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Full text of "Histoire ecclésiastique des Francs, en dix livres : revue et collationnée sur de nouveaux MSS. ; et traduite par J. Guadet et Taranne"

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HISTOIRE  ECCLÉSIASTIQUE 

DES  FRANCS, 

PAR  GEORGES  FLORENT  GRÉGOIRE, 

ÉVÊQUE    DE    TOUIIS, 

EN     DIX     LIVRES. 

TOME  I. 


A  PARIS, 
DE  L'IMPRIMERIE  DE  CRAPELET, 

RUE    DE    VAUGIRARD  ,    N°  9. 
M    DCCC   XXXVI. 


HISTOIRE  ECCLÉSIASTIQUE 

DES  FRANCS, 

PAR 

GEORGES  FLORENT  GRÉGOIRE, 

ÉVÊQUE   DE    TOURS, 

EN  DIX  LIVRES5 
îifDUf  ti  ioiiaixmnk  sur  ^t  mmsaux  iUanuscrits, 

ET     TRADUITE 

PAR  MM.  J.  GUADET  ET  TARAIVÎVE. 


TOME   PREMIER. 


A  PARIS, 

CHEZ  JULES  RENOUARD, 


LIBUAIRE    DE    LA    SOCIÉTÉ    DE    l'hISTOIRE    DE    I  KANCE 
RUE  DE   TOURNON  ,   H"  6. 

i836. 


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Je  soussigné.  Commissaire  responsable  nommé  par 
le  Conseil  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France,  pour 
V édition  de  /'Histoire  de  Grégoire  de  Tours,  dé- 
clare que  le  présent  travail  de  M.  Guadet,  qui  com- 
prend la  traduction  des  trois  premiers  Livres  de  Gré- 
goire de  Tours,  me  paraît  mériter  d'être  publié. 


Paris,  le  10  Mars  i836. 


Signé  GUÉRARD. 


Certifié, 

Le  Secrétaire  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France, 
J.  DESNOYERS. 


^ 


AVANT-PROPOS. 


Les  ancêtres  de  Grégoire  de  Tours  prennent  rang 
parmi  les  familles  les  plus  illustres  des  Gaules  au 
temps  des  derniers  empereurs  romains  ;  le  pre- 
mier que  nous  connaissions  est  saint  Grégoire, 
évêque  de  Langres ,  né  d'une  famille  de  sénateurs 
de  la  ville  d'Autun  (i).  Cet  évêque  ,  qui  eut  pour 
frères  saint  Nicier ,  évêque  de  Lyon ,  et  Gandulf , 
honoré  du  titre  de  duc  (2) ,  laissa  trois  enfans 
d'un  mariage  antérieur  à  son  épiscopat,  savoir  : 
Tétrice ,  qui  fut  son  successeur  à  l'évêché  de 
Langres  ;  Georges ,  sénateur  d'Auvergne  (3)  ;  et 
une  fille  dont  le  nom  est  resté  inconnu. 

Georges  épousa  Léocadie,  petite-fille  de  Léoca- 
dius ,  sénateur  de  la  cité  de  Bourges ,  et  parent 
de  Vettius  Epagatlius ,  l'un  des  premiers  et  des 
plus  illustres  martyrs  des  Gaules  (4).  De  ce  ma- 
riage naquirent  deux  fils  :  Gallus ,  qui  devint 
évêque  de   Clermont,   et  que  nous  connaissons 


(i)  Greg.  Turon.,  Vit.  Patr.,  cap.  7.  J'emprunterai,  pour  la  pre- 
mière partie  de  cet  Avant-Propos ,  beaucoup  de  détails  à  Lévesque  de 
La  Ravalière,  Nouvelle  Vie  de  saint  Grégoire,  évêque  de  Tours,  Mém. 
de  l'Acad.  des  Inscr.,  tom.  xxvi,  p.  SgS. 

(2)  Greg.  Turon.,  Vit.  Pair.,  cap.  8.  —  Hist,  Franc,  lib.  v,  cap.  5. 
—  Ibid.,  lib.  VI,  cap.  1 1 . 

(3)  Greg.  Turon.,  Mirac.  S.  Julian.,  cap.  a3.  —  Vit.  Pair.,  cap.  6. 

(4)  Greg.  Turon.,  Hist.  Franc,  lib.  1,  cap.  27,  2g. 


vj  AVANT-PROPOS. 

SOUS  le  nom  de  saint  Gai  ;  et  Florent ,  qui  ap- 
partient aux  familles  sénatoriales  d'Auvergne  (i). 
La  fille  de  saint  Grégoire  eut  une  fille  nommée 
Armentaria  (2). 

Florent  et  Armentaria ,  petit-fils  et  petite-fille 
de  saint  Grégoire,  s'unirent  en  mariage.  Ils  eurent 
trois  enfans  (3),  dont  le  plus  jeune  vint  au  monde 
le  dernier  jour  de  novembre  de  l'an  53()  (4)  :  ce 
fut  notre  historien.  Il  reçut  les  noms  de  Georges- 
Florent,  qui  étaient  ceux  de  son  aïeul  et  de  son 
père;  et  il  y  ajouta  plus  tard  celui  de  son  bisaïeul, 
Grégoire  (5) ,  sous  lequel  il  est  aujourd'hui  plus 
connu. 

Grégoire  ^^assa  sa  jeunesse  en  Auvergne  ;  il 
vécut  là  près  de  son  oncle ,  l'évêque  saint  Gai , 


(i)  nt.  Pair.,  cap.  i4,  n°  3.  —  Glor.  Martyr.,  lib.  i,  cap.  84. 

(2)  Fit.  Patr.,  cap.  7. 

(5)  Mirac.  S.  Julian.,  cap.  24.  —  Mirac.  S.  Martin.,  lib.  11,  cap.  2  ; 
lib.  IV,  cap.  36,  —  Glor.  Martyr.,  lib.  i,  cap.  71. 

(4)  Lévesque  de  La  Ravalière,  Me'm.  de  ïAcad.  des  Inscr.,  tom.  xxvi, 
p.  604.  Le  tableau  qui  suit  représente  la  généalogie  de  Grégoire  de 
Tours  : 

Saint  Nicier,  Saint  Grégoire ,  Gandulf , 

évêqne  de  Lyon.  évêqne  de  Langres.  duc. 

''  ^ — '^ —  .1»—^"^^^'^^''^^^^  '^ 

Tétrice,  Georges,  Une  fille, 

cvèqne  de  Langres.  sénateur. 


Saint  Gai,  Florent  —  Armentaria. 

évêque  de  Clermont.  ■■■■^   .._     '  ■■ihmh 

Pierre.  Une  fille.  Grégoire  de  Tours. 

(5)  Ibid. ,  p.  6o5. 


AVANT-PROPOS.  vij 

qui  était  plus  à  portée  que  ses  autres  parens  de 
se  livrer  au  soin  de  son  éducation  :  car,  dans  ces 
temps  de  barbarie ,  le  souvenir  et  les  débris  de  la 
civilisation  romaine  ne  se  retrouvaient  plus  guère 
que  parmi  le  clergé,  c'est-à-dire  autour  des  sièges 
épiscopaux.  Son  instruction  fut  confiée  à  l'archi- 
diacre Avit,  qui  fut  depuis  successeur  de  saint 
Gai.  Il  fit  une  légère  étude  de  la  grammaire  et 
des  auteurs  de  la  belle  latinité  ;  mais ,  voulant 
suivre  les  grands  exemples  qu'il  trouvait  au  sein 
de  sa  famille,  il  se  voua  de  bonne  heure  au  ser- 
vice de  l'autel ,  et  partagea  bientôt  la  prévention 
de  quelques  saints  des  premiers  siècles  de  l'Eglise, 
qui  proscrivaient  les  plus  belles  productions  du 
génie ,  parce  que  leurs  auteurs  étaient  païens.  Dès 
lors  Grégoire  s'adonna  sans  partage  à  l'étude  de 
l'Ecriture- Sainte  et  des  auteurs  ecclésiastiques.  Il 
reçut  les  ordres  l'an  564 ,  à  l'âge  de  ^5  ans.  Neuf 
ans  plus  tard ,  il  était  déjà  devenu  célèbre  dans 
les  Gaules  par  sa  piété  et  par  ses  vertus  ,  lorsqu'il 
fut,  l'an  5y3  ,  appelé  à  l'évêché  de  Tours  :  il  avait 
alors  trente-quatre  ans.  La  manière  dont  il  a  parlé 
de  cet  honneur  montre  sa  modestie.  «  Quelque 
(c  indigne,  dit-il,  que  je  fusse  de  l'épiscopat.  Dieu 
a  voulut  que,  dans  la  douzième  année  du  règne  de 
«  Sigebert,  je  fusse  chargé  de  ce  fardeau  (i).  » 

(i)  Gieg.  Turon.,  Mirac.  S.  Martin.,  lib.  ii,  cap.  i.  J'adopte  ici  les 


viij  AVANT-PROPOS. 

On  était  au  temps  des  petits-fils  de   Clovis  ; 
c'est-à-dire  que  plus  d'un  siècle  s'était  écoulé  de- 
puis qu'à    l'ancienne   population  gallo-romaine 
étaient  venus  se  mêler  les  peuples  germains,  les 
Francs ,  les  Visigoths ,  les  Bourguignons.  Cepen- 
dant tous  ces  élémens  sociaux  étaient  encore  en 
fermentation ,  et  s'agitaient  de  mille  manières  : 
chacun  cherchait  à  se  faire  une  place  aux  dépens 
de  ce  qui  l'entourait:  les  peuples  se  froissaient;  les 
rois  s'égorgeaient  pour  se  dépouiller;  la  confusion 
et  la  violence  formaient  le  fond  de  la  société , 
oii,  comme  on  l'a  dit  (i)  ,  il  n'y  aurait  pas  eu  un 
seul  élément  d'ordre,  de  police  et  d'administra- 
tion sans  l'épiscopat.  Les  évêques  étaient  en  effet 
les  représentans  et  les  protecteurs  de  leurs  cités , 
et  y  exerçaient  l'influence  qu'avaient  perdue  les 
magistrats    municipaux  ;  ils  avaient    leur   place 
marquée  dans  les  conseils  du  souverain,  et  leur 
parole  fière  et  mesurée  y  posait  souvent  la  règle 
du  droit  et  du  devoir  ;  ils  étaient  honorés  dans 
le  monde,  où,  d'ordinaire,  leurs  lumières  et  leurs 
vertus  leur  attiraient  le  respect  des  peuples. 
La  vie  de  Grégoire  de  Tours ,  comme  on  l'a  dit 


dates  fixées  par  Lévesque  de  La  Ravalière  ;  il  est  bon  cependant  de  lire 
ce  qu'ont  écrit ,  sur  l'époque  du  pontificat  de  Grégoire  et  sur  l'année 
correspondante  du  règne  de  Sigebert,  le  P.Pagi,  ad  ann.  574,  num.  17, 
et  D.  Pvuinart,  dans  une  note  sur  le  passage  que  nous  traduisons. 
(i)  M.  de  Barantc. 


AVANT-PROPOS.  Ix 

encore ,  offre  un  bel  exemple  de  cette  influence 
salutaire  exercée  par  les  évêques  au  milieu  d'un 
temps  de  barbarie;  Grégoire  fut  l'un  de  ceux  qui 
comprirent  le  mieux  l'importance  et  la  sainteté  de 
leur  mission.  «  Soit ,  dit  M.  Guizot ,  qu'il  s'agît 
(c  de  défendre  ou  le  clergé  en  général ,  ou  lui- 
(c  même,  ou  les  privilèges  de  son  église,  ou  les 
«  proscrits  qui  s'y  étaient  réfugiés  ;  soit  qu'il  fût 
«  appelé  à  maintenir  ou  à  rétablir  la  paix  dans 
«  sa  ville;  soit  qu'il  intervînt  comme  négociateur 
«  tour  à  tour  employé  par  les  divers  rois  francs , 
fc  il  ne  manqua  ni  de  prudence  ni  de  courage  (i).  jj 

Grégoire  de  Tours  se  montre  lui-même,  dans 
ses  ouvrages,  placé  au  milieu  des  événemens  ac- 
complis au  temps  de  son  épicospat. 

La  ville  de  Tours,  lorsqu'il  en  fut  fait  évêque, 
dépendait  du  royaume  d'Austrasie.  Le  roi  d'Aus- 
trasie,  Sigebert,  fut  assassiné,  et  la  ville  de  Tours 
fut  enlevée  à  son  successeur  par  Chilpéric,  roi  de 
Neustrie.  Chilpéric  alla  plus  loin  encore  :  par  les 
suggestions  de  sa  femme  Frédégonde,  il  fit  enlever 
Brunehaut,  régente  d'Austrasie,  et  l'envoya  en 
exil  à  Rouen.  Cependant  son  propre  fils  Mérovée 
accourut  près  de  Brunehaut,  et  s'unit  en  mariage 
avec  elle.  Prétextât,  évêque  de  Rouen,  entra  dans 


(i)  Notice  sur  Grégoire  de  Tours,  dans  la  traduction  publiée  par 
M.  Guizot. 


X  AVANT-PROPOS, 

les  vues  de  Mérovée  et  de  Brunehaut,  et  bénit 
leur  union  :  c'était  trahir  l'autorité  royale,  et, 
près  de  Frédégonde,  une  trahison  ne  pouvait  res- 
ter impunie.  Les  évêques  du  royaume  furent  donc 
convo(|ués  à  Paris,  l'an  5y8,  pour  juger  le  crime 
de  Prétextât. 

Quarante-cinq  évêques  assistèrent  à  cette  as- 
semblée, où  se  trouvèrent  ceux  de  Rouen  et  de 
Tours.  Ils  se  réunirent  dans  la  basilique  de  Saint- 
Pierre,  qui  fut  depuis  Sainte-Geneviève  (i). 
Chilpéric  vint  au  milieu  d'eux  exposer  les  crimes 
de  Prétextât.  Il  accusait  cet  évêque  :  i  °.  d'avoir 
marié  Mérovée  sans  le  consentement  du  roi  , 
contre  les  lois  canoniques  et  civiles;  2°.  d'avoir 
distribué  de  l'argent  à  des  meurtriers  pour 
attenter  à  la  vie  du  roi  ;  3°.  d'avoir  intrigué 
près  du  peuple  pour  détrôner  le  roi  et  mettre 
Mérovée  à  sa  place.  A  ces  accusations ,  les  Francs 
frémirent  de  colère,  et  voulurent  briser  les  portes 
de  l'église  pour  en  arracher  Prétextât  et  le  lapi- 
der. Mais  le  roi  les  retint;  puis  il  se  retira.  Les 
évêques,  laissés  à  eux-mêmes,  gardaient  le  silence 
et  demeuraient  pensifs ,  le  doigt  appuyé  sur  les 
lèvres ,  parce  qu'ils  craignaient  la  fureur  de  la 
reine,  qui  dirigeait  toute  l'affaire;   Grégoire  de 


(i)   Voyez,    sur  toute    cette   affaire.   Histoire   ecclésiastique    des 
Francs,  liv.  v,  cliap.  19. 


AVANT-PROPOS.  xj 

Tours,  seul  entre  tous,  osa  prendre  la  parole  en 
faveur  de  Prétextât.  Il  commença  par  engager 
ceux  d'entre  ses  collègues  qui  approchaient  le 
plus  familièrement  du  roi  à  lui  porter  des  conseils 
de  paix  et  de  concorde,  dignes  de  saints  minis- 
tres de  Dieu.  Et  comme  nul  ne  répondait  à  ses 
vœux ,  il  prononça  un  discours ,  par  lequel  il  cher- 
chait à  disculper  1  evêque  de  Rouen  des  crimes 
dont  on  l'accusait.  Ce  discours  fut  dénoncé  au  roi; 
on  fît  entendre  à  Chilpéric  que  toutes  les  paroles 
de  Grégoire  avaient  été  inspirées  par  la  haine. 
Chilpéric  fît  venir  l'évêque  de  Tours,  et  lui  repro- 
cha vivement  sa  conduite.  Grégoire  répondit  avec 
fermeté,  et  bientôt  le  roi  ne  chercha  plus  qu'à  l'apai- 
ser par  des  prévenances  et  à  le  séduire  par  l'appât 
de  l'or  :  Frédégonde  lui  fît  offrir  200  livres  d'ar- 
gent pour  l'engager  à  se  déclarer  contre  Prétex- 
tât. Grégoire  répondit  :  Quand  vous  me  donneriez 
1 ,000  livres  d'or  et  d'argent,  je  ne  puis  faire  autre 
chose  que  ce  que  Dieu  ordonne.  Je  vous  promets 
seulement  déjuger  selon  les  canons. 

Cependant  le  procès  s'instruisit  ;  Prétextât  se 
laissa  arracher  des  aveux  par  surprise ,  et  se  trou- 
va ainsi  condamné  par  ses  propres  paroles.  Il  fut 
donc,  conformément  aux  canons,  dépouillé  du 
sacerdoce.  Le  roi  aurait  voulu  un  jugement  plus 
sévère  :  il  demandait  qu'on  déchirât  la  robe  de 
l'évêque;  qu'on  prononçât  des  malédictions  sur  sa 


xij  AVANT-PROPOS, 

tête,  et  qu'on  souscrivît  un  jugement  qui  le  pri- 
vât à  jamais  de  la  communion  ;  mais  Grégoire  de 
Tours  se  refusa  encore  à  ce  redoublement  de  ri- 
gueur qui  n'était  point  écrit  dans  les  canons ,  et 
sa  voix  l'emporta  sur  les  poursuites  de  Chilpéric. 
Le  roi  de  Neustrie  restitua  la  ville  de  Tours  à 
Childebert  II ,  roi  d'Austrasie.  On  doit  penser 
que  Grégoire  vit  avec  plaisir  cette  restitution , 
qui  le  rendait  sujet  de  Childebert,  car  il  avait 
toujours  montré  de  l'intérêt  pour  ce  prince.  Il 
alla  quelquefois  le  voir  à  Metz.  Dans  un  de  ces 
voyages,  Childebert  le  chargea,  si  l'on  en  croit 
Lévesque  de  la  Ravalière,  de  conclure  avec  Chil- 
péric un  traité  d'union  contre  Contran,  roi  de 
Bourgogne.  Grégoire ,  dit-il ,  s'acquitta  avec  zèle 
de  sa  mission,  et  ses  rapports  avec  le  roi  de  Neus- 
trie ne  se  ressentirent  en  rien  des  différends  qui 
les  avaient  divisés  autrefois.  Quel  qu'ait  été  le 
caractère  de  notre  auteur  dans  cette  circonstance, 
Chilpéric  ne  voulut  pas  le  laisser  partir  sans  avoir 
reçu  sa  bénédiction.  «  Nous  nous  lavâmes  les 
«  mains ,  dit  Grégoire ,  je  bénis  le  pain  ;  nous  en 
«  mangeâmes ,  le  roi  et  moi ,  chacun  la  moitié  ; 
ce  nous  bûmes  du  vin,  après  quoi  je  me  retirai  (  i  ).  » 
Nous  voyons  dans  une  autre  occasion  notre 
historien  chargé  par  Childebert  d'une  mission 

(i)  Hist.  Franc,  lib.  vi,  cap.  5. 


AVANT-PROPOS.  xiîj 

importante  auprès  de  Gontraii  ;  et  c'est  à  lui  qu'on 
doit  ce  traité,  fameux  dans  notre  histoire  sous  le 
nom  de  traité  d'Andelot.  Il  nous  en  a  lui-même 
conservé  le  texte  (i).  Il  reçut  encore  quelques 
autres  missions. 

Il  était  naturel  que  l'évêque  de  Tours,  l'un  des 
successeurs  de  saint  Martin,  l'un  des  conseillers 
des  rois  francs,  jouît  d'une  grande  influence  dans 
la  Gaule;  et  il  est  facile  de  comprendre  que  cette 
influence  dut  plus  d'une  fois  tourner  à  l'avantage 
de  l'Eglise,  et  de  la  ville  de  Tours:  Nous  voyons  en 
effet  Grégoire ,  l'an  689 ,  défendre  avec  fermeté  les 
privilèges  de  ses  concitoyens,  et  les  faire  triom- 
pher contre  les  entreprises  du  prince  (2).  Le  roi 
Childebert  avait  ordonné  qu'il  serait  fait  un 
nouveau  recensement  dans  son  royaume,  afin  que 
les  charges  fussent  réparties  d'une  manière  plus 
égale  et  plus  juste.  Les  officiers  chargés  de  pro- 
céder à  cette  opération  venaient  de  dresser  le  ca- 
dastre de  la  cité  de  Poitiers ,  lorsqu'ils  se  présen- 
tèrent dans  la  ville  de  Tours ,  pour  y  dresser 
également  le  rôle  des  contributions.  Grégoire  leur 
opposa  alors  l'immunité  accordée  à  sa  ville  par  les 
rois  précédens.  ce  II  est  vrai,  leur  dit-il,  que  du 
«  temps  du  roi  Clotaire^  il  fut  fait  un  recensement 


(i)  Hist.  Franc,  lib.  ix,  cap.  20. 
(2)  Ibid.,  lib.  IX,  cap.  3o. 


xîv  AVANT-PROPOS. 

«  de  la  ville  de  Tours,  et  que  les  registres  furent 
(c  portés  au  roi  ;  mais  le  roi  les  fit  brûler  par  res- 
«  pect  pour  saint  Martin.  Le  roi  Caribert  main- 
ce  tint  le  peuple  de  Tours  dans  l'exemption  dont  il 
(c  avait  joui  sous  Clotaire.  Après  la  mort  de  Gâ- 
te ribert,  Sigebert  posséda  cette  ville,  et  ne  la 
ce  chargea  d'aucun  impôt;  de  même,  depuis  qua- 
<c  torze  ans  que  règne  Childebert,  il  n'a  rien  exigé, 
ce  et  la  ville  n'a  gémi  sous  le  poids  d'aucune  impo- 
<e  sition.  Vous  pouvez  maintenant  la  soumettre  au 
ce  tribut  ou  ne  le  pas  faire,  mais  prenez  garde  aux 
ce  suites  fâcheuses  de  votre  entreprise.  »  Les  offi- 
ciers persistèrent  néanmoins  dans  leur  projet. 
Grégoire,  voyant  qu'il  ne  pouvait  vaincre  leur  ré- 
solution, envoya  des  messagers  au  roi;  et  à  peine 
ces  messagers  furent-ils  arrivés  près  de  Childebert, 
qu'ils  en  obtinrent  des  lettres  royales,  portant 
que ,  par  respect  pour  saint  Martin ,  le  peuple  de 
Tours  ne  serait  pas  soumis  au  recensement. 

Tous  les  détails  dans  lesquels  je  viens  d'entrer 
nous  montrent,  dans  Grégoire  de  Tours,  un 
homme  pieux  et  un  homme  public.  Ce  double  ca- 
ractère présida  à  la  rédaction  des  ouvrages  qu'il 
nous  a  laissés.  Son  zèle  à  répandre  la  foi  de  Jésus- 
Christ  le  porta  naturellement  à  offrir  en  exem- 
ple aux  peuples  la  vie  et  les  miracles  des  Pères, 
des  Martyrs, des  Confesseurs;  et  la  part  qu'il  prit 
aux  affaires  de  son  temps  l'engagea  sans  doute 


AVANT-PROPOS.  xv 

à  nous  transmettre  les  faits  dont  il  avait  eu  con- 
naissance ,  et  auxquels  même  il  avait  souvent 
participé. 

Les  premiers  ouvrages  de  Grégoire  de  Tours 
roulent  tout  entiers  sur  des  sujets  appartenant  à 
la  religion. 

Il  composa  ensuite  son  Histoire  ecclésiastique 
des  Francs,  qu'on  regarde  comme  le  dernier  de 
ses  écrits,  parce  que  tous  les  autres  sont  cités  dans 
celui-ci.  Cette  histoire  peut  être  divisée  en  deux 
parties  :  dans  la  première,  l'auteur  écrit  d'après  le 
témoignage  d'écrivains  plus  anciens ,  d'après  des 
traditions  ,  d'après  des  oui -dire.  Cette  partie 
remonte  au  commencement  du  monde,  et  finit 
vers  l'an  547  ^^  J-  ~  C.  ;  elle  comprend  les  trois 
premiers  livres  de  l'Histoire  des  Francs  (i).  La 
seconde,  écrite  d'après  ce  que  l'auteur  avait  vu 
lui-même,  commence  à  l'an  547,  ^^  ^"^*  ^  ^'^^ 
591  ;  elle  embrasse  environ  quarante -quatre  ans, 
et  remplit  les  sept  derniers  livres  de  la  même 
Histoire. 

Les  critiques  ont  fait  une  autre  distinction.  Ils 


(i)  Il  n'est  pas  tout-à-fait  exact  de  dire  que  l'auteur  ne  fut  pas  con- 
temporain d'une  partie  des  événemens  rapportés  dans  le  ni"  livre  de 
son  histoire;  car  étant  né  en  SBg,  il  avait  déjà  huit  ans  en  547.  Mais 
lorsqu'on  écrit  dans  un  âge  mûr,  on  ne  connaît  guère  que  par  les  récits 
ou  les  écrits  d'autrui ,  ou  même  par  des  ouï-dire ,  les  événemens  aux- 
quels on  a  assisté  dans  son  enfance. 


xvj  AVANT-PROPOS. 

ont  considéré  séparément  :  i°.  La  partie  qui  pré- 
cède l'établissement  des  Francs  en  Thuringe.  Cette 
première  partie ,  résumé  confus  et  quelquefois 
entièrement  erroné  de  l'histoire  ancienne,  serait 
pour  nous  sans  intérêt  si  elle  ne  contenait  quel- 
ques détails  sur  l'établissement  du  christianisme 
dans  les  Gaules.  2°.  La  partie  qui  date  de  l'établis- 
sement des  Francs  en  Thuringe,  et  qui,  descendant 
jusqu'à  l'an  Sgi,  embrasse  un  intervalle  de  cent 
soixante -quatorze  ans.  Cette  seconde  partie  fut 
composée,  pour  ses  premiers  temps,  sur  les  écrits 
de  Sulpice  -  Alexandre ,  de  Renatus  Profuturus 
Frigeridus,  de  Sidoine  Apollinaire,  de  saint  Rémi, 
évêque  de  Reims ,  et  d'après  les  Vies  de  quelques 
saints  de  ces  temps-là  ;  pour  les  temps  intermé- 
diaires ,  elle  repose  sur  la  tradition  qui  remontait, 
pour  notre  auteur,  jusqu'au  temps  de  son  aïeul 
saint  Grégoire.  Enfin,  pour  les  quarante  ou  cin- 
quante dernières  années,  l'auteur  racontait  ce  qu'il 
avait  vu ,  ce  qu'il  avait  fait ,  ou  ce  qu'il  avait  appris 
de  ses  contemporains.  Il  est  bien  peu  de  nations 
dont  le  berceau  soit  éclairé  par  autant  de  lumière. 
Tout  le  monde  est  d'accord  sur  l'importance 
de  l'Histoire  de  Grégoire  de  Tours.  Elle  se  re- 
commande surtout ,  à  notre  avis ,  par  un  double 
mérite  :  elle  est  le  principal  monument  original 
qui  nous  fasse  connaître  les  premiers  actes  de  la 
nation  française  ;  et  la  vérité  n'y  est  point ,  comme 


AVANT-PROPOS.  xvij 

il  arrive  si  souvent  dans  les  ouvrages  du  même 
genre,  étouffée  sous  un  amas  de  fables. 

Que  si  l'on  veut  considérer  l'ouvrage  de  Gré- 
goire de  Tours  comme  monument  littéraire,  il 
faudra  reconnaître  qu'une  distance  incalculable 
le  sépare  des  beaux  modèles  que  nous  légua  l'an- 
tiquité ,  soit  pour  le  fond  des  pensées ,  soit  pour 
la  forme  du  langage.  On  trouvera  le  style  lourd, 
monotone  ,  incorrect ,  souvent  barbare  ;  mais 
quelquefois  aussi  empreint  d'une  simplicité  qui 
n'est  pas  sans  charme.  On  peut  dire  même  que, 
si  notre  auteur  retrace  quelques  unes  des  effroya- 
bles calamités  de  son  temps,  ce  style  lourd  et 
monotone  semble  s'animer ,  et  qu'il  rappelle , 
en  quelque  sorte  ,  celui  des  premiers  auteurs 
chrétiens. 

Il  a  été  publié  depuis  long -temps  plusieurs 
traductions  de  l'Histoire  des  Francs.  Un  écrivain 
dont  le  jugement  est  d'un  grand  poids,  a  dit  des 
deux  premières  :  «  Deux  traductions  françaises  de 
«  l'ouvrage  de  Grégoire  de  Tours  ont  été  publiées, 
ce  l'une  en  1 6 1  o,  par  Claude  Bonnet,  avocat  au  par- 
ce lementde  Grenoble;  l'autre  en  1688 ,  par  l'abbé 
«  de  Marolles.  Elles  sont  l'une  et  l'autre  extrême- 
ce  ment  fautives,  et  la  première  est  souvent  plus  inin- 
cc  telligible  que  l'original  (i).  »  Savigny  a  traduit 

(i)  Yoyez  la  Notice  sur  Grégoire  de  Tours,  placée  par  M.  Guizot 
à  la  tête  du  premier  volume  de  son  édition. 

I.  b 


xvii}  AVANT-PROPOS, 

aussi ,  dans  ses  Essais  historiques  sur  les  mœurs 
des  Français j  les  parties  principales  de  l'Histoire 
des  Francs,  mais  cette  traduction,  qui  d'ailleurs 
n'est  ni  complète  ni  exacte ,  est  pour  ainsi  dire 
ensevelie  dans  un  recueil  qui  contient  beaucoup 
d'autres  ouvrages. 

Enfin,  M.  Guizot  publia  une  traduction  de 
VHistoire  ecclésiastique  des  Francs,  qu'il  admit 
dans  sa  collection  des  Mémoires  relatifs  à  l'histoire 
de  France;  il  lui  donna  le  titre  de  Mémoires  de 
Grégoire  de  Tours;  et  pour  mettre,  sans  doute, 
la  forme  du  livre  en  harmonie  avec  ce  titre,  il 
lit  disparaître  la  division  par  chapitres,  et  ne 
conserva  que  rarement  les  notes  par  lesquelles 
D.  Ruinart  et  D.  Bouquet  avaient  cru  devoir 
éclaircir  de  nombreux  passages  de  son  auteur  ; 
jugeant  sans  doute  que  ces  notes  pourraient  sem- 
bler déplacées  dans  une  collection  de  Mémoires. 
Quant  à  la  traduction  en  elle-même,  l'éloge  le 
plus  sincère  que  nous  en  puissions  faire ,  c'est 
de  dire  qu'elle  nous  a  été  fort  utile,  et  que  nous 
nous  sommes  quelquefois  permis  d'en  reproduire 
des  phrases  entières.  Nous  ajouterons  que  le  style 
naturel  et  pur  dans  lequel  elle  est  écrite,  et  qui 
décèle  une  plume  exercée  et  facile ,  la  fera  tou- 
jours estimer ,  et  lui  méritera  toujours  des  lec- 
teurs. Elle  ne  se  recommande  pas  moins ,  en  gé- 
néral, sous  le  rapport  de  l'exactitude,  et  si  nous 


AYANÏ-PROPOS.  xÎK 

avons  approché  davantage  du  vrai  sens  de  l'au- 
teur, nous  aimons  à  le  dire ,  c'est  à  nos  devanciers , 
et  surtout  à  l'auteur  de  la  traduction  publiée  par 
M.  Guizot,  que  nous  en  sommes  redevables;  le 
principal  mérite  est  ici  pour  nous  d'être  venus 
les  derniers ,  novissimi  primi. 

Toutefois  nous  avons  dû,  très  souvent,  nous 
écarter  du  sens  adopté  par  les  divers  interprètes 
de  Grégoire  de  Tours,  et  notre  traduction  diffère 
essentiellement  de  toutes  les  autres  dans  une 
foule  de  passages.  Pour  ne  parler  ici  que  de  celle 
qu'a  publiée  M.  Guizot,  la  seule  dont  on  doive 
aujourd'hui  tenir  compte,  nous  montrerons  les 
différences  principales  que  nous  ont  fournies  une 
vingtaine  de  pages  prises  au  hasard,  par  exemple, 
celles  qui  commencent  le  second  livre  de  l'Histoire 
des  Francs.  On  lit  dans  la  traduction  publiée  par 
M.  Guizot,  p.  39  et  4o  '-  Eusèbc,  Sévère,  Jérôme  et 
Orose,  dans  leurs  chroniques,  etc....  Passant  donc 
sur  ce  qu'ont  raconté  ces  auteurs,  etc.  Nous  avons 
pensé  qu'il  fallait  dire  comme  le  latin  :  Eusèbe, 
Sévère,  Jérôme,  dans  leurs  chroniques,  et  Orose, 
etc.  ;  car  Orose  écrivit  une  Histoire  et  non  une 
Chronique;  qu'il  fallait  dire  encore  :  Après  avoir 
jusqu'ici  suivi  les  Histoires  de  ces  auteurs,  etc.  (i). 

(i)  «  Sic  et  Eusebius,  Sevcrus,  Hieronymusque  in  Chronicis,  atquo 
Orosiiis,  etc....  Ycnientes  crgo  per  ante  dictorum  aucloriim  llislo- 
rias,  etc.  »  (11,  Prol.  ) 


X3B  AVANT-PROPOS. 

La  même  traduction  porte,  p.  4 1  *  Long-temps  tu 
as  caché  ta  luxure  sous  les  dehors  de  la  piété  d'un 
saint.  Selon  nous,  Grégoire  de  Tours  a  voulu  dire  : 
Long-temps  saint  Martin ,  par  esprit  de  piété ,  a 
caché  ta  luxure  (  i  ).  On  trouve,  p.  5^  :  En  484?  Hil- 
déric  lui  succéda;  la  date  n'est  point  et  ne  pouvait 
être ,  au  moins  sous  cette  forme ,  dans  le  texte  de 
Grégoire  de  Tours  (s).  P.  55  :  Il  fut  enterré  près  du 
rempart  public  ;  nous  avons  dit  près  de  la  grande 
voie  publique  (3).  Les  Huns  étant  sortis  de  Pan- 
nonie,  ^vinrent  à  luDille  de  Metz,  oii  ils  arrivèrent, 
ainsi  que  quelques  uns  le  rapportent,  la  ^veille  du 
saint  jour  de  Pdque.  Nous  avons  cru  que  la  phrase 
devait  être  construite  ainsi  :  Les  Huns  étant  sortis 
de  Pannonie ,  comme  quelques  uns  le  rapportent, 
vinrent  à  la  ville  de  Metz ,  etc.  (4).  On  lit  dans 
l'édition  de  M.  Guizot,  p.  5^,  que  les  Orléanais, 
délivrés  par  Aétius,  dont  l'armée  avait  mis  en  fuite 
Attila,  apprenant  que  ce  roi  des  Huns  se  disposait 
à  combattre  dans  les  plaines  de  Méry ,  se  prépa- 
rent ,  de  leur  côté ,  à  lui  résister  avec  courage  ; 
tandis  que ,  selon  nous ,  il  s'agit ,  non  pas  des  Or- 
léanais, mais  de  l'armée  combinée  des  Romains, 

(i)  «  Diu  pietas  Sancti  tuam  celavit  luxuriam.  »  (ii,  i.) 

(2)  Il  y  a  tout  simplement  :  «  Huic  Childericus  successit.  «  (ii,  5.) 

(3)  n  Juxta  ipsum  aggerem  publicum  est  sepultus.  «  (ii,  5.) 

(4)  «  Igitur  Chtini  a  Panaoniis  egressi ,  ut  quidam  ferunt,  in  ipsa 
sancti  Paschœ  vigilia,  ad  3Iettensem  urbem....,  perveniunt.  »  (n,  6.) 


AVANT-PROPOS.  xxj 

des  Visigoths  et  des  Francs,  qui  se  disposent,  non 
pas  seulement  à  résister  avec  courage  au  roi  des 
Huns,  mais  bien  à  l'attaquer  vigoureusement  (i). 
Dans  la  même  traduction ,  page  58 ,  on  fait  dire 
à  un  saint ,  qu'en  faveur  de  la  singulière  piété 
de  la  femme  d'Aétius,  il  a  obtenu  la  'vie  de  son 
mari;  le  saint  dit  seulement  qu'il  a  obtenu  une 
grâce  immense  pour  la  'vie  d'Aétius  (2).  On  lit, 
page  69  :  Le  tyran  Jean  s'éleva  à  l'empire  de 
Rome.  Notre  auteur  a  dit,  il  nous  semble,  que, 
dans  la  ville  de  Rome ,  le  tyran  Jean  s'éleva  à  l'em- 
pire (3).  On  lit,  p.  60  :  qu'Aétius  étant  devenu  gen- 
dre de  Carpilion,  commença,  en  qualité  de  comte 
des  domestiques,  à  être  chargé  de  l'administration 
du  palais  de  Jean.  Il  semble  qu'il  aurait  fallu 
dire  qu'Aétius  ,  devenu  gendre  de  Carpilion  , 
ancien  comte  des  domestiques ,  fut  chargé  de  l'ad- 
ministration du  palais  de  Jean  (4).  H  est  dit,  même 
page,  qu'Aétius  ne  s' écartait  pas  de  son  devoir  par 


(i)  «  Ecce  Aetius  venit,  et  Theodorus  Gotthorum  rex,  ac  Thoris- 
modus  filius  ejus,  cum  exercitibus  suis  ad  civitatem  (scil.  Aurelianum) 
adcurrunt,  adversumque  hostem  ejiciunt  repeliuntque.  Itaque  libe- 
rata....  civitate,  Attilanem  fugant,  qui  Mauriacum  campum  adiens, 
se  praecingit  ad  bellum.  Quod  hi  audientes,  se  contra  eum  viriliter 
praeparant.  »  (ii,  7.  ) 

(2)  «  Sed  tamen  obtinui  immensam  pietatem  pro  vita  illius.  «  (11,  7.) 

(3)  «  Et  apud  urbem  Romain  tyrannum  Johannem  in  imperium 
surrexisse.  »  (11,  8.) 

(4)  «  Post  haec,  Carpilionis  gêner,  ex  comité  domesticorum ,  et  Jo- 
hannis  curam  palatii  gerere  cœpit.  »  (11,  8.) 


xxij  AVANT-PROPOS. 

de  mauvais  penchans ;  il  fallait  dire,  à  notre  avis, 
que  les  mauvaises  instigations  même  ne  pouvaient 
le  faire  dévier  de  son  devoir  (i).  Il  est  dit,  p.  6i, 
que  Valentinien ,  siégeant  sur  son  tribunal,  fut 
surpris  par-derriere  et  percé  d'une  épée  par  Oc- 
cylla,  trompette  d'Aétius;  nous  croyons  qu'il  fal- 
lait dire,  au  contraire,  qu'Occylla  vint  à  lui  en 
face,  et  le  perça  de  son  épée  (2).  On  lit,  même  page, 
que  Maxime ,  ayant  perdu  tout  espoir  de  conser- 
ver l'empire,  restait  dans  Aquilée ^presque privé 
de  tout  ;  le  latin  dit  qu'il  restait  dans  Aquilée, 
comme  un  homme  qui  a  perdu  l'esprit  (3).  Enfin, 
on  trouve,  p.  6^  :  Les  Francs,  feignant  d'être 
épouvantés ,  s'étaient  retirés  dans  des  bois  très  en- 
foncés ^  et  avaient  fait  des  abattis  sur  la  lisière 
des  forets,  après  avoir  incendié  toutes  les  mai- 
sons, croyant,  dans  leur  lâche  sottise,  que  dé- 
ployer contre  ces  murs  leur  fureur,  c  était  consom-. 
mer  leur  victoire.  Les  soldats,  chargés  de  leurs 
armes,  passèrent  la  nuit  dans  l'ijujuiétude.  Nous 
croyons  avoir  mieux  interprété  l'original ,  en  di- 
sant :  «Les  Francs,  feignant  d'avoir  peur,  s'étaient 
ce  reculés  dans  leurs  forêts,  dont  ils  avaient  défendu 


(i)  «  Nec  impulsoribus  quidem  pravis  ab  instituto  suo  devians.  » 
(11,8.) 

(2)  «  Occylla  buccellarius  Aetii  ex  adverso  veniens,  eum  gladio  per- 
fodit.  M  (11,  8.) 

(3)  «  Intra  Aquileiam ,  amissa  omni  spe  imperii ,  quasi  amentem 
residere.  »  (  ii,  9.  ) 


AVANT-PROPOS.  xxiij 

«l'approche  par  des  .abattis.  Cependant  les  sol- 
cc  dats  romains ,  ayant  livré  toutes  les  maisons  aux 
«flammes,  car  ils  croyaient  sottement,  par  cet 
«  acte  de  lâcheté ,  consommer  leur  victoire ,  pas- 
ce  sèrent  toute  la  nuit  sur  le  qui- vive,  chargés  du 
«  poids  de  leurs  armes  (i).  »  Nous  bornerons  là 
nos  observations. 

Qu'il  nous  soit  permis,  en  finissant,  de  remercier 
publiquement  M.  Guérard,  que  le  conseil  de  la 
Société  de  l'Histoire  de  France  a  nommé  son  com- 
missaire pour  l'édition  de  Grégoire  de  Tours ,  du 
soin  et  de  l'intérêt  avec  lequel  il  a  bien  voulu 
suivre  et  revoir  notre  travail. 


(i)  «  Fi^ànci  enim  simulato  metu,  se  in  remotiores  saltus  recepe- 
rant,  concidibus  per  extrema  silvarum  procura tis.  Itaque  universis 
domibus  exustis,  in  quas  ssevire  stoliditas  ignava  victoriae  consurafna- 
tionem  reponebat ,  noctem  sollicitam  milites  sub  armorura  onere 
duxerant.  »  (  ir,  g.) 


\ 


PREFACE. 


La  culture  des  lettres  s'éteignant,  ou  plutôt  périssant 
dans  les  villes  des  Gaules,  pendant  que  le  bien  et  le 
mal  s'y  commettaient  également,  que  s'y  déchaînait  la 
férocité  des  barbares,  ou  la  fureur  des  rois,  que  les  églises 
étaient  attaquées  par  les  hérétiques ,  et  défendues  par  les 
catholiques;  pendant  que  la  foi  chrétienne,  fervente  en- 
core dans  le  plus  grand  nombre,  se  refroidissait  chez 
quelques  uns,  que  les  églises  étaient  enrichies  par  des 
hommes  pieux,  et  dépouillées  par  des  impies,  et  qu'il  ne 
pouvait  se  trouver  un  seul  grammairien  savant  dans  la 
dialectique  pour  retracer  toutes  ces  choses,  soit  en  prose, 
soit  en  vers;  la  plupart  en  gémissaient  souvent^  disant  : 
«  Malheur  à  notre  temps ,  car  l'étude  des  lettres  a  péri 
parmi  nous,  et  l'on  ne  rencontre  plus  personne  qui  puisse 
mettre  par  écrit  les  événemens  présens.  »  Ces  plaintes  et 
d'autres  semblables,  répétées  chaque  jour,  m'ont  décidé 
à  transmettre  aux  temps  à  venir  la  mémoire  du  passé;  et, 
bien  que  parlant  un  langage  inculte,  je  n'ai  pu  taire  ce- 
pendant ni  les  entreprises  des  médians,  ni  la  vie  des 
hommes  de  bien.  Ce  qui  m'a  surtout  excité,  c'est  que  j'ai 
souvent  ouï  dire  parmi  nous  que  peu  d'hommes  com- 
prennent un  rhéteur  qui  parle  en  philosophe;  presque 
tous,  au  contraire,  un  narrateur  parlant  comme  !(î  vuI- 
I.  I 


2  PRÉFACE. 

gaii  e.  J'ai  cru  convenable  aussi ,  pour  la  supputation  des 
années,  de  commencer  à  la  création  du  monde  mon  pre- 
mier livre,  dont  j'ai  indiqué  ci-dessous  les  chapitres,  (i) 


(i)  Dans  les  manuscrits  de  Grégoire  de  Tours,  les  sommaires  des 
chapitres  de  chaque  livre  sont  placés  en  avant  du  titre  de  ce  livre;  ceux 
des  chapitres  du  premier  livre  suivent  en  effet  la  préface,  qui,  du' 
reste,  manque  dans  plusieurs  des  manuscrits;  mais  elle  est  rapportée 
eu  entier  à  la  tête  de  l'Histoire  abrégée  des  Francs  attiibuée  à  Fré- 
dégaire. 


HISTOIRE  ECCLÉSIASTIQUE 

DES  FRANCS, 

PAR 

GEORGES  FLORENT  GRÉGOIRE, 

ÉVÊQUE  DE  TOUUS, 

EN   DIX   LIVRES. 


LIVRE  PREMIER. 

SOMMAIRES    DES    CHAPITRES    DU    LIVRE    PREMIER. 

De  la  création  d'Adam  et  d'Eve,  et  des  traits  d'Adam.  — 
2.  Gain  tue  son  frère  Abel.  —  3.  Enoch  le  juste  ;  comment  il  est 
enlevé  par  Dieu.  —  4-  ^^  déluge,  de  Noé,  de  l'arche,  de  la 
colère  de  Dieu  et  de  la  supputation  des  généi'ations.  —  5.  De 
la  postérité  de  Noé  et  de  ses  fils  ,  particulièrement  de  Chus  , 
fils  de  Cham ,  inventeur  de  la  magie  et  de  l'idolâtrie.  —  6.  De 
la  tour  de  Babel,  et  de  la  confusion  des  langues.  —  -j.  De 
l'origine,  de  la  naissance  et  de  la  vie  d'Abraham;  de  Ninus. 
—  8.  D'Isaac,  d'Ésaii  et  de  ses  fils;  de  Job.  ■—  9.  De  Jacob 
et  de  ses  fils,  et  de  Joseph  en  Egypte. —  10,  De  la  nature 
du  Nil,  et  du  passage  de  la  mer  Rouge.  —  11.  Des  fils  d'Is- 
raël dans  le  désert ,  et  de  leur  enti'ée  dans  la  terre  promise  ; 
de  Josué.  —  12.  Des  rois  des  Juifs.  —  i3.  De  Salomon  ,  et 
de  l'édification  du  temple.  —  i4-  Comment  le  royaume  d'Is- 
raël fut  divisé ,  à  cause  de  la  dureté  de  Roboam  ;  de  la  captivité 
de  Babylone ,  et  des  prophètes  de  ces  temps-là.  —  i5.  Du  re- 
tour des  Juifs  de  Babylone,  jusqu'à  la  naissance  du  Christ.  — 
16.  Des  rois  des  autres  nations.  —  in.  Des  empereurs  romains, 
et  du  temps  où  fui  fondée  la  ville  de  Lyon.  —  18.  De  la  nati- 


4  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

vite  (le  notre  Sauveur;  des  présens  des  mages,  et  du  massacre 
des  enfans.  —  ig.  De  la  prédication  du  Christ,  de  ses  miracles 
et  de  sa  passion.  —  20.  De  Joseph  d'Arimathie  ,  qui  l'ensevelit. 
—  21.  Du  vœu  de  l'apôtre  Jacques.  — 22.  Du  jour  de  la  résur- 
rection du  Seigneur.  —  28.  De  l'ascension  du  Seigneur,  et 
de  la  mort  de  Pilate  et  d'Hérode.  —  2^.  Pierre  vient  à  Rome , 
et  souffre  le  martyre  pour  le  Christ;  de  Néron ,  de  Jacques,  de 
Marc  et  de  Jean  l'évangéliste.  —  25.  De  la  persécution  sous 
Trajan.  —  26.  De  l'origine  des  hérésies  et  des  schismes.  — ■ 
2^.  Des  martyrs  Photin  (i)  et  Irénée.  — 28.  De  la  persécution 
sous  Dèce  ;  des  sept  personnes  envoyées  dans  les  Gaules  pour  y 
prêcher  la  foi.  —  29.  De  la  conversion  des  Biturigiens.  —  3o.  De 
la  persécution  sous  Valérien  et  Gallien;  de  Chrocus  et  du  temple 
d'Auvergne.  —  3i.  De  quelques  autres  martyrs.  —  82.  Du  mar- 
tyr Privât  et  du  tyran  Chrocus.  —  33.  De  la  persécution  sous 
Dioclétien.  —  34-  De  Constantin-le-Grand ,  du  bienheureux 
saint  Martin ,  et  de  la  décoiiverte  de  la  croix  du  Seigneur.  — 
35.  Du  règne  de  Constance.  —  36.  De  l'arrivée  de  saint  Mar- 
tin ;  de  Mélanie.  —  37.  De  la  mort  de  l'empereur  Valens.  — 

38.  De  Théodose  et  de  son  empire  ;  mort  du  tvran  Maxime.  — 

39.  D'Urbicus  ,  évoque  d'Auvergne.  —  4^-  ^^  saint  Hillide ,  et 
de  son  successeur  à  l'épiscopat.  —  ^i.De  saint  Népotien,  éga- 
lement évéque  d'Auvergne.  —  4^-  De  la  chasteté  et  de  la  sépul- 
ture des  Deux-Amans .  —  ^Z.  De  la  mort  de  saint  Martin. 


PROLOGUE. 

Devant  écrire  les  guerres  des  rois  avec  les  nations 
ennemies,  des  martyrs  avec  les  païens,  des  églises  avec 
les  hérétiques ,  je  veux  d'abord  exposer  ma  croyance,  afin 
que  ceux  qui  me  liront  ne  doutent  point  que  je  sois  catholi- 


(0  lisez  Pothiii.  Voyez  au  chaj).  27  de  ce  premier  livre,  la  note 
relative  à  ce  martyr. 


LIVRE  PREMIER.  5 

que.  3'ai  voulu  aussi ,  à  cause  de  ceux  qui  s'effraicut  de  la  fin 
prochaine  du  inonde,  montrer  clairement,  par  un  relevé 
extrait  des  chroniques  et  des  histoires ,  combien  il  s'est 
écoulé  de  temps  depuis  la  création.  Mais  avant  tout,  je 
demande  grâce  à  mes  lecteurs  pour  les  fautes  que  j'aurai 
pu  faire,  dans  les  lettres  ou  dans  les  syllabes,  contre  la 
grammaire,  dont  les  règles  ne  me  sont  pas  très  bien  con- 
nues, m'étant  appliqué  seulement  à  retenir,  sans  déguise- 
ment, sans  hésitation ,  ce  dont  l'Eglise  prêche  la  croyance  ; 
car  je  sais  que  l'homme  coupable  de  péchés  peut,  par 
une  foi  pure ,  obtenir  grâce  auprès  de  notre  Seigneur. 

Je  crois  donc  en  Dieu ,  le  Père  tout  puissant;  je  crois 
en  Jésus-Christ,  son  Fils  unique,  notre  Seigneur  Dieu, 
né  du  Père,  non  créé;  je  crois  qu'il  a  toujours  été  avec  le 
Père,  non  depuis  un  temps,  mais  antérieurement  à  tous 
les  temps;  car  celui-ci  ne  pouvait  être  appelé  Père  s'il 
n'avait  un  Fils ,  et  il  ne  pouvait  y  avoir  un  Fils  s'il  n'v 
avait  un  Père.  Ceux  qui  disent  :  //  élail  quand  il  iièlnit 
pas  (i),  je  les  repousse  avec  horreur,  et  j'affirme  qu'ils  sont 
rejetés  du  sein  de  l'Eglise.  Je  crois  que  le  Christ  est 
le  Verbe  du  Père,  par  qui  toutes  choses  ont  été  faites. 
Je  crois  qu'il  est  le  Verbe  fait  chair,  et  que,  par  sa 
mort,  le  monde  a  été  racheté;  je  crois  qu'en  lui  c'est 
l'Homme,  et  non  le  Dieu ,  qui  a  été  soumis  à  la  passion. 
Je  crois  qu'il  est  ressuscité  le  troisième  jour,  qu'il  a  délivré 
l'homme  perdu,  qu'il  est  monté  au  ciel,  où  il  est  assis  à 
la  droite  du  Père,  et  d'oii  il  viendra  juger  les  vivans  et 


(i)  Les  Pères  réunis  à  JNicéc  ajoutèrent,  contic  les  ariens,  ces  mots 
à  leur  symbole.  En  conséquence,  il  faut,  si  je  ne  me  trompe,  aprc's 
//  claiL  quand  il  n  était  pas  {cral  qunndn  non  eral),  ajouter  etc.  (Rui- 
nart.) 


6  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

les  morts.  Je  erois  que  le  Saint-Esprit  a  procédé  du 
Père  et  du  P'ils,  qu'il  n'est  ni  inférieur  ni  postérieur  à 
eux,  mais  leur  égal;  qu'il  est  Dieu  de  toute  éternité  avec 
le  Père  et  le  Fils,  qu'il  est  consubstantiel  à  eux  en  nature, 
égal  en  toute-puissance,  co-éternel  en  essence,  en  sorte 
qu'il  n'a  jamais  existé  sans  le  Père  et  le  Fils,  cl  qu'il 
n'est  inférieur  ni  au  Père  ni  au  Fils.  Je  crois  que  cette 
sainte  Trinité  subsiste  dans  la  distinction  des  personnes; 
et  qu'autre  est  la  personne  du  Père,  autre  celle  du  Fils, 
autre  celle  du  Saint-Esprit.  Je  confesse  dans  cette  Tri- 
nité une  seule  Divinité,  une  seule  puissance,  une  seule 
essence.  Je  crois  que  la  bienheureuse  Marie ,  vierge 
avant  l'enfantement,  est  vierge  encore  après.  Je  crois  que 
l'ame  est  immortelle ,  mais  cependant  qu'elle  ne  par- 
ticipe point  de  la  divinité.  Enfin,  je  crois  fidèlement  tout 
ce  qui  a  été  établi  par  les  trois  cent  dix- huit  évêques 
assemblés  en  concile  à  Nicée.  Touchant  la  fin  du  monde, 
je  crois  ce  que  j'ai  appris  de  nos  pères,  c'est-à-dire 
que  l'Antéchrist  introduira  d'abord  la  circoncision,  se 
donnant  pour  le  Christ;  ensuite  il  placera  sa  statue  dans 
le  temple  de  Jérusalem  pour  la  faire  adorei-,  comme  nous 
lisons  que  l'a  dit  le  Seigneur  :  Fous  ^verrez  V abomina- 
tion de  la  dèsolalion  dans  le  lieu  saint  (i  ).  Mais  le  Sei- 
gneur lui-même  fait  voir  que  ce  jour  est  inconnu  à  tous 
les  hommes ,  lorsqu'il  dit  :  Quant  a  ce  jour  ou  a  cette 
heure-la^  nul  ne  les  sait,  ni  les  anges  qui  sont  dans  le 


(i)  Évang.  de  S.  Matth. ,  chap.  24,  vers.  i5.  Toutes  les  fois  que 
Grégoire  de  Tours  a  cité  la  Bible  conformément  à  la  version  de  la 
Vulgate ,  j'ai  suivi  la  traduction  de  Lcniaistre  de  Sacy.  Mais  il  ar- 
rive souvent,  ou  (|u'il  cite  une  version  différente,  ou  même  qu'il  ne 
donne  que  l'esprit  de  la  Bible  :  alors  je  traduis  son  texte,  parce  que  je 
pense  qu'il  faut,  avant  tout,  conserver  la  fidélité  à  l'original. 


LIVRE  PREMIER.  7 

ciel  y  ni  leJUs,  mais  le  Père  senl(^i).  Et  ici  nous  répon- 
drons aux  hérétiques  qui  nous  attaquent,  et  soutiennent 
que  le  Fils  est  inférieur  au  Père,  puisqu'il  ignore  ce  jour. 
Qu'ils  sachent  donc  que  ce  fils  est  le  peuple  chrétien , 
duquel  Dieu  a  dit  :  Je  serai  leur  père  ^  et  ils  seront 
mes  fils  (2).  S'il  eût  voulu  parler  de  son  Fils  unique, 
il  n'eût  jamais,  en  effet,  placé  les  anges  avant  lui,  et 
il  dit  :  Ni  les  anges  qui  sont  dans  le  ciel,  ni  le  fils  ; 
ce  qui  montre  qu'il  s'agit  ici,  non  de  son  Fils  unique,  mais 
de  son  peuple  adoptif.  Notre  fin,  c'est  le  Christ  lui- 
même,  qui,  dans  son  inépuisable  bonté,  nous  accordera 
la  vie  éternelle,  si  nous  nous  convertissons  à  lui. 

La  supputation  des  années  du  monde  et  leur  enchaîne- 
ment sont  clairement  exposés  dans  les  chroniques  d'Eu- 
sèbe,  évêque  de  Césarée ,  et  du  prêtre  Jérôme;  Orosc, 
apportant  le  plus  grand  soin  au  même  sujet ,  a  donné 
aussi  l'ensemble  des  années  écoulées  depuis  le  commen- 
cement du  monde  jusqu'à  son  temps;  Victorius  a  fait  la 
même  chose  dans  ses  recherches  pour  déterminer  la  fête 
solennelle  de  Pâques  (3).  Nous  aussi ,  à  l'exemple  de  ces 
écrivains,  nous  tâcherons,  si  Dieu  nous  prête  son  appui, 
de  calculer  la  suite  des  années  écoidées  depuis  la  création 
du  premier  homme  jusqu'au  temps  présent;  ce  que  nous 
pourrons  plus  facilement  faire,  si  nous  commençons  par 
Adam . 

I.  Au  commencement.  Dieu  créa  le  ciel  et  la  terre 
dans  son  Christ,  qui  est  le  principe  de  toutes  choses, 
c'est-à-dire  dans  son  Fils;  et  après  avoir  créé  les  élémens 

(i)  Evang.  de  S-  Marc,  cliap.  10,  vers.  52. 

(■>.)  Deuxième  Épît.  de  S.  Paul  aux  Corinth.,  chap.  6,  vers.  18. 

(5)  Voyez,  à  la  fin  du  volume,  L'c  lui  reins,  cl  observ.  (Note  a.) 


8  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

du  monde,  il  prit  une  motte  d'un  fragile  limon,  et  en 
forma  l'homme  à  son  image  et  à  sa  ressemblance,  et 
souffla  sur  sa  face  le  souffle  de  la  vie ,  et  l'homme  fut  fait 
en  âme  vivante.  Pendant  qu'il  dormait,  Dieu  lui  ôta  une 
côte,  et  en  forma  une  femme,  qui  fut  nommée  Eve.  Il 
n'est  point  douteux  que  ce  premier  homme,  Adam,  n'eût 
avant  son  péché  les  traits  du  Seigneur  notre  Rédempteur; 
car  tandis  que  Jésus-Christ,  s'endormant  dans  le  sommeil 
de  la  passion,  faisait  sortir  de  son  côté  de  l'eau  et  du  sang, 
il  se  représenta  l'Eglise  vierge  et  immaculée,  rachetée  par 
ce  sang,  purifiée  par  cette  eau,  n'ayant  ni  tache  ni  ride; 
c'est-à-dire  lavée  par  l'eau  à  cause  de  ses  taches,  étendue 
sur  la  croix  à  cause  de  ses  rides.  Ces  premières  créatures 
humaines  vivaient  heureuses  au  milieu  des  délices  du  pa- 
radis, lorsque,  séduites  par  la  ruse  du  serpent,  elles 
transgressèrent  les  préceptes  divins.  Rejetées  dès  lors  de 
cette  demeure  céleste,  elles  furent  abandonnées  aux  peines 
et  aux  travaux  du  monde. 

II.  La  femme  ayant  été  visitée  par  son  compagnon, 
conçut  et  enfanta  deux  fds.  Mais  tandis  que  Dieu  reçoit 
favorablement  le  sacrifice  de  l'un,  l'autre,  excité  par  l'en- 
vie, s'irrite,  attaque  son  frère  et  le  tue;  et  par  l'effusion 
de  ce  sang  fraternel,  devient  le  premier  parricide. 

III.  Dès  lors,  toute  la  race  se  précipita  dans  des  crimes 
abominables,  à  l'exception  d'Enoch  le  juste,  qui,  mar- 
chant dans  les  voies  de  Dieu,  fut,  à  cause  de  sa  justice, 
enlevé  par  le  Seigneur  lui-même  du  milieu  de  ce  peuple 
de  pécheurs;  car  nous  lisons  :  Enoch  marcha  avec  Dicii^ 
et  il  ne  parut  plus,  parce  que  Dieu  l'enleva.  (  i  ) 

(i)  Genèse,  chap.  5,  vers.  24. 


LIVRE  PREMIER.  9 

lY,  Le  Seigneur  donc,  irrité  contre  les  iniquités  d'un 
peuple  qui  ne  marchait  pas  dans  ses  voies,  envoya  le 
déluge,  et  l'inondation  détruisit  toute  ame  vivante  sur  la 
surface  de  la  terre.  Dieu  conserva  seulement  dans  l'arche, 
pour  renouveler  le  genre  humain ,  Noé  ,  qui  n'avait  cessé 
de  le  servir  fidèlement  et  qui  reproduisait  son  image,  avec 
sa  femme,  et  les  femmes  de  ses  trois  fils.  Les  hérétiques 
nous  attaquent  ici ,  et  nous  demandent  pourquoi  l'Ecri- 
ture sainte  représente  le  Seigneur  irrité.  Qu'ils  sachent 
donc  que  notre  Seigneur  ne  s'irrite  pas  à  la  manière  des 
hommes;  il  s'émeut  pour  effrayer,  il  chasse  pour  rappeler, 
il  s'irrite  pour  corriger.  Je  ne  doute  point  que  cette  image 
de  l'arche  ne  représente  celle  de  l'Église  notre  mère.  Celle- 
ci  passant,  en  effet,  au  travers  des  flots  et  des  écueiis  du 
monde,  nous  présente  un  refuge  dans  son  sein  mater- 
nel, nous  offre  ses  emhrassemens  et  sa  protection  contre 
les  maux  qui  nous  menacent. 

Depuis  Adam  jusqu'à  Noé,  il  y  a  dix  générations,  sa- 
voir :  Adam,  Selh,  Énos,  Caïnan,  Malaleel,  Jared,  Enoch, 
Mathusala,  Lamech,  Noé.  Ces  dix  générations  occupent 
mille  deux  cent  quarante-deux  ans.  Adam  fut  enterré  dans 
la  terre  d'Énachim,  qu'on  appelait  auparavant  Ebron ,  ce 
qu'exprime  évidemment  le  livre  de  Josué.  (i) 

V.  Après  le  déluge,  Noé  avait  donc  trois  fils,  Sem, 
Cham  et  Japhet.  De  Japhet  sortirent  plusieurs  nations , 
de  même  de  Cham,  de  même  de  Sem.  Et,  comme  le  dit 
l'histoire  des  temps  anciens,  c'est  d'eux  que  s'est  formé  le 
genre  humain  dispersé  sous  tous  les  points  du  ciel.  Le  pre- 


(  1  )  «  Hébron  s'appelait  auparavant  Cariath-Arbé. . .  Toutes  les  guerres 
cessèrent  alors  clans  la  terre  de  Chanaan.  »  Josué,  chap.  i4,  vers,  i5. 


10  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

mier  né  de  Ciiam  fut  Chus,  qui,  inspiré  par  K;  démon,  devint 
le  premier  inventeur  de  toute  la  magie  et  de  l'idolâtrie.  Le 
premier,  à  l'instigation  du  diable,  il  façonna  une  petite 
statue  pour  l'adorer.  Au  moyen  de  son  pouvoir  trompeur, 
il  montrait  aux  hommes  des  étoiles  et  du  feu  tombant  du 
ciel.  Il  passa  chez  les  Perses,  qui  le  nommèrent Zoroastre, 
c'est-à-dire  étoile  vivante.  Ces  peuples,  ayant  reçu  de  lui 
l'usage  d'adorer  le  feu ,  prétendent  qu'il  fut  lui-même  con- 
sumé par  le  feu  céleste,  et  lui  rendent  un  culte  divin. 

VI.  Lorsque  les  hommes,  qui  s'étaient  multipliés,  se 
furent  dispersés  par  toute  la  terre,  les  uns,  sortis  de  l'O- 
rient, trouvèrent  les  champs  fertiles  de  Sennaar.  Ayant 
bâti  là  une  ville,  ils  s'efforcèrent  de  construire  une  tour 
qui  atteignît  jusqu'au  ciel;  mais  Dieu,  portant  la  con- 
fusion dans  leur  vain  projet,  et  dans  leur  langue,  et  au 
miheu  d'eux-mêmes,  les  dispersa  sur  tous  les  points  du 
vaste  univers.  La  ville  fut  nommée  Babel,  c'est-à-dire  con- 
fusion, parce  que  c'est  là  que  Dieu  mit  la  confusion  dans 
leur  langage.  C'est  la  ville  de  Babylone,  bâtie  par  le  géant 
Nembrod  (i),  fils  de  Chus.  Comme  le  rapporte  l'histoire 
d'Orose  (2) ,  elle  fut  disposée  en  carré  dans  une  plaine 
admirable;  ses  murs,  bâtis  de  brique  et  de  bitume,  ont 
cinquante  coudées  d'épaisseur  et  deux  cents  de  hauteur  ; 
ils  ont  quatre  cent  soixante-dix  stades  de  circuit;  chaque 
stade  vaut  cinq  aripennes  (3);  chacun  de  ses  côtés  a  vingt- 

(i)  Ce  passage  de  Grégoire  de  Tours  est  un  peu  obscur.  Il  fallait 
dire  que  la  ville  de  Babel  fut  l'origine  de  celle  de  Babylone.  On  re- 
trouve, à  côté  de  la  petite  ville  moderne  de  Hillali,  les  ruines  de  cette 
cité,  qui  sont  particulièrement  connues,  a-t-on  dit,  sous  le  nom  de 
Bir.s-Nemtod,  ou  bourg  de  Nemrod. 

(2)  Oros.,  Hisl.,  lib.  n,  cap.  7. 

(3)  Voyez  à  la  fin  du  volume,  Eclaiiciss.  el  obîcrv.  (  Note  b.  ) 


LIVRE  PREMIER.  11 

cinq  portes,  ce  qui  fait  cent  portes  en  tout.  Les  battans 
de  ces  portes,  d'une  grandeur  merveilleuse,  sont  formés 
d'airain  fondu.  Le  même  historien  raconte  encore  beau- 
coup de  choses  sur  cette  ville,  et  il  ajoute  que,  malgré 
toute  sa  magnificence,  elle  n'en  fut  pas  moins  prise  et 
renversée. 

VIL  Le  premier  fils  de  Noé  fut  Sem ,  duquel ,  à  la 
dixième  génération,  naquit  Abraham;  savoir  :  Noé,  Sem, 
Arphaxad  ,  Salé ,  Heber ,  Phaleg ,  Reû  (  i  ) ,  Sarug  (2) , 
Tharé,  qui  engendra  Abraham.  On  compte  pendant  ces 
dix  générations,  c'est-à-dire  depuis  Noé  jusqu'à  Abraham, 
neuf  cent  quarante-deux  ans  (3).  Dans  ce  temps  régnait 
Ninus,  qui  bâtit  la  ville  qu'il  appela  Ninive  (4),  à  laquelle 
le  prophète  Jonas  donne  une  étendue  égale  à  ti  ois  jour- 
nées de  chemin  (5).  C'est  dans  la  quarante-troisième  année 
du  règne  de  Ninus  que  naquit  Abraham,  et  c'est  à  Abraham 
que  commence  notre  foi  :  c'est  à  lui  que  furent  faites  de 
nouvelles  promesses;  c'est  à  lui  que  le  Christ  notre  Sei- 
gneur fit  connaître,  en  changeant  la  victime  du  sacrifice, 
qu'il  naîtrait  et  qu'il  souffrirait  pour  nous;  le  Seigneur 
en  effet  dit  lui-même  dans  l'Évangile  :  Abraham  a  dé- 
siré avec  ardeur  de  voir  mon  jour  :  et  il  l'a  vu,  et  il 
a  été  rempli  de  joie  (6).  Sévère  rapporte  dans  sa  chro- 


(i)  Plusieurs  manuscrits  portent  Falec,  Rngau. 

(2)  Entre  Sarug  et  Tharé,  la  Genèse  (chap.  11 ,  vers.  22,  a4)  place 
Nachor.  (Guizot.  ) 

(5)  D.  Ruinart  a  fait  remarquer  que  le  manuscrit  de  Corbie  porte 
goo,  et  celui  de  l'abbaye  du  Bec  g45. 

(4)  La  Genèse  (chap.  lo,  vers.  1 1  )  en  attribue  la  fondation  ù  Assui , 
les  Grecs  à  IXinus. 

(5)  Jonas,  chap.  5,  vers.  5. 

(6)  Évang.  de  saint  Jean,  chap.  8,  vers.  56, 


12  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

nique  (i)  que  le  sacrifice  offert  par  Abraham  eut  lieu  sur  le 
mont  Calvaire,  où  Jésus-Christ  fut  crucifié;  et  c'est  en- 
core aujourd'hui  l'opinion  commune  dans  la  ville  de  Jé- 
rusalem. Sur  cette  montagne,  s'éleva  la  croix  sainte 
où  fut  attaché  notre  Rédempteur,  et  d'où  coula  son 
sang  divin.  Abraham  reçut  le  signe  de  la  circoncision  ; 
ce  qui  montre  que  ce  qu'il  porta  sur  son  corps,  nous 
devons  le  porter  dans  notre  cœur,  car  le  Prophète  dit  : 
Ayez  soin  de  vous  circoncire  pour  votre  Dieu ,  et  de 
circoncire  votre  cœur{^.  11  dit  encore  :  Ne  suivez  point 
les  dieux  étrangers  (3).  Et  encore  :  Tout  incirconcis  de 
cœur  n'entrera  point  dans  mon  sanctuaire  (4).  Dieu, 
ayant  ajouté  une  syllabe  au  premier  nom  d'Abraham,  l'ap- 
pela père  de  plusieurs  nations.  (5) 

VIII.  Abraham,  à  l'âge  de  cent  ans,  engendra  Isaac;  et 
Isaac,  dans  la  soixantième  année  de  son  âge,  eut  de  Ré- 
becca  deux  fils  jumeaux.  Le  premier  fut  Esaù,  nommé 
aussi  Edom,  c'est-à-dire  fait  de  terre;  par  gourmandise, 
il  vendit  sou  droit  d'aînesse.  C'est  le  père  des  Iduméens; 
Jobab  en  descendit  à  la  quatrième  génération,  savoir: 
Esaù,  Raguel,  Zara ,  Jobab,  aussi  appelé  Job  (6).  Celui- 
ci  vécut  deux  cent  quarante-neuf  ans.  Dans  sa  quatre- 
vingtième  année  (j)  il  fut  délivré  de  ses  infirmités;  après 

(i)  Yoyez  à  la  fin  du  vol.,  Eclairciss.  et  observ.  (Note  c.) 

(2)  Deutér.,  chap.  10,  vers.  16. 

(3)  Jérém.,  chap.  35,  vei'S.  i5. 

(4)  Ezéchiel,  chap.  44?  vers.  9. 

(5)  Le  nom  à^Abram,  c'est-à-dire  père  élevé,  fut  changé  en  celui 
iX'  Abraham,  c'est-à-dire  père  élevé  de  la  multitude.  (Genèse,  chap.  17, 
vers.  5.  ) 

(6)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (  Note  d.  ) 

(7)  Quelques  manuscrits  portent  89  j  mais  89  et  170  feraient  259. 
Le  manuscrit  de  l'abbaye  du  Bec  porte,  vLxit  an.  248.  (Ruinart. ) 


LIVRE  PREMIER.  13 

sa  guérison,  il  vécut  cent  soixante-dix  ans  (i),  et  il  eut 
le  bonheur  de  recouvrer  le  double  de  ses  richesses,  et 
d'obtenir  autant  de  fils  qu'il  en  avait  perdu. 

IX.  Le  second  fils  d'Isaac  fut  Jacob ,  chéri  de  Dieu , 
comme  le  dit  le  Seigneur  par  la  bouche  du  Prophète  if  ai 
aimé  Jacob ,  et  j'ai  liai  Esaii  (2).  Après  sa  lutte  contre 
un  ange,  Jacob  fut  nommé  Israël  (3),  et  de  ce  nom  vint 
celui  d'Israélites.  Il  engendra  douze  patriarches  qui  sont  : 
Rubcn ,  Siméon,  Lévi,  Juda,  Issachar,  Zabulon ,  Dan, 
Nephthali,  Gad  et  Asser.  Après  ceux-ci  Jacob,  dans  la 
quatre-vingt-douzième  année  de  son  âge ,  eut  de  Rachel , 
Joseph,  qu'il  chérit  par-dessus  tous  ses  autres  fils.  Il  eut 
aussi  de  Rachel ,  Benjamin ,  qui  fut  le  dernier  de  tous. 
Joseph,  à  l'âge  de  seize  ans,  image  du   Rédempteur, 
eut  des  songes  qu'il  raconta  à  ses  frères  :  dans  un  de  ces 
songes,  il  liait  des  gerbes  que  les  gerbes  de  ses  frères 
adoraient;   une  autre  fois,   il  avait  vu  tomber  devant 
lui    le    soleil    et    la    lune    avec    onze   étoiles.    Cela   fit 
naître  chez  ses  frères  une  grande  haine  contre  lui;  de 
sorte  qu'enflammés  de  jalousie,   ils   le    vendirent    pour 
vingt  (4)  pièces  d'argent  à  des  Ismaélites  qui  se  rendaient 
en  Egypte.  Mais  eux-mêmes,  pressés  par  la  famine,  s'étant 
retirés  dans  ce  pays,  ils  y  furent  reconnus  par  Joseph, 
que  de  leur  côté  ils  ne  reconnurent  point.  Joseph  ce- 
pendant, après  leur  avoir  fait  subir  de  longues  épreuves, 
après  s'être  fait  amener  Benjamin ,  qui  était  né  aussi  de 
sa  mère  Rachel ,  se  découvrit  enfin  à  ses  frères.  Ensuite 


(i)  Voyez  Eclaivciss.  et  observ.  (Note  e.) 

(2)  Malach.,  chap.  i ,  vers.  2  et  5. 

(5)  C'est-à-dire yb//  contre  Dieu.  Genèse,  chap.  32,  vers.  28. 

{4}  Plusieurs  manuscrits  de  Grégoire  de  Tours  portent  trente. 


14  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

tous  les  Israélites  descendirent  en  Egypte,  où,  grâce  à 
Joseph,  ils  jouirent  de  la  faveur  du  Pharaon.  Là  mourut 
Jacob ,  après  avoir  béni  ses  fils.  Mais  il  fut  enseveli 
dans  le  tombeau  de  son  père  Isaac,  dans  la  terre  de  Cha- 
naan.  Après  la  mort  de  Joseph,  et  du  Pharaon,  toute  la 
race  des  Israélites  fut  réduite  en  servitude,  d'où  la  re- 
tira Moïse  après  les  dix  plaies  d'Egypte,  le  Pharaon 
régnant  ayant  été  englouti  dans  la  mer  Rouge,  (i) 

X.  Et  comme  plusieurs  auteurs  ont  longuement  parlé  du 
passage  de  cette  mer,  il  m'a  paru  convenable  de  dire  ici 
quelque  chose  et  de  la  position  de  la  mer  elle-même,  et  du 
passage  qui  s'y  effectua.  Le  Nil ,  comme  tout  le  monde  le 
sait,  court  à  travers  l'Egypte,  et  l'arrose  par  ses  déborde- 
mens;  de  là  le  nom  d'habitans  du  Nil  donné  aux  Egyp- 
tiens. Un  grand  nombre  de  voyageurs  qui  ont  parcouru 
les  bords  de  ce  fleuve  rapportent  qu'ils  sont  maintenant 
couverts  de  saints  monastères  (2).  Sur  ses  bords  est  bâtie 
la  ville  de  Babylone,  non  pas  celle  dont  nous  avons  déjà 
parlé,  mais  une  autre  Babylone  (3)  où  Joseph  construisit, 
en  pierres  carrées  et  en  moellons,  des  greniers  d'un  travail 
admirable;  ces  greniers,  spacieux  par  le  bas,  resserrés  par 
le  haut,  ne  laissent  passage  au  blé  qu'on  y  jette  que  par  une 


(i)  D.  Ruinait  a  fait  remarquer  que  le  manuscrit  de  Royaumont 
portait  :  Joseph  étant  mort,  toute  la  race  des  Israélites  fut  réduite  en 
servitude  par  le  Pharaon  ;  et  il  dit  que  c'est  là  la  vraie  leçon.  C'est  celle 
qu'a  suivie  M.  Guizot.  Mais  alors  pourquoi  D.  Ruinart,  et  après  lui 
D.  Bouquet,  ne  la  faisaient-ils  pas  passer  dans  le  texte?  J'ai  ajouté  au 
second  membre  de  la  phrase  le  mot  régnant,  qui  m'a  paru  nécessaire 
pour  en  précist  r  le  sens. 

(2)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note/".  ) 

(5)  Idem.  (Note  g.) 


LIVRE  PREMIER.  15 

pclile  ouverture  (i).  On  les  voit  encore  aujourd'hui.  C'est 
de  cette  ville  que  partit  le  roi  d'Egypte  avec  une  armée 
de  chars  et  un  grand  nombre  de  fantassins  pour  se  met- 
tre à  la  poursuite  des  Hébreux.  Le  fleuve  du  Nil  venant 
de  l'orient  (2),  court  à  l'occident  vers  la  mer  Rouge  (3)  : 
un  étang  ou  un  bras  de  cette  mer  s'avance  de  l'occident 
vers  l'orient.  Il  a  environ  cinquante  milles  de  long,  et 
dix -huit  milles  de  large  (4).  A.  la  tête  de  cet  étang  a 
été  bâtie  la  ville  de  Clysma  (5),  non  à  cause  de  la  ferti- 
lité du  lieu,  car  il  n'est  rien  de  plus  stérile,  mais  à  cause 
du  port,  dont  la  commodité  attire  les  vaisseaux  venant  de 
l'Inde.  Les  marchandises  débarquées  là  sont  répandues 
par  toute  l'Egypte.  Les  Hébreux  s'étant,   à  travers   le 
désert,  dirigés   vers  cet   étang,  parvinrent  jusqu'à  la 
mer  ;  et  trouvant  là  de  l'eau  douce ,  ils  y  établirent  leur 
camp.  Ils  se  reposèrent  donc  dans  ce  lieu  resserré  entre 
les  déserts  et  la  mer,  ainsi  qu'il  est  écrit  :  Pharaon,  ap- 
prenaiU  qu'ils  étaient,  renfermés  entre  la  mer  et  le  dé- 
sert, et  quil  n'y  avait  point  de  chemin  par  ou  ils  pus- 
sent s'échapper,  se  mit  à  leur  poursuite  (6).  Et  comme 
l'armée  approchait ,  et  que  le  peuple  s'adressait  à  grands 
cris  à  Moïse,  celui-ci,  par  l'ordre  de  Dieu,  étendant  sa 
i)aguette  sur  la  mer,  les  flots  se  divisèrent,  et  les  Hébreux 
marchant  à  sec,  et,  comme  le  dit  l'Écriture,  ayant  l'eau 
h  droite  et  ci  gauche  qui  leur  servait  comme  d'un  mur(j') , 
arrivèrent  entièrement  saufs,  conduits  par  Moïse,  sur  le 
rivage  qui  s'étend  le  long  du  mont  Sinaï  (8),  tandis  que 


(i,  2,  3,  4?  5)  Voyez  Eclairci.ss.  et  ohseiv.  (Notes  h,  i,  j ,  k,  l.) 

(6)  Exode,  chap.  i4,  vers.  3. 

(7)  Exode,  chap.  i4,  vers.  22. 

(8)  Montagne  située  en  Arabie ,  eutie  les  deux  bras  de  la  nier  Rouge. 


16  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

îes  Égyptiens  étaient  submergés  par  les  flots.  Comme 
nous  l'avons  dit ,  on  raconte  beaucoup  de  choses  touchant 
ce  passage;  pour  nous,  nous  avons  eu  soin  de  rapporter 
ici  ce  que  nous  tenons  pour  vrai  de  la  bouche  des 
savans ,  ou  des  personnes  mêmes  qui  ont  visité  les  lieux. 
Ils  disent  que  les  sillons  tracés  par  les  roues  des  chars 
subsistent  encore  aujourd'hui ,  et  qu'on  les  distingue 
au  fond  de  la  mer,  autant  qu'il  est  possible  d'y  voir; 
que  si  l'agitation  des  eaux  vient  à  les  recouvrir  un 
peu,  le  calme  les  remet,  par  la  volonté  de  Dieu,  dans 
leur  ancien  état.  D'autres  prétendent  que  les  Israélites 
ayant  fait  dans  la  mer  un  léger  circuit,  revinrent  à  la 
même  rive  d'où  ils  étaient  partis  ;  d'autres  assurent 
qu'ils  passèrent  tous  par  un  même  chemin  ;  quelques 
uns,  au  contraire,  que  devant  chaque  tribu  s'ouvrit  un 
chemin  particulier,  abusant  de  ce  témoignage  du  psau- 
me :  //  divisa  la  mer  Rouge  en  sentiers  (i).  Mais,  selon 
nous,  il  faut  entendre  ces  sentiers  d'une  manière  figurée 
et  non  à  la  lettre,  car  dans  le  monde,  qu'on  appelle  figu- 
rément  une  mer,  il  y  a  beaucoup  de  sentiers,  et  nous  ne 
pouvons  tous  passer  à  la  vie  future  en  même  temps  et 
par  la  même  voie.  Les  uns,  en  effet,  y  passent  à  la  pre- 
mière heure  :  ce  sont  ceux  qui,  régénérés  par  le  baptême, 
peuvent  conserver  leur  chair  exempte  de  toute  souillure 
jusqu'à  leur  sortie  de  la  vie.  D'autres  à  la  troisième  heure  : 
ce  sont  ceux  qui  se  convertissent  dans  un  âge  plus  avancé. 
D'autres  enfin  à  la  sixième  :  ce  sont  ceux  qui  modèrent  la 
violence  de  leurs  désirs  charnels.  Et  à  chacune  de  ces 
heures,  comme  le  dit  l'Evangéliste  (i),  tous  sont  loués 


(i)  Psaume  i55,  vers.  i5. 

{i)  Evang.  de  saint  Matth.,  chap.  •jlo. 


LIVRE  PREMIER.  17 

pour  travailler  selon  leur  foi  propre  à  la  vigne  du  Seigneur. 
Tels  sont  les  sentiers  par  lesquels  on  traverse  cette  mer. 
Quant  à  cette  opinion,  que  les  Israélites  venus  jusqu'à  la  mer 
opérèrent  leur  retour  en  côtoyant  l'étang  dont  nous  avons 
parlé,  elle  est  fondée  sur  ces  paroles  de  Dieu  à  Moise:  Qu'ils 
retourneni  et  quils  campent  devant  Phihahirotli  (i),  qui 
est  entre  Magdal  et  la  nier,  vis-à-vis  de  Bèelsephon  (2). 
Il  n'est  point  douteux  que  ce  passage  de  la  mer  et  la  co- 
lonne de  nuée  ne  soient  l'image  de  notre  baptême,  car  le 
bienheureux  apôtre  Paul  a  dit  :  Je  ne  veux  pas  que  vous 
ignoriez  y  mes  frères ,  que  nos  pères  ont  tous  été  sous  la 
nuée;  qu'ils  ont  tous  été  baptisés  sous  la  conduite  de 
Moïse  dans  la  nuée  et  dans  la  mer  (3).  Quant  à  la  co- 
lonne de  feu,  elle  représente  le  Saint-Esprit. 

Depuis  la  naissance  d'Abraham  jusqu'à  la  sortie  d'E- 
gypte des  fils  d'Israël ,  ou  jusqu'au  passage  de  la  mer 
Rouge,  qui  eut  lieu  la  quatre-vingtième  année  de  Moïse, 
on  compte  quatre  cent  soixante-deux  ans.  (4) 

XI.  Après  cela,  les  Israélites  restèrent  quarante  ans 
dans  le  désert;  ils  y  reçurent  des  lois;  ils  y  furent 
éprouvés  ;  ils  y  vécurent  de  la  nourriture  des  anges. 
Puis,  après  avoir  reçu  la  loi,  ils  traversèrent  le  Jour- 
dain avec  Josué,  et  obtinrent  la  terre  de  proraission. 

XII.  Après  la  mort  de  Josué,  les  Hébreux  ayant  aban- 
donné les  préceptes  divins,  subissent  plusieurs  fois  la  ser- 


(i)  Sur  le  bord  du  golfe  Héroopolite  (golfe  de  Suez),  près  du  lieu 
où  fut  bâti  Clysma. 

(2)  Exode,  cbap.  i4,  vers.  1. 

(5)  Première  Épît.  de  saint  Paul  aux  Corintli.,  chap.  10,  vers  t,  1. 

(4)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  m.)  . 

I,  '^ 


18  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

vitude  étrangère.  Mais  lorsque,  convertis,  ils  gémissent, 
le  Seigneur  leur  envoie  des  hommes  forts  dont  le  bras  les 
délivre.  Ensuite  ayant,  par  l'entremise  de  Samuel,  demandé 
à  Dieu  un  roi  (comme  en  ont  les  autres  nations),  ils 
reçoivent  d'abord  Saùl ,  ensuite  David. 

Depuis  Abraham  jusqu'à  David,  il  y  a  quatorze  généra- 
tions ,  savoir  :  Abraham ,  Isaac  ,  Jacob ,  Juda ,  Phares , 
Esrom,  Aram,  Aminadab,  Naason,  Salmon,  Booz,  Obeth, 
Jessé,  David.  David  eut  Salomon  de  Bersabée.  Celui-ci 
fut  élevé  au  trône  par  le  prophète  Nathan  ,  par  son  frère 
et  par  sa  mère. 

XIII.  David  étant  mort ,  et  Salomon  ayant  commencé 
à  régner,  le  Seigneur  lui  apparut,  et  lui  promit  de  lui  ac- 
corder ce  qu'il  demanderait.  Mais  lui ,  méprisant  les  ri- 
chesses de  la  terre,  préféra  la  sagesse.  Le  Seigneur  l'ap- 
prouva, et  lui  dit  :  Parce  que  vous  n'  avez  point  demandé 
les  rojaumes  du  monde ,  ni  ses  richesses  ^  mais  que 
'VOUS  avez  demandé  la  sagesse  y  vous  la  recevrez.  Il 
n'y  a  jamais  eu  d'homme  avant  vous  qui  vous  ait 
égalé  j  et  il  n'y  en  aura  point  après  vous  qui  vous 
égale  (i).  Et  cela  fut  confirmé  dans  la  suite,  par  le  ju- 
gement que  le  roi  porta  entre  deux  femmes  qui  se  dispu- 
taient un  enfant.  Ce  même  Salomon  éleva  au  nom  du 
Seigneur  un  temple  d'un  travail  admirable,  enrichi  d'une 
si  grande  quantité  d'or  et  d'argent,  de  bronze  et  de  fer, 
que  quelques  uns  disent  que  jamais  dans  le  monde  il  ne 
fut  construit  un  semblable  édifice. 

Depuis  la  sortie  d'Egypte  des  fils  d'Israël  jusqu'à  l'édi- 
fication du  temple,   qui  eut  lieu  la  septième  année  du 

(i)  Rois,  liv.  m,  chap.  5,  vers.  1 1 ,  lOi. 


LIVRE  PREMIER.  19 

règne  de  Salomon ,  on  trouve  quatre  cent  quatre-vingts 
ans,  comme  l'atteste  l'Histoire  des  Rois. 

XIV.  Après  la  mort  de  Salomon ,  le  royaume  fut ,  à 
cause  de  la  dureté  de  Roboam,  divisé  en  deux  parties. 
Deux  tribus  restèrent  à  Roboam ,  et  formèrent  ce  qu'on 
appela  le  royaume  de  Juda  :  Jéroboam  eut  dix  tribus  qui 
composèrent  le  royaume  d'Israël.  Après  cela ,  les  Hébreux 
tombèrent  dans  l'idolâtrie ,  et  n'en  purent  être  retirés  ni 
par  les  prédictions ,  ni  par  la  mort  des  prophètes ,  ni  par 
la  ruine  de  leur  patrie,  ni  même  par  celle  de  leurs  rois, 
jusqu'à  ce  qu'irrité  contre  eux,  le  Seigneur  suscita  Na- 
buchodonosor,  qui  les  emmena ,  avec  tous  les  ornemens 
du  temple,  captifs  à  Eabylone.  Dans  cette  captivité, 
figurent  Daniel,  le  grand  prophète,  qui  resta  sain  et  sauf 
parmi  des  lions  affamés,  et  ces  trois  jeunes  gens  qui 
demeurèrent  couverts  de  rosée  au  milieu  du  feu.  Ezéchiel 
prophétisa ,  et  le  prophète  Esdras  vint  au  monde  pendant 
la  même  captivité. 

Depuis  David  jusqu'à  la  ruine  du  temple,  et  la  capti- 
vité de  Babylone,  il  y  a  quatorze  générations,  savoir: 
David,  Salomon,  Roboam ,  Abia,  Asa,  Josaphat,  Joram, 
Ozias,  Joatham,  Achaz,  Ezéchias,  Manasses,  Amon, 
Josias;  et  ces  quatorze  générations  embrassent  trois  cent 
soixante-un  ans  (i).  Les  Israélites  furent  délivrés  de  la 
captivité  par  Zorobabel ,  qui  dans  la  suite  rétablit  et  le 
temple  et  la  ville.  Cette  captivité,  comme  je  le  pense, 
présente  l'image  de  la  captivité  dans  laquelle  est  entraînée 
l'âme  pécheresse,  qui,  si  elle  n'est  délivrée  par  Zorobabel, 

(i)  La  plupart  des  manuscrits  portent  ce  chiffre.  Celui  jj^lj^abbayê 
du  Bec  porte  34o;  celui  de  Corbie,  Bgo;  un  autre  461-     ;^  ■    ;•  ; 


9.0  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

c'est-à-dire  par  le  Christ ,  restera  condamnée  à  un  exil 
affreux.  Et,  en  effet,  le  Seigneur  dit  lui-même  dans  TÉvan- 
gile  :  Si  le  Fils  vous  met  en  liberté,  vous  serez  vérita- 
blement libres  (i).  Pour  moi,  je  le  supplie  de  se  bâtir  en 
nous-mêmes  un  temple  dans  lequel  il  daigne  habiter,  où 
la  foi  reluise  comme  l'or,  où  l'éloquence  de  la  prédica- 
tion brille  comme  l'argent ,  où  tous  les  ornemens  du 
temple  visible  éclatent  dans  la  pureté  de  nos  sentimens; 
qu'il  couronne  enfin  nos  bonnes  intentions  d'un  salutaire 
effet,  parce  que  :  Si  le  Seigneur  ne  bâtit  une  maison , 
c'est  en  vain  que  travaillent  ceux  qui  la  bâtissent  (2). 
On  compte  que  cette  captivité  dura  soixante-seize  ans. 

XV.  Les  Israélites  ramenés  par  Zorobabel,  comme 
nous  l'avons  dit,  tantôt  murmurent  contre  Dieu,  tantôt  se 
prosternent  aux  pieds  des  idoles,  ou  s'abandonnent  aux  abo- 
minations et  à  toutes  les  pratiques  des  gentils.  Pendant  qu'ils 
méprisent  les  prophètes  de  Dieu,  ils  sont  livrés  aux  nations, 
subjugués,  taillés  en  pièces,  jusqu'à  ce  que  le  Seigneur  lui- 
même,  annoncé  par  la  voix  des  patriarches  et  des  pro- 
phètes, descendant,  par  le  moyen  du  Saint-Esprit,  dans  le 
sein  de  la  Vierge  Marie,  daigne  naître  pour  la  rédemption 
de  ce  peuple  comme  de  tous  les  peuples  de  la  terre. 

Depuis  la  transmigration  jusqu'à  la  naissance  du  Christ, 
il  y  a  quatorze  générations,  savoir  :  Jechonias,  Salathiel, 
Zorobabel,  Abiud,  Eliachim ,  Azor,  Sadoc,  Achim  (3), 
Eliud ,  Eléazar,  Mathan,  Jacob,  Joseph  époux  de  Marie, 


(i)  Évang.  selon  saint  Jean,  chap.  8,  vers.  56. 
(2)  Psaume  126, -vers.  i. 
(5)  Ou  Toachiiii. 


LIVRE  PREMIER.  21 

de  laquelle  naquit  notre  Seigneur  Jésus-Christ  :  Joseph 
forme  la  quatorzième,  (i) 

XVI.  Mais  afin  de  montrer  que  nos  connaissances  ne 
se  bornent  pas  au  peuple  hébreu  ,  rappelons  les  autres 
empires,  disons  quels  ils  furent  et  à  quelle  époque  île 
riiistoire  des  Israélites  ils  répondent.  Au  temps  d'Abraham, 
Ninus  régnait  sur  les  AssjTiens;  Europs  chez  les  Sicyo- 
niens;  chez  les  Egyptiens,  la  seizième  domination,  ou 
dynastie,  comme  ils  disaient  dans  leur  langue.  Au  temps 
-de  Moïse,  régnait  chez  les  Argiens  Tropas,  leur  septième 
roi;  dans  l'Attique,  Cécrops ,  qui  était  le  premier;  chez 
les  Egyptiens,  Cenchris ,  douzième  roi,  qui  fut  englouti 
dans  la  mer  Rouge  ;  les  Assyriens  avaient  pour  seizième 
roi  Agatadis;  les  Sicyoniens,  Marate.  Au  temps  où  Sa- 
lomon  régnait  sur  Israël ,  Silvius  était  le  cinquième  roi 
des  Latins  ;  chez  les  Lacédémoniens  régnait  Festus  ;  chez 
les  Corinthiens  Oxion ,  leur  second  roi;Thephei  chez  les 
Égyptiens.  Dans  la  cent  vingt -sixième  année  (2),  Eu- 
tropes  régnait  chez  les  Assyriens;  chez  les  Athéniens  leur 
second  roi  Agasastus.  Au  temps  où  Amon  régnait  sur  les 
Juifs ,  lorsqu'ils  furent;  emmenés  en  captivité  à  Babylone , 
les  Macédoniens  obéissaient  à  Argée;  les  Lydiens  à  Gy- 
gès  ;  les  Egyptiens  à  Vafrès  :  Babylone  avait  pour  roi  Na- 


(i)  Joseph  ne  forme  que  la  treizième  génération,  à  moins  qu'on 
n'admette  deux  Jéchonias ,  le  père  et  le  fils ,  qui  fui-ent  aussi  appelés 
Joachim ,  comme  le  fant  observer  saint  Ambroise ,  saint  Augustin  , 
saint  Jérôme  et  d'autres  Pères.  (Ruiuart.) 

(2)  Cette  date  varie  dans  les  manuscrits  :  les  uns  portent  120,  les 
autres  126.  Les  années  sont  probablement  comptées  ici  à  partir  de 
la  fondation  du  royaume  des  Juifs.  Du  reste,  tout  ce  chapitre  n'est 
qu'un  tissu  d'erreurs. 


22  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

buchodonosor,  qui  emmena  les  Juifs  en  captivité;  Servius 
Tullus  était  le  sixième  roi  des  Romains. 

XVII.  Ensuite  viennent  les  Empereurs  :  le  premier  fut 
Jules  César,  qui  devint  seul  maître  de  tout  l'empire;  le 
second  Octave,  qu'on  nomme  Auguste,  neveu  de  Jules 
César,  et  qui  donna  son  nom  au  mois  d'août  [^Augustus). 
Il  résulte  très  clairement  de  nos  recherches  que  c'est  à  la 
dix-neuvième  année  de  sou  règne  qu'il  faut  rapporter  la 
fondation  de  Lyon,  ville  des  Gaules,  qui  plus  tard,  illustrée 
par  le  sang  des  martyrs ,  a  reçu  le  titre  de  très  noble,  (i) 

XVIII.  Dans  la  quarante-troisième  année  (2)  du  règne 
d'Auguste ,  notre  Seigneur  Jésus-Christ ,  comme  nous 
l'avons  dit,  naquit  selon  la  chair  de  la  Vierge  Marie  dans 
Bethléem,  ville  de  David.  Les  Mages  voyant  de  l'Orient 
une  grande  étoile,  vinrent  offrir  des  présens  au  nouveau- 
né  et  l'adorer  humblement.  Hérode  craignant  pour  son 
royaume,  et  voulant  atteindre  le  Dieu-Christ ,  fait  périr 
tous  les  petits  enfans;  mais  il  est  bientôt  frappé  lui-même 
par  le  jugement  de  Dieu. 

XIX.  Le  Seigneur  notre  Dieu ,  Jésus-Christ ,  prêche  la 
pénitence ,  accorde  la  grâce  du  baptême ,  promet  à  toutes 
les  nations  le  royaume  des  deux,  opère  au  milieu  des 
peuples  des  prodiges  et  des  miracles;  c'est-à-dire  qu'il 
change  l'eau  en  vin ,  qu'il  guérit  les  fiévreux ,  qu'il  rend 
la  lumière  aux  aveugles  et  la  vie  aux  morts,  qu'il  délivre 
les  possédés  des  esprits  Immondes,  qu'il  débarrasse  les  lé- 
preux de  leur  peau  hideuse.  Par  ces  miracles  et  par  beau- 

(i)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (  Note  «.) 

{i)  Le  manuscrit  de  Corbie  porte  :  la  quarantième  année,  etc. 


LIVRE  PREMIER.  23 

coup  d'autres  encore,  il  montre  manifestement  aux  peu- 
ples sa  divinité;  la  colère  s'empare  des  Juifs,  la  haine  les 
excite,  et  leur  esprit  nourri  du  sang  des  prophètes  forme 
méchamment  le  projet  de  faire  périr  le  juste.  Et  pour  que 
les  oracles  des  anciens  prophètes  fussent  accomplis,  Jésus- 
Christ  est  livré  par  un  de  ses  disciples,  iniquement  con- 
damné par  les  pontifes,  insulté  par  les  Juifs,  crucifié  avec 
des  malfaiteurs;  et  son  corps,  privé  de  vie,  est  gardé  par 
des  soldats.  Ces  choses  étant  accomplies,  des  ténèhres 
couvrirent  tout  le  monde,  et  un  grand  nombre  d'hommes 
convertis  et  gémissans  confessèrent  Jésus  fils  de  Dieu. 

XX.  Joseph,  qui  avait  embaumé  et  mis  au  tombeau  le 
corps  de  Jésus-Christ,  fut  arrêté,  renfermé  dans  une  pri- 
son (i)  et  gardé  par  les  princes  des  prêtres  eux-mêmes, 
agissant  en  cela,  comme  le  rapportent  les  Gestes  envoyés 
par  Pilate  à  l'empereur  Tibère  (2) ,  avec  plus  de  rigueur 
envers  lui  qu'envers  le  Seigneur  même,  car  Jésus  avait  été 
laissé  a  la  garde  des  soldats ,  et  Joseph  fut  gardé  par  les 
prêtres;  mais  le  Seigneur  étant  ressuscité,  et  ses  gardes 
effrayés  par  une  vision  d'anges,  ne  le  retrouvant  plus 
dans  son  tombeau;  d'un  autre  côté,  les  murs  de  la  prison 
OLi  était  renfermé  Joseph  ayant  été  enlevés  en  l'air  pen- 
dant la  nuit,  Joseph  lui-même  délivré  par  un  ange,  et  les 
murs  remis  à  leur  place;  les  pontifes  firent  des  repro- 
ches aux  gardes,  et  leur  redemandèrent  avec  instances  le 
corps  du  Christ.  Les  soldats  leur  répondirent  :  «  Rendez 

(i)  Grégoire  rappoite  ce  fait  d'après  l'Évangile  apociyplie  de  Nico- 
dème,  ou  d'après  quelque  autre  auteur  de  même  poids.  Les  Gestes  de 
Pilate,  relégués  par  le  pape  Gélase  I"  dans  le  catalogue  des  livres 
apocryphes,  ne  méritent  pas  plus  de  confiance.  (  Ruinart.  ) 

('-*}  Voyez  E claire iss.  et  obscrv.  (  Note  0.  ) 


24  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  Joseph,  et  nous  rendrons  le  Christ;  mais  en  vérité,  ni 
«  vous  ne  pouvez  rendre  à  présent  le  bienfaiteur  de  Dieu, 
«  ni  nous  le  fils  de  Dieu.  »  Les  prêtres  restèrent  confus, 
et  les  soldats  furent  absous  sur  cette  excuse. 

XXI.  On  rapporte  que  l'apôtre  Jacques  ayant  vu  Jésus- 
Christ  étendu  mort  sur  la  croix,  jura  qu'il  ne  mangerait 
plus  un  seul  morceau  de  pain  qu'il  n'eût  vu  le  Seigneur 
ressuscité.  Le  troisième  jour  après,  le  Seigneur  étant  revenu 
triomphant  du  séjour  des  morts,  se  montra  à  Jacques,  et 
lui  dit  :  «  Lève-toi ,  Jacques ,  et  mange ,  car  je  suis  ressuscité 
a  du  milieu  des  morts  »  (  i  ).  11  s'agit  ici  de  Jacques  le  Juste , 
qu'on  appelle  frère  du  Seigneur  parce  qu'il  était  fils  de 
Joseph,  mais  d'une  autre  femme  que  Marie.  (2) 

XXII.  Nous  croyons  que  la  résurrection  du  Seigneur 
eut  lieu  le  premier  et  non  le  septième  jour,  comme  beau- 
coup de  gens  le  pensent;  et  c'est  ce  jour  de  la  résurrection 
de  notre  Seigneur  Jésus-Christ  que  nous  nommons  pro- 
prement, et  à  cause  de  cette  sainte  résurrection.  Dimanche 
ou  jour  du  Seigneur.  Ce  jour  dans  l'origine  vit  la  lumière 
le  premier,  et  le  premier  il  mérita  de  voir  le  Seigneur 
ressuscitant  de  son  tombeau. 

Depuis  la  captivité  de  Jérusalem  et  la  ruine  du  temple, 
jusqu'à  la  passion  de  notre  Seigneur  Jésus-Christ,  c'est- 
à-dire  jusqu'à  la  dix-septième  année  de  Tibère,  on  compte 
six  cent  soixante-huit  ans. 


(i)  Toute  cette  histoire,  tirée  de  l'Évangile  des  Hébreux,  est  admise 
par  saint  Jérôme  dans  son  Catalogue  des  Hommes  illustres,  et  rap- 
portée par  Abdias,  liv.  vi.  (Ruinart  ) 

(■:<)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  p.) 


LIVRE  PREMIER.  25 

XXIII.  Le  Seigneur  étant  donc  ressuscité,  et  ayant 
discouru,  pendant  quarante  jours  avec  ses  disciples,  sur 
le  royaume  de  Dieu,  fut  à  leur  vue  enveloppé  dans  un 
nuage  et  transporté  dans  les  cieux,  oii  il  est  assis  glorieux 
à  la  droite  du  Père.  Pilate  envoya  à  Tibère  des  rapports 
dans  lesquels  il  parle  des  miracles  du  Christ,  de  sa  pas- 
sion et  de  sa  résurrection.  Ces  rapports  sont  encore  au- 
jourd'hui conservés  par  écrit  (i).  Tibère  les  communiqua  au 
sénat  ;  mais  le  sénat  les  rejeta  avec  colère,  parce  qu'ils  ne  lui 
avaient  pas  été  directement  adressés.  De  là  les  premiers 
germes  de  la  haine  qui  éclata  contre  les  chrétiens.  Pilate 
toutefois  ne  jouit  pas  de  l'impunité  ;  en  châtiment  de 
son  crime ,  c'est-à-dire  de  la  mort  qu'il  avait  fait  subir  à 
notre  Seigneur  Jésus-Christ,  il  se  tua  de  ses  propres 
mains  (2).  Plusieurs  personnes  pensent  qu'il  était  mani- 
chéen, d'après  ce  qu'on  lit  dans  l'Evangile  :  Quelques  uns 
d'entre  les  Galiléens  ojinrent  dire  à  Jésus  que  Pilate 
avait  mêlé  leur  sang  a^^ec  celui  de  leurs  sacrifices.  (3) 

De  même  le  roi  Hérode,  pendant  qu'il  sévit  contre  les 
apôtres  du  Seigneur,  est  frappé  du  ciel  pour  de  si  grands 
crimes  :  il  enfle,  il  est  rongé  des  vers,  et  pour  mettre  fin 
à  ses  souffrances,  il  prend  un  couteau  et  s'en  frappe  de 
sa  propre  main.  (4) 

XXIV.  Le  bienheureux  apôtre  Pierre  se  rend  à  Rome, 
au  temps  de  Claude,  quatrième  empereur  depuis  x\u- 
guste;  et  là,  dans  ses  prédications,  il  prouva  manifeste- 

(i)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  q.  ) 

{1)  A  Vienne  en  Dauphiné,  comme  l'écrit  Adon  dans  sa  Chronique. 
(  Ruinart.  ) 

(3)  Saint  Luc,  chap.  i3,  vers.  i. 

(4)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  /•.} 


26  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

ment  par  un  grand  nombre  de  miracles  que  le  Christ  était 
fils  de  Dieu.  Dès  lors  les  chrétiens  commencèrent  à  pa- 
raître à  Rome.  Et  comme  le  nom  du  Christ  se  répan- 
dait de  plus  en  plus  parmi  les  peuples,  la  haine  du  vieux 
serpent  s'éleva  contre  eux,  et  remplit  d'une  cruelle  mé- 
chanceté le  cœur  de  l'empereur  :  car  ce  Néron  luxurieux, 
vain  et  superbe  ,  qui  tantôt  servait  de  concubine  aux 
hommes,  tantôt  les  prenait  lui-même  pour  femmes,  qui 
souilla,  dans  ses  honteuses  débauches,  sa  mère,  ses  sœurs 
et  toutes  ses  parentes,  pour  mettre  enfin  le  comble  à  ses 
scélératesses,  excita  le  premier  la  persécution  contre  les 
sectateurs  de  la  loi  du  Christ.  Il  avait  avec  lui  Simon  le 
magicien ,  homme  consommé  en  fait  de  mahce  et  de  toute 
sorte  de  magie.  Les  apôtres  du  Seigneur,  Pierre  et  Paul, 
ayant  confondu  cet  homme ,  l'empereur  irrité  contre 
eux  parce  qu'ils  prêchaient  le  Christ  fils  de  Dieu,  et  qu'ils 
dédaignaient  d'adorer  les  idoles,  ordonna  de  faire  mourir 
Pierre  sur  la  croix  et  Paul  par  le  glaive.  Mais  lui-même 
cherchant  à  fuir  une  sédition  élevée  contre  sa  personne , 
se  tua  de  sa  propre  main  à  quatre  milles  de  Rome. 

Dans  le  même  temps,  Jacques,  frère  du  Seigneur,  et  Marc 
l'Evangéliste  reçurent  la  couronne  du  martyre  pour  le  glo- 
rieux nom  du  Christ.  Mais  le  premier  qui  entra  dans  cette 
voie  sainte  fut  le  lévite  Etienne.  Après  la  mort  de  l'apôtre 
Jacques,  une  grande  calamité  vint  accabler  les  Israélites, 
car  à  l'avènement  de  Vespasien  le  temple  fut  brûlé,  et  six 
cent  mille  Juifs  périrent  dans  la  guerre  par  le  glaive  ou 
par  la  faim.  Domitien  fut  le  second  empereur  depuis  Né- 
ron qui  sévit  contre  les  chrétiens.  Il  exila  l'apôtre  Jean 
dans  l'île  de  Pathmos  (i),  et  exerça  contre  les  peuples  di- 

(i)  L'une  des  Sporadcs. 


LIVRE  PREMIER.  27 

vers  genres  de  cruauté.  Après  sa  mort ,  saint  Jean ,  apôtre 
et  évangéliste,  revint  de  son  exil,  et  après  avoir  mené  une 
vie  parfaite  et  toute  vouée  à  Dieu ,  vieux  et  plein  de 
jours,  il  se  renferma  vivant  dans  un  tombeau.  Mais  on 
rapporte  qu'il  ne  doit  point  subir  la  mort  jusqu'à  ce  que 
Jésus-Christ  vienne  de  nouveau  pour  juger  les  hommes  (i), 
le  Seigneur  disant  lui-même  dans  les  Evangiles  :  Je  veux 
qu'il  demeure  jusqu'à  ce  que  je  vienne.  (2) 

XXV.  Trajan,  le  troisième  après  Néron,  persécuta  les 
chrétiens.  Sous  cet  empereur,  saint  Clément,  troisième 
évêque  de  l'église  de  Rome,  souffrit  le  martyre;  on  assure 
aussi  que  saint  Siméon,  évêque  de  Jérusalem,  fils  de 
Cléophas ,  fut  crucifié  pour  le  nom  du  Christ.  Ignace , 
évêque  d'Antioche,  ayant  été  conduit  à  Rome,  y  fut  livré 
aux  bêtes.  Tous  ces  événemens  furent  accomplis  du  temps 
de  Trajan. 

XXVI.  A  Trajan  succéda  l'empereur  ^lius  Adrien, 
dont  le  nom  fit  donner  à  Jérusalem  celui  d'^lia,  parce 
que  ce  successeur  de  Domitien  avait  fait  réparer  cette 
ville.  Ces  martyres  des  saints  étant  consommés,  il  ne  suf- 
fit pas  au  démon  d'avoir  excité  contre  les  chrétiens  les  na- 
tions incrédules,  il  fallut  encore  qu'il  fît  naître  des  schis- 
mes au  milieu  d'eux.  Il  souleva  des  hérésies;  et  la  foi 
catholique,  cessant  d'être  une,  fut  différemment  inter- 
prétée. Sous  Antonin  parut  l'hérésie  insensée  de  Mar- 
cion  et  de  Valentinien  ;  et  Justin  le  philosophe ,  après 
avoir  écrit  en  faveur  de  l'Eglise  catholique,  reçut  pour  le 


(1)  Voyez  Eclairciss.  et  ob.serv.  (  INote  s.) 
{n)  Saint  Jean,  chap.  21 ,  vers.  22. 


28  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

nom  du  Christ  la  couronne  du  martyre.  En  Asie  une  per- 
sécution s'ëtant  élevée,  le  bienheureux  Polj'carpe,  disciple 
de  Jean  apôtre  et  évangéliste,  périt  par  le  feu,  dans  la 
quatre-vingtième  année  de  son  âge,  comme  une  victime 
très  pure  offerte  au  Seigneur.  Dans  les  Gaules  mêmes, 
un  grand  nombre  de  chrétiens  reçurent  aussi,  pour  le 
nom  du  Christ,  la  céleste  couronne  du  martyre.  L'histoire 
de  leur  passion  s'est  fidèlement  conservée  parmi  nous 
jusqu'à  ce  jour,  (i) 

XXVII.  Le  premier  d'entre  ces  chrétiens  fut  Photin  (2), 
évêque  de  l'église  de  Lyon,  qui,  plein  de  jours,  succomba 
au  milieu  des  supplices  qu'il  subit  pour  le  nom  du  Christ. 
Le  bienheureux  Irénée,  successeur  dé  ce  martyr,  ayant 
été  envoyé  dans  la  même  ville  par  saint  Polycarpe,  s'y 
distingua  par  des  vertus  éclatantes.  Dans  un  court  espace 
de  temps  il  gagna,  surtout  au  moyen  de  ses  prédications, 
tous  les  habitans  au  christianisme.  Mais  une  nouvelle 
persécution  ayant  éclaté,  le  démon  suscita,  par  la  main 
du  tyran  (3) ,  de  telles  guerres  dans  ce  pays ,  et  l'on  y 
égorgea  une  si  grande  multitude  de  personnes  à  cause  de 
leur  constance  à  confesser  le  nom  du  Seigneur,  que  les 
places  publiques  furent  inondées  de  sang  chrétien.  Nous 
n'avons  pu  recueillir  leur  nombre  ni  leurs  noms;  mais  le 
Seigneur  a  inscrit  ces  victimes  sur  le  livre  de  vie.  Le 
bourreau  ayant  fait  souffrir  en  sa  présence  divers  tour- 


Ci)  Yoyez  la  lettre  des  martyrs  de  Lyon,  rapportée  dans  l'Histoire 
ecclésiastique  d'Eusèbe.  (Ruinart.  ) 

(2)  Il  est  plus  communément  appelé  Pothin.  Photin,  évêque  de  Sir- 
mich,  qui  fut  un  hérésiarque  du  iv^  siècle,  n'a  rien  de  commun  avec 
saint  Pothin,  premier  évêque  de  Lyon. 

(3)  Albin  paraît  être  le  tyran  dont  il  est  ici  question. 


LIVRE  PREMIER.  29 

mens  à  saint  Irénée,  le  consacra  par  le  martyre  à  notre 
Seigneur  Jésus -Christ.  Après  Irénée  (i)  succombèrent 
quarante-huit  autres  martyrs,  dont  le  premier  fut,  dit-on, 
Vettius  Épagathus. 

XXVIII.  Sous  Tempereur  Dèce  il  s'éleva  de  nombreuses 
persécutions  contre  le  nom  chrétien ,  et  tant  de  fidèles 
périrent  qu'on  n'en  saurait  dire  le  nombre.  Babyllas  (2), 
évêque  d'Antioche,  avec  les  trois  enfans  Urbain,  Prili- 
dan  et  Épolone;  Sixte,  évêque  de  l'église  de  Rome,  Lau- 
rent, archidiacre,  et  Hippolyte,  furent  martyrisés  pour 
avoir  confessé  le  nom  du  Seigneur.  Valentinien  et  Nova- 
tien  parurent  alors  à  la  tête  des  hérétiques,  et,  à  l'insti- 
gation du  démon,  attaquèrent  notre  foi.  Dans  ce  temps, 
sept  hommes  ordonnés  évêques  furent  envoyés  pour  prê- 
cher dans  les  Gaules,  comme  le  rapporte  l'histoire  de  la 
passion  du  saint  martyr  Saturnin  (3);  on  y  lit  en  effet  : 
«  Sous  le  consulat  de  Décius  et  de  Gratus ,  d'après  le  fidèle 
«  souvenir  qu'on  en  conserve,  la  ville  de  Toulouse  pos- 
«  sédait  déjà  son  premier  et  son  grand  évêque ,  saint 
«  Saturnin.  »  Ces  missionnaires  des  Gaules  furent  l'évêque 
Gatien,  envoyé  à  Tours;  l'évêque  Trophime,  à  Arles; 
l'évêque  Paul ,  à  Narbonne  ;  l'évêque  Saturnin,  à  Toulouse; 
l'évêque  Denis,  à  Paris;  l'évêque  Austremoine,  à  Cler- 
mont  ;  l'évêque  Martial ,  à  Limoges.  Le  bienheureux  Denis, 
évêque  de  Paris ,  ayant  subi  divers  supplices  pour  le  nom 
du  Christ ,  termina  sous  le  glaive  sa  vie  terrestre;  Satur- 
nin, déjà  sûr  du  martyre,  dit  à  ses  deux  prêtres  :  «Voici 


(i)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (  Note  t.) 

{0.)  Et  mieux,  Babila. 

(5)  Voyez  Eclairciss.  et  obscrv.  (Note  a.) 


30  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  que  je  vais  être  immolé,  et  l'instant  de  ma  mort  appro- 
«  che;  je  vous  prie  de  ne  point  me  quitter  avant  que  j'aie 
ce  terminé  ma  vie.  »  Ayant  été  arrêté,  on  le  conduisit  au 
Capitole,  mais  abandonné  par  les  deux  prêtres  (i),  il  fut 
emmené  seul.  Alors  on  dit  que,  se  voyant  délaissé,  il  fit 
cette  prière  :  «  Seigneur  Jésus-Christ,  exauce-moi  de  ta 
«  demeure  céleste  ;  fais  que  jamais  cette  ville  ne  mérite 
u  d'avoir  un  de  ses  citoyens  pour  évêque.»  Nous  savons 
en  effet  qu'il  en  a  été  ainsi  jusqu'à  présent.  Saturnin  ayant 
été  attaché  à  un  taureau  furieux,  fut  précipité  du  Capi- 
tole, et  perdit  ainsi  la  vie.  Pour  Gatien,  Trophimc,  Aus- 
tremoine,  Paul  et  Martial,  après  avoir  vécu  dans  une 
éminente  sainteté,  après  avoir  acquis  les  peuples  à  l'Église, 
et  répandu  partout  la  foi  du  Christ,  ils  sortirent  de  ce 
monde  en  confessant  paisiblement  leur  croyance.  C'est 
ainsi  qu'après  avoir  quitté  la  terre,  les  uns  en  martyrs, 
les  autres  en  confesseurs,  ils  sont  tous  ensemble  réunis 
dans  les  cieux. 

XXIX.  Un  de  leurs  disciples  (2)  étant  allé  dans  la  cité 
de  Bourges,  annonça  aux  peuples  notre  Seigneur  Jésus- 
Christ  ,  le  sauveur  de  tous.  On  choisit  parmi  les  convertis 
un  petit  nombre  d'hommes  qui  furent  ordonnés  prêtres , 
et  qui  apprirent  la  psalmodie;  on  leur  enseigna  aussi  com- 
ment ils  devaient  construire  une  église  et  célébrer  les 
solennités  du  culte  dû  au  Dieu  tout  puissant.  Mais  comme 


(i)  Grégoire  de  Tours  l'apporte  ce  qui  suit  d'après  une  tradition 
vulgaire,  qui  n'est  pas  confirmée  par  les  Actes  de  saint  Saturnin. 
(Ruinart) 

{'i)  Grégoire  de  Tours ,  dans  son  livre  de  Gloria  Confessorum 
(cap.  80) ,  l'appelle  Ursinus ,  et  dit  qu'il  fut  ordonné  par  les  disciples 
des  apôtres,  et  envoyé  dans  les  Gaules.  (Ruinart.) 


LIVRE  PREMIER.  31 

ces  hommes  n'avaient  encore  que  peu  de  moyens  pour 
bâtir,  ils  demandèrent  la  maison  d'un  citoyen  pour  en  faire 
une  église;  or  les  sénateurs  (i)  et  les  autres  principaux 
citoyens  du  lieu  étaient  alors  attachés  aux  cultes  ido- 
lâtres; et  ceux  qui  avaient  accepté  la  foi  étaient  d'entre 
les  pauvres,  selon  ces  paroles  de  reproche  que  le  Seigneur 
adresse  aux  Juifs  :  Les  publicains  et  les  femmes  prosti- 
tuées 'VOUS  devanceront  dans  le  rojaume  de  Dieu  (2). 
N'ayant  pas  obtenu  du  propriétaire  la  maison  qu'ils 
avaient  demandée,  ils  s'adressèrent  à  un  certain  Léoca- 
dius,  l'un  des  premiers  sénateurs  des  Gaules,  de  la  famille 
de  ce  Vettius  Épagathus  qui,  comme  nous  l'avons  dit, 
mourut  à  Lyon  pour  le  Christ  (3)  ;  et  lorsqu'ils  lui  eurent 
fait  connaître  et  l'objet  de  leur  demande  et  leur  foi,  ils  en 
obtinrent  cette  réponse  :  «  Si  la  maison  que  je  possède 
«  dans  la  ville  de  Bourges  était  digne  de  cet  usage,  je  ne 
((  refuserais  point  de  la  donner.  »  A  ces  mots,  ils  se  jettent 
à  ses  pieds  et  lui  offrant  trois  cents  pièces  d'or  et  un  plat 
d'argent,  ils  lui  affirment  qu'elle  est  digne  de  l'emploi 
qu'ils  lui  destinent.  Mais  Epagathus,  ayant  accepté  seule- 
ment trois  sous  d'or  en  signe  d'amitié,  rendit  généreuse- 
ment le  surplus;  et  comme  il  était  encore  plongé  dans  les 
erreurs  de  l'idolâtrie,  il  se  fit  chrétien,  et  convertit  sa  mai- 
son en  une  église.  Cette  église,  maintenant  la  première  de 
la  ville  de  Bourges,  est  remarquable  par  un  travail  admi- 
rable ,  et  célèbre  par  les  reliques  du  premier  martyr 
Etienne. 

(i)  Le  titre  de  sénateur  revient  très  souvent  dans  Grégoire  de 
Tours.  11  s'applique,  soit  aux  familles  sénatoriales,  soit  aux  membres 
de  la  curie  ou  sénat  des  cités  des  Gaules. 

(2)  Saint  Matthieu,  chap.  9.1 ,  vers.  5i. 

(3)  Chap.  -^7. 


32  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

XXX.  Le  trône  impérial  fut  occupé,  en  vingt-septième 
lieu ,  par  Valérien  et  Gallien ,  qui  excitèrent  contre  les 
chrétiens  une  grande  persécution.  Alors  le  bienheureux 
sang  de  Corneille  et  de  Cyprien  (i)  illustra  les  villes  de 
Rome  et  de  Carlhage.  Dans  le  même  temps  Chrocus, 
roi  des  Alemans ,  ayant  levé  une  armée ,  envahit  les  Gaules. 
Ce  Chrocus  était  d'une  arrogance  extrême.  S'étant  rendu 
coupable  de  quelques  actes  iniques,  par  le  conseil,  dit-on, 
d'une  mère  perverse,  il  rassembla,  comme  nous  l'avons 
dit,  la  nation  des  Alemans,  se  répandit  dans  toutes  les 
Gaules,  et  détruisit  jusqu'aux  fondemens  tous  les  édifices 
anciens.  Etant  venu  à  Clermont,  il  brûla,  ruina,  renversa 
le  temple  que  les  Gaulois  dans  leur  langue  appelaient 
Vasso  (2),  monument  d'un  travail  et  d'une  solidité  admi- 
rables. Ses  murailles  étaient  doubles  :  elles  étaient  con- 
struites intérieurement  avec  de  petites  pierres,  et  avec 
de  grandes  pierres  carrées  à  l'extérieur;  leur  épaisseur 
était  de  trente  pieds.  Le  marbre  mêlé  à  la  mosaïque  re- 
couvrait les  parois  intérieures;  le  pavé  même  était  de 
marbre,  et  la  couverture  en  plomb. 

XXXI.  Près  de  cette  ville  reposent  les  martyrs  Limi- 
nius  et  Ântolien.  Là  Cassius  et  Yictorin,  qu'une  affection 
fraternelle  réunissait  dans  un  même  amour  pour  le  Christ, 
versèrent  leur  sang  ensemble,  et  gagnèrent  ensemble  le 
royaume  des  cieux.  Une  tradition  ancienne  veut  que  Yic- 
torin ait  été  esclave  du  prêtre  auquel  était  commis  le  tem- 
ple dont  nous  venons  de  parler;  et  comme  il  allait  souvent 
dans  le  quartier   qu'on  appelait  quartier  des  chrétiens. 


(i)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  v.) 
(2)  Idem.  (  Note  .r.  ) 


LIVRE  PREMIER.  33 

pour  persécuter  les  fidèles,  ii  y  trouva  Cassius  qui  profes- 
sait le  christianisme;  ébranlé  par  ses  prédications  et  par 
ses  miracles,  il  crut  en  Jésus-Christ;  il  abandonna  ses 
honteuses  pratiques,  se  fit  consacrer  par  le  baptême,  et 
devint  fameux  par  les  miracles  qu'il  opéra.  Peu  de  temps 
après,  comme  nous  l'avons  dit ,  réunis  sur  la  terre  par 
leur  martyre,  Victorin  et  Cassius  la  quittèrent  ensemble 
pour  le  royaume  des  cieux.  (i) 

XXXII.  Pendant  l'irruption  des  Alemans  dans  les  Gau- 
les, saint  Privât  (2),  évêque  de  Javols,  fut  trouvé  dans 
une  caverne  de  la  montagne  de  Mende ,  oii  il  se  livrait 
aux  jeûnes  et  aux  prières ,  tandis  que  le  peuple  s'était 
retranché  dans  la  forteresse  de  Grèzes  (3).  Mais  pendant 
que  ce  bon  pasteur  refusait  de  livrer  ses  brebis  aux  loups, 
on  voulut  le  forcer  d'immoler  aux  démons;  et  comme  il 
exécrait  et  repoussait  cette  souillure,  on  le  frappa  de 
verges  jusqu'à  ce  qu'on  le  crut  mort.  En  effet  il  mourut 
peu  de  jours  après  cette  torture.  Pour  Chrocus,  ayant  été 
pris  dans  Arles,  ville  des  Gaules,  il  fut  soumis  à  divers 
supplices,  et  périt  frappé  par  le  glaive,  justes  représailles 
des  souffrances  dont  il  avait  accablé  les  saints  de  Dieu. 

XXXIII.  Sous  Dioclétien ,  qui  fut  le  trente-troisième 
empereur  romain  ,  il  s'éleva  contre  les  chrétiens  une 
grande  persécution  qui  dura  quatre  ans  (4);  en  sorte  qu'une 


(i)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  ;)-.) 

(2)  Le  siège  épiscopal  fut,  vers  le  x<^  siècle,  transféré  à  Mende. 
(Ruinart.) 

(3)  "Voyez  Eclairciss.  et  obsen'.  (Note  z.) 

(4)  La  persécution  élevée  sous  Dioclétien  ne  ])eut,  en  aucune  façon, 
être  étendue  à  quatre  années.  Voyez,  à  cet  égard,  la  ))rérace  qui  précède 
les  j4ctes  sincères  des  Martyrs  {Acta  Martyritm  sinccra).  (Ruin.) 

1.  "3 


34  HISTOIKË  DES  FRANCS, 

fois,  pendant  le  très  saint  jour  de  Pâque,  un  nombre 
considérable  de  fidèles  furent  mis  à  mort  pour  le  culte 
du  vrai  Dieu.  Dans  ce  temps ,  Quirinus ,  prêtre  de  l'é- 
glise de  Siscia  (r) ,  souffrit  un  glorieux  martyre  pour  le 
nom  du  Christ.  Les  cruels  païens  lui  attachèrent  une 
meule  au  cou,  et  le  précipitèrent  au  fond  du  fleuve;  mais 
après  sa  chute,  et  par  la  puissance  divine,  il  se  soutint 
long-temps  au-dessus  des  eaux,  et  les  flots  n'engloutis- 
saient pas  celui  sur  lequel  ne  pesait  aucun  crime.  I^a  mul- 
titude qui  l'entourait,  étonnée  de  ce  spectacle,  brava  la 
fureur  des  gentils,  et  se  précipita  pour  sauver  le  prêtre. 
Celui-ci,  voyant  cela,  ne  voulut  point  qu'on  l'arrachât  au 
martyre  ;  mais  ayant  levé  les  yeux  au  ciel ,  il  dit  :  «  Jésus, 
K  mon  Seigneur,  qui  résides  glorieux  à  la  droite  du  Père, 
«  ne  souffre  pas  qu'on  me  retire  d'ici;  mais  daigne  re- 
«  ce  voir  mon  âme  ,  et  me  réunir  à  tes  martyrs  dans  le 
«  repos  éternel.  »  Ayant  dit  ces  paroles,  il  rendit  l'âme. 
Son  corps,  recueilli  par  les  chrétiens,  fut  enseveli  avec 
respect. 

XXXIV.  Le  trente-quatrième  empereur  des  Romains 
fut  Constantin,  qui  régna  heureusement  pendant  trente 
ans.  Dans  la  onzième  année  de  son  empire,  lorsqu'après 
la  mort  de  Dioclétien ,  la  paix  eut  été  rendue  aux  églises , 
le  bienheureux  évêque  Martin  naquit  dans  la  ville  de 
Sabaria  (2)  en  Pannonie,  de  parens  païens,  mais  non 
obscurs.  Ce  même  Constantin ,  dans  la  vingtième  année 
de  son  règne ,  fit  périr  son  fils  Crispus  par  le  poison ,  et 

(i)  Siscia,  dans  la  Pannonie  supérieure,  aujourd'hui  Sisseck  sur  la 
Save,  en  Hongrie.  V.  les  Act.  sine,  des  Mart. ,  p.  552, 

(2)  Yoyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  n«.) 


LIVRE  PREMIER.  35 

Faustine  sa  femme  dans  un  bain  chaud ,  paice  qu'ils 
avaient  voulu,  par  trahison,  lui  enlever  l'empire.  De  son 
temps,  le  bois  sacré  de  la  croix  du  Seigneur  fut  retrouvé 
par  les  soins  de  sa  mère  Hélène  et  sur  les  indications 
du  juif  Jude,  qui,  après  avoir  été  baptisé,  fut  appelé 
Cyriaque.  L'historien  Eusèbe  a  conduit  sa  chronique 
jusqu'à  ce  temps.  Ce  qui  suit,  depuis  la  vingt-unième 
année  de  Constantin,  a  été  ajouté  par  le  prêtre  Jérôme , 
qui  dit  que  le  prêtre  Juvencus  mit  les  évangiles  en  vers 
à  la  demande  de  l'empereur. 

XXXV.  Sous  le  règne  de  Constance ,  vécut  Jacques  de 
Nisibe  (i),  dont  les  prières  appelèrent  la  clémence  di- 
vine sur  sa  ville  et  en  éloignèrent  de  nombreux  dangers. 
On  trouve  aussi  à  la  même  époque  Maxirnin  évoque  de 
Trêves  ,  éminent  en  toute  espèce  de  sainteté. 

Dans  la  dix-neuvième  année  du  règne  de  Constance  le 
jeune  (2)  mourut  le  moine  Antoine  à  l'âge  de  cent  cinq  ans. 
Le  bienheureux  Hilaire,  évêque  de  Poitiers,  fut,  à  l'insti- 
gation des  hérétiques,  envoyé  en  exil,  oii  il  écrivit  des 
livres  en  faveur  de  la  foi  catholique;  il  les  envoya  à 
Constance,  qui,  le  délivrant  après  quatre  ans  d'exil,  lui 
permit  de  rentrer  dans  sa  patrie. 

XXXVL  Alors  notre  lumière  vint  à  paraître,  et  la 
Gaule  fut  éclairée  des  rayons  d'un  nouveau  flambeau  ; 
c'est-à-dire  que  dans  ce  temps  le  bienheureux  Martin 


(i)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  bb.) 

(2)  Plusieurs  manuscrits  portent  Constantin,  mais  à  tort;  car  Con- 
stantin le  jeune  fut  tué  la  quatrième  année  de  son  règne.  Grégoire  de 
Tours  appelle  ici  Constance  le  Jeune ,  peut-ttre  pour  le  distinguer  de 
Couslance  Chlore.  fRuin.) 


36  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

commença  ses  prédications  dans  les  Gaules.  Par  de  nom- 
breux miracles  il  fit  connaître  aux  peuples  que  le  Christ, 
fils  de  Dieu ,  était  véritablement  Dieu  lui-même,  et  dissipa 
l'incrédulité  des  Gentils.  Il  détruisit  leurs  temples,  étouffa 
l'hérésie,  bdtit  des  églises,  et,  déjà  fameux  par  un  grand 
nombre  d'autres  miracles ,  il  mit  enfin  le  comble  à  sa 
gloire  en  rappelant  trois  morts  à  la  vie.  La  quatrième 
année  de  Valentinien  et  de  Valens,  saint  Hilaire  ,  rempli 
de  sainteté  et  de  foi ,  après  avoir  fait  partout  un  grand 
nombre  de  miracles,  finit  ses  jours  à  Poitiers  pour  monter 
aux  cieux  (i).  On  lit  que  lui-même  aussi  ressuscita  des 
morts. 

Mélanie ,  noble  dame  romaine  ,  alla  par  dévotion  à 
Jérusalem,  laissant  à  Rome  son  fils  Urbain.  Elle  s'y  mon- 
tra si  pleine  de  bonté  et  de  sainteté,  qu'elle  reçut  des  ha- 
bitans  le  nom  de  Theda.  (2) 

XXXVII.  Après  la  mort  de  Valentinien ,  Valens  deve- 
nant possesseur  de  tout  l'empire,  ordonna  que  les  moines 
fussent  incorporés  dans  la  milice,  et  que  ceux  qui  refuse- 
raient d'obéir  fussent  battus  de  verges  (3).  Les  Romains 
soutinrent  ensuite  dans  la  Thrace  une  guerre  des  plus 
terribles.  Le  carnage  fut  si  grand  que  les  troupes  ayant 
perdu  leurs  chevaux  furent  obligées  de  s'enfuir  à  pied. 
Et  comme  les  Goths  en  faisaient  un  horrible  massacre , 
Valens  fuyant  percé  d'une  flèche,  se  réfugia,  poursuivi 
par  l'ennemi,  dans  une  pauvre  cabane,  qui,  livrée  à  l'in- 
cendie ,  l'engloutit  sous  ses  décombres  ;  en  sorte  qu'il  fut 


(i)  Yoyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  ce.) 

(2)  Probablement  du  grec  ôio-xsxoç,  qui  veut  dire  clà'i/i. 

(5)  Yoyez  le  Code  Justin.,  liv.  x,  tit.  5i  ,  loi  26. 


LIVRE  PREMIER.  37 

privé  de  sépulture.  Ainsi  la  vengeance  divine  lui  fit  enfin 
expier  le  sang  des  martyrs  qu'il  avait  fait  répandre.  Ici 
s'arrête  saint  Jérôme;  la  suite  a  été  écrite  par  le  prêtre 
Orose. 

XXXVIII.  L'empereur  Gratien  voyant  la  république 
sans  défenseur,  s'associa  Théodose  à  l'empire.  Théodose 
plaça  tout  son  espoir  et  toute  sa  confiance  dans  la  misé- 
ricorde divine.  Ce  fut  moins  par  le  glaive  que  par  les 
veilles  et  les  oraisons  qu'il  contint  un  grand  nombre  de 
nations,  qu'il  affermit  la  république,  et  qu'il  entra  victo- 
rieux dans  la  ville  de  Constantinople. 

Lorsque,  après  avoir  opprimé  les  Bretons  sous  sa  ty- 
rannie ,  Maxime  eut  remporté  la  victoire ,  il  fut  créé 
empereur  par  les  soldats  ;  puis  ayant  fixé  sa  résidence 
dans  la  ville  de  Trêves,  il  entoura  de  pièges  l'empereur 
Gratien,  et  le  fit  périr  (i).  Saint  Martin,  déjà  évêque, 
alla  trouver  ce  Maxime.  Théodose,  qui  avait  placé  toute 
son  espérance  en  Dieu,  prit,  à  la  place  de  Gratien,  pos- 
session de  tout  l'empire.  Dans  la  suite,  guidé  par  la 
voix  divine,  il  dépouilla  Maxime  de  sa  puissance  et  le  fit 
mourir.  (2) 

XXXIX.  A  Clermont,  Austremoine,  évêque  et  prédica- 
teur, eut  pour  successeur  immédiat  l'évêque  Urbicus, 
l'un  des  sénateurs  qui  s'étaient  convertis.  Cet  évêque  était 
marié.  Sa  femme,  selon  la  coutume  ecclésiastique,  vivait 
religieusement  séparée  de  lui;  tous  deux  se  livraient  à  la 
prière,  aux  aumônes  et  aux  bonnes  œuvres.  Comme  ils 


(i)  L'an  383  de  J.-C.  (Ruin.  j 
(a)  L'an  588  de  J.-C.  (Ruin.) 


38  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

vivaient  de  la  sorte,  la  malignité  du  démon ,  toujours  en- 
nemi de  la  sainteté,  s'exerça  sur  la  femme,  et  l'embrasant 
de  concupiscence  pour  son  mari,  il  en  fît  une  nouvelle 
Eve.  Cette  femme,  emportée  par  le  libertinage  et  cou- 
verte des  ténèbres  du  péché,  se  rend  dans  l'obscurité 
de  la  nuit  à  la  maison  épiscopale  ;  et  comme  elle  trouve 
tout  fermé,  elle  se  met  à  frapper  à  la  porte  de  la  maison 
et  à  crier  de  la  sorte  :  «  Jusques  à  quand,  ô  évêque,  dor- 
«  miras-tu  ?  Jusques  à  quand  tiendras-tu  tes  portes  fer- 
ce  mées?  Pourquoi  méprises-tu  ta  femme?  Pourquoi  fermes- 
ce  tu  l'oreille  aux  préceptes  de  Paul  qui  a  écrit  :  Reç>enez 
«  l'un  à  l'autre  de  peur  que  le  diable  ne  vous  tente?  (  i) 
ce  Voilà  que  je  reviens  à  toi  ;  et  ce  n'est  point  vers  un 
ce  étranger  que  j'accours,  mais  vers  mon  époux.  »  Ces  pa- 
roles et  d'autres  semblables,  proférées  pendant  long- 
temps, refroidirent  enfin  la  religion  de  l'évêque;  il  fit 
entrer  sa  femme  dans  sa  chambre,  et  après  avoir  couché 
avec  elle,  il  la  renvoya.  Ensuite,  mais  trop  tard,  re- 
venu à  lui,  et  plein  du  repentir  de  son  crime,  il  se  retira 
dans  un  monastère  de  son  diocèse  pour  y  faire  pénitence; 
et  après  avoir  effacé  là,  par  ses  gémissemens  et  par  ses 
larmes ,  la  faute  dans  laquelle  il  était  tombé,  il  revint  dans 
sa  ville.  Ayant  accompli  le  cours  de  sa  vie,  il  sortit  de 
ce  monde.  De  sa  cohabitation  avec  sa  femme  naquit  une 
fille,  qui  passa  ses  jours  dans  la  vie  religieuse.  L'évêque 
fut  enterré  avec  sa  femme  et  sa  fille  dans  la  crypte  de 
Chantoin  (2),  près  de  la  grande  route.  Legonus  fut  fait 
évêque  à  sa  place. 

XL.  Celui-ci  étant  mort ,   eut  pour  successeur  saint 

(i)  S.  Paul  aux  Corinth.,  chap.  vu,  vers.  5. 
(2)  Voyez  Eclairciss.  et  ohscn\  (Note  dd.) 


LIVRE  PREMIER.  39 

Illide,  homme  d'une  éminente  piété  et  d'une  éclatante 
vertu.  Illide  vécut  dans  une  sainteté  telle  que  son  nom 
devint  célèbre  jusque  dans  les  pays  étrangers;  d'où  il  ar- 
riva qu'ayant  été  appelé  par  l'empereur  de  Trêves  (i),  il 
délivra  sa  fille  de  l'esprit  immonde ,  ce  que  nous  avons  ra- 
conté dans  le  livre  que  nous  avons  écrit  sur  sa  vie  (2).  Il 
était  très  vieux,  comme  le  rapporte  la  renommée  ,  et  plein 
de  jours  et  de  bonnes  œuvres,  lorsque,  après  avoir  par- 
couru sa  carrière  terrestre,  une  mort  bienheureuse  l'en- 
voya vers  le  Christ.  Son  corps  fut  enterré  dans  la  crypte 
située  près  de  la  ville.  Il  eut  un  archidiacre,  nommé 
avec  raison  Juste,  qui,  après  avoir  rempli  de  bonnes 
œuvres  le  cours  de  sa  vie,  fut  réuni  à  son  maître  sous 
la  même  tombe.  Après  la  mort  du  bienheureux  confes- 
seur Illide ,  il  s'opéra  tant  de  miracles  à  son  glorieux 
tombeau,  qu'on  ne  pourrait  ni  les  écrire  en  entier,  ni 
les  retenir  dans  sa  mémoire.  Son  successeur  fut  saint 
Népotien. 

XLI,  Saint  Népotien  fut  donc  le  quatrième  évêque  de 
Clermont  (3).  Des  députés  furent  envoyés  de  Trêves  en 
Espagne.  Parmi  eux  se  trouvait  un  certain  Artémius.  Cet 
homme,  d'une  sagesse  et  d'une  beauté  admirables,  et  dans 
la  fleur  de  sa  jeunesse,  fut  attaqué  d'une  fièvre  violente. 
Ses  compagnons  prirent  les  devans,  et  le  laissèrent  malade 
à  Clermont.  Artémius  était  alors  fiancé  avec  une  jeune 


(i)  Probablement  Maxime. 

(2)  Voyez  les  Fies  des  Pères,  par  Grégoire  de  Tours,  ch.  3. 

(3)  D'après  le  calcul  même  de  notre  historien ,  JXépotien  fut  le  cin- 
quième évèque  d'Auvergne.  Grégoire  de  Tours  parle  du  tombeau  de 
ce  saint  dans  son  ouvrage  de  la  Gloire  des  Confesseurs ,  cli.  37, 
(Ruinl 


40  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

fille  de  Trêves.  Ayant  été  visité  et  oint  de  l'huile  sainte 
par  Népotien,  il  fut,  par  la  grâce  de  Dieu,  rendu  à  la 
santé;  puis  ayant  reçu  de  la  bouche  du  même  saint  la 
parole  de  la  prédication ,  il  oublia  et  sa  fiancée  terrestre 
et  ses  propres  biens,  et  s'unit  à  la  sainte  Eglise.  Devenu 
clerc,  il  fit  paraître  une  si  grande  sainteté,  qu'il  succéda 
à  saint  Népotien  pour  régir  le  bercail  du  Seigneur. 

XLII.  Dans  le  même  temps,  Injuriosus,  l'un  des  plus 
riches  sénateurs  d'Auvergne,  demanda  en  mariage  une 
jeune  fille  de  même  condition  que  lui  ;  et  ayant  donné  les 
arrhes ,  il  fixa  le  jour  des  noces.  Leurs  pères  n'avaient 
pas  d'autres  enfans  qu'eux.  Lorsque  le  jour  fut  arrivé,  et 
quand  la  solennité  du  mariage  eut  été  célébrée,  les  nou- 
veaux époux  se  mirent,  selon  la  coutume,  dans  un  même 
lit.  Mais  la  jeune  fille,  douloureusement  affligée,  et  tour- 
née contre  la  muraille,  pleurait  amèrement.  Son  époux 
lui  dit  :  «  Pourquoi  te  chagrines-tu?  Je  t'en  prie,  dis-le- 
(c  moi.  »  Et  comme  elle  se  taisait,  il  ajouta  :  «  Je  te  sup- 
«  plie  en  grâce,  par  Jésus -Christ  Fils  de  Dieu,  de  me 
«  faire  connaître  le  sujet  de  ta  douleur.  »  Alors  s'étant 
tournée  vers  lui ,  elle  lui  dit  :  «  Quand  je  pleurerais  tous 
«les  jours  de  ma  vie,  jamais  je  ne  verserais  assez  de 
«  larmes  pour  effacer  la  douleur  profonde  qui  remplit 
«  mon  cœur.  J'avais  résolu  de  conserver  à  Jésus-Christ 
«  mon  faible  corps  pur  du  contact  des  hommes  ;  mais 
«  malheur  à  moi ,  qu'il  a  tellement  abandonnée  que  je 
«  ne  puis  accomplir  ce  que  je  désirais;  malheur  à  moi, 
«  qui ,  dans  ce  jour,  que  je  n'aurais  jamais  dû  voir,  ai 
«  perdu  ce  que  j'avais  conservé  depuis  le  commencement 
(c  de  ma  vie.  Voilà  en  effet  que ,  délaissée  par  le  Christ 
«  immortel,  qui  me  promettait  pour  dot  le  paradis,  je  suis 


LIVRE  PREMIER.  41 

«  devenue  l'épouse  d'un  homme  mortel ,  et  qu'au  lieu  de 
«roses  incorruptibles  dont  je  devais  être  parée,  je  suis 
«  défigurée  plutôt  qu'ornée,  par  des  débris  de  roses  flé- 
«  tries  ;  et  quand  je  devais ,  sur  le  quadruple  fleuve  de 
«  l'agneau  ,  revêtir  l'étole  de  pureté  ,  le  vêtement  que  je 
«  porte  est  pour  moi  un  fardeau  et  non  pas  un  honneur. 
«  Mais  à  quoi  bon  plus  de  paroles?  Infortunée  !  moi  qui 
«  devais  obtenir  le  ciel,  je  suis  aujourd'hui  engloutie  dans 
«  l'abîme.  Oh  !  si  un  tel  avenir  m'attend  ,  pourquoi  le 
«premier  jour  de  ma  vie  n'en  fut- il  pas  le  dernier? 
«  Pourquoi  ne  suis-je  pas  entrée  au  tombeau  avant  que 
«  le  lait  m'ait  servi  d'aliment?  Plût  au  ciel  que  les  baisers 
«  de  mes  douces  nourrices  m'eussent  été  donnés  dans  le 
«  cercueil  !  Les  biens  de  la  terre  me  font  horreur,  parce 
«  que  je  me  représente  les  mains  du  Rédempteur  percées 
«  pour  le  salut  du  monde;  et  je  ne  vois  plus  de  diadèmes 
«  éblouissans  de  superbes  pierreries  lorsque  l'image  de  sa 
«  couronne  d'épines  s'offre  à  mon  esprit.  Je  méprise  les 
«  vastes  champs  de  tes  domaines ,  parce  que  je  soupire 
«  après  les  douceurs  du  paradis.  Tes  demeures  élevées 
«  me  font  pitié  lorsque  je  considère  le  Seigneur  résidant 
«  au-dessus  des  astres.  »  A  ces  paroles  qu'accompagnaient 
d'abondantes  larmes,  le  jeune  homme  touché  de  compas- 
sion répondit  :  «  Nos  parens ,  qui  sont  de  la  première 
«  noblesse  d'Auvergne ,  ont  voulu  nous  unir  pour  perpé- 
«  tuer  leur  famille,  afin  qu'après  leur  mort  un  héritier 
«  étranger  ne  vînt  point  à  leur  succéder.  »  Elle  lui  dit  : 
«  Le  monde  n'est  rien ,  les  richesses  ne  sont  rien ,  la 
«  pompe  d'ici -bas  n'est  rien  ;  elle  n'est  rien  la  vie  même 
«  dont  nous  jouissons.  La  vie  qu'il  faut  surtout  recher- 
«cher,  c'est  celle  qui  ne  se  termine  point  à  la  mort, 
«  qu'aucun  malheur  no  peut  abréger,  qu'aucun  accident 


42  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  ne  peut  interrompre  ;  où  l'homme  jouissant  d'une  bëa- 
«  titude  éternelle,  s'abreuve  d'une  lumière  qui  n'a  point 
«  de  fin;  et  ce  qui  est  plus  encore  que  tout  cela,  où  élevé 
«au  bonheur  des  anges,  il  goûte  une  joie  impérissable 
«  dans  la  contemplation  du  Seigneur  lui-même.»  Le  jeune 
époux  reprit  :  «  A  tes  douces  paroles ,  la  vie  éternelle 
«  brille  pour  moi  du  plus  vif  éclat  ;  aussi ,  si  tu  veux 
cf  t'abstenir  de  toute  concupiscence  charnelle,  je  parta- 
«  gérai  ta  résolution.  »  Elle  répondit  :  «Il  est  difficile  que 
«  les  hommes  accordent  autant  aux  femmes  ;  cependant 
«  si  tu  fais  en  sorte  que  nous  vivions  sans  tache  dans  ce 
«  monde,  je  te  donnerai  une  part  de  la  dot  qui  m'a  été 
«  promise  par  mon  époux  ,  mon  Seigneur  Jésus-Christ , 
«  auquel  je  me  suis  consacrée  et  comme  servante  et  comme 
«  épouse.»  Alors,  armé  du  signe  de  la  croix,  il  dit  :  «  Je 
«  ferai  ce  que  tu  demandes.  »  Et  tous  deux  s'étant  donné 
la  main,  s'endormirent.  Depuis,  ils  couchèrent  pendant 
plusieurs  années  dans  un  même  lit,  et  vécurent  dans  une 
admirable  chasteté;  ce  qui  fut  bien  prouvé  au  moment  de 
leur  mort;  car  lorsque  le  temps  des  épreuves  fut  terminé 
et  que  la  chaste  vierge  monta  vers  le  Christ,  son  mari, 
après  avoir  rempli  les  devoirs  funèbres,  dit  en  la  dépo- 
sant au  tombeau  :  «  Je  te  rends  grâce ,  Seigneur ,  notre 
«  Dieu  éternel,  de  ce  que  je  remets  à  ta  miséricorde  ce 
«  trésor  sans  tache  tel  que  je  l'ai  reçu  de  toi.  »  Mais  elle, 
souriant  à  ces  paroles ,  reprit  :  «  Pourquoi  dis-tu  ce  qu'on 
«  ne  te  demande  pas  ?  »  Peu  de  temps  après  l'avoir  ense- 
velie il  la  suivit  lui-même  au  tombeau.  Comme  leurs 
sépulcres  avaient  été  placés  contre  des  murs  différens,  il 
se  fit  vm  miracle  tout  nouveau  qui  prouva  la  chasteté  des 
deux  époux.  Le  peuple  s'étant  rendu  le  lendemain  matin 
à  leurs  tombes,  qu'il  avait  laissées  à  une  grande  distance 


LIVRE  PREMIER.  43 

l'une  de  l'autre ,  les  trouva  réunies ,  sans  doute  parce  que 
le  tombeau  ne  devait  point  séparer  les  corps  de  ceux  que 
le  ciel  unissait.  T^es  habitans  du  lieu  les  ont  jusqu'à  ce 
jour  appelés  les  Deux-Amans.  Nous  en  avons  parlé  dans 
notre  livre  des  Miracles,  (i) 

XLIII.  Dans  la  seconde  année  du  règne  d'Honorius  et 
d'Arcadius,  saint  Martin,  évêque  de  Tours,  rempli  de 
vertus  et  de  sainteté,  plein  de  bienfaisance  pour  les  mal- 
heureux, mourut  à  Candes,  bourg  de  son  diocèse  (2),  et 
monta  vers  le  Christ  en  la  quatre-vingt-unième  année  de 
son  âge,  la  vingt-sixième  de  son  épiscopat.  Il  trépassa  au 
milieu  de  la  nuit  du  dimanche,  sous  le  consulat  d'Atticus 
et  de  Csesarius  (3).  Au  moment  de  sa  mort,  plusieurs 
personnes  entendirent  des  voix  qui  chantaient  dans  le  ciel; 
ce  que  nous  avons  raconté  plus  au  long  dans  le  premier 
Livre  de  ses  Miracles  (4).  Dès  que  le  saint  de  Dieu  tomba 
malade  au  bourg  de  Candes,  comme  il  vient  d'être  dit, 
les  habitans  de  Poitiers,  comme  ceux  de  Tours,  vinrent 
assister  à  sa  mort.  Après  son  trépas,  il  s'éleva  entre  ces 
deux  peuples  une  vive  altercation.  Les  Poitevins  disaient  : 
«C'est  notre  moine  (5),  il  a  été  notre  abbé;  nous  exi- 


(i)  Daps  l'église  de  Saint-IUide  de  Clermont  une  même  tombe  ren- 
ferme les  corps  de  deux  époux ,  nommés  Injuj-iosus  et  Scolastique  ; 
d'où  l'on  a  conclu  que  ce  dernier  nom  était  celui  de  la  femme  dont  il 
est  ici  parlé.  (  Ruin.  ) 

(2)  Sur  les  confins  de  la  Touraine  et  de  l'Anjou,  au  confluent  de  la 
Vienne  et  de  la  Loire ,  comme  l'indique  le  nom  Condatc ,  qui  parait 
signifier  en  celtique  le  confluent  de  deux  rivières.  (Ruin.) 

(3)  Voyez  Eclairciss.  et  ohserv.  (  Note  ee.  ) 
(4)Chap.  4  et  5. 

(5)  Voyez  Eclairciss.  et  nbscvv.  {^oXe  ff.) 


44  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  geons  qu'il  nous  soit  remis.  Qu'il  vous  suffise  d'avoir 
«  joui  de  sa  parole  tandis  qu'il  était  évêque  dans  ce 
«  monde ,  d'avoir  participé  à  ses  repas,  d'avoir  été  affer- 
«  mis  par  ses  bénédictions ,  et ,  par-dessus  tout ,  réjouis 
«  de  ses  miracles.  Que  toutes  ces  choses  vous  suffisent 
«  donc ,  et  qu'il  nous  soit  du  moins  permis  d'enlever  son 
«  cadavre  inanimé.  »  A  cela  les  liabitans  de  Tours  répon- 
daient :  «Vous  dites  que  les  miracles  qu'il  accomplit  chez 
«  nous  doivent  nous  suffire;  mais  sachez  donc  que,  pen- 
ce dant  qu'il  était  parmi  vous,  il  en  opéra  davantage;  car, 
«  sans  parler  de  beaucoup  d'autres  miracles,  il  ressuscita 
«  deux  morts  parmi  vous,  chez  nous  un  seul;  et,  comme 
«  il  le  disait  souvent  lui-même,  sa  vertu  fut  plus  grande 
«  avant  qu'après  son  épiscopat  (i).  Il  est  donc  nécessaire 
«  que  ce  qu'il  ne  fit  pas  chez  nous  pendant  sa  vie ,  il 
«l'accomplisse  après  sa  mort.  Dieu  vous  l'a  enlevé,  et 
«  Dieu  nous  l'a  donné.  D'ailleurs,  si  l'on  observe  l'usage 
«  anciennement  établi,  la  ville  où  il  fut  sacré  doit,  selon 
«  la  volonté  de  Dieu,  posséder  son  tombeau.  Que  si  vous 
«  voulez  le  revendiquer  en  vertu  des  privilèges  monas- 
«  tiques ,  sachez  que  son  premier  monastère  fut  dans  la 
'<  ville  de  Milan.  »  Pendant  cette  contestation  le  soleil 
s'étant  couché ,  il  fit  nuit  close.  Le  corps  fut  placé  en  sé- 
questre, on  ferma  les  portes  à  clef,  et  les  deux  peuples 
veillèrent  à  sa  garde.  Le  lendemain  matin  il  devait  être 
enlevé  de  force  par  les  Poitevins,  mais  le  Dieu  tout  puissant 
ne  voulut  pas  que  la  ville  de  Tours  fût  dépouillée  de  son 
patron.  Au  milieu  de  la  nuit  toute  la  troupe  des  Poitevins 
fut  accablée  par  le  sommeil,  sans  qu'un  seul  d'entre  eux 


(i)  Sulpice  Sévère  dit  la  même  chose  dans  ses  Dialogues,  II,  5. 
(Ruin.) 


LIVRE  PREMIER.  45 

restât  éveillé.  Dès  que  ceux  de  Tours  les  voient  endor- 
mis, ils  prennent  le  corps  du  saint;  les  uns  le  descendent 
par  la  fenêtre,  les  autres  le  reçoivent  en  dehors;  ils  le 
placent  ensuite  dans  un  bateau,  et  descendent  tous  avec 
lui  le  cours  de  la  Vienne.  Lorsqu'ils  furent  entrés  dans  le 
lit  de  la  Loire,  ils  se  dirigèrent  vers  la  ville  de  Tours,  en 
chantant  à  pleine  voix  des  louanges  et  des  psaumes.  Les 
Poitevins,  réveillés  par  ces  chants,  et  n'ayant  plus  rien 
du  trésor  qu'ils  gardaient,  s'en  retournèrent  chez  eux  dans 
une  grande  confusion. 

Que  si  l'on  demande  pourquoi,  depuis  Gatien  jusqu'à 
saint  Martin,  il  n'y  eut  qu'un  seul  évêque  à  Tours,  c'est- 
à-dire  Littorius  (i),  qu'on  sache  que  les  païens  empê- 
chèrent pendant  long-temps  cette  ville  de  jouir  de  la  bé- 
nédiction sacerdotale.  Dans  ce  temps ,  ceux  qui  étaient 
chrétiens  se  voyaient  obligés  de  célébrer  l'office  divin 
secrètement  et  dans  des  cachettes ,  parce  que  s'ils  étaient 
découverts  on  les  frappait  de  verges,  ou  même  ils  étaient 
mis  à  mort. 

Depuis  la  passion  du  Seigneur  jusqu'à  la  mort  de  saint 
Martin,  on  compte  ^ï2.  ans.  (2) 

Ici  finit  le  premier  Livre;  il  embrasse  un  période  de 
5546  ans,  qui  commence  à  la  création  du  monde,  et  se 
termine  à  la  mort  de  l'évêque  saint  Martin.  (3) 


(i)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  gg.) 

(2)  Scaliger  (lib.  vi  de  Emend.  tempor.)  pense  qu'il  faut  lire  ici,  et 
à  la  fin  des  liv.  iv  et  vi,  au  lieu  de  412  ans,  062,  qui,  ajoutés  aux 
35  ans  de  la  vie  de  Jésus-Chiùst,  font  SgS  ans.  (Ruin.) 

(5)  On  ne  comprend  pas  comment  Grégoire  de  Tours  est  arrivé  à 
ce  chiffre  de  5546  ans. 

En  faisant  le  relevé  des  années  dont  se  composent,  d'après  Grégoire 


46  HISTOIRE  DES  FRANCS. 


de  Tours  lui-même,  les  différcns  périodes  compris  entre  la  Créa- 
tion du  monde  et  la  mort  de  saint  Martin,  on  ne  trouve  que  456^  ans. 
Savoir  :  i°.  d'Adam  à  INoé  1242  ans;  2°.  de  Noé  à  Abraham  942; 
5°.  d'Abraham  au  passage  de  la  mer  Rouge  462  ;  4°-  du  passage  de  la 
mer  Rouge  à  la  construction  du  Temple  480  ;  5°.  de  la  construction 
jusqu'à  la  ruine  du  Temple  et  la  captivité  à  Babylone  56i  ;  6°.  depuis 
la  captivité  jusqu'à  la  passion  du  Christ  668  ;  7°.  depuis  la  mort  de 
J.-C.  jusqu'à  la  mort  de  saint  Martin  412.  —  Total,  4^67  ans;  ce  qui 
diffère  de  près  de  1000  ans  du  chiffre  5546. 


LIVRE  SECOND. 


SOMMAIRES    DES    CHAPITRES    DU    LIVRE    SECOND. 

I .  De  l'épiscopat  de  Brice.  —  2.  Des  Vandales,  et  de  la  persécution 
qu'ils  font  peser  sur  les  chrétiens.  —  3.  De  Cyrola ,  évêque  des 
hérétiques  ,  et  de  plusieurs  saints  martyrs.  —  4-  ^^  ^«1  persécu- 
tion élevée  sous  Athanaric.  —  5.  De  l'évêque  Aravalius  et  des 
Huns.  — 6.  De  la  basilique  de  Saint-Etienne  à  Metz.  —  ■j.  De  la 
femme  d'Aétius.  D'Attila.  — 8.  De  ce  qu'ont  écrit  les  historiens 
louchant  Aétius.  —  9.  De  ce  qu'ils  disent  des  Francs.  —  10.  De 
ce  qu'ont  écrit  les  prophètes  du  Seigneur  touchant  les  simu- 
lacres des  gentils.  —  11.  De  l'empereur  Avitus.  —  12.  Du  roi 
Childéric  et  d'Égidius,  —  i3.  De  l'épiscopat  de  Vénérand  et  de 
Rustic  à  Clermont.  —  14.  De  l'épiscopat  d'Eustoche  et  de  Per- 
pétue à  Tours ,  et  de  la  basilique  de  Saint-Martin.  —  i5.  De  la 
basilique  de  Saint-Symphorien.  —  16.  De  l'évêque  Numatius  et 
de  l'Église  de  Clermont.  —  17.  De  la  femme  de  Numatius  et  de 
la  basilique  de  Saint-Étienne.  —  18.  Childéric  vient  à  Orléans 
et  Odoacre  à  Angers.  —  ig.  Guerre  entre  les  Saxons  et  les  Ro- 
mains.—  20.  Du  ducVictorius.  —  2 1.  De  l'évêque  Eparchius. — 
22.  De  l'évêque  Sidonius.  —  23.  De  la  sainteté  de  l'évêque  Si- 
donius.  Les  injures  qu'on  lui  fait  subir  attirent  la  vengeance  di- 
vine. —  24.  D'une  famine  en  Bourgogne  et  d'Ecditius.  —  25.  Du 
persécuteur  Euvarex(i).  —  26.  De  la  mort  de  saint  Perpétue, 
et  de  l'épiscopat  de  Volusien  et  de  Verus.  —  27.  Clovis  de- 
vient roi  des  Francs.  —  28.  Clovis  reçoit  Clotilde  pour  femme. 
—  29.  Leur  premier  fils  est  baptisé ,  et  meurt  peu  après  son 


(i)  Voyez,  au  cliap.  9.5  du  présent  livre,  une  note  relative  au  nom 
de  ce  roi. 


48  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

baptême.  —  3o.  Guerre  contre  les  Alemaiis.  —  3i.  Du  bap- 
tême de  Clovis.  —  32.  Guerre  contre  Gondebaud.  —  33.  Du 
meurtre  de  Godégiselus.  —  34-  Gondebaud  désire  être  converti. 
—  35.  Entrevue  de  Clovis  et  d'Alaric.  —  36.  De  l'évêque  Quin- 
tien.  —  37.  Guerre  contre  Alaric.  —  38.  Du  patriciat  du  roi 
Clovis.  —  39.  De  l'évêque  Licinius.  —  ^o.  Du  meurtre  de  Sige- 
bert  l'ancien  et  de  son  fils.  —  J^i.  Du  meurtre  de  Chararic  et  de 
son  fils.  —  /{I.  Du  meurtre  de  Ragnacaire  et  de  ses  frères.  — 
43.  De  la  mort  de  Clovis. 

