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Full text of "Histoire et théorie du symbolisme religieux avant et depuis le christianisme"

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HISTOIRE  ET  THEORIE 


DU 


SYMBOLISME    RELIGIEUX 


HISTOIRE  ET  THÉORIE 


DU 


SYMBOLISME  RELIGIEUX 


AVANT    ET    DEPUIS    LE    CHRISTIANISME 

Contenant  : 

l'bXPUCATION  DK   tous    LBS  MOVENS   symboliques    KELIOIKUX  employés    dans  L'AItr    PLASTIQUE 

MONUMEKTAL    OU    DÉCORATIF    CHEZ    LES     ANCIENS    ET    LES    MODKUNES 

AVEC  LES  PBINCIPES  DE  LEUR  APPLICATION  A  TOUTES  LES  PARTIES  DE   L*ART  CHRÉTIEN 

D'APRÈS  LA  BIBLE,  LES  ARTISTES  PAÏENS,  LES  PÈRES  DE  L'ÉGLISE 

LES    LÉGENDES,    ET    LA    PRATIQUE    DU    MOYEN   AGE    ET   DE    LA    RENAISSANCK 


PAR 


M.     l'Abbé    AUBER 

Chanoine   de   Poitiers 

Historiographe  du  diocèse,  Membre  de  plusieurs  Académies 

et  Sociétés  savantes 


TOME     TROISIEME 


PARIS 

LIBRAIRIE    DE   FÉCHOZ  ET  LETOUZEY 

5,    RUE    DES    SAINTS-PÈRES, 
1884 


ÏME  JNSTITUTE  CF  Ife^EDîAFVAL  STUt*:tS 
10  ELMSLEV  PLAC£ 


'^  '-^  G  1931 


0 


/6  63 


HISTOIRE 

ET  THÉORIE 

DU  SVJIBOLISMË  RELIGIEUX 


TROISIÈME  PARTIE. 
SYMBOLISME  ARCHITECTURAL  ET  DÉCORATIF. 


CHAPITRE  I. 

CONSIDÉRATIONS  GÉNÉRALES  SUR  LE  SYMBOLISME 
ADAPTÉ  A  L'ARCHITECTURE  CHRÉTIENNE  ,  ET 
FAITS  HISTORIQUES  QUI  S'Y  RATTACHENT. 


Quand  tout  venait  de  changer  dans  le  monde  moral ,  et     L-Égiise  devait 
que  des  hauteurs  du  Calvaire  un  Dieu ,  jetant  à  tous  les  pies  chrétiens  un 
peuples  une  parole  d'unité,  les  conviait  aune  vie  nouvelle  n^ueV^ 
dans  un  même  culte  et  une  même  foi  ;  quand  cette  douhle 
expression  des  premiers  hesoins  de  l'humanité  s'était  ma- 
nif(îstéc  par  d'innomhrahles  symholes ,  ne  fallait-il  pas  à 
celte  religion  ,  qui  lecueillait  l'immense  héritage  de  toutes 

T.    III.  1 


2  HISTOIRE  DU  SYMBOLISME. 

les  âmes,  des  temples  où  respirât,  comme  dans  ses  dogmes 
et  ses  prières ,  l'estliétique  d'mi  intime  et  mystérieux  en- 
seignement? Cette  religion  du  cœur  et  de  l'esprit  ne  pouvait 
abjurer  un  droit  qu'avaient  usurpé  sur  ses  primitives  ins- 
pirations les  fausses  doctrines  du  paganisme  ;  et  si  celui-ci, 
comme  nous  l'avons  établi  déjà  ,  variait  les  formes  de  son 
arcliitecture  religieuse  d'après  les  caractères  différents  de 
ses  divinités  (i) ,  comment  les  premiers  maîtres  du  Gbris- 
tianisme  auraient-ils  pu  méconnaître  l'importance  d'une 
leurs  nombrcù-  créatiou  parallèle  au  profit  de  la  véritable  révélation  !  Cet 
l'Écrittre  et  les  idéal  ludispcnsable  ne  s'était-il  pas  d'ailleurs  essayé  ,  pour 
ainsi  dire  ,  chez  le  peuple  dépositaire  des  Prophéties ,  et  ne 
semblait-il  pas  encore  indiquer  de  loin  aux  enfants  de  la 
Promesse  un  tabernacle,  nouveau  comme  tout  le  reste, 
mais  plus  digne  par  son  spiritualisme  du  Dieu  qu'on  y 
devait  adorer  en  esprit  et  en  vérité  (2),  de  ce  Dieu  qui  réa- 
lisait en  sa  personne  le  type  des  Patriarches  (3) ,  qui  avait 
prescrit  à  Noé  les  moindres  détails  de  l'arche  libéra- 
trice ,  et  jusqu'à  ses  mesures  diverses ,  dont  les  nombres 
renferment  des  mystères  symboliques  (4)  ?  Devait-il  faire 

(1)  Cf.  ci-dessus,  t.  I,  ch.  ix,  Symbolisme  des  arts  chez  les  an- 
ciens. 

(2)  «  In  ppiritu  et  veritate  oportet  adorare.  »  [Joan.,  iv,  24.) 

(3)  Voir  Huet ,  Démonstration  évangélkiue ,  ou  Veteris  Teslamenti 
cum  Novo  parallelismus,  apud  Migne ,  Scripturœ  sacrso  cursus  com- 
pletus,  t.  II,  col.  859. 

(4)  S.  Isidore  de  Séville,  qui  vivait  de  570  à  636,  développe  ainsi  ces 
rapprochements  :  «  Noe  per  omnia  omnesque  actus  ejus  Christum  si- 
gnificat...  Solus  justus  invenilur  Noe  in  illa  geute  cui  septem  homines 
donantur  propter  justitiam  suam.  Solus  Christus  justus  est  atque  per- 
fectus,  cui  septem  Ecclesiee  (scilicet  Apocalypsis,  cap.  i)  propter  sep- 
templicem  spiritum  illuminantem  in  unam  Ecclesiam  condonantur. 
Noeperaquamet  lignum  liberatur  :  lignum  quippe  et  aquacruorem  dé- 
signât et  baptisma...  —  Arca  Ecclesiam  demonstrabat,  quse  natat  in 
fluctibus  mundi  hujus...  Arca  trecentibus  cubitis  longa  est,  ut  sexties 
quinquaginta  compleantur,  sicut  sex  œtatibus  omne  hujus  saeculi  tem- 
pus  extenditur  in  quibus  Christus  nunquam  destitit  prœdicari:  in  quin- 
que  per  prophetiam...,  in  sexta  per  Evangelium...  —Cubitis  quinqua- 
ginta latitudo  (arcae)  expanditur ,  sicut  dixit  Apostolus  :  Charitas  Dei 


SON  APPLICATION   A   l'aRT  CHRÉTIEN.  3 

moins  pour  son  Église ,  en  qui  tous  les  hommes  doivent 
être  sauvés  ,  et  que  rArclic  représentait ,  au  dire  de  tous 
les  interprètes  (I)? — Il  y  avait  plus  :  cette  grande  merveille 
qu'on  appela  le  Temple  de  Salomoh ,  qui  ne  s'était  élevé 
à  si  grands  frais  qu'afin  de  préfigurer  l'Église  et  le  Corps 
sacré  du  Sauveur  (2) ,  n'offrait  rien  qui  ne  fût  symbolique, 
depuis  ses  fondements  inébranlables  de  marbre  et  de  por- 
phyre ,  jusqu'à  ses  plafonds  de  cèdre  odoriférant ,  depuis 
sa  distribution  extérieure  jusqu'aux  innombrables  orne- 
ments qui  en  décoraient  les  murs,  jusqu'aux  meubles  et 


diffusa  est  in  cordihus  nostris  per  Spirituni  Sanctum  qui  datus  est 
7iû bis  {Rom.,  \,  5).  Quinquagesimo  eiiim  die  post  resurrectionem  suam 
Christus  Spiritum  Sanctum  misit ,  quo  corda  fîdelium  dilatavit...  — 
Altitudo  in  tringinta  ciibitos  surgit ,  quem  numerum  decies  babet  in 
treceutis  cubitis  longitude,  quia  Cbristus  altitudo  nostra  qui  tringinta 
annorum  gerens  setatem  ,  doctrinam  evangelicam  consecravit,  contes- 
tans  Legem  non  se  venisse  solvere,  sed  adimplere.  Legis  autem  cor  in 
decem  prœceptis  agnoscitur.  Unde  decies  tricenis  arcse  longitudo  per- 
ficitur,  unde  et  ipse  Noe  ab  Adam  decimus  computatur.  »  (S.  Isidori, 
Hispal.  episc,  Quxsliones  in  Velus  Testam.;  —  In  Genesim  ,  cap.  vu, 
no8  1,  2,  3,  5,  6,  7  ;  mihi,  Migne,t.  LXXXIII,  col.  229  et  seq.)— On  n'ob- 
jecterait point  ici  qu'il  s'agit  précisément,  dans  tout  ce  qui  précède,  de 
l'Église  comme  corps  moral  et  réunion  mystique  des  fidèles;  car  on 
sait  que  l'église  matérielle  est  aussi  la  figure  symbolique  de  celle-là. 

(1)  S.  Augustin,  De  Civilale  J)ei,  lib.  XV,  cap.  xxvi  :  «  Procul  dubio 
figura  est  peregrinantis  in  hoc  soeculo  civitatis  Dei ,  boc  est  Ecclesise, 
quœ  fît  salva  per  lignum  in  quo  pependit  mediator  Dei  et  hominum, 
liomo  Christus  Jésus.  » — Voir  encore  S.  Jérôme,  Contra  rJovianum  et 
Gonlra  Luciferum  ;  S.  Cyprien,  Serm.  de  Spiritu  Sancto  ;  Origène, 
fn  Genesim,  cap.  vi  et  vu;— et  Durant  de  Mende  :  «  Sane  non  est  nova 
oratorii  sive  ecclesiœ  institutio.  Prœcepit  namque  Dominus  Moysi  in 
monte  Sinaï  ut  faceret  tabernaculum  de  cortinis  mirifice  fabricatis... 
Salomon  œdificavit  opère  mirifico  templum,  duas  habens  parles...;  ab 
utraque  vero  nostra  materialis  ecclesia  formam  sumpsit:  in  cujus  parte 
anteriori  populus  audit  et  orat;  in  sanctuariovero  clerus  orat,  pra^dicat, 
jubilât  et  ministrat.  »  {Ration,  div.  Of/ic.,  cap.  i.) 

(2)  «  Salomon  aedificare  cœperat  templum  Domino,  in  typo  quidem 
et  in  figura  Ecclesice  et  corporis  Domini.  »  (S.  August.,  Prœfat.  in 
psalm.c^x\i.)^(i  Non  ipse  David,  sed  ejus  filius  templum  aedificavit... 
quoniam  Christus,  secundum  carnem  Davidis  filius,  erat  aedificaturus 
omnes  ccclesias  quee  sunt  in  toto  orbe  terrarum.  »  (Theodoret,  In  lib.  I 
Paralipomenon,  quœst.  i.)  Q.  QT 


V.3 


/<  HISTOIRE   DU    SYMBOLISMi:. 

aux  images  qui  servaient  au  culte  ou  à  rembellissenient  (I). 
A  suivre  les  Pères  dans  l'explication  minutieuse  qu'ils  ont 
donnée  des  particularités  de  cette  majestueuse  construction, 
on  voit  bien  que  tous  les  mystères  qu'elles  expriment  sont 
applicables  à  des  vérités  spirituelles  de  la  seconde  Loi.  C'est 
dans  S.  Augustin  surtout  qu'il  faut  en  chercher  la  preuve  : 
ce  grand  génie  a  tout  résumé  en  quelques  mots ,  soit  de 
ses  œuvres  oratoires.,  soit  de  ses  commentaires  sur  les 
Psaumes  (2)  ;  et  nous  reviendrons  à  beaucoup  de  ses  idées 
quand  nous  devrons  reproduire  les  nombreuses  leçons  que 
l'Esprit-Saint  a  prodiguées  sur  cette  matière. 

Les  traditions  de  l'architecture  chrétienne  étaient  donc 
toutes  faites  depuis  longtemps  à  l'aurore  dii  Christianisme  ; 
la  religion  n'eut  qu'à  les  prendre  pour  les  continuer  en  les 
perfectionnant. 

Mais,  avant  d'épancher  sur  les  vastes  dimensions  de  ses 
cathédrales  et  de  ses  églises  monastiques  les  reflets  de  ce 
génie  divin  qui  y  parle  une  langue  si  riche  et  si  variée  ,  il 
lui  fallut  se  rétrécir  en  de  médiocres  espaces.  Le  berceau 
de  l'art  chrétien  devait  s'environner  de  ténèbres ,  sans 
doute  pour  manifester  d'autant  plus  à  la  lumière  qui  devait 
les  suivre  la  gloire  trop  longtemps  contestée  de  cette  éter- 
nelle Sagesse,  qui  n'opère  jamais  plus  évidemment  que  par 
les  contrastes. 

(1)  Voir  les  interprètes  modernes  d'après  les  Pères  :  Tirin,Estius,dom 
Galmet ,  Sacy  et  autres.  —  M.  Bâtissier  reconnaît  aussi  ces  analogies. 
Histoire  de  Varl  monumental,  p.  361,  in-8",  Paris,  1848.—  On  sait  par 
Eusèbe  que  Constantin  avait  fait  construire  sur  ce  plan,  à  Byzance,  la 
magnifique  église  qu'il  destinait  à  sa  sépulture.  —  Voir  Eusèbe,  Vila 
ConUant.,  lib.  IV,  cap,  xviii,  et  Histor.  eccles.,  lib.  X,  cap.  iv. 

(2)  «  Templum  Régis  ipsa  Ecclesia.  Unde  struitur  templum?De  lio- 
minibus  qui  intraut  in  templum.  Lapides  vivi  qui  sunt  nisi  fidèles  Dei? 
Templum  Dei  in  unitate  est,  non  ruinosum  ,  non  discissum ,  non  divi- 
sum.  Junclura  lapidum  viventium  charitas  est.  Tantum  autem  valet 
junctura  charitatis  ut,  quamvis  multi  lapides  vivi  in  structuram  tem- 
pli  Dei  conveniant ,  unus  lapis  ex  omnibus  fiât.  Templum  hoc  Deus 
ubique  coUocavit;  fundamenta  Prophetarum  et  Apostolorum  ubique 
iirmavit.  »  (S.  August.,  In  psalm.  xxxix  el  xliv.) 


S0.\   APPLICATION   A    L  AHT   CHRETIEN.  o 

En  effet,  c'est  réellement  dans  les  catacombes  qu'il  faut     Los  catacombes, 

proinier  type  sym- 

aller  chercher  le  prototype  de  nos  églises  chrétiennes.  Pour  boiiquc.  de    nos 

•     1  •  églises , 

peu  qu'on  en  veuille  étudier  le  plan  intérieur,  on  voit  bien 
quels  rapports  nos  monuments  sacrés  gardent  encore  avec 
ces  lieux  vénéral)les  où  se  conservent  nos  plus  religieux 
souvenirs.  La  nefoblongue,  souvent  privée  d'orientation  , 
il  est  vrai ,  quand  les  dispositions  géologiques  des  lieux 
la  rendaient  impossible  ,  mais  terminée  par  une  abside 
cruciforme ,  garnie  du  trône  épiscopal  qu'entourent  les 
siég^es  du  Presbytère  ;  l'autel  élevé  sur  une  crypte  où  re- 
posent les  sacrées  reliques  des  martyrs;  les  vides  circu- 
laires ménagés  en  voûte  [monumenta  arcuata) ,  et  presque 
toujours  terminés  eu\-mémes  en  hémicycles  dans  les  parois 
latérales,  pour  recevoir  d'autres  corps  à  mesure  que  les  per- 
sécutions les  y  envoyaient,  et  qui  sont  devenus,  par  la  suite, 
ces  chapelles  des  bas-côtés  inaugurées  sous  le  vocable  de 
tant  de  Saints,  ou  môme  ces  arcatures  continues  décorant 
les  murs  intérieurs  de  nos  plus  vieilles  églises  ;  enfin  ces 
vestibules  [Joculi^  cubicuîa)  introduisant  à  la  pièce  princi- 
pale, et  qui  représentaient  fort  exactement  les  annexées 
qu'on  appela  plus  tard  le  diaconiciim  ou  sacristie  :  tout 
prête  à  comparer  ces  premiers  sanctuaires  à  ceux  qui  s'ou- 
vrent pour  nous  chaque  jour,  et  dont  nous  savons  que  le 
plan  original  n'a  souffert  que  de  légères  modifications  (I). 

(1)  Rnoul  Rochette,,  Tableau  des  Catacombes ,  p.  113,  in-12,  Paris, 
1837.  —  On  retrouve  cette  disposiliou  décorative  dans  la  crypte  de 
Sainte-Radégonde  de  Poitiers,  qui  date  peut-être  de  la  lin  du  sixième 
siècle.  L'art  gothique,  qui  apparaissait  déjà  lors  de  la  transition,  s'em- 
para de  ce  moyen  et  l'appliqua  dans  la  magnifique  nef  de  cette  môme 
église,  aussi  bien  que  dans  la  cathédrale  voisine  qui  en  avait  été  le 
type. — Tant  de  relations  mystérieuses  mais  évidentes  persuadent  aisé- 
ment qu'un  type  émané  des  catacombes  a  dû  se  perpétuer  jusqu'à  ces 
intéressantes  époques  de  l'art  chrétien  ,  d'où  il  est  parvenu  jusqu'à 
nous.  On  peut  le  conclure  très-strictement  des  nouvelles  observations 
faites  dans  les  catacombes  par  M.  Louis  Perret,  dont  le  beau  travail  a 
été  publié  en  1852.  — Cf.  Peintures  des  catacombes ,  p.  13  et  15,  in-f<'. 
—  Voir  encore  VArckitcttura  delta  Roma  sotlerranea .  per  cura  di 
G.  Marchi,  in-4",  p.  177;  puis  la  description  et  le  plan  de  l'église  Saint- 


6  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

mieux  et  plus  que       Nous  iic  pouvoiis  douc  admettre,  avec  plusieurs  écrivains 

la  basilique  civile  15         i   •  i      t  •      • 

des  Romains.  dc  Hotrc  teuips  ,  que  1  architecture  catholique  se  soit  ins- 
pirée d'ahord  des  basiliques  profanes  de  Rome  païenne  {]), 
On  rencontre ,  il  est  vrai ,  dans  nos  temples  de  frappantes 
analogies  avec  ces  édifices  publics ,  et  ce  que  nous  venons 
d'en  dire  convient,  jusqu'à- un  certain  point,  aux  uns  et  aux 
autres  ;  mais  on  a  trop  répété ,  comme  fait  archéologique , 
une  erreur  qui  enlèverait  absolument  à  la  Rome  souter- 
raine son  antériorité  de  date  sur  nos  basiliques  religieuses, 
en  la  privant  de  l'influence  directe  qu'il  faut  lui  accorder 
sur  celles-ci.  Cette  influence  est  manifeste  ,  et,  tout  en  ad- 
mettant de  frappantes  ressemblances  dans  le  plan  général 
de  ces  constructions  si  différentes  par  leur  but  ;  en  avouant 
que  rien  ne  dût  paraître  plus  convenable  aux  exigences  du 
nouveau  culte  que  ces  vastes  enceintes  si  commodes  pour 
une  nombreuse  assemblée ,  et  dans  lesquelles  la  religion 
prenait  si  avantageusement  la  place  de  la  magistrature 
civile ,  on  doit  se  garder  d'oublier  ces  mêmes  nefs  ,  ce 
même  hémicycle  absidal ,  cette  même  position  du  clergé 
et  du  peuple  indiqués  tout  d'abord  dans  les  catacombes  , 
dont  nous  avons  vu  l'origine  dans  l'Apocalypse,  et  à  laquelle, 
par  cette  double  raison,  on  ne  put  renoncer  plus  tard  (2). 
Voilà ,  nous  semble-t-il ,  et  pour  répondre  à  une  question 

Sébastien,  à  Rome,  et  des  catacombes  qui  l'avoisiDent  dans  Aringhi, 
Roma  subierranea ,  t.  I ,  p.  461 ,  la  planche  de  la  page  471  et  celle  du 
tome  II,  p.  406  ;  Roma,  in-f»,  1651,  et  Raoul  Rochette,  p.  281,  note  94,. 
et  encore  Marchi,  uhi  suprà,  p.  175,  191  et  198. 

(1)  Voir  Bâtissier,  Hist.  deVart  monumental^  p.  359  et454,  et  avec  lui 
MM.  Raoul  Rochette,  Renouvier,  Schmitt  et  bien  d'autres.  On  voit  bien 
que  tous  ces  honorables  écrivains  n'ont  étudié  l'art  du  Christianisme 
qu'au  point  de  vue  de  la  science  humaine  et  sans  comprendre  le  mys- 
ticisme de  ses  intentions.  Quand  on  en  est  là,  on  ne  fait  aucune  diffi- 
culté de  répéter  de  vieilles  redites ,  et  l'on  finit  par  faire  pas.-;er  pour 
une  vérité  incontestable  le  fruit  de  singulières  irréflexions.  Nous  ver- 
rons d'autres  singularités  de  cette  force. 

(2)  Voyez  ce  que  dit  de  cette  abside  primitive  le  P.  Lupi,  Disserla- 
zioni  e  Letterefilologiche, etc.,  i^^  part.,  §§  xxii  et  xxvi,  in-4°,  Faenza, 
11155,  p.  15  et  suiv. 


SON   APPLICATION   A    l'aUT   CHRÉTIEN.  7 

émise  par  un  de  nos  savants  collègues  de  la  Société  fran- 
çaise d'archéologie,  «  comment  il  se  fait  que  le  Ghristia- 
»  nisme  inclinât  vers  cette  forme  monumentale ,  et  qu'il 
»  en  ait  même  produit  spontanément  des  spécimens  durant 
»  l'ère  orageuse  des  persécutions.  )>  Et  qu'on  n'aille  pas 
nous  objecter  que  les  catacombes,  devenues  le  refuge  des 
chrétiens  persécutés ,  purent  bien  être  disposées  par  eux 
sur  le  modèle  des  basiliques  de  la  Ville  supérieure.  En  fut- 
il  ainsi,  cela  prouverait  tout  au  plus  qu'il  y  avait  quelques 
rapports  de  hasard  entre  celles-ci  et  la  description  de  l'Église 
éternelle  où  Dieu  s'était  révélé  à  S.  Jean.  Mais  comment 
appuyer  cette  conjecture,  et  auquel  de  ces  deux  objets  pense- 
t-on  que  le  Christianisme  ait  pu  donner  la  préférence  ?  — 
Nous  irons  plus  loin  :  et  de  ce  qu'il  y  avait  dans  la  Rome 
souterraine  des  lieux  consacrés  en  formes  diverses  ,  sphé- 
riques ,  oljlongs  ou  carrés  (^1  ) ,  nous  n'hésiterons  pas  à 
expliquer  par  là  comment  ]}eaucoup  d'églises  ou  de  bap- 
tistères célèbres  ont  pu  adopter  ces  plans  symboliques  dont 
on  accuse  trop  légèrement  la  prétendue  excentricité.  Aussi, 
dès  que  s'interrompirent  les  persécutions  qui  avaient  forcé 
les  premiers  fidèles  de  se  cacher,  les  églises  qu'ils  purent 
bâtir  au  grand  jour  n'eurent  point  d'autres  formes.  Quand 
cette  assertion  manquerait  des  preuves  positives  qu'on  peut 
lui  donner  (2),  on  le  conclurait  très  bien  par  induction, 
puisqu'au  rapport  des  historiens ,  les  heux  sacrés  démolis 
ou  brûlés  par  les  persécuteurs  se  relevant  aussitôt  que  la 
paix  était  revenue ,  les  lois  symbohques  relatives  à  ces 

^1)  BoUari,  Pillure  c  srMplurc  sagre ,  eslraile  dai  cimitery  di 
Ronia,  t.  I,  ijI.  iv;  t.  II,  p.  112,  pi.  xciv,  et  t.  III,  p.  91,  92,  pi.  CLVI  et 

CLXXXV. 

(2)  Voir  M.  de  Roisin:  Origines  de  la  basilique  chrétienne  ,  Bulletin 
vtonuuienUil ,  t.  XXVI ,  p.  2G3.  —  Ces  édifices  ,  en  effet ,  devaient  être 
assez  simi)les  et  bien  dilîérents  des  églises  du  mo3^en  âge  par  leur 
beauté  architecturale,  puisque  S.  Jean  Chrysoslome  disait  au  quatrième 
siècle  que  les  basiliques  et  les  palais  des  princes  l'emportaient  de  beau- 
coup par  la  splendeur  et  la  magnificence  de  l'architecture  sur  les 
édifices  élevés  à  la  gloire  des  Saints.  {Ilomil.  xxvi  in  2  ad  Cor., 
no  5.) 


8  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

constructions,  et  qui  venaient  des  Apôtres  (\) ,  forçaient 

d'en  reproduire  l'ancienne  ordonnance  déjà  consacrée  (2). 

Insuffisance  du       Rcmarquons  d'ailleurs  que  l'ensemble  si  vanté  des  basi- 

symbolisme        de  .  ,  ,.         ..i»i  i>i  i 

celle-ci.  liques  romaines  dut  se  plier  tout  d  abord  a  de  nombreuses 

retouches  pour  s'accommoder  à  sa  nouvelle  destination, 
soit  qu'on  ait  utilisé  aussitôt  celles  que  Constantin  donna 
aux  catholiques,  soit  qu'il  ait  fallu  bientôt  en  élever  d'autres 
sur  des  places  plus  conformes  aux  développements  de  la 
liturgie.  Nous  savons  ce  que  devait  être  au  quatrième  siècle 
la  cathédrale  de  Trêves,  dont  les  fouilles  récentes  ont  révélé 
la  disposition  primitive  (3);  ou  encore  cette  église  de 
S.  Hippolyte  martyr,  dont  Prudence  se  plaît  à  décrire  si  exac- 
tement les  trois  nefs ,  les  chapelles  latérales ,  l'abside  avec 
son  siège  épiscopal  (4).  Mais,  quelque  beaux  édifices  que 

(1)  Les  canons  des  Apôtres,  aussi  bien  que  les  décisions  qui  forment 
l'ensemble  du  livre  connu  sous  le  titre  de  Conslituiions  Apostoliques, 
sont,  de  l'aveu  de  tous  les  critiques,  d'une  époque  bien  postérieure  au 
temps  des  Apôtres ,  et  ne  peuvent  guère  s'en  rapprocher  plus  que  le 
commencement  du  quatrième  siècle  ou  la  fin  du  troisième.  Mais  on  re- 
connaît généralement  qu'ils  renferment  des  traditions  remontant  jus- 
qu'au berceau  du  Christianisme,  et  qu'ils  furent  réunis  en  un  seul  corps 
lorsque  la  paix  rendue  à  l'Église  permettait  d'établir  au  grand  jour  le 
droit  ecclésiastique  jusqu'alors  tenu  secret, aussi  bien  que  les  uscigesde 
la  liturgie.  (Voir  Biner,  Apparat  us  juris  canonici,  pars  11,  cap.  iv.) 
Ainsi  les  règles  invoquées  sous  le  nom  d  AposloliquesV oni  toujours  pu 
être,  et  la  continuité  du  respect  qu'elles  ont  obtenu  par  toutes  les 
Églises  constate  sûrement  la  légitimité  du  nôtre.  On  peut  donc  s'en 
faire  une  autorité  en  matière  d'archéologie  et  d'histoire,  et  l'on  saura 
désormais,  quand  nous  devrons  nous  appuyer  sur  elles,  dans  quel  ?ens 
orthodoxe  nous  persisterons  à  les  citer. — Voir  encore  Bouix,  Tractal.us 
de  Principiis  ju7'is  canonici,  cap.  m,  §  3;  et  Fleury ,  InsUiiUion  au 
droit  canonique,  f^part.,  ch.  i. 

(2)  Eusèbe,  Hislor.  ecclesiasl.,\ih.yi,  cap.xxviii;  Origène,  M  Mat- 
theBum  tractatus  xxviii. 

(3)  Voir  la  description  qu'en  a  donnée  M.  de  Roisin,  Bulletin  des  co- 
mités historiques,  1849,  1. 1,  archéologie,  p.  233,  Paris,  in-S». 

(4)  Stat...  templum.., 

Parietibus  celsum  sublimibus,  atque  superba 

Majestate  potens... 
Ordo  columnarum  geminus  laquearia  teeti 

Sustinet,  auratis  suppositus  trabibus. 
Adduntur  graciles  tecto  breviore  recessus, 

Qui  laterum  seriem  jugitereximiant, 
Et  medios  aperit  tractus  via  latior  alti 

Culminis,  exsurgens  editiore  apice. 
Fi'onte  sub  ad  versa  gradibus  sublime  tribunal 

Tollitur,  Antistes  prœdicat  unde  Deum. 

(Prudentii  Peristcphanon,  hymn.  xi,  v.  215.) 


SOA'    APPLICATION    A    LART   CHRÉTIEN.  0 

fussent  CCS  palais  de  justice  et  ces  prétoires,  (jiii  n'en  étaient 
pas  moins  quelquefois  des  lieux  de  transactions  commer- 
ciales, et  même  des  promenades  publiques  (!  ),  il  y  avait  loin 
de  ces  usages  de  la  vie  pi'ofane  aux  grandes  choses  de  la 
religion.  Plus  celle-ci  marchait,  plus  elle  aspirait  à  d'autres 
pensées  :  elle  voulait  avant  tout  que  toutparlât,  dansl'asile  du 
Sacrifice  et  de  la  prière,  à  l'esprit  et  au  cœur  de  ses  enfants. 
Ce  quadrilatère  allongé,  dont  rien  ne  tempérait  la  sécheresse 
que  deux  rangs  de  colonnes  à  chapiteaux  insignifiants  ;  ces 
fenêtres  à  plein  cintre,  distribuées  symétriquement  à  la  sur- 
face des  murs  pour  donner  à  un  intérieur  sans  mystère  un 
jour  dépourvu  de  toute  éloquence  religieuse  ;  cette  achitravc 
grecque,  dont  la  masse ,  surmontée  d'une  frise  dessinée  au 
hasard,  alourdissait  des  portes  aux  lignes  froidement  per- 
pendiculaires ou  horizontales,  tracées  selon  les  règles  strictes 
de  la  ligne  droite,  et  pesait  sur  des  colonnes  qui  ne  s'y 
rattachaient  que  par  un  système  muet  et  absolu  :  tout  cela 
n'était  guère  secourable  à  la  pensée  esthétique  et  n'expri- 
mait pas  mal  d'ailleurs  le  matérialisme  de  l'art  païen. 
Si  donc  on  admit  d'abord  des  dispositions  générales  qu'on      comment  n  fai- 

*  ^  ^  lut  le  compléter. 

eût  trouvées  sans  beaucoup  d'efforts  en  sortant  des  souter- 
rains sacrés, ce  ne  put  être  qu'à  condition  d'en  changer  les  dé- 
tails, et  de  tout  reporter  aux  principes  du  spiritualisme  nou- 
veau. Et  voilà  comment  on  convint  tout  d'abord  que  l'église 
chrétienne  aurait  la  forme  d'une  nef  (  de  mos,  vaisseau^  et 
non  de  va6ç,  temple)  ;  que  l'autel  y  serait,  d'après  les  Cons- 
titutions Apostoliques  (2),  tourné  vers  l'orient;  que  l'axe 


(1)  Vitruve,  De  Arr/iitecL,  lih.  V,  cap.  i  :  «  Uti  supra  basilicœ  conti- 
gnationem  ambulantes  ab  negotialoribus  ne  conspiciantur.  » 

(2)  «  Primo  quidem  œdes  sii  oblonga,  ad  orientem  versa,  ex  utraque 
parte  pastoi»horia  versus  orientem  babens,  et  quœ  navi  sit  similis.  » 
(Con^tilvt.  Apo.stolir.,  lib.  II,  cap.  Lvii,apud  Cotelier  :  Paires  œvi  Apo- 
stolki,  t.  I,  p.  261,  in-folio,  1672.)—  Il  faut  bien  ici  remarquer  ces  im- 
portants détails  de  l'orientation,  des  absidioles  orientées  comme  l'ab- 
side, et  de  cette  forme  de  nef.  Voilà  tout  une  église  comme  le  moyen 
âge  nous  en  a  tant  donné  qui  subsistent  encore.  —  Voir  S.  Gregor., 


10  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

longitudinal,  en  sortant  du  sanctuaire,  se  briserait  du  nord 
au  sud  par  une  brusque  déviation  de  sa  ligne  naturelle  (^  )  ; 
que  la  forme  de  croix  serait  donnée  au  monument  par  le 
double  prolongement  du  transept  à  droite  et  àgaucbe  (2). 

11  n'y  eut  pas  loin,  un  peu  plus  tard,  de  cette  ordonnance 
élémentaire  à  ses  développements  successifs,  et  ce  que  l'art 
y  ajouta  dans  l'intérêt  de  la  pensée  doctrinale  devint  une 
conséquence  de  ce  premier  élan  fondé  sur  les  données  posi- 
tives de  l'Écriture  et  delà  Tradition.  Qui  ne  voit  aujourd'hui 
l'application,  aussi  féconde  que  remarquable,  de  toutes  ces 
idées  et  de  beaucoup  d'autres  dans  la  description  si  connue 
qu'Eusèbe  de  Gésarée  nous  a  donnée  de  l'église  de  Tyr, 
relevée  de  ses  ruines ,  en  3^  5  ,  par  son  évoque  Paulin  ?  Il 
est  clair,  d'après  ce  texte,  que  l'importance  attachée  à  chaque 
détail  de  ce  vaste  et  magnifique  édifice  venait  des  symboles 
qui  y  traduisaient  les  vérités  de  la  foi.  C'est  donc  justement 
qu'un  docte  écrivain  de  nos  jours,  constatant  que  toutes  les 
éghses  bâties  au  quatrième  siècle  en  Orient  et  en  Occident 


Turon.  episc,  Hist.  Francor. ,  lib.  II,  cap.  xvi,  xvii;Ub.  VII,  cap.  xxxvi; 
lib.  X,  cap.  XXXI  ;  —  S.  Venautii  Fortunati  opp.,  pars  I,  MiscelL,  lib.  I, 
cap.  XIII ;  lib.  II,  cap.  xiv,  et  alibi. 

(1)  Ce  fait,  peu  remarqué  dans  les  églises  des  premiers  temps ,  est 
fort  sensible  à  Saint-Jean  de  Poitiers,  qui  date  au  plus  tard  du  qua- 
trième siècle.  On  a  donc  prétendu  à  tort  que  ce  symbole  n'avait  apparu 
qu'au  onzième  "ou  douzième  siècle.  —  Voir  M.  Trémollière ,  Encyclo- 
pédie du  dix-neuvième  siècle,  t.  XXIII,  au'  mot  symbolisme.  Trop  con- 
fiant dans  cette  assertion,  nous  devons  nous  repentir  de  l'avoir  adoptée 
dans  nos  Reclierches  sur  l'église  et  la  paroisse  de  So.int-Pierre-des- 
Eglises,  p.  8,  et  d'en  avoir  tiré  une  fausse  conséquence.  Si  donc  on  ren- 
contre du  quatrième  au  onzième  siècle  quelques  sanctuaires  dépourvus 
de  ce  caractère,  il  faut  bien  plutôt  attribuer  cette  anomalie  soit  à  un 
oubli  exceptionnel  des  constructeurs,  soit  à  un  remaniement  postérieur 
de  la  nef  sans  intelligence  du  plan  primitif. 

(2)  Dans  quelques  basiliques,  il  est  vrai,  la  croisée  semblait  exister 
d'avance,  comme  on  le  voit  dans  ce  qui  nous  reste  de  labasilique  Émi- 
lienne  conservée  par  dom  Montfaucon  {Anliquilé expliquée,  i.  III,  pi.  c)^ 
mais  toutes  n'admettaient  pas  cette  particularité  d'une  manière  aussi 
prononcée ,  et  c'est  vraiment  l'Église  (nous  le  verrons  bientôt)  qui  l'a 
voulu  comme  un  symbole  de  sa  pensée  génératrice. 


SON   APPLICATION   A    LART   CHRÉTIEN.  If 

conservaient  alors  les  formes  antérieures  à  la  paix  de  Cons- 
tantin, fait  observer  que  les  mystères  cachés  sous  les  parti- 
cularités de  la  construction  étaient  connus  du  peuple  fidèle 
comme  autant  d'objets  de  renseignement  religieux  (1).  En 
effet,  Eusèbe,  que  nous  suivons  ici,  n'est  pas  seulement 
l'historien  de  ce  fait  :  il  l'avait  prêché  au  jour  même  de  la 
dédicace  de  cette  égUse,  et  en  avait  exposé  tout  le  symbo- 
lisme devant  une  assistance  considérable  que  présidaient  un 
grand  nombre  d'évèques. 
On  voit  par  là ,  du  moins  en  partie,  ce  qu'était  le  style  ,  Caractères  sym- 

^  X  '  1  «j  bohqucs  des  cgli- 

architectural  des  églises  avant  le  onzième  siècle ,  auquel  il  ses  ant.'ricures  au 

^  ^  onzième  siècle. 

faut  rapporter  en  plus  grand  nombre  les  plus  anciennes 
qui  nous  soient  restées.  Mais  nous  savons  de  plus  quelles 
formes  a\ aient  reçues  ces  monuments  dès  les  premières 
années  du  règne  de  Constantin.  On  sait,  par  les  découvertes 
récentes,  qu'après  ce  règne  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  la 
basilique  latine  persiste  encore  de  longues  années;  et  depuis 
Prudence,  qui  écrivait  à  la  fin  du  quatrième  siècle,  jusqu'à 
S.  Fortunat  de  Poitiers  à  la  lin  du  sixième,  on  retrouve  dans 
les  auteurs  de  cette  période  les  traces  fort  reconnaissables 
des  magnificences  de  l'art  romain  ;  mais  il  certain,  par  d'au- 
tres témoignages,  qu'une  théorie  nouvelle  allait  s'établir  dès 
lors,  et  il  est  facile  de  s'en  convaincre  par  l'inspection  d'un 
petit  nombre  de  spécimens  très-CvXplicites,  tels  que  la  Basse- 
œuvre  de  Beauvais,  Saint-Eusèhe  et  Savenières  en  Anjou,  le 
baptistère  de  Saint-Jean  à  Poitiers,  Saini-Pierre-des-Églises 
près  Chauvigny-sur- Vienne,  Saint-Généroux  et  Saint-Jouin- 
de-Marnes  (Deux-Sèvres),  Gravant  et  Saint-Martin-de-Vertou 
en  Bretagne,  et  d'autres  encore.  De  ces  édifices  sacrés,  quel- 
ques-uns vont  se  perdre  dans  la  nuit  d'époques  difficiles  à 
préciser;  mais  tous  sont  certainement  de  beaucoup  antérieurs 
au  neuvième  siècle,  et  deux  surtout,  que  nous  avons  pu  étu- 


(l)  Doin  Guéranger  ,  I ns Ululions  lit urgifjii es ,  t.  I,  p.  04.  —  Fleury, 
IJisl.  eccles.,  lib.  X,  n"  'à,  ad  auii.  313  ;  milii,  p.  20U. 


J{2  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

dier  de  plus  près,  appartiennent  sûrement  à  l'architecture 
gallo-romaine ,  savoir  :  la  petite  paroissiale  de  Saint-Pierre- 
des-Églises  et  le  baptistère  de  Saint- Jean  de  Poitiers.  Le 
premier,  avec  son  abside  élargie  en  dehors  des  lignes  de  la 
nef,  ne  fait  pas  même  exception  à  la  règle  générale  du  plan 
crucial,  quoiqu'il  semble  manquer  aujourd'hui  de  sa  dévia- 
tion longitudinale ,  probablement  effacée  par  des  remanie- 
ments successifs  ;  le  second,  réunissant  ces  deux  caractères 
en  des  traits  longtemps  méconnus,  mais  devenus  enfin, 
et  par  suite  de  nos  recherches  personnelles,  aussi  évidents 
que  possible.  On  y  observe,  d'ailleurs,  l'orientation  normale 
des  fenêtres  en  meurtrières,  l'abside  en  hémicycle  (au  moins 
intérieur)  où  s'élève  l'autel,  et  le  soin  qu'on  a  eu  de  couvrir, 
dès  le  commencement,  ce  môme  autel  d'une  voûte  qui 
d'abord  fut  exclusivement  donnée  au  sanctuaire.  Une  rapide 
comparaison  de  tous  ces  monuments,  dans  laquelle  on 
noterait  surtout  la  forme  générale  de  l'édifice,  presque  tou- 
jours dessiné  en  parallélogramme  allongé,  convaincra  aisé- 
ment qu'il  n'y  eut  jamais  de  différences  considérables  entre 
ces  premiers  types  et  ceux  de  l'époque  mérovingienne,  l'ap- 
pareil lui-même,  composé  de  petit  échantillon  plus  long  que 
large,  restant  le  même  et  complétant  partout  cette  descrip- 
tion. —De  ces  œuvres  passons  à  celles  de  la  seconde  race, 
restées  encore  en  assez  grand  nombre  sur  les  bords  duRhin, 
où  vivent,  de  nos  jours,  tant  d'églises  construites  par  Gharle- 
magne.  Nous  arrivons,  par  ces  degrés  continus,  à  constater 
les  frappantes  relations  de  ces  temps  rudimentaires  avec  les 
travaux  de  l'école  romane  dont  nous  jouissons  aujourd'hui, 
et  que  le  style  ogival  n'a  gracieusement  modifiés  que  par 
des  perfectionnements  artistiques.  C'est  ainsi  qu'en  remon- 
tant à  travers  les  âges  on  reconnaît  à  chaque  pas  les  mômes 
et  les  plus  incontestables  notions  du  symbolisme  appli- 
quées à  la  demeure  de  Dieu. 
Ces  caractère"      Et  cc  u'étalt  pas  sculemeut  dans  une  contrée,  et  sous  l'in- 

partout    et      tou-  i .       •    ,         i  i  i   • ,       .         •       i  i 

jours  observés,      fiucnce  limitée  de  quelques  architectes  imbus  des  capn- 


SON   APPLICATION   A    LAIIT  CHUÉTIEN.  -13 

cieuses  formalités  de  leurs  tliéories  personnelles  :  c'était  par- 
tout, aussi  jjien  dans  les  Gaules  qu'en  Italie,  en  Orient  qu'en 
Occident;  et  au  milieu  des  diversités  qu'imposent  les  pen- 
sées de  tant  d'architectes  divers,  c'est  toujours  le  principe 
esthétique  qui  y  dispose  de  tout.  Ainsi ,  les  basiliques 
élevées  en  si  grand  nombre  par  Constantin  reproduisent 
la  croix  grecque  ;  la  croix  latine ,  déjà  différente  de  celle- 
ci  par  le  prolongement  de  sa  partie  inférieure,  est  adaptée 
à  Saint-Pierre  de  Trêves  avant  le  milieu  du  quatrième 
siècle  (I).  —  Les  trois  absides  répondent  au  mystère  du 
Dieu  en  trois  personnes ,  et ,  dans  chacune  d'elles  encore 
trois  fenêtres  symbolisent  le  même  dogme  et  rappellent 
à  tous  la  même  vérité  fondamentale.  L'orientation  régu- 
lière s'y  fait  aussi  remarquer.  Il  en  est  de  même  à  Sainte- 
Sophie  de  Constant! uople,  achevée,  en5î8,par  JustinienP'"; 
et  cette  même  période  voit  construire  à  Ravenne  par  le  saint 
évêque  Ecclesius  la  basili(|ue  octogone  de  Saint-Vital , 
({n'avait  précédée,  sous  la  même  ichnographie  symbolique, 
le  baptistère  de  cette  métropole  (vers  451),  et  Sainte-Marie 
in  Cosmcdin,  achevée  en  520  (2).  Enfin,  l'une  de  nos  plus 
belles  églises  de  France,  Saint-Germain-des-Prés,  recevait, 
dans  le  même  teuips  encore  (en  558),  de  Childebert  P'",  sa 
forme  cruciale,  avec  son  premier  vocable  de  Sainte-Croix, 
à  Poccasion  d'une  magnifique  ctoix  d'or  apportée  par  lui 
de  Tolède,  et  qu'il  donna  à  Péghse  avec  les  reliques  qu'elle 
contenait  (3). 
Malheureusement  ces  monuments,  et  beaucoup  d'autres  mais    pius    oa 

11»,  .  .  , ,  ,  moins  riches  sous 

de  la  même  époque,  ne  sont  parvenus  jusqu  a  nous  quen  rinfluence  morale 
dépit  de  beaucoup  d'épreuves,  de  reconstructions  considé-  ques. '^^'^^^^  ^^'^' 
râbles  sinon  presque  totales,  et  surtout,  hélas!  frappés  de 

(1)  Voir  de  Roisin,  Notes,  sur  la  restauration  de  la  métropole  de 
Trêves,  par  AIM.le  chanoine  Wilmoski  et  l'architecte  Schmitt,/»a//6'/i,'i 
monumental,  t.  XV,  p.  208. 

(2')  Couchaud,  Églises  byzantines  en  Grèce,  in-4o,  Paris,  1842. 

(J;  Bull,  monum.,  t.  Vil,  p.  lOG  et  108. 


44  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

restaurations  dont  la  condition  première  fut  trop  souvent 
d'en  oublier  le  style  primitif.  Si  l'on  observe,  en  outre,  que 
nous  n'avons  bérité  en  ce  genre  d'aucune  œuvre  magistrale 
aux  vastes  dimensions  où  se  soient  déployées  les  ressources 
d'un  art  mieux  senti,  et  qu'au  contraire  le  temps  ne  nous  a 
guère  laissé  à  examiner  que  des  églises  rurales,  dont  le  né- 
gligé de  bâtisse  et  d'ornementation  accuse  l'inhabileté  des 
grossiers  maçons  qui  les  firent,  on  se  persuadera  peut-être 
que  cette  architecture  avait  pu  être  mieux  traitée  au  sein 
Pauvreté    du  (jes  ffraudcs  cités  que  dans  les  campagnes  {-1  ) .  Ne  soyons 

dessin  architectu-  °  ^  ni,  ?  •        • 

rai  dans  la  pé-  douc  Das  trop  cxplicltes  contre  elle  :  1  ère  mérovnigienne  a 

riode     du      qua-  ^  ^  i  t 

trième  siècle  au  pu  avolr  dcs  chcfs-d  Œuvrc  plus  dignes  que  nous  ne  sem- 

dixième.  ,  i    /    i  •         » 

blons  le  croire  de  1  attention  des  archéologues  ;  mais  n  ou- 
blions pas  que  ce  ne  durent  être  que  des  exceptions  et  que, 
si  belles  qu'on  puisse  les  croire  d'après  les  contemporains 
qui  les  admirent,  il  faut  reconnaître  à  leur  faire  général  que 
tous  ces  spécimens  portent  le  cachet  véritable  d'une  époque 
tourmentée  :  édifices  construits  à  la  hâte ,  sous  la  menace 
presque  incessante  des  invasions  et  des  incendies  que  mul- 
tiphaient  partout  les  guerres  des  barbares ,  et  tout  em- 
preinte, en  un  mot,  des  inquiétudes  de  la  société  qui  les 
élevait.  A  partir  de  la  fin  du  quatrième  siècle,  où  le  droit 
de  conquête  remplace  presque  partout  la  paix  donnée  au 
monde  par  le  premier  empereur  chrétien,  et  que  vint  trou- 
bler pour  longtemps  Julien  l'Apostat,  des  ruines  se  font  sous 
les  remparts  des  villes  comme  dans  les  champs.  L'archi- 
tecture romaine,  avec  ses  colonnes  de  marbre,  ses  frontons 
élégants,  son  appareil  régulier,  ses  bases  uniformes  et  ses 
chapiteaux  studieusement  dessinés,  n'existera  plus  qu'à 
l'état  de  débris  réservés  aux  fouilles  savantes  de  l'avenir.  Le 
mélange  de  pierre  et  de  bois  qui  va  la  remplacer  sera  l'ex- 

(1)  Dom  Mabillon,  Acta  Ordin.  Sancii-Bened.,  t.  I,  p.  256.  C'est 
aussi  l'opinion  de  quelques  archéologues  fort  expérimentés.  —  Voir 
Notice  de  M.  de  Glanville  sur  les  églises  consacrées  au  treizième  siècle 
'par  Odon  Rigaud,  archevêque  de  Rouen;  BuUet»  monum.i  t. XV,  p.  245. 


SON    APPLICATION    A    l'aRT   CHRÉTIEN.  I -i 

pression  d'une  pensée  tonte  différente.  La  tristesse  de  ces 
jours  malheureux  s'imprimera  sur  ses  murs  lourds  et  épais, 
dans  l'étroite  ouverture  de  ces  fenêtres  et  de  ces  portes  où 
une  lumière  parcimonieuse  laissera  deviner  la  crainte  de 
l'ennemi. 

Il  est  vrai  qu'on  voudra  compenser  cette  pauvreté  par 
des  richesses  factices.  Dans  quelques  sanctuaires  brillera 
le  marbre  disposé  en  marqueterie  d'arabesques  et  de  mou- 
lures courantes  ;  on  tracera  des  sujets  dogmatiques  en  petites 
mosaïques  de  pierres  colorées  ou  de  verres  peints.  Mais  ces 
images  mêmes,  dégénérescence  de  l'art  antique,-  objets  cu- 
rieux aujourd'hui  de  nos  études,  comme  jalons  dispersés 
de  nos  plus  anciens  souvenirs ,  restent  en  dehors  de  l'ar- 
chitecture proprement  dite  et  ne  font  qu'un  faible  dédom- 
magement de  tant  de  pertes  les  plus  regrettables. 

Tout  près  de  là  ,  au  lieu  de  ces  élégantes  corbeilles  d'a- 
canthe ou  de  ces  volutes  gracieuses  épanouies  sous  les  ar- 
chitraves et  les  frises  des  temples  anciens  ;  au  lieu  de  ces 
diamètres  absolus  des  colonnes  mathématiquement  me- 
surées, des  triglyphes  et  des  métopes,  et  de  tant  d'autres 
détails  du  ciseau  des  artistes ,  comme  on  les  étudie 
encore  dans  la  crypte  de  Jouarre  et  à  Saint-Jean  de  Poitiers, 
vous  ne  verrez  plus  qu'un  système  sévère  de  lignes  mono- 
tones et  hésitantes,  de  surfaces  à  qui  toute  tentative  d'orne- 
ments suivie  est  refusée.  Quelques  traits  malhabiles,  inscrits 
d'une  main  sans  expérience  autour  d'un  cône  renversé  , 
feront  toute  la  richesse  d'un  chapiteau  ;  deux  ou  trois  tores, 
arrondis  au  mépris  du  compas,  seront  des  bases,  et  tout  cela 
aura  pour  fut  un  monolithe  cylindrique,  trapu  et  froid 
comme  tout  le  reste.  Çà  et  là  vous  verrez  courir  à  l'archi- 
volte d'arcades  hémisphériques  certaines  moulures  qui  se 
réduisent  à  des  dents  de  scie,  à  des  corbclets  presque  tous 
sans  images  ni  significations  apparentes,  à  des  étoiles,  à  des 
roses,  distrijjuées  comme  à  regret  dans  le  champ  mal 
ratissé  de  cette  composition  équivoque. 


46  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

Il  n'en  a  pas      Et ,  Cependant ,  CCS  rares  motifs  ont,  pour  la  plupart, 

moins    ses  motifs  ,  ,  ,    •  x     i  •        -r»       i*        ^        '^n^^ 

symboliques.  icurs  caractèrcs  mystérieux  et  des  significations  réelles. 
Ils  restent  là  comme  des  assertions  isolées,  mais  sûres,  d'une 
science  qui  tient  à  la  vie  qu'on  semble  lui  disputer.  On  voit 
s'y  associer  parfois  les  feuillages  enroulés  de  la  vigne  avec 
son  raisin  eucharistique  (i)  ;  des  (leurs  inconnues  n'en  ex- 
priment pas  moins  la  vigoureuse  végétation  de  l'âme  chré- 
tienne (2)  ;  la  croix,  et  même  le  chrisme  plus  savant,  s*y 
inscrivent  dans  un  orbe  qui  est  cekii  du  monde,  dont  ses 
branches  touchent  et  dominent  les  quatre  points  cardi- 
naux (3)  ;  des  crosses  entrelacées  rappellent  maintefois  la 
houlette  spirituelle  des  Pasteurs  (4).  Mais  combien  le  mérite 
du  sculpteur  est  encore  au-dessous  de  ces  dessins  à  peine 
ébauchés,  môme  à  l'Ile-Barbe,  dont  on  croit  un  peu  trop 
pouvoir  attribuer  les  curieux  détails  à  l'époque  carlovin- 
gienne  (5).  Déjà,  faute  de  mieux  sans  doute,  et  grâce  au 
manque  évident  d'étude  et  de  goût  des  maladroits  ciseleurs, 
la  forme  accidentelle  reste  méconnue  ;  la  pensée  fondamen- 
tale est  tout  à  elle  seule,  et  l'art  n'allégera  plus  la  lourdeur 
de  cette  méthode  qu'aux  jours  encore  éloignés  où  l'école 
byzantine  enverra  à  l'Europe  ses  élégantes  images ,  pour 
mêler  ses  rubans  et  ses  perles  aux  symboliques  expansions 
du  roman  fleuri. 


(1)  «  Quasi  vitis  fructiiicavi.  »  {Ecoles. j  xxiv ,  23.)  —  «  Vitis  frondosa 
Israël.  »  (Oseâe,  x,  1.) 

(2)  «  Florete,  flores,  et  date  odorem.  »  {Eccles.,  xxxix,  19.)  — «  Plan- 
tât! in  atriis  domus  Dei  nostri  florebunt.  »  {Ps.,  xci,  14.) 

(3)  ((  Dilataberis  ad  Orientem  et  Occidentem.  »  (Gen.,  xxviii,  14.)  — 
t(Ab  Oriente  adducam»..  et  abOceidente.DicamAquiloni:Da;  etAustro: 
Noli  proliibere.  »  {Is.j  xliii,  iO.) 

(4)  «  Super  muros  tuos,  Jérusalem,  constitui  custodes.  »  (Is  ,  lxii,  6.) 
— «  Cambuca,  sive  virga  pastoralis...,ministerium  signitîcat  Doctorum, 
quorum  studio  et  prœdi cation e  conversio  geutium  facta  est.  »  (Hug.  à 
Sancto-Yictore,  De  Sacrainentis,  lib.  il,  pars  V,  cap.  m;  apud  Migne, 
Pairolog.,  t.  CLXXVI,  col.  441.) 

(5)  Voir  Précis  historique  sur  rile-BarOe,  par  M.  l'abbé  Roux,  Bullet. 
monum.,  t.  X,  p.  80  et  suiv. 


SON   APPLICATION   A   l'aRT  CHRÉTIEN.  47 

Il  n'en  était  pas  autrement  de  la  peinture  qu'on  avait     Lapeintureem- 

^  *  ployee  alors  pour 

toujours  employée  dans  l'ornementation  des  sanctuaires.  suppi<er  au  tra- 
vail du  ciseau. 

On  prétendait  certainement  racheter  par  elle  ce  que  la 
consti-uclion  avait  de  rigide;  elle  suppléait  même  à  ce  que 
la  sculpture  ne  pouvait  qu'imparlaitement,  et  les  Capitu- 
Inires  de  Gliarles  le  Cliauve  ordounèient  plus  d'une  fois  de 
répai'er  les  églises  maltraitées  par  la  guerre,  et  de  leur 
rendre  l'éclat  perdu  de  leurs  peintures  mutilées  (Ij.  Mais, 
quelque  précieux  que  soient  ces  renseignements,  puisés 
aux  sources  contemporaines,  ils  ne  suffisent  pas  à  bien 
déterminer  pour  nous  la  valeur  de  ces  moyens  iconogra- 
phiques. C'est  à  l'époque  suivante  qu'il  faut  demander  une 
idée  plus  nette  des  progrès  de  l'art. 
Cette  époque  n'arriva  que  lentement  toutefois,  s'élabo-     Ruine  .les  mo- 

,  I,  ,,.  Il-'»  .y  numents  aux  hui- 

rant  sur  les  malheurs  publics  des  huitième  et  neuvième  tième  et  neuvième 
siècles.  On  vit  dans  les  sombres  années  de  cette  longue  pé- 
riode le  sol  de  la  Gaule  envahi  par  les  Arabes,  les  divisions 
entre  leè  familles  régnantes,  le  pillage  des  églises  ruinées 
par  les  spoliateui's,  les  ravages  des  Normands,  qui ,  sans 
cesse  repoussés,  revenaient  sans  cesse  et  n'en  exerçaient 
que  mieux  leur  ^  engeance  sur  le  sol  et  les  monuments  par 
le  double  fléau  du  feu  et  de  l'épée.  Telles  furent  les  causes 
(jui  se  liguèrent  successivement  ou  à  la  fois  pour  ne  laisser 
que  des  ruines  calcinées  à  la  place  des  plus  vastes  édifices 
chrétiens  (2).  Le  divième  siècle  voit  la  l^'rance  débarrassée 
de  ces  cruels  dévastateurs ,  qu'elle  incorpore  à  sa  grande 
famille  ;  mais  les  guerres  intestines  n'en  durent  pas  moins, 
et  il  faut  arriver  jusqu'à  ses  dernières  années  pour  voir 
inaugurer,  avec  le  règne  de  Hugues  Gapet,  cette  paix  dont 
l'Église  va  proliter  pour  s'élancer  vers  la  première  de  ses 
grandes  réformes  architecturales. 

(1)  Baluze,  Copilularia  rcgum  Francorum,  t.  II,  p.  53  et  54,  in-folio, 
1G77. 

(2)  Voir  Fleury,  Uisloire  du  Droit  français,  ch.  xiV;  parmi  ses  opus- 
cules, t.  IV,  in-8",  Nîmes,  1781. 

T.  m.  2 


18  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

Terreurs  histori-      Ici  iioiis  vcnoos  iious  lieurLcr  coiilrc  un  fait  qui  nous 

ques  de  l'an  1000,  .,.,•<•<  xi  '•  ^t^ 

et  de  leurpréten-  scniblc  avoii'  cté  piis  loi't  souveut  trop  au  sérieux  quant  a 
îaRenaiÏÏance'du  ccrtalnes  conséqucnccs  historiques  accréditées  parmi  les 
onzième  siècle.      ^^^.^^^^^^  Q^  fj^lj.  ^  quolquc  étranger  peut-être  à  l'oi3Jet  de 

ce  livre,  se  rattache  intimement  à  l'histoire  de  l'architec- 
ture chrétienne ,  et  le  lecteur  nous  permettra  cette  digres- 
sion en  faveur  d'une  vérité  jusqu'à  présent  obscurcie  par 
de  fausses  appréciations. 

A  entendre  un  certain  nombre  d'écrivains  qui  en  ont 
disserté  depuis  trente  ans,  il  faudrait  se  persuader  que  l'ap- 
préhension de  la  fin  du  monde  aurait  paralysé,  aux  appro- 
ches de  l'an  1000,  tous  les  efforts  des  architectes,  laissé 
sans  réparations  les  monuments  vieillis  et  presque  ruinés , 
et  qu'enfin  un  retour  soudain  à  l'activité  première  serait 
venu  reconstituer  ces  chefs-d'œuvre  perdus ,  et  donner  à 
l'art  des  constructions  sacrées  un  nouvel  élan,  quand  le 
temps  eut  prouvé  aux  populations  terrifiées  qu'elles  n'a- 
vaient plus  de  catastrophe  à  redouter  (I).  En  tout  cela,  un 
examen  plus  attentif  des  sources  contemporaines  peut  faire 
aisément  la  part  de  la  vérité  et  de  l'erreur. 
Témoignages,       H  cst  bicii  Vrai  qu'aux  approches  de  l'an  1000  ,  et  même 

sur  ce  point,  des  ,         .      .,    i  .  ••ni  '       i  •l^  ' 

meilleures  auto-  uii  deiiu-siecle  auparavaiit ,  une  vieille  donnée  des  millé- 
naires ,  fondée  sur  deux  passages  mal  compris  des  chapi- 
tres xn  et  XX  de  l'Apocalypse ,  s'était  réveillée  en  Europe. 
Mais  il  ne  faut  pas  oubher  qu'elle  ne  fut  admise  que  par 
un  certain  nombre  d'esprits  plus  crédules,  comme  on  en 
voit  toujours  dans  la  foule  des  ignorants ,  et  que  les  hautes 
intelligences  combattaient  ces  craintes  irréfléchies.  Des 
prédicateurs  purent  bien  s'en  servir  d'une  manière  plus  ou 
moins  positive  comme  moyen  de  rappeler  à  la  vertu  ou 
d'y  maintenir  :  on  n'en  pourrait  conclure  que  ce  fut  alors 


(1)  Voir  M.  de  Caumoiit,  Histoire  de  VarchiiecUire  au  mcijen  âge, 
p.  52  et  63  ,  in-S",  1837  ;  —  Bâtissier,  Histoire  de  Vart  monumental, 
p.  433. 


rites      contempo 
raines 


SON   APPLICATION   A   L  ART   CHRÉTIEN.  ^9 

une  doctrine  généralement  acceptée  ,  et  surtout  qu'elle  le 
fut  en  des  ternies  absolus  et  définitifs.  Nous  en  avons  une 
preuve  par  Abbou,  (jui  gouvernait  alors  la  célèbre  abbaye 
de  Fleury  ou  Saint-Benoît-sur-Loire.  Ce  saint  personnage 
raconte  que,  dans  sa  preniière  jeunesse  (c'est-à-dire  vers 945, 
où  il  pouvait  avoir  vingt  ans),  il  avait  entendu  prèclier  dans 
la  cathédrale  de  Paris  l'avénenicnt  prochain  de  l'iVntechrist, 
([lie  devnit  suivre  de  près  le  jugement  universel.  «  C'était, 
dit-il,  un  bruit  répandu  partout  que  le  monde  finirait 
((uaiid  lAuuoneialion  coïnciderait  avec  le  Vendredi  Saint.» 
Ur  cette  rencontre  se  fit  en  992,  Pâques  tombant  le  27  mars  , 
et,  les  faux  calculs  tirés  de  l'Apocalypse  établissant  que  la 
fm  du  monde  aurait  lieu  pendant  le  cours  de  la  troisième 
année  qui  suivrait ,  on  aurait  dû ,  semble-t-il ,  se  tran- 
quilliser dès  la  fin  de  l'an  995  ;  mais  le  vague  de  la  pré- 
tendue prophétie  et  la  pensée  persistante  de  l'année  fatale 
tinrent  les  esprits  en  suspens  et  firent  attendre  encore. 
Abbon  avait  été  chargé  par  Richard  ,  abbé  de  Fleury ,  de 
réfuter  ces  bruits  dangereux,  lorsque,  vers  9G2,  on  les  avait 
vus  s'accréditer  de  nouveau  en  Lorraine.  Il  y  avait  donc 
répondu  en  s'appuyant  sur  le  livre  de  Daniel,  sur  les  Évan- 
giles et  sur  l'Apocalypse  elle-même  ,  dont  il  donnait  l'ex- 
ph cation  adoptée  par  l'Église  dans  les  écrits  des  Pères.  Il 
renouvela  son  opposition  à  ces  rumeurs  publiques,  lorsque, 
dans  V Apologie  publiée  peu  de  temps  avant  la  fin  du  dixième 
siècle  pour  la  défense  de  son  orthodoxie ,  il  indiqua ,  au 
nombre  des  abus  de  cette  époque,  ce  qu'on  pensait  encore 
sur  le  môme  sujet  (i).  Nous  voyons  par  là  combien  les 
hommes  graves  s'éloignaient  alors  de  la  superstition  po- 
pulaire. Nous  en  aurons  bien  d'autres  preuves  si  nous  re- 
cherchons dans  l'histoire  les  traces  de  célèbres  construc- 
tions élevées  ou  refaites  jusqu'à  la  fin  môme  du  dixième 


(1)  Abbonis  Apologia,  à  la  suite  du  Codex  canonum  velus,  publié  par 
PiUîOU,  p.  400,  Paris,  1687. 


20  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

siècle  ,  quand  le  péril  suprême  devait  sembler  plus  immi- 
nent. 
Grand  nombre  Pour  peu  qu'ou  veullle,  (iii  eiïet,  recourir  aux  sources  au- 
nasfè?e?éi'etés"'dê  tlieutiques,  OU  s'étonnera  du  crédit  si  longtemps  accordé  à 
ïooo,^"^^  "^  '*"  cette  fabuleuse  terreur  de  la  fin  du  monde,  laquelle  n'a  jamais 
pu  frapper  les  esprits  d'un  découragement  général,  puis- 
qu'en  aucun  siècle  peut-être  on  ne  s'adonna  plus  à  fonder 
ou  à  restaurer  les  monastères,  soit  en  France,  soit  en  Alle- 
magne, soit  partout  ailleurs.  Pour  être  d'une  irrépro- 
cliable  exactitude  ,  nous  avons  voulu  interroger  un  cata- 
logue fidèle  des  établissements  religieux  qui  furent,  à  celte 
époque,  dans  notre  pays  l'objet  de  ce  zèle  fervent.  Nous 
n'avons  pas  voulu  poser  nos  limites  au  delà  de  la  seconde 
moitié  du  dixième  siècle ,  et  nous  marcbons  seulement  de 
l'an  950  à  l'an  1000  :  c'est  la  période  où  l'agitation  dut  se 
faire  plus  active  ;  et  dans  ce  cadre  si  rétréci  où  il  semble, 
à  en  croire  tant  d'échos  éperdus,  que  le  marteau  et  la 
truelle  ne  devaient  plus  servir  qu'à  tailler  et  sceller  des 
cercueils ,  nous  ne  comptons  pas  moins  de  cent  douze  des 
plus  célèbres  abbayes  ou  monastères  divers  construits  ou 
réparés  de  toutes  parts  (-1).  Dans  ce  nombre,  nos  infati- 
gables Bénédictins  en  ont,  à  eux  seuls,  plus  de  soixante  , 
et  l'on  sait  que  déjà  ces  studieux  cénobites  étaient  des  plus 
éclairés ,  partant  des  plus  capables  d'apprécier  la  valeur 
et  vers  l'an  1000  tliéologique  dcs  Idécs  populaires.  Ajoutons  que  ,  sur  qua- 
rante-buit  de  ces  maisons  dont  on  s  occupe  amsi  dans  le 
court  intervalle  des  vingt  dernières  années  du  dixième 
siècle  (de  980  à  1000) ,  dix-sept  s'élèvent  ou  dans  le  cou- 
rant même  de  cette  millième  année,  ou  à  ses  approclies 
les  plus  immédiates ,  et  portent  dans  les  historiens  la  note 
formelle  :  «  Fondé  vers  l'an  iOOO.  >>  Puis  ils  en  citent,  et 
des  mieux  réputés,  jusque  dans  les  cinq  dernières  années, 


{{)  QaÎ.  Annuaire  h'htorique,  publié  par  la  Sociélé  de  l'Histoire  de 
France,  t.  H  de  la  collection,  1838,  p.  02  et  suiv. 


SOi\    APPLICATIOIV    A    LMVÎ    CHRÉTIKN.  21 

OÙ  le  inoiiNciiieiit  est  loin  de  se  ralentir  :  tels,  eu  09(>,i\otre- 
Dame  d'l^]taiiipes,  Saint-Franibold  de  Seiilis,  Saiut-Flour,  qui 
deviut  plus  tard  uu  siège  d'évôché  ;  en  997,  Ahun  de  Limoges 
etSaiîit-André  de  Villeneuve-d'Avignon  ;  en  999,  Notre-Dame 
de  Vernaison  près  Carcassonne,  Nauffle-le- Vieux  au  diocèse 
de  Ciliartres,  Saints-Gei'vais-et-Protais  de  Mende.  C'est  encore 
pendant  qu'on  se  serait  acheminé  à  la  fin  de  toutes  choses 
que  le  diocèse  de  Poitiers  vit  naître,  en  96 1 ,  Saint-Liguaire  , 
près  Niort  (alors  relevant  de  Saintes),  Airvault  en  973,  S.  Léo- 
nard de  Ferrières  en  979  ,  enfin  Maillezais  en  990.  On  osa 
all(M'  plus  loin  ;  et  quand  l'année  fatale  se  fut  montrée  , 
quand  ,  au  dire  des  prophètes  de  malheur,  il  n'y  avait  plus 
que  deux  ans  et  demi  entre  le  monde  et  son  dernier  jour, 
on  n'hésita  pas  à  hfitir  pour  cette  courte  jouissance,  à  Sentis 
l'ahbayede  Saint-Régulus,  Saint-Vivant  à  Autun,  Saint-Pierre 
de  Générez  près  de  Tarbes.  D'autres  s'exposèrent  à  un  bail 
de  dix-huit  mois,  car  c'est  en  i  OOi  que  la  ïouraine  fonda  son 
monastère  de  Preuilly ,  et  le  Bigorre  celui  de  Saint-Marthi 
de  Cani"ou.  Voilà,  certes,  des  témoignages  d'une  grande  se-     ^a «n du  mondo 

^  '  '  O        D  O  jj,ggt         signalée 

curité  :  ils  expliquent  fort  bien  comment,  parmi  le  grand  alors  que  dans  un 

^       ^  1  o  petit   nombre    de 

nombre  de  chartes  et  autres  actes  publies  du  môme  temps  chartes. 
venus  jusqu'à  nous  ,  il  est  relativement  fort  rare ,  quoi 
qu'on  en  ait  dit,  d'en  voir  qui  invoquent  la  pensée  de  la 
fm  prochaine  de  toutes  choses  pour  motiver  les  donations 
ou  œuvres  pies  ainsi  confirmées.  C'est  toujours,  à  quelques 
exceptions  près  ,  leur  propre  mort  que  les  donateurs  voient 
arriver  :  c'est  dans  le  désir  de  se  racheter  eux-mêmes  qu'ils 
se  montrent  généreux  envers  les  moines  et  le  clergé  (^).Et 


(1)  «  Intérim  rjum  orbitca  saeculi  volvitur ,  et  fabrica  uniiiscujusquc 
corporis  anhelitu  s[)iritus  aspirât ,  tractare  débet  mens  cujusquam  cor- 
poris  (jualiler  œruinuas  hnjus  saeculi  pos-it  évadera  et  bonis  fnturi 
s.7;culi  non  caiere...  Idcirco  eji^o...,  pro  anima  mea  meluens  articnlum 

morlis,  et  casus  bumana:;  fragilitatis » — Tel  est,  presque  toi  jours  ou 

en  termes  ('iiluivalents ,  le  protocole  des  chartes  ou  actes  publics  do 
cette  époque  et  des  temps  antérieurs.  Celui-ci  a[)particut  à  une  dona- 
tion faite  en  003  au  chapitre  de  Saint-Hilaire  de  Poitiers. —  Voir  Besly, 
IJisl.  cks  Cuinles  de  Puicluu,  iu-folio,  i».  292  et  293. 


Rénovation 
de  l'architecture 
chrétienne  au 
commencement 
du  onzième  siè- 
cle; 


22  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

comment  eussent-ils  agi  de  la  sorte  s'ils  avaient  cru  sé- 
rieusement à  une  catastrophe  qui  eût  dû  confondre  bientôt 
dans  une  môme  ruine  les  héritages  et  les  successeurs? 
Gomment  lirions-nous  encore  autant  de  transactions  ,  d'a- 
chats et  de  ventes ,  d'échanges  et  d'arrangements  de  toute 
espèce  entre  gens  que  la  mort  allait  infailliblement  saisir  ? 
et  toutes  ces  écritures  portant  l'empreinte  et  la  date  môme 
des  années  qui  précèdent  de  plus  près  la  plus  redoutée  de 
toutes ,  jusqu'à  l'an  ]  003 ,  après  lequel  la  plus  obstinée 
crédulité  n'avait  plus  rien  à  craindre  ? 

Néanmoins  la  recrudescence  architecturale  de  cette 
époque  est  incontestable  ;  ses  écrivains  en  font  foi ,  et 
le  bénédictin  Radulphe  Glaber,  dont  la  Chronique  finit  à 
l'année  1046 ,  étabht  qu'à  la  fin  de  ^1003  la  France  et  l'Italie 
brillèrent  entre  toutes  les  nations  par  une  sainte  ardeur  à 
relever  les  monastères  et  les  églises  (^).  Cette  date  si  précise 
semble  bien,  il  faut  l'avouer,  indiquer  à  dessein  l'époque  où 
la  prétendue  prophétie  commençait  à  ne  plus,  faire  peur, 
et  atteste  qu'en  effet  des  préoccupations  antérieures  avaient 
paralysé  quelque  peu  le  zèle  qui  reparut  tout  à  coup.  Mais 
ces  timidités,  peu  conciliables  si  on  les  généralisait  trop 
avec  les  faits  historiques  apportés  ci-dessus,  venaient  bien 
plus,  comme  nous  l'avons  dit,  des  malheurs  accumulés  sur 
les  populations  de  l'Europe  occidentale  depuis  la  mort  de 
Gharlemagne,  que  de  l'attente  certaine  d'un  bouleversement 
universel,  attente  que  Glaber,  qui  n'eût  pu  l'oublier,  ne 


(1)  «  Igiturinfra  supra  di«îtum  millesimuiD,  tertio  jamfere  imminente 
anno ,  contigit  in  imiverso  pêne  terrarum  orbe,  prœcipue  tamen  in 
Italia  et  in  Galliis ,  innovari  ecclesiarum  basilicas,  licet  pleraeque  de- 
center  locatae  minime  indiguissent.  iEmulabatur  tamen  quœque  gens 
Christicolorum  adversus  alteram  decentiore  frui.  Erat  enim  instar  ac 
si  mundus  excutiendo  semel,  rejecta  vetustate,  passim  candidam  eccle- 
siarum vestem  induceret.  Tune  denique  episconalium  sedium  ecclesias 
pêne  universas,  ac  caetera  quaeque  diversorum  Sanctorum  monasteria, 
seu  minora  villarum  oratoria,  in  meliora  quique  permutare  fidèles.  » 
(Glabri  Radulli  Uislorix  ,  lib.  III ,  cap.  iv;  apud  Historias  Francoruni 
Pi  bibliotheca  Pitheei  éditas,  in-folio,  FrancofurU,  1596,  p.  27. 


SON   APPLICATION    A    LART   CHRÉTlliPy.  23 

mentionne  même  pas  !  Mais  quand  l'avénenient  dos  Capétiens  «^s  causes  vcrita- 

bles  dans  les  con- 

a  terminé  tant  de  querelles  sanglantes;  lorsque  la  plupart  quêtes  du  chm- 

tianisinc, 

des  nations  du  Nord  arrivent  a  la  lumière  pacifique  du 
Chi-istianisme  (I)  ;  que  l'Italie  renaît  par  la  docte  et  pater- 
nelle influence  de  la  papauté,  sous  Sylvestre  II,  Jean  XVII  et 
Sergius  IV  (2  ;  lorsqu  enfin  la  France  voit  avec  admiration 
la  piété  du  roi  Robert  s'intéresser  aux  choses  de  la  liturgie 
et  honorer  d'une  égale  attention  tout  ce  qui  se  rattache  au 
culte  de  Dieu  et  de  ses  Saints,  on  conçoit  qu'à  l'abri  de  cette 
paix  de  toutes  parts  revenue,  l'élan  put  être  donné  à  une 
grande  l'égénération  monumentale ,  et  comment  les  peuples 
rivalisèrent  d'y  contribuer  (3).  On  voit  donc  combien  se 
sont  trompés  quelques  observateurs  qui,  sans  craindre  de 
contredire  toutes  les  chroniques  locales  et  contemporaines, 
ont  avancé  hardiment  qu'à  ce  sujet  il  ne  fallait  pas  les 
prendre  à  la  lettre.  Il  est  clair  que  des  écrivains  aussi  expli- 
cites que  ceux  du  onzième  siècle  n'ont  pas  voulu  nous  léguer 
des  contes,  et  doivent  être  les  guides  naturels  de  tous  les 
historiens  à  venir  (4). 


(1)  Il  faut  rapporter  à  ce  lemps-là  la  conversion  des  Normands  ,  des 
Hongrois,  des  Islandais_,  des  Suédois,  des  Danois,  des  Norwégiens.  des 
Polonais,  etc. 

(2)  Duchesne,  Histoire  des  Papes,  p.  94  J,  in-4",  Paris,  1615. 

(3)  Comme  Glaber,  Guillaume  de  Malmesbury,  qui  écrivait  peu  après 
(au  douzième  siècle),  se  complaît  dans  une  longue  liste  des  églises  bâ- 
ties au  onzième  en  Normandie  et  en  Angleterre,  et  ce  qu'il  dit  des  deux 
pays  peut  s'appliquer  à  touLe  l'Europe:  «  In  diebus  illis  maxima  pacis 
tranquillitas  lovebat  habitantes  in  Normannia ,  et  servi  Dei  a  cunctis 
habebantur  in  summa  reverentia.  Unusquisque  optimatum  certabat  in 
prœdio  suo  ecclesias  œditicare  et  monachos  qui  pro  se  Deum  orarent 
rébus  suis  locupletare.  »  (De  Gestis  jionlificum  Angloruni ,  lib.  III , 
cap.  XIII  ;  apud  Seville,  Anglicar.  rerum  scriplorespost  Bedam  ,  in-P, 
Londini,  J."J9G.) 

(4)  C'était  l'opinion  de  M.  Miclion,  émise  au  congrès  arcliéologique 
d'Angouléme  en  1847.  11  y  réclamait  aussi  contre  ce  qu'on  a  cru  jusqu'à 
présent  des  ravages  multipliés  des  Normands  et  des  incendies  faits  par 
eux  des  églises  et  des  monastères.  C'est  là,  s'il  en  fût  jamais,  un  so- 
[jhisrne,  et  de  premier  ordre.  Le  contraire  se  prouverait  amplement 
par  les  curieuses  reproductions  d'un  manuscrit  du  quatorzième  siècle, 


24  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

et  les  nombreuses       Uiic  auLi'c  causc  (le  Cet  eiiipresscmeiit  se  dévoile  encore. 

translations  de  re-  i        -^t  i  -    i>  ,  i 

liques.  Durant  les  guerres  des  Normands,  si  funestes  aux  choses 

sacrées,  les  monastères  et  les  églises  s'étaient  l'ait  un  devoir 
de  porter  au  loin  les  riches  et  nombreuses  reliques  qu'ils 
possédaient.  Beaucoup  d'entre  elles  étaient  restées  dans  les 
lieux  qui  les  avaient  protégées;  d'autres  s'étaient  effacées  du 
souvenir  des  hommes  après  réversion  des  lieux  saints  et  la 
mort  souvent  violente  de  ceux  qui  les  avaient  confiées  ou 
reçues.  Quand  le  temps  parut  favorable,  on  les  réclama,  et 
il  fallut  de  nouvelles  éghses  pour  leur  rendre  une  hospitalité 
digne  d'elles  ;  il  fallut  de  nouveaux  monastères  pour  gi-ouper 
autour  d'elles  de  fervents  disciples  de  tant  de  Saints  recon- 
quis: c'est  ce  que  Glaber  assure  encore  (1).  Parmi  les 
princes,  le  religieux  successeur  de  Hugues  Gapet  entra,  par 
des  efforts  et  des  sommes  considérables,  dans  ce  soin  des 
constructions  nationales.  C'était  pour  lui  comme  une  sorte 


copié  évidemment  sur  un  autre  bien  plus  ancien  et  qu'a  publié  M.  Pei- 
gné-Delacourt  à  la  suite  de  ses  Normands  clans  le  Noyonnais ,  in-8", 
Paris,  1868.  Toutes  les  routes  parcourues  par  ces  terribles  ravageurs^ 
toutes  les  églises  pillées,  y  sont  indiquées  en  nombre  immense  avec  les 
moyens  qu'on  y  prit  de  soustraire  aux  pillards  les  reliques  et  autres 
objets  précieux  de  leurs  trésors.  Donc,  pour  s'entendre  avec  M.  Michon, 
il  faudrait  nier  la  valeur  de  ces  documents  ;  il  faudrait  oublier  en- 
core tous  les  auteurs  de  cette  époque,  et  surtout  l'énergique  résumé 
qu'en  faisaient  alors  les  nations  chrétiennes  à  qui  ces  païens  du.  Nord 
en  voulaient  surtout:  A  furore  Normannorum  libéra  nos,  Domine. 
Sans  doute  il  resta  des  ruines,  dont  les  derniers  débris  suffisent  peut- 
être  à  constater  les  caractères  de  l'architecture  anlérieure  au  onzième 
siècle;  mais  ces  débris,  comme  le  dit  beaucoup  mieux  ce  même  M.  Mi- 
chon,  servirent  de  bases  à  des  constructions  nouvelles.  Il  n'en  est  pas 
moins  établi  que  le  zèle  de  reconstruction  était  devenu  un  mouvement 
général  de  la  société  à  cette  période  du  moyen  Age.  —  Voir  Séances 
générales  de  la  Sociélé  française  d'archéologie  tenues  en  1847,  in-8", 
p.  303  et  suiv.,  Paris,  Derache,  1848. 

(1)  «  Innovatis  eccle.Viarum  basilicis  universo  mundo,  subsequenii 
tempore,id  estannooclavo  post  millesimumhumanœsalvationisannum, 
revelata  sunt  diversorum  argumentorum  indiciis  quorsum  diu  latue- 
rant  plurimorum  Sanctorum  pignora,  Nam,  veluti  quoddam  resurrec- 
tionis  decoramcn  préestolantes,  Dei  nutu  fidelium  obtutibus  patuere.  » 
(Glabri  Radulfi,  ubi  suprà,  cap.  vi;  mihi,  p.  30.) 


SON    APPl.lCATIOX    A    L  VUT   CHRÉTIKN.  2:) 

de  seconde  vocation  attachée  à  celle  de  la  royauté,  et  un 
de  ses  historiens,  témoin  de  son  activité  merveilleuse,  se 
plaît  à  en  énumérer  les  fruits  dans  une  page  toute  pleine 
de  noms  de  nos  plus  célèhres  étahlissements  (I).  Le  môme 
entraînement  se  manifesta  bientôt,  par  l'unique  raison 
d'avoir  mieux.  On  refît  le  plus  grand  nombre  des  cathé- 
drales; les  abbayes,  les  prieurés,  les  simples  paroisses  de 
campagne  furent  b.  l'envi  réédifiés;  et  ce  qu'il  y  a  de  plus 
curieux,  c'est  que,  pour  en  venir  là,  il  ne  fallût  pas  même 
que  ces  édifices  eussent  besoin  de  réparation  ou  d'agrandis- 
sement. Les  chroniques  affirment  que  beaucoup  d'entre 
eux  ne  durent  leur  remise  en  œuvre  qu'à  la  pensée,  alors 
dominante,  d'embellir  la  maison  de  Dieu.  Or  en  quoi  cousis-     Apparition  du 

^  grand  appareil, 

tèrent  principalement  ces  améliorations  univei'sellement 
enviées,  sinon  en  ce  que  les  édifices  sacrés  devinrent  plus 
vastes,  et  furent  maçonnés  non  plus  en  mélange  de  bois  et 
de  moellons  comme  auparavant,  mais  en  fortes  murailles 
composées  d'un  épais  blocage  de  pierres  et  de  ciment  que 
revêtait  de  toutes  parts  un  grand  appareil  uniforme  et 
régulier,  comme  nous  le  voyons  encore  dans  la  plupart  de 
nos  vieilles  églises.  Ce  genre  nouveau  (2),  signalé  alors 
comme  une  conquête  de  l'architecture  religieuse  (3),  et 
qui  devait  être  emprunté  aux  forteresses  de  la  féodalité, 
attestait,  par  la  noble  et  imposante  fermeté  de  son  style,  les 
grandes  et  immortelles  pensées  de  ces  peuples  chrétiens 

(1)  «  In  aedificatiouibus  ecclesiarum  Dei  hic  temporal!  simul  ac  s\)iri- 
tuali  iuunctus  rex  sanct'e  benedictionis  dono,  suam  potentiaiu  et  vo- 
luiitatem  adimplere  desiderans,  et  ad  œlernte  beatitudiuis  palmam 
consequendam,  aiihelans  inter  alia  cogitare  cœpit...  Sancti  Dei...  qua 
essent  hoiioraûdi  et  extollendi  laude.  »  (Helgaldi^Floriacensis  raonacbi, 
Epiloine  Vilsd  Roberti  régis  ,  e  bibliotheca  Pithaei ,  ubi  supià;  inihi , 
p.  77.)—  Ce  zèle  du  prince  s'étendit  à  Paris,  Orléans,  Yitry,  Senlis,  Me- 
lun,  Ktarn[)es,  Poissy,  Autim,  et  Ijien  d'autres  lieux  où  certaines  de  ces 
églises  du  onzième  siècle  existent  encore. 

(2)  Bulk'lin  vionuinenlal,  t.  IV,  p.  176  et  suiv.;  t.  V,  p.  134. 

(.'})  M.  deCaunionlj  [list.  somtnuire  de  CanliUcrlure,  p.  90  et  suiv., 
imssim. 


1000. 


26  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

revenus  à  leurs  plus  solides  espérances.  Nétait-ce  pas  là 
encore  un  symbole  de  l'imniutabilité  de  la  foi  ? 
et  des  cryptes  de       Unc  tcUc  émulatiou  sc  prolougea  bien  au  delà  du  règne 

vastes  dimensions.  .  .      i  »  n  i  ,         >  i 

de  Robert,  qui  en  avait  donne  1  exemple ,  et  prépara  ce  beau 
douzième  siècle  où  les  plus  suaves  fleurs  de  l'architecture 
mystique  s'épanouirent  sur  notre  sol.  Les  cryptes,  qu'on 
n'avait  guère  songé  à  creuser  encore  en  de  grandes  pro- 
portions sous  les  grandes  églises,  et  d'après  une  imitation 
plus  ou  moins  fidèle  de  leur  plan,  datent  de  ce  temps  de  régé- 
nération. En  ^02i,  Fulbert,  évèque  de  Chartres,  en  ména- 
geait une  magnifique  à  sa  cathédrale,  reconstruite  après  un 
incendie.  Là  encore  est  une  idée  mystérieuse  dont  nous 
parlerons  bientôt  ('l). 
Aucuns  symbo-      Établissous  cufin ,  commc  résumé  de  toutes  nos  raisons 

les  ne  constatent  ^       ^  .  •  x-t  x^i.'" 

la  peur  de  l'an  coutrc  k  famcusc  tcrrcur,  si  gratuitement  prêtée  a  nos 
pères  à  propos  de  Fan  'lOOO ,  qu'après  la  sécurité  revenue, 
quand  l'art  sc  reprit  à  ses  droits  par  l'expansion  plus  abon- 
dante de  ses  richesses  sculptées,  il  ne  constata  par  aucun 
trait  apparent  le  grand  rôle  qu'aurait  eu  ce  sentiment 
dans  les  affaires  humaines  de  presque  tout  un  siècle.  Pas 
un  de  ces  monuments  construits  alors  qui  fasse  la  moin- 
dre allusion  sym])olique  à  la  fin  du  monde,  au  bonheur 
d'être  éciiappé  à  ce  naufrage  redoutable!  Si  le  onzième 
siècle  donne  quelques  types  du  jugement  dernier,  c'est  en 
de  rares  exemples ,  mais  toujours  sans  aucun  ressentiment 
d'un  passé  si  proche  de  lui,  et  qui  aurait  bien  valu  qu'on 
en  sculptât  le  souvenir.,..  —  On  ne  prétendait  y  donner 
qu'une  leçon  éloquente  aux  violences  dont  on  avait  souffert, 
aux  vices  qui  surgissent  toujours  du  sein  de  la  guerre,  et  à 
toutes  ces  intempérances  de  la  volonté  entraînée  à  la  suite 
des  mauvaises  passions  du  cœur  humahi  (2). 

(1)  Voir  notre  Histoire  de  la  cathédrale  de  Poitiers,  t.  I,  p.  34,  in-S», 
Paris,  1849.  — Fulberti  Carnot.  episc,  Epistola  h,  apud  dom  Bouquet. 
Scriptores  rerum.  q allie,  i.  X,  p.  469, 

(2)  Voir  Bulletin  monumental,  t.  VU,  p.  520,  et  t.  XIV,  p.  102  et  226. 


SON   APPLICATIOIN    A    LAKT    CHHÉTIEN.  27 

Cependant,  notre   symbolisme    allait  gagner  de   pré-  .iJ^^^'^y^fbTS^ 
cieux  éléments.  Dès  le  milieu  du  onzième  siècle,  l'essor  f,f„VlrA'?S'o® 

£111  OII0I6III6  SlCCiC* 

donné  à  l'art  de  construire,  les  plans  devenus  plus  vastes, 
les  niasses  rendues  plus  imposantes  ,  durent  chercher 
dans  la  sculpture  des  moyens  de  pallier  la  sévérité  du 
style  nouveau.  La  théologie  mystique  \int  exercer  son 
heureuse  influence  sur  ces  nouvelles  inspirations.  Les 
portes  principales  ou  secondaires  des  églises  et  des 
cloîtres  commencèrent  à  s'enfoncer  sous  deux  ou  trois 
rangs  d'archivoltes  agréablement  fouillées  de  dessins  variés, 
et  retombèrent  sur  autant  de  colonnes  dont  les  chapiteaux 
épanchaient  déjà  quelques  feuillages  mieux  galbés.  Dans  ce 
travail,  qui  ne  brille  pas  encore  par  d'insignes  ressources, 
et  se  contente  souvent  de  sujets  isolés,  mais  non  tout  à  fait 
dénués  de  significations  symboliques,  on  pressent  la  pro- 
chaine apparition  de  motifs  plus  diserts.  Quelques  tètes 
d'hommes,  diverses  d'expression  et  de  pensée,  apparaissent 
sous  les  corniches  des  façades ,  quelquefois  môme,  à  l'inté- 
rieur, sous  les  pendentifs  des  coupoles  centrales,  au-dessus 
desquelles  s'élève  la  tour  du  clocher.  Bientôt  des  épisodes 
bibliques  se  déroulent  sur  les  larges  circonférences  des 
cliapiteaux  que  charge  l'arc  triomphal;  une  végétation  ex- 
pressive rampe  en  guirlande  continue  à  la  naissance  de  la 
voûte  du  sanctuaire  ;  des  oiseaux  y  boivent  à  un  même 
calice,  y  becquettent  le  raisin  d'une  vigne  mystique,  ou 
s'endorment  paisiblement  dans  les  branchages:  âmes  d'élite 
qui  se  délectent  dans  la  solitude  du  saint  lieu.  En  un  mot, 
l'idée  esthétique  est  là  se  mêlant  aux  minces  détails  de  la 
décoration,  quand,  depuis  longtemps,  la  forme  générale  a 
donné  à  l'ensemble  un  langage  comui  de  tous.  A  mesure 
que  l'art  se  perfectioune  en  se  transformant,  et  que  le  cise- 
leur rivalise  avec  l'architecte,  on  a  oit  se  multiplier  les 
manifestations  du  symbolisme,  on  sent  que  l'architecture 
se  plie  aux  influences  des  écrivains  de  ce  temps  ,  et  qu'en 
s'élevant  jusqu'à  la  hauteur  de  leurs  conceptions  magis- 


28  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

traies,  elle  s'étudie  à  les  traduire  sur  la  pierre,  pour  en  faire 
autant  de  leçons  impérissables  à  la  foule,  autant  de  livres 
pour  ceux  que  ne  pourrait  aider  la  lecture  des  manuscrits. 
Ces  caractères  brillent  aujourd'hui  en  des  proportions 
diverses  de  tout  le  cliarme  de  leur  vénérable  antiquité  dans 
les  belles  cathédrales  de  Nantes,  d'Évreux,  du  Mans,  de 
Luçon,  de  Bayeux,  de  Spire,  de  Worms,  de  Mayence  ;  dans 
les  abbatiales  de  Saint-Benoit-sur- Loire,  de  la  Trinité 
d'Ang^ers,  de  Saint-Étienne  de  Caen,  de  Saint-Sernin  de 
Toulouse,  de  Saint-Savin-sur-Gartempe,  de  Saint-Georges 
de  Bocberville,  de  Montierneuf  de  Poitiers.  Cette  dernière 
ville  a  aussi  ses  collégiales  de  Saint-Hilaire,  de  Notre-Dame 
et  de  Sainte-Badégonde,  comme  Gliauvigny-sur-Vienne  a 
Saint-Pierre ,  comme  Parthenay  en  Gâtine  Sainte-Croix, 
comme  partout  enfin,  dans  nos  villes  et  nos  campagnes, 
d'innombrables  paroisses  rappellent  jusque  dans  la  modeste 
simplicité  de  leur  intéressante  iconographie  ces  temps  de 
véritable  renaissance  que  tant  d'éléments  inconnus  se  prê- 
tèrent à  favoriser. 

Maintenant ,  que  conclure  de  ces  documents  positifs , 
sinon  qu'après  l'an  ï  000  on  vit  s'établir  dans  la  construction 
des  églises  cette  extrême  rigueur  normale  qu'attestent  les 
savants?  Mais  aussi  faut-il  en  abandonner  quelques-uns, 
comme  nous  délaissons  M.  Lenormand  lui-même,  lorsqu'il 
affirme  qu'antérieurement  à  cette  époque  les  règles  pro- 
pres des  constructions  sacrées  furent  dominées  par  une 
forte  anarchie  (-1).  Les  plans,  au  contraire,  restèrent  for- 
mellement les  mêmes,  et  les  mêmes  règles  imposées  de 
tout  temps  par  V Église  furent  constamment  surveillées  et 
maintenues  par  Elle. 
Influence  excr-       ^als  ,   si  Ics  priiicipes   dcmeurcnt  intacts  sous  un  tel 

cee  par  la  littera-  '  ^ 

turc  du  douzième  pati'ouage  ,  toujours  foiidé  sur  des  vérités  h  répandre,  la 

(1)  EiiairrÂnscinents  sur  la  le^lUuHon  de  Véglise  mérovingienne  de 
Sainl-Marluide  Tour^,  p.  457  du  tome  l^r  de  la  Traduction  de  S. Gré- 
goire de  Tours,  par  MM.  Guadet  cl  Taramie,  in-S»,  1838. 


SON    APPLICATION    A    L'aUT   CHRÉTIEN.  2«) 

pensée  Imniaiuc,  peu  stcitioniiaire  de  sa  nature,  élai'p:it  sans 
cesse  sa  carrière,  et  rien  ne  la  lui  agrandit  au  même  degré 
que  la  littérature  et  les  arts.  L'Église  n'a  garde  alors  de 
l'entraver  :  elle  la  protège  et  l'encourage.  Aussi ,  sous  ses 
auspices,  le  douzième  siècle,  arrivant  avec  son  grave  et  docte 
cortège  d'écrivains  sérieux  et  positifs ,  donne  aux  lettres 
sacrées  un  magnifique  développement  dans  les  écrits  de 
ces  grands  génies  dont  nous  avons  analysé  les  œuvres  hié- 
ratiques. Chose  merveilleuse  !  ce  fut  le  signal  d'un  mou- 
vement de  plus  vers  la  perfection  du  style  architectonique  : 
la  pensée  dicta,  et  l'art  écrivit  à  l'avenir  ces  témoignages 
immortels  de  la  puissance  créatrice  que  nous  y  admirons 
encore. 

Ce  douzième  siècle,  dont  les  écrivains  s'étaient  si  stricte-     Heureuses  mno- 
ment  tenus  aux  doctrines  théologiques  et  scripturaires  pian  générai  des 

^  .  .  églises  romanes. 

venues  directement  des  Apôtres,  s  en  tient  aussi,  pour  1  ar- 
chitecture, aux  règles  faites  :  ses  églises  conservent  leurs 
formes  reçues,  leur  symholisme  est  complet  sous  ce  rap- 
port; tout  au  plus,  outre  radjonction  d'un  latéral,  et  quel- 
quefois de  deux  ou  trois,  de  chaque  côté  de  la  nef  médiane  ; 
outre  les  galeries  supérieures  qui  les  surmontent,  et  que 
couronnent  une  helle  suite  de  fenêtres  formant  le  triforium^ 
et  pour  lesquelles  on  marie  le  plein-cintre  à  l'ogive  ;  outre 
cela,  disons-nous,  on  consacra  d'heureuses  innovations  dans 
la  plus  haute  partie  des  clochers  et  dans  le  prolongement 
des  has-côtés  autour  du  sanctuaire,  qui  commence  dès  lors 
à  s'isoler  de  l'ahsidc  et  à  garnir  le  déambulatoire  de  cha- 
pelles formant  pour  ce  nouveau  chevet  soit  un  rayonne- 
ment mystique,  soit  les  trois  branches  symboliques  du  nimbe 
croisé  toujours  donné  à  la  tète  de  l'Homme-Dieu.  Or,  avec 
ces  quelques  éléments  s'opère  tout  un  élan  vers  une  révo- 
lution architecturale.  La  vieille  école  qui  règne  depuis  le 
sixième  siècle  laisse  absorber  ses  principes  dans  celle  de 
l'époque  nouvelle,  et  celle-ci,  à  son  tour,  tend  déjà,  par 
d'importantes  modifications  de  son  style,  vers  l'école  ogivale, 


30  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

qui  deviendra  bientôt  la  plus  haute  expression  de  l'art. 
Les  nombres  sym-       Nous  ne  savous  jusqu'où  dolt  aller  notre  confiance  en  de 

boliques    y     figii-  .  i,         i    ,    i  i  •  i. 

rent-iis?  ccrtaincs   protentions  d  archéologues   modernes   qui   ont 

attribué  aux  architectes  romans  une  mystérieuse  tendance 
vers  des  combinaisons  numérales  ou  géométriques  dans  le 
tracé  de  leurs  plans.  A  les  entendre,  ces  génies  méditatifs 
auraient  surtout  clioisi  le  cube  pour  principe  architecto- 
nique  ,  et  de  son  développement  régulier  serait  née  la 
figure  d'une  croix  donnée  à  la  jjasilique  latine  {\).  S'il  en 
était  ainsi,  le  moyen  âge  n'aurait  eu  que  le  mérite  bien 
secondaire  d'appliquer  le  principe  à  des  éléments  qui  lui 
furent  antérieurs  de  toute  la  durée  du  Christianisme.  Il 
est  vrai  que  l'habile  et  regrettable  dominicain  Piel,  dont  la 
science  architecturale  s'était  nourrie  des  plus  liantes  pen- 
sées de  l'exégèse  chrétienne ,  semble  avoir  eu  sur  ce  point 
un  système  que,  malheureusement,  il  n'a  pu  exposer  avant 
de  mourir  (2).  Mais  pour  lui,  il  ne  se  fut  agi  que  d'appliquer 
les  nombres  à  la  construction  de  nos  grandes  cathédrales, 
beaucoup  plus  que  de  poser  une  théorie  identique  dans  le 
passé.  Il  marcliait  néanmoins  sur  les  vestiges  des  Pères,  et 
sans  doute  il  nous  eût  donné  en  d'ingénieux  rapproche- 


(1)  Cf.  M.  S<^hiiaase,  Histoire  de  rarl,ciiè  par  B'idron ,  Annales 
archéologiques  ,  t.  XII,  p.  323.  —  Ce  n'est  pas  que  MM.  Didrou  et 
Schnaase  ne  nous  paraissent  pas  dédaigner  de  beaucoup  trop  le  sym- 
bolisme des  nombres^  regardé  comme  très-sérieux  partant  de  graves 
autorités  citées  par  nous  dans  le  premier  volume  de  cet  ouvrage; 
mais  l'un  et  l'autre  nous  semblent  dans  le  vrai  quand  ils  refusent  tout 
crédit  aux  raisons  données  jusqu'à  présent  par  l'érudition  vaporeuse 
d'outre-Illiin  pour  établir  la  réalité  de  leur  système  géométrique. 

(2)  Le  31  décembre  1837,  Alexandre  Piel,  qui  n'était  pas  encore  entré 
dans  l'ordre  de  Saint-Dominique,  écrivait  à  son  père  :  «  Je  dispose  un 
autre  travail  sur  les  nombres  impairs  de  l'Ancien  Testament,  qui  me 
servira  plus  tard  pour  une  symbolique  des  nombres  de  toutes  les  an- 
ciennes traditions,  et  qui  conduira  à  dévoiler  un  des  mystères  encore 
cachés  de  la  synthèse  des  catbédrales  catholiques.» —Voir  Biographie 
universelle  de  Michaud ,  t.  LXXVII ,  p.  169  ;  voir  encore  une  de  ses 
lettres,  sur  l'art  et  l'influence  qu'il  reçoit  du  Christianisme,  au  t.  IX, 
p.  354,  du  Bulletin  momimental. 


SON    VPPLICATION   A    i/aRT   CHRÉTIEN,  3i 

ments  l'explicalioii  de  quchiiics  mystèros  peut-être  encore 
inaperçus.  Cette  marche  grave  et  partout  éclairée  des  lu- 
mières de  la  patristiiiue  n'aurait  donc  rien  de  conuTiun 
avec  les  rêveries  allemandes  signalées  par  le  docte 
M.  Schnaase,  qui  n'y  croit  pas  et  les  bat  en  brèche.  Gar- 
dons-nous comme  lui  de  ces  abstractions  chimériques  :  le 
côté  sérieux  de  la  science  est  assez  large  pour  nous  res- 
treindre à  ses  contins. 
Toutefois  ne  faudrait-il  pas    attacher  une  importance     Que  dou-on  re- 

^  jeter  ou  admettre 

réelle  à  des  spéculations  moins  ambitieuses  ,  et  croire  que  <i^  ifur  système 

d'application  ? 

des  calculs  symboliques  ont  présidé  aux  dimensions  géné- 
rales des  églises  ,  à  celles  de  leurs  bas-côtés ,  à  la  hauteur 
de  leurs  voûtes  au-dessus  du  sol,  à  la  symétrie  ou  à  la  répé- 
tition trinairc  ou  septénaire  de  leurs  fenêtres  ou  de  leurs 
portes,  comme  on  a  cru  l'observer  dans  ce  beau  prieuré  de 
Saint-Gilles,  bâti  en  1 1 10  sur  la  terre  si  monumentale  du 
Languedoc  (I)?  Pourquoi  non  ?...  Si  l'on  admet,  comme  il 

(i)  Voir  la  description  de  ce  monument  dans  V Iconographie  chré- 
lienne  de  M.  l'abbé  Crosuier  ,  p.  loO  et  suiv.,  in-S»^  Paris,  1848.  Il  ter- 
mine par  cette  observation  ce  qu'il  nous  apprend  de  l'intérieur  : 
«  Si  nous  appliquons  ici  le  symbolisme  des  nombres  tel  que  les  Pères 
l'ont  développé...,  nous  trouvons,  dans  la  largeur  de  chaque  travée, 
17  pieds  :  la  Loi  accomplie  par  la  grâce  ;  dans  la  lai  geur  des  bas- 
côtés,  14:  l'union  de  la  Loi  ancienne  à  la  Loi  nouvelle;  dans  la  largeur 
totale  de  l'église,  77  :  les  77  générations  qui  ont  existé  depuis  Adam 
jusqu'à  Jésus- Christ,  le  nombre  de  la  miséricorde  et  du  pardon.  Les 
chapelles  absidales  nous  offrent  encore  d'autres  symboles  :  leur  nombre 
septénaire  se  trouve  divisé  en  deux,  quatre  plus  petites  qui  ne  devaient 
point  être  éclairées  par  des  fenêtres,  et  trois  plus  grandes  ayant  cha- 
cune leurs  fenêtres  trinitaires.  En  effet,  la  terre,  indiquée  par  le  nombre  4, 
était  dans  les  ténèbres,  et  si  le  Sauveur  ne  fût  venu  retracer  dans  le 
cœur  des  hommes  l'image  de  Dieu,  ils  seraient  encore  assis  à  l'ombre 
de  la  mort.  Les  quatre  chapelles  obscures  ont  10  pieds  à  leur  ouver- 
ture :  c'est  le  nombre  de  la  Loi  de  crainte;  les  chapelles  trinitaires  en 
ont  14  :  union  de  la  Loi  de  crainte  et  de  la  Loi  d'amour.  »— On  ne  peut 
nier  ce  qu'il  y  a  d'heureusement  combiné  entre  ces  mesures  et  les 
conséquences  que  le  docte  auteur  veut  en  tirer.  Une  seule  difficulté  se 
présente  naturellement  à  qui  réfléchit  sur  ces  relations  entre  les  nom- 
bres et  la  matière  à  laquelle  on  les  applique  :  c'est  que  le  p/ec?  n'avait 
pas  certainement  au  moyen  Age ,  au  douzième  siècle ,  la  même  valeur 


32  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

le  faut  bien ,  qu'il  y  ait  une  signification  adoptée  par  tous 
les  symbolistes  dans  la  plupart  des  nombres  que  men- 
tionnent nos  Livres  saints ,  quoi  d'étonnant  qu'on  y  ait 
trouvé  des  rapports  possibles  avec  les  parties  de  la  maison 
de  Dieu,  si  nombreuses  et  si  diverses  par  leur  usage  ?  Après 
ce  que  nous  avons  vu  de  l'arclie  de  Noé,  rappelons-nous  les 
dimensions  données,  dans  l'Apocalypse,  à  la  Cité  divine,  le 
nombre  de  ses  colonnes,  de  ses  portes ,  de  ses  fondements, 
tous  mystérieux,  tous  avoués  pour  tels  par  l'Église  et  si  fré- 
quemment reproduits  dans  sa  liturgie  si  féconde  :  nous 
serons  peu  étonnés,  dès  lors,  en  présence  de  ces  révéla- 
tions inattendues,  que  l'arcliitecture  religieuse  nuiltiplie  à 
nos  regards;  et  si  nous  rejetons  les  théories  idéales  inven- 
tées après  coup  par  des  chercheurs  de  fumée  ,  nous  n'ac- 
cepterons qu'avec  plus  de  respect  des  pratiques  recom- 
mandées par  nos  plus  sérieuses  traditions. 

«  Ge  n'est  donc  pas  assez ,  dirons-nous  avec  un  archéo- 
logue estimable,  de  constater  l'emploi  de  certains  nombres  : 
il  faut  les  expliquer.  Il  ne  suflit  pas  de  prouver  que  les 
proportions  de  plusieurs  basiliques  sont  identiquement  les 
mêmes  :  il  faut  avoir  établi  l'unité  de  mesures,  et  découvrir 
la  raison  de  leur  emploi.  Si  on  l'emprunte,  comme  il  paraît,  à 
la  valeur  numérique  des  lettres  de  l'alphabet  hébreux,  à  la 
pliilosophie  transcendantale  des  Juifs,  il  est  essentiel  de  dé- 
montrer au  préalable  que  ces  traditions  étaient  connues, 
acceptées ,  réahsées  par  les  architectes  et  les  confréries  de 
francs-maçons  au  moyen  âge.  Cette  tâche  une  fois  remplie, 

que  depuis  j  on  sait  que  les  mesures  de  longueur  et  de  capacité,  tout  en 
retenant  les  mêmes  noms,  ont  varié  maintes  fois  selon  les  peuples  et 
les  époques;  et,  le  pied  n'eût41  différé  que  d'un  pouce,  que  deviennent 
les  proportions  si  justes  qu'on  assigne  aux  détails  de  la  fameuse  église, 
et  comment  s'y  fier  pour  quelque  autre  que  ce  soit  proposée  comme 
exemple  du  symbolisme  ,  nous  ne  disons  pas  des  nombres,  qu'on  ap- 
plique justement  de  tant  d'autres  manières,  mais  des  mesures,  dont  le 
symbolisme  n'est  jamais  possible  à  établir  par  comparaisons?  On  voit 
qu'il  faut  beaucoup  s'observer  eu  cette  matière. 


SOx\   APPmClTlON    A    L,'aRT   CHRÉTIEN.  33 

on  pourra  tirer  parti  des  lumièi'es  éparses  çà  et  là ,  mais 
pauvres  daus  leur  isolemeat  (I).  » 

Nous  avons  vu  nai>uère  par  un  écrit  célèbre  de  S.  Bernard,    Fécondité  .le 

*^  i  conograph'.o  niys- 

inort  en  1 1 53,  à  quelle  profusion  d'images  la  sculpture  était  tique  à  répoque 

'        ^  *  ^  *  de  s.  Homard. 

parvenue  avant  la  première  moitié  du  douzième  siècle  ,  et 
(luelle  étonnante  variété  de  sujets  symboliques  s'attachait 
au\  églises  et  aux  cloîtres  des  monastères  (2).  On  voit  par 
les  reproches  du  saint  Abbé  à  ses  religieux  pour  ce  luxe  , 
peu  convenai)le,  selon  lui,  à  des  moines,  qu'il  le  tolérait 
phis  volontiers  dans  les  cathédrales  et  les  collégiales  du 
clergé  séculier.  Nous  aurions  assez  de  ces  observations  pour 
conclure,  en  l'absence  des  monuments  eux-mêmes,  à  une 
richesse  décorative  qui  ferait  de  cette  époque  une  des  plus 
belles  pages  de  l'histoire  du  symbolisme.  Pour  nous,  en 
effet,  rien  n'est  perdu  de  ce  grave  et  saint  héritage.  Après 
sept  ou  huit  cents  ans,  ces  nobles  murailles,  qui  s'ouvrent 
encore  pour  nous  chaque  jour,  parlent  à  tous  le  même  lan- 
gage qu'à  nos  pères  ;  la  seule  différence  (et  elle  est  trop 
grande),  c'est  que  le  vulgaire  ne  le  comprend  plus,  l'homme 
d'études  lui-même  n'en  a,  le  plus  souvent,  qu'une  imparfaite 
appréciation.  Tout  n'y  est  pas  moins  plein  de  vie  morale; 
c'est  une  théologie  complète,  exposant  l'histoire  de  l'âme 
humaine  dans  ses  rapports  a\ec  son  présent  si  court  et  son 
étei'uel  avenir  ;  c'est  la  philosophie  du  Christianisme  s'im- 
misçant  dans  toutes  les  affaires  de  la  vie  du  temps ,  au  pro- 
fit de  celle,  ])icn  plus  importante,  qui  viendra  bientôt. 

Le  treizième  siècle,  qui  devait  atteindre  la  perfection  du      ce  siooie  pius 
beau  dans  le  svelte  gracieux  et  l'élégante  légèreté  de  son  le  suivant. 
arcliitecture ,  ne  dépassa  point  celui-ci  pour  l'expression  de 
la  pensée  symbolique.  Ses  dernières  années  même  furent 
témoins  d'une  certaine  décroissance  des  principes,  dont  on 


(1)  M.  l'abbé  Godard-Saint-Jean,  Essai  sur  le  symbolisme  archilec 
luraL  p.  15,  in-8o,  Paris,  1847. 

(2)  Voir  ci-dessus,  t.  II,  cli.  xvil,  p.  594. 

T.  m.  3 


34  HISTOIRE   UU    SYMBOLISME. 

commença  à  négliger  la  pnreté  sévèie  ,  et  alors  se  firent 
jour  des  tendances  qui  préludèrent  insensiblement  aux 
fautes  etauxalDcrrations  de  la  Renaissance...  C'est,  liélas  !  le 
sort  de  toutes  les  grandes  choses  humaines  de  ne  tomber 
jamais  que  du  plus  haut  qu'elles  pouvaient  atteindre.  La 
vie  des  arts,  dont  l'homme  se  montre  si  fier ,  est  en  cela 
comme  celle  des  peuples ,  et  c'est  une  des  plus  grandes 
leçons  de  la  Providence  que  leur  décadence  et  leur  chute 
soient  toujours  limitrophes  de  leur  plus  grande  perfec- 
tion. 
L'art  y  complète,       Lc  douzlèmc  sièclc,  au  coutrairc ,  s'élève  devant  Fobser- 

par  toutes  ses  for-  i,,.,rii  •  o  x»  j 

mes,  l'embellisse  -  vatcur  avcc  toutc  1  autoritc  de  la  science  terme  et  sure  des 
dlTégHsT/  "^"*'  génies  qui  nous  le  donnèrent.  Inébranlable  dans  le  dogme, 
il  le  traduit  partout,  et  les  notions  fondamentales  y  trouvent 
en  mille  façons  à  crayonner  leurs  splendides  synthèses. 
Sous  les  inspirations  de  l'Église,  mère  et  maîtresse  de  la 
pensée  catholique ,  on  voit  le  temple  divin  se  transformer 
non  moins  dans  ses  parties  que  dans  sa  masse.  C'est- alors 
qu'apparaissent  avec  leurs  vives  couleurs  et  parés  de  toute 
la  doctrine  théologique  ces  vitraux  dont  le  champ,  restreint 
d'abord  à  de  si  humbles  mesures ,  n'avait  donné  jusque-là 
que  des  grisailles  sans  but  ou  des  teintes  sans  enseigne- 
ments. Dans  la  statuaire  jetée  avec  une  ravissante  profusion 
aux  tympans  et  aux  voussures  des  portails,  aux  chapiteaux 
de  l'intérieur  ou  aux  pourtours  du  sanctuaire,  on  voit 
revivre  l'auguste  Trinité  ,  les  Saints  protecteurs  du  pays  et 
modèles  du  monde  ,  les  histoires  de  la  Bible  et  les  scènes 
les  plus  douces  comme  les  plus  redoutables  de  la  vie  intel- 
lectuelle de  l'humanité.  Le  triomphe  de  l'Église  sur  l'hé- 
résie ,  sa  victoire  sur  le  monde  matérialiste ,  la  puissance 
de  protection  divine  qui  la  soutient  contre  ses  adversaires 
abattus  se  manifestent  aux  yeux  des  peuples  sous  la  figure 
de  Sam  son  déchirant  l'énorme  tête  du  bon  qu'il  enfourche 
et  domine ,  ou  sous  les  traits  du  cavalier,  maintenant  bien 
connu  ,  dont  la  fière  monture  foule  la  tête  d'un  ennemi 


SON   APPLICATION   A   l'aRT   CHRÉTIEN.  35 

teri'assé  (^).  L'architecture  néo-grecque,  en  nous  apportant 
des  plages  byzantines  ses  inspirations  locales  ,  les  marie , 
par  un  agencement  gracieux,  aux  formes  pures  et  austères 
de  notre  roman.  Elle  fait  correspondre  au  triple  portail  de 
ses  façades  la  triple  répétition  des  absides,  que  trois  fenêtres 
éclairent  en  même  temps  :  symbole  de  la  Trinité  avec  la- 
quelle vous  entrez  dans  le  temple,  et  dont  la  lumière  révélée 
vous  y  instruit  du  dogme  fondamental  de  la  foi  (2).  Elle 
surmonte  les  toitures  de  coupoles  hardies ,  assouplit  les 
arcades  en  les  surhaussant ,  et  quelquefois  oi'ne  de  lobes 
courants  leurs  intrados.  Elle  revêt  la  statuaire  de  riches 
et  amples  draperies  aux  bords  galonnés  ,  aux  plis  symé- 
Iriques  ,  aux  somptueux  ornements  de  perles  et  de  brode- 
ries orientales  ;  et  des  ciselures  des  tympans  et  des  chapi- 
teaux ,  cette  beUe  décoration  passe  aux  verrières  devenues 
toutes  rayonnantes  de  mille  faits  symboliques,  aux  surfaces 
mui-ales  où  la  peinture  étale  sur  des  fonds  d'or  ses  naïves 
légendes ,  aux  voûtes  encore  surbaissées  où  brillent  toutes 
les  étoiles  du  ciel  azuré  :  c'est  l'époque  de  la  flore  monu- 
mentale apportant,  avec  les  souvenirs  de  l'art  antique  dans 
le  chapiteau  corinthien,  et  les  guirlandes  courantes  et  la 
nomenclature  plus  vaste  et  plus  expressive  de  ses  plantes 
indigènes,  de  ses  couronnes  de  fleurs;  prodiguant,  sous  les 
formes  les  plus  aimables  et  les  plus  variées,  toutes  les  pen- 
sées chrétiennes  avec  des  branches  de  chêne  ,  d'olivier ,  de 
violette  ou  de  nymphéa  ;  ornant  les  fonts  baptismaux  des 
végétations  touffues  de  nos  rivières  ;  plantant  le  bon  et  le 
mauvais  arbre  aux  façades  de  l'enceinte  sacrée  où  la  foule 
va  recueilUr  les  fruits  de  la  parole  de  Dieu  ;  parant  enfin  de 


(1)  On  sait  combien  de  longues  discussions  ont  été  faites  à  ce  sujet. 
Quelques  raisons  qu'aient  données  de  part  et  d'autre  les  soutenants 
des  opinions  les  plus  extraordinaires,  on  ne  peut  plus  refuser  d'y  voir 
le  type  que  nous  exprimons  ici  et  dont  nous  avons  donné  les  preuves 
ci-dessus,  t.  II,  ch.  xv,  p.  489.  —Voir  la  Table  générale,  v»  cavalier. 

(•2)  Cf.  l'abbé  Grosnier,  Iconographie  chrélienne,  p.  153. 


30 


HISTOIRE    DU    SVMBOLISMK. 


palmes ,  de  roses  et  de  lis  les  statues  des  Saints  comme  de 
pieux  et  visibles  symboles  de  leurs  humbles  et  énergiques 
et  y  rattache  tout  vertus  (I  ) .  N'ost-ce  pas  eucoro  un  sy oibole  de  ce  temps  liiéra- 
damentarde  l'u-  tlquc  par  excellcnce  que  cette  unité  parfaite  de  l'art  roman, 
accordant  toutes  les  lignes  de  ses  grandes  œuvres  dans  un 
ensemble  majestueux,  où  rien  de  hasardé  ni  d'indécis  ne 
vient  altérer  la  pureté  du  style  aujourd'hui  si  méconnu  par 
les  fades  imitateurs  du  moyen  âge  ?  Nous  ne  soutiendrons 
pas  sans  doute  que  la  pensée  de  l'architecte  a  vouhi  rappro- 
cher ce  mérite  de  l'essence  souvei'ainement  une  de  Dieu  ; 
mais  le  philosophe  chrétien,  en  exaurinant,  par  exemple,  la 
cathédrale  de  Valence  ,  ou  Saint-Sernin  de  Toulouse  ,  ou 
tout  autre  chef-d'œuvre  plein,  comme  ceux-ci,  d'une  poésie 
grave  et  d'une  solennelle  grandeur ,  n'élève-t-il  pas  son 
âme  vers  l'Être  unique  dont  le  génie  humain  n'est  qu'une 
émanation  sacrée?  n'adore-t-il  pas  l'éternelle  Unité  qui 
féconda  la  pensée  de  l'homme  jusqu'à  vouloir  qu'il  eu  sor- 
tît des  temples  dont  l'eusemble  fut  l'image  de  Son  in- 
comparable Grandeur  (2j  ? 

De  ces  nobles  éléments  allait  naître  cependant  une 
de  ces  révolutions  calmes  et  raisonnées  dont  un  progrès 
véritable  est  toujours  la  conséquence  immédiate.  Depuis 
plus  de  cent  ans,  l'élan  donné  à  la  pensée  artistique  avait 
ménagé  à  l'architecture  une  tentative  nouvelle ,  appliquée 
isolément,  il  est  vrai,  mais  assez  bien  déhnie  pour  faire 
remonter  sûrement  sou  origine  au  commencement  du 
onzième  siècle  (3)  :  forme  timide  et  incertaine  d'abord, 


Apparition  de 
l'ogive,  à  la  fois 
architecturale  et 
symbolique. 


(1)  Voir,  pour  l'explication  symbolique  de  ces  diverses  plantes  cl 
fleurs^  le  chapitre  xiii  de  ceUe  troisième  partie  {De  la  Flore  murale) 
et  tous  les  noms  d'arbres  et  de  fleurs  quelconques  de  la  TalLe  analy- 
ligue,  à  la  fin  de  l'ouvrage. 

(2)  Voir  l'abbé  Jouve,  Notice  historique  et  descriptive  sur  la  cathé- 
drale de  Valence  en  Dauphiné,i^.  35,  in-S",  Paris,  1848. 

(3)  L'ogive  nous  semble  dater  de  cette  époque  dans  le  Poitou,  où  le 
plus  remarquable  spécimen  se  montre  à  l'arc  triomplial  de  Sainte- 
Radégonde  de  Poitiers  ,  qui  certainement  se  rapproche  beaucoup   de 


SON    APPLICATIOxN    A    L'ART   CHRÉTIEN.  37 

mais  bientôt  appelée  à  devenir  une  loi  fondamentale  et  à 
régner  entin  sur  les  rnines  d'un  magnifique  passé  :  nous 
voulons  parler  de  l'arc  ogival,  dont  l'emploi  a  pu  s'inspirer 
peut-tHre  des  réminiscences  de  l'Orient,  dont  la  forme  ter- 
naire aussi  pourrait  bien  avoir  paru  un  symbole  divin  (1) , 
mais  qui  n'en  constitue  pas  moins  un  système  arcbitectural, 
ayant  sa  raison  d'être  dans  une  idée  artistique ,  et  se  posant 
comme  première  assise  d'un  genre  nouveau  (2).  Cet  art, 
en  maintenant  la  simplicité  naturelle  et  la  beauté  d'en- 
semble gardées  par  la  méthode  romane,  pose  régulièrement 
ses  arcades  allongées  sur  le  chapiteau  des  colonnes  ou  des 
piliers,  fonde  ainsi  une  élégante  unité  du  sol  à  la  clef  de 
voûte;  enfin  il  élève  la  pensée  avec  le  point  culminant  de 
ces  voûtes  mêmes,  qui,  vastes  et  profondes,  forment  un  ciel  à 
part  pour  chaque  travée.  Cette  heureuse  innovation  con- 
stitue donc  un  mouvement  en  avant  dans  les  routes  de  la 
pratique.  A  quelque  hasard  qu'on  veuille  en  attribuer  la 
première  idée,  elle  n'en  prend  pas  moins  sa  place  dans  les 
plus  belles  coupes  de  toute  construction.  La  voilà  destinée 
déjà,  après  s'être  mêlée  au  plein-cintre  pendant  toute 
l'époque  de  transition,  à  remplir  seule  toutes  les  conditions 

l'an  1010,  selon  que  le  constate  une  inscription  de  cette  année  placée 
au  bas  du  p'.lier  qui  soutient  cette  arcade.  —  M.  l'abbé  Cochet  a  cité 
l'église  de  Bures  (Seiue-Inférieure),  monostyle  et  d'un  seul  jet,  tout 
ogivale  par  ses  moindres  détails,  et  dont  une  inscription,  gravée  sur 
la  muraille  du  sanctuaire,  atteste  la  consécration  par  Rotrou,  arche- 
vêque de  Roueii,  l'an  1168.  Cette  date  ne  nous  étonne  que  médiocre- 
ment :  elle  prouve  de  reste  qu'en  Normandie  le  style  ogival,  employé 
dans  un  plan  d'ensemble,  est  antérieur  à  ce  qu'on  peut  remarquer  ail- 
leurs. Mais  nous  ne  croyons  pas  qu'en  dehors  du  Poitou  on  puisse  re- 
monter jusqu'à  1010  et  au  delà. 

(1)  «  Dans  cet  élancement  des  parties  vers  le  ciel,  dit  Af.  de  Cau- 
monl,  et  dans  la  plupart  des  combinaisons  usitées  au  treizième  siècle, 
on  ne  peut  méconnaître  l'expression  d'une  idée  mystique  ;  qui  sait 
même  si  la  forme  triangulaire  de  l'ogive  n'était  point  un  symbole  aux 
yeux  des  architectes?»  {Ilisl.  de  Varcliiiecl.  au  moyen  âge,^.  174.) 

(2)  Voir  la  Défense  de  l'art  ogival, par  M.  de  Villers,  contre  les  pré- 
tentions malheureusement  académiquesdo  iM.Haoul  Rochette.  Uulleiin 
Hwnu'ucnlfd,  t.  XII,  p.oll  et  suiv. 


