  les  calvinistes  et  Tétranger  pour  lui 
faire  violence.  Dans  le  synode  de  Saumur  et  l'assemblée  de 
Loudun,  tenus  en  1596,  ils  échauffèrent  les  têtes  et  les  ame- 
nèrent aux  plus  extrêmes  résolutions.  Ils  profitèrent  aussi 
des  circonstances  extérieures  :  les  Espagnols  enlevaient,  eu 
ce  moment  même,  leCatelet,  Calais  et  Ardres  ;  le  roi  continuait 
péniblement  le  siège  de  La  Fère.  Exploitant  ses  embarras  et 
ses  dangers  publics,  ils  lui  envoyèrent,  au  camp  de  La  Fère, 
une  nouvelle  députalion  chargée  d'une  requête  plus  aigre  et 
plus  pressante.  Sur  sa  réponse  dilatoire,  ils  en  vinrent  à  une 
rupture  ouverte.  Bouillon  et  La  Trémoiile  quittèrent  l'ar- 
mée. C'était ,  comme  le  remarque  de  Thou ,  la  formation 
définitive  d*un  nouveau  parti  dans  le  royaume  et  sa  déclara- 
tion de  guerre.  D'un  côté,  leur  départ  affaiblissait  singulière- 
ment le  roi,  au  moment  le  plus  critique  de  ses  affaires ,  car 


*  Mi'm.  de  madame  Duplessis,  t.  I,  p.  388.  «  Los  articles  coiiceruaiit 
M  la  rcUi{>iun,  iusttce  et  police  iuy  uuruieiil  Jiien  este  ciiTuyem  signes  du 
9  roy,  ruiilresignes  d^ing  secrctairc  d'Esiut,  mais  non  ccltiy  <|ui  courcrnoil 
i>  les  seuretex,  Kçavoir  que  toutes  les  villei  tenues  |Hir  cculx  de  la  reUiptoii 
M  leur  demeuroioirnl  pour  scurclé, avec  les  garnisons  etiirclenucs.  Dunl  se 
M  pLignanl  le  liicl  siaur  DeUnoue  lai  /tut  dici  r/u'il  {t'articlr)  semit 
»  entretenu,  mais  ne  pourrait  etlre  baillé  par  escrit,  n  —  Duplessis. 
Bri«r  dise,  t.  vu.  p.  S8J,  dit  que  les  réponse»  de  Mautcs  u*ctaicnt  pas  en 
forme  autlicutique. 


ÉTAT  DES  CALVINISTES  DE  1594  A  1598.      361 

ils  le  privaient  à  la  fois  de  leurs  troupes,  et  de  leurs  talents, 
de  leur  expérience,  de  leur  ascendant  sur  les  soldats  ■.  D'un 
autre  côté,  les  députés  des  réformés  à  rassemblée  de  Loudun 
se  disposèrent  à  retournerdans  leurs  provinces  pour  leur  faire 
prendre  les  armes  et  commencer  la  guerre  contre  le  roi.  Le 
témoignage  de  Duplessis-Mornay  et  de  sa  femme  ne  laisse 
aucun  doute  h  cet  égard.  Le  premier  dit,  en  parlant  des  dis- 
positions des  liuguenots  :  «  Ces  gens-ci,  rebutés  de  la  cour, 
m  sont  résolus  de  chercher  leurs  remèdes  en  eux-mêmes,  sont 
»  autorisés  à  cette  fin,  et  par  des  actions  qui  ne  les  y  sem- 
»  bient  pas  mener  tout  droit,  se  trouveront  avoir  passé  le 
•  Uubicon  fort  gaiement.  »  Madame  Duplessis  ajoute  :  «  Les 
»  députés  sVn  retoumoient  chacun  en  sa  province,  en  inten- 
»  tion  de  chercher  les  remèdes  de  leurs  maux  en  eux-mêmes, 
»  donl  se  fût  infailliblement  suivi  un  trouble,  pour  achever 
»  la  ruine  de  cet  Etat,  si  par  Tindustrie  de  M.  Duplessis  le 
i>  ^i  n'eût  été  averti  à  propos  de  ce  danger  imminent, 
»  et  par  liu  persuadé  d'envoyer  à  bon  escient  traiter  avec 
»  sieurs  de  ladite  assemblée  \  »  Les  actes  répondaient  déjà 
aux  dispositions.  Le  parti  calviniste,  se  plaignant  que  les  gar- 
nisons des  places  de  sûreté  n'étaient  pas  payées,  et  ne  tenant 
aucun  compte  de  la  détresse  dans  laquelle  se  trouvait  alors 
le  gouvernement,  fit  un  premier  acte  de  révolte  contre  le  roi 
en  saisissant  les  deniers  publics  entre  les  mains  de  ses  rece- 
veurs, et  en  les  appliquant  au  paiement  des  garnisons  (sep- 
tembre, octobre  1596)  ^. 

Quatre  commissaires  furent  chargés  par  le  roi  de  traiter 
aviT  les  calvinistes,  qui  transportèrent  leurs  assemblées  à  Sau- 

*  Tliuaniis.  I.  CXTil,  $  ^,  .t.  V,  p.  GiO.  «<  Kx  eo  proi  estant  et.  capta  ocoi- 
»  tionc,  partes  ipai  in  le^iiu  farerr  vitleliantiir  :  per  itiani  si  cjuidem  scissu- 
it  rum  fieUit,  ut  régie  viios  niuiinie  delàlilureutur,  prwsUiuliuiniit  belli 
m  tluciliut,  quorum  u|K>ia  rcx.  uli  cuiisuevriut«  ab  exprcilu  ahsciitilius; 
t»  magnunique  ob  id  invidiani  pusteti  sutlinueniDl  Cluudiiis  Tiemollius 
•  TItoarlii  ri  Heniicus  Turriu«  Bulliuuii  duces  et  aroilini  cuRuali.  «—  Il 
ufoutc  dans  ses  Memoiiv»*,  t.  XI,  p.  ^'>  A.  roUert.  Micbaad  :  m  Les  pmtes- 
M  Unis  prirent  le  temps  que  ce  prince  etnil  occupé  ou  sirgr  de  La  Fère, 
a  et  sous  prétexte  de  1j  sûrrte  de  leur  religion,  ils  lui  pirsentèrent  une 
»  requt'te  dans  la  situation  la  plut  fâcheuse  de  ses  affaires.  Les  suites  eu 
9  éltiient  dangereuses.  •• 

*  Lettre  de  Duplessis  &  Bouillon,  du  10  iiiia  ISOG,  dans  le  t.  VI  de  tes 
Mc'moire^  et  correspoudauce,  p.  M)4.  —  Mad^ime  Duplessis,  t.  l,  p.  SOI.  <— 
l>jus  le  inênii*  lunie  vi  de  Duplessis,  on  trouve,  du  "à  mai  au  S  juillet  l&!JG, 
Iteaucoup  de  lettres  de  Duplessis  au  roi  et  à  divers,  el  des  lettres  auto- 
graphes  du  roi,  vu  date  de»  é  ou  14  mai,  2  juin,  13  juin,  8  |uillet,  qni 
présentent  la  marche  et  les  progrùs  de  Tutsurrection  calviniste. 

*  Duplessis,  dans  sou  firief  discourt,  U  vu,  p.  988,  S89i  avoua  cet  fisiU. 


363  UISTOIRE   DU   RÈGNB   UK  H£NRl  IV. 

inurctà,GhateUcrauU,àlafin  de  Tannée  1596  et  pendant  Tan- 
née 1597.  Des  quatre  commissaires,  Galignon  était  huguenot; 
les  trois  autres,  Schomberg,  de  Vie,  de  Thou  étaient  catlioli- 
ques,  mais  d*une  telle  modération,  d'un  esprit  si  éclairé  et  si 
tolérant,  que  les  calvinistes  eux-mêmes  sollicitaient  leur  mé- 
diation K  Us  consentirent  toutes  les  conditions  qui  devaient 
assurer  aux  dissidents  la  plénitude  de  la  liberté  civile,  la 
plénitude  de  la  libellé  de  conscience,  Texerdce  de  leur  culte 
dans  les  limites  que  pouvaient  fixer  les  plus  zélés  d'entre 
eux,  pourvu  qu'ils  ne  fussent  ni  aveugles  ni  factieux.  Les 
commissaires  ne  repoussèrent  que  les  demandes  contraires  à 
la  légitime  autorité  du  roi  et  à  Tinlérèt  de  TÉUt  Henri,  de 
son  côté,  tint  à  justifier  la  parole  de  ses  envoyés  parles  actes 
les  plus  significatifs.  A  la  suite  des  notables  de  Rouen,  et 
après  une  lutte  prolongée  contre  le  parlement  de  Normandie, 
il  fit  enregistrer  par  cette  cour ,  Tune  des  plus  hostiles  aux 
huguenots,  Tédit  de  Poitiers;  il  sanctionna  d'ime  manière 
éclatante  les  dispositions  de  Tédit  et  l'enregistrement  en  ré- 
tablissant dans  son  siège  un  conseiller  du  parlement  de  Rouen 
qui  en  avait  été  chassé  pour  cause  de  calvinisme  (  2,  5  fé- 
vrier 1597)  \  Mais  les  conditions  relatives  à  l'organisation 
politique  et  à  la  force  militaire  des  huguenots,  auxquelles  le 
roi  et  ses  commissaires  essayaient  si  justement  de  se  sous- 
traire, étaient  précisément  celles  que  Bouillon  et  Ija  TrémoUle 
avaient  à  cœur  de  faire  passer,  pour  fonder  leur  pouvoir.  11 
s'établit  entre  eux  et  les  commissaires  une  lutte  dans  laquelle 
ils  eurent  le  triste  avantage  de  l'emporter,  favorisés  par  les 
progrès  de  l'Espagnol,  par  les  dangereuses  menées  du  parti 
aristocratique,  et  par  la  crainte  qu'ils  surent  inspirer,  en  vio- 
lant leurs  plus  saints  devoirs,  Tandis*que  les  Espagnols  pre- 
naient Amiens  et  que  les  grands  complotaient,  tandis  que 
l'État  était  évidemment  incliné  vers  sa  ruine  et  que  les  am- 
bitieux attendaient  ce  naufrage  pour  se  jeter  chacun  sur  sa 


*  Dupletftit  écrit  au  tecrétaire  dTJat  Lomenlc,  le  19  piin  lb96,t.  VI, 
p«  soi  :  «  Fuilrs  donc  adTancerM.  d'Emery,  je  dit  le  prétident  de  Thou.  » 
"•  L'auteur  caWinule  da  rHisloire  de  Tédit  de  Nantes,  1.  IV,  t.  ], 
p.  176  :  w  1^  roi  voulut  donner  la  conmUsion  au  président  de  Thou, 
j»  homme  d^uiie  équité  cl  d^nne  probité  reconnue*  de  tout  le  monde.  » 

'  Mém.  de  Groiilarl,  c.  7,  t.  XI.  p.  574-676.  —  Registres  serreti  du 
parlement  de  Normandie  dans  THist.  de  M.  Floquet,  t.  IV,  p.  8I-1U0.  l<e 
conseiller  calviniste  réintégré  au  parlement  de  Ronen  se  nommait 
MoyDet  de  Tancourt.  ^  Hisi.  de  Tédit  de  Nantes,  I.  ir,  p.  i76-fS0. 


ÉTAT  DES  CALVINISTES  DE  159/i  A  1598.  368 

pièce  ^  les  chefs  calvinistes  attaquaient  d*un  antre  côte  le  roi 
et  le  pays  pour  les  faire  céder  ou  les  faire  périr,  et,  dans 
ce  dernier  cas,  prendre  leur  part  des  dépouilles.  De  Thou 
pressa ,  conjura  fiouillon  et  La  Trémoille  d'amener  à  Henri 
les  secours  dont  il  avait  besoin  pour  reprendre  Amiens. 
Non  seulement  ils  persuadèrent  à  rassemblée  de  Gliâtelle* 
rauh  de  lui  refuser  les  troupes  dont  le  corps  des  Églises  ré- 
formées disposait ,  mais  ils  employèrent  même  ailleurs  les 
soldats  qu'ils  levèrent  dans  les  provinces  du  Midi,  au  nom 
du  roi  et  avec  ses  deniers.  Bouillon,  avec  les  forces  qu'il  avait 
ramassées,  s'en  alla  dans  l'Auvergne  et  le  Gévaudan,  où 
Montmorency-Fosseuse  avait  repris  les  armes  par  ses  conseils 
et  à  son  instigation.  Ixi  Trémoille  resta  inactif  en  Poitou. 
On  craignait  qu'ils  ne  persuadassent  à  ces  soldats  de  lever 
Pétendard  contre  le  roi.  En  même  temps  les  députés  calvi« 
nistes  formant  rassemblée  de  Gliâtellerault  imploraient  l'as- 
sistance de  la  reine  d'Angleterre  et  de  la  Hollande,  et  leur 
demandaient  d'intervenir  entre  eux  et  le  roi.  Ils  poussaient 
les  Églises  réformées  à  prendre  les  armes,  en  publiant  un 
pamphlet  où  ils  peignaient  la  condition  des  calvinistes  comme 
celle  de  vaincus  et  d'esclaves  en  butte  à  d'intolérables  ri- 
gueurs, et  en  représentant  le  roi ,  dans  toutes  leurs  assem- 
blées, comme  un  apostat  dont  ils  n*avaient  rien  &  espérer  et 
tout  à  craindre  ^.  Selon  toute  apparence,  ils  les  auraient  dé- 
cidés à  une  révolte  ouverte  et  à  la  guerre  contre  Henri,  si  la 
mésintelligence  n'eût  éclaté  subitement  entre  eux  ;  la  no* 


'  Osl  madame  Daplc»&is,  1. 1.  p.  398,  qui  iroce  ella>mém«  c«  Ublea« 
de  Pctat  de  la  Franco  avcr  rrltp  vi*rît((  et  cette  rnergie. 

'  Le  pamphlet,  (Hirtant  fvur  titre  :  Pl.iint<*sdes  Kglites  r^formëei  de  France, 
e»t  celui  que  duu«  avon^  citt*  pluiicurt  fois  au  commencement  de  ce  cha- 
pitre. Il  fut  public'  uu  commtMirt'mrtit  de  Paimoe  1507  (P.  Cajet,  1.  Vili, 
p.  7H0  K.)  Il  se  trouve  tout  entier  duos  les  Hcmoircs  de  la  Ligue,  t.  Tl, 
p.  4!ÏS-486.  —  Sully.  OEcon.  roy.,  c.  7.S,  t.  i,  p.  iS*.  m  Le  roy  disoit  que 
m  la  plutpart  do  ••glisrs,  et  surtout  des  grande*  Tilles  et  des  principaux  de 
M  la  unblrMC,  avouMit  bien  déclaré  ne  le  vouloir  pas  presser  d'ancunet 
»  nunvellcs  couces^iiont,  tau!  (|ue  le  sivge  d'Amiens  dnreroit;  dont  U  W9 
»  sentoit  leur  estre  obliï;e.  Mais  qu'il  craignoit  qu*i  la  longue  ces  me»* 
M  sieurs  de  Bouillon,  de  I^a  Trcmnille,  Dupirstis,  accompaanet  par  qainsa 
M  ou  vingt  de  leur  caballc  de*  plus  cschaullra  qui  les  sollTcitoient  i  cela, 
jk  nr  les  y  dispo^a»si'nt  avant  qu'il  eu<tt  prit  Amiens,  qui  seroit  la  ruine 
•  entièrr  de  ses  ufl'aires.  »  On  verra,  dans  la  note  suivante,  le  roi  recon* 
n»iln\  dans  une  lettre  du  18  janvier  iriM,  la  diire'rence  entre  la  conduite 
d«*  I>uplesai«  et  telle  dt*  Bouillon  et  de  La  Trémoille,  mais  maintenir  jas- 
qu'au  l»out  ses  accusations  contre  les  deuv  derniers  ;  on  verra  les  hommet 
d^F.tai  et  les  historiens  cootemporains  témoigner  nnanimement  que  ces  accu- 
ulions  étaient  fondcci. 


36^  HISTOIRE   DU   RÈGN£  DE  IIEiNRI   IV. 

blesse  calviniste  voulait  manier  les  deniers  qu'on  lèverait  ; 
les  ministres  et  les  anciens  prétendaient,  au  contraire,  que 
la  paie  des  soldats  passât  par  les  mains  des  députés  des 
Églises.  Ce  diflérend  élevé  parmi  les  calvinistes ,  les  nouvelles 
concessions  faites  par  les  commissaires  du  roi ,  toutes  pro- 
pres à  calmer  les  esprits  dans  l'assemblée  de  Châtellerault ,  la 
reprise  d'Amiens,  qui  rendait  à  Henri  la  puissance  de  Topi- 
nion  et  la  libre  disposition  de  ses  forces  à  Tintérieur,  mirent 
un  temps  d'arrêt  dans  les  projets  des  factieux.  Mais  la  trêve 
entre  les  deux  partis  pouvait  se  terminer  d'un  moment  à 
l'autre  par  une  prise  d'armes  des  réformés.  En  effet,  môme 
après  que  le  roi  eut  chassé  l'Espagnol  d'Amiens ,  les  cliefs 
des  huguenots  agitèrent  de  surprendre  Tours  avec  un  corps 
d'armée  de  trois  mille  cinq  cents  hommes  tout  dévoués  à 
La  Trémoille.  Ils  prétendaient  que  leur  requête  datée  d'une 
si  bonne  ville  serait  merveilleusement  eiDcace  pour  persua- 
der le  roi  et  son  conseil  K 

Le  roi  et  le  pays  ne  pouvaient  donc  se  le  dissimuler  :  le  len- 
demain du  jour  où  il  mettait  fm  à  la  Ligue  catholique  par 


■  De  Thon,  H^moires,  l.  xi,  p.  367.  r  Durant  la  longueur  «t  IMncerti- 
•  tude  «lu  tiege  d^Amiens,  de  Thou  avoit  «ouvent  pressé  les  ducs  de 
»  Bouillon  et  de  la  Trémoille  de  lever  des  troupes  et  de  les  roeuer  «levant 
m  Amiens...  Le  duc  de  Bouillon,  avec  des  troupes  qu'il  avoit  levées  dans  le 
»  Limousin  aux  dépens  du  roi,  s>n  alla  dans  TAuTorgne  et  dans  le  Ge- 
a  vaudan  où  Montroorency-Fosseuse  avoit  recommencé  la  guerre;  et  le 
a  duc  de  La  Trémoille  avec  des  troupes  levées  sur  le  même  pied  dans  le 
m  Poitou  j  resta  inutilement,  sans  que  Pun  ni  Tautre  donnassent  de  secours 
»  au  roi.  a  Mêmes  faits  indiqués  par  Sully,  c.  80,  t.  i,  p.  S73  B,  édition 
Michaud,  avec  celle  circonslance  de  plus  :  <  la  prise  de  Mande  par  Fosseuae, 
a  et  Tescapade  du  comte  d*  Au  vergue,  lesquels  tCtH'oienl  rien  faict  qum 
t»  suivant  les  conseils  de  M.  de  Bouillon.  »  •—  D*Aubigné,  1.  Y,  c.  9, 
t.  III,  p.  459,  parle  de  huguenots  qui  prirent  part  au  sicge  d'Amiens.  Mais 
ils  ne  vinrent  que  comme  sujets  particuliers  du  roi  pour  sa  principauté  de 
Navarre,  comme  olBciers  de  sa  maison,  ou  comme  ses  amis.  Les  calvinistes 
ne  servirent  pas  an  siège  d'Amiens  comme  faisant  corps  &  part,  ayant  des 
troupes  à  eux,  ainsi  qu'ils  Pavaient  toujours  pratiqué.  L*assemblée  de 
Ch&lellerault  et  les  chefs  Bouillon  et  La  Trémoille  rrfuscrenl  formelle- 
ment d^aider  le  roi  dans  cette  guerre,  cl  de  lui  amener  cinq  ou  six  mille 
hommes  dont  ils  disposaient.  C'est  ce  qui  est  reconnu  par  les  historiens 
calvinistes  eux-mêmes,  Hist.  de  Fcdit  de  Nantes,  l.  IV,  U  i,  p.  f92.  — 
Discours  de  Henri  à  Sully,  même  chapitre,  p.  S7S  B,  973,  t  Je  n*ai  pas 
a  laissé  de  rantentevoir  à  M.  de  Bouillon  quelques  unes  de  ses  plat  noires 
M  et  plus  grandes  malices...  que  luy  et  M.  de  La  Trémoille  a  «oient  couru 
M  et  tracassé  par  les  églises  et  synodes,  et  usé  d'une  infinité  de  mauvais 
H  discours,  artifices  et  calomnies,  non  seulement  )K>ur  mettre  tous  ceux  de 
»  la  rcUigion  en  omhrage  de  moy,  mais  anui  pour  les  disposer  h  prendre 
»  ouuertemenl  les  armes;  alléguant  entre  autres  raisons  que  moy  ayant 
a  aiiMÎ  légèrement  changé  de  relligion,  etc.,  etc.  »  —  P.  Cayet*  1.  viu, 
p.  7S0  A.  «  Le  bruit  courut  que  ceux  de  hi  relligion  prétendue  n^enaseot 


£0IT  DE  RAKiTES.  365 

le  désarmement  du  duc  de  Mercœur,  ils  allaient  se  trouver 
en  présence  d'une  ligue  protestante.  Une  nouvelle  guerre 
religieuse  et  politique  attendait  un  État  sortant  de  trente- 
liidt  années  de  guerre  civile  et  étrangère,  et  arrivé  à  ce  degré 
d'épuisement  où  une  dernière  crise  suiBt  pour  décider  la 
mort  Le  roi  sauva  à  la  France  cette  fatale  épreuve  en  ac- 
cordant redit  de  Nantes  aux  calvinistes.  Le  pacte  qu'il  con- 
clut avec  eux  contenait  des  conditions  pleines  de  danger  pour 
l'avenir;  mais,  dans  le  présent,  la  paix  était  assurée,  le  pays 
pouvait  se  reprendre  h  la  vie  et  à  la  prospérité  :  la  sagesse 
île  Henri  allait  au  plus  pressé. 

S  3.  Le  roi  accorde  aux  calvinistes  l'édit  de  Nantes, 

L'édit  de  Nantes  fut  la  charte  des  réformés  français  pour 
près  d'un  siècle.  La  clarté  demande  qu'on  range  tous  les  ar- 
ticles dont  il  se  compose  sous  deux  titres  principaux ,  dont 
l'un  comprenne  leur  droit  public  et  religieux  et  leur  état 
civil,  dont  l'autre  présente  leur  condition  politique.  Dans  ce 
tableau  se  trouvent  compris  et  coordonnés  l'édit  de  Nantes 
avec  les  modifications  qu'il  subit  entre  le  moment  où  il  fut 
rendu  et  celui  où  il  fut  enregistré ,  les  articles  secrets  et  les 
deux  brevets  accordés  par  le  roi  aux  calvinistes,  et  contenant 
une  extension  remarquable  des  avantages  portés  dans  l'édit. 

Li's  réformés  obtiennent  la  liberté  la  plus  entière  de  con-    p^^jj  p„|,ng 
science  :  ils  ne  peuvent  être  ni  recherchés  dans  leurs  maisons     n  reiigieu|L 
pour  leurs  croyances  et  les  pratiques  non  publiques  de  leur 
culte,  ni  asti-eints  à  faire  aucun  acte  contraire  à  leur  religion. 

Ils  obtiennent  l'exercice  de  leur  culte  dans  trois  espèces 
distinctes  de  lieux  :  1*  dans  les  châteaux  des  seigneurs  hauts 

m  p.i$  laUse  tie  faire  la  guem  au  my^  s'ils  %e  fussent  pu  accorder;  caria 
m  iiuhirs»*  «iViilre  eux  vuuloit  nionier  l'argriit  qui  te  leveroit  |>odr  faire 
M  lj  gueire,  et  les  ministre*  et  les  ancieus  vouloieut  que  ce  fnaseut  cer- 
•  i;iiiis  <lr}>nlri  de  leurs  vglurs  qui  putrroieul  les  gtns  de  guerre.  » — 
8ui  TinteiTisnliou  de  Du  p  lésais,  les  me  mu  ires  de  sa  lemne,  t.  I,  p.  313, 
3t4;  lu  cuire» poud^iuce  de  Duplessis  uvec  le  roi  et  avec  diver*,  t.  VU, 
p.  :iU)i-3tl>,  3tîU,  373,  et  sutiuut  li*  mémoire  de  Dupiessis,  p.  49!i  et  suir.  et 
ia  lellr»  du  roi,  du  18  janvier  15îtS,  p.  5âS.  «  M.  Dupiessis,  j*ui  esté  fvrt 
n  aise  du  mémoire  que  vous  m'avea  envoyé,  suivant  lequel  et  votire  advit 
»  |e  faik  uue  depesrhe  aux  sieur  d'Emery  ^de  Thou)  et  de  Calignoa,  qn'ili 
i»  {lourrout  moiiilicr  à  1  assemblée.  ■  —  Sur  le  |)ro|et  des  huguenots  de 
•urpifudrc  Tour»,  après  I»  re}irise  d'Amiens,  d*Au)iigoé,  I.  v,  c.  l,  t.  m, 

p.  4^:^.  r.iit.  Itîjl). 


des  réformes. 


366  HISTOIRE  DV  RiGNK  DB  HENRI   IV. 

Justiciers,  au  nombre  de  trois  miUe  cinq  cents,  lesquels  sont 
autorisés  à  admettre  à  Texercice,  outre  leur  famille  et  leurs 
vassaux,  tous  autres  dissidents  qui  voudraient  s'y  rendre,  sans 
limiter  le  nombre,  et  de  plus  dans  les  châteaux  des  gentils- 
hommes ne  jouissant  pas  de  la  haute  justice,  en  restreignant 
le  nombre  à  trente  ;  T  dans  deux  endroits  au  lieu  d'un,  de 
chaque  iMilliage  ou  sénéchaussée  du  royaume  ;  3"  dans  les 
villes  et  villages  où  Texercice  public  du  calvinisme  s'est  intro- 
duit récemment,  jusqu'au  mois  d'août  1597.  Il  leur  était  per- 
mis d'avoir  des  temples  dans  ces  localités  fort  nombreuses.  11 
était  pourvu  aux  appointements  de  leurs  ministres  et  des  ré- 
gents de  leurs  collèges  et  écoles  par  l'allocation  d'une  somme 
de  165,000  livres  du  temps  (/iVlô,000  francs  d'aujourd'hui),  et 
par  la  permission  de  recevoir  des  donations  et  legs  pour  cet 
usage.  L'édit  de  Nantes  donnait  donc  un  large  développement 
aux  concessions  déjà  faites  par  l'édit  de  l\)iUcrs  et  les  traités 
subséquents.  Toutefois  il  n'établissait  pas  l'exercice  public 
du  culte  réformé  dans  toutes  les  villes  du  royaume  :  il  en 
maintenait  même  l'interdiction  dans  les  grandes  villes  de  la 
Ligue,  qui  l'avaient  proscrit  par  leurs  traités  avec  le  roi. 
Le  parti  calviniste  donna  lui-même  les  mains  à  cette  restric- 
tion, contrairement  à  ce  qu'il  avait  précédemnienl  demandé 
à  Lyon.  Il  se  convainquit  que  dans  plusieurs  de  ces  villes,  pas 
un  seul  habitant  ne  professait  la  réforme  ;  il  reconnut  que 
dans  d'autres,  l'établissement  de  l'exercice  trouverait  d'insur- 
montables obstacles.  Du  reste,  le  roi  une  fois  aflcrmi  et  les 
esprits  calmés,  le  gouvernement  accorda  plus  aux  calvinistes 
qu'il  ne  leur  avait  promis  par  l'édit  de  Nantes.  L'exercice 
était  défendu  à  cinq  lieues  de  Paris  :  il  fut  autorisé  d'aiwrd 
à  Ablon,  qui  n'en  est  qu'à  quatre,  et  ensuite  à  Cliarenton, 
qui  n'en  est  qu'à  deux  lieues.  Il  était  prohll)é  dans  tout  le 
bailliage  de  Rouen  ;  il  fut  établi  à  une  demi-lieuc  de  celte 
ville^  Ces  procédés  de  IJenri  et  l'abandon  fait  par  les  hugue- 
nots eux-mêmes  de  plusieurs  de  leurs  prétentions  donnent 


•  Edil  de  Nantes,  articles  publics  6,  7,  8,  9,  10,  If,  16;  oiticles  secrets, 
de  il  à  53  et  43,  breTcl du  30  aTiii  160S,  dan» les  piècrs  justilicuiives  à  la 
aHilc  de  misloiie  de  Tedil  de  Nantes,  p.  t»6-67,  87-00,  91,  U4,  95.  L'édit 
de  Manies  et  les  articles  secrets  sont  imprimes  aussi  dans  les  Aiicimncs 
lois  françaises,  i.  XT,  p.  171)  et  suivantes  ;  mais  on  n'y  troure  pas  les  drux 
brevets.  ^  Histoire  de  ledit  de  Nantes,  1.  T,  p.  )(i8,  S33,  334,  947 ; 
I.  Tl,  p.  377  ;  I.  IX,  p.  434,  435. 


riTormés. 


£d1T  de  NANTES.  367 

beaucoup  à  réfléchir  :  on  y  trouve  la  réfutation  des  soupçons 
et  (les  accusations  précédemment  dirigés  contre  le  roi  par  les 
calvinistes,  et  la  condamnation  de  leurs  démarches  sédi- 
tieuses. 

Les  réformés  jouissaient  des  mêmes  droits  civils  que  les  État  ciwi  drs 
catholiques,  en  tout  ce  qui  concernait  leur  domicile  dans  le 
royaume,  les  mariages,  la  possession  des  biens,  les  héritages. 
Des  dispositions  particulières  leur  garantissaient  certains 
droits  et  les  protégeaient  contre  des  dangers  qu*ils  avaient 
longtemps  courus.  Il  était  défendu  aux  prédicateurs  et  aux 
professeurs  de  leur  adresser  des  qualifications  injurieuses 
et  de  soulever  les  peuples  contre  eux  :  il  était  interdit  à  leurs 
parents  de  les  déshériter  pour  cause  de  religion  :  personne 
ne  pouvait  leur  enlever  leurs  enfants  par  force  ou  par  repta- 
tion pour  les  élever  dans  la  religion  catholique  :  leurs  enfants 
devaient  être  admis  dans  les  universités,  collèges,  écoles,  et 
leurs  malades  dans  les  hôpitaux,  sans  distinction,  avec  les 
catholiques  K 

Des  précautions  infinies  étaient  prises  poivqulls  obtinssent 
une  justice  impartiale  dans  tous  les  parlements  du  royaume. 
Leurs  causes  étaient  portées  à  une  chambre  spéciale,  établie 
pour  eux  et  nommée  Chambre  de  l'édit.  Les  juges  catholiques, 
désignés  pour  la  composition  de  cette  chambre,  déjà  choisis 
parmi  les  magistrats  les  plus  modérés  et  les  plus  Intègres, 
n'y  siégeaient  que  de  l'aveu  des  calvinistes  et  sur  leur  pré- 
sentation. Dans  les  parlements  de  Paris  et  de  Normandie,  la 
chambre  de  Fédit  fut  composée  de  seize  membres  :  quinze 
catholiques  et  un  réformé.  La  population  calviniste  habitait 
en  presque  totalité  les  provinces  méridionales  du  royaume. 
]jà  cliambrc  de  Tédlt,  dans  les  parlements  de*  Bordeaux,  de 
Toulouse,  de  Grenoble,  leur  ofl'rit  de  plus  grandes  garanties 
encore  :  elle  fut  composée  de  deux  présidents ,  Tun  catho- 
lique, l'autre  réformé,  et  de  douze  conseillers,  dont  six 
réformés  >. 

liCs  réformés  étaient  déclarés  capables  de  tenir  et  d'exer- 
cer tous  les  étals,  offices,  charges,  dignités,  tant  royales  que 


'  Édit   de  Nantei,  articles  palilic*  6,  17,  18,  32,  96,  p.  &*>  A,  67   B. 

es  A ,  H. 

•  Kditdr  Nuntes,  articles  30,  ôl,  |w  ft),  70.  —  UUloire  d«-  l'édil,  I.  Vi, 
p.  STU,  277. 


368  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

seigneuriales  et  municipales.  Sons  le  rapport  de  Taptitude, 
Ils  étaient  mis  sur  le  pied  d'une  parfaite  égalité  avec  les 
catholiques  :  quant  à  la  proportion  dans  laquelle  ils  obtien- 
draient les  offices  et  charges,  Tédit  ne  la  réglait  pas,  parce 
quMls  avaient  reconnu  eux-mêmes  qu'il  était  impossible  de  la 
fixer.  Le  roi  avait  prévenu  Tédit  en  nommant  beaucoup  de 
dissidents  à  tous  les  emplois,  sans  excepter  celui  de  maré- 
chal. Une  nouvelle  sanction  fut  donnée  à  Tédit  par  de  nom- 
breuses promotions  faites  en  leur  faveur.  De  tous  les  corps 
de  TÉtat,  les  parlements  avaient  opposé  jusqu'alors  la  plus 
vive  résistance  à  les  admettre  dans  leur  sein.  Cette  résistance 
fut  surmontée  :  ils  entrèrent  dans  tous  les  parlements  du 
royaume,  et  le  parlement  de  Paris  en  particulier  admit  six 
d'entre  eux,  un  dans  la  chambre  de  l'édit,  cinq  dans  celle 
des  enquêtes  ^ 
^4at  politique  L'organisation  politique  des  calvinistes,  telle  que  leurs 
cal?iiiistcs.  clicfs  l'avaient  rétablie  à  Sainte-Foy,  i-eposaitsur  trois  choses 
principales  :  les  assemblées  politiques,  les  places  fortes,  les 
finances.  L'édit  de  Nantes  leur  laissa  deux  espèces  d'assem- 
blées :  les  assemblées  pour  cause  de  religion,  telles  que  con- 
sistoires, colloques,  synodes  provinciaux  et  nationaux,  et 
les  assemblées  politiques '.  Ils  avaient  d'abord  obtenu  un 
article  qui  leur  donnait  par  le  fait  une  liberté  illimitée*  Cet 
article  portait  qu'ils  pourraient  s'assembler,  pour  les  synodes, 
en  tel  lieu  et  en  tel  temps  qu'ils  voudraient  ;  qu'ils  pourraient 
admettre  les  étrangers  dans  leurs  synodes  ;  qu'ils  pourraient 
aller  hors  du  royaume  aux  synodes  étrangers.  Or  comme  rien 
n'était  plus  facile  que  de  transformer  leurs  assemblées  syno- 
dales en  assemblées  politiques,  ainsi  qu'on  le  vit  plus  tard  à  celles 
de  La  Rochelle,  il  en  résultait  qu'ils  auraient  puse  passerdel'au- 
torité  du  roi  pour  leurs  assemblées  politiques.  Sur  les  réclama- 
tions du  parlement  et  du  clergé,  Henri  s'aperçut  qu'il  avait 
été  surpris,  et  supprima  ces  trois  clauses  qui  ouvraient  la 
porte  aux  intrigues  avec  l'étranger,  aux  conspirations  dans 
l'intérieur,  et  particulièrement  aux  menées  de  Bouillon,  qui 
voulait  que  son  église  de  Sedan  pût  faire  corps  avec  les 
églises  de  France.    I^ar  suite  des  stipulations  de  l'édit  de 

*  Kdit  de  Nanles,  nrliclei  pablicf  97,  SO.  p.  G8  B,  60, 70.  —  Histoire  <1« 
TÂUl  «le  Nanle»,  1.  V,  t.  i.  p.  239. 

'  Artirlex  publics,  89;  articles  «ecrrts  M,  p.  8i  B,  90  A. 


ÉDIT  DE  NANTIS.  369 

Nantes  et  des  transactions  postérieures  de  1605,  il  fnt  réglé 
qne  les  calvinistes  ne  s'assembleraient  qne  quand  ils  auraient 
obtenu  Tautorlsation  royale,  et  quand  le  roi  aurait  préalable- 
ment reconnu  qu'il  ne  pouvait  régler  leurs  Intérêts  et  satis- 
faire leurs  demandes  d'accord  avec  les  deux  députés  généraux 
des  églises,  chargés  de  résider  auprès  de  lui.  Avec  ces  res- 
trictions qui  limitaient  l'usage,  mais  maintenaient  la  posses- 
sion, ils  gardèrent  leurs  assemblées  politiques,  et  ils  en 
tinrent  plusieiu^  dans  les  dernières  années  du  règne  de  Henri, 
et  sous  le  règne  de  son  successeur  Jusqu'à  la  prise  de  La  Ro- 
chelle ^ 

Les  calvinistes  conservèrent,  aux  termes  de  l'édit  de 
Nantes,  les  deux  cents  vUles  que  les  traités  et  la  guerre 
avaient  mises  entre  leurs  mains.  Cent  de  ces  places  pouvaient 
attendre  une  armée  :  quelques  unes,  telles  que  La  Rochelle, 
Montpellier,  Montauban,  résistèrent  plus  tard  aux  forces  de 
la  monarchie  entière.  Les  places  du  Dauphlné,  obéissant  an 
calviniste  Lcsdiguières ,  n'étaient  pas  comprises  dans  cet 
accord,  et  augmentaient  encore  le  nombre  de  celles  tenues 
par  le  parti  réformé.  Le  roi  supporta  l'entretien  des  fortifica- 
tions et  la  solde  des  garnisons  :  il  afiîecta  à  cette  dépense  une 
somme  annuelle  de  560,000  livres  du  temps  (environ  2  mfl- 
lions  d'aujourd'hui).  U  s'engagea  à  ne  nommer  pour  gouver- 
neurs que  des  réformés,  et  de  plus  des  réformés  ayant  ob- 
tenu l'attestation  du  colloque  local  et  l'agrément  des  églises  : 
les  gouverneurs  devaient  conserver  leur  charge,  même  après 
l'expiration  du  temps  pendant  lequel  les  huguenots  détien- 
draient les  places  de  sûreté.  Ce  temps  fut  fixé  d'abord  à  huit 
années  à  partir  de  l'an  1599,  et  prolongé  ensuite  de  quatre 
années,  ce  qui  condidsait  jusqu'à  1611,  au  delà  du  règne  de 
Henri  IV  \ 


■  SiiUj,  OEcoD.  roy.,  c.  00«  t.  i,  p.  S06-310;  c.  ISt,  t.  il,  p.  41^  et  «niv., 

Kttr  IVssenblée  de  CbâtcUcranlt  en  1605  ;  c.  165,  t.  n,  p.  f  TB^ilT,  pour 
•temblce  syaotlale  de  La  RocheUe  et  ce  qni  s'y  fil  eo  1607.  —  Mén.  d« 
mnilame  Dopleuis,  t.  i.  p.  335,  440  et  suir.  —  H.  Cayet.  Chrodotogie 
•eplcn.,  1.  u,  P.  40  B,  coll.  Michaud.  —  Bist.  de  Tédit  de  Naatca,  I.  vni, 
t.  I,  p.  74»,  et  1.  IX,  p.  4i5.  496. 

*  Breret  du  90  avril  1508,  dans  les  pièces  loitlficatÎTes  de  mUt,  d« 
IVilU  de  Nintes,  p.  96.  —  lotlruclion  a  M.  le  maniuis  de  Roany  pour 
{'•«'cmbliH*  di*  Cbatrlleraalt,  en  160.%.  —  Brevets  du  roi  pour  la  proton* 

8ati«>n  ôf»  plarei  de  sùrele  4  ceux  de  la  religion,  du  4  août  1605,  dans  les 
»F.roii.  ruy.  de  Sully,  c.  153,  t.  il,  p.  45,  etc.  154,  p.  67.  —  llist.  d«  Tëdit 
de  Nantes,  1. 1,  p.  i40. 


Oppniilion 

h  redit 
de  Nantes. 


LVdit 

enregistre  a  a 

paileroent 

de  Paris. 


370  HISTOIRE  OU  RÈGIfB  DE  HENRI    IV. 

Le  roi  n*avait  provenu  une  révolte  et  une  prise  d^armes  de 
la  part  des  calvinistes,  qu^eo  leur  accordant  Tédit  de  Nantes. 
La  publication  et  Fenregistrement  de  cet  ëdit  faillirent  exciter 
un  soulèvement  chez  les  catholiques  exaltés.  Vainement 
Henri,  dans  le  dessein  de  les  gagner  et  d'assurer  la  liberté 
de  conscience  à  tous  ses  sujets,  de  Tune  comme  de  Tautre 
religion,  avait  stipulé  en  même  temps  que  le  catholicisme 
serait  rétabli  dans  les  lieux  où  la  violence  Tavait  aboli  durant 
les  troubles  ;  vainement  il  leur  montrait  qu'il  relevait  ainsi 
leurs  autels  dans  cent  villes  doses  et  dans  mille  paroisses  ^ 
Us  restaient  imsensibles  à  cet  avantage ,  et  proclamaient  la 
religion  en  péril,  depuis  que  Tédit  de  Nantes  allait  consacrer 
et  étendre  les  droits  des  calvinistes  par  des  dispositions  dont 
la  puissance  du  roi,  chaque  jour  plus  affermie,  assurerait 
partout  Texécution.  Le  clergé  dénonçait  la  prédication  libre 
et  Texercice  public  du  culte  comme  des  moyens  actifs  de 
propagande  livrés  aux  réformés.  Il  appréhendait  surtout  que 
redit,  en  leur  ouvrant  Taccès  aux  charges  et  dignités,  ne 
leur  fournit  un  moyen  d'accroître  leur  puissance,  e»  qu'ils  ne 
remportassent  enfin  sur  les  catholiques  par  leur  nombre  et 
par  leur  crédit.  Les  catholiques  exaltés  opposèrent  les  plus 
violents  moyens  à  Tacceptalion  et  à  l'exécution  de  la  nou- 
velle loi.  Ils  firent  célébrer  des  processions  à  Tours  pour 
soulever  le  peuple  contre  Tédit;  an  Mans,  pour  inspirer  au 
parlement  de  Normandie  et  aux  autres  juges  du  ressort  la 
résolution  de  le  rejeter.  Les  chaires  retentirent  des  plus  sédi- 
tieux sermons,  et  les  prédicateurs  rallumèrent  chez  les 
masses  les  passions  qui  avaient  amené  les  barricades  et  le 
meurtre  de  Henri  llh 

Les  catholiques  passionnés  intriguèrent  en  outre  dans  le 
parlement  de  Paris  an  sujet  de  l'article  relatif  aux  charges  et 
dignités  ;  ranimant  chez  ceux  qui  avaient  appartenu  à  la 
Ligue  la  haine  des  hérétiques  ;  excitant  les  scrupules  des 
hommes  modérés,  mais  religieux,  par  Tautorité  des  constitu- 
tions de  Théodose  et 'de  Constantin  et  des  décisions  de 
rÉglise  ;  faisant  agir  auprès  de  tous  l'intérêt  personnel ,  et 
les  engageant  à  repousser  un  édlt  qui  diminuait  leur  impor- 
tance et  leurs  revenus  par  l'adjonction  des  conseillers  calvi- 

•  Éilil  de  Nuulct,  article  3,  p.  6t.  —  P.  Cayet,  Chron.  frplm.,  1.  i, 
p.  48  R. 


^DIT  D£  NANTES.  371 

nistes.  11  est  très  remarquable  que  pas  un  des  of^HMants  ne 
combattit  Tédit  au  point  de  vue  de  Tinlérèt  de  la  France  et 
par  le  motif  qu'il  accordait  forcément  au  parti  calviniste  un 
pouvoir  politique  exccitsif  et  dangereux.  Le  parlement  ap- 
porta à  Tenregistrement  des  lenteurs  qui  pouvaient  présager 
un  refus.  Le  roi  appela  au  Louvre  les  députés  de  toutes  les 
chambres,  et  leur  remontra  énergiquement  Timprudence  et 
les  erreurs  de  leur  conduite.  Ils  repoussaient  un  édit  seul 
capable  de  prévenir  la  prise  d'armes  des  huguenots  et  le 
rcnouveiiemcnt  de  la  guerre  civile  :  ils  laissaient  impunis  les 
excès  des  catlioliques  qui  menaçaient  son  autorité  et  sa  vie  : 
ils  compromettaient  ainsi  doublement  Tordre  et  la  paix  pu- 
blics. Ils  agissaient  pour  Tédit  de  Nantes  comme  ils  avaient 
agi  pour  les  édits  bursaux,  au  moment  du  siège  d'Amiens, 
se  préoccupant  de  petits  intérêts  et  perdant  de  vue  le  salut  de 
l'État  Ses  exhortations,  ses  ordres,  les  efforts  de  quelques 
bons  citoyens,  enure  autres  de  Lazare  Coqueley,  ancien  ligueur 
converd  aux  idées  modérées,  tempérèrent  chez  la  majorité 
Topposition  de  telle  sorte  qu'il  fut  inutile  de  recourir  aux 
moyens  extrêmes  :  le  parlement  reçut  plusieurs  jusslons  du 
roi,  mais  il  n'attendit  pas  tm  lit  de  justice,  et  il  enregistra 
l'édit  le  25  février  1599  «. 


>  Tbuaaas,  t.  cxxu,  SS  <6»  17, 18,  t.  T.  p.  S14  «t  tuïT.  *-  P.  CaytI.  Chr^ 

nologie  »cplrnoaire,  1.  il,  p.  47,  48.  —  A  la  page  47  Aj  U  dit  :  •  Eofin 
»  l'oiiicl,  «près  ptuateurs  futttont,  rst  publie  rt  Térifié  an  parlement  de 
m  Paru,  i  —  Supplemeut  de  Lesloile,  %>  ferrier  I50U,  p.  300  B.  —  Dis* 
court  du  rot,  ruppoitc  |ar  UMlibieu,  llUt.  de  Fiauce  |K'Ddant  les  eept 
•nnées  de  paix.  IbUS,  ln-4*,  I.  ii,  Nuir).t.  I,  t.  l,  p.  IOt-104.  En  Told  les 
principuux  pauaget  :  ■  Of  que  i'rn  ai  faict  est  pour  le  bien  de  la  paix;  |0 
M  l'ay  tAciv  au  dehors,  je  lu  veu&  faiie  kU  dedans  de  mon  royaume...  La 
M  nrcesailr  m*a  fjict  taire  ccal  ëdict...  Ceox  qui  empcicbenl  que  mon  édict 
»  ne  puue  ▼eulent  la  guerre...  On  dict  que  |c  veux  favoiiser  ceux  de  U 
li  rvligiun,   et  l'un  veut  eutier  en  queli|ue  méfiance  de  moj...  Vos  Ion* 

■  gueurs  et  ^os  diflîculles  donnent  suLiect  de  remuements  estrangcs  dans 
m  les  Tilles.  L'ou  a  f«iict  des  piocessions  cooire  Tcdict  à  Tours...  L'on  es 

•  a  ftticl  aussi  au  Mans  pour  Inspirer  aux  iuges  de  rcieUer  IVdict...  Ja 

•  sfay  qu'on  u  lalct  des  brigues  au  parlement,  que  Ton  a  snscilé  dea  pré* 
B  diculeurs  séditieux...  Les  prédicateurs  duuuent  des  paroles  en  doctrine 
s  plus  pour  Instruire  que  pour  aelruire  la  sédition.  Ces  butes,  qui  me 
9  regardent,  ne  sont  pas  relevées...  L*cst  le  chemin  qu'on  a  pris  pvur  faire 
a  autrefois  les  barricades  et  venir  par  degrés  au  parricide  du  feu  roi.  Je 
m  couperai  les  racines  de  toutes  ces  factions  ;  je  ferai  acconrcir  tous  ceux 
»  qui  les  fomeuteroul.  J'uisautie  sur  des  murailles  Je  villes,  je  sanlterai 

■  bien  «ur  des  barricades...  U  faut  |uger  que  ce  que  |C  f.<is  est  pour  un  bon 
M  elfeci,  par  la  raÎMin  de  tou«  mes  deportemenls  passes.  Témoin  cm  tfum 
m  j'ai  faict  pour  in  recom/ueste  d'Amiens^  où.  j'ny  employé  Varient 
a  des  ed%ctê  //u#  vous  n'eussiez  passes,  si  Je  ne  /eusse  mile  au  parle' 
a  ment.  • 


372  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI   IV. 

V«s  poriemenii       La  discussion  élcvéc  au  sujet  de  Tédil  de  Nantes  forme  la 
moro'entBnë-     transUion  à  un  état  de  choses  entièrement  nouveau.  A  partir 

ment  leuri  |.oa-  ^q  qq  moment,  et  pendant  les  onze  années  qui  forment  la  fin  du 
poUtiqaet.  règne  de  Henri  IV,  le  parlement  changea  de  conduite  dans 
ses  rapports  avec  la  couronne.  Il  continua  à  lui  donner  ses 
avis,  et  des  avis  en  général  éclairés  et  salutaires  sur  des  ma- 
tières de  législation  et  d'ordre  public  dans  lesquelles  il  était 
parfaitement  compétent  ;  mais  ramené  par  les  sévères  con- 
seils et  par  la  fermeté  du  roi,  convaincu  de  Tinsuffisance  de 
son  autorité  comme  de  ses  lumières,  il  s'abstint  désormais 
d'intervenir  dans  les  questions  de  politique  générale  :  il  com- 
prit que  les  intérêts  publics  ne  pouvaient  être  bien  réglés  que 
par  ceux  qui  en  voyaient  l'ensemble,  la  diversité  et  souvent 
le  conflit.  Il  résigna  les  pouvoirs  politiques  qu'il  avait  long- 
temps aflectés,  et  il  se  tint  renfermé  dans  ses  attributs  de  corps 
Judiciaire  et  administratif.  Son  exemple  fut  suivi  par  les  autres 
parlements  du  royaume,  et  l'influence  parlementaire  se  retira 
pour  quelque  temps  des  questions  d'État. 

Contidtfraiiont  Après  tout  cc  qu'on  a  écrit  sur  l'édit  de  Nantes,  il  nous 
d  "wanici  ^"^^^  ^"'*'  ^^^^^  encore  à  porter  un  jugement  réfléchi  et  impar- 
tial sur  cet  édit.  Ses  eflets  immédiats  furent  salutaires.  En  1598 
et  1599,  il  sauva  l'État  d'une  nouvelle  conflagration,  devint 
le  gage  de  la  paix  et  de  la  prospérité  publiques.  Durant  le 
reste  de  ce  règne,  il  resta  pur  de  tout  excès,  n'engen- 
dra aucun  trouble  :  Henri  contint  les  calvinistes  par  sa 
puissance,  par  l'ascendant  de  sa  gloire,  par  l'obéissance  et 
l'amour  de  la  nation,  dont  il  sut  s'entourer  et  s'appuyer. 

Mais  il  faut  examiner  les  principes  mêmes  de  l'édit,  et, 
jetant  un  regard  sur  l'avenir,  voir  quelles  conséquences  il 
entraîna  bientôt  à  sa  suite.  Les  réformés  restaient  constitués 
en  parti  qui  avait  ses  assemblées  politiques,  ses  finances,  ses 
nombreuses  places  de  défense,  sa  force  militaire,  tout  ce 
qui  était  nécessaire  pour  résoudre  et  pour  agir  contre  le 
corps  de  la  nation,  le  jour  où  ils  se  laisseraient  égarer  par 
l'esprit  de  faction  ou  par  l'ambition  de  leurs  chefs.  L'édit  de 
Nantes  était  donc  plus  funeste  que  les  traités  avec  la  Ligue, 
puisque  les  traités  ne  concédaient  que  de  l'argent  et  des 
charges  en  viager,  tandis  que  l'édit  contenait  Taliénation 
d'une  partie  do  la  sduvoraineté  nationale.  L'engagement  était 


ÉDIT  DE  MANTES.  373 

à  terme,  il  est  vrai,  mais  le  terme  arrivé,  la  couronne  fut 
hors  d'état,  même  sous  Henri  IV,  de  retirer  des  mains  des 
huguenots  le  gage  qu'elle  leur  avait  livré.  Si  ce  prince  les 
réduisit  à  n'en  point  abuser,  ce  fut  par  des  moyens  inhérents 
h  sa  personne,  mais  étrangers  à  l'autorité  royale.  Sous  son 
successeur  tout  changea  :  dès  que  le  gouvernement  eut  faibli, 
les  réformés  employèrent  les  forces  dangereuses  dont  ils 
disposaient  à  un  soulèvement  et  à  deux  guerres  civUes.  Ce 
résultat  suffirait  seul  pour  montrer  les  vices  de  leur  consti- 
tution politique. 

On  les  saisit  bien  mieux  quand  on  voit  qu^elle  ne  iMx>tégea 
ni  leur  existence  comme  parti,  ni  leur  liberté  civile  et  reli- 
gieuse comme  citoyens  ;  qu'elle  ne  leur  sauva  ni  la  prise  de 
La  Rochelle,  ni  la  révocation  de  Tédlt  de  Nantes.  Les  réfor- 
més commirent  une  faute  énorme  en  cherchant  leur  point 
d'appui  et  leur  sûreté  dans  leur  force  matérielle,  laquelle  ne 
pouvait  jamais  être  que  médiocre,  puisqu'ils  formaient  la 
minorité,  et  la  très  faible  minorité  de  la  nation.  Leurs  véri- 
tables garanties  résidaient  dans  des  moyens  qu'ils  négligèrent. 
Ils  devaient  avant  tout  rester  sévèrement  étrangers  aux  sédi- 
tions, et  convaincre  la  France  qu'elle  n'avait  rien  à  redouter 
d'eux.  Us  devaient  se  concilier  les  catholiques  par  l'union 
des  familles  au  moyen  des  mariages  ;  accroître  leur  influence 
par  les  services  rendus  dans  les  emplois  civils,  les  grands 
services  mtérieurs  du  gouvernement,  les  négociations  et  les 
amlxissades;  agir  incessamment  sur  l'opinion  publique  par 
les  écrits,  la  gagner  et  la  mettre  de  leur  c6té.  Ces  moyens 
leur  étaient  faciles,  car,  de  l'aveu  même  de  leurs  ennemis, 
ils  avaient,  au  xvi*  siècle,  conquis  la  supériorité  intellec- 
tuelle, et  U  ne  s'agissait  pour  eux  que  de  la  conserver.  Sans 
sortir  des  probabilités ,  on  peut  croire  qu'ils  auraient  ainsi, 
à  force  de  services  et  de  raison,  élevé  à  leur  liberté  civile  et 
religieuse  un  solide  rempart  contre  le  despotisme  et  l'aveugle 
intolérance  de  Louis  \IV. 

Nous  avons  relevé  dans  l'édit  de  Nantes  ses  vices  et  ses 
conséquences  funestes,  voyons  maintenant  ses  sérieux  avan- 
tages ,  ses  importants  et  salutaires  effets.  lie  principe  de  la 
tolérance  religieuse  proclamé  par  Lhospital  et  inscrit  par  lui 
le  premier  dans  notre  législation,  était  resté,  malgré  ses  géné- 
reux efforts,  l'exception  et  non  la  règle.  Mis  en  pratique  durant 


37/ii  UlSTOinK   DU   RÈGNE    DE  HENRI    IV. 

de  faibles  intervalles,  quand  la  nécessite  commandait,  il  avait 
été  habituellement  combattu  avec  fureur  par  les  peuples  et 
par  les  rois  :  il  notait  passé  dans  les  usages  ni  de  la  nation  ni 
du  gouvernement.  L^édit  de  Nantes  donna  k  ce  principe  la 
force  et  la  durée  dont  il  avait  manqué  Jusqu^alors  :  par  sa 
vertu  propre ,  par  son  efficace  puissance ,  il  assura  aux  ré- 
formés, pour  près  d'un  siècle,  la  liberté  civile  et  la  liberté  de 
conscience.  La  merveilleuse  sagesse  de  Richelieu  vainqueur 
rayant  respecté  dans  sa  partie  religieuse,  en  lui  enlevant  sa 
partie  politique,  parasite  et  dangereuse  annexe,  le  mit  à  Té- 
tât de  loi  pure  qui  protégeait  une  classe  entière  de  citoyens, 
sans  dommage  pour  la  chose  publique.  Par  un  excès  sans 
nom  de  Tabsolu  pouvoir,  Louis  XIY  put  bien  révoquer  Tédit, 
proscrire  les  calvinistes,  et  frapper  ainsi  la  France  d'une  plaie 
plus  profonde  que  toutes  celles  que  lui  flrent  les  désastres 
réunis  de  la  fin  de  son  règne.  Mais  le  scandale  surpassa  en- 
core le  mal.  Ce  fut,  au  moment  même,  une  clameur  et  une 
malédiction  dans  TEurope  entière.  Ge  fut  plus  tard  en  France 
une  réclamation  permanente,  passionnée,  de  la  raison  et  de 
la  Justice,  contre  Tintolérance  de  cet  acte  inouï.  L'édit  de 
Nantes  servit  peut-^tre  autant  au  triomphe  définitif  de  la  li- 
berté de  conscience  par  sa  suppression  que  par  ses  quatre- 
vingt-six  années  d'existence.  Une  chose  bonne  et  salutaire  ne 
dure  pas  impunément  un  siècle  au  sein  d'une  nation.  Quand 
on  la  rase  au  sol  ^  elle  vit  dans  ses  racines,  et  pousse  bientôt 
après  au  dehors  des  rejets  d'une  telle  vigueur,  que  nulle 
main  humaine  n'a  plus  la  puissance  de  l'arracher.  • 


CHAPITRE  VIIL 

Gaerre  de  SaToie.  Dirorce  et  mariage  da  roi. 


Rapporu  Après  avoir  chèrement  acheté  par  l'édit  de  Nantes  la  paix 

du  duc        intérieure,  au  moins  pour  le  moment ,  Henri  reporta  sur  les 
''"la  "frln^!**^  rcUitions  extérieuH»  sa  sollicitude  et  son  activité.  Par  les  di- 
vers traités  conclus  de  1594  à  1598,  il  avait  terminé  les  dif- 
férends de  la  France  avec  le  duc  de  Lorraine,  le  pape,  le  roi 
d'Espagne»  et  dissous  la  coalition  formée  originairement  pour 


GlElin£  DE  SAVOIE.  375 

ia  conquête  et  le  partage  du  royaume.  Lcn  dangereuses  dif- 
ficultés dont  la  Ligne  avait  surchargé  son  r^gne  n^étaient 
cependant  pas  tontes  résolues ,  et  il  restait  à  vider  la  vieille 
querelle  que  nous  avions  avec  le  doc  de  Savoie. 

De  tous  les  voisins  de  la  France,  le  duc  de  Savoie  s*était 
pendant  douze  ans  montré  le  plus  hostile  et  le  plus  injuste. 
Les  comptes  que  nous  avions  à  lui  demander  étalent  inflnis.  A 
la  lin  du  règne  de  Henri  III,  en  pleine  paix,  il  nous  avait  enlevé 
le  marquisat  de  Saluées  :  c'était  un  brigandage.  Durant  les 
cinq  premières  années  du  règne  de  Henri  IV,  U  avait  envahi 
et  cherché  à  nous  arracher  le  Dauphlné  et  la  Provence,  sans 
pouvoir  alléguer  d'autres  raisons  que  celles  de  sa  convenance 
et  de  son  avidité.  Henri,  par  amour  de  la  paix,  renonçant  à 
la  vengeance  de  tant  d*injures,  se  bornait  à  réclamer  son 
bien,  le  marquisat  de  Saluées. 

En  ce  qui  concernait  le  marquisat ,  la  France  avait  pour 
elle,  outre  la  possession  jusqu'en  1588,  le  droit  et  les  traités. 
Le  traité  de  GAteau-Cambrésis  l'avait  déclaré  partie  inté- 
grante des  possessions  françaises,  et  le  traité  avait  servi  de 
base  à  celui  de  Vervins,  dans  lequel  le  duc  de  Savoie  s'était 
trouvé  heureux  d'être  compris,  grâce  à  l'intervention  du  roi 
d'Espagne ,  son  beau-père.  Il  était  donc  obligé  à  restitution 
par  le  droit  commun  et  par  deux  traités  dont  l'un  était  signé 
par  lui-même  ^ 

Ce  qu'il  était  tenu  de  rendre,  il  prétendit  le  garder  :  la  j„'f df^f^î?*- 
lutte  qu'une  politique  éclairée  l'engageait  &  éviter  avec  le       compiou 
plus  grand  soin ,  il  l'affronta.  Voici  par  quelles  espérances    ~"^ "  *•  '"** 
vaines  et  quels  faux  calculs  II  fut  conduit  h  cet  Imprudent 
éclat.  Il  imagina  d'abordque,  pour  garder  le  marquisat  usurpé, 
il  ne  s'agissait  que  de  gagner  du  temps,  attendu  que,  dans  le 
cours  des  négociations  et  des  pourparlers ,  s'ils  se  prolon- 
geaient, n  surviendrait  nécessairement  des  Incidents  qui  l'af* 
franchiraient  de  l'obligation  de  se  dessaisir.  En  conséquence. 
Il  parvint  ft  faire  insérer  dans  le  traité  de  Vervins  que  le  pape 
Oément  VIII  prononcerait  comme  arbitre  entre  loi  et  le  roi 
de  France  au  sujet  de  la  possession  du  marquisat  de  Salu- 
ées (1598).  Il  refusa  ensuite  les  conditions  les  plus  équitables, 

■  L«  dar  de  Saroie  rattfi»  le  traite  deTerviat,  leff  juin  1506  (Thuanug, 
I.  en,  t.  Sill,  p.  911,  Iradsclioo). 


376  HISTOIRB  DD  RÈGNE  DE  HEIIRI  IV. 

en  proposa  chaque  jour  de  nouvelles,  et  fatigua  tellement  le 
pape,  que  le  pontife  renonça  au  compromis  fait  entre  ses 
mains  (1599).  Le  duc  annonça  alors  qu'il  traiterait  lui-même 
avec  le  roi,  et  il  se  transporta  en  effet  à  sa  cour  au  mois  de 
décembre  1599.  Depuis  le  traité  de  Vcrvins,  il  s'était  main- 
tenu vingt  mois  dans  la  possession  du  marquisat,  en  tempo- 
risant :  il  se  flatta  de  le  conserver  à  jamais  en  troublant  la 
France  par  ses  intrigues.  Il  gagna  Biron,  déjà  perdu  d'am- 
bition et  de  ressentiment  contre  Henri ,  en  lui  promettant 
Tune  de  ses  filles  en  mariage  et  la  souveraineté  de  son  gou- 
vernement de  Bourgogne  ;  il  débaucha  du  roi  quelques  sei- 
gneurs de  la  cour,  qui ,  selon  de  Thon,  n'étaient  que  trop  dis- 
posés à  la  révolte,  suite  presque  infaillible  des  guerres  civiles. 
Il  s'attacha  encore  par  ses  largesses  plusieurs  membres  du 
conseil,  notamment  le  chancelier  Bclliëvre.  Il  partit  de  France 
après  avoir  signé  un  traité  aux  termes  duquel  il  s'engageait 
à  restituer  le  marquisat  de  Saluées ,  ou  à  céder  en  échange 
la  Bresse,  le  Bugey,  le  pays  de  Gex  et  le  val  Uomey.  Mais  il 
obtenait  encore  trois  mois  de  délai  pour  se  décider  :  durant 
ce  laps  de  temps,  il  espérait  que  la  persuasion  ou  la  force 
mettraient  le  roi  dans  l'mipossibililé  de  rien  réclamer  de  lui. 
Aussitôt  après  son  départ,  ses  partisans  à  la  cour  de  France 
commencèrent  à  répandre  partout  que  la  garde  et  la  défense 
du  marquisat  de  Saluces  coûteraient  six  fois  plus  que  celte 
principauté  ne  rendrait  de  revenu  ;  que  l'alliance  du  duc 
de  Savoie  était  incomparablement  préférable  au  recouvre- 
ment du  marquisat  ;  que  si  le  roi  employait  la  force  des  armes 
pour  se  faire  justice,  il  trouverait  pour  adversaires,  outre  le 
duc,  le  roi  d'Espagne  et  tous  les  alliés  de  l'Espagne;  que  la 
France,  à  laquelle  le  traité  de  Vervins  venait  à  peine  de 
rendre  la  paix,  serait  rejetée  dans  une  guerre  terrible  contre 
la  moitié  de  l'Europe.  En  môme  temps,  le  duc  de  Savoie  re- 
nouait ses  relations  avec  l'Espagne ,  et  recevait  du  comte  de 
Fuentes,  gouverneur  du  MUanez,  l'assurance  qu'il  serait  se- 
couru de  toutes  les  forces  du  roi  catiiolique  s'il  voulait  rom- 
pre le  traité  qu'il  venait  de  conclure.  H  cherchait  d'un  autre 
côté  à  se  ménager  une  puissante  diversion  en  France  et  à 
enchaîner  Henri  dans  ses  États  par  une  révolte,  s'il  quittait 
les  négociations  pour  la  guerre.  A  son  instigation,  Biron 
traita  avec  le  comte  de  Fuentes  et  les  Espagnols ,  et  après 


GLERRE  DE  SAVOIE.  377 

avoir  engagé  dans  son  complot  quelques  uns  des  grands  sei- 
gneurs ,  il  promit  de  faire  soulever  une  partie  du  royaume 
contre  Henri,  au  moment  où  celui-ci  en  viendrait  k  une  rup- 
ture avec  le  duc  de  Savoie.  Dans  certaines  éventualités,  la 
révolte  pouvait  prendre  des  proportions  redoutables,  parce 
que  Biron,  gouverneur  de  la  Bourgogne,  se  trouvait  en  po- 
sition de  recevoir  sans  obstacles  les  troupes  que  l'Espagne 
lui  enverrait  de  la  Franche-Comté  qui  touchait  à  cette  pro- 
vince, de  la  Savoie  et  du  Milanez  qui  en  étaient  si  voisins,  et 
que  le  comte  de  Fuentes  rassembla  bientôt  dans  le  Milanez 
jusqu'à  ùO,000  hommes.  Le  duc  de  Savoie,  faisant  allusion 
ù  la  réussite  et  au  progrès  de  ses  intrigues  auprès  de  Biron 
et  des  seigneurs  ses  complices,  disait  qu'on  ne  pourrait  effa- 
cer qu'avec  IVfiée  les  traces  profondes  que  son  passage  avait 
imprimées  en  France  ^ 

Les  considérations  de  prudence  que  les  partisans  du  duc  Guerre  contre 
de  Savoie  en  France  faisaient  valoir  auraient  ébranlé  un  roi  ^^^  de  Sutoîe. 
faible,  les  complots  de  Tintérieur  Tauraicnt  mis  en  périL  Une 
seule  considération  frappa  Henri,  c'est  que  son  honneur  et 
celui  du  pays  exigeaient  qu'un  petit  prince  ne  retint  pas  ce  qui 
leur  appartenait,  et  ne  les  bravât  pas  par  ses  ruses,  ses  ter- 
giversations ,  ses  délais  sans  (in.  Il  résolut  donc  d'abord  de 
le  mettre  à  ses  pieds  par  la  force.  En  examinant  avec  atten- 
tion les  conséquences  que  le  parti  de  la  vigueur  entraînait  à 
sa  suite,  il  se  convainquit  qu'il  n'imposait  nullement  a  la 
France  une  guerre  contre  TKspagne  et  contre  une  partie  de 
l'Europe.  Le  nouveau  roi  d'Espagne,  Philippe  111,  était  aussi 
timide  de  cœurque  faible  d'intelligence;  ses  finances  étaient 
très  embarrassées  :  son  premier  ministre,  le  duc  de  Lermc, 
entendait  employer  les  sommes  restreintes  dont  la  couronne 
pouvait  encore  disposer,  non  pas  ù  guerroyer,  mais  à  s'enri- 
chir. Henri  était  donc  assuré  qu'ils  i-esteraient  sourds  aux 
prières  du  duc  de  Siivoie,  aux  provocations  du  comte  de 
F4ientes  \  L'armée  que  lèverait  le  roi  s^'rvirait  à  la  fois  à 
écraser  le  duc  de  Savoie,  et  à  tenir  eu  respect  liiron  et  les 
seigneurs  ses  complices  qui  n'oseraient  en  venir  à  une  ré- 


•  Pour  cei  deux  paragraphes,  Tliuanuf ,  I.  cx\,  CKXiif,  CXXT,  t.  Xiil»  d« 
U  Iradiichou,  p.  ill,  454-445,  bil-lAiO,  —  SuUy,  OE<on.  rov.,  c.  U4.tMi. 
l.  I,  p.  \io  A,  r>«»,  330.  J  »  .      . 

'  5uU7«  Ubcou.  roy.,  c.  96,  t,  i,  p.  331  A. 


378  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE   HENRI   IV. 

voltc  ouverte.  Il  s^agissait  seulement  que  cette  armée  fût 
forte,  commandée  par  un  chef  sur  la  fidélité  duquel  Henri  pût 
compter  et  suffisamment  pourvue  d'artUleric  et  de  munitions 
pour  une  guerre  où  les  sièges  devaient  jouer  le  rôle  princi- 
pal. En  effet,  les  États  du  duc  de  Savoie  .étalent  hérissés  de 
vUles  qui  toutes  pouvaient  attendre  Tennemi ,  et  garnis  des 
deux  places  de  Bourg  et  de  Montmélian  qui  comptaient 
parmi  les  plus  fortes  de  TEurope. 

La  prudence  de  Henri  aplanit  les  difficultés  et  pourvut 
à  tous  tes  besoins.  Biron,  en  sa  qualité  de  maréchal-général 
des  camps  et  armées ,  avait  seul  commandé  jusqu'alors  aux 
forces  rassemblées  par  le  roi  :  Henri  avait  des  renseignements 
certains  sur  ses  tramés,  mais  il  n'avait  pas  de  preuves;  et 
jusqu'à  ce  qu'il  en  eût,  il  ne  pouvait  éloigner  des  années  ce 
chef  que  ses  talents  et  ses  services  avaient  rendu  populaire, 
sans  soulever  contre  lui  toute  la  noblesse  et  même  toute  la 
nation.  Dans  cette  situation  difficile,  Henri  usa  de  tempéra* 
ments  adroits.  Pour  la  guerre  de  Savoie,  il  partagea  le  com- 
mandement entre  Biron  et  Lesdiguières  :  il  remplit  la  division 
confiée  à  Biron  d'officiers  dont  la  fidélité,  aussi  bien  que  la 
valeur,  était  éprouvée ,  et  qui  devaient  neutraliser  le  mau- 
vais vouloir  et  la  trahison  de  leur  général,  dès  qu'ils  se  pro- 
duiraient Le  roi  écarta  de  la  grande  maîtrise  de  l'artUlerie 
le  vieux  d'Estrécs  qui  manquait  de  l'activité  et  de  l'habileté 
réclamées  par  les  circonstances,  et  il  investit  Rosny  de  ces 
importantes  fonctions.  Pour  Rosiiy,  le  renouvellement  pres- 
que complet  du  corps  des  officiers  d'artfilerie,  dont  U  chassa 
près  de  cinq  cents  incapables,  la  fonte  de  /|0  nouveaux  ca- 
nons et  de  6,000  boulets  ,  la  fabrication  de  120  mlUlers  de 
poudre,  furent  l'affaire  de  quelques  mois,  et  le  transport  d'un 
Immense  matériel  de  siège  à  Lyon  et  à  Grenoble ,  celle  de 
quelques  jours.  Gomme  il  joignait  alors  la  surintendance 
des  finances  à  la  grande  maîtrise  de  l'artiUerie ,  fi  appUqua 
pour  quelque  temps  tous  les  revenus  pubUcs  aux  dépenses 
de  la  guerre  et  à  la  solde  de  l'armée,  qu'U  quadrupla  par  des 
recrues  faites  subitement  dans  toutes  les  provinces.  Le  roi 
qui,  au  mois  de  janvier  1600,  n'avait  que  six  canons  en  état, 
presque  pas  d'armes  ni  de  munitions,  et  qui  ne  comptait  que 
huit  mille  dnq  cents  soldats,  au  mois  de  septembre  de  la  même 
année,  se  trouva  à  la  tête  d'une  armée  de  23«000  hommes, 


GUERRE  DE  SAVOIE.  879 

portée  bientôt  à  30,000,  pourvue  d'une  artillerie  formidable 
et  d*approviâionnenients  immenses  *. 

Le  mois  de  juin  1600  étant  arrivé,  terme  fatal  ûxé  an  duc 
de  Savoie  pour  la  cession  du  marquisat  de  Saluées  ou  celle 
de  la  Bresse,  ce  prince  éluda  de  nouveau  ses  promesses,  et 
mit  en  avant  d*autres  conditions.  Henri  se  rendit  à  Lyon  et 
se  prépara  à  entrer  en  campagne.  Le  duc  feignit  alors  d*en 
revenir  aux  idées  d'accommodement,  et  11  dépécha  au  roi 
des  ambassadeurs  chargés  en  apparence  de  lui  donner  satis- 
faction. Mais  il  leur  avait  ordonné  d'élever  sur  les  articles  du 
traité  des  dilDcultés  si  nombreuses,  que  les  négociations 
consumassent  les  derniers  mois  de  Tannée,  après  quoi  il  rom- 
prait de  nouveau.  Son  but  et  son  espérance  étaient  d'ajour- 
ner les  hostilités  jusqu'au  commencement  de  l'hiver  :  les 
opérations  d'une  guerre  faite  en  Savoie  dans  cette  saison 
devenant  extrêmement  difficiles,  parfois  même  impossibles, 
le  roi  ne  retirerait  de  sa  campagne  que  des  revers  ou  des 
lenteurs  ruineuses  pour  ses  finances ,  se  dégoûterait  de  la 
lutte  contre  le  duc,  et  la  terminerait  sans  le  contraindre  à 
restitution.  Son  étoignement  de  la  France,  l'Insuccès  de  son 
entreprise,  fourniraient  peut-être  aussi  à  Biron,  et  aux  sei- 
gneurs qui  conjuraient  avec  lui,  Poccasion  d'éclater  et  de  se  jeter 
dans  une  révolte  ouverte.  Henri  se  laissa  tromper  quelque 
temps  aux  artifices  du  duc  cachés  sous  un  vernis  de  fran- 
chise. Il  crut  ci  sa  soumission,  et  pour  épargner  à  la  France 
d'énormes  dépenses  inutiles,  il  ordonna  à  Uosny  de  sus- 
pendre tous  les  préparatifs  de  la  guerre,  tous  les  envois  de 
munitions  et  d'approvisionnements.  Rosny,  mieux  servi  par 
ses  émissaires,  avait  été  plus  tOt  instruit  que  le  roi  lui-même 
des  véritables  intentions  du  duc  de  Savoie  ;  comprenant  le 
devoir  d'un  vrai  ministre,  il  n'hésita  pas  à  résister  et  k  déso- 
béir à  son  maître  pour  le  mieux  servir^  Il  lui  écrivit  : 

Sire,  je  vous  supplie  très  liumblement  de  m'exciMcr,  ti  je  con- 
trarie vos  opinions,  et  contreviens  à  vos  commandements.  Je  sçals 
de  science  que  M.  de  Savoye  ne  veut  que  tromper,  à  quoi  beau-» 
coup  de  ceux  qui  sont  auprès  de  vous  ne  lui  nuisent  pas,  et  ne 
deoiande  qu'a  gagner  l'hiver.  C'est  pourquoi  j'avancerai  UNites 

•  Sully,  OEcop.  roT.,  c.  93  i  Ib  fin,  04,  ÎW,  1. 1,  p.  5M  B,  313  B.  330  A. 
SSI  B.  —  Thiiunas.  I.  cxxv,  t.  xm,  p.  5«  de  Ift  Uaductloo.  —  LeUrt  da 
rot  du  3  teplrmltre,  t.  V,  p.  29t>. 


380  iiisTOini:  do  règne  de  uemai  iv. 

chosest  el  me  rendrai  près  de  vous  dans  quinze  jours,  bien  fourni 
de  toul  ce  qu'ii  faut  pour  vous  empéclier  de  recevoir  ni  lionte  ni 
dommage. 

Henri,  éclairé  quelques  jours  après  sur  la  mauvaise  foi 
du  duc  par  la  conduite  de  ses  ambassadeurs,  répondit  alors  à 
son  verluetix  serviteur  : 

Mon  ami,  vous  avez  bien  deviné,  car  M.  de  Savoye  se  moque 
de  nous  :  partant  venez  en  diligence,  et  n*oubliez  rien  de  ce  qui 
est  nécessaire  pour  lui  faire  sentir  sa  perfidie.  Adieu  '• 

Henri  et  Rosny  s^étant  mis  d'accord  et  ayant  uni  leurs  con- 
seils, leurs  talents  et  leurs  efforts,  la  lutte  commença  sans 
que  Tissuc  pût  désormais  en  être  douteuse.  Le  il  août,  le 
roi  donna  à  Lyon  une  déclaration  dans  laquelle  il  protestait 
quMl  avait  épuisé  tous  les  moyens  et  toutes  les  condescen-* 
dances  pour  ne  pas  rompre  la  paix  de  TEurope,  et  pour 
amener  le  duc  à  restituer  ce  qui  appartenait  à  la  France; 
que  désormais  il  ne  lui  restait  que  la  voie  des  armes  pour 
arracher  par  la  force  ce  que  Téquité  n*avait  pu  obtenir  de 
son  ennemi.  Il  annonçait  en  môme  temps  qu'il  respecterait 
et  protégerait  tous  les  sujets  de  la  Savoie  qui  ne  s'arme- 
raient pas  contre  lui,  et  donnerait  à  la  guerre  un  nouveau 
caractère  en  lui  ùtant  ses  violences,  ses  rapines  et  ses  sacri- 
lèges 2.  Le  jour  même  où  il  donna  celte  déclaration,  il  partit 
pour  Grenoble,  ordonna  ù  Biron  et  à  Lesdiguièrcs  de  com- 
mencer les  hostilités,  et  se  prépara  à  les  seconder  lui-même. 

Les  États  du  duc  de  Savoie  étaient  partagés  en  trois 
grandes  divisions  territoriales.  Dans  la  première,  comprise 
entre  la  Bourgogne  et  le  Uhùne,  se  trouvaient  la  Bresse 

*  Lettres  missives  de  Henri  IV,  en  date  des  9  et  96  iutn,  dc«  1,  S,  li, 
44,  18,  30|uillet,  8  noât^  t.  v,  p.  »9,  ^4,  345.  346,  «50,  S51,  S6S,  354, 
963.  t69.  —  Sully,  OEcon.  roj.,  c.  96,  t.  l,  p.  333  A.  —  P.  Cayct.  Chroo. 
seplen.,  I.  m,  p.  107  B,  le  texte  des  dernières  condiliont  proposées  pur 
le  duc  de  SaToie,  puis  repoussées  per  lui.  —  D'apris  le  récit  de  Sully,  le 
billet  du  roi  que  nous  citons  dans  le  texte  trouva  Sully  à  Monlargis,  se  di- 
rigeant vers  la  Savoie,  mais  n^clant  pas  encore  entié  dans  ce  pays  (OEcun. 
roy.,  c.  96,  p.  333  A).  11  assista  et  contribua  A  la  reddition  du  chftleau  de 
Cliambéry  (OËcuD.  roy.,  p.  333  B)  :  celte  reddition  eut  lieu  le  31  août  1600 
(Lettres  tnisstv.,  t.  v,  p.  384).  Donc  le  billet  dn  roi  est  d'une  date  anté- 
rieure, quMl  faut  placer  dans  la  première  moitié  da  mois  d'août,  et  non  ^ 
dans  le  mois  de  novembre.  11  est  probable  qu'il  y  u  erreur  dans  l'énonce 
du  lieu  oti  le  billet  fut  écrit. 

*  P.  Cayct,  ChroQ.  seplen.,  I.  ui,  p.  107  D,  108.  —  Tbuanus,  I.  cxxt, 
t.  Ziu.  p.  51 'J. 