PROLOGUE. 

Poursuivant  l'ordre  des  temps,  nous  rappelons  Indis- 
tinctement et  comme  ils  se  présentent  les  désastres  des  peu- 
ples et  les  vertus  des  saints;  car  nous  ne  croyons  pas  qu'on 
puisse  nous  blâmer  d'avoir  entremêlé  dans  notre  récit  les 
félicités  de  la  vie  des  bienheureux  aux  calamités  des  misé- 
rables, quand  c'est,  non  la  commodité  de  l'écrivain,  mais 
l'ordre  des  temps,  qui  le  demande.  Si  le  lecteur  scrupuleux 
y  regarde  avec  soin,  il  trouvera  dans  les  histoires  des  rois 
Israélites,  que,  sous  Samuel-le-Juste,  périt  le  sacrilège 
Phinée;  que  le  philistin  Goliath  succomba  sous  David, 
surnommé  la  main  puissante.  Il  se  rappellera  aussi 
quelles  désolations  affligèrent  les  peuples  ;  quelles  fa- 
mines, quelles  sécheresses,  vinrent  désoler  la  terre  mal- 
heureuse, au  temps  d'Élie  le  grand  prophète,  qui  arrêtait 
les  pluies  à  son  gré,  ou  les  répandait  à  son  gré  sur  les 
terres  desséchées,  et  qui,  par  sa  parole,  changeait  en  ri- 
chesse la  pauvreté  de  la  veuve.  Il  se  rappellera  quels 
maux  accablèrent  Jérusalem,  au  temps  d'Ezéchias,  à  la 
vie  duquel  Dieu  ajouta  quinze  années;  et,  sous  le  pro- 
phète Elisée,  qui  rendit  des  morts  à  la  vie,  et  fît  au  milieu 
des  peuples  un  grand  nombre  d'autres  miracles,  quels  car- 
nages, quelles  misères  affligèrent  le  peuple  hébreu  lui- 


LIVRE  SECOND.  49 

même.  Eusèbe,  Sévère,  Jérôme,  dans  leurs  Chroniques, 
et  Orose ,  ont  mêlé  pareillement  les  guerres  des  rois  aux 
vertus  des  martyrs.  Nous  avons  donc  fait  de  même  dans 
nos  écrits,  afin  qu'il  fût  plus  aisé  de  suivre  l'ordre  des 
siècles  et  le  calcul  des  années  jusqu'à  nos  jours.  C'est 
pourquoi,  ayant  suivi  jusqu'ici  les  histoires  de  ces  auteurs, 
nous  allons  raconter,  avec  l'aide  de  Dieu,  les  événemens 
arrivés  depuis. 

I.  (i)  Après  la  mort  de  saint  Martin  ,  évêque  de  la  cité 
de  Tours,  homme  éminent,  incomparable,  dont  les  mi- 
racles remplissent  plusieurs  volumes  conservés  encore 
parmi  nous,  Brice  lui  succéda  à  l'épiscopat.  Durant  la  vie 
de  saint  Martin,  ce  Brice  ,  tout  jeune  encore,  tendait  de 
fréquentes  embûches  au  saint  homme ,  parce  que  celui-ci 
lui  reprochait  souvent  de  se  livrer  à  des  choses  futiles. 
Un  certain  jour,  un  malade  étant  venu  pour  demander 
quelque  remède  à  saint  Martin ,  rencontra  dans  la  rue 
Brice  qui  n'était  encore  que  diacre,  et  lui  dit  avec  sim- 
plicité :  «  Voilà  que  j'attends  le  saint  homme,  et  je  ne 
«  sais  oii  il  est,  ni  ce  qu'il  fait.  »  Brice  lui  répondit  :  «  Si 
«  tu  cherches  ce  fou  ,  regarde  là-bas;  selon  sa  coutume  ,  il 
«  contemple  le  ciel  comme  un  insensé.  »  Et  lorsque  le 
pauvre  eut  abordé  l'évêque ,  et  qu'il  en  eut  obtenu  ce 
qu'il  demandait ,  le  saint  homme  s'adressant  au  diacre 
Brice,  lui  dit  :  a  Est-ce  que  je  te  parais  fou,  Brice?»  Et 
comme  celui-ci,  confus  à  cette  demande,  niait  avoir  pro- 
féré de  semblables  paroles,  le  saint  homme  lui  dit  :  a  Tu 
((  parlais  de  loin,  et  mes  oreilles  étaient  près  de  ta  bouche. 
«  En  vérité  je  te  le  dis  :  j'ai  obtenu  de  Dieu  qu'après  ma 

(i)  Yoyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  a.) 

I.  A 


50  IIIS'IOIRE  DES  FRANCS. 

u  mort  tu  fusses  honoré  du  pontificat;  mais  sache  que, 
a  dans  l'épiscopat,  tu  amas  à  souffrir  bien  des  peines.  » 
]>rice  entendant  ces  paroles,  s'en  moquait,  et  disait: 
«IN'avais-je  pas  raison  de  dire  qu'il  parlait  couune  un  in- 
«  sensé?  »  Lorsqu'il  eut  obtenu  l'honneur  de  la  prêtrise, 
il  poursuivit  souvent  le  saint  homme  de  ses  injures.  Toute- 
fois, après  (juc,  du  consenlement  des  citoyens,  il  eut  été 
élevé  à  ré[iiseopal  ,  il  s'adonna  à  la  prière;  et  quoique 
sujierbe  et  vain,  il  avait  la  réputation  d'èlre  chaste.  Mais 
dans  la  trente-troisième  année  de  son  ordiPiation  (i)  il 
s'éleva  contre  lui  une  accusation  criminelle  tout-à-fait 
déplorable.  Une  feuune  à  laquelle  ses  domestiques  avaient 
coutume  de  donner  ses  vétemens  à  laver,  et  qui ,  sous 
l'apparence  de  religion,  avait  changé  d'habit  (a),  conçut 
et  enfanta.  Cet  événement  fit  soidever  tout  le  peuple  de 
Tours;  on  rejeta  le  crime  sur  l'évèque,  et  il  n'y  eut  (]u'un 
cri  pour  le  lapider.  «Long-temps,  lui  disait-on, saint  Martin 
y  par  esprit  de  piét»^  a  caché  ta  luxure,  mais  Dieu  ne 
«  permet  pas  que  nous  nous  souillions  davantage  à  baiser 
«  les  indignes  mains  «(3").  Lui, au  contraire,  niant  le  crime 
avec  force,  demanda  qu'on  lui  apportât  l'enfant;  et  cpiand 
ou  lui  eut  présenté  cet  enfant,  qui  n'avait  que  trente 
jours,  il  lui  dit  :  «Je  t'adjure  par  Jésus-Christ,  fils  du 
«  Dieu  tout  puissant,  si  je  t'ai  engendj'é,  de  le  dire  en 
«  présence   de  tous.  »  L'enfant   dit  :  «  Tu  n'es  pas  mon 


(i)  I^lnsieurs  inanuscrils  ]iortont  l.i  frcri/icnic  aitncc.  Y*ay  onUnntion. 
il  faut  ontoiulre  ici  l ordination  d'd'cqiic,  oomnie  le  prouve  la  lin  de 
ce  chapitio. 

{•}.)  Chani;or  d'habit  [niutai-c  i^esieni)  signifie  ici  embrasser  la  vie 
religieuse. 

(5)  C'était  la  coutume  de  baiser  les  maius  des  évèques  ;  tes  rois  eux- 
inènies  recherchaient  cet  honneur.  (Ruin.) 


LIVRE  SECOND.  51 

«  père.  »  Et  le  peuple  priant  révêque  de  demander  à  l'en- 
fant quel  était  son  père,  Brice  reprit  ;  a  Ce  n'est  pas  mon 
«  affaire,  et  je  n'ai  dû  m'inqniëter  que  de  ce  qui  me  re- 
«  garde  ;  si  vous  voulez  en  savoir  davantage ,  faites  la 
«  question  vous-mêmes.  »  Tout  le  peuple  soutenant  alors 
que  ceci  n'avait  été  fait  qu'au  moyen  de  la  magie,  se  soulève 
à  la  fois  contre  l'évêque,  et  rcntraîne  en  lui  disant  :  «  Tu 
fc  ne  nous  gouverneras  pas  plus  long-temps  sous  le  nom 
«  de  pasteur,  dont«ta  es  indigne.  »  L'évêque,  afin  de  mieux 
convaincre  le  peuple,  mit  dans  sa  robe  des  charbons 
ardens,  et  les  pressant  sur  lui,  il  s'avança  avec  la  foule 
jusqu'auprès  du  tombeau  de  saint  Martin;  puis  il  jela  les 
charbons  devant  ce  tombeau,  et  son  vêtement  ne  laissa 
voir  aucune  trace  de  brûlure.  Alors  il  parla  ainsi  :  «  De 
«  même  que  vous  voyez  mon  vêtement  préservé  de  l'at- 
«  teinte  de  ce  feu,  de  même  mon  corps  est  resté  pur  de 
«  tout  commerce  avec  les  femmes.  »  Mais  le  peuple  re- 
fusant de  croire  ce  qu'il  disait ,  et  même  persistant  à 
soutenir  le  contraire,  l'emmène,  le  calon}nie,  le  chasse, 
afin  qu'elle  soit  accomplie  cette  parole  du  saint  :  Sache 
que  dans  V èpiscopat  lu  auras  a  souffrir  bien  des 
peines.  Après  avoir  chassé  Brice ,  on  éleva  Justinicn  à 
l'épiscopat.  Brice  alla  trouver  l'évêque  de  Rome,  pleu- 
rant, se  lamentant,  et  disant  :  «  Je  souffre  avec  justice, 
«  car  j'ai  péché  envers  le  saint  de  Dieu,  et  je  l'ai  souvent 
«  traité  de  fou  et  d'insensé;  j'ai  vu  ses  miracles,  et  je  n'y 
«ai  pas  cru.  »  Après  son  départ,  les  citoyens  de  Tours 
dirent  à  leur  évêque  :  «Va  après  lui,  et  fais  valoir  ta 
«  cause,  car  si  tu  ne  la  poursuis  pas,  tu  seras  humilié  à 
«  la  honte  de  nous  tous.  »  Justinien  étant  donc  parti  de 
Tours,  et  ayant  atteint  la  ville  de  Verceil  en  Italie,  fut 
frappé  du  jugement  de  Dieu,  et  mourut  durant  son  voyage. 


52  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

Ceux  de  Tours  apprenant  sa  mort ,  et  persévérant  dans 
leur  tort,  nommèrent  Armence  à  sa  place.  1/évêqueBrIce, 
arrivé  à  Rome,  raconte  au  pape  tout  ce  qu'il  a  souffert. 
Il  s'établit  ensuite  dans  la  cour  apostolique,  célébra  très 
souvent  le  sacrifice  de  la  messe,  et  lava  par  ses  pleurs 
toutes  les  fautes  qu'il  avait  commises  envers  le  saint  de 
Dieu,  Puis  ayant  quitté  Rome  la  septième  année,  il  se 
dispose,  avec  l'autorisation  du  pape,  à  revenir  à  Tours. 
Lorsqu'il  fut  arrivé  au  bourg  de  Mont-Louis  (i),  à  six 
milles  de  la  ville,  il  y  fixa  son  séjour.  Cependant  Armence 
tomba  malade  de  la  fièvre,  et  rendit  l'âme  au  milieu  de 
la  nuit.  Celte  mort  ayant  été  aussitôt  révélée  par  une 
vision  à  l'évêque  Brice,  il  dit  aux  siens  :  «  Levez-vous 
«  promptement ,  et  accourons  pour  mettre  au  tombeau 
«  notre  frère  l'évêque  de  Tours.  »  Mais  comme  ils  arri- 
vaient par  une  porte  de  la  ville,  on  emportait  le  mort  par 
une  autre.  Après  la  sépulture  d' Armence,  Brice  rentra  en 
possession  de  son  siège,  et  vécut  ensuite  heureusement 
pendant  sept  années.  Etant  mort  lui-même  après  qua- 
rante-sept ans  d'épiscopat ,  il  eut  pour  successeur  saint 
Eustoche,  homme  d'une  parfaite  sainteté.  (2) 

IL  Ensuite  les  Vandales ,  quittant  le  pays  qu'ils  ha- 
bitaient, se  précipitèrent  sur  les  Gaules  avec  leur  roi 
Gunderic  (3),  et  après  les  avoir  cruellement  dévastées, 
ils  passèrent  en  Espagne.  Ils  y  furent  suivis  par  les  Suèves, 
c'est-à-dire  par  les  Alemans,  qui  s'emparèrent  de  la 


(i)  Sur  la  rive  droite  de  la  Loire,  à  trois  lieues  E.  de  Tours. 

(■2)  Grégoire  de  Tours  revient  sur  Armence  et  sur  Eustoche,  liv.  x, 
chap.  3i. 

(3)  L'an  406.  (  Ruin.  ) 


LIVRE  SECOND.  53 

Galice.  Bientôt  après,  la  mésintelligence  éclata  entre  ces 
deux  peuples,  parce  qu'ils  étaient  voisins  l'un  de  l'autre 
et  comme  ils  s'avançaient  en  armes  chacun  de  leur  côté, 
et  que  les  deux  armées  étaient  prêtes  à  combattre,  le  roi 
des  Alemans  s'écria  :  «  Jusques  à  quand  les  peuples  entiers 
(c  se  feront-ils  la  guerre?  Je  vous  en  conjure,  que  tous  les 
«  hommes  de  l'une  et  l'autre  armée  ne  soient  pas  exposés  à 
«  périr,  mais  que  deux  des  nôtres  s'avancent  en  appareil 
«  militaire  sur  le  champ  de  bataille,  et  qu'ils  combattent 
«  entre  eux.  Alors,  le  parti  dont  le  guerrier  sera  vainqueur 
«  obtiendra  le  pays  sans  contestation,  »  Tout  le  peuple 
approuva  cette  proposition,  afin  que  la  multitude  entière 
ne  fût  pas  obligée  de  se  précipiter  sur  la  pointe  des  glaives. 
Cependant  le  roi  Gundéric  était  mort  (i),  et  Trasamond 
régnait  à  sa  place  (2).  Les  deux  guerriers  en  étant  venus 
aux  mains,  celui  des  Vandales  fut  vaincu  et  tué,  et  Tra- 
samond prit  l'engagement  de  se  retirer,  c'est-à-dire  de 
sortir  d'Espagne  dès  qu'il  aurait  fait  les  préparatifs  de 
voyage  nécessaires. 

Dans  le  même  temps,  Trasamond  exerça  une  persécu- 
tion contre  les  chrétiens,  et  voulut  contraindre  l'Espagne, 
par  les  tourmens  et  les  supplices,  à  trahir  sa  foi  pour 
embrasser  la  secte  d'Arius.  Il  arriva  qu'une  jeune  fille 
pieuse,  comblée  de  richesses,  rehaussée  dans  l'estime  du 
monde  par  sa  noblesse  sénatoriale,  et,  ce  qui  est  plus 


(i)  L'an  428.  (Ruin.) 

(2)  Ces  faits  ue  s'accomplirent  point  sous  Trasamond,  mais  sous 
Genséric.  (Ruin.) 

Genséric  succéda  à  Gundéric,  et  non  pas  à  Trasamond,  qui  ne  ré- 
gna qu'après  Guntabond,  en  ^gô.  (Bouquet.) 

Genséric  emmena  les  Vandales  en  Afrique  en  428  ;  et  ce  fut  dans 
ce  pays  que  régna  Trasamond,  de  /\Ç)6  à  Bict.  (Guizot. ) 


54  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

noble  que  tout  le  reste,  ferme  dans  la  foi  catholique  et 
entièrement  dévouée  au  culte  du  Dieu  tout  puissant, 
fut  soumise  à  cette  épreuve.  Lorsqu'elle  fut  amenée  en 
présence  du  roi ,  il  l'engagea  d'abord  par  des  discours  flat- 
teurs à  se  faire  rebaptiser-,  mais  comme,  munie  du  bou- 
clier de  la  foi ,  elle  repoussait  le  trait  empoisonné  du 
prince,  celui-ci  ordonna  que  celle  qui  possédait  déjà  par 
la  pensée  les  royaumes  du  paradis  fût  privée  de  ses  biens, 
et  que  celle  qui  ne  plaçait  aucune  espérance  dans  cette 
vie,  fût  tourmentée  par  les  supplices.  Que  dirai-je  de 
plus?  Après  qu'on  lui  eut  fait  subir  plusieurs  tortures, 
après  qu'on  lui  eut  enlevé  toutes  ses  ricbesses  terrestres, 
comme  on  ne  pouvait  la  réduire  à  diviser  la  sainte  Trinité, 
on  l'entraîna  malgré  elle  à  un  nouveau  baptême.  Mais 
pendant  qu'on  la  plongeait  de  force  dans  ce  bain  fan- 
geux, et  qu'elle  s'écriait  :  «  Je  crois  que  le  Père,  le  Fils  et 
«  le  Saint-Esprit  sont  d'une  seule  substance  et  d'une  seule 
«  essence  »,  elle  infecta  toutes  les  eaux  d'uil  parfum  digne 
d'elles,  c'est-à-dire  qu'elle  y  mêla  ses  excrémens.  Elle  sortit 
de  là  pour  être  mise  à  la  question  suivant  la  loi,  et  après 
avoir  enduré  le  supplice  des  chevalets,  celui  des  flammes 
et  celui  des  pointes  de  fer,  elle  fut  décapitée  et  consacrée 
ainsi  à  Jésus-Christ. 

Les  Vandales  poursuivis  ensuite  par  les  Alemans  jusqu'à 
Tarifa  en  Espagne,  passent  la  mer,  et  se  répandent  dans 
toute  la  province  d'Afrique  et  dans  la  Mauritanie. 

m.  Mais  comme  de  leur  temps  la  persécution  contre 
les  chrétiens  devint  plus  violente,  ainsi  que  nous  l'avons 
dit  ci -dessus,  il  nous  paraît  convenable  de  rapporter 
quelque  chose  de  ce  que  les  Vandales  firent  contre  les 
églises  de  Dieu,  et  de  la  manière  dont  ils  furent  chas- 


LIVRE  SECOND.  55 

ses  de  leur  royaume.  Trasamond  étant  mort,  après  avoir 
commis  des  atrocités  envers  les  saints  de  Dieu  ,  Hu- 
néric  (i),  d'un  caractère  plus  cruel  encore,  s'empare  du 
royaume  d'Afrique,  et  les  Vandales  l'élisent  pour  leur 
chef.  On  ne  saurait  concevoir  le  nombre  prodigieux  des 
chrétiens  qui,  de  son  temps,  furent  mis  à  mort  pour  le 
nom  sacré  de  Jésus-Christ;  mais  l'Afrique  qui  les  a  four- 
nis, et  la  main  du  Christ  qui  les  a  couronnés  de  pierreries 
immortelles,  peuvent  en  rendre  témoignage.  Cependant 
nous  avons  lu  les  passions  de  quelques  uns  de  ces  mar- 
tyrs, et  nous  en  reproduirons  quelques  traits  afin  d'ac- 
complir ce  que  nous  avons  promis.  Cyrola,  faussement 
appelé  évêque,  était  alors  regardé  comme  le  plus  ferme 
soutien  des  hérétiques  ;  et  comme  le  roi  envoyait  de  tous 
côtés  persécuter  les  chrétiens,  cet  impie  découvrit,  dans 
les  faubourgs  de  sa  ville,  l'évêque  saint  Eugène,  homme 
d'une  vertu  inexprimable,  et  qui  passait  alors  pour  avoir 
une  grande  prudence.  11  le  fit  enlever  si  violemment,  qu'il 
ne  lui  permit  pas  même  d'aller  exhorter  le  troupeau  de 
fidèles  confiés  à  ses  soins.  Eugène  se  voyant  entraîner, 
écrivit  en  ces  termes  à  ses  concitoyens  pour  les  engager 
à  conserver  la  foi  catholique  : 

«  A  ses  très  aimés,  et,  dans  l'amour  de  Jésus-Christ, 
((  ses  très  chers  fils  et  filles  de  l'église  à  lui  confiée  par  le 
«  Seigneur,  l'évoque  Eugène  : 

«  L'autorité  royale  nous  a  ordonné  pa»"  un  édit  de  venir 
«  à  Carthage  pour  y  exercer  notre  foi  catholique.  Ne 
«  voulant  pas,  en  m'éloignant  de  vous,  laisser  l'église  de 
«  Dieu  dans  un  état  incertain,  c'est-à-dire  en  suspens,  ni 


(i)  Hunéric  succéda  à  son  père  Genséric.  11  eut  pour  successeur 
Guntabond,  et  celui-ci  Trasamond.  (Ruin.) 


56  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  abandonner,  comme  un  pasteur  infidèle,  les  brebis  du 
«  Seigneur  sans  leur  adresser  la  parole,  j'ai  jugé  néces- 
«  saire,  pour  soutenir  votre  piété,  de  remplacer  ma  pré- 
«  seuce  par  ces  lettres.  Je  vous  demande  donc,  non  sans 
«  verser  des  larmes,  je  vous  conseille,  je  vous  avertis,  je 
«  vous  conjure  avec  la  plus  vive  instance,  par  la  majesté 
«  de  Dieu ,  par  le  jour  redoutable  du  Jugement  et  par  la 
«  lumière  terrible  qui  doit  éclairer  la  venue  de  Jésus- 
((  Christ,  de  demeurer  fermes  dans  la  foi  catholique,  en 
«  proclamant  que  le  Fils  est  égal  au  Père,  et  que  le  Saint- 
«  Esprit  ne  forme  avec  le  Père  et  le  Fils  qu'une  même 
«  divinité.  Conservez  donc  la  grâce  d'un  baptême  unique, 
«  en  gardant  l'onction  du  saint  chrême,  et  que  nul  ne 
«  retourne  à  l'eau,  après  avoir  reçu  l'eau  et  après  en  avoir 
«  été  régénéré;  car  sur  un  signe  de  Dieu,  le  sel  se  forme 
«  de  l'eau  ;  mais  qu'il  soit  réduit  en  eau,  il  est  aussitôt 
«  dénaturé.  Et  ce  n'est  pas  sans  raison  que  le  Seigneur 
«  dit  dans  l'Évangile  :  Si  le  sel  perd  sa  force ,  avec 
«  quoi  le  salera-t-on?  (i)  Certes,  c'est  perdre  la  force  du 
f<  baptême  que  d'y  recourir  une  seconde  fois  quand  une 
«première  suffit.  N'avez -vous  pas  entendu  cette  parole 
«du  Christ  :  Celui  qui  a  été  lavé  une  première  fois  ^ 
«  na  pas  besoin  de  l'être  une  seconde?  (2)  Que  mon 
«  absence  ne  vous  contriste  donc  pas,  mes  frères,  mes  fils 
«  et  mes  filles  en  Dieu  ;  car  si  vous  restez  attachés  aux 
«  préceptes  de  la  foi  catholique,  l'éloignement  ne  pourra 
«  vous  faire  oublier  de  moi ,  ni  la  mort  me  séparer  de  vous. 
«  Sachez  qu'en  quelque  lieu  que  les  bourreaux  déchirent 
«  mes  membres,  la  palme  y  sera  avec  moi.  Si  l'on  m'exile, 


(i)  Saint  MaUli.,  chap.  5,  vers.  i5. 
(2)  Saint  Jean,  chap.  j5,  vers.  10. 


LIVRE  SECOND.  57 

«  j'ai  devant  les  yeux  l'exemple  de  saint  Jeanl'évangéliste; 
«  si  je  vais  à  la  mort,  Jésus-Christ  est  ma  vie,  et  la  mort 
«  jnest  un  gain  (i).  Si  je  reviens,  mes  frères.  Dieu  rem- 
«  plira  vos  vœux.  Il  me  suffit  maintenant  de  n'avoir  pas 
(c  gardé  le  silence  avec  vous.  Je  vous  ai  avertis,  je  vous 
«  ai  instruits  autant  que  je  l'ai  pu  ;  je  ne  suis  donc  pas 
«  responsable  du  sang  de  tous  ceux  qui  périront;  et  je  sais 
«  que  cette  lettre  sera  lue  contre  eux  au  tribunal  de  Jésus- 
(s  Christ  lorsque  le  temps  sera  venu  de  rendre  à  chacun 
a  selon  ses  œuvres.  Si  je  reviens,  mes  frères,  je  vous  ver- 
«  rai  dans  cette  vie;  si  je  ne  reviens  pas,  je  vous  verrai 
«  dans  la  vie  à  venir.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  vous  dis  adieu. 
a  Priez  pour  moi ,  et  jeûnez  ;  parce  que  le  jeûne  et  l'au- 
«  mône  ont  toujours  attiré  la  miséricorde  du  Seigneur. 
«  Rappelez-vous  qu'il  est  écrit  dans  l'Evangile  :  Ne  crai" 
«  gnez  point  ceux  qui  tuent  le  corps  et  qui  ne  peuvent 
«  tuer  Vâme  :  mais  craignez  celui  qui ,  après  avoir  tué 
«  le  corps ,  peut  aussi  perdre  Vâme  et  le  corps ,  et  les 
«  envoyer  dans  ï enfer.  »  (2) 

Saint  Eugène  ayant  donc  été  conduit  au  roi,  discuta  en 
faveur  de  la  foi  catholique  contre  l'évêque  des  Ariens.  Et 
lorsqu'il  l'eut  complètement  vaincu  sur  le  mystère  de  la 
sainte  Trinité,  et  que,  de  plus,  le  Seigneur  eut  accompli 
par  son  ministère  un  grand  nombre  de  miracles,  ce  même 
évêque  arien,  excité  par  l'envie,  entra  dans  une  violente 
fureur.  Avec  saint  Eugène  étaient  deux  hommes  des  plus 
sages  et  des  plus  saints  de  ces  temps -là,  les  évêques 
Vindémial  et  Longin ,  égaux  en  dignité  aussi-bien  qu'en 


(i)  Épît.  de  saint  Paul  aux  Philipp.,  cliaj).  1 ,  vers.  ■i\. 
(2)  Saint  Matth.,  cliap.  10,  vers.  -iS, 


58  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

vertu;  car  saint  Vindémial  passait  alors  pour  avoir  res- 
suscité un  mort,  et  Longiii  avait  rendu  beaucoup  de  ma- 
lades à  la  santé.  Eugène  guérissait  non  seulement  la  cécité 
des  yeux,  mais  encore  celle  de  l'esprit.  Voyant  cela,  ce 
méchant  évêque  des  Ariens  fit  venir  un  homme  abusé  de 
l'erreur  dans  laquelle  il  vivait  lui-même,  et  lui  dit  :  «  Je 
«  ne  puis  souffrir  que  ces  évêques  opèrent  de  nombreux 
«c  miracles  au  milieu  du  peuple,  et  que  chacun  me  néglige 
«  pour  les  suivre.  Consens  donc  à  faire  ce  que  je  vais  te 
«  prescrire ,  et  reçois  d'avance  ces  cinquante  sous  d'or. 
«  Assieds-toi  sur  la  place  publique  que  nous  devons  tra- 
ce verser;  et  tenant  ta  main  sur  tes  yeux  fermés,  écrie-toi 
«  de  toutes  tes  forces  quand  je  passerai  avec  la  foule,  et 
«  dis  :  Bienheureux  Cyrola,  pontife  de  notre  religion,  je 
«  t'en  supplie,  jette  un  regard  sur  moi,  et  manifeste  ta 
«  gloire  et  ta  puissance  en  faisant  que  mes  yeux  s'ouvrent, 
«  et  que  j'obtienne  de  revoir  la  lumière  que  j'ai  perdue.  » 
L'homme  exécuta  l'ordre  qu'il  avait  l'eçu  ;  il  s'assit  sur 
la  place  publique,  et  croyant  pouvoii-  se  jouer  du  Tout- 
Puissant,  il  s'écria  de  toute  sa  force,  lorsque  l'hérétique 
passa  avec  les  saints  de  Dieu  :  «Ecoute-moi,  bienheureux 
'f  Cyrola  ;  écoute-moi,  saint  pontife  de  Dieu;  jette  un 
«  regard  sur  ma  cécité.  Que  j'éprouve  la  vertu  des  re- 
«  mèdes  avec  lesquels  tu  as  guéri  souvent  les  aveugles  et 
«  les  lépreux,  et  dont  les  morts  eux-mêmes  ont  ressenti 
«  la  puissance.  Je  t'adjure,  par  la  vertu  que  tu  possèdes, 
((.  de  me  rendre  la  lumière  que  j'ai  perdue,  car  je  suis 
«  frappé  de  cécité.  }■>  Et  sans  le  savoir  il  disait  vrai;  car  la 
cupidité  l'avait  rendu  aveugle,  et  il  croyait,  pour  de  l'ar- 
gent, pouvoir  se  moquer  de  la  puissance  divine.  Alors 
l'évêque  des  hérétiques  se  détourna  un  peu ,  comme  si 
son  pouvoir  allait  triompher;  et  transporté  de  vanité  et 


LIVRE  SECOND.  59 

d'orgueil,  il  posa  la  main  sur  les  yeux  de  cet  homme,  en 
disant  :  «  Par  notre  foi,  qui  est  la  vraie  croyance  en  Dieu, 
«  que  tes  yeux  s'ouvrent  à  la  lumière.»  Mais  à  peine  cette 
impiété  fut-elle  proférée,  que  la  moquerie  fit  place  aux 
gémissemens,  et  que  la  fraude  de  l'évêque  se  manifesta 
aux  regards  de  tous.  En  effet,  les  yeux  du  malheureux  furent 
saisis  d'une  si  grande  douleur,  qu'il  put  à  peine,  en  les 
pressant  de  ses  doigts ,  les  empêcher  de  crever.  Enfin 
l'infortuné  se  mit  à  crier  et  à  dire  :  «  Malheur  à  moi , 
«misérable,  que  l'ennemi  de  la  loi  divine  a  séduit!  mal- 
«  heur  à  moi,  qui,  pour  de  l'argent,  ai  voulu  me  jouer 
«  de  Dieu,  et  qui  ai  reçu  cinquante  pièces  d'or  pour  com- 
«  mettre  ce  crime  !  )i  Puis  il  dit  à  l'évêque  :  «Voilà  ton  or; 
«  rends-moi  la  lumière  que  j'ai  perdue  par  ta  fourberie. 
«Et  vous,  très  glorieux  chrétiens,  je  vous  en  supplie, 
«n'abandonnez  pas  un  malheureux,  mais  secourez-le 
«  promptement,  car  il  est  près  de  périr.  Ah!  je  reconnais 
«  bien  maintenant  qu'on  ne  se  joue  pas  de  Dieu  !  »  Les 
saints  de  Dieu,  touchés  de  compassion  ,  lui  dirent  :  «  Si  tu 
«  crois,  tout  est  possible  a  celui  qui  croit  -»  (i).  Alors 
il  s'écria  d'une  voix  forte  :  «  Que  celui  qui  ne  croira  pas 
«que  Jésus-Christ,  fils  de  Dieu,  et  le  Saint-Esprit  ont, 
<f  avec  Dieu  le  Père,  une  même  substance  et  une  même 
«  divinité,  endure  ce  que  je  souffre  aujourd'hui!  »  Et  il 
ajouta  :  «  Je  crois  en  Dieu,  le  Père  tout-puissant;  je  crois 
«  en  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  égal  au  Père ,  je  crois  au 
«  Saint-Esprit  consubstantiel  et  co-éternel  au  Père  et  au 
«  Fils,  w  A  ces  paroles,  chacun  des  évêques  veut  laisser 
aux  autres  l'honneur  d'imposer  sur  les  yeux  du  patient  le 
signe  de  la  bienheureuse  croix,  et  il  s'élève  entre  eux  un 

(i)  Saint  Marc,  rhap.  p,  vers.  n-i. 


60  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

saint  débat.  Vindémial  et  Longin  priaient  Eugène,  tandis 
qu'Eugène,  de  son  coté,  les  priait  eux-mêmes  d'imposer 
les  mains  à  l'aveugle.  Enfin ,  Vindémial  et  Longin  cédè- 
rent, et  pendant  qu'ils  tenaient  leurs  mains  sur  la  tête  du 
patient,  saint  Eugène  fit  le  signe  de  la  croix  sur  ses  yeux, 
et  dit  :  «Au  nom  du  Père,  et  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit, 
«  qui  sont  le  vrai  Dieu,  et  que  nous  confessons  en  trois 
«  personnes  égales  entre  elles  et  toutes-puissantes,  que  tes 
«  yeux  soient  ouverts.  »  Et  la  douleur  s'étant  évanouie  à 
l'instant,  le  malade  revint  à  son  premier  état  de  santé. 
Alors  on  reconnut  clairement,  par  la  cécité  de  cet  homme, 
que  la  doctrine  de  cet  évêque  des  hérétiques  couvrait  les 
yeux  du  cœur  d'un  voile  déplorable,  afin  que  nul  ne  pût 
contempler  la  vraie  lumière  avec  les  yeux  de  la  foi.  O  le 
malheureux,  qui,  n'étant  pas  entré  par  la  porte,  c'est-à- 
dire  par  Jésus-Christ,  qui  est  la  vraie  porte,  est  devenu 
plutôt  le  loup  que  le  gardien  de  son  troupeau;  et  qui, 
dans  la  méchanceté  de  son  âme ,  s'efforçait  d'éteindre 
dans  le  cœur  des  fidèles  le  flambeau  de  la  foi  qu'il  aurait 
dû  y  allumer.  Les  saints  de  Dieu,  au  milieu  du  peuple, 
firent  beaucoup  d'autres  miracles,  et  tout  le  monde  ré- 
pétait d'une  commune  voix  :  «Le  Père  est  vrai  Dieu; 
«  le  Fils  est  vrai  Dieu  ;  le  Saint  -  Esprit  est  vrai  Dieu  : 
«  ils  doivent  être  adorés  avec  la  même  foi ,  redoutés 
«  avec  la  même  crainte,  et  honorés  du  même  culte;  car 
«  il  est  manifeste  pour  tous  que  la  doctrine  de  Cyrola  est 
«  fausse.  » 

Le  roi  Hunéi'ic,  voyant  que  la  fausseté  de  ses  assertions 
était  mise  à  nu  par  la  glorieuse  foi  des  saints,  que  la  secte 
de  l'erreur  se  détruisait  au  lieu  de  s'établir,  et  que  la 
fraude  de  son  évêque  avait  été  dévoilée  dans  cette  action 
rriminolle,  ordonna  que  les  saints  de  Dieu,  après  avoir 


LIVRE  SECOND.  61 

subi  bien  des  tourmens,  ceux  des  chevalets,  des  flammes, 
des  pointes  de  fer,  fussent  enfin  mis  à  mort.  Quant  au 
bienheureux  Eugène,  il  donna  l'ordre  de  le  décapiter; 
mais  en  même  temps  il  recommanda  que,  si  le  pontife, 
au  moment  où  le  glaive  levé  menacerait  sa  tête,  refusait 
encore  d'embrasser  la  secte  des  hérétiques ,  on  se  gardât 
de  le  tuer,  de  peur  que  les  chrétiens  ne  vinssent  à  le  ré- 
vérer comme  un  martyr ,  mais  qu'on  l'envoyât  immédia- 
tement en  exil  :  ce  qui  eut  lieu  comme  on  le  sait.  En  effet, 
lorsqu'on  lui  demanda,  au  moment  où  la  mort  était  pour 
lui  imminente,  s'il  était  décidé  à  mourir  pour  la  foi  catho- 
lique, il  répondit  :  a  Mourir  pour  la  justice,  c'est  vivre 
«  éternellement.  »  Alors  le  glaive  resta  suspendu,  et  Eu- 
gène fut  envoyé  en  exil  à  Alby,  ville  des  Gaules,  où  il 
termina  sa  vie.  De  fréquens  miracles  s'opèrent  aujour- 
d'hui à  son  tombeau.  Quant  à  saint  Vindémial,  le  roi 
ordonna  qu'il  fût  frappé  du  glaive,  et  ce  fut  en  effet  de 
cette  manière  qu'il  reçut  la  mort.  L'archidiacre  Octavien 
et  plusieurs  milliers  d'hommes  et  de  femmes  attachés  à 
notre  foi  furent  tués  ou  torturés.  Mais  ce  n'était  rien  pour 
les  saints  confesseurs  de  souffrir  ainsi  pour  l'amour  de  la 
gloire;  car  ils  savaient  bien  que  peu  de  tourmens  leur 
vaudraient  beaucoup,  selon  ces  paroles  de  l'apôtre  :  «  Les 
soiiffrances  de  la  vie  présente  n'ont  point  de  proportion 
avec  cette  gloire  qui  est  révélée  aux  saints  »  (i).  A  la 
même  époque,  un  grand  nombre  de  chrétiens  s'écartèrent 
de  la  foi  pour  rechercher  les  richesses,  et  se  préparèrent 
des  maux  infinis,  comme  ce  malheureux  évêque,  nommé 
Révocatus,  qui  révoqua  dans  ce  temps  son  engagement 


(i)  Epît.  de  saint  Paul  aux  Rom.,  chap.  8,  vers.  i8. 


62  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

dans  la  foi  catholique.  Alors  le  soleil  parut  sombre  (i),au 
point  qu'à  peine  le  tiers  de  son  disque  était  lumineux;  j'en 
attribue  la  cause  à  tant  de  crimes  et  à  l'effusion  du  sang 
innocent.  Hunéric,  après  un  si  grand  forfait,  fut  possédé 
du  démon  ;  et  celui  qui  s'était  si  long-temps  abreuvé  du 
sang  des  saints,  se  déchira  par  ses  propres  morsures  :  ce 
fut  au  milieu  de  ces  tourmens  qu'il  finit  par  une  juste 
mort  son  indigne  vie.  11  eut  pour  successeur  Cliildéric  (2), 
après  la  mort  duquel  Gélisimère  obtint  le  royaume.  Celui- 
ci  ayant  été  vaincu  par  la  république  (^),  perdit  à  la  fois 
la  vie  et  le  trône.  Ainsi  tomba  le  royaume  des  Vandales. 

IV.  Dans  ce  temps  les  églises  de  Dieu  furent  assaillies 
par  un  grand  nombre  d'hérésies,  qu'atteignit  souvent  la 
vengeance  divine.  Ainsi  Athanaric,  roi  des  Goths,  excita 
une  grande  persécution.  Après  avoir  infligé  divers  tour- 
mens à  une  foule  de  chrétiens,  il  leur  faisait  trancher  la 
tête,  ou  il  les  envoyait  en  exil,  et  les  faisait  ensuite  mourir 
de  faim  ou  d'un  autre  genre  de  supplice.  Enfin,  poursuivi 
par  le  jugement  de  Dieu,  il  fut,  à  cause  de  l'effusion  du 
sang  des  justes,  chassé  de  son  royaume,  et  celui  qui  at- 
taquait les  églises  de  Dieu,  fut  exilé  de  sa  patrie.  Mais 
revenons  à  ce  qui  précède. 

V.  Le  bruit   s'était  répandu  que  les  Huns  voulaient 


(i)  L'an  45o.  Scaliger  prouve,  en  effet  {de  Emencl.  tempor.,  lib.  vi  ), 
que  c'est  l'année  qui  suivit  qu'eut  lieu  l'irruption  des  Huns  dans  la 
Gaule.  (Ruin.) 

(2)  Cliildéric  ou  Hildéric  succéda,  en  484,  à  son  père  Hunéric, 
mais  non  pas  immédiatement,  attendu  que  Guntabond  et  Trasamond 
se  placent  entre  les  deux  ;  et  ce  fut  après  l'expulsion ,  et  non  après  la 
mort  de  Hildéric,  que  Gélésimer  occupa  le  trône.  (Ruin.) 

(5)  C'est-à-dire  par  Bélisaire.  (Ruin.) 


LIVRE  SECOND.  63 

faire  une  irruption  dans  les  Gaules.  11  y  avait  alors  dans 
la  ville  de  Tongres  un  évêque  d'une  parfaite  sainteté, 
nommé  Aravatius  (i).  Cet  évêque,  livré  aux  veilles  et 
aux  jeûnes,  souvent  baigné  d'une  pluie  de  larmes,  sup- 
pliait la  miséricorde  de  ne  jamais  permettre  l'entrée  des 
Gaules  à  cette  nation  incrédule  et  toujours  indigne  de 
lui.  Mais  pressentant  que  sa  demande  ne  lui  avait  pas  été 
accordée  à  cause  des  péchés  du  peuple,  il  résolut  d'aller 
à  Rome ,  afin  de  s'assurer  le  puissant  patronage  de 
l'apôtre,  et  d'obtenir  avec  plus  de  facilité  ce  qu'il  de- 
mandait humblement  au  Seigneur.  S'étant  donc  rendu  au 
tombeau  de  saint  Pierre,  il  y  implorait  le  secours  de  sa 
bonté,  se  consumant  dans  une  grande  abstinence  et  dans 
un  jeûne  très  sévère;  au  point  qu'il  restait  deux  et  trois 
jours  sans  rien  boire  ni  manger,  et  qu'il  ne  mettait  aucun 
relâche  dans  ses  prières.  Et  comme  il  avait  déjà  passé 
beaucoup  de  jours  dans  cette  dure  mortification,  on  dit 
qu'il  reçut  cette  réponse  du  bienheureux  apôtre  :  «  Homme 
«  saint,  pourquoi  me  tourmenter?  il  est  irrévocablement 
«  arrêté  dans  les  décrets  du  Seigneur  que  les  Huns  vien- 
«  dront  dans  les  Gaules  ,  et  qu'ils  ravageront  ce  pays 
«  comme  une  affi'euse  tempête.  Maintenant  prends  ta  ré- 
«  solution;  hâte-toi,  dispose  ta  maison,  prépare  ta  sépul- 
«  ture  ;  procure-toi  un  linceul  blanc;  car  tu  vas  quitter 
«  ton  enveloppe  corporelle,  et  tes  yeux  ne  verront  point 
<f  les  maux  que  les  Huns  doivent  commettre  dans  les 
('  Gaules.  Ainsi  l'a  dit  le  Seigneur  notre  Dieu.  »  Le  pontife 
ayant  reçu  cette  réponse  du  saint  apôtre,  hâte  son  voyage, 
et  regagne  promptement  les  Gaules.  De  retour  dans  la 
ville  de  Tongres,  il  rassemble  aussitôt  les  choses  nécessaires 

(i)  Voyez  Eclairciss.  et  nbxerv.  (Note  b.) 


64  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

à  sa  sépulture;  et  disant  adieu  aux  ecclésiastiques  et  aux 
autres  citoyens  de  la  ville,  il  leur  annonce  au  milieu  de 
ses  pleurs  et  de  ses  lamentations  qu'ils  ne  le  reverront 
plus.  Mais  ceux-ci  le  suivant  tout  en  larmes  et  dans  le 
plus  grand  désespoir,  le  suppliaient  humblement  eu  disant  : 
«  Ne  nous  abandonne  pas,  saint  père;  bon  pasteur,  ne 
«  nous  oublie  pas.  »  Mais  comme  ils  ne  pouvaient  le  rap- 
peler par  leurs  pleurs ,  ils  reçurent  sa  bénédiction  et  ses 
baisers,  et  s'en  retournèrent.  L'évêque  s'étant  rendu  dans 
la  ville  de  Maestricht,  y  fut  attaqué  d'une  fièvre  légère, 
dont  il  mourut  (i).  Son  corps,  lavé  par  les  fidèles,  fut 
enterré  près  de  la  grande  voie  publique  (2).  Nous  avons 
écrit  dans  notre  livre  des  Miracles  (3),  comment  ce  saint 
corps  fut  transféré  après  un  long  espace  de  temps. 

VI.  Les  Huns  étant  donc  sortis  de  la  Pannonie,  comme 
quelques  uns  le  rapportent,  arrivent  la  veille  même  du 
saint  jour  de  Pâques  à  la  ville  de  Metz,  en  ravageant  tout 
le  pays.  Ils  livrent  la  ville  aux  flammes,  passent  les  habi- 
tans  au  fil  de  l'épée,  et  tuent  les  prêtres  du  Seigneur  eux- 
mêmes  au  pied  des  saints  autels.  L'incendie  n'y  épargna 
aucun  lieu,  si  ce  n'est  l'oratoire  du  diacre  saint  Etienne, 
premier  martyr.  Je  n'hésite  pas  à  raconter  ce  que  j'ai 
appris  de  quelques  personnes  au  sujet  de  cet  oratoire. 
Elles  disent  qu'avant  l'arrivée  des  ennemis  un  homme 
pieux  eut  une  vision,  dans  laquelle  il  vit  le  bienheureux 
diacre  Etienne  qui  conférait  avec  les  saints  apolres  Pierre 


(i)  L'an  45i.  (Ruin.) 

(2)  Il  s'agit  ici  d'une  chaussée  romaine,  et  probablement  de  celle 
qui  passait  à  Bavai,  Cologne,  etc. 

(5)  Dans  le  livre  de  Gloria  Confessorum,  cap.  72. 


LIVRE  SECOND.  65 

et  Paul  sur  les  malheurs  dont  la  ville  était  menacée,  et 
qui  disait  :  «Je  vous  conjure,  mes  seigneurs,  d'empêcher 
«  par  votre  intercession  que  la  ville  de  Metz  ne  soit  brûlée 
«  par  les  ennemis,  car  elle  renferme  un  lieu  où  sont  con- 
(c  serves  les  restes  de  mon  misérable  corps.  Faites  plutôt 
<ï  que  ses  habilans  éprouvent  que  je  puis  quelque  chose 
«  auprès  du  Seigneur.  Et  si  les  crimes  du  peuple  se  sont 
«  tellement  accumulés  que  la  ville  ne  puisse  être  pré- 
ce  servée  de  l'incendie,  que  du  moins  cet  oratoire  ne  soit 
«  pas  consumé.»  Les  saints  apôtres  lui  répondirent  :  «Va 
a  en  paix,  très  cher  frère;  ton  oratoire  seul  sera  préservé 
«  des  flammes  :  quant  à  la  ville,  nous  ne  pouvons  rien 
«  obtenir,  la  sentence  divine  est  déjà  portée.  Les  péchés  du 
«  peuple  ont  prévalu,  et  le  cri  de  sa  méchanceté  est  monté 
«  jusqu'à  Dieu.  La  ville  sera  donc  la  proie  des  flammes.  » 
D'où  il  est  hors  de  doute  que  c'est  par  leur  intercession 
que  l'oratoire  a  été  sauvé  de  l'incendie  de  la  ville. 

VIL  Cependant  Attila,  roi  des  Huns,  sortant  de  Metz, 
ravage  plusieurs  villes  des  Gaules,  et  vient  mettre  le  siège 
devant  Orléans,  dont  il  tâche  de  s'emparer  en  battant 
à  grands  coups  de  bélier  les  murs  de  la  place.  Le  siège 
épiscopal  de  cette  ville  était  alors  occupé  par  le  bien- 
heureux Agnan,  homme  d'une  éminente  sagesse  et  d'une 
grande  sainteté,  dont  les  actions  vertueuses  sont  fidèle- 
ment conservées  parmi  nous  (i).  Comme  les  assiégés  de- 
mandaient à  grands  cris  à  leur  évoque  ce  qu'ils  avaient 
à  faire ,  celui-ci  mettant  sa  confiance  en  Dieu ,  leur  con- 
seille de  se  prosterner  tous  pour  prier,  et  d'implorer  avec 
larmes  le  secours  du  Seigneur,  toujours  présent  lorsqu'on 

(i)  Voyez  Eclairci'is.  et  observ.  (Note  c.) 

I,  5 


66  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

a  besoin  de  lui.  Ils  se  mettent  en  prières,  suivant  ce  qui 
leur  avait  été  recommandé,  et  l'évêque  leur  dit  :  «  Re- 
«  gardez  du  haut  des  murs  de  la  ville,  et  voyez  si  la  mi- 
«  séricorde  de  Dieu  vient  à  notre  secours.  »  Car  il  espérait 
que  la  miséricorde  divine  leur  enverrait  Aétius,  auprès 
duquel  sa  prévoyance  de  l'avenir  l'avait  conduit  dans  la 
ville  d'Arles.  Mais  ayant  regardé  du  haut  du  mur,  ils  ne 
virent  personne ,  et  l'évêque  leur  dit  :  a  Priez  avec  foi , 
«  car  le  Seigneur  vous  délivrera  aujourd'hui.  »  Et  pendant 
qu'ils  priaient ,  il  ajouta  :  «  Regardez  de  nouveau.  »  Ils 
regardèrent,  et  ne  virent  personne  venir  à  leur  secours. 
Il  leur  dit  une  troisième  fois  :  «  Que  la  foi  soit  dans  vos 
«  prières,  et  le  Seigneur  est  là.  »  Et  ils  imploraient  la  mi- 
séricorde de  Dieu  en  pleurant  et  en  poussant  de  grands 
gémissemens.  Leur  oraison  finie,  ils  regardent  pour  la 
troisième  fois  du  haut  du  mur,  suivant  l'ordre  du  vieil- 
lard, et  voient  au  loin  comme  un  nuage  qui  s'élève  de 
terre.  Ils  l'annoncent  à  l'évêque,  qui  leur  dit  ;  «  C'est  le 
secours  du  Seigneur.  »  Déjà  cependant  les  murs  trem- 
blent sous  les  coups  du  bélier;  ils  étaient  près  de  s'écrou- 
ler, lorsque  paraît  Aétius  (i),  et  avec  lui  Théodoric,  roi 
des  Goths,  et  Thorismond  son  fils  (2),  qui  accourent  vers 
la  ville  à  la  tête  de  leurs  armées.  L'armée  ennemie  est 
repoussée  et  forcée  à  la  retraite.  La  ville  ayant  donc  été 
délivrée  par  l'intercession  du  saint  évêque,  Attila,  mis  en 
fuite,  gagne  les  plaines   de  Méry  (3),  et  se  dispose  au 


(i)  Lorsqu'Aétius  arriva,  la  ville  d'Orléans  était  déjà  prise,  mais 
elle  n'avait  pas  encore  été  mise  au  i^illage.  Voyez  Sùlon.  Apoll. , 
lib.  viii,  epist.  i5.  (Bouquet.) 

(2)  Voyez  Eclnirciss.  et  observ.  (Note  d.) 

(3)  Idem.  (Note  e.) 


LIVRE  SECOND.  67 

combat.  Les  nôtres  en  étant  avertis,  préparent  contre  lui 
toutes  leurs  forces. 

Dans  ce  temps,  le  bruit  parvint  à  Rome  qu'Aétius,  en- 
gagé au  milieu  des  phalanges  ennemies,  courait  le  plus 
grand  danger.  A  cette  nouvelle,  sa  femme,  en  proie  à 
l'inquiétude  et  à  la  douleur,  se  mit  à  fréquenter  assidue- 
ment  la  basilique  des  saints  apôtres,  pour  obtenir  par  ses 
prières  que  son  mari  fût  sauvé  et  lui  fut  rendu.  Pendant 
qu'elle  se  livrait  jour  et  nuit  à  ces  dévotions,  un  malheu- 
reux, dans  un  état  complet  d'ivresse,  s'endormit  une  nuit 
dans  un  coin  de  la  basilique  de  l'apôtre  saint  Pierre;  et  les 
portes  ayant  été  closes  parles  gardiens,  comme  de  cou- 
tume, il  se  trouva  enfermé.  S'étant  levé  pendant  la  nuit, 
au  milieu  de  la  clarté  des  lampes  qui  brillaient  dans  toute 
l'étendue  de  l'édifice,  il  fut  saisi  d'épouvante,  et  chercha 
une  issue  pour  se  sauver.  Mais  ayant  vainement  essayé 
d'ouvrir  une  porte,  puis  une  autre,  et  les  trouvant  toutes 
fermées,  il  se  coucha  sur  le  sol,  et  attendit  en  tremblant 
que  le  peuple  s'assemblât  pour  chanter  les  hymnes  du 
matin ,  et  vînt  le  délivrer.  Pendant  ce  temps  il  vit  deux 
personnages  qui  se  saluaient  avec  respect,  et  qui  témoi- 
gnaient de  l'inquiétude  sur  le  succès  de  leurs  affaires.  Le 
plus  âgé  prit  la  parole  :  «Je  ne  puis  supporter  plus  long- 
«  temps,  dit-il,  les  larmes  de  la  femme  d'Aétius.  Elle  me 
((  supplie  sans  relâche  de  ramener  des  Gaules  son  mari 
«  sain  et  sauf,  tandis  que  le  jugement  de  Dieu  en  a  décidé 
«  autrement.  Cependant  j'ai  obtenu  une  grâce  immense 
«pour  sa  vie,  et  maintenant  j'accours  là  en  toute  hâte 
«  pour  l'en  ramener  vivant.  Mais  j'adjure  celui  qui  aurait 
«  entendu  ces  paroles  de  se  taire,  et  de  se  garder  de  di- 
«  vulguer  les  secrets  de  Dieu,  s'il  ne  veut  périr  promptc- 
«  ment  sur  la  terre.  »  Le  pauvre  entendit  ces  paroles ,  et 


68  HISTOfRE  DES  FRANCS, 

ne  put  garder  le  silence.  Dès  que  le  jour  vint  à  paraître 
il  découvrit  à  la  femme  d'Aétius  tout  ce  qu'il  avait  en-' 
tendu;  et  lorsqu'il  eut  fini  de  parler,  ses  yeux  se  fermèrent 
à  la  lumière. 

Aétius  donc ,  réuni  aux  Goths  et  aux  Francs ,  en  vint 
aux  mains  avec  Attila.  Celui-ci  voyant  que  son  armée  allait 
être  anéantie,  eut  recours  à  la  fuite.  Cependant  Théo- 
doric,  roi  des  Goths,  périt  dans  la  bataille;  et  personne 
ne  doit  douter  que  l'armée  des  Huns  n'ait  été  mise  en  fuite 
par  l'intercession  de  l'évêque  dont  nous  avons  parlé.  Le 
patrice  Aétius  et  Thorismond  obtinrent  donc  la  victoire, 
et  taillèrent  en  pièces  les  ennemis.  La  guerre  étant  ter- 
minée, Aétius  dit  à  Thorismond  :  (f  Hâte-toi  de  retourner 
cf  dans  ta  patrie,  de  peur  que  ton  frère  ne  s'empare  du 
«  royaume  de  ton  père,  et  ne  te  l'enlève.  »  Thorismond, 
d'après  cet  avis,  partit  en  grande  hâte  pour  prévenir  son 
frère,  et  pour  prendre  le  premier  possession  du  trône 
paternel.  Aétius  se  servit  aussi  d'une  ruse  semblable  pour 
éloigner  le  roi  des  Francs  (i).  Après  leur  départ  il  dé- 
pouilla la  campagne,  et  retourna  victorieux  dans  sa  pa- 
trie avec  un  grand  butin.  Attila  se  retira  avec  un  petit 
nombre  d'hommes,  et  bientôt  après  les  Hims  s'élant  em- 
paré d'Aquilée  ,  qu'ils  incendièrent  et  détruisirent ,  se 
répandirent  dans  l'Italie,  et  la  ravagèrent.  Thorismond, 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  soumit  les  Alains  par  la 
force  des  armes  (2);  ensuite,  après  beaucoup  de  luttes  et 
de  guerres,  il  fut  lui-même  vaincu  par  ses  frères,  qui  le 
firent  étrangler.  (3) 

(i)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note y*.) 

{■i.)  Il  est  certain  qu'à  cette  époque,  les  Alains  étaient  établis  au 

midi  de  la  Loiie.  Voyez  Had.  de  Valois,  lib.  iv,  Rer.  Francic.  (Ruin.) 

(:>)  Tl  fut  tué  l'an  453,  comme  le  prouve  Had.  de  Valois,  par  ses 


LIVRE  SECOND.  69 

VIÏI.  Après  avoir  ainsi  décrit  et  distribué  selon  Tordre 
des  temps  les  faits  qui  précèdent,  j'ai  pensé  qu'il  n'était 
pas  permis  de  passer  sous  silence  ce  que  rapporte  Renatus 
Frigeridus  (i)  au  sujet  d'Aétius,  dont  il  vient  d'être  ques- 
tion. Cet  auteur  raconte,  dans  le  douzième  Livre  de  son 
Histoire,  qu'après  la  mort  de  l'empereur  Honorius,  le 
jeune  Valentinien,  âgé  seulement  de  cinq  ans,  fut  créé 
empereur  par  Théodose  son  cousin  germain  (2);  il  dit  que 
dans  la  ville  de  Rome  le  tyran  Jean  s'éleva  à  l'empire,  et 
que  ses  envoyés  furent  traités  avec  mépris  par  l'empe- 
reur, et  il  ajoute  :  «Pendant  ce  temps-là,  les  envoyés 
«  revinrent  auprès  du  tyran  ,  porteurs  des  menaces  les 
«  plus  terribles.  Jean  ,  effrayé ,  dépêcha  vers  les  Huns 
«  Aétius,  à  qui  était  alors  confié  le  soin  de  son  palais,  qui 
«  connaissait  ces  peuples  depuis  qu'il  avait  été  en  otage 
«  entre  leurs  mains,  et  qui  s'était  lié  d'amitié  avec  eux.  Il 
«  leur  envoya,  avec  une  grande  quantité  d'or,  des  instruc- 
«  tions  portant  qu'aussitôt  que  les  ennemis  entreraient 
«  en  Italie,  ils  eussent  à  les  attaquer  par-derrière,  tandis 
«  que  lui-même  les  prendrait  de  front.  Et  comme  nous 
«  aurons  par  la  suite  beaucoup  de  choses  à  dire  sur  Aétius, 
«  nous  croyons  devoir  parler  d'abord  de  sa  naissance  et  de 
«  son  caractère.  Son  père,  Gaudentius,  né  d'une  des  pre- 
«  mières  familles  de  Scythie,  commença  par  servir  dans  les 
ff  gardes  de  l'empereur,  et  s'éleva  ensuite  jusqu'au  rang 
«  éminent  de  maître  de  la  cavalerie.  Sa  mère  était  une 
«Italienne  et  une  femme  noble  et  riche.  Aétius  leur  fils. 


frères  Théodoric  et  Frédéric,  dont  le  premier  s'empara  du  ti'ône. 
(Ruin.) 

(i)  Cet  auteur  ne  nous  est  connu  que  par  Grégoii'e  de  Touis. 
(Ruin.) 

(2)  L'an  424-  (Bouq.) 


70  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

«prétorien  dès  son  enfance,  fut,  à  l'âge  de  trois  ans^ 
«  donné  en  otage  à  Alaric,  et  ensuite  aux  Huns.  Plus  tard, 
«  devenu  gendre  de  Carpilion ,  ancien  comte  des  domes- 
«  tiques,  il  fut  chargé  de  l'administration  du  palais  de 
«  Jean.  Il  était  d'une  taille  moyenne,  d'une  figure  mâle, 
«bien  fait,  ni  trop  faible  ni  trop  pesant.  Il  avait  de  la 
«  vivacité  dans  l'esprit  et  de  la  vigueur  dans  les  membres. 
«  Excellent  cavalier,  adroit  tireur,  maniant  bien  la  lance, 
«très  apte  à  la  guerre,  il  était  encore  célèbre  dans  les 
«  arts.  Exempt  d'avarice  et  de  toute  cupidité,  il  possédait 
«  les  qualités  du  cœur,  et  les  mauvaises  instigations  même 
«  ne  pouvaient  le  faire  dévier  de  son  devoir;  il  endurait 
«  patiemment  les  injures,  il  était  laborieux,  intrépide  au 
«  milieu  du  danger,  et  supportait  volontiers  la  faim ,  la 
«  soif  et  les  veilles.  On  lui  avait  prédit,  dès  son  enfance, 
«  la  grandeur  qui  lui  était  destinée,  et  la  célébrité  qu'il 
«  obtiendrait  dans  son  siècle  et  dans  son  pays.  »  Voilà  ce 
que  l'historien  dont  nous  avons  parlé  raconte  d'Aétius. 
Mais  l'empereur  Valentinien  devenu  adulte,  et  craignant 
la  tyrannie  d'Aétius,  le  tua  sans  autre  motif  (i).  Dans  la 
suito-^^jendant  que  cet  empereur,  assis  sur  son  tribunal 
dans  le  Champ-de-Mars,  haranguait  le  peuple,  Occylla, 
trompette  d'Aétius,  vint  à  lui  et  le  perça  de  son  épée  (2). 
Telle  fut  la  fin  de  l'un  et  de  Tautre. 

IX.  Quant  aux  rois  des  Francs,  on  ignore  assez  géné- 
ralement quel  fut  le  premier  d'entre  eux;  car  bien  que, 
dans  son  Histoire,  Sulpice  Alexandre  (3)  parle  beaucoup 

(i)  L'an  454.  (Bouq.) 
(2)  L'an  455.  (Bouq.) 
(5)  Cet  historien  ne  nous  est  connu  que  par  Grégoire  de  Tours, 


LIVRE  SECOND.  71 

de  ces  peuples,  cependant  il  ne  nomme  en  aucune  façon 
leur  premier  roi  :  il  dit  seulement  qu'ils  avaient  des  ducs. 
Toutefois  il  nous  paraît  à  propos  de  rappeler  ce  qu'il  en 
raconte.  Après  avoir  dit  que  Maxime,  ayant  perdu  tout 
espoir  de  conserver  l'empire ,  restait  dans  Aquilée ,  ne 
sachant  où  donner  de  la  tête,  il  ajoute  :  «Dans  ce  temps- 
«  là  (i)  les  Francs,  conduits  par  leurs  ducs  Genobaude, 
«  Marcomer  et  Sunnon ,  se  précipitèrent  sur  les  deux  pro- 
«  vinces  germaniques  ;  et  après  avoir  forcé  la  frontière  et 
«  tué  beaucoup  de  monde,  ils  ravagèrent  les  cantons  les 
«  plus  fertiles,  et  portèrent  même  l'épouvante  jusqu'à  Co- 
«  logne.  Dès  que  la  nouvelle  en  fut  arrivée  à  Trêves  (2), 
«  les  maîtres  de  la  milice,  Nannenus  et  Quintinus,  aux- 
«  quels  Maxime  avait  confié  l'enfance  de  son  fils ,  et  la 
«  défense  des  Gaules ,  assemblèrent  une  armée ,  et  se  ren- 
te nirent  à  Cologne.  Mais  les  ennemis  chargés  de  butin , 
«  après  avoir  ravagé  les  pays  les  plus  fertiles  des  provinces, 
«  traversèrent  le  Rhin ,  laissant  sur  le  sol  romain  plusieurs 
«  des  leurs  prêts  à  recommencer  le  ravage  ;  les  Romains 
«  les  attaquèrent  avec  avantage ,  et  en  tuèrent  u-n  grand 
«  nombre  près  de  la  forêt  Carbonnière  (3)  ;  et  comme 
«  ce  succès  faisait  mettre  en  délibération  si  l'on  devait 
«passer  dans  la  France  (4),  Nannenus  s'y  refusa,  parce 
«  qu'il  savait  bien  qu'étant  chez  eux  et  sur  leurs  gardes, 
«  les  Francs  seraient  à  coup  sûr  les  plus  forts.  Ce  parti 
«ayant  déplu  à  Quintinus  et  au  reste  de  l'armée,  Nan- 


(i)  L'an  588.  (Bouq.) 

(2)  Cette  ville  était  alors  considérée  comme  la  capitale  de  la  Gaule. 

(3)  C'était  une  portion  de  la  forêt  des  Ardennes  :  elle  était  comprise 
entre  le  Rhin  et  l'Escaut.  (Ruin.) 

(4)  Le  nom  de  France  fut  long-temps  encore  attribué  exclusivement 
à  la  partie  de  la  Germanie  occupée  par  les  Francs. 


72  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

a  nenus  s'en  retourna  à  Mayence.  Quintinus  avec  ses 
«troupes  traversa  le  Rhin  près  du  fort  de  Nuitz  (i), 
«  et  trouva,  après  deux  jours  de  marche,  des  maisons 
«  et  de  grands  villages  abandonnés;  les  Francs,  feignant 
«  d'avoir  peur,  s'étaient  reculés  dans  leurs  forêts ,  dont 
«  ils  avaient  défendu  l'approche  par  des  abattis.  Cepen- 
«  dant  les  soldats  romains  ayant  livré  toutes  les  maisons 
«  aux  flammes,  car  ils  croyaient  sottement  par  cet  acte 
«  de  lâcheté  consommer  leur  victoire ,  passèrent  toute  la 
«  nuit  sur  le  qui-vive,  chargés  du  poids  de  leurs  armes, 
«  et  dès  le  point  du  jour  ils  entrèrent  dans  les  forêts,  sous 
«  la  conduite  de  Quintinus.  Vers  le  milieu  du  jour  s'étant 
«  imprudemment  engagés  dans  les  détours  des  sentiers,  ils 
«  furent  tout-à-fait  égarés.  Enfin ,  trouvant  tous  les  pas- 
«  sages  menant  à  des  terrains  solides  fermés  par  de  grandes 
«  palissades,  ils  se  précipitèrent  dans  des  champs  maréca- 
«  geux  contigus  aux  forêts.  Pendant  qu'ils  travaillaient  à 
«  se  dégager,  les  ennemis  parurent  en  petit  nombre, mon- 
<c  tés  sur  des  troncs  d'arbres  entassés  ou  sur  des  abattis; 
«  et  de  là,  comme  du  sommet  d'une  tour,  ils  leur  lançaient, 
«  ainsi  qu'auraient  pu  le  faire  des  machines  de  guerre,  des 
(c  flèches  trempées  dans  le  suc  d'herbes  vénéneuses ,  en 
«  sorte  que  les  blessures  qu'elles  faisaient,  n'eussent-elles 
«  qu'effleuré  la  peau,  et  même  dans  les  parties  du  corps  où 
«  elles  sont  ordinairement  sans  danger,  n'en  donnaient  pas 
«  moins  une  mort  certaine.  Bientôt  l'armée,  entourée  par 
ce  une  multitude  considérable  d'ennemis,  se  répandit  préci- 
«  pilamment  dans  les  marais  que  les  Francs  avaient  laissés 
«  libres;  et  la  cavalerie  la  première  s'étant  engloutie  dans 
«  ces  gouffres,  hommes  et  chevaux  pêle-mêle,  s'entraînèrent 

(i)  Près  de  Cologne. 


LIVRE  SECOND.  73 

«  mutuellement  à  la  mort.  Les  fantassins  que  le  poids  des 
«  chevaux  n'avait  pas  écrasés,  embarrassés  dans  la  fange, 
«  et  ne  dégageant  leurs  pieds  qu'avec  peine,  retournaient 
ce  de  nouveau  se  cacher  en  tremblant  dans  ces  bois  dont 
«  peu  de  temps  auparavant  ils  avaient  eu  tant  de  difficulté 
«  à  sortir.  Le  désordre  étant  donc  dans  les  rangs,  les  lé- 
«  gions  furent  massacrées.  Héraclius ,  tribun  des  Jovir 
«  niens  (i),  et  la  plupart  des  autres  chefs  militaires  ayant 
«  péri ,  un  petit  nombre  d'hommes  seulement  chercha  un 
«  refuge  protecteur  dans  la  nuit  et  dans  les  retraites  des 
«  forêts.  »  Voilà  ce  que  rapporte  Sulpice  Alexandre  dans 
le  troisième  livre  de  son  Histoire. 

Dans  le  quatrième  Livre,  après  avoir  raconté  le  meur- 
tre de  Victor,  fils  du  tyran  Maxime ,  il  dit  :  «  Dans  ce 
«  temps  (2)  Carietton  et  Syrus,  mis  à  la  place  de  Nan- 
«  nenus,  stationnaient  dans  les  deux  Germanies  avec  une 
«  armée  destinée  à  contenir  les  Francs.  »  Et  un  peu  plus 
loin ,  après  avoir  dit  que  les  Francs  emportèrent  du  butin 
de  ces  provinces,  il  ajoute  :  «Arbogaste  ne  voulant  ad- 
«  mettre  aucun  délai,  rappelle  à  l'empereur  qu'il  faut  in- 
«  fliger  aux  Francs  les  châtimens  qu'ils  méritent,  à  moins 
u  qu'ils  ne  restituent  à  l'instant  tout  ce  qu'ils  ont  pillé 
«  l'année  précédente  après  le  massacre  des  légions,  et  ne 
«  livrent  les  auteurs  de  cette  guerre,  qui  porteront  la  peine 
«  d'avoir  perfidement  violé  la  paix.  »  Il  raconte  que  ces 
choses  se  passèrent  sous  le  commandement  de  ces  chefs, 
et  il  dit  ensuite  :  «Peu  de  jours  après,  Arbogaste  ayant 
«  eu  une  très  courte  conférence  avec  Marconier  et  Sun- 


(i)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  g.)  On  sait  que  les  légions 
romaines  portaient  chacune  un  nona  particulier. 
(2)  L'an  089.  (Bomj.) 


74  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

«non,  espèces  de  jvis  des  Francs,  après  en  avoir  reçu 
(c  des  otages  selon  la  coutume ,  se  retira  à  Trêves  pour  y 
«  passer  l'hiver.  »  Et  comme  il  qualifie  ces  chefs  des  Francs 
de  royaux ,  nous  ne  savons  s'ils  étaient  rois  ou  s'ils  en 
tenaient  la  place.  Cependant  le  même  écrivain,  lorsqu'il 
rappelle  la  situation  critique  de  l'empereur  Valentinien, 
ajoute:  «Tandis  qu'en  Orient,  la  Thracc  était  témoin 
«  d'événemens  divers,  l'État  était  troublé  dans  la  Gaule. 
«  L'empereur  Valentinien,  renfermé  dans  les  murs  de  son 
«  palais  de  Vienne  (i),  était  réduit  à  une  condition  presque 
«inférieure  à  celle  d'un  particulier;  le  soin  des  affaires 
«militaires  était  livré  à  des  satellites  francs;  les  affaires 
«  civiles  étaient  tombées  aussi  entre  les  mains  du  parti 
«  d'Arbogaste;  et  l'on  ne  trouvait  pas  un  seul  homme  en- 
«  gagé  dans  la  milice  qui  osât  accomplir  ni  les  simples 
«  demandes  ni  les  ordres  du  prince.  »  Il  rapporte  ensuite 
que  dans  la  même  année  ,  Arbogaste  (2)  poursuivant 
Sunnon  et  Marcomer,  petits  rois  des  Francs,  avec  des 
haines  nées  dans  leur  propre  pays,  se  rendit  à  Cologne 
dans  le  plus  fort  de  Thiver,  «  pensant  qu'on  pénétrerait  et 
«  qu'on  porterait  la  flamme  avec  sécurité  dans  les  retraites 
«  les  plus  cachées  de  la  France,  lorsque  des  forêts  arides  et 
«  dépouillées  de  feuilles  ne  pourraient  plus  cacher  les  em- 
«  bûches  de  l'ennemi.  Ayant  donc  rassemblé  une  armée,  il 
«  passa  le  Rhin ,  ravagea  le  pays  des  Bructères  qui  sont 
«  les  plus  rapprochés  du  fleuve,  ainsi  que  le  pays  habité  par 
«  les  Chamaves,  sans  que  personne  se  présentât;  seulement 


(i)  L'an  5g2.  Voyez  Eclaivciss.  et  observ.  (Note  li.) 

(2)  Arbogaste  était  Fi-anc  lui-même,  comme  l'écrit  Paulin,  dans 

la  Vie  de  saint  Ambreise,  et  comme  le  font  entendre  plusieurs  autres 

écrivains  de  son  temps.  (  lluin.) 


LIVRE  SECOND.  75 

«  un  petit  nombre  d'Ampsuariens  et  de  Cattes  (i)  com- 
«  mandés  par  Marcomer,  se  montrèrent  sur  les  collines  les 
«  plus  éloignées.  »  Après  avoir  de  nouveau  laissé  de  côté 
et  ces  ducs  et  ces  espèces  de  rois ,  il  indique  clairement 
que  les  Francs  avaient  un  roi,  sans  toutefois  faire  con- 
naître son  nom  (2),  lorsqu'il  dit  :  «Le  tyran  Eugène  ayant 
«  entrepris  une  expédition  militaire  (3) ,  gagne  les  bords 
«  du  Rhin  pour  renouveler,  comme  de  coutume,  les  an- 
«  ciens  traités  avec  les  rois  des  Alemans  et  des  Francs,  et 
«  pouvoir  montrer  alors  aux  nations  barbares  une  armée 
«  immense.  »  Voilà  ce  que  rapporte,  au  sujet  des  Francs, 
l'historien  que  nous  venons  de  désigner. 

Renatus  Profuturus  Frigeridus,  dont  nous  avons  déjà 
parlé,  dit  en  racontant  la  prise  et  la  ruine  de  Rome  par 
les  Goths(4)  •  «Cependant, lorsque Goare  (5)  eut  passé  aux 
«Romains,  le  roi  des  Alemans  (6),  Respendial ,  retira 
«  son  armée  des  bords  du  Rhin ,  parce  que  les  Vandales 
«  étaient  fortement  engagés  dans  une  guerre  contre  les 
«  Francs.  Leur  roi  Godégisile  avait  succombé ,  près  de 
«  vingt  mille  hommes  de  leur  armée  avaient  péri  par  le  fer, 
«  et  le  reste  de  ce  peuple  allait  être  exterminé ,  si  les 
«  forces  des  Alains  ne  fussent  arrivées  à  temps  pour  le  se- 
rt courir»  (-y).  Nous  regrettons  que  cet  historien, qui  nomme 

(i)  Les  Ampsuariens  et  les  Cattes  faisaient  partie,  comme  les  Bruc- 
tères,  de  la  confédération  des  Francs. 

(2)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  /. ) 
(5)  L'an  593.  (Bouq.) 

(4)  L'an  409.  (Bouq.) 

(5)  Roi  ou  chef  d'une  tribu  d' Alains.  (  Guizot.  ) 

(6)  Had.  de  Valois  et  le  P.  Lecointe  lisent  Alains,  et  cela  est  con- 
forme au  manuscrit  de  l'abbaye  de  Cluny,  et  à  celui  de  la  Bibliothèque 
Royale  nouvellement  coUationno. 

(7)  L'an  406.  (Bouq.) 


76  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

les  rois  des  autres  nations,  ne  nomme  pas  aussi  ceux  des 
Francs.  Cependant,  lorsqu'il  raconte  que  Constantin, 
s'étant  élevé  à  la  tyrannie  (i),  fit  venir  d'Espagne  auprès 
de  lui  son  fils  Constant ,  il  s'exprime  ainsi  :  «  Le  tyran 
«  Constantin  ayant  mandé  d'Espagne  son  fils  Constant  (2), 
«  qui  s'était  aussi  déclaré  tyran ,  pour  délibérer  avec  lui 
«  sur  le  parti  décisif  qu'il  convenait  de  prendre,  Constant 
«  laissa  tout  l'attirail  de  sa  cour  ainsi  que  sa  femme  à  Sa- 
«  ragosse ,  confia  à  Géronce  la  direction  de  toutes  les 
<c  affaires  de  l'Espagne,  et  se  rendit  en  toute  hâte  auprès 
«  de  son  père.  Mais  plusieurs  jours  s'étant  écoulés  depuis 
«  leur  réunion  sans  qu'aucun  sujet  de  crainte  leur  vînt  de 
V  l'Italie,  Constantin  ,  livré  tout  entier  aux  plaisirs  de  la 
«  table  les  plus  grossiers,  engagea  son  fils  à  s'en  retour- 
«  ner.  Celui-ci  s'étant  fait  précéder  de  ses  troupes,  reçut 
«d'Espagne,  pendant  qu'il  était  encore  auprès  de  son 
«  père,  la  nouvelle  que  Géronce  avait  donné  l'empire  à 
«Maxime,  l'un  de  ses  cliens  (3),  qui  se  préparait  à  lui 
«  faire  la  guerre  avec  le  secours  des  nations  barbares. 
«  Epouvantés  à  cette  nouvelle.  Constant  et  Décimus  Rus- 
«  ticus  (4),  ancien  maître  des  offices,  et  maintenant  préfet 
«  du  prétoire,  envoyèrent  Edobécus  vers  les  peuples  de  la 
«  Germanie,  et  marchèrent  eux-mêmes  vers  l'Espagne  (5) 
«  avec  les  Francs,  les  Alemans,  et  tout  ce  qu'ils  purent 


(i)  Constantin,  simple  soldat  d'une  légion  cantonnée  dans  la  Grande- 
Bretagne,  se  fit  px'oclamer  empereur  en  407.  (Guizot.  ) 
(2)  L'an  409.  (Bouq.) 
(5)  L'an  4 10.  (Bouq.) 

(4)  C'est  le  Rusticus  dont  parle  Sidoine  Apollinaire,  liO.  v,  epist.  g. 

(5)  Le  texte  de  Grégoire  de  Tours  porte  vcrx  les  Gaules;  mais  il 
est  facile  de  voir  à  la  simple  lecture  du  passage  cité,  qu'il  s'agit  ici  de 
l'Espagne. 


LIVRE  SECOND.  77 

«réunir  de  soldats,  pensant  revenir  bientôt  auprès  de 
«  Constantin.  »  Lorsqu'il  fait  le  récit  du  siège  qu'eut  à 
soutenir  ce  même  Constantin ,  il  s'exprime  ainsi  :  «  On  en 
«  était  à  peine  au  quatrième  mois  depuis  que  Constantin 
«  était  assiégé,  lorsque  tout  à  coup  on  reçoit  de  la  Gaule 
«  ultérieure  (i)  la  nouvelle  que  Jovin  avait  pris  les  orne- 
ce  mens  royaux  (2),  et  qu'à  la  tête  de  Bourguignons,  d'Ale- 
«mans,  de  Francs,  d'Alains,  et  de  toutes  ses  forces,  il 
«  menaçait  les  assiégeans.  Alors  on  abrège  les  délais,  la 
«ville  ouvre  ses  portes,  et  Constantin  est  livré.  Dirigé 
«  aussitôt  vers  l'Italie,  il  fut  rencontré  par  les  exécuteurs 
«  que» le  prince  envoyait  au-devant  de  lui,  et  décapité  sur 
«  le  fleuve  Mincio.  »  Le  même  historien  dit  un  peu  plus 
bas  :  «Dans  le  même  temps, Décimus  Rusticus,  préfet  des 
«  tyrans,  Agroétius,  ancien  chef  des  secrétaires  de  Jovin, 
«  et  un  grand  nombre  de  nobles ,  furent  pris  en  Auvergne 
«  par  les  généraux  d'Honorius ,  et  subirent  de  cruels  sup- 
«  plices.  La  ville  de  Trêves  fut  pillée  et  brûlée  par  les 
«  Francs  dans  une  seconde  irruption  »  (3).  Après  avoir 
dit  qu'Astérius  avait  été  élevé  au  patriciat  par  lettres  im- 
périales, il  ajoute  ce  qui  suit  :  «Vers  la  même  époque  (4), 
«Castinus,  comte  des  domestiques,  fut  envoyé  dans  la 
«  Gaule, où  se  préparait  une  expédition  contre  les  Francs.» 
Voilà  ce  que  ces  historiens  ont  dit  des  Francs.  Orose, 
historien  comme  eux,  s'exprime,  dans  le  septième  livre 


(1)  Voyez  Eclnirciss.  et  ohserv.  (Note  /.) 

(2)  L'an  4ii-  (  Bouq.) 

(5)  Cette  ville  fut  ruinée  une  première  fois  l'an  098  ou  Sgg;  une 
seconde  l'an  4ii,  selon  le  P.  Pagi,  Cril.  in  Ann.  Baron,  ad  ann.  407, 
n.  i4-  (Bouq.) 

(4)  L'an  4'7-  (Bouq.) 


78  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

tic  son  ouvrage ,  de  la  manière  suivante  (i )  :  «  Stilicon ,  à  la 
«  tête  des  nations  qu'il  put  rassembler,  écrase  les  Francs, 
«  passe  le  Rhin,  parcourt  les  Gaules,  et  s'avance  jusqu'aux 
a  Pyrénées.  »  Telles  sont  les  notions  que  les  historiens 
dont  nous  avons  parlé  nous  ont  laissées  sur  les  Francs, 
sans  faire  connaître  le  nom  de  leurs  rois.  Plusieurs  au- 
teurs racontent  que  ces  peuples  sont  sortis  de  Pannonie , 
et  qu'ils  s'établirent  d'abord  sur  la  rive  du  Rhin  (2)  ; 
qu'ayant  ensuite  traversé  ce  fleuve ,  ils  passèrent  dans  la 
Thuringe,  et  là,  dans  les  districts  ou  les  cités,  ils  se  don- 
nèrent des  rois  chevelus  pris  dans  la  première,  et,  si  je 
puis  parler  ainsi,  dans  la  plus  noble  de  leurs  familles,  ce 
que  prouvèrent  plus  tard  les  victoires  de  Clovis,  que  nous 
raconterons  bientôt.  Nous  lisons  dans  les  Fastes  consu- 
laires (3)  que  le  roi  des  Francs  Théodomer,  fils  de  Richi- 
mer  et  Aschila  sa  mère,  périrent  par  le  glaive.  On  dit 
aussi  qu'alors  Clodion,  aussi  distingué  dans  sa  nation  par 
son  mérite  que  par  sa  noblesse,  fat  roi  des  Francs.  Il 
occupait  dans  le  pays  des  Thuringiens  la  forteresse  de 
Disparg.  Dans  ces  mêmes  contrées,  vers  le  midi  et  jusqu'à 
la  Loire ,  habitaient  les  Romains.  Au-delà  de  la  Loire 
dominaient  les  Goths  ;   et  les   Bourguignons ,  attachés 
à  la  secte  des  Ariens,  s'étaient  fixés  de  l'autre  coté  du 
Rhône  qui  baigne  la  ville  de  Lyon.  Clodion,  ayant  envoyé 
des  éclaireurs  vers  la  ville  de  Cambrai  et  fait  explorer 
tout  le  pays,  se  mit  ensuite  en  marche  lui-même,  écrasa 
les  Romains,  et  s'empara  de  la  ville  (4).  Après  y  être  resté 

(1)  Au  chap.  a8.  (  Ruin.)  —  Ce  n'est  pas  de  Stilicon  que  parle  Orose, 
mais  des  Vandales  et  des  autres  barbares.  (Bouq.  ) 

(2)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  à.) 
(5)  Voyez  ibid.  { Note  /.  ) 

(4}  Idem.  (Note  m.) 


LIVRE  SECOND.  79 

peu  de  temps,  il  occupa  tout  le  pays  jusqu'au  fleuve  de 
la  Somme.  Quelques  personnes  prétendent  que  le  roi 
Mérovée,  père  de  Childéric,  était  de  sa  famille. 

X.  Ce  peuple  s'était  toujours  montré  adonné  à  l'ido- 
lâtrie ,  et  n'avait  aucune  connaissance  du  vrai  Dieu.  11 
s'était  fait  des  images  des  forêts  et  des  eaux,  des  oiseaux, 
des  bêtes  sauvages  et  des  autres  élémens,  auxquels  il 
avait  coutume  de  rendre  un  culte  divin  et  d'offrir  des 
sacrifices.  Oh!  si  les  fibres  de  leurs  cœurs  eussent  été  frap- 
pées par  cette  voix  terrible  qui  dit  au  peuple,  par  la  bou- 
che de  Moïse  :  Fous  n'aurez  point  d'autre  Dieu  que 
moi,  vous  ne  tous  ferez  point  d'image  taillée,  et  vous 
n'adorerez  aucune  Jigure  de  tout  ce  qui  est  dans  le 
ciel  et  sur  la  terre,  ni  de  tout  ce  qui  est  dans  les  eaux  : 
vous  ne  ferez  point  cela,  et  vous  ne  leur  rendrez  point 
de  culte  (i).  Et  encore  :  Fous  adorerez  le  Seigneur  votre 
Dieu,  vous  ne  servirez  que  lui  seul,  et  vous  jurerez 
par  son  nom  (2).  Que  serait-il  arrivé  s'ils  avaient  pu 
comprendre  quelle  vengeance  tomba  sur  le  peuple  israç- 
lite  pour  avoir  adoré  le  veau  d'or,  lorsqu'après  les  festins 
et  les  chants ,  après  les  débauches  et  les  danses,  leur  bouche 
impure  disait  de  cette  idole  :  Foici  tes  dieux,  Israël,  qui 
l'ont  tiré  de  V Egypte?  (3)  Il  en  périt  vingt-quatre  mille. 
Qu'auraient-ils  pensé  de  ceux  qui,  s'étant  initiés  au  culte  de 
Beelphégor,  et  mêlés  aux  femmes  impudiques  des  Moabites, 
furent  égorgés  et  foulés  aux  pieds  par  leurs  proches?  En 
punition  de  leur  crime,  le  prêtre  Phinée  fit  périr  les  adul- 


ai) Exode,  chap.  20,  vers.  5.  4-  5. 

(2)  Deutér.,  chap.  6,  vers.  i5. 

(3)  Exode,  chap.  32,  vers.  4' 


80  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

tères,  et  apaisa  ainsi  la  colère  de  Dieu,  et  ce  zèle  lui  fui 
imputé  a  justice  (i).  Qu'auraient-ils  pense  si  ces  vérit(^s 
que  Dieu  proclame  par  la  bouche  de  David,  étaient  ve- 
nues frapper  leurs  oreilles?  Tous  ces  dieux  des  nations 
sont  des  démons ,  mais  le  Seigneur  est  le  créateur  des 
deux  (2).  Et  celles-ci  :  Les  idoles  des  nations  ne  sont 
que  de  Vargent  et  de  Vor,  et  les  ouvrages  des  mains 
des  hommes  :  que  ceux  qui  les  font  leur  deviennent 
semblables j  avec  tous  ceux  qui  mettent  en  elles  leur 
confiance  (3)  ;  ou  bien  ceci  :  Que  tous  ceux-là  soient 
conjbndus  qui  adorent  les  ouvrages  de  sculpture,  et 
qui  se  glorifient  dans  leuî's  idoles  (4)  ;  ou  encore  ce  que 
dit  le  prophète  Habacuc  :  Que  sert  la  statue  qu'ils  ont 
faite?  ils  l'ont  façonnée  y  et  ce  n'est  qu'un  fantôme 
inanimé;  c'est  le  produit  de  l'or  et  de  l'argent,  et  il  est 
sans  âme  et  sans  "vie.  Mais  le  Seigneur  Jiabite  dans 
son  temple  saint  :  que  toute  la  terre  fasse  silence  devant 
lui  (5).  Un  autre  prophète  dit  encore  :  Que  les  dieux 
qui  n'ont  point  fait  le  ciel  et  la  terre  périssent  sous  le 
ciel  et  soient  exterminés  de  la  terre  (6).  On  lit  dans  un 
autre  :  Voici  ce  que  dit  le  Seigneur  qui  a  créé  les  deux, 
le  Dieu  qui  a  créé  la  terre  et  tout  ce  qui  s'y  trouve ,  et 
qui  l'a  façonnée ,  et  qui  ne  l'a  pas  créée  en  njciin,  mais 
qui  l'a  formée  afin  qu'elle  fût  habitée  (7)  :  Je  suis  le 


(i)  Psatime  io5,  vers.  3i. 
(2)  Psaume  g5,  vers.  5. 

(5)  Psaume  ii3,vers.  12  et  16  (Psaume  ii5,  vers.  4  et  8,  selon  les 
Hébreux),  et.  Psaume  i54,  vers.  i5  et  18. 

(4)  Psaume  9G,  vers.  7. 

(5)  Habacuc,  chap.  2,  vers.  18,  ig  et  20. 
{Ç))  Jérém.,  chap.  10,  vers.  11. 

{'f)  Tsaïe,  cliap,  45,  vers.  18. 


LIVRE  SECOND.  81 

Seigneur;  c'est  là  le  nom  qui  in  est  propice.  Je  ne  don- 
nerai point  ma  gloire  a  un  autre,  ni  mon  pouvoir  à 
des  idoles  qui  ne  durent  qu'un  instant  (i).  Et  ailleurs 
Y  a-t-il  quelqu'un  parmi  les  faux  dieux  des  nations 
qui  fasse  pleuvoir?  (2)  Dieu  dit  encore  par  la  bouche 
cl'Isaïe  :  Je  suis  le  premier  et  je  suis  le  dernier,  et  il 
n'y  a  de  dieu  que  moi  seul;  peut-il  donc  y  avoir  un 
créateur  que  je  ne  connaisse  pas  ?  Tous  ces  artisans 
d'idoles  ne  sont  rien.  Leurs  ouvrages  les  plus  estimés 
ne  leur  serviront  de  rien.  Ils  sont  eux-mêmes  témoins  j 
à  leur  confusion ,  que  leurs  idoles  ne  voient  point  et  ne 
comprennent  point.  Tous  ceux  qui  ont  part  a  cet  ou- 
vrage seront  confondus  ;  car  tous  ces  artisans  ne  sont 
que  des  hommes.  Comment  donc  un  homme  a-t-il  été 
assez  insensé  pour  vouloir  former  un  dieu ,  et  pour 
jeter  en  fonte  une  statue  qui  n'est  bonne  a  rien?  Il  a 
mis  le  fer  dans  le  feu,  et  l'a  battu  avec  le  marteau 
pour  en  former  une  idole;  ilf  a  employé  toute  la  force 
de  son  bras.  De  même  le  sculpteur  a  formé  au  compas, 
et  fait  enfin  l'image  et  un  homme  qu'il  a  rendu  le  plus 
beau  qu'il  a  pu,  et  il  l'a  logé  dans  une  niche,  lia 
coupé  du  bois ,  il  l'a  travaillé ,  il  en  a  fait  une  image, 
et  l'a  adorée  comme  un  dieu;  il  a  réuni  ses  membres 
avec  des  clous  et  un  marteau,  q/ïn  qu'ils  ne  se  sépa- 
rassent pas  ;  on  les  porte  parce  qu  ils  ne  peuvent  mar- 
cher :  du  surplus  du  bois  l'homme  a  fait  du  feu  et  s'est 
chauffé  ;  et  du  reste  de  ce  même  bois  il  a  fait  un  dieu 
et  une  idole  devant  laquelle  il  se  prosterne ,  qu'il  a 
adorée  et  qu'il  prie,  en  lui  disant  :  Délivrez-moi,  car 


(i)  Isaïc,  chap.  4^,  vers.  8. 
(2)  Jcréia.,  chap.  i4,  vers.  22. 
1. 


82  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

vous  êtes  mon  dieu,  fat  fait  du  feu  de  la  moitié  de  ce 
hais;  f  ai  fait  cuire  des  pains  sur  ses  charbons  ;  fy  ai 
fait  cuire  la  chair  que  f  ai  mangée,  et  du  surplus  je 
ferai  une  idole.  Une  partie  de  ce  bois  est  déjà  réduite 
en  cendres  f  et  cependant  son  cœur  insensé  a  adoré 
Vautre ,  et  il  n'a  point  pensé  a  tirer  son  âme  de  l'égU' 
rement  oh  elle  est,  en  disant:  Peut-être  cet  ouvrage  de 
nos  mains  n'est  qu'un  mensonge  (i).  La  nation  des 
Francs  ne  comprit  pas  d'abord  ces  vérités,  mais  elle  les 
comprit  plus  tard,  comme  le  montre  la  suite  de  cette 
histoire. 

XL  Le  sénateur  Avitus ,  citoyen  de  Clermont,  comme 
tout  le  monde  le  sait,  parvint  à  l'empire  romain  (aj;  mais 
ne  voulant  mettre  aucune  règle  dans  sa  conduite,  et 
ayant  été  rejeté  par  le  sénat,  il  fut  consacré  évêque  de  la 
ville  de  Plaisance.  Comme  il  vit  que  le  sénat,  toujours 
irrité,  n'en  voulait  pas  moins  à  sa  vie,  il  gagna,  chargé  de 
riches  présens,  la  basilique  du  bienheureux  saint  Julien, 
martyr  d'Auvergne  (3).  Mais  ayant  terminé  en  chemin  le 
cours  de  sa  vie,  il  mourut,  et  fut  porté  au  bourg  de 
Brioude ,  oii  on  l'enterra  aux  pieds  du  saint  martyr.  Il  eut 
Majorien  (4)  pour  successeur  à  l'empire.  Le  Romain  Égi- 
dius  reçut  la  charge  de  maître  de  la  milice  dans  les 
Gaules.  (5) 


(i)  Isaïe,  chap.  44?  vers.  6-20.  —  Dans  tout  ce  qui  précède,  Gré- 
goire de  Tours  donne  plutôt  le  sens  que  le  texte  des  livres  saints, 
(■i)  L'an  455.  {Art  de  ver.  les  Dates. ) 

(3)  Le  2"  Liv.  de  Gloria  martjrum  est  consacré  à  saint  Julien. 

(4)  Le  texte  latin  porte,  à  tort,  Martinn.  Majorien  succéda  à  Avitus 
l'an  457. 

(5)  Il  avait  obtenu  cette  dignité   d'Avitus.   Idace  l'appelle  cnmes 
utiiiisque  inilUiœ.  (Ruin.) 


LIVRE  SECOND.  83 

XII.  Childéric  était  adonné  à  une  luxure  effrénée;  il 
régnait  sur  la  nation  des  Francs ,  et  déshonorait  leurs 
filles.  Ceux-ci,  indignés,  le  détrônèrent  (i);  et  comme  il 
découvrit  qu'ils  en  voulaient  même  h  sa  vie,  il  se  retira 
en  Thuringe,  laissant  sur  les  lieux  un  homme  dévoué  (2) 
qui  pût  apaiser  par  de  douces  paroles  les  esprits  furieux. 
Un  moyen  convenu  devait  lui  faire  savoir  quand  il  pour- 
rait revenir  dans  le  pays,  c'est-à-dire  qu'ils  divisèrent 
en  deux  un  sou  d'or;  Childéric  en  emporta  une  moitié 
avec  lui,  son  ami  garda  l'autre,  et  dit  :  «Lorsque  je  t'en- 
«  verrai  cette  moitié,  et  que  les  deux  parties  réunies  re- 
<■<■  formeront  la  pièce  entière ,  alors  tu  pourras  sans  crainte 
«  revenir  dans  ces  lieux.  »  Le  roi  partit  aussitôt  pour  la 
Thuringe,  et  se  cacha  chez  le  roi  Bisin  et  chez  Basine  sa 
femme.  Après  l'expulsion  de  Childéric,  les  Francs  se  choi- 
sirent unanimement  pour  roi  cet  Egidius  que  la  répu- 
bhque,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  avait  envoyé 
dans  les  Gaules  en  qualité  de  maître  de  la  milice.  Egidius 
était  dans  la  huitième  année  de  son  règne  (3) ,  lorsque 
l'ami  fidèle  dont  nous  venons  de  parler,  ayant  en  secret 
apaisé  les  Francs ,  envoya  des  messagers  à  Childéric  avec 
la  portion  du  sou  d'or  qu'il  avait  gardée.  Celui-ci,  certain 
par  cet  indice  que  les  Francs  le  désiraient,  revint  de 
Thuringe  sur  leurs  propres  instances,  et  fut  rétabli  dans 
son  royaume.  Pendant  qu'Egidius  et  Childéric  régnaient 
en  même  temps,  la  reine  Basine,  dont  il  vient  d'être  fait 
mention ,  abandonna  son  mari ,  et  se  rendit  près  du  roi 
des  Francs.  Lorsque  ce  prince  lui  demanda  av(!C  cmpres- 


(1)  L'an  4%-  i-'iii  de  ver.  les  Dates.) 

(u)  Aimoin  le  nomme  f^iomade  (lib.  11,  cap.  7). 

(5)  En  464-  Voyez  Eciairciss.  et  obscrv.  (Note  11.) 


84  inSTOIRE  DES  FRANCS, 

sèment  par  quel  motif  elle  était  venue  le  trouver  de  si 
loin,  on  prétend  qu'elle  répondit  :  «  Je  connais  ton  mé- 
«  rite  et  ton  grand  courage,  voilà  pourquoi  je  suis  venue 
«  pour  vivre  avec  toi;  car  sache  bien  que  si  j'avais  connu 
«  au-delà  des  mers  un  homme  qui  valût  mieux  que  toi , 
«j'aurais  cherché  de  même  à  vivre  avec  lui.  w  Cliildéric, 
plein  de  joie,  l'épousa.  Elle  donna  naissance  à  un  fils,  qui 
reçut  le  nom  de  Cîovis.  Ce  fut  un  grand  homme  et  un 


emment  guerrier. 


XIII.  Après  la  mort  de  saint  Artème,  Vénérand,  l'un  des 
sénateurs,  fut  sacré  évêque  de  Clermont.  Paulin  nous  ap- 
prend quel  fut  cet  évêque,  lorsqu'il  dit  (i)  :  «Si  vous  voyiez 
«  ces  dignes  prêtres  du  Seigneur,  Exupère  de  Toulouse, 
«  Simplice  de  Vienne,  Amand  de  Bordeaux,  Diogénien 
«  d'Albi,  Dyname  d'Angoulême,  Vénérand  de  Clermont, 
«  Alithe  de  Caliors,  ou  Pégase  de  Périgueux;  quels  que 
«soient  les  vices  du  siècle,  vous  verriez  certainement 
«de  bien  dignes  gardiens  de  la  sainteté,  de  la  foi  et 
«de  la  religion.»  Vénérand  mourut,  à  ce  qu'on  rap- 
porte, la  veille  de  Noël;  et  le  matin  même  de  la  fête. 


(i)  Les  sentimens  sont  partagés  sur  la  question  de  savoir  si  c'est  ou 
non  du  célèbre  Paulin  ,  évêque  de  Noie,  auteur  de  plusieurs  ouvrages 
insérés  dans  la  Bibliothèque  des  Pères,  qu'il  est  ici  question.  D.  Rui- 
nart  n'a  pas  cru  devoir  se  prononcer,  mais  il  a  fait  remarquer  que, 
bien  que  plusieurs  manuscrits  de  Grégoire  de  Tours  ne  donnent  au 
Paulin  dont  il  parle  que  le  titre  de  prêtre,  prcsbjtcr,  cela  ne  prouve 
pas  ,  comme  on  l'a  prétendu ,  contre  l'opinion  de  ceux  qui  veulent 
retrouver  ici  l'évêque  Paulin.  La  lettre  rapportée  ci -dessus  pouvait 
très  bien,  en  effet,  avoir  été  écrite  par  cet  évêque  lorsqu'il  n'était 
encore  que  prêtre  ;  Grégoire  de  Tours  pouvait  y  avoir  lu  ce  titre  de 
prêtre,  et  le  donner  lui-même  à  l'auteur  sons  plus  d'informations.  Du 
reste,  quel  que  soit  le  Paulin  dont  il  s'agit  ici,  on  ne  connaît  de  sa 
lettre  que  le  passage  conservé  dans  Yllisloirc  des  Francs. 


LIVRE  SECOND.  85 

une  procession  solennelle  accompagna  son  convoi.  Après 
sa  mort  il  s'éleva  entre  les  citoyens  une  honteuse  que- 
relle au  sujet  de  l'ëpiscopat  ;  et  comme  les  partis  di- 
visés voulaient  chacun  élire  une  personne  différente,  il 
y  eut  parmi  le  peuple  une  grande  collision.  Pendant  que 
les  éveques  siégeaient  un  jour  de  dimanche,  une  femme 
voilée  et  vouée  à  Dieu  s'avance  hardiment  vers  eux  et 
leur  dit  :  «  Ecoutez-moi,  prêtres  du  Seigneur;  sachez  que 
«  Dieu  n'approuve  pas  ceux  que  ces  hommes  ont  élus  pour 
«  le  sacerdoce;  et  le  Seigneur  lui-même  se  choisira  au- 
«  jourd'hui  un  évêque.  Cessez  donc  de  troubler  et  de 
«  soulever  le  peuple;  mais  prenez  un  peu  patience,  car  le 
«  Seigneur  vous  envoie  dans  ce  moment  celui  qui  doit 
«  régir  cette  église.  »  x\u  milieu  de  l'étonnement  causé  par 
ces  paroles ,  survient  tout  à  coup  un  prêtre  du  diocèse 
même  de  Clermont,  nommé  Rustic,  qui  avait  été  indi- 
qué par  une  vision  à  cette  femme.  En  le  voyant  elle  dit  : 
a  Voici  le  pontife  que  le  Seigneur  vous  a  destiné;  qu'il 
«  soit  ordonné  évêque.  »  A  ces  paroles  tout  le  peuple, 
oubliant  ses  dissentions,  s'écrie  :  «  C'est  un  choix  digne 
«  et  juste.  »  Il  fut  donc  placé  sur  le  siège  épiscopal ,  et 
devint,  au  milieu  de  la  joie  publique,  le  septième  évêque 
de  Clermont.  (i) 

XIV.  Dans  la  ville  de  Tours,  l'évêque  Eustoche  étant 
mort  dans  la  dix-septième  année  de  son  épiscopat,  Per- 
pétue fut  consacré  à  sa  place  (a);  c'est  le  cinquième  évê- 
que depuis  saint  Martin.  Perpétue  voyant  qu'il  s'opérait 


(i)  Il  est  honoré,  le  24  septembre,  sous  le  nom  de  saint  Rotiri. 
(  Ruin.  ) 

(2)  L'an  460.  (Bouq.)  Voyez  Eclairciss.  et  nbserv.  (Note  n.) 

i.  6* 


86  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

de  fréquens  miracles  au  tombeau  de  ce  saint,  et  qu'on  n'y 
avait  bâti  cependant  qu'une  petite  chapelle,  jugea  cette 
chapelle  indigne  d'aussi  grands  miracles;  et  l'ayant  abat- 
tue, il  fît  élever  à  sa  place  la  grande  basilique  qui  existe 
encore  aujourd'hui.  Elle  est  située  à  cinq  cent  cinquante 
pas  de  la  ville.  Elle  a  cent  soixante  pieds  de  long  et  soixante 
de  large;  sa  hauteur  jusqu'à  la  voûte  est  de  quarante-cinq 
pieds.  Il  y  a  trente-deux  fenêtres  dans  la  partie  qui  entoure 
l'autel  (i);  vingt  dans  la  nef,  et  quarante  et  une  colonnes; 
dans  tout  l'édifice,  cinquante-deux  fenêtres  et  cent  vingt 
colonnes;  huit  portes,  dont  trois  autour  de  l'autel  et  cinq 
dans  la  nef.  Cette  basilique  a  trois  fêtes  solennelles,  qui 
sont  la  dédicace  de  l'église,  la  translation  de  saint  Martin, 
et  sa  consécration  comme  évêque.  La  dernière  se  célèbre 
le  4  juillet,  et  celle  de  la  translation  du  corps  le  1 1  no- 
vembre. En  les  observant  fidèlement,  vous  vous  assurerez 
dans  ce  monde  et  dans  l'autre  la  protection  du  saint 
évêque.  Comme  la  voûte  de  la  première  chapelle  était 
d'un  travail  élégant,  l'évêque  jugea  que  cet  ouvrage  ne 
devait  point  périr,  et  il  construisit,  en  l'honneur  des  bien- 
heureux apôtres  Pierre  et  Paul,  une  autre  basilique,  dans 
laquelle  il  fixa  cette  voûte.  Il  bâtit  encore  beaucoup  d'au- 
tres églises,  qui,  jusqu'à  ce  jour,  sont  restées  consacrées 
à  Jésus- Christ. 

XV.  Dans  ce  temps,  la  basilique  du  bienhem^eux  martyr 
Symphorien  d'Aulnn  fut  aussi  bâtie  par  le  prêtre  Euphro- 
nius,  qui,  dans  la  suite,  devint, lui-même  évêque  de  la 
ville  (2).  Ce  fut  lui  qui,  dans  un  grand  esprit  de  dévo- 

(i)  Voyez  Eclaircis.i.  et  obscn-.  (Note  p.) 
(2)  Vers  la  On  du  %'  siècle.  (  Ruin.  ) 


LIVRE  SECOND.  87 

tion,  envoya  le  marbre  qui  recouvre  le  tombeau  de  saint 
Martin. 

XVI.  Saint  Namatius  était  alors  le  huitième  évêque  de 
Clermont  depuis  la  mort  de  l'évêque  Rustic.  11  fît  bâtir 
l'église  qui  subsiste  encore,  et  qui  est  la  plus  ancienne  de 
celles  qu'on  voit  dans  l'intérieur  de  la  ville  (i).  Elle  a  cent 
cinquante  pieds  de  long,  soixante  de  large,  et  cinquante 
pieds  de  haut  dans  l'intérieur  de  la  nef  jusqu'à  la  voûte  ; 
au-devant  est  une  abside  de  forme  ronde  (2),  et  de  cha- 
que côté  s'étendent  des  ailes  d'une  élégante  structure. 
L'édifice  entier  est  disposé  en  forme  de  croix;  il  a  qua- 
rante-deux fenêtres,  soixante-dix  colonnes  et  huit  portes. 
Ce  lieu  est  à  la  fois  rempli  de  la  crainte  de  Dieu  et  éclairé 
d'une  vive  lumière,  et  souvent  un  parfum  des  plus  suaves, 
semblable  à  celui  des  aromates ,  s'y  fait  sentir  aux  per- 
sonnes pieuses.  Les  parois  de  la  nef  sont  ornées  de  plu- 
sieurs espèces  de  marbres  ajustés  ensemble.  L'édifice  ayant 
été  achevé  dans  l'espace  de  douze  ans,  le  bienheureux 
évêque  envoya  des  prêtres  à  Bologne,  ville  d'Italie,  pour 
demander  les  reliques  des  saints  Vital  et  Agricole,  qui 
ont  été  crucifiés,  comme  on  le  sait,  pour  le  nom  de  Jésus- 
Christ  notre  Dieu. 

XVII.  La  femme  de  l'évêque  Namatius  bâtit  hors  des 
murs  de  la  ville  la  basilique  de  Saint-Etienne  (3);  et 
comme  elle  voulait  l'orner  de  peintures ,  elle  tenait  un 
livre  sur  ses  genoux,  et  lisait  l'histoire  des  temps  passés. 


(i)  C'est  la  cathédrale  actuelle.  (Riiin.) 
(u)  Voj'cz  Eclnirciss.  et  nbsctv.  (Note  q.) 
(5)  Appelée  depuis  Saint-Eutropc.  (Ruin.). 


88  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

indiquant  aux  peintres  ce  qu'ils  devaient  représenter  sur 
les  murs  (i).  Un  jour  qu'elle  lisait,  assise  dans  la  basi- 
lique, un  pauvre  vint  pour  prier,  et  la  voyant  couverte 
d'une  robe  noire,  et  déjà  avancée  en  âge,  il  la  prit  pour 
une  mendiante,  déposa  un  morceau  de  pain  sur  ses  ge- 
noux, et  s'éloigna.  Celle-ci,  ne  dédaignant  pas  le  don  du 
pauvre,  qui  n'avait  pas  reconnu  son  rang,  accepta  et  re- 
mercia; et  gardant  ce  pain,  elle  le  plaça  devant  elle  sur 
sa  table ,  et  s'en  servit  chaque  jour  pour  la  bénédiction 
de  ses  repas  jusqu'à  ce  qu'il  n'en  restât  plus. 

XVIII.  Childéric  fait  la  guerre  sous  les  murs  d'Or- 
léans (2)  ;  Odoacre  vient  à  Angers  avec  les  Saxons.  Dans 
le  même  temps,  une  grande  peste  ravage  les  populations. 
Egidius  meurt  (3),  et  laisse  un  fils  nommé  Syagrius. 
Après  la  mort  d'Egidius ,  Odoacre  reçoit  des  otages  d'An- 
gers et  de  plusieurs  autres  lieux.  Les  Bretons  furent  chas- 
sés de  Bourges  par  les  Goths  (4) ,  après  avoir  perdu  un 
grand  nombre  des  leurs  près  du  bourg  de  Déols.  Le  comte 
Paul ,  avec  les  Romains  et  les  Francs ,  fit  la  guerre  aux 
Goths,  et  leur  enleva  du  butin.  Odoacre  étant  venu  à 
Angers,  le  roi  Childéric  arriva  le  jour  suivant  (5);  et  ayant 
tué  le  comte  Paul,  il  s'empara  de  la  ville.  Ce  même  jour 
la  maison  épiscopale  fut  consumée  par  un  vaste  incendie. 

XIX.  Après  ces  événemens,  la  guerre  éclata  entre  les 


(i)  Grégoire  de  Tours  parle  en  plusieurs  endroits  des  peintures  des 
églises.  Yoyez  liv.  vu,  chap.  56;  liv.  x,  chap.  derniei",  etc.  (Ruin.) 

(2)  Yoyez,  sur  tout  ce  chapitre,  Eclaivciss.  et  observ.  (Note  /•.  ) 

(3)  En  octobre  464- 

(4)  Par  les  Visigoths,  l'an  469  ou  470.  (Bouq.) 

(5)  L'an  471.  (Bouq.) 


LIVRE  SECOND.  89 

Saxons  et  les  Romains;  mais  les  Saxons  tournant  le  dos, 
abandonnèrent  un  grand  nombre  des  leurs  au  glaive  des 
Romains,  qui  les  poursuivaient.  Leurs  îles  furent  prises 
et  ravagées  par  les  Francs ,  qui  leur  tuèrent  beaucoup  de 
monde.  Dans  le  neuvième  mois  de  la  même  année,  il  y 
eut  un  tremblement  de  terre.  Odoacre  contracta  une  al- 
liance avec  Childéric,  et  ils  soumirent  ensemble  les  Ale- 
mans  qui  avaient  envahi  une  partie  de  l'Italie. 

XX.  Euric,  roi  des  Goths,  dans  la  quatorzième  année 
de  son  règne,  créa  Victorius  duc  de  sept  villes  (i).  Celui- 
ci  se  rendit  en  hâte  à  Clermont,  et  voulut  réunir  cette 
ville  aux  sept  autres.  Dans  la  première  Narbonnaise  il  fît 
construire  des  chapelles  souterraines,  qu'on  voit  encore 
aujourd'hui  dans  la  basilique  de  Saint-Julien  (2),  ainsi 
que  les  colonnes  placées  dans  l'église.  Il  fit  aussi  bâtir  la 
basilique  de  Saint-Laurent  et  de  Saint-Germain  dans  le 
bourg  de  Lignac  (3).  Victorius  demeura  neuf  ans  en  Au- 
vergne. Il  éleva  des  accusations  calomnieuses  contre  le 
sénateur  Euchérius  (4),  le  fit  extraire  de  sa  prison  pen- 
dant la  nuit,  puis,  l'ayant  fait  attacher  contre  une  vieille 

(i)  Ces  villes  étaient  celles  de  Toulouse,  Béziers,  Nîmes,  Agde, 
Maguelonne ,  Lodève  et  Uzès,  qui  toutes  étaient  placées  dans  la  pre- 
mière Nai'bonnaise  et  sous  la  métropole  de  Karbonne. 

(2)  Il  ne  s'agit  point  ici  de  la  basilique  de  Yieille-Brioude,  comme 
l'a  pensé  Frédégaire,  mais  de  la  basilique  consacrée  à  saint  Julien  dans 
la  ville  de  Clermont.  (Ruin.) 

(5)  Où  il  y  avait  une  église  sous  le  vocable  de  Saint-Germain.  Voyez 
Baluz.,  Hist.  Arvcrii.,  tom.  11,  p.  55.  C'est  à  tort  que  l'abbé  de  Ma- 
roUes,  et  M.  Guizot  après  lui,  ont  cru  que  Liciniacum  répondait  à 
Saint-Germain-de-Lambron. 

(4)  On  pense  que  c'est  à  lui  qu'est  écrite  la  lettre  8  du  Livre  111  de 
Sidoine  ApoU.  (  Kuiu.  ) 


90  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

muraille,  il  la  fit  renverser  sur  lui.  Mais  comme  il  était 
trop  adonné  à  l'amour  des  femmes,  et  qu'il  craignait  d'être 
tué  lui-même  par  les  Arvernes,  il  s'enfuit  à  Rome,  où, 
ayant  voulu  continuer  ses  débauches,  il  fut  lapidé.  Euric 
régna  encore  quatre  ans  après  la  mort  de  Victorius  (i),  et 
mourut  dans  la  vingt-septième  année  de  son  règne  (2).  Il 
y  eut  alors  de  nouveau  un  grand  tremblement  de  terre. 

XXI.  Après  la  mort  de  l'évêque  Namatius,  à  Clermont, 
le  siège  pontifical  fut  occupé  par  Eparchius,  homme  d'une 
grande  sainteté  et  d'une  grande  dévotion.  Comme  à  cette 
époque  l'église  possédait ,  dans  l'enceinte  de  la  ville  , 
une  petite  propriété,  l'évêque  y  avait  sa  demeure  dans 
l'endroit  qu'on  appelle  aujourd'hui  la  sacristie,  et  pen- 
dant la  nuit  il  se  levait  pour  aller  rendre  grâce  à  Dieu  à 
l'autel  de  l'église.  Il  arriva  qu'une  nuit,  lorsqu'il  entra 
dans  cette  église,  il  la  trouva  remplie  de  démons;  leur 
chef  lui-même,  paré  comme  une  femme,  était  assis  sur  le 
siège  épiscopal.  L'évêque  lui  dit  :  «Exécrable  prostituée, 
«  il  ne  te  suffit  pas  d'infecter  tous  les  autres  lieux  de  tes 
«  profanations ,  il  faut  que  tu  souilles  encore  le  siège  con- 
te sacré  par  le  Seigneur,  en  y  plaçant  ta  personne  infecte  ! 
«  Sors  de  la  maison  de  Dieu,  et  ne  la  profane  pas  davan- 
cc  tage.  »  Le  démon  répondit  :  «  Puisque  tu  me  donnes  le 
«  titre  de  prostituée,  je  te  tendrai  mille  pièges  en  t'en- 
«  flammant  de  passion  pour  les  femmes.  »  A  ces  mots  il 
s'évanouit  comme  de  la  fumée.  L'évêque,  en  effet,  éprouva 


(i)  Arrivée  l'aa  484-  (Bouq.) 

(2)  Lisez  xvir  année.  L'erreur  vient  de  ce  que  le  chiffre  x  a  été  ré- 
pété à  tort,  comme  le  fait  remarquer  le  père  Pagi,  sous  l'amiée  484 ? 
n.  24.  (Bouq.) 


LIVRE  SECOND.  91 

de  violens  accès  de  concupiscence;  mais  armé  du  signe 
sacré  de  la  croix,  il  fut  h  l'abri  des  atteintes  de  l'ennemi. 
On  rapporte  même  qu'il  bâtit  dans  le  fort  du  mont  Clian- 
toin,  au  lieu  où  l'on  voit  maintenant  un  oratoire,  un 
monastère  (i)  où  il  allait  se  renfermer  pendant  les  saints 
jours  de  carême;  et  le  jour  de  Pâques  il  revenait  à  son 
église,  accompagné  des  clercs  et  des  citoyens  chantant  des 
hymnes  pieux.  A  sa  mort  (2),  il  fut  remplacé  par  Sidoine, 
ancien  préfet  (3),  homme  d'une  haute  noblesse  selon  les 
idées  du  monde,  et  l'un  des  premiers  sénateurs  des  Gaules, 
auquel  même  l'empereur  Avitus  avait  donné  sa  fille  (4) 
en  mariage.  De  son  temps,  et  pendant  le  séjour  à  Cler- 
mont  de  ce  Victorius  dont  nous  avons  déjà  parlé,  il  y 
avait  dans  le  monastère  de  Saint-Cyr  (5)  de  cette  même 
ville  un  abbé  nommé  Abraham ,  qui  reproduisait  dans  sa 
personne  la  foi  et  les  œuvres  du  patriarche  dont  il  portait 
le  nom,  comme  nous  l'avons  raconté  dans  le  livre  de  sa  vie. 

XXII.  Saint  Sidoine  était  doué  d'une  si  grande  élo- 
quence, que  souvent  il  improvisait  sur-le-champ  et  d'une 
manière  brillante  sur  quelque  sujet  qu'il  voulût.  Un  jour 
qu'il  s'était  rendu,  sur  une  invitation,  à  la  fête  de  la  basi- 
lique du  monastère  dont  nous  avons  parlé  plus  haut , 
quelqu'un  lui  enleva  par  méchanceté  les  tablettes  dont  il 
avait  coutume  de  se  servir  pour  célébrer  les  saints  offices  ; 


(i)  Sur  ce  monastère,  voyez  ci-dessus,  liv.  i,  chap.  3g. 

(2)  Arrivée  l'an  475.  (Bouq.) 

(3)  Préfet  de  Rome  en  467,  sous  l'empereur  Anthemius.  (Guizot.) 

(4)  Papianilla.  Sidoine  l'épousa  avant  que  son  père  fût  empereur. 
(Guizot.  ) 

(5)  Saint-Cyr,  jeune  cnf;mt  qui  périt  martyr  avec  sa  mère  Julilta. 
(Ruin.) 


92  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

cependant  il  se  trouva  tellement  préparé  d'avance,  qu'il 
récita  tout  l'office  de  la  fête,  et  si  bien,  qu'il  excita  l'ad- 
miration de  tous  les  assistans,  qui  croyaient  entendre, 
non  pas  un  homme, mais  un  ange.  C'est  ce  que  nous  avons 
rapporté  avec  plus  de  détails  dans  la  préface  que  nous 
avons  mise  à  la  tête  du  livre  des  Messes  qu'il  a  composées. 
Comme  il  était  d'une  admirable  sainteté,  et  l'un  des  pre- 
miers sénateurs,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  il  emportait 
souvent  de  chez  lui,  à  l'insu  de  sa  femme,  des  vases  d'ar- 
gent, et  les  distribuait  aux  pauvres.  Lorsque  celle-ci  en 
était  instruite,  elle  lui  faisait  des  reproches;  alors  il  resti- 
tuait les  meubles  à  la  maison,  mais  il  en  donnait  la  valeur 
aux  indigens. 

XX.III.  Lorsqu'il  se  fut  consacré  au  service  du  Seigneur, 
^t  pendant  qu'il  menait  dans  ce  monde  une  vie  toute  de 
sainteté,  deux  prêtres  se  soulevèrent  contre  lui  :  et  lui 
ayant  enlevé  tout  pouvoir  sur  les  biens  de  l'église,  ne  lui 
laissant  que  le  strict  nécessaire  pour  vivre,  ils  l'accablè- 
rent des  outrages  les  plus  humilians.  Mais  la  clémence 
divine  ne  laissa  pas  long-temps  l'injure  impunie;  car  l'un 
de  ces  méchans  et  indignes  prêtres  ayant  menacé  l'évê- 
que,  avant  la  nuit,  de  l'arracher  de  l'église,  se  leva  le  len- 
demain, enflammé  de  fureur  contre  le  saint  de  Dieu,  au 
son  de  la  cloche  qui  appelait  à  matines,  et  méditant  dans 
son  cœur  pervers  d'exécuter  le  dessein  qu'il  avait  formé  la 
veille  ;  mais  étant  entré  dans  son  cabinet,  il  rendit  l'âme 
en  s'efforçant  de  satisfaire  ses  besoins.  Un  serviteur,  un 
flambeau  à  la  main,  attendait  en  dehors  que  le  prêtre 
sortît;  mais  déjà  le  jour  paraissait,  et  son  complice,  c'est- 
à-dire  l'autre  prêtre,  lui  avait  envoyé  un  exprès  pour  lui 
dire  :  «Viens,  ne  tarde  pas,  afin  que  nous  exécutions  en- 


LIVRE  SECOND.  93 

«  semble  ce  qui  fut  arrêté  hier  entre  nous.  »  Mais  comme 
le  mort  ne  pouvait  répondre,  le  serviteur  souleva  le  voile 
de  la  porte  (  i  ) ,  et  trouva  son  maître  mort  sur  le  siège 
du  privé  ;  ce  qui  montre  clairement  qu'il  s'était  rendu 
coupable  d'un  crime  non  moins  grand  que  celui  de  cet 
Arius  qui  rendit  aussi  ses  entrailles  dans  un  pareil  lieu. 
Et  en  effet,  on  ne  peut  sans  hérésie  admettre  que,  dans 
l'Église,  qui  que  ce  soit  méconnaisse  l'obéissance  due  au 
pontife  de  Dieu  auquel  le  soin  des  brebis  a  été  confié,  et 
s'empare  d'un  pouvoir  qui  ne  lui  a  été  donné  ni  par  Dieu 
ni  par  les  hommes.  Dès  lors  le  bienheureux  évêque,  quoi- 
qu'il lui  restât  encore  un  ennemi,  fut  remis  en  possession 
de  son  pouvoir.  11  tomba  ensuite  malade  de  la  fièvre,  et 
pria  ses  serviteurs  de  le  porter  dans  l'église.  Dès  qu'on  l'y 
eut  transporté,  il  fut  sans  cesse  entouré  d'une  multitude 
d'hommes,  de  femmes  et  même  d'enfans  qui  pleuraient, 
et  qui  disaient  :  «  Pourquoi  nous  délaisses-tu ,  bon  pas- 
«  teur  ?  à  qui  serons-nous  abandonnés  comme  des  orphe- 
«lins?  quelle  sera  notre  vie  après  ta  mort?  qui  prendra 
«  soin  à  l'avenir  de  nous  assaisonner  du  sel  de  la  sagesse? 
«  ou, quelle  prudence  égale  à  la  tienne  viendra  nous  rap- 
«  peler  à  la  crainte  du  nom  du  Seigneur?»  A  ces  paroles 
et  à  d'autres  semblables,  que  proférait  le  peuple  avec  de 
grands  gémissemens,  le  pontife  répondit  enfin,  animé  de 
l'esprit  saint  :  «N'ayez  aucune  crainte,  ô  peuples!  mon 
«  frère  Apruncule  est  vivant ,  et  il  sera  votre  évêque.  » 
Mais  ceux-ci  ne  comprenant  rien  à  ces  paroles,  le  croyaient 
en  extase. 


(i)  Des  tentures  plus  ou  moins  grossières  servaient  de  portes  dans 
l'intérieur  des  niaisous.  (Guizot.) 


94  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

A  la  mort  de  Sidoine  (i),  le  méchant  prêtre  qui  sur 
vivait  s'empara  avec  avidité  de  tous  les  biens  de  l'église, 
comme  s'il  eût  déjà  été  évêque,  en  disant  :  «Enfin  Dieu 
«  sachant  que  j'étais  plus  juste  que  Sidoine,  a  jeté  les  yeux 
«  sur  moi  et  m'a  accordé  ce  pouvoir.  »  Pendant  qu'il 
promenait  son  orgueil  par  toute  la  ville,  arriva  le  diman- 
che qui  suivit  la  mort  du  saint  homme;  il  fit  préparer, 
dans  la  maison  épiscopale,  un  festin,  auquel  il  invita  tous 
les  citoyens,  et,  sans  respect  pour  les  vieillards,  il  prit  sur 
le  lit  la  première  place.  L'échanson  lui  ayant  offert  la 
coupe,  lui  dit  :  «Maître,  j'ai  eu  un  songe  que  je  vous 
«  raconterai,  si  vous  le  permettez.  Je  voyais  pendant  cette 
«  nuit  une  grande  maison,  et  dans  cette  maison  un  trône, 
«  sur  lequel  siégeait  comme  un  juge  qui  l'emportait  sur 
«  tous  les  autres  par  son  pouvoir.  Il  était  entouré  d'un 
«  grand  nombre  de  prêtres  vêtus  de  blanc,  auxquels  se 
«  mêlait  une  foule  innombrable  de  peuple.  Pendant  que 
«je  contemplais  en  tremblant  ce  spectacle,  j'aperçus  au 
«  loin  et  au  milieu  d'eux  le  bienheureux  Sidoine,  en  dis- 
«  cussion  sérieuse  avec  ce  prêtre  qui  vous  était  si  cher, 
«  et  qui  est  sorti  de  ce  monde  il  y  a  peu  d'années.  Celui- 
«  ci  ayant  été  confondu,  le  roi  ordonna  qu'on  le  plon- 
«  geât  au  fond  d'un  étroit  cachot.  Il  fut  emmené,  et  Si- 
«  doine  alors  se  mit  à  vous  accuser  d'avoir  été  complice 
«  du  crime  pour  lequel  venait  d'être  condamné  le  prêtre; 
«  et  comme  le  juge  cherchait  partout  quelqu'un  pour 
«  l'envoyer  vers  vous,  je  me  cachai  au  milieu  des  autres 
«  et  je  tournai  le  dos,  craignant  en  moi-même  qu'il  ne 
«me  choisît  pour  cette  mission,  parce  que  j'étais  connu 


(i)  Il  mourut  le  ui    août   488   ou   489.   JUst.   litt.  de  la  France, 
tom.  II,  p.  bSr. 


LIVRE  SECOND.  95 

«de  lui.  Pendant  que  je  roulais  sans  rien  diie  cette 
«pensée  dans  mon  esprit,  tout  le  monde  se  retira,  et 
«je  restai  seul.  Appelé  par  le  juge,  je  m'approchai,  et 
«  à  l'aspect  de  sa  puissance  et  de  son  éclat  je  restai  tout 
«  interdit  et  tout  tremblant  de  crainte  :  Esclave,  dit-il, 
«  ne  crains  rien  ;  mais  va  dire  à  ce  prêtre  :  «  Viens  dé- 
«  fendre  ta  cause,  car  Sidoine  a  demandé  qu'on  te  fît 
«  comparaître.  »  Ne  différez  donc  pias  à  vous  rendre  près 
«  de  lui,  car  il  m'a  ordonné,  avec  de  grandes  menaces, 
«  de  vous  rapporter  ces  paroles,  disant  :  Si  tu  y  manques, 
«  tu  mourras  de  la  mort  la  plus  cruelle.  »  A  ces  mots, 
le  prêtre  épouvanté  laissa  tomber  la  coupe  de  ses  mains, 
et  rendit  l'esprit.  Enlevé  mort  de  dessus  le  lit,  il  reçut  la 
sépulture,  et  alla  dans  l'enfer  rejoindre  son  complice.  Tel 
fut  le  jugement  dont  le  Seigneur  frappa  dans  ce  monde 
deux  prêtres  rebelles  :  l'un  éprouva  le  sort  d'Arius;  l'autre, 
celui  de  Simon  le  magicien,  qui  fut,  à  la  prière  du  saint 
Apôtre,  précipité  du  faîte  de  son  orgueil.  Il  n'est  pas 
douteux  qu'ils  furent  plongés  ensemble  dans  l'enfer,  pour 
avoir  tous  deux  agi  criminellement  envers  leur  saint 
évêque. 

Dans  ce  temps-là,  comme  le  bruit  du  triomphe  des 
Francs  retentissait  déjà  dans  ce  pays,  et  que  chacun  dési- 
rait avec  ardeur  qu'ils  y  établissent  leur  empire,  saint 
Apruncule,  évêque  de  la  ville  de  Langres,  commença  à 
devenir  suspect  aux  Bourguignons  (i),  et  la  haine  crois- 
sant contre  lui  de  jour  en  jour,  l'ordre  fut  donné  de  le 
faire  périr  en  secret  par  le  glaive.  Apruncule  en  ayant  eu 
connaissance,  se  sauva  de  la  forteresse  de  Dijon  en  fran- 
chissant de  nuit  les  murailles,  et  se  rendit  à  Clennont, 

(r)  Yoycz  sur  Apiunculc,  le  cliap.  5G  ci-dessous,  et  liv.  m,  cliap.  '.>. 


06  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

où  il  devint,  selon  la  parole  que  le  Seigneur  avait  mise 
dans  la  bouche  de  saint  Sidoine,  le  onzième  évêque  de 
la  ville. 

XXIV.  Du  temps  de  l'évêquc  Sidoine,  une  grande  fa- 
mine désola  la  Bourgogne.  Comme  les  habitans  se  disper- 
saient en  différens  pays,  et  que  personne  ne  fournissait 
plus  de  nourriture  aux  pauvres,  le  sénateur  Ecdicius  (i), 
parent  de  Sidoine,  mettant  sa  confiance  en  Dieu,  fit  alors, 
à  ce  qu'on  rapporte,  une  action  bien  méritoire.  Pendant  les 
ravages  de  la  famine,  il  envoya  dans  les  villes  voisines, avec 
des  chevaux  et  des  chariots,  des  serviteurs  chargés  de  lui 
amener  ceux  qu'affligeait  la  disette.  Les  serviteurs  parti- 
rent, et  ramenèrent  dans  sa  maison  tous  les  pauvres  qu'ils 
purent  trouver.  Ecdicius  les  nourrit  pendant  tout  le  temps 
de  la  famine,  et  les  empêcha  ainsi  de  mourir  de  faim.  Les 
malheureux  qu'il  secourut  furent,  au  rapport  de  plusieurs, 
au  nombre  de  plus  de  quatre  mille  personnes  des  deux 
sexes.  Lorsque  l'abondance  fut  revenue ,  il  employa  les 
mêmes  moyens  pour  les  faire  reconduire  chacun  au  lieu 
de  sa  demeure.  Après  leur  départ,  une  voix  partant  du 
ciel  lui  dit  :  «Ecdicius,  Ecdicius,  à  cause  de  ce  que  tu  as 
«  fait,  jamais  le  pain  ne  manquera  ni  à  toi  ni  à  ta  posté- 
«  rite;  car  tu  as  obéi  à  mes  paroles  et  rassasié  ma  faim  en 
«  nourrissant  les  pauvres.  »  Cet  Ecdicius  était,  comme  on 
le  rapporte,  d'une  merveilleuse  agilité;  et  l'on  prétend 
qu'un  jour,  avec  dix  hommes,  il  mit  en  fuite  une  multi- 


(i)  Ou,  sdon  d'autres,  Ilecdicius,  fils  de  l'cmpr-rcur  Avitus,  et  frère 
de  Papianilla,  femme  de  Sidoine.  H  fut  fait  patricc  par  l'empereur 
Jules  Képos,  comme  on  le  voit  par  une  lettre  de  Sidoine.  {Epist.  v, 
16.)  (Ruin.) 


LIVRE  SECOND.  97 

tilde  de  Goths  (i).  On  dit  aussi  que,  pendant  la  même 
famine  ,  saint  Patient,  évêque  de  Lyon,  rendit  au  peuple 
le  même  service,  et  il  nous  reste  encore  une  lettre  dans 
laquelle  saint  Sidoine  (2)  lui  donne  à  ce  sujet  de  grandes 
louanges. 

XXV.  De  son  temps  Euric  (3),  roi  des  Goths,  franchis- 
sant les  frontières  de  l'Espagne  (4),  exerça  dans  la  Gaule 
une  cruelle  persécution  sur  les  chrétiens.  Il  faisait  décapiter 
tous  ceux  q>ii  refusaient  de  partager  sa  coupable  hérésie; 
il  jetait  les  prêtres  dans  les  prisons;  il  envoyait  les  évêques 
en  exil,  ou  les  faisait  tomber  sous  le  glaive.  Il  avait  même 
ordonné  de  fermer  avec  des  épines  l'entrée  des  églises, 
afin  que  le  concours  dans  les  temples  devenant  plus  rare, 
la  foi  se  perdît  plus  promptement.  Les  villes  de  la  No- 
vempopulanie  et  les  deux  Aquitaines  (5)  furent,  surtout 
alors,  désolées  par  ces  fléaux.  On  conserve  encore  aujour- 
d'hui une  lettre  écrite  à  ce  sujet  par  le  noble  Sidoine  à 
l'évêque  (d'Aix)  Basile,  et  dans  laquelle  tous  ces  détails 
sont  racontés.  Mais  l'auteur  de  cette  persécution  mourut 
bientôt  frappé  de  la  vengeance  divine. 

XXVI.  Le  bienheureux  Perpétue,  évêque  de  la  ville  de 
Tours,  après  trente  ans  d'épiscopat,  s'endormit  en  paix  (6). 

(i)  Sidoine  raconte  ce  fait  (Fpisl.  m,  3),  et  dit  qu'il  y  avait  à  peine, 
avec  Eedicius,  dix-huit  cavaliers.  (Ruin.  ) 

(2)  Ëpist.  VI,  12. 

(3)  Il  est  nommé  ci -dessus,  chap.  20,  Eoric  ou  Euric,  et  dans  les 
sommaires  des  chapitres,  Euvarex.  (Ruin.) 

(4)  Vers  l'an  467.  (Bouq.) 

(5)  Le  texte  porte  les  deux  Germanics ,  mais  évidemment  par 
erreur. 

(6)  L'an  490  ou  491.  Uisl.  lill.,  tom.  Il,  p.  G22.  Sur  Perpétue,  Vo- 
^isien  et  Vérus,  voyez  x,  3i. 

I.  7 


98  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

Il  eut  pour  successeur  le  sénateur  Yoluslen  ;  mais  celiii-ci 
étant  devenu  suspect  aux  Goths,  fut,  la  septième  année 
de  son  épiscopat,  emmené  captif  en  Espagne,  où  il  finit 
bientôt  ses  jours.  Vérus,  qui  le  remplaça,  fut  le  septième 
évêque  de  Tours  depuis  saint  Martin. 

XXVII.  Après  cela,  Childéric  mourut,  et  son  fils  Clovis 
régna  à  sa  place  (i).  Pendant  la  cinquième  année  du  règne 
de  Clovis,  Syagrius,  roi  des  Romains,  fils  d'Égidius,  fai- 
sait sa  résidence  dans  la  ville  de  Soissons ,  qu'Egidius, 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  avait  autrefois  occupée. 
Clovis  marchant  contre  lui  avec  son  parent  Ragnacaire  (2), 
qui  était  aussi  en  possession  d'un  royaume,  lui  demanda 
de  fixer  un  champ  de  bataille.  Syagrius  n'éluda  pas  le 
combat,  et  ne  craignit  pas  de  résister  aux  Francs.  Mais 
pendant  la  mêlée,  voyant  son  armée  rompue,  il  lâcha 
pied,  et  d'une  course  précipitée  il  se  réfugia  auprès  du 
roi  Alaric,  à  Toulouse.  Clovis  envoya  dire  à  Alaric  de  lui 
livrer  Syagrius,  s'il  ne  voulait  attirer  la  guerre  sur  lui- 
même.  Alaric  craignant  de  s'exposer,  pour  Syagrius,  à 
la  colère  des  Francs  ,  car  la  crainte  est  naturelle  aux 
Goths,  livra  le  Romain  enchaîné  aux  envoyés  de  Clovis. 
Lorsque  Clovis  l'eut  en  son  pouvoir,  il  le  fit  garder  avec 
soin ,  s'empara  de  son  royaume ,  et  donna  ordre  de  le 
tuer  en  secret.  Dans  le  même  temps  beaucoup  d'églises 
furent  pillées  par  l'armée  de  Clovis,  car  ce  roi  était  encore 
plongé  dans  les  erreurs  de  l'idolâtrie.  Des  soldats  avaient 
enlevé  d'une  église  un  vase  d'une  grandeur  et  d'une  beauté 
Tncrveilleuse,  avec  tous  les  autres  ornemens  du  saint  mi- 


(i)  L'an  481. 

{■?.)  Roi  des  Francs  de  Cambrai.  (Guizot.) 


LIVRE  SECOND.  99 

nistèrc.  L'évêque  (i)  envoya  des  messagers  au  roi,  de- 
mandant que  si  son  église  ne  pouvait  recouvrer  les  autres 
vases,  on  lui  rendît  au  moins  celui-là.  Le  roi  répondant 
à  cette  demande,  dit  à  l'envoyé  :  «  Suis-nous  jusqu'à  Sois- 
«  sons,  car  c'est  là  que  sera  partagé  tout  le  butin  ;  et  si 
«  le  sort  me  donne  ce  vase  (2),  je  ferai  ce  que  l'évêque  me 
«  demande.  »  Lorsqu'on  fut  arrivé  à  Soissons,  tout  le  butin 
ayant  été  mis  en  tas,  le  roi  dit  en  montrant  le  vase  :  «  Je 
«  vous  prie ,  mes  braves  guerriers ,  de  vouloir  bien  m'ac- 
«  corder,  outre  ma  part,  au  moins  le  vase  que  voilà.  »  Les 
plus  sensés  répondirent  à  ces  paroles  :  «Glorieux  roi, 
«  tout  ce  qui  est  ici  est  à  toi,  et  nous-mêmes  nous  sommes 
«  soumis  à  ton  pouvoir;  fais  donc  ce  qui  te  sera  agréable, 
«  car  personne  n'est  assez  fort  pour  te  résister.»  Lorsqu'ils 
eurent  ainsi  parlé,  l'un  des  soldats,  léger,  jaloux  et  vain, 
ayant  levé  sa  hache  à  deux  tranchans,  en  frappa  le  vase, 
en  disant  d'une  voix  haute  :  «  De  tout  ceci  tu  ne  recevras 
«  rien  que  ce  que  la  justice  du  sort  te  donnera.  »  Tous 
restèrent  stupéfaits.  Le  roi  comprima  sa  colère  sous  le 
calme  de  la  patience;  et  ayant  reçu  le  vase,  il  le  rendit 
à  l'envoyé  de  l'évêque,  en  gardant  un  vif  ressentiment  au 


(i)  C'était  saint  Rémi,  évèque  de  Reims,  comme  en  font  foi  Fré- 
dégaire  (cap.  16),  Hincmar,  Fi'odoard,  etc.  (Ruin.) 

(2)  On  s'est  étonné  que  Grégoire  de  Tours  ait  fait  dire  à  Clovis  : 
«  Lorsque  le  sort  m'aura  donné  ce  vase  »  {cumque  rnilii  vas  illud  sors 
dederit).  Comment  Clovis  pouvait-il  savoir,  a-t-on  dit,  que  le  sort  lui 
donnerait  ce  vase?  Et  l'on  est  parti  de  là  pour  infirmer  le  témoignage 
de  l'historien  (Voyez  surtout  Mably,  Observ.  sur  l'Hist.  de  France, 
Remarq.  et  Preuves,  liv.  i,  cliap.  i,  n.  2).  Il  est  évident  que  Clovis 
ne  dit  pas  lorsque  le  sort  m'aura  donné,  mais  si  le  sort  me  donne  ce 
vase.  C'est  ainsi  que  Frédégaire  l'a  entendu  lorsqu'il  a  reproduit  la 
phrase  citée  ci-dessus  de  celte  manière  :  Si  inilii  illud  sors  dcdcril, 
pcUHoncni  tuani  implebo.  (Grog.  Histor.  Epitom.,  cap.  16.) 


100  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

fond  de  son  cœur.  Un  an  après  il  fit  assembler  tonte  Tar- 
mée  en  appareil  militaire  ,  chacun  devant  montrer  au 
Champ-de-Mars  ses  armes  brillantes  et  en  bon  état.  Comme 
il  passait  chaque  soldat  en  revue,  il  vint  à  celui  qui  avait 
fi'appé  le  vase,  et  lui  dit  :  «  Nul  autre  n'a  des  armes  aussi 
«  mal  tenues  que  les  tiennes;  ta  lance,  ton  cpée,ta  hache, 
«  rien  de  tout  cela  n'est  bon.  »  Et  saisissant  la  hache,  il 
la  jette  à  terre.  Le  soldat  s'étant  incliné  pour  la  ramasser, 
le  roi  levant  la  sienne  à  deux  mains,  la  lui  rabattit  sur  la 
tête,  en  disant  :  «  Voilà  ce  que  tu  as  fait  au  vase  à  Sois- 
«  sons.  »  Après  l'avoir  tue,  il  ordonna  aux  autres  de  se 
retirer,  et  inspira  par  cette  action  une  grande  crainte.  Il 
fit  beaucoup  de  guerres  et  remporta  de  nombreuses  vic- 
toires, La  dixième  année  de  son  règne,  il  porta  ses  armes 
chez  les  Thuringiens  (i),  et  les  soumit  à  son  pouvoir. 

XXVIII.  Le  roi  des  Bourguignons  était  Gondeuch,  de 
la  race  du  roi  persécuteur  Athanaric  (2),  dont  nous  avons 
parle  plus  haut.  Il  eut  quatre  fils  :  Gondebaud,  Godegi- 
sèle,  Chilpéric  et  Godomar.  Gondebaud  tua  Chilpéric  son 
frère,  attacha  une  pierre  au  cou  de  la  femme  du  même 
Chilpéric,  et  la  noya,  puis  il  condamna  à  l'exil  ses  deux 
filles,  dont  l'aînée,  qui  prit  l'habit  religieux,  s'appelait 
Chrona  ;  la  plus  jeune ,  Clotilde  (3).  Comme  Clovis  envoyait 


(i)  Voyez  Eclairciss.  et  obseiv.  (Note  s.) 

{'2)  Grégoire  se  trompe,  Gondeuch  n'était  point  de  la  race  d'Atlia- 
naric.  Voyez  sur  ce  dernier,  le  cliap.  4  du  présent  livre.  (Rouq.) 

(3)  Frédégaire  a  beaucoup  amplifié  le  récit  de  Grégoire  de  Tours, 
en  ce  qui  touche  aux  préliminaires  du  mariage  de  Clovis.  (Greg.  Hist. 
EjHt.  cap.  18  et  19).  Sa  narration  a  été  reproduite  par  Roricon, 
Aimoin,  etc.  ;  mais  elle  a  généralement  été  regardée,  parles  écrivains 
muderni's,  comme  peu  digne  de  foi. 


LIVRE  SECOND.  101 

souvent  des  messagers  en  Bourgogne,  ces  messagers  ren- 
contrèrent la  jeune  Clotilde.  Ayant  vu  qu'elle  était  belle 
et  sage,  et  ayant  appris  qu'elle  était  du  sang  royal,  ils 
en  informèrent  le  roi  Clovis.  Celui-ci  envoya  sur-le-champ 
des  députés  à  Gondebaud,  pour  demander  Clotilde  en 
mariage.  Gondebaud  n'osant  refuser,  la  remit  entre  les 
mains  des  envoyés,  qui  la  conduisirent  promptement  au 
roi.  Clovis  l'ayant  vue,  fut  transporté  de  joie,  et  l'é- 
pousa (i).  Il  avait  déjà,  d'une  concubine,  un  fils  nommé 
ïhéodéric. 

XXIX.  Clovis  eut  de  la  reine  Clotilde  un  premier  fds  (2). 
Celle-ci  voulant  faire  baptiser  cet  enfant,  pressait  le  roi  à 
ce  sujet,  en  lui  disant  :  «  I^es  dieux  que  tu  honores  ne 
«sont  rien,  ils  ne  peuvent  rien,  ni  pour  eux-mêmes  ni 
«  pour  les  autres;  car  ils  sont  faits  de  pierre,  de  bois  ou 
«  de  métal.  Les  noms  que  vous  leur  avez  donnés  sont  des 
«  noms  d'hommes,  et  non  pas  de  dieux;  comme  Saturne, 
«  qui,  dit-on,  se  sauva  pour  ne  pas  être  chassé  du  trône 
«  par  son  fils  ;  comme  Jupiter  même ,  qui  s'est  souillé  hon- 
«  teusement  par  toutes  sortes  de  débauches,  qui  s'est  livré 
«  à  un  commerce  infâme  avec  des  hommes,  qui  n'a  pas 
«  craint  de  déshonorer  les  femmes  de  sa  famille,  et  de 
«  vivre  en  concubinage  avec  sa  propre  sœur,  laquelle  se 
«dit  elle-même,  sœur  et  femme  de  Jupiter  (3).  Quel 
«  pouvoir  ont  jamais  eu  Mars  et  Mercure ,  qui  possèdent 
«  plutôt  l'art  de  la  magie  que  la  puissance  divine?  Le 
«Dieu  qu'on  doit  honorer  est  celui  qui,  par  sa  parole. 


(1)  L'ail  493.  (  Bonq.  ) 

(2)  L'an  494.  (liouq.  ) 
(5)  Yirg.,  ^n.,  1. 


102  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  a  crée  de  rien  le  ciel ,  la  terre  et  la  mer,  et  toutes  les 
«  choses  qui  y  sont  contenues;  qui  a  fait  briller  le  soleil^ 
«  a  orné  le  ciel  d'étoiles  ;  a  peuplé  les  eaux  de  pois- 
«sons,  les  terres  d'animaux,  et  les  airs  d'oiseaux;  qui 
«  couvre  à  sa  volonté  les  champs  de  moissons,  les  arbres 
«  de  fruits,  les  vignes  de  raisins;  dont  la  main  a  créé  l'es- 
«  pèce  humaine,  et  dont  la  libéralité  a  voulu  que  toute 
«  créature  rendit  hommage  et  service  à  l'homme,  formé 
«  par  lui.»  Mais  tous  ces  discours  de  la  reine  ne  pouvaient 
attirer  l'esprit  de  Clovis  à  la  foi  ;  il  disait  :  «  C'est  par  la 
«  volonté  de  nos  dieux  que  toutes  choses  sont  créées  et 
«produites;  il  est  clair  au  contraire  que  votre  Dieu  ne 
«  peut  rien.  Il  y  a  plus,  il  est  prouvé  qu'il  n'est  pas  même 
«  de  la  race  des  dieux.  »  Cependant  la  reine  fidèle  pré- 
senta son  fils  au  baptême;  elle  fit  décorer  l'église  de  voiles 
et  de  tentures,  essayant  si  elle  pourrait  plus  facilement 
attirer  à  la  foi  par  cette  pompe  celui  que  n'avaient  pu 
toucher  ses  exhortations.  L'enfant  ayant  été  baptisé  sous 
le  nom  d'Ingomer,  mourut  dans  les  aubes  du  baptême  (f). 
Clovis,  aigri  par  cette  perte,  la  reprochait  souvent  à  la 
reine,  en  disant  :  «  Si  l'enfant  eût  été  consacré  au  nom  de 
«  mes  dieux,  certes  il  vivrait  encore;  mais  comme  il  a  été 
«  baptisé  au  nom  de  votre  Dieu,  il  n'a  pu  vivre.  »  La  reine 
répondait  :  «Je  rends  grâce  au  Dieu  tout-puissant,  créa- 
«  teur  de  toutes  choses,  de  ce  qu'il  ne  m'a  pas  jugée  tout- 
«  à-fait  indigne  de  voir  le  fruit  de  mon  sein  admis  dans 
«  son  royaume.  Cette  perte  n'a  point  affecté  mon  âme  de 


(i)  Ea  général,  on  administrait  le  baptême  la  veille  de  Pâques  :  les 
personnes  qu'on  y  présentait  étaient  vêtues  d'habits  blancs,  qu'elles 
ne  quittaient  que  le  premier  dimanche  après  Pâques,  qui,  à  cause  de 
cela,  était  nommé  dommica  in  albis. 


LIVRE  SECOND.  103 

«  tîouleur,  parce  que  je  sais  que  les  enfaiis  que  Dieu  retire 
«  du  monde  pendant  qu'ils  sont  encore  dans  les  aubes, 
«  doivent  jouir  de  sa  présence,  »  La  reine  eut  ensuite  un 
second  fils  (i) ,  qui  reçut  au  baptême  le  nom  de  Clodomir. 
Cet  enfant  étant  tombé  malade,  le  roi  disait  :  «Il  ne  peut 
«  arriver  à  celui-ci  que  ce  qui  est  arrivé  à  son  frère  :  bap- 
«  tisé  au  nom  de  votre  Christ,  il  doit  mourir  aussitôt  »  ; 
mais  les  prières  de  la  mère  obtinrent  du  Seigneur  la  santé 
de  l'enfant. 

XXX.  Cependant  la  reine  ne  cessait  de  presser  le  roi 
de  reconnaître  le  vrai  Dieu  et  d'abandonner  les  idoles  ; 
mais  rien  ne  pouvait  le  porter  à  cette  croyance,  jusqu'à 
ce  qu'enfin,  une  guerre  s'étant  élevée  contre  les  Alemans, 
il  fut  forcé  par  la  nécessité  de  confesser  ce  que  jusque-là 
il  avait  nié  obstinément.  Les  deux  armées  en  étant  venues 
aux  mains,  combattaient  avec  acharnement,  et  celle  de 
Clovis  allait  être  taillée  en  pièces;  Clovis,  voyant  le  dan- 
ger, leva  les  yeux  au  ciel,  et  d'un  cœur  fervent  dit  en  fon- 
dant en  larmes  :  «  Jésus-Christ,  que  Clotilde  annonce  être 
«  fils  du  Dieu  vivant,  toi  qui  viens,  dit-on,  au  secours  de 
«  ceux  qui  sont  en  danger,  qui  donnes  la  victoire  à  ceux 
«  qui  espèrent  en  toi ,  je  te  demande  avec  dévotion  ton 
«  glorieux  appui.  Si  tu  m'accordes  de  vaincre  ces  enne- 
«  mis,  et  si  j'éprouve  l'effet  de  cette  puissance  que  le  peu- 
«  pie  dévoué  à  ton  nom  publie  avoir  éprouvée,  je  croirai 
«  en  toi ,  et  je  me  ferai  baptiser  en  ton  nom  ;  car  j'ai  in- 
«  voqué  mes  dieux,  mais,  comme  j'en  ai  la  preuve,  ils 
«  m'ont  refusé  leur  appui.  Je  crois  donc  qu'ils  ne  possèdent 
«  aucun  pouvoir,  puisqu'ils  ne  secourent  pas  ceux  qui  les 

(i)  L'au  495.  (  Bou<|.  ) 


104  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

a  servent.  C'est  toi  que  j'invoque  maintenant,  et  c'est  eu 
«  toi  que  je  veux  croire.  Que  j'échappe  seulement  à  mes 
«ennemis!»  Pendant  qu'il  parlait  ainsi,  les  Alemans 
lâchant  le  pied,  commencèrent  à  prendre  la  fuite;  et  lors- 
qu'ils virent  leur  roi  mort,  ils  se  soumirent  à  la  domina- 
tion de  Clovis  en  disant  :  «Cesse,  de  grâce,  de  faire  périr 
«notre  peuple,  car  nous  sommes  à  toi.  »  Clovis  ayant 
arrêté  la  guerre  et  harangué  son  armée,  revint  en  paix, 
et  raconta  à  la  reine  comment,  en  invoquant  le  nom  du 
Christ,  il  avait  obtenu  la  victoire.  Ces  événemens  se  pas- 
sèrent la  quinzième  année  de  son  règne,  (i) 

XXXI.  Alors  la  reine  manda  en  secret  saint  Rémi, 
évêque  de  Reims,  le  priant  de  faire  pénétrer  dans  le  cœur 
du  roi  la  parole  du  salut.  Le  pontife  s'étant  mis  en  relation 
avec  Clovis,  l'amena  peu  à  peu,  et  secrètement,  à  croire  au 
vrai  Dieu,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  et  à  renoncer  aux 
idoles,  qui  ne  peuvent  être  d'aucun  secours  ni  à  lui  ni  à 
personne.  Clovis  lui  dit  :  «Très  saint  père,  je  t'écouterai 
«  volontiers;  mais  il  y  a  une  difficulté,  c'est  que  le  peuple 
«  qui  me  suit  ne  veut  point  abandonner  ses  dieux.  Toutefois, 
«  je  vais  lui  parler  dans  le  sens  de  tes  paroles.  »  11  vint 
donc  au  milieu  des  siens;  mais  la  puissance  divine  était  déjà 
intervenue,  et  avant  même  qu'il  eût  ouvert  la  bouche, 
le  peuple  s'écria  tout  d'une  voix  :  «Pieux  roi,  nous  reje- 
«  tons  les  dieux  mortels,  et  nous  sommes  prêts  à  servir 
«  le  Dieu  dont  saint  Rémi  prêche  l'immortalité.  »  Cette 
nouvelle  est  portée  à  révêque,qui,  comblé  de  joie,  donne 
ordre  de  préparer  les  fonts  sacrés.  Des  toiles  peintes  om- 
bragent les  rues,  les  églises  sont  ornées  de  tentures,  on 

(i)  L'au  496.  (Ruin.  ) 


LIVRE  SECOND.  105 

dispose  le  baptistère  ,  des  nuages  de  parfums  s'élèvent , 
des  cierges  odoriférans  brillent  de  toute  part,  tout  le 
temple  du  baptistère  se  remplit  d'une  odeur  divine  (i); 
et  Dieu  accorda  une  telle  grâce  aux  assistans ,  qu'ils  se 
crurent  transportés  au  milieu  des  parfums  du  paradis.  Le 
roi  demanda  le  premier  le  baptême  au  pontife.  Nouveau 
Constantin,  il  s'avance  vers  le  bain  qui  doit  enlever  la 
lèpre  invétérée  qui  le  couvrait;  il  vient  laver  dans  une  eau 
nouvelle  les  taches  hideuses  de  sa  vie  passée.  Comme  il 
s'avançait  vers  le  baptême ,  le  saint  de  Dieu  lui  dit  de  sa 
bouche  éloquente  :  «  Courbe  humblement  ta  tête ,  Sicam- 
«  bre;  adore  ce  que  tu  as  brûlé,  brûle  ce  que  tu  as  adoré.  » 
Saint  Rémi  était  un  évêque  de  la  plus  grande  science, 
connaissant  parfaitement  la  rhétorique  (2),  et  si  célèbre 
par  sa  sainteté,  qu'on  l'égalait  en  vertu  à  saint  Silvestre. 
Nous  avons  encore  aujourd'hui  un  livre  de  sa  vie,  où  il 
est  dit  qu'il  ressuscita  un  mort.  Le  roi  ayant  donc  con- 


(i)  Ce  que  dit  ici  Grégoire  de  Tours  des  cérémonies  qui  accompa- 
gnèrent le  baptême  de  Clovis,  ce  lieu  rempli  d'une  odeur  divine,  ces 
assistans  qui ,  par  la  grâce  de  Dieu ,  se  croient  transportés  dans  le 
paradis ,  tout  cela  a  peut-être  été  la  source  de  la  fable  imaginée  par 
Hincmar,  et  répétée  par  les  écrivains  postérieurs ,  que  dans  cette 
occasion  l'huile  sainte  fut  apportée  du  ciel  dans  une  fiole  par  une 
colombe.  On  a  dit  que  les  Ccnturiatcurs  de  Magdoboiu-g  avaient  vu 
un  manuscrit  de  notre  historien  où  il  était  question  de  cette  fiole, 
manuscrit  qui  avait  été  détruit  depuis  par  les  religionnaires;  mais  il 
est  plus  probable,  comme  le  fait  remarquer  D.  Ruinart,  qu'ils  ont  eu 
entre  les  mains,  au  lieu  de  Jtiistoire  de  Grégoire  de  Tours,  le  livre 
de  Gcslis  Francnrum ,  que  quelques  manuscrits  attribuent  à  notre 
auteur,  et  dans  lequel  cette  histoire  se  trouve  rapportée.  D.  Ruinart 
indique  un  de  ces  manuscrits. 

(2)  Voyez  Sidon.  Apoll.,  lib.  ix,  epist.  7.  Voyez  aussi  ce  que  dit 
Avitus,  Collât,  episc.  cnrain  rcgc  Gundobadu.  Il  ne  reste  de  ses  écrits 
que  quelques  lettres.  (Ruin.) 


106  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

fessé  un  Dieu  tout-puissant  dans  la  Trinité,  fut  baptisé 
au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  et  fut  oint 
du  saint-chrême  avec  le  signe  de  la  croix.  Plus  de  trois 
mille  hommes  de  son  armée  furent  également  baptisés, 
de  même  que  sa  sœur  Alboflède,  qui,  peu  de  temps  après, 
s'en  alla  vers  le  Seigneur;  et  comme  le  roi  était  attristé 
par  sa  mort,  saint  Rémi  lui  adressa  une  lettre  de  conso- 
lation, qui  commençait  ainsi  (i)  :  «Je  suis  affligé  et  très 
«  affligé  du  sujet  qui  cause  votre  tristesse,  la  mort  de  votre 
«  sœur  Alboflède ,  de  bonne  mémoire.  Mais  ce  qui  peut 
«  nous  consoler,  c'est  qu'elle  est  sortie  de  ce  monde  plutôt 
«  digne  d'envie  que  de  pleurs.»  Une  autre  sœur  de  Clovis, 
nommée  Lantechilde ,  qui  était  tombée  dans  l'hérésie  des 
Ariens,  se  convertit  aussi,  confessa  le  Fils  et  le  Saint- 
Esprit  égaux  au  Père,  et  reçut  le  saint-chrême. 

XXXII.  Dans  ce  temps  deux  frères ,  Gondebaud  et 
Godégisèle,  régnaient  sur  les  pays  qui  s'étendent  le  long 
du  Rhône  et  de  la  Saône ,  et  dans  la  province  de  Mar- 
seille (2);  ils  adhéraient,  ainsi  que  leurs  peuples,  à  la 

(i)  Cette  lettre  est  rapportée  en  entier  par  D.  Ruinart  dans  son 
Appendice  aux  OEuvres  de  Grégoire  de  Tours. 

(2)  La  province  de  Marseille  renfermait,  entre  autres  villes,  Marseille, 
Avignon,  Alx.  Elle  avait  été  enlevée  aux  Ostrogoths  par  les  Bourgui- 
gnons. Aussi  les  Ostrogoths  étaient-ils  alors  en  guerre  avec  les  rois 
bourguignons,  qui  avaient  ainsi  à  se  défendre  à  la  fois  et  contre  les 
Fi-ancs  et  contre  les  Ostrogoths.  Procope,  qui  complète  à  cet  égard 
le  récit  de  Grégoire  de  Tours,  nous  apprend  en  eflet  que  ces  deux 
derniers  peuples  avaient  fait,  l'an  499»  "i  traité  d'alliance,  mais  que 
les  Ostrogoths  ne  furent  guère  que  spectateurs  dans  la  guerre  qui 
eut  lieu,  l'an  5oo,  entre  les  Francs  et  les  Bourguignons.  {Procnp., 
(le  Belln  Gnlhic.,  lib.  i.  Ap.  D.  Bouq.,  tom.  II,  pag.  5i  et  52.) 

Du  reste,  Clovis  pouvait  avoir  aussi  un  motif  personnel  pour  se 
venger,  ou  du  moins  pour  venger  la  reine  Clotilde  de  Gondebaud. 
Voyez  ci-dessous,  liv.  m,  ch.  G. 


LIVRE  SECOND.  107 

secte  des  Ariens.  Comme  ces  deux  frères  se  faisaient  la 
guerre  (i),  Godégisèle  ayant  appris  les  victoires  du  roi 
Clovis,  lui  envoya  secrètement  des  députés  pour  lui  dire  : 
«  Si  tu  m'aides  à  poursuivre  mon  frère ,  de  manière  que 
«  je  puisse  le  tuer  à  la  guerre  ou  le  chasser  du  royaume, 
«  je  te  paierai  chaque  année  le  tribut  que  tu  voudras  toi- 
«  même  fixer.»  Clovis  acceptant  l'offre  volontiers,  promit 
de  fournir  du  secours  partout  où  il  serait  nécessaire  ;  et  au 
temps  marqué,  il  dirigea  une  armée  contre  Gondcbaud. 
A  cette  nouvelle,  celui-ci  ignorant  l'artifice  de  son  frère, 
lui  envoya  dire  :  «  Viens  à  mon  aide,  car  les  Francs  raar- 
«  chent  contre  nous ,  et  envahissent  notre  pays  pour  s'en 
«  rendre  maîtres.  Réunissons-nous  donc  tous  contre  cette 
«nation  ennemie,  de  peur  qu'en  nous  séparant,  nous 
«  n'éprouvions  le  sort  qu'ont  éprouvé  les  autres  peuples.  » 
Godégisèle  répondit  :  «  J'irai  à  ton  secours  avec  mon  ar- 
«  mée.  »  Les  trois  rois  mettant  en  même  temps  leurs  forces 
en  mouvement,  c'est-à-dire  Clovis  marchant  contre  Gon- 
debaud  et  Godégisèle,  ils  arrivèrent  avec  tout  leur  appa- 
reil de  guerre  sous  les  remparts  de  Dijon;  et  en  étant 
venus  aux  mains  près  de  la  rivière  d'Ouche  (2),  Godégisèle 
se  réunit  à  Clovis,  et  leurs  armées  combinées  écrasèrent 
celle  de  Gondebaud.  Ce  dernier  reconnaissant  la  perfidie 
de  son  frère,  qu'il  n'avait  pas  soupçonnée,  tourna  le  dos, 
prit  la  fuite,  et  suivant  les  rives  et  les  marais  du  Rhône, 
se  jeta  dans  la  ville  d'Avignon.  Après  avoir  ainsi  remporté 
la  victoire,  Godégisèle  promit  à  Clovis  une  partie  de  ses 
états,  et  s'éloigna  tranquillement  ;  puis  il  entra  dans  Vienne 


(i)  L'an  5oo.  (Bouq.) 

(2)  Marius  dit  que  cette  bataille  eut  lieu  sous  le  consulat  de  Patricius 
et  Hypatius,  c'est-à-dire  l'an  5oo.  (Ruin.) 