38  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

de  Tart  :  l'élégance ,  par  le  svelte  hardi  et  gracieux  de  ses 
élancements  ;  la  solidité ,  par  les  points  d'appui  que  lui 
donnent  ses  nervures,  ses  savantes  intersections  et  les 
divisions  nombreuses  qui  s'y  contre-butent ,  et  enfin  la 
beauté  symbolique,  par  ses  aspirations  vers  les  sublimes 
hauteurs  où  tendent  toutes  les  âmes. 
Rôle  gracieux       L'époQuc  dc  S.  Tliomas ,  de  S.  François  d'Assise,  de 

qu'elle  donne  aux  ^     ^  '  ^  ' 

détails architecto-  g,  Louis  ct  dc  Vinccut  dc  Beauvais,  époque  si  ravissante  de 

niques.  ^      ^ 

son  noble  et  gracieux  mélange  de  poésie  et  de  raison,  ne 
pouvait  guère  s'exprimer  autrement  dans  ses  chefs-d'œuvre 
de  construction.  «  Il  fallait  à  cette  vive  flamme  de  la  foi,  » 
dirons-nous  avec  un  grand  archéologue  de  notre  temps  (4), 
«  le  moyen  de  se  transformer  en  pierres ,  et  de  se  léguer 
Esthétique  de l'ar-  alusl  à  k  postérlté.  Il  faut  aux  Pontifes  et  aux  architectes 

chitecture  qu'elle  .  t  •        •  n  •  *  ,     i  , 

inspire;  quclquc  combmaisou  nouvelle  qui  se  prête  et  s  adapte  a 

toutes  les  nouvelles  richesses  de  l'esprit  catholique.  Ils  la 
trouvent  en  suivant  ces  colonnes  qui  s'élèvent  vis-à-vis  l'une 
de  l'autre,  dans  la  basilique  chrétienne,  comme  des  prières 
qui,  en  se  rencontrant  devant  Dieu,  s'inclinent  et  s'emliras- 
sent  comme  des  sœurs.  Par  son  apparition,  qui  ne  devient  un 
fait  général  qu'au  treizième  siècle,  tout  est  modifié,  non 
pas  dans  le  sens  intime  et  mystérieux  des  édifices  rehgieux , 
mais  dans  leur  forme  extérieure.  Au  lieu  de  s'étendre  sur 
la  terre  comme  de  vastes  toits  destinés  à  abriter  les  fidèles, 
il  faut  que  tout  jailhsse  et  s'élance  vers  le  Très-Haut.  La 
ligne  horizontale  disparaît  peu  à  peu ,  tant  l'idée  de  l'éléva- 
tion, de  la  tendance  au  ciel  domine  !  A  dater  de  ce  moment, 
plus  de  crypte ,  plus  d'église  souterraine  ;  la  pensée  chré- 
tienne, qui  n'a  plus  rien  à  craindre,  se  produira  tout  entière 
au  grand  jour.  »  —  «  Dieu  ne  veut  plus,  dit  le  Tilurel,  le 
plus  grand  poème  de  l'époque  où  se  formule  l'idéal  de  l'ar- 
chitecture chrétienne,  Dieu  ne  veut  plus  que  son  cher  peuple 


(l)  M.  de  Montalembert ,  Hislohx  de  S"  Élisabelh ,  iutfoduclion  , 
n.  Lxvi. 


S0>"    APPLICATION    A    i/aRT   CHUÉTIEX.  39 

se  rassemble  d'une  manière  timide  et  honteuse  dans  des 
trous  et  des  cavernes.  »  (I) 

Et  bientôt  comme  ce  symbolisme  se  développe  dans  toutes 
les  parties  de  ses  incomparables  productions!  Si  vous  les 
examinez  successivement,  vous  ne  pouvez  qu'en  admirer 
l'harmonieuse  concordance.  Depuis  la  statuaire,  qui ,  après 
la  seconde  moitié  du  douzième  siècle  et  pendant  toute  la 
durée  du  treizième,  unit  les  caractères  d'une  majesté  suave 
à  ceu\  de  la  beauté  mystique ,  jusqu'au  tiers-point  des 
baies  et  à  la  légèreté  des  colonnes,  plus  hautes  et  plus  légères 
que  jamais,  vous  sentez  que  l'architecte  a  voulu  rendre  la 
grandeur  morale  par  celle  de  la  taille  humaine,  et  que  les 
proportions  de  celle-ci  indiquent  à  tout  le  reste  du  monu- 
ment l'esprit  de  ses  diverses  comJjinaisons  (2).  Tout  y  est 
donc  régulier;  tout  y  part  du  principe  d'unité  pour  arriver 
à  la  beauté  morale,  pour  donner  de  Dieu,  de  ses  Saints  et  de 
leui"  culte  la  plus  haute  idée  possible  (3). 

C'est  donc  lentement,  et  après  de  savantes  graduations  ,  son  apogée  et  sa 

-,  1       ,    .  .         .  ,,1,  ,  1     •      <•  .1        décadence, 

que  1  art  chrétien  arriva  jusqu  a  1  apogée  que  lui  reservait  le 
treizième  siècle.  Le  plein-cintre  céda  toute  sa  place  à  l'ogive  ; 
la  sculpture  vit  adoucir  et  perfectionner  ses  formes  ,  et  se 
revêtit  d'une  délicatesse  qui  n'ôta  rien  à  la  gravité  calculée 
de  son  expression  morale.  Sans  rejeter  l'ornementation  tradi- 
tionnelle de  la  période  précédente ,  elle  abandonne  le  genre 

(1)  Boissérée,  Essai  sur  la  descriplion  du  temple  du  Sainl-Graal, 
dans  le  3^  chant  du  Tilurel,  Munich,  183L  (Note  de  M.  de  Montalem- 
bert,  iibi  suprà,  p.  lxvii.) 

(2)  Nulle  part  ces  observations  ne  se  vérifient  plus  complètement  que 
dans  la  belle  abbatiale  de  Saint-Julien  de  Tours _,  profanée  par  la  révo- 
lution de  1793;  et  que  S.  Ém.  le  cardinal  Morlot  racheta,  après  soixante 
ans  de  ruine,  pour  la  rendre  à  sa  sainte  destination,  qu'elle  a  eniiu 
obtenue. 

(3)  Voir  ces  mêmes  observations  inspirées  par  la  cathédrale  d'Amiens 
à  MM.  Jourdain  et  D\iv3.\,Bullelm  monumental,  t.  XI, p.  300;  XII,  292; 
—  à  M.  Digot,  t.  XIII,  189,  par  les  sculptures  d'un  font  baptisrnal  du 
douzième  siècle.  —  Le  portail  de  Yézelay  po-sède  aussi  dans  son  beau 
lynipan  un  saint  Pierre  ,  prince  des  Apôtres  ,  dont  la  taille  dépasse  de 
beaucoup  celle  de  tous  les  personnages  qui  l'entourent. 


.^0  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

néo-grec ,  se  renferme  en  elle-même ,  et ,  remplaçant  aux 
chapiteaux  les  scènes  historiées  par  les  plus  vivaces  expres- 
sions de  la  flore  symholique,  elle  semhle  réserver  pour  les 
tympans  de  ses  portes  et  les  pourtours  extérieurs  des  murs 
sacrés  le  luxe  des  épisodes  hibliques  ou  des  légendes  locales, 
les  terribles  scènes  qui  se  rattachent  aux  dernières  fins  de 
l'homme,  et  la  merveilleuse  assemblée  des  Élus  régnant  dans 
l'inaltérable  sécurité  de  leur  joie  éternelle  autour  du  trône 
de  l'Agneau.  Et  n'était-ce  pas  une  convenable  introduction 
au  Temple  de  Dieu  que  la  triple  considération  des  destinées 
définitives  de  l'homme  préparant  à  la  prière  humble  et 
sérieuse  aux  abords  mêmes  du  lieu  où  elle  va  s'épancher? 
Ensuite  la  peinture  diaphane,  qui  multiplia  aussi  ses  cffoi'ts 
et  orna  tous  les  temples  du  temps  de  S.  Louis,  s'éleva  au 
plus  haut  point  de  l'interprétation  scripturaire  dans  les 
magnifiques  verrières  de  Bourges  ,  de  Reims  ,  du  Mans , 
de  Poitiers,  d'Auxerre,  de  Strasbourg.  Les  flèches  plus 
aériennes  portèrent  jusqu'aux  nuages  le  magnifique  témoi- 
gnage de  la  grandeur  de  Dieu  et  du  génie  de  l'homme.  Il 
n'y  eut  plus  rien  de  possible  au  delà  de  ces  types  impéris- 
sables qui  fleurirent  sur  le  sol  européen,  et  dont  la  France 
et  l'Angleterre  avaient  donné  la  noble  envie  à  l'Italie,  à 
l'Allemagne,  à  la  patrie  de  Pelage  et  du  Gid.  Mais  cent  ansà 
peine  écoulés,  l'art  religieux  laissa  tomber  d'abord  quelque 
fleuron  de  cette  incomparable  couronne  sous  le  vent  empesté 
des  opinions  novatrices  ;  puis  il  abdiqua  le  symbolisme  avec 
SCS  traditions  séculaires,  ne  vit  plus  dans  la  Bible  que  lalettre 
morte,  au  détriment  de  l'esprit  qui  est  la  vérité  et  la  vie  , 
et  alla  perdant  chaque  jour  quelque  chose  de  sa  beauté 
simple  et  harmonique,  jusqu'à  ce  qu'enfin,  se  dégradant 
sans  retour,  il  se  flétrît  tout  entier  dans  la  séclieresse  insi- 
gnifiante de  l'art  grec,  dans  les  formes  païennes  et  mor- 
telles du  siècle  de  Luther,  de  Garlostadt  et  de  Galvin. 
Examen  de  quel-      H  scralt  tcuips    dc  rcvcuir  maintenant  au   point    de 

ques  opinions  sur      i  '  ,     i  •        •  '      '  <     i  t 

les     prétendues  dcpart  (Ic  CCS  pruicipcs  gcueraux ,  et  de  nous  reporter  au 


SON    APPLICATION    A    L  AUT    CIIUÉTIEN.  U 

plan    d'ensemble    et    aux    détails    de    l'éfilise    matérielle  fantaisies  de  rart 

*  *-  _  cliretien. 

pom*  en  étudier  le  symbolisme  avec  ses  plus  intimes  le- 
çons et  scruter  les  nombreuses  étapes  de  cette  longue 
route  que  nous  venons  de  parcourir.  Mais  d'abord,  nous 
avons  besoin  d'établir,  comme  vérité  bistorique,  un  point 
trop  longtemps  constesté  par  des  boni  mes  auxquels  des 
études  plus  spéciales  eussent  fait  éviter  d'énormes  erreurs. 
Nous  avons  lu  et  entendu  pendant  de  longues  années  des 
arcbéologues  assez  malbeureux  pour  soutenir,  avec  toute  la 
fermeté  de  leurs  convictions  imaginaires,  que  l'art  catbo- 
lique  n'avait  jamais  eu  d'autres  règles,  dans  la  plupart  de  ses 
images  décoratives,  que  le  caprice  d'ouvriers  sans  idée. 
D'autres,  plus  subtils,  voyaient  tout  bonnement  dans  cer- 
taines sculptures  maintes  satires  des  laïques  contre  le 
clergé;  ceux-ci  encore  d'équivoques  cbapitres  de  roman, 
exposés  aux  regards  distraits  de  la  foule  qu'ennuyait  la  lon- 
gueur des  prières  ou  des  offices  !!!  Et  que  n'a-t-on  pas  dit 
aussi  de  certains  obscena  dont  l'borreur  imposait  à  tout  le 
moyen  âge  inie  note  si  bien  méritée  d'infamie  et  d'immo- 
ralité!...; sur  tant  de  cboses,  que  d'excentricités  ont  été  prodi- 
guées !  Mais  déjà  ceux-lcà  mômes  qui  s'en  firent  les  bouillants 
champions  se  repentent,  nous  l'espérons  de  leur  bonne  foi , 
d'avoir  tranclié  avec  ce  glaive  équivoque  des  questions  alors 
trop  .peu  méditées ,  et  qui  n'ont  plus  d'obscurité  aujour- 
d'hui. Nous  en  réservons  la  preuve  à  ceux  des  chapitres 
suivants,  où  nous  parlerons  des  peintres  et  des  sculpteurs. 
Ouantà  l'architecture,  qui  nous  occupe  seule  à  cette  heure, 
il  est  bonde  rappeler  quelle  fut  toujours  la  sainte  autorité 
de  ses  règles,  et  de  constater  par  là  combien  peu  fut  pos- 
sible, jusqu'aux  siècles  de  décadence,  l'intromission  de  la 
fantaisie  dansas  constructions  religieuses,  non  mohis  que 
dans  le  choix  des  sujets  d'ornementation. 

L'Église,  n'eùt-elle  été  inspirée  que  par  ce  besoin  d'estlié-  présh'ier^àTa^V- 
tique  où  gît  toute  sa  vie  spirituelle,  aurait  du  songer,  dès  le  t7n,pios%utsibKn 
commencement  do  son  aciion  e\(érieui-e,  à  s'enii)arer  de  jï«'*^ieurconstruc- 


42  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

l'art  décoratif.  Les  Livres  saints  lui  prouvaient  de  reste  que 
la  pensée  divine  devait  s'y  refléter  :  l'arche  d'alliance  n'y 
avait-elle  pas  ses  mesures  déterminées,  ses  tentures  de 
diverses  couleurs  prescrites  ?  n'y  voyait-on  pas  la  nature 
des  bois  et  celle  des  métaux  indiquées  pour  chaque  objet , 
et  toutes  ces  prescriptions  manqueraient-elles  d'une  signi- 
fication mystérieuse ,  non  plus  que  les  différentes  parties 
du  Tabernacle,  ses  chérubins  d'or  battu,  sa  table  des  obla- 
tions,  et  son  chandelier  à  sept  branches,  et  son  voile  pour 
séparer  le  sanctuaire  du  Saint  des  Saints  (1  )  ?  C'était  la 
raison  que  donnait  déjà  le  pape  Félix  IV,  mort  en  529,  pour 
encourager  les  évêques  à  l'édification  des  églises  (2) ,  et 
Elle  y  a  tenu  Duraut  dc  Mcudc  l'a  dit  plus  expressément  encore  (3).  Les 

dès  le  commence-  .  .  . 

ment.  prcmicrs  temps  chrétiens  avaient  donc  sur  ce  point  des 

règles  faites  ;  il  ne  s'agissait  que  de  se  les  approprier,  et  les 
Apôtres  n'y  manquèrent  pas.  Nous  avons  vu  dans  leurs  Con- 
stitutions la  forme  de  vaisseau  assignée  d'une  façon  doctri- 
nale aux  éghses,  qui  la  conservèrent  toujours  (4).  Les 
exceptions  qui  survinrent  plus  tard,  sous  Constantin  et  ses 
successeurs,  ne  consacrèrent  que  des  formes  non  moins 
symboliques.  Celle  de  rotonde,  souvent  préférée  par  ce 
prince  après  que  sa  mèreS^^  Hélène  l'eut  inaugurée,  comme 

(1)  «  Tabernaculum  vero  ita  faciès...,  faciès  et  saga  cilicina  undecini. 
—  Longitudo  sagi  uniiis  habebit  triginta  cubitos,  et  latitudo,  quatuor... 
Faciès  et  altare  de  lignis  sethim...  »  (Cf.  Exod.,  xxvi  et  xxvii.) 

(2)  «  Si  enim  Judaîi  qui  umbree  Legis  deserviebaut  baec  faciebant, 
multomagisnos  quibusveritaspatefactaest  etgratia  per  JesumChristum 
data  est,  templa  Doinino  aediticare,  et  prout  melius  possumus  ornare. 
eaque  divinis  precibus  et  sanctis  unctiouibus  suis  cum  altaribus  et 
vasis.vestibus  quoque  et  reliquis  addivinum  cultum  expleudum  usteii- 
silibus  dévote  et  solemniter  sacrare...  debemus.  »  (Decreti  Gratiani 
pars  III,  De  Consecratione ,  dist.  i,  c.  tabernaculum ,  ia-f»  ,  Autuerp., 
1560,  col.  1974.) 

■  (3)  «  Quidquid  autem  Synagoga  perLegem  accepit,hoc  nuncEccIesia 

a  Christo  cujiis  sponsa  est  per  gratiam  recepit  et  in  melius  commu- 
tavit.  )i  (Duranti,  praesulis  Mimât.,  Raiionale div.  Of'ficior.,'De  Ecclesià 
fit  ejus  partibus,  lib.  I;  mihi,  f"  il,  iii-4o  gotb.,  1494.) 
f4)  Voir,  ci-dessus,  la  note  2  de  la  page  9. 


SON    APPLICATIOK   A    L'aRT   CHRÉTIEN.  43 

image  du  monde  reconquis  par  le  Sauveur,  au  Saint  Sépulcre 
de  Jérusalem,  était  couronnée  d'une  coupole,  pour  rappeler 
cette  grande  voûte  de  l'univers  au  sommet  de  laquelle  est 
placé  le  trône  de  Dieu  (^  ) .  La  croix  transversale  à  cette  voûte, 
et  dont  nous  avons  vu  l'idée  éclore  des  catacombes,  diffé- 
rencie suffisamment  ces  monuments  chrétiens  des  édifices 
païens,  dont  ils  auraient  pu  sembler  une  imitation.  Elle 
n'était  qu'une  transmission  indigène  du  monde  latin  légè- 
rement modifiée,  et  conservant  sur  le  sol  hellénique  toute 
la  force  de  son  expression  native,  figurant  le  Sauveur  étendu 
sur  l'instrument  de  sa  mort,  ayant  la  tète  où  est  l'abside ,  les 
bras  où  sont  les  latéraux ,  le  corps  où  s'étend  la  nef  mé- 
diane, et  quelquefois  même  appuyant  ses  pieds  au  suppe- 
daneum  figuré  par  la  porte  occidentale,  arrondie  à  l'inté- 
rieur du  vaisseau,  ou  par  le  nartex  qui  la  précède  (2).  Là 
encore,  aux  douze  colonnes  qui  supportaient  l'architrave,  il 
était  facile  de  reconnaître  ces  Apôtres  du  Christ,  soutiens  de 
l'Église  catholique,  fondements  de  l'inébranlable  vérité  (3) . 
La  croix  latine,  qui  ne  diffère  de  celle  des  Grecs  que  par 
la  plus  grande  extension  de  sa  partie  inférieure  ,  donnait 
plus  d'élégance  aux  édifices  de  l'Occident,  outre  qu'elle  repré- 
sentait plus  exactement  celle  du  Calvaire  ;  mais  quelles  que 
fussent  ses  dimensions  à  Rome  ou  à  Byzance ,  elle  n'en 
représentait  pas  moins  bien,  comme  le  dit  M.  Boissérée,  la 
base  mystique  sur  laquelle  le  vaisseau  spirituel  devait 
reposer  (4).  Nous  verrons  bientôt,  en  recherchant  les  ori- 
gines symboliques  de  nos  peintures  sacrées,  combien  stricte 
était  la  règle  faite  par  l'autorité  hiérarchique  aux  premiers 

(1)  BAlissier,  p.  382. 

(2)  «  Dispositio  autem  materialis  ecclesiae  modum  humani  corporis 
tenet.  Cancelliis  namque,  sive  locus  ubi  altare  est^caput  rej^rœsentat  ; 
crux  ex  utraque  parte,  brachia  et  marms  ;  rcliqua  pars  ab  Occidente, 
quidquid  corpori  superesse  videt.  »  (Guill.  DxiVcmii,  ubi  suprà.) 

(3)  «  Kstis  fundati...  super  fiindamentam  Apostolorum.  »  (Ephes.,  ii, 
20.) —  «  Ecclesia...,  colurana  et  firmameiitum  veritatis.  »  (Tim  ,  i,  3.) 

(i)  Monofjra/phie  de  la  calhcdmle  de  Cologne. 


44  HISTOIRE   DU  SYMBOLISME. 

artistes  chrétiens.  Serait-il  croyable,  en  l'absence  des  pres- 
criptions détaillées  qui  semblent  nous  manquer  pour  l'archi- 
tecture ,  et  dont  nous  citerons  cependant  ifn  grand  nom- 
bre ,  que  celle-ci  n'eût  pas  été  assujettie  aux  mêmes 
règles,  et  se  fût  seule  émancipée  des  surveillants  naturels 
que  l'Église  ne  dut  pas  se  dispenser  de  leur  donner  ? 
Premières  traces  Quclqucs  uuagcs  douc  qul  cnveloppcnt,  à  cet  égard,  nos 
l'histoire.*'  *""  plus  anciennes  traditions,  croyons  bien  qu'elles  remontent 
jusqu'au  premier  siècle,  comme  celles  que  les  découvertes 
de  la  science  ont  rattachées  depuis  trois  cents  ans  aux  autres 
arts  du  dessin.  Nous  savons  d'ailleurs ,  par  des  contempo- 
rains de  Trajan,  quelle  magnificence  on  admirait  dans  les 
éghses  construites  avec  tant  d'empressement  pendant  les 
quelques  années  qui  séparèrent  parfois  les  persécutions. 
Lucien,  entre  autres,  s'extasie  sur  les  portes  d'airain  sculptées 
et  les  dorures  prodiguées  jusqu'au  plafond  d'un  temple 
chrétien  où  il  introduit  un  personnage  de  ses  Dialogues  {\  ). 
Un  peu  après,  on  voit  le  pape  S.  CaUxte  dédier  à  S*''  Marie, 
au  delà  du  Tibre,  la  première  église  que  Rome  ait  possédée 
au  grand  jour  (2).  On  sait  qu'au  siècle  suivant,  un  autre 
souverain  pontife,  S.  Sylvestre,  construisit  dans  la  Ville  Éter- 
nelle un  grand  nombre  de  basiliques  dont  l'ornementation 
se  fit  par  des  mosaïques  et  des  peintures  indiquées  par  lui, 
et  au  milieu  desquelles  l'Agneau  sans  tache  ,  accompagné 
de  S.  Jean,  et  tenant  sous  ses  pieds  le  Livre  évangélique, 
avait  la  principale  place  dans  l'abside  centrale.  Il  avait  fait 
représenter  ailleurs  la  Sainte  Vierge,  les  apôtres  S.  Pierre  et 
S.  Paul,  les  bienheureux  martyrs  Processus  et  Martinieii, 
puis  des  palmiers  chargés  de  leurs  fruits,  et  qui  semblaient 
ombrager  les  restes  des  généreux  Confesseurs  :  images  fra- 

(1)  «  Perlransivimus  ferreas  portas  et  serea  limina,  multisque  jam 
superatis  scalis  iu  domnm  auralo  fastigio  insignem  ascendimus  ,  qua- 
lem  HoiTierus  Menelai  fingit  esse.  Atqne  ipse  quidem  omnia  illa 
contemplahar...  »  —  Cité  par  Baronius  ,  Annal,  ecclcsiasl.,  ad  ann.  57, 

w^  101. 

(2)  Idem  Baronius,  Annal..  1.  II,  ad  ann.  224,  n«  \. 


SON    AIMMJCVTION    A    1.   VHT    CIIHKTIKN.  V> 

«iiles,  mais   ploiiios  d'espérances,  des    Iriomplies  éternels 
promis anx  Élus  (1;. 
Gc  soin  des  premières  exigences  du  culte  dans  les  chefs      "  «e  perpétue 

par  les    conciles. 

de  l'Eglise  n'était  certainement  qu'un  écoulement  de  Tes-  Les  évêques  obn- 

îjfts  de    surveiller 

prit  Apostoli(iue  ;  les  Evèques  du  monde  chrétien  l'avaient  ces  travaux. 
reçu  comme  aux,  et  l'histoire  se  répand  en  laits  du  même 
genre  qui,  de  toutes  parts,  attestèrent  ces  mêmes  inspira- 
tions. C'est  très-peu  de  temps  après  le  règne  pacili([iuî  de 
Constantin  (juc  les  conciles  formulent,  comme  une  règle 
indispensable,  l'intervention  des  Évèques  dans  la  construc- 
tion de  nouvelles  égUses  :  le  concile  de  Chalcédoine,  tenu  en 
Î5I,  l'exprime  par  son  quatrième  canon  ;  à  Agde  en  oOG ,  à 

(1)  «  Multas  basilicas  ijedifîcavit  quas  sacris  imaginibus  donisque,  ac 
inunerihus  exornavit.  »  [Breviar.  roni.,  in  festo  S.  Sylvestri,  xxxi  dec, 
lect.  IV.)  —  «  In  foriiice  niajoris  ake ,  crux  mira3  niagnitudinis  variis 
«listincta  coloribus  coutemplanda  exhibetur,  quae  prœcipuum  qiiidem 
chrisUanorum  inter  exsurgeutis  fidei  primordia  signum  ac  ornameu- 
tiim  esse  cousueverat.  Ibi  pariter  iu  allero  iiiferioris  ordinis  foruice 
Cbristi  salvatoris  imago,  una  cum  sanctorum  Pavli  apostoli  et  Pro- 
cessi  marlyris  iuiaginibus  od  dex te r am  cerniiur  ;  ad  sinislrum  autem 
latus  B,  Peiri  apostoii  et  Martiniani  marlyris  effigies  coloribus  adum- 
bratur.  lu  cujusdam  item  arcuati  foruicis  prospectu,  agnus  média  qui- 
dem  parte  caudidus,  qui  Chrisli  aymbolum  est ,  Librum  sub  pedibus 
prajferens...,  quem  a  dexiris  Joannes  Prœcursor  bis  plane  verbis  velut 
digito  prœmoustrare  videtur  :  Eccc  Agnus  Dei.-.  Eiimdem  vero  ad 
Ixoam  Joannes  Evangelisla  illis  itidem  verbis  praenotat  :  In pri?2cipio 
eral  Verbum...  Pr8C.terea...sacerille  locus  quam  pluribus  Deiparae  ima- 
ginibus diversimode  picLorum  penicillo  delineatis  nobilitatur ,  sancta- 
rum  item  virginum...  In  uibus  locis  quœ  fornicem  usque  pertingunt, 
Lres  piilmarum  arbores  fruclibus  onuslos...  exbiberi  :  palmam  quippe  , 

Justorum   symbolum  esse  nemo  sanctae  antiquitatis  studiosus  est  qui 
nesciat...  «(Aringbi,  Runia  suùtc7i\,  lib.  IV,  cjp.  xliv,  n»  7.) 

Nous  remarquons  encore  ici  la  droite  donnée  à  S.  Paul,  ce  fils  de 
Benjamin,  sorti  de  ce  peuple  juif  qui  est  passé  à  la  droite  du  Sauveur 
(juaud  il  a  été  appelé  à  ne  faire  plus  qu'un  avec  les  enfants  de  la  pro- 
messe; c'est  un  exemple  de  plus  après  ceux  que  nous  avons  donnés  ci- 
dessus,  t.  II,  ch.  XIV,  p.  451.  Nous  soupçonnons  bien  ici  que  la  même 
raison  a  pu  déterminer  le  peintre,  guidé  par  le  pontife,  à  idacer  à  droite 
de  l'agneau  blanc  (candidus)  S.Jean  le  Précurseur,  le  dernier  des  Pro- 
phètes de  la  Loi  ancienne,  et  à  gauche  le  disciple  chéri,  qui  semble 
aimer  à  s'effacer  aussi  devant  cette  grande  fusion  que  sa  charité  doit 
adorer  avec  bonheur. 


/,(\  HISTOIRE   bU   SYMBOLISME. 

Orléans  en  51 1 ,  on  la  prescrit  de  nouveau  (  I  ),  et  bientôt  cette 
disposition  passa  dans  le  droit,  où  nous  la  voyons  en  vigueur 
depuis  cette  époque  reculée ,  et  à  travers  le  moyen  âge , 
jusqu'à  ceux  de  nos  derniers  conciles,  qui  rappelèrent  les 
Prescriptions d'u-  inteutions  de  la  discipline  primitive.  Cette  règle,  au  reste, 

sag^e  sur  ce  point.  '  ^ 

était  d'une  telle  rigueur  qu'on  devait  refuser  de  consacrer 
toute  église  pour  laquelle  on  ne  l'aurait  pas  suivie  (2).  On 
voulait  aussi  qu'en  rebâtissant  une  église  ruinée  par  quelque 
cause  que  ce  fût,  on  lui  conservât  son  emplacement  pri- 
mitif, comme  avait  fait  Paulin  pour  l'église  de  Tyr,  dont 
nous  avons  parlé  (3).  On  voit  donc  que  cette  règle  date 
d'une  époque  bien  rapprocliée  des  temps  apostoliques  : 
c'étaient  un  souvenir  des  premiers  oratoires  secrets ,  sur 
lesquels  s'étaient  élevés  les  temples  publics,  et  une  marque 
de  respect  pour  des  fondements  qu'avaient  sanctifiés  les 
prières  et  les  cérémonies  de  la  liturgie.  Ce  respect,  par  la 
même  raison,  affectait  jusqu'aux  matériaux  anciens,  qui, 
ayant  été  bénis  et  môme  consacrés  par  les  onctions  du  Saint 
Chrême,  étaient  replacés  avec  soin  dans  les  murs  de  l'édi- 
fice nouveau  (4).  Voilà  bien  des  preuves  que  la  foi  de  nos 
pères  attachait  à  ces  détails  autant  d'importance  qu'on  en 
peut  mettre  à  de  véritables  titres  de  famille. 
Les  monastères  Mals  déjà  vcrs  cc  tciups,  Ics  iiiouastères  commençaient 
qués  àrart^^reil  à  flcuHr,  ct  Icur  célébrité,  qui  leur  était  acquise  par  la 
culture  des  études,  s'accroissait  encore  de  l'habileté  qu'on 
y  montrait  pour  les  arts.  S.  Benoît,  premier  instituteur  de 

(1)  «  Nemo  eedificei  aut  constituât  monasterium  aut  oratoriam  do- 
mum  sine  voluntate  Episcopi  urbis.  »  (Labbe,  Conc,  t.  I,  p.  507.)  — 
Les  termes  sont  presque  partout  identiques  dans  les  autres  sources  que 
nous  indiquons. 

(2)  «  Nemo  ecclesiam  sedificet  antequam  Episcopus  veniat...,  et  sic 
domum  œdiôcet.  »  {Decreium  ^  pars  III,  De  Gonsecratione,  distinctio 
prima,  m-P,  Autuerp.,  col.  1978.) 

(3)  Voir  Eusèbe,  Histor*  eccles.,  lib.  X,  cap.  m  ;  notre  Histoire  de  la 
cathédrale  de  Poitiers,  1. 1,  p.  6. 

(4)  Voir  la  description  de  l'église  de  Saint-Amand  de  Goly ,  en  Péri" 
gord,  Bullet.  monum.,  t.  I,  p.  211. 


gieux. 


SON    VPPI.ICVTION    A    l/.VRT   CHRÉTIEN.  '»' 

la  vie  monastique  en  Occident,  et  ([ui  acheva  d'écrire  sa 
régie  vers  530,  y  introduisit  le  travail  des  mains  comme 
une  occupation  salutaire  à  un  religieux.  Il  y  est  parlé  des 
arts  divers  auxquels  on  pouvait  s'appliquer  sous  l'obéis- 
sance de  l'Abbé  ;  on  devait  remplir  ces  œuvres  avec  humilité, 
ce  qui  doit  évidemment  s'entendre  des  travaux  où  l'intelli- 
gence avait  sa  part,  comme  Fa  fait  observer  un  éminent 
archéologue  {\]  ,  et  non  de  simples  métiers^  comme 
d'autres,  avant  lui,  l'avaient  écrit  sans  trop  de  réflexion. 
-Mabillon  n'hésite  pas  à  dire  que,  dès  ce  temps-là  même, 
l'enseignement  des  lettres  llorissait  au  Mont-Cassin,  où  le 
saint  Patriarche  avait  fondé  son  Ordre  (2).  Nous  voyons 
<|u'en  Poitou  S.  Junien  de  Maire  bâtit  son  premier  monas- 
tère à' l'aide  seulement  de  ses  nombreux  cénobites  (3). 
S.  Ouen,  dans  sa  Vie  de  S.  Éloi,  parle,  au  sixième  siècle,  de 
l'abbaye  de  Solignac  comme  d'une  école  où  l'on  s'occupait 
de  plus  d'un  genre  d'industrie,  outre  la  transcription  des 
livres,  sans  laquelle  il  n'y  avait  pas  de  congrégation  reli- 
gieuse (4).  x\lors  encore,  on  avait  élevé  autour  du  chevet  de 
la  cathédrale  de  Strasbourg,  fondée  en  504  par  Glovis,  des 
demeures  pour  l'évèque  et  les  religieux  qui  vivaient  en 
commun  avec  lui,  comme  firent  dans  la  suite  les  Chapitres 
cathédraux  (5)  ;  et  Ton  pense  bien  que  cette  identité  de  vie 


(1)  Voir  M.  de  Montalembert,  L'irf  et  les  Moines ,  dans  les  Annales 
archéologiques,  t.  VI,  p.  122. 

(2)  VoirFleury,  Hisl.  écoles.,  lib.  XXXII,  n"  14,  ad  ann.  529;  —  Rohr- 
l)acher  j  Ilisl.génér.  de  VEgl.  cathoL,  t.  iX,  p.  90;  —  VExplicalion  de 
la  règle  de  S.  BenoU,  ch,  xlviii  et  lvii,  Paris,  in-12,  1738  ;  —Mabillon, 
Traité  des  éludes  nionasliques,  1. 1,  p.  90,  in-12,  Paris,  1692. 

(3)  Cf.  Bollandus,  xii  aug.;  nos  Vies  des  Saints  de  V Église  de  Poitiers, 
p.  257,  Poitiers,  1858. 

(4)  «  Est  autem  congregatio  magna  diversis  gratiarum  tloribus  ador- 
nata;  habentur  ibi  et  artifices  plurimi ,  diversarum  artium  perili.  » 
(Cité  par  M.  de  Caumont,  flisl.  de  Van  hit,,  p.  59.)  —  Cf.  l'abbé  Texier, 
Dictionnaire  d'orfèvrerie  chrétienne  y  col.  937,  in-i»,  Migne,  1856;  et 
Histoire  des  argentiers  et  émailleurs  de  Limoges,  in-S",  Poitiers,  1849. 

(5)  Bulletin  du  Comité  des  aris  et  monuments ,  t.   III,  p.  351  et 

811  i  V . 


^S  mSTOIRK    I)L'    SYMROLISMK. 

religieuse,  cette  réunion  continue  d'esprits  appliqués  aux 
mêmes  sujets  d'études  et  de  contemplation  dut  amener  un 
concours  naturel  de  pensées  laborieuses  et  d'efforts  pratiques 
au  profit  des  constructions  sacrées.  On  passait  de  la  lecture 
des  Livres  saints  et  de  leurs  commentaires  savants  à  la  con- 
Nombreuxexem-  structlou  dcs  plaus,  aux  calculs  de  leurs  détails.  Des  intel- 
bir  lcno\Vda  ligences  nourries  de  la  lettre  et  de  l'esprit  de  la  Bible  ne 
^^^^^^'  pouvaient  manquer  d'en  rattacher  la  substance  aux  di- 

verses parties  de  l'édifice  matériel  et  de  les  y  appliquer 
avec  amoui",  comme  d'autres  le  faisaient  dans  leurs  écrits  : 
de  là  le  zèle  à  construire  soi-même  ou  à  diriger  les  travaux; 
de  là  ces  aptitudes  d'abord  exceptionnelles,  et  qui  le  furent 
bientôt  moins,  en  certains  évêques  pour  les  occupations 
manuelles.  S.Grégoire  de  Tours  énumère  dix-huit  de  ses 
prédécesseui''s  qui  tous  s'appliquèrent  pendant  leur  épis- 
copat  à  élever  des  basiliques  à  la  gloire  des  saints  Martyrs  {\  ) . 
L'un  d'eux,  qui  avait  gouverné  l'abbaye  de  Saint-Martin, 
excellait  en  plusieurs  sortes  de  travaux,  et,  aimant  surtout 
la  menuiserie,  utilisait  ses  talents  à  faire  des  tours  en  bois 
qu'il  recouvrait  de  lames  d'or  pour  servir  de  tabernacle  à  la 
Sainte  Eucharistie  (2).  Voilà  donc  une  relation  formelle  par 
les  arts  entre  les  monastères  et  lesévechés,  qui,  assez  souvent 
d'ailleurs,  n'étaient  presque  qu'une  seule  et  même  chose, 
l'Abbé  devenant  Évêque,  et  son  monastère  le  Chapitre  de  la 
cathédrale.  Ainsi  en  fut-il  la  plupart  du  temps  en  Angleterre, 
à  Lobbes  en  Flandre ,  et,  plus  tard,  à  Maillczais  en  Poitou  et 
à  Tulle  en  Limousin.  Et ,  une  fois  engagé  dans  cette  vie  de 
grosse  tâche,  ne  croyez  pas  que  le  moine  se  contentât  de 
poser  sur  le   parchemin  les    lignes  symétriques  de   ses 

(1)  Cf.  Histor.  Francor.,  lib.  X,cap.  xxxi. 

(2)  «  Léo...  fuit  vir  strenuiis  atqae  utilis  in  fabrica  operis  Hgnarii. 
{Ubi  suprà,  lib.  III ,  cap.  xvii.)  —  Tertius  decimus  Léo  ex  Abbate  ba- 
silicaB  Saucti-Martiui  ordinatur  Episcopus.  Fuit  autem  faber  lignarius, 
faciens  etiam  turres  holochryso  tectas,  ex  quibus  quaedam  apud  nos  re- 
tinentur.  In  aliis  etiam  operibus  elegaus  fuit.  »  {Ibid.jVùi,  X,cap«  xxxi^ 
u<>  13.) 


SON   APPLICATION   A   L  ART  CHRÉTIEN.  49 

crayons;  le  plan  fait,  il  ne  laissait  pas  à  d'autres  le  soin 
de  l'exécuter.  Des  Abbés  eux-mêmes  se  mêlaient  à  l'œuvre 
lal)orieuse  de  tous  les  jours,  heureux  de  contribuer  à  la 
gloire  de  Dieu  à  titre  de  cimenteurs,  après  l'avoir  cherchée 
comme  architectes,  et  de  ne  s'interrompre  que  pour  aller 
à  l'autel  ou  au  cliœur  :  ainsi  furent  bâties  les  abbayes  éter- 
nellement célèbres  de  Saint-Gall,  du  Bec,  de  Souvigny,  et 
tant  d'autres,  chez  nous  et  ailleurs,  où  tous  les  arts  rivali- 
saient avec  les  lettres  et  les  sciences  exactes  du  irivium  ou 
du  quadrivium  (I). 

Mais  à  ne  considérer  que  les  évoques,  cette  époque  leur 
devrait  sa  véritable  gloire  artistique.  Beaucoup  s'exercent 
autant  à  la  confection  des  vases  sacrés  qu'à  la  construction 
des  éghses,  et  insistent  sur  des  détails  secondaires  d'orne- 
mentation ,  de  manière  à  nous  en  déceler  l'importance. 
S.  Rémi  de  Reims,  qui  avait  érigé  révèché  de  Laon  en  496, 
y  avait  laissé  un  calice  d'argent  fait  d'après  ses  idées,  et  sur 
lequel  était  une  inscription  composée  par  lui.  Un  peu  plus 
tard,  vers  533,  il  ordonne,  par  son  testament,  de  faire  d'un 
vase  d'or  qu'il  a  reçu  de  Glovis  une  tour  pour  la  Sainte  Ré- 
serve, puis  un  autre  calice  orné  de  ciselures  et  de  la  même 
inscription  (2).  D'autres  évêques  suivaient  cette  voie  ou- 


(1)  Cf.,  pour  plus  de  détails,  le  beau  et  intéressant  travail  de  M.  de 
Montalembert,  «  l'Art  et  les  Moines,  »  dans  les  Annales  archéologiques, 
t.  VI ,  p.  121  et  suiv.  Nous  y  renvoyons  également  pour  tous  les  textes 
ijui  viennent  à  l'appui  de  ces  assertions  ,  qui  sont  celles  du  savant 
écrivain.  Mais  un  fait  caractéristique  en  cette  matière  se  trouve  consi- 
gné dans  l'acte  de  consécration  de  l'église  de  l'abbaye  de  Champagne, 
dans  le  Maine.  Cet  acle,  daté  du  l^r  novembre  1269,  porte  que  l'évêque 
du  Mans,  G.  Freslon,  l'abbé  du  monastère  et  plusieurs  religieux  avaient 
travaillé  au  saint  édifice  d'esprit  et  de  corps  :  Qui  multum  laborave- 
runl  corporaliter  et  spiritualiier  in  fabricaiura  ecclesise.  (Cf.  M.  Ru- 
cher, Notice  sur  quelques  monuments  de  la  Sarthe,  Bullet.  monum., 
t.  XVI,  p.  358.) 

(2)  «  Vas  aureum  decem  librarum,  quod  mihi  Clodovaeus  rex  donare 
dignatus  est,  haeredi  meae  ecclesiae  jubeo  turriculum  et  imaginatum 
calicem  fabricari,  et  epigrammata  quae  Lauduni  in  argenteo...  ipse  di- 
cavi  in  hoc  quoque  conscribi  volo.  »  (Flodoard,  apud  Bouquet,  Rerum 

T.    III.  4 


oO  HISTOIRE    DU   SYMBOLISME. 

verte  au  zèle  du  clergé,  que  le  père  de  notre  histoire  natio- 
nale n'a  garde  d'oublier.  Ainsi  Agricole,  à  Chalon-sur-Saône, 
élève  des  bâtiments  claustraux  autour  de  sa  cathédrale 
où  les  colonnes  de  marbre  le  disputent  aux  mosaïques  ('l). 
A  Rhodez ,  Dalmatius  mourait  sans  avoir  pu  achever  la 
sienne,  parce  qu'il  l'avait  recommencée  très-souvent ,  dans 
le  désir  de  faire  toujours  mieux  (2).  A  Clermont,  Namatius 
s'appliqua  à  faire  de  sa  basilique  épiscopale  un  édifice 
remarquable  par  ses  dimensions  et  la  magnificence  de  sa 
parure  :  le  symbolisme  y  règne  par  son  abside,  par  sa  forme 
de  croix,  le  nombre  de  ses  fenêtres,  de  ses  colonnes  et  de 
ses  portes,  le  jour  harmonieux  qui  s'y  répand;  «  en  sorte,  dit 
notre  auteur,  que  tout  y  respirait  les  plus  suaves  parfums 
de  la  piété.  )>  Et  ne  croyez  pas  que  ce  goût  des  bonnes  choses 
artistiques  n'aille  bien  qu'à  ces  Saints  de  profession  :  les 
femmes  n'y  demeurent  pas  étrangères.  Pour  qu'elles  s'en  oc- 
cupent, il  suffit  qu'elles  aient  pris  le  voile  religieux,  et  s'in- 
téressent d'autant  plus  aux  choses  sacrées.  Retirée  du 
monde  en  môme  temps  que  Namatius ,  l'épouse  de  celui-ci 
nous  est  signalée  par  S.  Grégoire,  s'occupant  d'élever  une 
autre  église  en  dehors  de  la  ville,  et  dictant  aux  peintres 
qui  devaient  la  décorer  les  sujets  qu'elle  y  voulait  avoir,  et 
dont  elle  expliquait  les  motifs  en  s'aidant  d'un  livre  ouvert 
sur  ses  genoux  (3 j .  Que  n'avons-nous  encore  un  tel  livre  ! 


franc,  scriplores,  1. 11,  ad  ann.  533;  — Fleury,  lib.  XXX,  n"  46,  ad  ann. 
496.) 

(1)  «  Agricola  ,  Cabillonensis  episcopus...,  liomo  valde  elegans..., 
multa  in  civitate  aedificia  fecit,  domos  composuit,  ecclesiam  fabricavit 
quam  columnis  fulcivit,  variavit  marmore,  musivo  depinxit.»  (S.  Greg. 
Turon.,  Hist.  Franc,  lib.  V,  cap.  xlvi.) 

(2)  «  Eo  tempore  (post  ann.  541)  et  Dalmatius  ,  Ruthenae  civitatis 
episcopus,  migravit  a  sseculo...  Ecclesiam  coiistruxit;  sed  dum  eam  ad 
emendatiouem  ssepius  destruxit,  incompositam  dereliquit.  »  {IbicL, 
cap.  XLVii.) 

(3)  «  S.  Namatius ecclesiam  quse  nuiic  constat...,  suo  studio  fa- 
bricavit ,  babentem  in  longum  pedes  centum  quinquaginta ,  in  latum 
pedes  sexagiuta,  in  altum  infra  capsam  usque  cameram  pedes  quin- 


SON   APPLICATION   A    L'aRT   CHRÉTIEN.  54 

L'épiscopat  ne  se  si"-iiale  pas  moins  au  siècle  suivant.  Il     son  zèie  à  favo- 

■^  ^  <-  j  risor  les    progrès 

s'est  emparé  de  la  matière ,  non  moins  fervent  que  le  clergé  de  rarciutocture. 
régulier,  et,  dans  ces  deux  catégories ,  l'honnue  de  prière 
ne  voit  rien  de  plus  naturel  que  de  régler  les  fondements 
du  culte  public  par  le  zèle  de  la  maison  de  Dieu.  Et  pen- 
dant (jue  l'Occident  s'anime  ainsi  à  l'œuvre  sainte ,  en 
Orient  S.  Jean  l'Aumônier,  patriarche  d'Alexandrie,  envoie 
d'innnenses  ressources  à  Modeste,  abbé  deSaint-Tliéodose, 
en  Palestine  ,  qui  s'efforçait  de  relever  à  Jérusalem  les 
églises  détruites  en  615  par  les  Arabes  (I). 

Mais  alors  se  Ut  un  progrès  considérable ,  dû  peut-être  à 
la  présence  et  à  l'exemple  des  Yisigotlis ,  qui  régnaient 
depuis  cent  ans  sur  le  Midi  de  la  France.  A  Gahors,  en  630  , 
S.  Didier  use  d'énormes  pierres  de  taille  pour  son  église  : 
c'est  le  grand  appareil,  qui  ne  cessera  plus  dans  les  con- 
structions ,  et  va  désormais  échelonner  jusqu'à  nous  ,  à 
travers  le  moyen  âge  et  la  Renaissance ,  toutes  les  périodes 
de  l'architecture  européenne  (2).  Aussi  vit-on  bientôt  les 
peuples  du  Nord  emprunter  à  la  France  et  à  l'Italie  ,  où  les 
Goths  s'étaient  longtemps  exercés,  des  ouvriers  et  des  ar- 
tistes capables  d'y  introduire  cette  méthode  perfectionnée 

quaginta  :  inante  absidem  rotundam  habens,ab  utroque  latere  ascellas 
elegaiiti  constructas  opère, totumquefiedificium  in  modum  crucis  babet 
Tenestras  quadraginta  duas ,  columnas  septuaginta,  ostia  octo.  Terror 
namque  ibidem  Dei,  et  clarilas  magna  coiispicitur;  et  vere  plerumqiie 
inibi  odor  quasi  aromatum  suavissimus  adveuire  areligiosis  seutitur.» 
[IbicL,  lib.  II,  cap.  xvi  et  xvii.j  —  Ce  livre,  que  l'bistorien  ne  désigne 
pas,  était  peut-être  la  Bible;  mais  ce  pouvait  bien  être  aussi  un  clioix 
des  histoires  bibliques  accommodé  aux  besoins  de  l'art.  M.  Didron  a 
rencontré  en  Grèce  des  peintres  qui  travaillaient  leurs  fresques  de  la 
même  manière,  en  se  faisant  lire  par  des  enfants  un  manuscrit  qui  les 
renseignait  à  l'instant  même,  et  qui  n'était  pas  le  livre  sacré.  (Cf.  Ma- 
nuel d'iconographie  chrétienne j  introduction ,  p.  xxv ,  in-S»,  Paris, 
1843. 

(i)  Robrbacber,  Uist,  universelle  deV Église  calholigue,  lib.  XLVIII, 
ad  ann.  615. 

(2)  «  Non  quidem  nostro  gallicano  more,  sed  sicut  antiquorum  mu- 
rorum  ambitus  magnisque  quadrisque  saxis  exstrui  solet.  y){Kxrerpla 
e  Vita  S.  Desiderii;  Bouquet,  ubi  suprù,  t.  HT,  p.  331.) 


:)2  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

dont  les  Méridionaux  avaient  eu  les  prémices.  On  voit 
S.  Wilfrid,  évêque  d'York,  Biscops,  abbé  de  Waremouth, 
venir  eux-mêmes  en  Normandie ,  vers  675  ,  chercher  des 
constructeurs  et  des  verriers  qui  travaillèrent  bientôt  en 
Angleterre ,  et  y  laissèrent  les  notions  et  la  pratique  de  ces 
deux  arts  {\).  Ces  magnifiques  élans  que  les  évêques  et  les 
moines  inspiraient  au  monde  en  retour  de  ses  religieux 
respects  et  de  sa  filiale  soumission  durent  hâter  le  déve- 
loppement de  l'iconographie  symbolique ,  et  de  tels  faits 
peuvent  être  indiqués ,  croyons-nous ,  dans  l'histoire  de 
l'art  comme  le  point  de  départ  de  cette  architecture  méro- 
vingienne qui  diffère  évidemment  par  tous  ses  caractères 
de  celle  qui  jusque-là  n'avait  donné  que  des  édifices  en 
bois ,  toujours  dévorés  par  l'incendie  peu  de  temps  après 
leur  construction ,  et  qui  ne  se  prêtaient ,  d'ailleurs ,  que 
fort  peu  aux  travaux  symboliques  de  la  sculpture. 
Plan  symbolique  Uu  fait  intércssaut  se  rattache  ici  à  la  construction  des 
abbayes.  Leur  plan  général,  tout  en  se  dessinant  d'abord 
à  l'imitation  des  grandes  habitations  romaines ,  s'était  plié 
néanmoins  aux  exigences  différentes  de  la  vie  régulière , 
et  le  symboUsme  y  avait  pénétré  avec  les  austères  habitants 
dont  il  remplissait  la  pensée.  S.  Éphrem  ,  diacre  d'Édesse , 
qui  florissait  dès  le  miheu  du  quatrième  siècle,  parle 
du  cloître  comme  d'une  fidèle  représentation  du  Ciel ,  où 
tout  est  commun ,  où  règne  la  paix  des  saintes  extases  et 
de  l'unique  préoccupation  de  Dieu.  Par  suite  ,  rien  d'éton- 
nant qu'on  l'ait  embelli  dès  lors  et  plus  tard  de  sculptures 
éloquentes,  de  peintures  variées  reproduisant  les  idées 
exprimées  dans  les  livres  mystiques ,  dont  la  lecture  s'y 

(1)  Émeric  David,  Mémoire  sur  la  dénomination  et  les  règles  de  l'ar- 
chitecture dite  gothique  ,  "^(irmi  ceux  de  l'Institut,  1838,  passim. — 
L'auteur,  pour  le  dire  en  passant,  s'y  trompe  plus  d'une  fois  sur  l'âge 
des  monuments  dont  il  parle,  et  semble  ne  s'être  pas  souvenu,  en 
écrivant  ce  mémoire,  de  ce  que  le  concile  de  Nicée  lui  avait  appris  sur 
la  direction  donnée  par  le  clergé  aux  architectes  depuis  l'origine  de 
l'architecture  ecclésiastique. 


des  monastères. 


SON   APPLICATION   A    L  ART   CHRETIEN.  53 

faisait  tous  les  jours,  comme  ceux,  par  exemple,  du  Pasteur 
d'Hermas  et  de  V Échelle  sainte  de  S.  Jean  Climaque.  C'est 
dans  ce  sens  qu'il  est  parlé  des  monastères  par  Honorius 
d'Autun  au  douzième  siècle ,  et  par  Durant  de  Mendc  au 
treizième.  Le  Sauveur  avait  dit  que  dans  la  maison  de  son 
Père  on  trouvait  de  nombreuses  demeures  distinctes  les 
unes  des  autres  l'VoiLà  les  laures  de  la  Tliébaïde  ,  les  cabanes 
de  branchages  des  solitaires  de  Saint-Maixent,  de  Ligugé  et 
de  Marmoutier,  enfin  les  cellules  où  chacun  habite  avec  Dieu 
seul,  au  milieu  du  silence  et  du  recueillement.  —  S.  Angil- 
bert,  au  neuvième  siècle,  dotait  la  Picardie  du  célèbre  monas- 
tère de  Saint-Riquier  sur  un  plan  triangulaire,  et  le  nombre 
trois  s'y  répétait  systématiquement  par  celui  des  églises 
renfermées  dans  l'enceinte  sacrée  ,  des  autels  ,  des  portes 
et  des  principaux  Archanges  qui  en  avaient  le  patronage. 
Ceci  était  imité,  dans  le  même  temps,  à  Fleury-sur-Loire  par 
les  moines  qui  y  restauraient  l'abbaye  de  Saint-Benoît.  Livrés 
aux  considérations  qui  résultaient  de  ces  dispositions  mys- 
tiques de  leurs  saintes  habitations ,  les  religieux  devaient 
regarder  leur  maison  comme  une  sorte  de  sanctuaire  , 
comme  le  Saint  des  Saints  du  Temple  primitif,  et  ils  lui  en 
donnaient  le  nom ,  selon  qu'on  le  voit  dans  les  Vies  de 
Ste  Marie  d'Oignies  écrite  par  le  cardinal  de  Vitry,  de 
Ste  Paule  par  S.  Jérôme ,  et  de  S^e  Euphrasie,  contempo- 
raine de  l'empereur  Théodose  {]). 
On  voit  clairement  combien  était  érigée  en  principe  et     La  surveillance 

des  éveque»  con- 

comment  se  pratiquait  cette  continuelle  surveillance  des  statée parie  deu- 
xième concile  de 

Pasteurs  ;  et  quand  bien  même  elle  n  eut  pas  été  admise  Nicée. 

(l)  Cf.  Evang. S»  Joan,,  xiv, 2  ;— de  Caumont,//û/.  deVarchit.  relig., 
[).  362  ;  BuUet.  mo?unn.,\l,  204;— S.  Éphrero,  De  Compunciione  cordis, 
cap.  II,  parmi  ses  ouvrages  de  piété,  traduits  par  Le  Merre; -—l'abbé 
Crosuier,  konogr.  chréi.,\).  77  et 78;  —  Honorius  Aug.,  Gemma  animx, 
lib.I,  cap.  cxLix;  —  Duranti  Mimât.  RalvmaU,  lib.  I,  cap.  vi;  — l'abbé 
Godard-Saint-Jean,  Essai  sur  le  symbolisme  archilectural  des  églises, 
iu-8o,  Gaen,  1847  ;  —  Cornélius  à  Lapide,  Comment,  in  Exod.,  cap.  xxvi, 
V.  33. 


54  HISTOIIIE   UL'    SYMBOLISME. 

partout  dès  le  commencement ,  elle  serait  devenue  néces- 
saire pour  préserver  l'Église  des  imaginations  de  mala- 
droits ouvriers  ;  et  ce  fut  une  crainte  fondée  de  voir  déna- 
turer la  foi  dans  le  plus  sensible  de  ses  éléments  extérieurs 
qui  nous  valut  le  plus  décisif  de  tous  les  textes  sur  cette 
matière.  On  sait  les  discussions  soulevées  au  huitième  siècle 
par  l'hérésie  des  Iconoclastes ,  et  avec  quelle  énergie  le  ca- 
tholicisme lui  opposa  ses  conciles  et  ses  martyrs.  De  ces 
conciles ,  le  deuxième  de  Nicée ,  tenu  en  787,  constate  ,  en 
termes  exprès ,  ce  qui  avait  été  de  tout  temps  à  l'égard  de 
cette  surveillance  de  l'Église  sur  les  artistes  qu'elle  em- 
ployait. Les  ennemis  des  images  se  faisaient  une  objection 
des  erreurs  possibles  de  quelques  peintres  qui ,  par  leur 
peu  d'habileté,  eussent  compromis,  disait-on,  la  dignité 
du  culte  ou  la  gloire  de  Dieu  et  des  Saints.  «  Mais  comment, 
))  observèrent  les  évoques,  nos  peintres  pourraient-ils  se 
»  tromper  dans  le  plan  et  les  détails  de  nos  tableaux  en 
»  suivant  la  tradition  conservée  dans  toute  l'Église?  et  ne 
))  sait-on  pas  que  tout  y  est  dicté  par  les  Pères  dès  la  plus 
»  haute  antiquité ,  que  S.  Basile  regarde  comme  une  preuve 
»  d'autorité  irrécusa])le  ?  Eux  seuls  étaient  les  architectes 
»  ou  les  constructeurs  de  ces  lieux  vénérés  où  leurs  regards 
»  se  reposaient  sur  les  saintes  images ,  où  leur  cœur  sa- 
»  cerdotal  offrait  à  Dieu  des  prières  agréables  avec  le  Sa- 
»  criflce-non-sanglant.  En  tout  cela,  rien  n'était  du  peintre 
»  que  l'art  dont  il  usait  ;  mais  l'ordre  et  la  disposition  des 
»  sujets  étaient  bien  des  Pères  de  la  sainte  Église ,  qui  déjà 
«  avaient  élevé  le  monument  (1).  »  La  règle  était  donc 

(l)  «Non  est  imaginum  structura  pictorum  iiiventio,  sed  Ecclesiaj 
catholicse  probata  legisiatio  et  traditio.  Nam  quod  vetustate  excellit 
venerandum  est,  ut  inquit  divus  Basilius.  Testatur  hoc  ipsa  l'ernm  anti- 
quitas  et  Patrum  nostrorum  ,  qui  Spiritu  Sancto  feruntur ,  doctrine. 
Etenim,  cum  has  in  sacris  templis  conspicerent,  ipsi  quoque  anime 
propenso  veneranclatempla  exstruentes.in  eis  quidem  gratas  orationes 
suas  etincruenta  Sacrificia  Deo  omnium  rerum  Domino  offerunt.  Atqui 
consilium  et  traditio  ista  non  est  pictoris  (ejus  enim  sola  ars  est),  verum 


S0>    APPLICATION    A    l'aUT   CHRÉTIEN.  55 

vieille  déjà ,  elle  datait  de  la  plus  haute  origine  possible  ; 
mais  aussi  elle  était  absolue.  Le  peintre  peignait,  cinsait 
de  son  art;  il  n'inventait  pas,  et,  dans  cette  contrainte,  il 
se  trouvait  préservé  des  inconvénients  qu'aurait  entraînés 
l'émancipation  de  son  génie  personnel ,  parfois  peut-être 
plus  ou  moins  iconoclaste...  Que  faudrait-il  de  plus  que 
cette  solennelle  déclaration  de  l'Eglise  pour  signaler  nos 
premiers  évéques,  et  leurs  successeurs  par  une  conséquence 
naturelle  ,  comme  ayant  eu  toujours  et  partout  la  direction 
des  artistes  religieux  ?  Émeric  David ,  Gori  et  d'autres 
l'avaient  soupçonné  sans  en  chercher  les  preuves  :  nous  les 
avons  maintenant,  et  nous  remontons  sans  obstacle  jusqu'à 
l'origine  même  des  traditions  chrétiennes,  à  la  suite  de 
ces  Pères  de  Nicée  ,  qui  devaient  bien  les  savoir  (-1). 


ordinatio  et  dispositio  Patrum  nostroDim  qui  œdificaverunt.  »  (Labbe, 
Conc,  t.  VU,  col.  831;  Synoct.  Nicœna,  ii.) 

(1)  Cf.  Ém.  David,  ubisuprà,  p.  73,  où  il  cite  Gibbon,  historien  de  La 
Décadence  de  Vempire  romain ,  qui  outre  de  beaucoup,  sans  en  com- 
prendre la  cause  esthétique,  les  difformités  de  la  peinture  religieuse  des 
Grecs  au  hiùtième  siècle.  —  Gori  s'exprime  avec  plus  de  respect  et  de 
justesse  dans  sa  Description  de  la  chapelle  de  Saini-Anlonin ,  in-f», 
1728,  et  dans  son  Symbole  liUéraire ,  t.  II,  in-8°,  1748,  Floreutiae.  — 
M.  nidron,  que  nous  aimions  beaucoup,  mais  dont  nous  ne  pouvons 
adopter  ici  toutes  les  idées,  se  trompe  aussi  peut-être  lorsqu'en  avouant 
que  nos  artistes  occidentaux  du  moyen  âge  ont  toujours  eu  une  véri- 
table liberté  dans  leur  allure  artistique ,  il  accuse  l'Église  d'Orient  de 
les  avoir  com[)rimés  en  d'étroites  limites  dont  il  croit  trouver  la  preuve 
dans  le  canon  de  Nicée.  N'y  voit-on  pas,  au  contraire,  que  l'artiste  grec 
a  pour  lui  son  art,  ejus  enim  sala  ars  est,  c'est-à-dire  l'exposition  du 
sujet  désigné,  ce  qui  est  beaucoup  pour  son  talent?  Quant  au  dogme, 
quant  à  l'exégèse  scripluraire,  c'est  autre  chose,  et  rien  ne  peut  l'auto- 
riser à  les  traiter  de  lui-même.  Nous  verrons  que  Rome  ne  se  distingua 
pas  en  cela  de  Byzance,  puisque  d'ailleurs  ce  n'est  guère  qu'au  sixième 
ou  septième  siècle  que  les  deux  écoles  commencent  à  se  donner  quelques 
points  de  divergence.  —  Durant  de  Mende,  que  M.  Didron  n'aimait  pas 
assez,  n'a  donc  pas  tort  d'appliquer  aux  peintres  chrétiens  la  maxime 
d'Horace  :  Qaidliiet  audendi...  11  est  clair  que  Durant,  qui  savait  par- 
faitement de  quoi  il  parlait  et  ce  qu'on  prétendait  de  son  temps,  ne 
donne  pas  à  ces  mots:  Divcrsx  kistoria^  tam  Novi  quam  Veleris  Testa- 
menti  pro  volunlate  pictorum  depingimtur ,  un  sens  aussi  large  que 
notre  savant  et  estimable  ami  paraissait  le  croire.  Il  dit  cela  après  avoir 


56  histoiup:  du  symbolisme. 

Elle  fortifie  et      Au  milieu  des  ébranlements  subis  au  dixième  siècle  par 

perpétue  ainsi  les  ^       .  ,  i        i      a  i  •        i  •  • 

traditions.  l'empire  d  Occident,  la  cliame  de  nos  souvenirs  bistoriques 

ne  perd  pas  un  seul  de  ses  anneaux.  C'est  encore  le  même 
académicien  qui  nous  l'affirme.  Il  nous  montre  l'art  se 
penchant  vers  sa  décadence  et  menacé  d'une  ruine  com- 
plète si  des  évêques  vertueux ,  de  pieux  cénobites  ne  l'a- 
vaient protégé  avec  sollicitude  dans  les  cloîtres  pour  l'orne- 
ment des  temples  et  des  autels.  Il  se  complaît  à  dresser  une 
liste  d'évêques  et  d'abbés  tout  appliqués  à  orner  et  à  con- 
struire des  sanctuaires;  c'est  à  leur  voix  que  s'élèvent  les 
murs  sacrés,  que  se  décorent  (îes  intérieurs  de  basiliques  où 
rivalisent  de  leur  vif  éclat  les  verres  de  couleur ,  les  vastes 
pages  de  peinture  ,  les  retables  en  orfèvrerie  et  les  étoiles 
d'or  multipliées  aux  coupoles  des  absides  et  aux  plafonds 
des  nefs.  Auxerre,  Autun ,  Reims,  Fulde,  Toul,  Constance, 
Rome  et  Milan ,  York  et  Cantorbéry ,  Aix-la-Chapelle  et 
Saint-Gall,  prouvaient  à  l'envi  qu'une  pensée  unique  prési- 
dait aux  magnifiques  éclosions  de  la  pensée  chrétienne  (^l). 
Là  c'était  tout  le  génie  de  l'ornementation  ;  ailleurs,  comme 
à  Paris,  à  Clermont,  à  Angoulême ,  l'architecture  s'éver- 
tuait sur  l'abbatiale  de  Saint-Germain-des-Prés,  pour  Notre- 
Dame-du-Port,  pour  la  belle  cathédrale  byzantine  de  Saint- 
Pierre  ,  et  les  architectes  étaient  encore  les  prélats,  inspi- 
rateurs des  plans  normaux ,  de  l'imagerie  sculptée  aux 
portails ,  des  chapiteaux  chargés  de  légendes  locales,  d'en- 
roulements botaniques  ou  d'animaux  hybrides  préposés  à 


rappelé  succinctement  de  quelle  façon  on  représente  le  Paradis,  l'Enfer, 
la  Synagogue.  Quant  aux  scènes  historiques,  elles  sont  laissées  au  choix 
peut-être,  mais  certainement  à  l'agencement  du  peintre,  qu'on  n'a  pas 
intérêt  à  diriger  dans  la  distribution  des  scènes  et  la  position  des  per- 
sonnages. On  se  fût  bien  gardé  de  lui  laisser  la  même  liberté  dans  les 
peintures  où  le  symbolisme  devait  dominer  la  matière.— Voirie  Manuel 
d'iconographie  cliréliemie ,  introduction,  p.  vu  et  viii;  Durant,  Ralio- 
nale  divin.  Offic,  lib.  I,  cap.  m. 

(1)  Ibid.,  p.  81  et  suiv.,  et  Mémoire  sur  Varchileciure  gothique ,  ubi 
suprà. 


SON   APPLICATIOIV   A   l'ART   CHRÉTIEN.  -37 

renseignement  de  qiiel(|ucs  austères  vérités  (^).  M.  de 
Montalembcrt  a  fait  observer ,  à  propos  de  cette  application 
du  clergé  aux  choses  de  l'art ,  qu'en  plein  dixième  siècle 
l'éducation  d'un  clerc  était  assez  complète  en  tout  ce  qui 
regardait  le  bon  goût  de  l'intelligence  et  l'habileté  d'exé- 
cution pour  faire  honte  au  pédantisme moderne,  qui  n'af- 
fecte qu'un  grossier  mépris  pour  la  prétendue  ignorance 
de  ces  temps  méconnus  (2). 
Ceci  nous  amène  à  l'époque  où  les  Chapitres,  constitués     .^^s  chapitres 

^      ^  '  '  entrent     dans    le 

depuisl'origine  en  un  corps  diocésain  et  faisant  vie  commune  mouvement  artis- 

l  ^  ^  tique. 

avec  l'évèque,  commencent  à  se  faire  des  intérêts  distincts, 
séparent  leur  mense  de  la  sienne,  et  s'appliquent  d'eux- 
mêmes  aux  soins  de  l'église  cathédrale ,  qui  devient  la  leur 
propre  autant  que  celle  de  leur  chef  hiérarchique  (3). 
L'épiscopat  continue  à  se  faire  architecte ,  d'autant  plus 
entraîné  vers  les  développements  de  l'art ,  que  de  toutes 
parts  les  écoles  d'architecture  se  sont  recrutées ,  et  qu'à 
leur  observance  fidèle  du  symbolisme  elles  ont  ajouté  le 
grandiose  des  formes  architectoniques  dans  les  admirables 
constructions  créées  par  les  monastères  les  plus  renommés. 

(1)  Reuouvier,  Essai  de  classification  des  églises  d'Auvergne,  Bullet. 
mouum.,  t.  III,  p.  377  et  suiv. 

(2)  S.  Bernard,  évêque  de  Hildesheiin,  avait  été  élevé,  vers  950,  dans 
le  monastère  des  bénédictins  de  cette  ville.  L'annaliste  de  l'Ordre,  noire 
célèbre  Mabillon,  indique  en  ces  termes  à  quels  arts  s'appliquaient  les 
jeunes  gens  instruits  à  cette  école  et,  bien  entendu,  dans  toutes  celles 
qui  vivaient  sous  les  inspirations  de  la  même  règle  :  «  In  scribendo 
apprime  enituit;  picturam  etiam  limate  exercuit.  Fabrili  quoque  scien- 
tia  et  arte  clusoria  ,  omnique  structura  mirifice  excelluit.  »  {Acia  Ord. 
Sancti  Bcned.,  t.  VIII,  p.  181.)  — Voici  donc  un  seul  homme,  et  avec  lui 
tous  ceux  qui  venaient  se  soumettre  à  la  même  discipline,  appliqué 
en  même  temps  aux  travaux  de  la  calligraphie,  de  la  peinture,  de  l'or- 
fèvrerie, y  compris  l'art  d'j^  enchâsser  les  pierres  précieuses,  et  enfin 
l'architecture.  De  telles  notions,  il  faut  bien  l'avouer,  expliqueraient 
seules  comment  a  pu  naître  et  se  perpétuer  le  canon  invariable  suivi 
si  longtem[>s  parnos  artistes  religieux.  —  Cf.  Annales  archéologiques, 
t.  VI,  iihi  suprà. 

(3)  Cf.  l3ouix,  Traclalus  de  Capilulis,  pars  1,  cap.  i,  §j5  5,  G, 8;  Fleury, 
Institution,  Impart.,  ch.  xvii. 


58  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

Cette  influence  monastique ,  vivante  dans  toute  la  période 
romano-byzantine,  qui  s'étend  du  sixième  siècle  au  dou- 
zième ,  se  termine  pendant  le  cours  de  celui-ci  aux  vastes 
et  saisissantes  abbatiales  des  Glunistes  et  des  Cisterciens, 
dont  on  sait  la  supériorité  incontestable  {\).  Mais  pour  ces 
laborieux  solitaires,  un  temps  d'arrêt  se  fait  ici,  soit  parce 
qu'ils  ont  doté  leurs  nombreuses  maisons  conventuelles 
d'églises  aussi  durables  que  magnifiques  ,  soit  parce  que  la 
plus  grande  partie  des  Sièges  épiscopaux  occupés  par  des 
membres  de  ces  grandes  familles  tendent  naturellement 
dès  lors  à  remplacer  les  abbayes  dans  l'impulsion  que  l'art 
religieux  doit  encore  recevoir.  Voilà  donc  les  évèques  et  les 
chapitres  unissant  leurs  efforts  et  leurs  ricliesses  pour 
élever,  à  côté  de  Cluny ,  de  Moissac  et  de  Saint-Denis,  de 
Vézelay,  de  Fontverault  et  de  Lerins,  les  basiliques  épisco- 
pales  de  Chartres,  de  Paris,  de  Rouen  et  de  Poitiers.  De 
tous  côtés,  on  voit  surgir  de  nouveaux  chefs-d'œuvre  et 
s'épanouir  les  nouvelles  fleurs  de  l'architecture ,  d'autant 
plus  belles  que  l'art,  parvenu  à  la  possession  de  toutes  ses 
ressources  possibles,  se  complète  chaque  jour  par  ses  char- 
mantes productions  de  tout  ce  que  le  compas  de  l'archi- 
tecte peut  offrir  au  pinceau  intelligent  de  ses  peintres  et  au 
ciseau  vraiment  original  de  ses  sculpteurs. 
Preuves  de  ce  qui      La  part  cxclusive  que  le  clergé  a  toujours  prise  dans  la 

"DPGCGcic  dmis   les 

sculptures  mêmes  surveillancc ,  la  direction  ,  et  fort  souvent  dans  l'exécution 

de  nos  églises ,  .  ,  . ,  i  j     i 

même  des  travaux,  ne  se  voit  pas  seulement  dans  ces  par- 
faites ressemblances  de  types  qu'on  remarque  partout  où 
fut  le  catholicisme  :  on  la  retrouve  dans  les  plus  minces 
détails  d'ornementation  sculptée  aux  façades  de  nos  temples 
ou  sous  les  corniches  de  leur  intérieur  (2).  Là,  maintes  fois, 

(1)  Cf.  Notice  sur  les  écoles  cfarchiieclure  au  mryen  âge  ,  par 
M.  l'abbé  Crosnier,  p.  2  et  suiv.,iri-8%  Caen,  1849. 

(2)  En  Normandie  ,  les  modillons  ornent  rarement  l'intérieur  de 
l'église,  mais  ils  s'y  trouvent  souvent  dans  celles  de  l'Anjou,  du  Maine, 
du  Poitou,  de  la  Touraiue  et  de  beaucoup  d'autres  provinces. 


S0>    APPLICATION   A   L'aUT   CHRÉTIEIN'.  oO 

au  milieu  des  têtes  grimaçantes  et  des  personnages  diver- 
sement occupés  qui  soutiennent  en  longues  rangées  les 
arcatures  ou  les  entablements,  on  aperçoit  certaines  figures 
placides  attentives  à  un  phylactère  qu'elles  déroulent ,  ou 
assises  près  d'un  volumen  déployé  ,  ou  tenant  le  compas  et 
l'équerre  ,  ou  avoisinécs  enfiu  d'une  petite  église  finement 
taillée  qu'elles  contemplent  avec  amour  ;  presque  toujours 
ces  figures  sont  couvertes  de  la  cuculle  du  religieux  ou  du 
capuce  du  chanoine.  Non  loin  d'elles  ,  un  évéque  revêtu  de 
ses  insignes  habituels ,  appuyé  sur  sa  crosse ,  ou  assis  et 
calme  devant  ces  grandes  nefs  où  il  semble  présider  encore, 
surveille ,  et  assiste  de  son  regard  à  tout  ce  qui  s'est  fait 
autour  de  lui  (^1).  Soyez  certain  que  ces  témoins  d'un  autre 
âge  sont  les  créateurs  de  la  pensée  première  qui  a  rassemblé 
d'abord  et  dressé  bientôt  après  tous  ces  matériaux.  Là 
est  le  maître  de  l'œuvre  ,  ici  le  maître  maçon  ,  là  encore  le 
consécrateur  qui  a  donné  leur  valeur  suprême  à  ces  murs 
bénis.   Ne  voyez-vous  pas  aussi,  dans  un  costume  plus  dans  phistoiie d« 

"  .  ,  -11*  •  toutes     ces     fon- 

simple ,  tenant  d  une  main  quelque  attribut  plus  ou  moins  dations  par   les 

11,  II  .  1  1  1  ,        confréries  de  ma- 

intact  de  leur  honorable  mestwr ,  ces  hommes  obscurs  de-  çons; 
pûtes  là ,  pour  y  vivre  en  leur  nom  ,  par  les  ardentes  con- 
fréries qui  bâtirent  tant  de  sanctuaires  sous  la  conduite  des 
prêtres  :  hommes  de  peine,  au  cœur  chrétien  ,  fouillant  les 
carrières  ,  s'attelant  aux  chariots  des  transports  ,  enthou- 
siastes de  leur  tâche  consommée  pendant  des  années  en- 
tières au  chant  des  cantiques  et  aux  accents  de  leur  compo- 
sition ;  généreux  indigents  payant  de  leurs  peines  sérieuses 
à  l'édifice  commun  cette  riche  souscription  que  le  noble 
lui-même  et  le  seigneur  ne  secondent  pas  moins  de  leurs 
généreuses  fatigues  (2)!  Personne,  en  aucun  temps,  n'a 

(1)  Voir  notre  Histoire  de  la  cathédrale  de  Poitiers,  1. 1,  de  la  p.  210 
à  la  p.  281  ;  et  pi.  viii,  nos  lo,  28,  44,  45,  50,  53  et  54. 

(2)  Cf.,  sur  les  confréries  de  frères-maçons  dirigées  par  le  clergé  aux 
onzième,  douzième  et  treizième  siècles,  le  livre  du  docteur  Schnaase, 
déjà  cité,  et  qui  a  trait  à  ce  fait  si  intéressant  de  l'histoire  architecturale 


60  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

connu  ni  ces  prolétaires  ni  ces  prélats  ;  rien  ne  dit  à  côté 
d'eux  le  moindre  souvenir  de  leur  vie  privée.  Mais  eux- 
mêmes  suffisent  à  cette  place ,  modestement  enviée  peut- 
être,  pour  remplacer  la  théorie  non  écrite  de  leurs  idées 
artistiques  ;  ils  disent  hautement  qu'ils  ont  pris  part ,  dans 
la  sphère  relative  de  leur  zèle  et  de  leur  intelligence ,  à  ce 
travail  commun  dont  vous  voyez  autour  d'eux  les  saintes  et 
brillantes  conceptions.  Que  dire  déplus  pour  attester  cette 
collaboration  sacrée?  Voici  les  Docteurs  et  leurs  disciples; 
autour  d'eux  et  de  vous  se  déroulent  les  pages  merveilleuses 
de  leur  livre,  où  tout  se  lit,  excepté  leur  nom  ;  mais,  pour 
ces  doctes  et  sublimes  chrétiens,  un  tel  silence  n'est  qu'un 
mérite  de  plus. 
et  l'exacte  res-       Ghosc  étoniiantc  !  l'architecturc  n'a  pas  eu,  dans  toutes 

semblance  de  tant 

de  types  muiti-  CCS  cncyclopédies  si  curieuses  et  si  savantes  dont  le  moyen 

plies  à  l'infini  sans  ,  .     . 

aucunes     règles  âgc  sc  glorihc  a  SI  justc  titrc ,  une  seule  page  consacrée  à 

écrites.  .       .  ,  /  i       i  ^t  ? 

ses  principes  et  a  ses  méthodes.  Vous  n  en  trouverez  rien 
ni  dans  Bède,  ni  dans  Isidore  de  Se  ville,  ni  dans  Hugues  de 
Saint- Vicor,  ni  dans  Vincent  de  Beauvais.  Et  cependant  quels 
rapports  de  ressemblance  entre  tous  les  monuments  con- 

daus  le  onzième  volume  des  Annales  archéologiques ,  p.  323.  —  C'est 
une  grosse  erreur  de  ne  dater  l'apparition  des  frères-maçons  que  du 
treizième  siècle,  comme  l'a  fait  M,  Weyer  au  congrès  archéologique  de 
Strasbourg  en  1842;  et  c'était  encore  un  mauvais  argument  pour  cette 
thèse  que  le  témoignage  qu'on  prétendait  tirer  des  signes  lapidaires 
inconnus,  disait-on,  avant  le  treizième  siècle:  nous  savons  beaucoup 
de  monuments  dans  le  Poitou  où  ils  figurent  dès  le  douzième;  et  d'ail- 
leurs ces  signes  n'étaient  que  des  marques  de  tâcherons,  comme  nous 
l'avons  expliqué  ailleurs  ,  et  non  des  indices  secrets  se  rapportant  à 
quelques  idées  d'une  société  travaillant  eu  dehors  du  clergé.  C'est  donc 
plus  de  deux  cents  ans  avant  Erwin  de  Steiubach  qu'il  faut  regarder 
l'origine  des  associations  d'ouvriers  maçons;  elles  se  formèrent  sous  la 
direction  des  ecclésiastiques  pour  suppléer  à  l'insuffisance  des  ouvriers- 
moines  formés  dans  les  monastères  par  les  Abbés,  et  furent  dès  lors 
un  corps  de  métier  ayant  ses  règles  constitutives  et  ses  droits  reconnus. 
—  Voir  encore  HisL  de  la  calhédrale  de  Poitiers ,  t.  I,  p.  286,  pi.  ix; 
Bâtissier,  Hist.  de  l'art  monume?iial ,  p.  466  et  suiv.;  Renouvier  et  Ri- 
card, Des  Maîtres  de  pierre  et  autres  artistes  gothiques  de  Montpellier, 
in4%  p.  3,  MontpelL,  1844. 


SON   APPLICATION    A    l'aRT   CHRÉTIEN.  <*»! 

struits  à  tant  d'époques  diverses  !  Quelle  identité  évidem- 
ment calculée  des  dispositions  principales  et  secondaires  ! 
(domine  il  a  fallu  nécessairement  que  l'uni tç  des  règles  lût 
acceptée  de  toutes  parts  pour  produire  partout  ce  résultat 
commun  d'une  pensée  dominante  !  Affirmons-le  donc  :  ce 
fait  acquis  consacre  l'existence  d'une  maîtrise  générale 
d'autant  moins  soucieuse  d'écrire,  que  le  simple  ouvrier, 
ne  sachant  pas  lire,  n'eût  eu  que  faire  de  manuscrits,  et  que 
rarchitecte  ,  pouvant  communiquer  de  vive  voix  les  prin- 
cipes fondamentaux,  n'avait  pas  de  meilleurs  moyens  que 
la  pratique  même  pour  introduire  à  la  connaissance  de  l'art 
les  nombreux  élèves  formés  par  lui  dans  le  silence  du 
cloître  et  la  contemplation  des  monuments. 
Il  en  était  ainsi  dans  le  système  général  d'ornementation    comment  les  mi- 

niatures   des  ma- 

par  l'imagerie ,  soit  peinte,  soit  sculptée.  Point  de  Guides  nuscrits  ont  pu 

suppléer  aux  tex- 

composés  pour  ces  travaux,  où  la  pensée  a  presque  toujours  tes  spéciaux  pour 

/  ^  ^  ,  .  les    arts     d'orne- 

le  plus  beau  rôle  ;  et  cependant  que  d  ninombrables  sujets,  mentation. 
toujours  les  mêmes  partout  quant  au  sens  mystérieux  qu'ils 
représentent,  diffèrent  à  peine  çà  et  là  par  le  faire  du  peintre 
et  du  sculpteur  !  Il  est  vrai  qu'on  possédait  depuis  les  pre- 
miers temps  des  modèles  qu'il  ne  fallait  qu'imiter  :  les 
manuscrits  étaient  pleins  de  miniatures  variées,  où  le  sym- 
bolisme des  anciens  ou  des  contemporains  s'était  exercé  , 
et  qui,  pour  beaucoup  d'expressions  à  rendre,  étaient  des 
sources  abondantes  et  sûres.  Combien  on  y  rencontre  de 
fleurs ,  d'animaux ,  de  bons  et  de  mauvais  anges  qui  se  re- 
produisent sur  nos  chapiteaux,  dans  nos  verrières,  aux 
reliefs  des  bases  et  des  entablements  !  C'était  toujours  d'a- 
près les  notions  de  l'esthétique  ,  reçues  et  sans  cesse  pro- 
fessées dans  les  cloîtres  ,  que  travaillaient  à  ces  images 
précieuses  de  nos  vieux  parchemins  les  cénobites  de  l'un 
et  de  l'autre  sexe.  C'est  ainsi  que  furent  composés  la  Bible 
d'Alcuin  et  VOrtus  deliciarum  de  l'abbesse  Herrade  de 
Hohenbourg.  Sans  ces  habiles  mains,  les  ornementistes 
eus -ont  manqué  de    modèles  ,  devenus  autant  de  règles 


62  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

permanentes  et  qui  portaient  avec  elles  leur  professorat  de 
la  pensée  artistique.  Voilà  sans  doute  pourquoi,  parmi  tant 
de  livres  recherchés  dans  les  obscurités  de  nos  bibliothèques 
sur  l'art  et  ses  règles  au  moyen  âge,  on  en  trouve  à  peine 
deux  qui  traitent  de  la  partie  technique  de  certaines  indus- 
tries ;  et  encore  ne  faut-il  pas  remonter  au  delà  du  douzième 
siècle  pour  lire  ces  pages  attachantes  qu'on  doit  au  moine 
Théophile  ,  l'humble  et  savant  auteur  de  V Essai  sur  divers 
arts  {{) ,  ni  s'éloigner  beaucoup  du  quinzième  pour  tirer 
du  Guide  grec  de  la  peinture  les  procédés  manuels  et  l'éco- 
nomie spirituelle  des  saintes  images  (2). 
Caprices  dei'ar-      Pour  demièrc  assertion  nous  voulons  faire  observer  quelle 

cliitGCtur6     civile 

en  regard  de  cette  différeucc  cxlstc  cutrc  l'architecture  religieuse  du  moyen 
lière  des  formes  âgc  ct  l'arcliitecture  civile  de  la  même  époque  s'exerçant 
aux  habitations  particulières,  aux  hôtels  de  ville  ou  aux 
palais.  Souvent ,  il  est  vrai,  des  rapports  très-apparents  se 
manifestent  entre  ces  éléments  opposés,  entre  certains 
bâtiments  de  grandes  dimensions  et  quelques  églises  voi- 
sines. Alors  il  faut,  presque  sans  exceptions,  considérer  les 

(1)  Cf.  Schedula  diversarum  artiiim,  traduit  par  M,  de  l'Escalopier, 
et  ce  qu'en  dit  l'intéressant  article  que  notre  regrettable  abbé  Texier 
en  a  inséré  dans  son  beau  Dictionnaire  d'orfèvrerie  chrétienne, 
vo  Théophile. 

(2)  Le  Guide  de  la  peinture  est  du  moine  Denys,  pieux  et  intelligent 
artiste  du  couvent  de  Fourna,  au  Mont-Athos.  Les  moines  grecs^  qui 
s'en  servent  encore  pour  l'exécution  des  tableaux  sur  mur  de  leurs 
églises,  le  croient  du  dixième  ou  du  onzième  siècle.  Nous  pensons, 
avec  M.  Didron^que  ce  serait  un  peu  haut.  Mais  le  savant  archéologue 
le  regarderait  comme  du  quinzième  ou  du  seizième  siècle,  et  nous  crai- 
gnons que  ce  ne  soit  un  peu  bas.  11  y  a,  en  effet,  dans  la  diction  de  l'au- 
teur grec  une  naïveté  de  pensée  et  d'expression  qui  se  perd  déjà  par- 
tout, nous  semble-t-il^  au  quatorzième.  Au  reste,  on  est  forcé  en  lisant 
ce  livre  de  reconnaître  une  foule  de  traditions  hiératiques  rendues  delà 
même  façon  que  nos  peintres  de  l'Occident  l'ont  fréquemment  compris. 
C'est  une  raison  de  plus  pour  attribuer  cette  unité  de  méthode  à  une 
source  canonique  très-ancienne.  Gela  prouve  encore  qu'entre  tant  de 
différences  par  lesquelles  on  voudrait  parfois  distinguer  les  deux 
grandes  Écoles  de  peinture  chrétienne,  il  en  est  beaucoup  de  fort  conjec- 
turales, et  sur  lesquelles  il  faut  revenir  de  l'assurance  qui  les  avait  fait 
affirmer. 


SON    APPLICATION    A    l'aRT   CHRÉTIEN.  03 

premiers  comme  étant  l'œuvre  des  religieux  qui  construi- 
sirent les  secondes  et  qui  les  ont  reliés  mutuellement  par 
un  air  de  famille;  le  style,  des  deux  côtés  ,  se  rapproche 
plus  ou  moins  par  quelques  détails.  C'est  également ,  pour 
les  ouvertures  ,  l'arcade  cintrée  ou  ogivale  ,  quelquefois  la 
colonne  cylindrique  et  son  chapiteau  à  feuillage  ;  parfois 
aussi ,  dans  les  constructions  purement  nohiliaires,  l'orne- 
mentation s'élève  par  phis  de  luxe  et  de  recherche  ;  mais 
regardez  hien ,  et  toujours  des  traits  saillants  viendront 
trahir  à  vos  yeux  la  destination  laïque  de  ces  édifices  et  en 
indiquer  l'origine  :  ainsi  le  plus  grand  nombre  d'entre  eux 
est  en  Lois  ou  en  briques ,  au  moins  dans  les  villes  ;  de 
même  qu'ils  y  sont  relativement  très-peu  vastes ,  l'enceinte 
murale  des  fortifications  ayant  dû  restreindre  l'espace  de  la 
cité.  On  voit  bien  encore,  surtout  au  douzième  siècle, 
comme  à  Bazas,  et  au  treizième,  comme  à  Gluny,  une  arca- 
ture  continue  formant  galerie  au  second  étage ,  puis  une 
projection  de  la  toiture  s'avançant  en  dehors  du  plan  comme 
un  appendice  destiné  à  garantir  de  la  pluie  les  accoudoirs 
des  fenêtres  et  le  seuil  de  la  porte  d'entrée.  Mais  toutes  les 
façades  sont  plates  et  sans  aucun  retrait  ;  les  fenêtres,  par- 
fois à  plein  cintre,  sont  le  plus  souvent  carrées ,  et  coupées 
par  une  croisée  en  pierre;  enfin  les  faîtages  à  pente  plus 
ou  moins  rapide  ,  où  les  épis  ne  paraissent  pas  encore  ,  où 
des  tuyaux  de  cheminée,  rivalisant  d'une  élégance  arbi- 
traire, signalent  surtout  l'action  de  la  vie  civile  :  voilà,  certes, 
des  caractères  bien  éloignés  de  ceux  d'une  église ,  et  qui 
ne  permettent  pas  de  confondre  les  mains  qui  les  édifièrent. 
C'est  donc  le  capi'ice  de  chacun  qui  a  présidé  à  ces  con- 
structions laïques ,  si  nombreuses  et  si  variées  ,  et  c'est 
raison ,  chacun  se  logeant  selon  son  droit ,  et  la  société 
n'ayant  aucun  intérêt  à  lui  imposer  des  formes  préférées. 
Là,  d'ailleurs,  point  de  symbolisme  à  observer  nécessaire- 
ment ,  point  de  règles  canoniques  à  suivre  ;  la  rigoureuse 
loi  de  l'alignement,  qui,  de  nos  jours,  est  parfois  si  ridicule- 


6/|  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

ment  absolue ,  n'empêche  même  pas  le  bâtisseur  vulgaire 
ni  d'empiéter  sur  la  voie  publique  ni  de  reculer  vers  son 
jardin.  L'église,  au  contraire,  maison  de  tous,  mais  lieu 
sacré  destiné  à  la  prière  commune ,  doit  se  distinguer  tout 
d'abord  au  regard  qui  la  rencontre  ;  elle  frappe  et  saisit 
par  ses  lignes  et  ses  dessins  convenus  ;  elle  s'annonce  à  tous 
par  des  tracés  qui  ne  sont  qu'à  elle  ,  par  la  môme  raison 
qu'une  fois  installés  dans  son  enceinte  vénérée,  ses  enfants 
ont  besoin  que  tout  y  parle  à  leur  esprit  et  à  leur  cœur,  que 
tout  arrive  par  le  regard  à  ces  deux  moitiés  de  la  vie 
morale. 
Rësumé  et  ré-       i\  était  douc  indispeusablc  de  s'arrêter  à  un  archétype 

sultat         logique  .  ,        .^         . 

des  considérations  univcrscl ,  qul  uc  chaugcât  poiut  quaut  aux  significations 

précédentes.  .  .  »■  •  i 

plus  ou  moins  nombreuses,  mais  toujours  nécessaires,  dont 
la  foi  se  nourrit.  Donc,  pour  l'architecture  chrétienne ,  non 
plus  que  pour  ses  moyens  d'ornementation  et  d'ameuble- 
ment, point  de  ces  prétendus  caprices  auxquels  des  préten- 
tions irréfléchies  ont  quelquefois  voulu  faire  croire  ;  point 
de  banalités  dans  ce  plan  des  monuments,  en  tout  le  même, 
et  parlant  toujours  le  même  langage  des  traditions  aposto- 
liques sous  l'influence  du  prêtre  ;  point  de  vagues  étran- 
getés  dans  cette  flore  pendante  aux  bords  des  chapiteaux  , 
dans  ces  couleurs  murales  disant  les  mystères  des  faits 
bibliques  aux  parois  du  temple  ou  à  la  voûte  du  sanctuaire  ; 
nulle  fantaisie  dans  ces  légendes  sculptées  ,  dans  ces  ver- 
rières empreintes  des  histoires  symboliques  de  tant  de 
générations  ,  non  plus  que  dans  ces  types  consacrés ,  mais 
inexplicables  à  l'ignorance  qui  n'y  peut  lire,  à  l'incrédulité 
qui  les  nie  ,  à  la  demi-science  laïque  s'égarant  en  des  sen- 
tiers qu'elle  ne  peut  explorer  complètement  toute  seule.  Ce 
sont  là  autant  d'empreintes  qui  ne  se  voient  en  aucune 
habitation  séculière  dans  les  siècles  de  foi ,  pas  plus  que  de 
notre  temps ,  et  qui ,  en  constituant  une  différence  tout 
hiératique  entre  les  monuments  civils  et  ceux  de  l'ordre 
religieux ,  attestent  aussi  bien  pour  les  uns  l'exemption 


SON  APPLICATIOiN   A  L*ART    CHRÉTIEN.  65 

complète  de  toutes  règles  positives  que  pour  les  autres  uue 
soumissiou  normale  à  des  conditions  symboliques  dont  le 
clergé  seul  était  l'auteur  et  le  gardien. 

Ce  que  nous  venons  d'exposer  pour  établir  cette  influence 
absolue  et  irrécusable  de  la  pensée  sacerdotale  sur  les  diC- 
férentcs  brandies  de  l'art  catholique  se  prolongerait  à  l'in- 
fini; mais  tout  ce  qui  va  suivre,  en  s'appuyant  sur  cette 
vérité,  ne  fera  qu'en  multiplier  les  preuves.  C'est  que,  pour 
résumer  ici  avec  de  grands  maîtres  tout  ce  qui  regarde  cette 
question ,  «  dès  le  siècle  des  catacombes  l'art  chrétien  devint 
une  religion  comme  tout  le  reste;  il  semble  qu'une  main 
souverainement  maîtresse  ait  tracé  alors  le  premier  mo- 
dèle, que  tant  de  mains  serviles  répétèrent  depuis  {\)  ;  )>  et, 
«  quant  aux  moyens  d'exécution,  il  est  certain  que  les  ecclé- 
siastiques les  plus  distingués  et  les  plus  instruits  faisaient 
de  l'architecture  l'objet  de  leurs  études  :  ils  donnaient  eux- 
mêmes  les  plans  de  leurs  églises,  ils  travaillaient  à  les  con- 
struire (2).  »  — Je  ne  terminerais  pas  si  je  voulais  citer  tous 
ceux  qui,  pour  cette  sainte  et  noble  tâche,  vouèrent  toute 
leur  vie  aux  œuvres  de  l'équerre,  de  la  palette  et  du  ciseau. 


{{)  Raoul  Rochelle,  Tablean des  Catacombes,  j).  165. 
(2)  M.  de  Caumont,  f^ist.  de  Varchil.,  p.  59,  60. 


T.  m. 


CHAP1TRI2  H. 

L'ÉGLISE   DANS  SON   ORIENTATION.— CIMETIÈRES. 


Revenons  maintenant  sur  nos  pas  :  il  est  temps  de  con- 
sidérer la  maison  de  Dieu  dans  son  plan  d'ensemble ,  et 
pour  ainsi  dire  à  l'extérieur,  où  nous  apparaissent  les  formes 
générales  du  lieu  sacré,  après  quoi  nous  passerons  le  seuil, 
nous  aborderons  le  sanctuaire,  nous  parcourrons  ses  nefs , 
nous  visiterons  son  transsept,  ses  absides  et  ses  cbapelles  ; 
enfin  nous  chercherons  encore  dans  tous  les  membres  de 
ce  corps  mystérieux  les  leçons  silencieuses  mais  fécondes 
de  l'Épouse  du  Christ. 
Préliminaires  de  G'cst  dc  lolu  quc  CCS  Icçous  préparent  le  saint  édifice ,  et 
La'^cîo^iï'pianté^  lougtemps  avaut  que  les  murs  bénis  n'aient  reçu  même 
d'ï^i'rS^aS!"*  leur  première  assise.  Nous  avons  vu  comme  Fassentiment 
de  l'Évêque  est  nécessaire  à  l'érection  du  moindre  espace 
où  se  doit  célébrer  le  Saint  Sacrifice  ,  la  plus  auguste  des 
fonctions  religieuses,  et  vers  laquelle  toutes  les  autres  con- 
\  ergent.  C'est  à  lui  également  qu'il  appartient  de  désigner 
ou  d'accepter  le  terrain;  car  il  est  bon  que,  toujours  par 
une  pensée  mystique ,  le  sol  où  sera  posée  cette  Jérusalem 
terrestre  domine  l'espace  qui  l'entoure ,  appelle  de  loin  les 
regards  de  l'humanité,  et  ouvre  le  cœur  de  l'homme  aux  can- 
tiques de  son  exaltation  éternelle.  Nous  savons,  du  reste,  que 
l'ÉgUse  universelle ,  la  société  chrétienne  tout  entière  est 
figurée  par  ce  temple  :  en  réalité ,  c'est  la  Jérusalem  d'En- 
Haut.  Il  y  a  donc  entre  elle  et  lui  des  relations  tropologiques 
et  morales  qui  doivent  élever  l'un,  dans  toute  son  existence 


l'église  dans  son  orientation.  67 

ici-bas  ,  vers  le  règne  siuiiatiiiel  et  inébranlable  de  l'autre. 
Les  Prophètes  sont  pleins  de  cette  similitude,  qui  leur  revient 
sans  cesse  (1),  et,  quoiqu'on  n'en  ait  guère  tiré  une  pres- 
cription absolue  quant  à  ces  exhaussements  du  lieu  choisi 
pour  une  égUsc  ,  on  la  verra  cependant  comprise  et  suivie 
de  toutes  parts.  Pour  peu  qu'on  l'examine ,  dans  le  plus 
grand  nombre  de  nos  monuments  actuels  on  reconnaîtra 
souvent  que  ,  lorsqu'elle  semble  oubliée  ,  ce  n'est  que  par 
suite  des  transformations  du  sol  modifié  à  travers  les  siècles, 
et  l'importance  n'en  a  jamais  été  méconnue,  puisqu'au  sei- 
zième siècle  encore  S.  Charles  prescrivait  d'y  obéir.  On 
comprend  bien  aussi  que  cette  disposition  nécessitait,  pour 
aborder  le  Lieu  saint ,  l'usage  de  quelques  degrés  :  c'était 
un  caractère  de  plus  pour  compléter  le  symbolisme  de 
cette  ascension  du  chrétien  vers  le  séjour  de  la  paix  ;  là  il 
se  trouvait  d'autant  plus  séparé  du  monde,  et,  par  une 
autre  raison  tirée  du  respect  qu'impriment  aux  nombres 
impairs  l'unité  et  la  trinité  de  Dieu,  ces  marches  devaient 
être  au  nombre  de  trois ,  de  cinq  ,  de  sept ,  etc.  Cette  re- 
marque ,  confirmée  encore  par  S.  Charles ,  ne  s'applique 
pas  moins  aux  chapelles  baptismales  et  aux  autels  (2),  dont 

(1)  «  Fiindatur  exsultatione  universae  terrae  mons  Sion...,civitas  Dei 
magni.  »  {Ps.,  xlvii,  3.)—  «  Fundamenta  ejus  in  montibus  sanctis.  » 
{Ps.,  Lxxxvi,  1.)  —  Voir  S.  Méliton,  sur  le  mol  mo?i<  j  apud  Spiciley. 
Solesm.,  t.  U,  p.  142. 

(2)  «  Qua  in  re  valde  spectetur  ut  ubicumque  (ecclesia)  exstrualur, 
loco  editiori  aliquanto  fiât.  »  (S.  Caroli  Borromaei,  Inslructionum  fa- 
bricx  ecclesiasliccohh.  l,  cap.  i,  De  Situ  ecclesiee.)  —  Le  saint  évêque, 
doué  de  ce  zèle  éclairé  qui  s'échappe  toujours  d'un  cœur  sacerdotal,  va 
plus  loin,  et  n'abdique  pas  le  droit  de  choisir  lui-même  ou  d'approu- 
ver l'architecte  destiné  à  une  œuvre  de  cette  importance  :  «  Ecclesia 
cum  œdificauda  est,  primum  episcopi  judicio,  et  de  architecti  quemis 
adhibueril  probarilve  consilio,  locus  accommodatior  eligi  débet.  » 
{lbid.)  —  Qu[  ne  comprendrait,  en  effet,  que  l'architecte  dût  dépendre 
de  celui  qui  a  par  son  caractère  la  première  et  la  plus  haute  surveil- 
lance du  tels  travaux  ?  On  était  loin  encore  de  nos  architectes  diocé- 
sains... —  Voir  les  notes  très-judicieuses  données  par  M.  l'abbé  Van 
Drivai  dans  l'édition  de  S.  Charles  publiée  par  lui,  Paris,  1855, 
in-l8. 


68  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

les  degrés  sont  comme  les  Apôtres  et  les  Martyrs ,  la  parole 
des  uns  et  l'héroïque  fermeté  des  autres  ayant  été  comme 
les  fondements  du  dogme  et  la  double  voie  des  peuples  (1) 
pour  arriver  au  salut, 
lyempiacement;       L'euccinte  ayaut  été  ainsi  désignée  au  préalable,  et  le 

la  première  pierre,  ,,•,  ,.  .i  %i  •  i»»» 

et  ses  conditions,  plau  gcueral  tracc  suivant  les  règles  canoniques  ,  1  eveque 
doit  planter  une  croix  à  l'endroit  même  où  devra  s'élever 
l'autel ,  image  sensible  de  la  Victime  crucifiée.  Cette  croix 
doit  donc  être  nécessairement  de  bois ,  afin  de  représenter 
plus  vivement  celle  du  Calvaire,  centre  de  toutes  les  pensées 
catholiques ,  symbole  primitif  d'où  tous  les  autres  ont  dé- 
coulé (2).  C'est  encore  un  souvenir  des  premiers  autels 
employés  dans  les  catacombes  ,  dont  le  bois  fut  remplacé 
nécessairement  ensuite  par  la  pierre ,  comme  nous  aurons 
à  l'expliquer  bientôt.  Mais  de  toutes  les  pierres  qui  forme- 
ront l'édifice ,  la  première  de  toutes  sera  bénie  ;  on  lui 
donnera  des  dimensions  et  des  ornements  mystiques;  sa 
forme  carrée  sera  celle  de  la  Cité  éternelle  décrite  dans 

(1)  «  Gradus  quibus  ascenditur  ad  altare  spiritualiter  deraonstrant 
Apostolos  et  Martyres  Christi.qui  pro  amore  Ejussanguinem  suum  fu- 
derunt.  »  (Hug.  à  Sancio-Yiciore,  Spéculum  de  mysteriis  Ecclesim , 
cap.  i;  Migne,  t.  GLXXVII,  col.  537.)—  Durant  ajoute,  pour  compléter 
cette  explication  :  «  Quia...  Sponsa  in  canticis  amoris  vocat  eos  ascen- 
sum  purpureum.  »  {Ration.,  cap.  ii;  mihi,  f"  vi.) 

(2)  «  Pridie  igiturlignea  crux  in  loeo  ubi  débet  esse  altare,  flgatur.  » 
{Pontificale  romanum,  pars  II,  p.  282,  in-12,  Mechliniœ,  1845.)  — Cette 
prescription  était  déjà  vieille  de  plusieurs  centaines  d'années  quand  le 
Pontifical  en  maintint  la  vigueur.  Elle  vient  des  Novelles  de  Justinien, 
mort  en  565,  lesquelles  étaient  adressées  soit  à  des  magistrats,  soit  à 
des  évêques,  et,  dans  la  cent  trente  et  unième,  qui  est  de  ces  dernières, 
le  prince  indique  à  observer  une  particularité  qui  prouve  assez  quel 
intérêt  les  évêques  attachaient  à  l'orientation  :  Episcopus,  dii-i\, veniatj 
ibidem  crucem  figat,  puhlice  atrium  designet.  (Gan.  Nemo,  De  Gonse- 
crat.,  distinct,  i  )— Désigner  Valrium,  le  vestibule  ou  porche  toujours 
établi  au-devant  de  l'église,  c'était  bien  par  cela  même  fixer  l'orienta- 
tion. A  la  fin  du  sixième  siècle,  on  était  donc  revenu  sur  la  prohibition 
provisoire  faite  par  le  pape  S.  Léon  le  Grand  ,  de  440  à  461  ,  unique- 
ment pour  déjouer  les  idées  des  Manichéens.  —Voir  De  Perrière, 
Histoire  du  droit  romain,  p.  307  ,  in-12,  1788;  Labbe ,  Concil.,  t.  1, 
p.  1480. 


l'église  dans  son  orientation.  69 

l'Apocalypse  (1),  dont  toutes  les  proportions  se  rapportent, 
par  le  nombre  quatre,  h  la  perfection  et  à  l'unité.  Son  plus 
bel  ornement  sera  la  croix,  profondément  gravée  à  sa  partie 
centrale,  éloquent  témoignage  de  la  foi  nniverselle  (2). 
Elle  sera  posée  ainsi  dans  un  angle ,  pour  répondre  à  la 
pensée  du  Christ  qu'elle  représente,  du  Christ  fondateur 
de  l'Église ,  pierre  angulaire  et  base  certaine  de  la  société 
catholique  (3). 

Toutes  ces  observances  ne  sont  pas  nouvelles  :  l'histoire 
du  quatrième  siècle  nous  les  montre  suivies,  avec  quelques 
autres  tout  aussi  mystérieuses ,  par  le  pape  S.  Sylvestre  , 
lorsqu'il  présida  à  la  fondation  de  la  basihque  vaticane  par 
l'empereur  Constantin.  Ce  prince ,  tout  plein  encore  de  la 
ferveur  récente  de  son  baptême,  déposa  son  diadème  en 
signe  d'humilité,  s'arma  d'une  pioche  avec  laquelle  il  ouvrit 
la  terre ,  et ,  en  ayant  retiré  douze  corbeilles  en  souvenir 
des  douze  Apôtres ,  il  les  répandit  sur  l'emplacement  que 
devait  occuper  le  nouveau  temple  (4).  On  comprend  de 
reste  toutes  ces  allégories. 

Le  plan  par  teire,  ou  ichnographie  d'une  église,  en  tourne     Encore  l'onen. 

11  1-11  AT  tation;    son     his- 

le  chevet  au  soleil  levant.  Nous  avons  vu  que  cette  près-  toire,  «t  ses  rai- 

•    .•  .  4      A ,  TVT  .  1  son»  d'être. 

cription  remonte  aux  Apôtres.  Nous  savons  aussi  que  les 
païens  eux-mêmes  attachaient  une  idée  religieuse  à  l'orien- 
tation de  leurs  temples  et  de  leurs  tombeaux.  Ces  faits 
sont  tellement  vulgarisés  aujourd'hui,  que  nous  n'aurions 

(1)  Cf.  ci-dessus  ,  t.  II ,  ch.  xiii ,  notre  explication  du  16^  verset  du 
ch.  XXI  de  l'Apocalypse. 

(2)  «  Débet  episcopus,  seu  sacerdos  de  ejus  licentia,  et  primarium 
lapidem  cui  impressa  sit  crux  in  fundamento  ponere.  »  (Duranti, 
episc.  Mimât.,  Halionale,  lib.  1  ,  cap.  i;  Pontificale  romanum,  ubi 
siiprà.) 

(3)  «  Angularis  petra,  Christus  fundat  urbis  mœnia,»  disait  notre 
ancienne  prose  de  la  Dédicace  ;  et  le  rit  romain  :  «  Bene  fundata  est 
dômus  Domini  supra  firmam  petram.  »  {Offic.  in  Dedical.  Eccle- 
six.) 

(4)  Cf.  Breviar.  roman.,  18  novemb. ,  in  Dedicatione  basiiicaruni 
SS.  apostol.  Pétri  et  Pauli,  lect.v. 


70  HISTOIUE   DU   SYMBOLISME. 

que  faire  d'en  citer  les  preuves  qui  abondent  partout ,  et 
nous  pouvons  renvoyer,  d'ailleurs  ,  pour  les  connaître ,  à 
ce  que  nous  en  avons  dit  ci-dessus  {]).  La  question  doit 
donc  se  réduire  ici  à  ce  qui  regarde  l'Église  chrétienne.  Il 
semble ,  selon  la  remarque  d'un  interprète  moderne  ,  que 
Dieu  ait  tenu  à  garder  pour  les  temples  du  Christianisme 
cette  coutume ,  toute  relative  à  Celui  que  les  Prophètes 
nommèrent  I'Orient  par  excellence;  car,  les  Gentils  se 
tournant  vers  l'Orient  pour  leurs  adorations  superstitieuses, 
les  Hébi'eux  ne  pouvaient  imiter  ce  rite  sans  partager  en 
apparence  leur  idolâtrie ,  et  c'est  pourquoi  la  Loi  divine 
dirigeait  vers  l'Occident  les  autels  portatifs ,  comme  plus 
tard  ceux  du  Tabernacle  et  du  Temple  de  Jérusalem  (2). 
Mais  aussi  les  Hébreux ,  toujours  fidèles  à  la  pensée  de  leur 
Dieu ,  se  tournaient ,  où  qu'ils  fussent  pour  la  prière  ,  vers 
ceTemple,qui  devenait  le  point  central  de  leur  plus  légitime 
affection ,  comme  on  le  voit  faire  cà  Daniel  quand  il  veut 
protester  contre  les  impiétés  de  Darius  (3).  De  leur  côté, 
les  Apôtres,  dispersés  sur  toute  la  terre,  durent  s'inspirer 
du  même  sentiment;  la  Bible  est  pleine  d'allusions  qui  les 
y  portaient.  C'est  donc  à  eux  qu'il  faut  attribuer  l'intro- 
duction de  cet  usage ,  de  ce  langage  si  élevé  du  sanctuaire 
chrétien ,  et  nulle  trace  n'en  existe  avant  celle  qu'on  leur 
attribue  si  justement.  «  L'Orient ,  dit  un  judicieux  obser- 
vateur, n'était-il  pas  regardé  comme  la  région  des  prodiges? 
C'est  de  là  que  l'Étoile  apparut  aux  Mages  ;  c'est  là  que  le 
Verbe  s'est  fait  chair,  et,  s'il  est  la  Lumière  du  monde , 
l'Orient  est  le  symbole  de  cette  Lumière  incréée.  »  Sur  la 

(1)  Voir  t.  1,  ch.  IX,  p.  223. 

(2)  Cf.  Sacy,  Comment .  sur  le  c/i.  viii  cVÉzéchiel,  et  dom  Calmet, 
ibid. 

(3)  «  Daniel...,  fenestris  apertis  in  cœnaculo  suo  contra  Jérusalem 
tribus  temporibus  in  die  flectebat  genua  sua  et  adorabat.  »  [Dan.,  \i, 
10.)—  Durant  :  «  Daniel  quoque  in  Babilonica  captivitate  et  Judœi 
similiter  versus  Templum  orabant.  »  {Ralionale,  lib.  V,  cap.  ii;  mihi, 
fo  vo  cxx.) 


F.  ÉGLISE   DV.\S   S0.\   ORIEMATIO'.  7< 

croix,  Jésus  regardait  l'Occident ,  d'où  il  invitait  les  peuples 
à  venir  à  lui  :  ainsi  encore,  la  croix,  placée  du  côté  de  l'Est, 
soit  au  jubé ,  soit  à  l'arc  triomphal ,  soit  dans  la  verrière 
de  l'abside ,  fait  face  aux  fidèles  réunis  dans  la  nef  occi- 
dentale, et  leur  rappelle  ainsi  la  mystérieuse  disposition 
du  Calvaire.  Au  jour  de  la  Pentecôte  ,  les  flammes  célestes 
descendirent  de  l'Orient  dans  le  Cénacle  ;  enfin ,  suivant 
une  tj-adition  innnémorialc ,  c'est  de  ce  côté  que  le  Christ 
viendra  au  dernier  jour  présider  à  la  Résurrection  et  au 
Jugement  {\). 

N'est-ce  pas  aussi  de  ce  côté  qu'avait  été  le  Paradis  ter- 
restre ?  N'est-ce  pas  de  là  qu'est  venue  toute  l'humanité , 
là  aussi  qu'elle  est  rappelée  et  qu'elle  revient  à  travers  les 
régions  de  l'exil?  A  tant  de  raisons  généralement  recon- 
nues ,  ajoutons-en  une  autre  qui  motive  expressément  la 
pose  d'une  église  dans  le  sens  qu'on  lui  a  toujours  donné. 
(iOmme  l'Orient  figure  le  règne  de  Dieu  et  de  Jésus-Christ 
son  Fils ,  splendeur  de  la  lumière  éternelle  (2) ,  étoile  Lui- 

(1)  cr.  .Iules  GondoD,  Du  Mouvement  religieux  en  Angleterre,  p.  63, 
iu-b°  ,  Paris,  1842;  Durant,  Ration,  divin.  Offic,  ubi  suprà  ;  Socrate, 
llist.  ecLes.,  lib.  II,  cap.  xxii  ;  Bergier ,  Dictionnaire  de  théologie, 
v»  Église. 

(2)  «  Gandor  est  enim  Lucis  aeternsB,  et  spéculum  sine  macula  Dei 
majestalis.  »  (Sap.,  \u,  26.) — «  Deus...  locutus  est  nobis  iD  Filio...,qui 
cum  sit  spleudor  gloriae...  »  (IJebr.,  i .  3.)  —  L'Église  ,  dans  toutes  les 
fêtes  de  Noire-Seigneur,  renouvelle  ceUe  pensée  avec  la  plus  riche  va- 
riété d'images  et  d'expressions.  Elle  dit  à  Noël  :  Deus  qui  hanc  sacra- 
tissima}n  nocte\a  veri  Luminis  fecisti  illustralione  clarescere...  (Col- 
lect.  ^\iss.);  —  quia  per  Incarnati  Verbi  mysterium  7iova  mentis  nos- 
trs  oculis  lux  lux  ciaritatis  infulsit  (Preefat.  Miss.)  ;  à  l'Epiphanie  : 
Nova  nos  immorlalitalis  luce  reparavit  (Praefat.  Miss.).  —  S.  Am- 
broise  a  développé  cette  pensée,  avec  toute  la  douceur  habituelle  de 
sou  style  et  toute  l'abondance  de  son  génie  vif  et  fécond, au  commen- 
cement de  son  Commentaire  sur  S.  Luc  :  «  Magi  de  thesauris  suis  offe- 
runt  munera.  Vultis  scire  quam  bonum  meritum  habeant?  Stella  ^) 
his  videtur;  et  ubi  Herodes  est,  non  videtur  :  ubi  Christus  est,  rursus 
videtnr,  et  viam  demonstrat.  Ergo  Stella  haec  via  est,  et  via  Christus  ; 
quia  secundum  Incarnationis  mysterium  Christus  est  Stella.  Orietur 
euim  Stella  ex  Jacob,  etexsurget  Homo  ex  Israël.  Denique  ubi  Christus, 
fit  Stella  est,  Ipse  enim  est  stella  splendida  et  matutina.  Sua  igitur  Ipse 


72  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

même  montrant  la  route  de  la  vie  ;  comme  l'étoile  des  Mages 

indiqua  le  chemin  qui  menait  à  Lui  {]) ,  l'Occident  désigne 

fréquemment  le  règne  de  Satan,  prince  des  ténèbres  (2). 

Le  Nord  et  le      ^nc  autrc  opposltiou  sc  fait  dans  le  même  sens  du  Nord 

Sud       considères  i  a 

quant  à  leur  sym-  g^^  ^|j(ji  •  ^ar  Ic  Nord ,  OÙ  u'cst  jamais  le  soleil,  représente  le 
règne  du  mal,  parle  froid  qui  y  domine,  et  la  mort  de  toute 
germination ,  qui  ne  peut  y  prospérer  sans  chaleur.  C'est 
là  qu'au  témoignage  d'Isaie ,  l'Esprit  infernal  avait  choisi 
sa  demeure  préférée  ,  comme  étant ,  par  rapport  à  la  Cité 
sainte  ,  le  pays  de  l'idolâtrie  et  de  l'infidélité  (3).  L'Esprit- 
Saint  ,  au  contraire,  est  le  souflle  du  Midi,  où  habite  toute 
chaleur  fécondante  ,  d'où  le  soleil  atteint  à  sa  plus  haute 
élévation.  Par  analogie,  l'Aquilon  fut  le  côté  des  méchants; 
les  Justes  gardèrent  celui  du  Sud,  et  d'innombrables  textes 
scripturaires ,  commentés  dans  le  même  sens  par  l'univer- 
salité des  interprètes,  dictèrent  ainsi  à  l'iconographie  sacrée 
la  distinction,  qu'elle  a  toujours  faite  dans  ses  œuvres,  des 
symboles  destinés  au  Sud  ou  au  Nord  de  nos  églises  (4).  On 

luce  se  signât.  »  (S.  Ambros.,  In  Luc.,  lib.  II,  cap.  ii.)  —  Par  suite  de 
cette  acception  symbolique  de  l'étoile,  elle  signifie  aussi,  selon  les  dif- 
férents passages  des  Ecritures  où  on  la  prend  comme  terme  de  compa- 
raison j  tantôt  les  Anges  et  les  âmes  justes  de  la  terre  ,  tantôt  la  Sainte 
Vierge  et  les  Pasteurs  de  l'Église.  Enfin,  et  par  opposition  ,  elle  peiit 
figurer  encore  le  démon  et  ses  satellites_,  quelques  Anges  étant  devenus 
mauvais ,  puis  les  mauvais  chrétiens  ,  les  hérétiques  et  autres  dissi- 
dents, le  dragon  (dans  l'Apocalypse,  viii,  12)  ayint précipité  sur  la  terre 
la  troisième  partie  des  étoiles  (voir  ci-dessus,  t-  II,  notre  exposit.  de 
l'Apocalypse, p.  193  et  suiv.)—  Ainsi  s'expriment  à  cet  égard  S.  Méliton 
dans  sa  Clef,  S.  Euclier  dans  ses  Petites  Formules,  et  l'auteur  des  Dis- 
tinclions  monastiques.  (Cf.  SpicHeg.  Sol'sm. ,  t.  II,  p.  67;  t.  III, 
p.  405,451  et  483.) 

(1)  «  Vidimus  stellam  Ejiis  in  Oriente, et  venimus  adorare  Eum...;et 
Stella  antecedebat  eos.  »  (Malth.,  i,  2,  9.) 
^(2)  «  Induite  vos  armaturam  Dei,  ut  possitis  stare  adversus  insidias 
diaboli,  quoniam...  estnobis  colluctatio  adversus  mundi  rectorestene- 
brarum.  »  {Ephes.,  vi,  11,  12.) 

(3)  «  Ponam  sedem  meam  ad  Aquilonem.  »  (/5.,xiv,  13.) 

(4)  Cf.  Vitraux  de  Bourges,  p.  94  et  95  ,  où  les  PP.  Martin  et  Cahier 
citent  savamment,  selon  leur  habitude,  des  textes  fort  complets  d'Ho- 
noriiis  d'Autun,  de  S,  Isidore  de  Séville,  de  S.  Ambroise  et  de  S.  Jérôme 


l'église  dans  son  orientation.  73 

conçoit,  dès  lois,  coniiiieiit  on  a  pu  trouver  indispensable 
que  le  prêtre  à  l'autel,  et  les  peuples  en  s'uuissant  à  lui  pour 
prier,  pussent  élever  leurs  regards  vers  le  point  du  ciel  le 
plus  favorable  à  la  piété,  et  y  diriger  leurs  sentiments  d'une 
manière  facile  en  queloue  sorte   et  plus  directe.   Il  y  a  ^  Régie  normal.^ 

11  •  «J  de       rorientation 

môme  une  règle  d'orientation  qui  exprime  parfaitement  d'«nc  église; 
cette  intention  liturgique  :  c'est  que  le  cbevet  du  saint 
édifice  se  dirige,  par  une  ligne  droite,  non  vers  le  point  du 
ciel  où  le  soleil  se  lève  à  répo(jue  du  solstice ,  mais  vers 
celui  qu'il  occupe  lors  de  i'équateur.  C'est  que  l'Église  , 
vivante  Épouse  du  Christ,  dont  l'église  matérielle  n'est 
que  le  symbole  ,  marchant  ici-])as  entre  les  prospérités  de 
la  grâce  et  les  rigueurs  de  l'épreuve,  doit  se  tenir  ferme  , 
sans  incliner  de  côté  ni  d'autre  ,  se  préservant  également 
des  régions  de  l'ennemi  et  des  vaines  attaches  aux  douceurs 
de  la  terre.  La  ligne  équinoxiale  forme  pour  elle  une  stricte 
limite  de  séparation  enti-e  ces  deux  excès.  Ce  sont  de  grandes 
autorités  qui  le  disent,  au  moyen  âge  comme  à  présent  (i). 
On  cite  quelques  exceptions,  il  est  vrai,  à  cette  règle  si  pourquoi  on  en 

trouve  des  excep- 

généralement  comprise  relies  ne  font  que  la  confirmer,   tionsenitaiie, 
puisque,  chaque  fois  qu'il  s'en  présente  une  seule,  on  a  grand 
soin  de  la  faire  remarquer  et  d'expliquer  pourquoi  on  se 
trouve  alors  en  désaccord  avec  la  pratique  ordinaire  (2). 

qui  établissent  clairement  ce  même  priûcipe.  —  Voir  aussi  dom  Pitra, 
SpicUeg.  Soksni.,i.  II,  Clavis  Melitonis,  cap.  m.  nosxvii,  xviii,  xix, xx, 
avec  les  commentaires  qui  s'y  rattachent;  et  le  résumé  de  Théodulphe 
d'Orléans,  n»  4,  ibid.,  p.  lxix. 

(1)  «  Débet  quoque  sic  fuiidari  (ecclesia),  ut  caput  recte  iuspiciatur 
versus  Oricntem ,  verum  vers;is  ortum  solis  œquinoctialem,  ad  deno- 
tandura  quod  Keclesia^qurTe  in  terris  militât,  temperare  se  débet  aeqna- 
nimiter  in  prosperis  et  in  adversis;  et  non  versus  solstilialem  ,  ut  fa- 
ciiint  quidam.  »  ('Duranti,  Mimât,  episc,  Ralinir.,  cap.  i,  f»  il  v.)  — 
Voir  encore  la  dissertation  des  PP.  Martin  et  Cahier,  Mélanges  d'ar- 
chéoligie  ,  t.  I  .  p.  78  ,  avec  les  sources  nombreuses  qu'ils  indiquent  ; 
—  et  M.  ral)bé  Godard-Saint-Jean,  Aor/rx^  sur  Véglise  de  Vignory,  in-S», 
18'i9,  p.  5. 

(2)  Cf.  Encyclopédie  du  dix-neuvième  siècle,  v»  symbolisme,  par 
M.  Trémolière. —  Cet  auteur,  que  nous  avons  déjà  cité,  est  un  des  pre- 


74  HISTOIRE   Ul"   SYMBOLISME. 

Nous  indiquerons  môme  sinon  toute  l'Italie,  comme  on  Ta 
prétendu  à  tort  (^),  au  moins  la  ville  éternelle,  Rome  ,  re- 
gardée à  la  fois  comme  la  terre  normale  des  usages  litur- 
giques et  comme  celle  où  se  rencontrent  de  plus  fréquentes 
négligences  à  cet  égard  :  mais  ces  négligences  fort  nom- 
breuses ne  sont  là  qu'une  règle  de  plus.  Dès  le  principe,  on 
put  s'apercevoir  qu'outre  les  païens  qui  adoraient  Apollon  et 
quatre  ou  cinq  autres  soleils,  certains  philosophes,  plus 
nombreux  à  tlome  qu'ailleurs,  donnaient  dans  les  rêveries 
de  Zoroastre  et  de  Mithra,  puis  dans  les  erreurs  analogues 
de  l'école  d'Alexandrie.  Les  premiers  hérétiques  s'adon- 
naient aussi  à  des  superstitions  venues  de  l'Egypte  et  de  la 
Perse,  adoraient  l'astre  auquel  ils  attribuaient  la  vie  de  la 
nature  et  se  tournaient  vers  lui  pour  leurs  coupables  prati- 
ques. Les  Manichéens,  au  témoignage  de  l'éloquent  évêque 
d'Hippone,  allaient  jusqu'à  regarder  l'astre  comme  étant 


miers  qui  aient  traité  cette  question  enhomrae  d'études  sérieuses,  malgré 
certaines  réserves  que  nous  devons  faire  sur  quelques  points  de  dé- 
tail. Il  cite,  à  propos  de  ce  que  nous  disons  ici,  une  de  ces  exceptions 
mentionnées  par  S.  Paulin  de  Noie  (lettre  xxx^  à  S.  Sulpice  Sévère),  et 
relative  à  l'église  de  Saint-Félix  qui  s'ouvrait  en  face  d'une  autre  régu- 
lièrement orientée,  et  ne  pouvait  par  conséquent  l'être  de  la  même 
manière.  —  Le  P.  Cahier  expose  aussi  les  développements  curieux  de 
cette  question  avec  beaucoup  de  lucidité  et  de  conviction  dans  son 
JJée  cfune  basilique  chrétienne  des  premiers  siècles ,  travail  remar- 
quable inséré  dans  les  Annales  de  philosuphie  chrétienne ,  t.  XIX, 
p.  342. 