GUERRE  D6  SAVOIE.  38L 

ayant  Bourg  pour  capitale,  le  Bngey,  le  pays  de  Gex,  le  val 
Romey  :  à  cette  division  peut  se  rattacher  le  fort  Sainte-Cathe- 
rine, élevé  par  le  duc  à  deux  lieues  de  Genève,  à  Tefiet  d'in- 
quiéter cette  république,  et  de  favoriser  les  entreprises  quMl 
renouvelait  incessamment  pour  la  surprendre  et  la  subjuguer. 
La  seconde  division  se  composait  de  la  Savoie  proprement  dite, 
située  en  deçà  des  Alpes,  et  où  Ton  distinguait  les  provinces 
de  Tarentaise  et  de  Maurienne  ;  la  capitale  était  Ghambéry.  La 
troisième  division  était  formée  au  delà  des  Alpes  par  le  I^é- 
mont,  ayant  Turin  pour  capitale.  Bourg  était  la  place  la  plus 
forte  en  même  temps  que  la  capitale  delà  Bresse;  Montmélian 
en  Savoie  était  Tune  des  plus  fortes  places  de  toute  TEurope. 
La  Savoie  possédait  encore  plusieurs  villes  ou  châteaux  soi- 
gneusement fortifiés  :  Gonflans,  qui  défendait  l'entrée  de  la 
Tarentaise;  le  château  de  Charbonnière,  clef  de  la  Maurienne, 
réputé  inexpugnable  et  m^me  inaccessible;  le  château  de 
Miolans,  les  forts  de  Briançon  et  de  Saint-JacomonL 

Henri  fit  attaquer  les  Ëtats  du  duc  sur  deux  points  à  la 
fois  :  du  côté  de  la  Bresse  par  Biron,  du  côté  de  la  Savoie 
par  Lesdiguières.  Biron  porta  son  corps  d'armée  sur  Bourg 
le  13  août,  deux  jours  après  la  déclaration  de  Lyon.  Confor- 
mément aux  honteux  engagements  qu'il  avait  pris  avec  le 
duc,  il  avertit  le  gouverneur  de  Bourg  de  la  prochaine  at- 
taque des  Français.  Cette  trahison  fut  inutile  :  les  troupes 
royales,  arrêtées  par  un  obstacle  imprévu,  se  présentèrent 
devant  la  place  à  un  moment  où  le  gouverneur  ne  les 
attendait  plus ,  et  surprirent  la  garnison  :  les  ofDciers 
qui  entouraient  Biron,  tout  dévoués  au  roi  et  à  Rosny,  en- 
traînèrent leur  général  à  une  attaque  qui  réussit,  malgré  lui, 
par  leur  intrépidité  et  leur  intelligence  des  opérations  mili- 
taires, lies  portes  cédèrent  à  l'explosion  d'un  pétard  qu'on 
y  attacha,  la  ville  fut  prise,  et  le  siège  de  la  citadelle  com- 
mença aussitôt  ^ 

L'attaque  contre  la  Savoie  eut  lieu  presque  en  même  temps. 
Elle  prit  tout  le  monde  au  dépourvu  :  le  duc  comptait  sur 
ses  intrigues,  les  gouverneurs  et  les  habitants  se  reposaient 
sur  les  négociations  ;  ils  furent  frappés  de  surprise  et  d'époiH 

<  Letlres  miMirrs  «les  14  et  t6  aoùl,  1.  v,  p.  S73. 174.  —  SaUj,  OEcoa. 
roy.,  r.  UG,  1.  i,  p,  X5à^  533.  —  Thuuuus,  1.  cxxv,  t.  xili,  p.  oiO,  5SI, 
Iraiiuction.  —  H.  Cojtl,  Cbron.  Mpten.,  1.  in,  t.  Il,  p.  108, 


S89  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  Vf, 

vante.  Le  17  août,  ravant-^rde  de  Lesdiguières  emporta  d'as- 
saut la  ville  de  Montmélian,  la  forteresse  restant  à  réduire. 
EUe  enleva  ensuite  les  faubourgs  de  Chambéry,  capitale  de  la 
Savoie,  et  se  logea  aux  portes  de  la  ville.  Le  roi,  accouru  le 
premier  avec  sa  noblesse  sur  le  tbéâtre  de  la  guerre,  se  mit  à 
la  tête  de  cette  avant-garde,  somma  hardiment  Ciiambéry  de 
se  rendre,  et  obtint  sa  soumission  (20  août).  La  garnison, 
retirée  dans  le  château,  voulait  s'y  défendre  ;  mais  cette  ré- 
solution ne  dura  pas  plus  d'un  jour.  Lesdiguières  venait  d'ar- 
river avec  le  gros  de  l'armée,  et  Rosny  avec  une  partie  du 
matériel  de  guerre  qu'il  avait  préparé  de  longue  main  :  une 
batterie  de  huit  canons,  dressée  contre  le  château,  consterna 
la  garnison  et  l'amena  à  capituler  (21  août).  La  terreur  des  armes 
du  roi  s'étant  dès  lors  répandue  partout,  la  résistance,  du  côté 
de  l'ennemi,  ne  fut  plus  que  l'exception.  Conflans  qui  défend 
l'entrée  de  la  Tarentaise,  et  Miolansqui  en  est  proche,  quoique 
pourvues  de  fortes  garnisons ,  n'attendirent  pas  un  premier 
assaut  pour  se  rendre.  Le  château  de  Charl>onnière,  qui  est 
la  clef  de  la  Maurienne,  fort  de  son  assiette  exceptionnelle, 
crut  pouvoir  tenir  bon.  Il  était  placé  sur  un  roc  inaccessible 
et  bien  garni  d'artillerie  et  de  munitions.  Quelques  montagnes 
le  dominaient,  mais  tellement  abruptes,  que  c'était  tout  ce 
que  pouvait  faire  un  honune  à  pied  que  d'y  monter;  pour 
arriver  au  sommet,  il  fallait  de  plus  passer  devant  le 
château  et  essuyer  son  feu.  Il  paraissait  insensé  de  songer  à 
conduire  du  canon  en  pareil  lieu.  Toutefois  Rosny,  profitant 
d'une  nuit  obscure  et  pluvieuse,  détournant  habilement  l'at- 
tention et  l'eflort  des  ennemis  sur  un  autre  point,  faisant 
traîner  et  souvent  porter  ses  canons  à  force  de  bras  par 
quatre  cents  soldats,  établit  une  batterie  de  douze  canons  au 
sommet  d'une  montagne  qui  commandait  la  place,  tira  contre 
le  fort  jusqu'à  six  cent  trente-sept  coups  en  quelques  jours, 
et  contiraignit  la  garnison  à  capituler  aux  conditions  qu'il  lui 
convint  de  lui  imposer  (2  septembre).  L'entrée  de  la  Ta- 
rentaise étant  ouverte  par  l'occupation  de  Conilans,  et  celle 
de  la  Maurienne  par  la  prise  de  Charbonnière,  la  conquête 
marcha  avec  une  prodigieuse  rapidité.  Lesdiguières  soumit 
d'abord  Saint-Jean-de-Maurienne,  puis  ensuite  toutes  les 
places  de  la  vallée  jusqu'au  inont  Genis.  De  là  il  entra  dans 
hi  Tarentaise,  et  prit  successivement  Moustiers,  capitale  du 


GUERRE  DE  SAVOIE.  383 

pays  et  les  forts  de  Briançon  et  de  Saint-Jacomont.  H  ne  restait 
plus  dans  toute  la  Savoie  propre  que  la  citadelle  de  Mont- 
mélian  qui  n'cilt  pas  subi  la  loi  du  roi  K 

Henri  laissa  la  conduite  honoraire  du  siège  au  comte  de  Sois^ 
sons,  la  conduite  eflecti  ve  à  Lesdiguières  et  à  Rosny,  et  alla  faire 
un  voyage  dans  la  Bresse  et  le  Genevois  pour  presser  les  opéra- 
tions de  la  guerre  et  surtout  pour  surveiller  la  conduite  et  les 
desseins  de  Biron.  Cinq  lettres  de  Biron,  saisies  plus  tard,  mais 
écrites  à  cette  époque,  prouvent  manifestement  ses  intelli- 
gences de  tous  les  jours  avec  le  duc  de  Savoie  et  avec  un 
certain  nombre  de  grands  seigneurs  de  la  oour  conjurés  tous 
ensemble.  Tant  que  le  maréchal  n'avait  été  poussé  que  par 
ses  ambitieuses  espérances  et  par  le  dépit  de  n'avoir  pas 
seul  conduit  la  guerre  de  Savoie,  il  ne  s'était  attaqué  qu'à 
l'autorité  de  Henri.  Mais  quand  le  roi,  qui  en  savait  déjà 
assez  pour  ne  plus  compter  sur  sa  fidélité,  lui  eut  refusé  le 
gouvernement  de  Bourg  et  de  la  citadelle  après  qu'il  l'aurait 
réduite,  sa  fureur  ne  connut  plus  de  bornes,  et  il  forma  le  projet 
d'attenter  à  la  vie  du  prince.  Un  soldat  enfermé  dans  le  fort 
Sainte-Catherine,  honune  d'une  adresse  éprouvée,  reçut  de 
Biron  le  signalement  exact  du  roi,  et  fut  chargé  de  le  tuer  d'un 
coup  de  mousquet  an  moment  où  Biron  conduirait  Henri  à  la 
reconnaissance  du  fort.  Toutefois,  au  moment  de  l'exécution, 
le  maréchal  recula  devant  l'énormité  de  cet  acte,  et  détourna 
l'accomplissement  du  crime  dont  il  était  complice,  en  empê- 
chant Henri  d'approcher  assez  près  des  murailles  pour  être 
atteint.  Au  moment  où  le  roi  n'échappait  à  une  mort  cer- 
taine que  par  le  hasard  d'un  remords,  il  conservait  toute 
son  affection  pour  Biron  ;  il  le  priait,  le  pressait  d'éloigner 
de  lui  le  traître  iafin,  son  agent  et  son  intermédiaire  auprès 
du  duc  de  Savoie,  et  d'échapper  ainsi  au  déshonneur  et  à  la 
rume  \  l^lalheureusemcnt  Biron  fut  sourd  à  la  voix  de  son 


*  LeUrri  mtutvr»  dfi  SO.  99,  t7  aoAl,  dci  S,  9.  10  sepUmbre,  t.  T, 
p.  98a,  iS4.  291 ,  91«.  999,  300,  SOI.  U  y  a  nne  diflVrrnre  de  quelquct 
jouri  |>our  les  dul«*t  de  la  pris**  de  ces  placrt  entre  les  leltret  mUsives 
et  le  tecil  des  hisluriens  rontemporains.  —  Sully,  ORroit.  roy..  c.  96,  l.  i, 

t.   r^SS  B,  3!(i-3r>S.  —   Buftsompierre,  Mém.,  t.  vi,  «ir  ^ér'u*,  p.  9S-ft4.  — > 
.Cayet,   Chron.  srptcn..  I.  m.  t.  n.  p.  109,  110.  ~  TbuaDus,  I.  CXXT. 
I.  xiiî,  p.  Ml,  bS>y  KiS  de  U  iradaction. 

*  Th  Mil  nus.  1.  cxxr.  t.  xiii,  p.  .%d6-.'>!i9.  —  Sully,  OF.con.  roy.,  c.  97, 
I.  I,  p.  &i3,  S44  A  ;  c.  96,  p.  .>4i  B.  —  P.  Ctyet,  Cbroa.   septen.,  I,  m, 

t.  II,  p.  m  B. 


38/i  HISTOIRE  ne   RÈGNE   DE  HENRI   IV. 

souverain,  resté  son  ami  malgré  la  connaissance  qu'il  avait 
de  ses  intelligences  avec  les  ennemis  de  TÉtat,  et  poussant 
ainsi  la  clémence  peut-être  jusqu'à  Texcès,  certainement 
jusqu'à  riiéroismc. 

De  retour  en  Savoie,  Henri  trouva  le  siège  de  la  citadelle  de 
Montmélian  fort  avancé  par  la  prodigieuse  activité  et  Tintelli- 
gence  de  Rosny.  Toutes  les  difficultés  naturelles  que  l'assiette 
des  lieux  présentait  à  Charbonnière  se  retrouvaient  plusgrandes 
et  plus  nombreuses  encore  à  Montmélian.  Cependant  elles 
avaient  toutes  été  surmontées.  Rosny  avait  élevé  autour  et  au- 
dessus  de  la  forteresse  jusqu'à  huit  batteries,' formant  une 
masse  de  cinquante  canons,  qui  foudroyaient  incessamment  la 
place  et  ne  laissaient  à  la  garnison  que  l'alternative  de  s'ense- 
velir sous  les  débris  ou  de  se  rendre.  Le  gouverneur  capitula 
le  16  octobre,  s'engageant  à  remettre  la  citadelle  au  roi  un 
mois  plus  tard,  si,  durant  ce  laps  de  temps,  le  duc  de  Savoie 
ne  s'avançait  pas  avec  une  armée  capable  de  faire  lever  le 
siège.  Le  duc  était  resté  jusqu'alors  à  Turin,  attendant  que  la 
conspiration  de  Biron  éclatât,  que  la  surprise  de  Marseille, 
dont  on  l'avait  flatté,  s'effectuât,  et  que  ces  événements,  fai- 
sant pour  lui  la  guerre  au  roi ,  arrachassent  violemment  ce 
prince  de  la  Savoie  et  le  contraignissent  à  rentrer  dans  ses 
États  pour  y  combattre  des  ennemis  intérieurs.  Déçu  dans 
toutes  SCS  espérances,  le  duc  rassembla  quinze  mille  soldats 
et  les  conduisit  jusqu'à  Aoste  pour  secourir  Montmélian.  xMais 
il  n'osa  en  venir  aux  mains  avec  l'armée  du  roi,  et  la  place 
se  rendit  le  16  novembre.  Henri,  décidé  à  enlever  au  duc 
toutes  ses  possessions  en  deçà  des  Alpes,  se  porta  dans  le  Ge- 
nevois et  commença  le  siège  du  fort  Sainte-Catherine.  La 
garnison,  épouvantée  de  l'appareil  de  forces  déployées  contre 
elle,  rendit  la  citadelle  sans  même  essayer  de  la  défendre 
(commencement  de  décembre).  Il  ne  restait  plus  au  duc  que 
la  citadelle  de  Bourg,  et  malgré  le  courage  du  gouverneur, 
on  pouvait  fixer  déjà  le  jour  où  le  roi  le  contraindrait  à 
capitulera 
Traita Bvee u       Réduit  à  ces  extrémités,  le  duc  renonça  enfin  aux  tcrgî- 


tluc  de  Stvoir. 


•  Sully,  OEcon.  roj.,  c.  97,  1. 1,  p.  330-»*».  —  Lcltrf»  mUtivcs  des  19, 
20  octobre,  J  novembre,  t.  V,  p.  3i5,  5Î6,  348,  SÔ7.  —  P.  Cayel,  Cbrnn. 
ftepUn..  1.  m,  l.  Il,  p.  1H-H5.  —  Thuanuf,  l.  cxtsv,  t.  xiii,  p.  ÏB5,  5», 
b3i,  533,  537,  558.541  de  la  traduction. 


GUERRK  DE  SAVOIE.  385 

versations,  implora  sérieusement  la  paix,  et  chargea  le  légat 
du  pape  d^en  stipuler  les  conditions.  Pendant  les  négocia- 
tions, Rosny,  au  moyen  de  la  mine,  fit  sauter  les  fortifications 
du  fort  Sainte-Catherine;  les  Genevois  en  enlevèrent  les  ma- 
tériaux ;  il  ne  resta  même  pas  trace  de  celte  citadelle,  et 
Genève  fut  délivrée  du  siège  perpétuel  dans  lequel  le  duc 
Tavait  tenue  si  longtemps.  La  paix  fut  signée  le  17  janvier 
1601.  Aux  termes  du  traité,  le  duc  conserva  le  marquisat  de 
Saluées.  Il  céda  au  roi  la  Bresse,  le  Bugey ,  le  pays  de  Gex, 
le  val  Romey ,  avec  la  citadelle  de  Bourg,  qui  se  défendait 
encore.  Il  paya  au  roi  300,000  francs,  et  lui  abandonna 
rartillerie  et  les  munitions  dont  il  s'était  emparé  dans  les 
villes  conquises  par  lui  en  Savoie  ^ 

Ainsi  la  France  rentrait  et  au  delà,  par  un  équivalent , 
dans  rintégrité  de  ses  possessions  :  les  frais  de  la  guerre 
qu'elle  venait  de  soutenir  étaient  couverts  ;  les  places  du  duc 
de  Savoie ,  son  ennemi ,  restaient  désarmées  et  pour  long- 
temps incapables  de  défense.  La  France,  au  contraire,  en 
Incorporant  à  son  territoire  la  Bresse  et  le  Bugey,  étendait  sa 
frontière  de  trente  lieues,  s'avançait  jusqu'au  Khône,  et  obte- 
nait ainsi  Tune  de  ses  limites  naturelles  ;  de  plus,  elle  couvrait 
ses  frontières  de  Bourgogne  et  de  Lyonnais  contre  l'Espagne 
et  contre  la  Savoie,  par  l'occupation  de  deux  pays  nouveaux  et 
de  la  forte  place  de  Bourg.  Il  était  impossible  à  Henri  de  termi- 
ner plus  glorieusement  et  plus  avantageusement  pour  le  pays 
sa  lutte  de  onze  ans  contre  quatre  princes  conjurés  à  son  avè- 
nement pour  le  perdre  lui-même  et  pour  asservir  le  royaume. 

L'expédition  de  Savoie  donna  lieu  à  un  cliangement  con- 
sidérable dans  le  système  de  la  guerre.  Henri  et  llosny 
étaient  convaincus  tous  deux,  comme  ils  l'avaient  prouvé  à 
Coutras,  à  Arques  et  à  Ivry,  que  le  principal  et  presque  in- 
faillible moyen  de  succès  à  la  guerre  était  le  développement 
sur  une  grande  échelle  de  l'artillerie  et  du  génie  militaire. 
Mais  depuis  l'avènement  de  Henri  ils  n'avaient  pu  mettre  ce 
principe  en  pratique  que  dans  quelques  circonstances  rares, 
exceptionnelles.  L'artillerie  et  le  génie  coûtent  cher  et  de- 

•  Sally,  OEcon.  roy.,  r.  M.  t.  i,  p.  3iS  B-348.  —  P.  Cayal,  Chroo. 
Mplcn.,  I.  nr.  t.  11,  p.  13t«irt8,  le  tc&U  (lu  iTHiU*  —  Thuaoua,  I.  CXXT, 
t.  Xiu,  p.  06t -Sn,  tradnclioD. 

25 


386  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IT. 

mandent  des  finances  en  bon  état  ;  ils  exigent  chez  les  oiTi- 
ciers  dos  connaissances  qui  ne  s'obtiennent  que  par  de  lon- 
gues et  sérieuses  études  ;  ils  veulent  enûn  être  soumis  à  la 
direction  d'hommes  spéciaux  et  supérieurs  dans  ces  deux 
armes.  Aussi  les  sièges  de  Paris  et  de  Rouen  avaient  échoué; 
les  sièges  de  La  Fère  et  d'Amiens  avaient  duré  plus  de  six 
mois.  Tout  cela  changea  dans  TexpécUtion  de  Siivoie  :  la  for- 
teresse de  Charbonnière,  capable  d'arrêter  une  armée',  ne 
résista  que  dix  jours;  le  siège  de  Montmélian,  l'une  des  plus 
fortes  places  de  l'Europe,  ne  se  prolongea  pas  au  delà  de  deux 
mois.  Le  duc  de  Savoie,  comptant  sur  la  difficulté  des  lieux,  sur 
la  rigueur  des  saisons,  sur  le  soin  avec  lequel  il  avait  fortifié  ses 
villes,  sur  les  allures  de  la  guerre  depuis  dix  ans,  même  quand 
elle  était  conduite  par  un  aussi  grand  capitaine  que  Lesdiguières, 
avait  dit  que,  «  quiconque  l'attaquerait  dans  son  pays,  il  lui 
M  donnerait  de  l'occupation  et  de  la  besogne  pour  quarante  ans.  » 
Et  voiià,  comme  le  remarquent  les  contemporains,  que  tout 
avait  été,  sinon  terminé,  au  moins  décidé  en  quarante  jours 2. 
Quel  prodige  avait  ainsi  changé  soudainement  et  perfectionné 
Fart  de  la  guerre  7  Uosny,  nommé  surintendant  et  grand- 
mattre  de  l'artillerie,  avait,  par  les  réformes  déjà  introduites 
dans  les  finances,  rendu  à  l'État  une  partie  de  ses  ressources; 
il  avait  de  plus  appliqué  aux  entreprises  militaires  ses  talents 
et  son  expérience.  Il  faut  observer ,  en  effet,  qu'en  diri- 
geant les  opérations  qui  mirent  Charbonnière  et  Montmélian 
an  pouvoir  des  Français.  Rusny,  dans  l'artillerie  et  dans  ic 
génie  militaire,  fit  preuve  d'une  capacité  que  l'on  ne  retrouve 
plus  à  tm  degré  pareil  que  chez  les  plus  grands  tacticiens 
du  siècle  de  Louis  XIV.  Malgré  tous  les  perfectionnements 
apportés  à  Part  de  la  guerre  depuis  le  XVL*  siècle,  nous  som- 
mes convaincu  que  les  militaires  liront  toujours  avec  fruit 
les  chapitres  96  et  97  des  Économies  royales,  où  Sully  ra- 
conte les  sièges  de  Charbonnière  et  de  Montmélian,  parce 
qu'il  y  a  des  choses  qui  ne  cliangent  pas  :  ce  sont  les  règles 
générales  d'un  art,  et  chez  ceux  qui  le  pratiquent,  le  coup 
d'œil,  les  combinaisons  de  génie,  la  volonté  puissante  qui 
vient  à  bout  de  tous  les  obstacles,  et  souvent  les  tourne 
contre  l'ennemi. 

*  P«  Oayel,  Chron.  Mplen.,  1.  m,  I.  ii,  p.  HO  A,  i  la  fin. 

*  P.  Cajel,  Chron.  Mpleii.«  U  iii«  1.  Il,  p.  US  A«  $  3. 


DIVORCE  ET  MARIAGE  J>V  ROI.  387 

La  guerre  de  Savoie,  comme  la  guerre  d'Espagne,  avaient  Dirorce  du  roi 
donné  raison  à  la  France  contre  tous  ses  ennemis  du  dehors,  deMarguerii» 
et  cependant  son  repos  n'était  pas  encore  assuré.  La  trans-  ^  Vaiois. 
mission  du  pouvoir,  si  nécessaire  à  la  paix  publique,  restait 
incertaine  et  précaire.  Bien  que  la  maison  de  Bourbon 
comptât  alors,  en  dehors  du  roi,  quatre  branches  de  princes 
du  sang,  les  parlements  et  tous  les  corps  de  TÉtat  sentaient 
que  la  consolidation  de  la  grande  oeuvre  de  Henri  dépendait 
en  partie  d'une  descendance  légitime  qu'il  pût  laisser  au 
pays  après  lui.  La  succession  collatérale,  qui  avait  pour  elle 
le  droit  et  les  précédents ,  ne  pouvait  avoir  la  puissance  et 
l'autorité  de  la  succession  directe.  C'était  Henri,  et  non 
quelque  prince  du  sang,  qui  avait  arraché  la  France  aux  fac- 
tions et  à  l'étranger  ;  c'était  lui  seul  qui  avait  donné  le  trône 
à  la  maison  de  Bourbon.  L'avènement  des  Bourbons  à  la  cou-« 
ronne  était  donc  trop  récent  et  trop  personnel  à  Henri,  les 
prétentions  et  contentions  entre  le  jeune  prince  de  Condé  et 
les  autres  princes  du  sang  étaient  trop  préparées  ^  pour  que 
des  troubles  ne  fussent  pas  à  redouter,  si  la  couronne  ne  pas* 
sait  pas  de  la  tête  de  Henri  sur  celle  de  l'un  de  ses  fils.  11 
était  séparé  de  sa  femme,  Marguerite  de  Valois,  depuis  qua  • 
torze  ans,  et  la  conduite  de  Marguerite  avait  rendu  cette  sé- 
paration forcément  irrévocable  :  d'ailleurs,  elle  avait  passé 
1  âge  où  elle  pouvait  lui  donner  des  enfants.  Ceux  qu'il  avait 
eusdcCiabriclle  d'Estrées pouvaient  bien,  comme  Dunois,  faire 
une  souche  de  guerriers  dans  lesquels  la  France  se  plût  à 
reconnaître  le  sang  de  ses  rois ,  mais,  dès  qu'il  s'agissait  pour 
eux  de  la  surpression  au  trône,  ils  étaient  impitoyablement 
condamnés  par  le  droit  civil  et  politique,  et  exclus  par  les 
princes  du  sang.  Ln  divorce  avec  Marguerite,  un  mariage 
avoué  par  la  loi  et  par  la  religion,  une  descendance  léglUmo, 
voilà  ce  que  réclamaient  l'intérêt  de  la  France  et  la  gloire  du 
roi.  Sa  passion  pour  Gabriclle,  à  laquelle  le  temps  avait  donné 
une  nouvelle  force  que  l'honneur  approuve  et  que  la  morale 
la  plus  austère  a  peine  à  bldmer,  cet  attacbemejit  profond  dont 
Sully  nous  apprend  les  secrets  *,  se  serait,  selon  toute  appa- 
rence, opposé  pour  toujours  à  une  autre  union.  Mais  une 


'  SttUy,  OEcon.  roy..  c.  90, 1. 1,  p.  fT6  A. 
*  Svtly,  OEcun.  roy.,  c.  8U,  1. 1,  p.  tTS  Bt78. 


388  HISTOIRE   DU   R^XNI<:   DE  HENRI   IV. 

mort  violente  et  presque  subite  avait  enlevé  Gabriellc  ]e 
10  avril  1599  et  rendu  au  roi  une  liberté  que  son  libre  ar- 
bitre ne  lui  aurait  jamais  procurée  ^  cette  mort  avait  levé  un 
autre  obstacle  :  Marguerite,  le  dernier  rejeton  légitime  des 
Valois,  avait  tout  Torgueil  du  sang  royal  ;  elle  voulait  bien 
se  séparer  de  Henri  et  descendre  du  trône,  mais  pour  faire 
place  à  une  princesse  seulement,  et  non  à  une  femme  d'une 
condition  inférieure.  Jusqu'alors  elle  avait  refusé  son  consen- 
tement à  un  divorce  :  Gabrielle  morte,  elle  Taccorda  2. 

Toutes  les  difficultés  ayant  ainsi  disparu,  une  procédure 
s'ouvrit  pour  la  rupture  du  lien  qui  avait  uni  Henri  et  Mar- 
guerite. C'est  un  trait  caractéristique  des  mœurs  du  temps, 
de  la  confusion  encore  subsistante  en  plusieurs  points  du 
droit  civil  et  du  droit  canonique,  de  l'empire  expirant  des 
idées  du  moyen  âge,  que,  dans  une  affaire  toute  civile  et  po- 
litique, on  se  soit  adressé,  non  pas  aux  parlements,  à  la  cour 
des  pairs,  aux  États-généraux,  mais  bien  au  pape;  qu'au 
lieu  de  présenter  les  véritables  et  solides  raisons  qui  com- 
mandaient le  divorce  entre  Henri  et  Marguerite,  on  ait  re- 
couni  aux  misérables  prétextes  d'une  parenté  au  troisième 
degré,  du  défaut  de  dispense  par  le  pape,  nécessaire  en  pa- 
reil cas  pour  contracter  mariage,  d'une  prétendue  parenté 
spirituelle  résultant  de  ce  que  le  roi  avait  eu  pour  parrain 
Henri  H,  père  de  Marguerite,  de  la  diversité  de  religion,  de 
la  contrainte  imaginaire  à  laquelle  les  deux  époux  avaient  cédé 
en  se  mariant.  Une  dernière  remarque  à  laquelle  donne  lien 
la  procédure,  c'est  qu'un  président  du  parlement,  un  esprit 
élevé  et  en  général  libre  de  préjugés,  l'historien  de  Tliou, 
ait  pris  pour  bonnes  de  semblables  arguties  avec  lesquelles 
il  n'y  avait  plus  dans  la  société  civile  de  droit  qui  pût  rester 
debout,  de  pacte  qui  pût  subsister.  Le  pape,  par  un  bref 
du  2/i  septembre  1599,  nomma  une  commission  composée 
du  nonce  en  FYance,  d'un  cardinal,  d'un  archevêque,  de 
l'évêque  de  Paiis,  et  la  chargea  d'examiner  les  moyens  de 
cassation.  La  commission,  par  décision  du  10  novembre,  dé- 
clara les  moyens  valides,  le  mariage  nul,  les  parties  libres 

'  p.  Cay^t,  Chron.  Rcptcn.,  I.  il,  t.  il,  p.  Sô,  54.  —  Lestoile,  Sapplé- 
mrnt,  p.  3U2  A.  —  Thuunus,  I.  CXXii,  1.  Xiii,  p.  :>K8.  ôftl),  li-aducUon. 

*  IxYltre  d«  Tdargiiertle  de  Yalou  à  Rosny,  du  30  juillet  VJ&9.  —  Suily, 
OEcon.  roj.,  c.  86,  99,  t.  i,  p.  995, 296,  317,  ÛI8. 


DIVORCE  ET  MARIAGE  DU  ROI.  389 

de  sG  marier  où  bon  leur  semblerait.  Le  pape  ratifia  la  dé- 
cision; le  17  décembre  1599,  la  dissolution  du  mariage  du 
roi  fut  prononcée.  Ses  ministres  et  Tagent  de  la  cour  de  Flo- 
rence arrêtèrent  alors  à  Paris  les  conventions  de  son  mariage 
avec  Marie  de  Médicis,  nièce  du  grand-duc  de  Toscane  ^ 

Dans  le  temps  même  que  Ilonri  sacrifiait  ainsi  à  la  raison    Promette  du 
d'État  et  au  repos  de  la  France  les  profondes  répugnances  '«»  ^  modrinoi- 
que  son  union  avec  Marguerite  de  Valois  lui  avait  inspirées     d'Eoiniguet. 
contre  les  mariages  de  convenance  et  de  politique,  les  lâches 
complaisances  de  quelques  courtisans  et  une  faiblesse  de 
sa  part ,  sans  porter  une  atteinte  sérieuse  à  la  détermination 
qu'il  avait  prise,  le  jetaient  cependant  dans  des  actes  qui 
contrariaient  cette  n^solution,  et  qui  lui  préparaient  bien  des 
déboires,   bien  des  traverses  pour  Tavenir.  La  perte  de 
Gabrielle  d'Estréos  Tavait  jeté  dans  un  chagrin  qui  empoison- 
nait sa  vie  et  nuisait  à  sa  santé.  Parmi  ceux  qui  rappro- 
chaient, les  uns  lui  cherchant  une  distraction,  les  autres 
bâtissant  leur  fortune  sur  leur  faveur  auprès  d'une  nouvelle 
maltresse  et  sur  l'ascendant  qu'elle  prendrait,  lui  vantèrent 
sans  relâche  la  beauté  et  surtout  l'esprit  et  l'humeur  enjouée 
de  mademoiselle  Balzac  d'Entragues  jusqu'à  ce  qu'ils  lui 
eussent  inspiré   pour  elle    ime    violente    passion.  Cette 
femme  artificieuse,  conseillée  par  des  parents  sans  consdence* 
avides,  ambitieux,  grands  calculateurs  en  fait  d'infamie, 
exploita  l'amour  du  roi  et  son  propre  déshonneur.  Non  con- 
tente d'avoir  obtenu  de  lui  une  somme  de  300,000  francs 
et  le  marquisat  de  Verneuil,  elle  lui  extorqua  une  promesse 
où  se  trouvait  la  clause  suivante  :  «  Au  cas  que  la  demoi- 
selle Henriette  Catherine  de  Balzac,  dans  six  mois  à  com- 
mencer du  premier  jour  du  présent,  devienne  grosse,  et  qu'elle 
accouche  d'un  fils,  alors  et  à  l'instant  nous  la  prendrons  à 
femme  et  légitime  épouse,  dont  nous  solenniserons  le  ma- 
riage publiquement  et  en  face  de  notre  sainte  Église,  selon 
les  solennités  en  tel  cas  requises  et  accoutumées.  »  Rosny, 
consulté  par  le  roi  et  dépositaire  momentanément  de  la  pro- 
messe, eut  en  vain  le  courage  de  la  déchirer  :  une  autre  fut 
faite  et  livrée  i^  mademoiselle  d'Entragues  le  1*'  octobre  1599. 

■  Thuanus,  I.  cxxiii,  t.  Xlii,  p.  4W>4'>*,  tradoclioD.  —  P.  Cayct,  Chron. 
tepUn.,  1.  Il,  t.  Il,  i>.  64,  tî5.  —  Supplrmeiil  de  Lesloile,  p.  SOS  A.  — 
Art  d«  vérifier  les  dûtes,  l.  Ti,  iii-8*.  —  &uUy«  OEcon.  roj.,  c.  94,  p.  ô3SB, 
3«>. 


390  HISTOIRE  DD  RÈGNE  DE  HENRI  lY. 

Au  commencement  du  mois  de  juillet  1600,  tandis  que  le 
roi  se  rendait  à  Moulins,  pour  marcher  ensuite  contre  le  duc 
de  Savoie,  la  marquise,  demeurée  à  Paris,  accouchait  d'un 
cnrant  mort  «  La  promesse  portait  une  condition  qui  de  sa 
»  propre  nature  la  rendoit  nulle  de  toute  nullité,  »  en  droit 
civil  comme  en  droit  politique.  En  effet,  d'une  part  le  mariage 
requiert  le  consentement  mutuel  des  parties  et  n'admet  ni  con- 
dition ni  éventualité  :  en  second  lieu,  les  princes  appartiennent 
à  la  nation  ;  pour  les  unions  qu'ils  contractent,  ce  n'est  pas 
assez  d'être  conformes  au  droit  civil,  eUes  doivent  être,  de 
plus,  d'accord  avec  l'intérêt  public  Mais  même  en  supposant 
que  le  roi  ne  fût  pas  d'avance  délié  par  le  bénéfice  du  droit, 
il  était  redevenu  libre  par  l'événement  :  l'engagement  qu'il 
avait  pris  se  trouvait  rompu  du  moment  que  mademoiselle 
d'Entragues  ne  lui  avait  pas  donné  un  enfant  mâle  dans  le 
délai  indiqué  ^  Nous  sommes  entré  dans  ces  détails  des  petites 
passions  et  des  faiblesses  d'un  grand  homme,  parce  qu'elles 
entraînèrent  plus  tard  des  conséquences  politiques  qui ,  à 
défaut  de  ces  explications  et  d'un  certain  nombre  de  dates 
précises,  resteraient  fort  obscures. 
Mnrbge  Taudls  quc  Honri  s'engageait,  malheureusement  pour  son 

de  Henri  avec  rcpos  et  pour  SOU  bouheur,  dans  une  nouvelle  liaison  avec 
'"dicil  ''  une  femme  qui  n'aima  Jamais  de  lui  que  les  richesses  et  la 
haute  position  qu'elle  en  pouvait  tirer,  ses  ambassadeurs 
poursuivaient  pour  lui  une  légitime  alliance.  Par  ses  lettres 
patentes  du  6  janvier  1600,  il  donna  pouvoir  au  sieur  de 
Sillery  d'accorder  le  mariage  entre  lui  et  Marie  de  Médl- 
cls,  ni^ce  du  grand-duc  de  Toscane.  Le  contrat  fut  passé 

'  Sully,  OEcoD.  roy.,  r.  93.  t.  i.  p.  M9,  390;  c.  06,  p.  330  B.  —  Le 
texte  de  la  promesse  du  rot  i  mademolielle  d'Entragues,  dans  les  notes 
da  Supplément  de  Lesloile,  p.  308,  309;  aalret  détails  relatifs  k  mada* 
moiselle  d'Entragues,  p.  317  A. 

On  tomberait  dans  la  confusion  et  dans  de  nomlireuses  erreurs,  si  l'on 
oe  prenait  soin  de  faire  concorder  ensemble  le  récit  des  historiens  et  le  té- 
moignage des  Lettres  miskives,  au  sujet  du  séjour  du  roi  en  divers  lieux,  et 
de  ses  rapports  avec  madame  de  Yernenil  arant  et  pendant  la  guerre  da 
Savoie.  Pu  1*^  juillet  au  13  septembre,  le  roi  va  à  Moulius,  à  Lyon,  à  Gre- 
noble, et  fait  la  conquête  de  la  plu  «  grande  partie  de  la  Savoie.  Pendant  ce 
temps,  madame  de  Vcrueull,  resiée  d'abord  à  Paris,  accouche  d'un  euftot 
mort  :  rétablie  de  sa  couche,  elle  se  met  eu  vuyage  pour  aller  rejoindre  le 
rui.  Henri,  après  avoir  quitté  IVxpédition  de  Savoie,  la  {oint  le  13  ou  la 
14  septembre  à  Saint- Andre-Jc- la-Côte,  la  conduit  i  Grenoble,  puis  en 
Savoir,  uu  elle  séjourne  jusqu'à  la  réduction  de  la  forteresse  de  Monlmé- 
lian.  Après  cet  événement,  elle  retourna  en  France.  (Sully,  OEcon.  roy., 
e.  96,  p.  330  B.  —  Bassompierre,  Méraoiraa,  t«  Vl,  S  itfrie,  p.  S4  B,  IS.  — 
Lettre*  missives,  t.  V,  p.  SI4-3I3.  ) 


DIVORCE  ET  UAniAGE  DU   ROf.  391 

le  25  avril  :  le  5  octobre,  le  grand-dnc,  muni  de  la  procuration 
du  roi,  ëpousa  la  princesse  en  son  nom.  Pen  de  jours  après, 
la  nouvelle  reine  aborda  en  France  ot  se  rendit  de  Marseille 
à  Lyon,  où  Henri  la  joignit  le  9  d(^cembre,  pendant  que  ses 
négociateurs  mettaient  la  dcmit^re  main  au  traité  avec  le  duc 
de  Savoie.  Le  mariage  fut  consommé  le  même  jour,  et  con- 
sacré le  lendemain  par  les  cérémonies  de  la  religion.  Le 
27  septembre  1601,  Marie  de  Médicis  donna  à  la  France  un 
dauphin  dont  la  naissance  assurait  la  succession  directe  à  la 
couronne,  déconcertait  et  prévenait  les  compétitions  dange- 
reuses pour  le  repos  public,  contenait  déjà  en  germe  la  nais- 
sance et  le  règne  de  Louis  XIV.  Ce  ne  futqu*un  mois  après, 
le  27  octobre  1601,  que  la  marquise  de  Vemeuil  donna  le 
jour  à  un  fils  :  d'où  il  résultait  que  les  ennemis  du  dehors  et 
les  fauteurs  de  troubles  à  Pintérieur  ne  pouvaient  s'aider 
même  de  la  simple  primogénliure  pour  élever  les  prétentions 
du  bâtard  contre  les  droits  du  fils  légitime  '. 

Le  temps  des  révoltes  semblait  donc  fini  sans  retour,  et  les 
derniers  aliments  enlevés  à  Tagitation  fiévreuse  qui  avait  pos- 
sédé le  pays  depuis  1560.  Cependant  les  années  qui  suivirent 
virent  éclore  sans  interruption  des  complots.  Les  étrangers  y 
trempèrent  sans  doute,  mais  dans  une  moindre  proportion 
que  les  nationaux.  Parti  catholique  exagéré,  parti  calviniste, 
grands  seigneurs,  courtisans,  s'agitèrent  de  nouveau  avec 
violence.  Évidemment  ils  ne  voulaient  ni  laisser  prescrire 
contre  les  troubles,  ni  laisser  la  masse  de  la  nation  se  reposer 
dans  la  paix  dôlinitive  dont  la  naissance  du  dauphin  donnait 
le  signaL  Leur  ambition  raisonnait  juste.  En  effet  une  fois 
que  les  idées  d'ordre,  les  habitudes  de  calme  se  sont  enraci- 
nées chez  un  peuple  ;  quand  les  arts  de  la  paix  se  sont  forte- 
ment emparés  de  lui,  oui  absorbé  et  employé  son  activité  tout 
entière,  alors,  souvent  pour  un  demi-siècle,  les  ambitieux  et 
les  esprits  inquiets  qui  poussent  les  masses  aux  révolutions 
ne  les  trouvent  qu'inertes  ou  rel>elles  sous  leur  main* 

•  p.  CajH,  Cbron.  septen..  1.  m.  t.  il,  p.  St  A,  IIS.  116.  Il  y  a  oiii> 
«rr^iird*  (ljt«  ù  la  puge  115:  il  fiiiit  lire  S5  avril  «t  non  t6  aoAl.  Plu» 
1.  IV,  p.  1G5  B.  —  Thiianu)!.  I.  cxxv,  cxxv^  t.  Xiit.  p.  559861,  649,  650. 
—  Solly.  OKcon.  my.,  c.  HU,  I.  i.  p.  r»"l  B.  —  Biogr.  ooiTt^rt.,  I.  XLTIU, 
p.  i4<). 


I.  25* 


LIVRE    VI. 

ÉVÉNEMENTS  POLITIQDES  DURANT  LA  PÉRIODE  UElGOO  AiOiO. 
—  GOUVERNEMENT  ET  ADMINISTRATION  DE  HENRI  IV.  — 
MINISTÈRE  DE  SULLY.  —  ÉTAT  DK  LA  SOCIÉTÉ,  DES  SCIEN- 
CES, DES  LETTRES,  DES  BEAUX-ARTS  SOUS  CE  RÉGNE. 


En  dix  ans  et  demi  de  règne,  ilenri  avait  abattu  et  désarmé 
les  deux  grands  partis  de  la  Ligue  et  du  calvinisme,  et  trois 
autres  factions  secondaires  :  il  avait  ainsi  détruit  dans  notre 
pays  tous  les  principes  de  révolution  et  de  bouleversement. 
En  même  temps,  ii  avait  vaincu  les  ennemis  étrangers,  le 
duc  de  Lorraine,  le  i^pe,  le  roi  d'Espagne,  le  duc  de  Savoie, 
la  DDoitié  de  l'Europe  réunie  en  coalition  contre  la  France. 
Il  avait  accompli  cette  grande  tâche  au  milieu  de  difficultés 
inouïes,  qid  avaient  exigé  plus  de  talents  politiques  encore 
que  de  vertus  guerrières.  Les  utiles  et  glorieuses  consé- 
quences de  ses  efforts  étaient  le  rétablissement  de  Tcmpire 
de  la  loi  et  de  Tordre  public,  Tindépendance  sauvée,  Tunité 
du  territoire  garantie,  Phonneur  national  vengé.  Après  tant 
de  travaux  accomplis,  on  aurait  cru  volontiers  qu'il  ne  res- 
tait au  roi  d'énergie  et  de  volonté  que  pour  consolider  son 
ouvrage,  en  déjouant  les  tentatives  suprêmes  des  ambitieux 
et  des  brouillons,  dont  nous  présenterons  tout  à  l'heure  le 
tableau,  en  maîtrisant  les  dernières  convulsions  des  partis 
vaincus  et  blessés  à  moru  Si  Henri  se  fût  arrêté  à  ce  point, 
s'il  se  ^fût  borné  à  ce  rôle,  il  aurait  encore  été  un  prince 
éminent,  il  aurait  tenu  tme  large  place  dans  l'histoire  de 
notre  pays  et  même  dans  celle  du  monde,  car  la  cause  de  la 
France  était  celle  de  la  liberté,  de  la  civilisation,  et  il  avait 
sauvé  la  France. 


CONSPIRATIONS.  393 

Mais  le  caractère  du  grand  homme  est  d^ètre  complet  ; 
celui  de  ses  œuvres  de  s'étendre  à  tout,  de  tout  embrasser* 
Le  royaume ,  ^auvé  de  la  mine ,  était  faible  et  épuisé  ; 
ses  habitants ,  remis  en  possession  de  leur  indépendance , 
étaient  misérables.  Henri  sentit  qu*il  n'avait  accompli  que  la 
moitié  de  Pœuvre  à  laquelle  rappelaient  la  Providence  et 
son  génie.  Rendre  au  pays  sa  prospérité  et  sa  puissance  des 
meilleurs  temps,  assurer  au  plus  humble  des  citoyens,  au 
dernier  des  paysans,  la  somme  de  bonheur  à  laquelle  il  avait 
droit  de  prétendre,  à  Faide  d'un  gouvernement  protecteur 
et  d'une  administration  savante ,  telles  furent  les  préoccupa- 
lions,  tel  fut  le  travail  de  Henri  durant  la  seconde  moitié  de 
son  W^gnc.  Dans  l'assemblée  des  notables  de  Rouen ,  il  avait 
annoncé  que  ce  n'était  pas  assez  pour  lui  d'être  le  libérateur, 
qu'il  voulait  être  de  plus  le  restaurateur  de  la  France.  Ce 
projet,  il  l'accomplit;  cette  parole,  il  la  tint,  trouvant  dans  sa 
merveilleuse  organisation  la  puissance  d'esprit ,  la  fécondité 
et  la  souplesse  d'intelligence  nécessaires  pour  devenir  à  Fim- 
proviste  administrateur  et  législateur. 

Il  fut  souvent  troublé,  jamais  interrompu  dans  ses  nou- 
veaux travaux,  par  des  complots  et  des  soulèvements  par- 
tiels que  nous  réunirons  ici  dans  un  même  chapitre,  afin  de 
nous  occuper  ensuite  sans  distraction  de  ce  qui  fait  la  partie, 
sinon  la  plus  populaire,  au  moins  la  plus  solide  de  sa  gloire, 
et  le  point  de  départ  véritable  de  la  France  dans  la  carrière 
des  arts  de  la  paix. 


CHAPITRE  !•'. 

Conspirations»  tcdilioni,  atlontaU  contre  U  Tin  dn  roî.  Bnppel  dns  iésoiln. 

Depuis  quarante  ans,  quatre  causes  avalent  donné  nais- 
sance aux  guerres  civiles  en  France  et  les  avaient  alimentées. 
C'étaient  les  persécutions  dirigées  contre  la  liberté  religieuse 
des  réformés,  et,  les  armes  une  fois  prises,  les  passions  dé- 
chaînées, la  nécessité  où  s'étaient  trouvés  les  catholiques  de 
défendre  leur  culte.  C'éUient  la  puissance  et  l'ambition  des 
Guises,  qui  avaient  disputé  le  trOne  aux  Valois  d'abord,  aux 


39A  HISTOIRE  DU'  RÈGNE  DE  HENRI  IT. 

Bourbons  ensuite,  en  s'aidant  au  dehors  de  TEspagne.  A  ces 
causes  principales  s'étaient  jointes  deux  causes  secondaires, 
mais  très  puissantes  encore.  En  premier  lieu,  Pusurpation 
des  pouvoirs  royaux  par  I^s  gouverneurs  de  province,  dont 
plusieurs  s'étaient  placés  dans  un  état  d'indépendance  à  peu 
près  absolue  à  l'égard  de  la  couronne.  En  second  Heu,  l'exis- 
tence prolongée  du  dernier  grand  fief  véritable  qui  restât 
encore  en  France.  La  branche  afnée  de  la  maison  de  Bour- 
bon possédait  en  toute  souveraineté,  soit  par  le  droit,  soit  par  le 
fait,  un  royaume  et  seize  principautés,  duchés,  comtés,  dont 
la  plus  grande  partie  était  située  loin  du  centre  du  gouver- 
nement. Les  maîtres  de  ces  vastes  domaines  avaient  le  titre 
de  rois  et  de  premiers  princes  du  sang.  Dans  la  guerre  des 
deux  religions,  dans  le  débat  relativement  à  la  succession  de 
là  couronne,  ils  avaient  donné  à  leur  parti  des  forces  maté- 
rielles et  une  autorité  qui  lui  avaient  permis  de  tenir  tète  à 
la  royauté. 

En  1601,  aucune  â^  ces  causes  n'existait  plus.  Les  calvi- 
nistes avaient  reçu  la  liberté  de  conscience  et  la  pleine  liberté 
Civile  par  l'édit  de  Nantes  :  les  catholiques,  qui  dès  le  prin- 
cipe avaient  obtenu  toutes  les  garanties  pour  le  maintien  de 
leur  religion,  avaient  vu  ensuite  le  roi  passer  dans  leurs 
rangs.  Dans  une  luUe  prolongée  et  solennelle  de  neuf  ans, 
les  Guises,  les  princes  lorrains  avalent  été  vaincus  toujours 
et  partout,  avaient  été  terrassés  par  les  Bourbons  :  leur  allié 
le  roi  d'Espagne  s'était  tellement  épuisé,  que  loin  d'avoir  des 
armées  à  prêter  désormais  aux  révoltés  de  France,  il  s'était 
défendu  lui-même  à  la  fin  avec  peine  et  avait  recherché  ime 
paix  désavantageuse.  Henri,  couvert  de  gloire  et  rentré  en 
possession  de  la  plénitude  de  la  puissance  royale,  avait  ra- 
mené les  gouverneurs  de  province  à  n'être  plus  que  les  offi- 
ciers et  les  agents,  supérieurs  il  est  vrai,  mais  enfin  les  agents 
de  la  royauté  dans  l'ordre  militaire  et  civil.  Bien  que  Henri 
n'ait  réuni  son  vaste  domaine  privé  à  la  couronne  par  un 
acte  législatif  qu'en  1607,  il  en  avait  mis  les  ressources  au 
service  de  la  couronne,  il  en  avait  augmenté  d'autant  la  force 
et  la  puissance  de  la  royauté  depuis  son  avènement.  Ajoutez 
que  la  France  était  régie  par  un  prince  belliqueux,  vainqueur 
de  tous  ses  ennemis,  grand  administrateur  autant  que  grand 
guerrier,  admiré  et  redouté  de  ses  voisins.  Or,  pour  qui'^ 


COMPLOTS  DE  BIROIf.  395 

conque  connaît  le  caractère  français,  il  n'est  pas  douteux 
qu'à  toutes  les  (époques  les  qualités  bonnes  ou  mauvaises  du 
chef  de  TÉtat  n'aient  exercé  la  plus  puissante  influence  sur  le 
gouvernement  et  les  destinées  du  pays.  Enfin ,  et  par-dessus 
tout,  les  citoyens  de  toutes  les  classes  dans  le  clergé,  la  bour- 
geoisie, le  peuple,  sentaient  trop  vivement  le  prix  de  la  fin 
des  troubles,  du  rétablissement  de  Tordre  public,  pour  y 
porter  atteinte,  en  se  faisant  les  soldats  de  Témeute  à  la  voix 
des  ambitieux  :  IVsprit  public  n'était  plus,  pour  longtemps, 
tourné  vers  la  révolte. 

La  France  étant  en  cet  état,  les  guerres  civUes  n'étaient 
plus  possibles;  mais  les  conspirations,  les  troubles,  les  assas- 
sinats. Tétaient  encore.  L'esprit  de  faction,  nourri  pendant 
quarante  ans,  avait  survécu  aux  factions.  Parmi  les  grands, 
les  imaginations  ardentes,  les  esprits  faux,  croyaient  que  rien 
n'était  si  facile  que  de  ramener  les  jours  de  la  Ligue ,  et  leurs 
désordres  leur  faisaient  une  nécessité  de  la  révolte  :  en  effet 
la  guerre  civile  et  le  pillage  pouvaient  seuls  fournir  à  leurs 
plaisirs,  à  leur  luxe,  à  leur  Jeu  effréné.  En  considérant  Ténor- 
mité  de  ses  pertes  au  jeu,  Biron  disait  :  n  Je  ne  sais  si  je 
>  mourrai  sur  un  échafaud,  mais  je  sais  bien  que  je  mourrai 
»  à  l'hôpital.  »  Et  pour  faire  une  fin  plus  digne  d'un  grand 
seigneur,  il  prenait  de  préférence  le  parti  qui  mettait  sa  tète 
en  jeu.  «  Lorsque  la  paix  sera  conclue,  ajoutait-il,  les  mécon- 
»  tenlements  de  plusieurs,  les  amours  du  roi,  la  stérilité  de 
»  ses  largesses,  pousseront  force  divisions,  et  plus  qu'il  n'en 
»  faut  pour  brouiller  les  États  les  plus  paisibles  du  monde.  El 
M  quand  cela  manquerait,  nous  en  trouverons  en  la  religion 
■  tant  que  nous  voudrons,  pour  mettre  les  plus  froids  Ilugue- 
»  nots  en  col^re  et  les  plus  repentants  Ligueurs  en  fureur.  » 
La  connaissance  approfondie  des  affaires  aiaquelles  il  avait 
été  mêlé  dès  son  enfance,  et  un  merveilleux  instinct  de  fac- 
tion avaient  révélé  à  Biron  toutes  les  parties  faibles  du  sys- 
t^me  politique  et  social  de  la  France,  an  temps  de  la  paix  de 
Vervins  et  de  la  paix  avec  le  duc  de  Savoie  :  elles  sont  toutes 
ronlenues  dans  le  peu  de  mots  que  Ton  vient  de  lire.  Mais  il 
voyait  avec  les  yeux  de  la  passion,  se  grossissait  les  objets, 
exagérait  les  principes  de  troubles  déposés  au  sein  de  la 
France.  11  n'y  avait  plus  de  quoi  bouleverser  le  royaume, 
mais  il  restait  de  quoi  Tagiter  :  le  fanatisme  religieux  he 


396  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

pouvait  plus  armer  les  masses  contre  Henri  IV  ;  mais  il  pou- 
vait pousser  le  bras  de  quelques  furieux  et  l'assassiner. 

Complots  de  Les  trames  du  duc  de  Biron  remontent  à  Tannée  1595  K 
"*"*'  Cet  homme  que  Henri  avait  pris  baron  de  Biron  pour  en 
faire  d'abord  un  amiral  de  France,  puis  un  maréchal  de 
France,  un  lieutenant  général  de  ses  armées,  un  gouverneur 
de  Bourgogne,  un  duc  et  pair;  sur  lequel  il  avait  accu- 
mulé toutes  les  charges  et  tous  les  honneurs  qu'un  prince 
reconnaissant  trouvait  dans  le  pays  pour  payer  ses  ser- 
vices ,  cet  homme  complota  sept  ans  de  suite  pour  détrôner 
le  roi  et  bouleverser  sa  patrie.  En  1599,  il  conclut  avec  les 
Espagnols  et  le  duc  de  Savoie  un  traité,  par  suite  duquel  il 
devait  obtenir  la  main  de  Tune  des  Gllcs  du  duc  de  Savoie, 
la  souveraineté  de  la  Bourgogne  démembrée  de  la  France,  et 
celle  de  la  Franche-Comté  que  lui  abandonnait  le  roi  d'Es- 
pagne :  en  échange  de  ces  avantages,  il  devait  exciter  un 
vaste  soulèvement  en  France.  L'année  suivante,  la  guerre 
ayant  éclaté  contre  le  duc  de  Savoie,  Biron  prodigua  aux  en- 
nemis les  avis  nécessaires  pour  faire  échouer  les  efforts  de 
l'armée  dont  il  avait  le  commandement  Et  comme  la  valeur 
des  troupes  trompait  sa  trahison,  il  prépara  tout,  de  concert 
avec  le  commandant  de  Sainte-Catherine,  pour  que  le  rot 
pérît  en  allant  visiter  la  tranchée.  A  la  vérité  il  arrêta  lui- 
même  l'exécution  de  cet  assassinat  ;  mais  à  la  fin  de  la  guerre, 
il  conclut  avec  la  Savoie  et  l'Espagne  im  nouveau  traité, 
conforme  de  tous  points  à  celui  qu'il  avait  signé  précédem- 
ment. En  s'éloignant  de  la  Savoie,  le  roi  se  rendit  à  Lyon  : 
là,  instruit  imparfaitement  des  trames  de  Biron,  il  lui  en  ac- 
corda le  pardon,  en  l'avertissant  toutefois  qu'il  payerait  de 
sa  tête  une  nouvelle  faute.  Cette  nouvelle  faute  fut  commise. 
Biron  continua  ses  liaisons  avec  l'Espagne  et  la  Savoie,  et 
après  son  ambassade  en  Angleterre,  il  trempa  dans  le  complot 
formé  par  le  duc  de  Bouillon  et  par  le  comte  d'Auvergne 
dans  le  but  de  ruiner  l'autorité  du  roi  par  une  révolte,  et  de 
faire  passer  la  couronne  de  la  tête  du  Dauphin  sur  celle  du 
fils  que  Henriette  d'Entragues  avait  donné  au  roi.  Le  comte 
d'Auvergne  attaquait  le  roi  à  la  cour  ;  Biron  et  le  duc  de 

t  Lcllres  missives  de  Henri  IV,  da  iS  ittiUet  1601,  t.  V,  p.  6:19,  630. 


COMPLOTS  DE  BIRON.  397 

Bouillon,  sur  les  frontières  à  la  fois  et  dans  les  pays  calvi- 
nistes. Ijeur  complicité  est  établie  par  un  engagement  mutuel 
écrit,  et  daté  de  1602,  dont  on  trouve  le  texte  dans  les  uié- 
moires  de  Sidly  '.  Cotte  révolte  partielle  ne  pouvait  s'étendre, 
prendre  de  la  consistance,  atteindre  les  proportions,  sinon 
d'une  guerre  civile,  au  moins  d*une  insurrection  dangereusi*, 
si  les  conjurés  n'attiraient  à  eux  une  partie  des  populations 
et  quelques  unes  des  classes  de  citoyens,  en  exploitant  ha- 
bilement la  souffrance  des  tms,  la  croyance  acx!ordée  par  les 
autres  aux  calomnies  dirigées  contre  le  gouvernement.  Mais 
la  vigilance  et  Tactivité  du  roi  ne  permirent  pas  que  cette  in- 
telligence s'établit  entre  le  mécontentement  et  la  conspira- 
tion :  les  sages  mesures  qu'il  adopta  laissèrent  la  conspira- 
tion seule  et  isolée  lutter  contre  la  puissance  royale. 

L'impôt  du  sou  pour  livre  sur  toute  chose  vénale,  nommé 
pancarte  dans  le  langage  populaire,  avait  été  établi  par  les 
notables  de  Rouen  en  1597.  Il  était  donc  parfaitement  légal, 
de  plus  II  était  très  nécessaire,  car  il  formait  une  notable 
partie  di's  revenus  publics  et  des  ressources  du  gouverne- 
ment,  ^lais  cet  impôt  nouveau,  vexatoire  h  quelques  égards, 
insupportable  aux  populations  du  midi  de  la  France,  avait 
excité  une  sédition  à  IJmoges,  et  une  grande  fermcjitation 
en  i^kitou  et  en  (Uiyenne,  au  commencement  de  l'année  160*2. 
Biron,  Bouillon  et  leurs  agents  travaillèrent  à  envenimer  ces 
dispositions.  Ils  publièrent  que  Henri  voulait  liawiser  les 
imp<>ts ,  priver  de  leurs  privilèges  la  noblesse,  le  clergé,  la 
magistrature,  élever  partout  des  citadelles,  et  gouverner 
despotiquement  Le  roi  se  rendit  ù  IH>itiers  (*i5  mai).  Il  en- 
voya des  commissaires  à  Limoges  pour  punir  les  auteurs  de 
l'émotion  populaire  et  destituer  les  consuls  en  charge.  Il 
re<;ut  lui-même  les  députations  de  la  Guyenne,  et  calma  les 
esprits  en  démontrant  la  fausseté  des  imputations  dirigées 
contre  lui.  Quand  les  séditieux  eurent  fait  leur  soumission, 
il  rétablit  momentanément  la  pancarte,  pour  que  force  de- 
meurât à  la  loi.  Mais  quelque  temps  après,  ayant  reconnu, 
sur  les  remontrances  respectueuses  qui  lui  furent  adressées, 
combien  cet  impôt  cliargeait  son  peuple,  il  l'abolit  le  10  no- 
vembre 1G02,  et  le  remplaça  par  une  augmentation  légère 
de  la  crue  extraordinaire  des  tailles  et  du  droit  d'entrée  sur 


Conoience» 

mant 

d«  «MiUon  dans 

les  piiyt 
i]*outr«*  Loire. 


*  SuUt,  OF.ron.  royalrt,  C.  144, 1.  I,  p.  tiffl  B.  rolled.lCi^hrfUiJ. 


398  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI    IV. 

les  marchandises  dans  un  certain  nombre  de  villes  :  il  sup- 
prima ainsi  la  première  cause  du  mécontentement  et  Tappai 
que  fiiron  aurait  pu  trouver  dans  les  masses  K 
Suii0  Henri  fut  averti  en  général  par  son  ambassadeur  à  Ve- 

**"  ^'iîilîSl?'  ***  ^^*  Dufresne  Ganaye,  que  Ton  travaillait  contre  lui  chez 
Tétranger  et  en  France.  Lafm,  longtemps  employé  par  Biron, 
qui  maintenant  demandait  au  duc  de  Savoie  de  le  débar- 
rasser de  ce  complice,  Lafm  fournit  au  roi  des  détails  précis 
et  écrits  sur  le  complot  de  Biron.  I^e  maréchal ,  appelé  à 
Fontainebleau,  pouvait  échapper  au  châtiment  par  la  fran- 
chise de  son  repentir  et  de  ses  aveux,  u  S'ils  pleurent, 
»  disait  le  roi,  je  pleurerai  avec  eux  :  ils  me  trouveront 
»  aussi  plein  de  clémence  qu'ils  sont  vuides  de  bonnes  af- 
»  fections.  Je  ne  voudrois  pas  que  le  maréclial  de  Biron 
i>  fût  le  premier  exemple  de  la  sévérité  de  ma  justice.  » 
Mais  dans  les  entretiens  particuliers  qu'il  eut  avec  le  maré- 
clial, au  lieu  du  repentir  et  des  épanchements  de  Tamitié 
qu'il  provoquait,  il  ne  trouva  qu'une  dissimulation  profonde, 
une  hauteur  inflexible,  et  des  propos  outrageants.  Il  ne  se 
rebuta  pas  encore  :  il  le  6t  presser  une  dernière  fois  par 
Rosny  de  mériter  sa  grâce  en  ouvrant  son  cœur  avec  sin- 
cérité, et  en  recourant  à  une  soumission  qui  désarme  la 
justice  sans  s'avilir.  Henri  échoua  dans  cette  tentative 
comme  dans  les  précédentes.  Persuadé  alors  que  s'il  lui 
pardonnait,  Biron  ne  pardonnerait  ni  à  lui,  ni  à  ses  enfants, 
ni  à  l'État  ;  convaincu  qu'il  avait  affah-e  à  un  conspirateur 
incorrigible,  prêt  à  recommencer  sans  cesse  les  complots 
ourdis  depuis  trois  ans,  il  le  livra  à  la  justice  régulière 
du  parlement.  Cette  cour  le  convainquit  par  le  témoi- 
gnage de  ses  deux  complices,  Lafm  et  Renazé,  qu'il  avait 
d'abord  reconnus  pour  irréprochables  ;  et  par  le  contenu  de 
lettres  et  instructions  écrites  de  sa  main.  Quand  il  vit  ses  in- 
trigues découvertes,  il  prétendit  que  le  pardon  de  Lyon  ne 
laissait  aucune  prise  à  la  rigueur  de  la  justice,  et  aucune  ap- 
plication contre  lui  aux  peines  portées  par  les  lois.  On  pro- 
duisit alors  une  autre  de  ses  lettres  dans  laquelle  il  disait  : 
n  qu'il  ne  voulait  plus  se  mêler  d'intrigues  ;  que  la  naissance 

•  Lettres  miuivet  Jet  15  aTril,  17  et  95  mai  1602,  t.  V.  p.  571.  590- 
889.  —  Sully,  OEcon.  royales,  G.  iOO,  1. 1,  p.  365,  806.--  P.  Gayet.  Chron  , 
septénaire.  I.  V,  p.  fSl,  iS3.  —  Ancieoaet  lois  franc,  t.  XV,  p.  é76-3T8  . 


COMPLOTS  DE  BIRON.  399 

»  du  Dauphin  avait  dissipé  ses  ombrages  et  ses  variétés.  »  Or 
le  Dauphin  n'éuit  né  qu'au  mois  de  septembre  1601  ;  et  le 
pardon  de  Lyon  datait  du  mois  de  janvier  de  la  même  année. 
D'où  il  résultait,  qu'après  le  pardon  obtenu,  Biron  avait 
continué,  au  moins  pendant  neuf  mob,  les  relations  les  plus 
coupables  avec  les  ennemis  de  la  France  :  le  pardon  ne  pou- 
vait en  aucune  manière  s'étendre  à  ces  dernières  intrigues  et 
les  couvrir.  Le  parlement,  à  l'unanimité  de  cent  vingt-sept 
juges  qui  siégeaient,  le  déclara  coupable  «  de  conspirations 
»  faites  contre  la  personne  du  roi,  entreprises  sur  son  état, 
»  proditions,  et  traités  faits  avec  les  ennemis  de  l'État  »  Il 
fut  condamné  à  avoir  la  tète  tranchée  en  place  de  Grève  : 
la  famille,  craignant  de  voir  entacher  son  honneur  par  la  pu- 
blicité du  cliâtiment,  demanda  et  obtint  que  l'exécution  eût 
lieu  h  la  Bastille  (31  juillet  1602).  Biron,  grand  dans  sa  vie, 
noble  dans  sa  défense,  l'im  des  morceaux  les  plus  éloquents 
de  notre  langue,  affaiblit  l'intérêt  et  la  pitié  qu'on  lui  aurait 
conservés  au  milieu  de  ses  torts  politiques,  en  se  dégradant  à 
ses  derniers  moments  par  des  violences  et  des  fureurs,  trop 
dignes  d'un  homme  du  peuple  qui  redoute  la  mort  '. 

Gomme  il  n'est  pas  de  caractère  si  noble  qu'on  ne  puisse 
attaquer,  comme  il  n'est  pas  de  vérité  si  évidente  sur  laquelle 
on  ne  parvienne  à  répandre  des  doutes,  quelques  écrivains 
ont  prétendu  que,  dans  toute  cette  affaire,  Henri  iV  s'était 
montré  petit,  dissimulé,  ingrat,  sévère  jusqu'à  la  cruauté  ; 
que  Biron,  s'il  n'était  innocent,  était  du  moins  innocenté  ;  que 
le  parlement  trop  complaisant,  pour  ne  pas  dire  servile,  avait 
prononcé  un  supplice,  là  où  il  n'y  avait  à  décerner  qu'une 
peine  correctionnelle.  Nous  avons  extrait  des  originaux  une 
si^rie  de  faits  inattaquables  qui  réfutent  une  à  une  ces  asser- 
tions. Au  témoignage  résultant  de  ces  faits  vient  s'en  joindre 
un  autre,  celui-là  irrécusable,  à  la  complète  décliarge  du  roi 
et  du  parlement  La  force,  beau-frère  de  Biron,  qui,  pour  la 

*  Poar  les  complots  et  la  condamnation  de  Biron,  Toir  lettres  missives 
de  Henri  IV.  des  15  et «3  mai  ;  5,  14,  15.  It,  iS,  f7  et  »  loin  -,  t,  IS.  SI, 
fl,  i6«  tS  et  r>l  iuillcl;  9,  7,  11  et  «S  août,  t.  V,  p.  MKS.  508,  N99,  GÛ3, 
GUI,  611-650,  660  et  661. ->  Le  rvcit  contemporain  InUtulé:  Histoire  de  ta 
▼ie.  conspiration  et  mort  du  roareschalde  Biron,  dans  les  Archifetcuruust*^ 
I.  XIV,  p.  99-151;  surtout  les  pages  137-130  ou  Penttère  culpabilité  de 
Biron  estcUblie.— Voir  de  plus  le  supplément  daLestoile  contenant  des  dé- 
tails très  curieux,  p.SSSÙ?.  — -Thuanus,!.  liS.  —  Sully,  OEcon.^ya les* 
c.tt.  p.  tti;  c.  lOi,  p.  saO-361;  c.  10S,  p.  367-369;  c.  109.  p.  903-400. 
—  P.  llaynt,  Chr.  teptenaire,  1.  Y,  p.  Itt-iOS,  i06,  B.   collecl.  Michand. 


/iOO  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

défense  du  coupable,  mil  en  œuvre  toul  ce  que  le  sang  etlV 
mitié  pouvaient  suggérer,  écrit  à  sa  femme  dans  l'intimité  : 
«  Je  ne  puis  vous  taire  que  j'ai  vu  les  choses  les  plus  étranges 
»  des  malheureux  desseins  de  M.  de  Biron  qui  se  puissent 
»  dire,  et  que  c'est  un  vrai  jugement  de  Dieu  que  ce  que  nous 
»  voyons  à  présent.  Son  insatiable  ambition  Tavait  porté  à 
»  de  si  horribles  projets  que  le  discours  en  est  monstrueux  >.  » 
Sous  le  rapport  politique,  le  supplice  de  Biron  eut  de  graves 
conséquences.  Depuis  le  règne  de  Henri  If,  il  y  avait  eu  im- 
punité pour  les  grands  à  se  révolter,  à  allumer  la  guerre  ci- 
vile, à  traiter  avec  Tétranger.  En  dernier  lieu,  les  chefs  do 
la  Ligue  avaient  tous  tarifé  leur  obéissance  à  une  certaine 
quantité  d'argent,  ù  certaines  charges,  et  avaient  reçu  le  prix 
qu'ils  avaient  voulu  y  mettre.  Le  supplice  de  Biron  produisit 
les  mômes  résultats  que  le  supplice  de  Saint-1H)1  et  des  d'Ar- 
magnac au  temps  de  Louis  XI.  Il  apprit  à  la  noblesse  qu'il  y 
allait  de  la  tête  à  conjurer  contre  le  pays  et  contre  le  prnice  : 
en  frappant  les  grands  de  terreur,  il  rétablit  l'ordre  public 
cl  donna  à  la  royauté  une  force  qu'elle  n'avait  plus  depuis 
un  demi-siècle.  Dans  les  complots  qui  suivirent  la  mort  de 
Biron ,  on  ne  trouve  que  des  imprudences  de  jeune  homme 
sans  portée ,  des  engagements  douteux,  timides,  suliordonnés 
à  la  mort  préalable  du  roi.  Celle  dernière  circonslanco.  csl  une 
preuve  éclatante  de  l'afTaiblissemenl  de  l'aristocratie  ;  elle  ne 
pouvait  et  n'osait  s'en  prendre  désormais  à  une  royauté  virile, 
et  ne  projetait  de  lutte  que  contre  une  royauté  de  femmes  et 
d'enfants,  au  milieu  de  droits  contestés  et  des  troubles  d'une 

minorité. 
Compiotdufiac       Le  princc  de  Joinville,  fils  du  duc  de  Guise ,  contrarié 
de  Joinv^H«.     ^^^  j^  ^^j  ^  ^^^^^^  jj  ^{3^  \ç,  ^ival ,  dans  sa  passion  pour  la 

marquise  de  Verneuil ,  traduisit  son  dépit  amoureux  en  In- 
trigue politique,  et  signa  avec  l'Espagne  et  la  Savoie  un  traité 
qui  ne  présentait  qu'un  assemblage  confus  de  projets  inco- 
hérents. Le  roi  comprit  que  l'éloignement  était  une  punition 
et  ime  précaution  suflisantes  contre  ce  très  jeune  ennemi,  et 
lui  ordonna  de  voyager  dans  les  états  voisins  ^, 

i  L«Ure  d«  Laforce  à  so  femme,  du  4  |uillet,  t.  I.  p.  330.  dans  tu  cor- 
recpondnoce  pabliée  à  lu  saile  de  «et  mémoires  par  M.  le  murquit  de 
Luerauge,  in-8*,  1B43. 

*  Sully.  OEcon.  royales,  c.  1 10,  p.  404  B.  —  P.  Cayel,  CUroo.  seplcuuire, 
1.  V,  p.  'JffI  B,  «08,  collect.  Micbaud. 


CONSPIRATION  D'ENTRAGDES.  .         AOi 

La  promesse  de  mariage  faite  par  Henri  IV  à  Henriette  d'En-     G>as|»tr«timi 
tragues,  détenue  depuis  marquise  de  Vemeuil,  était  double-     ^*E"*'*«*«' 
ment  nulle,  en  droit  civil  comme  en  droit  politique,  ainsi  que 
nous  Tavons  établi.  Mais  aux  yeux  d'un  public  ignorant,  cette 
promesse  constituait  un  semblant  d'engagement,  et  Taudacc 
des  factions  intérieures,  appuyée  au  dehors  par  l'étranger, 
pouvait  donner  à  ce  dangereux  écrit  une  valeur  qu'il  n'avait 
pas  légalement.  Marie  de  Médicis  craignait  que  si  Henri  ve- 
nait à  être  enlevé  par  une  mort  prématurée,  au  milieu  des 
troubles  et  de  la  faiblesse  d'une  minorité,  la  marquise  ne  fit 
valoir  la  promesse  en  faveur  de  la  maltresse  contre  l'épouse, 
en  faveur  des  enfants  naturels  contre  les  enfants  légitimes. 
Pour  calmer  les  inqitiétudes  et  la  jalousie  de  Marie,  qui  em- 
poisonnaient sa  vie  intérieure,  Henri  exigea  et  obtint  de  la 
famille  d'Entragues  la  restitution  de  sa  promesse  le  2  juillet 
1604.  Le  comte  d'Entragues,  père  d'Henriette,  son  fr(;re 
utérin  le  comte  d'Auvergne,  et  la  marquise  elle-même  for- 
mèrent alors  une  conspiration.  lieur  projet  était  de  se  retirer 
d'abord  sur  les  terres  du  roi  d'Espagne  et  de  lui  livrer  les 
enfants  que  la  marquise  avait  eus  de  Henri  ;  de  faire  assas- 
siner le  roi,  et  de  proclamer  pour  son  successeur  le  fils  qu'il 
avait  eu  de  la  marquise  à  l'exclusion  des  enfants  de  Marie  de 
Médicis  ;  d'appuyer  cette  audacieuse  tentative  de  l'appui  de 
Fuentes  et  du  duc  de  Savoie  du  cOté  de  l'Italie  et  de  la  Bour- 
gogne y  de  Spinola  du  c6té  des  Pa>s-Bas ,  du  duc  de  Bouillon 
du  côté  de  l'Allemagne  ;  et  dans  l'Intérieur  de  d'Ëpemon  à 
Metz,  de   Montmorency  en  Languedoc,  de  Bellegarde  en 
(iuienne,  de  d'Humières  en  Dauphiné  et  de  Montigny  en 
I\>itou.  lies  conjurés  espéraient  que  le  comte  d'Auvergne, 
étant  fils  naturel  de  Charles  IX  et  le  dernier  rejeton  subsis- 
tant de  la  branche  de  Valois,  exercerait  une  puissante  in- 
fluence sur  tous  ceux  qui  avaient  vu  avec  répugnance  Henri  IV 
et  les  Bourbons  arriver  an  trône.  Tels  étaient  les  projets  et 
les  espérances  des  d'Entragues  ;  mais  quant  à  l'appui  réel 
qu'ils  pouvaient  attendre  des  seigneurs,  il  est  demeuré  com- 
plètement problématique.  Selon  toute  apparence,  il  n'y  eut 
de  la  part  des  grands  aucun  engagement  formel,  mais  seule- 
ment des  plaintes,  du  mécontentement,  des  paroles  vagues, 
données  à  la  légère  et  accueillies  par  les  conjurés  avec  une 
souveraine  imprudence. 

26 


It02  HISTOIRE   DU  RÈGNB  DE  HENRI  IV. 

Les  d'Entragues  essayèrent  deux  fois  de  tuer  le  roi  en  em- 
buscade, et  deux  fois  ils  échouèrent  lia  présence  dVsprit  et  la 
vigueur  de  Henri  dans  une  circonstance,  les  avis  de  la  seconde 
fille  du  comle  d'Entragues  dans  une  autre ,  le  tirèrent  des 
périlleuses  situations  où  11  se  jetait  encore  en  jeune  homme, 
parvenu  à  sa  cinquantième  année. 

Le  comte  d'Auvergne  fut  pris  par  adresse ,  en  Auvergne , 
et  conduit  à  la  Bastille ,  le  comte  d'Hntragues  et  la  marquise 
de  Yerneuil,  arrêtés  et  gardés.  Parmi  les  papiers  saisis  du 
comte  d'Entragues,  on  trouva  trois  lettres  du  roi  d'Espagne 
et  rengagement  pris  par  ce  prince  envers  la  marquise ,  de 
faire  reconnaître  son  lils  pour  dauphin  de  France.  Ces  com- 
plots étaient  sans  doute  d'une  nature  dangereuse  ;  mais  quand 
on  examine  les  moyens  d'exécution ,  on  voit  combien  l'au- 
torité royale  et  les  garanties  données  au  maintien  de  l'ordre 
public  avaient  fait  de  progrès ,  surtout  depuis  le  supplice  de 
Biron.  Les  seigneurs,  du  temps  des  guerres  de  religion  et  du 
temps  de  la  Ligue,  levaient  des  soldats  sur  leurs  terres  ou 
dans  leurs  gouvernements  et  marchaient  contre  le  roi.  Le 
comte  d'Auvergne,  au  Ueu  de  l'attaquer ,  se  cache  dans  des 
retraites  longtemps  inaccessibles,  et  attend  des  hasards  d'un 
crime  qui  eût  ôté  la  vie  au  roi ,  les  seules  chances  de  succès 
que  ses  complots  puissent  avoir.  Les  coupables  furent  jugés 
et  condamnés  :  le  comte  d'Auvergne  et  le  comte  d'Entragues 
à  la  peine  capitale  ;  la  marquise  à  une  réclusion  perpétuelle 
(!*'  février  1605).  Le  roi  remit  leur  peine  à  d'Entragues  et 
à  sa  fille  ;  mais  il  tint  enfermé  à  la  Bastille  le  comte  d'Au- 
vergne, l'un  des  deux  esprits  de  ce  temps  les  plus  féconds  en 
redoutables  intrigues  ^ 
Intriguas  de  Au  fur  et  à  mesure  que  l'on  avance  dans  le  règne  de 
Bouillon.       Henri  IV,  l'on  trouve  la  rébellion  prenant  des  formes  plus 

MouvemenU  '  ,    .  ......  . 

ddosiei provins  affaiblies,  et  se  réduisant  au\  proportions  de  lintrigticchez 
Aw>m*i.iîe*d*  '^  grauds  seigneurs,  chez  ceux  qui  pourraient  servir  de 
ckiMiriierauiu    chcfs  aux  partis.  Biron  avait  commis  des  actes  de  haute 

*  Pour  la  conspiration  d'Entragucf,  roir  dans  le  Supplément  de  Lestoile 
le  lexle  de  la  proroeMe  et  de  lu  reroÎM  de  celle  proraetsf«  p.  308,  «MKI, 
notes.  Détails  sur  le  procès,  p.  .%S0-3S3.  L'écrit  du  temps  :  Discourt  d'une 
tr«hi<«on  attenlée  contre  le  rui  Henri  IV,  dans  les  Ârchiv,  Cur.^  t.  I4« 
p.  167-174.  —  Leltret  de  Henri,  du  H  juin  1604;  de  YiUeroy,  du 
3  juillet;  trois  lettres  de  Henri  IV  et  de  Rosny,  dans  le&OEcon.  roy.,  c.  140, 
141,  144,  L  1,  p.  S73,  577,  899-603;  et  r.  150,  t.  2.  p.  18.  —  Thuanus, 
I.  cxxxii.  —  P.  Cajet,  Chron»  septen.^  l.  vii,  p.  517,  318. 


INTRIGUES  DE  BOUILLON.  &08 

trahison  dans  la  guerre  de  Savoie,  et  conclu  des  traites  avec 
IVtranger  :  le  comte  d^Auvergne  et  d*Entragues  avalent  seu- 
lement contracté  des  engagements  avec  TEspagne.  Bouillon 
n'ose  plus  rien  de  tout  cela,  n  et  retranche  sur  son  propre 
n  passe!.  Il  En  1G02,  il  avait  signé  un  pacte  de  défense  mu- 
tuelle avec  Biron  et  d'Auvergne  > ,  et  il  s'était  rendu  dans 
le  midi  de  la  France ,  pour  payer  de  sa  personne  et  aider  k 
l'insurrection.  A  présent  il  trouve  toutes  ces  démarches  trop 
audacieuses,  trop  compromettantes.  Les  lettres  et  les  instruc- 
tions par  lesquelles  il  excite  les  troubles  ne  sont  ni  écrites  par 
lui,  ni  signées  de  lui.  11  se  tient  à  l'écart  :  dès  que  l'entreprise 
de  Biron  a  mal  tourné,  il  s'est  sauvé  dans  les  villes  du 
Quercy  et  du  Languedoc,  tenues  par  les  protestants,  Montau- 
ban,  Figeac,  Castres  :  de  là  il  est  passé  à  Genève,  puis  à  llei> 
delberg,  d'où  il  est  revenu  dans  sa  principauté  de  Sedan.  De 
cette  forteresse,  il  reste  en. observation,  il  épie,  il  guette.  Il 
attend  que  de  simples  gentilshommes  se  jetant  dans  les  aven- 
tures, ou  que  des  populations,  égarées  et  mécontentes,  aient 
fait  la  préalable  et  périlleuse  besogne  d'ime  révolte,  et  d'une 
révolte  solide  :  quand  il  comptera  une  armée  de  soldats  pour 
défenseurs,  et  que  la  moitié  de  la  France  lui  servira  de  bou- 
clier, alors,  mais  seulement  alors,  il  se  mêlera  aux  troubles 
pour  en  recueillir  le  fruit 

IV^  le  commencement  de  l'année  1605,  deux  mouvements 
inquiétants  agitèrent  les  provinces  du  Midi.  D'une  part  des 
gentilshommes,  parents  ou  amis  du  duc  de  biron ,  prétendi- 
rent venger  sa  mort  en  s'appuyant  siu*  les  Espagnols ,  et  en 
s'aîdant  des  mécontentements  du  peuple,  qui  trouvait  les 
impôts  excessifs,  quoiqu'ils  eussent  été  diminués,  parce 
qu'il  les  supportait  au  milieu  de  la  misère  engendrée  par  les 
guerres  civiles.  Ces  trames  partant  du  Limousin  et  du  IVri- 
gord,  s'étendaient  au  bas  Languedoc  et  à  la  I^rovence.  Vn 
certain  Meyrargues  devait  livrer  aux  Espagnols  Marseille  et 
Toulon  en  l*rovence  ;  et  les  deux  Lucquissos  INarbonnc  et 
Béziers  en  Languedoc  '. 

'  Sullj,  OEcoa.  royal.,  c.  144, 1.  I,  p.  ft9T  t. 

'  Lettre  de  Rosuy  au  roi,  da  14  iuUlet  1605,  dan*  letOEcon.  roy.,  c.  I5!f, 
1. 1,  P.  4<i  B  r  «  Le  prétexte  doit  e«(re  \m  vengeance  de  la  morl  du  feu  duc 
•  de  Birott,  et  restinctioa  dei  excetsift  impotts  que  Too  lève  sur  le  |iettplp.  i 
RiMoy  est  Informe  «eulemenl  &  celte  date  de  ce  qoi  a  été  complota  prrf* 
cedeaunent.  Lettre  de  Villeroy  d«  16  îailUt,  c.  154,  l>  aeciion,  lomt  t, 
p.  SSA. 


UOti  HISTOIRE  DU  RÈGNE   DE  HEIIRI   IV. 

D*un autre  côté,  les  calvinistes,  voyant  arriver  le  terme  pour 
lequel  des  places  de  sâreté  leur  avaient  été  accordées  par  Tédit 
de  Nantes,  s'inquiétèrent  d'abord.  Bientôt  ils  furent  travaillés, 
excités  par  les  émissaires  de  Bouillon  dans  les  synodes  qu'ils 
tinrent  au  commencement  de  cette  année,  et  qui  servaient  de 
préliminaires  à  l'assemblée  générale  de  Ghâtelleraidt  où  leurs 
députés  devaient  se  réunir  au  mois  de  juillet.  Ils  conçurent 
alors  les  plus  vives  appréhensions  ;  ils  craignirent  de  voir  le 
roi  leur  retirer  leurs  places  de  sûreté ,  leur  retrancher  les 
fonds  destinés  à  payer  leurs  ministres  ,  et  les  traiter  ensuite 
avec  la  rigueur  du  plus  intolérant  catholique.  Ces  calomnies 
répandues  à  la  Rochelle,  en  Poitou,  Limousin,  Périgord, 
Quercy,  et  jusqu'en  Dauphiné ,  jetèrent  les  peuples  dans  des 
pensées  de  révolte,  et  nombre  de  gentilshommes  dans  le  projet 
de  s'emparer  des  villes  de  Domme ,  de  Sarlat ,  de  Gahors ,  de 
Villeneuve  d'Agenois.  Il  fut  agité  dans  les  réunions  des 
mécontents  de  reconstituer  l'ancienne  union  des  calvinistes, 
leur  ancien  corps  indépendant  du  reste  de  la  monarchie  :  ce 
corps  aurait  eu  tme  tète,  qui  eOt  été  le  duc  de  Bouillon  :  le  pro- 
tectorat se  serait  trouvé  de  la  sorte  reconstitué  à  son  profit. 
Lesdiguières ,  tout-puissant  en  Dauphiné ,  fut  vivement  solli- 
cité de  prêter  son  concoiu^  et  son  appui  à  ces  projets ,  et  il 
délibéra  au  moins  sur  le  parti  qu'il  avait  à  prendre,  s'il  ne  fit 
pas  plus  '• 

Henri  arrêta  ces  principes  de  soulèvement  avec  prompti- 
tude et  avec  une  prudence  consommée.  11  coupa  court  aux  me- 
naces des  Espagnols  contre  les  villes  de  Languedoc,  en  faisant 
arrêter  les  frères  Lucquisses  et  leurs  complices  par  le  cheva- 


'  Lettres  du  roi  à  Rotnj,  des  ôO  mars  cl  7  avril  16ÛS,  OEcon.  roy.,  c.  153, 
t.  S,  p.  41.  «  J'ai  eu  nonrelles  du  premier  président  de  Toulouse  et  d*au- 
m  ires  de  Guyenne,  par  lesquelles  on  me  mande  que  ceux  de  la  religion  de 
»  Guyenne  et  de  Languedoc  y  font  rage,  et  ont  en  leurs  assemblées  tenu 
M  des  langages  qae  je  Yons  diray.  »  —  Copie  d'une  lettre  de  Bouillon  au 
sieur  de  Saint  Germain,  qu'il  a  ea  la  précaution  de  faire  écrire  par  un 
secrétaire  et  de  ne  pas  signer,  mais  que  ses  partisans  savent  être  de  fui  :  la 
date  est  du  30  mai.  «  Il  faut  disposer  les  provinces  ;  il  faut  IraTailler  en 
n  Poictou  et  à  la  Rochelle,  et  fermement  :  tous  en  sçarei  mieux  que  raoy 
M  les  moyens...  Se  conlionera  le  bastimenl  de  l'union  duquel  les  fonde- 
t  menis  sont  bien  adTances,  et  n*en  doutes.  »  (OEcon.  roy.,  c.  154,  9*  sec- 
tion, l  S,  p.  54  R,  55  A.)  —  Voir  en  outre  les  lettres  de  Villeroy,  du 
95  juillet;  de  Rosny,  fin  juillet;  de  Villeroy,  du  .%  août,  dans  les  OËcoo. 
roy.,  p.  55  B,  56  A  et  B,  à  la  Gn;  60  A,  61  B;  et  les  discours  de  Rosny, 
c.  15i,  p.  50  A,  B,  et  c.  155,  p.  71  B.  Voir  enfin  Thuanus,  1.  cxxxtv,  t.  14, 
p.  45 i,  45!»  de  la  traduction. 


INTRIGUES  DE  BOUILLON.  A05 

lier  de  Montmorency,  au  milieu  du  mois  de  juillet  1605  K  11  eut 
soin  de  sé]>arcr  la  masse  des  huguenots  de  leurs  chefs  et  des 
meneurs.  Il  envoya  Rosny  présider  TAssemhlée  générale  des 
calvinistes,  qui  s'ouvrit  à  ChAtellerault,  à  la  fin  de  juillet  II 
calma  les  craintes,  et  convertit  les  pensées  de  révolte  en  dis- 
positions reconnaissantes,  en  accordant,  le  U  août,  des  brevets 
par  lesquels  les  calvinistes  obtenaient  pour  quatre  ans  la 
prolongation  de  la  garde  de  leurs  places  de  sûreté,  et  les  fonds 
nécessaires  pour  Tentretien  de  leurs  ministres.  La  moitié  du 
personnel  de  la  révolte ,  tous  les  desseins  de  séparation  du 
corps  de  la  monarchie ,  de  protectorat  déféré  à  Bouillon ,  se 
trouvaient  ainsi  dissipés.  Quand  le  roi  en  eut  fini  ainsi  avec 
les  églises  protestantes ,  il  se  tourna  contre  Bouillon  et  ses 
agents  maintenant  délaissés,  et  contre  les  conjurés  qui  pour- 
suivaient la  vengeance  du  supplice  de  Biron.  U  partit  de 
Taris,  le  15  septembre,  et  se  rendit  dans  les  provinces  du 
Midi  accompagné  de  sept  mille  hommes.  Tout  se  soumit  à 
son  approche.  Avant  quMl  fût  arrivé  à  Orléans,  deux  gentils- 
hommes vinrent  lui  demander  grâce  au  nom  de  cent  cin- 
quante nobles  du  Quercy  qui  avaient  trempé  dans  les  projets 
de  Bouillon  (22  septembre).  Quant  à  Bouillon  lui-même,  Tun 
des  ministres  du  roi  en  avait  dit  naguère  :  •  Nous  ne  croyons 
»  pas  que  celui  que  Ton  dit  estre  le  chef  principal  de  ces  me- 
»  nées,  abandonne  le  lieu  où  il  est,  pour  venir  en  Limousin 
»  hasarder  sa  fortune  avec  ceux  qui  offrent  de  le  servir  et 
»  assister.  »  Bouillon  se  chargea  de  vérifier  cette  prédiction 
et  de  la  dépasser  de  beaucoup.  Non  seulement  il  se  tint  en- 
fermé à  Sedan ,  pendant  que  ceux  qu'il  avait  entraînés  dans 
ses  menées  restaient  exposés  aux  vengeances  de  Henri,  mais 
il  ordonna  même  à  ses  capitaines  d'ouvrir  aux  officiers  du 
roi  les  portes  des  villes  qui  lui  a|^rtenaient  en  propre  :  Tu- 
renne,  Montfort,  Sinceray  (20,  30  septembre).  Ces  faits  pei- 
gnent parfaitement  rattitude  des  grands  à  Tégard  de  la 
royauté ,  depuis  le  supplice  de  Biron.  Henri ,  en  s'avançant 
jusqu'à  Limoges ,  ne  trouva  sur  sa  route  qu'obéissance  ou 
repentir,  et  il  n'eut  plus  qu'à  laisser  le  cours  à  la  justice  pour 
détruire  les  dernières  traces  de  rébellion.  Une  chambre  des 
grands-jours ,  établie  à  Limoges,  condamna  au  dernier  sup- 

*  Lettre  (le  YlUeroj  à  Rosar,  du  15  iaillaC,  daot  les  OEcoo.  roy.,  c.  154, 
I.  fl,  p.  ((6  B.  Lé  Cftil  alors  accompli  rcmoaU  à  plMiaon  io«ra  •Tant. 