108  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

en  triomphe,  comme  s'il  eût  été  déjà  possesseur  de  tout  le 
royaume.  Le  roi  Clovis,  ayant  encore  accru  ses  forces,  se 
mit  à  la  poursuite  de  Gondehaud,  afin  de  l'arracher  d'Avi- 
gnon et  de  le  faire  périr.  Gondebaud  alors,  frappé  d'épou- 
vante, se  crut  menacé  d'une  mort  soudaine  :  mais  il  avait 
près  de  lui  Aridius  (i),  homme  illustre,  aussi  remar- 
quable par  son  courage  que  par  sa  prudence  ;  il  le  fit 
venir,  et  lui  dit  :  «  De  toutes  parts  je  suis  entouré  d'em- 
«  bûches;  que  dois-je  faire?  je  l'ignore;  car  ces  barbares 
«  viennent  sur  nous  pour  nous  tuer  et  pour  ravager  en- 
«  suite  tout  le  pays.  »  Aridius  répondit  :  «Pour  éviter  la 
«  mort ,  il  faut  que  tu  apaises  la  férocité  de  cet  homme. 
«  Maintenant,  si  cela  te  plaît,  je  feindrai  de  te  fuir  et  de 
«  passer  de  son  côté;  et  dès  que  je  serai  près  de  lui, 
«  j'agirai  de  manière  qu'il  ne  ruine  ni  toi  ni  ce  pays.  Aie 
«  soin  seulement  de  faire  tout  ce  qu'il  te  demandera, 
«  d'après  mes  conseils,  jusqu'à  ce  que  le  Seigneur,  dans 
«  sa  bonté,  daigne  faire  triompher  ta  cause,  w  Le  roi  ré- 
pondit :  «  Je  ferai  tout  ce  que  tu  auras  mandé.  »  Aridius, 
après  cette  réponse ,  prit  congé  de  Gondebaud ,  s'éloi- 
gna, et  venant  vers  Clovis,  il  lui  dit  :  «  Roi  très  pieux, 
«  je  suis  un  humble  esclave  qui  abandonne  le  misérable 
«  Gondebaud  pour  venir  s'offrir  à  ta  puissance.  Que  si 
«  ta  bonté  daigne  jeter  un  regard  sur  moi,  vous  aurez 
«  dans  ma  personne,  toi  et  ta  postérité,  un  serviteur  in- 
«  tègre  et  fidèle.  »  Le  roi ,  l'ayant  accueilli  avec  cmpres- 
sen:ient,  le  retint  près  de  lui;  car  il  était  agréable  dans 


(i)  C'est  probablement  le  même  dont  il  est  question  dans  le  récit 
des  Controverses  agitées  par  des  évoques  catholiques  et  ariens  en  pré- 
sence du  roi  Gondebaud  et  des  principaux  Bourguignons  (  Collât, 
episc.  cornni  rcp;e  Gundobado).  Voyez  à  ce  sujet  le  ch.  54  ci-dessous, 
et  VEpilomc  de  Ftédc{i,airc ,  ch.  i8.  (Ruiu.) 


LIVRE  SECOND.  109 

ses  récits,  sage  dans  ses  conseils,  juste  dans  ses  juge- 
mens  et  fidèle  dans  ce  qu'on  lui  confiait.  Enfin  Clovis, 
étant  établi  avec  toute  son  armée  autour  des  murs  de  la 
ville,  Aridius  lui  dit  :  «O  roi!  quoique  tu  n'aies  pas  be- 
fc  soin  de  conseil ,  si  la  gloire  de  ta  grandeur  daignait 
«  accueillir  les  humbles  avis  de  ma  faiblesse,  je  te  les 
«  soumettrais  cependant  avec  une  entière  fidélité,  et  ils 
«  pourraient  être  utiles  ou  à  toi-même  ou  aux  cités  par 
«  lesquelles  tu  te  proposes  de  passer.  Pourquoi ,  conti- 
«  nua-t-il,  conserver  une  armée  quand  ton  ennemi  se  tient 
«  dans  un  lieu  très  fortifié?  Tu  ruines  les  champs,  tu 
«  saccages  les  prés,  tu  coupes  les  vignes,  tu  abats  les 
«  oliviers ,  tu  détruis  enfin  toutes  les  récoltes  du  pays ,  et 
«  cependant  tu  ne  peux  nuire  à  ton  adversaire.  Envoie- 
«  lui  plutôt  des  députés,  et  impose-lui  un  tribut  annuel; 
«  de  cette  manière  le  pays  sera  épargné ,  et  tu  conser- 
<(  veras  tout  pouvoir  sur  ton  tributaire.  Si  Gondebaud 
a  refuse ,  alors  tu  feras  ce  que  tu  as  résolu.  »  Le  roi , 
ayant  goûté  ce  conseil,  licencia  son  armée;  et  envoyant  à 
Gondebaud  des  députés,  il  lui  ordonna  de  lui  payer, 
chaque  année,  un  tribut  déterminé.  Celui-ci  paya  sur- 
le-champ  ,  et  promit  de  payer  de  même  à  l'avenir. 

XXXIII.  Lorsque,  plus  tard,  Gondebaud  eut  réparé 
ses  forces,  il  négligea  de  payer  au  roi  Clovis  le  tribut 
promis  ,  fit  marcher  une  armée  contre  son  frère  Godégi- 
sèle,  et  l'assiégea  dans  la  ville  de  Vienne.  Dès  que  les 
vivres  commencèrent  à  manquer  au  bas  peuple,  Godégi- 
sèle,  craignant  que  la  disette  ne  s'étendît  jusqu'à  lui,  fit 
expulser  de  la  place  tous  les  pauvres  gens,  parmi  Ies({uels 
se  trouva  l'ouvrier  à  qui  était  confié  le  soin  des  aqueducs. 
Celui-ci,  indigné  d'avoir  été  rejeté  de  la  ville  avec  les 


110  HISTOTRE  DES  FRANCS, 

autres,  alla  ,  tout  furieux,  trouver  Gondcbaud,  et  lui  in- 
diqua comment  il  pouvait  pénétrer  dans  les  murs  et  se 
venger  de  son  frère;  lui-même  il  dirigea  par  l'aquéduc  des 
troupes  qu'il  fit  précéder  de  plusieurs  hommes  armés  de 
leviers  de  fer,  parce  que  le  soupirail  était  bouché  par  une 
grosse  pierre.  Cette  pierre  ayant  été  soulevée  avec  les 
leviers  sous  la  direction  de  l'ouvrier  lui-même,  tous  se 
précipitèrent  dans  la  place,  et  surprirent  par-derrière  les 
assiégés,  occupés  à  lancer  des  flèches  du  haut  des  murs; 
puis  ayant  fait  sonner  la  trompette  au  milieu  de  la  ville, 
les  assiégeans  s'emparent  des  portes,  les  ouvrent,  et  en- 
trent tous  à  la  fois.  Comme  les  assiégés ,  pressés  des  deux 
côtés,  étaient  taillés  en  pièces  par  les  deux  armées,  Go- 
dégisèle  se  réfugia  dans  l'église  des  hérétiques ,  où  il  fut 
tué  avec  l'évêque  arien  :  les  Francs  qui  se  trouvaient 
alors  avec  lui  se  retirèrent  tous  dans  une  même  tour. 
Gondebaud  ordonna  qu'on  ne  fît  de  mal  à  aucun  d'eux  ; 
mais  lorsqu'il  s'en  fut  rendu  maître,  il  les  envoya  en  exil, 
à  Toulouse,  auprès  du  roi  Alaric,  après  avoir  fait  périr  les 
sénateurs  et  les  Bourguignons  du  parti  de  Godégisèle; 
puis  il  ramena  sous  sa  domination  tout  le  pays  qu'on 
nomme  aujourd'hui  la  Bourgogne  (i).  Il  rendit  plus 
douces  les  lois  des  Bourguignons,  ne  voulant  pas  qu'elles 
fussent  oppressives  pour  les  Romains.  (2) 

XXXIV.  Gondebaud  ayant  reconnu  tout  le  vide  des 
dogmes  des  hérétiques,  et  confessé  le  Christ  Fils  de  Dieu 
et  le  Saint-Esprit  égaux  au  Père  (3),  demanda  en  secret 

(i)  Le  royaume  de  Bourgogne  s'étendait  depuis  les  Vosges  jusqu'à 
la  Durance,  et  depuis  les  Alpes  jusqu'à  la  Loire. 
(2)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (  Note  t.  ) 
(5)  l^ans  la  Conférence  tenue  par  les  évoques   catholiques  et  les 


LIVRE  SECOND.  111 

le  baptême  à  saint  Avit,  évoque  de  Vienne.  Le  pontife 
lui  dit:  «  Si  tu  crois  réellement,  tu  dois  suivre  ce  que  le 
«  Seigneur  lui-même  nous  a  enseigné  ;  il  a  dit  :  Celui  qui 
«  me  confessera  et  me  reconnaîtra  devant  les  hommes , 
«y«?  le  reconnaîtrai  et  confesserai  aussi  moi-même  de- 
«  vant  mon  Père,  qui  est  dans  les  deux;  mais  celui  qui 
«  me  renoncera  devant  les  hommes ,  je  le  renoncerai 
«  aussi  moi-même  devant  mon  Père,  qui  est  dans  les 
«  deux  (i).  C'est  ce  que  le  Seigneur  fît  entendre  à  ses 
«  saints   chéris    et  bienheureux  apôtres ,   lorsqu'il    leur 
<c  annonça  par   quelles   persécutions  on    les   mettrait  à 
«  l'épreuve,  en  leur  disant  :  Donnez-vous  de  garde  des 
«  hommes;  car  ils  vous  front  comparaître  dans  leurs 
«  assemblées ,   et  ils  vous  feront  fouetter  dans   leurs 
«  synagogues;  et  vous  serez  présentés  y  a  cause  de  moi, 
«  aux  gouverneurs  et  aux  rois  pour  leur  servir  de  té- 
«  moignage  aussi-bien  qu'aux  nations  (2).  Mais  toi,  qui 
«  es  roi  et  qui  ne  crains  pas  qu'on  te  saisisse,  tu  redoutes 
«  donc  la  révolte  du  peuple,  puisque  tu  n'oses  confesser 
«  publiquement  le  Créateur.  Abandonne  cette  pensée  dé- 
«  raisonnable,  et  ce  que  tu  dis  croire  au  fond  du  cœur,  ose 
fi  le  déclarer  devant  le  peuple;  car,  suivant  le  bienheureux 
«  apôtre  :  Il  fait  croire  de  cœur  pour  être  justifié ,  et 
«  confesser  sa  foi  par  ses  paroles  pour  être  sauvé  (3).  Le 
«  Prophète  aussi  a  dit  :  Je  publierai  vos  louanges ,  Sei— 


Ariens,  en  présence  du  roi  Gondebaud  et  des  principaux  Bourgui- 
gnons, si  l'on  en  croit  D.  Ruinart;  mais  la  pièce  qui  relate  cette 
Conférence  ne  justifie  pas  ce  que  dit  ici  Grégoire  de  Tours.  Voyez  la 
lettre  II  d'Avit  à  Gondebaud. 


(i)  Saint  Matth.,  cbap.  lo,  vers.  02  et  55, 

(2)  Saint  Matth.,  cbap.  10,  vers.  17. 

(5)  Saint  Paul  aux  Rom.,  cliap.  10,  vers.  10. 


112  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  g/ieiir,  clans  une  grande  assemblée  ;  je  vous  louerai 
«  au  milieu  d' un  peuple  très  nombreux  (i).  Et  encore  : 
c  Je  vous  louerai.  Seigneur ^  au  milieu  des  peuples,  et  je 
«  chanterai  votre  gloire  varmi  les  nations  {lî).  Tu  re- 
«  doutes  le  peuple,  6  roi!  Ignores-tu  donc  que  c'est  plu- 
«  tôt  au  peuple  de  suivre  ta  foi,  qu'à  toi  de  favoriser 
«  rimbécillité  populaire?  car  c'est  toi  qui  es  le  chef  du 
«  peuple,  et  non  pas  le  peuple  qui  est  ton  chef.  Si  tu  vas 
«  à  la  guerre,  c'est  toi  qui  précèdes  la  fovde  des  soldats; 
«  ce  sont  eux  qui  te  suivent  où  tu  les  mènes.  D'où  il  rë- 
«  suite  qu'il  vaut  mieux  pour  toi  les  conduire  toi-même 
«  à  la  connaissance  de  la  vérité  que  de  périr  en  les  lais- 
«  sant  dans  l'erreur;  car  on  ne  se  joue  pas  de  Dieu  (3), 
«  et  il  ne  donne  pas  son  amour  à  celui  qui ,  pour  un 
«royaume  terrestre,  refuse  de  le  confesser  dans  ce 
a  monde.  »  Quoique  confondu  par  ces  raisons,  Gonde- 
baud  n'en  persista  pas  moins  dans  son  hérésie  jusqu'à  la 
fin  de  ses  jours,  et  refusa  constamment  de  confesser  pu- 
bliquement l'égalité  des  trois  personnes  de  la  Trinité.  Le 
bienheureux  Avit  était  alors  un  homme  d'une  grande 
éloquence  ;  aussi  la  ville  de  Constantinople  ayant  vu  naître 
les  hérésies  d'Eutichès  et  de  Sabellius,  qui  soutenaient 
que  notre  Seigneur  Jésus-Christ  n'avait  rien  de  divin  (4), 
il  écrivit,  à  la  demande  du  roi  Gondebaud ,  contre  ces 
coupables  erreurs.  Il  nous  reste  encore  de  lui  des  Let- 
tres admirables  qui ,  après  avoir  alors  confondu  l'héré- 
sie, édifient  aujourd'hui  l'Église  de  Dieu.  Il  écrivit  un 


(i)  Psaiim.  54,  vers.  18. 

(2)  Psaum.  S^y  vers.  9. 

(5)  Saint  Paul  aux  Galat.,  cli.  6,  vers.  y. 

(4)  Voyez  Eclairciss.  et  obscrv.  (JNote  u.) 


LIVRE  SECOND.  113 

îivre  d'Homélies  sur  l'origine  du  inonde ,  six  livres  en 
vers  sur  plusieurs  autres  sujets,  et  neuf  livres  de  Lettres, 
parmi  lesquelles  se  trouvent  celles  dont  on  vient  de  par- 
ler; il  rapporte,  dans  une  homélie  qu'il  composa  sur  les 
Rogations,  que  ces  solennités,  que  nous  célébrons  avant 
l'Ascension  dominicale,  furent  instituées  par  Mamert, 
évêque  de  la  ville  de  Vienne  (i),  dont  il  occupait  lui- 
môme  alors  la  chaire  pontificale,  à  l'occasion  d'un  grand 
nombre  de  prodiges  qui  épouvantèrent  cette  ville.  Elle  était 
fréqueujment  ébranlée  par  des  tremblemens  de  terre;  et  des 
bêles  fauves,  telles  que  des  cerfs  et  des  loups,  franchissant 
ses  portes,  parcouraient  ses  rues  sans  crainte.  Les  choses 
durèrent  ainsi  pendant  toute  une  année ,  et  lorsque  arriva 
la  fête  solennelle  de  Pâques ,  le  peuple ,  confiant  dans  la 
miséricorde  divine,  espérait  que  ce  grand  jour  mettrait 
enfin  un  terme  à  cette  effrayante  calamité  ;  mais  dans  la 
vigile  même  de  cette  glorieuse  nuit,  pendant  qu'on  célé- 
brait les  cérémonies  de  la  messe,  tout  à  coup  le  palais 
royal ,  situé  dans  l'enceinte  des  murs ,  fut  embrasé  par  le 
feu  du  ciel  ;  chacun  alors ,  saisi  de  terreur,  se  précipita 
hors  de  l'église,  craignant  ou  que  la  ville  entière  ne  fût 
consumée  par  cet  incendie,  ou  que  la  terre  ne  vînt  à 
s'entrouvrir.  Pendant  ce  temps,  le  saint  évêque,  prosterné 
devant  l'autel,  implorait  par  ses  pleurs  et  ses  gémissemens 
la  miséricorde  divine.  Que  dirai-je  de  plus?  La  prière  de 
l'illustre  évêque  pénétra  jusqu'au  ciel ,  et  les  larmes  qu'il 
répandit  à  torrens  éteignirent  l'incendie  du  palais.  Pendant 
que  ces  choses  se  passaient,  le  jour  de  l'Ascension  du  Sei- 


(i)  Sidoiae  (v,  i4,  et  vu,  i),  Césaire  d'Arles  {Homilia  55),  et  plu- 
sieurs autres  portent  le  même  témoignage.  Yoyez  aussi  le  i"^  concil, 
d'Orléans,  can.  '27. 

I.  « 


114  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

gneur  s'approchant ,  comme  nous  l'avons  dit,  le  pontife 
prescrivit  un  jeûne  aux  peuples;  il  régla  la  forme  des 
prières,  l'ordre  des  repas,  et  les  rites  joyeux  de  cette  fctc. 
Tous  les  sujets  de  terreur  s'étant  dès  lors  dissipés,  le  bruit 
de  cet  événement ,  en  se  répandant  dans  toutes  les  pro- 
vinces, engagea  tous  les  évêques  à  imiter  ce  que  la  foi 
avait  inspiré  à  l'un  d'entre  eux.  Ces  solennités  ont  été 
jusqu'à  présent  célébrées  dans  toutes  les  églises,  au  nom  du 
Christ,  avec  componction  de  cœur  et  contrition  d'esprit. 

XXXV.  Alaric,  roi  des  Goths,  voyant  les  conquêtes 
continuelles  du  roi  Clovis,  lui  envoya  dire  par  des  députés  : 
«  Si  mon  frère  y  consentait,  j'aurais,  suivant  mon  désir 
«  et  par  la  faveur  de  Dieu,  une  entrevue  avec  lui  «  (i). 
Clovis  ne  refusa  pas,  et  il  alla  vers  Alaric.  Les  deux  rois  se 
réunirent  dans  une  île  de  la  Loire,  près  du  bourg  d'Am- 
bolse,  sur  le  territoire  de  la  cité  de  Tours ,  s'entretinrent, 
mangèrent  et  burent  ensemble  ;  puis ,  s'étant  promis  ami- 
tié, ils  se  retirèrent  paisiblement. 

XXXVL  Un  grand  nombre  d'entre  les  liabitans  des 
Gaules  désiraient  alors  avec  ardeur  de  vivre  sous  la  domi- 
nation  des  Francs  (2).  H  arriva  de  là  que  l'évêque  de 


(i)  Yoyez  sur  ce  chapitre  Eclairciss.  et  observ.  (Note  v.) 
(2)  Dans  les  plus  anciens  mannscrits  de  Grégoire  de  Tours,  la 
première  phrase  de  ce  chapitre  existe  seule  et  elle  termine  le  chapitre 
précédent.  Le  surplus,  que  donnçnt  les  manuscrits  plus  récens,  paraît 
donc  être  une  interpolation,  quoi  qu'en  ait  dit  D.  Ruinart  dans  sa 
pi'éface  aux  œuvres  de  Grégoire  de  Tours  ;  et  les  faits  qui  s'y  trouvent 
consignés  tendraient  à  le  prouver.  Had.  de  Valois  a  prétendu  en  effet 
que  Quintien  ne  fut  chassé  de  son  siège  qu'après  la  mort  de  Clovis, 
et  le  père  Pagi  appuie  le  sentiment  de  Yalois.  11  faut  dire  toutefois 
que  l'abhé  Dubos  a  voulu  tout  concilier  en  supposant  que  Quintien 
fut  deux  fois  exilé  de  la  ville. 


LIVRE  SECOND.  ^15 

Rodez ,  Quintien ,  haï  pour  ce  sujet,  fut  chassé  de  la  ville; 
ou  lui  reprochait  de  faire  des  vœux  pour  la  domination 
des  Francs,  Peu  de  jours  après,  une  querelle  s'étant  élevée 
entre  lui  et  les  citoyens,  et  ceux-ci  lui  reprochant  de  vou- 
loir se  soumettre  aux  Francs,  les  Goths  qui  habitaient  la 
ville  conçurent  des  soupçons ,  se  concertèrent ,  et  for- 
mèrent le  dessein  de  le  tuer  ;  mais  l'homme  de  Dieu  en 
ayant  été  averti,  se  leva  pendant  la  nuit  avec  ses  plus 
fidèles  serviteurs,  et,  sortant  de  la  ville,  se  rendit  à  Cler- 
mont,  où  le  reçut  avec  bonté  l'évêque  saint  Euphraise , 
qui  avait  succédé  à  Apruncule  de  Dijon.  Cet  évêque  lui 
donna  des  maisons,  des  terres,  des  vignes,  et  le  retint 
près  de  lui,  en  lui  disant  :  «  Le  bien  de  cette  église  suffit 
«  pour  nous  entretenir  tous  les  deux;  que  la  charité,  que 
«  prêche  le  saint  apôtre ,  se  conserve  au  moins  parmi  les 
«  prêtres  de  Dieu.  »  L'évêque  de  Lyon  lui  fit  don  aussi 
de  quelques  biens  que  son  église  possédait  en  Auvergne. 
Les  autres  faits  relatifs  à  saint  Quintien,  les  épreuves 
qu'il  eut  à  supporter,  comme  les  actions  que  le  Seigneur 
daigna  accomplir  par  ses  mains,  sont  rapportés  dans  le 
livre  de  sa  Vie.  (i) 

XXXVn.  Le  roi  Clovis  dit  donc  aux  siens  (2)  :  «  Je 
«  stipportc  avec  grand'peine  que  ces  Ariens  occupent 
«  une  partie  des  Gaules;  marchons  avec  l'aide  de  Dieu, 
«  et  après  les  avoir  vaincus,  soumettons  le  pays  à  notre 
«domination.  »  Ce  langage  ayant  plu  à  toute  l'armée, 
elle  se  mit  en  marche  et  se  dirigea  sur  Poitiers,  car  c'est 
là  que  résidait  alors  Alaric;  et  comme  une  partie  de  cette 


(i)  Chap.  4  «Itis  Fies  des  Pères.  (Ruin.) 
(■i)  L'an  507,  (Bouq.) 


116  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

troupe  traversait  le  territoire  de  Tours,  Clovis  défendit, 
par  respect  pour  saint  Martin  ,  de  prendre  dans  ce  pays 
autre  chose  que  des  herbages  et  de  l'eau.  Un  liomnie  de 
l'armée,  ayant  trouvé  du  foin  appartenant  à  un  pauvre 
homme,  dit  :  u  Le  roi  ne  nous  a-t-il  pas  ordonné  de  ne 
<c  prendre  rien  autre  chose  que  de  î'herbe  ;  ceci  est  de 
«  l'herbe,  ajouta-t-il,  nous  ne  violons  donc  pas  ses  ordres 
cf  si  nous  le  prenons.  »  Et  en  même  temps,  faisant  vio- 
lence au  pauvre,  il  lui  enleva  son  foin.  Ce  fait  vint  à  la 
connaissance  du  roi ,  qui  à  l'instant  même  tua  le  soldat  d'un 
coup  d'épée ,  en  disant  :  «  Où  sera  donc  l'espoir  de  la  vic- 
«  toire,  si  nous  offensons  saint  Martin?»  Dès  lors  l'armée 
s'abstint  de  rien  enlever  dans  ce  pays  (i).  Le  roi  envoya 
des  députés  à  la  basilique  du  saint,  en  leur  disant  :  «  Allez, 
«  et  peut-être  recevrez-vous  dans  la  sainte  basilique  quel- 
«  ques  présages  de  victoire.  »  Puis  leur  ayant  remis  des 
présens  pour  le  saint  lieu,  il  ajouta  :  «  Seigneur,  si  tu 
a  m'es  en  aide,  et  si  tu  as  résolu  de  livrer  en  mes  mains 
«cette  nation  incrédule  et  toujours  ton  ennemie,  fais- 
«  moi  la  grâce  de  me  révéler,  à  leur  entrée  dans  la  basi- 
«  lique  de  saint  Martin ,  si  tu  daignes  être  favorable  à  ton 
«  serviteur.  »  Les  envoyés  se  rendirent  en  grande  hâte  à 
la  basilique  ;  comme  ils  y  entraient,  suivant  l'ordre  du 
roi ,  le  primicier  entonna  tout  à  coup  cetîe  antienne  : 
«  Seigneur,  vous  in  avez  revêtu  de Jbrce  pour  la  guerre , 
et  vous  avez  abattu  sous  moi  ceux  qui  s' élevaient  contre 
moi;  vous  avez  fait  tourner  le  dos  a  mes  ennemis  devant 
moi  y  et  vous  avez  exterminé  ceux  qui  me  Jiaïssaient  »  (2). 


(i)  On  lit  dans  M.  Guizot  :  «  Ce  fut  assez  pour  empêcher  l'ai  niée 
«  de  rien  prendre  dans  ce  pays.  » 

(9.)  Psaume  17,  vers.  Bg  et  40. 


LIVRE  SECOND.  117 

Les  envoyés,  ayant  entendu  ces  paroles  d'un  psaume ,  ren- 
dirent grâce  à  Dieu ,  présentèrent  leurs  offrandes  au  saint 
Confesseur,  et  vinrent  pleins  de  joie  rapporter  au  roi  ce 
présage.  Lorsque  Clovis  fut  arrivé  avec  son  armée  sur 
les  bords  de  la  Vienne,  il  ne  savait  en  quel  endroit  il 
devait  traverser  ce  fleuve,  que  l'abondance  des  pluies 
avait  enflé;  mais,  pendant  la  nuit,  il  pria  le  Seigneur  de 
lui  indiquer  un  passage;  et  au  lever  du  jour  une  biche 
d'une  grandeur  extraordinaire  se  présenta  devant  l'armée 
par  l'ordre  de  Dieu,  puis  entra  dans  le  fleuve,  qu'elle  tra- 
versa à  gué ,  en  montrant  ainsi  par  où  l'on  devait  passer. 
Pendant  que  le  roi,  arrivé  près  de  Poitiers,  se  tenait  au 
loin  dans  sa  tente ,  il  aperçut  un  feu  qui ,  sorti  de  la  basi- 
lique de  saint  Hilaire ,  lui  sembla  se  diriger  au-dessus  de 
lui ,  afin  qu'aidé  de  la  lumière  du  saint  confesseur  Hilaire, 
il  triomphât  plus  facilement  de  ces  armées  hérétiques 
contre  lesquelles  l'évêque  lui-même  avait  souvent  com- 
battu pour  la  foi.  Clovis  recommanda  encore  à  toute 
l'armée  de  ne  dépouiller  personne  ni  dans  ce  lieu  même 
ou  dans  la  marche,  ni  de  s'approprier  le  bien  de  qui  que 
ce  fût. 

Dans  ce  temps-là,  un  abbé  d'une  grande  sainteté, 
nommé  Maixent,  vivait  en  reclus,  par  la  crainte  de  Dieu, 
dans  son  monastère,  situé  sur  le  territoire  de  Poitiers  : 
ce  monastère,  dont  nous  n'indiquons  pas  ici  l'ancienne 
dénomination,  porte  encore  aujourd'hui  le  nom  de  Cel- 
lule de  Saint -Maixent  (i).  Les  moines,  voyant  un  gros 
de  soldats  s'approcher  de  leur  couvent,  prièrent  leur  abbé 


(i)  Ce  monastère  appartint  en  dernier  lieu  aux  Bénédictins  de  la 
congrégation  de  Saint-Maur.  Il  a  donné  son  nom  à  la  ville  de  vSaint- 
iMaixent. 

I.  8  " 


118  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

de  sortir  de  sa  cellule  pour  venir  à  leur  secours.  Comme 
il  tardait,  et  que  leur  frayeur  augmentait,  ils  ouvrirent 
sa  porte  et  le  firent  sortir.  Celui-ci  s'avança  avec  intré- 
pidité au-devant  des  soldats,  comme  pour  leur  demander 
la  paix.  L'un  d'eux  ayant  tiré  son  épée  pour  trancher  la 
tête  du  saint,  sa  main,  levée  jusqu'à  son  oreille,  resta 
roide,  et  l'épée  tomba  en  arrière;  il  se  jeta  aussitôt.aux 
pieds  du  saint  homme  pour  lui  demander  pardon.  A  cette 
vue,  les  autres  soldats  s'en  retournèrent  rejoindre  l'ar- 
mée, saisis   d'une   grande    terreur,   et  craignant   d'être 
frappés  de  mort.  Mais  le  bienheureux  Confesseur  ayant 
frotté  le  bras  malade  d'huile  bénite ,  et  lui  ayant  imposé 
le  signe  de  la  croix,  le  guérit.  Ce  fut  ainsi  que,  par  son  in- 
tervention, le  monastère  resta  préservé  de  toute  violence. 
Le  même  Maixent  fit  encore  un  grand  nombre  d'autres 
miracles;  celui  qui  tiendra  à  les  connaître  pourra  lire  le 
livre  de  sa  Vie,  où  ils  sont  tous  rapportés.  Ces  choses  se 
passèrent  la  vingt-cinquième  année  du  règne  de  Clovis. 
Cependant  le  roi  Clovis  en  vint  aux  mains  avec  Alaric, 
roi  des  Goths,  dans  les  champs  de  Vouglé,  à  dix  milles 
de  Poitiers  (i).  Les  Goths  se  battent  à  coups  de  traits,  et 
les  Francs  se  jettent  sur  eux  l'épée  à  la  main.  Les  Goths 
ayant  pris  la  fuite,  selon  leur  coutume,  le  roi  Clovis,  aidé 
de  Dieu,  remporta  la  victoire.  Il  avait  avec  lui ,  comme 
auxiliaire,  le   fils  de  Sigebert  Claude  (2),  nommé  Clo- 
déric.  Ce  Sigebert  boitait  d'une  blessure  qu'il  avait  reçue 
au  genou,  en  combattant  à  Tolbi.ic  contre  les  Alemans. 
Le  roi  venait  de  mettre  les  Goths  en  fuite,  et  de  tuer 

(i)  I-'an  507.  Youglé-sur-le-Clain ,  à  quatre  lieues  et  demie  de  Poi- 
tiers. Le  combat  aurait  eu  lieu  à  Vivonne,  selon  l'abbé  Lebeuf,  Dissert, 
sur  l'Hist.  de  Par.,  tom.  I. 

(2)  Roi  de  Cologne. 


LIVRE  SECOND.  119 

leur  roi  Alaric ,  lorsque  deux  soldats ,  arrivant  tout  à 
coup  sur  lui ,  le  frappent  des  deux  côtés  à  coups  de 
pique-,  mais  il  échappa  à  la  mort,  grâce  à  sa  cuirasse  et 
à  la  légèreté  de  son  cheval.  Il  périt  dans  cette  hataille 
un  grand  nombre  d'Arvernes,  et  même  des  plus  considé- 
rables d'entre  les  sénateurs,  qui  étaient  venus  avec  Apol- 
linaire (i).  Après  le  combat,  Amalaric  ,  fils  d'Alaric  , 
s'enfuit  en  Espagne,  et  gouverna  avec  sagesse  le  royaume 
de  son  père  (2).  Clovis  envoya  son  fils  Théodéric  à  Cler- 
mont  par  les  cités  d'Albi  et  de  Rodez  (3)  :  celui-ci  partit, 
et  soumit  à  la  domination  de  son  père  toutes  les  villes 
depuis  les  frontières  des  Goths  jusqu'au  territoire  des 
Bourguignons.  Alaric  avait  régné  vingt-deux  ans.  Clovis, 
après  avoir  passé  l'hiver  dans  la  ville  de  Bordeaux,  et 
enlevé  de  Toulouse  tous  les  trésors  d' Alaric,  marcha  sur 


(i)  Fils  de  Sidoine  Apollinaire,  né  avant  l'épiscopat  de  ce  dernier. 

(2)  Après  la  mort  d'Alaric,  Gesalic  son  fds  occupa  une  partie  de  sou 
royaume.  Théodéric,  roi  des  Ostrogoths,  et  beau -père  d'Alaric, 
s'empara  d'abord  de  l'autre  partie  ;  puis  il  les  réunit  toutes  les  deux 
sous  sa  domination.  Amalaric  ne  monta  sur  le  trône  des  Visigoths 
qu'après  la  mort  de  Théodéric. 

(3)  Le  P.  Pagi  fait  remarquer,  sous  l'an  Soy,  n.  8,  que  dans  une 
seule  année  Clovis  s'empai-a  de  Tours,  de  Poitiers,  de  Bordeaux;  et 
que  son  fils  Théodéric  soumit  Cahors,  Albi,  Rodez,  Clermont,  et 
étendit  l'empii'e  des  Francs  jusqu'à  la  limite  occidentale  du  ro\aiime 
de  Bourgogne,  les  Visigoths  n'ayant  conservé  aucune  place  dans  ces 
pays. 

Le  roi  des  Francs  paraît  avoir  été  dirigé  dans  cette  guerre  par  saint 
Rémi ,  évêque  de  Reims.  Cet  évêque  lui  donne  des  instructions  pré- 
cises sur  ce  qu'il  doit  faire  et  sur  ce  qu'il  doit  éviter.  Clovis,  de  son 
côté,  écrit  à  saint  Ilemi  pour  lui  rendre  compte  de  la  manière  dont 
il  a  rempli  ses  vues.  Les  deux  lettres  où  sont  consignés  les  sages 
conseils  de  l'évèque  et  les  paroles  de  déférence  du  roi,  sont  raj)- 
portées  par  D.  Ruinart  dans  son  Appendice  aux  œuvres  de  Giégoire 
de  Tours. 


120  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

Angoulême,  et  obtint  une  si  grande  grâce  du  Seigneur, 
que  les  murs  de  la  ville  s'écroulèrent  d'eux-mêmes  sous 
ses  yeux.  Après  en  avoir  chassé  les  Gotlis,  il  la  soumit  à 
son  pouvoir.  Ayant  ainsi  consomme  sa  victoire,  il  revint 
à  Tours,  où  il  offrit  de  nombreux  présens  à  la  basilique 
de  Saint-Martin,  (i) 

XXXVIII.  Clovis  reçut  de  l'empereur  Anastase  des 
lettres  de  consulat,  revêtit,  dans  la  basilique  de  Saint- 
Martin,  la  tunique  de  pourpre  et  la  chlamyde,  et  ceignit 
le  diadème  (2);  puis,  montant  à  cheval,  il  répandit  de  sa 

(1)  L'an5o8.  (Bouq.) 

(2)  Ce  passage  a  donné  lieu  à  bien  des  controverses.  Selon  le  P.  Le- 
cointe,  notre  historien  a  voulu  dire  que  Clovis  avait  été  associé  à  l'em- 
pire par  Anastase,  parce  que,  au  temps  de  Grégoire  de  Tours  et  depuis 
Justinien ,  la  dignité  impériale  et  le  consulat  ne  furent  plus  qu'une 
seule  et  même  chose  {A?in.  eccl.  Fraiicor.,  ad  ann.  5o8);  Had.  de 
Valois  pense  que  le  titre  de  consul  est  employé  ici  pour  celui  de  patrice 
{Rer.  Franc,  liv.  vi);  tandis  que  D.  Mabillon  {Ann.  ord.  Bened., 
tora.  I,  p.  169),  D.  Ruinart  (  Oper.  Greg.  Turon.,  coll.  g5  et  lOji) 
et  D.  Jos.  Bouillard  { Hist,  de  l'Abb.  de  S.-Germ. ,  p.  269),  pensent 
que  Clovis  fut  bien  réellement  fait  consul.  L'abbé  Dubos  adopte 
et  appuie  cette  dernière  opinion  (Hist.  crit.,  liv.  iv,  ch.  18).  Cependant 
M.  de  Sismondi  (et  M.  Guizot  a  partagé  ce  sentiment)  a  prétendu 
que  Clovis  ne  fut  point  nommé  consul,  mais  qu'il  fut  seulement  revêtu 
des  honneurs  consulaires,  honneur  fréquemment  accordé  par  la  cour 
de  Byzance.  Chacun  appuie  son  opinion  par  des  raisons  dont  il  faut 
suivre  les  développemens  dans  les  ouvrages  mêmes  où  ces  opinions 
sont  exposées.  Quant  à  nous,  nous  ferons  seulement  observer  que  le 
fait  rapporté  avec  des  circonstances  très  détaillées  par  Grégoire  de 
Tours,  auteur  presque  contemporain,  est  reproduit  par  l'auteur  des 
Gcstn  Francorum  {cap.  17),  par  Hincmar  dans  sa  Vie  de  saint  Rémi, 
et  par  Flodoard  dans  son  Hist.  ecclés.  de  Reims  {lib.  1,  cap.  i5  )  ;  et 
qu'Aimoin,  auteur  beaucoup  plus  éloigné  de  l'événement,  est  le  pre- 
mier qui  ait  parlé  du  patriciat  de  Clovis.  Il  faut  dire  cependant  que, 
dans  le  sommaire  des  chapitres  du  livje  11  de  Grégoire  de  Tours,  oa 
lit  pour  titre  du  chap.  xxxviii  :  du  Patriciat  du  roi  Clovis. 


LIVRE  SECOND.  121 

propre  inain  et  avec  une  grande  bonté  de  l'or  et  de  l'ar- 
gent pour  le  peuple,  sur  le  chemin  qui  est  entre  la  porte 
de  la  cour  de  la  basilique  de  Saint-Martin  et  l'église  de 
la  ville.  Depuis  ce  jour  il  eut  comme  le  titre  de  consul 
ou  d'auguste.  Il  quitta  la  ville  de  Tours,  et  se  rendit  à 
Paris,  oii  il  fixa  le  siège  de  son  royaume.  11  y  fut  rejoint 
par  Théodéric. 

XXXIX.  Eustoche,  évêque  de  Tours,  étant  mort  (i), 
Licinius  fut  sacré  évêque  de  cette  ville;  ce  fut  le  huitième 
depuis  saint  Martin.  C'est  de  son  temps  qu'eut  lieu  la 
guerre  dont  nous  venons  de  parler.  De  son  temps  aussi , 
le  roi  Clovis  vint  à  Tours.  On  rapporte  que  Licinius  alla 
en  Orient,  qu'il  visita  les  lieux  saints,  qu'il  entra  même 
dans  Jérusalem,  et  qu'il  vit  souvent  le  théâtre  de  la  pas- 
sion et  de  la  résurrection  du  Seigneur,  tel  qu'il  est  décrit 
dans  les  évangiles. 

XL.  Pendant  son  séjour  à  Paris,  le  roi  Clovis  envoya 
dire  secrètement  au  fils  de  Sigebert  (2)  :  «  Ton  père  est 
«  devenu  vieux,  et  sa  blessure  le  fait  boiter  d'un  pied.  S'il 
«  mourait,  son  royaume  te  reviendrait  de  droit  avec  notre 
«  amitié.  »  Celui-ci,  séduit  par  l'ambition  ,  forme  le  projet 
de  tuer  son  père.  Un  jour  Sigebert  étant  sorti  de  îa  ville 
de  Cologne,  traversa  le  Rhin  pour  se  promener  dans  la 
forêt  de  Buchaw  (3).  Pendant  qu'il  dormait  sous  sa  tente, 
vers  le  milieu  du  jour,  son  fils  le  fit  égorger,  dans  l'espoir 
d'acquérir  ainsi  son  royaume.  Mais  la  justice  de  Dieu 


(i)  Ce  chapitre  ne  se  trouve  pas  dans  les  plus  anciens  manuscrits 
de  Grégoire  de  Tours,  tels  que  ceux  de  Bcauvais,  de  Corbie,  etc. 
(2)  L'an  5oç).  (  I{ouf[.  ) 
(5)  Voyez  Schannal ,  Buchunia  velus. 


122  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

le  précipita  dans  la  fosse  qu'il  avait  mcchammeiiL  creusée 
pour  son  père.  Il  envoya  des  messager}»  au  roi  Clovis 
pour  lui  annoncer  la  mort  de  Sigebert,  et  pour  lui  dire  : 
«  Mon  père  est  mort,  et  j'ai  en  mon  pouvoir  son  royaume 
«  et  ses  trésors  (i).  Envoie-moi  quelques  uns  des  tiens,  et  je 
«  leur  remettrai  volontiers  ce  qui,  dans  ces  trésors,  pourra 
«  te  convenir.  »  Clovis  répondit  :  «  Je  te  remercie  de  ta 
«  bonne  volonté,  et  je  te  prie  de  montrer  à  mes  envoyés 
«tous  tes  trésors,  dont  tu  conserveras  ensuite  l'entière 
«  possession.  »  Clodéric  montra  donc  les  trésors  de  son 
père  aux  envoyés  de  Clovis;  et  comme  ils  les  examinaient 
en  détail ,  il  leur  dit  :  «  C'est  dans  ce  petit  coffre  que 
«  mon  père  avait  coutume  d'entasser  ses  pièces  d'or.  — 
«  Plonge,  lui  dirent-ils,  ta  main  jusqu'au  fond,  pour  que 
«  rien  ne  t'échappe.»  Celui-ci  l'ayant  fait,  et  s'étant  beau- 
coup incliné,  un  des  envoyés  leva  sa  hache  et  lui  brisa  le 
crâne.  Ainsi  cet  Indigne  fils  subit  le  même  sort  qu'il  avait 
préparé  à  son  père.  Clovis  apprenant  la  mort  de  Sigebert 
et  de  son  fils,  vint  à  Cologne,  convoqua  tout  le  peuple  de 
ce  canton,  et  lui  dit  :  «Apprenez  ce  qui  est  arrivé.  Pen- 
«  dant  que  je  naviguais  sur  le  fleuve  de  l'Escaut,  Clodéric, 
«  fils  de  mou  parent,  tourmentait  son  père  en  lui  disant 
«  que  je  voulais  le  tuer.  Et  comme  Sigebert  fuyait  à  tra- 
«  vers  la  forêt  de  Buchaw,  son  fils  a  envoyé  lui-même  des 
«  brigands  qui  se  sont  jetés  sur  lui,  et  l'ont  tué.  Clodéric, 
«  lui  aussi,  est  mort,  ayant  été  frappé  je  ne  sais  par  qui, 
«  pendant  qu'il  ouvrait  les  trésors  de  son  père.  Mais  je 
«  suis   entièrement  étranger  à  tout  cela  ;  et  je  ne  pins 


(i)  Dans  ces  temps-là,  un  trésor  était  un  accessoire  obligé  «l'un 
royaume  ;  aussi  cst-il  à  cliaque  instant  question  de  trésors  dans  Vllis- 
loire  des  Franc, . 


LIVRE  SECOND.  123 

«  verser  le  sang  de  mes  parens,  car  c'est  un  crime.  Mais 
«  puisqu'il  en  est  arrivé  ainsi ,  je  vous  donne  un  conseil 
«que  vous  adopterez  s'il  vous  convient  :  Tournez-vous 
«  vers  moi  pour  vivre  sous  ma  protection.  »  A  ces  pa- 
roles ,  le  peuple  applaudissant  tant  du  choc  de  ses  boucliers 
que  de  sa  voix,  l'élève  sur  un  grand  bouclier,  et  le  recon- 
naît pour  roi.  Clovis  ayant  donc  reçu  le  royaume  et  les 
trésors  de  Sigebert,  soumit  aussi  ce  peuple  à  sa  domina- 
tion. Chaque  jour  Dieu  faisait  ainsi  tomber  les  ennemis 
de  Clovis  sous  sa  main  et  étendait  son  royaume,  parce 
qu'il  marchait  avec  un  cœur  pur  devant  lui,  et  faisait  ce 
qui  était  agréable  à  ses  yeux. 

XLI.  Clovis  marcha  ensuite  contre  le  roi  Chararic  (  i  ). 
Quand  il  combattait  Syagrius,  il  avait  appelé  ce  roi  à  son 
aide,  et  celui-ci  s'était  tenu  à  l'écart,  ne  prenant  parti 
pour  personne ,  mais  attendant  l'issue  du  combat  pour 
faire  alliance  avec  celui  qui  obtiendrait  la  victoire.  Ce  fut 
pour  cette  raison  que  Clovis  marcha,  plein  de  colère, 
contre  lui,  qu'il  l'entoura  de  pièges,  et  le  fît  prisonnier 
avec  son  tlls  ;  puis,  les  ayant  chargés  de  fers,  il  les  fit 
tondre,  et  commanda  que  Chararic  fût  ordonné  prêtre 
et  son  fils  diacre.  Comme  Chararic  se  plaignait  de  son 
humiliation  et  pleurait,  on  rapporte  que  son  fils  lui  dit  : 
«  Ces  branches  ont  été  coupées  sur  un  arbre  vert,  et  ne 
«  sont  pas  entièrement  desséchées  ;  bientôt  elles  repousse- 
«  ront,  et  grandiront  de  nouveau.  Plût  à  Dieu  que  celui 
«  qui  a  fait  tout  cela  meure  aussi  promptement  !  »  Ces 
paroles  retentirent  aux  oreilles  de  Clovis ,  qui  crut  qu'ils 


(i)  Vers  l'an  Sog  (Bouq.).  Chararic,  à  ce  qn'il  paraît,  régnait  à 
Térouenne. 


124  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

le  menaçaient  de  laisser  croître  leui-  chevelure  et  de  le 
tuer;  c'est  pourquoi  il  leur  fit  trancher  la  tête  à  tous 
deux;  et  après  leur  mort  il  ac(juit  leur  royaume  avec  leurs 
trésors,  et  le  peuple  auquel  ils  commandaient. 

XLII.  Il  y  avait  alors  (i),  à  Cambrai,  un  roi  nommé 
Ragnacaire  ,  si  effréné  dans  ses  débauches,  qu'à  peine 
épargnait- il  même  ses  proches  parentes.  11  avait  pour 
conseiller  un  certain  Farron ,  qui  se  plongeait  dans  la 
même  fange.  On  raconte  que,  lorsqu'on  apportait  au  roi 
quelques  mets,  ou  quelque  présent ,  ou  quelque  chose  que 
ce  fût,  il  avait  coutume  de  dire  que  c'était  pour  lui  et  pour 
son  Farron  ;  ce  qui  indignait  beaucoup  les  Francs.  Il  arriva 
de  là  que  Clovis,  pour  se  rendre  favorables  les  leudes 
de  Ragnacaire  aux  dépens  de  ce  prince,  leur  donna  des 
pièces  de  monnaie,  des  bracelets  et  des  baudriers,  le  tout 
en  or  faux,  c'est-à-dire  fait  de  cuivre  et  de  manière  à 
imiter  parfaitement  l'or.  Et  comme  il  s'avançait  contre 
Ragnacaire  avec  son  armée,  celui-ci  envoya  des  éclaireurs 
à  la  découverte,  et  leur  demanda  à  leur  retour  quelle  était 
la  force  de  cette  armée.  Ils  répondirent  :  «  C'est  encore 
a  une  bonne  fortune  pour  toi  et  pour  ton  Farron.  »  Mais 
Clovis  arrive  et  lui  livre  bataille.  Ragnacaire  voyant 
les  siens  vaincus,  se  préparait  à  la  fuite,  lorsqu'il  fut 
saisi  par  ses  soldats,  qui  lui  lièrent  les  mains  derrière  le 
dos,  et  l'amenèrent  à  Clovis,  ainsi  que  son  frère  Riquicr. 
Clovis  lui  dit  :  «Pourquoi  as-tu  déshonoré  notre  race  en 
«  te  laissant  enchaîner?  il  valait  mieux  mourir»;  et  levant 
sa  hache,  il  la  lui  rabattit  sur  la  tête;  puis  se  tournant 
vers  Riquier  :  «Si  tu  avais  secouru  ton  frère,  dit-il,  il 

(i)  Vers  l'an  5of).  (Bouq.) 


LIVRE  SECOND.  125 

«n'aurait  certainement  pas  été  enchaîné»;  et  il  le  tua 
également  d'un  coup  de  hache.  Après  leur  mort,  ceux  qui 
les  avaient  trahis  reconnurent  que  l'or  qu'ils  avaient  reçu 
de  Clovis  était  faux  ;  et  lorsqu'ils  en  firent  l'observation 
au  roi ,  on  rapporte  qu'il  leur  dit  :  «  C'est  l'or  que  mérite 
«  celui  qui-,  de  sa  propre  volonté,  entraîne  son  maître  à 
«  la  mort  »,  ajoutant  que  la  vie  devait  leur  suffire,  s'ils  ne 
voulaient  expier  dans  les  tourmens  leur  trahison  envers 
leurs  maîtres.  A  ces  paroles,  pour  obtenir  leur  grâce,  ils 
lui  assurèrent  qu'il  leur  suffisait  de  la  vie.  Les  deux  rois 
dont  on  vient  de  parler  (i)  étaient  parens  de  Clovis.  Leur 
frère,  nommé  Rignomer,  fut  tué  par  son  ordre  dans  la  ville 
du  Mans.  Après  la  mort  de  ces  trois  rois,  Clovis  recueillit 
leur  royaume  et  leurs  trésors.  Ayant  fait  périr  encore  plu- 
sieurs autres  rois,  et  même  ses  plus  proches  parens,  dans 
la  crainte  qu'ils  ne  lui  enlevassent  son  royaume,  il  étendit 
son  pouvoir  sur  toutes  les  Gaules.  Cependant  ayant  un 
jour  rassemblé  les  siens,  on  rapporte  qu'il  leur  parla  ainsi 
des  parens  qu'il  avait  lui-même  fait  périr  :  «  Malheur  à  moi, 
«  qui  suis  resté  comme  un  voyageur  parmi  des  étrangers, 

(i)  Au  temps  où  écrivait  Grégoire  de  Tours,  ou  donnait  le  titre  de 
roi  aux  fils  et  même  aux  frères  des  rois.  Cette  remarque  a  été  faite 
depuis  long-temps  par  Had.  de  Valois.  Du  reste,  tous  ces  rois  dont 
il  est  ici  question  étaient  sans  doute  les  chefs  de  ces  petites  colonies 
de  Francs  qui  s'étaient  établies  dans  la  Gaule  à  différentes  époques, 
d'abord  du  consentement  des  empereurs,  et  plus  tard  malgré  tous 
leurs  efforts.  Ammien  Marcellin  {Hist.  XVII,  8)  et  Eumènes  (Paneg. 
passiin)  nous  fournissent  plusieurs  exemples  d'établissemens  du  pre- 
mier genre  :  ainsi  nous  savons  par  ces  auteurs  que  les  cités  de  Tournai , 
de  Trêves,  d'Amiens,  de  Beauvais,  de  Troyes,  de  Langres,  le  Brabant, 
reçurent  sous  les  empereurs  des  colonies  de  Francs.  Celles  au  con- 
traire dont  Grégoire  de  Tours  nomme  ici  les  chefs,  paraissent,  pour 
la  plupart  au  moins ,  s'être  établies  dans  la  Gaule  sur  les  ruines  de  la 
puissance  romaine. 


120  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  et  qui  n'ai  plus  de  parens  qui  puissent,  en  cas  d'atlvcr- 
a  site,  nie  prêter  leur  appui.  »  Ce  n'était  pas  qu'il  s'affli- 
geât de  leur  mort ,  mais  il  parlait  ainsi  par  ruse,  et  pour 
découvrir  s'il  lui  restait  encore  quelqu'un  à  tuer. 

XLIII.  Après  ces  événemens,  Clovis  mourut  à  Paris  (i), 
et  fut  enterré  dans  la  basilique  des  Saints-Apôtres  (-i), 
qu'il  avait  lui-même  fait  construire  de  concert  avec  la 
reine  Clotilde.  Sa  mort  arriva  cinq  ans  après  la  bataille 
de  Vouglé  (3).  Son  règne  entier  avait  duré  trente  ans,  et 
sa  vie  quarante-cinq.  Depuis  la  mort  de  saint  Martin 
jusqu'à  la  mort  du  roi  Clovis ,  qui  eut  lieu  la  onzième 
année  de  l'épiscopat  de  Licinius  de  Tours,  on  compte 
cent  douze  ans.  Après  la  mort  de  son  mari,  la  reine  Clo- 
tilde vint  à  Tours,  oii  elle  consacra  ses  soins  au  service 
de  l'abbaye  de  Saint-Martin.  Elle  y  passa  le  reste  de  ses 
jours  dans  une  grande  vertu,  s'y  montra  pleine  de  bonté, 
et  retourna  rarement  à  Paris. 


(ï)  Le  27  novembre  de  l'an  5ii. 
(2)  L'ancienne  église  de  Sainte-Geneviève. 

(5)  Cette  date  et  les  deux  suivantes  ne  sont  pas  exactes.  Voy.  Eclaii- 
ciss.  et  obseiv.  { Note  .r.  ) 


LIVRE  TROISIÈME. 


SOMMAIRES    DES    CHAPITRES    DU    LIVRE    TROISIEME. 

.  Des  fils  de  Clovis.  —  2.  Épiscopat  de  Dinife,  d'Apollinaire  et 
de  Quintien.  — •  3.  Les  Danois  viennent  dans  les  Gaules.  — 
4.  Des  rois  des  Thuringiens.  —  5.  Sigismond  fait  périr  son  fils. 

—  6.  Mort  de  Clodomir.  —  'j.  Guerre  contre  les  Thuringiens  et 
leur  défaite.  —  8,  Mort  d'Hermenfroi.  — 9.  Cliildebert  se  rend 
en  Auveigne.  —  10.  Moi't  d'Ainalaric.  —  11.  Childebert  et 
ClotaJre  marchent  en  Bourgogne,  et  Théodéric  en  Auvergne.  — 
12.  Ravage  de  l'Auvergne.  —  i3.  Châteaux  de  Vollore  et  de 
Chastel-Marlhac.  —  14.  Mort  de  Mondéric.  —  i5.  Capti- 
vité d'Attale.  — ■  16.  Sigivald.  —  l'j.  Des  évêques  de  Tours.  — 
18.  Meurtre  des  fils  de  Clodomir.  —  iq.  De  saint  Grégoire  de 
Langres  et  de  la  position  du  château  de  Dijon. —  20.  Fiançailles 
de  Théodehert  et  de  Wisigarde.  —  21.  Théodebert  se  rend  en 
Provence.  —  22.  Il  reçoit  dans  son  lit  Deuthérie.  —  28.  Mort 
de  Sigivald  et  fuite  de  Givald.  —  24.  Présens  de  Childebert  à 
Théodebert.  —  25.  Bonté  de  Théodebert.  —  26.  Mort  de  la  fille 
de  Deuthérie.  —  2'j.  Théodebert  reçoit  Wisigarde  pour  femme. 

—  28.  Childebert  marche  avec  Théodebert  contre  Clotaire.  — 
29.  Childebert  et  Clotaire  passent  en  Espagne.  —  3o.  Des  rois 
d'Espagne.  —  3i.  De  la  fille  de  Théodéric,  roi  d'Italie.  — 
32.  Théodebert  passe  en  Italie.  —  33.  D'Astériole  et  de  Secon- 
din.  —  34.  Libéralité  de  Théodebert  envers  les  citoyens  de 
Verdun.  —  35.  Mort  de  Sirivald.  —  36.  De  la  mort  de  Théo- 
debert et  du  meurtre  de  Parthénius.  —  87.  Hiver  rigoureux. 


1-28  HISTOIRE  DES  FRANCS. 


PROLOGUE. 


Je  doinande  la  permission  do  comparer  les  heureux 
succès  des  chrétiens  qui  confessent  la  hienhcureuse  Tri- 
nité, aux  désastres  des  hérétiques  qui  la  divisent.  Je  ne 
dirai  pas  toutefois  comment  Abraham  adore  la  Trinité  au 
pied  de  l'yeuse,  comment  Jacob  l'annonce  dans  sa  béné- 
diction ,  comment  Moïse  la  reconnaît  dans  le  buisson 
ardent,  comment  le  peuple  la  suit  dans  la  nuée,  et  en  est 
effrayé  sur  la  montagne  ;  ni  comment  Aaron  la  porte  sur 
son  rational,  comment  David  la  prédit  dans  un  psaume, 
lorsqu'il  prie  le  Seigneur  de  rétablir  en  lui  un  esprit 
droit ,  de  ne  pas  retirer  de  lui  V  esprit  saint  y  et  de  l'af- 
fermir par  V esprit  principal  (i).  Pour  moi,  je  vois  là  un 
grand  mystère;  c'est  que  celui  que  les  hérétiques  appellent 
inférieur,  la  voix  prophétique  l'appelle  principal.  Mais 
laissant  tout  cela  de  côté,  comme  nous  l'avons  dit,  reve- 
nons à  notre  temps.  Arius,  impie  fondateur  de  cette  secte 
impie,  après  avoir  rendu  ses  entrailles  dans  un  privé,  fut 
livré  aux  flammes  de  l'enfer;  tandis  que  le  bienheureux 
Hilaire ,  défenseur  de  l'indivisible  Trinité,  après  avoir 
été,  pour  cela  même,  envoyé  en  exil,  retrouve  une  patrie 
dans  le  paradis.  Le  roi  Clovis,  qui  la  confessa,  dompte 
les  hérétiques  par  l'appui  qu'elle  lui  prête,  et  étend  son 
royaume  par  toutes  les  Gaules  ;  Alaric,  qui  la  méconnaît, 
au  contraire,  perd  son  royaume  et  son  peuple,  et,  ce  qui 
est  bien  plus  encore,  la  vie  éternelle  elle-même.  Si  les 
vrais  croyans  perdent  quelque  chose  par  les  pièges  du 
démon,  le  Seigneur  le  leur  rend  au  centuple;  au  lieu  que 

(i)  Psaume  5o,  vers.  lo,  ii  et  vx. 


LTYRE  TROISIÈME.  129 

les  hérétiques,  non  seulement  n'acquièrent  rien,  mais  en- 
core ce  qu'ils  semblent  posséder  leur  est  enlevé,  comme 
cela  fut  prouvé  par  la  mort  de  Godégisèle,  de  Gondcbaud 
et  de  Godomar,  qui  perdirent  tout  à  la  fois  et  leur  patrie 
et  leurs  âmes.  Pour  nous,  nous  confessons  Dieu  unique, 
invisible,  immense,  incompréhensible,  glorieux,  immua- 
ble, éternel;  nous  le  confessons  im  dans  sa  Trinité  formée 
de  trois  personnes,  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  et 
triple  dans  son  unité,  qui  résulte  de  l'égalité  de  sub- 
stance, de  divinité,  de  toute-puissance  et  de  vertu.  Lui 
seul  est  suprême,  lui  seul  est  tout-puissant;  il  règne  sur 
tous  les  siècles. 

I.  Après  la  mort  du  roi  Clovis,  ses  quatre  fils,  c'est-à- 
dire  Théodéric,  Clodomir,  Childebert  et  Clotaire,  pren- 
nent possession  de  son  royaume ,  et  le  partagent  entre 
eux  par  égales  portions  (i).  Théodéric  avait  déjà  un  fils, 
nommé  Théodebert,  d'une  beauté  et  d'un  mérite  remar- 
quables. Comme  les  fils  de  Clovis  étaient  puissans  par  leur 
propre  valeur  et  par  la  force  de  leurs  armées,  Amalaric, 
roi  d'Espagne,  fils  d'Alaric,  demanda  leur  sœur  en  ma- 
riage. Ils  voulurent  bien  la  lui  accorder,  et  l'envoyèrent 
en  Espagne  avec  un  grand  nombre  de  riches  ornemens. 

II.  Licinius,  évêque  de  Tours,  étant  mort,  Dinife  fut 


(i)  Les  quatre  fils  de  Clovis  n'eurent  point,  comme  l'a  fait  remar- 
quer D.  Ruinart,  des  portions  égales  :  celle  de  Théodéric  fut  ])eau- 
coup  plus  considérable  que  celles  de  ses  frères.  On  a  souvent  cherché 
à  déterminer  l'étendue  et  les  limites  de  chacun  des  royaumes  qui  se 
formèrent  alors;  on  peut  voir  ce  qu'ont  écrit  à  cet  égard  le  Père  Pagi 
(  Crit  in  Jiiiinl.  )  sous  l'an  5i4,  n.  ii  ;  et  M.  de  Foncemagne,  dans 
les  Mémoires  de  l'Académie  des  Inscriptions  (T^  série,  tom.  "N'III). 

ï.  9 


130  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

élevé  au  siège  pontifical  de  cette  ville  (i).  L'église  de 
Clermont  était,  depuis  la  mort  du  bienheureux  Aprun- 
cule,  régie  par  saint  Eufraise,  son  douzième  évêque  (2), 
Eufraise  vécut  quatre  ans  encore  après  la  mort  de  Clovis, 
et  mourut  dans  la  vingt-cinquième  année  de  son  épisco- 
pat  (3).  Alors  le  peuple  ayant  élu  saint  Quintien ,  qui 
avait  été  chassé  de  Rodez  (4),  Alchime  et  Placidine,  l'une 
sœur,  et  l'autre  femme  d'Apollinaire  (5) ,  vinrent  trouver 
ce  saint,  et  lui  dirent  :  «  Saint  pontife,  que  le  titre  d'évê- 
«  que  suffise  à  ta  vieillesse;  permets  dans  ta  bonté,  à  ton 
«  serviteur  Apollinaire,  de  parvenir  à  ce  poste  honorable; 
«  et  lorsqu'il  y  sera  monté,  il  s'y  conformera  à  tous  tes 
«  désirs  :  c'est  toi  qui  commanderas,  et  il  obéira  en  toutes 
«  choses  à  tes  volontés.  Prête  donc  une  oreille  favorable 
n  à  notre  humble  demande.  »  Il  leur  répondit  :  «  A  quoi 
«  puis-je  être  utile?  rien  n'est  soumis  à  mon  pouvoir.  Il 
«  me  suffit  de  me  livrer  à  la  prière,  et  de  recevoir  chaque 
«  jour  ma  nourriture  de  l'Eglise.  »  Dès  qu'elles  eurent 
entendu  ces  paroles,  elles  envoyèrent  Apollinaire  vers  le 
roi.  Il  partit,  fit  beaucoup  de  présens,  et  obtint  l'épi- 
scopat.  11  en  jouit  injustement  pendant  quatre  mois ,  après 
lesquels  il  sortit  de  ce  monde.   Lorsque  Théodéric  eut 


(i)  Grégoire  de  Tours  lui-même,  liv.  x,  cli.  5r,  place  Théodore  et 
Procule  eutre  Licinius  et  Dinife.  (  Ruin.  ) 

(2)  Voyez  sur  Apruncule,  liv.  11,  ch.  23  et  56.  Eufraise  souscrivit 
le  premier  concile  d'Orléans,  et  assista  par  procureur  au  concile 
d'Agde. 

(5)  L'an  5i5.  (Bouq.  ) 

(4)  Grégoire  de  Tours  parle  souvent  de  saint  Quintien.  Voyez  sur- 
tout ses  Vies  des  Pères,  ch.  4- 

(5)  Fils  de  Sidoine  Apollinaire,  et  le  même  qui  conduisit  les  Ar- 
vernes  à  la  bataille  de  Vouglé  (voy.  liv.  m,  ch.  5j).  Il  fut  père  d'Ar- 
cadius,  dont  il  est  parlé  ci-dessous,  ch.  12. 


LIVRE  TROISIÈME.  131 

appris  ce  qui  s'était  passé,  il  fit  rétablir  saint  Quintien, 
et  ordonna  qu'on  lui  remît  tous  les  biens  de  l'Eglise,  en 
disant  :  «  C'est  à  cause  de  son  amour  pour  nous  qu'il  a  été 
«  chassé  de  sa  ville.  »  Puis  il  envoya  aussitôt  des  messagers 
qui,  ayant  convoqué  les  évêques  et  le  peuple,  le  placèrent 
sur  le  siège  pontifical  de  l'église  d'Auvergne ,  dont  il  fut 
le  quatorzième  évêque.  Le  reste  des  choses  qui  le  con- 
cernent, aussi-bien  ses  miracles  que  l'époque  de  sa  mort, 
se  trouve  rapporté  dans  le  livre  que  nous  avons  composé 
sur  sa  vie.  (f) 

III.  Après  cela,  les  Danois,  avec  leur  roi  nommé  Clo- 
chilaïch,  traversant  la  mer  sur  leur  flotte,  s'approchèrent 
des  Gaules  :  puis  étant  débarqués,  ils  dévastent  un  des 
cantons  du  royaume  de  Théodéric,  et  en  font  les  habitans 
prisonniers.  Après  avoir  chargé  leurs  vaisseaux  tant  des 
hommes  que  des  fruits  de  leur  pillage,  ils  se  disposaient  à 
s'en  retourner  dans  leur  patrie  ;  mais  leur  roi  était  encore 
sur  le  rivage,  attendant  que  les  vaisseaux  prissent  la  haute 
mer,  devant  lui-même  s'embarquer  après.  Théodéric, 
averti  que  son  royaume  avait  été  dévasté  par  des  étran- 
gers, envoya  dans  ces  parages  son  fils  Théodebert  avec 
une  forte  armée ,  et  en  grand  appareil  de  guerre  (2). 
Celui-ci  tua  le  roi  des  Danois,  vainquit  l'ennemi  dans 
un  combat  naval,  et  ramena  à  terre  tout  le  butin. 

IV.  Dans  le  même  temps,  trois  frères  régnaient  sur  les 
Thuringiens  :  Badéric,  Hermcnfroi  et  Berthaire.  Hermen- 
froi  accabla  par  la  force  son  frère  Berthaire,  et  le  tua. 


(i)  Vies  des  Pères,  ch.  4- 
{■?.)  Vers  l'an  5i5.  (Bouq.) 


132  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

Celui-ci  laissa  orpheline  une  fille  nommée  Radegonde;  \î 
laissa  aussi  des  fils  dont  nous  parlerons  dans  la  suite.  La 
femme  d'Hermenfroi ,  nommée  Amalaberge  (i),  femme 
méchante  et  cruelle,  semait  la  guerre  civile  entre  ces 
frères.  Hermenfroi  venant  un  jour  prendre  son  repas , 
trouva  sa  table  couverte  à  moitié  seulement  ;  et  comme  il 
demandait  ce  que  cela  voulait  dire,  elle  répondit  :  «Celui 
«qui  se  laisse  enlever  la  moitié  de  son  royaume,  doit 
«  avoir  la  moitié  de  sa  table  nue.»  Hermenfroi,  excité  par 
ces  paroles  et  par  d'autres  semblables ,  s'arme  contre  son 
frère ,  et  envoie  secrètement  des  messagers  au  roi  Théo- 
déric,  pour  l'inviter  à  attaquer  Badéric,  et  pour  lui  dire  : 
«Si  tu  le  tues,  nous  partagerons  ce  pays  par  moitié.» 
Théodéric,  réjoui  de  cette  proposition,  se  dirige  vers 
Hermenfroi  avec  une  armée.  Les  deux  rois  étant  réunis, 
se  donnèrent  mutuellement  leur  foi,  et  se  mirent  en  cam- 
pagne. Ils  en  vinrent  aux  mains  avec  Badéric,  écrasèrent 
ses  troupes ,  et  lui  coupèrent  la  tête.  Cette  victoire  obte- 
nue ,  Théodéric  s'en  revint  chez  lui.  Mais  Hermenfroi 
oubliant  bientôt  ses  promesses,  se  dispensa  de  remplir  les 
engagemcns  qu'il  avait  pris  envers  le  roi  des  Francs;  et 
il  s'ensuivit  entre  eux  une  grande  inimitié.  (2) 

Y.  Après  la  mort  de  Gondebaud  (3),  son  fils  Sigismond 
se  mit  en  possession  de  son  royaiinie,  et  bâtit  avec  un 
soin  infini  le  monastère  de  Saint-Maurice  (4) ,  ainsi  que 

(i)  Elle  était  fille  d'Amalafride,  sœur  de  Théodéric,  roi  dTtalie,  au 
rapport  de  Procope  {Hist.  Gotlh.,  i,  12  et  i3),  qui  la  dit  aussi  sœur 
du  roi  Théodat. 

{1)  Voyez  ci-dessous,  cliap.  vu. 

(5)  En  5)6.  Art  de  véiif.  les  Dates. 

(4)  Monastère  qui  a  donné  naissance  à  la  ville  de  Saint- Maurice, 
dans  le  Valais. 


LIVRE  TROISIÈME.  133 

îcs  maisons  et  les  églises  qui  en  dépendent.  Ce  roi ,  après 
<ivoir  perdu  sa  première  femme,  fille  de  Théodéric,  roi 
d'Italie,  dont  il  avait  un  fils  nommé  Sigéric,  en  épousa 
une  seconde,  qui,  selon  la  coutume  des  belles-mères,  se 
mit  à  maltraiter  le  fils  de  son  mari ,  et  à  lui  susciter  des 
querelles.  Il  arriva  de  là,  qu'un  jour  de  fête  solennelle, 
le  jeune  homme,  reconnaissant  sur  elle  les  vêtemens  de 
sa  mère,  lui  dit,  le  cœur  plein  de  courroux  :  «Tu  n'étais 
<c  pas  digne  de  porter  sur  tes  épaules  ces  vêtemens,  qu'on 
«  sait  avoir  appartenu  à  ta  maîtresse,  c'est-à-dire  à  ma 
«  mère.  »  Transportée  de  fureur,  elle  excite  alors  son  mari 
par  ces  paroles  insidieuses  :  «  Ce  fils  pervers ,  dit-elle , 
«  aspire  à  s'emparer  de  ton  royaume,  et  se  propose,  après 
«  t'avoir  fait  périr,  de  l'étendre  jusqu'en  Italie,  c'est-à- 
«  dire  de  se  rendre  maître  du  royaume  que  possédait  dans 
«  ce  pays  son  aïeul  Théodéric.  Il  sait  bien  que,  tant  que 
«  tu  vivras,  il  ne  peut  accomplir  ce  dessein,  et  qu'il  ne 
«  s'élèvera  que  par  ta  ruine.  »  Sigismond,  excité  par  ces 
paroles  et  par  d'autres  du  même  genre ,  et  se  laissant 
aller  aux  conseils  de  sa  méchante  femme ,  devint  un 
cruel  parricide.  Un  jour  sur  l'après-midi,  comme  son  fils 
était  appesanti  par  le  vin,  il  lui  ordonne  d'aller  dormir, 
et  pendant  qu'il  dormait  on  lui  passe  autour  du  cou  un 
mouchoir  noué  sous  le  menton ,  puis  deux  serviteurs  ti- 
rant chacun  un  bout  de  ce  mouchoir,  l'étranglent  (i). 
Aussitôt  que  cela  fut  fait,  le  père  se  repentant,  mais  trop 
tard,  se  précipita  sur  le  cadavre  inanimé  de  son  fils,  et  se 
mit  à  pleurer  amèrement.  On  rapporte  qu'un  vieillard  lui 
dit  alors  :  «  C'est  sur  toi  que  tu  dois  pleurer  maintenant; 
«  toi  qui ,  par  suite  d'un  perfide  conseil,  es  devenu  un  cruel 

(i)  En  522.  Art  de  vcrif.  les  Dates. 


134  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  parricide  :  celui  que  tu  as  fait  périr  innocent  n'a  pas 
«  besoin  qu'on  le  pleure,  »  Cependant  le  roi  se  rendit  au 
monastère  de  Saint-Maurice,  et  y  passa  un  grand  nombre 
de  jours  dans  les  larmes  et  dans  les  jeûnes  pour  y  implorer 
son  pardon.  Il  fonda  dans  ce  monastère  un  chant  perpé- 
tuel, et  revint  à  Lyon,  la  vengeance  divine  le  poursuivant 
pas  à  pas.  Le  roi  Théodéric  épousa  sa  fille,  (i) 

VI.  La  reine  Clotilde  s'adressant  à  Clodomir  et  à  ses 
autres  fils,  leur  dit  :  «  Que  je  n'aie  point  à  me  repentir, 
c(  mes  chers  enfans,  de  vous  avoir  élevés  avec  tendresse: 
«  partagez,  je  vous  prie,  le  ressentiment  de  mon  injure, 
«  et  mettez  tout  votre  zèle  à  venger  la  mort  de  mon  père 
«  et  de  ma  mère.  »  C'est  pourquoi  ses  fils  se  dirigent  vers 
la  Bourgogne,  et  marchent  contre  Sigismond  et  contre 
son  frère  Godomar.  Godomar,  vaincu  par  leur  armée, 
prit  la  fuite.  Pour  Sigismond,  pendant  qu'il  cherchait  à  se 
réfugier  dans  le  monastère  de  Saint-Maurice,  il  fut  arrêté 
par  Clodomir  (2),  qui  l'emmena,  lui,  sa  femme  et  ses  fils, 
dans  la  cité  d'Orléans,  où  il  les  fit  enfermer,  et  les  retint 
prisonniers.  Après  le  départ  des  rois  francs,  Godomar 
ranima  son  parti,  réunit  les  Bourguignons,  et  recouvra 
son  royaume.  Alors  Clodomir  se  disposant  à  marcher  de 
nouveau  contre  lui,  résolut  de  faire  mourir  Sigismond. 
Le  bienheureux  x\vit,  abbé  de  Saint-Mémin-de-Micy  (3), 
prêtre  fameux  dans  ce  temps-là,  lui  dit  à  cette  occasion  : 
«  Si,  tournant  tes  regards  vers  Dieu,  tu  changes  de  des- 
«  sein,  et  si  tu  ne  souffres  pas  qu'on  tue  ces  gens-là,  Dieu 
«  sera  avec  toi,  et  tu  obtiendras  la  victoire;  mais  si  tu 

(i)  Nommée  Suavegothc. 

(2)  L'an  SaD.  Ail  de  verif.  les  Dates. 

(3)  A  deux  lieues  environ  d'Orléans. 


LIVRE  TROISIÈME.  135 

«  les  tues,  tu  seras  livré  toi-même  aux  mains  de  tes  en- 
«  nemis,  et  tu  subiras  leur  sort  :  il  arrivera  à  toi,  à  ta 
«  femme  et  à  tes  fils,  ce  que  tu  auras  fait  à  Sigismond,  à 
«  sa  femme  et  à  ses  enfans.  »  Mais  Clodomir,  sans  tenir 
compte  de  cet  avis  :  «  Ce  serait,  dit-il,  une  grande  sot- 
ce  tise,  de  laisser  un  ennemi  chez  moi  quand  je  marche 
«  contre  un  autre  :  pendant  que  les  uns  m'attaqueraient 
«  par-derrière  et  l'autre  de  front,  je  me  trouverais  jeté 
«  entre  deux  armées.  La  victoire  sera  plus  sûre  et  plus 
«  facile  si  je  sépare  l'un  de  l'autre  :  le  premier  une  fois 
«  mort,  il  sera  aisé  de  se  défaire  aussi  du  second.  »  Il  fit 
donc  mourir  Sigismond  avec  sa  femme  et  ses  fils  (i),  or- 
donna de  les  jeter  dans  un  puits  du  village  de  Coulmier(2), 
dépendant  du  territoire  d'Orléans,  et  partit  pour  la  Bour- 
gogne, après  avoir  demandé  du  secours  au  roi  Théodéric. 
Celui-ci,  peu  jaloux  de  venger  la  mort  de  son  beau-père, 
promit  son  concours;  et  les  deux  rois  s'étant  joints  dans 
un  lieu  nommé  Veseronce  (3) ,  dépendant  de  la  cité  de 
Vienne ,  livrèrent  bataille  à  Godomar.  Celui-ci  prit  la 
fuite  avec  son  armée.  Clodomir  marcha  sur  ses  traces;  et 
comme  il  se  trouvait  un  peu  éloigné  des  siens,  les  Bour- 
guignons, imitant  son  cri  de  guerre  (4),  l'appelèrent,  en  lui 


(i)  L'an  524.  Art  de  vérif.  les  Dates. 
■  (2)  Columna  serait  Colnmelle,  suivant  Ruinart  et  Dubos  ;  Saint- 
Père- Avi-la-Colombe ,  suivant  Baillet  et  Belley  ;  Coulmier,  suivant 
le  Cointe  et  DanieL  Voyez  la  Dissertation  de  l'abbé  Belley,  dans  le 
Recueil  de  l'Acad.  des  Inscript.,  toni.  xviii,  Hist.,  p.  261-265. 

(3)  IVous  suivons  ici  le  sentiment  d'Hadrien  de  Valois  et  du  Pèi-e 
le  Cointe,  qui  retrouvent  Vironiia  ou  Visorontia  dans  Veseronce  sm* 
le  Rhône,  entre  Vienne  et  Belley.  Le  P.  Labbe  a  cru  retrouver  ce 
lieu  dans  Voiron  en  Dauphiné. 

(4)  Signiim  nous  a  paru  devoir  être  traduit  ici  par  cri  de  guerre. 
Voyez  Du  Gange,  Glossar.,  au  mot  signum. 


136  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

disant  :  «  Ici  !  ici  !  A  nous!  nous  sommes  des  tiens!  »  Clo- 
domir  tomba  dans  le  piège,  courut  vers  eux,  et  se  préci- 
pita ainsi  au  milieu  de  ses  ennemis ,  qui  lui  coupèrent  la 
tête,  la  fixèrent  au  bout  d'une  pique,  et  relevèrent  en 
l'air  (i).  A  cette  vue,  les  Francs  reconnaissant  que  Clo- 
domir  est  tué,  rassemblent  leurs  forces,  mettent  en  fuite 
Godomar,  écrasent  les  Bourguignons,  et  soumettent  tout 
le  pays  à  leur  pouvoir.  Clotaire  épousa  aussitôt  la  femme 
de  Clodomir  son  frère,  nommée  Gontheuque;  et  la  reine 
Clotilde,  après  les  jours  de  deuil,  prit  et  garda  avec  elle 
les  fils  de  celui-ci,  nommés,  l'un  Tliéodoald,  le  second 
Gonthaire,  et  le  troisième  Clodoald.  Godomar  rentra  de 
nouveau  en  possession  de  son  royaume. 

YII.  Théodéric  n'avait  point  oublié  le  parjure  d'Her- 
menfroi ,  roi  des  Thuringiens.  Il  demande  le  secours  de 
son  frère  Clotaire,  en  lui  promettant  une  part  du  butin  si 
Dieu  leur  accordait  la  victoire,  et  se  dispose  à  entrer  en 
Thuringe  ('2).  Ayant  convoqué  les  Francs,  il  leur  dit  : 
«  N'êtes-vous  pas  indignés,  je  vous  le  demande,  et  de 
i<  l'injure  que  j'ai  reçue,  et  de  la  mort  de  vos  pères  (3)? 
«  Rappelez-vous  que  jadis  les  Thuringiens  se  sont  jetés 
«  violemment  sur  nos  parens,  et  leur  ont  fait  beaucoup  de 
«  mal.  Nos  pères,  vous  le  savez ,  leur  donnèrent  des  otages 
«  pour  obtenir  la  paix;  mais  les  Thuringiens  firent  périr 

(i)  L'an  524. 

(2)  Vers  l'an  528.  (Bouq.) 

(3)  D.  Ruinart  pense  que  ces  paroles  de  Théodéric  se  lapportent  à 
la  guerre  dont  il  a  été  parlé  ci-dessus,  chap.  4-  Cette  opinion  ne  nous 
paraît  gut-re  justifiée.  Dans  la  guerre  décrite  plus  haut,  ce  sont  les 
Francs  qui  vont  attaquer  chez  eux  les  Thuringiens,  et  tout  ce  que  dit 
ici  Grégoire  de  Tours  semble  se  rapporter  à  une  guerre  d'invasion  de 
la  part  des  Thuringiens. 


LIVRE  TROISIÈME.  137 

«  ces  otages  par  divers  genres  de  mort  ;  et  se  précipitant 
«encore  sur  nos  parens,  leur  enlevèrent  tout  ce  qu'ils 
«  avaient.  Après  avoir  pendu,  par  le  nerf  de  la  cuisse,  des 
«  enfans  aux  branches  des  arbres,  ils  firent  périr  d'une 
«mort  cruelle  plus  de  deux  cents  jeunes  filles,  en  les 
«  attachant  par  les  bras  au  cou  de  chevaux  qui,  forcés  à 
«  coups  d'aiguillons  acérés  de  tirer  chacun  d'un  côté  dif- 
«férent,  déchiraient  ces  malheureuses  en  morceaux;  ils 
«  eu  étendirent  d'autres  sur  les  ornières  des  chemins,  les 
«  clouèrent  en  terre  avec  des  pieux,  firent  passer  sur  elles 
«  des  chariots  chargés,  et  les  livrèrent  ainsi,  les  os  brisés, 
«  en  pâture  aux  oiseaux  et  aux  chiens.  Aujourd'hui  même 
«  Hermenfroi  manque  à  ce  qu'il  m'a  promis ,  et  refuse 
«  absolument  de  remplir  ses  engagemens.  Le  bon  droit  est 
«  pour  nous;  marchons  contre  eux  avec  l'aide  de  Dieu.  » 
Alors  les  Francs,  indignés  de  tant  d'atrocités,  demandent 
tous  ensemble  et  d'une  commune  voix  à  marcher  en  Thu- 
ringe.  Théodéric,  secondé  par  son  frère  Clotaire  et  par 
Théodebert  son  fils,  partit  donc  avec  son  armée.  Mais 
les  Thuringiens  dressent  des  embûches  sur  les  pas  des 
Francs  :  ils  creusent ,  dans  les  champs  où  l'on  doit  se  bat- 
tre ,  des  fosses ,  dont  l'ouverture ,  cachée  par  un  épais 
gazon  ,  ne  laisse  voir  qu'une  plaine  unie.  Dès  que  le  com- 
bat s'engagea,  un  grand  nombre  de  cavaliers  francs  tomba 
dans  ces  fosses,  ce  qui  leur  causa  beaucoup  d'embarras; 
mais  lorsque  le  piège  fut  connu,  ils  surent  s'en  garantir. 
Enfin,  les  Thuringiens  se  voyant  taillés  en  pièces,  voyant 
leur  roi  Hermenfroi  mis  en  fuite ,  tournèrent  le  dos,  et  se 
retirèrent  jusqu'au  fleuve  de  l'Unstrut.  Mais  là  il  se  fit 
un  tel  carnage  des  leurs,  que  le  lit  du  fleuve  fut  rempli 
par  un  monceau  de  cadavres,  qui  servit  aux  Francs  comme 
de  pont  pour  passer  à  l'autre  bord.  Cette  victoire  rendit 


138  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

les  Francs  maîtres  de  la  Thuringe,  qu'ils  réduisirent  sous 
leur  domination.  En  quittant  ce  pays  (  i  ) ,  Clotaire  emmena 
captive  Radegonde,  fille  du  roi  Berthaire ,  et  l'épousa; 
plus  tard ,  il  fit  tuer  méchamment  son  frère  par  des  scé- 
lérats, Radegonde  s'étant  vouée  au  Seigneur,  prit  l'habit 
religieux,  et  se  bâtit  à  Poitiers  un  monastère,  où  elle  se 
distingua  tellement  par  ses  prières,  ses  jeûnes,  ses  veilles 
et  ses  aumônes,  qu'elle  acquit  la  plus  grande  réputation 
dans  le  peuple.  Pendant  que  les  rois  fi^ancs  étaient  encore 
en  Thuringe,  Théodéric  voulut  tuer  son  frère  Clotaire. 
Ayant  aposté  des  hommes  armés,  il  le  fit  venir  comme 
pour  traiter  secrètement  de  quelque  affaire.  Puis  ayant 
disposé  dans  une  partie  de  sa  maison  une  tente  d'un  mur 
à  l'autre,  il  plaça  ses  hommes  armés  derrière;  mais  comme 
elle  était  trop  courte,  elle  laissa  voir  leurs  pieds.  Clo- 
taire ayant  eu  connaissance  du  piège ,  entra  dans  la 
maison  en  armes  et  bien  accompagné.  Théodéric  comprit 
alors  qu'il  était  découvert,  inventa  une  fable,  et  parla  de 
choses  et  d'autres.  Enfin,  ne  sachant  comment  faire  ou- 
blier sa  trahison,  il  fit  présent  à  Clotaire  d'un  grand  plat 
d'argent.  Clotaire  lui  dit  adieu,  le  remercia,  et  s'en  re- 
tourna chez  lui.  Mais  Théodéric  se  plaint  aussitôt  aux 
siens  d'avoir  sacrifié  sans  utilité  son  plat  d'argent,  et  dit 
à  son  fils  Théodebert  :  «Va  trouver  ton  oncle,  et  prie-le 
«  de  consentir  à  te  céder  le  présent  que  je  lui  ai  fait.  » 
Théodebert  y  alla ,  et  obtint  ce  qu'il  demandait.  Théo- 
déric excellait  dans  ces  sortes  de  ruses. 

VIÏI.   Lorsque  Théodéric  fut  de  retour,  il  fit  venir 
Hermcnfroi,  en  lui  jurant  qu'il  n'avait  rien  à  craindre, 


(i)  Yers  l'an  529.  (Bouq.) 


LIVRE  TROISIÈME.  139 

et  le  combla  de  magnifiques  présens.  Mais  un  jour  qu'ils 
s'entretenaient  ensemble  sur  les  murs  de  la  ville  de  Zulpic, 
Hermenfroi ,  poussé  par  je  ne  sais  qui ,  fut  précipité  au  pied 
de  ces  murs,  et  y  rendit  l'esprit  (i).  Nous  ignorons  par 
qui  il  fut  jeté  en  bas  ;  toutefois  bien  des  gens  assurent 
qu'on  reconnut  là  clairement  la  perfidie  de  Théodéric. 

IX.  Pendant  que  ce  roi  était  encore  en  Thuringe,  le 
bruit  courut  à  Clermont  qu'il  avait  été  tué.  Alors  Arca- 
dius,  l'un  des  sénateurs  de  la  ville,  engagea  Childebert 
à  s'emparer  du  pays.  Celui-ci  partit  sans  retard  pour 
Clermont.  Il  faisait  ce  jour-là  un  brouillard  si  épais,  que 
la  vue  ne  pouvait  s'étendre  au-delà  des  deux  tiers  d'un 

j'ugere  (2).  Le  roi  Childebert  disait  souvent  :  «Je  voudrais 
«  bien  voir  de  mes  propres  yeux  la  Limagne  d'Auvergne , 
«  qu'on  dit  si  belle  et  si  riante.  »  Mais  Dieu  ne  lui  accorda 
pas  cette  satisfaction.  Comme  les  portes  de  Clermont 
étaient  fermées  à  clef,  et  qu'il  n'existait  aucun  passage 
pour  entrer  dans  la  ville,  Arcadius  l'y  introduisit  en  bri- 
sant la  serrure  de  l'une  des  portes.  Mais  pendant  que  cela 
se  passait,  on  annonça  que  Théodéric  était  revenu  vivant 
de  Thuringe. 

X.  Childebert  ayant  été  informé  positivement  de  cette 
nouvelle ,  quitta  Clermont,  et  se  rendit  en  Espagne  auprès 
de  sa  sœur  Clotilde(3).  Celle-ci  était  tourmentée  de  toutes 
les  manières ,  à  cause  de  son  catholicisme ,  par  son  mari 


(i)  Yers  l'an  55o.  (Bouq.)  Procope  rapporte  que  les  Francs,  après 
avoir  tué  Hermenfroi,  s'emparèrent  de  la  Thuringe  {Ilisl.  Gotth., 
lib.  1).  (Ruin.) 

(2)  Le  double  de  l'arpcnl  gaulois. 

(3)  L'an  55 1.  (liouci.) 


140  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

Amalaric.  Très  souvent,  lorsqu'elle  se  rendait  à  la  sainte 
église,  il  faisait  jeter  sur  elle  du  fumier  et  d'autres  or- 
dures. A  la  fin,  elle  fut  maltraitée,  dit-on,  avec  tant  de 
cruauté,  qu'elle  envoya  à  son  frère  un  mouchoir  teint 
de  son  jDropre  sang;  et  celui-ci,  enflammé  de  courroux, 
se  rend  en  Espagne  (i),  Amalaric,  apprenant  son  arri- 
vée, prépare  des  vaisseaux  pour  s'enfuir.  Mais  Childebert 
était  déjà  tout  proche,  lorsque  le  roi  des  Gotlis,  au  mo- 
ment de  s'embarquer,  se  rappelle  qu'il  a  laissé  dans  son 
trésor  une  grande  quantité  de  pierres  précieuses.  Il  re- 
vient alors  à  la  ville  pour  les  prendre  ;  mais  l'armée  des 
Francs  l'empêcha  de  regagner  le  port.  Voyant  qu'il  ne 
pouvait  s'échapper,  il  tenta  de  se  réfugier  dans  l'église 
des  chrétiens  (2).  Avant  qu'il  pût  atteindre  le  seuil  sa- 
cré, il  fut  blessé  mortellement  d'un  coup  de  javelot,  et 
rendit  l'esprit  sur  le  lieu  même.  Alors  Childebert  reprit 
sa  sœur  avec  de  riches  trésors,  et  se  disposait  à  la  rame- 
ner avec  lui,  lorsqu'elle  mourut  en  route,  je  ne  sais  par 
quel  accident.  Elle  fut  portée  à  Paris ,  où  on  l'enterra 
près  de  Clovls  son  père.  Childebert  rapporta,  parmi  ses 
trésors,  des  objets  consacrés  au  culte  et  d'un  très  grand 


(i)  Quelques  savans  pensent  qu'il  faut  entendre  ici  par  Espagne 
la  Septimanie,  et  qu'Amalaric  ne  fut  point  tué  à  Barcelonne  ou  à 
Tolède ,  comme  on  l'a  prétendu ,  mais  à  Narbonne ,  parce  qu'on  don- 
nait alors  le  nom  d'Espagne  à  toutes  les  possessions  des  Visigoths, 
aussi  bien  à  celles  de  la  Gaule  qu'aux  autres  (Voyez  Had.  de  Valois, 
Rcr.francic,  lib.  VII).  (Ruin.)  —  On  voit  cependant  par  Isidore 
de  Séville  {Hist.  Gotlh.)  et  par  l'auteur  de  l'Appendice  inséré  dans  la 
Chronique  de  Victor  de  Tune,  qu'Amalaric  fut  blessé  près  de  Nar- 
bonne, mais  qu'il  ne  fut  tué  qu'à  Barcelonne.  Frédégaire  {Hist.  Epil., 
cap.  3i  et  42)  le  fait  aussi  mourir  dans  cette  dernière  ville.  (Bouq.) 

(2)  C'est-à-dire  des  catholiques,  appelés  ici  chrétiens  par  oppo- 
sition aux  ariens.       ' 


LIVRE  TROISIÈME.  I4l 

prix ,  savoir  :  soixante  calices  ,  quinze  palènes ,  vingt 
boîtes  d'évangiles;  le  tout  en  or  pur  et  orné  de  pierres 
précieuses.  Il  défendit  qu'on  détruisît  rien ,  et  distribua 
le  tout  aux  églises  et  aux  monastères  des  saints, 

XL  Clotaire  et  Childebert  se  disposèrent  ensuite  h 
marcber  sur  la  Bourgogne.  Ils  demandèrent  du  secours  à 
Théodéric,  qui  refusa  de  se  joindre  à  eux.  Cependant  les 
Francs  qui  formaient  son  parti  lui  dirent  :  «  Si  tu  refuses 
«  d'aller  en  Bourgogne  avec  tes  frères,  nous  te  quittons, 
«  et  nous  aimons  mieux  les  suivre.  »  Mais  Tbéodéric  pen- 
sant que  les  Arvernes  lui  avaient  été  infidèles,  dit  aux 
Francs  :  «  Suivez-moi ,  et  je  vous  conduirai  dans  un  pays 
«  oîi  vous  prendrez  de  l'or  et  de  l'argent  autant  que  vous 
«  en  pouvez  désirer,  et  d'oîi  vous  enlèverez  des  troupeaux, 
«  des  esclaves,  des  vêtcmens  en  abondance  :  ne  suivez  donc 
«pas  mes  frères.»  Les  Francs,  séduits  par  ces  paroles, 
promettent  de  faire  tout  ce  qu'il  voudra.  Aussitôt  Tbéo- 
déric se  dispose  à  partir,  et  répète  plusieurs  fois  aux 
siens  la  promesse  de  leur  laisser  emmener  cbez  eux  tout 
le  butin  et  tous  les  prisonniers  qu'ils  feraient  en  Auver- 
gne. Cependant  Clotaire  et  Cbildebert  marcbent  en  Bour- 
gogne, assiègent  Autun,  mettent  en  fuite  Godomar,  et 
s'emparent  de  tout  le  pays.  (  i  ) 

XIÏ.  Tbéodéric  entre  en  Auvergne  avec  son  armée, 
dévaste  et  ruine  toute  la  province.  Arcadius  ,  l'auteur  de 
ce  crime,  et  dont  la  faute  entraînait  la  dévastation  de  son 
pays,  se  retira  dans  la  ville  de  Bourges,  qui  appartenait 
alors  au  royaume  de  Cbildebert.  Mais  Placidinc  sa  mère, 

(i)  Voyez  L'clairciss.  et  obsciv.  (JNote  a.) 


14-2  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

et  Alchime,  sœur  de  son  père,  furent  prises  (i),  dépouil- 
lées de  leurs  biens,  et  envoyées  en  exil  à  Cahors.  Le  roi 
Théodéric  étant  donc  arrivé  à  Clermont,  établit  son  camp 
dans  les  faubourgs  de  la  ville.  Saint  Quintien  en  était  alors 
évêque.  Cependant  l'armée  parcourt  tout  ce  malheureux 
pays ,  saccage  et  détruit  tout.  Quelques  soldats  viennent 
jusqu'à  la  basilique  de  Saint- Julien,  en  brisent  les  portes, 
en  enlèvent  les  serrures,  pillent  le  bien  des  pauvres  qu'on 
y  avait  rassemblé,  et  y  commettent  beaucoup  de  mal.  Mais 
les  auteurs  de  ces  crimes,  saisis  de  l'esprit  immonde,  se 
déchirent  de  leurs  propres  dents,  en  poussant  des  cris  et 
en  disant  :  «  Pourquoi ,  saint  martyr,  nous  tourmentes-tu 
«  ainsi  ?  »  Nous  avons  rapporté  tout  cela  dans  le  livre  de 
ses  Miracles.  (2) 

XIII.  L'armée  de  Théodéric  assiégea  le  château  de  Vol- 
lore  (3),  et  tua  cruellement  devant  l'autel  de  l'église  le 
prêtre  Procule,  qui  avait  autrefois  outragé  saint  Quintien. 
Ce  fut,  je  crois,  à  cause  de  lui  que  le  château,  qui  s'était 
défendu  jusque-là  ,  tomba  entre  les  mains  de  ces  impies; 
car  les  assiégeans,  ne  pouvant  le  prendre,  se  disposaient  à 
s'en  retourner,  et  déjà  les  assiégés  se  réjouissaient  à  cette 
nouvelle;  mais  ils  furent  trompés  dans  leur  sécurité, 
comme  l'a  écrit  l'Apôtre  :  Lorsqu'ils  diluent  :  Nous  voici 
en  paix  et  en  sûreté ,  ils  se  trouvèrent  surpris  tout  a 
coup  par  une  ruine  imprévue  (4).  Enfin,   comme  ils 

(i)  Arcadius  était  fils  d'Apollinaire  et  petit-fils  de  saint  Sidoine. 
Voyez  liv.  ii,  cbap.  Sy  ;  et  liv.  m,  chap.  1  et  9. 

(2)  Mime.  S.  JiiL,  lih.  ii,  cap.  i5. 

(3)  Près  de  Thiern.  Il  faut  rapprocher  de  ce  chapitre  la  vie  de  saint 
Quintien,  dans  les  Vies  des  Pères,  chap.  4- 

(4)  Saint  Paul  aux  Thessal.,  épît.  i,  chap.  5,  vers.  5. 


LIVRE  TROISIÈME.  143 

s'abandonnaient  à  cette  sécurité  ,  ils  furent  livrés  aux 
mains  des  ennemis  par  un  esclave  du  prêtre  Procule  ;  et 
lorsque,  après  la  ruine  du  château,  ils  furent  emmenés 
captifs,  il  tomba  une  pluie  abondante  après  trente  jours 
de  sécheresse.  Ensuite  Chastel-Marlhac  (i)  fut  assiégé,  et 
ceux  qui  l'occupaient  se  rachetèrent  de  la  captivité  par 
une  rançon  :  ce  qu'ils  firent  par  lâcheté,  car  le  château 
était  fort  par  sa  position  naturelle.  Il  est  entouré ,  non 
par  un  mur,  mais  par  un  rocher  taillé  de  plus  de  cent 
pieds  de  hauteur.  Au  milieu  est  un  grand  étang,  dont 
l'eau  est  très  bonne  à  boire  ;  dans  une  autre  partie  sont 
des  fontaines  si  abondantes,  qu'elles  forment  un  i-uisseau 
d'eau  vive  qui  s'échappe  par  la  porte  de  la  place  ;  et  ses 
remparts  renferment  un  si  grand  espace,  que  les  habitans 
y  cultivent  des  terres,  et  y  recueillent  des  fruits  en  abon- 
dance. Les  assiégés,  pleins  d'une  vaine  confiance  dans  la 
force  de  leurs  murailles,  sortirent  au  nombre  de  cin- 
quante, dans  l'espoir  de  faire  quelque  butin,  et  de  venir 
ensuite  se  renfermer  de  nouveau  dans  leur  château;  mais 
ils  furent  pris  par  l'ennemi,  et  exposés,  les  mains  liées 
derrière  le  dos  et  la  tête  sous  le  glaive ,  à  la  vue  de  leurs 
parens.  Alors  ceux-ci,  afin  de  leur  conserver  la  vie,  consen- 
tirent à  donner  quatre  onces  d'or  pour  la  rançon  de  cha- 
cun d'eux.  Théodéric,  à  son  départ  de  Clermont,  y  laissa 
son  parent  Sigcvald,  comme  pour  la  garde  de  la  place  (2). 
11  y  avait  alors,  parmi  les  officiers  chargés  de  convoquer 
l'armée,  un  certain  Litigius  qui  vexait  saint  Quintien  de 
toutes  les  manières;  et  quoique  le  saint  évêque  se  pro- 
sternât à  ses  pieds,  il  n'en  résistait  pa§  moins  à  toutes  ses 


(i)  Dans  le  Cantal,  anondissenient  de  Maiiiiac. 
{■?.)  Voyez  le  cliap.  i4  des  Miracles  de  saint  Julien. 


144  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

cxliortations.  Un  jour  même  il  raconta  à  sa  femme,  comme 
une  chose  ridicule,  ce  que  le  saint  cvêqre  avait  fait;  mais 
celle-ci,  animée  cVun  meilleur  esprit,  lui  dit  :  a  Si  tu  t'es 
«  perdu  aujourd'hui  à  ce  point,  tu  ne  t'en  relèveras  ja- 
«  mais.  »  Trois  jours  après  il  arriva  des  envovés  du  roi 
qui  l'emmenèrent  enchaîné  avec  sa  femme  et  ses  enfans; 
il  partit,  et  ne  revint  plus  à  Clermont. 

XIV.  Mondéric ,  qui  se  donnait  pour  parent  du  roi , 
disait,  enflé  d'orgueil  :  «  Qu'ai-je  affaire  au  roi  Théo- 
«  déric?  le  trône  m'appartient  comme  à  lui.  Je  sortirai, 
«j'assemblerai  mon  peuple,  je  lui  ferai  prêter  serment, 
«  et  Théodéric  apprendra  que  je  suis  roi  comme  lui.  »  Il 
se  présenta  donc  au  peuple,  et  essaya  de  le  séduire  en 
disant  :  «  C'est  moi  qui  suis  votre  chef  :  suivez-moi ,  et 
«  vous  vous  en  trouverez  bien.  »  Il  fut  donc  suivi  d'une 
troupe  de  gens  grossiers,  qui,  comme  il  arrive  souvent  à 
la  fragilité  humaine,  lui  prêtèrent  serment  de  fidélité,  et 
lui  rendirent  les  hommages  royaux.  A  cette  nouvelle  Théo- 
déric lui  fit  dire  :  «Viens  me  trouver,  et  s'il  t'est  dû 
«  quelque  portion  de  mon  royaume,  tu  la  recevras  »  (i). 
Théodéric  ne  parlait  ainsi  que  par  ruse,  et  dans  l'espoir 
d'attirer  vers  lui  Mondéric  pour  le  tuer.  Mais  celui-ci 


(i)  Cette  histoire  de  la  révolte  de  Mondéric  pourrait  faire  supposer 
que  non  seulement  tous  les  fds,  mais  encore  les  parens  des  rois,  eurent 
des  droits  au  partage  des  royaumes,  ou  du  moins  à  ce  qu'on  appela 
plus  tard  des  apanages.  Mondéric  se  dit  parent  du  roi,  et  appuie  ses 
prétentions  sur  ce  titre.  Le  roi  Théodéric  lui-même  scmhle  recon- 
naître, sinon  le  droit,- du  moins  le  principe,  puisqu'il  dit  :  «  S'il  t'est 
«  dû  quelque  portion  de  mon  royaume,  tu  la  recevras.  »  Celte  suppo- 
sition semhlerait  encore  appuyée  par  la  conduite  de  Clovis  envers  ses 
parens,  qu'il  fit  mourir  jusqu'au  dernier,  de  crainte  qu'ils  ne  vinssent 
à  lui  enlever  !e  royaume.  (  Liv.  u ,  chap.  4^-  ) 


LIVRE  TROISIÈME.  145 

refusa,  en  disant  :  «Allez;  rapportez  à  votre  roi  que  je 
«  suis  roi  tout  comme  lui.  »  Alors  Théodéric   fit  mar- 
cher une  armée  pour  le  réduire.  Aussitôt  que  Mondéric 
apprend  cela ,  ne  se  sentant  pas  assez  fort  pour  se  dé- 
fendre, il  arme  la  place  de  Vitry  (i),  s'y  renferme  avec 
toutes  ses  richesses,  et  cherche  à  s'y  fortifier  en  y  ras- 
semblant tous  ceux  qu'il  avait  séduits.  L'armée  enne- 
mie entoura  le  château,  et  l'assiégea  pendant  sept  jours, 
Mondéric  résistait  à  la  tête  des  siens  ,  en  leur  disant  : 
«  Tenons  ferme;  combattons  ensemble  jusqu'à  la  mort,  et 
«  nous  ne  serons  pas  vaincus  par  nos  ennemis.  »  Comme 
l'armée  qui  entourait  la  place  lançait  des  traits  contre  ses 
murs  et  n'avançait  à  rien,  on  en  référa  au  roi,  qui  en- 
voya un  des  siens,  nommé  Arégisile,  en  lui  disant  :  «Tu 
«  vois  que  ce  traître  réussit  dans  sa  révolte  ;  va  le  trou- 
«  ver,  et  promets-lui  sous  serment  qu'il  peut  sortir  sans 
«crainte;  et  lorsqu'il  sera  sorti,  tue-le,  et  qu'il  ne  soit 
«  plus  question  de  lui  dans  notre  royaume.  »  Arégisile 
partit ,  et  exécuta  les  ordres  qu'il  avait  reçus.  Il   était 
convenu  d'avance  d'un  signal  avec  les  siens,  en  leur  disant  : 
«  Lorsque  j'aurai  prononcé  telle  et  telle  parole,  jetez-vous 
«  sur  lui,  et  tuez-le  aussitôt.»  Arrivé  près  de  Mondéric, 
Arégisile  lui  dit  :  «  Jusques  à  quand  resteras-tu  ici  comme 
«un   insensé?  Pourras -tu  long -temps  résister  au  roi? 
«  Quand  les  vivres  te  manqueront  et  que  la  faim  te  pres- 
«sera,  tu  sortiras,  tu  te  livreras  entre  les  mains  de  tes 
«  ennemis,  et  tu  mourras  comme  un  chien.  Ecoute  plutôt 


(i)  Vitry  en  Champagne,  selon  Had.  de  Valois  et  D.  Ruinart.  Il 
faut  dire  cependant  qii'Aimoin  a  rapporté  à  un  lieu  d'Auvergne , 
nommé  également  Ficlnriacum,  ce  que  dit  ici  Grégoire  de  Tours. 
(  Aimoin. ,  lib.  n  ,  cap.  8.  ) 

I.  lO 


i4G  HISTOIRE  DES  FRAMCS. 

«  mes  conseils  :  Soumets-toi  au  roi ,  afin  de  conserver  ta 
«  vie  et  celle  de  tes  fils.  »  Mondéric,  ébranlé  par  ce  dis- 
cours, répondit  :  «  Si  je  sors,  je  serai  pris  par  le  roi  et 
«  mis  à  mort  avec  mes  fils  et  avec  tous  les  miens  qui  se 
«  sont  réunis  à  moi.  —  Ne  crains  rien ,  reprit  Arégisile  ; 
«  si  tu  veux  sortir,  reçois  le  serment  qu'il  ne  te  sera  fait 
«  aucun  mal ,  et  présente  -  toi  hardiment  devant  le  roi  ; 
«  ne  crains  rien,  tu  seras  près  de  lui  comme  auparavant. 
a  —  Plût  à  Dieu  ,  dit  Mondéric,  que  je  fusse  sûr  de  n'être 
c(  pas  tué!  »  Alors  Arégisile,  les  mains  posées  sur  le  saint 
autel ,  lui  fit  serment  qu'il  pouvait  sortir  en  toute  sûreté. 
Après  avoir  reçu  ce  serment,  Mondéric  passe  la  porte  du 
château,  en  donnant  la  main  à  Arégisile.  Et  comme  l'ar- 
mée le  regardait  venir  de  loin ,  Arégisile  dit  pour  signal  : 
«  Que  regardez-vous  donc  avec  tant  d'attention  ?  n'avez- 
«  vous  jamais  vu  Mondéric  ?  »  Aussitôt  on  se  jette  sur  lui  ; 
et  celui-ci,  devinant  ce  qui  en  était:  «Je  vois  clairement, 
«  dit-il ,  que  ces  paroles  sont  pour  les  tiens  le  signal  de 
«  me  tuer;  mais  je  t'en  avertis,  puisque  tu  m'as  trompé  par 
u  tes  parjures,  personne  ne  te  verra  plus  en  vie.  »  Et  lui 
ayant  enfoncé  sa  lance  dans  les  épaules,  il  le  transperça 
et  retendit  mort;  puis  tirant  l'épée  à  la  tête  des  siens,  il 
fit  un  grand  carnage  de  ses  ennemis;  et  jusqu'au  moment 
où  il  rendit  l'esprit ,  il  ne  cessa  de  tuer  tous  ceux  qu'il 
put  atteindre.  Après  sa  mort  ses  biens  furent  dévolus  au 
fisc. 

XV.  Théodéric  et  Childebert  firent  alliance,  se  pro- 
mirent sous  serment  de  ne  pas  marcher  l'un  contre  l'au- 
tre, et  se  donnèrent  mutuellement  des  otages  pour  plus 
torte  garantie  de  leurs  conventions  :  parmi  ces  otages  se 
trouvaient  plusieurs  fils  de  sénateurs.  Mais  de  nouveaux 


LIVRE  TROISIÈME.  147 

différends  s'étant  bientôt  élevés  entre  les  deux  rois  (i), 
les  otages  furent  réduits  en  servitude,  et  ceux  qui  les 
avaient  reçus  en  garde  en  firent  leurs  esclaves.  Cependant 
beaucoup  de  ces  otages  s'écbappèrent  et  retournèrent 
dans  leur  pays  ;  un  petit  nombre  seulement  fut  retenu  en 
servitude.  Parmi  ceux-ci  se  trouvait  Attale,  neveu  du 
bienheureux  Grégoire,  évêque  de  Langres.  Fait  esclave 
de  l'Etat,  il  fut  destiné  à  garder  les  chevaux,  et  attaché 
au  service  d'un  barbare  qui  habitait  le  pays  de  Trêves. 
Le  bienheureux  Grégoire  envoya  à  sa  recherche  des  ser- 
viteurs qui  le  découvrirent,  et  offrirent,  pour  le  délivrer, 
des  présens  à  son  maître  ;  mais  celui-ci  les  refusa,  en  disant  : 
«Un  homme  d'une  telle  origine  doit  payer  dix  livres  d'or 
«  pour  sa  rançon,  w  Au  retour  des  envoyés,  un  nommé  Léon, 
attaché  à  la  cuisine  de  l'évêque,  lui  dit  :  «  Si  tu  voulais  me 
«  laisser  partir,  je  serais  peut-être  assez  heureux  pour  tirer 
<f  Attale  de  captivité?»  L'évêque,  joyeux  de  cette  offre, 
envoya  son  serviteur.  Celui-ci,  arrivé  sur  les  lieux,  essaya 
d'abord  d'enlever  secrètement  le  jeune  Attale,  mais  il 
n'y  put  réussir.  Alors  il  s'adressa  à  un  homme  qu'il  ren- 
contra, et  lui  dit  :  «  Viens  me  vendre  dans  la  maison  de 
«  ce  barbare,  et  le  prix  de  cette  vente  sera  pour  toi. Tout 
«  ce  que  je  veux ,  c'est  d'avoir  le  moyen  d'exécuter  plus 
«  facilement  le  projet  que  j'ai  conçu.  »  Le  marché  ayant 
été  conclu  sous  serment,  l'homme  le  suivit,  le  vendit 
douze  sous  d'or,  et  se  retira.  Or  le  barbare  demanda  à  cet 
esclave,  d'un  extérieur  grossier,  ce  qu'il  savait  faire,  et 
celui-ci  répondit  :  «  Je  sais  très  bien  apprêter  tout  ce  qui 
«  se  sert  sur  la  table  des  maîtres,  et  je  ne  crains  pas  qu'on 
«  trouve  mon  pareil  dans  cet  art.  Je  le  dis  avec  vérité,  quanrl 

(i)  L'an  555. 


148  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  tu  auras  même  à  traiter  le  roi ,  je  suis  en  état  d'apprêter 
«  un  festin  royal,  et  personne  ne  saurait  mieux  faire  que 
«  moi.  »  Le  maître  lui  dit  alors  :  «  Le  jour  du  soleil  ap- 
«  proche  (c'est  ainsi  que  les  barbares  ont  coutume  d'ap- 
«  peler  le  dimanche)  ;  ce  jour-là  j'inviterai  dans  ma  mai- 
ce  son  mes  voisins  et  mes  parens,  et  je  désire  que  tu  me 
«  prépares  un  repas  qui  excite  leur  admiration ,  et  dont 
«  ils  disent  :  Nous  ne  vîmes  jamais  rien  de  mieux  dans  la 
«  maison  du  roi.  —  Si  mon  maître,  reprit  Léon,  veut  faire 
«  faire  une  grande  provision  de  volailles,  j'exécuterai  ce 
«  qu'il  ordonne.  )>  On  prépara  donc  ce  qui  avait  été  de- 
mandé. Le  dimanche  arriva,  et  l'esclave  servit  un  grand 
festin  composé  des  mets  les  plus  délicats.  Tous  les  parens 
se  retirèrent  après  avoir  bien  mangé,  et  fait  du  repas  un 
grand  éloge.  Le  maître  accorda  sa  faveur  à  son  esclave, 
et  lui  donna  autorité  sur  tout  ce  qui  l'entourait.  Il  l'ai- 
mait beaucoup,  et  c'était  Léon  qui  distribuait  les  vivres 
à  tous  ses  camarades.  Après  un  an ,  lorsque  le  maître 
croyait  être  sûr  de  son  esclave,  celui-ci  s'en  alla  dans  une 
prairie  voisine  de  la  maison  avec  Attale,  le  gardeur  de 
chevaux  ;  et  tous  les  deux  s'étant  couchés  à  terre  à  quelque 
distance  l'un  de  l'autre  et  en  se  tournant  le  dos,  afin  qu'on 
ne  pût  soupçonner  qu'ils  causaient  ensemble,  Léon  dit  au 
jeune  homme  :  «  Il  est  temps  que  nous  pensions  à  notre 
«  pays  ;  c'est  pourquoi  je  te  le  recommande ,  lorsque  la 
«  nuit  sera  venue  et  que  tu  auras  enfermé  les  chevaux, 
«  ne  te  laisse  pas  aller  au  sommeil;  mais  dès  que  je  t'ap- 
«  pellerai,  sois  prêt,  et  nous  partirons.  »  Le  barbare  avait 
invité  ce  jour-là  à  sa  table  plusieurs  de  ses  parens,  et 
entre  autres  son  gendre,  le  mari  de  sa  propre  fille.  Au 
milieu  de  la  nuit  les  convives  se  lèvent  de  table,  et  se 
livrent  au  repos.  Le  gendre  se  retire  dans  sa  chambre,  et 


LIVRE  TROISIÈME.  149 

Léon  l'y  suit  avec  tlu  vin,  et  lui  verse  à  boire.  Le  gendre 
l'apostropha  alors  en  ces  termes  :  «  Dis-moi,  toi,  l'homme 
«  de  confiance  de  mon  beau-père ,  supposé  que  tu  en  aies 
«  le  pouvoir,  quand  auras-tu  la  volonté  de  prendre  ses 
«chevaux,  et  de  t'en  aller  dans  ton  pays?»  Cela,  il  le 
disait  par  plaisanterie  et  pour  s'amuser.  Léon ,  à  son 
tour,  lui  répondit  la  vérité  en  riant  :  «  Si  Dieu  le  veut , 
a  dit-il ,  je  m'y  prépare  pour  cette  nuit  même.  —  Plaise 
«  au  ciel ,  reprit  l'autre ,  que  mes  serviteurs  fassent  bonne 
«  garde,  afin  que  tu  ne  prennes  rien  de  ce  qui  m'appar- 
«  tient  »  ;  et  ils  se  séparèrent  en  riant.  Pendant  que  tout 
le  monde  donnait ,  Léon  appela  Attale  ;  et ,  les  chevaux 
sellés ,  il  lui  demanda  s'il  avait  une  épée  :  «  Je  n'ai ,  ré- 
«  pondit  Attale,  qu'une  petite  lance.  »  Alors  Léon  entra 
dans  l'appartement  de  son  maître,  et  lui  prit  son  bouclier 
et  sa  framée  ;  et  comme  celui-ci  demandait  qui  était  là ,  et 
ce  qu'on  lui  voulait  :  «  Je  suis  Léon  ton  serviteur,  ré- 
«  pondit  l'esclave ,  et  j'éveille  Attale  afin  qu'il  se  lève 
«  promptement ,  et  qu'il  mène  les  chevaux  au  pâturage , 
«  car  il  dort  comme  un  homme  ivre.  —  Fais  ce  que  tu 
«  voudras»,  lui  dit  son  maître,  et  il  se  rendormit.  Léon 
sortit,  donna  des  armes  à  son  compagnon,  et  trouva  ou- 
vertes, par  une  faveur  du  ciel ,  les  portes  de  la  cour,  que, 
pour  la  sûreté  des  chevaux ,  il  avait  fermées  à  l'entrée  de 
la  nuit  avec  des  clous  enfoncés  à  coups  de  marteau.  Il  en 
rendit  grâces  à  Dieu;  et  prenant  avec  lui  les  chevaux  qui 
restaient,  ils  s'éloignèrent,  emportant  leurs  effets  dans 
une  valise.  Arrivés  à  la  Moselle  (i),  comme  ils  se  dispo- 
saient à  traverser  le  fleuve,  ils  furent  arrêtés  par  la  pré- 


(i)  Les  cil-constances  du  récit  ne  paraissent  pas  pouvoir  convenir  à 
la  Moselle,  tandis  qu'elles  s'appliquent  très  bien  à  la  Meuse. 


150  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

sence  de  quelques  personnes,  et  forcés  d'abandonner  leurs 
chevaux  et  leurs  effets  pour  passer  le  fleuve  à  la  nage  sur 
leurs  boucliers.  Ils  abordèrent  ainsi  à  l'autre  rive,  et  à  la 
faveur  de  l'obscurité  de  la  nuit,  ils  s'enfoncèrent  dans 
une  forêt,  où  ils  se  cachèrent.  C'était  la  troisième  nuit 
qu'ils  marchaient  sans  avoir  pris  la  moindre  nourriture. 
Mais  alors,  par  la  faveur  de  Dieu,  ils  trouvèrent  un  arbre 
(ju'on  appelle  vulgairement  un  prunier,  chargé  de  fruits; 
ils  en  mangèrent,  et  s'étant  ainsi  un  peu  restaurés,  ils 
reprirent  le  chemin  de  la  Champagne.  Comme  ils  s'avan- 
cent, ils  entendent  un  bruit  de  chevaux  qui  galoppent. 
«  Jetons-nous  à  terre,  dirent-ils,  pour  n'être  pas  vus  des 
«  gens  qui  viennent)^;  et  tout  à  coup  se  présente  à  eux 
un  grand  buisson,  derrière  lequel  ils  passent;  et,  se  cou- 
chant par  terre,  ils  mettent  l'épée  à  la  main,  afin  que,  s'ils 
étaient  découverts,  ils  fussent  prêts  à  se  défendre  comme 
s'ils  avaient  affaire  à  des  voleurs.  Lorsque  les  cavaliers 
furent  arrivés  devant  le  buisson,  ils  s'arrêtèrent;  et  l'un 
d'eux,  pendant  que  les  chevaux  lâchaient  de  l'urine,  se 
prit  à  dire  :  «  Quel  malheur  de  ne  pouvoir  rencontrer  ces 
«  misérables  fugitifs!  J'en  jure  par  mon  âme,  si  je  parviens 
«  à  les  arrêter,  je  ferai  pendre  l'un ,  et  couper  l'autre  en 
(c  morceaux.  »  C'était  le  barbare  leur  maître  qui  parlait 
ainsi  :  il  revenait  de  la  ville  de  Reims,  et  les  cherchait; 
il  les  aurait  certainement  rencontrés  en  route  s'ils  ne  lui 
avaient  échappé  à  la  faveur  de  la  nuit.  Les  cavaliers 
mirent  ensuite  leurs  chevaux  en  marche,  et  s'éloignèrent. 
Léon  et  Attale  arrivèrent  cette  nuit  même  à  Reims;  et 
lorsqu'ils  y  furent  entrés,  ils  trouvèrent  un  homme  au- 
quel ils  demandèrent  la  maison  du  prêtre  Paulelle.  Cet 
homme  la  leur  indiqua.  Comme  ils  traversaient  la  place, 
la  cloche  sonna  matines ,  carr  c'était  un  dimanche.  Ils  ou- 


LIVRE  TROISIÈME.  151 

vrircnt  la  porte  du  prêtre,  entrèrent  chez  lui,  et  le  servi- 
teur lui  déclara  quel  était  son  maître.  «  Ma  vision  se  vé- 
«  rifie,dit  le  prêtre;  car  cette  nuit  je  voyais  deux  colombes, 
«  l'une  blanche ,  l'autre  noire ,  venir  en  volant  se  poser 
«  sur  ma  main.  —  Que  le  Seigneur  nous  pardonne,  reprit 
«  Léon,  si,  malgré  la  sainteté  de  ce  jour  (i),  nous  vous 
«  prions  de  nous  donner  quelque  nourriture;  car  voilà  la 
«  quatrième  journée  que  nous  n'avons  goûté  ni  pain  ni 
a  viande.  »  Le  prêtre  cacha  ses  deux  hôtes,  leur  donna  du 
pain  trempé  dans  du  vin,  et  s'en  alla  à  matines.  Le  bar- 
bare survint,  cherchant  toujours  ses  esclaves;  mais  il 
s'en  retourna  trompé  par  le  prêtre,  qui  depuis  long-temps 
était  lié  d'amitié  avec  le  bienheureux  Grégoire.  Les  jeunes 
gens,  après  avoir  réparé  leurs  forces  par  des  alimens, 
restèrent  deux  jours  dans  la  maison  du  prêtre;  puis  ils 
partirent,  et  arrivèrent  enfin  auprès  de  saint  Grégoire. 
L'évêque,  réjoui  de  les  voir,  pleura  sur  le  cou  de  son  neveu 
Attale  (2);  et  délivrant  Léon  et  toute  sa  race  du  joug  de 
la  servitude,  lui  donna  des  terres  en  propre,  sur  lesquelles 
celui-ci  vécut  libre  le  reste  de  ses  jours  avec  sa  femme 
et  ses  enfans. 

XVI.  Pendant  son  séjour  en  Auvergne,  Sigivald  y  fit 
beaucoup  de  mal  ;  car  il  ravissait  le  bien  d'autrui,  et  ses 
esclaves  ne  cessaient  de  commettre  des  vols,  des  homi- 
cides, des  violences  et  d'autres  crimes;  personne  n'osait 
même  murmurer  devant  eux.  Il  s'empara  avec  une  audace 


(i)  Il  n'était  pas  permis  alors  de  prendre  de  la  nourriture  le  diman- 
che avant  la  messe.  (  Ruin.  ) 

(2)  Attale  fut  dans  la  suite  comte  d'Autun  ;  c'est  à  lui  qu'est  adressée 
la  lettre  18  du  livre  v  de  Sidoine.  (  Ruin.  ) 


152  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

inouïe  de  la  terre  de  Boughéat(i),  que  l'évêque  Tétra- 
dius  (2)  avait  autrefois  donnée  à  la  basilique  de  Saint- 
Julien.  Mais  dès  qu'il  eut  posé  le  pied  dans  l'habitation 
de  ce  domaine  il  perdit  la  raison  ,  et  se  mit  au  lit.  Sa 
Temme  alors,  par  le  conseil  de  l'évêque,  le  plaça  sur  un 
chariot  ;  et  dès  qu'elle  l'eut  transporté  dans  un  autre  do- 
maine il  recouvra  la  santé.  Alors  elle  s'approcha  de  lui, 
cl  lui  rappela  toute  sa  conduite.  Son  mari,  après  l'avoir 
entendue,  fit  au  bienheureux  martyr  le  vœu,  qu'il  accom- 
plit, de  rendre  le  double  de  ce  qu'il  avait  enlevé.  Nous 
avons  rapporté  dans  le  livre  des  Miracles  de  saint  Julien, 
ce  trait  de  sa  puissance.  (3) 

XVII.  L'évêque  Dinife  étant  mort  à  Tours  (4),  l'église 
de  cette  ville  fut  pendant  trois  ans  gouvernée  par  Omma- 
tius,  qui  fut  consacré  par  l'ordre  du  roi  Clodomir,  dont 
nous  avons  déjà  parlé.  A  la  mort  d'Ommatius  Léon  oc- 
cupa la  chaire  pontificale  pendant  sept  mois  :  c'était  un 
homme  distingué,  et  surtout  habile  dans  l'art  de  construire 
en  bois.  Après  lui,  les  évêques  Théodore  etProcule,  qui 
étaient  venus  de  la  Bourgogne,  furent  préposés  par  la 
reine  Clotilde  à  l'administration  du  diocèse  de  Tours , 
qu'ils  conservèrent  pendant  trois  ans;  ils  furent  eux- 


(i)  Département  du  Puy-de-Dôme,  à  une  demi-lieue  de  Billom. 

(2)  Tétradius  fut  ensuite  évêque  de  Bourges.  {Mirac.  S.  JuL, 
lib.  u,  cap.  14.)  (Ruin.) 

(5)  Mirac.  S.  JuL,  cap.  i4- 

(4)  Si  l'on  rapproche  de  ce  chapitre  le  dernier  chapitre  du  livre  u 
et  la  fin  du  livre  x,  on  verra  que  notre  historien  est  très  peu  d'accord 
avec  lui-même,  et  quant  au  temps  et  quant  à  l'oi'dre  où  se  présentent 
les  évêques  de  Tours.  Ce  chapitre  xvu  se  trouve  cependant  dans  tous 
ks  manuscrils.  (  Ruin.  ) 


LIVRE  TROISIÈME.  153 

mêmes,  après  leur  mort,  remplacés  par  le  sénateur  Fran- 
cilion.  La  troisième  année  de  son  épiscopat,  pendant  que 
la  sainte  nuit  de  Noël  portait  la  joie  au  milieu  des  peu- 
ples ,  cet  évêque  ayant  demandé  à  boire  avant  de  des- 
cendre aux  vigiles,  un  esclave  s'avance  aussitôt,  et  lui 
présente  la  coupe.  Dès  qu'il  eut  bu,  il  rendit  l'esprit,  ce 
qui  fit  supposer  qu'il  avait  été  empoisonné.  Il  fut  remplacé 
sur  le  siège  pontifical  par  Injuriosus ,  l'un  des  citoyens 
de  la  ville  :  c'est  le  quinzième  évêque  de  Tours  depuis 
saint  Martin. 

XVIII. Tandis  que  la  reine  Clotilde  séjournait  à  Paris  (i), 
Childebert  voyant  que  sa  mère  avait  porté  toute  son  affec- 
tion sur  les  fils  de  Clodomir,  dont  nous  avons  parlé  plus 
haut,  en  conçut  de  l'envie;  et  craignant  que, par  la  faveur 
de  la  reine,  ils  n'eussent  part  au  royaume,  il  envoya  dire 
secrètement  à  son  frère  le  roi  Clotaire  :  «  Notre  mère  re- 
«  tient  près  d'elle  les  fils  de  notre  frère,  et  veut  leur  don- 
«  ner  le  royaume  paternel.  Il  est  nécessaire  que  tu  viennes 
«  promptementà  Paris,  et  que  nous  délibérions  ensemble 
«  sur  ce  que  nous  devons  faire  d'eux  :  seront-ils  rasés  et 
«  réduits  à  la  condition  commune ,  ou  faudra-t-il  les  tuer 
«  et  partager  également  entre  nous  le  royaume  de  notre 
«  frère?»  Clotaire,  comblé  de  joie  par  ces  paroles,  vint 
à  Paris.  Childebert  avait  déjà  répandu  dans  le  peuple  que 
les  deux  rois  se  réunissaient  afin  d'élever  au  trône  ces 
jeunes  cnfans.  Les  deux  rois  firent  donc  dire  à  la  reine , 
qui  habitait  alors  la  même  ville  :  «  Envoie-nous  les  enfans 
«  pour  que  nous  les  élevions  au  trône.  »  Clotilde,  remplie 
de  joie,  et  ignorant  leur  artifice,  fit  boire  et  manger  les 

(i)  L'an  533. 


154  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

enfans ,  et  les  envoya  en  leur  disant  :  «  Je  croirai  n'avoir 
«  pas  perdu  mon  fils  si  je  vous  vois  lui  succéder  dans  son 
«  royaume.  »  Ceux-ci  étant  partis,  furent  arrêtés  aussitôt, 
éloignés  de  leurs  serviteurs  et  de  leurs  gouverneurs ,  et  l'on 
garda  séparément  les  serviteurs  d'un  côté ,  et  les  enfans 
de  l'autre.  Alors  Childebert  et  Clotaire  envoyèrent  à  la 
reine  Arcadius,  dont  il  a  déjà  été  question  (j),  avec  des 
ciseaux  et  une  épée  nue.  Quand  il  fut  près  de  Clotilde, 
il  lui  montra  ce  qu'il  portait,  et  lui  dit  :  «Très  glorieuse 
«  reine,  tes  fils,  nos  maîtres,  désirent  connaître  ta  volonté 
«  à  l'égard  de  ces  enfans  :  veux-tu  qu'ils  vivent  avec  les 
«cheveux  coupés,  ou  qu'ils  soient  égorgés?»  Clotilde, 
épouvantée  par  ce  message,  et  transportée  d'indignation, 
surtout  lorsqu'elle  vit  l'épée  nue  et  les  ciseaux,  répondit 
au  hasard,  dans  la  douleur  qui  l'accablait  et  sans  savoir 
ce  qu'elle  allait  dire  :  «J'aime  mieux,  s'ils  ne  sont  pas 
«  élevés  au  trône  ,  les  savoir  morts  que  tondus.  »  Mais 
Arcadius,  s'inquiétant  peu  de  son  désespoir  et  de  ce  qu'elle 
pourrait  arrêter  avec  plus  de  réflexion  par  la  suite,  revint 
promptement  dire  aux  deux  rois  :  «Achevez  votre  ou- 
«  vrage;  car  la  reine,  favorable  à  vos  projets,  veut  que 
«  vous  les  accomplissiez.  »  Aussitôt  Clotaire  prend  le 
plus  âgé  par  le  bras,  le  jette  contre  terre,  et  le  tue  im- 
pitoyablement en  lui  enfonçant  un  couteau  dans  l'aisselle. 
Aux  cris  poussés  par  cet  enfant,  son  frère  se  jette  aux 
pieds  de  Childebert;  et,  prenant  ses  genoux,  il  lui  dit 
en  pleurant  :  «Secours-moi,  mon  bon  père!  que  je  ne 
«périsse  pas  comme  mon  frère!»  Childebert,  le  visage 
arrosé  de  larmes,  dit  à  Clotaire  :  «  Mon  cher  frère,  je  te 
«  demande  grâce  pour  sa  vie  ;  je  te  donnerai  tout  ce  que 

(i)  Chap.  9  et  12. 


LIVRE  TROISIÈME.  155 

«tu  voudras;  mais,  je  t'en  prie,  ne  le  tue  pas.»  Alors 
Ciotaire,  d'un  air  furieux  et  menaçant  :  «  Ou  repousse-le  », 
s'écrie-t-il,  «  ou  tu  vas  mourir  à  sa  place.  Toi,  l'instigateur 
«  de  toute  cette  affaire,  es-tu  donc  si  prompt  à  manquer 
«  de  foi  ?»  A  ces  mots ,  Childebert  repoussa  l'enfant  vers 
Ciotaire,  qui  le  prit,  lui  enfonça,  comme  à  son  frère, 
un  couteau  dans  le  côté,  et  le  tua.  Ils  firent  périr  ensuite 
les  esclaves  et  les  gouverneurs  de  ces  enfans.  Après  ces 
meurtres,  Ciotaire  monte  à  cheval,  et  s'éloigne,  s'inquié- 
tant  peu  de  la  mort  de  ses  neveux;  Childebert  se  retire 
dans  les  faubourgs  de  la  ville.  La  reine  fit  placer  les  corps 
des  deux  enfans  dans  un  cercueil,  et  les  suivit,  avec  un 
grand  appareil  de  chants  et  un  deuil  immense,  jusqu'à 
la  basilique  de  Saint-Pierre  (i),  où  elle  les  fît  enterrer 
ensemble.  L'un  avait  dix  ans ,  et  l'autre  sept  ;  Te 
troisième,  nommé  Clodoald ,  ne  put  être  pris,  et  fut  . 
sauvé  par  des  hommes  courageux.  Celui-ci ,  méprisant  un 
royaume  terrestre,  se  consacra  au  Seigneur,  se  coupa 
lui-même  les  cheveux,  et  se  fit  ecclésiastique;  il  se  voua 
tout  entier  aux  bonnes  œuvres,  et  mourut  prêtre  (2).  Les 
deux  rois  partagèrent  par  égales  portions  lé  royaume  de 
Clodomir.  La  reine  Clotilde  se  montra  si  bonne  et  si 
grande,  qu'elle  fut  honorée  de  tous;  on  la  vit  constam- 
ment répandre  des  aumônes ,  consacrer  ses  nuits  à  la 
prière  ,  et  donner  l'exemple  de  la  chasteté  et  de  toutes  les 


(i)  Depuis,  Sainte -Geneviève,  comme  nous  l'avons  déjà  dit.  Le 
meurtre  des  enfans  de  Clodomir  paraît  devoir  être  rapporté  à  l'an  SaG; 
toutefois  Had.  de  Valois  le  rapporte  à  l'an  532  ou  à  l'année  suivante. 
(Ruin.) 

('i)  11  mourut  vers  l'an  56o ,  après  avoir  fondé  un  monastère  près 
de  Paris ,  à  Novientiim ,  aujoui'd'hui  appelé ,  de  son  nom ,  Saint- 
Cloud. 


156  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

vertus.  Elle  pourvut  les  églises,  les  monastères  et  tous 
les  lieux  saints  des  terres  nécessaires,  qu'elle  distribua  avec 
tant  de  générosité  et  de  bienveillance ,  qu'alors  on  la  re- 
gardait non  comme  une  reine ,  mais  comme  la  propre 
servante  du  Seigneur,  consacrée  entièrement  à  son  ser- 
vice. Ni  la  royauté  de  ses  fils,  ni  l'ambition ,  ni  la  richesse, 
ne  purent  l'entraîner  par  orgueil  à  sa  perte,  mais  son 
humilité  la  conduisit  à  la  grâce. 

XIX.  Dans  ce  temps ,  la  ville  de  Langres  possédait  le 
bienheureux  Grégoire  (i),  prêtre  renommé  du  Seigneur, 
illustre  par  ses  miracles  et  par  ses  vertus.  Comme  j'ai  déjà 
parlé  de  cet  évêque,  je  pense  qu'il  sera  agréable  au  lec- 
teur de  trouver  ici  la  description  de  Dijon,  où  il  vivait 
h'iibituellement.  C'est  une  place  forte ,  entourée  de  murs 
très  solides.  Elle  est  bâtie  au  milieu  d'une  plaine  riante , 
dont  les  terres  sont  si  fertiles  et  si  productives,  que  les 
champs,  labourés  une  seule  fois  avant  la  semaille,  n'en 
donnent  pas  moins  de  très  riches  moissons.  Au  midi 
coule  la  rivière  d'Ouche,  qui  est  très  poissonneuse;  du 
nord  vient  une  autre  petite  rivière  (2)  qui  entre  par  une 
des  portes,  passe  sous  un  pont,  ressort  par  une  autre 
porte,  et  entoure  les  remparts  de  son  eau  rapide  (3). 
Devant  cette  dernière  porte ,  elle  fait  tourner  des  moulins 
avec  une  étonnante  vélocité.  Dijon  a  quatre  entrées,  tour- 
nées vers  les  quatre  parties  du  ciel  ;  ses  murs  sont  ornés 
de  trente -trois  tours.  Jusqu'à  vingt  pieds  de  haut,  ils 


(i)  Il  était  aïeul  de  Grégoire  de  Tours.  Voyez  notre  préface. 

(2)  Appelée  le  torrent  de  Suzon.  Elle  prend  sa  source  à  trois  lieues 
de  la  ville,  au-dessus  du  village  de  Val-Suzon. 

(3)  Nous  pensons  qu'au  lieu  de  placida,  on  devrait  lire  rapida,  qui 
convient  mieux  au  cours  du  Suzon  et  à  ce  qui  suit  immédiatement. 


LIVRE  TROISIÈME.  157 

sont  faits  de  pierres  de  taille  ;  le  dessus  est  bâti  en  moel- 
lons. Us  ont  en  tout  trente  pieds  de  hauteur  et  quinze 
pieds  d'épaisseur.  Ce  lieu  ne  porte  pas,  je  ne  sais  pour- 
quoi, le  titre  de  ville.  Il  y  a  dans  les  environs  des  sources 
précieuses.  Du  côté  de  l'occident  sont  des  montagnes 
très  fertiles,  couvertes  de  vignes  qui  fournissent  aux  lia- 
bitans  un  si  noble  falerne,  qu'ils  ne  font  aucun  cas  du  vin 
d'Ascalon.  Les  anciens  disent  que  Dijon  fut  bâti  par  l'em- 
pereur Aurélien. 

XX.  Théodéric  avait  fiancé  son  fils  Théodebert  à  la  fille 
d'un  roi,  nommée  Wisigarde.  (i) 

XXI.  Après  la  mort  de  Clovis ,  une  grande  partie  de 
ses  conquêtes  ayant  été  envahies  par  les  Goths  (2),  Théo- 
déric envoya  Théodebert,  et  Clotaire  envoya  Gontaire,  le 
plus  âgé  de  ses  fils ,  pour  les  recouvrer.  Gontaire ,  après 
s'être  avancé  jusqu'à  Rodez,  s'en  retourna,  je  ne  sais 
pourquoi;  mais  Théodebert,  allant  jusqu'à  la  ville  de  Bé- 
ziers,  s'empara  de  la  forteresse  de  Diou  (3),  et  y  fit  du 


(i)  Elle  était  fille  de  Waccon,  roi  des  Lombards.  Voyez  Paul  diac., 
de  Gest.  Lan^ob.,  liv.  1,  chap.  21.  (Ruin.) 

(2)  C'est-à-dire  par  les  Ostrogoths ,  qui ,  traversant  les  Alpes  pour 
venir  au  secours  des  Visigoths  vaincus  et  dépouillés  par  Clovis,  arrê- 
tèrent les  progrès  des  Francs ,  reprirent  même  sur  eux  plusieurs  villes, 
et  restèrent  en  possession  du  pays  compris  entre  le  Rhône  et  les  Alpes, 
la  Durance  et  la  mer.  De  là  naquirent  des  guerres  presque  continuelles 
entre  les  Ostrogoths  et  les  Francs,  jusqu'au  moment  où  les  premiers 
cédèrent  aux  seconds  leurs  possessions  de  la  Gaule.  Voyez  ce  que  nous 
avons  dit  page  221,  note  i  ;  et  page  247,  notes  2  et  3.  Procope  com- 
plète et  rectifie  Grégoire  de  Tours  au  sujet  des  rapports  qui  ont 
existé  entre  les  deux  peuples. 

(5)  Dcas  caslvwii  serait,  selon  quelques  uns,  Moniadic,  ou,  comme 
on  écrit  aujourd'hui,  Montady ,  à  deux  lieues  environ  de  Béziers. 
C'est  Diou,  selon  Ilad.  de  Valois,  dont  nous  adoptons  l'interprétation. 


158  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

butin;  il  envoya  ensuite  vers  une  autre  forteresse,  nom- 
mée Cabrière,  des  messagers  chargés  de  dire  que  si  Ton 
ne  se  soumettait,  il  livrerait  la  place  aux  flammes, et  ferait 
les  habitans  captifs. 

XXII.  Là  se  trouvait  une  dame  nommée  Deutérie,  d'un 
grand  mérite  et  d'une  grande  prudence,  dont  le  mari  avait 
fixé  son  séjour  dans  la  ville  de  Béziers;  elle  envoya  des 
messagers  à  Théodebert  pour  lui  dire  :  «  Personne,  excel- 
«  lent  roi  (i),  ne  peut  te  résister;  en  toi  nous  reconnais- 
«  sons  notre  maître.  Viens ,  et  tout  ce  qui  te  conviendra , 
«  fais-le.  »  Théodebert  vint,  entra  paisiblement  dans  la 
place,  et,  voyant  que  tous  lui  étaient  soumis,  n'y  fit  aucun 
mal.  Deutérie  alla  au-devant  de  lui;  il  la  trouva  belle, 
en  devint  amoureux,  et  la  fit  entrer  dans  son  lit. 

XXIII.  Dans  le  même  temps,  ïhéodéric  tua  à  coups 
d'épée  son  parent  Sigivald,  et  envoya  secrètement  vers 
Théodebert  pour  qu'il  mît  aussi  à  mort  le  fils  de  Sigivald , 
nommé  Givald,  qu'il  avait  près  de  lui.  Théodebert,  qui 
l'avait  tenu  sur  les  fonts  de  baptême,  ne  voulut  pas  le 
faire  périr;  il  lui  communiqua  même  la  lettre  qu'il  avait 
reçue  de  son  père ,  et  lui  dit  :  «  Fuis  loin  d'ici ,  car  j'ai 
«  reçu  de  mon  père  l'ordre  de  te  tuer.  Lorsqu'il  sera 
«mort,  si  tu  apprends  que  je  règne,  alors  reviens  vers 
«  moi  en  toute  sûreté.  »  Givald  le  remercia ,  lui  dit  adieu, 
et  partit.  Théodebert  tenait  alors  assiégée  la  ville  d'Arles, 
dont  les  Goths  s'étaient  emparés.  Givald  s'y  réfugia  ;  mais, 
s'y  trouvant  peu  en  sûreté,  il  gagna  l'Italie,  où  il  resta 
caché.  Tandis  que  cela  se  passait,  on  vint  dire  à  Théode- 

(i)  Ynvoz,  page  it>.5,  oc  que  nous  avons  (Hl  sur  le  li'ie  de  /w". 


LIVRE  TROISIÈME.  159 

bert  que  son  père  était  dangereusement  malade,  et  que 
s'il  ne  se  hâtait  de  se  rendre  promptement  près  de  lui , 
afin  de  le  trouver  encore  en  vie ,  il  serait  exclu  du  trône 
par  ses  oncles,  et  ne  rentrerait  plus  dans  le  royaume  de 
son  père.  A  ces  nouvelles,  Théodebert  quitta  tout,  et 
accourut,  laissant  Deutérie  et  sa  fille  à  Clermont.  Théo- 
déric  mourut  peu  de  jours  après,  dans  la  vingt-troisième 
année  de  son  règne  (i).  Childebert  et  Clotaire  se  liguèrent 
contre  Théodebert,  et  voulurent  lui  enlever  son  royaume; 
mais  il  les  apaisa  par  des  présens,  et,  appuyé  par  ses 
leudes  (2) ,  il  fut  affermi  sur  le  trône.  Il  envoya  ensuite 
chercher  Deutérie  à  Clermont,  et  l'épousa. 

XXIV.  Childebert,  voyant  qu'il  ne  pouvait  l'emporter 
sur  Théodebert,  lui  envoya  une  ambassade  pour  l'engager 
à  venir  le  trouver,  en  lui  disant  :  «  Je  n'ai  pas  de  fils ,  et 
«  je  désire  te  traiter  comme  mon  fils.  »  Théodebert  s'étant 
rendu  près  de  lui,  Childebert  le  combla  de  tant  de  présens 
que  tout  le  monde  en  fut  dans  l'admiration  ;  car  il  lui  donna 
trois  paires  de  toutes  les  choses  utiles,  soit  armes,  habits 
ou  autres  ornemens,  qui  conviennent  à  un  roi.  Il  lui  donna 
aussi  un  même  nombre  de  chevaux  et  de  bassins  précieux. 
Lorsque  Givald  eut  appris  que  Théodebert  était  entré  en 
possession  du  royaume  de  son  père ,  il  revint  auprès  de 
lui.  Celui-ci,  comblé  de  joie,  l'embrassa,  lui  donna  le 
tiers  des  présens  qu'il  avait  reçus  de  son  oncle ,  et  lui  fit 
rendre  tous  les  biens  de  Sigivald ,  que  Théodéric  avait 
confisqués. 


(i)  L'an  534. 

(9.)  C'est  la  seconde  fois  «lu'il  est  question  des  leudes  dans  Grégoire 
de  Tours.  Voyez  liv.  11,  chap.  4'^-- 


160  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

XXV.  Tliéodebert,  affermi  dans  son  royaume,  se  mon^ 
tra  plein  de  grandeur  et  de  bonté  ;  il  gouverna  avec  jus- 
tice ,  honorant  les  évêques ,  faisant  du  bien  aux  églises , 
secourant  les  pauvres,  et  distribuant  à  beaucoup  de  monde 
de  nombreux  bienfaits  d'une  main  très  charitable  et  très 
libérale.  Il  remit  généreusement  aux  églises  d'Auvergne 
tout  le  tribut  qu'elles  payaient  à  son  fisc, 

XXVI.  Lorsque  Deutérie  vit  sa  fille  tout-à-fait  adulte, 
elle  craignit  que  le  roi  n'en  devînt  amoureux  et  ne  la 
prît  pour  lui  ;  elle  la  fit  monter  dans  un  chariot  attelé  de 
bœufs  indomptés,  et  la  précipita  du  haut  d'un  pont  dans 
le  fleuve ,  où  elle  périt  (i).  Cela  se  passa  dans  la  ville  de 
Verdun. 

XXVII.  Il  y  avait  déjà  sept  ans  que  Théodebert  était 
fiancé  à  Wisigarde,  et  qu'il  refusait  de  la  recevoir  à  cause  de 
Deutérie.  Les  Francs,  ligués  contre  lui ,  étaient  fort  scan- 
dalisés de  ce  qu'il  abandonnait  sa  fiancée  ;  alors ,  touché 
de  leurs  plaintes ,  il  quitta  Deutérie ,  dont  il  avait  un  jeune 
fils  nommé  Théodebald,  et  épousa  Wisigarde.  Il  ne  la 
conserva  pas  long-temps  ;  elle  mourut ,  et  il  en  épousa 
une  autre,  mais  il  ne  reprit  jamais  Deutérie. 

XXVItl.  Childebert  et  Théodebert  levèrent  une  armée 
pour  marcher  contre  Clotaire  (2).  Celui-ci,  apprenant 
leur  projet,  et  jugeant  qu'il  n'était  pas  assez  fort  pour 
leur  résister,  se  retira  dans  une  forêt  (3) ,  y  fit  de  grands 
abattis ,  et  reporta  tout  son  espoir  dans  la  miséricorde 

(i)  Probablement  dans  la  Meuse. 

(2)  L'an  537. 

(3)  L'auteur  des  Gestes  des  Francs  appelle  cette  forêt  Arelaunum  ; 
on  croit  qu'il  s'agit  de  la  forêt  de  Bretonne,  située  dans  l'une  des 
grandes  presqu'îles  que  forme  la  Seine  entre  Rouen  el  la  mer. 


LIVRE  TROISIÈME  161 

divine.  La  reine  Clotilde,  informée  de  ce  qui  se  passait,  se 
rendit  au  tombeau  de  saint  Martin  ,  s'y  prosterna  en  orai- 
son ,  et  y  passa  toute  la  nuit  à  prier  qu'il  ne  s'élevât  point 
de  guerre  civile  entre  ses  fils.  Les  deux  rois  arrivent 
avec  leurs  armées  et  entourent  Clotaire,  se  disposant  à 
le  tuer  le  lendemain  ;  mais  le  jour  venu,  il  s'élève  dans 
le  lieu  où  ils  sont  rassemblés  une  tempête  qui  emporte  les 
tentes,  détruit  les  bagages  et  bouleverse  tout;  les  éclairs 
et  le  tonnerre  éclatent  sur  leurs  têtes,  une  pluie  de  pierres 
les  écrase  ;  ils  tombent  le  visage  contre  le  sol  couvert  de 
grêle,  et  sont  grièvement  blessés  par  la  chute  des  pierres  : 
car  il  ne  leur  restait  pour  tout  abri  que  leurs  boucliers , 
et  ce  qu'ils  craignaient  le  plus  c'était  de  se  voir  consumés 
par  le  feu  du  ciel.  Leurs  chevaux  aussi  furent  tellement 
dispersés ,  qu'à  peine  put-on  les  retrouver  à  une  distance 
de  vingt  stades ,  et  que  beaucoup  même  furent  entière- 
ment perdus.  Meurtris  par  les  pierres,  comme  nous 
l'avons  dit,  prosternés  contre  le  sol,  ils  exprimaient  leur 
repentir ,  et  demandaient  pardon  à  Dieu  de  ce  qu'ils 
avaient  voulu  faire  contre  leur  propre  sang.  Sur  Clotaire, 
il  ne  tomba  pas  une  seule  goutte  de  pluie;  il  n'entendit 
pas  le  moindre  bruit  de  tonnerre,  et,  dans  le  lieu  où  il 
était ,  on  ne  sentit  aucun  souffle  de  vent.  Ses  frères  lui 
envoyèrent  des  messagers  pour  lui  demander  paix  et 
amitié  ;  ce  qui  leur  ayant  été  accordé ,  ils  s'en  retour- 
nèrent chez  eux.  Il  ne  faut  pas  douter  que  ce  soit  là  un 
miracle  de  saint  Martin ,  obtenu  par  l'intercession  de  la 
reine. 

XXIX.  Ensuite  le  roi  Childebert  partit  pour  l'Espa- 
gne (i);  et  lorsqu'il  y  fut  entré  avec  Clotaire,  ils  entou- 

(i)  L'an  542. 

I.  II 


162  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

rèrent  de  leurs  armées  la  ville  de  Saragosse,  et  en  firent  le 
siège.  Mais  les  habitans  se  tournèrent  vers  Dieu  avec  une 
si  grande  humilité,  que,  s'étant  revêtus  de  cilices,  et  s'étant 
abstenus  de  manger  et  de  boire,  ils  portèrent  autour  des 
murs,  en  chantant  des  psaumes,  la  tunique  du  bienheu- 
reux martyr  Vincent.  Les  femmes  même  suivaient  en 
pleurant,  enveloppées  de  grands  voiles  noirs,  les  cheveux 
épars  et  couverts  de  cendres,  comme  si  elles  eussent  assisté 
aux  funérailles  de  leurs  maris.  La  ville  entière  reporta 
tellement  toutes  ses  espérances  vers  le  Seigneur,  qu'elle 
paraissait  célébrer  un  jeûne  semblable  à  celui  de  Ninive; 
et  qu'on  ne  mettait  point  en  doute  que,  par  ses  prières,  elle 
ne  fléchît  à  la  fin  la  miséricorde  divine.  Les  assiégeans,  qui 
voyaient  les  habitans  marcher  ainsi  autour  des  murs,  ne 
purent  comprendre  ce  qu'ils  faisaient,  et  s'imaginèrent 
qu'ils  se  livraient  à  quelque  maléfice.  Ayant  pris  un  pay- 
san de  l'endroit,  ils  lui  demandèrent  ce  qui  en  était;  il 
leur  répondit  :  «Ils  promènent  la  tunique  de  saint  Vincent, 
«  et,  avec  elle,  ils  prient  le  Seigneur  d'avoir  pitié  d'eux.» 
Les  assiégeans  en  conçurent  de  la  crainte,  et  s'éloignè- 
rent de  la  ville.  Cependant  ils  conquirent  la  plus  grande 
partie  de  l'Espagne,  et  revinrent  dans  les  Gaules  avec  un 
grand  butin. 

XXX.  Après  Amalaric ,  Théodat  fut  ordonné  roi  d'Es- 
pagne (i).  Celui-ci  ayant  été  tué,  on  éleva  Théodégisile, 
et  on  le  fit  roi.  Théodégisile  était  un  jour  à  souper  avec 
ses  amis,  et  se  livrait  tout  entier  à  la  joie;  lorsque  tout 
à  coup,  les  lumières  ayant  été  éteintes  au  milieu  du  repas, 
il  fut  frappé  par  ses  ennemis  à  coups  d'épée,  et  expira  (2). 

(i)  L'an  53i. 
(2)  L'an  548. 


LIVRE  TROISIÈME.  163 

Il  eut  Agila  pour  successeur  (i).  Les  Goths  avaient  pris  la 
détestable  habitude,  lorsqu'un  de  leurs  rois  leur  déplai- 
sait ,  de  le  tuer,  et  d'en  mettre  un  autre  à  sa  place. 

XXXI.  Théodéric,  roi  d'Italie  (2),  qui  avait  eu  en  ma- 
riage une  sœur  du  roi  Clovis,  était  mort  laissant  avec  sa 
femme  une  fille  en  bas  âge.  Celle-ci,  devenue  adulte,  et 
rejetant  par  légèreté  d'esprit  les  conseils  de  sa  mère,  qui 
lui  destinait  le  fils  d'un  roi,  fit  choix  de  son  esclave, 
nommé  Traguilan,  et  s'enfuit  avec  lui  dans  une  ville  où 
elle  pût  se  défendre.  I^a  mère,  violemment  irritée  contre 
elle,  la  conjura  de  ne  pas  déshonorer  plus  long-temps  la 
noblesse  de  sa  race,  mais  de  renvoyer  l'esclave,  et  de 
prendre  pour  mari  l'homme  sorti,  comme  elle,  d'un  sang 
royal,  et  que  sa  mère  lui  avait  choisi.  Sa  fille  n'y  voulut 
jamais  consentir.  Alors  la  reine,  furieuse,  envoya  contre 
eux  une  armée.  Les  troupes  arrivent,  tuent  Traguilan, 
et  ramènent  en  la  battant  la  fille  fugitive  dans  la  maison 
de  sa  mère.  Toutes  les  deux  étaient  attachées  à  la  secte 
arienne,  où  il  est  d'usage,  lorsqu'on  se  présente  à  l'autel , 
que  les  rois  communient  avec  un  calice  et  le  peuple 
avec  un  autre.  La  fille  mit  du  poison  dans  le  calice  qui 
devait  servir  à  sa  mère,  et  dès  que  celle-ci  eut  bu,  elle 
mourut  aussitôt.  Il  n'est  pas  douteux  qu'un  tel  crime 
n'ait  été  l'œuvre  du  diable.  Que  répondront  ces  misé- 
rables hérétiques,  quand  on  leur  dira  que  le  démon  réside 
dans  leur  Eucharistie?  Nous  qui  confessons  la  Trinité 
dans  une  même  égalité  et  toute-puissance,  quand  même 
nous  avalerions  un  poison  mortel,  en  communiant  au 

(i)  L'an  549. 

(2)  Ce  chapitre  contient  des  faits  entièrement  conlrouvés  ou  déna- 
turés. Voyez  Eclairciss.  et  obseiv.  (Note  b.) 


164  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

nom  du  Père,  du  Fils  et  de  l'Esprit  saint,  Dieu  véritable 
et  incorruptible,  ce  poison  ne  nous  ferait  aucun  mal.  Les 
Italiens,  indignes  contre  cette  femme,  appelèrent  Théo- 
dat,  roi  de  Toscane,  et  le  clioisirent  eux-mêmes  pour  roi. 
Lorsqu'il  eut  appris  la  conduite  de  cette  princesse  impu- 
dique, qui,  pour  l'amour  d'un  esclave  qu'elle  avait  accueilli, 
s'était  rendue  parricide  envers  sa  mère,  il  fit  chauffer  un 
bain  très  fortement ,  et  l'y  fit  enfermer  avec  une  servante. 
Aussitôt  qu'elle  fut  entrée  dans  cette  vapeur  ardente,  elle 
fut  brûlée ,  et  tomba  morte  sur  le  pavé.  Quand  les  rois 
Childebert  et  Clotaire,  ses  cousins  germains,  ainsi  que 
Théodebert ,  eurent  appris  par  quel  supplice  honteux  on 
l'avait  fait  périr,  ils  envoyèrent  un  message  a  Théodat 
pour  lui  reprocher  cette  mort,  et  pour  lui  dire  :  «Si  tu 
«  ne  composes  pas  avec  nous  pour  ce  que  tu  as  fait ,  nous 
«  t'enlèverons  ton  royaume ,  et  te  condamnerons  au  même 
«  supplice.  ))  Il  eut  peur,  et  leur  envoya  cinquante  mille 
sous  d'or.  Mais  Childebert ,  comme  il  se  montrjait  tou- 
jours envieux  et  fourbe  à  l'égard  du  roi  Clotaire,  s'unit 
à  son  neveu  Théodebert ,  et  ils  partagèrent  l'or  entre 
eux  sans  en  rien  donner  à  Clotaire.  Alors  celui-ci,  s'em- 
parant  des  trésors  de  Clodomir,  fit  éprouver  à  ces  deux 
rois  une  perte  bien  plus  grande  que  celle  qu'ils  lui  avaient 
causée  à  lui-même. 

XXXII.  Théodebert  se  rendit  en  Italie  (i),  et  y  fit 
beaucoup  d'acquisitions;  mais  comme  ces  lieux  sont,  dit- 
on,  très  mal  sains,  son  armée  fut  tourmentée  de  diverses 
sortes  de  fièvres ,  et  les  siens  y  moururent  en  grand  nom- 


(i)  En  559.  Ce  chapitre  renferme,  comme  le  précédent,  des  événe- 
mens  tont-à-fait  défigurés.  Voyez  Eclairciss.  et  obseiv.  (Note  c) 


LIVRE  TROISIÈME.  165 

bre.  Théodebert  voyant  cela,  s'en  revint,  rapportant,  lui 
et  son  armée,  beaucoup  de  butin.  On  dit  cependant  qu'il 
s'avança  alors  jusqu'à  la  ville  de  Pavie,  où  il  envoya  plus 
tard  Buccelin,  Celui-ci  s'empara  de  la  petite  Italie  (i),  et 
la  soumit  à  la  domination  du  roi.  Il  passa  ensuite  dans  la 
grande,  où  il  combattit  plusieurs  fois  Bélisaire  ,  qu'il 
vainquit.  Lorsque  l'empereur  vit  les  fréquens  revers  de 
Bélisaire,  il  l'écarta,  et  mit  Narsès  à  sa  place;  et,  comme 
pour  liumilier  Bélisaire,  il  le  fit,  ce  qu'il  avait  été  autre- 
fois, c'est-à-dire,  comte  de  l'étable.  Buccelin  livra  de 
grands  combats  à  Narsès,  s'empara  de  toute  l'Italie,  et 
s'étendit  jusqu'à  la  mer  :  il  envoya  de  ce  pays  de  grands 
trésors  à  Tbéodebert.  L'empereur,  informé  par  Narsès  de 
l'état  des  affaires,  prit  à  sa  solde  des  troupes  étrangères, 
et  dirigea  du  secours  à  son  général,  qui  livra  de  nouveau 
bataille,  fut  vaincu,  et  se  retira.  Buccelin  s'empara  ensuite 
de  la  Sicile,  oh  il  leva  des  tributs,  qu'il  fit  parvenir  au 
roi  :  il  fut  en  effet  très  beureux  dans  ces  entreprises. 

XXXIII.  Astériole  et  Secondin  tenaient  alors  un  rang 
élevé  auprès  du  roi  :  c'étaient  deux  hommes  savans ,  et 
versés  tous  les  deux  dans  les  lettres.  Secondin  avait  été 
plusieurs  fois  chargé  par  le  roi  de  missions  auprès  de 
l'empereur,  ce  qui  l'avait  rendu  arrogant ,  et  lui  faisait 
souvent  commettre  des  fautes.  C'est  pourquoi  il  s'éleva 
entre  lui  et  Astériole  une  altercation  violente;  elle  fut 
même  poussée  si  loin ,  qu'ils  ne  s'en  tinrent  plus  aux  in- 
jures,  et  qu'ils  se  déchirèrent  de  leurs  propres  mains. 
Cependant  la  paix  fut  rétablie  entre  eux  par  l'entremise 


(i)Ea547. 


166  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

du  roi;  mais  comme  Secondin  conservait  un  vif  ressenti- 
ment des  coups  qu'il  avait  reçus,  leur  ancienne  querelle  se 
ranima.  Le  roi  prit  le  parti  de  Secondin,  au  pouvoir  duquel 
il  livra  Aste'riole  ;  celui-ci  subit  une  grande  humiliation, 
et  fut  privé  de  ses  honneurs  (i);  mais  la  reine  Wisigarde 
les  lui  fît  rendre.  Après  la  mort  de  cette  reine,  Secondin 
s'éleva  de  nouveau  contre  Astériole,  et  le  tua.  Astériole, 
en  mourant,  laissa  un  fils,  qui,  parvenu  à  l'âge  d'homme, 
se  mit  en  devoir  de  venger  son  père.  Secondin,  frappé  de 
terreur,  se  sauvait  devant  lui  d'une  terre  dans  une  autre; 
et  lorsqu'il  vit  qu'il  ne  pouvait  plus  échapper  à  sa  pour- 
suite, il  s'empoisonna,  dit-on,  pour  ne  pas  tomber  dans 
les  mains  de  son  ennemi. 

XXXIV.  Désiré,  évêque  de  Verdun,  à  qui  le  roi  Théo- 
déric  avait  prodigué  les  outrages ,  fut ,  après  bien  des 
pertes,  des  dommages  et  des  peines,  rendu  à  la  liberté, 
par  la  volonté  de  Dieu ,  et  rétabli  dans  sa  ville  épiscopale. 
Voyant  les  habitans  très  pauvres  et  dénués  de  tout,  il  s'af- 
fligeait sur  leur  sort;  mais  dépouillé  de  ses  biens  parThéo- 
déric,  il  n'avait  plus  de  quoi  venir  à  leur  secours.  Témoin 
de  la  bonté  et  de  la  bienfaisance  du  roi  Théodebert  envers 
tout  le  monde,  il  lui  envoya  un  message  pour  lui  dire  : 
«  La  renommée  de  ta  bonté  est  répandue  par  toute  la 
«  terre ,  et  ta  générosité  est  si  grande ,  que  tu  donnes 
«  même  à  ceux  qui  ne  te  demandent  rien.  Je  t'en  prie,  si 
«  tu  as  quelque  argent ,  que  ta  charité  daigne  nous  le 
«  prêter ,  afin  que  nous  puissions  secourir  nos  conci- 
«  toyens;  et  lorsque,  par  leur  commerce,  ils  auront  ra- 

(i)  C'cst-k-dire  de  ses  bénéfices. 


LIVRE  TROISIÈME.  167 

«  mené  les  affaires  dans  notre  ville  comme  elles  sont  dans 
«  les  autres,  nous  te  rendrons  ton  argent  avec  les  inté- 
«  rets  légitimes.  »  Théodebert ,  touché  de  compassion  , 
lui  prêta  sept  mille  sous  d'or.  L'évêque  les  prit,  et  les 
partagea  entre  ses  concitoyens.  Ceux-ci  exercèrent  leur 
négoce,  s'y  enrichirent,  et  ils  sont  encore  aujourd'hui  en 
grande  considération.  Lorsque  l'évêque  rapporta  au  roi 
l'argent  qu'il  lui  devait,  le  roi  lui  répondit  :  «Je  n'en  ai 
«  pas  besoin ,  et  je  suis  satisfait  si,  par  cette  distribution  , 
«  des  pauvres  qu'accablait  la  misère  ont  été  soulagés  à  ta 
«  prière  et  par  mes  largesses.  »  Par  cet  abandon  il  rendit 
riches  les  citoyens  de  Verdun. 