(1)  Ainsi  le  racontent  toutes  les  histoires  ecclésiastiques  :  c'est  ce  que 
n'ont  pas  assez  compris  ceux  qui  se  sont  étonnés,  sans  se  les  expliquer, 
de  ces  exceptions  plus  nombreuses  à  notre  règle  qu'on  remarque  à 
Rome,  où  peut-être  on  s'est  accoutumé  à  ne  plus  appliquer  ce  symbo- 
lisme aux  monuments  plus  modernes  parce  qu'on  le  voyait  négligé 
dans  ceux  de  la  plus  haute  antiquité.  Car  c'est  du  temps  de  S.  Sylvestre 
et  de  Constantin  que  furent  bâties  en  plus  grand  nombre  les  églises  non 
orientées.  De  là  on  vit  les  idolâtres  et  les  hérétiques  du  quatrième  siècle 
prétexter  leur  opposition  formelle  et  énergique.  Un  mot  de  S.  Jérôme, 
contemporain  de  cette  défense  (331  à  420),  prouverait  seul  qu'elle  n'était 
que  locale  et  toute  restreinte  à  la  cité  impériale  :  Sic  versi  ad  Orientera, 
dit  ce  Père,  pactum  inimus  cw)i  Sole  justitix.  [Comment,  in  'proph. 
Amos,  VI,  15,  lib.  111.) 


L  ÉGLISE   DANS   SOA    ORIENTATlOxN.  7:> 

Jcsus-Glirist  lui-même  (I).  (Ven  dut  être  assez  pour  inter- 
dire aux  chrétiens  toute  ressemblance  avec  eux  dans  l'orien- 
tation des  nouvelles  églises  (2)  ;  car,  pour  certaines  âmes 
encore  trop  accessibles  aux  e\tra^  agances  du  paganisme , 
il  fallait  préférer  l'intégrité  de  la  foi  à  l'observance  trop  scru- 
puleuse des  meilleures  théories  symboliques.  x\ussi,  quel- 
que évidente  que  fût  l'intention  des  Apôtres  sur  ce  point, 
elle  dut  rester  inappliquée  jusqu'au  sixième  siècle,  puisque 
ce  fut  le  pape  Vigile  qui  exigea  le  premier  (de  537  à  555) 
qu'on  revînt  à  une  pratique  dont  l'importance  n'avait  appa- 
remment diminué  en  rien  par  le  laps  des  temps  (3). 

(1)  «  Non  desit  qui  dicat  apud  semetipsum  :  numquid  forte  Domiuus 
Christus  est  sol  iste  qui  ortu  et  occasu  peragit  dietn  ?  Non  enim  de- 
fuerunt  liaeretici  qui  ista  senserunt.  Manichaei  solem  istum  oculis  car- 
neis  visibilem,  expositum  et  publicum  non  tautum  honiiuibus,  sed 
etiaui  pecoribus  ad  videndum  Christum  Dominum  esse  p  itaverunt.  » 
(S.  Aug.,  Tract,  xxuv  in  Joan.,  post  initium.) 

(2)  Cf.  Bâtissier,  Ilisi.  de  Vart.  monum.,  p.  362.  —  On  sait  que  les 
empereurspaïeus,  qui  dominèrent  l'Église  pendant  plus  de  trois  siècles, 
se  vantaient  de  représenter  le  soleil;  qu'ils  furent  plus  d'une  fois  inau- 
gurés sous  ses  traits  dans  leur  apothéose  ,  comme  ils  l'avaient  été 
vivants  sur  les  monuments  et  les  médailles.  Parmi  ces  dernières,  on  a 
des  spécimens  d'Héiiogabale  et  d'Aurélieu  portant  pour  inscriptions  : 
Sancto  Oeo  soli,  et  Sol  Dominas  impcrii Romani,  ou  Domino  soli.  Un 
obélisque,  cité  par  Ammien  Marcellin,  portait  cette  consécration  :  Sol 
Deus  tnagnus,  despotes  cœ/i.  Constantin  lui-même,  avant  sa  conversion, 
bien  eutendu,  c'est-à-dire  avant  l'an  313,  eut  des  types  où  le  soleil  figure 
entouré  des  mots  :  Soli  invicto  Comiti.  On  comprend  que  c'était  là  un 
souvenir  trop  récent  ou  un  exemple  trop  dangereux  pour  que  l'Église 
ne  cherchât  point  à  eu  détruire  les  moindres  traces.  —Voir  Gruter, 
Inscriptinnes  a?itiqUcC,Vû).XX\U],cai\i.  iv;  Ammiani  Mar coll., Hislo?nai\ 
lib.  XVII. 

(3)  C'est  notre  liturgiste  du  treizième  siècle  qui  atteste  l'action  du 
pape  Vigile  sur  ce  fait,  de  sorte  que,  dans  les  églises  mêmes  dont  la 
porte  était  ouverte  à  l'Orient ,  le  prêtre  ne  devait  pas  se  tourner 
vers  le  peuple  pour  le  saluer  avant  les  oraisons  de  la  Messe;  ce  qui  se 
faisait,  au  contraire,  dans  celles  ouvertes  à  l'Occident.  C'était  toujours 
une  orientation  liturgique,  et  l'on  suppléait  ainsi  très-symboliquement 
à  l'éfablissemeut  régulier  du  plan  par  terre  :  «  fJcet  Deus  sit  ubique, 
tamen  sacerdos  in  altari,  et  in  divinis  Offl'iis,  débet  ex  inslilutione  Vi- 
fjiliipapaj  versus  Orientem  orare.n  (Ubi  suprà,  lib.  V,  cap.  ii.)— N'om'et- 
tons  pas  ,  d'ailleurs,  d'observer  qu'en  Italie  même,  à  Anagui,  j)ar 
exemple,  lorsqu'une  nécessité  du  terrain  a  forcé  de  tourner  malle  plan 


76  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

Depuis  ces  temps  reculés,  ce  même  principe  s'est  perpétué 
dans  nos  traditions  sans  jamais  s'y  endormir.  C'est  dans  ce 
sens  que  le  Pontifical  romain,  recueilli  à  la  fin  du  quinzième 
siècle  par  ordre  du  pape  Innocent  YIII,  mais  dont  les  pres- 
criptions et  les  formules  sont  de  la  plus  haute  antiquité,  fait 
tourner  les  douze  prêtres  qui  contribuent  avec  l'évêque  à 
la  confection  des  saintes  Huiles  vers  l'autel  majeur,  toujours 
placé  lui-même  vers  l'Orient  (1). 
qui  ne  sont  plus       Dc  taut  dc  documcuts,  que  nous  abrégeons  de  tout  ce 

acceptables      au-  .,  -i    /.       .   i  •  ^  <    i 

jourd'hui.  qu'on  a  écrit  sur  cette  matière,  il  faut  bien  conclure  a  la 

nécessité  liturgique  de  l'orientation  pour  une  église  catho- 
lique. On  sait  donc  pourquoi  cette  loi  se  rattache  à  toutes  les 
constructions  anciennes.  Mais  il  ne  suffit  pas  à  l'ÉgUse  que 
cette  loi  ait  été  portée  et  suivie  autrefois  :  son  esprit  demeu- 
rant le  même.  Elle  exige  toujours  le  même  respect  pour  ses 
pensées,  et  rien  n'autoriserait  aujourd'hui  l'oubU  et,  à  plus 
forte  raison,  le  mépris  de  ses  saintes  prescriptions.  C'est  pour- 
tant ce  qui  se  fait  quelquefois  encore  en  certaines  contrées, 
absolument  comme  si  les  pieux  désirs  de  nos  pères  n'avaient 
pas  traversé  dix-neuf  siècles  pour  venir  jusqu'à  nous.  Nous 
le  comprenons,  liélas!  pour  la  Hollande,  où  le  catholicisme 
est  traité  sous  Fiiifluence  de  tous  les  mauvais  vouloirs  d'un 
gouvernement  persécuteur,  quoique  en  Angleterre,  où  les 
idées  religieuses  ne  valent  guère  mieux,  les  architectes  ca- 
tholiques prennent  un  meilleur  soin  de  la  loi  chrétienne  et 
de  leur  propre  réputation  (2). Mais  d'où  vient  qu'en  France 


de  l'église,  on  s'en  est  dédommagé  en  orientant  vers  le  point  liturgique 
l'autel,  où  le  prêtre  fait  face  dès  lors  aux  fidèles  et  offre  en  leur  nom 
vers  le  point  normal  le  Sacrifice  pour  tout  le  peuple,  qu'il  personnifie 
devant  Dieu.  —  Voir  V Histoire  de  la  cathédrale  d'Anagni,  par  M.  Bar- 
bier de  MontauU,  chanoine  de  cette  église,  in-i»,  1856,  eh.  n. 

(1)  «  Posita  siût  scamna  pro  duodecim  sacerdotibus  ,  ita  ut  ibidem 
sedentes  faciès  vertant  ad  altare...  Faciès  semper  ad  altare  vertentes.  » 
{Pontificale  ronumum ,  p.  606  et  607).  —  Cf.  aussi  Zacharia,  De  Usu 
librorum  Lilargicir.,  cap.  ii. 

(2)  Cf.  le  livre  de  M.  Pugins,  traduit  par  M.  Jules  Gondon,  Du 
Mouvement  religieux  en  Angleterre,  Q,\iè  plus  haut,  et  la  Revue  de 
l'art  chrétien  ,  t.  I,  p.  175. 


L'ÉGLISE   DANS  SON  ORIENTATION.  77 

on  prend  si  peu  de  souci,  trop  souvent,  d'un  principe  qu'on 
y  connaît  mieux  que  partout  ailleurs,  et  que,  pour  le  moin- 
dre caprice  d'une  fabrique  rurale  ou  d'une  municipalité 
ignorante,  on  consente  à  bouleverser  l'orientation  que  de- 
vrait prendre  une  église  nouvelle,  ou  à  déserter  pour  la  re- 
bâtir ses  vieux  fondements,  dont  il  faudrait  au  moins  garder 
toujours  la  plus  grande  partie?  D'où  vient  encore  qu'on  est 
si  peu  attentif  au  principe,  en  certains  Ordres  religieux  sur- 
tout, dans  le  sein  desquels  on  devrait  s'attendre  à  trouver 
pour  cet  objet  un  zèle  qu'ils  ne  refusent  à  aucun  autre? 
Supplions  nos  évèques  d'interposer  en  cela  leur  autorité 
souveraine.  L'iiistoire  cite  plus  d'un  de  leurs  pi'édécesseurs      combien  les  é- 

j  1,1    '    •  1         i      »  •     •  X  1  •  vêques  y  ont  tou- 

dans  1  iierilage  des  x\potres  qui  tnirent  a  garder  en  ce  pomt  jours  tenu. 
les  antiques  prescriptions  ;  elles  vont  jusqu'à  exiger  une  per- 
mission épiscopale,  dont  la  formule  même  est  consacrée  par 
le  droit,  pour  la  démolition  d'une  église,  ni  plus  ni  moins 
que  pour  la  reconstruction  d'un  autel  (^).  Hors  de  là,  en 
effet,  tout  peut  se  déranger  dans  l'économie  symbolique  de 
la  Maison  divine,  et  ce  dérangement  est  presque  une  liérésie 
contre  laquelle  s'élèvent  nos  plus  respectables  traditions. 
L'orientation  une  fois  méprisée,  où  est  le  Nord,  où  sont  le  Graves  incon- 
Midi  et  l'Occident,  dont  nous  venons  de  voir  l'importance?  abandon. 
où  sont  toutes  les  idées  corrélatives  qu'un  principe  reliait 
comme  le  ciment  unit  les  pierres  mêmes  de  ce  temple  ?  Le 
grand  Dieu  que  cherche  l'âme  chrétienne  ne  réside  plus 
que  dans  un  sanctuaire  de  convention.  Il  n'y  est  plus  éclairé 
dès  le  matin  par  l'astre  dont  il  a  fait  son  tabernacle  (2)  ;  il 
semble  privé  de  son  nimbe  le  plus  éclatant.  Et,  en  suivant 
jusqu'en  ses  dernières  déductions  ce  sophisme  d'une  archi- 

(1)  A  la  fin  du  dix-septième  siècle,  Paultier  de  Novion,  évêque  d'É- 
vreux,  refusa  longtemps  de  consacrer  l'église  des  capucins  de  sa  ville 
épiscopale  parce  qu'elle  n'était  pas  orientée.  {Histoire  du  comté 
iCÉvreuXy  par  Le  Brasseur,  ad  ann.  1696.)  — Voir  encore  Le  Parfait 
Notaire  apostolique,  t.  I,  p.  659  et  660,  in-4o,  Lyon,  1775;  — d'Héricourt, 
Loï'.v  ecclésiastiques  de  France. 

(2;  «  In  sole  posuit  tubernaculum  suum.  »  [Ps.,  xviif,  G.) 


78  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

lecture  inintelligente,  on  peut  regarder  comme  rejeté  de 
l'enceinte  sacrée  cliacun  de  ses  symboles  les  plus  chers  : 
«  Le  grand  arc  au-dessus  de  l'ambon  n'est  plus  l'arc  de 
»  triomphe  ;  on  ne  sort  plus  de  la  nef  comme  d'un  ordre 
))  inférieur  pour  entrer  dans  l'ordre  suprême  figuré  par  le 
»  chœur  et  le  sanctuaire  tendant  vers  l'Orient  ;  vous  ne  ferez 
))  plus  regarder  l'Orient  à  vos  morts  quand,  au  son  de  la 
»  trompette  du  grand  jour,  ils  lèveront  la  tête  et  demande- 
»  ront  où  réside  leur  espoir.  Ils  ne  trouveront  pas  la  vallée 
»  de  Josaphat  ;  ils  regarderont  du  côté  de  Valparaiso  et  de 
»  Surinam  :  —et  les  sauvages  se  riront  de  vous  (4  )!...»—  Et 
vous  n'aurez  plus  une  égUse  chrétienne  ! 
L'orientation  ne  N'abaudonnous  pas  ce  sujet  sans  parler  d'un  autre  qui  y 
mSs'ïx  cime!  ticut  daus  Ic  Ghristianismc  par  des  relations  nécessaires. 
"^'"*'''  L'Éghse,  qui  ne  se  sépare  pas  dans  ses  prières  des  âmes 

qu'elle  a  guidées  pendant  cette  vie,  s'en  préoccupe  encore 
après  la  mort  :  elle  a  donc  toujours  voulu  que  le  séjour  des 
défunts  ne  fît  qu'une  môme  demeure  a^'cc  celui  où  la  prière 
est  plus  solennelle;  elle  a  placé  ses  cimetières  soit  dans  les 
temples  mêmes,  soit  à  l'abri  de  ces  murs  bénis,  et  là  l'orien- 
tation est  encore  de  principe,  sinon  toujours  observée  au- 
tant qu'il  serait  convenable  depuis  que- la  liturgie  y  est 
malheureusement  déléguée  aux  soins  exclusifs  d'un  fos- 
soyeur. Son  intention  fut  toujours  de  nous  rappeler ,  par 
cette  identité  ou  ce  voisinage,  que  la  prière  est  un  hen,  une 
communion  entre  nous  et  nos  frères  trépassés.  Sur  ce  point 
comme  sur  tant  d'autres,  les  usurpations  de  la  société  civile 
ont  imposé  l'abandon  des  règles  vénérées  de  nos  pères,  et 
bouleversé,  avec  le  sol  des  cimetières,  ce  qu'ils  avaient  de 
à  l'égard  desquels  profondémcut  rchgicux  (2).  Qu'eussent  dit  les  païens  de 

(1)  M.  Fabbé  Corblet ,  Revue  de  l'art  chrétien,  t.  J ,  p.  176.  —  Voir 
aussi  M.  Puglns,  Du  Mouvement  religieux  en  Angleterre,  p.  62. 

(2)  Les  encyclopédistes  du  dix-huitième  siècle,  qui  savaient  donner 
à  leurs  projets  contre  la  religion  un  vernis  d'ulililarisine  (pardon  de 
('6  mot  créé  parleurs  successeurs!),  prétendaient  qu'inhumer  dans  les 


CIMETIÈRES.  79 

rÉe-vpte,  de  la  Grèce  et  de  Rome,  si  fidèles  à  cette  obser-  eiie  fut  observée 

chez    les  anciens, 

vance,  et  dont  les  morts  ne  devaient  être  coucliés  qu'en  face  ^t  que  les  chré- 

tiens      appliquent 

du  soleil  levant?  Les  Gaulois  eux-mêmes  tournaient  leurs  aux  leurs. 
dolmens  vers  ce  point  mystérieux,  et  le  plus  grand  nombre 
de  ces  monuments  observés  en  France,  en  Bretagne,  dans  les 
îles  de  la  .Alancbe  et,  au  delà  de  notre  Océan,  dans  celles  de 
la  Scandinavie  et  de  l'Irlande,  conservent  cette  position  ;  de 
sorte  que  les  exceptions,  comparativement  restreintes,  ne 
peuvent  s'attribuer  qu'à  des  causes  inconnues  mais  très- 
probablement  symboliques,  aussi  bien  que  la  règle  géné- 
rale (^].  Nous  pouvons  même  nous  persuader,  envoyant 
cette  diversité  affectée  selon  quelques  lieux  à  cette  obser- 
vance des  Geltes ,  que  des  raisons  mystiques  poussaient  les 
diverses  peuplades  vers  tel  ou  tel  point  du  ciel  qui  répondait 
le  mieux  à  une  de  leurs  idées  théologiques. 
Les  chrétiens,  au  contraire,  partout  et  toujours,  s*orien-     Pourquoi  nos  ci- 

metières      avoisi- 

tent  dans  la  tombe  comme  dans  leurs  églises.  Ils  semblent  nent  nés  églises. 
chercher  du  regard  de  leur  âme  immortelle  les  plages  d'où 
est  venu  le  Sauveur  ;  ils  aspirent  toujours,  en  attendant  leur 
résurrection  promise^  aux  rivages  d'où  jaillira  pour  eux 
l'éternité  :  rangés  autour  de  la  croix  de  pierre  ou  de  bois 


églises  c'était  «  profaner  les  temples  et  souiller  le  sanctuaire  »  (t.  VllI , 
in-4°j  "vo  Cimetière).  Passe  encore  d'avoir  ainsi  l'avis  de  tels  juges; 
mais  comment  ne  pas  regretter  l'engouement  qui  se  fit  dans  ce  sens, 
même  parmi  les  hommes  sincèrement  religieux,  dont  la  simplicité  trop 
peu  prévoyante  croyait  devoir,  avec  d'excellentes  intentions,  seconder 
ces  attentats  contre  l'autorité  et  l'esprit  de  l'Église  ?  C'est  ainsi  qu'on 
marchait  docilement  aux  grandes  réformes  de  1789  et  à  la  Constitution 
civile  de  1791.  Un'yeut  pas  jusqu'aux  évêques  eux-mêmes  qui  consen- 
tirent à  sanctionner  par  des  mandements  cette  mesure  qui  devait  éloi- 
gner les  maladies,  assurer  la  louQéwiié  de  l'espèce  humaine...,  et  prouver 
que  la  France  avait  à  la  fin  du  règne  de  Louis  XV  plus  d'esprit  et  de 
bon  sens  que  dans  ses  âges  d'honneur  et  de  foi.  Plus  tard  on  verra 
Paul-Louis  Courier  vanter  dans  sa  Gazette  de  village  les  exploits  de 
la  Bande-Noire,  démolissant  à  plaisir  sous  la  Restauration  les  églises 
et  les  monastères  épargnés  par  les  apôtres  de  93... 

(i)  Voir  BullHin  monumental,  t.  I,  p.  54:  III,  2,  347,  349;  XII,  320; 
XVI,  316,  31 7;  XIX,  370. 


80  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

qui  symbolise  encore  leurs  espérances,  ils  dorment  du  som- 
meil de  la  paix  sous  des  tombes  de  calcaire  ou  de  tufau, 
dans  des  sarcophages  monolithes  ou  cloisonnés  avec  le  mar- 
teau et  la  truelle.  Ce  sont  toujours  les  siècles  chrétiens  qui, 
tout  en  variant  la  forme  et  l'ornementation  de  ces  cercueils 
impérissables,  se  sont  préoccupés,  comme  d'un  soin  pieux, 
de  la  conservation  indéfinie  de  ces  corps  qui  furent  animés 
Cercueils  de  bois  par  Ic  soufilc  dlvlu  ct  dcstliiés  à  une  seconde  vie.  Les  cer- 

et  de  pierre. 

cueils  de  bois,  qui,  employés  à  toutes  les  époques  depuis 
qu'on  abandonna  l'incinération  (vers  le  commencement  du 
quatrième  siècle),  étaient  cependant,  autant  que  possible, 
revêtus  d'un  sarcophage  de  pierre  (  I  ),ne  furent  adoptés  seuls 
et  sans  cet  accompagnement  si  convenable  que  depuis  la 
décadence  de  nos  mœurs  religieuses,  vers  la  fin  du  quin- 
zième siècle.  C'était  abandonner  aussi  la  marque  la  plus 
sensible  de  la  respectueuse  tendresse  des  survivants  envers 
la  génération  qui  s'écoulait  devant  eux,  et  dont  la  dispa- 
rition préludait  à  celle  de  tant  de  principes  sacrés  et  de 
louables  sentiments. 
Symbolisme  de       Q'est  éfifalemciit  à  nos  temps  modernes  qu'il  faut  repro- 

leur  forme  a  deux  '-'  i  x  r 

pentes.  cher  ces  pierres  plates  qui  ferment  le  coffre  funèbre  et  qui 

semblent  une  caricature  dérisoire  de  l'affaissement  de  la 
pensée  symbolique,  échappant  au  monde  à  mesure  qu'il  se 
matérialise  et  s'endort.  Au  commencement,  il  n'en  fut  pas 
ainsi.  L'homme  a  semblé  monter  dans  la  vie ,  de  l'enfance 
à  l'âge  mûr,  puis  redescendre  à  l'opposite  de  sa  carrière 
vers  le  déclin  de  ses  derniers  jours.  Gomme  le  soleil,  il  a  eu 
son  lever  et  sa  décadence  :  ainsi ,  reposant  au  fond  de  sa 
demeure  sépulcrale ,  on  l'abrita  d'un  couvercle  mystérieux 
qui  par  son  double  versant  rend  bien  encore  cette  dernière 
ascension  dont  la  certitude  lui  fut  donnée,  et  cette  autre  ab- 
sorption qui  doit  la  suivre,  et  l'immergera  bientôt  dans  une 

(1)  Voir  BoUandus,  Vilse  S^<^  BadpgvniHs,  ad  xiii  aug.,  et 6'*'»  BathiUis 
XXVI  januar. 


CIMETIÈRES.  81 

vie  de  joie  ou  d'expialioii.  Nous  ne  voyons  guère  eomment 
expliquer,  en  dehors  de  ce  synil)olisnie,  cette  persévérance 
générale  et  reconnue  à  imposer  aux  sépulcres  cette  forme 
unique  si  longtemps  respectée,  et  dont  nos  cimetières  nou- 
veaux Regardent  plus  que  des  spécimens  incompris  et  sans 
conséquence  mystique  (I).  Nous  avons,  au  reste,  parlé  des 
autres  formes  de  tombeaux  en  décrivant  la  résurrection  des 
morts  dans  l'exposition  du  vingtième  chapitre  de  l'Apoca- 
lypse (2). 
Il   V  avait,  dès  les  premières  années  de  la  liberté  de      cimetièroscom- 

"  muas  des  premiers 

l'Eglise,  des  cimetières  communs  où  ces  sarcophages  repo-  siècles  chrétiens, 
sent  encore  en  grand  nombre,  mais  qui  s'en  trouvent  privés 
(le  plus  en  plus  à  mesure  que  triomphe  la  cupidité  spécu- 
lant sur  les  cendres  jusqu'à  l'oubli  de  la  dignité  humaine, 
(^es  grands  rendez- vous  de  la  mort  étaient  pourvus  d'une 
chapelle  funéraire  presque  toujours  dédiée  à  S.  Pierre  es 
Liens,  ce  libérateur  fidèle  à  qui  les  clefs  du  royaume  d'En- 
Haut  étaient  confiées  ,  et  qui,  délivré  autrefois  par  l'Ange 
des  fers  d'Hérode  ,  était  imploré  pour  une  délivrance  bien 
autrement  importante  par  les  captifs  des  ombres  de  la  mort. 
Ou  bien,  quand  ce  n'était  pas  au  Prince  des  Apôtres,  c'était  pî-o^tectioirde  s! 
à  rarchange  S.  Michel  que  la  chapelle  était  dédiée ,  parce  jifcbd  .^"  "^^  ^' 

(1)  CeUe  forme  des  sarcophages  à  deux  pentes  s'observe  depuis  les  pre- 
miers temps  chrétiens  jusqu'au  quinzième  siècle.  Elle  avarié  dans  ses  dé- 
tails, se  pliant  maintes  fois  auxbesoins  des  cadavres  par  le  rétrécissement 
de  la  partie  inférieure,  par  l'élargissement  du  côté  de  la  tête,  qui  avait 
elle-même  son  lieu  de  repos  indiqué  par  un  évasement  arrondi;  enfin 
([uelquefois  par  une  dépression  dans  la  partie  médiane,  où  s'apuyait 
i'arrière-corps.  Mais  on  trouve  fort  rarement  une  surface  extérieure  en- 
lièrement  plate  et  horizontale.  Celles  qui  semblent  l'avoir  laissent  tou- 
jours apercevoir  une  sommité  de  l'axe  longitudinal  qui  sauvait  le  prin- 
cipe quanti  la  pierre  n'avait  pas  toute  l'épaisseur  désirable.  Il  y  a  néces- 
sairement exception,  on  le  comprend  bien,  pour  les  tombeaux  que  re- 
couvrirent, à  partir  du  douzième  siècle^  des  statues  funéraires  à  la  lête 
desquelles  un  coussin  était  soutenu  par  des  anges,  comme  aux  pieds 
l)ar  un  lion  pour  les  chevaliers,  dont  il  symbolisait  la  valeur  guer- 
rière, et  par  un  chien  pour  les  femmes,  en  signe  de  leur  fidélité  conju- 
gale. 

(2)  Ci-dessus,  t.  II,  ch.  xil,  p.  344. 

T.    III.  6 


82  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

que,  dans  l'Offertoire  de  la  messe  des  défunts,  il  est  supplié, 
comme  vainqueur  du  démon,  d'ouvrir  aux  âmes  les  portes 
du  Ciel  (\).  Ainsi  consacrés  par  un  vocable  protecteur,  ces 
lieux  de  repos  et  de  prières  furent  d'abord  privés  de  tout 
ombrage  ;  car  les  superstitions  des  païens  pour  les  arbres 
les  avaient  fait  bannir  des  cimetières  comme  pouvant  y  deve- 
nir, pour  quelques-uns ,  l'objet  d'un  culte  réprouvé  :  on  le 
plantés  d'arbres  volt  daus  la  Vie  dc  S.  Martin  (2).  Plus  tard,  et  vers  le  hui- 
syrabo  iques.  x[q^q  sièclc  ,  quaud  on  n'eut  plus  à  craindre  les  grossières 
erreurs ,  on  se  montra  moins  difficile  sur  les  plantations  ; 
on  aima  à  s'abriter,  aux  abords  de  l'église,  sous  des  arbres 
qui  jetaient  une  teinte  de  mélancolie  autour  des  tombeaux 
et  semblaient  y  protéger  le  recueillement  de  la  prière.  De 
préférence,  on  cboisit  ceux  qu'une  verdure  plus  durable  ou 
un  bois  plus  vivace  rapprochait  plus  de  nos  désirs  d'immor- 
talité :  c'étaient  le  cliene,  dont  la  feuille  flétrie  parles  hivers 
ne  tombe  que  pour  faire  place  immédiatement  à  une  végé- 
tation nouvelle  ;  le  cyprès  au  bois  incorruptible ,  l'if  dont  le 
pyramide  s'élève  vers  le  ciel,  tous  deux  revêtus  d'une  ver- 
dure foncée ,  mais  plus  forte  que  les  frimats.  Quelques-uns 
de  ces  arbres  sont  devenus  célèbres  par  leur  vie  de  plusieurs 
siècles  :  Saint-Pierre-des-Ifs,  près  Pont-Audemer,  en  con- 
serve qui  sont  devenus  énormes  (3).  Des  traditions  respec- 
tables, et  admises  par  de  graves  écrivains,  attribuent  à  cer- 
tains d'entre  eux  une  vie  non  moins  longue  que  celle  de 
l'église  du  onzième  siècle  qu'ils  avoisinent.  Si  l'on  en  croit 
^  quelques  autres,  on  en  trouverait  encore  du  quatrième, 

■  j  ^  dont  on  peut  suivre  l'existence  à  travers  ces  quinze  cents 

ans  par  une  suite  non  interrompue  de  documents  aussi  in- 
téressants que  sérieux  (4). 

(1)  «  Signifer  S.  Micbael  repraesentet  eas  in  lucem  sanctaru.))— Voir 
l'abbé  Lebœuf,  Disserl.  sur  les  anc.  cimet. 

(2)  Bolland.,  xi  novemb. 

(3)  Voir  M.  Raymond  Bordeaux,  Traité  de  la  réparât,  des  égt.f  în-42, 
p.  75. 

(4)  Voir  Dubreuil,  Cours  d'arboriculture;  et  Gadebled,  Dictionnaire 
statistique  de  l'Eure,  cités  par  M.  R.  Bordeaux,  iibisiq^rà. 


CIMETIÈRES.  83 

Le  moyen  Age  avait  aimé  aussi  à  placer  ses  morts  dans  n^J/i^^'""''  ™°" 
l'enceinte  des  forêts,  lorsqu'après  leur  avoir  emprunté,  un 
vaste  emplacement  pour  une  église  ou  un  monastère ,  le 
cimetière  était  pratiqué  autour  d'eux  sous  les  fraîches  voûtes 
de  ces  feuillages  pleins  de  vie  :  c'est  l'origine  la  plus  ordinaire 
des  lieux  appelés  Épinay  où  l'Épine  (spinetum).  Là  se  retrou- 
vent le  plus  souvent  des  cimetières  francs  ou  gallo-romains, 
comme  à  l'Épinay  ,  près  de  Dieppe ,  où  la  chapelle  sépul- 
crale est  encore  dédiée  à  S.  Pierre  es  Liens  {\). 

Outre  la  croix  centi-ale,  et  non  loin  d'elle,  s'élevaient,  dans      i^antemes  des 
le  champ  des  morts,  ces  colonnes  creuses  connues  sous  le 
nom  de  lampadaires,  de  fanaux  ou  de  lanternes  des  morts , 
plus  fréquentes  dans  le  Poitou,  l'Auvergne  et  les  contrées 
méridionales  de  la  France.  Quels  motifs  et  quelles  fonctions 
u'a-t-on  pas  attrihués  à  ces  monuments  longtemps  incon- 
nus !  Ce  qui  n'était  qu'un  simple  ohjet  de  dévotion  ton-  fau^fef^'opfnion, 
chante,  un  honneur  rendu  aux  défunts  du  Christianisme,  émises  à  leur  sujet, 
n'aurait  été,  au  dire  de  quelques  chercheurs,  qu'un  reste 
de  superstitions  grecques  ou  romaines,  éclairant  des  danses 
religieuses  et  mystiques  auxquelles  se  livraient  des  femmes 
<m  certaines  fêtes  funéraires  qu'on  a  hien  soin  de  ne  pas 
déterminer  ;  ou  hien  c'était  une  sorte  d'évocation  de  l'âme 
des  morts  ;  enfin  c'était  un  feu  toujours  prêt  où  les  habitants 
d'un  village  venaient  puiser  tour  à  tour  celui  du  foyer  do- 
mestique dans  les  temps  de  contagion,  où  chacun  s'isolait 
des  habitudes  de  la  vie  commune  (2).  Voilà  ce  que  c'est  que 
d'écrire  des  choses  sacrées  sans  en  avoir  étudié  les  éléments. . . 
Mieux  inspirés  furent  ceux  qui,  venus  plus  tard  et  s'adon-  toui?''chiS' 
nant  à  une  étude  plus  sérieuse,  reconnurent  dans  ces  cippes  "®^* 
élégants ,  dans  la  croix  qui  les  [surmonta  toujours  avant 
certains  accidents  qui  les  en  privèrent,  dans  l'autel  surtout 
que  les  générations  contemporaines  avaient  adapté  à  leur 

{{)  M.  l'abbé  Cochet,  Sépultures  trouvées  à  Saint-Pierre  d' Épinay, 
in-8o,  iSil,passim. 
(2)  Voir  M.  Tailhaut,  DulleL  monura.,  t.  V,  p.  433. 


84  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

base,  les  signes  non  équivoques  de  la  religion ,  qui  n'aime 
pas  moins  les  morts  que  les  vivants  (i).  Au  point  supérieur 
du  petit  édifice,  en  effet ,  était  entretenue  une  lumière  con- 
tinuelle où  l'huile  se  consumait  comme  celle  du  sanctuaire, 
pareille  à  l'âme  fidèle,  vivant  pour  Dieu  et  s'élevant  sans 
cesse  vers  lui  par  les  élans  de  sa  pensée  et  de  ses  désirs. 
C'était  encore  un  honneur  rendu  aux  corps  couchés  dans  le 
cercueil  avec  l'attitude  de  la  prière,  les  mains  jointes  sur  la 
poitrine  et  les  yeux  tournés  vers  la  lumière  de  l'aurore  à 
venir  :  c'était  un  avertissement  aux  habitants  de  la  terre  , 
lorsque  le  soir,  attardés  aux  environs  du  village,  ils  se  sen- 
taient pressés  par  cette  flamme  éloquente  de  donner  un 
pieux  souvenir  de  leur  cœur  à  ceux  qui  dormaient  sous  la 
colonne  de  feu.  Le  jour  des  Morts  ,  ou  à  certains  anniver- 
saires, le  curé  offrait  fadorable  Victime  sur  cet  autel  rustique, 
orné  momentanément  des  chandeliers  et  de  la  croix  de 
métal.  Enfin  c'était  le  rendez-vous  des  diverses  stations  faites 
au  cimetière,  soit  lorsqu'après  l'évangile  des  Rameaux  on 
attachait  à  la  croix  principale  ïozane  bénite,  soit  lorsqu'à 
l'occasion  de  quelques  services  pour  certains  défunts  de  la 
paroisse,  le  pasteur,  s'élevant  de  cinq  ou  six  degrés  au-dessus 
de  la  foule,  lui  recommandait  les  âmes  de  ses  frères  et  ra- 
menait ses  pensées  au  seuil  de  son  éternité. 
Des  symboles      Dcs  symbolcs  s'attachaieut  aussi  à  la  pierre  môme  des 
sirTes  tomSux!  tombeaux  et  y  devenaient  un  langage  extérieur  en  forme 
^ig^n^diTopuia"  d'hiéroglyphes  sacrés.  Nous  ne  parlerons  pas  de  Vascia,  ce 
tions  païennes.      fameux  iustrumeut  jusqu'à  présent  incompris ,  de  l'aveu 
même  des  plus  savants  (2),  en  dépit  de  toutes  les  explications 

(1)  Voir  M. le  comte  de  Cha.sieiguev,Mém.des  antiquaires  de  l'Ouest, 
t.  X,p.275. 

(2)  C'est  l'opinion  de  M.  de  Caumont,  qui  fait  observer  que  Vascia 
fut  usité  dans  les  Gaules  beaucoup  plus  qu'on  ne  le  pense  communé- 
ment, mais  qu'on  ne  le  trouve  que  relatif  à  une  époque  ou  l'incinéra- 
tion était  en  usage.  Le  Christianisme  n'a  donc  rien  à  voir  ici. —  Voir, 
sur  l'ascia^  Bulletin  monumental ,  t.  XVII,  p.  152,  et  notre  Table  des 
vingt  premiers  volumes.  Nous  croyons  aussi  avoir  démontré  dans  le 


riMETlÊRES.  85 

(ju'on  eu  a  voulu  douuer  :  c'était  là  un  signe  païen  repré- 
sentant, d'ailleurs,  beaucoup  moins  une  idée  mystique 
qu'un  usage  destiné  à  diversifier  l'importance  de  quelques 
sépultures  romaines  :  nous  n'en  voulons  d'autre  preuve  que 
le  silence  gardé  sur  son  compte  par  toute  l'antiquité  catlio- 
li([ue  avant  et  pendant  le  moyen  âge.  Mais  nos  tombes  chré- 
tiennes étaient  bien  autrement  éloquentes.  Dès  l'âge  des    Quels  furent, dès 

.  .le    principe,  ceux 

catacombes,  et  tout  d  abord  dans  ces  glorieux  souterrams  du  christianisme. 
dépositaires  des  corps  ou  des  membres  mutilés  des  martyrs 
ou  de  simples  fidèles  échappés  à  la  persécution,  les  inscrip- 
tions touchantes  qui  parlaient  du  mort  s'accompagnaient 
de  quelques  images,  qui  nous  redisent  dans  un  langage  mys- 
térieux et  les  combats  de  cette  vie  périssable,  et  les  vertus 
qu'on  y  avait  pratiquées,  et  les  espérances  qui  en  avaient 
consolé  la  lin.  Le  chrisme,  la  palme,  l'olivier,  la  croix  ,  les 
instruments  variés  du  martyre,  les  couronnes  de  laurier  ou 
de  chêne,  le  poisson,  la  colombe,  l'abeille  (i),  y  devenaient 
autant  d'attributs  dont  nous  savons  l'explication  (2).  Quant     unedessignm- 


vol.  XI  des  Bvl/etins  des  antiquaires  de  l'Ouest,  p.  214  et  305,  que 
l'inhumation  sub  ascia,  qu'on  ne  trouve  jamais  dans  les  cimetières 
chrétiens,  était  une  recommandation  spéciale  aux  soins  de  quelque 
employé  funéraire  ,  chargé  de  prendre  un  soin  pieux  de  cette  sépul- 
ture. M.  Guénebault  s'est  bien  trompé  à  cet  égard,  p.  950. 

(1)  L'abeille  est,  par  son  vol  très-éievé,  le  symbole  du  Christ  res- 
suscité :  Apis  Mherea,  Christiis,  dit  Pierre  de  Capoue.  Mais  elle  devient 
aussi  le  symbole  des  juifs  persécuteurs  :  Circumdederunt  me  sicut 
apes,  dit  Is  psaume  118.  Dans  Isaïe,  elle  est  le  type  de  l'hérésie  :  Sibi- 
lavit  apis  assvrÇwu,  18);  mais,  laborieuse,  prévoyante,  produisant  son 
miel,  aimant  les  fleurs,  détestant  toute  souillure,  elle  ne  représente 
plus  que  des  idées  douces,  gracieuses,  aimables.  Elle  est  le  Christ,  la 
Vierge  par  excellence,  la  femme  forte,  l'Esprit  de  Dieu  :  Spiritus  meus 
super  met  dulcis  {Ecclis.,  xxiv,  17).  Elle  passe  pour  ne  pas  dormir  dans 
le  Physiolocfue  des  Annéni-ns  (n»  xxxiv),  et  devient  par  là  l'exemple  de 
la  vigilance  chrétienne  et  du  zèle  pour  l'acquisition  de  toutes  les  vertus  : 
llorrea  replet  ex  0)}inifjena  omnium  florum  suaveolentia.  (Cf.  Spicil. 
Solesia.,  Il,  512;  III,  390.)  —  Et  S.Ambroise  n'appelle-t-il  pas  la  jeune 
vierge  S"  Agnès  apis  argumentosa ,  l'abeille  pleine  de  sagesse? 

(2)  Voir  les  chapitres  XLvn  et  xLviii  du  Homa  subterranea ,  liv.  VI, 
passim. 


86  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

catîona  du  pois-  ail  poisson  Cependant,  il  ne  faut  pas  le  regarder  unique- 

SOUa 

ment  comme  le  symbole  du  Christ  ou  du  chrétien ,  que  la 
rédemption  lui  associe  :  souvent  il  devient  là ,  pour  ceux 
qui  survivent,  une  leçon  des  incertitudes  et  de  la  brièveté 
de  la  vie  humaine,  toujours  exposée  à  quelque  hameçon  de 
La  résurrection  l'ennemi  ct  aux  subites  épreuves  de  l'adversité  fO.  L'une 

de  Lazare  aux  ca-  ^  ^    ^ 

tacombes.  dcs  plus  curieuscs  de  ces  épitaphes  est  citée  par  Aringhi ,  à 

qui  nous  l'empruntons,  pour  faire  comprendre  ici,  d'un  seul 
coup  d'œil,  jusqu'à  quel  système  de  complication  allaient  ces 
grands  enseignements  de  la  mort  dans  le  mystérieux  lan- 
gage de  nos  pères.  Dans  un  cadre  oblong,  où  tant  d'objets 
muets  en  apparence  figurent  cependant  avec  leurs  rapports 
mutuels ,  nous  voyons  d'abord ,  au-dessous  du  chrisme , 
placée  avant  tout  par  une  consécration  préalable,  l'image  de 
Lazare  cnsuairé  à  la  manière  du  temps  et  couché  dans  son 
tombeau  :  c'est  à  la  fois  la  mort  et  la  résurrection  ;  vient 
ensuite  le  chandelier  à  sept  branches,  lumière  symbolique 
par  laquelle  le  Seigneur  doit  scruter  tous  les  recoins  obscurs 
de  Jérusalem  (2),  et  manifester  aux  yeux  de  tous  sa  justice 
sur  chacun  de  nous.  Tenant  le  milieu ,  et  comme  la  place 
principale  de  cet  ensemble,  une  maison  sans  ornements 
quelconques,  sans  perspective  aucune  ,  à  Içi  toiture  plate  , 
dont  la  façade  ne  présente  pour  toute  ouverture  qu'une 
porte  et  deux  fenêtres  :  c'est  la  dernière  demeure  de  l'homme, 
telle  que  la  mort  la  lui  a  faîte ,  dépourvue  de  tout  ce  qui 
n'est  pas  absolument  indispensable  à  ce  suprême  abri  d'une 
humanité  déchue  ,  qui  ne  peut  plus  rien  goûter  ni  sentir  ; 
c'est  même  le  symbole  du  corps  humain  emprunté  à  S.  Paul 
et  à  divers  endroits  de  l'Écriture  (3).  Au-dessus  planent  dans 

(1)  «  Nescit  hoino  finem  suum  ;  sed  sicut  pisces  capiuntur  hamo,  sic 
capiuntur  homines  in  tempore  malo  cum  eis  extemplo  superveoerit  » 
(EccL,  IX,  12.) 

(2)  «  Scrutabor  Ilierusalem  in  lucernis.  »  (Sophon.,  xii.) 

(3)  «Terrestris  domus  nostra  hujus  habltationis  dissolvitur.»(2  Cor., 
V.)  —  «  Ibit  homo  in  clomum  eeternitatis  suse.  »  (Ecdis.,  xri.)  -  «  Se- 
pulcra  eorum  domus  illorum  in  eeteruum.  n{Ps.,  xlviif.)—  Cf.  Aringhi 


CIMETIÈRES.  87 

un  strict  équilibre  les  deux  plateaux  de  cette  balance  dont 
le  Propbète  avait  dit  à  Baltbasar  qu'il  y  avait  été  pesé  et 
trouvé  sans  poids  (!)  :  terrible  arrêt  qui  menace  chacun  de 
nous.  Enfin  le  poisson  termine  cette  mystérieuse  scène,  et 
proclame  que,  tôt  ou  tard,  après  la  course  agitée  de  cette 
vie  où  l'homme  n'a  pas  de  repos,  l'hameçon  de  la  mort 
nous  prendra,  et  que  cette  pensée  doit  nous  remplir  d'une 
sainte  crainte  et  de  salutaires  précautions.  Cette  seule  cita- 
tion et  cette  explication  si  simple  et  si  naturelle  ne  suffiraient- 
elles  pas  à  autoriser,  pour  les  moins  crédules ,  le  système 
interprétatif  de  S.  Méliton,  contemporain  de  ces  vivantes 
images,  et  dont  le'i  planches  turent  certainement  dans  les 
catacombes  avant  d'être  ailleurs  ? 
En  fait  de  symboles,  les  sarcophages  chrétiens  n'en  ont     La  croix  et  ses 

jir,  £''-'  <ji  1  •  différentes       for- 

pas  de  plus  Irequemment  répètes,  surtout  dans  les  premiers  mes.  instruments 

,  1  •        •  I  1        1      •  T  *  ^^^^  diverses  pro- 

temps,  que  la  croix  simple  ou  le  chrisme.  Le  moyen  âge,  y  fessions. 
compris  l'ère  mérovingienne,  y  varia  les  sujets  et  leur  donna 
quelquefois  de  vastes  développements,  de  sorte  que,  dans 
les  cimetières ,  les  églises  ou  les  cloîtres ,  souvent ,  à  côté 
d'une  croix  plus  ou  moins  ornée,  on  put  voir  une  épée  che- 
valeresque, ou  des  instruments  plus  humbles  de  l'artisan 

loc.  cit.,  lib.  VI,  cap.  xlvii,  n»  7.  —  Complétons  maintenant  l'inter- 
prétation de  cette  curieuse  lecture  par  la  traduction  du  texte  épigra- 
phique,  pour  ceux  de  nos  lecteurs  qui  sont  peu  familiers  avec  ce  genre 
d'érudition,  et  qui  d'ailleurs  ne  la  pourraient  chercher  dans  Aringhi  : 
Calcvius  (ou  Calidius)  a  vendu  à  Avinius  (ou  Avienus)  Remplacement 
de  trois  sépultures  où  reposaient  dans  la  poix  Vinius  (ou  Vinicius), 
Calvinius  et  Lucius,  sous  le  consulat  de  Stilicon.  Cette  dernière  par- 
ticularité reporte  ce  petit  monument  à  l'an  400  ou  405  de  l'ère  chré- 
tienne, Stilicon  ayant  été  consul  deux  fois.  On  voit  encore  dans  ce 
terme  trisoinum,  sépulture  à  trois  places,  un  composé,  quoique  assez 
mal  dérivé,  du  mot  domus.  Ces  places  données  à  chacun  étaient  donc 
dans  les  catacombes  autant  de  maisons,  de  demeures  suprêmes  :  c'est 
bien  le  domum  œlernilafis  de  l'Écriture.  D'autres  ont  fait  venir  ce  mot 
de  bis-homn;  il  faudrait  donc  tirer  aussi  trisomum  de  ter-fiomo?  Même 
dans  les  plus  mauvais  temps  les  étymologies  ne  se  sont  pas  faites  de  la 
sorte. 

(1)  «  Appensus  es  in  statera  et  inventus  es  minus  habens,  »  (/?ano  v, 
2o.) 


nées 


88  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

OU  du  lajjoureur,  comme  on  domia  à  l'architecte  Libergier, 
dans  l'église  de  Reims  :  la  règle,  l'équerre  et  le  compas,  avec 
une  petite  représentation  de  l'église  même  dans  sa  main 
droite.  Cet  usage  de  rattaclier  à  la  mémoire  du  mort  les 
objets  qui  avaient  occupé  sa  vie  est  aussi  ancien  pour  ainsi 
dire  que  le  monde,  et  s'est  trouvé  dans  toutes  les  religions, 
comme  sur  toutes  les  plages  :  Homère  et  Virgile  ne  se  font 
faute  d'en  orner  leurs  poèmes,  dont  l'un  est  un  beau  reflet 
de  l'autre.  Maison  doit  se  garder  de  confondre  ces  données 
toutes  païennes  avec  l'imitation  que  tout  naturellement  les 
nations  chrétiennes  s'en  sont  permise ,  sans  négliger  toute- 
fois le  symbolisme  inséparable  d'autres  images  que  presque 
toujours  elles  mêlèrent  à  celles  du  spirituahsme  le  plus  pur. 
Scènes  histo-  Maîs  Ics  plus  rcmarquablcs  de  ces  souvenirs  cédèrent  de 
beaucoup,  dans  les  monuments  funéraires  proprement  dits, 
au  luxe  des  grandes  familles  et  des  hommes  illustres  qu'elles 
voulurent  honorer.  On  représenta  souvent  sur  les  sarco- 
phages de  véritables  tableaux  sculptés  en  bas-reliefs,  la 
mort  d'un  personnage  célèbre  et  quelques-unes  de  ses  occu- 
pations favorites  :  comme  la  chasse  de  Jovien,  à  Saint-Agri- 
autant  de  sym-  colc  dc  Rclms  (t  ) .  Sous  CCS  envcloppcs  agréables,  les  sujets  les 
beiïx.  "^^^  *°°'    phis  mondains  en  apparence  réservaient  toujours  quelque 
leçon  mystérieuse  ,  et  prouvaient  de  plus  en  plus,  selon  la 
pensée  d'un  de  nos  guides  les  plus  sûrs ,  que  rien  n'était 
oiseux,  pas  un  enseignement  n'était  oublié  dans  ce  grand 
nombre  de  faits  iconographiques  toujours  offerts  aux  re- 
gards du  chrétien  (2). 
Résultat  moral       La  pcuséc  dc  k  uiort  triomphait  ainsi,  pendant  la  vie  du 

de  ces    enseigne-        ,       ,,.  i  ^  i»  .  i  '4. 

meuts  élevés.  chrctieu,  dcs  répugnances  d  une  nature  condamnée,  et  ne 
se  présentait  jamais  à  l'homme  qu'entourée  des  secours 
visibles  qui  en  adoucissaient  l'amertume  en  multipliant  les 

(1)  Voir  t.  H,  ci-dessus,  ch.  viii,  p.  457. 

(2)  «  Ex  quibus  imaginibus,  ut  videre  est,  nil  prorsus  apud  antiques 
«"hristianos  otiosum  exstitisse,  quod  peculiare  mysterium  non  pree- 
ferret,  probe  lector  ediscit.  »  (Aringhi,  ubi  suprà.) 


CIMKTIÈRES.  89 

souvenirs  des  proiiiesscs  (Ji\iiics.  Esl-cc  que  la  croix  sur- 
montant le  tombeau  de  nos  proches  et  de  nos  amis  ne  con- 
sole pas  immédiatement  de  leur  perte, éloignement  passager, 
exil  d'un  jour?  Le  matérialisme  terrestre,  le  sensualisme 
égoïste  et  charnel  peuvent  seuls  demeurer  froids  et  insen- 
sibles devant  ces  catéchismes  de  la  foi.  Le  paganisme  lui- 
même,  qui  se  couronnait  de  roses  tout  en  pensant  à  la 
mort,  était  plus  raisonnable  que  ce  philosophisme  digne  de 
la  Renaissance.  Xe  croyant  à  rien,  ou  n'ayant  que  de  vagues 
incertitudes  sur  l'avenir  de  l'homme ,  il  jouissait  du  présent 
sous  les  inspirations  d'Anacréon  ou  d'Horace,  et  s'en  allait , 
victime  aveugle  d'une  folie  intrépide,  rejoindre  les  disciples 
de  Sénèque  et  de  Gicéron.  Cette  belle  morale  fut  celle  de 
nos  philosophes,  jusqu'au  moment  où  leur  triomphe  devint 
le  signal  des  sanguinaires  orgies  dont  la  fumée  enivre  en- 
core leurs  dociles  amis  (i). 
Le  chrétien  fit  toujours  mieux.  La  mort  ne  devait  pas  le     La  pensée chré- 

,  ,  1»    r»p  •  •        i  .  /■  •<      »  -11  tienne  de  la  mort 

surprendre  et  ne  1  enraya  jamais.  Accoutume  a  s  agenouiller  amène  i-art  jusque 
sur  des  tombes  où  tant  de  traits  divers,  et  jusqu'au  majes-  tières. 
tueux  silence  de  leurs  ombrages ,  l'identifiaient  à  ceux  qui 
n'étaient  plus,  il  voulut  ajouter  à  ces  symboles,  à  ceux 
que  les  cérémonies  funèbres  remettaient  à  chaque  instant 
sous  ses  regards ,  des  traits  plus  vastes  et  plus  durables. 
Dans  ses  chapelles  funéraires,  la  large  surface  des  voûtes 
ou  des  murailles  se  couvrit  des  énergiques  leçons  de  l'éter- 
nité ,  et  les  cloîtres ,  encore  si  remarquables  ,  qui  entou- 
rèrent quelques  cimetières  monastiques,  reçurent  du  pin- 
ceau des  plus  grands  artistes  les  plus  émouvantes  pages  de 
la  chute  de  l'homme,  de  sa  punition  par  la  mort,  mais 
aussi  de  sa  réhabilitation  par  celle  du  Fils  de  Dieu.  Ce  sont 


(1)  ...  Jouissons,  vivons,  mon  cher  Horace! 

Sur  le  boni  du  tombeau  je  mettrai  tous  mes  soins 
A  suivre  les  le(;ons  de  ta  philosophie, 
A  mépriser  la  mort  en  savourant  la  vie, 
A  lire  tes  écrits  pleins  de  verve  et  de  sens 

Comme  on  boit  d'un  vin  vieux  qui  rajeunit  les  sens 

(Voltaire. 


90  HISTOIRE   1)L    SYMBOLISME. 

ces  magnifiques  scènes  que  la  main  d'iial)iles  artistes  jeta 
«tÏ8%ro?s%?ïd«  ^^^  milieu  de  ces  arcades  gothiques.  En  Poitou,  une  chapelle 
régUged'Aatigny,  ^q  l'églisc  parolsslalc  d'Antigny  (Vienne) ,  fondée  en  ^42-1, 
par  les  seigneurs  de  Boismorand,  voit  encore  ses  voûtes  cou- 
vertes, entre  autres  peintures,  de  la  vie  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ ,  qui  se  termine  par  la  pesée  des  âmes  à  laquelle 
correspond ,  dans  un  autre  compartiment  de  la  voûte ,  une 
scène  un  peu  dégradée  par  le  temps,  mais  qu'on  reconnaît 
aisément  pour  l'épisode  alors  si  populaire  des  Trois  morts  et 
des  trois  vifs.  Une  inscription  en  lettres  gothiques  y  fait  lire  : 
«  Vous  qui  passez.. .,  priez  pour  nous  !  w  Ce  sont,  en  effet,  trois 
morts  qui  sortent  de  leurs  cercueils  et  se  jettent,  en  pronon- 
çant ces  paroles,  à  la  suite  de  trois  cavaliers  chevauchant 
devant  eux,  et  qu'à  leur  costume  différent  on  reconnaît  pour 
un  chevalier,  une  dame  et  un  varlet.  La  dame  donne  sur  son 
poing  l'appui  à  un  faucon  :  c'est  le  signe  de  la  vie  noble  et 
riche  ;  et  pendant  que  ces  grands  du  monde ,  oublieux 
peut-être  des  grands  intérêts  du  ciel,  vont  lestement  à 
quelqu'une  de  leurs  joies  mondaines ,  la  voix  sévère  du 
trépas ,  les  supplications  lamentables  des  âmes  qui  souf- 
frent en  expiation  des  mêmes  folies ,  leur  deviennent ,  en 
présence  de  Dieu  et  en  face  de  son  autel,  un  salutaire  aver- 
tissement. C'était  une  digne  et  généreuse  pensée  qui  avait 
persuadé  à  ces  nobles  seigneurs  de  laisser  ainsi  à  leur 
postérité ,  dans  la  chapelle  où  elle  prierait  après  eux ,  une 
exhortation  à  mépriser  la  vie  et  à  se  souvenir  de  ses  ancê- 
tres qui  ne  seraient  plus. 
Variante  de  cette       A  Joulié,  uou  lolu  dc  là,  sur  Ics  mêmcs  bords  delà 

sceno  dans  la  cha- 

pelle  de  jouhQ,  Gartcmpc ,  et  isolé  de  l'église  près  de  laquelle  il  servait 
de  chapelle  au  cimetière ,  aujourd'hui  disparu ,  un  autre 
oratoire  s'élève  encore,  et  contient  une  scène,  bien  plus 
'complète  et  bien  mieux  conservée,  de  la  même  moralité. 
Là,  encore,  le  tal)leau  de  la  mort  est  précédé  de  tous 
les  autres,  dont  il  est  le  complément  inévitable,  depuis  la 
création  jusqu'au  dernier  Jugement  ;  après  quoi  vient  le 


CIMETIKUES.  01 

dict  (les  Trois  morts  ci  des  trois  vifs.  Cette  fois,  il  n'v  a  pas    lc  dict  des  Trois 

•^         \  morts  et  des  trois 

de  dame;  ce  sont  trois  jeunes  seigneurs,  dont  l'un  se  croise  vifs. 
avec  les  autres  sur  une  route  commune  qui  n'est  que  la 
traversée  large  d'un  cimetière.  Leur  costume  élégant,  le 
bel  harnachement  de  leurs  chevaux  indiquent  toujours  la 
même  pensée  de  cette  félicité  périssable  dont  la  mort  profite 
tôt  ou  tard  ;  chacun  ,  d'ailleurs ,  a  son  chien  qui  l'accom- 
pagne; le  faucon  s'est  déjà  séparé  de  l'un  d'eux,  qui  semble 
le  rappeler,  tout  en  s'éloignant  au  galop  d'une  scène  que 
lui  et  son  second  compagnon  paraissent  s'empresser  de 
fuir.  C'est  que ,  en  arrière  du  grand  crucifix  qui  s'élève  à 
quelques  pas  d'eux ,  trois  morts  subitement  sortis  de  leur 
cercueil  de  pierre  semblent  les  interpeller  avec  une  ex-  . 
pression  de  sévérité  à  laquelle  se  mêle  une  évidente  ironie. 
Nos  deux  jouvenceaux  ne  se  sauvent  que  plus  vite ,  répon- 
dant à  ces  importuns  par  un  geste  assez  dédaigneux ,  pen- 
dant que  le  troisième  ,  calme  et  du  pas  le  plus  réglé  de  sa 
monture,  prend  le  chemin  opposé  et  s'avance  vers  ces 
étranges  apparitions ,  que  peut-être  il  ne  voit  pas.  N'y 
a-t-il  pas  ,  en  effet ,  une  grande  portion  de  l'humanité  qui 
ferme  les  yeux  pour  ne  pas  voir,  et  marche  aveuglément 
à  sa  dernière  heure,  dont  elle  apporte  la  certitude  en  nais- 
sant? ou  bien  est-ce  vers  la  croix  qu'il  prétend  s'ache- 
miner ainsi,  la  regardant  comme  son  refuge  et  cédant  aux 
bonnes  inspirations  qui  lui  viennent  d'elle  ?  Quatre  ou  cinq 
cartouches,  autrefois  chargés  d'inscriptions,  qui  sans  doute 
exprimaient  les  dicts  de  chaque  personnage,  nous  eussent 
complété  la  légende  si  la  disparition  des  caractères,  de- 
venus illisibles ,  ne  nous  forçait  à  en  chercher  le  sens. 
Ces  peintures  paraissent  de  la  fin  du  quinzième  siècle ,  et 
sont  probablement  contemporaines  de  la  fondation  de  la 
chapelle  où  la  noble  et  ancienne  famille  des  Moussy  de  la 
Contour  avait  sa  sépulture.  Si  elles  eussent  été  d'une  époque 
plus  hiératique  ,  du  douzième  siècle  par  exemple,  nous  y 
trouverions,  outre  le  symbolisme  de  cette  moralité  gêné- 


92  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

raie ,  d'autres  idées  signiiicatives  prises  dans  les  couleurs 
employées  par  le  peintre.  Les  chevaux  eussent  eu  les  leurs, 
choisies  conformément  à  quelques  caractères  divers  donnés 
aux  jeunes  hommes  ,  tels  que  certains  vices  plus  particu- 
liers à  cet  âge  quand  il  vient  à  se  séparer  de  la  loi  de  Dieu. 
Leur^  vêtements  aussi  n'eussent  pas  manqué  d'avoir  leur 
même  analogie  symbolique.  Ici  le  peintre  s'est  contenté  de 
vise;r  à  l'effet  par  les  couleurs,  dont  l'agencement  général 
est  du  moins  bien  plus  heureux  que  le  dessin,   et  ne 
manque  pas  d'une  certaine  harmonie  {]). 
mendie  r^oZl       ^^^^  ^^^^  chapclle  de  l'ancienne  abbatiale  de  Fontenay- 
RenaSncJ'^' ''^    sur-Omc  (Calvados),  aujourd'hui  démolie,  le  même  sujet 
avait  été  peint  au  seizième  siècle,  avec  des  détails  beaucoup 
meilleurs  d'exécution  grapliique.  C'était  avec  celui  de  Jouhé 
toute  la  différence  que  pouvaient  mettre  dans  leur  œuvre 
deux  artistes,   dont  l'un  possédait  le  talent  que  l'autre 
n'avait  pas.  Mais,  chose  remarquable,  le  sentiment  reli- 
gieux l'emporte  évidemment  dans  cette  dernière,  quoique 
aux  dépens  delà  vérité  des  poses  et  de  la  pureté  du  dessin.  A 
Fontenay,  avec  plus  d'élégance  et  de  savoir,  les  chevaux  qui 
se  cabrent,  l'habile  tenue  des  cavaliers,  leurs  coiffures  em- 
panachées ou  affectant  le  pittoresque  d'un  costume  à  effet, 
donnent  à  l'ensemble  un  air  de  cavalcade  populaire  un  peu 
^harlatanesque.  Les  squelettes,  mieux  anatomisés,  ont  un 
peu  l'air  de  certaines  gens  arrêtant  un  voyageur  au  coin 
d'un  bois;  le  second,  surtout,  semble  éprouver  un  refroi- 
dissement qui  le  fait  trembler.  Ce  que  le  seizième  siècle  a 
touché  de  nos  affaires  est  décidément  tronqué  dans  l'essence 
môme  de  la  pensée  religieuse. 

Les  danses  nui-  ^  " 

cabres  en  général;       Outrc  cct  luiposaut  sujct  dcs  7'rois  mofts  et  (Us  trois  vifs 

(1)  M.  de  Longuemar ,  de  la  Société  des  antiquaires  de  l'Ouest,  a 
publié  en  1852  une  bonne  planche  lithochromiée  de  ces  fresques  re- 
marquables dans  un  Essai  sxir  la  chapelle  de  Jovlié.  Nous  différons 
quelque  peu  dans  l'appréciation  de  certains  détails  relativement  aux 
intentions  du  peintre. 


CIMETIÈRES.  93 

que  M.  Paulin  Paris  a  retrouvé  dans  trois  poèmes  du  trei- 
zième siècle  (  I  ),  on  trouve  au  quatorzième  la  fameuse  danse 
des  morts  ou  danse  macabre,  qui  ne  fut,  à  l'époque  des  mys- 
tères ou  moralités  en  action,  que  la  mise  en  scène  du  poème 
primitif.  C'est,  à  proprement  parler,  la  darise  des  cime- 
tières (2),  où  l'on  sait  qu'à  partir  du  (juatorzième  siècle  on 
commença  à  prèclier  par  des  représentations  qu'inspiraient 
des  moralités  fréquentes,  les  grands  enseignements  de  la 
mort.  Un  de  ces  drames  les  plus  célèbres  fut  joué,  en  \  \l\,-àn 
cimetière  des  Imiocents  à  i^aris.  Beaucoup  d'autres  le  sui- 
virent, et  il  n'y  eut  guère  d'églises,  surtout  dans  les  cime- 
tières, où  ne  fussent  répétés  aux  voûtes  ou  aux  mui'ailles  ces 
actes  solennels  qui  s'y  épancliaient  en  d'innombrables  allé- 
gories, dont  le  fond  était  une  danse  fantastique  et  dans 
lesquelles  les  acteurs  rivalisaient  par  leurs  déguisements  à 
exprimer  les  plus  lugubres  idées.  On  peut  s'en  faire  une  ceiiodeiachaise- 

*^  ^  "  ^  Dieu   en  particu- 

complète  de  cet  ensemble,  moins  bizarre  en  réalité  qu'en  ner, 
apparence,  par  la  danse  peinte  sur  le  nuu'  du  cbœur  dans 
le  collatéral  nord  de  l'abbatiale  de  la  Gbaisc-Dieu,  en  Au- 
vergne. Elle  se  compose  de  soixante-sept  couples  alternés 
de  morts  et  de  vivants.  Là  le  pape  et  le  moine,  l'enfant  et  le 
vieillard,  l'empereur  et  le  bûclieron,  prennent  un  rôle  en 
face  d'Eve,  qui  enfante  la  Mort  au  pied  de  l'arbre  d'Éden. 
Nous  Youdiionsque  certains  symbolistes  de  liasard,  comme  thétiques. 


(1)  Voir  Bulletin  monumental,  xy,  137. 

(2)  De  magbarahou  magabir,  qui  en  arabe  si^mûeui  cimetière.  Celte 
étymologie,  rappx^ocliéo  de  bien  d'autres  données  par  Ducange,  et  qu'a 
proposée  en  dernier  lieu  M.  Van-Praët  dans  sou  Catalogne  des  livres 
imprimés  sur  vélin,  nous  paraît  la  seule  raisonnable  ;  parce  qu'elle 
est  la  plus  naturelle.— Voir  une  excellente  dissertation  de  M.  Branche 
dans  le  Bulletin  monumental ,  viii,  326.  Nous  lui  avons  emprunté  ce 
que  nous  disons  sur  ce  sujet  comme  à  celui  qui  nous  semble  l'avoir 
étudié  avec  le  plus  de  succès. —  On  s'était  tellement  persuadé  pendant 
longtemps  que  le  mot  macabre  venait  des  Machabées,  qu'à  la  cathé- 
drale d'Amiens  on  s'était  accoutumé  à  appeler  chapelle  des  Machahées 
ceili'  où  une  dan.se  macabr.'  apparaissait  sculptée  au-dessus  de  la  porte. 
Celte  sculpture  était  aussi  du  quatorzième  siècle. 


Oi  tilStOmE   DU  SYMBOLISME. 

il  s'en  rencontre  toujours  parmi  les  écrivains  qu'un  parti 
pris  porte  à  dénigrer  le  clergé  du  moyen  âge  et  ses  institu- 
tions religieuses,  dont  ils  parlent  avec  d'autant  plus  de  pré- 
jugés qu'ils  en  ont  une  plus  grande  ignorance;  nous  vou- 
drions que  ces  érudits  qui  ont  aimé  à  voir  des  satires 
ardentes  des  moines  et  des  prêtres  dans  l'iconograpliie  des 
mystères  et  des  légendes  étudiassent,  avec  ce  morceau  re- 
marquable que  la  litliochromie  nous  a  conservé,  ce  qu'il  y 
a  de  variantes  significatives  dans  ces  physionomies  si  di- 
verses; et  comme,  en  découvrant  les  sentiments  qui  s'y 
expriment,  on  voit,  à  côté  de  l'effroi,  de  l'indifférence  ou  de 
l'étonnement  de  chaque  mortel  saisi  par  son  cruel  parte- 
naire, combien  le  peintre  s'est  efforcé  de  laisser  au  pape, 
aux  évêques,  aux  moines  et  aux  religieuses  le  contraste 
facial  du  calme  placide,  de  la  douceur  pieuse,  du  recueil- 
lement de  la  prière,  et  de  la  résignation  du  cœur.  Quelle 
dignité  dans  leurs  gestes,  dans  leurs  poses  et  jusque  dans 
la  marche  tranquille  que  leur  imprime  cet  ennemi  de  tous, 
que  seuls  ils  semblent  ne  pas  redouter!  C'était  là  une  élo- 
quente leçon,  mais  aussi  c'est  un  beau  modèle  pour  les 

•artistes  chrétiens Nous  ne  croyons  pas  qu'aucune  de 

nos  fameuses  expositions  annuelles  nous  ait  donné  depuis 
leur  retour  périodique  aucune  toile  qui ,  pour  le  senti- 
ment religieux,  vaille  ces  fresques  si  malheureusement  per- 
dues {\). 

Voilà  sans  contredit  l'esthétique  de  l'artiste.  Mais  ce 
n'est  encore  qu'une  portion  du  vaste  tableau.  Voyons  le 
reste. 

Non  loin  de  la  mère  des  vivants,  un  Docteur,  dans  une 
chaire,  fait  ressortir  à  l'intelligence  de  cette  foule  attentive 
la  justice  divine  et  le  sort  qui  attend  l'humanité.  Puis  la 
danse  s'ébranle  en  une  immense  ronde,  soit  qu'on  voulût 
rappeler  ainsi  certaines  maladies  convulsionnaires  de  ce 

(1)  \o\T  r Auvergne  et  le  Vélay,aihs,\i].  119,  120  et  121. 


CIMETIKRKS.  95 

temps,  causes  de  deuils  uonihreiiv  dans  les  i'amilles,  soit, 
comme  nous  le  croirions  plus  volontiers,  qu'on  prétendît 
symboliser  cette  fatalité  providentielle  qui  emporte  tout  si 
rapidement  en  une  sorte  de  tourbillon  irrésistible.  Quoiqu'il 
en  soit,  l'action  scénique  avait  besoin  d'interprètes,  et  les 
poètes  du  temps  se  cliargeaient  de  l'expliquer  aux  contem- 
porains et,  heureusement  aussi,  à  la  postérité,  pour  laquelle 
les  manuscrits  sont  plus  durables  que  la  peinture.  Des  car- 
touches épars  au-dessus  de  chaque  scène  en  faisaient  l'ap- 
plication morale  à  chaque  assistant,  à  toutes  ces  conditions 
sociales  qui  se  pressaient  sur  le  théâtre,  ou  autour  de  lui, 
pour  en  saisir  les  sérieuses  admonitions.  M.  Branche  nous 
a  copié  les  vers  suivants,  comme  texte  d'un  poème  de  la 
même  époque  :  ils  conviennent  très-bien  aux  fresques  de 
la  Chaise-Dieu,  et  ils  sont  le  résumé  de  toutes  les  autres. 

0  créature  raysonnable 
Qui  désires  vie  éternelle, 
Tu  as  cy  doctrine  notable 
Pour  bien  fixer  vie  mortelle. 
Cy  lalf'dnse  des  morts  t'appelle. 
Que  chascun  a  dancer  aprent; 
A  home,  à  fême  est  naturelle: 
Mort  n'épargne  petit  ne  grant. 

En  ce  miroer  chascun  peut  lire 
Qui  le  convient  ainsi  danser  : 
Saige  est  celui  qui  bien  s'i  mire  ; 
La  mort  le  vif  fait  avancer. 
Tu  veois  les  plus  grauts  commencer, 
Car  il  n'est  nul  que  mort  ne  fière  ; 
C'est  piteuse  chose  y  panser.... 

Jusque-là  nous  n'avons  vu  que  les  préliminaires  ;  mais 
voici  qu'un  mort  porte  une  bière  à  l'assistance  effrayée  : 
alors  la  danse  se  met  en  train.  Prières,  menaces,  rires, 
pleurs  s'exhalent  à  la  fois  de  toutes  parts  :  c'est  l'étrange  mu- 
sique de  cette  ronde  forcenée.  Les  cris,  les  plaintes,  la  ter- 
reur s'expriment  à  la  fois  dans  une  confusion  où  se  mêlent 
ton  les  les  appi'éhensions  de  chacun  sur  sa  vie  passée  ;  une 


96  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

confession  générale  sort  de  la  bouche  de  tous  ces  hommes, 
de  toutes  ces  femmes,  qui  exposent  ainsi  à  la  grande  famille 
l'examen  détaillé  des  fautes  possibles  dans  chaque  \ocation. 
Après  quoi  la  Mort  a  la  parole  :  elle  résume  tout,  elle  pro- 
nonce ses  arrêts ,  et  quand  le  sort  de  chacun  est  décidé, 
ehe  termine  par  une  tirade  poétique  : 

Rien  n'est  d'hôme,  qui  bien  y  panse, 
,  C'est  tout  vent,  chose  transitoire; 

Ghascun  le  veoit  par  ceste  dance  : 
Pour  ce,  vous  qui  voyez  l'histoire,  . 
Retenez-la  bien  en  mémoire... 
Le  panser  en  est  prouffitable  : 
Tel  est  huy  qui  mourra  demain... 

.  .  Mais  aucuns  sont  à  qui  n'en  chault. 
Comme  s'il  ne  fut  paradis 
Ne  enfer.  Las  !  ils  auront  chault  I 
.  .  .  Acquitez-vous  qui  cy  passez! 
Et  faictes  des  biens.  Plus  n'eu  diz  : 
Bienfait  vault  moult  aux  trépassez. 


Autre  variante      Gcttc  poéslc  cst  éncrgiquc  ct  élcvéc  ;  ces  peintures,  ces 

donnée      par     la  ,  ,    ,•  ,  1,1..  at 

Chronique  de  Nu-  represeutatious  sont  morales  et  reiigiefises.  Nous  avons  vu, 

V€}YlbBVQ , 

nous  verrons  encore  ce  qu'en  aura  fait  la  Renaissance^  en 
qui  l'esprit  du  protestantisme  souffla  l'abandon  de  toute 
dignité  surnaturelle.  En  attendant,  voici  un  abrégé  de  la 
danse  macabre,  que  nous  empruntons  à  la  Chronique  de 
Nuremberg.  Pendant  qu'un  mort  se  lève  à  peine  de  son  tom- 
beau, quatre  autres  ont  déjà  commencé  le  spectacle.  L'un 
d'eux,  encore  revêtu  de  son  suaire,  joue  de  la  flûte.  Les 
trois  autres  dansent  à  grande  force  de  contorsions.  De  ces 
trois,  deux  sont  de  purs  squelettes  ;  le  dernier  a  encore  sa 
chair  ;  un  long"  et  étroit  linceul  le  drape  fort  économique- 
ment de  la  tête  aux  pieds,  il  a  le  ventre  ouvert,  d'où 
s'échappent  ses  entrailles  en  méandres  horribles,  dont 
l'effet  n'est  comparable  qu'à  la  grimace  de  sa  tête  déchar- 
née. Au-dessous  de  l'image  sont  dix  vers  latins  qui,  pour 
apporter  leur  contre-partie  chrétienne  à  ce  qu'on  voit  ici 


CIMETIÈRES.  97 

de  répugnant  à  la  nature,  vantent  les  bienfaits  du  trépas, 
qui  remet  tout  à  sa  place  et  couronne  la  vie  vertueuse  des 
récompenses  qu'elle  a  su  conquérir. 

Morte  nihil  melius;  vita  nil  pejus  ioiqua. 
Optima  mors,  bominum  requies  œterna  laborum. 
Tu  seuile  jiiguui,  Domino  voleute^  relaxas  , 
Viuctorumque  graves  adimis  cervice  cateiias, 
Kxiliumque  levas,  et  carceris  ostia  frangis. 

Eripis  indignis,  justis  bona  partibus  œquans , 

Alque  immola  maues,  uulla  exorabilis  arte. 

A  primo  preeûxa  die,  tu  cuncta  quieto 

Ferre  jubés  animo,  promisso  fine  laborum. 

Te  sine  supplicium  vita  est,  carcerque  perennis  (i). 

Avant  d'en  finir  avec  ce  qui  regarde  la  mort  et  les  lieux     convenance  des 

^  '^  ^       monuments   lune- 

chrétiens  qu'elle  consacre,  ne  devons-nous  pas  nous  expri-  maires  dans   lea 

*  ^  églises , 

mer  sur  la  convenance  des  monuments  funéraires  dans 
nos  églises?  Le  symbolisme  a  perdu  beaucoup ,  puisque  la 
sculpture  est  un  de  ses  meilleurs  éléments,  à  voir  bannir 
de  nos  temples  les  sépultures,  qui  n'y  sont  plus  tolérées  : 
non  que  nous  voulussions  faire  de  cliaque  église  un  lieu 
profane ,  comme  le  Westminster  de  l'anglicanisme,  où  le 
musée  de  l'bérésie  remplace  le  tabernacle  des  temps  chré- 
tiens, où  tout  fatigue  les  yeux  sans  que  rien  parle  au  cœur. 
Nous  regrettons  surtout  ces  tombes  qui,  sans  encombre- 
ment, élevées  de  quelques  pieds  au-dessus  du  sol,  dans  un 


(1)  C'est-à-dire  :  «  Rien  de  meilleur  que  la  mort,  rien  de  pire  qu'une 
mauvaise  vie.  Chère  mort,  repos  éternel  des  travaux  de  l'humanité, 
c'est  toi  qui,  sur  un  ordre  divin,  délivres  le  vieillard  de  son  joug,  romps 
les  lourdes  chaînes  des  captifs,  termines  leur  exil  et  brises  les  portes  de 
leur  prison.  Tu  ravis  au  méchant  ses  biens  mal  acquis,  exerçant  une 
impartiale  répartition  envers  les  justes  :  ta  fermeté  inébranlable  ne  se 
laisse  séduire  par  aucune  prière.  Annoncée  à  l'homme  dès  son  premier 
jour,  tu  lui  enseignes  à  tout  souffrir  avec  patience,  en  lui  promettant 
la  fin  de  ses  maux.  Sans  toi  la  vie  ne  serait  qu'un  long  supplice  et  une 
interminable  captivité.  » 

Nous  doutons  que  Gicéron  ou  Sénèque  pussent  offrir  en  aussi  peu 
de  lignes  autant  de  hautes  pensées  et  d'aussi  philosophiques  consola- 
tions, et  que  qui  que  ce  soit  les  eussent  rendues  en  de  meilleurs  vers. 
T.  m.  7 


98  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

ciifeu  aux  arcades  sévèrement  ornementées,  laissaient  voir 

aux  vivants,  dans  une  belle  statue  couchée  les  mains  jointes, 

les  yeux  fermés,  les  traits  nobles  et  l'honorable  souvenir 

mal  comprise  de  des  bienfaiteurs  du  lieu  saint.  Nous  redemandons  ces  ex- 

l'art  moderne.  ,,.,,,    i  ^  i 

pressions  touchantes  de  la  piete  de  nos  pères,  plus  que  ces 
flatteuses  prétentions  de  nos  statuaires  nouveaux,  qui  con- 
fondent le  grandiose  de  la  pensée  avec  les  dimensions  d'un 
monument,  et  qui  croient  avoir-  tout  fait  quand  ils  garnis- 
sent une  éghse  d'une  scène  massive  en  l'iionneur  du  maré- 
chal de  Saxe,  comme  à  Saint-Thomas  de  Strasbourg,  ou 
d'une  autre  dont  le  dessin  et  le  plan  vont  juqu'au  ridicule, 
sous  prétexte  d'immortaliser  M^^'  Affre  ,  à  Notre-Dame  de 
Paris  {{).  Ceci  est  digne  tout  au  plus  de  ce  pauvre  cimetière 
du  Père-Lachaise ,  où  les  morts,  entassés  pele-mele,  sans 
distinction  de  juifs  ou  de  chrétiens,  de  luthériens  ou  de 
musulmans,  semblent  n'avoir  plus  au  service  de  leurs 
espérances  que  des  pierres  qui  s'usent  chaque  jour,  qu'un 
i)ronze  plus  ou  moins  solide,  le  tout  accompagné  de  poses 
dramatiques  et  superbes,  que  rehaussent  des  inscriptions 

(1)  Sans  doute  le  monument  de  Pigalle  est  un  beau  travail  et  se  re- 
commande surtout  par  l'harmonie  et  la  noblesse  du  plan;  mais  à  le 
considérer  dans  ses  détails,  quoi  de  plus  froid  et  de  plus  faux  à  la  fois 
que  cette  banale  personnification  du  temps  empêchant  la  mort  d'up- 
procher  d'un  héros  qu'elle  a  déjà  vaincu?  quoi  de  plus  commun  que  ce 
lion  qui  pleure?  et  que  dire  de  ce  luthérien  sybarite  qui  ne  lève  les 
yeux  au  ciel  qu'après  son  trépas?— Quanta  l'œuvre  de  M.  Debay,c'est  du 
paganisme  s'il  en  fût,  c'est  du  marbre  sans  vie  et  sans  idée,  où  la  croix 
n'arrive  qu'à  la  cachette,  pour  ainsi  dire,  et  ne  surmonte  même  j  as  le 
cippe  gréco-égyptien,  qui  manque  autant  de  caractère  monumental  que 
de  dignité  chrétienne.  La  pose  forcée  de  la  statue ,  dont  la  draperie 
affectée  augmente  la  lourdeur,  n'est  même  pas  rachetée  par  la  ressem- 
blance de  sa  figure.  Le  bas-relief  n'a  qu'un  mouvement  vulgaire, 
comme  son  expression  générale,  et  la  distribution  des  personnages  y 
est  mal  calculée ,  isolant  beaucoup  trop  du  prélat  les  ecclésiastiques, 
dont  il  ne  devait  pas  être  séparé.  Pour  le  symbolisme,  M,  Debay  ne 
s'est  pas  douté  qu'il  existât.  Il  le  fallait  bien  pour  imposer  ces  formes 
grecques  à  une  cathédrale  gothique  !  De  sorte  qu'après  avoir  examiné 
ce  triste  ensemble  que  les  camarades  ont  cru  louer  en  le  qualifiant 
sobre  de  détails,  on  se  trouve  aussi  touché  que  devant  un  autel  de  Ju- 
piter ou  un  peulven  druidique... 


CIMKTIKTÎKS.  90 

françaises,  dont  trop  souvent  le  nom  de  Dieu  même  est 
exilé.  0  art  moderne,  tu  ne  symbolises  que  trop  une  époque 
d'orgueil  aveugle  et  de  scepticisme  mesquin! 
Avouons  (fue  là  encore  la  vie  est  dans  le  catholicisme,      contraste ae  ce 

style  païen    avec 

A  travers  tous  les  siècles,  sa  doctrine,  toujours  la  même,  l'importance    et 

•^  '     l'honneur  que  l'E- 

resplendit   au  milieu    des   ténèbres    de  l'esprit   humain,  giisc  donne  à  «o* 

•  >  Il         •  1  cimetières. 

Elle  explique  tout,  elle  sanctifie  tout,  elle  tient  l  homme 
élevé  sans  cesse  au  glorieux  niveau  de  sa  nature  régénérée 
et  de  sa  divine  vocation.  N'en  jugeons  que  par  ses  pensées 
à  l'égard  du  cimetière  chrétien.  A  l'instar  même  de  ses 
églises,  elle  le  consacre  (I),  et,  comme  pour  celles-ci,  elle  ne 
man([ue  pas  d'inviter  ses  enfants,  témoins  de  ces  planta- 
tions de  croix,  de  ces  encensements,  de  ces  aspersions  et 
de  ces  lumières  répandus  sur  la  terre  de  leur  repos,  à  goû- 
ter le  sens  de  sa  helle  et  touchante  liturgie  :  «  0  Dieu  qui     Beiie  litur-ie  de 

A.i  ,     .  1  .  ■  «T  „.■  leur  bénédiction. 

êtes  le  créateur  de  cet  univers,  et  qui  disposez  parfaitement 
(le  toutes  vos  créatures,  nous  vous  supplions  humblement, 
et  dans  toute  la  pureté  de  noîre  cœur,  de  purifier,  de  bénir 
et  de  sanctifier  ce  lieu  destiné,  après  la  fin  de  cette  vie,  à 
réunir  dans  un  repos  commun  les  corps  de  vos  serviteurs  et 
de  vos  servantes...  Donnez  la  consolation  éternelle  à  ceux 
qui  attendent  la  trompette  de  votre  premier  Archange... 
Vous  qui  avez  béni  la  terre  achetée  aux  enfants  d'Hébron 
par  Abraham  pour  sa  sépulture,  et  accordé  à  Israël  la  terre 
de  promission  pour  en  faire  son  héritage,  soyez  le  gardien 
de  tous  ceux  dont  les  corps  viendront  chercher  ici  un  lieu 
de  repos...  Vous  qui  êtes  le  Pasteur  éternellement  glorieux, 
lumière  et  honneur  de  toute  sagesse;  protecteur  inébran- 
lable de  toute  prudence,  salut  des  infirmes,  santé  des  forts, 
consolation  des  affligés,  vie  des  justes,  gloire  des  humbles, 
daignez  purifier  de  toute  souillure  et  des  embûches  des  es- 
prits immondes  ce  lieu  où  dormiront  les  corps  de  vos  fidèles; 


(1)  «  Hanc  terram...  ad  usum  sepultura?  consecrare  digneris.  »  [Oral, 
in  Pont  if.  Rom.) 


^00  HISTOIRE  DU  SYMBOLISME. 

que  tous  ceux  qui  auront  eu  part  au  saint  Baptême  et  per- 
sévéré jusqu'à  la  fin  dans  la  foi  catholique  reçoivent ,  quand 
ils  y  seront  éveillés  par  les  trompettes  de  vos  Anges,  le  gage 
du  bonheur  éternel  promis  à  leurs  âmes  et  à  leurs  corps... 
Ce  corps,  Seigneur  Jésus-Christ,  vous  l'avez  formé  de  la 
terre  pour  réparer  la  perte  des  anges  révoltés  ;  vous  l'avez 
pris  vous-même  pour  notre  Rédemption  ;  vous  le  réduisez 
en  poussière  par  une  condition  de  sa  chair  périssable,  et 
vous  le  relèverez  de  cette  terre  pour  ne  plus  mourir.  Bénis- 
sez-la donc,  cette  terre,  et  accordez-nous  d'y  dormir  dans 
ces  saintes  espérances,  puisqu'elle  a  été  achetée  de  votre 
Sang.  N'est-ce  pas  vous  qui  êtes  notre  jour  sans  fin,  la 
splendeur  indéfectible,  l'éternelle  clarté?  C'est  vous  qui 
avez  recommandé  à  qui  veut  vous  suivre  de  marcher  dans 
la  lumière,  d'éviter  ainsi  les  ténèbres  de  la  nuit  sans  bornes, 
et  d'arriver  heureusement  à  la  lumineuse  patrie.  Votre 
humanité  a  pleuré  Lazare,  votre  divinité  l'a  rappelé  à  la 
vie,  comme  elle  a  ressuscité  le  genre  humain,  accablé  des 
quatre  coins  du  monde  sous  l'énorme  poids  de  ses  péchés. 
Faites  donc,  ô  Vie  véritable  et  éternelle,  que  tous  ceux  qui 
seront  ensevelis  dans  cette  enceinte  consacrée  se  sentent, 
au  son  de  la  trompette  de  vos  Anges,  délivrés  des  liens  de 
leurs  fautes,  et  que,  rendus  à  l'éternelle  félicité,  admis  dans 
l'assemblée  de  vos  Saints,  ils  y  célèbrent  à  jamais  avec  eux 
les  louanges  qui  vous  sont  dues  comme  à  Fauteur  de  la 
vie  {\)\  » 

Comme  tout  cela  parle  au  cœur  et  à  l'esprit  !  Il  manque 
un  sens  à  qui  n'y  sent  pas  le  souffle  de  Dieu. 

(1)  Pontificale  romanum,  De  cœmeterii  Benedictione,  passîm. 


CHAPITHE  m. 

EXTÉRIEUR  DE  L'ÉGLISE  CHRÉTIENNE. 


De  quelque  distance  qu'on  aperçoive  une  église,  et  sur-      L'Égiis©  chré- 
tienne «.toutes  les 
tout  si  on  la  considère  à  vol  d'oiseau  ,  rien  de  plus  facile  à  marques  spéciales 

d'un  édifice   con- 

l'observateur  instruit  que  d'y  reconnaître  un  ensemble  sacré  à  Dieu, 
d'idées  toutes  surnaturelles  et  dignes  de  la  maison  du  Sei- 
gneur. Le  Dieu  caché  au  fond  du  sanctuaire  s'y  révèle  ,  y 
parle ,  et  de  si  loin  s'attire  déjà  l'adoration  des  hommes. 
Un  premier  fait  à  remarquer,  indépendamment  des  raisons 
qui  ont  pu,  à  travers  les  siècles,  en  modifier  l'évidence 
sensible ,  c'est  le  point  relativement  élevé  choisi  pour  y 
établir  les  fondements  du  saint  édifice.  Si  l'on  tient  compte 
des  surexhaussements  accidentels  ou  calculés  qu'a  subis 
autour  de  lui  le  terrain  qui  le  supporte ,  on  verra  bientôt 
que  les  abords  n'ont  pu  être  changés  que  par  des  révolu- 
tions successives  et  des  bouleversements  dont  la  cause  est 
plus  ou  moins  appréciable ,  mais  fort  souvent  historique. 
Soit  qu'on  aborde  l'éghse  par  une  nombreuse  suite  de 
degrés,  soit  qu'on  n'en  franchisse  le  seuil  que  par  des 
marches  intérieures ,  destinées  à  corriger  les  inégalités  du 
sol ,  on  se  persuade ,  à  l'examen  des  piHers,  dont  les  bases 
n'ont  pas  toujours  la  même  hauteur  au-dessus  du  pavé , 
que  le  niveau  a  dû  céder  plus  d'une  fois  à  des  remanie- 
ments. Les  terres  rapportées  ,  l'adjonction  des  cimetières , 
les  constructions  qui  sont  venues  se  grouper  plus  tard 
autour  des  murs  sacrés,  sont  autant  de  causes  qu'il  ne  faut 
pas  oublier  quand  on  veut  bien  juger  de  la  question. 


^02  HISTOIRE    DU  SYMBOLISME. 

par  l'élévation  du      ^out  d'abord,  donc,  c'est  l'éminence  relative  du  plateau  de 

Kol    qui    la    sup- 
porte, l'église  qui  frappe  les  regards.  Presque  partout  on  constate 

ce  fait,  qui  n'a  pu  être  négligé  que  par  quelques  raisons 
locales  et  exceptionnelles.  On  s'est  appliqué  parfois  à  ce 
symbolisme ,  jusqu'à  créer  en  sa  faveur ,  pour  une  église 
à  construire ,  une  butte  de  terre  rapportée ,  comme  on  le 
voit  au  village  de  Souain ,  en  Champagne  {]).  C'est  que 
l'église  chrétienne  est  si  bien  la  continuation  morale  du 
temple  de  Jérusalem  posé  sur  la  montagne  de  Sion  (2) , 
qu'en  s'y  dirigeant  le  chrétien  s'élève  dès  lors  vers  le  Ciel; 
que  de  là  sa  pensée  et  son  cœur  doivent  planer  au-dessus 
de  tous  les  intérêts  de  ce  monde  et  quitter  tout  contact  vo- 
lontaire de  son  esprit  avec  les  intérêts  matériels  d'une  terre 
dont  il  doit  se  détacher  (3).  Ce  soin  symbolique  de  s'établir 
bien  haut  garde,  d'ailleurs,  le  saint  lieu  contre  le  bruit 
extérieur,  contre  les  eaux,  les  boues  et  les  autres  inimon- 


(1)  Voir  Bullet.  m.onum.,  XVII,  576, 

(2)  «  Levavi  oculos  meos  in  montes  unde  veniet  auxilium  mihi.  » 
(Pu.,  cxx,  1).  — Si  les  montagnes  sont,  par  leur  hauteur,  le  symbole 
de  Vorgueil,  de  Vamhition,  et  de  la  dureté  du  ("œîrr  par  les  rochers 
qu  elles  renferment^  elles  ont  aussi,  par  la  bonne  direction  que  l'âme 
peut  donner  à  sa  fermeté  et  au  sentiment  de  sa  dignité  religieuse ,  uue 
signification  favorable  que  les  commentateurs  ont  savamment  déve- 
loppée. L'auteur,  entre  autres,  des  Disiinclions  monasliques  (liv.  111, 
ch.  cLxxvi),  y  trouve  l'image  de  Jésus-Christ,  des  Anges,  de  la  sainteté  , 
de  la  vie  religieuse,  de  r^.7/t'ie,  de  l'éminence  des  vertus.  Certaines 
montagnes  souvent  nommées  dans  l'Écri  ure  ont  aussi  leur  enseigne- 
ment spécial  :  la  monlogne  de  Sion, ce  sont  les  Elus;  des  Olives,  c'est 
la  miséricorde;  du  Liban,  la  chasteté;  du  Cnrmel,  la  tempérance  ;  du 
Thabcr,  la  glorification  ;  VOreb  ,  c'est  l'abstinence  ;  Gelboé  est  le  séjour 
des  démons.  On  comprend  tout  de  suite  ces  allégories,  si  l'on  se  re- 
porte aux  passages  scripturaires  où  ces  divers  lieux  sont  rattachés  à 
des  événements  historiques.  (Voir  S.  Melitonis  Clavis ,  De  Mundo, 
cap.  XV.) 

(3)  Voir  à  cet  égard  les  instructions  de  S.  Charles  déjà  citées  (Ffl- 
bricx  ecclesiaslicsd  instruction. ,  lib.  I,  cap.  i)  :  «  Cautio  item  sit , 
ut  situs  ejus  modi  quaeratur,  ubi  ecclesia  exœdificari  queat,  insulee 
instar.  »  —  Il  y  a  beaucoup  d'exemples  de  cette  situation,  comme  on 
peut  le  voir  en  particulier  dans  le  Bullet.  monum,,  t.  XVII,  p.  .*i70 , 
571,  576  etsuiv.,  etXX,  305, 


EXTÉRIEUR    DE    L  ÉGLISE   CHRÉTIENNE.  i03 

dices  nui  s'y  écoulent  plus  facilement.  Autour  de  lui,  tout  «^  sa  séparation 

1  «^  1  '  norinalo    des    au- 

devient  plus  digne  de  lui,  et  cet  isolement,  d'ailleurs,  dont  très  habitations. 
on  ne  doit  plus  faire  une  question,  puisqu'elle  a  toujours 
été  résolue  à  son  avanlage  ,  cette  séparation  de  toute  habi- 
tation humaine  à  l'égard  de  la  demeure  sacrée  témoigne 
d'une  bien  plus  haute  vénération  pour  celui  qui  daigne  y 
habiter  avec  nous  (I).  Quelque  distinction  qu'on   puisse 
objecter  sur  ce  point  entre  les  églises  séculières  et  celles 
des  monastères ,  et  tout  en  avouant  que  celles-ci ,   aussi 
bien  que  les  cathédrales,  quand  les  Chapitres  vivaient  en 
commun  avec  les    Kvèques,  avaient   des  motifs  irrécu- 
sables d'attenance  a\ec   les   cloîtres  ou  autres  lieux  où 
se  passait  la  vie  commune  ;  tout  en  reconnaissant  que  ces 
conditions  n'avaient  rien  qui  blessât  le  respect  dû  au  sanc- 
tuaire devenu    comme  une  portion  même  de  la  grande 
maison  ;  sans  oublier  endn  que  les  prescriptions  de  plusieurs 
conciles  éloignaient  des  murs  sacrés  toute  appartenance 
extérieure,  qui  devait  en  être  séparés  par  quelque  espace  (2), 
nous   reconnaîtrons  de  combien  de  malheurs  on  se  fût 
affranchi  maintes  fois,  combien  d'incendies  eussent  épargné 
la  maison  de  piières,  si  le  feu  dévorant  les  bâtiments  ad- 
jacents avait  trouvé  un  vide  infranchissable  entre  eux  et 
la  plus  sainte  partie  d'eux-mêmes.  Quand  des  constructions 
en  bois  s'attachaient  à  des  églises,  où  le  bois  est  absolument 


(1)  Nous  avous  vu  des  églises  auxquelles  s'étaient  accolées  en  cer- 
taines villes  des  échoppes  plus  ou  moins  considérables  que  l'adminis- 
tration municipale  non  plus  que  les  fabriques  n'y  devraient  jamais 
permettre.  Ces  voisins  ,  par  trop  entreprenants  ,  creusaient  des  caves 
au  détriment  des  fondements  de  l'église;  ils  se  procuraient  des  pla- 
cards en  démolissant  l'épaisseur  des  murs  ou  des  contreforts;  ils  bou- 
chaient des  fenêtres  du  monument  et  quelquefois  en  perçaient  sur 
une  tribune  intérieure.  On  ne  saurait  trop  s'élever  contre  ces  excès, 
qui  ne  sont  pas  moins  un  scandale  qu'un  abus  d'un  prétendu  droit 
de  propriété. — Voir  nos  Inslrur lions  de  la  Commission  archéologique 
diocésaine  de  Poitiers,  p.  9o,  et  le  Trailé  d'i  la  réparation  des  églises, 
de  AI.  R.  Bordeaux,  ch.  iv  (Bullet.  monum. ,  XVII,  p.  537). 

(2)  GonciL  Carlh.,  IV,  can.  xiv. 


\0/t  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

nécessaire ,  ne  fût-ce  que  pour  la  charpente ,  il  était  diffi- 
cile d'échapper  à  ces  funestes  accidents.  Et  combien  d'au- 
tres raisons  combattent  encore  ce  mauvais  système  d'ad- 
jonction !  Nous  en  avons  parlé  ailleurs,  et  ne  nous  arrêterons 
^  pas  davantage  ici  sur  une  question  qui  n'en  peut  plus  être 
une  (1). 
Les  églises  de      gj  ^ant  dc  couvenauces  portaient  à  bâtir  les  églises  sur 

Samt-Michel    ba-  ^  ... 

ties  de  préférence  (jes  poluts  culmlnauts,  il  V  avait  une  autre  cause  qui  faisait 

sur  des  hauteurs.  ^  '        <i  x 

rechercher  surtout  cette  position  pour  celles  qu'on  voulait 
dédier  à  S.  Michel  ou  à  d'autres  Anges.  On  sait  le  combat 
de  cet  Archange  et  de  la  milice  céleste  contre  les  anges  ré- 
voltés ,  et  l'opposition  qu'il  continue  de  leur  faire  dans  leurs 
tentatives  contre  l'innocence  de  l'homme  (2) .  Nous  avons 
vu  dans  l'Apocalypse  (xii ,  9)  ce  grand  guerrier  de  Dieu 
terrasser  le  dragon  après  un  grand  combat  célébré  par  le 
prophète  de  Pathmos.  Le  démon  vaincu  n'a  pas  cessé  de 
vouloir  le  mal  ;  il  s'attache  de  préférence ,  et  par  un  reste 
de  ses  instincts  orgueilleux  autant  que  par  ses  regrets  du 
Ciel ,  aux  lieux  élevés  ,  aux  espaces  aériens ,  ce  qui  le  fait 
nommer  par  S.  Paul  «  le  prince  de  l'atmosphère,  »  de  cet 
air  ambiant  dont  il  se  sert  comme  d'un  véhicule  pour  ses 
mauvaises  inspirations  et  ses  doctrines  perfides  (3)  :  c'est 
donc  là,  dans  ces  régions  supérieures  dont  l'Archange  a 
dépossédé  l'ennemi  de  Dieu  et  le  nôtre,  qu'il  fallait  placer 
les  églises  dédiées  à  cet  invincible  défenseur.  Un  autre 
motif  a  pu  se  trouver  en  certains  endroits  dans  les  sou- 
venirs mythologiques  de  Mercure ,  qui ,  en  qualité  de  m£s- 
sager  des  dieux,  et  pourvu  d'ailes  comme  on  en  a  donné 


(1)  Voir  nos  Instructions  de  la  Commission  archéologique  diocé- 
saine de  Poitiers,  in-S»,  Poitiers^  1851. 

(2)  «  Princeps  regni  Persarum  restititmihi.,.,  et  ecce  Michael,  unus 
de  principibus  primis,  veûit  in  adjutorium  meum.  »  [Dan.,  x,  13.) 

(3)  «...  Peccatis  vestris,  in  quibus  aliquando  ambulastis, secundum... 
principem  potestati?  aeris  hiijus.  »  (Ephes.,iï,  2.)  —  Voir  S.  Hilaire 
sur  ce  passage  ,  Spicileg,  Solesm. ,  [ ,  107. 


EXTERIEUR    DE   L  EGLISE   CHRÉTIENNE.  105 

aux  Anges,  dont  le  nom  signifie  envoyé,  avait  ses  temples  sur 
les  hauteurs  {\).  L'église  de  Saint-Michel-Mont-Mercure, 
en  Vendée;  celle  du  Mont-Saint-Michel,  en  Normandie,  • 

attestent  encore  la  consécration  de  ce  principe,  et  montrent 
comment  le  catholicisme  a  su  ramener  les  populations  au 
culte  de  la  vérité  en  les  purifiant  de  leurs  fausses  croyances 
dans  le  centre  même  des  plus  grossières  superstitions. 
La  forme  de  croix  n'est  pas  moins  sensible  à  l'œil  de      ^a  'orme  de 

croix     et   fi66  Tft~ 

l'observateur  dans  le  plan  général  que  nous  examinons,  riétés.' 
Deux  grandes  ailes,  prolongeant  le  transsept  au  delà  des  li- 
mites latérales  tracées  par  les  murs  ,  donnent ,  en  effet ,  à 
l'édifice ,  qu'ils  coupent  par  deux  moitiés  égales  dans  les 
églises  grecques  ,  ou  au  tiers  supérieur  de  sa  hauteur  dans 
celles  des  architectes  latins ,  une  ressemblance  frappante 
avec  l'instrument  sacré  du  salut  des  hommes.  C'est  dès  la 
première  constitution  de  la  grande  société  chrétienne  que 
nous  voyons  cette  forme  placée  au  nombre  des  prescriptions 
liturgiques  :  elle  figura  le  plan  envoyé,  au  quatrième  siècle, 
par  Eudoxie,  femme  de  l'empereur  Théodose  II,  ài'évêque 
de  Gaza,  S.  Porphyre  ,  qui  lui  avait  demandé  de  faire  cons- 
truire une  église  pour  sa  ville  épiscopalc  sur  les  ruines  d'un 
temple  des  faux  dieux  (2).  S.  Grégoire  de  Tours  nous  parle 

(1)  Il  est  aisé  de  voir  dans  ce  Mercure  une  défiguration  de  l'idée 
primitive  des  Anges,  dont  le  nom  même  et  les  fonctions  de  messager 
(à-j'-^-iXc;)  ont  été  attribués  à  celui  qui  est  venu,  dans  la  raison  humaine 
abaissée  par  les  passions  grossières  ,  les  remplacer  aux  yeux  des  géné- 
rations détournées  des  enseignements  divins.— Mais,  à  cette  confusion 
de  la  matière  et  du  spiritualisme,  les  hommes  semblaient  avoir  tou- 
jours soin  de  mêler  encore  des  caractères  inséparables  de  l'erreur  :  ce 
demi-Dieu  qui  faisait  les  plus  détestables  commissions  et  se  rendait 
l'intermédiaire  des  plus  sales  intrigues  de  la  Cour  céleste ,  était  en 
même  temps,  nous  l'avons  déjà  observé,  le  protecteur  du  commerce... 
et  des  voleurs!  Le  symbolisme  n'est  pas  moins  frappant  en  cela  qu'en 
bien  d'autres  choses;  et  quand  nous  serons  complètement  revenus  au 
paganisme,  si  les  espérances  de  certains  sages  *se  réalisent,  le  dieu 
ancien  n'aura  pas  besoin  de  revendiquer  sa  place,  que  no»  mœurs 
modernes  lui  ont  gardée  soigneusement  à  la  Bourse  et  dans  les  boutiques. 

(2)  «  Erat  intra  litteras  descripta  forma  ecclesise  in  figurain  crucis..., 
ut  convenieuter  dictae  figurée  sancta  conderetur  ecclesia.  Laelatus  est 


106  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

de  la  cathédrale  de  Glermont ,  bâtie  à  la  lin  du  cinquième 
siècle  selon  cette  même  prescription  (^),  puisée,  au  reste, 
dans  les  traditions  apostoliques.  Nous  comprendrons  mieux, 
dans  l'intérieur  du  vaisseau ,  le  sens  profond  de  cette  dis- 
position mystique  ;  toujours  est-il  que ,  dès  à  présent ,  nous 
en  constatons  l'apparence  ,  et ,  si  elle  n'est  pas  également 
sensible  dans  tous  les  monuments,  s'il  y  a  même  un  grand 
nombre  d'entre  eux  qui  consistent  dans  une  simple  nef, 
longue  et  étroite ,  sans  aucune  indication  d'un  retrait  au 
sud  et  au  nord  (2) ,  on  ne  rencontre  guère  ces  rares  ex- 
ceptions que  dans  les  églises  qui  précédèrent  les  neuvième 
et  dixième  siècles.  Après  cette  époque,  la  renaissance  ar- 
chitecturale ,  qui  multiplie  les  signes  mystiques  au  service 
du  culte ,  reprend  généralement  toutes  ses  traditions  et 
n'en  rejette  aucune.  Les  lignes  cruciales  ne  s'effacent  plus 
sous  aucun  prétexte  ;  elles  se  dessinent  partout  entre  la 
nef  et  le  sanctuaire  ,  quelquefois  encore  à  peine  exprimé 
par  un  retrait  d'une  profondeur  très-peu  considérable; 
mais  c'est  le  point  de  départ  de  ce  progrès ,  qui  bientôt ,  le 
onzième  siècle  ari'ivant ,  se  développe  jusqu'à  une  figure 
parfaitement  accusée,  et  devient  le  type  indispensable  d'un 
monument  catholique.  Ce  type  le  distingue  de  toute  construc- 
tion séculière  ;  il  l'élève  par  une  dignité  propre  au-dessus 
de  tous  les  bâtiments  profanes,  et,  si  l'impiété  des  mauvais 
jours  le  souille  et  le  méconnaît ,  cette  croix  ,  incompatible 
avec  ces  déplorables  souillures,  restera  toujours  un  reproche 
aux  suppôts  de  l'esprit  du  mal  (3). 

autein  S.  Porphyrius  ciim...  vidisset  formam  descriptam  :  sciebat 
enim  hoc  qiioque  factum  fuisse  ex  divina  revelatione.  »  (Bollaiid.  in 
Vila  S.  Porphyr.,  xxvi  februar.)—  Ces  derniers  mots  indiquent  bien 
quelle  importance  on  attachait  dès  lors  à  ce  symbole.  —  S.  Porphyre 
mourut  en  420. 

(1)  S.  Gregorii  Turon.  Hùtoria  Francorum ,  lib.  II,  cap.  xvi. 

(2)  «  Les  premiers  architectes  de  nos  églises  avaient  emprunté  aux 
plus  anciennes  de  Rome  leur  plan  basilical,  modifié  ensuite  en  croix 
latine  par  le  symbolisme  reHgieux.  »  (L'abbé  Jouve  :  Notice  sur  la 
catliédr.  de  Valence,  Bullei.  monum.,  XIV,  559.) 

(3)  Il  n'y  a  pas  d'archéologues  à  qui  cette  forme,  pour  peu  qu'ils 


EXTÉRIEUR   DE   LÉGLISE   CHRÉTIENNE.  107 

Vous  rencontrez  cependant  çà  et  là,  et  à  peu  près  dans  ^■^f^l^^^l^^^"''"''' 
toutes  les  régions  de  l'Occident,  des  églises  circulaires,  dont 
le  dessin  a  été  presque  toujours  conçu  en  souvenir  du 
Saint-Sépulcre  de  Jérusalem,  Ceci  était  remarquable  dans 
notre  magnifique  et  regrettable  abbatiale  de  Gbarroux,  si 
célèbre  par  ses  reliques  du  Sauveur,  dont  elle  portait  le 
vocable;  dans  celle  de  Sainte-Croix  de  Quimperlé,  dans  la 
cbapelle  sépulcrale  des  Augustins  de  Montmorillon,  et  dans 
plusieurs  autres  bâties  par  les  Templiers  à  Metz ,  à  Reims 
près  Carcassonne,  à  Cambridge,  à  Nortliampton  et  au  Saint- 
Sépulcre  de  Londres  {]).  Aussi  ces  monuments  ne  datent- 
ils  pas  d'avant  le  douzième  siècle ,  et  plusieurs  sont  du 
treizième,  et  se  sont  renouvelés  en  certain  nombre  à  l'épo- 
que des  croisades.  C'est  l'opinion  de  M.  de  Caumont  et 


s'en  aperçoivent  dans  un  inonuinent ,  ne  doive  révéler  son  origine 
chrétienne,  en  dépit  des  fausses  attributions  qu'ont  pu  lui  donner  des 
traditions  erronées.  Avec  un  peu  d'observation  et  de  connaissance  de 
l'esthétique  religieuse,  ou  n'aurait  pas  cru  et  répété  si  longtemps  que 
l'église  Saint-Laurent  de  Grenoble  était  un  temple  d'Esciii'qie,  ni  l'église 
Saint-Jean  de  Poitiers  le  tombeau  de  Claudia  Varenilla. 

Le  serpent  d'Adam  et  d'Eve  ressemblait  à  celui  du  fils  d'Apollon  et  de 
Coronistout  autant  que  l'inscription  latine  de  la  dame  romaine  prou- 
vait, unefois  transportée  dans  une  enceinte  catholique,  la  destination 
païenne  qu'on  s'efforçait  de  prêter  à  celle-ci. —"V  oir  encore  Biill.monuin ., 
XX,  210,  et  la  Di  -sertation  de  M.  Schweighauser  sur  l'église  de  Saint- 
Matthias  de  Cobern  (près  Coblentz),  même  ouvrage ,  t.  IX  ,  p.  1 17. 

(1)  Voir  notre  Histoire  de  l'abbaye  et  des  reliques  de  Charroux.  — 
M.  de  Lamonneraye,  de  l'Institut  des  provinces,  a  très-bien  conjecturé 
que  l'abbatiale  de  Charroux  avait  reçu  la  forme  circulaire  de  son  chœur 
des  traditions  de  la  Palestine,  et  ses  observations  ne  s'y  appliquent  pas 
moins  justement  qu'à  celles  des  autres  églises  sur  lesquelles  il  avait 
des  renseignements  précis  et  qu'il  cite  dans  son  excellent  Essai  sur 
l  histoire  de  l'architecture  en  Bretagne.  (Voir  Bulletin  monuin. , 
t.  XV,  p.  531.)  —  Sauf  erreur,  il  nous  semble  que  Sicardi,  qui  était 
Italien,  a  le  premier  signalé,  au  commencement  du  treizième  siècle, 
la  l'orme  ronde  comme  une  signification  de  l'expansion  de  l'Église  dans 
l'univers,  et  comme  un  encouragement  pour  nous  à  tendre  du  cercle  de 
ce  monde  à  celui  de  la  couronne  éternelle.  QuiV  fiunt  inmodum  circuli, 
Eccksiam  dilataiam  p(-r  circtilum.  orhis  Hfjnifîrant:  unde  :  In  fines 
orbis  terrse  verba  eorum  (ps.  xviii);  vel  quod  de  circulo  orbis  pervc- 
niamus  ad  circulum  corons  œlernilatis.  (Mitrale,  lilj.  I ,  cap.iv.) 


^08  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

d'architectes  distingués  (i  ) .  L'Italie  en  a  plus  que  nous ,  et 
presque  toujours  ce  sont  d'anciens  temples  païens,  donnés  au 
Christianisme  vers  le  temps  de  Constantin,  et  dont  les  idoles 
chassées  furent  remplacées  par  la  Croix.  Le  baptistère  de 
Florence,  ceux  de  Saint-Jean  de  Latran,  de  Sainte-Constance 
et  de  Sa,mt-ÈiiQnne-le-Rond  à  Rome,  sont  de  ces  conquêtes 
dont  on  s'empara  d'autant  plus  volontiers  qu'elles  repré- 
sentèrent fort  bien  l'image  de  cet  univers  (orbis),  à  qui  le 
baptême  devait  être  annoncé  comme  la  bonne  nouvelle  de 
ce  monde  (2).  S.  Augustin  interprète  par  le  monde  cette 
roue  dont  parle  le  Psalmiste  :  Vox  tonitrui  tui  in  rota  (3). 
Le  plan  octo-       Unc  autrc  raison  fit  établir  des  plans  octogones,  comme 

gont ,  et  sa  signi- 

fication mystique,  aux  baptistèrcs  dc  la  métropole  à  Ravenne,  à  Sainte-Marie  in 
Cosmedin  et  à  Saint-Vital  de  la  même  ville,  et  ailleurs.  Cette 
raison  a  échappé  à  M.  de  Lassaulx,  habile  architecte  prus- 
sien, qui  attribue  simplement  l'existence  de  ces  églises  au 
désir  qu'on  eut  d'abord  de  conserver  ou  d'imiter  plus  tard, 
comme  plus  commodes  pour  placer  la  foule,  les  petits  tem- 
ples romains  qu'on  destinait  au  nouveau  culte  (4).  Pour  qui 
s'est  occupé  du  symbolisme  des  nombres,  il  est  facile 
d'arriver  à  une  explication  plus  élevée.  On  sait  ce  que  nous 
Le  nombre  Awi«  en  avous  dit,  l'ou  pcut  y  recourir  (5).  Qu'il  nous  suffise 

(1)  M.  de  Caumont,  Histoire  sommaire  de  V architecture  au  moyen 
âge,  p.  96  et  suiv.—  Bullet.  monum.,  IV,  460,  et  VII,  305. 

(2)  \oiT  Notes  surles  monuments  de  quelques  villes  d'Italie, i)3LTM.'Re- 
iiouvier,  in-S",  1841.— Voir  aussi  VBistoire  de  Vart  de  M.  Schnaase, 
et  particulièrement  ce  chapitre  dans  les  Annales  archéologiques^  t.  XII, 

p. 320. 

(.3)  «  Euntes  in  mundum  universum ,  praedicate  Evangelium  omni 
creaturae.  »  {Marc,  xvi,  15.)  — Le  monde  est  symbolisé  par  un  cercle 
ou  une  roue  :  Rota,  orbis,  dit  S.  Eucher  {Formulai  minores,  n®  288), — 
et  S.  Augustin  :  «  Vox  sacrée  doctrinse  quœ  terribiliter  sonat...  in  toto 
mundo,  quia  in  omnem  terram  exivit  sonus  Apostolorum.  »  (S.  Aug., 
opp.  t.  IV,  p.  981,  éd.  Bened.) 

(4)  Voir  Ballet,  monum.,  IX,  118.— Montfaucon,  dont  l'époque  était 
fort  peu  archéologique,  prenait  l'octogone  de  Montmorillon  pour  un 
temple  de  druides ,  et  y  trouvait  à  honorer  les  huit  dieux  de  leur 
mythologie  !  {Anliq.  expliq.,  préf.  du  Supplém.  I^'- vol.,  et  t.  II,  p.  223.) 

(5)  Voir  ci-dessus,  t.  i,  ch.  vi. 


EXTÉRIEUR  DE   l' ÉGLISE  CHRÉTIENNE.  -109 

ici  de  rappeler  le  soin  qu'a  toujours  mis  l'Édise  à  célé])rer  est  encore  appii- 

i  ^  i  J  o  quo      à     d'autres 

pendant  une  octave  ses  principales  solennités.  C'était  monuments. 
comme  une  prolongation  de  la  joie  sainte  que  suscitait  la 
pensée  de  l'Éternité,  et  dès  le  temps  du  concile  de  Nicée 
(en  325),  un  auteur  inconnu  dont  un  court  traité  sur  les 
têtes  hébraïques  a  été  retrouvé  par  le  cardinal  Pitra,  faisait 
observer  ([ue  par  la  grâce  des  sept  dons  du  Saint-Esprit 
nous  arrivons  à  mériter  les  huit  béatitudes (I).  Le  regret- 
table P.  Martin,  à  qui  la*  théologie  ne  manqua  pas  plus  que 
le  sens  archéologique,  a  parfaitement  compris  ce  symbo- 
lisme, avant  même  que  ce  fragment  ne  nous  fût  connu. 
Décrivant  le  dôme  d'Aix-la-Chapelle,  élevé  parCharlemagne, 
il  en  signale  le  plan  comme  un  octogone  inscrit  dans  un  po- 
lygone de  seize  cotés  (2).  Cet  octogone  semble  avoir  servi  de 
point  de  départ  à  toute  l'ornementation  dont  les  détails 
variés  se  reproduisent  par  huit,  tels  que  les  chapelles  circu- 
laires, fermées  chacune  par  un  chancel  paré  de  mosaïques 
contemporaines  de  l'œuvre.  La  grande  couronne  de  lumiè- 
res, donnée  par  Frédéric  Barberousse  pour  être  suspendue 
sur  la  châsse,  forme  dans  ses  quatre  mètres  de  diamètre 
une  rose  a  huit  lobes,  dont  les  angles  rentrants  et  les  parties 
saillantes  sont  armés  de  petits  édifices  romans  renfermant 
autrefois  huit  statuettes  d'argent  qui  ont  disparu;  au  des- 
sous, liuit  plaques  de  cuivre  représentant  en  ciselures  les 
huit  béatitudes,  et  huit  des  mystères  de  la  vie  du  Sauveur. 

(1)  «  Ab  omni  opère  malo  quieti  par  septiformis  Ppiritus  gratiam  in  * 
octavae  Beatitudinis  numéros  pervenire  mereamur.  »  (Anonymus,  De 
Solemnitaiibus,  Sabbatis  el Neomeniis;  ap.  Spicileg.  Solesm.,i.l,p.  12.) 

(2)  Ces  seize  côtés,  que  n'explique  pas  ce  savant  antiquaire,  n'en 
avaient  pas  moins  aussi  leur  signification  mystérieuse.  Snze  est  un 
nombre  sacré;  il  indique,  en  multipliant  4  par  4,  la  propagation  de3 
quatre  Évangiles  aux  quatre  points  du  monde.  Si  on  le  compose  autre- 
ment de  six  ajouté  à  dix,  il  symbolise  la  Loi  parfaite,  car  toutes  les 
œuvres  du  Seigneur  se  sont  accomplies  en  six  jours  et  étaient  parfai- 
tement bonnes,  valde  bona,  et  l'usage  de  toutes  créatures  a  été  réglé 
par  le  Décalogue.  Tout  ceci  est  de  S.  Augustin,  dans  son  commentaire 
Dt  Qcncn  ad  lit  If  ravi. 


>HÔ  MlSTOIftE   DU   SYMBOLISME. 

((  Des  vers  gravés  sur  les  huit  lobes  de  la  rose  indiquent 
qu'en  faisant  suspendre  cette  couronne  au-dessus  du  tom- 
beau de  Charlemagne,  la  pensée  de  l'empereur  Frédéric  II 
et  de  Béatrice,  son  épouse,  était  de  rendre  l'image  de  la 
béatitude  du  Ciel  (i).  )>  Un  fait  de  cette  importance  établit 
suffisamment  l'intention  des  édifices  à  huit  pans.  C'est 
probablement  dans  le  même  but  symbolique  qu'on  trouve 
un  assez  grand  nombre  d'églises  des  onzième  et  douzième 
siècles  dont  l'abside  est  ainsi  coupée. 
Églises  hexago-       Sojcz  assuré  qu'à  Saint-Matthieu  de  Gobern,  l'hexagone 

nés,  et  mysticisme  .  ,        . 

du  nombre  s*ap.  a  aussi  pour  priucipc,  comuic  dans  un  certain  nombre 
d'autres  églises  de  cette  forme,  un  sens  arithmétique  dont 
le  mystère  nous  est  bien  connu.  Là  se  manifeste  encore  une 
consécration  des  six  jours  du  grand  œuvre  de  Dieu.  Ce 
nombre  six  est  devenu,  par  cela  même,  un  symbole  de  per- 
fection et  présidait,  pour  ainsi  dire,  à  l'existence  du  monde 
resté  intact  avant  le  péché.  Quand  cette  règle  est  violée  par 
la  désobéissance  du  premier  homme,  un  autre  nombre  six 
r  se  retrouve  dans  la  réparation  qu'en  a  faite  le  Fils  de  Dieu  : 
c'est  à  la  sixième  heure  du  jour,  selon  la  méthode  ancienne 
de  le  diviser,  que  le  Sauveur  commença  le  Sacrifice  qui 
effaçait  les  péchés  du  monde  (2).  Nous  avons  vu  beaucoup 
d'absides  qui,  au  douzième  siècle,  l'époque  hiératique  par 
.  excellence,  ont  pris  la  forme  triangulaire,  ce  qui  amenait 
naturellement  au  fond  du  sanctuaire  une  triple  ouverture 
presque  toujours  d'é-gales  dimensions,,  pour  rappeler  les 
trois  personnes  divines  et  leur  parfaite  égalité  entre  elles  : 
Très  sunt  qui  testimonium  dant  in  cœlo  {\  Joan.,  v,  7). — 
Nous  reviendrons  sur  ce  symbole  en  examinant  l'intérieur 
de  l'église. 

(1)  Voir  une  très-intéressante  description  de  ce  beau  meuble  et  leâ 
magnifiques  planches  qui  l'accompagnent  dans  les  Mélanges  d'archéo- 
logie des  PP.  Cahier  et  Martin,  t.  III,  p.  1  et  suîy., —  ou  l'abrégé  de  ce 
mémoire,  Bullei.  monum.,  t.  X,  p.  224. 

(2)  Voir  S.  Ambroise,  Commentar.  in  Luc,  lib.  V,  cap.  v. 


EXTÉRIEUR   DE  l'ÉGMSE  CHRÉTIENNE.  ^H 

D*après  le  plan  général  ainsi  reconnu  pour  avoir  son     Fomiem»nts. 

r  1  o  r  Première  pierre. 

langage,  se  sont  posés  les  rondements  qui  figurent,  iné- 
branlables et  fixes ,  la  foi  cbrétiennc,  adliérant  sans  aucune 
hésitation  ni  faiblesse  aux  dogmes  de  la  doctrine  aposto- 
li([ue  (I).  L'église  nionuinentale  s'y  appuie,  comme  TÉglise 
morale,  sur  le  Christel  les  Apôtres,  seuls  et  uniques  fonde- 
ments possi])les  de  funité  et  de  la  vérité  (2).  C'est  donc  sur 
cette  base  solide  dont  la  première  pierre,  nous  l'avons  dit 
tout  d'abord ,  a  été  bénite ,  incisée  du  signe  de  la  Croix  , 
et  posée  dans  un  des  angles  des  premières  assises  de  l'en- 
ceinte, pour  y  tenir  la  place  de  Jésus-Christ  lui-même,  que 
tout  fédifice  devra  s'élever;  car  Jésus-Christ ,  c'est  la  pierre 
angulaire^  fondement  immuable  des  choses  divines  ici-bas, 
leui"  commencement  et  leur  (in,  principe^  accroissement  et 
consommation  de  toute  œuvre  louable  (3).  On  voit,  d'après 


(1)  La  foi  repose  aussi,  comme  les  fondements,  sur  des  vérités 
cachées,  dit  Durant  de  Mende  :  Fides  quœ  est  de  re  non  visa.  {Hationale, 
lib.  1;  mihi,  p.  4.) 

(2)  «  Fundauieulum  aliud  nemo  potest  ponere  prœter  id  quod  posi- 
tum  est  (1  Cor.,  m,  H).— Estis  cives  Sanctorum,  superaedifîcati  super 
fundamentum  Apostolorum.  »  {Ephes.,  n,  19.) —  Et  enfin  notre  pensée 
à  cet  égard  est  toute  dans  celte  autre  parole  du  même  Apôtre  :  «  Ut 
sapiens  architectus,  per  gratiam  quae  data  est  mihi  fundamentum  in 
ea  pono.))(l  Cor.,  m,  10.)  — Tous  les  Pères  adoptent  cette  explicatiou_,  et, 
comme  toujours,  ils  donnent  à  ce  symbolisme  favorable  (qui  cache  sous 
ses  traits  matériels  Jésus-Christ,  la  foi,  les  Apôtres,  et  même  les  prédi- 
cateurs qui  leur  succèdent  et  continuent  leur  tâche)  son  opposition 
morale  dans  les  ruissances  ambitieuses  de  l'orgueil  humain,  dans  les 
délectations  terrestres j({u\  n'aspirent  qu'aux  choses  basses,  tout  en  dis- 
simulant leur  origine.  {Spicileg.  Solesm.,  m,  187.) — 11  est  bien  clair  que 
ce  n'est  aucun  des  sens  pris  en  mauvaise  part  qui  doivent  s'appliquer 
au  sujet  qui  nous  occupe;  c'est  bien  plutôt  de  cette  maison  de  désordres 
et  de  passions  mauvaises  des  âmes  infidèles  et  réprouvées  qu'il  est  dit: 
«  Orientur  in  domibus  eorum  spinaî  et  urticœ,  et  replebunlur  domus 
eorum  draconibus.  »  (Is.,  xiii,  21.) 