Expédilion 

contre  Sedan, 

pl«in«  soumia- 

sion  de 

Bouillon. 


606  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

plice  treize  gentilshommes  coupables  soit  d'intelligences  avec 
Bouillon  et  d'attaques  résolues  contre  les  villes  royales,  soit 
de  complot  tendant  à  venger  Biron.  Six  furent  décapités  :  les 
autres ,  qui  avaient  cherché  un  refuge  en  Espagne ,  furent 
condamnés  par  contumace  (16  décembre).  Peu  de  jours 
après,  le  parlement  de  Toulouse  déclara  les  frères  Lucquisses 
et  deux  capitaines  leurs  complices  coupables  de  complot  ten- 
dant à  livrer  Béziers  et  Narbonne  aux  Espagnols,  et  les  punit 
du  supplice  des  traîtres.  Enfin,  Meyrargues,  gentilhomme  pro- 
vençal, proche  parent  des  comtes  de  Sault,  député  à  Paris  par 
les  Etats  de  son  pays  pour  soutenir  leurs  intérêts  au  sujet  des 
impôts ,  après  avoir  eu  plusieurs  entrevues  avec  l'ambas- 
sadeur d'Espagne  Zuniga,  dans  le  but  de  livrer  Marseille  au 
roi  d'Espagne ,  fut  surpris  au  milieu  d'une  conférence  qu'il 
avait  avec  Bruneau,  secrétaire  de  cet  ambassadeur,  fut  con- 
damné par  le  parlement  de  Paris,  et  eut  la  tête  tranchée  en 
place  de  Grève,  le  19  décembre  K 

Le  complet  avortement  des  projets  de  Bouillon  et  des 
Espagnols,  le  supplice  de  leurs  suppôts  lâchement  aban- 
donnés par  eux,  étaient  déjà  une  grave  leçon  pour  le  public 
Toutefois ,  il  était  nécessaire  de  recourir  à  quelque  chose  de 
plus  décisif  pour  déraciner  les  pensées  de  complots  et  de  ré- 
volte :  il  fallait  convaincre  Bouillon  d'une  impuissance  absolue 
et  le  réduire  aux  actes  de  la  plus  complète  obéissance,  dans 
sa  principauté  même  de  Bouillon ,  dans  celte  ville  de  Sedan 
que  l'on  donnait  pour  imprenable ,  et  qui  pouvait  être  se- 
courue par  tous  les  princes  protestants  d'Allemagne  inté- 
ressés à  soutenir  leur  co-religionnaire.  L^ordre  public  n'était 
pas  seul  intéressé  à  cette  entreprise  :  la  France  y  gagnait 
d'assurer  l'un  des  points  principaux  de  la  frontière  de  Gliani- 
pagne.  Au  mois  de  février  1606 ,  le  roi  ordonna  à  Rosny, 
qu'il  venait  de  créer  duc  de  Sully  et  pair  du  royaume ,  de 
préparer,  comme  grand-maltre  de  l'artillerie,  le  matériel 
nécessaire  pour  faire  le  siège  de  Sedan  et  pour  réduire  cette 


(  Lettre  de  VUleroy  à  Roiny,  du  13  JoiUet.  —  Lettres  du  roi  à  Ruiny, 
dos  4  et  19  «o&t,  des  tO,  tt,  aO  «epterabre  1006.  >-  Texte  des  brerels  de 
prolongation  des  places  de  tûrrlë  à  ceux  de  la  religion.—  Lettre  de  Bouillon 
an  roi,  du  90  septembre.  —  Récit  do  ers  érënenients  par  Rosny,  dans  les 
OEcon.  roy.,  c.  i54.  «55,  t.  «,  p.  53  A,  «5  A,  67,  73,  75  A,  à  la  Sn,  7S.  - 
Thuanus,  1.  cxuuv,  I.  M,  p.  435-443  de  U  traduci.  —  Bist.  gënéralo  dm 
Languedoc,  L  sut,  p*  401* 


£XPiDITIOIf  CONTRE  séOAII.  407 

place.  L'alannc  fut  grande  parmi  les  protestants  de  France  , 
et  leurs  comiiiissaires  essayèrent  de  ménager  on  accommo- 
dement entre  le  duc  et  le  roi.  Mats  Henri  exigea  que  Bouillon 
reçût  dans  St^dan  un  gouverneur  et  une  garnison ,  et  les  né* 
gociations  furent  rompues.  Le  roi  marcha  sur  Sedan  avec 
une  armée  et  cinquante  pièces  de  canon ,  artillerie  formidable 
|K)ur  le  temps  (T6  mars).  Sully  resta  toujours  fidèle  à  sa  reli- 
gion ,  et  y  sacrifia  pour  lui-même  et  pour  son  fils  la  plus 
grande  fortune  qu'un  sujet  pût  faire.  Mais  il  voulait  cou- 
per jusqu'à  la  racine  les  principes  de  rébellion  et  de  guerre 
civile  qui  désolaient  le  royaume  depuis  quarante-<:inq  ans. 
lV>uillou  ayant  osé  attendre  le  roi ,  Sully  prétendait  qu'il  fal- 
lait prendre  Sedan  de  vive  force  et  user  du  droit  de  conquête  : 
il  afiirmait  qu'il  connaissait  les  parties  bibles  de  la  place,  et 
qu'en  moins  d'un  mois  il  la  remettrait  prise  ou  rendue  entre 
les  mains  de  Henri.  L'événement  aurait  justifié  ses  prévi- 
sions, car  lk)uillon  n'avait  réuni  qu'un  nombre  insufiisant  de 
troupes  mal  aguerries,  et  les  princes  protestants  de  l'empire* 
sur  l'armée  desquels  il  comptait ,  n'envoyèrent  pas  un  soldat 
à  son  secours.  Dans  cet  abandon,  il  fut  réduit  à  se  soumettre. 
Après  avoir  reçu  des  lettres  d'abolition ,  il  se  rendit  auprès 
du  roi,  à  Donchery,  et  l'aborda  en  se  mettant  à  genoux,  pos- 
ture non  d'un  suppliant,  mais  d'un  sujet  dans  les  usages 
d'alors  (6  avril).  11  remit  sa  principauté  i  la  discrétion  du 
roi.  Henri  entra  dans  Sedan  où  il  séjourna  trois  jours  :  il 
reçut  la  ville  et  la  citadelle  qui  lui  furent  livrées  :  il  y  établit 
pour  gouverneur  le  calviniste  Nettencourt:  il  tira  de  la  gar- 
nisim  et  des  bourgeois  un  serment  par  lequel  ils  s'engageaient 
à  s4T\ir  la  couronne  envers  et  contre  tous,  même  contre  le 
duc  de  llouillon,  s'il  entrait  dans  des  intérêts  contraires  & 
ceux  du  roi  :  enfin,  Henri  obligea  le  duc  à  se  rendre  à  Paris 
et  à  déposer  les  allures  d'un  prince  indépendant  pour  prendre 
celles  d'un  sujet  *.  Le  roi  pouvait  le  perdre  et  le  dépouiller  ; 
il  lui  conserva  sa  principauté,  et  se  borna  à  exiger  de  lui  les 


'  l.cUm  de  Daplessis,  de  Lanour  ,de  Grtvrr.  dr  Saint^Angrl.  do  roi,  du 
17  ttxTitr  ju  13  ■vril  l6ÛS,dBD«  les  Mem.  el  correip.de  Duplexsu-Morna;, 
t.  X,  p.  ISti-ITI,  et  dans  les  rorre^iMUidantes  à  U  »uitc  des  Mem.  de  Ljc 
fo.ce,  I.  i,p.  44^437.  —  SuUy,  OKcon.  roy.,  c.  f,S8,  à  U  fin,  15»,  ffiO. 
t  II.  de  la  lui^e  133  B  à  la  p«g«  tiS.  Plu»  pour  le  serment  prêté  par  les 
habiUnU  el  U  carniMo,  c.  174.  L  U,  p-  tlO,  ill.  ^  Thoanus,  1.  CIIXYl, 
I    14,  p.  547.5â)  d«  U  tradnctioB. 


A08  HISTOIRE  DU  RÈGNli  DK  HENRI  IV. 

actes  dUine  pleine  obéissance  :  comme  il  le  disait  ingénieuse* 
ment,  il  n'avait  pas  conqois  Sedan,  mais  il  avait  conquis  le 
seigneur  de  cette  ville.  Dans  toute  sa  conduite,  à  Tégard  de 
Bouillon,  il  est  évident  qu'il  fit  sans  cesse  acception  du  parti 
protestant;  qu'il  s'appliqua  à  prévenir  ses  craintes  et  ses 
mécontentements,  tout  en  rétablissant  pleinement  les  préro- 
gatives de  la  puissance  royale.  C'est  par  ces  sages  tempéra- 
ments ,  par  cette  modération  politique ,  par  ce  respect  pour 
les  divei'ses  classes  de  la  nation,  que  l'on  consolide  le  pouvoir, 
et  que  l'on  ferme  l'ère  des  révolutions.  Depuis  le  commence- 
ment de  l'année  1606  jusqu'à  la  mort  de  Henri,  on  ne 
trouve  plus  trace  d'un  seul  complot,  même  d'une  seule 
menée  des  grands  seigneurs. 
Retraite  du  Henri ,  parveuu  à  sa  cinquante-sixième  année ,  eut  la 
'^"°^che«  ^  faiblesse  de  ne  pas  rester  insensible  à  l'incomparable  beauté 
ie«EKp«saois.  jç  mademoiselle  de  Montmorency,  femme  de  seize  ans,  qui 
épousa  le  prince  de  Gondé  le  3  mars  1609.  Gondé  craignit 
pour  son  honneur,  et  fut  poussé  aux  mesures  extrêmes  par 
la  jalousie  de  Marie  de  Médicis  et  par  les  intrigues  des  agents 
espagnols  :  la  première  redoutait  d'être  supplantée  par  cette 
nouvelle  rivale  ;  les  autres  voulaient  donner  à  cet  incident  un 
éclat  et  des  proportions  redoutables  pour  le  roi  et  poiu*  la 
France.  Le  prince  se  sauva  du  .royaume  avec  sa  femme.  Au 
lieu  de  chercher  un  refuge  soit  en  Allemagne ,  soit  en  Italie, 
chez  une  puissance  amie  de  Henri ,  il  se  retira  auprès  de  l'ar- 
chiduc Albert  et  de  l'infante  Glaire  Eugénie ,  qui  gouvernaient 
les  Pays-Bas  sous  l'influence  et  la  dépendance  de  l'Espagne 
(29  août  1609).  Henri  employa  l'adresse  de  ses  ambassadeurs 
et  la  menace  pour  retirer  le  premier  prince  du  sang  des  mains 
de  SCS  constants  ennemis,  et  pour  prévenir  l'abus  qu'ils  pou- 
vaient faire  de  sa  présence  et  de  son  nom.  Il  n'y  parvint  pas. 
Gondé  passa  des  Pays-Bas  dans  le  Milanèz,  où  il  fut  accueilli 
par  le  gouverneur  espagnol,  le  comte  de  Fuentes^  Toutefois 
les  Espagnols  ne  retirèrent  aucun  avantage  de  l'hospitalité  in- 
téressée et  hostile  qu'ils  avaient  accordée  au  prince  de  Gondé  ; 
la  tranquillité  et  l'ordre  public,  désormais  aflermis  en  France, 
ne  furent  pas  un  moment  troublés.  La  réputation  du  roi , 
malgré  le  ridicule  pour  lui  qui  s'attachait  à  la  fuite  de  Gondé, 

■  SuUy,  OEcon.  roy.,  c.  iS9, 190,  I9t,  «98, 194,  i05.  —  Mtfnoirts  d«  Bat- 
sompicrrc,  eoUecti<ni  Micbaud.  —  Mënioirtt  de  L«aet. 


ATTKMTAX^  CONTRK  LA  VlC  DU  ROI.        A09 

ne  souffrit  aucune  atteinte  au  dehors  :  son  Influence  dans  les 
aiïaires  de  l'Eivope,  qui  était  prépondérante  depuis  plu- 
.sieurs  années,  resU  la  même  :  il  fallait  qu*il  fût  bien  grand 
par  d^autres  cAtés. 

La  ligue  avait  été  la  révolte  contre  la  royauté,  contre  la  ^"^"f^^^ic 
premi(*re  magistrature  du  pays  :  elle  avait  en  outre  attenté  do  roi. 
à  la  vie  des  rois  eux-mêmes.  Une  doctrine  perverse,  propre 
à  troubler  et  à  bouleverser  un  état,  ne  cesse  jamais  en  même 
temps  que  le  fait  principal  qu'elle  a  produit  :  déposée  dans 
un  grand  nombre  d'esprits  quelle  a  pervertis,  elle  a  tou- 
jours une  longue  suite.  C'est  là  honte  des  gouvernements 
faibles  ou  aveugles,  c'est  leur  étemelle  responsabilité  de- 
\ant  iMeu,  que  cette  durable  conséquence  d'im  principe  vi- 
cieux ,  répandu  dans  les  masses  par  suite  de  leur  coupable 
tolérance.  La  doctrine  de  la  révolte ,  mise  d'abord  en  avant 
IKMir  favoriser  l'ambition  des  Guises,  devait,  après  les  Guises 
abattus,  donner  naissance  aux  complots  de  Biron,  des  d'En- 
tragues,  de  Bouillon.  L'abominable  doctrine  du  régicide, 
pratiquée  contre  Henri  111,  devait  faire  souche,  et  amener 
toute  une  succession  d'attentats  contre  Henri  IV.  Les  assassins 
ne  relevant  plus  que  des  docteurs  du  meurtre,  avaient  secoué 
rautorité  de  tous  les  làaltres  légitimes  que  leur  avaient  dou- 
mas la  société  civile  et  la  société  religieuse.  Foulant  aux  pieds 
les  lois  civiles  et  politiques,  s'Insurgeant  contre  les  divins 
préceptes  de  r£vangile,  des  apôtres,  des  Pères  de  l'Église ,  Us 
ne  se  mettaient  pas  moins  en  révolte  contre  la  discipline  et  la 
hiérarchie  catholique ,  puisqu'ils  attentaient  aux  jours  d'un 
prince  absous  par  leurs  évéques ,  absous  par  le  pape  de- 
puis 1595,  et,  dès  lors,  devant  être  sacré  pour  eux.  Voilà  à 
quels  excès  sans  nom  un  odieux  fanatisme  avait  entraîné  des 
esprits  pervertis  et  des  consciences  faussées.  Et  c'est  là  où 
l'on  arrivera  Inévitablement  en  partant  soit  de  la  religion, 
soit  de  la  politique ,  dès  qu'un  gouvernement  permettra  à  de 
dangereux  sophistes,  agissant  individuellement*  ou  organisés 
en  sociétés  particulières ,  de  prévaloir  contre  la  société  gêné* 
raie,  contre  ses  lob,  contre  ses  magistrats. 

liCs  attentats  contre  la  vie  du  roi  allèrent  de  pair ,  se  pro- 
duisirent simultanément  avec  les  complots  contre  son  auto- 
rité. Ces  complots  eurent  tous  Heu  après  la  réconciliation  du 


hiO  HISTOIRE  DU  RÈGNE  OK  HENRI   IV. 

rui  avec  le  Saint-Siège ,  arrivée  en  1595.  Les  assassins  crurent 
et  protestèrent  uniformément  que  l'absolution  prononcée  par 
le  pape  était  sans  valeur  ;  que  le  roi  était  un  tyran  et  un  usur- 
pateur opprimant  la  Mhcné  de  ses  sujets  ;  qu'il  était  un  héré- 
tique perdant  les  âmes  dans  un  royaume  chrétien  ;  que  sa 
mort  était  un  sacriûce  agréable  à  Dieu  ;  que  leur  action  était 
propre  à  racheter  leurs  péchés,  et  notamment  les  débauches 
dont  la  plupart  d'entre  eux  étaiem  souillés.  C'est  l'histoire 
continuée  de  Jean  Ghâtel.  La  liste  de  ces  furieux ,  dont  nous 
ne  citons  que  les  plus  connus,  s'ouvre,  en  1596,  par  Jean 
(iuédon,  avocat  d'Angers;  en  1597,  par  un  tapissier  de  Pa- 
ris, qui  annonçait  que  si  Ghâtel  avait  manqué  son  coup,  il 
ne  manquerait  pas  le  sien  ;  en  1598 ,  par  le  chartreux  Pierre 
Ouin ,  du  couvent  de  Nantes ,  excité  à  ce  crime  par  l'agent 
espagnol  Licdcsma.  Cette  liste  se  poursuit,  en  1599,  par  deux 
jacobins  du  couvent  de  Gand ,  Ridicoux  et  Argier ,  apparte- 
nant au  même  ordre  que  Jacques  Clément,  imbus  des  mômes 
principes  que  lui ,  recevant  à  Bruxelles,  à  Rome,  à  Milan, 
les  instructions  et  Pargent  des  agents  espagnols.  11  faut  y 
joindre  le  capucin  I^anglois ,  du  diocèse  de  Tout  :  tous  furent 
exécutés  le  3  avril  1599.  On  rencontre  ensuite,  en  1600, 
Nicole  Mignon ,  qui  avait  formé  le  projet  d'empoisonner  le 
roi;  en  1602 ,  Julien  Guédon,  digne  frère  de  Jean,  qui  vou- 
lait employer  le  fer  contre  Henri ,  et  qui  avait  impunément 
contié  son  secret  au  grand  pénitencier  de  l'évéque  d'Angers: 
en  1603 ,  un  prêtre  et  un  gentilhomme  de  Bordeaux ,  qui 
avaient  concerté  de  l'assassiner  de  loin  d'un  coup  d'arlïa-  ' 

lète  K 
Rnppci  ^s  complots  empoisonnaient  l'existence  de  Henri ,  moins 

des  ir»uiiri.  encore  par  les  dangers  auxquels  ils  Tcxposaient  sans  relâche, 
que  par  le  spectacle  de  l'incurable  perversité  qu'ils  lui  don- 
naient, et  par  l'amère  pensée  que  sa  mort  interromprait  le 
cours  de  la  régénération  de  la  France  '. 

L'énergie  déployée  par  la  justice  pour  la  répression  de  ces 
crimes,  la  rigueur  des  supplices  n'avaient  arrêté  aucun  des 

•  Tbuanui,  l.  cxviii,  cxxiu,  cxxix,  t.  15,  p.  ISO,  140,  417-4i3:  et 
t.  ii,  p.  m  de  U  traduction.  —  P.  Cayet,  Chron.  tcplen.,  1.  lil,  p.  94,  95. 
—  Loforce,  Corrrap.,  lettre  du  14  fe'Trier,  l.  1,  p.  M6.  —  L«*»toile  et  ioa 
SappUment,  p.  «70  B,  2S0,  516, 547.-  SuUy,  OEcuu.  ray.,  c.  96,  p.  530  A. 

'  Thuanus,  I.  cxxxii,  t.  U,  p.  506.  «  H  ajouta  que  ce  u'éloil  que  pour 
•  !•  Mlnl  d9%  antret  qu^il  voalôit  m  coaMrver  lui-méne.  m 


RAPPEL  DES  JÉSUITES.  411 

coupables ,  et  l'inutilité  de  ces  moyens  invitait  le  roi  à  en 
cherclicr  de  différents.  D'un  autre  côté ,  plusieurs  circon- 
stances lui  faisaient  conjecturer  que  sll  ne  trouvait  un  prompt 
remiVle,  l'avenir  serait  plus  chargé  encore  que  le  passé  de  pro- 
jets iiomicides  contre  lui.  Depuis  longtemps  le  pape  sollicitait 
auprt^s  de  lui  le  rappel  des  jésuites  en  France,  i^epousser 
cette  demande ,  c*était  pour  Henri  mécontenter  le  pontife  et 
nuire  à  sa  politique  en  Italie;  c^était,  de  plus,  se  déclarer 
l'ennemi  de  cet  ordre.  Au  commencement  de  Tannée  1603, 
les  jésuites  s'étaient  adressés  directement  à  lui ,  deux  fois ,  à 
Verdun  et  à  Metz ,  pour  obtenir  la  faveur  réclamée  par  le 
pape.  L'un  de  leurs  membres  les  plus  autorisés,  le  I^re  Majus, 
lui  disait  que  si ,  dans  d'autres  temps ,  la  Société  s'était  mon- 
trée si  hostile  à  la  ïYance  et  à  ses  rois ,  et  si  fovorable  à  l'Es- 
pagne ,  on  devait  l'imputer  à  ce  que,  bien  accueillie  partout 
ailleurs,  et  surtout  dans  les  États  du  roi  catholique,  elle 
n'avait  essuyé  en  France  que  des  persécutions  et  des  oppro- 
bres. Il  ajoutait  que  si  Henri  voulait  loi  témoigner  de  l'af- 
fection et  de  la  bienveillance,  il  la  trouverait  en  peu  de  temps 
dévouée  à  sa  personne  et  à  la  couronne  de  France.  Le  roi 
craignait  qu'en  repoussant  ces  avances  et  ces  supplications 
Il  ne  ranimât  ches  les  jésuites  la  haine  dont  ils  lui  avaient 
donné  des  preuves  si  redoutables  pendant  la  Ligue.  Un  fait 
récent  Justifiait  ses  appréhensions  :  le  jésuite  flamand  Ho- 
dnm,  instruit  du  complot  de  Ridicoux,  n'y  avait  apporté  au- 
cun empêchement,  et  s'était  borné  à  dire  froidement  qu'un 
pareil  acte  demandait  un  homme  plus  fort  et  plus  robuste  K 
Henri  espérait  au  contraire  que  les  jésuites ,  une  fois  gagnés 
par  les  bienfaits,  useraient  de  leur  autorité  dans  la  confes- 
sion, et  de  leurs  rapports  si  étendus  avec  toutes  les  classes 
de  la  société,  pour  écarter  les  coups  dont  la  fureur  des  fana- 
tiques pouvait  le  menacer. 

Le  rappel  des  jésuites  fut  agité  plusieurs  fois  dans  le  con- 
seil du  roi  et  dans  les  entretiens  particuliers  de  Henri  avec 
llosny.  Kosny  s'opposait  à  cette  mesure,  et  à  l'appui  de  son 
sentiment  il  apportait  jusqu'à  sept  raisons.  Nous  ne  rappel- 
lerons ici  que  les  deux  principales.  •  E^ur  la  seconde  de  mes 
a  appréhensions ,  sire ,  c'est  que  ces  gens,  lesquels,  j'avoue, 

'  Thuuus,  1.  cszni,  l.  i\  p.  418,  419. 


ili2  HISTOIRE  1>I)   RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

u  être  lion  seulement  habiles,  mais  pleins  de  ruses  et  iner- 
»  veilleux  artiflces  «  étant  une  fois  remis  en  pleine  Mberié  sans 
u  aucunes  limites  ni  restriction ,  comme  je  vois  lieaucoup 
•  d'apparence  qu'ils  gagneront  ce  point-là,  n'excitent  des 
M  aigreurs ,  haines  et  animositës  entre  vos  sujets  et  serviteurs 
»  de  différente  religion,  par  le  moyen  de  leurs  familières  con- 
h  vcrsations,  propos  déceptife,  prédications,  confessions  et 
i>  pénitences....  Je  crains  qu'ils  ne  vous  jettent  enûn  dans  une 
»  guerre  civile  en  votre  royaume  contre  ceux  de  la  religion, 
»  comme  le  plus  excellent  moyen,  voire  quasi  Tunique  et 
«l'infaillible,  pour  affaiblir  vous  et  votre  Ëtat  Pour  la 
u  troisième  appréhension ,  qu'ils  ni  gagnent  tellement  voUre 
A  oreille,  voire  peut-être  même  votre  cœur ,  qu'ils  n'empiè- 
)i  teut  une  puissance  d'éloigner  ou  d'approcher  de  votre  per- 
■»  sunne  et  de  l'administration  de  vos  affaires  tous  ceux  que 
A  bon  leur  semblera.  »  Ainsi  la  force  de  cet  esprit  mer- 
veilleux d'observation ,  prodigieux  de  sagacité ,  lisait  dans 
l'avenir,  voyait  tout  ce  qui  devait  arriver  sous  le  petit-fils  de 
Henri  IV.  Les  faits  lui  apparaissaient  dans  leur  essence  ;  il  n'y 
avait  que  les  noms  à  ajouter  :  le  choix  de  tous  les  officiers 
dans  l'ordre  civil  et  militaire,  dicté  par  les  jésuites  dans  les 
dernières  années  de  Louis  XIY  ;  la  révocation  de  l'édit  de 
Nantes,  les  dragonades;  la  France  faisant  la  fortune  de  ses 
voisins,  se  ruinant  elle-même  et  se  déshonorant  dans  l'Eu- 
rope entière. 

Henri,  incapable  d'une  pareille  faiblesse,  ne  pouvait  la 
concevoir  dans  les  autres.  Il  voyait  le  parlement  de  Paris, 
dont  le  ressort  comprenait  la  moitié  du  royaume,  les  parle- 
ments de  Normandie  et  de  Bourgogne,  prononcés  ouTerte- 
ment  contre  les  jésuites  :  la  magistrature  devait  donc  les 
surveiller  et  les  contenir.  Enfin,  dans  la  réintégration  qu'il 
projetait  en  leur  faveur,  il  mettait  d'amples  et  sages  restric- 
tions. D'après  l'ensemble  de  ces  faits,  il  conclut  qu'ils  ne 
pourraient  jamais  exercer  un  emph«  dangereux  en  France, 
il  resta  uniquement  frappé  du  danger  qui  menaçait  le  pays 
beaucoup  plus  que  lui-même,  et  du  secours  qu'il  pouvait  tirer 
des  jésuites  pour  le  conjurer.  Il  répondit  à  Rosny  :  «  Par 
«  nécessité  il  me  faut  à  présent  faire  de  deux  choses  l'une  : 
u  à  savoir  de  les  admettre  purement  et  simplement,  les  dé- 
»  charger  des  diffames  et  opprobres  desquels  ils  ont  été  flé- 


RAPPEL  DES  JÉSDITES.  613 

n  tris,  et  les  mettre  à  Tépreave  de  leur  tant  beaux  serments 
a  et  promesses  excellentes;  ou  bien  les  rejeter  pins  absolu- 
»  ment  que  jamais,  et  leur  oser  de  tontes  les  rigueurs  et 
»  duretés  dont  Ton  se  pourra  aviser,  afin  quMls  n^approchent 
k  jamais  de  moi  et  de  mes  Ëtats.  Auquel  cas,  il  n*y  a  point 
"  de  donte  qne  ce  ne  aoit  les  jeter  au  dernier  désespoir,  et 
n  par  icelui  dans  les  desseins  d^attenter  à  ma  vie.  Ce  qui  me 
»  la  rendrait  si  misérable  et  langoureuse,  demeurant  tou- 
n  jours  dans  la  défiance  d^étre  empoisonné  ou  bien  assassiné 
»  (car  ces  gens  ont  des  intelligences  et  correspondances  par- 
»  tout,  et  grande  dextérité  à  disposer  les  esprits  selon  qu*il 
B  leur  plaît) ,  qu*il  me  vaudrait  mieux  être  déjà  mort,  étant 
B  en  cela  de  Topinion  de  César,  que  la  plus  douce  mort 
»  est  la  moins  prévue  et  attendue.  »  Sur  cette  parole,  Hosny 
passa  sur-le-champ  à  Tavis  du  roi  >.  L'opposition  de  Paml  de 
Henri  devait  céder  à  ses  craintes  :  Topposidon  du  ministre, 
de  rhomme  d*État,  pouvait  céder  non  moins  légitimement 
sur  la  considération  que  la  haine  et  les  vengeances  des 
jésuites  donnaient  tout  k  craindre,  et  qu'on  ne  pouvait  expo- 
ser Henri,  et  la  France  avec  lui,  à  im  danger  présent,  pour 
conjurer  les  dangers  à  venir. 

Au  mois  de  septembre  1603,  les  jésuites  obtinrent  du  roi 
des  lettres  de  rétablissement  qui  furent  portées  au  Parlement. 
La  cour  les  examina  pendant  les  mois  suivants ,  et  le  2ft  dé- 
cembre elle  adressa  à  Henri  des  remontrances  demeurées  cé- 
lèbres, par  Torgane  de  son  premier  président  de  Harlay, 
relui-là  même  qui  avait  signalé  son  courage  et  sa  fidélité  en- 
vers la  royauté  en  résistant  au  duc  de  Guise,  lies  remon- 
trances établissaient  le  danger  de  rappeler  les  jésuites ,  sur  la 
doctrine  de  ces  pères,  sur  leurs  précédents ,  sur  Tinévitable 
adoption  d'opinions  et  de  sentiments  dangereux  pour  la  jeu- 
nesse élevée  dans  leurs  écoles.  Le  système  de  leur  doctrine 
suivi  et  uniforme,  disait  de  llariay,  était  de  ne  nronnaltre 
d'autre  supérieur  que  le  pape,  de  lui  obéir  en  tout  et  partout 
comme  de  fidèles  sujets  ;  de  croire  comme  chose  incontestable 
que  le  pape  était  en  droit  d'excommunier  les  rois,  et  qu'un 
roi  excommunié  était  un  tyran  &  qui  ses  sujets  pouvaient 

'  Pour  Im  trois  |Mnis'^«plw«  précédmls,  Thnant,  1.  nix,  ckxiii,  cxxix* 
t.  ir»,  p.  «5f,  15»,  418,  419;  t.  «4,  p.  ISl-IM.  —  Sully,  OKcou.  roy., 
c.  t».  U  1,  p.  S«7-.%S1»,  édiUoB  Micbaml. 


UiU  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  lY. 

impunément  refuser  obéissance  ;  qu'un  simple  tonsuré  notait 
plus  sujet  du  roi,  ni  soumis  à  sa  juridiction,  et  que,  par  con- 
séquent, il  ne  pouvait,  quoi  qu'il  fit,  se  rendre  coupable  du 
crime  de  lèse-majesté.  Par  cette  doctrine  séditieuse,  ils  sous- 
trayaient les  ecclésiastiques  à  la  puissance  séculière,  en  ce  qui 
concernait  le  temporel  ;  ils  favorisaient  les  auentats  contre 
la  personne  ^crée  des  rois,  et  la  subversion  de  tout  gou- 
vernement et  de  tout  ordre  civil.  Tous  leurs  actes  avaient 
été  conformes  à  ces  doctrines  :  ils  avaient  soulevé  la  moitié 
du  royaume  contre  Henri  III,  comme  coupable  de  protéger 
Phérésie  au  détriment  du  Saint-Siège ,  et  ils  avaient  prodigué 
les  éloges  au  meurure  de  ce  prince  comme  à  un  acte  de  jus- 
tice. Toute  la  société,  sans  aucune  exception,  avait  conspiré 
contre  Henri  IV,  et  s'était  liguée  avec  les  anciens  ennemis  de 
la  couronne,  avec  les  Espagnols.  Les  Seize  avaient  choisi  pour 
Tun  des  chefs  de  leur  faction  Odon  Pigenat,  membre  de  la  so- 
ciété. Barrière,  enrôlé  par  les  jésuites,  armé  par  Varade,  muni 
de  Tabsolulion,  avait  comploté  d'enfoncer  un  poignard  dans 
le  sein  du  roi.  Cliastel  qui  l'avait  frappé  au  visage  était  sorti 
de  leur  école.  Leurs  doctrines,  répandues  au  moyen  de  l'en- 
seignement ,  devaient  avec  le  temps  changer  l'opinion  pu- 
blique et  la  pervertir.  Ija  Sorbonne  qui,  dans  le  principe,  avait 
été  leur  plus  grand  adversaire  ,  qui  avait  déclaré  même  par 
un  décret  que  cette  société  était  née  pour  détruire  et  non  pour 
édifier,  la  Sorbonne  peuplée  peu  à  peu  de  théologiens  formés 
dans  leurs  écoles  s'était  plus  tard  mise  à  leur  dévotion,  asso- 
ciée à  leurs  excès.  De  pareils  maîtres,  poursuivait  de  llarlay, 
formeront  des  écoliers  dociles,  dont  plusieurs  occuperont  un 
jour  les  premières  places  du  Parlement  et  du  gouvernement.  Fi- 
dèles aux  instructions  qu'ils  auront  reçues,  ils  se  soustrairont 
peu  à  peu  à  l'obéissance  due  au  prince,  compteront  pour  rien 
les  droits  et  l'autorité  du  roi  ;  laisseront  périr  les  libertés  de 
l'Église  gallicane.  £n  s'appuyant  sur  ces  faits  et  ces  considéra- 
tions, de  Harlay  pressait  le  roi  de  retirer  ses  lettres  patentes, 
et  de  laisser  intact  l'arrêt  par  lequel  le  Parlement  avait  banni 
1rs  jésuites.  11  ajoutait  que  les  sentiments  qui  avaient  dicté  cet 
arrêt  n'étaient  pas  particuliers  au  l^rlement  de  l^ris ,  mais 
communs  à  cette  cour  et  aux  l^rlements  de  iNormandie  et  de 
Bourgogne,  par  conséquent  aux  deux  tiers  des  magistrats  de 
la  France.  A  ces  raisons  du  magistrat  et  de  l'homme  d'Ktat, 


RAPPEL  DES  l^SUITES.  A!5 

le  premier  président  joigoit  en  son  nom  et  au  nom  do  Parle- 
ment l*expression  de  leur  reconnaissance  et  de  leur  dévoue- 
ment envers  le  roi,  protestant  que  dépouillés  de  tout  intérêt 
et  de  toute  affection  dans  cette  affaire,  ils  ne  travaillaient  qu*à 
sauvegarder  sa  personne  et  à  garantir  son  autorité  qui,  pour 
eux  et  pour  la  France,  étaient  celles  d'un  père. 

Henri  fut  ému  et  ébranlé ,  et  il  remercia  le  Parlement  en 
termes  pleins  d'affection.  11  persista  cependant  dans  son  des- 
sein. 11  répondit  qu'il  ne  fallait  plus  reprocher  la  Ligue  aux 
jésuites ,  que  c'était  l'injure  du  temps  ;  qu'il  voulait  les  em- 
ployer comme  le  roi  d'Espagne  s'en  était  servi,  et  il  ajouta  : 
«  Laissez-moi  conduire  celte  affaire ,  j'en  ai  manié  d'autres 
bien  plus  difficiles.  Ne  pensez  plus  qu'à  faire  ce  que  je  dis  et 
ordonne.  »  Le  Parlement  ne  songea  plus  dès  lors  qu'à  obéir, 
quoique  à  regret,  et  il  enregistra  les  lettres  patentes  le  2  jan- 
vier 160A. 

L'édit  du  rétablissement  des  jésuites  était  marqué  au  coin 
de  la  sagesse  ordinaire  de  Henri,  et  bien  évidemment  res- 
treint dans  certaines  limites  d'après  les  remontrances  du  Par- 
lement, comme  le  prouve  le  discours  de  I)e  Malsse.  Le  roi  leur 
permettait  de  résider  désormais  légalement  en  France,  et  d'ou- 
vrir leurs  collèges  dans  douze  villes  du  midi,  Toulouse,  fié- 
ziers,  Anch,  Hhodez,  Bordeaux,  Périgueux,  IJmoges,  Tour- 
non,  Aubenaz,  Le  IHiy,  Lyon,  et  dans  deux  villes  du  centre, 
Dijon  et  I^a  Fl^clle.  11  leur  rendait  tous  les  biens  présents  et 
passés  :  il  les  dotait  du  collégede  La  Flèche,  dont  l'érection  ayait 
roAté  300,000  livres,  et  dont  les  chaires  étalent  par  lui  riche- 
ment dotiH^s.  Ces  bienfaits  devaient  les  gagner  et  lui  concilier 
leur  affection.  Mais  en  niante  temps  11  leur  défendait  de  s'éta- 
blir dans  aucune  autre  ville  sans  une  expresse  permission  du 
roi  ;  d'où  il  résultait  qu'à  l\iris  et  dans  plus  des  trois  quarts 
du  royaume,  l'enseignement  restait  confié  aux  Universités , 
ot  présentait  au  gouvernement  les  garanties  qu'il  pouvait  dé- 
sirer. Il  leur  interdisait  de  rien  entreprendre  et  de  rien  faire, 
tant  au  spirituel  qu'au  temporel,  au  préjudice  des  évéques, 
rurés,  chapitn*8,  universités,  et  leur  enjoignait,  au  contraire, 
(l<*  se  conformer  au  droit  commun.  Il  leur  défendait  égale- 
ment d'administrer  les  sacrements ,  et  celui  de  la  confession 
en  particulier,  à  d*autres  qu'à  des  jésuites,  à  moins  qu'ils  n'en 
ot)tinssent  la  permission  des  évéqnes,  et  celle  des  parlements 


&I6  HISTOIRE  eu  RÈGNE  DE  HEKRI   IV. 

de  Toulouse,  Bordeaux  et  Dijon,  dans  le  ressort  desquels  ils 
étaient  établis.  U  leur  défendait  d*acquérir  aucun  immeoble 
en  France,  par  achat,  par  donation  ou  autrement,  sans  auto- 
risation préalable  du  roi ,  et  de  prendre  ou  recevoir  aucune 
succession  soit  directe ,  soit  collatérale.  Les  membres  de  la 
société ,  admis  en  France ,  devaient  tous  être  Français.  Ils 
étaient  astreints  de  prêter  serment  de  ne  rien  faire,  ni  entre- 
prendre contre  le  service  du  roi ,  la  paix  publique,  le  repos 
du  royaume ,  sans  aucune  exception  ni  réserve  ;  et  cet  enga- 
gement solennel  était  pris  par  eux  à  ime  époque  où  les  par- 
ticuliers se  tenaient  pour  liés  et  engagés  par  un  serment. 
L'un  d'eux  devait  toujours  séjourner  à  la  cour,  et  répondre 
de  la  conduite  des  membres  de  la  société.  L'infraction  aux 
conditions  qui  leur  étaient  Imposées  devait  entraîner  la  dé- 
chéance de  redit  de  rétablissement  ^ 

Dans  les  limites  où  la  prudence  et  la  fermeté  du  roi  les 
avait  renfermés ,  ils  ne  pouvaient  nuire ,  et  ils  ne  nuisirent 
pas.  Loin  de  là ,  ils  semblent  avoir  été  utiles  :  il  est  très  re- 
marquable ,  en  effet ,  que  les  complots  contre  la  vie  du  roi 
cessèrent  durant  les  six  dernières  années  de  son  règne ,  soit 
par  rintervention  de  ces  reUgieux .  soit  par  l'idée  répandue 
dans  des  masses  ignorantes  que  sa  réconciliation  avec  eux 
était  une  preuve  de  son  orthodoxie.  Il  est  impossible  d'im- 
puter à  ce  prince  les  conséquences  finales  qu'eut  le  rappel  des 
jésuites,  alors  que  la  faiblesse  et  l'aveuglement  des  gouver- 
nements qui  succédèrent  au  sien  eurent  ôté  toutes  les  res- 
trictions qu'il  avait  mises  à  leur  rétablissement. 

'  Pour  tel  troU  demieri  paragrapliei,  Toir  Tbuanu».  1.  cxxxu,  t.  Il, 

Lt99-5lt.  —  Le  texte  de  Pëdit  de  rètuhliitemfiU  des  jésuilea,  daiit  le 
ciMÏl  dea  ancienne*  lois  françaiset,  1. 15,  p.  SSS-SUO.  —  P.  djel,  Chrom» 
s€pt€n,t  I.  VU,  t.  9,  p.  S74-S76. 


GOUVERNUMENT  :   R^.GIMË   RF.PR^^SF.NTATIK.  /|17 

CUAPlTnE  11. 

G<Mivi'rneincnt,  justice,  ordre  publir. 

'  §  1.  Gouvernement. 

Soas  le  règne  de  Henri,  le  gouvernement  de  la  France 
n*eat  rieq  d'homogène  et  d*uniforme  ;  mais  dans  la  diver* 
site  des  systèmes  et  des  régimes  politiques  auxquels  furent 
soumises  les  diverses  populations,  on  trouve  une  masse  con- 
sidérable de  lll)erté  en  général,  et  tous  les  genres  de  libertés 
accordés  aux  citoyens.  C'est  là  le  caractère  général  et  distinc- 
tif  de  ce  gouvernement 

D'abord  une  partie  de  la  France  obtint  le  régime  représen- 
tatif, très  réel,  très  effectif  quant  au  fond,  différent  seule- 
ment dans  la  forme  de  ce  qu'il  est  aujourd'hui. 

Les  Calvinistes,  depuis  l'édit  de  Nantes  jusqu'à  la  mort  du  it^me  rrpr^ 
roi,  jouirent,  pendant  onie  ans,  de  cette  forme  de  gouver-  •«■«•**' p«''»»«i» 
nement.  Dans  leurs  assemblées  générales  étaient  agitées 
toutes  les  questions  qui  intéressaient  l'existence  et  la  pros- 
périté du  parti  ;  et  ces  questions  furent  résolues  par  la  cou- 
ronne, conformément  à  leurs  vœux  et  à  leurs  votes,  au  moins 
dans  l'ensemble.  Les  modifications  que  le  roi  put  introduire 
dans  les  détails  n'excédèrent  pas  la  part  de  pouvoir  législatif 
qu'il  devait  conserver  dans  une  monarchie  représentative. 
Au  delà  des  limites  où  ils  furent  contenus  sous  ce  règne, 
les  calvinistes  entraient  dans  le  régime  républicain;  ils  étaient 
exposés  alors  à  prendre  des  résolutions  contraires  à  l'intérêt 
général  et  à  se  séparer  du  reste  de  la  nation  :  c'est  ce  qui 
arriva  sous  le  règne  de  Louis  Xlil.  l^servés  de  la  licence 
pur  la  fermeté  et  l'autorité  de  Henri,  ils  jouirent  d'une  liberté 
contenue  et  sérieuse.  Tel  fut  le  caractère  de  leurs  assemblées 
générales  de  Châtellerault  en  1605,  de  Jargeau  en  1608,  dans 
lesquelles  ils  nommèrent  leurs  députés  ou  représentants 
auprès  du  roi ,  chargés  de  traiter  avec  lui  leurs  affaires 
courantes  ;  dans  lesquelles  encore  ils  obtinrent  la  continua- 
lion  de  leurs  places  de  sûreté  pour  le  délai  de  quatre  ans, 
successivement  renouvelé,  et  le  maintien  de  gouverneurs 

27 


418  HISTOIRK  DU  RÈGRE  DE  HSIIRI  IV. 

protestants  dans  les  diverses  villes  où  ils  étaient  maîtres  ^ . 

Les  six  provinces  ou  pays  d*états,  la  Bourgogne,  le  Dau- 
phiné,  la  Provence,  le  Languedoc,  la  Bretagae,  la  Norman- 
die, continuèrent  à  se  régir  par  leurs  formes  propres,  selon 
leurs  anciens  usages  '.  Dans  leurs  états  provinciaux,  où  sié- 
geaient les  députés  des  trois  ordres,  les  impôts  royaux  étaient 
périodiquement  arrêtés  à  une  certaine  somme  et  votés  :  ces 
assemblées  connaissaient  et  décidaient  en  outre,  non  seule- 
ment d'une  multitude  de  questions  d'intérêt  local ,  mais  sou- 
vent même  des  plus  graves  intérêts  généraux  :  dai^s  les  der- 
niers mois  de  1589,  nous  avons  vu  les  états  du  Langudoc 
reconnaître  le  roi  et  lui  assurer  leur  obéissance.  A  ces  pro- 
vinces de  Tancienne  Firance,  il  faut  joindre  les  pays  hénSdi- 
taires  de  Foix,  Béarn,  Navarre, que  Henri  réunit  h  la  couronne 
en  1607  :  soit  avant,  soit  après  la  réunion,  le  régime  des 
états  y  fut  constamment  en  vigueur  K 

Ces  libertés  spéciales  et  particulières  aux  calvinistes  et  aux 
pays  d'états  ne  les  empêchaient  pas  de  participer  aux  libertés 
générales  ou  locales  attribuées  à  la  masse  de  la  nation,  dont 
nous  allons  présenter  le  tableau. 
Régim«monar-  ^  régime  monarchique  gouvernait  la  masse  de  la  nation, 
chique.  Ce  système  de  gouvernement  était  bien  éloigné  de  la  monar- 
chieabsolue,  qui  ne  fut  établie  que  pendant  les  règnes  suivants. 
La  grande  maxime  de  Henri,  souvent  répétée  par  lui,  était 
«  qu'il  ne  falloit  pas,  pour  bien  régner,  qu'un  roy  fit  tout  ce 
•  qu'il  pouvoit  faire  ^.  •  Et,  comme  nous  allons  le  voir,  il 
apporta,  en  effet,  des  restrictions  de  toute  sorte  à  l'exercice 
de  son  pouvoir.  Sous  Henri  IV,  la  couronne,  il  est  vrai,  pos^ 
sédait  d'une  manière  générale  tout  le  pouvoir  exécutif;  le 
pouvoir  législatif,  réglant  par  des  édita  et  des  ordonnances 
les  questions  d'intérêt  public  ou  d'utilité,  au  fur  et  à  mesure 
qu'elles  se  présentaient  ;  le  pouvoir  même  de  fixer,  chaque 
année,  le  chiffre  de  l'impôt,  et  de  le  lever  sans  l'assentiment 
national  émis  régulièrement  et  périodiquement.  C'était  bien 


'  Sallj.  OBcon.  roy.,  c.  IBI,  183,  184.  t.  n,  p.  61,  jS7, 149,  fSO.flKl. 
la  correipoodanee  du  roi,  de  Sully  et  det  seeréiaire*  d'État  sur  cet  deus 
•Memblées  de»  calTinUtei.  —  Vojei  ci-deMua   en  outre,  p.  405. 

'  La  Normandie  arait  det  Étais  doot  les  pririlégei  ëlwieot  inCifrlenrs  4 
ceux  des  cioq  autres  proTincea. 

*  Laforce,  Mémoires,  1. 1,  c.  IV,  p.  i08,  109. 

«  Mrtfftze^  HisL  de  Heurt  le  Grand,  p.  409,  M.  Ia-t%  ItB. 


!>«• 


ttonalet. 


GODVIRNBMIHT  :  LIBERTES  DB  LA  MON ARCHIB.      419 

là  la  marche  habituelle  des  choses  dans  les  temps  ordinaires; 
c*était  bien  là  les  prérogatives  de  la  couronne,  prises  d^une 
manière  nue  et  théorique. 

Mais  d*abord,  dès  qu'il  survenait  des  drconstancei»  graves  ^^'^  conwr- 
nécessitant  des  sacrifices  extraordinaires  ;  dès  que  la  pertur-  osLmMé«i  ** 
bation  introduite  dans  Tétat  des  divers  ordres,  ou  dans  les 
services  publics,  appelait  une  réforme  générale,  dès  lors  la 
nation  était  appelée  et  consultée.  Cest  ce  qui  était  arrivé  en 
1596,  alors  que  les  deniers  levés  sur  le  peuple  n'avaient  plus 
suffi  aux  dépenses  de  la  guerre  étrangère  et  de  la  défense  du 
territoire,  alors  que  la  guerre  civile  prolongée  avait  jeté  par- 
tout le  désordre  et  Panarchie.  La  royauté  n'avait  pas  provo- 
qué les  États-généraux,  qui,  sous  Tempire  des  souvenirs  de 
1577  et  de  1588,  apparaissaient  menaçants  à  tous  ;  mais 
elle  avait  réuni  les  notables.  Les  notables,  et  non  pas  la  cou- 
ronne, avaient  établi  le  nouvel  impôt  du  sou  pour  livre.  Les 
notables,  et  non  pas  la  couronne,  avaient  ordonné  la  réforme 
du  clergé,  de  la  justice,  au  sujet  du  conflit  des  juridictions, 
des  monnaies,  de  la  milice,  delà  police  des  métiers,  laissant 
à  la  royauté  l'exécution  des  décisions  prises  par  eux  ^ 

Le  pouvoir  législatif,  sous  Henri,  fut  donc  bien  lom  d'être 
concentré  dans  les  mains  du  roi  seul,  quand  il  s'agit  de  me- 
sures exceptionnelles  et  générales. 

En  second  lieu,  même  dans  les  circonstances  ordinaires» 
même  dans  les  cas  où  le  roi  décida,  sans  consulter  les  repré- 
sentants de  la  nation,  il  y  eut  une  immense  diiTérence  entre 
les  prérogatives  absolues  de  la  couronne  et  l'application,  entre 
les  décisions  du  prince  et  l'exécution.  Dans  l'exécution  inter- 
vint le  concours  des  corps  de  l'État,  l'action  constante  des 
parlements  par  les  remontrances,  l'enregistrement,  souvent 
même  la  non-exécution  des  édits.  Après  l'arrêt  du  parle- 
ment de  l'aria,  du  38  décembre  159/i ,  survint  un  édit  du 
roi«  en  date  du  7  janvier  1595,  lequel  expulsa  les  jésuites  du 
royaume  \  Cet  édit  fut  observé  dans  le  ressort  du  parlement 
de  Paris  qui  comprenait  presque  la  moitié  du  royaume,  et 


m«nta. 


'  Thoaant,  t.  OSVn.  t.  xm.  p.  ID-SS  de  la  lni<laeUon.— 4nc.  loU  fniaç., 
t.  XV,  p.  13S,  pov  Véàkt  au  «Mb  d'«Tril  1597.  11  eH  Uès  rMnnfuabU 
q«'«m  tltod««l4dlt,  rfUtif  aas  «MttriaM  •!  &  la  polie*  das  m^Uan,  Too 
tnmf  Vémumai  mItuI  :   lyaprès  VmuU  dës  molakUs   msêmmèUs   à 

êm  ÂM.  kb  teaç.,  L  ZV.  ^  tl,  9L 


â20  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI   IV. 

ensuite  dans  Pétendue  de  la  juridiction  des  parlements  de 
Bourgogne  et  de  Normandie.  Mais  les  parlements  de  Bor- 
deaux et  de  Toulouse  éludèrent  Tédit  et  gardèrent  ces  reli- 
gieux jusqu^aa  temps  où  une  autre  décision  royale  les  rap- 
pela'. Henri,  cédant  aux  dangers  publics,  décréta  en  principe 
redit  de  Nantes  avec  ses  clauses  si  singulièrement  favorables 
aux  calvinistes.  Le  parlement  de  Paris,  qui  jugeait  imparfai- 
tement la  situation  politique,  fit  opposition,  par  ses  remon- 
trances, à  redit  tout  entier.  Le  roi  avait  une  vue  bien  plus 
nette  des  nécessités  publiques  :  il  tint  bon  et  il  eut  raison. 
Mais  il  accueillit  et  donna  place  dans  Tédit  à  quelques  ob- 
servations très  sages  du  parlement,  relativement  à  la  né- 
cessité de  ne  permettre  aux  calvinistes  de  s'assembler 
qu*après  avoir  reçu  Tautorisation  du  roi,  et  relativement  à 
la  répartition  des  magistrats  calvinistes  dans  toutes  les  cham- 
bres du  parlement  de  Paris  '. 

De  l'année  i601  à  Tannée  1608,  il  laissa  examiner  et  dis- 
cuter par  le  parlement  de  Rouen  plusieurs  de  ses  édits 
relatifs  à  la  création  d'offices  nouveaux,  aux  ventes  de  garde- 
noble  et  de  haute  justice,  à  la  coupe  des  bois  de  hante  futaie, 
que  le  gouvernement  voulait  abattre  pour  faire  de  l'argent. 
Le  résultat  de  l'opposition  des  magistrats  de  cette  cour  fut 
l'annulation  ou  la  non-exécution  de  ces  édits  K  Même  inter- 
vention du  parlement  de  Paris,  avec  un  plein  succès,  dans 
la  discussion  des  édits  mis  en  avant,  l'an  1609.  Le  roi,  sur 
le  point  d'attaquer  les  deux  branches  de  la  maison  d'Autri- 
che, et  de  commencer  une  guerre  européenne,  avait  besoin 
de  grandes  ressources  en  argent,  et  il  en  cherchait  partout. 
A  la  fin  du  mois  de  juillet  1609,  il  fut  proposé  au  conseil 
d'État  plusieurs  édits  fiscaux  :  l'un  sur  les  monnaies,  pour 
changer  leur  valeur  et  tirer,  à  ce  que  l'on  prétendait,  la  cin- 
quième partie  du  bien  de  tout  le  monde  ;  l'autre  portant  ré- 
forme des  habits  et  règlement  des  soieries,  entraînant  une 
forte  contribudon  sur  les  marchands  de  sole,  les  orfèvres, 
les  joailliers,  et,  partant,  troublant  leurs  industries;  un 
troisième  enfin  relatif  aux  nantissements.  Le  roi  souffrit  les 

•  Thunai,  1.  CUZ«  L  XUI,  p.  158,  159.  de  la  tnidnction. 

•  SbIW,  OEcon.  roy.,  c.  ic,  1. 1,  p.  308-310.  —  Thnanns,  I.  C3«ii,  l.  xill, 
p.  374,  de  la  tradacUon. 

•  Registres  secreU  du  parlement  de  Normandie,  cités  par  M.  Floqnet, 
t.  lY,  p.  168*t9ft.  —  Grodlarl,  Voyages  en  cour,  c.  n. 


i 


GOt\ft:RNft:)l£>T  :   liberté  de  la  2UU.\ARCU1£.      U*2i 

réclamations  des  marcbands,  les  libres  remontrances  du  ma- 
réchal d'Ornano,  le  refus  et  le  rejet  par  le  parlement  de 
Tédil  des  monnaies,  au  moment  de  l'enregistrement,  c^est-à- 
dire  le  Ô  août,  et  Tajoumemenl  indéûnl  des  autres,  le  16  août  : 
après  ces  épreuves,  il  abandonna  les  édits  proposés  '. 

Plus  d'une  fois  Henri  laissa  les  magistrats  municipaux,  Par  u» corpi et 
ainsi  que  les  parlements,  contredire  et  traverser  les  projets  '••  "••|»»»'«i« 
de  son  gouvernement,  et  défendre  contre  lui  les  intérêts  de 
quelques  classes  de  citoyens,  mémo  quand  il  avait  pour  lui 
le  droit,  mais  le  droit  rigoureux.  On  en  vit  un  exemple  re- 
marquable en  1605  dans  Taflaire  des  rentes  de  PHôtel-de- 
Ville  de  Paris.  Le  roi  voulait  soumettre  ù  une  vérification  sévère 
les  titres  de  ces  renies,  dont  une  partie  avait  été  établie  d'une 
manière  irrégulière  ou  frauduleuse;  rejeter  celles  qui  avaient 
été  constituées  sur  des  édits  non  vérifiés  en  parlement  ;  rem- 
bourser le  reste,  ou  n'en  plus  payer  l'intérêt  qu'à  quatre  pour 
cent,  tandis  que  l'intérêt  de  ces  rentes  était  servi  à  huit  pour 
cent  et  pour  moitié  environ  par  le  trésor  public  En  exécu- 
tant la  mesure,  le  roi  aurait  en  peu  de  temps  déchargé  ses 
finances  d'une  dépense  annuelle  de  1  million  800  mille  livres 
du  temps.  L'opération,  juste  en  elle-même,  était  très  rigou* 
reuse.  En  effet,  beaucoup  de  particuliers  avaient  acquis  de 
bonne  foi  par  achat,  par  mariage,  par  partage  entre  héri- 
tiers, la  portion  de  ces  rentes  dont  l'origine  était  vicieuse. 
I)e  plus ,  les  rentes  sur  ril6tel-de-Ville  étaient  le  principal 
revenu,  la  plus  claire  subsistttice,  comme  disent  les  contem- 
porains, de  la  bourgeoisie  de  Paris.  Miron,  prévôt  des  mar- 
chands, après  avoir  siégé  quelque  temps  dans  la  commission 
chargée  de  la  révision  des  rentes,  voyant  cette  assemblée 
adopter  avec  faveur  le  projet  du  gouvernement,  s'en  sépara 
sur-le-champ,  fit,  le  22  avril,  des  protestations  pour  obtenir 
surséance  à  des  recherches  si  dangereuses ,  et  adressa  des 
remontrances  au  roi.  Homme  d'ordre,  et  aussi  bon  citoyen, 
aussi  fidèle  serviteur  de  Henri  que  zélé  prévôt  des  marchands, 
il  voulait  qu'on  s'arrêtât  à  des  représentations  faites  au 
pouvoir.  Mais  les  bourgeois ,  que  la  mesure  menaçait  de 
mine,  s'assemblaient  en  grande»  troupes  à  la  porte  de  leur 
prévôt,  et  parlaient  hautement  de  prendre  les  armes,  quoique 

*  LMloil«,  Begtol.  {oanial  <!•  Henri  IV.  iaillet,  ««At  1009,  p.  514406  A. 


R4pporis  du 

goaTrmrmcnl 

avec 

le  cierge 

•t  b  noblesM. 


Ù22  HISTOIRE  DU  RÈ6N8  DS  HENRI   IT. 

Miron  les  conjurât  de  ne  pas  se  rendre  coupables,  et  de  ne 
pas  le  rendre  coupable  lui-même  par  ces  démonstrations. 
Les  conseils  et  les  instigations  ne  manquèrent  pas  au  roi  pour 
lui  persuader  d'enlever  Miron,  de  châtier  les  bourgeois,  d'im- 
poser la  réduction  ou  le  remlwursement  des  rentes,  et  de 
faire  prévaloir  son  autorité  souveraine.  Henri  répondit  aux 
courtisans  que  Pautorité  ne  consistait  pas  toujours  à  pousser 
les  choses  avec  la  dernière  hauteur  ;  qu'il  fallait  regarder  le 
temps,  les  personnes,  le  sujet  ;  qu'ayant  employé  dix  ans  à 
éteindre  la  guerre  civile,  il  craignait  d'en  rallumer  jusqu'aux 
moindres  étincelles  ;  que  Paris  lui  avait  trop  coûté  pour  s'ex- 
poser à  le  perdre  ;  qu'il  ne  consentirait  jamais,  d'ailleurs,  & 
perdre  en  un  jour,  par  de  terribles  exemples,  la  gloire  de  sa 
clémence  et  l'amour  de  ses  peuples.  Après  quoi ,  ayant  or- 
donné à  son  conseil  d'examiner  les  remontrances  que  la  dé- 
putation  de  Paris  lui  avait  apportées ,  il  abandonna  la  re- 
cherche des  rentes,  et  laissa  Miron,  dans  sa  charge  de  prévôt, 
continuer  ses  grands  travaux,  assainir  Paris,  Tembellir,  le 
protéger  par  une  police  exacte  K 

li  résulte  de  tous  ces  faits  que  les  opinions  libres,  les 
résistances  consciencieuses  étaient  souffertes  et  prises  en 
bonne  part  par  le  gouvernement,  qui ,  dans  l'intérêt  pu- 
blic, cédait  à  celles  qui  étaient  fondées.  La  monarchie 
de  Henri  IV  avait  donc,  sous  d'autres  formes,  son  opposi- 
tion, comme  le  gouvernement  représentatif,  et  Topposition, 
sous  ce  prince,  quand  elle  avait  la  raison  pour  elle,  battait 
les  ministres  et  le  conseil  d'État. 

Cette  salutaire  opposition ,  qui  prévient  les  écarts  et  les 
fautes  du  pouvoir,  périt  nécessairement  par  l'avilissement  des 
grands  corps  de  l'État.  Une  fois  atteints  par  l'oisiveté,  l'igno- 
rance et  la  pauvreté,  ils  perdent  toute  autorité  auprès  du 
prince  comme  auprès  de  la  nation,  et  toml)ent  dans  l'entière 
dépendance  du  pouvoir  absolu,  auquel  leur  dégradation  con- 
vient :  que  Ton  voie  l'état  et  le  degré  d'influence  du  clergé 
russe  aujourd'hui.  La  monarchie  limitée  vit  d'autres  prin- 
cipes :  elle  emprunte  une  partie  de  sa  propre  force  aux 
ordres  de  l'État  ;  il  faut  donc  qu'elle  perpétue  leur  pros- 


'  Thuanui,  l.  CSXXIV,  t.  X1V|  P*  ^M«  ^^  <!•  U  truduction.  —  Bkitlhi«a« 
Hist.  d«  Henri  IV,  Ut.  ill«  p.  706,  iti-fol.  —  Bleieray,  gr.  liittoir*,  U  lli« 
p.  1M8.  —  Pér^fi&t,  Hùt.  d«  Henri  U  Grand,  p.  Utt-SéH,  m-ll. 


RAPPORTS  AVEC  LE  CLERGÉ  ET  LA  NOBLESSE.   A28 

périté ,  tout  en  les  tenant,  par  une  sage  fermeté ,  dans  le 
devoir.  Le  gonYemement  de  Henri  satisfit  à  ces  obligations 
de  la  monarchie  modérée.  11  commença  la  réforme  du  clergé, 
sons  le  rapport  des  nururs  et  de  i^lnstniction  :  s*il  ne  la 
poussa  pas  bien  avant,  c>st  qne  le  temps  Itii  manqua.  Son 
but  était  que  ce  corps ,  par  sa  fidélité  à  accomplir  ses  de- 
voirs, prit  assez  d^empire  sur  la  nation  pour  quil  parvint 
à  faire  refleurir  la  religion  délaissée  et  la  jusdce ,  qne  le 
roi  regardait  comme  les  fondements  de  tous  les  États,  et  sur 
lesquels  il  voulait  asseoir  le  sien.  Il  demandait  aussi  aux  ecclé- 
siastiques d'appuyer  autant  par  leurs  exemples  la  légitime 
autorité  du  gouvernement  et  la  morale  publique,  quMls  les 
avaient  ébranlées  du  temps  de  la  Ligue  K  II  savait  ce  qne  la 
nobles!»e  pouvait  fournir  et  ce  qu'elle  ne  pouvait  pas  donner. 
11  ne  fallait  pas  demander  à  la  masse  des  gentilshommes  un 
service  régulier  dans  une  guerre  savante  et  prolongée.  Mais 
on  devait  en  attendre  des  exploits  chevaleresques  en  un  Jour 
de  bataille.  De  plus  elle  fournissait  aux  troupes  régulières  elle»* 
m<^mos  la  plupart  de  leurs  officiers,  et  tous  leurs  généraux  : 
les  officiers  continuaient  à  se  montrer  d'une  bravoure  éprou- 
vée; les  deux  Biron,  Lcsdigulères,  Sully  avaient  fait  preuve 
de  véritables  talents  militaires.  Pour  garder  à  la  nation  cette 
race  et  cette  recrue  de  capitaines,  Il  fallait  la  tenir  entourée 
de  la  considération  qui  s'attache  à  l'aisance,  et  la  préparer 
aux  rudes  travaux  de  la  guerre  par  la  vie  de  la  campagne 
et  les  exercices  de  la  chasse.  Aussi,  Henri,  faisant  la  guerre 
au  luxe  ruineux  des  nobles,  disait-Il,  qu'il  se  «  moquait  bien 
n  de  ceux  qui  portaient  leurs  moulins  sur  les  épaules.  ■  De 
plus,  au  lieu  de  les  attirer  à  sa  cour,  pour  les  réduire  au  rôle 
de  souples  courtisans,  Il  les  renvoyait  vivre  dans  leurs  châteaux 
et  dans  leurs  terres.  Un  autre  avantage  s'attachait  au  séjour 
des  gentilshommes  parmi  leurs  paysans  :  en  cas  d^invasion 

*  p.  Caj«l,  rhroo.  M^ptfo.,  1.  i,  t.  U,  p.  37  A.  •-  Thutnat,  1.  CXZ, 
I.  Xlli«  p.  Slî  de  U  traduction.  D«  Tlioa  donne  un«  paraphrii»*  felMe  du 
beau  ilUcourt  de  Henri  IV  à  l'uti^mblée  du  clrri;^,  eti  16!)S,  qa«  Cajét 
rap|>orle  root  à  mot  :  •  Je  «ruy  que  U  religion  rt  la  jiutire  tout  1m  fonde» 

•  menU  et  ctilonuci  dr  r<>>l  Ftt.it,  qui  ke  ronkerve  par  pieté  et  |a«tice. 
m  Quand  elle»  n'y  tcroienl  p«s,  je  lat  y  Touilrnls  e^ilahlir  pied  è  pied 
»  romme  \e  fuis  toute*  rhoxt...  tailet  |tar  toi  bons  exemples  qne  U  pea- 
»  pie  toit  autant  exhorté  i  bien  faire,  cootm*  Il  ■  etté  rl^drTantdétownê... 
»  Vont  m*aTet  exhorte  de  mon  devoir,  \9  rwa  «ihorte  d«^voftf«...  Un 

•  predëcewmri  «out  ont  donné  det  pnrolet,  mnii  moi,  «fec  Ba  |aqa«tti 
a  grito,  |e  voua  donaeray  de4  effccla.  ■ 


U*2U  HISTOIRE  DU   K£GN£   D£   UËMRI   IV. 

étrangère,  leur  voix  était  bien  mieux  connue ,  ils  étaient  bien 
plus  facilement  stiivis,  Tennemi  trouvait  une  bien  autre  ré- 
sistance. Dans  ses  rapports  avec  la  noblesse,  Henri  se  con- 
duisit par  des  principes  absolument  opposés  à  ceux  de 
Louis  XIV,  et,  à  notre  sens,  selon  les  vrais  principes  de  la 
monarchie,  qui  n'est  ni  Tabsolutisme  ni  la  république. 
Rapporu  du         Henri  laissa  aux  villes  des  libertés  fort  étendues,  qui,  pour 
KouTerneineut    pjj,gjçm.j  d'entre  elles,  étaient  des  restes  importants  des  li- 
i^'^^lu*       bertés  communales,  qui,  pour  les  autres,  étaient  la  consé- 
gct.   q^jçjjçg  jg  jçy|.j  privilèges.  Toutes  les  grandes  villes,  soit 

qu'elles  eussent  reconnu  son  autorité  dès  son  avènement, 
soit  qu'elles  eussent  traité  avec  lui  à  partir  de  ibdlx  et  de  la 
fin  de  la  Ligue,  conservèrent  le  droit  de  se  garder  elles- 
mêmes.  Elles  ne  reçurent  point  de  garnisons  du  tout,  ou 
quand  elles  étaient  frontières,  elles  ne  reçurent  de  troupes 
que  ce  qui  était  strictement  nécessaire  pour  aider  les  bour- 
geois à  se  défendre  contre  l'étranger  :  elles  ne  furent  com- 
mandées ni  dominées  par  des  forteresses,  la  maxime  du  roi 
étant  qu'il  ne  voulait  «  avoir  de  citadelles  que  dans  les  cœurs 
Il  de  ses  sujets  i.  »  La  ville  d'Amiens  fit,  au  dommage  de  la 
France,  un  criminel  abus  du  respect  de  Henri  pour  ses  fran- 
chises, quand,  se  trouvant  alors  sur  la  frontière,  et  la  guerre 
déclarée  contre  l'Espagne,  elle  refusa  de  recevoir  une  garni- 
son dans  ses  murs.  Mais  cet  accident,  si  gi*ave  qu'il  fût, 
n'induisit  pas  Henri  k  changer  les  rapports  généraux  de  son 
gouvernement  avec  les  villes.  Elles  obéirent  donc  sans  con- 
trainte, parce  qu'elles  sentaient  l'utilité  et  la  nécessité  pour 
elles  d'obéir,  et  de  maintenir  fortement  l'ordre  public  De 
159/1  à  1610,  dans  un  espace  de  seize  ans,  le  roi  n'eut  pas  à 
réprimer  une  seule  révolte  dans  les  grandes  villes;  leur  res- 
pect pour  son  autorité  justifie  complètement  sa  confiance  et 
les  principes  d'après  lesquels  II  se  conduisit  à  leur  égard.  Il 

*  Trsitët  du  roi  ■▼ec  les  tIUcs  de  la  Ligue,  dons  le  recueil  de  MaUhieu, 
dans  d'Aubigntf,  1.  m,  c.  xix,  et  daus  P.  Cayet,  1.  VI.  1*  Meaux  :  m  Qu'il 
m  ne  aéra  mis  en  ladite  ville  autre  garnison,  soit  de  cheval,  soit  de  pied, 
B  que  la  compagnie  do  chevaux  légers  du  sieur  de  Vilry  ;  2*  Lyon,  que  le 
M  roj  ne  busliruit  |ainois  de  citadelles  en  leur  ville  que  dans  leurs  ctenrs 
M  et  bonites  volontés,  qu'ils  n^anroient  que  600  Suisses  de  garnison  ; 
M  V  Orléans ,  article  7,  promeltont  aussi  en  parole  «le  roy  qu'il  ne 
M  sera  par  nous  ou  uns  surces^curs  li  l'advenir  faict,  construit,  ni  hasty, 
»  aucune  citadelle,  ni  Torts  en  ladicte  ville,  ni  en  icelle  mis  aucune  gar- 
M  nison  de  gens  de  guerre.  »  Tous  les  autres  traités  portent  des  clauses 
pareilles. 


PRINCIPE   OË   LA   LIBKIITË   MAl^TENC.  !l25 

laissa  complètement  aux  villes  l'administration  de  la  com» 
manauté,  de  la  famille  mmilcipale,  et  le  choix  de  Tadminis- 
trateur,  dans  tout  ce  qui  n'intéressait  qu'elle.  Il  respecta 
avec  scrupule  la  liberté  des  choix  dans  la  nomination  des 
magistrats  municipaux,  prévôts  des  marchands,  maires,  ca- 
pitouls,  échevins,  consuls,  jurats.  Il  les  confirma  dans  la 
Jouissance  et  la  di^fmsition  de  leurs  revenus.  11  leur  donna 
toutes  facilités  et  protection  pour  se  maintenir  dans  la  pro- 
priété de  leurs  biens  commimaux  ou  pour  y  rentrer.  Par 
suite  du  malheur  des  temps,  la  plupart  des  communes  ayant 
été  réduites  à  aliéner  leurs  terres  pour  acquitter  les  impôts, 
ou  pour  satisfaire  aux  exactions  de  la  Ligue,  Henri  leur  ac- 
corda, par  son  édit  de  1600,  la  faculté  d'y  rentrer,  à  la 
charge  par  elles  d'acquitter  en  quatre  ans  le  prix  très  vil  au-* 
quel  elles  les  avaient  vendues  *.  On  a  remarqué  avec  justesse 
et  sagacité  que,  dans  la  Jouissance  des  biens  communaux,  le 
paysan  pauvre  et  laborieux  puise  une  ressource  qui  le  met  à 
l'abride  la  mendicité  etde  la  servitude.  Henri  fitdonc  immensé- 
ment pour  la  liberté  de  cette  classe  nombreuse  de  la  nation. 
En  tenant  tous  les  ordres  de  citoyens,  le  clergé,  la  noblesse, 
les  parlements,  la  bourgeoisie,  les  habitants  des  campagnes 
dans  cet  état  de  dignité  et  d'indépendance,  en  leur  conti- 
nuant à  tous  une  existence  distincte,  une  vie  qui  leur  était 
propre,  Henri  se  conduisait  par  les  maxhnes  de  la  politique 
la  plus  élevée.  H  entretenait  chez  sa  nation  la  mâle  vigueur, 
la  noblesse  de  sentiments  et  d'idées,  qui  font  la  grandeur  des 
Individus  et  des  peuples  tout  ensemble,  parce  qu'elles  pous- 
sent la  nature  humaine  à  fournir  tout  ce  qu'elle  peut  don- 
ner. Les  bourgeois  d'Orléans,  les  bourgeois  de  Beauvais 
avaient  opposé  aux  Anglais  et  aux  Bourguignons  ime  résis- 
tance héroïque  et  indomptable  ;  les  parlements  et  les  villes, 
tout  récemment,  venaient  de  reconquérir  la  patrie  sur  les 
tyrans  de  la  Ligue  et  sur  l'Espagnol.  Cette  fierté  de  courage, 


*  ÈJit  du  mois  d»  mars  1600,  aHicle  S7,  Anr.  loU  franc.,  I.  XT,  p.  B7. 
«  Ayant  este  conlralnt*  1m  pluipart  det  bahitanls  des  paroutei  de  ce 
M  rovaitme,  de  Tendre  leurs  u«aKes  et  communes  (terres  commanes)  à  fort 
»  Til  pris,  pour  payer  les  tailles  et  aulret  grandes  sommes  qai  •«  levoient 
t>  avec  violence  snr  eux  durant  le4  tronblvs,  Toulons  et  ordonnons  qne 
a  quoique  lesdietes  renies  ayent  esté  faides  purement  et  sans  rachapt,  qu'il 
m  soit  loisible  ans  habitants  d«  les  retirer  en  rembonraanl  la  pris  adneU 
••  leroent  payé  par  les  acquéreurs  dans  quatre  ans.  a  —  M.  Leber,  Hiatoire 
Jtt  poatoâr  municipal,  p.  445,  454. 


626  HISTOIRE  DU  RÈ6MS  DR  HENRI  IT. 

qui  ne  connaît  pas  de  dangers  dans  la  guerre,  se  transforme, 
les  hostilités  finies,  d*une  part  en  courage  dvil,  d*une 
autre  en  une  force  calme  qui  ne  connaît  pas  de  difficultés 
insurmontables  dans  les  arts  et  les  entreprises  de  la  paix. 
Toutes  ces  vertus  se  retirent  des  populations  à  mesure  que  les 
populationsse  fondent,  se  perdent,  s'effacent  dansune  masse  de 
trente  millions  d'individus,  et  qu'elles  subissent  Tabsolutisme. 
L'excès  de  la  centralisation  et  de  l'unité  administrative  tue 
cbez  elles  la  puissance  de  l'individualité  !  l'excès  du  pouvoir 
étouffe  le  sentiment  de  la  liberté,  principe  de  tobtes  les 
grandes  choses.  La  souveraine  habileté  pour  les  gouverne- 
ments, même  monarchiques,  est  de  laisser  aux  corps  et  aux 
communautés  assez  de  vie  locale,  aux  citoyens  assez  d'in- 
dépendance, pour  qu'ils  restent  énergiques  et  dignes,  et  de 
ménager  à  la  royauté  assez  de  force  pour  réprimer  la  liberté, 
au  moment  où  l'abus  se  produit  et  où  la  révolte  commence. 
Henri,  en  faisant  à  la  nation  une  large  part  d'Indépendance  « 
ne  négligea  aucun  des  grands  moyens  propres  à  fonder  un 
pouvoir  central  très  fort,  très  en  état  de  prévenir  ou  de  ré- 
primer les  troubles;  et  d'assurer  l'ordre  public  Tous  les 
malheurs,  toutes  les  humiliations  de  la  France  à  la  fin  du 
moyen  âge,  avaient  découlé  d'une  source  unique  :  les  apa- 
nages avaient  constitué  ime  seconde  féodalité,  avalent  per- 
mis aux  ducs  de  Bourgogne,  peu  h  peu  agrandis,  de  devenir, 
comme  princes  terriens,  les  rivaux  des  rois  de  France.  Au 
temps  des  guerres  de  religion  et  de  la  Ligue,  les  deux  der- 
nières principautés  féodales  subsistantes,  où  se  maintenaient 
encore  l'Indépendance  de  fait  et  les  moyens  de  faire  la  guerre, 
au  moins  à  un  gouvernement  faible,  avaient  alimenté  les 
troubles  dans  le  royaume  durent  trente-six  ans.  Le  parti 
calviniste  avait  pu  tenir  tète  toujours  à  la  royauté,  parfois 
même  comme  à  Goutras,  la  vaincre,  l'humilier,  parce  qu'il 
avait  été  soutenu  par  les  rois  de  Mavarre,  princes  de  Béam, 
seigneurs  de  seize  duchés  et  comtés  dont  la  plupart  étaient 
groupés  autour  de  la  Navarre.  Les  grandes  villes  de  la  Ligue 
étant  déjà  réduites,  tous  les  autres  princes  de  la  maison  de 
Lorraine,  y  compris  ^layenne,  déjà  abattus  ou  soumb,  le 
duc  de  Mcrcœur  avait  pu  soutenir  la  Ligue  Jusqu'en  i598« 
parce  qu'il  appuyait  la  révolte  des  immennes  domaines  de  ta 
maison  de  Penthièvre,  possédés  par  lui  en  Bretagne. 


rAcnion  a  la  cocronms  du  domaine  PRlVi.     427 

A  son  avènement,  Henri  avait  relîuiéde  réunir  son  domaine 
particulier  au  domaine  de  la  couronne  :  il  avait  établi  la  sépa- 
ration  par  ses  lettres-patentes  du  13  avril  1590  et  par  ses 
lettres  de  jussion  des  18  avril  et  29  mai  1691  K  Rien  n'était 
plus  juste  que  cette  séparation  et  désunion  :  en  effet,  la  moitié 
de  la  FVance  était  alors  armée  contre  lui  ;  Hssue  de  la  lutte 
incertaine,  et  il  ne  pouvait  sans  une  générosité  folie  doter  de 
son  domaine  particulier  une  couronne  quUI  risquait  de  ne  pos- 
séder jamais.  La  justice  demandait  encore  qu'il  conservât 
ses  biens  pour  sauvegarder  les  droits  de  sa  sœur  Catberine, 
Enfin  ilntérét  de  l'État,  autant  que  son  intérêt  privé  et  celai 
de  sa  famille,  plaidait  contre  la  réunion.  Pour  défendre  la 
cause  nationale  contre  les  efforts  conjurés  de  la  Ligue,  du  roi 
d'Espagne,  d'une  partie  de  l'Europe,  il  fallait  pouvoir  con- 
tracter d'immenses  emprunts,  et  ses  domaines  propres  avaient 
été  incessamment  le  gage  qu'il  avait  donné  à  ses  créanciers 
pour  en  obtenir  de  l'argent  ^.  Quand  il  fut  affermi  sur  le  tr6ne« 
et  quand  il  eut  perdu  sa  srpur,  morte  sans  enfants,  11  céda  aui 
instances  que  le  procureur-général  Ijaguesie  et  le  parlement 
de  Paris  avaient  faites  auprès  de  lui  depuis  le  mois  d'avril 
1591.  Par  son  édit  du  mois  de  juillet  1607,  il  réunit  son  do- 
maine privé  au  domaine  de  la  couronne.  Jamais  roi  de  France 
n'avait  enrichi  la  couronne  de  terres  si  nombreuses  et  si  belles. 
Il  lui  donna  la  partie  française  du  royaume  de  Navarre,  la 
principauté  de  Béam,  et  de  plus,  dans  le  Midi  du  royaume, 
an  duché  et  neuf  comtés,  qui  étaient  le  duché  d'Albret,  les 
comtés  de  Foix,  d'Armagnac,  de  Bifeorre,  de  Rouerguc,  de 
Roch,  de  Cuiversan,  de  Tarascon,  de  l*érigord,  de  Limoges) 
dans  le  centre  de  la  France,  le  duché  de  Beaumont-le- Vi- 
comte ;  dans  le  Nord,  le  duché  d'Alençon  et  les  trois  comtés 
de  Soissons,  de  Marie,  de  La  Fère.  De  tous  les  biens  dont  11 
était  propriétaire  lors  de  son  avènement,  le  seul  duché  de 
Vendôme  ne  fut  pas  réuni  à  la  couronne;  il  en  avait  disposé 
en  1598  au  profit  de  son  fils  naturel  César  K 

'  Am  ienn#s  lois  frvnc.,  t.  ZT,  p.  SOB^nltS. 

'  Mrmoiret  d«  miidaror  Du|tlr»»i»,  p.  955,  9M.  ■  Sa  ILi|Mtr  doona 
»  chaigr  «t  commiuion  i  M.  Duplnm  pour  Tendra  |ttsqa'à  iîS.OOO  ciroi 
a  du  fonda  de  son  domaine  de  N« 


■iivarre 


I  pour  pa^rmeiit  dr«  Croit  irieus 

•  r^gimenU  des  &ulue*,  Tenle  i  laquelle  M.  Dupli>wi«  contrcdici  plot  d'uo 

•  an,  |H>iir  ne  voir  diMïper  cesie  maiwo  en   tel  mains,  mais  A  laquelle 

r  pour 

loia  franc.,  t.  XT,  p.  3t9. 

,   Ane  loia  franf.,  t.  ZT,  p.  80-SIQ.   Ponr 


•  flaalcmcnt  Sm  Hajatte  lui  commanda  il«  cMer  pour  la  nécessite  argenlt 


Ri^unioii 

au  domaine  de 

la  rouroune, 

du  domaine 

pariirulicr  du 

ruL 


»  de  aaa  affairas.  «  — >  Ane 
•  Poar  l'adii  d« 


Conséquences 
«l«s  réunions. 


U2S  HISTOIRE  DU   RÈGMi  DE  HENRI   IV. 

Les  donmuies        Les  itniiicnses  domaines  de  la  maison  de  l^enlliièvrc  situés 
PeniMèrre     ^^^  ^^^  dîocèses  de  Dol  el  de  Saint-Brietic  et  possédés  par 

et  de  Mercosur.  ]e  duc  de  MercŒUT  et  par  sa  femme,  passèrent  au  fils  naturel 
de  Henri  IV  et  de  Gabrielie  d^Estrées,  César  de  Vendôme,  par 
]e  mariage  de  ce  prince,  conclu  le  5  avril  1598,  avec  la  fille 
et  Tunique  héritière  du  duc  et  de  la  duchesse  de  Mercœur,  la 
plus  riche  héritière  du  royaume  ^ 

Les  conséquences  capitales  de  ce  mariage  el  de  la  réunion 
du  domaine  du  roi  à  la  couronne  sont  faciles  à  saisir.  La  réu- 
nion mettait  désormais  du  côté  de  la  royauté  toutes  les  forces 
militaires,  toutes  les  ressources  financières  qui  Pavaient  tenue 
en  échec,  affaiblie,  humiliée,  pendant  la  longue  période  des 
guerres  de  religion.  Le  mariage,  en  livrant  rinunense  héri- 
tage du  dernier  ligueur  au  fils  du  roi,  le  livrait  à  peu  de 
chose  près  à  la  royauté  elle-même.  En  effet,  les  Vendômes, 
par  riUégitimité  de  leur  naissance,  par  la  situation  de  leurs 
domaines,  entourés,  enveloppés  de  toutes  parts  des  provinces 
royales,  ne  pouvaient,  par  aucun  côté,  renouveler  le  rôle 
des  ducs  de  Bourgogne.  Le  premier  duc  de  Vendôme,  le  fils 
même  de  Henri  IV,  en  i6i/!i,  alors  qu'il  avait  vmgt  ans,  alors 
que  ceux  qui  l'entouraient  voulaient  et  décidaient  pour  lui,  fit 
bien  une  sorte  de  parade  insurrectionnelle  de  quelques  mois 
contre  le  plus  faible  et  le  plus  décrié  des  gouvernements, 
contre  la  régence  de  Marie  de  Médids.  Mais  il  échoua , 
et  depuis  ce  moment,  lui-même  et  tous  ses  descendants  ne 
furent  plus,  pour  les  rois,  que  des  généraux  utiles,  sou- 
vent héroïques,  parfois  indispensables  comme  dans  la  guerre 
de  la  succession  d'Espagne.  La  réunion  du  domaine  privé 
des  rois  de  Navarre  au  domaine  de  la  couronne ,  et  l'acqui- 
sition des  domaines  de  la  maison  de  Penthièvre  eurent  donc 
ces  résultats.  Désormais ,  aucim  seigneur  en  France  n'eut 
plus  par  lui-même  les  moyens  de  tenir  tête  à  la  royauté  : 
quand  désormais  les  gouverneurs  de  province  et  les  princes 
du  sang  s'insurgèrent,  ils  s'en  prhrent  à  des  régentes  dont  le 


Vétumcé  des  domaines  prir^s  du  roi,  son  eccord  el  capituUUon  avec  le 
duc  Cssimir,  Blénioires  de  Duplestis.  t.  !▼,  p.  56  ;  Arl  de  Tërifîer  1rs  dates 
t.  Vi,  p.  930,  in-8*  —  Le  duché  de  Vendôme  ne  fut  dms  réani  à  la  cou- 
ronne, parce  que  le  roi  en  disposo  en  fiivear  de  son  ftls  naturel  Cesor,  pai 
•rte  du  S  oTril  1508.  (Thuanus,  1.  cxx,  t.  xiii,  p.  90((,  de  la  traduction). 
Les  BéoédicUns  font  donc  erreur  au  suicide  cette  réunion. 
*  Tbaantts,  1.  csx,  ibid. 