XXXV.  Cet  évêque  étant  mort  dans  cette  ville,  on  mit 
à  sa  place  un  des  citoyens  de  Verdun ,  nommé  Agiricus. 
Or  Siagrius,  son  fils,  gardant  la  mémoire  des  outrages 
commis  envers  son  père ,  et  se  souvenant  que ,  sur  l'accu- 
sation portée  par  Sirivald  devant  le  roi  Théodéric ,  son 
père  avait  été  non  seulement  dépouillé  de  ses  biens,  mais 
encore  soumis  à  des  supplices,  tomba  sur  Sirivald  avec 
une  troupe  de  gens  armés,  et  le  tua  de  la  manière  que  je 
vais  dire  :  Un  matin,  par  un  brouillard  épais,  lorsque  le 
jour  permettait  encore  à  peine  de  distinguer  les  objets , 
il  se  rendit  à  un  domaine  de  Sirivald,  nommé  Fleurey  (i), 
sur  le  territoire  de  Dijon  ;  et  un  des  amis  de  Sirivald 
étant  sorti  de  la  maison,  ils  crurent  que  c'était  Sirivald 
lui-même,  et  le  tuèrent.  Mais  comme  ils  s'en  revenaient, 
croyant  avoir  triomphé  de  leur  ennemi,  un  esclave  de 
Sirivald  leur  apprit  qu'ils  avaient  tué,  non  le  maître,  mais 

(i)  Fleurey-sui'-Ouchc ,  à  environ  trois  lieues  de  Dijon. 


168  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

un  homme  de  sa  maison.  Alors  ils  retournent  sur  leure 
pas,  cherchent  de  nouveau  Sirivald,et  ayant  découvert 
la  chambre  dans  laquelle  il  avait  coutume  de  dormir,  ils 
en  attaquent  la  porte,  dont  ils  essaient  pendant  long- 
temps de  forcer  l'entrée  ;  et  comme  ils  ne  pouvaient  y 
parvenir,  ils  démolirent  un  des  murs  de  côté,  entrèrent, 
et  tuèrent  Sirivald  à  coups  d'épée.  Cette  mort  suivit  celle 
de  Théodéric. 

XXXVI.  Le  roi  Théodebert  tomba  malade  à  la  suite  de 
ces  événemens,  et  tous  les  efforts  des  médecins  furent  in- 
utiles; Dieu  voulait  déjà  l'appeler  à  lui.  Après  une  longue 
maladie,  succombant  à  son  mal,  il  rendit  l'esprit  (  i).  Cepen- 
dant les  Francs  portaient  une  grande  haine  à  Parthénius, 
qui,  du  temps  de  ce  roi,  leur  avait  imposé  des  tributs; 
c'est  pourquoi  ils  se  mirent  à  le  poursuivre.  Parthénius, 
se  voyant  en  danger,  s'enfuit  de  la  ville,  et  supplia  in- 
stamment deux  évêques  de  le  conduire  à  Trêves,  et  d'apai- 
ser la  fureur  du  peuple  par  leurs  exhortations.  Pendant 
le  voyage,  au  milieu  de  la  nuit,  lorsqu'il  était  couché  sur 
son  lit ,  il  se  mit  tout  à  coup  à  crier  avec  force  :  «  Holà  ! 
«holà!  secourez  -  moi ,  vous  qui  êtes  là;  secourez  un 
«  homme  qui  meurt.  »  Ceux  qui  étaient  dans  la  chambre, 
réveillés  par  ces  cris,  demandent  ce  que  c'est  :  «  Ausanius 
«mon  ami,  reprend-il,  et  Papianilla  ma  femme,  que  j'ai 
«tués  autrefois,  m'appelaient  en  jugement,  et  me  di- 
«  saient  :  Viens  te  défendre ,  car  il  faut  que  tu  corapa- 
«  raisses  avec  nous  au  tribunal  de  Dieu.  »  Poussé  par  la 
jalousie,  il  avait  en  effet,  peu  d'années  auparavant,  tué 

(i)  L'an  547. 


LIVRE  TROISIÈME.  169 

sa  femme  innocente  et  son  ami.  Enfin,  les  évêques  étant 
arrivés  à  Trêves ,  et  voyant  qu'ils  ne  pouvaient  résister 
à  la  violente  sédition  du  peuple,  prirent  le  parti  de  ca- 
cher Parthénius  dans  l'église;  ils  le  mirent  dans  un  cof- 
fre, et  étendirent  sur  lui  des  vêtemens  qui  servaient  au 
culte.  Mais  le  peuple  étant  entré,  le  chercha  dans  tous  les 
coins  de  l'église,  et  il  se  retirait  furieux  de  n'avoir  rien 
trouvé ,  lorsque  l'un  de  la  troupe  ayant  conçu  quelque 
soupçon,  se  mit  à  dire  :  «  Voici  un  coffre  dans  lequel  nous 
«  n'avons  pas  cherché  notre  ennemi.  »  Comme  les  gar- 
diens déclarèrent  qu'il  n'y  avait  dedans  que  des  ornemens 
d'église,  les  autres  demandèrent  la  clef:  «Si  vous  ne 
«l'ouvrez  à  l'instant,  dirent-ils,  nous  le  brisons  iious- 
«  mêmes  aussitôt.»  Le  coffre  ayant  été  ouvert,  et  le  linge 
détourné,  ils  y  trouvent  Parthénius,  et  l'en  retirent  en 
s'applaudissant  de  leur  succès.  «Dieu,  s'écrient- ils,  a 
«  livré  notre  ennemi  entre  nos  mains.  »  Aussitôt  ils  le 
frappent  à  coups  de  poing,  lui  crachent  au  visage;  et 
après  l'avoir  attaché  à  une  colonne,  les  mains  derrière  le 
dos ,  ils  le  lapident.  C'était  du  reste  un  homme  d'une 
grande  voracité  :  pour  manger  plus  souvent,  il  précipi- 
tait ses  digestions  en  prenant  de  l'aloès;  et,  sans  respect 
pour  les  personnes  qui  pouvaient  l'entendre  ,  il  laissait 
échapper  avec  bruit  des  vents  eu  public.  Il  finit  donc  de 
la  manière  que  nous  venons  de  dire. 

XXXVII.  Il  y  eut  cette  année  un  hiver  très  rude,  et 
plus  rigoureux  que  les  autres;  en  sorte  qu'on  passait  sur 
les  torrens  glacés  comme  sur  la  terre  même.  Il  y  avait 
une  grande  quantité  de  neige,  et  les  oiseaux,  accablés  par 
la  faim  et  le  froid,  se  laissaient  prendre  à  la  main  sans 
le  secours  d'aucun  piège.  Depuis  la  mort  de  Clovis  jusqu'à 


170  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

la  mort  de  Théodebert  on  compte  trente -sept  ans  (i). 
Théodebert  mourut  la  quatorzième  année  de  son  règne  (2). 
Son  fils  Théodebald  régna  à  sa  place. 

(i)  Il  n'y  a  pas  tout-à-fait  trente-sept  ans  entre  ces  deux  époques, 
et  Théodebert  ne  régna  pas  tout-à-fait  quatorze  ans. 
(2)  En  547. 


LIVRE  QUATRIÈME. 


SOMMAIRES    DES    CHAPITRES    DU    LIVRE    QUATRIEME. 

1.  Mort  de  la  reine  Clotilde.  —  2.  Projet  du  roi  Clotaire  d'enlever 
aux  églises  le  tiers  de  leurs  revenus.  —  3.  Ses  femmes  et  ses 
fils.  —  4.  Comtes  des  Bretons.  —  5.  L'évêque  saint  Gall.  — 
6.  Le  prêtre  Caton.  —  7.  Episcopat  de  Cautin.  —  8.  Rois  d'Es- 
pagne. —  9.  Mort  du  roi  Théodebald.  —  10.  Révolte  des 
Saxons.  —  11.  Par  l'ordre  du  roi ,  ceux  de  Tours  viennent  de- 
mander  Caton  pour    évêque.    —  12.  Le  prêtre  Anastase.   — 

13.  Inconstance  et  malice  de  Chramne.   Cautin  et  Firmiu.  — 

14.  Seconde    expédition    de    Clotaire   contre    les    Saxons.   — 

15.  Episcopat  de  saint  Eufrone.  — '16.  Chramne  et  ses  parti- 
sans; ses  excès;  son  arrivée  à  Dijon.  —  17.  Chramne  passe  du 
côté  de  Childeb'ert.  —  18.  Le  duc  Austrapius.  —  19.  Mort  de 
l'évêque  saint  Médard  ;  sa  sépulture.  —  20.  Mort  de  Childebert  ; 
fin  de  Chramne.  —  21.  Mort  du  roi  Clotaire.  —  22.  Partage 
de  son  royaume  entre  ses  fils.  —  23.  Expédition  de  Sigebert 
contre  les  Huns;  Chilpéric  envahit  ses  villes.  —  24.  Le  patrice 
Celse.  —  25.  Femmes  de  Gontran.  —  26.  Femmes  de  Chari- 
bert.  —  27.  Sigebert  épouse  Brunehaut.  —  28.  Femmes  de 
Chilpéric.  —  29.  Seconde  guerre  de  Sigebert  contre  les  Huns. 
—  30.  Départ  des  Arvernes  par  l'ordre  de  Sigebert,  pour  pren- 
dre la  ville  d'Arles.  —  31 .  Fort  de  Tauredunum  ,  et  autres  pro- 
diges. —  32.  Le  moine  Julien.  —  33.  L'abbé  Sunniulfe.  — 
34.  Histoire  d'un  moine  de  Bordeaux.  —  35.  Avitus ,  évêque 
de  Clermont.  —  36.  Saint  Nicet  de  Lyon.  —  37.  Le  reclus  saint 
Friard.  —  38.  Rois  d'Espagne.  —  39.  L'empereur  Justin.  — 
40.  Mort  de  Palladius  d'Auvergne.  — 41.  Invasion  de  l'Italie 
par  Alboin  et  les  Lombards.  —  42.  Origine  d'Eunius,  surnommé 
Mummole.  —  43.  Guerres  de  Mummolc  avec  les  Lombards.  — 


172  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

44.  Histoire  d'un  archidiacre  de  Marseille.  —  45.  Les  Lom- 
bards et  Mummole.  —  46.  Arrivée  de  Mummole  à  Tours.  — 
47.  Fin  tragique  d'Andarchius.  —  48.  Invasion  de  plusieurs 
villes  par  Théodebert.  —  4g.  Le  monastère  de  Latta.  —  50.  Der- 
niers actes  de  Sigebert;  son  arrivée  à  Paris.  — •  51.  Alliance  de 
Chilpéric  avec  Contran  ;  mort  de  Théodebert  son  fils.  — 
52.  Mort  du  roi  Sigebcrt. 

I.  La  reine  Clotilde,  pleine  de  jours  et  riche  de  bon- 
nes œuvres  ,  mourut  dans  la  ville  de  Tours ,  au  temps  de 
l'évêque  Injuriosus  (i).  Transportée  à  Paris,  procession- 
nellement  et  en  grande  pompe  ,  elle  fut  ensevelie  dans 
le  sanctuaire  de  la  basilique  de  Saint-Pierre  (a),  à  côté  du 
roi  Clovis,  par  ses  fils  les  rois  Childebert  et  Clotaire. 
Elle  avait  construit  elle-même  cette  basilique,  dans  laquelle 
fut  ensevelie  aussi  la  bienheureuse  Geneviève. 

II.  Le  roi  Clotaire  avait  ordonné  par  un  édit  que  toutes 
les  églises  de  son  royaume  payassent  au  fisc  le  tiers  de 
leurs  revenus  :  tous  les  évêques,  quoique  à  regret,  y  avaient 
consenti  et  avaient  souscrit  l'ordonnance;  mais  le  bien- 
heureux Injuriosus  la  rejeta  en  homme  de  cœur,  et  dé- 
daigna de  souscrire ,  en  disant  :  k  Si  tu  veux  prendre 
«ce  qui  est  à  Dieu,  le  Seigneur  t'enlèvera  bientôt  ton 
fi  royaume;  car  c'est  une  iniquité  de  ravir  le  denier  des 
«pauvres  pour  en  rcn)plir  tes  greniers,  tandis  que  tes 

(i)  En  545.  Sa  fête  est  célébrée  le  5  juin. 

(2)  Ce  fut  plus  tard,  comme  on  sait,  l'église  Sainte-Geneviève.  Elle 
est  ainsi  nommée  dans  la  chronique  d'Adon ,  archevêque  de  Vienne , 
mort  en  8^5  (D.  Bouq.,  tom.  11,  p.  66y).  On  sait  aussi  que  l'on  ap- 
pelait alors  Basiliques,  non  les  cathédrales,  mais  les  églises  des  mo- 
nastères. (Voyez  Mabillon,  OEuvres  posthumes,  tom.  n,  p.  oSj. 
D.  Bouq.,  tom.  II,  p.  204,  note  sur  le  chap.  5  ,  et  tom.  m,  p.  5^4  ^. 
iQOte  sur  la  Vie  de  sainte  Batilde.  ) 


LIVRE  QUATRIÈME.  173 

a  greniers  devraient  les  nourrir.  »  Et ,  irrité  contre  le  roi , 
il  se  retira  sans  lui  dire  adieu.  Le  roi  ému  ,  craignant 
d'ailleurs  la  puissance  du  bienheureux  Martin,  envoya 
après  l'évêque  avec  des  présens  ;  lui  demanda  pardon , 
condamna  son  projet,  et  le  pria  de  supplier  en  sa  faveur 
la  puissance  du  bienheureux  Martin  (i). 

III.  Le  roi  Clotaire  eut  sept  fils  de  différentes  femmes  : 
ainsi  d'Ingonde,  il  eut  Gonthaire,  Childéric,  Charibert , 
Contran ,  Sigebert ,  et  une  fille  nommée  Chlotsinde  ; 
d'Arégonde,  sœur  d'Ingonde,  Chilpéric  ;  de  Chunsène  , 
Chramne.  Or,  disons  pour  quel  motif  il  épousa  la  sœur  de 
sa  femme.  Il  avait  déjà  pour  épouse  Ingonde,  et  l'aimait 
uniquement ,  lorsqu'elle  lui  fit  cette  demande  :  «  Mon 
«  seigneur  a  fait  de  sa  servante  ce  qu'il  a  voulu  ;  il  m'a 
«  reçue  dans  son  lit  :  maintenant  pour  mettre  le  comble 
a  à  ses  faveurs ,  que  mon  seigneur  roi  daigne  écouter 
«  ce  que  sa  servante  lui  demande.  Je  vous  prie  de  vou- 
cf  loir  bien  chercher  pour  ma  sœur ,  votre  esclave ,  un 
(c  homme  capable  et  riche ,  qui  m'élève  au  lieu  de  m'a- 
«  baisser  (2) ,  et  me  donne  les  moyens  de  vous  servir 
«  avec  plus  d'attachement  encore.  »  A  ces  mots,  Clotaire, 
déjà  trop  enclin  à  la  volupté,  s'enflamme  d'amour  pour 
Arégonde ,  se  rend  à  la  campagne  où  elle  résidait ,  et  se 
l'attache  par  le  mariage.  Quand  elle  fut  à  lui ,  il  retourna 
près  d'Ingonde,  et  lui  dit  :  «J'ai  travaillé  à  te  procurer 
«  cette  suprême  faveur  que  m'a  demandée  ta  douce  per- 

(i)  Voyez  Eclaireiss.  et  observ.  (Note  a.) 

(2)  Ah!  Seigneur,  songez-vous  que  toute  autre  alliance 

Fera  honte  aux  Césars ,  auteurs  de  ma  naissance  ? 

(  Biitannicus ,  act.  ii,  se.  3.) 


174  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  sonne  ;  et  en  cherchant  un  homme  riche  et  sage  qui 
«  méritât  d'être  uni  à  ta  sœur,  je  n'ai  trouve  rien  de 
«  mieux  que  moi-même  (i).  Sache  donc  que  je  l'ai  prise 
«  pour  épouse  ;  je  ne  crois  pas  que  cela  te  déplaise.  » 
—  «  Ce  qui  paraît  bon  aux  yeux  de  mon  maître,  répondit- 
«  elle,  qu'il  le  fasse  :  seulement  que  ta  servante  vive  tou- 
«  jours  en  grâce  avec  le  roi!  »  Gonthaire,  Chramne  et 
Childéric  moururent  du  vivant  de  leur  père.  Nous  racon- 
terons plus  tard  la  fin  de  Chramne.  Quant  à  Chlotsinde, 
la  fille  du  roi ,  elle  fut  l'épouse  d'Alboin ,  roi  des  Lombards. 
Injuriosus,  évêque  de  Tours,  mourut  la  dix-septième 
année  de  son  épiscopat  (2).  Baudin ,  autrefois  domesti- 
que (3)  du  roi  Clotaire,  lui  succéda  :  ce  fut  le  seizième 
depuis  la  mort  de  saint  Martin. 

IV.  Vers  ce  temps,  Chanaon,  comte  des  Bretons,  tua 
trois  de  ses  frères.  Voulant  tuer  encore  Macliau,  il  le  fit 
saisir,  charger  de  chaînés,  et  garder  dans  une  prison. 
Celui-ci  fut  délivré  de  la  mort  par  l'entremise  de  Félix, 
évêque  de  Nantes.  Ensuite  il  jura  à  son  frère  de  lui 
être  fidèle;  mais  je  ne  sais  à  quelle  occasion,  il  voulut 
rompre  ses  engagemens,  Chanaon  s'en  douta,  et  le  per- 
sécuta de  nouveau.  Macliau  voyant  qu'il  ne  pouvait  échap- 
per, s'enfuit  chez  un  autre  comte  de  ce  pays,  nommé 
Chonomor.  Ce  dernier,  pressentant  l'approche  des  persécu- 
teurs, le  cacha  sous  terre  dans  un  caveau,  et,  par-dessus, 
éleva  un  tombeau  comme  pour  un  mort ,  en  y  ménageant 


(i)  Je  vous  nommerais,  madame,  un  autre  nom, 

Si  j'en  avais  quelqu'autre  au-dessus  de  Néron. 

(^  Britannicus ,  act.  il,  se.  3.  ) 

(2)  En  546. 

(5)  Voyez  Eclairciss.  et  ohsetv.  (Note  b.) 


LIVRE  QUATRIÈME.  175 

un  petit  soupirail  par  où  le  captif  pût  respirer.  Les  enne- 
mis arrivent  ;  on  leur  dit  :  «  Tenez ,  Macliau  est  mort  ; 
«  c'est  ici  qu'il  est  enterré.  »  A  cette  nouvelle ,  ceux-ci  se 
livrèrent  à  la  joie ,  burent  sur  le  tombeau  même ,  et  an- 
noncèrent à  son  frère  qu'il  était  mort.  Alors  Chanaon 
s'empara  de  tout  son  royaume.  (  Il  faut  savoir  que  les 
Bretons  ont  toujours  été  sous  la  dépendance  des  Francs 
depuis  la  mort  de  Clovis;  et  ils  sont  appelés  comtes  et 
non  rois)  (i).  Cependant  Macliau,  se  relevant  de  dessous 
terre ,  se  retira  dans  la  ville  de  Vannes ,  où  il  fut  ton- 
suré et  ordonné  évêque.  Après  la  mort  de  Chanaon ,  il 
apostasia,  et  ayant  laissé  croître  ses  cheveux,  il  reprit 
son  épouse,  qu'il  avait  abandonnée  en  entrant  dans  la 
cléricature ,  et  avec  elle  le  royaume  de  son  frère.  Mais  il 
fut  excommunié  par  les  évêques;  et  nous  dirons  plus 
tard  quelle  fut  sa  mort  (2).  L'éveque  Baudin  mourut  dans 
la  sixième  année  de  son  épiscopat  (3).  A  sa  place  fut 
substitué  l'abbé  Gonthaire,le  dix-septième  depuis  la  mort 
de  saint  Martin. 

V.  Lorsque  le  bienheureux  Quintien  eut  quitté  ce 
monde,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut  (4).  Saint 
Gall  (5),  avec  l'appui  du  roi,  lui  succéda  dans  sa  chaire 
épiscopale.  De  son  temps ,  la  maladie  nommée  ingui- 
naire  sévit  dans  diverses  contrées ,  et  dépeupla  surtout 
la  province  d'Arles.  Saint  Gall  tremblait  moins  pour  lui 
que  pour  son  peuple,  et,  jour  et  nuit,  demandait  avec 


(i)  Voyez  Eclairciss.  etobsevv.  (Note  c.) 
(2)  Liv.  V,  chap.  16. 
(5)  En  552. 

(4)  Liv.  ni,  chap.  2,  12. 

(5)  C'était  l'oncle  paternel  de  noU-e  liistoi-ien. 


176  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

instance  au  Seigneur  de  ne  pas  voir,  lui  vivant,  son  trou- 
peau ravagé.  Une  nuit ,  il  eut  une  vision  :  Un  ange  du 
Seigneur,  dont  les  cheveux  et  les  vêtemens  étaient  aussi 
blancs  que  la  neige,  lui  apparut  et  lui  dit  :  «Tu  fais 
«  bien,  6  évêque,  de  supplier  ainsi  le  Seigneur  pour  ton 
«  peuple  !  Ta  prière  a  été  entendue  :  ton  peuple  et  toi , 
«  vous  serez  exempts  de  cette  maladie  ;  personne  ici ,  de 
«  ton  vivant,  ne  périra  par  la  peste.  Pour  le  moment,  ne 
«  crains  rien  ;  mais  dans  huit  ans  tu  as  tout  à  craindre.  » 
Ce  qui  annonçait  clairement  qu'après  ce  nombre  d'années 
il  sortirait  de  ce  monde.  Gall,  réveillé,  rendit  grâces  à 
Dieu  de  ce  qu'il  avait  daigné  le  consoler  et  le  fortifier  par 
son  messager  céleste  ;  et  il  institua  de  nouvelles  rogations  : 
au  milieu  du  carême ,  on  devait  se  rendre  à  pied ,  en  chan- 
tant, à  la  basilique  de  Saint-Julien  martyr  (i);  or  le 
chemin  à  parcourir  est  de  36o  stades.  On  vit  aussi ,  à  cette 
époque,  paraître  tout  à  coup  des  signes  sur  les  murs  des 
maisons  et  des  églises.  Ces  caractères  étaient  appelés 
thauÇi)  par  les  habitans  des  campagnes.  Ainsi  cette  peste , 
qui  dévastait  les  autres  pays,  grâce  aux  prières  et  à  l'in- 
tercession de  saint  Gall,  n'atteignit  pas  la  ville  de  Cler- 
mont  (3).  Ce  n'est  pas,  selon  moi,  une  légère  grâce  pour 
ce  pasteur  de  n'avoir  pas  vu  ses  brebis  dévorées  ;  mais  le 
Seigneur  les  défendait. 

Lorsqu'après  sa  mort  on  l'eut  lavé  (4)  et  transporté 
dans  l'église,  le  prêtre  Caton  fut  tout  de  suite  salué  évêque 


(i)  A  Brioude,  environ  12  lieues  de  Clermont,  sud. 

(2)  Thau  ou  tau,  ancien  mot  gaulois  pour  désigner  une  croix,  s'il 
faut  en  croire  Ducange  {Gloss.,  au  mot  Tau).  C'est  le  nom  grec  du  ï, 
qui  est  lui-même  la  représentation  d'une  ci'oix. 

(5)  Voyez  Eclairciss.  et  nbsciv.  (Note  d.) 

(4)  Usage  de  ce  temps.  Voyez  liv.  n,  ch.  5,  et  liv.  iv,  ch.  37  et  45- 


LIVRE  QUATRIÈME.  177 

-par  le  clergé;  et,  comme  s'il  fût  déjà  en  possession,  il 
s'empara  de  tous  les  biens  de  l'église  ;  éloigna  les  admi- 
nistrateurs, renvoya  les  officiers  (i),  et  régla  tout  par 
lui-même. 

VI.  Les  évêques  qui  étaient  venus  pour  ensevelir  saint 
Gall ,  ce  devoir  rempli ,  dirent  au  prêtre  Caton  :  «  Nous 
«  voyons  que  la  plus  grande  partie  du  peuple  t'a  choisi  : 
«  viens ,  fais  cause  commune  avec  nous ,  et  nous  te  béni- 
«  rons,  nous  te  sacrerons  évêque.  Le  roi  est  un  enfant; 
«  si  on  t'en  impute  la  faute ,  nous  te  prendrons  sous  notre 
«  protection ,  et  nous  traiterons  avec  les  grands  et  les 
«premiers  du  royaume  de  Théodebald,  afin  qu'il  ne  te 
«  soit  fait  aucun  tort.  Nous-mêmes  ,  crois-en  nos  pro- 
«  messes,  nous  nous  engageons,  si  tu  éprouvais  quelque 
«  dommage,  à  t'indemniser  de  nos  propres  biens.»  Mais 
lui,  enflé  par  la  fumée  d'une  vaine  gloire,  répondit:  «Vous 
«  l'avez  appris  par  la  renommée  :  depuis  mon  jeune  âge 
«  j'ai  toujours  vécu  saintement  :  je  me  suis  livré  aux 
«jeûnes;  j'ai  trouvé  mon  plaisir  dans  l'aumône;  je  me 
«  suis  souvent  exercé  à  de  longues  veilles  ;  j'ai  passé  sou- 
«  vent  des  nuits  entières  à  chanter  les  cantiques  de  l'Eglise; 
«  aussi  le  Seigneur  mon  Dieu  ne  permet  pas  que  je  sois 
«  privé  de  cet  honneur,  après  avoir  tant  fait  pour  son 
«  service.  J'ai  obtenu  les  degrés  de  la  cléricature  par  les 
«lois  canoniques  :  j'ai  été  dix  ans  lecteur;  cinq  ans  j'ai 
«rempli  les  fonctions  de  sous -diacre;  quinze  ans  j'ai 
«  été  attaché  aux  devoirs  du  diaconat;  depuis  vingt  ans 
«je  possède  la  dignité  de  la  prêtrise.  Que  me  reste-t-il , 


(i)  Ministri  cpiscoponun,  c'étaient  les  archiprêtres  et  les  archidia- 
cres. (Uucange,  Glo.ss.) 

II.  12 


178  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  sinon  de  recevoir  Tépiscopat  que  mérite  la  fidélité  de. 
«  mes  services?  Retournez  donc  dans  vos  cités,  et  faites 
«  ce  que  vous  croirez  utile  à  vos  intérêts;  car  pour  moi 
«  je  veux  que  mon  élection  soit  régulière  (i).  »  A  ces  mots 
les  évêques  se  retirèrent  en  maudissant  sa  vanité. 

VII.  Ayant  donc  été  élu  évêque,  du  consentement  des 
clercs,  et  se  mettant  à  la  tête  des  affaires  avant  d'avoir 
été  reconnu  (2) ,  il  fit  plusieurs  menaces  à  Tarchidiacre 
Cautin  :  «  Je  te  suspendrai  de  tes  fonctions,  je  t'humi- 
«  lierai,  je  te  ferai  souffrir  mille  morts.  »  —  «  Très  pieux 
cf  seigneur,  lui  répondit  Cautin ,  je  désire  tes  bonnes 
«  grâces;  si  je  les  obtiens,  je  te  rendrai  un  service;  sans 
«qu'il  t'en  coûte  aucune  peine,  sans  fraude  de  ma  part, 
«j'irai  trouver  le  roi,  et  j'en  obtiendrai  la  confirmation 
«  de  ton  épiscopat.  Je  ne  veux  d'autre  récompense  que  tes 
«  bonnes  grâces.  »  Caton  pensant  qu'il  voulait  le  tromper, 
méprisa  ces  paroles.  Mais  celui-ci  se  voyant  abaissé,  ca- 
lomnié, feignit  une  maladie,  et  sortant  la  nuit  de  la  ville, 
se  rendit  auprès  du  roi  Théodebald,  à  qui  il  annonça  la 
mort  de  saint  Gall.  A  cette  nouvelle,  le  roi  ou  plutôt  ceux 
qui  l'entouraient,  convoquèrent  une  assemblée  de  prélats 
à  Metz,  et  l'archidiacre  Cautin  fut  ordonné  évêque  :  quand 
arrivèrent  les  messagers  du  prêtre  Caton ,  la  nomination 
était  faite.  Alors,  par  ordre  du  roi,  on  livra  à  Cautin  les 
clercs  qui  avaient  apporté  le  message,  et  tout  ce  qu'ils 
avaient  apporté  des  biens  de  l'église.  On  lui  adjoignit  des 
chambriers  (3)  et  des  évêques  pour  l'accompagner,  et  on 

(i)  On  canonique,  c'est-à-dire  approuvée  par  le  roi.  Yoyez  le  chap. 
suivant. 
(9,)  Voyez  Eclairciss.  el  observ.  (Note  é)  sur  l'élection  des  évoques. 
(3)  Ou  came'riers ,  dénomination  encore  en  usage  k  la  cour  de  Rome. 


LIVRE  QUATRIÈME.  179 

l'envoya  à  Clermont.  Accueilli  favorablement  par  le  clergé 
et  le  peuple ,  il  fut  donc  établi  leur  évêque.  Ensuite  de 
grandes  inimitiés  s'élevèrent  entre  lui  et  le  prêtre  Caton; 
et  personne  ne  put  obtenir  de  ce  dernier  de  se  soumettre 
à  son  évêque.  Il  s'opéra  même  une  division  entre  les  clercs, 
dont  les  uns  se  soumettaient  à  l'évêque  Cautin,  les  autres 
au  prêtre  Caton  ;  ce  qui  leur  causa  un  grand  préjudice. 
L'évêque  Cautin  voyant  qu'il  n'y  avait  aucun  moyen  de 
l'amener  à  la  soumission,  lui  retira  les  biens  ecclésiasti- 
ques, tant  à  lui  qu'à  ses  amis  et  à  ses  partisans,  et  les 
laissa  entièrement  dépouillés  :  mais  ceux  qui  revenaient 
à  lui  recouvraient  ce  qu'ils  avaient  perdu. 

VIII.  Sous  le  règne  d'Agila,  en  Espagne,  comme  ce 
prince  écrasait  le  peuple  du  poids  de  sa  domination ,  une 
armée  de  l'empereur  entra  dans  ce  pays  (i)  et  s'empara 
de  quelques  villes.  Puis  Agila  ayant  été  tué  (2),  Athana- 
gilde  fut  maître  du  royaume  :  mais  il  eut  lui-même  à 
soutenir  plusieurs  guerres  contre  cette  armée  romaine,  la 
vainquit  souvent,  et  lui  enleva  en  partie  les  villes  dont 
elle  s'était  emparée  par  surprise. 

IX.  Théodebald  devenu  adulte,  épousa  Vultrade.  On 
dit  que  ce  Tbéodebald  était  un  esprit  méchant;  et  un 
jour,  irrité  contre  un  personnage  qu'il  soupçonnait  de 


Ces  chambriers  que  le  roi  donne  au  nouvel  évêque  poui-  l'accompagner 
ilans  son  diocèse,  semblent  être  des  officiers  attachés  à  sa  personne 
pour  le  service  de  l'intérieur,  des  hommes  sur  qui  il  pût  compter  en 
venant  prendre  possession  d'un  épiscopat  qu'un  autre  lui  disputait. 
Ducange  l'explique  par  cubicularius  ;  Bignon,  également.  Yojez  la 
note  de  Ruinart,  liv.  vi,  cbap.  45. 

(i)  Voyez  Eclaivciss.  et  obsciv.  (Notey.  j 

(2)  En  554. 


180  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

s'être  enrichi  à  ses  dépens ,  il  imagina  cette  fable  :  «  Un 
«serpent,  lui  dit-il,  ayant  trouvé  une  bouteille  pleine 
«de  vin,  se  glissa  par  l'ouverture  et  but  avidement  tout 
«  ce  qu'elle  contenait.  Gonflé  par  tant  de  vin ,  il  ne  pou- 
«  vait  plus  sortir  par  où  il  était  entré.  Le  propriétaire  du 
«  vin  étant  survenu,  et  voyant  l'animal  se  consumer  en 
«vains  efforts,  lui  dit  :  Rejette  d'abord  ce  que  tu  as 
«  avalé,  et  alors  tu  pourras  sortir  librement  (i).  »  Cette 
fable  inspira  à  cet  homme  une  grande  crainte ,  et  en 
même  temps  une  grande  haine  pour  le  roi.  Sous  son  règne, 
Bucelin  (2),  après  avoir  soumis  toute  l'Italie  à  la  domi- 
nation des  Francs ,  fut  tué  par  Narsès  :  l'Italie  retourna 
à  l'empereur,  et  personne  depuis  ne  la  recouvra  (3).  De 
son  temps  nous  vîmes  croître  des  raisins  sur  l'arbre  appelé 
sureau,  sans  qu'aucune  vigne  y  fût  jointe;  et  les  fleurs 
de  cet  arbre,  qui  produisent  ordinairement,  comme  vous 
savez ,  des  graines  noires ,  se  changèrent  en  grappes. 
Alors  aussi ,  une  étoile  venant  à  l'opposite  de  la  lune , 
parut  entrer  dans  son  disque  (4).  Ces  signes,  je  pense, 


(i)  Voyez  le  même  sujet,  Horat.,  epist.  i,  7,  vers.  2g,  et  La  Fontaine, 
liv.  m,  17. 

(2)  En  554,  selon  Valois.  Voyez  liv.  m,  cliap.  $2.  Sur  l'expédition 
de  Bucelin  et  de  Leutharis,  voyez  surtout  Agathias. 

(3)  L'auteur  veut  dire  probablement ,  personne  ne  la  recouvra 
pour  le  compte  des  Francs  ;  car  on  sait  que  peu  d'années  après,  elle 
fut  enlevée  presque  entièi-ement  aux  empex'eurs  par  les  Lombards.  Il 
paraît,  quoi  qu'en  dise  ici  Grégoire,  qu'une  partie  de  l'Italie  resta, 
quelque  temps  du  moins,  à  nos  rois;  voyez  liv.  ix,  chap.  20,  et  liv.  x, 
chap.  3. 

(4)  Le  texte  dit  :  la  cinquième  étoile,  ce  qui  ne  paraît  former  aucun 
sens,  à  moins  qu'on  ne  l'entende  de  la  cinquième  planète.  C'est  Mars 
ensuivant  cet  ordre  :  la  Lune,  Mercure,  Vénus,  le  Soleil,  Mars,  Ju- 
piter, Saturne.  —  Circulas  ne  peut  signifier  ici  que  le  disque;  qu'y 
aurait-il  eu  d'étonnant  de  voir  une  étoile  dans  la  vaste  orbite  de  la 


LIVRE  QUATRIÈME.  181 

annoncèrent  la  mort  du  roi.  En  effet,  il  tomba  griève- 
ment malade,  au  point  que  de  la  ceinture  aux  pieds  il 
ne  pouvait  faire  le  moindre  mouvement;  et,  s'affaiblissant 
peu  à  peu,  il  mourut  la  septième  année  de  son  règne  (i). 
Clotaire  recueillit  son  royaume ,  et  admit  dans  son  lit 
Vultrade  son  épouse  :  mais  blâmé  par  les  évêques,  il  la 
quitta,  et  lui  donna  en  mariage  le  duc  Garivald  (2)  :  puis 
il  envoya  son  fils  Chramne  en  Auvergne. 

X.  Cette  année,  les  Saxons  s'étant  révoltés  (3),  le  roi 
Clotaire  leva  une  armée ,  marcha  contre  eux ,  détruisit 
la  plus  grande  partie  de  leurs  forces ,  et  parcourant  la 
Thuringe,  la  dévasta  tout  entière,  parce  qu'elle  avait 
fourni  des  secours  aux  Saxons. 

XL  L'évêque  de  Tours ,  Gonthaire ,  étant  mort ,  des 
émissaires  de  l'évêque  Cautin,  dit-on,  firent  demander 
le  prêtre  Caton  pour  le  gouvernement  de  cette  église  : 
de  sorte  que  le  clergé,  joint  à  Leubaste,  martyraire(4)  et 
abbé ,  se  rendirent  en  grand  appareil  à  la  ville  de  Cler- 
mont  ;  et  quand  ils  eurent  exposé  à  Caton  la  volonté  du 
roi ,  celui-ci  les  tint  en  suspens  quelques  jours  sans  leur 


lune  ?  —  Si  l'on  admet  liinœ  quintœ  ;  ce  sera  le  croissant  de  la  lune , 
au  cinquième  jour. 

(i)  En  555,  si  Ton  met  la  mort  de  Théodebert,  en  548,  d'après  la 
Chron.  de  Marins.  (D.  Bouq.,  liv.  11,  chap.  16.) 

(2)  C'était  Garibald  ou  Garipald,  duc  de  Bavière.  (Paul  diacre, 
liv.  I,  chap.  21  ;  liv.  m ,  chap.  2g.  —  D.  Bouq.,  liv.  11,  p.  654.  056.) 

(3)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (  Note  g.  ) 

(4)  Le  martyraire  était  chargé  de  veiller  sur  les  reliques  des  martyrs 
(Ducange),  et  peut-être  .\  l'entretien  des  pauvres  de  l'église.  —  On 
appelait  encore  ainsi  l'ecclésiastique  préposé  à  un  oratoire  bâti  en 
l'honneur  d'un  martyr.  (Ruinart.) 


182  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

donner  de  réponse  :  mais  comme  ils  désiraient  s'en  re- 
tourner, ils  lui  disent  :  «  Fais-nous  connaître  ta  volonté 
«  pour  que  nous  sachions  à  quoi  nous  en  tenir;  autrement 
«  nous  retournons  chez  nous ,  car  ce  n'est  pas  par  un 
«  effet  de  notre  volonté  que  nous  sommes  venus  te  cher- 
«  cher;  c'est  d'après  un  ordre  du  roi.»  Mais  Caton,  tou- 
jours amoureux  d'une  vaine  gloire,  réunit  une  foule  de 
pauvres  à  qui  il  donna  le  mot  pour  s'écrier  :  «  Pourquoi 
«  nous  abandonner,  bon  père,  nous  tes  enfans  que  tu  as 
«  élevés  jusqu'à  ce  jour?  qui  nous  donnera  désormais  à 
«  boire  et  à  manger,  si  tû  t'en  vas?  Nous  t'en  prions,  ne 
«  quitte  pas  ceux  que  tu  as  nourris  constamment.  »  Alors 
se  tournant  vers  le  clergé  de  Tours,  «Vous  voyez,  leur 
«  dit-il ,  très  chers  frères ,  combien  me  chérit  cette  multi- 
«  tude  de  pauvres  ;  je  ne  puis  les  abandonner,  ni  partir 
«  avec  vous.  )•>  Ceux-ci  ayant  reçu  cette  réponse ,  retour- 
nèrent à  Tours.  Or  Caton  avait  contracté  des  liaisons  avec 
Chramne  ,  et  en  avait  reçu  la  promesse  que  si  le  roi 
Clotaire  venait  à  mourir,  Cautin  serait  dégradé,  et  lui- 
même  mis  à  la  tête  de  cette  église.  Mais  celui  qui  dédaigna 
la  chaire  de  saint  Martin  n'obtint  pas  celle  qu'il  désirait  : 
et  en  cela  fut  accomplie  la  prophétie  de  David ,  lorsqu'il 
dit  :  Il  lia  pas  'voulu  la  bénédiction,  et  elle  s'éloignera 
de  lui  (i).  En  effet,  cet  homme  portait  la  vanité  jusqu'à 
l'arrogance,  et  ne  pensait  pas  que  personne  le  surpassât 
en  réputation  de  sainteté.  Un  jour  il  paya  une  femme 
pour  crier  dans  l'église ,  (;omme  si  elle  était  inspirée , 
qu'elle  le  reconnaissait  pour  un  grand  saint ,  pour  un 
homme  chéri  de  Dieu,  tandis  que  Cautin  était  souillé  de 
tous  les  crimes,  et  indigne  de  l'épiscopat  qu'il  avait  obtenu. 


(i)  Psaume  io8,  vers.  i8. 


1.IVRE  QUATRIÈME.  183 

XII.  Cependant  Cautin,  devenu  évêque,  se  conduisit 
de  manière  à  mériter  l'exécration  générale.  Il  s'adonnait 
au  vin  outre  mesure;  et  souvent  il  se  plongeait  tellement 
dans  la  boisson ,  que  quatre  hommes  avaient  peine  à  l'em- 
porter de  table;  en  sorte  qu'il  devint  par  la  suite  épilep- 
tique;  et  plusieurs  fois  le  peuple  fut  témoin  de  ses  accès. 
Il  était  en  outre  excessivement  livré  à  l'avarice  ;  et  quelle 
que  fût  la  terre  dont  les  limites  touchaient  à  la  sienne, 
il  se  croyait  mort  s'il  ne  s'en  appropriait  quelque  partie; 
l'enlevant  aux  plus  forts  avec  des  procès  et  des  querelles , 
l'arrachant  aux  plus  faibles  par  la  violence.  Et,  comme  le 
dit  notre  compatriote  Sidoine  Apollinaire,  par  mépris, 
il  ne  payait  pas ,  et  se  désespérait  quand  il  n'obtenait  pas 
les  titres  (i). 

En  effet,  il  existait  alors  un  prêtre  nommé  Anastase , 
d'origine  libre,  qui,  par  mie  charte  de  la  reine  Clotilde, 
d'heureuse  mémoire ,  possédait  une  propriété.  Plusieurs 
fois  l'évêque  était  venu  le  trouver,  le  priant  et  le  suppliant 
de  lui  remettre  les  chartes  de  la  reine,  et  de  lui  abandonner 
sa  propriété  ;  mais  comme  le  prêtre  différait  d'acquiescer 
au  désir  d.e  son  évêque,  celui-ci,  après  avoir  essayé  tantôt 
de  le  séduire  par  des  caresses,  tantôt  de  l'effrayer  par  des 
menaces,  lui  ordonna  de  se  présenter,  malgré  lui,  à  la  ville, 
et  l'y  fit  retenir  contre  toute  pudeur,  avec  ordre,  s'il  ne 
livrait  ses  titres,  de  l'accabler  de  mauvais  traitemens,  et 
de  le  faire  mourir  de  faim.  Mais  Anastase  résista  coura- 
geusement et  refusa  toujours  les  titres,  disant  qu'il  valait 
mieux  pour  lui  d'être  consumé  par  la  faim ,  dans  le  temps 
présent,  que  de  laisser  ses  enfans  (2)  malheureux  pour 


(i)  Voyez  L'clairciss.  et  ob.terv.  (Note  h.) 

(9.)  On  sait  qu'alors  beaucoup  d'hommes  maries  entraient  dans  lu 


184  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

toujours.  Alors,  par  l'ordre  de  l'évêque,  il  est  remis  à  des 
gardiens,  et  condamné,  s'il  ne  remet  ses  chartes,  à  mourir 
de  faim.  Dans  la  basilique  de  Saint- Cassius  martyr  était 
une  crypte  antique  et  profonde;  là  se  trouvait  un  vaste 
tombeau  de  marbre  de  Paros ,  où  avait  été  déposé  le  corps 
d'un  grand  (i)  personnage.  Dans  ce  sépulcre,  le  prêtre 
est  enseveli  vivant  sur  le  mort;  on  place  sur  lui  une 
pierre  qui  servait  de  couvercle  au  sarcophage  ,  et  on  met 
des  gardes  à  l'entrée  du  souterrain.  Mais  ceux-ci  comptant 
sur  la  pierre  qui  le  couvrait,  allument  du  feu  (car  on 
était  en  hiver),  et,  assoupis  par  du  vin  chaud,  s'endor- 
ment profondément.  Le  prêtre,  nouveau  Jonas,  du  fond 
de  son  tombeau  fermé,  ainsi  que  des  entrailles  de  l'en- 
fer (2),  invoquait  la  miséricorde  de  Dieu;  et  comme  le 
sarcophage  était,  je  le  répète,  assez  spacieux,  quoiqu'il 
ne  pût  s'y  retourner  entièrement ,  cependant  il  pouvait 
étendre  librement  les  bras  dans  tous  les  sens  comme  il  le 
voulait.  Des  os  du  mort,  c'est  lui-même  qui  le  racontait 
ensuite ,  s'exhalait  une  odeur  pestilentielle ,  qui ,  non 
seulement  frappait  les  sens,  mais  pénétrait  jusqu'au  fond 
des  entrailles.  Lorsqu'il  cachait  ses  narines  de  son  man- 
teau, et  tant  qu'il  pouvait  retenir  sa  respiration,  il  ne 
sentait  rien  de  trop  insupportable  ;  mais  quand,  de  peur 
d'étouffer,  il  écartait  un  peu  le  manteau  de  son  visage,  il 
aspirait  non  seulement  par  la  bouche  et  par  les  narines , 
mais,   si   j'ose  le   dire,  par  les  oreilles   mêmes,   cette 


saint  ministère.  On  voit  par  ce  passage  qu'il  leur  était  permis  de 
songer  encore  aux  intérêts  de  leur  famille.  Voyez  encore,  liv.  v, 
chap.  35. 

(i)  Grandœviis  semble  pris  dans  le  sens  de  senior.  Aimoin  le  tra- 
duit par  cujusdam  magni  hominis. 

(2)  C'est  l'expression  même  de  Jonas  dans  sa  prière ,  chap.  2,  vers.  5. 


LIVRE  QUATRIÈME.  .  185 

atmosphère  cadavéreuse.  Que  dirai-je  de  plus?  quand 
Dieu,  je  pense,  l'eut  pris  en  pitié,  le  captif  étendit  la 
main  droite  vers  le  bord  du  monument ,  et  y  trouva  une 
barre  de  fer  qui  était  restée  dans  une  fente  entre  le  cou- 
vercle et  les  parois  du  tombeau.  En  la  remuant  peu  à 
peu  il  sentit,  avec  l'aide  de  Dieu,  la  pierre  se  reculer;  et 
quand  elle  fut  assez  écartée  pour  que  le  prêtre  pût  sortir 
la  tête  au-dehors,  il  agrandit  l'ouverture  de  manière  à  y 
passer  tout  entier  sans  obstacle.  En  ce  moment ,  les  ténè- 
bres de  la  nuit  obscurcissaient  le  jour,  mais  n'étaient  pas 
encore  répandues  partout.  Anastase  court  à  une  autre 
porte  de  la  crypte  :  elle  était  fermée  par  de  fortes  serrures, 
et  consolidée  par  d'énormes  clous;  mais  elle  n'était  pas 
tellement  unie  dans  son  ensemble,  qu'on  ne  pût  voir  par 
les  interstices  des  planches.  Le  prêtre  se  penche  vers  ces 
ouvertures  et  aperçoit  un  passant  :  il  l'appelle,  quoique 
d'une  voix  exténuée.  Celui-ci  l'entend,  et  sans  tarder,  avec 
une  hache  qu'il  tenait  à  la  main,  il  coupe  les  pièces  de 
bois  auxquelles  étaient  attachées  les  serrures  et  ouvre  une 
issue  au  prêtre.  Anastase  s'échappe  à  la  faveur  de  la 
nuit,  et  se  rend  à  son  domicile,  après  avoir  instamment 
prié  son  libérateur  de  ne  parler  de  ce  fait  à  personne.  De 
retour  chez  lui ,  il  recueille  les  chartes  que  lui  avait 
octroyées  la  reine  Clotilde,  et  les  porte  au  roi  Clotaire, 
en  lui  dénonçant  comment  il  avait  été  enseveli  vivant  par 
son  évêque.  Lorsque  tous  étaient  encore  stupéfaits  de  ce 
récit,  et  avouaient  que  jamais  Néron  ni  Hérode  n'avaient 
commis  un  tel  forfait,  d'enfermer  un  homme  vivant  dans 
un  sépulcre ,  l'évêque  Cautin  vint  trouver  le  roi  Clotaire  ; 
mais  accusé  par  le  prêtre ,  il  s'en  retourna  convaincu  et 
couvert  de  confusion.  Anastase ,  muni  de  diplômes  du 
roi ,  défendit  son    bien  aisément ,  en   jouit   librement , 


186  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

et  le  transmit  à  sa  postérité.  Cautin  n'avait  ni  religion  ni 
respect  humain  :  complètement  étranger  aux  saintes  Ecri- 
tures et  aux  lettres  profanes,  il  était  cher  aux  juifs,  dont  il 
se  faisait  le  serviteur,  non  pour  les  amener  au  salut ,  comme 
doit  le  faire  la  tendre  sollicitude  d'un  pasteur  pour  son 
troupeau,  mais  pour  en  acquérir  certains  objets  de  prix  : 
et  comme  il  les  recherchait  avec  empressement,  et  que 
les  juifs  étaient  ses  adulateurs  déclarés ,  ils  les  lui  ven- 
daient plus  cher  qu'ils  ne  coûtaient. 

XIII.  Cependant  Chramne,  dans  ces  jours-là,  résidait 
à  Clermont,  où  il  commettait  beaucoup  d'actions  dérai- 
sonnables, et  c'est  pourquoi  il  fut  retiré  promptement  de 
ce  monde  :  aussi  le  peuple  le  maudissait.  Il  n'avait  aucun 
ami  qui  pût  lui  donner  des  conseils  bons  et  utiles  :  mais 
réunissant  des  personnes  de  vile  condition  et  dans  la  fou- 
gue de  la  jeunesse,  il  les  adoptait  exclusivement  pour  amis 
et  pour  conseillers,  leur  livrait  des  filles  de  sénateurs, 
et  donnait  même  des  diplômes  pour  les  faire  enlever  de 
force.  Il  dépouilla  Firmin  du  comté  de  la  ville  après 
l'avoir  grandement  outragé ,  et  lui  substitua  Saluste , 
fils  d'Evodius.  Firmin  se  réfugia  dans  l'église  avec  sa 
belle-mère.  On  était  alors  en  carême ,  et  l'évêque  Cautin 
devait  se  rendre  en  procession  à  la  paroisse  de  Brioude , 
selon  l'usage  établi  par  saint  Gall ,  comme  nous  l'avons 
dit  pkis  haut  (i).  L'évêque  sortit  donc  de  la  ville  vi- 
vement affligé ,  et  craignant  d'éprouver  en  route  quel- 
que accident ,  car  le  roi  Chramne  lui  faisait  aussi  des 
menaces  (2).  Tandis  qu'il  était  en  route ,  le  roi  envoya 


(i)  Ciiap.  5. 

(2)  N'oublions  pas  (|uc  sou  antagoniste  Caton  était  le  protégé  ilc 


LIVRE  QUATRIÈME.  187 

Imnachaire  et  Scapthaire,  les  premiers  de  ses  affidés  (i), 
en  leur  disant  :  «Allez,  et  arrachez  par  force  de  l'église 
«  Firmin  et  Césarie  sa  belle-mère.  »  Lors  donc  que  l'évêque 
s'éloignait  avec  la  procession ,  comme  il  a  été  dit  plus 
haut,  les  émissaires  de  Chramne  entrent  dans  l'église  ,  et 
cherchent  à  amuser  Firmin  et  Césarie  par  les  artifices 
d'une  conversation  variée.  Après  avoir  parlé  fort  long- 
temps de  choses  et  d'autres,  tout  en  se  promenant  dans 
l'église,  tandis  que  les  réfugiés  prêtaient  toute  leur  atten- 
tion à  ce  qu'on  leur  disait,  ils  s'approchent  des  portes  du 
sanctuaire,  qui  avaient  été  ouvertes.  Alors  Imnachaire 
saisissant  Firmin  dans  ses  bras,  et  Scapthaire,  Césarie,  ils 
les  jettent  hors  de  l'église,  entre  les  mains  de  serviteurs 
apostés  pour  les  saisir,  et  sur-le-champ  les  envoient  en 
exil.  Le  second  jour  leurs  gardiens  s'étant  endormis, 
ceux-ci  se  sentirent  libres,  et  se  réfugièrent  dans  la  basi- 
lique de  Saint-Julien;  ils  furent  ainsi  délivrés  de  l'exil, 
mais  leurs  biens  furent  confisqués.  Quant  à  l'évêque 
Cautin,  soupçonnant  le  coup  dont  il  était  menacé,  il  par- 
courait le  chemin  dont  il  a  été  question,  ayant  près  de 
lui  un  cheval  tout  sellé,  lorsqu'il  aperçut  derrière  lui  des 
cavaliers  suivant  la  même  direction  et  cherchant  à  l'at- 
teindre. «  Malheur  à  moi!  dit-il;  ces  hommes  sont  envoyés 
«  par  Chramne  pour  me  saisir.»  Puis,  s'élançant  sur  son 


Chramne,  chap.  ii.  Le  roi  Chramne,  dit-U.  Ce  titre  de  roi  est  sou- 
vent donné  par  l'auteur  aux  fils  de  rois.  Voyez  liv.  ni,  chap.  22,  en 
parlant  de  Thcodobcrt,  du  vivant  de  Théodoric  son  père  :  et  liv.  v, 
chap.  5o,  il  donne  le  titre  de  reine  à  Rigonthe. 

(i)  En  latin,  de  lalcrc  suo.  Nous  avons  dans  3Iarculfe,  liv.  i,  ch.  4o, 
une  formule  où  sont  nommes  des  missi  de  latere  régis.  Le  titre  de 
légat  a  latere  s'est  conservé,  comme  on  sait,  aux  envoyés  de  la  coui 
de  Rome.  Voyez  aussi  liv.  v,  chap.  29. 


188  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

cheval ,  il  laisse  la  procession ,  et  pressant  sa  monture  à 
coups  d'éperons ,  parcourt  seul  tout  le  chemin  jusqu'au 
portique  de  la  basilique  de  Saint-Julien,  où  il  arrive  à 
demi  mort.  Mais  en  faisant  ce  récit  nous  nous  rappelons 
cette  pensée  de  Salluste,  qui  est  sa  réponse  aux  détrac- 
teurs de  l'historien  (i)  :  «Il  semble  difficile  d'écrire  les 
«  actions  des  hommes;  d'abord  parce  qu'il  faut  élever  le 
«  langage  à  la  hauteur  des  faits ,  ensuite  parce  que  la 
«  plupart  attribuent  à  la  malveillance  et  à  l'envie  le  récit 
«  des  fautes  que  vous  blâmez.  »  Mais  poursuivons. 

XIV.  Clotaire,  après  la  mort  de  Théodebald,  devint 
roi  de  la  France  (2);  et  comme  il  parcourait  ce  royaume, 
il  apprit  de  ses  sujets  que  les  Saxons,  transportés  d'un 
nouvel  accès  de  folie,  s'étaient  révoltés  et  refusaient  de 
lui  remettre  les  tributs  qu'ils  avaient  coutume  de  payer 
tous  les  ans.  Animé  par  ces  paroles  il  marche  contre  eux. 
Lorsqu'il  était  près  de  leurs  frontières,  les  Saxons  lui 
envoient  des  ambassadeurs  chargés  de  lui  dire  :  «  Nous 
«  n'avons  pas  de  mépris  pour  toi  ;  ce  que  nous  avions 
«  coutume  de  payer  à  tes  frères  et  à  tes  neveux  (3),  nous  ne 
«  te  le  refusons  pas ,  nous  te  donnerons  même  plus  si  tu 
«  l'exiges;  nous  ne  demandons  qu'une  chose,  c'est  que  la 
«  paix  subsiste  ;  c'est  que  ton  armée  ne  vienne  pas  se 


(i)  Sallust.,  Catilina,  chap.  5.  Notre  auteur  paraît  s'excuser  de  ne 
raconter  que  des  crimes. 

(2)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (  Note  /.  ) 

(3)  Valois  pense  qu'il  faut  Mrefratri,  au  lieu  defratribus;  puisque 
des  trois  rois  d'Austrasic  auxquels  succède  Clotaire,  un  seul,  Thierri, 
était  son  frère;  les  deux  autres,  ses  neveu  et  petit-neveu.  Mais  les 
Saxons  pouvaient  ne  pas  savoir  au  juste  la  fdiation  de  ces  trois  princes, 
et  les  l'c^ardcr  comme  frères,  ou  comme  neveux  de  Clotaire. 


LIVRE  QUATRIÈME.  189 

«  heurter  contre  notre  peuple.  »  A  ces  mots ,  Clotaire  dit 
aux  siens  :  «Ces  hommes  parlent  bien;  n'allons  point  les 
«  attaquer  de  peur  de  pécher  contre  Dieu.  »  Mais  ceux-ci 
répondirent  :  «  Nous  savons  qu'ils  sont  des  menteurs  et 
«  qu'ils  ne  rempliront  aucunement  leurs  promesses  :  mar- 
«  chons  contre  eux.  »  Les  Saxons  demandèrent  encore  la 
paix  en  offrant  la  moitié  de  ce  qu'ils  possédaient;  et  le  roi 
Clotaire  dit  aux  siens  :  «  Cessez,  je  vous  prie,  d'en  vouloir 
«  à  ces  hommes  de  peur  d'attirer  sur  nous  la  colère  de 
«  Dieu.  »  Mais  ils  ne  l'écoutèrent  pas;  les  Saxons  vinrent 
encore  offrir  des  vêtemens,  des  troupeaux,  et  même  toutes 
leurs  richesses,  en  disant  :  «Prenez  toutcela  avec  la  moi- 
«  tié  de  notre  pays  ;  laissez-nous  seulement  nos  femmes  et 
«  nos  jeunes  enfans,  mais  qu'il  n'y  ait  point  de  guerre 
«  entre  nous.  »  Les  Francs  rejetèrent  encore  tout  accom- 
modement :  «Cessez,  je  vous  en  conjure,  leur  dit  le  roi 
«  Clotaire  ;  renoncez  à  vos  projets;  nous  n'avons  pas  pour 
«  nous  le  bon  droit  :  ne  veuillez  pas  marcher  à  une  guerre 
«  oïl  vous  trouveriez  votre  perte;  que  si  vous  voulez  abso- 
«  lument  partir,  pour  moi,  je  ne  vous  suivrai  pas.  »  Alors 
ceux-ci,  irrités  contre  le  roi  Clotaire,  se  jettent  sur  lui, 
déchirent  sa  tente  en  l'accablant  de  reproches,  et  l'eu 
arrachent  de  force,  bien  décidés  à  le  tuer  s'il  tardait  à 
marcher  avec  eux  (i).  A  cette  vue  Clotaire  partit  avec 
eux  malgré  lui.  Mais  quand  le  combat  fut  engagé,  ils 
furent  taillés  en  pièces  par  leurs  adversaires;  et  des  deux 
côtés  il  périt  tant  de  monde,  qu'on  n'aurait  pu  ni  évaluer 
ni  compter  le  nombre  des  morts.  Alors  Clotaire  confus 
demanda  la  paix ,  disant  que  ce  n'était  pas  de  sa  propre 
volonté  qu'il  les  avait  attaqués;  l'ayant  obtenue,  il  revint 
dans  ses  états. 

(i)  Voyez  Eclairciss.  et  obscrv,  (IVote  /. ) 


190  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

XV.  Apprenant  que  le  roi  était  revenu  do  cette  san- 
glante expédition  en  Saxe ,  ceux  de  Tours  qui  avaient  fait 
un  accord  (i)  pour  élire  évêque  le  prêtre  Eufrone,  vin- 
rent trouver  Clotaire,  et  lui  exposèrent  leur  demande. 
«Mais,  dit  le  roi,  j'avais  ordonné  que  le  prêtre  Caton 
«fût  établi  évêque  de  cette  ville;  pourquoi  nos  ordres 
«  n'ont-ils  pas  été  exécutés?»  Ils  lui  répondirent  :  «Nous 
«l'avons  demandé,  mais  il  n'a  pas  voulu  venir  (2).  » 
Compie  ils  disaient  ces  mots  ,  arrive  tout  à  coup  le  prêtre 
Caton,  priant  le  roi  de  rejeter  l'évêque  Cautin  et  de  le 
faire  à  sa  place  évoque  de  Cîermont.  Le  roi  ayant  accueilli 
cette  demande  aVec  dérision ,  Caton  lui  demanda  d'être 
nommé  à  Tours;  faveur  qu'il  avait  refusée  précédemment. 
Alors  le  roi  lui  dit  :  «  J'avais  d'abord  ordonné  que  l'on  te 
«  sacrât  évêque  de  Tours  ;  mais,  à  ce  que  j'apprends,  tu 
«  as  dédaigné  cette  église  ;  ainsi  jamais  tu  n'en  seras  le 
«maître;»  et  Caton  se  retira  tout  confus.  Comme  le  roi 
faisait  plusieurs  questions  sur  le  compte  de  saint  Eu- 
frone, on  lui  dit  qu'il  était  le  neveu  du  bienbeureux  Gré- 
goire, dont  nous  avons  parlé  plus  haut  (3).  Le  roi  ré- 
pondit :  «C'est  là  la  première  et  la  plus  belle  noblesse. 
«  Ainsi  soit  faite  la  volonté  de  Dieu  et  de  saint  Martin  ! 
«que  l'élection  s'accomplisse.»  Et  d'après  l'ordre  qu'il  en 
donna  par  un  diplôme,  saint  Eufrone  fut  ordonné  évêque, 
le  dix-huitième  depuis  saint  Martin. 

XVI.  Cependant  Chramne,  comme  nous  l'avons  dit, 
commettait  toutes  sortes  de  violences  en  Auvergne,  et 
était  toujours  l'ennemi  déclaré  de  l'évêque  Cautin.  En  ce 


(i)  Voyez  Eclairciss.  et  obseiv.  (Note  m.) 

(2)  Voyez  cliap.  1 1 . 

(3)  V03CZ  liv.  111,  cliap.  ig. 


LIVRE  QUATRIÈME.  191 

temps  il  fut  dangereusement  malade ,  et  ses  cheveux  tom- 
bèrent par  suite  d'une  fièvre  violente.  H  avait  alors  près 
de  lui  un  homme  généreux  et  distingué  par  toutes  les 
vertus  :  c'était  un  citoyen  de  Clermont  nommé  Ascovinde, 
qui  cherchait  à  le  détourner  de  toutes  ses  forces  de  cette 
disposition  à  faire  le  mal,  mais  sans  pouvoir  y  réussir; 
car  près  de  Chramne  était  aussi  un  certain  Léon  de 
Poitiers,  violent  aiguillon  pour  le  pousser  à  tous  les 
excès.  Bien  digne  de  son  nom,  il  déployait  la  cruauté  d'un 
lion  pour  satisfaire  tous  ses  désirs.  On  prétend  qu'un  jour 
il  dit  que  Martin  et  Martial,  ces  confesseurs  du  Seigneur, 
n'avaient  laissé  au  fisc  rien  qui  vaille.  Mais  aus'sitôt , 
frappé  par  la  vertu  des  saints  confesseurs ,  il  devint 
sourd  et  muet ,  et  mourut  en  démence.  Le  malheureux 
s'était  rendu  dans  la  basilique  de  Saint-Martin  de  Tours, 
y  avait  prié  pendant  la  nuit  (i),  avait  offert  des  pré- 
sens ;  mais  la  vertu  accoutumée  du  saint  ne  daigna  pas 
descendre  sur  lui,  et  il  s'en  retourna  infirme  comme  il 
était  venu.  Chramne  quittant  Clermont  vint  à  Poitiers. 
Tandis  qu'il  y  résidait  avec  toute  la  puissance  d'un  maître, 
séduit  par  les  conseils  des  médians ,  il  désira  passer  du 
côté  de  Childebert  son  oncle  ;  car  il  songeait  à  ourdir  un 
complot  contre  son  père.  Childebert ,  avec  une  arrière- 
pensée  il  est  vrai ,  lui  promit  cependant  de  le  recevoir, 
tandis  qu'il  aurait  dû  l'avertir  charitablement  (2)  de  ne  pas 
se  faire  l'ennemi  de  son  père.  Après  s'être  entendus  par 


(1)  Vi^ilins  en  cet  endroit ,  comme  en  beaucoup  d'autres,  me  paraît 
signifier  des  nuits  passées  en  prières,  plutôt  que  la  récitation  de  l'office 
appelé  Fi^iles ,  ce  qui  ne  convenait  qu'aux  honmies  de  l'église. 

(2)  Spiritaliier.  La  qualité  d'oncle,  de  Childebert  à  l'égard  de 
Chramne,  justiûe-elle  celte  expression?  IN'aurait-il  pas  été  son  père 
spirituel,  ou  parrain;' 


192  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

des  messages  secrets  ils  conspirent  contre  Clotaire.  Mais, 
Childebert  oubliait  que  chaque  entreprise  formée  contre 
son  frère  (  i  )  avait  tourné  toujours  à  sa  confusion.  Ce  traité 
conclu,  Chramne  retourna  dans  le  Limosin,  et  réduisit 
sous  sa  domination  les  portions  du  royaume  de  son  père 
qu'il  avait  parcourues  précédemment.  Alors  le  peuple  de 
Clcrmont  était  tenu  renfermé  dans  les  murs  de  la  ville , 
et  périssait  accablé  de  diverses  maladies.  Clotaire  envoya 
vers  lui  deux  de  ses  fils ,  Charibert  et  Contran  :  ceux-ci 
vinrent  en  Auvergne,  et  apprenant  qu'il  était  en  Limo- 
sin, s'avancèrent  jusqu'au  lieu  appelé  la  montagne  Noire, 
où  ils  le  trouvèrent.  Ayant  dressé  leurs  tentes,  ils  s'éta- 
blissent en  sa  présence,  et  lui  envoient  des  députés,  lui 
enjoignant  de  restituer  les  biens  paternels  qu'il  avait  usur- 
pés, sinon,  qu'il  se  préparât  à  combattre.  Chramne,  fei- 
gnant d'être  encore  soumis  à  son  père,  leur  dit  :  «  Je  ne 
«  pourrai  me  dessaisir  de  tout  le  pays  que  j'ai  parcouru  ; 
«  mais  avec  la  grâce  de  mon  père ,  je  désire  le  conserver 
«  sous  mon  pouvoir.  >>  Ses  frères  demandèrent  que  le 
combat  décidât  entre  eux.  Déjà  de  part  et  d'autre  les 
deux  troupes  nombreuses  et  bien  armées  se  disposaient 
à  l'attaque,  lorsque  tout  à  coup  une  tempête  accompagnée 
d'éclairs  et  de  tonnerre  suspendit  le  combat.  Comme  on 
rentrait  dans  les  camps,  le  rusé  Chramne  fît  annoncer 
à  ses  frères ,  par  un  étranger,  la  mort  de  leur  père  ;  car 
à  cette  époque  avait  lieu  la  guerre  contre  les  Saxons 


(i)  Par  exemple,  lorsqu'il  avait  voulu  enlever  l'Auvergne  à  Thieni  ; 
lu,  g  ;  lorsque,  réuni  à  Théodebert,  il  allait  combattre  contre  Clo- 
taire ;  m,  28  :  lorsque,  de  concert  avec  le  même  Théodebert,  il  garda 
tout  l'argent  que  leur  avait  donné  Théodat;  et  que  Clotaire  s'en 
dé<lommagea  en  s'cniparant,  pour  lui  seul,  des  trésors  de  Clodomir  j 
m,  5i. 


LIVRE  QUATRIÈME.  193 

dont  j'ai  parlé  plus  haut  (i).  Ceux-ci,  alarmés,  retour- 
nèrent promptement  en  Bourgogne.  Chramne  les  ayant 
suivis  avec  son  armée,  s'avança  jusqu'à  Châlon ,  l'as- 
siégea et  s'en  rendit  maître  ;  puis  il  poussa  jusqu'à  la 
forteresse  de  Dijon  ,  où  il  arriva  un  dimanche.  Là,  se 
passa  un  fait  que  je  vais  raconter  :  il  s'y  trouvait  alors 
l'évêque  saint  Tétricus,  dont  nous  avons  fait  mention  (2) 
dans  un  précédent  ouvrage;  les  clercs  ayant  placé  trois 
livres  sur  l'autel,  les  Prophètes,  l'Apôtre,  les  Evangiles, 
prièrent  le  Seigneur  de  découvrir  à  Chramne  le  sort  qui 
l'attendait  :  s'i^  devait  réussir,  ou  du  moins  régner  un 
jour,  ils  suppliaient  la  puissance  divine  de  le  faire  con- 
naître ;  en  même  temps  ils  convinrent  entre  eux  de  lire 
chacun  à  la  messe ,  le  passage  qu'ils  auraient  trouvé  à  l'ou- 
verture du  livre.  Ils  ouvrent  donc  d'ahord  le  livre  des 
Prophètes,  et  tombent  sur  ces  paroles  :  J'en  arracherai  la 
haie,  et  elle  sera  livrée  au  pillage;  au  lieu  de  porter  de 
bons  raisins  elle  n'a  donné  que  de  mauvais  fruits  (3). 
Le  livre  de  l'Apôtre  ouvert  leur  offre  ces  mots  :  Vous 
savez  bien,  mes  frères,  que  le  jour  du  Seigneur  'viendra 
comme  un  'voleur  dans  la  nuit.  Lorsqu'ils  auront  dit  : 
Paix  et  sécurité,  la  mort  fondra  sur  eux  tout  d'un  coup 
comme  les  douleurs  de  l'enfantement  sur  une  femme , 
et  ils  ne  pourront  l'éviter  (4).  Enfin   le  Seigneur  dit, 


(i)  Voyez  chap.  10.  14. 

(2)  Tétricus  n'est  pas  nommé  dans  le  livre  précédent  de  cette  his- 
toire. A  l'index  du  livre  de  Gloria  Confessorum,  le  chap.  107  est  inti- 
tulé ;  de  Sancto  Tctvico  episc.  Lingoncnsi.  Mais  dans  le  corps  de 
l'ouvrage  il  n'en  est  pas  question. — Il  en  est  fait  aussi  mention  dans  le 
livre  de  Vitis  Pntrum  ;  et  plus  has,  v,  5. 

(5)  Isai.,  V.  5,  4- 

(4)  I  Thess.,  V,  a,  5. 

I.  i3 


194  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

par  son  Evangile  :  Celui  qui  n'écoule  pas  mes  paroles 
est  comparable  a  un  insensé  qui  édifie  sa  maison  sur  le 
sable  :  la  pluie  est  tombée ,  les  torrens  se  sont  précipités^ 
les  vents  ont  soufflé  contre  elle  avec  violence,  et  elle 
s'est  écroulée,  et  la  ruine  en  a  été  grande  (  i  ).  Chramne, 
accueilli  dans  les  basiliques  par  l'évêque  Tétricus ,  y 
mangeait  son  pain  (2);  puis  il  se  dirigea  vers  Childe- 
bert  ;  mais  il  ne  lui  fut  pas  permis  d'entrer  dans  les  murs 
de  Dijon.  Le  roi  Clotaire  combattait  alors  vigoureuse- 
ment contre  les  Saxons.  En  effet,  les  Saxons  soulevés 
par  Childebert,  comme  on  l'apprit  deptis,  et  indignés 
contre  les  Francs  pour  les  ravages  de  l'année  précé- 
dente (3),  étaient  sortis  de  leur  pays,  avaient  attaqué  la 
France  (4),  et  s'étaient  avancés  jusqu'à  la  ville  de  Divi- 
tia  (5)  en  pillant,  et  en  laissant  partout  des  traces  de  leur 
fureur. 

XVII.  Chramne  ayant  pris  en  mariage  la  fille  de 
Wilichaire  (6),  se  rendit  à  Paris,  et  s'attacha  le  roi  Childe- 
bert comme  complice  et  comme  ami,  en  lui  jurant  qu'il 
était  l'ennemi  déclaré  de  son  père.  Childebert,  tandis  que 

(i)  Saint  Matth.,  vu.  26,  27. 

(2)  Expression  biblique,  pour  dire  :  Vivait  misérablement,  comme 
im  pauvre  qui  n'a  que  du  pain  à  manger.  —  Les  basiliques  dont  il  est 
question  ici  sont  peut-être  celles  de  Saint-Bénigne  et  de  Saint-Jean, 
alors  en  debors  de  la  ville;  depuis,  dans  l'intérieur  (Ruinart).  Saint- 
Bénigne  est  maintenant  la  cathé<lrale  de  Dijon ,  érigé  en  évêché 
en  170 I. 

(5)  L'expédition  rapportée  cbap.  10.  La  seconde  guerre,  dont  il 
est  question  ici,  est  celle  qui  a  été  racontée  chap.  i4- 

(4)  La  France  transrhénane,  ou  la  limite  orientale  de  l'Austrasie, 
Voyez  chap.  14.  (Note  /.) 

(5)  Voyez  Eclairciss.  cl  obsen>.  (Note  fi.) 

(6)  Duc  d'Aquitaine.  (Aimoiii,  11,  3o.)  La  fdle  s'appelait  Chalda. 
(Gest.  Franc,  chap.  28.) 


LIVRE  QUATRIÈME.  195 

Clotaire  combattait  contre  les  Saxons  ,  entra  dans  la 
campagne  rémoise,  et  s'avança  jusqu'à  la  ville  de  Reims, 
pillant  et  brûlant  tout  le  pays.  En  effet,  il  avait  ouï  dire 
que  son  frère  avait  été  tué  par  les  Saxons  ;  et  pensant  dès 
lors  que  tout  lui  était  soumis,  il  envahit  tous  les  pays  où 
il  put  pénétrer. 

XVill.  Dans  le  même  temps,  le  duc  Austrapius  craignant 
la  colère  de  Chramne ,  se  réfugia  dans  la  basilique  de 
Saint-Martin  ;  dans  une  telle  tribulation  le  secours  de 
Dieu  ne  lui  manqua  pas.  En  effet,  Chramne  l'avait  fait 
resserrer  de  manière  que  personne  n'osait  lui  porter  des 
ahmens  ;  et  garder  si  étroitement ,  qu'il  ne  lui  était  pas 
même  permis  de  puiser  de  l'eau  :  il  voulait  que,  pressé 
par  la  faim,  le  malheureux  se  décidât  de  lui-même  à  sortir 
de  la  sainte  basilique  quoique  sûr  de  périr  à  l'instant.  En 
cet  état,  quelqu'un  s'approchant  d'Austrapius  demi-mort, 
lui  présenta  un  vase  d'eau  pour  boire  :  il  le  prit;  aussitôt 
accourut  le  juge  de  l'endroit,  qui  le  lui  arracba  des  mains 
et  le  répandit  à  terre.  Mais  la  vengeance  de  Dieu  et  du 
saint  évêque  outragé  suivit  de  près  :  le  même  jour,  ce 
juge  coupable,  saisi  de  la  fièvre,  expira  dans  la  nuit;  il 
ne  put  arriver  au  lendemain,  à  cette  heure  où,  dans  la 
basilique  du  saint,  il  avait  arraché  le  vase  des  mains  du 
fugitif.  Après  ce  miracle  tous  s'empressèrent  de  fournir 
abondamment  aux  besoins  d'Austrapius;  et  quand  le  roi 
Clotaire  revint  dans  son  royaume,  il  fut  en  grand  honneur 
près  de  lui.  Du  vivant  de  ce  roi,  il  prit  l'habit  de  clerc, 
€t  fut  ordonné  évêque  au  château  de  Selle  ,  dans  le 
diocèse  do  Poitiers  (i),  avec  promesse  qu'à  la  mort  do 

(i)  L'abbaye  de  Selle  ou  Celles ,  près  de  Melle  en  Poitou  (Deux- 
Sèvres  ). 


196  HISTOlKli  DES  FRANCS, 

l'évêque  Pientlus ,  qui  dirigeait  alors  l'église  de  Poitiers  , 
il  lui  succéderait.  Mais  le  roi  Charibert  en  décida  autre- 
ment. Quand  l'évêque  Pientius  eut  quitté  le  séjour  de  ce 
monde,  Pascentius,  abbé  de  Saint-Hilaire,  se  trouvant 
alors  à  Paris ,  lui  succéda  par  l'ordre  du  roi  Charibert , 
malgré  les  réclamations  d'Austrapius,  qui  revendiquait 
cette  place.  Mais  ses  plaintes  et  ses  cris  furent  inutiles. 
11  retourna  donc  à  son  château  de  Selle;  et  là,  ayant  par 
ses  exactions  soulevé  contre  lui  les  Teifales  (i),  il  fut 
blessé  d'une  lance  et  périt  misérablement.  L'église  de 
Poitiers  rentra  en  possession  de  ses  paroisses  (2). 

XIX.  x\u  temps  de  Clotaire,  un  élu  de  Dieu,  Médard, 
ëvêque  d'une  sainteté  exemplaire,  mourut  après  une  vie 
remplie  de  jours  et  de  bonnes  œuvres.  Le  roi  Clotaire  le 
fit  ensevelir  en  grande  pompe  dans  la  ville  de  Soissons, 
et  commença  la  construction  d'une  basilique  sur  son  tom- 
beau, qui  fut  achevée  et  dotée  par  son  fils  Sigebert.  Au 
tombeau  de  ce  bienheureux,  nous  avons  vu  se  jompre, 
se  briser  et  tomber  les  fers  et  les  chaînes  de  plusieurs 
captifs;  et  on  les  garde  jusqu'à  ce  jour,  auprès  de  son 
sépulcre,  comme  monument  de  sa  puissance.  Mais  reve- 
nons aux  faits  précédens. 

XX.  Cependant  le  roi  Childebert  tomba  malade,  et 


(1)  Teifales,  peuple  barbare  originaire  de  Scytliie,  cantonné  en 
Gaule,  dans  le  Poitou,  au  vc  siècle,  et  qui  a  donné  son  nom  à  la  ville 
de  Tifauges,  sur  la  Sèvre. 

(2)  Ces  paroisses  étaient  le  château  de  Scllc,  et  quelques  autres  pa- 
roisses, dont  on  avait  forme  comme  un  diocèse  provisoire  pour  Austra- 
pius,  en  attendant  qu'il  succédât  à  Pientius;  à  sa  mort,  il  était  juste 
qu'elles  fussent  réunies  à  l'évcclié  dont  elles  avaient  été  distraites. 


LIVRE  QUATRIÈME.  197 

après  avoir  gardé  long-temps  le  lit,  il  mourut  à  Paris  (i), 
et  fut  enterré  dans  la  basilique  de  Saint-Vincent  (2),  qu'il 
avait  construite  lui-même.  Clotaire  s'empara  de  son 
loyaume  et  de  ses  trésors;  quant  à  Ultrogothe  et  ses 
deux  filles  (3),  il  les  envoya  en  exil.  Chramne  se  repré- 
senta devant  son  père,  mais  il  viola  encore  sa  foi;  et  se 
voyant  sans  ressource,  il  s'enfuit  en  Bretagne  auprès  du 
comte  Clionobre  (4),  où  il  resta  caché  avec  sa  femme  et 
ses  filles;  et  Wilichaire,  son  beau-père,  se  réfugia  dans 
la  basilique  de  Saint-Martin.  Alors  cette  basilique,  en 
punition  des  péchés  du  peuple  et  des  impiétés  qui  s'y 
commettaient,  fut  brûlée  par  Wilichaire  et  son  épouse,  ce 
(jiie  nous  ne  rappelons  qu'avec  un  profond  soupir.  Déjà 
la  cité  de  Tours,  moins  d'un  an  auparavant,  avait  été 
consumée  par  le  feu,  et  toutes  les  églises  qu'elle  renfer- 
mait étaient  restées  désertes.  Aussitôt,  la  basilique  de 
Saint-Martin,  par  les  soins  du  roi  Clotaire,  fut  couverte 
d'étain,  et  rétablie  dans  sa  beauté  première.  Alors  paru- 
rent deux  armées  de  sauterelles,  qui  traversant,  dit-on, 
l'Auvergne  et  le  Limosin  ,  s'arrêtèrent  sur  la  plaine  de 
iîomagnat  (5),  et  là,  se  livrant  un  combat  terrible,  se 


(i)  An  558. 

(i)  Qui  fut  depuis  Saint-Germain-dcs-Prés. 

(3)  Ultrogothe,  sa  veuve.  Ses  deux  filles  étaient,  Chrotbergc  et 
(llirotsindc.  (Ruin.) 

(4)  Lo  ms.  de  Corbic  le  nomme  Clionno  ;  el  au  cliap.  4,  au  lieu  do 
('hanaone,  il  met  Chonoone,  quoicjue  ailleurs  il  l'écrive  Clianao :  ce 
([ui  peut  faire  jirésumer  que  c'est  le  même  personnage.  Vyfrt  de 
vciificrlcs  Dates  a  adopté  celle  opinion  :  Caiinn,  ou  Connbrc,  y  ost-il 
«lit.  Ne  Irouvcrait-on  pas  plus  de  ressemblance  entre  Conobrc  el 
Chniioincrc ,  autre  roi  dont  il  est  aussi  (|U('sliou  cbap.  4  î*  On  sait  qu'il 
y  a  de  grands  rapports  pour  la  prononciation  entre  b  el  ui. 

(5)  \  illagc  prr'i  de  Clrrtnonl  (  F'ny  dc-Dômc). 


198  HISTOIRK  DES  FRANCS, 

détruisirent  mutucUcinent.  Cependant  le  roi  Clotaire,  fu- 
rieux contre  Chramne ,  s'avança  en  Bretagne  avec  une 
armée  pour  le  combattre,  et  celui-ci  ne  craignit  pas  de 
marcher  contre  son  père.  Déjà  les  deux  armées  étaient  en 
présence,  concentrées  dans  une  même  plaine,  et  Chramne 
avec  les  Bretons  avait  rangé  ses  troupes  en  bataille  contre 
son. père,  lorsque  l'arrivée  de  la  nuit  suspendit  le  combat. 
Dans  cette  nuit,  Chonobre,  comte  des  Bretons,  dit  à 
Chramne  :  «  Je  trouve  injuste  que  tu  marches  contre 
«  ton  père  :  laisse-moi ,  cette  nuit  même ,  fondre  sur  lui, 
«  et  l'accabler  avec  toute  son  armée.  »  Mais  Chramne 
aveuglé,  comme  je  le  crois,  par  la  volonté  divine,  ne 
voulut  point  y  consentir.  Le  matin ,  les  deux  princes 
mettent  en  mouvement  leur  armée ,  et  s'empressent  de 
combattre  l'un  contre  l'autre.  Le  roi  Clotaire  marchait 
comme  un  nouveau  David,  allant  combattre  son  fils  Ab- 
salon  ;  il  pleurait  et  s'écriait  :  «  Seigneur,  regarde  -  moi 
«  du  haut  du  ciel,  et  juge  ma  cause,  car  je  suis  indigne- 
ce  ment  outragé  par  mon  fils.  Vois,  et  juge-nous  avec  équité; 
«  et  que  ton  jugement  soit  celui  que  tu  prononças  entre 
«  Absalon  et  son  père  David.  »  On  combattit  des  deux 
côtés  avec  une  ardeur  égale;  le  comte  des  Bretons  plia, 
et  fut  tué.  Chramne  prit  la  fuite  :  il  avait  sur  la  mer  des 
vaisseaux  tout  préparés  ;  mais  tandis  qu'il  voulait  mettre 
en  sûreté  sa  femme  et  ses  filles,  il  fut  surpris  par  l'armée 
de  son  père,  saisi  et  enchaîné.  Le  roi  Clotaire,  à  cette 
nouvelle,  ordonna  qu'il  fût  brûlé  avec  sa  femme  et  ses 
filles.  On  les  enferma  dans  la  cabane  d'un  pauvre,  et 
(Chramne  étendu  sur  un  banc  fut  étranglé  avec  un  mou- 
choir. Ensuite  on  mit  le  feu  à  la  cabane,  et  ainsi  sa  femme 
et  ses  filles  périrent  avec  lui  (i). 

(i)  Aq  56o,  (  Chron.  de  Marins.) 


LIVRE  QUATRIÈME.  19& 

XXI.  Le  roi  Clotaire ,  la  cinquante-unième  année  de 
son  règne,  vint  pour  visiter  le  séjour  de  Saint -Martin 
avec  de  grands  présens  :  arrivé  à  Tours,  il  se  rendit  au 
tombeau  du  saint  évêque ,  et  là,  repassant  dans  sa  mé- 
moire toutes  les  fautes  qu'il  avait  pu  commettre  par  né- 
gligence, il  suppliait,  avec  de  profonds  gémissemens,  le 
bienlieureux  confesseur  d'implorer  pour  ses  péchés  la 
miséricorde  du  Seigneur,  et  de  lui  obtenir  par  son  inter- 
cession le  pardon  de  ses  erreurs.  A  son  retour,  la  cinquante- 
luiième  année  de  son  règne,  tandis  qu'il  chassait  dans 
la  forêt  de  Cuise  (i),  il  fut  saisi  de  la  fièvre,  et  ramené 
(l;ins  sa  maison  de  Compiègne.  Cruellement  tourmente 
par  la  fièvre,  il  s'écriait  :  «Ah!  que  pensez-vous  que 
«  soit  ce  roi  du  ciel,  qui  tue  ainsi  les  plus  grands  rois!» 
C'est  dans  ces  tristes  pensées  qu'il  rendit  l'ame.  Ses  quatre 
fils,  l'ayant  fait  transporter  à  Soissons  en  grande  pompe, 
l'ensevelirent  dans  la  basilique  du  bienheureux  Médard. 
Or  il  mourut  après  un  an  d'intervalle  ,  le  même  jour 
que  Chramne  avait  été  tué  (2). 

XXII.  Chilpéric,  après  les  funérailles  de  son  père, 
s'empara  des  trésors  qui  étaient  amassés  dans  la  maison 
royale  de  Braine  (3),  s'aboucha  avec  les  Francs  les  plus 
capables  de  le  servir,  et  se  les  gagna  par  des  présens, 
lîientot  il  entre  dans  Paris,  et  occupe  le  siège  du  roi 
Childebert  :  mais  il  ne  put  le  posséder  long-temps  ;  car 


(i)  La  foret  de  Compiègne. 

(2)  An  5Gi.  —  C'est  là  le  sens  généralement  adopté;  cependant  h\ 
phrase  latine  semble  dire  :  un  an  et  un  jour  après  le  meurtre  df 
(Jliramne.  C'est  l'opinion  de  plusieurs  savans  distingues. 

(3)  Braine- sur-  Fesle,  entre  Soissons  et  Reims  (Aisne,  arr.  de 
Scissons). 


200  UISTOIBE  DES  FRANCS, 

ses  frères  se  réunirent  pour  l'en  chasser;  et  alors  les 
quatre  frères,  c'est-à-dire  Charibert,  Contran,  Chilpéric 
et  Sigebcrt  firent  du  royaume  un  partage  légal  :  le  sort 
donna  à  Charibert  le  royaume  de  Childebert,  et  Paris 
pour  siège  de  sa  puissance  ;  à  Contran ,  le  royaume  de 
Clodomir,  et  Orléans  pour  capitale;  à  Chilpéric,  le 
royaume  de  sou  père  Clotaire,  avec  sa  capitale,  Soissons; 
à  Sigebert ,  le  royaume  de  Théodéric ,  et  Reims  pour  y 
établir  son  séjour  (i). 

XXIIL  Après  la  mort  du  roi  Clotaire,  les  Huns  atta- 
quèrent les  Caules  ;  Sigebert  marcha  contre  eux  avec 
une  armée,  leur  fit  la  guerre,  les  vainquit  et  les  mit 
en  fuite  :  mais  plus  tard,  leur  roi,  par  ses  ambassadeurs, 
obtint  l'alliance  de  Sigebert.  Tandis  que  ce  prince  était 
inquiété  par  cette  guerre,  son  frère  Chilpéric  (2)  envahit 
Reims,  et  lui  enleva  d'autres  villes  de  son  domaine.  De  là 
surgit  entre  eux,  ce  qui  est  plus  fâcheux  encore,  une 
guerre  civile.  Sigebert,  revenu  vainqueur  des  Huns,  s'em- 
pare de  Soissons,  y  trouve  Théodebert,  fils  du  roi  Chil- 
péric, le  prend,  et  l'envoie  en  exil.  Puis,  s'avançant  contre 
Chilpéric,  il  lui  livra  bataille;  et  l'ayant  vaincu  et  mis 
en  fuite,  il  rentra  en  possession  des  villes  qui  étaient  à 
lui.  Quant  à  son  fils  Théodebert,  il  le  fit  garder  pri- 
sonnier une  année  entière  dans  sa  maison  royale  de 
Poution  (3j;  puis,  comme  il  était  clément,  il  le  ren- 
voya à  son  père,  sans  aucun  mal,  et  avec  de  riches  présens; 


(i)  Voyez  Eclairciss.  et  obscrv.  (Noie  o.) 

(2)  Valois,  liv.  ix  de  son  histoire,  rapporté  cette  expédition  de 
Chilporic  à  l'an  Sôj. 

(3)  Ponthion,  ancienne  maison  royale,  aujourd'hui  village,  sur  l'Or- 
nain,  près  de  Vitry-le-Brûlc,  en  Pertois  (Marne,  arr.  de  Vitry). 


LIVRE  QUATRIÈME.  201 

mais  11  lui  avait  fait  promettre  par  serment  de  ne  ja- 
mais rien  entreprendre  contre  lui.  Engagement  qui  fut 
violé  par  le  jeune  prince  à  cause  de  ses  péchés. 

XXIV.  Le  roi  Contran  ayant  obtenu ,  comme  ses  frères, 
sa  portion  de  royaume,  destitua  Agrécula  le  Patrice  (i), 
et  donna  sa  dignité  à  Celsus,  homme  de  haute  stature, 
aux  épaules  larges,  au  bras  vigoureux,  fier  dans  son  lan- 
gage, toujours  prêt  à  répliquer,  habile  dans  la  connais- 
sance du  droit.  Par  la  suite,  son  avidité  pour  s'enrichir 
fut  telle  qu'il  enlevait  souvent  les  biens  des  églises  pour 
ajouter  à  ses  possessions.  Un  jour,  ayant  entendu  lire  à 
l'église  une  leçon  d'Isaïe ,  où  ce  prophète  s'exprime  ainsi  : 
Malheur  à  ceux  qui  ajoutent  maison  h  maison  et  joi- 
gnent une  terre  à  une  terre  jusqu'à  ce  que  l'espace  leur 
manque  (2).  11  s'écria,  dit -on  :  «Ces  mots  sont  bien 
«  inconvenans  :  malheur  à  moi  et  à  mes  fils!  »  Du  reste 
il  laissa  un  fils,  qui,  mourant  sans  enfans,  légua  la  plus 
grande  partie  de  son  bien  aux  églises  que  son  père  avait 
dépouillées. 

XXV.  Le  bon  roi  Contran  prit  d'abord  pour  concu- 
bine Vénérande,  servante  d'un  de  ses  hommes,  et  en 
rut  un  fils  nommé  Condebaud.  Ensuite  il  épousa  Mar- 


(i)  La  dignité  de  Patrice,  dans  le  royaume  de  Gonlran,  venait  des 
rois  Bourguignons,  qui  l'avaient  reçue  des  empereurs,  et  se  plaisaient  à 
en  porter  le  titre.  Sous  les  rois  francs,  ce  titre  fut  donné  au  premier 
oificier  qui  gouvernait  ces  provinces,  au  nom  du  roi.  Il  semble  par 
ce  passage  et  d'autres  encore  (chap.  xlu),  qu'il  n'y  avait  qu'un  Patrice 
dans  tout  le  royaume  de  Bourgogne.  Son  autorité  pourrait  alors  se 
comparer  à  celle  des  Maires  du  Palais. —  Selon  Marins,  Celsus  mourut 
en  570. 

{•i.)  Isaïe,  V.  8. 


•202  HISTOIRE  DES  FKAWCS. 

tati'ude  filic  do  Magiiacaire  :  puis  il  envoya  son  fils  Gon- 
(lebaud  à  Orléans.  Mais  Marcatrude,  jalouse  de  cet  enfant, 
quand  elle  fut  elle-même  mère  d'un  fils,  projeta  de  le 
faire  périr,  et  pour  cet  effet  lui  fit,  dit-on,  passer  du 
poison  dans  un  breuvage.  L'enfant  étant  mort ,  elle- 
même,  par  le  jugement  de  Dieu,  perdit  son  fils,  encourut 
la  haine  du  roi,  qui  la  renvoya;  et  mourut  peu  après, 
l^e  roi  épousa  ensuite  Austrechilde  surnommée  Bobyla, 
dont  il  eut  deux  fils:  l'aîné  se  nommait  Clotaire  ;  le  plus 
jeune,  Clodomir. 

XXVI.  Le  roi  Cbaribert  prit  pour  femme  Ingoberge , 
dont  il  eut  une  fille  (i)  qui  plus  tard,  en  prenant  un  mari, 
fut  emmenée  dans  le  royaume  de  Kent.  Ingoberge  avait 
alors  à  son  service  deux  jeunes  personnes,  filles  d'un 
pauvre  artisan  :  l'une,  nommée  Marcoviève,  portait  l'habit 
religieux;  la  seconde  s'appelait  Méroflède;  et  le  roi  en  était 
éperdument  amoureux  :  or,  elles  étaient  filles,  comme 
nous  l'avons  dit  (2),  d'un  ouvrier  en  laine.  Ingoberge,  ja- 
louse de  l'affection  qu'elles  inspiraient  au  roi,  fit  travailler 
leur  père  dans  son  intérieur,  espérant  que  le  roi ,  en  le 
voyant,  prendrait  ses  filles  en  aversion  ;  et  tandis  qu'il  était 
à  Touvrage,  elle  appela  le  roi.  Celui-ci ,  espérant  voirquel- 
((iie  chose  de  ciiricvîx,  regarde,  et  l'aperçoit  de  loin  travAJl- 


(i)  C'est  Aldeberge  ou  Berthe,  rjui,  inaricc  à  Éthelbert,  roi  de 
Kent,  travailla  à  le  convertir  au  christianisme  ainsi  que  tout  son 
peuple.  Il  en  est  encore  question  plus  bas,  liv.  ix,  chap.  26.  Voyez  en 
outre,  Beda,  liv.  ix,  chap.  -25,  Guillaume  de  Malmesbury  et  les  autres 
chroniqueurs  d'Angleterre. 

(2)  11  a  dit  seulement  qu'elles  étaient  filles  d'un  liomme  paiiNie  : 
pour  lui,  artificis  laïuirii,  el  j)aui>cfis,  auront  paru  à  peu  près  syno 
nymes. 


LIVRE  QUATRIÈME.  203 

lant  aux  laines  pour  le  service  du  palais.  A  cette  vue,  irrité, 
il  délaissa  Ingoberge  et  prit  Méroflède.  Il  eut  encore  une 
autre  jeune  fille,  nommée  Theudéchilde,  dont  le  père  était 
berger,  c'est-à-dire  gardeur  de  brebis,  et  en  eut,  dit-on, 
un  tlls,  qui,  au  sortir  du  sein  de  la  mère,  fut  porté  de 
suite  au  tombeau. 

Au  temps  de  ce  roi,  Léonce  (i)  ayant  réuni  à  Saintes 
les  évêques  de  sa  province,  dégrada  Emère  de  l'épiscopat, 
sous  prétexte  qu'il  n'avait  pas  été  régulièrement  revêtu 
de  cet  honneur.  En  effet,  il  avait  obtenu  un  décret  du 
roi  Clotaire  pour  être  ordonné  sans  le  consentement  du 
métropolitain,  qui  était  absent.  Quand  ils  l'eurent  rejeté, 
ils  firent  un  accord  (2)  en  faveur  d'Héraclius,  alors  prêtre 
de  Bordeaux;  et  après  l'avoir  signé  de  leurs  propres  mains, 
ils  le  transmirent  au  roi  Charibert  par  le  prêtre  en  question. 
Celui-ci,  arrivé  à  Tours,  fit  connaître  au  bienheureux 
Eufrone  tout  ce  qui  s'était  passé,  en  le  priant  de  daigner 
signer  cet  accord  :  mais  l'homme  de  Dieu  s'y  refusa  net- 
tement. Lors  donc  que  le  prêtre  fut  entré  dans  Paris, 
il  se  présenta  devant  le  roi,  et  lui  dit  :  «  Salut,  roi  glo- 
«  rieux.  Le  siège  apostolique  envoie  à  ton  éminence  le 
«salut  le  plus  abondant.»  —  «Eh  quoi!  reprit  le  roi, 
«  viens-tu  de  Rome,  pour  nous  apporter  le  salut  du  pape 


(i)  Évêque  de  Bordeaux,  métropolitain  de  la  seconde  Aquitaine, 
dont  Saintes  était  un  évèché  suffragant.  Ce  concile  de  Saintes  est  de 
56-2,  selon  Pagi  et  D.  Labat;  de  566,  selon  Raronius;  de  564  >  selon 
d'autres.  —  Léonce  et  Emère  ont  été  loués  ensemble  par  Fortunal , 
liv.  I,  n°  12.  Le  premier  est  honoré  comme  un  saint  à  Bordeaux,  le 
ï5  novembre.  Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  un  autre  Léonce  plus 
ancien,  également  évêque  de  Bordeaux,  et  loué  aussi  par  Fortunal, 
liv.  IV,  n"  g.  (Ruin.) 

(:>■)  Voyez  chap.  xv.  (JNolc  sur  ce  mol.) 


504  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

«de  cette  ville  (i)?»  —  «C'est  le  père  Léonce,  votre 
(f  sujet,  dit  le  prêtre,  qui,  réuni  aux  évêques  de  sa  pro- 
«  vince,  vous  envoie  le  salut;  il  vous  donne  avis  qu'Emule  » 
(c'est  ainsi  qu'ils  avaient  pris  l'habitude  de  nommer 
Emère  dans  son  enfance)  «  a  été  rejeté  de  l'épiscopat, 
«  parce  qu'au  mépris  des  formes  canoniques,  il  a  obtenu, 
«  par  intrigue ,  l'évèclié  de  Saintes.  Or  ils  vous  ont  en- 
«  voyé  l'acte  de  leur  accord  pour  qu'un  autre  soit  mis  à 
«  sa  place  ;  afin  qu'en  condamnant  régulièrement  les  trans- 
«  gresseurs  des  canons,  la  puissance  de  votre  royauté  se  pro- 
«  page  dans  une  longue  suite  de  siècles.  »  Il  parlait  encore, 
que  le  roi  furieux  le  fit  jeter  hors  de  sa  présence,  et  ordonna 
qu'il  fût  placé  sur  un  chariot  rempli  d'épines ,  et  traîné 
en  exil,  en  disant  :  «Crois -tu  donc  qu'il  ne  reste  plus 
«  un  seul  des  fils  de  Clotaire  qui  veuille  maintenir  les  actes 
à  de  son  père,  pour  que  ces  évêques  rejettent,  sans  nous 
«  consulter,  celui  que  sa  volonté  avait  choisi?»  Aussitôt 
il  envoya  des  hommes  de  religion  pour  réintégrer  l'évêque, 
et  quelques  uns  de  ses  chambriers,  qui  devaient,  après 
avoir  exigé  de  l'évêque  Léonce  mille  pièces  d'or,  pimir 
les  autres  évêques  selon  leurs  moyens.  Et  c'est  ainsi  qu'il 
punit  l'outrage  fait  au  roi. 

Ensuite  Charibert  épousa  Marcoviève,  sœur  de  Méro- 
flède.  Pour  ce  motif,  ils  fm-ent  tous  deux  excommuniés 
par  l'évêque  saint  Germain.  Mais  comme  le  roi  refusait 
de  s'en  séparer,  elle  mourut  frappée  par  le  jugement  do 
Dieu,  Peu  après  le  roi  Charibert,  lui-même,  décéda  (2). 

(i)  Cette  demande  du  roi,  à  propos  de  l'expression  scdcs  apnstû' 
lica,  prouve  que  si  ce  titre  était  commun  à  tous  les  cvùques,  il  de- 
venait cependant  dès  lors  plus  particulier  à  l'évêque  de  !\ome.  Le  titre 
de  Pape  ne  lui  appartint  exclusivement  qu'à  dater  de  Grégoire  VU. 

(•i)  An  567.  -    Fortunat  a  fait  l'élogt;  de  Charibert  (vi,  4),  en  quoi 


LIVRE  QUATRIÈME.  205 

Après  sa  mort,  Theudëchilde,  une  de  ses  femmes,  en- 
voya des  messagers  à  Gontran ,  se  proposant  à  lui  pour 
épouse.  Le  roi  lui  fit  répondre  :  «  Qu'elle  ne  craigne 
<(  pas  de  venir  à  moi  avec  ses  trésors  ;  je  la  recevrai ,  je 
«  la  ferai  grande  aux  yeux  des  peuples,  et  elle  sera  plus 
«  en  honneur  auprès  de  moi  qu'avec  défunt  mon  frère.  » 
Celle-ci,  joyeuse,  réunit  tout   ce  qu'elle  possédait,  et 
partit  pour  aller  le  trouver.   A  cette  vue ,  le   roi   dit  : 
((  Il  vaut  mieux  que  ces  trésors  soient  en  mon  pouvoir, 
«  qu'à  la  disposition  de  cette  femme,  qui  n'était  pas  digne 
«  du  lit  de  mon  frère.  »  Et  lui  enlevant  une  grande  partie 
de  ses  richesses,  il  lui  laissa  peu  de  chose,  et  l'envoya 
dans  un  monastère  d'Arles.  Celle-ci ,  souffrant  avec  peine 
les  jeûnes  et  les  veilles  qui  l'accablaient ,  fit,  par  des  mes- 
sages secrets,  des  propositions  à  un  Goth,  lui  promettant 
que,  s'il  s'engageait  à  la  conduire  en  Espagne  et  à  l'épouser, 
elle  sortirait  du  monastère  avec  ses  trésors^  et  le  suivrait 
volontiers.  Celui-ci  lui  promit  tout  sans  hésiter.  Déjà  elle 
avait  rassemblé  ses  effets,  apprêté  ses  valises;  et  se  pré- 
parait à  sortir  de  la  communauté,  lorsque  l'activité  de 
l'abbesse  prévint  ses  projets,  et  découvrit  son  nianége. 
Après  une  rude  correction,  elle  la  fit  garder  dans  une 
prison  oii  elle  resta,  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  soumise  à  de 
sévères  châtimens. 

XXVII.  Le  roi  Sigebert  (i),  voyant  ses  frères  choisir 
des  épouses  indignes  de  leur  rang,  et  s'abaisser  môme 


il  ne  s'accorde  pas  avec  notre  auteur,  qui  ne  parle  que  de  ses  défauts. 
Mais  Fortunat  a  loué  tout  le  nionde^  Dans  la  pièce  suivante  il  parle 
d'une  Théodechilde,  reine  de  France;  mais  les  savans  pensent  que 
c'est  une  autre  que  l'épouse  de  Charibert.  {E. virait  de  Ruiuart.  ) 
(i)  An  566. 


206  HTSTOIRE  DES  FRANCS, 

jusqu'à  s'unir  en  mariage  à  des  servantes,  envoya  urte 
ambassade  en  Espagne,  avec  de  riches  présens,  pour  de- 
mander Brunehaut  (i),  fille  du  roi  Atlianagilde.  C'était 
une  jeune  fille  d'une  tournure  élégante,  d'un  aspect  gra- 
cieux ;  honnête  et  distinguée  dans  ses  manières,  sage  par 
le  conseil ,  aimable  dans  la  conversation.  Son  père  accueillit 
la  demande,  et  l'envoya  au  roi  Sigebert  avec  de  grands 
trésors.  Celui-ci ,  ayant  réuni  les  seigneurs  de  son  royaume, 
et  préparé  de  grands  festins,  la  reçut  pour  épouse  au 
milieu  des  fêtes  et  de  l'allégresse  universelle.  Elle  était 
soumise  à  la  croyance  arienne  ;  mais  des  prédications 
d'évêques,  et  les  avertissemens  du  roi  lui-même  l'eurent 
bientôt  convertie;  elle  crut,  et  confessa  la  bienheureuse 
Trinité  réunie  en  un  seul  Dieu  ;  elle  reçut  l'onction 
sainte  (2),  et,  devenue  catholique,  elle  persévère  encore 
aujourd'hui  dans  la  foi  du  Christ. 

XXVIII.  A  cette  vue  (3)  ,  Chilpéric ,  quoiqu'il  eût 
déjà  plusieurs  femmes,  demanda  sa  sœur  Galsulnthe, 
promettant,  par  ses  ambassadeurs,  qu'il  abandonnerait 
les  autres  ;  mais  qu'on  voulût  bien  lui  accorder  une  épouse 
digne  de  lui,  une  fille  de  roi.  Atlianagilde,  acceptant  ces 
promesses,  lui  envoya  sa  fille  comme  la  précédente,  éga- 
lement avec  de  grandes  richesses.  Gaisuinthe  était  l'aînée 
de  Brunehaut.  Arrivée  auprès  de  Chilpéric,  elle  fut  reçue 

(i)  Par  analogie  avec  d'autres  noms  du  même  genre,  il  faudrait 
dire  JBnmechildc  ;  mais  nous  nous  sommes  fait  une  loi  d'employer  les 
dénominations  ordinairement  en  usage  .-  Clovis,  Clotilde,  Brunehaut, 
Clermont,  etc. 

(2)  C'est-à-dire,  fut  baptisée.  Ce  mot  pourrait  aussi  s'entendre  de 
la  confirmation,  que  l'on  recevait  alors  immédiatement  après  le  bap- 
tême. 

(5)  An  567. 


^    LIVRE  QUATRIÈME.  207 

avec  grand  honneur,  et  jointe  à  lui  par  le  mariage  :  elle 
en  recevait  même  de  grandes  marques  d'amour;  car  elle 
avait  apporté  avec  elle  de  grands  trésors.  Mais  l'amour 
de  Frédégonde,  une  des  premières  femmes  de  Chilpéric, 
occasiona  entre  eux  de  violens  débats.  Déjà  Galsuinthe 
avait  été  convertie  à  la  foi  catholique  et  baptisée.  Comme 
elle  se  plaignait  au  roi  d'être  continuellement  outragée, 
et  de  ne  pas  partager  avec  lui  la  dignité  de  son  rang,  elle 
lui  demanda,  pour  prix  des  trésors  qu'elle  avait  apportés 
et  qu'elle  lui  abandonnait,  de  la  renvoyer  libre  dans  son 
pays.  Celui-ci,  dissimulant  par  artifice,  l'apaisa  avec  des 
paroles  caressantes.  Enfin  il  la  fit  étrangler  par  un  es- 
clave, et  la  trouva  morte  dans  son  lit.  Après  sa  mort, 
Dieu  fit  connaître  sa  vertu  d'une  manière  éclatante.  En 
effet ,  une  lampe  suspendue  par  une  corde  brûlait  devant 
son  tombeau  ;  la  corde  s'étant  rompue  sans  que  personne 
y  touchât,  la  lampe  tomba  sur  le  pavé;  et  le  pavé  per- 
dant sa  dureté,  elle  descendit  comme  dans  une  matière 
molle,  et  s'enterra  à  demi,  sans  se  briser  :  ce  qui  parut 
un  grand  miracle  à  tous  les  assistans.  Quand  le  roi  eut 
pleuré  sa  mort,  il  épousa  Frédégonde,  après  un  inter- 
valle de  peu  de  jours.  Après  une  telle  action ,  ses  frères, 
imputant  à  ses  ordres  secrets  la  mort  de  la  reine ,  le  re- 
jettent du  trône.  Chilpéric  avait  alors  trois  fils  d'Audo- 
vère,  sa  première  épouse  :  Théodebert,  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut  (i),  Mérovée  et  Clovis.  Mais  revenons  à 
notre  sujet. 

XXIX.  Cependant  les  Huns  faisaient  de  nouveaux  ef- 
forts pour  pénétrer  en  Gaule  (2}.  Sigebert  marcha  contre 

(i)  Voyez  chap.  23. 

(2)  An  566.  (  Ruin.  )  En  669,  selon  Valois.  Voyez  chap.  25. 


208  HTSTOIRE  DES  FRANCS, 

eux  avec  une  année  composée  d'un  grand  nombre  de 
braves;  mais  au  lieu  de  combattre,  leurs  ennemis, instruits 
dans  la  magie ,  leur  firent  apparaître  des  formes  fantas- 
tiques, et  eurent  sur  eux  un  grand  avantage.  Sigebert, 
abandonné  de  son  armée  en  fuite,  fut  pris  par  les  Huns, 
et  serait  resté  leur  prisonnier,  si  plus  tard,  grâce  à  ses  ma- 
nières aimables  et  adroites,  il  n'eût  subjugué  par  sa  mu- 
nificence ceux  qu'il  n'avait  pu  vaincre  par  les  armes  dans 
un  combat.  En  effet  il  s'attacba  leur  roi  par  des  présens, 
et  conclut  avec  lui  une  alliance,  sous  la  condition  que 
jamais,  leur  vie  durant,  ils  ne  prendraient  les  armes  l'un 
contre  l'autre;  et  cet  événement  est  regardé,  à  juste  titre, 
comme  plus  glorieux  que  déshonorant  pour  Sigebert.  De 
son  coté,  le  roi  des  Huns  lui  fit  beaucoup  de  présens.  Il 
s'appelait  Gagan  (i),  ce  qui  est  le  nom  de  tous  les  rois 
de  ce  peuple. 

XXX.  Le  roi  Sigebert  (2),  voulant  s'emparer  de  la  ville 
d'Arles,  fit  marcher  contre  elle  les  Arvernes;  et  Firmin, 
alors  comte  de  cette  cité,  partit  à  leur  tête.  D'une  autre 
part,  Audovaire  survint  avec  une  armée,  et  étant  entrés 
dans  la  ville  d'Arles,  ils  en  exigèrent  des  sermens  de  fidélité 
pour  le  compte  du  roi  Sigebert.  Le  roi  Contran,  à  cette 
nouvelle,  y  envoie  avec  une  armée  le  patrice  Celsus,  qui 
s'empara  en  route  de  la  ville  d'Avignon.  Arrivé  près 
d'Arles ,  il  en  forma  le  siège ,  et  commença  d'attaquer 
l'armée  de  Sigebert,  qui  était  renfermée  dans  l'enceinte 
des  murs.  Alors  l'évêque  Sabaudus  dit  à  ceux-ci  :  «Sortez, 


(i)  L'auteur  semble  avoir  pris  le  nom  de  la  dignité  pour  un  nom 
d'homme.  Celui  qu'il  appelle  Jîoi  des  Huns,  était  dans  leur  langue 
un  Chagan,  ou  un  Khan. 

(a)  En  566.  (Ruin.) 


LIVRE  QUATRIÈME.  209 

«  combattez  ;  vous  ne  pourrez ,  en  restant  enfermés  dans 
«  ces  murs,  nous  défendre,  nous  et  tout  ce  qui  est  soumis 
«  à  cette  ville.  Si  par  la  protection  de  Dieu  vous  êtes  vain- 
ce  queurs,  nous  vous  garderons  la  foi  jurée;  si  vos  ennemis 
«  sont  les  plus  forts,  vous  trouverez  les  portes  ouvertes. 
«  Entrez-y  pour  ne  pas  périr.»  Trompés  par  cette  ruse, 
ils  sortent  pour  combattre;  mais,  vaincus  par  l'armée  de 
Celsus,  ils  prennent  la  fuite,  et  se  dirigent  vers  la  ville, 
dont  ils  trouvent  les  portes  fermées.  Frappés  par  les  jave- 
lots de  l'armée  qui  les  poursuivait ,  accablés  par  les  pierres 
des  habitans  de  la  ville,  ils  se  dirigent  vers  le  Rhône,  et 
là,  se  faisant  des  nacelles  de  leurs  boucliers,  ils  cherchent 
à  gagner  l'autre  rive.  Mais  plusieurs  périrent  emportés 
par  la  violence  du  fleuve,  et  le  Rhône  fut  pour  les  Arvernes 
ce  que  le  Siraoïs  avait  été  pour  les  Troyeus,  comme  il  est 
dit  en  ces  vers  : 

«  Il  roule  sous  ses  ondes  les  casques  des  guerriers ,  leurs  bou- 
«  cliers,  et  leurs  corps  généreux....  —  Quelques  hommes  appa- 
«  raissent  nageant  au  milieu  du  vaste  abîme  (i).  » 

Ainsi,  malgré  leurs  efforts  pour  fendre  les  eaux,  malgré 
le  soutien  que  leur  prêtaient  leurs  boucliers,  ils  ne  purent 
qu'avec  peine  atteindre  à  la  plaine  de  la  rive  opposée; 
et  dépouillés  de  tout,  privés  de  chevaux,  ils  rentrèrent 
dans  leiu'  patrie  couverts  de  honte.  On  laissa  cependant 
à  Firmin  et  à  Audovaire  la  liberté  de  se  retirer.  En  cette 
occasion,  beaucoup  d'Arvernes  périrent,  non  seulement 
entraînés  par  le  courant,  mais  percés  par  le  glaive.  Ayant 
ainsi  repris  cette  ville,  Contran,  toujours  fidèle  à  son  ca- 
ractère de  bonté,  rendit  Avignon  à  son  frère. 

{«)   Virg.  Ma.,  i,  io4,  io5  et  l'ii.  Mais  on  sait  que,  dans  le  dernier 
vers,  il  est  question  d'un  naufrage  en  pleine  mer. 

i4 


210  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

XXXI.  Eu  Gaule,  un  grand  prodige  eut  lieu  au  fort 
de  Tauredunum  (i),  situé  sur  une  montagne  qui  dominait 
le  Rhône.  Après  avoir  fait  entendre  pendant  plus  de  soixante 
jours  une  espèce  de  mugissement,  cette  montagne  se  dé- 
tachant et  se  séparant  d'un  autre  mont  contigu,  avec  les 
hommes,  les  églises,  les  terres  et  les  maisons  qui  la  cou- 


(i)  Labbe  croit  le  fort  Tauredunum  placé  vers  l'endroit  où  est  à 
présent  la  perte  du  Rbône,  cinq  lieues  au-dessous  de  Genève-  D'après 
la  cbronique  de  Marias  d'Avenches,  qui  assigne  i  lit  l'an  565,  il 

semblerait  que  l'accident  eut  lieu  au-dessus  de  G  ve,  et  agrandit 
ainsi  le  lac  Léman  jusqu'à  cette  ville.  Yoici  son  text  <  Mons  validus 
«  Tauretunensis,  in  territorio  Vallensi,  ita  subito  ruit,  ut  castrum  cui 
«  vicinus  erat,  et  vicos,  cum  omnibus  ibidem  habitantibus  oppres- 
«  sisset  ;  et  lacum  in  longitudine  lx  millium  et  latitudine  xx  millium , 
«  ita  totum  movit,  ut  egressus  utraque  ripa,  vicos  antiquissimos.... 

«  vastasset et  pontem  Genavacum,   molinas  et  homines  per  vim 

«  dejecit,  et  Genava  civitate  ingressus  plures  homines  interfecit.  » 
Ainsi,  selon  cet  auteur,  la  montagne  est  dans  le  Valais;  elle  tombe 
dans  le  lac  qui  se  déborde,  et  inonde  Genève.  Le  récit  de  Grégoire 
de  Tours  paraît  conforme  à  cette  interprétation.  Au  contraire,  si  l'on 
suppose  que  l'événement  eut  lieu  au-dessous  de  la  ville,  alors  ce  sont 
les  eaux  du  Rhône  qui,  resserrées  par  les  montagnes  de  ses  deux  rives, 
se  gonflent,  remontent  jusqu'à  Genève,  et  l'inondent  en  se  mêlant  aux 
eaux  du  lac,  qui,  lui-même,  se  déborde  par  suite  de  ce  refoulement 
extraordinaire.  Mais,  outre  qu'aucun  mot  dans  notre  auteur  n'indique 
que  les  eaux  amoncelées  vont  toujours  en  remontant  jusqu'à  Genève, 
n'est-ce  pas  placer  l'accident  un  peu  trop  loin  pour  produire  un  pareil 
efiFet,  que  de  le  supposer  à  cinq  lieues  au-dessous?  D'ailleurs,  avant  de 
dire  que  Genève  est  submergée,  l'auteur  a  dit  que  les  eaux  comprimées 
par  l'obstacle  et  s' élevant  sans  cesse ,  ont  enfin  débordé  par-dessus  la 
montagne.  Dès  lors  elles  ne  peuvent  plus  remonter,  puisqu'elles  ont 
trouvé  un  écoulement.  On  peut  donc  croire  que  cette  partie  du  Rhône 
était  au-dessus  de  Genève ,  et  au  sortir  du  lac.  Il  faudrait  trouver  dans 
les  monumens  antérieurs  à  cette  époque,  la  preuve  que  Genève  était 
à  quelque  distance  du  Léman.  La  Table  de  Peutinger  l'en  place  assez 
loin ,  il  est  vrai  ;  mais  elle  ne  peut  faire  autorité  pour  les  positions 
topographiques;  elle  ue  s'occupe  (jue  des  routes,  et  des  distances  de& 
villes  entre  elles. 


LIVRE  QUATRIÈME.  211 

vraient,  se  précipita  dans  le  fleuve,  et,  lui  barrant  le 
passage  entre  ses  rives  qu'elle  obstruait,  refoula  ses  eaux 
en  arrière  ;  car  en  cet  endroit  le  terrain ,  fermé  de  part 
et  d'autre  par  des  montagnes,  ne  laisse  qu'un  étroit  défilé 
par  où  s'échappe  le  torrent.  Alors  le  fleuve ,  inondant  la 
partie  supérieure  de  son  cours,  couvrit  et  dévasta  tout 
ce  qui  était  sur  ses  rives.  Puis  cette  masse  d'eau,  se  pré- 
cipitant dans  la  partie  inférieure ,  surprit  les  habitans 
comme  elle  avait  fait  plus  haut,  les  tua,  renversa  les  mai- 
sons, détruisit  les  animaux,  et  le  long  des  rivages  jusqu'à 
Genève  emporta  et  entraîna  tout  par  la  violence  de  cette 
inondation  subite.  Plusieurs  racontent  que  là  les  eaux 
s'amoncelèrent  au  point  d'entrer  dans  cette  ville  par- 
dessus les  murs.  Ce  qui  est  croyable ,  parce  que ,  comme 
nous  l'avons  dit,  le  Rhône  en  cet  endroit  coule  resserré 
entre  deux  montagnes;  et  qu'arrêté  dans  son  cours,  il 
ne  trouva  pas  sur  ses  rives  d'ouverture  pour  écouler  ses 
eaux.  Puis,  quand  il  eut  une  fois  débordé  par-dessus  la 
montagne  abattue,  il  submergea  tout  le  pays.  Après  cet 
événement,  trente  moines  vinrent  au  lieu  où  s'était  écroulé 
le  fort,  et,  en  fouillant  la  terre  qui  était  restée  après  la 
chute  de  la  montagne,  ils  y  trouvèrent  de  l'airain  et  du 
fer.  Tandis  qu'ils  étaient  occupés  à  ce  travail ,  ils  enten- 
dirent la  montagne  mugir  comme  elle  avait  fait  aupa- 
ravant; mais  ils  furent  retenus  par  un  excès  d'avarice,  et 
la  partie  restée  intacte  tomba  sur  eux,  les  engloutit,  les 
tua,  et  les  fit  disparaître  pour  toujours.  De  même,  avant 
la  calamité  qui  affligea  l'Auvergne,  de  grands  prodiges  ef- 
frayèrent cette  contrée.  Souvent  on  vit  autour  du  soleil 
trois  ou  quatre  météores  lumineux  que  les  paysans  appe- 
laient des  soleils,  en  disant  :  «  Voilà  trois  ou  quatre  soleils 
«  au  ciel.  »  Une  fois,  aux  calendes  .d'octobre ,  le  soleil  se 


212  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

montra  tellement  obscurci,  qu'il  n'en  restait  pas  le  quart 
de  lumineux;  mais  sombre  et  décoloré,  il  ressemblait  à 
un  sac  de  poil  (i).  Une  étoile,  que  quelques  personnes 
appellent  comète ,  et  qui  avait  un  rayon  semblable  à  une 
épée,  se  montra  une  année  entière  au-dessus  de  ce  pays; 
le  ciel  parut  tout  en  feu,  et  on  vit  plusieurs  autres  pro- 
diges. Dans  l'église  même  de  la  ville,  tandis  qu'on  chan- 
tait matines  un  jour  de  fête,  un  de  ces  oiseaux  huppés, 
que  nous  nommons  alouette,  y  étant  entré,  éteignit  avec 
ses  ailes  toutes  les  lumières,  si  promptement  qu'on  les 
aurait  crues  placées  dans  la  main  d'un  seul  homme 
et  plongées  dans  l'eau  toutes  à  la  fois.  Puis,  pénétrant 
dans  le  sanctuaire  par-dessous  le  voile,  elle  voulut  en 
éteindre  la  lampe  (2);  mais  elle  en  fut  empêchée  par  les 
portiers  (3),  et  enfin  tuée.  Dans  la  basilique  de  Saint- 
André,  un  autre  oiseau,  se  jetant  sur  les  lampes  allumées, 
en  fit  tout  autant.  Et  quand  survint  enfin  la  calamité, 
la  mortalité  fut  si  grande  parmi  le  peuple  de  cette  contrée, 
qu'on  ne  saurait  compter  combien  de  légions  d'hommes 
il  y  périt.  Comme  on  manquait  déjà  de  cercueils  et  de 
planches,  on  enterrait  dix  personnes,  et  même  plus,  dans 
la  même  fosse.  Un  dimanche,  on  compta,  dans  la  seule 
basilique  de  Saint-Pierre,  trois  cents  corps  de  personnes 
défuntes.  Or  la  mort  était  subite.  Il  naissait  à  l'aine  ou 
à  l'aisselle  une  plaie  semblable  à  un  serpent,  et  le  venin 
empoisonnait  si  promptement  les  malades,  que  le  second 
ou  le  troisième  jour  ils  rendaient  l'ame  (4  •  En  outre,  la 

(i)  Expression  de  WApocalypse,  vi,  12.  Saccus  cilicinus. 
(2)  Le  mot  cicindelus  est  expliqué  dans  le  chap.  36. 
(5)  Portiers,   le  moindre  des  quatre  ordres  mineurs ,  qui  sont  : 
acolyte,  lecteur,  exorciste,  portier. 
(4)  Marius,  dans  sa  chronique,  parle  de  cette  peste  à  l'année  571. 


LIVRE  QUATRIÈME.  213 

Ibrce  du  poison  otait  le  sentiment.  Alors  mourut  le  prêtre 
Caton.  Plusieurs  s'étaient  enfuis  par  crainte  de  la  peste, 
mais  lui  ensevelissait  les  morts,  disait  une  messe  poiu- 
chaque  victime,  et  ne  voulut  jamais  quitter  son  poste. 
Ce  prêtre  était  fort  lumiain  et  charitable  pour  les  pauvres; 
et  s'il  eut  quelque  orgueil,  cette  mort,  je  crois,  put  lui 
servir  d'expiation.  Quant  à  l'évêque  Cautin ,  après  avoir, 
par  crainte  de  la  maladie,  erré  en  divers  lieux,  il  rentra 
dans  la  ville;  et  frappé  à  l'instant,  il  mourut  le  vendredi 
saint.  A  la  même  heure,  mourut  Tétradius  son  cousin. 
Alors  Lyon,  Bourges,  Châlon,  Dijon,  furent  cruellement 
ravagés  par  cette  peste. 

XXXII.  Il  existait  alors  au  monastère  de  Randan  (i), 
en  Auvergne ,  un  prêtre  célèbre  par  sa  vertu ,  nommé 
Tulien ,  d'une  telle  abstinence  qu'il  ne  faisait  usage  que 
de  pain  et  d'eau  ;  couvert  en  tout  temps  d'im  cilice  sous 
sa  tunique  ;  le  premier  à  l'office  de  la  nuit;  et  toujours  en 
prière.  Guérir  les  possédés,  rendre  la  lumière  aux  aveu- 
gles, et  chasser  les  autres  infirmités  par  l'invocation  du 
nom  du  Seigneur  et  le  signe  de  là  croix,  était  pour  lui 
chose  facile.  Comme  il  se  tenait  debout  malgré  un  abcès 
({ui  lui  rongeait  les  pieds ,  et  qu'on  lui  demandait  pour- 
quoi il  restait  toujours  debout  quand  la  faiblesse  de  son 
corps  s'y  refusait,  il  répondait  en  plaisantant  dans  un 
sens  spirituel  :  «  Ils  font  mon  ouvrage  tant  que  la  vie  est 
i(  avec  moi,  et  leur  appui  ne  me  manque  pas,  car  Dieu  le 


(i)  Randans  est  maintenant  une  petite  ville  d'Auvergne.  (Puy-ile- 
IJôme,  arr.  Riom.)  —  Ce  cliapitre  et  les  cinq  suivans  ont  été  donnés 
poui-  la  première  fois  par  Ruinart,  d'après  un  ms.  du  3Iont-Cassin. 
D.  Boucpiet  les  a  trouvés  aussi  dans  le  ms.  de  Cluni.  Rien  n'empéclu; 
*ie  les  croire  de  la  niênic  ni^in  que  1rs  autres. 


214  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  veut  ainsi.  )^  Nous  le  vîmes  une  fois  dans  la  basilique  de 
Saint-Julien  martyr,  guérir  un  possédé  avec  un  seul  mot. 
Souvent  par  la  prière  il  apportait  remède  à  des  fièvres 
quartes  ou  d'une  autre  nature.  En  ce  temps  de  peste,  il 
fut  enlevé  de  ce  monde,  plein  de  jours  et  de  vertus,  pour 
reposer  en  paix. 

XXXIII.  Alors  mourut  aussi  l'abbé  de  ce  même  mona- 
stère; il  eut  pour  successeur  Sunniulfe,  homme  simple  au- 
tant que  charitable  ;  car  souvent  il  lavait  lui-même  les  pieds 
de  ses  hôtes  ,  et  les  essuyait  de  ses  mains.  Il  n'avait  qu'un 
défaut,  c'était  à  force  de  supplications  et  non  par  la  crainte 
qu'il  dirigeait  le  troupeau  qui  lui  était  confié.  Il  racontait 
souvent  que ,  dans  une  vision ,  il  avait  été  conduit  auprès 
d  un  fleuve  de  feu  où  venait  se  plonger  une  foule  de  gens 
accourant  de  l'une  des  rives,  comme  des  abeilles  vers 
leur  ruche  ;  les  uns  étaient  enfoncés  jusqu'à  la  ceinture , 
d'autres  jusqu'aux  aisselles,  quelques  uns  jusqu'au  men- 
ton, tous  criant  avec  douleur  qu'ils  étaient  cruellement 
brûlés.  Or  il  y  avait  sur  le  fleuve  un  pont  si  étroit  qu'un 
pied  pouvait  à  peine  y  tenir  dans  sa  largeur.  Sur  l'autre 
rive  se  montrait  une  grande  maison  blanchie  par  dehors. 
Sunniulfe  demande  à  ceux  qui  l'accompagnaient  ce  que 
tout  cela  signifiait;  ils  lui  répondirent  :  «  Il  sera  précipité 
«  de  ce  pont,  quiconque  aura  été  trouvé  faible  dans  la 
«  conduite  de  son  troupeau;  mais  l'homme  ferme  passe 
<f  sans  danger,  et  est  introduit  joyeux  dans  la  maison  que 
«  tu  vois  à  l'autre  bord.  »  En  entendant  ces  mots  il  se 
réveilla,  et  dans  la  suite  il  se  montra  beaucoup  plus 
sévère  à  l'égard  de  ses  moines. 

XXXIV.  Je  dirai  aussi  ce  qui  arriva  dans  un  monastère 
vers  la  même  époque.  Quant  au  nom  du  moine,  comme  il 


LIVRE  QUATRIÈME.  215 

vit  encore ,  je  le  tairai  de  peur  qu'en  lisant  cet  écrit  il 
ne  conçoive  un  sentiment  de  vanité  qui  diminuerait  son 
mérite.  Un  jeune  homme  vint  au  monastère,  et  se  recom- 
manda à  l'abbé  pour  vivre  dans  le  service  de  Dieu.  L'abbé 
lui  fît  plusieurs  objections  :  que  la  discipline  de  l'endroit 
était  sévère,  et  qu'il  ne  pourrait  remplir  ses  devoirs  dans 
toute  leur  étendue.  Le  jeune  homme  promit,  au  nom  du 
Seigneur,  de  les  remplir  tous  ;  ainsi  il  fut  reçu  par  l'abbé. 
Or,  quelques  jours  après,  lorsqu'il  était  déjà  en  tout  un 
modèle  d'humilité  et  de  sainteté,  il  arriva  que  les  moines, 
retirant  leurs  blés  du  grenier,  en  mirent  environ  trois 
corus  (i)  sécher  au  soleil  et  le  chargèrent  d'y  veiller; 
tandis  que  les  autres  se  reposaient  et  qu'il  était  resté  à 
la  garde  du  blé,  le  ciel  tout  à  coup  se  couvrit  de  nuages, 
et  une  forte  pluie,  accompagnée  d'un  vent  bruyant,  s'ap- 
prochait du  monceau.  A  cette  vue  le  moine  ne  savait  plus 
ni  que  faire  ni  que  devenir  :  mais  réfléchissant  que  s'il 
appelait  les  moines  ils  n'auraient  jamais  le  temps  de 
resserrer  ce  vaste  amas  dans  les  greniers ,  sans  s'inquiéter 
davantage  il  se  met  en  prière  et  supplie  Dieu  de  ne  faire 
tomber  sur  le  blé  aucune  goutte  de  cette  pluie.  Tandis 
qu'il  priait  ainsi,  prosterné  à  terre,  la  nuée  se  divisa,  et 
une  pluie  abondante  tomba  tout  autour  du  monceau  sans 
qu'aucun  grain,  pour  ainsi  dire,  fût  seulement  mouillé. 
Cependant  les  autres  moines ,  avec  l'abbé ,  comprenant  le 
péril,  accouraient  en  grande  hâte  pour  mettre  le  blé  à 
l'abri  :  ils  sont  témoins  du  miracle,  et  s'étant  mis  à  la 
recherche  du  gardien,  ils  le  trouvent  près  de  là,  prosterné 


(i)  Le  corus  contenait  U-ente  modius,  et  le  modius  de  froment  pou- 
vait valoir,  du  temps  de  Charlemagne,  environ  cinquante-six  litres. 
(B.  G.) 


216  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

dans  le  sable  et  en  prière.  A  cette  vue  l'abbé  s'incline 
derrière  lui  ;  et  (juand  la  pluie  fut  passée ,  sa  prière  finie , 
il  lui  ordonne  de  se  relever,  puis  le  fait  saisir  «t  frapper 
de  verges,  en  disant  :  «  II  faut,  mon  fils,  t'élever  humble- 
«  ment  dans  la  crainte  et  le  service  du  Seigneur,  et  ne 
w  pas  te  glorifier  par  des  miracles  et  des  vertus  (i);«  et 
il  le  tint  enfermé  dans  sa  cellule  pendant  sept  jours,  le 
condamnant  à  jeûner  comme  un  coupable,  pour  éloigner 
de  lui  tout  sentiment  de  vaine  gloire  capable  de  mettre 
obstacle  à  sa  perfection.  Aujourd'bui  ce  même  moine , 
comme  nous  l'ont  appris  quelques  fidèles,  a  poussé  l'absti- 
nence à  un  tel  point,  que  dans  le  carême  il  ne  mange 
pas  même  de  pain ,  et  boit  seulement  tous  les  trois  jours 
une  coupe  pleine  de  tisane.  Daigne  le  Seigneur,  nous  l'en 
prions,  le  conserver  dans  cet  état  de  sainteté  jusqu'à  la 
fin  de  sa  vie  ! 

XXXV.  L'évêque  Cautin  étant  donc  mort  à  Clermont, 
comme  nous  l'avons  dit,  il  se  présenta  un  grand  nombre 
de  prétcndans  à  l'épiscopat;  offrant  beaucoup,  promettant 
plus  encore.  Le  prêtre  Eufrasius,  fils  du  feu  sénateur 
Ennodius,  se  procura  chez  des  Juifs  beaucoup  d'objets 
précieux,  et  les  envoya  au  roi  par  son  parent  Bérégésile, 
espérant  obtenir  par  des  présens  ce  qu'il  ne  pouvait  at- 
tendre de  son  mérite.  Il  était  aimable  dans  ses  manières, 
mais  peu  réservé  dans  ses  actions;  souvent  il  enivrait 
des  Barbares,  mais  rarement  secourait  les  indigens;  et  ce 
qui  l'empêcha,  je  crois,  de  réussir,  c'est  qu'il  voulut  être 
redevable  de  cet  honneur  aux  hommes  plutôt  qu'à  Dieu. 


(i)  11  faut  entendre  ici  par  vertus,  une  espèce  de  puissance  surna- 
turelle; comme  il  a  dit  plusieurs  fois,  la  vertu  de  saint  Martin. 


LTVRE  QUATRIÈME.  217 

D'ailleurs ,  elle  ne  pouvait  être  changée ,  cette  parole 
que  Dieu  prononça  par  la  bouche  de  saint  Quintien  :  «  De 
«  la  race  d'Hortensius  (i)  il  ne  sort  personne  pour  régir 
a  l'église  de  Dieu.  »  Les  clercs  s'étant  donc  réupis  dans 
l'église  de  Clermont,  Avitus,  archidiacre,  après  avoir 
fait ,  à  la  vérité ,  beaucoup  de  promesses  ,  fut  élu ,  et 
muni  de  leur  accord  se  rendit  auprès  du  roi.  Firmin  ,  qui 
était  alors  comte  de  cette  cité,  voulut  y  mettre  obstacle, 
mais  il  ne  partit  pas  lui-même  :  des  amis,  qu'il  avait  en- 
voyés dans  cette  intention ,  suppliaient  le  roi  de  laisser 
passer  au  moins  un  dimanche  avant  le  sacre  d'Avitus;  s'ils 
obtenaient  ce  délai,  ils  promettaient  au  roi  mille  sous 
d'or  (2) ,  mais  le  roi  ne  voulut  rien  accorder.  Ainsi,  dans 
une  réunion  des  citoyens  de  l'Auvergne,  le  bienheureux 
Avitus  ,  alors  archidiacre,  comme  je  l'ai  dit,  fut  élu  par 
le  clergé  et  le  peuple  à  la  chaire  de  pontife  j  et  le  roi  eut 
pour  lui  tant  d'estime  et  d'affection  que,  s'écartant  un  peu 
de  la  rigueur  canonique,  il  voulut  qu'il  fût  sacré  en  sa 
présence,  en  disant  :  «  Je  veux  mériter  de  recevoir  de  sa 
«main  le  pain  de  bénédiction  (3);  »  et  il  lui  accorda  la 
faveur  d'être  sacré  à  Metz.  Ce  même  Avitus,  après  avoir 
reçu  l'éplscopat ,  se  montra  toujours  grand  aux  yeux  des 


(i)  Jlalédiction  prononcée  par  saint  Quintien  contre  Hortensias  et 
sa  maison ,  parce  qu'il  n'avait  pas  voulu  lui  accorder  la  grâce  d'un  de 
ses  parens.  [Vit.  Patrum,  cap.  4-) 

(2)  Remarquez  que  l'on  essaie  de  corrompre  le  roi  par  l'appât  de 
l'or  comme  un  simple  particulier.  Cela  avait  donc  lieu  souvent,  c'était 
le  vice  général. 

(5)  Eulogies  peut  signifier  :  1°.  le  sacrement  de  l'Eucharistie;  2°.  les 
pains  dont  on  prenait  une  portion  pour  la  consécration  ;  5°.  des  pains 
l>énits,  que  les  évoques  et  les  prêtres  se  donnaient  réciproquement, 
et  par  suite,  les  pains  bénits  distribués  au  peuple,  etc.  Voyez  le  Glos- 
saire de  Ducaufie. 


218  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

hommes,  juste  envers  les  peuples;  il  fut  le  bienfaiteur  des 
pauvres ,  le  consolateur  des  veuves ,  le  plus  ferme  appui 
des  orphelins.  S'il  reçoit  un  étranger,  il  lui  témoigne  tant 
d'affection  qu'il  lui  fait  retrouver  en  lui-même  un  père 
et  une  patrie.  Ainsi  distingué  par  de  grandes  vertus, 
il  observe  de  tout  son  cœur  les  commandemens  de  Dieu; 
et  combattant  dans  tous  les  hommes  le  goût  des  plaisirs 
criminels,  y  substitue  la  chasteté  que  Dieu  nous  enseigne. 

XXXVI.  Sacerdos,  évêque  de  Lyon,  étant  mort  à 
Paris  après  le  synode  où  fut  dégradé  Saffaracus  (i),  saint 
Nisier  (2),  choisi  par  lui,  comme  nous  l'avons  écrit  dans  le 
livre  de  sa  vie  (3) ,  fut  élevé  à  l'épiscopat  ;  homme  re- 
commandable  par  la  sainteté  et  la  chasteté  de  ses  mœurs^ 
Quant  à  la  charité  que  l'Apôtre  ordonne  d'observer  en- 
vers tous,  s'il  est  possible,  il  l'exerça  selon  son  pouvoir  à 
l'égard  de  tous,  si  ardemment,  que  l'on  voyait  dans  son 
cœur  le  Seigneur  lui-même,  qui  est  la  vraie  charité.  S'il 
était  ému  contre  quelqu'un  pour  sa  négligence,  il  le 
recevait  en  grâce  aussitôt  après  la  faute  réparée,  comme, 
s'il  n'y  avait  pas  eu  d'offense  ;  car  s'il  punissait  les 
fautes ,  il  pardonnait  au  repentir.  Large  en  aumônes  y 
actif  au  travail,  il  s'occupait  avec  ardeur  à  ériger  des 
églises ,  à  construire  des  maisons ,  à  ensemencer  des 
champs,  à  planter  des  vignes;  mais  tous  ces  soins  ne  le 
détournaient   pas   de   la  prière.  Après  vingt- deux  ans 

(i)  Concile  11  de  Paris,  en  555,  selon  Sirmond;  Concil.Gall.;  en  55i, 
selon  Lecointe.  (Ruin.) 

(2)  C'est  ainsi  qu'il  faut  le  nommer,  et  non  pas  Nicet,  comme  nous 
l'avons  fait  dans  les  sommaires  des  chapitres.  Voyez  le  Catalogue  des 
Saints ,  dans  Vyirl  de  vcrificr  les  Dates. 

(3)  De  Vitis  rnlrum,  cap.  8. 


LIVRE  QUATRIÈME.  219 

passés  dans  l'exercice  du  sacerdoce,  il  retourna  dans  le 
sein  du  Seigneur  :  et  maintenant  il  opère  de  grands  mi- 
racles en  faveur  de  ceux  qui  prient  sur  son  tombeau; 
car  l'huile  de  la  lampe  qui  brûle  chaque  jour  auprès 
de  son  sépulcre  rend  la  lumière  aux  aveugles,  chasse  les 
démons  du  corps  des  possédés,  guérit  les  membres  des 
paralytiques,  en  un  mot  est  encore  à  présent  un  grand 
secours  pour  tous  les  malades.  Or  l'évêque  Priscus,  qui 
lui  avait  succédé,  d'accord  avec  Susanne  son  épouse (i), 
se  mit  à  persécuter  et  à  faire  périr  plusieurs  de  ceux  qui 
avaient  été  dans  la  familiarité  du  saint  homme;  non  pour 
les  punir  de  quelque  faute,  d'un  crime,  d'un  vol,  après 
les  avoir  convaincus  ou  pris  sur  le  fait ,  mais  uniquement 
par  malice  et  par  jalousie  de  ce  qu'ils  lui  avaient  été  atta- 
chés. Lui  et  sa  femme  se  répandaient  en  blasphèmes 
contre  le  saint  de  Dieu  ;  et  malgré  la  coutume  observée 
depuis  long -temps  sous  les  précédens  évêques,  de  ne 
permettre  l'entrée  de  la  maison  épiscopale  à  aucune  femme, 
celle-ci,  avec  de  jeunes  filles,  entrait  même  dans  la  cel- 
lule où  reposaient  les  bienheureux.  Mais  enfin  la  majesté 
divine  outragée  se  vengea  sur  la  famille  de  l'évêque  Pris- 
cus; car  son  épouse,  possédée  du  démon,  courait  comme 
une  furieuse  par  toute  la  ville,  les  cheveux  épars;  et,  con- 
fessant que  le  saint  qu'elle  avait  outragé  dans  son  bon 
sens  était  l'ami  du  Christ,  elle  le  priait  à  grands  cris  de 
lui  pardonner.  Quant  à  l'évêque  ,  frappé  d'une  fièvre 
quarte,  il  fut  saisi  d'un  tremblement  continuel;  car,  l'ac- 
cès passé,  il  restait  toujours  tremblant  et  comme  stupide. 
Son  fils. également,  et  toute  sa  famille,  avait  l'air  hagard 


(i)  Certains  évèqucs,  comme  on  le  voit  ici,  gardaient  leurs  femmes 
les  plus  pieux  s'en  séparaient.  (  Voyez  chap.  12,  note  5.  ) 


220  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

et  le  visage  décoloré  :  c'était ,  il  n'en  faut  pas  douter,  la 
vertu  du  saint  homme  qui  les  avait  frappes.  En  effet , 
Priscus  et  sa  famille  ne  cessaient  de  vomir  des  impréca- 
tions contre  le  saint  de  Dieu,  et  déclaraient  leur  ami  qui- 
conque se  répandait  en  invectives  sur  son  compte.  Priscus 
avait  ordonné,  au  commencement  de  son  épiscopat,  que 
l'on  exhaussât  les  bâtimens  de  la  maison  épiscopale;  et 
un  diacre  que  souvent,  pour  crime  d'adultère,  le  saint 
homme,  de  son  vivant,  avait  excommunié  et  même  fait 
frapper  de  verges,  mais  qui  n'avait  jamais  voulu  s'amen- 
der, monta  sur  le  toit  de  cette  maison;  et  quand  il  eut 
commencé  à  le  découvrir  :  «Je  te  rends  grâce,  Jésus- 
«  Christ,  s'écria-t-il,  de  ce  qu'ap'ès  la  mort  de  cet  injuste 
«  Nisier  j'ai  obtenu  de  pouvoir  fouler  aux  pieds  ce  toit 
«  qui  le  couvre.  »  A  peine  ces  paroles  sortaient  de  sa 
bouche ,  que  la  poutre  sur  laquelle  il  se  tenait  manqua 
sous  ses  pieds;  et,  tombant  à  terre,  il  s'y  brisa  et  mourut. 
Au  milieu  de  toutes  ces  folies  de  l'éveque  et  de  sa  femme, 
le  saint  apparut  en  songe  à  quelqu'un ,  et  lui  dit  :  «  Va 
«  dire  à  Priscus  qu'il  s'amende  pour  tout  le  mal  qu'il  a 
«  fait,  et  qu'il  accomplisse  enfin  de  bonnes  œuvres.  Tu 
«  diras  aussi  au  prêtre  Martin  :  Comme  tu  approuves  de 
«  telles  actions,  tu  encourras  un  châtiment;  et  si  tu  ne 
K  veux  te  corriger  de  ta  perversité,  tu  mourras.»  Cet 
homme,  en  s'é veillant,  s'adressa  en  ces  termes  à  un  cer- 
tain diacre  :  «Va,  je  t'en  prie,  puisque  tu  es  un  ami  (i)  dans 
«  la  maison  de  l'évêquc,  et  répète  ces  paroles  soit  à  l'évê- 
«  que,  soit  au  prêtre  Martin.»  Le  diacre  promit  de  parler, 
mais  il  changea  d'avis,  et  n'en  voulut  rien  faire.  La  nuit. 


(i)  Amiens  est  ici  comme  le  f^nsindus  des  grands  :  un  liôlc,  ou  un 
domestique;  un  homme  de  la  maison.  (D.  G.) 


LIVIŒ  QUATRIÈME.  221 

après  qu'il  se  fut  livré  au  sommeil,  le  saint  lui  apparut 
en  lui  disant  :  «  Pourquoi  n'as-tu  pas  répété  ce  que  t'avait 
«  dit  l'abbé?»  et  il  se  mit  à  lui  frapper  la  gorge  à  coups  de 
poing.  Le  lendemain  le  diacre,  la  gorge  douloureusement 
enflée,  alla  trouver  ces  deux  hommes,  et  leur  confia  tout 
ce  qu'il  avait  entendu.  Mais  ceux-ci  n'en  tinrent  compte, 
et  lui  dirent  que  ce  n'était  qu'une  illusion  et  un  rêve.  Le 
prêtre  Martin,  alors  attaqué  par  la  fièvre,  et  malade, 
recouvra  d'abord  la  santé  :  mais  comme  il  parlait  toujours 
en  flatteur  à  l'évêque ,  et  applaudissait  à  ses  mauvaises 
actions  et  à  ses  blasphèmes  contre  le  saint,  il  retomba 
dans  ses  accès  de  fièvre,  et  rendit  l'esprit. 

XXXVn.  Dans  le  même  temps  que  saint  Nisier,  mou- 
rut saint  Friard,  vieillard  d'une  sainteté  éminente,  tou- 
jours grand  dans  ses  actions,  noble  par  toute  sa  conduite, 
et  dont  nous  avons  rappelé  quelques  miracles  dans  notre 
livre  sur  sa  vie  (i).  Au  moment  de  sa  mort,  comme 
l'évêque  Félix  arrivait,  toute  sa  cellule  trembla  :  et  je  ne 
doute  pas  qu'il  n'y  eût  quelque  chose  d'angélique  dans  ce 
tremblement,  occasionné  par  sa  mort.  L'évêque  lava  son 
corps,  Tenveloppa  de  vêtemens  convenables,  et  lui  ren- 
dit les  honneurs  de  la  sépulture. 

XXXVin.  Pour  en  revenir  au  cours  de  notre  histoire, 
le  roi  Athanagilde  étant  mort  en  Espagne  (2),  Liuva, 
avec  son  frère  Leuvigild,  lui  succéda  au  trône  :  et  après 
la  mort  de  Liuva,  Leuvigild  fut  seul  possesseur  de  tout 


(i)  Vie  des  Pires,  chap.  10. 

{•i)  En  567.  Leuvigilde  fut  associé  au  trône,  en  568  ou  69,  par  Liuva, 
qui  lui  céda  alors  l'Espagne,  et  ne  se  réserva  que  la  Scptimanie.  Liuva 
mourut  en  572.  (Isidor.  liispal.,  Art  de  vérifier  les  Dates.) 


-222  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

le  royaume.  Ayant  perdu  sa  femme,  il  épousa  Gonthsulnde, 
mère  de  la  reine  Brunehaut.  11  avait  alors,  de  sa  première 
épouse,  deux  fils,  dont  l'un  fut  fiancé  avec  la  fille  de 
Sigebert,  l'autre  avec  celle  de  Chilpéric  (i).  Puis  il  par- 
tagea également  son  royaume  entre  eux,  et  fit  périr  tous 
ceux  qui  avaient  pris  la  Coutume  de  tuer  les  rois,  sans 
laisser  de  cette  race  (2)  rien  qui  fût  en  vie. 

XXXIX.  L'empereur  Justinien  étant  mort  (3)  dans  la 
ville  de  Constantinople,  Justin  obtint  l'empire  par  brigue. 
C'était  un  homme  d'une  avarice  outrée ,  méprisant  les 
pauvres,  s'enrichissant  des  dépouilles  des  sénateurs.  Telle 
était  sa  cupidité,  qu'il  fit  construire  des  coffres  en  fer 
pour  y  entasser  des  milliers  de  pièces  d'or  (4).  On  dit 
aussi  qu'il  tomba  dans  l'hérésie  de  Pelage.  Peu  de  temps 
après,  ayant  perdu  le  sens,  il  s'associa  à  l'empire,  pour 
défendre  ses  provinces,  Tibère,  homme  juste,  charitable, 
sage,  discret;  habile  à  remporter  des  victoires,  et,  ce  qui 
est  au-dessus  de  tous  les  biens ,  chrétien  très  orthodoxe. 
Sigebert  envoya  à  l'empereur  Justin  des  ambassadeurs 
pour  demander  la  paix:  c'était  Warinaire,  Franc  de  nation, 
et  Firmin  d'Auvergne.  Prenant  leur  chemin  par  mer,  ils 
se  rendirent  à  Constantinople,  parlèrent  à  l'empereur,  et 
obtinrent  de  lui  ce  qu'ils  demandaient.  Cependant  ils  ne 
rentrèrent  en  Gaule  que  l'année  suivante.  Ensuite  Antio- 

(i)  L'un,  Herménégilde,  épousa  Ingonde  ;  l'autre,  Recarcd,  ne 
fut  que  fiancé  avec  Rigonthe ,  fille  de  Chilpéric.  (  Voyez  liv.  vi , 
chap.  18,  54,  45.) 

(2)  Mingentcm  ad  parictem.  Expression  souvent  employée  dans 
l'Ecritui-e,  pour  dire  qu'on  ne  laisse  ni  hommes,  ni  cliicns.  {Rois, 
liv.  1",  chap.  25,  vers.  22;  iv.  9.  8,  etc.  ) 

(5)  En  SQ5. 

(4)  En  latin  ,  des  talons,  mesure  de  poids,  valant  plus  de  5o  livres. 


LIVRE  QUATRIÈME.  ,  223 

clie  et  Apomée,  deux  très  grandes  villes  d'Egypte  et  de 
Syrie  (i),  furent  prises  par  les  Perses,  et  leurs  habitans 
emmenés  captifs.  Alors  la  basilique  de  saint  Julien  d'An- 
tioche,  martyr,  fut  consumée  par  un  violent  incendie.  Ce- 
pendant des  Persarméniens  (2)  vinrent  trouver  l'empereur 
Justin ,  apportant  une  grande  quantité  de  tissus  de  soie , 
et  lui  demandèrent  son  amitié,  en  lui  racontant  leurs 
sujets  de  haine  contre  l'empereur  des  Perses.  En  effet  il 
leur  avait  envoyé  des  ambassadeurs  chargés  de  leur  dire  : 
ic  L'empereur  inquiet  vous  demande  si  vous  conserverez 
«  fidèlement  l'alliance  contractée  avec  lui.  »  Ils  répondirent 
qu'ils  exécuteraient  ponctuellement  tout  ce  qu'ils  lui  avaient 
promis.  «  Eh  bien ,  reprirent  les  députés,  vous  lui  donnerez 
«  une  preuve  évidente  de  votre  attachement  et  de  votre  fidé- 
«  lité,  si  vous  adorez  le  feu,  comme  il  l'adore  lui-même.» 
Le  peuple  répondit  qu'il  ne  le  ferait  jamais,  et  l'évêque, 
qui  était  présent,  ajouta  :  «  Quelle  puissance  divine  réside 


(i)  On  sait  que  ces  villes  sont  toutes  deux  en  Syrie. 

(2)  Les  Persarméniens  sont  mentionnés  dans  Procope  (  Guerre  des 
Goths,  liv.  IV,  chap.  2).  D'après  la  description  qu'il  fait  des  peuples 
de  cette  contrée,  on  voit  qu'ils  doivent  être  placés  au  nord-est  de 
l'Arménie,  resserrés  au  nord  par  l'ibérie,  au  sud  par  la  Perse,  à  la- 
quelle, par  suite  de  leur  position,  ils  devaient  être  souvent  assujettis; 
ce  qui  leur  a  donné  leur  nom.  Valois  croit  que  ce  nom  était  commun 
à  tous  les  peuples  de  la  grande  Arménie,  parce  qu'elle  était  soumise 
aux  Perses.  Mais  Procope  ne  dit  pas  que  cette  dénomination  fût  com- 
mune à  tous  les  peuples  de  l'Arménie  ;  car  ailleurs  il  nomme  les  Armé- 
niens en  général.  Chez  lui  les  Persarméniens  semblent  donc  une  por- 
tion d'un  grand  peuple ,  qui  aurait  été  soumise  aux  Perses  ;  et,  dans 
le  même  endroit,  il  les  oppose  à  une  autre  portion  du  même  peuple, 
soumise  aux  Romains.  Reste  la  plus  grande  partie  de  l'Arménie,  qui 
fut,  il  est  vrai,  quelquefois  soumise  ù  rinflucnce  soit  des  Romains, 
soit  des  Perses,  mais  cjui  resta  toujours  à  peu  près  indépendante,  jus- 
'lu'à  la  conquête  des  Turcs  au  xiv«  siècle. 


224  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

«  dans  le  feu,  pour  qu'il  mérite  d'être  adore?  Dieu  l'a 
«  créé  pour  les  besoins  de  l'homme  ;  il  se  soutient  par  les 
« ^limens  qu'on  lui  donne,  s'éteint  par  l'eau,  brûle  les 
«  objets  dont  on  l'approche ,  et  s'amortit  faute  d'entre- 
«  tien.  »  Tandis  que  l'évêque  exposait  ces  raisons  et  d'au- 
tres semblables ,  les  députés  furieux  l'accablent  d'injures 
et  le  frappent  à  coups  de  bâton.  Le  peuple,  à  la  vue  de 
son  évêque  couvert  de  sang,  se  jette  sur  les  députés,  les 
saisit,  les  tue;  et,  comme  nous  l'avons  dit,  alla  solliciter 
l'amitié  de  l'empereur  Justin. 

XL.  Palladius,  fils  de  Brittianus  autrefois  comte,  et  de 
Césarie ,  obtint  du  roi  Sigebert  le  titre  de  comte  dans  la 
ville  de  Gabale  (i);  mais  il  s'éleva  entre  lui  et  l'évêque 
Parthénius  une  dispute  qui  causa  de  grands  maux  au 
peuple.  Souvent  le  comte  accablait  l'évêque  de  reproches, 
d'injures,  d'accusations  infamantes;  envahissait  les  biens 
de  l'Église,  et  en  dépouillait  les  possesseurs.  Cette  ini- 
mitié croissant  de  jour  en  jour,  ils  allèrent  trouver  le  roi  ; 
et  comme  en  sa  présence  ils  se  reprochaient  mutuelle- 
ment divers  crimes,  Palladius  traita  l'évêque  d'homme 
mou  et  efféminé  :  «Où  sont,  disait-il,  tes  maris  avec 
f(  qui  tu  vis  dans  le  désordre  et  l'infamie?»  Mais  la  ven- 
geance divine  détruisit  bientôt  ces  reproches  adressés  à 
un  évêque.  Car  l'année  suivante,  Palladius,  dépouillé  de 
son  comté,  retourna  en  Auvergne  :  et  Romain  brigua  son 
titre.  Un  jour  s'étant  rencontrés  tous  deux  dans  Clermont, 


(i)  Nous  traduisons  ainsi,  plutôt,  que  d'employer  le  nom  moderne 
Javoh,  puisqu'il  n'est  pas  bien  prouvé  que  ce  village  représente,  par 
sa  position,  l'ancienne  ville  des  Gabales.  (Voyez  notre  tome  i,  p.  69, 
not.  I,  et  p.  562  ,  not.  :;.  ) 


LIVRE  QUATRIÈME.  225 

comme  ils  se  disputaient  au  sujet  de  leurs  prétentions  à 
cette  place,  Palladius  entendit  quelqu'un  dire  que  le  roi 
Sigebert  avait  dessein  de  le  faire  tuer  :  mais  on  reconnut 
que  ce  bruit  était  faux,  et  semé  exprès  par  Romain.  Ce- 
pendant Palladius  effrayé  tomba  dans  de  telles  angoisses, 
qu'il  menaçait  de  se  donner  la  mort  de  sa  propre  main. 
Comme  sa  mère  et  son  beau-frère  (i)  Firmin  le  surveil- 
laient de  près  pour  qu'il  ne  pût  exécuter  le  projet  formé 
dans  l'amertume  de  son  cœur,  il  s'échappa  quelques  in- 
stans  hors  de  la  présence  de  sa  mère  ,  entra  dans  sa  cham- 
bre à  coucher,  et  saisissant  le  moment  où  il  était  seul ,  il 
tira  son  épée,  appuya  les  pieds  sur  les  cornes  de  la 
poignée ,  en  dirigea  la  pointe  contre  sa  poitrine ,  et  pesa 
dessus  :  le  glaive,  entré  par  une  mamelle,  ressortit  par 
Tépaule  ;  il  se  releva  cependant,  et  se  perçant  de  même 
l'autre  mamelle,  il  tomba  ,  et  mourut.  Chose  étonnante, 
et  qui  ne  put  se  faire  que  par  l'œuvre  du  diable  :  car  le 
premier  coup  devait  le  tuer,  si  le  diable  ne  l'eût  soutenu 
pour  qu'il  poussât  jusqu'au  bout  son  dessein  criminel.  Sa 
mère  accourt  à  demi  morte,  et  se  jette  sur  le  corps  de 
ce  fils  qu'elle  a  perdu,  tandis  que  toute  la  maison  fait  en- 
tendre des  cris  de  douleur.  On  le  porta  au  monastère  de 
Cournon  (2) ,  où  il  fut  enseveli ,  mais  non  pas  auprès  des 
chrétiens ,  et  sans  obtenir  l'honneur  d'une  messe.  Certai- 
nement ses  malheurs  n'eurent  point  d'autre  cause  que 
l'outrage  fait  à  un  évêque. 

XLI.  Alboin,  roi  des  Lombards,  qui  avait  pour  femme 
Chlotsinde,  fille  du  roi  Clotaire,  abandonna  son  pays,  et 

(i)  Ccsarie  était  la  bellc-me-re  de  Firmin,  clsap.  iT). 
(2)  Cournon,  près  de  Ciermont,  à  l'esl.  (Puy-de-Dome,  air.  de 
Clermont.  ) 

I,  i5 


t-26  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

marcha  vers  1  Italie  avec  toute  la  nation  des  Lombards  Ti). 
Eu  effet,  ils  mirent  leur  armée  en  mouvement,  emme- 
nant avec  eux  leurs  femmes  et  leurs  enfans,  dans  l'inten- 
tion d"y  fixer  leur  séjour.  Arrivés  daos  cette  contrée,  ils 
la  parcoururent  dans  tous  les  sens  pendant  sept  années, 
pillant  les  églises,  tuant  les  éveques,  et  la  réduisirent 
entièrement  sous  leur  domination,  A  la  mort  de  Chlotsinde, 
Alboin  épousa  une  autre  femme  dont  il  avait  tué  le  père 
peu  de  temps  auparavant.  Aussi  cette  femme  le  détesta 
toujours;  et  elle  n'attendait  que  l'occasion  de  venger  son 
père.  Enfin ,  s'étant  éprise  d'un  de  ses  serviteurs ,  elle 
empoisonna  son  mari  (2)  ;  et  après  sa  mort  s'en  alla  avec 
son  amant  ;  mais  on  les  saisit ,  et  on  les  fit  mourir  tous 
deux.  Les  Lombards  se  choisirent  ensuite  un  autre  roi. 

XLIL  Eunius,  surnommé  3îummùl,  reçut  du  roi  Gon- 
tran  le  patriciat  :  mais  je  crois  devoir  reprendre  de  plus 
haut  l'origine  de  son  élévation.  Fils  de  Péonius,  il  était 
habitant  d'Auxerre.  Or  Péonius  était  le  comte  de  cette 
■ville.  Ayant  envoyé  son  fils  au  roi  avec  des  présens  pour 
obtenir  le  renouvellement  de  son  titre,  Mummol  offrit 
les  présens,  brigua  le  comté  pour  lui-même,  et  supplanta 
ainsi  son  père,  dont  il  aurait  du  être  le  soutien.  De  là, 
s'avançant  par  degré,  il  parvint  enfin  au  comble  des  hon- 


(ij  Son  fift--:c^.  d-:  Psr.Donie  etrt  lieu  le  2  avril  568,  seko  les  Dates. 
IMarios  pUc/;  ioa  i-MU f:(-,  f-.n  Italie,  en  .Ô69;  et  en  effet.  Milan  ne  fut 
pris  que  le  4  septembre  de  cette  année. 

fa)  575.  H  s'agît  ici  de  R.wamoiide ,  fiHe  de  Cunit'îrt  roi  des  Gé- 
pîdes.  Après  la  mort  d'AIboin,  elle  se  donna  à  Helmijjise,  qoe  plrn 
tard  die  Toolnt  aaâèi  empoi^ouner  ;  mais  cefaii-ci  ayant  ba  a  moitié  le 
poîâon ,  la  força  de  pieodre  le  reste,  et  ils  monrorent  ensemble.  Paal 
Diacre,  1.  27.  u,  28,  iq.  Le  wceessenr  d' Alboin  fut  C3eph,  mort 
en  StS. 