(3)  «  Domine  Jesu  Christe  qui  es  lapis  angularis  de  monte  sine  ma- 
nibus  abscissus,  etimmutabile  fundamentum,  et  Tu  qui  es  principium 

et  finis sis,  quaesumus,  principium  et  iiicrementura  et  consummatio 

ipsius  operis  quod  débet  ad  laudem  et  gloriaiii  tui  nominis  inchoari.  » 
(Pontificale  roman. ,  pars  II,  De  Benedict.  primarii  Japidis;  mihiy  p. 288.) 
—  lingues  de  Saint-Victor,  moins  connu,  mais  (out  aussi  explicite,  dit 


\\2  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

cette  importance  des  fondements,  et  par  les  mystères  qu'ils 
expriment,  combien  fut  motivée  la  loi  déjà  si  ancienne  qui 
conservait  à  toute  église  reconstruite  ses  fondements  pri- 
mitifs et  son  premier  emplacement  (1).  C'est  donc  un  grand 
tort,  de  la  part  de  ceux  que  l'Église  charge  de  maintenir  ses 
prescriptions  et  leur  esprit,  que  de  négliger  une  règle  aussi 
sérieuse.  Ces  murs  cachés,  étant  eux-mêmes  un  symbole 
sacré,  ne  doivent  pas  être  abandonnés  légèrement  à  l'oubli 
et  à  la  démolition. 
Murailles,  Maintenant,  les  murs  n'ont  plus  qu'à  se  construire.  Quels 

mystères  encore!  Ce  vaste  appareil,  ^ans  son  ensemble, 
c'est  l'humanité  prise  par  le  Verbe  apparaissant  à  la  terre 
et,  par  le  seul  aspect  de  sa  Personne  et  de  sa  mission,  inspi- 
rant l'admiration  de  l'esprit  et  le  respect  de  l'âme  qui  le 
voit,  à  travers  ces  masses  épaisses ,  humilié  mais  tout-puis- 
sant dans  le  martyre  de  l'autel.  Que  si  nous  considérons  les 

aussi  :  «  In  spiritaali  templo  structura  parietum  est  processus  yirtu- 
tum.  »  {De  Clausi7'o  oniinx,  lib.  III,  cap.  xix,  opp.  t.  II,  col.  1122.)—  On 
voit  que  la  place  même  à  donner  à  cette  première  pierre  ne  peut  être 
qu'un  angle  des  fondements,  et  non  pas  toute  autre  qui  ferait  mentir  le 
texte  de  la  Loi.  Nous  avons  plusieurs  exemples  d'églises  où  l'on  n'a 
pas  craint,  par  un  arbitraire  inexplicable,  de  poser  cette  pierre  angu- 
laire soit  à  la  base  extérieure  et  visible  d'une  colonne,  soit  sous 
l'autel  majeur,  où  chacun  peut  encore  en  lire  l'inscription.  C'est  là  un 
abus  que  l'autorité  diocésaine  ne  peut  tolérer,  puisqu'il  va  à  dénaturer 
le  sens  d'une  cérémonie  dont  le  caractère  antique  est  tout  dans  la 
pierre  angulaire,  qui  est  le  Christ.  Sicardi,  Durant  et  tous  les  litur- 
gistes  sont  unanimes  sur  ce  point,  qui  vaut  bien  la  peine  qu'on  le  res- 
pecte. Pour  ne  citer  que  le  premier  :  «  Pontifex,  cruce  impressa,  lapidem 
m  fundamento  ponat,  juxta  illud  :  Super  hanc  Petram  aedificabo  Eccle- 
siam  meam  »  (Matth.,  xvi).— 11  est  clair  aussi  que,  puisqu'on  commence 
l'église  par  le  chevet,  la  première  pierre  doit  se  placer  à  l'angle  sud-est, 
sans  quoi  elle  ne  serait  pas  la  première  ni  angulaire.  Écoutons  encore 
Adam  de  Saint-Victor  chantant  au  douzième  siècle  dan»  une  séquence 
pascale  : 

Lapis  iste  nunc  elcctus 
In  tropheeum  état  orectus 
Et  in  caput  anguli. 

—  Cf.  D.  Guéranger,  Temps  pascal,  ii,  136. 

(1)  Voir  Eusèbe,  Histor.  eccles.,  lib.  X,  cap.  m;— notre  Hist.  de  la 
cathédrale  de  Poitiers,  t.  F,  ch.  i,— -et  un  fait  analogue  dans  le  Bulletin 
monumental,  t.  I,  p.  208. 


EXTÉRIEUR    DE  l'ÉGLISE  CHRÉTIENNE.  ^^3 

quatre  côtés  Ibrmant  un  parallélogramme  de  dimensions 
plus  ou  moins  inégales,  les  murs  deviennent  l'emblème  des 
quatre  vertus  cardinales,  basées  sur  la  foi,  et  non  moins  sur 
la  cbarité  du  Fils  de  Dieu  ;  elles  enveloppent  la  vie  spiri- 
tuelle d'un  quadruple  rempart  qui  la  rend  inaccessible  aux 
attaques  des  mauvaises  passions;  ou  bien  on  peut  y  voir, 
avec  un  des  plus  anciens  commentateurs  du  poète  Prudence, 
les  quatre  Évan^élistes,  fondements  véritables  et  principaux 
appuis  de  cet  édilice,  qui  ne  s'est  construit  que  comme  une 
consé(iuence  de  leurs  enseignements  (Ij. 

Mais  les  murs  se  composent  de  pierres,  et  celles-ci,  réu-  «tieurappareu. 
nies  de  tant  de  carrières  différentes  ouvertes  en  tant  de 
lieux  divers,  expriment  les  gentils  appelés  des  quatre  points 
du  monde  vers  Jésus-Christ,  et  en  même  temps  les  fidèles 
prédestinés  à  la  vie  et  prenant  leur  place  dans  cette  con- 
struction de  l'Église  universelle,  qui  se  continuera  jusqu'à  la 
lin  du  monde.  Hugues  de  Saint-Victor  y  voit  la  double  per- 
sonnalité des  clers  et  des  laïques,  dont  la  réunion  constitue 
la  société  chrétienne,  et  qui  se  tiennent  à  la  droite  et  à  la 
gauche  du  Christ,  dont  le  corps  est  figuré  par  la  longueur 
du  vaisseau  sacré  (2).  Dans  les  grands  édifices  du  moyen 
âge,  on  dispose  d'abord  de  beaux  parements  taillés  et  polis 
au  centre  desquels  se  jette  une  masse  compacte  de  pierres 
brutes  et  plus  petites  :  ce  sont,  avec  les  maîtres  de  la  doc- 
trine participant  au  travail  commun  et  soutenant  la  vie 
sociale  par  l'enseignement  de  la  vérité,  les  âmes  moins 


(1)  «  Per  quatuor  igitur  frontes  non  inconvenienter  quatuor  Evange- 
listas  intelligere  possumus,  x^raisidio  quorum  nisi  hœc  domus  fulciatur, 
procul  dubio  sui  ruinam  patitur.  »  (S.  Prudentii,  Trecensis  episcopi, 
Traclalus  super  œdificiuub  Prudentii.)—  Ce  Saint  fut  évêque  de  Troyes 
de  846  à  861,  et  fit  un  Commentaire  sur  la  description  qu'avait  faite 
d'une  église  le  poète  Prudence,  son  homonyme  du  quatrième  siècle. — 
Cf.  Spicileg.  Solcsm.,  III,  421,  où  se  trouve  ce  fragment  poétique  avec 
une  explication  du  saint  prélat  qui  n'est  pas  moins  solide  qu'ingénieuse. 

(2j  0pp.  t.  Il,  col.  417  :  «  De  duobus  parietihus  Fxclesiœ,  clericis  et 
laïcis,  quasi  duo  latera  corporis  unius.  » 

T.  m.  8 


lu  ce. 


UA  HISTOIRE   DL    SYMBOLISME. 

fortes,  qui  ont  besoin  d'appui  et  le  reçoivent  toujours  du 
zèle  dévoué  de  l'Église.  Mais,  à  quelque  degré  d'utilité  ou 
d'édification  que  ces  pierres  mystérieuses  soient  appliquées, 
elles  ne  seraient  rien  sans  la  cliarité  qui  doit  les  unir,  et 
cette  cliarité  est  le  ciment  qui  relie  entre  elles  tant  de  parties 
naturellement  séparées  (1). 

Les  contreforts.  L'égllsc  matérielle  étant  l'image  de  l'âme  chrétienne,  ses 
contreforts  que  nous  voyons  s'élever  le  long  des  murs  jus- 
qu'à l'entablement ,  et  les  soutenir  contre  la  pesée  des 
voûtes  ou  les  ébranlements  accidentels,  rendent  bien  l'es- 
pérance qui  nous  élève  vers  le  ciel  et  la  force  morale  qui 
nous  soutient  contre  les  tentations  de  la  vie.  Des  litur- 
gistes  y  ont  vu  aussi  «  les  puissances  temporelles  appelées 
à  protéger  le  pouvoir  spirituel  de  leur  épée  et  de  leur  in- 
lluence  (2).  » 

La  nef  et  sa  (oi-  Et  k  ucf  elle-môme,  ce  vaste  espace  allongé  qui  paraît 
unique,  lors  môme  qu'à  l'intérieur  il  est  accompagné  de 
nefs  secondaires,  parce'  qu'une  seule  toiture  ordinairement 
recouvre  le  tout,  cette  nef  n'a-t-elle  pas  la  forme  générale 
d'un  vaisseau,  comme  son  nom  l'exprime,  et  ne  reproduit- 
elle  pas  sur  la  mer  de  ce  monde  l'arche  salutaire  où  la 
famille  des  hommes  évita  le  déluge  sous  la  protection  de 
Noé  (3)  ?  Il  n'y  a  pas  jusqu'à  la  toiture  qui  ne  nous  figure 
par  sa  hauteur  la  sublimité  de  la  contemplation,  et  ne  nous 
engage  à  y  demeurer  avec  Dieu  en  dehors  des  affaires  du 
monde ,  comme  le  prophète  se  comparait  au  passereau 
demeurant  solitaire  sur  le  toit  qu'il  s'est  choisi  (4) .  C'est  pour- 


(1)  Cf.  Durant,  Ration,  divin.  Offlc,  lib.  I,  De  Ecclesia  et  ejus  par- 
tibus;  inihi,î^  3;— M.  l'abbé  God-àrd-^fiint-JeSin, Essaisur le  symbolisme 
architectural,  dans  le  Ballet,  monum.,  t.  XIII,  p.  408.— C'est  S.  Paul 
qui  a  dit  (1  Cor.,  xiii^  2)  :  Charitatem  si  non  hahuero,  nihil  sum. 

(2)  L'abbé  Ricard  ^  Résumé  du  sijmbolisme  architectural ,  dans  la 
Revue  de  Vart  chrétien,  1. 111,  p.  61;  et  tous  les  symbolistes. 

(3)  Voir  l'opuscule  de  Hugues  de  Saint-Victor^/^e  Arca  Noe  mystica, 
opp.  pars  II,  col.  681  (Migne). 

(4)  «  iSicut  passer  solitarius  in  tecto.  »  (Ps.,  ci,  8.) 


EXTÉRIFA'R    DE    l/ÉGLISE   CHRÉTIENNE.  M 5 

(Iiloi  S.  Mélitoii,  et  après  lui  l'Anonyme  anglais  du  douzième 
siècle,  nous  l'épètent  cette  parole  du  Sauveur  :  «  Que  celui 
qui  est  sur  le  toit  de  sa  maison  n'en  descende  pas,  quand 
viendra  le  jugement  dernier,  pour  y  rien  prendre,»  la 
pensée  de  Dieu  devenant  alors  la  seule  vraiment  digne 
d'attention  (I).  On  en  a  fait  aussi  le  symbole  de  la  charité, 
qui  couvre  la  multitude  des  péchés,  car  c'est  dans  cet  inté- 
rieur, protégé  contre  les  intempéries  du  monde  visible,  que 
le  cœur  ,  après  s'être  régénéré  dans  l'onde  baptismale , 
vient  se  puritier  encore  dans  celle  de  la  réconciliation,  et 
jeter  sur  ses  fautes  un  voile  que  nul  ne  déchirera  jamais  (2). 
C'est  là  que  le  manteau  de  l'Église  met  ses  enfants  à  l'abri 
de  la  vengeance  céleste.  Il  y  a  plus:  les  tuiles  mêmes  ou  les 
ardoises  qui  recouvrent  la  charpente  et  la  gardent  contre 
les  pluies  ,  la  grêle  et  les  autres  inconvénients  de  l'at- 
mosphère, sont  regardées  comme  autant  de  soldats  pré- 
posés à  défendre  l'Église  contre  les  païens,  les  hérétiques  et 
ses  autres  ennemis  (3j. 
Bien  au-dessus  de  ce  tout  si  éloquent,  s'élèvent,  dans  leur     i^es  tours  et  les 

.  clochors. 

élancement  aérien,  les  tours  romanes,  les  flèches  gothiques, 
dont  les  formes  ajoutent  à  l'auguste  majesté  et  à  la  gra- 
cieuse beauté  de  l'édifice.  D'abord,  c'est  du  centre  et  d'au- 
dessus  du  transsept  qu'elles  semblent  porter  à  Dieu  l'hom- 
mage de  la  prière  universelle ,  et  comme  cette  portion  de 


(1)  «  Tectum,  iDtentio  cœlestis  operationis  (S.  Melit.  Clavis,  cap.  xi, 
n»  xvi).  —  Tectum  sublimitas  est  contemplatiouis;  uncieistud  :  Qui  in 
tecto  est  non  descendat  tollere  de  domo  sua  quidquara  (Malth.,  xxiv, 
17);  quia  qui  in  otio  est  vitse  contemplative,  nuUius  terreni  commodi 
causa  descendere  débet  ad  laborem  vitœ  activas.  »  (Distinct,  inoîiasl., 
lib.  V,  De  Tecto.) 

(2)  «  Tectum  ,  charitas  ,  quae  operit  multitudinem  peccatorum.  » 
(Durant.  Mimât.,  ubi  suprà.)  —  Voir  encore,  pour  le  résumé  de  tous 
ces  aperçus  ra[tides  mais  sûrs,  Beautés  du  culte  catliolique3^a,v  M.  l'abbé 
Raffray,  1. 1,  p.  123. 

(3)  «  Tegulae  tecti  quae  imbrem  a  domo  pellunt,  sunt  milites  qui 
Ecclesiam  a  paganis  et  al»  ho^libus  protegunt.  »  (Dur.  Mimât.;  mihi, 
Huhrica  i.) 


JiH)  HISTOIRE   UU   SYMBOLISMK. 

l'église,  qui  représente  par  son  plan  cruciforme  le  Sauveur 
crucifié,  correspond  à  la  poitrine  de  Tauguste  V'^ictime,  on 
voit  tout  de  suite  l'analogie  qui  s'est  présentée  aux  symbo- 
listes quand  ils  ont  fait  du  clocher  et  des  cloches  elles- 
mêmes  le  symbole  des  prédicateurs,  dont  les  voix,  écho  de  la 
Voix  divine,  expression  des  enseignements  du  Cœur  divin, 
ont  épanché  de  si  haut  sur  le  monde  la  grande  pensée  de  la 
foi  intime  et  de  la  piété  en  action.  N'est-ce  pas  aussi  la  vigi- 
lance pastorale  qui  se  révèle  au  monde  par  cette  élévation 
des  tours  et  des  flèches  dominant  les  villes  et  les  campa- 
gnes, portant  le  signe  de  la  croix  qui  les  surmonte  aussi 
loin  que  le  regard  peut  le  saluer,  et  rappelant  aux  âmes  que 
les  pasteurs  veillent  pour  elles  dans  leur  solhcitude  active 
et  dans  la  prière  de  leur  cœur?  La  parole  sacrée  est  donc 
naturellement  figurée  aussi  par  ces  élégantes  portions  du 
saint  monument,  car  elle  protège  et  défend  comme  une 
tour  fortifiée  ;  elle  proclame  sur  les  toits  les  vérités  annon- 
cées d'abord  à  un  petit  nombre,  et  dont  le  silence  laisserait 
retomber  le  monde  dans  la  nuit  de  l'erreur  et  les  incerti- 
tudes de  la  philosophie  païenne  (^l)  ;  enfin,  on  a  voulu  en- 
core ,  par  ces  appendices  si  magnifiques  et  si  dignes  d'at- 
tention, indiquer  l'Église  même,  qui  remplit  toutes  ces  fonc- 
tions près  de  nous,  et  la  S^e  Vierge,  qu'on  voit  toujours  dans 
les  allégories  où  l'Éghse  est  engagée  avec  le  même  caractère 
et  les  mêmes  attributs  (2). 

(1)  «Turres  ecclesiee  praedicatores  suntet  praelati,  qui  sunt  muDiraen 
et  defensio  ejus.  Uûde  Sponsus  ad  Sponsam  in  canticis  amoris  sic  lo- 
quitur  :  Gollumtuum  sicut  turris  David  cum  propugnaculis.»  (Durant,, 
Ration.;  mihi,  f»  m.)— Pierre  de  Capoue  a  développé  tout  cela  fort  net- 
tement, ad.  litler.  xix,  art.  101. 

(2)  «  Turris,  Virgo  Maria,  vel  Ecclesia  :  Et  tu  sicut  turris  gregis  per- 
feeti,  nebulosa  fiiia  Siou  {Mich.,  iv,  8).  Quidam  autem  hanc  turrim  Vir- 
ginem  Mariam  intelligunt.  »  (S.  Meliton.  Clavis,  De  Givitate,  cap.  xi, 
no  5.)  —  Et  le  même  Pierre  de  Capoue  :  «  Turris  illa  cœlestis,  id  est 
Virgo  Maria,  construcla  est  ex  lapidibus  etiam  politis,  id  est  sanctis 
personis  quaeponantur  ingenealogia  ipsius...  A  Deoerecta  est  hsec  tur- 
ris, et  ascendit  in  altum,  ut  in  utero  suo  susciperet  Unigenitum  Dei 
Yerbum  manens  in  sinu  Patris.  »  (Petr.  Gap.,  ubi  suprà.) 


EXTÉRIEUR   DE   l/ÉGLISE  CHRÉTIENNE.  ^^7 

Au   point  culminant,    voyez    encore,  s'élevant  même    ylZ.^^"^-' '"'■^''1' 

r  '  j  '  diverses  signinca- 

au-dessus  de  la  croix  (I),  dont  son  chant  semble  annon-  tio^s- 
cer  le  triomphe  ,  l'oiseau,  que  ,  dès  le  cinquième  siècle, 
S.  Eucher  ,  et  après  lui  tant  d'autres  autorités  avouées, 
citait    dans  ses  Formules  au    nombre   des    symboles  de 
la   surveillance  zélée  ,  de  la  prédication  pastorale  et  de 

(i)  Cette  place  au-dessus  de  la  croix  fut,  en  1859,  le  sujet  d'une  polé- 
mique eutre  M.  Joseph  Bard,  de  Lyon,  qui,  pour  être  archéologue,  n'en 
traitait  pas  moins  de  travers  beaucoup  de  questions  liturgiques  em- 
brassées par  lui  sans  une  instruction  suffisante  ,  et  tous  les  journaux, 
de  quelque  opinion  qu'ils  fussent  en  politique,  se  rangèrent  contre  lui 
d'une  voix  unanime.  Mgr  Crosuier,  vicaire  général  de  Nevers,  le  réfuta 
victorieusement  dans  un  mémoire  où  la  vivacité  du  style  n'ôte  rien  à 
la  solidité  des  raisons,  et  dans  lequel,  tout  en  =.'appuyant  sur  les  textes 
originaux  des  Docteurs  dont  s'autorisent  les  symbolistes  modernes,  il 
cite  tour  à  tour  S.  Ambroise,  S.  Grégoire  le  Grand,  le  V.  Bède,  Hono- 
rius  d'Autun,  S.  Bouaventure,  Durant ,  Altiati,  Aringhi;  puis  il  venge, 
contre  les  appréciations  plus  que  hasardées  de  M.  Bard,  le  célèbre 
évêque  de  Jlende,  qui,  suivant  sa  bonne  habitude  ,  explique  pourquoi 
le  coq  doit  surmonter  la  croix  :«  Vjrga  ferrea  in  qua  gallts  sedet, 
rectum  représentai  pr.vrticanli's  sermonem  vl  non  l  quatur  ex  spi- 
rilu  hominis,  sed  Uei,juxla  illud  :  Si  quis  loquitur,  quasi  sermones 
Dei.  Quod  vero  virga  est  supra  crucem  sea  summitatem  ecvlesix  po- 
sita, innuit  sermonem  S'ripturarum  consummalum.  esMe  et  confirma- 
tum;  unde  Domiaus  in  passione  :  Consummatum  est.  »  {Ration.;  mihi, 
f"  III.)  — Il  suffit  évidemment  de  ce  passage  pour  établir  solidement 
qu'au  treizième  siècle  on  faisait  ainsi  et  l'on  raisonnait  l'usage  préféré; 
et,  s'il  n'y  a  pas  de  loi  positive  imposant  aux  architectes  cette  place  à 
donner  au  coq,  on  voit  qu'il  y  a  des  raisons  valables  pour  ne  pas  la 
lui  ôter,  et,  qui  plus  est,  beaucoup  d'exemples,  comme  nous  en  avons 
remarqué  en  beaucoup  de  lieux,  en  Normandie,  en  Poitou  et  ailleurs. 
Ce  qui  est  indubitable,  c'est  que  le  coq  en  lui-même  a  été  prescrit 
au  sommet  des  clochers  par  des  statuts  diocésains  et  des  canons  des 
conciles.  Le  Pastoral  de  Ghâlon-sur-Saône  (IV"  part.,  tit,  m,  ch.  xxii) 
le  recommande  absolument;  S.  Charles  Borromée  le  veut  aussi  dans  ses 
Instructions  (liv.  II,  ch.  xxvi)  prescrites  à  tout  son  clergé;  il  est  vrai 
qu'en  requérant  en  cela  l'observance  du  mystère  symbolique,  ut  mys- 
terii  ratio  pnslulat,  il  n'exige  pas  que  le  coq  domine  la  croix  ;  il 
suppose  môme,  d'après  plus  ou  moins  d'exemples  de  son  pays,  ou  peut- 
^tre  parce  qu'il  n'avait  pas  eu  occasion  de  se  préoccuper  du  contraire, 
que  la  croix  doit  être  appuyée  sur  le  coq  :  mais  ce  fait  ne  peut  infir- 
mer notre  argumentation  en  général.  On  aura  plaisir,  du  reste,  à  étu- 
dier cette  intéressante  question  dans  les  mémoires  déjà  cités,  auxquels 
il  faut  ajouter,  comme  étant  l'un  des  plus  concluants,  celui  du  savant 
vicaire  général  de  Nevers^  Dullel.  inonum.,  X\,  577. 


us  HISTOIRE  DU    SYMBOLISME. 

l'apostolat  évangélique,  de  Texcitation  matinale  à  sortir 
d'un  sommeil,  image  de  la  mort,  «  revêtu  de  sa  parure 
d'or  ,  résistant  à  tous  les  souffles  du  vent,  qu'il  brave  sans 
défaillance  ;  plus  rapproché  du  ciel  qu'aucune  des  parties 
du  saint  édifice,  caché  môme  souvent  dans  les  nuages  qui 
s'abaissent  jusqu'au-dessous  de  lui.  Cette  admirable  créa- 
ture de  Dieu  est  l'intelligente  figure  de  ce  prêtre  qui  pré  • 
side  au  soin  de  la  paroisse  et  se  pose  en  sentinelle  contre 
les  irruptions  plus  ou  moins  prochaines  du  mal  ;  elle  rap- 
pelle également  au  troupeau  qu'il  faut  songer  aux  choses 
du  ciel,  aimer  la  conversation  des  Anges  et  secouer  toutes 
les  atteintes  des  paroles  qui  offenseraient  le  Seigneur  (1).  » 


(1)  Tous  nos  amis  du  moyen  âge,  S.  Eucher,  Pierre  de  Capoue,  Ra- 
ban-Maiir^  S.  Grégoire,  Pierre  le  Chantre,  l'Anonyme  anglais  et  celui 
de  Clairvaux,  enfin  S.  Eucher  et  Honorius  d'Autun,  nous  ont  laissé 
d'admirables  commentaires  sur  la  valeur  symbolique  de  cette  «  admi- 
rable créature  de  Dieu  ,  »  dont  le  rôle  ,  contesté  par  quelques  archéo- 
logues moins  éclairés ,  a  été  savamment  défendu  par  d'autres  mieux 
inspirés  et  plus  instruits.  C'est  pour  les  premiers  que  semblait  écrire 
l'auteur  inconnu  d'un  poème  trouvé  dans  un  manuscrit  de  la  cathé- 
drale d'OErhingen.  On  croit  ce  manuscrit  des  premières  années  du 
quinzième  siècle,  mais  nous  croyons  personnellement  le  poème  plus 
ancien  par  sa  facture  et  la  tournure  générale  de  sa  versification.  Nous 
empruntons  ce  fragment  à  l'excellent  livre  de  M.  Bordeaux,  que  nous 
avons  déjà  loué  plusieurs  fois  {Principes  (Varchéologie  pratique , 
part.  II,  ch.  m)  : 

Multi  sunt  presbyterî  qui  ignorant  quare 
Super  domum  Domini  gallus  solet  stare  ; 
Quod  propono  breviter  vobis  explanare 
Si  vultis  benevolas  aures  mihi  dare . 

Gallus  est  mirabilis  Dei  creatura, 
Et  rara  presbyteri  illius  est  figura 
Qui  prœest  parochiae  animarum  cura, 
Stans  pro  suis  subditis  contra  uocitura. 

Supra  ecclesiam  positus  gallus  contra  ventum  , 
Caput  diligentius  erlgit  extentum  ; 
Sic  sacerdos  ubi  scit  dœmonis  adventum, 
Illuc  se  objiciat  pro  grege  bidentuui. 

Gallus  inter  caetera  altilia  cœlorum 
Audit  super  sethera  concentum  Angelorum  ; 
Tune  monet  nos  cxcutere  verba  malorum, 
Gustare  et  percipere  arcana  supernorum. 

Voir  encore  Spicileg.  Solesm.,  II,  488;  —  Bullet.  monument.,  t.  XI, 
p.  158, 162, 199  ;XiII,358  ;  XIV,  216,  290,  500,  et  beaucoup  d'autres  mé- 


EXTÉRIKIK    l)i:    l'K(;LISE   CHKÉTIENNK.  M 9 

On  sait  romhion  la  place  assignée  aux  clochors  avarié     ,.î''«»™';^  •»"'/' 

*  c?  pliees     des     clo- 

pendant  les  phases  diverses  du  moyen  âge.  A  de  légers  cam-  chers; 
paniers  figurant  une  ou  deux  arcades,  quelquefois  trois 
dont  une  superposée  aux  autres,  et  assez  économiquement 
ornementées  de  quelque  colonnes  passablement  simples,  on 
voit  succéder  en  plus  grand  nombre,  au  onzième  siècle,  ces 
loui's  carré(^s  ou  pol\ gones  qu'une  raison  mystique  dressa 
au-dessus  de  la  croisée  de  l'église  (d);  on  les  vit  bien  aussi, 
en  c(»  temps,  se  poser  au-dessus  de  l'entrée,  où  leur  base 
forma  un  porche  ou  nartex,et  remplaça  l'antique  parvis  pour 
les  néopiiytes  et  les  pénitents.  C'est  là  encore  que  doivent 
s'arrêter  les  enfants  qu'on  présente  au  baptême,  jusqu'après 
les  exorcismcs  qui,  en  les  délivrant  de  la  puissance  de  Satan, 


moires  de  cet  intéressant  recueil,  cités  dans  nos  Tables  analytiques, 
t.  I,  p.  89,  et  II,  p.  175  ;  —  enfin  Hugues  de  Saint-Victor,  qui,  dans  son 
Spéculum  de  mysteriis  Ecrlesix,  cap.  présume  tous  ses  devanciers  et 
semble  avoir  été  copié  littéralement  par  Durant  de  Mende,  ce  qui  lave- 
rait celui-ci  des  rigueurs  de  certains  puristes,  et  l'autorise,  au  contraire, 
dans  les  prétendues  subtilités  qu'ils  lui  reprochent. —  Mais  nous  indi- 
quons surtout  un  très-bon  Mémoire  de  M.  l'abbé  Barraud  ,  dans  le  sei- 
zième volume,  p.  277,  de  ce  même  Bulletin  ;— et  le  Rational  de  Durant  : 
«  Gallu?  supra  ecclesiam  positus  praedicatores  désignât...  Profundœ 
noctis  pervigil  horas  ejus  cantu  dividit;  dormientes  excitât,  diem  ap- 
propinquantem  praecinit ,  sed  prius  seipsum  alarum  verbere  ad  can- 
taudum  excitât.  Haec  singula  mysterio  non  carent.  Nox  enim  est  hoc 
sœcuhim;  dormientes  sunt  filii  huj us  noctis  in  peccatis  jacentes.  Gallus 
significat  praedicatores,  qui  distincte  prsedicant,  et  dormientes  excitant 
ut  abjicinnt  opéra  tenebrarum  clamantes:  Vx  dormienlibusl  exsurr/e 
qui  dormis!  lucem  venturam  pronuiitiant  dum  diem  judicii  et  futurani 
gloriam  pncdicaut,  et  prudenter,  antequam  virtutes  aliis  praedicent, 
se  a  sumno  peccati  excitantes  corpus  suum  castigant.  »  (Ubi  suprà  , 
!'•  m.)  — Voir  enfin  Hugues  de  Saint-Victor,  Spéculum  de  mysteriis  Ec- 
clesix,  cap.  i  (Migne,  t.  CLXXV^II). 

(1)  Celte  raison  est  tirée  de  la  ressemblance  qu'on  avait  voulu  trouver 
entre  le  transsept  de  l'église  et  la  poitrine  du  Sauveur  crucifié. En  pla- 
çant au-dessus  de  cet  espace  la  tour  d'où  s'échappait  la  voix  sym- 
bolique de  la  cloche,  c'était  comme  du  cœur  même  du  Christ  ((ue  pa- 
raissait sortir  cette  prédication  aérienne.  —  Nous  ne  savons  plus  d'où 
nous  vient  cette  explication,  mais  nous  la  tenons  de  nos  études,  et 
nous  la  trouvons  très-naturellement  déduite  des  principes  posés  ci- 
dessus. 


!20  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

leur  donnent  le  droit  de  s'avancer  vers  les  fonts  pour  y  rece- 
voir le  titre  auquel  ils  aspirent.  C'est  donc  une  place  d'au- 
tant plus  normale  assignée  au  clocher,  qu'en  la  lui  choisis- 
sant on  ne  s'est  presque  jamais  départi  d'en  ajouter  un  autre 
enté  sur  le  transsept  et  portant  une  sonnerie  moins  solen- 
nelle. 
leur  place  nor-       Hs'cu  faut  qu'aux  époqucs  suivautcs  Ic  postc  qui  Icur  cst 

maie,  trop  souvent  .  ,  .  ,  ,         ,    ,       . 

dérangée.  douné  corrcspoude  aussi  bien  a  une  pensée  théorique.  Si 

l'on  suit  encore,  aux  douzième  et  treizième  siècles,  les  belles 
traditions  qui  consacrèrent  les  temps  hiératiques  ;  si  alors 
on  avance  les  tours  qui  se  doublent  sur  la  façade  de  l'église, 
comme  pour  en  faire  une  sorte  de  rempart  mystérieux  et 
de  défense  symbolique  à  la  Jérusalem  nouvelle,  on  aban- 
donne bientôt  ces  considérations  précieuses  qui  complé- 
taient si  poétiquement  le  plan  de  la  Cité  divine,  et  le  sym- 
bolisme, en  s'en  allant,  laisse  à  l'ignorance  dédaigneuse  le 
choix  du  point  si  important  où  s'élèveront  ces  organes  si 
éloquents  des  rendez-vous  catholiques.  Dès  lors,  on  les  voit 
promener  leurs  incertitudes  du  nord  au  midi;  nous  en 
avons  vu  même,  par  un  oubli  incroyable  des  plus  sérieuses 
considérations,  appliquées  de  nos  jours  à  l'abside  d'une  église 
romane,  retouchée  en  grande  partie  au  quinzième  siècle  : 
tant  il  est  vrai  qu'une  fois  un  principe -abandonné,  il  n'est 
pas  d'absurdité  dont  l'intelligence  humaine  ne  soit  ca- 
pable! S.  Charles  (mais  il  vivait  à  une  époque  où  presque 
toutes  les  églises  ne  se  construisaient  plus  que  sous  l'in- 
fluence des  nouvelles  données)  écrit  nettement  que  le  clo- 
cher doit  se  construire  au-dessus  de  V atrium  ou  porche,  et, 
s'il  n'y  a  pas  de  porche,  à  main  di'oite  de  la  porte  d'entrée, 
en  observant  de  le  séparer  tellement  de  la  masse  de  l'église, 
qu'on  puisse  facilement  circuler  autour  de  lui  {\).  On  ne 
voit  pas  trop  la  raison  de  cet  isolement  qui  détache  du  tout, 
sans  aucun  profit  pour  la  grâce  monumentale,  un  annexe 

(l)  s.  Caroli  Jusiruct.,  pars  II,  cap.  xxvj. 


EXTÉRIEIIK   DE   LÉGLISE  CHRÉTIENNE.  VU 

qui  en  est  inséparable.  Le  service  des  cloches  n'en  pouvait 
être  plus  commode,  et  l'architecture  y  perdrait  un  de  ses 
effets  les  plus  gracieux.  Nous  aimons  mieux,  quoique  nous 
n'en  voyions  pas  la  raison  symbolique,  ces  puissantes  et 
majestueuses  masses  flanquant  l'un  des  côtés  de  l'édifice, 
comme  on  l'a  liiit  souvent  depuis  le  treizième  siècle  :  elles  y 
contribuent  au  moins  à  la  grandiose  idée  que  doit  tou- 
jours donner  d'elle-même  la  maison  de  Dieu. 

Mais  les  voix  sonores  qui  s'échappent  de  ces  hautes  sta-  Los^ciochcs. 
tions  partagent  avec  elles  le  droit  d'exprimer  des  choses 
saintes.  Comme  Moïse  avait  donné  aux  prêtres  des  trom- 
pettes d'argent  dont  ils  devaient  sonner  pendant  le  Sacrifice 
pour  y  réunir  les  tribus,  et  pendant  sa  durée  afin  d'exciter 
leurs  adorations  ;  comme  féclat  retentissant  de  cette  mu- 
sique sacrée,  continuée  devant  l'arche  d'alliance,  fit  tomber 
les  murs  d'une  viUe  rebelle,  il  fallait  au  nouveau  peuple  de 
Dieu  un  moyen  de  s'unir  aussi  dans  une  commune  pensée, 
de  manifester  ses  triomphes  sur  l'ennemi  des  âmes,  et  de 
marcher  ensemble  pour  les  combats  de  son  voyage  vers  la 
terre  promise  (I).  Les  cloches,  d'abord  si  modestes  par  leurs 
formes  restreintes,  devenues,  dès  le  dixième  siècle,  bien  plus 

(1)  «  Deus  qui  per  beatum  Moysen...  tubas  argenteas  fieri  praBcepisti, 
quibus.dum  sacerdotes  tempore  Sacrificii  clangerent.sonitu  dulcedinis 
populus  monitus  ad  Te  adorandum  fieretpraiparatus,  etadcelebranduni 
sacrificia  conveuiret ,  quarum  clangore  hortatus  ad  bellura  molimina 
prosterneret  adversantium...  ;  Deus,  qui  ante  arcam  fœderis  per  clan- 
gorem  tubaruna  rauroslapideos,  quibus  adversantium  cingebatur  exer- 
citus,  cadere  fecisti,  Tu  hoc  tintinnabulum  cœlesti  benedictione  per- 
funde  ,  ut  ante  sonitum  ejus  longius  effugantur  ignita  jacula  inimici, 
percussio  fulminum,  impetus  lapidum,  lœsio  tempestatum...»  (Pontif. 
roman.,  De  Benedictione  campanaî, /7r7.v.sim.)  — On  volt  que  l'Église  de- 
mande ici,  par  le  son  delà  cloche,  l'éloignement  et  l'innocuité  des 
orages;  mais  bien  entendu  qu'KUe  n'entend  pas,  avec  cette  physique 
de  fort  bon  aloi,et  quoi  qu'eu  aient  dit  quelques  docteurs  qui  n'ont 
pas  de  plus  grande  joie  ({ue  de  la  contredire,  favoriser  les  superstitions 
elles  maladresses  dont  on  voit  tant  de  victimes  dans  nos  campagnes, 
lorsqu'en  dépit  des  enseignements,  et  oppositions  du  curé  lui-même, 
des  paysans,  imbus  d'une  routine  entêtée,  s'obstiueut  à  fendre,  au  lieu 
de  l'éloigner,  la  nuée  d'où  la  foudre  se  précipite  et  les  écrase. 


^22  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

considérables  (I  ),  et  dont  la  fonte  habile  est  enfin  parvenue  à 
faire  d'énormes  chefs-d'œuvre,  ont  aussi  leurs  sens  multiples 
et  populaires, comme  le  dit  un  archéologue  de  mérite, et  que 
le  monde  profane  est  peut-être  fort  peu  disposé  aujourd'hui 
à  recevoir  sans  sourire  (2).  Il  n'en  faut  pas  moins  accepter, 
avec  les  maîtres  delà  science,  des  interprétations  dont  nous 
savons  du  reste  comment  apprécier  la  raison  et  la  force. 
Symbolisme  do  Volcl  douc  cc  ouc  discut  Hugucs  de  Saint-Victor,  le  savant 

leurs        moindres  i  i-  i  •  i 

parties.  cucyclopédiste  du  douzième  siècle  ,  et ,  à  sa  suite,  beau- 

coup de  hturgistes  plus  rapprochés  de  nous  :  «  Les  clo- 
ches, dont  les  sons  éclatants  convoquent  le  peuple  à 
l'église,  sont  la  signification  mystique  des  prédicateurs. 
Fermes  comme  le  métal,  ces  grandes  voix  se  multiplient  en 
proportion  de  la  multiplicité  de  leurs  œuvres.  Le  battant  est 
comme  leur  langue  qui,  frappantaux  deux  bords,  annonce  àla 
fois  les  vérités  des  deux  Testaments.  Le  mouton  de  la  cloche 
qui  la  tient  en  suspens,  c'est  la  croix  ;  les  bandes  de  fer  qui 
rattachent  l'une  à  l'autre  sont  la  charité,  que  le  prédicateur 
ne  ressent  jamais  mieux  pour  son  auditoire  que  s'il  est  épris 
de  Jésus  crucifié.  La  corde,  toujours  agitée,  est  la  vie  surna- 
turelle et  l'humilité  du  prédicateur.  Comme  elle,  il  s'élève 
jusqu'à  Dieu  par  la  pensée,  redescend  jusqu'à  son  auditoire 
par  la  parole,  qu'il  lui  choisit  simple  et  douce  :  l'Apôtre  n'a- 
t-il  pas  dit  aux  Corinthiens  :  «  Soit  que  nous  nous  élevions 
vers  Dieu,  soit  que  nous  redescendions  vers  vous?  »  — Enfin, 
les  nœuds  de  la  corde ,  ou  l'anneau  final  qui  en  facihte 


(1)  Ou  a  des  preuves  historiques  des  progrès  qu'avait  faits  l'art  du 
foudeurde  cloches.bieii  avant  cette  époque.  Il  est  mention  dans  les 
Actes  de  S.  Pirmin,  évêque  régionnaire  d'Al'einagne,morten  738,  d'une 
cloche  remarquable  par  sa  matière ,  sa  grosseur  et  la  beauté  de  ses 
sons  :  «  Campanum  ,  quod  ob  electae  materiae  massam ,  et  rite  mixti 
metalli  temperaturam ,  magnam  liabuit  sonoritatis  elegantiam ,  ora- 
torio almo  auferri...  prœcepit...  »  (Mabillon.  Annal.  Ord.  Bened. , 
saec.  VIII.  —  Apud  Novarini  Schediasmata  sacro-profana_,  p.  29.) 

(2)  M.  l'abbé  Godard,  Essai  sur  le  symbolisme  archilectural  des 
églises,  Bullet.  monum.,Xlll,  408. 


EXTÉKIEUH    DE    l'ÉGLISE  CHRÉTIENNE.  423 

l'usage  ,  c'est  la  persévérance  à  annoncer  la  vérité  ou  la  cou- 
ronne qui  en  sera  le  prix  (I). 

Ces  hautes  sianilications  ont  été  adoptées  par  tous  les  Estime qucn fait 
liturgistes  :  l'évèque  de  Mende  ne  les  a  pas  négligées,  et  y 
ajoute,  dans  nn  chapitre  spéciale  de  son  livre,  des  dévelop- 
pements aussi  ingénieux  qu'attachants  (2).  De  là  on  com- 
prend quel  cas  l'Église  a  toujours  fait  des  cloches,  et  pour- 
quoi elle  en  consacre  l'usage  par  des  hénédictions  solen- 
nelles. C'est  la  doctrine  des  maîtres  qu'elle  y  confesse  par 
ses  prières  et  ses  chants  ;  et  il  n'est  pas  sans  utilité  à  certains 
esprits  avances^  qui  la  regardent  comme  un  peu  arriérée,  de 
puhlier  ([u'aucune  des  ^  ieilles  croyances  de  nos  pères  sur 
la  cloche,  ni  les  raisons  de  ses  divers  usages,  ni  les  effets  qu'on 
a  le  droit  d'en  attendre,  ne  sont  aholis  dans  les  rituels  ou 
fornuilaires  catholiques.  Ce  qu'on  prétendait  au  moyen  âge       ^i^'H"^  '"y^té- 

*  ^  '  ^  '^       rieubcs    de     leurs 

des  vertus  de  ces  sons  mystérieux  envoyés  dans  les  airs   sons. 
contre  les  esprits  mauvais  qui  y  suscitent  les  tempêtes,  les 
tonnerres  et  toutes  les  calamités  qui  les  suivent  (3)  ;  cette 

(1)  «  Gampanœ,  quarum  sonoritate  populus  ad  ecclesiam  convo- 
catur,  praedicatores  mysticant ,  qui,  quia  ad  inulta  sunt  necessarii , 
multis  designantur  vocabulis.  Plectrum,  quod  ex  utraque  parte  souuiii 
elicit,  lingua  praedicatoris  est,  quae  utrumque  Testauaentum  resonare 
facit.  Lignum,  unde  peudet  carapaaa  ,  crucem  significat;  ligatura  cha- 
ritatem,  per  quam  proedicator  cruci  adstrictus  gloriatur,  juxta  illud  : 
Mihi  aulem  absit  gloriarinisi  in  cruce  (Gai.,  vi). —  Chordavita  est  et 
huniilitas  praedicatoris.  Unde  Apostolusqui  propter  alios  eondescendit: 
Sive  excedimus  propter  Deum  ,  sive  condescendimus  propter  vos 
(2  Cor.,  V,  13).  — Anuuli,  lu  Une,  perseverantia  vel  corona  praemii.  » 
(Hug.  à  S.-Vict.  Spéculum,  ubi  suprà.) — Nous  avons  cité  ci-dessus, 
t.  II,  p.  521,  les  mêmes  termes  ,  quoique  abrégés,  de  Jean  Béleth,litur- 
giste  du  douzième  siècle,  et  uu  autre  passage  de  Hugues  de  Saint-Victor. 

(2)  Lib.I,  Rubrica  iv,  Ralinn.  div.  Ô/yïc.— Il  peut  se  faire  qu'on  trouve 
tout  cela  plus  édifiant  et  plus  ingénieux  que  solide,  comme  le  dit 
M.  l'abbé  Lecanu  {Histoire  de  Saian  ,  p.  2G1).  Mais  encore  une  fois, 
ces  efforts  mêmes  de  quelques  liturgistes,  et  (ju'il  ne  faut  pas  attribuer 
seulement  à  Durant ,  puisque  nous  lui  voyous  bien  d'autres  complices  , 
prouvent  cerlainemeut  que  le  symbolisme  existait  en  ce  temps  dans 
tous  les  esprits,  et  nous  aurons  oi;casion  d'établir  que  M.  Lecanu  a  été 
trop  loin,  dans  un  sens  contraire,  quand  il  a  nié  la  plupart  des  ensei- 
gnements mystiques  de  nos  pierres  sculptées. 

(3)  C'est  la  croyance  universelle  de  l'Kglise  :  que  le  son  des  cloches 


Rites  de    leur 
baptême. 


124  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

joie  des  Anges  mêlant  leurs  cantiques  célestes  aux  saintes 
émotions  de  la  foule  quand  les  modulations  aériennes  l'ap- 
pellent aux  solennités  du  Temple  ou  s'y  mêlent  aux  accents 
du  Magnificat  et  du  Te  Deum.,  tout  cela  vit  encore  comme 
aux  jours  de  foi  simple  et  fervente,  où  furent  rédigés  les 
Eucologes  et  les  Pontificaux  (^).  Ce  sont  autant  d'assertions 
que  l'Eglise  répète  en  bénissant  ces  vases  admirables  (hoc 
vasculum)  que  le  Pontife  lave  d'eau  consacrée,  qu'il  honore 

est  utile  à  repousser  la  grêle,  la  foudre  et  les  tempêtes  qui  les  accompa- 
gnent. Trop  souvent  on  a  répété  que  c'étaient  là  autant  d'effets  naturels 
dus  aux  sons  fortement  réitérés  del'airain  agité  dans  les  airs,  et  séparant 
les  nuages  amoncelés  sur  les  moissons  ou  les  villages  qu'ils  menacent. 
Dans  la  pensée  liturgique,  ces  fléaux  ne  cèdent  en  réalité  qu'à  la  prière, 
à  laquelle  la  cloche  invite  alors  les  fidèles,  à  l'usage  d'un  instrument 
béni  qui  a  de  lui-même  sa  vertu  propre  et  comme  des  effets  sacra- 
mentaux.  C'est  dans  ce  sens  que  les  conciles  en  ont  parlé ,  et  c'est  une 
des  raisons  qu'ils  donnent  des  cérémonies  sacrées  dont  s'entoure  la 
bénédiction  des  cloches.  (Voir  Concil.  Mediol.,  tenu  par  S.  Charles 
en  1576,  constit.  la  part.,  de  oratione;  —  Concil.  Coloniens.  ann.  1536, 
De  constitut.  ecclesiee,  art.  4.) — Ces  excellentes  vues  n'empêchent  pas 
l'abus  qu'on  fait  trop  souvent  dans  les  campagnes  de  ce  moyen,  qui, 
pris  trop  strictement  par  suite  de  fausses  opinions  populaires,  et  sans 
égard  au  principe  chrétien,  attire  et  fait  éclater  le  danger  qu'on  voulait 
éloigner.  Les  choses  saintes  doivent  se  traiter  saintement,  et  Dieu  ne 
s'oblige  pas  à  des  miracles  de  sa  bonté  en  faveur  d'actes  purement  hu- 
mains où  l'on  prétend  ne  se  servir  que  de  la  matière.  En  pareil  cas  , 
la  matière  n'opère  que  selon  sa  nature  ;  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  simple 
et  de  plus  naturel  quand  on  sonne  en  volée  pendant  qu'un  nuage  flotte 
sur  l'église  qu'on  eu  veut  préserver,  c'est  précisément  que  les  ébran- 
lements violents  de  l'atmosphère  produisent  l'effet  contraire  et  soient 
la  cause  immédiate  de  grands  malheurs.  Les  exemples  n'en  manquent 
pas,  et  seraient  bien  plus  rares  si  l'on  se  contentait  en  pareil  cas  de 
tinter  pour  exciter  à  une  prière  commune. 

(1)  «  Domine...,  ubicumque  sonuerit  hoc  tintinnabulum,  procul  re- 
cédât virtus  insidiantium  ,  umbra  phantasmatum  ,  incursio  turbinum , 
percussio  fulminum,  lœsio  tonitruorum ,  calamitas  tempestatum , 
omnisque  spiritus  procellarum.  Et  cum  clangorem  illius  audierint 
fîlii  christianorum ,  crescat  in  eis  devotionis  augmentum  ,  ut  festi- 
nantes  ad  pise  matris  gremium,  cantent  Tibi  in  Ecclesia  Sanctorum 
canticum  novum,  déférentes  in  sono  prseconium  tubœ,  modulationem 
psalterii,  suavitatem  organi,  exsultationem  tympani,  jucunditatem 
cymbali;  quatenus  in  templo  sancto  gloricc  tuai  suis  obsequiis  et  pre- 
cibus  invilare  valeant  multitudinem  exercitus  Angelorum.»  [Pontificale 
TOmanum,  De  Beuedictione  campante,  passim.) 


EXTÉRIEUR   DE   L'ÉGLISE   CHRÉTIENNE.  425 

d'onctions  mystérieuses,  soit  avec  l'huile  des  infirmes  pour 
effacer  du  métal  les  souillures  que  le  péché  originel  a  com- 
muniquées à  la  matière,  soit  avec  le  Saint  Chrême  pour  lui 
imposer  une  sainteté  qui  le  rende  plus  digne  de  son  ohjet; 
puis  des  encensements  lui  sont  donnés  dont  la  fumée  ahon- 
danle  remplit  l(î  n  ide  entier  de  l'instrument  glorieux  de  tant 
de  grâces.  N'est-ce  pas  lui  qui  annoncera  par  de  joyeuses 
volées  que  des  milliers  d'âmes  sont  nées  à  l'Épouse  du 
Christ;  qui  par  ses  lamentations  pourvoira  aux  secours 
de  la  dernière  heure  de  riiomme  ;  qui  se  mêlera  à  toutes 
ses  fêtes  rehgieuses ,  et,  par  ses  accents  périodiquement 
répétés,  ou  réitérés  aux  plus  subUmes  moments  du  Saint 
Sacrifice,  avertira,  auprès  et  au  loin,  tout  cœur  fervent  de 
redire  la  Salutation  angélique,  ou  de  s'unir  au  cœur  du 
prêtre  immolant  la  sainte  Victime,  aux  chants  d'actions  de 
grâces  qui  la  célèbrent  et  aux  supplications  qui  l'implo- 
rent ?  Tels  sont  les  motifs  qui  ont  fait  des  cloches  un  des 
plus  magiiitiques  auxiliaires  du  culte;  aussi  l'Église  n'a 
rien  omis  dans  les  honneurs  qu'elle  leur  rend  de  ce  qui 
peut  relever  leur  dignité  et  en  inspirer  le  respect.  C'est 
pourquoi  leur  bénédiction  a  certains  caractères  d'un  bap- 
tême: le  signe  de  la  croix  leur  est  imposé  et  fait  corps  avec 
leur  matière  précieuse  ;  elles  reçoivent  un  nom  que  des  par- 
rains et  marraines  leur  donnent;  elles  sont  revêtues,  pen- 
dant leur  inauguration,  de  la  robe  blanche  des  néophytes  ; 
on  chante  des  psaumes  de  joie,  auxquels  viennent  bientôt 
se  mêler  leurs  premiers  accents.  La  cloche,  en  un  mot,  est 
presque  une  personne,  car  elle  ne  se  séparera  plus  de  la 
personnalité  humaine;  elle  est  comme  son  âme,  amie  et 
dévouée,  qui  exhalera  entre  la  terre  et  les  cieux  toutes  les 
émotions  de  la  vie  et  de  la  mort. 
Avec  tout  ce  qui  précède,  l'extérieur  de  notre  église  n'est     symbolisme  de* 

sculptures       mu- 

pas  encore  complètement  apprécié.  Ces  murs,  cette  laçade,  raies. 
ces  clochers  eux-mêmes,  ont  leur  parure  et  leurs  beautés 
de  détails,  dont  le  symbolisme  est  aussi  vivant  que  partout 


126  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

ailleurs.  Que  font  au-dessous  de  ces  entaJ)lements  et  de  ces 
corniches  ces  longues  rangées  de  figures  animées,  aux  ex- 
pressions si  diverses ,  aux  poses  si  variées  et  parfois  si 
Variété  de hurs  étraugcs  ?  pourquol  ces  chapiteaux  imposés  aux  colonnes 
ïft.  ™  plus  ou  moins  élancées  qui  servent  de  contreforts  à  l'abside, 

ou  à  d'autres  qui,  plus  légères,  semblent  soutenir,  adroite  et 
à  gauche  des  fenêtres,  les  ordres  successifs  de  la  construction, 
se  parent-ils  de  tôtes  qui  rient ,  qui  pleurent ,  qui  grincent 
des  dents,  qui  se  doublent  sur  un  seul  corps;  qui,  tenant  de  la 
nature  humaine ,  s'associent  à  un  quadrupède,  ou,  par  un 
caprice  contraire,  relient  la  face  d'un  lion,  d'un  léopard  ou 
d'un  oiseau  au  torse  et  aux  jambes  d'un  chevalier  ou  d'un 
moine,  d'une  femme  ou  d'un  enfant?  Nous  dirons  les  signi- 
fications multiples  de  ces  singulières  natures...  D'autres  se 
présentent  encore  dont  nous  avons  pu  voir  déjà  le  but  sym- 
bolique et  le  rôle  avoué  de  tous.  C'est  le  moment  de  nous 
en  expliquer.  Ici  nous  voyons  une  chasse,  et  un  sagittaire 
perce  de  son  trait  un  cerf  qui  l'emporte  dans  ses  flancs  ;  là, 
comme  à  l'abside  de  la  cathédrale  d'Angouleme,  au  milieu 
des  feuillages  un  autre  cerf  fuit  à  toutes  jambes  devant  un 
chien,  et  trouve  un  autre  chien  qui  lui  coupe  le  passage  :  c'est 
l'âme  faible  et  poursuivie  de  part  et  d'autre  par  ses  ennemis 
acharnés,  se  jetant  de  périls  en  périls  :  ceux-ci  profitent  de 
sa  timidité  pour  la  perdre.  Le  bas-rehef  du  douzième  siècle, 
très-bien  exécuté,  est  borné,  de  droite  et  de  gauche,  par  deux 
bons  dans  l'attitude  de  fimpassibilité  ;  ils  regardent  cette 
scène  sans  en  être  émus  et  d'un  air  de  majesté  calme  qui  rend 
bien,  avec  leur  pose,  l'état  contraire  de  l'âme  que  fortifient 
sa  foi  et  son  espérance  (1).  Ailleurs,  une  meute  haletante 
poursuit  un  lièvre  innocent  qu'elle  va  atteindre  peut-être, 
mais  qui  fuit  vaillamment  et  pourra  bien  échapper  aux 
dents  qui  le  menacent  :  n'est-ce  pas  encore  cette  autre  âme 
qui, plus  avisée,  évite  la  chute  en  fuyant  devant  la  tentation? 

(1)  Voir  BvUet.  moniim.,  XIII,  353,  356;  XV  ,  574;  XIX,  141. 


EXTÉRIEUR    DE   l'ÉGLISE   CHRÉTIENNE.  427 

Le  singe  sans  pudeui-,  le  serpent  astncieux,  le  chien  refrogné 
se  trouvent  réunis  comme  en  un  congrès  équivoque  de  mal- 
faiteurs privilégiés,  pendant  que,  d'un  autre  côté,  on  remar- 
que une  pacifique  série  de  mines  gracieuses,  de  joyeux 
volatiles,  de  Heurs  épanouies,  et  jusqu'à  des  anges  aux 
grandes  ailes  éployées  essayant,  dirait-on,  sur  mille  instru- 
ments les  louanges  de  Dieu  et  l'expression  ,  suave  comme 
leurs  traits,  de  leur  éternelle  béatitude! 

En  effet ,  ces  hôtes  des  recoins  obscurs  des  saintes  savantes  th^o- 
murailles,  ou  de  leurs  protîls  qu'éclaire  le  soleil  de  œuvrot,-^^ 
cha([ue  jour,  sont  là  comme  autant  de  sentinelles  pour 
crier  au  passant  de  la  vie  humaine  une  leçon  de  vertu, 
jusque  dans  les  vices  dont  quelques-uns  se  font  l'emblème 
liideux.  Ceux-ci  apparaissent  au  côté  nord  de  l'édifice  ; 
ils  naissent  d'un  souffle  de  Satan,  dont  le  cœur,  privé 
de  l'amour  de  Dieu ,  inspire  le  froid  de  la  mort  à  ses 
suppôts  avec  ses  affections  coupables  (I  ).  Au  midi,  les  créa-  leur   distribution 

calculée  au  sud  et 

tures  bénies  qui  se  réchauffent  au  soleil  de  justice,  et  pro-  »«  »or<L 
duisent  des  œuvres  pleines  d'amour  et  de  fécondité.  M.  de 
Roisin,  dans  sa  Description  de  la  cathédrale  de  Cologne,  atrès- 
bien  fait  remarquer  cette  distinction,  qu'avait  signalée  avant 
lui  M.  Boissérée,  aussi  judicieux  en  cela  qu'éminent  archi- 
tecte. Il  y  a  plus:  on  a  semé  ordinairement  moins  de  sculp- 
tures sur  ce  côté  fatal  ;  et,  si  d'assez  nombreuses  exceptions 
se  firent  à  ce  qui  nous  semble ,  sur  ce  point,  une  règle  bien 
arrêtée,  ce  n'a  été  qu'à  condition  d'y  installer  le  péché  et 
le  vice  exerçant  leur  redoutable  empire  sur  les  âmes  qui  les 
préfèrent  au  bien. 

On  ne  s'est  pas  départi  de  ce  système  pour  le  dehors  de  l'ab-     Di^monoio^ie. 
side.  Comme,  à  l'intérieur,  l'autel  et  le  Saint  des  Saints  repo- 
sent le  plus  souvent  dans  l'hémicycle  qui  en  est  formé,  et  que 
là  se  trouvent  avec  Lui  de  charmantes  images  qui  l'y  hono- 


(1)  Nous  avons  exxjliqu»^  ci-desus,  t.  Il ,  p.  200,  442  et  452,  cette  diff»'- 
rence  «le  l'aquilon  et  du  ?ud  ,  et  ses  motifs  symboliques. 


-128  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

rent,  à  l'extérieur  le  démon  semble  s'y  installer  de  préfé- 
rence, et  c'est  lui,  nous  l'avons  dit,  qui,  à  la  cathédrale  d'Aii- 
goulcme,  à  Saint-Pierre  de  Ghauvigny  et  bien  ailleurs,  se 
déguise  en  chasseur  pour  faire  sa  proie  des  pauvres  bêtes 
qui,  il  faut  leur  rendre  cette  justice,  détalent  de  toutes  leurs 
jambes  à  son  aspect.  Il  est  vrai  aussi  que,  tout  près  de  là, 
l'auguste  Patron  de  cette  dernière  collégiale  se  présente  de- 
bout avec  ses  deux  clefs,  comme  pour  protéger  la  faiblesse 
des  victimes  contre  la  puissance  du  fort  armé.  Ici  donc  la 
pensée  est  complète,  et  l'âme  qui  fuit  l'ennemi  ne  manque 
jamais  du  secours  d'En-Haut. 
Les  vices  ot  les      ^gg  vlccs  ct  Ics  vcrtus  sc  soiit  fait  une  vie  considérable 

vertus. 

dans  l'ornementation  du  saint  lieu  :  tour  à  tour  ou  simul- 
tanément ,  ou  par  contraste  et  parallélisme ,  on  les  y  voit 
catéchiser  le  peuple,  prêcher  le  sentiment  du  bien  ,  l'hor- 
reur du  mal,  et  donner  la  plus  juste  idée  des  remords  de  la 
conscience ,  des  tourments  finals  du  pécheur,  comme  de  la 
joie  et  du  prix  éternel  donné  aux  Justes.  Mais  le  vice  ex- 
clusif, le  mal  vu  à  nu  dans  sa  laideur  morale,  agissant  seul, 
sans  opposition  de  cette  portion  morale  de  l'existence  hu- 
maine qui  console  ici-bas  et  y  représente  les  inspirations 
de  Dieu,  ce  vice,  livré  à  ses  instincts  détestables  et  montré 
dans  tout  le  hideux  de  sa  forme  ,  fut  presque  toujours  et 
exclusivement  gardé  pour  les  parties  du  temple  exposées 
aux  regards  de  l'homme  extérieur  :  c'est,  le  plus  souvent, 
une  traduction  sur  pierre  soit  des  anathèmes  de  l'Apôtre 
excluant  de  l'enceinte  sacrée  tous  ceux  dont  le  cœur  de- 
meure empreint  d'impuretés ,  de  blasphèmes ,  d'idolâtries 
et  d'homicide  (^J,  soit  de  ces  âmes  dont  un  autre  ne  parle 
qu'en  versant  des  larmes,  et  qui  se  font  en  tout  les  ennemis 
Le  chien  dévo-  dc  k  croix  (2).  Uii  des  exemples  les  plus  frappants,  et  peut- 

(1)  «  Foriscaues,  et  venefici;  et  impudici,   et  homicidœ ,  et  idolia 
servientes,  et  omnis  qui  amat  et  facit  mendacium.  »  {Apoc,  xxii ,  15.) 

(2)  «  Mulli  ambulant  quos  ssepe  dicebam  vobis.  nunc  autem  et  flens 
dicOj  inimicos  crucis  Ghristi.  »  (Ephes.,  ni,  18.) 


AlllTH^ 


i:\TERiKiK  i)K  i/kglisi:  chrétienne.  129 

être  les  moins  compris  de  l'une  de  ces  multiples  excom-  ''^'^^^Jf  ^"'"  '^*' 
imiuicalions  qui  relèguent  le  mal  au  dehors  du  sanctuaire, 
se  retrouve  souvent  dans  les  églises  de  la  Guienne.  En 
Poitou  ,  nous  en  connaissons  beaucoup  :  cherchez  atten- 
tivement parmi  les  modillons  (jui  décorent  parfois  la  façade 
au-dessus  de  la  porte  occidentale,  mais  plus  fréquemment 
le  côté  nord  des  églises  de  campagne,  nous  verrez  une  tète 
de  chien  tenant  en  gueule  un  objet  presque  toujours  mutilé 
et  qui,  [)ai-  cela  même,  dissimule  sa  nature  véritable.  Cet 
objet  ressort  de  côté  et  d'autre  de  cette  gueule,  fermée 
comme  si  elle  tenait  entre  ses  dents  la  moitié  d'un  disque. 
On  ne  de\  ine  pas  d'abord  :  l'objet  et  sa  signification  échap- 
pent à  l'analyse.  Que  de  fois  nous  avons  cherché  à  nous  en 
rendre  compte  î  Mais  un  jour  nous  découvrîmes  au  nord  de 
l'église  de  Gourgé  (Deux-Sèvres)  ce  même  quadrupède , 
dont  le  disque  saisi  entre  ses  dents  était  parfaitement 
rond,  et  de  l'extrémité,  restée  entière,  qui  dépassait  les 
lèvres  de  l'animal ,  nous  reconnûmes  une  ligne  perpendi- 
culaire qui  partait  du  centre  et  descendait  jusqu'au  bord 
inférieur.  Gela  ne  manquait  pas  encore  d'obscurité;  mais 
le  nuage  se  dissipait,  et  c'était  un  pas  de  plus  vers  une  dé- 
couverte; car  non  loin  de  là  ,  sur  la  façade  principale  ,  un 
dis(jue  figurait  dans  la  série  des  douze  ou  quinze  modillons 
rangés  au-dessous  du  premier  cordon  horizontal,  et  cette 
fois  il  était  timbré  d'une  croix  à  quatre  branches  égales , 
dégagé  de  tout  appendice  ,  fort  visible,  et  donnant  enfin  la 
fidèle  reproduction  des  pains  eucharistiques,  tels  que  les 
onzième  et  douzième  siècles  nous  les  exposaient  dans  toute 
leur  iconographie.  Notre  chien  du  voisinage  en  tenait  donc 
un  dans  sa  gueule,  qu'une  mutilation  cachait  à  l'observa- 
teur, mais  qui,  d'abord,  avait  été  des  plus  reconnaissables. 
Il  n'y  avait  pas  moyen  de  se  défendre  du  texte  biblique 
fohs  canes ,  dont  l'imagier  s'était  emparé  pour  rendre , 
sous  des  traits  sensibles,  la  communion  sacrilège  ,  ni  d'ou- 
blier la  parole  du  Sauveur,  (ju'on  ne  doit  pas  donner  aux 
T.  m.  9 


<|30  HISTOIRE   DU   SYMBOLISMK. 

chiens  «  le  pain  des  enfants  (-l)  »,  paroles  que  S.  Thomas 

d'Aquin   rendait  expressément  dans  sa  helle  hymne  de 

l'Eucharistie  : 

Ecce  panis  Angelorum... 
Non  inittendus  canibus. 

Lebaruduvin  Nous  uc  jctous  ici  quc  des  aperçus  généraux  sur  cette 
ique.  gpn^j^fjg  thèse  des  vertus  et  des  vices ,  des  hons  anges  et  des 
démons  ;  et  nous  n'en  parlons  que  pour  expliquer ,  avant 
de  passer  outre,  et  dès  qu'ils  se  présentent  à  nos  regards 
dans  l'architecture  du  temple,  le  mystère  de  cette  présence, 
sur  laquelle  nous  reviendrons  bientôt  en  étudiant  l'inté- 
rieur. Mais  n'omettons  pas  cependant  de  signaler,  à  cette 
occasion  ,  que  ,  non  loin  de  ce  pain  eucharistique  invitant 
le  fidèle  à  la  Table  sainte  ,  on  voit  souvent  un  charmant 
petit  baril  dont  le  langage  s'y  associe  très-convenablement, 
car  c'est  encore  le  vin  de  l'Eucharistie  ,  et  c'est  bien  la 
pensée  du  sculpteur,  puisqu'après  le  treizième  siècle ,  où  la 
communion  sous  une  seule  espèce  devint  générale ,  on 
ne  rencontre  plus  ce  dernier  motif  (2).  Poursuivons  donc , 

(1)  «  Non  est  bonum  sumere  panem  filiorum  et  miltere  canibus.  » 
(Matih.,  XV,  26.)  —  Nous  avons  vu  déjà  l'attribution  faite  aux  héréti- 
ques, aux  gentils  et  aux  juifs,  de  la  nature  morale  du  chien,  qui  est  sans 
vergogne ,  sale,  gourmant,  querelleur.  C'est  dans  ce  sens  que  le  Sau- 
veur l'emploie  à  éprouver  la  foi  humble  et  patiente  de  la  pauvre  Ghana- 
néenne.  S.  Paul  dit  aussi  aux  Philippiens  :  Videte  canes,  viclete  malos 
operarios{iu  ,2);  et  la  Sagesse  des  Proverbes  lui  compare  l'apostat 
retournant,  loin  de  la  vérité  qu'il  avait  reconnue  et  embrassée,  aux 
dégoûtantes  erreurs  et  aux  blasphèmes  que  sa  bouche  avait  vomies 
d'abord:  Sicut  canis  rêver tilur  ad  vomilum ,  sic  siultus  ad  stulti- 
tiam.  (Prov.,  xvi,  11.)  —  Voir  les  commentateurs  dans  S.  Méliton , 
ch.  IX,  De  Besliis,  n»  lix.) 

(2)  Deux  barils,  dont  l'un  est  doré  et  l'autre  argenté,  sont  disposés 
aussi,  avec  deux  pains  parés  de  la  même  manière,  pour  l'offertoire  de 
de  la  messe  lors  de  la  consécration  d'un  évêque  {Pontifie,  roman., 
De  Consecr.  in  episc.)  :  ils  y  sont  le  symbole  de  la  puissance  radicale 
de  consacrer  résidant  en  l'évêque  comme  dans  sa  source.  Le  Blanc 
{Traité  historiq.  des  monnaies,  p.  157)  dit  qu'il  en  était  ainsi  dans  un 
cérémonial  du  sacre  des  rois  de  France  ,  dressé  au  douzième  siècle  par 
ordre  de  Louis  VII,  et  que  l'usage  s'en  observait  encore  sous  Henri  II, 


KXTKRIKIU    \)K    l/lUiLISK  CHRÉTIENNE.  ^3-1 

cl,  après  a\oir  promené  nos  études  sur  le  chevet  et  sur  les 
murs  latérau.v  ,  arrêtons-nous  devant  ces  façades  que  nous 
connaissons  déjà  ,  il  est  vrai ,  par  beaucoup  de  particula- 
rités de  leur  plan  général,  mais  où  beaucoup  d'autres  aussi 
nous  restent  à  comprendre. 
Et  d'abord ,  les  plus  simples  églises  i-urales  ont  eu  un    .  ]i^  p*""*^'»?  ''^^ 

'  l  r  D  nglises  rurales,  et 

porche  ou  auvent  s'élevant  un  peu  plus  haut  que  la  porte  "^onusagre. 
d'entrée  qui  s'y  encadre,  lequel,  installé  depuis  le  neu- 
vième siècle  surtout ,  lorsqu'on  commença  à  baptiser  dans 
toutes  les  églises  paroissiales,  servit  dès  lors  comme  de  lieu 
d'attente  au  néophyte.  Là  se  faisaient  les  exorcismes  pré- 
liminaires du  sacrement ,  souvent  en  face  même  de  ces 
tètes  de  démon  qui  frémissent  de  rage  à  la  vue  de  ces 
conquêtes  du  Sauveur  :  c'était  comme  le  vestibule  de  ce 
ciel  mystique  ouvert  à  l'homme  régénéré.  La  croix    en 
surmontait  le  faîte ,  comme   le  signe  qui  résume  tout  le 
Christianisme.  Au  quatorzième  siècle  et  au  quinzième,  on  la     ^^  '"^<^"  sculpté 
remplace  souvent  par  une  fleur  à  trois  feuilles  nommée 
chou ,  et  dont  le  choix  ne  reste  pas  étranger  à  la  notion 
fondamentale  de  la  Trinité  divine. 
Quelquefois  la  maison  de  Dieu  s'ouvre  au  sud ,  rarement  ^  i^«»'^s  ^l^  y^^'^'- 

^  '  fice,    et    cote    ou 

au  nord,  (juand  sa  porte  principale  n'est  pas  à  l'occident,  pnes  souvrent de 

'■  i  i  1  i  preferonco. 

Cette  dernière  position  est  la  seule  normale,  puisqu'elle 
s'inspire  de  l'orientation  symljoHque  du  chevet  :  toute  autre 
n'a  été  qu'une  anomalie  imposée  tantôt  par  une  impossi- 
bilité matérielle,  tantôt  par  une  raison  particulière.  Quant 
aux  monastères,  par  exemple,  il  y  avait  nécessairement  d'au- 
tres règles  à  suivre  :  les  préaux  ou  cloîtres  qui  entouraient 
ordinairement  l'église  indiquaient  naturellement  des  portes 
d'entrée  à  y  percer  selon  la  plus  grande  commodité  des 
religieux,  qui  s'y  rendaient  de  rniit  et  de  jour. 

en  1545.  (Voir  Vély,  Hist.  de  Fr-^u,  467.)  —  Dans  ceUe  dernière  céré- 
monie ,  c'était  le  signe  de  la  promesse  faite  par  le  prince  de  protéger 
la  foi  contre  l'hérésie;  ily  communiait  sous  les  deux  espèces,  usage  qui 
s'est  perpétué  jusqu'à  Charles  X. 


1  ave 
siècle . 


132  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

Le  parvis,  Il  n'est  pas  rare  que  le  porche  antérieur  à  l'église  y  foruie 

un  véritable  vestibule  ou  parvis  couvert,  où  le  symbolisme 
étale  toutes  ses  richesses  aux  chapiteaux  et  aux  cintres  des 
arcades  avec  une  profusion  pleine  de  magnificence.  Les 
abbayes,  surtout  en  France ,  se  sont  donné  cette  belle  et 
éloquente  distinction,  qui  n'empêche  pas  d'orner  des  plus 
or  notamment  ce-  bclles  sculpturcs  le  portall  qul  introduit  de  là  dans  la  nef.  Ce 

lui    (îo    Saint-Be- 

noît-sm-Loire.  beau  pérlstylc,  qui  n'a  pas  moins,  à  Saint-Benoît-sur-Loire,  de 
quinze  mètres  de  large  sur  une  profondeur  égale,  est  soutenu 
et  divisé  en  trois  nefs,  que  séparent  seize  colonnes  rangées 
par  quatre.  Ces  colonnes  se  couronnent  de  chapiteaux  d'un 
grand  luxe  de  sculpture,  dont  les  scènes  animées  reprodui- 
sent, avec  certains  faits  historiques,  comme  la  Fuite  en  Egypte 
et  la  Visitation,  des  symboles  évidents  des  tentations  de  la 
sujeis  variés  de  vlc  extéricurc.  On  voit  la  main  divine  sortant  d'un  nua^e 

SOS    belles    sculp-  ^ 

iu  douzième  pour  protéger  pendant  sa  marche  la  Sainte  Famille,  à  ren- 
contre de  laquelle  un  satelhte  d'Hérode ,  sinon  lui-même , 
vient  se  jeter,  armé  d'un  glaive  et  d'une  lance.  Derrière  les 
saints  voyageurs,  S.  Michel  terrase  le  dragon  infernal  qui 
les  poursuivait.  Ici  des  moines  enchaînent  par  le  cou  deux 
horribles  spécimens  du  diable  s'efforçant  de  saisir  aux  che- 
veux un  petit  être  humain  debout  sous  un  arbre  et  à  moitié 
caché  par  la  gueule  béante  de  l'enfer  d'où  les  deux  monstres 
viennent  de  sortir,  et  où  ils  voudraient  plonger  leur  victime  ; 
plus  loin ,  ce  sont  des  mondains  prêtant  l'oreille  à  des  ser- 
pents et  à  des  quadrupèdes  équivoques  leur  persuadant  le 
mal  ;  ou  bien  un  ange  disputant  une  petite  créature  sans 
sexe,  une  âme  quelconque ,  à  un  démon  qui  la  tire  à  soi  ; 
puis  diverses  scènes  de  l'Apocalypse  :  S.  Jean  se  prosternant 
au  pied  du  trône  de  Dieu,  ou  recevant  le  livre  de  ses  révé- 
lations ;  enlin  l'Agneau  immolé,  et,  au-dessous  de  l'autel, 
«  les  âmes  de  ceux  qui  avaient  été  tués  »  pour  sa  cause.  On 
voit  qu'ici  des  enseignements  chrétiens,  soit  comme  his- 
toires, soit  comme  symboles,  deviennent  une  sorte  d'intro- 
duction à  la  vie  illuminative  que  le  fidèle  va  cliercher  dans 


FATÉRIEUR    DR    L  ÉGLISE    CHRÉTIEiVNE.  ^  33 

l'enccinl(^  sacrée.  Ce  livre  de  S.  Jean  qui  révèle  les  plus 
hauts  mystères  de  la  vie  sociale  et  individuelle  ;  cette  Visi- 
talion  que  nous  allons  faire  cà  Dieu  et  à  sa  Mère  quand 
l'heure  de  la  prière  nous  ramène  en  face  de  Tautcl;  ce  pèle- 
j'ina^^e  de  la  Sainte  Famille,  devant  laquelle  tombèrent  les 
idoles  de  l'Egypte,  et  le  vrai  Dieu  commença  d'être  connu  ; 
ces  épreuves  de  la  terre  dont  Satan  se  fait  l'instrument 
actif  et  perpétuel,  et  cette  défense  du  bon  Ange,  image  la 
plus  douce  et  lapins  vraie  de  la  i^rovidence,  dont  la  grâce 
ne  permet  pas  à  notre  faiblesse  de  succomber,  ni  à  l'ennemi 
de  i-égner  sur  nous  :  ne  sont-ce  pas  Là  autant  de  pages  d'une 
doctrine  supérieure,  et  dont  la  méditation  nous  prépare 
I)ien  ^  rentrer,  quand  nous  quittons  la  foule  oublieuse , 
dans  le  sein  du  Père,  qui  nous  attire  chez  Lui  pour  nous  y 
bénir? 
Parfois,  et  pour  mieux  condenser  toutes  ces  idées  en  une      i/ima-e      .i;-. 

,1,.  •     1      1       r-,  /■  .    •<  1  Sauveur      devaut 

seule,  Innagc  en  pied  du  Sauveur  se  présentait  seule  aux  la porte  dcn'nv. 
regards  de  la  foule  abordant  le  lieu  saint.  Elle  garnissait  la 
porte  principale,  comme  on  le  voyait,  au  dixième  siècle,  à 
l'entrée  du  palais  impérial  de  Gonstantinople,  bâti  sur  les 
plans  des  basiliques.  Une  telle  statue  semblait  répéter  à 
chacun  la  parole  du  Maître  rapportée  au  dixième  cbapitre 
de  S.  Jean  :  Ego  sum  ostium;  per  me  siquis  introierit,  salva- 
bitiir  {\). 
Devant  certaineséglisesqui  n'avaient  pas  ces  beaux «^n?nw,      Parais  des  ra 

'^  ^  ^  thcdralps   et     des 

on  ménageait  un  parvis  découvert,  espace  qui  ne  dépassait  autres  é-uses  m» - 

jeures. 

pas  ordinairement  la  largeur  de  la  façade,  et  dont  la  pro- 
fondeur égale  donnait,  par  conséquent,  un  carré  parfait. 
C'était  surtout  un  annexe  des  cathédrales,  des  abbayes  et 
des  collégiales,  quelquefois  aussi  des  prieurés.  Là  se  ren- 
daient, à  certains  jours  désignés,  les  décisions  judiciaires  ; 
là  se  faisaient  les  monitoires  et  autres  annonces.  Les  té-      ^^^^  principal 

emploi    svmboli^»' 

moms  y  étaient  entendus  ,  les  causes  jugées,  et  c'est  à  celte  paricsiiJns. 
M)  Laharle,  /ifscription  fin  palais  impén'ol  de  Gimslanlinoplfi,\),f):h 


434  HISTOIRE   DU    SYMBULISiMi:. 

juridiction  de  haute,  basse  ou  moyenne  justice  que  se  rap- 
portaient ces  figures  délions  qui,  de  côté  et  d'autre  du  juge 
et  de  ses  assesseurs,  symbolisaient  la  justice,  comme  autrefois 
au  trône  de  Salomon.  Ce  souvenir  du  grand  roi  n'était  pas 
le  seul  qu'eût  emprunté  le  moyen  âge,  où  il  finit  par  devenir 
commun.  Edouard  II,  roi  d'Angleterre  de  ^307  à  ^327,  avait 
un  sceau  où  il  était  assis  sur  un  trône  dont  deux  lions  grim- 
pants formaient  les  côtés  :  ses  pieds  reposaient  sur  deux 
autres  {\).  —  Canova,  en  docte  sculpteur  qu'il  était,  n'avait 
pas  négligé  cette  idée.  Il  décora  de  deux  lions  le  tombeau 
de  Clément  XIII ,  et  comme  le  Pontife  avait  résisté  avec  cou- 
rage pendant  tout  son  pontificat  aux  entrepi-ises  et  aux  vio- 
lences de  la  puissance  laïque  ,  l'un  de  ces  lions,  empreint 
d'une  douleur  magnanime,  verse  les  larmes  de  la  souffrance 
et  de  la  tendresse  outragée  ;  l'autre  respire  dans  ses  traits 
une  royale  fermeté,  et  semble  dire  que  l'athlète  n'a  pas 
été  vaincu  (2).  Mais  pour  ce  qui  touche  aux  parvis,  dès  le 
onzième  siècle  on  rencontre  ces  imposantes  bêtes  couchées 
sur  le  mur  d'enceinte  de  ce  plaid  respecté,  ou  assises  à  la 
porte  principale  de  l'église,  ou  supportant  ses  deux  colonnes 
latérales,  pour  indiquer  que  la  justice  est  la  base  et  le  fon- 
dement de  l'édifice  social.  Quelquefois  aussi  le  fier  quadru- 
pède retient  sous  ses  griffes  puissantes  le  serpent,  génie  de 
la  ruse  perfide  qui  n'a  rien  à  faire  dans  une  conscience  de 
juge,  et  se  replie  vainement  en  efforts  qui  ne  le  peuvent 
délivrer  ;  ou  bien  c'est  un  bouc  (  et  non  un  bélier,  comme 
on  l'a  trop  répété),  symbole  des  pécheurs  et  des  réprouvés, 
qu'il  écrase  de  son  poids  et  maintient  en  respect  :  voilà  donc 
le  triomphe  du  Sauveur,  du  lion  de  Juda,  sur  l'injustice,  la 
méchanceté  et  la  fraude  (3j. 


(1)  Voir  Ryiner,  Fœdera,  1. 1,  1'^'  part.,  pi.  i. 

(2)  Le  P.  deRRvignsin,CléineiUXIII et  Clà}ne?itXIV,-p.2'ô3,  in-8'',1854. 

(3)  \oiT  Spicileg.  Solesm.,  t.  III ,  15  et  suiv.  ;  51  et  suiv.  —  On  voit 
encore,  Sur  les  bases  de  deux  colonnes  soutenant  une  des  archivoltes 
du  portail  méridional  à  Saint-Marc  de  Venise,  deux  griffons  couchés 


EXTERIEIR    DK   L  EGLISE   CHRÉTIENNE. 


135 


On  a  vu  quelquefois  aussi  le  lion,  accompagné  d'un  bœuf,  ,i/bœufVTdu  non 
servir  parallèlement,  sur  la  façade  d'une  édise,  de  base  à  ''"^  fa';adps  de 

'■  7  ^  o  '  quelques  églises. 

qui  tiennent  daii.s  leurs  paUes,  luo  uu  homme,  dans  les  yeux  elle 
visage  duquel  il  enfonce  ses  griffes;  l'autre,  un  bœuf  moins  maltraité 
que  l'homme.  (M.  .lulien  Durant,  Annal,  archéologiq.,  XV,  403.)— Le 
griffon  est  ici  l'image  de  Satan  maltraitant  l'homme  perverti  au  mo- 
ment où  il  se  disposait  à  entrer  dans  le  lieu  saint,  dont  il  n'était  pas 
digne.  Le  traitement  imposé  au  bœuf,  image  des  Juifs,  d'après  S.  Gré- 
goire, et  aussi  du  démon,  d'après  le  même  Docteur,  ou  enfin  des  ri- 
chesses terrestres  et  animales,  est  un  analogue  et  un  parallélisme  facile 
à  comprendre.  (Voir  Spicileg.  Solesm.  ,Ul ,  io.)  —  Mais  toujours  c'est 
l'action  infernale  exerçant  la  tentation  sur  l'âme  voyageuse  ,  ou  le  châ- 
timent sur  l'âme  arrivée  à  son  terme.  Enfin,  nous  voyons  aussi  quel- 
quefois des  lions  accroupis  sous  une  colonne  qui  sert  de  support  à  un 
bénitier  ou  à  un  chandelier  pascal,  comme  dans  la  basilique  d'Anagni, 
en  Italie.  Là,  il  faut  bien  changer  la  signification  de  l'animal  symbo- 
lique; il  y  est  pris  en  mauvaise  part,  et  il  représente,  à  notre  sens  , 
l'esprit  infernal  obligé  de  s'abaisser  sous  les  bénédictions  de  l'Église 
qui  l'y  exorcise  en  une  certaine  manière,  ou  sous  la  lumière  évangé- 
lique  ,  laquelle  n'est  pas  autre  que  Jésus-Christ.  (Voir  Annal.  archéoL, 
ubi  suprà,  p.  244.)  Il  est  vrai  que  Mabillon,  cité  dans  ce  même  endroit, 
et  que  suit  M.  l'abbé  Barbier,  regarde  le  lion  comme  l'emblème  de  la 
résurrection,  figurée  aussi  par  le  cierge  pascal:  c'est  là  une  de  ces  in- 
terprétations multiples  par  elles-mêmes  et  auxquelles  les  archéologues 
peuvent  s'arrêter  diversement  sans  abandonner  les  principes  fonda- 
mentaux de  la  science.  —  Quant  au  bouc,  il  est  le  symbole  des  pé- 
cheurs, placés  à  la  gauche  du  Juge  souverain  au  dernier  jour,  en 
opposition  avec  les  brebis  fidèles  qui  passent  à  la  droite  (Matth.,  xxv, 
33).— Voir  S.  Méliton,Z)e  Besliis,  n"  xviii;  et,  quant  aux  parvis,  beaucoup 
de  détails  sur  leurs  divers  emplois,  dans  notre  Histoire  de  la  cathédrale 
de  Poitiers,  1. 1,  p.  173;  —  pour  le  lion,  voir  Hisloire  symbolique  et 
iconographique  du  lion,  par  M.  l'abbé  Cros>uïer,BuUeL  inonum. ,XIX, 
283  et  suiv.  —  On  voit  deux  lions  supportant  les  colonnes  d'un  tom- 
beau à  la  cathédrale  de  Trêves.  (Bullet.  monum.,  XII,  699.) —  Il  est 
clair  (]ue  le  sens  de  ces  animaux  n'est  plus  ici  le  même.  C'est  bien  le 
démon  vaincu  par  les  vertus  du  défunt,  d'autant  plus  que  cette  règle 
d'opposition  est  parfaitement  autorisée  par  les  aii'reuses  grimaces  de 
ces  faces  hideuses  et  refrognées.  —  Voir  encore,  sur  les  oppositions 
symboliques  et  les  significations  diverses  du  lion,  Bullet.  monum., 
XIV,  328;  XVI,  491  ;  XX,  555.  —  Il  pourrait  bien  se  faire  aussi  que 
cette  signification  de  la  justice,  qui  fut  donnée  dès  le  principe  à  ces 
lions  siégeant  au  parvis  des  églises,  se  fût  détournée  plus  tard  de 
ce  sens  primitif  et  se  transportât  jusqu'aux  simples  portes  d'entrée 
sans  aucun  rapport  à  aucune  juridiction  ,  car  la  plupart  des  églises  eu 
étaient  dépourvues  ;  mais  alors  le  lion  n'était  plus  là  qu'un  symbole 
de  Jésus-Christ  lui-même,  pierre  fondamenlale  et  force  morale  des 
institutions  chrétiennes. 


i36  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

des  statues,  et  le  portail  en  ruines  de  l'ancienne  abbaye  de 
Moreaux,  non  loin  de  Poitiers,  offre  ce  spécimen  d'un  façon 
très-remarquable.  Ge  sont  deux  évêquesqui  se  sont  succédé 
sur  le  siège  de  cette  ville  au  douzième  siècle,  et  qui,  ayant 
fait  du  bien  au  monastère,  reçurent  des  moines  l'bonneur 
de  cette  belle  effigie  {\).  Une  inscription  tracée  sur  l'une 
des  voussures  du  tympan  explique  la  présence  des  deux  ani- 
maux qui  leur  servent  de  piédestal  par  une  réminiscence 
du  temple  de  Salomon,  où  lestions  et  les  bœufs  se  répétaient 
fréquemment  dans  l'ornementation  monumentale,  comme 
dans  celle  du  mobilier. 

ut  fuit  introitus  tenipli  sancli  Salomonis^ 
Sic  est  istius  in  inedio  bovis  atque  leoni-. 

Cette  intention  de  reproduire  un  symbolisme  de  l'antique 
monument  des  Juifs  ne  laisse  aucun  doute  sur  la  signifi- 
cation qu'il  faut  donnera  celui-ci.  Tous  les  auteurs  s'accor- 
dent à  regarder  dans  le  bœuf  la  force,  la  patience,  l'amour 
du  travail  utile,  la  gravité,  la  sociabilité  douce  et  complai- 
sante ;  on  comprend  qu'avec  la  force  parfois  sévère  du  liou 
on  puisse  composer  de  ces  deux  symboles  un  ensemble  de 
vertus  sur  lequel  s'appuie  solidement  la  vie  des  évêques  et 
des  prélats,  quels  qu'ils  soient.  C'est  cette  pensée  qu'ex- 
primait dans  ce  distique  un  bénédictin  du  moyen  âge  qui 
avait  à  se  plaindre  de  son  abbé  : 

Es  leo  terribilis,  sed  non  es  bos  socialis, 
Unde  decens  basis  non  es,  bobus  tibi  rasis. 

Formule  :  inter  Pour  cu  rcvcuir  à  uotrc  lion ,  cette  attribution  d'un  tel 
symbole  à  la  juridiction  judiciaire  ne  nous  parait  pas  con- 
testable, quoique  d'érudits  arcbéologues  aient  paru  en 
douter.  La  formule  inter  leones,  qui  se  lit  dans  beaucoup 
d'actes  publics  des  onzième  ,  douzième  et  treizième  siècles, 
n'est  pas  toujours,  il  est  vrai ,  le  témoignage  de  cette  juri- 

(1)  Voir  tlalM.  nioriiuii. ,  l.  XI  ,  i>.  .^03. 


lennes. 


i:xtkriei:r  uk  l'églisk  chrétienne.  437 

diction;  mais  elle  est  comme  rindication  d'un  lieu  pins  véné- 
rable ,  où  une  sentence  a  quelque  caractère  plus  solennel 
et  plus  sacré.  C/est  la  seule  explication  possible  du  soin 
qu'on  avait  parfois  d'inscrire  le  mot  leones  au-dessus  ou  à 
côté  de  la  figure  de  ces  animaux.  A  Saint-Porcliaire  de 
Poitiers,  par  exemple,  le  sculpteur  qui  a  orné  les  cbapiteaux 
du  poi'tail  de  ces  deux  tètes  majestueuses  a  écrit  sur  le 
tailloir  qui  les  domine  :  leones  ,  en  belles  lettres  onciales. 
Quelques  mécbanlsontpunous  ranger  de  leur  avis  en  sou- 
tenant que  cet  artiste  n'avait  fait  que  prévoir  le  cas  où  ces 
lions  seraient  pris,  aux  traits  qu'il  leur  avait  donnés,  poui' 
de  simples  cliats  poitevins  ;  mais  à  prendre  la  cbose  au  sé- 
rieux, nous  pensons  que  le  mot  qui  fait  toute  l'explication 
de  cette  zoologie,  en  effet  un  peu  équivoque,  est  là  comme 
mention  d'un  lieu  consacré  à  des  arrêts  et  décisions  ayant 
force  de  loi  ;  il  y  rentre  dans  les  babitudes  de  ces  tribunaux 
dont  nous  pai-lions  tout  à  l'beure,  et  ne  peut  être  interprété 
autrement.  Nous  ne  pouvons  donc  adopter  l'idée  un  peu 
trop  matérielle  de  M.  Didron ,  expliquant  nos  lions  aux 
portes  du  temple  dans  le  sens  prosaïque  d[i  cave  canem  des 
anciens,  et  faisant  là,  d'une  façon  un  peu  plus  relevée  pai- 
la  nature  de  l'animal ,  le  rùle  domestique  et  conventionnel 
du  quadrupède  païen  {\).  ]l  nous  semble  y  avoir  entre  ces 
deux  symboles  toute  la  différence  d'une  cbose  comnunie  et 
sans  dignité  à  une  figure  pleine  d'enseignement  et  de  no- 
blesse. Si  l'on  a  mis  parfois  des  beurtoirs  à  tète  de  lion  à  la 
porte  de  quelques  églises,  c'était  plus  prol)al)lement  dans 
la  pensée  qui  avait  amené  là  les  lions  dévorant  le  serpent  ou 
le  bouc,  et  le  cave  canem  n'y  avail  rieii  à  faire,  pas  même  de 
loin  et  par  analogie. 

Un  Jàit  intéressant  s'ajoute,  sur  cette  même  façade  de 
Saint-Porcbaire,  à  celui  que  nous  \enous  de  décrire.  Au- 
dessus  de  l'un  de  nos  deux  lions,  un  médaillon  ovale  sert  de 

(1)  Annal,  archênlnii.,  \\ .  p.  2')i. 


Image  de  la  ic- 
sistance  aux  ten- 
tations sous  l'ein- 
blème  duprophète 
Daniel. 


Ce  même  sujet 
reproduit  à  Chau- 
vigny,càTonBeri-o, 


et  à  Amienr-; , 


lâS  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

cadre  à  l'image  que  voici  :  un  homme  debout  prie  les  bras 
en  croix,  comme  on  faisait  encore  au  moyen  âge,  et  comme 
on  le  voit  fréquemment  dans  les  fresques  des  catacombes. 
En  dehors  du  médaillon,  qui  pourrait  bien  être  une  auréole, 
un  lion  lèche  doucement ,  de  chaque  côté  ,  les  pieds  de  cet 
homme,  qui  est  signalé  par  une  inscription  gravée  autour  de 
cet  ovale  :  Hic  Daniel  Domino  [favente)  vincit  cœtum  leoni- 
num.  A  côté,  le  prophète  Habacuc  tient  deux  vases  conte- 
nant la  nourriture  qu'il  avait  préparée  pour  ses  moisson- 
neurs ,  et  que ,  sur  l'ordre  de  Dieu  manifesté  par  la  main 
divine  sortant  du  nuage  au-dessus  de  sa  tête,  il  avait  portée 
au  prophète  captif.  On  reconnaît  là  parfaitement  le  trait 
historique  rapporté  par  le  prophète  lui-même  au  quator- 
zième chapitre  de  son  livre  [\).  Or,  on  le  voit  bien,  les  lions 
n'auraient  que  faire  ici  de  leur  rôle  reconnu  de  judicature  : 
c'est  bien  plus  pour  rendre  aux  yeux  du  fidèle  la  puissance 
de  la  prière  contre  les  périls  des  tentations,  qu'ils  oublient 
leur  férocité  naturelle,  et  rien  n'allait  mieux  que  cette 
pensée  aux  abords  d'une  église.  Aussi  ne  l'a-t-on  pas  exclu- 
sivement consacrée  à  l'extérieur.  On  la  retrouve  souvent , 
surtout  en  Poitou ,  dans  le  sanctuaire  même,  d'où  la  prière 
s'élève  plus  directement  vers  le  Saint  des  Saints  ;  telle  on  la 
voit  sur  un  chapiteau  de  Sainte-Radégonde  de  Poitiers  et 
sur  un  autre  de  Saint-Pierre  de  Ghauvigny.  Le  tympan  de 
la  porte  occidentale  de  Saint-Pierre  de  Tonnerre  encadre 
un  autre  Daniel,  qui  prie  comme  celui  de  Poitiers  ;  les 
lions,  posés  et  calmes,  semblent  lécher  ses  mains  en  signe 
de  leur  soumission  miraculeuse  (2).  Au  portail  d'Amiens , 


(1)  Nous  avons  A'u  plnsieur.-^  descriptions  de  ce  bas-relief  hasardées 
par  des  laïques  à  qui  il  ne  manquait  que  d'avoir  étudié  un  p£u  leur 
chapitre  xiv  de  Daniel.  L'un  s'embarrassait  fort  des  deux  ampoules 
portées  par  Habacuc  ;  l'autre  voyait  dans  cette  main  nimbée  un  oiseau 
dont  quelques  plis  des  nuages  faisaient  des  ailes,  etc.  Et  l'on  impri- 
mait de  telles  clioses!...  Et  Tonne  se  doutait  pas  du  sens  mystique 
trouvé  par  les  Pères  dans  cette  image,  où  les  lions  ont  bien  leur  motif 
d'être,  mais  où  Daniel  et  Habacuc  n'ont  pas  moins  le  leur, 

{^)  M..  LQwmxive,  Ammaire  de  V Yonne,  Wi%. 


EXTEKIEUU    DE   L  EGLISE   CHUETlENiNE. 


139 


un  des  médaillons  si  remarquables  qui  ornent  la  belle  façade 
de  Notre-Dame,  Daniel  est  assis,  plus  conformément  au  texte 
sacré  (I) ,  et  quatre  lions  reposent  placidenitint  à  sa  droite 
et  à  sa  gaucbe ,  comme  s'ils  craignaient  de  troubler  sa  mé- 
ditation (2).  Enfin,  comme  dernier  terme  de  comparaison, 
voici  une  agrafe  en  bronze,  qu'on  peut  croire  du  buitième 
ou  du  neuvième  siècle,  représentant  le  même  sujet,  et  oij 
les  lions,  comme  on  les  voit  partout  où  ils  doivent  signifier 
les  mauvaises  passions  assujetties  à  l'iiomme  par  le  saint 
usage  de  la  grâce,  s'inclinent  devant  le  Propbète  et  lècbent 
ses  pieds.  Ceci  est  d'autant  plus  à  considérer  qu'on  ne  peut 
refuser  d'y  voir  l'explication  de  ces  autres  images  où  les 
animaux,  s'accolant  de  droite  et  de  gauclieàun  liomme  de- 
bout, tiennent  absolument  le  môme  rôle  qu'on  leur  voit  ici. 
Ainsi  s'élucident,  les  uns  par  les  autres,  les  faits  symboli- 
ques pour  l'étude  desquels  il  faut  procéder  toujours  pai' 
l'esprit  d'observation  et  de  rapprociiement  (3). 

Mais  après  ces  traits  de  détail  qui  nous  ont  retenu  autour 
de  notre  basilique  plus  ou  moins  spacieuse,  il  nous  reste 
encore  à  contempler  la  grande  page  qui  annonce  tout  l'in- 
térieur, et  où  se  développent  encore  les  austères  catécbèses 
de  la  religion.  La  variété  des  tableaux ,  le  nombre  des  baies 
y  sont  toujours  proportionnés  à  l'importance  de  l'édifice.  Si 
modeste  qu'il  soit,  un  ou  deux  symboles  au  moins  y  appa- 
raissent, et  il  est  rare  qu'une  entrée  d'église,  si  res- 
treinte qu'on   l'ait   construite ,  ne  signale  pas  une  idée 


rapproché  de 
quelques  autres 
pour  confirmer 
nos  déductions 
iconographiques. 


Façades  des 
js^randes  églises  et 
leur  décoration 
jriiindiose. 


(1)  «  Surgeiisque  DaDÎel,  comedit.  »  (xiv,  38).  —  «  Venit  Rex...,  ut 
ecce  Daniel  sedcnx  in  medio  leoniim.  »  (fb.,  39.) 

(2)  Les  sept  lions  figurent  rarement  dans  les  sculplures  des  cliapi- 
leaux,  nécessairement  restreints  par  leurs  dimension*,  non  pins  que 
dans  des  médaillons  quadrilobcs,  comme  ceux  d'Amiens.  Mais  le  nombre 
ne  fait  rien  ici  dans  la  pensée  du  tailleur  d'images  ,  et  l'on  citerait,  en 
pareil  cas  ,  maints  pasteurs  se  tenant  auprès  d'un  troupeau  représenté 
par  une  brebis,  un  porc  :  l'histoire  fait  deviner  le  reste. 

(3)  Voir  M.  l'abbé  Crosnier,  Ico?iographie  chrétienne ,  p.  78.—  Cf.  ce 
que  nous  avons  dit  d'après  un  texte  de  S.  Isidore  de  Séville,  ci-dessus, 
t.  I,  p.  235  et  236  ;  t.  II ,  p.  bOl,  note  2. 


UO  HIvSTOIRE   DU    SYMBOLISME, 

chrétienne  par  les  oiseaux  ,  ou  les  serpents  ,  ou  les  figures 
grimaçantes  qui  ramènent,  sur  le  seuil  môme  qu'on  va 
franchir ,  aux  religieuses  préoccupations  de  la  conscience 
chrétienne.  Mais  afin  de  grouper  sous  les  yeux  du  lecteur 
la  généralité  de  ces  sujets  instructifs ,  supposons  que  nous 
avons  jusqu'à  présent  examiné  une  de  nos  vastes  et  antiques 
cathédrales  des  onzième,  douzième  ou  treizième  siècles; 
arrêtons-nous  devant  ces  étonnantes  sculptures ,  en  qui  la 
déhcatesse  du  travail  le  dispute  à  ce  que  peut  avoir  de  plus 
énergique  l'enfantement  de  la  pensée.  Quels  grandioses 
tahleaux  que  ces  façades  de  Reims,  d'Amiens,  de  Paris, 
de  Chartres ,  de  Bourges  ,  de  Poitiers  !  Trois  portes ,  dont 
deux  moyennes,  s'y  ouvrent  immauquahlement,  correspon- 
dent à  la  triple  nef  de  l'intérieur.  C'est  tout  d'ahord  ,  dans 
cette  unité  pleine  de  tant  d'harmonie,  l'image  préliminaire 
de  l'auguste  Trinité,  qui  reviendra  plus  d'une  fois  dans  ce 
vaste  ensemhle  d'iconographie  où  tout  parle  de  Dieu  et  de 
he  trumeau  de  l'âmc  U).  La  plus  amplc  de  ces  haies,  la  porte  royale  ,  la 

la  porte  médiane  :  i  J  ' 

ce  qu'il  fifiruic.  porte  médiane,  est  presque  toujours  partagée  dans  sa  hau- 
teur, pendant  et  après  le  douzième  siècle  ,  par  un  trumeau 
orné  d'une  statue  qui  lui  est  adossée  ,  et  qui  est  ordinaire- 
ment celle  de  Notre-Seigneur ,  de  la  Sainte  Vierge  ou  du 
patron.  Quant  au  trumeau  lui-même  ,  il  indique  les  deux 
voies  qui  s'offrent  à  l'homme  et  qui  mènent  à  deux  vies  hien 
différentes  sur  la  terre  et  au  delà...  Ce  piher,  que  couronne 
un  chapiteau,  ne  doit  donc  jamais  être  supprimé,  comme 
on  l'a  fait  maladroitement,  sous  prétexte  de  faire  entrer 
et   sortir  plus  aisément  l'énorme  dais  que  nos  ancêtres 

(1)  Voir  les  détails  de  l'église  de  Paray-le-Monial(Saône-et-Loire),où 
toutest  rédnitau nombre  trois  (Icon.  c/ir., p. 77).— S. Paulin, décrivant 
deux  églises  de  son  temps,  dont  l'une  était  agrandie  par  ses  soins, 
signale  cette  triple  porte  avec  le  symbolisme  quenousy  reconnaissons: 

Aima  domus  ti'iplici  patet  ingredientibus  arcu 
Testaturque  piam  janua  trina  fidem. 

,  .  .  Una  fides  trino  sub  nomine  quœ  colLt  unum, 
Unanimes  trino  suscipit  introitii. 

(S.  Paulin.  Epist.  xxxiil  ad  Sttlpit.  Severum.) 


EXTÉRIELU   DE   L  ÉGLISE   CHRÉTIENNE.  \Ai 

n'avaitMit  pas  le  boiiJiour  de  comiailre.  Ce  qu'on  a  J^agné  à 
.  cette  suppression, c'est  trop  souvent  rafïaisseinent  de  la  plate- 
bande  ou  linteau  supérieur,  et  de  là  une  dislocation  inévi- 
table dans  cette  iniportantci  portion  de  la  façade —  Au- 
dessus  de  ces  meneaux  se  déroule  le  tympan  principal  avec 
ses  voussures  nombreuses  jetant  autour  des  scènes  bi- 
bli(|ues  leurs  profondeurs,  semblables  à  des  liorizons  diffé- 
rents et  que  garnissent  les  savantes  allégories  des  Vices 
domptés  par  les  Vertus,  des  Ordres  de  la  biérarcliie  sacrée, 
des  cliœurs  des  anges,  ou  d'oiseaux  et  de  quadrupèdes,  ou 
des  arbres  ou  des  (leurs  variées  aux  gracieux  festons,  aux 
guirlandes  délicatement  fouillées  par  un  ciseau  cinq  ou  six 
fois  séculaire.  Mais  ce  n'est  là  qu'une  couronne  de  glorieux 
assistants,  et  les  courtisans  célestes,  ces  nobles  combattants 
des  jours  d'épreuves,  entourent  le  Roi  des  rois  et  procèdent 
avec  Lui  au  jugement  éternel  des  grands  et  des  petits  de  la 
terre  (-1).  Au-dessus  des  morts  qui  ressuscitent,  des  Élus, 
séparés  déjà  des  impies,  le  Juge  est  assis.  Son  bras  levé  est 
le  signe  de  la  puissance  (jui  va  venger  les  mépris  de  la 
croix,  qu'il  soutient  de  l'autre  main  ;  à  sa  droite  ,  côté  le 
plus  digne  et  celui  des  brebis  fidèles ,  Marie  agenouillée 
supplie.  Mère  de  miséricorde;  à  gauche,  S.  Jean  l'Évan- 
géliste  unit  ses  prières  ,  et  semble  répéter  avec  la  xMère  du 
Christ,  devenue  la  sienne  sur  le  Calvaire  :  Dieu  est  la  charité. 
Mais  Dieu  n'est  pas  moins  la  justice.  Les  pécheurs,  qui 
étaient  condanuiés  d'avance,  s'en  vont ,  traînés  par  les 
maîtres  horribles  qu'ils  ont  préférés,  au  lieu  éternel  des 
crimes  et  des  aveuglements  volontaires  ;  les  Justes,  passés 
à  la  droite,  entrent,  sous  la  conduite  de  S.  Pierre  muni 
de  ses  clefs  ^'Mî  ouvrent  sans  que  personne  puisse  fermer^  dans 
la  Cité  du  bonheur,  dont  on  voit,  sur  un  autre  plan,  les  tran- 
quilles demeures,  avec  leurs  tours  éternelles  et  leurs  reni- 


Voussures  sculp- 
tée» dea  tympans; 


lour      Jugement 
flernier. 


(1)  «  Sedebitis  et  vos  super  sedes,  judicante.-*  tribus  Israël.»  {Matlh., 
XIX,  28.; 


^42  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

parts  que  nulle  main  ne  peut  abattre  ni  ébranler. — Au  reste, 
tous  ces  types  sont  inspirés  par  l'Apocalypse ,  et  représen- 
tent tous,  avec  d'heureuses  variantes,  les  images  que  nous  en 
avons  décrites  dans  le  précédent  volume  de  cet  ouvrage  (4). 
Autres  motifs        D'autrcs  fois  et  ailleurs,  la  scène  principale,  le  jugement, 

iconographiques 

partout  répétés,  gc  modific  par  ses  accesson^es  :  à  Fribourg  en  Brisgaw, 
c'est  l'histoire  du  Christ ,  son  crucifiement ,  avec  la  Syna- 
gogue aux  yeux  bandés  ;  ou  bien  les  Vierges  sages  et  les 
Vierges  folles  ;  à  Bazas,  c'est  le  Pèsement  des  âmes,  comme 
à  Autun ,  au  Mans  et  à  Amiens  ;  à  Vézelay  ,  c'est  le  Christ 
triomphant  qui  verse  de  ses  mains  des  rayons  lumineux 
sur  la  tête  de  ses  Apôtres  tenant  chacun  le  Livre  de  la  doc- 
trine qu'ils  doivent  répandre.  Ailleurs,  il  siège  encore  au 
milieu  des  Douze,  placés  debout  et  tenant  soit  l'instrument 
de  leur  martyre,  soit  un  phylactère  où  s'inscrit  l'article  du 
symbole  que  la  tradition  donne  à  chacun  d'eux  :  là  ils  sont 
les  vrais  fondements  et  les  portes  véritables  de  l'Église 
mystique,  comme  les  appelle  S.  Augustin  (2). 
Symboles  et  àt^      Ici  uous  dcvous  ajoutcr,  aux  notions  éparses  déjà  données 

Apôtres. ^^  ""^'^  sur  les  Apôtres,  l'explication  des  attributs  fournis  à  chacun 
d'eux  par  les  artistes,  et  la  place  qu'ils  occupent  respective- 
ment quand  on  les  destine  à  une  grande  représentation  d'en- 
semble. Au  portail  principal  de  Chartres,  ils  accompagnent 
l'image  de  Jésus-Christ;  les  Prophètes ,  véritables  Apôtres 
de  l'ancienne  Loi,  posent  un  peu  plus  loin,  mais  sem- 
blent tenir  à  leur  droit  de  se  survivre  autour  de  Celui  qu'ils 
ont  fidèlement  attendu.  Comme  tous  les  Saints,  les  Apôtres 
doivent  toujours  avoir  leurs  attributs  spéciaux  et  l'instru- 
ment de  leur  supplice  ;  quelquefois  ils  portent  en  même 
temps,  sur  un  parchemin  déroulé,  un  des  points  dogmati- 
ques de  leur  symbole.  L'étude  de  leur  représentation  per- 
sonnelle ferait  un  livre.  Disons  seulement  ici, avec  MM.  Gros- 


(1)  Voir  ci-dessus,  t.  II ,  ch.  \\  et  XIL 

(2)  «  Apostoli  fundaraenla  et  portse  Ecclesiœ,  »  in  Psatm.  passim. 


EXTÉRIEUR    DE   LÉGLISK   CHRÉTIENNE.  143 

nier  et  Jourdain,  quels  sont,  pour  cliacun,  les  attributs  et  la 
sentence  que  les  artistes  doivent  leur  donner ,  en  les  indi- 
quant dans  l'ordre  le  plus  habituel,  bien  plus  que  par  tel  rang 
spécial  qu'on  ait  généralement  imposé  à  chacun  d'eux  (^1). 
Les  quelques  diversités  qui  se  rencontrent  à  cet  égard  dans 
l'imagerie  du  moyen  âge,  les  légères  modifications  qu'on  en 
retrouve  dans  les  liturgistes  et  dans  le  Canon  môme  de  la 
Messe,  qui  cependant  devrait  faire  autorité  par  son  antiquité 
plus  reculée,  sembleraient  n'imposer  aucune  règle  absolue 
sur  Tordre  à  suivre  dans  le  placement  de  ces  saints  person- 
nages ;  nous  préférons  cependant  celui  que  l'Église  semble 
avoir  consacré  par  sa  liturgie,  puisque  la  partie  des  prières 
du  Saint  Sacrifice  où  le  Collège  apostolique  est  invoqué  tout 
entier  remonte  au  moins  au  quatrième  siècle,  comme  l'in- 
diquent les  noms  des  SS.  martyrs  Jean  et  Paul,  qui  souffrirent 
sous  Julien  l'Apostat  (2) .  Ce  devrait  être,  en  effet,  une  raison 
d'adopter  cet  ordre,  qui  n'a  rien  d'arbitraire  sans  doute  , 
puisque  les  traditions  ecclésiastiques  reposent  toujours  sur 
des  raisons  souverainement  sages,  quoique  nous  ne  les 
sachions  pas  toujours. 

4"  S.  Pierre,  les  pieds  nus,  comme  tous  les  autres  qui  le  s.  piekre. 
suivent,  par  la  môme  raison  que  Notre-Seigneur  et  les 
Anges  (3)  ;  le  nimbe  propre  à  tous  les  Saints,  et  dans  lequel, 
depuis  le  douzième  siècle ,  on  trouve  parfois  inscrit  le  nom 
du  personnage;  la  tète  presque  entièrement  chauve,  parce 
qu'on  lui  attribue  la  loi  ecclésiastique  de  la  tonsure  cléri- 
cale. Quelquefois  son  coq  est  près  de  lui.  Il  tient  les  deux 
clefs  avant  le  quatorzième  siècle  ;  plus  tard ,  il  n'en  a 
souvent  qu'une  seule  ;  il  a  aussi  la  croix  de  sa  mort  dans  la 
main  droite.  Sa  devise  est  :  Credo  in  unum  Deum,  patrem 
omnipoteniem  ,  creatorem  cœli  et  terrœ. 

(1)  Grosnier ,  Iconographie  chrétienne,  p.  213  et  suiv.  —  Jourdain, 
Bill!,  monum.,  XIII,  287  et  suiv. 
(2;  Voir  Benoît  XIV,  De  Missx  Sacriftcio,  c-ap.  xiu,  n»  22. 
(3)  Voir  ci-dessus,  t.  II,  p.  234. 


lii  HisTOiUK  dl:  symbolisme. 

s.pAtix..  2**  s.  Paul.  Nous  avons  dit  pourquoi  ii  réside  souvent 

à  la  droite  du  Sauveur,  dont  S.  Pierre  n'obtient  que  la 
gauche  (^).  Sa  figure  ovale,  son  nez  légèrement  aquilin, 
la  fermeté  de  son  regard,  son  front  large  et  serein,  sa 
longue  barbe  bien  fournie  comme  ses  cheveux,  enfin  la 
vaste  ampleur  de  son  manteau,  le  désignent  suffisamment  : 
c'est  le  grand  philosophe  devenu  chrétien.  11  tient  droite,  et 
la  pointe  renversée ,  l'épée  qui  termina  ses  jours ,  ou  plutôt 
ce  glaive  mystérieux  auquel  il  compara  lui-même  la  parole 
divine,  dont  il  fut  le  plus  éloquent  prédicateur  (2).  Il  ne 
.  dit  rien  du  symbole,  qui ,  sans  doute  ,  était  déjà  formulé 
lors  de  sa  conversion  ,  trois  ans  après  l'ascension  du  Sau- 
veur; aussi  ne  parait-il  pas  toujours  dans  les  réunions 
plastiques  des  Apôtres  ;  il  est  remplacé  par  : 

S.André.  3*"  S.  André  n'a  pas  un  type  personnel  aussi  caractérisé 

que  celui  des  deux  précédents.  En  effet,  les  autres  Apôtres, 
moins  connus  de  l'univers,  dont  ils  n'évangélisèrent  qu'une 
partie,  n'ont  eu  qu'une  notoriété  bien  moins  populaire. 
On  ne  peut  la  comparer  à  celle  du  Chef  du  Sacré  CoUége  lais- 
sant son  empreinte  dans  les  catacombes, à  côté  de  celle  de  son 
inséparable  compagnon,  devenu  le  prédicateur  des  Gentils. 
Ils  ne  sont  donc  reconnaissables  qu'aux  seuls  attributs  que 
leur  a  mérités  une  glorieuse  mort.  S.André  a  sa  croix  spé- 
ciale ,  formée  de  deux  bois  croisés  en  diagonale  (3).  Il  pour- 


(1)  Voir  ci-dessusj  t,  II,  p.  451. 

(2)  «  Vivus  est  sermo  Dei  et  efticax,  et  peuetrabilior  oumi  gladio 
ancipiti,  et  pertingens  usque  ad  divisiouem  aniiuse  ac  spiritus,  coin- 
pagum  quoque  ac  meduUarum,  et  discretor  cogitationum  ac  inten- 
tionum  cordis.  »  {Heb/\,  ïy,  12.) —  Quelle  abondance!  et  comme  on  y 
ôent  bien  l'homme  tout  plein  encore  de  la  parole  qui  l'a  terrassé  de- 
vant Damas,  et  l'a  éclairé  si  vivement  ! 

(3)  Il  parait  que  la  croix  en  sautoir  dite  de  Saint-André  ne  s'est  guère 
fait  adopter  que  vers  le  quinzième  siècle  dans  notre  iconographie  euro- 
péenne. On  l'y  trouve  rarement  avant  cette  époque;  et  le  P.  Giry,  qui 
avait  vu  à  l'abbaye  de  Saint-Victor  de  Marseille,  visitée  par  lui  eu  1067, 
cette  précieuse  croix,  qu'on  y  vénérait,  dit  qu'elle  ne  différait  en  rien 
de  la  croix  latine  {Vie  de  S.  André,  30  nov.). 


EXTÉRIKLH    UK    l'ÉGLISK   CHRÉTlExNNE.  ^45 

suit,  après  S.  Pierre,  son  Irère  par  la  cliair,  par  l'esprit 
et  par  le  supplice,  le  symbole  de  la  foi,  et  semble  dire  :  Et 
in  Jesum  Christum^  Filium  ejus  unicum,  Dominum  nostrum. 

5°  S.  Jacques  le  Majeur  porta  d'abord  le  fflaive  qui  lui      s.  jacqies  le 

^  o  X  Majeur. 

trancha  la  tète  ;  mais  depuis  la  célébrité  acquise  au  pèleri- 
nage de  Compostelle ,  au  neuvième  siècle ,  on  lui  donne 
une  robe  de  pèlerin  avec  un  camail  garni  de  coquilles  ;  il 
porte  le  bourdon  et  la  panetière. — Qui  conceptus  est  de  Spi- 
riiu  Sancto  ^  naliis  ex  Maria  Virgine. 

5°  S.Jean  est  imberbe  :  c'est  la  personnification  de  la  s.  jean. 
virginité,  de  la  jeunesse  candide,  de  l'innocence  des  mœurs 
et  de  la  pensée.  Les  Grecs ,  dont  le  schisme  a  défloré  la 
simplicité  cin-étienne  ,  n'ont  pas  senti  cela  ,  et  chez  eux  il 
est  barbu  comme  les  autres  Apôtres,  en  qui  la  barbe  est , 
d'ailleurs,  le  signe  de  la  force  ,  du  cœur  et  de  l'esprit  {\). 
Il  est  regardé  comme  le  premier  qui  ait  célébré  les  Saints 
Mystères  en  habits  sacerdotaux  ;  c'est  pourquoi  on  les  lui 
donne  assez  ordinairement,  aussi  bien  que  la  tonsure, 
symbole  de  l'abandon  des  superfluités  de  la  vie.  C'est  sans 
doute  par  la  même  raison  qu'il  porte  toujours  un  calice 
auquel  se  réduisent  le  plus  souvent  ses  signes  distinctifs. 
Nous  aimons  mieux  cette  explication  que  celle  qu'on  tire 
de  la  Légende  dorée,  où  le  Saint  avale  un  poison  qui  ne  lui  fait 
aucun  mal.  Ce  poison,  néanmoins,  pourrait  bien  être  sym- 
bolisé par  le  petit  dragon  qui  semble  s'envoler  de  la  coupe, 
et  qu'on  ne  manque  jamais  de  faire  planer  au-dessus  d'elle 
(d'autres  l'en  font  sortir  à  moitié).  Ce  dragon  est  le  symbole 
très-avéré  du  démon ,  instigateur  de  tout  mal,  dont  on  peut 
voir  l'influence  mauvaise  dans  l'action  nuisible  des  créa- 
tures sur  la  vie  humaine ,  et  qui  doit  s'en  séparer  forcément 
dès  lors  qu'un  acte  de  la  protection  divine  s'interpose  entre 
le  criminel  et  la  victime.  —  L'aigle  du  Tétramorphe  est 
aussi  le  symbole  de  S.  Jean,  planant,  comme  cet  oiseau, au- 

(l)  Voir  BulL  inonum.,  XI,  p.  285. 

T.    IIJ  10 


H6  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

dessus  de  toutes  les  générations  humaines  quand  il  raconte 
la  naissance  éternelle  du  Verbe.  Cet  oiseau  est  tantôt  auprès 
de  lui,  supportant  le  livre  de  l'Apocalypse,  tantôt  au-dessus 
de  sa  tête ,  tenant  en  son  bec  la  plume  immortelle  du  dis- 
ciple bien-aimé. —  Passus  sub  Ponfio  Pilato ,  crucifixus  ^ 
mortuus  et  sepultus. 
S.Thomas.  6"  S.  Thomas  fut  lapidé,  ct  il  coustruisît  de  nombreuses 

églises  aux  Indes ,  qui  reçurent  son  apostolat.  Est-ce  pour 
cela  qu'il  tient  en  main  une  grosse  pierre?  Serait-ce  la 
raison  qui  l'aurait  fait  prendre  pour  patron  par  les  archi- 
tectes,et  armer  d'une  équerre  qu'on  lui  donne  parfois?  Rien 
ne  semble  justifier  ni  condamner  ces  idées.  Ce  qui  paraît 
juste  ,  c'est  de  renoncer  à  cette  lapidation,  car  on  s'accorde 
à  lui  donner  une  lance  dont  ses  Actes  disent  généralement 
qu'il  fut  percé.  Dès  lors  la  grosse  pierre,  bien  équarrie  et 
parfaitement  régulière  ,  que  nous  lui  voyons  en  quelques 
miniatures  ,  demeurerait  aux  architectes  comme  un  signe 
de  sa  protection.  Puisse-t-il  les  inspirer  et  donner  son  esprit, 
qu'ils  n'ont  pas  encore ,  à  beaucoup  de  ceux  qui  s'adressent 
à  nos  pauvres  monuments  !  —  Ici  se  présente  une  difficulté 
qui  va  prouver  combien  doit  susciter  de  doutes  l'arrange- 
ment qu'on  a  fait  des  articles  du  symbole  avec  chaque 
Apôtre  en  particulier.  Durant  de  Mende  ,  que  nous  suivons 
pour  cette  partie  de  nos  explications,  place  entre  S.Jean, 
que  nous  venons  de  quitter,  et  S.  Thomas,  dont  nous  par- 
lons, deux  autres  Apôtres  :  S.  Philippe  et  S.  Barthélémy.  Il 
en  résulte  que  la  légende  du  Cr(?<io,  prêtée  à  S.  Thomas, 
ne  serait  pas  celle  qui  suit  immédiatement  le  passus  sub 
Pontio  ,  mais  bien  inde  venturus  est  :  c'est  une  interversion 
du  cinquième  article  au  septième.  Il  faut  bien  reconnaître 
dès  lors  ou  que  Durant  s'est  trompé  ,  ou  que  la  tradition 
est  erronée.  Quoi  qu'il  en  soit ,  nous  constatons ,  tout  en 
suivant  Tordre  du  Missel,  comme  plus  vrai,  cette  contradic- 
tion entre  lui  et  les  errements  de  quelques  vieux  livres. 
On  doit  croire  que  cette  erreur  a  eu  aussi  des  variantes  ; 


EXTÉRIFAR    DE   l'ÉGLISE   CHRÉTIENNE.  147 

car,  à  Sainte-Cécile  d'Alby,  les  Apôtres  ne  sont  ni  placés  dans 
le  même  ordre,  ni,  par  conséquent,  porteurs  des  mêmes 
articles  de  foi  (I).  D'après  le  Missel,  S. Thomas  devrait  donc 
dire  :  Descendit  ad  infcros ,  lertia  die  resurrexit  a  mortuis, 
au  lieu  de  dire,  comme  le  veut  Durant  :  bidc  venturus  est 
judicare  vivos  et  mort  nos. 

V  S.  Jacques  le  Mineur  ,  précipité  du  haut  du  temple 
à  Jérusalem  ,  fut  assommé  par  un  foulon,  dont  la  masse  ou 
bâton  est  deveiui  son  attribut.  Il  y  tient  la  neuvième  place 
dans  le  Rational,  et  dit  :  Sanctam  Ecclesiam  catholicam,  etc.; 
la  septième,  qu'il  occupe  ici,  lui  donne  réellement  l'a^- 
cendit  ad  cœlos,  sedet  ad  dexteram  Dei  Patris  Omnipofentis. 

8*  S.  Philippe  tient  une  croix  triomphale  ou  à  trois  bran- 
ches, parce  qu'il  fut  crucifié  à  Hiéropolis ,  en  Phrygie.  Son 
phylactère  porte  :  Descendit  ad  inferos ,  tertia  die  resur- 
rexit,  etc.,  ce  qui  appartiendrait  à  S.  Thomas  et  devrait  être 
remplacé  ici  par  inde  venturus  est  judicare  vivos  et  mortuos, 

9»  S.  Barthélémy  fut-il  écorché,  comme  le  prétendaient  les 
peintres ,  qui  lui  mirent  un  coutelas  à  la  main  gauche , 
ou  crucifié  sur  cette  croix  longue  et  mince  qu'on  lui  voit 
au  portail  d'Amiens?  Ce  sont  des  sujets  controversés.  On 
est  autorisé  à  lui  donner  l'un  de  ces  attributs  ;  nous  les  lui 
donnerions  plus  sûrement  tous  les  deux.  Reculant  encore  de 
deux  rangs,  il  doit  dire  :  Credo  in  Spiritum  Sanctum. 

10"  S.  Matthieu  fut  percé  d'une  pique  à  l'autel,  et  il 
la  porte  en  triomplie  :  Sanctam  Ecclesiam  catholicam,  Sanc- 
torum  communionem.  Rien  n'irait  mieux  à  ce  Martyr  expi- 
rant pour  l'Église  dans  l'acte  le  plus  solennel  de  la  com- 
munion des  Saints. 

ir  S.  Simon  :  Remissionem  peccatorum.  11  fut  scié  par  des 


s.  .Jacques  le 

MlNEl'B. 


S.  Philippe. 


S.  Barthélémy. 


S.  Matthieu. 


S.  Simon. 


(1)  Ces  contrariétés  pourraient  bien  venir  d'une  pose  inintelligente 
de  quelques  statues  qui,  ayant  été  sculptées  séparément,  ne  furent 
ensuite  placées,  par  l'inadvertance  d'ouvriers  maladroits,  qu'en  dépit 
des  inscriptions  déjà  gravées  peut-être  sur  les  corniches  ou  linteaux  qui 
devaient  les  avoisiner. 