PRÉCAUTIONS  A  L'ÉGARD  DES  PRINCES  ET  DES  GOUVERN.  A'i9 

pouvoir  était  contesté,  au  lieu  de  s*en  prendre  à  des  rots,  co 
qui  était  fort  différent  :  déplus  ils  empruntèrent  à  la  couronne 
pour  les  retourner  contre  elle  les  pouvoirs,  les  soldats,  les 
deniers  dont  lis  firent  usage  ;  et  celte  force  d^mprunt,  qui  est 
un  contre-sens  en  même  temps  qu'un  monstrueux  abus,  ne 
dure  jamais. 

Un  vaste  domaine  privé  réuni  à  la  couronne,  le  dernier  'J:^*»'*«»J.p^ 
héritage  princier  assuré  à  la  branche  bAtarde  de  la  famille   ga'id1ict*pnoeêt 

royale,  sont  les  deux  mesures  décisives  par  lesquelles  Henri     _  "^  **^ 

assura  à  la  royauté  une  force  et  une  puissance  dont  elle  avait 
besoin  dans  Tintérèt  du  pays.  Mais  ces  mesures  ne  furent  pas 
les  seules  :  il  en  est  plusieurs  autres  qui,  bien  que  secon- 
daires, prêtèrent  aux  premières  un  utile  appui.  Les  princes 
du  sang  et  les  princes  de  la  maison  de  Lorraine  avaient  servi 
de  chefe  aux  factieux  des  deux  partis,  pendant  toute  la  durée 
des  guerres  de  religion.  Henri  les  tint  dans  un  état  d'abaisse- 
ment relatif.  Quand  il  leur  accorda  des  gouvernements,  il  prit 
k  leur  égard  des  mesures  si  exactes  qu'ils  ne  pouvaient  ni  dis- 
poser arbitrairement,  ni  abuser  contre  l'autorité  du  roi,  des 
forces  militaires  et  des  finances  de  la  province  où  ils  comman- 
daient Il  traversa  et  empêcha  tous  les  mariages  honorables 
et  riches  qui  se  présentèrent  pour  les  princes  de  la  maison 
de  Lorraine,  notamment  pour  le  duc  d'Aiguillon  et  pour  le 
duc  de  Guise.  Un  homme  d'État  contemporain  dit  à  ce  sujet  : 
«  Il  fallait  que  leur  race  finist  en  eux,  ou,  s'ils  se  marioient, 
»  que  ce  fust  avec  tant  de  désavantage,  que  se  trouvant  après 
■  sans  biens  et  fort  déchus  de  réputation,  ils  ne  peussent  pas 
»  soutenirleurs  prétentions,  ni  résister  à  ce  qu'il  voudroit  ^  » 
H  refusa  aux  princes  du  sang,  notamment  au  comte  de  Sois- 
sons  et  au  prince  de  Gondé,  les  domaines  et  la  fortune  néces- 
saires pour  soutenir  leur  rang,  avec  l'intention  bien  arrêtée 
de  les  garder  dans  sa  dépendance  et  dans  la  soumission  par 
l'argent:  un  pensionnaire  n'a  pas  beaucoup  d'idées  d'insur- 
rection. Quant  aux  antres  grands  seigneurs  chargés  du  gou- 
vernement des  provinces,  il  tempéra  ce  que  leurs  pouvoirs 
avaient  eu  jusqu'alors  d'excessif  et  de  dangereux  pour  l'autorité 
royale  etpour  la  tranquillité  publique.  A  côté  du  gouverneur 
de  la  province.  Il  mit   tm  lieutenant  du  roi  sur  la  fidélité 

*  Ponteoay-Mar«uil,  t.  ▼,  9*  série  ii«   1»  roUrction,  p.  S5  0,  à  U  An» 
«G  A. 


430  HI8T01BS  DU  RiGlIB  DE  HKHRl  IT. 

duquel  il  pouvait  compter,  n  donna  au  gouverneur  de  la  pro- 
vince des  rivaux  d'autorité,  d*une  part,  dans  les  gouverneurs 
des  grandes  villes  et  dans  les  gouverneurs  des  citadelles, 
d'une  autre,  dans  les  parlements.  Il  priva  les  gouverneurs 
de  province  des  impôts  arbitraires  qu'ils  avalent  levés  jus- 
qu'alors sur  les  populations,  et  au  moyen  desquels  ils  s'étaient 
constitué,  avec  d'immenses  revenus,  des  moyens  d'indépen- 
dance et  de  révolte.  On  pourrait  établir  par  des  faits  nom- 
breux la  condition  nouvelle  et  la  juste  dépendance  à  l'égard 
de  la  couronne  dans  laquelle  furent  placés  les  gouverneurs. 
11  suffira  de  rapporter  les  détails  relatifs  à  l'un  d'eux,  au  duc 
d'Épernon.  En  1598,  Henri  et  Bosny  enlevèrent  au  duc,  mal- 
gré ses  réclamations  et  ses  menaces,  un  revenu  de  180,000 
livres  de  ce  temps-là,  qu^il  se  faisait  au  moyen  de  taxes  arbi^ 
traires  dont  il  frappait  les  populations  de  son  gouvernement 
d*Angoumois  et  de  Saintonge  ^  En  1603,  le  roi  parvint  à  sous* 
traire  à  sa  puissance  la  ville  et  la  citadelle  de  Metz,  dont  il 
avait  le  gouvernement,  et  auxquelles  il  avait  doimé  pour  sous- 
gouverneur  le  sieur  de  Sobolles.  Metz  couvrait  dès  lors  toute 
la  frontière  de  la  France  au  nord-est.  Le  roi  en  connais- 
sait l'importance  et  la  signalait  dans  ses  lettres  à  Sully  '.  Il 
sentait  aussi  que  le  seul  moyen  sûr  de  s'en  assurer  la  pro- 
priété était  d'en  conserver  la  possession.  «  Metz  estant  ville  de 
»  l'Empire,  disait-il,  si  je  venois  à  la  perdre,  je  n'aurois  jamais 
«  droict  de  la  redemander  \  »  D'Épernon,  qui  avait  traité 
avec  les  Espagnols  pour  leur  livrer  Marseille  et  la  Provence, 
pouvait  parfaitement  traiter  avec  l'empereur  ou  les  princes 
de  l'Empire  pour  leur  livrer  Metz.  La  tyrannie  et  les  exactions 
du  frère  du  sieur  de  Sobolles  étaient  très  propres  à  inspirer 
aux  habitants  la  résolution  désespérée  de  se  séparer  de  la 
France,  et  de  se  réunir  à  l'Empire  auquel  ils  avaient  si  long- 
temps appartenu.  En  1603,  Henri  fit  tout  exprès  un  voyage 
à  Metz  pour  conjurer  ces  dangers  et  faire  tout  rentrer  dans 
l'ordre,  il  contraignit  Sobolles  à  lui  livrer  sans  condition  la 


*  SnUy,  OEeoo.  roy..  e.  txzx^,  1. 1,  p.  998  A. 

"  Lottre  du  roi  à  Rosnj,  du  15  mars  ISOS.  •  Cette  TiUe  «et  des  plu« 
»  b«lle«  et  de*  mieux  astUei,  et  trois  foli  plus  grande  que  celle  d*Orlêans  ; 
»  la  citadelle  ne  roat  rien.  Je  roudrois  que  tous  eussiea  fiiict  icj  un  tour, 
«et que  TOUS  euseies  veu  ceste  frontière  pour  juger  rintportunce  qu*elle 
»  m*e«L  ■  (Lelt.  raist.,  t.  Ti,  p.  48.) 

'  Diaeows  4a  ni  I  Sally,  OBcob.  roy.,  e.  OOV,  1. 1,  p.  40  A. 


SXCBLLBlfCB  PRATIQOB  DU  GOUVBRNEMBirT  :  8BS  CHOIX.  A31 

dtadelle  de  Mets  (16  mars*  1603).  Il  établit  pour  lieutenant 
du  roi  dans  le  pays  Montigny,  et  pourgouYemenr  partieuller 
delà  ville  et  do  la  citadelle  de  Metz  dVVrquien,  frère  de  Mon* 
tJgny,  tous  deux  serviteurs  d*une  fidélité  éprouvée,  le  duc 
d'Ëpcmon  conservant  le  gouvernement  nominal.  La  politique 
de  Henri,  à  Tégard  de  tous  les  gouverneurs  de  provinces  et 
de  villes,  est  révélée  par  la  conduite  qu^il  tint  à  Tégard  de 
ceux  de  Metz,  et  renfermée  dans  la  remarquable  observation 
de  Sully  :  »  Le  roy  fist  le  voyage  qui  donna  ordre  à  tout,  8*as- 
■  seurant  de  la  place  en  laissant  au  duc  d*Epernon  le  simple 
•  titre,  et  la  puissance  au  sieur  de  Montigny  *.  • 

Par  les  diverses  mesures  adoptées  à  Pégard  des  gouver* 
neurs  et  des  princes,  par  les  réunions  de  domaines  à  la  cou- 
ronne, Henri  compléta  U  puissance  royale  et  organisa  le 
véritable  régime  monarchique.  On  y  trouvait,  avecla  royau- 
té, un  pouvoir  central  très  fort,  très  capable  d*enchatner  les 
factions,  de  préserver  la  France  des  calamités  des  trois  der- 
niers règnes,  d'assurer  Tordre  public  d'une  manière  inébran- 
lable, de  favoriser  le  développement  des  fortunes  particu- 
lières et  de  la  prospérité  publique.  A  tous  ces  titres,  le 
pouvoir  était  très  aimé,  très  respecté,  très  populaire.  A  côté 
de  cette  royauté  forte,  on  trouvait  ime  liberté  contenue,  dont 
la  royauté  souffrait  non-seulement  le  voisinage,  mais  le  con- 
cours et  Faction  puissante,  pour  entretenir  la  vie  et  la  dignité  i 
au  sein  de  la  nation. 

Nous  venons  de  voir  ce  qui  constituait  la  force  matérielle 
et  la  force  morale  de  la  monarchie  de  Henri  IV  :  nous  allons 
examhier  rapidement  ce  qui  disait  Texceilence  pratique  de 
ce  gouvernement 

Même  dans  ses  expéditions,  même  dans  ses  voyages  ayant    Eceaiienc*  «lu 
pour  but  de  prévenir  ou  de  réprimer  des  séditions,  il  se  fal-   pa««rii«m#ni. 

.  ^         •      .  j  1     .«*.''«  "»*   connaît 

sait  accompagner  de  plusieurs  de  ses  secrétaires  d  Etat,  les     de  toaie*  !«•• 
ministres  d'alors,  et  examinait  avec  eux,  mais  par  lui-même,        •«»&'«■• 


toutes  les  affaires  Importantes.  La  correspondance  de  ses 
crétaires  d'Èut  et  le  témoignage  des  historiens  contemporains 
établit  ce  fait  jusqu'à  l'évidence.  Pour  ne  citer  ici  que  deux  ou 
trois  détails,  nous  rappellerons  que  Henri  recevait  les  requêtes 

*  UOrm  mbalvw  d«  Brart  IT,  <!•  IS  «an  1609,  t.  ti,  p.  40.~  SaUy, 
OBcM.  i«y..  c.  «xiii,  esiv.  t.1,  p.4ll>Â,4i4A««  TkMut,  I,  aux, 
U  ziv,  p.  laa,  131,  d«  u  tradaelioa. 


Choix  «dml* 
rable  des    ml- 

nitlrM  «Idet 

autres 
functionusires. 


/k32  HISTOIRE  DU   RÈGNE  DE  HENRI   IV. 

des  calvinistes  au  sujet  de  leurs  intérêts,  dans  la  ville  de  Lyon, 
ail  sortir  de  la  conquête  de  la  Bourgogne,  du  combat  de  Fon- 
taine- Française,  et  quUl  rendait  à  Nantes  Tédit  qui  régla  leur 
sort,  à  la  fin  de  son  expédition  contre  le  duc  de  Mercœur; 
que  durant  son  voyage  à  Metz,  en  1603,  il  était  accompagné 
de  Vilieroy  et  de  quelques  autres  de  ses  secrétaires  d'État,  et 
que  tout  en  poursuivant  le  changement  de  gouverneur  de 
cette  ville  et  de  la  citadelle,  il  continuait  d'importantes  né- 
gociations avec  la  Hollande  et  les  princes  d'Allemagne  K  Pen- 
dant la  paix,  le  roi  tenait  et  présidait  chaque  jour  le  conseil, 
et  faisait  débattre  en  sa  présence  toutes  les  questions  où 
rintérèt  de  TÉtat  éuit  engagé,  appliquant  k  toutes  son  expé- 
rience, ses  lumières  naturelles,  les  lumières  qu'il  avait  tirées 
des  autres,  dans  ses  rapports  et  ses  perpétuels  entretiens  avec 
toute«i  les  classes  de  citoyens.  Après  la  discussion ,  il  prenait 
une  résolution  invariable  et  la  faisait  exécuter  sans  retard. 
Ses  secrétaires  d'État  lui  rendaient  également  compte  chaque 
jour  des  affaires  de  leur  département  '-'.  L'œil  du  maître  était 
donc  partout  et  toujours ,  entretenant  chez  ceux  qu'il  em- 
ployait le  travail,  le  zèle,  la  probité  ;  donnant  au  service  une 
exactitude  et  une  promptitude  qui  font  souvent  plus  de  la 
moitié  du  succès  des  entreprises. 

Le  choix  de  ses  conseillers  et  de  ses  secrétaires  d*État  fut 
admirable.  11  ne  consulta  ni  la  qualité  ni  la  faveur:  il  ne  se 
décida  que  par  la  capacité,  que  par  les  talents  qui  pouvaient 
être  utiles  à  la  chose  publique ,  employant  indifféremment 
Bellièvre,SiUery,  Rosny,  qui  avaient  toujours  suivi  son  parti; 
Vilieroy  et  Jeannin,  qui  avaient  servi  la  Ligue. 

11  se  détermina  à  employer  ces  deux  derniers  sur  cette 
considération,  qu'ils  étaient  consommés  dans  la  connaissance 
des  affaires ,  fertiles  en  ressources  et  en  expédients ,  et  que 
dans  les  conseils  de  la  Ligue  ils  s'étaient  montrés  bons  Fran- 
çais, s'opposant  constamment  au  démembrement  de  la  cou- 
ronne et  aux  prétentions  des  Espagnols  '.  Une  preuve  que 
ces  deux  hommes,  malgré  leur  grande  habileté,  étaient  très 
inférieurs  au  roi  dans  le  maniement  des  grandes  affaires, 

'  Thunus,  I.  c»ii  et  cxx.  t.  xn,  p,  4f7,  4i8,  et  t.  xiii,  p.  909,  de  la 
trsdnclioii.  —  Lettre  de  ViUeroy  •  Rosny,  du  4  mars  1603,  dans  les 
OEcon.  roy.,  c.  cxti.  t.  i,  p.  4U  B,  415  A. 

*  FotileoayMureuil.  t.  v.  9»  série,  p.  18  A,  19  A,  eolleclloa  Miehand. 

'  FoDtenaj-lIarenil,  t.  V,  p.  18  B. 


FONCTIONS.   IRR/.l>ilOCHABL£S  DKVENUS  INAMOVIBLES.   /k33 

r.Vst  que  la  Ligue  qu'ils  soutcnahmt  fut  vaincue  par  lui,  et 
qu'après  sa  mort  le  ministère  dont  ils  firent  partie  ne  se  si- 
gnala que  par  une  timide  et  insuffisante  adresse,  et  ne  vint 
à  bout  d'aucune  des  difficultés  du  temps.  lia  main  puissante 
qui  les  faisait  valoir  s'était  retirée ,  et  il  ne  restait  plus  dès 
lors  que  des  hommes  d'État  incomplets.  Il  y  a  lieu  de  s'éton- 
ner que  cette  remarque  n'ait  jamais  été  faite,  et  que  Ton  n'en 
ait  pas  tiré  la  conséquence  légitime  que  Henri  était  le  plus 
grand  politique  de  son  conseil. 

Préoccupé  de  l'idée  que  la  force  et  la  grandeur  d'un  État 
dépendent  de  la  perfection  de  chacun  des  services  publics,  il 
ne  tint  compte  pareillement  que  du  mérite  éprouvé  dans  tous 
les  choix  où  l'intérêt  général  se  trouvait  engagé.  Quand  il 
s'agissait  de  quelque  charge  ou  office  de  sa  maison.  Il  pre- 
nait ceux  qu'il  aimait  le  plus  et  qui  lui  agréaient  davantage  ; 
dès  qu'il  était  question  des  grandes  affaires  intérieures  ou  de 
la  guerre,  il  ne  songeait  qu'aux  plus  capables.  La  présence  et 
les  instances  des  demandeurs,  la  haute  position  de  leurs  pa- 
trons, ne  servaient  de  rien.  Il  écartait  ces  sollicitations  et  ces 
brigues  pour  aller  chercher  le  mérite,  et  pour  lui  remettre  le 
pouvoir  et  les  dignités.  Il  éleva  très  souvent  aux  charges  les 
plus  importantes  des  hommes  absents  ou  qui  ne  demandaient 
rien.  Entre  cent  autres  on  citait  de  Vie,  qu'il  fit  gouverneur 
de  Calais  ;  Lcsdiguières,  maréchal  de  France  ;  d'Ossat  et  La- 
rocbefoucauld,  cardinaux '.  Une  pareille  monarchie  valait, 
sous  ce  rapport,  les  meilleures  républiques. 

Après  avoir  choisi  les  sujets  avec  justice  et  discernement, 
pour  les  plus  grands  comme  pour  les  plus  humbles  emplois, 
Henri  les  y  maintenait  biébninhiblement  tant  qu'ils  n'avaient 
pas  démérité.  Voici  à  cet  égard  le  témoignage  d'un  content- 
poniin  :  «  Ajoutez  à  tout  ceci  une  chose  qui  devroit  être  ab- 
»  solttnient  pratiquée  par  tous  les  rois  et  potentats  :  c'est  que 
i>  non-obstant  toute  la  grande  faveur ,  crédit  et  emploi  de 
»  Sully  près  du  roi,  cependant  n'estoit-il  pas  en  sa  puissance, 
u  ni  de  nul  autre,  de  faire  prendre  à  ce  prince  ni  oster  aucun 
»  serviteur  à  sa  fantaisie.  Le  roy  vouloit  estre  informé  de  tout 
«  au  vrai,  en  sorte  que  nul  mauvais  office,  par  haine  ou  par 


Toul  fonction- 

nuire  irrëpro- 

cbiibl*    J«TeMii 

iuamotibU. 


*  Fonli  na^-llitiruil,  p.  ti  R. 


!2K 


/i34  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE   HENRI  TV» 

»  malice,  ne  pouvait  noire  à  aucan K  »  On  le  voit,  Henri 
était  pénétré  de  Tidée  que  l'on  ne  doit  attendre  ni  attache- 
ment pour  le  gouvernement,  ni  dévouement  pour  leurs  fonc- 
tions, ni  même  ordinairement  probité ,  des  hommes  qui  ne 
peuvent  considérer  leur  charge  que  comme  un  passage,  et 
leur  pouvoir  que  comme  un  accident  qu'il  faut  se  hâter 
d'exploiter. 

§  2.  Justice. 

Les  vingt  années  de  troubles,  de  guerre  civile  et  étran- 
gère, qui  avaient  marqué  l'existence  de  la  Ligue,  avaient  ap- 
porté dans  la  justice  les  mêmes  désordres,  la  même  désorga- 
nisation que  dans  les  autres  parties  de  l'administration,  dans 
les  autres  services  publics.  En  1597,  les  garanties  que  la  jus- 
tice est  chargée  de  donner  aux  biens,  à  la  vie,  à  l'honneur 
des  citoyens,  n'existaient  plus  qu'incomplètes ,  et  même, 
dans  certains  cas,  n'existaient  plus.  Le  pays,  entraîné  vers 
un  état  de  choses  où  la  furce  et  la  ruse  remplaçaient  le 
droit,  retournait  à  grands  pas  vers  la  barbarie.  Les  dangers 
dans  lesquels  la  couronne  s'était  trouvée  placée  avaient  fait 
une  partie  du  mal,  l'entraînement  et  la  perversité  des  parti  - 
ailiers  avaient  fait  le  reste, 

La  royauté,  harcelée  par.  ses  ennemis,  exclusivement  oc- 
cupée de  la  guerre,  n'avait  plus  eu  ni  attention,  ni  surveil- 
lance pour  Texercice  de  la  justice.  De  plus,  occupée  sans 
cesse,  et  forcément,  à  gagner  ou  ù  conserver  des  partisans, 
ayant  besoin  de  tout  le  monde,  des  gens  de  guerre,  des  ma- 
gistrats de  toutes  les  juridictions,  des  officiers  municipaux, 
des  bourgeois,  elle  avait  usé  d'une  pareille  et  fatale  indul- 
gence envers  les  juges  et  envers  les  justiciables.  Les  chefs  de 
la  Ligue,  les  usurpateurs  Guise  et  Mayenne  avaient  subi  des 
exigences  plus  grandes  encore ,  et  fait  au  désordre  plus  de 
concessions. 
Enormes  ■bas  L'actlou  ct  la  répr&ssiou  salutaires  de  l'autorité  souveraine 
fo^Vln 'StWT*  3y*ï*t  cessé,  les  abus  avaient  pullulé  aussitôt.  Le  moindre 
était  le  prix  exorbitant  auquel  le  citoyen ,  conduit  pour  une 
affaire  civile  ou  criminelle  devant  les  tribunaux ,  était  con- 

■  Sully,  OEcon.  royal.,  c.  CLYU,  S*  section,  t.  ii,  p.  100  A. 


jQSTice.  635 

traint  de  payer  les  services  de  toiis  les  suppôts  de  la  justice. 
En  ce  temps,  les  magistrats  des  parlements  et  des  tribunaux 
inférieurs  étaient  rémunérés  du  travail  qu'entraînent  les 
procès,  par  le  gouvernement  qui  leur  donnait  des  gages  mo- 
diques, et  par  les  particuliers  dont  ils  recevaient  une  rétribu- 
tion nommée  épices.  Les  juges  avaient  porté  leurs  épices  à 
un  taux  excessif  :  autant  en  avaient  fait  les  procureurs  pour 
leurs  procédures,  les  avocats  pour  leurs  plaidoyers  :  le  plai- 
deur perdait  une  partie  de  sa  fortune  pour  défendre  et  con- 
server Tautre.  Les  juges  les  meilleurs  étaient  ceux  qui  se  fai- 
saient payer  cher  une  sentence  juste.  Le  parlement  de  Paris 
était  demeuré  intègre  ;  mais  dans  les  provinces  les  parle- 
ments, les  autres  cours  souveraines  et.  les  tribunaux  infé- 
rieurs,  perdant  toute  conscience  et  toute  pudeur,  avaient  mis 
presque  partout  leurs  sentences  à  prix  d'argent  Au  temps 
même  qui  nous  occupe,  en  1598,  Henri  disait  :  »  J'aime  mon 
»  parlement  de  Paris  par  dessus  tous  les  autres.  Il  faut  que 
u  je  recognoLsse  la  vérité  que  c'est  le  seul  lieu  où  la  justice 
»  se  rend  aujourd'hui  dans  mon  royaume.  Il  n'est  pas  cor- 
»  rompu  par  argent;  en  la  plupart  des  autres,  la  justice  s'y 
m  vend  ;  et  qui  donné  deux  mille  cscus  l'emporte  sur  celluy  qui 
»  donne  moins.  Je  le  s<;ais  parce  que  j'ay  aidé  autrefois  à 
I*  boursiller»  »  C'était  pendant  la  durée  de  la  Ligue,  alors 
qu'il  avait  à  soutenir  et  à  défendre  ses  serviteurs  contre  les 
iniquités  des  tribunaux  de  province.  Le  témoignage  qu'il 
porte  contre  eux  est  conlinné  par  un  magistrat  des  cours 
souveraines  de  province,  lequel  avoue  que  la  décadence  des 
parlements  est  arrivée  de  son  temps  ^  Quand  les  plaideurs 
de  mauvaise  foi  trouvaient  par  exception  dans  une  localité  les 
juges  inaccessibles  à  la  corruption,  ils  prenaient  un  autre 
moyen  de  violer  La  justice.  C'était  d'obtenir  une  évocation^ 
c'est-^-dire  le  transport  de  leur  cause  du  tribunal  qui  devait 
naturellement  en  connaître  à  un  autre  tribunal ,  soit  parle- 
ment, soit  grand  conseil,  soit  conseil  d'État  ib  gagnaient 
alors  leurs  procès  par  suite  de  diverses  circonstances.  Tantôt 
Us  triomphaient  par  l'éloignement,  leur  partie  adverse  man- 


*  DboQ«n4«  HMii  IT  un  parlenait  d«  Pftrtf .  «•  1898,  m  fa|«t  de  redit 
d«  Ifanics,  dast  rHiitoire  da  p«rlemeat  de  l'aru,  c.  40,  p.  ti9,  éd.  1919. 
—  Laroctw-navln,  L  X,  c.  Ti.  Céuit  as  coiudUer  au  parlameot  de 


/i36  HISTOIRE   DU   RÈGNK   DE   IlENItl   IV. 

quant  de  ressources  suffisantes  pour  se  transporter  à  cent, 
deux  cents  lieues  de  sa  résidence ,  pour  clioisir  des  défen- 
seurs habiies,  pour  solliciter  et  éclairer  les  juges.  Tantôt  ils 
remportaient  par  le  choix  du  rapporteur  de  leur  procès  ou 
par  la  composition  du  tribunal  :  les  uns  avaient  assez  de  crédit 
pour  ctioisir  eux-mêmes  à  leur  gré  leur  rapporteur  :  les 
autres  se  faisaient  renvoyer  devant  des  juges  parmi  lesquels 
ils  comptaient  beaucoup  d'amis  ou  sur  lesquels  ils  pouvaient 
exercer  une  influence,  soit  directe,  soit  indirecte  :  les  princes, 
les  ministres,  les  courtisans,  pesaient  d*un  poids  irrésistible, 
pour  eux-mêmes  ou  pour  leurs  protégés ,  sur  le  grand  con- 
seil ,  sur  le  conseil  d'État,  sur  certains  parlements.  C'était , 
comme  le  témoignent  les  monuments  contemporains ,  «  le 
»  plus  grand  moyen  qu'eussent  les  hommes  puissants  de  faire 
»  injustice  aux  foibles  contre  lesquels  ils  plaidoient  <  »  Bien 
d'autres  abus  encore  corrompaient  et  déshonoraient  la  jus- 
tice. Beaucoup  de  magistrats  ne  présentaient  plus  les  garan- 
ties d'Age,  de  capacité,  de  moralité  voulues  pour  assurer  de 
bons  juges  et  une  justice  impartiale.  Beaucoup  d'autres  se 
chargeaient  des  alTaires  des  princes,  des  prélats,  des  cha- 
pitres, ou  bien  prenaient  intérêt  dans  des  affaires  de  finance, 
d'industrie,  de  commerce  ;  de  sorte  qu'ils  se  trouvaient  sou- 
vent juges  et  parties  dans  leur  propre  cause  ou  dans  celle 
de  leurs  clients,  et  qu'ils  consacraient  toujours  à  des  intérêts 
particuliers  le  temps  qu'ils  devaient  au  public.  On  trouvait 
dans  certains  tribunaux  un  si  grand  nombre  de  magistrats 
parents  ou  alliés  entre  eux ,  qu'ils  pouvaient  se  concerter  et 
s'accorder  pour  faire  rendre  les  jugements  au  gré  de  leurs 
passions  et  de  leur  intérêt.  Très  souvent  les  causes  étaient 
enlevées  aux  tribunaux  ordinaires  pour  être  livrées  aux  tri- 
bunaux d'exception,  aux  commissions.  Enfin,  pour  comble 
de  désordre,  les  arrêts  des  parlements  et  autres  cours  souve- 
raines étaient  souvent  cassés  ou  rétractés  sur  la  poursuite 
d*hommes  puissants  :  leur  exécution  était  suspendue,  quel- 
quefois indéfiniment,  par  des  lettres  ou  requêtes  présentées 
au  conseil  d'État  :  leur  exécution  n'avait  pas  lieu  du  tout 
quand  les  chefs  de  la  force  armée,  les  gouverneurs  de  viiles 
ou  de  province,  les  grands  seigneurs  puissants  dans  leurs 

*  AnricDDrt  lois  françiiisef,  I.  xy,  p.  Itt. 


JIST1C£.  U'ôl 

terres  s'rii  irouvaiciu  It^sés;  il  y  avait  alors  uiie  ipultilude  de 
gens  plus  forts  que  la  loi. 

On  peut  donc  dire  que  littéralement  la  Justice  périssait  en  ÉdU  «t  r^n  mt 
France,  lorsque  Henri  la  sauva  par  son  édit  du  mois  de  jan-  ^*  *^^' 
vier  1597.  Cet  édit  remettant  en  vigueur  les  dispositions  des 
ordonnances  d'Orléans,  de  Moulins  et  de  Blois,  réglait  avec 
sagesse  trois  points  principaux  :  la  composition  et  le  person- 
nel des  divers  tribunaux ,  la  juridiction  des  tribunaux,  les 
frais  des  procès. 

Tous  les  magistrats  des  bailliages,  des  sièges  présidiaux, 
des  parlements,  ainsi  que  ceux  des  cours  des  comptes  et  des 
aides,  étaient  désormais  soumis  de  nouveau  à  de  sévères 
examens  porUnt  sur  leur  âge,  sur  leur  capacité,  sur  leur 
moralité,  avant  de  recevoir  Tinvestiture  de  leur  office  et  le 
pouvoir  de  décider  des  plus  graves  intérêts  des  particuliers 
et  de  la  société.  U  était  pourvu  h  ce  qu'un  trop  grand  nom- 
bre de  juges,  parents  et  alliés  entre  eux,  ne  siégeassent  plus 
dans  un  même  tribunal,  et  ne  pussent  plus  y  établir  une 
coupable  connivence.  11  éuit  défendu  à  tous  les  magistrats 
de  se  charger  désormais  des  affaires  des  princes,  des  prélats, 
des  chapitres,  comme  de  se  mêler  d'aucun  parti  de  finance, 
d'aucune  industrie,  d'aucun  commerce  :  à  cet  égard,  la  plus 
exacte  surveillance  devait  être  exercée  par  les  procureurs 
généraux,  et  les  magistrats  délinquants  privés  de  leur  office 
et  poursuivis  selon  la  rigueur  des  ordonnances  K 

En  principe,  et  dans  presque  tous  les  cas,  nul  citoyen 
n'était  plus  distrait  de  ses  juges  naturels  et  de  son  ressort. 
Le  conseil  d'État  n'éuit  plus  saisi  des  causes  qui  consisUient 
en  juridiction  contentieuse.  Les  évocations  qui  troublaient 
l'ordre  de  la  justice,  n'avaient  plus  lieu  que  conformément 
aux  édits  de  Cbantelou  et  de  la  Bourdaisière,  aux  ordon- 
nances de  Moulins  et  de  Blois  ;  elles  étaient  de  plus  soumises  à 
des  formes  et  à  des  précautions  qui  les  restreignaient  à  un 
petit  nombre  de  cas  et  en  établissaient  la  justice.  Elles  de- 
vaient être  signées  par  l'un  des  secréUires  d'Étal,  c'est-à- 
dire  par  un  des  ministres,  ou  par  un  des  secrétaires  du  con- 
seil d'ÈUt  et  de  finances  ;  le  grand  conseil  devait  décider  au 
préalable  qu'elles  étaient  fondées  en  raison  et  en  droit.  La 

•  Édit  d«  («iiTitr  tSOT,  dam  le»   Ave.  lou  franc,,  u  XT,  p.  IflO-ltS. 
•rticlcs  8, 4,  A,  7,  S,  9.  '^ 


A38  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IT. 

Justice  exceptionnelle,  celle  des  commissions  et  des  commis- 
saires, dont  reflet  était  de  suspendre  et  de  paralyser  la  jus- 
tice ordinaire,  était  restreinte  aux  seuls  cas  portés  par  Tor- 
donnance  de  Moulins.  Il  était  ordonné  que  les  arrêts  rendtui 
par  les  cours  souveraines  seraient  désormais  reçus  par  tous 
avec  le  respect  qu*on  devait  à  la  justice  ;  qu'ils  ne  pourrraient 
être  rétractés  ni  cassés  que  par  les  voies  de  droit,  et  selon 
les  formes  portées  par  les  ordonnances  ;  que  l'exécution  n'en 
serait  suspendue  ni  retardée  par  aucune  autorité,  sous  aucun 
prétexte,  par  suite  d'aucune  instance  illégale  introduite  ail- 
leurs, et  notamment  par  les  lettres  ou  requêtes  présentées 
au  conseil  du  roi  '. 

Enfin  l'édit  guérit  en  grande  partie  le  mal  qui  rongeait  les 
citoyens  assez  malheureux  pour  être  traduits  devant  les  tri- 
bunaux civils  ou  criminels ,  qui  consumait  en  frais  de  jus- 
tice la  moitié  des  fortunes  particulières.  Les  éplces  excessives 
furent  réduites  dans  le  grand  conseil,  dans  les  parlements, 
dans  les  autres  cours  souveraines,  dans  les  tribunaux  infé- 
rieurs, pour  les  juges,  pour  les  avocats,  pour  les  procureurs. 
Les  présidents  des  cours  souveraines  taxèrent  le  salaire  des 
juges  de  ces  tribunaux,  des  avocats,  des  procureurs,  et  Ils 
durent  répondre  au  roi  de  la  taxe  arrêtée  par  eux.  Quant 
aux  juges  des  tribunaux  inférieurs,  ils  eurent  pour  arbitres 
les  conseillers  des  parlements  qui  reçurent  le  pouvoir  «  de 
les  reprendre  et  de  les  corriger  »  toutes  les  fois  qu'ils  dé- 
passaient les  bornes  de  la  modération  \  * 

Henri  fit,  en  160^,  un  changement  d'une  importance  ex- 
trême dans  la  collation  par  le  gouvernement,  et  dans  l'ob- 
tention par  les  particuliers,  des  offices  de  finance  et  de  ju- 
dfcature.  Les  offices  de  finance,  depuis  Louis  XII,  les  offices 
de  judicature,  depuis  François  I*',  avaient  été  acquis  à  prix 
d'argent.  Ce  prix  payé  par  les  financiers  et  par  les  magis- 
trats avait  semblé  constituer  en  leur  faveur  certains  droits  sur 
leurs  charges.  Aussi,  l'usage  s'était-il  introduit  de  leur  per- 
mettre de  résigner,  c'est-à-dire  de  céder  par  contrat,  ou,  plus 
exactement,  de  vendre  la  charge  qu'ils  possédaient  ;  mais  il 
fallait  qu'ils  survécussent  quarante  jours  au  marché.  Quand 
cette  condition  n'avait  pas  été  remi^ie,  ou  quand  il  n^  avait 

•  Fdit  d*  1507«  ariiclei  13,  15,  i7,  18,  St,  p.  193,  194,  ÎU. 

*  Mém«  ë<lit,  article  Itf,  p.  194,  19B. 


JUSTICE.  639 

pas  eu  résignation,  Toffice  revenait  à  la  coaronne  qoi  en  dis- 
posait à  son  gré. 

Henri  changea  cet  état  de  choses,  principalement  par  le  u  PkttUit*. 
conseil  de  Roany.  Dans  les  derniers  jours  de  Tannée  i60iï, 
il  donna,  non  pas  nn  édit,  mais  un  arrêt,  suivant  lequel  les 
ofDciers  de  flnance  et  de  judicature  devenaient  propriétaires 
de  leurs  charges,  en  payant  chaque  année  quatre  deniers  pour 
livre,  c'est-à-dire  la  soixantième  partie  du  prix  de  ces  charges, 
d'après  la  récente  estimation  qui  en  avait  été  faite.  A 
leur  mort,  leurs  charges  restaient  à  leurs  héritiers,  qui  en 
disposaient  comme  d'un  bien  patrimonial,  sauf  les  exceptions 
et  les  cas  qui  vont  être  spécifiés.  La  redevance  à  laquelle  ils 
étaient  assujettis  fut  appelée  droit  annuel.  Les  charges  des 
premiers  présidents ,  des  procureurs  et  avocats  généraux 
dans  les  parlements,  étaient  formellement  exceptées  du  droit 
annuel  et  réservées  à  la  nomination  du  roi.  Pour  les  offices 
compris  dans  le  droit  annuel,  c'est-à-dire  pour  tous  les  au- 
tres offices  de  justice  et  de  finance,  le  gouvernement  se  ré- 
servait le  pouvoir  d'en  disposer,  quand  Us  viendraient  à  va- 
quer, sous  la  seule  condition  de  payer  préalablement  aux 
héritiers  de  ceux  qui  en  étaient  pourvus  le  prix  auquel  ils 
seraient  évalués.  De  cette  sorte ,  pour  les  charges  de  sim- 
ples conseillers  dans  les  parlements,  de  simples  juges  dans 
les  tribunaux  inférieurs,  la  couronne  conservait  toujours  le 
droit  et  les  moyens  d'écarter  les  sujets  indignes  ou  dange- 
reux. Ces  restrictions  capitales  donnaient  au  gouvernement 
tous  les  moyens  d'arrêter  les  conséquences  et  de  prévenir  les 
abus  qui  pouvaient  résulter  de  l'établissement  du  droit  an- 
nuel K  11  est  bien  singulier  que  les  histoires  modernes  n'en 
fassent  pas  mention.  Le  droit  annuel  fut  appelé  Paulette,  du . 
nom  du  financier  Paulet,  qui  avait  donné  la  première  idée 
de  ce  nouvel  impôt  et  qui  en  fut  le  premier  fermier. 

Il  y  eut  dans  cette  mesure  un  côté  fiscal.  En  eiïet,  les  der-  R^inoiit  Agr«i«a 
niers  Valois,  et  Henri  IV  après  eux,  ne  vendaient  plus  les  de**u 'fIÏuÎÛ 
charges  judiciaires,  n'en  retiraient  plus  aucim  profit  pour 


*  ThiwDiM,  I.  cxxzn,  L  znr,  p.  SU,  SV,  4«  U  tndactioa.  —  RicbdlM. 
TmUoicdI  poliliqD»,  1**  partie,  c  IT,  ledion  1««.  ■  Le*  maux  que  €•■•• 
•  prrMoteiDeiit  !•  droit  annuel  ii«  pr&cèd«al  pat  tant  d«  Tice  d«  m  Mter* 
»  qa«  d«  IMmprndrace  avec  laqucUe  on  s  UpéUê  eorrtcHfi  qtt«  M  graad 


;^/tO  HISTOIRE   DU   RÈGNE   DE   HENRI   IV. 

leur  trésor.  Quand  il  y  avait  résiguation,  ils  permettaient  au 
magistrat  et  au  financier  de  tirer  de  sa  charge  le  prix  qu'il 
m  trouvait  :  quand  l'office  revenait  à  la  couronne,  le  roi  en 
disposait,  il  est  vrai,  mais  toujours  sur  la  désignation  de  quel- 
que seigneur  en  crédit,  qui  touchait  le  prix  de  l'office  à  la 
place  du  roi.  Rosny  prétendait  qu'au  lieu  de  laisser  couler 
cet  argent  dans  les  coffres  des  particuliers,  il  était  encore 
plus  raisonnable  d'en  détourner  le  cours  au  profit  du  trésor 
public;  que  le  roi  aurait  ainsi  les  moyens  de  payer  en  tout  ou 
en  partie  les  gages  des  officiers  de  justice  ;  que  les  im- 
pôts seraient  diminués  et  les  contribuables  déchargés  d'au- 
tant ,  ou  que  le  trésor  public  aurait  plus  de  fonds  à  consa- 
crer aux  entreprises  utiles  <.  Mais  en  établissant  le  droit  an- 
nuel ou  Paulette,  Henri  se  détermina  par  une  considération 
politique  beaucoup  plus  puissante  sur  son  esprit  que  l'intérêt 
fiscal.  11  avait  vu  que  les  Guises,  durant  leur  faveiur,  soit  en 
intervenant  dans  les  résignations,  soit  en  fixant  le  choix 
royal  en  faveur  de  leurs  candidats,  étaient  parvenus  à  faire 
donner  tous  les  offices  vacants  à  des  gens  qui  dépendaient 
d'eux  ;  qu'ils  s'étaient  acquis  un  crédit  sans  bornes  parmi  les 
officiers  qui  les  connaissaient  plus  que  les  rois  ;  que  cette 
circonstance,  plus  que  toute  autre,  les  avait  aidés  à  faire  la 
Ligue.  Henri  crut  qu'on  ne  pourrait  jamais  établir  de  règle 
certaine  contre  les  favoris,  ni  les  empêcher  d'abuser  de  leur 
crédit  II  crut  remédier  à  cet  abus  et  à  ce  danger,  en  privant 
la  royauté  elle-même  du  droit  qu'elle  avait  à  la  collation  des 
offices,  et  en  en  donnant  la  propriété  aux  particuliers  et  & 
leiu-s  héritiers.  Richelieu  tenait  de  la  bouche  même  de  Sully 
les  raisons  politiques  qui  avaient  conduit  Henri  à  cette  alié- 
nation de  l'une  des  principales  prérogatives  de  hi  couronne  K 
Opinion  '  Richelieu  approuvait  sans  restriction  le  droit  annuel.  11 
J«  Richelien*  prétendait  que  les  magistratures  devaient  rester  dans  les  fa- 
milles auxquelles  leur  fortune  permettait  d'en  soutenir  Tim- 
portance  ;  que  si  l'accès  à  ces  charges  était  ouvert  indistinc- 
tement à  tous  sans  payer,  tous,  éblouis  par  leur  éclat,  y 
courraient,  et  déserteraient  les  autres  professions,  principa- 


*  Thuunus«  1.  cxxxii.  t.  xiv,  p.  595,  de  la  traduction.  —  Perefixr,  Hisl. 
dfl  Henri  le  Grautl,  iu-tl,  p.  obî. 

'  Foatenay-Miireuil,  U  V,  de  la  collection,  p.  31  B.  —  Richelieu,  Testa- 
ment politique,  ibiH, 


J08T1GK.  kài 

leraent  le  commerce  et  l*indiistrie  ;  qae  sous  le  régime  de  la 
résignatioQ,  le  magistral  étail  réduit  à  se  démettre  de  lx>nne 
heure  dans  la  crainte  d'être  surpris  par  la  mort  et  de  frustrer 
sa  famille  du  prix  de  sa  charge,  taudis  que,  sous  le  régime 
du  droit  annuel,  il  vieillissait  tranquillement  dans  ses  fonc- 
tions, et  y  apportait  la  science  et  la  maturité  que  ks  années 
donnent  seules,  lies  restrictions  apportées  au  droit  annuel 
lui  semblaient  armer  tout  gouvernement  intelligent  et  ferme 
de  moyens  suffisants  pour  réprimer  les  abus  qui  naîtraient 
de  cette  mesure,  au  moment  où  les  abus  commenceraient  à 
se  produire  ^ 

Henri  IV,  Suily  et  Kiclielieu  avaient  gain  de  cause  conure  y.^^^  ^^  j^ 
le  système  de  résignation,  mais  ils  n'avaient  pas  raison  contre  mentre  sot»  !«• 
les  vices  de  la  vénaUté  et  de  l'hérédité  des  charges  ;  hérédité  mïÔu  fcTû., 
qui  naquit  du  droit  annuel,  qui  s'établit  malgré  les  sages  res- 
trictions de  Henri,  par  Tincurie  et  la  faiblesse  du  gouverne- 
ment qui  succéda  au  sien.  Les  contemporains  les  plus  Instruits 
dans  les  afiaires  de  la  magistrature  et  de  la  justice,  tels  que 
de  Thou,  plusieurs  hommes  d'£tat,  entre  autres  Fonlenay- 
Mareuil,  élevèrent  la  voix,  dès  le  principe,  contre  le  droit 
annuel  et  contre  ses  conséquences,  qu'ils  prévirent  et  annon- 
cèrent. L'hérédité  des  offices  de  judicature  ayant  constitué  au 
profit  de  certaines  familles  un  monopole,  un  privilège,  qui 
leur  conféra  la  noblesse  de  robe,  la  plus  haute  considération 
dans  la  société,  une  part  de  pouvoh*  dans  le  gouvernement, 
il  en  résulta  que  les  charges  ne  tardèrent  pas  à  monter  à  des 
prix  exorbitants.  Les  magistrats  eurent,  naturellement,  la  ten- 
tation de  fahe  payer  aux  plaideurs  ce  qui  leur  avait  coûté  si 
cher,  de  revendre  en  détail  ce  qu'ils  avaient  acheté  en  gros. 
N'étant  plus  contenus  par  la  main  ferme  de  Henri,  ils  échap- 
pèrent aux  enuraves  et  à  la  réforme  de  l'édit  de  1597,  repor- 
tèrent les  épices  à  un  taux  excessif,  et  ruinèrent  les  plaideurs 
en  frais  de  procès.  Les  examens  d'admission  se  relâchèrent 
d'abord,  et  ensuite  devinrent  illusoires  ;  l'argent  tint  heu  aux 
juges  de  probité  et  d'instruction.  Malgré  d'honorables  excep- 
tions, kl  magisU'ature  cessa  d'éure  intègre  et  éclairée,  et  la 
justice  se  corrompit  de  nouveau  :  il  ne  serait  pas  difficile  d*éu- 
blir  la  vérité  historique  du  personnage  de  Perrin  Dandin.  Dans 


*  Rich«lMu,  TeiUment  poliUqua,  ibié. 
U 


28* 


Uh2  HISTOIRE  DU  AEGNK  D£  HENRI   IV. 

les  rapports  de  la  magistrature  avec  le  gouvernement,  Tabus 
du  système  de  la  résignation  avait  en  partie  produit  la  Ligue: 
Tabus  de  rbérédité  devait  engendrer  d'autres  désordres  sous 
une  royauté  également  faible;  les  hommes  politiques  les 
redoutaient  et  entrevoyaient  la  Fronde  ^ 

il  n*y  avait  donc  pas  à  remplacer  la  résignation  par  le  droit 
annuel  ;  il  fallait  supprimer  Tune  et  ne  pas  établir  Tautre.  Il 
éuit  digne  de  Henri  IV  de  ramener  la  justice  à  l'état  où  elle 
avait  été  depuis  Louis  XI  jusqu'à  François  1*%  époque  où  la 
roya  jti^  choisissait  les  magistrats,  sur  la  présentation  des 
corps,  parmi  les  avocats  les  plus  intègres  et  les  plus  instruits 
de  chaque  barreau,  et  où  la  complète  indépendance  du  juge 
était  assurée  par  Tinamovibilité.  Il  n'est  guère  douteux  que 
Henri  n'eût  ouvert  les  yeux  sur  les  vices  de  la  Paulette,  et, 
après  l'avoir  détruite,  n'eût  opéré  les  réformes  voulues,  s'il 
eût  véai  quelques  années  de  plus.  En  elTet,  avec  ce  senti- 
ment i-eligieux  qu'il  portait  dans  l'accomplissement  de  tous 
les  devoirs  de  la  royauté,  il  répétait  souvent  :  «  Dieu  me  fera 
M  peut-être  la  grâce,  dans  ma  vieillesse,  de  me  donner  le 
»  temps  d'aller  deux  ou  trois  fois  par  semaine  au  parlement, 
»  comme  y  allait  le  bon  roi  Louis  XII,  pour  travailler  à  l'abré- 
»  viation  des  procès.  Ce  seront  là  mes  dernières  prome- 
»  nades  '.  n  La  Providence  ne  lui  accorda  pas  ces  dernières 
années  ;  il  ne  put  voir  l'exercice  de  la  justice  en  face  et  à  nu  ; 
il  ne  put  exercer  son  contrôle  sur  le  jeu  de  ce  pouvoir  pu- 
blic, reconnatrte  les  tendances  du  droit  annuel  et  les  vices  de 
l'hérédité.  Dès  lors,  la  réforme  de  la  magistrature  et  de  la 
justice  fut  ajournée  en  partie  jusqu'au  règne  de  Louis  XIV, 
en  partie  jusqu'à  la  révolution  française. 


■  Thuonus,  1.  cxxxil;  tonutt  xiV,  p.  515,  de  U  Irodaction.  —  Lettoile, 
Supplément,  p.  39U  B.  «  On  fit  «umî  en  ce  lempa  en  France  un  parti  de  la 
m  justice  en  Tcdit  de  Paulet,  toal  propre  |iour  la  ruiner  et  abolir.  La 
m  dispense  des  quarante  jours  que  les  officiers  uchètenV  fera  qnMU  se  dis  • 
m  peuteront  aisément  de  bien  faire,  et  feront  porter  injustement  au  peaple 
»  le  tribut  annuel  qu'elle  leur  coAte.  ■  —  FonlenHy-Mareuil ,  t.  ▼  de  la 
collection,  p.  îli  B.  '—  «  Les  officiers  en  sont  deTonui  si  «udacieux  et  entre* 
M  prenants,  principalement  ceux  des  parlemenlt,  qu'ils  sont  tuosîonrs  prêta 
m  d*ttbuser  de  rauthorité  que  les  roys  leur  ont  donnée  et  de  l'employer 
m  contre  eax-mémes.  m 

'  Tablettes  historiques  des  rois  de  France. 


ORDRE  PUBLIC.  âA3 

I  3.  Ordre  public. 

Lorsque  la  Ligue,  en  1598,  posa  les  armes  en  Bretagne,  la 
dernière  province  du  royaume  où  elle  les  eût  encore  gardées. 
Ton  comptait  alors  en  France  vingt  années  de  révolte  et 
trente-huit  ans  de  guerre  civile  intermittente,  mais  jamais 
Interrompue.  Les  habitudes  prises  pendant  cette  longue  pé- 
riode d'anarchie  avaient  survécu  au  désordre  lui-même,  et  ces 
habitudes  étaient  celles  du  plus  odieux  brigandage.  Si  les 
soldats  de  Henri,  toujours  payés,  avaient  été  astreints  à  lue 
sévère  discipline,  les  soldats  de  la  Ligue  n'avaient  connu  ni 
loi,  ni  frein,  vivant  chez  le  paysan  h  discrétion,  lui  arrachant 
tout  ce  qui  tentait  leur  cupidité,  et  le  ruinant  beaucoup  plus 
par  ce  qu'ils  gâtaient  et  détruisaient  que  par  ce  qu'ils  déro- 
baient. Du  côté  du  parti  royal  comme  du  côté  du  parti  de  la 
Ligue,  les  gentilshommes  de  province  ou  ruinés,  ou  dégradés 
et  pervertis,  attendaient  les  marchands  au  passage  des  ri- 
vières, les  voyageurs  au  coin  des  bois,  pour  les  dépouiller. 
Partant  de  leurs  châteaux  fortifiés,  à  la  tête  d'une  troupe  ar- 
mée, ils  allaient  dans  les  lieux  voisins  enlever  les  habitants 
qui  avaient  sauvé  quelques  débris  de  leur  fortune,  les  rete- 
naient prisonniers  dans  leur  repaire  et  les  livraient  aux  tor- 
tures jusqu'à  ce  qu'ils  leur  eussent  arraché  une  rançon.  La 
France  était  peut-être  alors  de  tous  les  pays  de  l'Europe  celui 
où  les  habitants  étaient  le  plus  malheureux,  et  la  décadence 
de  l'État  avait  suivi  la  progression  de  la  misère.  Une  partie 
de  la  population  avait  péri,  ou,  quittant  une  terre  maudite, 
s'était  sau\ée  dans  les  pays  étrangers.  L'agriculture  languis- 
sait dans  un  état  voisin  de  la  mort,  et  la  moitié  des  campagnes 
restait  en  friche.  Tout  commerce  intérieiu'  avait  cessé,  par  le 
manque  de  cr>mmunications  sâres  entre  les  diverses  villes  et 
entre  les  diverses  provinces,  et  même  par  )e  manque  de  com- 
munications possibles,  car  la  plupart  des  routes  avaient  dis- 
paru :  n'ayant  plus  rien  à  fournir  au  commerce,  l'industrie, 
dans  l'intérieur  des  villes,  se  bornait  aux  objets  de  première 
nécessité,  et  ne  s'exerçait  plus  que  d'une  manière  grossière. 

Le  roi  opéra  une  véritable  délivrance  du  pays,  et  rendit  en 
même  temps  leur  libre  essor  aux  principes  de  la  pnBpériié 
Dstkmale  enclialDés,  en  adoptant  d^énergiqQes  mesures  pro- 


Ulxll  HISTOIRE   DU   RfeGNK   UK   HENRI   IV. 

près  à  réublir  la  sûreté  publique,  et  en  protégeant  la  vie,  le 
travail,  la  liberté  des  habitants  des  villes  et  des  campagnes, 
mais  surtout  des  laboureurs,  contre  les  violences  et  les  excès 
auxquels  ils  avaient  été  abandonnés  jusqu'alors  sans  défense. 
Par  deux  mesures  prises  coup  sur  coup,  Henri  désarma  tous 
leurs  persécuteurs,  et  les  gentillfttres  cantonnés  dans  leurs 
châteaux,  et  les  soldats  qui  avaient  suivi  la  Ligue,  et  les  sol- 
dats employés  jusqu'alors  contre  TEspagne,  qu'on  voyait  déjà 
ne  quitter  leurs  drapeaux  et  ne  rentrer  dans  les  campa- 
gnes que  pour  les  piller.  Il  s'agissait ,  comme  il  le  dit  lui- 
même,  0  d'arrester  les  excès  insupportables,  injures  et  vio- 
»  lences  que  recevoient  ses  pauvres  subjects  du  plat  pays 
»  par  l'oppression  et  barbare  cruauté  de  la  plupart  des  gens 
»  de  guerre.  ^  Il  s'agissait  de  sauver  la  France  des  fureurs 
des  routiers  et  des  malandrins.  Le  24  février  1597,  il  pu- 
blia une  déclaration  qui  défendait  aux  gens  de  guerre  de  se 
répandre  dans  les  champs,  et  qui  ordonnait  aux  gouverneurs 
de  leur  courir  sus  et  de  les  tailler  en  pièces.  Le  U  août  1598,11 
rendit  à  Monceaux  une  ordonnance  sur  le  port  d'armes,  conte- 
nant défenses  à  toutes  personnes,  de  quelque  qualité  et  condi- 
tion qu'elles  fussent,  de  porter  sur  les  grands  chemins  des  ar- 
quebuses, pistolets  et  autres  armes  à  feu.  Les  gentilshommes 
ne  pouvaient  s'en  servir  que  sur  leurs  terres  et  pour  la  chasse 
seulement.  Il  était  permis  aux  populations  d'arrêter  ceux  qui 
en  porteraient  sur  les  routes,  de  les  conduire  dans  les  pri- 
sons royales  les  plus  prochaines  des  lieux,  et  de  déposer  les 
armes  entre  les  mains  des  officiers  royaux  :  si  l'on  manquait 
de  forces  suffisantes  pour  les  saisir,  on  pouvait  sonner  le 
tocsin  afin  d'avoir  main-forte.  Les  chevaux  et  les  équipages 
des  contrevenants  devaient  appartenir  à  ceux  qui  les  arrê- 
teraient. En  étant  les  armes  a  ceux  qui  pouvaient  opprimer 
les  habitants  paisibles,  Henri  les  laissait  avec  soin  à  ceux  qui 
pouvaient  les  protéger,  à  quelques  corps  de  cavalerie  sur  la 
discipline  desquels  on  pouvait  compter,  à  tous  les  prévôts 
et  à  leurs  archers,  à  la  maréchaussée  de  France.  Les  peines 
décernées  par  l'ordonnance  contre  le  port  d'armes  indu  étaient 
les  suivantes  :  pour  la  première  fois  la  confiscation,  l'amende 
et  la  prison  ;  pour  la  seconde  fois  la  mort  *.  On  s'est  récrié 

*  FoDtanon,  I.  i,  p.  657;  t.   m,  p.  143.  —  Ane.  loU  françaiMs,  l.  xv, 
p.  Ii9*l31.  —  Tbuanus,  1.  cxx,  t.  xui,  de  la  traductioD,  p.  SI8.  il9. 


ORDRE  PUBLIC.  /i/l5 

bien  aveagltîincnt  et  bien  injustement  contre  la  rigueur  de 
cette  dernière  peine,  qui  n*était  appliquée  quVn  cas  de  réci- 
dive. Henri  comprit  que,  s'il  n*y  recourait,  il  ne  viendrait 
jamais  à  bout  du  nombre  et  de  Paudace  des  gens  de  guerre 
et  des  petits  nobles  transformés  en  brigands.  Il  sentit  encore 
que  le  seul  moyen  de  diminuer  infiniment,  dès  le  principe, 
le  nombre  des  condamnations,  et  en  peu  de  temps  de  le  ré- 
duire à  rien,  était  de  recourir,  dès  Tabord,  aux  châtiments 
len  plus  durs  :  la  sévérité  devenait  ainsi  de  l'indulgence.  Il 
ne  se  trompa  pas  :  il  en  coûta  seulement  la  vie  à  trois  gen- 
darmes, et  la  tranquillité  des  campagnes,  la  sArcté  de»  routes, 
la  facilité  des  communications  furent  rétablies.  Il  était  diffi- 
cile d'acheter  moins  cher  cet  immense  résultat. 


CHAPITRE  III. 

Ailiiiiiiistruliuu.  Finaiires. 


Les  grands  travaux  «idministratifs  de  Henri  remontent, 
sauf  un  petit  nombre  d'exceptions,  à  la  clôture  des  notables 
de  Rouen  et  a  la  fin  de  Tannée  1596.  Une  exactitude  rigou- 
reuse ferait  partir  la  période  des  réformes  du  commencement 
de  1597,  l'arrêterait  au  mois  de  mai  1610,  et  en  fixerait  la 
durée  à  treize  ans  et  quatre  mois.  Mais  le  plus  grand  nom- 
bre des  mesures  qui  changèrent  la  face  du  royaume  ayant 
été  prises  depuis  la  fin  de  la  guerre  de  Savoie,  nous  n'avons 
pas  hésité  à  les  réunir  toutes  dans  la  période  qui  comprend 
seulement  les  dix  dernières  aimées  du  règne.  Cette  concen- 
tration nous  parait  légitime,  parce  que,  surtout  à  cette  époque, 
Henri,  libre  des  grandes  difficultés,  put  réaliser  la  plupart  de 
ses  projets,  donner  presque  toutes  leurs  applications  à  ses 
généreuses  et  bienfaisantes  idées. 

Dans  les  matières  d'économie  |x>litiqne,  le  meilleur  ordre 
à  établir  est  im  point  essentiellement  controversable.  On 
peut  soutenir  qu'il  faut  traiter  des  causes  avant  les  résultats , 
des  principes  avant  les  conséquences;  qu'on  doit  donc  s'occu- 
per de  l'agriculture,  du  commerce,  de  l'industrie,  de  toutes 
les  rhoses  qui  produisent  la  richesse  ptibliqne,  les  finances 


&&6  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HEIIRI  IT. 

prospères,  leslmpôts  élevés  sans  fttrelottrds,  a?antde  traiter  des 
finances  et  des  impOts  eux-mêmes.  Main  il  est  tout  aussi  facile 
de  renverser  la  proposition  et  de  dire  :  les  finances  en  Imxi 
état  permettent  seules  d'entretenir  une  force  publique  suffi- 
sante, de  défendre  à  la  fois  le  pays  contre  Tattaque  de  l'étran- 
ger et  contre  Tanarchie  ;  Tagriculture,  l'industrie,  le  commerce 
ne  prospèrent  et  ne  se  développent  que  quand  ils  ne  sont 
troublés  ni  par  Tennemi  du  dehors,  ni  par  les  factieux;  il 
faut  donc  placer  avant  tout  les  finances  qui  entretiennent  la 
force  publique,  et  permettent  de  résister  avec  succès  à  ces 
deux  ennemis.  Nous  adopterons  ce  dernier  ordre,  parce  qu'il 
fut  évidemment  suivi  par  Henri  IV  et  par  Sully.  Sans  viser  k 
aucune  classification  systématique,  nous  nous  bornerons  à 
établir  deux  grandes  divisions.  Dans  la  première,  nous  ran- 
gerons toutes  les  mesures  qui  eurent  pour  but  de  pourvoir 
suffisamment  les  divers  services  publics  et  de  les  rendre  fa- 
ciles ;  de  donner  à  l'État  les  moyens  de  se  défendre  et  de  se 
faire  respecter  au  dehors  ;  enfin  d'établir  l'ordre  et  la  régu- 
larité dans  les  diverses  parties  de  l'administration  publique. 
Nous  ferons  entrer  dans  la  seconde  division  les  réformes  et  les 
créations  qui  tendirent  à  développer  les  ressources  du  pays, 
et  à  accroître  sa  prospérité  et  sa  puissance. 

§  1.  Situation  financière  de  la  France  en  1598. 

Aucun  service  public  n'avait  autant  souffert  que  les 
finances ,  parce  qu'aucun  n'avait  provoqué  autant  de  mau- 
vaises passions  à  le  troubler.  En  détournant  les  fonds  pu- 
blics, on  satisfaisait  tous  les  instincts  pervers,  tous  les  appétits 
sans  règle. 

De  plus,  en  dépouillant  l'État,  les  catholiques  ardents  te- 
naient le  roi  faible  et  abaissé  ;  les  gouverneurs  de  villes  et  de 
provinces  soudoyaient  une  force  armée  plus  ou  moins  con- 
sidérable et  assuraient  leur  puissance.  Les  passions  ordi- 
naires et  les  passions  politiques  avaient  donc  conjuré  en- 
semble contre  les  finances  de  la  France,  et  l'on  ne  s'en 
apercevait  que  trop  à  leur  déplorable  état. 

Sully,  dans  ses  OËconomies  royales  ou  Mémoires,  a  laissé 
une  fouie  de  renseignements  précieux  sur  l'état  où  il  trouva 
les  finances,  et  sur  les  réformes  opérées  par  luL  Dans  le  der- 


SUBTERSlOlf  DIS  rilfANCCS.  bH) 

n|er  siècle,  Forbonnais,  et  de  notre  temps  plusieurs  auteurs 
occupés  de  Thistoire  financière  de  la  France,  sont  revenus 
sur  ce  sujet,  et  pour  le  traiter  ont  consulté,  outre  Touvrage 
de  Sully,  un  grand  nombre  de  documents  importants.  Ce* 
pendant  nous  ne  voyons  pas  que  nulle  part  on  se  soit  attaché 
à  rassembler  d'une  manière  complète  et  à  préciser  les  causes 
générales  qui  avaient  produit  Tétrange  et  Catale  subversion 
où  se  trouvaient  les  finances  en  159$. 

Voici  quelles  étaient  ces  causes,  dont  les  unes  tenaient  aux 
vices  qui  s'étaient  introduits  dans  la  gestion  financière  elle- 
même,  dont  les  autres  provenaient  du  mauvais  emploi  des 
ressources  publiques. 

£n  première  ligne,  il  faut  mettre  le  manque  d*un  pouvoir 
unique,  exercé  par  la  nation  ou  par  le  roi,  auquel  toutes  les 
classes  de  citoyens  indistinctement  fussent  tenues  d'obéir  en 
fait  de  finances,  mais  qu'elles  pussent  aussi  invoquer  et  trouver 
au  besoin  comme  protecteur  contre  les  tyrannies  individuelles 
et  locales.  Pour  soutenir  la  guerre  contre  la  Ligue  et  contre 
l'Espagne,  le  roi  avait  contracté  des  emprunts  avec  la  reine 
d'Angleterre,  le  comte  palatin,  le  duc  de  Wurtemberg,  les 
iKNirgeois  de  Strasbourg,  les  Suisses,  Venise,  le  duc  de  Flo- 
rence, plusieurs  banquiers  italiens.  Dans  ces  temps  malheu- 
reux, la  couronne  étant  mal  affermie  sur  la  tète  du  roi,  son 
autorité  ou  mal  obéieou  désobéie  partout  hors  de  son  camp, 
les  étrangers ,  pour  garantie  des  sommes  qu'ils  lui  avaient 
prêtées,  ne  s'étaient  contentés  ni  de  sa  parole,  ni  de  sa  signa- 
ture ;  ils  avaient  exigé  un  gage,  ils  s'étaient  fait  transférer 
par  lui  le  droit  qu'il  avait  de  lever  quelque  impôt ,  tel  que 
dime,  aides,  gabelle,  traite  foraine  ou  domaniale,  sur  un  cer- 
tain pays  ou  sur  une  certaine  ville  :  ils  s'étaient  rendus  ainsi 
propriétaires  de  ces  impôts,  non  seulement  quant  au  pro- 
duit, mais  même  quant  au  fond.  Les  étrangers  n'étaient  pas 
les  seuls  auxquels  un  pareil  abandon  eût  été  fait.  IHmit  ga- 
gner ou  pour  retenir  des  serviteurs,  pour  les  couvrir  sou- 
vent des  dépenses  faites  par  eux  en  combattant  ses  ennemis, 
pour  donner  à  ses  parents  de  quoi  vivre  et  se  soutenir,  pour 
acheter  enfin  la  soumission  des  chefs  de  la  Ligue,  qui  n'avait 
pas  coûté  moins  de  3*2  miUions,  Henri,  depuis  1589  jus- 
qu'en 1598,  manquant  ordinairement  d'argent,  même  pour 
les  dépenses  publiques  les  plus  indispensables,  avait  été  ré- 


CanMide 

!•  subrersion 

dei 

fiaaDcet. 


hhS  HISTOIRE   DU   RÈGMK  DE   HENRI   IV. 

(luit  à  les  gratifier  ou  à  les  satisfaire  par  Tabandon  de  quelque 
branche  des  revenus  publics.  Dans  le  nombre  des  conces- 
sionnaires on  comptait  la  sœur  du  roi,  le  connétable  de 
Montmorency,  Duplessis-Momay,  Puicheric,  gouverneur 
d* Angers,  tous  les  princes  et  grands  seigneurs  de  la  Ligue. 
Il  y  avait  donc,  sur  une  multitude  de  points  du  territoire, 
abandon  du  droit  royal  de  lever  Timpôt,  démembrement  de 
la  souveraineté  en  ce  point  capital.  Les  conséquences  étaient 
ruineuses  pour  le  trésor  public,  effroyables  pour  le  peuple. 
Les  portions  dMmpôt  ainsi  abandonnées  aux  étrangers,  aux 
serviteurs  du  roi ,  aux  chefs  de  la  Ligue ,  Pavaient  été  par 
diverses  raisons  que  nous  exposerons  bientôt ,  à  un  rabais 
considérable,  à  un  taux  bien  au-dessous  de  ce  que  chacune 
des  impositions  pouvait  rendre  effectivenient.  Peu  importait  : 
IMmpôt  était  cédé,  le  roi  et  ses  agents  n*avaient  plus  rien  k 
y  voir,  rien  à  y  changer,  ne  pouvaient  plus  en  rien  retirer, 
même  en  supposant  quMl  produisit  plus  tard  au  delà  de  la 
somme  pour  laquelle  il  avait  été  engagé.  Les  agents  préposés 
par  les  concessionnaires  levaient  sur  le  peuple  le  tiers ,  le 
double  de  ce  qui  était  dû,  effrontément,  impunément.  En  effet, 
ces  populations  n'appartenaient  plus  au  roi  pour  Timpôt  et 
ne  pouvaient  recourir  à  lut  pour  se  défendre  contre  Textor- 
sion.  Cette  plaie  n'était  pas  la  seule  qui  les  rongeât.  Souvent 
le  gouverneur  royal  n'était  pas  moins  redoutable  pour  elles 
que  ragent  du  fisc  de  l'étranger.  Dans  son  gouvernement 
d'Angoumois  et  de  Saintonge,  le  duc  d'Ëpernon,  outre  qu'il 
détournait  une  partie  des  impôts  publics  à  son  profit,  ran- 
çonnait annuellement  le  peuple  de  la  province  d'une  somme 
de  60,000  écus  ou  180,000  livres  du  temps,  correspondant 
à  630,000  francs  environ  d'aujourd'hui  '.  Pour  échapper 
à  l'impitoyable  avidité  de  tant  de  tyrans,  les  populations  dans 
beaucoup  de  pays  abandonnaient  leurs  terres  et  leurs  mai- 
sons :  la  friche  et  le  désert  s'étendaient  chaque  jour  en  France  : 
le  principe  même  de  la  richesse  publique,  de  l'impôt,  des 
finances,  périssait. 


*  SuUy,  OEcon.  roy.,  r.  85,  l.  p.  294;  c.  75,  |i.  Sti  B;  c.  86, 
p.  998  A.  «Art»  diTiiii-r  rudruit,  on  trouve  le  reiist>i|;n«ni«^nt  ttiivuut: 
«  OituÏD»  denier»  le  levol^ut  deVauthorilé  de  M.  d'Epemoii,  dent  tri 
>«  guttvrrneinriitu  ,  ttius  aucunes  teltrrs  p*itenlrs  tfu  roy,  et  se  niuii* 
j  liiient  re^  tommes  prc«  île  GUM'^K)  r^nis.  m  (tKO.UOO  livri»s  du  temps.) 


SUBVEASIOIf  DBS  FINANCES.  A69 

II  faut  chercher  la  seconde  cause  da  désordre  des  finances 
dans  Tabsence  d'un  système  de  dépenses  régulier  et  annuel, 
et  dans  des  imputations  de  dépense  sur  la  recette  hors  de 
proportion  avec  les  ressources  de  la  recette  <•  De  là  naissait 
rirrégularité  forcée  dans  Tépoque  des  paiements,  et  par  suite 
une  inextricable  confusion.  Une  recette  génénde ,  celle  de 
houen,  par  exemple,  reœTait  par  an  /Ii60,000  écus  d'impôts. 
Si  on  la  chargeait  pour  un  an  seulement  de  faire  face  à  une 
dépense  de  500,000  écus,  on  avait  dès  lors  un  excédant  de 
dépense  sur  la  recette  de  /iO,000  écus.  Dès  lors  aussi  une 
partie  des  créanciers  de  l'État  était  payée  dans  Tannée  cou- 
rante ;  une  autre  Tannée  suivante  ou  deux  ans  après  :  dès 
lors  aussi  cet  arriéré  venait  incessamment  se  mêler  et  se  con- 
fondre avec  le  courant  pour  Tembrouiller.  Des  calculs  sans 
fm,  une  attention  dont  peu  d'hommes  étaient  capables,  de- 
venaient nécessaires  pour  voir  clair  dans  ce  chaos,  et  toutes 
les  fois  que  ce  contrôle  presque  impossible  n'était  pas  exercé, 
TËtat  était  volé  parle  receveur-général  de  toutes  les  sommes 
dont  il  parvenait  à  faire  double  emploi  dans  la  dépense,  et  de 
toutes  celles  qu'il  parvenait  à  cacher  dans  la  recette. 

La  troisième  cause  était  le  manque  d'ordonnancement  ré- 
gulier des  dépenses,  le  mépris  pour  l'autorité  qui  avait  or- 
donnancé, l'état  de  désordre  et  l'inexactitude  des  registres 
où  Ton  Inscrivait  la  recette  et  la  dépense,  le  peu  de  foi  que 
ces  registres  faisaient  contre  les  agents  comptables.  Un  grand 
seigneur,  un  homme  en  crédit  était  chargé  d'un  service  pu- 
blic :  pour  couvrir  la  dépense  de  ce  service,  ii  demandait 
fréquemment  au  trésor  royal  bien  au  delà  de  ce  qui  était 
nécessaire,  et  il  emportait  presque  toujours  cet  excédant  de 
haute  lutte.  Le  commis  auquel  il  avait  affaire  n'osait  le  lui 
refuser,  et  il  arrivait  de  deux  choses  Tune  :  ou  la  concussion 
n'était  remarquée  de  personne,  ou  bien  si  elle  Tétait,  per- 
sonne n'osait  en  demander  compte  au  coupable  tout  puissant. 
Les  vices  de  la  comptabilité  offraient  aux  agents  comptables 
de  non  moins  nombreuses  facilités  pour  prévariquer  eux- 
mêmes. 

Dans  l'intervalle  éconlé  entre  1 59â  et  1 597 ,  le  contrôleur  gé- 
néral des  tinancesétalt  cbargédu  maniement  général  des  fonds; 

■  8«lly,  ORmb.  roy.,  e.  73, 1. 1,  p.  fil  R. 

29 


(|52  HISTOIRE  DU  RÈGNE    DE  DENRI    IV. 

rcncy  tirait  d*une  assignation  que  le  roi  lui  avait  faite  sur 
Tune  des  impositions  du  Languedoc  une  somme  annuelle  de 
27,000  livres,  et  il  était  facile  de  porter  le  produit  de  cette 
imposition  à  150,000  livres  >.  Cette  dépréciation  provenait, 
dans  le  cas  particulier  de  Montmorency  et  des  autres  servi- 
teurs et  parents  du  roi,  de  leur  insouciance  et.de  leur  inha- 
bileté financière.  Mais  dans  la  plupart  des  cas,  elle  résultait 
de  la  collusion  conpable  des  agents  royaux.  Soit  que  le  roi 
eût  conservé  la  propriété  des  impôts  et  le  droit  de  les  affer- 
mer, soit  qu'il  les  eût  cédés  aux  étrangers,  ces  impôts  avaient 
été  adjugés  aux  fermiers  bien  au-dessous  de  lenr  produit  par 
François  d'O  d'abord,  et  ensuite  par  les  membres  du  conseil 
des  finances  qui  lui  avaient  succédé  ;on  va  voir  dans  quelle 
intention  et  dans  quel  intérêt.  Sur  le  produit  réel  et  total  de 
chaque  impôt ,  une  part  était  donnée  au  gouvernement  ou 
aux  étrangers  allénalaires  pour  prix  du  fermage;  une  autre 
était  abandonnée  au  fermier  pour  son  salaire  et  ses  bénéfices  ; 
mais  une  troisième,  très  forte,  était  réservée  à  d'Oetaux 
membres  du  conseil  des  finances,  qui  avaient  fait  adjuger  le 
fermage  à  vil  prix,  sous  l'expresse  condition  que  l'adjudica- 
taire lenr  livrerait  sous  main  cet  énorme  bénéfice'.  Quand 
le  roi,  dans  Tignorance  de  ce  qu'il  concédait,  avait  voulu  mé- 
nager sur  les  impositions  de  Languedoc  une  pension  de 
27,000  livres  à  Montmorency,  qui  n'en  retirait  pas  davan- 
tage, le  trésor  perdait  par  an  66,000  livres.  Quand  le  roi, 
dans  l'abandon  fait  au  duc  de  Florence,  était  trahi  et  volé 
par  ses  propres  conseillers,  sur  cette  seule  partie  des  revenus 
publics,  le  trésor  perdait  par  an  2  millions.  Ce  brigandage 
devait  durer  jusqu'à  ce  que  les  finances  fussent  administrées 
par  un  homme  intègre  et  éclairé  qui,  d'après  des  renseigne- 
ments certains,  passftt  les  baux  à  un  prix  approchant  du  pro- 
duit véritable  des  impôts  pour  le  verser  dans  le  trésor  royal  ; 
ou  qui,  mieux  encore,  créât  la  concurrence  entre  ceux  qui 
disputaient  les  fermes  en  établissant  des  enchères  publiques. 

■  Snlly,  OEcoa.  roy.,  e.  73,  L  i,  p.  SU  B  ;  e.  8S,  p.  994,  S98. 

'  Sully,  OEcon.  ruy.,  c.  73,  p.  144  B.  •  Let  parlisi  casaeUes,  gftbellM, 
u  ciuq  grosses  fermes ,  péages  des  ririères ,  que  les  anciens  partisans 
m  tenoieitl  àj  vil  prix  par  l'inlclligeoce  d'aucans  du  conseil ,  lesquels  y 
m  avoient  part.  •  —  Plus  c.  ISO,  l.  il,  p.  16, 17;  liste  des  seigneurs  inté- 
ressés dans  IfS  gabell<*s  pour  diverses  sommei ,  et  te&te  U*iine  assorialioa 
do  François  d*0  avec  les  partisans  du  sel. 


SUBVERSION   DES   FINANCES.  '   ^53 

La  cinquième  cause  de  ia  décadence  des  flnances  était  le 
prix  exorbitant  des  fournitures  faites  au  goovemenient  par 
tous  les  marchands  depuis  de  longues  années.  La  difficulté 
de  se  procurer  et  de  transporter  des  denrées  au  milieu  de  la 
guerre  civile  et  étrangère  ;  Tincertitude  de  Tépoque  du  pale* 
ment  dans  un  état  financier  si  vicieux  que  les  recettes  gé- 
nérales étaient  chargées  chaque  année  de  payer  plus  qu*eUes 
ne  recevaient,  et  qu'une  créance,  attendant  son  tour  de  rôle, 
pouvait  être  rejetée  d*un  an,  de  deux  ans  au  delà  du  terme 
de  l'échéance  et  perdre  pendant  tout  ce  temps  ses  intérêts  ; 
la  nécessité  pour  le  marchand,  quand  il  était  pressé  d'argent, 
de  vendre  sa  créance  à  vil  prix,  ou  de  se  rendre,  moyeimant 
de  lourds  sacrifices.  Vomi  du  ctgur  du  receveur  général  et 
d'acheter  de  lui  un  tour  de  faveur  et  un  prompt  paiement  ; 
ces  diverses  causes  avaient  toutes  contribué  au  renchérisse- 
ment des  fournitures  faites  au  gouvernement  Mais  ce  qui  les 
avait  portées  à  un  prix  excessif,  c'était  le  cynisme  concus- 
sionnaire des  Intendants  des  flnances  et  des  membres  du 
conseil  eux-mêmes.  Tantôt  ils  passaient  des  marchés  au 
tiers,  à  moitié  au-dessus  de  la  valeur  des  denrées,  sous  la 
condition  que  le  marchand  adjudicataire  mettrait  entre  leurs 
mains  la  dlflérence.  Tantôt  en  vérifiant  les  comptes,  ils  re- 
connaissaient comme  fournies  ft  l'État  des  quantités  de  mar- 
chandises très  supérieures  ft  celles  qui  avaient  été  réellement 
livrées,  et  partageaient  avec  les  marchands  le  prix  du  vol  K 

La  sixième  cause  était  le  nombre  elTréné  des  offices,  sur* 
tout  de  jiidicature  et  de  finances,  nombre  qn'U  avait  fallu 
encore  augmenter  pour  se  procurer  les  ressources  nécessaires 
à  la  reprise  d'Amiens  et  ft  la  fin  des  liostiUtés  contre  l'Espa- 
gne. Les  officiers  et  commis  ft  titres  divers  formaient  toute 
une  nation  au  sein  de  la  nation,  li  fallait  payer  leurs  gages 


■  SalW,  OEcon.  roy.,  e.  SB,  1. 1,  p.  SOS,  «a  «xponnt  let  rëfbrmet  opé- 
ië«t  par  iDi,  npp«Ue  en  mène  teoipi  les  ebut  qui  •▼•(ent  cxisië  araDt  cet 
tefonnct,  el  rn  pré»eDle  aioti  le  tabicaa.  «FaiMBl  obserrer  cet  ordres 
m  Uni  rsactement  qac  nnU  complahlet...  se  poeTeient  pint  recnler  les 
»  payenienls  îles  uns  pour  proférer  ceux  des  aalres,  ni  làvoriser  ea  aucuoe 
•  façon  les  parents  el  mmi*  du  cœur^  comme  Us  nommoient  cens  qoi 
M  csloient  les  pins  amiables  compositeurs.  •  On  trouve,  an  c.  65,  t.  i, 
p.  a05  A,  ponr  ce  qni  regarde  le  siéfe  de  La  Fère,  en  1896*  m  Le  roy 
m  vous  renvoya  encore  à  nris  pour  urrestcr  les  comptes  avec  le«  mar- 
I»  ckands  lÎMinilsseurs,  ayant  este'  adverti  qne  d^Escnres  et  La  Corbioerie 
k  joint  m¥€C  mmcuiu  éê  son  eonstii^  s'estoient  intéresses  en  ces  marches; 
»  croyans  qaa  les  «ttalt  de  la  despeuM  en  seroienl  par  eu  vëriSea.  a 


A5&  '  BUTOIRS  DD  ftÈGRK  Dl  BSRRl  IT. 

et  appointements  qui  coûtaient  moins  cher  encore  au  peuple 
que  leurs  exactions,  accrues  chaque  jour  au  milieu  du  dé- 
sordre des  temps  K 

Enfin,  les  deux  dernières  causes,  et  peut-être  les  principales, 
étaient  les  non-valeurs  sur  les  divers  impôts,  la  mauvaise 
assiette  et  la  mauvaise  répartition  de  la  taille.  Une  partie  de 
la  population  complètement  ruinée  par  les  gens  de  guerre 
était  hors  d*état  depuis  quelques  années  d'acquitter  la  Uiille 
ou  impôt  personnel.  L'arriéré  sur  cet  impôt  depuis  1588  était 
de  plus  de  *iO  millions  en  1597  ^.  C'était  tme  perte  sèche  d'au- 
tant pour  le  trésor  public  De  plus  les  frais  de  poursuites 
dirigées  contre  le  paysan  pour  obtenir  de  lid  l'arriéré,  ache~ 
vaut  de  le  ruiner,  tout  faisait  craindre  que  les  non-valeurs 
sur  le  produit  des  années  suivantes  ne  se  maintinssent  et 
même  ne  s'accrussent.  Les  impôts  établis  sur  le  transport  et 
la  vente  des  marchandises  étaient  frappés  d'une  égale  dépré- 
ciation, parce  qu'au  milieu  de  la  guerre  et  de  t'anarchie,  les 
communications  étant  devenues  d'une  extrême  diflficulté,  l'in- 
dustrie et  le  commerce  avaient  presque  entièrement  cessé. 
L'impôt  avait  à  peu  près  disparu  avec  la  matière  de  l'impôt 
lui-même.  Enfin  par  suite  des  vices  introduits  dans  l'assiette 
et  la  répartition  des  charges  publiques,  la  population  impo- 
sable diminuait  chaque  jour  :  ceux  qui  restaient  pour  l'acquit- 
ter devaient  se  trouver  bientôt  dans  l'impossibilité  absolue  de 
porter  un  semblable  fardeau,  et  par  conséquent  le  rejeter. 
Les  roturiers  seuls  étaient  sujets  à  la  taille  ;  les  nobles  et  les 
ecclésiastiques  en  étaient  exempts.  La  bourgeoisie  avait  fait 
d'incroyables  eflbris  pour  se  faire  exempter  de  la  taille,  par 
avidité  sans  doute,  mais  plus  encore  par  vanité,  personne  ne 
voulant  plus  être  du  peuple,  du  oommim.  La  plupart  de  ceux 
qui  avalent  frauduleusement  obtenu  l'exemption  appartenaient 


>  SnUy,  OBcoo.  roy.,  c  SS,  p.  MO  à.  «  Cttta  effrcnëe  qaaptittf  d*olB- 
m  ciert  qoi  deÉtraUol«nt  tout  1m  rcveDM  du  roy.)»  —  Cbap.  74,  p.  tiS  S. 
— >  FromvDt«aa«  Secrcl  des  fioancci. 

*  LoUre  du  roy  à  Rotuy,  du  17  o<lol>r«  1S97.  p.  167  A.  «  La  cauio  qui 
»  donne  le  plui  de  couleur  aux  decordrei  en  radroiniatratiou  de  mes 
M  finuncet,  et  qui.  en  eH'et,  produit  le  plat  df  mal,  ett  celle  qui  e«t  fondée 
m  sur  les  non-valeurs  que  1rs  comptables  disent  eslrr  et  se  trouver  pour 
M  chascun  an  eu  la  recepte  de  leurs  charges...  —  Je  sfais  l»ien  que  mon 
•  peuple  est  trèi  pauvre,  de  sorte  qu'il  est  diflicile  qu'il  paye  sa  taille 
M  enlierenieot  comme  il  faisoit  devant  la  gurrre,  et  que  ceste  pauvreté 
m  rngeodre  «les  noo-valeura  qui  sont  inévilMblet.  a  —  Sully,  OEcoa.  roy., 
c.  S5,  p.  S93  B. 


LA  DJCTTJC  PUBLIQUE.  ^55. 