LIVRE  QUATRIÈME.  227 

neurs.  En  effet,  comme  les  Lombards  avaient  fait  une 
irruption  en  Gaule,  le  patrlce  Amatus ,  qui  venait  de 
succéder  à  Celsus,  marcha  contre  eux;  et  ayant  engagé 
le  combat,  prit  la  fuite,  et  périt.  Et  les  Lombards  firent 
alors,  dit-on,  un  tel  massacre  des  Bourguignons,  qu'on 
ne  saurait  compter  le  nombre  des  morts  (i).  Chargés  de 
butin,  ils  se  retirèrent  en  Italie.  Lorsqu'ils  se  retiraient, 
Eunius,  qui  est  aussi  Mummol ,  appelé  par  le  roi,  reçut 
la  dignité  suprême  du  patriciat.  Nouvelle  irruption  des 
Lombards  en  Gaule  (i),  qui  s'avancent  jusqu'à  Muslies 
calmes  (3),  près  de  la  cité  d'Embrun.  Mummol  met  son 
armée  en  mouvement,  et  s'y  porte  avec  les  Bourguignons. 
Il  investit  les  Lombards  avec  son  armée,  et  au  moyen 
d'un  vaste  abattis,  s'ouvrant  un  chemin  à  travers  une  forêt 
impraticable,  il  fondit  sur  eux,  en  tua  beaucoup,  et  en 
prit  quelques  uns  qu'il  envoya  au  roi.  Celui-ci  les  dis- 
persa en  différens  lieux,  et  les  fit  garder  à  vue;  très  peu 
seulement,  qui  échappèrent  par  la  fuite,  annoncèrent  ce 
désastre  dans  leur  patrie. 

XLIII.  Dans  ce  combat  se  trouvèrent  deux  frères,  Sa- 
lone  et  Sagittaire,  tous  deux  évêques,  qui,  non  pas  munis 

(i)  Ea57i. 

(2)  En  572.  —  Ces  dates  sont  de  Ruinart.  Il  est  difficile  d'assigner 
une  date  précise  à  chacune  de  ces  irruptions.  D.  Bouquet  pense  qu'elles 
eurent  lieu  de  S^o  (année  de  la  mort  de  Celsus,  selon  Marius)  à  5'jQ. 
Marius  place  à  l'an  574  une  grande  défaite  éprouvée  par  les  Lombards 
près  de  Bex  en  Valais.  Est-ce  celle-ci  que  Grégoire,  mal  informé,  a 
placée  près  d'Embrun?  ce  qui  est  certain,  c'est  que  Grégoire  ne  parle 
pas  de  celle  de  Bex,  ni  Marius  de  celle  d'Embrun;  ou  bien  Ebrcdu- 
nensis  ciyitas  est-il  ici  \Minv  Ebredimense  casiriim,  Yverdun  ?  Dans 
ce  cas,  il  serait  plus  facile  de  faire  accorder  les  deux  historiens. 

(3)  Peut-être  les  Chamousse ,  lieu  à  peu  de  distance  d'Embrun,  au 
nord.  C'est  moins  qu'un  village. 


22»  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

(le  la  croix  céleste,  mais  armés  du  casque  et  de  la  cuirasse 
du  siècle,  tuèrent,  dit-on ,  ce  qui  est  pis  encore,  plusieurs 
ennemis  de  leurs  propres  mains.  Telle  fut  la  première  vic- 
toire de  Mummol  en  bataille  rangée.  Ensuite  les  Saxons, 
qui  étaient  entrés  en  Italie  avec  les  Lombards,  firent  de  nou- 
veau irruption  dans  les  Gaules,  et  campèrent  auprès  de 
Stablon  (i),  village  du  territoire  de  Riez.  Ils  parcoururent 
les  campagnes  des  villes  voisines,  pillant  les  richesses, 
emmenant  des  captifs ,  et  ravageant  tout.  Mummol  l'ayant 
appris ,  se  mit  en  marche  avec  son  armée,  et  fondant  sur 
eux,  leur  tua  plusieurs  milliers  d'hommes;  et  ne  cessa  de 
les  massacrer  jusqu'au  soir,  que  la  nuit  mit  fin  au  car- 
nage. En  effet  il  les  avait  surpris  à  l'improviste,  et  ne  se 
doutant  nullement  de  ce  qui  leur  arriva.  Le  matin,  les 
Saxons  réorganisent  leur  armée ,  et  se  préparent  à  la 
guerre;  mais  après  quelques  messages  échangés  de  part 
et  d'autre,  ils  firent  la  paix,  donnèrent  des  présens  à 
Mummol,  et  abandonnant  tout  leur  butin  et  leurs  pri- 
sonniers, ils  se  retirèrent,  avec  serment  de  revenir  en 
Gaule  pour  vivre  soumis  à  ses  rois,  et  comme  auxiliaires 
des  Francs.  Les  Saxons,  étant  donc  rentrés  en  Italie,  pri- 
rent avec  eux  leurs  femmes,  leurs  enfans  et  tout  ce  qu'ils 
possédaient,  dans  le  dessein  de  revenir  en  Gaule,  afin 
([ue  Sigebert  les  recueillît,  et  les  établît  de  nouveau  dans 
le  pays  qu'ils  avaient  abandonné.  Ils  se  partagèrent,  selon 
leur  expression,  en  deux  coins,  dont  l'un  s'achemina  par 
la  ville  de  ISice,  l'autre  par  Embrun,  en  suivant  la  même 
route  qu'ils  avaient  prise  l'année  précédente  ;  et  tous  les 
deux  se  réunirent  sur  le  territoire  d'Avignon.  C'était  alors 


(i)  Ou  Estoulilon ,  entre  Uicz  et  Digne.  (Basses -Alpes,  arrond. 
Digne.) 


LIVRE  QUATRIÈME.  229 

le  temps  de  la  moisson  :  eu  ce  lieu  surtout  étaient  beau- 
coup de  grains  exposés  à  l'air,  que  les  habitaus  n'avaient 
pu  encore  rentrer.  Les  Saxons  s'approchent  de  ces  meules 
de  blés,  se  partagent  la  moisson,  l'enlèvent,  battent  et 
mangent  le  grain  ,  sans  rien  laisser  à  ceux  qui  avaient 
pris  toute  la  peine.  Quand,  après  avoir  tout  consommé, 
ils  arrivèrent  sur  les  bords  du  Rhône  avec  l'intention 
de  passer  ce  torrent,  et  d'entrer  dans  le  royaume  de 
Sigebert,  Mummol  vint  à  leur  rencontre,  et  leur  dit  : 
«  Vous  ne  passerez  pas  ce  torrent.  Comment?  vous  avez 
<(■  dévasté  les  contrées  du  roi  mon  maître ,  enlevé  les  mois- 
«  sons,  pillé  les  troupeaux,  incendié  les  maisons,  coupé 
«  les  oliviers  et  les  vignes  !  vous  ne  passerez  pas  outre , 
«  avant  d'avoir  fait  satisfaction  à  ces  peuples  que  vous  avez 
«  entièrement  dépouillés  :  sinon  vous  n'éviterez  pas  mon 
«  bras  ;  je  ferai  peser  mon  glaive  sur  vous,  sur  vos  épouses 
«  et  vos  petits  enfans  ;  et  je  vengerai  ainsi  l'injure  faite  au 
«  roi  Gontran  mon  maître.»  Les  Saxons,  saisis  de  crainte, 
donnèrent  pour  se  racheter  plusieurs  milliers  de  pièces  d'or. 
On  leur  permit  de  passer  le  fleuve  ;  et  ils  parvinrent  ainsi  en 
Auvergne,  On  était  alors  en  printemps.  Là,  ils  montraient 
de  petits  morceaux  de  cuivre  gravés  comme  s'ils  étaient 
d'or;  et  chacun ,  en  les  voyant,  ne  doutait  pas  que  ce  ne 
fût  de  l'or  reconnu  bon  par  le  titre  et  par  le  poids  ;  tant 
ils  étaient  colorés  habilement  par  je  né  sais  quel  procédé. 
Il  en  résulta  que  plusieurs,  trompés  par  cet  artifice, 
donnant  de  l'or,  et  recevant  du  cuivre ,  tombèrent  dans 
la  pauvreté.  Quant  aux  Saxons,  étant  parvenus  jusqu'à 
Sigebert,  ils  furent  établis  dans  le  lieu  d'où  ils  étaient 
sortis  d'abord. 

XLIY.  Dans  le  royaume  de  Sigebert,  Jovin  gouver- 


230  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

iieur  de  la  Provence  fut  destitué ,  et  Albin  mis  à  sa  placer 
ce  qui  occasionna  entre  eux  de  grandes  inimitiés.  Un  jour 
des  vaisseaux  venus  des  pays  d'outremer  ayant  abordé 
au  port  de  Marseille ,  les  hommes  de  l'archidiacre  Vigile 
dérobèrent  à  l'insu  de  leur  maître  soixante-dix  vases  vul- 
gairement nommés  orques  (  i  ),  remplis  d'huile  et  de  matière 
onctueuse.  Le  négociant  s'étant  aperçu  de  la  soustraction , 
fit  des  recherches  actives  sur  le  lieu  qui  recelait  les  objets 
volés.  Dans  le  cours  de  ses  perquisitions,  il  entend  dire 
que  les  hommes  de  l'archidiacre  Vigile  avaient  fait  le  coup. 
La  nouvelle  en  vient  aux  oreilles  de  l'archidiacre ,  qui  re- 
cherche et  découvre  la  vérité;  mais  au  lieu  de  la  publier,  il 
se  mit  à  justifier  ses  gens  :  «Jamais,  dit-il,  il  n'est  sorti 
«  de  ma  maison  un  homme  capable  d'une  telle  action.  » 
L'archidiacre  se  justifiant  donc  ainsi,  le  négociant  va 
trouver  Albin  ,  lui  explique  la  cause  ,  et  accuse  l'archi- 
diacre de  complicité.  Or  le  saint  jour  de  Noël ,  au  moment 
où  l'évêque  entrait  dans  l'église ,  l'archidiacre  revêtu  d'une 
aube  s'avançait  vers  lui,  selon  la  coutume  (^),  l'invitant  à 
s'approcher  de  l'autel ,  et  à  célébrer  au  moment  requis  la 
solennité  de  ce  saint  jour  :  à  l'instant,  Albin  s'élance  de 
son  siège,  saisit  et  entraîne  l'archidiacre,  le  frappe  du 
poing  et  du  pied ,  et  le  fait  resserrer  dans  une  prison.  Ni 
l'évêque,  ni  les  citoyens,  ni  les  plus  distingués  par  leur 
naissance,  ni  les  réclamations  unanimes  d'un  peuple  entier 


(i)  Les  orques  étaient  des  espèces  (î  amphores,  destinées  particu- 
lièrement à  contenir  de  l'huile.  (Voyez  Ducange,  Glossaire  latin,  au 
mot  orca.  ) 

(2)  Au  moment  où  l'évêque  céléhrant  allait  entrer  dans  l'église, 
rarchidiacre  allait  à  sa  rencontre  avec  le  clergé  en  aube,  et  des  thuri- 
féraires portant  l'encensoir  tout  fumant.  Voyez  Mabillou  ,  Liturgie 
gallicane,  liv.  i ,  chap.  y.  (Ruin,  ) 


LIVRE  QUATRIÈME.  231 

ne  purent  obtenir  de  lui  qu'il  voulût  bien  recevoir  tles 
cautions  pour  l'archidiacre,  le  laisser  célébrer  ce  saint  jour 
avec  les  autres,  et  différer  son  accusation  (i).  Ainsi ,  sans 
respect  pour  cette  sainte  solennité,  il  ne  craignit  pas  de 
saisir  en  ce  jour  un  ministre  des  autels.  Que  dirai-je  de 
plus?  Il  condamna  l'archidiacre  à  quatre  mille  sous  d'or. 
Mais,  appelé  en  présence  du  roi  Sigebert,il  paya  lui- 
même,  par  composition,  à  l'instigation  de  Jovin,  une 
somme  quadruple  à  l'archidiacre. 

XLV.  Ensuite  trois  ducs  de  Lombards ,  Amon  ,  Zaban , 
Khodan,  firent  irruption  dans  les  Gaules  (2).  Amon  pre- 
nant sa  route  par  Embrun  s'avança  jusqu'à  Machoville  (3), 
dans  le  territoire  d'Avignon  ,  que  le  roi  avait  donné  en 
présent  à  Mummol,  et  y  établit  ses  tentes.  Zaban,  des- 
cendant par  Die,  vint  jusqu'à  Valence,  et  y  plaça  son 
camp  :  Rhodan  attaqua  la  ville  de  Grenoble,  et  y  dressa 
ses  pavillons.  Or  Amon  subjugua  la  province  d'Arles  avec 
le  cercle  des  villes  qu'elle  renferme  ,  et  s'avançant  jusqu'au 
champ  de  pierres  qui  avoisine  Marseille  (4),  il  dépouilla 
tout  le  pays  d'hommes  et  de  troupeaux.  11  se  préparait 


(i)  On  se  rappelle  comment,  douze  siècles  plus  tard,  l'arrestation 
brusque  et  sans  jugement  préalable,  quoique  avec  des  formes  plus 
modérées ,  d'un  personnage  éminent  dans  l'Eglise ,  revêtu  de  ses  babils 
pontificaux,  un  jour  de  grande  solennité,  causa  un  vif  émoi  parmi  le 
clergé,  et  déplut  généralement  à  ceux  même  qui  donnaient  tort  au 
prélat. 

(''.)  C'étaient  trois  des  trente  ducs  qui  se  partagèrent  l'auloiité  apiès 
lit  mort  de  Clcpb ,  en  5y5. 

(5)  Peut-être  Maucoil,  lieu  au  nord  <l'Avignon,  dans  l'ancienne 
principauté  d'Orange  (  Vaucluse,  an-.  Orange).  Ex2)illv ,  Dictionn. 
de  In  Gaule,  croit  que  c'est  Me'ncibe  (arr.  Apt). 

(4)  C'est  le  territoire  appelé  la  Crait,  en  Provence. 


23-2  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

aussi  à  faire  le  siège  d'Aix  ;  mais  ayant  reçu  des  liabitans 
vingt-deux  livres  d'argent,  il  se  retira.  Quant  à  Rhodan  et 
à  Zaban ,  ils  traitèrent  de  même  les  lieux  où  ils  se  pré- 
sentèrent. A  cette  nouvelle  Mummol  mit  son  armée  en 
mouvement,  et  marcha  à  la  rencontre  de  Rhodan,  qui 
serrait  de  près  la  ville  de  Grenoble.  Mais  comme  son 
armée  traversait  l'Isère  avec  difficulté ,  un  animal ,  guidé 
par  la  volonté  de  Dieu,  entre  dans  le  fleuve,  et  leur  mon- 
tre un  gué  ;  ainsi  l'armée  parvint  à  l'autre  rive.  A  cette 
vue,  les  Lombards,  sans  hésiter,  tirent  leurs  glaives,  les 
attaquent,  et  le  combat  s'engage.  Les  Lombards  furent 
taillés  en  pièces,  et  Rhodan,  blessé  d'un  coup  de  lance, 
s'enfuit  sur  les  montagnes.  De  là ,  s'échappant  à  travers 
des  forêts  impraticables  avec  cinq  cents  hommes  qui  lui 
étaient  restés,  il  alla  rejoindre  Zaban,  qui  assiégeait  alors 
Valence,  et  lui  raconta  tout  ce  qui  s'était  passé.  Alors, 
ayant  tout  ravagé  indistinctement,  ils  retournèrent  vers 
Embrun.  Mais  là  Mummol  se  présente  devant  eux  avec  une 
armée  innombrable.  La  bataille  se  livra  ;  les  phalanges 
des  Lombards  furent  entièrement  détruites,  et  les  chefs 
rentrèrent  presque  seuls  eu  Italie.  Leur  fuite  les  porta 
jusqu'à  Suze,  dont  les  habitans  les  reçurent  fort  mal,  sur- 
tout parce  que  Sisinnius,  maître  de  la  milice  pour  l'empe- 
reur (i),  résidait  dans  celte,  ville.  En  présence  de  Zaban, 
un  esclave  prétendu  de  Mummol  remit  une  lettre  à  Si- 
sinnius, et  le  salua  au  nom  de  Mummol,   en   disant  : 


(i)  Ces  mots  nous  prouvent  que  les  Lombards  n'étaient  pas  encore 
maîtres  absolus  de  tout  le  pays ,  puisque  dans  certaines  villes  résidaient 
encore  des  officiers  de  l'empereur.  Et  cependant ,  il  y  avait  donc  comme 
trêve  et  accord  entre  eux,  puisqu'un  duc  des  Lombards,  fugitif,  entre 
dans  une  ville  où  réside  un  officier  d'une  autorité  aussi  étendue  qu'an 
inaitic  de  la  milice? 


LIVRE  QUATRIÈME.  233 

«  Le  voici  lui-même  tout  près  d'ici.  »  A  ces  mots  Zaban 
se  retira  précipitamment,  et  quitta  la  ville.  Quand  Amon 
eut  appris  ce§  nouvelles ,  il  partit ,  en  ramassant  tout  ce 
qu'il  put  trouver  de  butin  sur  sa  route;  mais,  arrêté  par 
les  neiges ,  il  abandonna  sa  capture ,  et  put  à  peine  s'échap- 
per avec  peu  de  monde.  Car  la  valeur  de  Mummol  les 
avait  frappés  d'effroi. 

XL VI.  En  effet  Mummol  conduisit  plusieurs  guerres 
dont  il  sortit  vainqueur.  Après  la  mort  de  Charibert, 
comme  Chilpéric  s'était  emparé  de  Tours  et  de  Poitiers, 
qui,  par  suite  d'une  convention,  étaient  échus  en  partage 
à  Sigebert,  ce  roi  joint  à  Contran  son  frère  fît  choix  de 
Mummol  pour  rendre  ces  villes  à  leur  véritable  maître. 
Celui-ci,  arrivé  à  Tours,  en  chassa  Clovis,  fils  de  Chil- 
péric ;  exigea  du  peuple  serment  de  fidélité  pour  Sigebert, 
puis  se  dirigea  vers  Poitiers.  Basile  et  Sighaire ,  citoyens 
de  cette  ville,  réunissant  une  multitude  de  partisans, 
voulurent  lui  résister  :  mais  Mummol  les  ayant  cernés 
de  toute  part,  les  surprit,  les  écrasa,  les  détruisit;  et  mar- 
chant vers  Poitiers,  en  exigea  le  même  serment.  En  voilà 
assez  pour  le  moment  sur  Mummol  ;  nous  dirons  le  reste 
en  son  lieu. 

XLVIL  Comme  je  vais  parler  de  la  mort  d'Andarchius , 
je  crois  devoir  rappeler  d'abord  son  origine  et  sa  patrie. 
Esclave  du  sénateur  Félix ,  à  ce  qu'on  assure ,  et  destiné 
au  service  particulier  de  son  maître  (i),  il  fut  appliqué 
avec  lui  à  l'étude  des  lettres ,  et  profita  de  cette  excellente 


(i)  Ceci  suppose  que  Félix  était  encore  enfant,  et  qu'on  voulait  lui 
former  un  esclave  pour  l'aider,  au  besoin ,  de  ses  connaissances ,  en 
faisant  élever  avec  lui  ce  jeune  Andarchius. 


234  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

éducation;  car  il  apprit  à  fond  les  ouvrages  de  Virgile, 
les  livres  du  code  Théodosien  et  l'art  du  calcul  (i).  Enflé 
de  cette  science,  il  commença  à  mépriser  ses  maîtres,  et 
se  recommanda  au  patronage  du  duc  Loup,  quand  celui-ci 
se  rendit  à  Marseille  par  ordre  du  roi  Sigebert.  Le  duc, 
à  son  départ  de  cette  ville,  lui  ordonna  de  le  suivre,  et 
mit  tous  ses  soins  à  lui  obtenir  les  bonnes  grâces  de  Sige- 
bert, à  qui  il  le  céda  pour  son  service.  Ce  prince  l'envoya 
dans  diverses  missions,  et  lui  donna  occasion  de  combattre. 
Regardé  dès  lors  comme  un  personnage  en  dignité  (2),  il 
vint  à  Clermont,  et  là,  contracta  amitié  avec  Ursus,  citoyen 
de  cette  ville.  Bientôt,  avec  son  caractère  entreprenant, 
il  désira  épouser  sa  fille,  et  cacba,  dit-on,  sa  cuirasse 
dans  un  secrétaire ,  où  l'on  a  coutume  de  serrer  les  pa- 
piers ;  puis  il  dit  à  la  femme  d'Ursus  :  «  Je  te  recommande 
«  toutes  mes  pièces  d'or  renfermées  dans  ce  secrétaire  ;  il 
«  y  en  a  plus  de  seize  mille  ,  et  elles  pourront  t'appar- 
«  tenir,  si  tu  me  donnes  ta  fille  en  mariage.  » 

[Que  ne  peux-tu  sur  les  cœurs  des  mortels,  exécrable  soif 
de  l'or! 

La  femme  simple  et  crédule  promit,  en  l'absence  de  son 
mari ,  de  lui  donner  sa  fille.  De  retour  auprès  du  roi , 


(i)  Remarquez  les  élémons  d'une  bonne  éducation  d'alors  :  \irgile, 
le  code,  le  calcul;  on  est  encore  loin  du  Triviiuîi  et  du  Quadrh'iiuu 
des  xn°  et  xm*  siècles.  On  sait  que  le  Code  Justinien,  alors  très 
récent,  ne  fut  connu  en  France  qu'en  iiSy.  L'étude  des  lois  se  faisait 
dans  le  Code  Théodosien ,  publié  en  455  par  Théodose-le- Jeune.  On 
cessa  d'en  faire  usage  à  la  fm  de  la  seconde  race.  (Hénault,  Abrc'^é 
chronoL,  an  i  iS^.  ) 

(2)  En  latin  Ilonoratus .  C'était  un  litre  accoi'dé  à  ceux  qui  géraient 
les  affaires  civiles  et  publiques  au  nom  du  prince.  Voyez  les  Notes  d<; 
Valois  sur  Ammien  Marcellin ,  et  Ducange  dans  son  Glossaire. 
(Ruin.) 


LIVRE  QUATRIÈME.  235 

Andarchius  obtint  im  privilège  qu'il  alla  montrer  au  juge 
du  lieu,  pour  qu'il  le  mariât  avec  la  jeune  fille  :  «J'ai, 
«  disait-il ,  donné  des  arrhes  pour  l'épouser.  »  Mais  le  père 
refusa,  en  disant  ;  «  Je  ne  sais  qui  tu  es,  et  je  n'ai  rien 
«  à  toi.  »  Comme  la  querelle  se  prolongeait  et  s'échauffait 
vivement,  Andarchius  demanda  qu'Ursus  comparût  de- 
vant le  roi.  Arrivé  à  Braine,  il  alla  à  la  recherche  d'un 
autre  homme ,  également  nommé  Ursus ,  qu'il  amena  se- 
crètement devant  un  autel ,  et  lui  fit  prononcer  ce  serment  : 
«  Je  jure  par  ce  lieu  saint  et  les  reliques  des  bienheureux 
«  martyrs,  que,  si  je  ne  te  donne  pas  ma  fille  en  mariage, 
«  je  te  ferai  satisfaction ,  en  te  comptant  sans  délai  seize 
(c  mille  sous  d'or.  »  Des  témoins  se  tenaient  cachés  dans 
la  sacristie,  entendant  ce  qu'il  disait,  mais  ne  voyant  pas 
sa  personne.  Alors  Andarchius  apaisa  Ursus  par  de  douces 
paroles,  et  fit  si  bien  qu'il  retourna  dans  sa  patrie  sans 
avoir  vu  le  roi.  Lors  de  son  départ,  Andarchius  présenta 
au  roi  l'écrit  contenant  la  formule  du  serment  qu'il  avait 
ainsi  obtenu,  et  lui  dit  :  «Ursus  a  écrit  en  ma  faveur 
«  telle  et  telle  chose  ;  ainsi  je  demande  à  votre  gloire  un 
«  ordre  pour  qu'il  me  livre  sa  fille  en  mariage.  Autrement 
«  que  je  sois  autorisé  à  posséder  ses  biens;  jusqu'à  ce  que 
«je  reçoive  seize  mille  sous;  alors  j'abandonnerai  cette 
«  affaire.  »  Ayant  obtenu  son  privilège ,  il  retourna  à  Cler- 
mont,  et  montra  au  juge  l'ordre  du  roi.  Ursus  se  retira 
dans  le  Velay;  mais  comme  ses  biens  étaient  consignés 
entre  les  mains  d'Andarchius ,  celui-ci  s'y  rendit  égale- 
ment. Entré  dans  une  maison  d'Ursus,  il  ordonna  qu'on 
lui  préparât  à  souper,  et  qu'on  lui  fît  chauffer  de  l'eau 
pour  se  laver.  Mais  comme  les  esclaves  de  la  maison  ne 
se  pressaient  point  d'obéir  à  un  maître  inconnu,  il  frappa 
les  uns  à  coups  de  bâlou,  les  autres  avec  des  verges;  il 


236  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

en  frappa  même  quelques  uns  à  la  tête  au  point  de  faire 
jaillir  le  sang.  Toute  la  maison  ainsi  bouleversée,  on  lui 
prépare  son  souper,  il  se  lave  avec  de  l'eau  chaude,  s'en- 
ivre de  vin,  et  s'étend  sur  un  lit.  Il  n'avait  avec  lui  que 
sept  domestiques.  Tandis  qu'ils  dormaient  profondément, 
appesantis  par  le  sommeil  autant  que  par  le  vin ,  Ursus 
ayant  réuni  ses  gens ,  ferme  les  portes  de  la  maison ,  qui 
était  construite  en  planches,  en  prend  les  clés,  défait  les 
meules  de  grain  qui  se  trouvaient  auprès ,  et  amoncelle 
autour  et  au-dessus  de  la  maison  ces  tas  de  blé  qui  était 
alors  en  gerbes,  de  manière  à  la  couvrir  entièrement. 
Ensuite  il  y  mit  le  feu  en  plusieurs  endroits.  Déjà  des 
débris  de  l'édifice  embrasé  tombaient  sur  ces  malheureux, 
lorsqu'ils  se  réveillent,  et  poussent  des  cris;  mais  per- 
sonne n'y  répond;  enfin  ils  furent  consumés  par  le  feu 
avec  toute  la  maison.  Ursus  craignant  pour  l'avenir  se 
réfugia  dans  la  basilique  de  Saint-Julien  (i);  puis  ayant 
fait  des  présens  au  roi,  il  recouvra  la  totalité  de  ses 
biens. 

XLVIII.  Clovis,  fils  de  Chilpéric  (:ï),  chassé  de  Tou- 
raine ,  se  retira  à  Bordeaux.  Tandis  qu'il  séjournait  dans 
cette  ville,  sans  que  personne  l'inquiétât  le  moins  du 
monde,  Sigulf,  du  parti  de  Sigebert,  s'éleva  contre  lui,  et 
l'ayant  contraint  de  fuir,  il  le  poursuivit  au  son  des  trom- 
pettes et  des  clairons  comme  un  cerf  aux  abois.  Le  jeune 
prince  put  à  peine  trouver  un  passage  pour  retourner 
auprès  de  son  père  :  enfin,  étant  revenu  par  Angers,  il 
le  rejoignit.  Comme  un  différend  s'était  élevé  entre  les  rois 

(i)  A  Brioude,  en  Auvergne,  liv.  iv,  cliap.  5,  i5. 
(2)  Ce  chapiU'c  est  comme  la  suite  du  4^°- 


LIVRE  QUATRIÈME.  237 

Gontran  (i)  et  Sigebert,  le  roi  Contran  réunit  à  Paris 
tous  les  évêques  de  son  royaume,  afin  qu'ils  décidassent 
entre  les  deux  sur  la  justice  de  leurs  prétentions  ;  mais 
comme  la  discorde  civile  faisait  de  rapides  progrès,  ils 
négligèrent,  en  punition  de  leurs  péchés,  d'écouter  les 
conseils  des  évêques.  Chilpéric  furieux  fit  envahir  par 
Théodebert,  son  fils  aîné,  qui  pris  autrefois  par  Sige- 
bert (2)  lui  avait  fait  serment  de  lui  rester  fidèle,  les 
villes  de  son  frère ,  c'est-à-dire  Tours  et  Poitiers ,  et  les 
autres  cités  en  deçà  de  la  Loire  (3).  Arrivé  à  Poitiers ,  il 
combattit,  contre  le  duc  Gondebaud ,  et  ayant  mis  son 
armée  en  fuite,  il  fit  un  grand  carnage  de  ce  peuple.  Il 
incendia  en  grande  partie  le  territoire  de  Tours;  et  si  les 
habitans  ne  s'étaient  rendus  pour  le  moment,  il  aurait 
dévasté  tout  le  pays  d'un  bout  à  l'autre.  Puis ,  se  remet- 
tant en  marche  avec  son  armée,  il  entre  dans  le  Limosin, 
le  Quercy,  et  les  autres  provinces  voisines,  les  ravage  et 
les  désole  ;  incendie  les  églises ,  enlève  les  vases  et  les 
ornemens  sacrés,  tue  les  clercs,  détruit  les  monastères 
d'hommes,  insulte  ceux  de  filles,  et  fait  un  désert  de  toute 
la  contrée.  Et  l'on  entendit  alors  dans  les  églises  des 
gémissemeus  plus  douloureux  qu'au  temps  de  la  persé- 
cution de  Dioclétien. 

XLIX,   Et,  stupides  que   nous   sommes,  nous  nous 
étonnons  des  plaies  qui  les  ont  frappés!  Mais  rappelons- 

(i)  D  semble  qu'il  faut  lire  plutôt  Chilpéric,  puisque  la  guerre  eut 
lieu  ensuite  entre  lui  et  Sigebert,  et  que  Gontran  voulut  servir  de 
médiateur  :  mais  les  manuscrits  s'y  opposent.  —  Cette  assemblée  est 
peut-être  le  quatrième  conoile  de  Paris,  en  5']5. 

(2)  Chap.  -23. 

(5)  En  deçà,  relativement  à  Tours,  où  écrit  Grégoire  :  c'est-à-dire 
sur  la  rive  gauche. 


238  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

nous  et  ce  qu'ont  fait  leurs  pères,  et  ce  que  font  aujour- 
d'hui les  enfans.  Ceux-là,  après  la  prédication  des  évêques, 
quittèrent  leurs  temples  pour  les  églises  :  ceux-ci  en- 
lèvent chaque  jour  les  trésors  des  églises.  Ceux-là  ont 
vénéré  de  tout  leur  cœur  les  prêtres  de  Dieu  ,  et  ont 
écouté  leur  parole;  ceux-ci,  loin  de  les  écouter,  les 
persécutent.  Ceux-là  ont  enrichi  les  monastères  et  les 
églises  ;  ceux  -  ci  les  pillent  et  les  détruisent.  Que 
dirai -je  du  monastère  de  Latte  (i),  où  sont  des 
reliques  du  bienheureux  Martin  ?  Comme  une  troupe 
d'ennemis  s'en  approchait ,  et  se  disposait  à  passer  un 
fleuve  du  voisinage  pour  piller  le  monastère,  les  moines 
s'écrièrent  :  «Barbares,  gardez -vous  de  passer  outre; 
ce  car  ce  monastère  est  au  bienheureux  Martin.  »  A 
ces  mots ,  plusieurs ,  pénétrés  de  la  crainte  du  Sei- 
gneur, s'en  retournèrent  :  mais  vingt  d'entre  eux,  qui 
étaient  sans  crainte  pour  Dieu ,  sans  respect  pour  le 
saint  confesseur,  montent  dans  un  vaisseau,  passent  à 
l'autre  bord ,  et ,  stimulés  par  l'ennemi  du  genre  hu- 
main, frappent  les  moines,  bouleversent  le  monastère, 
et  en  pillent  les  richesses  :  puis,  les  ayant  réunies  en 
paquets,  ils  les  mirent  sur  un  bateau.  Quand  ils  fu- 
rent au  milieu  du  fleuve ,  le  bateau  agité  les  porta  çà 
et  là.  Privés  du  secours  des  rames ,  ils  enfoncèrent  le 
bois  de  leurs  lances  dans  le  lit  du  fleuve  pour  tâcher 
de  reprendre  leur  route  ;  quand  tout  à  coup  le  vaisseau 
s'entrouvrit  sous  leurs  pieds,  et  le  fer,  que  chacun  te- 
nait près  de  soi ,  leur  entra  dans  la  poitrine ,  et  tous 
périrent   ainsi    transpercés   par  leurs    propres   javelots. 


(i)  Peut-être  dans  l'endroit  où  est  le  village  de  Civan-îa-lnte..  (Indre- 
et-Loire,  arrond.  de  Loches.)  (Ruin.) 


LIVRE  QUATRIÈME.  239 

Un  seul  parmi  eux ,  qui  par  ses  reproches  voulait  les 
détourner  d'une  telle  action,  resta  sans  blessure.  Si  quel- 
qu'un regarde  cet  événement  comme  l'effet  du  hasard , 
qu'il  songe,  qu'entre  plusieurs  coupables,  un  seul  échappa, 
qui  était  innocent.  Après  leur  mort,  les  moines  les  re- 
tirèrent de  l'eau  avec  leurs  effets,  les  ensevelirent,  et 
replacèrent  dans  leur  maison  tout  ce  qui  était  à  eux. 

L.  Tandis  que  ces  choses  se  passaient,  le  roi  Sige- 
bert  mit  en  mouvement  les  peuples  d'au-delà  du  Rhin, 
et  commença  la  guerre  civile  en  marchant  contre  son 
frère  Chilpéric.  Chilpéric ,  à  cette  nouvelle ,  envoya  des 
ambassadeurs  à  Gontran.  Ils  se  réunirent,  et  convin- 
rent par  un  traité  qu'aucun  des  deux  ne  laisserait  périr 
son  frère.  Sigebert ,  étant  donc  arrivé  avec  ces  peu- 
plades, apprit  que  Chilpéric  était  lui-même  à  la  tête 
d'une  armée  ;  mais  comme  il  n'avait  aucun  moyen  de 
passer  la  Seine  pour  aller  attaquer  son  frère ,  il  intima 
à  son  frère  Gontran  un  ordre  ainsi  conçu  :  «  Si  tu  ne  me 
«  permets  de  passer  le  fleuve  dans  la  partie  que  le  sort  t'a 
«  donnée,  je  marcherai  contre  toi  avec  toute  mon  armée.» 
Gontran  effrayé  conclut  un  traité  avec  lui,  et  lui  livra  le 
passage.  Chilpéric,  s'apercevant  que  Gontran  l'avait  aban- 
donné pour  Sigebert,  décampa,  et  se  retira  jusque  dans 
le  bourg  A'Avaloc  (i)  près  de  Chartres.  Sigebert,  l'ayant 
poursuivi,  lui  demanda  jour  pour  le  combat;  mais  Chil- 
péric ,  craignant  que  les  deux  armées  en  se  détruisant 
n'amenassent  aussi  la  ruine  de  leurs  royaumes ,  demanda 
la  paix,  et  rendit  les  villes  injustement  envahies  par  Théo- 


Ci)  Probablement  Alluye,  sur  le  Loir.   (Eure-et-Loir,  arr.  Châ- 
teaudun.)  (Ruin.) 


240  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

debert ,  en  priant  que  clans  aucun  cas  les  habitans  n'en 
fussent  inquiétés ,  puisque  c'était  par  le  fer  et  le  feu 
qu'il  les  avait  soumis  et  rangés  sous  son  obéissance  (i). 
A  cette  époque ,  les  villages  qui  entouraient  Paris  furent 
en  grande  partie  consumés  par  les  flammes  ;  les  maisons 
et  tout  ce  qu'elles  contenaient  furent  saccagées  par  l'en- 
nemi ,  et  les  habitans  emmenés  captifs  (2).  Le  roi  con- 
jurait qu'on  n'en  fît  rien  ;  mais  il  ne  pouvait  maîtriser 
la  fureur  de  ces  peuples  venus  d'outre  Rhin.  Il  prit 
donc  le  mal  en  patience,  jusqu'à  ce  qu'il  pût  regagner 
sa  patrie.  Alors  quelques  uns  de  ces  païens  murmurè- 
rent contre  lui,  de  ce  qu'il  s'était  soustrait  au  combat  (3). 
Mais  lui ,  toujours  intrépide ,  monte  à  cheval ,  se  pré- 
sente aux  mécontens ,  et  les  apaise  par  de  douces  paroles. 
Plus  tard  il  en  fit  lapider  un  grand  nombre.  On  ne  peut 
méconnaître  encore  ici  la  vertu  de  saint  Martin,  qui 
leur  inspira  de  faire  la  paix  sans  combat;  car  le  jour 
même  où  la  paix  fut  conclue,  trois  paralytiques  pré- 
sentés à  la  basilique  du  bienheureux  se  levèrent  debout. 
Nous  le  prouverons  (4)  en  détail ,  si  Dieu  le  permet , 
dans  les  livres  suivans. 

LL  C'est  une  grande  douleur  pour  mon  âme  de  rap- 
peler ces  guerres  civiles.  Un  an  après,  Chilpéric  envoie 

(i)  Remarquons  ce  sentiment  de  justice  dans  ces  temps  barbai'es"et 
de  la  part  de  Chilpéric. 

(2)  Quoique  Paris  appartînt  par  indivis  aux  trois  frères,  il  paraît 
que  tout  le  pays  d'alentour  était  à  Chilpéric.  Voyez  Greg.,  vi,  27; 
VII,  6. 

(3)  La  phrase  latine  pourrait  également  bien  s'entendre  et  se  tra- 
duire ainsi  :  Quelques  uns  de  ces  barbares  murmurèrent  contre  lui  de 
ce  qu'il  les  avait  empêchés  de  combattre. 

(4)  C'est-à-dire  nous  prouverons,  non  le  miracle  des  trois  paraly- 
tiques, mais  l'influence  de  saint  Martin  dans  les  afiaires  du  monde. 


LIVRE  QUATRIÈME.  241 

de  nouveau  des  députés  à  son  frère  Contran  pour  lui 
dire  :  «  Que  mon  frère  vienne  me  trouver;  voyons-nous, 
«  faisons  la  paix,  et  poursuivons  Sigebert  notre  ennemi.  » 
Ce  qui  fut  fait  :  après  une  entrevue  ,  où  ils  se  firent 
des  présens,  Chilpéric,  à  la  tête  d'une  armée,  s'avança 
jusqu'à  Reims ,  brûlant  et  saccageant  tout  sur  son  pas- 
sage. A  cette  nouvelle ,  Sigebert  appelle  de  nouveau 
ces  peuples  dont  nous  avons  parlé  plus  haut ,  vient 
à  Paris ,  et  se  dispose  à  marcher  contre  son  frère  :  en 
même  temps ,  il  envoie  l'ordre  aux  habitans  du  Dunois 
et  de  la  Touraine  de  s'avancer  contre  Théodebert.  Mais, 
comme  ils  ne  se  pressaient  pas  d'obéir,  le  roi  mit  à 
leur  tête  les  ducs  Codegisil  et  Contran ,  qui  levèrent 
une  armée ,  et  se  hâtèrent  d'aller  à  sa  rencontre.  Théo- 
debert, abandonné  des  siens,  resta  avec  peu  de  monde  ; 
cependant  il  ne  craignit  pas  d'accepter  le  combat.  L'en- 
gagement eut  lieu  ;  Théodebert  vaincu  fut  abattu  sur 
le  champ  de  bataille ,  et ,  souvenir  douloureux ,  son 
corps  inanimé  fut  dépouillé  par  les  ennemis  ;  mais ,  re- 
cueilli par  un  certain  Arnulf,  qui  le  lava  et  le  cou- 
vrit de  vêtemens  honorables,  il  fut  porté  à  Angoulême, 
et  y  reçut  la  sépulture.  Chilpéric,  apprenant  que  Con- 
tran s'était  réconcilié  de  nouveau  avec  Sigebert,  s'enferma 
dans  les  murs  de  Tournay  avec  sa  femme  et  ses  fils, 
et  s'y  fortifia. 

LU.  Cette  année ,  on  vit  des  feux  parcourir  le  ciel , 
comme  nous  avons  vu  qu'il  arriva  autrefois  avant  la  mort 
de  Clotaire.  Sigebert,  ayant, pris  les  villes  situées  eu  deçà 
de  Paris  (i),  s'avança  jusqu'à  Rouen,  dans  l'intention 

1  (i)  En  deçà,  pour  ceux  de  Tours,  c'est-à-dire  à  l'ouest,  entre  Paris 
et  Rouen. 

I.  16 


^42  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

de  les  abandonner  aux  ennemis  (i);  mais  il  en  fut 
détourné  par  ses  fidèles.  A  son  retour,  il  entra  dans 
Paris ,  où  Brunehaut  vint  le  trouver  avec  ses  fils.  Alors 
les  Francs,  autrefois  sujets  de  Childebert  l'ancien,  en- 
voyèrent une  ambassade  à  Sigebert ,  pour  qu'il  vînt  à 
eux ,  et  fût  élu  leur  roi  à  la  place  de  Chilpéric.  Sigebert , 
à  cette  proposition ,  en^ya  une  armée  pour  assiéger  son 
frère  dans  la  ville  nommée  ci -dessus,  songeant  à  s'y 
rendre  lui-même  en  grande  hâte.  Le  saint  évêque  Ger- 
main lui  dit  :  «  Si  tu  pars  sans  avoir  intention  de  tuer 
«  ton  frère ,  tu  reviendras  vivant  et  vainqueur  ;  mais 
«  si  tu  as  un  autre  dessein  ,  tu  mourras.  En  effet,  le  Sei- 
«  gneur  a  dit  par  la  bouche  de  Salomon  :  Si  tu  prépares 
«  une  fosse  a  ton  frère ,  tu  y  tomberas  le  premier  (2).  » 
Mais  le  roi ,  en  punition  de  ses  péchés ,  refusa  de  l'écou- 
ter. Arrivé  à  une  maison  royale  nommée  Vitry  (3) ,  toute 
l'armée  se  rassembla  autour  de  lui ,  et  l'ayant  placé 
sur  un  bouclier,  ils  l'établirent  roi  au-dessus  d'eux. 
Alors  deux  serviteurs  armés  de  forts  couteaux,  vulgai- 
rement nommés  scramasaxes ,  dont  la  pointe  était 
empoisonnée ,  séduits  par  les  maléfices  de  la  reine  Fré- 
degonde,  s'approchent  du  roi,  sous  un  autre  prétexte, 
et  lui  percent  les  deux  côtés  à  la  fois.  Sigebert  pousse 
un  cri,  tombe;  et  peu  après  rendit  l'esprit  (4)>  Là, 
périt    aussi  Charégisil ,   son   chambellan  ;  là ,  fut  aussi 


(i)  C'est-à-dire  les  barbares  d'outre  Rhin  qui  le  suivaient,  ennemis 
ou  étrangers  pour  les  peuples  de  la  Gaule  romaine. 

(2)  Prov.  XXVI,  27. 

(5)  Vitry,  sur  la  Scarpe.  (Pas-de-Calais,  arr.  Arras.) 

(4)  En  575,  selon  les  Dates,  et  les  autres  savans.  Marius,  dans  sa 
chronique,  place  sa  mort  en  Sjô. 


LIVRE  QUATRIÈME.  243 

grièvement  blessé  Sigila  (i),  venu  autrefois  de  Gothie. 
Plus  tard ,  étant  tombé  entre  les  mains  de  Chilpéric ,  on 
lui  brûla  toutes  les  jointures  avec  un  fer  rouge ,  et , 
perdant  tous  ses  membres  l'un  après  l'autre ,  il  mou- 
rut dans  des  tourmens  affreux.  Quant  à  Charégisil  , 
c'était  un  homme  aussi  léger  dans  sa  conduite  que 
vaste  dans  ses  désirs  :  sorti  des  derniers  rangs ,  il 
était  devenu  puissant  auprès  du  roi  par  ses  flatteries  ; 
avide  du  bien  d'autrui ,  violant  les  testamens ,  il  périt 
de  manière  à  ne  pouvoir ,  aux  approches  de  la  mort , 
remplir  ses  volontés,  lui  qui  avait  si  souvent  détruit 
les  dernières  volontés  des  autres. 

Cependant  Chilpéric ,  dans  la  situation  la  plus  cri- 
tique ,  attendait  en  suspens  l'arrêt  de  son  salut  ou  de 
sa  mort ,  quand  des  messagers  vinrent  lui  annoncer  la 
mort  de  son  frère.  Alors  il  sortit  de  Tournay  avec  sa 
femme  et  ses  fils ,  et  par  son  ordre ,  Sigebert ,  couvert 
des  derniers  vêtemens ,  fut  enseveli  dans  le  bourg  de 
Lambres  (2).  De  là  ,  transporté  plus  tard  à  Soissons 
dans  la  basilique  de  Saint -Médard  qu'il  avait  construite 
lui-même,  il  fut  enterré  auprès  de  Clotaire  son  père. 
Il  mourut  la  quatorzième  année  de  son  règne ,  âgé  de 
quarante  ans.  De  la  mort  de  Théodebert  l'ancien  jusqu'à 
celle  de  Sigebert,  on  compte  vingt-neuf  ans  (3).  Entre 
la  mort  de  Sigebert  et  celle  de  son  neveu  Théodebert , 
il  s'écoula  dix-huit  jours.  Après  Sigebert,  son  fils  Cliil- 
debert  régna  à  sa  place. 


(i)  Voyez  Eclairciss.  et  obseiv.  (Note  p.) 

(2)  Sur  la  Scarpe ,  près  de  Douai.  (Nord.  ) 

(3)  Voyez  Eclaircisx.  et  ohserv.  (Note  7.) 


244        HIST.  DES  FRANCS.  LIVRE  QUATRIÈME. 

Depuis  le  commencement  du  monde  jusqu'au  déluge, 
il  y  a  deux  mille  deux  cent  quarante-deux  ans.  Du  déluge 
à  Abraham ,  neuf  cent  quarante-deux  ans.  D'Abraham  à 
la  sortie  d'Egypte,  quatre  cent  soixante-deux.  De  la  sortie 
d'Egypte  à  la  construction  du  temple  de  Salomon,  quatre 
cent  quatre-vingts.  De  la  construction  du  temple  à  sa 
désolation  et  à  la  transmigration  du  peuple  à  Babylone , 
trois  cent  quatre-vingt-dix  ans.  De  la  transmigra- 
tion à  la  passion  du  Seigneur,  six  cent  soixante -huit. 
De  la  passion  du  Seigneur  à  la  mort  de  saint  Martin , 
quatre  cent  douze  ans.  De  la  mort  de  saint  Martin , 
à  celle  de  Clovis,  cent  douze  ans.  De  la  mort  de  Clovis 
à  celle  de  Théodebert,  trente- sept  ans.  De  la  mort  de 
Théodebert  à  celle  de  Sigebert,  vingt -neuf  ans.  Ce  qui 
fait  en  somme  cinq  mille  sept  cent  soixante  -  quatorze 
ans  (i). 

FIN    DU    LIVRE    QUATRIÈME. 


(i)  Voyez  Eclairciss.  et  obsen>.  (Note  r.) 


LIVRE  CINQUIÈME. 


SOMMAIRES    DES    CHAPITEES    DU    LIVRE    CINQUIEME. 

1 .  Avènement  au  trône  de  Childebert  le  jeune  ;  ce  qui  arrive  à  sa 
mère.  —  2.  Mérovée  épouse  Brunehaut.  —  3.  Guerre  contre 
Chilpéric;  méchanceté  de  Rauching.  —  4.  Arrivée  de  Roc- 
colen   à  Tours.   —  5.  Des  évêques  de  Langres  et   de  Nantes. 

—  6.  Léonaste ,  archidiacre  de  Bourges.  —  7.  Le  reclus  Sénoch. 

—  8.  Saint  Germain  ,  évêque  de  Paris.  —  9.  Le  reclus  Caluppa. 

—  10.  Le  reclus  Patrode.  —  11.  Conversion  de  plusieurs  Juifs 
par  l'évéque  Avitus.  —  12.  L'abbé  Brachion.  —  13.  Ravage  du 
Limosin  par  Mummol.  —  14.  Mérovée  tonsuré  se  réfugie  dans 
la  basilique  de  Saint-Martin.  —  15.  Guerre  entre  les  Saxons 
et  les  Suèves.  —  16.  Mort  de  Macliau.  —  17.  Le  roi  Contran 
«ne  les  fils  de  Magnacaire ,  et  perd  ses  propres  enfans  ;  doute 
sur  l'époque  de  la  Pâque.  —  18.  De  l'église  de  Chinon  ;  alliance 
de  Gontran  avec  Childebert.  —  19.  L'évéque  Prétextât;  mort 
de  Mérovée.  —  20.  Aumônes  de  Tibère.  — 21.  Les  évèques 
Salone  et  Sagittaire.  —  22.  Winnoc  le  Breton.  —  23.  Mort 
de  Samson,  fils  de  Chilpéric.  —  24.  Prodiges;  apparitions. — 
25.  Gontran-Boson  enlève  ses  filles  de  la  basilique  de  Saint- 
Martin  ;  Chilpéric  envahit  Poitiers.  —  26.  Mort  de  Dacon  et 
de  Dracolen.  —  27.  Expédition  en  Bretagne.  —  28.  Dégrada- 
tion des  évêques  Salone  et  Sagittaire.  —  29.  Lnpôls  nouveaux 
établis  par  Chilpéric.  — 30.  Ravages  des  Bretons.  — 31.  Règne 
de  Tibère.  ■ —  32.  Perfidie  des  Bretons.  —  33.  La  basilique  de 
Saint-Denis  profanée  à  l'occasion  d'une  femme.  —  34.  Prodiges. 

—  35.  Dysenterie;  mort  des  fils  de  Chilpéric.  —  36.  De  ht 
reine  Austrcchilde.  —  37.  De  l'évéque  Héraclius  et  du  comte 
Nantin.  —  38.  Martin,  évêque  de  Gallice.  — 39.  Persécution 
des  chréliens  en  Espagne.  —  40.  MorI  de  Clovis.  —  4l.  Les 


246  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

évéques  Elafe  et  Eunius.  —  42.  Ambassade  de  Gallice  ;  pro- 
diges. —  43.  Maurilion  ,  évêque  de  Cahors.  —  44.  Discussion 
avec  un  hérétique.  —  45.  Écrits  de  Chilpéric.  —  46.  Mort  de 
l'évêque  Agricola.  —  47.  Mort  de  l'évêque  Delmace.  —  48.  Le 
comte  Eunomius.  —  49.  Méchanceté  de  Leudastes.  —  50.  Piège 
qu'il  nous  tendit;  et  quelle  fut  son  humiliation.  —  51.  Prédic- 
tion du  bienheureux  Sauve  au  sujet  de  Chilpéric. 

PROLOGUE. 

Je  souffre  à  rappeler  tant  de  guerres  civiles  qui  écra- 
sent le  peuple  et  l'empire  des  Francs  :  et  ce  qu'il  y  a 
de  plus  triste ,  c'est  que  nous  voyons  déjà  ce  temps 
prédit  par  Dieu  pour  le  commencement  des  douleurs  (i)  : 
Le  père  s^ élevé  contre  lejilsy  lejîls  contre  le  père  ;  le 
frère  contre  le  frère,  le  prochain  contre  le  prochain  (2). 
Ils  devaient  pourtant  être  effrayés  par  les  exemples 
des  rois  précédens ,  qui  furent  tués  par  leurs  ennemis 
aussitôt  que  divisés.  Combien  de  fois,  la  ville  des  villes, 
la  capitale  du  monde  entier,  en  s'engageant  dans  les  guer- 
res civiles,  tomba  pour  ainsi  dire;  et,  quand  elles  ces- 
saient ,  se  releva  comme  de  terre  !  Plût  à  Dieu  que 
vous  aussi ,  ô  rois ,  ne  fussiez  occupés  que  de  combats 
semblables  à  ceux  qui  ont  exercé  vos  pères,  afin  que 
les  nations ,  effrayées  déjà  de  votre  union ,  fussent  ac- 
cablées par  la  force  de  vos  armes!  Rappelez- vous  ce 
qu'a  fait  Clovis ,  l'auteur  de  toutes  vos  victoires  ;  tous 
ces  rois  opposés ,  mis  à  mort  ;  ces  nations  farouches  , 
écrasées;  ces  peuples  de  la  Gaule ,  subjugués.  Il  vous  a 
laissé  sur  tous  un  empire  absolu  et  puissant;  et  quand 


(i)  Matth.,  24,  8. 
(2)  Matth.,  10,  21. 


LIVRE  CINQUIÈME.  247 

il  exécutait  ces  grandes  choses,  il  n'avait  ni  or,  ni 
argent ,  comme  vous  en  possédez  maintenant  dans  vos 
trésors.  Que  faites -vous?  que  voulez -vous?  que  n'avez- 
vous  pas  en  abondance?  Dans  vos  maisons,  les  objets 
de  luxe  s'entassent  en  foule  :  dans  vos  celliers,  regor- 
gent le  vin,  le  froment  et  l'huile  :  dans  vos  trésors, 
sont  des  monceaux  d'or  et  d'argent.  Une  seule  chose 
vous  manque ,  parce  que  la  paix  n'est  pas  entre  vous  : 
c'est  la  grâce  de  Dieu.  Pourquoi  l'un  enlève- 1- il  à  l'autre 
ce  qui  lui  appartient?  Pourquoi  l'autre  convoite-t-il  ce 
qui  n'est  pas  à  lui  ?  Ecoutez ,  je  vous  en  prie ,  ce  que 
dit  l'apôtre  :  Si  vous  iJous  mordez  et  vous  dévorez 
les  uns  les  autres ,  prenez  garde  que  vous  ne  vous 
consumiez  les  uns  les  autres  (i).  Parcourez  attenti- 
vement les  écrits  des  anciens ,  et  vous  verrez  les  maux 
qu'enfantent  les  guerres  civiles.  Recherchez  dans  Orose 
ce  qu'il  dit  des  Carthaginois  (2)  :  après  avoir  écrit  que 
leur  ville  et  leur  empire  furent  détruits  après  sept  cents 
ans  d'existence,  il  ajoute  :  «  Qui  les  a  maintenus  si  long- 
«  temps  ?  la  concorde.  Qui  les  a  détruits  après  une  si 
«  longue  durée  ?  la  discorde.  »  Craignez  donc  la  discorde, 
craignez  les  guerres  civiles ,  qui  vous  détruisent ,  vous 
et  votre  peuple.  Qu'espérer  encore ,  sinon  qu'après  la 
perte  de  vos  armées,  restés  seuls  et  sans  secours,  vous  ne 
tombiez  accablés  bientôt  par  les  nations  ennemies?  O  roi! 
si  tu  aimes  tant  la  guerre  civile ,  exerce-toi  à  celle  qui  se 
livre  dans  l'homme,  selon  l'apôtre  (3).  Que  V esprit  s'élève 


(i)  Galat.,  5,  t5. 

(2)  Orose,  liv.  iv,  surtout  à  partir  du  chap.  6,  parle  Jonguemeut 
des  Carthaginois. 
(5)  Galat.,  5, 17.  Grégoire  ne  présente  pas  ici  la  pensée  de  rapôtre. 


248  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

contre  la  chair;  que  les  vices  cèdent  aux  vertus!  Libre 
alors,  sers  ton  chef,  qui  est  le  Christ,  toi  qui,  enchaîné, 
servais  l'auteur  de  tout  mal. 

I.  Lorsque  Sigebert  fut  tué  à  Vitry,  la  reine  Bru- 
nehaut  résidait  alors  à  Paris  avec  ses  enfans.  Quand 
cette  nouvelle  lui  arriva ,  troublée  par  la  douleur  et  les 
larmes ,  elle  ne  savait  que  faire  :  mais  le  duc  Gonde- 
baud  s'empara  de  Childebert,  son  jeune  fils,  l'emporta 
secrètement  ;  et ,  l'ayant  ainsi  soustrait  à  une  mort  cer- 
taine ,  il  réunit  les  peuples  sur  lesquels  son  père  avait 
régné ,  et  le  fît  proclamer  roi,  à  peine  âgé  d'un  lustre  :  ce 
fut  le  jour  même  de  Noël  que  Childebert  commença  de 
régner  (i). 

Or,  la  première  année  de  son  règne  (2),  le  roi  Chil- 
péric  vint  à  Paris,  y  saisit  Brunehaut,  l'envoya  en  exil  à 
Rouen ,  et  s'empara  des  trésors  qu'elle  avait  apportés  à 
Paris.  Quant  à  ses  tilles,  il  les  fît  retenir  à  Meaux.  Dans 
ce  temps  Roccolen  vint  à  Tours  avec  les  hommes  du 
Maine,  enleva  du  butin,  et  commit  plusieurs  crimes.  Nous 
rappellerons  plus  bas  (3)  comment,  en  punition  de  ses 
excès,  frappé  par  la  vertu  de  saint  Martin,  il  périt  misé- 
rablement. 

II.  Chilpéric  dirigea  son  fils  Mérovée,  avec  une  armée, 
sur  Poitiers  :  mais  celui-ci,  négligeant  les   ordres  de 


Saint  Paul  dit  seulement  que  les  désirs  de  l'esprit  et  de  la  chair  sont 
opposés. 

(i)  Ce  fut  le  jour  où  il  fut  reconnu  solennellement  :  car,  d'après 
l'épitaphe  de  Césarie,  il  régnait  depuis  le  8  décembre.  (D.  Bouquet.) 

(2)  An  576. 

(3)  Chap.  4. 


LIVRE  CINQUIÈME.  249 

son  père,  vint  à  Tours,  où  il  passa  les  fêtes  de  Pâques, 
et  son  armée  commit  de  grands  ravages  dans  le  pays. 
Pour  lui,  feignant  de  vouloir  aller  trouver  sa  mère  (i), 
il  se  rendit  à  Rouen  ;  là ,  il  se  lia  avec  la  reine  Bru- 
nehaut ,  et  se  l'associa  par  les  liens  du  mariage.  A  cette 
nouvelle ,  Chilpéric ,  furieux  de  ce  qu'au  mépris  des  lois 
divines  et  canoniques ,  il  avait  épousé  la  femme  de  son 
oncle,  se  dirige  aussitôt  vers  cette  ville.  Ceux-ci,  ap- 
prenant qu'il  voulait  les  séparer,  se  réfugièrent  dans  une 
basilique  de  Saint -Martin  construite  en  bois,  sur  les 
murs  de  la  ville.  Le  roi  arrive,  et  par  beaucoup  de  pa- 
roles artificieuses  s'efforce  de  les  tirer  de  là;  mais  comme, 
bien  convaincus  de  ses  intentions  perfides ,  ils  refusaient 
de  le  croire,  il  leur  dit  avec  serment  :  «Si  telle  est  la 
«  volonté  de  Dieu,  je  ne  chercherai  pas  à  les  séparer.  » 
Quand  ils  eurent  entendu  ce  serment,  ils  sortirent  de  la 
basilique.  Chilpéric  les  embrassa,  les  reçut  avec  honneur, 
et  mangea  même  avec  eux  :  mais  peu  de  jours  après ,  il 
prit  avec  lui  Mérovée  et  retourna  à  Soissons. 

III.  Tandis  qu'ils  y  étaient,  quelques  hommes  de  la 
Champagne,  s'étant  réunis,  attaquent  la  ville  de  Soissons  ; 
ils  voulaient  en  chasser  Frédegonde  et  Clovis,  fils  de 
Chilpéric,  et  s'emparer  de  la  ville.  Chilpéric  à  cette  nou- 
velle (2)  y  marcha  avec  une  armée,  et  les  avertit  par  des 


(i)  Audovère,  qui  avait  été  i-eléguée  par  Chilpéric  dans  un  mona- 
stère au  Mans.  (  Aimoin,  m,  6  et  i5.) 

(2)  Il  n'y  était  donc  pas,  comme  semblent  le  dire  les  premiers  mots 
du  chapitre.  Peut-être  veut-il  dire  que  Chilpéric  y  faisait  son  séjour 
habituel  depuis  qu'il  avait  ramené  Mérovée  ;  mais  il  pouvait  s'en  ab- 
senter quelquefois  ;  et  ce  fut  pendant  une  de  ces  absences  que  les 
Champenois  attaquèrent  la  ville. 


250  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

messagers  de  ne  point  l'attaquer,  de  peur  que  les  deux 
armées  n'éprouvassent  une  grande  perte.  Sourds  à  ses 
remontrances,  ceux-ci  se  préparèrent  au  combat.  La  ba- 
taille se  livra;  Chilpéric  eut  l'avantage,  enfonça  le  parti 
contraire,  leur  tua  un  certain  nombre  d'hommes  utiles 
et  courageux,  mit  en  fuite  le  reste  et  rentra  dans  Sois- 
sons.  Après  cet  événement,  Mérovée,  à  cause  de  son 
mariage  avec  Brunehaut,  devint  suspect  à  son  père,  qui 
lui  reprochait  d'être  par  sa  perfidie  la  cause  de  cette 
guerre;  en  conséquence,  l'ayant  dépouillé  de  ses  armes, 
il  lui  donna  des  gardiens  pour  veiller  sur  lui  quoiqu'il  le 
laissât  libre,  songeant  à  ce  qu'il  devait  en  ordonner  plus 
tard.  Or  le  véritable  auteur  de  cette  guerre  était  Godin, 
qui  du  parti  de  Sigebert  était  passé  à  Chilpéric,  et  en 
avait  reçu  beaucoup  d'honneurs  et  de  richesses  (i);  mais 
vaincu  sur  le  champ  de  bataille,  il  fut  le  premier  à  s'en- 
fuir. Le  roi  lui  ôta  les  terres  du  fisc  qu'il  lui  avait  données 
dans  le  territoire  de  Soissons,  et  les  conféra  à  la  basilique 
de  Saint-Médard.  Godin,  lui-même,  mourut  peu  après  de 
mort  subite.  Sa  veuve  épousa  Rauching,  homme  rempli 
de  vanité,  bouffi  d'orgueil,  insolent,  traitant  ses  subal- 
ternes comme  s'il  oubliait  qu'il  était  homme;  dépassant 
toutes  les  bornes  de  la  malice  et  de  la  sottise  humaine 
dans  ses  cruautés  envers  les  siens,  et  commettant  des 
actions  détestables.  Si  un  esclave  tenait  devant  lui,  comme 
c'est  l'usage,  un  cierge  allumé  pendant  son  repas,  il  lui  fai- 


(i)  Probablement  il  voulait  retourner  à  Childebert,  et  avait  excité 
une  guerre  contre  Chilpéi'ic  pour  le  trahir  ;  c'est  pour  cela  qu'il  s'en- 
fuit dès  le  commencement  de  la  bataille  :  ce  qui  n'avait  pas  empêché 
Chilpéric  de  remporter  la  victoire.  L'auteur  nomme  ensuite  le  réfé- 
rendaire Siggo,  qui,  après  la  mort  de  Sigebert,  s'était  de  même  atta- 
ché à  Chilpéric  j  puis  le  quitta  pour  Childebert. 


LIVRE  CINQUIÈME.  251 

sait  mettre  les  jambes  à  nu,  et  le  forçait  d'y  serrer  le  cierge 
avec  force,  jusqu'à  ce  qu'il  fût  éteint.  Quand  on  l'avait 
rallumé ,  il  faisait  recommencer  jusqu'à  ce  que  les  jambes 
du  serviteur  fussent  toutes  brûlées  :  si  le  malheureux  vou- 
lait pousser  un  cri  ou  changer  de  place,  une  épée  nue  le 
menaçait  à  l'instant,  et  ses  pleurs  excitaient  les  transports 
de  joie  de  sou  maître.  Quelques  personnes  disaient  que , 
dans  ce  temps,  deux  de  ses  serviteurs,  un  homme  et  une 
jeune  fille,  comme  il  arrive  souvent,  se  prirent  d'amour 
l'un  pour  l'autre.  Cette  inclination  durait  depuis  deux  ans 
ou  plus  encore;  ils  s'unissent  enfin,  et  se  réfugient  en- 
semble dans  l'église.  Rauching,  l'ayant  appris,  va  trouver 
le  prêtre  du  lieu,  et  le  prie  de  lui  rendre  sur-le-champ 
ses  deux  serviteurs,  avec  promesse  de  leur  pardonner. 
Alors  le  prêtre  lui  dit  :  «  Tu  sais  quel  respect  on  doit 
«  avoir  pour  les  églises  de  Dieu  :  tes  serviteurs  ne  te 
«  seront  rendus  que  si  tu  me  garantis  ta  parole  que  leur 
«  union  ne  sera  pas  troublée ,  et  me  promets  en  même 
«  temps  de  les  exempter  de  toute  peine  corporelle.  » 
Rauching,  après  avoir  hésité  long-temps  en  silence  sur 
ce  qu'il  devait  faire,  se  tourna  enfin  vers  le  prêtre,  et 
plaçant  ses  mains  sur  Tautel ,  dit  avec  un  serment  :  «  Ils 
«  ne  seront  jamais  séparés  par  moi  :  au  contraire,  je  ferai 
«  en  sorte  qu'ils  restent  toujours  unis.  Quoiqu'il  me  peine 
«  que  tout  ceci  soit  arrivé  sans  mon  consentement ,  je 
«  m'attache  avec  plaisir  à  cette  gensée,  que  ni  le  jeune 
«  homme  n'aura  épousé  la  servante  d'un  autre,  ni  celle-ci 
«  l'esclave  d'un  étranger.»  Le  prêtre,  sans  défiance,  crut  à 
la  promesse  de  cet  homme  rusé,  et  lui  rendit  les  serviteurs, 
comptant  sur  leur  pardon.  Rauching  les  reçut,  le  remercia, 
et  retourna  à  sa  maison.  Aussitôt,  par  son  ordre,  on  coupe 
un  arbre,  dont  on  abat  la  tête,  cl  on  creuse  le  tronc  avec 


252  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

un  coin;  puis  dans  une  fosse  pratiquée  en  terre,  protonde 
de  trois  ou  quatre  pieds,  il  fît  déposer  cette  pièce  de  bois 
où  était  placée  la  jeune  fille  comme  si  elle  était  morte; 
il  ordonna  qu'on  jetât  l'esclave  sur  elle;  mit  un  couvercle 
par-dessus,  remplit  la  fosse  de  terre,  et  les  ensevelit  ainsi 
tout  vivans.  «  Je  ne  manque  pas,  disait-il,  au  serment  que 
«  j'ai  fait,  de  ne  jamais  les  séparer,  »  Quand  le  prêtre  apprit 
cette  nouvelle ,  il  accourut  précipitamment  ;  et  adressant 
de  vifs  reproches  à  cet  homme,  obtint  avec  peine  de  les 
découvrir.  Il  retira  le  jeune  homme  encore  vivant,  mais 
la  fille  était  étouffée.  Tels  étaient  les  actes  que  suggérait 
à  Rauching  sa  méchanceté.  Il  ne  savait  que  rire,  trom- 
per et  faire  le  mal  ;  aussi ,  après  de  tels  crimes  commis 
pendant  sa  vie,  mourut-il  par  un  crime,  comme  il  l'avait 
mérité;  ce  que  nous  raconterons  plus  tard  (i). 

Le  référendaire  (2)  Siggo,  qui  avait  tenu  le  sceau  du  roi 
Sigebert,  et  que  le  roi  Chilpéric  avait  engagé  à  remplir 
auprès  de  lui  les  mêmes  fonctions  qu'auprès  de  son  frère, 
quitta  Chilpéric,  et  passa  du  côté  de  Childebert,  fils  de 
Sigebert;  et  tous  les  domaines  qu'il  avait  reçus  dans  le 
Soissonnais  furent  donnés  à  Ansoald.  De  même  plusieurs 
autres  de  ceux  qui  avaient  passé  du  royaume  de  Sigebert 
à  Chilpéric  se  retirèrent.  Peu  de  temps  après  mourut  la 
femme  de  Siggo;  mais  celui-ci  en  prit  une  autre. 

IV.  Dans  ces  jours-là,  Roccolen,  envoyé  par  Chilpéric, 
vint  à  Tours  plein  de  'Jactance ,  et  ayant  établi  son  camp 
au-delà  de  la  Loire  (3),  nous  envoya  des  exprès  avec 

(ï)  Liv.  IX,  chap.  9. 

(2)  L'officier  qui ,  sous  la  première  race ,  signait  du  sceau  royal  les 
diplômes  du  roi.  On  l'appela,  le  plus  ordinairement,  chancelier  sous 
la  troisième.  Voyez  Mabillon,  de  Re  diplomat.,  lib.  11,  cap.  11. 

(5)  Au-delà,  par  rapport  à  Tours;  sur  la  rive  droite. 


LIVRE  CINQUIÈME.  253 

ordre  de  faire  sortir  de  la  sainte  basilique  Contran ,  que 
l'on   accusait  alors  de  la  mort  de  Théodebert.  Si  nous 
n'obéissions ,  il  menaçait  de  brûler  la  ville  et  ses  fau- 
bourgs. Après  avoir  entendu  son  message,  nous  lui  en- 
voyâmes une  députation  pour  lui  dire  que  jamais,  de  toute 
antiquité,  on  n'avait  rien  fait  de  semblable  à  ce  qu'il  de- 
mandait, et  que  maintenant  on  ne  pouvait  lui  permettre 
la  violation  d'une  sainte  basilique  ;   qu'un  pareil  sacri- 
lège ne  tournerait  à  bien  ni  pour  lui  ni  pour  le  roi ,  qui 
l'en  avait  chargé;  qu'il  devait  craindre  plutôt  la  sainteté 
de  l'évêque,  dont  la  vertu  avait  la  veille  encore  guéri 
une    femme   paralytique.  Peu   sensible   à   ces  menaces , 
comme  il  résidait  dans  la  maison  de  l'église  au-delà  de  la 
Loire ,  il  détruisit  pièce  à  pièce  la  maison ,  qui  était  formée 
de  planches  attachées  avec  des  clous;  et  les  gens  du 
Maine  qui  étaient  venus  avec  lui  emportèrent  les  clous 
dans  des  sacs  de  cuir,  abattirent  les  blés  et  ravagèrent 
tout.  Mais  au  milieu  de  ces  violences,  Roccolen,  frappé 
de  Dieu ,  fut  attaqué  de  la  jaunisse  :  néanmoins  il  nous 
renvoya   des  ordres  violens  ainsi  conçus  :  «  Si  vous  ne 
«  jetez  aujourd'hui  le  duc  Contran  hors  de  votre  basi- 
«  lique,  j'écraserai  si  complètement  tout  ce  qu'il  v  a  de 
«  jardins  aux  environs  de  la  ville ,   que  l'emplacement 
«  pourra  devenir  une  terre  labourable.  »  Cependant  arriva 
le  saint  jour  de  l'Epiphanie,  et  ses  douleurs  devenaient 
de  plus  en  plus  violentes-  Alors,  par  le  conseil  des  siens, 
il  passa  le  fleuve  et  vint  à  la  ville.  Lorsque  l'on  sortait  en 
procession  de  l'église  cathédrale  pour  se  rendre  à  la  sainte 
basilique,  il  suivit  à  cheval  la  croix  précédée  des  ban- 
nières; mais  entré  dans  la  basilique,  sa  fureur  et  ses  me- 
naces tombèrent.  Au  retour  de  l'église,  il  ne  put  ce  jour-là 
prendre    aucune  nourriture,  sa  respiration  devint    très 


354  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

gênée  ;  puis  11  partit  pour  Poitiers.  Or  on  était  dans  le 
saint  temps  de  carême,  et  il  mangea  quantité  de  lape- 
reaux. Il  avait  préparé  pour  les  calendes  de  mars  des 
actes  d'impositions  arbitraires  et  de  condamnation  contre 
les  citoyens  de  Poitiers;  mais  la  veille  il  rendit  l'âme  : 
ainsi  s'apaisa  son  insolent  orgueil. 

V.  En  ce  temps  Félix,  évêque  de  Nantes,  m'adressa 
des  lettres  outrageantes;  il  allait  jusqu'à  m'écrire  que  mon 
frère  avait  été  tué  parce  que,  ambitieux  de  l'épiscopat,  il 
avait  tué  son  évêque.  Son  motif  pour  m'écrire  de  pareilles 
choses,  c'est  qu'il  avait  désiré  une  terre  de  mon  diocèse; 
et  comme  je  la  lui  refusais,  il  vomit  contre  moi,  dans  sa 
fureur,  mille  outrages,  ainsi  que  je  viens  de  le  dire.  Je 
lui  répondis  un  jour  :  a  Souviens-toi  de  la  parole  du  pro- 
ie phète  (  I  )  :  Malheur  à  ceux  qui  ajoutent  maison  à  mai- 
«  soUf  et  joignent  un  champ  a  un  champ  \  Seront-ils  les 
M  seuls  habitans  de  la  terre?  Oh!  si  Marseille  t'avait  eu 
«  pour  évêque  !  ses  vaisseaux  t'auraient  apporté  non  de 
«  l'huile  ou  d'autres  épices,  mais  seulement  du  papier  pour 
«  que  tu  pusses  plus  à  l'aise  écrire  contre  la  réputation  des 
«  gens  de  bien  ;  mais  le  manque  de  papier  met  des  bornes  à 
c(  ton  bavardage.  »  Il  était  d'une  avidité  et  d'une  jactance 
extrêmes.  Mais  je  m'arrête  pour  ne  pas  lui  ressembler  : 
j'expliquerai  seulement  comment  mon  frère  perdit  le  jour, 
et  quelle  prompte  vengeance  Dieu  tira  de  son  meurtrier. 
Le  bienheureux  Tétricus  (2),  évêque  de  l'église  de  Langres, 
devenant  vieux,  chassa  le  diacre  Lampadius,  qui  avait  été 
son  homme  de  confiance,  et  mon  frère,  par  intérêt  pour 


(i)  Isaïe,  V.  8. 

(2)  Dont  il  a  été  question  liv.  iv,  chap.  16. 


LIVRE  CINQUIÈME.  255 

les  pauvres  qu'il  avait  injustement  dépouillés,  avait  con- 
couru à  son  humiliation  :  ce  qui  lui  attira  sa  haine.  Ce- 
pendant Tétricus  fut  frappé  d'un  coup  de  sang.  Comme 
les  secours  des  médecins  n'y  pouvaient  rien,  les  clercs, 
tout  troublés  et  pour  ainsi  dire  privés  de  pasteur,  deman- 
dèrent Mondéric  :  le  roi  l'accorde  :  il  est  tonsuré  et  or- 
donné évêque,  à  condition  que,  pendant  la  vie  du  bien- 
heureux Tétricus,  il  régirait  la  ville  de  Tonnerre  en  qua- 
lité d'archiprêtre  (i),  qu'il  y  ferait  sa  résidence,  et  qu'à  sa 
mort  il  lui  succéderait.  Tandis  qu'il  habitait  dans  cette 
ville  (2),  il  encourut  le  mécontentement  du  roi.  On  disait 
pour  l'accuser  que,  lorsque  le  roi  Sigebert  était  venu  atta- 
quer son  frère  Contran  (3),  il  avait  offert  au  premier  des 
vivres  et  des  présens.  Il  fut  donc  tiré  de  son  château ,  exilé 
sur  les  bords  du  Rhône ,  et  renfermé  dans  une  tour  étroite 
et  sans  toiture  ,  où  il   passa   deux  ans  en  proie  à   de 
grandes  souffrances.  A  la  demande  du  bienheureux  évêque 
Nisier  (4),  on  lui  permit  de  revenir  à  Lyon  ,  et  il  y  resta 
deux  mois  avec  lui.  Mais  ne  pouvant  obtenir  du  roi  d'être 
rétabli  dans  le  lieu  d'où  il  avait  été  chassé,  il  s'échappa 
de  nuit  et  passa  au  roi  Sigebert,  qui  l'institua  évêque 
dans  le  bourg  de  Larsat(5),  avec  juridiction  sur  quinze 
paroisses  environ,  occupées  auparavant  par  les  Goths,  et 
que  revendiquait  alors  Delmace,  évêque  de  Rhodez.  Lors 


(i)  Voyez  un  cas  semblable,  iv,  18. 

(2)  Castrum  est  une  ville  fortifiée  ou  fermée. 

(3)  Il  s'agit  ici  probablement  de  la  guerre  mentionnée  liv.  iv,  ch.  5o, 
et  non  pas  d'une  guerre  toute  récente ,  telle  que  l'indiquerait  la  leçon 
du  liv.  IV,  ch.  48,  intcntio  inter  Gunlchramnum  et  Sigibertum ,  etc. 

(4)  C'est  ainsi  que  se  traduit  Nicetiiis  dans  les  Vies  des  Saints.  Nous 
avons  eu  tort,  dans  le  livre  précédent,  chap.  36,  de  l'appeler  Nicet. 

(5)  Voyez  Eclairciis.  et  obsevv.  (Note  a.) 


256  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

de  son  départ,  ceux  de  Langres,  encore  une  fois  sans 
pasteur,  demandent  pour  évêque  Silvestre,  allié  à  notre 
famille  et  à  celle  de  Tétricus;  et  ils  firent  cette  demande 
à  l'instigation  de  mon  frère.  Cependant  le  bienheureux 
Tétricus  ayant  trépassé,  Silvestre  fut  tonsuré,  ordonné 
prêtre,  et  investi  de  tout  pouvoir  relativement  aux  biens 
de  l'église;  puis,  afin  de  recevoir  à  Lyon  la  bénédiction 
épiscopale,  il  se  disposait  àse  mettre  en  route  lorsque,  saisi 
d'une  attaque  d'épilepsie ,  maladie  qui  l'affligeait  depuis 
long-temps ,  il  devint  furieux ,  hors  de  lui ,  et  après  avoir 
poussé  des  mugissemens  continuels  pendant  deux  jours, 
il  expira  le  troisième.  Après  cet  événement,  Lampadius, 
dépouillé,  comme  je  l'ai  dit,  de  sa  dignité  et  de  ses  biens, 
se  joignit,  en  haine  du  diacre  Pierre  (i),  au  fils  de  Sil- 
vestre, et  par  ses  intrigues  lui  persuada  que  son  père 
avait  été  victime  des  maléfices  de  mon  frère.  Celui-ci , 
jeune,  irréfléchi,  s'élève  contre  le  diacre,  et  l'accuse  pu- 
bliquement de  parricide.  Mon  frère,  à  cette  nouvelle, 
demande  qu'une  assemblée  se  réunisse  sous  la  présidence 
de  l'évêque  saint  Nisier,  oncle  de  ma  mère  ;  se  rend  à  Lyon , 
et  là,  en  présence  de  l'évêque  Siagrius  ,  de  beaucoup 
d'autres  prêtres,  et  de  grands  personnages  séculiers,  il  se 
justifia  par  un  serment,  déclarant  n'avoir  été  pour  rien 
dans  la  mort  de  Silvestre.  Mais  deux  ans  après,  le  fils  de 
Silvestre,  excité  de  nouveau  par  Lampadius,  atteignit  le 
diacre  Pierre  sur  un  chemin,  et  le  tua  d'un  coup  de  lance. 
Après  cet  accident,  son  corps  fut  relevé  de  terre,  trans- 
porté à  la  ville  de  Dijon,  et  enseveli  auprès  de  saint 
Grégoire  notre  bisaïeul.  Quant  à  l'homicide,  il  s'enfuit 
et  passa  à  Chilpéric ,  abandonnant  ses  biens  au  fisc  du  roi 

(i)  Le  frère  de  Grégoire. 


LTVRE  CINQUIÈME.  257 

Gontran.  Comme,  par  suite  de  son  crime,  il  errait  çà  et 
là,  sans  trouver  nulle  part  un  asile  sûr;  enfin,  le  sang 
innocent,  je  crois,  criant  vengeance  auprès  de  la  puis- 
sance divine,  un  jour  qu'il  marchait  au  hasard,  il  tira 
son  épée  et  tua  un  homme  inoffensif  (i).  IMais  les  parens 
du  mort,  indignés,  se  réunirent  en  tumulte,  tirèrent  leurs 
épées,  et  ayant  mis  en  pièces  le  meurtrier,  dispersèrent 
ses  membres  à  l'aventure.  Telle  fut,  par  un  juste  jugement 
de  Dieu,  la  fin  de  ce  misérable  :  assassin  d'un  innocent 
qui  lui  était  allié,  il  ne  pouvait  durer  encore  long-temps; 
et  en  effet  sa  mort  eut  lieu  trois  ans  après. 

Enfin  ceux,  de  Langres  ,  après  la  mort  de  Silvestre , 
demandèrent  encore  un  évêque  ;  et  on  leur  donna  Pap- 
pol ,  autrefois  archidiacre  d'Autun.  Au  rapport  de  plu- 
sieurs, il  commit  beaucoup  d'iniquités;  mais  nous  n'en 
dirons  rien  pour  qu'on  ne  nous  croie  pas  détracteur  de 
nos  frères  :  je  rappellerai  seulement  les  circonstances  de 
sa  mort.  La  huitième  année  de  son  épiscopat,  tandis  qu'il 
visitait  les  paroisses  (2)  et  les  domaines  de  son  église,  une 
nuit  le  bienheureux  Tétricus  lui  apparut  en  songe,  et  lui 
dit  d'un  air  menaçant  :  «  Que  fais-tu  ici,  Pappol?  pourquoi 
«  souilles-tu  ma  chaire  épiscopale?  pourquoi  envahis-tu  les 
«  biens  de  l'Eglise,  et  disperses-tu  les  brebis  qui  m'ont  été 
ce  confiées?  Retire-toi  ;  abandonne  ce  siège,  et  va-t'en  bien 
«  loin  de  ce  pays.»  Et  en  prononçant  ces  paroles,  il  le 
frappa  violemment  à  la  poitrine  d'une  baguette  qu'il  tenait 


(i)  Quelle  idée  a  notre  auteur  de  la  justice  et  de  la  Providence 
divine  !  Pour  avoir  moyen  de  punir  un  premier  crime,  Dieu  permet 
qu'il  en  soit  commis  un  second.  Il  est  vrai  que  le  premier  homme  tué 
n'était  rien  moins  que  le  frère  d'un  évèque. 

(i)  Diœceses  signifie  ici  paroisses  ;  voyez  liv.  iv,  chap.  i8. 
I.  17 


258  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

à  la  main.  Pappol  s'éveille  à  l'instant  même,  et  tout  eo 
cherchant  à  s'expliquer  le  fait,  sent  comme  un  trait  fixé  à 
la  même  place,  accompagné  d'une  vive  douleur.  Bientôt  la 
souffrance,  devenant  continuelle,  lui  fit  prendre  en  dégoût 
le  hoire  et  le  manger,  et  attendre  avec  impatience  le  mo- 
ment de  sa  mort.  Que  dirai-je  enfin?  le  troisième  jour 
il  expira  avec  des  vomissemens  de  sang.  De  là  il  fut 
transféré  et  enseveli  à  Ijangres.  L'abbé  Mummol ,  sur- 
nommé le  Bon,  fut  établi  évêque  à  sa  place.  Beaucoup  de 
personnes  font  de  lui  un  grand  éloge.  On  assure  qu'il  est 
chaste,  sobre,  modéré,  toujours  empressé  à  faire  des  actes 
de  bonté,  ami  de  la  justice,  et  embrasé  de  la  charité  la 
plus  vive.  Quand  il  fut  investi  de  l'épiscopat,  reconnais- 
sant que  Lampadius  s'était  frauduleusement  emparé  de 
beaucoup  de  biens  de  son  église,  et  qu'avec  les  dépouilles 
des  pauvres  il  avait  amassé  des  terres,  des  vignes  et  des 
esclaves ,  il  le  fit  dépouiller  de  tout  et  chasser  de  sa  pré- 
sence. Ce  misérable ,  maintenant  réduit  à  une  extrême 
pauvreté,  travaille  de  ses  mains  pour  vivre.  Mais  en  voilà 
assez  sur  ce  sujet. 

VI.  La  même  année,  c'est-à-dire  celle  où,  à  la  place  de 
Sigebert  mort,  son  fils  Childebert  commença  à  régner,  il 
se  fit  au  tombeau  de  saint  Martin  beaucoup  de  prodiges, 
rappelés  dans  les  livres  que  j'ai  entrepris  de  composer  sur 
ses  miracles;  et  quoique  en  langage  rustique  (i),  je  n'ai  pu 
me  résoudre  à  taire  des  choses  que  j'ai  vues  moi-même,  ou 


(i)  Il  s'agit  ici,  non  de  la  langue  rustique,  c'est-à-dire  du  latin 
corrompu,  en  usage  dans  les  campagnes,  d'où  est  venu  le  roman,  puis 
le  français ,  mais  d'un  latin  moins  élégant  que  celui  des  anciens.  C'est 
une  expression  de  modestie  dans  notre  auteur  ;  et  il  n'a  dit  que  trop 
vrai. 


LIVRE  CINQUIÈME.  259 

qui  m'ont  été  rapportées  par  des  fidèles.  J'exposerai  seu- 
lement ici  ce  qui  est  arrivé  à  des  hommes  de  peu  de  foi , 
qui,  après  avoir  éprouvé  la  vertu  du  ciel,  ont  eu  recours 
aux  remèdes  terrestres  :  car  sa  vertu  se  montre  par  le 
châtiment  des  insensés,  comme  par  la  faveur  des  guéri- 
sons.  Léonaste,  archidiacre  de  Bourges,  par  suite  de  cata- 
ractes qui  étaient  tombées  sur  ses  yeux,  perdit  la  vue; 
et  comme  il  s'était  promené  de  médecin  en  médecin ,  sans 
pouvoir  la  recouvrer,  il  vint  à  la  basilique  de  Saint- 
Martin  ,  y  resta  deux  ou  trois  mois,  jeûnant  tous  les  jours, 
et  suppliant  le  saint  de  lui  rendre  la  lumière.  Quand  fut 
arrivé  le  jour  de  la  fête  (i),  ses  yeux  s'éclaircirent ,  et 
il  commença  à  voir.  De  retour  chez  lui,  il  s'adressa  à  un 
juif  qui  lui  appliqua  sur  les  épaules  des  ventouses  pour 
donner  à  ses  yeux  encore  plus  de  lumière  :  mais  quand 
le  sang  coula,  il  retomba  dans  sa  cécité.  Il  retourna  donc 
au  saint  temple;  et,  quoiqu'il  y  demeurât  long-temps,  il 
ne  put  recouvrer  la  vue.  Ce  bienfait  lui  fut  refusé,  je 
pense,  en  vertu  de  cet  oracle  du  Seigneur  :  Celui  qui  a, 
recevra,  et  sera  dans  l'abondance;  celui  qui  ?i' a  pas,  se 
verra  privé  même  de  ce  qu'il  a  (2).  Et  de  cet  autre  : 
Te  1)011(1  revenu  a  la  santé,  ne  pèche  plus,  de  peur  qu'il 
ne  t' arrive  encore  pis  (3).  En  effet,  la  guérison  de  cet 
homme  eût  été  durable  s'il  n'avait  pas  ajouté  le  secours 
d'un  juif  à  la  vertu  divine.  Ce  sont  de  tels  hommes  que 
l'apôtre  avertit  et  blâme  par  ces  paroles  :  Ne  veuillez 
pas  vous  attacher  à  un  même  joug  avec  les  injldeles  ; 


(i)  Il  ne  dit  pas  laquelle;  on  peut  croire  que  c'est  Noël  ou  Pâques, 
ou  bien  la  fête  de  saint  Martin. 


('i)  Mattli.,  10,  12. 
(5)  Jean,  5,  14. 


260  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

quelle  union  peut  exister  en  ejfet  entre  la  justice  et 
l'iniquité  ?  quel  commerce  entre  la  lumière  et  les  té- 
nèbres ?  quel  accord  entre  le  Christ  et  Bélial?  quel 
rapport  entre  lejîdele  et  Vinjîdele?  quel  pacte  entre  le 
temple  de  Dieu  et  les  idoles  ?  Or  vous  êtes  le  temple  du 
Dieu  vivant.  Sortez  donc  du  milieu  de  ces  gens-la,  et 
séparez-vous  d'eux,  a  dit  le  Seigneur  (i).  Puisse  cet 
exemple  apprendre  à  chaque  chrétien  que  lorsqu'il  a 
obtenu  les  remèdes  célestes,  la  science  humaine  lui  est 
inutile. 

VIL  Je  veux  aussi  mentionner  les  noms  des  personnages 
importans  qu&  le  Seigneur  appela  à  lui  cette  année;  car 
je  regarde  comme  grand  et  chéri  de  Dieu  celui  qu'il  en- 
lève à  notre  terre  pour  le  placer  dans  son  paradis.  Ainsi 
sortit  de  ce  monde  le  saint  prêtre  Sénoch,  qui  demeurait 
à  Tours.  Tlieifale  d'origine,  et  devenu  clerc  dans  le  dio- 
cèse de  Tours ,  il  se  retira  dans  une  cellule  qu'il  s'était 
construite  entre  deux  vieilles  murailles;  réunit  quelques 
moines,  et  répara  un  oratoire  détruit  depuis  long-temps. 
Il  opéra  aussi  sur  les  malades  plusieurs  miracles,  que  nous 
avons  décrits  dans  le  livre  de  sa  vie  ("2). 

VIII.  Cette  année  (3)  aussi, décéda  le  bienheureux  Ger- 
main, évêque  de  Paris.  A  ses  funérailles  un  nouveau  miracle 
confirma  tous  ceux  qu'il  avait  opérés  dans  sa  vie  mortelle. 
Des  prisonniers  l'ayant  invoqué  par  des  cris,  le  corps 
s'appesantit  et  fut  retenu  sur  la  place  :  quand  ils  eurent 

(i)  2  Cor.,  VI,  14-17- 

(2)  Vies  des  Pères,  chap.  i5.  —  Sur  les  Theifales,  voyez  liv.  iv, 
chap.  18. 

(3)  Tonjours  Tannée  SyG. 


LIVRE  CINQUIÈME.  261 

été  dégagés  de  leurs  fers,  on  le  releva  sans  peine;  et  ces 
prisonniers  devenus  libres  suivirent  par  honneur  ses  fu- 
nérailles jusqu'à  la  basilique  (i)  où  il  fut  enseveli.  Sur  son 
tombeau,  les  croyans  éprouvent  souvent,  avec  l'aide  de 
Dieu,  les  effets  de  sa  vertu;  et  toute  demande  juste  qu'on 
lui  adresse  est  promptement  exaucée.  Si  l'on  veut  recher- 
cher avec  une  exactitude  plus  scrupuleuse  les  miracles 
qu'il  a  faits  de  son  vivant,  on  les  trouvera  tous  dans  le 
livre  de  sa  vie  composé  par  le  prêtre  Fortunat  (2). 

IX.  Encore  la  même  année,  mourut  le  reclus  Ca- 
luppa  (3).  Dès  son  enfance  il  avait  toujours  été  religieux; 
et  quand  il  se  fut  retiré  dans  le  monastère  de  Mélite  (4), 
en  Auvergne,  il  montra  toujours,  à  l'égard  de  ses  frères, 
la  plus  grande  humilité,  comme  nous  l'avons  écrit  dans 
le  livre  de  sa  vie  (5). 

X.  11  y  eut  aussi  dans  le  territoire  de  Bourges  un  re- 
clus nommé  Patrocle ,  élevé  à  la  dignité  de  la  prêtrise, 
homme  admirable  par  sa  sainteté,  sa  piété  et  son  absti- 
nence; qui  par  suite  de  ses  jeûnes  éprouvait  souvent 
diverses  incommodités  :  il  ne  buvait  ni  vin,  ni  bière,  ni 
rien  de  ce  qui  peut  enivrer,  mais  seulement  de  l'eau  légè- 
rement adoucie  avec  du  miel.  Il  ne  faisait  non  plus  aucun 


(i)  Saint  Germain  fut  enseveli  dans  la  chapelle  de  Saint-Symphorien, 
attenant  à  l'abbaye  Saint-Vincent,  depuis,  Saint-Germain-des-Prés. 

('i)  Celte  Vie  a  été  publiée  par  Surius,  les  Bollandistes,  au  28  mai, 
et  par  Mabillon,  Act.  SS.  Bened.,  Sbec.  i. 

(5)  Ce  nom,  venu  du  grec  KcthuTrioù,  signiGe  précisément  nn  reclus. 

(4)  Me'allet,  monastère  depuis  long-temps  détruit.  Voyez  Derihier, 
Dict.  du  Cantal,  p.  200-1.  C'est  aujourd'hui  un  village.  (Cantal,  arr. 
et  canton  de  Mauriac.)  B.  G. 

(5)  Vies  des  Pérès,  chap.  11. 


26-2  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

usage  de  ragoût.  Sa  seule  nourriture  était  du  pain  trempé 
dans  l'eau ,  et  parsemé  de  sel.  Jamais  ses  yeux  ne  s'appe- 
santirent par  le  sommeil.  Il  était  continuellement  en 
prières;  et  s'il  s'interrompait  quelquefois,  c'était  pour  lire 
ou  pour  écrire.  Souvent  par  la  prière  il  guérit  les  boutons 
de  la  fièvre  et  les  autres  maladies;  et  fit  encore  plusieurs 
miracles  qu'il  serait  trop  long  de  raconter  chacun  en  dé- 
tail. Il  portait  toujours  un  cilice  sur  la  peau.  A  Tâge  de 
quatre-vingts  ans,  il  sortit  de  ce  monde  pour  se  réunir  au 
Christ.  Nous  avons  écrit  aussi  un  petit  livre  de  sa  vie  (i). 

XI.  Et  comme  toujours  notre  Dieu  daigne  glorifier  ses 
ministres,  je  raconterai  ce  qui  arriva  cette  année  à  Cler- 
mont,  relativement  aux  juifs.  Quoique  le  bienheureux 
évêque  Avitus  les  eût  souvent  engagés  à  ne  pas  s'arrêter 
au  voile  de  la  loi  mosaïque ,  mais  à  pénétrer  dans  le  sens 
spirituel  des  saintes  Ecritures,  afin  d'y  contempler  avec 
un  cœur  pur  le  Christ,  fils  du  Dieu  vivant,  promis  par 
l'autorité  des  prophètes  et  d'un  roi;  cependant  il  restait 
encore  dans  leur  esprit,  je  ne  dis  pas  ce  voile  qui  cachait 
à  Moïse  la  face  du  Seigneur  (2),  mais  une  véritable  mu- 
raille. L'évêque  néanmoins  priait  toujours  qu'ils  se  con- 
vertissent au  Seigneur,  et  que  le  voile  de  la  lettre  se 
déchirât  à  leurs  yeux  (3).  Enfin  un  d'entre  eux,  au  saint 
jour  de  Pâque,  demanda  d'être  baptisé;  et  régénéré  en 
Dieu  par  le  sacrement  du  baptême,  il  marcha  au  milieu 
des  autres  catéchumènes,  vêtu  de  blanc  comme  les  autres. 


(1)  Vies  des  Pères,  chap.  9. 

(2)  Allusion  à  ce  que  dit  le  Seigneur  à  Moïse,  Exod.  xxxiii,  ig, 
20,  22. 

(2)  Allusion  à  la  prière  qui  se  fait  le  vendredi  saint  pour  les  juifs  : 
Ut  Deus  auferat  velamen  de  cordibus  corum. 


LIVRE  CINQUIÈME.  263 

Au  moment  où  le  peuple  rentrait  dans  la  ville,  un  juif,  à 
l'instigation  du  diable,  répandit  sur  la  tête  du  juif  con- 
verti une  huile  fétide  ;  et  comme  le  peuple  saisi  d'hor- 
reur voulait  le  poursuivre  à  coups  de  pierres ,  l'évêque 
ne  le  permit  pas.  Mais  le  jour  bienheureux  où  le  Seigneur, 
après  la  rédemption  de  l'homme,  est  remonté  aux  cieux 
plein  de  gloire,  lorsque  l'évêque  se  rendait  en  procession 
de  l'église  à  la  basilique  (i),  la  multitude  qui  le  suivait 
se  jeta  sur  la  synagogue  des  juifs,  la  détruisit  de  fond  en 
comble,  et  fit  de  l'emplacement  une  espèce  de  plaine. 
Un  autre  jour  l'évêque  leur  envoya  un  message  pour 
leur  dire  :  «  Je  ne  vous  contrains  pas  par  la  force  à  con- 
«  fesser  le  fils  de  Dieu,  je  vous  le  prêche,  et  je  confie  à 
«  vos  cœurs  le  sel  de  la  science  :  car  je  suis  le  pasteur 
<c  établi  par  le  Seigneur  pour  conduire  ses  brebis  ;  et  le 
«  vrai  pasteur  qui  a  souffert  pour  nous  a  dit,  en  parlant 
«  de  vous,  quil  a  d'autres  brebis  qui  ne  sont  pas  de  sa 
«  bergerie;  qu'il  doit  aussi  les  amener,  afin  qu'il  n'y  ait 
«  qu'uîi  troupeau  et  qu'un  pasteur  {p.).  Si  donc  vous  vou- 
<c  lez  croire  comme  moi,  ne  formez  qu'un  troupeau  dont 
«  je  serai  le  gardien;  sinon,  retirez-vous.  »  Ceux-ci  hési- 
tèrent et  flottèrent  long-temps  indécis  :  enfin  le  troisième 
jour,  grâce  à  l'intercession  du  pontife,  je  crois,  ils  lui 
envoyèrent,  d'un  accord  unanime,  une  réponse  conçue 
€n  ces  termes  :  «  Nous  croyons  que  Jésus  est  le  fils  du 
«  Dieu  vivant,  si  souvent  promis  par  les  prophètes;  nous 
«  te  demandons,  en  conséquence,  d'être  lavés  par  le  bap- 
«tême,  pour  que  nous  ne  persévérions  pas  dans  notre 


(i)  Peut-être  la  l)asilique  de  Saint-IUidiiis  {  Saint-Âlljrc).  Nous 
avons  vu  cette  coutume  établie  aussi  à  Tours,  liv.  v,  chap.  4- 
(i)  S.  Jean  évang.,  x,  i6. 


264  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  péché.»  A  cette  nouvelle,  le  pontife,  transporté  de  joie, 
pendant  la  sainte  nuit  de  la  Pentecôte,  après  la  célébra- 
tion des  vigiles,  se  rendit  au  baptistère  situé  hors  des 
murs  de  la  ville  (i);  là  une  multitude,  prosternée  de- 
vant lui,  demanda  le  baptême.  Et  lui,  pleurant  de  joie, 
les  lava  tous  dans  l'eau  sainte,  les  oignit  du  saint  chrême, 
et  les  réunit  tous  dans  le  sein  de  l'Eglise  leur  mère.  Les 
cierges  brûlaient,  les  lampes  jetaient  un  vif  éclat;  toute 
la  ville  brillait  de  la  blancheur  de  ce  troupeau;  et  elle 
n'éprouva  pas  moins  de  joie  qu'autrefois  Jérusalem  quand 
le  Saint-Esprit  descendit  sur  les  apôtres.  Or  il  y  en  eut 
de  baptisés  plus  de  cinq  cents.  Quant  à  ceux  qui  ne 
voulurent  pas  recevoir  le  baptême,  ils  quittèrent  la  ville 
et  se  rendirent  à  Marseille  (2). 

XII.  Ensuite  trépassa  Brachion,  abbé  du  monastère  de 
IMénat  (3).  Il  était  Thuringien  d'origine,  et  autrefois 
chasseur  au  service  du  duc  Sigivald,  comme  nous  l'avons 
écrit  ailleurs  (4). 

XIII.  Pour  revenir  à  notre  sujet,  le  roi  Chilpéric  fit 
passer  à  Tours  son  fils  Clovis  qui ,  ayant  réuni  une 
armée,  traversa  le  territoire  de  Tours  et  d'Angers,  et 
pénétra  jusqu'à  Saintes ,  dont  il  s'empara.  Cependant 
Mummol,  patrice  du  roi  Contran,  s'avança  dans  le  Li- 


(i)  Ce  qui  explique  comment,  plus  haut,  à  l'occasion  du  baptême 
d'un  juif,  tout  le  peuple  se  pressait  en  foule  aux  portes  de  la  ville. 

(2)  Ces  juifs  furent,  plus  tard,  forcés  de  recevoir  le  baptême,  comme 
il  paraît  d'après  une  lettre  de  saint  Grégoire-le-Grand  adressée  à 
Yirgile,  évèque  d'Arles,  et  à  Théodore,  évêque  de  Marseille.  C'est 
la  45"  du  livre  1.  (Ruin.) 

(5)  Diocèse  de  Clermont  (Puy-de-Dôme,  arr.  Riom). 

(4)  Yies  des  Pères,  chap.  12. 


LIVRE  CINQUIÈME.  265 

inosin  avec  une  grande  armée,  et  combattit  contre  Didier, 
général  du  roi  Chilpéric.  Dans  ce  combat,  il  périt,  de  son 
armée,  cinq  mille  hommes,  et  vingt-quatre  mille  de  celle 
de  Didier.  Celui-ci  put  à  peine  échapper  par  la  fuite. 
Le  patrice  Mummol  s'en  retourna  par  l'Auvergne,  que 
son  armée  dévasta  en  plusieurs  endroits,  et  rentra  ainsi 
en  Bourgogne. 

XIV.  Ensuite  Mérovée ,  que  son  père  faisait  toujours 
garder,  fut  tonsuré ,  revêtu  des  habits  en  usage  pour  les 
clercs,  ordonné  prêtre,  et  envoyé  dans  un  monastère  du 
Maine,  nommé  Aninsule  (i),  pour  y  être  formé  aux  de- 
voirs sacerdotaux.  A  cette  nouvelle,  Gontran  Boson,  qui 
séjournait  alors,  comme  je  l'ai  dit  (2),  dans  la  basilique 
de  Saint-Martin,  envoya  le  sous-diacre  Riculf  lui  con- 
seiller secrètement  de  se  réfugier  dans  cette  même  basi- 
lique. Lorsque  Mérovée  était  en  chemin  pour  s'y  rendre, 
Gaïlen,  son  serviteur,  arriva  d'un  autre  côté;  et  comme 
ceux  qui  le  conduisaient  avaient  une  faible  escorte,  il  fut 
dégagé  en  route  par  Gaïlen  :  puis  s'étant  voilé  la  tête,  il 
se  couvrit  d'un  habit  séculi-er,  et  gagna  le  temple  du  bien- 
heureux Martin.  Or,  tandis  que  nous  célébrions  la  messe, 
il  entra  dans  la  sainte  basilique,  dont  il  trouva  les  portes 
ouvertes.  Après  la  messe ,  il  prétendit  que  nous  devions 
lui  donner  les  eulogies  (3).  Alors  se  trouvait  avec  nous 


(i)  Depuis,  Saint-Caîais ,  du  nom  de  son  fondateur  snnctus  Cari- 
lefus  (Sarlhe,  chef-lieu  d'arrond.  ).  Ce  monastère  était  de  l'ordre  de 
Saint-Benoît.  —  Bu  leste,  remarquez  cette  espèce  d'apprentissage  des 
devoirs  sacerdotaux,  peu  en  usage  à  cette  époque;  et  la  différence  qui 
existait  déjà  entre  les  habits  séculiers,  et  ceux  des  clercs.  (Ruin.) 

(2)  Chap.  4. 

(3)  Voyez  liv.  iv,  chap.  55,  la  note  sur  le  mot  eiilogie ;  il  semble 


2G6  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

Bagnemod,  évêque  de  Paris,  successeur  de  saint  Ger- 
main. Comme  nous  le  refusions,  il  se  mit  à  crier  et  à  dire 
que  nous  n'avions  pas  le  droit  de  le  suspendre  de  la  com- 
munion, sans  le  consentement  de  nos  frères.  D'après  ses 
réclamations,  ayant  débattu,  avec  le  confrère  qui  était 
présent,  jusqu'à  quel  point  la  chose  était  canonique,  nous 
nous  accordâmes  à  lui  donner  les  eulogies.  Je  craignais 
d'ailleurs  qu'en  suspendant  un  seul  homme  de  la  com- 
munion ,  je  ne  devinsse  homicide  pour  beaucoup  d'au- 
tres; car  il  menaçait  de  tuer  plusieurs  de  nos  gens,  s'il 
n'obtenait  de  nous  la  communion  :  et  cependant  ce  fut  une 
cause  de  grands  désastres  pour  la  contrée  de  Touraine. 

En  ces  jours- là  Nisier,  mari  de  ma  nièce,  se  rendit, 
pour  ses  affaires  particulières,  auprès  du  roi  Cliilpéric, 
ainsi  qu'un  diacre  envoyé  par  nous  pour  raconter  au  roi 
l'évasion  de  Mérovée.  En  les  voyant,  la  reine  Frédegonde 
dit  :  «  Ce  sont  des  espions;  ils  sont  venus  pour  s'informer 
«  de  ce  que  fait  le  roi,  et  le  rapporter  à  Mérovée.  »  Et  à 
l'instant,  elle  les  fît  dépouiller  et  reléguer  dans  un  lieu 
d'exil,  d'où  ils  ne  sortirent  qu'au  bout  de  sept  mois.  En 
conséquence,  Chilpéric  nous  envoya  dire  par  des  messa- 
gers :  «  Chassez  cet  apostat  de  la  basilique;  sinon  j'incen- 
«  dierai  toute  cette  contrée.  »  Et  comme  nous  lui  répon- 
dîmes que  ce  qui  ne  s'était  jamais  fait  au  temps  des 
hérétiques  ne  pouvait  absolument  se  faire  dans  des  temps 
chrétiens,  il  leva  lui-même  une  armée  et  marcha  contre 
Tours. 

La  seconde  année  du  règne  de  Childebert(i),  Mérovée, 


signifier  ici  la  communion.  On  sait  que,  dans  certaines  églises,  on  la 
donnait  au  peuple  après  la  messe, 
(i)  An  577. 


LIVRE  CINQUIÈME.  2G7 

voyant  son  père  inflexible  dans  sa  résolution,  songea  à  se 
rendre  auprès  de  Brunehaut  avec  le  duc  Contran  :  «  A 
«  Dieu  ne  plaise,  disait-il,  qu'à  cause  de  ma  personne,  la 
«  basilique  de  Saint-Martin  éprouve  aucune  violence,  ou 
«  que  pour  moi  son  territoire  soit  livré  à  l'esclavage.  » 
Et,  entrant  dans  la  basilique,  il  offrit,  pendant  les  vigiles, 
tout  ce  qu'il  avait  sur  lui,  au  tombeau  de  saint  Martin, 
priant  le  saint  de  le  secourir  et  de  lui  accorder  sa  faveur 
pour  arriver  au  trône.  Leudaste,  alors  comte  de  Tours, 
ne  cessait,  par  amour  pour  Frédegonde,  de  lui  tendre 
des  pièges  ;  enfin  il  surprit  et  massacra  plusieurs  de  ses 
serviteurs  qui  étaient  sortis  dans  la  campagne.  Il  désirait 
le  tuer  lui-même  s'il  pouvait  en  trouver  une  occasion 
favorable.  Mérovée ,  d'après  le  conseil  de  Contran ,  et  par 
désir  de  vengeance,  fit  saisir  Marileif,  premier  médecin 
du  roi,  qui  revenait  d'auprès  de  lui;  le  fit  battre  cruel- 
lement, lui  enleva  son  or,  son  argent,  et  tout  ce  qu'il 
avait  sur  lui ,  et  le  laissa  entièrement  dépouillé.  Il  l'eût 
tué  même,  si  Marileif,  s'échappant  des  mains  de  ceux 
qui  le  frappaient,  ne  se  fût  réfugié  dans  l'église.  Nous  lui 
donnâmes  d'autres  vêtemens,  et  après  avoir  obtenu  pour 
lui  la  vie  sauve,  nous  le  renvoyâmes  à  Poitiers. 

Cependant  Mérovée  racontait  beaucoup  de  crimes  de 
son  père  et  de  sa  marâtre;  et  quoique  vrais,  en  partie. 
Dieu,  je  crois,  n'approuva  pas  qu'ils  fussent  divulgués 
par  un  fils,  comme  je  le  reconnus  dans  la  suite.  En  effet, 
un  jour  qu'il  m'avait  invité  à  sa  table,  tandis  que  nous 
étions  assis  l'un  auprès  de  l'autre,  il  me  demanda  instam- 
ment de  lui  lire  quelque  cliose  pour  l'instruction  de  son 
âme.  J'ouvris  le  livre  de  Salomon  ,  et  pris  le  premier 
verset  qui  s'offrit  à  ma  vue  :  il  contenait  ces  paroles  : 
Que  l'œil  qui  regarde  son  père  en  face  soit  crevé  par 


^68  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

les  coi-heaux  des  vallées  (i).  Mérovée  ne  comprit  pas; 

et  je  considérai  ce  verset  comme  un  avertissement  du 

Seigneur. 

Alors  Contran  envoya  un  serviteur  vers  une  femme 
ayant  un  esprit  de  python ,  et  qu'il  connaissait  dès  le 
temps  du  roi  Charibert ,  afin  qu'elle  lui  découvrît  ce 
qui  devait  lui  arriver.  Il  affirmait,  d'ailleurs,  que  cette 
femme  lui  avait  annoncé,  avant  l'événement,  non  seule- 
ment l'année ,  mais  le  jour  et  l'heure  où  mourrait  Chari- 
bert. Elle  lui  renvoya  par  ses  serviteurs  la  prédiction 
suivante  :  «  Le  roi  Chilpéric  mourra  cette  année;  et  Mé- 
«  rovée,  à  l'exclusion  de  ses  frères,  sera  maître  de  tout 
«  le  royaume.  Pour  toi ,  tu  seras  cinq  ans  duc  de  tous 
«ses  états;  mais  la  sixième  année,  dans  une  des  villes 
«  situées  sur  le  bord  de  la  Loire,  à  la  droite  (a),  grâce  à  la 
«faveur  du  peuple,  tu  obtiendras  l'épiscopat  ;  et  tu  ne 
«  sortiras  de  ce  monde  que  vieillard  et  plein  de  jours.  » 
]-.orsqae  ses  serviteurs,  de  retour,  lui  eurent  transmis  cette 
réponse,  aussitôt,  transporté  d'un  vain  orgueil,  comme 
s'il  eût  été  déjà  installé  dans  la  chaire  de  l'église  de  Tours, 
il  me  fit  connaître  cette  prédiction.  Je  me  moquai  de  sa 
folie  en  lui  disant  :  «  C'est  à  Dieu  qu'il  faut  demander 
«  ces  choses  :  on  ne  doit  point  croire  aux  promesses  du 
«  diable;  car  il  fut  menteur  des  le  commencement^  et  il 
a  n'a  Jamais  été  dans  la  vérité  (3).  »  Quand  il  se  fut  re- 


(i)  Prov. ,  XXX,  17.  Du  reste,  le  texte  de  notre  Vulgate  est  tout 
différent  des  mots  cités  par  Grégoire. 

(2)  Valois  a  cru  qu'il  s'agissait  ici  de  l'épiscopat  de  Tours  :  mais 
Tours  est  sur  la  gauche  de  la  Loire.  Lecointe  pense  qu'il  s'agit  plutôt 
de  Nantes  (Ruin.).  Mais  qu'importe,  puisque  ce  n'est  qu'une  prédic- 
tion vague ,  et  qu'elle  ne  se  réalisa  pas  ? 

(3j  Jean,  évang.,  viii,  44- 


LIVRE  CINQUIÈME.  269 

tiré  tout  confus,  je  ris  beaucoup  de  cet  homme  qui  croyait 
devoir  ajouter  foi  à  de  telles  promesses.  Une  nuit,  après 
la  célébration  des  matines  dans  la  basilique  du  saint 
évêque,  je  m'étais  endormi  couché  sur  mon  lit,  lorsque 
je  vis  un  ange  traverser  les  airs  en  volant;  et,  en  passant 
au-dessus  de  la  sainte  basilique,  il  dit  à  haute  voix  :  «Hélas, 
«hélas!  Dieu  a  frappé  Chilpéric  et  tous  ses  fils;  et  de 
«  tous  ceux  qui  sont  sortis  de  ses  reins,  il  n'en  restera  pas 
«  un  seul  qui  jamais  gouverne  son  royaume.  »  Ce  prince 
avait  alors,  de  différentes  femmes,  quatre  fils,  sans 
compter  les  filles.  Et  quand  plus  tard  ces  paroles  furent 
accomplies,  je  reconnus  clairement  combien  étaient 
fausses  les  promesses  des  devins. 

Or,  tandis  qu'ils  demeuraient  dans  la  basilique  de  Saint- 
Martin  ,  la  reine  Frédegonde  envoya  à  Contran  Boson , 
qu'elle  favorisait  secrètement,  pour  la  mort  de  Théode- 
bert ,  un  message  conçu  en  ces  termes  :  «  Si  tu  peux  faire 
«sortir  Mérovée  de  la  basilique,  afin  qu'il  soit  tué,  tu 
«  recevras  de  moi  un  grand  présent.  »  Celui-ci  croyant 
les  assassins  déjà  apostés,  dit  à  Mérovée  :  «Pourquoi 
«  rester  ici  comme  des  hommes  lâches  et  sans  cœur,  et 
«  nous  cacher  dans  les  bâtimens  de  la  basilique  comme 
«  des  imbécilles?  Faisons  venir  nos  chevaux;  prenons  nos 
«  épcrviers,  nos  chiens;  occupons -nous  de  chasse,  et 
«  récréons-nous  par  le  spectacle  de  lieux  plus  ouverts.  » 
Ce  qu'il  disait  par  ruse,  pour  l'entraîner  loin  de  la  sainte 
basilique.  Contran  avait  sans  doute  quelques  bonnes  qua- 
lités; mais,  toujours  prêt  h  se  parjurer,  il  ne  fit  jamais  de 
serment  à  un  ami  qu'il  ne  fût  disposé  à  le  violer  sur-Ie- 
charap.  Etant  donc  sortis  de  la  basilique,  comme  je  viens 
de  le  dire,  ils  s'avancèrent  jusqu'à  Jouay  (i),  maison  de 

(i)  Jouay,  prô'S  de  Tours,  au  sud,  sur  la  rive  gauche  du  Cher. 


270  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

campagne  proche  de  la  ville.  Mais  personne  ne  fit  de 

mal  à  Mérovée. 

Comme  Gontran  était ,  ainsi  que  nous  l'avons  dit , 
accusé  de  la  mort  de  Théodebert,  le  roi  Chilpéric  en- 
voya au  tombeau  de  saint  Martin  des  messagers  avec  une 
lettre  oii  il  demandait  au  saint  de  lui  répondre  s'il  lui 
était  permis  ou  non  d'arracher  Gontran  de  sa  basilique. 
Le  diacre  Baudegil,  chargé  de  cette  lettre,  avait  apporté 
en  même  temps  un  papier  blanc,  qu'il  déposa  sur  le  saint 
tombeau  (i).  Après  trois  jours  d'attente,  ne  recevant  au- 
cune réponse,  il  retourna  auprès  de  Chilpéric.  Le  roi 
envoya  d'autres  personnes  pour  exiger  de  Gontran  le  ser- 
ment de  ne  pas  quitter  la  basilique  sans  lui  en  donner  avis. 
Celui-ci  s'empressa  de  jurer,  en  donnant  pour  garant  la 
nappe  de  l'autel  (2),  qu'il  ne  sortirait  jamais  de  là  sans 
la  permission  du  roi. 

Cependant  Mérovée,  ne  s'en  rapportant  pas  à  la  py- 
thonisse,  plaça  trois  livres  sur  le  tombeau  du  saint  :  les 
Psaumes,  les  Rois,  les  Evangiles;  et  passa  toute  la  nuit 
en  prières,  suppliant  le  saint  confesseur  de  lui  dévoiler 
son  avenir,  et  de  lui  faire  connaître,  par  la  voix  de  Dieu, 
s'il  pourrait,  ou  non,  arriver  au  trône  (3).  Ensuite,  ayant 


(i)  Les  réflexions  sur  cette  démarche  de  Chilpéric  sont  inutiles; 
mais  on  peut  remarquer  que  les  prêtres  qui  veillaient  au  tombeau  du 
saint  ne  profitèrent  pas  de  la  simplicité  du  roi,  pour  lui  faire  une 
réponse  au  nom  de  saint  Martin. 

(2)  C'est-à-dire,  en  la  touchant. 

(5)  On  a  déjà  vu  quelque  chose  de  semblable  liv.  11 ,  chap.  By,  et 
liv.  IV,  chap.  16.  Cette  coutume  de  consulter  l'Ecriture  sainte,  pour 
connaître  l'avenir,  avait  été  blâmée  par  saint  Augustin ,  lettre  iig. 
Elle  fut  condamnée  par  le  concile  d'Agde  (5o6),  can.  42;  et  le  premier 
d'Orléans  (5ii),  can.  5o,  etc.;  et  enfin,  abolie  définitivement  par  le 
troisième  capitulaire  de  Tan  789,  dont  le  4"  article  est  ainsi  conçu  : 
«Ut  nuUus  in  Psalterio,  vel  in  Evangelio,  vel  in  aliis  rébus  sortire 


LIVRE  CINQUIÈME.  271 

continué  pendant  trois  jours  ses  jeûnes,  ses  veilles  et  ses 
prières,  il  s'approcha  de  nouveau  du  saint  tombeau,  et 
ouvrit  un  des  livres,  qui  était  celui  des  Rois.  Or  le  pre- 
mier verset  de  la  page  sur  laquelle  il  tomba,  était  celui-ci  : 
Parce  que  vous  avez  abandonné  le  Seigneur  votre  Dieu 
pour  courir  après  des  dieux  étrangers,  et  n'avez  point 
marché  droit  devant  lui,  le  Seigneur  votre  Dieu  vous 
a  livrés  entre  les  mains  de  vos  ennemis  (i).  Il  trouva 
dans  le  Psautier  ce  verset  :  C'est  en  punition  de  leur 
perfidie  que  vous  leur  avez  envoyé  ces  maux  :  vous  les 
avez  renversés  dans  le  temps  qu'ils  s'élevaient.  Com- 
ment sont-ils  tombés  dans  la  désolation?  ils  ont  manqué 
tout  a  coup  ;  ils  ont  péri  à  cause  de  leurs  iniquités  (2). 
Dans  les  Evangiles,  il  lut  ces  paroles  :  Vous  savez  que 
la  Pâque  se  fera  dans  deux  jours ,  et  que  le  fils  de 
l'homme  sera  livré  pour  être  crucifié  (3).  Confondu  par 
ces  réponses,  Mérovée  pleura  long-temps  sur  le  tombeau 
du  bienheureux  évêque;  puis,  accompagné  du  duc  Con- 
tran ,  il  sortit  avec  cinq  cents  hommes  ou  davantage. 
Ayant  donc  quitté  la  sainte  basilique,  comme  il  traver- 
sait le  territoire  d'Auxerre ,  il  fut  pris  par  le  duc  Erpon , 
attaché  au  roi  Contran.  Après  avoir  été  retenu  quelque 


«  praesumat,  nec  divinationes  aliquas  observare.  »  Voyez  la  note  de 
Baluze  sur  ce  passage.  Cette  pratique  superstitieuse  venait  des  païens. 
L'empereur  Adrien,  suivant  Spartien ,  consultait  de  même  Virgile, 
et  réglait  sa  conduite,  ou  augurait  de  l'avenir,  d'après  le  premier  vers 
qui  s'offrait  à  sa  vue.  (Ruin.) 

(i)  3  Reg.,  IX,  9.  Le  texte  de  la  Vulgate  est  encore  ici  très  différent 
de  la  citation. 

(a)  Ps.  Lxxii,  18,  ig.  Mala,  de  moins  dans  la  Vulgate,  change  tout- 
à-fait  le  sens  dn  premier  verset  ;  il  faut  alors  traduire  :  «  Leur  prospé- 
«  rite  a  été  un  piège  que  vous  leur  avez  tendu.  » 

(3)  Évang.  S.  Mallh.,  9.6,  2. 


272  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

temps  captif,  il  s'échappa,  je  ne  sais  par  quel  hasard,  et 
entra  dans  la  basilique  de  Saint-Germain  (i).  A  cette  nou- 
velle, le  roi  Contran,  ému  de  colère,  condamna  Erpon  à 
une  amende  de  sept  cents  sous  d'or,  et  lui  retira  son  office, 
en  lui  disant  :  «  Mon  frère  m'a  dit  que  tu  avais  arrêté  son 
«  ennemi  :  si  telle  était  ton  intention,  il  fallait  d'abord  me 
«l'amener;  sinon  tu  ne  devais  pas  même  toucher  celui 
«  que  tu  ne  voulais  pas  retenir.  »  Cependant  l'armée  du 
roi  Chilpéric  vint  jusqu'à  Tours,  pillant,  brûlant,  dévas- 
tant toute  cette  contrée  :  elle  n'épargna  pas  même  les 
biens  de  saint  Martin;  mais  tout  ce  qui  tombait  sous  sa 
main,  elle  le  pillait  sans  respect  ni  crainte  de  Dieu.  Mé- 
rovée,  après  deux  mois  de  séjour  dans  la  basilique  que 
je  viens  de  nommer,  s'échappa  et  parvint  jusqu'à  la 
reine  Brunehaul;  mais  il  ne  fut  pas  accueilli  par  les  Aus- 
trasiens.  Son  père  fît  marcher  une  armée  contre  la  Cham- 
pagne, croyant  qu'il  y  était  caché;  mais  il  ne  put  lui  faire 
aucun  mal,  ni  découvrir  sa  retraite. 

XV.  Lors  de  l'invasion  d'Alboin  en  Italie,  Clotaire  (2) 
et  Sigebert  avaient  établi  des  Suèves  et  d'autres  peuples 
dans  le  lieu  qu'il  venait  de  quitter.  Or  ceux  qui  revinrent 
au  temps  de  Sigebert,  c'est-à-dire  ceux  qui  avaient  pris 
part  à  l'expédition  d'Alboin  (3),  s'élevèrent  contre  ces 
nouveaux  habitans,  voulant  les  chasser  du  pays  et  les 
détruire  entièrement.  Les  Suèves  leur  offrirent  la  troi- 


(i)  Alors  en  dehors  de  la  ville  d'Auxerre;  depuis,  en  dedans.  C'était 
un  monastère  de  l'ordre  de  Saint- Benoît ,  congrégation  de  Saint- 
Maur.  (  Ruin.  ) 

(2)  Clotaire  était  mort  en  56i,  et  l'invasion  d'Alboin  est  de  568. 

(5)  Les  Saxons,  dont  il  a  été  question  liv.  iv,  cliap.  43.  Sigebert 
avait  donné  leur  pays  aux  Suèves. 


LIVRE  CINQUIÈME.  273 

sièmc  partie  des  terres  en  leur  disant  :  «  Nous  pouvons 
«  vivre  ensemble  sans  nous  combattre.»  Mais  les  Saxons, 
irrités,  parce  qu'ils  les  avaient  occupées  avant  les  Suèves, 
ne  voulurent  s'accorder  à  aucune  condition.  Ceux-ci  leur 
offrirent  ensuite  la  moitié  des  terres,  puis  les  deux  tiers, 
ne  se  réservant  que  la  troisième  partie;  nouveau  refus. 
Ils  leur  offrirent  avec  la  terre  tous  les  troupeaux,  ne 
demandant  que  de  vivre  en  paix  ;  mais  les  Saxons  n'y 
consentirent  pas  non  plus,  et  demandèrent  le  combat. 
Avant  la  bataille,  ils  se  partagèrent  entre  eux  les  femmes 
des  Suèves,  décidant  à  qui  cbacune  appartiendrait  après 
la  mort  de  leurs  maris;  car  ils  les  regardaient  déjà  comme 
tués.  Mais  la  miséricorde  du  Seigneur,  toujours  juste, 
opposa  à  leur  volonté  un  résultat  tout  contraire.  On  en 
vint  aux  mains,  et  sur  vingt-six  mille  Saxons,  vingt  mille 
périrent.  Du  côté  des  Suèves,  six  mille  quatre  cent  quatre- 
vingts  bommes  (i)  seulement  furent  abattus;  et  les  autres 
remportèrent  la  victoire.  Ceux  des  Saxons  qui  avaient 
survécu  à  la  défaite  jurèrent  avec  serment  qu'aucun  d'eux 
ne  se  couperait  la  barbe  ni  les  cbeveux,  avant  de  s'être 
vengés  de  leurs  ennemis.  Ils  livrèrent  donc  une  seconde 
bataille  ;  mais  ils  éprouvèrent  une  défaite  encore  plus 
désastreuse;  et  ainsi  la  guerre  cessa. 

XVI.  En  Bretagne,  voici  ce  qui  se  passa.  Macliau  (a) 


(i)  La  phrase  pourrait  signifier  aussi  que  les  Suèves,  sur  6400  liom- 
mes,  en  perdirent  80;  c'est  le  sens  adopté  par  le  précédent  traducteur. 
En  adoptant  la  leçon  ^.r  quibus  après  sex  millia,  il  faudrait  :  Les 
Suèves  étaient  au  nombre  de  6000,  dont  il  en  périt  480. 

(2)  Voyez  liv.  iv,  chap.  4-  — Maclinvns  est  aussi  le  nom  d'un  saint, 
qu'on  appelle  saint  Malo;  mais  ici  nous  avons  suivi  VArl  de  vérifier 
les  Dates,  qui  nomme  ce  comte  de  Bretagne  Macliau.  « 

I.  18 


274  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

et  Bodic,  dans  leur  temps  comtes  des  Bretons,  s'étaient 
réciproquement  promis  avec  serment  que  celui  des  deux 
qui  survivrait  défendrait  comme  siens  les  enfans  de  l'au- 
tre. Or  Bodic  mourut,  laissant  un  fils  nommé  Théoderic; 
mais,  au  mépris  des  sermens,  Macliau  le  chassa  de  sa 
patrie,  et  usurpa  le  royaume  de  son  père.  Le  jeune  prince 
erra  long-temps  en  fugitif.  Mais  enfin,  Dieu  l'ayant  pris 
en  pitié,  il  réunit  plusieurs  hommes  de  la  Bretagne, 
attaqua  Macliau,  le  fit  périr  par  le  glaive  ainsi  que  son 
fils  Jacob,  et  remit  sous  sa  puissance  la  partie  du  royaume 
qu'avait  autrefois  possédée  son  père  Bodic.  L'autre  part 
resta  à  Waroch,  fils  de  Macliau  (i). 

XVIL  Le  roi  Contran  fit  tuer  deux  fils  de  Magna- 
chair'e  (2),  parce  qu'ils  proféraient  contre  la  reine  Austre- 
childe  et  ses  enfans  des  injures  sanglantes  et  des  impré- 
cations, et  il  confisqua  leurs  biens.  Lui-même  perdit  ses 
deux  fils,  que  lui  enleva  une  prompte  maladie;  et  il  fut 
profondément  affligé  de  leur  mort,  qui  le  laissait  sans 
enfans.  Cette  année,  il  y  eut  doute  pour  la  Pâque.  En 
Gaule,  nous  et  plusieurs  cités  célébrâmes  la  sainte  Pâque 
le  quatorzième  jour  des  calendes  de  mai  (18  avril); 
d'autres,  avec  les  Espagnols,  fêtèrent  cette  solennité  le 
douzième  des  calendes  d'avril  (21  mars).  Cependant  ces 
fontaines  qui  en  Espagne  se  remplissent  par  la  volonté 


(i)  Voyez  plus  bas,  chap.  27. 

(2)  Dont  il  avait  épouse  la  fille  Marcatrude  ;  mais  l'ayant  répudiée 
pour  prendre  Austrechilde ,  sa  servante  (iv,  25,  et  v,  21),  il  est  pro- 
bable que  Gontion  et  Wiolic,  fils  de  Magnachaire,  ne  purent  supporter 
cet  outrage  fait  à  leur  sœur  (Ruin.).  Marins  d'Avenchcs  place  sa  mort 
en  565.  Il  l'appelle  dux  Francorum;  peut-être  était -il  maire  du 
palais. 


LIVRE  CINQUIÈME.  275 

de  Dieu,  se  trouvèrent  remplies,  dit-on ,  le  jour  de  notre 
Pâque  (i). 

XVIII.  A  Chinon,  bourg  de  Touraine,  pendant  la  cé- 
lébration de  la  messe,  le  jour  de  la  glorieuse  résurrec- 
tion du  Seigneur,  l'église  trembla,  et  le  peuple  épouvanté 
s'écria  tout  d'une  voix  que  l'église  tombait;  et  tous  s'en- 
fuirent même  en  brisant  les  portes.  Puis,  une  grande  mor- 
talité affligea  les  peuples. 

Ensuite  le  roi  Contran  envoya  une  ambassade  à  Childe- 
bert,  son  neveu,  pour  lui  demander  la  paix  et  le  prier 
de  venir  le  voir.  Childebert  vint  le  trouver  avec  ses 
grands;  et  tous  deux  s'étant  réunis  près  du  pont  appelé 
le  Pont-de-Pierre  (2),  se  saluèrent  et  s'embrassèrent  ré- 
ciproquement. Alors  le  roi  Contran  dit  :  «  Il  m'est  ar- 
«  rivé ,  par  suite  de  mes  péchés,  de  rester  sans  enfans; 
«  aussi  je  demande  que  mon  neveu,  que  voici,  devienne 
«  mon  fils.  »  Et  le  plaçant  sur  son  siège,  il  lui  fit  la  tra- 
dition de  tout  son  royaume  en  disant  :  «  Qu'un  même 
«  bouclier  nous  protège;  qu'une  même  lance  nous  défende. 
«  Si  j'ai  des  fils,  je  ne  te  regarderai  pas  moins  comme 
«  un  de  mes  enfans,  et  tu  partageras  avec  eux  la  tendresse 
((  que  je  te  promets  aujourd'hui  en  présence  de  Dieu.  « 
Les  grands  de  Childebert  firent  la  même  promesse  en  son 
nom.  Les  deux  rois  mangèrent  et  burent  ensemble  ;  s'ho- 
norèrent mutuellement  de  présens  magnifiques  ,  et  se 
séparèrent  en  paix.  Alors  ils  envoyèrent  inie  ambassade 
au  roi  Chilpéric,  pour  qu'il  rendît  ce  qu'il  avait  usurpé 


i)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.  (Note  b.) 

(2)  Aujourd'hui  Pont-Pierre  ou  Pompicrrc,  village  sur  le  fliouzou , 
près  la  Meuse  (Vosges,  arr.  Neufcluitcau). 


276  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

de  leurs  royaumes;  sinon,  qu'il  se  préparât  à  la  guerre. 

Mais  lui,  sans  y  avoir  égard,  fit  construire,  à  Soissons 

et  à  Paris,  des  cirques  où  il  donna  des  spectacles  au 

peuple. 

XIX.  Ensuite ,  Chilpéric  apprenant  que  Prétextât , 
évêque  de  Rouen,  faisait  des  largesses  aux  peuples  pour 
nuire  à  ses  intérêts,  le  fit  comparaître  devant  lui.  Par 
suite  d'une  enquête ,  on  découvrit  que  la  reine  Brune- 
haut  lui  avait  confié  certains  effets.  Le  roi  les  lui  prit,  et 
le  fit  garder  en  exil  jusqu'à  ce  qu'il  eût  été  entendu  par 
les  évêqucs.  Quand  le  concile  fut  réuni,  Prétextât  fut 
amené  en  leur  présence.  Or  les  évêques  assemblés  à  Paris 
étaient  dans  la  basilique  de  l'apôtre  saint  Pierre  (i).  Le 
roi  lui  adressa  la  parole  :  «  Quelles  étaient  donc  tes  vues, 
a  à  évêque,  d'unir  Mérovée,  mon  ennemi  plutôt  que 
«mon  fils,  avec  sa  tante,  avec  l'épouse  de  son  oncle? 
«  ignorais-tu  ce  que  les  saints  canons  ont  décidé  à  cet 
«égard?  Non  seulement  il  est  prouvé  que  tu  as  en  ce 
«point  excédé  tes  pouvoirs;  mais  de  plus,  tu  as  traité 
«  avec  lui,  tu  as  donné  des  présens  pour  me  faire  assas- 
«  siner,  tu  as  rendu  un  fils  l'ennemi  de  son  père,  tu  as 
«  séduit  le  peuple  avec  de  l'argent  pour  que  personne  ne 
«me  conservât  la  foi  jurée,  et  tu  as  voulu  livrer  mon 
«  royaume  aux  mains  d'un  autre.  »  En  entendant  ces  pa- 
roles, la  multitude  des  Francs  frémit  de  rage,  et  voulut 
s'élancer  hors  de  la  basilique  pour  en  arracher  l'évêque  et 
le  lapider;  mais  le  roi  s'y  opposa  (o.).  Prétextât  ayant  nié 


(i)  Au  nombre  de  quarante-cinq.  Voyez  liv.  vu,  chap.  i6. 
(y)  11  est  clair  que  cette  multitude  était  dans  l'église,  et  qu'elle 
voulut  en  arracher  de  force  Prétextât,  et  sortir  avec  lui  pour  le  lapider. 


LIVRE  CINQUIÈME.  277 

!ts  faits  que  lui  avait  reprochés  le  roi,  il  se  présenta 
des  faux  témoins,  qui  montrant  quelques  objets  précieux 
lui  dirent  :  «  Tu  nous  a  donné  telle  et  telle  chose,  pour 
«  nous  persuader  d'engager  notre  foi  à  Mérovée.  »  11  leur 
répondit  :  «Vous  dites  vrai;  vous  avez  souvent  reçu  de 
«  moi  des  présens  ;  mais  non  pour  renverser  le  roi  de 
«  son  trône.  Comme  vous-mêmes  m'offriez  d'excellens 
«chevaux  et  d'autres  objets  de  prix,  pouvais-je  faire 
«  autrement  que  de  vous  donner  des  présens  à  mon  tour?  » 
Cependant  le  roi  se  retira  chez  lui.  Pour  nous,  nous  étions 
assemblés  dans  la  sacristie  de  la  basilique  de  Saint-Pierre. 
Tandis  que  nous  parlions  ensemble ,  tout  d'un  coup  sur- 
vint Aëtius,  archidiacre  de  l'église  de  Paris,  et  après  nous 
avoir  salués,  il  nous  dit  :  «  Écoutez-moi,  prêtres  du  Sei- 
«  gneur  ici  assemblés  :  voici  l'occasion  pour  vous  d'ho- 
«  norer  votre  nom,  de  briller  par  tous  les  avantages  d'une 
«  réputation  sans  tache,  ou,  dès  ce  moment,  personne  ne 
«  vous  regardera  plus  comme  les  prêtres  de  Dieu,  si  vous 
«  ne  savez  relever  votre  caractère ,  ou  si  vous  permettez 
«  que  votre  frère  périsse.  »  Il  dit  ;  mais  aucun  évêque  ne 
lui  répondit  rien,  car  ils  craignaient  la  fureur  de  la  reine, 
à  l'instigation  de  laquelle  tout  ceci  se  faisait.  Comme  ils 
demeuraient  immobiles,  le  doigt  sur  la  bouche;  je  leur 
dis  :  «  Soyez  attentifs  à  mes  discours,  je  vous  en  prie,  ô 
«très  saints  prêtres  du  Seigneur,  et  vous,  surtout,  qui 
«  semblez  être  plus  familiers  avec  le  roi.  Donnez -lui  un 


Ce  sens  n'est  pas  douteux,  avec  la  leçon  enimpere ;  elle  explique  par 
faitement  rumperc,  que  cependant  nous  conservons  dans  le  texte. 
L'autre  sens,  qui  suppose  les  Francs  en  dehors  de  l'église  entendant 
les  plaintes  de  Cliilpéric,  et  voulant  briser  les  portes  pour  se  saisir 
de  Prétextât,  semble  moins  naturel.  Nous  l'avions  adopte  dans  notre 
préface  de  l'édition  latine,  mais  la  nouvelle  leçon  nous  a  détrompé. 


278  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

«saint  conseil,  un  conseil  d'évêques;  qu'il  craigne,  eu 
<f  s'irritant  contre  un  ministre  de  Dieu,  de  périr  par  sa 
«  colère,  et  de  perdre  son  royaume  et  sa  gloire.  »  Je  par- 
lais, mais  tous  gardaient  le  silence.  J'ajoutai  :  «  Sou- 
«  venez -vous,  mes  seigneurs  les  évêques,  de  cette  pa- 
«  rôle  du  prophète  :  Si  l'inspecteur  voit  l'iniquité  d'un 
«  homme  y  et  ne  la  découvre  pas ,  il  sera  complice  de  la 
ii perte  de  son  âme  (i).  Ainsi,  au  lieu  de  vous  taire, 
«prêchez  tout  haut  devant  le  roi;  mettez-lui  ses  fautes 
«  sous  les  yeux,  de  peur  qu'il  ne  lui  arrive  quelque  mal, 
«  et  que  vous  ne  soyez  responsables  de  sou  âme.  Igno- 
if  rez-vous  ce  qui  s'est  passé  dans  des  temps  près  de  nous  : 
«  comment  Clodomir  prit  Sigismond  et  le  fit  jeter  dans 
«  un  cachot;  et  ce  que  lui  dit  Avitus,  le  prêtre  du  Sei- 
«  gneur  :  Ne  porte  pas  la  main  sur  lui ,  et  quand  tu  mar- 
«  cheras  contre  la  Bourgogne,  tu  auras  la  victoire?  Mais 
«  lui,  dédaignant  les  avis  du  saint  prêtre,  partit  aussitôt, 
«  fit  périr  Sigismond ,  avec  sa  femme  et  ses  fils ,  et  marcha 
«  en  Bourgogne,  où  il  fut  vaincu  et  tué  par  l'armée  en- 
«  nemie.  Et  l'empereur  Maxime?  après  qu'il  eut  vivement 
«  pressé  saint  Martin  de  donner  la  communion  à  un 
«  évêque  homicide  (2),  et  que  celui-ci,  dans  l'espoir  de 
«  snuver  des  malheureux  destinés  à  la  mort,  eut  consenti 


(i)  Ezéchiel,  35,  6.  Dans  l'original,  il  s'agit  de  la  sentinelle  qui 
doit  annoncer  l'approche  de  l'ennemi  en  sonnant  de  la  trompette  ;  si- 
non ,  elle  sera  responsable  de  tous  ceux  qui  périront.  Mais  Grégoire  a 
tellement  altéré  ce  texte,  en  le  citant,  que  le  sens  n'en  peut  ])lus  être 
le  même.  Celui  que  nous  adoptons  semble  se  lier  mieux  avec  les  idées 
qui  suivent. 

(2)  Voyez  Sulpice  Sévère,  Dialog.  m,  sur  les  vertus  de  saint  Mar- 
tin. Cet  évêque  était  Tthacius ,  un  des  plus  ardens  persécuteurs  de 
l'riscillien  et  de  ses  sectaires  mis  à  mort  par  Maxime. 


LIVRE  CIINQUIÈME.  279 

«à  cette  demande  d'un  roi  impie,  ce  prince  lui-même, 
«  condamné  par  le  jugement  du  roi  éternel,  ne  fut-il  pa3 
«  dépouillé  de  l'empire  et  frappé  de  la  mort  des  criminels?» 
Après  que  j'eus  parlé  ainsi,  personne  ne  me  répondit  rien; 
tous  restaient  immobiles  et  comme  stupéfaits.  Mais  deux 
flatteurs  qui  étaient  parmi  eux,  et  j'ai  peine  à  le  dire,  des 
évêques,  allèrent  annoncer  au  roi  que,  dans  cette  affaire 
qui  l'intéressait,  il  n'avait  pas  de  plus  grand  ennemi  que 
moi-même.  Aussitôt  un  des  hommes  de  la  cour  est 
promptement  expédié  vers  moi  avec  l'ordre  de  me  pré- 
senter devant  le  prince.  J'arrive  :  le  roi  était  debout,  près 
d'un  pavillon  formé  de  branches  d'arbre.  A  sa  droite  était 
l'évêque  Bertrand;  à  la  gauche,  Ragnemod  (i).  Devant 
eux  un  banc  (2)  chargé  de  pain  et  de  mets  divers.  Dès 
que  le  roi  m'aperçut  :  «  O  évêque,  dit-il,  tu  dois  distri- 
«  buer  à  tous  la  justice,  et  cependant  je  ne  reçois  pas  de 
«  toi  ma  part  de  justice;  mais  tu  soutiens  l'iniquité,  et  tu 
«  justifies  bien  le  proverbe  :  le  corbeau  ne  crève  pas  l'œil 
«  du  corbeau.  »  A  cela  je  répondis  :  «  O  roi,  si  quelqu'un 
«  de  nous  veut  s'écarter  du  sentier  de  la  justice,  tu  peux 
«le  corriger  :  mais  si  tu  t'en  écartes,  qui  te  reprendra? 
a  Nous  te  parlons,  il  est  vrai;  mais  tu  nous  écoutes,  si  tu 
«  veux  :  si  tu  ne  le  veux  pas,  qui  te  condamnera,  sinon 
«  celui  qui  s'est  proclamé  la  justice  ?  »  Animé  contre  moi 
par  ses  adulateurs,  le  roi  me  répond  :  «  Avec  tous  j'ai 
«  obtenu  justice;  avec  toi,  c'est  chose  impossible.  Mais  je 
«  sais  ce  que  je  ferai  pour  te  signaler  aux  peuples,  et  te 


(i)  Bertrand,  de  Bordeaux;  Ragnemod,  de  Paris:  sans  doute  les 
deux  qui  avaient  dénoncé  Grégoire. 

(2)  Scamnuin  est  une  table  basse,  un  banc,  d'où  le  mot  banquet. 
(Ruin.) 


280  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  faire  connaître  à  tous  comme  un  injuste.  Je  convoquerai 
«  le  peuple  de  Tours,  et  je  lui  dirai  :  Vociférez  contre 
«Grégoire;  appelez-le  homme  injuste,  et  ne  rendant  la 
«justice  à  personne;  et  à  leurs  cris  je  répondrai  :  Moi 
«  qui  suis  le  roi  je  ne  puis  obtenir  justice  de  cet  homme; 
«  et  vous  qui  m'êtes  inférieurs,  vous  espérez  l'obtenir?» 
Je  lui  répliquai  :  «  Si  je  suis  injuste,  tu  n'en  sais  rien.  Il 
<c  connaît  seul  ma  conscience,  celui  qui  pénètre  les  secrets 
«  des  cœurs.  Mais  que  le  peuple  crie  faussement  après  moi 
«  pour  servir  ta  haine,  peu  importe.  Tous  sauront  que  tu 
«  en  es  l'instigateur,  et  ces  vociférations  seront  une  note 
«  d'infamie  pour  toi-même  plutôt  que  pour  moi.  Mais 
«  pourquoi  tant  de  paroles?  tu  as  la  loi  et  les  canons.  Il 
«  te  faut  les  consulter  avec  soin  :  si  tu  n'observes  pas  ce 
«  qu'ils  t'auront  ordonné,  sache  que  le  jugement  de  Dieu 
«  te  menace  de  près.  »  Alors  le  roi,  comme  pour  me  cal- 
mer, et  croyant  que  je  me  laisserais  prendre  au  piège, 
me  montra  un  mets  placé  devant  lui ,  et  me  dit  :  «  Je 
«  l'ai  fait  préparer  pour  toi  ;  il  n'y  entre  que  de  la  vo- 
«  laille  et  un  peu  de  pois.  »  Mais  moi,  démêlant  l'artifice, 
je  lui  répondis  :  «  Notre  nourriture  doit  être  de  faire  la 
«  volonté  de  Dieu,  et  non  de  nous  plaire  à  ces  mets  dé- 
«  licats;  afin  que  nous  ne  transgressions  jamais  ses  com- 
«  mandemens.  Pour  toi,  qui  inculpes  la  justice  des  autres, 
«  promets  avant  tout  de  te  conformer  à  la  loi  et  aux  ca- 
«  nons,  et  alors  nous  te  croirons  sincère  partisan  de  la 
«justice.;)  Le  roi,  étendant  la  main,  jura  par  le  Dieu 
tout-puissant  que,  dans  aucun  cas,  il  ne  transgresserait 
ce  qu'enseignaient  la  loi  et  les  canons.  Ensuite,  après 
avoir  accepté  du  pain  ,  et  même  bu  du  vin  ,  je  me  retirai. 
I^a  nuit  de  ce  jour,  au  moment  où  je  venais  de  chanter 
les  hymnes  des  nocturnes ,  j'entendis  frapper  à  grands 


LIVRE  CINQUIÈME.  281 

coups  à  la  porte  de  ma  maison  :  j'envoyai  un  serviteur, 
et  j'appris  que  c'étaient  des  envoyés  de  Frédegonde.  Intro- 
duits, ils  me  présentent  le  salut  de  la  reine;  ensuite  ils 
me  prient  de  ne  pas  être  contraire  à  ses  intérêts;  et  en 
même  temps  me  promettent  deux  cents  livres  d'argent,  si 
je  me  mettais  contre  Prétextât  pour  l'accabler.  «  Car,  di- 
«  saient-ils,  nous  avons  déjà  la  promesse  de  tous  les  évê- 
c(  ques  :  ne  sois  pas  seul  d'un  avis  contraire.  »  Je  leur  ré- 
pondis :  «  Quand  vous  me  donneriez  mille  livres  d'or  et 
«  d'argent,  puis-je  faire  autre  chose  que  ce  que  le  Sei- 
«  gneur  ordonne?  Je  vous  promets  seulement  de  me  réunir 
«  à  l'opinion  des  autres  si  elle  est  conforme  aux  statuts 
«des  canons.»  Ceux-ci,  sans  comprendre  mes  paroles, 
me  rendirent  grâces  et  se  retirèrent.  Le  lendemain  ma- 
tin, je  reçus  la  visite  de  quelques  évêques,  porteurs  de 
])ropositions  semblables,  et  je  leur  fis  la  même  réponse. 

Le  matin,  lorsque  nous  nous  réunissions  dans  la  ba- 
silique de  Saint-Pierre,  le  roi  se  présenta,  et  dit  :  «  Un 
«  évêque  convaincu  de  larcin  doit  être  dépouillé  de  ses 
cf  fonctions  épiscopales;  ainsi  le  veulent  les  canons.»  Nous 
lui  demandâmes  quel  était  l'évêque  accusé  de  vol.  «Vous 
«  avez  vu,  répondit-il,  les  effets  précieux  que  cet  homme 
«  nous  a  dérobés.»  En  effet,  trois  jours  auparavant,  le 
roi  nous  avait  montré  deux  valises  remplies  d'objets  pré- 
cieux et  de  bijoux,  estimés  plus  de  trois  mille  sous;  et  un 
sac  qui,  d'après  son  poids,  pouvait  contenir  environ  deux 
mille  pièces  d'or.  Voilà  ce  que  le  roi  prétendait  lui  avoir 
été  dérobé  par  l'évêque.  Prétextât  répondit:  «Vous  vous 
«  rappelez,  je  pense,  que,  lorsque  la  reine  Brunehaut  sortit 
«  de  Piouen ,  je  vins  à  vous ,  et  vous  dis  qu'elle  m'avait 
«  confié  ses  effets,  consistant  en  cinq  valises.  Souvent  ses 
«  serviteurs  venaient  me  prier  de  les  leur  remettre;  mais 


282  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

<c  je  n'ai  pas  voulu  le  faire  sans  vous  tlemander  conseil.  Or, 
«  toi-même,  6  roi,  tu  m'as  dit  :  «  Rejette  ces  objets  loin 
«  de  toi  ;  que  ce  qui  appartient  à  cette  femme   lui  soit 
«  rendu ,  car  je  ne  veux  pas  que  ce  soit  un  motif  d'ini- 
«  mitié  entre  moi  et  mon  neveu  Cliildebert.  »  De  retour  à 
«  la  ville,  je  remis  une  valise  aux  serviteurs  de  Brune- 
ce  haut,  car  ils  n'en  pouvaient  porter  davantage.  Us  re- 
«  vinrent  m'en  demander  d'autres.  Je  consultai  de  nou- 
«  veau   votre  magnificence.   Tu   me  donnas    encore    un 
«  ordre  positif:  «  Rejette,  6  évêque,  rejette  bien  loin  tout 
«  cela,  pour  qu'il  n'en  résulte  pas  de  querelle.»  Je  leur  en 
«  livrai  donc  deux  autres;  et  deux  encore  restèrent  chez 
«  moi.  Maintenant  pourquoi  me   faire  des  reproches  et 
«  m'accuser  de  vol,  puisque  j'étais  évidemment,  non  un 
«voleur,  mais  le  dépositaire  de  ces  richesses?  —  Mais, 
«  dit  le  roi,  si  c'était  un  dépôt  dont  tu  étais  le  gardien, 
«  pourquoi  as-tu  ouvert  une  de  ces  valises,  et  en  as-tu  retiré 
«  un  voile  tissu  d'or,  que  tu  as  mis  en  pièces,  et  distribué 
«  à  des  hommes  qui  devaient  me  précipiter  du  trône?  —  Je 
«  t'ai  déjà  dit,  répondit  l'évêque  Prétextât,  que  j'avais  reçu 
«  des  présens  de  ces  guerriers,  et  comme  je  n'avais  pour  le 
«  moment  rien  à  leur  donner,  j'empruntai  cette  valeur,  et 
«je  la  leur  donnai  en  retour  de  leurs  présens.  Elle  me 
«  paraissait  une  propriété,  parce  qu'elle  appartenait  à  mon 
«  fds  Mérovée,  que  j'ai  tenu  sur  les  fonts  baptismaux  (i).  » 


(i)  Mot  à  mot,  que  j'ai  retiré  du  bain  de  régénération.  On  sait 
qu'alors  le  baptême  avait  lieu  par  immersion.  Le  parrain  retirait  l'en- 
fant ou  le  cathécumène  du  baptistère,  faisant  entendre  parla  qu'il 
l'adoptait  pour  son  fds  en  Dieu  ;  comme  chez  les  Romains,  le  père 
relevait  de  terre  l'enfant  qui  venait  de  naître,  pour  déclarer  qu'il  s'en 
chargeait. 


LIVRE  CINQUIÈME.  283 

].e  roi  Chilpéric,  voyant  qu'il  ne  pouvait  l'emporter  sur  lui 
par  ses  calomnies,  nous  quitta,  tout  étourdi  et  troublé 
par  sa  conscience.  Puis  il  appela  quelques  uns  de  ses  flat- 
teurs, et  leur  dit  :  «  Je  suis  confondu  par  les  paroles  de 
«  l'évêque,  je  l'avoue;  et  je  sais  qu'il  dit  la  vérité  :  que 
«  faire  maintenant  pour  que  la  volonté  de  la  reine  à  son 
«  égard  s'accomplisse?  Eh  bien  !  ajouta-t-il,  allez  le  trou- 
ce  ver,  et  dites-lui,  comme  si  vous  lui  dormiez  de  vous- 
«  mêmes  ce  conseil  :  Tu  sais  que  le  roi  Chilpéric  est  pieux, 
«  sensible  et  enclin  à  la  miséricorde  :  humilie-toi  devant 
«  lui,  et  déclare  que  tu  as  fait  tout  ce  qu'il  te  reproche. 
«  Alors,  nous  prosternant  tous  à  ses  pieds,  nous  obtien- 
«  drons  qu'il  te  pardonne.»  Séduit  parées  paroles,  l'évêque 
Prétextât  promit  de  faire  ce  qu'on  lui  demandait.  Le  len- 
demain nous  nous  réunîmes  au  lieu  accoutumé  ;  le  roi  y  vint 
aussi  et  dit  à  l'évêque  :  «  Si  tu  as  donné  à  ces  hommes 
«présens  pour  présens,  pourquoi  as-tu  exigé  d'eux  des 
«  sermens,  afin  de  les  attacher  à  Mérovée?  —  J'ai  désiré, 
«je  l'avoue,  répondit  l'évêque,  lui  gagner  leur  amitié,  et 
«j'aurais  appelé  non  seulement  un  homme,  mais,  s'il  eût 
«  été  possible,  un  ange  du  ciel  pour  venir  à  son  secours; 
«  car  il  était,  je  le  répète  encore,  mon  fils  spirituel  par  le 
«  baptême.»  Et  comme  cette  altercation  s'animait,  l'évêque 
Prétextât,  se  prosternant  à  terre,  dît  :  «  J'ai  péché  contre 
«  le  ciel  et  devant  toi,  ô  roi  très  miséricordieux;  je  suis 
«  un  homicide,  un  sacrilège  :  j'ai  voulu  te  tuer,  et  placer 
«  ton  fils  sur  ton  trône.»  A  ces  mots,  le  roi  se  prosterne 
aux  pieds  des  évêques,  en  disant  :  «  Ecoutez,  très  pieux 
«  évêques  :  l'accusé  avoue  son  crime  exécrable.  »  Et  quand 
nous  eûmes,  en  pleurant,  relevé  le  roi,  il  ordonna  que 
Prétextât  sortît  de  la  basilique.  Pour  lui ,  il  se  retira  dans 
sa  demeure,  et  nous  fit  passer  un  livre  de  canons,  auquel 


28-i  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

on  avait  ajouté  un  nouveau  cahier  (i),  renfermant  de 
prétendus  canons  apostoliques  (2),  où  l'on  trouvait  ces 
paroles  :  «Qu'un  évêquc  homicide,  adultère,  parjure, 
«  pris  sur  le  fait,  soit  dépouille  du  sacerdoce.  »  A  cette 
lecture,  Prétextât  demeura  stupéfait;  et  l'évêque Bertrand 
lui  dit  :  «  Ecoute,  frère  et  collègue  dans  l'épiscopat  :  tu 
«  n'as  pas  les  bonnes  grâces  du  roi  ;  ainsi  tu  ne  peux 
«  plus  compter  sur  notre  amitié,  avant  que  tu  aies  mé- 
«  rite  que  le  roi  te  pardonne.  »  Après  cela  le  roi  de- 
manda, ou  que  l'on  déchirât  sa  tunique,  ou  qu'on  récitât 
sur  sa  tête  le  psaume  cent  huitième,  qui  contient  des  ma- 
lédictions contre  Judas  Iscariote  (3),  ou  du  moins  qu'on 
souscrivît  contre  lui  un  jugement  qui  le  privât  à  jamais 
de  la  communion.  Je  m'opposai  à  toutes  ces  conditions, 
d'après  la  promesse  du  roi  qu'il  ne  se  ferait  rien  contre 
les  canons.  Alors  Prétextât  fut  enlevé  de  devant  nos  yeux, 
et  remis  à  des  gardes;  mais  ayant  essayé  de  s'enfuir  pen- 
dant la  nuit,  il  fut  cruellement  frappé,  et  exilé  dans  une 
île  de  la  mer  (4)  qui  avoisine  la  cité  de  Coutances. 

Ensuite  le  bruit  courut  que  Mérovée  cherchait  à  rega- 
gner la  basilique  de  Saint-Martin.  En  conséquence,  Chil- 


(i)  Quaternio,  une  feuille  pliée  en  quatre  ,  un  cahier. 

(2)  Les  canons  appelés  encore  aujourd'hui  ca?ions  apostoliques , 
n'étaient  point  alors  reconnus  dans  l'église  gallicane.  Ainsi  la  collec- 
tion de  Denis-le-Petit  n'était  pas  encore  admise  en  Gaule,  puisqu'il 
place  en  tête  les  canons  que  Grégoire  traite  ici  d'apocryphes.  Yoyez 
Le  Cointe,  Annales  ecclésiastiques,  ann.  577  (Ruin.).  Voyez  aussi 
l'article  Canons  apostoliques ,  dans  le  Moréri,  édit.  de  Goujet,  et  le 
premier  Supplément. 

(5)  Ce  sont  ces  mots  :  et  episcopaium  ejus  accipiat  alter,  Ps.  cviii, 
V.  8,  cités  par  saint  Pierre,  à  propos  de  Judas  Iscariole,  Act.  des 
Apôtres,  chap.  i,  v.  20. 

(4)  Probablement  Jersey,  l'île  la  plus  proche  de  la  cote.  (Ruin.) 


LIVRE  CINQUIÈME.  n^ 

pérlc  plaça  des  gardes  auprès  de  la  basilique,  et  en  fÎÈ 
fermer  toutes  les  avenues.  Les  gardes  ne  laissèrent  ou-" 
verte  qu'une  seule  porte  par  oii  entraient  un  petit  nombre 
de  clercs  pour  se  rendre  à  Toffice,  et  toutes  les  autres 
restaient  fermées,  ce  qui  était  bien  gênant  pour  le  peuple. 
Tandis  que  nous  étions  à  Paris,  des  signes  apparurent 
dans  le  ciel  :  c'étaient  vingt  rayons  lumineux  qui,  s'éle- 
vant  au  nord  du  côté  de  l'orient,  couraient  vers  l'occi- 
dent. Or  le  plus  long,  le  plus  brillant,  dès  qu'il  fut  à  son 
plus  haut  point  d'élévation,  s'éteignit;  et  tous  les  autres, 
après  lui,  s'évanouirent  de  même.  Ils  annoncèrent,  je 
crois,  la  mort  de  Mérovée.  Ce  prince,  toujours  caché  dans 
la  Champagne  Rémoise,  et  n'osant  se  confier  ouvertement 
aux  Austrasiens,  fut  circonvenu  par  les  habitans  de  Té- 
rouanne,  qui  lui  promirent  d'abandonner  son  père  Chilpé- 
ric,  et  de  se  soumettre  à  lui,  s'il  se  présentait.  Il  se  rendit 
promptement  chez  eux,  accompagné  de  quelques  braves. 
Alors  ceux  de  Térouanne,  ne  dissimulant  plus  le  piège  qu'ils 
lui  avaient  tendu,  l'enferment  dans  une  habitation  de  cam- 
pagne, l'entourent  d'hommes  armés,  et  envoient  un  mes- 
sage à  son  père.  A  cette  nouvelle,  le  roi  accourut  en  grande 
hâte.  Mérovée,  qui  était  retenu  dans  une  petite  maison, 
craignant  de  satisfaire  par  de  cruels  supplices  à  la  ven- 
geance de  ses  ennemis,  appelle  à  lui  Gaïlen,  son  serviteur 
fidèle,  et  lui  dit  :  «  Jusqu'ici  nous  n'avons  eu  tous  deux 
«  qu'une  âme  et  qu'une  pensée  :  je  t'en  prie,  ne  souffre 
«  pas  que  je  tombe  entre  les  mains  de  mes  ennemis;  mais 
«  prends  ton  glaive  et  te  précipite  sur  moi.  «  Celui-ci , 
sans  hésiter,  le  perça  de  son  couteau;  et  quand  le  roi  ar- 
riva, il  était  mort.  Plusieurs  personnes  assurèrent  que  les 
paroles  de  Mérovée,  rapportées  plus  haut,  avaient  été 
imaginées  après  coup  par  la  reine;  et  que  Mérovée  avait 


286  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

été  tué  secrètement  par  son  ordre.  Gaïlen  fut  pris;  on 
lui  coupa  les  mains,  les  pieds,  les  oreilles,  l'extrémité 
des  narines,  et,  après  d'autres  tourmens  de  ce  genre,  on 
le  fit  périr  misérablement  (i).  Grindion  fut  attaché  à  luie 
roue,  et  exposé  sur  un  échafaud  élevé.  Gucilion,  autre- 
fois comte  du  palais  du  roi  Sigebert,  eut  la  tête  coupée; 
et  de  même  plusieurs  autres  qui  étaient  venus  avec  Mé- 
rovée  périrent  par  différens  supplices.  On  disait  alors 
dans  le  monde  que  l'évêque  Egidius  et  le  duc  Gontran- 
Boson  avaient  été  pour  beaucoup  dans  la  conduite  de 
cette  trahison;  Gontran ,  parce  que  la  reine  Frédegonde 
lui  voulait  secrètement  du  bien  pour  avoir  tué  Théode- 
bert;  Égidius,  parce  qu'il  lui  était  cher  depuis  long- 
temps. 

XX.  L'empereur  Justin,  ayant  perdu  le  sens,  était 
tombé  en  démence;  et  l'impératrice  Sophie  gouvernait 
seule  l'empire  :  alors  les  peuples,  comme  je  l'ai  dit  au  livre 
précédent  (2),  élurent  césar,  Tibère,  homme  capable,  brave, 
prudent;  large  en  aumônes,  et  zélé  défenseur  des  faibles. 
Comme  il  distribuait  aux  pauvres  une  grande  partie  des 
trésors  amassés  par  Justin,  et  que  l'impératrice  lui  re- 
prochait souvent  en  ces  termes  d'appauvrir  la  république  : 
«  Ce  que  j'ai  amassé  en  plusieurs  années,  ta  prodigalité  le 
«  dissipe  en  peu  de  temps;  »  il  répondait  :  «  Notre  fisc  ne 
«  manquera  jamais,  si  nous  nous  contentons  de  faire  l'au- 
«  mône  aux  pauvres  ou  de  racheter  les  captifs.  Car  c'est 


(i)  Est-ce  comme  ami  du  jeune  prince,  ou  comme  meurtrier  d'uu 
fils  de  roi  qu'il  fut  condamné  à  un  tel  supplice  ?  Peut-être  pour  les 
deux  motifs  à  la  fois.  Quant  aux  deux  autres,  c'est  évidemment  comme 
partisans  de  Mérovée  et  de  Brunehaut  qu'ils  sont  mis  à  mort. 

(•i)  Liv.  IV,  chap.  Sg. 