448  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

prêtres  du  Soleil  pendant  son  apostolat  en  Perse.  La  scie  de 
son  supplice  est  entre  ses  mains. 

s.JcDE.  >i2o  Sans  trop  savoir  de  quel  supplice  mourut  S.  Jude, 

nommé  autrement  Thaddée  ,  on  a  lieu  de  croire  qu'il  dût 
être  assommé,  quelques-unes  de  ses  anciennes  images  le 
représentant  avec  une  massue.  On  lui  donne  autrement  une 
palme  et  un  livre  ,  insignes  habituels  du  martyre  et  de  Ta- 
postolit.  Il  prononce  le  carnis  resurrectionem. 

s.  Matthias.  Mals  Icl  uous  rcstc  encore  S.  Matthias ,  qui  ne  figure  pas 

au  Missel  parce  qu'il  ne  fut  pas  des  Apôtres  contemporains 
de  la  mission  du  divin  Maître  ,  ayant  été  élu  par  les  onze 
pour  remplacer  Judas  (1).  Nous  soupçonnons  un  peu  qu'on 
l'aura  mis  après  coup  dans  cette  liste  énumérée  par  l'évêque 
de  Mende ,  dont  S.  Paul  était  exclu,  pour  ne  pas  laisser  sans 
emploi  le  vitam  œfernam  qui  termine  le  symbole.  Nous 
pourrions  observer  aussi  que  l'attribution  de  ces  douze  ar- 
ticles a  été  quelque  peu  arbitraire  ;  car  on  remarque  ,  en 
les  parcourant,  qu'on  a  dû  les  réduire  à  ce  nombre  pour 
en  donner  un  à  chaque  Apôtre  ,  mais  qu'on  aurait  pu 
utiliser,  sans  faire  tort  à  l'ensemble,  sept  Apôtres  déplus 
et  livrer  à  chacun  d'eux:  une  banderole  où  eussent  figuré 
autant  de  duplicata  faciles  à  distinguer.  Pourquoi ,  par 
exemple,  n'avoir  pas  séparé,  comme  autant  de  dogmes 
aussi  réels  que  distincts,  les  traits  suivants  qu'on  a  forcé- 
ment reliés  à  ceux  qui  les  précèdent  :  Creatorem  cœli  et 
terrœ;  —  natus  ex  Maria  Virgine  ;  —  crucifixus  ;  —  mor- 
tuus  ;  —  et  sepultus;  —  resurrexit  amortuis;  —  sedet  ad 
dexteram  Dei  ;  —  Sanciorum  communionem  t  —  Cet  examen 
ébranle  nécessairement  la  solidité  d'une  origine  authen- 
tique pour  cette  légende  (2).  On  n'en  est  pas  moins  autorisé, 

(1)  Le  Missel  a  dédommagé  le  saint  Apôtre,  aussi  bien  que  S.  Bar- 
nabé,  élu  comme  lui  après  l'Ascension,  en  les  nommant,  après  le  mt- 
rnento  des  morts,  avec  les  premiers  martyrs  de  l'Eglise.  Ils  y  viennent 
immédiatement  après  S.  Etienne. 

(2)  Ce  qu'il  y  a  d'important  aussi  à  remarquer,  c'est  le  peu  de  soin 


EXTERIEUR    DE   L  EGLISE   CHRÉTIENNE. 


U9 


nous  semble-t-il ,  à  en  prendre  le  fond  pour  orner  une  façade 
ou  des  verrières,  mais  ce  ne  serait  qu'à  condition  de  rentrer 
dans  Tordre  du  Canon  de  la  Messe ,  et  d'y  faire  suivre,  aux 
versets  du  Credo ,  l'ordre  correspondant  à  chacun  des  per- 
sonnages apostoliques.  —  L'attribut  de  S.  Matthias  est  une 

cognée.  preuve    d'une 

tradition    univer- 

Revenons  maintenant  aux  traits  de  notre  façade  symbo-  seiie  inspirée  par 

1.  /-w.  ,,i,-ii  ...  11/  les  mêmes  pensées 

lique.  On  voit  qu  a  1  aide  de  ces  ingénieux  moyens  de  déco-  de  foi, 
ration  qui  les  animent  et  les  vivifient,  tous  les  motifs  de  ter- 
reur ou  de  consolation  se  présentent,  sur  ces  merveilleuses 
pages  sculptées,  aux  regards  et  aux  méditations  de  l'homme  ; 
le  texte  en  est  inépuisable,  aussi  bien  que  les  innombrables 
symboles  qui  en  surgissent.  Ce  que  nous  devons  surtout  re- 
marquer dans  cette  étude  tropologique  de  nos  monuments , 
c'est  que  partout ,  chez  toutes  les  nations  où  fleurit  au 
moyen  âge  la  pensée  chrétienne ,  les  mêmes  images  se 
retrouvent,  les  mêmes  vérités  s'enseignent  par  les  mêmes 
moyens  graphiques ,  les  mêmes  symboles  les  expriment  ; 
et  cependant  il  n'y  avait  pas  de  livres  qui  exposassent  cette 
théorie  universelle;  les  traditions  servaient  seules  le  senti- 
ment chrétien.  Liberté  entière  était  donnée  à  l'artiste,  dont 
le  génie  rendait  avec  plus  ou  moins  de  naïveté  ou  de  per- 
fection la  longue  et  poétique  série  des  sujets  iconologiques  ; 
mais  le  fond  restait  le  même  :  le  ciel ,  le  paradis,  les  vertus 
et  les  péchés,  les  démons  et  les  saints;  l'histoire  sainte  et 
les  bestiaires  revenaient  sans  cesse  sous  le  regard ,  en  deçà 
ou  au  delà  des  mers  ,  comme  le  fond  lui-même  des  doc- 
trines architecturales,  comme  la  théologie  catholique,  dont 


qu'on  avait  pris, 
se  conformer  au 
Saint- Hubert  de 
par  des  fresques 
articles  de  foi.  — 
faut  bien  avouer 
ne  s'était  mêlé 
ration. 


en  diverses  églises  où  ce  système  avait  été  adopté^  de 
moins  à  une  donnée  unique.  Il  n'en  était  rien,  et  à 
Waville,  en  Lorraine,  les  mêmes  Apôtres,  représentés 
du  (juinZ'èiiie  siècle, ne  triaient  pas  du  tout  les  mêmes 
Voir  Bull,  monnm.,  t.  XIV,  p.  220,  et  XX,  188.  —  Il 
aussi  que  c'était  là  une  nouvelle  pr^'uve  que  le  clergé 
qu'incomplètement  ou  pas  du  tout  de  cette  déco- 


150  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

la  puissante  sève  animait  toutes  les  veines  de  l'art  chrétien. . . 
et  qui  était  la  véri-  Qu'un  peuple  alusl  composé  de  tant  de  famille's  différentes 
dïmoyen^T"*^  Gst  fort  ct  dlguc  a vcc  cc  lleu  des  âmes  qui  l'unit  dans  la  même 
morale  et  dans  la  même  foi  !  Nos  rêveurs  de  nationalités 
ne  s'y  tromperaient  pas  plus  que  nous-mêmes ,  si  cette 
unité  prétendue ,  qu'ils  veulent  créer  sans  l'indispensable 
ciment  d'une  foi  commune ,  n'était  pas  un  prétexte  maudit 
de  tout  renverser  pour  régner  sur  des  ruines.  Après  la 
ruine  de  l'art ,  que  leurs  fatales  maximes  ont  consommée  , 
ils  ont  détruit  l'harmonie  des  âmes.  Ils  ne  sont  plus  qu'en 
dehors  de  l'Égiise ,  où  ils  réalisent  les  contorsions  satani- 
ques  des  inspirateurs  de  leur  vie  de  désordres  et  d'agita- 
tions. Qu'ils  y  demeurent,  s'ils  s'obstinent  à  n'y  pas  rentrer! 
Nous  n'en  franchirons  pas  moins  les  saintes  barrières  pour 
nous  réjouir,  dans  le  monde  à  part  qui  nous  est  fait ,  de 
ces  autres  harmonies  qui  nous  y  attendent  encore. 


CHAPITHB  IV. 

INTÉRIEUR  DE  L'ÉGLISE. 


Les  sens  spirituels  que  nous  avons  appliqués  à  la  lettre  de     Le  spiritualisme 

plus     actif    dans 

l'Ecriture  sainte  (1)  sont  également  applicables  a  1  église  rinténeur  de  ré- 

•    ii-w  1  ^  •»  'iiJi     fflise     qu'au     de- 

inatérielle.  Quand  nous  y  entrons,  la  matière  sensiJDle  n  est  hors. 
plus  là  pour  nos  âmes  toutes  spirituelles  :  c'est  l'esprit  qui 
la  recouvre  de  son  enveloppe  spéculative,  et,  sous  ces  appa- 
rences visibles  à  l'œil  du  corps,  quelque  cbose  existe  de 
plus  élevé,  de  plus  réel,  que  la  foi  fait  comprendre,  comme 
elle  fait  adorer  sous  les  espèces  sacramentelles  le  Dieu  qui 
réside  sur  l'autel,  victime  substantielle.  Personne  parfaite, 
Dieu  et  liomme  à  la  fois,  que  les  sens  ne  peuvent  atteindre, 
mais  que  le  cœur  contemple  à  travers  les  obscurités  du 
mystère  et  sous  les  faibles  dehors  d'un  Pain  qui  n'est  plus. 

Ainsi,  le  vaisseau  sacré  renferme  toutes  les  conditions  sens  muuipie 
merveilleuses  d'une  figure  mystique.  Le  symbolisme  qui  s'at-  tiennerconsidérée 
tache  au\  moindres  faits  de  la  religion  se  dilate  dans  cet 
espace  où  Dieu  réside,  et  les  enseignements  doctrinaux  n'y 
parlent  pas  moins  que  dans  les  livres  de  nos  Prophètes  et 
de  nos  Evangélistes.  Toute  église,  pour  peu  remarquable 
que  la  fasse  sa  nudité  relative,  n'en  est  donc  pas  moins 
pour  le  fidèle  une  allégorie  du  divin  Maître,  et  l'Église  mili- 
tante \e  signe  tropologique  de  l'âme  clirétienne,  un  sou- 
venir toujours  vivant  de  la  Jérusalem  d'En-Haut  à  laquelle 
aspirent  nos  plus  chères  espérances.  Si  tant  de  caractères 


(1)  Ci-dessus,  t.  11,  ch.  m. 


en  elle-même. 


Symbolisme  de 
la  fenêtre  orien- 
tale , 


tlu     pave , 
d'intailles , 


^52  HISTOIKE    DU    SYMBOLISME. 

résultent  de  ce  que  nous  avons  déjà  dit  des  dehors  du  Temple, 
nous  allons  le  voir  bien  plus  distinctement  encore  en  par- 
courant ses  nefs,  son  sanctuaire  et  ses  chapelles. 

Et  d'abord,  nos  yeux  aperçoivent  dans  le  lointain  une  vaste 
fenêtre  d'où  le  soleil  jaillit  jusque  sur  nous-mêmes  et  inonde 
de  ses  splendeurs  les  mille  richesses  de  la  maison  de  Dieu. 
Prosternons-nous  avant  tout;  et  comme  autrefois  les  pieux 
croisés,  à  l'aspect  de  la  ville  sainte,  baisèrent  le  sol  qu'avaient 
touché  les  pieds  du  Sauveur,  inclinons  notre  tête,  et,  après 
avoir  franchi  cette  porte  qui  nous  rappelle  l'obéissance  aux 
commandements  et  dont  le  Sauveur  a  dit  qu'il  était  lui- 
même  celle  par  laquelle  on  entre  dans  le  salut  (^l),  imitons 
dans  un  véritable  abaissement  de  notre  cœur  ces  âmes  sim- 
ples des  siècles  de  foi,  encore  imitées  de  nos  jours  plus  rare- 
ment, mais  avec  d'autant  plus  de  mérite,  lesquelles  n'en- 
traient jamais  dans  le  lieu  béni  parla  présence  divine  sans 
coller  leurs  lèvres  au  pavé  qu'ils  allaient  fouler  de  leurs  pas 
respectueux.  Aussi  bien  le  pavé  est  le  signe  de  l'humilité; 
il  est  la  plus  basse  composition  de  l'architecture,  il  est 
pressé  par  tout  le  monde  et  souffre  volontiers  toutes  les 
sortes  d'abjection.  Il  tient  essentiellement  à  ces  degrés  de 
la  même  pierre ,  par  lesquels  nous  sommes  descendus 
peut-être  sur  ce  plan  partout  égal  où  toutes  les  âmes  se 
d'ornements  fout  Ic  mêmc  ulvcau  dcvaut  Dieu  (2).  Là,  selon  que  notre 


(1)  (t  Ostium  obedieutia ,  de  qiia  Domiiius  inquit  :  Si  vis  ad  vilam 
ingredî,  serva  mandata,  »  (Durant.  Mimât..  Ralionale,Uh.  I;  inihi, 
fo  III.)  --  «  Ostium  Ecclesiee  Cbristus  est  ;  uDde  :  Ego  sum  ostium  ; 
per  me  si  quis  iutroierit  salvabitur.  Nemo  enim  vadit  ad  Patrem  nisi 
per  Christum.  »  (Sicardi^  Cremon.  episcopi,  Mitrale,  lib.  I,  cap.  iv.) 

(ï)  «  Pavimeatum  quod  pedibus  calcatur,  vulgus  est,  cujus  laboribus 
Ecclesia  sustentatur. »  (Sicardi,  iibi  iwpm.)— «Pavimentumhumilitas. 
deqaaPsalmista:  Adbsesitpaviaiento  anima  mea.n  {DuTSiUL ,ub i  sup7^à.) 
-La  plupart  de  nos  assertions  vont  être  tirées  de  ces  deux  auteurs,  puis 
d'Hugues  de  Saint-Victor,  d'Isidore  de  Séville  et  des  autres  qui  ,  dans 
le  même  temps,  ont  écrit  sur  ces  matières  avec  une  remarquable  una- 
nimité de  principes  symbolistiques.  Tous  les  détails  sont  expliqués  par 
eux  dans  le  même  sens;  nous  n'eu  citerons  donc  plus  le  texte  daq^  le 


INTÉRIEUR   DE   l'ÉGLISE.  -153 

édifice  est  plus  ou  moins  ancien  et  qu'il  a  mieuv  conservé  «"•'^•■^  dnbordd 

'■  ^  !<(  IIS  symbolique. 

ses  ornements  primitifs,  ou  qu'ils  ont  été  remaniés  à  di- 
verses époques  de  l'art,  vous  trouveriez  des  compartiments 
en  marbre  de  diverses  couleurs,  des  mosaïques  en  matières 
dures  et  en  émail,  ou,  enfin,  des  pierres  profondément 
gravées  et  rehaussées  dans  leurs  incises  de  mastics  colorés 
ou  d'un  coulage  de  plomb.  Ailleurs  c'était  Vopus  alexan- 
drinum,  composé  de  figures  géométriques  s'alliant  entre 
elles  avec  beaucoup  de  symétrie  et  de  pureté,  d'un  grand 
effet,  quoique  insignifiantes  quant  à  leur  but  symbolique , 
soit  qu'elles  nous  vinssent  de  l'Egypte,  pourtant  si  préoc- 
cupée de  ses  hiéroglyphes,  soit  qu'elles  aient  paru  d'abord 
sous  le  règne  d'Alexandre  Sévère,  ce  que  nous  supposons 
plus  volontiers  :  car  c'est  surtout  dans  les  basiliques  ro- 
maines ,  aussi  bien  que  dans  les  palais,  qu'on  les  prodigua 
vers  la  fin  du  deuxième  siècle.  Ce  genre  d'embellissement 
suppléait  aux  tapis,  sans  se  détériorer  aussi  vite  qu'eux;  il 
n'excluait  pas  non  plus,  après  avoir  bordé  les  nefs  en  y  sui- 
vant les  contours  des  pihers  et  les  limites  naturelles  des  la- 
téraux du  chœur  et  des  chapelles,  certains  grands  sujets 
représentant  des  hommes,  des  animaux,  des  attributs  reli- 
gieux. A  Saint-Laurent  hors  les  murs,  près  Rome,  le  pape 
Adrien  P'  avait,  au  commencement  du  neuvième  siècle,  doté 
le  pavé  d'un  guerrier  à  cheval,  portant  son  étendard  ;  celui 
de  Sainte-Marie-Majeure  garde  les  armoiries  des  Papes  qui 
la  firent  construire  ou  restaurer. 
Mais    l'art    chrétien  s'empara  surtout   de    ces    orrands       ï'écondité  de 

A  o  cfs  compositions; 

espaces  vers  le  douzième  siècle,  quand,  dominant  toute  l'en-  «l'^^  sontrempia- 

^  '    1  '  cppg  pyr  des  alle- 

ceintc  sacrée,  il  voulut,  en  complétant  le  système  général  »<*"^s  en  mosaï- 
de  décoration  qui  s'attachait  aux  fenêtres  par  les  vitraux 
coloriés,  aux  voûtes  et  aux  murs  par  les  fresques,  honorer 


cours  de  ce  chapitre,  réservaot  ce  soin  pour  les  autorités  moins  con- 
nues.—Voir  la  description  de  la  cathédrale  de  Bayeux,  Bull,  monum., 
XVII  .  200. 


J54  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

même  jusqu'aux  surfapes  inférieures.  La  ferveur  y  pouvait 
alors  trouver  des  sujets  de  méditation  partout  autour 
d'elle,  soit  qu'elle  élevât  ses  regards  vers  Celui  qui  habite 
dans  les  deux,  soit  qu'elle  les  rabaissât  vers  la  terre  pour 
songer  à  son  indignité  et  à  son  court  pèlerinage  :  alors  la 
mosaïque  se  dessine  en  plus  larges  compartiments,  et  le 
symbolisme  y  trouve,  comme  sur  les  fresques  murales  et 
dans  l'éclat  des  verrières,  des  histoires  et  des  légendes.  On 
se  rappelle  avec  quelle  mauvaise  humeur  S.  Bernard  se 
plaignait  que  l'on  pût  cracher  dans  la  bouche  des  anges  et 
sur  la  face  des  saints.  Plus  convenables,  à  son  goût,  auraient 
été  ((  ces  animaux  tranquilles  ou  luttants,  lions,  griffons, 
paons  et  autres,  »  ces  fleurs  enfin  et  ces  couronnes  dont  Pru- 
dence semblait  parler  dès  le  quatrième  siècle,  lorsqu'il 
décrivait,  dans  une  église  de  Mérida,  «  les  fleurs  si  agréable- 
ment colorées,  qu'on  semblait  invité  à  les  recueillir  dans  une 
corbeille,  sur  le  vert  tapis  d'une  prairie  (1)  ;  ainsi  encore 
ce  merveilleux  mélange  de  végétation  et  de  zoologie  versé 
avec  tant  de  profusion,  vers  le  milieu  du  septième  siècle,  sur 
les  dalles  d'une  petite  église  byzantine  des  environs  de 
l'ancienne  Tyr  (2).  En  Italie,  c'est  encore  le  grand  luxe  des 
pavés  dans  les  parties  hautes  des  grandes  églises,  comme  à 
Novare  et  à  Verceil.  On  voyait  autrefois  dans  le  chœur  de 
Sainte-Marie-Majeure  de  cette  dernière  ville  un  pavé  mo- 
saïque représentant  plusieurs  instrumentistes  jouant  et 
dansant  devant  le  roi  David  assis  sur  son  trône.  Ailleurs  les 
scènes  des  deux  Testaments  s'y  multiphent  avec  une  richesse 
étonnante  ;et  y    représentent  à  l'envi    toutes  les  figures 


(1)  Saxscque  cassa  solum  variant 
Floribus,  ut  revoluta  putes 
Prata  rubescere  multimodis. 
Carpite  purpui*eas  violas 
Sanguineosque  crocos  metitc. 

(Cité  par  M.  Julien  Durand,  Annale% 
archéologiques   XV  224. 

(2)  Annal.  arcJiéolog.,XX\,  151. 


INTÉRIEUR   DE   l'ÉGLISE.  ^  o5 

bibliques  du  Saint  Sacrifice.  A  la  cathédrale  de  Sienne,  où 
le  pavé  n'est  représenté  tout  entier  que  par  des  incrusta- 
tions d'objets  symboliques,  la  roue  de  fortune  joue  un  des 
principaux  rôles  de  ce  grand  draine,  et  semble  y  faire 
tourner  avec  elle  des  hommes  victimes  de  leurs  ambitieux 
mais  inutiles  efforts.  Dans  celle  d'Aoste,  toutes  les  natures 
d'animaux  sontprodiguées:  l'éléphant,  symbole  du  grand  pé- 
cheur, l'ours  toujours  féroce,  la  chaste  licorne,  toutes  sortes 
d'animauxhybrides,  et  jusqu'aux  quatre  fleuves  du  paradis 
terrestre  (1).  Mais  surtout  on  y  prodigue  les  types  variés 
des  figures  allégoriques  ;  alors  le  pavé  parle,  à  l'instar  des 
murailles  et  de  toute  Fornementatioii  sculpturale,  un  lan- 
gage connu  de  la  foule,  au  moyen  des  fleurs  et  des  animaux. 
Des  oiseaux,  des  léopards,  des  cerfs,  des  arbres,  des  san- 
gliers, des  chasseurs  à  pied  ou  à  cheval,  des  chiens  lancés  à 
toute  vitesse,  tout  en  occupant  des  cases  à  part,  mais  rap- 
prochées les  unes  des  autres ,  concourent  à  une  scène 
d'ensemble  dont  l'intention  symbolique  n'est  pas  douteuse  : 
c'est  encore  la  vie  humaine  exprimée  par  une  roue  tou- 
jours mouvante,  ou  comparée  à  une  chasse  active  pour  la- 
quelle le  démon  et  ses  satellites  poursuivent  sans  inter- 
ruption l'innocence ,  dont  la  fuite  est  le  meilleur  moyen  de 
salut  (2). 
Aux  douzième  et  treizième  siècles ,  viennent  se  mêler  à    Pierres  tombales 

des   douzième    et 

cette  parure  les  grandes  pierres  tombales,  gravées  en  creux,  treizième  siècles. 
des  chevaliers,  des  dames ,  des  évoques  et  abbés  ,  des  cha- 
noines, des  moines  et  des  religieuses,  lesquels,  encadrés  en 
de  magniiiques  dais gotliiques, accompagnés  deleursarmoi- 
ries,  revêtus  de  leurs  costumes  spéciaux  et  portant  leurs 


(1)  Nous  empruntons  la  plus  grande  partie  de  ces  détails  à  M.Albert 
Lenoir,qui  les  a  consignés  en  1841  dans  le  BuUelin  du  comité  des  arts 
et  monuments,  1. 1,  p.  240, 

(2)  Voir  la  description  complète  et  très-attachante  de  toute  cette 
iconographie  dans  un  article  intéressant  de  Didron  ,  Ann.  archéot., 
XVI,  38y;XX,  ii7. 


J56  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

attributs  distinctifs,  faisaient  ainsi  de  chaque  église  une  sorte 
de  registre  monumental  où  se  gardaient,  avec  des  dates 
certaines  et  des  noms  illustres,  l'histoire  et  la  physionomie 
propre  de  ces  temps  d'héroïsme  et  de  foi.  Une  cause 
toute  matérielle  contribua  peut-être  alors  à  multiplier  ce 
genre  de  travail  dont  les  ateliers  des  architectes.  Le  marbre, 
épuisé  en  France,  dont  les  carrières  étaient  fouillées  depuis 
l'introduction  dans  la  Gaule  de  la  civilisation  romaine,  fut 
remplacé  par  ces  belles  pierres  de  liais  dont  le  grain  serré 
et  homogène  avait  le  poli  du  marbre  sans  en  avoir  toute  la 
dureté,  et  se  prêtait  d'autant  plus  facilement  au  travail  du 
ciseau  ;  c'est  sur  de  larges  bancs  de  cette  pierre  que  furent 
tracés,  dans  les  grandes  nefs  des  églises,  quelquefois  les  zo- 
diaques, dont  nous  parlerons  ,  et  souvent  les  labyrinthes, 
dont  nous  devons  dire  ici  l'origine  et  la  signification. 
Labyrinthes.  -       A  Polticrs,  à  Rclms,  à  Arras,  à  Saint-Bertin,  on  voyait  au- 

Leurs    plans    cli- 

vers;  trcfois,  ct  l'ou  volt  cucorc  à  Chartres,  à  Saint-Quentin  et  en 

quelques  autres  églises,  comme  dans  la  salle  capitulaire 
de  Bayeux,  de  grandes  figures  rondes,  carrées  ou  octo- 
gones, de  superficie  plus  ou  moins  vaste,  et  présentant  des 
compartiments  multipliés  formés  de  hgnes  affectant  la 
forme  générale,  Ugnes  dont  le  fond  se  composait  de  pavés 
en  marbre  ou  émaillés,  et  qui,  toutes  revenant  sur  elles- 
mêmes,  aboutissaient,  après  maints  détours,  à  un  centre  ou 
une  extrémité  commune,  et  d'où  l'on  ne  revenait  qu'en 
suivant  la  même  voie  déjà  parcourue,  jusqu'à  l'entrée  qui  y 
avait  introduit.  C'était  ordinairement  dans  la  nef  médiane, 
quelquefois  dans  l'une  de  ses  adjacentes,  que  se  développait 
cette  figure,  tout  d'abord  énigmatique  à  l'observateur  mo- 
derne, mais  dont  nos  pères  savaient  faire  un  excellent 

leur  but.  emploi.  En  effet,  par  ces  longs  sentiers  où  ils  trouvaient 

incrustés,  à  des  distances  égales,  des  griffons,  des  cou- 
ronnes, des  fleurs,  des  croix  et  d'autres  symboles  à  l'usage 
des  inteUigences  fidèles,  ils  parcouraient  en  priant  une  voie 
mystérieuse  qui  leur  représentait  celle  que  le  Sauveur  avait 


IISTÉRIEUR    DE    l'ÉGLISE.  157 

suivie  du  tribunal  de  Pilate  au  Golgotlia,  et  qui,  entreprise 
par  eux  dans  un  esprit  de  pénitence  et  de  satisfaction  disci- 
plinaire, remplaçait,  avec  l'assentiment  de  l'Église, les  peines 
canoniques  remises  depuis  les  croisades  à  ceux  qui,  en  com- 
pensation, s'obligeaient  au  pèlerinage  guerrier  de  Jéru- 
salem. Toutes  ces  bètes,  toutes  ces  fleurs  et  ces  couronnes 
se  trouvaient  successivement  sous  ces  genoux  qui  se  fati- 
guaient dans  ces  détours  sinueux,  et  rappelaient  à  la  ferveur 
chrétienne  ses  combats  de  chaque  jour  et  ses  espérances  de 
l'avenir  où  elle  aspirait,  comme  alors  elle  tendait  à  la  croix 
qui  -terminait  ce  pèlerinage  symbolique.  Une  dévotion  plus     lu  se  résument 

1,,  •jxi'iii  1  aujourd'hui    dans 

complète  en  apparence,  mais  dont  le  résultat  ne  parle  pas  ]e  nucruds. 
plus  au  cœur  du  fidèle  que  cette  marche  laborieuse  d'autre- 
fois, a  pris  la  place,  dans  nos  églises,  de  ce  voyage  de  nos 
aïeux  :  le  Chemin  de  la  croix  arrête  aujourd'hui  à  chacune 
de  ses  stations  le  chrétien  qui  veut  laver  son  âme  dans  la 
méditation  des  souffrances  divines,  et  prêterait  encore  à 
nos  saintes  murailles  une  touchante  éloquence,  si  nos  ar- 
tistes, en  trop  grand  nombre,  n'ignoraient  pas  absolument 
le  sens  des  choses  surnaturelles  (1)  ! 

Ce  luxe  des  pavés  incrustés  ou  émaillés  se  manifesta  sur-       Spédmens  de 
tout  au  douzième  siècle  par  des  progrès  dont  les  derniers  Smc siècle, 
restes  nous  sont  parvenus.  On  conserve  encore  à  Saint-Denis 
quelques  fragments  curieux  de  l'époque  de  Suger,  c'est-à- 
dire  de  M  22  à  \  \  53  :  ils  sont  en  terre  cuite,  revêtus  d'un 
solide  vernis  et  incrustés  d'entrelacs,  d'arabesques  et  d'au- 
tres ornements  de  la  seconde  période  romane.  On  voit  donc 
qu'à  mesure  que  l'art  chrétien  se  développait,  on  abandon- 
nait les  premiers  errements  qui  pavaient  les  basiliques  en 
marbre  et  suppléaient  parfois  au  symbohsme  par  la  richesse 
de  la  matière  et  les  variétés  des  couleurs.  On  serait  mal  reçu  mai  suppléés  par 
aujourd'hui,  quand  la  renaissance  des  meilleures  traditions 
brille  de  tout  son  éclat,  à  ramener  dans  nos  cathédrales  les 

(1)  Voir  uotre  Hiil.  de  la  calhédr.  de  Poitiers,  1,  pi.  i. 


>I58  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

pavés  alternés  de  marbre  noir  et  blanc,  d'ardoises  et  de  pierre 
calcaire,  comme  on  le  ferait  dans  un  vestibule  d'honnête 
maison.  C'est  la  honte  d'un  architecte  d'arriver  à  ces  mai- 
gres et  muets  résultats,  quand,  de  toutes  parts,  les  fabriques 
lui  offrent  à  l'envi  d'heureuses  reproductions  du  moyen 
âge  où  les  symboles  revivent  pour  renouveler  à  l'inlelligence 
des  hommes  les  douces  et  sérieuses  pensées  de  leurs  devoirs 
et  de  leur  éternité. 
Les  murailles,  et      Mals  pcudaut  quc  uous  prcssous  de  nos  pieds  ce  sol  mys- 

leur    sens    mysti-  i  i     i  • 

que.  '       térieux,  nous  nous  sentons  enveloppés  de  la  paix  ;  nous  respi- 

rons un  autre  air,  plus  pur  et  plus  léger,  semble-t-il ,  dans 
cette  vaste  et  majestueuse  enceinte.  Que  ces  murs  qui  cir- 
conscrivent notre  regard  ont  eux-mêmes  de  majesté  !  comme 
leurs  magnifiques  dimensions  se  déroulent  au  loin  en  de 
merveilleuses  perspectives  !  S'ils  n'ont  pas  été  déshonorés 
par  ce  badigeon  blanc  ou  jaune  qui  a  fait  longtemps 
toutes  les"  déhces  de  nos  malheureuses  campagnes  ;  si  la 
teinte  sombre  de  leur  appareil,  savamment  taillé  en  grandes 
pierres  ou  en  petit  échantillon,  conserve  à  l'ensemble  une 
gravité  vénérable  et  laisse  arriver  à  l'âme  un  souvenir  du 
plus  beau  temple  de  l'univers  ;  si  nous  voyons  dans  ce  tra- 
vail de  l'homme  consacrant  ses  veilles  et  ses  sueurs  à  la 
gloire  de  Dieu  une  sensible  image  de  cette  divine  charité' 
qui  nous  a  faits  autant  de  pierres  vivantes  destinées  à  l'édifice 
éternel,  nous  comprenons  qu'il  faut  nous  assoupUr  à  la 
main  de  l'adorable  Architecte  qui,  après  nous  avoir  choisis, 
nous  élabore  et  nous  polit  dans  la  pénitence  d'ici-bas,  afin 
de  nous  insérer  un  jour  dans  l'œuvre  impérissable  de  la 
céleste  Cité  (^). 
Importance  des      Nous  avous  dit  quc  Ic  cimeut  doit  être  considéré  comme 

(1)  Quisquis  ambit  hue  venîre 

Inserique  mœnibus, 
Ante  duris  hic  probari 
Debuit  laboribus. 

(Ancienne  hymne  du  Bréviaire  de  Paris 
et  de  Poitiers,  aux  vêpres  de  la  Dédi- 
T"  cace.) 


INTÉRIEUR   DE    l'ÉGLISE.  I  o9 

fîoTurant  runion   des  anies  clans  la  société  chrétienne.  A  ^««8    indiquées 

Y  ^  par  le  ciment  dans 

l'intérieur  du  temple,  ce  symbolisme  devient  plus  sensible  ;  l'apparcii. 
en  effet,  si  rien  ne  nous  le  dérobe,  si  de  méchantes  cou- 
ches de  chaux  ou  d'habiles  peintures  ne  l'ont  pas  entière- 
ment effacé  fet  certains  spécimens  en  restent  toujours  visi- 
bles quelque  part),  on  le  voit  diviser  en  compartiments 
symétriques  toutes  les  surfaces  apparentes  et  témoigner  de 
la  savante  patience  qui  superposa  lentement  et  avec  tant 
d'aplomb  ces  mille  portions  d'un  tout  si  grandiose.  Gomme 
autrefois  à  l'abside  de  l'abbatiale  du  Ronceray,  en  Anjou, 
aujourd'hui  encore  à  la  cathédrale  de  Poitiers ,  des  lignes 
transversales  et  perpendiculaires  teintées  en  briques  indi- 
quent chaque  pierre  de  l'appareil  et  en  laissent  ressortir  les 
mesures  variées  sur  un  fond  général  qui  se  marie  très- 
bien  avec  la  teinte  du  calcaire  siliceux  :  ainsi  ressortent  ces 
épaisses  couches  de  mortier  inaltérable  qui  sont  un  carac- 
tère monumental  des  onzième  et  douzième  siècles. 

A  travers  ces  teintes  extrêmement  légères ,  un  autre  siçnes  lapidai- 
caractèrenon  moins  curieux,  et  toujours  symbolique,  nous  ^^^' 
transmet  aussi  un  intéressant  usage  des  maçons  de  nos 
âges  de  foi.  Répandus  en  autant  de  spécimens  qu'il  y  a  de 
pierres  formant  le  revêtement  des  murs,  on  voit  d'innom- 
brables signes  lapidaires,  imprimés  à  la  pointe  ,  variés  à 
l'infini  par  les  nombreux  ouvriers  qui  les  avaient  adoptés, 
figurer  comme  autant  de  noms  propres  ou  de  signes  conven- 
tionnels, et  attester  une  fois  de  plus,  par  le  plus  incontes- 
table de  tous  les  témoignages,  comme  le  simple  artisan 
mettait  à  profit  pour  lui-même  ses  études  symbolistiques, 
auxquelles  chaque  jour  l'engageait  sans  efforts  et  presque  à 
son  propre  insu.  Au  dehors  ils  apparaissent  également,  car  ^^^^  but   mieux 

^  ,  ^  connu , 

ils  appartiennent  à  des  pierres  taillées  par  diverses  mains 
de  travailleurs,  et  servaient  moins  à  déterminer  leur  place; 
dans  l'œuvre,  comme  on  a  pu  le  croire  d'abord,  qu'à  con- 
stater la  tâche  de  chacun  et  le  salaire  qu'il  en  devait  rece- 
voir. Mais,  quoiqu'ils  y  soient  plus  visibles  parce  qu'aucune 


et  leur  emploi  g'" 
néralisé  aux  di- 
vers genres  d"iu'- 
chitecture. 


Les  croix  de  con- 
séeration. 


Les  portes;  leur 
nombre  symboli- 
que. 


^60  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

couche  de  peinture  ne  nous  les  cache,  ils  y  sont  réellement 
moins  apparents  que  le  long  des  nefs,  où  ils  frappent  plus 
sûrement  le  regard  sous  un  jour  moinsvif  et  mieux  ménagé. 
C'est  dans  les  églises  du  dixième  au  quinzième  siècle  que 
ces  symboles  parlants  furent  surtout  employés  ;  mais  on  les 
trouve  également  aux  édifices  militaires  et  civils,  aux  châ- 
teaux, aux  murs  d'enceinte  des  cités,  aux  maisons  même 
des  particuHers,  dont  l'importance  atteste  qu'un  grand 
nombre  d'ouvriers  y  furent  commis.  Outre  des  lettres  alpha- 
bétiques, véritables  initiales  du  maçon,  les  instruments  du 
métier  s'y  répètent  souvent  par  des  équerres,  des  niveaux, 
des  crochets,  des  clous,  des  girouettes.  Des  animaux  for- 
ment probablement  des  noms  de  personnes,  tels  que  l'oiseau, 
le  poisson,  etc.;  des  trèfles,  des  étoiles, des  feuilles  d'eau, 
des  dards,  des  nœuds  enlacés,  font  allusion  à  d'autres  idées  : 
ce  sont  donc  là  de  simples  symboles,  et  non,  comme  on 
avait  pu  le  conjecturer,  «  un  alphabet  propre  à  éclairer  un 
jour  la  science  (4).  » 

Bien  plus  importantes  aux  yeux  de  tous ,  et  nécessaires 
parmi  les  symboles  d'une  église ,  nous  voyons  les  croix , 
signe  de  sa  consécration,  radier  au  nombre  de  douze,  à  des 
distances  "égales,  ou  sur  la  surface  des  murs  ou  sur  les  piliers 
qui  en  soutiennent  les  voûtes.  Nous  en  reparlerons  bientôt  ; 
disons  seulement  qu'elles  semblent  se  disséminer  dans  l'au- 
guste enceinte  comme  la  foi  chrétienne  dans  toutes  les  par- 
ties du  monde,  et  répéter  comme  l'Apôtre  aux  enfants  de 
Dieu  :  Fides  vestra  annuntiatur  universo  mundo  (2). 

A  ne  consulter  que  le  sens  exprès  des  différents  détails  de 
la  sainte  demeure  ,  on  ne  devrait  y  ouvrir  qu'une  ou  trois 
portes  au  couchant,  et  ce  dernier  nombre,  c'est,  nous 
l'avons  dit,  un  symbole  de  la  Trinité,  représentée  aussi  par 


(1)  Voir,  pour  plus  de  détails  sur  ce  point,  notre  Histoire  de  la  ca- 
thédrale  de  Poitiers,  t.  I,  p.  287,  pi.  ix;  —  Annal,  archéolog.,  Il,  246 
et251. 

(2)  Rom-,  I,  8.  —  Voir  BuUet.  moîium.,  XIII,  419. 


INTÉRIEUR    DE   l'ÉGUSE.  ^6^ 

les  trois  nefs  qui  divisent  le  plan  intérieur;  et  ce  nombre  trois 
a  paru  d'une  si  haute  importance  comme  symbole  que,  dans 
beaucoup  d'églises  où  une  seule  baie  est  ouverte  à  l'occident, 
on  a  souvent  simulé  par  deu\  autres,  aveuglées  à  droite  et 
à  gauche,  le  complément  (jui  semblait  leur  manquer.  On  a 
voulu,  à  tort ,  contester  ce  langage  mystique  de  la  Trinité , 
qui  paraît  si  clairement  dans  une  foule  d'autres  détails  où 
le  nombre  trois  ne  peut  se  répéter  obstinément  qu'avec  une 
intention  évidente,  et  ceux  qui  prétendent  infirmer  cette 
raison  en  lui  opposant  les  cinq  portes  de  la  façade  de  Bourges 
ne  prouvent  pas  du  tout  qu'en  les  multipliant  ainsi  dans  un 
édifice  à  cinq  nefs,  on  n'ait  pas  voulu  symboliser  la  Trinité 
par  une  façade  qui  n'en  a  que  trois  (1).  Mais  il  a  fallu  aussi, 
par  d'autres  raisons,  ajouter  aux  ouvertures  normales  quel- 
ques autres  absolument  nécessaires.  Dans  les  grandes  basi- 
liques, il  devient  indispensable  de  se  prêter  au  dégagement 
du  local  et  de  donner  plusieurs  issues  à  la  sortie  d'une 
foule  plus  considérable;  peut-être  d'ailleurs  que  les  besoins 
du  service,  la  prévision  des  incendies  et  des  réparations  ne 
sont  pas  restées  étrangères  à  cette  multiplicité  d'ouver- 
tures. 
Néanmoins,  quel  que  soit  leur  nombre,  qu'aucune  règle     Riche  omemen- 

,  .  ,        1  ,  ,      ,.  .,  -,       tation    tirée     des 

ne  détermme  absolument,  le  symbolisme  qui  les  a  ornées  de  faits    historiques 

"  .ou  des  figures  des 

riches  sculptures  nous  y  montre  encore  des  souvenirs  de  la  deux  Testaments. 
Cité  céleste  décrite  dans  l'Apocalypse.  Là,  douze  portes  étaient 
faites  de  douze  pierres  précieuses  qui  semblent  bien  être 
les  douze  Apôtres,  docteurs  par  excellence,  dont  la  doctrine 
est  la  seule  qui  puisse  introduire  au  ciel.  A  chacune  d'elles, 
un  ange  était  préposé;  et  comme  leurs  pierres  étaient  sculp- 
tées et  taillées  avec  un  art  admirable ,  nous  pouvons  bien 
retrouver  dans  cette  belle  ornementation  le  type  idéal  de 

(1)  Voir  cette  objection  faite  par  Didron  dans  ses  Annales  archéo- 
logiques,  t.  XXI,  p.  141.—  Ce  fait  très-rare  ne  peut  ici  constituer 
une  règle,  ni  infirmer  celle  déjà  reconnue  et  presque  partout  ob- 
servée. 

T.    111.  H 


^62  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

tous  les  sujets  que,  dans  toutes  les  portes  de  nos  églises,  le 
ciseau  ingénieux  du  tailleur  d'images  s'est  efforcé  d'en 
reproduire  avec  une  infinie  variété  {\].  Ces  sujets,  au  reste, 
encadrés  ainsi  dans  des  tympans  secondaires,  sont  toujours 
quelque  trait  de  la  vie  du  Sauveur,  ou  de  sa  sainte  Mère  , 
ou  du  Patron  ;  ils  n'étalent  pas  les  enseignements  de  la  vie 
purgative  à  laquelle  est  convié,  avant  tout,  quiconque  veut 
Les  portes  e-  trouvcr  Dlcu  ct  cutrcr  dans  l'intimité  de  son  Tabernacle.  Nous 

trottes. 

ne  serions  pas  étonné  que  ces  baies  secondaires,  bien  moins 
larges  que  celles  de  la  façade,  et  destinées  plus  habituelle- 
ment à  l'entrée  des  fidèles  ,  qui  sortent  plus  volontiers  par 
les  plus  grandes,  n'eussent  dû  reproduire  l'invitation  du 
Sauveur  à  ceux  qui  cherchent  la  véritable  vie,  où  la  porte 
large,  la  mollesse  et  la  vie  facile  n'introduisent  jamais  (2). 
Les  Cavaliers      Ici  uous  dcvous  uous  arrêter  à  un  sujet  de  décoration 

dea  façades. 

sculpturale,  dont  nous  avons  promis  de  nous  occuper  et 
qu'il  est  temps  d'éclaircir.  Aucun  archéologue  n'ignore  les 
chaudes  discussions  soulevées  en  diverses  revues  ou  assem- 
blées scientifiques  sur  le  fameux  cavalier  qui  semble  s'être 
fièrement  emparé,  au  douzième  siècle,  du  tympan  principal 
de  nos  églises  romanes. 

Il  était  impossible,  sur  ce  point  comme  sur  tant  d'autres, 
que  les  esprits  ne  se  fissent  pas  des  thèses  diverses  appuyées 
plutôt  sur  des  conjectures  que  sur  des  recherches,  sans  les- 
quelles, en  fait  de  symbolisme,  on  ne  découvre  jamais  rien. 
Aussi  les  champions  se  sont-ils  égarés  quant  au  personnage 
princier  qui  figure  sur  tant  de  façades  éloquentes  et  y  tient 

(1)  Voir  notre  explication  du  ch.  xxide  l'Apocalypse,  ci-dessus,  t.  II, 
ch.  XIII.  —  S.  Grégoire  complète  et  développe  toutes  les  idées  symbo- 
liques posées  par  le  prophète  de  Pathmos  :  «  Portas  ejus  posait  in  la- 
pides sculp! os.  lli  quippe  portée  sunt  Ecclesiee  per  quorum  vitam  atque 
doctrinam  intrat  in  eam  multitude  credentium.  Qui  pro  etiam  quod 
magnis  operibus  poUent,  et  id  quod  loquentes  asserunt,  viventes  osten- 
dunt,nonpwri  sed  sculpli  lapides  esse  memorantur.  »  (Moral,  in  Job; 
Milleloqidum  ;  mihi,  p.  257,  in-f''.} 

(2)  «  Quam  angusta  porta  et  arc  ta  via  est  quee  ducit  ad  vitam,  et 
pauci  sunt  qui  inveniunt  eam!  »  {Matih.,  vu,  i4.) 


INTÉRIEUR    DK    LÉGLISE.  -163 

la  place  dlioiineui-.  On  a  été  de  Constantin  à  Charlemagne, 
d'Héliodore  à  S.  Martin  ;  on  a  même  été  jusqu'à  l'Ange  de 
l'Apocalypse  :  tous  rapprochements  auxquels  on  s'est  aban- 
donné sous  prétexte  d'un  cavalier  et  de  son  cheval ,  mais 
qui  ne  soutiennent  pas  l'examen  pour  peu  qu'on  les  com- 
pare avec  les  faits  historiques  trop  gratuitement  invoqués. 
Mais  pourquoi  vouloir  découvrir  dans  J'histoire  ce  qui  fut 
exclusivement  inspiré  par  le  symbolisme?  En  fait,  c'est 
vraiment  le  Christianisme  vainqueur  de  ses  antagonistes 
qu'on  représente  ici  sous  les  traits  du  seigneur  chevalier, 
la  plus  haute  personnalité  de  la  puissance  humaine,  défen- 
seur-né de  l'Église,  figurant  par  ses  attributs  les  plus  hono- 
rables Jésus-Clirist  Im-mùme, par  qui  régnent  les  rois^  cou- 
ronné ,  sortant  en  vainqueur  pour  suivre  le  cours  de  ses 
victoires,  et  marquant  ces  victoires  glorieuses  par  l'homme 
renversé  et  foulé  aux  pieds  de  la  noble  monture,  dont  l'en- 
colure ,  la  marche  et  toute  la  pose  semblent  démontrer 
qu'elle  sent  la  dignité  de  son  rôle  et  celle  de  l'illustre  guer- 
rier qui  l'assouplit  à  sa  main.  Qui  ne  voit  là,  sans  beaucoup 
d'efforts,  cette  scène  que  nous  avons  décrite  au  chapitre  vi  de 
l'Apocalypse  (I),  et  partant  le  Sauveur  lui-môme,  représenté 
ici  sous  les  traits  humains,  comme  dans  le  Livre  sacré?  Et  par 
cela  ménu3  ne  rentre-t-on  pas  dans  l'esprit  des  convenances 
chrétiennes,  qui,  du  moment  que  l'esthétique  s'empara  des 
façades  d'églises  pour  y  exercer  le  ciseau  du  sculpteur,  s'est 
appliqué  à  les  parer  toujours  d'images  bibliques  ,  d'hagio- 
graphies, de  symboles  enfin,  mais  jamais  d'aucune  person- 
nalité qui  ne  fût  pas  honorée  d'un  culte  public?  —  Il  n'y  a 
donc  plus  à  douter  du  caractère  mystique  du  cavalier ,  si 
controversé  jusqu'à  présent,  et,  pour  en  convaincre  notre 
lecteur,  sans  prolonger  trop  ici  les  développements  de  ce 
sujet,  nous  osons  le  renvoyer  avec  confiance  au  travail  pu- 
blié par  nous  en  ^865  ,  et  dans  lequel  nous  avons  appuyé 

(!)  Voir  ci-dessus,  t.  Il,  p.  266. 


164  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

cette  opinion  de  toutes  les  preuves  données  par  la  science 
de  quelques-uns  de  nos  devanciers  (^). 
Cependant  poursuivons  notre  enquête. 
Le  symbolisme      Q'est  cu  cxaminaut  ce  grand  ensemble  du  Lieu  saint , 

des  nombres  a-t-il  .  .  i        i  i         i         -i  • 

été  appliqué  aux  et  cucorc  indépendamment  des  innombrables  détails  qui  en 

mesures    du   lieu     »,  »  i  i        r  ^  i 

saint  ?— Raisons  fout  la  parurc,  qu  OU  cherche  a  comprendre  comment  le 
symbolisme  des  nombres  a  pu  lui  être  appliqué.  Nous  avons 
émis  la  raison  de  nos  doutes  à  cet  égard;  nous  répétons 
qu'il  faudrait  être  plus  sûr  que  nous  ne  le  sommes  de  la 
juste  valeur  du  pied  et  de  ses  parties  aux  diverses  époques 
de  nos  principales  basiliques,  et  avoir  des  renseignements 
écrits,  dont  nous  manquons  absolument,  pour  adopter  défi- 
nitivement les  calculs  de  savants  archéologues  prononçant 
carrément  sur  ce  fait,  que  nous  récusons  encore.  Voir  dans 
les  77  pieds  de  la  largeur  totale  d'une  église  les  70  généra- 
tions écoulées  d'Adam  à  Jésus-Christ  ;  dans  les  ]  4  pieds  des 
latéraux,  l'union  de  la  Loi  ancienne  à  la  Loi  nouvelle  ;  dé- 
duire ainsi  de  beaucoup  d'autres  dimensions  des  symboles 
qu'a  multipliés  à  l'infini  l'imagination  philosophique  de 
l'architecte ,  c'est  certainement  fort  ingénieux  ;  nous  en 
avons  presque  fait  la  concession  ,  mais  nous  craignons 
que  ce  ne  soit  pas  aussi  vrai  que  hardi  (2).  Que  serait-il  de 
ces  savantes  témérités ,  si  l'on  venait  à  savoir  un  jour  sûre- 
ment la  valeur  comparative  des  mesures  des  solides ,  qui , 
aussi  bien  que  les  autres,  ont  varié  dans  le  cours  des  siècles, 
selon  les  temps  et  les  pays,  comme  les  coutumes  locales  et 
les  monnaies  ?  Il  faudrait  bien  abandonner  alors  un  sys- 
tème qui,  d'ailleurs,  et  tout  d'abord,  paraît  évidemment 
inadmissible.  Il  y  a  plus  :  d'habiles  architectes  ont  comparé 
les  dimensions  partielles  d'un  grand  nombre  d'éghses,  et  n'y 


(1)  Des  Statues  équestres  sculptées  au  tympan  de  quelques  églises 
romanes,  et  de  leur  signi/îcation  dans  V esthétique  chrétienne,  in-S», 
Gaen,  1865. 

(2)  Voir  M.  l'abbé  Crosnier ,  Iconographie  chrétienne  ,  cb.  xiv, 
p.  154. 


iMÉRiEL'R  f>K  l'Église.  ^65 

ont  pas  trouvé  cette  docte  et  imaginaire  théorie  dont  nous 
parlent  quelques  archéologues  modernes.  Et  il  faut  remar- 
quer que  ce  système,  émis  d'ahord  en  Allemagne,  où  les 
esprits  révent  assez  facilement,  y  est  entièrement  réprouvé 
par  M.  Schnaase ,  dont  on  sait  la  science  et  l'esprit  ré- 
fléchi. 

Nous  adopterions  plus  volontiers,  avec  M.  le  chanoine  piut^^'ldEtbie 
Devoucoux  (^),  qu'on  eût  voulu  reproduire  dans  la  compo-  P^'Jg  oSvance^ 
sition  d'un  plan  général  certains  noms  sacrés  dont  chaque 
lettre,  prise  pour  un  chiffre,  comme  nous  l'avons  vu  dans  le 
nom  de  Dioclétien  ,  amenât  un  total  correspondant  aux 
mesures  linéaires  de  l'édifice  ou  de  quelques-unes  de  ses 
divisions.  Ainsi  la  cathédrale  d'Autun,  d'après  le  savant  ec- 
clésiastique qui  en  a  écrit  l'histoire,  aurait  trouvé  dans  le 
nom  liéhreu  de  Dieu,  EL ,  le  nomhre  de  pieds  (5  et  30}  qui 
séparent  en  tout  sens  les  arcs-doubleaux  de  la  coupole  cen- 
trale; Adonaï  (^36  pieds)  ferait  la  largeur  totale  de  l'église, 
et  Jéhovah  (100  pieds)  celle  de  la  nef  médiane.  Obligé  de 
nous  en  rapporter  à  ces  données ,  qu'il  n'est  pas  facile  de 
vérifier  de  loin ,  et  sur  ce  que  d'ailleurs  l'auteur  aurait  fait 
ces  mêmes  expériences  dans  un  grand  nombre  d'autres 
églises ,  nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  de  recommander 
aux  savants  ce  genre  d'observation,  qui  corroborerait  d'un 
fait  de  plus,  mais  non  absolument  nécessaire,  la  thèse  déve- 
loppée et  soutenue  dans  cet  ouvrage.  Noiis  ne  trouverions, 
du  reste ,  au  point  de  vue  de  nos  idées ,  rien  de  surprenant 
dans  cette  application  à  une  pareille  matière  des  principes 
émis  de  tout  temps  et  en  tous  les  heux  où  la  pensée  des 
Pères  a  pu  s'insinuer  dans  l'art  chrétien. 
Quoi  qu'il  en  soit ,  les  dimensions  en  elles-mêmes  ont     Rapprochement 

,    .  ,  ...  de  cette  méthode 

toujours  sérieusement  paru  a  nos  ecrivauis  ecclésiastiques  avec  ce  qu^ensei- 

,.      \  ,  1  , ,  ,  ,    .  .  gnent  les  Écritu- 

londecs  sur  quelque  mystère  qii  on  ne  doit  pas  ignorer,   res  de  i-arche  de 


(Ij  Voir  Mémoire  sur  la  cathédrale  d'Autun  ,  par  M.  l'abbé  Devou- 
coux, parmi  ceux  de  la  Société  Eduenne,  1838. 


466  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

xoé.  —  Opinions  pas  dIus  Qu'oii  116  les  méconnaissait  au  moven  âffe.  Au 

de  S.  Isidore    de    ^         '^  ^  -^  " 

séviiie,  septième  siècle  ,  Isidore  de  Séville ,  comparant  l'Eglise  à 

l'arche  de  Noé  ,  portée  comme  elle  sur  les  flots  de  ce 
monde,  et  ayant  pour  pilote  le  Juste,  en  qui  il  résume  tous 
les  traits  de  Jésus-Christ ,  expose  le  symbolisme  des  di- 
mensions providentielles  du  vaisseau  miraculeux  qui  répara 
le  naufrage  du  monde  :  ce  vaisseau  avait  trois  cents  cou- 
dées de  long,  cinquante  de  large  et  trente  de  haut,  c'est- 
à-dire  que  sa  largeur  était  le  sixième  de  sa  longueur ,  et 
que  le  dixième  de  celle-ci  formait  son  élévation  totale.  Ce 
seraient  là  de  belles  et  nobles  proportions  à  suivre  dans 
l'édification  d'ime  église  gothique,  dont  les  voûtes  sont  tou- 
jours plus  élevées  que  celles  du  genre  roman.  Pour  ce 
dernier,  il  ne  s'agirait  que  de  quelques  modifications  inspi- 
rées par  le  goût,  d'autant  plus  que  le  plus  grand  nombre 
des  belles  éghses  du  moyen  âge  constatent ,  par  la  diver- 
sité de  leurs  mesures,  qu'on  se  donnait  à  cet  égard  toute 
licence ,  aucune  règle  positive  n'ayant  été  imposée  ,  tant  à 
cause  des  difficultés  qu'y  aurait  parfois  opposées  la  confi- 
guration du  terrain  ,  que  parce  qu'on  ne  désapprouvait 
point  la  forme  ronde  ou  octogone  ,  ni  môme  la  croix 
grecque ,  auxquelles  il  n'était  pas  facile  d'assigner  des  me- 
sures également  réguhères  partout.  Mais  en  supposant 
une  église  construite  d'après  les  dimensions  de  l'arche , 
rien  n'empêcherait  de  voir  dans  ce  vaisseau  (nef,  navis] 
qui  sauve  les  Élus  des  derniers  temps ,  et  dans  ses  parties 
principales  ,  une  complète  allusion  à  la  loi  de  Moïse  et  à  la 
loi  de  grâce.  Dès  lors,  les  trois  cents  coudées,  dans  lesquelles 
on  trouve  six  fois  cinquante  (ce  nombre  50  consacré  par  la 
Pentecôte  chez  les  Juifs),  représentent  les  six  âges  du  monde, 
pendant  lesquels  Notre-Seigneur  n'a  pas  cessé  de  prêcher 
soit,  durant  les  cinq  premiers,  par  les  Prophètes,  soit,  du- 
rant le  sixième,  par  l'Évangile.  —  Les  cinquante  coudées  de 
large  sont  le  signe  de  la  charité  qui  dilatait  le  cœur  de 
l'Apôtre  ;  or  cette  charité  vient  dans  nos  cœurs  par  le  Saint- 


INTÉRIEUR    DE    L  ÉGLISE.  <  67 

Esprit ,  qui  nous  a  été  donné  cinquante  jours  après  la  résur- 
rection. Quant  aux  trente  coudées  de  la  hauteur ,  c'est 
Jésus-Glirist  lui-même,  par  lequel  l'Jiomme  s'élève  à  toute 
sa  hauteur  morale,  et  qui  commença  cette  réforme  salu- 
taire à  la  trentième  année  de  sa  vie  (^  ). 
Les  mêmes  interprétations  se  reproduisent  en  d'autres  tie    Hugues    de 

1     o    •        TT.  1  1     T  Saint-Victor, 

termes  dans  Hugues  de  Samt-Victor, le  grand  symboliste  du 
douzième  siècle.  A  son  avis,  la  longueur  de  l'arche,  qui  est 
toujours  l'Ég-lise,  arca  Ecchsia,  est^  dans  ces  trois  cents  cou- 
dées, la  connaissance  parfaite  de  la  Sainte  Trinité  se  manifes- 
tant à  trois  époques  différentes,  par  l'action  visible  du  Père 
seul  d'abord,  puis  du  Fils  dans  l'Incarnation ,  et  enfin  du 
Saint-Esprit  quand  le  Fils  est  remonté  vers  son  Père.  La  lar- 
geur désigne  l'effet  des  bonnes  œuvres,  l'action  méritante  en- 
vers le  prochain  ;  puis  la  hauteur  indique  l'excellence  des 
trois  principales  vertus ,  dites  théologales ,  parce  qu'elles 
élèvent  l'homme  jusqu'à  Dieu  (2).  Ces  principes  sont  consa-  J*  ^«  ^»>"ant  dn 
crés,  à  la  fin  du  treizième  siècle,  par  Durant,  qui  n'a  donc  pas 
tant  inventé  que  suivi  les  prétendues  exagérations  qu'on  lui 
reproche.  «  L'Église,  dit-il,  s'étend  en  long ,  en  large  et  en 


(1)  «  Arca  Ecclesiam  demonstrabat,  quee  natat  in  fluctibus  mundi 
hnjus...  Treceiifis  cubitis  longa  est,  ut  sexies  quinquaginta  coirplean- 
tur,  ?icuL  sex  a^tatibus  omne  hujiis  saeculi  tempus  extenJitur,  in  quibiis 
omnibus  Christus  iiunquam  destitit  pra^dicari,  ia  quinque  per  prophe- 
tiam  denuutiatus,  in  sexta  per  Evangelium  diffamatus...  —  Quod  vero 
cubitis  quinquaginta  latitudo  ejus  expanditur,  unde,  nisi  charitate  spi- 
rituali.  l'ropter  quod  Apostolus  dicit  :  «  Chaiiias  l'ei  diffusa  est  iii 
cordibus  nuslris  per Spirititm  Sanclumqiii dalusest  nobis (Rora.,v,5). 
Quinquagesimo  enim  die  post  resurrectionemsnam  Christus  SpiritHUi 
Siinctura  luisit. —  Quod  autem  altitude  in  triginta  cubitos  surgit... 
quia  Christus,  altitudo  uostra,  qui  triginta  annorum  gerens  aetatem^ 
doctrinain  evangelicam  consecravit...»  (S.  Isid.  Hispal,,  Quxdt.  iîi  Gen., 
cap.  vii;  —  t.  V,  Migue,  lxxxfii,  p.  230.) 

{'!)  «  Arca,  Kcch.'sia...  Longitude  arca3  est  coguitio  perlecta  per  tria 
tempora  Sanctae  Trinitatis;  latiliido,  effectusin  proximuui  boni  operis; 
altiludo,  excellentia  triuui  principaliuiu  virtutum  :  fidei,  spei,  charita- 
tis.  »  fflug.  ci  Sancto-Victore,  Serin,  lxii,  Migne,  t.  clxxvii.  col.  1090.) 
—Voir  aussi  dans  ce  même  auteur  :  De  Arca  Noe  morali,  lib.  I,  cap.  iv, 
sub  fine. 


468  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

»  haut  :  ii  faut  voir  dans  ces  trois  sortes  d'espaces  la  longa- 
»  nimité  et  la  patience  qui  soutiennent  l'Épouse  du  Christ 
»  dans  sa  marche  vers  la  patrie,  la  charité  qui  dilate  son 
»  cœur  et  lui  fait  aimer  en  Dieu  ses  amis  et  ses  ennemis,  et 
»  enfin  l'espérance  des  récompenses  futures  qui  lui  fait  ac- 
»  cepter  également  les  hiens  et  les  maux  de  cette  vie,  jus- 
))  qu'au  jour  où  elle  recevra  l'héritage  du  Seigneur  dans  la 
»  terre  des  vivants  (^).  » 
Le  crucifiement      Au  milicu  dc  CCS  pFoportious  quî  ont  toutes  leur  langage, 

du  Sauveur   sym-  ^  i        ^    i       /• 

boiisé  dans  le  plan  uu  autrc  symholc  apparaît  et  s  y  rattache  a  la  lorme  cru- 

général     de    l'É-  t»,i,'i  l^i.^ 

ghse.  ciale    que  nous  avons  exphquee  et  dont  il  complète  le 

sens.  Ce  n'était  pas  assez  d'avoir  voulu  rappeler  que  la  croix 
était  le  salut  et  la  vie  :  il  fallait  y  clouer  pour  ainsi  dire  de 
nouveau  Celui  qui  s'y  était  fait  victime,  et  dont  le  Sacrifice 
journalier  se  perpétue  dans  le  temple.  Aussi  regardez  bien  : 
vous  verrez  que  la  disposition  matérielle  du  monument 
représente  le  corps  d'un  homme.  Le  chevet  [caput]  en  est 
la  tète  ;  les  bras  de  la  croix  sont  les  bras  et  les  mains  du  cru- 
cifié, et  les  jambes  sont  simulées  par  la  partie  occidentale 
de  la  nef  (2).  De  la  sorte  se  reproduit  très-bien  la  tradition, 
déjà  posée  dans  ce  livre  (3),   que  sur  l'instrument  de  son 

(1)  «  Ecclesia  longa  lataque  surgit  in  altuni,  id  est  in  alta  virtutum. 
Longitude  cujus  ionganimitas  est  qua  patienter  adversa  toleret  donec 
ad  patriam  perveniat.  Latitudo  charitas  est,  quae  dilatione  mentis  ami- 
cos  in  Deo  et  inimicos  diligit  propter  Deum.  —  Altitudo  vero  spes 
est  future  retributionis,  quia  prospéra  et  adversa  contemnit,  donec  vi- 
deat  bona  Domini  in  terra  viventiuui.  »  [Ration.,  lib.  I ,  lubr.  i;  mihi, 
yo  3.)  _  Isidore  de  Séville  applique  ces  mêmes  mesures  mystiques  à  la 
vie  morale  du  chrétien,  De  Offtc.  ecclfisiasl.,  lib.  I,  cap.  xxx. 

(2)  «  Dispositio  autem  ecclesiae  materialis  modum  hiimani  corporis 
tenet.  Cancellus  enim,  sive  locus  ubi  altare  est,  caput  reprsesentat.  »— 
(Du  temps  de  l'auteur,  el  jusqu'au  douzième  siècle, l'autel  était  toujours 
dans  l'abside;  on  ne  l'en  sépara  que  vers  cette  époque,  où  commen- 
cèrent les  déambulatoires  entre  le  chevet  et  l'autel  qui  s'en  éloigna  de 
quelque  distance.)  —  «  Crux  ex  utraque  parle  brachia  et  manus;  re- 
liqua  pars  ab  occidente  quidquid  corpori  superesse  videtur.  »  (Durant., 
ubi  suprà.) 

(3)  Cf.  ci-dessus ,  LU,  p.  442;  —  et  aussi  Pastoral  de  S.  Charles, 
part.  IV,  tit.  m",  ch.  vu. 


INTFilRIEUR    DE   L'ÉGLISE.  ^69 

supplice  le  Christ  a\ait  le  visage  tourné  vers  roccident,  d'où 
il  appelait  vers  lui  les  nations  païennes.  Des  symbolistes 
modernes  ont  môme  regardé  comme  figurant  les  clous  de 
de  la  croix  ces  coupoles  arrondies  qui  signalaient  au  dehors 
les  travées  de  la  voûte;  et  les  portes  du  sud,  du  nord  et  de 
l'occident,  comme  les  plaies  des  mains  et  des  pieds  (I).  Il  y 
a  plus  :  en  certaines  églises,  une  sorte  de  renflement  se  ma- 
nifeste vers  le  milieu  du  vaisseau,  pour  mieux  rendre 
l'expansion  de  la  région  costale  dans  l'homme  (2).  Quoi 
qu'en  aient  dit  certains  penseurs  à  qui  le  symbolisme  n'était 
pas  assez  connu  il  y  a  vingt  ans,  nous  croyons  avec  d'autres, 
bien  plus  autorisés  par  leurs  études,  qu'il  faut  attribuer  ce 
phénomène  de  construction  bien  plus  à  la  pensée  que  nous 
suivons  ici  qu'à  un  procédé  de  perspective  qui  peut  en 
résulter  sans  en  avoir  été  le  motif  déterminant  (3). 


(1)  Gretzer,  De  Sancla  Cruce  Clirisli,  t.  1,  lib.l,  cap.xxvi,  Ingolstad, 
1616,  in-fo. —  Ce  livre  renferme  beaucoup  de  choses  curieuses^  comme 
l'immense  érudition  de  l'auteur  sut  en  faire  passer  dans  la  plupart  de 
ses  écrits,  au  milieu  de  ce  dix-septième  siècle,  qui  pourtant  s'éloignait 
ai  fort  des  traditions  de  la  vénérable  antiquité.  On  ne  lit  plus  ces  ou- 
vrages du  savant  jésuite  :  mais  ceux  qui  osent  les  aborder  y  peuvent  re- 
cueillir une  érudition  solide  et  d'attachantes  notions  des  choses  sacrées. 

(2)  Ceci  se  rattache  évidemment. à  une  époque  où,  d'après  une  tra- 
dition que  nous  avons  vue  erronée  (ci-dessas,  t.  II,  pages  439,  452), 
les  deux  pieds  du  Sauveur  eussent  été  attachés  à  la  croix  par  un  seul 
clou.— C'est  ici  le  cas  de  faire  observer  combien  M.  VioUet-Leduc  s'est 
trompé  dans  son  Dictionnaire  d'architecture,  lorsque,  parlant  de  cette 
forme  donnée  à  nos  cathédrales,  il  n'indique  en  rien  le  principe  d'es- 
thétique d'où  elle  est  sortie.  C'est  là  uu  péché  de  matérialisme  bien 
involontaire  sans  doute  dans  l'habile  architecte,  mais  il  n'y  apparaît 
que  par  suite  d'une  étude  incomplète  de  cette  im[)ortante  partie  de 
l'art  religieux.  —  Au  reste  ,  Didron  avait  reconnu  ce  symbole  en 
traits  frappants  dans  la  cathédrale  de  Reims.  Il  remarque  même  que 
l'exigniLé  du  chœur  et  du  sanctuaire  ,  relativement  à  la  nef,  qu'on 
blâme  à  tort,  faute  d'en  comprendre  la  raison  mystique,  représente 
d'autant  mieux  la  tête  et  le  coude  l'homme.  {Yolr  Annal,  arcliéulug., 
XIII,  294.) 

(3)  M.  l'abbé  Godefroy  ,  professeur  d'écriture  sainte  au  séminaire  de 
Nancy,  attribuait  ce  caractère  à  l'un  des  canons  apostoliques  qui  rap- 
pelle dans  l'église  matérielle  la  forme  du  navire,  symbole  de  l'Eglise 
spirituelle.  Cette  explication, ôien  qu'attrayante,  dit-on,  fut  cembattue 


no  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

Déviation    de       Quelque  forcés   que  puissent  sembler    à    certains  ces 

l'axe  longitudinal  ^         ^  -a  r 

du  nord  au  sud.  apcrçus,  pourtaut  très-bien  établis  d'après  maintes  expé- 
riences, il  en  est  un  autre  sur  lequel  personne  n'hésite  plus, 
et  qui  apparaît  d'ailleurs  trop  évidemment  pour  n'être  pas 
généralement  adopté  :  c'est  la  déviation  systématique  de 
l'axe  longitudinal  qui  se  remarque  en  toutes  les  églises , 
si  antérieures  qu'elles  soient  au  quatorzième  siècle,  et  dont 
on  a  faussement  attribué  l'extension  à  l'art  ogival  (^1).  Cette 
déviation,  qui  caractérise  notre  église  Saint-Jean  de  Poitiers, 
justement  attribuée  au  quatrième  siècle,  est  une  incli- 
naison de  la  ligne  médiane  du  nord  au  sud,  et  part  du 
chevet  en  se  continuant  jusqu'à  la  porte  occidentale.  Par  ce 
moyen  fort  ingénieux,  et  qui  parfait  autant  que  possible 
l'attitude  plus  ou  moins  cambrée  d'un  corps  qui  s'affaisse- 
rait sur  la  croix,  on  a  voulu  certainement  symboliser  cet 
autre  affaissement  de  la  tête  du  Sauveur  rendant  son  dernier 
soupir  (2).  La  faire  pencher  vers  le  nord  ,  c'était  peut-être 
une  touchante  pensée  qui  rapprochait  les  derniers  regards 
du  Fils  expirant,  de  ceux  de  sa  Mère,  debout,  gémissante  à  ce 
côté  de  la  croix  ;  c'était  probablement  aussi,  sans  que  nous 


par  des  archéolof^ues  naluralisles ,. comme  il  y  en  avait  encore  beau- 
coup. Nous  préférerions  la  pensée  de  M.  Godefroy  à  la  leur,  parce 
qu'elle  a  du  moins  l'avantage  de  rentrer  dans  les  principes  spiritua- 
listes,  qui  ont  partout  et  toujours  présidé  à  l'architecture  chré- 
tienne. 

Nous  voyons,  dans  cet  accord  unanime  à  reconnaître  le  renflement 
de  la  nef  par  le  milieu  ,  un  des  détails  qui  tiennent  à  l'intention  si  gé- 
néralement reconnue  de  figurer  dans  toute  l'étendue  de  la  croix  archi- 
tecturale le  corps  humain,  qui  symbolise  celui  du  Sauveur  crucifié.— 
Voir  le  compte  rendu  du  congrès  scientifique  de  Nancy  tenu  en  1850, 
Annal,  arrhéolng.,  X,  263.  —  Un  peu  plus  tard  ,  en  1853  ,  on  vit  M.  Di- 
dron,  mieux  inspiré  par  des  études  plus  complètes,  fortifier  notre  opi- 
nion par  les  observations  que  constate  cette  page  de  ses  Annales. 

(1)  M.  l'ubbé  Crosnier  {Iconographie  chrétienne ,  p.  93)  nie  ce  prin- 
cipe; presque  toutes  les  églises  romanes  proclament  le  contraire,  et 
notre  savant  confrère  de  Nevers  n'a  pu  faire  qu'une  inadvertance  en 
établissant  comme  un  fait  ce  qui  se  trouve  contredit  par  tous  les  mo- 
numents de  notre  pays. 

(2)  «  Et,  inclinato  capite,  emisit  spiritura,  »  (Joan,,  xix,  30.) 


INTÉRIEUR   DE   l'ÉGLISE.  H^ 

en  trouvions  la  preuve  directe,  mais  par  une  idée  qui  ressort 
bien  des  principes  généraux  admis  sur  le  symbolisme  de 
l'orientation,  exprimer  cette  soif  du  salut  des  nations  perdues 
dans  les  ténèbres,  soif  que  le  Sauveur  venait  de  proclamer 
bien  haut  par  une  de  ses  dernières  paroles  :  Sitio  {\  ). 
Mais  que  dire  de  cette  invention,  par  trop  subtile,  qui  a  fait     certains  archi- 

^  i  j  i  tectes    exagèrent 

croire  à  certains  archéologues  qu'on  aurait  pu  forcer  une  si  ce   principe   en 

Poitou,  en  Berry 

belle  idée  en  l'appliquant  au  hasard  à  d  autres  qu'à  Notre-  et  ailleurs. 
Seigneur  Jésus-Christ? Il  est  certain  que  cette  règle  de  l'in- 
flexion des  églises,  une  fois  généralisée,  a  subi  quelques 
imperfections  de  la  part  de  tels  ou  tels  architectes  qui  en  ont 
exagéré  l'application,  faisant  subir  à  leurs  plans  une  dévia- 
tion si  brusque  et  si  mal  ménagée,  qu'au  lieu  d'y  être  l'objet 
de  réflexions  sérieuses  et  scientifiques,  elle  n'accuse  qu'une 
imperfection  considérable  aux  yeux  de  l'observateur  ins- 
truit, comme  un  défaut  d'intelhgence  architecturale  pour 
qui  n'en  a  pas  le  secret.  On  aura  trois  exemples  frappants, 
entre  un  assez  grand  nombre,  de  cette  aberration  remar- 
quable, si  l'on  entre  à  Notre-Dame  de  Montmorillon,  à  l'ab- 
batiale de  Saint-Savin   ou  à  Saint-Génitoux  du  Blanc  en 


(1)  Juan.,  XIX,  28.  —  Nous  n'avons  vu  donner  nulle  part  cette  raison, 
mais  elle  ressort  trop  évidemment  des  traditions  chrétiennes  sur  les 
points  cardinaux  pour  n'être  point  devinée.  Au  reste,  il  est  certain  que 
les  figures  de  Noire-Seigneur  crucifié  faites  au  moyen  âge  et  penchant 
la  tête  sur  l'épaule  droite  nout  presque  pas  d'exceptions.  11  en  est  de 
même  de  riuclinaison  de  l'axe  des  églises,  qui  toujours  va  du  nord  au 
sud.  Un  ou  deux  exemples  contraires,  à  nous  inconnus,  n'infirmeraient 
pas  le  principe,  qui  s'appuie  sur  des  notions  piécises,  sur  d'exactes  re- 
cherches, Comme  ou  peut  le  voir  dans  une  notice  sur  ce  sujet  qui ,  sans 
être  exempte  d'erreurs  qus  nous  combattons  ici,  est  intéressante  par  le 
fond  de  ses  données  sur  la  matière  (voir  Ballet,  nionum.,  IX,  ooO). 
M.  Blavignai-,  auteur  d'une  bonne  lllsloire  de  Varchileclure  sacrée  du 
quatrième  au  dix ib  ne  siècle,  ne  s'est  donc  pas  égaré  en  consacrant 
comme  une  vérité  cette  excentricité  de  la  ligne  droite  qui  rejette  un 
peu  de  côté  le  tracé  des  voùles  déjà  admis  dès  le  quatrième  siècle  ;  et 
DJdron,  qui  lui  reproche  avec  raison  de  s'être  trompé  dans  l'inter- 
prétation forcée  de  certains  autres  symboles  ,  aurait  pu  lui  éviter ,  en 
1854,  une  observation  qu'il  n'exprimerait  pas  aujourd'hui.  — Voir  Ann. 
archéolog.,  XIV,  63. 


Fausses  consé- 
quences qu'en  ti- 
rent quelques  ar- 
chéologues. 


172  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

Berry.  Là  on  voit  la  ligne  oblique  se  séparer  violemment  et 
sans  ménagement  de  la  ligne  droite,  et  cette  anomalie  scienti- 
fique sort  réellement  des  proportions  gardées  dans  la  généra- 
lité des  monuments  religieux.  A  quoi  attribuer  un  tel  excès, 
sinon  à  un  léger  défaut  du  plan,  ou  peut-être  aune  intention 
d'en  mieux  accuser  le  symbolisme  ?  Mais  prêter  au  maître 
de  l'œuvre  une  pensée  qui  détournerait  ce  motif  architec- 
tural de  sa  destination  sacrée  ;  le  séparer  de  la  forme  cru- 
ciale de  l'édifice,  à  laquelle  il  faut  rattacher  forcément  le 
supplice  duFils  de  Dieu,  pour  faire  de  ce  moyen  une  allusion 
aux  tourments  d'un  martyr,  c'est  ce  qu'on  n'admettra  jamais 
sans  dénaturer  le  principe  même  aussi  bien  que  l'histoire 
de  la  science  allégoristique,  laquelle  s'est  fait,  à  l'égard  de 
Dieu  ou  de  chacune  des  Personnes  de  la  Trinité,  des  théories 
exclusives  et  incommunicables  :  ainsi  nous  verrons  le  nimbe 
crucifère  uniquement  réservé  à  ces  trois  Personnes,  à  qui 
seules  est  due  notre  adoration,  et  qui,  par  un  accord  una- 
nime, ont  correspondu  à  l'œuvre  de  la  Rédemption  par 
la  croix  {]).  Mais  se  persuader  que  les  prétendues  contor- 
sions du  plan  observées  à  Saint-Savin  soient  un  symbole  du 
martyre  souffert  sur  la  roue  par  le  patron  de  cette  église  ; 
croire  que  ces  mêmes  errements  suivis  à  Saint-Génitoux  du 
Blanc  expriment,  par  une  subite  intersection  entre  le  chevet 
et  la  nef,  la  décapitation  du  saint  Patron  (2),  cela  est  plus 


(1)  «  Divisit  sibi  opus  reparationis  nostrae  misericordia  Trinitatis  ; 
ut  Pater  propitiaretur ,  Filius  propitiaret,  Spiritus  Sanctus  igniret..., 
quoiiiam,  sicut  Apostolus  {Gai.,  iv ,  6)  ait  :  Misit  Deus  Spiritum  Filii 
SUT  in  corda  nosira.  »  (S.  Léon  pape,  Serm.  lxxvii;  de  Penlecosie,  m. 
—  0pp.  111,226.) 

(2)  Voir  cette  thèse  soutenue  avec  trop  d'ardeur  au  congrès  archéo- 
logique de  Poitiers  en  1843  ,  Bull'i.  nionum.,  IX  ,  552.  —  L'auteur  de 
cette  ingénieuse  invention  ,  qu'ont  adoptée  avec  trop  de  confiance 
d'autres  archéologues  de  talent  (ibid.,  XIII,  403),  exagérait  un  peu  les 
prétendues  contorsions  du  plan  de  Saint-Savin  ,  dont  la  déviation  , 
quoique  très-sensible,  comme  tant  d'autres,  ne  présente  cependant  pas 
l'exagération  outrée  qu'il  veut  bien  lui  donner.  On  voit  d'ailleurs  très- 
bien,  dans  le  curieux  ouvrage  de  Gallonius  (De  Crucialibus  marlyrunif 
p.  37,  pi.  ix),  que  les  contorsions  étaient  impossibles  au  supplicié  sur 
la  roue,  où  son  corps  avait  forcément  une  position  tour  à  tour  perpen- 
diculaire ou  horizontale. 


INTÉRIEUR    DE   L'ÉGLISE.  ilS 

qu'une  illusion  pure,  puisque,  d'un  côté,  le  martyr  attaché 
sur  la  roue  l'était  en  ligne  droite,  la  tôte  et  les  pieds  succes- 
sivement abaissés  ou  relevés  par  le  mouvement  continu 
de  rotation,  et  que,  d'autre  part,  S.  Génitoux,  honoré  au 
Blanc,  n'est  pas  un  martyr,  mais  seulement  un  saint  confes- 
seur qui  fut  abbé  en  Berry  au  cinquième  siècle  (1).  L'ima- 
gination est  une  magnifique  faculté,  mais  elle  doit  se  subor- 
donner à  l'histoire,  qui  ne  gagne  rien  à  ses  rêves  les  plus 
subtils.  Cette  idée  ne  serait  jamais  venue  à  des  architectes 
aussi  instruits  des  règles  du  mysticisme  et  de  l'hagiologie 
que  l'étaient  ces  moines  des  onzième  et  douzième  siècles, 
dont  l'œil  surveillait  de  si  près  des  plans  travaillés  par  eux 
avec  une  si  profonde  connaissance  du  spiritualisme  chré- 
tien. 

Quoiqu'il  en  soit,  on  voit  par  tout  ce  qui  précède  quel  Arcades  murales. 
soin  s'étaient  donné  ces  pieux  constructeurs  d'assigner  à 
ce  vaste  et  bel  ensemble  une  place  d'honneur  dans  la 
théorie  générale  du  symbolisme  architectural.  Tout  n'est 
pas  dit  cependant  sur  cette  merveilleuse  harmonie  entre 
les  parties  et  le  tout;  nous  sommes  ici  protégés  par  une 
voûte,  éclairés  par  des  fenêtres,  entourés  de  chapelles  laté- 
rales ;  nous  pouvons  passer  de  la  nef  médiane  en  des  bas- 
côtés  qui,  sans  en  être  séparés,  s'en  distinguent  au  milieu  de 
piliers  sveltes  et  élégants;  peut-être  môme  des  arcades 
accolées  aux  murs  et  se  répétant  trois  ou  quatre  fois  sous 
chaque  travée  y  font-elles  une  ornementation  mystérieuse, 
à  l'instar  des  portiques  de  la  Cité  divine  dans  l'Apocalypse. 


(1)  L'auteur  ,  toujours  dominé  par  la  préoccupation  scientifique  ; 
avait  confondu,  pour  établir  un  fait  docile  à  ses  conjectures,  S.  Géniton 
ou  Genitour  du  Berry  avec  celui  de  Touraine.  Celui-ci  fut  martyrisé,  en 
effet,  au  quatrième  siècle,  avec  ses  sept  frères  et  leur  mère  S"  Maure  à 
l'endroit  où  fut  fondée  ensuite  la  ville  qui  porte  ce  dernier  nom.  Il  y 
est  honoré  au  25  octobre  ,  d'après  les  martyrologes  de  Châtelain  et  de 
Saiiit-A liais.  L'autre  n'est  que  confesseur,  et  son  culte  se  fait  au  Blanc, 
dans  une  église  paroissiale  de  son  nom,  le  30  octobre,  d'après  les  mêmes 
autorités. 


]1Â  HISTOIRE   Dl     SYMBOLISME. 

Quant  à  celles  qui  supportent  les  voûtes ,  et  dont  les  arcs- 
doubleaux  se  dessinent  en  plein  cintre  ou  en  pointe  ogivale, 
ne  sont-elles  pas  aussi  comme  ces  demeures  différentes  dont 
parle  la  Sagesse  du  Verbe  et  qui  nous  attendent,  selon  nos 
mérites,  dans  la  maison  de  son  Père  {\  )  ? 

Chapelles  laté-  Qj^  cu  pcut  dire  antaut  de  ces  chapelles  qui,  se  révélant 
surtout  au  onzième  siècle,  où  elles  apparaissent  au  nombre 
de  trois  au  fond  de  l'église,  se  multiplient,  à  partir  de  l'époque 
de  transition,  le  long  des  nefs  latérales  et  s'y  avancent  de  plus 
en  plus  vers  l'ouest  au  quatorzième  siècle,  ramenant  ainsi, 
selon  les  besoins  d'un  plus  grand  nombre  d'autels,  à  l'usage 
consacré  dans  les  catacombes  par  les  confessions  particu- 
lières et  les  mémoires  des  martyrs  (2j.  11  est  vrai  que  le 
grand  nombre  des  Saints  qui,  dès  le  temps  de  S.  Bernard, 
envahissent  le  calendrier,  jusqu'à  deux  ou  trois  pour  le 
même  jour,  nécessitait  cette  multiphcité  des  chapelles,  qui 
leur  sont,  dès  lors,  dédiées  dans  une  même  basilique.  Iln'en 
est  pas  moins  vrai  que  ce  sont  encore  comme  autant  de 
haltes  sacrées  sur  la  route  du  palais  éternel  :  ce  sont  des 
retraites  ménagées  à  la  méditation  au  milieu  de  cet  im- 
mense intérieur  où  la  foule  va  et  vient.  La  piété  y  est  plus 
sohtaire  et  plus  attentive;  son  recueillement  y  est  moins 
troublé,  et  le  ciel  qu'elle  cherche  y  devient  plus  sensible  à 

Le»  bas-côtés.     SOU  amour  et  à  ses  espérances. 

Et  ces  nefs  secondaires  qui  dépassent  les  chapelles  pour 

(1)  «  In  domo  Patris  mei  mansiones  multae  sunt,  »  [Joan.,  xiv,  2.) 
'2)  Voir  Raoul  Rocbette,  Tableau  des  catacombes ,  p.  91  ,  où  l'au- 
teur, en  constatant  ce  fait  de  la  multiplication  des  arcuala  dans  la 
Rome  souterraine,  comprend  bien  mal  ce  qu'elles  avaient  de  touchant 
et  de  religieux,  et  leur  trouve  l'immense  défaut  d'avoir  rompu  la  ligne 
droite,  dont  le  brave  académicien  se  montra  toujours  si  jaloux.  C'était 
bien  préluder  au  système  qui  proscrivait ,  dans  un  rapport  officiel  à 
l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres,  l'emploi  du  style  ogival 
dans  l'église  projetée  de  Sainte-Clotilde  de  Paris  :  c'était  raisonner  en 
homme  qui  ignorait  jusqu'aux  éléments  de  l'esthétique  chrétienne.  On 
peut  voir  tout  cet  échafaudage  de  mauvaises  raisons  exposées  par  lui  et 
réfutées  par  des  archéologues  éminents  dans  le  Bulletin  monumental, 
Xn,  543,  547  et  suiv.,  561,  564,  568;  et  XIII,  51. 


INTÉRIEUR    DE    LÉGLISE.  n5 

mener  jusqu'à  Tabside  destinée  au  tabernacle  du  Saint  des 
Saints,  ne  sont-elles  pas,  à  la  suite  de  ces  portes  plus  étroites 
qui  y  donnent  accès,  cette  voie  plus  lar^e  et  plus  facile  qui 
conduit  l'âme  voyag^euse  par  les  diverses  stations  de  la  vie 
humaine  jusqu'au  lieu  de  son  repos  pour  toujours?  Il  n'y  a 
pas  jusqu'aux  tombeaux  (ju'on  y  a  souvent  élevés  qui  ne 
parlent  un  langaoe  plein  de  leçons.  Si  de  tout  cela  nous  consi-     ^o  nombre  trois 

'  ^     o      1  •■  symbolisant        la 

dérons  maintenant  l'ensemble,  ne  vovons-nous  pas  la  ^^rande  Trinité,  toujours 

ot  partout. 

et  tbndamentale  notion  de  la  Trinité  des  Personnes  dans  un 
seul  Dieu,  lorsqu'à  la  fois  se  présentent  à  nos  regards  ces 
trois  nefs  qui,  partant  de  trois  portes,  aboutissent  à  trois  ab- 
sides que  trois  fenêtres  éclairent  ?  Ce  nombre  mystérieux 
se  reproduit  ainsi  toujours  et  partout.  Une  si  haute  conve- 
nance a  été  sentie  si  nécessaire,  que  là  où  fut  une  seule  ab- 
side orientale,  chacun  des  bras  de  la  croix  se  termina  pai" 
une  autre  abside,  et  que  la  lumière  éternelle  sembla  jailhi' 
dans  le  temple  par  une  triple  voie  dont  il  n'était  pas  pos- 
sible de  méconnaître  l'intention  :  ainsi  avait-on  fait,  dès  le 
i[uatrième  siècle  ,  à  Saint-Jean  de  Poitiers.  Il  n'en  fut  pas 
autrement  des  trois  nefs.  Quand  l'espace  fut  trop  étroi-     preuve  de  cette 

,  ,     ,  ,     , .  ,  . ,  .       -  prétention      dans 

tement  donne  a  une  église  du  onzième  siècle,  on  poussa  l'é-iise  de  la  caii- 

Ior6  60,  V6ndé6 

l'amour  du  symbolisme  jusqu'à  lui  donner  des  bas-côtés  ,  ' 
en  dépit  des  dimensions  générales  qui  s'y  refusaient  :  telle 
est  l'église  de  la  Gaillère,  au  diocèse  de  Luçon.  Là ,  nous 
avons  observé  avec  étonnement  un  plan  régulier  d'église 
romane  à  trois  nefs,  mais  dont  les  deux  latérales  sont  telle- 
ment rétrécies  qu'un  homme  n'y  passe  qu'à  peine  entre 
les  piliers  et  les  murs  d'enceinte  ;  les  voûtes  s'y  dévelop- 
pent tout  au  plus  en  un  arc  de  dix  degrés,  et  les  bases  des 
colonnes  se  réunissent  presque  entièrement  sur  le  pavé  qui 
les  supporte.  Evidemment,  pour  façonner  ainsi  un  si  petit 
espace,  et  n'y  vouloir  pas  sacrifier  le  principe  ternaire,  il  a 
fallu  que  la  règle  inspiiât  un  grand  respect. 

Ouelques  églises,  comme  Sainl-IIilairc  de  Poitiers  et  Saint-      Églises  à  sept 
Sernin  de  Toulouse ,  ont  reçu  jusqu'à  sept  ou  cinq  nefs  ,  à        '''"'i"®»' 


-176  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

l'exemple  de  quelques  basiliques  romaines.  Nous  ne  recon- 
naissons aucune  raison  symbolique  à  ce  nombre,  qu'auront 
déterminé  probablement  les  seules  conceptions  d'un  plan 
plus  grandiose,  lequel,  il  est  vrai,  en  étendant  l'espace,  sem- 
blait s'efforcer  de  donner  une  plusjuste  idée  de  l'immensité 
quelquefois  à  lieux  dc  Dicu.  —  Nous  uc  voyous  pas  assez  par  quelle  raison  les 

seulement  chez  les  ...  ...  ^        .       •    •  ^  •^^  ^^  vi 

Dominicains.  Dommicaïus,  origiuaircs  du  treizième  siècle,  ou  les  règles 
architectoniques  étaient  si  respectées  dans  leur  sens  ana- 
logique ,  ont  donné  à  leurs  églises  deux  nefs  seulement  au 
lieu  de  trois ,  dont  l'existence  se  rattachait  à  tant  d'autres 
caractères  significatifs.  A  Toulouse,  à  Paris,  et  bien  ailleurs 
en  France  et  en  Espagne,  cette  sorte  d'exception  se  remar- 
quait ,  et  les  deux  nefs ,  séparées  par  un  seul  rang  de 
colonnes,  aboutissaient  à  une  abside  commune  :  c'était  peut- 
être  pour  rendre  plus  exactement  le  texte  de  la  Sagesse  :  Sa- 
pieniia...  excidit  columnns septem  {\ )  :  trois  nefs  en  auraient 
nécessité  quatorze...  Mais  ce  puritanisme  architectural,  il 
faut  l'avouer,  a  mal  réussi  ;  on  s'est  bien  gardé  de  l'imiter 
en  Italie,  où  les  trois  nefs  sont  toujours  conservées.  D'ail- 
leurs ,  l'effet  d'une  église  à  deux  nefs  n'est  que  peu  com- 
mode et  fort  disgracieux.  Revenons  donc  à  celles  qui  ont 
respecté  la  méthode  universelle. 
Divers  systèmes      Au  milicu  dc  ccttc  vastUé,  commc  disait  Montaigne,  s'élè- 

sur  le  nombre  de 

piliers;  vcut  douzc  coloiiiies  dans  la  plupart  des  édifices  :  c'est  en 

souvenir  des  douze  Apôtres  ,  colonnes  et  fondements  de  la 
vérité  ;  quelquefois  on  en  compte  quatorze,  comme  à  la  ca- 

(1)  «  Sapientia  aedificavit  sibi  domum,  excidit  columnas  septem.  » 
{Prov.,  IX,  1).  —  Ed  examinant  les  interprétations  propres  à  ce  verset 
des  Proverbes,  on  y  trouverait  le  motif  probable  qui  a  fait  adopter  par 
les  enfants  de  Saint-Dominique  cette  disposition  des  sept  colonnes.  Ce 
nombre  ayant  paru  aux  commentateurs  le  symbole'des  sept  dons  du 
Saint-Esprit  ou  des  sept  sacrements  que  l'Église  devait  promulguer,  il 
aura  peut-être  semblé  convenable  à  la  nouvelle  famille  religieuse, 
fondée  au  treizième  siècle  pour  s'élever  contre  les  hérésies  et  l'indiffé- 
rence du  siècle,  et  s'appliquer  aux  œuvres  indiquées  ici  parla  Sagesse 
divine,  d'en  compléter  l'expression  en  prenant  à  la  lettre  ce  dernier 
verset. 


INTÉRIEUR    DE    l'ÉGLISE.  177 

tliédrale  de  Poitiers ,  où  peut-être  alors  elles  symbolisent 
la  perl'eclioii  (1)  ;  à  moins  (in'on  ne  préfère  y  voir  le  nombre 
sept  doublé  à  cbaque  limite  de  la  nef  principale,  et  espaçant, 
comme  les  sept  jours  de  la  création,  les  œuvres  de  la  vie 
spirituelle  répandues  dans  le  saint  édilice  avec  une  si  géné- 
reuse profusion.  En  effet,  s'élcvant  jusqu'aux  retombées  leu.-  symbolisme 
des  nombreuses  arcades  qui  séparent  les  nefs  et  les  travées, 
embellies  daiis  leurs  élégants  chapiteaux  d'une  foliation 
dont  les  belles  ciselures  ne  le  disputent  en  mérite  qu'aux 
intelligentes  légendes  qui  les  y  remplacent  parfois  ou  qui 
s'y  mêlent  ;  ornées  jusque  dans  leurs  bases  de  légères  den- 
telures ,  de  gracieux  festons ,  de  roses  épanouies,  de  fleurs 
fantastiques  :  soit  qu'elles  s'élancent,  rondes  et  minces, 
sous  une  >  oùte  du  onzième  siècle ,  soit  qu'à  leur  masse 
cai'rée  viennent  s'accoler  ,  comme  au  douzième,  des  demi- 
colonnes  engagées ,  flanquées  encore  de  plus  petites  dans 
chacun  des  angles  rentrants  :  on  n'y  peut  méconnaître  l'at- 
tribut de  cette  force  supérieure  qui  soutient  l'œuvre  admi- 
rable du  monde  créé ,  non  plus  que  cette  vertu  de  l'âme 
chrétienne  qui  s'élève  de  la  terre  au  ciel,  et  ne  résiste  ici-bas 
à  toutes  les  tentations  et  à  toutes  les  épreuves  que  par  la 
ferme  espérance  de /a  roy«i^^e5'w/;i'awrapâ[5c?e/?w.  Mais  à  les  et  ceiui  do  lems 

déUiJs. 

(1)  Le  nombre  14  est  celui  de  la  perfection  parce  qu'il  signifie 
rnnion  de  la  Loi  ancienne  et  de  la  Loi  nouvelle  :  10  représentant  la 
première  par  le  D6calogue,  et  4  la  seconde  par  les  quatre  Évangiles. 
14  multiplié  par  10  produit  140,  qui  est  le  sommet  de  la  perfection, 
l'Église  étant  ligurée  par  le  Tabernacle,  dont  Moïse  compléta  la  déco- 
ration par  les  dix  rideaux  ou  courtines  dont  il  l'enveloppa  (Ëxjcod., 
XXXVI,  8)  ;  et  14  renferme  l'un  des  mystères  de  la  génération  tempo- 
relle du  Verbe,  étant  le  nombre  des  familles  qui  se  comptent  {Maith., 
I,  17)  entre  Abrabam  et  David.  —  C'est  encore  le  nombre  7  multiplié 
par  2  que  S.  Augustin  appelle  le  nombre  de  la  Loi  de  grâce  {In  psalin.  cl). 
Les  sept  sacrements,  les  sept  dons  du  Saint-Esprit,  sont  les  sept  co- 
lonnes élevées  par  la  Sagesse  divine  dans  la  maison  qu'Elle  s'est  con- 
struite :  Sapienlia  xdificavil  sibi  domiun,  excidit  columnas  septem 
{Prov.,  IX,  1).  —  Ce  sont  encore  les  sept  étoiles  de  l'Apocalypse  (i,  16), 
tenues  dans  la  main  du  Fils  de  l'Homme.  —  Voir,  sur  tout  cela,  S.  Mé- 
liton,  De  Numéris,  da.ns  sa  Clef  de  VEcrilure,  n»  vu  (Spicileg.Solesm., 
IH,  285,286  et  288). 

T.  m.  12; 


I7S  inSTOlUK    m     SYMROI.lî^MK. 

t'onsidihvr  on  parlicnlitM' ol  dans  lours  ihMails ,  il  lanl  \o'\i 
dans  (vs  snpports  do  la  \oûlo  lo  sxnibolo  dos  ô\i\]nos,  suo- 
oossonrsdos  AptMros,  sonlonanl  la  \iodo  ri\jilisopar  la  parolo 
divino  ,  oonuno  otaiont,  an  diro  do  S.  Panl,  Jaot]nos,  Piorn^ 
ot  .loan  ,  los  iirands  ol  intivpidos  prôdloalonrs  dos  ponplos 
païons  (O.liOsbavSossonI  loshonunosaposioliipios.  lospnMros 
qui  coop^ront  A  l'aolion  fondaniontalodo  l'ôpisoopal;  onlin, 
los  ohapiloanx  soni  los  parolos  de  V\\c\  iinro.  (jni  \  sonildont 
iiiscritos  par  \ouv  parure*,  poinu*  ou  sonlptiS\  don  dosi'tMi- 
donlponr  nons  dos  onstMiiiuMniMils  à  niodiUM"  cl  d(S  r^iilos  A 
suivro  :  oo  qui  prouxcMail  on('()ro  (rc'^s-bion,  an  hosoin.  ijno 
rion  do  oos  ornonionls  ajionoos  dans  oos  iiraoionsos  oorhoillos 
n'a  jamais  inan(|nô  d'nn  sons  moral  ol  [oui  spirilnol  2^. 
Knoor«oos croix       vis-;V\is  (los  oi)l(Mnios  .  SUT  lo  plal  (los  unn's ,  ol  (inoliino- 

*io  oonstvnuion  :  i  i  i 

fois  snr  K^s  0(^l(>nnos  (^llos-nu^mos,  ap}>araissonl  ,  dans  un 
oorolo  an  fi^nd  divorS(Mn(Mi(  ('olorii^  ,  dos  omi\  i^i'i^'ipios 
d()nl  los  (•cnihMU's  ol  la  d(>rnr(*  ('(nilribnonl  j^i  lairt*  un  ri('lu» 
orn(Mn<Mil  :  oo  son!  K^s  plaocs  (\>nsa('r(N*s  par  Tt^nolit^n  du 
Sainl  ('lu't^no  h^rs  {\c  la  dodi(\u'(^  dn  saint  licMi  .  (M  doni 
nous  a\ons  doj;"^  dil  un  mol;  loni"  n(>ml)ro  do  dou/.o  rappollo 
onooro  los  Apoiros.  (|ni,  ou  lo  voil,  ri^viomuMil  sonvoni  dans 
la  ponsi^o  s\mbolisti(ino.  Pour  rondro  pins  onlit'^romonl 
ootto  ponst^'o,  on  a  ôl(\  on  mainlosôi^lisos,  jns(]n'A  fairo  lonir 
oos  dou/o  oroi\  par  los  di>n/.o  ootupajinons  dn  San\onr; 
ooiiosdoirt  s.uni.>  ainsi  à  la  ï>ainto-('bapollo  do  Paris  ol  ;>  ï^ainl-llnborl  de' 
otaoSrtùu' ihiborî  \\  ar\  illo(.VIosollo).  Dans  co  dornior  oditioo.on  dobadiiioouua, 
(Ml  iS'iT,  tiHilo  la  soii('  dos  nuMnbrosdn  l'tdloiio  aposloliquo. 
Klcvés  snr  \c  mur  à  sopt  ou  huil  piiuts  an-d(*ssns  du  sol . 
obacun  d'on\.  los  piods  uns,  portail  nno  lonuno  robo  ot  nn 

(1)  «  OolmniKV  i\\\yV  (hMimm  fuK-iiuU  :^unl  Ispisoopi.  (|ni  luaohinain 
Kcclcsia»  verbe  ot  vita  snslentaiit...  .laoobus  H  Coi^hu;^  ot  Joainvod,  ut 
ait  Apotîtoluei  {(uil.,  H,  0).  viilobanhir  os^o  oohnuna\  ^>  ^SioaiMi.  loc. 
cit.) 

(2)  «  Haiîcs  columnanim  t^unt,  aposlolioi  viri,  univor^aloni  KoiMoj^ia^ 
niaobinain  supporlaiito.*...  CapiloUa  sunt  vorba  sanota*  Sori\>tnra\quo- 
runi  nuvlitatioui  sub(iiiuur.  ot  obsorvanlia».  »  {l'hi  supn).) 


i\o  \\:\r\mo. 


brge  mmîtm ,  lofdi»  aakat  aUemathaMat  Uei»  «i 

é^enMie:  one  imcf^itm  4kul  k«r  MPM  ea 
as^ksns  ée  kar  télé.  QBdfwsMns^  $,  fkrre  «15.  tad, 
|arei«KfAe«fortûeBl#me  mam  %mr  aftritatspédal; 
4è  FMlre,  ik  im.wtajft  le  4iii|ae  Ii0f4é  4e  f^sie»  et 
fiiliii  é(  Umàn  wiéei  aè  htiSÊàkaâ,  ks  ems  d'or  :  ce 
4mMV  r/ik  élail  «HMé  à  dbaon,  et  fl  soMMutk  rM^ 
av^et  on  lefaMgf  é'entraia  et  4e  4içttté  qoi  igifiiraif,  as 
tretzîéa^fièek,  b  beik^ioiiae  4erait,4»M 
fttft^tM»  liirnlîiqpieii  ;  Htttf  b  dnss  ea  aiait  f*^^ 
rcMOit  4étniJt  feasenlile.  ksi  tpmàkÊm  iiéde,  <m  Tarait 
frfnêmàf  etalorai,4ait§  mtggMe  4e  peartre  emtnat  mmuk 
hku  tamâsnix^  que  les  f«été4eÉtes,  «a  t'était  iosifvré  4e  b 
I^gea4e,  et  k»  iMize^  iMit  en  firéKiilaja  lean 
eatoofées  d'un  €«rde  ridbeMeat  omé,  fflrtaknt  4aas  m 
fhjbetére  rartkk4aCra4$*,  qœ  dkaeiui  était  eewé  arar 
ré4i^.  SMunetooley  et  toat  biennaflûné,  aoiis  ftétete- 
ma»  b  bctore  4a  IreiziêMe  »éck  â  cdk  4a  qniityiêie. 
Il^,eaee4emier  teoq^.  b  dé'^î^r:  -f^  f^n^pifiilii!» 
ie  binit  senlir  (l>. 

Mats  que  ce»i>i^^v<aiéfaUesjgaiiikiKiitksfaiTb  4a  _T<frMu<t 
teflq4e  oa  s'aenkat  ea  sfatœi  aox  fâien  çf dl»  fKnwn- 
nilkat  far  oa  nooi  sacié,  DOS  fieçud^  attires  par  ces  haaies 
et  gracjgaaes  coioones  rers  ks  coulas  saiantes  fo'die» 
atteâgneot  prjor  ks  footeair,  n*a4aiireat  fos  mcn»  b  buv 
4ieaK  4»  ones  qœ  riaâbfaablik  attita4e  4es  aoti».  La 
eaoore,  toot  park  â  fcsprit  et  aa  œor  4a  dbretifa.  Araot 
qœks  routes  eaoMeikiasTianeat  sigaakr  4am  Xn^Èà- 
tettare  on  progRS  4e  Fére  oi^crrîngieaae,  oa  o'arait  fias, 
4ef«i§  ks  çranieslttiibiaesrMnaiacs,  qae4esfbfi9aâi  ea 
botf ,  fbts  oo  dniréi,  d'un  fraiafl  ffais  oa  laoïiis  altarfanif^ 


AOfei,  «M».,  XX,  m  et 


480  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

• 

mais  auquel  se  mêlait  toujours  quelque  mystérieuse 
donnée  :  des  serpents  en  colère  sortaient  des  murs,  au- 
dessus  de  la  simple  et  grossière  corniche  qui  en  terminait 
l'élévation,  pour  engueuler  des  entraits  jetés  sur  les  cliapi- 
Diversités    de  [^ux  des  pilicrs  de  la  nef.  Des  anges  semblaient,  ailleurs, 

leur     ornementa-  ^  '-' 

tion    peinte   ou  soutcuir  lo  faîtc  de  l'édifice,  où  ils  entourent,  invisibles,  le 

spulptee. 

(abernacle  du  Fils  de  Dieu;  les  poinçons  s'élevaient  en  co- 
lonnes sculptées  jusqu'au  point  intermédiaire  de  l'élégante 
charpente,  et  ce  que  le  ciseau  du  sculpteur  en  bois  n'avait 
pas  exécuté,  le  pinceau  l'avait  représenté  en  coloriant  les 
oiseaux,  les  quadrupèdes,  les  fleurs,  tous  symboles  dont  les 
l'ouïes  s'émerveillaient,  et  dont  on  voit  encore,  en  Bretagne 
plus  qu'ailleurs,  les  traditions  reproduites  en  beaucoup  de 
Noûtes  en  bois  du  quinzième  siècle.  S.  Grégoire  de  Tours 
mentionne  des  ouvrages  de  ce  genre  qui,  de  son  temps,  fu- 
rent jugés  dignes  d'admiration  et  conservés  avec  un  soin 
iehgieux  ('l).  Notre  S.  Fortunat  louait  presque  en  même 
îemps  Léontius,  évêque  de  Saintes,  d'avoir  doté,  dans  sa  ville, 
i'église  de  Saint-Eutrope  d'une  voûte  à  caissons  où  des 
figures  yariées,  taillées  dans  le  bois,  remplaçaient  avanta- 
geusement les  effets  de  la  peinture  (2).  Mais  on  abandonna 
!)ientôt  cette  riche  et  belle  ornementation  quand  on  vint  à 
créer  des  arceaux  de  pierre  dont  les  intervalles,  remplis 
d'un  blocage  de  cailloux  et  de  ciment,  constituèrent  une 
force  de  plus  et  comme  un  lien  ferme  et  stable  entre  les 
Leurs  principes  partlcs  dc  la  uiassc  commune.  Toutefois,  ce  n'était  encore  là 

(1)  Pepétue,  évêque  de  Tours,  le  cinquième  depuis  S.  Martin,  voulut 
élever  à  ce  Saint,  qui  n'avait  qu'une  petite  chapelle,  une  église  digne 
de  lui,  dont  nous  avons  la  description  dans  S.  Grégoire,  son  succes- 
seur {Hist.  Franc.,  lib.  II,  cap.  xiv).  Le  pieux  écrivain  nous  apprend 
qu'il  ne  voulut  pas  laisser  périr  la  belle  voûte  en  bois  de  cette  cha- 
pelle, et  qu'il  l'adapta  à  une  autre  église ,  construite  par  lui  en  l'hon- 
neur de  S.  Pierre  et  de  S.  Paul. 

(2)  Hic  sculptse  camerse  decus  interrasile  pendet; 

Quos  pictura  solet  ligna  dedere  jocos 
Sumpsit  imagineas  paries  simulando  figuras; 
CJuae  neque  tecta  prias  hœc  modo  picta  nitent. 
-   -  (S.  Fortun.  Pictav.,  /tfïsce/^an.,  lib.  1,  113.) 


\ 


clefs. 


INTÉRIEIR   DE   L'ÉGLISE.  ^8^ 

qu'une  œuvre  Jjîen  imnarl'aito,  toujours  srrossièrc  à  l'œil,  et  élémentaires    sr 

*■  1  .1  o  perfectionnent  au 

dont  la  surface,  quand  les  fresques  ne  venaient  pas  en  dis-  douzième  siècle. 

simuler  l'irrégularité,  gardaient  sans  façon  les  traces  des 

planches  qui  leur  avaient  servi  de  moules  (I).  Le  douzième 

siècle  mit  ordre  à  ces  expériences  malhabiles.  Son  génie, 

en  développant  la  théorie  du  symbolisme  religieux,  créa  des 

éléments  nouveaux  à  l'iconographie  ;  il  distribua  sur  ses 

pierres  de  taille  si  gracieusement  combinées  une  efflorcs- 

cence  inconnue  d'ornements  expressifs.  Dans  la  pureté  de 

ses  lignes  architecturales,  dans  l'exactitude  mathématique 

de  ses  courbes,  dans  le  faire  patient  de  ses  chapiteaux  et  de 

ses  modillons,  il  compléta  les  vues  de  perfection  qu'allait 

atteindi-e  l'époque  de  Suger  ,  puis  de  S.  Thomas  d'Aquin.  Il       Richesse   des 

ne  pouvait  refusera  ses  voûtes  le  langage  qu'il  imprimait  quVr*eçoivent'']es 

partout  ailleurs,  et  en  leur  donnant  ces  claveaux  de  tuf  aussi 

légers  que  solides,  il  sut  encore  leur  imposer  la  gracieuse 

parure  de  ces  clefs  sculptées,  où  les  nervures  ne  semblent 

aboutir  que  pour  arrêter  le  regard  sur  une  page  de  plus  de 

cet  enseignement  universel.  Là  ce  fut  la  main  divine  sortant 

d'un  nimbe  crucifère  qui  sembla  épancher  ses  bénédictions 

sur  les  foules  priant  dans  les  nefs,  comme  à  notre  ancienne 

abbaye  de  la  Réau  ;  ailleurs,  comme  à  Saint-Pierre  de  Poi- 


(1)  Nous  avons  vu  des  églises  tombées,  sous  prétexte  de  restaura- 
tion, aux  mains  de  nos  architectes  officiels,  et  dont  les  voûtes  primi- 
tives existent  eucore,  recevoir  sur  ces  voûtes  le  complément  d'une 
parcimonieuse  décoration  au  pinceau  qui  suit ,  avec  un  inexplicable 
scrupule ,  les  aberrations  imposées  à  ces  voûtes  par  l'inhabileté  des 
ouvriers  du  onzième  siècle.  Telle  est  la  belle  collégiale  de  Saint-Pierre 
de  Chauvigny  ,  où  les  travées  laissent  apercevoir  à  l'œil  de  l'observa- 
teur toutes  les  irrégularités  des  lignes  architecturales.  Il  ne  nous  semble 
pas  que  la  peinture  ait  pour  objet  de, faire  ressortir  les  défauts  d'un 
monument,  et  ce  parti  pris  d'agir  avec  un  puritanisme  déraisonnable 
ne  répond  que  trop  à  la  raison  qui  ht  priver  le  clocher  d'une  croix 
encore  attendue.  L'architecte  s'obstina  à  la  lui  refuser,  parce  qu'il  iw 
lui  paraissait  pas  dk.monthi':  qu'au  douzième  siècle  ce  symbole  de  toute 
la  religion  reçiit  encore  cette  place.  Pour  s'appuyer  de  telles  raisons 

fallait  avoir  lu  et  vu  bien  peu  de  choses  sur  l'histoire  de  l'architec- 
ture religieuse,  qu'on  maniait  cependant  tous  les  jours!... 


filières  travées. 


^82  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

tiers,  le  chardon  de  la  pénitence,  les  couronnes  de  fleurs  ou 
de  branches  de  chêne,  s'y  mêlent  aux  figures  aimables  du 
Sauveur,  delà  Vierge  Mère,  du  prêtre  présentant  aux  yeux 
du  fidèle  Je  Pain  de  la  vie  descendant  du  Ciel  [\). 
Abaissement  suc-      A  cc  symlioUsmc,  uu  autre  bien  préférable,  quoique  plus 
Hqufde1eu?^prc:  gravc,  s'ajoutc  cucorc,  et  nous  prouve  combien  le  sentiment 
de  l'esthétique  présidait  aux  dessins  de  l'architecte.  Les  trois 
premières  travées  qui  abritent  le  sanctuaire  et  le  chœur 
sont  plus  basses  que  les  suivantes,  qui  couvrent  la  nef  pro- 
prement dite.  Par  leur  style  de  roman  fleuri,  elles  diffèrent 
de  ces  dernières,  qui  ont  toute  la  légèreté  du  genre  go- 
thique, et  qiielques-ims  ont   pu  attribuer  à  une  reprise 
des  travaux  interrompus  pendant  une  assez  longue  pé- 
riode cette  brusque    transition    et    ce  surexhaussement 
inattendu.  Mais,  admettant  qu'il  faille  goûter  cette  raison 
([u'autorise  effectivement  l'histoire  de  cette  belle  archi- 
tecture, il  ne  faut  pas  moins  voir  dans  ces  hauteurs  iné- 
gales un  principe  qui,  jusqu'à  l'ère  de  la  transition,  fut  con- 
sacré à  la  fois  par  fart  et  par  la  liturgie  :  l'abside  était 
dès  lors  plus  basse  que  le  chœur,  pour  former  à  l'évêque  et 
au  presbytère  le  siège  commun  d'où  ils  présidaient  à  la  réu- 
nion des  fidèles.  La  travée  suivante,  un  peu  plus  haute,  sem- 
J)lait  honorer  la  Sainte  Réserve  sur  l'autel  ou  dans  l'armoire 
qui  l'avoisinait,  et  la  troisième  s'élevait  au-dessus  des  chan- 
tres. Cette  disposition  se  remarque  en  beaucoup  d'éghses 
rurales  du  Poitou,  de  l'Anjou  et  de  la  Normandie.  L'habile 
architecte  anglais  Pugins  n'a  eu  garde,  avec  son  entente  de 
la  liturgie  et  du  symbolisme,  de  négliger  cette  donnée  dans 
sa  charmante  église   de   Schéaldte.   Durant  dorme   pour 
raison  de  cette  règle  que  le  clergé  et  l'évoque,  en  voyant 
s'abaisser  au-dessus  d'eux  la  plus  haute  partie  du  monu- 
ment sacré,  étaient  ramenés  à  des  pensées  d'humilité  dont 


(1)  Voir,  pour  plus  de  développements^  notre  Histoire  de  !a  caillé- 
drale  de  Poitiers ,  1 ,  317  et  suiv. 


INTERIEUR    I)K   L  EGLISE. 


183 


ils  doivent  donner  l'exemple,  en  proportion  de  la  grandeur 
et  de  l'importance  de  leur  dignité  (I). 
Outre  ces  grands  moyens  appliriués  au  plan  d'ensemble,     lcs  modiuons, 

^  J  ir      1  X  plus  délicats  en  se 

on  savait  aussi  distribuer  dans  ce  même  sens  les  détails  rapprochant  du 
d'ornementation  ,  et  le  but  de  l'arcliitectc,  dans  cette  diffu- 
sion de  ses  belles  sculptures  soit  à  l'intérieur,  soit  à  l'exté- 
rieur de  Tégiise,  est  toujours  d'exposer  et  de  prouver  cette 
pensée  que  tout  devient  plus  parfait  en  se  rapprochant  de 
Dieu.  Richard  de  Saint-Victor  reconnaît  cette  gradation 
systématique,  selon  la  judicieuse  remarque  d'un  archéo- 
logue distingué  :  «  En  avançant  vers  le  sanctuaire,  les  clefs 
de  voûte  sont  mieux  soignées,  dit-il;  les  rinceaux  se  dérou" 
lent,  les  luoulures  se  rafflnent,  les  corbeaux  sculptés  se 
mêlent  aux  modillons  en  biseau,  et  à  un  tel  point  que  par- 
fois des  personnes  en  prennent  lieu  d'imaginer  des  construc- 
tions successives.  La  raison  naturelle  qui  a  dirigé  l'ouvrier 
ne  détruit  pas  la  raison  mystique  (2j.  »  Cette  remarque  ne 
s'applique  pas  moins  au  caractère  des  modillons  qu'à  tout 
le  reste  de  la  parure  sculptée.  A  mesure  qu'on  s'avance  de 
la  porte  d'entrée  vers  l'autel  dans  les  églises  dont  le  pour- 
tour est  orné  d'une  série  de  corbelets,  comme  à  la  cathé- 
drale de  Poitiers,  on  devine  que  les  sujets  se  rapprochent 
plus  des  divins  mystères  ;  le  péché  y  lutte  contre  la  vertu 
secrète  du  tabernacle,  et  c'est  là  que  se  déroulent  de  pré- 
férence, non  plus  des  images  à  part  dont  chacune  peut  avoir 
une  personnification  propre,  mais  celles  qui  doivent  se  grou- 
per, comme  pour  rendi'e  au  Dieu  du  sanctuaire  une  ado- 
ration plus  empressée  et  plus  universelle. 
Mais  que  seraient  ces  beautés  visibles  ou  mystérieuses  si      Les    fenêtres 


(l)«  Gaucellas,  id  est  caput  ecclesiae,  humilior  reliquo  corpore  eccle- 
siae  ,  myslicai  quanta  humilitas  debeat  esse  in  clero  seu  prœlato,  juxta 
illud:Quanto  majores, lantiun  humilia  le  in  omnibus.  «(Durant.  Mimât., 
Hation.,  lib.  I,  v»  4.)  —  Sicardi,  que  Durant  cite  maintes  fois  parmi  ses 
autorités,  dit  la  même  chose  presque  en  mêmes  termes  (lib.  I,  cap.  iv). 

(2j  M.  l'abbé  Godard-Saint-Jean ,  Essai  sur  le  symbolisme  a?'cliitcc- 
lural  des  éylises;  BuUet.  monum.,  XIII ^  3o6. 


184  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

sont  les  saintes  le  joui'  iic  les  lalsalt  éclatei"  au  double  regard  du  corps  et 
de  l'esprit?  Les  fenêtres  ont  ce  double  privilège,  et,  tout  en 
servant  l'intelligence  et  la  foi,  elles  se  revêtent  elles-mêmes 
d'un  caractère  qui  les  fait  entrer  dans  ce  concert  où  vit 
tant  d'iiarmonie  et  d'accord.  Il  n'y  a  qu'une  voix  parmi  les 
symbolistes  pour  trouver  dans  ces  ouvertures,  d'abord  si 
étroites  et  si  basses  de  l'art  roman,  et  bientôt  après  si 
larges,  si  hautes  et  d'une  coupe  si  exacte  et  d'une  ornemen- 
tation si  variée  et  si  riche,  un  symbole  des  saintes  Écritures 
qui  s'opposent  dans  le  monde  moral  à  toute  invasion  des 

les  Docteurs,  choscs  nulsiblcs.  Comme  les  vitres  interceptent  les  vents  et 
la  pluie  dans  la  maison  de  Dieu,  par  cela  môme  elles  sont 
les  Docteurs  résistant  aux  tourbillons  et  à  la  grêle  des  hé- 
résies et  versant  dans  les  cœurs  fidèles  une  abondante 
lumière  de  doctrine  et  de  vérité  :  cette  môme  comparaison  ne 
leur  va  pas  moins,  parce  qu'elles  laissent  tomber  sur  les  assis- 
tants les  rayons  lumineux  de  l'astre  du  jour.  Leur  évase- 
ment  intérieur  représente  le  sens  mystique,  bien  supérieur 
au  sens  littéral,  et  plus  lumineux,  quelque  respectable  que 

if  s  sens  de  l'hom-  golt  cclui-ci.  Ou  V  voit  cucorc,  par  la  môme  raison,  les  cinq 

me  spirituel ,  ^  i.  ± 

sens  du  corps  humain,  qui  doivent  se  restreindre  à  l'égard  des 
choses  extérieures  pour  mieux  se  refuser  aux  vanités  de  la 
vie,  et  se  dilater  intérieurement  pour  s'ouvrir  plus  larges  aux 

la^cwité  frater-  dous  dc  l'Esprit-Saint.  L'art  décoratif  a  garni  de  deux  co- 
lonnes les  abords  intérieurs,  et  quelquefois  même  les  arêtes 
intérieures  des  fenêtres  :  ce  sont  les  Apôtres  envoyés  deux 
par  deux  à  leur  mission  divine,  et,  par  cela  même,  le  double 

et  la  force  de  î'É-  préceptc  dc  k  charitô  envers  Dieu  et  le  prochain.  Il  n'y  a 

^!  se  militante.  i  j 

pas  jusqu'aux  barres  de  fer  qui  protègent  la  fenestration 
contre  les  assauts  des  tempêtes  qui  ne  soient  là  comme  des 
prophètes  ou  des  docteurs  de  l'Église  mihtante  (l  ). 

(1)  «  Fenestrâe.  quœ  tempestalem  excludunt  et  lumen  inducunt,  sunt 
Doctores  qui  haeresum  turbini  resistuct ,  et  fidelibus  Ecclesiœ  lumen 
infundunt;  unde  :  En  Ipse  slal  pod  pnheleni  nuslram,  respicv'ns  ver 
feneslras  »  (Gant,,  ii),  dit  Sicardi,  ubi  suprà.  —  «  Feuestrse  ecclesiee 


ÎNTÉRIKIR    DE   l'kGLISE.  ^S5 

Nous  ne  voyons  pas,  après  ces  grands  maîtres  de  la  science 
mystagogiquc,  où  d'autres  allusions  un  peu  autorisées  pour- 
raient se  prendre  sur    ce  suiet.  Où  donc  M.    Boissércc  ,   ^  interprétations 

r  J  hasardées  de 

qui,  en  général,  a  compris  assez  bien  le  symbolisme  de  la  >'•  Boissérée. 
cathédrale  de  Cologne  ,  a-t-il  pu  s'éclairer  sur  la  part  qu'il 
donne  au\  rois  et  aux  empereurs  dans  l'interprétation 
de  ses  verrières  ?  A  l'entendre  ,  «  les  longues  fenêtres  ogi- 
vales ,  qui  ne  se  séparent  point  des  murailles  ,  et  n'entrent 
point  dans  l'intérieur  de  l'église ,  ce  sont  les  rois  et  les 
empereurs,  ces  évoques  du  dehors,  ces  fidèles  couronnés  , 
revêtus  de  la  pourpre  des  vitraux.  Leur  regard  vigilant 
pénètre  le  temple,  et,  par  sa  noble  pi'otection,  rassérène  la 
mystérieuse  ol)scurité  du  sanctuaire  M  ).  »  Ce  symbolisme  ne 

vitreiJB  Scripturae  suut  divinee,  quœ  ventum  et  pluviam  repellunt,  id  est 
nociva  prohibent,  et,  dum  claritatem  veri  Solis  in  ecclesiam  per  dieiii 
transmittunt ,  inhabitantes  illuminant.  »  (Hug.  à  Sancto-Vict.,  Tî^adi- 
lionis  Uieologivœ  in  spéculum  Ecclesiœ ,  cap.  i.)  —  Durant  expose  le 
même  symbolisme  en  termes  identiques.  Il  y  ajoute  :  «  Per  caneellos 
vero  qui  sunt  ante  fenestras,  Prophetas  ,  vel  alios  Doctores  obscuro-^ 
intell igimus  Ecclesiae  militantis,  in  quibus  ob  duo  caritatis  prœcepta 
quandoque  duae  columnae  duplicantur,  secundum  quod  Apostoli  bini 
ad  praedicaudum  mittuntur.  »  {Ration.,  loc.  cit.) 

Et  quant  à  l'obliquité  intérieure  des  embrasures ,  voici  encore  un 
curieux  passage  de  S.  Grégoire  le  Grand,  mort  en  604,  et  qui  prouve 
qu'à  cette  époque,  dont  il  ne  nous  reste  qu'un  très-petit  nombre  d'é- 
glises ,  ce  système  de  fenestration  était  le  môme  qu'aux  onzième  et 
douzième  siècles.  Il  y  a  plus  :  c'était  celui  qu'Ézéchiel ,  à  1700  ans  de  là, 
avait  vu  dans  le  temple  de  Jérusalem,  dont  il  prophétisait  la  recon- 
struction, et  S.  Grégoire,  qui  voit  ce  système  continué  de  son  temps, 
en  applique  linterprétation  aux  choses  de  l'Église  universelle  qu'il  gou- 
verne :  «  Per  obliquas  eteuiin  fenestras  lumen  intrat,  et  fur  non  iu- 
trat;  quia  bi  qui  vere  speculatores  sunt,  semper  sensum  in  humilitate 
deprimunt,  atqu3  ad  eorum  mentes  intelligentiacoutemplationis  intrat, 
sed  jactantia  elatiouis  non  intrat.  Et  patent  itaque  fenestrae  et  munitaj 
sunt,  quia  aperta  est  in  mentibus  eorum  gratia  qua  replentur,  et  tamen 
ad  se  adver.-arium  ingredi  ad  superbiam  non  permittant.  »  (S.  Greg. 
Honiil.  in  Ezechiel.  xvii.) — Ainsi,  d'après  le  saint  Docteur,  l'humilité 
arrive  à  notre  âme  avec  la  lumière  évangélique;  avec  elle  aussi  on 
peut  se  défendre  de  l'orgueil  et  de  la  vanité,  qui  y  mêleraient  des  obscu- 
rités nuisibles. 