à  la  classe  des  citoyens  qui,  après  aroir  porté  les  annes  dorant 
les  guerres  civiles,  avaient  usurpé  des  titres  de  noblesse.  Un 
moindre  nombre,  mais  considéraJ>le  encore,  se  composait  de 
ceux  qui  avaient  gagné  les  élus,  chargés  de  la  répartition  de 
la  taille.  L.es  élus  n'étaient  plus  de  véritables  élus,  des  hom- 
mes choisis  par  le  peuple  ;  mais  des  agents  désignés  par  les 
oificiers  du  roi.  li  résultait  de  cet  abus  qu'une  multitude  de 
bourgeois  riches  étaient  sortis  de  la  classe  qui  payait  la  taille; 
que  cet  impôt  n'était  plus  acquitté  par  ceux  qui  étaient  le  plus 
en  état  de  le  supporter  ;  que  leur  contingent  était  reversé  sur 
le  peuple  qu'il  écrasait  K  Les  GnancessoulTraient  autant  que 
l'humanité  de  cette  criante  injustice. 

Les  résultats  de  tous  ces  désordres  étaient  une  dette  énorme, 
l'absence  de  tout  crédit  qui  aurait  permis  d'en  répartir  nne 
portion  sur  l'avenir,  des  ressources  annuelles  insuffisantes  et 
tous  les  services  publics  en  souffrance  ;  les  arts  de  la  paix^ 
même  les  plus  indispensables,  si  mal  proK'gés  que  le  peuple 
mourait  de  faim  dans  les  campagnes  et  dans  les  villes;  la 
guerre  de  défensive  soutenue  d'une  façon  tellement  précaire 
que,  jusqu'à  la  reprise  d'Amiens,  on  ne  savait  pas  si  les  revers 
n'amèneraient  pas  le  démembrement  du  territoire  et  la  chute 
du  gouvernement  tout  ensemlile. 

Dès  Tannée  1507,  Rosny  fut  en  mesure  dtntrodcdre  quel-  l* 

ques  réformes  utiles  dans  le  régime  intérieur  des  finances.  '**^**  p«"W««. 
Mais  il  ne  pouvait  rien  contre  les  événements  de  force  majeure, 
résultant  soit  de  la  guerre  étrangère,  soit  de  la  guerre  civile 
qui  hese  terminait  qu'alors.  I^  dette  continua  donc  à  augmenter 
pendant  un  an  encore,  l^r  suite  de  l'empnmt  conclu  pour  la 
reprise  d'Amiens,  par  suite  des  traités  conclus  avec  liercœur 
et  d'autres  chefs  pour  la  pacification  de  la  Bretagne  ',  la  dette 

*  Voir  U  prÀtnlv«le  et  !••  «rticlet  4,  17, 15  de  rëdil  au  aioU  de  mtmn 
1600,  portant  retiraient  gënëral  sur  les  Uiillet  et  Ici  utarpaliont  àm  titre 
de  nomesae.  (Ane.  loie  fr.,  t.  XT,  p.  tfT.  fllS.) 

*  SalU«  OEron.  roy.«  c.  74, 1. 1,  p.  t4S  B.  «  Uo  emprunt  sur  toa«  let  pint 
m  «ites  tant  d»  la  eenr  <|ae  de*  crandeR  Wllce;  »  c.  IBl,  t.  it.  p.  30  A  et  B. 

•  Ponr  II.  de  Merr<nir.  Rlevet,  M.  de  Ynadotme  et  aulrMpiirltcnliert, ■■!• 

•  %anl  Icnrt  tritites  pour  la  province  de  Bretagne,  4,tfB,:V0  livret.  — 
I»  Pour  le*  sienrt  Daradon,  Le  Pardieu,  Soint-OHenget,  Dinao  et  iinelqnet 
m  villpt,  tSO.OOO  iifTft.  —  Pour  Ira  sienn  de  Lrriston,  Baudouto,  etc., 
m  tuivant  le>  proDiMiet  è  eux  dites,  100,000  IWrea.  »  Cela  &U  ■•  lirtU  de 
4.eaMM  U«rw.  riM  «M  PMT  k  ~ 


.^56  HISTOIRE  DU   RÈGN£  DE  HENRI  IV. 

s*accrot  dans  une  notable  proportion,  comparativement  à  ce 
qo^elle  était  au  moment  de  l'assemblée  des  notables  de  Kooen. 
Void  de  quels  éléments  elle  était  formée,  et  à  quel  chiffre 
total  elle  montait  en  1598. 

La  dette  exigible  se  composait  :  1*  de  ce  que  Henri  lil  avait 
emprunté  et  de  ce  qu'A  avait  laissé  dû  au  moment  de  sa  mort  ; 
2*  des  dettes  que  Henri  IV  avait  contractées  ou  des  engage- 
ments qu'il  avait  pris  depuis  son  avènement  jusqu'à  la  paix 
de  Vervins,  avec  les  puissances  étrangères,  tels  que  la  reine 
d'Angleterre,  les  Suisses,  les  princes  d'Allemagne,  la  Hol- 
lande, le  grand-duc  de  Florence  ;  avec  ses  propres  servi- 
teurs, qui  avaient  soutenu  la  guerre  pour  faire  reconnaître 
son  autorité;  avec  les  chefs  de  la  Ligue  dont  le  désarmement 
avait  coûté  plus  de  trente-deux  millions.  La  dette  exigible 
monuit  à 157,602,250  Uvres. 

L'aliénation  du  domaine,  les  rentes 
assignées  sur  les  diverses  branches  des 
revenus  publics,  formaient  une  autre 
dette,  non  exigible,  dont  le  capital 
était  d'environ 150,000,000 

Il  était  dû  en  outre  quarante  et  un 
millions  pour  trois  millions  quatre  cent 
mille  livres  de  rentes,  créées  sur  la  ville 
de  Paris,  du  temps  de  François  l",  de 
Henri  II  et  de  ses  trois  fils,  et  consti- 
tuées au  denier   douze â1, 000,000 

Total 368,602,250 

Ainsi  la  dette  de  la  France  formait  une  masse  de  plus  de 
trois  cent  quarante-huit  millions  de  ce  temps-là,  lesquels 
correspondraient  à  environ  un  milliard  deux  cent  cinquante- 
quatre  millions  d'aujourd'hui. 

Sully  qui,  dans  ses  Mémoires,  présente  un  tableau  de  la 
dette,  ne  la  fait  monter  qu'à  trois  cent  sept  millions  six  cent 
deux  mille  deux  cent  cinquante  livres,  parce  qu'il  néglige 
1rs  quarante  et  un  millions  de  capital  dus  pour  les  trois 
millions  quatre  cent  mille  livres  de  rentes  créées  sur  la  ville 
de  Paris  K 

'  Sully,  OEcon.  roj.,  c.  151,  t.  Il,  p.  »,  S9,  ^tl.  Michaud.  —  L'addilion 
dtf%  divers  «rtictet  enonc4<t  par  Solly,  ne  dooDe  qae  106,m0,m  livret. 


L£$  RBV£NIJS  rUBLICS  £N  1597.  Û57 

11  y  a  une  giande  différence  à  établir,  comme  nous  )e       Rev«nas 
verrons  bienl6t«  entre  les  revenus  publics  et  les  impôts  :  les       p«>*Hcs. 
impôts  ne  sont  que  Tune  des  branches,  plus  ou  moins  éten- 
dues, plus  ou  moins  fécondes,  selon  les  temps,  des  ressources 
nationales.  Nous  ne  nous  occuperons  ici  que  des  revenus 
publics,  sans  rechercher  de  quelle  source  ils  émanaient.  Au 
commencement  de  Tannée  1597  et  à  la  fin  du  Conseil  de 
raison,  on  croyait,  d'après  Pestimation  des  notables  de 
Rouen,  que  les  revenus  publics  montaient  à  30  millions  par 
an  ;  mais  c'était  une  erreur  K  Pour  porter  les  revenus  publics  à 
ce  chiffre,  les  notables  avaient  établi  Timpôt  du  sou  pour 
livre,  ou  la  pancarte,  en  suf^sant  que  le  produit  du  nouvel 
impôt  serait  de  5  mfllions  par  an.  Or  cet  impôt  ne  rendit 
Jamab  au  delà  de  1  million  100,000  francs  >.  11  y  avait  des 
différences  en  moins  sur  d'autres  articles  encore.  Au  pre- 
mier état  général  des  finances  qui  fut  dressé  pourTannée  1597, 
après  le  départ  des  notables  de  Rouen  et  la  dissolution  du 
Conseil  de  raison,  il  se  trouva  sur  les  ressources qu'ilsavaient 
espérées  un  déficit  de  7  millions,  ce  qui  réduisait  les  revenus 
publics  à  33  millions  K  Sur  ces  23  millions,  il  fallait  déduire 
16  millions  de  dépenses  payables  par  prélèvement,  lesquelles 
étaient  les  gages  des  officiers  de  justice  et  autres,  les  travaux 
publics,  les  intérêts  de  la  dette,  les  arréra^  des  rentes  ;  c'est 

•a  lti>a  fl«  7l07.60t,S57  Hrret.  Mait  l*ëdilioa  wiginmU  d«t  OEcoDomies 
Tojulmt  oa  MémotrcÉ  d*  Sully,  foumUaanl  c«  dcrDÎer  chiffre  pour  total, 
Bom  pensons  quHl  fant  1*  maintonir.  Nous  croyons  qn*au  momant  d« 
l^inprassion  dat  lltfaotrcs.  il  y  a  an  omission  da  Tua  des  articles  de  la 
dalte  portés  dans  U  manuscrit  de  Sully.  —  Au  chapitra  160,  f .  ii«  p,  16  B, 
Sully  donna  la  chiffre  da  160  millions  pour  ralicnatlon  du  domaine  et  les 
rentes  assignées  sur  diTers  revenus  publics.  —  Forhonnais,  U  i,  p.  SI,  et 
M.  Bailly.  Hist.  financièta  da  la  France,  I.  l,  p.  t96,  (bumlssaot  le  chiff'ra 
de  41  millions  ponr  les  S  millions  400  mUle  livras  de  rentes  créées  sur  la 
tUU  de  Paris. 

■  Sully,  OEcon.  roy.,  eh.  10,  t,  i,  p.  SS(7  b,  pour  !••  détails  at  le  toUl  de 
cette  somaM. 

'  Sully,  OEcon.  royal.,  c.  10,  L  i,  n«  07  B,  tSO  B;  c.  13,  p.  S45  À. 
c.  181,  t.  Il,  p.  213  B.  a  Le  son  pour  livre  qui  coustoit  tous  les  ans  an 
»  peuple  plus  de  anse  cent  mille  livret.  ■ 

'  Les  notables,  en  partageant  entre  eux  et  le  roi  les  revenus  publics 
montant,  suivant  leur  esliniaiion.  i  30  millions,  s*éuient  réservé  la  dispo« 
sition  da  15  millions,  on  de  5  millions  d^écus  d*or.  Mais  quand  ils  en  vin- 
rent  A  la  réalimtion  da  ces  15  millions,  «  ils  se  trouvèrent  circonvenus 
•  il€  ptms  de  5  millions  de  livres  par  an  m  dit  Sully,  c.  Lixui,  p.  t4S  À.  Ce 
qui  vent  dire  que  sur  les  15  mUlions  qui  formaient  leur  part,  ils  ne  purent 
même  pas  lever  10  millions.  Ils  n'en  levèrent  que  S.  Par  conséquent, 
comme  nom  le  disons  dans  le  texte,  il  y  eut  nn  déficit  da  1  millions.  Par 
conséquent  aussi  las  revenus  publics  qu'ils  espéraient  Toir  mottlar  à  SOmiU 
lioBi,  étaient  réduits  à  S5  millions  par  an. 


i58  filSTOIRK  DU  BàGRK  M  HUtl  IT. 

ce  que  Ton  nommait  les  charges.  De  tdle  sorte  qa^il  n^entrait 
dans  rëpargne  on  trésor  royal  que  7  millions  par  an.  Les  res* 
sources  publiques  étaient  donc  réduites  ft  cette  misérable 
somme  pour  faire  face  au  reste  des  services  publics,  les^ 
quels  comprenaient  l'armée,  Tartillerie,  les  fortifications,  les 
garnisons,  les  ambassades,  les  dons  et  pensions,  les  bâtiments 
royaux,  la  dépense  personnelle  du  roi  K  Ces  services  devaient 
de  toute  nécessité  rester  dans  un  tel  état  de  souffrance,  que 
la  défense  du  territoire  et  la  position  de  la  France  ft  Tégard 
de  TËurope  se  trouvaient  gravement  compromises ,  et  que 
toutes  les  améliorations  intérieures  étaient  impossibles.  Telle 
était  la  situation  des  finances  en  France  lorsque  le  roi  en 
confia  la  direction  à  Rosny. 

I  2.  Réformes  opérées  dans  les  finances  par  Henri  IV 

et  par  StAlly, 

Bien  que  le  marquis  de  Rosny  n^ait  échangé  son  titre  et 
son  nom  contre  celui  de  duc  de  Sully  que  le  12  février  1606  \ 
comme  la  réforme  radicale  qu'il  opéra  dans  les  finances  de 
la  France  s'attache  par  des  souvenirs  invincibles  à  la  der- 
nière qualification  qu'il  prit,  nous  anticiperons  sur  les  temps 
et  nous  le  désignerons  désormais  par  le  nom  de  Sully. 

Ses  querelles  avec  Sancy  et  d'Incarville,  en  1596,  produi- 
sbent  deux  effets.  Elles  apprirent  au  roi  •  de  qui  il  devoit  se 
»  fier  et  se  défier',  »  Elles  établirent  ainsi  son  crédit  auprès 
de  Henri  et  son  autorité  en  matière  de  finances  sur  une  base 
large  et  solide.  En  second  lieu,  elles  apprirent  aux  dilapida* 
teurs  que  leur  règne  était  fini ,  parce  qu*un  homme  s'était 
trouvé  capable  de  voir  et  décidé  à  réprimer.  Il  faut  voir  main*» 
tenant  par  quels  degrés  Sully  parvint  à  la  direction  absolue 
des  finances.  Si  l'on  s*en  rapporte  à  deux  historiens,  Tun 
du  XVI*,  Tautre  du  xvii*  siècle,  après  la  mort  de  François 
d'O,  arrivée  en  1694,  l'administra tion  des  finances  fut  con- 
fiée à  un  conseil  on  commission  des  finances,  dont  les  mem« 
bres  furent  au  nombre  de  douze  selon  les  uns,  de  huit  ou 
môme  de  six  selon  les  autres.  Ce  conseil  ne  fonctionna  qu'un 
an,  du  mois  d'octobre  159û  au  mois  d^octobre  1595.  11  fut 
remplacé  alors  par  une  surintendance  que  Sancy  exerça  de 

*  SnUy,  OCcoa.  roy.,  o.  LKX.  t.  i,  p.  9S7  B. 
'  Sully.  OficoB.  roj.,  O.  CLvm,  t.  ii, 

*  Sidlj,  OEcoM.  r«y.,  a.  flS,  I.  i,  ^ 


!  ^ully.  Ofic4m.roy.,  o.  OLvm,  t.  ii, jp.  tS5  B,  134  A. 


AOTORITÉ  BT  SORINTINDÂNCB  DB  8DLLT.  459 

1 595  à  1599.  Voilà  comment  de  Thou  et  Péréfixe  présentent 
la  suite  de  ces  faits.  Dans  leur  récit,  il  y  a  un  point  douteux 
et  une  erreur  évidente.  En  premier  lieu,  Sully  témoigne  d^une 
manière  positive  et  semble  établir  solidement  qu*après  la  mort 
de  François  d'O  et  Tintérim  de  1595,  la  surintendance  ne  fut 
pas  rétablie  dans  la  personne  de  Sancy,  mais  demeura  pro- 
visoirement supprimée  ;  que  Sancy,  par  conséquent,  n*exer^ 
Jamais  cette  cbarge,  mais  seulement  une  grande  autorité  dans 
la  direction  des  finances  depuis  la  fin  de  1595  jusqu^en  1597  ; 
que  cette  autorité  alla  toujours  en  déclinant  de  1597  à  1599. 
Ce  récit  a  pour  lui  la  vraisemblance.  En  second  lieu ,  il  est 
certain  que  le  conseil  des  finances  ne4ut  jamais  détruit,  et  qu*ll 
subsista  sans  interruption  depuis  la  mort  de  François  d*0  : 
c*est  ce  qu'établissent  une  multitude  de  lettres  do  roi  et  de  Sully. 
Au  reste,  ces  points  qui  regardent  la  critique  et  Texactituda 
historique  dans  les  détails ,  n'ont  pas  le  moindre  intérêt  pour 
lesaflaires  et  la  fortune  publique.  Gequiestimportant,  c'est  qu*à 
partir  de  Tan  1597  et  du  commencement  du  siège  d'Amiens, 
Sully  devint  non  plus  seulement  le  commissaire ,  mais  le 
lieutenant  du  roi  auprès  du  conseil  d'État  et  de  finances  ] 
c'est  qu'en  1598  les  membres  de  ce  conseil  désertèrent  en 
général  les  séances  quand  il  s'agit  d'aflaires  financières  ;  que 
par  leur  départ  ils  livrèrent  à  Sully  presque  seul  ce  pénibln 
service,  et  laissèrent  le  champ  libre  à  ses  réformes  >• 
En  1599,  d'incarviile  mourut,  Sancy  se  retira  et  fut  employé 

■  ThuAun»,  1.  CXI,  t.  XII,  D.  304 d«  la  Indadloo;  PtfrtfSs«,HltL  da  ReDry 
la  Grand,  in-S',  p.  ttl  ;  Siillj.  OEcon.  roy.,  &  t57,  t.  il,  p.  99  A,  B.  !<•• 
laltrM  du  roi  daa  16  avril  IBM,  9  |uin.  9,  l\  t7,  IS  {ulllet;  ft.  ».  aoftt; 
tt  et  17  Mptembr*^  9  octobre  ISilT,  prouvant  que  la  rooeeU  4*Btol  al 
da  Anatice»  D*a  pas  cesM  d'asUtcr  et  de  fbnrtioDOcr  depuU  la  ftn  île  I80S; 
qa'il  cootinue  à  s'occuper  det  affUroa  AnaDcièm  et  i  en  d^cidar  paodant  lai 
uoneet  1506, 1597.  (Lelln^  miu.,  t.  IT  p.  565,779,  779, 807, 810,  SI t,  SIS, 
ai§,  917,  SSl .  985,  S64, 96^.)  C«t  lettres  prouvent  es  mime  tempe  :  f  *  oue 
Sally  avait  dès  lora  toute  U  confianco  du  roi  pour  «m  qui  cooraraail  1^ 
Bnances;  SvquadaDflleconMil  U  avait  la  part  priDctpule  d'action  et  presque 
tonte  reiérullon.  On  Ut  dans  las  lettres  dn  roi,  en  date  des  13  et  99  |oillet  : 
m  11  me  semble  que  i*eo  suis  bien  plus  fort  en  mon  conseil,  quand  (e  sçay 
m  que  TOUS  y  i>stea...  Je  vous  envoyé  lu  lettre  que  m'esrrivenl  reuls  «Je  mon 
m  ronicil,  par  laquelle  ils  me  désespèrent  de  pouvoir  fournir  pina  d*nn« 
»  roon»tr<>  i  mon  armée,  if/in  que  youâ  %^mâ  acqmUli**  «U  C0  OM#  m'm¥^» 
m  promis^  et  fassiet  voir  yue  votu  en  sçmveM  plêu  ^n'eiur.  S'il  y  a  dos 
•  dilBrultrs  qui  requièrent  votre  présence  près  de  moy,  nfim  qm*  âoye» 
m  tusiâté  de  mon  amctoritét  vtntB  en  éUigence,  et  je  voua  mseieimrmy  em 
m  toMl.  •  Réponse  de  Sully  en  date  des  19  et  'iS  iuillet,  dans  Us  OEcon. 
roy.,  G.  uxv,  LXXTi,  1. 1,  p.  9B6  S,  957  B,  9B9.  —  Pour  In  reiralu  daa 
membres  dn  conseil  dns  ftnancns,  voir  SnUy«  OEcon.  roy.,  c.  «^^«»".  1. 1, 
pblBB  B. 


460  UISTOIAE  DU   EÈGNE  DE  UE2III1   IV. 

ailleurs  par  le  roL  Henri  attrilraa  régolièrenient  alors  à  Solly, 
par  un  titre,  les  fonctions  qu^îl  remplissait  par  le  fait  depuis 
lottgtemps,  et  loi  donna  la  charge  de  sarintendant  des 
finances  :  même  après  cette  nomination,  le  conseil  des 
finances  continua  à  fonctionner  et  put  toujours  être  saisi  de 
ces  matières  '•  La  même  année,  Sully  fut  pourvu  des  deux 
autres  charges  de  surintendant  des  bâtiments  et  de  grand- 
maltre  de  Tartillerie  \  I/autorlté  qu'il  tira  de  ces  diverses 
dignités,  lesquelles  faisaient  de  lui  Tun  des  hommes  les  plus 
puissants  du  royaume,  Tunité  d*action  qu^il  put  imprimer  aux 
diverses  opérations,  contribuèrent  puissamment  au  succès 
des  réformes. 

Henri,  en  choisissant  son  ministre  avec  discernement,  en 
le  maintenant  avec  fermeté,  avait  fait  tout  son  devoir  de  roi. 
U  8*en  Mut  bien  cependant  que  là  se  bomM  son  intervention 
dans  les  grands  changements  qui  rétablirent  la  fortune  pu- 
blique. Il  s*occupa  personnellement  de  la  gestion  financière, 
écrivant  de  longs  mémoires  de  sa  main  :  il  transmit  à  Sully 
tous  les  avis  qu'il  reçut  lui-même,  et  qui  pouvaient  aider  le 
surintendant  à  détruire  des  désordres  ou  à  réaliser  des  per- 
fectionnements :  il  lui  fit  part  incessamment  de  ses  observa- 
tions e't  de  ses  idées,  heureux  produits  de  Texpérience  et  de 
la  sagacité,  qui  ordinairement  étaient  des  traits  de  lumière. 
En  donnant  tant  de  soins  aux  finances,  il  se  conduisait  par 
la  conviction,  dès  longtemps  arrêtée  chex  lui,  que  pour  un 
royaume  livré  aux  dilapidations,  il  n'y  avait  ni  prospérité 
intérieure  possible,  ni  sûreté  et  force  dans  les  rapports  avec 
Tétranger.  Q  traduisait  ces  grandes  pensées  en  langage  vif  et 
familier,  quand  il  disait  à  Sully  :  «  Or  sus,  mon  amy,  ne 

^  »  pourrons*nous,  vous  et  moy,  couper  bras  et  jambes  ft  ma- 

»  dame  Grivelée,  par  ce  moyen  me  tirer  de  nécessité,  et  as- 
»  sembler  armes  et  thrésors  à  suffisance,  pour  rendre  aux 
»  Espagnols  ce  qu'ils  nous  ont  preste  ^  ?  » 

rcUHr^jr »s        ^^  ^^^^t  ^  Tépoquc  OÙ  saus  être  surintendant  il  était 

•  Mear  le  cliaocelier,  vous  et  ceux  de  mon  conseil  ordinaire  Het finances, 
»  Tcnani  icy.  ■  (Lettre*  m»»..  I.  v,  p.  41.'^,  t.  Ti.  p.  949.) 

*  Sally.  OEcon.  roj.,  c.  xci,  t.  l,  p.  ôlO  B  i  U  fia;  c.  XOI,  p.  M9  A  ; 
c.  xcm.  p.  !I99  B.  —  Matthieu,  Hbl.  de  Henri  IV,  1.  u,  p.  978,  ëdilion  de 
ISSI.ln.folio. 

*  Sally,  OEcon.  roy.,  c.  88,  U  l,  p.  304  B,  306  A.  Ses  trcr^Uires  lui  disenl 
en  purlant  de  lai  et  da  rot  :  «  En  la  plut  |«rt  de  vos  grandes  recherches, 

•  IniIrBcUoiu  et  inventions,  il  y  avoit  pins  du  sien  que  da  vostre,  y  en  ayant 


RÉFORMES  DANS  LES  PINAIICCS.  A61 

déjà  le  membre  le  plus  aatorisé  do  conseil,  Sully  commença 
la  réforme  parlkllc,  mais  raisonnéeet  systématique  des  finan- 
ces. Dans  Tétat  général  des  finances  pour  cette  année,  qu*ii 
dressait  en  commun  avec  le  contrôleur  général,  les  trésoriers 
de  France  et  les  receveitfs  généraux,  il  trouva  une  insuffi- 
sance ou  faute  de  fonds  de  deux  millions  pour  couvrir  les 
dépenses  par  les  recettes.  U  proposa  d'y  remédier  en  reti- 
rant des  mains  du  duc  de  Florence  et  de  ses  agents  la  por- 
tion des  impôts  qui  lui  avait  été  engagée  pour  sûreté  des 
sommes  qu'il  avait  prêtées  au  roi,  et  d^aifermer  cette  portion 
à  de  meilleures  conditions.  11  rencontra  une  forte  opposition 
de  la  part  de  ceux  qui  tiraient  im  honteux  profit  de  cet  état 
de  choses  <  ;  mais  il  la  surmonta  par  Tautorlté  et  rinterven- 
tion  personnelle  du  roi,  passa  un  bail  pour  cette  portion  des 
impôts,  avec  une  augmentation  de  plus  de  deux  millions  sur 
ce  qu'elle  rendait  jusqu'alors,  et  combla  le  déficit  qui  se 
présentait  sur  les  recettes  de  1507  2.  En  1598,  il  acheva 
cette  réforme  capitale  enredrant  À  tous  les  antres  souverains 
étrangers,  la  reine  d'Angleterre,  le  comte  I^latin,  le  duc  de 
Wurtemberg,  la  ville  de  Strasbourg,  les  Suisses,  les  Véni- 
tiens, en  reprenant  à  plusieura  banquiers  italiens,  et  à  un 
nombre  considérable  de  princes  et  seigneurs  français  les 
portions  d'impôts  du  roi,  d'impôts  pul>lics,  qui  leur  avaient 
été  engagées  soit  pour  servir  les  intérêts  de  leivs  prêts,  soit 
pour  payer  leurs  services.  On  déchaîna  contre  lui  tout  ce 
qu'il  y  avait  de  titré  et  de  puissant  dans  le  royaume,  la  sœur 
du  roi  et  le  connétable  tout  les  premiers,  en  leur  faisant  ac- 
croire qu'ils  perdraient  par  une  banqueroute  leurs  créances 
ou  leurs  pensions.  11  vint  à  bout  de  cette  seconde  attaque, 
conune  de  la  première,  parce  qu'il  put  démontrer  jusqu'à 

»  p«u ,  sur  lasqaellet  ▼oas  nVuttin  reçu  Jm  ordrM ,  vègleoMsU ,  ordon- 
»  naocM  et  commandeineiiU,  voire  i|ii«lqa«fuit  det  m^moàret  bien  ampl«t 
•  et  bien  iottruclift...  Vout  vou*  reodies  lojal  et  toignaat  è  «Mcaler  c« 
m  qu'il  voua  ordoonattf  et  dont  le  ulus  soavmmi  U  vou*  €ni»oyoii  dtê  mé' 
»  moins  40  sa  propre  mmiti.  m  Voir  à  l'appui  de  ce  lêmoigoage  plusieurs 
été  lettres  de  Heori  IV,  à  Rosny,  par  exemple  les  lettres  des  §  octobre,  6 
fl  S  novembre  I59S.  (Lellret  mittiT.,  I.  V,  p.  45,  64,  6!i).  Pour  ce  qui  r^ 
farde  les  dltaniditlioDs  et  madame  Orivelée,  voir  Satlvi  OEc.  rov.  c.  ST. 
p.  M4  A. 

'  Voir  ci-demas,  page  451. 

*  Sully,  OKroo.  ro}.,  c.  Vk  I.  I,  p.  S44  S.  Les  imiiôls  aliènes  au  duc  de 
Florence  était* ul  les  partie»  casurlles,  g«l»rlles,  cinq  grosses  fÎM^aes,  pÂites 
de  rivières  :  m  Le  roj  j  ap|iwrtM  >un  «utliurité  tout  entière  et  s'en  vonlut 
■  faire  croire,  m 


A6à  aUtOtAI  DO  ftJKGHI  ÙM  aiRlt  HT. 

Tévidence*  à  Henri  lui-même  ék>ranlé  par  tant  de  dameora, 
et  aux  intéressés,  qu*ii  ne  leur  serait  |>as  fait  tort  d*un  denier. 
Bu  reprenant  les  impôts  aux  souverains  étrangers  et  aux 
particuliers,  en  en  rendant  la  perception  ou  l'exploitation  au 
gouvernement,  en  en  tirant  ce  qu*ils  devaient  rendre  par 
une  bonne  administration,  ii  augmenta  les  ressources  de 
rfitat  dans  une  proportion  dont  on  peut  juger  par  un  foit 
particulier,  par  ce  qui  concernait  la  seule  pension  du  conné- 
table. La  madère  imposable,  abandonnée  au  connétable  pour 
lui  servir  une  pension  de  27,000  livres  de  ce  temps-U,  dès 
qu^elle  fut  rendue  au  gouvernement,  lui  donna  150,000  li- 
vres, h  ce  changement  TËtat  gagnait  par  an,  sur  un  seul  et 
^  faible  article,  123,000  livres,  que  les  financiers  s'étaient  ap- 

propriées Jusqu'alors  K  il  en  fut  de  même  de  tous  les  autres 
impôts  aliénés.  A  partir  de  ce  moment,  le  trésor  royal,  en 
payant  lui-même  les  intérêts  des  dettes  diverses  et  les  pen* 
sions,  reçut  le  montant  intégral  des  impôts  précédemment 
engagés,  dans  la  propriété  desquels  il  rentrait. 
kn\  impAu  L.es  impôts  restés  en  la  possession  du  roi  n'étalent  pas 
■n^MMu'de  mieux  administrés.  Après  des  recherches  d'une  longueur  et 
leur  râleur,  d'uuc  diificulté  effrayantes,  Sully  reconnut  que  les  princi- 
^^  "ricil  **"  P^ux  revenus  étaient  affermés  à  deux  tiers  au-dessous  de 
leur  valeur  et  de  leur  produit  réel,  et  que  ces  deux  tiers, 
qui  n'entraient  pas  dans  le  trésor  du  roi,  entraient  dans  la 
pocbe  des  fermiers  généraux,  des  membres  du  conseil  et  des 
trésoriers  de  France.  Geux-d  faisaient  adjuger  les  impôts  ft 
vil  prix  aux  fermiers  généraux,  lesquels,  à  leur  tour,  cédaient 
avec  des  liénéfices  énormes  l'exploitation  de  l'impôt  à  des 
90us-fermiers.  Sully  s'en  était  convaincu  «  ayant  vérifié  que 
i  les  sous-fermages  montaient  quasi  deux  fois  autant  que  les 
»  adjudications  générales  faites  au  conseil  du  roy  ou  par  de- 
•  vaut  les  trésoriers  de  France...,  et  ayant  fait  commande- 
»  ment  aux  sous-fermiers  de  rapporter  leurs  sous-baui.  » 
Appuyé  de  l'autorité  du  roi,  il  contraignit,  en  1598,  les  sous- 
fermiers  à  verser  le  montant  de  leurs  sous-baux,  c'est-è-dire 
la  valeur  réelle  à  peu  près  des  impôts,  dans  le  trésor,  au  lien 
de  le  payer  aux  fermiers  généraux.  Il  cassa  ensuite  les  ad- 

*  8«Uj,  dcoa.  roy.,  c.  SS,  1. 1,  p.  HM,  fSS  A.  à  cMte  dernière  page  oa 
Ul  S  S  :  «  Le  leodeiBeln  voiu  fletet  parler  ee  roi  on  bonne  qel,  toulM  le 
•  «on  dee  Balati,  prit  la  fenae  à  daqMMto  mU  eacat  »  (180,000  tttrea). 


RiFORVIS  DANS  LIS  riRARCtS.  &A3 

Judicalionset  Icsbaos  précédents»  allèniia  les  Impôts  à  leur 
mleur,  en  remplaçant  les  adjudications  faites  an  conseil  ou 
en  particulier,  par  des  adjudications  aux  enchères  publiques, 
et  il  olMittt  ainsi  une  augmentation  considérable  dans  les  re- 
eettes  pour  les  années  1599  et  suinntes  K 

De  1598  à  1605»  U  étudia  les  causes  de  U  stérilité  de  plu- 
sieurs impôts,  qui  couvraient  à  peine  les  frais  de  leur  per- 
ception, et  il  parvint  ft  en  rendre  plusieurs  productif.  En 
1605,  il  introduisit  on  tel  ordre  dans  Tadministration  des 
aides  et  des  parties  casueUes ,  dont  on  n*avait  presque  rien 
tiré  Jusqu'alors  au  proflt  de  TÉtat,  qu'en  peu  d'années  il  en 
fit  un  revenu  annuel  de  trois  millions'. 

U  mit  fin  aux  autres  dilapidations  qui  Jusqu'alors  avaient  kux  vob  faiu 
épuisé  le  trésor,  par  quatre  mesures  capitales.  La  première  ^i^SS!£.' 
de  ces  mesures  fut  rétablissement  d'une  comptabilité  régu*  ,  wineot 
lière.  Conformément  aux  instructions  formelles  et  précises  biiué  r^n'ûSra! 
qu'il  donna  en  1598  et  1599,  il  y  eut  assignation  de  chaque 
dépense  sur  l'une  des  recettes  générales  du  royaume  nommé- 
ment désignée,  et  distribution  de  deniers  conforme  aux  des- 
tinations, le  surintendant  «  ayant  fait  suivre  aiisolument  deux 
»  certains  états  de  dis&rilHition  de  recepte  sur  la  despense,  et 
»  de  la  despense  sur  la  recepte.  »  Chaque  recette  générale  ne 
supporta  de  dépenses  qu'en  proportion  Juste  de  ce  qu'elle 
percevait  de  deniers  ;  de  la  sorte,  il  n'y  eut  plus  ni  double 
payement  tantôt  réel,  tantôt  supposé,  d'une  seule  et  même 
dette,  ni  arriéré,  ni  empiétement  d'une  année  sur  une  au- 
tre, et  partant  plus  de  confusion  cachant  les  détournements 
de  fonds.  Toutes  les  natures  de  deniers  royaux  et  publics» 
tous  les  produits  Jusqu'aux  moindres,  furent  relevés  et  con- 
signés; les  suppositions  de  non-valeurs,  les  rentes  et  dettes 
imaginaires  disparurent.  Par  dessus  tout,  les  coropubles  de 
l'Eut,  aoit  dans  les  recettes  génécales  et  particulières,  soit  à 
l'épargne  ou  trésor  royal,  furent  astreints  à  tenir  des  livres- 
Journaux,  des  registres  en  bon  ordre,  où  la  recette  et  la  dé- 
pense étaient  inscrites  Jour  par  Jour,  et  qui  donnaient  les 
moyens  de  vérifier,  en  tout  temps,  ce  que  les  comptables 
avaient  reçu  et  ce  qu'ils  avalent  payé.  Les  nouveaux  tltulab^ 
de  chaque  recette  générale  ou  particulière  furent  astreints  à 


•  8«Ily,  OBcon.  roy.,  c.  SB.  1. 1,  p.  iB4  A. 

*  Sally,  OHcM.  roj.,  c  180,  t.  n,  p.  t7  A. 


Û64  HISTOIRR  DU  RfcGNR  DE  HENRI   IV. 

poursuivre  la  reddition  de^  comptes  de  leurs  prédécesseurs; 
et  le  payement  de  leurs  appointements  et  remises  fut  sus- 
pendu jusqu*à  la  rentrée  des  reliquats  >.  La  comptabilité  de 
Sully  n^eut  pas  tonte  la  rigueur,  toute  la  précision,  que  des 
perfectionnements  assez  récents  ont  donnée  à  la  comptabilité 
moderne';  mais  elle  fut  déjà  assez  régulière  et  assez  exacte 
pour  que,  dans  presque  tous  les  cas,  les  agents  du  trésor  se 
trouvassent  hors  d*état  ou  de  s*approprier  les  deniers  publics 
pendant  leur  gestion,  ou  de  les  retenir  à  l'expiration  de  leurs 
fonctions,  comme  ils  Pavaient  fait  jusqu'alors,  au  moyen  de 
la  confusion  et  de  Tobscurité  de  leurs  comptes.  Sully  avait, 
par  cette  réforme,  prévenu  et  empêché  les  péculats  à  venir. 
Il  punit  les  délits  passés,  utilement  pour  PËtat,  en  contrai- 
gnant quatre  receveurs  généraux  &  rendre  1,500,000  livres 
de  ce  temps-là,  et  en  commençant  une  recherche  sur  la  for- 
tune des  financiers  qui  valut  au  trésor  une  restitution  de 
3,600,000  livres,  déguisée  sous  le  nom  de  prêt  (1596, 1597)'. 

^"'J^^'*  En  second  lieu,  Sully  détruisit  les  impOts  arbitraires  établis 
par  les  gouvcr.  par  Ics  gouvcmeurs  à  leur  profit,  lesquels,  en  épuisant  les 
'"""'**  peuples,  les  mettaient  dans  l'impossibilité  d'acquitter  l'impOt 
royal.  11  défendit  de  lever  aucuns  deniers  dans  les  gouverne- 
ments sans  lettres  patentes  du  roi,  et  arrêta  les  levées  com- 
mencées (1598).  D'Épernon  fit  entendre  an  sein  du  conseil 
de  hautaines  et  insolentes  réclamations.  Sully  lui  répondit 
sur  le  même  ton,  et,  reprenant  son  rôle  d'ancien  soldat,  il  se 
montra  prêt  à  appuyer  ses  mesures  administratives  avec  son 
épée.  Le  roi  lui  écrivit  de  Fontainebleau,  qu'au  besoin  il  lui 
servirait  de  second.  VoUà  à  quel  prix  s'achetaient  alors  les 
réformes  :  il  fallait  y  mettre  jusqu'à  la  vie.  Sully  ne  recula 
pas  devant  ces  dangers,  et  vint  à  bout  des  gouverneurs, 
comme  de  tous  les  autres  déprédateurs  publics  \ 

Aux  r«ni«f.         ^  troisième  mesure  atteignit  les  abus  introduits  dans  les 

*  Solly,  OEcoo.  roy.,  «•  73  el  88,  L  i,  p.  tii  B,  305  à. 

*  Lu  comptabilité  de  Sally  n'eut  pai  les  Éentures  en  parties  doublet^ 
qui  d<>'i4  ëtaiiml  utilées  dans  le  commerce,  et  que  Sterin.  <ie  Bruges,  pro- 
pou  au  surinleodent  d^epplîquer  à  la  comptabilité  publique  daDS  an  ou> 
yn%a  composé  exprcs  vn  16U7  (M.  Baiily,  Hist.  riuanc.  de  la  Fraoce,  1. 1, 
p.  307. ) 

*  SullT,  OEcon.  roy.,  c.  68  «t  74,  t,  i,  p.  989  A,  149  B,  à  la  lia. 

*  Sully.  OEcoo.  ruy.,  c.  H6,  t.  i,  p.  ftM.  —  Legrein,  décade,  1.  yii  :  «  8a 
■  Mufestc  déclara  à  quelques  grandi,  qui  TOuloient  quereller  II.  de  Sully. 
»  i|u  il  «rn*tt  Miii  seruiMl.  •• 


RirORMRS  DANS  LES  nifAlfCES.  &65 

rentes,  et  les  usurpations  du  domaine  royal.  Les  rentes  de  ce 
temps  répondaient  à  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  du 
nom  plus  général  de  la  rente  :  c'était  rintérèt  payé  par  TËtat 
d'un  capital  qu'on  lui  avait  prêté,  ou  qu'on  était  censé  lui  avoir 
prêté.  Sous  Henri,  il  y  avait  des  rentes  de  différentes  créa- 
tions. Les  unes  étaient  irréprochables  ;  l'intérêt  était  propor- 
tionné à  la  somme  d'argent,  ou,  comme  on  disait  alors,  à  la 
finance,  que  les  particuliers  avaient  versée  dans  le  trésor 
public  pour  lui  venir  en  aide.  D'autres  étaient  exagérées  et 
usuraires  ;  les  créanciers  de  l'État,  profitant  de  sa  détresse  et 
de  ses  besoins,  n'avaient  livré  au  Trésor  que  la  moitié  ou  le 
tiers  même  du  capital,  et  percevaient  la  totalité  de  l'intérêt. 
D'autres,  enfin,  étaient  frauduleuses  :  les  particuliers  n'a- 
vaient rien  payé  du  tout,  et  avaient  acquis  des  titres  usurpés 
par  la  complicité  des  agents  du  fisc.  Après  une  vérification 
qui  dura  trois  ans,  Sully  opéra  la  réforme  en  160à.  U  con- 
solida les  rentes  irréprochables  et  les  fit  payer  dès  lors  avec 
la  plus  grande  exactitude.  Il  remboursa  les  rentes  exagérées 
sur  le  pied  du  principal,  c'est-A-dire  au  prix  qu'elles  avaient 
coûté  lors  de  leur  création  ;  ou  bien  il  les  réduisit  du  denier 
douze  au  denier  dix-huit,  au  denier  vingt,  parfois  même  au 
denier  vingt-cinq  ;  ou,  en  d'autres  termes,  il  diminua  l'Inté- 
rêt excessif  de  huit  pour  cent  à  cinq  et  demi,  à  cinq,  ou  à 
quatre  pour  cent.  Dans  certains  cas,  les  possesseurs  des  rentes 
furent  astreints  à  rapporter  les  arrérages  qu'ils  avaient  per- 
çus injustement  ;  dans  d'autres,  l'État  imputa  les  arrérages 
touchés ,  sur  le  principal  qu'ils  servirent  à  amortir.  Quant 
aux  rentes  frauduleuses,  Sully  les  supprima.  Ces  diverses 
opérations ,  commencées  en  160/^ ,  poursuivies  les  années 
suivantes,  amenèrent  au  profit  du  roi  et  du  trésor  un  rem- 
boursement et  une  extinction  de  5  millions  de  rente.  On  sait 
positivement  que  l'extinction  des  rentes  sur  l'Hôtel-de-Ville 
fut  de  1,390,000  livres  :  d'après  les  présomptions  les  plus 
graves ,  oq  peut  admettre  que  l'extinction  des  rentes  sur 
l'État  fut  de  3,610,000  livres.  La  réunion  des  deux  sommes 
forme  le  total  que  nous  venons  d'indiquer  >.  On  peut  juger 


*  Lrtlre  tia  roi  4a  30  avril  1601,  dans  les  lettres  laittÎTei,  I.  Tl,  p.  tit. 
<—  Sully.  OErnn.  my.,  c.  ISS,  I36«  t.  i,  p.  553,  bS6,  557.  —  On  trouve  •»& 
pofrei  .*»66,  6B7,  les  refilemenu  qui  furent  cinblis  et  •ppliqaês,  à  partir 
de  f4f04,  pour  1«  rembovrsemeiit  et  la  réduction  des  rentes.— A  la  pagtSSS  S, 


30 


À  rall^oatioB 

du 
domaiiic  rojal. 


&66  BISTOnUB  DU  RÈGITK  DK  HENRI  IV. 

des  effets  d*une  pareille  réforme  quand  on  songe  qu'en  1604 
la  totalité  des  revenus  publics»  sans  déduction  des  charges, 
sMlevait  à  peine  annuellement  à  30  millions,  et  que  sur  ces 
30  millions  que  recevait  le  gouvernement  pour  fournir  à  tous 
les  besoins  publics  sans  exception,  il  eut  5  millions,  c*est-à- 
dire  le  sixième  de  moins  à  payor.  Les  opérations  furent  faites, 
nous  venons  de  le  voir,  avec  discernement  et  Justice;  elles 
furent  conduites  de  plus  avec  prudence  et  polidque.  Le  gou- 
vernement ne  les  commença  que  six  ans  après  la  un  des  trou- 
bles, quand  la  plupart  des  fortunes  particulières  étaient  déjà 
réparées.  De  plus,  il  y  renonça,  quand  il  trouva,  comme 
dans  Taflaire  des  rentes  de  Paris,  en  1605,  que  pour  dimi- 
nuer ses  charges  et  accroître  sesressources  financières,  il  lui 
foUait  perdre  sa  popularité  et  provoquer  de  nouveaux  trou- 
bles <• 

Les  usmrpations  et  les  abus  qui  s^étaient  glissés  dans  les 
rentes  étaient  moins  nombreux  et  moins  criants  que  ceux 
par  suite  desquels  une  notable  partie  du  domaine  royal  était 
sortie  des  mains  du  roi  pour  passer  dans  celles  des  particu- 
liers. 

Plusieurs  de  ceux  qui  étaient  actuellement  détenteurs  du 
domaine  en  jouissaient  sans  titre,  et  par  une  pure  usurpation; 
d^autres  avaient  acquis  à  si  vil  prix  qu'ils  avaient  été ,  dans 
la  première  année  de  leur  jouissance,  plus  que  remboursés 
des  sommes  prêtées  par  eux  au  roi  ou  à  TÉlat.  Sully  retira 
une  portion  considérable  du  domaine  des  niaius  des  aliéna- 
laires,  en  expulsant  les  usurpateurs,  ainsi  que  ceux  qui,  par 
la  seule  jouissance,  avaient  plus  que  couvert  le  faible  capital  dé- 
boursé originairement  par  eux,  et  les  intérêts  légitimes  de  cette 

SaUy  dît  :  «  Il  y  «voit  moyen,  mii»  faire  aucune  in|uBtire,  de  tirer  de  la  r«. 
m  cherche  des  rente*  un  profit  de  6  milliona  pour  Sa  Ma|eiU.  »  L*opéni< 
tion  eût  donné  ce  réiulial  «i  elle  eût  été  complète  ;  mwis  elle  ne  Je  fut  paa. 
1*  Toua  le*  hiatoriens  témoignent  quVlle  fui  artêtce  et  rt'Kla  Incomplète 
pour  les  rente*  eonstilueea  sur  i'Uôlel-de-Ville  de  Paiis;  l*  d'après  lu  ré- 
daction totale  de*  charges  à  la  fin  de  ce  règne,  on  ^erra  quM  iaut  «ie  toute 
néceksiie  que  la  reduclion  rt  le  rembour^ment  de*  rente*  aient  été  par- 
Uel*  en  lieu  d'être  complets.  Non*  croyuus  dune  que  Forboniiaia  «e  trompe 
quand  II  dit  tome  W,  page  63  :  ■  Celte  viTiticution  produisit  au  roi  <*  mil- 
■  lion*  de  rente  i  »  et  quand  il  reciinaîl,  page*  M)  et  117,  qu'il  fut  rem* 
boni  se  en  outre  t,aQM,UOO  francsde  rente*  sur  rHôtei^e-Ville.  Cela  lerail 
en  Itiut  une  extinction  de  renies  de  7,ô*J0,Uj0  livres,  et  cela  n'est  pas  poa» 
•àble,  comme  nous  le  verrons  plu*  tard.  Pnr  le  sérieux  de  ses  recherches 
et  por  sa  sagacité,  Forbonnais  tail  autoiilé  en  général  pour  nous;  maia  aar 
ce  point  porticnlier,  non*  pensons  qa'il  est  tumbédana  Terreur. 
'  Thuaaua.  L  CXXXIY,  U  xiV«  p.  444,  445  de  la  traduction. 


ftArOIIMCS  DANS  LB8  PIM ARCES.  &67 

lomme.  0  fit  rentrer  la  couronne  dans  une  seconde  portion 
plus  considérable  de  domaine  par  une  antre  mesure.  Il  or- 
donna que  les  biens  acquis  de  bonne  fol  et  d'une  manière 
sérieuse  par  les  détenteurs  actuels,  mais  dont  le  prix  d'ac- 
quisition »e  trouvait  au-dessous  de  la  valeur  réelle,  seraient 
soumis  à  une  revente  quand  11  se  présenterait  des  enchéris- 
seurs. Une  compagnie  s'offrit,  et  Sully  lui  transféra  cette 
partie  du  domaine,  sous  condition  qu'elle  désintéresserait  les 
premiers  acquéreurs,  et  qu'après  une  jouissance  de  seize  ans 
elle  rendrait  au  roi  le  domaine  quitte  et  franc  de  toute  obli- 
gation. Tour  compléter  les  explications  nécessaires  au  rachat 
du  domaine,  il  faut  ajouter  que  le  domaine  ne  se  composait 
pas  uniquement  de  terres,  mais  aussi  d'offices  lucratifs  dont 
la  couronne  disposait,  et  notamment  des  greffes,  dont  il  est 
si  souvent  question  dans  les  historiens  contemporains.  Les 
chiffres  que  l'on  trouvera  à  ia  fin  de  ce  paragraphe  consacré 
aux  finances  démontreront  la  merveilleuse  eflicacité  des  me- 
sures adoptées  par  Sully  pour  le  rachat  du  domaine  et  des 

rentes  K 

En  remettant  l'État  et  la  couronne,  dont  les  intérêts  se 
confondaient  alors,  en  possession  de  tout  ce  qui  leur  appar-  «lauTeVëesde 
tenait  en  fait  de  propriétés  et  d'impôts  ;  en  leur  restituant  troupo. 
tout  ce  qui  était  productif  et  qui  avait  été  usurpé  sur  eux, 
Henri  et  Sully  n'avaient  encore  opéré  que  la  moitié  des  ré- 
formes nécessaires  pour  la  bouue  admmistration  de  la  for- 
tune publique,  il  s'agissait  encore  de  faire  le  meilleur  et  le 
plus  utile  emploi  pour  la  1*  rauce  de  Targcut  qu'on  rucueiliail, 
en  bannissant  le  vol  et  le  gaspillage  des  dépendes  qu'on  mam- 
tenait,  en  supprimant  ou  en  restreignant  plusieurs  dépenses 
selon  que  le  temps  le  permettait,  en  réduisant  certains  services 
au  strict  nécessaire,  pour  en  étendre  et  en  développer  d'au- 
tres. 

C'est  à  quoi  le  roi  et  Sully  appliquèrent  leurs  soins  et  leur 

*  Sollj,  OEcon.  roy..  c.  IS7, 1. 1.  p.  U7  B,  55S  A;  c  lAO,  t.  u,  p.  I«  B. 
^  LctUede  Sully  au  roi,  du  tl  mrril  l<Mi7.  ~  U«u&  à«Uf«a  au  r%a^  as  otoM 
4c  Biui  IMH,  sur  de»  piu|>oMliuii»  de  ntchat  du  donuiiuCi  dtm*  le*  ULcon. 
toy.t  c  l<it>,  Ibî,  u  11,  p.  IMIb,  lM>,  1S7.  —  lùuoucc  dccuil  r«liiU»rn>cat 
iiii  fchut  du  doniaiu«  u  urme^  dkiia  ie»  CILcon.  luy.,  c  slb,  L  M«  p.  4ô7  A 
et  B.  «  t^tus  touft  le»  p«rlicul(ci»  (|ttx  uBiciiuincc  pour  les  rmt.kapuà9 
m  dowi"**t  S'*'^*^*«  (^Bt**  *t  tttiril>MUi*M  *ur  le  ruj,  kiai  «lire  de  limiU 
m  tiou*  puyultlM  eu  Uou  eos,  e'il  plui»!  «  te  Mii|€»u  de  proiomgtr  /•  umys 


&68  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

discernement.  Ainsi,  dans  les  marchés  passés  par  les  four- 
nisseurs avec  TÉtat,  ils  amenèrent  les  soumissionnaires  à  se 
contenter  de  bénéGces  légitimes  et  peu  dilTérents  de  ceux 
qu'ils  auraient  réalisés  avec  les  particuliers.  Cette  sévère  éco- 
nomie présida  aux  fournitures  de  vivres  et  de  munitions  faites 
pour  le  siège  de  Lafère  en  1596,  quand  Sully  n'était  encore 
que  commissaire  du  roi  ;  pour  le  siège  projeté  d'Arras,  après 
qu'il  fut  entré  au  conseil  ;  pour  le  siège  d'Amiens,  en  1597  ; 
pour  le  transport  des  armes  et  munitions,  dans  la  guerre  de 
Savoie,  en  1600.  Dans  cette  dernière  circonstance,  Sully 
montra  comment  FÉtat  pouvait,  dans  certaines  circonstances, 
s^adresser  à  l'industrie  privée  et  l'appliquer  aux  services  pu- 
blics, en  obtenant  d'immenses  économies,  une  régularité  égale, 
et  une  promptitude  quatre  fois  plus  grande  ^  Aussitôt  après 
les  hostilités  contre  la  Ligue  et  contre  r£spagne  terminées 
par  le  traité  avec  Mercœur  et  par  le  traité  de  Vervins,  en 
1598,  Henri  et  son  ministre  se  hâtèrent  de  réduire  les  dé- 
penses de  la  guerre  :  ils  licencièrent  la  plus  grande  partie  des 
troupes  régulières  et  ne  conservèrent  sous  le  drapeau  que  huit 
mille  hommes,  lesquels  suffisaient  pour  maintenir  l'ordre  in- 
térieur, et  pour  former  le  noyau  d'une  armée,  si  l'on  était 
attaqué  de  nouveau  par  l'étranger.  L'issue  de  la  guerre  de 
Savoie,  durant  laquelle  on  augmenta  les  forces  par  des  levées 
soudaines  et  momentanées,  prouva  que  cette  réduction  n'a- 
vait rien  d'imprudent  Aussi,  le  roi  et  Sully  la  pratiquèrent- 
ils  de  nouveau  après  la  défaite  du  duc  de  Savoie  '.  Dans  le 

*  Snlly^  OEcoo,  roy.,  e.  65, 1. 1,  p.  904  A.  ft  la  fin,  SOS  A.  S  3;  c.  73, 1. 1, 
p.  343  B  à  la  fin,  344  A;  c.  75,  p.  950  B.  —  Lettre  de  Rosny  aa  roi,  da 
19  juillet  1597,  p.  95S  A  ;  lettres  du  roi,  à  Rosny,  des  8  juillet,  4  aoAt,  18 
aeptenbre  1597,  dunt  les  lettres  missir.,  t.  IT«  p.  S04,  SIS,  847.  «  Vont 
»  ne  me  mandes  rien  des  190  milliers  de  poudre  que  nous  avions  ochelca 
M  avant  que  de  partyr...  J'approuTe  le  marché  que  tous  avei  fait  pour  les 
M  vïTres  de  l'armée.  »  —  Voyet  de  plat  le  chap.  96,  p.  351  B.  Sully  dit 
dans  ce  dernier  endroit  en  parlant  des  armes  et  des  munitions  qu'il  Tallait 
transporter  en  SoToie  :  u  Les  toituriert  tous  rendirent  le  tout  dans  16 
»  jours  à  Lyon.  Que  s^il  IVust  fallu  mener  avec  cfaeTaiix  d*achapt  ou  de 
>  solde  roulière,  comme  l'on  avoii  accoutumé^  et  Touloit-on  que  tous  le 
»  fissies,  TOUS  n*en  fussies  pas  venu  à  bout,  sans  une  excessÏTe  despente, 
»  et  un  temps  de  deux  on  trois  mois.  » 

*  A  la  date  du  90  mars  1601.  Lettres  missÎT..  t.  ▼,  p.  396,  Henri  écrit  à 
Sully  :  «  Mon  ami,  je  tous  dirai  que  je  trouTe  bon  que  l'on  réduise  les 
M  compognies  des  régiments  de  NaTurre,  Piedmont  et  Champo|ne  qui  ei« 
»  loient  a  Bourg,  à  raison  de  SO  hommes  pour  enseigne,  compris  les  chefs  ; 
»  comme  aussi  qu'où  licencie  celles  du  s'  de  bt.-Augel,  et  les  compa- 
»  gnîet  des  %••  de  Lux.  et  du  Breuil,  et  la  crue  des  carabins  de  M.  de  Biron; 
u  uu«8i  que  Tuu  fiisst  le  semblable  du  régiment  du  ir  de  Créi|uy,  i  mesure 


RÉFORMES  DANS  LES  FINANCES.  /i69 

voyage  militaire  de  Quercy  et  de  Limosin ,  dans  l'expédition 
même  contre  Sedan ,  l'armée  commandée  par  le  roi  ne  dé- 
passait pas  sept  ou  huit  mille  hommes*  Chaque  soldat  rece- 
vait dès  lors  de  TËtat  les  armes ,  la  nourriture  et  la  paye. 
Des  économies  capitales  résultèrent  donc  naturellement  de 
cette  diminution  du  personnel  des  troupes. 

Une  autre  économie  considérable  pour  le  trésor  public,  en  Sapprtiaioa 
même  temps  qu'une  décharge  pour  toutes  les  classes  de  ci-  officM  inaUlet. 
toyens,  résulta  de  la  suppression  des  offices  inutiles.  Le  tré- 
sor n'avait  plus  à  payer  leurs  gages  et  appointements  ;  les 
contribuables  cessaient  de  fournir  ce  qui  était  nécessaire  à  ce 
paiement  ;  ils  cessaient  surtout  d'être  en  butte  aux  exigences 
avides  des  gens  pourvus  d'offices  publics.  Ceux-ci,  contenas 
par  les  édits  et  la  surveillance  du  roi  et  de  Sully,  s'étaient 
bien  interdit  les  concussions  à  l'égard  du  gouvernement,  les 
exactions,  la  violation  de  la  loi,  les  épices  excessifs  à  l'égard 
des  particuliers.  Mais  ils  continuaient  à  percevoir  divers  droits 
et  attributions  introduits  par  l'usage,  perpétués  par  la  tolé- 
rance, et  très  onéreux  pour  les  particuliers  >  ;  ils  n'avaient 
cessé  qu'à  moitié  d'être  des  ennemis  publics.  «  Le  roy,  dit 
•  Sully,  sachant  par  expérience  qu'il  n'y  a  rien  qui  témoigne 
9  davantage  de  la  prochaine  décadance  d'un  État  que  l'ef- 
9  frénée  multitude  d'offices,  et  la  licence  que  se  donnent  ceux 
»  de  justice  et  de  finance  de  s'enrichir  excessivement  aux 
9  dépens  des  revenus  publics  et  des  biens  des  particuliers, 
>  fist  premièrement  un  grand  retranchement  d'officiers  '.  m 
Dans  cette  première  suppression,  qui  date  de  1601,  furent 
compris  les  comptables  trienneaux,  dont  Sully  avait  con- 
seillé lui-même  la  création  après  la  prise  d'Amiens,  comme 
un  expédient  nécessaire  pour  se  procurer  de  Targent  Le 
prix  qu'ils  avaient  pa>é  pour  Tachât  de  leurs  charges  leur 

»  ^ne  l'on  sorti»  dtt  pi  «ces  qa«  nom  rendront.  Je  IrouTe  fort  à  propos 
•  qa*oB  la  lue  quelques  )ours  encore  en  Provence  les  compagnies  dn  re^i* 
»  ment  de  nés  ganJes,  et  celles  de*  Cônes,  l^s  rédaisant  wu  nombre  que 
»  |e  voas  ay  ordonne:  comme  aauj  que  l'on  licencie  celles  du  S'  Du  Bourf 
m  et  du  chevulier  de  Montmorcnci.  m 

<  Snlly.  OEron.  royul.,  c.  SIS,  L  n,  p.  440.  «  Plus  des  règlements  A 
»  Ciire  sur  loutes  sortes  de  crues  et  impositions  qui  se  IcTent  en  grand 
i>  Domhre,  è«  villes  et  provinces,  son«  couleur  de  pefemens  des  gages, 
I»  éroiU^  mttribulioHS^  vacations  d'oflicier*  royaux,  tant  au«  nurlemenlt, 
»  que  sieces  royaux  et  seigneuriaux.*  —  «Plus  des  réglemeols  i  faire  dans 

>  tontes  les  Chambres  des  comptes  et  Cours  des  «Ides,  tonchanl  In  fwrcrp» 

>  tiom  dm  divers  druiU  et  aUrthutions  pnr  lotermnce,  • 
*  Sullj,  OEcon.  royal.,  c  104, 1. 1,  p.  37S  A« 


A70  HISTOIRE  DU  RÈGffB  DE  HENRI  IV. 

fut  remboursé.  Avec  le  même  tempérament  dicté  par  la  Jas- 
tice,  le  gouvernement  détruisit,  à  diverses  reprises,  une 
multitude  d^autres  offices  inutiles.  Dans  les  années  1606  et 
1609,  les  états  de  finances  portent  une  somme  de  200,000 
livres  «  pour  suppression  d'offices  et  extinction  des  droits  qui 
9  se  levaient  par  iceux  sur  le  peuple. ^  » 

Quand  on  résume  ce  qui  vient  d*ètre  exposé ,  Ton  voit 
que  Sully,  avec  le  concours  et  Tautorité  d'Henri ,  avait  res- 
titué à  rËtat  la  propriété  et  la  libre  disposition  d'une  foule 
d'impOts  aliénés  aux  étrangers  et  aux  nationaux  ;  qu'il  avait 
rendu  à  ces  impOts  leur  valeur  et  enrichi  le  trésor  public  de 
la  différence  ;  qu'il  avait  créé  au  trésor  d'autres  ressources 
en  l'exonérant  d'une  partie  des  rentes  qu'il  payait,  et  en  lui 
rendant  le  produit  d'une  portion  considérable  du  domaine 
dégagé  ;  qu'il  avait  donné  au  peuple  le  moyen  de  supporter 
les  charges  publiques  en  le  délivrant  des  contributiuns  levées 
par  les  gouverneurs,  et  en  ne  laissant  subsister  que  l'impôt 
royal  ;  qu'il  avait  dressé  un  budget  annuel  régulier,  mis  le 
budget  en  équilibre  et  empêché  ainsi  les  empiétements  d'une 
année  sur  une  autre,  les  confusions,  les  désordres  ;  qu'il 
avait  établi  une  comptabilité  régulière  et  coupé  court  aux 
vols  des  comptables  eux-mêmes,  et  à  ceux  ûas  grands  sei- 
gneurs imposant  leur  volonté  d'une  manière  souveraine  aux 
officiers  du  roi.  Par  ces  diverses  mesures,  comme  l'a  remar- 
qué un  ancien  historien,  Sully  était  parvenu  à  diriger  l'ar- 
gent, depuis  le  moment  où  il  sortait  des  mains  du  peuple  jus- 
qu'à celui  où  il  entrait  dans  le  trésor  public,  par  des  conduits 
si  solides  et  si  sûrs  qu'il  ne  s'en  perdait  plus  rien  en  route» 
et  à  le  placer  dans  un  réservoir  dont  il  ne  sortait  rien  non 
plus  que  pour  les  besoins  publics.  Il  faut  ajouter  que  ces 
besoins  eux-mêmes  étaient  servis  avec  économie  et  intelli- 
gence ;  que  les  services  improductifs,  tels  que  ceux  de  la 
guerre,  de  la  justice  et  des  flnances,  étaient  réduits  dès  que 
la  défense  ou  le  service  du  pays  n'exigeait  plus  leur  main- 
tien intégral  ;  que  les  finances,  enfin,  étaient  dirigées,  pour 
les  féconder,  vers  les  arts  de  la  paix,  dont  le  propre  est  de 
développer  toutes  les  ressources  intérieures ,  toutes  les  ri- 
chesses propres  d'une  nation. 

*  SaUj,  OEoon.  ff9yal.,[c  187.  t.  u,  p.  17S  B,  t7ai|B. 


EPTETS  DBS  RirORMBS  0PiRi£8  DANS  US  nNAlfCBS.    A7i 

§  3.  —  Effets  des  réformes  dé  Henri  IV  et  dé  Sully ^ 
relativement  au  produit  des  divers  revenus  publics,  el 
notamment  des  impôts*  -^  Produit  des  impôts  sous  oe 
règne. 

n  faut  voir  maintenant  les  effets  de  ces  diverses  mesures, 
les  admirables  résultats  qu'eurent  pour  la  fortune  de  la  France 
les  efforts  combinés  de  Henri  et  de  son  ministre.  Ce  n*est 
qu'après  les  avoir  constatés  que  Ton  comprend  le  sens  du  titre 
donné  par  Sully  à  ses  Mémoires  :  Les  sages  et  royales  œco^ 
nomies  d' Estât  de  Henri  le  grande  et  les  servitudes  utiles, 
obéissances  convenables  ^  et  administrations  loyales  de 
Maximilien  de  Bethune.  Ce  titre  est  un  peu  long;  mais  U 
donne  une  exacte  idi^e  du  contenu  de  Touvrage,  et  Pouvrage 
est  lui-même  une  Adèle  représentation  des  actes  administra- 
tifs de  Henri  et  de  Sully. 

Même  avant  que  Sully  fût  élevé  à  la  surintendance,  dès     De  coraiiim 
Tannée  1597,  époque  à  laquelle  il  entra  au  conseil  des  ûnan-    i/p,^uk  des 
ces  avec  une  autorité  suffisante  pour  faire  le  bien,  les  rêve-        impèu, 
nus  publics  commencèrent  à  s'accroître  et  ils  suivirent  une     '"i^formM.*' 
progression  ascendante  depuis  ce  moment  Jusqu'au  dernier 
jour  du  règne. 

Premièrement^  en  1597,  après  le  retrait  d'une  portion 
des  impôts  au  grand  duc  de  Florence,  et  après  l'améliora- 
tion de  la  ferme  des  gabelles  et  des  cinq  grosses  fermes  <,  les 
revenus  publics  augmentèrent,  par  an,  de  .   2,000,000  llv. 

Deuxièmement^  en  1598,  après  le  retrait 
d'une  seconde  portion  des  impôts  à  divers 
autres  aliénalaires,  soit  souverains  étrangers, 
soit  nationaux^  de...» i,800,000 

Troisièmement^  en  1605,  après  la  réforme 
introduite  dans  les  aides  et  les  parties  ca- 
snelles',  de 3,000,000 

A  reporter.  .  .  •    6,800,000  llv. 
'SttUr.OEffM.  r«f.f  «.  13.  m  p.  su»,  s  «  A  ■•  tel  «•  n«  1 1, 

■  Sally,  OEcoB.  roy.,  cSS,  I.  l,  p.l9BA,  Ctilafln. 

•  S«Ur«0BeQfl.ro7.,  a.lOO,t.ll,p.l7AàUia.~Crt««il. 
•r  !•  c«MBpls  àm  r«c«U«  de  lOOS,  m.  lit.  IIS. 


'  a«Ur«  OEcQfl.  roy.,  c  100,  t.  n,  p.  17  A  à  I 
pv  !•  c«MBpls  âm  r«c«U«  de  lOOS,  p.  lit,  IIS. 


&72  HISTOIRB  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

Report 6,800,000  liv. 

Quatrièmement,  de  1597  à  1609,  i>ar  les 
produits  de  la  Pancarte  durant  six  années, 
et,  quand  la  pancarte  fut  détruite,  par  Taug- 
mentation  du  droit  d'entrée  sur  les  mar- 
chandises et  notamment  sur  les  vins  dans 
plusieurs  villes;  par  suite  de  diverses  aug- 
mentations sur  chaque  minot  de  sel,  du 
maintien  du  péage  de  Vienne,  et  de  la  nou- 
velle imposition  d'Anjou;  paries  produits 
enfin  du  domaine  racheté  et  de  quelques 
autres  branches  qui  seront  d-après  spécifiées, 
les  revenus  publics  s'accrurent ,  en  moyenne, 
d'environ! 1,662,000 

Total 8,262,000  liv. 

Ainsi,  dans  la  période  de  doiuse  ans,  de  1597  à  1609,  il  y 
eut  une  augmentation  annuelle  de  8  millions  262  mille 
livres  environ  dans  les  revenus  publics. 

L'augmentation  de  6  millions  800  mille  francs  provenant 
des  trois  premiers  articles  et  formant  les  trois  quarts  de 
Taugmentation  totale,  résulta  exclusivement  d'une  meilleure 
administration  des  impôts  :  les  contribuables  ne  payèrent  pas 
plus,  une  classe  même  paya  beaucoup  moins,  ainsi  que  nous 
aurons  Toccasion  de  le  constater  bientôt,  et  le  gouvernement 
reçut  bien  davantage.  Le  secret  de  ce  double  changement  se 
trouve  dans  la  suppression  des  vols  et  des  gaspillages  ;  dans 
Textension  de  Pimpôt  à  plusieurs  classes  nouvelles  de  ci- 
toyens capables  de  le  supporter  ^;  dans  le  moyen  donné  à  un 
plus  grand  nombre  de  contribuables  de  satisfaire  aux  charges 
publiques,  par  la  destruction  de  la  guerre  civile  et  du  bri- 
gandage. Tel  fut  le  caractère  le  plus  général  et  le  plus  mar- 
qué de  Tadministration  financière  sous  ce  règne  :  on  n'a  pas 
su  ie  voir,  ou  on  Ta  caché  dans  plusieurs  histoires  publiées 
de  nos  jours. 

■  Sully,  OEcoD.  roy.,  c.  74, 1. 1.  p.  348  B,  949  B.  ^  Edit  du  nob  d9 
B«ptemb.  1602  dans  les  anc.  lois  franc.,  t.  XV,  p.  S70.  —  Véron  de  For- 
boan»u,  Recb.  sur  les  finonc,  t.  i.  —  M.  Bailly,  Hist.  financ,  1. 1,  p.  311, 
311. 

*  Voyet  le  paragraphe  suivant  pour  rëtablusement  et  U  prcute  de  et 
f»U  importa  ut. 


EPPETS  DBS  RérORMBS  SUR  LES  REVENUS  PUBLICS.     ii73 

Sur  les  trois  premiers  articles  de  Paiigmentation  des  re- 
venus publics,  formant  6  millions  800  mille  livres,  on  a  le 
témoignage  formel  de  Sully,  et  des  chiffres  exacts  fournis 
par  lui  ;  par  conséquent  il  n'y  a  pas  de  doute  possible.  Sur  le 
quatrième  article,  se  composant  de  1  million  &62  mille  livres, 
on  peut  arriver  à  une  précision  à  peu  près  aussi  rigoureuse, 
par  une  comparaison  et  un  contrôle. 

Les  notables  de  Rouen  et  le  gouvernement,  en  dissidence 
sur  beaucoup  d'autres  points,  tombèrent  entièrement  d^ac- 
cord  sur  les  dépenses  publiques.  Ils  les  estimèrent,  en  y  com- 
prenant les  divers  services  et  les  charges,  à  la  somme  totale 
de  30  millions  par  an,  et  ils  ne  se  trompèrent  pas.  Les  dé- 
penses atteignirent  ce  chiffre  pendant  les  onze  années  écou- 
lées du  commencement  de  1597  à  la  fin  de  i607;  et  dans 
les  années  1608  et  1609,  après  Tamortissement  d'une  partie 
de  la  dette,  après  Textinction  de  Tintérêt  de  cette  partie  de 
la  dette,  les  dépenses  montèrent  encore  à  26  millions,  comme 
TéUblit  le  compte  de  1609  K  Gela  fait  pour  les  treize  années 
une  somme  de  382  millions  ;  il  faut  y  ajouter  26  millions  que 
le  gouvernement  remit  au  peuple  sur  les  tailles  de  1599  à 
1610.  En  effet,  ni  les  notables,  ni  la  couronne  n'avaient,  au 
commencement  de  1597,  prévn  et  fait  entrer  cette  diminu- 
tion dans  leurs  calculs,  et  il  faut  ajouter  aux  dépenses  ce  que 
le  gouvernement  perdit  on  manqua  de  recueUlir  de  ce  côté. 
En  réunisunt  ces  deux  sommes,  on  arrive  à  un  total  de 
606  millions  pour  les  dépenses  de  treize  années.  Au  com- 
mencement de  1597,  les  revenus  publics  ne  s'élevaient  qu'à 
23  millions  par  an.  Ces  23  millions  ne  devaient  produire  en 
treize  années  que  299  millions.  Il  y  aurait  donc  eu  un  déficit 
de  107  millions  de  la  recette  sur  la  dépense.  Ce  fut  de  cette 
somme  qu'il  s'agit  de  relever  les  revenus  publics,  et  que  l'ha- 
bileté de  Henri  IV  et  de  Sully  parvint  à  les  accroître.  Or,  les 
trois  premiers  articles  d'augmentation  des  revenus ,  dus  aux 
réformes  de  Sully,  donnèrent  en  treize  ans  88  millions 
àOO  mille  livres.  Vom  trouver  les  19  millions  restants,  pour 
arriver  jusqu'à  107  millions,  il  faut  de  toute  nécessité  que  le 
quatrième  article  d'augmentation  ait  produit  19  millions  en 
treize  ans,  ou  1  million  662  mille  livres  par  an. 

■  Cr$i  ce  q««  l'on  IrovTera  ëUbU  un  p<a  plni  loin. 


A7A  HISTOIRE  DD  RÈGIIB  DE  HEHRI  IT. 

DiycriM  Pour  prévenir  les  malentendus  et  les  confodons  si  faciles 

TJlipXr  "^     en  matière  de  chiffres  et  de  finances,  il  est  nécessaire  dindi- 
le  produit  des    guer  dans  quelle  mesure  la  plupart  des  historiens  réduisent 

revenus  publicf    ,  .    .     i       .        ^^       .  •  •_•.  ««     _.   n» 

et  en  particu-  le  prodult  des  impôts  et  les  revenus  publics  sous  Henri  IV, 
lier  des  impôu.  gj  pourquoi  ils  Icur  font  subir  cette  réduction.  Le  cas  excepté 
où  les  assemblées  nationales  s'occupent  de  la  fortune  pubU* 
que,  et  par  exemple  sous  ce  règne,  excepté  lors  des  résolu* 
lions  prises  par  les  notables  de  Rouen,  Sully,  et  avec  lui  tous 
les  historiens  et  les  économistes  du  xvi*  siècle,  ne  s'occupent 
jamais  de  Tensemble  des  revenus  publics  et  de  Tensemble 
des  dépenses.  Ils  laissent  en  dehors  de  leurs  énoncés  et  de 
leurs  calculs  les  charges  et  la  portion  des  revenus  nécessaire 
pour  y  satisfaire,  en  un  mot,  tout  ce  qui  se  payait  par  prélè-^ 
vemenL  Ils  ne  parlent  que  de  la  partie  des  services  publics 
que  le  gouvernement  payait  lui-même,  et  de  la  partie  des 
revenus  qui  entrait  dans  l'épargne  ou  trésor  public,  déduc- 
tion faite  des  charges  ;  c'est  ce  qu'ils  nomment  Us  deniers 
revenants  bons  en  l'épargne.  A  une  distance  de  deux  siècles 
et  demi,  celte  manière  de  dresser  un  état  général  des  finances 
ou  budget,  peut  tromper,  tantôt  de  moitié,  tantôt  d'un  tiers, 
sur  les  revenus  publics  et  sur  les  dépenses  des  lecteurs  peu 
familiarisés  avec  ces  matières.  Parmi  les  modernes,  ceux  qui  ont 
écrit  l'histoire  financière  de  la  France,  ont  presque  tous  adopté 
la  manière  de  compter  de  Sully  et  des  auteurs  du  xvi*  siède. 
De  plus  les  uns  donnent  le  chiffre  des  revenus  publics,  les 
charges  déduites,  pour  la  fin  de  1596,  ou  le  commencement 
de  1597,  avant  les  premières  réformes  de  Sully,  et  ils  disent 
alors  qu'U  n'entrait  bon  dans  l'épargne  que  7  millions.  Les 
autres  établissent  le  même  chiffre  pour  iô99,  après  plusieurs 
améliorations  importantes  introduites  par  Sully,  lesquelles 
avaient  lx>nifié  les  revenus  de  ti  millions,  et  Us  disent  que 
l'épargne  recevait  il  millions  *.  Tous  ces  calculs  reviennent 
au  même  et  concordent  ensemble  ;  mais  Ils  ont  grandement 
besoin  d'être  commentés  etédaircis. 
Qaei  fut  U  s'agit  maintenant  de  rechercher  pour  quelle  proportion 

le  prodaittoui  |es  impôts  entraient  dans  les  revenus  publics.  Nous  essaierons 
sou?ce"rèsne.    d'établir  sur  des  documents  irrécusables,  et  de  consacrer  en 
quelque  sorte  la  quotité  des  revenus  publics  provenant  de 

*  TéroB  de  Forbonnais,  Recherc  «l  contid.,  t.  i,  p.  99.  —  M.  BeiUy, 
RUl.  fisancière,  t.  l.  p. 


BFPET8  DBS  RirORlUS  SUE  UBS  RETENUS  PUBLICS.       A75 

l^pOt,  en  1609  et  1610,  à  la  fin  de  ce  règne.  U  est  éton- 
nant qu'un  chiffre  aussi  important  n*ait  reçu  dans  aucun 
ouvrage  moderne  l'authenticité  nécessaire  par  la  production 
et  la  discussion  des  pièces  originales.  A  la  suite  d'un  travail 
général  que  le  roi  lui  avait  demandé  sur  les  impôts  aux  di- 
verses époques  de  notre  histoire,  Sully,  au  moment  de  la  pu- 
blication de  ses  mémoires,  ajouta  la  note  suivante  qui  ne  fut 
contredite  par  aucun  des  contemporains  :  «  Le  roy  Henri  le 

•  Grand,  quatrième  du  nom,  mourut  le  iUuay  1610,  et  lors 

•  il  revenoit  de  deniers  bons  en  son  espargne,  moitié  prove- 
»  nans  des  tailles  et  moitié  des  fermes,  environ  16  milliotu 
»  de  livres  >.  • 

On  possède  un  document  contemporain  qui  sert  de  con-  Apparente  coo- 
trAle  à  renoncé  de  Sully  :  c'est  un  compte  des  recettes  de    •■tre  l'ënouctf 
Tépargne  pour  l'année  1609,  reçu. à  la  chambre  des  comptes    ^^*  Sil'te 
le  11  février  1610  \  Le  compte  ne  s'occupe  pas,  et  n'a  pas  à       <i«  i(iU9. 
s'occuper  de  la  provenance  des  deniers  :  il  rétmit  en  masse 
tout  ce  que  possède  l'épargne  à  la  fin  de  1609,  et  il  donne 
pour  somme  totale,  sans  distinction,  32,589,659  livres  K  En 
Texaminant  avec  soin  et  en  l'analysant,  on  trouve  qu'fi  se 
compose  de  deux  parties  très  distinctes,  1"  d'une  portion  des 
économies  déjà  faites  les  années  précédentes  et  déposées  à  la 
Bastille,  qui  s'élèvent  au  chiffre  de  12,350,000,  et  qui  ne 
peuvent  à  auctm  titre  figurer  parmi  les  revenus  publics  de 
l'année,  soit  impôts,  soit  ressources  d'une  autre  nature  ; 
2*  du  produit  de  l'année,  lequel  monte,  charges  déduites,  à 
20,^39,659  <. 

Même  en  réduisant,  comme  on  doit  le  faire,  le  produit  de 
l'année  1609  à  ce  dernier  chiffre,  on  trouve  au  premier  abord 
une  contradiction  flagrante  entre  l'énoncé  du  surintendant, 
du  ministre  des  finances  d'alors,  lequel  est  de  16  millions 
environ,  avec  le  compte  fait  sous  sa  surveillance  et  dans  ses 
bureaux  qui  donne  20,239,000  livres  en  chiffres  ronds'.  Biais 

■  Sally,  OEcoa.  roy..  c.  186,  t.  n,  p.  168  A,  Mit.  lUehaiid. 

*  Oa  1«  trouT*  teKli«ell«m<*nt  daot  l«s  BMharchM  «t  oootid.   lar   !«• 
finances  de  Pr.«iic«,  t«  I,  p.  l09-tl9. 

'  Voir  1«  toUl  du  com|>l«,  p.  110. 

*  L«  ronpte,  p.  116  à  U  fin,  117.  Qim  l*oa  TevilU  Mm  dira  •tUnlioa 
qiM  c*e<l  le  produit  d*  ruiinë*,  que  ce  sont  les  reTeoa*  pablîe*  d« 
Pen  1600,  charges  déduites.  Si  ce  nVuit  pas  eharget  de'JiUtet,  le  prodaiC 
de  raan^,  comme  les  dépentes  de  l'anaée,  leraient  de  16,i6S,3tS  livrée, 
ftlnei  qu'il  sera  éUbli  ci-epri«. 

*  Il  est  bien  sla|Blier  qae  ForboaMU  el  qMlq«M  ••Itm  aalMrt  f  «I 


/l76  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

en  se  lirrant  à  un  examen  plus  attentif,  en  pénétrant  davantage 
dans  l'intérieur  et  les  détails  du  compte,  on  trouve  que  la 
contradiction  disparaît  ;  que  les  deux  énoncés  concordent,  et 
quMIs  se  prêtent  un  mutuel  appui.  Le  produit  de  Tannée 
Coneordanee  ^Qog  g^  divlsc  en  deux  parties,  1*  les  recettes  provenant  de 
documenu.  Timpôt  ;  2*  Ics  recettes  provenant  de  ressources  diverses, 
autres  que  Timpôt.  Ces  dernières  sont  clairement  énoncées 
dans  la  seconde  partie  du  compte,  et  y  figurent  pour  près  de 
1  million  78  mille  livres.  Au  contraire,  dans  la  première 
partie -du  compte,  elles  sont  confondues  avec  Timpèt  dans  le 
produit  des  recettes  générales:  si  elles  en  étaient  détachées  et 
distinguées,  elles  y  figureraient  pour  une  somme  de  3  millions 
161  mille  livres  environ.  Nous  les  ferons  connaître  bientôt 
en  détail  ;  nous  nous  bornons  pour  le  moment  à  constater 
Texistence  de  cette  branche  importante  des  ressources  na- 
tionales, et  à  en  indiquer  le  produit.  En  joignant  les  1  mil- 
lion 78  mille  livres  de  la  seconde  partie  du  compte  avec  les 
3  millions  161  mille  livres  de  la  première.  Ton  arrive  à  un 
total  de  U  millions  239  mille  livres  pour  les  ressources  autres 
que  rimpôt.  Si  Ton  déduit  cette  somme  du  produit  général  de 
Tannée  1609,  lequel  est  de  20,239  mille  livres,  charges  acquit- 
tées, il  reste  alors  pour  le  produit  des  impôts  seid  16  millions. 

Or  Sully  mentionne  en  propres  termes  les  tailles  et  les 
fermes  :  il  parle  expressément  de  Timpôt  et  il  ne  parle  que 
de  Timpôt,  dans  ce  passage  en  particulier,  comme  dans  tout 
le  chapitre  dont  ce  passage  est  tiré.  Ne  s'occupant  que  de  ce 
que  le  roi  levait  sur  ses  peuples,  et  du  produit  de  Timpôt 
seul,  il  donne  pour  chiffre  16  millions.  Le  compte  de  1609 
au  contraire  relate  le  produit  de  toutes  les  branches  de  reve- 
nus publics  indistinctement,  et  le  porte  conformément  à  la 
réalité  à  20,239  mille  livres.  Par  conséquent  Ténoncé  partiel 
de  Sully  s'accorde  avec  Ténoncé  général  du  compte. 

D'après  ce  qui  vient  d'être  exposé.  Ton  a  pu  se  convaincre 
que  Timpôt  n'était  pas  la  seule  branche  des  revenus  publics. 
On  a  dû  reconnaître  en  même  temps  qu'il  formait  les 
quatre  cinquièmes  de  ces  revenus.  Enfin  le  chiffre  réel  de 
Timpôt,  à  la  fin  de  ce  règne,  toutes  charges  acquittées,  a  été 
établi  sur  des  documents  irrécusables.  Nous  allons  porter 

•e  sont  occupes  •érieoteinent  de  ThUloire  financière  de  la  France,  n'uteat 
pal  posé  ce  problème  et  abordé  cette  diORcullé. 


PIWÂNCES  :  PRODUIT  DES  IMPÔTS  SOUS  CE  RÈGNE.     477 

nos  recherches  maintenant  sur  la  nature,  Tassiette,  la\>ercep- 
tJon  des  impôts. 