LIVRE  CINQUIÈME.  287 

«  là  un  grand  trésor,  selon  la  parole  du  Seigneur  :  Faites- 
'c  vous  dans  le  ciel  des  trésors  que  ne  rongent  ni  la 
«  rouille,  ni  les  vers ^  que  des  voleurs  ne  puissent  ni 
«  déterrer  7ii  enlever  {\).  Ainsi,  avec  ce  que  Dieu  nous  a 
«donné,  faisons-nous,  par  le  secours  des  pauvres,  un 
«  trésor  dans  le  ciel,  afin  que  le  Seigneur  daigne  augmen- 
«  ter  nos  biens  sur  la  terre.  »  Et  comme  il  était,  je  le  ré- 
pète, noblement  et  véritablement  chrétien,  tandis  qu'il  se 
faisait  une  joie  de  distribuer  des  secours  aux  pauvres  , 
Dieu  lui  en  donnait  de  plus  en  plus  les  moyens.  Un  jour, 
en  se  promenant  dans  son  palais,  il  vit  sur  le  pavé  d'un 
de  ses  appartemens,  une  dalle  de  marbre  où  était  sculptée 
la  croix  du  Seigneur;  et  il  dit  :  «  O  Seigneur,  nous  forti- 
«  fions  notre  front  et  notre  poitrine  par  le  signe  de  ta 
«  croix;  et  voilà  que  nous  foulons  ta  croix  à  nos  pieds!  » 
Et  à  l'instant  même  il  ordonna  qu'elle  fût  enlevée  :  mais 
quand  on  eut  détaché  et  soulevé  la  pierre,  on  en  trouva 
dessous  une  autre  avec  le  même  signe.  On  l'en  instruisit, 
et  il  la  fit  enlever.  Après  celle-ci ,  on  en  trouva  une  troi- 
sième, pour  laquelle  il  donna  le  même  ordre.  Quand  elle 
fut  enlevée,  on  trouva  un  trésor  composé  de  plus  de  cent 
mille  livres  d'or  (2).  Il  s'en  empara,  et,  selon  sa  coutume, 
fit  des  largesses  aux  pauvres  plus  abondamment  encore. 
Le  Seigneur,  en  récompense  de  sa  bonne  volonté,  ne  le 
laissa  manquer  jamais;  et  il  lui  envoya  plus  tard  une  autre 


(i)  Matth.,  VI,  20. 

(2)  Le  centenarium ,  originairement  poids  de  cent  livres,  avait  cessé 
de  bonne  heure  d'être  un  poids  réel  (B.  G.).  A  peu  près  comme,  plus 
tard,  nos  livres  d'argent,  diminuant  peu  à  peu  de  valeui-,  sont  enfin 
devenues  la  centième  partie  en.viron  de  ce  qu'elles  étaient  dans  le 
principe.  Ainsi  l'expression  du  texte  est  ici  assez  vague  pour  nous.  Il 
n'en  reste  pas  moins  l'idée  d'une  somme  énorme. 


288  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

ressource  que  je  ne  passerai  pas  sous  silence.  Narsès,  ce 
fameux  duc  d'Italie,  avait  dans  une  ville  une  grande  mai- 
son, et  sorti  d'Italie  avec  de  grands  trésors,  il  se  rendit 
dans  cette  ville  (  i  )  ;  fit  creuser  secrètement  dans  sa  maison 
une  grande  citerne,  où  il  entassa  par  milliers  des  cen- 
taines de  livres  d'or  et  d'argent  :  puis  il  fit  tuer  tous  ceux 
qui  en  avaient  connaissance,  à  l'exception  d'un  vieillard 
auquel  il  confia,  sous  serment,  la  garde  de  ce  dépôt.  Or, 
après  la  mort  de  Narsès,  ce  trésor  restait  caché  sous  terre. 
Le  vieillard,  voyant  les  aumônes  continuelles  de  l'empe- 
reur, alla  le  trouver  et  lui  dit  :  «  S'il  doit  m'en  revenir 
«  quelque  profit,  je  te  découvrirai.  César,  un  secret  im- 
«  portant.  —  Dis  ce  que  tu  demandes,  répondit  l'empe- 
«  reur;  car  tu  y  trouveras  ton  profit,  si  tu  nous  apprends 
«  quelque  chose  qui  puisse  nous  être  avantageux.  —  J'ai, 
«  dit  le  vieillard,  le  trésor  de  Narsès  caché  sous  terre;  et 
«  parvenu  à  la  fin  de  ma  vie,  je  ne  puis  me  taire  plus 
«  long-temps.  »  Alors  Tibère  César,  plein  de  joie,  envoie 
sur  les  lieux  ses  serviteurs;  ils  marchent  étonnés,  à  la 
suite  du  vieillard  qui  leur  sert  de  guide  :  ils  parviennent 
à  la  citerne,  la  découvrent,  y  entrent,  et  y  trouvent  tant 
d'or  et  d'argent  que  plusieurs  jours  suffirent  à  peine  pour 
transporter  dehors  tout  ce  qu'elle  contenait.  Par  là,  Ti- 
bère, enrichi,  se  fit  une  joie  de  distribuer  aux  pauvres 
des  aumônes  plus  abondantes. 

(i)  Ce  n'est  pas  à  la  fia  de  ses  expéditions ,  cai-  il  mourut  en  Italie. 
D'après  l'ancien  texte  il  faudrait  traduire  :  entré  en  Italie  avec  de 
grands  trésors.  Mais,  outre  que  la  nouvelle  leçon  autorise  notre  sens, 
il  est  probable  qu'il  avait  acquis  ces  trésors  dans  ses  guerres  en  Italie. 
D'un  autre  côté,  cette  ville  devait  être  en  Orient  près  de  Constanti- 
nople.  Si  elle  eût  été  en  Italie  ,  comment  Tibère  aurait-il  pu  faire 
fouiller  la  maison,  puisque  les  Lombards  étaient  presque  partout  les 
maîtres  ? 


LIVRE  CINQUIÈME.  289 

XXI.  Cependant  un  grand  mouvement  eut  lieu  contre 
les  éveques  Salone  et  Sagittaire.  Elevés  tous  deux  par 
saint  Nisier,  évêque  de  Lyon,  ils  obtinrent  le  diaconat; 
et  de  son  vivant,  furent  établis  éveques,  Salone,  de  l'église 
d'Embrun ,  Sagittaire ,  de  celle  de  Gap.  Mais  une  fois  en 
possession  de  l'épiscopat,  devenus  leurs  maîtres,  ils  com- 
mencèrent à  se  signaler  avec  une  fureur  insensée  par  des 
usurpations,  des  meurtres,  des  homicides,  des  adultères 
et  d'autres  excès.  Un  jour  que  Victor,  évêque  des  Trois- 
Châteaux  (i),  célébrait  la  fête  solennelle  de  sa  naissance, 
ceux-ci,  à  la  tête  d'une  troupe  armée  d'épées  et  de  flèches, 
vinrent  fondre  sur  lui,  déchirèrent  ses  habits,  tuèrent  ses 
servi  teurs,  enlevèrent  les  vases  et  tous  les  apprêts  du  festin^ 
et  laissèrent  l'évêque  honteusement  outragé.  Le  roi  Con- 
tran, instruit  de  ce  fait,  convoqua  un  synode  dans  la  ville 
de  Lyon  (a).  Des  éveques,  réunis  avec  le  bienheureux  pa- 
triarche (3)  Nisier,  discutèrent  le  fait,  et  les  ayant  reconnus 
coupables  des  crimes  dont  ils  étaient  accusés,  ordonnèrent 
que  ceux  qui  avaient  commis  de  tels  excès  fussent  privés  de 
l'honneur  de  l'épiscopat.  Ceux-ci,  sachant  que  le  roi  était 
encore  bien  disposé  en  leur  faveur,  vinrent  à  lui  se  plain- 
dre d'avoir  été  injustement  dépouillés,  et  lui  demander 
la  permission  d'aller  trouver  le  pape  de  la  ville  de  Rome. 


(i)  Saint- Paul-Trois- Châteaux,  en  Dauphiné  (Drôrae,  arrond. 
Montélimart). 

(2)  Deuxième  concile  de  Lyon,  tenu  en  567.  Mais,  dans  les  actes  de 
ce  concile  (tome  1",  des  Anciens  Conciles  de  la  Gaule,  par  Sirmond), 
il  n'est  pas  question  de  Salonius  et  Sagittarius.  Voyez  aussi  les  conciles 
deD.  Labat,  col.  it5g-ii64. 

(5)  Ce  titre,  assez  rare  en  Occident,  est  donné  encore  à  Priscus, 
successeur  de  Nisier,  au  deuxième  concile  de  Mâcon,  et  à  Sulpice, 
évêque  de  Bourges,  dans  une  lettre  de  Didier,  évêque  de  Caliors. 
(Ruin.) 

I.  19 


290  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

Le  roi  consentit  à  leur  demande,  et  leur  donna  par  lettres 
expresses  l'autorisation  de  partir.  Admis  en  présence  du 
pape  Jean  (i),  ils  lui  représentent  qu'ils  ont  été  dépouillés 
sans  aucune  raison  suffisante;  et  le  pape  envoie  au  roi  des 
lettres  avec  injonction  de  les  rétablir  sur  leurs  sièges  (a)  : 
ce  que  le  roi  exécuta  sans  retard,  toutefois  après  leur  avoir 
fait  de  vives  réprimandes.  Mais,  ce  qu'il  y  a  de  pis,  ils 
ne  s'amendèrent  nullement.  Cependant  ils  cherchèrent 
à  apaiser  l'évêque  Victor  en  lui  remettant  les  hommes 
qu'ils  avaient  soulevés  contre  lui.  Mais  celui-ci,  fidèle  au 
précepte  du  Seigneur,  de  ne  pas  rendre  à  ses  ennemis  le 
mal  pour  le  mal ,  ne  leur  fit  aucun  mal  et  les  renvoya 
libres.  Pour  cela  il  fut,  plus  tard,  privé  de  la  commu- 
nion ,  de  ce  qu'après  avoir  accusé  publiquement  des  en- 
nemis, il  les  avait  épargnés  en  secret,  sans  prendre  con- 
seil de  ses  confrères  devant  qui  il  les  avait  accusés.  Mais 
par  la  faveur  du  roi,  il  fut  de  nouveau  reçu  à  la  com- 
munion. Cependant  ces  deux  évêques  se  livraient  de 
jour  en  jour  à  de  plus  grands  crimes;  et  dans  ces  combats 
que  Mummol  livra  aux  Lombards ,  armés  comme  des  laï- 
ques, ainsi  que  je  l'ai  dit  (3),  ils  tuèrent  plusieurs  hommes 
de  leurs  propres  mains.  Dans  leur  colère  ,  ils  sévissaient 
aussi  contre  leurs  concitoyens;  et  ils  en  frappèrent  plu- 
sieurs à  coups  de  bâton  jusqu'à  effusion  de  sang.  Aussi  la 
clameur  du  peuple  arriva  de  nouveau  jusqu'au  roi;  et 


(i)  Jean  III,  pape  de  55g  à  5']i. 

{i)  C'est,  je  crois,  un  des  premiers  exemples  du  droit  que  s'arro- 
gèrent les  papes  de  con fumer  ou  de  casser  les  jugeraens  de  nos  rois 
à  l'égard  des  évêques.  Mais  on  voit  par  le  récit  des  faits  qu'ils  n'y 
auraient  peut-être  pas  songé  si  on  n'était  venu  s'adresser  à  eux,  et 
leur  demander  en  quelque  sorte  un  acte  de  pouvoir  suprême. 

(5)  Liv.  IV.  cha]).  4^- 


LIVRE  CINQUIÈME.  291 

Contran  leur  ordonna  de  se  présenter  au  palais.  Quand  ils 
furent  arrivés,  il  ne  voulut  pas  qu'ils  parussent  devant 
lui ,  mais  qu'ils  fussent  soumis  à  un  interrogatoire  préa- 
lable, pour  s'assurer  qu'ils  étaient  dignes  d'être  admis  en 
présence  du  roi.  Sagittaire,  mécontent  de  ce  procédé, 
s'émut  d'une  violente  colère;  et  cet  homme,  léger,  incon- 
séquent, s'abandonnant  à  un  flux  de  paroles  déraison- 
nables, se  mit  à  déclamer  contre  le  roi,  et  à  dire  que  ses  fils 
ne  pourraient  lui  succéder  au  trône,  parce  que  leur  mère 
avait  été  prise  parmi  les  servantes  de  Magnachaire  (i) 
pour  entrer  dans  le  lit  du  roi;  ignorant  que,  sans  avoir 
égard  à  la  condition  des  femmes,  on  appelle  maintenant 
fils  de  rois  tous  ceux  qui  ont  été  engendrés  par  des  rois. 
Contran,  l'ayant  appris,  fut  irrité  vivement,  et  leur  enleva 
leurs  chevaux,  leurs  serviteurs,  et  tout  ce  qu'ils  pouvaient 
posséder  :  il  ordonna  de  les  enfermer  dans  des  monastères 
fort  éloignés,  pour  qu'ils  y  fissent  pénitence,  ne  leur  lais- 
sant qu'un  seul  clerc  à  chacun;  et  recommanda,  avec  des 
menaces  terribles ,  aux  juges  de  chaque  endroit ,  de  les 
garder  avec  des  hommes  armés,  et  de  ne  laisser  approcher 
personne  pour  les  visiter.  En  ces  jours-là,  les  deux  fils  du 
roi  vivaient  encore.  L'aîné  tomba  malade  :  alors  les  fami- 
liers du  roi ,  s'approchant  de  lui,  dirent  :  «  Si  le  roi  daignait 
«  écouter  favorablement  les  paroles  de  ses  serviteurs,  ils 
«  feraient  entendre  leur  voix  à  tes  oreilles.  — Parlez,  dit 
«  le  roi.  —  Si  ces  évêques,  dirent-ils, avaient  été  condamnés 
'c  à  l'exil  quoique  innocens;  si  le  péché  du  roi  retombait 
«  sur  un  autre,  et  que,  par  suite,  le  fils  de  notre  seigneur 
«  vînt  à  périr? —  Allez  bien  vite,  leur  dit-il;  relâchez-les, 
fc  et  suppliez-les  de  prier  pour  nos  petits  enfans.  »  Ceux-ci 

(i)  Celait  Austréchilde.  — Voyez  iv,  25,  et  v,  17,  avec  la  note. 


292  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

partirent ,  et  les  évêques  furent  mis  en  liberté.  Sortis  de 
leurs  monastères,  ils  se  réunirent  et  s'embrassèrent  parce 
qu'ils  ne  s'étaient  pas  vus  depuis  long-temps  ;  puis  re- 
tournèrent dans  leurs  villes  épiscopales,  tellement  péné- 
trés de  repentir  qu'on  les  voyait  sans  cesse  chanter  des 
psaumes,  jeûner,  faire  l'aumône,  lire  pendant  le  jour  le 
livre  des  poëmes  de  David,  passer  la  nuit  à  chanter  des 
hymnes  et  à  méditer  des  leçons.  Mais  cette  sainteté  ne  se 
soutint  pas  long-temps  parfaite ,  et  ils  retournèrent  à  leurs 
anciens  égaremens.  Ils  passaient  la  plupart  des  nuits  à 
festiner  et  à  boire,  et  tandis  que  les  clercs  chantaient  les 
matines  dans  l'église,  ils  demandaient  des  coupes,  et  fai- 
saient des  libations  de  vin.  Ils  ne  parlaient  plus  de  Dieu, 
ne  songeaient  plus  à  dire  leurs  heures.  Quittant  la  table  au 
retour  de  l'aurore,  ils  se  couvraient  de  vetemens  moel- 
leux, et  dormaient,  ensevelis  dans  le  vin  et  le  sommeil, 
jusqu'à  la  troisième  heure  du  jour.  En  même  temps,  ils 
ne  se  faisaient  pas  faute  de  femmes  pour  se  souiller  avec 
elles.  Puis  ils  se  levaient ,  prenaient  le  bain ,  se  mettaient  à 
table,  et  n'en  sortaient  plus  que  le  soir;  alors  ils  s'em- 
pressaient de  commencer  leur  souper,  qui,  comme  je  l'ai 
dit,  se  prolongeait  jusqu'au  lendemain.  Telle  était  leur 
vie  de  tous  les  jours,  jusqu'à  ce  que  la  colère  de  Dieu  vint 
fondre  sur  eux,  ainsi  que  nous  le  dirons  dans  la  suite  (i). 

XXII.  En  ce  temps,  le  Breton  Winnoch,  qui  portait 
l'abstinence  au  plus  haut  point  de  perfection,  vint  de 
Bretagne  à  Tours,  avec  le  désir  de  se  rendre  à  Jérusalem. 
Il  n'avait  pour  vêtement  que  des  peaux  de  brebis  dépouil- 
lées de  leur  laine.  Dans  l'espoir  de  le  retenir  plus  faci- 

(t)  Liv.  VII,  cliap.  ?>Ç). 


LIVRE  CINQUIÈME.  293 

lement,  comme  il  nous  paraissait  très  religieux,  nous  lui 
conférâmes,  par  faveur,  la  dignité  de  la  prêtrise. 

Ingiltrude  avait  une  pieuse  coutume  :  c'était  de  recueillir 
de  l'eau  du  sépulcre  de  saint  Martin  (i).  Cette  eau  venant 
à  lui  manquer,  elle  fit  porter  au  tombeau  du  bienheureux 
un  vase  rempli  de  vin.  Après  qu'il  y  fut  resté  toute  la  nuit, 
elle  l'envoya  prendre  en  présence  du  prêtre;  et  quand  on 
le  lui  eut  apporté,  elle  dit  au  prêtre  :  «Ote  de  ce  vin,  et 
a  verse-s-y  une  seule  goutte  de  cette  eau  bénite  dont  il  me 
«  reste  un  peu.  »  Ce  qu'il  fit  :  et,  chose  étonnante,  le  vase, 
qui  n'était  qu'à  moitié,  se  trouva  rempli  quand  une  seule 
goutte  y  fut  tombée.  On  le  vida  deux  ou  trois  fois,  et  de 
même  une  seule  goutte  le  remplit  toujours.  Or  on  ne  peut 
douter  que  ce  prodige  n'ait  été  opéré  par  la  vertu  de 
saint  Martin. 

XXIII.  Ensuite  Samson ,  le  plus  jeune  des  fils  du  roi 
Chilpéric,  attaqué  de  la  dysenterie  et  de  la  fièvre,  sortit 
de  ce  monde.  H  était  né  au  moment  où  Chilpéric  était 
assiégé  dans  Tournai  par  son  frère  (2);  et  sa  mère,  trou- 
blée par  la  crainte  de  la  mort,  l'avait  rejeté  loin  d'elle,  et 
voulait  le  faire  périr.  Mais  n'ayant  pu  réussir,  et  répri- 
mandée par  le  roi ,  elle  le  fit  baptiser  ;  et  l'évêque  lui- 
même  (3)  le  tint  sur  les  fonts  du  baptême  :  mais  il  mourut 
avant  d'avoir  accompli  un  lustre  entier.  Sa  mère  Fréde- 


(i)  C'était  probablement  une  source  ou  un  puits  près  du  tombeau, 
comme  il  y  en  avait  un  dans  l'église  de  Saint-Germain- des-Prés. 
Voyez  Abbon.,  11,  558. — 11  est  question  d'ïngiltrude,  liv.  ix,  chap.  53, 
et  X,  chap.  12. 

(2}  Liv.  IV,  chap.  32. 

(5)  Chrasmare ,  à  ce  qu'on  pense  ;  évêque  en  même  temps  de  Tour- 
nai et  de  Noyon. 


294  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

gonde  fut  aussi  gravement  malade  en  ce  temps-là,  mais 

elle  recouvra  la  santé. 


XXIV.  Puis,  dans  la  nuit  du  troisième  jour  des  ides 
de  novembre  (i),  tandis  que  nous  célébrions  les  vigiles 
de  saint  Martin,  un  grand  prodige  nous  apparut.  Au  mi- 
lieu de  la  lune,  on  vit  luire  une  étoile  brillante;  près 
d'elle  on  aperçut  d'autres  étoiles  au-dessus  et  au-dessous; 
et  à  l'entour  se  dessina  ce  cercle  qui  annonce  ordinaire- 
ment la  pluie.  Mais  que  signifiaient  tous  ces  prodiges , 
nous  l'ignorons.  Souvent,  cette  année-là,  nous  vîmes  la 
lune  s'obscurcir;  et  avant  la  nativité  du  Seigneur,  on 
entendit  des  éclats  de  tonnerre.  On  vit  autour  du  soleil, 
comme  avant  le  désastre  de  l'Auvergne,  ces  météores  lu- 
mineux, dont  nous  avons  parlé  (2),  que  les  paysans  ap- 
pellent des  soleils.  On  assure  que  la  mer  sortit  de  ses 
limites  :  et  il  apparut  beaucoup  d'autres  signes. 

XXV.  Gontran-Boson,  étant  venu  à  Tours  avec  quelques 
hommes  armés,  enleva  de  force  ses  filles,  qu'il  avait  lais- 
sées dans  la  sainte  basilique,  et  les  conduisit  jusqu'à  Poi- 
tiers, qui  appartenait  au  roi  Childebert.  Mais  le  roi  Chil- 
péric  envahit  le  Poitou,  et  ses  hommes  mirent  en  fuite 
les  hommes  de  son  neveu.  Puis  ils  amenèrent  en  sa  pré- 
sence Ennodius,  ancien  comte  de  cette  cité.  Celui-ci  fut 
condamné  à  l'exil,  et  ses  biens  furent  confisqués;  mais  au 
bout  d'un  an  on  lui  rendit  ses  biens  et  sa  liberté  (3). 


(i)  La  nuit  appartenant  au  jour  qui  suit,  et  non  pas  à  celui  qui  pré- 
cède :  c'est  ici  la  nuit  du  lo  au  1 1  novembre.  Le  1 1  novembre,  fête  de 
saint  Martin,  et  le  troisième  des  ides  de  novembre. 

(2)  Liv.  IV,  chap.  3i. 

(3)  Liv.  viii,  chap.  26. 


LIVRE  CINQUIÈME.  295 

Gontran-Boson,  ayant  laissé  ses  filles  dans  la  basilique  de 
Saint-Hilaire,  se  rendit  auprès  du  roi  Childebert  (i). 

XXVI.  La  troisième  année  du  roi  Childebert,  qui  était 
la  dix-septième  de  Chilpéric  et  de  Gontran  (2),  Daccon , 
fils  de  défunt  Dagaric,  quitta  le  roi  Chilpéric  :  et  comme 
il  errait  ça  et  là,  il  fut  pris  en  trahison  par  le  duc  Dra- 
colen,  dit  l'Industrieux.  Celui-ci  le  conduisit,  chargé  de 
chaînes,  auprès  de  Chilpéric,  à  Braine,  après  lui  avoir 
promis  par  serment  de  lui  obtenir  du  roi  la  vie  sauve. 
Mais  au  mépris  de  son  serment,  il  l'accusa  auprès  du 
prince  de  crimes  odieux ,  et  insista  pour  qu'il  fût  mis  à 
mort.  Daccon  retenu  dans  les  fers,  et  ne  voyant  aucun 
espoir  d'échapper,  demanda,  à  l'insu  du  roi,  l'absolution 
à  un  prêtre;  et  quand  il  l'eut  reçue,  on  le  fit  mourir  (3). 
Dans  le  temps  où  Dracolen  se  hâtait  de  retourner  dans 
sa  patrie  (4),  Gontran-Boson  s'efforçait  d'enlever  ses  filles 
de  Poitiers.  Dracolen,  à  cette  nouvelle,  se  présente  à 
lui  pour  l'attaquer;  mais  la  troupe  de  Gontran,  qui  était 
sur  ses  gardes,  résista  et  se  disposa  à  se  défendre.  Ce- 
pendant Gontran  lui  envoya  un  de  ses  amis,  en  disant  : 
«  Va,  et  dis-lui  :  «Tu  sais  qu'un  traité  existe  entre  nous; 


(i)  Gontran-Boson  avait-il  été  originairement  attaché  à  Chilpéric  ? 
Cependant  nous  le  voyons ,  iv,  5i,  mis  par  Sigebert  à  la  tète  de  l'armée 
destinée  à  combattre  Théodebert  ;  et  c'est  parce  qu'on  lui  imputa  sa 
mort,  qu'il  se  réfugia  dans  la  basilique  de  Saint-Martin,  v,  4- 

(•2)  An  578. 

(5)  On  sait  qu'anciennement  les  criminels  condamnés  à  mort  étaient 
privés  des  secours  de  la  religion.  Ce  n'est  qu'en  1097  (  lettres  royales 
du  12  février  iSgô)  qu'ils  purent  être  confessés  avant  d'être  conduits 
au  supplice.  (  Ordonn.  royales,  tom.  vm,  p.  122.  ) 

(4)  Le  Poitou ,  probablement ,  ou  quelque  contrée  voisine. 


296  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  je  t'en  prie ,  cesse  de  me  vouloir  du  mal  :  prends  de  mes 
«  richesses  ce  que   tu  voudras ,  je  ne  m'y  oppose  pas  ; 
«  mais,  dépouillé  de  tout,  que  je  puisse  seulement  aller 
«  avec  mes  filles  où  il  me  plaira.  »   Dracolen ,  homme 
vain  et  inconsidéré ,  répondit  :  «  Voilà  la  corde  qui  a  lié 
«  d'autres  coupables  que  j'ai  conduits  au  roi  ;  elle  servira 
«  aujourd'hui  à  lier  cet  homme,  qui  sera  conduit  de  même, 
«  garrotté  comme  eux.  »  A  ces  mots,  il  presse  son  cheval 
à  coups  d'éperons,  et  se  précipite  sur  Contran  ;  mais  ayant 
porté  un  coup  à  faux,  sa  lance  se  brisa,  et  le  fer  tomba 
à  terre.  Contran ,  voyant  la  mort  suspendue  sur  sa  tête , 
invoqua  le  nom  du  Seigneur  et  la  vertu  toute  puissante  de 
saint  Martin;  puis  levant  sa  lance,  il  en  frappe  Dracolen 
à  la  gorge,  et  l'enlève  de  dessus  son  cheval  :  et  tandis  qu'il 
le  tenait  ainsi  suspendu,  un  de  ses  amis  l'acheva  d'un  coup 
de  lance  dans  le  côté.  Les  compagnons  de  Dracolen  prirent 
la  fuite  :  et,  après  l'avoir  dépouillé,  Contran  se  retira  li- 
brement avec  ses  filles.  Ensuite  Sévère,  son  beau-père,  fut 
gravement  accusé  près  du  roi  par  ses  propres  fils.  A  cette 
nouvelle,  il  se  rend  auprès  du  roi  avec  de  grands  présens; 
mais  arrêté  en  route,  et  dépouillé  de  tout,  il  fut  conduit 
en  exil,  et  y  périt  misérablement.  Quant  à  ses  deux  fils, 
Bursolen  et  Dodon ,  condamnés  à  mort  pour  crime  de  lèse- 
majesté,  l'un  fut  tué  par  une  troupe  envoyée  contre  lui; 
l'autre,  arrêté  dans  sa  fuite,  eut  les  pieds  et  les  mains 
mutilés,  et  mourut  ainsi.  Tous  leurs  biens,  ainsi  que  ceux 
de  leur  père,  furent  réunis  au  fisc.  Or  ils  possédaient  de 
grandes  richesses. 

XXVII.  Ensuite  les  hommes  de  la  Touraine,  du  Poi- 
tou ,  du  Bessin,  du  Maine,  de  l'Anjou,  et  plusieurs  autres 
peuples,  d'après  l'ordre  du  roi  Chilpéric,  marchèrent  en 


LIVRE  CINQUIÈME.  297 

Bretagne  contre  Waroch,  filsde  Macliau(r),et  s'arrêtèrent 
en  sa  présence  sur  les  bords  de  la  Vilaine.  Mais  lui ,  tombant 
par  ruse,  pendant  la  nuit,  sur  les  Saxons  du  Bessin  (2),  en 
tua  une  grande  partie.  Trois  jours  après,  il  fit  la  paix  avec 
les  généraux  du  roi  Chilpéric,  et ,  donnant  son  fils  en  otage, 
s'engagea  par  serment  à  rester  fidèle  au  roi  Cbilpcric.  Il 
lui  rendit  même  la  ville  de  Vannes  (3),  à  condition  que 
si  le  roi  daignait  lui  en  accorder  le  gouvernement,  il  lui 
paierait  cliaque  année ,  sans  attendre  aucune  sommation  , 
tous  les  tributs  que  devait  cette  ville.  L'affaire  ainsi  con- 
clue, l'armée  se  retira.  Ensuite  le  roi  Chilpéric  condamna 
à  l'amende ,  pour  faute  de  service  militaire ,  les  pauvres 
et  les  jeunes  serviteurs  de  l'église  et  de  la  basilique  (4), 
parce  qu'ils  n'avaient  pas  marché  avec  l'armée  :  or  ce 
n'était  pas  l'usage  qu'ils  fussent  soumis  à  aucun  service 
public.  Puis  Waroch  oubliant  sa  promesse ,  et  voulant 
annuler  ce  qui  s'était  fait,  envoya  auprès  de  Chilpéric 
Eunius,  évêque  de  Vannes.  Mais  le  roi,  irrité,  tança  vive- 
ment Eunius,  et  le  fit  condamner  à  l'exil. 

XXVIII.  La  quatrième  année  de  Childebert ,  qui  fut  la 


(i)  Dont  il  a  été  question,  iv,  4,  et  v,  16.  La  Yilaine  semble  ici  la 
limite  de  la  Bretagne  indépendante.  Voyez  notre  note  sur  le  chap.  4, 
du  livre  iv. 

(■2)  C'étaient  des  Saxons  établis,  dès  les  iv*  et  v*  siècles,  dans  le 
Bessin,  et  sur  les  frontières  de  la  cité  de  Nantes.  Fortunat,  ni,  8,  loue 
Félix,  évêque  de  Nantes,  d'avoir  soumis  les  Saxons  à  la  loi  du  Christ. 
(  Ruin.  ) 

(3)  Voyez  la  note  c  du  livre  iv,  chap.  4- 

(4)  Il  ne  s'agit  ici,  je  crois,  que  de  l'éghse  de  Tours,  et  du  mona- 
stère de  Saint-Martin.  —  Nous  avons  ici  traduit  les  deux  mots,  pau- 
perex,  juniores,  de  manière  à  leur  laisser  le  sens  général  et  vague 
qu'ils  semblent  avoir  en  latin.  Sur  le  sens  plus  précis  qu'on  peut  leur 
donner,  voyez  Eclairciss.  el  obseiv.  (Note  c.) 


298  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

dix-huitième  de  Gontran  et  de  Chilpéric  (i),  un  concile 
se  rassembla  à  Chalon-sur-Saône,  par  ordre  du  prince 
Gontran  :  et,  après  avoir  discuté  différentes  affaires,  on 
renouvela  l'ancien  procès  contre  les  évêques  Salone  et  Sa- 
gittaire (2).  Là  furent  exposés  tous  les  griefs  à  leur  charge; 
et  on  les  accusa  non  seulement  d'adultères,  mais  encore 
d'homicides.  Gomme  les  évêques  étaient  d'avis  de  leur  faire 
expier  leurs  crimes  par  la  pénitence,  on  ajouta  qu'ils 
étaient  coupables  de  lèse -majesté,  et  traîtres  à  la  patrie. 
Pour  ce  motif,  ils  furent  dépouillés  de  l'épiscopat,  et  ren- 
fermés, sous  une  surveillance  sévère,  dans  la  basilique 
de  Saint- Marcel  :  mais  ils  s'en  échappèrent,  et  errèrent 
en  divers  lieux.  D'autres  évêques  furent  mis  à  leur 
place  (3). 

XXIX.  Cependant  le  roi  Chilpéric  fit  dresser  par  tout 
son  royaume  des  rôles  pour  de  nouvelles  impositions;  elles 
étaient  très  pesantes.  Pour  ce  motif  plusieurs,  abandon- 
nant les  villes  de  ce  pays  et  leurs  propres  possessions ,  se 
réfugièrent  dans  d'autres  royaumes,  aimant  mieux  vivre 
parmi  des  étrangers  que  de  rester  exposés  à  un  tel  péril. 
En  effet,  il  avait  été  statué  que  chaque  propriétaire  paie- 
rait pour  sa  terre  une  amphore  (4)  de  vin  par  arpent  (5). 


(i)  An  579. 

(2)  Voyez  chap.  21. 

(3)  Aridius  fut  mis  à  la  place  de  Sagittaire  :  Emeiite  remplaça 
Salone.  Tous  deux  assistèrent  au  deuxième  concile  de  Màcon,  an  585. 

(4)  L'amphore  contenait  vingt-six  litres  et  demi ,  selon  le  traduc- 
teur français  des  Antiquités  romaines  d'Adam.  Vingt-six  litres  seule- 
ment, suivant  M.  Bureau  de  la  Malle,  dans  les  Me'm.  de,  l'Acad.  des 
Inscript.,  tom   xii,  part.  11,  p.  023. 

(5)  11  s'agit  ici  de  l'arpent  gaulois,  ou  aripennis,  moitié  du  jugeruni. 
Or  le  jugerum  valait,  suivant  M.  Dureau  de  la  Malle  (iùid.,  p.  3i8), 


LIVRE  CINQUIÈME.  299 

On  avait  aussi  imposé ,  pour  les  autres  terres  et  pour  les 
esclaves,  d'autres  charges  nombreuses  qu'il  était  impos- 
sible d'acquitter.  Le  peuple  du  Limosin,  se  voyant  acca- 
blé sous  le  faix,  se  réunit  aux  calendes  de  mars,  et  voulut 
tuer  Marc,  le  référendaire,  chargé  du  recouvrement  des 
impôts;  et  il  l'aurait  fait,  si  l'évêque  Ferréol  (i)  ne  l'eût 
délivré  d'un  péril  imminent.  La  multitude  ameutée  sai- 
sit aussi  les  registres  de  recensement  et  les  livra  aux 
flammes.  Aussi  le  roi,  fort  mécontent,  après  avoir  envoyé 
sur  les  lieux  des  inspecteurs  partis  de  son  palais  (2),  ruina 
ce  peuple  par  des  amendes,  l'effraya  par  des  supplices, 
et  punit  de  mort  plusieurs  citoyens.  On  rapporte  que  des 
abbés  et  des  prêtres,  attachés  à  des  poteaux,  subirent  di- 
vers tourmens,  parce  que  les  envoyés  royaux  les  avaient 
accusés  d'avoir  animé  le  peuple  dans  la  sédition  où  furent 
brûlés  les  registres.  On  établit  ensuite  des  impôts  encore 
plus  durs  qu'auparavant. 

XXX.  Les  Bretons,  de  leur  côté,  ravagèrent  les  envi- 
rons de  Rennes,  brûlant,  pillant,  et  emmenant  les  habi- 
tans  captifs;  et  ils  s'avancèrent  en  vainqueurs  jusqu'au 
bourg  de  Cornutz  (3).  L'évêque  Eunius,  rappelé  de  l'exil , 


25,28  ares  :  ce  qui  donne  12,64  pour  Vaiipennis.  L'arpent  de  Paris, 
contenant  cent  perches  carrées,  de  dix-huit  pieds  chacune,  a  été 
trouvé  équivalent  à  34,1887  ares. 

(i)  Il  en  est  question  encore  liv.  vu,  chap.  10. 

(2)  C'est  la  première  mention  qui  soit  faite  dans  notre  histoire  de 
ces  envoyés  royaux  (légats  a  latere),  si  célè-bres  depuis,  sous  le  nom 
de  missi  dominici.  Voyez  liv.  iv,  chap.  i5,  où  cette  expression  est 
employée  pour  signiûer  des  amis  intimes  du  prince,  plutôt  que  des 
officiers  chargés  par  lui  d'une  mission  puljlique. 

(5)  On  croit  que  c'est  aujourd'hui  Saint- Aubin-du-Cormier  (Ille-et- 
Vilainc,  arr.  de  Fougère),  (lluin.) 


30b  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

fut  envoyé  à  Angers  pour  y  vivre;  mais  on  ne  lui  permit 
pas  de  retourner  dans  sa  ville  de  Vannes.  Le  duc  Beppo- 
len,  envoyé  contre  les  Bretons,  dévasta,  par  le  fer  et  le 
feu ,  quelques  cantons  de  la  Bretagne  :  ce  qui  irrita  encore 
plus  leur  fureur. 

XXXI.  Tandis  que  ceci  se  passait  dans  les  Gaules,  Jus- 
tin, après  dix-huit  ans  de  règne  (i),  termina  seulement 
avec  la  vie  cet  état  de  démence  où  il  était  tombé.  Quand 
il  fut  enseveli,  Tibère  César  s'empara  de  l'empire,  auquel 
il  était  associé  depuis  long -temps.  Le  peuple  attendait 
qu'il  se  présentât  au  spectacle  du  cirque,  selon  la  cou- 
tume de  ce  pays;  et  préparait  contre  lui  une  attaque  sou- 
daine en  faveur  de  Justinien,  neveu  de  Justin  :  mais  il  se 
rendit  aux  saints  lieux,  et,  après  avoir  achevé  sa  prière, 
appelant  à  lui  le  pape  de  la  ville,  il  entra  dans  son  palais 
avec  les  consuls  et  les  préfets.  Là,  revêtu  de  la  pourpre, 
couronné  du  diadème,  élevé  sur  le  trône  impérial,  il  se 
fit  reconnaître  pour  empereur  au  milieu  d'innombrables 
acclamations.  Les  factieux  qui  l'attendaient  au  cirque , 
apprenant  ce  qui  s'était  passé,  se  retirèrent  couverts  de 
honte,  sans  avoir  rien  fait,  incapables  de  prévaloir  contre 
un  homme  qui  avait  mis  en  Dieu  son  espérance.  Peu  de 
jours  après,  Justinien  vint  se  jeter  aux  pieds  de  l'empe- 
reur, et  lui  offrit  quinze  cents  livres  d'or  (2)  en  recon- 
naissance de  son  pardon;  et  Tibère,  l'accueillant  avec  sa 
clémence  ordinaire,  le  fit  loger  dans  le  palais.  Mais  l'im- 
pératrice  Sophie,  oubliant  les  promesses  qu'elle  avait 


(i)  Erreur.  Justin  régna  i3  ans,  de  565  à  578. 
{2)  Voyez  la  note  2,  p.  287,  cha}).  20. 


LIVRE  CINQUIÈME.  301 

faites  à  Tibère,  tenta  contre  lui  un  nouveau  complot. 
Tandis  qu'il  était  allé  à  la  campagne  pour  y  prendre,  se- 
lon l'usage  des  empereurs,  le  plaisir  de  la  vendange  pen- 
dant trente  jours,  Sophie,  ayant  fait  appeler  en  secret 
Justinien,  voulut  l'élever  à  l'empire.  A  cette  nouvelle, 
Tibère  accourut  à  Constantinople,  fit  saisir  Sophie,  la 
dépouilla  de  tous  ses  trésors,  et  ne  lui  laissa  que  les 
moyens  de  subvenir  à  sa  nourriture  quotidienne.  Lui 
ayant  retiré  tous  ses  serviteurs,  il  lui  en  donna  d'autres, 
choisis  parmi  ses  fidèles,  en  leur  recommandant  de  ne  lais- 
ser approcher  d'elle  aucun  des  anciens.  Il  fit  des  reproches 
à  Justinien;  néanmoins  il  le  chérit  dans  la  suite  au  point 
qu'il  promit  sa  propre  fille  pour  épouse  à  son  fils,  et  en 
retour  demanda  pour  son  propre  fils  la  fille  de  Justinien. 
Mais  la  chose  n'eut  pas  lieu.  Son  armée  vainquit  ensuite 
les  Perses,  et,  revenue  victorieuse,  rapporta  une  telle 
masse  de  butin,  qu'elle  semblait  capable  d'assouvir  la  cu- 
pidité humaine.  Vingt  éléphans  furent  pris  et  amenés  à 
l'empereur. 

XXXII.  Cette  année  les  Bretons  commirent  de  grands 
dégâts  aux  environs  de  Nantes  et  de  Rennes.  Ils  enle- 
vèrent un  immense  butin;  coururent  la  plaine;  dépouil- 
lèrent les  vignes  de  leurs  fruits;  et  emmenèrent  des  captifs. 
L'évêque  Félix  leur  ayant  envoyé  une  députation  ,  ils 
promirent  de  réparer  le  mal;  mais  ils  ne  voulurent  accom- 
plir aucune  de  leurs  promesses. 

XXXIII.  A  Paris,  une  femme  fut  accusée,  sur  l'asser- 
tion de  plusieurs  personnes,  d'abandonner  son  mari,  et 
d'avoir  commerce  avec  un  autre  homme.  Les  parens  du 
mari  allèrent  donc  trouver  son  père,  et  lui  dirent  :  «Ou 


302  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«justifie  ta  fille  (i);  ou  qu'elle  meure,  pour  que  ses 
«  désordres  n'impriment  point  une  tache  à  notre  famille. 
«  —  Je  sais,  dit  le  père,  que  ma  fille  est  sans  reproche; 
«  et  ceci  est  un  mensonge  que  répètent  des  méchans. 
«  Cependant,  pour  que  l'accusation  n'aille  pas  plus  loin, 
«  je  justifierai  de  son  innocence  par  un  serment.  —  Si 
«elle  est  innocente,  dirent-ils,  affirme-le  par  serment, 
«  sur  le  tombeau  du  bienheureux  martyr  Denis.  —  Je  le 
«  ferai,  »  répondit  le  père.  Ces  conventions  arrêtées,  ils 
se  réunirent  dans  la  basilique  du  saint  martyr;  et  le  père, 
élevant  ses  mains  sur  l'autel,  jura  que  sa  fille  n'était  pas 
coupable.  Mais  les  autres,  du  côté  du  mari,  déclarèrent 
qu'il  avait  fait  un  faux  serment.  A  la  suite  de  cette  alter- 
cation, ils  tirent  leurs  épées,  se  précipitent  les  uns  sur 
les  autres,  et  se  frappent  en  présence  même  de  l'autel.  Or, 
c'étaient  des  hommes  de  la  plus  haute  naissance,  et  les 
premiers  auprès  du  roi  Chilpéric.  Plusieurs  sont  blessés  par 
le  glaive;  la  sainte  basilique  est  arrosée  de  sang  humain; 
les  portes  sont  percées  de  javelots  et  d'épées,  et  les  armes 
exercent  leur  fureur  impie  jusque  auprès  du  tombeau 
même.  A  grand'peine  apaisa-t-on  cette  querelle;  mais  l'é- 
glise resta  privée  de  la  célébration  du  culte  .(2),  jusqu'à  ce 
que  le  roi  eût  été  instruit  de  tout.  Les  auteurs  du  désordre, 
étant  venus  se  présenter  au  prince,  ne  furent  pas  reçus 
en  grâce;  mais  il  les  renvoya  à  l'évêque  du  lieu,  parce 
que,  s'ils  étaient  trouvés  coupables,  il  ne  convenait  pas 
qu'ils  fussent  admis  à  la  communion.  Ayant  donc  com- 

(i)  Jdoneus,  i.  e.  sine  crimine,  sans  reproche.  Se  idonearc,  se  jus- 
tifier ;  idoiieum  facere ,  vel  reddere  aliquem,  justifier  quelqu'un, 
prouver  son  innocence. 

('i)  L'église  où  avait  été  répandu  le  sang  humain  était  interdite 
jusqu'à  ce  qu'elle  eût  été  purifiée. 


LIVRE  CINQUIÈME.  303 

posé  pour  leur  méfait,  ils  furent  reçus  à  la  communion 
de  l'église  par  Ragnemod,  alors  évêque  de  Paris.  Quant 
à  la  femme,  appelée  en  jugement  peu  de  jours  après,  elle 
finit  ses  jours  par  la  corde. 

XXXIV.  La  cinquième  année  du  roi  Childebert  (i) 
une  espèce  de  déluge  pesa  sur  la  contrée  d'Auvergne  : 
pendant  douze  jours  la  pluie  tomba  sans  relâche,  et  la 
Limagne  fut  tellement  inondée,  qu'en  beaucoup  d'en- 
droits on  ne  put  ensemencer  les  terres.  Les  grands  fleuves, 
comme  la  Loire  et  le  Flavaris,  qu'on  appelle  Allier,  et  les 
autres  torrens  qui  s'y  jettent,  se  gonflèrent  au  point  de 
dépasser  les  bornes  qu'ils  n'avaient  jamais  franchies  :  ce 
qui  détruisit  une  grande  quantité  de  troupeaux,  gâta 
beaucoup  de  terres  cultivées,  abattit  et  submergea  plu- 
sieurs édifices.  De  même  le  Rhône  uni  à  la  Saône  se 
déborda,  causa  de  grands  dommages  aux  habitans,  et  renr 
versa  en  partie  les  murs  de  Lyon.  Quand  les  pluies  se 
furent  calmées,  les  arbres  fleurirent  de  nouveau,  quoique 
au  mois  de  septembre  (2).  Cette  année,  en  Touraine,  un 
matin,  avant  la  lumière  du  jour,  on  vit  un  feu  brillant 
traverser  le  ciel,  et  s'abaisser  du  côté  de  l'orient.  On  en- 
tendit aussi,  dans  toute  cette  contrée,  comme  le  son  d'un 
arbre  qui  se  brise  ;  mais  on  ne  peut  croire  que  ce  bruit 
vînt  d'un  arbre ,  puisqu'il  se  fit  entendre  dans  l'espace  de 
cinquante  milles  et  plus.  La  même  année,  la  ville  de  Bor- 
deaux fut  violemment  ébranlée  par  un  tremblement  de 
terre,  et  les  murs  de  la  ville  menacèrent  de  s'écrouler  : 
aussi,  tout  le  peuple  fut  tellement  effrayé  par  la  crainte 


(i)  An58o. 

(7)  Eu  octobro,  selon  la  chr.  <lc  Marius,  an  fïSo. 


304  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

de  la  mort,  qu'il  se  croyait  bientôt  englouti  avec  la  ville 
s'il  ne  prenait  la  fuite.  Plusieurs  même  se  retirèrent  en 
d'antres  pays.  La  secousse  s'étendit  aux  cités  voisines,  et 
atteignit  même  l'Espagne,  mais  beaucoup  moins  forte. 
Cependant  des  monts  Pyrénées  se  détachèrent  d'immenses 
quartiers  de  roches  qui  écrasèrent  les  troupeaux  et  les 
hommes.  Un  incendie, qui  éclata  comme  par  miracle,brûla 
les  villages  aux  environs  de  Bordeaux;  et  saisies  subite- 
ment par  le  feu,  les  maisons,  les  granges,  les  moissons, 
périrent  consumées,  sans  que  la  flamme  fût  excitée  par 
aucune  cause  étrangère ,  si  ce  n'est  peut-être  par  la  volonté 
divine.  La  ville  d'Orléans  fut  aussi  ravagée  par  un  cruel 
incendie,  qui  ne  laissa  rien,  même  aux  plus  riches;  et  si 
quelqu'un  sauvait  du  feu  quelques  effets,  ils  lui  étaient 
enlevés  par  des  voleurs  attachés  après  lui.  Dans  le  pays 
Chartrain,  il  coula  du  véritable  sang  à  la  fraction  du 
pain  (i).  La  cité  de  Bourges  fut  aussi  battue  violemment 
de  la  grêle. 

XXXV.  Ces  prodiges  furent  suivis  d'une  cruelle  con- 
tagion :  pendant  les  discordes  des  rois  et  leurs  prépara- 
tifs pour  une  nouvelle  guerre  civile ,  une  maladie  d'en- 
trailles envahit  presque  toutes  les  Gaules.  Ceux  qui  en 
étaient  attaqués  éprouvaient  une  forte  fièvre  accompagnée 
de  vomissemens,  une  grande  douleur  de  reins,  une  lour- 
deur dans  la  tête  et  dans  le  cou.  Les  matières  que  la  bouche 
rejetait  étaient  jaunes  ou  verdâtres.  Plusieurs  attribuaient 
le  mal  à  un  poison  secret.  Au  dire  des  paysans,  c'étaient 
des  pustules  au  cœur  (2)  :  ce  qui  n'est  pas  incroyable  ; 


(i)  A  l'aulel,  après  la  consécration, 

(2)  Ou  peut-être  des  boutons  intérieurs.  En  vieux  français  on  ap- 


LIVRE  CINQUIÈME.  305 

car,  lorsqu'on  appliquait  des  ventouses  aux  épaules  ou  aux 
jambes,  et  que  les  cloches  qui  s'étaient  élevées  venaient 
à  s'ouvrir,  il  en  découlait  un  sang  corrompu  ;  ce  qui  en 
sauva  plusieurs  :  pour  la  plupart  des  autres,  les  herbes 
qui  combattent  les  poisons,  prises  dans  des  breuvages, 
furent  le  remède  le  plus  salutaire.  Cette  maladie,  qui  avait 
commencé  au  mois  d'août,  attaqua  d'abord  les  jeunes  en- 
fans,  et  les  fit  périr.  Alors  nous  perdîmes  nos  doux  et 
chers  petits  enfans  que  nous  avions  réchauffés  dans  notre 
sein,  portés  dans  nos  bras,  nourris  avec  la  tendresse  la 
plus  éclairée ,  en  leur  présentant  les  alimens  de  notre 
propre  main  (r ).  Mais  après  avoir  essuyé  nos  larmes,  nous 
avons  dit  avec  le  bienheureux  Job  :  Le  Seigneur  me  les 
a  donnés ,  le  Seigneur  me  les  a  otés  ;  tout  s'est  Jciit 
comme  il  a  plu  a  Dieu  :  que  son  nom  soit  béni  dans 
les  siècles  (a). 

En  ces  jours-là  le  roi  Chilpéric  fut  sérieusement  ma- 
lade; et  quand  il  fut  convalescent,  son  plus  jeune  fils,  qui 
n'était  pas  encore  régénéré  par  l'eau  et  le  Saint-Esprit, 
tomba  malade  à  son  tour.  Le  voyant  à  l'extrémité ,  ils  le 
lavèrent  dans  les  eaux  du  baptême.  Il  était  un  peu  mieux, 
quand  son  frère  aîné,  Chlodobert,fut  attaqué  de  la  même 
maladie.  Sa  mère  Frédegonde,  le  voyant  en  danger  de 
mort,  saisie  d'un  repentir  tardif,  dit  au  roi  :  «  Long-temps 
«  la  miséricorde  divine  a  supporté  nos  mauvaises  actions  : 


pelait  corailles,  non  seulement  le  cœur  et  les  régions  voisines,  mais 
encore  les  intestins  en  général.  Voyez  Ducange,  Gloss. ,  au  mot 
corallum. 

(i)  On  ne  peut  guère  douter  que  notre  historien  ne  parle  ici  de 
deux  enfans  dont  il  était  le  père.  Voyez  notre  note  2,  p.  9.9,  sur  le 
chap.  12  du  liv.  iv. 

(2)   Job,    1,21. 

I.  20 


306  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  elle  nous  a  avertis  par  des  fièvres  et  d'autres  maux;  et 
«  nous  ne  nous  sommes  point  amendés.  Maintenant  nous 
«  perdons  nos  fiis;  maintenant  les  larmes  des  pauvres,  les 
«  lamentations  des  veuves,  les  soupirs  des  orphelins,  les 
«  font  périr,  et  ne  nous  laissent  plus  l'espoir  d'amasser 
«  pour  personne.  Nous  thésaurisons,  sans  savoir  pour  qui 
«  nous  amassons.  Ils  vont  demeurer  sans  possesseurs,  ces 
«  trésors  tout  remplis  de  rapines  et  de  malédictions.  Nos 
«  celliers  ne  regorgeaient-ils  pas  de  vin?  nos  greniers,  de 
«  froment?  nos  trésors  n'étaient-ils  pas  combles  d'or,  d'ar- 
«gent,  de  pierres  précieuses,  de  colliers,  et  d'autres 
«  ornemens  impériaux  ?  Et  ce  que  nous  avions  de  plus 
«beau,  nous  le  perdons!  Eh  bien,  si  tu  veux,  allons, 
«  brûlons  tous  ces  registres  iniques  :  qu'il  suffise  à  notre 
«  fisc  de  ce  qui  suffisait  à  ton  père  le  roi  Clotaire.w  Ayant 
ainsi  parlé,  la  reine  se  frappe  la  poitrine  de  ses  poings, 
fait  apporter  les  rôles  que  Marc  avait  envoyés  de  chacune 
des  cités  qui  lui  appartenaient,  les  jette  dans  le  feu;  puis, 
se  retournant  vers  le  roi  :  «Quoi,  tu  hésites!  fais  comme 
«  moi;  si  nous  perdons  nos  chers  enfans,  du  moins  échap- 
«  pons  à  la  peine  éternelle.  »  Alors  le  roi ,  pénétré  de  com- 
ponction, livra  au  feu  tous  les  registres;  et  après  qu'ils 
furent  brûlés,  il  envoya  des  gens  pour  empêcher  la  levée 
de  ces  impots.  Ensuite,  leur  plus  jeune  enfant  mourut 
consumé  de  langueur.  Accablés  de  douleur,  ils  l'amenèrent 
de  leur  maison  de  Braine  à  Paris,  et  le  firent  ehsevelir  dans 
la  basilique  de  Saint-Denis  (i).  Quant  à  Chlodobert,  ils 
le  placèrent  sur  un  brancard ,  le  portèrent  à  la  basilique 


(i)  Fortunat  le  nomme  Dagobert,  dans  l'épitaphe  qu'il  composa 
pour  lui  :  liv.  ix,  n°'  4  et  5.  Du  reste,  les  deux  princes  moururent 
après  lo  concile  de  Braine.  Voyez  le  dernier  chap.  de  ce  livre. 


LIVRE  CINQUIÈME.  307 

de  Saint-Médard  de  Soissons  ;  et  l'exposant  devant  le 
tombeau  du  saint,  firent  des  vœux  pour  sa  santé'  :  mais 
au  milieu  de  la  nuit,  affaibli,  épuisé,  il  rendit  l'âme.  Ils 
l'ensevelirent  dans  la  basilique  des  saints  martyrs  Crépin 
et  Crépinien.  Ce  fut  un  jour  de  deuil  aussi  pour  tout  le 
peuple  ;  car  des  hommes  en  pleurs ,  des  femmes  couvertes 
de  vêtemens  lugubres,  comme  à  la  mort  de  leurs  époux, 
accompagnèrent  cette  pompe  funèbre.  Puis  le  roi  Chil- 
péric  fit  de  grandes  largesses  aux  églises,  aux  monastères 
et  aux  pauvres. 

XXXVI.  En  ces  jours-là,  la  reine  Austrechilde,  femme 
du  roi  Gontran,  fut  consumée  par  la  même  maladie.  Mais 
avant  d'exhaler  sa  méchante  âme,  se  voyant  sans  espoir 
d'échapper,  elle  poussa  de  profonds  soupirs  ;  et  voulut 
avoir,  en  mourant,  des  compagnons,  afin  qu'à  ses  obsèques 
on  pleurât  aussi  pour  d'autres  morts.  On  dit  en  effet,  qu'à 
l'exemple  d'Hérode  (i),  elle  adressa  au  roi  cette  demande  : 
«  J'aurais  espéré  vivre  encore,  si  je  n'étais  tombée  entre 
«  les  mains  de  ces  médecins  iniques.  Ce  sont  leurs  potions 
«  qui  m'ont  arraché  la  vie,  et  m'ont  ravi  si  promptement 
«  la  lumière.  Aussi,  pour  que  ma  mort  ne  reste  pas  sans 
«  vengeance,  je  te  prie,  et  je  t'en  conjure,  promets  avec 
«  serment  qu'aussitôt  après  mon  trépas  ils  périront  par  le 
a  glaive  :  puisque  je  ne  puis  plus  vivre,  je  ne  veux  pas 
«  non  plus  qu'après  mol  ils  jouissent  encore  de  la  vie  : 
«  mais  que  la  même  douleur  unisse  leurs  amis  et  les 
«  nôtres.  »  Ayant  ainsi  parlé,  elle  rendit  son  âme  malheu- 


(t)  Pour  forcer  les  Juifs  de  pleurer  à  sa  mort,  il  ordonna  de  mas- 
sacrer plusieurs  nobles  citoyens,  aussitôt  qu'il  aurait  cessé  de  vivre. 
(  Josèphe  ,  de  Bcllo  judaico ,  i ,  21^.) 


308  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

reuse.  Après  avoir  célébré  ses  obsèques,  le  roi,  sous  le  joug 

du  serment  qu  avait  exigé  son  injuste  épouse,  accomplit 

cet  ordre  d'iniquité,  et  fit  frapper  du  glaive  les  deux 

médecins  qui  lui  avaient  donné  leurs  soins  (i)  :  ce  qui 

ne  put  se  faire  sans  péché,  comme  le  pensent  plusieurs 

sages, 

XXXVII.  Nantin,  comte  d'Angoulême,  mourut  aussi 
épuisé  par  celte  maladie  :  mais  il  faut  reprendre  de  plus 
haut  ce  qu'il  fit  contre  les  prêtres  et  les  églises  du  Sei- 
gneur. Marachalre,  son  oncle,  avait  possédé  long-temps 
dans  cette  ville  la  dignité  de  comte  :  après  avoir  rempli 
cette  fonction,  il  s'attacha  à  l'église,  devint  clerc,  et  fut 
ordonné  évêque.  Tandis  que,  rempli  d'activité,  il  élevait 
et  organisait  des  églises  et  des  presbytères,  la  septième 
année  de  son  épiscopat,  ses  ennemis  empoisonnèrent  la 
tête  d'un  poisson;  et  lui,  la  prenant  sans  défiance,  mou- 
rut dans  des  souffrances  cruelles.  Mais  la  clémence  divine 
ne  laissa  pas  long-temps  sa  mort  impunie.  Frontonius,  le 
principal  auteur  du  complot,  s'empara  aussitôt  de  l'épisco- 
pat;  et  au  bout  d'un  an,  frappé  par  le  jugement  de  Dieu, 
il  mourut.  Après  sa  mort,  on  élut  évêque  Héraclius,  prêtre 
de  Bordeaux,  qui  avait  été  autrefois  envoyé  de  Childebert 
l'ancien.  De  son  coté,  Nantin,  pour  venger  la  mort  de 
son  oncle,  demanda  le  titre  de  comte  dans  la  même  ville. 
Il  l'obtint,  et  accabla  l'évêque  d'injures.  Il  lui  disait,  par 
exemple  :  «  Tu  retiens  auprès  de  toi  ces  homicides  qui  ont 
«  tué  mon  oncle  ;  tu  admets  à  ta  table  des  prêtres  qui  ont 
«  participé  à  ce  crime,  m  Ensuite,  leur  inimitié  s'accrois- 


(  I  )  Marius  d'Avenches  les  nomme  Nicolas  et  Donat ,  et  place  leur 
mort  en  septembre  58 1. 


LIVRE  CINQUIÈME.  309 

sant  chaque  jour,  il  se  mit  à  envahir  de  force  les  terres 
que  Marachaire  avait  léguées  à  l'église  par  son  testament, 
prétendant  que  ces  biens  ne  pouvaient  appartenir  à  une 
église  dont  les  clercs  avaient  fait  périr  le  testateur.  En- 
suite, après  avoir  tué  quelques  laïques,  il  alla  jusqu'à  saisir 
un  prêtre,  le  garrotta,  et  le  perça  d'un  coup  de  lance. 
Comme  celui-ci  vivait  encore,  il  le  fit  suspendre  à  un 
poteau,  les  mains  liées  derrière  le  dos,  et  voulait  lui  arra- 
cher un  aveu  de  complicité.  Mais  le  prêtre  persistant  à 
nier,  son  sang  s'écoula  par  sa  blessure,  et  il  rendit  l'es- 
prit. L'évêque,  ému  de  ce  forfait,  ordonna  qu'on  lui  in- 
terdît l'entrée  de  l'église.  Plusieurs  évêques  s'étant  réunis 
à  Saintes  (i),  Nantin  demanda  d'être  réconcilié  avec 
l'évêque,  avec  promesse  de  rendre  tous  les  biens  de  l'église 
dont  il  s'était  emparé  sans  raison,  et  de  s'humilier  devant 
le  ministre  du  Seigneur.  Héraclius,  jaloux  d'obtempérer 
aux  ordres  de  ses  frères,  accorda  tout  ce  qu'on  désirait 
de  lui;  et,  recommandant  toutefois  au  Dieu  tout-puissant 
la  cause  du  prêtre  assassiné,  il  admit  le  comte  aux  bien- 
faits de  la  charité  (a).  De  là,  celui-ci,  rentré  dans  la  ville, 
dépouille,  brise,  détruit  les  maisons  qu'il  avait  injuste- 
ment envahies,  en  disant  :  «Si  l'église  rentre  en  possession 
«  de  ces  domaines,  que  du  moins  elle  les  trouve  déserts.)) 
L'é.vêque,  indigné  de  cette  conduite,  lui  interdit  de  nou- 
veau la  communion.  Cependant  le  bienheureux  pontife, 
après  avoir  rempli  sa  carrière  ici-bas,  alla  se  rejoindre  au 
Seigneur;  et  Nantin,  ayant  gagné  quelques  évêques  par  des 
présens  et  des  flatteries,  fut  admis  à  la  communion.  Peu 


(i)  En  5^9,  selon  Sirniond  ,  toiii.  i",  des  (.'onciles  de  la  Gaule, 
{•ï)  C'est-à-flire  à  Ja  communion  des  (idrks;  au  nond)rc  tU'  criix  qui 
sont  réunis  par  la  chante. 


310  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

de  mois  après ,  il  fut  attaqué  de  la  maladie  mentionnée 
ci-dessus;  et,  brûlé  par  une  fièvre  ardente,  il  s'écriait  : 
«  Hélas!  hélas!  c'est  l'évêque  Héraclius  qui  me  brûle,  c'est 
«  lui  qui  me  torture,  c'est  lui  qui  m'appelle  en  jugement. 
«  Je  reconnais  mon  crime;  je  me  souviens  que  j'ai  outragé 
«  indignement  ce  pontife  :  je  demande  la  mort,  pour  être 
«  enfin  délivré  de  mes  tourmens.  »  Tandis  qu'il  s'écriait 
ainsi,  dans  ses  plus  violens  accès  de  fièvre,  la  force  de 
son  corps  l'abandonnait;  et  il  exhala  son  âme  malheu- 
reuse, laissant  des  preuves  certaines  que  tout  ce  mal  lui 
était  envoyé  pour  venger  le  saint  évêque  :  car  son  corps 
inanimé  devint  tout  noir,  comme  si  on  l'eût  placé  sur  des 
charbons  ardens.  Que  tous  donc  abaissent  leur  raison  de- 
vant ces  prodiges  ;  qu'ils  les  admirent  !  qu'ils  craignent 
de  faire  injure  aux  prêtres  du  Seigneur!  car  Dieu  venge 
ses  serviteurs,  ceux  qui  espèrent  en  lui. 

XXXVIIÏ.  En  ce  temps  mourut  aussi  le  bienheureux 
Martin  ,  évêque  de  Galice  ;  et  tout  le  peuple  le  pleura 
solennellement.  Il  était  originaire  de  Pannonie;  et  de  là, 
étant  parti  en  Orient  pour  visiter  les  lieux  saints,  il  s'in- 
struisit si  à  fond  dans  les  lettres,  qu'il  ne  le  cédait  à  aucun 
de  ses  contemporains.  Ensuite  il  vint  en  Galice,  où  il  fut 
sacré  évêque  (i),  au  moment  où  l'on  y  apportait  des  re- 

(i)  D'abord  à  Mondoncdo  en  Galice;  puis  à  Braga,  Bracara,  en 
Portugal,  l'une  des  quatre  métropoles  d'Espagne  au  moyen  âge.  Ce 
Martin  n'y  fut  évêque  que  vingt  ans  (Ruin.J.  La  traduction  précédente, 
publiée  par  31.  Guizot,  dit  que  c'est  parce  qu'il  apporta  des  reliques 
de  saint  Martin  de  Tours  dans  cette  ville,  qu'il  en  fut  élu  évêque.  Le 
texte  ne  le  dit  pas  si  clairement.  Il  semble  que  c'est  le  concours  fortuit 
de  ces  deux  événemens,  l'arrivée  des  reliques  d'un  grand  saint,  et 
celle  d'un  pieux  et  savant  pèlerin  du  même  nom,  qui  détermina  les 
Mifl'rages  en  sa  faveur. 


LIVRE  CINQUIÈME.  311 

îiques  de  saint  Martin.  Il  y  géra  l'ëpiscopat  pendant  trente 
ans  environ;  et,  plein  de  vertus,  il  alla  dans  le  sein  de 
Dieu.  C'est  lui  qui  a  composé  les  vers  qui  se  trouvent  sur 
la  porte  méridionale  de  la  basilique  de  Saint-Martin. 

XXXÏX.  Cette  année  il  s'éleva  en  Espagne  une  grande 
persécution  contre  les  chrétiens  ;  et  plusieurs  furent  en- 
voyés en  exil,  dépouillés  de  leurs  biens,  exténués  par  la 
faim,  enfermés  dans  des  prisons,  frappés  de  verges,  et 
mis  à  mort  par  différens  supplices.  Le  principal  auteur 
de  tout  le  mal  fut  Goswinde  (i),  que  le  roi  Leuvigild 
avait  épousée  après  la  mort  d'Athanagild,  son  premier 
mari.  Mais  cette  femme,  qui  avait  imprimé  une  note  d'in- 
famie aux  serviteurs  de  Dieu,  poursuivie  par  la  vengeance 
divine,  fut  à  son  tour  notée  aux  yeux  de  tous  les  peuples  : 
car  un  nuage  blanc  couvrit  un  de  ses  yeux,  et  chassa  de 
ses  paupières  la  lumière  qui  manquait  déjà  à  son  esprit. 
Le  roi  Leuvigild  avait,  d'une  autre  femme  (2),  deux 
fils  (3),  dont  l'aîné  avait  pour  fiancée  la  fille  de  Sigcbert; 
le  plus  jeune,  la  fille  de  Chilpéric.  Ingonde,  fille  du  roi 
Sigebert ,  envoyée  en  Espagne  en  grand  appareil ,  fut 
reçue  avec  beaucoup  de  joie  par  son  aïeule  Goswinde. 
Celle-ci  ne  put  souffrir  long-temps  de  la  voir  rester  dans 
la  religion  catholique;  et  d'abord  elle  voulut  l'engager, 
par  des  paroles  caressantes,  à  se  faire  baptiser  de  nouveau 
dans  l'hérésie  arienne  :  mais  Ingonde  résista  courageuse- 
ment, et  commença  par  dire  :  «Il  me  suffit  d'avoir  été 
«  lavée  une  fois  du  péché  originel  par  un  baptême  salu- 


(i)  La  mère  de  Rrunoliaut.   Voyez  liv.  iv,  chap.  38. 

(2^  Thcodosio 

(5)  Herménegild,  fiancé  à  Ingonde;  Récared,  à  Rigonthe. 


312  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  taire,  et  d'avoir  confessé  la  Sainte  Trinité,  une  et  sant^ 
«  inégalité  de  personnes  :  voilà  ce  que  je  confesse  croire 
«  de  tout  mon  cœur;  et  jamais  je  ne  renoncerai  à  ma  foi.  » 
A  ces  mots,  Goswinde  irritée,  furieuse,  saisit  la  jeune 
fille  par  les  cheveux,  la  jette  à  terre,  la  frappe  à  coups  de 
pied,  et,  tout  ensanglantée,  la  fait  dépouiller  et  plonger 
dans  la  piscine.  Mais  beaucoup  assurent  que  son  cœur 
resta  toujours  fidèle  à  notre  croyance.  Leuvigild  leur 
donna  une  ville  (i)  ,  pour  qu'ils  y  vécussent  en  sou- 
verains. Quand  ils  y  furent  arrivés,  Ingonde  se  mit  à 
prêcher  son  mari,  pour  que,  renonçant  aux  erreurs  de 
l'hérésie,  il  reconnût  la  vérité  de  la  loi  catholique.  Il  ré- 
sista long-temps  ;  mais  enfin ,  persuadé  par  ses  prédica- 
tions, il  se  convertit  au  catholicisme;  et  en  recevant 
l'onction  sainte  il  prit  le  nom  de  Jean.  Quand  Leuvigild 
en  fut  instruit ,  il  chercha  des  motifs  pour  le  perdre.  Son 
fils  s'en  étant  aperçu,  se  joignit  au  parti  de  l'empereur,  et 
forma  des  liaisons  avec  le  préfet  impérial,  qui  attaquait 
alors  l'Espagne  (2).  Leuvigild  lui  envoya  des  messagers 
pom'  lui  dire  :  «  Viens  me  trouver;  il  est  des  choses  que 
«  nous  devons  discuter  ensemble;»  et  son  fils  répondit  : 
(c  Je  n'irai  point;  car  tu  es  mon  ennemi,  parce  que  je  suis 
«catholique.»  Leuvigild  ayant  donné  au  préfet  trente 
mille  sous  d'or  pour  le  détacher  du  parti  de  son  fils,  marcha 
contre  celui-ci  avec  une  armée.  De  son  coté,  Herménegild 
ayant  appelé  les  Grecs  à  son  secours ,  s'avança  contre  son 
père,  laissant  son  épouse  dans  la  ville.  A  la  vue  de  Leu- 
vigild qui  venait  à  sa  rencontre ,  ses  alliés  l'abandon- 
nèrent; et  se  voyant  désormais  sans  espoir  de  vaincre,  il 


(i)  Séville,  où  plus  tard  Hciménegild  fut  assiégé  par  son  père. 
(2)  Voyez  la  note  jf"  sur  le  livre  iv,  cliap.  8. 


LIVRE  CINQUIÈME.  313 

se  réfugia  dans  une  église  voisine,  en  disant  :  «  Que  mon 
«  père  ne  vienne  pas  m'attaquer;  car  c'est  un  crime  impie 
«  qu'un  père  soit  tué  par  son  fils,  ou  un  fils  par  son  père.» 
Leuvigild  apprenant  ces  paroles,  lui  envoya  son  frère, 
qui  lui  garantit  par  serment  le  maintien  de  sa  dignité, 
et  lui  dit  :  «  Viens  toi-même  te  prosterner  aux  pieds 
«  de  notre  père,  et  il  te  pardonnera  tout.»  Herménegild 
demanda  qu'on  appelât  son  père;  et  quand  celui-ci  entra 
dans  l'église,  son  fils  se  prosterna  à  ses  pieds.  Leuvigild 
le  prit,  le  baisa;  et  le  séduisant  par  de  douces  paroles, 
le  conduisit  à  son  camp.  Là,  au  mépris  de  ses  sermens, 
il  fit  un  signe  à  ses  soldats;  et  le  jeune  prince,  saisi  à 
l'instant,  fut  dépouillé  de  ses  vêtemens,  et  recouvert  d'un 
habit  grossier.  Le  roi,  de  retour  à  Tolède,  lui  ota  ses  ser- 
viteurs, et  l'envoya  en  exil  avec  un  seul  esclave  (i). 

XL.  Après  la  mort  de  ses  fils,  le  roi  Chilpéric,  accablé 
de  tristesse,  se  tenait  au  mois  d'octobre,  avec  son  épouse, 
dans  la  forêt  de  Cuise  (2).  Alors ,  d'après  les  suggestions 
de  la  reine,  il  envoya  son  fils  Clovis  à  Braine,  probable- 
ment pour  qu'il  pérît  de  la  maladie  qui  avait  tué  ses 
frères;  elle  sévissait  alors  dans  cet  endroit;  mais  il  n'en 
ressentit  point  les  atteintes.  Puis  le  roi  se  rendit  à  Chelles, 
maison  royale  dans  le  territoire  de  Paris;  et  peu  de  jours 
après  y  fit  venir  son  fils  Clovis.  Je  ne  crois  pas  inutile  de 


(i)  Plus  tard,  en  586,  Herménegild  fut  mis  à  mort  dans  Taragone 
par  l'ordre  de  son  père ,  parce  qu'il  avait  refusé  de  recevoir  la  com- 
munion des  mains  d'un  évêque  arien  (Paul  diacre,  m,  21).  Il  fut 
honoré  comme  martyr.  Ingondc  s'enfuit,  et  arrêtée  dans  sa  course, 
fut  conduite  en  Sicile,  où  elle  mourut.  Selon  Grég.,  viii,  '28,  elle 
mourut  en  Afrique,  taudis  fjuo  les  Grecs  la  conduisaient  à  C.  P. 

(i)  Ou  de  Compiègnc. 


314  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

rapporter  les  circonstances  de  sa  mort.  Tandis  qu'il  habi- 
tait dans  cette  maison  avec  son  père,  il  se  mit  à  se  vanter 
inconsidérément;  et  il  disait  :  «Voilà  mes  frères  morts;  le 
«  royaume  est  tout  entier  pour  moi.  Toutes  les  Gaules  me 
«  seront  soumises,  et  les  destins  m'ont  accordé  à  moi  seul 
<(■  tout  l'empire.  Maintenant  que  mes  ennemis  sont  entre 
«  mes  mains,  je  vais  les  traiter  comme  il  me  plaira.»  Il  in- 
vectivait aussi  d'une  manière  inconvenante  contre  Fréde- 
gonde  sa  belle-mèr-e;  et  celle-ci,  en  l'apprenant,  était  saisie 
d'une  grande  frayeur.  Quelques  jours  après,  quelqu'un 
vint  trouver  la  reine,  et  lui  dit  :  «Si  tu  restes  privée  de 
«  tes  fils,  c'est  l'effet  des  perfidies  de  Clovis.  Amoureux 
«  de  la  fille  d'une  de  tes  servantes,  il  a  tué  tes  enfans  par 
«  les  maléfices  de  la  mère  :  n'espère  donc  point  un  avenir 
«plus  heureux,  puisqu'on  t'a  enlevé  ce  qui  te  donnait 
«  l'espoir  de  régner  un  jour.»  Alors  la  reine,  effrayée, 
enflammée  de  fureur,  aigrie  par  la  perte  récente  de  ses 
enfans,  fit  saisir  la  jeune  fille  sur  laquelle  Clovis  avait 
jeté  les  yeux  ;  et  après  qu'elle  eut  été  cruellement  fusti- 
gée, lui  fit  couper  sa  chevelure.  Puis  on  l'attacha,  par 
son  ordre,  sur  un  pieu  fendu  en  deux  (i),  et  on  l'exposa 
ainsi  devant  la  demeure  de  Clovis.  La  mère  de  la  jeune 
fille  fut  aussi  mise  dans  les  fers;  et  à  force  de  tourmens, 
on  en  arracha  une  déclaration  qui  confirmait  la  vérité 
de  ces  propos  :  ensuite  Frédegonde ,   après  ce  rapport 


(i)  Ou  bien  sur  un  pieu  aiguisé  en  pointe,  en  adoptant  la  le- 
çon abscisso  ;  ce  serait  alors  le  supplice  du  pal,  La  phrase  latine,  se- 
lon qu'on  adoptera  l'une  ou  l'autre  leçon ,  peut  s'interpréter  des  deux 
manières.  On  lui  avait  d'abord  coupé  les  cheveux,  pour  la  dégra- 
der, et  lui  enlever  en  partie  sa  beauté.  Je  ne  crois  pas  que  ce  soit 
sa  chevelure  que  l'on  expose  aux  yeux  de  Clovis.  Ce  dernier  sens 
a  été  adopté  dans  la  traduction  précédente. 


LIVRE  CINQUIÈME.  315 

fait  au  roi  et  d'autres  insinuations  du  même  genre ,  lui 
demanda  vengeance  de  Clovis.  Le  roi,  qui  partait  alors 
pour  la  chasse ,  se  le  fit  amener  secrètement.  A  son  arri- 
vée, les  ducs  Didier  (i)  et  Bobon,  par  l'ordre  du  roi,  le 
saisirent,  le  garrottèrent;  et  ce  jeune  prince,  dépouillé 
d'armes  et  de  vêtemens,  couvert  d'un  vil  habit,  fut  con- 
duit enchaîné  en  présence  de  la  reine.  Celle-ci  le  fît 
retenir  sous  bonne  garde,  désirant  tirer  de  lui  des  aveux  : 
les  choses  étaient-elles  comme  elle  l'avait  entendu  dire? 
quels  avaient  été  ses  conseillers?  à  l'instigation  de  quelle 
personne  avait-il  agi?  avec  qui  avait-il  surtout  formé  des 
liaisons?  Il  nia  tout  le  reste,  mais  il  révéla  ses  liaisons 
avec  plusieurs  personnes.  Enfin,  après  trois  jours,  la  reine 
l'envoya  enchaîné  de  l'autre  coté  de  la  Marne,  et  le  fit 
garder  à  vue  dans  une  maison  royale  appelée  Noisi.  Tandis 
qu'il  y  était  détenu,  il  périt  frappé  d'un  coup  de  couteau, 
et  fut  enseveli  en  ce  lieu  même.  Cependant  des  messagers 
vinrent  trouver  le  roi ,  pour  lui  dire  qu'il  s'était  percé 
lui-môme;  et  ils  affirmaient  que  le  couteau  dont  il  s'était 
frappé  était  encore  dans  la  blessure.  Le  roi  Chilpéric , 
trompé  par  ces  paroles,  ne  donna  pas  même  une  larme  à 
ce  fils  qu'il  avait  pour  ainsi  dire  livré  lui-même  à  la  mort 
à  l'instigation  de  la  reine.  Ses  domestiques  furent  di- 
spersés en  divers  lieux.  Sa  mère  fut  mise  à  mort  d'une 
manière  cruelle  (2);  et  sa  sœur  (3),  après  que  les  servi- 
teurs de  la  reine  en  eurent  abusé,  fut  envoyée  dans  un 
monastère,  où  elle  prit  l'habit:  elle  y  est  encore  aujour- 

(i)  Yoyez  encore  sur  Didier,  ix ,  33;  x,  8.  Bobon  fils  de  Mum- 
molenus  ,  vi ,  45. 

(2)  Audovcre. 

(5)  Basine,  rjni  plus  tard  excita  tant  de  troubles  dans  le  monas- 
tère de  la  Sainte- Croix  à  Poitiers,  ix  ,  09;  x,    16. 


316  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

d'Iîui.  Toutes  leurs  richesses  furent  portées  à  la  reine. 
Quant  à  la  femme  qui  avait  déposé  contre  Clovis,  elle  fut 
condamnée  à  être  brûlée.  Tandis  qu'on  la  conduisait  au 
supplice,  la  malheureuse  se  mit  à  crier  qu'elle  avait  dit 
des  mensonges;  mais,  malgré  ses  protestations,  elle  fut 
attachée  au  poteau ,  et  brûlée  vive.  Le  trésorier  de  Clovis, 
saisi  et  ramené  du  Berry  par  Cuppa  (i),  comte  de  l'étable, 
fut  chargé  de  chaînes  et  envoyé  à  la  reine,  qui  lui  desti- 
nait divers  tourmens  ;  mais  elle  l'affranchit  des  supplices 
et  de  ses  liens  ;  et  à  notre  intercession ,  lui  rendit  sa 
liberté. 

XLI.  Ensuite  Elafe,  évêque  de  Châlons  (2),  envoyé 
comme  ambassadeur  en  Espagne,  pour  les  intérêts  de  la 
reine  Brunehaut,  fut  attaqué  d'une  fièvre  violente,  et 
rendit  l'esprit.  De  là  son  corps  fut  transféré  et  enseveli 
dans  sa  ville  épiscopale.  L'évêque  Eonius,  député  des 
Bretons,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut  (3),  n'avait 
pu  obtenir  de  retourner  dans  sa  ville;  mais,  par  ordre  du 
roi,  il  était  nourri  à  Angers  aux  frais  du  public.  Etant 
venu  à  Paris,  un  dimanche  qu'il  célébrait  les  saints  mys- 
tères, il  poussa  un  cri  semblable  à  un  hennissement ,  tomba 
à  terre ,  et  le  sang  jaillit  de  sa  bouche  et  de  ses  narines. 
On  l'emporta  dans  les  bras,  mais  il  recouvra  la  santé.  Or 
il  était  adonné  au  vin  outre  mesure ,  et  souvent  s'enivrait 
d'une  manière  si  ignoble  qu'il  ne  pouvait  plus  faire  un  pas. 

XLII.  Mir,  roi  de  Galice ,  envoya  des  députés  au  roi 
Contran.  Tandis  qu'ils  traversaient  le  territoire  de  Poi- 


(i)  Dont  il  sera  question,  x,  5. 

(2)  Châlons-sur-Marnc. 

(3)  Chap.  3o. 


LIVRE  CINQUIÈME.  317 

tiers,  qui  appartenait  alors  à  Chilpéric,  ce  prince,  ayant 
appris  leur  arrivée,  les  fit  prendre,  amener  en  sa  pré- 
sence, et  retenir  prisonniers  à  Paris.  En  ce  temps  un  loup, 
sorti  des  bois, entra  dans  Poitiers  par  une  porte  de  la  ville; 
mais  les  portes  furent  fermées,  et  surpris  dans  l'intérieur 
des  murs,  il  fut  tué.  Quelques  uns  assuraient  avoir  vu  le 
ciel  en  feu.  Le  fleuve  de  la  Loire  grossit  plus  que  l'année 
précédente,  parce  que  le  torrent  du  Cher  vint  s'y  réu- 
nir (i).  Un  vent  du  midi  souffla  avec  une  telle  violence 
qu'il  abattit  les  forêts,  renversa  les  maisons,  emporta  les 
enclos,  enleva  les  hommes  eux-mêmes  et  les  roula  jus- 
qu'à les  faire  périr  dans  un  tourbillon  qui  s'étendait  sur 
une  largeur  d'environ  sept  arpens,  et  parcourut  en  lon- 
gueur un  espace  qu'on  ne  peut  évaluer.  Souvent  les  coqs 
chantèrent  au  commencement  de  la  nuit.  La  lune  s'obscur- 
cit, et  une  comète  apparut.  Puis  une  contagion  funeste 
se  répandit  parmi  le  peuple.  Les  députés  des  Suèves  (2), 
renvoyés  au  bout  d'un  an,  rentrèrent  dans  leur  pays. 

XLIIL  Maurilion,  évêque  deCahors,  était  grièvement 
malade  d'une  goutte  aux  pieds;  mais  aux  douleurs  que  lui 
causait  l'humeur  morbifîque,  il  ajoutait  lui-même  de  nou- 
veaux tourmens;  car  il  appliquait  souvent  un  fer  chaud  sur 
ses  jambes  et  sur  ses  pieds,  comme  moyen  plus  facile  de  se 
torturer  davantage.  Plusieurs  ambitionnaient  son  épisco- 
pat  ;  mais  il  choisit  lui-même  Ursicin,  autrefois  référen- 
daire de  la  reine  Ultrogothe,  et  pria  qu'il  fût  sacré  de  son 
vivant.  Puis  il  sortit  de  ce  monde.  Il  fut  large  en  au- 
mônes, très  instruit  dans  les  saintes  Ecritures,  au  point 


(1)  Voyez  Eclairciss.  et  observ.   (Note  d.) 

(•i)  C'est-à-dire  les  députés  de  Mir,  roi  des  Suèves,  en  Galice. 


318  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

qu'il  récitait  souvent  de  mémoire  les  diverses  généalogies 
décrites  dans  les  livres  de  l'ancien  Testament,  détails 
que  peu  de  personnes  peuvent  retenir.  Il  fut  encore  juge 
toujours  juste,  et  défenseur  zélé  des  pauvres  de  son  église 
contre  les  attaques  des  mauvais  juges,  conformément  à 
cette  parole  de  Job  :  fal  sauvé  le  pauvre  de  la  main 
du  puissant;  et  voyant  V indigent  sans  secours ,  j'ai 
été  son  auxiliaire.  La  bouche  de  la  veuve  m'a  béni , 
parce  que  j'étais  l'œil  de  l'aveugle,  le  pied  du  boiteux 
et  le  père  des  faibles  (i). 

XLIV.  Cependant  le  roi  Leuvigild  envoya  en  ambas- 
sade, auprès  de  Chilpéric,  Agila,  homme  sans  génie,  sans 
méthode,  mais  seulement  ennemi  bien  prononcé  de  la  loi 
catholique.  Sa  route  l'ayant  amené  à  Tours,  il  se  mit  à 
nous  attaquer  sur  l'article  de  la  foi,  et  à  combattre  les 
dogmes  de  l'Eglise.  «  C'était,  disait-il,  une  sentence  inique 
(c  des  anciens  évêques ,  qui  avait  déclaré  le  Fils  égal  au 
«Père;  car,  ajoutait-il,  comment  peut-il  être  égal  au 
«  Père  en  puissance ,  celui  qui  a  dit  :  Mon  Père  est  plus 
«  grand  que  moi  (2)  ?  Il  n'est  donc  pas  juste  de  le  croire 
«semblable  à  celui  dont  il  se  dit  l'inférieur;  auquel  il 
«adresse  ses  gémissemens,  attristé  par  la  mort;  auquel 
«enfin  il  recommande  son  âme  en  mourant,  comme  s'il 
«  n'avait  aucun  pouvoir.  Il  est  donc  évidemment  infé- 


(i)  Job,  xxTx,  i-î,  i3,  i5,  16.  Mais  ici,  comme  dans  beaucoup 
d'autres  citations  de  notre  auteur,  son  texte  ne  ressemble  pas  à  ce- 
lui de  la  Vul^ate.  Grégoire  a-t-il  cité  de  mémoire,  ou  suivi  l'an- 
cienne version  dont  parle  saint  Jérôme,  écourtée,  mutilée,  défigurée, 
à  laquelle  mancpaient  sept  ou  huit  cents  versets?  Voyez  S.  Hieronjm. 
Prœfat.  in  librum  Job. 

(2)  Jean ,  xiv,  28. 


LIVRE  CINQUIÈME.  319 

«  rieur  à  son  Père  en  Age  et  en  puissance.  »  A  cela  je  lui 
demandai  s'il  croyait  que  Jésus-Christ  fût  le  Fils  de  Dieu  ; 
s'il  reconnaissait  qu'il  fût  aussi  la  sagesse  de  Dieu,  sa 
lumière,  sa  vérité,  sa  vie,  sa  justice.  «  Je  crois,  me  dit-il, 
«  que  le  Fils  de  Dieu  est  tout  cela.  —  Eh  bien  !  dis-je  à 
«  mon  tour,  quand  le  Père  a-t-il  été  sans  sagesse,  sans  lu- 
«  mière,  sans  vie,  sans  vérité,  sans  justice?  Car  si  le  Père 
«  n'a  pu  être  un  instant  sans  tous  ces  attributs,  il  n'a  pu 
«  être  jamais  sans  le  Fils.  Or  c'est  en  cela  principale- 
«  ment  que  réside  le  mystère  du  nom  du  Seigneur.  D'ail- 
«  leurs  on  ne  pourrait  l'appeler  Père  s'il  n'avait  pas  de  Fils. 
«  Quant  à  ces  mots  que  tu  m'objectes  :  moti  Père  est  plus 
((■  grand  que  moi  y  sache  que  c'est  l'humilité  du  Dieu  fait 
«  homme  qui  a  parlé  ainsi,  pour  t'apprendre  que  ce  n'est 
«  pas  la  puissance,  mais  l'humilité  qui  a  racheté  le  monde, 
u  Tu  cites  ces  mots  :  mon  Père  est  plus  grand  que  moi; 
«  mais  tu  devrais  te  rappeler  ce  qu'il  a  dit  ailleurs  :  mon 
(.(.Père  et  moi  ne  sommes  qu'un  (i).  Sa  crainte  de  la 
«  mort,  la  recommandation  de  son  âme,  doivent  être  im- 
«  putées  à  la  faiblesse  du  corps;  car  il  faut  qu'on  le  croie 
«  véritablement  homme ,  comme  il  est  véritablement 
«  Dieu  (2).  —  Mais,  reprit-il,  celui  qui  fait  la  volonté  de 
«  quelqu'un  lui  est  inférieur;  le  Fils  est  donc  toujours  in- 
«  férieur  au  Père ,  puisqu'il  fait  la  volonté  du  Père;  et  rien 
«  ne  prouve  que  le  Père  fasse  la  volonté  du  Fils.  —  Com- 
te prens  donc,  répondis-je,  que  le  Père  est  dans  le  Fils, 
«  et  le  Fils  dans  le  Père ,  tous  deux  réunis  éternellement 
«  dans  une  seule  déité.  Veux-tu  savoir  que  le  Père  fait  la 

(i)  Jean  ,  x ,  5o. 

(2)  11  faut  avouer  que  toute  cette  discussion ,  quoique  subtile , 
ne  manque  ni  d'habileté,  ni  de  justesse.  Voyez-en  une  autre  du  même 
genre,  \i ,  40. 


320  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  volonté  du  Fils?  Si  tu  as  encore  foi  à  l'Evangile,  écoute 
«ce  que  dit  Jésus  lui-même  notre  Dieu,  lorsqu'il  vint 
«  pour  ressusciter  Lazare  :  Mon  Père.,  je  te  rends  grâces 
«  de  ce  que  tu  m'as  entendu;  je  savais  bien  que  tou- 
V.  jours  tu  m'entends;  mais  j'ai  parlé  ainsi  a  cause  de 
«  la  multitude  qui  nous  entoure,  afin  qu'elle  croie  que 
«  c'est  toi  qui  m'as  envoyé  (i).  Et  quand  il  en  vint  au 
«  moment  de  sa  passion,  il  dit  :  Mon  P ère ,  fais-moi  bril- 
«  1er  de  la  lumière  dont  je  brillais  auprès  de  toi  avant 
«  la  naissance  du  monde  (2).  Et  son  Père  lui  répondit 
«  du  haut  du  ciel  '.Je  l'aijait  briller  d'une  vive  lumière, 
«  et  je  le  ferai  briller  encore  (3).  Le  Fils  est  donc  son 
«égal  comme  Dieu,  il  n'est  pas  moindre;  il  n'a  rien  de 
ce  moins  que  le  Père  :  car,  si  tu  le  confesses  Dieu,  il  faut 
«  le  reconnaître  entier,  sans  aucun  défaut;  mais  si  tu 
«  prétends  qu'il  lui  manque  quelque  chose,  tu  ne  le  crois 
«  pas  Dieu.  —  C'est  depuis  qu'il  s'est  fait  homme  qu'on 
«  a  commencé  à  l'appeler  le  Fils  de  Dieu;  car  il  fut  un 
«  temps  oii  il  n'existait  pas.  —  Mais  entends  David  par- 
te lant  au  nom  du  Père  :  Je  t'ai  engendré  avant  l'étoile  du 
«  matin  (4).  Et  Jean  l'évangéliste  :  Au  commencement 
«  était  le  Verbe,  et  le  Verbe  était  en  Dieu,  et  Dieu  était 
«  le  Verbe.  Et,  ce  qui  en  est  la  conséquence,  le  Verbe  s'est 
fi.  fait  chair,  il  a  habité  parmi  nous,  et  tout  a  été  fait  par 
«  lui  (5).  Mais  vous,  aveuglés  par  le  poison  d'une  fausse 
«  doctrine,  vous  n'avez  aucune  pensée  digne  de  Dieu.»  Il 


(i)  Jean,  xi,  4i ,  42. 

(2)  Jean  ,  xvii ,  5. 

(3)  Jean  ,  xii ,  28. 

(4)  Psaum.  cix,  3. 

(5)  Jean,  i,   i ,  14. 


LIVRE  CINQUIÈME.  321 

me  dit  ensuite  :  «Dites-vous  que  le  Saint-Esprit  (i)  est 
«  Dieu,  ou  le  déclarez-vous  l'égal  du  Père  et  du  Fils?» 
Je  répondis  :  «  Il  y  a  dans  tous  les  trois  une  seule  volonté , 
«  une  seule  puissance,  une  seule  action.  C'est  un  seul  Dieu 
«  composé  de  trois,  et  trois  ne  faisant  qu'un.  Ce  sont  trois 
«  personnes ,  mais  il  n'y  a  qu'un  empire ,  une  majesté , 
«  une  puissance,  une  toute- puissance.  — Le  Saint -Es- 
te prit,  dit-il,  que  vous  faites  l'égal  du  Père  et  du  Fils,  est 
fc  regardé  comme  inférieur  à  tous  les  deux,  puisqu'on  lit 
«  qu'il  a  été  promis  par  le  Fils  et  envoyé  par  le  Père  ;  car 
«  personne  ne  promet  que  ce  qui  est  soumis  k  sa  puis- 
«  sance;  et  personne  n'envoie  qu'un  être  inférieur  à  lui, 
«  comme  il  le  dit  lui-même  dans  l'Evangile  :  Si  je  ne  m'en 
«  vais,  ce  consolateur  ne  viendra  pas;  mais  si  je  m'en 
«  vais,  je  vous  V enverrai  {pb).  »  A  cela  je  répondis  :  a  Le  Fils 
«  a  pu  dire  avant  sa  passion  que,  s'il  ne  remontait  vain- 
«  queur  vers  son  Père,  et,  après  avoir  racheté  le  monde 
<-<  au  prix  de  son  sang ,  ne  préparait  dans  le  cœur  de 
«  l'homme  une  habitation  digne  de  Dieu,  l'Esprit  saint, 
«  qui  est  Dieu  lui-même,  ne  pourrait  descendre  dans  un 
«cœur  païen,  et  souillé  de  la  tache  du  péché  originel. 
«  Car  l'Esprit  saint ,  dit  Salomon,  fuira  toute  dis- 
if.  simulation  (3).  Pour  toi ,  si  tu  as  quelque  espoir  de 
«résurrection,  crains  de  parler  contre  le  Saint-Esprit; 
«  car  d'après  la  sentence  du  Seigneur  :  Un  blasphème 
«  contre  le  Saint-Esprit  ne  sera  remis  ni  dans  cette  'vie 
«  ni  dans  l'autre  (4).  —  Mais,  reprit-il,  Dieu  est  celui 

(i)  On  peut  remarquer  que  Grégoire  revient  de  préférence  sur  les 
preuves  de  la  divinité  du  Saint-Esprit. 
(2)  Jean,  xvi,  y. 
(3)Sag.,  .,5. 
(4)  Matth.,  XII,  52. 

I.  21 


322  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

«qui  envoie;  celui  qui  est  envoyé  n'est  pas  Dieu.  »  Je 
lui  demandai  s'il  croyait  à  la  doctrine  des  apôtres  Pierre 
et  Paul,  «J'y  crois,»  répondit-il.  J'ajoutai  :  «Lorsque 
«  l'apôtre  Pierre  reprochait  à  Ananie  sa  dissimulation  à 
«  l'égard  de  son  bien,  vois  quelles  sont  ses  paroles  :  As-tu 
«  bien  pu  mentir  au  Saint-Esprit?  car  ce  n'est  pas  aux 
«  hommes  que  tu  as  menti,  c'est  a  Dieu  (i).  Et  Paul, 
«  lorsqu'il  distingue  les  degrés  des  grâces  spirituelles  : 
«  C'est  un  seul  et  même  esprit ,  dit-il,  qui  opère  toutes 
«  ces  choses ,  distribuant  a  chacun  ses  dons  comme  il 
«  lui  plaît  (2).  Or  celui  qui  fait  ce  qui  lui  plaît  n'est  sou- 
«  mis  au  pouvoir  de  personne.  Pour  vous,  comme  je  l'ai 
«  dit  précédemment,  vous  n'avez  aucune  idée  juste  de  la 
«  Sainte-Trinité;  et  l'injuste  perversité  de  votre  secte  est 
«  démontrée  par  la  mort  de  votre  chef  Arius.  —  Garde-toi, 
«  reprit-il ,  de  blasphémer  contre  une  loi  que  tu  n'adores 
«  pas  :  pour  nous,  quoique  votre  croyance  ne  soit  pas  la 
«  nôtre ,  nous  ne  blasphémons  pas  contre  elle  ;  parce 
«  qu'on  ne  peut  faire  un  crime  à  personne  de  tel  ou  tel 
«  culte.  Nous  disons  même  en  proverbe,  que  si  l'on  passe 
«  entre  les  autels  des  gentils  et  l'église  de  Dieu,  ce  n'est 
«  pas  un  mal  de  les  honorer  tous  deux  également,  w  Com- 
prenant alors  sa  sottise,  je  lui  dis  :  «  A  ce  que  je  vois,  tu 
«  te  déclares  le  défenseur  des  gentils  et  l'organe  des  héré- 
«  tiques  (3),  puisque  tu  corromps  les  dogmes  de  l'Eglise, 
«  et  prêches  en  même  temps  l'adoration  des  turpitudes 
«  païennes.  Tu  ferais  bien  mieux  de  t'armer  de  cette  foi 
«  qui  pénétra  Abraham  auprès  du  chêne ,  Isaac  à  la  vue 

(i)  Act.,  V,  5,  4. 
(2}  I  Cor.,  XII,  II. 

(3)  C'est-à-dire,  tu  prouves  qu'un  hérétique  n'a  aucune  religion, 
puisqu'il  ne  tient  pas  plus  au  christianisme  qu'au  paganisme. 


LIVRE  CINQUIÈME.  323 

«  du  bélier,  Jacob  sur  la  pierre,  Moïse  devant  le  buisson  ; 
«  que  portait  Aaron  sur  son  rational ,  que  David  célé- 
«  brait  sur  le  tympanon,  que  Salomon  annonçait  par  sa 
«  sagesse,  que  tous  les  patriarches,  les  prophètes  et  la  loi 
«  elle-même ,  ont  chantée  par  des  oracles ,  ou  figurée  par 
«  des  sacrifices;  que  notre  intercesseur,  ici  présent,  saint 
«  Martin ,  a  possédée  dans  son  cœur  et  montrée  par  ses 
«  œuvres;  afin  de  te  convertir  et  de  croire  a  l'inséparable 
«  Trinité.  Alors,  recevant  notre  bénédiction,  et  purgeant 
«  ton  cœur  du  venin  d'une  crédulité  impie,  tu  pourrais 
«  effacer  tes  iniquités.  »  Mais  lui ,  furieux  et  frémissant 
presque  de  rage,  comme  s'il  eût  perdu  le  sens  :  «  Mon 
«  âme,  s'écria-t-il,  s'échappera  des  liens  de  ce  corps  avant 
«  de  me  laisser  bénir  par  aucun  prêtre  de  votre  religion. 
((  — Notre  religion  non  plus,  répliquai-je,  ni  notre  foi, 
«ne  s'attiédiront,  grâce  à  Dieu,  au  point  de  distribuer 
«  ses  saints  mystères  à  des  chiens,  et  d'exposer  la  sainteté 
(f  de  ces  précieuses  perles  à  d'immondes  pourceaux.  » 
Alors ,  abandonnant  la  discussion ,  il  se  leva  et  partit. 
Plus  tard,  après  son  retour  en  Espagne,  accablé  par  la 
maladie,  contraint  par  la  nécessité,  il  se  convertit  à  notre 
religion. 

XLV.  Vers  le  même  temps,  le  roi  Chilpéric  écrivit  une 
lettre  pour  ordonner  que  la  Sainte-Trinité  fût  nommée 
seulement  Dieu,  sans  distinction  de  personnes.  Il  était 
inconvenant,  selon  lui,  qu'on  appelât  Dieu  une  per- 
sonne ,  comme  s'il  était  un  homme  fait  de  chair.  Il  affir- 
mait aussi  que  le  Père  est  le  même  que  le  Fils ,  et  que  le 
Saint-Esprit  est  le  même  que  le  Père  et  le  Fils.  «  C'est 
«ainsi,  disait-il,  que  l'ont  reconnu  les  prophètes  et  les 
«  patriarches;  c'est  ainsi  que  l'a  annoncé  la  loi  elle-même.» 


324  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

Après  qu'il  out  fait  lire  ce  livre  devant  moi  :  a  Je  veux,  dit-il, 
M  que  telle  soit  ta  croyance  et  celle  de  tous  les  autres  doc- 
«  teurs  de  l'Eglise.  »  Je  lui  répondis  :  «  Cesse  de  t'abuser, 
«  6  pieux  roi  ;  il  te  faut  suivre  les  dogmes  que  nous  ont 
«  laissés,  après  les  apôtres,  les  autres  docteurs  de  l'Eglise, 
«  que  nous  ont  enseignés  Hilaire  et  Eusèbe ,  que  tu  as 
a  confessés  au  baptême.  »  Le  roi  irrité  me  dit  :  «  Il  est 
«  évident  que  dans  cette  cause  j'ai  pour  ennemis  déclarés 
«  Hilaire  et  Eusèbe  (i).  »  Je  lui  répondis  :  «  Il  te  convient 
«  d'observer  que  tu  n'as  pour  ennemis  niDieu  ni  ses  saints; 
«  mais  saclie  que,  quant  à  la  personne,  autre  est  le  Père, 
(c  autre  le  Fils,  autre  le  Saint-Esprit.  Ce  n'est  pas  le  Père 
«  ni  le  Saint-Esprit  qui  s'est  fait  cbair,  c'est  le  Fils  :  celui 
«  qui  était  le  Fils  de  Dieu  a  voulu  être  aussi,  pour  la  ré- 
«  demption  de  l'homme,  le  fils  d'une  Vierge.  Ce  n'est  pas 
«  le  Père  ni  le  Saint-Esprit  qui  a  souffert,  c'est  le  Fils; 
«  afin  que  celui  qui  s'était  fait  chair  dans  le  monde  fût 
«  offert  pour  le  monde.  Quant  à  cette  distinction  de  per- 
«  sonnes  qui  te  déplaît ,  ce  n'est  pas  corporellement,  mais 
«  spirituellement  qu'il  faut  l'entendre.  Ainsi  dans  les  trois 
«  personnes  est  une  seule  gloire,  une  seule  éternité,  une 
«  seule  puissance.  »  Emu  de  colère ,  il  me  dit  :  «  J'expo- 
«  serai  ces  idées  à  de  plus  sages  que  toi ,  qui  m'approu- 
«  veront.  —  Ce  ne  sera  jamais  un  sage,  répondis-je,  mais 
«  un  insensé  qui  adoptera  le  parti  que  tu  proposes.  »  Fu- 
rieux, à  ces  mots,  il  garda  le  silence.  Peu  de  jours  après, 
Sauve,  évêque  d'Albi ,  étant  venu  auprès  de  lui,  il  lui 

(i)  Chilpéric  suppose  ici  des  sentimens  et  des  affections  terres- 
tres à  des  hommes  morts  depuis  long -temps.  Il  les  regarde  comme 
des  ennemis ,  parce  qu'il  a  une  opinion  contraire  à  la  leur.  Ils  peu- 
vent lui  faire  du  mal  ;  mais  il  esjicre  apparemment  s'en  garantir, 
svec  l'aide  d'autres  saints.  Voyez  vr ,  27. 


LIVRE  CINQUIÈME.  325 

fît  développer  ses  principes,  ea  le  priant  d'être  de  son 
avis.  Mais  à  la  lecture,  celui-ci  les  repoussa  si  vivement, 
que,  s'il  eiit  pu  tenir  le  papier  qui  les  renfermait,  il 
l'eût  mis  en  pièces.  Ainsi  le  roi  abandonna  son  projet.  Ce 
même  roi  écrivit  encore  d'autres  livres  en  vers,  où  il 
semblait  prendre  Sédulius  pour  modèle  ;  mais  ces  vers 
ne  sont  conformes  à  aucun  système  métrique.  11  ajouta 
aussi  quelques  lettres  aux  nôtres;  savoir  :  6  long  comme 
chez  les  Grecs,  ae ,  the ,  uui,  représentés  par  les  signes 
suivans  :  O  '*'  Z  a  (i).  Et  il  envoya  dans  toutes  les  villes 
de  son  royaume  l'ordre  de  les  enseigner  aux  enfans,  et 
d'effacer  avec  la  pierre  ponce  les  anciens  livres,  pour  les 
récrire  avec  les  nouveaux  caractères. 

XLVI.  En  ce  temps  mourut  Agricola ,  évêque  de  Cha- 
lon-sur-Saône,  personnage  distingué,  prudent,  et  d'une 
famille  sénatoriale.  Il  éleva  dans  cette  ville  un  grand 
nombre  d'édifices,  bâtit  des  maisons,  et  construisit  une 
église  soutenue  par  des  colonnes,  et  ornée  de  marbres  de 
diverses  couleurs  et  de  peintures  en  mosaïque.  Ce  fut  un 
homme  d'une  grande  abstinence  ;  car  jamais  il  ne  prit 
d'autres  repas  que  le  souper;  et  il  y  restait  si  peu  de 
temps  qu'il  se  levait  de  table  avant  le  soleil  couché.  Petit 
de  taille ,  il  était  grand  par  son  éloquence.  Il  mourut  la 
quarante-huitième  année  de  son  épiscopat ,  la  quatre- 
vingt-troisième  de  son  âge;  et  eut  pour  successeur  Flavius, 
référendaire  du  roi  Contran. 

XL VII.  En  ce  temps  aussi  sortit  de  ce  monde  Del- 
mace,  évêque  de  Rhodez  ,  personnage  en   tous    points 

(i)  Voyez  Eclairciss.  c    obscrv.  (JNolc  c.) 


326  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

cminent  par  sa  sainteté,  abstinent  sous  le  rapport  de  la 
nourriture  et  des  désirs  de  la  chair;  charitable,  humain 
pour  tous,  assidu  à  la  prière  et  aux  veilles.  Il  bâtit  une 
église  ;  mais  détruisant  sans  cesse  les  constructions  pour 
la  rendre  plus  belle,  il  la  laissa  inachevée.  Après  sa  mort, 
beaucoup  de  personnes,  selon  l'usage,  demandèrent  son 
épiscopat.  Le  prêtre Transobad, autrefois  son  archidiacre, 
y  avait  surtout  des  prétentions,  comptant  sur  son  fils  qu'il 
avait  recommandé  à  Gogon,  alors  nourricier  du  roi  (i). 
Mais  l'évêque  avait  fait  un  testament  oii  il  indiquait  au 
roi  celui  qui  devait  après  sa  mort  recevoir  ce  présent,  le 
conjurant,  par  les  protestations  les  plus  terribles,  de  n'or- 
donner dans  cette  église  ni  un  étranger,  ni  quelqu'un  de 
cupide  ou  qui  fût  enchaîné  par  les  liens  du  mariage,  mais 
do  lui  substituer  un  homme  libre  de  tous  ces  soins,  qui  pas- 
sait sa  vie  à  chanter  les  louanges  du  Seigneur.  Cependant 
le  prêtre  Transobad  prépare  dans  la  ville  un  grand  repas 
pour  le  clergé.  Tandis  qu'ils  étaient  à  table,  un  des  prêtres 
se  mit  à  censurer  impudemment  l'évêque  dont  nous  par- 
lons ,  et  s'emporta  au  point  de  le  nommer  sot  et  insensé. 
Comme  il  disait  ces  mots,  l'échanson  vint  lui  présenter 
à  boire.  Il  prend  le  vase,  le  porte  à  sa  bouche,  mais  un 
tremblement  le  saisit,  la  coupe  lui  échappe  des  mains  (2), 
et  inclinant  la  tête  sur  le  convive  placé  près  de  lui ,  il 


(i)  Nutritius  paraît  avoir  quelquefois  le  même  sens  que  conviva  régis 
de  la  loi  salique,  tit.  xliii  ,  §.  6,  celui  qui,  par  son  rang  et  sa  nais- 
sance, était  admis  à  la  table  du  roi  ;  mais  ici  il  est  évidemment  syno- 
nyme de  nutritor.  Voyez  liv.  vi,  chap.  i,  et  liv.  vm,  chap.  22. 

(2)       Sed  tremor  inter  vina  subit,  calidumque  triental 
Excutil  e  rnanibus ,   dentés  crepuere  retecti, 
Uncta  cadunt  Iaxis  tune  pulmentaria  labris,  etc. 

Perse,  Satyr.  m,   100  et  seq. 


LIVRE  CINQUIÈME.  327 

a-entlit  l'aine.  Emporté  du  festin  au  tombeau,  il  fut  mis 
en  terre.  Ensuite,  quand  on  eut  lu  le  testament  de  l'évê- 
que,  en  présence  du  roi  Ghildebert  et  de  ses  grands, 
Théodose,  alors  archidiacre  de  cette  ville,  fut  nommé 
évêque. 

XLVIII.  Chilpéric,  apprenant  tout  le  mal  que  Leu- 
daste  (i)  faisait  aux  églises  et  au  peuple  de  Tours,  y 
envoya  Ansovald.  Celui-ci,  étant  arrivé  à  Tépoque  de  la 
fête  de  Saint-Martin,  nous  donna,  ainsi  qu'au  peuple, 
la  liberté  du  choix,  et  Eunomius  fut  élevé  à  la  dignité 
de  comte.  Leudaste,  se  voyant  écarté,  alla  trouver  Chil- 
péric, et  lui  dit  :  «  Jusqu'ici,  6  très  pieux  roi,  j'ai  gardé 
«  ta  ville  de  Tours  :  maintenant  que  cette  fonction  m'a 
«  été  enlevée,  avise  aux  moyens  de  la  garder;  car  sache 
«  que  l'évêque  Grégoire  se  propose  de  la  livrer  au  fils  de 
«  Sigebert.  »  A  ces  mots  le  roi  lui  dit  :  «  Il  n'en  est  rien  ; 
«  c'est  parce  que  tu  es  destitué  que  tu  inventes  cette  ac- 
te cusation. — L'évêque  parle  de  toi  avec  plus  d'insolence 
«encore,  ajouta-t-il;  car  il  prétend  que  la  reine  ton 
«  épouse  vit  en  adultère  avec  l'évêque  Bertrand.  »  Alors 
le  roi  irrité,  le  frappa  des  poings  et  des  pieds,  le  fit  char- 
ger de  chaînes  et  enfermer  dans  une  prison. 

XLIX.  Comme  ce  livre  semble  demander  une  fin,  je  veux 
raconter  quelques  unes  des  actions  de  ce  même  Leudaste; 
mais  auparavant  je  crois  devoir  rappeler  sa  naissance,  sa 
patrie,  son  caractère.  Il  est  une  île  du  Poitou  nommée 
Cracina  (a).  C'est  là  que  de  l'esclave  d'un  vigneron  du  fisc, 
nommé  Léocadius,  naquit  Leudaste.  Ensuite,  appelé  au 


(i)  Dont  il  a  été  question,  v,  14. 
{'2)  C'est  l'île  de  Rc. 


328  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

service,  il  fut  employé  à  la  cuisine  royale  :  mais  comme  i5 
avait  dans  sa  jeunesse  des  yeux  chassieux  qui  s'accommo- 
daient mal  du  piquant  de  la  fumée,  il  passa  du  pilon  au 
pétrin.  Tout  en  paraissant  se  plaire  au  milieu  des  pâtes 
fermentées ,  il  s'enfuit  et  quitta  le  service.  Il  fut  ramené 
deux  ou  trois  fois  :  mais  attendu  qu'on  ne  pouvait  le  rete- 
nir, on  le  punit  en  lui  coupant  une  oreille.  Puis,  comme  il 
n'était  aucune  puissance  capable  de  cacher  la  note  d'in- 
famie imprimée  à  son  corps,  il  s'enfuit  auprès  de  la  reine 
Marco vi è vc  (i),  que  le  roi  Charibert,par  un  excès  d'amour, 
avait  admise  dans  son  lit  à  la  place  de  sa  sœur.  Elle  le-re- 
cueillit  avec  bonté,  l'avança  et  lui  confia  la  garde  de  ses 
meilleurs  chevaux.  Dès  lors,  tourmenté  par  la  vanité,  tou- 
jours avide  d'élévation,  il  ambitionna  le  titre  de  comte 
des  étables  (2),  et,  l'ayant  obtenu,  il  n'eut  plus  que  du 
dédain  et  du  mépris  pour  tout  le  monde.  Enflé  d'orgueil, 
livré  à  tous  les  plaisirs,  enflammé  de  cupidité,  partisan 
dévoué  de  la  reine,  il  s'entremit  de  côté  et  d'autre  pour 
les  intérêts  de  sa  protectrice.  Après  sa  mort,  engraissé 
de  butin,  il  offrit  des  présens  au  roi  Charibert ,  et  ob- 
tint d'exercer  auprès  de  lui  les  mêmes  fonctions.  Ensuite, 
pour  les  péchés  du  peuple,  il  fut  nommé  comte  à  Tours. 
Là  il  affecta  encore  plus  l'insolence  d'une  haute  dignité;  là 
il  se  montra  rapace  pour  le  pillage,  arrogant  dans  les  que- 
relles, ignoble  par  ses  adultères;  et,  par  son  talent  à  faire 
naître  la  discorde  et  à  semer  la  calomnie ,  il  y  accumula 
d'immenses  trésors.  Après  la  mort  de  Charibert,  cette 


(i)  Yoyez  iv,  26. 

(•i)  Titre  qui  fut  depuis  le  premier  dans  l'ordre  militaire,  sous 
celui  de  cnnnt'lnblc.  Alors  c'était  comme  uuc  intendance  sur  toutes 
les  écuries  d'im  roi  ou  d'une  reine  :  et  déjà  ,  ou  le  voit  par  ce  passage , 
cette  charge  était  regardée  comme  imi)orlante. 


LIN  RE  CINQUIÈME.  3-20 

ville  étant  entrée  dans  le  partage  de  Sigebert ,  Leudaste 
passa  du  côté  de  Chilpéric,  et  toutes  ses  richesses,  in- 
justement amassées,  furent  pillées  par  les  fidèles  de  Si- 
gebert. Quand  le  roi  Chilpéric  envahit  la  ville  do  Tours 
par  les  armes  de  Théodebert  son  fils  (i),  j'étais  déjà  arrivé 
à  Tours  ;  et  Leudaste  me  fut  vivement  recommandé  par 
Théodebert,  pour  recouvrer  le  comté  qu'il  avait  eu  au- 
paravant. Il  se  faisait  devant  nous  humble  et  soumis ,  et 
jurait  souvent  sur  le  tombeau  du  saint  évêque  que  jamais 
il  n'agirait  contre  les  lois  de  la  raison,  et  que  pour  mes 
intérêts  particuliers  comme  pour  les  besoins  de  l'Eglise, 
il  me  serait  toujours  fidèle.  Il  craignait,  ce  qui  arriva  en 
effet,  que  le  roi  Sigebert  ne  remît  la  ville  sous  son  obéis- 
sance. A  sa  mort,  Chilpéric,  en  étant  redevenu  le  maître, 
rendit  le  comté  à  Leudaste  :  mais  quand  Mérovée  vint  à 
Tours,  ce  prince  pilla  toutes  ses  richesses.  Pendant  les  deux 
ans  que  Sigebert  avait  été  maître  de  Tours,  Leudaste  s'était 
tenu  caché  en  Bretagne.  Quand  il  fut  en  possession  de 
son  comté,  comme  je  l'ai  dit,  il  s'enfla  d'un  si  vain  or- 
gueil, qu'il  entrait  dans  la  maison  de  l'église  couvert  de 
son  corselet  et  de  sa  cuirasse ,  armé  d'un  carquois,  une 
lance  à  la  main ,  et  le  casque  en  tête  ;  ayant  tout  à  redou- 
ter de  chacun,  parce  qu'il  était  l'ennemi  de  tout  le  monde. 
Si  en  siégeant  comme  juge  avec  les  principaux  du  pays,  soit 
clercs,  soit  laïcs,  il  voyait  quelqu'un  soutenir  son  droit, 
aussitôt  il  entrait  en  furie,  et  vomissait  des  invectives 
contre  les  citoyens.  Il  faisait  entraîner  les  prêtres  par  des 
menottes,  et  frapper  les  soldats  à  coups  de  bâton  :  enfin, 
telle  était  sa  cruauté  qu'on  ne  saurait  l'exprimer  en  pa- 
roles. Au  départ  de  Mérovée,  qui  avait  pillé  ses  trésors,  il 

''i)  Liv.  IV,  chap.  48. 


330  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

se  fît  mon  dénonciateur,  assurant  faussement  que  c'était 
par  notre  conseil  que  Mérovée  lui  avait  enlevé  ses  richesses. 
Mais,  après  nous  avoir  fait  bien  du  mal,  il  nous  réitéra 
ses  sermens,  et  jura  sur  la  couverture  du  tombeau  de  saint 
Martin  (i)  qu'il  ne  se  montrerait  jamais  notre  adversaire. 

L.  Mais  comme  il  serait  trop  long  de  passer  en  revue 
ses  parjures  et  ses  autres  forfaits,  contentons-nous  de 
dire  comment  il  voulut  me  supplanter  par  d'iniques  et 
criminelles  accusations,  et  comment  la  justice  divine  tomba 
sur  lui,  selon  cette  parole  :  Quiconque  veut  supplanter 
seiu  supplanté  lui-même  (2)  ;  et  cette  autre  :  Celui  qui 
creuse  une  fosse  y  tombera  (3).  Aussi ,  après  m'avoir 
causé  beaucoup  de  maux,  à  moi  et  aux  miens,  après  avoir 
pillé  souvent  les  biens  de  l'église,  il  s'adjoignit  le  prêtre 
Riculf ,  aussi  méchant  que  lui ,  et  alla  jusqu'à  dire  que 
j  avais  accusé  d'un  crime  la  reine  Frédegonde;  assurant 
que  si  Platon,  mon  archidiacre,  et  Gallien,  mon  ami, 
étaient  soumis  à  la  question,  ils  pourraient  me  convaincre 
d'avoir  ainsi  parlé.  Alors  le  roi,  irrité,  le  frappa,  comme 
je  l'ai  dit  (4),  des  poings  et  des  pieds,  le  fît  charger  de 
chaînes ,  et  enfermer  dans  une  prison.  Or  Leudaste  pré- 
tendait tenir  du  clerc  Riculf  tous  les  faits  qu'il  avait 
rapportés.  Ce  Riculf  était  un  sous-diacre,  homme  léger 
comme  l'autre  (5),  et  facile  à  séduire.  L'année  précédente, 

(i)  Nous  avons  vu  un  semblable  serment  sur  la  nappe  de  l'autel, 
prononce  par  Gontran  Boson,cbap.   14. 

(2)  Jérémie,  ix,  4- 

(3)  Prov.,  XXVI,  27. 

(4)  Chap.  48,  p.  337. 

(5)  Ne  confondons  pas,  dans  tout  ce  récit,  Riculf  le  prêtre,  avec 
lAiculf  le  clerc  ou  le  squs-diacre,  tous  deux  ennemis  de  Grégoire. 


LIVRE  CINQUIÈME.  331 

yj3rès  s'être  entendu  sur  ce  sujet  avec  Leudaste,  il  avait 
cherché  une  occasion  de  se  mettre  en  opposition  avec 
moi,  et  de  passer  de  son  côté  (i).  Quand  il  l'eut  enfin 
trouvée,  il  alla  le  rejoindre,  et  après  avoir  pendant  quatre 
mois  préparé  des  ruses  et  des  pièges  de  toute  espèce,  il 
revint  à  moi  avec  Leudaste,  en  me  suppliant  de  le  rece- 
voir et  de  lui  pardonner.  Je  cédai,  je  l'avoue,  et  je  reçus 
publiquement  dans  ma  maison  un  ennemi  caché.  Lors  du 
départ  de  Leudaste,  il  se  jeta  à  mes  pieds  en  disant  : 
«  Si  tu  ne  me  secours  bien  vite,  je  vais  périr.  A  l'insti- 
«  gation  de  Leudaste,  j'ai  parlé  comme  je  ne  devais  pas 
«  le  faire.  Mais  fais -moi  passer  dans  d'autres  royaumes; 
«  autrement,  saisi  par  les  gens  du  roi,  je  serai  puni  de 
«  mort.  —  Si  tu  as  parlé  contrairement  à  la  raison ,  lui 
«  dis-je,  que  tes  paroles  retombent  sur  ta  tête;  car  pour 
«  moi  je  ne  t'enverrai  pas  dans  un  autre  royaume,  de  peur 
ce  de  me  rendre  suspect  aux  yeux  du  roi.  »  C'est  ensuite 
que  Leudaste  devint  son  accusateur,  en  déclarant  avoir 
entendu  de  la  bouche  du  sous -diacre  Riculf  les  paroles 
rapportées  plus  haut.  Quand  on  eut  relâché  Leudaste , 
Riculf,  à  son  tour  enchaîné  et  gardé  à  vue,  dit  que  Gallieu 
et  l'archidiacre  Platon  avaient  été  présens  le  jour  même 
que  l'évêque  avait  tenu  ces  propos.  Quant  à  Riculf  le 
prêtre,  qui  avait  déjà  reçu  de  Leudaste  la  promesse  de 
l'épiscopat,  il  était  devenu  si  insolent  que  son  orgueil 
pouvait  se  comparer  à  celui  de  Simon  le  magicien.  Après 
m'avoir  prêté  serment  trois  fois  et  plus  sur  le  sépulcre  de 
saint  Martin,  il  m'assaillit  d'injures  et  d'outrages  le  sixième 


(i)  Remarquez  le  comte  et  l'évêque,  chefs,  en  quelque  sorte,  cha- 
cun d'un  parti  différent  :  ils  étaient  rarement  d'accord.  C'était  la  lutte 
naturelle  de  l'autorité  civile  contre  l'autorité  ecclésiastique. 


332  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

jour  après  Pâques,  et  faillit  porter  les  mains  sur  inoi> 
comptant  bien  sur  le  succès  de  la  ruse  qu'il  avait  préparée. 
Le  lendemain,  c'est-à-dire  le  samedi  de  Pâques,  Leudaste 
vint  à  Tours,  et,  feignant  d'être  venu  pour  tout  autre 
chose,  il  saisit  et  jeta  en  prison  Platon  l'archidiacre  et 
Gallien,  les  fit  garrotter,  dépouiller  de  leurs  vêtemens,  et 
conduire  à  la  reine.  En  apprenant  cette  nouvelle  (j'étais 
alors  dans  la  maison  de  l'église),  triste,  troublé,  j'entrai 
dans  mon  oratoire,  et  je  pris  le  livre  des  chants  de  David, 
pour  y  trouver,  en  l'ouvrant,  un  verset  propre  à  me  con- 
soler. Je  tombai  sur  celui-ci  :  //  les  ajciit  sortir  avec  V es- 
pérance,  et  ils  n'ont  pas  craint^  et  la  mer  a  couvert 
leurs  ennemis  {{).  Cependant  ils  s'étaient  embarqués  sur 
le  fleuve,  dans  un  ponton  formé  de  deux  bateaux.  Celui  qui 
portait  Leudaste  s'enfonça;  et  si  celui-ci  ne  se  fût  échappé 
à  la  nage ,  il  eût  peut-être  péri  avec  ses  compagnons. 
L'autre  bateau,  attaché  au  premier,  et  qui  portait  les  pri- 
sonniers, se  soutint  sur  l'eau  par  la  protection  divine.  Les 
prévenus,  conduits  devant  le  roi,  furent  accusés  vivement, 
et  on  requit  contre  eux  une  sentence  capitale.  Mais  le 
roi,  après  une  mûre  réflexion,  leur  fit  oter  leurs  liens,  et 
les  retint  sous  une  garde  libre  (2),  sans  leur  avoir  fait 
aucun  mal.  A  Tours,  le  duc  Bérulf,  de  concert  avec  le 
comte  Eunomius,  imagina  de  répandre  le  faux  bruit  que 
le  roi  Contran  voulait  s'emparer  de  Tours;  et  pour  pré- 
venir toute  négligence,  «il  faut,  disait-il,  consigner  la 
«  ville  par  une  garde  sévère.  »  En  conséquence  de  cette 
ruse,  ils  placent  aux  portes  des  sentinelles  qui,  en  parais- 

(1)  Ps.    LXXVII,    V.   53. 

(2)  Yoyoz  un  exemple  de  garde  libre,  ci -dessus,  chap.  5.  —  Ce 
même  Platon  devint  plus  tard  évêrjuc  de  Poitiers.  (Ruin) 


LIVRE  CINQUIÈME.  333 

saut  garder  la  ville,  devaient  surtout  garder  ma  personne. 
Ils  m'envoient  même  des  gens  pour  me  conseiller  de 
prendre  les  objets  les  plus  précieux  de  l'église,  et  de  m'en- 
fuir  secrètement  à  Clermont  :  mais  je  n'écoutai  rien.  Le 
roi ,  avant  donc  convoqué  les  évêques  de  son  royaume , 
voulut  que  cette  affaire  fût  examinée  à  fond.  Comme 
Riculf  le  clerc  était  souvent  interrogé  en  particulier,  et 
qu'il  débitait  mille  faussetés  contre  moi  et  les  miens,  un 
certain  Modeste,  ouvrier  en  bois,  lui  dit  :  «  Malheureux, 
«  qui  inventes  contre  ton  évêque  des  calomnies  si  outra- 
ge geuses  !  tu  aurais  mieux  fait  de  garder  le  silence,  et  de 
«  demander  pardon  à  l'évêque  pour  rentrer  en  grâce  avec 
«  lui.  »  A  ces  mots  Riculf  se  mit  à  crier  à  haute  voix  : 
«  En  voilà  un  qui  m'ordonne  le  silence  pour  que  je  ne 
«  découvre  pas  la  vérité  !  voilà  un  ennemi  de  la  reine  ; 
«  car  il  ne  permet  pas  d'approfondir  une  accusation  qui 
«  la  compromet  !  »  Ces  paroles  sont  reportées  de  suite  à  la 
reine.  On  se  saisit  de  Modeste;  il  est  torturé,  flagellé.  Hé 
étroitement,  et  jeté  en  prison.  Tandis  qu'au  milieu  de  la 
nuit  il  était  retenu  par  des  chaînes  et  des  ceps  aux  pieds, 
entre  deux  gardiens,  les  voyant  endormis,  il  adressa  une 
prière  au  Seigneur  pour  que  sa  puissance  daignât  visiter 
un  malheureux ,  et  délivrât  un  innocent  enchaîné ,  par 
l'entremise  des  évêques  Martin  et  Médard.  Bientôt  ses 
liens  tombèrent,  les  ceps  furent  brisés,  la  porte  s'ouvrit, 
et  il  entra  dans  la  basilique  de  Saint-Médard,  où  je  veil- 
lais pendant  la  nuit. 

Les  évêques,  s'étant  rassemblés  à  Braine,  reçurent  ordre 
de  résider  dans  une  même  maison.  Le  roi ,  s'y  étant  rendu, 
les  salua  tous,  reçut  leur  bénédiction,  et  s'assit.  Alors 
Bertrand,  évêque  de  Bordeaux,  attaqué  lui-même  par  le 
rapport  fait  contre  la  reine,  exposa  l'affaire  et  m'intcr- 


334  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

pella  comme  auteur  de  l'accusation  portée  contre  lui  et 
la  reine.  J'assurai  en  toute  vérité  n'avoir  jamais  tenu  tic 
pareils  propos;  que  si  d'autres  les  avaient  entendus,  pour 
moi  j'y  étais  parfaitement  étranger  (  i  ).  En  dehors,  le  peuple 
faisait  grand  bruit,  et  disait  :  «  Pourquoi  de  telles  impu- 
te tations  contre  un  prêtre  de  Dieu?  Pourquoi  le  roi  pour- 
ce  suit-il  une  telle  affaire?  Un  évêque  a-t-il  pu  parler  ainsi 
«même  d'un  esclave?  Hélas!  hélas!  Seigneur  Dieu,  sois 
«  en  aide  à  ton  serviteur.  »  Cependant  le  roi  disait  :  «  Une 
«  accusation  contre  mon  épouse  est  un  opprobre  pour 
«  moi.  Si  vous  êtes  d'avis  que  l'on  produise  des  témoins 
«contre  l'évêque,  ils  sont  là.  S'il  vous  paraît  que  cela 
«  soit  inutile  et  qu'on  doive  s'en  rapporter  à  la  bonne 
«  foi  de  l'évêque,  parlez;  je  me  soumettrai  à  tout  ce  que 
«  vous  déciderez.  »  Tous  admirèrent  la  prudence  et  en 
même  temps  la  modération  du  roi.  Tous  s'accordant  à  dire 
qu'on  ne  pouvait  admettre  le  témoignage  d'un  inférieur 
contre  son  évêque',  l'affaire  se  réduisit  à  ce  point  :  je  de- 
vais dire  la  messe  à  trois  autels;  puis  me  justifier  par 
serment  de  l'accusation  ;  et,  quoique  contrairement  aux  ca- 
nons (2),  la  chose  se  fit  ainsi,  en  considération  du  roi.  Je 
ne  passerai  pas  non  plus  sous  silence  que  la  reine  Ri- 
gonthe  (3),  compatissant  à  mes  peines,  jeûna  avec  toute 
sa  maison  ,  jusqu'à  ce  qu'un  serviteur  lui  eût  annoncé  que 

(1)  En  adoptant  la  ponctuation  du  texte  proposée  par  M.  Guérard, 
il  faudrait  traduire  :  j'asaurai  n'avoir  jamais  tenu,  ni  même  entendu 
de  pareils  propos  :  qu'ils  avaient  pu  entrer  dans  la  pensée  d'autres 
personnes,  mais  non  dans  la  mienne. 

(2)  Ce  qui  fait  supposer,  quoi  qu'en  pense  Ruinart ,  qu'il  célébra 
trois  fois  la  messe.  Selon  R.,  après  la  messe  dite,  il  prêta  serment 
sur  trois  autels  successifs. 

(3)  Fille  de  Frédegonde ,  appelée  reine ,  comme  les  fils  des  rois 
<'laiont  appelés  rois  eux-mêmes,   m,   22;  i\,   i3. 


LIVRE  CINQUIÈME.  335 

j'avais  rempli  toutes  les  conditions  prescrites.  De  retour 
auprès  du  roi ,  les  évêques  lui  disent  :  «  L'évêque  a  satis- 
«  fait  à  tout  ce  qu'on  exigeait  de  lui.  Que  reste-t-il  à  faire 
«maintenant,  sinon  de  te  priver  de  la  communion  avec 
«  Bertrand,  accusateur  d'un  de  ses  frères? —  Je  n'ai  fait 
«  que  répéter  ce  que  j'avais  entendu,  »  leur  répondit  le  roi. 
Ils  lui  demandèrent  l'auteur  de  ces  propos  injurieux;  il 
avoua  les  tenir  de  Leudaste.  Mais  celui-ci ,  par  défaut  de 
sagesse  ou  de  courage,  avait  déjà  pris  la  fuite.  Alors  tous 
les  évêques  furent  d'avis  que  l'auteur  du  scandale,  le  ca- 
lomniateur de  la  reine,  l'accusateur  d'un  évêque,  fût 
exclu  de  toutes  les  églises  pour  s'être  soustrait  à  leur 
jugement;  et  ils  envoyèrent  pour  cet  objet  une  circulaire 
signée  de  tous  aux  évêques  qui  n'avaient  pas  assisté  au 
concile  :  puis  chacun  retourna  chez  soi.  A  cette  nouvelle, 
Leudaste  se  réfugia  dans  la  basilique  de  Saint-Pierre,  à 
Paris.  Mais  ayant  appris  l'édit  du  roi  qui  défendait  à  tout 
habitant  de  son  royaume  de  le  recueillir,  et  surtout  la 
mort  de  son  fils  qu'il  avait  laissé  chez  lui,  il  vint  secrè- 
tement à  Tours,  et  fit  passer  en  Berri  tout  ce  qu'il  avait 
de  plus  précieux.  Poursuivi  encore  parles  serviteurs  du  roi, 
il  parvint  à  leur  échapper  par  la  fuite.  Sa  femme  fut  prise 
et  envoyée  en  exil  dans  le  Tournaisis.  Quant  au  clerc  Ri- 
culf,  il  fut  condamné  à  mort.  J'obtins  avec  peine  grâce  pour 
sa  vie;  mais  je  ne  pus  le  soustraire  aux  tortures.  Aucun 
objet  matériel,  aucun  métal,  ne  pourrait  résister  à  tous 
les  coups  que  supporta  ce  malheureux.  Depuis  la  troisième 
heure  du  jour,  il  restait  suspendu  à  un  arbre,  les  mains 
attachées  derrière  le  dos.  Détaché  à  la  neuvième,  il  était 
étendu  sur  une  roue,  et  frappé  à  coups  de  bâton,  de  verges, 
de  courroies  mises  en  double ,  et  non  par  une  ou  deux 
personnes  ;  mais  tous  ceux  qui  pouvaient  approcher  de 


336  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

SCS  miséral)les  membres  étaient  pour  lui  autant  de  bour- 
reaux. Se  voyant  en  danger  de  mort ,  il  découvrit  la  vé- 
rité, et  publia  le  complot  tramé  secrètement.  Il  dit  qu'on 
avait  accusé  la  reine  afin  qu'elle  fût  cbassée  du  trône;  que 
Clovis,  après  le  meurtre  de  ses  frères  (i),  possédât  le 
royaume  de  son  père,  et  que  Leudaste  en  eût  le  gou- 
vernement. Le  prêtre  Riculf,  qui  dès  le  temps  du  saint 
évêque  Eufronius  était  ami  de  Clovis,  aurait  alors  de- 
lîiandé  l'épiscopat  de  Tours;  et  on  avait  promis  l'archi- 
diaconat  à  Riculf  le  clerc. 

Pour  nous,  revenu  à  Tours  avec  la  grâce  de  Dieu,  nous 
trouvâmes  l'église  toute  troublée  par  Riculf  le  prêtre. 
Tiré  sous  l'évêque  Eufronius  de  la  classe  des  pauvres  (2), 
il  fut  ordonné  archidiacre.  Puis,  élevé  à  la  prêtrise,  il 
revint  à  son  naturel  (3);  toujours  hautain,  bouffi  d'or- 
gueil ,  présomptueux.  En  effet ,  tandis  que  j'étais  encore 
avec  le  roi,  comme  s'il  eût  été  déjà  évêque,  il  entra  im- 
pudemment dans  la  maison  épiscopale,  fit  l'inventaire  de 
l'argenterie  de  l'église,  et  s'empara  de  tout  le  reste.  Il  fit 
de  riches  présens  aux  principaux  clercs,  leur  distribua 
généreusement  des  vignes  et  des  prés  ;  aux  moindres,  il 
donna,  même  de  sa  propre  main,  des  coups  de  bâton,  et 
les  maltraita  de  toutes  les  manières,  en  leur  disant  :  «  Re- 
«  connaissez  votre  maître,  qui  a  remporté  la  victoire  sur 


(i)  C'est-à-dire  les  jeunes  enfans  de  Frédegonde ,  dont  la  mort 
a  été  racontée  diap.  55.  Mais,  au  moment  du  procès,  ils  n'étaient 
pas  encore  morts.  Voyez  le  chap.  5i. 

(q)  Sur  les  pauvres  de  l'église,  voyez  ci -dessus,  chap.  27. 

(5)  On  n'a  pas  dit  précédemment  qu'il  se  fût  contraint.  Mais  ce 
sens  ,  adopté  par  le  traducteur  précédent ,  me  paraît  plus  naturel 
f[ue  celui-ci  :  //  se  retira  dans  ses  prnprie'te's  ;  ce  ffue  les  mots  la- 
lins  peuvent  également  signifier. 


LIVRE  CINQUIÈME  337 

«ses  ennemis;  dont  le  génie  a  purgé  la  ville  de  Tours 
«  de  tous  les  Auvergnats.»  Ignorant,  le  malheureux,  qu'à 
l'exception  de  cinq,  tous  ceux  qui  furent  chargés  de  l'épi- 
scopat  à  Tours ,  tenaient  à  la  famille  de  mes  parens.  Il 
disait  ordinairement  à  ses  familiers  qu'un  homme  prudent 
ne  peut  être  trompé  que  par  des  parjures.  A  mon  retour, 
il  continua  de  me  regarder  avec  mépris,  et  ne  vint  pas 
me  saluer  comme  les  autres  citoyens;  et  comme  il  me- 
naçait encore  plus  haut  de  me  tuer,  j'ordonnai ,  d'après 
l'avis  des  évoques  de  ma  province,  qu'il  fût  gardé  dans 
un  monastère.  Il  y  était  étroitement  renfermé;  mais  grâce 
à  l'intercession  de  certains  envoyés  de  l'évêque  Félix,  qui 
avait  été  l'un  des  instigateurs  de  l'affaire  précédente ,  et  à 
leurs  parjures  pour  circonvenir  l'abbé  ,  il  parvint  à 
s'échapper,  et  se  retira  auprès  de  Félix,  qui  accueillit  avec 
empressement  un  homme  vraiment  exécrable. 

Leudaste,  se  rendant  en  Berri,  avait  porté  avec  lui  tous 
les  trésors  qu'il  avait  amassés  avec  les  dépouilles  des  pau- 
vres. Peu  après,  des  gens  de  Bourges ,  réunis  avec  le  juge 
de  l'endroit,  vinrent  attaquer  sa  demeure,  lui  enlevèrent 
tout  l'or  et  l'argent  qu'il  avait  apporté,  ne  lui  laissant  que 
ce  qu'il  avait  sur  lui;  et  lui  auraient  arraché  la  vie,  s'il 
n'eût  échappé  par  la  fuite.  Mais  ensuite,  ayant  reformé 
son  parti,  il  se  jeta,  avec  quelques  gens  de  Tours,  sur  ces 
brigands,  en  tua  un ,  reprit  une  partie  de  ses  richesses,  et 
revint  en  Touraine.  A  cette  nouvelle,  le  duc  Bérulf  en- 
voya des  serviteurs  armés  pour  le  saisir.  Leudaste ,  se 
voyant  sur  le  point  d'être  pris,  abandonna  ses  effets,  et 
se  réfugia  dans  la  basilique  de  Saint-Hilaire  de  Poitiers. 
Le  duc  Bérulf  s'empara  de  ses  effets  et  les  envoya  au  roi. 
Cependant  Leudaste  sortait  souvent  de  la  basilique,  se 
jetait  sur  différentes  maisons,  et  se  livrait  publiquement 

I.  22 


338  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

au  pillage.  Souvent  même  il  fut  surpris  en  adultère  dans 
l'enceinte  du  saint  portique.  La  reine,  irritée  de  ce  qu'un 
lieu  consacré  à  Dieu  était  si  honteusement  profané,  le  fit 
jeter  hors  de  la  basilique  du  saint.  Chassé  de  là,  il  re- 
tourna de  nouveau  chez  ses  hôtes  du  Berri,  en  les  sup- 
pliant de  le  cacher  (i). 

LI.  J'aurais  dû  parler  plus  haut  de  mon  entretien  avec 
le  bienheureux  évêque  Sauve  (a);  mais  comme  j'ai  oublié 
de  le  faire,  ce  n'est  pas  un  sacrilège,  je  pense,  d'en  parler 
un  peu  plus  tard.  Lorsque  après  le  concile  mentionné  ci- 
dessus,  ayant  fait  au  roi  mes  adieux,  je  me  disposais  à 
revenir  chez  moi,  je  ne  voulus  point  partir  avant  d'avoir 
embrassé  cet  homme;  je  le  cherchai  donc,  et  le  trouvai 
dans  le  vestibule  de  notre  maison  de  Braine  (3).  Alors  je 
lui  annonçai  mon  prochain  départ.  Tandis  que  placés  à 
l'écart  nous  parlions  de  choses  et  d'autres  :  «  Vois-tu  sur 
«  ce  toit,  me  dit-il,  ce  que  j'y  aperçois  moi-même?  — 
«  Je  n'y  vois,  répondis-je,  que  la  toiture  supérieure  con- 
«  struite  dernièrement  par  ordre  du  roi.  —  Tu  ne  vois 
«  rien  autre  chose?  —  Non,  rien  autre  chose.  »  Et,  soup- 
çonnant qu'il  plaisantait,  j'ajoutai  :  «  Si  tu  vois  quelque 
«  chose  de  plus,  dis-moi  ce  que  c'est.  )i  Alors,  poussant  un 
profond  soupir  :  «Je  vois,  dit-il,  le  glaive  de  la  colère 
«  divine  tiré  et  suspendu  sur  cette  maison.  »  Et  l'évêque 


(i)  Toute  cette  histoire  de  Leudaste  et  de  ses  inimitiés  contre  Gré- 
goire ,  fait  le  sujet  de  la  cinquième  lettre  sur  l'histoire  de  France  ; 
publiée  par  M.  Augustin  Thierry,  Rcs'uc  des  deux  Mondes,  i"  mai 
i85G. 

(2)  Chap.  45. 

(3)  Probablement  cette  maison  où  tous  les  évêques  devaient  sé- 
iourncr  pendant  la  durée  de  l'assemblée.  Voyez  le  chap.  précédent. 


LIVRE  CINQUIÈME.  339 

ne  s'abusa  pas  dans  sa  prédiction;  car,  vingt  jours  après, 
les  deux  fils  du  roi,  dont  j'ai  raconté  la  mort  précédem- 
ment (i),  n'existaient  plus. 


Ici  finit  le  livre  cinquième ,  s'arrêtant  a  la  cinquième 
année  du  roi  Childebert. 


(i)  Chap.  35. 


LIVRE  SIXIÈME. 


SOMMAIRES    DES    CHAPITRES    DU    LIVRE    SIXIEME. 

1,  Chîldebert  se  joint  à  Chilpérîc  :  fuite  de  Mummol.  —  2.  Les 
envoyés  de  Chilpcric  reviennent  d'Orient.  —  3.  Députation  de 
Childebert  à  Cliilpéric.  —  4.  Comment  le  dac  Loup  fut  chassé 
du  royaume  de  Childebert.  —  5.  Discussion  avec  un  jtiif.  — 
G.  Saint  Hospice  le  reclus;  son  abstinence,  ses  miracles.  — 
7.  Mort  de  Ferréol ,  évéque  d'Uzès.  —  8.  Eparchius,  reclus  de 
la  ville  d'Angoulcme.  —  9.  Domnol ,  évéque  du  Mans.  — 
10.  Basilique  de  Saint-Martin  volée  avec  effraction.  — 11.  L'évé- 
que  Théodore,  et  Dynamius.  —  12.  Armée  levée  contre  ceux 
de  Bourges.  —  13.  Assassinat  de  Loup  et  d'Ambroisc,  citoyens 
de  Tours.  —  l4.  Prodiges,  apparitions.  —  15.  Mort  de  l'évéque 
Félix.  — '16.  Pappolen  reprend  sa  femme.  —  17.  Juifs  convertis 
par  le  roi  Chilpéric.  —  18.  Les  envoyés  de  Chilpérîc  reviennent 
d'Espagne.  —  19.  Ce  qui  arriva  aux  hommes  de  Chilpéric  sin 
la  rivière  de  l'Orge.  —  20.  Mort  du  duc  Chrodin.  —  21.  Signes 
et  présages.  —  22.  L'évéque  Charticr.  —  23.  Naissance  d'un 
Hls  au  roi  Chilpéric.  —  24.  Perfidie  de  l'évéque  Théodore  : 
Gundovald.  —  25.  Signes  et  prodiges.  —  26.  Le  duc  Gontran  , 
et  Mummol.  —  27.  Entrée  du  roi  Chilpérîc  dans  Paris.  — 
28.  Marc  le  référendaire.  —  29.  Ce  qui  arriva  à  des  religieuses 
du  monastère  de  Poitiers  ;  ou,  miracles  opérés  dans  le  monastère 
de  Sainte-Radegonde.  —  30.  Mort  de  l'empereur  Tibère.  — 
31.  Maux  que  le  roi  Chilpéric  ordonna  de  faire  ou  fit  lui-même 
ians  les  villes  de  son  frère.  —  32.  Mort  de  Leudasle.  —  33.  Sau- 
terelles ,  maladies  ,  prodiges.  —  34.  Chilpéric  perd  un  fils,  qu'il 
avait  appelé  Théodoric.  —  35.  Mort  du  préfet  Mummol ,  et 
supplice  de  plusieurs  femmes.  —  36.  L'évéque  Ethérlus.  Con- 
diiik'  iU;régléc  d'un  certain  clerc.  —  37.  Assassinat  de  Liqience, 


HISTOIRE  DES  FRANCS.  LIVRE  SIXIÈME.  341 
.  abbé  dans  le  Gévaudau.  —  38.  Mort  de  l'évèque  Théodose  :  son 
successeur.  —  39.  Mort  de  Rémi,  évéque  de  Bourges.  Incendie 
de  la  ville.  Sulpice  succède  à  Renii.  —  40.  Dispute  soutenue  par 
nous  contre  un  hérétique.  —  41 .  Le  roi  Chilpéric  se  retire  à 
Cambray  avec  ses  trésors.  —  42.  Expédition  de  Childebert  en 
Italie.  —  43.  Rois  de  Galice.  —  44.  Divers  prodiges.  — 
45.  Noces  de  Rigonthe ,  fille  de  Chilpéric.  —  46.  Mort  du  roi 
Chilpéric. 

Fin  des  titres  des  chapitres.  Ici  commence  le  sixième  liçre ,  nui 
prend  à  la  sixième  année  du  roi  Childebert. 

I.  La.  sixième  année  de  son  règne  (i),  le  roi  Cliiltle- 
bert,  rejetant  l'alliance  du  roi  Gontran,  s'unit  avec  Chil- 
péric. Peu  après  mourut  Gogon  (2),  et  Wandelin  fut  mis 
à  sa  place.  Mummol  s'enfuit  du  royaume  de  Gontran ,  et 
s'enfenîia  dans  les  murs  d'Avignon  (3).  A  Lyon  se  réunit 
un  concile  d'évêques  (4),  qui  décida  certaines  questions, 
et  condamna  les  personnes  d'une  conduite  relâchée.  Le 
concile  se  rendit  ensuite  auprès  du  roi,  s'occupant  beau- 
coup de  la  fuite  du  duc  Mummol,  et  quelque  peu  des 
querelles  des  princes. 

IL  Cependant  des  députés  que  le  roi  Chilpéric  avait 


(i)  An58i. 

(u)  Appelé  nutritius  régis,  liv.  v,  chap.  47-  Mais  d'après  le  chap.  22 
du  liv.  VIII,  il  paraît  que  nutritius  doit  s'entendre  ici  dans  le  sens  do 
nutritnr.  Celui  qui  était  chargé  d'élever  le  prince  pendant  sa  première 
enfance. 

(3)  On  a  vu,  IV,  3o,  que  cette  ville  appartenait  à  Sigebert. 

(4)  Il  s'agit  ici,  à  ce  qu'il  paraît,  du  troisième  concile  de  Lyon, 
quoique,  dans  le  litre,  on  le  ])lace  à  la  vingt-deuxième  année  de 
(ioutian,  et  à  la  huitième  de  Childebert,  c'est-à-dire  en  583  (Ruiu.). 
C'est  aussi  la  date  rpie  0.  Labal  a  lixéc  pour  ce  concile.  Nous  en  avons 
les  six  canons.  Il  n'y  est  question  que  de  discipline  ccclcsiasliquc. 


342  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

envoyés  trois  ans  auparavant  auprès  de  l'empereur  Tibère, 
revinrent  enfin  non  sans  avoir  éprouvé  de  longues  fa- 
tigues et  de  grandes  pertes.  Comme  ils  n'avaient  osé 
îîborder  à  Marseille  à  cause  des  discordes  qui  divisaient 
les  rois,  ils  se  dirigèrent  vers  Agde,  ville  située  dans  le 
l'oyaume  des  Goths;  mais  au  moment  de  toucher  le  ri- 
vage, leur  vaisseau,  poussé  par  les  vents,  heurta  contre 
terre,  et  se  brisa.  Dans  ce  péril  extrême,  les  députés  et 
leur  suite  se  saisirent  de  planches,  et  atteignirent  la  rive 
avec  peine  :  plusieurs  de  leurs  gens  y  périrent;  mais  la 
])lupart  échappèrent.  Leurs  effets,  poussés  par  les  vagues 
sur  le  rivage,  avaient  été  pillés  par  les  habitans  :  ayant 
recouvré  les  plus  précieux,  ils  les  portèrent  au  roi  Cliil- 
péric  :  néanmoins  les  habitans  d'Agde  en  retinrent  une 
bonne  partie.  A  cette  époque  je  m'étais  rendu  à  la  mai- 
son royale  de  Nogent  (i),  pour  me  présenter  au  roi.  Là, 
ce  prince  nous  montra  un  grand  surtout  (2),  fabriqué  par 
son  ordre,  composé  d'or  et  de  pierres  précieuses,  et  du 
poids  de  cinquante  livres  :  «  Je  l'ai  fait,  dit-il,  pour  don- 
.f  ner  du  relief  et  de  l'éclat  à  la  nation  des  Francs.  J'en 
«  ferai  encore  bien  d'autres  si  Dieu  me  conserve  la  vie.  » 
Il  me  montra  aussi  des  médailles  d'or,  du  poids  d'une 
livre  chacune,  que  lui  avait  envoyées  l'empereur.  D'un 
côté,  elles  portaient  l'effigie  de  l'empereur,  avec  cette 
légende  à  l'entour  :  Tiberii.  Constantini.  Perpetui.  Au- 
GUSTF.  (Tibère ,  Constantin ,  Perpétuel ,  Auguste  )  ;  de 
l'autre,  un  char  à  quatre  chevaux  (3)  et  son  conducteur, 

(i)  Peut-être  Saint-Cloud,  ou  Nogent-sur-Marne. 

(2)  Missorium  ou  mejisorium,  peut  signifier  un  grand  plat,  ou  une 
espèce  de  buffet  chaigé  de  pièces  d'argenterie,  propre  à  être  placé 
sur  la  table. 

(3)  Ou  quadrille.  Les  pièces  ainsi  marquées  s'apiielaicut  quadiigati. 


LIVRE  SIXIÈME.  343 

avec  cette  iusciiption  :  Gloria.  Romanorum.  (Gloire  des 
Romains).  Il  me  fit  voir  encore  plusieurs  autres  objets 
précieux  que  lui  avaient  offerts  les  ambassadeurs. 

III.  Lorsque  le  roi  Chilpéric  était  encore  dans  celte 
campagne,  Égidius,  évêque  de  Reims,  vint  en  ambassade 
auprès  de  lui,  avec  les  premiers  d'entre  les  grands  de 
Ghildebert;  et,  après  une  conférence  où  l'on  proposa 
d'enlever  le  royaume  à  Contran,  et  de  former  une  alliance 
durable  entre  les  deux  rois,  Chilpéric  leur  dit  :  «Par 
ic  suite  de  mes  péchés ,  il  ne  me  reste  plus  de  fils ,  et  je 
(c  n'ai  même  à  présent  d'autre  héritier  que  le  fils  de  mon 
«  frère  Sigebert,  c'est-à-dire  le  roi  Ghildebert.  Ainsi,  qu'il 
c  soit  mon  héritier  pour  tout  ce  que  je  pourrai  acquérir 
«  par  mes  travaux.  Je  demande  seulement  de  jouir  de  tout, 
«  ma  vie  durant,  sans  crainte  et  sans  dispute.  »  Les  am- 
bassadeurs lui  rendirent  grâces ,  signèrent  les  conven- 
tions pour  confirmer  leurs  paroles,  et  retournèrent  auprès 
de  Ghildebert,  honorés  de  grands  présens.  Après  leur  dé- 
part, Chilpéric  lui  envoya  l'évêque  Leudovald  et  les  pre- 
miers de  son  royaume.  Ceux-ci  ayant  donné  et  reçu  des 
sermens,  et  confirmé  les  traités,  revinrent  avec  des  pré- 
sens de  Ghildebert. 

IV.  Cependant  Loup,  duc  de  Champagne,  était  conti- 
nuellement insulté  et  pillé  par  ses  ennemis,  surtout  par 
Ursion  et  Bertefred.  Enfin ,  ceux-ci  étant  convenus  de  le 
tuer,  marchèrent  contre  lui  avec  une  armée.  A  cette  vue, 
la  reine  Brunehaut,  compatissant  aux  maux  d'un  de  ses 
fidèles  persécuté  injustement,  s'arma  d'un  courage  viril, 
et  se  jeta  parmi  les  bataillons  ennemis,  en  s'écriant  :  «  Ar- 
«  rêtez,  6  guerriers!  gardez-vous  de  cette  mauvaise  action  ! 


344  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  gardez-vous  do  poursuivre  un  innocent!  gardez-vous, 
«  pour  un  seul  homme,  de  livrer  un  combat  qui  détruira 
i<  les  ressources  du  pays.  »  Tandis  qu'elle  parlait  encore , 
Ursion  lui  répondit  :  «Retire-toi,  femme  :  qu'il  te  suffise 
«  d'avoir  régné  sous  ton  mari  :  maintenant  c'est  ton  fils 
«  qui  règne ,  et  son  royaume  est  sous  notre  protection  et 
«  non  sous  la  tienne.  Retire-toi ,  si  tu  ne  veux  que  les  cornes 
«  de  nos  chevaux  iie  t'écrasent  comme  la  poussière  du 
«  sol.  »  Après  que  l'altercation  se  fut  prolongée  long-temps 
sur  ce  ton,  la  reine,  par  son  adresse,  obtint  enfin  que  le 
combat  n'eût  pas  lieu.  Mais,  en  quittant  la  place,  ils  se 
jetèrent  sur  les  maisons  de  Loup ,  pillèrent  ses  richesses 
sous  prétexte  de  les  réunir  au  trésor  du  roi,  et  les  empor- 
tèrent chez  eux,  en  proférant  des  menaces  contre  lui  : 
«  Il  n'échappera  pas  vivant  à  la  force  de  nos  bras.»  Loup, 
se  voyant  en  péril ,  mit  sa  femme  en  sûreté  dans  les  murs 
de  Laon  ;  lui-même  se  réfugia  auprès  du  roi  Contran, 
qui  le  reçut  avec  bonté;  et  il  y  resta  caché,  en  attendant 
que  Childebert  eût  atteint  l'âge  de  majorité  (i). 

V.  Le  roi  Chilpéric,  qui  était  encore  dans  la  campagne 
nommée  ci-dessus,  fit  préparer  ses  bagages,  afin  de  se 
rendre  à  Paris.  Comme  j'étais  venu  le  trouver  pour  lui 
dire  adieu,  il  survint  un  juif  nommé  Priscus,  attaché  au 
service  du  roi  pour  l'acquisition  de  divers  objets  de  luxe. 
Le  roi  l'ayant  pris  doucement  par  les  cheveux ,  me  dit  : 
«Viens,  prêtre  de  Dieu,  et  impose-lui  les  mains.))  Le 
juif  résistait  :  «  O  esprit  dur,  s'écria  le  roi;  6  génération 
«  toujours  incrédule,  qui  ne  comprend  pas  le  Fils  de 
«  Dieu  souvent  promis  par  la  voix  de  ses  prophètes;  qui 

(0  Voyez  Eclaiiuss.  cl  obsciv.  (JVolc  a.) 


LIVRE  SIXIÈME.  345 

K  lie  comprend  pas  les  mystères  de  l'Eglise,  figm-és  par 
<c  ses  sacrifices!  »  A  ces  paroles,  le  juif  répondit  :  «  Dieu 
«  n'a  pas  besoin  de  se  marier;  il  ne  s'enrichit  point  de 
«  postérité;  il  ne  souffre  point  d'associé  à  sa  puissance, 
w  car  il  dit  par  la  bouche  de  Moïse  :  Voyez,  voyez  que 
«ye  suis  le  Seigneur^  et  qu'il  n'est  pas  d'autre  Dieu 
«  que  moi.  C'est  moi  qui  tuerai  et  qui  Jerai  vivre  ; 
«  qui  frapperai  et  qui  guérirai  (i)-  »  Le  roi  répliqua  : 
K  Dieu  a  engendré  de  son  sein,  mais  spirituellement, 
«un  Fils  éternel,  ni  plus  jeune  d'âge,  ni  moindre  en 
«  pouvoir,  dont  il  a  dit  lui-même  :  Je  t'ai  engendré  de 
«  mo?i  sein  avant  l'étoile  du  jour  (2).  Ce  fils ,  né  avant 
«  les  siècles,  il  l'a  envoyé  dans  les  derniers  siècles  pour 
u  guérir  le  monde,  comme  le  dit  ton  prophète  :  //  a  en- 
u  voyé  son  verbe,  et  les  a  guéris  (3).  Tu  prétends  qu'il 
«n'engendre  pas?  écoute  ton  prophète  prêtant  ces  pa- 
«  rôles  au  Seigneur  :  Moi  qui  Jais  enfanter  les  autres^ 
i.(  n'enfanterai-je  pas  moi-même  (4)?  Or  il  parle  ici  du 
«  peuple  qui  renaît  en  lui  par  la  foi.  »  A  cela  le  juif  ré- 
pondit :  «  Dieu  a-t-il  pu  devenir  homme ,  naître  d'une 
«  femme ,  être  frappé  de  coups ,  condamné  à  mort  ?  » 
Comme  le  roi  gardait  le  silence,  je  me  mêlai  de  la  dis- 
pute. «  Il  fallait  que  Dieu,  Fils  de  Dieu,  devînt  homme, 
«  lui  dis-je;  il  y  avait  nécessité,  non  pour  lui,  mais  à  cause 
«  de  nous  ;  car  il  ne  pouvait  délivrer  l'homme  des  liens  du 
«péché,  et  le  racheter  de  la  servitude  du  diable,  s'il  ne 
«  se  fût  fait  homme.  Et  je  n'irai  pas  chercher  mes  témoi- 
«  gnages  dans  les  évangiles  ni  dans  l'apotrc,  auxquels  tu 

(i)  Deutér.,  xxxii,  Sg. 
(2)  Ps.  CIX,  3. 
f3)  Ps.  CVl,  10. 

(4)  Isaïc,  Lxvi,  9. 


346  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  ne  crois  pas;  mais  dans  les  livres  que  tu  avoues,  afin  de 
«  te  percer  de  ton  propre  glaive ,  comme  nous  y  lisons 
«  qu'autrefois  David  tua  Goliath.  Ainsi,  Dieu  devait  être 
«  fait  homme  ;  écoute  là-dessus  ton  prophète  :  Dieu  et 
«  homme,  qui  le  connaît  (i)?  Et  ailleurs  :  Cest  là  notre 
«  Dieu,  et  on  nen  reconnaîtra  pas  d'autre  que  lui.  Il 
«  a  trouvé  toutes  les  voies  de  la  science,  et  les  a  don- 
<■(  nées  a  Jacob  son  enfant,  a  Israël  son  bien- aimé. 
i(  Ensuite  il  a  été  vu  sur  la  terre ,  et  il  a  vécu  avec 
ce  les  hommes  (2).  Il  est  né  d'une  vierge  ;  écoute  encore 
«  ton  prophète  ;  Voici  qu'une  vierge  concevra  dans  ses 
(S.  flancs  y  et  enfantera  un  fils;  et  son  nom  sera  Em- 
'.<  manuel;  ce  qui  veut  dire ,  Dieu  est  avec  nous  (3).  Il 
«  devait  être  frappé,  percé  de  clous,  en  butte  à  mille  ou- 
«  trages,  à  mille  tourmens;  un  autre  prophète  dit  :  Ils  ont 
v^  percé  mes  mains  et  mes  pieds  ;  ils  se  sont  partagé 
(c  mes  vélemens  (4),  etc.  Et  ailleurs  encore  ;  Ils  m'ont 
«  donné  du  fîel  pour  nourriture  ,  et  dans  ma  soif  m'ont 
«  abreuvé  avec  du  vinaigre  (5).  Et  pour  annoncer  qu'il 
«  devait  par  le  supplice  de  la  croix  relever  le  monde 
«abattu,  le  soustraire  à  l'empire  du  démon,  et  le  re- 
a  mettre  sous  sa  loi,  le  même  David  a  dit  :  Le  Seigneur 
ic  a  régné  par  le  bois  (6).  Ce  n'est  pas  qu'il  n'ait  régné 
«  auparavant  avec  le  Père;  mais  il  a  voulu  prendre,  sur  le 


(i)  Ces  paroles  ne  se  trouvent  point  dans  notre  Vnigate. 

(2)  Baruch,  m,  56,  57,  58. 

(5)  Isaïe,  VII,  i4;  Matth.,  i,  25.  Grégoire,  qui  ne  veut  combattre  le 
]uif  qu'avec  les  citations  des  livres  juifs,  ne  devait  pas  ajouter  ces 
mots  :  quocl  est  inicrprciaium,  (-le.  Ils  ne  sont  que  dans  S.  Matthieu. 

(4)  Ps.  XXI,  17,  19. 

(5)  Ps.  Lxviu,  nn. 

(6)  Ps.  xcxv,  10.  "Voyez  Éclaiiciss.  el  obseiv.  (Note  b.) 