(1)  Ce  ne  doivent  pas  être  les  termes  de  M.  Boissérée,  qu'il  nous  est 
impossible  de    vérifier,  et  que  cite  de  mémoire  M.  Mazure  dans  sa 


Harmonie  de  leur 
demi-jour  avec  la 
destination  mys- 
tique du  monu- 
ment. 


^86  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

serait  donc  que  celui  de  l'art  ogival  du  treizième  siècle  sur- 
tout, où  les  vitraux  de  couleurs  supposés  ici  parurent  avec  un 
éclat  qui  seul  peut  les  faire  entrer  dans  le  plan  que  s'est 
fait  le  docte  architecte.  Tout  ce  que  nous  énonçons,  au  con- 
traire, date  des  époques  antérieures  au  gotliique,  et  quoi- 
que nous  en  reconnaissions  l'application  tout  aussi  possible 
aux  œuvres  du  treizième  siècle  et  des  suivants,  nous  réser- 
vons pour  un  chapitre  spécial  cette  grande  parure  des 
fenêtres,  dont  nous  n'avons  à  examiner  ici  que  les  rapports 
d'unité  et  de  mysticisme  avec  le  monument  catholique. 

Au  reste,  une  remarque  de  haute  valeur  résulte  de  toute 
cette  méthode  de  lumière  si  savamment  ménagée  dans  le 
saint  lieu  :  c'est  que,  dans  ces  demi-teintes  tamisées  par 
de  rares  et  étroites  baies,  la  prière  symbolisait  elle-même 
sa  piété  silencieuse  et  ses  habituelles  méditations  (1).  La 
vie  plus  austère  d'un  monde  où  dominaient  la  foi  et  les  graves 
pensées  se  retrempait  aux  choses  du  ciel  dans  ce  jour  parci- 
monieux tombant  de  bien  haut  sur  l'âme  attentive  aux  mys- 


Philosophie  des  arts  du  dessin,  excellent  livre  dont  la  thèse  en  faveur 
du  spiritualisme  artistique  est  dignement  acquise  au  symbolisme  chré- 
tien. (Voir  son  ch.  vu  :  La  cathédrale  et  le  moyen  âge,  p.  287.)—  Nous 
ne  disons  pas  qu'il  n'y  ait  pas  beaucoup  d'imagination,  et  qu'il  ne  faille 
pas  y  préférer  quelque  chose  de  plus  positif  sur  les  principes  symbolis- 
tiques;  mais  la  tendance  en  est  excellente,  et,  sauf  certaines  erreurs 
d'appréciation  dans  l'étude  de  certains  monuments  que  l'auteur  juge- 
rait aujourd'hui  tout  autrement,  ce  livre  continuerait  d'être  utile  au- 
tant que  d'une  lecture  attachante,  s'il  était  ramené,  clans  une  nouvelle 
édition,  à  des  notions  d'archéologie  monumentale  et  d'esthétique,  encore 
trop  ignorées  quand  il  fut  publié,  en  1838. 

(1)  «  Horrorem...  et  inexplicabilem  excitât  pietalem  ,  »  dit  S.  Gré- 
goire, qu'Émeric  David  traduit  mal  par  «  la  terreur  que  doit  inspirer 
l'Être  suprême.  »  —  U inexplicabilem  pietalem  se  rend  plus  naturelle- 
ment par  une  piété  qui  n'est  point  distraite.  —  Dérouler  sa  piété  ,  la 
développer ,V étendre,  n'est  point  se  recueillir.— Prenons  dans  le  même 
sens  ce  que  S.  Grégoire  de  Tours  dit  de  l'église  cathédrale  de  Cler- 
mont,  bâtie  par  Tévêque  Namatius,  pour  mieux  faire  ressortir  que  le 
grand  jour  donné  par  ses  quarante  fenêtres  et  ses  huit  portes  n'ôtait 
rien  à  son  caractère  de  majesté  silencieuse  et  sombre  :  «  Terror  nam- 
que  ibidem  Dei  et  claritas  magna  conspicitur.  »  (fJist.  Franc,  lib.  11, 
cap.  XVI.) 


INTÉKIEIR    DE    LÉGLISE.  187 

tèrcs  du  Christ,  et  ne  pénétrait  jusqu'à  elle  qu'à  travers  des 
Nitraux  où  toute  l'histoire  de  Dieu  et  dcriioinme  se  repro- 
duisait pour  la  préoccuper  et  l'instruire.  A  uous  qui  savons 
lire  et  qui  voulons  de  V art  pour  l'art,  il  uous  faut  du  soleil 
aux  rayons  éclatants,  et  partout  uue  égale  clarté  pour  le 
vernis  des  toiles  peintes  et  les  dérisoires  coquetteries  de 
nos  modernes  ameuhlemeuts...  Nous  avons  bien  dégénéré 
de  nos  pères  ,  et,  grâce  à  ces  progrès  qu'on  ne  saurait  assez 
déplorer,  nous  n'apportons  plus  que  des  disti'actions  sans 
excuses  là  où  la  voix  solennelle  du  chant  liturgique  s'al- 
liait avec  le  demi-jour  et  l'auguste  majesté  de  la  demeure  de 
Dieu.  \ous  ornons  nos  églises  comme  nos  salons,  et  par 
cela  même  les  églises  abdiquent,  bien  malgré  elles,  hélas  ! 
ce  torî  mystérieux  qui  s'accorde  si  parfaitement  avec  l'esprit 
du  grand  Sacrifice,  et  qui  traduit  avec  tant  d'éloquence  la  vie 
de  combats  et  de  tristesses  de  l'Église,  comme  la  vie  péni- 
tente du  chrétien. 

De  ce  monument  dont  nous  venons  de  décrire  et  d'expli-  Les  cryptes , 
quer,  croyons-nous,  toutes  les  parties  matérielles ,  toutes  ipurbu""^"^^ 
les  inductions  esthétiques,  nous  ne  sortirons  pas  cependant 
sans  avoir  visité  cette  autre  église  souterraine  que  son  obs- 
cui'ité  et  sa  position  ont  fait  nommer  crypte,  et  qui  fut  en 
usage  depuis  les  premiers  temps  du  Christianisme  jusque 
vers  la  fin  du  douzième  siècle  (I  ) .  Souvenirs  des  catacombes, 
formées  presque  toujours  d'après  le  plan  de  l'église  supé- 
rieure, quoique  sur  de  bien  moindres  dimensions,  ces  cryptes 
servirent  d'abord  de  sépulture  aux  Martyrs  et  aux  Saints, 
dont  les  dépouilles  sacrées  furent  ainsi  conservées  au-dessous 
du  grand  autel,  de  façon  à  reproduire  le  célèbre  texte  apo- 
calyptique où  paraissent  les  âmes  de  ceux  qui  s'étaient  laissé 
tuer  pour  le  nom  du  Seigneur  (2)  :  telle  fut  l'origine  des 

(1)  Sicardi,  mort  eu  1215,  eu  parle  comme  d'un  annexe  que  ,  de  son 
temps,  ou  ne  refuse  pas  à  une  église  :  Sic  wdificalur  ecclesia  ut  liabeut 
pavimenhim  cum  suhterraneis  crypHs.  (Milrale,  lib.  1,  cap.  iv.) 

(2)  «  Vidi  subtus  allare  auiinas  interfectoruin  proi)ter  Verbum  Dei  et 
propter Testimonium  quod  habebant.»  {Apoc,  \i,  9.)  —  Voirrexplica- 


^88 


HISTOIRE   DU  SYMBOLISME. 


et  de  la  vie  con- 
templative. 


Images  du  Saint  cryptes  de  Saint-Hilaire  de  Poitiers,  où  reposèrent  d'abord, 
au  quatrième  siècle,  la  femme  et  la  fille  du  grand  Docteur  ; 
de  Sainte-Radég'onde  de  Poitiers,  qui  reçut  ses  restes  au 
sixième  ;  de  Saint-Maixent,  où  furent  déposées,  au  septième, 
les  reliques  de  S.  Léger  d'Autun  ,  et  de  beaucoup  d'autres. 
Mais  le  rôle  symbolique  était  bien  plus  élevé ,  puisqu'on 
voyait  dans  chaque  église  souterraine  un  souvenir  du  Saint 
Sépulcre  ,  où  le  corps  du  Sauveur  avait  été  enseveli  : 
c'était  une  allusion  au  texte  de  S.  Marc  (xv ,  46)  :  Posuit 
eum  in  monument o  quod  erat  excisum  de  petra.  Leur  ob- 
scurité presque  complète  les  a  fait  regarder  aussi  comme 
une  figure  de  la  vie  contemplative  des  ermites  {\).  Quoi 
qu'il  en  soit ,  cet  espace ,  plus  ou  moins  vaste ,  est  aussi 
plus  ou  moins  orné.  Sous  de  magnifiques  églises,  on  voit 
des  chapelles  souterraines  privées  de  toute  sculpture  ; 
d'autres  en  ont  beaucoup ,  et  alors  la  légende ,  les  allé- 
gories scriptuaires  ont  décoré  les  chapiteaux  des  piliers 
qui  partagent  le  plan  en  trois  nefs ,  outre  que  des  sarco- 
phages magnifiques  y  attestent  encore ,  comme  à  Saint- 
Surin  de  Bordeaux  (2),  les  illustres  sépultures  qui  en  aug- 
mentèrent la  réputation  à  l'époque  gallo-romaine  ou  sous 
les  rois  de  la  première  race.  En  France,  généralement,  les 
cryptes  sont  peu  remarquables  ;  celles  de  Notre-Dame  de 
Chartres,  de  Saint-Eutrope  de  Saintes,  quatre  ou  cinq  autres, 
sont  de  belles  exceptions  ;  mais  il  faut  citer  surtout ,  pour 
la  richesse  de  ses  détails  symboliques,  celle  de  Rolduc , 
de  Roidu*c.°'°*^'''*'  W^^  Bruxelles.  Les  seize  colonnes  qui  la  divisent  en  trois 


tion  de  ce  texte,  ci-dessus,  t.  JI ,  p.  179,  et  Raoul  Rochette,  ch.  ii  de 
son  Tableau  des  catacombes  (mihi,  p.  76),  où  il  décrit  le  tombeau 
ainsi  disposé  de  S"  Prisca. 

(1)  «  Cryptée,  sive  specus  subtenaneae  quae  in  quibusdam  fiunt  eccle- 
siis,  sunt  eremitse,  cultores  siquidem  secretioris  vitee.»  {Ration,  divin. 
Offîc.,  ubi  suprà.)  —  On  voit  ici  que  beaucoup  d'églises  n'avaient  pas 
de  cryptes. 

(2)  Voir  le  beau  livre  de  M.  l'abbé  Cirot  de  la  Ville  sur  cette  église  et 
sur  les  Origines  du  Christianisme  à  Bordeaux,  iu-i»,  Bordeaux,  j869. 


INTÉRIEUR   DE   l' ÉGLISE.  i^^> 

nets,  en  se  prolongeant  jnsqn'à  l'auli^l ,  sont  ornées  sur 
leurs  fats  et  leurs  cliapiteauv  de  majinitkiues  sujets  his- 
toriés, entrelacés  de  végétations  habiles  et  de  gracieux  con- 
tours, tels  qu'on  les  faisait  vers  1 1 20.  Là,  une  teinte  sombre 
et  vigoureuse  colore  l'ensemble  de  l'oratoire  et  donne, 
par  son  vague  et  son  indécision,  une  ampleur  et  une  gravité 
heureusement  calculées.  Un  certain  cheval  qu'un  voyageur 
fut  accusé  d'avoir  volé,  et  qui  reparut  tout  à  coup  au  milieu 
de  l'assemblée  où  le  prétendu  voleur  allait  être  jugé  ,  con- 
state, sur  l'un  des  chapiteaux  les  mieux  éclairés,  un  miracle 
dont  l'abbaye  fut  témoin  au  temps  des  fondations  (-H04),  et 
devient  un  fait  de  plus  à  inscrire  dans  l'histoire  de  la  sculp- 
ture légendaire,  appliquée  assez  souvent  par  les  artistes  à 
remplacer  le  symbolisme  proprement  dit.  C'est  encore  une 
preuve  que  l'histoire  locale  peut  seule ,  en  de  telles  circon- 
stances, éclairer  l'archéologue  sur  la  valeur  d'un  sujet  ico- 
nographique (I). 
En  exposant  les  sens  mystérieux  de  tant  de  parties  diffé-      L'É-iise  chré- 

...  tienne,  image  syiu- 

rentes,  reliées  entre  elles  par  une  harmonie  si  majestueuse  boiiquedeiÉgiise 
et  si  profondément  philosophique  ,  nous  avons  signalé  par- 
fois, en  quelques  mots,  le  sens  anagogique,  reportant 
notre  pensée  de  l'édifice  matériel  à  l'âme  chrétienne  ,  et 
maintes  fois  ,  sans  répéter  ce  que  nous  avons  dit  antérieu- 
rement de  cette  méthode  d'herméneutique  biblique ,  nous 
sommes  passé  indifféremment  d'un  sens  à  l'autre  par  rap- 
port au  même  objet,  laissant  à  l'intelligence  du  lecteur  à 
s'approprier  lui-môme  ce  qu'il  avait  déjà  appris  en  suivant 
les  phases  successives  de  ce  livre.  Mais  ce  qui  ressort  parti- 
culièrement de  ce  mysticisme  aujourd'hui  enfin  reconnu, 
c'est  l'existence  et  la  vie  spirituelle  de  cette  autre  Église  , 
Épouse  du  Christ ,  vaste  construction  dont  les  extrémités 
atteignent  aux  quatre  points  du  monde,  dont  Jésus-Christ  est 


(l,  Voir  Univers,  19  mai  l8o2;  —  Hevue  de  l'art  rkrélien,  l.  V,  p.  21 4, 
Ibtil;  —M.  de  Caumout,  L'ours  d'antiquité monumenlalf ,  l,  71  et  1244 


^90  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

la  pierre  angulaire,  et  les  Apôtres  le  fondement,  comme  les 

fidèles  autant  de  pierres  taillées  (-1).  Représentée  d'abord 

Traits  mystiques  par  la  Synagogue,  dont  Elle  prend  la  couronne  tombée.  Elle 

(le   cette    ressem-  -  ^      •    •  ,  ,  n,     ,  i  ..       •.  l'    • 

biance.  se  parc ,  Epouse  choisie  et  preteree ,  des  attraits  extérieurs 

qui  attestent  sa  royauté.  Toutes  les  beautés  du  temple  maté- 
riel se  rapportent  à  Elle  ,  s'animent  de  ses  inspirations,  re- 
•  présentent  ses  attributs ,  ses  combats,  ses  victoires.  Arche 
de  Noé  ou  barque  de  Pierre,  Elle  vogue  sur  l'océan  de 
ce  monde,  à  travers  les  naufrages  des  âmes  perdues,  et, 
sûre  de  ses  agrès  comme  de  ses  pilotes ,  Elle  s'avance ,  en 
dépit  des  tempêtes ,  vers* le  port  où  Elle  arrivera  ferme  et 
triomphante ,  pavoisée  de  toutes  ses  flammes  et  heureuse 
des  dépouilles  de  ses  ennemis. 

C'est  à  ce  point  de  vue  si  varié ,  si  riche  et  non  moins 
éloquent  de  significations  métaphoriques  ;  c'est  sous  ces 
aspects  si  pittoresques  et  si  attrayants  ,  que  nous  allons 
maintenant  étudier  les  nombreux  objets  qui  complètent 
l'ornementation  de  l'édifice  religieux,  aussi  bien  que  ses 
fêtes  et  les  instruments  sacrés  du  culte  qui  s'y  accom- 
Queiie  profonde  pUt.  Daiis  ccttc  aualysc  de  tant  de  beautés  surnaturelles, 

théologie  en  res-  ^^^  ygrra  dc  plus  OU  pUis  k  malu  du  clergé  imprimée 
sur  les  meubles  du  temple  comme  sur  la  distribution 
de  son  plan ,  et  quel  génie  tout  divin  a  pu  seul  présider 
à  de  si  hautes  concessions  dans  l'intérêt  de  l'humanité. 

aussi    bien  que  Qc  quc  uous  vcuous  dc  dire  n'est-il  pas  une  dernière 

ciergT''^  "^^  preuve  irréfutable  de  cette  vérité ,  déjà  soutenue  par  nous, 
que  des  théologiens  seuls  pouvaient  inventer  et  exécuter 
cet  inimitable  ensemble  qu'on  appelle  une  église  catholi- 
que, dont  pas  une  pierre  ne  reste  sans  un  rôle  à  part,  où 
toute  chose  matérielle  exprime  une  vérité  théologique;  où , 

(l)«Estis  cives  Sanctorum,  superaedifîcati  super  fundamentum  Apos- 
lolorum  et  Proplietarum  .  ipso  summo  angulari  lapide  Christo  Jesu  ; 
in  Quo  omûis  aedificatio  constructa  crescit  in  templum  sanctum  in 
Domino;  in  Quo  et  vos  coaedificamini  in  habitaculum  Dei  in  Spiritu.  » 
{Ephes.,'u,2Q.) 


INTÉRIEUR   DE   l'ÉGLISE.  '19'f 

comme  dans  Tblcriturc  elle-mc^me,  il  ne  l'aiU  pas  laiit  voir 
des  lettres ,  des  points ,  des  syllabes  ,  des  noms  ou  des  per- 
sonnes, que  des  avertissements  moraux  cachés  sous  l'écorce 
de  la  lettre  (I)?  Or  ces  exigences  de  l'Église  primitive,  à 
laquelle  a  tant  voulu  nous  ramener  le  protestantisme,  qui 
s*en  repcnt  aujourd'hui ,  n'ont  pas  cessé  de  se  produire 
jusque  dans  nos  pastoraux  mêmes  du  dix-septième  siècle.  Les 
prescriptions  des  Pères  y  sont  rapportées,  citées  comme  de- 
vant avoir  encore  leur  exécution,  et  celui-là  leur  paraîtrait 
manquer  de  zèle  qui  s'y  soustrairait,  au  mépris  des  opinions 
les  plus  justement  vénérées  (2). 
En  présence  de  ces  faits,  de  ces  doctrines  et  de  ces  prin-      Théories  sans 

,,,,..,,.  ^  ^  .^1  iT  fondement  de   M. 

cipes  féconds  d  ou  jailhrent  au  moyen  âge  tant  de  sublimes  Deiéciuse      sm- 
choses,  comment  s'expliquer  les  théories  hasardées  de  cer-  chitecture  au  mo- 

1  1  •  .  , .  ,    ,  yen  âge , 

tains  docteurs  de  nos  jours,  qui,  préjugeant  des  causes  mo- 
rales de  ces  intéressantes  évolutions  de  l'architecture  chré- 
tienne opérées  à  ces  époques  de  foi,  les  regardent  comme 
autant  de  phases  d'un  libéralisme  chimérique  dans  lequel 
on  se  complaît  assez  pour  lui  attribuer  ces  admirables  mer- 
veilles? A  entendre^  par  exemple ,  M.  Deléchise  dissert(H* 
sur  la  féodalité  et  l'art  gothique,  confondre  les  instructions 
chevaleresques  avec  la  théocratie  des  douzième  et  treizième 
•siècles ,  puis  assigner  les  mômes  causes  à  la  décadence  de  ces 

(1)  Au  cinquième  siècle  S.  Pierre  Ghrysologuc;  disait  à  son  auditoire 
de  Ravenne  :  «  Quid  tencmus,  fralres?  non  apices  ,  non  litterœ,  non 
syllabae  ,  non  verbuni,  non  nomina,  non  personai  in  Kvangelio  divinis 
vacua  suut  figuris...  »  Et  il  le  prouve  par  les  expressions  du  prophète 
Osée  :  «  Sponsabo  te  in  justitia  et  judicio,  et  in  misericordia  et  in  mi- 
serationibus^  et  desponsabo  te  mihi  in  fide.  »  {Os.,  \\,  19.)— Et  il  cite 
encore  S.  Paul  [Çor.^  xi,  2)  :  «  Sponsavi  vos  uni  Viro  virginem  castam 
exhibere  Christo.  »  —  Voir  S.  Pétri  Chrysol.,  Serm.  cxLvi,  De  Joseph 
Sponso. 

(2)  Cf.  Pastoral  du  diocèse  de  Limoges,  où  l'on  explique  les  obliga- 
Lions  des  C'^clésiasliques  et  des  pasteurs,  t.  11,  p.  140,  iu-12,  1837.— Ce 
livre,  excellent  sous  bien  des  rapports,  fut  publié  sous  l'épiscopat  et 
par  les  ordres  de  Mgr  d'Urfé,  c'est-à-dire  de  1676  à  1695.  —  Il  s'appuie 
beaucoup  des  décisions  de  S.  Charles  et  de  ses  conciles  de  Milan  tenus 
de  1555  à  1582. 


192  HISTOIRE  D€   SYMBOLISME. 

grandes  créations  sociales  pendant  les  deux  siècles  suivants, 
ne  reconnait-on  pas  un  homme  à  qui  les  préventions  révo- 
lutionnaires de  notre  temps  bouchent  les  yeux  sur  la  véri- 
table portée  comme  sur  l'histoire  authentique  des  choses 
dont  il  attribue  dout  11  parlc  ?  A  propos  d'architecture ,  il  s'empare  contre 
înents  ruiu^pK  nous  ,  catliollques  ,  au  profit  de  ses  utopies  pohtiques,  des 
tfon^ïrbémi'e'.Vp^ia  modltlcations  qu'elle  adopte  ,  ou  plutôt  des  humiliations 
liberté  humaino .  ^^^,^^^^  ^^^-^^  ^^^  ^^^^^^^  ^^  l'hérésle  ct  du  schismc  ;  il  n'aper- 
çoit pas  le  principe  de  cette  chute  dans  l'esprit  d'opposition 
né  des  impiétés  de  Philippe  le  Bel,  continué  jusqu'à  la  nais- 
sance du  protestantisme  en  passant  par  les  orgies  de  l'Arétin 
pour  aboutir  aux  folies  de  Jean  Huss  et  de  Luther.  Il  vante 
les  populations,  encore  si  chrétiennes,  d'avoir  dédaigné  enfin 
ces  vieilleries  artistiques  en  même  temps  que  leur  pensée 
s'émancipait  au  nom  de  la  liberté  !...  Gomme  si  le  laicisme, 
arrivant  à  la  faveur  de  tant  de  fautes  des  princes  et  dépouil- 
lant l'Église  de  sa  prépondérance  maternelle,  n'avait  eu  au- 
cune action  sur  cette  dégradation  de  l'art  rehgieux  !  Ah  ! 
n'eussions-nous  eu  d'autre  preuve  de  l'influence  cléricale  sur 
nos  chefs-d'œuvre  plastiques  du  moyen  âge  ,  on  serait  bien 
forcé  de  l'avouer  en  considérant  l'abaissement  des  idées 
artistiques  sous  la  main  des  architectes  néo-grecs  et  néo- 
méconiiaissant  rouiains.  Quaud  la  force  matérielle  pèse  sur  l'Église  et  lui  im- 
rÉgîisèTt's'*" prï  pose,  avec  la  brutale  maussaderie  de  ses  violences,  l'abâtar- 
pie  force  vitale,  dissemeut  dc  sa  vie  extérieure  et  temporelle,  l'Église  est  bien 
forcée  de  plier  sa  faiblesse  physique  à  ces  tyranniques  pré- 
tentions. Mais  vienne  le  temps  (qui  revient  toujours  tôt  ou 
tard)  où  son  entière  liberté  lui  est  laissée  ,  où  à  force  de 
revendiquer  ses  droits  Elle  les  recouvre ,  et  alors  vous  la 
voyez  reprendre  ses  vieilles  et  chères  traditions ,  resplendir 
des  vêtements  de  son  antique  beauté  à  mesure  qu'Elle  se 
rapproche  plus  du  foyer  de  Rome  qu'on  n'ose  plus  lui  inter- 
dire ;  et  sa  main  impose  de  nouveau  à  celles  qui  relèvent  ses 
édifices  la  règle  et  le  compas  de  l'art  roman  ou  gothique, 
les  deux  seules  formes  qu'EUe  veuille,  parce  qu'EUe  y  a  im- 


INTÉRIEUR   DE   L  ÉGLISE.  ^  93 

primé  les  caractères,  iiicomnuiiiicables  à  toutes  les  autres, 
de  son  spiritualisme  immortel.  C'est  un  malheur,  sans 
doute,  que  les  gouvernements,  toujours  plus  ou  moins  jaloux 
de  cette  puissance  morale,  luttent  contre  Elle  de  tous  les 
efforts  de  leur  rationalisme  révoluliounair(3;  qu'ils  lui  impo- 
sent des  architectes  mal  entendus  dont  l'orgueil  et  les  intérêts 
tirent  parti  de  sa  pau\reté  méprisée:  mais  c'est  aussi  une 
preuve  de  plus  que  si  ou  la  laissait  faire ,  de  grandioses 
beautés  renaîtraient  encore  sous  son  influence ,  dégagées 
des  maladresses  qu'y  môle  trop  souvent  la  suffisance  de  nos 
maîtres  maçons.  Quel  est ,  en  effet ,  aujourd'hui ,  le  diocèse 
où  deux  ou  trois  ecclésiastiques  au  moins  ne  pussent  suffire 
à  la  tache  ,  — ramener,  si  on  voulait  le  leur  permettre,  les 
meilleures  règles  de  l'art  ancien  trop  longtemps  oubliées,  — 
et  prouver  encore,  au  grand  honneur  de  l'Église,  une  com- 
pétence qu'on  ne  trouvera  jamais  ailleurs  ni  aussi  complète 
ni  aussi  désintéressée  ? 
Voilà  ce  que  M.  Delécluse  ne  paraissait  pas  avoir  compris.        L'insuffisance 

'  (les  GtU<i6S  lîl'lOU,6^ 

Etranger  à  l'esthétique,  à  la  théologie,  au  droit  canonique,  mène  à  ce» fausses 
autant  qu'aux  études  sérieuses  de  l'architecture  chrétienne,  îerVommes'  du 
il  ajoute  à  ses  réflexions  sur  la  prétendue  politique  du  moyen  "'"^^^^  ''^^* 
âge  les  plus  fausses  idées  sur  les  développements  de  l'art 
pendant  les  siècles  hiératiques.  Au  lieu  de  voir  la  cause  de 
ces  magniliques  progrès  dans  l'élan  donné  au  monde  euro- 
péen par  la  couAcrsion  des  nations  septentrionales,  par  les 
écoles  d'architecture  créées  dans  les  abbayes ,  par  les  croi- 
sades et  le  goût  des  voyages  qu'elles  éveillent ,  enfin  par  la 
paix  intérieure  qu'elles  donnent  à  la  France  en  unissant 
sous  le  drapeau  de  la  croix  cette  foule  de  grands  seigneurs 
qui  s'y  disputaient  le  territoire  et  s'emparaient  des  biens  ec- 
clésiastiques ;  au  lieu,  disons-nous,  d'ouvrir  les  yeux  devant 
ces  témoignages  de  l'histoire, le  savant  critique  attribue  l'a- 
grandissement exces}iif  donné  par  le  treizième  siècle  à  nos 
églises  (  il  oublie  que  Cluny,  la  plus  vaste  éghse  du  monde, 
était  du  douzième),  iiou  pas  ù  un  élan  rehgieux  dû  à  un 
T.  m.  i3 


i94  HISTOIRE  DU  SYMBOLISME. 

mouvement  général  de  la  pensée  humaine ,  mais  à  l'accrois- 
sement moral  du  pouvoir  spirituel  dans  la  papauté  de  Gré- 
goire VII,  d'Innocent  III  et  d'Innocent  IV...  — Gomme  si 
ces  temps  de  luttes  contre  la  tyrannie  impériale  de  Barbe- 
rousse  et  d'Henri  IV  étaient  bien  favorables  pour  les  papes 
à  des  études  d'architecture  religieuse  !  comme  si ,  en  pré- 
sence de  ces  prétentions  antichrétiennes  du  pouvoir  tem- 
porel ,  et  au  milieu  des  agitations  des  Guelfes  et  des  Gibe- 
lins, la  papauté  n'avait  pas  eu  assez  à  faire  de  ses  préoccu- 
pations et  de  ses  revers  !  comme  si,  enfin ,  ces  types  tou- 
jours et  partout  uniformes  qui  régnent  de  1000  à  1100,  et 
de  4200  à  1300  dans  toute  l'Europe,  pouvaient  être  sortis  du 
même  moule ,  ou  plutôt  de  trois  moules  différents,  puisque 
les  têtes  de  trois  papes ,  vivant  à  1 00  et  4  50  ans  de  distance, 
en  auraient  dû  fournir  l'archétype  et  le  lancer,  à  trois  re- 
prises, sur  ce  monde  étonné  mais  docile,  qui  nous  en  aurait 
légué  l'héritage  ! —  Ajoutez  à  ces  judicieuses  découvertes  les 
graves  animadversions  de  notre  académicien  contre  les 
chapelles  qui ,  plus  nombreuses  depuis  la  fin  du  douzième 
siècle,  rayonnent  autour  de  nos  grandes  églises,  soit  comme 
le  nimbe  de  la  tête  divine,  soit  comme  les  épines  de  sa 
couronne  miséricordieuse  d'ignominie  (4)  !  Il  les  accuse 
de  n'être  qu'un  défaut  contre  l'unité  de  la  composition  ,  de 
sorte  que  les  détails  nuiraient  à  l'unité  d'un  grand  en- 
semble ,  et  que  les  ailes  de  l'oiseau  ,  par  exemple,  compro- 
mettraient sa  forme  et  sa  naturel...  Ce  n'est  pas  tout,  il 
reproche  aux  architectes  de  ces  inimitables  monuments 
d'avoir,  par  un  trop  grand  nombre  d'autels ,  divisé  la  pensée 
cathohque  du  grand  centre  auquel  elle  doit  se  reporter,  de 
cet  autel  principal ,  lieu  de  repos  du  Saint  des  Saints.  Une 
telle  objection  vaut-elle  mieux  que  les  autres  ?  N'y  avait-il 
pas  trois  autels,  bien  avant  le  style  ogival,  dans  chacune  des 
trois  absides  qui  terminaient  l'égUse  à  l'orient  ?  S.  Grégoire 

(1)  Voir  ci-dessus,  p.  174, 


INTÉRIEUR   DE   l'ÉGLISE.  -195 

le  Grand,  au  sixième  siècle,  ne  nientionne-t-il  pas  une  église 
de  son  temps  (|ui  en  avait  treize ,  selon  le  besoin  d'un  grand 
nomljre  de  prêtres  d'oiïrir  chaque  jour  le  Saint  Sacrifice  (Ij? 
Kt  la  liturgie,  afin  précisément  de  ne  pas  mullipUer  la  Sainte 
Réserve,  dontrunilé  dans  chaque  temple  est  une  image  de 
celle  de  Dieu,  n'a-t-elle  pas  prescrit  un  seul  tabernacle  où 
elle  (lit  conservée ,  ramenant  ainsi  à  un  centre  commun 
les  adorations  des  fidèles  (2)  ?  Quelle  intelligence  des  élé- 
ments chrétiens!  et  pourquoi  s'aventure-t-on  avec  cette 
hardiesse  inouïe  dans  une  voie  où  rien  n'est  laissé  à  l'arbi- 
traire ,  où  tout  est  positif  et  normal  (3)  ? 
On  ne  sait  pas  assez  combien  ces  idées,  mal  cousues  à  la  , ,  caractère   de 

*■  '  l'école       rationa- 

vérité,  qui  les  réprouve,  se  sont  implantées  dans  l'esprit  de  iiste,et  desesef- 

''■'■'  A  A  forts  a   dénaturer 

nos  littérateurs,avecquelleassurance  elles  émerorent  de  leur  l'histoire  du  ca- 

*  "  tholioisme. 

encre,  et  comme  ils  se  sont  faits  ardents  à  fonder  une  école 
où  l'histoi  re  de  l'art  soit  professée  au  détriment  de  la  rehgion . 
Quiconque  a  voulu  une  chaire  dans  cette  école  n'a  eu  qu'à 
entrer  :  on  s'est  placé  d'abord  au  feuilleton  de  la  presse.  De 
cette  tribune,  on  a  préparé  l'auditoire  à  tout  accepter  sur 

;i)  s.  Gregor.  Magni ,  lib.  I,  Epist.  L,  ad  Palladium.  —  Cabassut, 
Synopsis  Conciliorum,  t,  III,  p.  419,  in-S»,  1838. 

(2)  «  Licet  sacrosancto  Domini  Qostri  Jesu  Christi  Corpori,  omnium 
sacramentorum  fouti,  prsecellentissimus  ac  nobilissimus  omnium 
locus  in  ecclesia  couveniat...,  tamen  valde  opportunum  est  ut  illud  non 
collocetur  in  majoii  vel  in  alio  altari  in  quo  episcopus  vel  alius  solem- 
niter  est  Missam  seu  Vesperas  celebraturus;  sed  in  alio  sacello,  vel  loco 
Diuatissimo,  cum  omui  deceutiaet  reverenlia  ponatur.  »  ((7<a?remo7îiâ!/ô 
Episcop.,  lib.  I,  cap.  xii ,  n»  8.)—  Ce  texte  est  formel  et  exclut  nette- 
ment la  multiplicité  de  la  Sainte  Réserve  dans  la  même  église.  Que 
devient  la  désolation  de  M.  Delécluse,  qui  eût  pu  se  l'éviter  en  ne  trai- 
tant point  de  choses  qu'il  ignorait? 

(3)  C'est  dans  le  Journal  des  Débats  du  19  septembre  1854  qu'on  lit 
ces  singularités  de  M.  Delécluse  à  propos  du  Dictionnaire  d'archilec- 
ture  de  M.  Viollet-Leduc.  C'était  le  tribut  payé  aux  principes  de  89  par 
un  enfant  de  ce  grand  dix-huitième  siècle  qui  nous  a  valu,  on  le  sait, 
de  si  magnifiques  théories  sociales.  Heureusement  un  rayon  d'Eu-Haut 
est  venu  éclairer  cet  esprit,  qui  portait  la  droiture  jusque  dans  ses  igno- 
rances, et  M.  Delécluse,  mourant  en  18G3,  est  revenu  à  la  vérité  catho- 
lique en  trouvant  dans  la  mauvaise  foi  de  M.  Renan  le  plus  sûr  argu- 
ment qui  pût  démontrer  la  vie  et  la  divinité  de  Jésus! 


496  HISTOIRE    DU  SYMBOLISME. 

la  parole  du  maître,  et,  ce  premier  effet  une  fois  répandu 
au  loin,  on  a  fait  de  ces  beaux  discours  des  livres  que  les 
mômes  journaux  ont  fraternellement  recommandés.  Et 
l'opinion  s'est  ainsi  formée  sur  l'art  et  les  tendances  du 
moyen  âge  ;  et,  une  fois  de  plus,  les  simples ,  incapables 
d'examen  et  de  discussion,  ont  salué  le  nouvel  auteur  et 
proclamé  son  livre  un  chef-d'œuvre.  Ce  n'est  pas  que,  dans 
ce  livre,  il  n'y  ait  du  bon,  mêlé  parfois  à  ce  mauvais  et  à  ce 
médiocre  dont  le  poète  latin  ne  se  croyait  pas  exempt  ('l)  ; 
mais  le  mauvais  apparaît  surtout  dans  cet  esprit  de  système 
qui  travaille  incessamment,  Dieu  sait  par  quel  motif  !  à  dé- 
nigrer les  âges  de  foi  et  à  exprimer  forcément ,  de  la  sim- 
plicité de  leurs  croyances  naïves,  les  mensonges  empoi- 
sonnés des  idées  modernes. 
Fausse  histoire       Uu  autrc  littérateur  de  notre  temps  n'a  pas  moins  sacrifié 

dfi    ]a    franc-ma-     ,  •  i  '  ^  •>!  i-i  i  .. 

çonnerie,  inventée  cl  CCS  idces,  dcvenucs  a  la  uiodc  il  y  a  quelque  trente  ans. 

erreur?/  '^  "^^^  M.  Vitct  vcut  absolunieut  que  l'esprit  d'émancipation  po- 
pulaire se  soit  fait  jour  jusque  dans  la  pratique  des  arts, 
et  que  la  franc-maçonnerie  ,  d'a])ord  si  innocente  de  ses 
complots  actuels ,  cette  franc-maçonnerie  si  chrétienne 
alors ,  et  dont  le  but  unique  était  d'élever  des  temples  et 
des  autels  que  ses  prétendus  descendants  voudraient  in- 
cendier aujourd'hui,  il  veut ,  disons-nous,  que  ces  grandes 
associations  de  Logeurs  du  bon  Dieu  et  de  Frères  pontifes 
aient  profité  de  je  ne  sais  quelle  nouvelle  idée  pour  se- 
couer tout  à  coup  le  prétendu  joug  du  clergé,  et  s'attri- 
buer exclusivement  la  gloire  de  travailler  à  ces  ravis- 
santes cathédrales  dont  le  treizième  siècle  nous  a  dotés. 
On  vous  citera  à  l'appui  de  ce  paradoxe  une  douzaine  (tout 
au  plus)  de  noms  célèbres,  comme  Pierre  de  Montreuil , 
Ewin  de  Steinbach,  Robert  de  Luzarches,  Villard  de  Hon- 
necourt,  qui  s'emparent  del'équerreet  delà  truelle,  et  qui, 


(1)  Sunt  bona,  sunt  mala,  sUnt  etiam  medioeria  plura. 

(Martial.  Epigr.) 


INTÉRIFA'R    DE   l'ÉGLISE.  ^^7 

laïques  et  bourgeois,  sécularisent  l'architecture  au  grand 
dépit  de  ce  pauvre  clergé  qui  ne  s'en  mêlera  plus.  Le  dom- 
mage devant  ces  assertions  toutes  gratuites  ,  c'est  d'abord 
de  se  trop  presser  de  cent  ans,  et  d'attribuer  au  siècle  où 
l'architecture  chrétienne  atteint  son  magnifique  apogée  une 
évolution  qui  ne  signale  i*éellement  que  les  quatorzième 
et  quinzième  siècles  ,  époque  où  précisément  la  l'ranc- 
ma{;onnerie  révolutionnaire  prend  son  origine  dans  les 
réunions  secrètes  des  Templiers  et  perpétue  les  traditions 
criminelles  qu'avaient  justement  punies  les  bûchers  de 
Philippe  le  Bel  (I).  C'est  uniquement  à  partir  de  cette  pé- 
riode historique,  entre  1300  et  ^320,  que,  pour  être  tombé 
aux  mains  des  laïques,  dont  la  pensée  sortit  alors,  en  effet, 
de  sa  dépendance  reUgieuse,  cet  art  divin  que  le  principe 
d'autorité  et  la  science  sacrée  avaient  élevé  si  haut 
marcha  rapidement  vers  sa  décadence  et  abandonna  peu  à 
peu,  avec  sa  simplicité  majestueuse,  le  symbolisme  qu'il  ne 
comprenait  plus.  Si  nous  voyons,  de  1200  à  1300,  les  plus  et    réfutée    par 

l'histoire  même  du 

précieuses  de  nos  églises  arrivées  à  l'idéal  du  beau  par  la  treizième    siècle 

,,,.  ^       r>     '    1       qu'elle  invoque. 

gracieuse  légèreté  du  style,  la  pureté  des  lignes,  le  fini  de 
la  sculpture  etl'éléNationdc  la  science  symbolistique,  soyez 
sur  que  ces  admirables  caractères  ne  sont  pas  tant  dus  à  ces 
admirables  ouvriers  de  génie  dont  vous  nous  faites  une  si 
triomphante  exhibition,  qu'à  ces  traditions  monacales  plus 


(1)  Il  ne  faut  pas  oublier  ceUe  comcidence  de  l'affaire  des  Templiers 
et  de  l'iudépendance  atï'ectée  des  nouveaux  architectes,  qui,  au  com- 
mencement du  quatorzième  siècle  ,  se  détachent  des  traditions  esthé- 
tiques et  arrivent  au  paganisme  de  la  Renaissance  à  travers  les  révoltes 
de  Jean  Huss  et  de  Luther.—  C'est  là,  et  seulement  là,  le  berceau  véri- 
table des  affiliations  modernes,  qui  ne  peut  être  plus  vieux  de  200  ans, 
comme  on  voudrait  le  faire  croire.  Consultez  Baluze ,  Vie  des  papeb 
d'Avignon,  t.  I;  —  Rohrbacher,  Hist.imiverselle  de  r Église,  t.  XV,  p.  5H 
et  suiv.,  et  le  chevalier  de  Malet,  Recherches  sur  l'existence  d'une  S'cle 
révolutionnaire,  in-S»,  1817,  p.  39.— Nous  devons  remarquer  ici  que 
les  Bulletins  des  Antiquaires  de  l'Ouest,  t.  X,  p.  321,  ne  se  sont  pas 
assez  gardés  contre  les  données  fautives  que  nous  y  réfutons  quelques 
pages  plus  loin. 


^98  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

sérieusement  gardées  que  jamais,  el  aussi  à  l'immixtion  dans 
les  arts  sacrés  du  corps  épiscopal  qui,  à  cette  époque,  succéda 
presque  généralement  aux  moines  et  aux  chapitres  dans  le 
soin  de  construire  les  cathédrales.  N'est-ce  pas  dans  la  plus 
belle  période  du  treizième  siècle  que  Guillaume  d'Au- 
vergne, évéque  de  Paris  (1228-1248)  dirigeait  la  construc- 
tion du  magnifique  portail  de  Notre-Dame,  auquel  se  ratta- 
chent des  noms  célèbres  parmi  ceux  que  nous  avons  cités? 
Si  le  fait  historique  de  cette  intervention  sacerdotale  n'était 
pas  généralement  admis ,  nous  aurions  pour  le  constater 
l'opinion  d'un  érudit  qui  mérite  quelque  confiance,  et  qui 
nous  semble  avoir  étudié  les  choses  de  plus  près  que 
M.Vitet(l). 

(1)  «  Si  nous  jetons  un  coup  d'œil  sur  la  période  romano-byzantiue, 
nous  sommes  forcés  de  reconnaître  pendant  tout  son  cours  l'influence 
des  moines,  en  sorte  qu'on  pourrait  l'appeler  période  monacale.  A  la 
fin  du  douzième  siècle  cette  influence  diminue  et  fait  insensiblement 
place  à  l'influence  sacerdotale  ou  plutôt  épiscopale;  puis,  vers  la  fin  du 
treizième,  déjà  on  reconnaît  quelques  tendances  laïques.  »  (M.  l'abbé 
Crosnier,  iVoiicc^  sur  les  écoles  d'archileciure  au  moyen  âge  j  Bullet. 
monum.,  XV,  414.)— M.  Vitet,  qui  contrecarre  nettement  cesrenseipçne- 
ments  de  l'histoire  et  de  la  science,  comment  peut-il  s'être  persuadé  le 
contraire  et  émettre  les  faux  principes  que  nous  réfutons  ici  ? 
(Voir  Noire-Dame  de  Noyon,  dans  le  deuxième  volume  des  Éludas  sur 
les  beaux-arts,^.  301  et  suiv.,  in-12,  1846.)  — Tout  en  nous  trouvant 
obligé  de  rendre  justice  au  talent  d'écrivain  de  l'honorable  auteur,  il 
nous  permettra  bien  de  réprouver  des  doctrines  qui  tendent  à  promul- 
guer de?  idées  si  peu  admissibles.  On  sait  que  les  suffrages  acadé- 
miques ne  sont  pas  sans  appel,  et  qu'indépendamment  du  mérite  intrin- 
sèque d'an  livre  de  haute  science  ,  l'opinion  publique  trouve  souvent 
dans  ce  bon  grain  plus  ou  moins  d'ivraie  qui  en  altère  singulière- 
ment la  valeur.  Nous  en  disons  autant  d'un  certain  Mémoire  sur 
cette  question,  imprimé  dans  les  t.  XIH-XIV  de  la  Société  académique 
de  Maine-et-Loire ,  et  qu'on  a  loué,  sans  assez  de  réflexion,  dans  les 
Bulletins  des  antiquaires  de  VOuesl,  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure 
(X,  321).  Sur  la  foi  de  ce  qu'on  y  appelle  «  l'érudition  allemande,  » 
on  ne  craint  pas  d'y  faire  remonter  les  francs-maçons  de  l'architec- 
ture chrétienne  jusqu'au  nmDîè/nc  siècle...--  C'est  toujours  de  plus 
fort  en  plus  fort.  Mais  remarquons  bien  que  «  les  documents  allé- 
»  gués  ne  font  pas  connaître  comment  s'opéra  parmi  les  constructeurs 
»  d'édifices  une  substitution  qui  ne  dut  pas  être  sans  des  luttes  ,  et 
»  dont  la  trace  se  trouve  petJt-êlre  dans  ces  sculptures  empreintes 


INTÉRIEUR    DE   L'ÉGLISE.  499 

On  fait  grand  bruit,  pour  établir  le  crédit  exclusif  des    impossibilité  aux 

,  ..,.,,,  laïques       d'avoir, 

arcliitet'tes  laïques  au  treizième  siècle,  de  ce  que,  pendant  avec  leur  symbo- 

,  ,  ,  ,  lisme    incomplet  , 

cette  longue  phase  de  cent  ans,  on  ne  trouve  que  tres-peu  créé  les beaux mo- 

,,,...,  .  ,    ,  ,  ,  numents  de   cette 

darclntectos  clercs  signant  leurs  œuvres,  etquau  con-  époque, 
traire  beaucoup  de  ces  noms  bourgeois  qu'on  salue  de  si 
bon  cœur  se  font  connaître  pour  maîtres  des  grands  ou- 
M-ages  du  temps.  Voudrait-on  nous  dire  combien  on  trouve 
de  signatures  monacales  sur  les  constructions  antérieures 
à  cette  période,  et  si  jamais  les  laïques,  même  pendant  le 
cours  de  celle  qu'on  leur  attribue,  se  sont  incrustés  dans 
les  pierres  cimentées  par  eux?  L'humilité  du  religieux  se 
contentait  d'un  travail  élevé  à  la  gloire  du  Tout-Puissant  : 
c'est  tout  le  secret  de  ce  silence  gardé  par  eux  sur  leurs  pro- 
pres églises.  Le  môme  sentiment  domine  encore  dans  les  sé- 
culiers, et  ce  ne  sont  pas  ceux  qui  élevèrent  un  petit  nombre 
des  basiliques  du  ti-eizième  siècle  qui  s'en  firent  connaître 
pour  auteurs  :  ils  ne  l'auraient  pu  d'ailleurs  sans  usur- 


»  d'un  esprit  d'hostilité  contie  les  ordres  religieux.  »  —  Ainsi  ou 
nous  apporte  toujours  les  mêmes  arguments,  que  nous  avons  ample- 
ment réfutés  dans  le  premier  chapitre  de  cette  troisième  partie;  mais, 
comme  toujours,  on  s'appuie  sur  d'inadmissibles  conjectures,  et  l'on 
n'apporte  aucune  preuve,  «  les  documents  du  temps  n'eu  faisant  pas 
connaître.  »  —  Eh  bien  !  ne  sommes-nous  pas  fondé  à  vouloir  ces  preuves 
avant  d'adopter  les  rêves  d'une  scien'ce  historique  trop  accoutumée  à 
plier  la  vérité  à  ses  systèmes?  Nous  délions  sans  crainte  ces  grands 
accapareurs  d'idées  nouvelles  de  nous  apporter  un  seul  témoignage 
écrit,  un  seul  texte  décisif  en  faveur  de  leurs  affirmations,  et,  jusqu'à  ce 
qu'ils  parviennent  à  le  produire,  nous  refuserons  de  croire  à  leur  pré- 
tendue érudition. 

Ceci  nous  rappelle  les  assertions  non  moins  équivoques  d'HaIJam, 
qui,  dans  son  Europe  au  moyen  «(jrc  (IV,  231),  attribueaux  francs-maçons, 
d'après  l'opinion  de  sou  devancier  Hall  (Essai  sur  Varchileclure  go- 
thique), l'invention  de  l'ogive.  Ce  serait  en  Allemagne  ,  d'après  ces 
doctes  juaitre.-,  que  l'architecture  ogivale  aurait  germé  et  fleuri,  et  le 
premier,  tout  en  regrettant  la  perte  des  archives  primitives  de  la  franc- 
raacounerie,  croit  qu'elles  pourraient  éclairer  cette  question  d'origine, 
encore  très-obscure  pour  lui-même.  En  conscience,  qui  ne  voit  claire- 
ment qu'on  ne  peut  rien  Conclure  de  toutes  ces  obscurités  si  nettement 
reconnues,  sinon  que  pour  faire  une  vérité,  c'est  toujours  trop  peu  de 
myriades  de  conjectures? 


200  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

per  cette  gloire  à  l'égard  des  plus  beaux  monuments ,  car 
ils  ne  firent  pour  la  plupart  que  les  augmenter  ou  les  finir. 
Avant  eux,  on  en  avait  fait  le  plus  beau  et  le  plus  difficile. 
C'est  aux  moines  eux-mêmes  qu'ils  doivent  d'avoir  sauvé 
leurs  noms  de  l'oubli,  soit  dans  les  chroniques  écrites  seules 
encore  par  des  plumes  religieuses,  soit  par  la  modeste  et 
glorieuse  tombe  qu'une  gratitude  désintéressée  leur  éle- 
vait dans  un  coin  honorable  de  l'église  qu'ils  avaient  entre- 
prise ou  terminée  (^1).  Enfin  peut-on  avoir  étudié  la  théorie 
du  symbolisme  catholique  sans  comprendre  que  les  con- 
naissances théologiques  pouvaient  seules  donner  à  une  in- 
telligence humaine  le  plan  et  le  sens  profond  de  l'icono- 
graphie monumentale  dont  le  treizième  siècle  ne  se  glorifie 
pas  moins  que  le  douzième,  et  oserait-on  soutenir  aussi  que 
des  hommes  livrés  aux  obligations  du  monde  et  aux  devoirs 
de  la  famille  purent  atteindre  à  cette  hauteur  de  conception 
et  à  ces  travaux  de  la  pensée  mystique  si  justement  admirés 
dans  les  vitraux  de  Bourges,  d'xVuxerre,  de  Chartres,  de 
Poitiers  et  de  Saint-Denis?  On  voit  combien,  lorsqu'on  les 
examine  de  près,  ces  nouvelles  données  de  nos  historiens 
modernes  du  moyen  âge  accusent  d'inattention  ou  de  parti 
pris  ;  ce  qui  n'empêche  pas  cette  prétendue  science  d'avoir 
ses  adeptes  et  de  trouver  des  écoliers  disposés  à  l'applaudir 
généreusement.  Si  bien  que  nous  serions  peu  étonné,  pour 
l'audace  avec  laquelle  nous  défendons  ici  la  vérité  contre 
leurs  attaques,  de  voir  bientôt  quelques-uns  de  leurs  cha- 
leureux disciples,  sinon  eux-mêmes,  signaler  notre  livre 
aux  grandes  autorités  de  l'ère  présente  comme  reléguant 
leurs  plus  belles  inventions  dans  lès  ténèlji-es  du  temps 


(1)  On  peut  voir  dans  le  Bulletin  monumental,  t.  X,  p.  260,  une  liste 
des  monuments  élevés  seulement  dans  les  provinces  rhénanes  aux 
treizième  et  quatorzième  siècles  :  on  y  en  trouve  peu,  relativement, 
qu'on  puisse  attribuer  à  des  architectes  laïques,  et  encore  beaucoup  de 
ceux-là  sont-ils  des  monuments  civils,  tels  que  des  hôtels  de  ville,  des 
halles  et  des  châteaux. 


INTÉRIEL'R    DE   LÉGLISE.  20^ 

passé Nous  n'avons    pas  une  telle  prétention  ;  nous 

sommes  persuadé  que  l'ei-reur  aura  toujours  des  défenseurs 
aveuglés  et  des  victimes  plus  ou  moins  volontaires.  Mais  les 
livres  restent  :  les  faux  principes  y  demeurent  comme  les 
plus  lucides  vérités.  Nous  laissons  à  l'avenir,  qui  jugera  les 
uns  et  les  autres,  de  voir  sans  passion  et  de  se  prononcer 
sur  hi  juste  valeur  des  utopies  dont  on  a  voulu  faire  de  la 
science,  ou  des  légitimes  contradictions  que  l'Eglise  leur 
opposa  (I). 

(1)  Entre  autres  suppositions  mal  fondées  que  M.  Viteta  émises  dans 
sa  Xolre-DiDne  de  Noyon,  remarquons  de  quelle  façon  il  voudrait  nantir 
les  francs-marons  des  quatorzième  et  quinzième  siècles  de  toute  la 
fçloire  qui ,  en  fait  d'architecture ,  appartient  aux  deux  précédents. 
Comme  il  a  voulu  leur  attribuer  les  monuments  du  treizième  siècle^  que 
jamais  personne  ne  leur  accorda,  il  prononce  magistralement  et  établit 
pour  incontestable  l'hypothèse  que  voici  :  «  Si  ces  associations  n'appa- 
raissent pour  la  première  fois  dans  l'histoire  qu'à  la  fin  du  quator- 
zième siècle,  elles  n'en  vivaient  pas  moins  depuis  au  moins  deux  siècles 
en  confréries  sccrèles.  11  est  vrai  que  pendant  cette  longue  période  de 
deux  cents  ans  on  ne  les  voit  nulle  part;  mais  il  faut  les  deviner,  jus- 
qu'à  ce  qu'enfin, /eur  inditulion  se  relâchant,  elles  commençaient  à 
divulguer  elles-mêmes  leur  propre  existence.  Dans  leurs  nouveaux  sta- 
tuts, lesdits  francs-maç3ns  ne  se  recommandent  si  sévèrement  le  secret 
que  parce  qu'ils  se  surprenaient  sans  doute  à  ne  plus  le  garder.  La  for- 
mation des  loges  allemandes  du  quinzième  siècle  passe  donc  à  tort 
pour  la  création  d;s  confréries  maçonniques:  elle  nen  est  qu'une 
réorganisation  motivée  probablemkxï  par  des  symptômes  de  déca- 
dence. »  (Étude  sur  les  beaux-arts,  II,  p.  303.)  — En  vérité,  que  dire  de 
pareilles  assertions  jetées  à  la  tète  du  lecteur  avec  ces  termes  mêlés 
d'autant  de  doutes  que  de  confiance  ?  Quel  peut  donc  être  ce  secret 
gardé  pendant  200  ans  et  plus  par  une  association  que  personne  n'au- 
rait soupçonnée,  et  qu'il  fallait  deviner  ?  Quel  besoin  d'un  tel  secret 
pour  construire  des  églises  et  se  laisser  gouverner  en  humbles  chré- 
tiens par  les  prêtres,  conducteurs  des  travaux,  lors  de  la  construction 
de  Notre-Dame  de  Chartres,  par  exemple,  et  de  tant  d'autres?  Comment 
ce  secret  divul','ué  vers  la  fin  du  quatorzième  siècle  a-t-il  été  si  bien 
repris  qu'on  ri'j:nore  encore  de  nos  jours?  Quelles  preuves,  enfin,  autres 
que  les  conjectures  de  M.  Vitet,  de  ces  trouvailles  qu'on  ne  doit  qu  a 
lui?  Il  faut  avoir  grande  envie  de  former  le  moyen  âge  à  l'image  du 
nôtre  pour  écrire  de  telles  idées  sur  l'histoire  de  l'art,  et  décidément 
c'est  bien  du  temps  d'Innocent  lil  et  de  Durant  de  Mende  qu'il  faut 
dater  les  principes  de  89  ! 

Finissons-en  donc  avec  ce  fameux  secret,  et  disons,  en  un  mot.  qu'il 
consistait  non  en  des  doctrines  de  quelque  importance  politique  ou 


202  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

tique  pS'l'^Nn  de  ^^^  finissant  ce  chapitre,  et  après  y  avoir  dit,  comme  une 
i^rieur  d'une  continuatioii  dcs  deux  précédents ,  tout  ce  qui  regarde  le 
symbolisme  de  la  construction  ,  donnons  encore,  pour  lui 
servir  de  résumé,  la  preuve  de  ce  qu'on  en  pensait  dès  le 
cinquième  siècle  dans  une  lettre  de  S.  Nil  que  nous 
avions  promise  au  cinquième  chapitre  du  tome  précédent. 
xNémertius,  homme  lettré  de  son  temps,  lui  avait  demandé 
l'expUcation  de  plusieurs  symboles  relatifs  à  l'église  maté- 
rielle, ce  qui  suppose  que  si  quelques-uns  manquaient  de 
cette  science ,  d'autres  pouvaient  s'employer  à  la  leur 
donner.  Le  solitaire,  selon  sa  coutume,  y  répond  avec  au- 
tant de  précision  que  de  brièveté  :  «  Vous  m'avez  prié,  dit- 
il,  de  vous  donner  la  raison  de  quelques  symboles  de  nos 
égUses.  Je  vous  réponds  donc  que  les  bénitiers  indiquent  la 
purification  de  l'âme;  les  colonnes  signifient  les  dogmes 
divins;  l'abside,  qui  reçoit  la  lumière  de  l'orient,  caractérise 
l'honneur  rendu  àla  sainte,  consubstantielle  et  adorable  Tri- 
nité ;  les  pierres  représentent  l'union  des  âmes  fortement 
établies  et  s'élevant  toujours  plus  vers  le  ciel  ;  les  sièges, 

religieuse,  mats  dans  ime  suite  de  conseils  formant  un  enseignement 
géométrique  à  l'usage  des  tailleurs  de  pierres,  d'après  lequel  ils  pou- 
vaient tracer  sans  calculs,  avec  des  cercles  et  des  ligues,  certaines 
iîguresplus  difficiles,  telles  que  le  pentagone,  et  déduire,  avec  plus  ou 
moins  de  clarté  et  de  succès,  du  triangle  éqailatéral,  ou  du  carré  et  du 
cercle,  la  hase  et  l'édification  de  toutes  les  parties.  Et  encore,  n'oublions 
pas  que  le  plus  ancien  livre  qui  traite  de  ces  principes  plus  ou  moins 
praticables  est  le  Geometria  Deutsch  (Géométrie  allemande),  qu'on  at- 
tribue à  Hans  Hosch  de  Gmûnd,  et  qui  fut  édité  en  J472;  que  le  der- 
nier est  de  Rivius,  médecin  de  Nuremberg,  qui  traduisit,  vers  1530,  une 
traduction  italienne  de  Vitruve,  avec  des  notes  où  furent  développées 
les  prétendues  doctrines  secrètes  des  francs-maçons  allemands.  Voilà 
donc  les  grandes  et  ténébreuses  théories  des  treizième  et  quinzième 
siècles  réduites  à  ne  vivre  que  dans  un  misérable  traité  d'industrie 
facile,  donné  vingt-huit  ans  seulement  avant  le  seizième  siècle,  et 
deux  ou"  trois  autres  tout  aussi  forts  qui  apparaissent  sous  le  règne  de 
Charles  Quint;  le  tout  parfaitement  oublié  depuis  deux  cent  cinquante 
ans  au  moins.— On  trouvera  la  preuve  de  toutes  ces  assertions  dans 
M.  Schnaase  :  Geschichle  der  bildenden  Kùnsle,  dont  un  intéressant 
chapitre  sur  cette  matière  a  été  traduit  dans  les  Annales  arche  dogi- 
quiS ,  t.  XU,  p.  320  et  suiv.,  et  363, 


FNTÉRIEIR    DE    l'ÉGLISE.  203 

les  giadins  et  les  bancs  désigiieiit  la  diversité  des  âmes  où 
vivent  les  dons  du  Saiiit-Ksprit,  et  rappellent  celles  qui  en- 
tourèrent les  Apôtres  lorsqu'aux  premiers  jours  les  langues 
de  feu  reposèrent  sur  leurs  fronts  ;  le  trône  épiscopal  qui 
s'élève  au  milieu  du  chœur  des  prêtres  rappelle  la  chaire 
du  Pontife  suprême ,  Xotre-Seigneur  Jésus-Christ.  C'est  là 
tout  ce  que  vous  m'avez  demandé  :  je  m'arrête  donc  après 
ce  peu  de  mots  (I).  » 

Si,  dans  un  exposé  aussi  succinct,  nous  voyons  quelques 
symboles  exprimés  dans  un  sens  qui  semble  différer  un  peu 
de  celui  que  nous  avons  donné  déjà,  on  s'en  étonnera  peu 
en  se  rappelant  que  la  diversité  des  interprétations  sur 
un  même  objet  n'est  jamais  une  contradiction  qui  prouve 
contre  la  science  ;  mais  on  en  conclura  sûrement  nue  fois 
de  plus  que  celui  qui  parlait  un  tel  langage  n'était  pas  aussi 
étranger  au  symholisme  qu'ont  pu  le  faire  croire  ses  répu- 
gnances aux  peintures  de  luxe  ;  et  surtout  ceux  qui  atta- 
quaient, sous  ce  prétexte,  l'existence  d'une  théorie  symbo- 
listique,  voudront  bien  se  souvenir  qu'il  s'agit  encore  ici  du 
cinquième  siècle,  d'une  époque  où  cette  théorie  avait  pris 
tous  ses  développements,  et  qui  devait  s'emparer,  dans  un 
prochain  avenir,  des  moyens  sensibles  que  la  marche  des 
arts  devait  mettre  au  servia(Jde  ses  pieux  empressements. 


(l)  «  Qucedam  EcclesiiB  symbola  iiiterpretari  tibi  rogasti.  Propter 
quod  scribo  quia  luteres  indicant  piirgationem  auimae.  —  Goluranae 
autem  diviua  significant,  dogmata.  —  Porta  vero  ,  quae  illucescit  ad 
orientem  ,  g'orificationem  characlerizat  sauclai  et  cousiibstanlialis  ef 
adorandif;  Trinitatis, — At  vero  lapides  stabilitaruin  et  proficientium  ani- 
ma! uni  protestantnr  collegiuui. —  Porro  Uironi  et  gradus  atque  sedilia 
diversas  animas  désignant,  in  quibus  Sancti  Spiritus  donaliones  iusi- 
dent,  sicuti  et  prius  in  bis  quae  circa  beatos  erant  Apostoios,  super  quo? 
linguaG  sederunt  taiiquam  ignis. —  Caeterura  episcopalis  tbronus,  qui  in 
medio  cunctoruni  presbyteroruni  est,  catbedram  insinuât  magni  Pon- 
titicis  Domini  nostri  Jesu  Cbrisii. —  Usquead  bsec  consuluisti,  et  usque 
ad  hoc  et  ego  couipeudio  fere  scripsi.  »  (S.  Nili  Senioris  epist.  ad  Ne- 
mertium..,;  apud  D.  Pitra,  Spicileg.  Snlesm.,  III,  ^{08.) 


CHAPITHE  V. 


AMEUBLEMENT  DE   L'EGLISE. 


Sièges  primitifs      Du  quatrième  siècle  au  onzième,  la  nef  simple  ou  triple 

du  clergé. 

de  l'église  se  prolonge  jusqu'à  l'abside.  Là  se  trouve  le 
■presb'ijterium  ou  suite  de  bancs  placés  circulairement  au- 
tour du  siège  de  l'évêque.  C'est  de  là  que  celui-ci  surveille 
et  préside ,  selon  le  sens  de  son  nom  ,  selon  le  devoir  et  le 
droit  de  sa  dignité  supérieure.  De  côté  et  d'autre,  une  autre 
Places  distinctes  absldc  plus  pctitc,  OU  absicliole ,  se  produit  parallèlement , 
des  femmes!"'   ""    à  la  limite  des  collatéraux  ,  s'il  en  existe  ;  de  ces  deux  nefs 
secondaires ,  celle  du  nord  recevait  les  femmes,  celle  du 
sud  appartenait  aux  hommes.  Celle-ci  était*  surveillée  par 
Chapelle  de  la  dcs  dlacrcs ,  l'autrc  par  des  diaconesses  fi).  La  place  des 
rabsidioie^     ^du  personnes  du  sexe  au  septentrion  était  naturellement  as- 
signée par  la  chapelle  de  la  Sainte- Vierge,  qui  était  l'absi- 
diole  de  ce  bas-côté,  et  celle-cWvait  reçu  une  telle  desti- 
nation de  la  place  même  qu'agit  occupée  Marie  au  pied 
de  la  croix,  lorsque  son  divin  Fils  y  expirait.  C'est  encore  , 
des  deux  collatéraux,  celui  que  S.  Charles  indique  pour  les 
femmes  (2).  Durant  de  Mende  atteste  que  cette  division , 

(1)  Cette  séparation,  qui  doit  dater  de  l'église  même  des  Cata- 
combes, est  indiquée  dans  le  Sacramentaire  de  S.  Grégoire  à  la  fin 
du  sixième  siècle.  S.  Cyprien,  qui  écrivait  dans  la  première  moitié  du 
troisième  ,  parle  du  baiser  de  paix  qui  se  donnait  à  l'offertoire  de  la 
Messe  par  les  hommes  aux  hommes,  et  par  les  femmes  aux  femmes 
{Epist.G'à).  Clément  d'Alexandrie  le  mentionne  aussi  dans  son  Péda- 
gogue, ch.  IX.  —  Ce  rite  suppose  nécessairement  que  les  deux  sexes 
occupaient  des  places  séparées  dans  l'église.  —  Voir  Fleury,  Hist. 
écriés.,  liv.  XXXVI ,  n»  18,  et  Mœurs  des  chrétiens ,  n"  xl. 

(2)  M  Pars  vero  mulierum  septentrioualis  sit.  nisi  quibus  in  ecclesiis 


nord. 


AMEUBLEMENT  DE  l'ÉGLISE.  2Ô.j 

tbndée  sur  des  motifs  de  convenance  ,  et  que  le  V.  Bède  in- 
diquait de  son  temps  comme  déjà  tort  ancienne  ,  avait 
aussi  pour  raison  de  rappeler  que  Marie  et  Joseph  s'en 
étaient  allés  chacun  de  leur  côté  pour  chercher  Jésus,  lors- 
qu'il s'était  arrêté  parmi  les  Docteurs.  Que  cette  raison  soit 
plus  ou  moins  forcée  et  ^enue  après  coup,  elle  n'a  pas 
moins  une  certaine  justesse  qu'il  faut  lui  reconnaître.  Le 
grand  symholiste  ajoute ,  au  reste ,  d'autres  motifs  plus 
concluants  quand  il  parle  des  convenances  que  nous  venons 
d'exprimer,  et  alors  il  donne  ,  croyons-nous,  la  véritable 
pensée  de  l'Église  (I)  :  ainsi  nous  devons  voir  avec  lui  les 
deux  portions  de  la  société  humaine  s'acheminer,  chacune 
de  son  côté,  vers  le  Jésus  du  Tabernacle,  qui,  de  cette  chaire 
abritée  dans  le  lieu  le  plus  obscur  de  son  temple ,  du  mi- 
lieu de  ces  ténèbres  sacramentelles  de  l'Eucharistie  ,  parle 
aux  doctes  du  monde  et  les  attire  encore ,  s'ils  savent  le 
comprendre ,  par  le  charme  de  sa  doctrine  et  les  attraits 
de  son  éloquente  douceur.  Par  cette  même  raison,  nous     une chapeiie de 

Saint-Joseph  très- 

voudrions  que  le  culte  de  S.  Joseph  ,  qu  on  a  trop  oublié  ,  romenabie  dans 

celle  du  sud.    ' 


pro  rationesituâ  aliave  causa  episcopus  aliter  statuerit.  »  {Instruction. 
lib.  II ,  cap.  XXV,  p.  121.)  —  S.  Charles  suppose  ici  que  l'évêque  ordon- 
nerait une  autre  place  pour  les  femmes  que  celle  du  nord,  si  quelque 
cause ,  en  quelques  églises ,  venait  s'y  opposer.  On  comprend  que  cette 
cause  pourrait  tHre  ,  par  exemple,  le  changement  d'orientation  devenu 
obligatoire  par  la  disposition  peu  favorable  du  local,  et  boulever- 
sant avec  lui  une  foule  de  conséquences  liturgiques  nées  de  son 
principe  même.  Alors  il  entre  dans  l'intention  du  saint  cvêque  de 
laisser  toujours  aux  femmes  le  côté  de  la  Sainte  Vierge,  qui  leur  va 
si  bien. 

(1)  «  In  conventu  ecclesiœ  mulieres  et  viri  seorsim  habitant,  quod 
secundum  Bedam  a  vetere  consuetudine  derivatum  accipimus;  et 
inde  fait  quod  Joseph  et  Maria  Puerum  derelinquoruut,  quoniam 
alter  illum  quem  secum  non  cernebant  cum  altero  esse  putabant. 
Causa  autem  divisionis  est  quia  caro  viri  et  mulieris,  si  propius  ac- 
cesserant,  ad  libidines  accenduutur  :  unde,  cum  ibi  peccata  deflere 
debeamus,  necesse  est  tune  eorura  fomenta  delectationes  carnales 
vilari.  —  Masculi  autem  in  Australi,  feminse  autem  in  Boreali  sive  in 
aquilonari  i)arte  manent,  ut  firmiores  sanctos  debere  stare  contra  ma- 
jores hujus  sfficuli  teulationes.  »  (Lib.  I,  f"  v».) 


200  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

reprît  ses  droits  légitimes  non  loin  de  Jésus  et  de  Marie ,  et 
que  sa  chapelle  spéciale  fût  celle  de  l'absidiole  sud.  Delà,  il 
semblerait  présider  au  côté  des  hommes ,  auxquels  il  fau- 
drait rendre  son  illustre  et  glorieux  patronage.  Ce  côté , 
qui  est  celui  de  la  force ,  dont  l'auguste  chef  de  la  sainte 
Famille  donna  de  si  nobles  exemples,  se  mettrait  bien  sous 
sa  protection,  tandis  que  la  faiblesse  du  sexe  se  trouve 
symbolisée  par  la  nef  septentrionale.  A  Ravenne,  ou  voyait 
à  Saint-ApoUinaire ,  église  du  quatrième  siècle  ,  visitée  par 
Mabillon  en  -1682,  les  Saints  et  les  Saintes  représentés  en 
mosaïque  dans  le  môme  ordre,  pour  indiquer,  selon  la  pensée 
du  docte  bénédictin,  cette  même  séparation  des  deux  sexes, 
que  les  artistes  ne  devraient  pas  oublier  (\).  M.  Flandrin  , 
l'habile  peintre  qui  décora  à  Paris  ,  en  185G  ,  la  façade  de 
l'église  de  Saint-Vincent  de  Paul,  a  certainement  suivi  cette 
inspiration  des  âges  chrétiens  lorsqu'il  a  placé  à  gauche 
la  longue  et  intéressante  série  des  Saintes  marchant  vers 
les  portes  du  Ciel,  et  qu'aux  Saints  tendant  au  même  but 
il  a  réservé  la  droite,  qui  leur  convenait  exclusivement. 
D'autre  part,  on  le  voit  dans  l'Apocalypse,  la  faiblesse  du  sexe 
se  trouve  symbolisée  par  sa  nef  septentrionale ,  où  tout  lui 
rappelle  que  les  faibles  doivent  se  maintenir  plus  forte- 
ment contre  les  tentations  de  l'esprit  infernal.  D'autre  part, 
on  voit  dans  l'Apocalypse  (x,  2)  que  l'Ange  posa  sur  la 
mer  son  pied  droit,  c'est-à-dire  la  nef  méridionale  de  l'église, 
qui  est  à  droite  en  entrant  (2).  Cette  droite,  aussi  bien  que 
la  gauche ,  dont  nous  avons  déjà  exposé  les  règles  normales, 
a  donc  varié  parfois ,  selon  l'idée  particulière  de  chaque 
écrivain  (3);  il  est  bon  de  ne  pas  l'oublier,  pour  bien  com- 
prendre les  distinctions  consacrées  par  la  liturgie  vraie , 

(1)  Voir  ChaviD  de  Mallan,  Vie  de  D.  Mabillon,  p.  359. 

(2)  «  Joannes  viditAngelum  fortem  qui  posuit  suum  pedem  dextrum 
super  mare.Nam  et  fortiora  membra  majoribus  periculis  opponuntur.» 

(Jd.,  ibid.) 

(3)  Voir  Bultet,  monum.,  XIII,  347;  XIV,  142;— Schmit,  Manuel  de 
farchileclure  des  monuments  religieux ,  p.  443, 


cnsties. 


AMEUBLEMENT    DE  [/ÉGLISE.  207 

(jui  prond  la  droite  pour  celle  du  crucifix  tourné  de  l'ab- 
side orientale  vers  la  porte  du  couchant. 

L'ahsidiole  nord,  dans  les  premiers  temps,  servait  de  Premières  sa- 
sacraruiw,  c'est-à-dire  de  dépôt  des  choses  servant  au  culte, 
tels  que  les  vases  sacrés,  les  livres  liturgi(|ues,  les  vêtements 
sacerdotaux  :  c'était ,  en  un  mot,  ce  que  nous  appelons 
depuis  longtemps  la  sacristie.  Durant  le  douzième  siècle, 
les  collatéraux  se  prolongent  en  hémicycle  en  avant  du 
rond-point  oriental,  entre  l'abside  et  le  sanctuaire,  qui  déjà 
s'était  séparé  de  celle-ci ,  et  installé  dans  la  chapelle  absi- 
dale  ,  que  venaient  de  quitter  Fautel  principal  et  la  Sainte 
Réserve  qu'on  y  gardait.  Alors  on  fit  en  beaucoup  d'endroits 
la  chapelle  do  Marie  de  celle  où  n'était  plus  le  principal 
autel ,  et,  quelque  bien  inspirée  qu'ait  paru  cette  substitu- 
tion à  des  archéologues  de  grand  poids ,  nous  affirmons 
croire  que  le  symbohsme  n'y  a  rien  gagné  :  car  n'était-ce 
pas  une  touchante  pensée  de  laisser  la  Mère  aux  abords  du 
sanctuaire  de  son  Fils,  aux  extrémités  orientales  du  temple, 
n'ayant  de  supérieur  à  elle  que  ce  Fils  lui-même ,  dont  le 
trône  était  élevé  de  plusieurs  marches  et  dominait  tout  le 
reste  dans  l'enceinte  sacrée? Elle  y  semblait  aussi  attendre  le 
pécheur,  comme  une  dernière  assurance  de  la  charité  divine  ; 
car  on  dirait  qu'à  cette  place  qu'elle  avait  choisie  jadis 
au  pied  de  la  croix ,  elle  a  hérité  des  tendresses  de  Jésus 
pour  les  hommes,  de  la  confiance  que  si  souvent  ce  lieu 
solitaire,  à  demi  voilé  dans  l'architecture  générale,  avait 
attirée  et  entendue  en  d'humbles  et  silencieuses  prières. 
Toutefois,  on  peut  avoir  aussi  de  très-bonnes  raisons  de 
lui  conserver  cette  extrême  portion  du  temple.  Il  semble 
que  là ,  plus  éloignée  des  créatures  ,  et  également  du  Sau- 
veur ,  l'âme  pécheresse  vient  s'offrir  dans  une  humble 
et  douce  espérance  à  la  Mère  de  miséricorde,  à  la  con- 
solatrice des  affligés.  On  peut  donc,  à  ce  double  point 
de  vue,  suivre  les  convenances  locales,  que  ne  contrarie 
d'ailleurs  aucune  règle    précise  de  la   discipfine   sacrée. 


208  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

La    sacristie      L'absîde ,  siiuple  ou  triple ,  ayant  ainsi  trouvé  une  desti- 
deTé^ife/" '"'*  nation  spéciale ,  et  les  trois  autels  ayant  bientôt  concouru 
à  former  des  chapelles  pour  quelques  dévotions  populaires, 
il  fallut  chercher  une  autre  sacristie ,  et  l'on  annexa  au 
bâtiment  un  appendice  ou  édicule  qui  fut  placé  au  sud , 
côté  des  bons  Anges ,  dignes  gardiens  des  objets  sacrés , 
non  moins  que  pour  la  meilleure  température  dont  on  y 
jouit,  au  grand  profit  des  étoffes,  que  détérioreraient  ailleurs 
le  froid  et  l'humidité.  Les  églises,  ainsi  disposées  par  le 
fond  ,  sont  d'un  majestueux  aspect  et  d'une  perspective  ad- 
mirable ,  laissant  le  jour  s'épanouir  dans  leurs  vides  aérés, 
les  vitraux  scintiller  entre  les  hgnes  diverses  et  les  propor- 
Merveiiieux  as-  tious  régulièrcs  dc  l'œuvrc.  Ce  sanctuaire  ,.élevé  de  trois 
pectiye.''^"''''^''"  marclies  au-dessus  du  sol,  et  sur  lequel  repose  encore,  au- 
dessus  de  trois  autres ,  l'autel  vers  lequel  convergent  toute 
l'attention  et  tout  l'amour ,  s'entoure  d'un  ou  plusieurs 
rangs  de  colonnes  qui  s'y  multiplient  en  nombre  mysté- 
rieux ,  s'y  réunissent  par  des  arcades ,  et  supportent  ou 
une  coupole,  comme  autrefois  à  Saint-Sauveur  de  Gliarroux, 
ou  une  voûte  en  berceau,  comme  à  Notre-Dame  de  Poitiers. 
Dans  cette  disposition ,  et  lorsqu'on  a  fait  de  la  grande 
abside  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge,  se  trouve  une  inten- 
tion mystique  tout  aussi  digne  de  notre  attention  que  bien 
d'autres.  A  travers  tant  de  vides  laissés  à  l'air  et  à  la  himière 
dans  ce  fond  du  temple  où  règne  le  souvenir  de  Marie  ,  on 
aperçoit  aussi  de  toutes  parts,  et  de  si  loin  que  l'œil  y 
plonge,  son  image  bénie ,  soit  sculptée  sur  le  fond  du  mur 
terminal ,  soit  coloriée  sur  la  verrière  que  frappent  les  pre- 
miers feux  du  matin.  Ainsi,  après  son  Dieu  et  le  nôtre, 
offert  tout  d'abord  à  l'adoration  des  fidèles  au-dessous  de  la 
coupole  principale  ,  la  douce  et  toute  sainte  Protectrice  de 
Ses  enfants  leur  apparaît  de  loin  et  ne  les  invite  pas  moins 
que  Lui-même  à  s'approcher  et  à  prier  (4). 

(1)  C'est  là  une  preuve  sérieuse  que  la  chapelle  du  Saint-Sacrement, 


AMEUBLEMENT  DE   l'ÉGLISE.  209 

Mais  ce  précieux  effet  qui  saisit  l'àme  et  la  pénètre ,  en     Bénitiers  et  eau 

11-  -11  •  bénite. 

entrant  dans  le  Lieu  saint,  d  une  pieuse  et  attachante  con- 
tiance,  nous  doit  inipriiner  aussi  une  crainte  salutaire,  et 
ce  n'est  pas  sans  une  humble  idée  de  soi-même  que  le  chré- 
tien, toujours  plus  ou  moins  pécheur  ,  doit  frapper  sa  poi- 
trine avec  le  pubhcain  d'autrefois,  et  provoquer  la  miséri- 
corde du  Maître  en  avouant  l'indignité  du  disciple.  C'est 
dans  ce  but  que  l'âme  introduite  vers  Dieu  trouve,  dès  ses 
premiers  pas,  l'eau  lustrale  qui  lui  rappelle  son  baptême  et 
l'invite  à  se  purifier  des  moindres  souillures  contractées 
dans  les  agitations  de  la  vie  mondaine.  Gomme  nous  avons 
vu  aux  murs  extérieurs  s'exercer,  avec  une  sorte  de  liberté 
dont  il  abuse,  l'être  satanique  imbu  des  puissances  du  mal  ; 
comme  l'esprit  méchant  est  là  dans  son  élément  et  dévo- 
rant sa  proie,  cherchant  même  à  interdire  les  abords  du 
temple  par  l'effroi  qu'il  y  inspire  et  ses  persécutions  hai- 
neuses, on  voit  souvent,  dès  le  porche  de  l'église,  cette  action 
mauvaise  atténuée  par  des  symboles  de  l'affaiblissement  de 
l'esprit  du  mal  sous  l'influence  de  la  prière.  Souvent  l'ange 
déchu  est  là,  s'efforçant  en  vain,  comme  à  Saint-Denis,  d'enle- 
ver au  bonheur  de  laterre  desvivants  l'âme  protégée  de  Dieu. 
Là  c'est  la  Femme  bénie  déjouant,  en  s'élevant  vers  le  ciel,  le 
dragon  qu'elle  foule  et  méprise  ;  ailleurs,  S.  Michel  pèse  les 
âmes,  que- le  cruel,  même  en  tirant  de  toute  sa  force  sur  un 
des  plateaux  de  la  balance,  ne  peut  faire  pencher  à  son  profit. 
Lue  autre  fois  l'archange  terrasse  de  son  épée  redoutable  le 
monstre,  qui  n'a  aucun  pouvoir  sur  l'Église  de  la  terre,  non 
plus  que  jadis  contre  la  demeure  de  Dieu.  C'est  par  une 

dans  les  églises  où  l'adorable  mystère  ne  repose  pas  sur  le  grand 
autel,  devrait  toujours  être  l'abside  orientale  :  c'est  laque  converge 
par  les  deux  nefs  l'afflucnce  des  fidèles,  qui  tout  d'abord,  en  entrant 
dans  une  église,  y  cherchent  l'Objet  de  leur  adoration.  Là  aussi  semble 
s'élever  l'Étoile  de  Jacob,  le  Soleil  de  justice;  là,  enfin,  la  piété  est 
plus  recueillie,  se  sent  plus  loin  du  monde,  et  moins  exposée  au 
mouvement  général  qui  se  fait  toujours  plus  ou  moins  dans  les  autres 
parties  du  temple  qui  servent  d'accès  à  celle-ci, 

T.  m.  14 


2-10  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

juste  conséquence  de  ces  préliminaires  que  Feau  bénite 
nous  est  présentée  dès  notre  premier  pas  dans  la  nef  :  c'est 
encore  une  de  ces  concessions  que  l'Église  a  su  faire,  dès  le 
commencement,  aux  usages  païens  qu'Elle  sanctifia  en  les 
laissant  subsister  pour  l'Orient,  où  les  ablutions,  aussi  né- 
cessaires que  religieuses,  entraient  pour  beaucoup  dans  les 
rites  sacrés.  Les  Juifs  se  lavaient  les  mains  et  la  tête  avant 
de  passer  le  seuil  du  Temple,  et  même  avant  leurs  prières 
particulières  ;  ces  sortes  de  purifications  paraissaient  indis- 
pensables, et  les  chrétiens  n'en  furent  pas  privés,  de  sorte 
que  l'Occident  vit  cette  même  coutume  s'introduire  dans 
toutes  ses  églises.  Tertullien  en  fait  foi  au  deuxième  chapitre 
de  son  livre  De  la  Prière.  S.  Paulin  le  mentionne  aussi  dans 
sa  douzième  Lettre.  Il  n'en  est  pas  moins  certain  que,  pour 
trouver  l'origine  de  l'eau  bénite,  il  faut  remonter  jusqu'aux 
temps  apostoliques,  comme  Baronius  le  constate  au  premier 
livre  de  ses  Annales.  Le  sel  étant  le  symbole  de  la  sagesse 
et  de  la  prudence,  l'eau  celui  de  la  pureté,  rien  ne  semble 
plus  naturel  et  plus  convenable  que  de  rendre  l'homme,  par 
l'usage  de  cette  double  efficacité  ,  plus  digne  de  paraître 
devant  Dieu  et  de  le  prier  saintement.  Ce  fut  aussi  une 
double  raison  d'orner  la  cuve  de  pierre,  de  granit  ou  de 
marbre,  des  beaux  reliefs  qu'on  y  vit  surtout  à  partir  du 
douzième  siècle.  Les  feuillages  des  plantes  aquatiques,  les 
poissons,  les  colombes  buvant  au  même  calice,  y  font  une 
charmante  et  significative  bordure,  tandis  que,  sur  la  cir- 
conférence, des  traits  évangéliques  reproduisent  les  sou- 
venirs de  la  prédication  primitive  ou  quelque  purification 
biblique  comme  la  Samaritaine,  la  Madeleine,  ou  le  Pu- 
blicain  justifié.  Des  ornements  analogues  décqrentles  béni- 
tiers portatifs  qui  servent  aux  aspersions,  aux  bénédictions 
ou  aux  exorcismes. 
Le  tronc  des  au-  A  côté  OU  au-dcssus  dc  cc  grand  vase  ,  soit  posté  à  cet 
effet  à  l'extrémité  occidentale  de  la  grande  nef,  soit  accolé  à 
chacun  des  deux  premiers  piliers  qui  la  séparent  des  nefs 


mones 


AMEUBLEMENT  DE  l'ÉGLISE.  2M 

secondaires,  est  appendii  le  tronc  des  anmôncs  où  se  jette 
le  denier  de  la  veuve  avec  les  générosités  plus  abondantes 
des  riches  et  des  heureux  de  ce  monde.  L'emploi  de  ce  petit 
coffre,  dans  le  but  d'exciter  et  de  recueillir  les  offrandes 
des  lldèlcs,  fut  généralisé  en  ^1200  par  une  disposition  du 
pape  InnocentlII;  mais  ilavaiteu  des  précédents  en  France 
et  en  Angleterre,  dès  l'an  ^^66,  en  faveur  des  besoins  de  la 
Terre  Sainte  (I).  Comme  l'eau  benoiste,  l'aumône  est  une 
sainte  supplication  en  faveur  des  péchés  commis  :  elle  pré- 
dispose bien  à  la  prière,  elle  efface  les  aberrations  de  l'âme 
pendant  le  cours  de  la  sainte  liturgie  :  vous  donnerez  donc 
de  vos  deniers  à  la  Mère  commune  qui  les  distribue,  soit 
que  vous  veniez  implorer  les  grâces  d'En-Haut,  soit  que  vous 
quittiez  le  saint  Lieu  après  les  avoir  obtenues;  car  l'aumône, 
si  elle  est  une  demande,  est  aussi  une  action  de  grâces.  C'est 
pour  rendre  ce  sentiment  de  la  charité  qu'on  donnerait 
bien  au  tronc ,  appelant  ainsi  notre  attention  dès  les 
abords  de  l'église,  cette  forme  de  pélican  qu'on  lui  a  vue  à 
Haarlem  et  à  Douai.  Le  symbole  du  dévoùment  qui  va 
jusqu'à  se  dépouiller  pour  autrui  conviendrait  bien  à  celui 
qui  dépense  son  avoir  aux  besoins  des  pauvres  (2). 

(1)  Voir  Raoul  de  Dicet  et  autres  autorités  cités  par  Ducange  , 
\o  truncus;  ce  qui  prouve  qu'une  note  donnée  par  M.  Tudot  à  la  Revue 
de  Vart  chrétien,  t.  II,  p.  429,  établit  une  erreur  évidente  en  disant  que 
ce  tronc  n'avait  pas  de  mot  équivalent  dans  la  langue  latine.  Il  nous 
semble  même  que  d'après  ce  nom  on  trouverait  peut-être  que  le  pre- 
mier vase  employé  à  quelque  usage  analogue  pouvait  très-bien  n'avoir 
été  plus  ou  moins  longtemps  qu'une  portion  d'arbre  creux  dont  l'art 
aura  ensuite  modifié  la  forme. 

(2)  Ce  n'est  pas  que  nous  croyions  beaucoup  à  la  destination  de  ces 
deux  pélicans  dont  parlent  MM.  Didron  et  de  La  Fons  comme  étant,  l'un 
dans  le  chœur  de  la  cathédrale  d'Haarlem,  l'autre  dans  celui  de  Saint- 
Amé  de  Douai  [Annal,  archéolog.,  XVI,  97  et  375).  Ce  n'était  guère 
dans  le  chœur  de  deux  églises  collégiales  ,  là  où  les  fidèles  n'avaient 
point  d'accès ,  qu'on  aurait  placé  le  tronc  des  aumônes  communes.  Il 
nous  semble  plutôt  que,  tout  en  servant  de  lutrin  au  lieu  de  l'aigle , 
ces  deux  beaux  morceaux  de  dinanderio.  recevaient  plutôt  la  masse  des 
distributions  à  faire  chaque  mois  ou  chaque  année  aux  membres  du 
Chapitre ,  en  raison  de  leur  présence  au  chœur  ou  des  absences  qu'ils 


2\2  HISTOIRE  DU  SYMBOLISME. 

Fonts  baptis-  A  gauclie  en  entrant,  sinon  et  mieux  sous  le  porche  (qui 
d'ailleurs  n'existe  pas  toujours),  doivent  s'ouvrir  les  fonts 
baptismaux  :  c'est  leur  côté  normal  ;  ne  sont-ce  pas  les  âmes 
du  Septentrion  que  le  Sauveur  a  introduites,  par  le  sacre- 
ment de  la  régénération  divine,  dans  les  douces  régions  de 
Confessionnaux,  la  lumièrc  ct  dc  la  chaleur  (^1)  ?  Al'opposite,  un  autre  bap- 

et  leur  histoire.  m  •       ^ 

tistère,  où  l'âme  déchue  retrouve  1  honneur  et  la  paix  de  sa 
vie  spirituelle,  le  confessionnal  en  un  mot,  trouve  sa  place 
la  mieux  choisie  :  c'est  de  là  que  le  pénitent  réconcihé  s'a- 
vancera vers  le  sanctuaire,  où  la  Table  sainte  est  dressée 
pour  Jui.  Rien  de  mieux  que  cette  double  disposition  des 
petits  espaces  d'où  le  païen  christianisé,  comme  le  pubUcain 
justifié,  s'élancent  dans  la  pure  région  des  réalités  reli- 
gieuses. On  a  tort  d'oublier  trop  souvent  de  si  éloquentes 
convenances,  et  toute  l'attention  des  Pasteurs  devrait  se 
porter  sur  ces  détails,  et  sur  tant  d'autres  dont  l'esprit  et  la 
vie  sont  destinés  à  influencer  si  profondément  la  pensée 
chrétienne  et  à  la  fortifier  dans  les  cœurs. 

A  ce  propos,  disons  que  le  confessionnal  est  un  meuble  du 
plus  haut  intérêt  et  qui  mérite  d'autant  plus  l'attention  de 
l'archéologie  sacrée  qu'il  remonte  moins  haut  dans  l'anti- 
quité liturgique.  Jusqu'au  quatorzième  ou  quinzième  siècle, 
on  le  voit  consister  en  une  simple  escabelle  qui  sert  de  siège 
au  prêtre  ;  le  pénitent  est  à  genoux  à  côté  de  lui,  et  si  c'est  une 
pénitente  qui  se  confesse,  un  simple  voile  les  sépare  :  ainsi 
est  représentée  l'administration  du  sacrement  en  de  nom- 
breuses miniatures  des  Livres  d'heures  et  des  Sacrameniaires 
du  moyen  âge.  Le  concile  de  Milan  de  i565  exigea  une 
grille  entre  les  deux  personnes  :  c'était  indiquer  le  meuble 

en  avaient  faites.  —  Mais  cela  n'ôte  rien  à  l'exécution  possible  d'un 
pélican  comme  tronc  à  aumônes. 

(1)  C'est  pourquoi  les  anciens  baptistères ,  lorsqu'on  les  bâtissait  à 
part,  et  qu'ils  formaient  une  véritable  église, s'ouvraient  vers  le  midi, 
ce  que  S.  Charles  recommande  encore  {Instruci.  lib,  I,  cap.  xix).  — 
On  peut  voir,  raisonnant  dans  le  même  sens,  Catalani,  Commentaire 
sur  le  rite  romain,— {Pontif,  Roman.,  Il,  17,  in-4o,  1851,  Parisiis.) 


AMEUBLEMENT  DE   LÉGLISE.  2^3 

tel  que  nous  l'avons  enfin,  et  qu'il  a  dû  se  perfectionner  peu 

à  peu  (I).  Il  faut  bien  avouer  que  ce  meuble,  réduit  à  cette      comment    en 

,  .         ,  .  .  1   •  1  .      *^*''"®  *^®  convena- 

plus  Simple  expression,  est  presque  toujours  un  hideux  7e  bies    quant    au 
wg5fl75  ^î/o/ façonné  d'une  détestable  manière,  et  n'offrant 
en  permanence,  dans  la  plupart  de  nos  pauvres  églises,  que 
le  spectacle  permanent  d'un  instrument  fort  indigne  de  sa 
noble  et  touchante  destination.  Le  dix-septième  siècle  avait 
commencé  à  en  faire  un  objet  d'ornement  par  les  recherches 
de  la  sculpture  ;  mais  ces  recherches  elles-mêmes  ne  parvin- 
rent à  produire  que  des  motifs  froids,  insignifiants,  affectant 
les  formes  recherchées  de  la  menuiserie,  comme  des  cham- 
bres à  coucher  et  des  salons.  Point  d'images,  aucune  idée 
spéciale,  nul  symbolisme;  tout  était  là  comme  dans  l'archi- 
tecture prétendue  chrétienne  de  l'époque.  Avec  nos  idées 
nouvelles  et  le  retour  général  aux  pensées  meilleures  de  l'art 
rehgieux,  il  nous  faut  autre  chose  aujourd'hui,  et  quand  on 
meuble  tant  d'égUses,  on  doit  y  vouloir  des  confessionnaux 
qui  parlent  de  Dieu  comme  tout  le  reste.  Nous  ne  voudrions 
pas  qu'on  s'y  appliquât  au  style  du  treizième  siècle,  qui,  si 
pur  qu'il  fût,  aurait  encore  là  trop  de  sa  légèreté  naturelle. 
Il  faut  à  cette  enceinte  mystérieuse,  où  se  déposent  les  plus 
graves  secrets  de  la  conscience  et  du  cœur,  où  retentit,  dans 
le  silence  des  plus  austères  enseignements,  l'écho  terrible 
et  consolant  de  la  parole  divine,  il  faut  un  aspect  sérieux, 
plein  d'une  dignité  tempérée  cependant  par  le  sentiment  de 
la  confiance  et  de  la  charité.  On  préférerait  donc  le  style 
du  douzième  siècle,  qui  réunit  tous  ces  avantages  soit  par  le 
plan  ,  où  la  sécheresse  du  plein-cintre  est  atténuée  par  les 
modestes  élans  de  l'ogive  encore  timide ,  soit  par  la  richesse 
de  l'ornementation  sculpturale,  où  peuvent  s'étaler  à  divers 
degrés  toutes  les  ressources  d'un  symboUsme  éloquent.  Une 
porte  ajourée,  en  ménageant  de  l'air  au  confesseur,  le  dérobe 


(1)  Voir  Labbe,  Concil.  Mediolan.,  pars  II,  lit.  i;—  Didron,  Annal, 
archéol.,  1 ,  265  ;  —  Bullel.  monum.,  XIII ,  405  ;  XVII ,  636. 


2\A  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

suffisamment,  parles  entrelacs  de  feuillages  significatifs,  aux 
regards  du  dehors,  qui  ne  doivent  ni  l'épier  ni  le  distraire. 
On  pourrait  très-bien,  au  reste,  remplacer  ces  entrelacs  par 
une  couronne  d'épines,  traversée  dans  son  diamètre  des  in- 
struments de  la  Passion  qui  s'y  prêteraient  le  mieux,  comme 
la  croix,  lalance,  le  roseau. Les  deux  compartiments  latéraux, 
laissant  entrer  le  pénitent  par  des  ouvertures  ménagées  de 
biais,  offriront  sur  leur  surface  une  sorte  d'appareil  mural 
sur  lequel  se  développeront  les  meneaux  d'une  grande 
fenêtre  simulée.  Les  pendentifs  pourront  se  remplir  des 
expansions  de  la  Vigne  mystique,  dont  les  grappes  se  foulent 
à  l'intérieur  sous  le  pressoir  divin;  ou  bien  ce  seront  des 
roses  avec  leurs  épines,  qui  rappellent  les  parfums  d'une  vie 
nouvelle  recueillis  au  milieu  des  saints  efforts  de  la  péni- 
tence. Couronnez  le  tout  d'une  corniche  courante  entre- 
lacée de  branches  de  chêne  et  d'olivier ,  d'amandier,   de 
platane  :  vous  aurez  personnifié  pour  ainsi  dire  la  force  et 
la  paix,  la  douceur  et  la  charité  ,  fruits  excellents  qui  font 
toute  la  vie  chrétienne  (1)  ;  et  si  vous  surmontez  cela  d'un 
pignon  à  deux  rampants  qu'amortisse  un  élégant  acrotère , 
comme  la  transition  en  mettait  à  l'extrémité  supérieure  de 
tous  ses  monuments,   la  pensée  ira  avec  ce  gracieux  et 
sévère  ensemble,  sans  efforts  comme  sans  résistance,   vers 
ce  séjour  de  Dieu  dont  vous  aurez,  non  loin  de  l'autel, 
esquissé  d'avance  une  élégante  image  (2).. 

(1)  «  Quercus,  arbor  dura  etsolida,  désignât  fidei  soliditatem...;»  — 
«  Sancti  robusti ,  »  dit  Pierre  de  Capoue.  —  «  Oliva ,  »  dit  Raban- 
Maur,  ((  testimonium  conscientiae  bonae;  per  amygdalum, arborera 
temperatae  naturse  ,  mansuetudinis  lenitas  figuratur,»  selon  l'auteur 
des  Distinct,  monastiq.  —  Enfin  le  platane  (à  tzIoltoç  ,  quod  est  latum) 
«  caritatem  significat,  »  dit  le  même  auteur.— Voir  S.  Mé\iion,aiT^,Spi- 
cileg.  Solesm.,  II,  361,  380,  390. 

(2)  Nous  avons  fait  exécuter  un  tel  meuble  d'après  ce  plan,  dont  le 
point  de  départ  a  été  la  façade  occidentale  de  la  cathédrale  de  Lisieux, 
telle  qu'on  la  voit  dans  V Abécédaire  d'archéologie  de  M.  de  Caumont , 
p.  210.  Nous  y  avons  apporté  les  modifications  voulues  par  notre  but , 
et,  somme  toute,  ces  détails  ont  fait  un  fort  beau  meuble,  qu'on  imi- 
terait sans  violer  aucune  règle  d'archéologie  imitative. 


AMEUBLEMENT  DE  LÉGLISE.  2^5 

Avançons.  Voici  la  chaire  :  c'est  une  véritable  tribune     La  chaire; 

^,     y   ,  1       1      -rw-  '  HT-  place  normale. 

(1  OU  la  parole  de  Dieu  se  répand  sur  1  auditoire  fidèle.  Cette 
destination  dirait  toute  seule  et  sa  position  normale  ,  et  sa 
forme,  et  son  ornementation.  Il  n'est  pas  indifférent,  en 
effet ,  de  lui  assigner  une  place  quelconque.  Source  d'ensei- 
gnement et  de  lumière ,  c'est  au  sud  de  l'église ,  du  côté  de 
l'épître  ,  qu'elle  doit  s'élever,  pour  souffler  de  là  vers  les 
régions  de  rignorancc  et  du  froid  la  science  de  l'Esprit-Saint 
et  la  féconde  chaleur  des  inspirations  divines.  C'est  la  même 
raison  qui  fait  diriger  vers  le  nord  la  voix  du  diacre  annon- 
çant l'Évangile,  dont  les  homélies  et  les  sermons  ne  sont 
que  d'amples  et  incessants  commentaires.  Ce  n'est  pas  sans 
avantage  pour  l'ameublement  de  l'égUse  qu'on  est  parvenu 
à  faire  de  la  chaire  chrétienne  comme  une  sorte  de  monu- 
ment que  son  immobihté  môme  élève  à  ce  titre.  Quelque 
ancienne  qu'elle  soit  dans  les  usages  de  l'Église,  puisqu'on 
en  voit  que  des  traditions  locales  font  remonter  jusqu'aux 
temps  apostoliques  (4),  il  ne  faut  pas  se  figurer  qu'on  lui 
ait  toujours  donné  cette  importance  monumentale.  Mobile 
d'abord  et  essentiellement  transportable,  ce  n'est  guère 
qu'au  treizième  siècle,  quand  on  sentit  le  besoin  d'en  faire 
un  ornement  de  plus  pour  nos  vastes  et  riches  églises  ,  que 
ses  formes  et  son  ornementation  prirent  des  proportions  mo- 
numentales (2)  ;  et  encore  n'en  connaît-on  pas  de  plus  an- 
cienne que  celle  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  dont  l'abat- 
voix  est  cependant  d'une  date  beaucoup  plus  récente. 

Ici,  nous  ne  pouvons  penser  comme  certains  archéologues 
qui  prétendent  priver  les  chaires  d'abat-voix  ou  de  draperies, 


(1)  M.  Didron  cite  ,  à  Salonique  et  à  Corinthe,  deux  chaires  où  l'on 
tient  encore  que  S.  Paul  a  prêché;  d'autres  sculptées  au  portail  nord 
de  la  cathédrale  de  Paris,  ou  peintes  dans  les  verrières  de  celle  de 
Sens  ;  enfin  une  autre  conservée  depuis  le  douzième  siècle  à  Saint-Bar- 
théleniy  de  Pistoie,  en  Italie.  {Annal,  archéol.,  XIll,  239,  et  XVII,  315.) 

(2)  Voir  Notice  sur  les  chaires  à  prêcher ,  \)B.v  M.  l'abbé  Barraud, 
p.  29,  in-8o,  Caen,  1871  ;  —M.  de  Cauraont,  Hist.  de  Varchit.  relig,  au 
moyen  âge,  p.  21. 


2^6  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

SOUS  le  prétexte  tout  gratuit  que  le  cérémonial  romain  ré- 
serve cette  distinction  à  la  chaire  de  l'évêque  seul  (1  )•  Où  est- 
ce,  d'abord,  que  l'évêque  a  jamais  eu  une  chaire  à  part,  où 
nul  autre  ne  montât,  ce  qui  supposerait  qu'au  moins  dans  les 
cathédrales  il  y  en  aurait  deux,  l'une  pour  lui ,  l'autre  pour 
les  prêtres  ?  Mais  quand  cette  prescription  serait  formelle  , 
ne  faudrait-il  pas  considérer  qu'elle  serait  comme  toutes  les 
autres  du  même  livre ,  d'une  époque  déjà  fort  reculée,  où 
l'art  n'avait  pas  pris  tous  ses  développements  d'aujourd'hui, 
et  que  cette  règle ,  comme  beaucoup  d'autres  moins  stric- 
tement suivies ,  pourrait  sans  inconvénients  se  modifier  en 
faveur  du  meilleur  effet  qu'on  doit  se  proposera?  Que  ferait 
au-dessous  de  nos  voûtes  élancées ,  au  milieu  des  piliers 
sveltes  qui  les  supportent,  une  cuve  mesquine,  à  peine  aper- 
cevable  dans   la  vaste  étendue  d'un  immense  vaisseau , 
tout  au  plus  aussi  digne  que  celle  destinée  aux  catéchismes 
d'une  chapelle  ?  Au  contraire ,  donnez-lui  cet  appendice  qui 
la  relève  aux  regards ,  qui  complète  sa  vie  monumentale  , 
qui  centuple  l'importance  de  sa  forme  en  se  prêtant  à  une 
ornementation  habile  et  éloquente  :  dès  lors  vous  mettez 
cette  chaire  en  harmonie  avec  tous  les  autres  détails  de 
l'ameublement  ;  vous  avez  une  voix  de  plus  dans  le  temple, 
voix  que  l'oreille  du  cœur  écoute  pendant  que  l'œil  de  l'es- 
prit s'y  complaît ,  lit  et  approuve.  Quel  dommage  ne  serait-ce 
pas  qu'un  tel  objet  manquât,  à  peu  près  seul  dans  une  église, 
du  symbolisme  que  nous  aimons  tant  à  y  trouver  en  tout  ! 

(1)  Une  chaire  sans  couronnement,  et  apparaissant  tout  isolée  et 
comme  non  achevée^  aura  toujours  l'air,  dans  une  grande  église,  d'une 
chaire  roulante,  manquant  de  style  et  de  dignité;  au  contraire,  dans 
l'immobilité  d'une  masse  monumentale ,  on  retrouve  la  gravité  sainte 
delà  Parole  éternelle  :  Ve/ritas  Domini  manei  inœlernum  (ps.  cxvi,2). 
—  Nous  ne  concevons  donc  pas  comment  des  archéologues  ont  pu 
s'élever  contre  un  couronnement  indispensable  en  alléguant  une  pré- 
tendue défense  du  Cérémonial  des  évêques.  Ce  livre  ne  parle  que  du 
dais  ou  baldaquin  dont  le  trône  épiscopal  doit  être  recouvert,  et  encore 
pourvu  que  le  même  honneur  soit  rendu  au  maître-autel.  (Voir  Csere- 
rnon.  episc,  lib.  Il ,  cap.  viii;  lib.  III,  cap.  iv.) 


Inconvenance 
des    chaires    en 


vre. 


AMEUBLEMENT   DE   l'ÉGUSE.  217 

Nous  insistons,  c'est  ici  lo  lieu  de  le  dire,  pour  qu'on  no 
s'avise  jamais  de  construire  une  chaire  en  pierre,  comme  il  p'^rre 
est  arrivé  trop  souvent,  par  un  caprice  qui  confondrait 
encore  un  meuble  avec  le  monument  môme,  dont  il  ne  doit 
pas  faire  partie  intégrante.  Car,  dans  ce  système,  le  meuble 
est  accolé  aux  parois  de  la  nef,  s'il  n'y  en  a  qu'une  ,  et  se 
confond  avec  le  mur  qui  la  soutient.  On  avouera,  avec  un 
peu  de  goût ,  que  cet  appendice  se  distinguera  mieux  de 
rédifice  s'il  est  construit  en  chêne ,  qu'on  se  gardera  bien 
de  peindre,  le  temps  devant  se  charger  seul  d'en  foncer  la 
teinte.  Il  saillira  bien  plus  convenablement  du  mur,  ou  bien 
il  s'élèvera  entre  deux  des  piliers  qui  distribuent  l'église  en 
trois  nefs,  et  y  sera  d'un  effet  digne  et  religieux.  Nous  parle- 
rons plus  loin  de  ses  sculptures,  qui  peuvent  varier  à  l'infini. 

Vis-à-vis  la  chaire,  on  s'est  évertué  fort  souvent  à  dresser  J^e  ^anc  d'œu 
un  autre  genre  de  meuble  utile,  nécessaire  même  dans  les 
grandes  églises  :  c'est  le  banc  d'œuvre  dans  lequel  il  est  bon 
que  le  clergé  ait  sa  place  distincte  pendant  les  sermons. 
Mais  ,  comme  la  chaire  doit  s'isoler  des  piliers  pour  n'en 
pas  interrompre  la  majestueuse  harmonie,  en  coupant  brus- 
quement les  lignes  architecturales  qui  s'y  suspendent  dans 
toute  leur  belle  pureté,  le  banc  d'œuvre  aussi  doit  rester 
presque  inaperçu  dans  le  vaisseau,  ne  s'élevant  donc  qu'à 
une  hauteur  inoffensive  aux  détails  qui  rentoureut,  et  tout 
dépourvu  de  ces  hauts  dossiers  qui  restreignent  le  rayon 
visuel ,  et  cachent  tous  les  objets  d'art  que  l'œil  rencontre 
avec  tant  de  bonheur  dans  l'étendue  calculée  de  l'enceinte 
«acrée.  De  grâce,  ne  gâtons  rien  sous  prétexte  d'embellis- 
sement! 

x\u  delà  de  la  chaire,  s'éleva  longtemps,  comme  un  com-  Lambon  ou 
plément  nécessaire,  l'ambon  (aAcCwK)  ou  jubé,  galerie  plus 
ou  moins  |Vaste ,  élevée  au-dessus  d'une  arcade  laissant 
communication  entre  la  nef  et  le  chœur  :  c'est  là  que  se 
chantaient  solennellement  l'épître  et  l'évangile.  De  là  aussi 
s'adressaient  au  peuple  les  enseignements  de  la  prédication, 


jubé. 


24  8  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

depuis  l'époque  antérieure  au  onzième  siècle,  où  la  foule  com- 
mença à  choisir  ses  places  à  Téglise,  souvent  sans  distinction 
des  sexes  dans  les  deux  collatéraux  ;  car  c'est  vers  ce  temps 
que  se  multiplièrent  les  églises  à  trois  nefs  :  pour  celles-ci, 
l'ambon  avait  été  placé,  comme  à  Saint-Clément  de  Rome, 
où  il  l'est  encore,  à  droite  et  à  gauche  du  chœur  ;  on  obser- 
vait donc  la  coutume  normale  d'annoncer  l'évangile  du 
côté  nord ,  et  l'épître,  avec  les  leçons  des  Apôtres  ,  vers  le 
sud,  comme  nous  continuons  de  le  pratiquer. 
Jubés  symboii-       Un  dcs  plus  curicux  jubés  qui  se  soient  conservés  jusqu'à 

ques  de  Ravenne.  ^  o  x 

nous ,  et  des  plus  symboliques  par  son  ornementation ,  est 
celui  de  la  métropole  de  Ravenne,  qui  date  du  sixième  siècle, 
et  fut  fait,  comme  l'indique  une  inscription  qui  lui  sert  de 
frise ,  par  l'évoque  Agnellus;  il  est  en  marbre.  La  vaste  am- 
pleur de  son  développement  a  permis  de  diviser  sa  façade 
carrée  en  trente-six  compartiments,  dont  chacun  renferme 
un  oiseau  ou  un  quadrupède  symbolique,  toujours  le  même 
pour  chaque  rang ,  et  dont ,  par  conséquent ,  chacun  est 
répété  jusqu'à  six  fois ,  ce  qui  cache  certainement  une  in- 
tention où  le  nombre  six  a  son  rôle.  On  distingue  donc 
encore  très-bien  six  agneaux ,  allusion  au  nom  de  l'évêque 
et  en  même  temps  à  celui  du  Sauveur  ;  six  paons  exprimant 
l'immortalité  espérée  du  chrétien  ;  six  daims ,  rappelant  le 
mépris  du  monde  par  leur  amour  de  la  sohtude  ;  six  co- 
lombes ,  qui  sont  toujours  l'innocence  et  la  charité  ;  six 
palmipèdes  ,  bêtes  aquatiques  symbolisant  le  baptême  ,  et 
six  poissons,  dont  nous  savons  l'analogie  avecle  chrétien(i  ). 
—  Deux  autres  jubés  du  même  siècle  se  voient  encore  en 
deux  autres  églises  de  la  même  ville,  dont  l'un  reproduit  la 
même  série  d'animaux  symboliques  donnée  par  Agnellus. 
N'omettons  pas  d'observer  que  ce  prélat  pourrait  bien  avoir 
travaillé  de  ses  mains  ces  intéressantes  sculptures  ,  car  son 
inscription  : 

SERVVS  XRI  AGNELLVS  HVNG  PYRGVM  FEGIT 

(1)  Bullet,  monum.,  XXY,  685, 


AMEUBLEMENT  DE  LÉGLISE.  2^9 

permet  de  le  supposer  :  ce  serait  donc  un  évoque  artiste  à 
ajouter  au  Dalmatius  et  au  Némertius  du  siècle  de  S.  Gré- 
goire de  Tours,  qui  sans  doute  n'avait  pas  à  s'occuper  de 
lui  dans  une  Histoire  des  Francs. 
Le  beau  jubé  de  Saint-Étienne-du-Mont,  à  Paris,  était  un    ,  ceiui  de  saint- 

Etienne-du-Mont , 

modèle  parfait  sous  tous  les  rapports,  et  un  cbarmant  spé-  à  Paris. 

cimen  de  Fart  gotliique.  Parvenu  jusqu'à  nous  depuis  le 

seizième  siècle  et  à  travers  le  vandalisme  de  l'ignorance 

qui,  au  dix-septième,  le  détruisit  presque  tout  entier,  on  a 

parlé  de  le  ruiner  avec  tant  d'autres,  comme  obstruant  le 

regard  des  fidèles  vers  l'autel  et  séparant  trop  les  fidèles  du 

clergé  officiant.  Ce  sont  précisément  les  deux  avantages 

que  la  vieille  liturgie,  trop  dénaturée  aujourd'hui,  voulait 

se  ménager.  Pourquoi  ne  sait-on  plus  que  jadis  la  riche     souvenirs  sym- 

.,,.,,,  .  ,,  ,.  boliquos    qui    s'y 

portière  du  jube  s  ouvrait  au  moment  de  la  consécration,  rattachent. 
pour  figurer  le  voile  du  Temple  déchiré  à  l'instant  solennel 
où  Jésus  sauva  les  hommes  par  sa  mort?  N'y  avait-il  point 
quelque  enseignement  encore  dans  ce  recueillement  du 
sanctuaire,  dans  cette  séparation  entre  le  prêtre  priant  et 
sacrifiant  dans  le  silence,  et  ce  peuple  agenouillé  au  dehors, 
aspirant  à  la  possession  de  la  Terre  promise  et  de  l'Église 
éternelle?  Conservons  donc,  partout  où  elles  existent,  ces 
clôtures  éloquentes,  d'ailleurs  si  riches  presque  toujours  du 
plus  beau  langage  sculpté  ou  peint;  et  si,  dans  le  système 
actuel  de  nos  constructions  rehgieuses,  on  s'obstine  à  se 
passer  de  l'ambon  et  de  tout  ce  qu'il  pourrait  ajouter  de  con- 
venance au  culte  sans  gêner  l'aspect  des  cérémonies,  du 
moins  gardons  ceux  qui  n'ont  pas  été  renversés  par  des 
mains  barbares,  et  respectons  la  pensée  qui  s'y  manifesta 
si  longtemps  (I). 

(1)  Voir  l'abbé  Ricard ,  Revue  de  iart  chrétien,  t.  III,  p.  282.  —  Ne 
serait-il  pas  possible  de  ramener  le  jubé  dans  nos  églises  cons- 
truites d'après  les  meilleurs  plans  du  style  gothique ,  en  les  établis- 
sant au-de.-;su3  d'une  vaste  arcade  qui  laisserait  une  communication 
suffisante  entre  la  nef  et  le  chœur?  Ce  serait  une  clôture  grandiose  , 
fermée  après  les  offices,  et  qui,  sans  gêner  en  rien  dans  une  vaste  basi- 
lique, en  augmenterait  singulièrement  le  caractère  religieux. 


Le  transsept. 


Le  chœur. 


Les  stalles. 


220  HISTOIRE  DU  SYMBOLISME. 

Le  transsept,  en  avant  du  chœur ,  forme  les  deux  bras 
de  la  vaste  croix  qui  forme  le  plan  général.  Là  sont  ordi- 
nairement deux  chapelles ,  comme  à  la  cathédrale  de  Poi- 
tiers, et,  presque  toujours  aussi,  deux  portes  s'ouvrant  sur 
deux  façades  secondaires,  mais  surmontées,  à  l'intérieur, 
de  verrières  coloriées  où  l'art  et  la  liturgie  ont  rivalisé 
d'efforts  pour  instruire  l'âme  en  séduisant  le  regard.  Nous 
dirons  quel  choix  de  sujets  convient  mieux  à  ces  baies  élé- 
gantes dont  le  coloris,  savamment  ménagé,  amoindrit 
convenablement  le  jour  vers  la  partie  supérieure  de  l'église, 
où  la  prière  a  besoin  de  plus  de  mystère  et  de  recueille- 
ment. 

Nous  arrivons  au  chœur,  limité  à  son  extrémité  occi- 
dentale par  une  clôture  quelconque,  soit  une  simple  grille 
depuis  la  disparition  des  jubés,  grille  qui  doit  être  d'autant 
plus  remarquable  de  dignité  par  ses  proportions  et  son 
beau  travail  qu'elle  tient  à  un  ordre  de  choses  plus  élevé 
qui  va  se  dérouler  à  nos  méditations  de  chrétiens  et  d'ar- 
tistes. Au  delà ,  sont  les  stalles,  garnitures  d'une  extrême 
élégance,  chefs-d'œuvre  de  menuiserie  bien  souvent, 
depuis  qu'au  quatorzième  siècle  on  s'évertua  à  les  orner 
de  sculptures  où,  pendant  trois  cents  ans,  le  symbolisme 
s'est  fait  un  rôle  si  large  et  si  varié.  On  sait  le  mérite 
des'  magnifiques  stalles  de  notre  belle  basihque  de  Poitiers, 
dont  les  formes,  avec  leur  ornementation  si  curieuse,  furent 
étabhes  de  4236  à  4230.  Ce  sont  les  plus  anciennes  que  l'ar- 
chéologie connaisse  en  France,  et  nous  ne  craignons  pas 
de  dire  en  Europe  (4  ) .  Durant  de  Mende ,  qui  écrivait 
quelques  années  plus  tard,  fait  des  stalles  un  avertissement 
des  faiblesses  de  cette  vie,  où  la  force  active  a  besoin  de 
quelques  intervalles  d'allégement  et  doivent  nous  faire 
aspirer  au  repos  inaltérable  de  l'éternité   (2).  Sicardi  de 

(1)  Voir  la  description  et  les  dessins  de  ce  bel  œuvre  de  menuiserie 
dans  notre  Histoire  de  la  cathédrale  de  Poitiers ,  t.  II ,  p.  30  et  suiv. 

(2)  M  Stalli  ad  sedendum  in  choro  désignant  quod  aliquando  corpus 


AMEUBLEMENT  DE   l'ÉGLISE.  224 

Crémone  fait  de  tant  de  places  ditïérentes  l'image  de  celles 
du  ciel,  qui  difléreront  entre  elles  d'après  les  mérites  divers 
des  Élus  (1).  Que  dire  de  cette  idée  barbare  que  nous  avons 
entendu  professer  à  Bordeaux  et  ailleurs  sur  le  renverse- 
ment nécessaire  de  cette  magnifique  ceinture,  où  les  cha- 
noines cherchèrent  bien  moins,  quoi  qu'on  en  ait  osé  dire, 
un  abri  contre  le  froid  des  nuits  passées  au  chœur  qu'un 
refuge  contre  les  distractions  du  dehors  et  un  recueille- 
ment indispensable  à  l'esprit  de  prière  ?  N'était-ce  pas  dans 
cet  esprit  que  le  ciseau  des  maîtres  avait  représenté  sur 
ces  vastes  et  merveilleuses  surfaces  tant  d'histoires  sacrées, 
tant  de  feuilles  et  d'animaux  dont  chacun  savait  parfaite- 
ment alors  la  signification  esthétique?  Et,  en  admettant  que 
ces  travaux  de  la  main  chrétienne  n'aient  point  partout  la 
même  valeur,  ne  sont-ils  pas  une  décoration  tout  à  fait 
dans  l'esprit  de  la  chose?  Voudrait-on  nous  dire  ce  que  nous 
aurons  gagné  à  ce  dégagernent  de  notre  enceinte  si  conve- 
nablement réservée ,  lorsque  nos  chanoines ,  mêlés  pour 
ainsi  dire  à  la  foule  devenue  si  peu  respectueuse  dans  le 
Lieu  saint,  nous  serons  entraînés  malgré  nous,  au  milieu  des 
fonctions  les  plus  sacrées,  vers  un  mouvement  général 
incompatible  avec  les  saintes  préoccupations  de  l'âme  con- 
templative ;  lorsque  l'autel  même  où  nous  sacrifions  sera, 
contrairement  à  Tesprit  de  l'ÉgUse,  exposé  aux  regards 
curieux  et  trop  souvent  profanes  de  ces  faux  chrétiens,  à 
qui  l'on  devrait  cacher  les  mystères,  et  qui  viendront, 
épiant  nos  moindres  gestes  liturgiques,  saisir  pour  ainsi 
dire  sur  nos  hvres  les  incommunicables  paroles  de  la  re- 
doutable Transsubstantiation? Gomment  peut-on  dégénérer 
ainsi  de  ses  pères,  et  apporter  ses  idées  personnelles  à  la 
place  de  si  religieuses  conceptions  (2)? 

recreandura  est  :  quodque  caret  aeterna  requie ,  durabile  non  est.  « 
{Rationale,  lib.  I:  mihi ,  v»  iv.) 

(P  Dorsalia  sedentiiira  raultœ  manaiones  in  donio  Patris,  sicut  in 
Joun.,  XIV,  legitur.  n  {Milrale ,  lib.  I,  cap.  iv.) 

(2)  Nou3  aurions  à  signaler  ici  une  sortie  étonnante  de  feu  l'abb^ 


222  HISTOIRE  Dtl  SYMBOLISME. 

Le  chœur  {x<^?6ç)  est  l'espace  destiné  au  clergé  qui  chante j 
comme  le  sanctuaire  à  celui  qui  offre  le  sacrifice  ou  y  con- 
court par  son  action  unie  à  celle  du  prêtre  officiant.  C'est 
pour  cela  que  le  chœur,  où  se  remplissent  des  fonctions  plus 
élevées  que  celles  des  simples  assistants,  est  distingué  du 
sol  de  l'église  par  une  élévation  qui  s'observe  générale- 
ment et  dont  les  marches,  comme  S.  Charles  le  remarque, 
doivent  toujours  être  en  nombre  impair  :  nous  en  savons 
la  raison  mystique  []).  Plus  beau  de  décor  que  la  nef,  moins 
que  le  sanctuaire,  on  y  arrive  souvent,  surtout  dans  les 
églises  du  onzième  siècle,  où  la  forme  cédait  très-fréquem- 
ment à  l'idée  mystique,  par  une  arcade  qui  se  rétrécit 
beaucoup  en  comparaison  de  la  nef,  et  parfois  l'espace 
même  consacré  au  chœur  et  aux  saints  mystères  n'a  que 
les  mêmes  dimensions  de  cette  porte  étroite.  Une  inscription 
placée  au-dessus  de  cette  arcade  amoindrie,  dans  l'église  de 
Tournebu  (Calvados),  exphque  ce  qu'il  en  faut  penser  là  et 
ailleurs  :  c'est  la  parole  du  Sauveur  dans  son  discours  sur 
la  montagne,  rappelant  comme  il  faut  se  faire  petit  et  mul- 
tiplier ses  efforts  pour  entrer  au  ciel ,  dont  la  porte  est  si 
étroite^  aussi  bien  que  la  voie  qui  ij  conduit  (2). 
Arcade  triom-      Qg^g  dcmière  partie  de  l'égUse,  formée  du  chœur  et  du 

phale  et  crucifix.  ^  *-" 

sanctuaire,  symbolise  le  Ciel,  où  sont  les  personnes  et  les 
choses  sacrées  par  excellence.  La  nef  par  elle-même  n'est 
aussi  que  l'image  du  monde  inférieur  qu'habitent  les  sim- 

Pascal,  qui,  dans  ses  Origines  et  Raisons  d«  la  lituy^gie  catholique  y 
col.  317,  prêche  dans  le  sens  du  vandalisme  moderne  contre  la  conser- 
vation de  l'enceinte  des  chœurs.  Il  est  au  moins  surprenant  d'entendre 
un  prêtre  parler  en  1844  de  l'Office  canonial  comme  aboli  et  perdu  ,  et 
conclure  de  là  que  la  raison  d'être  n'existe  plus  pour  les  hautes  stalles, 
comme  si  les  Offices  capitulaireis  n'avaient  pas  été  rétablis  par  le  con- 
cordat de  1802  en  même  temps  que  les  Chapitres. 

(1)  Voir  BulleU  monwm.,  XllI,  552;  XIV,  503;  XVIII,  66;  XX,  180, 
260;  —  S.  Caroli  Instruction.,  lib.  I ,  cap.  ix,  x ,  xi  et  xii. 

(2)  «  Quam  angusta  porta  ,  et  arcta  via  est  quae  ducit  ad  vitam ,  et 
paucisuntqui  inveniunt  eam  !  »  {Matth.,  vu,  14.)  — Voir  Bullet.  mo- 
num.,  XIII,  149. 