§  A.  —  Nature  et  assiette  des  impôts  sous  Henri  IV.  — 

Réformes  de  dii>ers  impôts* 

Les  anciens  impOts  subsistèrent  sous  ce  règne.  Ils  sont  ^"^"[!g 
tous  compris  dans  les  deux  grandes  divisions,  1*  des  tailles  soutHmniv. 
ou  impOts  directs  et  personnels  ;  2*  des  fermes,  ce  mot  étant 
pris  dans  Tacception  la  plus  large,  embrassant  toutes  les  im- 
positions qui  étaient  données  à  ferme,  et  correspondant  en 
générai  aux  impôts  indirects  '.  Les  subdivisions  des  tailles 
étaient  le  principal  de  la  taille,  la  crue  ordinaire,  la  crue 
extraordinaire  de  la  taille,  k  taillon.  Les  subdivisions  prin- 
cipales des  fermes  étaient  la  gabelle,  les  aides,  les  parties 
casuelles,  les  cinq  grosses  fermes.  On  trouvera  la  nomencla- 
ture complète  des  impôts  au  chapitre  187  des  Mémoires  de 
Sully  3.  Aucun  impôt  nouveau,  à  proprement  parler,  ne 
prit  naissance  sous  ce  règne.  Le  sol  pour  livre  ou  pan- 
carte qui  était  un  véritable  impôt,  et  d'une  assez  grande  im- 
portance, n'eut  que  six  années  d'existence,  de  1597  à  1602, 
et  fut  supprimé  cette  dernière  année.  Le  gouvernement 
maintint,  accrut  même  deux  subsides  qui  n'auraient  dû  être 
que  temporaires  :  c'étaient  la  traite  ou  nouvelle  imposi- 
tion d'Anjou  et  le  péage  ou  la  douane  de  Vienne  ;  mais  elles 
n'atteignaient  que  trois  provinces,  et  non  pas  la  France  en- 
tière. Il  fit  revivre  le  droit  de  franc-fief^  et  établit  le  droil 
an  ri  lie/  ;  mais  ces  redevances  ne  concernaient  que  les  bour- 
geois qui  voulaient  acquérir  des  biens  nobles,  et  les  magistrats 
qui  prétendaient  convertir  leurs  charges  en  propriété  :  elles 
ne  touchaient  en  aucune  manière  les  autres  ordres  de  citoyens 
et  les  grandes  classes  de  la  nation  \  Ce  ne  sont  pas  là  de  vé- 
ritables impôts.  Au  reste,  ces  divers  subsides  et  redevances 
réunis  tous  ensemble  étalent  d'un  faible  produit. 

La  traite  d'Anjou,  ou  imposition  établie  sur  toutes  les 
denrées  sortant  de  cette  province  pour  entrer  en  Bretagne, 

'  SiilW.  OKion.  lov..  r.  ISfi,  t.  il.  p.  iti6  A. 
•  Sully,  c.  IK7,  188,  t.  Il,  p.  i6«»175. 
^  SuUy  le«  uomrae  itn  c.  187,  i.  U,  P- ^^  A  et  au  c.  188,  t.  il,  \\  S74  B. 
27!»  A.  —  Le  cuniptr  ilri  rrrrUc»  de  luO'),  |t.  \W 


tllB  HISTOIRE  DU  rIgHE  DE  HENEI  IT. 

fut  non  seulement  maintenue,  mais  accrue  en  1699  d'un  snp- 
[dément  qui  prit  le  nom  de  nouvelle  imposition  d'Anjou.  Le 
péage  ou  douane  de  Vienne,  créé  en  lô9ôpour  payer  le  gou- 
verneur de  cette  ville  d'une  somme  de  20,000  écus  qu'il 
avait  mise  comme  prix  à  sa  soumission,  devait  s'éteindre 
après  l'acquittement  de  cette  somme  :  cependant  il  fut  con- 
tinué et  converti  en  subside  permanent  Toutes  les  marchan- 
dises des  provinces  voisines  venant  de  Lyon,  soit  par  terre, 
soit  par  eau,  furent  tenues  de  passer  à  Vienne  en  Dauphiné, 
et  d'acquitter  un  droit  réglé  sur  un  tarif  divisé  en  vingt 
classes  :  il  en  fut  de  même  pour  toutes  les  denrées  des  pays 
étrangers,  notanunent  du  Levant,  dirigées  sur  Lyon  K 
AMMito  ^  ^^^^  examiner  maintenant  quelles  furent,  sous  ce  règne, 

•I  percepUon  Tassiettc  ct  la  perception  de  l'impôt  Un  impôt  juste  et  bon 
Euigëiïr?k!n'«i  de  sa  nature,  restreint  à  un  chiUre  modéré  par  le  gouverne- 
vicet  de  la  mcut,  pcut  néanmoins  écraser  le  contribuable  par  suite  du 
|utquViiii»7.  malheur  des  temps  au  milieu  desquels  il  se  perçoit;  des 
malversations  desagents  du  iiscqui  l'augmentent,  l'exagèrent  ; 
de  la  circonstance  enfin  qu'il  est  assis  et  réparti  d'une  mau- 
vaise manière.  Tels  furent  précisément  les  vices  de  la  taille 
jusqu'aux  réformes  opérées  par  Henri  IV  et  par  Sully.  La  pé- 
riode écoulée  entre  15b9  et  iô9ô  futie  temps  à  la  fois  du  plus 
grand  désordre  dans  les  iinances,  des  vols  les  plus  impunis 
des  comptables,  de  la  recrudescence  la  plus  terrible  de  la  guerre 
civile.  Plusieurs  renseignements  précis  fournis  par  les  états  de 
finances  et  par  les  édits  promulgués  prouvent  que  pendant  ces 
six  années,  la  taille  exigée  du  peuple  par  le  gouvernement 
montait  seulement  à  16  millions  230  mille  livres,  et  qu'elle 
était  portée  à  20  millions  par  les  concussions  des  agents  du 
fisc  '•  De  plus  elle  était  parfaitement  mal  assise  et  répartie. 

*  Matthieu,  Hiil.  de  BeDii  lY,  1.  il,  p.  804  in-foiio.  ~  ForbonDaii,  1. 1, 
p.  40-43,335. 

*  1*  Pour  le  inonlant  de  la  taille  ezi|é  des  coiiii  iktutble*  par  le  gouver» 

nemenl  :  Elatt  des  levées  des  UiUet  pour  le»  anneei  îbmH  ei  «uivantet, 

Iraoscrils  texturllttuenl  daus  les  O£c(.>uoiuies  royntes,  c  1b7,t. Il, p.  S7fl 

B,  973  B.  Le  moDlaul  de  la  taille  en  IMW  ctl  le  même  que  pendanl  i«s  dia 

MaéM  fr«cédenlca,  de  IfiSO  à  160». 

«  Grande  crue  appelée  c&traordinaire. .  .  •  •    6,i5S,700  livres 
«  Principal  de  la  taille  nommée  ordinaire  •  •    9»17l,717 

ToUL  •  •  .  .  16>30«417  Uvrea 

t*  Pour  ce  qui  était  lire  du  poople  par  snilo  det  vois  dos  af  enta  du  fisc 
inaqtt*oa  lSe7  et  avant  lea  rélomes  de  SnUj  dana  la  complnlHUtt,  na 


nilAHGBS  :  IMPÔTS.  Â79 

Nous  a?oii8  constaté  qu^iine  multitade  de  boargeoîs  et  de 
gens  de  guerre  appartenant  k  la  classe  la  plus  capable  de 
supporter  et  d'acquitter  la  taille,  s'y  étaient  soustraits  par 
Tobtention  abusive  de  la  noblesse,  ou  par  la  collusion  des 
élus,  et  avaient  rejeté  le  fardeau  sur  les  habitants  des 
campagnes.  Ce  n'était  là,  qui  le  croirait  7  que  la  moitié  des 
misères  et  des  ruines  du  paysan.  Incessamment  pillé  par  une 
soldatesque  sans  frein,  il  s'était  vu  hors  d'état  de  payer  la 
taille  du  roi,  et  il  avait  été  réduit  à  emprunter  pour  se  nour- 
rir et  pour  nourrir  sa  famille.  Poursuivi  par  les  agents  du 
fisc,  poursuivi  par  les  recors  de  ses  créanciers,  il  abandon- 
nait à  la  justice  les  misérables  débris  de  son  petit  avoir,  et  il 
se  sauvait  dans  les  villes  ou  dans  les  pays  étrangers.  Nous 
examinerons  ailleurs  quelles  étaient  les  conséquences  de  ce 
monstrueux  état  de  choses  pour  la  population  et  pour  l'agri- 
culture ;  ici  nous  n'avons  à  voir  que  les  résultats  qui  tou- 
chaient à  l'impOL  Le  paysan  mis  en  fuite,  et  le  champ  resté 
sans  culture,  il  n'y  avait  plus  rien  à  tirer  des  propriétés  ru- 
rales pour  les  revenus  publics.  Le  roi  combattit  l'excès  du 
mal,  en  adoucissant  la  rigueur  de  la  loi  et  en  renfermant  les 
droits  de  l'État  et  ceux  du  créancier  dans  les  limites  pres- 
crites par  la  saine  poUtique  et  par  l'humanité.  Dès  le  mois 
de  mars  1595,  alors  qu'il  avait  encore  près  du  tiers  du 
royaume  à  arracher  à  la  Ligue,  et  que  les  soins  de  la  guerre 
semblaient  devoir  l'occuper  tout  entier,  plus  de  dix-huit  mois 
avant  l'entrée  de  Sully  au  con&eil  des  Ùnances,  et  quatre  ans 
avant  sa  surintendance,  iienri  ne  prenant  conseil  alors  que 
de  ses  lumières  et  de  son  amour  pour  le  peuple,  vint  au 
secours  de  la  classe  des  laboureurs  qui  périssait,  et  sauva 
Tun  des  deux  éléments  principaux  de  la  richesse  publique. 
Par  la  déclaration  du  10  mars  1595  il  annonça  qu'il  enten- 
dait faire  cesser  «  les  contraintes  et  exécutions  que  l'on  Cai- 
»  soit  contre  les  laboureurs,  et  la  crainte  qu'ils  a  voient  d'estre 
»  vexez  et  tourmentez,  tant  pour  les  grandcsdebtes  desquelles 
»  la  malice  et  inconinioditez  du  temps  les  avoit  surchargez, 
»  que  pour  la  recherche  du  payement  des  tailles  et  autres 

autre  cUI  dreue  par  lui  à  U  Tin  de  f!>97  ou  uo  conmencemeat  d«  1698, 
dMD»  1m  OfùcuDom.  roy.,  c.  S4, 1.  i,  p.  tM  A  à  U  Sa  et  B.  «  Plu*,  pour  ion- 
m  !••  torirt  de  Utiles  qui  m  lèvoal  ponr  !•  roj«  en  rertu  de  ses  romniii- 
•  ftioo*  •!  doDl  1m  officier*  HmI  Ica  mUU,  telou  m  qui  «e  monte  en  ce«le 
»  ttanen. SU,000kWlO  Utfmw  m 


&80  HISTOIRE  DtJ  RÈGNC   DE  HENRI  IV. 

»  levées  qu'ils  estoient  tenas  de  payer.  »  Et  pour  assurer  ce 
soulagement  aux  laboureurs,  le  roi  exclut  des  poursuites  qui 
pouvaient  être  dirigées  contre  eux  par  les  agents  du  iisc  et 
par  les  créanciers,  la  contrainte  par  corps,  ainsi  que  la  saisie 
des  bestiaux  et  des  instruments  aratoires  K 

Ayant  retrouvé  sa  liberté  et  ses  moyens  de  travail,  favorisé 
bientôt  par  rentier  désarmement  de  la  Ligue  et  la  fin  de  ki 
guerre  civile,  le  paysan  remit  son  champ  en  culture  ;  mais  il 
en  retira  à  peine  de  quoi  fournir  à  ses  besoins  et  à  payer  les 
subsides  de  Tannée.  L'exigence  de  l'arriéré  des  tailles  et  des 
aides  dépassait  ses  facultés,  le  réduisait  à  la  détresse,  nui- 
sait à  la  rentrée  des  impôts  courants.  Le  roi,  alors  aidé  des 
conseils  de  Sully,  recourut  à  une  mesure  capitale  pour  tirer 
le  laboureur  et  le  système  financier  de  ces  embarras.  Par  un 
édit  du  commencement  de  Tannée  1598,  il  fit  la  remise  de 
Tarriéré  des  tailles,  en  parlant  de  1596  et  en  remontant  àsept 
années  au  delà  :  Tarriéré  montait  à  20  millions  de  ce  temps, 
près  de  80  millions  d'aujourd'hui  2.  C'était  un  Immense  sou- 
lagement, et  cependant  cette  bonne  œuvre,  comme  la  nomme 
Sully,  ne  fil  qu'ouvrir  la  série  des  actes  par  lesquels  le  gou- 
vernement montra  sa  constante  sollicitude  pour  le  laboureur. 
La  répression  des  vols  des  comptables  que  Sully  mit  dans 
l'impuissance  de  lever  plus  sur  les  contribuables  que  n'exigeait 
le  gouvernement,  exonéra  la  classe  des  taUlablesde  3  millions 
770  mille  livres.  En  effet,  nous  venons  de  constater  que, 
pendant  tout  le  temps  que  dura  le  désordre,  c'est-à-dire  jus- 
qu'à la  fin  de  1597,  jusqu'à  la  réforme  de  Sully,-  le  montant 
de  la  taille  ofiicielle  n'étant  que  de  16  millions,  le  moulant  de  la 
taille  effective,  grossi  par  les  concussionnaires,  fut  de  20  mil- 
lions, tandis  qu'après  la  réforme,  en  1599,  la  taille  descendit 
à  16  millions  230  mille  livres  «.  En  1600,  Henri  et  Sully  di- 
minuèrent la  taille,  principal  et  grande  crue  de  1  million 
700  mille  livres,  elles  aides  de  100  mille  livres,  en  tout  1  million 
800  mille  livres  4.  Dans  les  années  suivantes,  avec  des  alter- 

*  Déclaration  du  roi  dans  FonUnoo,  l.  Il,  p.  1191  ;  dans  !«•  «ne.  loU 
franc,,  t.  XV,  p.  98-101.  .      j>    ^      i    «.. 

«  Sully,  OEcon.  roy.,  c.  85,  l.   l,  p.  »3.  —  Legroin   décade,  1.  Vil, 

p.  Ô66  in-folio. 

*  Voir  ci-dcBsos,  p.  478.  .^_ 

*  Sully,  Elals  de  fiounce  prcsculcs  au  roi  dani  lc«  OEcon.  'oy.,  c.  W. 
t.  II,  p.  471  B,  275  B.  —  Mëacray,  Gr.  Hist.,  t.  m,  p.  1227,  édition  de  1W5. 
—  Dans  le  préambule  Je  l'édil  de  1602.  Henri  dit  que  dans  les  années  IWU, 


nNANCES:  REMISE  DE  1598»  DHUNUTIOH  DE  LA  TAILLE.  681 

natives  de  hausse  et  de  baisse ,  ils  firent  subir  cependant  en 
moyenne  à  cet  impôt  une  réduction  de  2  millions  200  mille 
livres.  En  1609,  la  taille  n'était  que  de  16  millions  295  mille 
livres ,  et  dans  quelques  unes  des  années  précédentes ,  elle 
était  descendue  beaucoup  plus  bas.  De  plus,  sur  cette 
somme,  près  de  2  autres  millions  étaient  consacrés  à  des  dé- 
penses qui  tournaient  au  soulagement  ou  à  Tavanlage  du 
peuple,  et  que  la  nation  aurait  supportées  en  d'autres  temps. 
De  telle  sorte  que  Sully  rendant  compte  à  Henri  de  la  gestion 
financière  depuis  1599,  époque  où  il  avait  reçu  la  surinten- 
dance jusqu'en  Tannée  1609,  pouvait  rendre  au  roi  et  se  rendre 
&  lui-môme  le  témoignage  suivant  :  «  Il  est  à  noter  que  la  crue 
»  extraordinaire  des  tailles  pour  Tannée  présente  1609,  est 
»  composée  de  diverses  natures,  dont  aucunes  tournent  à  la 
»  deschargedu  peuple,  facllitéde  son  commerce,  ou  décoration 
»  du  royaume....  Plus  pour  la  crue  extraordinaire,  tournée 
»  en  ordinaire,  2,526,000  livres  ;9ut>st  moins  de  3,927,700 
»  livres,  qu'en  la  première  des  dix  années  précédentes  ;  de 
»  laquelle  somme,  par  conséquent,  la  bénéficence  du  Roy  a 
»  deschargé  ses  peuples  peu  à  peu  durant  icelles'.  •  Mais, 
môme  en  laissant  de  côté  ce  second  allégement  des  charges 
publiques,  quelque  réel  qu'il  fût  ;  môme  en  s'en  tenant  à  la 
seule  diminution  matérielle  qui  fut  faite  sur  la  taille,  entre 
Tannée  1597  où  elle  montait  à  20  millions,  et  les  années  qui 
suivirent  1600  et  où  elle  baissa  Jusqu'à  16  millions,  on  voit 
que  la  diminution  de  cet  impôt,  pendant  la  durée  du  règne, 
fut  de  près  de  6  millions. 

Le  laboureur  et  l'artisan  commencèrent  à  respirer  par  le 
fait  qu'ils  eurent  beaucoup  moins  à  payer  au  gouvernement 
Leur  soulagement  fut  complété  par  l'autre  fait,  qu'ils  gar- 
dèrent beaucoup  plus  d^argent  pour  acquitter  cette  somme 
moindre  ;  et  qu'une  classe  nombreuse  et  riche  fut  appelée  à 

1601,  1601,  il  a  remif  aa  p«upte  sur  let  taillef  une  fomme  toUU  de 
1,4U0,0U0  crus  ou  4  mil I ioot  9U0  mille  livret.  «  Encore*  4|oe  bo«i  ayon* 
»  ussri  rnit  rognoitlre  quel  est  notre  driir  et  alFertion  au  •oulagemenl  do 
M  no«  lubj^clt,  laiil  |Mir  la  dimmuiion  ife  l,4U0,()OU  rscus  que  nous  a  vont 
»  fiiirle  tlcuui  la  rreue  extraoïtlinalro  de  m**  tailles  depui»  trois  aiM«  ifÊiê 
»  par  le  rctratirltement  et  modrrritiOM  de  plusieurs  sul'Sides  et  impôsi* 
»  tions.  »  (Ane.  luit  frauf .,  l.  XV,  p.  i76.)  La  diminuiton  des  tailles  avait  él4 
do  1,1100,0(10  livres  pour  l'.n  1600.  et  do  9,400,000  Uvrtt  poar  Im  bb- 
ntt%  IfiOl,  1b(H;  en  tout  i.iOO.OOU  livret. 

*  Sullj.  OEcon.  rov.,   c.  Ili,  t,  i,  p.  413  A,  ta  fDilko;c.  1S7,  K.  Il, 
r.  973  B,  f74  A. 

31 


A83  BUTOIRS  DU  RÈONB  DE  HEHRI  IV. 

partager  avec  eux  le  fardeaa  de  la  taille.  En  premier  lieu , 
TaboUtion  de  Pimpôt  concussionnaire  levé  par  les  gouverneurs 
à  leur  proflt,  en  dehors  de  Timpôt  royal,  exonéra  les  paysans 
de  2  ou  3  millions,  en  supposant  que  le  duc  d^Épernon  n'ait 
eu  pour  imitateurs  de  ses  exactions  que  la  moitié  des  gou- 
verneurs de  provinces.  £n  second  lieu,  une  mesure  non 
moins  efDcace  que  Juste  restreignit  tout  à  coup  le  privilège, 
et  étendit  la  matière  imposable  :  ce  fut  le  refoulement  dans  la 
classe  des  contribuables  à  la  taille  de  tous  les  usurpateurs  de 
noblesse  dans  Tordre  civil  et  dans  Tordre  militaire.  Ce  grand 
changement  fut  opéré  par  deux  édits  dans  lesquels  tout  est 
remarquable  Jusqu'au  titre.  Le  premier  est  du  mois  de  Janvier 
1598;  le  second,  du  mois  de  mars  1600  *.  Voici  ce  qu'on 
y  Ut: 

c  Édict  du  roy  contenant  règlement  lur  les  exempUontet  iCritin- 
ohissements  de  la  taille,  au  soulagemenidu  pauvre  peuple,  d'après 
l'avis  des  notables  de  Rouen. 

»  li  est  impossible  non  seulement  que  nos  tailles  soyent  levées, 
mais  aussi  que  Tagricullure  continue,  si  l'abus  introduict  plu- 
sieurs années  en  ça  n'est  osié.  D*aulautplus  que  les  charges  et  im- 
positions ont  esté  augmentées,  d'autont  plus  les  riches  et  personnes 
■ysées,  contribuables  à  nos  tailles,  se  sont  efforcez  de  s*en  exempter. 

»  Les  uns,  moyennant  quelque  lég^rc  somme  de  deniers,  ont 
acheté  le  privilège  de  noblesse.  Autres,  pour  avoir  porté  l'espée  du- 
rant len  troubles,  l'ont  induemeiit  usurpé,  et  s*y  conservent  par 
force  et  violence.  Autres  se  prévalent  de  Tappuy  de  quelques 
gentils-hommes  au  service  desquels  ils  se  trouvent  maintenant,  non 
seulement  pour  les  suivre  à  la  guerre,  mais  même  pour  tenir  leurs 
bleus  à  Terme,  et  par  ce  moyen  s'exemptent  dudit  poyement.  Au- 
tres moyennant  quelque  somme  légère  ont  acquis  les  privilèges 
d*exemption  à  cause  des  charges  et  oflices  de  judicature  et  de 
finance  dont  ils  se  trouvent  pourveus.  Autres  se  servent  des  pri- 
vilèges accordés  aux  officiers  domestiques  des  rois  et  roines  dé- 
funts. Autres  des  privilèges  accordés  à  ceux  de  Tartillerie,  vénerie, 
fauconnerie,  officiers  de  nos  forêts,  archers  des  prevosts  des  maré- 
chaux, rhevaucheurs  et  maistres  de  poste. 

»  Lesquelles  exemptions  reviennent  au  très  grand  préjudice  de 
la  chose  publique  de  cestuy  nostre  royaume,  oppression  et  totale 
ruyne  de  nossubjects  qui  payent  la  taille. 

•  F  ontanoD,  avM  Ut  ■ddlUoaa  d«  Gahrttl  llickol«  LU,».  STa-S»,  la. 


riRANCES  :  R^FORIIE  BT  DIIIINUTIOII  DE  LA  TAILLE.    A83 

*  Tout  eeui  quisool  nés  et  m  trouveront  de  oonditioD  roturière 
•eront  mis  et  imposes  à  la  luille,  et  cottiseï  à  la  proportion  de 
leurs  moyens  et  iacuiies  ;  révoquant  à  cette  lin  tous  privilèges  et 
lettres  à  ce  contraire.  > 

En  conséquence,  tous  ceui  qui  avaient  usurpé  la  noblesse 
depuis  trente* ans,  en  furent  dépouillés  et  rejetés  parmi  les 
talllables,  les  uns  avec  remboursement  des  sommes  qu^ils 
avaient  payées,  les  autres  sans  indemnité.  On  peut  apprécier 
à  peu  près  le  nombre  de  ceux  que  les  édits  atteignirent,  par 
ce  qui  se  passa  en  .Normandie.  Henri  ill,  dans  une  de  ses 
nécessités,  y  avait  vendu  la  noblesse  et  rexemption  à  mille 
roturiers:  deux  mille,  en  cette  seule  circonstance,  avaient 
trouvé  moyen  de  se  faire  classer  parmi  les  privilégiés,  sans 
compter  ceux  qui ,  antérieurement  et  par  d'autres  moyens, 
avaient  obtenu  la  même  faveur  <.  l'ous  redevinrent  sujets  à 
la  taille  par  fetlét  des  deux  édits  de  Henri  IV,  et  comme  la 
même  chose  eut  lieu  dans  toutes  les  provinces  de  France , 
Ton  ne  peut  estimer  à  moins  de  quarante  mille  ceux  qui  ren- 
trèrent dans  les  rangs  des  imposables.  Or,  comme  l'on  con- 
tribuait à  la  taille  en  proportion  de  ses  facultés ,  comme  la 
foi  tune  de  chacun  des  nouveaux  imposables  égalait  celle  de 
dix,  vingt,  et  souvent  trente  paysans  réunis;  comme  d'un 
autre  côté  le  cliillrv  de  la  taille  loin  de  monter  sous  ce  règne 
en  proi)ortiou  du  nombre  et  de  la  richesse  des  contribuables, 
alla  toujours  en  diminuant,  Tcllet  des  adjonctions  fut  de  di- 
minuer dans  une  proportion  considérable  la  quote-part  du 
paysan  dans  ce  qu'il  y  a  >  ait  à  |)a)er  en  général  pour  la  taille. 

Eu  résumé ,  le  montant  de  la  taille  qui ,  jusqu'en  15U7, 
était  de  120  millions,  sans  déduction  des  diarges,  ne  fut 
plus  en  ItiOU  que  de  IG  millions,  et  en  1009  que  de  iti 
millions,  en  négligeant  les  (raclions,  l'ar  conséquent  la  taille, 
cet  impôt  qui  IrapiMÎt  directement  sur  rhabitant  des  cam- 
pagnes et  sur  l'artisan ,  fut  réduite  de  ti  millions  et  de 
près  d*uu  tiers,  en  ce  qui  aincernait  la  somme  ie\ée  sur 
les  con(rd>uables.  Elle  fut  réduite  de  moitié  environ  en 
ce  qui  regardait  les  deniers  sortant  de  la  bourse  du  paysan, 
parce  qu*une  partie  de  la  somme  dont  le  montant  de  la  taille 

*  I««gr.iiii.  Décini',  1.  TU.    p.  34>l«   io-fulio.  —  Hctfray,  crunde  UUt.« 
UUl,i>.  Iil7. 


AM  HISTOIBE  DV  RÈGIOE  DE  HENRI  IT. 

se  composait,  fat  acquittée  non  plus  par  lui,  mais  par  la 
classe  nombreuse  et  riche  des  bourgeois  dépouillés  de  la  no^ 
blesse  et  de  Texemption.  Si  Ton  joint  à  ces  mesures  la  remise 
des  20  millions  arriérés ,  qui  fut  prononcée  en  1598,  on  se 
convaincra  que  le  soulagement  du  peuple  fut  immense  et 
durable. 
^  <^'**        ^  gabelle ,  ou  impôt  du  sel ,  appelait  une  réforme  non 
"*    ***      moins  énergique,  non  moins  radicale  que  la  taille.  Il  est 
impossible  d'imaginer  un  impôt  plus  mal  réparti  et  plus  des^ 
potiquemcnt  perçu  que  ne  Tétait  la  gabelle.  C'était  une  ceuvre 
du  moyen-âge,  restée  entière  dans  son  inintelligence,  sa  du- 
reté et  sa  violence  contre  le  peuple.  Le  sel  avait  cessé  com- 
plètement d'être  une  marchandise  dans  la  plupart  des  pro- 
vinces de  la  France.  11  était  déposé  dans  des  greniers.  Les 
agents  du  fisc  et  des  traitants  en  imposaient  à  leur  caprice 
telle  quantité  qu'ils  voulaient  à  chaque  citoyen ,  même  dans 
le  cas  où  cette  quantité  excédait  ce  que  le  contribuable  vou- 
lait et  pouvait  en  consommer  ;  de  plus  ils  le  lui  faisaient  payer 
au  prix  fixé  par  le  gouvernement ,  si  élevé,  si  excessif  qu'il 
pût  être.  11  était  défendu  au  contribuable  de  recevoir  du  sd 
en  don ,  de  revendre  aucune  portion  de  la  quantité  qui  lui 
avait  été  assignée ,  même  quand  il  en  avait  de  trop  '•  Les 
poursuites  pour  la  répression  de  ces  contraventions  étaient 
déjà  nombreuses  :  elles  étaient  infinies  et  terribles  pour  le 
cas  où  le  contribuable ,  surtout  dans  les  campagnes ,  avait 
caché  le  nombre  des  membres  de  sa  famille,  et  pour  le  cas 
où  il  s'était  procuré  du  sel  par  contrebande.  Après  les  pour- 
suites venaient  les  recherches,  dirigées  par  le  pouvoir  pour 
s'assiver  si,  par  suite  des  changements  de  domicile,  et  de 
vingt  autres  circonstances  pareilles ,  les  imposables  avaient 
satisfait  ou  non  à  la  gabelle.  Tous  les  ordres  étaient  soumis  à 
cet  impôt  La  noblesse ,  le  clergé ,  la  bourgeoisie  en  étaient 
quittes  pour  des  vexations  infinies,  et  pour  l'acquittement  de 
droits  que  leur  aisance  leur  permettait  de  supporter.  Quant 
au  paysan,  que  l'avidité  et  surtout  la  misère  poussait  à  frau- 
der le  gouvernement,  la  gabelle  entraînait  pour  lui  des  frais 
de  poursuite,  les  amendes,  la  prison,  la  ruine.  La  répartition 
et  la  perception  de  la  gabelle ,  la  répression  des  contraven- 

*  SuUy,  OEcon.  roy.y  c.  160,  p.  1$  A. 


FUI  ANGES  :  GABELUS,  SES  TIGES,  PROJET  DE  RÉFORME.  &S5 

tiens  étaient  d*une  si  odieuse  difficolté  qa*en  relevant  le 
nombre  de  ceux  qui  s*y  trouvaient  employés  sous  ce  règne  y 
tels  que  officiers,  greneliers,  contrôleurs,  commis,  sergents, 
archers.  Ton  avait  trouvé  que  œ  nombre  était  de  vingt  mille» 
tous  nourris  et  payés  aux  dépens  du  roi  et  du  public 

n  était  imposôible  qu*un  impôt  si  absurde  et  si  tyrannique  FrotM 
n'appelât  pas  ratlention  et  la  sollicitude  du  ministre  et  du  ^  J^t^e? 
prince.  En  1005,  Suliy  en  parla  au  roi  à  plusieurs  reprises  et 
dans  les  termes  les  plus  forts.  •  Le  roy  demanda  un  estât  de 
»  ce  que  coustoit  le  sel  sur  les  marais  salans,  et  de  ce  à  quoy 
»  revenoient  toutes  les  sortes  de  frais  qu'il  y  failoit  faire  jus- 
»  ques  à  la  vente  d'icelny  dans  les  greniers  '.  »  Sur  ce  mé- 
moire, Henri  forma  le  projet  d'acheter  des  particuliers  tous 
les  marais  salants  de  Poitou  et  de  Bretagne.  Après  s'en  étn^ 
rendu  propriétaire,  il  eût  lait  vendre  le  sel  sur  les  lieux,  à  tel 
prix  qu'il  eût  voulu,  à  des  marchands  qui  l'eussent  revendu 
par  tout  le  ropume ,  comme  on  y  rend  le  blé,  sans  aucune 
contrahite  et  sans  aucune  imposition.  N'ayant  plus  de  frais 
de  poursuite  à  acquitter,  plus  d'armée  d'agents  du  fisc  à  sou- 
doyer, le  peuple  eût  payé  le  sel  quatre  fois  moins  cher,  et  le 
roi  en  eût  tiré  bien  plus  d'argent  qu'il  ne  faisait,  sans  frais, 
sans  peine  et  sans  vexations  de  ses  sujets  3.  Ce  monopole  eût 
été  une  délivrance  et  un  blenfeit  En  attendant  une  réforme 
générale,  Sully  ménagea  au  peuple  tous  les  soulagements  de 
détail  qui  étalent  en  son  pouvoir.  Par  deux  règlements  de 
1606  et  de  1607,  il  ordonna  aux  commissaires  envoyés  an- 
nuellement dans  les  provinces,  de  procéder  pour  la  réparti- 
tion de  l'impôt  du  sel  non  par  généralités,  mais  par  paroisses  ; 
d'augmenter  la  contribution  des  paroisses  qui  s'étalent  enri- 
chies, et  de  diminuer  en  proportion  celles  des  paroisses  qui 
s'étaient  appauvries.  Ces  commissaires  étaient  chargés  en 
même  temps  de  la  répression  des  délits  relatifs  h  la  gabelle. 
11  leur  prescrivit  de  punir  avec  sévérité  les  faux  sauniers , 
c'est-à-dire  ceux  qui  trafiquaient  du  sel  fabriqué  et  introduit 
en  fraude,  mais  d'user  d'indulgence  à  l'égard  du  paysan  que 
la  misère  entraînait  à  acheter  ce  sel  vendu  à  bas  prix,  de  lui 
épargner  le  plus  possible  les  poursuites  et  les  amendes  K 

'  Snlly,  OEeoo.  roy.,  e.  150,  t.  u,  p.  17  Â  à  U  fia,  B. 

'  P)0r«fix«.  UUU  d*  H«nri4«.GraiMi.  p.  34»,  343.  io^",  IM3L 

*  SoUf,  OEcoB.  loyiL,  «•  I63«  U  U,  p.  Itt^B,  S  S;  c.  fW,  L  D,  pi.  «7t 


Errearf 
d«  Henri  lY  «t 

d«  SoUy 
daDf  l«  maia- 
tien  d«  qael- 
qmu  subâdet. 


ÊM  BI8T0IB1     0  Bien  DB  HBHKI  IT. 

Les  projets  de  Henri  IV  et  de  SoU  j  sur  la  gabelle  n^aboa- 
tirent  pas  :  le  roi  fut  assassiné  dans  les  premiers  mois  ds 
Tannée  1610,  le  ministre  fut  destitué  att  mois  de  janvier  1611. 
fls  n^eurent  pas  de  successeurs  de  leurs  grandes  et  gêné- 
reuses  idées,  dont  Taccomplissement  fut  rejeté  dès  lors  dans 
on  immense  lointain.  Mais  l'équitable  postérité  ne  leur  impu- 
tera à  tort  ni  la  mort  ni  la  disgrâce,  et,  d'après  les  réformes 
quMls  avaient  réalisées  dans  la  taille,  elle  tiendra  pour  accooH 
plies  celles  qu'ils  avaient  méditées  pour  la  gabelle  :  comme 
la  justice,  elle  juge  plus  sur  Tintention  que  sur  les  actes. 

Henri  IV  et  Sully  étaient  hommes  :  ils  ont  dû  commettre 
des  erreurs  et  des  fautes,  et  ils  en  ont  commis.  La  confirmation 
et  l'aggravation  de  la  traite  d'Anjou,  le  maintien  de  la  douane 
de  Vienne  apportaient  des  entraves  telles  au  commerce  de 
trois  provinces  et  de  la  ville  de  Lyon ,  qu'il  devait  y  dépérir 
chaque  jour.  L'historien  Matthieu,  député  en  1600  pour  com- 
battre ces  mauvaises  mesures ,  a  tracé  énergjquenient  le  ta- 
bleau des  abus  et  des  funestes  conséquences  qu'elles  entraî- 
naient après  elles.  En  voici  le  résumé  :  Les  douanes  établies 
sur  la  frontière  de  deux  provinces  augmentaient  le  prix  des 
denrées  du  montant  de  l'imposition ,  et  c'était  encore  là  le 
moindre  de  leurs  inconvénients.  Elles  nécessitaient  pour  leur 
perception  la  création  de  bureaux  qui  étaient  placés  sur  un 
petit  nombre  de  points  où  devaient  se  rendre  les  marchands  : 
de  là  pour  eux  de  longs  détours,  de  longs  voyages,  entraînant 
des  frais  et  une  perte  de  temps  considérable.  Arrivés  aux  ba- 
reaux,  les  marchands  trouvaient  les  fermiers  et  leurs  commis 
qui  exigeaient  non  ce  qui  était  ordonné  par  le  gouvernement, 
mais  ce  qui  leur  plaisait  ;  qui  les  retenaient  pendant  des  semai- 
nes entières,  avant  de  visiter  leurs  marchandises  et  de  fixer  le 
droit  qu'ils  avaient  à  payer  ;  qui  les  soumettaient  à  mille  vexa* 
tions  pour  les  amener  à  composer  ;  qui  ne  leur  rendaient  la 
«  liberté  qu'après  avoir  vu  à  la  fois  le  fond  de  leurs  balles  et 
»  de  leurs  bourses.  •  Les  marchands  regardaient  ces  bureaux 
de  douane  comme  des  gouffres  et  des  coupe-gorge,  et  ne  les 
nommaient  pas  autrement  Les  résultats  prochains  de  cet  état 


B.  •  Begardet  à  tootager  Ira  fab{ecU  da  roj,  le  plus  qa*il  Tom  wen  pont- 

•  ble.  SI  Toiu  leg  tourmentei  d^ameodes  eicemTes  et  tans  grandea  rai* 

•  sont,  il  oat  eertaia  gae  roa»  ferea  perdre  au  roy  sur  lea  deaiera  de  aet 

•  UillM  ce  qiw  voas  tem  foVMr  au  partisan  da  ad  tur  aa  foma»» 


IRREURS  DANS  LB  M AIRTIBH  DB  QUELQUBS  BDBSIDES.  4^7 

de  choses  étaient  dans  les  provinces  d'AnJoa ,  de  Bretagne , 
de  Lyonnais,  le  découragement  de  ragriculture  et  du  com- 
merce des  denrées  de  première  nécessité,  qui  ne  trouvaient 
plus  que  des  débouchés  si  entravés,  si  dangereux.  C'était  le 
dépérissement  de  l*industrie  et  du  commerce  de  luxe  de  Lyon, 
Tappauvrissement  et  ia  décadence  de  cette  grande  ville.  Ce- 
tait  enfin  pour  tout  le  royaume  la  perte  des  bénéfices  résul- 
tant du  transit  des  marchandises  du  Levant.  En  effet ,  Jus- 
qu*alors  ces  denrées  débarquées  à  Marseille,  avaient  suivi  la 
route  du  Rhône  et  de  Lyon,  pour  être  répandues  ensuite  dans 
les  diverses  provinces  de  France  et  dans  les  pays  étrangers  : 
maintenant  les  marchands,  fuyant  la  douane  de  Valence 
comme  un  écueil,  cherchaient  d'autres  routes,  dont  quelques 
unes  hors  du  royaume  ',  Henri  IV  et  Sully  ayant  d'abord  à 
payer  une  dette  immense  et  à  diminuer  la  taille,  plus  tard  à 
se  ménager  l'argent  nécessaire  pour  une  guerre  européenne 
contre  les  deux  branches  de  la  maison  d'Autriche ,  ne  pou- 
vaient se  priver  en  même  temps  du  produit  de  ces  subsides. 
L.a  faute  n^est  pas  d^avoir  maintenu  des  droits  sur  Tagriculture 
et  le  commerce  de  ces  trob  provinces,  mais  de  ne  les  avoir 
pas  établis  de  telle  sorte  que  les  cultivateurs  et  les  marchands 
fussent  délivrés  des  entraves  et  des  tyrannies  qui  s'attachaient 
à  leur  assiette  et  à  leur  perception  vicieuses.  Nous  reconnais- 
sons ces  erreurs  ;  mais  nous  ajoutons  que  le  comble  de  Tin- 
justice  serait  d'étendre  le  bUme  que  méritent  ces  détails  k 
l'ensemble  de  l'administration  financière  de  ce  règne,  ainsi 
qu'à  l'ensemble  des  mesures  adoptées  à  l'égard  de  l'agri- 
culture et  du  commerce.  Nous  verrons  bientôt  que  dans  les 
vingt  autres  provinces  du  royaume ,  jamais  gouvernement 
n'a  accordé  autant  de  liberté  et  de  protection  à  l'agriculture 
et  au  commerce  que  le  gouvernement  de  Henri  leur  en  pro« 
digua. 

I  6.  —  Revenus  publics  autres  que  l'impôt,  ^  Total  des 
revenus  publics^  recette,  dépense^  économie  annuelle  à  la 
fin  de  1609. 

Nous  avons  termhié  la  revue  et  l'examen  des  Impôts.  Afec     BraaeiMda 
les  accroissements  considérables  que  l'intégrité,  lloteillgenoe,   """i""  JJiu** 

•  «ttttUM,  HlMolN  4«U  Pftis;  HUtoIra  4«  Heuf  IV,  1.  n,  p.  8M,  la- 


488  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

la  fermeté  de  Sully  lear  avaient  donnés,  les  impôts  formaient 
la  branche  la  plus  considérable  des  revenus  publics  ;  mais 
ce  notait  pas  la  seule.  D'antres  sources  abondantes  de  re- 
venus étaient  le  produit  des  portions  de  Tancien  domaine  de 
la  couronne,  dégagées  depuis  1604  et  1607,  et  accrues  d'an- 
née en  année  ;  les  revenus  de  Timmense  domaine  particulier 
possédé  par  le  roi,  soit  en  France,  soit  en  Navarre,  et  réuni 
par  lui  à  la  couronne  depuis  1607;  les  revenus  des  domaines 
et  desdroits,  dont  il  avait  été  fait  donation  au  roi  et  au  dauphin 
par  la  reine  Marguerite  ;  le  produit  de  différences  en  faveur 
du  trésor,  d'amendes  prononcées  pour  malversations,  d'éco- 
nomies faites  sur  divers  services,  de  légitimes  préférences 
accordées  moyennant  argent  à  ceux  qui  servaient  d'inter- 
médiaires pour  la  libération  du  domaine,  de  remises  de  l'exer- 
cice des  droits  du  roi  daas  l'administration  intérieure  de 
quelques  provinces,  de  reliquats  de  comptes,  de  ressources 
aléatoires. 

Dans  la  première  partie  du  compte  des  recettes  pour  l'an 
1609,  laquelle  se  compose  des  parties  ordinaires,  les  revenus 
du  domaine  dégagé  avant  1608  sont  confondus  et  englobés, 
comme  nous  l'avons  déjà  fait  observer,  dans  le  produit  des 
recettes  générales.  11  en  est  de  même  pour  d'autres  ressources. 
Le  tout  ensemble  monte  à  3  millions  139  mille  livres  envi- 
ron. Sur  cet  article  l'on  est  réduit  à  un  total,  on  ne  connaît 
pas  les  détails. 

Mais  dans  la  seconde  partie  du  compte  de  1609,  qui  com- 
prend les  parties  extraordinaires.  Ton  trouve  mentionnées 
toutes  les  ressources  autres  que  l'impôt,  ressources  dont  nous 
venons  de  présenter  la  nomenclature.  11  faut  observer  que 
le  revenu  du  domaine  racheté  dans  trois  provinces,  au  lieu 
d'aller  se  perdre  dans  le  produit  des  recettes  générales, 
comme  celui  des  dix-neuf  autres  provinces  du  royaume, 
ligure  en  articles  spéciaux  parmi  les  parties  extraordinaires, 
parce  que  cette  portion  du  domaine  a  été  rachetée  dans  le 
cours  de  l'année  1609,  et  n*a  pu,  par  conséquent,  être  at- 
teinte par  la  perception  des  recettes  générales. 

Mous  transcrivons  les  énoncés  du  compte  de  1609  qui  font 
connaître  les  revenus  autres  que  l'impôt,  en  groupant  les 
nstsources  de  même  nature  : 


BRANGBES  Dfi  REVENDS  AUTRES  QUE  L'IMJ^T.        489 

Remboanemcnt  de  domaine  en  Champagne 
ju«|u*à  200,000  livres,  de  Nicolas  liocqucUn, 
traitent 12,000  livres. 

Rachat  du  domaine  de  Calais,  Boulogne, 
Ardres,  de  Benjamin  Letailleur,  traitant  •  •  •         14,200 

lî achat  du  domaine  de  Normandie,  d'Aleun- 
dre  Marchand,  traitant  ^  • 15,000 

Domaine  de  Navarre  uni  à  la  couronne,  de 
A.  Billard,  traitant  (réunion) 20,000 

Ancien  domaine  de  Navarre,  de  P.  Legoux, 
trésorier  *  (réunion) 12,889 

Ferme  du  comté  de  Glermont  donné  par  la 
royne  Marguerite  à  monseigneur  le  dauphin,  de 
Ferrier,  fermier,  pour  demi-année  (donation}.  12,000 

Revente  des  greffes  d*Angenois  et  Loudo- 
mois,  appartenans  à  la  royne  Marguerite  (do* 
nation) 30,000 

Taxes  sur  les  notaires  et  tabellions  des  terres 
de  la  royne  Marguerite,  par  forme  de  supplé- 
ment pour  rhérédité,  et  revente  desdites  ofD- 
ces  *  (conséquence  de  la  donation) 30,000 

Quatre  sous  pour  escus  des  deniers  que  les 
officiers  comptables  ont  entre  leurs  mains  à 
cause  du  surhaussement  des  monnoies  (diflé* 
renoe  en  faveur  du  trésor) 00,000 

Recherches  contre  les  collecteurs  du  sel,  es- 
généralités  de  Bourges  et  de  Moulins,  de  C. 
Lecomte,  commis  ^  (amende) A, 593 

Étal  de  Diiuphiaé,  pour  Tentretenement  des 
garnisons  diceluy,  de  Paul  Porroy,  receveur 
(économie) 12,000 

Trésorerie  des  grands  ordres,  de  Bcaulieu- 
Rusé,  trésorier  (économie) 31,500 

Ordinaire  des  guerres,  des  sieurs  de  Lancry 
et  Olier,  trésoriers  (économie) A00,000 

Extraordinaire  des  guerres,  des  sieurs  Le- 

A  reporter. 654,282  livret* 

'  Pour  ces  trois  ariirles.  I«>  comple  d«  1609,  p.  115,  1 17,  lt9. 
'  Pour  c«B  d«tts  articles,  le  compte,  p.  117,  118. 

-Pour  ces  trois  articles,  le  compte,  p.  118, 115. 
*  L«  compU,  p.  114. 


AOO  HISTOIRE  DU  RÈGlfB  Dl  HfHU  !▼• 

Report 654,SMHfrei* 

charon,  Collon,  Dutremblay,  trésoriers  (éco- 
nomie)   9l»791 

Rerenaas-bons  de  l^extraordinaire  des  guer- 
res, de  Jean  Murât,  trésorier  (économie)  .  .  •  12,685 

Revenans  -  bons  du  maniement  des  ligues 
suisses,  de  Bug  nous,  trésorier  '  (économie).  •  1&,855 

Du  trésorier  des  états  de  Bretagne,  sur  les 
200,000  livres  accordées  à  Sa  Majesté,  pour 
la  préférence  au  parti  du  rachat  du  domaine 
(préférence) 100,000 

États  de  Bourgogne ,  de  Pierre  Fournerel , 
receveur  général,  pour  ce  qui  a  été  accordé  à 
Sa  Majesté  pour  la  révocation  de  Tédit  de  créa- 
tion, en  titre  d^ofnce  des  receveurs-commis- 
saires dpsdils  états  '  (remise  de  Pexercice  des 
droits  du  roi) 120,000 

Reçu  de  Carleret,  des  deniers  restans  de  son 
premier  bail  (reliquat  de  compte) 1,198 

Francs-Gefs  et  nouveaux  acquêts,  au  ressort 
du  parlement  de  Paris  *  (ressources  aléatoires).  57,100 

De  divers  autres  articles  épars. 26,69& 

1,078,000  livres. 

Cela  fait  doQC  un  total  de  i  million  78  mille  livres,  pour 
les  produits  des  ressources  autres  que  TimpOt,  figurant  daos 
Ja  seconde  partie  du  compte  de  1609  et  comprises  parmi  les 
parties  extraordinaires. 

Nous  avons  yvl  précédemment  que  les  produits  des  res- 
sources distinctes  de  Timpôt,  entraient  dans  la  première 
partie  du  compte,  et  dans  les  parties  ordinaires^  pour  ime 
somme  de  3,161,000  livres. 

Par  conséquent,  le  total  des  branches  de  revenus  publics, 
autres  que  Timpôt,  était  de  U  millions  239  mille  livres. 

Produit  dês  di-      Après  avoir  établi  Tindispensable  distinction  entre  les  dl- 

pubUcTên*  600.  ^«^8  revenus  publics,  il  faut  rechercher  quelle  était  leur  im- 

ComporBiton    portauce,  à  la  fin  de  Tannée  1609,  quatre  mois  avant  la  fin 

de»  chargM  ^ 

publique*  en 

1597  eteuiOOe.        ,  p^,,^  ^  ^  «rtlclet,  le  compte,  p.  «14. 115,  tl6,  tl8,  Itfl. 

*  Pour  cet  deux  articlrt,  le  compte,  p.  IIS. 

*  Poar  cee  deux  erUclei,  le  comple,  p.  114,  ii7. 


RECETTE  ET  DÉPSHSB  ORDIRAIBl  ▲  LA  flH  DR  1609.  A9i 

de  ce  règne.  Le  compte,  dont  noiu  avons  présenté  Tanal jse, 
fournit  à  cet  égard  la  plus  grande  partie  des  données,  mais 
non  pas  toutes  les  données  nécessaires,  et  il  exige  des  expli- 
cations. 

Le  compte  des  recettes  d'une  part  porte  indistinctement 
toutes  les  sommes  entrées  dans  Pépargne  ou  trésor  public  ; 
d'une  autre  part,  il  néglige  celles  qui  n*y  sont  pas  entrées,  qui 
ont  été  reçues  et  encaissées  ailleurs.  Ainsi,  comme  nous 
Pavons  précédemment  remarqué,  il  fait  figurer  dans  ses 
chiffres  les  économies  ou  réserves  considérables  déjà  obte- 
nues, bien  que  ces  économies  ne  soient  pas  un  revenu,  at 
qu'elles  soient  le  produit  non  de  la  seule  année  1609,  mais  de 
plusieurs  annexes.  Le  compte  omet  au  contraire  les  sommes 
destinées  à  couvrir  les  charges,  parce  que  les  charges  étant 
acquittées  par  prélèvement  et  sur  place,  cet  argent  n'est  pas 
tombé  dans  l'épargne.  11  est  évident  que,  pour  établir  le 
chiiïre  des  revenus  de  1609,  il  faut  retrandier  du  compte 
les  économies,  et  qu*il  faut  y  ajouter  le  montant  des  charges, 
ces  charges  n*ayant  pu  être  payées  par  prélèvement  qu'avec 
le  produit  des  revenus. 

On  peut  voir  ci-dessus  <  que,  déduction  faite  d'une  portion 
des  économies  placées  à  la  Bastille  ets'élevant  à  12,350,000 
livres,  argent  comptant,  le  total  des  revenus  entrés  dans 
Pépargne   pour   Tan  1009  montait  à  la 
somme  de  ...  , 20,239,659  lir. 

On  a  établi  avant  nous  avec  beaucoup  de 
probabihté,  qu'en  1609,  le  total  des  char- 
ges acquittées  par  prélèvement  était  de 
6,025,606  livres*.  0\h  charges  payées  avec 
le  produit  des  revenus  publics  doivent,  de 
toute  nécessité,  être  ajoutées  au  chiffre  de 
ses  revenus 6,025,666 

Total  .  .      26,265,325 

Ainsi  l'importance  on  le  total  des  revenus  publics,  i  la  fia 
de  1609,  était  de  26  millions  265  mille  livres,  correspondant 
\  95  millions  environ  aujourd'hui 


•  Voir  f .  47R. 

*  ForboannU,  R«ch«rcbei  et  coiuidératioat  tar  !••  flBancM,  1. 1,  p.  IflT. 


&92  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

Sur  cette  somme,  il  n*entrait  dans  l'épargne  ou  trésor  pu* 
bile  que  20  millions  239  mille  livres,  le  reste  des  reveniu 
publics  acquittant  les  charges  par  prélèvement. 

Des  20  millions  239  mille  livres  versés  dans  le  trésor» 
16  millions  étaient  le  produit  des  impôts  ;  It  millions  239  mille 
livres  étaient  le  produit  soit  d'économies,  soit  d'autres  bran* 
cbes  des  revenus  publics,  entre  lesquelles  figurait  principa- 
lement le  revenu  du  domaine  dégagé  ou  réuni. 

La  dépense  ordinaire,  d'après  le  compte,  était  de  16  mil* 
lions  500  mille  livres.  Les  recettes,  charges  déduites,  étaient* 
comme  nous  venons  de  le  voir,  de  20  millions  239  mille  li- 
vres. Par  conséquent,  l'économie  annuelle  était  de  3  millions 
739  mille  livres,  et  devait  accroître  d'autant  les  ressources 
de  l'État  1. 

Ces  chifTres  et  ces  calculs  ne  comprennent  que  le  budget 
politique,  le  budget  de  l'État,  comme  on  dirait  aujourd'hui. 
Nous  laissons  en  dehors  le  budget  du  clergé  et  de  la  cour  de 
Rome,  pour  les  sommes  considérables  que  la  nation  leur 
payait  ;  le  budget  de  la  noblesse,  pour  les  redevances  et  cor- 
vées auxquelles  le  paysan  était  astreint  k  son  égard  ;  le  bud- 
get des  communes,  avec  les  sommes  auxquelles  elles  s'impo- 
saient pour  leurs  dépenses  intérieures. 

Les  charges  qui,  comme  nous  l'avons  établi,  montaient  au 
commencement  de  1597  à  16  millions,  et  qui  s'accrurent 
encore  momentanément  en  1598,  étaient  descendues  à  la  fin 
de  1609  à  6  millions.  Cette  diminution  de  10  millions  an* 
nuellement  sur  les  charges  avait  permis  à  Henri  et  à  son 
ministre  d'appliquer  chaque  année  une  plus  forte  partie  des 
revenus  publics  à  l'amortissement  de  la  dette  exigible,  au 
rachat  du  domaine  et  des  rentes.  Us  avaient  déjà  obtenu  sous 
ce  rapport  de  prodigieux  résultats  que  nous  exposerons  lout 
à  l'heure  :  disposant  maintenant  de  ressources  plus  étendues, 
ils  préparaient  de  plus  grandes  choses  encore. 

Les  sommes  à  lever  sur  la  nation,  au  commencement  de 
1597,  pour  faire  face  soit  aux  charges,  soit  aux  services  pu- 
blics, montaient  à  30  millions,  et  tout  ce  qui  manquait  k  ce 
chiffre  devait  être  demandé  ou  h  des  impôts  nouveaux,  tel 

'  Nous  donnons  ici  d—  cbiflrM  exactf  :  dans  ccUet  des  histoirn  oà  m 
trouve  quelque  partie  de  ots  calculs,  U  n'y  a  que  des  nombres  apprvsi- 
maUfii. 


LES  CHARGES  PUBLIQUES  EN  1597  ET  Blf  1609.       &93 

que  le  sou  pour  livre,  ou  à  des  réformes.  G^est  ce  que  prou- 
vent inviDciblcmeni  les  décisions  de  rassemblée  des  notables 
de  Rouen.  A  la  fin  de  1609,  les  sommes  nécessaires  à  toutes 
les  dépenses  publiques  sans  exception,  n*étaient  plus  que  de 
36  millions.  C^était  une  première  diminution  de  U  millions. 

En  1597,  Targent  levé ,  sauf  d^inslgnifiantes  exceptions, 
provenait  exclusivement  de  Timpôt  sous  lequel  le  peuple,  ré« 
duit  à  la  misère,  succombait. 

En  1609,  sur  les  26  millions  exigés,  plus  de  4  millions 
étaient  fournis  par  des  branches  de  revenus  publics  autres 
que  TimpOL  l^r  conséquent,  PimpOt  avait  été  diminué  en 
tout  de  6  millions ,  dont  2  millions  environ  pour  la  taille 
seule,  celle  des  contributions  qui  pesait  le  plus  directement 
sur  le  laboureur. 

Cette  réduction  de  8  millions  de  ce  temps,  environ  29  mil- 
lions d'aujourd'hui,  avait  adouci  le  sort  de  toutes  les  classes 
de  citoyens  sujettes  à  Timpôt  :  la  condition  du  bourgeois 
et  du  marchand  était  devenue  tolérable;  celle  du  laboureur 
avait  été  infiniment  améliorée  au  moins  en  général.  La  terre 
ne  restait  plus  en  friche,  personne  ne  quittait  plus  la  France, 
tous  même  trouvaient  la  vie  meilleure  dans  leur  pays  que 
dans  les  )>ays  voisins.  C'était  là  le  grand  pas  fait ,  le  progrès 
acquis.  Cependant  les  Impôts,  sans  écraser  désormais  les 
contribuables,  sans  atteindre  la  dernière  limite  de  leurs  forces 
et  de  leurs  moyens,  restaient  encore  fort  lourds,  comme 
Sully  nous  l'apprend  lui-même.  Le  roi  et  le  surintendant 
déploraient  cet  élat  de  choses,  mais  Ils  étaient  impuissants  & 
le  changer  avant  quatre  années.  Jusque-là  ils  étalent  réduits 
à  soulager  partiellement  les  plus  grandes  misères,  tantôt  en 
accordant  des  remises  ou  des  réductions  d'impôt  aux  paroisses 
les  plus  pauvres  ;  tantôt  en  intervenant  auprès  des  autorités 
locales,  pour  que  l'on  diminuât  temporairement  les  dépenses 
et  les  impositions  provinciales  et  municipales*.  Les  charges  ^ 

*  I^Ure^  et  in«tnirlioni  de  SuUy  à  dtren  orfirim  dn  fisances,  •«  date 
Hm  mois  de  décemlire  ItiO'i  ri  d*a«rîl  ltil)7,  dam  les  OKcod.  roy.,  c.  ISS  et 
l(i(>,l.  Il,  p.  I6»i,  178.  m  J«  irouT*  MM.  le»  ct»mmw*im  bien  fondât  à 
n  dtnirrr  la  diminution  dr«  iinpuM(iuns;r<ir  jl  ta  i^érUé  elles  sont  exctêsi' 
»  ves  au  grand  regret  du  roj  et  tle  moy  auMy.  Miiis  sa  mMJi'kte  est  cbur- 
M  gee  fit»  trop  tle  kurt»s  d«*  dr^iirusi*»  par  la  niourHÏi  nirinaga  de  aea 
m  prederec^enrt,  et  par  le«  ocrasious  qui  «e  prêta  nient  ionmcllrroent  aux 
m  Mtniir««  du  dehors.  Non  senlement.  je  trouve  très  bon  la  dvscbarga  qn« 
n  MM.  les  commissaires  ont  apportée  au  peuple,  mais  encore  enasé-)e 
I»  bien  esté  d*adri«  ipie  Ton  en«i  deschar |é  la  province  dea  autres  sommet 


&9&  HISTOIRE  Dtl  RÈ6NC  DC  BENRI  IT. 

d(i  passé,  les  nécessités  du  présent  expliquaient  Timpul»- 
sance  de  Henri  et  de  Sully  à  réduire  Timpôt  d*une  manière 
générale  et  plus  sensible.  De  t597  à  1609,  ils  avaient  eu  à 
payer  une  dette  exigible  immense,  à  dégager  le  domaine, 
onéreuses  obligations  que  leur  avait  léguées  la  guerre  ci- 
vile. Maintenant  ils  se  trouvaient  à  la  veille  d'une  nouvelle 
lutte  contre  la  maison  d^Autriche,  commandée  par  la  néces- 
sité d'assurer  à  jamais  Tindépendance  du  royaume  et  sa  pré- 
pondérance en  Europe.  Il  fallait  donc  ajourner  les  dégrève- 
ments. La  gêne ,  si  ce  n'est  la  soulTrance ,  dans  laquelle 
restaient  les  bourgeois  des  villes,  les  marchands,  les'  paysans 
même  dans  certaines  localités,  était  la  peine  de  leurs  erreurs 
et  de  leurs  excès,  ils  s'étaient  jetés  avec  Tureur  dans  la  Ugue. 
Au  lieu  de  faire  au  pouvoir  qui  abusait  une  opposition 
calme  et  ferme,  une  résistance  civique,  ils  avaient  fait  de  la 
révolte.  La  révolte  coûte  cher  et  s'acquitte  lentement  ;  Os  en 
payaient  les  frais  par  des  sacrifices  prolongés. 

§  6.—  Dette  acquittée,  rente  remboursée^  domaine  racheté^ 
réserve  ou  économie  en  argent,  ressources  extraordi^ 
naires  au  commencement  efe  1610. 

Il  ne  reste  plus  qu'à  établir  ce  que  Henri  iV  et  Sully 
payèrent  de  dettes,  rachetèrent  de  domaine  public,  réalisèrent 
d'économies,  dans  un  espace  de  treize  années  et  quatre 
mois,  avec  des  revenus  publics  qui,  sans  déduction  des  char- 
ges, ne  montaient,  au  commencement  de  1597,  qu'à  23  mit- 
lions;  qui  durant  quelques  années  seulement  atteignirent 
30  millions;  qui  en  1609  éuient  redescendues  à  26  millions, 
par  suite  des  diminutions  considérables  accordées  sur  ia 
taille  et  sur  les  aides. 
De  longs  discours  et  de  spécieux  raisonnements  ont  été 
^  faits  par  quelques  économistes  sur  l'utilité  et  les  avantages 

»  etnplojëef  pour  •flaire*  qui  ne  concertieot  point  en  particulier  le  serrice 

•  du  ruy,  Iptquelles  comprit  lei  orne  mil  et  taut  d^escus ,  dont  les  ■u»dit« 
»  coDimistnires  ont  detchar|ë  le  peuple,  montent  à  S4U.5t(1  livrrs...  Tou- 

•  lea  lef  quelles  sommes  ont  esté  augtnentëe*  depuis  nuelques  années,  sans 
»  qufl  le  roy  s*en  prévale  d'un  sol,  mais  seulement  les  provinceê  et  les 

•  particuliers.  Peut- estro  que  les  peuples  se  passeront  mieux  de  toutes  ces 

•  réparations  publieques  et  antres  effets  pitrUculiers,  que  d'une  dea- 
m  rharge  de  somme  si  notable  qui  leur  apportera  grand  soulagement.  — 
m  Les  subjecU  de  sa  mafettë  sont  si  fort  charges  de  tallies  et  autres  tm^ 
»  posMoms  quHtê  n»  tês  peuvent  quasi  payer,  » 


riNANCES  :  DETTE  ACQtlITTéE.  ti9& 

qn'un  État  retire  de  sa  dette.  Toutefois,  tant  qne  le  sophisme 
n'aara  pas  prévalu  contre  la  vérité,  il  restera  certain  qu^une 
dette  est  le  ver  rongeur  de  toute  nation  assez  malheureuse 
pour  l*a  voir  contractée,  assez  peu  courageuse  pour  ne  savoir  pas 
réteindre.  La  dette  dévore  chaque  année  par  avance,  tantôt 
le  cinquième ,  tantôt  le  quart  des  revenus  de  cette  nation, 
lui  interdit  toute  tentative  en  grand  pour  améliorer  sa  con- 
dition ,  toute  résolution  énergique  dans  ses  rapports  avec 
Tétranger.  Tôt  ou  tard  le  jour  des  complications*  des  embar- 
ras survient,  jette  une  elTroyahle  perturbation  dans  la  fortune 
publique  et  dans  les  fortunes  particulières,  engendre  la  ban- 
queroute et  les  révolutions.  Au  seizième  siècle,  une  dette 
était  encore  plus  vicieuse  qu'aujourd'hui,  parce  que  le  véri- 
table crédit  public  n'étant  pas  établi,  le  prêt  du  créancier 
était  toujours  usuraire,  et  l'emprunt  ruineux  pour  TÉUit 

Après  rentière  soumission  de  la  Ligue  et  la  fin  de  la  guerre 
avec  TEspagne,  la  dette  de  la  France  s'élevait,  en  iô98,  à 
3Ù8  millions  de  ce  temps-là,  environ  1  milliard  25/i  millions 
d'aujourd'huL  La  portion  de  la  dette  afférente  aux  neuf  pre- 
mières années  du  règne  de  Henri  IV  était  d'environ  100  mil- 
lions du  temps  :  la  guerre  contre  la  Ligue,  contre  l'Espagne 
et  la  moitié  de  TEurope,  avait  coûté  63  millions,  et  le  désar- 
mement de  la  Ligue  au  delà  de  32  millions.  La  dette  exigible 
montait  à  157  millions  tiU2  mille  livres  :  sur  cette  somme»  il 
était  dû  68  millions  aux  puissances  étrangères  >. 

On  voit  dans  les  Mémoires  de  Sully  le  tableau  de  l'amor- 
tissement progressif  de  la  dette  publique.  A  la  un  de  1606, 
l'acquittement  de  la  dette  exigible,  très  distincte  de  la  rente 
et  de  l'aliénation  du  domaine,  éuit  déjà  de  67  millions 
330  mille  livres.  Dans  TéUt  détaillé  que  présente  Sully,  Il 
faut  se  garder  de  confondre  les  dépenses  d'utiUté  publique 
avec  les  dettes  acquittées,  dont  le  chilTre  se  réduit  à  celui 
que  nous  venons  de  présenter.  Sur  les  67  millions  rembour- 
sés, on  avait  attribué  'SU  millions  aux  étrangers,  et  pareille 
somme  à  peu  près  aux  nationaux;  les  chefs  de  la  Ligue 
avaient  reçu  13  millions  pour  leur  part ^. 

'  Voir  d>ni  Pélat  de*  deites  dm^tf  par  Sullv  au  c.  101,  t.  u,  p.  SB,  i9, 
c«  qui  m  été  rmpruuté  poar  U  guerre  conlre  la  Ligue  et  eooire  l'Espagne 
•t  ce  qui  eti  dû  aux  puisa^inces  eirangère*. 

'  bully,  O£cou.  roy.,  c.  164,  t.  u,  p.  171.  «Estât  de  pajamèlits  de* 
m  dabtaa  présanié  as  roj  «a  1607. 


à96  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HEITRI  IV. 

Trois  ans  plus  tard,  an  moment  de  la  mort  du  roi,  le 
chiffre  total  de  la  dette  exigible  acquittée  s*élève  à  100  mil- 
lions ^ 

Ainsi  le  total  de  la  dette  contractée  sous  ce  règne  se  trou- 
vait remboursé.  Ainsi  se  trouvait  vérifié  le  mot  profond  pro- 
féré par  Henri,  en  1596,  au  moment  des  traités  avec  la  Ligue  : 
«  Qu*'û  ne  fallait  alors  ni  faire  le  bon  mesnager,  ni  s'arrêter  à 
»  Targent,  car  le  roi  payeroit  tout  plus  tard  des  mêmes  choses 
»  qu'on  lui  livreroit^»  En  effet,  il  avait  tout  payé,  et  en  même 
temps  il  avait  mis  fin  à  la  guerre  civile,  et  chassé  TEspagnol 
du  royaume.  Il  est  donné  à  peu  d'hommes  d'accomplir  avec 
une  pareille  ponctualité  de  si  grandes  promesses. 
PoHioa  Henri  et  Sully  avaient  travaillé  en  même  temps  à  faire  ren- 

^^  'chVtél!  '^  ^^^  ^^  couronne  dans  la  possession  du  domaine  aliéné,  et  à 
éteindre  peu  à  peu  les  rentes  constituées  sur  TÉtat.  Cette 
grande  opération  financière ,  commencée  en  160/i ,  prodi- 
gieusement développée  en  1606  -et  1607,  continuée  depuis 
avec  persévérance,  amena  les  résultats  suivants  au  commen- 
cement de  1610. 

Les  rentes  constituées  sur  riIôtel-de-Ville  de  Paris,  depuis 
François  I'%  montaient  à  3  millions  628,000  livres.  Le  déses- 
poir des  bourgeois  et  l'opposition  de  Miron  empêchèrent  le 
gouvernement  de  rembourser  en  totalité  cette  partie  de  la 
dette  publique  ;  mais  en  1605,  il  racheta  1  million  390,000  li- 
vres de  ces  rentes.  De  1606  à  1610,  il  racheta  3  millions 
610,000  livres  environ  de  rentes  constituées  sur  l'État.  La 
réunion  de  ces  deux  sommes  porte  le  total  de  la  rente  ra- 
chetée à  5  millions  3.  U  est  impossible  que  Henri  et  Sully 
aient  poussé  plus  lohi  le  remboursement  de  la  rente.  En 
effet,  entre  les  années  1597  et  1609,  les  charges  publiques 
diminuèrent  de  10  millions ,  comme  le  prouve  le  compte  de 
1609.  Le  remboursement  de  100  millions  sur  la  dette  exi- 
gible ,  même  après  la  réduction  de  l'intérêt ,  avait  exonéré 
l'État  d'au  moins  5  millions  d'intérêts  à  payer  par  an,  et  di- 

'  Snllj,  OEcon.  roy.,  c.  186,  p.  S66  A.  c  Le  roj  Henri-Ie-Grand,  qiu« 
i«  trième  du  nom.  aprèi  «Toir  reconquit  fon  royaume  par  la  Talenr  et 
M  prudenre*  ncquillé  pour  cent  miliiont  de  Hebtes  delà  couronne...  mon- 
w  rut  le  14  muy  1610.  •  —  Cet  ënoncé  si  précttett  contmire  à  ce  qu*aTancent 
quelques  historiens  modernes  lesquels  portent  le  remboursement  de  la 
dette  à  147  millions. 

'  Voir  ci-dessus,  p.  967. 

I  Voir  ci-dessus, p.  465,  466,  texte  et  note*. 


FINANCES  :  DOMAINE  ET  RENTES  RACHETÉS.  697 

minué  les  charges  de  pareille  somme.  Pour  compléter  le 
total  de  10  millions  dans  la  diminution  des  charges,  il  n'y  a 
place  que  pour  5  millions  ;  c'est  donc  à  ce  chiffre  qu'il  faut 
réduire  forcément  le  remboursement  de  la  rente  K 

Le  gouvernement  avait  payé  100  millions  pour  l'acquitte- 
ment  de  la  dette  exigible  :  il  paya  moins  pour  le  rembour- 
sement des  rentes,  à  cause  de  la  distinction  établie  entre  les 
rentes  sincères  et  les  rentes  frauduleuses,  et  la  composition 
à  laquelle  il  amena  un  certain  nombre  de  rentiers.  Mais  le 
résultat  des  deux  opérations  fut  de  rendre  à  la  nation  la  va- 
leur et  la  disponibilité  d'un  capital  de  200  miUions ,  même 
après  l'abaissement  de  l'intérêt. 

Le  domaine  racheté  de  1604  à  1610  se  composait  de  deux 
parties  distinctes,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  précédemment. 
La  première ,  reprise  aux  usurpateurs  ou  rachetée  à  pris 
d'argent  >,  était  d'une  valeur  de  35  millions  :  la  couronne  ea 
était  rentrée  en  possession  avant  1610.  La  seconde  »  dota  la 
Jouissance  temporaire  avait  été  laissée  à  des  traitants  oa  k 
des  compagnies ,  ne  devait  faire  retour  à  la  couronne  qu'aa 
bout  de  seize  ans  ;  mais  la  propriété  lui  en  était  dès  lors  as- 
surée :  cette  seconde  partie  était  de  Itb  millions.  La  totalitS 
du  domaine  racheté ,  par  divers  moyens  et  à  diverses  con- 
ditions, était  donc  de  80  millions.  Sully  donne  divers  chiffres 
pour  le  rachat  du  domaine,  parce  qu'il  parle  de  parties  dif- 
férentes :  nous  prenons  celui  qui  se  trouve  consigné  dans  les 
états  de  finances  présentés  au  roi  au  commencement  de 
l'année  1610  \ 

Le  complément,  grand  comme  tout  le  reste,  de  l'adminis- 
tration financière  de  Henri  IV  et  de  Sully,  se  trouve  dans  la 
réserve  en  argent,  ou  économie  qu'ils  avaient  su  ménager  à 

*  Nous  ne  savons  sur  quelle  •utoriltf  ni  sur  quel  raisonnement  s^appuient 
les  bisloriens  modernes  qui  portent  le  remboursement  des  rentes  sur  VH&- 
tel -de-Ville  et  sur  TElat,  îes  uns  i  7  millions,  les  autres  à  7  milUooa 
300  mille  livres. 

'  Letire  de  Sully  aux  trésoriers  de  Bourgogne  de  Tan  IGOS,  dans  les 
OEcon.  roj.,  c.  iS3,  t.  il,  p.  S47  A.  «  Je  trouve  qu'il  est  raisonnable  que 
9  les  partbans  du  rachapt  du  domaine  fassent  leur  rarhapt  de  six  vingt  mil 
»  livres  premier.  »  —  Le  compte  de  1609,  p.  115,  119.  ■  Remboursement 
»  du  domaine  en  Champagne  iusqu'à  la  somme  de  900,000  livres.  —  Rachat 
»  du  domaine  de  Normandie.  » 

>  Sull,  OEcon.  roy.,  c.  916,  t.  il,  p.  437  A.  «  Plus  tons  parlicnliert  qui 
I»  ont  contracte  pour  les  rach/ipli  de  quatre  t^ingt  mittiont  de  domaines, 
•  grefles«  rentes  et  attributions  sur  le  roy  font  oHire  de  doute  millions,  s'il 
»  plaist  à  sa  mniesté  de  prolonger  te  tempe  de  leurs  rachaplt  de  quatre 
M  année*,  m  Compares  avec  le  r.  186,  t.  n,  p.  966  A. 


OomAlM  ra- 
chsttf. 


tiWÊtem 
en  tfcoaomto. 


A98  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  ÎV. 

rÉtat ,  et  qoî  se  trouva  dans  Tépargne  oa  trésor  public,  aa 
moment  de  la  mort  du  roi. 

Sur  cet  article,  comme  sur  celui  du  domaine  et  des  rentes» 
nous  possédons  divers  états  dressés  par  Sully,  et  des  rensei* 
gnements  fournis  par  le  compte  de  Tépargne  de  1609.  Quel- 
ques courtes  explications  établiront  leur  concordance ,  pour 
le  fond,  en  exposant  leur  diversité  dans  les  détails.  L*épargne 
ou  trésor  se  bornait  à  recevoir  le  produit  des  revenus  natio- 
naux dans  la  mesure  réglée  par  le  roi  et  par  le  surintendant, 
et  à  faire  face  aux  besoins  et  aux  services  publics,  d*aprèsle 
cbiflre  de  la  dépense  ordinaire,  arrêté  chaque  année  au  mo- 
ment de  la  confection  de  Tétat  général  des  finances  d^alors  , 
notre  budget  d'aujourd'hui.  L'épargne ,  établissement  pure- 
ment passif,  ne  créait  ni  ne  provoquait  même  aucune  res- 
source nouvelle  :  elle  ne  faisait  ni  prêts,  ni  avances,  ne  se 
livrait  à  aucune  des  opérations  d'une  banque.  Tonte  cette 
partie  de  Tadministration  active  était  réservée  à  la  sarinten- 
dance ,  laquelle ,  au  moment  du  renouvellement  de  la  lutte 
contre  la  maison  d'Autriche,  tenait  en  réserve  et  cachée  une 
portion  des  ressources  du  gouvernement ,  pour  assurer  ses 
dessins  et  surprendre  ses  ennemis. 

Le  compte  de  1609  ne  porte  et  ne  doit  porter  que  l'argent 
comptant  tout  seul  :  aussi  ne  fait^l  nulle  part  mention  d'un 
seul  prêt,  d'une  seule  créance  parmi  les  valeurs  appartenant 
A  l'État  De  plus ,  comme  l'indique  un  énoncé  formel ,  il  ne 
mentionne  que  l'argent  comptant  encaissé  par  l'épargne  et 
provenant  de  Pexercice  de  1608  et  des  exercices  antérieurs  : 
les  produits  en  deniers  comptants  de  Tannée  1609  n'y  sont 
pas  compris  >.  Restreint  dans  ces  limites,  le  compte  de 
1609  ne  porte  la  réserve  ou  économie  qu'à  13  millions 
350,000  livres. 

Tandis  que  l'administration  dé  l'épargne,  durant  l'exercice 
de  1609,  se  bornait  à  ce  mouvement  régulier,  mais  sans 


*  Le  compte  d«  1600,  tiens  Forbonniiis,  1. 1.  p.  116,117.  Remarque! 
bien  les  termes  et  le  portée  des  deux  anirles  suivunts  :  «  De  M.  Vincent 
m  Bouhier,  sieur  de  BeaumBrrhuU,  trésoriei  de  l'esparene,  des  deniers  de 
n  sa  charge  de  Vannée  16()8,  (),M>0,(H)0  livies.  —  De  lui,  dcc  deniers  qui 
a  avoienl  esté  mu  compiaot  au  cltAlean  de  la  Bu.stille,  7,000,000.  a  Ces 
7  millions  sont  les  économies  fuites  antérieurement  à  I6US.  '^  Snlljr, 
OEron.  roj.,c.  1S7,  t.  u,  p.  itiO  B.   •  L^estat  des  deniers  atmnct»  en  raB- 

•  oée  1607  et  1608,  par  les  trésoriers  de  Tespergiie,  et  dont  le  recoavre- 

•  ment  se  doit  bire  en  Vwmaém  1600.  a 


FINANCES  :  RÉSERVE,  RESSOURCES  EXTRAORDINAIRES.  /|99 

initiative»  &  ce  foDctionnement  presque  machinal,  la  surinten- 
dance, pendant  le  cours  même  de  cet  exercice,  préparait,  par 
son  industrieuse  activité  et  par  sa  puissance,  des  ressources 
publiques  nouvelles ,  dont  la  fécondité  devait  apparaluredèsle 
commencement  de  Texercice  suivanL  £lle  avait  soin,  en  par- 
ticulier, de  faire  rentrer  dans  l'épargne,  à  point  nommé  et  à 
jour  iixe,  tout  l'argent  comptant  qui  lui  était  dû  pour  Tannée 
1609.  Ainsi,  au  i"  janvier  i6t0,  jour  solennel  durant  tout 
ce  règne,  jour  où  l'on  voit  que  chacun  des  secrétaires  d'État 
venait  présenter  au  roi  un  exposé  général  du  service  public 
dont  il  était  chargé,  Sully  faisait  connaître  l'ensemble  de  la 
siluaiiun  liuancière  par  quatre  états  de  longue  main  préparés 
qu'il  remettait  à  UenrL  Le  troisième  et  le  quatrième  établis- 
saient quelles  ressources  possédait  actuellement  r£tat ,  non 
seulement  en  argent  comptant,  mais  aussi  en  avances  et  prêts, 
en  créance»  solides  et  à  courtes  échéances ,  dont  rien  n'était 
entré  dans  l'épargne  et  dont  rien  ne  figurait  dans  son  compte. 
L'argent  comptant ,  porté  de  12  millions  500,000  livres  à 
15  millions  870,000  livres,  était  déposé  dans  les  chambres 
voûtées  de  la  Bastille  K  Le  prêt  fait  au  trésorier  de  l'épargne, 
Puget,  pour  lui  ladliter  ses  avances  d'argent  comptant,  pen- 
dant l'année  de  son  exercice,  montait  à  10  millions»  Les 
créances,  se  composant  de  ce  que  les  recettes  générales  et  le 
clergé  redevaient,  montaient  à  0  millions  4^0,000  livres.  Ces 
sommes  réunies  formaient  un  total  de  '62  millions  300,000  li- 
vres. Eu  comme  le  faisait  remarquer  le  surintendant,  la  so- 


I  8«lly«  OEcon.  roy.,  c  167, 1.  il,  p.  106  B  pour  U  dau,  106  B  poar  Im 
aiU  !  «  ToucbaQt  Iri  cttuiB  que  vous  baiUaates  an  rojf  le  premier  {our  de 

•  Tas,  en  foraM  «l'ealreta«s,  sost  ton»  ramenteTriHif  ca  qai  Mit..*  Far  la 
m  troisièma  de  ce»  aaUU  vont  fîii»ica  cofooitlre  an  roj  roninaol  il 
■  avait  daoi  les  cbambrca  To&lcet,  coflret  al  euques.   ettaot  i  le  Bat- 

•  Ulle IB^O^OÛO  lirrie. 

»  Outre  10  DiUlioDâ,  que  rou*  eo  «Tica  tirca  al  iMillea 

m  Mm  tréaorier  da  l'aapar|Ba  Paf  et,  pour  lui  ladliter  act 
a  avaacat  d*ar|eDt  comptent,  da  l'anoée  de  »oa  azar» 
a  rice,  à  U  cnaiga  d«  le*  remplacer  d»n»  lae  qaaira 
»  moia  «le  Tiiuoire  «ubacquenla.  ••••.•••.••••     tOJOOOJOQQ 
m  Par   le  quairiènie  da  rei  cslaU  votti  laUles  Toir 

•  an  roy  cunac  il  lui  rtioit  dcu. S,430,0U0 

»  de»   mie»  des  anoeve  i>récedeDtes,  lasi  dae  reccttet 

m  géucralee  ai  parlirnliarce  dce  t^illrs,  das  fermes  du 
»  rojttiuDo,  da  la  coiupoeitico  de*  Suaaciart,  qaa  dae 
»  retiitatloM  auxqaallaa  aetoiani  tauM  les  racavann 
a  du  cUr|d.  » 

TMaL  ....    Si,3U),000 


Résultats 

do  radministn- 

lion  financier* 

do  Henri  IV 

et  de  Sullj. 


nctsonrcet 

cxlraordinni- 

rM, 


500  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

lidité  des  débiteurs  et  la  facilité  de  les  Caire  payer  à  bref  délai 
étaient  telles,  que  Ton  devait  considérer  toutes  ces  sommes 
comme  argent  comptant.  Quelques  jours  plus  tard,  le  10  jan- 
vier 1609,  par  suite  de  nouveaux  versements,  les  ressources 
publiques  étaient  encore  accrues,  et,  suivant  un  état  authen- 
tique et  détaillé,  l'argent  comptant,  ou  ce  que  Ton  devait  re« 
garder  comme  tel,  montait  à  ^3  millions  138,000  livres  '. 

Ainsi,  il  avait  été  acquitté  100  millions  de  dette  exigible , 
remboursé  5  millions  de  rente  représentant  un  autre  capital 
d'environ  100  millions,  racheté  pour  35  millions  de  domaine. 
Ces  235  millions  du  temps  équivalent  à  plus  de  8i!i0  millions 
d'à  présent  II  suit  de  là  que  les  deux  tiers  de  la  dette  géné- 
rale avaient  été  acquittés,  et  que  sur  le  tiers  restant,  A5  mil- 
lions d'aliénation  du  domaine  devaient  encore  être  éteints 
dans  seize  ans.  Si  aux  235  millions  de  dette  déjà  payée  «  ou 
de  rente  et  de  domaine  déjà  recouvrés,  l'on  joint  les  U^  mil- 
lions d'argent  comptant,  on  arrive  au  total  de  278  millions 
pour  chiffre  du  capital  que  Henri  IV  et  Sully  avaient  rendu  à 
la  France  pendant  une  administration  de  seize  ans;  les 
278  millions  de  ce  temps-là  correspondant  à  1  milliard  d'au- 
jouitl'hui.  Telles  étaient  les  immenses  ressources  dont  Us 
l'avaient  remise  en  possession  et  dont  elle  devait  user,  sans 
inquiétude  de  l'avenir,  dans  les  temps  calmes,  dans  les  cir- 
constances normales  et  régulières. 

Mais  en  outre  ils  lui  avaient  préparé  pour  les  circonstances 
extraordinaires ,  pour  l'éventualité  d'hostilités  nouvelles  et 
d'une  lutte  prolongée ,  des  ressources  également  extraordi- 
naires de  deux  sortes.  1"  En  se  bornant  à  employer  la  réserve 
en  argent  comptant,  et  à  supprimer  dans  la  dépense  ordinaire 
le  double  emploi  des  sommes  destinées  à  la  guerre,  la  plu- 
part des  dons  et  pensions,  ainsi  que  quelques  dépenses  per- 

*  Sully,  OEcon.  roy.,  c.  109,  t.  ii,  p.  3T7  A  pour  la  date  :  «  Fait  à  Plaria 
»  le  10  janvier  1610.  m  Pour  les  fuiU  «  même  p.  377  B:  «  Premièrement 
m  dant  la    DaKille 17,000,000  livret. 

»  Plus  il  a  déjà  etlé  mis  à  part  dans  la  BaïUlle,  atti- 
»  vant  les  liltres  patentes  du  roy,  pour  commencer 
»  1rs  despeniM  de  lu  guerre 7,000,000 

M  Plus,  M.  Philippeaux  a  mis  ès-muins  de  M.  Pnget, 
M  en  truis  fois,  des  deniers  revenans  bons  de  son  année .      8,800,000 

I  Plus,  en  une  promesse  de  Bforant,  etc.,  e(c.  s  A 
partir  de  cet  article  Sully  ënnmère  nue  suite  de  sonv 
mes  dues  an  roi,  dont  la  réunion  forme  un  total  de.  .  .    10,338,400 


Toul.  ....    43,138,490 


FINANCES  :  l'intérêt  DE  L*ARGENT  DIMINUÉ.        oOl 

iiouneiks  aa  roi  ;  en  proûtant  des  offres  faites  pour  i^augmen- 
talion  des  fermes  du  royaame ,  lors  db  renouvellement  des 
baux;  en  consentant  à  prolonger  pendant  un  petit  nombre 
d'années,,  au  profit  des  détenteurs,  la  jouissance  du  domaine 
aliéné  dans  lequel  le  roi  devait  rentrer  ;  sans  toucher  au 
fonds  de  la  dépense  ordinaire  en  ce  qui  concernait  les  ser- 
vices publics  intérieurs  ;  sans  augmenter  les  impôts  ni  charger 
les  peuples,  le  gouvernement  pouvait,  en  trois  ans,  faire  un 
loods  extraordinaire  de  81  millions  et  l'employer  à  la  guerre 
contre  la  maison  d'Autriche  en  l'attaquant  d'abord  par  le 
pays  de  Gèves  de  Juiiers  ;  ces  81  millions  valaient  environ 
292  millions  d'aujourd'hui  2*  En  recourant,  en  cas  dé  besoin, 
à  des  créations  d'offices,  à  des  concessions  de  droits  et  attri- 
butions, sorte  d'impôts  indirects  qu'il  était  facile  d'établir 
«  sans  grande  foule  des  subjects  du  roy,  »  et  en  ajoutant  cette 
ressource  de  112  millions  aux  précédentes,  le  gouvernement 
pouvait  se  procurer  dans  le  même  espace  de  trob  ans  au  delà 
de  193  millions  du  temps,  environ  69/i  millions  d'aujour- 
d'hui. Telles  étaient  les  ressources  extraordinaires  que  la 
couronne,  sans  recourir  &  l'emprunt,  était  en  mesure  de  réa- 
liser en  trob  ans  et  de  fournir  à  la  France,  pour  les  besoins 
de  sa  défense  ou  de  sa  grandeur  ^ 

I  7.  —  L'intérêt  de  VargetU  diminué  ;  ressources  fournies 
à  l'agriculture,  à  VindustriSf  au  commerce. 