LIVRE  SIXIÈME.  347 

u  peuple  qu'il  avait  délivré  de  la  servitude  du  diable,  une 
u  royauté  plus  visible.  —  Et  quelle  nécessité  pour  Dieu, 
«  reprit  le  juif,  de  souffrir  tout  cela?  —  Je  te  l'ai  déjà 
«  dit,  lui  répondis-je  :  Dieu  créa  l'homme  innocent;  mais 
«  séduit  par  la  ruse  du  serpent,  l'homme  désobéit  au  pré- 
«  cepte  divin  ;  et ,  pour  ce  motif,  chassé  du  Paradis,  con- 
te damné  aux  travaux  de  la  terre,  il  fut  réconcilié  avec 
«  Dieu  par  la  mort  du  Christ  son  Fils  unique.  —  Mais 
«  Dieu  ne  pouvait-il  envoyer  des  prophètes  ou  des  apôtres 
«  pour  le  rappeler  à  la  voie  du  salut ,  sans  venir  s'humi- 
«  lier  lui-même  dans  la  chair?»  A  cela  je  répondis: 
«  Depuis  le  commencement  du  monde ,  le  genre  humain 
«  a  toujours  été  en  faute  ;  rien  n'a  pu  l'effrayer,  ni  la  sub- 
c(  mersion  produite  par  le  déluge ,  ni  l'incendie  de  So~ 
"  dôme  ,  ni  les  plaies  de  l'Egypte,  ni  le  miracle  de  la  mer 
t<  et  du  Jourdain  partageant  leurs  eaux.  Toujours  il  a  résisté 
«  à  la  loi  de  Dieu  ;  il  a  refusé  de  croire  les  prophètes.  Ce 
«  n'est  pas  assez,  il  a  même  fait  périr  ceux  qui  lui  prê- 
«  chaient  la  pénitence.  Si  Dieu  n'était  descendu  lui-même 
((  pour  le  racheter,  aucun  autre  n'aurait  pu  accomplir 
M  celte  œuvre.  Ainsi ,  régénérés  par  sa  nativité ,  lavés 
«  par  son  baptême ,  guéris  par  sa  blessure ,  relevés  par 
tf  sa  résurrection  ,  nous  avons  été  glorifiés  par  son  ascen- 
«  sion.  Il  devait  venir  pour  guérir  nos  maux  ;  ton  pro- 
«  phète  lui-même  le  dit  :  Nous  avons  été  guéris  par  ses 
c(  meurtrissures  (i).  Et  ailleurs  :  Il  portera  lui-même  nos 
V.  péchés  y  et  priera  pour  les  transgresseurs  de  la  loi  (2). 
«  Et  puis  encore  :  //  a  été  conduit  a  la  mort  comme  une 
«  brebis;  et  comme  V agneau  reste  sans  voix  devant 


(1)  Isaïe,  Lia,  j. 

(2)  Ibid.,  LUI,  1 1 


.348  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  celai  qui  va  le  tondre,  de  même  il  n'a  pas  ouvert  la 
«  bouche.  Il  a  été  enlevé  au  milieu  des  humiliations  par 
«  la  sentence  de  ses  juges.  Qui  racontera  sa  généra- 
«  tion  (i)?  Son  nom  est  le  Dieu  des  armées  (i).  C'est  de 
«  lui  que  Jacob,  dont  tu  te  vantes  d'être  issu ,  parle  dans 
«  cette  célèbre  bénédiction  donnée  à  son  fils  Juda  ;  il 
«  semble  s'adresser  au  Christ  lui-même,  Fils  de  Dieu  :  Les 
^(Jils  de  ton  père  se  prosterneront  devant  toi.  Juda  est 
«  un  jeune  lion.  Faible  germe,  tu  as  grandi,  mon  fils  (3)  : 
«  tu  t'es  incliné  pour  dormir,  avec  la  majesté  d'un  lion, 
«  comme  un  jeune  lion  :  qui  pourra  le  réveiller?  ses  yeux 
rt  sont  plus  beaux  que  le  vin,  et  ses  dents  plus  blanches 
«  que  le  lait{[\).  Qui  pourra  le  réveiller?  dit-il.  Et  quoi- 
«  qu'il  ait  dit  lui-même  :  J'ai  le  pouvoir  de  quitter  la  vie, 
iij'ai  le  pouvoir  de  la  reprendre  (5);  cependant  l'apôtre 
«  Paul  ajoute  :  Quiconque  ne  croira  pas  que  Dieu  Va 
«  réveillé  d'entre  les  morts ^  ne  pourra  être  sauvé  (6).  » 
Malgré  ces  discours  et  d'autres  du  même  genre ,  ce  mal- 
heureux ne  put  jamais  être  amené  à  croire.  Le  roi,  le 
voyant  réduit  au  silence,  mais  insensible  à  toutes  nos  rai- 
sons, se  tourna  vers  moi,  et  me  demanda  en  partant  ma 
bénédiction.  «Je  t'adresserai,  me  dit- il,  6  évêque,  les 
«  paroles  de  Jacob  à  l'ange  qui  conversait  avec  lui  :  Je 
«  ne  te  quitterai  pas  que  tu  ne  m'aies  béni  (j).  »  En 

(i)  Isaïe,  LUI,  y,  8. 

(2)  Ibid.,  Liv,  5. 

(3)  Gènes.,  xlix,  8,  9.  De  ç^aminc  est  la  traduction  des  Septante  j 
mais  la  Vulgate  porte  :  ad  prœdam  ascendisli,  ce  qui  fait  un  sens  plus 
noble  et  plus  naturel. 

(4)  Gènes.,  ibid.,  12. 

(5)  Jean  cvang.,  x,  18. 

(6)  Epît.  aux  Rom.,  x,  9. 

(7)  Gènes.,  xxxii,  26. 


LIVRE  SIXIÈME.  349 

même  temps  il  fit  apporter  de  l'eau  pour  les  mains  :  après 
qu'elles  furent  lavées,  je  fis  une  prière,  pris  du  pain,  et 
ayant  rendu  grâce  à  Dieu,  j'en  pris  moi-même,  et  j'en 
offris  au  roi;  et  puis,  ayant  bu  le  vin,  nous  nous  séparâmes 
en  nous  disant  adieu.  Le  roi  ayant  monté  à  cheval,  re- 
tourna à  Paris  avec  sa  femme,  sa  fille  et  toute  sa  maison. 

VI.  Il  y  avait  à  Nice,  en  ce  temps-là ,  un  reclus  nommé 
Hospice,  personnage  d'une  grande  abstinence;  serré  par 
des  chaînes  en  fer  qui  pesaient  à  nu  sur  son  corps,  et  re- 
couvert d'un  cilice  par-dessus,  il  ne  mangeait  que  du  pain 
avec  quelques  dattes.  En  carême,  il  se  bornait  à  des  racines 
de  plantes  communes  en  Egypte,  dont  les  ermites  font 
usage,  et  que  lui  apportaient  des  négocians.  Il  buvait 
d'abord  le  bouillon  où  elles  avaient  cuit,  et  les  mangeait 
plus  tard.  Le  Seigneur  daigna  opérer  par  lui  de  grandes 
merveilles.  A  une  certaine  époque  (i),  le  Saint-Esprit  lui 
ayant  révélé  l'arrivée  prochaine  des  Lombards  dans  les 
Gaules,  il  la  prédit  en  ces  termes  :  «Les  Lombards  vien- 
«  dront  dans  les  Gaules,  et  dévasteront  sept  cités,  parce 
«  que  la  malice  de  ce  pays  s'est  accrue  en  présence  du  Sei- 
«  gneur  :  car  il  n'y  a  plus  personne  qui  comprenne,  per- 
ce sonne  qui  recherche  Dieu;  personne  qui  fasse  le  bien 
«  pour  apaiser  la  colère  de  Dieu.  En  effet,  tout  le  peuple 
«  est  infidèle,  livré  aux  parjures,  adonné  aux  vols,  tou- 
«  jours  prompt  pour  l'homicide,  et  il  ne  porte  absolument 
«  aucun  fruit  de  justice.  On  ne  paie  plus  les  dunes  (2),  on 

(i)  Yers  l'an  576. 

(2)  Il  est  question  de  dîmes  dans  le  canon  5  du  second  concile  de 
Mâcon,  an  585;  et  déjà  les  pères  du  second  concile  de  Tours,  an  5&], 
avaient  exhorte  les  fidMos  à  payer  les  dîmes,  pour  échapper  aux  mal 
heurs  qui  les  menaçaient.  \()vez  Sirmond,  tom.  1,  des  Conciles  de 
la  Gfiulc. 


350  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  ne  nourrit  plus  les  pauvres,  on  ne  couvre  plus  celui  qui 
«  est  nu,  on  ne  donne  plus  aux  pèlerins  ou  l'hospitalité, 
a  ou  du  moins  une  nourriture  suffisante.  De  là,  le  fléau  qui 
«  nous  menace.  Maintenant  je  vous  dis  :  Réunissez  tout 
«  votre  avoir  dans  l'enceinte  des  villes,  pour  qu'il  ne  soit 
«  pas  pillé  par  les  Lombards,  et  fortifiez -vous  dans  les 
(f  lieux  les  plus  sûrs.  »  Tous,  stupéfaits  h  ces  mots,  le  sa- 
luèrent, et  retournèrent  chez  eux  pleins  d'admiration.  Il 
dit  aussi  aux  moines:  «Et  vous,  retirez-vous  d'ici,  et 
«  emportez  ce  que  vous  possédez,  car  il  approche  ce  peu- 
«  pie  que  j'ai  prédit.  —  Nous  ne  t'abandonnons  pas,  très 
«  saint  père,  lui  dirent-ils.  —  Ne  craignez  rien  pour  moi  : 
«  ils  m'outrageront  sans  doute;  mais  le  mal  n'ira  pas  jus- 
«  qu'à  la  mort.  »  Quand  les  moines  furent  partis,  ce  peuple 
arriva  :  et  tandis  que  les  Lombards  ravagent  tout  ce  qu'ils 
trouvent,  ils  parviennent  au  lieu  oii  le  saint  de  Dieu  était 
renfermé.  Il  se  montra  par  la  fenêtre  d'une  tour.  Ceux-ci 
investissent  la  tour  sans  pouvoir  trouver  un  passage  pour 
aller  jusqu'à  lui.  Alors  deux  d'entre  eux  montent  sur  le 
toit,  le  découvrent,  et  voyant  le  reclus  couvert  de  chaînes 
et  revêtu  d'un  cilice  :  «  C'est  un  malfaiteur,  disent-ils  ; 
«  il  a  commis  un  homicide;  c'est  pour  cela  qu'il  est  retenu 
«  enchaîné.  »  Puis  appelant  un  interprète,  ils  lui  demandent 
quel  a  été  son  crime,  pour  mériter  le  supplice  d'une  prison 
si  étroite.  Mais  lui,  avoue  qu'il  est  un  homicide,  un  pé- 
cheur coupable  de  tous  les  crimes,  iilors  un  des  barbares 
tira  son  épée  pour  lui  en  porter  un  coup  sur  la  tête;  mais 
sa  main  droite,  encore  étendue  pour  frapper,  se  sécha, 
demeura  immobile,  et  lâcha  le  glaive,  qui  tomba  par  terre. 
A  cette  vue,  ses  compagnons  poussent  un  grand  cri  vers  le 
ciel ,  et  supplient  la  clémence  du  saint  de  leur  indiquer 
ce  qu'ils  doivent  faire.  Pour  lui,  il  guérit  le  bras  du  ma- 


LIVRE  SIXIÈME.  351 

lade,  en  lui  imposant  le  signe  du  salut.  Et  cet  homme 
converti  h  la  foi ,  en  ce  lieu  même ,  se  fît  couper  les  che- 
veux, et  est  aujourd'hui  un  des  moines  les  plus  fervens. 
Les  deux  chefs  qui  écoutèrent  sa  parole  rentrèrent  vivans 
dans  leur  patrie.  Quant  à  ceux  qui  méprisèrent  ses  en- 
seignemens,  ils  périrent  misérablement  dans  le  pays 
même  (i).  Plusieurs  d'entre  eux,  saisis  par  les  démons, 
s'écriaient  :  «  O  saint  homme,  ô  bienheureux,  pourquoi 
«  nous  tourmenter  et  nous  brûler  ainsi?»  Mais  il  leur  im- 
posait les  mains  et  les  délivrait. 

Un  habitant  d'Anjou  ,  par  l'excès  d'une  fièvre  vio- 
lente, avait  perdu  l'ouïe  et  la  parole;  et  quoique  guéri 
de  la  fièvre,  il  était  demeuré  sourd  et  muet.  Or,  on 
avait  envoyé  de  cette  province  un  diacre  à  Rome,  pour 
en  rapporter  des  reliques  des  bienheureux  apôtres  et  des 
autres  saints  qui  protègent  cette  ville.  Il  vint  chez  les 
parens  du  malade,  et  ceux-ci  le  prièrent  de  prendre  leur 
fils  pour  compagnon  de  voyage,  persuadés  que  s'il  allait 
visiter  les  tombeaux  des  saints  apôtres,  il  serait  aussitôt 
guéri.  Dans  leur  route,  ils  arrivèrent  au  lieu  où  habitait 
le  bienheureux  Hospice.  Après  l'avoir  salué  et  baisé,  le 
diacre  lui  expose  les  motifs  de  son  voyage,  lui  annonce 
qu'il  se  rend  à  Rome,  et  lui  demande  de  le  recommander 
à  des  mariniers  de  ses  amis.  Tandis  qu'il  y  prolongeait 
son  séjour,  le  bienheureux  sentit  l'esprit  du  Seigneur  lui 
communiquer  sa  vertu,  et  dit  au  diacre  :  «  Présente-moi , 
«  je  t'en  prie ,  le  malade  qui  t'accompagne  dans  ta  route.  » 
A  l'instant  le  diacre  se  rend  à  son  logis,  et  trouve,  en 
proie  à  un  accès  de  fièvre,  le  malade,  qui  par  un  signe 
lui  annonça  que  les  oreilles  lui  tintaient  :  il  le  saisit  et  le 

(i)  En  Uilin  Pimniicin.  Ce  pays  était  la  Provence. 


352  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

conduisit  devant  le  saint  de  Dieu.  Celui-ci,  le  prenant 
par  la  chevelure,  Tattira  près  d'une  fenêtre,  et,  lui  tenant 
la  langue  avec  la  main  gauche,  il  lui  versa  sur  la  bouche 
et  sur  la  tête  une  huile  bénite ,  en  disant  :  «  Au  nom  de 
«mon  Seigneur  Jésus-Christ,  que  tes  oreilles  s'ouvrent, 
«  et  que  ta  bouche  soit  déliée  par  cette  vertu  qui  autre- 
«  fois  chassa  d'un  homme  sourd  et  muet  un  démon  mal- 
ce  faisant;»  et  en  même  temps  il  lui  demanda  son  nom. 
Celui-ci  répondit  à  liante  voix  :  «  Je  m'appelle  un  tel  (i).  » 
A  cette  vue  le  diacre  s'écria  :  «  Que  je  te  rends  de  grâces, 
«  ô  Jésus-Christ ,  qui  daignes  me  montrer  de  tels  pro- 
«  diges  par  l'entremise  de  ton  serviteur!  Je  cherchais 
«Pierre,  je  cherchais  Paul,  Laurent,  et  les  autres  qui 
«ont  illustré  Rome  de  leur  sang,  mais  je  les  ai  tous 
«  trouvés  ici,  ici  je  les  vois  tous.  »  Et  il  accompagnait  de 
larmes  ces  paroles  que  lui  arrachait  l'admiration.  Mais 
l'homme  de  Dieu,  toujours  en  garde  contre  les  séduc- 
tions de  la  vaine  gloire  :  «Silence,  dit-il,  silence,  mon 
«  très  cher  frère;  ce  n'est  pas  moi  qui  fais  cela,  mais  celui 
«  qui  a  créé  le  monde  de  rien;  qui,  se  revêtant  pour  nous 
«  de  l'humanité,  donne  la  vue  aux  aveugles,  l'ouïe  aux 
«  sourds,  la  parole  aux  muets;  qui  rend  aux  lépreux  leur 
«  peau  ancienne  ;  aux  morts ,  la  vie  ;  et  distribue  à  tous 
«  les  Infirmes  un  remède  qui  ne  leur  manque  jamais.  » 
Alors  le  diacre,  plein  de  joie,  lui  dit  adieu,  et  se  retira 
avec  ses  compagnons.  Après  leur  départ ,  un  homme , 
appelé  Dominique,  aveugle  de  naissance,  vint  pour  faire 


(i)  Il  dit  sou  nom,  mais  Grégoii-e  ne  le  sait  pas.  D'après  quelques 
mss.  on  pourrait  croire  que  le  nom  est  Pir  ou  Pie  ;  mais  c'est  proba- 
blement une  altération  du  mot  sic.  Il  semble  d'ailleurs  que  Gréf^oire 
^ui  aurait  donné  une  terminaison  latine. 


LIVRE  SIXIÈME.  353 

l'épreuve  de  cette  vertu  miraculeuse.  Quand  il  eut  sé- 
journé dans  le  monastère  deux  ou  trois  mois,  livré  à  la 
prière  et  aux  jeûnes ,  enfin  l'homme  de  Dieu  l'appelle  à 
lui,  et  lui  dit  :  «  Veux-tu  recouvrer  la  vue?  —  Mon  désir, 
K  lui  répond  l'aveugle,  était  de  connaître  des  choses  qui 
«  me  sont  inconnues ,  car  j'ignore  ce  que  c'est  que  la  lu- 
u  mière.  Je  sais  seulement  que  tout  le  monde  en  fait 
«  l'éloge;  pour  moi,  depuis  ma  naissance  jusqu'à  ce  jour,  je 
«  n'ai  pu  mériter  de  la  voir.  »  Alors  le  saint  lui  faisant,  avec 
de  l'huile  bénite,  une  croix  sur  les  yeux,  dit  :  «Au  nom  de 
«  Jésus-Christ  notre  rédempteur,  que  tes  yeux  s'ouvrent.  » 
Et  à  l'instant  ses  yeux  furent  ouverts,  et  il  était  dans 
l'admiration  à  la  vue  des  merveilles  que  Dieu  a  répandues 
dans  le  monde  et  qui  frappaient  ses  regards.  Ensuite  une 
femme,  tourmentée  de  trois  démons,  comme  elle  le  dé- 
clarait elle-même,  fut  amenée  au  saint  reclus.  Quand  il 
l'eut  bénie  par  un  saint  attouchement ,  et  lui  eut  imposé  sur 
le  front  le  signe  de  la  croix  avec  de  l'huile  consacrée,  les 
démons  la  quittèrent,  et  elle  se  retira  délivrée.  Une  autre 
jeune  fille,  tourmentée  par  l'esprit  immonde,  fut  aussi 
guérie  par  sa  bénédiction.  Quand  Hospice  sentit  appro- 
cher le  jour  de  sa  mort,  il  appela  le  prévôt  du  mo- 
nastère (i),  en  lui  disant:  «Apporte  des  outils  en  fer  pour 
«  percer  la  muraille,  et  envoie  des  messagers  à  l'évêque  de 
«  la  cité  pour  qu'il  vienne  m'enseveîir.  Dans  trois  jours , 
«  je  sors  de  ce  monde,  et  je  vais  au  repos  qui  m'attend 
«  et  que  le  Seigneur  m'a  promis.  »  Après  ces  paroles,  le 
prévôt  envoya  à  l'évêque  de  Nice  pour  lui  annoncer  cette 


(i)  Le  prévôt  était  chargé  des  intérêts  temporels  du  monastère. 
Pvœpositus  peut  encore  signifier  le  prieur,  ou  la  seconde  personne 
après  l'abbé.  Ici,  l'abbé  est  Hospice  lui-même. 

I.  a3 


354  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

nouvelle.  Puis,  un  nommé  Crescent  s'approcha  de  sa 
fenêtre,  et  le  voyant  chargé  de  chaînes  et  rempli  de  vers  r 
«O  mon  maître,  dit-il,  comment  peux-tu  supporter  de 
«  si  cruels  tourmens  avec  tant  de  courage?  —  11  me  for- 
ce tifie,  répondit  le  saint,  celui  au  nom  duquel  je  souffre 
«  tous  ces  maux.  Mais  je  te  l'assure;  je  me  dégage  de  ces 
«  chaînes,  et  je  vais  entrer  dans  mon  repos.  »  Quand  le 
troisième  jour  fut  arrivé,  il  détacha  ses  liens,  se  prosterna 
pour  prier  ;  et  après  avoir  prié  fort  long-temps  avec 
larmes,  il  se  plaça  sur  un  hanc,  étendit  les  pieds,  éleva 
les  mains  au  ciel  en  action  de  grâces,  et  rendit  l'esprit. 
Aussitôt  tous  les  vers  qui  pénétraient  ses  saints  membres 
disparurent.  Cependant  l'évêque  Austadius  étant  arrivé, 
fit  ensevelir  avec  le  plus  grand  soin  ce  corps  bienheu- 
reux (i).  Je  tiens  tous  ces  détails  de  la  bouche  même 
de  ce  sourd  muet  guéri  par  Hospice ,  ainsi  que  je  l'ai 
raconté.  Il  me  cita  de  lui  bien  d'autres  miracles  encore  ; 
mais  je  n'ai  pu  en  parler,  parce  que  j'ai  appris  que  sa  vie 
avait  été  écrite  par  plusieurs  auteurs. 

VII.  En  ce  temps  mourut  Ferréol,  évêque  d'Uzès,  homme 
d'une  grande  sainteté,  rempli  de  sagesse  et  de  pénétra- 
tion. Il  avait  composé  quelques  livres  de  lettres,  comme 
s'il  eût  pris  Sidoine  pour  modèle.  Après  sa  mort,  Albinus, 
ancien  préfet,  poussé  par  Dynamius,  gouverneur  de  la 
Provence,  s'empara  de  l'épiscopat  sans  l'agrément  du  roi. 


(i)  On  ue  trouve  pas  Austadius  dans  le  catalogue  des  évêques  de 
]\ice.  On  voyait  encore  au  xvii*  siècle,  près  de  Ville-Franche,  à  trois 
milles  de  Nice,  les  débris  d'une  tour  et  d'une  église  consacrée  à  San- 
Sospir  ;  c'est  le  nom  corrompu  de  saint  Hospice.  Ces  édifices  furent 
abattus  pour  la  construction  d'une  tour  que  Victor  Amédée  fit  bâtir 
en  cet  endroit.  (  Tiré  de  Ruinart.  ) 


LIVRE  SIXIÈME.  355 

Mais  après  en  avoir  joui  à  peine  trois  mois,  comme  il 
allait  être  dépossédé,  il  mourut.  Ensuite  Jovin,  autrefois 
gouverneur  de  la  Provence ,  reçut  un  diplôme  du  roi  qui 
l'investissait  de  l'épiscopat.  Mais  il  fut  prévenu  par  le 
diacre  Marcel,  fils  du  sénateur  Félix,  qui,  dans  une  assem- 
blée des  évêques  de  la  province,  fut  élu  par  l'influence 
de  Dynamius.  Ensuite  Marcel ,  attaqué  violemment  lui- 
même  par  Jovin,  qui  voulait  le  chasser  du  siège  épiscopal, 
s'enferma  dans  la  ville,  et  tenta  de  résister  par  la  force  ; 
mais  comme  il  se  sentait  plus  faible,  il  obtint  la  victoire 
par  des  présens. 

VIII.  Alors  mourut  aussi  Éparchius  (i),  reclus  d'Angou- 
lême,  homme  d'une  éclatante  sainteté,  par  qui  Dieu  opéra 
beaucoup  de  miracles.  D'un  grand  nombre,  que  je  passe 
sous  silence,  je  n'en  citerai  que  quelques  uns.  Il  était  habi- 
tant de  Périgueux;  mais,  converti  à  la  vie  religieuse,  il 
fut  fait  clerc,  et  vint  à  Angoulême,  où  il  se  construisit  une 
cellule.  Là,  ayant  réuni  quelques  moines,  il  se  livrait 
assiduement  à  la  prière  ;  et  si  on  lui  offrait  de  l'or  et  de  l'ar- 
gent, il  l'employait  aux  besoins  des  pauvres  ou  au  rachat 
des  captifs.  Jamais,  de  son  vivant,  pain  ne  fut  cuit  dans 
sa  cellule;  mais  des  dévots  lui  en  apportaient  lorsqu'il  en 
avait  besoin.  De  leurs  offrandes  il  racheta  un  grand  nom- 
bre de  captifs.  Souvent  il  détruisit,  avec  le  signe  de  la 
croix,  le  venin  des  pustules  malignes;  chassa,  par  la 
prière,  les  démons  du  corps  de  plusieurs  possédés;  et  la 
plupart  du  temps,  par  la  douceur  de  ses  paroles,  com- 
manda aux  juges,  plutôt  qu'il  ne  les  pria,  d'être  indulgens 


(i)  Vulgairement  nommé  saint   Cybar.  Il  mourut  le  i"  juillet , 
an  58 1. 


35G  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

envers  les  coupables.  Telle  était  en  effet  la  douceur  de 
son  langage  ,  qu'on  ne  pouvait  le  refuser  lorsqu'il  sollici- 
tait l'indulgence.  Un  jour  qu'on  menait  pendre  un  voleur 
pris  sur  le  fait,  et  accusé  par  les  habitans  de  plusieurs 
autres  crimes,  comme  larcins  et  homicides,  Eparchius, 
instruit  de  cette  nouvelle,  envoie  un  de  ses  moines  pour 
demander  au  juge  la  grâce  du  coupable.  Mais  comme  le 
peuple  s'élevait  contre  cette  demande,  en  criant  que,  si 
on  le  relâchait,  il  n'y  aurait  plus  de  sûreté  ni  pour  la 
contrée  ni  pour  le  juge,  il  ne  put  rien  obtenir.  Cependant 
le  criminel  est  étendu  sur  la  roue,  frappé  à  coups  de 
verges  et  de  bâton  ,  et  condamné  au  gibet.  Quand  le 
moine,  tout  chagrin,  eut  fait  son  rapport  à  l'abbé  :  «Va, 
«  lui  dit  ce  dernier;  observe  de  loin  :  car,  sache-le  bien, 
«  celui  qu'un  homme  n'a  pas  voulu  me  rendre.  Dieu  me 
((  le  donnera  par  un  effet  de  sa  libéralité.  Pour  toi ,  quand 
«  tu  le  verras  tomber,  prends-le  sur-le-champ ,  et  amèiie- 
(c  le  au  monastère.  »  Tandis  que  le  moine  exécutait  ses 
ordres,  le  saint  resta  prosterné,  et  adressa  au  Seigneur 
ses  larmes  et  ses  prières,  jusqu'à  ce  que  la  corde  et  les 
chaînes  s'étant  rompues,  le  pendu  tomba  par  terre.  Alors 
le  moine  le  prit ,  et  le  présenta  vivant  aux  yeux  de  l'abbé. 
Celui-ci ,  rendant  grâce  à  Dieu ,  fit  venir  le  comte ,  et  lui 
dit  :  «  Tu  avais  coutume  de  m'écouter  avec  bienveillance, 
a  6  mon  fils  chéri  !  pourquoi ,  plus  dur  aujourd'hui ,  n'as- 
(f  tu  pas  relâché  l'homme  dont  je  te  demandais  la  grâce? 
a  — Je  t'écoute  volontiers,  saint  prêtre,  répondit  le  juge; 
«  mais  voyant  le  peuple  s'insurger,  je  n'ai  pu  faire  autre- 
ce  ment,  par  crainte  d'une  sédition.  - —  Eh  bien!  dit  le 
«  reclus,  tu  ne  m'as  pas  écouté,  mais  Dieu  a  daigné  m'en- 
«  tendre;  et  celui  que  tu  as  livré  à  la  mort,  il  l'a  rendu  à 
«  la  vie.  Tiens,  ajouta-t-il,  le  voilà  debout  devant  toi,  en 


LIVRE  SIXIÈME.  357 

«  bonne  santé.  »  A  ces  mots,  le  comte  se  précipite  à  ses 
pieds,  étonné  de  voir  vivant  celui  qu'il  avait  laissé  à 
l'article  de  la  mort.  J'ai  appris  ce  fait  de  la  bouche  même 
du  comte.  Éparchius  fit  encore  beaucoup  d'autres  choses, 
qu'il  serait  trop  long  de  raconter.  Après  quarante-quatre 
ans  de  réclusion  volontaire,  attaqué  d'une  légère  fièvre, 
il  rendit  l'esprit  (i).  On  le  tira  de  sa  cellule  pour  l'ense- 
vehr;  et  un  grand  nombre  de  captifs,  rachetés  par  lui, 
comme  je  l'ai  dit  ci-dessus,  accompagnèrent  ses  funé- 
railles. 

IX.  Cependant  Domnol ,  évêque  du  Mans,  tomba 
malade.  Au  temps  du  roi  Clotaire,  il  avait  gouverné  un 
couvent  de  moines  à  Paris ,  dans  la  basilique  de  Saint- 
Laurent  (2);  et,  comme  du  vivant  même  de  Childebert 
l'ancien,  il  était  toujours  resté  fidèle  au  roi  Clotaire,  qu'il 
cachait  les  messagers  que  ce  prince  envoyait  souvent  pour 
examiner  l'état  des  affaires,  ce  roi  attendait  l'occasion 
d'un  siège  vacant  pour  l'élever  aux  honneurs  de  l'épisco- 
pat.  Quand  l'évêque  d'Avignon  fut  mort,  Clotaire  songea 
à  Domnol  pour  le  remplacer  :  mais,  à  cette  nouvelle,  le 
bienheureux  se  rendit  à  la  basilique  de  Saint-Martin ,  où 
le  roi  Clotaire  était  venu  pour  prier,  et  y  ayant  passé 
toute  la  nuit  en  oraisons,  il  fit  demander  au  roi,  par  les 
grands  qui  se  trouvaient  là ,  de  ne  pas  l'éloigner  de  sa 

(i)  Il  mourut  le  i"  juin,  an  58 1. 

(2)  Ce  monastère,  selon  Ruinart  et  D.  Bouquet,  fut  depuis  l'église 
paroissiale  du  même  nom  dans  le  faubourg  Saint-Denis.  La  basilique 
de  Saint-Martin  nommée  plus  bas  est,  selon  les  mêmes,  le  célèbre 
prieuré  de  ce  nom,  maintenant  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers 
Il  faut  avouer  qu'alors  ces  deux  églises  étaient  assez  loin  de  la  ville; 
à  moins  qu'on  n'explique  apud  Pnvisius  par,  auprès  de  Paris.  Voyez 
plus  bas,  chap.  25. 


358  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

présence  comme  im  captif;  de  ne  pas  livrer  un  homme 
simple  comme  lui  aux  attaques  de  sénateurs  sophistiques 
et  de  juges  philosophes;  assurant  que  cette  place  serait 
pour  lui  une  cause  d'humiliation  plutôt  que  d'honneur. 
Le  roi  y  consentit,  et  à  la  mort  d'Innocent,  évêque  du 
Mans,  il  le  nomma  prélat  de  cette  église.  Mis  en  posses- 
sion de  l'épiscopat,  il  s'éleva  par  son  mérite  et  ses  vertus 
au  plus  haut  point  de  sainteté,  et  rendit  même  à  un  boi- 
teux l'usage  du  pied;  à  un  aveugle,  celui  de  la  vue.  Après 
vingt-deux  ans  d'épiscopat,  se  voyant  cruellement  tour- 
menté par  l'épilepsie  et  par  la  pierre,  il  désigna  pour  lui 
succéder  l'abbé  Théodulf,  et  le  roi  approuva  sou  choix. 
Mais  peu  après  il  changea  d'avis ,  et  fît  étire  à  sa  place 
Badcgisil,  maire  du  palais.  Celui-ci  fut  tonsuré,  passa 
par  tous  les  degrés  de  la  cléricature;  et  l'évéque  étant 
mort  quarante  jours  après,  il  lui  succéda. 

X.  Dans  ces  jours-là,  des  voleurs  entrèrent  par  effrac- 
tion dans  la  basilique  de  Saint-Martin  (i).  Ayant  appuyé 
contre  la  fenêtre  de  l'abside  un  treillage  qui  était  placé 
sur  le  tombeau  d'un  mort,  ils  montèrent  dessus,  et  en- 
trèrent dans  l'église  en  brisant  les  vitres;  puis  ils  se 
retirèrent  emportant  beaucoup  d'or,  d'argent,  et  d'étoffes 
de  soie  :  ils  n'avaient  pas  craint  de  fouler  aux  pieds  le 
saint  tombeau  où  nous  osons  à  peine  appliquer  nos 
lèvres.  Mais  la  vertu  du  saint  fit  découvrir  les  sacrilèges 
par  un  châtiment  terrible  :  car  après  avoir  consommé 
leur  crime ,  ils  s'étaient  rendus  à  Bordeaux ,  où ,  dans 
une  dispute,  un  des  deux  tua  son  camarade.  Ce  fait  avéré 
donna  heu  do  retrouver  les  traces  du  vol  précédent;  et 


(i)  Celle  de  Tours,  comme  riudiquc  la  suite  du  chapitre. 


LIVRE  SIXIÈME.  350 

on  tua  de  leur  liotel  l'argenterie  mise  en  pièces,  et  les 
voiles  de  soie.  Le  roi  Cliilpéric,  instruit  de  cet  événe- 
ment, ordonna  qu'ils  fussent  garrottés  et  amenés  en  sa 
présence.  Mais  moi,  craignant  de  voir  périr  des  hommes 
pour  la  cause  de  celui  qui  pendant  sa  vie  avait  souvent 
prié  pour  sauver  des  coupables,  j'adressai  au  roi  une 
lettre  de  supplication  pour  leur  éviter  la  mort,  puisque 
nous  ne  les  accusions  pas,  nous  à  qui  il  appartenait  de 
les  poursuivre.  Le  roi  accueillit  cette  requête  avec  bien- 
veillance, et  leur  laissa  la  vie.  Quant  aux  objets  précieux 
qui  avaient  été  dispersés,  il  les  fit  soigneusement  recueil- 
lir et  replacer  dans  le  lieu  saint. 

XL  A  Marseille,  Dynamius,  gouverneur  de  la  Pro- 
vence, se  mit  à  persécuter  cruellement  l'évéque  Théo- 
dore. Et  comme  celui-ci  se  disposait  à  se  rendre  auprès 
du  roi,  il  le  fit  saisir  au  milieu  de  la  ville,  le  retint  pri- 
sonnier, l'accabla  d'outrages,  puis  enfin  le  relâcha.  Or  les 
clercs  de  Marseille  complotaient  avec  Dynamius  pour  lui 
faire  perdre  l'épiscopat.  Tandis  que  Théodore  se  dirigeait 
vers  Childebert,  il  fut  arrêté  avec  Jovin,  ex-préfet,  par 
ordre  du  roi  Gontran,  A  cette  nouvelle,  les  clercs  de 
Marseille,  remplis  de  joie  de  ce  qu'il  était  déjà  prison- 
nier, déjà  exilé,  hors  d'état  de  retourner  jamais  à  Mar- 
seille, s'emparent  des  maisons  de  l'église,  inventorient 
les  objets  consacrés  au  service  des  autels,  ouvrent  les 
coffres,  pillent  les  celliers;  et,  comme  si  l'évéque  était 
déjà  mort,  s'approprient  tous  les  biens  de  l'église,  en 
chargeant  le  pontife  de  diverses  imputations,  qui  ,  grâce 
au  Christ,  se  sont  trouvées  fausses. 

Ghildel)(;rt,  après  avoir  fait  la  paix  avec  Cliilpéric,  en- 
voya des  députés  au  roi  Contran,  pour  lui  redemander  la 


360  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

moitié  de  Marseille,  qu'il  lui  avait  donnée  après  la  mort 
de  son  père.  En  cas  de  refus,  il  lui  faisait  craindre  de 
perdre  beaucoup  pour  avoir  voulu  retenir  cette  partie. 
Mais  Contran  s'y  refusa ,  et  fît  garder  les  routes  pour  que 
personne  ne  pût  s'ouvrir  un  passage  à  travers  ses  états. 
Alors  Childebert  dirigea  vers  Marseille  Gondulf,  de 
race  sénatoriale  (i),  qui  de  domestique  (2)  était  devenu 
duc.  Mais  comme  celui-ci  n'osait  traverser  le  royaume  de 
Gontran,  il  vint  à  Tours.  Je  le  reçus  amicalement,  et 
ayant  reconnu  en  lui  un  oncle  de  ma  mère  (3),  je  le  re- 
tins avec  moi  pendant  cinq  jours;  puis,  après  lui  avoir 
donné  tout  ce  qui  lui  était  nécessaire,  je  le  laissai  aller. 
Mais  arrivé  au  terme  de  son  voyage ,  il  ne  pouvait  entrer 
dans  Marseille,  car  Dynamius  s'y  opposait;  et  l'évêque, 
qui  s'était  joint  à  Gondulf,  n'était  pas  reçu  dans  son  église. 
Dynamius,  d'accord  avec  les  clercs,  avait  fermé  les  portes 
de  la  ville ,  et  de  là  insultait  également  Gondulf  et  Théo- 
dore. Enfin,  engagé  à  une  conférence  avec  le  duc,  il  vint 
le  trouver  dans  la  basilique  de  Saint-Etienne,  hors  de  la 
ville.  Or  les  portiers  gardaient  l'entrée  de  l'église  pour  en 
fermer  les  portes  aussitôt  que  Dynamius  serait  introduit. 
Ce  qui  fut  fait;  et  la  troupe  d'hommes  armés  qui  accom- 
pagnait Dynamius  resta  en  dehors  sans  pouvoir  entrer. 
Celui-ci  ne  s'en  aperçut  pas.  Après  avoir  parlé  de  diffé- 


(1)  Grégoire  appelle  familles  sénatoriales,  celles  qui,  du  temps  des 
Romains ,  avaient  été  admises  dans  le  sénat.  Ces  sénateurs  de  province 
étaient  appelés  sénateurs  étrangers  (peregrini),  et  la  plupart  n'avaient 
jamais  vu  Rome.  Peut-être  aussi  notre  auteur  appelle-t-il  sénateurs 
ceux  qui  tenaient  le  premier  rang  dans  leurs  villes  (Ruin.),  c'est-à- 
dire  ceux  qui  composaient  les  sénats  ou  curies  des  cités. 

(2)  Sur  la  fonction  de  domestique,  voyez  liv.  iv,  chap.  5,  note  ù. 
(5)  Selon  Lecomle,  il  était  frère  de  samt  Nisier,  évèque  de  Lyon. 


LIVRE  SIXIÈME.  361 

rentes  choses  auprès  de  l'autel ,  on  s'en  éloigne  et  on 
entre  dans  la  sacristie.  Dynamius  y  entra  avec  les  autres. 
Alors  ceux-ci  le  voyant  séparé  de  tous  ceux  qui  pouvaient 
le  secourir,  lui  font  des  reproches  terribles  :  puis,  après 
la  dispersion  des  satellites  armés  qui  faisaient  grand  bruit 
en  dehors  depuis  qu'on  avait  emmené  leur  chef,  le  duc 
réunit  auprès  de  lui  l'évêque  et  les  plus  distingués  des 
citoyens  pour  entrer  dans  la  ville.  Dynamius,  voyant  tout 
ce  qui  se  passait,  demanda  grâce,  fit  au  duc  plusieurs 
présens  ,  et  ayant  promis  par  serment  d'être  désormais 
fidèle  à  l'évêque  et  au  roi,  il  fut  recouvert  de  ses  vête- 
mens  (i).  Alors  s'ouvrirent  les  portes  de  la  ville  et  des 
églises;  et  tous  deux,  le  duc  et  l'évêque,  entrèrent  dans 
Marseille,  au  milieu  des  acclamations,  du  son  des  cloches 
et  des  diverses  bannières  des  grands  officiers  du  roi.  Les 
clercs  complices  de  ce  crime,  à  la  tête  desquels  étaient 
l'abbé  Anastase  et  le  prêtre  Procule,  se  réfugient  dans  la 
maison  de  Dynamius,  demandant  asile  et  protection  à 
celui  qui  les  avait  soulevés.  Néanmoins  plusieurs  d'entre 
eux,  relâchés  sous  caution,  reçurent  ordre  d'aller  trouver 
le  roi.  Cependant  Gondulf,  ayant  soumis  la  ville  à  la 
domination  de  Childebert  et  rétabli  l'évêque  sur  son 
siège,  retourna  auprès  de  ce  roi.  Mais  Dynamius,  ou- 
bliant la  foi  jurée  à  Childebert,  envoya  des  messagers 
au  roi  Contran  pour  lui  dire  que  l'évêque  lui  ferait  per- 
dre la  portion  de  la  ville  qui  lui  appartenait  (2),  et  que 

(i)  Il  on  avait  peut-être  été  dépouillé,  avec  violence,  par  ceux  qui 
venaient  de  lui  arracher  un  serment. 

(2)  Il  semble,  par  ce  qui  précède,  que  Gondulf  avait  réduit  toute 
la  ville  sous  l'obéissance  de  Childebert,  pour  punir  Contran  de  n'avoir 
pas  voulu  lui  rendre  la  moitié  qui  lui  appartenait.  Le  récit  est  aussi 
vague  que  devaient  être  peu  précises  les  droits  de  deux  souvciains 
sur  une  seule  ville. 


362  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

jamais  il  ne  serait  le  maître  de  Marseille  si  on  n'en  arra- 
chait cet  homme.  Gontran ,  ému  de  colère,  ordonna, 
malgré  le  respect  dû  à  la  religion,  qu'un  pontife  du  Dieu 
tout-puissant  lui  fût  amené  chargé  de  chaînes,  en  disant  : 
«  Qu'on  jette  en  exil  l'ennemi  de  notre  royaume ,  pour 
«  qu'il  ne  puisse  nous  nuire  davantage.  »  Mais  comme  les 
soupçons  de  l'évêque  étaient  éveillés  sur  ce  point,  et  qu'il 
n'était  pas  facile  de  le  tirer  hors  de  la  ville,  survint  la 
solennité  d'une  dédicace  pour  un  oratoire  de  la  campagne, 
situé  près  de  Marseille.  Et  lorsqu'il  fut  sorti  de  la  ville, 
se  rendant  en  grande  hatc  à  cette  fête,  des  hommes  armés 
s'élancent  tout  à  coup  à  grands  cris  d'une  embuscade 
secrète,  entourent  le  saint  prélat,  le  renversent  de  che- 
val, mettent  en  fuite  ses  compagnons,  enchaînent  ses 
serviteurs,  battent  ses  clercs,  et  le  plaçant  sur  un  mau- 
vais cheval,  sans  permettre  à  aucun  des  siens  de  l'ac- 
compagner, l'emmènent  pour  le  présenter  au  roi.  Comme 
ils  traversaient  la  ville  d'Aix,  Pientius,  évêque  de  l'en- 
droit, s'apitoyant  sur  le  sort  d'un  frère,  lui  donna  des 
clercs  pour  l'assister,  et  ne  le  laissa  partir  qu'après  lui 
avoir  fourni  tout  ce  qui  lui  était  nécessaire.  Tandis  que 
ces  choses  se  passaient,  les  clercs  de  Marseille  ouvrent  de 
nouveau  les  maisons  de  l'église,  fouillent  dans  les  lieux 
les  plus  cachés,  font  l'inventaire  de  plusieurs  objets,  et 
transportent  les  autres  dans  leurs  demeures.  Cependant 
l'évêque,  conduit  devant  le  roi  et  trouvé  innocent,  eut 
la  permission  de  retourner  dans  sa  ville,  où  il  fut  ac- 
cueilli avec  de  grandes  acclamations  de  la  part  des  ci- 
toyens. Mais  de  là  naquit  une  profonde  inimitié  entre  le 
roi  Gontran  et  Childebert  son  neveu;  et  leur  alliance 
ainsi  rompue  ,  ils  se  tendaient  réciproquement  des 
pièges. 


LIVRE  SIXIÈME.  363 

XII.  Cliilpcric ,  voyant  croître  ces  germes  de  discorde 
entre  son  frère  et  son  neveu ,  appela  le  duc  Didier,  et  lui 
ordonna  de  faire  quelque  méchanceté  à  son  frère.  Celui-ci 
se  mit  en  marche  avec  une  armée,  et  ayant  forcé  le  duc 
Ragnovald  de  prendre  la  fuite,  s'empara  de  Périgueux, 
exigea  des  habitans  serment  de  fidélité,  et  se  dirigea  sur 
Agen.  La  femme  de  Ragnovald,  apprenant  la  fuite  de  son 
mari  et  la  soumission  probable  de  cette  dernière  ville  à 
la  domination  de  Chilpéric,  se  réfugia  dans  la  basilique 
du  saint  martyr  Caprasius  (i).  Mais  arrachée  de  cet  asile 
et  dépouillée  de  ses  richesses  et  de  sa  suite ,  elle  fut  en- 
voyée à  Toulouse  sous  caution,  et  là  se  retira  encore  dans 
la  basilique  de  Saint- Saturnin  (2).  Cependant  Didier 
s'empara  de  toutes  les  villes  de  cette  contrée  appartenant 
à  Contran,  et  les  soumit  à  l'empire  de  Chilpéric.  De  son 
côté,  le  duc  Bérulf,  apprenant  qu'il  était  bruit  parmi 
ceux  de  Bourges  d'entrer  sur  le  territoire  de  Tours,  leva 
une  armée  et  s'établit  dans  leur  pays.  Alors  les  cantons 
d'Yzeures  et  de  Barrou  (3),  de  la  cité  de  Tours,  furent 
cruellement  dévastés.  Puis  ensuite  on  condamna  sans 
pitié  ceux  qui  n'avaient  pu  se  trouver  à  cette  expédition. 
D'autre  part ,  le  duc  Bladaste  marcha  contre  la  Gasco- 
gne (4) ,  et  perdit  la  plus  grande  partie  de  son  armée. 


(i)  Ou  Saint-Caprais ;  en  gascon,  Saint- Grapâsy. 

(2)  A  Toulouse,  on  l'appelle  Saint- Serfiin. 

(3)  Ce  sont  deux  villages  sur  la  Creuse,  vers  les  limites  de  la  Tou- 
raine  et  du  Berri  (Indre-et-Loire,  arr.  de  Loches  :  Yzcures ,  canton 
de  Prcuilly;  Barrou,  canton  de  Pressigny-le-Grand  ). 

(4)  Selon  Ruinart,  il  faut  entendre  ici  par  Gascogne  le  séjour  pri 
initif  des  Gascons  dans  les  Pyrénées ,  et  non  la  Novempopulanie,  où  ils 
s'établirent  plus  tard.  Selon  Valois,  Notice  des  Gaules,  c'est  la  No- 
vempopulanie cpii  est  désignée  ici  sous  le  nom  de  Gascogne.  Mais  les 
Gascons  n'en  étaient  pas  encore  entièrement  les  maîtres,  puisqu'on 


364  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

XIII.  Loup,  habitant  de  la  ville  de  Tours,  ayant  perdu 
sa  femme  et  ses  enfans,  demandait  la  clëricaturc  ;  mais  son 
frère  Ambroise  s'opposa  à  son  dessein ,  craignant  que  s'il 
se  donnait  à  l'église,  il  ne  l'instituât  son  héritière  :  il  lui 
chercha  donc  une  nouvelle  épouse;  et  son  frère,  cédant 
à  ses  mauvais  conseils,  fixa  le  jour  où  on  devait  se  réunir 
pour  les  fiançailles.  De  là  ils  arrivèrent  ensemble  au  châ- 
teau de  Chinon ,  où  ils  avaient  une  maison.  Mais  la  femme 
d' Ambroise,  qui  était  une  adultère,  et  qui,  haïssant  son 
mari,  en  aimait  un  autre  d'un  amour  de  prostituée,  con- 
spira contre  la  vie  d'Ambroise.  Les  deux  frères,  donc, 
après  avoir  dîné  ensemble,  et  bu  du  vin  toute  la  nuit 
jusqu'à  s'enivrer,  se  couchèrent  ensemble  dans  un  même 
lit.  Alors  l'amant  de  la  femme  d'Ambroise  vint  pendant 
la  nuit,  quand  tous  étaient  accablés  par  le  sommeil  et  le 
vin,  et  ayant  allumé  du  feu  avec  de  la  paille  pour  voir  ce 
qu'ils  faisaient,  il  tira  son  épée,  et  en  frappa  Ambroise 
sur  la  tête,  de  manière  que  le  glaive,  lui  traversant  les 
yeux,  alla  percer  même  l'oreiller.  Loup,  réveillé  par  le 
coup,  se  voit  inondé  de  sang,  et  s'écrie  à  haute  voix  : 
«  Au  secours  !  au  secours  !  mon  frère  est  assassiné  !  » 
L'adultère,  qui  déjà  se  retirait  après  avoir  consommé  son 
crime,  retourna  vers  le  lit  en  entendant  ces  paroles,  et  se 
précipita  sur  Loup.  Celui-ci  résiste;  l'assassin  le  déchire 
de  plusieurs  blessures  ,  l'accable ,  le  frappe  d'un  coup 
mortel,  et  le  laisse  à  demi  mort.  Personne  de  la  maison 
ne  s'aperçut  de  rien.  Le  lendemain  matin,  tout  le  monde 
était  dans  l'étonnement  d'un  si  grand  crime.  Loup,  trouvé 
encore  vivant,  raconta  les  choses  comme  elles  s'étaient 


les  voit,  liv.  IX,  chap.  7,  descendre  do  leurs  montagnes,  ravager  le  pays, 
et  regagner  impunément  leurs  retraites. 


LIVRE  SIXIÈME.  365 

passées ,  et  reiulit  l'esprit,  La  courtisane  ne  s'imposa  pas 
un  bien  long  tlcuil  ;  mais  quelques  jours  après,  elle  se 
réunit  à  son  amant,  et  partit  avec  lui  (i). 

XIV.  La  septième  année  du  règne  de  Childebert  (ji), 
qui  était  la  vingt  et  unième  de  Chilpéric  et  de  Contran , 
au  mois  de  janvier,  eurent  lieu  des  pluies,  des  éclairs  et  de 
grands  éclats  de  tonnerre.  Des  fleurs  se  montrèrent  sur  les 
arbres  :  l'étoile,  que  j'ai  déjà  nommée  comète,  apparut 
dans  le  ciel,  au  milieu  d'un  espace  fort  noir;  et  comme 
si  elle  eût  été  placée  dans  un  trou,  elle  reluisait  parmi 
les  ténèbres,  lançant  des  étincelles  et  une  brillante  che- 
velure. Il  en  partait  un  rayon  d'une  grandeur  merveil- 
leuse, qui  apparaissait  au  loin  comme  la  fumée  d'un  vaste 
incendie.  Cette  comète  était  visible  à  l'occident,  dans  la 
première  heure  de  la  nuit.  A  Soissons,  dans  le  saint  jour 
de  Pâques ,  le  ciel  parut  tout  en  feu ,  comme  embrasé  par 
deux  incendies,  l'un  plus  fort,  l'autre  moins  considé- 
rable. Deux  heures  après  ils  se  réunirent,  et  ayant  jeté 
une  vive  clarté,  ils  disparurent.  Dans  le  territoire  de 
Paris,  il  tomba  des  nuages  du  sang  véritable,  qui  s'at- 
tacha aux  vêtemens  de  plusieurs  personnes,  et  les  souilla 
de  telle  sorte  qu'elles  s'en  dépouillèrent  avec  horreur;  et 
ce  prodige  se  répéta  en  trois  endroits  de  ce  pays.  Dans  le 
territoire  de  Senlis,  un  homme,  en  se  levant  le  matin, 
trouva  sa  maison  toute  tachée  de  sang  à  l'intérieur.  Or 
cette  année,  une  grande  mortalité  affligea  la  population; 
diverses  maladies  très  malignes,  accompagnées  de  bou- 


(i)  Il  s'appelait  Védaste-Avon.  Voyez  liv.  vu,  chap.  5. 
(2)  An  58i. 


366  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

tons  et  d'ampoules ,  firent  périr  un  grand  nombre  d'ha- 
bltans.  Plusieurs,  cependant,  échappèrent  à  force  de 
soins.  Nous  apprîmes  aussi  que,  cette  année,  une  ma- 
ladie inguinale  avait  exercé  ses  fureurs  à  Narbonne;  et 
qu'elle  ne  laissait  aucun  intervalle  entre  l'attaque  et  la 
mort  du  malade. 

XV.  Cependant  Félix,  évêque  de  Nantes,  atteint  de 
cette  contagion,  tomba  sérieusement  malade.  Alors  il 
appela  près  de  lui  les  évêques  voisins,  et  les  supplia  d'ap- 
puyer par  leurs  signatures  un  projet  d'élection  qu'il  avait 
rédigé  en  faveur  de  Bourguignon  son  neveu.  Quand  cela 
fut  fait,  ils  me  l'envoyèrent.  Bourguignon  était  alors  âgé 
d'environ  vingt-cinq  ans.  Arrivé  auprès  de  moi,  il  me 
pria  de  venir  jusqu'à  Nantes,  et,  après  lui  avoir  donné  la 
tonsure,  de  le  sacrer  évêque  à  la  place  de  son  oncle  qui 
vivait  encore.  Je  m'y  refusai ,  parce  que  je  reconnus  que 
les  canons  s'y  opposaient.  Je  lui  donnai  cependant  des 
conseils,  et  lui  dis  :  «Nous  trouvons  écrit  dans  les  ca- 
«  nous,  mon  fils,  que  personne  ne  peut  parvenir  à  l'épi- 
((  scopat,  s'il  n'obtient  d'abord  régulièrement  les  degrés 
«ecclésiastiques.  Ainsi,  mon  très  cher  frère,  retourne 
«  à  Nantes,  et  demande  la  tonsure  à  celui  qui  t'a  choisi. 
«  Quand  tu  auras  reçu  la  dignité  de  prêtre,  sois  assidu 
«  à  l'église  ;  et  lorsque  Dieu  voudra  qu'il  sorte  de  ce 
«  monde,  tu  monteras  facilement  au  rang  d'évêque.  »  De 
retour  chez  lui,  il  négligea  de  suivre  mes  conseils,  parce 
que  l'évêque  Félix  semblait  aller  un  peu  mieux;  mais 
quand  la  fièvre  eut  disparu,  ses  jambes  se  couvrirent  de 
boutons  purulens;  et  le  malade  y  ayant  appliqué  un  trop 
fort  cataplasme  de  cantharides  qui  les  fit  tomber  en  pour- 
riture ,  termina  ses  jours  dans  la  trente-troisième  année 


LIVRE  SIXIÈME.  367 

(Je  son  épiscopat,  la  soixante -dixième  de  sa  vie  (i). 
Nonnichius,  son  cousin,  lui  succéda,  par  la  volonté  du 
roi. 

XVI.  A  la  nouvelle  de  sa  mort ,  Pappolen  reprit  avec 
lui  sa  nièce,  dont  il  avait  été  séparé.  Avant  ce  temps, 
elle  avait  été  fiancée  avec  lui.  Mais  comme  Félix  différait 
toujours  le  mariage,  Pappolen  vint  avec  une  troupe  con- 
sidérable, enleva  la  jeune  fille  de  l'oratoire  épiscopal,  et 
se  réfugia  dans  la  basilique  de  Saint-Aubin.  L'évêque  Félix, 
ému  de  colère,  après  avoir  circonvenu  la  jeune  fille  par 
ses  artifices ,  la  sépara  de  son  mari ,  et  l'ayant  forcée  de 
quitter  l'habit  du  siècle ,  la  confina  dans  un  monastère  à 
Bazas.  Celle-ci  envoya  des  émissaires  secrets  à  Pap- 
polen pour  qu'il  l'arrachât  du  lieu  où  elle  était  renfer- 
mée, et  la  reprît  avec  lui.  Pappolen  y  consentit,  enleva 
la  jeune  fille  hors  du  monastère,  et  se  l'attacha  par  les 
liens  du  mariage.  Puis,  muni  d'un  privilège  royal,  il  n'eut 
plus  à  craindre  les  menaces  des  parens. 

XVII.  Le  roi  Chilpéric  fit  baptiser,  cette  année,  beau- 
coup de  juifs,  dont  plusieurs  furent  tenus  par  lui  sur  les 
fonts  sacrés.  Plusieurs  d'entre  eux  cependant,  purifiés  de 
corps  et  non  pas  d'esprit,  mentirent  à  Dieu,  et  retournè- 
rent à  leur  ancienne  perfidie  (2)  ;  de  sorte  qu'ils  observaient 


(i)  Félix  mourut  le  6  janvier  582.  Il  est  honoré  comme  saint  par 
ceux  de  Nantes.  Notre  auteur  a  parlé  de  lui  peu  favorablement,  liv.  v, 
chap.  5.  M.  Augustin  Thierry,  dans  sa  cinquième  lettre  sur  l'histoire 
de  France,  a  expliqué  d'une  manière  plausible  l'inimitié  qui  régnait 
entre  Félix  et  Grégoire,  tous  deux  hommes  de  mérite,  et  faits  pour 
s'estimer. 

(2)  C'est-à-dire  leur  erreur  :  nous  dirions  aujourd'hîii,  leur  religion  : 
mais  nous  avons  dû  conserver  l'expression  même  de  notre  auteur. 


368  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

le  sabbat  en  paraissant  lionorer  le  jour  du  Seigneur. 
Mais  Priscus  (i)  ne  put  être  engagé  par  aucun  motif  à  la 
connaissance  de  la  vérité.  Le  roi,  irrité,  le  fît  garder  en 
prison,  pour  forcer  du  moins  à  croire,  même  malgré  lui, 
celui  qu'il  ne  pouvait  amener  à  une  foi  volontaire.  Mais 
celui-ci,  au  moyen  de  quelques  présens,  demanda  un  délai 
(jusqu'à  ce  que  son  fils  eût  épousé  une  juive  de  Mar- 
seille), et  promit  faussement  d'accomplir  ensuite  les 
ordres  du  roi.  Dans  l'intervalle,  une  dispute  s'éleva  entre 
lui  et  Phatir,  un  de  ces  juifs  convertis  que  le  roi  avait 
tenus  sur  les  fonts  de  baptême  :  et  comme  un  jour  de 
sabbat  Priscus,  les  reins  entourés  d'un  suaire,  sans  aucun 
instrument  de  fer  à  la  main ,  se  rendait  dans  un  lieu  se- 
cret, probablement  pour  observer  la  loi  de  Moïse,  Phatir, 
survenant  tout  à  coup  avec  un  glaive ,  l'égorgea ,  ainsi  que 
ses  compagnons,  et  après  ce  meurtre,  se  réfugia  dans  la 
basilique  de  Saint-Julien  (o.)  avec  ses  serviteurs,  qui  se 
tenaient  sur  la  place  voisine.  Tandis  qu'ils  y  séjournaient, 
ils  entendent  dire  que  le  roi,  après  avoir  fait  périr  leur 
maître ,  les  ferait  tirer  de  la  basilique ,  et  tuer  comme  des 
malfaiteurs.  Alors  l'un  d'entre  eux,  lorsque  déjà  leur 
maître  avait  pris  la  fuite,  tire  un  glaive,  égorge  ses  com- 
pagnons, et  sort  peu  après  de  la  basilique,  son  glaive  à 
la  main  ;  mais  le  peuple  se  jeta  sur  lui ,  et  le  massacra  im- 
pitoyablement. Phatir,  après  en  avoir  obtenu  la  permis- 
sion, retourna  dans  le  royaume  de  Contran,  d'oîi  il  était 


puisqu'elle  nous  fait  connaître  le  jugement  qu'il  portait  des  juifs  et  de 
leur  croyance. 

(i)  Voyez  cliap.  5. 

(2)  Cette  basilique  est  l'église  de  Saint-Julien-le-Pam>re ,  aujour- 
d'hui chapelle  de  l'Hôtel-Dieu.  La  place  voisine  était  probablement 
du  même  côté,  sur  la  rive  gauche  de  la  Seine. 


LIVRE  SIXIÈME.  369 

venu;  mais  peu  de  jours  après,  il  fut  tué  par  les  parens 
de  Priscus. 

XVIII.  Les  députés  du  roi  Chilpéric ,  Ansovald  et 
Domegisil ,  revinrent  d'Espagne ,  où  ils  avaient  été  en- 
voyés pour  y  prendre  connaissance  de  la  dot  destinée  à 
sa  fille  (i).  En  ces  jours-là,  le  roi  Leuvigild  était  à  la  tête 
d'une  armée  contre  son  fils  Herménegild ,  à  qui  il  enleva 
la  ville  de  Mérida.  Nous  avons  dit,  plus  haut  (2),  comment 
ce  jeune  prince  avait  fait  alliance  avec  les  généraux  de 
l'empereur  Tibère.  Cette  circonstance  fut  pour  les  dépu- 
tés un  obstacle  qui  retarda  leur  retour.  Quand  je  les  vis , 
j'étais  inquiet  de  savoir  comment  la  foi  du  Christ  se  sou- 
tenait encore  dans  le  peu  de  chrétiens  qui  étaient  restés 
en  ce  pays.  Ansovald  me  répondit  :  «  Les  chrétiens  qui 
«  sont  maintenant  en  Espagne  conservent  dans  sa  pureté 
«  la  foi  catholique;  mais  le  roi  emploie  une  nouvelle  ruse 
«  pour  la  détruire.  Il  fait  semblant  de  prier  aux  tombeaux 
«  des  martyrs  et  dans  les  églises  de  notre  culte ,  et  dit  : 
«  Je  reconnais  que  le  Christ  est  manifestement  le  fils  de 
«  Dieu,  l'égal  du  père;  mais  je  ne  crois  pas  du  tout  que 
«  le  Saint-Esprit  soit  Dieu,  parce  qu'on  ne  lit  dans  aucun 
«  texte  qu'il  est  Dieu,  v  —  Hélas  !  hélas  (3}  !  quelle  sentence 
inique!  quel  sentiment  empoisonné!  quel  esprit  dépravé! 


(i)  C'est-à-dire,  que  devait  apporter  à  sa  fille  le  prince  avec  qui  on 
voulait  la  marier.  C'était  l'ancienne  coutume  des  Germains,  chez  qui 
la  dot  était  apportée,  non  par  la  femme  au  mari,  mais  à  la  femme  par 
le  mari  (Tacit.,  Germ.,  6).  Une  excellente  note  de  la  traduction 
précédente  fait  sentir  que  cette  coutume  tenait  la  femme  dans  une 
dépendance  servile  à  l'égard  de  son  mari. 

(2)  Voyez  liv.  v,  chap.  Bg. 

(3)  Ces  paroles  peuvent  être  considérées  comme  une  réflexion  de 
l'auteur,  aussi  bien  que  comme  une  réponse  faite  à  Ansovald. 

1.  l[[ 


370  HIS10TRE  DES  FRANCS, 

et  que  devient  donc  ce  que  dit  le  Seigneur (i)  :  V Esprit 
est  Dieu  (2)?  et  cette  parole  de  Pierre  à  Ananie  :  As-lu 
bien  pu  mentir  au  Saint-Esprit?  Ce  n'est  pas  aux 
hommes  que  tu  as  menti,  c'est  a  Dieu  (3)?  et  cette 
autre  de  Paul,  rappelant  les  dons  mystérieux  du  Sei- 
gneur :  C'est  un  seul  et  même  Esprit  qui  opère  toutes 
ces  choses,  distribuant  a  chacun  ses  dons  comme  il  lui 
plaît  (4)?  Or  celui  qui  fait  ce  qui  lui  plaît  n'est  soumis 
au  pouvoir  de  personne.  —  Ansovald,  s'étant  rendu  au- 
près de  Cliilpéric,  y  fut  suivi  d'une  ambassade  espagnole 
qui,  de  Cliilpéric,  alla  trouver  Childebert,  et  puis  re- 
tourna en  Espagne. 

XIX.  Le  roi  Cliilpéric  avait  placé  des  gardes  au  pont 
de  l'Orge  (5),  dans  le  Parisis ,  pour  arrêter  au  passage 
les  hommes  du  royaume  de  Contran,  et  les  empêcher  de 
faire  aucun  mal  :  mais  l'ancien  duc  Asclépius,  instruit  à 
l'avance  de  ces  dispositions,  vint  fondre  sur  les  gardes 
pendant  la  nuit,  les  tua  tous,  et  ravagea  cruellement  le 
pays  voisin  du  pont.  A  cette  nouvelle,  le  roi  Chilpéric 
envova  des  messagers  à  tous  ses  comtes,  ducs,  et  autres 
officiers,  avec  ordre  de  lever  une  armée  et  d'envahir  le 
royaume  de  son  frère;  mais  il  en  fut  détourné  par  le  con- 


(i)  Voyez,  sur  la  divinité  du  Saint-Esprit,  la  dispute  rapportée  plus 
haut,  V,  44-  Ce  sont  les  mêmes  citations. 

(2)  Jean,  iv,  24. 

(3)  Act.,  V,  5,  4- 

(4)  I  Cor.,  XII,  II. 

(5)  L'Orge,  sur  la  gauche  de  la  Seine,  au  sud  de  Paris.  Valois, 
NotU.  GalL,  pense  que  ce  pont  pourrait  être  à  Savigny  ou  à  Juvisy. 
Pourquoi  ])as  à  Châtres,  aujourd'hui  Arpajon,  qui  est  sur  la  grande 
route  d'Étampes  à  Paris?  Or,  Étanipes  était  à  Gontran,  ix,  20. 


LIVRE  SIXIÈME.  371 

seil  de  plusieurs  hommes  de  bien ,  qui  lui  dirent  :  a  Ils 
«  ont  mal  agi;  mais  toi,  sois  plus  sage  :  envoie  des  messa- 
«  gers  à  ton  frère;  et  s'il  veut  réparer  le  tort  qu'il  t'a  fait, 
«  ne  cherche  à  lui  causer  aucun  mal.  S'il  s'y  refuse,  tu 
«  verras  ensuite  ce  que  tu  dois  faire.  »  Chilpéric,  se  rendant 
à  ces  raisons,  contremanda  l'armée,  et  envoya  une  am- 
bassade à  son  frère.  Contran  répara  le  mal,  et  demanda 
une  réconciliation  complète  à  son  frère  qu'il  aimait. 

XX.  Cette  année  mourut  Chrodin ,  homme  remarquable 
par  la  bonté  de  son  âme  et  sa  piété;  prodigue  d'aumônes, 
soutien  des  pauvres,  il  enrichissait  les  églises,  et  nourris- 
sait les  clercs.  Souvent  il  établissait  à  neuf  des  habitations 
de  campagne,  plantait  des  vignes,  bâtissait  des  maisons, 
mettait  des  terres  en  culture;  puis  invitait  des  évêques 
dont  les  revenus  étaient  modiques,  et  après  le  repas  il 
leur  distribuait  charitablement,  avec  des  hommes  et  des 
terres,  les  maisons  elles-mêmes,  pourvues  d'argenterie, 
de  tapisseries ,  d'ustensiles ,  de  domestiques  et  de  servi- 
teurs ,  en  leur  disant  :  «  Que  tout  cela  soit  donné  à  l'église, 
«  afin  que  les  pauvres  qui  en  seront  nourris  m'obtiennent 
«  grâce  auprès  de  Dieu.  » 

Nous  avons  encore  appris  sur  cet  homme  beaucoup 
d'autres  bonnes  actions  qu'il  serait  trop  long  de  racon- 
ter. Il  mourut  âgé  de  soixante-dix  ans  (i). 

XXI.  Cette  année,  des  signes  se  montrèrent  une  se- 
conde fois.  La  lune  s'éclipsa.  Dans  le  territoire  de  Tours, 
du  sang  véritable  coula  d'un  morceau  de  pain  rompu.  Les 


(i)  Les  louanges  du  duc  Chrodin  ont  été  chantées  par  Fortunat, 
liv.  IX,  pièce  lO. 


372  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

murs  de  Soissons  s'écroulèrent,  A.  Angers,  la  terre  trem- 
bla. Des  loups  entrèrent  dans  les  murs  de  Bordeaux,  et 
dévorèrent  des  chiens,  sans  aucune  crainte  des  hommes. 
Des  traits  de  feu  parcoururent  le  ciel  en  divers  sens,  La 
ville  de  Basas  fut  consumée  par  un  incendie  qui  dévasta 
l'église  et  les  maisons  qui  en  dépendaient.  Cependant  tous 
les  vases  sacrés,  à  ce  qu'on  nous  dit,  furent  sauvés  des 
flammes. 

XXII.  Le  roi  Chilpéric,  ayant  envahi  certaines  villes 
de  son  frère  (i),  y  établit  de  nouveaux  comtes,  et  or- 
donna que  les  tributs  de  toutes  ces  villes  lui  fussent  remis  : 
ce  qui  fut,  dit-on,  exécuté.  Dans  ces  jours-là,  Nonni- 
chius,  comte  de  Limoges,  fit  saisir  deux  hommes,  por- 
teurs de  lettres  au  nom  de  Chartier,  évêque  de  Périgueux, 
dans  lesquelles  le  roi  était  fort  maltraité.  On  y  lisait,  entre 
autres  choses,  que  l'évêque  se  plaignait  d'être  tombé  du 
paradis  en  enfer,  eu  passant  de  l'obéissance  de  Contran 
sous  la  domination  de  Chilpéric.  Or  le  comte  envoya  au 
roi  les  lettres  avec  les  hommes  étroitement  gardés;  mais  le 
roi,  sans  s'irriter,  voulant  discuter  la  vérité  ou  la  fausseté 
de  ces  imputations ,  envoya  à  l'évêque  l'ordre  de  paraître 
en  sa  présence.  Quand  celui-ci  fut  arrivé,  le  roi  lui  re- 
présenta les  hommes  et  les  lettres,  et  lui  demanda  s'il  les 
avait  envoyées,  L'évêque  le  nia.  On  demanda  aux  porteurs 
de  qui  ils  les  tenaient;  ils  nommèrent  le  diacre  Fronton. 
Interrogé  sur  le  compte  de  ce  diacre,  l'évêque  répondit 
qu'il  était  son  ennemi  déclaré,  et  qu'on  ne  devait  point 
douter  que  ce  ne  fût  une  méchanceté  de  la  part  d'iui 


(i)  Les  villes  prises  avant  l'affaire  de  pont  de  l'Orge,  comme  Péri- 
gueux  et  Agen.  Voyez  liv.  vi,  cliap.  12. 


LIVRE  SIXIÈME.  373 

homme  qui  s'était  souvent  montré  envers  lui  liostile  et 
injuste.  A  l'instant  le  diacre  fut  amené;  et,  interrogé  par 
le  roi ,  il  chargea  l'évêque  en  disant  :  «  J'ai  dicté  cette 
(f  lettre  par  l'ordre  de  l'évêque.  »  Celui-ci  se  récria,  en 
disant  que  cet  homme  cherchait  souvent  des  artifices  pour 
le  perdre  et  le  faire  dépouiller  de  l'épiscopat.  Alors  le  roi , 
ému  de  compassion,  recommanda  sa  cause  à  Dieu,  et  les 
renvoya  tous  deux ,  priant  l'évêque  de  pardonner  à  son 
diacre,  et  le  suppliant  de  prier  Dieu  pour  lui.  Ainsi  Char- 
tier  fut  renvoyé  avec  honneur  dans  sa  ville  épiscopale. 
Deux  mois  après ,  Nonnichius ,  auteur  de  ce  scandale , 
mourut  d'un  coup  de  sang  ;  et  comme  il  était  sans  enfans, 
ses  biens  furent  accordés  par  le  roi  à  différentes  per- 
sonnes. 

XXIIT.  Ensuite,  après  la  mort  de  tant  d'enfans,  il  na- 
quit un  fils  à  Chilpéric.  A  cette  occasion ,  le  roi  adoucit 
la  rigueur  des  prisons,  fit  ôter  les  fers  aux  captifs,  et  dé- 
fendit d'exiger  les  amendes  dues  au  fisc  par  ceux  qui 
avaient  manqué  à  leur  service  ;  mais  cet  enfant  devint 
plus  tard  la  cause  d'un  grand  mal. 

XXIV.  De  nouvelles  querelles  s'élevèrent  contre  l'évê- 
que Théodore.  En  effet  Gondovald,  qui  se  disait  fils  du 
roi  Clotaire,  revint  de  Constantinople,  et  aborda  à  Mar- 
seille. J'ai  cru  devoir  rappeler  brièvement  quelques  dé- 
tails sur  son  origine.  Il  était  né  en  Gaule;  avait  été  élevé 
avec  le  plus  grand  soin,  et  instruit  dans  les  lettres  ;  et 
conservait,  comme  les  rois  de  cette  famille,  sa  chevelure 
entière  déployée  sur  ses  épaules  :  il  fut  présenté  au  roi 
Childebert  (  i  )  par  sa  mère,  qui  lui  dit  :  «  Voici  ton  neveu , 

(i)  Childebert  l'ancien ,  frère  de  Clolaire.  II  paraît  qu'en  effet  Gon- 


374  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

n  fils  du  roi  Clotaire;  mais  comme  il  est  odieux  à  son 
«père,  prends-le  sous  ta  protection,  parce  qu'il  est  de 
«  ton  sang.  »  Comme  Childebert  n'avait  point  de  fils ,  il 
l'accueillit,  et  le  gardait  à  sa  cour.  Cette  nouvelle  fut 
annoncée  au  roi  Clotaire,  qui  dépêcha  des  messagers  vers 
son  frère  pour  lui  dire  :  «  Envoie-moi  cet  enfant,  que  je  le 
«  voie.  :»)  A  l'instant,  Childebert  lui  envoya  le  jeune  homme. 
Quand  il  l'eut  devant  les  yeux ,  Clotaire  lui  fit  couper  sa 
chevelure,  en  disant  :  «Cet  enfant  n'est  pas  de  moi.  » 
Après  la  mort  de  Clotaire,  il  fut  accueilli  par  le  roi  Cha- 
ribert;  puis  Sigebert,  l'ayant  attiré  auprès  de  lui,  le  fit 
raser  de  nouveau,  et  l'envoya  dans  la  ville  d'Agrippine, 
maintenant  nommée  Cologne  (i).  Il  s'échappa  encore  de 
cet  endroit,  et  ayant  laissé  croître  ses  cheveux,  il  alla  trou- 
ver Narsès,  alors  gouverneur  de  l'Italie.  Dans  ce  pays  il 
prit  une  femme,  dont  il  eut  plusieurs  enfans;  puis  se  rendit 
à  Constantinople.  De  là,  invité,  dit-on,  par  un  certain 
personnage  (2),  à  revenir  en  Gaule,  il  aborda  à  Marseille, 
et  fut  accueilli  par  l'évêque  Théodore.  Il  en  reçut  même 
des  chevaux,  et  alla  se  réunir  à  Mummol.  Mummol  était 
alors,  comme  nous  l'avons  dit  ci-dessus  (3),  dans  la  ville 
d'Avignon.  Quant  au  duc  Contran ,  il  se  saisit  de  l'évêque 
Théodore,   et  le  fit  retenir  en  prison,  lui  reprochant 


dovald  était  fils  de  Clotaire  et  d'une  femme  de  basse  condition  :  mais 
Clotaire  refusait  de  le  reconnaître,  peut-être  parce  qu'il  suspectait  la 
fidélité  de  cette  femme. 

(i)  Colotiia  Agrippinensis,  fondée  par  Agrippine,  mère  de  Néron. 
Tacit.,  Ann.,  xii,  27.  On  s'habitua,  plus  tard,  à  ne  la  nommer  que 
Colonia. 

(a)  Ils  étaient  deux,  à  ce  qu'il  paraît  :  Mummol  et  Gontran  Doson. 
Voyez  chap.  26. 

(S)  Chap.  I. 


LIVRE  SIXIÈME.  375 

d'avoir  introduit  un  étranger  en  Gaule,  et  d'avoir  voulu 
par  là  soumettre  le  royaume  des  Francs  à  la  domination 
impériale.  Mais  l'évéque  produisit,  à  ce  qu'on  assure,  une 
lettre  signée  par  les  grands  du  royaume  de  Childebert , 
en  disant  :  «Je  n'ai  rien  fait  de  moi-même;  tout  m'a 
«  été  ordonné  par  mes  seigneurs  et  maîtres,  »  L'évéque 
était  donc  gardé  dans  une  cellule;  et  on  ne  lui  permettait 
pas  d'approcher  de  l'église.  Une  nuit,  tandis  qu'il  adres- 
sait une  fervente  prière  au  Seigneur,  la  cellule  brilla 
d'un  éclat  extraordinaire,  de  sorte  que  le  comte  qui  le 
gardait  fut  saisi  d'une  grande  frayeur;  et  on  vit  au-dessus 
de  sa  tête  un  globe  de  la  plus  vive  lumière  pendant  l'espace 
de  deux  heures.  Le  lendemain  matin,  le  comte  racontait 
cette  merveille  aux  autres  personnes  qui  l'accompagnaient. 
Ensuite  Théodore  fut  conduit  vers  le  roi  Gontran,  avec 
l'évéque  Epiphane,  qui,  pour  fuir  les  Lombards,  s'était 
établi  à  Marseille;  et  qui  se  trouvait  impliqué  dans  cette 
affaire.  Examinés  par  le  roi,  ils  ne  furent  point  trouvés 
coupables  :  cependant  le  roi  les  fit  toujours  garder  à  vue, 
et  l'évéque  Epiphane  mourut  en  cet  état,  après  beau- 
coup de  tourmens.  Quant  à  Gondovald ,  il  se  retira  dans 
une  île  de  la  mer,  pour  attendre  l'événement.  Le  duc 
Gontran  partagea  les  trésors  de  Gondovald  avec  un  des 
ducs  du  roi  Gontran,  et  emporta,  dit-on,  en  Auvergne, 
une  immense  quantité  d'or,  d'argent  et  d'autres  objets 
précieux. 

XXV.  La  huitième  année  du  roi  Childebert  (i),  la 
veille  des  calendes  de  février,  un  dimanche,  dans  la  ville 
de  Tours ,  la  cloche  sonnait  les  matines ,  et  le  peuple  se 

(i)  An  585. 


376  HISTOIRE  DES  FRAJNCS. 

levait  pour  se  rendre  à  l'église,  lorsque  ,  d'un  ciel  couvert 
de  nuages,  avec  la  pluie  tomba  un  grand  globe  de  feu 
qui  parcourut  un  long  espace  dans  l'air,  et  jeta  une  si  vive 
lumière,  que  l'on  distinguait  tous  les  objets  comme  en 
plein  jour.  Puis,  le  globe  étant  rentré  dans  le  nuage,  la 
nuit  revint  comme  auparavant.  Les  eaux  s'accrurent  ex- 
traordinairement ;  et  la  Seine,  unie  à  la  Marne,  causa 
une  telle  inondation  autour  de  Paris,  que  beaucoup  de 
naufrages  eurent  lieu  entre  la  cité  et  la  basilique  de  Saint- 
Laurent  (i). 

XXVL  Le  duc  Gontran ,  étant  donc  retourné  à  Cler- 
mont  avec  les  trésors  dont  nous  avons  parlé  plus  haut , 
alla  se  rendre  auprès  du  roi  Childebert.  Comme  il  en  re- 
venait avec  sa  femme  et  ses  enfans,  il  fut  arrêté  et  retenu 
par  le  roi  Gontran ,  qui  lui  dit  :  «  C'est  toi  dont  les  invita- 
«  tions  pressantes  ont  amené  Gondovald  dans  les  Gaules , 
«  et  c'est  pour  ce  motif  que  tu  es  allé  à  Constantinople 
«  dans  ces  dernières  années.  »  Le  duc  Gontran  lui  répondit  : 
«  C'est  ton  duc  Mummol  qui  l'a  lui-même  accueilli  et  gardé 
«  avec  lui  dans  Avignon;  mais  donne-moi  la  liberté,  je  te 
«  l'amènerai,  et  je  me  justifierai  ainsi  du  fait  que  tu  me 
«  reproches.  —  Je  ne  te  laisserai  point  partir,  dit  le  roi, 
«  avant  que  tu  ne  subisses  la  juste  punition  de  ton  crime.  » 
Le  duc,  se  voyant  menacé  de  la  mort,  lui  dit  :  «Voilà 
«  mon  fils;  prends-le  ,  et  qu'il  serve  d'otage  pour  garantie 
ce  de  tout  ce  que  je  promets  au  roi  mon  maître.  Si  je  ne 
«  t'amène  Mummol,  je  consens  à  perdre  mon  fils.  »  Alors 
le  roi  le  laissa  partir,  en  gardant  avec  lui  le  jeune  enfant. 
Le  duc,  ayant  réuni  des  hommes  de  l'Auvergne  et  du  Ve- 

(i)  Voyez  Eclairciss.  et  obseiv.  (JNole  c.) 


LIVRE  SIXIÈME.  377 

lai,  marcha  vers  Avignon.  Par  les  artifices  de  Mummol, 
on  n'avait  préparé  sur  le  Rhône  que  des  bâtimens  en 
mauvais  état.  Ils  y  entrent  sans  défiance  ;  mais  arrivés  au 
milieu  du  fleuve,  les  vaisseaux,  chargés  d'hommes,  s'en- 
foncèrent. Dans  cette  situation  critique,  les  uns  échap- 
pèrent à  la  nage,  quelques  autres  saisirent  les  planches 
mêmes  des  vaisseaux,  et  atteignirent  le  rivage;  mais  la 
plupart,  moins  adroits,  périrent  dans  le  fleuve.  Cepen- 
dant le  duc  Contran  arriva  devant  Avignon.  Or  Mummol , 
après  son  entrée  dans  cette  ville ,  voyant  qu'à  l'excep- 
tion d'un  seul  côté  peu  étendu ,  elle  était  protégée  par 
le  fleuve,  avait  détourné  un  bras  du  Rhône  pour  cou- 
vrir d'eau  la  partie  restée  sans  défense.  Il  fit  donc  creu- 
ser en  cet  endroit  des  fossés  d'une  grande  profondeur, 
et  ces  pièges  furent  dissimulés  par  les  courans  d'eau 
qui  les  remplissaient.  Quand  Contran  arriva,  Mummol 
lui  dit  du  haut  des  murs  :  «  S'il  est  de  bonne  foi,  que  cet 
«  homme  vienne  d'un  côté  du  fleuve  et  moi  de  l'autre ,  et 
«  qu'il  me  dise  ce  qu'il  veut.  »  Arrivés  tous  deux  sur  la 
rive ,  séparés  par  le  bras  du  fleuve ,  Contran  lui  dit  :  «  Si 
«  tu  le  permets ,  j'irai  à  toi ,  parce  qu'il  y  a  certaines  choses 
u  sur  lesquelles  nous  devons  conférer  en  secret.  — Viens, 
«  lui  dit  Mummol,  ne  crains  rien.  »  Contran  entra  donc 
dans  le  fleuve  avec  un  de  ses  amis;  mais  comme  celui-ci 
était  chargé  d'une  lourde  cuirasse ,  à  peine  eut-il  atteint 
le  fossé,  qu'il  s'enfonça  sous  les  eaux,  et  ne  reparut  plus  (i). 
Contran  enfonçait  aussi ,  et  était  entraîné  par  la  rapidité 


(i)  Je  suppose  que  ces  courans  avaient  peu  de  largeur,  et  semblaient 
à  Gontraa  des  ruisseaux  facilement  guéables.  Probablement  les  bords 
en  étaient  peu  profonds,  et  tout  à  coup  un  gouffre  était  formé  par  le 
fossé  creusé  d'avance,  et  rempli  d'eau. 


378  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

du  courant,  lorsqu'un  de  ceux  qui  étaient  présens,  lui  pré- 
sentant sa  lance  de  manière  à  ce  qu'il  pût  la  saisir,  le  ra- 
mena au  rivage.  Alors,  après  s'être  mutuellement  accablés 
d'outrages,  Mummol  et  lui  se  retirèrent.  Tandis  que  Con- 
tran assiégeait  cette  ville  avec  l'armée  du  roi  Contran  (i), 
cette  nouvelle  fut  annoncée  à  Ghildebert.  Ce  prince,  ir- 
rité de  ce  qu'il  agissait  ainsi  sans  son  ordre,  envoya 
Gondulf,  nommé  plus  haut  (2),  qui  fit  lever  le  siège,  et 
conduisit  Mummol  en  Auvergne  ;  mais  peu  de  jours  après, 
ce  dernier  revint  à  Avignon. 

XXVII.  Le  roi  Chilpéric,  la  veille  des  fêtes  de  Pâques, 
alla  à  Paris;  et  pour  éviter  les  malédictions  prononcées 
dans  le  traité  conclu  avec  ses  frères  contre  celui  qui  entre- 
rait à  Paris  sans  le  consentement  des  autres  (3) ,  il  entra 
dans  cette  ville,  précédé  des  reliques  de  plusieurs  saints; 
célébra  les  jours  de  Pâques  avec  beaucoup  d'allégresse;  et 
fit  baptiser  son  fils,  que  Ragnemod ,  évêque  de  Paris, 
tint  sur  les  fonts  de  baptême.  Par  son  ordre,  on  le  nomma 
Théodoric. 

XX"VIIT,  Marc  le  référendaire,  dont  nous  avons  parlé 
plus  haut  (4),  après  avoir  amassé  de  grands  trésors  au 
moyen  de  contributions  illégales  levées  sur  les  peuples, 


(i)  Valois  pense  qu'il  faut  lire  Childcbert ,  parce  que  l'Auvergne  et 
le  Yelai  obéissaient  à  ce  prince.  Mais  d'abord  tous  les  mss.  donnent. 
Guntchramni;  ensuite,  cette  armée  du  roi  Gontran,  avec  laquelle  le 
duc  fait  le  siège  d'Avignon,  est  peut-être  distincte  de  l'escorte  com- 
posée des  bomraes  de  l'Auvergne  et  du  Vêlai ,  avec  laquelle  il  avait 
tenté  précédemment  de  surprendre  Mummol. 

(2)  Chap.  II. 

(3)  Voyez  liv.  vir,  chap.  6. 

(4)  Liv.  V,  chap.  29. 


LIVRE  SIXIÈME.  370 

saisi  tout  à  coup  d'une  douleur  de  côté ,  se  rasa  la  tête  , 
prit  l'habit  de  pénitent  (i),  et  rendit  l'âme  aussitôt.  Ses 
biens  furent  réunis  au  fisc.  On  trouva  chez  lui  de  grands 
amas  d'or,  d'argent  et  de  beaucoup  d'objets  précieux  :  mais 
de  tant  de  trésors  il  n'emporta  rien  que  la  perte  de  son 
âme. 

XXIX.  Les  députés,  revenus  de  l'Espagne,  n'en  rap- 
portèrent aucune  réponse  positive,  parce  que  Leuvigild 
était  toujours  en  guerre  contre  son  fils  aîné.  Dans  le  mo- 
nastère de  Sainte-Radegonde  (2),  une  jeune  fille,  nommée 
Disciola ,  nièce  du  bienheureux  Sauve ,  évêque  d'Albi , 
mourut  de  la  manière  suivante.  Elle  était  tombée  malade , 
et  les  autres  sœurs  la  soignaient  assidûment,  lorsque  vint 
le  jour  oïl  elle  devait  quitter  son  corps.  Vers  la  neuvième 
heure,  elle  dit  à  ses  sœurs  :  «  Voici  que  je  me  sens  plus 
«légère;  je  n'éprouve  plus  de  douleur.  Il  n'est  plus  né- 
«  cessaire  que  vous  vous  inquiétiez  de  moi  pour  me  don- 
«  ner  des  soins;  mais  plutôt  éloignez-vous,  pour  que  je 
«repose  plus  facilement.»  Ses  sœurs,  l'entendant  ainsi 
parler,  se  retirèrent  un  instant  de  sa  cellule,  et  revinrent 
peu  après.  Elles  se  tenaient  debout  devant  elle ,  attendant 
ce  qu'elle  allait  leur  dire.  Disciola,  les  bras  étendus,  de- 
manda à  je  ne  sais  qui  sa  bénédiction  en  ces  termes  : 
«  Bénis-moi,  saint  serviteur  du  Très-Haut;  car  voilà  trois 
«  fois  que  tu  te  fatigues  aujourd'hui  pour  ma  cause.  Pour- 
«  quoi,  ô  saint!  souffres-tu,  pour  une  pauvre  femme,  des 


(i)  La  tonsure  était  commune  aux  pénitens,  comme  aux  clercs  et 
aux  moines.  Concil.  d'Agde,  an  5o6,  can.  i5.  Sidonius  ApoU.,  lett.  24, 
liv.  IV,  et  note  de  Sirmond. 

(2)  Monastère  de  la  Sainte-Croix,  à  Poitiers,  fondé  par  sainte  Ra- 
degonde.  Voyez  liv.  m,  chap.  7. 


aSO  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

a  outrages  si  multipliés?  »  Les  sœurs  lui  demandèrent  à 
qui  elle  s'adressait;  mais  elle  ne  répondit  rien.  Puis,  après 
un  court  intervalle,  elle  fit  entendre  un  grand  éclat  de 
rire,  et  rendit  l'esprit.  Au  même  moment,  un  possédé,  qui 
était  venu  devant  la  gloire  de  la  sainte  Croix  (i)  pour  en 
obtenir  sa  guérison  ,  saisit  sa  chevelure  avec  ses  mains ,  et 
se  frappa  la  tête  contre  la  terre,  en  disant  :  «  Hélas!  hé- 
«  las!  malheur  à  nous,  qui  avons  éprouvé  un  tel  dom- 
«mage!  Au  moins,  s'il  nous  eût  été  permis  de  plaider 
«  notre  cause  avant  que  cette  âme  ne  nous  fût  enlevée  !  » 
Les  assistans  lui  demandèrent  ce  qu'il  voulait  dire  :  «Voici , 
«  répondit-il ,  l'ange  Michel  qui  se  charge  de  la  jeune  fille, 
«  et  qui  la  porte  dans  le  ciel;  et  notre  prince,  que  vous 
«  nommez  le  diable,  n'y  a  point  de  part.  »  Ensuite,  quand 
le  corps  eut  été  lavé,  il  devint  si  éblouissant  de  blancheur, 
que  l'abbesse  ne  put  trouver  sous  sa  main  aucun  linge 
plus  blanc  que  son  corps.  Cependant  elle  fut  ensevelie 
dans  un  linceul  propre,  et  livrée  à  la  sépulture.  Une  autre 
jeune  fille  de  ce  monastère  eut  une  vision,  qu'elle  raconta 
à  ses  sœurs.  Elle  croyait,  dit-elle,  parcourir  une  route; 
et  son  vœu  était  d'arriver  en  marchant  jusqu'à  la  fontaine 
vivante.  Comme  elle  ne  connaissait  pas  le  chemin,  un 
homme  s'offrit  à  ses  yeux,  et  lui  dit  :  «Si  tu  veux  aller 
«  à  la  fontaine  vivante  ,  je  marcherai  devant  toi  pour 
«  te  guider.  »  Celle-ci  le  remercia ,  et  le  suivit.  Tout  en 
marchant,  ils  arrivèrent  à  une  grande  fontaine,  dont  les 
eaux  brillaient  comme  de  l'or;  à  l'entour,  les  herbes, 
semblables  à  des  pierres  précieuses  de  mille  couleurs  va- 
riées, rayonnaient  de  toute  la  lumière  du  printemps;  et 


(i)  C'est-à-dire  dans  l'église  même  du  monastère,  dédiée  à  la  sainte 
Croix. 


LIVRE  SIXIÈME  381 

cet  homme  lui  dit  :  «  Voici  la  fontaine  vivante  que  tu  as 
«  cherchée  avec  tant  de  peine.  Abreuve-toi  largement  à 
«  cette  source ,  afin  qu'elle  devienne  en  ta  faveur  une  fon- 
ce taine  d'eau  vive  jaillissant  pour  la  vie  éternelle.  »  Tandis 
qu'elle  buvait  avidement  de  cette  eau,  d'un  autre  côté 
venait  l'abbesse,  qui  dépouilla  la  jeune  fille,  et  la  couvrit 
d'un  vêtement  royal  si  brillant  de  lumière,  d'or  et  de 
pierreries,  qu'on  pouvait  à  peine  en  soutenir  l'aspect.  En 
même  temps,  elle  lui  disait  :  «  C'est  ton  époux  qui  t'envoie 
«  ces  présens.  »  A  la  suite  d'une  telle  vision,  la  jeune  fille, 
touchée  de  componction ,  demanda  quelques  jours  après , 
à  l'abbesse ,  de  lui  préparer  une  cellule  pour  s'y  enfermer. 
Tout  fut  bientôt  prêt,  et  l'abbesse  lui  dit  :  «Voici  la  cel- 
«  Iule;  que  désires-tu  de  plus?»  La  jeune  fille  demanda 
qu'on  lui  permît  d'y  vivre  en  recluse.  Cette  grâce  lui  est 
accordée,  et  au  milieu  des  vierges  rassemblées,  de  leurs 
saints  cantiques,  des  cierges  allumés,  la  bienheureuse 
Radegonde  la  conduit  elle-même  par  la  main  jusqu'au  lieu 
de  sa  retraite.  Alors,  disant  adieu  à  tout  le  monde,  elle 
embrassa  chacune  de  ses  compagnes,  et  fut  renfermée. 
On  boucha  l'ouverture  par  où  elle  était  entrée;  et  encore 
aujourd'hui,  dans  cette  cellule,  elle  se  livre  tout  entière 
à  la  prière  et  à  la  lecture. 

XXX.  Cette  année  (i),  l'empereur  Tibère  quitta  le 
monde,  et  sa  mort  fut  un  grand  sujet  de  deuil  pour  ses 
peuples.  Il  était,  en  effet,  d'une  bonté  parfaite ,  porté  à 
l'aumône,  juste  dans  ses  arrêts,  prudent  lorsqu'il  fallait 


(i)  Nous  sommes  à  l'année  583,  la  huitième  année  du  règne  de  Chil- 
debert  (voyez  chap.  9.5)  ;  mais  il  est  prouvé  qne  la  mort  de  Tibère 
est  de  582. 


382  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

juger;  sans  mépris  pour  personne,  mais  d'une  égale  bien- 
veillance pour  tout  le  monde,  il  aimait  tous  ses  sujets, 
et  en  était  généralement  aimé.  Quand  il  fut  tombé  ma  ~ 
lade,  et  qu'il  désespéra  de  sa  guérison,  il  appela  l'impéra- 
trice Sophie,  et  lui  dit  :  «  Je  le  sens,  j'ai  rempli  le  temps 
«  que  j'avais  à  vivre.  Maintenant,  aidé  par  ton  conseil,  je 
«  choisirai  celui  qui  doit  gouverner  la  république.  Il  faut, 
«  en  effet,  choisir  un  homme  actif  qui  me  remplace  dans 
«  cette  fonction  suprême.  »  Sophie  choisit  un  certain  Mau- 
rice, en  disant  :  «  Cet  homme  est  très  actif  et  très  habile. 
«  Souvent,  dans  des  combats  contre  les  ennemis  de  la  ré- 
«  publique ,  il  a  remporté  la  victoire.  »  Elle  parlait  ainsi , 
dans  l'espérance  de  l'épouser  après  la  mort  de  Tibère  : 
mais  quand  celui-ci  connut  le  choix  de  l'Hupératrice ,  il 
fit  revêtir  sa  fille  des  ornemens  impériaux ,  et  appelant 
Maurice,  lui  dit  :  «  D'accord  avec  l'impératrice  Sophie, 
«  je  te  choisis  pour  empereur.  Afin  de  t'affermir  sur  le 
«  trône,  je  te  donnerai  ma  fille  en  mariage.  »  La  jeune 
fille  approcha,  et  son  père  la  remit  à  Maurice,  en  lui  di- 
sant :  «  Que  mon  empire  te  soit  donné  avec  cette  jeune 
«  fille.  Puisses-tu  y  trouver  le  bonheur,  et  n'oublier  jamais 
«  de  chercher  tes  plaisirs  dans  l'équité  et  la  justice.  «  Mau- 
rice accepta  la  jeune  princesse,  et  la  conduisit  à  sa  mai- 
son. Quand  les  noces  eurent  été  célébrées,  Tibère  mourut. 
Après  les  jours  donnés  à  la  douleur,  Maurice,  orné  du 
diadème  et  de  la  pourpre,  s'avança  dans  le  Cirque,  où  il 
fut  salué  par  de  vives  acclamations;  puis,  ayant  fait  au 
peuple  les  largesses  d'usage ,  il  fut  confirmé  dans  la  pos- 
session de  l'empire. 

XXXI.  Enfin  le  roi  Chilpéric  reçut  de  son  neveu  Chil- 
debert  une  députation,  à  la  tête  de  laquelle  était  Egidius, 


LIVRE  SIXIEME.  383 

évêque  de  Reims.  Lorsqu'ils  furent  introduits  auprès  du 
roi  et  qu'on  leur  eut  accordé  la  parole ,  ils  dirent  :  a  Ton 
«  neveu  te  demande  de  maintenir  absolument  la  paix  que 
«  tu  as  faite  avec  lui  ;  mais  il  ne  peut  rester  en  paix  avec 
«  ton  frère,  parce  que  celui-ci,  après  la  mort  de  son  père, 
«  lui  a  enlevé  sa  portion  de  Marseille,  qu'il  retient  ses  trans- 
«  fuges,  et  ne  veut  point  les  lui  renvoyer.  Aussi  ton  neveu 
«  Childebert  veut  maintenir  intacte  la  bonne  amitié  qui 
«  est  maintenant  entre  vous  deux.  —  Mon  frère,  répondit 
«  Chilpéric,  est  repréhensible  en  plusieurs  points;  car  si 
«  mon  fds  Childebert  veut  se  rendre  un  compte  exact  des 
«  choses ,  il  trouvera  que  son  oncle  a  été  de  connivence 
«  dans  la  mort  de  son  père.»  A  ces  mots,  l'éveque  Egi- 
dius  prenant  la  parole  :  «  Si  tu  te  joins  à  ton  neveu,  et 
«  qu'il  se  joigne  à  toi,  tous  deux  marchant  avec  une  ar- 
«  mée ,  vous  tirerez  promptement  de  votre  ennemi  une 
«  vengeance  légitime.  »  Cet  accord  ayant  été  confirmé  par 
des  sermens,  on  se  donna  des  otages  de  part  et  d'autre,  et 
on  se  quitta.  En  conséquence,  Chilpéric,  comptant  sur  les 
promesses  de  ces  députés,  mit  en  mouvement  l'armée  de 
son  royaume,  et  vint  à  Paris,  où  son  séjour  causa  de  grandes 
dépenses  aux  habitans.  Cependant  le  duc  Bérulf,  avec 
ceux  de  Tours,  d'Angers,  de  Poitiers  et  de  Nantes,  vint 
sur  les  limites  du  Berri.  Didier  et  Bladaste,  avec  toute 
l'armée  de  la  province,  qu'on  leur  avait  confiée  (i),  in- 
vestirent le  Berri  d'un  autre  côté ,  après  avoir  cruelle- 
ment ravagé  les  pays  par  où  ils  étaient  venus.  Chilpéric 
voulut  que  l'armée  qui  venait  le  joindre  traversât  Paris. 
Quand  elle  fut  passée,  il  passa  outre  lui-même,  et  se 
rendit  au  château  de  Melun ,  dévastant  tout  le  pays  par 

(i)  Voyez  Eclairciss.  et  obscrv.  (Note  d.) 


384  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

le  fer  et  !e  feu;  et  quoique  l'armée  de  son  neveu  ne  fût 
pas  venue  le  joindre,  cependant  des  généraux  et  des  dé- 
putés de  ce  prince  étaient  avec  lui.  Alors  il  envoya  aux  ducs 
nommés  ci-dessus  des  messagers  pour  leur  dire  :  «  Entrez 
«  dans  le  Berri,  et  avancez  jusqu'à  la  ville,  pour  en  exi- 
«  ger,  en  mon  nom,  le  serment  de  fidélité.))  Mais  ceux  du 
Berri,  réunis  au  nombre  de  quinze  mille  hommes  auprès 
de  Château-Meillant  (i),  combattirent  contre  le  duc  Di- 
dier. Et  là  il  se  fit  un  si  grand  carnage,  qu'il  périt  plus 
de  sept  mille  hommes  dans  chaque  armée.  Les  généraux, 
avec  le  reste  de  leurs  gens,  parvinrent  jusqu'à  la  ville, 
pillant  et  ravageant  tout  le  pays;  et  alors  eut  lieu  une 
dévastation  sans  exemple  dans  le  souvenir  des  hommes. 
Il  ne  restait  plus  ni  maisons,  ni  vignes,  ni  arbres;  mais 
tout  était  coupé,  incendié,  détruit.  On  enlevait  des  églises 
les  vases  sacrés,  on  brûlait  les  églises  elles-mêmes.  Ce- 
pendant le  roi  Contran ,  avec  une  armée ,  se  présenta  de- 
vant son  frère  (-2),  plaçant  toute  son  espérance  dans  le 


(i)  Nous  adoptons,  avec  Lebeuf  et  D.  Bouquet,  cette  interprétation, 
plutôt  que  celle  de  Mehim-sur-Èvre,  qu'avaient  proposée  Lecointe, 
Valois  et  Ruinart.  L'armée  de  Bérulf  avec  ceux  de  Tours,  Poitiers, 
Angers,  Nantes,  doit  naturellement  attaquer  le  Berri  par  le  nord  et 
par  l'ouest  :  celle  de  Bladaste  et  Didier  l'attaquent  par  un  autre  côté, 
probablement  par  le  midi  ;  et  les  habitans  sont  venus  se  réunir  à  un 
point  voisin  de  la  frontière  pour  s'y  opposer.  Ensuite,  il  semble  que  l'ar- 
mée victorieuse  parcourt  un  certain  espace  avant  d'arriver  à  Bourges  : 
or  Château-Meillant  est  à  une  quinzaine  de  lieues  de  cette  ville,  tandis 
que  Mehun  en  est  très  voisin.  Enfin,  l'attaque  du  Berri  du  côté  du 
sud,  par  l'armée  de  Bladaste,  est  encore  plus  vraisemblable,  si  le 
gouvernement  de  Bladaste  et  de  Didier,  appelé  Provincia,  était  la 
réunion  des  provinces  méridionales  conquises  récemment  par  Chil- 
péric  sur  Gontran.  Voyez  la  note  précédente. 

(2)  Près  de  Melun ,  où  nous  avons  vu  que  Chilpéric  était  posté  avec 
une  armée. 


LIVRE  SIXIÈME.  385 

jugement  de  Dieu.  Un  jour,  vers  le  soir,  il  envoya  contre 
lui  son  armée,  qui  détruisit  une  grande  partie  de  celle  de 
son  frère.  Le  matin,  ils  s'envoyèrent  réciproquement  des 
députés  ,  et  firent  la  paix ,  avec  promesse  mutuelle  de 
s'en  rapporter  au  jugement  des  évêques  et  des  seigneurs  : 
celui  qui  serait  reconnu  avoir  dépassé  les  bornes  de  la  loi 
devait  payer  à  l'autre  une  composition.  A  ces  conditions, 
ils  se  séparèrent  en  bon  accord.  Le  roi  Chilpéric,  ne  pou- 
vant empêcher  ses  troupes  de  se  livrer  au  pillage,  tua  de 
sa  main  le  comte  de  Rouen;  puis  revint  à  Paris,  aban- 
donnant le  butin  et  relâchant  les  captifs.  Ceux  qui  assié- 
geaient Bourges ,  ayant  reçu  l'ordre  de  retourner  chez 
eux,  emportèrent  tant  de  butin,  que  toute  la  contrée, 
à  mesure  qu'ils  se  retiraient,  semblait  absolument  vide 
d'hommes  et  de  troupeaux.  Pareillement  l'armée  de  Didier 
et  de  Bladaste,  étant  entrée  sur  le  territoire  de  Tours, 
se  signala  par  des  incendies,  des  pillages,  des  homi- 
cides, comme  on  fait  ordinairement  en  pays  ennemi.  Ils 
emmenaient  les  habitans  captifs,  et  pour  la  plupart  les 
renvoyaient  après  les  avoir  entièrement  dépouillés.  Ce 
désastre  fut  suivi  d'une  maladie  sur  les  troupeaux,  de 
sorte  qu'il  restait  à  peine  une  seule  tête  de  bétail,  et  que 
c'était  une  nouveauté  de  voir  une  bête  de  somme  ou  d'aper- 
cevoir une  génisse.  Tandis  que  tout  cela  se  passait,  Chil- 
debert  était  avec  son  armée,  réunie  dans  un  même  lieu. 
Une  nuit,  l'armée  se  souleva;  le  petit  peuple  fit  entendre 
des  murmures  toujours  croissans  contre  l'évêque  Egidius 
et  les  ducs  du  roi,  puis  vociféra  et  s'écria  sans  ménage- 
ment :  «  A  bas  ces  courtisans  du  roi  qui  vendent  son 
«  royaume ,  qui  soumettent  ses  villes  à  un  autre  maître , 
«  et  livrent  le  peuple  du  prince  à  une  domination  étran- 
«  gère!  »  A  la  suite  de  ces  vociférations  et  d'autres  sem- 

I.  25 


386  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

blables,  le  malin  étant  venu,  ils  saisissent  leurs  armes, 
et  courent  à  la  tente  du  roi  pour  y  surprendre  l'évêque  et 
les  seigneurs ,  les  accabler,  les  frapper,  les  décliirer  avec 
le  glaive.  Averti  de  leur  dessein,  l'évêque  prit  la  fuite, 
monta  un  cheval,  et  se  dirigea  vers  sa  ville  épiscopale; 
mais  le  peuple  le  poursuivait  à  grands  cris,  lui  jetant  des 
pierres,  et  vomissant  contre  lui  mille  outrages.  Ce  qui  le 
sauva,  c'est  qu'ils  n'avaient  pas  de  chevaux  prêts.  Cepen- 
dant les  montures  de  ses  compagnons  s'étant  lassées,  il 
continua  seul  sa  course,  dominé  par  une  telle  crainte, 
qu'un  de  ses  souliers  étant  tombé  à  terre ,  il  ne  prit  pas  le 
temps  de  le  ramasser  ;  et  parvenu  en  cet  état  jusqu'à  la 
ville,  il  s'enferma  dans  les  murs  de  Reims. 

XXXII.  Peu  de  mois  auparavant,  Leudaste  (i)  était 
arrivé  dans  le  territoire  de  Tours,  muni  d'une  autorisa- 
tion du  roi,  pour  y  pi-endre  femme,  et  y  fixer  son  séjour. 
Il  nous  présenta  aussi  une  lettre  signée  de  plusieurs  évo- 
ques, afin  d'être  admis  à  la  communion  :  mais  ne  voyant 
pas  de  lettres  de  la  reine,  qui  avait  principalement  con- 
tribué à  le  faire  exclure  de  la  communion,  je  différai  de 
l'y  admettre  en  disant  :  «Quand  j'aurai  reçu  l'ordre  de  la 
«  reine,  alors  je  te  recevrai  sans  hésiter.  )i  Dans  l'inter- 
valle j'envoyai  vers  elle ,  et  elle  me  répondit  par  un  écrit 
ainsi  conçu  :  «  Obsédée  par  plusieurs  personnes,  je  n'ai 
«  pu  faire  autrement  que  de  le  laisser  partir  ;  mais  je  t'en 
«  prie,  qu'il  n'obtienne  de  toi  aucune  réconciliation,  qu'il 
«  ne  reçoive  pas  la  communion  de  ta  main,  jusqu'à  ce  que 
«  nous  ayons  décidé,  après  un  plus  mûr  examen,  de  ce 
«  qu'il  convient  de  faire.  »  En  relisant  cet  écrit,  je  crai- 

f  i)  Ennemi  personnel  de  notre  auteur.  Voyez  liv.  v,  ch.  49  et  5o. 


LIVRE  SIXIÈ^IE.  387 

gnis  qu'on  ne  voulût  l'assassiner.  Je  fis  venir  son  beau- 
père  ,  auquel  je  communiquai  mes  craintes ,  et  je  le  suppliai 
de  se  tenir  sur  ses  gardes  jusqu'à  ce  que  le  ressentiment 
de  la  reine  fût  apaisé.  Je  lui  donnais  ce  conseil  sans  ar- 
rière-pensée, et  pour  l'amour  de  Dieu;  mais  comme  il 
était  toujours  mon  ennemi,  il  le  prit  pour  un  piège,  et 
refusa  de  tenir  la  conduite  que  je  lui  prescrivais.  Ainsi 
fut  justifié  ce  proverbe  que  j'ai  entendu  de  la  bouche 
d'un  vieillard  :  «  A  un  ami,  à  un  ennemi,  donne  toujours 
«  un  bon  conseil,  parce  que  l'ami  en  profite,  l'ennemi  le 
«  méprise.  »  Ayant  donc  dédaigné  mes  avis,  il  envoya  un 
message  au  roi ,  qui  était  alors  avec  son  armée  sur  le  ter- 
ritoire de  Melun  ,  et  il  priait  les  soldats  de  supplier  le  roi 
pour  qu'il  daignât  l'admettre  en  sa  présence.  Toute  l'armée 
intercédant  en  sa  faveur,  le  roi  lui  permit  de  se  présenter, 
et  Leudaste,  prosterné  à  ses  pieds,  implora  son  pardon. 
«  Agis  quelque  temps  avec  prudence,  lui  dit  le  roi,  jusqu'à 
«  ce  que  tu  aies  vu  la  reine  et  que  tu  t'accordes  avec  elle 
«  sur  les  moyens  de  regagner  ses  bonnes  grâces;  car  tu  es 
«bien  coupable  à  son  égard.  »  Mais  lui,  toujours  impru- 
dent et  léger,  plein  de  confiance,  parce  qu'il  avait  obtenu 
d'être  admis  en  présence  du  roi,  suivit  ce  prince  de  re- 
tour à  Paris,  et  un  dimanche  ,  au  milieu  de  l'église,  il  se 
prosterna  aux  pieds  de  la  reine  en  lui  demandant  pardon  : 
mais  celle-ci ,  frémissant  de  rage  et  maudissant  son  aspect, 
le  repoussa  loin  d'elle ,  et ,  les  yeux  en  larmes ,  s'écria  : 
«  Puisque  je  n'ai  point  de  fils  qui  puisse  soutenir  ma  cause 
«  lorsque  je  suis  accusée,  c'est  à  toi,  Seigneur  Jésus,  que 
«j'en  confie  la  défense.  »  Puis  se  jetant  aux  pieds  du  roi, 
elle  ajouta  :  «  Malheur  à  moi ,  qui  vois  mon  ennemi ,  et  ne 
«  peux  avoir  sur  lui  l'avantage!  »  T.eudaste  ayant  donc  élé 
repoussé  du  Vwu  saint,  la  sol«'nnit(''  do  la  messe  fut  rélé- 


388  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

brée.  Quand  le  roi  sortit  do  l'église  avec  la  reine,  Leu- 
daste  les  suivit  jusqu'à  la  place  (ij,  sans  prévoir  ce  qui 
devait  lui  arriver.  Il  parcourait  les  maisons  des  négo- 
cians,  se  faisait  montrer  leurs  marchandises,  pesait  de 
l'argenterie ,  et  examinait  divers  objets  précieux  en  disant  : 
«  J'achèterai  ceci  et  cela ,  parce  qu'il  me  reste  beaucoup 
«  d'or  et  d'argent.  »  Il  parlait  encore  lorsque  des  servi- 
teurs de  la  reine  arrivèrent  subitement,  et  vovdurent  le 
garrotter  ;  mais  lui ,  tire  son  épée  et  frappe  l'un  d'entre 
eux.  Alors  les  autres,  émus  de  colère,  saisissent  leurs 
bouchers  et  leurs  glaives,  et  se  jettent  sur  lui.  L'un  d'eux 
lui  assène  un  coup  qui  lui  enlève  en  grande  partie  les  che- 
veux et  la  peau  de  la  tête.  Comme  il  s'enfuyait  par  le 
pont  de  la  ville,  son  pied  ayant  glissé  entre  les  deux  pièces 
de  bois  qui  forment  le  pont ,  il  se  cassa  la  jambe,  et  fut 
alors  arrêté.  On  lui  lia  les  mains  derrière  le  dos,  et  il  fut 
remis  à  des  gardes.  Le  roi  le  fît  soigner  par  des  méde- 
cins, pour  que,  guéri  de  ses  blessures,  il  fût  ensuite  tor- 
turé par  de  longs  supplices.  On  le  conduisit  dans  une 
propriété  du  fisc,  où  la  gangrène,  qui  se  manifesta  dans 
ses  plaies,  le  réduisit  à  la  dernière  extrémité.  Enfin,  par 
ordre  de  la  reine,  on  l'étendit  à  terre  sur  le  dos,  la  tête 
appuyée  sur  une  grande  pièce  de  bois,  et  avec  une  autre 
on  lui  frappa  sur  la  gorge.  Telle  fut  la  juste  mort  qui 
termina  une  vie  remplie  de  crimes. 

XXXIII.  La  neuvième  année  (2)  du  roi  Childebert,  le 


(i)  Cette  place  était  près  de  l'église,  c'est-à-dire  de  la  cathédrale; 
remplie  de  marchands;  près  d'un  pont.  Dulaure  conjecture,  avec  assez 
de  vraisemblance,  qu'elle  était  à  peu  près  où  se  trouve  le  Marché- 
Neuf. 

(2)  An  584  • 


LIVRE  SIXIÈME.  389 

roi  Contran  rendit  de  lui-même  à  son  neveu  la  portion  de 
Marseille  qui  lui  appartenait.  Les  députés  de  Chilpéric, 
revenus  des  Espagnes,  annoncèrent  que  la  province  de 
Carpitanie  (i)  avait  été  cruellement  ravagée  par  les  sau- 
terelles, au  point  qu'il  ne  restait  pas  un  arbre,  pas  une 
vigne,  pas  une  forêt,  pas  une  espèce  de  fruit  ou  de  ver- 
dure ,  qu'elles  n'eussent  détruit.  Ils  disaient  aussi  que 
l'inimitié  qui  avait  surgi  entre  Leuvigild  et  son  fils  s'ac- 
croissait toujours  plus  violente.  Une  maladie  contagieuse 
dévastait  avec  plus  de  furie  encore  plusieurs  endroits  de 
cette  contrée,  mais  exerçait  surtout  ses  ravages  à  Nar- 
bonne  (2).  Depuis  trois  ans  qu'elle  avait  envahi  cette 
ville,  elle  s'était  calmée,  et  déjà  les  habitans  fugitifs  y 
rentraient;  mais  la  maladie  les  frappa  de  nouveau,  et  en 
fit  périr  un  grand  nombre.  La  cité  d'Albi  fut  aussi  bien 
tourmentée  par  ce  fléau.  En  ces  jours-là  on  vit  paraître, 
la  nuit,  du  côté  du  nord,  beaucoup  de  rayons,  brillant 
d'un  vif  éclat;  ils  convergeaient  les  uns  vers  les  autres, 
puis  se  séparaient;  enfin  ils  s'évanouirent;  et  le  ciel,  dans 
la  région  septentrionale,  fut  éclairé  d'une  si  forte  lumière, 
qu'on  croyait  voir  naître  l'aurore  (3). 

XXXIV.  Une  députation  vint  encore  une  fois  de  l'Es- 
pagne, avec  des  présens,  pour  arrêter  avec  le  roi  Chilpéric 
l'époque  où,  d'après  les  conventions  antérieures,  il  don- 
nerait sa  fille  en  mariage  au  fils  (4)  du  roi  Leuvigild. 

(i)  Maintenant  partie  de  la  Nouvelle- Castille.  Tolède  en  était  la 
capitale. 

(2)  Narbonne  et  les  autres  villes  de  la  Septimanie  étaient  alors  attri- 
imées  à  l'Espagne,  parce  qu'elles  obéissaient  aux  Yisigoths.  (Ruin.) 

(3)  D'où  est  venu  à  ce  phénomène  le  nom  (Vaurore  boréale. 

(4)  Recared,  frère  d'Herménegild ,  à  qui  Rigonthe  avait  été  pro- 
mise. Voyez  chap.  i8. 


390  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

lA'poquc  fixée,  et  toutes  choses  convenues,  l'envoyé  se 
relira;  mais  le  roi  Chilpéric,  en  quittant  Paris  pour  se 
rendre  dans  le  Soissonnais,  éprouva  un  nouveau  chagrin. 
Son  fils,  qu'il  avait  fait  baptiser  l'année  précédente  (i), 
mourut  de  dyssenterie.  C'est  ce  qu'annonçait  cette  flanmie 
échappée  des  nuages  ,  dont  j'ai  parlé  plus  haut.  Alors  ils 
revinrent  à  Paris  accablés  de  douleur,  ensevelirent  l'en- 
fant, et  envoyèrent  après  l'ambassadeur,  le  priant  de  re- 
venir pour  ajourner  l'époque  convenue  ;  car,  disait  le  roi  : 
«  Le  deuil  est  dans  ma  maison;  comment  célébrerai-je  les 
«  noces  de  ma  fille?  »  11  voulut  même  envoyer  en  Espagne 
une  autre  fille  (2)  qu'il  avait  eue  d'Audovère,  et  qu'il  avait 
placée  dans  le  monastère  de  Poitiers  ;  mais  il  renonça  à 
ce  projet ,  surtout  à  cause  de  la  résistance  de  la  bienheu- 
reuse Radegonde  ,  qui  disait  :  «  11  ne  convient  pas  qu'une 
«  jeune  fille  vouée  à  Jésus-Christ  retourne  aux  voluptés 
«  du  siècle.  » 

XXXV.  Tandis  que  ces  choses  se  passaient,  on  annonce 
à  la  reine  que  l'enfant  qu'elle  avait  perdu  était  mort  vic- 
time de  maléfices  et  d'enchantemens,  et  que  le  préfet  Mum- 
mol  (3),  dès  long-temps  odieux  à  la  reine,  était  complice  de 
ce  crime.  Il  arriva  aussi  qu'un  jour,  à  la  table  de  Mummol , 
un  courtisan  du  roi  se  lamentait  de  ce  qu'un  enfant  qu'il 
chérissait  avait  été  attaqué  de  dyssenterie.  Le  préfet  lui 


(i)  Théodéric.  Voyez  chap.  20  et  27. 

(2)  Basine,  qui  excita  tant  de  troubles  dans  ce  monastère,  comme 
on  le  verra  plus  bas,  liv.  ix,  chap.  Sg. 

(3)  Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  le  patrice  Mummol ,  général  de 
Contran,  depuis  peu  passé  au  service  de  Childebert,  et  dont  il  a  ét;é 
question  si  souvent.  On  croit  (juc  celui-ci  était  préfet  ou  maire  du 
palais  de  Chii|u'ric. 


LIVRE  SIXIÈME.  391 

répondit  :  «  J'ai  à  ma  disposition  une  herbe  qui ,  prise  en 
«  breuvage,  guérit  toute  personne  malade  de  dyssenterie, 
«  fût-elle  désespérée.  »  Ces  paroles,  rapportées  à  la  reine, 
l'enflamment  d'une  nouvelle  fureur.  Cependant  elle  fait 
saisir  plusieurs  femmes  de  Paris,  les  applique  à  la  torture, 
et  à  force  de  coups  les  contraint  de  déclarer  ce  qu'elles 
savaient.  Celles-ci  se  confessent  sorcières,  attestent  qu'elles 
ont  fait  périr  plusieurs  personnes,  et  ajoutent  cette  cir- 
constance, que  je  prétends  incroyable  :  «  Nous  avons  sa- 
«  crifié  ton  fils ,  ô  reine  !  pour  obtenir  la  vie  de  Mummol.  » 
Alors  la  reine  redouble  la  rigueur  de  leurs  tortures , 
et  fait  tuer  les  unes,  brûler  les  autres;  ou  les  attache 
à  des  roues  en  leur  brisant  les  os.  Puis  elle  se  retira 
avee  le  roi  dans  la  maison  royale  de  Compiègne ,  et 
là,  lui  révéla  tout  ce  qu'elle  avait  appris  sur  le  préfet. 
Le  roi  se  le  fit  amener  par  des  serviteurs,  et  l'inter- 
rogea; puis  ils  le  chargèrent  de  chaînes  et.  le  livrèrent 
à  différens  supplices.  On  le  suspendit  à  une  poutre, 
les  mains  liées  derrière  le  dos,  et  on  lui  demanda  ce 
qu'il  savait  de  ces  maléfices.  Mais  il  n'avoua  aucun  des 
faits  que  nous  avons  rapportés  plus  haut.  Seulement  il 
déclara  avoir  souvent  reçu  de  ces  femmes  ,  des  onguens 
et  des  breuvages  qui  devaient  lui  procurer  la  faveur  du 
roi  et  de  la  reine.  On  le  détacha  donc  du  poteau.  Alors 
il  appela  l'exécuteur  et  lui  dit  :  «  Annonce  au  roi  mon 
«  maître,  que  je  ne  sens  aucun  mal  des  tourmcns  que 
«j'ai  subis.  »  A  ces  mots,  le  roi  s'écria  :  «  N'est-il  pas 
«  vrai  qu'il  est  un  sorcier,  s'il  n'a  rien  souffert  de  tous 
«  ces  châtimens?»  Alors  on  l'étendit  sur  des  roues,  et 
on  le  frappa  avec  de  triples  courroies,  jusqu'à  ce  que 
les  bourreaux  fussent  lassés  ;  ensuite  on  lui  enfonça  des 
bâtons  pointus  dans  les  ongles  des  mains  et  des  pieds. 


392  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

Et  lorsqu'il  n'avait  plus  à  attendre  que  le  coup  du  glaive, 
levé  sur  lui  pour  lui  trancher  la  tête,  il  obtint  de  la  reine 
grâce  pour  sa  vie;  mais  il  eut  à  subir  une  humiliation  aussi 
cruelle  que  la  mort.  Car,  placé  sur  un  chariot,  il  fut 
envoyé  dans  la  ville  de  Bordeaux,  lieu  de  sa  naissance, 
mais  dépouillé  de  tous  ses  biens.  Frappé  en  route  d'un 
coup  de  sang,  il  put  à  peine  arriver  à  sa  destination;  et 
peu  de  temps  après,  il  rendit  l'esprit.  Ensuite,  la  l'eine 
ayant  pris  le  trésor  (i)  de  son  enfant,  fit  jeter  au  feu  ses 
vêtemens  et  tout  ce  qu'elle  put  trouver  de  ses  effets,  même 
en  soie  (2)  ou  de  toute  autre  étoffe,  et  les  détruisit  entiè- 
rement. On  prétend  qu'il  y  en  avait  la  charge  de  quatre 
chariots.  Quant  aux  objets  d'or  et  d'argent ,  elle  les  garda 
après  les  avoir  fait  fondre  pêle-mêle  dans  une  fournaise 
ardente,  afin  qu'il  ne  restât  rien  d'entier  qui  pût  lui  rap- 
peler son  fils  et  sa  douleur. 

XXXVI.  Étherius,  évêque  de  Lisieux,  dont  nous  avons 
parlé  précédemment  (3),  fut  chassé  de  sa  ville,   puis  y 


(i)  On  voit  par  là  que  le  trésor  d'un  prince  renfermait  non  seule- 
ment de  l'or  et  de  l'argent,  mais  des  habits,  des  étoffes  et  d'autres 
objets  précieux. 

(2)  Cette  expression  prouve  que  la  soie  était  alors  chose  très  rare.  On 
sait  qu'elle  ne  devint  commune  en  France  que  dans  le  xvii"^  siècle. 

(3)  Il  n'est  question  nulle  part,  dans  les  ouvrages  de  Gi'égoire  de 
Tours ,  de  cet  Etherius  ;  d'où  Lecointe  en  a  inféré  que  ce  chapitre , 
qui  d'aillem's  manque  dans  la  plupart  des  manuscrits,  était,  comme 
beaucoup  d'autres,  une  interpolation.  Sans  vouloir  prononcer  sur 
cette  question,  sujette  à  controverse,  nous  dirons  que  Ruinart,  pour 
défendre  l'authenticité  de  ce  chapitre,  lappelle  que,  dans  un  autre 
chapitre  non  suspect,  iv,  16,  notre  auteur,  en  nommant  Tétricus, 
évèque  dt-  Langrcs,  ajoute  de  même  :  ciijus  memoviam  J'ccimus,  quoi- 
qu'il ne  soit  pas  nommé  auparavant  dans  son  histoire.  Mais  du  moins 
il  eu  avait  fait  mcntiou  dans  un  autre  opuscule  j  au  litu  que  Étherius 


LIVRE  SIXIÈME.  393 

rentra,  de  la  manière  suivante.  Il  avait  un  clerc,  originaire 
du  Mans,  dissolu,  aimant  les  femmes,  et  livré  à  la  gour- 
mandise, à  la  fornication  et  à  toute  espèce  de  vices  im- 
mondes. Comme  il  entretenait  commerce  avec  une  femme 
mariée,  une  vraie  prostituée,  il  lui  fit  couper  la  che- 
velure, l'habilla  en  homme,  et  l'emmena  dans  une  autre 
ville,  pour  éviter  tout  soupçon  d'adultère  au  milieu  de 
gens  inconnus.  Cette  femme  était  de  race  libre  et  née 
d'honnêtes  parens.  Ses  proches ,  ayant ,  plusieurs  jours 
après,  découvert  ce  qui  s'était  passé,  s'agitèrent  avec 
empressement  pour  venger  la  honte  de  leur  famille  : 
ayant  trouvé  le  clerc ,  ils  l'enchaînèrent  et  le  retinrent 
prisonnier;  mais  firent  brûler  la  femme.  Ensuite,  do- 
minés par  l'exécrable  soif  de  l'or,  ils  s'occupèrent  de 
vendre  le  clerc,  c'est-à-dire  de  trouver  quelqu'un  qui 
le  rachetât  :  sinon  il  était  destiné  à  une  mort  certaine. 
Étherius,  instruit  de  toute  l'affaire,  fut  touché  de  com- 
passion ;  il  donna  vingt  pièces  d'or,  et  le  délivra  de 
ce  péril  imminent.  Quand  il  eut  été  ainsi  rendu  à  la 
vie,  le  clerc  se  donna  pour  docteur  dans  les  lettres, 
et  promit  à  l'évêque  que ,  s'il  lui  confiait  des  énfans  , 
il  en  ferait  des  sa  vans  accomplis.  L'évêque,  ravi  de 
ce  qu'il  entendait  ,  réunit  les  enfans  de  la  ville,  et 
lui  confia  le  soin  de  les  instruire.  Déjà  il  était  en 
honneur  auprès  des  habitans;  il  avait  reçu  de  l'évêque 
une  terre  et  des  vignes;  il  était  invité  dans  les  maisons 
des  parens  dont  il  instruisait  les  fils  :  mais,  retournant 
à  ses  honteux  penchaus ,  oublieux  de  tout  ce  qu'il  avait 
souffert   autrefois,    il  jeta  un  regard  de  concupiscence 


n'a  jamais  été  nommé  par  lui  ;  à  moins  que  ce  ne  soit  dans  un  ouvraj^c 
perdu. 


394  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

sur  la  mère  d'un  de  ses  élèves.  Celte  femme  vertueuse, 
s'en  étant  plainte  à  son  mari ,  ses  parens  réunis  firent 
subir  au  clerc  de  rudes  tourmens,  et  voulurent  même 
le  tuer.  L'évêque ,  encore  une  fois  ému  de  compassion , 
lui  adressa  de  douces  réprimandes,  le  délivra,  et  Je  ré- 
tablit dans  ses  fonctions.  Mais  cette  âme  perverse  ne 
put  jamais  se  tourner  au  bien  :  au  contraire,  il  devint 
l'ennemi  de  celui  qui  l'avait  si  souvent  racheté  de  la 
mort.  11  se  joignit  donc  à  l'archidiacre  de  la  cité,  qui  (i), 
se  déclarant  digne  de  l'épiscopat ,  complota  de  tuer  l'é- 
vêque. Puis  ayant  pris  un  clerc  à  gages  pour  le  frapper 
d'un  coup  de  hache,  ils  se  mettent  à  courir  partout,  à 
parler  bas,  à  former  des  liaisons  secrètes,  à  faire  des 
offres,  afin  que,  si  l'évêque  venait  à  mourir,  l'archidiacre 
lui  succédât.  Mais  la  miséricorde  divine  prévint  leur  per- 
fidie, et  sa  bonté  déjoua  promptement  les  complots  cri- 
minels de  ces  hommes  injustes.  Un  jour  que  l'évêque 
avait  réuni  des  ouvriers  dans  un  champ  pour  le  faire  la- 
bourer, le  clerc  dont  nous  avons  parlé ,  le  suivait  avec 
sa  hache.  Le  saint  homme  ne  se  doutait  de  rien  ;  enfin , 
il  s'en  "aperçut  :  «  Pourquoi  donc,  lui  dit-il,  me  suis-tu 
«  si  assidûment  avec  cette  hache?  »  Celui-ci  frappé  de 
crainte,  se  jette  à  ses  genoux,  en  disant  :  «  Prends  cou- 
«  rage  ,  prêtre  de  Dieu.  Apprends  que  j'ai  été  envoyé 
«  par  l'archidiacre  et  le  précepteur  pour  te  frapper  de  ma 
«  hache.  vSouvent  j'ai  voulu  le  faire ,  et  lorsque  je  levais 
«  le  bras  pour  asséner  le  coup  ,  mes  yeux  se  couvraient 

(i)  Par  la  construction  de  la  phrase  latine,  on  croirait  que  c'est  Je 
clerc  professeur  qui  veut  devenir  évèque  ;  mais  l'archidiacre  étant, 
par  son  rang,  plus  près  de  cette  dignité,  devait  y  avoir  des  préten 
tiens  ])lus  fondées.  Nous  avons  adopté  le  sens  suivi  par  le  traducteur 
précédent. 


LIVRE  SIXIÈME.  395 

«de  ténèbres;  mes  oreilles  se  fermaient,  et  tout  mon 
«  corps  tremblait,  agité  par  un  frisson;  mes  mains  étaient 
«  sans  force,  et  incapables  de  servir  mes  projets.  Mais 
«  quand  j'avais  abaissé  mon  bras,  je  ne  sentais  plus  aucune 
«  souffrance.  J'ai  reconnu  que  le  Seigneur  est  avec  toi, 
«  puisque  je  n'ai  pu  te  faire  le  moindre  mal.»  A  ces  mots, 
l'évêque  pleura,  imposa  silence  au  clerc,  et  de  retour  à  sa 
maison,  se  mit  à  table  pour  souper.  Le  repas  terminé,  il  se 
reposa  dans  son  lit,  autour  duquel  étaient  plusieurs  autres 
lits  pour  ses  clercs  (i).  Ses  ennemis  s'étant  défiés  du  clerc 
qu'ils  soudoyaient,  songèrent  à  exécuter  par  eux-mêmes 
leur  projet  sacrilège  et  machinèrent  un  autre  complot 
soit  pour  le  faire  périr  violemment ,  soit  pour  le  charger 
d'un  crime  qui  pût  l'exclure  de  l'épiscopat.  Tandis  que  tous 
dormaient,  vers  minuit,  ils  se  précipitent  dans  la  chambre 
où  couchait  l'évêque,  criant  à  haute  voix  qu'ils  ont  vu 
une  femme  sortir  de  sa  chambre,  et  qu'ils  l'ont  laissée 
aller  en  s'empressant  de  courir  à  l'évêque.  Et  certaine- 
ment c'était  une  action  et  une  pensée  diabolique ,  d'im- 
puter un  tel  crime  à  un  évêque  de  cet  âge,  car  il  avait 
alors  environ  soixante-dix  ans.  A  l'instant  même  (or  le 
clerc,  dont  il  a  été  question,  était  réuni  de  nouveau  avec 
eux)  l'évêque  est  chargé  de  chaînes  par  les  mains  de 
celui  dont  le  cou  avait  été  plusieurs  fois  par  lui  dégagé 
de  ses  liens;  et  gardé  sévèrement  par  celui  qu'il  avait 
souvent  délivré  de  la  fange  des  prisons.  Reconnaissant 
que  ses  ennemis  l'avaient  enfin  emporté  sur  lui,  étroite- 
ment garrotté,  il  implora  avec  larmes  la  miséricorde  du 


(i)  Les  caaoDB  voulaient  que  les  évêques  eussent  continuellement 
avec  eux  des  témoins  de  leur  conduite  privée.  (S.  Grégoire-lc-Grand^ 
liv.  IV,  épît.  44  ) 


396  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

Seigneur.  Bientôt  ses  gardiens  tombèrent  accablés  par  le 
sommeil,  et  ses  liens  s'étant  brisés  par  miracle,  il  sortit 
de  sa  prison  sans  aucun  mal ,  lui  si  souvent  le  libérateur 
de  ceux  qui  lui  avaient  fait  du  mal.  Ensuite  il  s'échappa, 
et  se  retira  dans  le  royaume  de  Gontran.  Après  son  dé- 
part, ses  ennemis  conspirant  avec  plus  de  liberté,  s'em- 
pressent d'aller  trouver  le  roi  Chilpéric  pour  lui  demander 
l'épiscopat.  Ils  allèguent  plusieurs  chefs  d'accusation 
contre  leur  évêque,  et  ajoutent  :  «  Reconnais ,  ô  roi  très- 
ce  glorieux  ,  la  vérité  de  nos  paroles ,  en  ce  que ,  par  crainte 
«  de  la  mort  due  à  ses  crimes ,  il  s'est  réfugié  dans  le 
«  royaume  de  ton  frère.  »  Le  roi,  sans  les  croire,  leur  or- 
donna de  retourner  dans  leur  ville.  Sur  ces  entrefaites, 
les  citoyens  affligés  de  l'absence  de  leur  pasteur ,  et 
convaincus  que  tout  ce  qui  s'était  passé  avait  été  l'œuvre 
de  l'envie  et  de  l'avarice,  se  saisirent  de  l'archidiacre  et 
de  son  satellite,  les  maltraitèrent,  et  demandèrent  au 
roi  de  leur  rendre  leur  évêque.  Chilpéric  envoya  des 
députés  à  son  frère,  l'assurant  qu'il  n'avait  trouvé  rien 
de  répréhensible  dans  l'accusé.  Alors  le  roi  Contran,  qui 
était  d'ailleurs  bon  et  miséricordieux ,  lui  fit  plusieurs 
présens,  et  envoya  des  lettres  à  tous  les  évêques  de  son 
royaume,  afin  qu'ils  donnassent,  pour  l'amour  de  Dieu, 
quelque  consolation  à  l'étranger.  Et  celui-ci,  en  traver- 
sant les  villes,  reçut  des  prêtres  de  Dieu,  tant  de  secours  en 
or  et  en  vôtemens,  qu'à  peine  put-il  rapporter  dans  sa  ville 
épiscopale  tout  ce  qu'il  avait  reçu;  et  alors  fut  accompli 
ce  mot  de  l'apôtre  :  Pour  ceux  qui  aiment  Dieu ,  tout 
concourt  au  bonheur  [\).  Car  ce  voyage  en  pays  étranger, 
lui  apporta  des  richesses ,  et  l'exil  accrut  ses  ressources. 

(i)  Rom.  VIII,  28. 


LIVRE  SIXIÈME.  397 

Puis  à  son  retour  il  fut  accueilli  avec  grand  iionneur, 
au  point  que  tous  pleuraient  de  joie  et  bénissaient  Dieu 
qui  avait  enfin  rendu  à  l'église  un  tel  évêque. 

XXXVII.  Lupence,  abbé  de  la  basilique  de  Saint-Privat, 
martyr,  dans  la  ville  de  Cabale  (i),  mandé  parla  reine  Bru- 
nehaut,  se  présente  devant  elle.  Il  avait  été  accusé,  dit-on, 
par  Innocent,  comte  de  cette  ville,  d'avoir  parlé  de  la  reine 
avec  irrévérence.  Mais  après  un  mûr  examen,  reconnu  non 
coupable  du  crime  de  lèse-majesté,  il  reçut  ordre  de  se  reti- 
rer. A  peine  avait-il  commencé  à  se  mettre  en  marche,  qu'il 
fut  pris  de  nouveau  par  le  même  comte,  et  conduit  à  la 
maison  royale  de  Pontbion.où  il  fut  cruellement  tour- 
menté ;  puis  relâché  une  seconde  fois,  avec  permission  de 
retourner  chez  lui ,  comme  il  venait  de  dresser  sa  tente  sur 
les  bords  de  l'Aisne  (2),  son  ennemi  se  précipita  encore 
sur  lui,  le  terrassa,  lui  coupa  la  tête  et  la  mit  dans  un 
sac  chargé  de  pierres  qu'il  jeta  dans  le  fleuve.  Ensuite 
il  attacha  le  reste  du  corps  a  \me  grosse  pierre,  et  le 
plongea  dans  l'abîme.  Peu  de  jours  après  ,  quelques 
bergers  l'ayant  aperçu^  le  tirèrent  de  l'eau  et  lui  rendi- 
rent les  honneurs  de  la  sépulture.  Tandis  qu'on  préparait 
ce  qui  était  nécessaire  pour  ses  funérailles,  sans  que  l'on 
pût  savoir  qui  il  était,  surtout  parce  qu'on  ne  trouvait 
point  la  tête  qui  avait  été  coupée,  tout-à-coup ,  sur- 
vint un  aigle  qui  tira  un  sac  du  fond  du  fleuve,  et  le 
déposa  sur   la   rive.    Les    assistans    pleins    d'admiration 


(i)  Voyez  liv.  IV,  cliap.  4o.  Lupence  est  ordinairement  appelé  saint 
Lnuvent. 

(9.)  On  ne  conçoit  guère  comment  de  Ponthion ,  près  de  Vitry,  il 
se  dirige  vers  TAisnepour  retourner  en  Gévaudan  :  à  mains  que  rcdirc.t 
ne  signifie  qu'il  devait  relouruci-  auprès  de  la  reine. 


398  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

prennent  le  sac,  et  cherchant  avec  curiosité  ce  qu'il 
contenait,  trouvent  la  tête  de  la  victime;  de  sorte  qu'elle 
fut  ensevelie  avec  le  reste  du  corps.  On  dit  que  mainte- 
nant, il  apparaît  en  ce  lieu  une  lumière  toute  divine;  et 
que  si  un  malade  prie  avec  confiance  auprès  de  ce  tom« 
beau,  il  s'en  retourne  guéri. 

XXXVIII.  Théodose,  évêque  de  Rliodez,  successeur  de 
saint  Delmace,  mourut  vers  ce  temps  :  et  telles  furent 
les  disputes  et  les  querelles  élevées  dans  cette  église,  au 
sujet  de  son  successeur  à  l'épiscopat,  qu'elle  fut  presque 
entièrement  dépouillée  de  ses  vases  sacrés  et  de  ses  ri- 
chesses les  plus  précieuses.  Cependant,  le  prêtre  Tran- 
sobad  fut  rejeté;  et  Innocent  (i),  comte  de  Gévaudan, 
élu  évêque  par  la  protection  de  la  reine  Brunehaut.  Mais 
à  peine  en  possession  de  son  évêché,  il  attaqua  Ursicin , 
évêque  de  Cahors  ,  lui  reprochant  de  retenir  certaines 
paroisses  qui  appartenaient  à  l'église  de  Rhodcz.  Et 
comme  la  dispute  devenait  plus  vive  en  se  prolongeant, 
quelques  années  après,  le  métropolitain  (2)  réunit  à  Cler- 
mont  une  assemblée  des  évêques  de  la  province,  d'où 
émana  un  jugement,  qui  rendit  à  Ursicin  des  paroisses 
que,  de  mémoire  d'homme,  l'église  de  Rhodez  n'avait  ja- 
mais possédées  (3)  :  ce  qui  fut  exécuté. 


(1)  Celui  dont  il  vient  d'être  question  dans  le  chapilre  précédent. 
Voyez  liv.  x,  chap.  8. 

(2)  C'est-à-dire  l'évêque  de  Bourges,  Sulpice  (non  pas  Suipi ce-Sévère 
l'historien,  mort  vers  420),  dont  il  est  question  dans  le  cliap.  suivant. 
Les  suffragans  de  l'évêché  de  Bourges  étaient:  Clermont,  Limoges, 
Cahors,  Rhodez,  AIbi,  Javols  (depuis  Moide),  et  Saint-Paulien  en 
Vêlai  (plus  tard  le  Puj).  Ces  diocèses  composaient  la  province  ecclé- 
siastique de  Bourges,  ou  première  Aquitaine. 

(3)  Voyez  Ecïairciss.  et  observ.  (Note  e.) 


LIVRE  SIXIÈME.  399 

XXXIX.  Rémi,  évêque  de  Bourges,  mourut.  Après 
sa  mort,  une  grande  partie  de  la  ville  fut  consumée  par 
un  terrible  incendie  ,  qui  détruisit  tout  ce  qui  avait 
échappé  aux  ravages  de  la  guerre  (i).  Ensuite  Sulpice 
fut  promu  dans  cette  ville  à  la  dignité  épiscopale,  par 
la  faveur  du  roi  Contran.  Comme  plusieurs  lui  offraient 
des  présens,  le  prince  répondit  à  ceux  qui  ambition- 
naient cet  évêché  :  «  Ce  n'est  ni  la  coutume  de  mon  gou- 
«  vernement,  de  vendre  à  prix  d'argent  le  sacerdoce;  ni 
«  votre  devoir,  de  l'acheter  par  des  présens.  Craignons , 
«  nous,  d'être  déshonoré  par  amour  infâme  du  gain;  vous, 
«  d'être  comparés  au  magicien  Simon.  Mais  conformément 
«  à  la  volonté  de  Dieu,  Sulpice  sera  votre  évêque.  »  Ainsi 
engagé  dans  la  cléricature,  Sulpice  fut  chargé,  comme 
évêque,  de  cette  église.  C'est  un  personnage  tout-à-fait 
remarquable;  issu  des  plus  nobles  sénateurs  des  Gaules; 
instruit  à  fond  dans  les  belles-lettres ,  ne  le  cédant  à  per- 
sonne dans  l'art  des  vers.  C'est  lui  qui  fit  assembler  le 
synode  dont  nous  avons  parlé  plus  haut ,  relativement 
aux  paroisses  dépendantes  de  Cahors. 

XL.  Un  envoyé,  nommé  Oppila,  arriva  d'Espagne,  ap- 
portant beaucoup  de  présens  au  roi  Chilpéric.  En  effet,  le 
roi  des  Espagnols  craignait  que  Childebert  ne  levât  une 
armée  pour  venger  l'outrage  de  sa  sœur,  parce  que  Iaîu- 
vigild  avait  jeté  en  prison  son  fils  Herménegild,  qui 
avait  épousé  la  sœur  de  Childebert  (2),  et  que  celle-ci  était 
restée  entre  les  mains  des  Grecs.  Oppila  étant  arrivé 
à  Tours  le  saint  jour  de  Pâques,   nous  lui  demandâmes 


(i)  Voyez  chap.  ni. 

(2)  Jngondc,  fille  de  Sigebert  :  v,  Sg. 


400  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

s'il  était  de  notre  religion.  11  répondit  qu'il  croyait  ce  que 
croient  les  catholiques.  En  conséquence,  il  se  rendit  avec 
nous  à  l'église,  et  assista  jusqu'à  la  fin ,  à  la  solennité  de 
la  messe  :  mais  il  ne  fit  point  la  paix  avec  nous  (i),  et  ne 
voulut  point  participer  au  sacrifice  (2),  Je  reconnus  ainsi 
qu'il  avait  menti  en  se  disant  catholique.  Néanmoins  je  l'in- 
vitai à  ma  table  :  il  accepta  ;  et  comme  je  lui  demandais  avec 
instances  ce  qu'il  croyait,  il  répondit  :  «Je  crois  le  Père,  le 
(c  Fils  et  le  Saint-Esprit,  unis  dans  xme  même  vertu.  —  Si 
«  telle  est  ta  croyance,  comme  tu  le  prétends,  qui  t'a  empê- 
«  ché  de  prendre  part  aux  sacrifices  que  nous  offrons  à  Dieu? 
«  — Parce  que,  dit-il,  vous  employez  mal  le  mot  gloire  dans 
«  vos  répons  :  conformément  à  l'apôtre  Paul,  nous  disons: 
«  gloire  à  Dieu  le  père  par  le  Fils;  vous,  vous  dites: 
«  gloire  au  Père,  au  Fils  et  au  Saint-Esprit,  tandis  que 
«.  les  docteurs  de  l'église  nous  apprennent  que  le  Père  a 
«  été  annoncé  au  monde  par  le  Fils,  comme  le  dit  Paul 
«  lui-même  :  Jii  roi  des  siècles^  immortel,  invisible,  seul 
'(  Dieu,  honneur  et  gloire  dans  les  siècles  des  siècles, 
a  par  Jésus-Christ  notre  Seigneur  Çdi).  ^  A  cela  je  ré- 
pondis :  «  Que  le  Père  ait  été  annoncé  par  le  Fils  ,  c'est 
«  une  vérité  connue  de  tout  catholique ,  je  pense  :  mais 
«  tout  en  annonçant  le  Père  au  monde,  le  Fils  s'est  montré 
«  Dieu  par  sa  puissance  :  or  ce  fut  une  nécessité  à  Dieu 
«  le  père  ,  d'envoyer  son  fils  au  monde  pour  lui  faire  con- 


(i)  C'est-à-dire,  il  ne  voulut  point  rcccvoiv  le  baiser  de  paix. 

(2)  Ne  communia  point. 

(5)  1.  Tinioth.,  I,  17.  Il  est  remarquable  que  ces  mots  sur  lesquels 
s'appuio  Oppila,  pet-  Jcsum  Clwistum  Domiiium  itostruin,  ne  sont  pas 
dans  le  texte;  et  Grégoire  ne  lui  reprocbe  pas  une  citation  inexacte. 
Voyez  une  discussion  du  même  genre  avec  un  autre  envoyé  de  Leu- 
vigild  :  V,  44> 


LIVRE  SIXIÈME.  401 

«  naître  Dieu;  et  le  forcer,  puisqu'il  n'avait  point  cru  aux 
«  patriarches,  aux  prophètes  et  au  législateur  lui-même, 
«  de  croire  du  moins  au  Fils.  C'est  pour  cela  qu'il  est  né- 
«  cessaire  de  rendre  gloire  à  Dieu,  sous  le  nom  des  trois 
«  personnes.  Ainsi  nous  disons  :  gloire  à  Dieu  le  père  qui 
«  a   envoyé  le  Fils  ;  gloire  à   Dieu  le  fils ,  qui  par  son 
«  sang  a  racheté  le  monde;  gloire  à  Dieu,  Saint-Esprit , 
«  qui  sanctifie  l'homme  après    sa  rédemption.  Mais  toi 
«  qui  dis  :  gloire  au  Père  par  le  Fils ,  tu  prives  le  Fils 
c  de  sa  gloire  ;  comme  s'il  ne  partageait  pas  la  gloire  de 
«  son  Père ,  parce  qu'il  l'a  annoncé  dans  le  monde.  Le 
«  Fils ,  comme  nous  le  disons  ,  a   annoncé  le   Père  au 
«  monde;  mais  plusieurs  n'ont  point  cru  en  lui;  témoin  , 
a  Jean  l'évangéliste  :  Il  est  venu  (i)  chez  lui  et  les  siens 
«  ne  Vont  pas  reçu.  Mais  à  tous  ceux  qui  Vont  reçu 
«  il  a  donné  le  pouvoir  de  devenir  enfans  de  Dieu , 
«  c' esl-a-dire  a  tous   ceux  qui  croient  en  son   nom. 
«  Toi  qui  discrédites  l'apôtre  Paul  (2),  et  ne  comprends 
«  pas  le  sens  de  ses  paroles  ,   remarque   comme  il   parle 
«  prudemment  et  selon  l'intelligence  de  chacun  :  écoute 
«  comme  il  prêche  au  milieu  des  nations  incrédules  ,  sans 
«paraître  imposer  à  personne  un  fardeau  trop  pesant, 
«  lorsqu'il  dit,  par  exemple,  à  quelques  uns  :  Je  ne  vous 
«  ai  nourris  que  de  lait  et  non  pas  de  viandes  solides  : 
«  vous  ne  pouviez  alors  les  supporter;  vous  ne  le  pouvez 
(f.pas  encore  (3).  Car  la  nourriture  solide  est  pour  les 
a  parfaits  (4).  Il  dit  à  d'autres  :  Je  ne  vous  ai  prêché 

(i)  Jean,  1,  12. 

(2)  En  l'appelant  en  témoignage  pour  appuyer  des  opinions  héré- 
tiques. 
(5)  I.  Cor.,  m,  2. 
(4)  Hebr.,  V,  14. 

I.  26 


402  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  que  le  Christ ,  et  le  Christ  crucifié  (i).  Maintenant  que 
(c  veux- tu,  hérétique?  parce  que  Paul  a  prêché  seulement 
«Jésus-Christ  crucifié,  doutes-tu  de  la  résurrection  du 
«  Christ?  remarque  plutôt  sa  prudence,  et  reconnais  son 
<(  adresse  lorsqu'il  dit  à  d'autres  qu'il  voyait  plus  robustes 
«  dans  leur  foi  :  Si  nous  avons  connu  Jésus-Christ  cru- 
«  cifiéy  maintenant  nous  ne  le  connaissons  plus  (2). 
î  Prétendras-tu  donc,  accusateur  de  Paul,  si  ta  folie  va 
«jusque-là,  que  le  Christ  n'a  pas  été  crucifié?  mais,  je 
«  t'en  prie,  laisse  ces  vaines  subtilités,  pour  écouter  de 
«  meilleurs  conseils.  Applique  un  collyre  sur  tes  yeux 
«malades,  et  reçois  la  lumière  de  la  prédication  de 
«  l'apôtre.  En  effet ,  selon  les  hommes ,  Paul  parlait 
«  d'abord  plus  humblement,  pour  les  élever  ensuite  au 
«  sommet  de  la  foi  la  plus  sublime ,  comme  il  le  dit 
€<  ailleurs  :  Je  me  suis  /ait  tout  pour  tous,  afin  d'être 
«  utile  h  tous  (3).  Eh  quoi  !  un  homme ,  un  être  mortel , 
«  n'accordera  pas  la  gloire  au  Fils,  que  le  Père,  lui-même , 
«  non  pas  une,  mais  deux  et  trois  fois,  a  glorifié  du  haut 
«  du  ciel?  Écoute  ce  qu'il  dit  dans  les  cieux,  lorsque  le 
«  Saint-Esprit  descendait  sur  son  fils  baptisé  par  la  main 
«  de  Jean  :  Celui-ci  est  mon  fils  bien-ainià ,  dans  lequel 
a  j'ai  mis  toute  mon  affection  (4).  Si  tu  as  les  oreilles 
«  assez  bouchées  pour  ne  pas  entendre  ces  paroles,  crois 


(i)  1,  Cor.,  II,  2. 

(2)  2.  Cor.,  V,  16.  Le  texte  porte  secwidum  carnem,  au  lieu  de 
crucifixum  ;  c'est  le  même  sens.  Jésus-Christ  souffrant  et  crucifié  est 
toujours  Jcsus-Christ  fait  homme  et  habitant  sur  la  terre.  Maintenant 
nous  ne  le  connaissons  plus  comme  homme,  mais  comme  dieu.  Telle 
est,  je  crois,  la  pensée  de  l'apôtre. 

(3)  I.  Cor.,  IX,  22.  Le  texte  dit  :  ut  omncs  facerem  salvos. 

(4)  Matth.,  m,  17. 


LIVRE  SIXIÈME.  4o3 

«  du  moins  les  apôtres  quand  ils  rappellent  ce  qu'ils  ont 
«  entendu ,  lorsque  Jésus  transfiguré  conversait  dans  sa 
«  gloire  avec  Moïse  et  Elie  :  du  milieu  d'une  nuée  lu- 
«  mineuse  le  Père  fit  entendre  ces  mots  :  C'est  là  mon 
(S. fils  bien -aimé;  écoutez-le  (i).  —  A  cela  l'hérétique 
«  répondit  :  Dans  tous  ces  témoignages,  le  Père  ne  parle 
«  pas  de  la  gloire  du  Fils;  seulement  il  déclare  qu'il  est 
«son  fils.  —  Si  tu  l'interprètes  ainsi,  repris-je ,  je  te 
«  produirai  un  autre  témoignage  où  le  Père  rendit  gloire 
«  au  Fils.  Quand  le  Seigneur ,  arrivé  au  moment  de  sa 
«passion,  disait  :  Mon  père,  glorifiez  voire  fils ,  pour 
V.  que  votre  fils  vous  glorifie  a  son  tour  (2),  que  lui 
«  répondit  le  Père  du  haut  du  ciel  ?  ne  dit-il  pas  :  Je  l'ai 
«  glorifié  et  je  le  glorifierai  encore  (3)  ?  Voici  que  le 
«Père  le  glorifie  de  sa  propre  voix,  et  toi  tu  t'efforces 
«  de  lui  enlever  sa  gloire  :  tu  le  voudrais ,  on  le  voit 
«bien,  mais  tu  n'en  as  pas  le  pouvoir.  Car  toi  qui  te 
«fais  l'accusateur  de  l'apôtre  Paul,  écoute-le,  ou  plu- 
«  tôt  écoute  le  Christ,  parlant  par  sa  bouche  :  Que  toute 
v^  langue  confesse  que  le  Seigneur  J.-C.  est  dans  la 
«  gloire  de  Dieu  le  père  (4).  Si  donc  la  gloire  lui  est 
«  commune  avec  le  Père,  s'il  réside  dans  la  même  gloire 
«  que  le  Père ,  comment  veux-tu  le  déshonorer  en  lui 
«  ôtant  sa  gloire?  ou  pourquoi  les  hommes  ne  devraient- 
«  ils  pas  lui  rendre  gloire  sur  la  terre  ,  lui  qui  règne 
«aussi  glorieux  que  le  Père  dans  le  ciel?  Nous  confes- 
«  sons  donc  le  Christ  vrai  fils  du  vrai  Dieu;  et  parce 

(i)  Matth.,  XVII,  5,  et  2.  Petr.,  i,  17. 

(2)  Jean,  xvii,  i. 

(3)  Jean,  xii,  28.  Ces  paroles  ont  été  prononcées  avant  la  passion, 
et  par  conséquent  ne  répondent  pas  aux  précédentes. 

(4)  Philip.,  u,  u. 


404  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

«  qu'ils  n'ont  qu'une  seule  divinité,  ils  n'ont  aussi  qu'une 
«  seule  gloire.  »  A  ces  mots,  je  gardai  le  silence,  et  la 
dispute  fut  terminée.  Ensuite  Oppila  se  rendit  auprès 
du  roi  Chilpéric;  et  lui  ayant  offert  les  présens  envoyés 
par  le  roi  des  Espagnols,  il  retourna  en  Espagne. 

XLI.  Chilpéric  ayant  appris  que  son  frère  Con- 
tran avait  fait  la  paix  avec  son  neveu  Childebert,  et 
qu'ils  voulaient  lui  enlever  les  villes  dont  il  s'était  em- 
paré par  violence ,  se  retira  avec  tous  ses  trésors  dans 
la  ville  de  Cambray  ,  et  y  porta  avec  lui  tout  ce  qu'il 
avait  de  plus  précieux.  Il  envoya  aux  ducs  et  aux 
comtes  des  cités  l'ordre  de  mettre  en  état  les  murs 
des  villes,  d'enfermer  leurs  richesses,  leurs  femmes  et 
leurs  enfans  derrière  de  solides  remparts;  et  de  se  dé- 
fendre eux-mêmes  vigoureusement ,  s'il  était  besoin , 
de  manière  à  ce  que  l'ennemi  ne  pût  leur  faire  de  mal  ; 
ajoutant  :  «  Si  vous  perdez  quelque  chose,  vous  en 
«  recouvrerez  davantage  ,  quand  nous  nous  vengerons 
«  de  nos  ennemis.  »  Il  ne  savait  pas  que  la  victoire  est 
dans  la  main  de  Dieu!  Ensuite  il  mit  plusieurs  fois  son 
armée  en  mouvement ,  et  lui  ordonnait  toujours  de 
s'arrêter  en  deçà  des  frontières.  Dans  ces  jours-là ,  il  lui 
naquit  un  fils ,  qu'il  fit  nourrir  dans  sa  maison  de  Vitry  (  i }, 
«  de  peur ,  disait-il  ,  que  s'il  était  vu  en  public ,  il 
«  n'éprouvât  quelque  mal  et  ne  mourût.  » 

XLII.  Cependant  ,  le  roi  Childebert  partit  pour 
l'Italie.  A  cette  nouvelle ,  les  Lombards  craignant  d'être 


(i)  C'est  le  Fitry  près  de  Douai,  où  fut  tué  le  roi  Sigebert  :  iv,  52. 
Ce  fils  est  Clotaire  II,  qui  lui  succéda. 


LIVRE  SIXIÈME.  405 

détruits  par  son  armée  ,  se  soumirent  à  sa  domination  (i), 
lui  donnèrent  beaucoup  de  présens,  et  promirent  d'être 
de  fidèles  sujets.  Ayant  obtenu  d'eux  tout  ce  qu'il  vou- 
lait, le  roi  revint  dans  les  Gaules,  et  fit  mettre  en  mou- 
vement une  armée  qu'il  dirigea  sur  l'Espagne  ;  mais  il 
s'arrêta.  Il  avait  reçu  de  l'empereur  Maurice,  dans  les 
années  précédentes,  cinquante  mille  sous  d'or  pour  chas- 
ser les  Lombards  d'Italie.  L'empereur,  apprenant  qu'il 
avait  fait  la  paix  avec  eux,  redemandait  son  argent  (2). 
Mais  Childebert,  confiant  dans  ses  forces,  ne  voulut  pas 
même  lui  répondre  à  ce  sujet. 

XLIIL  En  Galice  ,  il  se  passa  de  nouveaux  événe- 
mens  que  nous  allons  raconter.  Herménegild ,  comme 
nous  l'avons  dit  plus  haut  (3) ,  toujours  ennemi  de  son 
père,  résidait  dans  une  ville  d'Espagne  (4),  avec  son 
épouse,  appuyé  de  l'alliance  de  l'empereur  et  de  Mir, 
roi  de  Galice.  Apprenant  que  son  père  s'avançait  contre 
lui  avec  une  armée,  il  tint  conseil  sur  les  moyens  de  le 
repousser  ou  de  le  tuer;  ignorant,  le  malheureux,  qu'il 
attirait  sur  sa  tête  le  jugement  de  Dieu,  en  formant  de 
tels  projets  contre  un  père,  même  hérétique.  Après  une 
délibération  sur  ce  sujet,  il  choisit  entre  plusieurs  milliers 
de  soldats,  trois  cents  hommes  armés,  et  les  enferma 
dans  le  château  d'Osser  (5) ,  dont  l'église  contient  des 


(i)  Soumission   purement   nominale,   comme  celle  des  Bretons; 
comme  le  fut  plus  tard  celle  des  Bavarois. 

(2)  Voyez  des  lettres  à  ce  sujet.  D.  Bouquet,  tom.  iv,  p.  82-88. 

(3)  Liv.  V,  chap.  Zq. 

(4)  Séville,  dont  l'évèque  saint  Léandre  avait  été  envoyé  à  l'empe- 
reur Tibère,  pour  implorer  son  appui  contre  Lcuvigild.  (Ruin.) 

(5)  Probablement  près  de  Séville;  mais  on  ignore  en  quel  endroit  ; 


406  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

fontaines  qui  se  remplissent  miraculeusement;  afin  que 
son  père,  effrayé  et  lassé  par  cet  obstacle  dès  sa  pre- 
mière attaque,  fût  vaincu  plus  facilement  par  l'armée 
nombreuse  qui  était  derrière.  Leuvigild  apprenant  cette 
ruse,  fut  long-temps  dans  une  grande  perplexité.  «  Si  je 
«  vais  là ,  se  dit-il ,  avec  toute  mon  armée  ,  cette  foule 
«  réunie  en  un  seul  corps  sera  cruellement  maltraitée 
«  par  les  traits  de  mes  ennemis.  Si  j'y  vais  avec  peu 
(c  de  monde ,  je  ne  pourrai  vaincre  cette  troupe  d'élite. 
«  Cependant  j'irai  avec  tous  mes  soldats.  »  Et  s'approchaut 
de  ce  lieu ,  il  écrasa  les  guerriers,  et  brûla  le  fort,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit  (i).  Quand  il  eut  remporté  la 
victoire,  il  apprit  que  le  roi  Mir  marchait  contre  lui  à  la 
tête  d'une  armée.  Il  l'enveloppa ,  et  lui  fit  promettre  par 
serment  de  lui  être  fidèle  pour  l'avenir.  Puis,  s'étant  fait 
des  présens  l'un  à  l'autre ,  ils  retournèrent  chacun  chez 
eux.  De  retour  dans  sa  patrie ,  Mir  peu  de  jours  après 
se  mit  au  lit  et  mourut  (2).  Sa  maladie  avait  été  causée 
par  les  mauvaises  eaux  de  l'Espagne ,  et  l'insalubrité  de 
l'air  A  sa  mort ,  son  fils  Eurich  (3)  sollicite  l'alliance 
du  roi  Leuvigild ,  et  lui  ayant  fait  les  mômes  sermens  que 
son  père ,  il  monta  sur  le  trône  de  Galice.  Cette  même 
année,  Audica,  son  parent,  fiancé  à  sa  sœur,  vint  avec 


c'est  peut-être  VArsa  des  anciens,  dans  la  Sierra -Morena.  La  suite 
prouve  que  ce  fort  était  dans  les  défilés  des  montagnes.  Notre  auteur, 
liv.  1,  chap.  24,  des  Malades  dés  Martyrs,  place  cette  ville  en  Lusi- 
tanie.  ^ —  Quant  aux  fontaines  miraculeuses  qu'elle  renferme,  ce  sont 
celles  dont  il  a  été  question  liv.  v,  chap.  17.  Voyez  la  note  6  à  ce 
sujet. 