AMEUBLEMENT   DE   l'ÉGLISE.  223 

pies  fidèles,  figure ,  en  un  mot,  de  l'Église  militante  ;  et 
comme  on  ne  peut  passer  de  ce  monde  à  l'autre  que  par  la 
croix,  on  avait  autrefois  l'habitude,  aujourd'hui  presque 
partout  abandonnée  en  dépit  de  son  caractère  de  tradition 
apostolique,  et  d'autant  plus  regrettable,  d'encadrer  au 
haut  de  l'arcade  qui  séparait  les  deux  espaces  un  crucifix 
de  grandes  proportions  qui  frappait  sans  cesse  les  yeux  des 
assistants  (^)  :  c'est  de  là  que  l'arcade  susdite  avait  reçu  le 
nom  de  triomphale  ,  aussi  bien  que  cette  croix.  En  certains 
lieux  on  ajoutait,  non  sans  avantage  pour  la  piété,  comme 
les  architectes  d'Angleterre  en  reprennent  l'habitude  dans 
leurs  églises  catlioliques,  d'adjoindre  au  Christ  crucifié 
.Marie  et  S.  Jean,  tels  qu'on  les  représente  sur  le  Calvaire  (2). 
Dans  les  cathédrales  et  autres  grandes  basiliques  où  les 
dispositions  de  l'architecture  ne  se  prêtaient  pas  à  cet  agen- 
cement, on  transportait  ces  dignes  objets  de  la  vénération 
chrétienne  dans  la  verrière  terminale,  où  leurs  belles  cou- 
leurs ajoutaient  à  l'effet  des.  sain  tes  images:  tel  on  le  voit 
encore  dans  le  beau  vitrail  du  treizième  siècle,  à  Saint- 
Pierre  de  Poitiers. 

Tout  contribue  à  donner  au  chœur  le  sens  mystique  de  L'aigie  ou  lu- 
la  Cité  céleste.  Pendant  que,  dans  le  sanctuaire  où  siège 
l'Ëvèque,  l'Agneau  s'immole,  et  qu'autour  de  l'autel  se  déve- 
loppent en  couronne  mystique  les  lévites  qui  secondent  l'ac- 
tion du  Saint  Sacrifice,  les  chants  sacrés  alternés  ou  simul- 
tanés rappellent  le§  cantiques  des  Esprits  célestes  répétant 
à  jamais  ÏUozanna  éternel,  ou  célébrant  la  paix  apportée  par 
le  Christ  aux  hommes  de  bonne  volonté.  Là  se  balancent 
les  couronnes  de  lumière  jetant  sur  la  fervente  assemblée 
l'éclat  mystérieux  de  ce  jour  d'En-Haut ,  qui  éclaire  de  sa 
vérité  quiconque  aspire  à  la  recevoir.  Tci  l'aigle  déploie  ses 
ailes  pour  soutenir  les  livres  d'où  s'échappent  les  notes  tristes 

(1)  Voir  S.  Charles,  Instruct,  fahricsB  eccles.  Ub.  I,  cap.  n;  — l'abbé 
HafTray,  Beautés  du  culle  catholique,  H,  44. 
(;>)  Durant,  Ralionale^  ubi  siiprà;  —  Bullet.  vionum.,  XVIII,  68, 


trin. 


224  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

OU  joyeuses  de  raction  de  grâces  ou  de  la  prière  :  c'est  la 
sublimité  de  ce  vol  de  l'âme,  exprimé  si  bien  par  la  louange 
divine  et  les  ardentes  supplications.  Enfin  les  prêtres,  les 
clercs  ont  leurs  places  assignées  par  les  prescriptions  cano- 
niques dans  les  hautes  ou  basses  stalles ,  selon  qu'ils  sont 
élevés  ou  non  aux  ordres  majeurs,  symbolisant  l'ordre  mer- 
veilleux de  la  cour  céleste ,  et  unis  aux  saintes  aspirations 
de  l'autel ,  participant  de  cœur  "et  d'esprit ,  par  les  alterna- 
tives du  silence  et  des  cantiques,  à  l'œuvre  incessante  de  la 
communion  des  Saints. 
Le  sanctuaire.        ^j^jg  \q  sauctuairc  va  s'ouvdr . . .  Trois  ou  cinq  degrés,  nous 
l'avons  dit,  y  donnent  accès  :  il  est  donc  supérieur,  par  son 
élévation  au-dessus  du  sol,  à  tout  ce  qui  l'environne,  et  ainsi 
il  témoigne  de  la  haute  supériorité  des  mystères  qui  s'y  ac- 
complissent. Par  un  autre  symbolisme  qui  a  le  double  avan- 
tage d'annoncer  à  l'extérieur  cet  espace  privilégié  et  de  le 
distinguer  aussi  nettement  dans  l'enceinte  sacrée ,  la  voûte 
s'y  abaisse  plus  encore  que  pour  le  chœur,  et  indique  à  tous 
un  lieu  à  part ,  et  comme  une  église  plus  mystérieuse  dans 
l'église  entière  {\)  :  c'est  un  complément  dQ  la  pensée  qui 
rétrécit  cet  espace  et  l'environne  de  plus  de  solitude  et  de 
silence  ,  de  moins  de  mouvement  et  de  jour.  Là  encore  une 
clôture  doit  entourer  l'autel  :  moins  élevée  que  la  grande 
grille  du  chœur ,  dont  les  dimensions  doivent  s'harmoniser 
avec  la  majesté  qu'elles  défendent,  elle  sert  d'appui  au  fidèle 
qui  vient  chercher  la  nourriture  eucharistique;  mais  elle 
n'en  a  pas  moins  le  sens  d'une  vérité  morale,  car  elle  dit  au 
clergé,  avec  l'abaissement  même  des  voûtes,  selon  les  litur- 

(1)  C'est  une  observation  consignée  dans  toutes  les  descriptions  d'é- 
glises anciennes  :  cet  usage  était  bien  antérieur  au  onzième  siècle;  on 
le  pratique  encore  au  douzième  pendant  la  belle  période  dite  de  Iran- 
silion ,  comme  à  la  cathédrale  de  Poitiers.  Il  faudrait  tenir  à  ce  point 
si  convenable  dans  les  constructions  d'églises  modernes. —  Nous  avons 
fait  remarquer  cette  importante  disposition,  quant  à  la  cathédrale  de 
Poitiers,  dans  VHisloire  de  ce  monument,  1,311,  et  dans  le  Bullet. 
mo/iwm.,  II,  70,  et  IV,  325. 


AMEIBLKMKNT    DK    l/ÉCLISK.  225 

gistes  (lu  moyen  âge,  que  plus  il  est  élevé  au-dessus  du  reste 
des  hoiîTmes,  plus  il  doit  s'humilier  lui-môme  dans  son  es- 
prit et  dans  son  cœur.  Comme  point  de  séparation,  le  chancel 
indique  réloip:nemont  des  choses  de  la  terre  et  le  désir  du 
bonheur  qu'on  ne  trou\e  qu'en  Dieu  (^).  C'est  là  aussi,  entre 
cette  table  où  il  était  \enu si  souventpour  nourrir  lésâmes, 
et  l'autel  où  il  prenait  pour  elles  le  Pain  de  vie,  que  le  curé 
reposait  après  sa  mort,  lorsque  la  pbilosophie  friomphante 
n'était  pas  encore  parvenue  à  l'en  exiler." 
Le  sanctuaire,  (lue  serait-il  sans  l'autel  ?  C'est  vers  ce  der-      L-amoi  ef  ^e* 

'■  détails. 

ïiier  (jue  se  réunissent  toutes  les  pensées  de  la  Coi  ;  c'est  en 
vue  de  ce  qui  s'y  passe  et  de  ce  qu'il  contient  que  s'est  fait 
tout  le  reste.  Si  notre  Dieu  n'était  pas  là  dans  sa  réalité 
éternelle,  dans  son  immolation  qui  ne  cesse  pas;  s'il  ne 
s'y  maintenait  jusqu'à  la  consommation  des  temps  pour 
ceux  à  qui  furent  dites  ses  infaillibles  promesses  ,  combien 
de  choses  manqueraient  à  l'ensemble  d'une  église  !  com- 
bien de  symboles  réunis  à  grands  frais  n'y  eussent  jamais 
été  !  et  quelle  raison  de  donner  à  cet  étroit  asile ,  où  la  Ma- 
jesté infinie  se  voile  et  réside  humblement,  tous  les  carac- 
tères de  magnificence  relative  qui  dépendent  de  la  dévotion 
de  l'homme  !  C'est  ici  l'occasion  de  regretter  qu'en  voulant      Le  tabe.naeie 

p  .  ,  .    ,  ,  11      1         «i.  mal  à  propos  isolé 

se  conformer  trop  exactement  a  ce  qu  on  appelle  le  rit  ro-  .lu  gmnd  «utei. 
main,  on  se  soit  fait,  dans  beaucoup  de  paroisses,  un  devoir 
mal  entendu  de  priver  l'autel  majeur  et  principal  de  ce 
qu'il  avait  de  plus  touchant  et  de  2)lus  divin.  En  forçant  le 
texte  du  Cérémonial  des  Évéques,  (jui  ne  parle  que  des  céré- 
monies épiscopales,  on  n'est  parvenu  qu'à  isoler  le  Très- 
Saint  Sacrement  du  trône  véritable  qui  convenait  mieux  à 
sa  gloire;  les  offices  dont  il  est  l'objet  réel,  les  louanges  qui 

(1)  «  Cancellud,  humilier  reliquo  corpore,  mysticat  quanla  huiuilitas 
debeat  esse  in  clepo,  juxtaillud  :  (Juanlo  major  es ,  lanlum  humilia 
le  in  omnibus.  »  (Eccli.^  ni.)  —  Hiip;.  à  Sancto-Victore,  Spéculum  dr 
tnystcriis  Eccksix ,  cap.  i.—  Et  Durant,  Ration,  (uiihi,  f»  ni),  ajoute  : 
M  Cancelli  vero  quibus  altare  a  clioro  dividitur,  separationem  cœles- 
lium  significant  a  terrenis.  » 

T.  ui.  13 


226  HISTOiRK   DL    SYMBOLISME. 

se  rapportent  toutes  à  lui,  les  cérémonies  qui  ont  en  lui 
leur  dernier  terme  et  la  raison  de  leur  existence  n'y  man- 
quent-elles pas  de  leur  vie,  n'y  perdent-elles  pas  la  plus 
grande  part  de  leur  sens  pieux  et  de  leur  religieuse  appli- 
cation ('l)? 

Mais  qu'il  en  est  autrement  lorsqu'on  aborde  en  ce  lieu 
consacré  l'autel  où  demeure  le  Saint  des  Saints  !  Trois 
marches  le  surexhaussent,  car  il  doit  être  la  plus  haute  ex- 
pression d'un  amour  qui  l'éponde  à  celui  d'un  Dieu,  et  la 


(1)  Le  Cérémonial  drs  Eiêques  a  des  prescriptions  vénérables  rela- 
tives aux  moindres  détails  des  offices  pontificaux,   et  auxquelles  il 
faut  nécessairement  s'en  tenir  quan  J  ces  fonctions  liturgiques  s'accom- 
plissent. L'évêque  devant  ôtre  tantôt  paré  de  sa  mitre,  tantôt  la  t»;l(! 
nue,  ou  assis,  on  a  cru  plus  convenable,   soit  pour  ne  pas  mêler  à 
l'action  générale  des  génuflexions' gênantes  que  la  présence  du  Saint- 
Sacrement  exigerait,  soit  pour  ne  rien  déranger  à  l'ordre  des  mouve- 
ments prescrits,  d'éloigner  la  Sainte  Eucharistie  de  l'autel  majeur  où 
se  font  les  offices  épiscopaux.  Toutefois  il  faut  bien  observer  que  le 
Cérémonial  n'exige  pas  cet  éloignement  :  il  ne  l'indique  tout  au  plus 
que  comme  très-opportun  :  vnlde  opporlunum  est.   Aussi  cet  usage 
n'était  pas  suivi  en  Franco,  où  les  cérémonies  étaient  bien  plus  majes- 
tueuses avant  la  reprise  du  rit  romain,  et  encore  ,  depuis  cette  reprise, 
on  le  néglige  en   certains  diocèses,  où  l'on  aime  mieux  prier  Dieu 
devant  Dieu  lui-même.  Quoiqu'il  en  soit,  ce  rite  n'a  plus  la  même 
raisoji  d'être  dans  les  églises  paroissiales,  où  rien  ne  s'oppose  à  ce 
que  l'autel  principal  conserve  le  pain  sacré  vers  lequel  doivent  conve- 
nablement aller  toutes  les  adorations,  toutes  les  prières  qui  se  font  au 
<'.liœur.  C'est  là  d'ailleurs  que  la  piété  des  fidèles  va  naturellement 
(chercher  l'objet  de  ses  adorations;  c'est  vers  ce  centre  commun   que 
chacun  s'orienle  dans  toutes  ses  stations  à  l'église  :  In  sole  idosiiii  ia- 
hernaculum  suum  (ps.  xviii ,  G).  Et  n'est-ce  pas  manquer   à  ce  sym- 
bolisme, dont  nous  avons  dit  le   sens  admirable,  que  de  placer  la 
Sainte  Réserve,  sans  aucune  attention  à  ce  principe,  dans  la  première 
chapelle  venue,  au  risque  de  ces  innombrables  ^J^occs^fo^^  du  Saint- 
Sacrement  qui  se  répètent  à  chaque  fois  qu'on  a  consacré  au  grand 
autel ,  ou  qu'on  y  doit  avoir  le  sahil?  (Voir  Cœrcmoniale  Episeopor., 
!ib.  1,  cap.  xii^   n»  8.)  —  Remarquons  encore  que  le  Rituel  romain 
recommande  aux  curés  (Matines,  1850,  in-12  ,  p.  70)  de  conserver  la 
Sainte  Réserve  in  allari  inajori  vel  alio;  d'où  résulte  certainement  la 
pins  grande  liberté  à  cet  égard.  Pourquoi  donc  s'imposer  des  coutumes 
nonvelles  ,  auxquelles  l'Eglise  n'oblige  pas,  quoi  qu'on  en  dise,  et 
qui  ont  toujours  pour  regrettable  conséquence  de  jeter  le  peuple  dans 
des  incertitudes  qui  affligent  ou  ébranlent  sa  piété? 


AMEUBLEMENT  DE  L*ÉGL1SE.  227 

glorification  de  ses  charitables  abaissements.  Ces  marches 
sont  encore,  d'après  Hugues  de  Saint- Victor,  les  Apôtres  et 
les  Martyrs  ({ui  ont  répandu  leur  sang ,  en  l'offrant  pour 
ainsi  dire  aux  pieds  de  Jésus-Christ  (I).  L'or,  les  pierreries, 
les  couleurs,  les  images  sculptées  des  deux  Testaments  ,  de 
l'Apocalypse;  tout  l'éclat  extérieur  de  cette  table  du  nou- 
veau cénacle  ,  les  nappes  de  fin  lin  ,  nouveau  suaire  ,  mais 
couvertes  de  délicates  broderies,  revêtent  cette  masse  oblon- 
gue,  véritable  tombeau  où  reposent  les  reliques  des  mar- 
tyrs, et  consacrée  par  la  liturgie  avec  autant  de  vénération 
que  l'église  elle-même.  Comme  c'est  un  digne  appui  de  la 
\ictime  céleste  de  chaque  matin,  c'est  aussi  le  support  na- 
turel de  ce  tabernacle,  refuge  obscur  de  la  Souveraine  Gran- 
deur. Si  l'autel  est  la  représentation  du  Sauveur  lui-même , 
sans  lequel  aucune  offrande  n'est  utilement  présentée  à  son 
Père,  s'il  est  une  sorte  d'Église  spirituelle,  d'oii  s'échappent 
vers  Lui  Fencens  des  plus  suaves  prières  (2),  le  Tabernacle 
est  la  résidence  véritable  de  l'Agneau  de  Dieu  ;  il  est  l'Arche 
de  l'alliance  nouvelle  qu'il  a  contractée  avec  les  hommes 
dans  son  Sang  ;  il  est  la  continuation  et  le  perfectionnement 
de  ce  premier  Tabernacle  dont  Moïse  devint  l'architecte  par 
ordre  de  Dieu,  et  dont  chaque  partie  essentielle,  comme 
chaque  ornement ,  devenait  un  souvenir  des  bienfaits  divins 
et  une  ligure  prophéticjue  de  Celui  où  réside  la  Manne  nou- 

(l)«Gradus  quibus  ascenditur  ad  aUare,  spocialiter  demonstrant 
Apostolos  et  Martyres  qui  pro  araore  Cliristi  sunguiuem  suum  fude- 
niDt.  »  {SpecuL  de  mijsler.  Eccles.,  cap.  i.)  —  Duraut  marche  toujours 
A  la  suite  de  notre  auteur  et  dit  la  mêine  chose  dans  les  mêmes 
termes.  Ils  ajoutent  l'un  et  l'autre  la  cause  mystique  de  cette  signiti- 
l'ation:  l'Épouse  des  Cantiques  a^ipelle  une  inonléd  de  sang  (ascenswn 
purpureum)  les  degrés  du  temple  de  Jérusalem,  où  des  Prophètes 
avaient  été  massacrés.  (Mihi,  f*»  vi,  v»,  col.  2.) 

(2)  «  AltareChristumsiguiticat,  sine  quo  nuUum  munus  Palri  oirerluj- 
a»;ceplabile,  Unde  Ecclesia  ad  Palrem  oratiunes  solet  dirigere  per 
Christum.  »  (Hug.  à  Sancto-Vict,  et  Durant,  ubi  suprù.)—  Voir  tous  les 
liturgistes,  puis  Raoul  Rochette,  Tableau  des  calacuinbes,  j),  GG,  72,  75 
«t  suiv.  ;  —  l'abbé  Raflray,  Beautés  du  culle  catliulique,  11^  42  et  suiv.; 
—  L'nivcrs,  feuilleton  du  ■'»  août  ISoo. 


'22S  HISTOIRE    DU    symbolisai:. 

velle  (l).Oii  sait  les  magiiiiiques  rapproclieiiieiits  qu'a  faits 
S.  Paul  entre  ces  deux  Tabernacles,  et  combien  il  relève  le 
nouveau  au-dessus  du  premier  (2)  :  c'est  pourquoi  nous 
aussi  nous  avons  autour  du  corps  mystique  les  lumières  , 
emblèmes  de  l'intelligence  éclairée  par  la  foi ,  signe  le  plus 
expressif  de  la  lumière  indéfectible  apportée  par  le  Gbrist , 
entretenue  par  l'Église;  la  lumière  est  ici,  dans  la  lampe  du 
sanctuaire,  la  compagne  fidèle  et  inséparable  de  la  solitude 
perpétuelle  du  Fils  de  Dieu,  et,  soit  par  la  cire  de  l'abeille, 
soit  par  l'iiuile  de  l'olivier,  elle  reproduit  à  son  regard  divin 
la  fidèle  image  de  la  candide  pureté  des  vierges  ou  de  la 
charité  qui  se  consume  pour  lui  (3). 
Mais  quelque  beaux  et  significatifs  que  puissent  être  tous 
La  croix.  les  objcts  qul  dépendent  de  l'autel  et  concourent  à  sa  glori- 

fication spirituelle ,  il  n'en  a  pas  de  plus  digne ,  de  plus  élo- 
quent que  la  croix,  signe  par  excellence  du  salut  et  du  bon- 
heur éternel.  Elle  brille  comme  l'étendard  du  grand  Chef 
partout  où  la  rebgion  commence,  s'épanouit  ou  se  termine  : 
c'est  notre  guide  du  baptême  à  la  tombe.  La  liturgie  n'a  pas 
de  rite  sans  la  croix  ;  on  n'offre  pas  le  Saint  Sacrifice  sur  un 

(1)  Voir  les  ch.  xxvi  et  xxvii  de  l'Exode,  où  se  trouve  la  description 
de  ce  tabernacle,  pour  rintelligence  des  rapports  frappants  établis 
entre  lai  et  nos  sanctuaires  chrétiens,  et  de  quels  respects  la  pensée  de 
Dieu  même  l'avait  entouré  par  ses  grands  voiles  qui  dérobaient  le 
Saint  des  Saints  aux  regards  curieux  et  profanes.  N'en  conclurons- 
nous  pas  que  nous  dévions  par  trop  de  ces  inspirations  si  révérencieu- 
sement  suivies  par  l'antiquité  catholique ,  lorsque  nous  laissons  à 
découvert,  comme  des  choses  vulgaires,  l'objet  si  digne  de  nos  adora- 
tions et  de  nos  hommages? 

(2)  «  Tabernaculum  factum  est  primum...:  quee  parabola  est  tem- 

poris    instanlis Christus    autem,   assistens    Pontifex    futurorum 

bonorum,  per  amplius  et  perfectius  tabernaculum...,  per  proprium 
sanguinem  introivit  semel  in  sancta,  ceterna  redemptione  inventa.  » 
(Hebr.,  ix,  1,  9,  Il  et  12.  ) 

(3)  Voir  la  liturgie  du  feu  sacré  dans  la  bénédiction  du  feu  nouveau 
au  samedi  saint,  où  le  cierge  à  trois  branches,  allumé  au  foyer  bénit, 
est  appelé  lumen  Christi;  —  et  comment  S.  Grégoire  interprète  de  la 
charité  l'huile  dont  les  vierges  folles  avaient  laissé  manquer  leur 
lampe  (Homil.  xii  in  Evang,  S,  Matth.). 


i.*' 


AMKLBLEMKM   DE    l/ÉGLISE.  220 

autel  qui  n'en  est  pas  pourvu,  et  c'est  là  particulièrement 
qu'elle  est  appelée  à  briller  d'une  splendeur  triomphante. 
Sur  l'autel,  elle  doit  dominer  tout  ce  qui  l'entoure;  elle 
couronne  le  tabernacle;  elle  y  maintient  la  pensée  visible 
du  Fils  de  Dieu  toujours  immolé  pour  sa  créature;  elle  s'é- 
lance même  au-dessus  des  lumières  aussi  indispensables 
qu'elle.  A  l'arc  tiiouiphal  on  a  pu  s'en  passer  et  la  laisser 
tomber  en  désuétude;  ici  cette  omission  n'eut  jamais  de 
prétexte  :  on  omettrait  plutôt  le  Saint  Sacrifice,  tant  elle  en 
est  l'imape  vive  et  nécessaire,  destinée  à  expliquer  au  regard 
l'invisible  immolation  de  la  Victime  pascale  (1). 

Sur  les  étroites  surfaces  de  ce  petit  meuble,  mille  richesses 
s\mboliques  ont  étalé  à  l'envi  leurs  enseignements  scrip- 
turaires  et  les  recherches  les  plus  savantes  de  l'art  chrétien. 
.Vous  en  parlerons  pour  dire  quels  sujets  lui  ont  convenu 
dans  tous  les  âges ,  et  doivent  encore  lui  donner  toujours 
son  langage  sacré. 

Sur  le  gradin  qui ,  depuis  le  seizième  siècle ,  s'étend  de  he^  chandeliers. 
côté  et  d'autre  du  tabernacle,  se  placent  des  chandeliers 
dont  le  nombre  a  varié,  étant  ordinairement  de  six  aujour- 
d'hui. Ils  ne  furent  pas  toujours  non  plus  de  hauteurs  iné- 
gales, comme  on  s'efforce  généralement  de  l'observer  (2). Ce 
noml)re  j-esta  donc  et  demeura  encore  arbitraire  :  d'abord, 
il  ne  lut  (jue  dun  seul,  comme  le  constatent  les  liturgistes 
(lii  treizième  siècle,  et  il  s'augmenta  peu  à  peu  avec  la 
longueur  de  l'autel,  qui  n'était  guère  d'abord  que  de  trois 
à  quatre  pieds  ,  et  que  l'ordre  actuel  des  cérémonies  étend 
de  six  à  neuf,  selon  les  dimensions  du  sanctuaire.  Quoi  qu'il 


(1)  Voir  tous  les  Uitiiels. 

'2)  Observons  encore  (jne  le  nombre  des  chîuuleliers  n  est  porté  à 
sept  que  pour  le»  seuls  olfices  épiscopaux  :  nous  en  avons  dit  la  raison 
voir  t.  11,  (h.  VI,  p.  l.iU). —  \  Home,  on  ne  s'y  astreint  qu'à  Saint-Pierre 
(.'l  à  l'autel  (lu  Pape,  nul  autre  (\nv,  lui  n'y  ayant  les  honneurs  complets 
fie  l'ôpiscopat.  Tous  l(;s  autres  autels  n'ont  ([ue  six  cierges,  et  de  hau- 
teur proizressive;  ils  peuvent  même  n'en  avoir  que  deux  d'éfiale  hau- 
teur. Tous  ces  détails  ont  été  réglés  par  le  Cérémonial  des  Êvêqiies, 
lib.  I,  cap.  xn.  n"*  li*  et  If». 


230  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

en  soit,  ces  flambeaux  sont  le  symbole  de  la  lumière  morale 
que  l'apostolat  a  répandue  dans  le  monde  par  la  parole  de 
Jcsus-Gbrist  {Vj. 
r.piiiimircs.  Entre  les  chandeliers ,  sur  le  gradin  ,  et  souvent  dans 

l'intérieur  môme  de  ce  gradin,  où  se  trouvent  ménagés  des 
jours  garnis  d'un  cristal,  on  place  souvent  des  reliquaires 
contenus  dans  de  petites  châsses.  Ces  charmants  petits 
meubles  peuvent  devenir  aussi  l'objet  de  travaux  remar- 
quables où  le  symbolisme  a  un  rôle  très-déterminé.  Les 
emblèmes,  les  scènes  historiques,  les  légendes  du  Saint 
])euvenl  trouver  là  un  vaste  essor  que  la  gravure,  les  émaux, 
les  filigranes  relèvent  toujours  plus  ou  moins  richement , 
mais  d'une  façon  aussi  religieuse  qu'attrayante.  Nous  avons 
parlé  des  reliques  introduites  dans  la  table  même  de  l'autel 
comme  indispensable  condition  de  sa  dédicace.  On  s'est 
trop  habitué  à  placer  ces  reliques  dans  un  vase  quelconque, 
par  exemple  dans  une  boîte  de  ferblanc,  qui  s'oxyde  et  ex- 
pose à  une  détérioration  assez  prompte  les  vénérables  restes 
qu'il  est  si  important  d'y  conserver.  Le  moyen  âge  faisait 
mieux  :  il  figurait  en  un  métal  plus  ou  moins  précieux , 
mais  inoxydable  ,  une  petite  châsse  de  telle  ou  telle  forme 
consacrée  ,  et  la  déposait  dans  la  pierre  ouverte  à  cet  effet, 
garnie  des  reliques  voulues.  Une  de  ces  châsses  fut  trouvée 
en  ^  8^0  dans  une  chapelle  en  ruines  du  Loudunais  ;  elle 
avait  la  forme  d'une  petitç  église  romane ,  était  de  plomb  , 
parfaitement  scellée,  et  renfermait  des  ossements  de  S.  Geor- 
ges ,  des  SS.  Innocents,  et  aliorum  ,  que  nous  y  trouvâmes 
parfaitement  intacts  dans  leurs  enveloppes  de  soie  rouge, 
après  sept  cents  ans.  constatés  très-bien  parles  caractères 
(lu  douzième  siècle  qui  formaient  les  inscriptions  (2). 


(1)  «  Opoilet  et  ( allai e)  liabere    caudelabrum   uL  bonis    operibuà 
liiccat...  Est  opusbonum  quod  alios  per  bouiim  exemplum  acceudit.  » 

Durant.  Mimat.^  iihi  aw//}?'^.)— Hugues  de  Saint-Victor  :  Luminaria  eccle- 
siuî  sunt  illi  quorum  doctrina  fiilget  Ecclesia,  ut  sole  luna  ;  quibus  voce 
Doinini  dicitur:  Vos  estislux  muudi «(Hug.  à  Saucto-Vict.,/oc.  cit.) 

(2)  A^oir  la  description  de  celte  découverte  et  <le  ce  curieux  objet. 


AMEIBLEMKM   DE   l/ÉGLlSE.  231 

Nous  revieiulmiis,  dans  notre  avant-dernier  chapitre,  sur 
tout  ce  qui  regarde  dans  celui-ci  l'orlëvi-erie  ecclésiologique. 
Mais  à  tout  cela  il  faut  un  couronnement,  et,  dans  ce     lo baidaquiD on 

ciboriuin. 

but,  l'autel  est  ordinairement  surmonté  d'un  dais  ou  bal- 
daquin tait  ou  recouvei-t  de  riches  étoffes,  dont  une  partie 
s'échappe  de  tous  cotés  en  courtines  ou  rideaux  élégamment 
drapés,  et  se  reliant  àquatre  colonnes  de  matière  précieuse, 
bronze,  marbre  ou  bois  étranger  tel  que  l'ébène,  suscep- 
tible d'un  beau  poli,  ou  d'ornements   que  peut  relever 
Tenrploi  de  l'or,  des  pierres  ,  des  éniaux  et  de  l'ivoire.  Cet 
abri ,  ([ui  parvient  avec  ces  conditions  à  composer  un  en- 
semble très-majestueux  et  digne ,  autant  que  possiWe,  de 
son  enqiloi ,  est  le  même  que  nos  vieux  auteurs  appellent 
cibonum,  ce  qui  indiqu(i  très-nettement  son  but  de  servir 
comme  de  timte  à  la  Nourriture  divine.  Aussi  n'est-il  de 
rigueur,  dans  l'Orch'e  romain ,  que  pour  les  autels  dont  le 
tabernacle  renferme  habituellement  la  Sainte  Eucharistie. 
Donc,  il  tant  s'en  al)Stenir  au-dessus  d'un  autel  qui  manque 
de  tal)ernacle  et  de  la  Sainte  Réserve,  si  en  quelques  églises  on 
persiste  à  ne  pas  la  garder  au  grand  autel,  par  un  système  re- 
grettable, comme  nous  l'avons  dit,  à  tous  égards  {\).  Encore 
plus  faut-il  renoncer,  partout  où  le  ciborium  est  adopté  ,  à 
le  suspendre  à  la  voûte  sans  aucun  appui  inférieur,  ce  qui  a 
toujours  autant  de  mauvaise  grâce  que  peu  de  dignité.  Uno 
colombe  brodée  en  or  ou   en  argent  sur  le  fond  de  ce 
pavillon  symbolique  rappellerait  bien  les  anciens  ciboires 

liuUetiii  de  la  Soc.  des  AnlUiuaires  de  l'Ouest,  t.  IV,  p.  2o7,—  et  Revue 
de  L'art  chrétien,  t.  ni,p.  411.  —  Au  ciiiquiciiie  concile  de  Garthago, 
en  2o4,  le  canon  xiv  décida  qu'aucun  autel  ne  serait  consacré  sans 
reliques,  et  ordonna  de  renverser  ceux  qu'on  trouverait  n'en  avoir 
pas.  Ceci  fut  renouvelé  en  787  par  le  deuxième  concile  général  de 
Nicée,  can,  VII,  et  s'est  toujours  stri(;teuu;nt  observé  depuis. — Voir 
Cabassut,  Syn^ps.  concilior.,  11,  82;  —  Labbc,  VII,  col.  907. 

(1)  Rien  ne  s'oppose,  dans  les  prescriptions  liturgiques,  à  ce  que  le 
Saint-Sacrement  soit  transporté  ailleurs  pour  la  duré:^  des  cérémonient 
épiscopalcs,  et  qu  uu  le  rai)poiic  à  laulel  central,  dont  il  est  la  vie, 
lorsque  ces  niéuics  Oflices  sont  lermiiiés. 


232  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

suspendus  autrefois  au-dessus  de  l'autel  sous  cette  forme 
mystérieuse;  mais  surtout  on  devrait  y  éviter ,  comme  du 
plus  mauvais  goût,  ces  couvertures  plates  et  carrées  bizar- 
rement apposées ,  en  manière  de  ciel  de  lit ,  et  qui ,  aussi 
mesquines  par  leurs  vieilles  étoffes  poudreuses  que  ridi- 
cules par  leur  effet,  rappellent  trop  une  chambre  à  coucher 
de  la  plus  modeste  demeure  d'un  maire  de  village. 
sipgo ëpiscopai.  Bans  les  cathédrales,  le  siège  épiscopal,  d'où  l'éghse 
prend  son  nom  {cathedra),  doit  être  adossé  au  nord ,  afin 
que  le  pasteur  regarde  et  reçoive  à  pleins  rayons  la  lumière 
céleste  ,  image  sensible  du  Christ,  qui  est  la  splendeur  de  la 
lumière  éternelle  de  son  Père.  Ce  siège,  élevé  de  trois  degrés 
au-dessus  du  sol ,  peut  être  de  bois  ou  de  marbre ,  ou  de 
toute  autre  matière ,  mais  ne  peut  être  orné  de  drap  d'or 
que  pour  les  évèques  cardinaux,  dont,  par  cela  même,  il 
indique  la  dignité  supérieure.  C'est  un  de  ses  caractères 
d'être  fixe  et  immobile,  pour  indiquer  l'inamovibihté  du 
pouvoir  épiscopal ,  qui  est  celui-là  môme  du  Sauveur  {\j. 
C'est  donc  un  meuble  tout  d'une  pièce ,  sans  parties  sépa- 
rées ,  embelli  de  draperies ,  surmonté  d'un  dais  de  forme 
noble  et  élégante ,  à  moins  que  l'autel  n'en  eût  pas ,  car 
alors  on  ne  devrait  pas  traiter  ce  siège  mieux  que  celui  où 
s'abaisse  le  Seigneur  lui-même  (2) .  Un  usage  des  plus  an- 
ciens faisait  recouvrir  le  siège  épiscopal  d'étoffes  précieuses 
qui  le  distinguaient  des  sièges  communs,  comme  on  le  voit 
de  S.  Cyprien  dont  les  fidèles  garnirent  ainsi  le  banc  sur 
lequel  il  allait  souffrir  le  mai'tyi'e,  a  afin,  disent  ses  Actes , 

(1)  s.  Nil,  dès  le  commencement  du  cinquième  siècle,  écrivait:  «  Epis- 
copalis  thronus  qui  in  medio  presbyterorum  est,  catliedram  insinuât 
magni  pontificis  Domini  nostri  Jesu  Christi.  »  (Epist.  ad  Nemerlium, 
Spicil.  Solesm.,  III,  398.) 

(2)  «  Sedes  episcopalis  erit  locanda  a  lalere  Evangelii;  tribus  gra- 
dibus  ad  eam  ascendatur. . .  Forma  erit  prœaita  et  sublimis,  sive  ex  ligno, 
sive  ex  marmore,  aut  alia  materia  fabricata  in  modum  cathedrse  et 
llironi  immobilis...  Super  eam  umbraculum...  appendi  poterit,  dum- 
modo  aliud  super  altari  sumptiosius  appendatur.  »  (Cceremnii.  Kpis- 
copor.  lib.  1,  cap.  xiii,  n-'  2  et  3.) 


AMELBLKMKNT    DE    L'KGLISE.  233 

qu'il  mourût  avec  les  lioinieurs  de  l'épiscopat  (  ly.  »  Tout 
en  gardant  l'emploi  d'ornements  de  soie  pour  garniture 
d'ensemble  de  ce  meuble  important,  le  moyen  âge  lui  con- 
servait son  coussin  de  laine  ,  qu'on  laisse  exclusivement 
aujourd'hui  au  président  du  parlement  d'Angleterre  ,  sans 
songer  qu'on  s'est  privé,  en  l'abandonnant,  du  symbole  qui 
lend  le  mieux,  d'après  les  Écriturfts  et  les  Pères,  ce  mélange 
de  simplicité  ,  de  douceur,  de  pureté  d'intention  et  de  force 
morale  (jui  conviennent  excellemment  à  celui  qui,  connne 
ré\è(|U(',  doit  présider,  juger  et  conduire  (2). 

Nous  [le  pouvons  omettre  ici  de  mentionner  ce  double 
compartiment,  creusé  ordinairement  dans  le  mur  latéral 
du  côté  de  l'Épître,  et  qu'on  appelle  piscine,  pourvu  de 
deux  cuvettes  conununiquant  par  un  canal  avec  une  sorte 
fie  puits-perdu  ;  on  y  déverse,  d'un  coté,  l'eau  qui  a  servi 
au  lavabo  de  la  messe ,  de  l'autre  celle  qui  résulte  de  la 
purification  des  linges  sacrés.  Les  piscines  de  Notre-Dame 
de  Sénun-,  de  Saint-Urbain  de  Troyes ,  de  Donfield  en  Angle- 
terre, de  la  Sainte-Chapelle  de  Paris  ,  sont  des  modèles  des 
treizième  et  quatorzième  siècles  qui  réalisent ,  dans  une 
richesse  ou  une  simplicité  plus  ou  moins  grande ,  tout  ce 
qu'on  peut  désirer  de  mieux  en  ce  genre  (3).  L'architecture 
religieuse  n'avait  pas  plus  négligé  ce  petit  détail  que  tant 
d'autres.  11  se  rattachait ,  en  eCfet ,  à  des  précautions  dic- 
tées par  le  respect  des  choses  saintes  ;  car,  outre  les  eaux 
dont  nous  venons  de  parler,  on  y  déversait  encore  les 

,1;  «  Sedile  erat  lortuito  linteo  tectum,  ut  sub  ictiini  passionis  ejùs- 
copatus  honore  fnieretur.  »  (BoUand.  ytc/r/,  in  16  sept.) 

(2)  La  laine  pure  est  blanche  et  sans  teinture  :  c'est  la  simplicité  du 
Juste;  moelleuse  et  douce,  on  s'y  repose  commodément;  objet  du  tra- 
vail de  la  femme  forte  {apprehendit  lanaiii  et  fusum  (Prov.,  xxxi),  elle 
indique  l'activité  qui  engeudrt;  la  vie  utile.  —  Voir  iuibau-Maur  et 
Pierre  de  Capoue  dans  le  Commentaire  de  S.  Mélitou,  SpicUeij. 
Solesni.,  III,  152. 

(.'{)  Voir  les  dessins  de  (;es  beaux  ouvrages  dans  les  AnnaL  arclico- 
logiq.j  l\,SH;\l\,:H};\,  J8.!;  XIX,  1(12  ;  —  et  <kins  ftUissier,  Hisl.de 
lari  monum.,  p.  601. 


Piscines. 


234  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

cendies  produites  par  la  combustion  des  linges  sacrés,  qu'on 
doit  brûler  quand  ils  sont  liors  de  service ,  et  ne  jamais 
employer  à  d'autres  usages  moins  dignes.  Les  piscines,  an- 
térieures au  treizième  siècle  ,  où  Innocent  III  ordonna  que 
les  ablutions  n'y  fussent  plus  jetées,  mais  consommées  parle 
prêtre,  ne  furent  plus  employées  dès  lors  que  pour  les  usages 
indiqués  ci-dessus ,  et  c'est  là  qu'après  la  sainte  Commu- 
nion le  prêtre  descendait  se  laver  les  doigts ,  comme  il  le 
fait  encore  à  l'autel.  L'iiabitude  de  purifier  au  coin  de 
J'Épîlre  les  doigts  consacrés  se  prit  au  quatorzième  siècle  ; 
aussi,  depuis  cette  époque,  ne  voit-on  que  très-peu  de 
piscines  aussi  ornementées.  Il  n'est  pas  moins  vrai  que 
l'emploi  en  est  très-convenable,  et  constitue  un  des  besoins 
du  culte  qu'on  doit  bien  se  garder  de  négliger  en  construis 
sant  une  église.  C'est,  d'ailleurs,  aux  abords  de  l'autel  une 
parure  très-digne  qu'on  peut  y  sculpter  selon  le  style  du 
nionument  ou  de  l'autel  lui-même ,  et  qui  convient  parfai- 
tement à  compenser  la  nudité  liabituelle  du  mur.  Pour 
ceux  qui  savent  les  choses  de  la  foi ,  la  piscine  y  gardera 
toujours  le  symbolisme  de  la  pénitence  contiante  ;  c'est  là 
([ue  le  prêtre  qui  célèbre  se  rappelle  les  saintes  paroles  : 
Lavabo  inier  innocentes  manus  meas  (Ps.,xxv,  G)  ;  et  il  aimera 
mieux  voir  soustraire  ces  eaux  bénites  auxquelles  se  mêlent 
plus  ou  moins  les  particules  sacrées  de  l'Eucharistie ,  que 
de  les  savoir  exposées  aux  hasards  d'un  vase  sans  valeur 
ou  sur  le  pavé  que  foulent  les  pas  inatteutifs  des  subalternes 
d'une  église  (I). 

Comme  la  piscine  offre  par  son  plan  un  fond  et  des  con- 
tours qu'on  a  souvent  ornés  de  délicates  sculptures,  on  peut 
aussi  l'embellir   de  peintures  polychromes  représentant 

(l)  «  Prope  altare,  quod  Cliiistum  siguificat,  collocatur  pisciiia  seu  la- 
v.icrum,  id  estCliristi  misericordia,  in  qua  manus  lavantur  adnotandum 
<|aod  in  baptismo  et  pœnitentia,  quœ  per  illam  significantur^  a  pec- 
catornm  sordibus  diluimiir.  »  (DuranL,  lib.  1;  mihi,  f"  iv,  y^,  col.  2.)  — 
Voir  un  travail  trôs-bieu  résumé  de  l'histoire  des  piscines  par  Mgi'  Cros- 
nier,  BullcL  nionum.,  XV,  50  et  suiv. 


AMKIBLKMKM    DE   l'ÉGLISK.  235 

soit  quel(|iie  Irait  relatif  au  Saiiit-SacreiiHMil,  comme  celle 
qu'on  découvrit  en  isriS  dans  l'ancienne  collégiale  de  Saint- 
Uuentin  ( '^  ,  soit  de*  scènes  de  l'Ancien  ou  du  Nouveau 
Testament,  relatives  à  la  miséricorde  de  Dieu,  ou  simplement 
des  ti2:es  vivaces  des  plantes  symbolisant  ces  dispositions 
de  l'âme.  En  tout  parlons  au  cœur  par  le  regard,  à  l'esprit 
par  les  pieuses  données  de  l'enseignement  scripturaire  et 
artistique. 

Avant  de  quitter  le  sanctuaire,  il  nous  reste  à  parler  de  la 
crédence,  petite  table  placée  non  loin  de  l'autel,  et  du  côté 
(le  l'Épître,  pour  recevoir  jusqu'à  l'Offertoire  le  calice  garni 
de  riiostie  à  consacrer,  et  revêtu  de  son  voile,  puis  les 
burettes  qui  contiennent  le  vin  et  l'eau.  Ces  matières  du 
Saint  Sacrifice  rappellent,  pour  cette  table  à  laquelle  on  les 
confie  (credere)  le  souvenir  de  cette  autre  table  qui  sup- 
portait, dans  le  Tabernacle  de  Moïse,  les  pains  de  proposition. 
On  y  dépose  aussi  l'encensoir,  jusqu'à  ce  qu'il  soit  garni  du 
feu,  et  les  livres  contenant  les  épîtres  et  les  évangiles,  (jette 
petite  table,  (t'après  l'usage  romain,  doit  être  en  bois, 
revêtue,  des  fj^iatre  côtés,  d'une  nappe  qui  en  cache  les  pieds 
jusqu'au  bas,  et  ne  doit  pas  être  confondue  avec  celle  qui  sert 
aux  offices  pontificaux  et  que  le  céi'éinonial  romain  se  plaît 
à  décrire  (2}.  Il  est  clair  qu'un  tel  objet  est  essentiellement 
mobile  et  transitoire.  Au  contraire  les  crédences,  dont  nous 
devons  parler  ici,  demeurent  en  permanence  dans  le  sanc- 
tuaire; leur  usage  a  précédé  celui  de  la  piscine.  Embellies 
de  plus  ou  moins  de  décors,  elles  ont  reçu  le  pain  et  le  vin 


(1)  Voir  Revue  de  l'art  clirélien,  11,  4:>9. 

(2)  «  Mensa,  quani  crcdentiam  vucaiit...,  in  missis  tautum  solem- 
nibus  prieparari  solet  a  latere  opistola;,  in  piano  presbyterii,  si  loci 
disposilio  pnlialur.  »  [Cxrem,  Episcop.  lib.  I,  cap.  xn,  n»  19.)  —  H  est 
rlair  parce  texte  et  par  tous  les  autres  objets  auxquels  cette  table  est 
ilestin<''e.  la  mitre,  la  barrette,  et  jus({u'aux  sandales  épiscopales,  qu'il 
ne  peut  »'tre  ici  question  d'un  meuble  qui  reste  en  permanence  dans  le 
sanctuaire,  comme  les  (M'édences  qui  y  servent  cbaf[ue  jour  soit  aux 
messes  basses,  «oit  aux  messes  solennelles. 


Crcdcnce. 


236  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

du  vSaiut  Sacritice ,  les  vases  destinés  aux  encensements  et 
aux  ablutions.  Plus  tard,  leurs  formes  se  sont  modifiées 
selon  les  goûts  de  l'artiste  ou  les  besoins  des  lieux  ;  au- 
jourd'hui, elles  sont  devenues,  pour  la  plupai't,  de  simples 
tablettes  supportées  par  un  ou  plusieurs  pieds  de  forme 
élégante  ;  on  les  a  fixées  au  mur  par  des  ferrures  qui  les 
consolident.  Le  plus  souvent  elles  sont  placées  au  nombre 
de  deux,  en  regard  l'une  de  l'autre,  ou  parallèlement  à 
l'autel,  et  sont  devenues  un  ornement  de  ses  abords  ;  car 
on  en  trouve  en  de  certaines  églises  qui  sont  de  marbre 
précieux,  de  métal  ou  de  bois  doré.  On  comprend  de  quelle 
utilité  elles  sont  ainsi,  puisqu'elles  remplacent,  en  quelques 
circonstances  et  pour  certains  objets,  ces  armoires  pra- 
tiquées dans  l'épaisseur  de  l'abside  et  qui  renfermaient, 
jusqu'à  l'apparition  des  piscines,  les  vases  sacrés,  les  livres 
et  quelquefois  môme  les  liosties  consacrées  avec  celles  qui 
n'étaient  encore  destinées  qu'à  le  devenir  :  ainsi  le  prati- 
quait-on chez  les  Chartreux  et  les  Cisterciens.  Mais  depuis 
l'adoption,  qui  semble  rationnelle,  de  ces  petites  tables  aussi 
utiles  que  gracieuses,  il  est  bon,  quand  on  les -confectionne 
exprès  pour  le  service  de  l'autel,  qu'on  les  ornemente  et 
les  enrichisse  de  tous  les  genres  de  beautés  les  plus  capa- 
bles de  symboliser  quelques  idées  analogues  à  leur  emploi. 
i^'orguc.  Un  meuble ,  après  cette  longue  énumération  ,   semble 

cependant  nous  manquer  encore,  non  (|u1l  soit  indispen- 
sable, mais  parce  qu'il  est  le  complément  de  tout  le  reste, 
et  qu'outre  son  emploi,  qui  va  directement  au  culte,  il  a 
pour  but  secondaire  d'embellir  aussi  une  des  parties  les 
plus  apparentes  de  la  ])asilique.  Est-ce  donc  au  fond  du 
sanctuaire,  ou  sous  la  rose  occidentale,  ou  dans  l'un  des  bras 
du  transsept,  qu'il  faut  établir  le  grand  et  mélodieux  instru- 
mentqui  prête  toutes  ses  voix  à  nos  fêtes,  et  s'y  fait  Y  organe 
éloquent  de  nos  prières  et  de  nos  joies?  Point  dérègles  à 
cet  égard,  sinon  celle  de  la  perspective  et  de  l'acoustique, 
lesquelles  sont  donc  subordonnées  au  local  autant  qu'aux 


AMEIBLEMKM    UE   L  ÉGLISE.  2;J7 

formes  plus  ou  uioius  arlistuiues  du  grand  bulïet  et  du 
positif.  Ce  (jui  nous  iuipoile  surtout,  c'est  rornementation 
que  l'orgue  doit  recevoii".  En  y  évitant  la  peinture  poly- 
ehrome,  qui  accuserait  la  pauvreté  de  la  constructiou,  et  en 
lui  donnant  un  bois  solide,  comme  le  chêne,  et  paré  de  sa 
seule  teinte  naturelle,  on  lait  acte  de  bon  goût;  et  l'on  n'a 
plus  qu'à  auguienter  l'effet  parla  sculpture,  qui  peut  y  dis- 
tribuer les  nombreux  symboles  de  la  musique  sacrée,  les 
concerts  d'esprits  bienheureux,  les  histoires  de  l'Ancien 
Testament  (jui  se  rapjîortent  à  la  musique.  Une  condition 
essentielle  est  de  conformer  l'architecture  de  ce  bel  in-  * 
strument  à  celle  du  vaisseau  qui  le  j-eçoit ,  par  sa  forme 
ifénéiale,  par  ses  moulures,  ses  divisions,  ses  amortisse- 
ments; eu  un  mot,  il  se  pUera,  pour  accomplir  une  grande 
et  pleine  unité  avec  le  style  des  voûtes,  des  piliers  et  des 
chapiteaux,  avec  celui  des  stalles,  de  la  chaire  et  des  autres 
meubles  dont  le  bois  est  la  matière  obligée. 
Nous  n'avons  fait,  on  le  voit,  qu'esquisser  à  grands  traits      Quel  est  l'e^prit 

.  .        .  1         M        1  tlo  rÉçlise  dans  le 

dans  ce  chapitre  les  prnicipaux  détails  de  rameiiblemenl  -oin  de  tout  ce 
ecclésiologique,  non  sans  intention  de  revenir,  au  besoin, 
sur  chaque  objet  en  particulier,  pour  en  mieux  compléter 
l'esprit  et  le  sens,  pour  en  indiquer  les  meilleures  formes 
et  tracer  le  cercle  des  Jiautes  convenances  religieuses  et 
artisti([ues  dont  ils  ne  doivent  jamais  s'éloigner.  Cet  esprit 
a  été  de  tous  les  temps  dans  le  catholicisme  ;  il  n'y  a  que 
ceux  dont  l'intelligence  reste  au-dessous  de  ces  grandes 
choses  qui  n'en  sentent  ni  le  mérite  ni  la  nécessité.  Voyez 
cet  immense  catalogue  du  mobilier  des  églises  des  neuf 
premiers  siècles  que  nous  a  laissé  Anastliase  le  Bibliothé- 
caire sous  le  titre  de  Vies  des  Papes  (I)  :  c'est  un  inventaire 
minutieux  des  moindres  objets,  liturgiques  ou  autres,  em- 
ployés dans  les  usages  ecclésiasti([ues  ;  on  y  voit  comme 


fl    Liber  Ponlificuiis,  sive  De  Vilis  smnnu  Pn)Ui/ic.:  <l.iiis  Miiratoji, 
Svript.  rer.  ilalic.,  au  coiniiitMicement  du  t.  III.  in-f°. 


qui  précède. 


238  HisTomr:  dl'  symbolisme. 

les  papes  attachaient  une  grande  importance  à  munir  leurs 
églises  de  ces  objets,  et  quels  caractères  symboliques  leur 
étaient  constamment  donnés  par  eux.  L'esprit  de  l'Église  ne 
change  pas  sur  des  pratiques  de  si  haute  importance,  et  c'est 
une  des  hontes  de  notre  temps  de  l'avoir  oublié  si  générale- 
ment, quoique  tout  près  de  nous  encon;  les  Saints  se  soient 
crus  obhgés  de  le  propager  et  de  l'entretenir.  Nous  avons 
maintes  fois  cité  le  zèle  de  S.  Charles  à  l'endroit  des 
moindres  portions  de  l'église  ^t  des  choses  de  son  ameu- 
blement. Ce  sont  les  mêmes  principes  qu'ont  suivis,  à  la 
même  époque,  Molina,  de  son  Instruction  des  prêtres  (1),  et 
le  vénérable  M.  Ollier,  l'une  des  dernières  lumières  qui 
nous  soient  restées  de  ce  siècle  où  la  foi,  encore  si  puissante, 
gardait  son  foyer  chaleureux  dans  le  cœur  d'un  certain 
nombre  de  bons  prêtres ,  évidemmejit  suscités  de  Dieu 
pour  conserver  le  feu  sacré  qui  s'éteiguait  de  toutes  parts. 
Les  siècles  de  la  piété  catholique  so'  maintenaient  réelle- 
ment dans  cet  homme  de  Dieu,  cherchant,  par  son  exemple, 
à  persuader  au  clergé  son  propre  zèle  en  faveur  de  ces 
meubles  pleins  de  sens  mystérieux,  et  indiquant  par  là  dans 
quels  sentiments  on  doit  les  considérer  et  s'en  servir  (2). 
Enfin,  que  dire  des  laïques  de  nos  jours  qui,  en  grand 
nombre,  participant  à  ce  zèle  que  Dieu  a  mis  dans  tous  les 
cœurs  touchés  de  l'honneur  de  sa  maison,  en  cherchent  la 
beauté,  y  travaillent  en  des  veilles  laborieuses,  et,  aussi  pieux 
dans  leur  vie  qu'intehigents  dans  leur  génie  de  rénovation, 
répondent  à  une  vocation  véritable  par  des  écrits  utiles  à 
l'Église,  dont  ils  sont  les  athlètes  dévoués  (3)  ?  Marchons 


(i)  Traité  IIL  cli.  xvi,  in-l2, 1836;  L  11,  p.  235. 

(2)  Voir  Vie  de  M.  Ollier,  in-8».  —  Paris,  1811,  t.  II,  p.  243,  671,  et 
passinii 

(3)  Nous  ne  pouvons  indiquer  ici  que  bien  sommairement  les  écrits 
de  MAL  de  Montalembert,  de  Caumont,  DidroD,  Schmilt,  de  Linas, 
Raymond  Bordeaux,  et  autres  que  nous  sommes  trop  heureux  de  voir 
dans  nos  rangs  et  qui  se  sont  fait,  en  ces  matières,  une  autorité 
justem-^nt  acquise. 


AMELBLEMEXT   DE   LÉGLISË.  239 

donc  au  moins  avec  oiix!  Que  nos  pauvres  églises  si  lon^i- 
temps  muettes  et  si  souvent,  hélas!  mécoiniues  et  incom- 
prises, se  ravivent  sous  des  elïorls  intelligents,  et  ne  reçoi- 
vent pas  moins  de  nous  le  lustre  sacré  et  la  vie  spirituelle 
dont,  avant  tous,  nous  sommes,  par  notre  caractère  et  notre 
loi,  les  instigateurs  et  les  gardiens  ! 


CHAPITHR  VI. 


DECORATION  ARTISTIQUE  DE   L'ÉGLISE 
PAR   LA  SCULPTURE. 


Développements      JVous  avoiis  VU  à  (fuel  ffeiu'G  (l'icoiioffrapliie  encore  res- 

de  l'art  sculptural  i  o  o       i 

au  onzième  siècle,  treiiite  Id  périoclc  arcliitecturale  qui  précéda  le  roman 
lleuri  s'était  bornée  dans  la  décoration  des  églises.  C'étaient 
tout  au  plus  des  ciiapiteaux  à  végétation  élémentaire  et  peu 
variée,  comme  l'acanthe  et  les  feuilles  d'eau;  quelques 
animaux  aux  tympans  des  grandes  portes,  rarement  la 
tîgure  liumaine,  plus  rarement  encore  riiomme  en  action 
et  prenant  un  rôle  quelconque  dans  la  dramatique  épopée 
de  la  vie  du  temps  ou  de  l'éternité.  Après  la  Renaissance  du 
onzième  siècle,  quand  tout  se  couvre  d'églises  nouvelles  et 
que  cette  activité  môme  suscite,  en  faveur  de  la  beauté 
visible  des  monuments,  l'imagination  créatrice,  on  ne  se  con- 
tente plus  des  lignes  tracées  par  l'architecte  ;  celle  de  l'ima- 
gier va  venir,  et,  sur  ces  pierres  taillées  avec  soin,  elle  jettera 
Son  .araetèrê  Ics  multiplcs  Imagcs  des  conceptions  les  plus  savantes.  Qui 

encore     rudimen-  •       •  i  •        i  i     <  ,         i    ^ 

taire ,  u  a  VU  CCS  tmiidcs  essais  de  sculpture  encore  attaches  aux 

nombreuses  églises  dont  elles  disent  si  bien  la  date,  gri- 
maçant surtout  aux  frises  de  la  façade  et  paraissant  se  pen- 
cher, avec  leur  expression  aussi  grossière  de  dessin  que 
variée  de  forme,  sur  le  passant  qui  ne  s'y  intéi-esse  plus  au- 
jourd'hui, faute  de  les  comprendre,  mais  qui,  s'il  eiit  vécu 
au  temps  de  leur  apparition,  aurait  compris  leur  langage 
qui  a  pourtant  ct  acccpté  toutcs  Icurs  leçons  ?  Là  figurent,  en  des  actions 
^on  symbolisme,     (^jy^rses,  des  tôtcs  d'homuies  et  d'animaux  qui,  tantôt  grou- 


DÉCORATION    SCULPTl'RVLE   DE    l'ÉGLISE.  24^ 

pées,  tantôt  alternées,  résument  dans  un  espace  amoindri 
beaucoup  plus  qu'elles  ne  semblent  dire,  et  avec  leurs  cou- 
ronnes, leurs  gueules  ouvertes,  leurs  yeux  saillants  ou 
leurs  dents  allongées,  leur  nudité  complète  ou  leurs  dra- 
peries équivoques,  indiquent  aux  diiïérentes  classes  de  ce 
monde  leurs  titres  à  la  gloire  d'En-Haut  elles  passions  mau- 
vaises qui  eu  éloignent.  Mais  tout  cela  n'est  encore  qu'à 
l'état  de  tâtonnement  et  d'incertitude.  L'expression  artis- 
tique qui  vient  d'éclore  est  bien  plus  indécise  que  la  pensée, 
déjà  aussi  ^ieille  que  le  Christianisme,  et  qui  ne  s'est  pas 
affaiblie  comme  l'art,  parce  que,  durant  le  sommeil  forcé- 
ment imposé  à  celui-ci  par  trois  siècles  de  persécutions  et 
six  ou  sept  autres  de  dévastations  et  de  barbarie,  la  science 
symbolique  ne  vivait  pas  moins  dans  les  écrits  des  Pères  et 
des  Docteurs.  Aussi  l'essor  se  fait  vite.  L'art,  à  peine  libre 
de  reparaître,  s'exerce  avec  un  zèle  qui  semble  se  dédom- 
mager de  ses  trop  longues  entraves  et  se  trouve  bientôt 
capable  de  reproduire,  par  des  images  d'une  perfection  pro- 
gressive, tout  ce  que  la  science  tliéologique  va  lui  demandera 
l'appui  de  ses  enseignements.  A  mesure  que  le  onzième  siècle      Pio^rèi   mcr- 

.  veilleux  de   oette 

s'avance,  déjà  le  fau'e  est  meilleur  ;  le  ciseau,  plus  assure,  époque. 
donne  à  ses  œuvres  un  sens  plus  délicat  et  plus  fin,  de  sorte 
(ju'à  l'époque  où.  cette  période  fait  sa  jonction  avec  la  sui- 
^ante,  ce  douzième  siècle  si  beau,  si  esthétique,  si  pitto- 
resque de  formes  visibles  et  si  profond  de  spiritualisme, 
s'est  peu  à  peu  manifesté  et  ne  marche  plus,  dès  ses  pre- 
mières années,  qu'à  la  conquête  assurée  des  plus  réelles 
beautés  de  la  forme  et  de  l'esprit.  C'est  cette  élévation  de  la     ueau  prélude  de 

...  ,      ,  l'ère  og-ivftlc. 

pensée,  n  en  doutons  pas,  qui  inspire  alors  l  élancement 
de  l'arcade  caractéristique,  exhausse  sa  pointe  et  donne 
une  physionomie  nouvelle  aux  portiques  et  aux  voûtes, 
et  quand  la  transformation  est  achevée  par  l'applica- 
tion, devenue  générale,  de  ce  principe  qui  distingue  enfin 
complètement  le  Christianisme  des  croyances  païennes; 
quand  la  religion  de  l'Europe  catholique  a  trouvé  son  art 

T.    III.  1() 


242  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

religieux  propre  et  exclusif,  l'iconographie  s'inspire  à  son 
tour,  par  un  docile  abandon,  des  joies  triomphales  de 
l'Église,  et,  célébrant  par  ses  ogives  et  ses  roses  l'avenue  de 
cette  glorieuse  période,  elle  exalte  dans  un  même  enthou- 
siasme la  victoire  assurée  de  la  société  moderne  sur  le 
monde  païen  ;  elle  devient  autonome,  et,  comme  si  elle  sur- 
gissait des  catacombes,  ses  images  reprennent  leur  place 
voulue  dans  le  grandiose  ensemble  de  constructions  sa- 
crées, d'où  elles  ne  disparaîtront  encore,  hélas!  qu'à  l'ap- 
proche de  cette  nouvelle  ])arbai-ie  dans  laquelle,  quatre 
siècles  après,  le  protestantisme  s'efforcera  de  nous  étouf- 
fer (i). 
La   scuiptuie      1^»  sculpturc,  ic  prcmicr  des  arts  d'imitation  par  son  im- 

progrlr  '"^  ''^'  portance,  puisqu'elle  rend,  outre  les  traits  qui  caractérisent 
un  objet,  la  vérité  de  ses  contours  et  tout  le  saillant  de  sa 
pose  et  de  ses  gestes,  la  sculpture  est  restée  à  cette  hauteur 
de  mérite  dans  le  soin  qu'elle  s'est  donné  de  rendre,  selon 
les  exigences  de  la  religion,  la  pensée  mystérieuse  de  ses 
dogmes  les  plus  abstraits.  Nous  l'avons  vue,  chez  les  an- 
ciens (2),  atteindre  le  sublime  de  la  beauté  plastique,  el 
montrer  sous  les  plus  saisissants  dehors  toutes  les  passions 
de  l'humanité.  Ce  necplus  ultra  de  la  forme  se  relevait  encore 
Ce  qu'elle  pieiui  ^u  seutimcnt  moral  que  l'œil  de  l'âme  y  découvrait.  Mais  il 

aior»  de  vie  e«uié-  g'^j-^  falMt  blcu  quc  l'étudc  du  cœur  humain  y  atteignît  le 
développement  dont  l'art  chrétien  avait  besoin  ,  et  qu'il 
s'efforce  continuellement  à  inspirer.  Nous  savons  comme 
il  a  réussi;  quelle  plus  grande  variété  de  formes  et  de  sen- 
timents il  a  communiquée  à  la  matière  ;  comme  la  vie 
s'y  est  plus  répandue  et  attachée  en  proportion  de  cette 
multiplicité  de  sensations  diverses  qu'il  fallait  rendre,  et  de 
tous  les  secrets  du  cœur  humain  qu'il  était  nécessaire  d'ex- 

(1)  Voir  le  développement  de  ces  idées  dans  un  intéressant  travail 
de  M.  Aibertdingk  Tliijm,  catholique  hollandais,  inséré  dans  les 
Annal,  archéolog.,  X1V_,  47. 

(2)  Voir  1. 1,  ch.  x,  Symbolisme  de  la  statuaire  antique. 


DÉCORATION  SCULPTURALE  DE   L  ÉGLISE.  243 

poser.  L'art  des  nations  païennes  procédait  par  de  grandes  »*  supériorité  sur 

*  ^  1       .      .  1  *.^  l'antiquité  païen- 

allégories,  d'une  action  rétrécie  et  peu  profonde..  Le  public  «<?. 
n'y  comprenait  pas  toujours  la  finesse  de  l'artiste  ,  et  tout 
était  dit  pour  son  intelligence  (le  cœur  n'y  entrait  jamais 
pour  rien)  quand  il  avait  reconnu  à  quelques  traits  de  con- 
vention Jupiter  ou  Vénus,  Neptune  ou  x\pollon,  oijl  quel- 
ques-uns des  demi-dieux  de  leur  race.  Chez  nous,  ce  n'est  p'*!"  ^^  f^'condiié 

^  ne   sps   enseig^iie- 

pas  seulement  la  pei'sonne  qui  figure  et  qui  parle;  ce  sont  "'«"^^ 
toutes  les  passions  de  l'âme,  tout  ce  qu'elle  pense  et  peut 
vouloir  :  le  bien,  le  mal,  les  vertus,  les  vices,  les  devoirs,  les 
occupations  de  la  vie  commune,  les  états  multiples  de  la  ' 
société  chrétienne,  et  cette  activité  incessante  qui  agite 
l'homme  ici-bas  comme  dans  un  chemin  qui  le  mène  à 
l'éternité  par  les  mille  embranchements  où  il  s'engage.  On 
n'avait  pas  encore  songé  alors,  comme  nos  libres  penseurs 
d'aujourd'hui ,  à  séparer  l'Église  de  l'État,  le  Christianisme 
de  la  politique,  les  droits  de  l'homme  de  ses  devoirs,  Dieu 
du  gouvernement  de  ce  monde  ;  et  partout  apparaissaient, 
sous  des  traits  devenus  pour  le  philosopiiisme  actuel  des 
mythes  ridicules ,  les  leçons  de  la  foi  en  images  tout  em- 
preintes d'originalité  piquante  et  d'austères  avertissements, 
La  nature  entière  était  conviée  à  cette  grande  prédication 
des  âmes,  et,  dans  tous  les  monuments  sacrés,  elle  s'em- 
parait d'elles  en  allégorisant  jusqu'aux  moindres  objets  de 
ses  trois  règnes;  ainsi,  donnant  à  toutes  les  idées,  môme  les 
plus  métaphysiques,  un  corps,  un  esprit,  un  visage,  elle 
attirait  l'attention  par  la  curiosité,  retenait  FinteUigence 
par  le  coloris  de  ses  images,  et  popularisait  pour  les  plus 
simples  de  la  foule  le  plus  haut  enseignement  qui  ait  jamais 
existé  !  Cherchez  dans  le  paganisme  des  efforts  analogues  : 
vous  n'en  trouverez  pas  trace;  tout  s'y  borne  à  des  concep- 
tions générales,  à  de  grands  effets  d'ensemble.  Il  ne  pouvait 
être  donné  qu'à  la  vérité  de  se  rapetisser  jusqu'aux  hum- 
bles détails  pour  élever  l'homme  à  sa  hauteur.  Une  autre 
preuve  s'en  trouve  dans  les  hérésies  et  dans  toutes  les  doc- 


244  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

trines  hétérodoxes,  qui,  hostiles  au  Christianisme,  et  par 
conséquent  incapables  de  la  charité ,  bornent  leur  zèle  à 
parler  beaucoup,  mais  n'agissent  en  rien  pour  rattacher  à 
Dieu  le  cœur  des  masses  par  les  ingénieuses  inventions 
d'études  sérieuses  et  dévouées.  Voyez  la  froideur  du  pro- 
testantisme, et  ce  qu'il  a  inventé  depuis  l'an  ^51 7. 
Disunction  entre       Nous  avous  à  distluguer  ici  la  statuaire  de  la  sculpture 

la  statuaire  et  la  ^  ^ 

sculpture  propre-  proprement  dite ,  l'une  représentant  la  figure  humaine , 

ment  dite.  r       r  '  i  o  j 

le  corps  de  l'homme  en  action ,  et  môme  les  animaux  d'une 
certaine  taille  ;  l'auti'c  reproduisant  les  bas-reliefs  qui  nous 
rendent  les  scènes  variées  de  l'histoire  de  la  matière,  et  les 
innombrables  symboles  qui  les  spiritualisent  aux  frises, 
aux  chapiteaux,  aux  entablements,  sous  le  ciseau  des  or- 
nementistes  :  deux  sortes  d'artistes  que  le  moyen  âge  dési- 
gna également  sous  ie  nom  d'imagiers ,  et  qui  ont  laissé 
dans  nos  temples  tant  d'incontestables  témoignages  de  leur 
riche  et  vaste  imagination. 
L'une  agit  d'à-       Il  v  a  ,  toutcfois ,  ccttc  différence  à  noter  entre  ces  deux 

près  lin  type  con-  «^  ' 

j^enn  et  invaria-  genrcs  dc  sculpturc  :  c'est  que  le  statuaire  semble  agir 
d'après  ses  propres  inspirations ,  possédant  en  lui  le  type  de 
son  œuvre,  qu'il  comprend,  dispose  et  perfectionne  bien 
plus  par  ses  idées  personnelles  qu'en  vertu  d'un  thème 
imposé  d'avance,  comme  il  arrivait  pour  le  simple  sculp- 
teur. Ce  n'est  pas  que  le  premier  n'etit  ses  détails  inva- 
riables d'après  lesquels  il  agissait  comme  par  autant  de 
règles  précises ,  indiquant  pour  tel  personnage  qui  l'occu- 
pait la  pose  ,  les  attributs  distinctifs,  quelquefois  même  le 
type  facial,  comme  il  arrive  souvent  de  Notre-Seigneur,  de 
S.  Pierre  et  de  S.  Jean.  Ce  sont  là  des  faits  dont  les  statuaires 
l'autre  suit  un  uc  sc  sout  jamals  affraucliis.  Mais ,  à  côté  de  ces  quelques 
ception  prescrits  pHUcipes  rcçus  dc  tous  ct  dout  il  ne  fallait  s'écarter  en  rien, 
vudabSlii-infinL  tout  Ic  rcstc  s'ébauchalt  et  s'achevait  selon  le  génie  qui  gui- 
dait une  main  plus  ou  moins  habile.  Chez  le  sculpteur,  au 
contraire,  avec  les  mêmes  différences  de  talent  dans  l'exé- 
cution, il  y  a  toujours  l'obéissance  à  une  pensée  qui  vient 


DÉCORATION    SCULPTURALE    DE    L'ÉGLISE.  24o 

moins  de  lui  que  de  rarcliitcctc.  La  variété  de  ses  sujets  , 
leur  symbolisme  absolu,  supposent  nécessairement  un  plan 
arrêté  d'avance  jusque  dans  ses  moindres  effets;  les  groupes 
et  la  place  relative  de  leurs  personnages,  les  poses  toujours 
significatives,  le  fond  du  sujet  et  ses  rapports  avec  ce  qui 
précède  ou  ce  qui  suit,  font  l'objet  d'une  science  véritable, 
d'une  philosophie  en  action,  qu'on  s'est  acquises  par  l'étude 
des  Écritures  et  de  leurs  commentaires ,  et  qu'un  ouvrier 
ordinaire  n'aurait  pas  jetées  de  lui-même  sur  la  pierre,  où  il 
n'est  que  le  traducteur  d'une  vaste  pensée  scientifique.  Mais 
ce  traducteur  rend  presque  toujours,  surtout  dans  les  mo- 
numents de  premier  ordre  ,  l'intention  de  l'inventeur  avec 
une  précision  et  une  entente  qui  vont  jusqu'à  la  finesse  du 
sentiment  et  du  bon  goût.  Quelque  fini  que  fût  le  dessin  pri- 
mitif de  telles  œuvres,  il  fallait  encore  le  comprendre  et  le 
sentir  pour  l'exécuter  comme  on  le  fit  souvent  ;  et  dans  ces  ' 

pages  éloquentes  inscrites  ainsi  sur  nos  surfaces  de  pierre  , 
le  regard  n'admire  pas  moins  l'œuvre  manuelle  que  l'esprit 
n'en  savoure  l'idée  morale  et  les  ingénieuses  conceptions. 
Si  l'on  observe  la  marche  de  la  sculpture  à  travers  les       ^^    sculpture 

'■  toujours     et   par- 

âafes ,  on  lui  trouve,  chez  les  peuples  qui  s'en  occupent ,  des  ^^ut     empreinte 

^  X         i  A  1  ^(.,jjj  caractère  na- 

rapports  frappants  avec  leur  caractère  national  ,  semblable  t'on^i. 
en  cela  à  l'architecture  elle-même  ,  dont  nous  a\ons  parlé 
dans  le  même  sens  {\).  L'Egypte  ,  n'ayant  que  des  sciences 
exactes ,  est  grave  et  mystérieuse  dans  les  œuvres  de  ses 
imagiers;  la  Grèce  communique  aux  sciences  la  finesse  et 
le  calme  de  sa  littérature  polie  et  tranquille;  Rome,  dans  le 
sein  de  laquelle  les  lettres  ne  fleurissent  réellement  de  toute 
leur  beauté  qu'au  dernier  siècle  de  sa  gloire ,  a  négligé  pour 
la  guerre  les  arts  que  la  paix  alimente  seule,  et  ses  vastes 
ouvrages  d'ornementation,  comme  les  monuments  qu'ils 
décorent,  se  remai-quent  par  le  massif  de  la  forme  et  la  né- 
gligence du  travail.  C'est  cette  lourdeur  qu'on  voit  régner 

(1)  Voir  t.  I,  chap.  ix,  Symbolisme  des  avis  chez  les  anciens. 


246  HISTOIRE  DU    SYMBOLISME. 

dans  la  période  latine  de  l'art  chrétien  ;  il  conserve  ce  carac- 
tère en  dépit  de  la  pensée  symbolique  imposée  au  choix  des 
sujets,  jusqu'aux  jours  de  résurrection  où ,  se  dégageant  de 
cette  austérité  quasi-barbare  ,  il  arrive  au  style  fleuri  d'où 
naîtront  les  belles  sculptures  des  treizième  et  quatorzième 
siècles.  N'allons  pas  plus  loin ,  puisqu'aussi  bien  nous  res- 
f  tons  encore  dans  le  moyen  âge,  et  voyons  maintenant  com- 

ment la  statuaire  s'y  est  faite  un  rôle  toujours  digne  de  son 
emploi. 
pnuvreie  maté-       Qu  s'accordc  à  rcgardcr  l'époque  de  la  première  statuaire 

lieilc      de     notre  ^  ^      '-  ^ 

•ratuaiie  romano-  chrétienne,  cu  taut  qu'elle  est  une  portion  de  l'art  monu- 

liyzantinc. 

mental,  comme  n'allant  pas  au  delà  de  la  dernière  partie 
du  onzième  siècle.  Antérieurement,  on  se  borne  à  la  ronde- 
bosse,  qui  ne  donne  que  des  bustes  enclavés  dans  les  modil- 
ions  des  façades  romanes,  ou  des  faces  humaines  détachées 
au  centre  d'un  groupe  de  feuillages  :  mais  jamais  l'homme 
agissant  en  entier  et  mêlant  un  rôle  quelconque  à  la  vie  ex- 
térieure ou  spirituelle.  Et  encore  quelles  faces  humaines  ! 
On  peut,  dans  les  nombreux  monuments  qui  nous  restent 
de  cette  école ,  s'extasier  sur  ces  figures  anguleuses,  types 
de  formes  bizarres  et  incorrectes,  au  regard  fixe,  aux  yeux 
remplis  de  charbons  ou  d'émail ,  là  où  la  prunelle  est  censée 
rayonner  de  jour  et  de  lumière.  La  plupart  de  ces  demi- 
personnages,  dont  toute  l'expression  est  barbare  et  repous- 
sante, appartiennent  aux  chapiteaux  ou  à  des  bas-reliefs  où 
ils  ne  reçurent  que  des  proportions  restreintes.  C'est  à  peine 
si  quelques  statues  assises,  mais  presque  toujours  d'une  fort 
médiocre  épaisseur ,  ornent  alors  les  façades  relativement 
assez  simples  de  nos  églises.  De  ces  spécimens,  on  peut  se 
faire  une  idée  exacte  dans  la  bénédiction  donnée  à  S*«  Abre 
par  S.  Hilaire  au  Musée  lapidaire  de  Poitiers,  et  par  le  Christ 
assis  qu'on  voit  encore  sous  le  porche  intérieur  de  Sainte- 
Radégonde  de  la  môme  ville. 
Bizarre  ascucc-       Ccs  sujcts  sout  Ordinairement ,  pendant  cette  période , 

ment  du  costume  ^ 

et  (le  lacirapr^iio,  rcmarquablcs  par  les  caractères  byzantins  de  leurs  formes 


DÉCORATION  SCULPTURALE  DE  l'ÉGLISE.       247 

et  de  leurs  détails.  La  rudesse  donnée  à  la  (igure  Jiumainc 
se  retrouve  aussi  dans  les  di'aperies  saccadées  et  raides,  dans 
les  poses  du  corps  étroit  et  allongé,  sur  lesquels  se  dévelop- 
pent d'amples  vêtements  dont  la  parure  principale  consiste 
presque  exclusivement  en  galons  frangés  et  en  perles  pro-  . 
(liguées  avec  une  riche  abondance.  Les  plis  de  ces  costumes 
manquent  de  grâce  et  de  souplesse,  ne  s'arrondissent  jamais 
qu'aux  coudes  et  surtout  aux  genoux,  et  se  distribuent  de  là 
aux  parties  environnantes  en  des  rayons  difformes,  droits  et 
guindés  ,  qui  ne  s'y  effacent  qu'à  pe'ne,  et  contribuent  à 
rendre  tout  ce  dessin  fort  désagréable  à  l'œil. 
Mais  sous  ces  disgracieuses  apparences  persiste  encore  le  influences  par  la 

manière  des  Grecs 

svmbolisme  de  cette  taille  qui  tend  à  s'allonger  outre  me-  de    constantino- 

pie, 

sui'e,  et  de  cette  somptuosité  de  pierreries  et  d'agrafes  dont 
la  richesse  matérielle  indique  la  valeur  morale  du  person- 
nage ainsi  affublé  :  telle  fut ,  au  reste,  l'intention  des  artistes 
grecs,  dont  l'influence  dut  agir  sur  les  nôtres  lorsque  s'opé- 
rèrent maintes  fois,  du  cinquième  au  neuvième  siècle  ,  les 
migrations  imposées  aux  catholiques  par  les  persécutions 
des  tyrans  de  Constantinople  (I).  C'est  ici  qu'il  faut  réfuter  bien  pius  que  par 
une  opinion  trop  répandue  qui  attribue  aux  défenses  faites,  Franc?o!'t!  ^ 
en  79  '«,*par  le  concile  de  Francfort,  l'inaction  de  la  statuaire 
chrétienne  en  Occident.  Les  Pères  de  ce  concile  avaient 
compris  dans  le  sens  le  plus  absolu  Vadorafion  que  ceux 
du  deuxième  concile  de  Nicée  avaient  apphijuée  aux  images 
des  Saints.  Ils  ne  pouvaient  pas,  ignorant  le  grec,  com- 
prendre comme  une  salutation  et  un  honneur  extérieur 
l'hommage  conserve  aux  saintes  imagespar  le  mot  àffTra^oAteôa 
(salutamus),  et  ils  crurent  rejeter  une  erreur  en  condam- 
nant une  vérité  :  de  là  pendant  longtemps  peut-être  l'absten- 
tion de  toute  sculpture  de  Saints.  Mais  en  conclure,  avec 
((uelques  archéologues,  à  une  interdiction  générale,  ce 
serait  se  mettre  en  contradiction  avec  l'histoire  ,  avec  tous 

(1)  Voir  BuUelin  monumental,  XII,  224,  405;  XIV,  8,  9,  132,  539. 


24^5  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

les  monuments  qui ,  nombreux  avant  le  onzième  siècle , 
prouvent  encore,  par  mille  exemples,  qu'il  faut  reconnaître 
une  autre  cause  à  cette  stagnation  des  arts  du  dessin.  Voyons- 
la  plutôt  dans  les  guerres  incessantes  qui  désolent  l'Europe 
de  toutes  parts.  L'Espagne  et  l'Italie  envahies  par  les  Sar- 
rasins, la  France  tourmentée  par  les  querelles  de  ses  dynas- 
ties, pouvaient-elles  voir  leurs  artistes  créer  de  ces  chefs- 
d'œuvre  qui  n'éclosent  que  dans  la  paix  (I)  ?  Ce  que  nous 
dirons  de  la  peinture  dans  les  églises  et  dans  les  manu- 
scrits répond  victorieusement  d'avance  à  des  persuasions 
trop  peu  fondées,  et  si  la  statuaire  s'est  émue  un  peu  plus  et 
a  créé  tant  bien  que  mal  ses  nouvelles  œuvres  entre  les 
règnes  de  Hugues  Capet  et  de  Philippe-Auguste,  nous 
croyons  fermement  devoir  en  rapporter  la  raison  à  ces  pè- 
lerinages forcés  des  artistes  d'outre-mer  qui,  en  cherchant 
le  repos  et  la  sécurité  sur  nos  plages ,  y  apportèrent ,  avec 
leurs  procédés,  le  type  invariable  qui  les  avait  occupés  dans 
leur  pays. 
Action  des  croi-      Cetlc  mêmc  influence  se  développa  bien  mieux  encore 

sades  et   des  étu-  i        n       •        i  r^         oo 

des  littéraires  et  par  Ics  Groisaocs.  En  effet,  quand  le  onzième  siècle  s'achève 

théologiques      i^*'        ,  »    n 

cette  époque  sur  ct  qu  clles  commenccnt ,  1  art  prend  un-nouvel  essor,  l'é- 
tude se  perfectionne,  et  voilà  notre  belle  statuaire  byzan- 
tine inaugurant  le  douzième  siècle  et  s'avançant  avec  lui 
vers  des  progrès  qui  font  encore  notre  admiration.  Rappro- 
chons, d'ailleurs,  cette  marche* progressive  du  développe- 
ment des  études  httéraires.  C'est  la  théologie  qui  inspire  l'ico- 
nographie tout  entière;  jamais  les  légendes  des  Pères  ,  les 
symboles  des  commentateurs  n'ont  été  si  prodigues  de  détails 
attachants.  L'expression  des  bas-reliefs  se  perfectionne  dans 
les  voussures  et  les  archivoltes,  dans  les  métopes,  les  mo- 
dillons  et  les  chapiteaux.  Alors  la  statuaire  se  dégage  de 
ses  formes  trapues ,  la  face  humaine  se  rassérène,  les  vête- 
ments s'assoupKssent ,  les  poses  et  les  gestes  prennent  de 

(1)  Voir  J5i(//.  inonum.,  1.  V,  p.  213  et  suiv. 


Pa/t  monumental. 


DÉCORATION  SCULPTURALE  DE  l'ÉGLLSE.       2^9 

la  dignité,  et  s'élèvent  parfois  jusqu'au  grandiose.  Alors  les 
statues  surgissent  de  partout.  On  en  flanque  les  portes  des 
églises ,  on  les  élève  sur  les  pignons,  on  les  dresse  dans  les 
galeries  au-dessus  des  principales  entrées,  on  les  adosse  aux 
piliers  et  aux  trumeaux.  Tout  cela  est  encore  byzantin , 
quoique  beaucoup  moins,  jusqu'au  milieu  du  douzième 
siècle.  Mais  ,  vers  la  fui  de  cette  période  si  remarquable , 
l'artiste  se  nationalise,  abandonne  les  traditions  étrangères, 
et  la  statuaire,  suivant  la  marche  ascensionnelle  de  l'archi- 
tecture ,  arrive  à  une  imitation  plus  complète  des  formes 
naturelles  ;  malheureusement ,  c'est  aux  dépens  de  ces  ca- 
ractères surnaturels  qui  rendaient  plus  visible  le  symbo- 
lisme de  la  grandeur  spirituelle.  On  sent ,  en  comparant  les 
œuvres  du  treizième  siècle,  qui  nous  légua  nos  plus  magni- 
fiques cathédrales,  avec  celles  du  siècle  précédent,  que,  si 
l'église  est  plus  belle  ,  la  statuaire  plus  séduisante  ,  il  y  a 
dans  celle-ci  moins  de  pensée,  moins  de  profondeur  intime  ; 
on  ne  s'en  dédommage  que  par  le  développement,  pour  ainsi 
dire  sans  limites,  donné  au  plan  général  de  l'iconographie, 
où  le  symbolisme  déroule  toutes  ses  ressources  avec  une 
ravissante  prodigalité  des  plus  hauts  enseignements.  Voyez 
les  splendides  façades  des  basiliques  de  Reims,  de  Chartres, 
d'Amiens, de  Bourges,  de  Paris  et  decelle  de  Poitiers,  que  nous 
citons  toujours  pour  la  dédommager  d'une  trop  injuste  indif- 
férence ;  comptez,  s'il  est  possible ,  leurs  statues  éparses  sur 
les  étages  magnifiquement  superposés  et  qui  semblent  se 
multiplier  à  l'envipour  recevoir  un  plus  grand  nombre  de 
personnages  ;  étudiez  ces  grandes  formes  de  la  vie  humaine, 
posées  sur  des  bases  où  se  tordent  sous  leurs  pieds  victorieux 
les  hideu\  symboles  des  péciiés  ;  ces  médaillons  où  s'inscri- 
vent les  mille  allégories  des  vices  et  des  vertus  ;  cette  belle 
llor(^  qui  court  s'épanouissant  aux  corbeilles  des  colonnes  , 
ou  aux  gorges  des  arcades  ogivales  ;  ces  myriades  d'animaux 
jouant  leurs  rôles  divers  dans  cette  création  du  génie  ter- 
restre ;  étudiez  ces  livres  aux  pages  naguère    oubliées , 


250  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

aujourd'hui  revivant  pour  nous  avec  leur  langage  mieux 
compris  :  c'est  la  floraison  de  ce  vaste  champ  de  l'architec- 
ture dont  la  moisson  va  se  lever  bientôt  sous  nos  yeux  dans 
le  dénombrement  de  leurs  mystiques  significations. 
Le  nu,  honoré  à  Quaud  uous  couiparous  la  statuaire  antique  à  celle  des 
erprosc'^rirpaÏÏe  temps  chrétieus,  la  principale  différence  n'est  pas  tant  dans 
la  beauté  des  formes  matérielles ,  par  lesquelles  Rome  et 
Athènes  l'emportent  évidemment,  que  dans  le  costume,  qui 
d'abord  est  presque  entièrement  oublié  ,  les  mœurs  païen- 
nes, peu  difficiles,  autorisant  sur  ce  point  toutes  les  hcences-, 
([ue  le  Christianisme  a  si  complètement  condamnées.  Les 
premières  images  des  catacombes  ,  sauf  quelques-unes 
que  nous  réservons ,  se  font  remarquer  par  le  soin  du  vête- 
ment. Là,  point  de  nu  inutile  ou  dangereux  :  hommes  et 
femmes  portent  la  chlamyde  et  la  robe  du  temps,  la 
saye  ou  le  manteau ,  selon  leur  rang  et  profession.  Per- 
sonne d'entre  eux  ne  s'afflige  de  se  trouver  en  une  compa- 
gnie plus  qu'équivoque  :  c'était  digne  de  ces  mœurs  aus- 
tères qui  se  manifestaient,  dès  l'aurore  de  la  loi  nouvelle, 
sous  l'influence  d'un  Dieu  né  d'une  Mère  Vierge  ,  et  dont 
un  Apôtre  exhortait  tout  le  monde  à  la  continence  ou  à  la 
Différence  très-  virgluité  ('l).  Nous  pourHous  donc  établir  ici  cette  diffé- 

significative  dans  •  i        ,  <»  i  l         o    • 

leur  manière  de  rcucc  nota])le  comuie  signalant,  en  laveur  de  notre  loi,  un 

symboliser  la  ,  i      t  •  •  ^-\     •>•^  •       i 

chasteté.  genre  de  symbolisme  inconnu  aux  anciens.  (Juils  aient 

sculpté  la  chasteté  sous  les  traits  d'une  dame  romaine  por- 
tant un  sceptre  et  ayant  deux  colombes  à  ses  pieds  ,  c'est 
là  tout  au  plus  la  chasteté  conjugale ,  modérant  par  son  pou- 
voir absolu  les  passions,  même  légitimes,  et  prenant  pour 
modèles  les  oiseaux  de  la  fidéUté.  Et  puis  cette  vertu  n'était 
point  tellement  universelle  que  les  Grecs  en  aient  tiré  la 
moindre  image  des  ateliers  de  leurs  sculpteurs.  Ce  qui  nous 
est  resté  de  leurs  Vénus  nous  fait  honte ,  et ,  s'il  est  vrai 

(1)  «  Volo  enim  vos  omnes  esse  sicut  meipsum...  Dico  non  nuptis  et 
viduis:  bonum  estillis  si  sic  permaneant,  sicut  et  ego.»  (1  Cor. ,  vu,  7 
et  8.) 


DÉCORATION  SCULPTURALE  DE  l'ÉGLISE.       2:^^ 

qu'ils  aient  toujours  voilé  Minerve  sous  les  molles  drape- 
ries d'un  vêtement  complet,  c'est  qu'en  vérité  le  sentiment 
intime  des  convenances,  qui  n'abandonne  pas  môme  les 
libertins,  leur  faisait  un  devoir  instinctif  de  ne  pas  déna- 
turer l'idée  même  de  la  Sas^essc.  Vous  observerez  toutefois      faiias    rt    la 

femme  chrétienne. 

que  dans  ce  visage  de  Pallas  qui  garde  quelque  chose  de 
viril ,  dans  cette  pose  guerrière  qui  représente  la  Sagesse 
armée  contre  les  mauvaises  passions  ,  on  ne  trouve  rien  de 
comparable  à  ces  tètes  ravissantes  où  Giotto  et  Ange  de 
Fiesole  ont  épanché  la  pudeur  chrétienne  sous  les  noms  de 
.Marie,  de  Catherine  de  Sienne  ou  d'iVgnès.  C'est  là  une 
science  qui  est  toute  chrétienne,  et  qui  distribue  à  la  fois 
sur  tout  visage  de  femme  vouée  à  l'amour  du  Christ  les 
teintes  merveilleuses  de  la  candeur ,  de  la  placidité  inté- 
rieure ,  d'une  incomparable  innocence ,  tel  que  la  vie  spi- 
rituelle le  fait  tous  les  jours  encoi*e  pour  les  âmes  choi- 
sies qu'embellit  la  sainte  pureté  du  cœur.  Si  vous  ajoutez  à 
ces  traits  une  action  propre  qui  détermine  cette  vertu 
plutôt  qu'une  autre  ;  si,  par  exemple  ,  vous  lui  faites  ter- 
rasser la  luxure  sous  les  traits  d'un  animal  immonde,  comme 
à  Montoiré  (Loir-et-Cher),  ou  prendre  sous  sa  protection 
une  licorne  réfugiée  en  son  giron  ,  comme  au  portail 
d'Anjiens  et  bien  ailleurs,  vous  aurez  posé  l'idée  complète 
de  la  chasteté  chrétienne,  rayonnante  d'une  fierté  modeste , 
belle  de  son  maintien  grave  et  digne,  autant  que  de  la 
limpidité  de  son  regard  virginal. 

Ci'est  une  des  plus  ingénieuses  inventions  dû  Ghristia-    Richesse d-invcn- 
nismc  (jue  d'avoir,  sans  inspiration  aucune  de  l'art  antique,   nôçrlpwr'^Vom- 
formulé  sur  ses  monuments  l'histoire  du  peuple  de  Dieu,   r^^Trornte^dc'St 
la  doctrine  dogmatique  et  morale  que  nous  enseigne  l'auto-  ^''*"^"" 
rite  apostolique,  les  rites  de  ses  cérémonies  sacrées,  et  cette 
innombrable  foule  d'allégories  qui  exposent  tout  cet  en- 
semble d'idées  surnaturelles  avec  une  précision  d'où  res- 
sortcnt  clairemeut    une    lliéoi-ie  convenue  et  des  règles 
déterminées.  Les  temples  païens  avaient  sans  doute  leurs 


252  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

sculptures  qui  décoraient  les  colonnes  et  les  chapiteaux,  les 
frises  et  les  entablements  ;  les  métopes  étalaient  une  symé- 
trie de  petites  figures  qui  avaient  bien  leur  symbolisme 
spécial  ;  des  têtes  de  bœufs  et  de  lions ,  des  serpents  en 
spirale  ,  des  oiseaux  et  autres  sujets ,  mais  tous  isolés  et 
sans  aucune  liaison  mutuelle ,  complétaient  la  série  assez 
mesquine  des  ressources  esthétiques  de  l'époque,  lesquelles 
peuvent  bien  avoir  renfermé  en  germe  l'idée  ,  devenue  si 
féconde  ,  de  nos  corbelets  ou  modillons.  Après  tout ,  on 
n'y  pouvait  trouver  ni  une  série  de  devoirs  ,  ni  une  école 
de  vertus,  ni  des  promesses  éternelles  auxquelles  le  monde 
ne  croyait  plus ,  et  qu'il  n'aurait  pu  préconiser  sans  se 
condamner  lui-même.  C'était  à  l'art  chrétien  de  se  donner 
un  tel  livre  dont  les  pages  reproduisissent  à  l'œil  de  l'intel- 
ligence ce  que  l'œil  de  la  chair  ne  pouvait  pas  toujours  lire 
dans  les  Prophètes ,  les  Évangélistes  et  les  Docteurs  ;  et  il 
l'a  fait  avec  une  entente  admirable  du  sens  mystique  des 
sujets  sacrés ,  des  besoins  du  cœur  de  l'homme  et  de  l'har- 
monie nécessaire  entre  ses  monuments  de  divers  styles  et 
l'iconographie  qui  leur  va  le  mieux. 
Raisons  contre       Qu'ou  uous  permette  de  protester  ici  de  nouveau  en  fa- 

l'éclectisme      ar- 
chitectural pt  ar-  veur  des  vrais  principes  de  l'archéologie  chrétienne  ,  et  de 

tistique    dans     la    ,,,.,,.,  .  .     ,  .  . 

construction  des  1  objct  spccial  qui  uous  occupc  mamtenant ,  contre  une 
Son  de  ip'urs  orne-  écolc  modcmc  qul  s'autorise  trop  de  ses  idées  personnelles 
sur  le  beau  d'un  système  qui  transformerait,  au  détriment 
du  sentiment  chrétien ,  toutes  les  règles  de  l'imagerie  mo- 
numentale. Il  n'est  pas  rare  de  rencontrer  des  hommes  et 
des  livres  qui  professent  une  tendance  déterminée  soit  à 
l'éclectisme  architectural,  soit  à  l'emploi  exclusif  des  formes 
modernes  du  dessin  dans  l'exécution  de  notre  statuaire 
religieuse.  Eh  bien  !  nous  le  répétons  de  toutes  les  convic- 
tions de  notre  amour  pour  l'art  :  cette  double  théorie  n'arri- 
verait qu'à  une  impasse  où  toute  notion  du  moyen  âge  ca- 
thohque  se  perdrait  dans  le  vague  d'un  art  nouveau,  sans 
plus  de  signification  chrétienne  que  celui  d'Athènes  et  de 


DÉCORATION    SCLLPTIKALK    DE    i/ÉGLISK.  2^)3 

.Memphis.  Les  arcliitcctes  se  persuadent  vainement  qu'ils 
exprimeront  la  pensée  de  l'Eglise  en  des  leniples  mélangés 
de  toutes  les  inspirations  de  leur  génie  ennuyé.  Les  sta- 
tuaires ,  et  ceux  qui  les  suivent  dans  les  œuvres  du  crayon 
et  du  pinceau,  n'aboutiront  qu'à  de  séduisantes  bizarreries, 
s'ils  veulent  donner  à  leurs  personnages  le  ton  et  le  faire 
de  notre  école  des  beaux-arts.  Les  premiers  ne  réussiront, 
après  des  essais  sur  lesquels  la  critique  aura  peut-être  ter- 
giyersé  quelque  temps ,  qu'à  nous  donner  des  Pantliéons 
détestables  d'ii-régularité  et  de  froideur  ;  les  autres  auront 
retrouvé ,  comme  nous  l'avons  vu  déjà,  le  secret  d'asseoir 
dans  une  église  romane  ou  gotliique  une  Vierge  aussi  belle 
que  Miverve,  un  Père  éternel  qui  aspirera  à  la  majesté  du 
Jupiter  Olvmpien.   Et  cependant  la  beauté  dans  l'art  est-     i/ait  doit  être 

•      1        1  ^  '  •  1  •  ?.'n  et  ne  le  serait 

elle  donc  si  absolue  qu  elle  ne  dépende  pomt  de  certanies  pas  sans  un  par- 

t'ii  i  fc     Êiccord      dô 

convenances  à  chercher  entre  elle  et  les  objets  qui  l'envi-  .^lyie  entre  le  mo- 

.-  .  -,  nument     et     son 

ronnent  ?  Gomme  il  y  a  un  certain  agencement  de  couleurs  imagerie. 
({ui  les  fait  mutuellement  ressortir,  et  produit  des  effets 
plus  caressants  à  la  vue ,  n'y  a-t-il  pas  aussi  entre  mie 
statue  et  le  milieu  qui  la  reçoit  des  relations  de  style  et  de 
formes  générales  à  consulter  avant  tout  pour  la  bien  placer  ? 
Soutiendra-t-on  ,  en  y  réfléchissant  bien ,  que  rien  d'har- 
monique ne  doit  exister  entre  les  plis  de  ses  vêtements  ,  les 
encadrements  qui  l'enveloppent ,  et  les  arcades  ,  les  gale- 
ries et  les  moulures  qui  régnent  de  toutes  parts  autour 
d'elle  dans  l'enceinte  plus  ou  moins  vaste  qu'on  lui  a  des- 
tinée? Ce  serait  méconnaître,  pour  des  objets  infiniment 
plus  dignes  ,  les  conditions  qu'on  exige  pour  tout  ameuble- 
ment, qui  partout  se  subordonne  au  caractère  de  la  pièce 
(jui  l'embellit.  Dès  lors ,  on  garnirait  forcément  une  église 
romane  de  meubles  gothiques^  sous  prétexte  que  c'est  plus 
joli;  d'autres,  trouvant  cette  qualité  au  roman,  lui  donne- 
raient la  préférence  :  partant,  plus  aucune  liarmonie  dans 
les  formes  ;  et  tous  consacreraient  ainsi  do  déplorables 
anomalies  nées  du  caprice  de  chacun. 


imre 
nôtre 


254  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

Les  anciens  plus       Ainsi  doiic  Ics  ancieiis  auraient  eu  tort  de  distinguer  cinq 

sages  sur  ce  point  .  ,  ,     ^ 

que  certains  artis-  ordrcs  d  arcliitecture  telleijient  rigoureux  dans  leurs  règles 

tes  moderiio-f,  ,  n*  ,   /  ,    i     i,  »   i»        , 

de  proportions  que  si  1  on  se  fut  égare  de  1  un  a  1  autre,  ce  qui 
n'eut  pas  d'exemple,  on  se  fiît  réclamé  du  singulier  construc- 
teur qui  eût  donné  le  premier  cette  preuve  irrécusable  d'une 
impardonnable  ignorance  ou  d'une  hardiesse  malheureuse. 
On  le  voit  bien  par  le  composite  qui,  en  combinant  les  élé- 
ments des  autres  pour  se  créer  un  tout  à  soi,  n'est  parvenu 
quoique  leurs  nio-  qu'à  fomicr  quciquc  chose  de  fort  mauvais.  Or,  qui  ne  voit, 
so™ent'pnvir(?,'  à  k  uioindrc  inspection  d'une  éghse  chrétienne,  que,  dans 
'""'^''  dans"  les  l'architecte  qui  en  a  combiné  les  merveilleuses  idées,  les 
ordres  sont  avantageusement  remplacés  par  les  stijles ,  et 
que  la  classification  qui  les  distingue  en  autant  d'époques 
s'oppose  nécessairement,  dans  l'intérêt  de  l'unité  ,  qui  res- 
tera toujours  une  des  premières  conditions  de  l'art ,  à  ce 
mélange  de  proportions  incohérentes ,  de  formes  inégales 
qui  ne  sont  qu'une  réelle  confusion?  Une  des  plus  grandes 
beautés  de  l'architecture  catholique,  déjà  si  magnifique  dans 
les  vastes  basiliques  des  onzième  et  douzième  siècles,  c'est 
d'avoir  tendu  au  grandiose,  de  s'èti'e  élevée  à  d'immenses  hau- 
teurs sans  manquer  jamais  à  l'unité  de  plan,  défaut  auquel  les 
Grecs  et  les  Romains  se  voyaient  forcés  par  les  proportions 
normales   de  'leurs  colonnes  et  la  superposition  de  leurs 
étages  au  moyen  d'attiques,  dont  l'effet  général  étaitde  mul- 
tipher  d'autres  monuments  les  uns  sur  les  autres.  Quand 
on  a  un  aussi  beau  système  que  le  nôtre ,  on  se  garde  bien 
de  le  gâter;  on  ne  fait  pas  mépris   du  style  jusqu'à   en 
brouiller  les  éléments;  on  s'en  tient  fidèlement  aux  données 
de  chaque  époque  ;  on  ne  s'essaie  pas  en  de  mauvaises  ten- 
tatives à  dresser  des  monuments,  comme  nous  en  voyons 
partout  s'évertuer  depuis  trente  ans,  dans  l'unique  but  de 
faire  du   nouveau  en  bravant  les  règles  respectées  des 
hommes  sérieux.  Le  beau  génie  qu'il  faut  avoir  pour  se 
heurter  ainsi,  au  hasard  et  sans  aucun  succès,  à  des  impos- 
sibilités tout  à  la  fois  matérielles  et  morales ,  démontrées 


DÉCORATION   SCULPTURALE    DE   l'ÉGLISE.  2^5 

par  tant  d'exemples,  étalées  trop  nombreuses  sous  nos  yeux 
pour  confirmer  les  répugnances  et  les  animadversions  des 
véritables  artistes  !  Cette  question ,  avouons-le ,  se  résout 
donc  presque  toujours  dans  l'inintelligence  des  architectes; 
quand  on  voudra  la  ^ider,il  ne  faudra  que  mettre  en  regard 
la  charmante  église  de  Bon-Secours,  près  Rouen,  due  an 
talent  remarquable  de  M.  Kartliélemy  ,  et  la  Sainte-Clotilde 
de  Paris,  dont  le  gotliique  est  de  M.  Gaud(l). 
Sovons  donc  aussi  en  sculpture  ce  qu'est  le  style  de  nos     couxci doivent 

«j  11'}  surtout  être  orne» 

temples,  ou  byzantin,  ou  roman,  ou  ogival,  et  sachons  pré-  ;'«=>«  i«  styie  de 

i         ^  •}  ^  7  0/  j.  |p„,.  construction. 

férer,  selon  les  exigences  des  lieux,  le  sérieux  ou  la  grâce, 
les  formes  courtes  et  ramassées  ou  hautes  et  sveltes  dans 
notre  statuaire  mystique.  Si  vous  procédez  à  la  restauration 
d'une  église,  la  première  condition  posée  n'est-elle  pas  de 
vous  conformer  strictement,  pour  les  détails  à  lui  rendre, 
aux  indications  données  par  l'ensemble  du  monument? 
Irez-vous  remplacer  la  belle  et  grave  coupe  d'une  fenêtre 
du  douzième  siècle  par  les  meneaux  grêles,  les  minces  colon- 

(1)  Qu'où  examine  encore  la  cathédrale  et  le  baptistère  de  Pise,  l'Aii- 
nonciadede  Gêues,  et,  on  France,  Saint- Eustache  de  Paris,  Saint-Pierre  • 
lie  Dreux,  mais  surtout  les  cathédrales  de  Luçon  et  de  Bazas,  particu- 
lièi*cment  dans  leurs  façades,  et  qu'on  nous  dise  si,  vraiment,  ce  ne  sont 
pas  de  fort  malheureux  témoignages  en  faveur  de  ce  pot-pourri  de 
tous  les  styles  implanté  à  diverses  reprises  sur  un  monument  qui  n'a 
plus  rien  que  d'excentrique  et  de  faux?  Comparez  au  contraire  toutes 
ces  anomalies  avec  la  belle  cathédrale  romano-byzantine  de  Valence 
ou  l'abbatiale  de  Pontiguy,  et  même  avec  notre  belle  cathédrale  de  la 
transition  qui  fait  une  des  gloires  monumentales  de  Poitiers,  et  dites- 
nous  si  l'âme  n'y  est  pas  autant  séduite  que  le  regard  par  la  pureté  de 
leurs  lignes,  l'harmonie  de  leurs  détails,  qui  tous  correspondent  si  ma- 
jestueusement à  l'ensemble?  Pourquoi  donc  chercher  mieux  que  cela? 
pourquoi  se  fatiguer  à  faire  des  livres,  à  dresser  des  théories  contre 
les  lois  arrêtées  et  admises  jusqu'à  nous,  au  risque  de  tout  renverser 
dans  les  nobles  et  gracieuses  traditions  de  nos  ancêtres?  Nous  le  disons 
encore  :  ces  essais,  ces  prétentions  ne  réussiront  pas;  ils  n'aboutiront 
qu'à  prouver  que  de  petits  esprits  osent  souvent  se  dresser  contre  le 
génie;  et  les  plus  sagi;s  parmi  les  artistes  seront  ceux  qui,  au  lieu 
de  sacrifier  aux  idées  modernes,  resteront  simples  et  fermes  dans  l'imi- 
tation des  siècles  où  le  génie  sut  marier  si  noblement  ses  dignes  aspi- 
rations à  celles  de  la  foi. 


256  HlSTOlllK   DL    SYMBOLISMK. 

nettes  et  la  tète  trilobée  d'une  baie  ogivale,  ou  par  les 
jlammes  tourmentées  du  gothique  fleuri  ?  Ainsi ,  donnez 
donc  à  une  statue,  à  un  bas-relief  qu'appelle  un  sanctuaire 
du  onzième  siècle,  la  pose  raide,  les  draperies  sèches  et  an- 
guleuses que  nous  signalions  tout  à  l'heure.  Plus  tard,  lors 
(lu  style  de  transition ,  yous  deviendrez  plus  élégant,  vous 
vous  dégagerez  de  cette  manière  embarrassée  pour  vous 
conformer  aux  traditions  du  progrès  ;  vous  arriverez,  avec 
des  formes  meilleures^  jusqu'aux  magnifiques  développe- 
ments de  l'ère  gothique,  et  partout  vous  aurez  gardé  le 
grand  principe  d'unité ,  vous  aurez  associé  des  parties 
homogènes;  votre  éditice  aura  recouvré  son  caractère 
propre,  et  rien  n'y  laissera  croire,  au  détriment  de  sa 
beauté  réelle,  qu'il  s'est  produit  en  plusieurs  jets,  à  des  in- 
tervalles éloignés,  semblables  à  certains  autres  dont  le  plan, 
les  matériaux ,  l'appareil ,  rornementation  quelconque 
attestent  des  reprises  disgracieuses  séparées  par  des  inter- 
valles bizarres  de  plusieurs  siècles,  reconnaissables  à  leurs 
physionomies  diverses  et  à  leurs  ridicules  désaccords. 
Les  gargouiller,  Uu  genrc  dc  statuaire  qui  a  bien  son  intérêt,  tant  par  la 
nUi^"'  '■'"''"*  variété  de  ses  formes  que  par  les  nombreux  symboles 
qu'elles  expriment,  doit  être  signalé  ici  :  ce  sont  les  gar- 
gouilles, dont  la  projection  en  sailUe  sous  les  corniches  est 
un  moyen  de  décoration  aussi  original  qu'il  est  utile  {\). 
luette  sorte  de  clieneau,  que  le  style  roman  réduisait  presque 
ioujours  à  un  conduit  de  pierre  coupé  dans  sa  plus  grande 
simplicité  ,  prit  de  l'époque  gothique  uhe  variété  d'ex- 
pressions dues  aux  nombreux  symboles  qu'on  se  plut  à  lui 
imposer.  Ce  fut  un  champ  fort  large  à  l'imagination  des 
imagiers,  qui  s'évertua  partout  à  rendre,  par  leur  figure, 

(1)  Les  gargouilles,  dontle  nom  semble  un  peu  arbitrairement  formé 
d'une  onomatopée  qui  a  produit  aussi  le  verbe  gargariser,  le  substan- 
tif ^ar^om7/e)7îenf,  et  même  gargarisme  et  gargouUer,  sont  effective- 
ment_,  d'après  le  docte  Huet,  une  traduction  de  -^'àpppa  et  «v-ap-jàpïtv , 
l'une  des  nombreuses  étymoloo;ies  que  Morin  a  oubliées  dans'  son  Die- 
liommire  des  mois  français  dérivés  du  grec. 


DÉCOUATION  SCULPTURALE  DE  l'ÉGLISE.       257 

leur  attitude  et  leur  fonction  même,  les  tortures  de  ces  dé- 
mons dont  nous  avons  parlé  déjà  et  dont  nous  parlerons 
encore.  Il  est  clair  que  les  fonctions  qu'on  leur  a  données 
autour  et  aux  façades  de  nos  édifices  ne  sont  pas  moins 
significatives  que  tous  leurs  autres  détails.  Tout  en  déver- 
sant loin  des  murs  les  eaux  qui  ne  s'écouleraient  pas  sans 
dommage  sur  leurs  parois   et  dans    leurs  fissures  ,  nos 
monstres  n'ouvrent  pas  seulement  leur  l)ouclie  toujours 
béante  pour  les  cracher  ou  pour  aspirer  les  mauvais  in- 
stincts de  cet  air  du  monde  au  milieu  duquel  ils  semblent 
vivre.  Outre  le  sens  favorable  que  nous  avons  vu  à  l'eau 
dans  maints  endroits  de  cet  ouvrage,  nous  savons  aussi  par 
les  Didinctlons  monastiques  le  sens  d'opposition  qu'il  faut 
souvent  lui  donner  selon  les  passages  de  la  Bible  où  l'on 
parle  de  cet  élément  de  vie  ou  de  mort ,  de  vertu  ou  de 
péché ,  de  purification  ou  de  souillure ,  de  profit  ou  de 
destruction.  Ici ,  et  en  rapprochant  l'action  des  eaux  de 
cette  action  des  monslres  qui  les  déversent,  ne  voit-on  pas 
([ue  c'est  en  mauvaise  part  qu'il  faut  les  prendre  ?  Nuisibles 
aux  toitures  et  à  Féconomie  générale  de  féglise,  les  pluies 
doivent  s'en  écouler,  et  le  Maître  qui  présida  à  l'établisse- 
ment de  cette  maison  de  prières,  et  sans  lequel  les  travail- 
leurs  eussent  vainement  essayé  de  la  bâtir  (I),  force  le  dra- 
gon infernal  ou  toute  autre  bêle  qui  le  représente  à  s'uti- 
liser dans  ce  but  comme  les  peuples  anciens  employaient 
les  esclaves  aux  œuvres  les  plus  pénibles ,  comme,  dans 
l'Eglise  primitive,  c'étaient  les  énergumènes  qui  balayaient 
le  Lieu  saint.  L'eau  est  donc  prise,  en  ce  cas,  pour  la  pru- 
dence de  la  chair,  pour  la  sagesse  mondaine,  pour  la  doc- 
trine folle  et  erronée  des  Pharisiens,  pour  les  enseigne- 
ments de  l'hérésie  (2)  :  toutes  choses  qu'il  faut  repousser 

(1)  «  Nisi  Dominus  œdificaverit  domura,  in  vanum  liiboraverunt  qui 
aediàcant  eam.  »  {Ps.,  cxxvi^  1.) 

(2)  «  Aqua  spiritualis  multiplex  est...   Kst  aqua  prudentiae   carnis; 
unde  :  Quid  tibi  cum  via  ÂigyptiyUt  bihas  aquam  Geon  turbidam?  » 

T.   111.  17 


258  HISTOIRE   DU  SYMBOLISME. 

au  loin,  et  dans  lesquelles  la  pauvre  intelligence  humaine 
risque  si  souvent  de  se  noyer;  aussi  l'ennemi  des  âmes 
semble-t-il  s'efforcer  de  les  inonder  en  dehors  de  l'enceinte 
sacrée  qu'il  déteste.  Sous  mille  figures  hideuses,  attachées 
à  la  pierre  au-dessous  des  entablements ,  entre  chaque 
contrefort,  c'est  tantôt  le  monstre  hybride,  grimaçant  de 
ses  traits  humains  sur  un  corps  de  quadrupède  fautastique  ; 
tantôt  un  chien,  au  furieux  regard,  rejetant  quand  il  pleut 
la  bave  de  ses  instincts  hargneux,  aboyant  quand  il  ne 
pleut  pas.  Nous  avons  exposé  ailleurs,  avec  un  soin  inspiré 
par  nos  propres  observations  sur  la  cathédrale  de  Poitiers, 
le  sens  identique  de  ces  mômes  personnages  de  l'enfer,  mul- 
tipliés en  gargouilles  sous  les  traits  variés  du  serpent,  du 
lion  et  d'autres  quadrupèdes  réprouvés  {\). 

Toutes  ces  faces  animées  ont  donc  une  signification  par- 
ticulière qu'il  n'y  faut  pas  méconnaître  comme  l'ont  fait 
des  archéologues  de  mérite  (2),  trop  facilement  entraînés  à 
des  concessions  que  l'histoire  de  l'art  ne  nous  semble  pas 
autoi'iser.  Ces  respectables  écrivains  n'ont  pas  assez  distin- 
gué le  caprice  de  la  forme  ,  qu'il  faut  leur  accorder  bien 
souvent,  de  l'idée  mère  qui  dominait  leur  intention,  et 
nous  préférons  le  sentiment  de  M.  l'abbé  Ricard  (3)  déve- 
loppant le  rôle  indubitable  des  démons  dans  ces  mêmes 


(Jerem.,  ii,  18.)  —  «  Est  aqua  sapientise  sœcularis,  quse  est  stultitia 
apud  Deum  :  Quid  tibi  cuni  via  Assyriorum,  ul  bibas  aquam  flumi- 
nis?n  (Ibid.)  —  «  Doctrina  haereticorum  :  AqusB  furtivx  dulciores  sunt 
(Prov.,  IX,  17),  stultis  scilicet  qui  adulationibus  hœreticorum  delectan- 

Lur »  —  Voir  Distinct,  monastic,  lib.  l,  xv,  De  Aqua;  ~  Spicileg. 

Solesm.,  III,  454. 

(1)  Dans  notre  Histoire  de  la  cathédrale  de  Poitiers,  se  trouve 
exposé  en  beaucoup  de  développements  le  sens  de  toutes  les  gargouilles 
de  la  belle  basilique;  nous  devions  en  effet  nous  efforcer  d'y  faire  une 
histoire  de  l'art  chrétien  aux  douzième  et  treizième  siècles,  comme  il 
convient  dans  un  ouvrage  de  ce  genre,  où  la  partie  descriptive  ne  serait 
pas  comprise  si  on  ne  l'accompagnait  de  notions  spéciales  sur  les  idées 
qui  en  furent  le  type  originel  (voir  t.  I,  p.  87,  128  et  408). 

(2)  Voir  M.  l'abbé  Godard,  Cours  d'archéologie  sacrée,  t.  I,  p.  409. 

(3)  Hevue  de  Vart  chrétien,  t.  III,  p.  66,  année  1859. 


DÉCORATU»  SCULPTURALE  DE  l'ÉGLISE.       259 

œuvres  que  nous  analysions,  il  y  a  vingt  ans,  sous  l'impul- 
sion de  la  même  pensée.  C'est  aussi  l'opinion  des  architectes 
et  des  savants  les  mieux  initiés  aux  mystère?  de  nos  études 
esthétiques  (I). 

C'est  prohahlenient  en  des  images  hien  antérieures  à 
ces  sculptures  qu'il  faut  chercher  leur  origine  quant  à  leur 
application  architecturale.  Ce  même  nom  de  gargouilles  fut 
donné  à  des  serpents  fantastiques  ou  à  d'autres  monstres 
imaginaires  dont  la  tradition  avait  (ait  le  symhole  du  démon 
dans  son  opposition  primitive  au  Christianisme.  En  plusieurs 
églises,  comme  à  Rouen  et  à  Tarascon,  des  sculptures  d'ani- 
maux hyhrides,  de  serpents  volants  et  d'autres  précédaient, 
jusqu'à  une  époque  encore  peu  éloignée  de  nous,  toutes  les 
processions  générales,  et  souvent  même  elles  y  étaient  pré- 
cédées de  la  croix,  dont  elles  devenaient  le  trophée  en  signe 
des  victoires  remportées  enfin  sur  le  paganisme  vaincu  lors 
de  l'étahlissement  de  nos  premiers  diocèses  (2). 

Quant  à  la  Statuaire  des  has-reliefs  ou  des  rondes-hosses,      Étude  etinteiu 

,,.  ,        ..  ,  ,.,        ,,        .  1,./        gence  de  la  petit» 

que  nous  appellerions  volontiers  la  petite  statuaire,  dcstmee  statuaire  de»  bas- 
à  se  répandre  sur  les  façades  ou  sur  les  murs  latéraux  ,  soit 
en  épisodes  de  la  Bible  ou  de  la  légende ,  soit  en  des  modil- 
lons  séparés  ,  on  sait  combien  il  y  a  là  encore  d'observation 
à  exercer  et  de  précaution  à  se  faire.  Pour  les  comprendre, 
il  faut  d'abord  s'être  exercé  à  l'étude  des  Livres  sacrés,  des 
Pères  de  l'Église ,  de  l'histoire  générale,  des  légendes  locales 
et  des  Vies  des  Saints.  La  liturgie  n'y  est-elle  pas  aussi  avec 
ses  expressions  si  variées  ?  La  flore  symbolique ,  la  zoologie 
morale  n'y  ont-elles  pas  leur  rôle  comme  dans  un  vaste 
drame  où  s'exercent  toutes  les  facultés ,  bonnes  et  mau- 
vaises, de  l'âme  humaine?  Que  de  pensées,  que  de  souve- 

(1)  Voir  Daly.,  Revue  générale  d'architecture,  Vil,  206,  -  et  Congrès 
scienlifitiue  de  Bordeaux  en  1861, 1. 1;  —  le  P.  Cahier,  Mélanges  d'ar- 
chéologie et  d'histoire,  l,  74  et  suiv. 

(2)  Voir  encore  notre  liisl.  de  la  calhédr,  de  Poitiers  sur  la  Grand- 
Gueule,  II,  51,  —  et  ci-dessus,  t.  II,  p.  336. 


260  HISTOIRE   DV   SYMBOLISME. 

nirs  il  faut  évoquer,  et  quels  rapprochements  ou  doit  se  faire 
pour  arriver  à  l'intelligence  de  ces  personnages  !  Et  que 
d'erreurs  dans  ces  interprétations,  faute  des  connaissances 
spéciales,  toujours  indispensables  à  qui  veut  traduire  cette 
langue  si  riche,  si  variée  et  si  mystérieuse  ! 
Clefs  de  voûte.       Eutiu,  Ics  clcfs  dc  voùtc  offrcut  cucorc  un  puissant  intérêt 
à  qui  cherche  le  symbolisme  de  notre  art  plastique.  Nous  ne 
parlons  pas  de  celles  qui ,  aux  quinzième  et  seizième  siècles, 
modelées  sur  les  prétentieux  motifs  de  l'architecture  abâ- 
tardie ,  se  plièrent  trop  fidèlement  aux  caprices  d'une  trans- 
formation malheureuse.  Il  faut  remonter  à  deux, cents  ans 
plus  haut  pour  délecter  son  regard  sur  de  petits  chefs- 
d'œuvre  presque  toujours  inscrits  en  des  médaillons  circu- 
laires où  s'épanouissent  des  couronnes  de  fleurs ,  où  de 
petits  anges  portent  tantôt  les  symboles  des  souffrances  du 
Christ,  tantôt  les  vases  sacrés  de  la  Communion  ;  où  le  Sau- 
veur apparaît  sur  les  genoux  de  sa  sainte  Mère ,  où  la  Co- 
lombe divine  plane  sur  l'assemblée  des  fidèles  (i).  Là,  rien 
de  moins  qu'ailleurs  pour  nos  études ,  et  tout  y  parle  bien 
mieux  que  ces  culs-de-lampe  prolongés  outre  mesure,  sculp- 
tés en  spirales ,  et  qui  semblent  tomber  de  la  voûte  ,  dans 
l'unique  but  d'étonner  un  spectateur  profane  ou  d'offrir  à 
ses  regards  des  écussons  armoriés.  Autant  les  uns  sont  dis- 
tingués de  pensée  ingénieusement  chrétienne,  autant  les 
autres  sont  inutiles  et  vains  dans  l'accomplissement  labo- 
rieux de  leurs  tours  de  force.  Si  cela  plaît  à  l'œil,  rien  n'y 
parle  à  l'âme ,  et  tout  y  concorde  trop  bien  avec  ce  bas- 
empire  de  l'art  religieux  qui  s'acheminait  à  une  déchéance 
dont  il  n'est  pas  encore  complètement  guéri. 

Après  avoir  parlé  dans  ce  chapitre,  en  termes  généraux, 
des  conditions  essentielles  d'une  bonne  sculpture  religieuse, 
il  nous  resterait  à  exposer  beaucoup  de  détails  d'exécution 

(1)  Voir  ce  même  ouvrage,  où  nous  avons  décrit  les  charmants  spé- 
cimens de  ce  genre  qu'on  pourrait  imiter  partout  avec  succès,  I,  317: 
11,210, 


DÉCORATION   SCULPTURALE   DE   LÉGLISE.  26^ 

qui  la  rendent  pratique,  et  à  compléter  la  théorie  de  ses  at- 
tributs si  nombreux.  Mais  ces  principes  se  rattachent  aux 
notions  d'iconographie  générale  dont  nous  devons  traiter 
bientôt  en  parlant  de  la  peinture.  Arrôtons-nous  seulement, 
puisque  c'est  la  sculpture  seule  qui  les  crée  et  les  dispose  , 
à  ce  qui  nous  reste  à  dire  de  l'ornementation  et  de  l'ameu- 
blement d'une  église.  Le  catholicisme,  qui  a  suspendu  ses 
gargouilles  et  ses  modillons  aux  portes  élevées  de  nos  tem- 
ples, ne  peut  non  plus  demeurer  indifférent  à  la  forme  de 
ses  autels,  de  ses  baptistères,  de  ses  bénitiers  et  de  ses  tom- 
beaux. Étudions  successivement  ces  intéressants  détails  do 
la  vie  symbolique  du  monument  chrétien. 


CHAPITRE  Vil. 

(Suite  du  précédent.) 

AUTELS,—  TABERNACLES,  —  BAPTISTÈRES  , 
—  TOMBEAUX. 

Revenons  donc  sur  trois  des  détails  que  nous  avons  sim- 
plement esquissés  dans  le  chapitre  V,  et  auxquels  une  place 
a  été  assignée  dans  nos  églises  par  des  usages  toujours 
fondés  sur  des  raisons  symboliques.  Ici,  en  effet,  des  no- 
tions générales  ne  peuvent  suffire  ;  il  faut  que  chaque  objet 
en  lui-même  nous  dévoile  ses  formes  les  plus  convenables, 
les  détails  mystiques  de  sa  confection,  la  pensée  spiritualistc 
qui  y  préside  et  que  le  peuple ,  les  artistes  surtout ,  doivent 
y  lire  pour  les  comprendre  ou  les  imiter. — Examinons 
d'abord  ce  qui  regarde  les  autels. 
Origine  de  l'au  H  est  dc  uotorlété  conimunc  que,  dès  le  temps  des  cata- 
combes, la  célébration  du  Saint  Sacrifice  se  fit  sur  le  tom- 
beau de  quelques  martyrs;  c'est  pourquoi  nous  nous  per- 
suadons beaucoup  que  ces  auges  en  marbre ,  creusées  eu 
tombeaux,  ornées  du  chrisme  et  d'autres  sculptures  sym- 
boliques, tels  qu'on  en  voit  dans  les  cryptes  de  Saint-Surin  de 
Bordeaux,  étaient  primitivement  des  autels  taillés  à  l'image 
exacte  de  beaucoup  de  tombeaux  des  catacombes.  On  peut 
s'en  convaincre  en  jetant  les  yeux  sur  les  belles  et  intéres- 
santes gravures  dont  Bosio  et  Aringhi  ont  orné  leur  Rome 
souterraine,  et  M.  l'abbé  Girot  son  Église  de  Saint- Surin. 
Nécessité   (l'y       Remarquons  aussi  que  bien  ailleurs   on  choisit   poui* 

iiiscrGi'    des    vcli* 

ques.  autels  ces  mêmes  tombeaux ,  oii  souvent  les  martyrs  repo- 

saient encore ,  et  que  cet  usage  leur  fut  maintenu  stric- 
tement pendant  les  trois  premiers  siècles ,  si  bien  que  le 


Eucharistio. 