Tous  les  services  de  la  paix,  tous  les  services  de  la  guerre,         iJtfM 
même  éventuels,  étaient  ainsi  largement  pourvus  :  dans  tous  ''d?Suiiy'iu/' 

les  UéVi*lopp«* 

■  Sally,  OEcoii.  roy.,  c.  lOS,  t.  U«  p.  57S  B,S70  A.  Go  trouTero  dans  ton  d«  la  richesM 
leita  loui  !«•  chiflTret  at  tout  1««  calculs  que  doui  produisoat  ici.  Au  pre>  nationato. 
Micrarticla  de  i*«Ut  des  ressources  eslraordinairrs,  il  exprime  delà  ma- 
aière  la  plus  formelle  que  la  rcnnionda  ces  diverses  ressources  n'apportera 
aucun  trouhle  dans  la  dtfpente  ordinaire,  dans  le  budc(>t  normal,  dans  les 
scrrices  publics,  m  Premièrement,  sans  loucher  an  fonds  de  la  dépense 
•  ordinaire  de  t'Etpargne  «i*  puisas«eurer  Totre'mafestëde  mmasscr,  etc.» 
Hous  croyons  que  les  95  millions  d'argent  rompiani,  dont  il  parle  dam  co 
premier  article,  doivent  se  fondre  dans  l'état  de  Targont  comptant  qu'il 
donne  nn  peu  plut  loin,  page  377  B,  et  qui  monte,  comme  nous  l'avons 
dit.  k  43  millions.»  A  Taiiicle  6.  il  dit  :  «  Plut  Votre Maiesté  se  sonvienUm 
a  des  grandes  opposiiious  que  f  ny  toosiours  faites  à  tous  nouveaux  édite 
a  pécuniaires,  crralious  d'officiers,  en  corps  et  en  partlrnlier,  augroenta- 
m  Uotts  de  gages,  diotis.  atlribnlions.  Ce  que  (e  faisois  exprès  afin  d'y 
a  trouver  un  grand  fonds  d*argent  en  cas  de  hesoio.  De  tons  lesquels  advis 
»  t'ai  fait  un  recueil  et  dressé  un  estât  abrégé  par  lequel,  sans  grande  fonle 
n  M»  Toa  sttbietf ,  il  se  povra  recouvrer  plus  de  IIS  milUona,  ■ 


Edit 

de  initlel  IGOI  : 

l'intérêt  d« 

rnrgcnl 

■h«Usè;  eflett 

de  le  mesare 

•or  les  fortunet 

perticuUiret. 


602  H18T01RS  DD  RÈGUIB  DE  HENRI  IT. 

'ses  besoins  légitimes^le  pays  n^avait  qa'à  se  tourner  vers  son 
gooTernement  et  à  demander  pour  recevoir  :  des  fonds  faits 
d*avance,  des  mesures  prises  avec  précision  permettaient  de 
satisfaire  sur-le-champ  à  toutes  les  exigences  publiques. 
Quand  on  considère  que  le  désordre  des  finances,  légué  par 
Henri  III  à  son  successeur,  avait  été  pour  plus  de  moitié 
dans  l^efTroyable  anarchie  où  le  royaume  avait  été  plongé,  et 
dans  les  dangers  qu^avait  courus  son  indépendance,  on  sent 
que  Henri  IV  et  Sully  avalent  été  au  plus  pressé  et  au  plus 
important,  en  remplaçant  les  dissipations  et  Pindigence  du 
dernier  règne,  par  la  régularité  et  la  prospérité  financière 
dans  laquelle  ils  avaient  replacé  le  pouvoir  et  la  nation.  Mais 
leur  génie  pénétrant,  leur  admirable  sagacité  leur  révélèrent 
quUls  n'auraient  rien  fait  de  durable  ni  de  complet,  s'ils  se 
bornaient  aux  exigences  du  gouvernement  et  du  temps  pré- 
sent; s'ils  ne  voyaient  pas  les  familles,  la  société,  Tavenir; 
sMls  ne  fournissaient  pas  au  pays  les  nouvelles  richesses  que 
les  développements  delà  civilisation  lui  rendraient  nécessaires 
au  moment  où  il  s'avancerait  dans  la  voie  du  perfectionne- 
ment ouverte  par  la  Providence  au  génie  de  l'homme. 

Ils  travaillèrent  à  cette  œuvre  importante  en  même  temps 
qu'au  rétablissement  des  finances  publiques  et  Ils  y  réus^- 
rent  également.  En  premier  lieu ,  ils  consolidèrent  la  pro- 
priété ébranlée  dans  l'ordre  de  la  bourgeoisie  et  delà  noblesse, 
en  partant  du  principe  que  la  fortune  publique  n'aurait  une 
base  soUde  que  quand  les  fortunes  particulières  seraient  raf- 
fermies. Par  suite  des  dévastations  des  guerres  civiles,  beau- 
coup d'hommes  du  tiers-état,  beaucoup  de  nobles,  réduits 
au  plus  extrême  besoin,  avaient  recouru  à  l'emprunt,  n'a- 
vaient trouvé  de  l'argent  qu'à  un  taux  excessif,  et  s'étaient 
vos  bientôt  dans  l'impuissance  de  remplir  leurs  engagements. 
Les  uns  étaient  déjà  expropriés,  mais  leurs  biens  avaient  été 
adjugés  à  des  gens  hors  d'état  de  couvrir  le  prix  de  l'acqui- 
sition :  les  autres  étaient  sur  le  point  d'être  dépossédés.  Henri 
et  Sully  Intervinrent  au  milieu  de  cette  effrayante  perturba- 
tion, et  la  firent  cesser  par  l'édit  du  mois  de  juillet  1601.  La 
guerre  contre  la  Ligue,  contre  l'Espagne,  contre  la  Savoie 
venait  de  prendre  fin,  l'ordre  public  était  affermi,  les  capiUuz 
rassurés  avaient  reparu.  Us  profitèrent  de  ces  circonsunces 
favordbles,  pour  abaisser  l'intérêt  de  l'argent  de  8  et  10  {wor 


Pllf  AIICBS  :  l'intérêt  DB  L'ARGKRT  OIMINUâ.        503 

iOO  A  G  pour  100  par  an.  L*é(lit  ayant  reçu  une  facile  eié* 
cuiion,  les  débiteurs  remboursèrent  leurs  anciens  créanciers 
avec  de  Targent  emprunté  ailleurs  aux  nouvelles  conditions, 
cessèrent  d*étre  écrasés  par  Tintérét,  et  parvinrent  en  grand 
nombre,  les  uns  à  rentrer  dans  leur  patrimoine,  les  autres  à 
le  conserver. 

Par  rabaissement  de  l'intérêt  de  l'argent,  Henri  et  Sully 
atteignirent  un  autre  but,  réalisèrent  un  autre  projet  d'une 
égale  importance,  ils  entreprirent  de  développer  et  d'aug- 
menter les  ressources  intérieures  du  royaume  ;  et  telle  était 
la  puissance  de  ces  esprits  créateurs,  que  par  leurs  hardis  et 
féconds  essais,  ils  ouvrirent  les  premiers  à  l'Europe  entière, 
en  même  temps  qu'à  la  t'rance,  les  sources  de  la  véritable 
richesse  des  nations.  L'argent  est  impuissant  et  stérile  par 
lui-même,  si  stérile  que  les  6«  5, 6  francs,  dont  un  capital  de 
100  francs  se  trouve  accru  au  bout  d'un  an  par  Tintérét, 
sont  sortis  de  la  poche  de  l'emprunteur  pour  entrer  dans 
celle  du  créancier.  Mais  dans  la  constitution  de  nos  sociétés 
modernes,  Targent  peut  tout,  et  produit  tout,  en  s'alllant  k 
l'industrie.  Legrand  secret  et  le  grand  art  des  gouvernements 
est  de  le  mettre  h  la  portée  de  Pagriculture,  pour  qu'avec  son 
aide  elle  double  les  richesses  du  sol  ;  de  le  livrer  à  l'Industrie 
manufactu^i^^e,  pour  qu'elle  se  procure  les  denrées  pre- 
mières dont  elle  décuplera  la  valeur  par  l'art  avec  lequel 
elle  les  travaillera  ;  de  le  fournir  enfm  abondant  et  facile  au 
commerce,  pour  qu'il  en  achète  les  marchandises  qu'il  re- 
vendra ensuite  avec  des  bénéûces  énormes,  en  se  chargeant 
de  les  transporter  et  de  les  placer.  Depuis  quarante  ans, 
l'argent  s'était  refusé  en  h'rance  à  l'agriculture,  à  l'in- 
dustrie  et  au  commerce.  U  avait  été  prêté  aux  particuliers 
pour  les  besoins  de  la  vie,  A  un  gouvernement  toujours  aux 
expédients  pour  les  guerres  de  religion  et  pour  ses  folles 
prodigalités,  au  taux  usuralre  que  nous  avons  signalé  plus 
haut.  Dès  lors  il  était  devenu  inabordable  et  insaisissable  aux 
arts  de  la  paix  :  il  s'i^tait  d<<pensé,  écoulé,  sans  rien  féconder, 
sans  rien  ajouter  à  la  production  et  a  la  richesse  de  la  France. 

L'effet  décisif  et  immédiat  de  la  réduction  de  rint<<rèt  de      ^  Effeude 
l'argent  fut  de  le  porter  des  rentes  et  de  la  dette  publique  sur  éB^rï^é^èi'^ 
l'industrie  agricole  et  commerciale,  et  de  fournir  à  celle-ci  le    r»f  •truitar», 
secours  qui  lui  manquait,  et  qu'elle  implorait  depuis  si  Iod^    J  itMiiuiria, 


50A  HISTOIRE  00  RÈGNE  DE  HENRI   IV. 

temps.  La  nation  n^avait  pas  moins  à  profiter  par  Pexposé  des 
principes  d*après  lesquels  Henri  IV  et  Sully  se  conduisaient, 
qoe  par  les  actes  mêmes  de  leur  administration,  et  les  leçons 
de  profonde  sagesse  économique  que  contient  Tédit  de  1601 
doivent  être  reproduites  pour  instruction  de  tous  les  temps. 

«  Après  avoir,  par  Passistance  de  la  souveraine  bonté,  pacifié 
de  toutes  parts  nostre  royaume  et  fait  rendre  A  chacun  de  nos 
sujets  ce  qui  leur  appartenoit  et  leur  avoit  été  ravi  |iar  la  licence 
des  guerres  passées,  en  telle  sorte  que  chacun  à  présent  jouit  pai- 
siblement du  sien,  nous  avons  jugé  être  aussi  important,  et  de  non 
moindre  gloire  à  nôtre  Ëtat  royal ,  d*apporter  pareil  soin  et  dili- 
gence à  la  conservation  de  leurs  possessions.  • 

«  Et  pour  cet  effet,  ayant  reclKrché  de  plus  près  les  causes  qui 
plus  ordinairement  appauvrissent  et  travaillent  nos  dits  sujets  en 
la  jouissance  de  leurs  biens,  et  surtout  notre  noblesse,  nous  avons 
reconnu  au  doigt  et  à  TœU  que  les  rentes  constituées  à  prix  d'ar- 
gent au  denier  10  ou  12,  qui  ont  eu  cours  principalement  depuis 
quarante  ans  en  ça ,  et  les  intérêts  provenant  tant  des  changes  et 
rechanges  que  des  condamnations  qui  s'ordonnent  par  nos  juges, 
à  Ikute  de  payement  des  dettes,  ont  été  en  partie  cause  de  la  ruine 
de  plusieurs  bonnes  et  anciennes  familles,  pour  avoir  été  accablées 
dMntérêls,  et  soulTert  la  vente  de  tous  leurs  biens  à  personnes  qui 
se  sont  trouvées  insolvables.  Ce  qui  pourroit  à  lu  longue  aussi  bien 
occasionner  quelques  remuements  en  cet  Ëtet  monarchique,  que 
les  usures  et  grandes  dettes  ont  fait  par  le  passé  en  plusieurs  ré- 
publiques. • 

«  Nous  avons  reconnu  que  ces  mêmes  causes  avoient  empcsché 
U  trafic  et  commerce  de  la  marehaniise,  qui  auparavant  aroit  pHui 
de  vogue  en  nostre  royaume  qu'en  aucun  autre  de  l* Europe,  et  fait 
négliger  l'agriculture €t  manufacture;  almans  mieux  plusieurs  de 
nos  sujets,  sous  la  facilité  d'un  gain  à  la  fin  trompeur,  vivre  de 
leurs  rentes  parmi  les  villes ,  qu'employer  lenr  industrie  aux  aris 
libéraux  ou  &  cultiver  et  approprier  leurs  héritages.  > 

c  Pour  à  quoi  remédier  ï  Ta  venir,  et  par  le  retranchement  du 
profit  excessif  desdiles  rentes,  et  iutérêu  réprouvés  des  changes  et 
rechanges,  qui  rendent  ingrate  la  fertilité  des  terres,  convier  nos 
sujets  à  s'enrichir  de  gains  plus  convenables ,  ou  se  contenter  de 
profits  modérés;  même  faciliter  les  moyens  à  notre  dite  noblesse  de 
rétablir  en  leurs  maisons  les  dégftts ,  ruines  et  désordres  qui  leur 
ont  été  causés  par  les  troubles.  > 

«  Nous  avons  dit  et  statué,  statuons  et  ordonnons  qu'en  tous 
lieux,  terres  et  seigneuries  de  notre  royaume,  ne  seront  ci-après 


CO.NSIDÉRilTtOHS  8DR  L^ADHINUTRATION  FINANCIER!.  505 

eonstitnè  renies  à  plus  haut  pris  qu'à  U  ratsoo  da  dernier  mim, 
revenant  à  «û»  éctu  quinte  eoli  pour  cemî  éeue,  par  ckaemt  an  ^  t 

Le  bénéfice  de  la  réduction  était  d'aatant  plus  grand  pour 
BOUS  que  nos  voisins  payaient  Tintérèt  à  un  taux  plus  élevé* 
Les  capitaux  détournés,  égarés  depuis  quarante  ans,  se  por- 
tèrent de  nouveau  sur  l'agriculture,  Tindustrie,  le  commerce» 
dont  les  produits  multipliés  dans  une  immense  proportion» 
enrichirent  le  royaume,  comme  nous  aurons  bientôt  Toccasion 
de  le  constater.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  c'est  de  la  France 
et  du  règne  de  Henri  iV  que  partit  ce  grand  perfectionnement 
de  l'économie  politique  ;  que  tous  les  autres  États  de  l'Eu- 
rope le  reçurent  de  leur  main  et  lui  durent  leur  prospérité  ; 
que  les  plus  habiles  écrivains  parmi  les  Anglais  proposèrent 
depuis  ï'édit  de  1601  conune  un  modèle  &  imiter  chez  eux. 

S  8.  —  Observations  sur  l'administration  financière  de 
Henri  1  y  et  de  Sully,  —  La  France  devient  la  première 
Jouissance  financière  de  l'Europe. 

L'exposition  qui  précède  a  fait  connaître  les  travaux  et  les 
établissements  financiers  de  Henri  IV  et  de  Sully  dans  leurs 
détails.  Nous  avons  maintenant  à  en  juger  l'ensemble  au 
point  de  vue  administratif  et  au  point  de  vue  politique. 

Lorsque,  dans  les  dernières  années  du  xvi*  siècle,  Us  res- 
tèrent maîtres  de  la  situation,  une  grande  révolution,  dont 
l'origine  remontait  à  cinquante  ans,  s'était  accomplie  dans  le 
système  économique  et  financier  du  royaume.  La  taille,  qui 
à  elle  seule  formait  la  moitié  du  produit  de  tous  les  subsides 
réunis,  la  taille,  parreiïetdcs  anoblissements,  des  collusions 
et  des  fraudes,  n'était  plus  payée  par  la  bourgeoisie,  par  la 
portion  du  peuple  la  plus  riche  ;  elle  était  entièrement  sup- 
portée par  le  laboureur  et  l'artisan,  la  classe  du  peuple  la 
plus  pauvre  :  les  sacrifices  étaient  en  raison  inverse  des 
moyens.  Il  résultait  de  là  que  les  dernières  classes  étaient 
écrasées  et  que  l'impôt  était  maigre,  insuffisant,  complète- 
ment au-dessous  des  besoins  publics,  toutes  les  rigueurs  du 
fisc  ne  pouvant  arracher  à  la  misère  du  peuple  ce  qu'il  n'avait 


CoDtiiUraUoBs 

mwIm 
^«bliMcroenU 

Saanefen 

•B  poisl  de  VIM 

•dmiaUlnitir. 


FenUuoD.  1. 1,  p.  783,  784.  •»  Nous  «Toot  cbsoge  rorthocraplie  «t 
ipé  ase  phrMC  d«  redit  po«r  l«  rwtdn  pliu  iaUtlif  ibic. 


506  HISTOIRB  DU  RftONB  DE  HBNRI  IT. 

pas.  Henri  et  Sally  renversèrent  cet  ordre  de  clioses  :  ils 
sujettlrent  de  noaTeau  à  IHmpôt  cens  ^ui  s*en  étalent  affran- 
chis dans  la  bourgeoisie,  dans  le  tiers-état,  n*exceptant  pas 
la  magistrature  elle-même  :  la  taille  et  le  droit  annael  les 
atteignirent  tous.  Limpôt  fut  diminué  pour  le  laboureur  et 
l'artisan  :  il  augmenta  cependant  en  général  d'une  manière 
très  sensible,  et  11  fournit  au  pays  des  ressources  incon- 
nues depuis  François  I*'.  La  concussion  et  la  prodigalité 
avaient  opéré  un  autre  changement  non  moins  profond, 
non  moins  funeste.  Un  petit  nombre  d'hommes,  comp- 
tables infidèles  et  grands  seigneurs  avides,  s'appropriaient 
la  moitié  des  sacrifices  faits  par  tous  pour  subvenir  aux  néces- 
sités de  l'État  :  le  reste  était  follement  ou  honteusement  dis- 
sipé par  une  royauté  insensée,  qui  ne  trouvait  plus  trente 
livres  dans  son  épargne  au  milieu  de  ses  plus  pressants  be- 
soins, et  qui  mettait  les  diamants  de  la  couronne  en  gage, 
quand  elle  voulait  avoir  une  armée  contre  la  révolte.  Henri 
et  Sully  se  constituèretit  les  adversaires  systématiques  du 
désordre,  réprimèrent  le  vol,  réduisirent  dans  d'étroites 
limites  les  dépenses  du  souverain,  appliquèrent  aux  services 
publics  l'argent  du  public  dans  l'intérêt  et  au  profit  de  tous. 
Sur  le  premier  point  comme  sur  le  second  point,  ils  avaient 
pris  précisément  le  contre-pied  de  ce  qui  se  pratiquait  avant 
eux  depuis  un  demi-siècle.  Dans  la  première  réforme,  ils 
avaient  trouvé  pour  adversaire  tout  un  ordre  de  la  nation,  la 
bourgeoisie  ;  dans  la  seconde,  tout  ce  qu'il  y  avait  d'habile 
et  de  puissant,  les  financiers  et  l'aristocratie  ;  dans  les  deux, 
des  habitudes  invétérées,  des  désordres  ayant  pour  eux  la 
prescription  et  passés  à  l'état  de  coutume.  Ce  qu'il  leur  fallut 
de  lumières  et  de  volonté  pour  venir  à  bout  de  leur  entreprise 
est  prodigieux. 

Avant  eux,  les  deux  impositions  principales,  la  taille  et  la 
gabelle,  étaient  constituées  de  la  manière  la  plus  violente  et 
la  plus  injuste  à  l'état  d'impôts  personnels  et  directs,  bien 
qu'il  fût  essentiellement  de  la  nature  de  la  gabelle  d'être  une 
imposition  indirecte.  Elles  frappaient  partout  où  elles  ren- 
contraient une  tête,  atteignant  tous  les  degrés,  toutes  les  mi- 
sères, ne  s'arrêtant  que  devant  la  complète  indigence.  Le 
pauvre  payait  moins  sans  doute,  mais  il  payait  encore,  alors 
qu'il  aurait  dû  être  exempté  de  toute  charge  publique  :  le  roi 


GORSlDiRÀTIORS  SUR  L^ADHimSTRATlOlf  FIHANClfcRB.   607 

ne  perdait  ms  droits  que  là  où  il  n*y  avait  rien.  Le  premier 
des  économistes  et  des  ministres  en  France,  Sally  reconnut 
la  vérité  et  Thamanité  tout  ensemble  des  principes  opposés  ; 
plaida  constamment  en  leur  favear  auprès  du  pouvoir  soave«- 
rain  ;  proclama  leur  excellence  dans  des  actes  solennels  et 
publics,  dont  Téclat  et  la  durée  devaient  tôt  ou  tard  aider  à 
leur  triomphe.  «  Gomme  Sully  parlolt  au  Roy  des  diverses 
»  impositions  qui  se  levoient  sur  son  peuple,  il  lui  remons- 
9  troit  avec  afTection  qu'il  n'y  avolt  |x>int  de  plus  onéreuses 
«  impositions  que  celles  qui  se  levoient  par  cajntation  sur  le 
»  sel,  ni  de  plus  équitables  que  les  réelles  sur  les  denrées  et 
»  marchandises  K  »  C'est  un  mot  profond  et  vrai  qtii  suffit  à 
éuiblir  la  distinction  entre  les  impôts  qui  se  tirent  de  la  per- 
sonne du  citoyen  si  pauvre  qu'il  soit,  uniquement  parce  qu'il 
eiiste,  et  les  impôts  qui  proviennent  des  choses,  et  qui  n'at- 
teignent par  conséquent  que  ceux  qui  ont  tout  à  la  toto  le  be- 
soin et  le  moyen  de  se  procurer  ces  choses  ;  c'est  une  excel- 
lente maxime  qui  révèle  l'incontesuble  supériorité  de  l'impôt 
Indirect  sur  l'impôt  direct.  Sully  parle  avec  amertume  dans 
ses  Mémoires  de  l'exagération  ridicule  avec  laquelle  les  no- 
tables de  Itouen  avaient  estimé  le  produit  du  iol  pour  livre. 
Quant  à  l'impôt  lui-même,  impôt  indirect,  l'un  des  contem- 
porains nous  apprend  que  Sully  en  avait  été  l'inventeur  et 
qu'il  voulait  l'étendre  à  tout  le  royaume  '.  Lorsque  cédant 
aux  répugnances  aveugles  et  routinières  du  peuple  qui  de- 
mandait la  destruction  de  ce  qui  lui  était  avantageux,  le  mi- 
nistre consentit  à  Tabolitlon  du  sol  pour  livre,  il  protesta  dans 
le  préambule  de  Tédit  de  1602  contre  les  erreurs  et  l'entrat- 
nement  de  son  temps,  et  en  appela  à  la  postérité  pour  l'adop- 
tlon  ultérieure  du  principe  salutaire  de  l'impôt  indirect  contre 
l'impôt  direct  et  par  capilation.  11  dicta  au  roi  ces  notables  pa- 
roles :  «  Becognoissant  qu'il  n'y  a  charge  qui  soit  plus  insup- 
»  portable  et  odieuse  à  notre  peuple  que  rimposition  du  sol 
M  pour  livre,  nommée  en  plusieurs  lieux  pancarte,  quoi- 

'  Sully,  c.  fSO.  t.  n,  p.  17  A,  H. 

*  Mar  battit  renneml  J«  Sully  «l  l'homme  le  plui  imbu  de*  pre|u|ës  d« 
aos  temps,  dit  dam  te«  Reiharquet,  tar  let  c.  6*).  19  et  H  (seconde  partie) 
des  OEconomirt  royaUs,  p.  Si  A, 68  A,  éJ.  Michdud  :  ««  Il  voulut  faire  esta* 
m  btir  PimpoMtion  du  sol  |M)ar  livre  partout  le  roytume,  qui  etdla  dee 
»  s^ditioD%  m4><im«  i  Oiléans,  de  sorte  que  le  roy  fut  contralnct  de  U 
»  révoquer,  m  Marheult  ne  «e  doute  pas  qu'en  portant,  comme  il  le  erolt, 
eoUe  accuMlion  contre  SaUy,  U  fait  son  plus  grand  éloge. 


dl8  HISTOIRE  DD  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

i  qu'elle  eût  esté  estimée  de  tous  les  subsides  le  plus  juste 

*  t^  ie  plus  équitable  ;  et  qtie  par  Paasemblëe  des  trois  ordres 
»  ètmoBtn  royaume  tenue  A  Rouen,  elle  nous  ail  esté  acoor- 
»  dée,  nèantmoins  désirant  oomme  un  bon  roy  et  un  bon  père, 
•^ insi accommoder  hu  désir  général  de  nos  peuples..,^noias 
y»  nous  sommes  à  ceste  fois  résolus  d*estaiiidre  et  abolir  oeste 
»  imposition  du  sol  pour  livre  K  » 

Henri  et  Sully  conforfenèrent  tous  leurs  actes  à  ces  sages 
principes.  Ainsi  Ils  remplacèrent  en  grande  partie  Timpôt  in- 
direct de  la  pancarte  par  un  autre  impôt  indirect,  Taugmen- 
talion  des  droits  d^entrëê  sur  les  marchandises  et  surtout  sur 
les  vins  \  Les  subsides  Nouveaux  qu'ils  établirent  furent  tous 
des  subsides  indirects.  Se  trouvant  bors  d'état  de  réformer 
entièrement  la  taille  et  la  gabelle  avant  Tannée  i6ii!i,  en  at- 
tendant cet  avenir  qifi  ne  leur  fut  pas  donné,  ils  apportèrent 
A  ces  deux  impôts  de  profondes  améliorations ,  par  la  nou- 
velle assiette  et  la  diminution  progressive  de  la  taille ,  par  la 
forme  nouvelle  donnée  à  la  gabelle.  Me  pouvant  encore  rendre 
cet  impôt  proportionnel  aux  individus,  ils  le  rendirent  au 
moins  proportionnel  aux  localités.  Voici  quelles  instructions 
ils  donnaient  en  1607  :  «  Nous  avons  ordonné  de  n'augmenter 
»  point  rimpost  du  sel  par  généralitez  ;  mais,  le  laissant  à  la 
»  mesme  quantité,  le  distribuer  après  au  sol  la  livre,  par 

•  greniers  et  par  paroisses,  selon  les  moyens  et  facultez  de 
»  chascune  d'elles  K  » 

Ils  montrèrent  un  esprit  aussi  dégagé  de  préjugés,  aussi 
supérieur  à  leur  temps,  en  réglant  les  conditions  du  prêt  et 
les  transactions  des  particuliers  entre  eux,  qu'en  réglant  les 
rapports  des  contribuables  avec  le  gouvernement.  L'abaisse- 
ment de  l'intérêt  orduMé  par  eux  fit  autant  pour  le  patri- 
moine des  famffes ,  pour  la  fortune  et  la  prospérité  publi- 
ques ,  que  leUrs  réformes  avaient  fait  pour  les  finances  de 
l'État  <. 

Henri  IV  ei  Sully  ont  donc  étét  en  matière  de  finances  et 
d'impôts,  les  t^lus  grands  novateurs,  les  plus  grands  i-évolu- 

'  Prëambulc  dA  l*édU  de  160t,  anc.  lois  fr.,  t.  xv,  p.  t76,  9X1, 

•  IbUi, 

"  SuUj.  OEcon.  h>y.,  c  166.  t.  u,  p.  178  B. 

*  Edit  du  moU  àk  juUlet  1601  qui  défend  d«  cooatilner  l«i  rcnlei  (inlé- 
rét  de  rergent)  à  plut  beat  prii  que  le  deoier  Mise  (0  pour  cent)  dans 
FoB(aoeo,  1. 1,  p.  TBS, 


CONSIDinATIOllS  5VR  LUDlfllfltrtÀTIOlf  niTAlfClfcRE.  509 

tionnaires  que  Ton  tnmfÊÊÊÊ^  toote  notre  ancienne  histoire. 
H  fisiat  ajouter  que^MMff  des  koaMOes,  même  ëminents,  s'é- 
loignèrent de  leurs  idéess  ces  hommes  échouèrent  Oimptëtc* 
ment  dans  leurs  ttntatiTes  de  ilMuiu.  Il  en  fut  ainsi  pour 
la  gabelle  :  HeniierStalfy  voulaient  faire  du  sel  une  marchan- 
dise, au  lieu  d*un  imp6t  :  ils  avaient  Gxë  Tëpoque  de  ce  chan- 
gement à  Tannée  i6ih ,  à  la  fin  de  la  lutte  contre  la 'maison 
d'Autriche  ;  la  mort  et  la  perte  du  pouvoir  empêchèrent  seules 
Texécution  de  ce  projet.  Louis  XIY  et  Coibert  tentèrent  de 
remédier  aux  criants  «bus  de  la  gabelle,  mais  en  partant  du 
principe  que  le  sel  devait  être  maintenu  A  Pétat  d'imp6t ,  et 
non  converti  en  marchandise  K  Ils  n'opérèrent  qu'une  ré- 
forme insuffisante  et  momentanée.  La  gabelle  reprit  bientôt 
toute  son  inique  âpreté,  tontes  ses  violences  :  elle  porta  pro- 
gressivement le  sel  jusqu'à  quatone  sous  la  livre,  et  con- 
traignit l'homme  du  peuple  k  le  prendre  bon  gré  mal  gré  à  ce 
prix  ;  elle  resta  le  fléau,  le  supplice  des  classes  pauvres  jus- 
qu'à la  révolution  de  1789,  laquelle  n'opéra  leur  délivrance 
qu'en  mettant  en  pratique  les  idées  de  Henri  et  de  son  mi- 
nistre. 

Nous  connaissons  mataitenant  ce  qu'ils  ont  fait  et  ce  qu'ils 
ont  projeté  pour  la  nation  en  général,  pour  le  peuple  en  par- 
ticulier ;  tout  ce  qu'il  y  eut  de  sagesse  profonde,  de  lumières 
et  d'humanité  dans  leurs  établissements  financiers  considérés 
par  le  c6té  admlnistratit  Nous  n'avons  pas  oublié  en  parti- 
culier que  la  gabelle  infiniment  mieux  répartie,  devint  de 
plus  proportionnelle  ;  que  la  taille  fut  réduite  de  6  millions 
sur  le  chilTre  de  1597,  c'est-à-dire  de  près  du  tkrs;  qu'enfin 
le  toUl  des  impôts  descendit  de  30  millions  à  2fi  milUona. 
De  récents  historiens  disent: 

«  Sully  ne  songeait  pas  à  soulager  les  contribuables  en  modifiant 
les  impositions  les  plus  oppressives,  la  gabelle,  la  taille,  la  corvée. 
Lorsque  nous  passons  en  revue  toutes  Jet  ordonoanees  rendues 
sous  son  mintslère,  nous  n*cn  trouvons  qu'une  qui  poisse  être  con- 
sidérée comme  un  soulageoMnt  du  peuple  ;  c*est  eelle  de  mars 
1600,  par  le  premier  article  de  laquelle  il  fiiisait  reaise  aux  con- 
tribuables du  reste  des  lalUes  de  rannée  1596  et  années  antê- 
rieures  '.  • 

*  Forbonaait,  RechcrchM  cl  eoMU^.,  t.  I.  p.  SOS,  510. 
■  M.  de  Sttmomll,  u  xm,  p.  %9, 


510  HISTOIRE  DC  RÈOHI  DS  HllIRI  IT. 

D^aatres  ajoutent  : 

c  Le  système  de  Sully  n'inventa  rien  de  vaste  :  il  fut  loudeai 
des  petites  ressources.  11  eut  peu  de  conception,  car  augmenter 
rimpôt  pour  agrandir  les  recettes»  c'est  Tidée  la  plus  commune, 
Tenfance  de  Tart  dans  les  combinaisons  Gnancières  ^  > 

Ge8  assertions  sont  une  suite  d'erreurs  qu'il  faut  Joindre  à 
toutes  les  erreurs  sur  ce  règne  que  nous  avons  déjà  relevées. 
L^hisloire  n'a  été  longtemps  que  le  panégyrique  des  rois  et  de 
leurs  ministres  :  depuis  vingt  ans,  elle  n'en  est  qoe  la  satire  : 
U  est  temps  qu'elle  redevienne  une  appréciation  éclairée  et 
nne  justice. 

Contidi<raUoDi       L'administratlon  flnancière  de  Henri  et  de  Sully  n^est  pas 

hv^  '^'        moins  admirable  par  le  côté  politique  que  par  le  côté  écono- 

'finàDcîrn'*     mlque.  lis  se  rendirent  un  compte  exact  de  la  forme  la  plut 

au  po|nf  d«  to«  générale  de  gouvernement  que  la  plupart  des  États  de  l'Eu- 
rope ,  et  la  France  en  particulier,  avaient  adoptée  de  préfé- 
rence, et  ils  constatèrent  que  la  concentration  et  l'unité  mo- 
narchique avaient  définitivement  remplacé  le  morcellement 
féodaL  Us  reconnurent  également  que  le  mode  de  la  guerre 
étant  complètement  changé,  la  force  militaire  d'un  État  con- 
sistait désormais  dans  la  solde  plus  ou  moins  assurée ,  plus 
ou  moins  prolongée  de  troupes  nationales  et  aguerries,  dans 
les  développements  donnés  à  l'artillerie  et  au  génie  militaire, 
deux  armes  Infiniment  dispendieuses.  Ils  arrivèrent  dès  lors 
à  la  grande  idée  que  l'argent  concentré  entre  les  mains  d'un 
gouvernement  éclairé  et  d'une  administration  intègre,  était 
le  plus  puissant  moyen  que  possédât  une  nation  de  développer 
sa  prospérité  intérieure ,  de  fouder  au  dehors  sa  grandeur  et 
sa  prépondérance.  C'est  le  principe  du  système  d*économie 
politique  moderne  opposé  au  système  du  moyen  âge.  Henri  IV 
et  Sully  l'adoptèrent  en  grand,  ils  mirent  à  la  disposition  de 
la  royauté ,  du  pouvoir  central  »  les  fonds  nécessaires  pour 
couvrir  largement  les  déi>enses  ordinaires  et  extiaordinaircs, 
f  ondant  ce  nouvel  état  de  choses  sur  deux  mesures  décisives  : 
Taccroissement  du  revenu  public,  la  diminution  de  la  dette. 
Au  commencement  de  1697,  sur  un  revenu  de  23  millions, 
les  charges,  dont  l'intérêt  de  la  dette  formait  la  plus  grande 

■  Hist.  ÔÊ  la  Rcfbi-n*,  4«  la  Ligna,  eu  règne  da  BesrI  IV,  t.  vm,  p.  Itt. 


CONSIDÉRÀTIOIIS  SUR  L*ADIfIN]8TRATI0JI  FIllANCliRE.   5il 

partie,  emportaient  16  millions,  oo  les  deux  tiers  du  revenu. 
De  1598  k  160Â ,  après  les  réformes  dans  l^administration 
des  finances,  mais  avant  le  remboursement  de  la  dette,  le 
revenu  fut  porté  à  près  de  30  millions ,  et  les  charges  nVn 
absorbèrent  plus  que  la  moitié.  Au  commencement  de  1610, 
après  racquittcment  de  plus  de  la  moitié  de  la  dette  et  le  ra- 
chat  du  domaine,  sur  nn  budget  des  recettes  de  26  millions, 
les  charges  ne  prirent  plus  que  6  millions,  ou  m<rfns  du  quart 
du  reveniL  De  1598  à  16 tO*  la  totalité  des  revenus  publics 
variant  entre  30  et  26  millions,  10  millions  s*ëtaient  détournés 
de  Tacquittement  Improductif  des  charges,  et  avaient  été  ap- 
pliqués  à  tous  les  services  publics,  aux  arts  de  la  paix  pour 
les  féconder,  aox  arts  de  la  guerre  pour  mettre  le  royaume 
sur  on  pied  formidable  de  défense  et  même  d*attaque.  Cette 
prospérité  financière  de  la  France  fut  complétée  par  une  ré- 
serve ou  économie  de  /j3  millions  du  temps ,  environ  155 
millions  d*anjourd*hui  en  argent  comptant,  que  ménagèrent 
Henri  IV  et  Sully.  Cet  amas  de  numéraire ,  cette  formation 
d*une  sorte  de  trésor  ont  été  blâmés  par  quelques  écono- 
mistes. Les  objections  dont  ils  ont  été  Pohjet  nous  semblent 
tomber  tontes  devant  les  deux  considérations  suivantes: 
1*  Une  partie  de  cet  argent,  an  lieu  de  demeurer  inerte,  était 
prêtée  comme  avance  par  Sully  au  trésorier  de  Tépargne,  et 
employée  par  ce  dernier  à  son  service  courant  ;  selon  toute 
apparence ,  elle  portait  intérêt  :  une  autre  partie  se  compo- 
sait de  créances  exigibles,  restait.  Jusqu'au  moment  où  il  y 
aurait  nécessité  d*y  faire  appel,  entre  les  mains  des  débiteurs 
et  servait  à  leui*s  usages  ;  2*  le  reste  de  la  réserve  devait  être 
appliqué  aux  dépenses  de  la  guerre  qne  Ton  allait  commencer 
contre  les  deux  branches  de  la  maison  d'Autriche  :  si  le  gou- 
vernement n'avait  pas  eu  la  libre  disposition  de  cet  argent, 
il  aurait  été  contraint  de  contracter  un  emprunt.  C'est  ce  que 
prouvent  les  états  fournis  par  Sully,  et  dont  nous  avons  donné 
le  texte  plus  haut  ^ 

Par  les  mesures  combinées  qu'adoptèrent  Henri  1 V  et  Sully, 
ils  firent  de  la  France  une  puissance  infiniment  supérieure  à 
l'Espagne,  à  l'Allemagne,  à  l'Angleterre  ;  ils  en  firent  la  pre- 
mière puissance  financière  de  l'Europe.  En  lui  donnant  celle 


Toêr  cl  dMMt  la  dtallMi  an  mIm  4m  pagM  400,  BOO. 


512  HISTOIRE  DD  BÈGIIB  DE  HENRI  IV. 

force,  que  les  souverains  étrangers  reconnurent  bien  vite,  Is 
la  rendirent  à  la  fin  de  ce  règne  l'arbitre  pacifique  de  TEurope 
dans  les  démêlés  de  TEspagne  et  de  la  Hollande,  des  Vénitiens 
et  du  pape.  Dans  les  questions  de  politique  générale  et  de  su- 
prématie, qui  ne  pouvaient  se  résoudre  que  par  la  guerre,  ils 
lai  fournirent  les  moyens  d'intervenir  avec  une  armée  de 
109,000  hommes,  qu'aucune  puissance  en  Europe  n'était  en 
état  ni  de  lever,  ni  d'entretenir  ;  de  décider  irrésistiblement 
ces  questions  à  ^n  avantage  ;  de  prendre  dès  l'abord  et  sans 
obstacle  sérieux  le  rang  que  Richelieu  et  Louis  XIV  ne  lui  as- 
signèrent que  bien  plus  tard  et  avec  tant  d'elTorts. 

Mais  au-dessus  des  prodigieux  résultats  obtenus  par  Hen- 
ri IV  et  par  Sully,  au-dessus  de  leurs  réformes  et  de  leurs  éta- 
blissements en  matière  d'économie  politique  et  de  finances, 
il  faut  placer  leur  respect  pour  le  droit  imprescriptible  des 
peuples  à  voter  l'impOt,  à  consentir  les  sacrifices  qu'ib  s'im- 
posent uniquement  dans  l'intérêt  de  la  chose  publique,  et 
qui  cessent  d'être  légitimes  dès  qu'ils  dépassent  les  besoins  de 
l'État.  Ce  droit  éteint,  l'impôt  levé  sur  les  sueurs  et  sur  les 
privations  des  niasses ,  ne  sert  plus  qu'à  satisfaire  l'ambition 
et  les  plaisirs  d'un  homme  et  à  payer  l'esclavage  de  la  nation. 
Henri  interrogea  Sully,  à  diverses  reprises ,  sur  l'origine  et 
l'histoire  des  subsides,  sur  ses  propres  droits  et  sur  ceux  de 
la  France  ,  et  Sully,  continuant  la  tradition  des  antiques  li- 
bertés ,  et  reproduisant  les  énergiques  protestations  de  Go- 
mines,  répondit  avec  une  franchise  et  une  netteté  qui  laissent 
plus  de  place  à  l'admiration  qu'à  l'étonncment. 

•  Par  le  premier  de  ces  estais,  Sully  représentoit  au  roi  comme 
il  se  levoit  maintenant  dans  son  royaume  des  sommes  de  deniers, 
sur  ses  peuples,  par  forme  de  tailles,  beaucoup  plus  grandes  qu'il 
ne  se  faisoit  premièrement  sous  le  règne  de  plusieurs  roys,  lesquels 
n'avoient  laissé  pour  cela  de  bien  satisfaire  à  leurs  despenses  ordi- 
naires, et  aux  cUraordlnaires ,  par  les  assistance»  volontaires  et 
résolutions  générales  des  trois  Estats  du  royaume.  Ces  despenses 
ne  consistoient  Ion  qu'en  la  seule  défense  et  tuilion  de  leur  Estât.  • 

•  Esloit  encore  une  chose  plus  digne  de  considération  de  dire 
que  plus  les  roys  ont  levé  de  lai  Mes  sur  leurs  sujets,  plus  se  sont- 
ils  veus  constitués  en  des  despenses  excessives,  et  en  sont  devenus 
plus  pauvres  et  nécessiteux,  estant  une  maxime  tenue  pour  infail- 
lilile  par  les  plus  sages  que  plus  les  potentats  s'arrogent  d'authorilé. 


GO1I8IDÉRAT10N8  SUR  L'ADMIHISTRATIOII  FINANCIÈRE.     513 

et  enCreprenneat  de  &lre  des  letéet  torUonnaires  tar  leurs  sojels, 
plus  ont-ils  les  désirs  dérègles,  et  par  ooDaéquent  s^eogasent  à  des 
despenies  plus  exceisiTes  à  la  mine  des  peuples.  Et  est  chose  cer- 
taine que  ies  letées  ordinaires  par  forme  de  tailles  et  cottisatloos 
personnelles,  qui  sont  les  plus  iniques  de  toutes,  n*aToient  com- 
mencé que  sous  Charles  VII  '.  » 

t  François  !•'  augmenta  les  tailles  jusques  à  15  millions  780,000 
livres;  mais  qui  pis  fut  encore,  il  laissa  en  instruction  et  en  prao- 
tiqne  à  ses  suocemeurs  de  ne  requérir  plu$  le  eon$eHtement  des 
peupiei,  aim  de  Us  ordonner  de  pleine  puissance  et  authorité 
royale^  sans  alléguer  autre  cause  ny  raison  que  celle  de  :  •  Tel  est 
•  nostre  bon  plaisir  '•  > 

«  Sire,  disait  Sully  dans  une  antre  occasion,  les  histoires  et  nostre 
propre  expérience  nous  apprennent  qu'il  n'y  enst  jamab  fonne  de 
gOQfemement,  soit  dans  un  Estât  d*un  seul,  de  plusieurs,  de  la 
commune,  on  pesle-mesle  des  trois»  auquel  ne  soit  leté  quelques 
deniers  sur  les  subjects  d*iceluj,  et  surtout  lorsqu'il  estoit  question 
d*accrolstre  la  domination  de  l*Estat,  de  le  deflSndre  de  toute  In- 
Tasion,  ou  de  Tenger  une  oflfenoe  reoeOe.  > 

«  Mais  ces  levées  de  deniers,  pour  produire  bien,  et  jamais  mal, 
ne  se  Ihisoient  que  par  le  commun  consentement  des  peupUs  pU 
ies  pcjfoîent^  et  peu  souvent  les  souverains  en  ont-ils  voulu  user 
autrement ,  qii*ils  n*ayent  suscité  des  plainctes  et  des  esniotloiis, 
les  quelles  ont  mis  bien  souvent  leur  autorité  en  compromis.  De 
qnoy  il  se  trouve  tant  d'exemples  dans  les  histoires  anciennes  et 
modernes  que  l*on  en  pourroit  (hire  un  gros  volume»  Mab  je  me 
redulray  à  ceux  de  France  et  encore  des  principaux.. •  Du  lempa 
de  Louis-Hutin  s'cstoit  fait  une  notable  assemblée  où  estoit  présent 
Philippe  de  Valois,  en  laquelle  il  fut  conclu  que  les  roys  ne  levé- 
roient  nuis  deniers  extraordinaires  sur  les  peuples  sans  Voctrojf 
et  gré  des  trois  E$tatSj  et  qu*ils  en  prcsterotent  le  serment  à  leur 
sacre...  Sous  Charles  VI,  à  cause  qu'il  ftit  troublé  de  sens,  et  que 
de  grandes  confusions  furent  suscitées  par  les  princes ,  tons  or- 
dres, aussi  bien  que  tontes  bonnes  moeurs,  lurent  pervertis,  et  s'itt« 
traduisit  lors  la  cottitation  des  tailles  par  teste^  sans  assemblée  njf 
consentement  d^ Estais.  Charles  VII,  à  cause  des  grandes  alCdres 
qo*iI  eust  pour  chasser  les  Anglois  de  France ,  trouva  molen  <te 
réduire  en  ordinaire  cette  levée  par  fonne  de  tailles^  qu'aucunes 
provinces  établirent  par  forme  de  capiiation,  et  les  autres  de 
réalité  sur  les  héritages,  et  autres  mistement  *•  > 

*  Sully,  OEcon.  r«y.,  c.  l!»7,  t  il,  p.  406  A. 

*  Sitllj,  OiCcoD.  riiy.,  c.  167,  L  u,  p.  105  B. 

*  Sully,  OEcoo.  roy..  c.  186,  L  U,  p.  tB5,  «i. 

33 


bià  HISTOIRB  DO  RiGlIK  DB  BBHRI  IV. 

Ainsi,  SoIIyet  Henri  IV  tenaienlqa'en  matière  de  finances  et 
d1mp6t,  ce  qui  était  ancien  en  France,  c^était  la  lilwrté  ;  que 
ce  qai  était  récent  et  d'iiîer  c^était  le  pouvoir  absolu  ;  que  le 
consentement  de  la  nation  était  Indispensable  pour  la  levée 
des  impôts  ;  que  les  subsides  extorqués  d'autorité  au  peuple 
provoquaient  les  révoltes.  Ces  maximes  réglèrent  toute  leur 
conduite.  G*est  d'après  Tavis  des  Notables  réunis  à  Rouen 
qu'ils  mirent  à  la  taille  ceux  qui  s'en  étaient  exemptés.  lia 
n'exigèrent  les  anciens  impôts,  ils  ne  perçurent  l'impôt  nou- 
veau du  sol  pour  livre  pendant  six  ans  ;  ils  ne  remplacèrent,' 
sur  la  demande  du  peuple,  ce  subside  par  des  équivalents, 
que  conformément  au  vote  des  notables  de  Rouen.  La  légiti- 
mité de  la  perception  du  sol  pour  livre,  la  légitimité  du  ren»- 
placement,  sont  établies  avec  soin  par  Benri  dans  k  préan»- 
bule  de  l'édit  de  1602  :  «  Geste  imposition,  dit-il,  nonsavoit 
9  été  accordée  par  l'assemMée  des  trois  ordres  de  notre 
»  royaume  tenue  à  Rouen,  pour  subvenir  aux  grandes  de»* 
»  penses  à  quoy  nous  estions  astreints  pour  la  conservation 
»  de  nostre  Estât*.  »  Les  notables  avaient  fixé  à  30  millions, 
charges  comprises,  tout  ce  que  la  couronne  avait  le  droit  de 
lever  sur  la  nation.  Même  en  y  comprenant  les  produits  du 
péage  de  Vienne^  de  la  nouvelle  imposition  d'Anjou,  du  droit 
de  franc-fief,  du  droit  annuel,  redevances  qu'il  maintint,  fit 
revivre,  on  transforma,  mais  qu'il  n'établit  pas,  Henri  n'ex* 
céda  jamais  le  chifiTre  légal  de  âO  millions  :  dans  ks  dernières 
année»  de  tum  règne ,  comme  nous  l'avons  vu,  il  se  bâta  de 
rabaisser  à  26  millions,  dès  que  la  sûreté  et  le  bien  de  l'État 
le  permirent.  U  accomplissait  de  lui<>même  tout  ce  que  le 
peuple  aurait  pu  demander. 

•  édll  â9  160f ,  daoi  Im  «ne.  lois  Franc,,  t.  XV,  p.  tW. 


nu  DU  GflAPITRB  Ht  0tJ  LIVRE  VI  ET  OU  TOlTE  I. 


^•CIJHBlVVft   HI«V*RI91JBS< 


L 

Déclaration  du  roy  Henri  IV,  et  det  seignmrs  aeeemblét  au 
camp  de  5affU-Clotid,  du  4  août  15891. 


Cctlc  dëclarBlion  m  tfo«T«  éêm  Ut  MéaÊotrm  «t 
du  PUuU  Morsaj,  tonaiT,  pafM  3ël-3S4i  édilioa  d«  IMii'daM  U  !•- 
ai«il  des  ancIcnnM  lob  françviMf,  |Mr  Bl.  lMmb«rl,  tome  XT,  !!•(«■  3-5. 

Mous  Beorf  y  par  U  f  rAce  de  Dien,  roy  d«  France  el  do  Navarre, 
promettons  et  jurons,  en  foi  et  parole  de  roj,  par  ces  présentes 
signées  de  nostre  main,  à  tous  nos  bons  et  fidèles  subjects,  de 
maintenir  et  conserver  en  nostre  royaume  la  relliyion  catholique, 
apostolique  et  romaine  en  son  entier,  sans  y  innover  ni  changer 
aulcune  chose,  soit  en  la  police  et  exercice  d'iceUe,  ou  aux  per- 
sonnes el  biens  ecclésiastiques,  provision  et  économie  d'iceulx  à 
personnes  capables  et  catholiques,  selon  qu'il  a  esté  ci-devant 
accousturaé  ;  et  que^  suivant  la  déclaration  patenle*  par  noua 
faicte  avant  nostre  advénement  à  cesie  couronne,  nous  soramei 
tout  prest,  et  ne  désirons  rien  d'advantage  que  d'estre  instruiet 
par  ung  bon,  légitime  et  libre  concile  général  ou  national,  pour 
en  suivre  et  observer  ce  qui  sera  conclu  et  arresté,  qu*à  ces  fine 
nous  ferons  convoquer  et  assembler  dans  six  mois,  ou  plus  toal 
s'il  est  possible. 

Cependant,  qu*il  ne  se  fsra  aulcung  exercice  d^auttre  reUigif 
que  de  la  dicte  catholique,  apeatoliqae  et  romaine,  que  es  viUee 
et  lieux  de  nostre  diet  royaume  où  elle  se  faiet  à  pfîftsent,  suivaal 
les  articles  accordés  au  mois  d'avril  dernier,  entre  le  fni  ni 
Henri  III  de  bonne  mémoire,  nostre  très  honoré  frère  et  seignev 
et  nous,  jusques  à  ce  qu'aultrement  en  ait  été  advisé  el  arrealé 
par  une  paix  générale  en  neatre  dict  royaume,  ou  par  lea  Eslata 
généraux  d'icelui,  qui  seront  par  nous  convoqués  et  assemblée 
dans  le  dict  temps  de  six  aw>ia. 

Nous  promettons  en  oullre  que  les  villes,  places  et  fsrteressee 
qui  seront  prises  sur  nos  rebelles  et  reduictes  par  force  ou  aultre- 
ment  en  neatre  obéissanee,  seront  par  nous  commises  au  gower^ 
nement,  et  charges  de  nos  bons  subjects  catholiques  et  non 
d'aultres,  sauf  et  réservé  celles  qui,  par  lesdits  articles,  ffsurenl 
réservées  par  le  dkt  feu  roy  à  ceux  de  la  relligion  réfsrmée  en 

'  5oas  D'aiipoitoDS  d'aotrc  cban|emenl  k  celle  pièce  qae  la  puact 
lloB  :   iMws  preooaa  le  teitc  dana  les  Mémoires  et  correepoadance 
dm  Pl«mie«  <-*  Celle  pèèco  se  repporte  «aNf .  i,  db.  i,  pi>  ta^M de  Town 


516  HISTOiaE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

chacuDg  balliage  etseneschaulsée,  aulx  conditlont  y  conteneues. 
Nous  promettons  aussi  qu'à  tous  offices  et  gouvernements  venans 
à  vaquer  ailleurs  que  dans  les  villes  et  places  qui  sont  au  pouvoir 
de  ceulx  de  la  dicte  relligion  réformée,  il  sera  par  nous,  durant  le 
mesme  temps  de  six  mois,  pourveu  de  personnes  catholiques, 
suffisantes  et  capables,  qui  nous  soient  fidèles  subjects. 

D'advantage  noUH^  promettons  de  conserver,  garder  et  main- 
tenir les  princes,  ducs,  pairs,  officiers  de  la  couronne,  seigneurs, 
gentilshommes  et  tous  aulUres  nos  bons  subjects  indifféremment, 
en  leurs  biens,  charges,  dignités,  estats  et  devoirs  accoustumés  ; 
spécialement  de  recognoistre  de  tout  ce  que  nous  pourrons  les 
bons  et  fidèles  serviteurs  dudict  feu  seigneur  roy. 

Finalement  d'exposer,  si  besoing  est,  nostre  vie  et  moyens, 
avec  l'assistance  de  nos  dicts  bons  subjects,  pour  faire  justice 
exemplairo  de  l'énorme  meurtre,  meschanceté,  félonnie  et  de- 
loyauté  commise  en  la  personne  dudict  feu  seigneur  roy. 

Signé  :  Henry  ;  et  plus  bas.  Rusé. 

Faict  au  camp  de  Sainct-Gloud,  le  4*  jour  d'Àoust  1589. 

Nous  princes  du  sang  et  aultres,  ducs,  pairs,  officiers  de  la 
couronne  de  France,  seigneurs,  gentilshommes  et  aultres  soub- 
signés,  attendant  une  assemblée  des  princes,  ducs,  pairs  de 
France,  officiers  de. la  couronne,  et  aultres  seigneurs  quiestoient 
fidèles  serviteurs  et  subjects  du  roy  deffunct  Henry,  troisiesme 
roy  de  ce  nom,  que  Dieu  absolve,  lors  de  son  décès,  recognois- 
sons  pour  nostro  roy  et  prince  naturel,  selon  la  loi  fondamentale 
de  ce  royaume f  Henri  IV,  roi  de  France  et  de  Navarre,  et  lui 
promettons  tout  service  et  obéissance,  sur  le  serment  et  la  pro- 
messe qu'il  nous  a  faicte,  ci-dessus  escrite,  et  aux  conditions  que 
dans  deux  mois  Sa  Majesté  fera  interpeller  et  assembler  les  dicts 
princes,  ducs,  pairs  et  officiers  de  la  couronne,  et  aultres  sei- 
gneurs qui  estoient  fidèles  serviteurs  dudict  deffunct  roy,  lors  de 
son  décès,  pour  tous  ensemble  prendro  plus  ample  délibération  et 
résolution  sur  les  affaires  de  ce  royaume,  attendant  les  décisions 
des  Conciles  et  Estats  généraulx,  ainsi  qu'il  est  porté  par  la  dicte 
promesse  de  Sa  Majesté,  laquelle  aura  aussi  agréable,  comme 
nous  l'en  supplions  très  humblement,  que  de  nostre  part  soit 
délégué  quelque  notable  personnage  vers  nostre  Sainct-Pèro  le 
Pape,  pour  lui  présenter  particulièrement  les  raisons  qui  nous 
ont  meus  de  faire  cette  promesse,  et  sur  ce  impetror  de  lui  ce 
que  nous  cognoiiirons  nécessaire  tant  pour  le  bien  de  la  chres- 
tienté,  utilité  et  service  de  Sa  Majesté,  que  ccnser%>ation  de  eest 
Estât  et  couronne  en  son  entier. 

Nous  supplions  aussi  très  humblement  Sa  Migesté,  suivant  ce 
qu'il  nous  a  volontairement  offert  et  promis,  comme  chef  de  la 
justice  et  père  commun  de  tous  ses  subjects,  intéressé  en  leurs 
dommages,  de  fiûre  justice  exemplaire  de  l'énorme  meschanceté» 


DOCUMENTS  HISTORIQUBS.  6 17 

félonnie,  desloyauté  et  assassinat  commis  en  la  personne  du  feu 
roy  Henry,  nostre  bon  roy  dernier,  décédé,  que  Dieu  absolve  ; 
pramettont  à  sa  dkte  Majesté  toute  Vassistance  et  le  très  humble 
service  qu*U  nous  sera  possible,  de  nos  vies  et  de  nos  moyeni , 
pour  ce  faire^  et  pour  chasser  et  exterminer  les  r^fMes  et  ennemis 
qui  veuUent  usurper  cet  Estât. 

Faict  au  camp  de  Sainct-Gloud,  le  4*  jq|ir  d'Aoust  1589. 

Signé:  François  de  Bourbon,  François  de  Bourbon,  Henry 
d'Orléans,  François  de  Luxembourg,  Louis  de  Rohan,  Biron, 
d'Aumont,  DinleTille,  Dangennes,  Chaleauvieux,  Clermont,  Manou, 
François  Du  Plessis,  Charles  Martel,  François  Martel,  De  Renty, 
La  Curée,  vicomte  d'Auchy,  et  infinis  autres  seigneurs  et  gentils- 
hommes ^ 

IL 

Betevé  des  noms  des  princes  du  sang,  des  principaux  seigneurs, 
des  geniilS'hommes,  des  capitaines  de  compagnies,  des  chefs 
de  corps  étrangers,  qui  suivirent  Henri  IV  dans  sa  première 
campagne,  et  qui  prirent  part,  avec  lui,  aux  divers  combats 
livrés  aux  environs  de  Dieppe  et d* Arques,  dui}^  au  27  sep- 
tembre 1 589. 

CeUe  Ucle  ett  ilr«née  d'après  let  Mémoires  el  telatioos  du  temps.  Ce  sont 
les  Mémoires  du  duc  d*Ancoulême,  aciear  dans  ces  e'rëneroenU,  lesquels 
soat  imprimés  dans  la  collecUoo  des  Mémoires  rcUtirs  à  l'Histoire  de 
France  de  BIM.  Micbaud  et  Poujoalal,  l>«  sirrie,  tome  XI,  pages  76-99.  — 
Le  discours  au  vrai,  de  ce  qui  s^est  passé  en  i'urmée  conduite  par  sa  Ma- 
lesté,  depuis  son  aTéncment  à  la  coaronoe  fusqu'à  la  prise  des  fauxbourgs 
de  Paris,  dans  les  Mémoires  et  correspondance  de  Duplessis-Momaj, 
odilion  de  lVt4,  tome  V,  pages  6-S7.  —  2iullj,  OEconomies  royales,  cha- 
pitre S8,  lome  I,  page  7t Mémoires  de  La  Force,  tome  I,  pages  86-94. 

—  De  Thou,  Histoire,  livre  97.—  D*Anhigné,  Histoire  iiatTerseUe,toneIll, 
liTrc  111,  chapitre  t.  pages  9l9-i9S,  édition  de  1690. 

Princes  du  sang  et  principaux  seigneurs. 

Le  prince  de  Conti,  prince  du  sang. 

Le  duc  de  Montpensier,  prince  du  sang. 

Le  maréchal  de  Biron,  chargé  du  commandement  de  Tannée. 

D'Aligre,  d'Aubosse.  —  De  Bacqueville  (Charles-Martel),  de 
Beaupré,  de  Beauvais-La-Nocle,  de  Bellegarde,  de  Bouveron,  de 
Brigneux,  maître  de  camp.  —  De  Canisy,  de  Chartres  ( Vidame), 
de  Châlillon  (François  Coligny),  colonel  de  Tinfanterie  française, 
de  Châleauvieux,  Clermont -d*Amboise,  de  Crévecœur.  —  De 
Damville  (Charles  de  Montmorency),  colonel-général  des  Suisses. 

—  D'Espave.  —  De  Guitry,  maréchal  de  camp.  —  De  La  Force, 

'  Les  deux  premiers  signataires  de  la  Déclaration  sont  François  de 
Bnarbon.  prince  de  (>>nli,  et  François  de  Bourbon,  dnc  de  Montpensier, 
tons  dcB&  princes  dn  sang  ;  le  troisième  est  le  dnc  de  LongaeviUe,  comme 
le  témoigne  de  Thon,  an  Urre  97  de  son  histoire,  ce  qni  est  confirme  |Hir 
d'AngonlémCtdans  ses  Mémoires,  t.  xi,  p.  60  A,  70  A.  D*Angouléme  a|onte 
à  cruK  qui  renouTelèrent  le  serment  de  fidélité  an  roi  et  très  prohahlemcnt 
signèrent  U  déclar<ition  :  de  Seocy,  de  Bellegarde,  Chemeranlt. 


6i8  HisToms  DU  Btens  db  hbhri  it. 

(laequei  de  Gaumont),  de  La  Garde,  mattre  de  camp,  de  Larehaiil 
(de  Grinovilte),  le  jeune,  de  ^  Rochefoncault,  de  La  Rodiejae- 
quelin,  de  Lor^  (de  Montgommery).  —  De  Maiotenon,  de  Mèru 
(Montmorency),  de  Malligny,  de  Monglat,  de  Moutatère,  de 
MontiMson,  de  Montcenerpon.  —  D*0.  —  De  Pont-Goiirlay.  — 
De  Rambures  (ou  d^Harambure),  de  Rhodes  (le  fila),  de  Rieux, 
maréchal  de  campipie  Richelieu,  grand-prévôt,  de  Roannès,  de 
Rocbefort  (de  Rohan)  le  comte,  de  Roquelaure,  de  Roussy  (iosias 
de  La  Rochefoucault)  le  comte.  —  Sainte-Marie-du-llont.  —  De 
Thorigny,  le  comte.  —  De  Valois  (Charles),  grand-prieur,  colonel- 
général  de  la  cavalerie  légère,  successivement  comte  d'Auvergne 
et  duc  d'Angoulême,  de  VignoUes. 

Gentils-hommes,  capilamesy  chefs  élrangert. 

D'Apancy,  d'Aventigny.  —  Baltazar  Grissac,  colonel  de  Tun  des 
régiments  suisses,  de  Bossy,  gentilhomme  qui  amène  au  roi  les 
munitions  et  Targent  venus  d'Angleterre,  de  Brasseuse.  —  De 
Gourbouzon.  —  Des  Esmars.  —  De  Fouquerolles,  Foumier, 
capitaine.  —  Galaty,  colonel  de  l'un  des  régiments  suisses,  de 
Gié.  —  Lacroix,  capitaine.  —  De  MarciUy,  de  MignonviUe.  — 
D'Ovins,  gentilhomme  qui  amène  au  roi  le  corps  auxiliaire  des 
Écossais.  —  De  Palcheux,  de  Puivinel.  —  De  Rosny  (plus  lard 
Sully). — De  Saint- Aubin.  —  De  Tournerolles,  Tilladet,  capitaine. 
—  Yeausse. 

III. 

Relevé  des  noms  des  principaux  chefs  des  armées  envoyées  en 
Picardie  et  en  Champagne ,  des  gouverneurs  de  places 
nommés  ou  confirmés  par  Henri  /K,  dans  le  cours  de  sa 
première  campagne,  de  ceux  qui  Vont  reçu  dans  leurs  villes. 

CeUe  liste  *csl  drtM^e  car  tes  iodicalions  fournies  par  lei  auteurs  con- 
temporains, cités  dans  le  name'ro  II. 

Noms  des  principaux  chefs  de  Varmée  de  Picardie. 

Le  duc  de  l^ngueville,  chargé  du  commandement  de  Tarmée 
de  Picardie. 

De  Lanoue,  lieutenant-général. 

D'Armantières,  d'Auchy.  —  De  Bnmel.  —  De  Chaulnes.  — 
De  Givry,  de  Guitry,  mattre  delà  cavalerie  légère.  — D'Humières. 
— •  De  La  Boissière,  de  La  Vergne.  —  De  Palaiseau. 

Noms  des  principoÊUS  chefs  de  l'armée  de  Champagne. 

Le  maréchal  d'Aumont,  chargé  du  commandement  de  l'armée 
de  Champagne.  —  De  Dinteville,  lieutenant-général. 

Noms  des  gouverneurs  déplaces,  nommés  par  Henri  IV,  dans  le 
cours  de  sa  première  campagne,  et  noms  de  ceux  qui  Font 
reçu  dans  leurs  villes. 

De  Bellengreville,  gouverneur  de  Meulan.  —  De  Chastes,  g<ra- 


D0CUMS1IT8  mSTOBIQOU.  519 

vwneur  de  Dieppe.  —  De  Danet,  lientenaiit  du  rot  au  fourer- 
nement  d'Orléiuii,  DvroUet,  fouvemeur  du  Pont-de»l*Arehe.  — 
D*Enlragu6t,  fouverneur  de  BeaugPcy,  d'Estnunel,  fouverneur 
de  Nofeoi.  —  Du  Fort,  fouverneur  de  Jargeiu,  de  FroatenàLC, 
gottTernevr  de  Saint-Germain.  —  De  Hallot  de  Montmoreney, 
gouverneur  de  Giton.  —  iouuin,  gouvenieiir  d*£tanipet.  ^  De 
Mont  Saint-Arpont,  gouverneur  d'£u,  de  Miraumoot  (l'atné), 
gouverneur  de  Pontoise,  de  Miraumont  (le  jeune),  gouverneur 
de  Pluviers,  de  Montigny,  gouverneur  de  Blois.  —  De  Rubempré, 
gouverneur  de  Goumai.  —  De  TannAre,  gouverneur  de  Gien* 

IV. 

Mivéên  noms  des  prmcss  du  samg^  des  ftrineêpaux  seigneurs, 
des  genlUs-hommes,  des  eapUames  et  gouverneurs  de  places 
voisines,  des  chefs  de  corps  étrangers,  qui  combatUrent  avec 
loheiàUs  baiaiUêd^lvry^kiA  mars  1590. 


Les  nom»  tonl  foarDit  par  les  Lettres,  reUtïoDS  et  histoires  contcmpo- 
rainée,  dont  void  \**  |irincipales.  Lrttre  clrcaUire  do  Hoorl  IT  sor  la  ba- 
taille d'Ury,  daas  le  Becaeil  dot  Lotires  aiiielTee,  tome  m,  |Mgoi  167,  108, 
Eoor  plusieors  noms.  —  Discours  Térîtable  sar  la  Tictoiro  obteuuo  par  lo 
oi,  m  la  bataille  donnée  près  lf>  village  d'Tvri.  inséré  dans  les  Mémoires 
de  la  LIkuo.  lome  lY,  pages  t36-t4e,  in-4*,  ITit.  —  Mémoire  do  M.  d« 
HoMis  (MoroajrV  de  ce  qni  se  paasa  tant  pour  lo  général  que  pour  ton  par* 
ticulier,  à  la  oataille  d'TTrjr,  Mémoires  et  correspondance,  lome  IT, 
pages  4T5-4T7,  in-8a,  IM4.  —  Lettre  do  roi  i  Boaoy.  dans  les  OÊcon.  roj., 
diap.  li),  lone  l,  page  75  B.  >-  Bully,  OEcon.  royaica,  chap.  30,  pages  7M0. 

—  Histoire  di>  de  Thou,  liv.  90,  $  10,  tome  IV,  DogetB44-B49.  de  rédiUoa 
latine,  Londres,  1733,  in-folio.  —  D'Aubigné,  biat.  uaivenelle,  tomo  Ui, 
Uv.  lU,  cbap.  B,  pages  ttt-S3S,  édit.  de  lOÉH. 

Le  prince  de  Conti,  prince  du  lang. 

Le  duc  de  Montpensier,  prince  du  sang. 

Le  maréchal  de  Biron,  chef  de  Tarmée  sous  les  ordres  du  roi, 
placé  à  la  résene. 

D'Andelot,  d'Aumont,  oiaréchaL  -*  Baltnar  Grissac,  colonel 
de  Tun  des  régiments  suisses,  de  Biron,  baron,  maréchal  de 
camp  général,  de  Brasseuse,  de  Brigneux,  de  Buhy,  frère  de 
Duplessis-Momay.  —  De  Chastes,  commandeur,  gouverneur  de 
Dieppe,  de  Charobray,  de  Crenai,  de  Crève -cœur,  de  La  Curée. 

—  Durollet.  —  DXntragues  (de  Balaac  de  Clermont).  —  De 
Fargy,  de  Fcuquièrps  (de  Pas),  de  Fonslebon.  —  De  Givry, 
Grissac  (voir  Baltasar).  —  de  I/Hospital  (de  Choisy),  comte, 
d'Humières.  —  Do  Laborde,  de  Laboissière,  de  La  Guicbe, 
grand-matlre  de  l'artillerie,  de  Larchant  (Grimoville),  de 
Lavergne,  de  Longuauoay  (ou  de  Lancaulnay),  gentilhomme 
normand,  mort  dans  celte  journée  en  combattant  à  70  ans,  du 
Ludc  (Daillon),  comte.  —  De  Malligny,  de  Marrivault,  de  Mon- 
louet  (d'Angennps),  de  Montigny,  de  Mouy  (de  Vaudray).  —  De 

Nesle  (Guy  de  Laval),  marquis.  —  D'O  (François}.  ^  Dupleasit* 


520  HISTOIRE  DU   nÈGXE  DE  HENRI  IV. 

Mornay,  de  Palcheux.  —  De  Rhodes  (Pot),  de  Rosny.  <-*  De 
Saint-Jean,  de  Saint-Paul,  c^te,  Schomberg  (Théodoric),  com- 
mandant des  rettres,  de  Sussff  frère  de  Duplessis-Momay.  —  De 
Tborigny,  comte,  de  la  Trémoille.  —  De  Valois  (Charles),  grand- 
prieur,  de  Vie,  (Sarret),  maître  de  camp  de  l'infanterie,  et  sergent 
de  bataille  à  la  journée  d'Ivry,  de  VignoUes,  colonel. 


V. 

Belevédet  noms  des  seigneurs  qui  combattirent  autour  du  roi  à 
Fontaine^Française^  ou  qui  arrivèrent  à  son  secours  à  l'issue 
de  ce  combat. 

D*sprèf  Im  lémoignages  |o  des  Lettrei  de  Henri  IV  à  ta  lONir  Getherine 
de  Bonrboo  et  à  du  Pletris-Moraay,  en  date  des  7  el  9  jaio  1S9S«  dans  le 
Recneit  des  Lettres  missiTes,  tome  nr,  pages  365-365,  371,  373  ;  9o  de 
de  Thon,  dans  son  Histoire,  Uv.  GUI,  S  **  toi»e  V,  page  401,  de  Tëdition 
latine;  3»  de  P.  Cayek,  dans  sa  Chronologie  ooTenalre,  tir.  yii,  pages  664- 
666  ;  Ton  et  l'antre  eontemporains. 

D'Aussonville  (voir  d'Haussonville).  —  De  Biron,  maréchal, 
plus  tard  duc,  de  Boissy.  —  De  Cheverny  (Henri-Hurault),  comte, 
de  Gréquy,  sieur  dé  Rissey.  —  D'Escars,  sieur  d*Aix.  —  De 
Grammont.  —  D'Haussonville,  sieur  de  Saint-Georges.  —  De 
La  Curée,  de  L'Hospital  (de  Vitry),  baron,  de  Levis  (de  Mirepoix). 

—  De  Mirebeau,  marquis,  de  Montigny  (de  La  Grange).  — 
D'Oise,  chevalier.  —  De  Pisany  (de  Vivonne),  marquis,  Du  Plessis- 
Liancourt.  —  De  Roquelaure.  —  De  Termes,  de  La  Trémoille. 

—  Des  Ursins  (de  Tresnel),  marquis.  —  De  Valois  (Charles), 
comte  d'Auvergne. 

VI. 

Note  sur  les  personnages  français  auoDqwls  les  LeUres  de 

Henri  IV  sont  adressées. 

On  connaissait  déjà  plusieurs  centaines  de  Lettres  de  Henri  IV, 
par  la  publication  successive  de  Recueils  de  pièces  du  temps,  de 
Mémoires,  d'histoires,  où  le  texte  de  ces  Lettres  était  donné,  pu- 
bl'^stion  qui  en  parlant  du  commencement  du  xvii*  siècle,  en  con- 
tinuantdanslexvm*,  s'était  prolongée  jusque  dans  le  nôtre.  Parmi 
ces  ouvrages  nous  ne  citerons  que  quelques-uns  des  plus  anciens  : 
la  première  édition  des  Mémoires  de  la  Ligue,  le  Recueil  de  divers 
Mémoires  servant  à  l'histoire  de  notre  temps,  les  Mémoires  de 
Du  Plessis-Momay,  de  Sully,  du  duc  de  Nevers,  ceux  du  duc  de 
La  Force  mis  au  jour,  en  1843,  par  M.  le  marquis  de  La  Grange, 
les  négociations  du  président  Jeannin,  les  Registres  journaux  de 
•Lestoile,  la  Décade  de  Le  Grain,  l'histoire  de  Matthieu. 

L'Intervention  du  gouvernement,  le  travail  de  l'érudition  et  de 
la  critique  ont  plus  que  doublé  dans  le  [Recueil  des  Lettres  missives 


/ 


•     DOCUMENTS  HISTORIQUES*  521 

de  Henri  /K,  confléà  M.  Berger  de  Xivrey,  membre  de  rinsUtut, 
le  nombre  déjà  si  considérable  des  Lettres  du  roi. 

Dans  ces  Lettres,  Henri  IV  s'adre^te  tout  à  la  fois  aux  membres 
du  clergé,  de  la  noblesse,  de  la  magistrature,  de  la  bourgeoisie  :  sa 
correspondance  embrasse  la  grande  migorité  de  ce  que  la  France 
possédait  alors  d'illustre  ou  de  recommandable  dans  les  rangs  de 
l'armée,  dans  les  diverses  branches  du  gouvernement  et  de  Tad- 
ministration,  dans  les  diverses  professions;  c'est  l'aristocratie  de 
la  naissance,  du  talent,  des  services  rendus  à  la  patrie. 

Nous  avons  eu  l'idée  d'abord  de  donner  la  liste  générale  des 
Français  auxquels  les  Lettres  de  Henri  IV  sont  adressées.  Nous 
avons  renoncé  ensuite  à  publier  le  résultat  de  ce  dépouillement. 
Nous  avons  pensé  que  ceux  qui  souhaitaient  connaître  les  notabi- 
lités du  pays,  i  la  fln  du  xvi*  et  au  commencement  du  xvii*  siècle, 
avaient  moyen  de  satisfaire  ce  désir,  en  consultant  les  listes  par- 
ticulières de  noms  que  M.  Berger  de  Xivrey  a  jointes  à  chacun 
des  volumes  du  Recueil,  et  en  recourant  aux  notes  généalogiques 
et  historiques  qui  sont  devenues  une  partie  considérable  de  son 
travail. 

Nous  nous  bornerons  donc  à  énoncer,  en  résumé,  que  la  partie 
du  Recueil  déjà  publiée,  laquelle  embrasse  l'enfance,  la  jeu- 
nesse, tout  le  règne  de  Henri  IV  en  Navarre,  et  son  règne  en 
France  jusqu'au  milieu  du  mois  de  septembre  1606,  fournit  au 
delà  de  trois  cent  vingt  noms  de  personnages  français,  sans  compter 
eeux  des  personnages  étrangers. 

VIL 

Éua  des  sommes  que  les  chefs  de  la  ligue  exigèrent  de  Henri  iV 

pour  leur  désarmement. 

Ces  sommes  sont  énoncées  dans  trois  états  différents  fournis 
par  Groulart,  par  Sully,  par  Pierre  Dupuy. 

Groulart,  député  à  l'assemblée  des  Notables  réunis  à  Rouen,  a 
dressé  son  état  d'après  les  communications  faites  aux  Notables,  et  a 
consigné  cette  pièce  sous  l'an  1596,  dans  le  chapitre  7  de  ses 
Mémoires  ou  Voyages  en  cour.  On  la  trouve  au  tome  xi,  première 
série  des  Mémoires  relatifs  à  l'histoire  de  France,  collection  de 
MM.  Michaud  et  Poujoulat,  pages  568,  569.  Groulart  donne  pour 
argument  à  son  relevé  les  réflexions  suivantes  :  «  Le  lundy 

•  25  novembre  1 596,  nous  lùsmes  Sisner  ches  M.  le  président 
>  Séguier,  M.  d'Incarvilleet  moy,  pour,  par  le  commandement  de 

*  Sa  M^esté,  voir  le  menu  de  ce  que  coutoieot  les  capitulations 
m  des  villes  de  ce  royaume  ;  où  l'on  nous  flst  veoir  de  grandes 
m  viUenies^  et  de  V argent  incrogaJble  baiUé  à  ceux  gui  avaient 
m  trahy  VEstaty  et  esté  cause  des  grandes  guerres  de  la  Ligue,  m 

Sully  a  inséré  l'état  qu'il  fournit,  dans  le  chapitre  15t  de  ses 
(Economies  royales,  tome  n,  pages  29,  30,  de  l'édition  de 


622  HISTOIRB  DU  RÈOIIS  DB  BSITRI  iT. 

M.  Niehaud.  GMIe  pièce  dit  partîA  des  documents  politiques  de 
l'année  1605,  et  il  importe  de  bien  remarquer  cette  date. 

Eu  regard  de  Tétat  produit  par  Sully,  on  en  trouvera  un  autre 
qui  est  identique,  excepté  pour  l'orthographe  de  quelques  mots 
et  le  commencement  de  quelques  phrases,  diflTérences  qui  prou- 
vent que  les  deux  états  relevés  sur  la  même  pièce  officielle  n'ont 
pas  été  copiés  l'un  sur  l'autre.  Nous  ne  savons  pas  si  cet  état  est 
celui  qui  a  été  imprimé  dans  un  ouvrage  publié  en  1835.  L'auteur 
dît  qu'il  est  original,  et  écrit  de  la  main  de  Henri  IV.  Celui  que 
nous  donnons  n'est  qu'une  copie,  et  cette  copie  est  tout  entière 
de  la  main  de  Pierre  Dupuy«  dont  l'écriture  est  bien  connue.  On 
le  trouve  dans  le  volume  549  de  ses  manuscrits,  numéros  87 
et  88.  Nous  l'avons  étudié  avec  soin,  et  nous  croyons  être  arrivé 
à  une  entière  exactitude  sous  le  rapport  des  noms,  des  qualifica- 
tions, des  sommes  qui  s'y  trouvent  portés.  Cet  état  est  très  impor- 
tant. Copié  par  Dupuy,  sur  quelque  pièce  officielle  du  temps, 
probablement  du  vivant  de  Henri  IV,  et  certainement  bien  des 
années  avant  la  publication  de  la  première  partie  des  (Economies 
royales  qui  date  de  J638,  l'état  en  question  sert  de  contrôle  et 
de  confirmation  à  celui  qui  est  produit  par  Sully  et  par  ses  secré- 
taires, et  devient  une  preuve  de  plus  de  leur  exactitude,  non  pas 
dans  de  minutieux  et  insignifiants  détails,  mais  dans  toutes  les 
matières  importantes. 

Groulart  porte  moins  haut,  que  Sully  et  que  Dupuy,  les 
sommes  extorquées  au  roi  et  au  royaume  par  les  cfaefii  de  la 
Ligue.  Cette  difTérence  en  moins  provient  de  plusieurs  causes. 
D'abord,  indépendamment  des  stipulations  que  les  princes  lorrains 
et  autres  seigneurs  de  la  Ligue  firent  avec  Henri,  et  qui  devaient 
avoir  au  moins  une  demi-publicité,  puisqu'il  était  impossible 
qu'un  grand  nombre  de  fonctionnaires  publics  et  les  Etat»  géné- 
raux ou  les  Notables  n'en  eussent  pas  connaissance,  ils  lui  arra- 
chèrent des  promesses  secretteSf  des  arUclei  tecrets,  aux  termes 
desquels  il  dut  leur  payer,  avec  le  temps,  des  sommes  bien  plus 
considérable^  que  celles  portées  dans  leurs  traités.  Ils  agirent 
ainsi,  ou  bien  parce  qu'ils  avaient  à  couvrir  des  dépenses  qu'ils 
rougissaient  d'avouer  ;  ou  bien  parce  qu'ils  voulaient  cacher  en 
partie  au  pays  l'énormité  de  leurs  exigences,  lesquelles,  dans  ce 
qui  était  connu,  excitaient  déjà  contre  eux  l'a nimad version 
publique,  comme  nous  venons  de  le  voir.  En  second  lieu,  outra 
les  chefs  de  la  Ligue,  le  roi  eut  à  payer  leurs  principaux  servi- 
teurs, leurs  conseillers,  pour  qu'ils  persuadassent  à  leurs  maîtres 
de  prondre  le  parti  de  la  soumission.  Pour  ces  dernières  sommes, 
on  sent  bien  qu'il  n'y  avait  rien  d'écrit  :  c'était  de  l'argent  qu'il 
fallait  donner  de  la  main  i  la  main,  sous  le  manteau.  En  troisième 
lieu,  les  chefs  de  la  Ligue  eontraigniront  Henri,  dans  bien  des 
ciroonstances,  à  dépouiller  ses  serviteurs  de  dignités  et  de  droits 
Incratifii,  pour  les  leur  attribaer  à  eux-mêmes.  Par  exemple. 


DOCUMENTS  HISrORIQWft*  523 

pour  obtenir  le  désarmement  de  Villars,  qui  tenait  Rouen*  le  roi 
Alt  obligé  d*éter  la  charge  d'amiral  à  fiiron  le  fils,  et  de  la  donner 
4  Villart  ;  d'ôter  encore  d'autres  prérogatives  et  d'autres  avan<- 
tages  au  due  de  Montpensier,  gouverneur  de  la  Normandie  et  au 
chancelier  de  Cheverny.  Même  pour  pacifier  le  royaume,  Henri 
lie  pouvait  sacrifier  ceux  qui  l'avaient  aidé  à  le  sauver.  Il  lui 
fallut  donner  récompense  à  ses  serviteurs.  U  les  indemnisa  en 
argent,  n'ayant  aucune  autre  compensation  à  leur  offrir  dans  les 
circonstances  oà  il  se  trouvait.  Ces  diverses  causes  élevèrent 
prodigieusement  le  chiffre  des  dépenses  occasionnées  par  la 
soumission  des  chefs  de  la  Ligue,  comme  on  va  le  voir  par  deux 
ou  trois  faits  choisis  entre  tous  les  autres.  Le  duc  de  Lorraine  a 
stipulé  par  son  traité  que  le  roi  lui  donnerait  900,000  écus  ou 
2,T00,ÔO0  livres;  mais  il  a  tiré  en  outre  du  roi  des  prùmesêes 
tecrètu^  soit  pour  lui-même,  soit  pour  divers  particuliers  qui 
Tentourent,  et  la  somme  de  2,700,000  livres  portée  dans  son 
traité  se  transforme  en  une  somme  de  3,766,825  livres.  Mayenne 
par  son  traité  n'a  exigé  que  820,000  écus  ou  2,460,000  livres  ; 
mais  il  a  obligé  le  roi  de  se  charger  de  payer  deux  régiments 
suisses,  qu'il  a  employés  pendant  la  guerre  civile  sans  en  acquitter 
la  solde,  et  les  2,460,000  livres,  qui  lui  sont  en  apparence  attri- 
buées, deviennent  effectivement  8,580,000  livres.  Villars,  le  chef 
des  Ligueurs  à  Rouen,  ft'a  demandé  en  argent  que  715,430  écus 
ou  2,146,290  livres;  mais  il  a  dépouillé  Biron,  Montpensier, 
Cheverny,  contraint  Henri  à  donner  det  récompenses  à  ses  servi- 
teurs^ et  la  soumission  de  ce  chef,  tout  mis  ensemble,  ne  coûte  pas 
mois  de  3,477,800  livres.  Le  gouvernement  du  roi  ne  put 
montrer  aux  Notables  assemblés  a  Rouen  que  les  sommes  portées 
dans  les  traités  signés  par  les  chefs  de  la  Ligue  :  l'honneur  et  la 
politique  lui  commandaient  cette  réserve.  Il  avait  promis  de  ne 
pas  faire  connattre  les  promesses  secrettes^  les  articles  secrets;  il 
fallait  qu'il  tînt  sa  parole.  Il  venait  à  peine  de  pacifier  le  royaume  : 
il  ne  pouvait,  en  mécontentant  profondément  les  princes  de  la 
maison  de  Lorraine  et  les  autres  cheft  des  rebelles,  les  pousser 
soit  à  se  révolter  de  nouveau,  soit  h  se  joindre  aux  Espagnols, 
avec  lesquels  il  était  encore  en  guerre  ouverte  en  1596.  Il  lui 
était  tout  aussi  sévèrement  interdit  de  rien  révéler  de  ce  qu'il 
avait  &  payer  pour  désintéresser  ses  serviteurs.  Quoique  cette 
indemnité  fût  de  toute  justice,  elle  pouvait  être  mal  interprétée, 
et  ceux  qui  la  recevaient  étaient  exposés  à  ce  qu'on  les  accusât  de 
manquer  de  désintéressement  et  de  délicatesse  :  la  reconnaissance 
et  la  prudence  voulaient  qu'il  ne  s'aliénât  pas  ses  partisans. 
Groulart  n'a  pu  connattre  et  n'a  pu  faire  figurer  dans  son  état 
que  les  sommes  portées  dans^les  traités  souscrits  par  les  chefs  de 
la  Ligue,  et  dont  le  gouvernement  du  roi  donna  connaissance  aux 
Notables.  Une  pièce  manuscrite,  qu'on  trouve  dans  les  Cinq  cents 
de  Colbert,  au  volume  32,  qui  se  rapporte  article  par  article  à 


b2à  HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  HENRI  IV. 