(i)  Voyez  liv.  v,  chap.  Sg. 

(2)  An  582. 

(3)  Ou  Eboric.  R.emarquez  qu'il  ne  devient  roi  que  sous  le  bon 
plaisir  de  Leuvigild.  La  nationalité  des  Suèves  touchait  aloi's  à  sa  fin. 


1 


LIVRE  SIXIÈME.  407 

une  armée,  se  saisit  de  sa  personne,  le  fit  clerc,  et 
lui  imposa  de  force  la  dignité  de  diacre  ou  de  prêtre. 
Pour  lui,  ayant  épousé  la  femme  de  son  beau-père  (i), 
il  devint  roi  de  Galice  (2).  Leuvigild  fit  prisonnier  son 
fils  Herménegild,  et  l'emmena  avec  lui  à  Tolède;  puis 
le  condamna  à  l'exil.  Mais  il  ne  put  retirer  sa  Lru  des 
mains  des  Grecs. 

XLIV.  Cette  année ,  les  sauterelles  sortant  de  la  pro- 
vince de  Carpitanie  (3)  qu'elles  avaient  ravagée  pendant 
cinq  ans,  et  suivant  la  route  publique,  se  portèrent  dans 
une  autre  province  voisine.  Elles  occupaient  en  longueur 
un  espace  de  i5o  milles,  et  de  100  milles  en  largeur. 
Cette  année ,  plusieurs  prodiges  apparurent  dans  les 
Gaules ,  et  de  grands  désastres  eurent  lieu  pour  les 
peuples.  Au  mois  de  janvier  on  vit  naître  des  roses. 
Autour  du  soleil,  parut  un  grand  cercle,  mêlé  de  diverses 
couleurs ,  comme  on  en  voit  dans  l'arc-en-ciel ,  à  la  suite 
de  la  pluie.  Une  gelée  blanche  brûla  les  vignes  ;  un 
ouragan  qui  vint  ensuite  ,  dévasta  en  plusieurs  lieux 
les  vignes  et  les  moissons  ,  et  une  sécheresse  obstinée 
consuma  ce  qu'avait  épargné  la  grêle.  Il  ne  parut  que 
des  fruits  chétifs  sur  quelques  vignes  ;  sur  les  autres , 
rien  du  tout  :  de  sorte  que  les  hommes,  irrités  contre 
Dieu,  ouvrirent  les  enclos  de  leurs  vignes,  et  y  intro- 
duisirent des  troupeaux  et  des  bêtes  de  somme  ,  en  y 
joignant,  les  malheureux  !  des  imprécations  contre  eux- 


(t)  Sisegonthe,  veuve  de  Mir.  Aa  585. 

(2)  Lui-même  fut,  en  585,  dépouillé  et  fait  prêtre  par  Leuvigild, 
qui  anéantit  la  puissance  des  Suèves  en  Espagne.  [Chron.  d'Isidore.) 

(3)  Chap.  35. 


408  HISTaiRE  DES  FRANCS, 

mêmes  :  «  Que  jamais,  disaient-ils,  qu'à  tout  jamais,  ces 
«  vignes  ne  produisent  de  sarmens!  »  Les  arbres  qui  avaient 
donné  leurs  fruits  en  juillet,  en  produisirent  d'autres  en 
septembre.  Une  maladie  se  jeta  encore  sur  les  bestiaux, 
tellement  qu'il  n'en  resta  presque  plus. 

XLV.  Cependant ,  à  l'approche  des  calendes  de  sep- 
tembre, une  grande  de'putation  de  Gotbs  vint  trouver 
le  roi  Chilpéric.  Lui-même,  de  retour  à  Paris,  ordonna 
de  prendre  plusieurs  familles  des  maisons  du  fisc,  et  de 
les  placer  sur  des  chariots.  Comme  un  grand  nombre 
pleuraient  et  ne  voulaient  pas  partir,  il  les  fit  retenir  en 
prison,  pour  pouvoir  plus  facilement  les  forcer  de  partir 
avec  sa  fille.  On  prétend  que  plusieurs,  désespérés,  termi- 
nèrent leur  vie  par  la  corde,  craignant  d'être  enlevés  à 
leurs  parens.  En  effet,  on  séparait  le  fils  du  père,  la 
mère  de  la  fille  ,  et  tous  partaient  avec  de  profonds 
gémissemens  et  des  malédictions  ;  et  dans  Paris  régnait 
une  désolation  comparable  à  celle  de  l'Egypte,  Plusieurs 
même  d'une  naissance  meilleure,  contraints  de  partir, 
firent  des  testamens,  où  ils  abandonnaient  leurs  biens  aux 
églises;  et  ils  demandèrent  qu'aussitôt  que  la  jeune  fille 
serait  entrée  en  Espagne,  on  ouvrît  leurs  testamens, 
comme  s'ils  étaient  déjà  dans  le  tombeau.  Cependant  il 
arriva  à  Paris  des  députés  du  roi  Childebert,  pour  re- 
commander à  Chilpéric  de  ne  rien  distraire  des  villes 
qu'il  tenait  du  royaume  de  son  frère  (i);  de  ne  donner 
en  présent  à  sa  fille  aucune  partie  des  trésors  de  Sige- 
bert  ;  de  ne  toucher  ni  aux  esclaves ,  ni  aux  chevaux , 
ni  aux  bœufs  de  labour,  ni  à  rien  enfin  de  ce  qui  lui 

(i)  Sigebert,  père  de  Childebert. 


LIVRE  SIXIÈME.  409 

avait  appartenu.  On  dit  qu'un  de  ces  députés  fut  tué  se- 
crètement. On  ne  sait  par  qui  :  mais  on  soupçonnait  le 
roi.  Chilpéric  promit  de  ne  toucher  à  rien  de  tout  cela- 
et  dans  une  réunion  des  principaux  Francs  et  des  autres 
fidèles,  il  célébra  les  noces  de  sa  fille  (i).  Puis,  il  la  remit 
aux  ambassadeurs  des  Goths,  et  lui  donna  de  grands  tré- 
sors; Mais  sa  mère  y  ajouta  une  si  grande  quantité  d'or, 
d'argent  et  d'habits  précieux,  que  le  roi  à  cette  vue  pensa 
qu'il  ne  lui  restait  plus  rien.  La  reine,  s'apercevant  de 
son  émotion,  se  tourna  vers  les  Francs,  et  leur  dit  :  «Ne 
«  croyez  pas,  guerriers,  qu'il  y  ait  là  rien  des  trésors  des 
«  rois  précédens.  Tout  ce  que  vous  voyez  est  pris  de  ce 
«  que  je  possède  en  propre,  parce  que  mon  très  glorieux 
«  roi  m'a  fait  beaucoup  de  largesses  :  j'y  ai  ajouté  le  fruit 
«  de  mon  travail  ;  et  une  grande  partie  vient  des  revenus 
«que  j'ai  tirés,  soit  en  nature,  soit  en  argent,  des  mai- 
«  sons  qui  m'ont  été  concédées.  Vous-mêmes,  m'avez  en- 
«  richie  de  plusieurs  présens  ;  et  vous  en  voyez  là  une 
«  partie.  Mais  il  ne  s'y  trouve  rien  provenant  des  trésors 
«  publics.  »  Et  le  roi  abusé  crut  à  ses  paroles.  Telle  était 
la  multitude  des  objets  en  or  et  en  argent ,  et  des  autres 
choses  précieuses ,  qu'ils  faisaient  la  charge  de  cinquante 
chariots.  Les  Francs,  de  leur  côté,  offrirent  beaucoup  de 
présens.  Les  uns  donnèrent  de  l'or;  d'autres  de  l'argent; 
quelques  uns  des  chevaux;  la  plupart  des  vêtemens;  en 
un  mot,  chacun  fit  son  offrande  selon  ses  moyens.  Enfin 
la  jeune  fille  fit  ses  adieux,  après  bien  des  larmes  et 
des  baisers.  Comme  elle  franchissait  la  porte,  un  essieu 
de  sa  voiture  se  brisa;  et  tous  crièrent  malheur]  ce  qui 
fut  interprété  par  quelques  personnes  comme  un  pré- 

(i)  Voyez  liv.  vu,  chap.  g. 


41Ô  HISTOIRE  DES  FRANCS. 

sage.  Elle  s'éloigna  de  Paris  ;  et  à  huit  milles  de  cette 
ville  ,  elle  fit  dresser  ses  tentes.  Dans  la  nuit,  cinquante 
hommes  se  levèrent,  et  ayant  pris  cent  des  meilleurs 
chevaux ,  autant  de  freins  d'or ,  et  deux  grands  plats  (i), 
s'enfuirent  et  se  retirèrent  auprès  du  roi  Childebert.  Et 
pendant  toute  la  route ,  quiconque  pouvait  s'échapper , 
s'enfuyait  avec  tout  ce  qu'il  avait  pu  ravir.  On  exigea 
aussi ,  de  toutes  les  villes  que  traversait  le  cortège ,  de 
grands  préparatifs  pour  subvenir  à  sa  dépense  ;  car  le  roi 
défendit  que  le  fisc  y  contribuât  en  rien  :  tous  les  frais 
étaient  supportés  par  les  pauvres  (2) ,  imposés  extraor- 
dinairement.  En  outre  ,  comme  le  roi  craignait  que  son 
frère  ou  son  neveu  ne  tendissent  en  route  quelque  piège 
à  sa  fille ,  il  la  fit  escorter  par  une  armée.  Or  avec  elle 
étaient  de  grands  personnages  :  le  duc  Bobon ,  fils  de 
Mummolen ,  avec  son  épouse,  en  qualité  de  paranymphe  ; 
Domegisil  et  Ansovald  :  son  majordome  était  Waddon, 
qui  avait  gouverné  autrefois  le  comté  de  Saintes  :  le 
reste  de  la  troupe  allait  au-delà  de  quatre  mille.  Quant 
aux  autres  ducs  et  aux  autres  chambriers  qui  étaient 
partis  avec  elle,  ils  la  quittèrent  à  Poitiers.  Les  autres 
poursuivant  leur  route ,  allaient  comme  ils  pouvaient  : 
et  dans  leur  chemin  il  se  commit  tant  de  pillages ,  tant 


(i)  Nous  adoptons  la  leçon  catmis.  Nous  avons  vu  que  des  plats 
d'argent,  dise  us,  m,  7,  qui  étaient  peut-être  des  espèces  de  surtout, 
missoria,  vi,  2,  étaient  des  objets  d'ornement  auxquels  les  rois  te- 
naient beaucoup.  Dans  les  présens  de  Childebert  à  Théodebert  on 
voit  figurer  des  plats,  catinis,  m,  24. 

(2)  Expression  vague.  S'agit-il  ici  seulement  des  pauvres  des  églises, 
c'est-à-dire  des  petits  propriétaires  dépendans  de  l'église  (voy.  note  c, 
liv.  v),  ou  des  pauvres  en  général  :  de  ceux  qui  possédaient  le  moins, 
soit  clercs,  soit  laïcs,  et  qui  payaient  toujours  le  plus,  parce  qu'ils 
étaient  les  plus  faibles  ? 


LIVRE  SIXIÈME.  411 

de  déprédations ,  qu'on  ne  saurait  les  compter.  Ils  dé- 
pouillaient les  cabanes  des  pauvres;  dévastaient  les  vignes, 
coupant  et  emportant  les  ceps  avec  les  grappes  ;  enle- 
vaient les  troupeaux  et  tout  ce  qu'ils  pouvaient  trouver; 
et  ne  laissaient  absolument  rien  partout  où  ils  passaiefnt. 
Alors  fut  accomplie  la  parole  du  prophète  Joël  :  La  che- 
nille a  mangé  les  restes  de  la  sauterelle ,  le  ver  les 
restes  de  la  chenille ,  et  la  nielle  les  restes  du  'ver  (i). 
Il  en  fut  de  même  à  cette  époque,  où  l'ouragan  dé- 
truisit les  restes  de  la  gelée  ;  la  sécheresse  brûla  les 
restes  de  l'ouragan  ;  et  l'ennemi  emporta  les  restes  de 
la  sécheresse. 

XLVI.  Tandis  qu'ils  cheminaient  ainsi  en  pillant, 
Chilpéric,  le  Néron  et  l'Hérode  de  notre  temps  (2),  se 
rendit  à  sa  maison  de  Chelles,  éloignée  de  Paris  d'environ 
cent  stades,  et  s'y  livra  à  la  chasse.  Un  jour  qu'il  re- 
venait de  chasser ,  à  l'entrée  de  la  nuit ,  au  moment 
où  on  l'aidait  à  descendre  de  cheval  ,  et  qu'il  tenait 
encore  la  main  appuyée  sur  l'épaule  d'un  serviteur ,  un 
homme  s'approchant ,  le  frappa  sous  l'aisselle  d'un  coup 
de  couteau  ,  puis  d'un  second  coup  lui  perça  le  ventre  ; 
et  le  sang  s'échappant  à  grands  flots  de  sa  bouche  et 
de  sa  blessure  ,  il  rendit  à  l'instant  son  ame  criminelle  (3). 
Quelle   fut  sa  malice  dans  ses  actions  ,   on  l'a  vu  par 


(i)  Joël.,  1,4-  Le  texte  est  ainsi  conçu  :  residuum  erucce  comedit 
locusta,  et  residuum  locustœ  comedit  bruchus ,  etc. 

(2)  Sans  vouloir  faire  l'apologie  de  ce  roi ,  nous  ne  le  voyons  pas , 
d'après  le  récit  même  de  notre  historien ,  beaucoup  plus  cruel  que  la 
plupart  des  princes  de  son  temps.  C'est  Frédegonde  qui  est,  sans  con- 
tredit, le  véritable  monstre  de  cette  époque. 

(5)  En  584. 


412  HISTOIRE  DES  FRANCS, 

les  récits  qui  précèdent.  Souvent  il  dévasta  et  incendia 
un  grand  nombre  de  contrées  :  et  il  n'en  ressentait 
aucune  douleur;  il  en  était  plutôt  joyeux ,  comme  autre- 
fois Néron  ,  lorsqu'il  déclamait  des  tragédies  au  milieu 
de  son  palais  en  feu  (i).  Souvent  il  punissait  des  hommes 
injustement,  pour  avoir  leur  bien.  De  son  temps,  peu 
de  clercs  arrivèrent  à  l'épiscopat.  Il  était  adonné  à  la 
gourmandise,  et  faisait  un  dieu  de  son  ventre.  Il  préten- 
dait que  personne  ne  le  surpassait  en  prudence.  Il  com- 
posa aussi,  comme  disciple  de  Sedulius,  deux  livres  (2), 
dont  les  vers  clochent  sans  pouvoir  se  tenir  sur  leurs 
pieds;  car,  par  ignorance,  il  a  mis  des  syllabes  brèves 
pour  des  longues  et  des  longues  pour  des  brèves.  Il  écrivit 
encore  divers  opuscules,  des  hymnes,  des  oraisons  pour 
la  messe,  dont  on  ne  peut  faire  aucun  usage.  Il  avait  en 
haine  tout  ce  qui  intéressait  les  pauvres  ;  il  invectivait 
continuellement  contre  les  prêtres  du  Seigneur;  et  dans  son 
particulier,  ne  trouvait  pas  de  texte  plus  fécond  pour  ses 
dérisions  et  ses  plaisanteries ,  que  les  évêques  des  églises. 
L'un  ,  selon  lui ,  était  léger ,  l'autre  superbe  ;  celui-ci 
était  trop  riche,  celui-là  trop  ami  des  plaisirs  :  l'un  était 
fier ,  l'autre  orgueilleux.  Il  ne  haïssait  rien  tant  que  les 
églises.  Il  disait  ordinairement  :  «  Voici  que  notre  fisc  est 
«  appauvri  :  nos  richesses  ont  passé  aux  églises.  Il  n'y  a 
«  plus  de  rois  que  les  évêques  :  notre  dignité  est  perdue 
«  et  a  passé  aux  évêques  des  cités.  »  Et  en  se  plaignant 
ainsi ,  il  annulait  souvent  des  testamens  écrits  en  faveur 
des  églises  ;  souvent  aussi  il  foulait  aux  pieds  les  privilèges 


(i)  Sueton.,  VI,  38;  mais  ce  n'était  pas  son  palais  qui  était  en  feu, 
c'était  toute  la  ville. 
(2)  Voyez  liv.  v,  chap.  45 


LIVRE  SIXIÈME.  413 

accordés  par  son  père ,  comme  s'il  ne  restait  personne 
pour  exécuter  sa  volonté.  Quant  aux  actes  de  débauche 
et  de  luxure,  on  n'en  peut  imaginer  aucun  qu'il  n'ait 
accompli  en  réalité.  Il  cherchait  toujours  de  nouvelles 
inventions  pour  tourmenter  le  peuple.  A  ceux  qu'il  trou- 
vait coupables,  il  faisait  arracher  les  yeux;  et  dans  les 
ordonnances  qu'il  envoyait  aux  juges,  relativement  à  ses 
affaires,  il  ajoutait:  «Si  quelqu'un  méprise  nos  ordon- 
«  nances,  qu'on  le  punisse  en  lui  arrachant  les  yeux.  » 
Comme  il  n'aima  jamais  véritablement  personne,  il  n'était 
aimé  de  personne  :  aussi  quand  il  eut  expiré,  tous  les  siens 
l'abandonnèrent.  Mallulf ,  évêque  de  Senlis,  qui  depuis 
trois  jours  était  sous  une  tente  (i)  sans  avoir  pu  le  voir, 
ayant  appris  sa  mort,  s'approcha,  le  lava,  le  couvrit  de 
vêtemens  honorables,  et  après  avoir  passé  la  nuit  à  chanter 
des  hymnes  le  transporta  sur  un  bateau ,  et  l'ensevelit  à 
Paris  dans  la  basilique  de  Saint-Vincent  (2).  Cependant  la 
reine  Frédegonde  avait  été  délaissée  dans  l'église  cathé- 
drale (3). 

Fin  dit  livre  sixième  de  Georges  Florent ,  autrement 
dit  Grégoire  y  évêque  de  Tours.  Grâces  à  Dieu. 


(i)  Fait  à  remarquer  :  il  n'y  avait  pas  d'hôtelleries  publiques  pour 
les  voyageurs. 

(2)  Ge  fut  depuis,  comme  on  sait,  l'abbaye  Saint-Germain. 

(5)  L'auteur  des  Gestes  des  Francs,  ch.  35,  et,  après  lui,  Aimoin, 
iii,  5&^  attribuent  la  mort  de  Cbilpéric  à  Frédegonde,  qui  craignait 
la  vengeance  du  roi  pour  ses  amours  avec  Landri.  Cbildebert,  en  re- 
demandant Frédegonde  à  Contran,  vu,  7,  semble  aussi  l'accuser  de 
ce  crime.  Cependant  Sunnigisil,  qui  s'avoua  coupable  de  la  mort  de 
Cbilpéric,  x,  ig,  ne  chargea  pas  Frédegonde.  Elle-même  l'impute  à 
Ebérulf,  chambrier  de  Cbilpéric,  vu,  21.  (Noie  de  Ruinart,  au  ch.  g5 
de  /'Hist.  abrégée,  par  Frede'gairc.) 


ECLAIRCISSEMENS 

ET  OBSERVATIONS. 


LIVRE  PREMIER. 

Note  a,  Page  7. 

ViCTORius  était  d'Aquitaine  (ou  dit  même  de  Limoges) ,  et  floris- 
sait  au  milieu  du  cinquième  siècle.  Ayant  été  cLargé  de  fixer  le 
jour  de  la  pâque,  il  trouva  que  le  cycle  lunaire  de  dix-neuf  ans,  dont 
se  servait  l'église  grecque,  était  plus  sûr  que  celui  des  Latins.  L'ayant 
multiplié  par  le  cycle  solaire  de  vingt -huit  ans,  il  en  composa 
un  canon  pascal  de  532  ans ,  plus  ample  que  tous  ceux  qu'on  avait 
imaginés  jusqu'alors.  Il  le  fait  commencer  au  consulat  des  deux 
Geminus  ,  rapporté  par  lui  à  l'année  de  la  passion ,  et  le  finit  en 
l'an  559  de  l'incarnation  ,  selon  notre  ère  vulgaire.  Il  acheva  son 
ouvrage  en  457.  Le  cycle  de  Victorius  eut  beaucoup  de  réputation, 
et  fut  le  plus  suivi  par  les  Latins^  il  se  conserva  long-temps  dans 
les  églises  des  Gaules. 

Il  suffisait,  d'après  ce  cycle,  d'avoir  les  jours  de  pâques  pendant 
532  ans ,  après  lesquels  ces  jours  étaient  supposés  revenir  con- 
stamment les  mêmes.  L'ère  de  Victorius  commençait  à  la  vingt- 
huitième  année  de  notre  ère  vulgaire  ;  de  sorte  qu'en  retranchant 
vingt-sept  années  de  celle-ci ,  on  a  celle  de  Victorius.  Voyez  Hist. 
llttér.  de  la  France,  tom.  ii ,  p.  424-428;  Nouveau  traité  de 
DipL,  tom.  IV,  p.  684-686,  et  tom.  v,  p.  367;  Art  de  vérif.  les 
Dates,  tom.  I,  p.  xxiij ,  in-fol.  Voyez  surtout  Gill.  Boucher, 
de  Doctrina  tempor.  comment,  in  Victor. 

Note  h,  Page  10. 

Le  mot  celtique  aripennis  servait  à  exprimer,  soit  une  mesure 
de  longueur,  soit  une  mesure  de  surface.  Grégoire  de  Tours  lui- 


416  ÉCLAIRGISSEMENS 

même  nous  fournit  des  exemples  de  cette  double  acception.  Le 
premier,  dans  le  passage  qui  a  donné  lieu  à  cette  note  ;  le  second  , 
au  livre  v,  chap.  29,  où  Varipennis  est  une  mesure  agraire. 

Note  c.  Page  12. 

Gennade ,  dans  son  livre  des  Hommes  illustres,  cite  parmi  les 
ouvrages  de  Sulpice  Sévère  ,  une  Chronique.  Je  crois  que ,  sous  ce 
titre ,  il  désigne  son  Histoire  sacrée.  Cependant  je  n'y  lis  pas 
qu'Isaac  ait  été  conduit  par  son  père  sur  le  mont  Calvaire  pour  y 
être  immolé.  Ruinart. 

Note  d,  Page  12. 

La  Genèse  (chap.  36,  vers.  33)  nomme  Jobab  parmi  les  des- 
cendans  d'Ésaii ,  et  la  plupart  des  Pères  ont  cru  que  ce  Jobab  était 
le  même  que  Job.  On  lit  à  la  fin  des  exemplaires  grecs  et  arabes 
du  livre  de  Job  ,  et  dans  l'ancienne  Vulgate  latine ,  ces  mots  : 
«  Job  a  demeuré  dans  l'Ausite ,  sur  les  confins  de  l'Iduraée  et  de 

«  l'Arabie.  Son  premier  nom  était  Jobab Il  était  fils  de  Zara, 

«  des  descendans  d'Esaii  et  de  Bozra Après  Balar,  roi  de  la 

«  ville  de  Denaba  ,  régna  Job,  autrement  appelé  Jobab,  etc.  >> 
Cette  généalogie  est  admise  par  les  anciens  Pères  grecs  et  latins. 
Voy.  D.  Calmet ,  Dict.  de  la  Bible ,  au  mot  Job. 

Note  e.  Page  13. 

Dans  le  livre  de  Job  (dern.  chap.,  dern.  vers.),  on  lit  que  Job 
vécut  encore  l40  ans  après  sa  guérison  ;  les  versions  syriaque  et 
arabe  portent  146  :  il  en  est  de  même  de  la  version  grecque,  où 
il  est  dit  que  la  vie  entière  de  Job  fut  de  240  ans ,  ce  que  ne  por- 
tent pas  les  autres  versions.  Ruin. 

Note  /,  Page  14. 

Voyez  ce  que  nous  disons  aux  notes  h-k. 

Note  g,  Page  14. 

Babylonc  d'Egypte  serait  aujourd'hui  le  Caire ,  si  l'on  en  croyait 
D,  Ruinart,  suivi  par  D.  Bouquet  et  par  M.  Guizot  ;  mais  le  Caire 
ne  correspond  point  à  l'ancienne  Babylone.   Babylone  fut,  sous 


ET  OBSERVATIONS.  417 

le  nom  de  Postât ,  la  capitale  de  l'Egypte  depuis  l'an  640  jusqu'à 
l'an  969,  Alors  elle  perdit  ce  titre ,  qui  fut  acquis  à  la  ville  du 
Caire ,  nouvellement  fondée  sur  la  même  rive  du  Nil ,  un  peu  plus 
au  nord.  Son  nom  actuel  est  Masr-cl-A' tyqah ,  que  les  voyageurs 
modernes  ont  traduit  par  J^ieux  Caire.  \'  oyez  Descript.  de  l'Egypte, 
état  moderne,  tom.  ii,  part,  n'' ,  p.  741-743. 

Notes  h-k ,  Page  15. 

Au  moment  où  nous  allions  mettre  sous  presse  la  note  y  et  les 
notes  h-k,  M.  Letronne  a  bien  voulu  nous  fournir  le  commen- 
taire qui  suit ,  et  que  nous  nous  empressons  de  substituer  à  celui 
que  nous  avions  préparé. 

h.  —  «  Cette  idée  sur  la  destination  des  pyramides  est  aussi 
rapportée  par  Benjamin  de  Tudela  (p.  202,  éd.  de  Lempereur)  , 
et  M,  S.  de  Sacy  remarque  que  c'était  une  opinion  commune  en 
Egypte  au  neuvième  siècle  [Rech.  sur  le  nom  des  pyramides,  dans 
le  Mag.  encyclop.^  sixième  année  ,  tom.  vi  ,  p.  449).  Les  écrivains 
arabes  l'ont  généralement  adoptée;  mais  le  passage  de  Grégoire  de 
Tours  ,  écrit  vers  580  à  590  ,  bien  avant  l'invasion  des  Arabes , 
prouve  qu'elle  est  plus  ancienne  qu'on  ne  l'a  cru.  Elle  ne  peut 
donc  provenir,  comme  on  l'a  supposé ,  d'une  confusion  de  mots 
tirés  de  la  langue  arabe.  Dans  V Etymologicum  magnum  {voce 
Ilupcifti^iç,  p.  697,  Sylb.) ,  on  trouve  une  explication  qui  revient  à 
peu  près  à  celle  de  Grégoire  de  Tours  :  ^vpaftî^is  ^e  ■^ra.Xiv  Myovrut 
ûifùet  ^xa-iXiKci  a-iTo^oxo^y  «  xuTio-K(uucri  lua-^cp.  «On  appelle  encore 
«<  pyramides  des  magasins  royaux  pour  le  blé  ,  que  Joseph  fit 
»  construire,  »  Cette  notion  repose  ,  à  n'en  point  douter,  sur  une 
fausse  étymologie  du  mot  pyramides ,  que  l'on  dérivait  du  grec 
TFDfôs,  froment;  en  effet,  Etienne  de  Bysance  dit  que  \qs pyramides 
ont  été  nommées  ainsi  des  blés  (  ùvo  rSv  w^m)  que  le  roi  (lequel?) 
y  avait  entassés,  ce  qui  amena  la  famine  en  Egypte  {voce  Tiv^u- 
fAiè'ii).  Cette  étymologie  peut  remonter  assez  haut  chez  les  Grecs 
d'Egypte.  Quant  à  l'idée  que  Joseph  était  l'auteur  de  ces  greniers, 
elle  provient  très  probablement  des  Juifs  alexandrins  ,  fort  em- 
pressés de  lier  l'histoire  d'Egypte  à  la  leur,  et  de  faire  jouer  un 
ç-r'and  rôle  aux  Hébreux  dans  ce  pays  ;  de  là  une  foule  de  Iradi- 
1,  27 


418  ÉCLAIRCISSEMENS 

lions  analogues  qu'ils  cherchèrent  à  accréditer.  C'est  ainsi  que  , 
selon  Josèphe  ,  Abraham  avait  enseigné  aux  Egyptiens  l'astronomie 
et  les  autres  sciences  {Ant.  Jud.^  i,  8,  2)  ;  et  que  ,  selon  Artapa- 
nus  ,  la  fille  d'Abraham  ,  nommée  Merrhis ,  avait  épousé  un  roi 
d'Egypte  appelé  Chénéphrès  (  y4p.  Euseb. ,  Pr.  Eu. ,  ix ,  27, 
p.  432).  La  tradition  dont  il  s'agit  naquit  à  la  fois  de  l'étymologie 
tirée  de  ^ropo?  et  de  ce  que  raconte  la  Bible  des  grands  amas  de  blé 
faits  par  Joseph.  Les  pyramides  devinrent  les  greniers  où  ce  pa- 
triarche avait  entassé  la  récolte  des  sept  années  d'abondance.  » 
Letronne. 

i-k.  —  «  Dans  un  ouvrage  publié  il  y  a  vingt-deux  ans  (en  1814), 
j'ai  conjecturé  que  ce  fleuve  ,  qui  venait  de  l'orient  vers  Toccident 
et  vers  la  mer  Rouge ,  devait  être  le  bras  du  Nil  ou  le  canal  qui 
débouchait  dans  le  golfe  de  Suez  {Rech.  sur  Dicuil ,  p.  15  ,  16  ). 
Cette  conjecture  me  paraît  maintenant  de  tout  point  invraisem- 
blable ;  il  y  a  là  plus  d'une  difficulté  grave  dont  je  ne  m'étais  pas 
rendu  compte  ,  et  dont  il  me  semble  à  présent  bien  difficile  de 
donner  une  solution  entièrement  satisfaisante. 

Cl  Si  l'on  admettait  que  Grégoire  de  Tours ,  n'ayant  pas  été  dans 
le  pays  et  écrivant  sur  ouï-dire ,  s'est  trompé  quant  à  l'orientation 
de  ces  points ,  et  a  mis  l'occident  où  il  fallait  l'orient ,  et  récipro- 
quement ,  on  aurait  une  explication  complète  du  passage ,  car  tout 
serait  à  sa  place.  Supposons  ,  en  effet ,  que  Grégoire  eût  dit  : 
Antedictus  vcro  fliiuiiis  ab  occidente  'veniens  ad  orientalem  pla- 
gam  versus  mare  Rubrum  vadit,  ab  oriente  vero  stagnum  siée 
brachium  de  mare  Rubro  progreditur,  vadit  contra  occidentem,  etc., 
tout  serait  exact. 

«  Le  premier  membre  exprimerait  le  cours  du  Nil ,  qui ,  dans 
les  géographes  anciens  ,  Pline  entre  autres ,  venait  de  l'occident  de 
l'Afrique  ,  se  dirigeant  à  l'orient  vers  la  mer  Rouge. 

«  Le  deuxième  donnerait  la  direction  du  golfe  de  Suez  ,  qui 
s'avance  au  nord  de  la  mer  Rouge ,  dans  le  sens  du  S.  E.  au 
N.  O.  \ 

«  L'erreur  commune  aux  quatre  passages  serait  d'autant  plus 
explicable,  qu'une  première  erreur  a  pu  entraîner  les  autres. 

«  Il  se  pourrait ,  néanmoins  ,  que  la  notion  exprimée  dans  le 


ET  OBSERVATIONS.  419 

premier  membre  se  rattachât  à  l'opinion  qu'on  se  faisait ,  à  cette 
époque,  sur  l'origine  du  Nil. 

«  On  sait  que  l'un  des  fleuves  du  paradis  terrestre,  le  Géon,  qui 
environnait  toute  l'Ethiopie,  ô  kux.xSv  ttuo-xv  t^v  AiSicttUv  {Gen.,  11, 
13),  passait  pour  être  le  Nil,  d'après  un  passage  de  Jérémie 
(n ,  18).  Mais  comme  on  plaçait  le  paradis  à  l'orient  de  la  terre, 
on  admit  que  le  Nil  était  en  même  temps  V Indus  ou  le  Gange. 
Cette  opinion  ,  qu'on  trouve  déjà  dans  Josèphe  (  Antiq.  Jud.,  i , 
1,3),  devint  générale  parmi  les  premiers  auteurs  chrétiens.  Or, 
pour  expliquer  comment  un  fleuve  de  l'Inde  pouvait  être  le  même 
que  le  Nil ,  on  supposa  qu'il  passait  sous  la  mer  indienne ,  dans 
un  canal  souterrain ,  en  coulant  de  l'orient  à  l'occident  vers  la  mer 
Rouge,  et  venait  reparaître  dans  les  montagnes  de  l'Abyssinie  ; 
c'est  ce  voyage  qu'indit.ue  Théophile  d'Antioche  [adAntoljc,  ii , 
p.  101,  c.) ,  et  qu'explique  clairement  Philostorge  {Hist.  eccles., 
111,10). 

«  Cette  route  singulière  pourrait  bien  avoir  été  exprimée  par  les 
mots  «i  oriente  veniens  ad  occidentalem  plagam ,  versus  Rubruni 
mare  vadit ,  etc.,  dont  se  sert  Grégoire  de  Tours. 

«  Cependant,  comme  le  membre  de  phrase  qui  suit  {ab  accidenté 
vero ,  etc.  )  ,  reste  encore  inexplicable  ,  dans  cette  hypothèse  ,  je 
préfèie  admettre  l'autre  explication  ,  comme  plus  complète  et  plus 
simple,  et  rejeter  le  tout  sur  une  erreur  de  Grégoire  de  Tours.  » 
Lettonne. 

Note  l,  Page  15. 

Clysma  est ,  dans  Ptolémée  ,  une  forteresse  située  sur  le  golfe 
Arabique  ;  on  l'a  généralement  retrouvée  dans  le  Colzum  actuel , 
presqu'à  l'extrémité  septentrionale  du  golfe  de  Suez.  La  Descrip- 
tion de  V Egypte,  et  les  cartes  jointes  à  cet  ouvrage  ,  la  placent  un 
peu  au  sud  de  Colzum,  mais  toujours  sur  le  bord  de  la  mer. 
Voyez  ,  dans  le  même  ouvrage ,  un  Mémoire  sur  la  géographie 
comparée  et  V ancien  état  des  côtes  de  la  mer  Rouge ,  3'  partie , 
par  M.  de  Rozière,  Antiq.  mém.,  tom.  1.  Dans  la  plupart  des  cartes 
d'Egypte  publiées  depuis  d'Anville ,  Clysma  est  mise  à  tort  sur  la 
côte  occidentale  du  golfe  Héroopollte  ou  de  Suez. 


420  *ÉCLAIRCISSEMENS 

Note  m,  Page  17. 

Le  manuscrit  de  l'abbaye  de  Cluny  porte  442  ans  ;  mais  ce 
chifiFre  serait  inexact  comme  celui  du  texte  ,  suivant  D.  Bouquet, 
qui  compte  505  ans  depuis  la  naissance  d'Abraham  jusqu'à  la 
sortie  d'Egypte.  IJ  Art  de  'vérifier  les  Dates  s'éloigne  de  ces  cal- 
culs ,  et  met  726  ans  entre  ces  deux  termes. 

Note  n,  Page  22. 

Hadr.  de  Valois  fait  remarquer,  dans  sa  Notice  des  Gaules  , 
que  les  deux  circonstances  rapportées  ici  par  Grégoire  de  Tours 
sont  également  fausses  :  1".  selon  le  témoignage  de  Dion  Cassius, 
Lyon  aurait  été  fondée  par  Lucius  Plancus  ;  2°.  Lyon  n'aurait 
pas  reçu  le  titre  de  très  noble  à  cause  du  grand  nombre  de  ses 
martyrs  ,  mais  à  cause  de  sa  splendeur  et  de  la  puissance  de  sa 
colonie.  Ruin. 

Note  o,  Page  23. 

Tertullîen  ,  dans  son  Apologétique ,  rend  le  même  témoignage 
que  Grégoire  de  Tours  ;  Eusèbe  parle  aussi  des  Gestes  envoyés  à 
Tibère  par  Pilate  {Hist.,  lib.  ii  ,  cap.  2).  Orose  dit  {lib.  vu, 
cap.  2  )  que  Pilate  écrivit  à  Tibère  et  au  sénat  touchant  la  passion 
et  la  résurrection  du  Christ ,  touchant  ses  miracles  et  ceux  que  ses 
disciples  opérèrent  en  son  nom.  Ruin. 

Note  />,  Page  24. 

La  plupart  des  Pères  grecs  ou  latins  disent  que  Jacques  fut  fils 
de  Joseph ,  et  d'une  autre  femme  que  Marie  ;  mais  cette  opinion 
est  combattue  par  saint  Jérôme  :  et  en  eifet  la  mère  de  Jacques,  citée 
dans  l'Evangile ,  vivait  encore  au  temps  de  la  passion  de  Jésus- 
Christ.  Il  faudrait  donc  supposer,  ou  que  Joseph  l'avait  répudiée 
pour  épouser  Marie  ,  ou  qvi'il  eut  deux  femmes  à  la  fois  ;  ce  qui 
est  également  faux.   Ruin. 


ET  OBSERVATIONS.  421 

Note  q,   Page  25. 

Du  temps  de  saint  Justin,,  les  Gestes  de  Pilate  se  trouvaient 
dans  toutes  les  mains  (  voyez  ci-dessus ,  note  o  )  ;  mais  ceux  qui 
sont  parvenus  jusqu'à  nous  sont  évidemment  controuvés.  Ruin. 

Note  r,  Page  25. 

Voyez,  ,  sur  la  mort  d'Hérode  Agrippa  ,  outre  les  Actes  des 
Apôtres,  ch.  12,  les  Antiq.  judaïq.  de  Josèphe,  lib.  xii,  cap.  8. 
Grégoire  de  Tours  confond  ici  Hérode-le-Grand  ,  ou  l'Ascalonile  , 
avec  Hérode  Agrippa.  Ce  qu'il  dit  se  rapporte  au  premier,  comme 
on  l'apprend  de  Josèphe  [Bell,  jud.,  lib.  ii);  il  en  est  question 
<mssi  dans  Eusèbe  et  dans  Rufin ,  Hist.,  lib.  i ,  cap.  8.  Ruin. 

Note  s,  Page  27. 

Telle  fut  l'opinion  de  quelques  anciens  écrivains  chrétiens;  mais 
elle  a  été  réfutée  par  Tertullien  et  par  un  grand  nombre  d'autres 
Pères.  Polycrate  ,  évéque  d'Éphèse ,  qui  avait  vu  les  disciples  de 
saint  Jean,  assure,  dans  une  lettre  rapportée  par  Eusèbe,  lib.  v, 
cap.  24 ,  que  ce  saint  était  mort ,  et  qu'il  fut  enterré  à  Ephèse. 
Ruin. 

Note  t,  Page  29. 

C'est  avant  et  non  après  Irénée  ,  et  avec  l'évéque  Pothin ,  que 
ces  quarante-huit  martyrs  furent  exécutés.  Grégoire  de  Tours  rap- 
porte leurs  noms  ,  lib.  i,  de  Glor.  martyr. ,  cap,  49.  Nous  n'avons 
pas  les  Actes  authentiques  d'Irénée.  Ruin. 

Note  u,  Page  29. 

Les  Actes  de  saint  Saturnin  font  connaître  l'époque  de  sa  mis- 
sion dans  les  Gaules  ;  mais  ils  ne  contiennent  rien  de  relatif  aux 
autres  évéques  cités  ici  ,  et  dont  l'arrivée  dans  le  même  pays  eut 
lieu  en  différens  temps,  Grégoire  de  Tours  ,  qui  les  croyait  tous 
arrivés  ensemble  ,  a  conclu  à  tort  de  la  date  certaine  indiquée 
dans  les  Actes  de  saint  Saturnin  ,  la  date  de  l'arrivée  des  autres 
évéques,  Ruin. 


422  ÉCLAIRCISSEMENS 

Note  v,  Page  32. 

Corneille  mourut  l'an  252  ,  sous  le  règne  de  Dèce ,  probable- 
ment à  Civita-Vecchia ,  et  non  à  Rome  ,  comme  plusieurs  l'ont 
prétendu,  Cyprien  fut  décapité  près  de  Carthagc  ,  l'an  258  ,  sous 
l'empire  de  Valérien  et  de  Gallien.  Ruin. 

Note  x,  Page  32. 

Quelques  savans  disent  que  les  anciens  Gaulois  désignaient 
sous  le  nom  de  V^asso  le  dieu  Mars  ;  d'autres  ont  conjecturé  que 
ce  temple  était  consacré  à  Mercure ,  d'après  un  passage  de  Pline 
l'ancien  ,  liv.  m  ,  ch.  7,  qui  rapporte  que,  de  son  temps,  Zénodore 
construisit  ,  en  Auvergne  ,  un  grand  temple  en  l'honneur  de  ce 
dieu.  M.  Guizot. 

Note  j,  Page  33. 

Saint  Prix ,  suivant  le  second  auteur  de  sa  Vie ,  écrivit  les  Actes 
de  Cassius,  Victorin  et  autres  saints.  Grégoire  de  Tours  a  aussi 
parlé  de  ces  personnages,  dont  la  fête  est  marquée  dans  les  anciens 
martyrologes.  Ruin. 

Note  z,  Page  33. 

Dans  un  mémoire  sur  l'étendue  et  les  limites  du  territoire  des 
Gabali,  et  sur  la  position  de  leur  capitale  Anderitum,  M.  Walcke- 
naer  TeiTou\e  Andâritum ,  non  dans  Javols,  mais  dans  A nterieux, 
sur  les  limites  des  départemens  de  la  Lozère  et  du  Cantal.  Mimas 
ou  Mimate ,  Mende  moderne  ,  n'était ,  dit-il ,  qu'un  bourg  quand 
saint  Privât,  premier  évcque  connu  des  Gabalitains,  se  retira  dans 
une  caverne  de  la  montagne  voisine.  «  Mais  dès  lors  ,  dit-on ,  le 
«  siège  épiscopal  des  Gabali  fut  transféré  à  Mimas.  »  Du  reste, 
M.  Walckenaer  retrouve  le  Gredonc  castrum  dans  le  village  de 
Grès-le-Château ,  à  une  lieue  ouest  de  Mende,  Mém.  de  l'Acad. 
des  Inscript.,  nouvelle  série ,  tom.  v,  p.  385. 

Note  aa,  Page  34. 

On  pense  que  c'est  aujourd'hui  la  ville  de  Hongrie  nommée 
Szombatel  ou  Stain  am  Angern.  Cluvier  cependant  croit  que  l'an- 


ET  OBSERVATIONS.  423 

cienne  Sabaria  existait  où  se  trouve  aujourd'hui  la  ville  de  Sarwar, 
que  les  Allemands  appellent  Rotenthurn ,  à  trois  lieues  au-des- 
sous de  Szombatel ,  au  confluent  du  Gûns  et  du  Raab.  Ruin.  — 
M.  Guizot  s'est  décidé  pour  Szombatel ,  quoique  l'opinion  de  Cla- 
vier soit  la  plus  généralement  admise. 

Note  bb.  Page  35. 

C'est  le  célèbre  évêque  Jacques ,  qui  délivra ,  l'an  350 ,  Nisibe , 
ville  de  Mésopotamie ,  assiégée  par  Sapor,  roi  des  Perses.  Du  reste, 
il  faut  lire  ici  Constantin  au  lieu  de  Constance.  Ruin. 

Note  ce,  Page  36. 

Les  auteurs  diffèrent  sur  l'année  et  sur  le  jour  de  la  mort  de 
saint  Hilaire.  Voyez  la  Vie  placée  à  la  tête  de  ses  œuvres  («.  113 
■c/  sqq.),  où  cette  question  est  longuement  débattue.  Il  paraît 
cependant  qu'il  est  mort  le  13  janvier  368.  Ruin. 

Saint  Jérôme  et  les  autres  Pères  parlent  avec  éloge  de  Mélanie, 
qui  se  fit  remarquer  surtout  au  temps  de  Valens ,  en  protégeant  et 
en  cachant  les  chrétiens  persécutés.  Elle -cacha  pendant  trois  jours, 
dit-on  ,  cinq  mille  moines  qui  fuyaient  les  cruautés  du  tyran. 

«  On  a  fait  remarquer  que  Grégoire  de  Tours  avait  mal  entendu 
la  Chronique  de  saint  Jérôme,  lorsqu'il  a  donné  au  fils  de  Mélanie 
le  nom  d'Urbanus.  S.  Jérôme  a  dit  que  ce  fils  était prœtor  urbanus, 
préteur  de  la  ville.  »  Ruin. 

Note  dd,  Page  38. 

Chantoin  ou  Chantoèn.  Là  exista  plus  tard  un  monastère  de 
filles  ,  de  l'ordre  de  saint  Augustin.  Il  en  est  encore  question  plus 
bas,  liv.  II ,  chap.  21.  Dans  la  suite ,  ce  monastère  fut  donné  aux 
Cormes  déchaussés.  Le  Légonus  dont  il  est  question  est- il  le 
même  que  saint  Linguinus ,  qui  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint- 
Vénérand  ,  selon  Savaron  ,  Catal.  eccles.  Claram.  lib.  i,  cap.  10? 
Ce  savant  pense  qu'il  s'agit  plutôt  ici  du  martyr  Liminius.  En 
effet,  dans  l'église  de  Saint -Légonce  repose  le  même  saint  que 
Savaron  croit  être  le  Légonus  de  Grégoire  de  Tours,  Voyez  l'ou- 
vrage cité,  liv.  II,  chap.  13.  Ruin. 


424  ÉCLAIRCISSEMENS 

Note  ee,  Page  43. 

Ce  consulat  désigne  l'an  397,  qui  fut,  selon  le  P,  Le  Cointe,  Anti. 
eccl,  fr.,  tom.  i,  ad  ann.  498,  la  dernière  année  de  saint  Martin. 
Scaliger ,  de  Emen.  temp.  lib.  vi ,  pense  que  ce  saint  mourut 
l'an  395  ;  d'autres  assignent  d'autres  dates.  Voyez  à  ce  sujet  la 
dissertation  de  V.  C.  Jos.  Antelmi.  Ruin. 

^OTE/f,  Page  43. 

Sulpice  Sévère  rapporte ,  dans  la  Vie  de  saint  Martin ,  que  ce 
saint  fut  moine  dans  un  monastère  près  de  Poitiers.  Grégoire  de 
Tours  alla  visiter  ce  lieu ,  célèbre  par  les  miracles  qui  s'y  étaient 
opérés ,  comme  il  le  rapporte  lui-même ,  de  Mirac.  S.  Mart. , 
cap.  30.  Il  se  nommait  Locociacum,  aujourd'hui  Ligugé.  Ruin. 

Note  gg,  Page  45, 

Suivant  Sulpice  Sévère ,  f^ie  de  saint  Martin,  chap.  8  ,  on  doit 
admettre  plusieurs  évéques  entre  saint  Gatien  et  saint  Martin.  En 
parlant  d'un  autel  d'un  faux  martyr  renversé  par  saint  Martin ,  il 
dit  que  cet  autel  avait  été  élevé  par  les  évéques  ses  prédécesseurs. 
Or  ce  fait  ne  pouvant  être  imputé  à  Gatien  ,  premier  évêque  de 
Tours ,  il  faut  qu'il  y  en  ait  eu  d'autres  entre  lui  et  saint  Martin, 
Ruin. 


LIVRE   SECOND, 

Note  a.  Page  49. 

Ce  chapitre  a  donné  lieu  à  beaucoup  de  critiques.  Quelques 
savans  ont  pensé  que  notre  auteur  avait  confondu  Briction ,  dont 
il  est  question  dans  Sulpice  Sévère,  à  la  fin  de  son  troisième  Dia- 
logue ,  avec  Brice ,  successeur  de  saint  Martin ,  tandis  que ,  selon 
eux  ,  ce  sont  deux  personnages  difFérens  ;  mais  D.  Ruinart  justifie 
complètement  sur  ce  point  Grégoire  de  Tours ,  et  démontre  qu'il 
ne  faut  voir  dans  Brice  et  dans  Briction  qu'un  seul  et  même  per- 
sonnage. Il  réfute  également  l'opinion  de  ceux  qui  veulent  que 
tout  ce  premier  chapitre  ait  été  ajouté  par  une  main  étrangère  à 
l'ouvrage  de  notre  historien. 


ET  OBSERVATIONS.  425 

Note  b,  Page  63. 

Quelques  auteurs  pensent  que  cet  Aravatius  est  le  même  que 
Servatius ,  évêque  de  Ton  grès ,  et  rapportent  aux  incursions  des 
Vandales  la  désolation  des  Gaules,  que  Grégoire  de  Tours  attribue 
aux  Huns;  mais,  comme  de  tous  les  manuscrits  de  l'Histoire  des 
Francs  que  j'ai  pu  voir,  celui  de  l'abbaye  du  Bec  seul ,  et  le  seul 
manuscrit  de  Gloria  confessorum ,  cap.  72  ,  de  Clermont,  portent 
Sen>atius ,  je  souscris  volontiers  au  sentiment  de  ceux  qui  distin- 
guent ces  deux  personnages  l'un  de  l'autre ,  et  qui  font  vivre  le 
premier  Servatius  au  quatrième  siècle ,  et  celui  dont  parle  ici 
Grégoire  de  Tours  au  siècle  suivant.  Voyez  Had.  de  Valois,  Hist. 
Franc.,  tom.  ii ,  praef.  Ruin. 

Le  manuscrit  de  Cluny  et  le  ms.  B  de  la  Bibliothèque  Royale, 
qui  n'ont  pas  été  connus  de  D.  Ruinart,  portent  l'un  et  l'autre 
Seri'atiiis;  mais  il  faut  dire  que  ces  deux  manuscrits  offrent  presque 
constamment  les  mêmes  variantes,  et  paraissent  avoir  été  copies 
l'un  sur  l'autre. 

Note  c,  Page  65. 

Voyez  sur  ce  siège  d'Orléans  Sidoine  Apollinaire,  liv.  viii, 
lett.  15.  La  lettre  où  il  en  est  question  est  adressée  à  Prosper, 
successeur  d'Agnan.  Voyez  aussi  les  vies  de  saint  Agnan,  dans 
lesquelles  est  rapporté  le  voyage  de  ce  saint  à  la  ville  d'Arles. 

Note  d,  Page  66. 

Il  s'agit  ici  de  Théoderic ,  roi  des  Visigoths,  qui  régna  de  l'an 
419  à  l'an  451.  Thorismond,  son  fils,  qui  commença  à  régner 
un  an  après  la  mort  de  son  père ,  fut  tué  par  ses  frères  l'an  453  , 
comme  le  dit  plus  loin  notre  auteur.  Ruin. 

Note  e,  Page  66. 
Nous  ne  rapporterons  pas  les  différentes  opinions  des  critiques 
sur  la  position  du  campus  Mauriacus  de  Grégoire  de  Tours  ; 
seulement  nous  rappellerons  qu'Had.  de  Valois  place  les  champs 
de  Mauriac  près  de  Troyes  et  de  Pont-sur-Seine,  où  il  prétend  que 
s'engagea  d'abord  un  léger  combat ,  qui  fut  suivi  d'une  bataille 
générale  dans   les   plaines  de  Chalons  ;  et  nous  ajouterons  qu'en 


426  ÉCLAIRCISSEMENS 

1834,  l'Académie  des  Inscriptions  a  accordé  une  mention  hono- 
rable à  M.  Tourneux ,  auteur  d'un  Mémoire  sur  1^  même  sujet , 
dans  lequel  il  est  dit  que  la  bataille  qui  décida  du  sort  de  l'inva- 
sion fut  livrée  à  7,000  toises  environ  et  au  N.  E.  de  Châlons-sur- 
Marne,  l'armée  des  Huns  s'étendant  de  la  redoute  de  Nantivet  au 
village  de  Lachappe ,  qui  serait  l'ancien  Mauriacum. 

Note  /,  Page  68. 

Ce  roi  des  Francs  était-il  Mérovée ,  qui ,  après  la  mort  d'Aétius, 
porta  la  guerre  dans  la  première  Germanie  et  dans  la  deuxième 
Belgique,  comme  il  est  dit  dans  le  panégyrique  adressé  par  Sidoine 
à  son  beau-père?  Ridn.  Voyez,  dans  les  œuvres  de  Fréret,  son 
Mémoire  swtV Origine  des  Français,  et  leur  établissement  dans  la 
Gaule.  Hist.,  tom.  v  et  vi,  in -18. 

Note  g,  Page  73. 

Had.  de  Valois  pense  qu'au  lieu  de  Jovinianiens  qui  est  dans 
le  texte,  on  devrait  lire  Jovianiens.  Selon  D.  Ruinart,  il  faudrait 
peut-être  lire  Joviniens  ,  du  nom  de  Jovin  ,  dont  il  est  question 
un  peu  plus  bas. 

Note  h.   Page  74. 

La  ville  de  Vienne  était  alors  une  des  plus  importantes  des 
Gaules.  Ammien  Marcellin  loue  la  beauté  des  villes  de  la  province 
viennoise  et  de  Vienne  en  particulier.  Hist.,  lib.  xv,  cap.  11.  Mar- 
tial dit  de  cette  ville  : 

Fertiir  habere  meos ,  si  vera  estfama,  libellas 
Inter  delicias  pulchra  Vienna  suas. 

Lib.  VII,  epigr.  87. 

Elle  fut  métropole  dès  le  commencement  du  troisième  siècle ,  et 
elle  est  regardée  par  Eusèbe  comme  l'une  des  plus  considérables 
des  Gaules.  Hist.  ecclés.,  liv.  v,  ch.  1.  Plusieurs  empereurs  ont 
daté  des  lois  de  leur  palais  de  Vienne. 

Note  i.  Page  75. 

Les  Francs  aidaient  un  roi.  Serait-ce  celui  que  nos  historiens 
appellent  Pharamond  ou  Faramoud  ,  et  qu'ils  font  père  de  Clodion 


ET  OBSERVATIONS.  427 

et  fondateur  de  la  monarchie?  L'auteur  du  Gesta  Francorum,  qui 
écrivait  sous  le  roi  Thierry  II ,  appelle  Clodîon  fils  de  Pharamond , 
et  il  a  été  suivi  par  Roricon  ,  etc.  Dans  la  chronique  de  Prosper, 
sous  l'an  26  d'Honorius  ou  420  de  Jésus-Christ,  il  est  dit  que 
Pharamond  règne  dans  la  France;  et  auparavant,  à  l'an  4  de 
Théodose  ou  382  de  Jésus-Christ ,  on  lit  :  Priamus  régnât  in 
Francia.  Eugène  ,  dont  parle  ici  Grégoire  de  Tours  ,  fut  tué  l'an 
394  ;  il  est  étonnant ,  toutefois  ,  qu'il  ne  se  trouve  rien  de  re- 
latif à  Pharamond  dans  Grégoire  de  Tours  ni  dans  Frédcgaire.  — 
Du  reste,  Had.  de  Valois  (lib.  ii ,  Rer,  Franc,  p.  87)  accuse 
Grégoire  de  Tours  d'ignorance,  en  ce  qu'il  a  entendu,  dans  ces 
phrases  de  Sulpice  Alexandre,  Genohaude ,  etc.,  ducibus  et  Mar- 
comere  duce,  le  mot  dux  dans  le  sens  de  dignité  ducale,  et  comme 
si  les  Francs  avaient  eu  des  ducs  au  lieu  de  rois  ;  tandis  qu'il  est 
certain  que  ,  par  les  mots  Genohaude,  etc.,  ducibus,  Marcomere 
duce,  Sulpice  Alexandre  entendait  seulement  indiquer  que  les 
Francs  firent  la  guerre  sous  la  conduite  de  Marcomer,  de  Geno- 
haude, etc.  D'ailleurs  ,  il  résulte  de  Claudien  ,  de  Paulin  dans  la 
vie  de  saint  Ambroise  ,  et  de  Sulpice  lui-même ,  qui  les  nomme 
non  seulement  regales ,  mais  même  subreguli ,  que  ces  chefs  des 
Francs  étaient  rois.  Le  même  auteur  fait  remarquer  ailleurs  {in 
addend.  ad  tom.  i  )  qu'Attila  et  Bleda  ,  rois  des  Huns  ,  sont  quel- 
quefois appelés  regales  par  Priscus.  Ruin. 

L'autorité  d'Had.  de  Valois  est  en  général  d'un  grand  poids  ;  ce- 
pendant sa  critique  nous  paraît  peu  fondée.  1°.  Grégoire  de  Tours 
n'a  point,  selon  nous,  entendu  positivement  le  mot  dux  dans  le 
sens  de  dignité  ducale  :  rien  chez  lui  ne  prouve  qu'il  ne  l'ait  pas 
compris  dans  le  sens  de  chef  militaire .  Il  y  a  plus,  ce  mot  n'avait 
guère  que  ce  dernier  sens  du  temps  de  Grégoire  de  Tours.  1°.  Il 
ne  faudrait  peut-être  pas  trancher  aussi  positivement  la  question 
relative  aux  titres  de  rcgales  et  de  subreguli,  que  le  fait  Had.  de 
Valois  ;  car  Grégoire  de  Tours ,  beaucoup  plus  rapproché  du  temps 
de  Sulpice  Alexandre  ,  était  sans  doute  à  portée  d'être  bien  fixé  sur 
le  véritable  sens  de  ces  mots  à  cette  époque  ,  et  cependant  il  n'ose 
leur  assigner  la  signification  de  roi ,  malgré  la  bonne  envie  qu'il  en 
aurait.  Du  reste,  il  est  certain  que  les  Francs  avaient  des  rois  pour 
les  gouverner  ;  mais  il  y  avait  chez  eux  des  hommes  puissans  ,  des 


428  ÉCLAIRCISSEMENS 

guerriers  éprouvés  qui  se  déclaraient  chefs  volontaires  d'expéditions 
aventureuses ,  et  menaient  à  leur  suite  d'autres  guerriers  volon- 
taires comme  eux.  Voyez  César,  de  Bello  Gallic. ,  lib.  vi,  cap.  23  ; 
Tacite,  de  Morib.  Germ.,  c.  xiii.  Génobaude  ,  Marcomer,  etc.,  ne 
seraient-ils  pas  quelques  uns  de  ces  chefs  aventureux  que  César  et 
Tacite  nomment  principes  ?  et  leurs  soldats  ne  seraient-ils  pas  de 
ces  suivans  que  Tacite  appelle  comités?  Voyez  ,  du  reste,  dans  les 
œuvres  de  Fréret,  le  Mémoire  dont  nous  avons  déjà  parlé. 

Note  j ,  Page  77. 

Qu'appelait-on  Gaule  ultérieure  et  Gaule  citcrieure  au  temps  de 
Renatus  Profecturus  Frigeridus  ?  Il  est  difficile  de  le  dire  positive- 
ment. Les  ims  ont  pensé  que  par  Gaule  ultérieure  il  fallait  entendre 
la  partie  de  la  Gaule  située  au-delà  du  Rhône  relativement  à  l'Italie  ; 
les  autres,  que  ce  nom  ne  s'appliquait  qu'à  la  partie  du  pays  située 
au-delà ,  c'est-à-dire  au  nord  de  la  Loire.  Le  passage  de  Grégoire 
de  Tours  convient  également  aux  deux  suppositions  ;  car  Mayence, 
où  Jovin  se  trouvait  alors  ,  selon  le  témoignage  d'Olympiodore , 
appartiendrait  toujours  à  la  Gaule  ultérieure  dans  l'un  comme 
dans  l'autre  cas.  Mais  des  textes  positifs  condamnent  la  dernière 
opinion  ;  car,  dans  la  vie  de  saint  Élol ,  Limoges  est  placé  dans 
la  Gaule  ultérieure.  D.  Vaissette ,  dans  son  Histoire  du  Langue- 
doc ,  exprime  l'opinion  que  la  division  de  la  Gaule  en  ultérieure  et 
citérieure  est  la  même  que  celle  qui  a  été  faite  en  Gaules  propre- 
ment dites  et  en  sept  pronnces ,  et  qu'il  n'y  avait  point  de  Gaule 
ultérieure  et  citérieure  prise  d'une  manière  absolue,  mais  seulement 
d'une  manière  relative  ;  en  sorle  que  la  partie  que  chacun  habitait 
était  pour  lui  Gaule  citérieure ,  l'autre  partie  Gaule  ultérieure.  Ce 
sentiment  a  l'avantage  de  concilier  tous  les  textes  ;  car  alors  l'au- 
teur de  la  vie  de  saint  Éloi,  qui  se  trouvait  dans  la  deuxième 
Lyonnaise ,  devait  appeler  Gaule  ultérieure  l'Aquitaine  première , 
où  était  située  Limoges,  et  qui  était  l'une  des  sept  provinces.  On 
pourrait  aussi  entendre  par  Gallia  citerior  la  Gaule  cisalpine ,  et 
par  Gallia  ulterior  la  Gaule  transalpine ,   toujours  par  rapport  à 

Rome. 

Note  k,  Page  78. 

La  Thuringc  étant  placée  relativement  à  la  Gaule  au-delà  du 


ET  OBSERVATIONS.  429 

Pihin  ,  Had.  de  Valois  pense  qu'on  doit  lire  dans  Grégoire  d« 
Tours  :  Ayant  ensuite  traf^ersé  le  Mein  (  transacto  Mceno  ) ,  rivière 
qu'il  faut  passer,  en  effet,  pour  aller  de  Pannonie  en  Thuringe. 
Guill.  Morel  dit  avoir  vu  un  ancien  manuscrit  qui  portait  Thorin- 
gorunj,  vcl  Tungrorum;  d'où  quelques  savans  modernes,  adoptant 
cette  leçon  et  lisant  par  conséquent  transacto  Rheno ,  ont  pensé  que 
les  Francs  traversèrent  le  Rhin  et  s'établirent  dans  la  Gaule  au  pays 
des  Tongriens.  Voyez  sur  tout  ce  chapitre  la  note  m  ci-après. 

Note  /,  Page  78. 

Il  y  avait  chez  les  anciens  deux  espèces  de  chroniques  :  les  unes, 
qui  marquaient  les  temps  d'après  les  consulats ,  étaient  appelées 
consulaires ,  et  c'est  d'une  de  ces  chroniques  que  parle  ici  Grégoire 
de  Tours;  les  autres,  dans  lesquelles  les  dates  se  fondaient  sur  un 
autre  système  de  calcul ,  étaient  appelées  simplement  chroniques. 
Ruin. 

Note  m,  Page  78. 

Les  avis  étant  partagés  sur  la  situation  du  pays  appelé  Tho- 
ringia  par  Grégoire  de  Tours  (voyez  ci-dessus  note  k) ,  ils  devaient 
l'être  également  sur  la  position  du  château  de  Disparg ,  placé  in 
termino  Thoringorum.  Les  uns  retrouvent  ce  château  dans  Duys- 
burg  sur  le  Rhin  ,  d'autres  dans  x4.sbourg ,  d'autres  dans  Duys- 
borch ,  entre  Bruxelles  et  Louvain  ;  quelques  autres,  enfin  ,  veulent 
que  ce  soit  Dietz  ,  à  six  lieues  à  l'est  de  Coblentz.  Ruin. 

Ce  chapitre ,  comme  on  voit ,  a  beaucoup  occupé  les  savans  :  ils 
ne  pouvaient  comprendre,  en  effet ,  que  les  Francs,  sortis  de  Pan- 
nonie ,  traversassent  le  Rhin  pour  se  rendre  en  Thuringe  ;  et  que 
Disparg  se  trouvant  en  Thuringe  ,  c'est-à-dire  outre  Rhin  ,  les 
Romains  s'étendissent ,  depuis  ce  lieu  ,  vers  le  midi  jusqu'à  la 
Loire.  Les  uns,  et  Had.  de  Valois  à  leur  tête  ,  ont  dit  qu'il  fallait 
conserver  dans  Grégoire  de  Tours  Thoringia ,  mais  lire  transacto 
Mœno ,  et  non  Rheno  ;  car  c'est  réellement  le  Mein  qu'il  fallait 
traverser  pour  aller  de  Pannonie  en  Thuringe,  M.  Guizot  a  suivi 
cette  correction.  D'autres  ont  dit ,  et  parmi  ceux-ci  figure  l'abbé 
Dubos,  qu'il  fallait  conserver  transacto  Rheno  ,  mais  lire  Tungria 
et   Tiingri ,    au  lieu  de    Thoringia   et   de    Thorins^i.   Cette  seconde 


430  ÉCLAIRCISSEMENS 

correction  a  de  même  été  adoptée  par  M.  Giiizot  ;   mais  l'une  et 
l'autre  présentent  également  de  grandes  difficultés.   En  effet,  si 
on  lit,  avec  Had.  de  Valois,  le  Mein  et  la  Thuringe,  on  placera 
Disparg  dans  la  Germanie  ;  et  alors  comment  comprendre  la  fin  du 
passage  :  Dans  ces  mêmes  contrées ,  vers  le  midi  jusqu'à  la  J^oire, 
habitaient  les  Romains  ?  D'un  autre  côté ,  si  on  lit  le  Rhin  et  le 
pays  de  Tongres  avec  Dubos  ,  on  placera  Disparg  dans  la  Gaule , 
et  alors  c'est  le  commencement  du  passage  qui  devient  inintelli- 
gible ;  car  il  est  constant  qu'à  leur  sortie  de  Pannonie ,  si  du  moins 
ils  sont  sortis  de  Pannonie ,  les  Francs  ne  s'établirent  pas  immé- 
diatement dans  la  Gaule ,  puisqu'on  les  voit  d'abord  fixés  sur  la 
rive  droite  du  Rhin.  Si  l'on  admettait,  comme  M.  Guizot ,  les  deux 
corrections,  et  qu'on  lût  le  Mein  et  le  pays  de  Tongres,  alors  il 
paraîtrait  étrange  que  notre  historien  eût  parlé  seulement  du  Mein 
sans  rien  dire  du  Rhin,  dont  le  passage  eût  dû  le  frapper  davantage. 
Si  l'on  veut  à  toute  force  maintenir  la  leçon  des  manuscrits ,  qui, 
à  l'exception  du  manuscrit  cité  par  Morel,  sont  unanimes  sur  ce 
point ,  et  si  l'on  veut  défendre  le  récit  de  Grégoire  de  Tours  , 
qui  dans  tous  les  cas  laisse  beaucoup  à  désirer,  sinon  du  côté  de 
l'exactitude ,  au  moins  du  côté  de  la  précision ,  il  nous  semble  qu'il 
faut  admettre  :  1°.  que  les  Francs ,  dans  leur  émigration,  se  sont 
avancés  jusque  dans  la  Gaule ,  en  passant  le  Rhin ,  pour  s'établir 
sur  la  gauche  de  ce  fleuve ,  d'où  ils  auront  été  chassés  ensuite  par 
les  Romains  ,  et  obligés  par  eux  de  passer  dans  la  Thuringe  ; 
2".  que  les  Romains  réoccupèrent ,  après  l'expulsion  de  ces  bar- 
bares, la  rive  droite  du  Rhin  jusque  près  de  Disparg,  et  que  de 
ces  pays  ils  s'étendaient  vers  le  midi  jusqu'au  Rhin ,  et  du  Rhin 
jusqu'à  la  Loire.  Mais  cette  explication  supposerait  que  du  temps 
de  Clodion ,  ou  au  moins  jusqu'à  l'an  432 ,  les  Romains  conser- 
vaient des  positions  dans  la  Germanie. 

Note  n,  Page  83. 

L'abbé  Dubos  pense  que  notre  auteur  a  écrit  ////  anno ,  et  que 
le  premier  /  a  été  changé  en  V,  ce  qui  a  fait  VIII;  car,  dit-il , 
il  est  certain  que  déjà  Majorien  était  reconnu  empereur  dans  les 
Gaules ,  et  qu'Egidius  avait  été  créé  maître  de  la  milice  lorsqu'il 
fut  mis  à  la  place  de  Childéric.  Or,  les  Gaules  ne  reconnurent  le 


ET  OBSERVATIONS.  43 ï 

pouvoir  de  Majorien  qu'à  la  fin  de  l'année  458,  et  par  suite  Egidius 
ne  commanda  aux  Francs  qu'en  459  et  jusqu'en  463  ,  époque  du 
rétablissement  de  Childéric.  Suivant  le  P.  Pagi,  Childéric  revint 
en  464,  et  Egidius  mourut  en  465.  Bouq. 

Note  o  ,  Page  85. 

Au  livre  x,  chap.  31  ,  Perpétue  est  désigné  comme  sixième 
évêque  de  Tours  depuis  saint  Martin  ;  cette  différence  vient  de  ce 
que  notre  auteur  ne  tient  pas  compte  ici  de  Justinien  et  d'Armence, 
qui  pendant  quelque  temps  tinrent  la  place  de  Brice.  Ruin. 

Note  p,  Page  86. 

La  description  que  fait  ici  Grégoire  de  Tours  de  l'église  élevée 
par  saint  Perpétue,  sur  le  tombeau  de  S.  Martin,  donne  à  penser 
que  cette  église  fut  bâtie  sur  un  plan  depuis  long-temps  inusité  pour 
ces  sortes  d'édifices  ;  il  fallait  que  la  partie  qui  entoure  l'autel  eût 
reçu  un  très  grand  développement  aux  dépens  de  la  nef,  pour  qu'il 
y  eût  dans  cette  partie  trente-deux  fenêtres  et  vingt  seulement  dans 
la  nef.  On  ne  peut  guère  se  rendre  compte  de  cette  disposition  des 
fenêtres ,  qu'en  supposant  que  l'église  de  Saint-Martin  avait  été 
construite  sur  un  plan  à  peu  près  semblable  à  celui  de  l'église  du 
Saint-Sépulcre  à  Jérusalem  :  on  sait  que ,  dans  cette  dernière  église, 
la  partie  où  se  trouve  l'autel  forme  un  vaste  cercle ,  tandis  que  la 
nef  est  proportionnellement  beaucoup  moins  étendue. 

Du  reste ,  au  temps  de  l'épiscopat  de  notre  auteur,  plusieurs  des 
églises  que  Perpétue  avait  bâties  à  Tours  avaient  déjà  été  ruinées  par 
le  temps  ou  par  le  feu ,  et  celle  de  Saint-Martin  était  de  ce  nombre. 
Grégoire  la  fit  reconstruire,  la  première  ou  la  seconde  année  de  son 
épiscopat ,  vers  l'an  575 ,  puisqu'il  y  reçut  le  duc  Contran  deux 
ans  après  qu'il  eut  été  fait  évêque  de  Tours  ;  ou  peut-être,  comme 
le  dit  Levesque  de  La  Ravalière ,  Mém.  de  l'Acad.  des  Inscript. , 
tom.  XXVI  ,  p.  631  ,  note  d,  faut-il  supposer  que  l'église  dans  la- 
quelle Gontran  et  Mérovée  se  retirèrent  était  l'ancienne  église , 
qui  périt  par  un  incendie  dont  Grégoire  n'a  point  fait  mention  , 
et  qu'il  rebâtit  dans  les  dernières  années  de  son  épiscopat,  vers 
l'an  590.  Voyez  la  planche  et  l'explication  placées  à  la  fin  du 
volume. 


432  ÉCLAIRCISSEMENS 

Note  q,  Page  87. 
L'église  bâtie ,  au  cinquième  siècle  ,  par  saint  Namatius  ou 
Namace  ,  devint  la  proie  des  flammes  lorsque  la  ville  de  Clermont 
fut  enlevée  par  Pépin  au  duc  d'Aquitaine  Eudes  ;  elle  fut  peu  de 
temps  après  rebâtie  ,  mais  avec  beaucoup  moins  de  magnificence  , 
par  un  évêque  dont  on  ignore  le  nom.  A  cette  seconde  église  ap- 
partenaient les  deux  grosses  tours  carrées  qui  surmontent  la  porte 
occidentale  de  la  cathédrale  actuelle  ,  bâtie  sur  l'emplacement  des 
deux  premières  églises.  Cette  cathédrale  fut  commencée  l'an  1248  ; 
et  l'on  fit,  dit-on  ,  servir  à  sa  construction  les  matériaux  de 
l'ancien  temple  gaulois  connu  sous  le  nom  de  Vasso.  Voyez  ci- 
dessus,  liv.  I,  ch.  30.  Cette  cathédrale  ne  fut  amenée  au  point  où 
on  la  voit  aujourd'hui  qu'au  seizième  siècle  :  encore  la  nef  est-elle 
restée  inachevée  et  peu  en  proportion  avec  le  reste  de  l'édifice. 
Voyez  Audusier,  Histoire  de  la  ville  de  Clermont,  tom.  i ,  p.  102  , 
ouvrage  manuscrit  conservé  à  la  Bibliothèque  du  Roi ,  sous  la  cote 
Supplément  fr.,  675. 

Note  /•,   Page  88. 

Ce  chapitre  a  beaucoup  exercé  la  critique  :  dom  Bouquet  lui  a 
consacré  une  très  longue  note ,  dont  nous  donnerons  ici  la  sub- 
stance. "  Suivant  Grégoire  de  Tours ,  dit  le  savant  bénédictin  , 
Childéric ,  après  avoir  tué  le  comte  Paul ,  s'empai-a  d'Angers  ;  et 
c'est  ainsi  que  la  chose  a  été  entendue  par  Ff  édégaire ,  par  l'auteur 
du  Gcsta  Francorum,  par  Aimoin  ,  et  par  tous  ceux  qui  ont  traité 
de  l'histoire  des  Francs.  Mais  comment  se  peut-il ,  continue  doni 
Bouquet ,  que  Childéric  ,  qui  tout  à  l'heure ,  réuni  aux  Romains  et 
au  comte  Paul ,  faisait  la  guerre  aux  Goths ,  ait  si  vite  abandonné 
les  Romains*,  et  réuni  ses  armes  à  celles  d'Odoacre  pour  attaquer 
le  comte  Paul  et  se  jeter  sur  Angers  ;  que ,  bientôt  après ,  il  soit 
revenu  aux  Romains  pour  combattre  avec  eux  Odoacre  ;  qu'enfin , 
il  ait  de  nouveau  abandonné  les  Romains  pour  contracter  alliance 
avec  Odoacre  ?  Qui  croira  jamais  que  ,  dans  un  si  court  espace  de 
temps  ,  Childéric  ait  joué  tant  de  rôles  divers  ?  »  Dom  Bouquet 
regarde  ce  passage  comme  inexplicable ,  et  se  contente  de  rap- 
porter l'interprétation  qu'ont  voulu  en  donner  le  P.  Pagi  et  l'abbé 
Dubos ,  mais  sans  adopter  leurs  scntimens. 


ET  OBSERVATIONS.  433 

La  difficulté  ne  nous  paraît  pas  invincible.  On  sait  par  Eumènes, 

Panegyr.  in  Constantiiim  Chlor. ,  cap.  21  ;  —  in  Constantin.  , 
cap.  5,  6  ;  par  Ammien  Marcellin,  Hist.,  lib.  xvii ,  cap.  8  ;  par  la 
Notice  des  dignités  de  l'Empire ,  et  par  les  lois  romaines ,  que  des 
Francs  furent,  à  diverses  époques,  transportés  ou  reçus  par  les 
Romains  dans  le  nord  de  la  Gaule ,  où  ils  devinrent  de  véritables 
sujets  de  l'Empire.  Childéric  pouvait  donc  commander  à  des 
Francs,  et  d'autres  Francs  pouvaient  marcher  sous  le  comte  Paul. 
Au  moyen  de  cette  distinction ,  le  texte  de  Grégoire  de  Tours  de- 
vient clair,  et  peut  se  traduire  ainsi  :  «  Le  comte  Paul ,  avec  les 
Francs  sujets  de  l'Empire ,  combat  les  Visigoths  ;  Childéric  ,  avec 
ses  Francs  ,  fait  la  guerre  sous  les  murs  d'Orléans ,  et  se  ligue  avec 
Odoacre  contre  le  comte  Paul  et  ses  Francs.  Il  tue  le  comte  Paul 
et  s'empare  d'Angers  ;  quelque  temps  après  ,  les  Romains  et  les 
Francs  sujets  de  l'Empire  battent  les  Saxons  et  prennent  leurs  îles. 
Enfin ,  Odoacre  et  Childéric  marchent  ensemble  contre  les  Ale- 
mans.  »  Voilà  du  moins  comment  nous  entendons  le  passage  de 
Grégoire  de  Tours. 

Note  s,  Page  100. 

L'abbé  Dubos  pense  qu'il  s'agit  ici  des  Tongriens  ,  et  il  fait 
une  longue  dissertation  pour  le  prouver,  Hist.  crit.,  liv.  n  ,  ch.  7, 
et  liv.  IV,  ch.  2.  Ses  raisons  ne  nous  paraissent  pas  très  solides  ; 
nous  croyons  que  Grégoire  de  Tours  a  bien  réellement  voulu 
parler  ici  des  Thuringiens  ,  comme  dans  les  chapitres  4  et  7  du 
livre  m  ,  où  il  raconte  les  guerres  des  fils  de  Clovis  avec  le  même 
peuple.  Voyez  la  note  ni  ci-dessus. 

Note  t.  Page   110. 

La  loi  des  Bourguignons  a  reçu ,  du  nom  de  Gondebaud  ,  celui 
de  loi  gombctte ;  quoiqu'il  soit  douteux  que  ,  du  moins  dans  sa 
forme  actuelle ,  ainsi  qu'on  l'a  déjà  fait  remarquer,  ce  code  soit 
l'ouvrage  de  Gondebaud.  Il  est  probable  que  Gondebaud  forma 
un  premier  code  composé  des  lois  portées  par  ses  prédécesseurs  cl 
par  lui-même  ;  mais  il  paraît  certain  que  ce  rode  fut  refondu  par 
son  fils  Sigismond,  et  qu'il  reçut  mémo  plus  tard  plusieurs  addi- 
tions. 

I.  28 


434  ÉCLAIRCISSEMENS 

Note  u.  Page  112. 

D.  Ruinart  suppose  qu'il  s'agit  ici  de  Nestorius  ,  et  que  c'est  ce 
nom  qu'il  faut  lire  au  lieu  de  celui  de  Sabellius.  En  effet ,  les 
hérésies  de  Nestorius  et  d'Eutychès  firent  alors  grand  bruit ,  et 
furent  condamnées  et  anathématisées  ensemble  par  le  cinquième 
concile  d'Orléans  ,  de  l'an  549  ;  mais ,  par  cette  raison  même  ,  il 
est  difficile  d'admettre  qu'un  nom  aussi  connu  que  celui  de  Nesto- 
rius ait  été  remplacé  par  celui  de  Sabellius,  qui  était  également 
très  célèbre,  et  qu'on  ne  pouvait  guère  confondre  avec  un  autre. 

Note  v.  Page  114. 

L'abbé  Dubos  rapporte  cette  entrevue  à  l'an  504  ;  d'autres 
pensent  qu'elle  eut  lieu  l'an  506  ,  peu  de  temps  avant  la  guerre 
entre  les  Francs  et  les  Visigoths.  D.  Bouquet,  d'accord  en  cela 
avec  les  auteurs  de  l'histoire  du  Languedoc ,  la  place  à  l'an  498 
ou  à  l'année  suivante ,  «  parce  que ,  dit-il ,  les  lettres  qu'écrivit 
Théodéric ,  roi  d'Italie  ,  pour  réconcilier  Clovis  avec  Alaric  ,  sont 
antérieures  à  l'an  500.  » 

Note  x^  Page  126. 

Il  n'est  pas  tout-à-fait  exact  de  dire  que  Clovis  mourut  cinq  ans 
après  la  bataille  de  Vouglé ,  car  cette  bataille  eut  lieu  en  507,  et 
Clovis  mourut  en  511  ;  ni  que  sa  mort  se  rapporte  à  la  onzième 
année  de  l'épiscopat  de  Licinius ,  car  le  prédécesseur  de  Licinius, 
l'évéque  Vérus  ,  vivait  encore  l'an  506  ,  puisqu'il  assista  par  re- 
présentant au  concile  d'Agde ,  tenu  cette  même  année. 


LIVRE  TROISIÈME. 

Note  a.  Page  141. 

C'est  l'an  534 ,  selon  la  chronique  de  Marius ,  évéque  d'Avan- 
ches  ,  que  les  rois  francs  s'emparèrent  de  la  Bourgogne  ;  cependant 
les  évéques  d'Autun ,  de  Vienne  et  d'Augst ,  assistèrent  au  second 
concile  d'Orléans,  tenu  l'an  533.   Ces  villes,  qui  appa nouaient 


ET  OBSERVATIONS.  436 

au  royaume  de  Bourgogne,  avaient  été  prises,  l'an  532 ,  par  Chil- 
debert  et  Clotaire.  Had.  de  Valois,  Rer.  francic,  liv.  vu,  lom.  i , 
p.  378  et  suiv.  ,  pense  même  que  tout  le  pays  passa  cette  année 
sous  la  domination  des  rois  Childebert  et  Clotaire  ,  qui  le  parta- 
gèrent entre  eux  sans  en  rien  donner  à  Ttéoderic  ,  parce  qu'il 
avait  refusé  de  faire  cause  commune  avec  eux.  L'abbé  Dubos,  Hist. 
erit.,  liv.  v,  ch.  8,  prétend  que  la  guerre,  commencée  en  532,  ne 
fut  terminée  qu'en  534  ;  que  Tliéoderic ,  après  avoir  refusé  d'y 
prendre  part,  se  réunit  à  Childebert  l'an  533,  et  qu'après  la  mort 
de  Tliéoderic  ,  son  fils  Théodebert  entra  en  partage  avec  ses  oncles  : 
ce  qui  est  conforme  à  la  chronique  de  Marins  ,  dans  laquelle  on  lit 
que  ,  sous  le  consulat  de  Justinien  IV  et  de  Paulin,  c'est-à-dire 
l'an  534  ,  «  les  rois  francs  Childebert ,  Clotaire  et  Théodebert  , 
«  s'emparent  de  la  Bourgogne  ,  et ,  après  avoir  mis  en  fuite  le  roi 
«  GodomaB^  ils  partagent  son  royaume.  » 

Note  b,  Page  163. 

Il  est  nécessaire  de  rectifier  ici  les  faits  rapportés  par  Grégoire 
de  Tours. 

Théoderic  survécut  à  Anaflède ,  sœur  de  Clovis ,  et  laissa  en 
mourant  une  fille  nommée  Amalasonte  ,  qui  épousa  Eutharic. 
Amalasonte ,  après  la  mort  de  son  mari ,  prit  la  tutelle  de  son 
jeune  fils  Athalaric  ,  et  gouverna  sagement  le  royaume  des  Ostro- 
goths.  Ce  fils  étant  mort ,  l'an  534 ,  elle  épousa  ,  pour  l'associer  à 
l'Empire ,  son  cousin  Théodat ,  qui ,  afin  de  régner  seul ,  l'exila 
dans  une  île  du  lac  de  Bolscne  ,  où  il  la  fit  étrangler  au  bout  de 
quelque  temps.  Ce  fut  sous  le  prétexte  de  venger  cette  mort  que 
Justinien  déclara  la  guerre  aux  Ostrogoths. 

Ce  n'est  pas  dans  les  circonstances  décrites  par  Grégoire  de 
Tours  ,  ce  n'est  pas  même  par  Théodat  que  l'argent  dont  il  est 
question  ici,  a  été  donné  aux  rois  des  Francs.  Théodat,  pour  sé- 
parer les  Francs  du  parti  de  Justinien  et  pour  les  attacher  à  sa 
cause  ,  s'était  engagé  à  leur  payer  une  forte  somme  et  à  leur 
abandonner  la  Provence ,  que  possédaient  les  Ostrogoths  ;  mais 
ce  projet  n'avait  pas  encore  été  exécuté  lorsque  ce  roi  perdit  le 
trône  ;  et  ce  fut  Vitigcs ,  son  successeur,  qui  livra  aux  Francs  l'ar- 
gent promis  ainsi  que  la  Provence.  Il  soumit  aussi  à  leur  doini- 


436  ECLAIRCISSEMENS 

nation  les  Alenians  qui  étaient  venus  s'établir  en  Italie  après  la 

bataille  de  Tolbiac. 

Note  c,  Page  164. 

«  Les  événemens  sont  défigurés  et  les  temps  confondus  dans  ce 
récit.  1°.  Ce  ne  fut  point  sous  le  règne  de  Théodebert,  mais  en 
553  ,  sous  celui  de  son  fils  Théodebald  ,  qu'eut  lieu  la  grande  ex- 
pédition dont  parle  ici  Grégoire  de  Tours  ,  et  dans  laquelle  les 
bandes  barbares ,  sous  la  conduite  de  Buccelin  et  de  Leutliaris , 
pénétrèrent  jusqu'à  l'extrémité  de  l'Italie.  En  540  ,  Théodebert , 
se  retirant  d'Italie ,  y  avait ,  à  la  vérité ,  laissé  ou  renvoyé  le  duc 
Buccelin  à  la  tète  d'une  armée  ;  mais  rien  n'indique  qu'à  cette 
époque  les  Francs  aient  dépassé  les  contrées  septentrionales. 
2°.  Tout  porte  à  croire  que  Buccelin,  duc  des  Alemans  placés 
sous  la  domination  des  rois  d'Austrasîe ,  entreprit  la  sedj^de  expé- 
dition ,  non  par  ordre  du  roi  Théodebald  ,  mais  pour  son  propre 
compte ,  et  à  la  tète  d'une  multitude  de  Barbares  qu'attirait  en 
Italie  le  désir  du  pillage ,  comme  aux  premiers  temps  de  leurs  in- 
vasions dans  l'Empire.  3".  Enfin,  Buccelin  ne  fut  point  toujours 
vainqueur  des  Grecs  et  de  Narsès  ;  il  succomba  ,  au  contraire , 
près  de  Capoue  ,  comme  le  dit  ailleurs  Grégoire  lui-même  ,  et  fut 
tué  dans  la  bataille.  Plusieurs  autres  chefs  francs  ,  alemans ,  thu- 
ringiens ,  se  ruèrent ,  vers  la  même  époque ,  sur  l'Italie  ,  appelés 
tantôt  par  les  Ostrogoths ,  tantôt  par  les  Grecs ,  et  ne  servant  ni 
l'un  ni  l'autre  parti.  La  gaierre  et  le  climat  dévorèrent  ces  bandes 
errantes ,  qui  ne  formèrent  aucun  établissement  ;  et  s'il  fallait  en 
croire  Agathias ,  il  ne  resta  de  celle  de  Buccelin  que  cinq  hommes 
qui  parvinrent  seuls  à  retourner  dans  leur  pays.  »  M.  Gidzot. 


ET  OBSERVATIONS.  437 

LIVRE  QUATRIEME. 

Note  a,  Page  173. 

«  SI  Clotaire  veut  imposer  une  taxe  sur  les  biens  de  l'église , 
«  l'évéque  Injuriosus  ne  s'y  oppose  point  comme  à  une  entreprise 
«  contraire  à  la  liberté  de  la  nation ,  mais  comme  à  un  sacrilège. 
«  Il  oublie  qu'il  est  citoyen ,  pour  ne  parler  qu'en  évoque ,  qui 
«  croit  que  les  possessions  de  l'église  sont  le  patrimoine  de  Dieu 
«  et  des  pauvres.  » 

(Mably,  Observât,  sur  l'Hist.  de  France ,  liv.  i,  cliap.  3.) 
Qu'importe?  mais  nous  voyous,  dans  cette  circonstance  du  moins, 
qu'une  taxe  ne  peut  être  imposée  par  le  roi  que  du  consentement 
des  parties  intéressées.  Il  faut  que  les  évéques  souscrivent  l'ordon- 
nance pour  qu'elle  ait,  eu  quelque  sorte,  force  de  loi. 

Note  b,  Page   174. 

Sur  le  rang  et  les  fonctions  des  domestiques  à  la  cour  de  nos 
anciens  rois  ,  on  ne  peut  établir  rien  de  certain.  On  les  voit  régir 
des  domaines  royaux  comme  intendans  (Marculf,  liv.  ii,  form.  52)^ 
régler  d'avance  les  dépenses  nécessaires  lorsque  le  roi  devait  se 
rendre  à  un  plaid  solennel  (Grég.  de  Tours,  liv.  x,  chap.  28).  Ils 
sont  nommés  à  la  suite  des  grands  du  royaume,  optimates ,  avec 
les  comtes,  les  majordomes,  les  gi-affions ,  les  chanceliers ,  etc. , 
dans  la  préface  de  la  loi  des  Bourguignons ,  et  au  titre  88  de  la  loi 
des  Ripuaires.  Dans  ce  dernier  passage  ils  sont  nommés  avant  les 
comtes.  Ils  assistaient  aussi  le  roi  dans  ses  jugemens  ;  ce  que  prou- 
vent Marculfe  (liv.  i ,  formule  25),  un  plaid  de  Clovis  III  (Ma- 
billon,  de  Re  diplomat.,  liv.  vi  ,  n°  19)  ,  et  un  autre  de  Childe- 
bert  III  [ibid.,  n°  24).  Dans  ces  deux  pièces,  les  domestiques 
sont  également  nommés  à  la  suite  des  optimates,  et  après  les 
comtes.  Enfin,  il  paraît  qu'ils  administraient  quelquefois  des  pro- 
vinces :  Ut  sex  proç>inciœ  quas tolidem  agunt  domestici ,  sub 

illius  administratione  solius  regerentur  (  Auctor  vitœ  S.  Arnulfi 
episc.  Metensis,  cap.  4).  On  peut  donc  dire  que  leurs  attributions 
Variaient  selon  le  bon  plaisir  du  prince ,  à  la  jjcrsonnc  duquel  il> 
étaient  attaclics  pour  le  servir  en  toute  occasion. 


438  ÉCLAIRCISSEMENS 

A  la  cour  des  empereurs  d'Orient ,  ils  étaient  soumis  à  un  chef 
appelé  comte  des  domestiques  :  mais  il  ne  parait  pas  que  ce  titre 
ait  été  en  usage  auprès  de  nos  rois. 

Voyez  le  Glossaire  de  Ducange ,  au  mot  Domesticus. 

Note  c,  Page   175. 

La  phrase  latine  doit  être  regardée  comme  une  parenthèse ,  car 
elle  n'explique  en  rien  la  précédente.  Elle  semble  même  la  con- 
tredire. L'auteur  vient  d'appeler  regnum  le  domaine  de  ces 
petits  souverains  ;  et  cependant ,  ajoute-t-il ,  ils  ne  sont  pas  qua- 
lifiés de  rois.  En  effet ,  qu'ils  fussent  comtes  ou  rois  aux  yeux  du 
roi  des  Francs ,  ils  n'en  étaient  pas  moins  maîtres  absolus  chez 
eux ,  malgré  les  paroles  de  soumission  que  la  force  leur  arrachait 
quelquefois  (Voyez  liv.  ix,  chap.  18).  Rappelons-nous  aussi  que 
les  comtes  de  Bretagne  ne  possédaient  alors  que  la  partie  la  plus 
occidentale  de  cette  contrée.  Rennes  et  Nantes  ne  leur  apparte- 
naient pas  ;  car  on  les  voit  attaquer  souvent  ces  deux  villes  (  Hv.  v, 
chap.  30  ,  32).  Vannes  même  semble  avoir  été  pour  eux  une  acqui- 
sition récente  en  578  (liv.  v,  chap.  27).  Ainsi  les  souscriptions 
des  évéques  de  ces  trois  villes  au  concile  d'Orléans,  en  511,  ne 
prouvent  rien  en  faveur  de  la  domination  que  Clovis  pouvait  exercer 
sur  les  Bretons.  La  soumission  ,  du  reste  purement  nominale,  de 
la  pointe  occidentale  de  la  Gaule,  Cornu  Gallice  (Frodoard,  Chron. , 
an  919),  ou  de  la  basse  Bretagne,  datait  probablement  de  la 
réunion  des  Armoriques  avec  les  Francs,  vers  497. 

Note  d,  Page  176. 

Civitatem  y^ivernam  est  la  ville  même ,  nommée  aussi  Arverna 
urôs  {ui ,  12);  Arvernis  urbs  (n,  13);  Anfernum  (  iv,  11  ^  et 
passim).  Le  nom  de  Clarus  mons,  ou  Clermont,  se  trouve  pour  la 
première  fois  dans  le  4^  continuateur  de  Frédégaire  ,  chap.  125 
(  Voyez  de  Valois  ,  Notice  des  Gaules,  au  mot  Ari^erni).  Encore 
s'agit-il  d'un  fort,  castrum,  distinct  de  la  ville,  Arverna  urbs,  à  la- 
quelle peu  à  peu  il  communiqua  son  nom.  Cependant,  pour  abréger, 
nous  avons  employé  en  français  le  nom  de  Clermont,  tout  en  re- 
connaissant l'anachronisme. 


ET  OBSERVATIONS.  439 

Note  d.  Supplément  à  la  note  1,   Page  177. 

Ordinatores  semble  signifier  les  administrateurs  ,  ceux  qui  sont 
chargés  des  intérêts  temporels  de  l'évéché  ,  qui  veillent  à  ses  reve- 
nus, qui  en  règlent  l'emploi ,  etc.  ;  Ministri,  ceux  qui  secondent  l'é- 
véque  dans  ses  fonctions  spirituelles  ;  les  archiprêtres  et  les  archi- 
diacres (Ducange,  Gloss.).  Il  aurait  mieux  valu  peut-être  traduire 
ce  dernier  mot  par  Vicaires, 

Note  c,  Page  178. 

D'après  la  lecture  attentive  des  chap.  6  ,  7,  15,  26  ,  du  liv.  iv, 
5,  47,  du  liv.  V,  et  d'autres  de  notre  auteur,  on  peut  établir  les 
points  suivaus ,  relativement  au  mode  en  usage  à  cette  époque  pour 
l'élection  d'un  évéque.  Pour  qu'elle  fût  régulière  ou  canonique, 
quatre  choses  devaient  y  concourir  : 

1°.  Le  choix  du  clergé  et  du  peuple  de  la  ville  épiscopale  : 
consensio,  eleclio.  Rédigé  par  écrit  en  forme  d'acte ,  il  s'appelait 
consensus ,  et  était  envoyé  au  roi  (  Voy.  note  m). 

2".  La  confirmation  de  ce  choix  par  le  roi  :  conjirmatio,  ordi- 
natio.  Cette  dernière  expression  semble  se  prendre,  dans  Grégoire 
de  Tours ,  quelquefois  pour  la  simple  désignation  faite  par  le  loi 
d'un  sujet  qu'il  voulait  porter  à  l'épiscopat  ;  plus  souvent  pour  la 
confirmation  de  l'élection  d'un  évêque  ,  ou  sa  nomination  définitive 
par  le  roi  ;  quelquefois  enfin  pour  son  sacre  et  son  installation. 

3°.  Le  sacre  du  nouvel  évêque ,  par  un  ou  plusieurs  autres  évê- 
ques  :  consecTalio,  benedictio  episcopalis,  ordinatio. 

4".  L'installation  dans  sa  cathédrale,  faite  également  par  d'autres 
évêques. 

C'était  donc  le  choix  du  clergé  qui  indiquait  l'évêque  à  élire  ; 
et  souvent  le  roi  confirmait  ce  choix.  L'évêque  nommé  était  sacré 
ordinairement  par  les  évêques  de  la  province  métropolitaine;  quel- 
quefois néanmoins ,  comme  au  chap.  7,  par  des  évêques  de  toute 
autre  province  ,  choisis  exprès  par  le  roi.  Mais  le  roi  n'approuvait 
pas  toujours  le  choix  du  clergé ,  et  nommait  à  la  place  tel  ou  tel 
autre  qui  était  plus  en  faveur  à  la  cour,  ou  plus  fortement  recom- 
maad«.  L'art.  1"  de  l'édit  de  Clotaire  II  en  615,  résume  tout  ce 


440  ÉCLAIRCISSEMENS 

que  nous  venons  de  dire  :  <i  Ut  episcopo  decedente  ,  in  loco  ipsius, 
«  qui  a  metropolitano  ordinari  débet  cum  provincialîbus ,  a  clero 
H  et  populo  eligatur  ;  et  si  persdna  condîgna  fuerit ,  per  ordinatio- 
'<  nem  principis  ordinetur;  vel  certe  si  de  palatio  eligitur,  per  rne- 
«   ritum  personse  et  doctrînae  ordinetur.  » 

On  voit,  par  le  chap.  6  ,  que  les  évêques  auraient  voulu  dimi- 
nuer l'influence  du  roi  dans  les  élections ,  et  sacrer  celui  qui  avait 
été  désigné  d'abord  parle  choix  du  clergé;  comptant  bien  obtenir 
ensuite  l'agrément  du  roi,  dont  l'approbation  ne  serait  devenue 
ainsi  qu'une  vaine  formalité  :  comme  il  arriva  plus  tard  pour  les 
papes,  qui  firent  notifier  leur  élection  à  l'empereur,  sans  douter  le 
moins  du  monde  de  leur  consentement. 

Il  résulte  de  tout  ceci  ,  que  le  choix  des  évéques  ,  sous  la  pre- 
mière race,  appartenait  définitivement  au  roi;  et  que  le  pape  de 
Rome  n'y  était  absolument  pour  rien. 

Note/,  Page  179. 

Athanagild  ,  révolté  contre  Aguila  ,  avait  appelé  à  son  aide  l'em- 
pereur Justinien ,  qui  envoya  en  Espagne  le  patrice  Libère.  Par 
son  secours,  Athanagild  resta  vainqueiu'.  Aguila  fut  tué  ;  et  Atha- 
nagild lui  succéda  ,  l'an  554.  Mais  ensuite,  voulant  se  débarrasser 
de  ses  auxiliaires,  il  leur  fit  une  guerre  dont  il  ne  vit  pas  la  fin  ;  car 
ils  ne  furent  entièrement  expulsés  de  l'Espagne  que  sous  le  règne 
de  Suintila  ,  vers  623  (Voyez  la  Chron.  des  Gots,  par  Isidore  de 
Séville,  ère  592,  selon  l'édit.  de  Labbe).  En  retranchant  38  ans 
(car  on  sait  que  l'ère  d'Espagne  précède  de  38  ans  l'ère  vulgaire),  ou 
a  l'an  554  pour  l'avènement  d'Athanagild.  L'édition  de  cette  chro- 
nique donnée  à  la  suite  de  Jornandès  (Lugduni  Bata^'or.,  1597),  et 
qui  s'arrête  à  l'avènement  de  Sisebut  en  612  ,  dit,  en  parlant  de 
cette  armée  romaine  :  «  Adversus  quos  hue  usque  confligitur.  Nam 
«  frequentibus  antca  prseliis  cœsi,  nunc  vero  multis  casibus  fracti  ac 
«  diminuti  sunt.  »  Ils  existaient  donc  encore,  quoique  bien  affaiblis, 
en  612.  L'édition  donnée  par  Labbe  (Noi^.  bibl.  Mss.,  t.  i,  p.  61  ) 
va  jusqu'à  la  5"  année  du  règne  de  Suintila,  c'est-à-dire  626,  et  s'ex- 
prime ainsi  sur  cette  mcme  armée  romaine,  toujours  à  la  même  ère, 
592  (554),  époque  de  l'avènement  d'Athanagild  :  «Adversus  quos  hue 


ET  OBSERVATIONS.  441 

«.  usque  confliclum  est.  Frequcntibus  antea  prœliis  cœsl  ;  nunc  vero 
«  mullis  casibus  fracti  ac  finili.  »  Ce  qui  suppose  leur  expulsion 
définitive  encore  récente  en  626.  L'auteur  dît  en  outre  de  Suintila, 
ère  659  (an.  621)  :  «  Romana  castra  perdomuit —  Urbes  residuas, 
«  quas  in  Hispaniis  Romana  manus  agebat ,  prœlio  conserto  obli- 
«  nuit.  »  L'expulsion  des  Romains  doit  donc  être  placée  entre  621 
et  626.  L'Jrt  de  vérifier  les  dates  la  met  en  623.  L'auteur  de  la 
chronique  a-t-il  donné  ,  à  quatorze  ans  de  distance ,  deux  éditions 
du  même  ouvrage ,  ou  un  continuateur  a-t-il  changé  son  texte  ? 

Note  g,  Page  181. 

Rebellantibus  signifie ,  ou  que  les  Saxons  recommençaient  la 
guerre  comme  des  ennemis  peuvent  le  faire ,  ou  qu'ils  se  révoltaient 
comme  des  alliés  ou  des  sujets  mécontens.  On  ne  peut  douter  qu'il 
ne  faille  adopter  le  second  sens  ,  puisqu'on  voit  plus  bas,  chap.  14, 
qu'ils  payaient  un  tribut  annuel  aux  rois  d'Ostrasie.  Mais  depuis 
quand  étaient-ils  devenus  leurs  tributaires?  C'est  peut-être  après 
la  défaite  des  Thuringiens  par  Clovis ,  ou  au  plus  tard  après  la 
destruction  du  royaume  de  Thuringe  par  Thierri ,  en  529. 

Quant  à  l'époque  de  cette  révolte  des  Saxons ,  elle  est  marquée 
.1  l'an  555  de  la  chronique  de  Marins  ;  mais  cette  même  chronique 
place  le  ravage  de  la  Thuringe  par  Clotaire,  en  punition  des  se- 
cours donnés  aux  Saxons ,  après  la  seconde  expédition  de,  Clotaire 
contre  eux ,  en  556.  C'est  une  erreur  vraisemblablement ,  puisque 
Clotaire' fut  vaincu  dans  cette  seconde  guerre  (voy.  chap.  14)  ,  et 
qu'il  n'aurait  guère  pu  se  venger  des  auxiliaires  de  ses  vain- 
queurs. 

Note  h,  Page  183. 

Sollius  rioster  est  Caius  SoUius  ApoUinaris  Sidonius ,  évêque 
de  Clermont,  mort  en  484,  par  conséquent  compatriote  de  Gré- 
goire de  Tours,  également  natif  d'Auvergne. 

La  citation  est  du  liv.  i ,  épîlre  2 ,  adressée  à  Ecdicius.  L'au- 
teur dit,  en  parlant  de  Séronat  :  «  Totum  quod  concupiscit  quasi 
"  comparât  ;  ncc  dat  pretia  contemnens ,  nec  accipit  instrumenta 
"  desperans.  » 


442  ÉCLAIRCISSEMENS 

Les  deux  phrases  de  Sidonius  el  de  Grégoire  sont  également  obs- 
cures. Pour  ne  nous  occuper  que  de  la  seconde  ,  la  difEculté  réside 
à  la  fois  dans  le  mot  instrumenta ,  et  dans  la  tournure  du  second 
membre ,  qui  semble  correspondant  au  premier.  Point  de  doute  sur 
le  sens  du  premier  membre  :  «  Nec  dabat  prelia  contemnens.  «  Il 
ne  payait  pas  le  prix  [de  ses  acquisitions]  ,  par  mépris  [pour  les 
vendeurs].  En  conservant  la  même  tournure  pour  le  second,  on 
aura  :  «  et  ne  recevait  pas  instrumenta ,  par  désespoir.  »  Mais  de 
quoi  désespérait-il  ?  et  que  faut-il  entendre  par  instrumenta  ?  La 
traduction  de  M.  Guizot  s'exprime  ainsi  :  «  Il  n'en  donnait  pas  le 
prix  par  dédain  ,  et  n'en  prenait  point  d'acte  de  vente,  faute  d'es- 
poir qu'on  pût  le  regarder  comme  légitime.  »  Mais  l'expression 
dare  instrumenta  se  retrouve  quelques  lignes  plus  bas ,  et  signifie 
évidemment  que  Cautin  veut  se  faire  livrer  les  titres  de  propriété. 
«  Rogabat  ut  ei  chartas...  daret.  NIsi  instrumenta  daret ,...  necari 
jussit.  Sed  ille...  nunquam  prœbuit  instrumenta...  Nisi  bas  cbar- 
tulas  proderet.  »  Plus  baut  il  est  dit  :  «  Per  chartas...  Chrotechîl- 
dis...  proprietatem  aliquam  possidebat.»  Ici  chartœ  et  instrumenta 
sont  à  peu  près  synonymes.  Quoique  notre  auteur  écrive  mal ,  ce- 
pendant aurait-il ,  presque  dans  la  même  phrase ,  donné  au  même 
mot  deux  significations  aussi  différentes  :  Acte  de  la  vente  qu'on 
lui  fait  :  titre  de  propriété  appartenant  à  un  autre?  ou,  si  l'on  veut 
conserver  le  même  sens  à  ce  mot  dans  les  deux  passages,  se  serait-il 
contredit  au  point  de  dire  de  cet  homme ,  d'abord  qu'il  ne  prenait 
pas  d'acte  de  vente ,  par  désespoir  ;  ensuite ,  qu'il  fait  tout  pour 
obtenir  d'Anastase  un  acte  de  vente  ,  ou  de  donation  forcée  ,  qui 
puisse  garantir  son  droit  de  propriété  ? 

Cette  considération  m'a  fait  adopter  le  sens  qu'on  lit  dans  notre 
traduction  ;  comme  si  l'auteur  avait  voulu  dire  :  «  et,  non  accipiens 
instrumenta  ,  desperabat.  » 

Je  laisse  à  de  plus  habiles  le  soin  de  fixer  irrévocablement  le  sens 
de  cette  phrase,  qui  pèche  ou  par  l'expression  ou  par  la  tournure. 

Note  i,  Page  188. 

Regnum  Francice  suscepisset.  Cette  France  est  évidemment  le 
royaume  de  Théodebald  ,  l'Ostrasie  ,  et  non  pas  l'ensemble  de  tous 
les  royaumes   des   Francs  ,  puisque  Childebert   n'est  pas  encore 


Eï  OBSERVATIONS.  443 

mort  ;  puisque  c'est  en  parcourant  ce  royaume  de  nouvelle  acqui- 
sition que  Clotaire  apprend  la  révolte  des  Saxons.  Pourquoi  l'Os- 
trasie ,  en  particulier,  est-elle  appelée  France?  Les  royaumes  de 
Clotaire  et  de  Childebert  qui ,  réunis  ,  furent  depuis  la  Neustrie  , 
ne  s'appelèrent-ils  pas  aussi  de  ce  nom  ?  Il  est  probable  que  l'Os- 
trasie  prit  d'abord  et  conserva  plus  long-temps  cette  dénomination 
spéciale,  parce  qu'elle  renfermait  la  France  primitive,  Germa- 
nique, au-delà  du  Rhin,  où  avaient  régné  Priam  ,  Faramond , 
Clodion  (Prosper,  Aquit.  Chr.)  ;  puis  les  pays  en  deçà  du  Rhin  oii 
s'établirent  d'abord  les  Francs  lors  de  leurs  premières  invasions. 

On  voit  dans  l'histoire  le  nom  de  France  s'avancer,  pour  ainsi 
dire ,  et  s'étendre  de  l'est  à  l'oiiest ,  puis  du  nord  au  sud ,  à  mesure 
que  les  établissemens  des  Francs  deviennent  plus  puissans  et  plus 
durables.  Mais  on  sait  que  la  Loire  fut  long-temps  la  limite  où 
s'arrêta  cette  dénomination.  Le  reste  était  la  Gaule  (Voyez  la 
note  16  de  l'Introduction  de  notre  édition  d'Abbon  ,  p.  269,  270). 
On  y  trouve  onze  acceptions  différentes  du  mot  France;  mais  ce 
nom  ,  appliqué  à  l'Ostrasie  seule  ,  n'y  est  pas.  Il  faudrait  l'ajouter 
après  le  n°  1 . 

Note  /,  Page   189. 

C'est  bien  là  le  caractère  d'un  peuple  barbare  tel  qu'étaient  les 
premiers  Francs.  Ils  sont  soumis  à  leurs  rois,  quand  ceux-ci  les 
mènent  au  combat  ou  au  pillage  ;  pour  peu  que  les  rois  semblent 
mollir,  les  sujets  se  croient  en  droit  de  leur  faire  la  loi.  Les  Ostra- 
siens  particulièrement,  comme  plus  barbares,  plus  rapprochés  de 
leur  indépendance  primitive ,  ayant  eu  moins  de  contact  avec  la 
servilité  romaine,  étaient  moins  disposés  à  obéir  à  leurs  rois.  Té- 
moin l'expédition  de  Leutharis  et  Beucelin  ,  entreprise  malgré  la 
volonté  du  roi  Théodebald,  en  554  (voyez  Agathias)  ;  voyez  aussi 
notre  auteur,  liv.  vi  ,  chap.  4  et  31 . 

Note  m.  Page  190. 

Nous  avons  vu  ,  note  e ,  sur  l'élection  des  évéques ,  (jue  lorsque 
le  peuple  et  le  clergé  d'une  ville  s'étaient  accordés  sur  le  choix 
d'un  évêque  ,  on  rédigeait  par  écrit  un  acte  de  cet  accord  ,  appelé 
consensus ,   puis  on  le  faisait  passer  sous  les  yeux  du  roi ,  en  le 


444  ÉCLÂIRCISSEMENS 

priant  de  conlirmci'  te  choix  (  Voyez  la  formule  de  cette  demande, 
Marculf,  liv.  i,  n°  7).  Le  roi  envoyait  l'ordre  de  sacrer  et  d'in- 
staller, soit  celui  qu'on  lui  avait  demande  ,  soit  tout  autre  ,  par  un 
diplôme  a^p^pelé prœceptui7i  ou  prœceptio  (Ce  dernier  mot  se  trouve 
à  la  tin  de  ce  chapitre.  Voyez-en  la  formule,  Marculf,  i,  5).  11  fai- 
sait encore  savoir  sa  volonté  par  une  autre  forme  de  diplôme  ap- 
pelée indiculiis,  dont  on  peut  voir  la  foi'mule  dans  Marculf,  liv.  i, 
n"  6.  La  difFcrence  entre  le  prœcepluin  et  Vindiculus  consistait , 
selon  Bignon ,  en  ce  que  le  premier  était  signé  de  la  main  du  roi, 
peut-être  scellé  de  son  anneau  ,  et  par  conséquent  avait  une  bien 
plus  grande  autorité.  Le  second  n'était  en  quelque  sorte  qu'une 
lettre  d'avis  non  scellée.  (Tiré  de  la  note  de  Ruinart  sur  ce  passage.) 

Note  n,  Page  194. 

Divitiam  Cwitatem.  Plusieurs  manuscrits  et  la  plupart  des  édi- 
tions portent  Mustiam ,  Niustiam ,  Nutiam. 

Dwitia ,  peut-être  Deutz  ,  vis-à-vis  Cologne  ,  au-delà  du  Rhin. 

Nutia  serait  plutôt  Nuitz ,  un  peu  plus  bas  ,  mais  en  deçà. 

L'auteur  remarque  ,  comme  une  preuve  de  l'auimosité  des 
Saxons  ,  qu'ils  pénètrent  jusqu'à  Divitia.  Cette  ville,  quelle  qu'elle 
soit ,  était  probablement  au-delà  du  Rhin  ;  car  il  n'omettrait  pas 
de  dire  qu'ils  passent  ce  grand  fleuve ,  barrière  naturelle  des 
peuples  de  la  Germanie.  D'ailleurs  ,  si  les  ravages  s'étaient  étendus 
en  deçà  ,  Clolaire  aurait  eu  des  preuves  certaines  de  leur  rébel- 
lion ,  tandis  qu'on  lui  en  parle  comme  d'un  bruit  qui  se  répand  ,  et 
non  comme  d'un  fait  qui  s'est  passé  sous  les  yeux  des  Ostrasiens  de 
Gaule.  Nous  avons  donc  dû  préférer  la  leçon  Dwitia;  et  sans  pré- 
tendre garantir  l'identité  de  ce  lieu  et  du  village  de  Deutz ,  nous 
n'hésitons  pas  à  le  croire  sur  la  rive  droite  du  Rhin.  Le  mot  Francia, 
dans  ce  passage,  doit  s'entendre  seulement  de  la  France  Germa- 
nique ,  partie  de  la  France  Ostrasienne. 

Note  o,  Page  200. 

On  peut  remarquer  ici  que  le  sort  règle  le  partage  des  royaumes 
entre  les  quatre  frères. 

Ce  n'est  que  par  ce  chapitre  q»ie  nous  savons  quelle  était  la  ca- 
pitale des  quatre  royaumes  des   fils   de   Clovis   (Voyez  liv.  m, 


ET  OBSERVATIONS.  445 

chap.  1).  Mais  ,  comme  nous  l'avons  fait  observer  en  cet  cndroil , 
il  serait  bien  difficile  de  déterminer  au  juste  l'étendue  de  chacun 
de  ces  royaumes.  Ce  pourrait  être  l'objet  d'une  dissertation  parti- 
culière ,  dont  voici  les  points  à  établir  : 

1".  Possessions  de  Clovis  dans  les  Gaules  ,  au  moment  de  sa 
mort.  Etendue  de  son  empire. 

2".  Étendue  et  domaines  des  royaumes  de  ses  quatre  fils. 

3°.  Quelle  part ,  soit  du  royaume  d'Orléans,  en  524,  soit  de  la 
Bourgogne,  en  534  ,  soit  delà  Provence,  en  540,  chacun  des  trois 
rois  qui  survécurent  à  Clodomir,  ajouta-t-il  à  son  royaume  primitif? 

4°.   Quelle  fut  la  part  des  quatre  fils  de  Clotaire  ï",  en  561  ? 

5°.  Comment  le  royaume  de  Chérebert  fut-il  partagé  entre  ses 
trois  frères  ? 

Voici,  d'une  manière  approximative,  d'après  Le  Cointe  et  Pagi, 
la  division  des  provinces  et  des  cités  de  la  Gaule  entre  les  quatre 
fils  de  Clovis. 

1°.  Thierri,  avec  l'Osfrasie  ,  c'est-à-dire  la  France  Germanique 
et  tous  les  pays  de  la  Gaule  entre  le  Rhin  et  la  Meuse ,  possédait 
Reims  ,  Chûlons-sui-Marne,  Troyes  ;  et  au-delà  de  la  Loire,  Cler- 
mont ,  Rhodez  ,  Cahors ,  Albi,  dans  la  premièi-e  Aquitaine;  et 
Uzès  dans  la  Narbonnaise.  Après  la  mort  de  Clotaire  I*'',  Sigebert 
paraît  avoir  eu  de  plus  Avignon  ,  une  partie  de  Marseille  ,  et  ce 
que  les  Francs  avaient  conservé  de  leurs  conquêtes  en  Italie. 

2°.  Clodomir,  roi  d'Orléans,  possédait  cette  ville,  Tours,  une 
partie  du  Berri  et  la  ville  de  Bourges ,  Nevers ,  Tonnerre,  l'Anjou, 
le  Maine  et  la  Gascogne  ;  Gontran  y  ajouta  tout  l'ancien  royaume 
de  Bourgogne ,  et  une  partie  de  la  Provence.  Mais  quelques  villes 
de  Clodomir  en  furent  distraites.  Tours,  par  exemple,  appartint 
à  Charibcrt. 

3".  Childebert ,  roi  de  Paris  ,  avait  Paris  ,  Meaux  ,  Senlis,  Beau- 
vais  ;  la  seconde  Lyonnaise  ;  Rennes  ,  Nantes  ,  Vannes,  et  quelques 
villes  de  l'Aquitaine.  Charibert  eut  de  plus  Tours  ,  le  Querci  , 
l'Albigeois,  et  une  partie  de  la  Provence. 

4".  Clotaire  eut  Soissons  ,  Laon  ,  Saint-Quentin  ,  Amiens,  tout 
le  pays  entre  la  Somme  ,  la  Meuse  et  l'Océan  ,  et  imc  partie  de 
l'Aquitaine. 

Mais  les  démembremens  du  royaume  de  Clodomir  après  le  prc- 


446  ÉCLAIRCISSEMENS 

mier  partage,  et  du  royaume  de  Charibert  après  le  second ,  jettent 
une  grande  confusion  dans  cette  partie  de  la  géographie  politique 
de  notre  histoire. 

Note  p,  Page  243. 

Comment  Charésigd  et  Sigila  ,  serviteurs  de  Sigebert ,  sont-ils 
frappés  avec  lui ,  au  milieu  de  son  armée  ?  Sont-ce  les  deux  émis- 
saires de  Chilpéric  qui ,  après  avoir  assassiné  le  roi  ,  se  jettent  sur 
ses  principaux  officiers  ?  Mais ,  encore  une  fois ,  comment  cela 
est-il  possible  au  milieu  de  l'armée  de  Sigebert ,  surtout  si ,  comme 
le  dit  Aimoin  ,  ni .  12  ,  les  deux  assassins  furent  aussitôt  mis  en 
pièces  par  les  soldats  du  roi?  Charégisil  et  Sigila  furent-ils  blessés 
en  voulant  défendre  Sigebert ,  ou  en  voulant  venger  sa  mort  sur  la 
personne  des  assassins  ,  qui  alors  les  auraient  frappés  en  se  défen- 
dant eux-mêmes  ?  ou  bien  enhn ,  Chilpéric  avait-il  dans  l'armée  de 
Sigebert  un  parti  qui ,  voyant  ce  roi  mort ,  se  déclara  ensuite  contre 
lui  et  ses  affidés  ?  Cette  supposition  n'est  pas  sans  vraisemblance. 
Sigila  avait  probablement  mérité  la  haine  de  Chilpéric ,  comme 
conseiller  de  Brunehaut ,  à  l'influence  de  laquelle  sur  l'esprit  de 
Sigebert  on  attribuait  l'animosité  de  celui-ci  contre  Chilpéric. 

Note  q,  Page  243. 

(1  De  la  mort  de  Théodebert  l'Ancien  à  celle  de  Sigebert  ,  on 
compte  29  ans.  »  Voyons  si  ce  calcul  est  exact. 

Sigebert  meurt  la  14*  année  de  son  règne.  Clotaire  était  mort 
la  ÔP  année  de  son  règne  ;  par  conséquent ,  50  ans  pleins  après  la 
mort  de  Clovis  ;  en  561.  Théodebert  est  mort  37  ans  après  Clovis, 
en  548  :  de  37  à  50 ,  la  différence  est  13  ;  ce  qui  joint  aux  14  ans 
de  Sigebert,  fait  27  ans  pour  l'espace  écoulé  depuis  la  mort  de 
Théodebert  jusqu'à  celle  de  Sigebert.  Plusieurs  manuscrits  donnent 
28  ans  ,  ce  qui  se  rapproche  de  notre  calcul. 

La  mort  de  Clovis  étant  fixée  à  l'an  511,  les  autres  dates  se  dé- 
terminent d'elles-mêmes  : 

Mort  de  Théodebert ,  37  ans  après  :  548  ;  date  fixée  par  Marius 
dans  sa  chronique  ,  et  adoptée  par  V^rt  de  vérifier  les  dates. 

Mort  de  Clotaire,  13  ans  après  :  561;  adopté  par  les  mêmes. 


ET  OBSERVATIONS.  447 

Mort  de  Sigebert ,  14  ."ns  après  :  575;  date  dont  on  convient 
généralement. 

Note  r.  Page  244. 

Nous  ne  voulons  pas  justifier  les  dates  et  les  époques  données  ici 
par  notre  auteur ,  encore  bien  moins  fonder  dessus  uU  système  de 
chronologie.  Mais  ses  nombres  étant  une  fois  admis ,  nous  préten- 
dons que  les  sommes  ne  sont  pas  aussi  défectueuses  qu'on  l'a  cru. 
Cela  tient  aux  différentes  leçons  des  manuscrits ,  qui  sont  loin  de 
s'accorder  sur  ces  nombres. 

Ceux  qui  sont  donnés  à  la  fin  de  ce  livre ,  tels  que  les  ont  admis 
D.  Ruinart  et  D.  Bouquet,  font  bien  la  somme  de  5774. 

De  la  création  au  déluge 2242  ans. 

Du  déluge  à  la  naissance  d'Abraham .  942 

D'Abraham  à  la  sortie  d'Egypte 462 

De  l'Exode  à  la  construction  du  temple.  .  .  480 

De  là  à  la  captivité 390 

De  la  captivité  à  la  passion  de  J.-C 668 

De  là  à  la  mort  de  saint  Martin 412 

Total 5596 

De  la  mort  de  saint  Martin  à  celle  de  Clovis.      112 

De  là  à  la  mort  de  Théodebert 37 

De  là  à  la  mort  de  Sigebert 29 

Total 5774  ans. 

A  la  fin  du  l*""  livre  ,  qui  s'arrête  à  la  mort  de  saint  Martin ,  on 
devrait  trouver  5596  ans  ;  et  cependant  le  texte  de  Ruinart  donne 
seulement  5546.  Mais  c'est  par  la  faute  des  lecteurs  ou  des  copistes 
de  manuscrits  ,  qui ,  au  lieu  de  lxlvi  ,  pour  exprimer  96  (comme 
à  la  fin  de  ce  4"  livre,  les  années  de  la  construction  du  temple  à  la 
captivité  sont  exprimées  ainsi ,  ccclxl  ,  390),  ont  lu  dmdxlvi.  Le 
manuscrit  de  Corbie  donne  vd  (c'est-à-dire  dmd),  lxlvi,  5596. 

Voyons  maintenant  si  quelques  uns  des  nombres  donnés  par 
Grégoire  de  Tours  sont  fondés  en  raison. 


'  448  ÉCLAIRCISSEMENS 

1°.  Jusqu'au  déluge,  2242.  C'est  le  calcul  selon  le  grec,  adopte 
par  tous  les  anciens  chronologistes. 

2°.  A  la  naissance  d'Abraham  ,  942  ans.  En  y  joignant  75  ans, 
âge  de  sa  vocation  ,  on  a  1017  ans.  C'est  le  calcul  du  samaritain. 

3°.  A  la  sortie  d'Egypte,  462 ans.  11  faut  y  comprendre  les  75  ans 
d'Abraham  avant  sa  vocation.  Reste  donc  387  ans  pour  l'intervalle 
de  la  deuxième  à  la  troisième  époque.  L'hébreu  en  donne  430. 

4".  A  la  fondation  du  temple,  480.  Calcul  d'Ussérius  et  de  la 
Vulgate. 

.5".  A  la  captivité  ,  390.  En  y  joignant  les  70  ans  de  captivité 
qui  entrent  ordinairement  dans  le  nombre  des  années  de  cette 
époque,  on  trouve  460  ans.  UArt  de  vérifier  les  dates  en  ad- 
met 462. 

6°.  A  la  passion  de  J.-C,  668  ans.  En  déduisant  les  70  ans  de 
captivité,  ou  plutôt  76 ,  selon  Grégoire,  reste  592  ;  puis  37  ans  de 
la  vie  de  J.  G.  ,  on  trouvera  555  pour  cette  époque  ,  qui  est  seule- 
ment de  536  ans.  Mais  remarquons  que  le  manuscrit  de  Coibie 
donne  ici  648  ans  ,  ce  qui  nous  donne  en  dernier  résultat  535  ans. 

On  voit  que  ce  système  de  chronologie  pour  les  temps  qui  pré- 
cèdent J.-C.  n'est  pas  moins  raisonnable  que  beaucoup  d'autres. 
Mais  depuis  cette  époque  ses  calculs  sont  dénués  de  toute  base  : 
412  ans  après  la  passion  de  J.-C.  pour  la  mort  de  saint  Martin  ; 
et  1 12  ans  de  plus  pour  arriver  à  celle  de  Clovis,  rejetteraient  cette 
mort  jusqu'en  l'année  557  de  J.-C.  ,  c'est-à-dire  près  d'im  demi- 
siècle  trop  tard. 

Ne  cherchons  donc  point  à  établir  une  chronologie  d'après  les 
données  inexactes  de  notre  auteur.  Nous  nous  contenterons  de 
suivre ,  non  celle  de  Ruinart  adoptée  par  Bouquet ,  mais  celle  de 
y  Art  de  vérifier  les  Datef. 


ê 
ET  OBSERVATIONS.  449 

LIVRE  CINQUIEME. 

NoTK  a,  Page  255. 

Arisitensis  vicies . 

Mandajors  {Mém.  de  l'Acad.  des  Inscriptions ,  tom.  v,  p.  336) 
pense  que  cet  évéché  était  situé  entre  ceux  d'Uzès  et  de  Vabres,  et 
occupait  à  peu  près  la  même  étendue  que  plus  tard  le  diocèse 
d'Alais  ,  détaché  de  celui  de  Nîmes,  en  1692.  Le  diocèse  à'Ari- 
situm,  après  avoir  eu  quelques  évêques ,  avait  été  réuni  à  celui  de 
Nîmes,  au  temps  de  Charlemagne.  Il  est  certain  que  la  ville  d'Ari- 
situm,  si  toutefois  elle  est  la  même  que  Arisidiuvi ,  était  voisine 
d'Uzès,  et  par  conséquent  assez  loin  de  Rhodez.  Un  manuscrit  cité 
par  Meurisse,  Hist.  des  Éveques  de  Metz,  en  1634,  dit  :  «  Haec 
«  civitas  Ucetia  sita  est  in  provincia  Narbonensi  prima  ,  item  prae- 
«<  Aicio  Arisidio  vicina.»  Cependant  Grégoire  dit  que  les  quinze  pa- 
roisses de  cet  évéché  étaient  revendiquées  par  Delmace ,  évéque  de 
Rhodez  ;  ce  qui  les  suppose  contiguës  à  l'évêché  de  Rhodez.  Aussi 
D.  Vaissette  place  Arisitnm  dans  le  Rouergue  même.  Il  cite  (  Hist. 
du  Languedoc ,  tom.  m  ,  p.  157)  une  charte  de  Guillaume,  comte 
de  Rouergue,  de  l'an  1207,  où  sont  énumérés  les  villages  suivans, 
composant  l'Arsaguez  :  «  Buzens  ,  Galhac  ,  Provenquières,  Séverac- 
l'Églisc,  Ligons  ,  Gagnac  ,  Laissac  ,  Monferran  »  (  Aveyron  ,  arr. 
de  Milhau  ,  canton  de  Laissac),  et  il  pense  que  l'Arsaguez  est 
l'ancien  Viens  Arisilcnsis ,  ou  l'Arsat,  du  nom  duquel  ,  peut-être, 
Laissac  nous  retrace  quelques  vestiges.  Ce  pays  a  pu  tirer  son 
nom  de  la  Série,  affluent  de  l'Aveyron  ,  dans  le  voisinage  de  la- 
quelle sont  les  villages  mentionnés  ci-dessus. 

Y  avait-il  donc  un  évcque  pour  si  peu  de  paroisses  ?  Selon  le 
même  D.  Vaissette,  ce  pays  avait  été  repris  sur  les  Goths  par  Clo- 
taire,  en  560.  Comme  c'était  une  conquête  nouvelle  ,  enlevée  à  un 
peuple  arien  ,  on  aura  jugé  à  propos  d'y  établir  im  évêque ,  pour 
ramener  les  habitans  à  la  vraie  doctrine.  Cet  évéché,  après  avoir 
été  régi  par  quelques  évêques,  dont  trois  sont  nommés  par  Valois 
{Notice  des  Gaules,  au  mot  Arisitum) ,  fut  réuni  probablement  à 
1  évéché  de  Rhodez,  comme  l'évêché  de  Selle  détaché  de  celui  de 
I.  29 


450  ÉCLAIRCISSEMENS 

Poitiers,  y  fut  rejoint  peu  après  (iv,  18).  Ainsi,  dans  un  autre 
ordre  de  choses,  La  Rochelle,  récemment  enlevée  aux  protestans , 
avait  formé  presque  à  elle  seule  un  gouvernement  militaire  (l'Au- 
nis),  dont  le  chef  ne  recevait  des  ordres  que  du  roi;  il  en  était  de 
même  de  la  petite  province  de  Roussillon  ,  nouvellement  conquise- 
sur  les  Espagnols  ;  tandis  que  d'autres  gouvernemens ,  comme  la 
Champagne  ,  la  Normandie,  la  Guienne,  etc. ,  occupaient  une  vaste 
étendue  de  territoire . 

Note  b.  Page  275. 

Ces  fontaines  qui  se  remplissaient  miraculeusement ,  étaient  dans 
l'église  d'Osset  en  Espagne  (Voy.  liv.  vi ,  chap.  43).  C'étaient 
des  baptistères  ,  comme  il  y  en  avait  dans  toutes  les  églises,  qui  se 
trouvaient  remplis  d'une  manière  surnaturelle  le  Samedi-Saint , 
seul  jour  où ,  dans  l'origine ,  étaient  baptisés  les  catéchumènes.  Le 
baptême  de  Clovis  un  jour  de  Noël  fut  une  exception,  suivie  depuis 
en  France  et  en  Angleterre.  Il  y  avait  de  ces  baptistères  miracu- 
leux à  Embrun  ,  d'après  le  Martyrologe  d'Adon  ,  cité  par  Le  Cointe 
{Annal,  ecclésiast.  des  Francs,  ann.  497,  \\°  3)  :  «  Baptisterium... 
«  in  sacrosanctis  Paschalis  festi  vigiliis  ,  divina  virtute  ,  singulis 
«  annis  ,  aquis  subitis  inundatur,  et  per  septem  ejusdem  solemni- 
«  tatis  dies  ,  gratia  exubérante  permanet.  » 

De  ce  que  ces  fontaines  s'étaient  remplies  d'elles-mêmes  à  une 
certaine  époque ,  c'était  donc  ,  selon  Grégoire ,  une  grande  preuve 
en  faveur  de  l'opinion  qui  plaçait  la  fête  de  Pâques  à  celte  même 
époque. 

Note  c,  Page  297. 

Selon  Carpentier  {Suppl.  au  Gloss.  deDucange),  les  pauvres 
de  l'église,  appelés  aussi  Mat?'icularii  (Greg.  Tur.  vu,  29),  étaient 
nourris  par  elle  et  attachés  à  son  .service  pour  des  travaux  de  toute 
espèce. 

Juniores,  selon  Ducange  ,  étaient  les  clercs  au-dessous  des  sous- 
diacres,  ceux  qui  avaient  été  admis  aux  ordres  mineurs,  et  qui ,  par 
conséquent ,  étaient  attachés  à  l'église  par  des  fonctions  religieuses. 

M.  Guérard  propose  de  traduire  ainsi  le  passage  en  question  : 


ET  OBSERVATIONS.  451 

«  Chilpéric  fit  exiger  son  ban  (1)  de  tous  les  petits  possesseurs  et 
«  de  tous  les  officiers  subalternes  de  l'église.  » 

Tous  les  pauvres  de  l'église  étaient-ils  possesseurs?  c'est  peu 
probable.  Il  y  avait  donc  ,  en  quelque  sorte ,  plusieurs  classes  de 
pauvres ,  parmi  lesquels  les  plus  distingués  étaient  comme  des  vas- 
saux de  l'église ,  qui  lui  devaient  pour  leur  fief  un  service  quel- 
conque ,  plus  relevé  sans  doute  à  proportion  que  la  condition  du 
pauvre  était  moins  humble. 

Note  d,  Page  317. 

«  La  Loire  fut  plus  grosse  que  l'année  précédente  ,  parce  que  le 
torrent  du  Cher  vint  s'y  réunir.  » 

Quel  sens  donner  à  cette  phrase  ?  Le  Cher  auparavant  ne  se 
jetait-il  pas  dans  la  Loire?  Où  aurait-il  coulé?  Dans  l'Indre?  mais 
l'Indre  se  jette  aussi  dans  la  Loire  ;  l'Indre  ,  accru  par  le  Cher, 
aurait  dû  grossir  la  Loire  de  la  même  quantité  d'eau. 

Le  Cher,  qui  coule  pendant  un  certain  espace  parallèlement  à 
la  Loire  ,  et  à  peu  de  distance ,  se  déborda-t-il  alors  ,  et  se  réunit-il 
temporairement  à  la  Loire,  avant  sa  jonction  avec  ce  fleuve,  par 
exemple ,  à  partir  de  Tours  ? 

Ou  bien  ,  est-ce  alors  que  se  forma  ,  près  de  Tours,  le  premier  des 
canaux ,  ou  bras  de  rivière  ,  par  lesquels  le  Cher  se  joint  à  la  Loire 
avant  de  se  réunir  définitivement  avec  elle  ?  On  conçoit  qu'au  mo- 
ment où  il  versa  dans  la  Loire  une  partie  des  eaux  du  Cher,  il  dut 
accroître  notablement  cette  partie  de  la  Loire,  depuis  Tours  jus- 
qu'à la  jonction  définitive  du  Cher.  Dans  cette  hypothèse  ,  j'adop- 
terais assez  volontiers  la  leçon  ab  amne  superiore ,  donnée  par  un 
manuscrit.  La  Loire  devint  tout  à  coup  bien  plus  forte  au-dessous 
de  Tours  que  dans  la  partie  supérieure  de  son  cours.  Songeons 
toujours  que  c'est  à  Tours  qu'est  placé  notre  historien. 


(1)  Le  ban  des  rois,  pour  défaut  de  service  à  la  guerre  ou  de  compa- 
rution dans  les  assemblées  publiques ,  était ,  sous  les  rois  carolingiens , 
«me  amende  fixe  de  soixante  sous  d'argent.   (  B.  G.  ) 


452  ÉCLAIRCISSEMENT 

Note  e,  Page  325. 

Lettres  inventées  par  Chilpéric. 

On  peut  douter  que  la  véritable  forme  de  ces  caractères  nous  ait 
été  conservée  ,  tant  les  manuscrits  diffèrent  entre  eux.  Celui  de 
Corbie  ,  le  plus  ancien  de  tous  ceux  que  nous  avons  pu  consulter, 
les  représente  telles  que  nous  les  avons  insérées  dans  notre  texte. 
Le  manuscrit  reg.  B,  ainsi  :  o),  j,  Z,  A.  La  plupart  des  éditions, 
ainsi  :  O  *  Z  IT.  Aimoin ,  liv.  m  ,  cbap.  40  >  par  ces  quatre  lettres 
grecques,  plus  différentes  des  autres  :  »,  j;,  6,  (p.  Lesquelles 
adopter  de  préférence?  D.  Rivet  {Hlst.  littéraire  de  la  France, 
tom.  III,  p.  342)  pencberait  plus  volontiers  pour  celles  d'Aimoin. 
El  nous  sommes  assez  de  son  avis  :  en  effet ,  quoique  nous  ne  puis- 
sions non  plus  savoir  au  juste  quels  sons  il  voulait  représenter  par 
ces  lettres ,  on  peut  cependant  conjecturer,  d'après  les  dîfférens 
textes,  que  c'étaient  o  long  ,  //aspiré,  77/,  JV ,  sons  qui  se  trouvent 
à  peu  près  rendus  par  les  caractères  d'Aimoin.  Le  projet  de  Chil- 
péric ,  comme  l'a  fort  bien  remarqué  M.  Augustin  Thierri ,  dans 
sa  6®  Lettre  sur  l'Histoire  de  France  [Revue  des  deux  Mondes, 
l®""  décembre  1836),  n'était  pas  aussi  absurde  que  semble  l'insi- 
nuer notre  historien.  Il  voulait  représenter,  avec  des  caractères  ap- 
prochant de  ceux  des  Romains  ,  des  sons  germaniques ,  qu'on  ne 
pouvait  autrement  exprimer  dans  la  langue  latine. 

Du  reste ,  ces  lettres  eurent  la  même  fortune  que  celles  de 
Claude  (Suét.,  Claud.,  41  ,  et  Tacit.  ,  Ann. ,  xi ,  14),  et  ne  sur- 
vécurent pas  à  leur  inventeur.  En  effet ,  les  peuples  ne  consentent 
jamais  volontiers  à  changer  leur  langue  ou  les  caractères  de  leur 
écriture.  Les  Francs  pouvaient  avoir  besoin  d'exprimer  leurs 
formes  germaniques  en  latin  ;  mais  les  Romains  ne  sentaient  pas 
la  nécessité  d'adopter  ces  mots  et  ces  formes  barbares  ,  ni  par  con- 
séquent ,  des  signes  nouveaux ,  propres  à  les  représenter  plus  com- 
modément. Cette  lutte  entre  les  deux  langues  dans  les  parties  oc- 
cidentales de  la  Gaule ,  se  termina  ,  comme  on  sait  ,  à  l'avantage 
du  latin  ,  qui  finit  par  prédominer  et  par  faire  disparaître  chez  ces 
Francs  de  l'ouest  leur  langage  primitif;  tellement  qu'au  ix*  siècle, 
on  appelait  les  Neuslriens  Francs  Romains,  pour  les  distinguer 
des  Francs  Tudesques  ou  Oslraslens. 


ET  OBSERVATIONS.  453 

LIVRE   SIXIEME. 

Note  a,  Page  344. 

Nous  avons  traduit  legitimam  œtatem ,  par  l'âge  de  la  majo- 
rité. Cet  âge,  sous  la  première  race,  était-il  déterminé?  On  sait 
que  ,  par  une  ordonnance  de  Charles  V  (août  1374)  ,  la  majorité 
de  nos  rois  fut  fixée  à  quatorze  ans  (  Voy.  Ordonn.  royales,  tom.  vi, 
p.  26,  et  tom.  VII,  p.  518).  A  propos  de  cette  ordonnance,  le 
président  Hénault  prétend  que  ,  dans  les  deux  premières  rages  ,  le 
roi  n'était  majeur  qu'à  vingt-deux  ans.  Où  l'a-t-il  vu  ?  Dupuy,  dans 
son  traité  de  la  Majorité  de  nos  Rois  (in-4'',  lôoof),  commence 
par  dire  (p.  2)  qu'il  n'y  a  rien  d'assuré  sur  ce  point  pour  les  deux 
premières  races.  Pour  ces  rois,  en  effet,  la  majorité  devait  com- 
mencer plus  tôt  ou  plus  tard,  selon  que  le  jeune  prince  se  sentait 
plus  ou  moins  capable  de  porter  les  armes ,  et  de  marcher  à  la  tête 
d'un  peuple  remuant  et  belliqueux.  L'expression  legitimam  semble 
indiquer  cependant  un  âge  fixé  par  la  loi  ,  ou  du  moins  par  la  cou- 
tume. 

Note  b,  Page  346. 

Le  Seigneur  a  régné  par  le  bois.  Les  mots  a  ligno  ne  se  trouvent 
pas  dans  la  Vulgate  (Ps.  96)  ;  de  même  que  le  grec  des  Septante 
et  l'hébreu  disent  simplement  :  Le  Seigneur  a  régné.  Cependant 
quelques  personnes  ont  pensé  que  des  rabbins  avaient  retranché 
ces  mots  du  texte  hébreu.  En  effet,  la  plupart  des  anciens  Pères 
citent  ce  passage  comme  Grégoire  de  Tours.  L'hymne  de  la  Passion 
par  Fortunat,  le  rappelle  dans  les  mêmes  termes  : 

Impleta  siint  quee  concinit 
David  fidelis  cannine , 
Dicens  :  In  nationibus 
Regnavît  a  ligno  Deiis. 

Le  Psautier  qui  a  ,  dit-on  ,  appartenu  à  saint  Germain  ,  évêque 
de  Paris,  et  qui  est  conservé  à  la  Bibliothèque  Royale  comme  un 
de  nos  plus  précieux  manuscrits ,  offre  les  mots  a  ligno  d'une  ni;i- 
nièrc  encore  assez  lisible.  (Tiré  de  Ruinart.  ) 


454  ÉCLAIRCISSEMENS 

Note  c.  Page  376. 

Des  naufrages  eurent  lieu  entre  la  cité  et  la  basilique  de  Saint- 
Laurent. 

Selon  Ruinart,  Mabillon  ,  D.  Bouquet,  cette  basilique  n'est 
autre  que  l'église  actuellement  paroissiale  de  Saint-Laurent ,  dont 
il  a  été  question  ,  chap.  9  de  ce  livre.  Ils  se  fondent  sur  un  diplôme 
de  Childebert  m,  donné  par  Mabillon  {Diplomat. ,  vi  ,  n"  28, 
p.  482),  où  il  est  dit  que  le  marché  qui  se  tenait  anciennement 
dans  le  bourg  de  Saint-Denis  avait  été  transporté  près  de  Paris, 
entre  les  basiliques  de  Saint-Laurent  et  de  Saint-Martin.  D.  Tous- 
saints-Duplessis,  auteur  des  Nouvelles  Annales  de  Paris,  pense 
que  cette  église  de  Saint-Laurent  était  au  sud ,  peut-être  sur  l'em- 
placement de  Saint-Séverin.  Mais  pourquoi ,  à  propos  d'un  débor- 
dement de  la  Seine  qui  ne  s'étendrait  que  jusqu'à  Saint-Séverin  , 
ou  environ ,  l'auteur  dirait-il  que  la  Seine  et  la  Marne  produisirent 
une  inondation  extraordinaire  autour  de  Paris  ? 

Quelques  uns  ont  pensé  (Mabillon,  Diplomat.,  p.  309,  liv.  iv, 
n°  110)  qu'un  bras  de  rivière  se  détachait  de  la  Seine,  à  peu  près 
vers  le  fossé  de  la  Bastille  ,  et  tournait  autour  de  la  ville.  Un  cou- 
rant d'eau ,  qui  fut  depuis  le  grand  égout  de  Paris  ,  existait ,  il  est 
vrai ,  au  nord  de  Paris.  Mais  était-ce ,  comme  le  prétend  Dulaure 
{Hist.  de  Paris,  tom.  i,  p.  29)  ,  un  ruisseau  venu  de  Ménilmon- 
tant,  ou  bien  un  bras  de  la  Seine?  Dans  celte  dernière  hypothèse, 
comme  il  s'échappait  de  la  rive  droite ,  à  un  endroit  où  les  eaux 
de  la  Marne  se  distinguent  encore  de  celles  de  la  Seine,  peut-être 
lui  aura-t-on  conservé  le  nom  de  Marne ,  par  la  même  raison  que 
souvent  on  appelait  Marne  le  bras  septentrional  de  la  Seine  au 
pont  Notre-Dame  (Valois,  Notice  des  Gaules,  p.  441,  au  mol 
Pansiorum  Urbs).  On  conçoit  alors  que  le  fleuve  principal  et  ce 
courant ,  qui  en  était  une  dérivation  ,  s'étant  débordés  à  la  fois , 
ont  pu  couvrir  tout  le  terrain ,  alors  à  peu  près  vide ,  compris  entre 
nos  boulevarts  et  la  cité  ;  d'ailleurs  il  était  moins  élevé  que  le  sol 
actuel.  Et  cette  plaine  ainsi  submergée  a  dû  occasionner  bien  des 
accidens  pour  les  navigateurs. 


ET  OBSERVATIONS.  45& 

Note  d ,  Page  383. 

Provinciœ  sibi  commissœ. 

Nous  n'avons  pas  admis  la  leçon  commis so ,  ce  qui  signifierait 
que  l'on  avait  confié  à  ces  deux  généraux  le  commandement  de 
l'armée  de  la  Provence.  D'après  la  conduite  que  tiennent  les  Ostra- 
siens  à  l'occasion  de  cette  guerre  ,  il  est  probable  qu'ils  n'auraient 
pas  souffert  de  laisser  une  partie  des  leurs  sous  les  ordres  des  géné- 
raux de  Chilpéric.  C'est  donc  ,  non  l'armée ,  mais  la  province  qui 
leur  a  été  confiée.  Mais  quelle  est  cette  province? 

Ce  n'est  pas  la  Provence ,  partie  de  l'ancienne  province  ro- 
maine ,  et  qui  obéissait  alors  à  Childebert ,  roi  d'Ostrasie  ;  car  les 
généraux  de  Chilpéric,  Bladaste  et  Didier,  n'en  auraient  pu  être 
les  gouverneurs  ou  les  chefs. 

Nous  voyons  dans  Adrien  de  Valois ,  Notice  des  Gaules,  au 
mot  Proi'incia,  que  l'on  désignait  quelquefois  sous  ce  nom  tout  le 
midi  de  la  Gaule;  que,  selon  Raimond  de  Jgiles  en  parlant  des 
Croisés,  on  appelait  ordinairement  Provinciales,  les  Bourguignons, 
les  Auvergnats  ,  les  Gascons  ,  et  les  Gots ,  par  opposition  avec  les 
peuples  du  nord ,  appelés  exclusivement  Francigenœ. 

On  peut  donc  croire  que  Proi'incia  signifie  ici  la  réunion  des 
pays  enlevés  récemment  à  Gontran  par  Chilpéric  ,  dans  l'ancienne 
Gaule  Romaine  méridionale  ,  conmie  le  Limosin  ,  le  Périgord  , 
l'Agénois  ,  et  dont  le  gouvernement  ou  la  défense  avait  été  confiée 
à  Bladaste  et  à  Didier  :  ce  qui  rend  plus  vraisemblable  l'attaque  du 
Berri  par  ces  deux  généraux  ,  du  côté  du  sud  ,  et  justifie  l'interpré- 
tation de  Castrian  Mediolanensc  par  Châl eau-M cillant ,  plutôt 
que  par  Mchun-siir-Ei're ,  près  de  Bourges. 

Note  c.  Page  398. 

Oïl  rend  à  Ursicin  ,  évrque  de  Cahors  ,  des  paroisses  que  l'église 
de  Rhodez  n'avait  jamais  possédées. 

Commençons  par  dire  que  le  texte  me  paraît  équivoque.  Est-ce 
à  Ursicin  ,  est-ce  à  Innocent  que  l'on  rend  les  paroisses  en  litige? 
M.  Mandajors  ,  dans  le  Mémoire  sur  Arisitnm,  dont  nous  avons 
parlé,  note  a  du  liv.  v,  pense  qu'elles  furent  adjugées  à  Tinnueni  , 


456  ÉCLAIRCISSEMENS  ET  OBSERVATIONS. 

évêque  de  Rhodez.  Telle  avait  été  aussi  notre  opinion  ,  avant  même 
d'avoir  lu  ce  Mémoire  ;  mais  nous  nous  sommes  rangé  à  l'avis  con- 
traire, d'après  M.  Guérard.  En  effet,  ces  paroisses  ,  il  est  vrai , 
n'avaient  jamais  appartenu  à  l'église  de  Rhodez  ;  mais  on  les  con- 
teste à  celle  de  Cahors  :  il  faut  un  jugement  pour  rendre  à  cette 
dernière  la  possession  entière  et  incontestable  de  ces  mêmes  pa- 
roisses ;  ce  qui  justifie  suffisamment  l'expression  reciperet ,  qui  pro- 
duit ici  l'équivoque.  Elles  deviennent  irrévocablement  des  paroisses 
de  l'évéché  de  Cahors  ;  et ,  en  effet ,  au  chapitre  suivant ,  l'auteur 
rappelle  ce  jugement ,  pro  parochiis  Cudurcinis  :  ce  qui  signifie , 
ce  me  semble,  qu'elles  étaient  restées  paroisses  de  Cahors  après  le 
jugement ,  comme  elles  l'étaient  auparavant.  Il  aurait  dit  Rute- 
nensibus,  si  elles  eussent  été  adjugées  à  l'évéché  de  Rhodez. 

Maintenant,  est-il  possible  de  conjecturer  quelles  étaient  ces  pa- 
roisses? Valois  et  Mandajors  soupçonnent  que  ce  sont  celles  qui 
composaient  l'évéché  Arisitensis  (v,  5).  Mais  si  cet  évêché  était 
composé  des  paroisses  nommées  dans  la  note  a  du  llv.  v,  comment 
l'évêque  de  Cahors  aurait-il  pu  les  revendiquer  et  les  garder,  ou 
même  les  régir  pendant  quelque  temps,  en  supposant  qu'elles  aient 
été  rendues  à  l'évêque  de  Rhodez?  Elles  sont  à  Test  du  Rouergue. 
Convenons ,  ou  que  Y Arisitensis  n'est  pas  tel  que  nous  l'avons  sup- 
posé ,  ou  plutôt ,  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  de  cet  évêché ,  surtout  en 
adoptant  l'opinion  qu'elles  restèrent  définitivement  à  l'évêque  de 
Cahors. 


FIN    DES    NOTES. 


ËCLAIRCISSEMENS 

SUR    LA   RESTITUTION    DE    L'ÉGLISE   MÉROVINGIENNE 
DE    SAINT-MARTIN   DE   TOURS. 


D'après  les  descriptions  d'églises  de  l'époque  mérovingienne  que 
nous  rencontrons  dans  les  auteurs ,  d'après  le  petit  nombre  de 
monumens  de  cet  âge  reculé  du  catholicisme  qui  ont  survécu,  nous 
devons  croire  qu'il  existait  alors  une  grande  variété  dans  la  forme 
et  la  disposition  des  édifices  consacrés  au  culte ,  et  que  la  plupart 
des  plans  qu'avaient  pu  fournir  les  édifices  profanes  des  Romains  , 
basiliques,  thermes,  prétoires,  cénacles,  avaient  été  adaptés  à 
cette  nouvelle  destination.  L'espèce  d'anarchie  qui  régna  d'abord 
dans  les  règles  propres  à  la  disposition  des  églises  nous  rend  diffi- 
cile l'intelligence  des  descriptions  qui  s'en  trouvent  dans  les  histo- 
riens, d'autant  plus  qu'après  l'an  1000  on  vit  s'établir  une  extrême 
rigueur  de  discipline  dans  la  construction  des  églises ,  et  que  les 
grands  modèles  auxquels  nous  nous  reportons  involontairement 
quand  nous  voulons  nous  représenter  une  église  très  ancienne  ,  ne 
remontent  pas  en  général  au-delà  des  premières  années  du  xi*  siècle, 
à  l'exception  des  basiliques  de  Rome ,  lesquelles  appartiennent 
toutes  au  type  dont  la  prescription  caractérise  le  renouvellement 
qui  suivit  l'an  1000  de  notre  ère. 

Tels  sont  les  motifs  qui  nous  ont  fait  étudier  avec  attention  la 
description  que  Grégoire  nous  a  laissée  de  l'église  de  Saint-Martin 
de  Tours.  Afin  de  se  faire  une  idée  nette  de  cette  description  ,  il 
fallait  d'abord  fixer  la  valeur  des  expressions  dont  l'historien  a  fait 
usage.  La  lecture  de  l'article  de  Du  Gange ,  au  mot  capsiim  ou 
capsa  ,  ne  laisse  point  de  doute  sur  le  sens  réel  de  cette  dénomina- 
tion ;  bien  que  quelques  titres  paraissent  avoir  confondu  capsum 
avec  capetiu/n  ou  le  chevet ,  il  faut  reconnaître  dans  le  capsum  la 
partie  antérieure  et  oblo«gue  des  basiliques,  laquelle,  avec  sa 
«ouverture  en  dos-d'Ane  ou  hérni.sph('ri«[uo  ,  présente  la  forme  d'un 


458  RESTITUTION  DE  L'ÉGLISE 

sarcophage  romain ,  d'une  véritable  caisse.  Ainsi  donc  ,  si  capsum 
est  la  grande  nef,  ou  la  réunion  des  trois  «c/i,  altarium  ne  peut 
être  que  la  partie  voisine  de  l'autel ,  ce  que  l'on  a  depuis  appelé  le 
chœur.  Dans  celte  hypotlièse  tout-à-fait  justifiée  par  la  valeur  éty- 
mologique des  mots,  on  ne  peut  s'empêcher  d'être  frappé,  à  la  lecture 
de  Grégoire ,  de  la  disproportion  qui  existait ,  dans  l'église  de  Tours, 
entre  le  nombre  des  colonnes  de  V altarium  et  celui  des  colonnes 
de  la  nef.  Si  l'église  consacrée  à  saint  Martin  avait  été  une  basilique 
ordinaire,  le  chœur  ou  l'abside,  comparativement  très  peu  déve- 
loppé, n'aurait  pu  recevoir  qu'un  petit  nombre  de  colonnes,  et  ici 
nous  trouvons  soixante-dix-neuf  colonnes  dans  V altarium,  et  qua- 
rante-une seulement  dans  la  nef.  Il  faut  donc  admettre  une  dispo- 
sition dans  laquelle  V  altarium,  ou  le  chœur,  ait  jouéle  rôle  principal, 
et  où  la  nef  ait  été  entièrement  subordonnée.  Le  motif  de  cette  dis- 
position, nous  l'avons  cherché  dans  la  destination  même  de  l'édifice, 
et  dans  les  causes  qui ,  suivant  Grégoire  ,  avaient  déterminé  à  bâtir 
une  nouvelle  église  de  Saint-Martin.  Il  fallait ,  en  effet ,  un  grand 
espace  pour  contenir  la  foule  des  pèlerins  qui  se  pressaient  autour 
des  reliques  miraculeuses  du  saint ,  et  un  plan  circulaire ,  pareil  à 
celui  des  premiers  baptistères,  répondait  mieux  que  tout  autre  à  ce 
besoin.  Ce  qui  nous  a  confirmé  dans  la  conjecture  que  nous  avions 
faite  à  cet  égard  ,  c'est  la  disposition  exactement  semblablede  l'église 
du  Saint-Sépulcre,  telle  qu'on  la  trouve  dans  les  voyageurs,  et  par- 
ticulièrement dans  l'ouvrage  du  P.  Amico  [Trattato  délie  piante  de' 
sacri  cdifizii  di  Terra  Santa;  Florence,  1620  ,  p.  in-fol.  chap.  xxii 
et  suiv.  ).  Dans  ce  dernier  édifice  ,  qui  a  été  renouvelé  à  diverses 
époques  ,  mais  qui  a  dû  conserver  dans  la  partie  voisine  du  sépul- 
cre sa  disposition  primitive  ,  on  trouve  une  rotonde  soutenue  par 
plusieurs  ordres  de  colonnes  et  d'arcades  ,  au  centre  de  laquelle  est 
le  tombeau  de  Jésus-Christ ,  et  cet  arrangement  s'accorde  parfaite- 
ment avec  la  description  que  Grégoire  nous  a  laissée  de  Y  altarium 
de  Saint-Martin  de  Tours.  A  ce  grand  parti  d'une  rotonde,  au  centre 
de  laquelle  le  tombeau  de  saint  Martin  aurait  été  placé  ,  il  suffit 
d'ajouter  un  capse  ou  une  nf/" donnant  accès  à  l'édifice  ,  et  l'on 
obtiendra  un  résultat  des  plus  vraisemblables  et  de.s  plus  salisfai- 
.sans. 

Telle  est  la  pensée  que  ni'avait  suggérée  la  lecture  de  noire  vieil 


DE  SAINT-MARTIN  DE  TOURS.  459 

historien.  M.  Albert  Lenoir,  architecte,  dont  l'érudition  égale  le 
talent ,  a  bien  voulu  donner  un  corps  à  ma  conjecture  en  dessinant 
le  plan  et  la  coupe  restitués  que  nous  joignons  à  ce  volume.  Ce 
plan  est  aussi  conforme  que  possible  à  la  description  de  Grégoire  ; 
toutefois  ,  M.  Lenoir  n'a  point  tenu  compte  de  la  quarante-unième 
colonne  qui  aufait  existé  dans  le  capse,  et  il  a  modifié  le  texte  de 
l'historien  en  ne  donnant  que  50  pieds  au  lieu  de  60  à  la  largeur 
de  la  nef.  Ce  nombre  de  soixante  est  en  effet  difficile  à  combiner 
avec  le  reste  de  la  disposition.  Si  on  attribue  ce  diamètre  à  la  ro- 
tonde ,  cette  partie  de  l'édifice  semble  beaucoup  trop  étroite  ;  si  on 
reporte  la  mesure  au  capse ,  le  capse  est  évidemment  trop  large  et 
pour  la  rotonde ,  et  pour  sa  propre  hauteur  au-dessous  du  plafond , 
qui  n'est  que  de  45  pieds.  Il  est  bien  entendu  que  M.  Lenoir  a 
partout  supposé  deux  rangs  de  colonnes  au-dessus  l'un  de  l'autre  , 
et  dans  la  rotonde  un  autre  double  rang  plaqué  contre  la  muraille 
circulaire  ,  ce  qui  est  tout-à-fait  conforme  au  goût  d'architecture 
qui  a  régné  dans  les  premiers  siècles  du  christianisme  ,  ainsi  que 
peut  en  convaincre ,  entre  autres  exemples ,  l'église  de  Saint-Marc 
à  Venise,  \oici  d'ailleurs  quel  est  le  rapport  des  colonnes  et  des 
fenêtres  admises  par  M.  Lenoir  dans  sa  restitution,  avec  le  compte 
de  Grégoire  de  Tours. 

Altarium ,  selon  Grégoire.  Altarium  ,  selon  M.  Lenoir  , 

79  colonnes.  Double     rang    des    colonnes    pla- 


quées. 


32 


Double  rang  des  colonnes  sou- 
tenant le  portique  et  la  galerie.  .  .   36 


68 

Auxquelles  il  faut  joindre  deux 
colonnes  pour  soutenir  l'arc  delà 
petite  abside,  et  huit  ou  neuf  co- 
lonnes au  tombeau  du  saint,  ci.   .    11 


Total  égal 79 

(Pour  admettre  celte  dernière  .supposition,  il  faut  diiniuncr  le 
çinmbrc  do  cnlonnellrs  qui  ,  dans  la  restitution  de   M.  Lciioir,  dé- 


460      RESTITUTION  DE  L'ÉGLISE  DE  S. -MARTIN. 

corent  le  rang  supérieur  de  l'édicule  placé  au-dessus  de  la  Con- 
fession. ) 

Capse  ,  suivant  Grégoire.  Suivant  M.  Lenoir, 

41  colonnes.  Double  rang  de  colonnes    formant 

trois  nefs  et  deux  galeries  supérieures 
comme  dans  les  basiliques  ,  en  tout 
40  colonnes  ;  la  41®  peut  avoir  été 
isolée  et  faisait  sans  doute  partie  des 
ambons.  M.  Lenoir  ne  fait  pas  figurer 
dans  le  compte  de  Grégoire  les  colon- 
nes qui  devaient  décorer  le  porche  de 
l'église ,  et ,  effectivement ,  l'historien 
ne  semble  parler  que  de  Vintérieur  de 
l'édifice. 

Quant  aux  fenêtres ,  qui ,  suivant  Grégoire ,  étaient  au  nombre 
de  cinquante-deux ,  trente-deux  dans  Yaltarium,  et  vingt  dans  le 
capse,  pour  établir  une  harmonie  complète  entre  ce  compte  et  la 
restitution  de  M.  Lenoir  ,  il  faut  supposer  deux  rangs  de  trois  fe- 
nêtres chacun  à  la  petite  abside  de  Valtarium  (ces  deux  rangs  ne 
sont  point  indiqués  dans  le  plan  ),  et  reporter  à  la  façade  les  deux 
fenêtres  qui  sont  remplacées  sur  les  côtés  du  capse  par  les  deux 
portes  accessoires. 

Ch.  Lenobmant. 


FIN  DU  TOME   PREMIER. 


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ERRATA. 


Page    22,  note  i,  quarantième,  lisez  quarante-quatrième. 
57,  aux  notes,  (Ruin.  ),  lisez  (Bouq.). 

52,  note  3,  même  correction. 

53,  note  I,  même  correction. 
64,  note  I,  même  correction. 

70,  ligne  I,  fut  à  l'âge  de  trois  ans,  etc.,  lisez  fut,  pendant 
trois  ans,  retenu  en  otage  auprès  d'Alaric,  puis  chez  les 
Huns. 

1 18,  ligne  25,  Sigebert  Claude,  lisez  Sigebert  le  boiteux. 

120,  note  2,  ligne  2,  Lecointe,  lisez  Le  Cointe. 

i5i ,  supprimez  la  note  2,  qui  offre  un  grave  anachronisme. 

171,  ligne  dernière,  Mummolc,  lisez  Mummol. 

176,  note  4,  liv.  iv,  37  et  45,  lisez  liv.  iv,  57  et  5i. 

200,  note  2,  ajoutez  -.  selon  Ruinart,  l'expédition  des  Huns  eut 
lieu  en  562  ;  celle  de  Chilpéric,  en  564- 

2i3,  placez  une  note  (i),  se  rapportant  et  la  dernière  ligne  du 
chap.  3i  :  Marins,  dans  sa  chronique,  parle  de  cette  peste 
à  l'année  571.  La  note  (i)  deviendra  la  note  (2). 

255,  supprimez  la  note  (4)-  Voyez  p.  218. 

583,  ligne  25,  l'armée  de  la  province,  qu'on  leur  avait  confiée, 
lisez  :  l'armée  de  la  province  qui  leur  était  confiée. 


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1836 
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Gregorius,   Saint,  Bp.   of 
Tours 

Histoire  ecclesiastiqi 
des  Francs 


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1. 


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