Tétat  produit  par  Groulart,  et  qui  semble  avoir  appartenu  à  l'un  des 
Notables,  mieux  informé  queOroulart,  indique  formellement  dans 
son  intitulé,  qu'elle  contient,  non  pas  la  totalité,  mais  une  partie 
seulement  des  sommes  reçues  par  les  chefo  de  la  Ligue.  «  Eœtraict 
»  des  sommes'  de  deniers  qui  ont  esté  donnez  et  accordez  aux 
»  Ligueurs  pour  plusieurs  traictez,  et  soumission  des  provinces, 
»  villes,  chasteaux  et  forteresses  qu'ils  ont  réduictsen  l'obéissance 
»  du  Roy.  »  Enfin,  une  dernière  cause  de  la  différence  en  moins 
qui  se  trouve  entre  l'état  donné  par  Groulart  et  celui  présenté  par 
Sully,  c'est  que  Groulart  n'a  pu  nécessairement  comprendre  dans 
le  sien  les  sommes  qui  ne  devaient  être  payées  que  plus  tard, 
aux  termes  de  traités  dont  les  uns  étaient  entamés,  mais  non 
conclus,  dont  les  autres  n'étaient  que  projetés.  Lui-même  pré- 
vient que  son  état,  pour  cette  raison,  demeure  incomplet,  et  il 
termine  son  relevé  par  l'observation  suivante  :  «  Il  y  en  aura 
»  encor  pour  trois  cent  mille  escus  (900,000  livres)  qui  ne  sont 
»  icy  compris  ;  et  si  on  traite  avec  M.  de  Mercure  (Mercœur)  qui 
»  en  aura  encore  bonne  sonune.  0  temporal  !  » 

Sully,  en  sa  qualité  de  surintendant  des  finances,  a  connu 
toutes  lessommes  dépensées,  soit  directement,  soit  indirectement, 
pour  le  désarmement  des  chefs  de  la  Ligue  ;  les  promesses  secrètes 
faites  à  ces  chefs  ;  les  UbértUités  accordées  à  leurs  conseillers  et  à 
leurs  partisans,  désignés  sous  le  nom  de  particuliers;  les  récom^ 
penses  données,  aux  serviteurs  du  roi  qu'on  dépouillait,  tout  aussi 
bien  que  les  sommes  portées  dans  les  traités  mêmes,  conclus  par 
princes  et  seigneurs  du  parti  de  la  Ligue.  Sully  a  pu  tout  porter 
dans  son  état,  parce  que  cet  état  n'était  destiné  dans  l'origine 
qu'au  roi  qui  le  demandait;  parce  qu'il  ne  fut  dressé  qu'en  1605, 
après  la  mort  de  tous  les  intéressés  parmi  les  serviteurs  du  roi, 
qui  s'y  trouvent  nommés;  parce  qu'enfin,  il  ne  fut  publié 
qu'en  1638,  après  la  mort  de  tous  les  chefs  de  la  Ligue  eux- 
mêmes.  Dans  presque  tous  les  articles  de  l'état  qu'on  doit  à 
Sully,  on  trouve  les  raisons  de  la  différence  en  plus,  comparati- 
vement avec  ce  que  le  Gouvernement  fit  connaître  aux  Notables 
assemblés  à  Rouen,  et  avec  les  énoncés  de  Groulart.  On  s'en 
convaincra,  si  l'on  veut  étudier  avec  quelque  attention  les  sept 
premiers  articles  seulement,  et  particulièrement  entre  ces  articles, 
le  premier  relatif  au  duc  de  Lorraine,  le  second  relatif  à  Mayenne, 
le  septième  relatif  à  Yillars. 

Il  n'échappera  pas  au  lecteur  que  Groulart  compte  partout  en 
écus;  que,  par  conséquent,  il  faut  tripler  les  sommes  portées  à 
chacun  des  articles  de  son  étal  ;  et  qu'en  commençant  par  le 
premier  article,  celui  relatif  au  duc  de  Lorraine,  on  doit  compter 
pour  les  900,000  écus,  attribués  à  ce  prince,  une  somme  de 
2,700,000  livres. 


Gronlart,  Voyages  en  cour,  chap.  vn,  p.  S09  B. 


DOCUMENTS  HISTOBIQUSS. 


525 


ETAT  fourui  par  groulaht. 

■  En  tnit  1m  loamtt  de  deDÎert  qaî  onl  «tU  •ccordra  par  pliuicnrs  traicles 
•t  compotiliont  d«  nrovioco.  Tilles  et  clutleanx,  forteresws  et  honmet, 
«|ai  M  aonl  redaiu  à  l'obéisuDce  du  Roy,  compris  ce  qui  a  esté  accordé 
à  Bl.  le  duc  de  Lorraine,  m 


KartM. 

Au  liour  doc  de  Lorraine.  900^000 
Ao  ticnr  de  ^itrr,  poor 

Heauz 36,000 

An  sieur  d*Alinconrt  et  an- 
tres pour  Pontoise.  .  .  .  lS4,i00 
An  sieur  mareschal  de  La 

Chastre,   pour  Orléans, 

Bourges  ,  et  à  d^autres 

pour  le  mesne  subiect  •  980,000 
Au  sieur  mareaclial  de  Brla* 

sac  et  antres  pour  la  ville 

de  Pai-U 4tt,000 

An  sieur  admirai  de  TU- 

lars  et  autres  pour  Rouen, 

le  HaTre  et  le  Ponl-Au- 

demer 716,430 

Au  sieur  Médavv  et  antres 

pour  ▼ernenif. 44,000 

Au  sieur  de  Bobsuae  pour 

Tombelaine 90,000 

Au  sieur  maresdial  de  Ba<- 

lagoy  pour  Cambray.  .  .  140,000 
Au  sieur  de  MIgoieux  pour 

Monlreuil ,  .      S7,400 

An  commandeur  de  Gril- 
lon pour  Honflenr.  .  .  .  ISjOOO 
Au  sieur  de  Fonlalne-Mar- 

tel  poor  le  Neufchastol .  16.000 
Au  tieur  Ducluscaux  pour 

Noyon 5t,S00 

A  M.  de  Guise  et  plusieurs 

aulret,  compris  M««  sa 

mère ,  .    699,800 

Au  siear  de  Lamet  pour 

Coucy 6,500 

A  M.  d*Elb<nnr  ei  autres 

pour  Poictiers.  .  .  ,  .  .  909,93.'^ 
A  U.  du  Maine  et  antres.  .  990,000 
A  M«  de  ffeoMurs  et  an- 
tres   990.000 

A    plusieurs    pnrticnliors 

pour  Lyon 60,000 

A  M.  de  Bois-Danphin.  .  .  170,000 
Au  sienr  de  Montespan  et 

autres 98,000 

An  sieur  de  Lussan  ....      41,300 

An  sif  ur  de  Giniel 10.000 

AU     sieur    mareschal    de 

Joyeuse ST9,000 

A    plusieurs     particuliers 

ponr  Troyos. 88,000 

Au   sieur  de   La    RiTâère 

pour  Mésicres 70,000 


8,813,663 


D*»utrt  pttri 8^ 

A  plusieurs,  ponr  Amiens* 

Abeville  ei  BeauTais. .  • 
An  sieur  de  Talhonet  ponr 

Rhedoo  

Au  sienr  de  Libertat  et  au- 
tres pour  Marseille  .  .  . 
A  M.  d^Espernon. ..... 

A  plusieurs  pour  Veselay. 
A  diTfrses  personnes  ponr 

diverses  places 

A  plusieurs  pour  Rocroy, 

Moncornet ,    QMumont 

en    Bassigny,  etanOrct 

places 

Au  sieur  dn  La  Sullo  ponr 

Saint-Germain 

A   plusieurs  pour  Miascon 

et  ChalraïuPorcian  «  .  . 
Au    sienr  de   Frémicourt 

pour  Titry-Ie-Françols  . 
Aux  sieurs  de  Sawillac  et 

de  Monflans 

A  plusieurs  pour  BeUkol  et 

Nogent  en  Oumpagne, 

et  antres  places 

An  Ticomte  de  Chastean- 

rouz 

A  plusieurs  pour  Pierrefunds 

et  «.bastean-Tkierry.  .  . 
An  sieur   de  Thouves   ot 

autres 

Au  sieur  d'Estournel  ponr 

Pcroone 

Au  sienr  comte  de  Cbanl- 

nes 

A    plusieurs    ponr    Mar- 

mande.  Villeneufve  d*A- 

genob  «t  autres   places 

en  Guyenne 

Au  sieur  de  La  Vangujon 

pour  Fronsac  ...... 

Au  baron  de  Chaâiore  on 

Bretagne 

An   sienr    de    la   Séverie 

poor  laGarnacbe.  •  •  . 
Au  sieur  de  la  Mothe  pour 

Pesuis 

An  sieur  de  Taillac   pour 

le  Oiastaan-Trompette  • 
A    plusieurs  ponr   Sainl- 

Poursain 

A  pinsienrs  ponr  Vienne. . 


98,500 

tt,500 

109,000 

19S,U00 

10,500 

90,300 


40,000 
10,000 
91,000 
90,00i) 
99,000 

37.300 
6,000 
69,000 
36,500 
43,000 
30,000 

36,000 


7,600 
14,000 

6,000 

16,000 

94,000 
36,000 


Sommotottto.  •  .6,467.866 


526 


aiSTOIRl  DU  RÈGWB  DE  HENRI  !▼. 


ÉTAT  FOURNI  PA»  StJBLY. 

«Pour  toutes  dcbtrs,  i  qnoy  montent 
ton*  les  traictes  fuits  {wur  lu  réduc- 
tion des  pays,  rillcs,  places  et 
particoliers ,  en  Tobëiiiviico  dn 
Roj  afin  de  pacifier  le  royanme.» 


A  II.  de  Lorraine,  et  an- 
tres particalicrs,  sni- 
rant  son  traictè  et  p«o* 
messes  secrettes .... 

Plus  à  M.  dn  Maine 
(Mayenne)  et  antres 
particuliers  suivant  son 
traité,  compris  les  deb- 
tes  des  deux  régiments 
de  Suisses  que  le  Roy 
s*eft  chargé  de  payer.  . 

Plus  à  M.  deGayse,  pr  ince 
de  JolnvUle,  et  autres 
particalieri ,  sniTint 
son  traiclé  ..••«*. 

Plus  M.  de  Nemours  et 
autres  parlicnliers,  sui- 
vant son  traieté  .... 

Pins  pour  M.  de  Mer- 
cœur,  Blavet,  M.  de 
Yendosme,   et    antres 

{larticnliers ,     suirant 
«urs  traictes  pour  la 
province  de  Bretagne  . 

Plus  pour  M.  d*Elbœuf, 
Poictiers  et  divers  par- 
ticuliers en  Poictou , 
•uÎTBnt  leur  traiclé  .    . 

Plus  ù  M.  de  Tillars,  Unt 
pour  lui,  le  cheraller 
a^Oise,  son  frère,  les 
rilles  de  Rouen,  le  Ha- 
vre, et  autres  places, 
que  pour  les  récom- 
penses  qu'il  a  fallu  don* 
ner  à  MM.  de  Montpen- 
sier,  mareschal  de  Bl- 
ron ,  chancelier  de 
Chiverany,  et  autres 
particuliers  compris  en 
gon  traieté 

Plus  à  M.  d'EspemoD  et 
autres  particuliers,  sui- 
vant leur  traieté.  .  .  . 

Plus  pour  la  réduction  de 
Marseille 

Plus  pour  M.  de  Brissac, 
la  ville  de  Paris  et  au- 
tres, particuliers  em- 
ployés en  son  traieté.  . 

Plus  à  M.  de  Joyeuse  pour 
Iny,  Tbonlonse  et  au- 
tres villes  suivant  son 
traieté  

Plus  à  M.  de  la  Chaslre 
pour  luy ,  Orléans,Bour- 
ges,  et  auties  parti- 
culiers ,  suivant  leur 
traiclé # 


Livrr». 


3,766.8» 


8,mo,ooo 

5,888,890 
978,000 


4,895.390 


970,824 


^jBmjan 


8,477,800 

406,000 
406,000 

1,886.400 

1,470,000 

896,900 
88,3»,989 


ÉTAT  FOURNI  PAR  P.  DUPUY. 

«  Mémoire  des  sommes  payées  par  te 
Roy  pour  traictea  faicU  pour  ré- 
ductions de  païs,  villes,  places,  et 
«tfigueurs  parlicnliers  en  Tobéis- 
gânce  du  Roy,  afin  de  pacifier  le 
royu«~-       -  ^^ 

A  M.  àe  Lorraine,  et  au- 
tres parlicttliers,  sut- 
Tant  son  traieté  et  pro- 

messes  secrètes 9,766,6» 

A  M.  du  Maine  «1  autrea 
particulien  anivaut  Mu 
trsicié ,  compris  les 
debles  du  deux  régi- 
menu  de  Suiaoea  que 
le  Roi  s'ust  chargé  de 
païer.  .•....•••• 
A  M.  de  Guise,  prince  de 
Joluvllle  et  autrea  par- 
ticuliers,   tuivant  son 

traiclé •  •  • 

A  M.  de  Nemours  et  au- 
tres partieuUars,  aui-  _^-__ 
vant  son  Iraiuté  •  .  .  •  WlWiVmJ 
Pour  M,  de  Mercosur, 
Blavel,  M.  de  Yendos- 
me, et  autrea  particn- 
liera ,  suivant  lenra 
traictea  pour  lu 
vinec  de  Bretagne 
Plus  pour  M.  d  Blbeu^ 
Poictiers  et  diver»  par- 
ticuliers en  Poictou, 
suivant  leur  traiclé  .  . 
Plus  à  M.  de  Vilars,  tant 
pour  lui,  le  chevuUer 
d'Oise ,  son  frère ,  les 
villes  de  Roous,  le  Ba- 
rre et  autres  plaçât, 
et  pour  lea  récompen- 
ses qu'il  a  fiilla  donner 
à  MM.  de  Monipensier, 
mareschal  de  Biron , 
chancelier  de  Chiver- 
ny,  et  autres  pariicn. 
liera  compria  en  sob 

traieté 8,477,880 

Plus  à  M.  d'Bspamun  et 

aulres  parlicnlieri,  iui-  

vant  leur  traieté  .  ,  .  .      486,800 
Plus  pour  la  réduction  de 

MarseUle 406,1 

Plus  pour  M.  du  Brieaac, 
la  ville  de  Parla  et  au- 
tres particuliers  em- 
ployés en  son  traieté.  . 
Plus  à  M.  de  Joyeuse  pour 
lui,  Toulouse  et  au- 
tres villes  suivant  son 

traieté f  ,4W^0(F 

Pins  4  M.  de  k  Chaslre, 
pour  lui,  Orléans,  Bour» 
ges    et    autres   parti- 
coliers »  suivant  leur      ^^^^ 
traieté  . 898,900 

25,8n,9» 


4,886^380 


WO 


«, 


476,894 


1,161, 880 


DOCUMENTS 

ÉTAT  FOTJR^I  PAR  SULLY. 

LlTrrs. 
De  f  autre  part.  .  • 
Plut    i  M.  de  Yilleroy, 
pour  luy,  ton  filt,  Pon- 
loite,  et  autret  partie 
cnliert,    tuiranl   lenr 
traicte  •.••••••• 

Plat  À  M.  de  Boi«>  Dau- 
phin, etantvMftaiTanl 

tontraicte' 670,800 

Plot  à  M.  de  Balaliny,  ponr 
lay,  Gembra y,  et  antres 
particnlien ,     aaWanl 

ton  traicte' 838,930 

Plut  a  BUl  de  ViUy  ei 
MëdaTit,  tuivani  leurt 

deux  traicles 380,000 

Pins  pour  let  sienrs  Ti. 
datme  U'Amient,  d^Es- 
tournel ,  marqub  de 
Trenel ,  Seceval ,  Le 
Pèche,  Lametet  autres, 
et  les  villes  d'Amiens, 
Abeville  ,  Peronne  « 
Couey,  Pierrefont  et 
autres  pLtcet. .  •  •  .  . 
Plot  pour  let  tieurt  de 
Belan,  Quionvelle,  Jof- 
frerille.  Le  Pèche,  et 
autret  particnliers , 
Troye,  flogent,  ViUy, 
Chaumont ,  Rocroy , 
Chatteau-Portien  et  au- 
tres placée ,  tniTant 
leori  dÎTert  traicles.  .  8IO,04d 
Plus  pour  Vaaelay,  Mat- 
run ,  Huilly ,  el  let 
tieurs  de  ftcMchefort,  et 
autres   parlicnliert  en 

Bourgogne 457,000 

Plut  pour  let  tieurt  de 
Camllac,  Uachon,  Li- 
gncrac,Blon&n,  Fnmel 
et  autret,  lu  Tille  dttPuy 
et  autret  ytUet,  tuiTant 
leurs  divers  traictes  .  .  B4T,000 
Plus  pour  di-verset  viiles 
en  Ûnienne^  et  let  tieurt 
de  Monpesat,  Montes* 
peu  et  autres  particu^ 

Ikrs . 

Plut  pour  les  traitles  de 
Lyon,  Tienne,  Taleoce 
et  autres  Tilles  et  par- 
ticuliert,  en  Lionnois 

et  DiÉuphiné 

Plus  pour  let  sieurs  Dara- 
doo,  La  Pariiieu,  Bour- 
cani  f  Sainct-Otlenges , 
Dinan  et  quelques  villes.  180,000 
Plut  ponr  let  tieurt  Le- 
▼itlon,  Baudoiog  et  Be- 
rilliert ,  sutvunt  les 
promesses  à  eux  failet.       160,000 

Somme  totale det  traites.  3t,i4i,981 

'  L'édition  origioile  porte  33,273,S81 
livres  :  c*e»t  une  dilTércuce  de  1.10,400 li* 
vres,  provenant  sans  douta  de  ce  que  le 
premier  transcri^eur  de  la  pièce  fournie 

Str  le  gooveraenient  auraptiité  no  article 
e  pareille  tonne. 


HISTORIQUES. 


527 


380,000 


636,800 


ÉTAT  FOURNI  PAR  P.  DUPOY. 

Livres. 

Ih^  l'autn  part.  .  .S5,3S.\9i» 
Plus  à  M.  de   ViUeroy, 
pour  lui,  son  fils,  Pou- 
toise,  et  autret  parti- 
culiert,    sniTant    leur 

traictë 476,804 

Pins  à  M.  de  Boit-Dau- 
phin, et  auUes,  snirant 

ton  traicté 670,800 

PI  as  à  M.  de  Balagny ,  pour 
luy ,  Cambray,  el  autres 
partieulien ,     snlTant 

son  traictë 8S8,930 

Plut  à  M.  de  Titry  et 
Hedavid,  tniTanl  leurs 

deux  traictea 380.000 

Plue  pour  les  sieurs  Tî- 
dame  d'Animis,  d^Es- 
trumel ,  marquis  de 
Tretnel,  Setteval,  Le 
Pèche,  Lamet  etautres, 
et  les  Tilles  d* Amiens, 
Abberille  ,    Feronne  « 

Coucy,    Pierrefons    et  

antres  places I, Ml ,880 

Pins  pour  1rs  sieurs  de 
Belan, GuiouTelle,  Jof> 
froTille,  Le  Pèche,  et 
autres  particnliers , 
Troyes,  Nogent,  Vilry, 
Rocroy ,  Chaumont  , 
Chatteau-Portien  et  au- 
très    places,    tuivant 

leurt  traictes 850,048 

Plut  ponr  VrseLay,  Mat> 
cou  ,  Mailly ,  et  let 
tieurt  de  Rucbelort,  et 
autres  particuliers  en 

Bourgogne 4ft7,000 

Plus  pour  le»  sieurs  de 
Ganlllac,  Dapchon,  Li- 
gnerae,  llontau.  Fumet 
et  Bulret,  la  Tille  du 
Puy  et  autret  Tillet, 
luirent  leurt  traictes. .  347,000 
Plus  pour  divertet  Tilles 
en  Guienne,  et  les  sieurs 
de  Monlpesat,  Montes- 
pan  et  autres  particu- 
liers  

Pour  les  traites  de  Lion, 
Vienne,  Valence  el  au- 
tres Tilles  et  particu- 
liera,    en    Lionoit    et 

Daufiné 636,800 

Pour  let  tieurt  Daradon, 
La  Paidieu,  Bourcani, 
Sainl-Offenge ,  Dinan 
el  quelquet  Tîilet  .  .  •  180,000 
Plut  pour  let  tieurt  de 
Leviston ,  Baudoin  et 
Bevilliert,  tnirant  let 
promettes  à  eus  faites.       160,000 


Somme  totale -des  traites.  39,14t,061  ' 

*  La  tomme  totale,  portie  dans  Têtat 
de  P.  Dopu7,  est  de  32,37S,38l  livret, 
quoique  les  divers  articles  ne  donnent 
que  31,14'1,9H  Uvres,  c'est  U  mène  dif- 
léreoce  que  dans  Tétat  fourni  par  SuUy. 


528  HISTOIRE  DU  RÈGRC  DE  HENRI  IT. 

VIII. 

Traité  du  rwenu  et  dépeme  de  France  de  Vannée  1607. 

C*  traite  M  rapporte  aux  quettioni  finandires  qui  ont  été  traitées,  aax 
ealcttb  qui  ont  été  éUblii,  pages  474,  476,  491,  49i  de  celte  Histoire. 

'  On  trouve  dans  la  collection  de  Dupuy,  volume  89,  folio  243 
et  suivants,  un  manuscrit  ayant  pour  titre  :  Traité  du  revenu  et 
despense  de  France  de  Vannée  1607,  dont  Fauteur  est  resté 
inconnu.  Cette  pièce  a  été  imprimée  ces  dernières  années  dans 
un  Recueil  littéraire,  tome  nr,  pages  159-184,  et  l'on  ne  peut 
qu'applaudir  au  travail  de  celui  qui  Ta  publiée,  à  l'essai  qu'il  a 
tenté  pour  faire  entrer  ce  document  dans  le  domaine  historique. 

Mais  la  transcription  donnée  dans  ce  Recueil  n'est  pas  assez 
exacte  pour  qu'elle  puisse  servir  à  établir  des  calculs  solides  sur 
la  situation  financière  de  la  France  à  la  fin  du  règne  de  Henri  lY. 
En  effet,  à  un  examen  un  peu  attentif,  on  s'aperçoit  qu'en  plu- 
sieurs endroits  les  sommes  partielles  portées  à  chacun  des  articles, 
quand  on  vient  à  les  additionner,  se  trouvent  en  désaccord 
complet  avec  les  totaux.  Dans  une  partie  du  compte,  la  différence 
est  de  2  millions;  dans  une  autre,  elle  est  de  10  millions,  sans 
parler  d'autres  différences  moindres  que  révèle  la  collation  du 
manuscrit  avec  l'imprimé. 

Nous  nous  proposons  :  1*  de  rétablir  partout  où  cela  est  néces- 
saire les  chiffres  exacts  di  Traité  du  revenu  et  despense  de 
France  de  Vannée  1607,  en  mettant  les  sommes  fournies  par  le 
texte  du  manuscrit,  en  regard  avec  les  sommes  données  par  la 
leçon  imprimée  ;  2*  de  comparer  les  parties  principales  du  revenu 
et  de  la  dépense,  telles  que  les  présente  le  traité  manuscrit  avec 
celles  que  contient  le  compte  de  l'Épargne  de  l'année  1609, 
inséré  dans  le  premier  volume  des  Recherches  et  considérations 
sur  les  finances  de  France  par  Forbonnais  ;  3*  d'établir  la  diffé- 
rence qui  existait  entre  les  sources  de  revenus  publics,  et.  la 
différence  qui  existait  dans  la  somme  totale  de  deniers  qui  était 
levée  sur  la  nation  aux  deux  époques  de  1607  et  de  1609,  très 
rapprochées  pour  le  temps,  très  éloignées  pour  les  résultats. 


DOCOMIRTS  HI8TOIU00B8L 


639 


LêfOM  àomnéè  par  Fimprim^é 

LiTTN. 

Paria Mi,000 

Fm  110.  »  OéaénlUé  4« 

Poiliart- 888,000 

Pbm  170.  »  Somma  das 

dilaa  (rfadraliUi.»  .  .  .  9,866,000 


TexU  du  mmmuerit  du  TrmM  du 
r»  van»  9t  detp^uM  de  Fnmc9  d€ 
runnéè  1807. 

LiTrrt. 

Folio  845  rado.  «  Géodra- 

litë  4a  Paris 918,000 

Folto  845.  •  GdntfrmUtë  da 

Poitiers OMjOOO 

Folio  845.  *  Sonmaa  daa 

ditat  g^érmlitéi.  m.  .  .  0,810,000 


Crue  de  fMXtrmordinaitm, 

Paga  f  Tl.  ■  Et  caa  lomma»  eompri- 
taa,  cbacana  |ënéralittf  porta  lat 
ditaa  aonmaa  ypprozimalivaa  da 
qaatra  mUliona  Sêpi  cent  dix-éuit 
miUe  canl  livret» 

Paga  «78.  »  ToUl  da  ca  «|M  Sa  Ifa- 

|aattf  lait  tftat  da  ratlrar  •u  ladite 
anntfa  da  chacvna  daa  gdntfralittfi, 
taol  poar  Pordioalra  qvvpour 
raxtraordinalre.  .  .  .  8,a98,n8 
livras. 

Page  180.  »  Ainsi  las  chargea  étaot 
sur  cette  aaoonda  raeatte  ddduiiea, 
leaqvallaB  mooUnt  à  6,830,000  U* 
▼ree,  il  paat  reveiitr  k   l*Epar- 

ne. 6,00,000 

liTras. 

Page  ISS.  »  Somme  totale  de  la  sut- 

ditodëpaasa 6,515,551 

livras,  a 


CriM  d0  rnetruordinmin. 

Folio  846  recto,  c  Et  ces  sommes  com- 
prises, ^aciiae  généralité  porte  dea 
dites  sommes  de  qnatre  millions 
sJpt  ctml  trois  mUiê^  Uat  de  li- 
vres. 

Folio  847  verso.  »  Total  de  ce  qne  Sa 
Malasté  fait  état  da  retirer  en  ladite 
année  da  chacnBe  dea  généralités, 
tant  pour  rordinaire  qnaponr 
raxtraordinaira ....  8,877,900 
Unt  de  livres. 

Folio  848  verso.  «  Ainsi  les  rharget 
estant  snr  oetta  seconda  rccapla 
desdnitet.  lesqnelles  montant  en- 
viron 6JBO,000  livres,  il  peut  re- 
venir i  l'Espargna.  •  .  8,085|000 
tant  de  livrée. 


FoUo84ever«o.  a 
Uvrea'. 


me  totale  de  la 
.    16,805,885 


Le  traité  du  revenu  et  dépense  de  France  donne  des  rensei- 
gnements très  précis  sur  la  situation  financière  du  royaume  au 


*  Nons  donnons  la  taxte  dn  mannsciit  dans  Pétat  asact  oà  il  est,  et  dans 
eet  état,  il  anffit  ponr  indiquer  la  aanle  différence  vraiment  importante. 


qu'indique  l*imprimé,  et  16  millions  qne  porte  la 


Donr 
celle  entre  6  millions 
mannacrit. 

Cependant,  il  est  clair  qn'ana  finie  da  copie  a  Intfodnit  une  légèm 
«rrenr  dans  cette  somme  de  16,808,888  livres.  En  eflêt  la  manuscrit  coa- 
tinna  ainsi  :  »  Laquelle  (somme)  avec  Us  charges,  tant  sur  les  generalitaa 
m  que  sur  les  fermes,  qui  montent  f  S  millions,  100  mille,  700  tant  de 
a  Ûvres,  le  tout  revient  è  30  millions  dix  mille  livres,  m  An  lieu  da  lira 
an  premier  article  16,005,853  livres,  il  laut  Ure  16,900,385  livres,  comaaa 
le  demande  la  correspondance  entre  la  somme  portée  an  premier  article» 
et  celle  indiquée  au  second  dans  le  total. 

Somme  dn  premier  article 16,900,385  livres» 

Somme  du  second  article 13,109,700 


Total 30,010,065 

Total  égal  à  celui  indiqué  dans  la  manuscrit,  moins  la 
I  livres,  qui  a  ctc  négligée  par  le  copiste  ponr  énooear  n» 

34 


frndinn  d* 


530,  HISTOIBB  OD  BiONS  OK  HSHBl  IV. 

couamencement  de  l'année  1607;  mais  cet  état  n'est  qu'un  état 
de  passage,  fia  1607,  il  n'y  a  que  deux  sources  de  revenus 
publies  :  1*  les  Tailles,  subdivisées  en  iNrtneipal  de  la  tailla,  crue 
ordinaire,  crue  extraordinaire  ;  2*  les  Fermes.  Le  domaine  et  les 
deniers  extraordinaires  sont  à  peu  près  stériles,  rendent  si  peu 
de  chose  que  l'auteur  du  Traité  prévient  qu'il  les  négligera,  qu'il 
ne  les  fera  pas  entrer  dans  ses  comptes.  «  Le  domainû^  dii-il, 
»  ayant  été  aliéné  depuis  les  guerres  civiles,  comme  chacun  sçait, 
«  et  ne  s'en  tirant  aucune  chose  dans  la  plupart  des  généralités, 
»  des  autres  peu,  nous  laisserons  cette  partie  encore  qu'elle  soit 
»  le  ioBdementdes  autres. —  Les  denieti  ^xlraordmaim  sont  ceux 
»  desquels  n'est  pas  fait  état,  qui  se  sont  plus  étendus  qu'à  présent, 
»  qu'ils  sont  presque  réduits  aux  nouvelles  créations  d'offices. 
»  De  aorte  que  cette  seconde  espèce  éiantpeude  chomt  casuelle, 
»  et,  par  conséquent,  sans  règle,  nous  parlerons  seulement  de  la 
»  première  espèce  (des  deniers  ordinaires).  » 

En  1609,  au  contraire,  le  domaine  et  les  deniers  extraordi* 
naires  produisent  4  millions,  sur  20  millions  qui  entrent  dans 
l'Épargne  ou  Trésor,  après  le  prélèvement  des  charges.  Donnent 
le  cinquième  de  ce  que  l'jon  appelle,  en  ce  temps,  les  deniers 
revenant  bons  en  l'Épargne.  En  effet,  Sully  dit  positivement,  au 
chapitre  186  des  (Economies  royales  ^  qu'Henri  lY,  à  sa  mort, 
ne  tirait  que  16  millions,  moitié  de  la  taille,  moitié  des  fermes. 
Or,  comme  les  actes  publics,  les  pièces  authentiques  établissent 
clairement  qu'en  cette  année  il  entrait  20  millions  dans  l'Epargne, 
il  est  clair  que  les  4  millions  de  surplus  étaient  fournis,  soit  par 
le  produit  du  domaine  racheté,  du  domaine  particulier  de 
Henri  IV,  réuni  à  la  couronne  en  1 607,  du  domaine  de  la  reine 
.  Marguerite  donné  au  Dauphin,  des  diverses  autres  branches  de 
revenus,  dont  nous  avons  présenté  le  tableau  '  ;  soit  par  suile  de 
la  diminution  des  charges  résultant  de  l'amortissementd'une partie 
déjà  considérable  de  la  rente  qu'on  n'avait  plus  à  payer. 

£n  1596,  avant  l'assemblée  des  Notables  tenue  à  Rouen,  la 
somme  totale,  non  pas  de  ce  qui  entrait  dans  l'Épargne  ou  Trésor, 
mais  de  ce  qui  était  levé  sur  la  nation,  pour  &ire  face  à  la  fois 
aux  charges  et  aux  services  publics,  n'était  que  de  23  millions, 
les  charges  emportant  à  elles  seules  1 6  millions,  et  l'État,  dénué 
de  ressources,  était  sur  le  point  de  périr.  En  1597,  après  l'as- 
semblée des  Notables  et  conformément  à  leur  vote,  les  revenus 
publics  dirent  portés  de  23  millions  à  30  millions,  les  chargea 
continuante  être  de  16  millions'. 

En  1607,  le  chiff're  des  sommes  imposées  au  peuple  restait  de 
30  millions,  mais  les  charges  avaient  diminué,  et  étaient  réduites 
de  16  millions  à  13  millions,  comme  le  témoigne  l'auteur  du 

'  Voir  U  citation  d«  co  patnfe,  ci<-deuiu,  p.  478. 

■  Toir  ci^euai,  p«  489,  480,  Tes  «xlraiU  do  conpts  d«  1609. 

*■  Voir  ci-dtuni,  p.  31S,  4OT,  402. 


DOCUMENTS  HISTORIQUES.  531 

Traité  du  revenu  et  despense  de  France  dans  le  passage  suivant 
de  la  fin  de  son  traité.  «  Laquelle  somme  totale  de  la  despense, 

•  avec  les  chargei^  tant  sur  les  généralités  que  sur  les  fermes 
»  qui  montent  à  treize  millions,  cent  neuf  mille  sept  cent  et  tant 
»  de  livres,  le  tout  revient  à  trente  millions  dix  mille  livres  '.  » 

En  1609,  les  sommes  levées  sor  le  peuple  ne  sont  plus  que 
de  26  millions,  les  charges  sont  réduites  à  6  millions  :  ce  qui 
entre  dans  l'Épargne  ou  Trésor  monte  à  20  millions,  et  permet 
tout  à  la  fois  de  donner  bien  plus  à  tous  les  services  publics,  et  de 
réaliser  les  importantes  économies,  les  réserves  considérables 
qui  se  trouvèrent  à  la  Bastille,  lors  de  la  mort  du  roi.  Tout  cela 
résulte  du  compta  de  l'Épargne  de  1609,  et  des  calculs  de  For- 
bonnais'. 

Ainsi  leTraité  du  revenu  et  dépense  de  France,  de  Tannée  1607, 
ne  représente  qu'un  état  de  transition.  Los  finances  du  royaume 
ne  sont  plus  dans  l'état  désastreux  où  SuUy  et  Henri  IV  les  prirent 
en  1696,  avant  l'assemblée  des  Notables  tenue  à  Rouen.  Elles 
ne  sont  pas  dans  Tétat  florissant  où  elles  parvinrent  en  1609 
et  1610,  par  l'effet  de  mesures  dont  le  principe  existait  déjà 
en  1607,  mais  dont  les  effets  ne  devaient  se  produire  que  durant 
les  années  suivantes,  comme  l'auteur  le  prévoit  et  rexprime  lui- 
même,  au  moment  où  il  publie  son  ouvrage,  c  Le  peuple,  dit-il, 
«  peut  mieux  espérer  pour  l'avenir.  Sa  Majesté  recouvrant^ 
■  comme  elle  a  continué  de  jour  à  Vautre^  le  douaire  sacré  de 

•  ta  couronne,  dont  il  y  a  parti  fait  dès  la  fin  de  l'année  der* 
»  nière,  pour  près  de  trente  millions  '.  » 

D'où  il  résulte  que  le  Traité  sur  le  revenu  et  dépense  de  France, 
qui  fournit  de  précieuses  indications  sur  l'état  financier  du  pays 
pendant  la  période  de  1600  à  1607,  est  un  document  compté* 
tement  insuffisant  pour  faire  connaître  cette  même  situation  à  la 
fin  de  1609  et  au  commencement  de  1610,  et  pour  conduire  à 
rintelligence  des  résultats  déflnitiCi,  et  à  la  juste  appréciation  de 
l'administration  de  Henri  IV  et  de  Sully. 

*  Ifaauicril,  folio  t40  Terso,  «1  folio  fSO  reclo. 

*  Toir  TcslrBit  da  compte  Se  l*EpBr|n«  «t  Im  réralUls  qao  Sobim  l'tftado 
dt  ce  compte,  dwni  les  Recborcliet  el  con«ideraUoii«  >ar  le*  Snaocot  éê 
PrsBce,  |Mir  ForbooiuU,  U  I,  p.  iOO-119,  ISS,  ItT. 

*  Vanoicrit,  folio  SBO  rocto. 


nu  DU  TOKB  PABiaiB. 


CORRECTIONS  ET  ADDITIONS 


Pfe|*  n«  ligne  31  :  de  la  cavalerie  et 
de  rinfiinlerie  étrangère,  lUes  :  de . 
la  cavalerie  et  de  rinfaaterie  fran- 
çaiee  rt  étrangère. 

Page  48,  ligne  7.  L*antlienUeiltf  de  ce 

billet  de  Henri  IV  à  Grillon  nt  at- 

'  taquéraujourdliai  parla  critiqae. 

Page  7f ,  note  f ,  Snllj,  OEcon.   roj. 
'  ch.  140  et  30,  lises  :  ch.  «48  et  30. 

Page  198,  ligne  30  :  il  renToya  reza- 
meadela  troisième  propoaition  dea 
Eapagnola  à  rezamen  da  Conaeil 
d*EUt,  tUes  :  il  renvoya  la  troi- 
sième proposition  dea  ^pagnola  k 
Tezamen  du  Gonaeil  d'Etat. 

Page  SI,  ligne  S7  :  donna  anui  les 
mojena.  tises  ;  donna  au  roi  les 
moyens. 

Page  S53,  ligne  6  :  Cette  majorité  se 
composait,  lises  :  Cette  roaioritë 
se  composa. 

Page  185,  note  I  :  Thuaans,  I.  au, 
lises  :  L  cxm. 

Page  t87,  note  |,  ligne  t,  1.  uu,  %  9, 
«1-46,  tUês  t  i.  cxm,  S9f  H-t6. 


Page  t88,  ligne  96  :  Par  la  prompte 
mort  dn  duc  de  Nemours,  il  s« 
trouva  libérédesenpiements  con- 
tractés avec  Ini.  Effaces  cette 
phrase  qni  a  été  déplacée  et  tron- 
quée, et  qni  ne  préaenle  plus  qu'un 
énoncé  erroné.  Le  premier  duc  de 
Nemours,  celui  qui  avait  été  en- 
fermé è  Pierre>Encise,  est  mort  le 
13  aoAt  ISOft.  Le  second  doc  de 
Nemonrs,  qui  traite  avec  le  roi  au 
mois  de  janvier  1696,  est  le  mar* 
qnis  de  Saint-Sorlin,  devenu  duc 
de  Nemours  per  la  mort  de  son 
frère. 

Pace304,  à  la  manchette  :  Son  voyage 
dans  cinq  généralllés,  lises  :  Son 
voyage Xlans  quatre  généralités. 

Page  333,  noU  I ,  ligne  2  :  dans  les 
Mém.  de  du  Plessis,  t.  XTiil, 
p.  !I59,  lises  :  dans  les  Méin.  de 
du  Plessis,  t.  Tin,  p.  188. 

Page  3S!f,  notel,  ligne  4:  d'Auhigné, 
I.  IV,  c.  II,  t.  IV,  p.  367,  368,  313, 
lises  :  d'Auhigné,  1.  iv,  c.  u,  U  m, 
p.  367, 368,  373. 

Page  300,  ligne  14  :  les  Espagnols 
enlevaient  en  ce  même  moment  le 
Castelet,  Calais  et  Antres,  lises  ! 
les  Espagnols.  dé\k  maîtres  dn 
Castelet.  enlevaient  en  ce  même 
moment  Calais  et  Ardres. 

Page  361,  ligne  1  :  Des  quatre  com- 
missaires, Calignon  était  hugue- 
not,  les  trois  antres,  SchomMrg, 
de  Tic,  de  Thnn  étaient  catholi- 
ques, lises  s  Des  quatre  commis- 
saires, Calignon  était  huguenot, 
Scbomherg  luthérien,  les  denz  au» 
très,  de  Tic  et  de  Thon,  étaient  ca- 
tholiques. 

Page  446,  ligne  18  :  à  U  fin  de  Pen- 
née 1896,  lises  .-  à  U  fin  dn  mois 
de  ianvier  1807. 


TABLE  DES  MATIERES. 


INTRODUCTION.  QoMtioiu  de  droit  public  sooktdet  par  rnàMutnl  d« 

Henri  IV.  Condnita  politique  el  moralité  de  le  Ligue i 

LIVRE  !•'. 
ut  L'AvimnNT  m  mmi  nr  a  la  fin  di  8a  mniiiuE  campaoi» 

(AOUT  1589-IANVIIR  1590). 

CHAPITRE  I*'.  ^  Avènement  de  Henri  tV,  Go¥i9emement  rUnl 
établi  par  to  iÀgUe  {aoàt  i  589). 

IM9.              Droite  de  Henri  de  Boortion  à  le  oooronne i3 

Trois  pertis  permi  let  enlhoiiqiiet  en  cemp  de  Seinl-Clond 15 

Dâibdntion  de  Henri  de  Nenrre  an  qoutier  de  Mendon il 

Henri  Te  en  eemp  de  Seint-Clood.  D*Anniont,  d'Hnmiéree,  Gvny,  •  18 

Violence  dee  caUioliqaes  ardente 18 

Henri  reconnu  per  le  nobleaae  de  rHe-de-Freoee,  de  Picardie,  de 

Champegne,  et  per  les  Suisaes tO 

NouTelle  délibération  des  seigneurs  en  cemp  de  Seint-Clood.  ...  30 

Engagement  réciproque  du  roi  et  dee  seigneurs 3i 

Autorité  de  la  déclaration 33 

CooMquenoes  de  la  déclaration 34 

Le  parti  des  Politiques 36 

Mobiles  de  l'intérôt  priré  et  fiictions  daps  le  perti  royal 37 

Chefs  défedionnaires  :  l'armée  royale  diminuée  de  moitié 39 

Henri  est  forcé  de  s'éloigner  de  Paris 3i 

L'année  royale  dirisée  en  trois  corps.  Plan  de  campagne  de  Henri.  .  31 

Adhésions  dans  les  provinces  à  la  déderation  de  Saint-Cloud.  .  .  34 

Bflbrtsdela  Ligue  contre  Henri  IV 30 

NouTeau  soulèvement  populaire 37 

Puissance  des  prédicateurs 38 

Gouvernement  de  la  Ligue  organisé  per  Mayenne 38 

La  Ligue  française 38 

Plan  d'usurpation  de  Mayenne 40 

Déclaration  du  5  août  :  arrlts  de  divers  parlaoïenls 40 

CHAPITRE n.  ^Première campagne ie  lfoiH/r(M«ll589-icf|. 

vjerl590). 

Progrès  du  roi  en  Normandie 43 

Plan  de  gnerre  de  Henri  :  Dieppe  et  Caen 48 

Forces  rassemblées  per  Mayenne;  sa  narehe 44 


1589-1580. 


Ado4«.  63&  TABLE  DES  MATIÈRES. 

15S9.               Guerre  de  postes.  Gombets  d'Arqués 44 

Secours  amenés  à  Henri  d'Angleterre,  d'écosse,  de  France.  ...  46 

Guerre  savanle  faite  par  le  roi  aux  environs  d'Arqués  et  de  Dieppe.  47 

Prise  de  cinq  faubourgs  de  Paris.Occasionde  preudre  cette  viDe  perdue.  48 

1589-IQ60.           Conquêtes  en  Orléanais,  Maine,   Anjou,  Normandie 49 

Le  roi  reconnu  par  les  Suisses  et  les  Vénitiens 50 

Henri  reconnu  également  par  les  goutemeura,  la  noblesse,  le  haut 

clergé,  les  parlements  demeurés  neutres 50 

La  royauté  de  Henri  reconnue  en  Bretagne,  Berri,  Bourbonaais, 

Marche,  Limosin,   Dauphiné 53 

Conduite  du  parlement  de  Grenoble 53 

La  royauté  de  Henri  reconnue  dans  une  partie  de  la  Provence.  •  .  53 

La  royauté  de  Henri  reconnue  plus  explicitement  en  Languedoc.  .  54 

Le  perti  royal  élabU  dans  toutes  les  provinces,  excepté  trois.  ...  S5 

Le  roi  reconna  par  la  presque  totalité  du  hant  clergé  cttKoliqne.  .  .  55 

CHAPITRE  m.  —  Inlérieur  de  la  Ligue  {teptembre  i589-janvier 
t590). 

Progrès  et  exeès  exécrables  des  Seise S7 

Tentative  pour  faire  nommer  Philippe  H  proteclmr  de  la  France.  58 

Le  conseil  de  l'Union  cassé  par  Mayenne 60 

Compromis  entre  Mayenne  et  la  Ligue  française 6i 

LIVRE  II. 

D8PUIS  LA  HN  D8  Uk  mniM  CAMPAONI  M  miM  IV,  ltJIQtJ*A  L*Otl?lKT!IM 

DBS  ^TATs-oiniRAUx  D8  LA  Lioui  (rimuRi  l590WAimKll  1598). 

CHAPITRE  I.  —  BataUle  d'ivry  et  eet  tuitef  (1590). 

Nouvelles  forces  rassemblées  par  Mayenne 65 

Déclaration  de  Philippe  II 66 

Déclarations  et  arrdU  hosttles  ft  Henri  IV 66 

Le  roi  réduit  à  négliger  les  moyens  de  conciliation  et  k  feeoorir  à 

la  force 68 

Siège  de  Dreux,  bataiDe  d'ivry 69 

Bataille  d'Issoire  :  la  Ligue  vaincue  partout 70 

Situation  de  Mayenne,  ses  résolutions 70 

Progrès  du  roi  :  état  de  Paris 70 

Trahisons  auxquelles  le  roi  est  en  butte  dans  son  parti 71 

CHAPITRE  n.  —  fiJociu  et  iéUvranu  de  Parie.  Ledmede  Pwrme. 
Invasion  du  territoire  par  les  étrangère,  NouiHêu  effeUme  dé 
guerre  adopté  par  le  roi. 

1500.                Henri  reprend  les  hostilités 7S 

Blocus    do  Paris 74 

Décret  de  la  Sorbonne,  procession  de  la  Ligne,  serment 74 

Deux  partis  dans  la  ville 75 

Nouvelles  trahisons  dans  le  camp  dn  ni 75 

Le  roi  serre  Paris  davantage.  Famine 76 

Pitié  du  roi 77 

Erreurs  sur  les  dispositions  des  Parisiens 77 

Mauvaise  foi  de  Nemours,  des  Seiie,  de  Mayenne 78 

Le  duc  de  Parme  en  France.  Levée  du  bloens  de  Pvif 78 

Paris  ravitaillé  :  dispenion  de  rarmée  dti  rai 70 


1500. 


Aontfe.                                               TABLE  DIS  MATIÈRES.  636 

158a               DëHtnoM  de  Pirif 61 

Invasion  du  Lan^fuedoc,  de  la  Bretagne,  de  la  Provence,  par  ke  Ba- 

pagnoUet  lea  Savo]fards 69 

État  de  la  France  et  des  parUs  à  la  fin  do  1590 83 

Nouveaux  pnjparatilii  du  roi,  proportionnés  k  l'atlaqne 86 

GHAPITftE  lU.  —  TniêUmê  eampagtu  eu  roi,  HapporU  *e  la  France 
avec  le  Saint-Siège.  Lee  parlements  polUiquet:  Uckr§é  gaUiean 
(i591). 

1891.               Conquêtes  du  roi  autour  de  Paris 89 

Conquêtes  des  lieutenants  du  roi  en  Normandie 91 

Rapports  de  ia  France  avec  le  Saint-Sié^e ^ 91 

Brefii  et  bulles  monitoriales  de  Grégoire  XIV.  .  .  .*^ 93 

Armée  levée  contre  le  roi.  -. « t  .  .  .  94 

Arrêts  des  parlements  de  Châlons  el  de  Tonrs 94 

Édita  du  roi 95 

Déciaralion  de  l'Église  de  France  assemblée  à  Chartres 96 

CHAPITRE  IV.  —Progrèi  de  Vinvatian  étrangère.  Conspiration  éee 
Sei*e  powr  rtàner  V ordre  puMio  et  pour  livrer  le  roifoume  à 
PhiUppe  IL  Le  Tiers-parti. 

Progrès  de  Tinvasion  étrangère  au  nord  de  la  France 99 

En  Provence 99 

En  Brniagne 108 

Conspiration  des  Seize  et  du  clergé  ligueur  k  ParU 101 

Prédications  sanguinaires 101 

Attaque  des  Seiie  contre  Mayenne 109 

Lettre  des  Seiae  el  du  clergé  ligueur  de  Paris  k  Philippe  II 104 

Brigard  et  les  prétendus  traîtres 105 

Proscription  générale  arrêtée 106 

Conseil  des  Dix 107 

Assassinat  de  Brisson,  Larcher,  TardiT. 107 

Provocation  a  un  soulèvement  général 108 

Conduite  du  peuple  et  de  la  bourgeoisie 109 

Nouveau  parlement  projeté.  Chambre  ardente.  Conduite  du  parle- 
ment. .  * '. 109 

Mayenne  à'Paris.  Supplice  et  exil  des  chefs  des  Seiie 111 

Puissance  des  Seize  détruite.  L'ordre  civil  et  social  rétabli 118 

Situation  générale.  État  dos  partis 119 

Formation  du  Tiers-parti 114 

Le  roi  réunit  les  divers  corps  de  l'armée  étrangère 114 

Siège  de  Rouen  projeté  et  commencé  (11  novembre  1591).  .  .  .  116 

CHAPITRE  V^  —  1.  Convention  honteuse  consentie  par  Magennt. 
sage  de  Rouen.  Le  roi  trahi  de  nouveau,  et  tous  ses  desseins 
ruinés.  Situation  des  provinces.  -—  IL  Extrêmes  dangers  de  la 
Frsnce.  Henri  n'ayant  pu  abattre  la  révolte  par  la  guerre^ 
teeourt  aust  négociations  avec  les  ehefk  de  la  Ugue,  aux  OM»- 
ceMiofw  mêlées  de  mesures  coerdtives  avec  les  peuples  de 
l'Union.  Les  peuples  inclinent  vers  lui  :  efforts  de  Mayenne 
pour  relever  son  parti. 

I5QS.               Convention  honteuse  •onclue par  Ma|eoae  «tw  le  roi  d'Bspag ne.  .  il  7 

Biége  de  Rouen,  le  roi  trahi  de  noaiwii • 118 


Aontf*.  536  TABLE  DES  MATIÈRES. 

189t.  Firnéte  entre  de  nouveau  en  France  avec  une  arm^.  Reoeonlre 

d'Anmale itl 

Rerera  de  Biron  au  liëge  de  Rouen Itt 

Dicpenion  d*une  partie  de  Tannée  royale IM 

Lerëe  du  siège  de  Rouen it3 

Siëge  de  Caudebec.  Combinaiaon  admirable  du  roi It3 

Cinq  combats  prés  dTvetot.  Affliire  de  Ranson It4 

Passage  de  la  Seine  par  Famèse It5 

Retraite  de  Famèse 495 

Événements  divers  dans  les  provinces 196 

Bretagne 497 

Languedoc  ei  Guienne 498 

Provence 499 

Dauphiné 199 

Progrès  du  Tiers-parti 199 

Élection  prochaine  d'un  roi 130 

BxtréiMs  dangers  de  la  France  d'après  tous  les  contemporains.  .  .  131 
Henri  '^saie  d'amener  Mayenne  et  les  chefe  de  la  Ligue  à  fidre  la 

paix 133 

Les  cbefe  de  la  Ligne  eiigent  la  persécution  rdigieuae  et  le  dé- 
membrement féodal  de  la  France • 1 33 

Henri  s'adresse  aux  peuples  de  la  Ligue.  État  des  partis  dans  la  Ligue.  137 

Dispositions  des  Parisiens 138 

.   Promesse  d'abjuration  :  l'eipédient 139 

Nouvelles  mesures  coercitives  contre  les  villes  de  la  Ligue.  ...  139 

Assemblée  des  Politiques  :  les  sémonneux 140 

Ambassade  au  Pape *  141 

Arrêt  du  parlement  de  Paris.  Asaemblée  des  bomgeois 141 

Retour  de  Mayenne.  Nouvelles  assemblées,  la  cour  des  Comptes.  .  149 

Résistance  de  Mayenne 149 

Décision  de  l'assemblée  générale  à  l*h4telde  ville 143 

Arrêt  du  parlement  deChâlons 144 

Succès  des  lieutenants  du  roi  dans  les  provinces 1 44 

Divers  projets  de  convocation  des  États  généraux  de  la  Ligne.  ...  145 

Desseins  du  duc  de  Parme 146 

Convocation  des  États  de  la  Ligue  à  Paris 146 

Mort  du  duc  de  Parme  :  conséquence  de  cette  mort 147 

Dernières  mesures  adoptées  par  Mayenne  pour  rdever  son  parti.  .  148 

Déclaration  de  Mayenne 149 

La  Ligue  française  persiste  dans  ses  sentiments  :  ses  actes.  ...  1 50 

1508.               Sentiments  de  réprobation  contre  les  États  de  la  Ligue 151 

Proposition  des  principaux  seigneurs  royaux  d'ouvrir  une  confé- 
rence pour  la  paix  entre  le  parti  royal  et  la  Ligue  (97  janvier).  .  1 53 
Déclaration  du  roi  du  99  janvier 154 

LIVRE  III. 

DIPOn  L'OUVEKTDM  DBS  iTATfl  M  LA  UOUB  JUSQU'A  L'ABIURATION  OU  ROI 

(JAlfViniWUILLBT  1593). 

I50SL               Ouverture  des  États  de  la  Ligue  ;  leur  composition 156 

Minorité,  minorité,  dans  les  ÉUU 157 

MsôfenM  essaie  de  former  une  mqorité  en  sa  Isveor 1 57 

Réserve  que  Mt  le  parlement  de  Paris 158 


knnée,  TABLK  OU  MATIÈRIS.  &37 

1088.  Projet  de  Maymne 159 

PremièrM  lëanoes  des  éuto  de  la  Ligne 1 60 

Progrès  de  la  Cation  espagnole  dans  les  Étals  :  Philippe  II  obtient 

d'abord  la  m^orilë 461 

La  proposition  de  la  Conférence  passe  dans  les  États;  par  qnds 

moyens 163 

Négodations  entre  Mayenne  et  les  Espagnols.  Jonction  de  lenrs  forées.  165 
Le  duc  de  Përia  à  Paris  ;  ses  tentations  de  corruption  auprès  des  di- 
vers corps 166 

Nouvelles  dispositions  ches  les  députés  des  Étals 168 

Prise  de  Noyon,  dispersion  do  l'armée  espagnole 108 

Haine  et  mépris  pour  les  Espegnols.  Dans  les  États,  la  majorité  passe 

k  Mayenne 169 

Premiers  proposition  des  Bspagnob  dans  les  Étals.  Passe  port 

donné  aux  royaux  pour  la  Conférence 170 

Jour  et  lieu  fixés,  dépotés  nommés  pour  la  Conférence 173 

Les  prédicateurs  de  la  Ligue,  les  Seise  et  leur  protestation.  .  .  .  173 

Nouveaux  complots  du  fiers-parti  et  du  parti  cahiniste  contre  le  rol«  1 74 
Prsmière  séance  de  la  Conférence  de  Suréne.  Manifestations  du 

peuple 177 

Quatrième  et  cinquième  séances  de  la  Conférence  de  Suréne  ;  dis- 
cussion    1 78 

Kxième  séance  de  Surfine  :  question  posée  par  les  d^tés  royaux 
relativement  à  la  conversion  de  Henri.  Politique  de  Mayenne  et 

de  ses  agents 181 

Propositions  verbales  des  Espegnols  ches  le  légat.  Boudier  et  Rose.  183 
Henri  annonce  au  conseil  son  intention  d*abjurer  :  garanties  aux 

hoguenols 185 

La  conversion  procbaino  du  roi  annoncée  aux  ligueurs,  dans  la  con- 
férence. Réponse  de  d'Espinac 1 36 

Mayenne  essaie  de  gagner  le  parlement  de  Paris.  Attriboto  politi- 
ques de  œ  corps 187 

Prcimière  proposition  écrito  des  Espegnols  dans  les  Étals.  Opposi- 
tion de  Mole  et  du  pariement 189 

Discours  deMendon:  sentiment  des  États 100 

Projet  d'une  quatrième  chambre  dans  les  États  :  distribution  des 

pouvoirs   publics 191 

Réponse  des  ligueurs  sur  la  conversion  du  roi  et  sur  la  trêve.  ...  19S 

Etat  des  partis  du  oAlé  de  la  Ligue 193 

Deuxième  proposition  des  Espagnols  :  rarcfaiduc  Ernest  et  Tinbute  : 

elle   est   r«ietée 194 

Vole  fameux  des  Buts  du  tO  juin.  Le  principe  de  Télection  d'un 

roi  admis  en  fiveur  d*ttn  prince  français  et  de  rinfknte 195 

Troisième  propoeition  des  Espagnols.  Corruption  des  députés.  .  .  197 

Examen  et  rqet  de  la  Iroisiènie  proposition  des  Espagnels 108 

Combinaison  de  Mayenne  arrêtée  le  S6  juin  et  reftisée  per  les  Ee- 

pagnols iOO 

La  Ligue  française  se  fortifie  :  ses  sdes i03 

Ressources  du  roi,  siège  de  Dreux,  opérations  dans  les  provinces.  •  t06 

La  Chambre  de  la  noblesse  des  Euts. t08 

Le  parlaoïent  de  Paris  :  son  trrH  du  38  juin t09 

Bxpllcaliott  de  l'arrêt  du  pariement tlO 

Puissance  de  l'arrêt 313 

Reasontrasees  et  signification  de  l'arrêt  à  Maymme 313 


kané:  6dS  TABLB  BIS  HATlillC8« 

I89B.              Siforfs  de  Mayenne  poor  faire  rompre  Tarrét  :  il  y  reeoaeê.  .  .  .  9i4 

Assertion. erronée  au  siqet  de  l'arrêt:  alfeta  qv*U  produisit.  ...  815 

Quatriàme  propoiltion  des  Bapagnols. 918 

ûi  combinaison  ëchoue SI  9 

La  trAve  a^ee  le  parti  royal  eondue  par  les  Étals  et  par  Mayenne. 

Opposition  du  lé^t.  ...» 220 

Nouvelle  allianee  de  Mayenne  tvee  les  Bspepwls 221 

Examen  par  la  Chamtire  du  tiers-diat  de  la  réception  en  France  d« 

concile  de  Trente 222 

Vote  dans  les  Etats  pour  la  réception  du  concile  de  Trente  en  France.  823 
Appréciation  de  la  conduite  des  Blats-généranx  de  1 593  :  les  dé> 
pûtes  salariés  psr  TEspayne,  d'après  tous  les  historiens  eontem- 

porains  et  d'après  les  registres  des  Etats 826 

Dernières  intrigues  du  TienHperti  ;  fermeté  da  roi.  ......  .  829 

Assemblée  des  prélats  gallicans  à  Saint-Denis  :  leur  conduite.' Abju- 
ration du  roi 831 

Le  roi  contraint  Mayenne  à  la  trêve 832 

La  dmofité  nnlioaale  passe  an  roi 833 


LIVRE  IV. 

DE  L*ABJtnUTIOM  DU  ROI  A  LA  oiCLARAnON  M  «UIRRI  rAlTI  A  L*lttAGNB 

(JUILLBT  1 593-JANVnil  1 595). 

* 

CHAPITRE  !•*.  —  état  TÉtpeetif  du  parti  royal  et  du  parti  ée  la 
lÀgue  du  31  juUUt  au  31  ddoem^re  1593.  Première  déftetimê 
danêlalÀ0ue» 

Publications  diverses  et  successives  de  la  satire  Ménippée  :  influence 

de  cet  ouvrage  sur  la  situation  politique 834 

Attentat  de  Barrière 835 

Premières  défections  dans  la  Ligpe  :  Boisrosé,  révolte  de  Lyon.  .  836 

Effets  de  la  trêve  :  fin  de  la  trêve,  nouvelles  défectioiu  dans  la  Ligne.  837 

Derniers  efforts  des  ligueurs  français  auprès  de  Mayenne 838 

Situation  et  conduite  de  Mayenne 240 

Retraite  de  ViUeroy,  soumission  de  Vitry  et  de  la  villa  de  Meam.  .  840 

* 

CHAPITRE  D.  —  Soumietion  de  diverte$  viUts  et  de  div^n  ehefê  de 
la  ligue  au  roi,  depui»  la  lin  de  la  trêve  et  le  oommtnùtmeni 
de  l'année  1594  juêqu'à  la  réduetwn  de  Parié. 

1804.  Élat  de  la  Provence.  Soumission  d*une  partie  du  pays  et  d'Aix.  .  .  242 

Le  pariement  d*Aix 843 

Soumission  de  ViUeroy  et  de  divers  gouverneurs  avec  leurs  villes.  .  844 

De  Lyon  ;  du  maréchal  de  la  Ghastre,  d'Orléans  et  Bourgea.  .  .  244 

Sacre  du  roi 845 

État  de  Paris  :  les  Politiques  et  le  parlement  :  menées  du  parti  aris- 
tocratique   » •  •  .  .  845 

Paris  se  litre  an  roi  (88  niir<  1594) 846 


TABLB  918  VATliRBSt  589 

CBAPITHB  m.  —  l'ordre  puMie,  lajuitieé,  rMbnMtCroKMi,  ftfte- 
bHi  à  Parit.  Arrêt  du  parlement.  Conduite  du  derfi  de  Périi, 
Rapporte  de  la  Pranu  et  de  Philippe  II  mm  la  Sait^Sié§ê 

(1594). 

1881.  L'ordfB public  rétabli  I Parit;  puis  la  jusUee  et  radminbtration.  .  158 

Arrél  du  parlement  de  Paria  do  30  mars t59 

Cooadqueilcés  de    Tarrét. t59 

Retour  de»  pariemenU  de  Tours  et  de  GhDona  (14  arril,  1 5  mai).  .  260 

Eut  du  elerg^  de  Paria t60 

Henri  recowin  par  le  dergd  (91  arril) 261 

Les  Jésuites 261 

Conduite  du  Pape 262 

Rapporta  de  Philippe  II  atec  le  Pape  et  les  autres  cours  de  l'Europe.  263 

CHAPITRE  IV.  —  SuiU  des  eoumietione  dee  viUee  et  dee  ehefk  de  la 
U§u4t  depuie  la  réduction  de  Parie  juêqu'à  la  fin  de  Vannée 
1594.  Traitée  avec  deuxprinceede  la  maieon  de  Guiee  etavec 
le  due  de  Lorraine.  Fin  du  Tiere-^rti»  Attentat  de  Chatel, 

Sounlasion  de  VWan,  de  Rouen  et  de  toute  le  Ifomiandie  (27  man) .  266 
Soumission  de  Troyes,  Sens,  Abberille,  Montreuil  ;  dana  le  midi,  de 

Riom  et  d'Afeo  (sTril) 267 

Henri  prend  Laon  (22  juillet) 268 

Soumission  de  Gbiteau-Thierry,  Amiena,  Beanvaia,  Noyon  (iuUlet, 

août  et  octobre) 269 

De  Poitiers,  de  Laval,  d*wie  partie  de  la  Bretagne 269 

Fin  du  Tiera-parti 270 

Soumiaaion  de  d'Elbeuf,  de  Guiae  et  de  la  GbaapagDe 270 

Traité  du  duc  de  Lorraine.  Reddition  de  troia  TiUea  de  la  Bourfogoe.  270 

Attentat  de  Gbalel,  eipulaion  daa  Jésuites  (27,  20  déceoabr*).  ...  271 

RénuhaU  obtenus  par  le  roi 872 

l|obiles  des  chef»  de  la  Ligue S73 

Prit  anquellea  obalb de  la  UgM  nUrent  leur  sounlaiion 273 


LIVRE  V. 

MPC»  Ll  COMMINCtlIlifT  N  LA  omMUC  COIfntl  L'MPAORB,  IUIKKJ'A  LA  flM 
Dl  LA  OUBRMCONTIIB  LA  AAVOU  (JAXVIIIi  1595-JAlfVnR  1601). 

CHAPITRE  !**.  —  Guerre  eontrt  FKepagne  et  lutte  contre  Ue  reetee 
delà  Lifue,  depuie  la  déclaratumde  guerre  à  l'Kepaone  en  jan- 
vier 1 595iiMf u'd  la  réduction  de  Marêeille  et  de  d:ipem&n  en 
fétrier  et  mare  1596.  Abeolution  du  roi  par  le  Pape. 

1306.  Henri  dMara  la  ipierreè  l*Bapefne  (16 janrier)  :  ans  plan  d*altaqae.  276 

Dispositions  de  Philippe  n 277 

Intelligences  de  Philippe  H  avec  les    rtstea  de  la  Ligue  et  du  parti 

des  grands 277 

Vienne  en  Daiiphiné  enlevée  au  duc  de  Nemours  par  Hontmoranci, 

et  ranlorilé  du  roi  affermie  dans  le  Lyonnais 177 

Soumiaaion  de  la  Bourgogne.  Combat  de  PottlaiDe-PruBceiae.  .  .  278  * 

Guerre  en  Pktfdie,  défaite  de  DoorieM 280 


ABDé«.  5A0  TABLE  DBS  MATIÈRES. 

iS06.  Soumission  de  Boisdauphin  :  pacification  da  Maine  et  de  TAi^oa, 

moins  qudques  Tilles  de  la  marche  d*Aigoa 881 

Le  roi  absous  par  le  Pape tSt 

Tréte  et  traité  contenu  arec  Mayenne 2S9 

Siège  de  Cambrai  par  les  Espagnols 283 

Le  roi  à  Paris;  conduite  du  parlement;  prise  de  Cambrai t8A 

Siège  de  la  Père  commencé 285 

Eut  de  la  Bretagne 285 

Progrès   du  psrti    royal  en  Provence.  Inflime  traité  conclu  par 

d'Épemon  avec  l*E^pagne 285 

1596.  Édit  de  Follembrai  (janvier).  Soumission  de  Mayenne 287 

Soumission  du  nouveau  duc  de  Nemours,  de  Joyeuse  et  de  Tou- 
louse. Parlement  de  Toulouse .  .  288 

Nouveaux  projets  de  Philippe  II 289 

Réduction  de  Marseille  :  soumission  du  duc  d'Épemon  (février  et 

mars) 290 

Étal  du  parti  aristocratique.  Arr£t  du  parlement  d'Aix  contre 

Genebrard 291 

• 

CHAPITRE  n.  —  Beveti  et  la  France  iant  la  guerre  eemre  VE$- 
pofftte  :  canêtanee  et  habileté  de  Henri,  Situation  intérieure  âee 
deux  raifaumes. 

Épuisement  de  la  France.  Détails  tirés  des  lettres  du  roi,  montrant 
combien  l'étiit  financier  du  royaume  est  misérable,  et  combien  il 

influe  sur  son  état  militaire 292 

Prise  de  Calais,  Ham,  Guines,  Ardres,  par  les  Espagnols 299 

Prise  de  la  Fère  par  Henri  :  les  frontières  garanties 300 

Proposition   féodale  des  seigneurs 301 

Ligue  offensive  et  défensive  conclue  par  la  France  avec  l'Angleterre 

et  la  Hollande  contre  l'Espagne - 302 

Prise  de  Cadix  :  ravages  de  TArtob  :  pertes  énormes  des  Espagnols.  303 

Epuisement  de  l'Espagne  :  banqueroute  de  Philippe  H 303 

CHAPITRE  ni.  —  Roeny  entre  au  eonteil  det  financée  :  eommenee^ 
ment  de  réforme  partielle, 

Rosny  entre  au  conseil  des  finances  (octobre  1596);  son  voyage 
dans  quatre  généralités; 305 

n  fsit  rentrer  les  sommes  diverties  sbusivoDoent  dans  ces  quatre  gé- 
néralités, et  fournit  su  roi  une  somme  notable  de  deniers.  .  .  .     306 

Efforts  des  dUapidateors  pour  le  perdre 306 

L'argent  ramassé  par  Rosny  ne  peut  fournir  sux  nécessités  publiques 
que  pour  un  court  espsœ  de  temps  et  pour  une  entreprise  par- 
ticulière   ,  .  .  .     308 

Le  roi  résout  de  convoquer  une  assemblée  nationale  à  l'effet  d'opé- 
rer une  réforme  générale  dans  les  finances,  et  de  porter  les  re- 
venus au  chiflire  nécessaire  pour  les  divers  services  publics  et 
pour  la  continuation  de  la  guerre  contre  l'Espagne.  Raisons  d'après 
lesquelles  il  se  décide  pour  une  assemblée  de  Notsbles 308 

CHAPITRE  IV.  —  Àiâemblée  det  notablet  à  Rouen.  Conseil  de 
raiion.  (Fin  de  1596,  1597). 

IS06-  Discours  du  roi  et  du  chancelier  k  l'ouverture  de  l'assemblée  des  No- 

ieS07.  tsbies  (4  novembre  1596) 309 

Le  roi  essaie  de  substituer  un  gouvernement  mixte  au  pouvoir  abiolu.    311 


Aanëe.                                                 TABLE  DES  MATIÈRES.  S&l 

^ISr  Rerema  publics  à  là  fin  de  i  596.  Remarquable  dëciaion  de  ra«eiu- 

1597.  1^1^  ^  Notables  relativonent  au  cfaiffine  auquel  seront  portés  les 

revenus  publics,  et  à  l'établisiiement  d'un  nouvel  impôt 313 

Le  Conseil  de  raison  :  erreurs  et  excès  des  Notables 31 3 

Avis  du  conseil  du  roi  sur  les  propositions  des  Notables,  Avis  de 

Rosny ; 314 

Le  roi  accepte  les  propositions 315 

Gabiers  des  Notables 315 

Bffort  des  partis,  etsurtout  des  parlements,  pour  se  donner  un  grand 

pouvoir  politique 317 

1597.                Fin  du  Conseil  de  raison 317 

CHAPITRE  V.  —PerU  dTAmient.  ÉUU  des  partU  et  de  l'opinion. 
Reprite  d'Amient.  ExpéditUme  de  Leediifuièrei  contre  la 
Savoie  (1597). 

Préparatifs  du  roi 318 

Surprise  d*Amiens  par  les  EIspagnols  (1 1  mars  1 597) .  État  du  royaume  319 
Mesures  militaires  et  financi^es  prises  par  le  roi  pour  reconquérir 

Amiens 320 

Opposition  des  parlements  de   Paris  et  de  Normandie.  Profond 

ébranlement  de  Topinion  publique,  nombreux  complots 321 

Ressources  en  argent  :  ordre  admirable  établi  au  siège  d'Amiens 

par  Henri  IV  et  Rosny 323 

Vain  effort  des  Espagnols   commandés   par    le  cardinal    Albert 

pour   faire  lever    le  siège  d'Amiens  :  reprise  de  cotte  ville 

(35  septembre) 324 

Guerre  entre  le  duc  de  Savoie  et  Lesdiguières 325 

CHAPITRE  W.-^  Fin  de  la  guerre  contre  la  Ligue  et  contre  VEê- 
pagne.  Soumnion  Mercœur.  Paix  de  VertHnt  (1598). 

1509.               Soumission  de  Mercœur  et  de  la  Bretagne 327 

Fin  de  la  Ligue  et  de  la  révoile  armée  de  l'aristocratie 329 

Conduite  des  parlements 329 

État  de  la  monarchie  espagnole 331 

Eut  de  la  France 332 

Traité  de  Vervins  (3  mai  1598) 332 

Conduite  de  Henri  à  l'égard  de  ses  alliés 333 

Principales  clauses  du  traité  de  Vervins 335 

Conduite  de  la  cour  de  Rome 335 

CHAPITRE  Vn.  —  État  des  calvinUtes  de  1589  d  1597.  ÉdU  de 

Nantes  {ib9S). 

g  1  >  Eut  des  calvinistes,  légisUtion  qui  les  régit  de  i  589  à  1 594.  338 

g  3.  Nouvelle  organisation  de  U  république  calviniste  en  1594.  .  854 

8  3.  Le  roi  accorde  aux  calvinistes  l'édit  de  Nantes 365 

Droit  public  et  religieux  des  réformés,  aux  termes  de  l'édit  de  Nantes.  365 

Eut  civil  des  réformés 367 

Eut  politique  des  calvinistes 368 

OpposiUon  à  l'édit  de  Nantes 370 

1599.               L'édit  enregistré  an  parlement  de  Paris  (25  février) 370 

Les  pariemenU  résignent  momentanément  leure  pouvoirs  politiques.  373 

Considérations  sur  l'édit  de  Nantes 373 

CHAPITRE  Vin.  —  Guerre  de  Savoie.  Divorce  et  mariaie  du  roi. 

RapporU  du  duc  de  Savoie  avec  U  France  de  1 588  à  1 598.  ...  374 

!ân?*              Intrigues  du  duc  de  Savoie  ;  oomploU  contre  le  roi  (1599, 1600).  375 

Guerre  contre  le  duc  de  Savoie  (11  août  1600). 377 


1601. 


kwé:  5A3  TABLS  DBS  MATliSES. 

1599-  Conquête  àù  ]«  Bresse  et  du  Bugey,  excepté  li  citadeUe  de  Bourg, 

i^l*  et  de  toute  la  Savoie  proprement  dite,  par  Henri  IV,  Biron, 

Lesdi^ièrea    et    SuUy 384 

Traité  avec  le  duc  de  Savoie  (17  janvier  1601) 884 

Grands  résultats  obtenus  dans  U  guerre ,  par  Textenaion  donnée  an 

.  génie  mililaire  et  à  Tartinerie 385 

Divorce  du  roi  et  de  Marguerite  de  Valois  (11  décembre  1590).  .  387 

Promesse  du  roi  à  mademoiselle  d'Entragues  (1"  octobre  1599)«  .  889 

Mariage  de  Henri  avec  Marie  de  Médicis  (5  octobre  1600) 890 

LIVRE  VI. 

iviimiINTS  P0UTIQUI8  PBNDAMT  LA  pilUOM  W  1600  A  1010.  MOVIMI» 
MENT  BT  ADHOIUTRATION  01  BBNRl  IV.  HWISTillB  M  tOLLY.  ÉTAT  Dl  LA 
BOCsiri,    DBS  SCIBNCES,   DB  la  LITTiRATDBB,  DBS  BBAQX-AIITS  tOVS   CB 

GHAPITRB 1**.  —  Contpirationi,  séditiont,  attentati  ccntn  la  vU 
du  roi.  Rappel  dei  JituUes  (de  1599  à  1609). 

Complota  de  Biron •  .  896 

Cooimenoeroent  de  sédition  dans  les  pays  d'outre- Loive 397 

Suite  des  complots  de  Binm.  ^n  jugement  et  sa  oondamnalim.  .  .  398 

Complot  du  duc  de  JoinvilJe • 400 

Con^iration  d'Entragues « 401 

Intrigues  de  Bouillon.  Mouvement  dans  Isa  provincea  du  MitU.  As- 
semblée de  Cbâtelleraut 408 

Expédition  contre  Sedan,  pleine  soumisaion  de  Bouilloo 40G 

Retraite  du  prince  de  Condé  cbex  lea  Espagnols 408 

Attentats  contre  la  vie  du  roi 409 

Rappel  des  Jésuites. 410 

CHAPITRE  n.  —  G9Wf«mtmeiU,juttke,  ûtétc  puèUe, 

8  1.  dnAvem^ment, 

Régime  représentatif  partiel .  .  •  .  417 

Régime  niunarcltique 418 

Liberté  conservée  par  les  assemblées  nationales 419 

Par  les  parlements.  « 419 

Par  les  corps  et  les  magistrats  municipaux. 421 

Rapports  du  gouvernement  avec  le  clergé  et  la  noblesse 429 

Rapporta  du  gouvernement  avec  les  villes  et  les  villages 424 

Réunion  au  domaine  de  la  couronne  du  domaine  particulier  du  roi.  427 

Les  donaines  de  Penlhièvre  et  de  Mereoar 428 

Conséquences  des  réunions 428 

Précautions  poliliquca  à  Tégard  des  princes  et  des  gouverneurs.  .  429 

Excellence  du  gonvememenl.  Le  roi  connaSt  de  lovles  ka  aCUrea.  430 

Choix  admirable  des  ministres  et  des  autrea  fonctionaaina 481 

Tout  fonctionnaire  irréprocbable  devenu  Inamniildij    .......  488 

§  2.  Juitke, 

Énormes  abus  dans  laiustiee  juaqu'ep  4507 .  484 

Edil  et  réforme  de  1597 437 

La  Paulclte 489 

Raisons  fiscales  et  politiques  de  la  Paulette 489 

Opinion  de  Richelieu. 440 

Vices  do  k  OMsunioiiB  les  fouverDemaiti  Mldes.  , 481 


TABIB  DES  VATliRBS.  543 

I  3.  Ordre  pubUe. 

L'ordre  public  entièreoMot  détroit  dans  les  campegnes.  Biifaii4a(es 
des  chefs  militaires  et  des  aoldJils.  Effets  de  est  étal  de  ebeees  sur 

l'agriculture,  le  conuDerce,  la  population 443 

Première  tentotive  de  reforme  :  déclaration  du  24  février  4697 .  .     444 
L'ordre  public  rétabli  par  l'ordouoance  sur  le  port  d'armée  du 
4  août  1598 444 

CHAPITRE  m.  —  AdnUniitration, 

g  4.  SUmtUm  MMmèrt  de  la  Framê  m  4599. 

Cause  de  la  sobvenion  des  finances < •    447 

La  dette  publique 455 

Revenus  publics 457 

%  9.  Refermée  opéréu  dame  ke  finaneeepat  Bmri  IVetpir 

SuUy. 

Réformes  relatives  aux  'uugêH»  engagés 460 

Aux  impôts  afrermës  au-dessous  de  leur  valeur,  ou  ne  rendant  rien.  46S 
Aux  vols  faits  par  les  comptables.  EtabUssemanl  d'une  oonptabiUlé 

régulière 463 

Aux  impdls  levés  par  les  gouverneurs  .  • 464 

Aux  rentes ...•  464 

A  l'aliénation  <bi  domaine  roj'al. 466 

Aux  marchés  et  aux  levées  de  troupes 467 

Suppression  des  oifDces  inutiles 469 

g  3 .  E/fele  du  réformée  de  Henri  lY  etde  SuUy  relativement 
au  produit  dee  dkvere  revenue  fublice,  et  notamment  dee 
impôte.  Produit  dee  impôts  eoue  ce  règne. 

De  combien  augmenta  le  produis  des  inipéts,  par  suite  de  réformes.  474 
Diverses  manières  do  supputer  le  produit  des  revenus  publics,  et  en 

particulier  des  impôts 474 

Quel  fut  le  produit  total  des  impôts  sous  ce  règne. 474 

Apparente  contradiction  entre  l'énoncé  de  SuUy  et  un  compte  de 

4609 475 

Concordance  réelle  des  deux  documents 476 

I  4.  Nature  et  aeeietU  dee  tmpéte  eoua  Uemi  lY.  Béfermeê 
de  dUmere  mpùte. 

Nature  des  impôts  sous  Henri  IV 477 

Assiette  et  perception  de  l'impôt.  Exagération  et  vices  de  la  taille 

jusqu'en  1597 478 

La  gabdle,  ses  vices 484 

Projet  de  reformer  la  gabeUe 485 

Erreurs  de  Henri  IV  et  de  Sully  dans  le  maintien  de  quelques  sub- 
sides   486 

§  5.  Bevenue  publiée  autree  que  Vknp&t.  Total  dee  reimmê 
publiée,  recette^  dipenee,  économie  aemueUa  à  U  fin  éé 
4609. 

Blanches  de  revenns  publies  antres  que  l'impôt. •  •  .  481 

Produit  des   divers  revenus  publics  en  4609 491 

Recette,  dépense,  économie  annuelle,  en  ce  qui  oonoeme  le  budget 

de  l'Eut,  àU  fin  de  4  609 49S 

Comparaison  des  charges  et  des  tevenus  publics  en  4  597  et  en  4609.  492 

DiniBUtion  des  impôts,  et  notamment  de  U  taille,  en  4609  ....  498 


•• 


5tUl  TABLK  DE$  MATIÈRES. 

g  6.  DetU  acquittée,  rmte^nuboynie,  domaku  racheté, 
réserve  9U  éamomie  en  .argent,  reisource»  extraordi-  ' 
naùres  au  commencement  44  IMO. 

Portion  de  la  r«nte  rachetée,  •!• 496 

Domaine  racheté .>  «  « 497 

Réserve  ou  économie  toCale  à  la  fi^  de  ce  règne 491 

Résultats  de  l'admiustn^fion  financière  de  Henri  IV  et  de  Sully.  .     500 
Ressources  extraordinaire  . 500 

§  7.  L'intérêt  tfe  l'argent  dimimié  ;  retsourees  'fbumies  à 
Vaipr^Uurc,  à  tindmtrie,  au  commerce. 
Idées  de.Hcnn  IVet'de  Sully  sur  les  J^^lo^pements  de  la  richesse 

nAionâle /  .  •  . 1^ 

'  édil'dé  jinilei  1601  ;  l'iniérct  de  IVgeni  abaiyé  ;  eff^de  la  me- 
suré stir  les  fortunes  particulières*  •.....*..,....     Sifi 
Effets  de  rabaissement  de  l'intérêt  tur  ragricntture,rindttstrie,  le 
commerce 503 

I  8.  ObeervaHone  tur  V administration  financière    de 
Henri  IV  et  de  SuUy. 
Considérations  sur  les  établissement!  financiers  au  point  de  vue 

administratif. , 505 

Considérations  sur  les  établissements  financiers  au  point  de  vue 
politique.  La  France  devient  la  première  puissance  financière  de 
l'Europe.  Application  du  principe  du  consentement  de  la  nation 
aux  impôts 510 

Table  des  Documents  historiques. 

I.  Déclaration  du  roi  Henri  IV  et  des  seigneurs  assemblés  au  camp 

de  Sainl-Cloud,  du  4  août  1589 515 

II.  Rcle%-é4leK  noms  dos  princes  i)u  sang,  des  principaux  seigneofs, 
^es  '  gentilshommes,  des  capilaines  de  compagnies,  des  chefs  de 
corps  étrangers,  qui  suivirent  Henri  IV  dans  sa  première  cam- 
pagne, et  qui  prirent  part  avec  lui  aux  divers  combats  livrés  aux 
environs  de  Dieppe  et  d'Arqués  du  15  au  27  septembre  1589.  .     SI  7 

in.  Relevé  des  noms  des  principaux  chebdes  armées  envoyées  en 
Picardie  et  en  Champagne,  des  gouverneurs  de  places  nommés  ou 
confirmés  par  Henri  IV,  dans  le  cours  de  la  première  campagne, 
el  de  oevx  qui  le  reçurent  dans  leurs  villes 518 

IV.  Relevé  des  noms  des  princes  du  sang,  des  principaux  seigneurs, 
des  gentilshommes,  des  capitaines  et  gouverneurs  de  places  voi- 
sines,  des  chefs  de  corps  étrangers,  qui  combattirent  avec  le  roi 
àlabatailled'Ivry,  1ol4mars  1590 519 

V.  Relevé  des  noms  des  seigneurs  qui  combattirent  autour  du  roi  V 
Fontaine-Française,  ou  qui  arrivèrent  à  son  secours  à  l'issue  tle 

ce  combat 580 

VI.  Note  sur  les  |)crsonnages  français  auxquels  les  lettres  de  Henri  IV 

sont  adressées.  .  , , 5S0 

VII.  États  des  sommes  quetei chefs  de  la  Ligue  exigèrent  de  Henri  IV 
pour  leur  désarmonenl.  État  fourni  par  Groulart.  États  fournis 

par  Sully  et  par  P.  Dupuy 5H 

VnL  Traité  du  revenu  et  dépense  de  France  do  l'année  1607.  .  .  .  528 

Corrections  et  additions 532 

FIN  Dl  LA    TABLE  DES  VATtiAIS  DU  fRSMIBR  VOLUME.