4MEl'BLEMENT   DE    F.'ÉGLISE. —  AUTELS.  263 

pape  S.  Félix  (2G9-27î)  en  fit  une  règle  absolue  {i).  De 
cette  antique  et  touchante  dévotion  naquit  cette  prescrip- 
tion liturgique  dont  nous  avons  parlé  (2),  de  placer  des 
reliques  de  martyrs  dans  tous  les  autels ,  pour  que  l'hon- 
neur insigne  qu'on  leur  avait  fait  d'abord  fût  continué  au\ 
serviteurs  de  Celui  qui  s'était  volontairement  sacrifié  sur  la 
Croix.  C'est  pour  cela  aussi  qu'un  autel  n'est  jamais  con- 
sacré sans  que  le  Saint  Sacrifice  n'y  soit  offert  aussitôt.  Il  y      on  y  a  mênu' 

placé    dos     frag- 

a  plus  :  c'était  une  coutume  reçue  encore  du  temps  de  monts  de  la  sainte 
Guillaume  Durant  que  si  l'on  ne  pouvait  se  procurer  de 
ces  reliques  lors  de  la  consécration  d'un  autel ,  on  devait  y 
suppléer  par  des  fragments  du  Corps  du  Sauveur,  c'est-à- 
dire  par  des  portions  d'une  hostie  consacrée  (3).  Ceci  au- 
rait lieu  de  nous  étonner  s'il  ne  s'agissait ,  dans  cette 
prescription,  des  seuls  autels  fixes,  qu'aucun  déplacement 
ne  pouvait  exposer  à  une  profanation,  et  démontre  jusqu'à 
quel  point  l'autel  s'identifiait  dans  l'Église  avec  Jésus-Christ, 
dont  il  est  la  figure  sensible  (4).  Des  monuments  anté- 
rieurs nous  montrent  cet  usage  sous  un  aspect  plus  singu- 
lier encore.  Du  temps  d'Urbain  II,  qui  siégeait  en  UOO,  on 
prenait  trois  portions  de  l'Hostie  consacrée  qu'on  enfermait 
dans  l'autel  avec  de  l'encens,  et  l'anonyme  qui  écrivit  à 
celte  époque  La  Fie  des  abbés  de  Marmoutiers  raconte  que 
ce  pape  en  usa  ainsi  lorsqu'on  1 096  il  fit  la  dédicace  de  l'église 
de  ce  monastère  (5).  On  voit  que  déjà,  à  deux  cents  ans  de 


,1)  «  Conslituit  supra  memorias  martyrum  missas  celebraii,  »  dit  le 
Bréviaire  romain  ,  30  mni,  d'après  Anastase  le  Bibliothécaire  ,  Vita 
S.  Felicis,  u»  2. 

(2)  Ci-dessus,  t.  11,  sur  le  ch.  vi  de  l'Apocalypse. 

(3)  «  Sine  Sanctorum  reliquiis,  aut  iibi  illi  haberi  non  possunt,  sine 
corpore  Chrisli  non  Ut  consecratio  altaris  fixi.  »  (Durant.  Mimât., 
Ration,  div.  Offic,  f°  xviii.) 

(i)  «  Altare  signitîcat  Chrisluai;  sine  quo  munus  nullum  acceptabile 
j'alri  offertur.  »  {Ihid.,  v"  5.) 

(o)  Voir  doin  Chardon,  Uisl.  des  sacrements,  De  l'Eucharistie,  ch.  ix  ; 
—  dom  Martenne,  De  Antiq.  Ecoles.  Ritib.j  t,  I,  p.  440.— Dans  un  Sacra- 
menlaire  de  S.  Grégoire,  écrit  avant  l'an  986 ,  se  trouve  le  texte  qui 


Symbolisme  du 
xcputcre  de  l'au- 
tel. 


264  HISTOIRE  DU  SYMBOLISME. 

là,  on  n'avait  apporté  à  cette  rubrique  qu'une  très-légère 
modification.  Nous  ne  pouvons  découvrir  à  quelle  époque 
antérieure  au  seizième  siècle  elle  a  disparu  du  Pontifical 
romain. 

Quoi  qu'il  en  soit,c'est  par  allusion  à  ces  tombeaux  sacrés, 
que  l'autel  n'a  pas  cessé  de  reproduire  par  son  sens  mysti- 
que, qu'on  a  donné  le  nom  de  sépulcre  à  la  cavité  ménagée 
dans  la  partie  antérieure  de  sa  table,  et  qui  reçoit,  pour  l'y 
cacher,  la  capse  où  les  reliques  sont  déposées.  Ce  sépulcre 
représente  l'urne  d'or  remplie  de  la  manne  céleste  que 
Moïse  avait  placée  dans  l'Arche  du  témoignage  (I)  :  preuve 
de  plus  entre  mille  que  l'Église  retient  autant  que  possible 
quelque  chose  des  anciens  rites ,  qui  lui  semblent  le  type 
divin  de  la  Loi  nouvelle. 
Autels  portatifs.  Lc  tciups  dcs  pcrsécutious  ne  permit  pas  toujours  de  cé- 
lébrer sur  des  autels  fixes ,  tels  que  les  Confessions  des 
catacombes.  Il  fallait  procurer  ce  plus  grand  des  secours 
religieux  à  des  populations  réunies  ailleurs  ;  les  voyages  de 
l'apostolat  n'impliquaient  pas  moins  la  nécessité  de  trans- 
porter la  partie  essentielle  du  mol)ilier  sacré  :  de  là  les 


établit  formellement  cette  pratique  comme  suivie  au  dixième  siècle  : 
«  Id  nome  Ptris  et  Fil.  et  Spûs  S^».—  Pax  tibi. —  Respousiorum  :  Et  cum 
Spu  tuo.  —  Et  ponat  très  portiones  corporis  Domini  intus  ,  et  très  de 
incenso.  Recludantur  tune  reliquiae  ,  canentes  antipham  :  Exsultabunt 
Sancti  n  gloria.  —  Psalmus,  Laudate  Domiuum  de  cœlis.  Antiphâ,  Sub 
altare  Dni  sedes  accepistis.  »  —  Ce  texte,  dont  le  manuscrit  est  à  la  Bi- 
bliothèque Richelieu,  fond  Saint-Germain  latin,  n^  281  (olim  Corhle, 
n°587  ,  f°  13) ,  a,  été  reproduit  en  fac-similé  par  M.  Nat.  de  Wailly  , 
Traité  de  diplomatique ,  Il ,  p.  234  ,  pi.  vi.  —  Observons  qu'il  y  a  long- 
temps que  cette  pratique  ne  s'usite  plus,  car  le  Pontifical  romain,  édité 
pour  la  première  fois  an  seizième  siècle,  ne  parle  que  de  reliques  in- 
cluses dans  le  petit  vase  à  ce  destiné,  lesquelles  sont  placées  par  l'évêque 
dans  le  sépulcre  de  l'autel,  pendant  que  les  clercs  chantent  les  mêmes 
antiennes  Exsultabunt  et  Sub  altare.  —  Voir  Pontif.  roman.,  p.  409  et 
suiv. 

(1)  «  Secundum  Tabernaculum...,  habens...  arcam  Testament!...,  in 
qua...  urna  aurea  habens  manna.  »  (Hebr.,  ix,  4.)—  «  Sepulcrum  vero, 
siveforamen  in  quo  reliquiae  recondi  debent,  significat  urnam  auream 
plenam  manna  quae  in  arca  Testimonii  posita  erat.»  (Durant,,  Balion.: 
mihi,  f"  xviii.) 


AMEIBLKMENT    DE    l'ÉGLISE. —  AUTELS.  265 

autels  portatifs,  consistant  le  plus  souvent  en  une  sorte  de 
stèle  en  bois,  ou  en  une  pierre  étroite  :  superaltarc ,  altare 
viaticum,  et  quelquefois  en  une  plaque  de  métal  précieux 
appelée  propitiatoire ,  et  dont  s'accompagnait  le  prêtre, 
aussi  bien  (rue  du  calice  indispensable.  Ce  n'est  pas  qu'on      commpnt  on  y 

*■  supplée    quclque- 

n'eùt  trouvé  d'abord  un  moyen  plus  simple  et  surtout  plus  fois. 
toucliant,  car  on  avait  ^  u  des  Évéques  et  des  Prêtres  réduits 
à  n'offrir  les  Saints  Mystères  que  dans  une  solitude  écartée, 
poser  le  calice  et  le  pain  sur  les  mains  ouvertes  d'un  Diacre, 
et  consommer  ainsi  sur  un  autel  vivant  le  sacrifice  auquel 
ils  étaient  peut-être  eux-mêmes  réservés.  Mais  c'était  le 
temps  où  d'autres,  non  moins  saintement  inspirés,  pre- 
naient pour  table  sacrée,  dans  une  prison  où  ils  attendaient 
le  martyre,  la  poitrine  nue  d'un  Confesseur  étendu  sur  le 
sol,  et  dont  des  ceps  retenaient  les  pieds  et  les  mains  [\  ). 
Mais  ces  remarquables  exceptions  prouvaient  que   les      '"'^  ^"t«^«  ^'^}- 

1  Al  '  vont       être       de 

règles  n'étaient  pas  encore  absolument  établies,  et  tout  v'^"^- 
d'abord  on  avait  du  se  servir  d'autels  de  bois,  les  Apôtres 
ayant  certainement  consacré,  connue  Notre-Seigneur  lui- 
même,  sur  une  table  imitée  de  celle  du  Cénacle.  On  voit 
encore  dans  l'église  de  Latran,àRome,  l'autel  dont  S.  Pierre 
s'était  servi  ;  et  nul  autre  que  le  Souverain  Pontife  en  per- 
sonne n'y  peut  célébrer ,  depuis  le  pape  S.  Sylvestre,  qui 
l'ordonna  ainsi.  Mais  depuis  ce  temps  aussi,  et  par  ordre  du 
même  Pape,  la  liberté  rendue  à  l'Église  demandant  une 
matière  plus  solide  et  qui  restât  perpétuellement  à  l'abri 
des  injures  de  l'âge  et  des  accidents,  les  autels  ne  purent 
être  consacrés  qu'autant  qu'ils  seraient  de  pierre  :  c'est  ainsi 
que  l'autel  primitif  ordonné  par  Dieu  à  Moïse,  tout  en  se  fai- 
sant de  bois  pour  la  plus  grande  commodité  du  transport , 
devait  être  de  bois  desétliim,  par  cela  même  incorruptible, 
ce  qui  rapprocbe,  dans  l'intention  du  divin  législateur,  l'idée* 
antique  de  la  nouvelle  f2).  Ce  même  Pape  institua  aussi  les 

(1)  Voir  Surius,  AcL  S.  St'phani,  die  2  aug. 

(2)  «  Faciès  et  altare  de  lignis  sethim.  »  {Kxod.,  xxvii,  1.)  — Voir  en- 


266  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

cérémonies  de  la  consécration  des  églises  et  des  autels,  dont 
il  usa  pour  la  première  fois  lors  de  la  dédicace  de  Saint- 
Jean  de  Latran  (i).  Le  droit  canonique  a  plus  d'une  fois 
renouvelé  cette  prescription  ;  les  autels  portatifs  eux-mêmes 
ne  doivent  plus  être  que  de  pierre,  ou  de  marbre,  ou  d'ar- 
doise. Une  petite  cavité  ménagée  à  leur  intérieur  doit  con- 
tenir les  mêmes  reliques  voulues  pour  les  grands  autels,  et, 
comme  pour  ceux-ci,  c'est  toujours  l'Évêque  seul  qui  en 
peut  faire  la  consécration  (2) .  Il  faut  même  que  la  pierre 
soit  une  et  d'un  seul  morceau,  afin  de  rappeler  la  base  so- 
lide de  l'unité  de  l'Église,  son  inébranlable  résistance  aux 
puissances  du  monde  et  de  l'enfer,  et  sa  perfection  enfin 
qui  ne  la  laissera  jamais  diviser  par  les  schismes  et  les  héré- 
sies (3) .  Il  est  bien  clair  ici  que  ces  significations  symboliques 
l'emportent  dans  l'esprit  de  l'Église  sur  toute  autre  consi- 
dération, puisque  la  pierre  consacrée  ne  peut  servir  qu'au- 

core  Durant  sur  ce  texte ,  Lie  altaris  Consecrat.;  mihi,  f»  xviii.  — 
Pierre  de  Riga  donne  une  autre  raison  également  symbolique  : 

De  lignis  altare  sethim  contexitur  ;  inde 
Collige  quod  justis  vita  perennis  erit. 

(Aurora.^  in  Exod.,  v.  1.439.) 

(1)  «  lUtus  quos  in  consecrandis  ecclesiis  romana  servat  Ecclesia, 
beatus  Sylvester  papaprimus  instituit.  Nam,  etsi  jam  ab  Apostolorum 
lemporeloca  fuerantDeo  dicata  quaea  quibusdam  oratoria,  ab  aliis  ec- 
clesise  dicebautur.,.,  non  tamen  ea  adeo  solemni  ritu  consecrabantur, 
nec  in  eis  adhuc  in  titulum  erectum  erat  altare,  quod  chrismate  deli- 
butum,  Domini  nostri  Jesu  Christi,  qui  altare,  hostia  et  sacerdos  noster 
est,  figuram  exprimerez. .  —  Beatus  Sylvester  postea  in  consecratione 
altaris  principis  Apostolorum  decrevit  ut  deinceps  nisi  ex  lapide  altaria 
aedificarentur.  »  — Voir  la  curieuse  légende  des  trois  leçons  du  2^  noc- 
turne de  la  Dédicace  de  la  basilique  du  Saint-Sauveur,  Breviar.  Rom., 
IX  novemb,; — voir  aussi  Roma  &ubterranea,i.  \,  p.  234  ;  lib.  il,  cap.  vi, 
n°8.) 

(2)  «  Altaria,  si  non  fuerint  lapides,  chrismatis  unctione  non  conse- 
crentur.  »  (Cap.  xxxi,  De  Consecrat.,  dist.  i.)—  «  Lapis  enim  Cbristum 
siguificat,  »  dit  S.  Thomas,  sent,  iv  ,  dist,  xiii ,  quaest.  1  ,  cap.  il.)  — 
<<  Altaria  placuit  non  solum  unctione  chrismatis,  sed  etiam  sacerdo- 
tali  (episcopali)  benedictione  sacrari.  »  (Can.  xxxi ,  J[)e  Consecrat.. 
dist.  I.) 

(3)  Durant,  Béleth,  et  les  autres  rubricaires. 


AMEUBLEMENT   DE    LÉGLISE. —  AUTELS.  267 

tant  qu'elle  demeure  entière,  et  que  si  les  reliques  s'en 
étaient  perdues,  elle  deviendrait  également  incapable  de 
son  emploi.  La  multiplicité  des  autels  dans  une  même 
église,  nécessitée  depuis  longtemps  par  les  variantes  appor- 
tées dans  le  culte,  a  fait  autoriser  ces  pierres  de  petites 
dimensions  encadrées  dans  la  table  supérieure  d'un  autel, 
même  de  bois,  qu'on  tolère  moyennant  cette  condition 
essentielle;  car  le  véritable  autel  est  toujours  cette  portion 
principale  sur  laquelle  reposent  le  Corps  et  le  Sang  de  la 
sainte  Victime.  Le  principe  est  dès  lors  observé  :  la  pierre 
est  toujours  là  pour  symboliser  Jésus-Christ  ;  aussi  la  dédi- 
cace en  est  faite  sous  les  mêmes  rites  essentiels  que  celle 
des  autels  fixes,  quoique  avec  une  moindre  solennité. 
Cette  dédicace,  intimement  liée,  nous  l'avons  dit,  à  celle  ,  symbolisme  de 

'  •  '  '  leur  consécration; 

de  l'Église,  est,  comme  celle-ci,  pleine  d'enseignements  sym- 
boliques :  tout  s'y  rapporte  au  Sauveur,  dont  il  semble  que 
le  Corps  sacré  soit  réellement  honoré  par  tous  les  détails  de 
la  liturgie.  La  matière  est  purifiée  par  quatre  choses  très- 
clficaces  contre  le  démon  :  l'eau,  qui  signifie  l'effusion  des 
saintes  larmes  dans  la  prière  ;  le  vin,  qui  représente  la  joie 
spirituelle;  le  sel,  qui  est  la  discrétion  de  la  conduite 
chrétienne,  et  la  cendre  l'humilité  de  la  pénitence  (\)\  les 
encensements  le  parfument ,  les  onctions  du  chrême  lui 
impriment  la  royauté  du  Christ  et  rappellent  cette  pierre 
mystérieuse  que  Jacob  inonda  à  Béthel  de  l'huile  prophé- 
tique qui  en  fit  un  monument  sacré  (2)  ;  les  chants,  les 
oraisons,  les  signes  de  croix  se  multiplient  :  en  tout,  partout, 

'ly  «  Circaaquae  benediôtiouem  uolainiuuj  estquod  hujiismodi  aquae 
exorcisatio  fit  ad  efîugaudiim  inde  iniuiicum...,  quouiam  quatuor  sunl 
qui  iniaiicum  expellunt:  lacrymarum  effusio,  quae  per  aquam  ;  spiri- 
tualis  ex.>nltatiOj  per  vinum;  uaturalis  discretio,  per  sal  ;  cinis,  pœni- 
tentiîc  liiimilitas.  »  (Durant.  Miniat.,  et  les  autres  liturgistes.) 

(2)  «  Jacob  tulit  lapidem...  et  crevit  in  titulum,  fundens  oleum  de- 
super...,  appellavitque  noinen  urbis  Bethel  (doraus  Dei).  »  (Gen  . 
xxviii  ,  18.)  —  Voir  ces  belles  et  majestueuses  cérémonies  dans  le 
Pontifical  romain,  part.  FI,  De  eccl^six...  et  allaris  consecratione. 


268  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

les  allusions  aux  souvenirs  bibliques, à  la  mission  de  l'Église, 
à  l'immolation  de  l'Agneau  sans  tacbe. 
]eur  multiplicité,      Jusqu'à  la  fiu  du  cinouième  siècle,  les  ésrlises  n'avaient 

après  le  cinquième  ^  ^  '  o 

siècle,  dans  une  généralement  qu'un  autel.  On  v  voyait  un  signe  d'unité,  et 

même  église.  ^  '  j  d  o  7 

d'ailleurs  on  sentait  moins  le  besoin  d'en  avoir  plusieurs  lors- 
qu'on n'avait  chaque  jour  qu'une  messe  dans  chaque  église, 
comme  il  est  encore  d'usage  en  Orient.  Mais  dès  le  siècle 
suivant,  la  multiphcité  des  messes,  soit  dans  les  monastères, 
soit  dans  les  grandes  paroisses,  appela  celle  des  autels.  Ma- 
billon  nous  apprend  qu'à  Saint-Germain-des-Prés,  consacré 
en  358 ,  le  roi  Ghildebert  en  fit  placer  quatre,  dont  le  plus 
grand  était  d'une  riche  magnificence.  Avant  lui,  Constantin 
avait  doté  de  sept  autels  d'argent  l'église  de  Saint-Jean  de 
Latran,  à  laquelle  il  avait  travaillé  de  ses  propres  mains  (4). 
Au  douzième  siècle ,  les  autels  secondaires  furent  placés 
surtout  dans  les  chapelles  rayonnant  autour  de  l'abside. 
La  dévotion  aux  saints  et  aux  reliques  entra  pour  beaucoup 
aussi  dans  cette  nouveauté ,  car  elle  coïncide  avec  les  nom- 
breuses translations  d'objets  précieux  rapportés  des  pèle- 
rinages de  la  Terre  Sainte.  Mais  l'autel  principal ,  l'autel 
majeur,  fut  toujours  le  plus  vénéré  :  c'est  lui ,  en  effet ,  qui 
forme  le  point  central  du  temple  ;  vers  lui  se  rapportent 
Symbolisme  de  les  adoratious  du  cœur  et  ses  pieux  hommages.  Il  n'v  a  pas 

leurs  parements.       .  i  t.  «        x 

jusqu  à  ses  parements  qui  ne  soient  pleins  de  significations 
spirituelles.  Les  trois  nappes  qui  en  recouvrent  la  pierre  et 
la  préservent  des  immondices  et  de  la  poussière  doivent 
être  en  nombre  triple,  pour  parer  aux  inconvénients  d'une 
effusion  accidentelle  du  Précieux  Sang;  mais  surtout  elles 
doivent  être  de  toile  de  fil ,  à  l'exclusion  du  coton  ou 
autre  matière ,  comme  elles  furent  dès  le  commencement , 
parce  qu'elles  rappellent  le   linge  très-pur   dans   lequel 


(1)  Mabillon,  Acia  ord.  Sancti  Bened.,  I,  201.— Eusèbe  et  Anastase  le 
Bibliothécaire  j  Vita  Constant.  —  L'abbé  Texier ,  Dictionn.  (Vorfévr.. 

v  AUTFX. 


AMEL'BLEMENT   DE   LÉGLISE. —  AUTELS.  209 

.losepli  (rArimatliie  oiisevelit  le  corps  du  Seigneur  (1).  Le 
lui  est  d'ailleuis,  dans  l'Écriture,  le  symbole  de  la  pureté  du 
corps  et  de  l'âme  (2)  :  c'est  aussi  pourquoi  il  est  prescrit 
exclusivement  dans  les  usages  du  Saint  Sacrifice  et  dans 
certains  des  vêtements  sacerdotaux. 
La  pierre,  indispensable  comme  matière,  n'exclut  pas    i^îchesse  des^u- 

i  '  i  '1  tels  au  moyen  âge; 

cependant  l'emploi  d'autres  substances  comme  accessoires 
ou  ornements.  Le  moyen  âge  ne  pouvait  négliger,  sur  ce 
point ,  d'appeler  l'art  au  secours  du  culte  et  d'y  prodiguer 
toutes  les  ricliesses  dont  un  objet  aussi  important  semblait 
susceptible;  mais  la  pierre  n'en  formait  pas  moins  le  fond, 
et  c'était  alors  un  massif  de  maçonnerie  sur  lequel  régnait 
toute  la  table,  et  qu'on  couvrait  de  toutes  parts  d'un  revê- 
tement d'or  ou  d'argent ,  de  bronze  ou  de  cuivre ,  auquel 
s'appli(iuaicnt  des  plaques  d'émail,  des  ornements  de  verro- 
terie ou  de  mosaïque  ,  et  môme  des  pierres  précieuses.  Tel 
était  déjà,  dès  le  quatrième  siècle,  la  magnificence  déployée 
par  Constantin  pour  l'autel  de  Sainte-Sophie ,  dont  les  au- 
teurs byzantins  nous  ont  laissé  d'admirables  descriptions  (3j . 
D'autres,  en  grand  nombre,  et  qui  nous  restent  encore  en    leur    simplicité 

,.,,,,,.  ,  ,  »  .    ,  ,,      •  plus  habituelle. 

une  loule  d  églises,  attestent  que  la  même  richesse  n  était  pas 
possible  partout.  Mais  dans  leur  simphcité,  que  dérobaient 
certainement  aux  regards  des  parures  que  le  temps  leur  a 
enlevées ,  le  symbolisme  sévère  des  pierres  cimentées  que 
surmontait  leur  table  monolithe  se  relevait  encore  d'un  ca- 
ractère qui  nous  les  rend  toujours  aussi  respectables ,  en 

(1)  «  Accepto  corpore,  Joseph  involvit  illud  in  sindone  munda.  » 
{Mullk.,  xxvii,  o9.) 

(2;  Ce  qui  indique  dans  la  femme  forte  des  Proverbes  (QuâBsivit  la- 
nam  et  linum,  el  operala  est  [xxii,  13])  les  deux  qualités  essentielles 
d'une  épouse  :  la  foi ,  figurée  par  la  laine  ,  comme  nous  l'avons  vu  ,  et 
l'intiolable  pureté  des  mœurs.  —  Voir  CiavU  S.  Melit.,  ap.  Pitra,  III , 
132  et  403. 

(3)  Voir  Paul  le  Silenciaire ,  chroniqueur  grec  du  sixième  siècle, 
commenté  par  Ducange,  Descript.  Constantinop.  chrislian^e,  lib.  III, 
û"  li!  ; —  et  Cedrenus,  contemporain  de  Jiislinicn   an   ^^ixième  siècle 
dans  son  poème  grec  de  L  Église  Sainlc-Sophie. 


270  HISTOIRE   l)i:    SYMBOLISMK. 

dépit  de  leur  nudité.  Sur  la  tranche  de  cette  table,  et  par- 
fois aussi  sur  les  pilastres  qui  en  ornaient  les  angles  anté- 
rieurs, se  lisaient  des  inscriptions  votives  ou  historiques  par 
lesquelles  nous  savons  maintenant  et  l'âge  de  ces  petits 
monuments  et  leur  vocable  primitif.  Notre  belle  basilique 
poitevine  de  Saint-Savin  (Vienne)  est  riche  de  ces  pieux 
souvenirs,  qu'on  retrouve  aussi  tout  à  fait  identiques  dans 
l'abside  de  l'ancienne  abbatiale  de  Saint-Denis ,  et  un  autre 
non  moins  curieux  fut  découvert,  en  184^ ,  dans  une  chapelle 
ruinée  de  la  ville  de  Vienne,  en  Daupliiné  (1).  D'autres  fois 
ces  inscriptions  étaient  symboliques,  ou  bien  de  simples  sen- 
tences relatives  aux  saints  mystères,  et,  au  lieu  d'être  sur  le 
bord  courant  de  l'autel,  elles  se  distribuaient  sur  le  devant, 
sur  les  côtés,  ou  sur  la  base  courante  qui  supportait  la  masse 
totale.  On  peut  lire  ce  que  tous  les  archéologues  ont  écrit 
en  ce  sens  du  célèbre  autel  d'or  que  l'empereur  S.  Henri 
donna,  vers  1020  (2),  à  l'église  du  Mont-Gassin,  et  qui  est 
aujourd'hui  au  musée  de  Gluny. 
Celui  de  Mazf       (ju  îour,  uous  découvrîmcs  dans  une  petite  église  rurale 

rolles,en  Poitou.  t        ■.        /    %  i     i         • 

de  notre  diocèse  (3j  un  autel  de  pierre  encore  appliqué  au 
fond  de  l'étroite  abside  où,  sans  doute,  il  avait  toujours  été. 
Cette  abside  était  depuis  longtemps  cachée  par  un  de  ces  re- 
tables que  le  dix-septième  siècle  se  plut  à  interposer  si  fré- 
quemment entre  le  chœur  et  le  sanctuaire  ,  au  grand  dom- 
mage de  ce  dernier,  qui  s'en  rétrécit  d'autant  plus,  et  afin  de 


(1)  Dessiné  dans  le  Ballet,  monum.,  VII,  615. 

(2)  CeUe  description  se  trouve  dans  le  Cours  d'antiquités  monumen- 
tales, par  M.  de  Caumont,  VI,  14  et  151.  —  Lettre  de  M.  l'abbé  Cros- 
nier  dans  les  Annal,  archéolog.,  III,  359,  et  IV,  245.  —  S'il  fallait  dis- 
cuter le  sens  que  le  docte  écrivain  donne  aux  deux  vers  grecs-latins 
qu'on  lit  sur  cet  autel ,  nous  exposerions  notre  pensée,  qui  n'est  pas 
tout  à  fait  la  sienne,  sur  le  mot  grec  oùoîaç  et  sur  l'attribution  qu'on 
fait  de  la  première  interprétation  à  Mgf  Cousseau ,  évêqiie  d'Angou- 
lême.  —  Voir  encore  une  disser talion  du  colonel  Theubet,  in-S»  ;  — 
enfin  l'abbé  Texier,  Dictionn.  d'orfévr.,  col.  199  et  suiv.,  où  ce  beau  et 
regrettable  meuble  est  décrit  avec  soin  dans  tous  ses  détails. 

(3)  A  Mazerolles,  près  Lussac-les-Cbâteaux  (Vienne). 


AMEUBLEMENT   DE    l/ÉGLISE. —  AUTELS.  271 

se  ménager  une  sacristie  à  peine  suffisante ,  et  qui  dérobe 
ainsi  aux  regards  ce  que  l'intérieur  sacré  aNait  de  plus  sym- 
bolique et  de  plus  curieux.  Quoi  qu'il  en  soit,  notre  petit  autel 
me  parut  être  au  moins  du  neuvième  siècle,  et  certainement 
n'est  pas  postérieur  à  cette  épot{ue  ;  il  pourrait  même  re- 
monter beaucoup  plus  haut  si  l'on  se  rapporte  à  la  fondation 
du  petit  monastère  qui  était  du  sixième,  et  aux  formes  extrê- 
mement élémentaires  de  l'objet.  Il  consiste  en  une  simple 
table  de  pierre  de  cinq  à  six  centimètres  d'épaisseur,  longue 
d'un  mètre  au  plus,  encastrée  dans  le  chevet  oriental  par  sa 
partie  postérieure ,  et  posée  sur  deux  colonnes  placées 
quelque  peu  en  arrière  du  bord  antérieur.  Ce  rare  et  curieux 
petit  monument  est  d'un  grand  prix ,  car  il  témoigne  de 
l'usage  le  plus  ancien  et  d'un  temps  où  les  rites  du  Saint 
Sacrifice  n'avaient  pas  reçu  encore  les  développements  que 
nous  leur  voyons  depuis  plusieurs  siècles. 
Il  est  à  observer  que  ceux  qu'on  retrouve  ainsi  sont  con-     ^«  remploi  du 

^  ^  marbre , 

stamment,  et  sans  exception,  de  pierre  plus  ou  moins  polie, 
mais  prise  dans  les  carrières  du  pays.  Plus  tard ,  le  luxe 
artisti(jue  apporté  à  l'œuvre  des  églises  depuis  le  onzième 
siècle  lit  employer  pour  les  autels,  comme  pour  les  pavés  et 
autres  ornements  ,  les  marbres  de  couleurs  variées ,  qui , 
alors ,  étaient  fort  communs  en  France.  Mais  dès  le  dou- 
zième, et  au  treizième  surtout,  les  carrières  vinrent  à  n'y 
plus  suffire,  et  la  pierre  de  liais,  au  grain  délicat  et  poli , 
prêta  ses  surfaces  élégantes  au  ciseau  du  sculpteur  et  aux 
couleurs  symboliques  du  peintre.  .\ous  avons  donc  à  peine 
un  regret  à  donner  au  changement  que  nous  signalons.  Le   p^'i   arantageux 

.  "  à  roffpt  ariistique. 

marbre ,  aussi  froid  au  regard  qu  au  toucher,  ne  souffre 
pas  la  peinture,  et  le  plus  habile  ciseau  ne  lui  donne  qu'un 
relief  toujours  insuffisant,  dans  lequel  les  ombres  n'ont 
qu'un  nMe  trop  secondaire  et  presque  nul  d'effet  et  de  pers- 
pective. C'est  aux  autels  portatifs ,  à  ces  pierres  sacrées  m&u  très-eonve- 
destinées  aux  voyages  et  aux  églises  momdres  qu  il  faut  portatifs. 
laisser  une  telle  matière ,  fort  convenable  par  son  poli  et 


272  HISTOIRE   l)V   SYMBOLISME. 

sa  dureté,  et  que,  d'ailleurs,  une  règle  expresse  prescrit  d'en- 
\  elopper  d'une  toile  sous  laquelle  on  l'abrite  contre  les  mains 
profanes  et  les  accidents.  On  a  de  nombreuses  mentions,  dans 
les  inventaires  du  onzième  au  seizième  siècle ,  de  pierres 
sacrées  en  jaspe  ,  en  porpliyre  et  en  marbres  de  diverses 
couleurs  ,  encadrées  dans  des  châssis  d'or  ou  d'argent  (1). 
Il  n'est  même  pas  sans  exemple  qu'en  leur  lieu  et  place  on 
se  soit  servi  parfois  de  véritables  boîtes  d'or  ou  d'argent , 
enrichies  de  gravures ,  de  gemmes  et  d'émaux  ,  dans  les- 
quelles se  renfermaient  les  reliques,  et  qui  servaient  d'au- 
tels portatifs  en  les  encastrant  dans  une  table  improvisée 
au  besoin  (2).  Mais  nous  dissuaderons  toujours  d'employer 
le  marbre,  fût-il  le  plus  magnifique,  aux  autels  de  quelque 
importance  :  encore  une  fois,  il  est  trop  rebelle  à  toute  dé- 
coration, par  conséquent  à  tout  sentiment  artistique.  Toute- 
fois, pour  suppléer  absolument  à  cette  espèce  de  nuUité,  nous 
ne  voyons  guère  que  le  mélange  des  marbres  et  des  pierres 
précieuses  aux  couleurs  diverses ,  réalisant  pour  l'œil  des 
mosaïques  distribuées  en  compartiments ,  en  y  encadrant 
des  sujets  dont  la  science  symbohque  et  le  bon  goût  inspi- 
reraient le  nombre  et  le  choix.  Mais  quelles  dépenses  ,  et 
que  de  déceptions  maintes  fois  sur  l'exécution  de  telles 
œuvres  ,  qui  ne  sont  assez  ni  de  notre  temps  ni  de  notre 
pays! 
Autels  en  orfé-  L'orfévrcrlc  réussirait  mieux  à  nous  donner  de  riches 
fiance  '  de'^^qS-  autcls ,  mals  cucorc  faudrait-il  que  les  architectes ,  qui 
époque  ^""^"^  veulent  absolument  s'en  mêler  sans  connaître  les  plus 
minces  éléments  de  la  matière,  se  fissent  un  devoir  d'en 
étudier  l'esprit  et  le  sens.  Ils  nous  préserveraient  dès  lors 
de  ces  coffres  insignifiants,  brillants  d'une  dorure  plus  ou 


(1)  Voir,  comme  spécimen  donnant  une  idée  complète  de  ces  mar- 
bres et  du  luxe  d'ornementation  qui  les  décore,  l'autel  du  trésor  de 
Conques  des  onzième  et  douzième  siècles,  Annal,  archéolog.,  VIII,  77. 

(2)  Voir  l'abbé  Texier  ,  Dictionn.  d'orfévr. ,  v»  autel,  col.  208  et 
iuiv. 


AMF.UBLKMENT   DE    L'ÉGLISE.  —  AUTELS.  273 

moins  solide ,  guillocliés  d'estampages  symétriques  d'un 
dessin  pauvre  et  monotone  ,  où  quelques  fleurs  sans  idée 
se  distribuent  sans  plus  de  conception  que  de  bonheur, 
jurent  aux  yeux,  ne  disent  rien  à  rànic,  et  dont  l'ensemble, 
en  un  mot ,  n'offre,  à  quelques  pas,  que  le  spectacle  inerte 
d'une  masse  jaune  dépourvue  de  toute  impression  reli- 
gieuse,  et  perdant  chaque  jour,  sous  une  couche  de  plus 
épaisse  poussière,  l'éphémère  éclat  de  sa  trompeuse  beauté. 
En  dehors  de  ces  merveilles  inabordables  au  plus  grand    inspirations  plus 

'  .  heureuses    a    sui- 

nombre  des  égUses ,  nous  pouvons  trouver  des  somptuosités  vre. 
(jui ,  pour  être  moins  chères ,  n'en  seront  pas  moins  élo- 
(luentes.  Ce  que  l'art  moderne  a  pu  faire  depuis  vingt  ans 
au  moyen  du  sculpteur  et  du  peintre  a  réalisé ,  pour  cer- 
tains sanctuaires  ,  des  plans  qui  méritent  l'attention  et 
rappellent  aux  solides  pensées  de  la  foi.  Partout  on  ren- 
contre aujourd'hui  des  dessins  et  des  hthochromies  dont 
l'effet,  en  reproduisant  les  sujets  du  moyen  âge,  en  reflète 
l'idée  symbolique,  et  rattache  à  l'autel  les  plus  douces  et 
les  plus  graves  pensées  de  la  religion. 
La  sculpture,  considérée  comme  moyen  d'ornementa-     conditions sym- 

I  ^  «^  bohquos. 

tion  ,  est,  aussi  bien  que  tous  les  autres  genres  de  décora- 
tion qu'on  y  doit  employer,  d'une  haute  importance  dans 
l'art  chrétien,  et  il  faut  nous  y  arrêter,  le  symbolisme  n'ayant 
jamais  été  plus  nécessaire  ni  plus  convenablement  admis 
(jue  dans  l'exécution  d'un  pareil  objet ,  le  plus  nécessaire 
de  toute  la  liturgie  ,  et  tous  les  jours  mis  en  contact  avec 
le  Dieu  même  de  l'Eucharistie.  Supposé  donc,  et  tout 
d'abord,  le  choix  attentif  d'une  bonne  pierre  de  liais,  d'un 
grain  On  et  serré,  d'autant  moins  accessible  à  l'action 
de  l'humidité  et  de  l'air,  cherchons  à  la  décorer  avec  plus 
ou  moins  de  richesse  ,  mais  toujours  sous  l'inspiration  des 
symboles  chrétiens.  Combien  ces  symboles  sont  nombreux, 
et  quelles  inlinies  ressources  ils  ont  offertes  aux  mains 
iiabiles  de  nos  vieux  dessinateurs!  Les  Livres  saints,  tra-      variété  infinie 

.  .      -  des  motifs   esthé- 

duits  en  ciselures  ou  en  saillies;  1  Apocalypse,  surtout,  avec  tiquea  à  sculpter 

T.   Ml.  i8 


274  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

ou  à  peindre  sur  ges  allusioDS  si  claires  au  Fils  de  Dieu  et  aux  promesses 

unaulel. 

éternelles;  les  Pères,  avec  leur  génie  iconographique  , 
exposant  en  mille  commentaires  les  vérités  dogmatiques  et 
morales  ;  les  Saints,  dans  les  principaux  traits  de  leur  admi- 
rable vie  ;  l'auguste  Mère  du  Christ,  les  Apôtres ,  le  Tétra- 
morphe;  enfin  les  emblèmes  innombrables  de  l'Eucharistie, 
ne  sont-ils  pas  autant  de  sources  inépuisables  auxquelles  ont 
été  faits  d'heureux  emprunts,  et  qui  nous  prêteront  généra- 
lement ou  des  imitations  toujours  heureuses ,  ou  des  com- 
binaisons nouvelles  que  l'étude  et  l'intelligence  ne  man- 
où  en  puiser  les  querout  pas  dc  s'approprier?  Le  champ  de  l'imagerie  reli- 

bonnes  données?       '-  ^  ii        i  i  u 

gieuse  est  si  vaste  chez  nous ,  que  partout  il  peut  offrir  à 
l'artiste  des  motifs  très-adaptables  à  nos  autels.  Les  verrières, 
les  miniatures,  les  fresques  ne  sont-elles  pas  autant  de  sur- 
faces à  consulter ,  et  qui  se  prêteront  toujours ,  soit  tout 
entières  ,  soit  partiellement,  au  besoin  de  nos  décorations 
symboliques? N'avons-nous  pas  aussi  ces  sarcophages  si  pré- 
cieux des  premiers  jours  du  Christianisme ,  dont  les  côtés 
sont  chargés  de  faits  historiques  fouillés  dans  le  marbre , 
et  tous  se  rapportant  à  quelques-uns  des  mystères  évangé- 
liques  rapprochés  des  faits  parallèles  de  l'ancienne  Loi  ? 
l'adoration  des  Mages ,  Zachée  regardant  le  Sauveur  lors 
de  son  entrée  à  Jérusalem ,  le  Christ  donnant  sa  mission 
aux  Apôtres ,  Daniel  au  milieu  des  lions  ,  Moïse  tirant  du 
rocher  les  eaux  d'Oreb  ,  l'aveugle  guéri ,  les  pains  mul- 
tipliés ,  Madeleine  absoute  dans  sa  pénitence,  Jonas  délivré 
de  la  baleine ,  Abel  offrant  un  sacrifice ,  la  Samaritaine 
écoutant  le  Prophète  qui  fui  dit  tout{\).  Bien  souvent,  au 
lieu  de  ce  luxe  des  Saints  ou  des  riches  du  monde,  ce  sont 
de  simples  monogrammes  du  Christ,  des  palmes,  des  cou- 
ronnes, des  croix,  des  colombes  portant  au  bec  l'olivier 
de  la  paix  éternelle.  Quels  trésors  pour  les  artistes  !  etcom- 


(1)  «  Venite  et  videte  hominem  qui  dixit  mihi  omnia  quaecumque 
feci;  numquid  ipse  est  Christus?  »  {Joan,,  iv,29.) 


AMEUBLEMENT  DE   l'ÉGLISE. — AUTELS.  275 

ment  s'étonner  que  ceux  du  moyen  Tige  soient  devenus  si 
léconds,  lorsqu'ils  avaient  de  telles  inspirations  et  de  si 
beaux  modèles  ! 
C'est  encore  au  douzième  siècle  qu'il  faudra  emprunter     Beaux  modèles 

*  à  choisir  dans  le 

les  éloquents  motifs  que  réclament  nos  sanctuaires  pour  les  moyen  âge-, 
églises  romanes,  dont  le  style  s'y  marie  si  complètement.  A 
celte  époque  favorite  de  l'art  symbolistique,  on  voit  tantôt 
rélégance  unie  à  la  simplicité ,   tantôt  la  prodigalité  des 
ornements  jointe  à  la  profondeur  du  sens  allégorique. 
Toutes  les  ressources  de  la  science  se  déploient  dans  des 
arcades  savamment  élaborées,  et  la  plus  séduisante  har- 
monie se  fait  admirer  dans  l'agencement  calculé  de  ces 
détails ,  où  l'iiabileté  du  sculpteur  seconde  parfaitement 
les  plus  belles  lignes  architecturales.  La  charmante  éghse 
de  Saint-Germer  (Calvados)  possède  un  autel  cubique  de 
son  époque  dont  la  table,  ornée  d'une  élégante  et  épaisse 
moulure ,  repose  sur  une  suite  de  quatre  arcades  cintrées  ,    . 
séparées  par  des  palmettes  doubles  qui  se  posent  perpen- 
diculairement,  et  supportées  par  cinq  colonnes  à  bases 
attiques  dont  les  chapiteaux  se  composent  uniquement  de 
deux  ou  trois  feuilles  grasses  d'un  effet  très-simple  ,  mais 
parfaitement  d'accord  avec  le  style  grave  et  sévère  du  tout. 
Cette  sévérité  est  encore  relevée  par  le  fond  de  l'arcature , 
qui  est  plein  et  sans  nulle  ornementation  aujourd'hui  vi- 
sible. Mais  qu'on  se  représente  ce  beau  meuble  ,  imposant  y  .  appuquer   i» 
comme  masse  ,  et  si  énei'gique  dans  son  expression  géné- 
rale ,  qu'on  se  le  représente  ,  disons-nous ,  paré  de  tout 
ce  que  l'or  et  les  couleurs  peuvent  ajouter  à  la  pierre 
trop  nue  par  elle-même ,  et  qui  réclame  toujours  cette 
parure  ;  qu'on  remplisse  par  des  gemmes  les  petites  mou- 
lures creuses  des  archivoltes  ;  qu'on  jette  la  verdure  sur 
ces  feuilles  palmées  qui  s'élèvent  dans  leurs   intervalles  ; 
dorez  les  corbeilles  et  les  bases  en  revotant  les  tailloirs  et 
les  piédestaux  de  teintes  plus  sombres  qui  les  fassent  res- 
sortir ;  couvrez  les  lïits  de  jaspes ,  de  porphyres ,  ou  de 


27G  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

marqueteries ,  ou  d'émaux  ;  ornez  les  fonds  plats  de  quel- 
ques statuettes ,  ou  de  fleurs  symboliques  ,  ou  de  tous 
autres  emblèmes  qui  y  ressortent  d'accord  avec  l'idée 
mère  et  la  destination  de  cet  autel,  et  nous  doutons  que, 
même  dans  une  cathédrale,  on  l'accuse  d'un  rôle  trop  in- 
férieur. A  Saint-Florent-des-Bois,  en  Vendée ,  nous  l'avons 
fait  exécuter  en  bois  sur  de  plus  grandes  proportions,  et  sa 
forme  générale  y  répond  parfaitement ,  aussi  bien  que  ses 
décors,  aux  dimensions  de  lédifice  et  au  digne  objet  de 
sa  destination. 

A  Avenas  (Saône-et-Loire) ,  un  cadre  à  peu  près  le  même, 
sauf  la  division  en  arcades,  offre  un  sujet  d'ornementation 
plus  riche  et  plus  généralement  adopté.  Le  Christ  en  occupe 
tout  le  milieu,  assis  et  bénissant,  sur  un  tronc  que  circonscrit 
un  nimbe  elhptique ,  et  flanqué  aux  quatre  côtés  de  l'un 
des  animaux  du  Tétramorphe;  puis,  sur  deux  lignes  qui 
se  partagent  horizontalement  tout  l'espace ,  à  droite  et  à 
gauche  de  ce  grand  médaillon ,  les  douze  Apôtres  accom- 
pagnent le  divin  Maître ,  assis  comme  lui,  trois  par  trois  {\), 
dans  chacun  des  quatre  compartiments.  Faites  encore  re- 
vivre tout  cela  au  moyen  de  la  coloriation  que  le  moyen 
âge  lui  avait  certainement  donnée ,  et  vous  avez  un  mo- 
dèle de  plus  à  imiter. 
Des  retables;  Au  treizième  et  au  quatorzième  siècle,  l'époque  gothique 
fit  naître  et  maintint  les  retables  pour  les  autels  qui 
n'avaient  pas  cessé  d'être  appliqués  au  fond  de  l'abside: 
c'était  un  moyen  d'ornementation  dont  on  profita  avec 
une  profusion  étonnante,  que  le  seizième  siècle  surtout  dé- 
y  bien  observer  vcloppa  puissammcut.  Lcs  modèlcs  ne  manquent  pas  en 
théologiques.  cc  gcurc ;  il  faut  seulement  se  méfier,  surtout  quant  à 
cette  dernière  époque,  dite  de  la  Renaissance,  du  laisser- 
aller  des  artistes  qui  abandonnent  la  tradition  ,  mêlent 
leurs  idées  personnelles  à  celles  des  grands  esthétiques  du 

(1)  «  Sedebitis  et  vos.  »  (Mnllh.,  xix,  28.) 


AiMEUBLEMENT   DE 'L'ÉGLISE. —  AUTELS.  277 

moyen  âge,  et  déraiif^ent,  avec  l'ordre  naturel  des  idées,  le 
sens  si  rationnel  puisé  par  nos  pères  dans  une  plus  pure 
théologie.  Citons  pour  exemple  la  donnée  si  connue  de 
l'arbre  de  Jessé.  On  en  voit  une  gracieuse  e\écution  à  la     observation  sur 

un      retable      de 

chapelle  Sainte-Anne,  dans  l'église  Xotre-Dame  de  Poitiers.  Jessé,  à  Notrc- 

^  .  '  Dame  de  Poitiers. 

liCrtainemcnt  l'idée  est  fort  gracieuse  d'avoir  choisi  ce  motif 
pour  ornementer  l'autel  consacré  sous  le  vocable  de  la  mère 
de  la  Sainte  Vierge.  Rien  de  plus  heureux,  en  pareil  cas,  que 
cette  tradition  de  famille  exaltant  l'efflorescence  de  la  sainte 
lignée  du  Fils  de  David.  Mais  une  grosse  faute  est  là  ,  mal- 
heureusement, diminuant  la  dignité  de  la  conception  artis- 
tique et  rabaissant  l'effet  principal  que  le  même  sujet  pro- 
duit mieux  partout  ailleurs.  Pourquoi  le  sculpteur  a-t-il  pré- 
féré aux  autres  modèles  si  nombreux  celui  où  je  ne  sais  quel 
précurseur  de  Raphaël  et  de  Michel-Ange,  au  lieu  de 
faire  partir  la  racine  symbolique  du  cœur  de  Jessé,  la  fait 
sortir  de  ses  reins,  an  grand  détriment  d'une  pensée  élevée 
et  chaste  ,  et  au  profit  d'une  idée  par  trop  naturelle  et 
toujours  prise  en  mauvaise  part  (l)?La  beauté  générale 
d'une  telle  composition  n'est  pas  le  seul  mérite  qu'il  lui 
faille  :  elle  perd  tout  son  charme  sans  la  pensée  intime  qui 
doit  en  dicter  la  donnée  spirituelle,  et,  n'eussions-nous  que 


(l)  Voyez,  en  effet,  comme  à  cet  égard  le  symbolisme  s'est  exprimé 
clairement.  Ne  dirait-on  pas  que  c'est  relativement  au  point  qui  nous 
occupe  ici  que  le  Psaliniste  aurait  chanté:  Kruclavil  cor  vieum  Verbum 
bonum?  {Ps.,  xliv,  2.)  —  S.  Méliton  l'a  pensé  ,  quand  il  ajoute  :  Co7\ 
secretum  divinx  generatvviis  [Clavis,  cap.  v,  De  Homine,  n»  xl);  et 
Pierre  de  Capoue  adopte  fort  bien  et  développe  dans  notre  sens  cette 
interprétation  {Spicileg.  Solesm.,  U,  lxxv).  —  Au  contraire,  les  reins 
sont  le  siège  de  la  luxure  et  des  passions  ch  irnelles  :  «  Renés,  carnalis 
deiectatio,  »  dit  ce  méuie  S.  Méliton  iibicL,  n"*  xlvii  et  suiv.).  D'après  le 
Psalmiste:  Ure  rcn^s  meos  (ps.  xxv,  2);  «  Renés  mei  comrautati  sunt  » 
fps.  Lxxii,  11);  et  Jérémie  (xvr,  10):  R>mes  veslrus  accingite.  —  Théo- 
«lulphe  d'Orléans  dit  aussi  :  w  Lumbi,  luxuria.  »  —  Voir  idem  Spicileg., 
Il,  2')8.  —  N'esl-il  pas  évideut  (jue  l'artiste  ((ui  traite  Jessé  comme  nous 
venons  de  le  voir  s'est  éloigné  par  troj»  des  véritables  notions  conve- 
nables à  une  image  du  saint  Patriarche,  dont  le  sang  fut  la  source  du 
sang  très-pur  du  Sauveur  et  de  ses  parents  selon  la  chair? 


278  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

cet  exemple  à  citer  contre  l'insuffisance  des  notions  fonda- 
mentales d'esthétique  dans  certains  artistes ,  on  compren- 
drait parfaitement  quel  soin  on  doit  prendre,  pour  mériter 
ce  titre ,  de  méditer  le  fond  des  choses ,  et  de  ne  pas  s'ar- 
rêter aux  conditions  matérielles  du  beau  visible,  au  risque 
de  négliger  l'âme  pour  le  corps  (i). 

C'est  dans  le  midi  de  la  France ,  et  en  Belgique  surtout , 
que  l'art  gothique  a  laissé  un  plus  grand  nombre  de  ses  reta- 
bles, vraiment  attachants  par  la  fécondité  de  leurs  images 
et  le  symbohsme  de  leur  conception.  Les  dessins  en  sont 
partout  répandus,  et  il  sera  facile  de  leur  emprunter  pour 
les  travaux  modernes  des  idées  qu'on  peut  modifier  à  l'in- 
fini ,  pourvu  qu'on  s'y  attache  strictement  aux  principes 
de  l'archéologie  chrétienne  qu'on  y  aura  observés ,  ou  qu'on 
en  rectifie  les  erreurs  si  quelques  fautes  étaient  venues  s'y 
mêler  à  d'heureuses  inspirations. 

Les  autels  du  moyen  âge  s'étaient  fait  et  conservèrent 
^^^'^-  encore,  jusqu'à  la  fin  du  seizième  siècle,  d'ingénieuses 

(1)  Nous  venons  de  décrire  une  planche  d'un  de  ces  livres  nouveaux 
où  le  luxe  de  l'impression  et  des  gravures  brille  presque  toujours  à 
côté  d'une  érudition  plus  qu'équivoque  et  dont  les  éditeurs  n'ont  pas 
tant  de  souci  que  de  ce  qui  peut  se  vendre  en  séduisant  le  regard.  Pour 
prouver  d'autant  mieux  sa  haute  intelligence  du  sujet,  le  savant  re- 
nommé qui  s'était  chargé  d'expliquer  cette  planche  n'y  a  vu  qu'un 
songe  royal  dans  lequel  le  Psalmiste  endormi  écoute  un  concert  cé- 
leste !...  C'est  M.  Paul  Lacroix,  autrement  dit  le  bibliophile  Jacob,  qui 
nous  raconte  cela  au  bas  d'une  gravure  qu'il  n'a  pas  comprise  puisqu'il 
y  prend  Jessé  pour  David,  et  toute  la  suite  des  rois  de  Juda,  échelonnée 
sur  les  rameaux  de  la  tige  symbolique,  pour  des  musiciens  célestes 
charmant  les  loisirs  du  prétendu  roi.  Et  voilà  un  livre  (d'étrennes  l) 
qui,  sous  le-  titre  spécieux  des  Arts  an  moyen  âge,  «  est  destiné,  »  si 
l'on  en  croit  le  prospectus,  «  à  vulgariser  des  connaissances  aussi  utiles 
qu'agréables  ,  et  restées  trop  longtemps  du  domaine  exclusif  des  éru- 
dits...  »  —  Au  reste  ,  c'est  le  quinzième  siècle  qu'il  faut  accuser  de  ce 
renversement  des  véritables  idées.  On  peut  voir  dans  Didron  {Annal. 
archéoL,  VIll ,  275)  une  fenêtre  anglaise  de  cette  époque  où  l'arbre 
semble  aussi  s'échapper  des  relias  du  patriarche  endormi.  De  grâce, 
qu'on  se  garde  bien  de  se  régler  d'après  ces  pauvres  exemples  que  notre 
savant  archéologue  n'indique,  au  reste,  que  pour  en  faire  éclater  la 
bizarrerie  et  l'inconvenance. 


Parements     et 
antipendiuvi   mo- 


AMEUBLEMENT    DE    l/ÉGLISE. —  TABERNACLES.  279 

ressources  pour  varier  leur  parure  symbolique.  On  les  ha- 
billait ,  pour  conserver  ici  l'expression  des  anciens  temps , 
c'est-à-dire  qu'on  changeait  à  volonté  l'ornementation  de 
la  partie  antérieure  en  cachant  à  volonté  cette  môme  partie 
au  moyen  de  devants  mobiles  de  soie,  de  tapisseries  d'étoffes 
quelconques  où  la  broderie  et  même  la  peinture  multi- 
pliaient à  l'envi  des  sujets  fort  remarquahles  et  toujours 
symboliques.  Ces  tentures,  connues  sous  le  nom  latin  ^'anti- 
pendium,  étaient  aussi  quelquefois  en  cuir  guilloché  et  doré, 
ou  bien  des  sculptures  sur  chêne ,  au  fond  d'or  ou  de  cou- 
leur ,  qu'on  appliquait,  au  besoin,  devant  l'autel  même  ,  et 
qui  pouvaient  suppléer  aussi  à  la  sculpture,  toujours  chère, 
d'un  autel  de  prix.  On  pouvait  encore,  par  ce  procédé  si 
simple  et  si  économique,  assortir  aux  ornements  du  prêtre 
la  couleur  variable  des  offices  journaliers.  On  comprend 
de  quelle  riche  décoration  est  susccptil)le ,  avec  tous  ces 
changements  à  vue,  ce  meuble  principal  de  l'église,  vers 
lequel  tous  les  regards  convergent ,  et  que  l'œil  du  fidèle 
aime  tant  à  voir  parer  de  toutes  ses  beautés  hturgiques. 
Nous  avons  pu  y  ajouter  quelquefois  un  cadre  mobile  que 
de  simples  crochets  rattachaient  à  la  masse  de  l'autel.  On 
glissait  alors  dans  des  rainures  de  légères  planchettes  peintes 
des  couleurs  liturgiques,  soit  à  fond  mat ,  soit  chargées  de 
figures  de  Saints  ou  d'emblèmes  ;  on  les  changeait  à  vo- 
lonté ,  on  leur  faisait  exprimer  des  scènes  variées.  Un  grand 
effet  résulte  de  ce  stratagème,  qui  réussit  merveilleusement 
et  se  prête  à  une  foule  de  combinaisons  artistiques. 
Il  semble  que,  si  l'autel  exige  toutes  ces  conditions  de    Des  tabernacles; 

leur  histoire. 

somptuosité  relative  et  de  pieux:  embellissements,  le  taber- 
nacle a  bien  plus  de  titres  encore  à  nos  soins  et  à  notre  at- 
tention. Ici  l'histoire  est  pleine  d'intéressantes  curiosités , 
et,  quoique  nous  ne  devions  l'aborder  que  dans  ses  rapports 
avec  le  symbolisme  ,  la  tâche  du  symboliste  s'y  trouve  am- 
plement unie  à  celle  de  l'historien.  Et  d'abord  ,  autant  que 
nous  comprenons  par  tabernacle  cet  édicule  placé  au  mi- 


280  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

lieu  de  l'autel ,  où  la  sainte  Eucharistie  est  conservée ,  et 
auquel,  comme  nous  l'avons  dit,  se  rapporte  toute  la  magni- 
ficence de  celui-ci ,  il  ne  faut  pas  le  chercher  sous  cette 
forme  dans  l'antiquité  ecclésiastique  ,  pas  même  générale- 
ment au  moyen  âge.  Ce  serait  à  l'expiration  de  cette  période , 
au  quinzième  siècle  au  plus  tôt,  qu'il  faudrait  attribuer  les 
plus  anciens ,  selon  quelques  archéologues.  Cependant,  dès 
le  treizième  siècle ,  Guillaume  Durant  en  parlait  comme 
admis  en  quelques  églises,  et  représentant  sur  l'autel  l'Arche 
d'aUiance  de  la  vieille  Loi  ('l).  Antérieurement ,  ils  étaient 
d'abord  séparés,  mais  non  pas  éloignés,  de  l'autel  majeur. 
Celui-ci,  toujours  (jusqu'au  douzième  siècle)  placé  dans 
l'abside,  était  accompagné,  à  droite  ou  à  gauche,  d'une 
petite  armoire  creusée  dans  le  mur  latéral,  qu'il  est  facile 
encore  de  reconnaître  en  un  grand  nombre  de  nos  églises 
romanes.  Là  étaient  la  Sainte  Réserve  et  les  hosties  destinées 
à  la  consécration ,  aussi  bien  que  les  vases  sacrés  et  les 
reliques  (2).  Devant  la  porte,  un  conopée,  ou  rideau  de 
soie,  orné  de  broderies,  épanchait  ses  plis  et  indiquait 
l'humble  demeure  du  Fils  de  Dieu;  c'est  de  là  qu'est  venue 
l'habitude,  encore  en  vigueur,  de  couvrir  le  tabernacle  d'une 
enveloppe  d'étoffe,  à  laquelle  on  pouvait  tenir  encore  lorsque 
plus  tard  on  n'eut ,  en  quelques  pauvres  églises ,  que  des 
tabernacles  en  bois  dépourvus  de  toute  parure  artistique. 
Combien  les  co-  Mals  uc  scmblc-t-il  pas  qu'une  fois  admis  et  employé  le  luxe 

nopées   leui-   sont 

maintenant  défa-  si  couvenablc  quc  Ic  tabcmacle  exige  absolument,  il  n'y  a 
pas  lieu  à  l'entourer  d'une  enveloppe  qui  y  devient  un 

(1)  «  In  quibusdam  ecclesiis  super  altare  coUocatur  arca  seu  taber- 
naculum  inquo  corpus  Domini  et  reliquiae  ponuntur.»  {Rat.  Off.  divin., 
cap.  V.) 

(2)  Ce  fait  a  été  établi  de  la  manière  la  plus  claire  dans  l'église  d'Au- 
treville  (Vosges),  où  l'on  voit  du  côté  de  l'Évangile,  adossé  au  mur  de 
l'abside  et  dans  l'épaisseur  dudit  mur ,  lui  petit  monument  dont  la 
forme  indique  qu'il  n'a  jamais  pu  être  placé  ailleurs.  Il  est  supporté 
par  un  cul-de-lampe  sur  lequel  se  trouve  un  Ange  tenant  un  phylac- 
tère; on  y  lit  :  Ecce  Panis  Angelorum.  C'est  donc  là  qu'était  la  Sainte 
Réserve.  (BuUelin  monumental,  XVI,  508.) 


AMEUBLEMEINT   DE   LÉGLISE. —  TABERINACLES.  28^ 

contre-sens?  S.  Charles,  dont  les  précautions  en  matière 
liturgique  indiquent  un  esprit  tout  sacerdotal,  pieusement 
occupé  des  moindres  détails  de  son  sujet,  recommande  le 
plus  grand  soin  et  toute  la  somptuosité  possible  dans  l'exé- 
cution de  cette  vénérable  demeure  du  Dieu  caché  ;  il  n'oublie 
pas  de  prescrire  l'étoffe  de  soie  qui  doit  en  garnir  l'inté- 
rieur (I).  Nulle  part  il  n'indique,  par  un  seul  mot,  le  rideau 
extérieur,  (jui  ravirait  aux  regards  les  ornements  de  sculp- 
ture ,  les  dorures  et  les  pierreries.  Quant  à  la  forme,  le     "^  doivent  se 

construire  d'après 

saint  évéque  demande,  par  un  de  ces  principes  de  bon  goût  rarchitecture  de 

^  '  ^  '  ^  l'église  et  de  Pau- 

antérieurs  à  toute  notion  d'archéologie  pratique,  qu  on  1  as-  tei. 
simile  à  celle  de  l'église  (2) ,  c'est-à-dire  aux  dispositions 
générales  du  sanctuaire,  à  ses  moulures,  à  ses  baies  :  preuve 
de  plus  de  l'excellence  de  notre  thèse  sur  ce  point ,  et  du 
tort  que  se  donnent  les  architectes  qui  l'oublient. 

Quoi  qu'il  arrive  depuis  le  treizième  siècle,  où  nous  voyons.  Leurs  formes  va- 
d'après  un  témoin  oculaire,  que  le  tabernacle  reposait  déjà 
sur  l'autel ,  les  boîtes  ou  pixides  destinées  à  recevoir  et  à 
garder  la  sainte  Eucharistie  eurent  des  formes  variées  , 
mais  toutes  symboliques,  sans  exceptions.  Nous  ne  savons 
si,  dans  les  catacombes,  le  Sacrement  était  réservé  d'un  jour 
à  l'autre  et  gardé  dans  l'intervalle  des  messes  :  ce  qu'il  y 
a  d'incertain  sur  la  liturgie  du  Saint  Sacrifice  à  l'époque  des 
origines  chrétiennes  nous  laisse  dans  une  profonde  obscu- 
rité sur  ce  point;  mais  le  symboUsme  était  déjà  trop  affermi 
dans  ces  églises  ignorées  pour  n'avoir  pas ,  si  besoin  était , 
consacré  sous  des  formes  significatives  les  vases  sanctifiés 


(1)  «  Panno  serico  rubri  coloris,  si  Ambrosiani  ritus  Kcclesia  sit;  aut 
albi,si  Romani,  intus  abomni  parte  vestituiii  atque  ornatum  sit  (laber- 
niK-ulum).  »  (Instruction,  fubricx  erclesiasticv  lib.  I  ,  cap.  xiir.}  — 
Nous  De  pouvons  trop  engager  à  lire  et  relire  cet  excellent  ouvrage, 
«iont  toutes  les  prescriptions  sont  parfaitement  en  riarmonie  avec  les 
principes  archéologiques,  et  que  nul  archéologue  ne  devrait  ignorer. 

(2;  «  Forma  vel  o(;tangiil:i,  vel  sexan-^Mila^  vel  quadrata,  vel  rotunihi, 
prout  decentius  et  religiosius  accommodatTa  videbitur  ad  ecclesiae  for- 
mani.  »  (S.  Caroli  Instruct.,  ubi  suprà.) 


282  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

par  le  contact  du  Sauveur.  iVous  voyons,  dès  le  sixième  siècle, 
S.  Grégoire  de  Tours  mentionner,  aussi  bien  que  S.  Rémi, 
des  tours  d'or  pur  ou  de  bois  recouvertes  de  feuilles  d'or  ; 
S.  Fortunat  de  Poitiers  loue  S.  Félix,  évoque  de  Bourges 
(de  568  à  o80) ,  d'en  avoir  fait  exécuter  une  toute  d'or  pour  , 
en  doter  son  église ,  et ,  au  onzième ,  Flodoard  parle  d'un 
autre  bijou  de  ce  genre  que  l'archevêque  Laudon  avait  placé 
(de  645 à 649)  sur  l'autel  de  sa  métropole  (^1).  On  comprend, 
d'ailleurs,  le  mysticisme  de  cette  forme  choisie  pour  un  em- 
ploi si  digne  et  si  élevé ,  si  l'on  consulte  nos  sources  habi- 
tuelles. On  voit  nos  saints  ouvriers  désigner  ,  sous  cet  em- 
blème, le  Christ  lui-même,  dont  il  est  dit  que  «  son  nom  est 
une  tour  fortifiée.  »  La  Vierge  Marie  est  comparée  à  «  une 
tour  destinée  à  la  garde  d'un  troupeau  précieux  :  »  c'est 
pourquoi  sans  doute  l'antiquité  l'a  nommée  Tour  d'ivoire, 
Turris  eburnea^  et  pourquoi  encore  les  tours  eucharistiques 
ont  été  façonnées  quelquefois  en  cette  matière  précieuse, sym- 
bole elle-même  de  la  pureté  de  ce  sein  virginal  qui  renferma 
]'Homme-Dieu  pendant  les  neuf  mois  de  sa  formation  corpo- 
relle. C'est  encore  la  vie  parfaite,  indiquée  par  la  tour  dont 
parle  le  Sauveur ,  qu'un  certain  homme  commença  sans 
s'être  assuré  des  moyens  de  la  finir  ;  c'est  un  refuge  enfin. 


(1)  Ces  faits,  que  nous  retrouvons  cités  maintes  fois  par  les  archéo- 
logaes,  et  notamment  par  l'abbé  Texier^  Diclionn.  d'orfév.,  col.  1410  , 
ne  manquent  pas  d'analogues  dans  les  auteurs  de  ces  premiers  temps; 
mais  on  peut  être  embarrassé  par  quelques  expressions  des  textes 
qu'il  est  bon  de  faire  observer  ici  comme  importantes  à  comprendre. 
Ainsi  Fortunat  dit  dans  son  huitain  adressé  à  S.  Félix  : 

Quam  bene  juncta  décent  sacrati  ut  Corporis  Agni 
Margaritum  ingens  aurea  dona  ferant  ! 

{Mhcellanea,  pars  I,  lib.  III,  cap.  xxv.) 

Sur  ce  mot  margaritum ,  le  P.  Brower,  qui  a  édité  et  annoté  utile- 
ment le  poète  poitevin  ,  remarque  qu'on  a  donné  ,  avec  les  Grecs  mo- 
dernes ,  le  nom  de  margaritum  à  la  Sainte  Eucharistie,  qui  est  la 
perle  précieuse  par  excellence  .  Mapi'apmç.  -  Ce  mot  est  employé  dans 
le  même  sens  par  Prudence  in  Psychomackia.  —  Voir  Flodoard , 
Chronic.  Rem.,  lib.  II,  capjivi;  —  Greg.  Turon,,  Hisior.  Francor.,  X  , 
3i;  —  De  Gloria  martyr. ^  lib.  II,  cap.  lxxxvi. 


AMEUBLEMENT   DE   L'ÉGLISE. —  TABERNACLES.  283 

une  défense,  un  asile  où  l'âme  qui  va  chercher  l'amour  et  la 
confiance  demeure  calme  et  ferme,  quoique  entourée  d'en- 
nemis {■{}.  Tout  cela  n'est-il  pas  applicahleauPain  de  vie,  et 
le  symbolisme  a-t-il  trouvé  nulle  part  plus  que  là  une  abon- 
dante série  de  justes  et  faciles  applications  ? 

S»*  Claire,  morte  en  1258,  est  représentée  ayant  à  la 
main  une  tour,  parce  qu'elle  mit  en  fuite  les  Sarrasins  qui 
envahissaient  la  ville  d'Assise,  où  elle  demeurait,  en  se 
portant  vers  eux  avec  la  tour  eucharistique  de  son  égUsc 
conventuelle  (2).  La  tour  était  en  ivoire,  et  indique  bien, 
avec  le  texte  déjà  cité  de  Guillaume  Durant ,  qu'au  treizième 
siècle  cette  forme  était  généralement  gardée. 

Les  tours  n'étaient  pas  toujours  posées  sur  l'autel.  Quel-  suspendues     au- 

■^  ''  ^  dessus  de  l'autel. 

ques-unes  étaient  suspendues  par  des  chaînes  au-dessus  de 
la  pierre  sacrée  ,  et  devenaient  ainsi  visibles  à  tous ,  aspi- 
rant pour  ainsi  dire  les  adorations  ;  et  ces  chaînes  étaient 
soutenues  par  une  crosse  dont  la  hampe  partait  soit  de 
l'autel,  soit  de  la  partie  supérieure  du  retable  ou  du  cibo- 
rium.  Cette  crosse ,  que  nous  ne  voyons  signalée  nulle  part 
comme  symbolique  ,  devait  l'être  cependant ,  et  nous  con- 
firmons cette  idée  en  observant  que  les  ciboires  ainsi  sou- 
tenus ne  paraissent  l'avoir  été  que  dans  les  églises  cathé- 
drales et  abbatiales.  Si  on  a  pu  en  voir  en  quelques  autres , 
c'est  probablement  qu'elles  y  avaient  été  transportées  depuis 
la  fin  du  dernier  siècle  ,  lorsque  l'interruption  révolution- 

M)  «  Turris,  Christus  :  Turris  fortissima,  nomen  Domini.»  (Prov., 
xvni,  10.)  —  «  Virgo  Maria  vel  Ecclesia  :  FA  tu  sicut  turris  gregis  per- 
fecti.  »  [Mirh. ,  i\ ,  8.)—  «  Vita  perfectionis  :  Quis  ex  vobis  volens 
turrim  aedificare,  non  prius  sedet.  .?»  (Luc,  xiv,  28.)— AinsiS.Méliton 
développe  cette  allusion  toute  biblique,  cli.  xi,  De  Civitate,  n°s  5  et  6. 

—  Pierre  de  Capoue,  qu'on  peut  lire  parmi  les  commentateurs  de  nos 
saintes  Ecritures,  développe  d'une  façon  charmante  sous  combien 
de  face^  ce  nom  de  Tour  convient  à  Marie,  Spicileg.  Solesni.,  III ,  175. 

(2)  Voir  Boilaudus,  Acla  Sanclor. ,  12  aug.,  et  t.  111,  jun.,  p.  27. 

—  Consulter  aussi,  sur  les  tours  d'or,  d'ivoire  ou  d'argent  servant 
de  tabernacle,  un  article  fort  complet  et  très-érudit  de  M.  l'abbé  Cor- 
blet,  notre  docte  collaborateur  de  la  Rtvite  de  l'art  chrétien,  II,  337 
et  suiv. 


284  HISTOIRE   DU  SYMBOLISME. 

naire  du  culte  catholique  ferma  un  si  grand  nombre  de 
lieux:  sacrés  dont  les  richesses  furent  attribuées  ensuite 
à  ceux  qui  leur  survécurent  (I).  On  ne  verrait,  en  effet, 
aucune  raison  de  choisir  cet  insigne  plutôt  qu'un  autre 
partout  où  la  juridiction  d'un  ordinaire  n'aurait  pas  été  en 
vigueur. 

métl^^'etTur  raîl  ^^^^^  ^  ^^^^  ^^  ^^  *^"*'  semble  avolr  été  parallèlement  em- 
son  symbolique,  ployéc,  dès  l'originc,  la  colombe  de  métal  précieux  dans  la- 
quelle on  suspendait  aussi  bien  la  Sainte  Réserve.  On  en  a 
un  exemple  remarquable  dans  la  vie  de  S.  Basile  de  Césarée, 
qui ,  vers  360,  se  servit  aussi  d'une  colombe  d'or  pour  ren- 
fermer le  Pain  qu'il  avait  consacré  pendant  la  messe  (2).  On 
en  citerait  beaucoup  d'autres ,  et  toutes  les  industries  de 
Fart  aidèrent  les  orfèvres  à  rendre  ces  vases,  si  gracieux  par 
eux-mêmes ,  dignes  de  la  haute  pensée  qui  les  inspirait. 
L'or,  l'argent,  le  cuivre  doré  se  couvraient  pour  eux  d'émail 
et  de  pierreries.  Tout  concourait  à  en  faire  un  objet  d'ad- 
miration et  de  respect.  Nous  ne  savons  ce  qui  a  pu  faire 
croire  à  M.  Viollet-Leduc  que  celle  qu'il  a  vue  en  Bour- 
gogne devait  (c  porter  dans  son  bec  la  chaîne  qui  tenait 
suspendue  la  pyxide  eucharistique.  »  C'était  la  colombe 
même  qui  était  la  pyxide  dont  les  ailes,  jouant  par  une 
charnière ,  ouvraient  ou  fermaient  à  volonté  le  saint  ré- 
ceptacle. On  peut  s'en  convaincre  par  la  gravure  qu'en  ont 

(1)  Voir  une  note  de  M.  An.  de  Barthélémy  dans  la  Revue  de  l'art 
chrétien,  II,  333.  —  Il  y  est  mention  d'un  jugement  sévère  porté,  sur 
l'usage  de  cette  suspension  dans  l'ancienne  abbaye  de  Saint-Maixent, 
par  feu  M.  de  La  Liborlière  dans  ses  Souvenirs  du  vieux  Poitiers 
d'avant  89.  Il  n'avait  pas  tenu  à  nous,  quand  notre  spirituel  collègue 
écrivit  cette  page,  qu'il  ne  comprît  bien  l'erreur  d'appréciation  dans 
laquelle  il  tombait,  et  que  nous  explicâmes  dès  1849  eu  parlant  de  la 
suspension  pratiquée  dans  notre  cathédrale  au  seizième  siècle  (Voir 
notre  Histoire  de  ce  monument,  t.  Il,  p.  219);  mais  on  risque  toujours 
de  se  tromper  quand  ou  écrit  sans  études  préalables  sur  un  point 
inattendu  et  qui  se  lie  à  des  connaissances  auxquelles  les  gens  du 
monde  restent  trop  souvent  étrangers. 

(2)  Voir  Amphilochii,  Icon.  episc, S. Basilii  Magni  Vita,  ap.  Surium, 
1  januar. 


AMEUBLEMENT  DE   L  ÉGLISE.  —  TABERNACLES.  28:) 

publiée  si  souvent  les  Recueils  d'archéologie  sacrée  {\). 

Quoi  qu'il  en  soit ,  le  symbolisme  de  la  colombe  autorisait 
bien  le  clioix  de  son  image  pour  une  telle  destination. 
Type  de  la  simplicité  ,  de  l'amour  chaste ,  des  saints  désirs 
du  ciel ,  de  la  vie  intérieure  et  méditative ,  nos  pères 
avaient  saisi  nettement,  d'après  les  Livres  saints  et  les  in- 
terprètes ecclésiastiques,  tout  ce  qui,  dans  cet  oiseau,  plein 
de  douceui*  et  de  paix,  convenait  si  bien  au  Sacrement  où 
Jésus  appelle  les  âmes  ainsi  disposées  (2).  Mais  elle  devint, 
au  baptême  du  Christ,  la  forme  visible  de  l'Esprit- Saint , 
et,  dans  ce  sens ,  elle  semble  encore  fixée  au-dessus  de  nos 
tètes,  reposer,  comme  l'Esprit  du  Seigneur,  sur  les  humbles 
et  les  pacifiques  ,  sur  ceux  qui  écoutent  dans  une  crainte 
respectueuse  les  pensées  et  la  parole  de  Dieu  (3j. 

S'il  n'est  pas  facile  de  donner  cette  forme  d'oiseau  à  nos  q«î    les   ferait 

très-bien  emplo- 

tabernacles ,  tels  que  nous  les  disposons  aujourd'hui  sur  yor  aussi  comme 

.  ,      T  .  .        1         "     .  1  ciboires. 

l  autel,  on  pourrait  tres-bien  y  revenir,  du  moins,  pour  les 
ciboires  qu'on  y  renferme  :  on  relèverait  fort  convenable- 
ment les  colombes  en  reUef  sur  leur  circonférence,  comme 
sur  celle  des  calices  ou  des  ostensoirs ,  et  nous  ferions  re- 
vivre ainsi  une  des  plus  touchantes  allégories  de  nos  vieilles 
et  saintes  traditions. 
Quant  aux  tabernacles  en  eux-mêmes  ,  les  plans,  nous  le     Formes  choisies 

,  ,,  •  '       ^     V     r-     •      n  •*     1  à  donner  aux  ta- 

voyons  ,  peuvent  en  être  varies  a  linnni.  Le  serait  donc  bemacies. 

(1)  Annales  archéolog.,  t.  V,  p.  193.  —  Revue  de  l'art  chrétien ,  II, 
391. 

(2)  Le  Sauveur  n'a-t-il  pas  dit  :  Etiole  simplfccs  sicut  colwnbx  ? 
{Malth.,  X.)  —  La  Sagesse  Eternelle  n'aime-t-elle  pas  à  s'entretenir 
avec  les  simples  de  cœur  :  Cum  simplicibus  serniocinalio  cjus  ? 
(Prov.,  m.) 

(3)  «  Super  quem  recjuiescet  Spiritus  meus  nisi  super  humilem  et 
trementem  sermones  meos ?  »  (Av.,  xvi,  2.)  —  Cessiodore  dit,  en  se 
servant  d'une  mauvaise  élymologie  ,  mais  en  définissant  très-bien 
VoheaiM  :  »  Culumha  dicta  est  quasi  cellœ  aliunna,  quae  vitam  sine 
alterius  gravamine  peragit;  avis  innocens ,  mansueta ,  (juee  in  nullum 
animal  fellica  voluntate  consurgit  (la  colombe  passait  cbez  les  anciens 
pour  n'avoir  pas  de  fiel),  nec  escis  sordidis  ullatenus  accpiiescit.  »  [In 
Mail  II.,  cap.  X.) 


286  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

tantôt  une  tour,  symbole  de  force  et  de  sécurité,  tantôt  une 
façade  d'église ,  car  Jésus-Christ  s'est  appelé  la  porte  par 
laquelle  on  entre  dans  le  salut ,  et  quand  sommes-nous 
plus  sûrs  de  ce  bonheur  éternel  que  lorsque  le  Sauveur 
descend  dans  notre  âme  et  vient  nous  chercher?  N'avez- 
vous  pas  à  y  frapper  vous-même  en  sollicitant  l'entrée  que 
voulait  de  sa  colombe  le  chaste  Époux  des  cantiques  {\  )  ? 
Puis  ne  voyez-vous  pas  à  travers  ce  voile  artistique,  derrière 
cette  porte  mystérieuse ,  le  divin  Captif  vous  inviter  au  sa- 
crement de  sa  charité?  N'est-ce  pas  là  encore  ce  seuil  béni 
pour  les  Élus  que  distingue  le  Sang  de  l'Agneau  ?  Enfin 
n'est-ce  pas  en  face  de  ce  temple  figuratif  que  vous  pouvez 
dire  dans  le  recueillement  de  votre  piété,  en  attendant  le 
jour  des  adorations  éternelles  :  «  Je  vous  adorerai  près  de 
votre  Temple  {2)h}  Aimez-vous  mieux  le  Bon  Pasteur  comme 
aux  catacombes  ?  l'Ange  de  l'agonie  confortant  la  Victime 
des  Oliviers  ?  l'Hostie  resplendissant  d'une  auréole  glo- 
rieuse? la  flamme  qui  brûle  sans  se  consumer  sur  l'autel 
où  le  prêtre  doit  l'entretenir  en  vue  du  sacrifice  qui  n'aura 
pas  de  fin  (3)?  les  Bergers  entourant  de  leurs  hommages 
l'Enfant-Dieu ,  le  Pain  de  vie  de  Bethléem?  Quelle  foule 
d'images  ,  et  comme  vous  pouvez  les  unir  avec  succès  aux 
métaux  ,  aux  bois ,  à  la  pierre  même ,  qu'enrichiront  avec 
de  gracieuses  sculptures  toutes  les  beautés  accessoires  que 
les  gemmes  et  les  couleurs  rendent  encore  plus  éloquentes, 
puisque  chacune  d'elles,  nous  le  savons,  représente  une 
idée  et  parle  d'une  de  nos  vertus  ! 
Mauvais  goût      Mals  l'autcl  seul  avec  son  tabernacle  n'est  pas  un  tout 

(1)  «  Ëgo  sum  ostium;  per  me  si  quis  introierit  salvabitur.»  (Joan., 
X  ,  9.)  —  «  Ecce  sto  ad  ostium  ,  et  pulso.  »  (Apoc,  ui ,  20.)  —  «  Aperi 
mihi,  soror  mea.  —  Surrexl,  et  aperui  Dilecto.  »  (Cant.,  y,  5  et  11.) 

(2)  «  Compelle  intrare.  »  —  (Lac,  xiv,  23.)  —  «  De  sanguine  Agni 
imponent  in  utraque  poste.  »  {Exoci.,xu,  7.)  —  «  Adorabo  ad  templum 

-    sanetum  tuum.  »  [Ps.,  V,  8.) 

(3)  «  Ignis  autem  in  altare  semper  ardebit,  quem  nutriet  sacerdos.  » 
{Levit.,  VI ,  12.) 


AMEUBLEMENT  DE  L*ÉGLISE. —  TABERNACLES.     287 

complet.  Nous  avons  parlé  de  ces  dais  ou  ciborium  qui  le  >l<^^  ^iborim,  ou 

ir  r  i  baldaquins       no  - 

surmontent,   et,  en  cela,   il  est*indispensal)le  encore  de  *"^i«- 

joindre  aux  exigences  de  la  liturgie  celle  de  l'art  qu'elle 

écoute  toujours  utilement.  On  s'évertue  aujourd'hui ,  faute      Déplorable  nu- 
dité qu'on  fait  au- 

de  goût,  et  souvent  aussi  parce  qu'on  suit  trop  des  archi-  jourdhui  à  no3 

sanctuaires. 

tectes  qui  en  manquent ,  à  combiner  autour  ou  au-dessus 
de  l'autel  des  éléments  capricieux  ,  des  matériaux  hétéro- 
gènes, d'où  naît  une  ornementation  insignifiante  ou  ridi- 
cule. On  s'éloigne  ainsi,  pour  créer  de  l'arbitraire  et  du 
nouveau  ,  des  grandes  inspirations  de  la  foi  éclairée  et  de 
la  piété  pleine  d'amour.  On  dégage  le  Saint  des  Saints  des    Mauvais  système 

qui  les  découvre, 

voiles  qui  feraient  vénérer  sa  présence  mystique.  Au  lieu  quand  iis  de- 
de  commander  le  respect  aux  peuples  par  cette  demi-obs-  deia  fouie. 
curité  du  sanctuaire  où  la  prière  est  si  calme  ,  si  douce  et 
si  aimable,  on  veut  leur  plaire  en  découvrant  de  toutes 
parts  l'autel  à  leurs  yeux,  en  leur  dévoilant  les  profondeurs 
si  précieuses  du  plus  saint  des  rmj stères  :  hélas  !  on  n'y 
gagne  que  de  trivialiser  les  choses  célestes ,  d'abaisser  les 
dogmes  fondamentaux  au  niveau  d'un  spectacle  vulgaire, 
et  d'accoutumer  la  foule  inintelligente  à  mesurer  de  son 
stupide  regard  les  mouvements  sacrés  du  prêtre  et  l'action 
divine  qu'elle  épie  sans  la  deviner.  Oh  !  combien  mieux 
faisaient  nos  ancêtres  !  Ils  entouraient  leur  autel  de  toute 
l'ombre  possible  ,  de  splendides  tentures  ,  de  riches  étoffes 
qui  en  faisaient  un  autre  tabernacle  ayant  son  Arche  d'al- 
liance ,  dont  les  moindres  détails,  prévus  et  indiqués  par 
Dieu  lui-même ,  montraient  clairement  quelle  révérence 
devait  remplir  ceux  qui  venaient  adorer  là  en  esprit  et 
en  vérité.  Le  chœur,  réservé  au  prêtre,  n'était  pas  ouvert  à 
tout  venant;  ceux  qui  n'y  devaient  que  prier  et  chanter  les 
louanges  divines  ne  s'y  trouvaient  pas  confondus  en  quelque 
sorte  à  une  foule  même  respectueuse  et  recueillie ,  et  si 
l'on  eût  osé  alors,  comme  aujourd'hui,  parcourir  une  église 
comme  une  promenade  publique,  y  regarder  les  rites  sacrés 
comme  un  spectacle  plus  ou  moins  curieux  sur  lequel  on 


cœur. 


288  HISTOIRE   DC    SYMBOLISME. 

se  l)lasc  sans  inconvénients  et  sans  scrupnles ,  au  moins 
d'heureux  obstacles  s'élevaient  entre  ces  scandales  et  nos 
regards  ,  et  l'âme  sacerdotale  se  réfugiait  vers  le  Dieu 
caché  pour  y  ravir  sa  prière  aux  influences  malheureuses 
de  cette  tumultueuse  dissipation.  Où  est  maintenant  le  Saint 
des  Saints.  ?  Voyez  comme,  dans  toutes  nos  basiliques,  on  a 
renversé  toute  barrière  entre  lui  et  les  profanateurs!  Là  où 
ces  barrières  existent  encore ,  on  se  dispose  à  les  dévaster , 
et  nous  donnons  dans  Y  esprit  moderne  ,  comme  si ,  dans 
toutes  ces  funestes  conséquences,  l'Église  elle-même,  de 
sa  voix  magistrale  et  infaillible,  ne  l'avait  pas  formellement 
condamné  ! 
Idée  et  plan       Pour  uous ,  qui  voulons  toujours,  comme  nos  lecteurs  le 

d'un  sanctuaire  où  ,,  .     ^  ^      ,  >t  i  l'.i 

tout  parle  au  veulcnt  mamtcuaut ,  trouver  a  lire  sur  chaque  objet  du 
culte  une  pensée  qui  nous  y  enchaîne  et  le  fasse  aimer  de 
plus  en  plus ,  nous  demandons  à  ceux  que  leur  caractère  a 
rendus  compétents  de  donner  à  nos  autels  cette  gloire  im- 
posante qui  touche  les  cœurs ,  et  dont  le  seul  aspect  est 
un  enseignement  de  foi  active ,  et  propage  la  piété  dans 
les  âmes.  Que,  surveillé  par  eux,  et  noblement  posé  à 
sa  place  triomphale ,  l'autel  majeur  s'élève  dans  un  sanc- 
tuaire supérieur  au  niveau  de  l'église  ,  sous  le  point  d'in- 
tersection de  la  voûte  abaissée  à  son  intention  et  qui, 
toute  seule ,  peut  lui  servir  de  pavillon  sacré  et  d'abri 
liturgique,  sans  aucune  adjonction  d'autre  couverture  quel- 
conque ne  prenant  là  que  l'importun  caractère  d'un  double 
emploi;  que  toute  cette  travée  s'entoure  d'une  précieuse 
enceinte  qui  protège  le  Dieu  caché  et  l'honore  par  un  silence 
plus  complet  et  plus  mystérieux.  L'art  du  sculpteur  et  du 
peintre  décorera  d'insignes  consacrés,  de  pieuses  histoires^ 
cette  clôture  dont  jadis  de  belles  et  éclatantes  tapisseries 
recouvraient  au  moins  la  nudité.  Ces  saints,  ces  emblèmes, 
ces  images  riches  d'expression,  de  souvenirs ,  de  couleurs  , 
d'or,  de  pierreries,  de  plaques  ou  de  fleurs  émaillées  qui 
pareront  la  face  antérieure  de  l'autel  et  son  retable,  se 


'K> 


AMEUBLEMENT  DE  L  ÉGLISE.  —  BAFfISTÈRES.  289 

marieront,  par  un  agencement  Iiabile  et  des  combinaisons 
sérieusement  étudiées,  au  reste  de  l'ameublement  béni. 
Les  quatre  piliers  qui  manfuent  les  limites  du  sanctuaire  , 
soit  ([u'ils  l'isolent  des  bas-cotés ,  soit  qu'ils  s'engagent  dans 
les  murs  latéraux  d'une  nef  unique,  supporteront  la  voûte 
abaissée symboli(iucment  pourlormer  la  couronne  du  sanc- 
tuaire et  de  l'autel.  Donnez-leur  une  action  dans  ce  grand  et 
bel  ensemble  ;  couv  rez  leur  surface  des  nuances  variées  des 
douze  pierresprécieuses,  dont cbacunea  sa  signification  éner- 
gique; faites  courir  sur  toute  leur  hauteur  le  jaspe  de  la  foi, 
la  sardoine  du  martyre ,  la  topaze  des  vertus  surnaturelles , 
et  toutes  les  autres,  qui  figureront  si  bien  autour  de  l'Homme- 
Uieu  (I);  donnez  une  vie  plus  abondante  à  leurs  chapiteaux 
en  colorant  leurs  oiseaux  ,  leurs  feuillages  et  leurs  fruits  ; 
(fue  le  tabernacle,  de  qui  tout  cela  relève,  surmonte  la  table 
sacrée  de  son  élancement  svelte  ou  de  ses  formes  plus  sé- 
vères, selon  le  style  de  l'édifice;  mettez-y  toute  la  somptuo- 
sité que  permettent  les  ressources  locales,  pour  qu'il  se 
rapproche  autant  que  possible  de  la  grandeui*  de  son  objet; 
que  les  chandeliers  qui  l'accompagnent,  que  la  lampe  dont 
la  lumière  n'y  doit  jamais  cesser  se  mettent,  par  les  détails 
de  leurs  ciselures  et  de  leurs  reliefs ,  en  harmonie  avec  ce 
grand  tout;  et  quand  le  fidèle,  agenouillé  devant  lui,  exha- 
lera son  cœur  vers  le  Dieu  qui  l'y  attire ,  que  l'infidèle  lui- 
même,  ignorant  des  saines  doctrines  de  la  foi,  comprenne 
aussi  que  sous  ces  mystérieuses  apparences  qu'il  admire 
il  y  a  un  langage  secret  qui  touche  l'ame,  et  que  peut-être 
un  Dieu  n'est  pas  loin  de  là. 

Passons  au  Baptistère.  Des  Baptistères, 

Là  encore  se  résume  tout  ce  que  le  culte  chrétien  a  observef'f"^  "  ^ 


(1)  «  Jaspis,  fldes,  viror  «lesiderii  :  Ponam  jaspidis  propiignacula 
liia.  »  (/5.,  Liv,  12.)  —  «  Sardonyx  7'ubri  ùohris  est  et  désignât 
(riioreui  ChrislL  »  —  «  Topazius,  virluUhvs  plena ,  habet  duos 
colores,  mnini  sionlnunim,  alleriiin  (inar^i  <'(nlmn.  »  —  s.  Meliton. 
Dr  M' IfiUis  ,  ciip.  Lviii  (il  seq.} 

T.    III  1!» 


290      '  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

d'intime  et  de  pénétrant  ;  là  donc  on  a  aimé  à  reproduire 
ipur  histoire  dans  le  luxe  dcs  grandioses  pensées  de  la  foi.  Ce  furent  d'abord 

l'antiquité    et   au  .      i  i  ,     t  i  r    n  i    r  i       • 

moyen  âge.  dc  Véritables  églises,  succursales  réelles  des  catbedrales, 
dans  lesquelles  seules  le  baptême  était  administré  par  un 
droit  réservé  à  l'évêque  (0,  et  la  liturgie  y  exigeant  d'abord 
un  vaste  emplacement  pour  la  cuve ,  puis  pour  les  caté- 
chumènes, toujours  très-nombreux,  et  auxquels  il  fallait  des 
lieux  distincts  selon  leur  sexe,  afin  d'y  quitter  et  reprendre 
leurs  vêtements.  Mais  ces  grandes  chapelles  ne  pouvaient 
être  antérieures  à  Constantin,  et  les  plus  anciennes  qu'on 
ait  encore ,  en  petit  nombre  ,  ne  datent  pas  d'avant  le  qua- 

souvenir  de  celui  irièiiie  slèclc ,  coinnie  l'église  Saint-Jean  de  Poitiers.  On 

de    Constantin    à  i   .  •  i  /  i 

saint-Jeande  La-  sait,par  Euscbc  ct  Ics  autrcs  historiens  de  cette  époque,  de 
quelles  richesses  le  grand  empereur  avait  doté  le  baptistère 
de  Saint- Jean  de  Latran.  Les  murs  en  étaient  recouverts 
de  porphyre  ;  la  cuve  baptismale  était  d'argent ,  et  recevait 
l'eau  de  la  bouche  d'un  agneau  en  or  dans  lequel  on  la 
versait  au  préalable.  Ce  symbole  de  la  douceur  chrétienne 
et  de  l'innocence  de  l'âme  purifiée  avait  à  sa  droite  et  à  sa 
gauche  deux  statues  en  argent,  l'une  du  Sauveur,  auteur 
du  baptême,  dans  lequel  ses  mérites  nous  sont  appliqués  ; 
l'autre  du  saint  Précurseur  qui  avait  l)aptisé  en  son  nom  ; 
enfin ,  distribués  à  distances  égales  autour  de  ce  riche 
bassin,  des  cerfs  en  argent,  au  nombre  mystérieux  de 
sept ,  image  des  sept  dons  de  l'Esprit-Saint  reçus  avec  le 
baptême  (2) ,  contribuaient  à  verser  l'eau  de  concert  avec 


(1)  Un  concile  de  Verneuil,  en  755  ,  rappelle  qu'il  ne  doit  y  avoir  de 
baptistères  que  dans  les  lieux  désignés  par  l'évêque.  C'est  que  dès 
lors,  quoiqu'ils  se  fussent  nécessairement  multipliés  par  les  conquêtes 
mêmes  du  Christianisme  sur  les  populations  païennes,  on  ne  trouvait 
pas  opportun  de  doubler  ainsi  les  églises,  même  rurales,  d'une  seconde 
église,  qui  compliquait  la  surveillance  épiscopale.  Quand  cessa  le 
baptême  par  immersion,  au  douzième  siècle,  on  commença  à  le 
donner  plus  généralement  dans  les  paroisses.  — Voir  Labbe  ,  Gonc.  ad 
ann.  cit.,  t.  VI,  p.  1664;  —  Rohrbacher,  Hist.  de  V Église,  XI,  141. 

(2)  «  Septenarius  ad  septiformam  gratiam  Spiritus  Sancti ,  qui  siint 
sepiem  Spiritns  Dei  missi  per  omnem  terrain.  »  (Apoc,  v,  6.)  —  Dans 


AMEUBLEMENT   DE   l'ÉGLISE.  —  RAPTISTÈRES.  201 

rAgncau  qui  efface  les  péchés  du  inonde,  comme  l'avait  dit  le 
fils  de  Zacliarie  ,  dont  la  présence  semblait  rappeler  natu- 
rellement ces  consolantes  paroles  (I).  Ajoutez  à  ce  riche 
groupe ,  tout  d'or  et  d'argent,  les  peintures  et  les  mosaïques 
resplendissant  de  toutes  parts  au  dedans  et  au  dehors ,  et 
vous  aurez  une  idée  de  l'importance  qu'on  mettait  à  re- 
lever le  mystère  sacramentel  par  tout  ce  qui  pouvait  flatter 
le  regard,  en  attirant  les  méditations  sérieuses  de  l'esprit, 
dans  ces  beaux  monuments  des  premiers  âges  de  la  foi. 

On  les  bâtissait  toujours,  d'ailleurs,  près  des  églises  mères, 
dans  les  cités  épiscopales ,  comme  on  le  voit  par  un  sarco- 
phage fort  ancien  qu'a  décrit  Raoul  Rochette  (2).  Tous  ceux 
que  nous  possédons  encore  à  notre  époque  sont  des  rénova- 
tions faites  au  moyen  âge,  et  presque  tous  appartiennent  à 
l'Italie.  On  les  retrouve,  datant  du  neuvième  au  quinzième 
siècle,  à  Volterra,  à  Lucques  ,  à  Crémone,  à  Padoue,  à  Pise, 
à  Orviète  (3).  Dans  ces  édifices,  le  symbolisme  s'intronisait 
par  les  peintures,  comme  dans  tous  les  sanctuaires  :  ainsi, 
à  Poitiers ,  on  voit  encore ,  non  loin  des  chapiteaux  de 
marbre  où  nagent  les  dauphins,  reproduits  maintes  fois 
sur  des  sarcophages  primoséculaires,  le  paon,  aussi  ancien 
que  les  catacombes ,  et  dont  la  signification  se  rattache  tout 
aussi  bien  aux  mystères  de  la  naissance  chrétienne  que  nos 
âmes  doivent  au  baptême  (4). 


ce  sens  de  missi,  les  cerfs  sont  pris  aussi  pour  Jes  Apôtres  :  «  Vox 
Domini  perficientis  cervos»  (Ps.,  xxviii,  8);  et  enfin  pour  les  hommes 
spirituels,  remplis  des  saints  désirs  de  la  vie  éternelle  :  «  Sicut  desi- 
derat  cervus  ad  fontes  aquarum  ,  ita  desiderat  anima  mea  ad  le, 
IJeus  »  {Ps.,  XLI,  2).— On  voit  tout  de  suite  quels  rapports  a  le  nombre 
sppt  avec  ces  diverses  catégories  des  Saints  de  la  terre.  —  Voir  ce  que 
nous  avons  dit  de  ce  nombre,  ci-dessus,  t.  1,  cli.  vi,  et  II,  passin)  ;— 
puis  S.  Méliton,  De  Numéris j  cap.  vin;  —  D.  Pitra ,  Spicileg.  Snlesni., 
III,  G8,38o,  389  et  401. 

(1)  Voir  Auastas.  Biblioth.,  De  Vilis  Homan.  Pontif.,  in  Vita  S.Si/l- 
veslïi. 

(2)  Tableau  des  Calac,  p.  216  et  suiv. 

(3)  Tableau  stalislique  el  chronologique  des  églises  d'Italie ,  i)ar 
Willis  {Bullel.  monuin.,  VII ,  iiO  et  suiv.). 

(4)  Le  daui)liin  passait  pour  le  roi  des  poissons,  et  plein  de  ((ualités 
uiorales  qui  inpiuorliaicut  ?(»u  iuslinct  de  la  raison  Jiuniaiue    guidée 


292  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

Soins  à  se  don-       Cgg  données  primitives,  et  tout  à  fait  adoptées  par  les 

ner  pour  la  clia-  . 

pelle   (les   fonts  meiHeiircs  périodes  du  svmbolisme,  indiquent  assez  quels 

dans   les     églises  ""  ,      .    . 

de  notre  temps,  sujets  l'iconograpiiie  peut  choisir  pour  ornementer  nos 
baptistères  actuels  ;  car,  si  la  discipline  ecclésiastique  a  dû 
changer  avec  les  temps  et  arriver  à  ne  plus  restreindre 
l'administration  du  premier  sacrement  à  des  enceintes 
privilégiées  ,  il  n'en  faut  pas  moins ,  d'après  les  plus  sages 
prescriptions  (^),  entourer  de  tout  le  respect  possible  cette 

par  le  Christianisme.  II  aimait  l'homme  et  le  sauvait  des  naufrages;  il 
recherchait  les  eaux  les  plus  élevées  et  les  plus  pures ,  évitant  le  sable 
et  la  vase;  il  poussait  sur  le  rivage,  pour  les  y  ensevelir,  ceux  d'entre  les 
naufragés  qui  mouraient  au  sein  des  mers.  Ces  traditions,  recueillies 
par  Pline  (IlisL  nntur.,  lib.  IX,  cap,  viii)  et  Aristote  {De  Ilisl.  onimnL, 
lib.  IX,  cap.  XLvni),  adoptées  sans  examen  par  la  bonne  foi  populaire, 
suffisaient  pour  autoriser  à  voir  en  de  si  nobles  animaux  le  symbole 
des  vertus  chrétiennes,  de  la  charité  dévouée,  de  lapurelé:  n'était-ce 
pas  aussi  par  cela  même  l'emblème  du  Sauveur, et  les  eaux  où  se  pas 
sait  leur  vie  ne  pouvaient-elles  pas  représenter  celles  du  baptême,  dans 
lequel  tst  la  source  de  tous  nos  biens  spirituels?  —  De  son  côté, le  paon, 
considéré  dans  le  retour  de  ses  nuances  riches  et  diaprées  à  chaque 
printemps,  était  resté  pour  les  chrétiens  ce  qu'il  était  déjà  pour  les  re- 
ligions idolâtriques,  le  signe  de  l'immortalité  et  de  la  résurrection. 
Celte  attribution  si  ancienne  se  retrouve  dans  un  sermon  de  S.  Antoine 
de  Padoue  (mort  en  1231)  :  In  generali  7'esurrecAiorie  qua  oninrs  arbo- 
re^,idest  omnesSancli,  incîpiimt  virescere,  pavo  ille...  percnlor...  qvi 
morlaliiaiis  pennas  abjecil,  immurialitalispennm  recipiel  (Serm.  fe- 
riae  v  post  Trinitatem).  Ainsi  encore  ce  pécheur  ,  qui  est  parfois  le 
symbole  de  l'orgueil  et  de  la  vanité  quand  il  étale  avec  tant  de  com- 
plaisance l'éclat  de  son  plumage  renouvelé,  devient ,  par  opposition, 
l'idéal  du  plus  grand  bien  désirable,  par  cette  transmutation  de  la  mort 
dont  parle  l'Apôtre  :  «  Oportet  mortale  hoc  induere  immortalitatem  » 
(1  Cor.,  XV,  53).—  C'est  la  raison  qui  fait  figurer  des  paons  sur  le  tom- 
beau de  marbre  de  Gauthier,  évêque  de  Bemberg  au  treizième  siècle, 
lequel  tombeau  se  voit  encore  dans  la  cathédrale  de  cette  ville.  (Cf. 
les  PP.  Cahier  et  Martin  ,  Mélanges  d'archéologie ,  t.  il,  p.  259.)  —  11 
pourrait  se  faire  toutefois  que  ces  paons  fussent  des  perroquets  ou  des 
oiseaux  du  Paradis,  ou  tous  autres,  dont  l'iconographie  de  cette  époque 
ne  se  targue  pas  de  traduire  les  formes  très-distinctement.  Nous  re- 
parlerons de  ces  oiseaux  et  des  fleurs  qui  s'y  trouvent  mêlées,  en  ob- 
servaut  toutefois,  dès  à  présent,  que  les  paons  dont  M,  de  Caumont 
attribue  la  découverte  au  P.  Martin  ne  sont  réellement,  d'après  celui-ci 
Hoc.  cil.)  ,  que  de  véritables  perroquets  {BulleL  monum.,  XI,  210). 

(1)  «  Baptisterium  cum  sacrario  in  singulis  cathedralibus  ,  et  item 
(ut  in  conciliis  nostris  provincialibas  prœscriptum  est)  parochialibus, 


VMRl'BLKMKNT    Di:    L'K(;LISI:.  —    BAPTISTKnES.  203 

portion  de  ('lin(|ii(^  (''^iisc  où  l'onde  rcj;énératrice  rst  con- 
servée ,  où  elle  coule  sur  le  front  des  nouveau~nés. 
Si,  depuis  le  septième  siècle,  nous  n'avons  plus  besoin 
d'églises  spéciales,  qm  cessèrent  alors  généralement  de  se 
hàtir  à  pari,  il  n'en  faut  pas  moins  dans  toute  église  parois- 
siale un  lieu  distinct,  une  chapelle  consacrée  au  baptême, 
et  dont  la  structure  et  l'ornementation  rappellent  par  tous 
leurs  détails  et  les  premières  pensées  delà  liturgie  et  les 
enseignements  qu'elle  nous  conserve.  Il  y  a  à  rougir  de 
honte  en  présence  de  ces  espèces  d'enceintes  carrées  dont 
l'ieii  n'annonce  le  caractère  sacré,  sinon  une  assez  mauvaise 
toile  de  S.  Jean-Baptiste  et  une  cuve  quelconque  presque 
toujours  aussi  insignifiante  que  mal  tenue  :  voilà,  le  plus 
habituellement,  ce  qu'on  appelle  une  chapelle  des  fonts.  Et 
vraiment,  qui  devinerait  à  cette  parure  sans  goût,  à  cet 
espace  si  étroit,  à  ces  murs  poussiéreux  ,  à  ce  pavé  noir  et 
humide,  que  là  s'accomplit  le  premier  des  adorables  mys- 
tères de  la  vie  chrétienne?  Après  l'autel  rien  ne  devrait 
mériter  nos  soins  à  l'égal  de  ce  lieu  privilégié.  Nous  en 
devi-ions  faire  une  petite  église  dans  la  grande  et  la  rap- 
prociier  autant  que  possible,  par  son  plan  et  sa  décoration, 
des  premiers  baptistères  du  Christianisme  ;  car  si  tout  alors 
y  indiquait,  par  un  enseignement  dogmatique ,  le  but  que 
le  sacerdoce  proposait  au  néophyte  ,  le  même  but  doit  être 
cherché  toujours,  puisque  rien  n'a  changé  dans  nos  dogmes, 
pas  plus  que  dans  les  conditions  de  son  enseignement.  Cii-      Rcgie»  symho 

1    .  .  15        •  Ti'      1      1  'j-       *•  liqucs  à  y  obser- 

culau'es,  pour  exprmier  1  universalité  delà  prédication  ver. 
évangélique,dontle  baptême  est  le  premier  bienfait,  ou  octo- 
gones, comme  le  plus  grand  nombre  de  ceux  qu'a  observés  la 
science  archéologique  en  France,  en  Italie  et  en  Angleterre, 
cett(i  dernière  forme  sem])le  préférable,  d'après  le  sens  que 
lesPènîs  ont  donné  symboliquement  au  nombre  Aznï.Nous 

atifue  in  aliis  ftiam  quibusvis  enclesiis,  iihi  vel  animarum  cura  geri- 
tur,  vel  faciiliaUi  ah  (;i>iscui)0  ol»  caiiàain  data,  illud  constitui  conces- 
siim  est.-»  (S.  Gtirol.  Inslrucl.,  lil).  I,  cap.  xix.) 


294  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

savons  déjà  que  ce  nombre  est  celui  de  la  Résurrection , 
qui  s'est  opérée  le  dimanche  ,  premier  jour  de  la  semaine 
que  le  Christianisme  a  suhstitué  au  septième  pour  l'ohser- 
vance  du  quatrième  commandement.  S.  Augustin  est,  sur 
ce  point,  d'accord  avec  S.  Ambroise,  qui,  par  la  môme 
raison,  symbolise  par  ce  même  chiffre  la  régénération 
spirituelle  ;  c'est  d'ailleurs  en  lui  que  se  trouvent  aussi  les 
l)éatitudes  louées  et  promises  par  le  Sauveur.  Ces  grandes 
idées,  que  nous  avons  développées  et  motivées  (4  ),  subsistent 
toujours  et  doivent  garder  leur  influence. 

Élevez  donc  un  noble  et  imposant  monument  de  cette 
forme  préférable,  soit  sous  le  nartex  de  votre  éghse,  soit  sous 
sa  première  travée  de  l'intérieur  du  côté  nord,  comme  nous 
l'avons  dit  au  chapitre  précédent;  ouvrez-en  l'entrée  au  midi, 
vers  les  rayons  resplendissants  du  Soleil  de  Justice,  qui,  tout 
en  pénétrant  l'intérieur  du  petit  temple ,  pourra  verser  sur 
le  néophyte  sa  mystérieuse  lumière  et  sa  vivifiante  chaleur. 
Au  milieu,  sur  une  base  massive  et  soUde,  qui  nous  repré- 
sente bien  la  stabilité  de  la  grâce  et  le  droit  immuable 
qu'elle  donne  à  l'éternité  des  biens  futurs,  posez  la  piscine 
sacrée,  source  des  eaux  qui  jaillissent  jusqu'à  la  vie  du  ciel  : 
non  un  de  ces  vases  mesquins  trop  souvent  semblables  à  un 
bénitier  ou  à  un  lavoir  que  soutient  sans  grâce  un  pédicule- 
sans  dignité ,  mais  un  autre  octogone  dont  chaque  pan , 
aussi  bien  que  ses  bords ,  offre  autant  de  surfaces  à  des 
images  infiniment  variées  et  qui  parlent  à  tous  des  saints 
engagements  de  l'homme  et  des  divines  récompenses  de  sa 
fidéhté.  La  loi  de  Moïse  et  celle  du  Christ  n'ont-elles  pas 
des  traits  saillants  que  l'antiquité  a  savamment  distribués 
sur  ses  baptistères,  comme  à  Florence  et  ailleurs?  Les  frises, 
les  chapiteaux  de  ce  petit  monument ,  ses  colonnes ,  ses 
bases  n'y  sont-elles  pas  couvertes  de  r chefs  empruntés  aux 

(1)  Voir  ci-dessus  ,  t.  J ,  ch.  vi ,  Symbolisme  des  nombres;  voir  aussi 
une  excellenle  Élude  sur  les  fonts  baptismaux,  par  M.  l'abbé  Van  Dri- 
vai, dans  la  Revue  de  Cari  chrétien^  t.  II,  p.  18  et  suiv. 


AMEUHLEMEM    DE    l'ÉGLISE.  —  BAPTISTÈRES.  21>5 

feuilles  de  nos  rivières,  aux  palmipèdes  qui  les  fréquentent, 
aux  poissons  qui  les  peuplent?  Ne  garnira-t-on  pas  avec 
raison  ses  parois  extérieures,  ses  entre-colonnements  et  ses 
arcades  des  mystérieuses  images  des  vertus  chrétiennes , 
des  péchés  anéantis ,  de  la  prédication  évangélique ,  des 
différents  haptémes  céléhrés  dans  l'Écriture  ?  Il  n'y  a  pas 
jusqu'au  couvercle  de  cette  piscine,  devenue  si  précieuse  , 
qui  ne  s'élève  avec  grâce  en  une  pyramide  sculptée,  et  qui 
ne  puisse  devenir  encore  une  large  page  d'enseignements 
doguiatiques.  — Quant  au  sacellum  lui-même  et  à  son  plan 
d'élévation ,  quels  ornements  toui*  à  tour  gracieux  et  aus- 
tères ne  recevront  pas  ses  colonnes ,  ses  frontons  et  tout 
cet  intérieur  où  tant  de  feuillets  de  la  Bihle  peuvent  dépose]' 
un  trait  significatif ,  une  leçon  parlante,  depuis  la  chute 
originelle  jusqu'au  couronnement  des  Élus  dans  la  Jéru- 
salem céleste  !  Mille  modèles  nous  en  sont  donnés  aujour- 
d'hui. Avec  eux  on  ne  peut  ouhlier  les  règles,  on  n'est  plus 
excusahle  de  ne  pas  les  savoir,  si ,  contrairement  à  l'esprit 
qui  doit  animer  un  prêtre,  on  n'a  pas  dédaigné  une  des  ex- 
cellentes puhlications  qui,  chaque  mois,  en  France,  eu  An-  • 
gleterre  et  en  Allemagne,  étahlissent  sur  toutes  les  choses 
archéologiques  des  principes  trop  longtemps  négligés. 
S.  Charles  ,  dont  les  Instructions ,  nous  l'avons  dit ,  sont     importance  <ies 

,,  ,-,i,n  /..  i-ii  1  '     Instructions      de 

d  nue  exactitude  et  d  une  précision  admirahlcs  ,  a  donne  s.  charies  sur  ce 
les  règles  qui  toutes  résument,  sur  ce  point,  les  hahitudes 
liturgiques  et  artistiques  du  moyen  âge  :  il  veut  donc  tout 
ce  que  nous  venons  d'exiger  pour  tous  les  haptistères  qui 
ne  sont  pas  construits  en  dehors  de  l'église  et  séparés 
d'elle,  comme  il  n'est  plus  possihle  que  nous  les  ayons. 
Mais  quant  aux  usages  adoptés  depuis  longtemps,  et  d'après 
les([uels  nous  avons  écrit  ce  qui  précède ,  le  Saint  reste 
parfaitement  d'accord  avec  l'esprit  des  Pères  et  des  Docteurs, 
que  nous  ne  faisons  que  letracer.  Il  n'ouhlie  même  pas  de 
recommander  pour  la  cuve  haptismale  la  forme  d'un  sarco- 
phage ou  tomheau  ,  comme  lappelant  mieux  le  mystère  de 


point. 


20(>  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

renseveiissement  symbolique  du  baptisé,  qui  meurt  au 
monde  avec  Jésus-Gbrist,  et  dont  la  triple  immersion, 
encore  suivie  dans  le  rite  ambroisien ,  rappelle  les  trois 
jours  que  le  Sauveur  passa  dans  le  sépulcre.  Ces  principes 
sont  conformes  aux  textes  de  S.  Paul  (I)  et  des  Pères ,  qui 
Font  expliqué  avec  S.  Denis  l'Aréopagite,  S.  Justin ,  Ter- 
tullien,  Origène  et  toute  l'École  tliéologique  (2).  C'est  donc 
encore  une  idée  à  réaliser  que  celle  exprimée  en  ce  sens 
par  le  saint  évoque.  N'oublions  pas  non  plus  qu'on  peut 
établir  la  piscine  sur  un  plan  carré,  le  nombre  quatre  étant 
celui  de  la  perfection  absolue,  de  Dieu  lui-même,  égal  dans 
tous  ses  attributs  (3).  Toutefois,  n'al)andonnons  jamais 
l'ordre  recommandé  par  le  bon  goût  comme  par  toutes  nos 
règles  d'archéologie  pratique ,  et  modelons  toujours  les 
formes  de  l'accessoire  sur  celles  du  principal  :  Forma  autem 
sit  rotonda  vel  ociangula,  vel  alia  quœ  cum  forma  capella' 
conveniet. 
Du  tableau  à  Eufin  ,  uu  autcl  proportlouné  à  l'intérieur  de  cette  clia- 
dè''rettrchài?èîîe!  P^le  dolt  cu  complétcr  le  caractère  et  rappeler  d'autant 
mieux  les  baptistères  primitifs.  Ses  conditions  seront  celles 
de  tous  les  autres  autels  quant  à  la  matière ,  à  la  forme ,  à 
la  balustrade  qui  l'entoure,  à  l'ornementation  qui  le  décore. 
Surtout  il  doit  être  orienté  comme  l'église,  et  au  dessus  on 
veut  un  tableau  de  S.  Jean-Baptiste  versant  l'eau  du  Jour- 
dain sur  le  Sauveur.  S.  Jean-Baptiste  est  le  grand  patron 
des  baptisés,  et  a  toujours  été  décoré  de  cet  honneur.  Ce 
tableau  est  indispensable  ,  car  il  est  là  l'expression  la  plus 
sensible  du  mystère ,  et  il  devrait  toujours  y  figurer ,  lors 
môme  que  l'autel  y  deviendrait  impossible  eu  égard  à  l'é- 

(1)  «  Gonsepulti  eiiim  suiiius  cum  lUo  per  baptisimiiu  in  inorLem  : 
uL  quoraodo  Christus  sarrexit  a  mortuis...,  ita  et  nos  innuvilale  vilèr 
ambulemus.  »  (Rom.,  vi,  4.) 

(2)  Voir  S.  Ca.ro\i  Inslruct.,  iib.  I^cap.  xix;  —  Dioiiys.  Areopag.,  Z^c? 
Divina  Hierarcli.;  —  Tertuil.,  De  Corouamiliiis;  —  Origen.  Iib.  \  In 
Epist.  ad  Rum. 

(3)  Voir  le  ch.  vi  du  t.  1,  ci-dessus. 


et  des  éléments  de 
sa  composition. 


VMELBLEMEKT    l)i:    l'ÉGLISK.  —  BAPTISTÈRES.  2!)7 

troitcsse  du  lieu  (I).  D'est  ce  sujet,  eneiïet,  qu'on  i'ctrou\c 
pour  exprimer  le  sacrement  dans  les  plus  anciens  cime- 
tières de  Rome,  particulièrement  dans  celui  de  S.  Pontien, 
où  une  fresque  représente  cette  mémorable  scène  avec  des 
traits  qui  ont  mérité  les  éloges  de  Bosio  et  d'Aringiii  (2). 
L'Église,  sortie  des  catacombes,  conserva  cette  prédilection 
pour  le  Précurseur,  et,  entre  autres  exemples,  nous  voyons 
S^®  Odile ,  fondatrice  du  célèbre  couvent  d'Hohenburg  , 
illustré  plus  tard  par  l'abbesse  Herrade ,  fonder  vers  61)0 
une  cbapelle  dédiée  au  Saint  en  souvenir  du  miracle  qu'il  lui 
avait  accordé  lorsqu'elle  recouvra  la  vue  au  jour  de  son 
baptême  (3).  On  n'a  plus  à  discuter  maintenant  sur  la  com- 
position d'un  pareil  tableau.  Il  faudra  y  éviter  les  eri'eurs 
mêmes  des  grands  maîtres,  tels  que  Raphaël  et  Poussin  , 
qui  se  sont  trop  éloignés  de  la  simplicité  historique  du  fait, 
en  posant  le  Sauveur  sur  le  rivage  à  genoux  devant  le  Pré- 
curseur, qui  le  baptise  par  infusion.  On  sent  jjien  que  là 
manque  le  symbolisme  essentiel  de  cette  immersion ,  l'c- 
gardée  par  S.  Paul  comme  un  type  de  notre  mort  spirituelle. 
Lebrun  a  mieux  fait  en  représentant  le  Christ  del)out  au 


(1)  «  Forma  autem  reliqiiorum  altaniiiii;,  et  modo  praytinilo  fiât, 
muniatiir,  sopiatur  ,  iiislruatur,  atque  ornetur...  ad  orienlem  versimi, 
super  quo  in  pariete  expressa  sit  sacra  historia  S.  Joannis  Baptist.ft 
Christum  Domiuum  baptizaiitis.  Si  vero  ne  altare  (luidem  exslrui  polcsl, 
illiiis  Sfiltem  loco  sit  pictnra.  »  (S.  CaroL,  'ubi  suprà.) 

(2)  «  Picta  itidem  in  pariete  sanctissimi  Joannis  Baptistae  Praecur- 
soris  Chrislum  baptismatibiis  aquis  in  Jordanis  iilveo  abliieutis  histo- 
ria exprimitur.  »  {Iloina  sublert\,  t.  1,  p.  370;  lib.  H  ,  cap.  x\n,  n"  8  , 
et  iib.  VI,  cap.  IV,  p.  526.)  —  L'abbé  Pascal,  qui  semblait  né  pour  les 
assertions  les  plus  paradoxales,  a  nié  qu'avant  le  cinquième  ou  sixième 
siècle  on  eût  représenté  le  sujet  que  nous  traitons  ici  comme  nous  le 
voyons  partout:  les  catacoml)es  lui  donnent  un  démenti  formel  , 
comme  l'a  fait  M.  l'abbé  Van  Drivai  dan^  une  analyse  très-concluante 
des  «  institutions  de  l'art  chrétien»  {lievue  de  VarlchrcLien,  II,  7H)«  — 
Voyez  encore  ce  même  .M.  Pascal,  t.  I,  p.  142  et  143,  démentant,  parées 
(!xemples  qu'il  cite  ,  le  principe  absolu  qu'il  a  posé  d'abord  sur  le 
baptême  donné  uniquement  par  immersion. 

(3)  Cf.  M.  le  vicomte  de  Bussière,  Histoire  de  S"  Odile  ,  in-12,  I8ri3  . 
p.  101. 


298  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

milieu  du  fleuve,  dont  les  eaux  montent  jusqu'à  sa  ceinture, 
et  Jean  s'y  tenant  avec  lui  et  versant  l'eau  sur  la  tôte  di- 
vine. Cette  double  application  de  l'élément  sanctifié  par  le 
contact  sacré  du  Sauveur  est  autorisée  par  de  très-anciens 
monuments  soit  peints,  soit  sculptés,  que  citent  Cata- 
lani  et  Mabillon  [i]. 
Types  de  scuip       Lc  moycu  âgc  ii'a  pas  failli  à  cet  enseignement  ;  il  nous 

pour  les  fonts.  a  Mssé  dcs  clicfs-d'œuvrc  de  sculpture,  de  dinanderie, 
ou  de  peinture  murale ,  parmi  lesquels  on  peut  choisir 
des  motifs  pour  rendre  ce  grand  sujet  du  baptême  donné 
par  le  saint  Précurseur.  Citons  comme  modèles  de  fonts 
détachés  ,  pour  les  paroisses  qui  ne  peuvent  faire  de 
grandes  dépenses,  mais  qui  doivent  toujours  tenir  à  n'avoir 
que  des  meubles  convenables,  ceux  de  Magneville  (Manche), 
de  Chéreng  (Nord) ,  puis  celui  de  Saint-Evroult-de-Mont- 
fort  (Seine-Inférieure) ,  dont  la  cuve  en  plomb  a  pour  relief 
des  sujets  tirés  du  Zodiaque ,  travaux  de  la  vie  humaine 
indiquant  à  l'homme  arrivé  au  premier  pas  de  sa  vie  qu'elle 
devra  s'écouler  dans  le  travail  ;  enfin  un  autre  fort  curieux, 
caché  dans  une  paroisse  rurale  du  diocèse  d'Évreux  :  il  est 
du  quatorzième  siècle,  plus  ornementé  et  convenant  bien  à 
une  église  ogivale ,  car  on  y  voit  une  suite  de  frontons 
aigus  à  ogives  trilobées ,  puis  des  têtes  sortant  de  feuilles 
d'acantlie  et  encore  entourées  du  bandeau  dont  on  garnit 
la  tète  du  baptisé  après  l'onction  du  saint  Chrême  (2). 
Les  fonts  de       [jn  trait  tiré  de  la  légende  de  S.  Jean  l'Évangéliste  a  ins- 

Liège.  pii'é ,  au  douzième  siècle ,  le  beau  relief  en  cuivre  qui 

ornait  autrefois  Saintc-Marie-aux-Fonts ,  église  de  la  ville 
de  Liège,  et  qui  reçoit,  depuis  n93 ,   l'hospitahté  dans 


(1)  Voir  un  assez  grand  nombre  de  ces  spécimens  dans  le  Cows  d'an- 
tiquités de  M.  de  Camnont,  sixième  partie,  —  et  dans  le  Bulletin  mo- 
numental, t.  XI,  p.  56;  XII,  296  et  347;  XVIII,  423. 

(2)  Voir  un  intéressant  article  de  M.  Didron  sur  ce  sujet,  enrichi  de 
fort  belles  gravures  dans  les  Annales  archéologiques ,  t.  V,  p.  21  et 
suiv. 


AMEUBLEMENT    DE    l'ÉGLISE.  —  B APTISTÈUES.  2!)!> 

colle  de  s.  Barthélémy  :  c'est  une  cuve  sur  laquelle  est  re- 
présentée rinimersiou  de  Graton  le  Philosophe  par  le  Dis- 
ciple hieii-aimé:  celui-ci  pose  sa  maiu  droite  sur  la  tète  du 
haptisé,  plongé  à  moitié-corps  daus  cette  belle  piscine  ;  une 
autre  scène  y  montre  le  Fils  de  Zacharic  opérant  de  la 
même  façon  sur  le  Fils  de  Dieu  qu'ombrage  la  colombe  et 
que  des  Anges  assistent  tenant  ses  vêtements  qu'ils  vont  lui 
rendre;  puis  vient  encore  le  baptême  de  Corneille  par 
S.  Pierre.  Dans  deux:  de  ces  scènes  ,  la  colombe  symbo- 
lique est  remplacée  par  la  main  divine  perçant  le  nuage  et 
dirigeant  vers  le  néophyte  des  rayons  qui  expriment  la 
présence  de  la  grâce  donnée  par  l'Esprit-Saint.  La  cuve  sur 
laquelle  tout  cela  est  battu  et  ciselé  se  pose  sur  douze  bœufs 
de  magnifique  aspect,  image  en  môme  temps  des  douze 
Piophètes  de  l'ancienne  Loi  et  des  douze  Apôtres  de  la  nou- 
velle ,  réunissant  ainsi  la  double  pensée  du  baptême  et  d(^ 
la  circoncision  qui  en  était  l'annonce ,  et  faisant  aussi  de 
la  belle  vasque  baptismale  un  souvenir  de  cette  mer  d'airain 
que  Salomon  avait  consacrée  dès  l'entrée  de  son  temple  à 
la  purification  légale,  où  se  préfigurait  notre  baptême  ciiré- 
ticn  (1). 

Ce  sont  là  de  beaux  motifs,  et  très-variés,  pour  créer  des  Liberté  laisséo 
tableaux  destinés  à  une  chapelle  baptismale  ;  car,  tout  en  rE^ibè'sur  toul 
respectant  fort  la  scène  du  Jourdain  et  les  personnages  qui 
la  composent,  nous  ne  savons  aucune  loi  qui  ordonne  de 
s'en  tenir  à  elle  exclusivement.  Nous  voyons  ici  comment 
on  poui'rait  bien  choisir  un  des  baptêmes  devenus  célèbres 
dans  nos  Livres  saints.  Une  décoration  générale  de  toute 
une  chapelle  appellerait  avantageusement  le  parallélisme  de 
l'ancien  et  du  nouveau  Testament:  par  exemple,  l'ablution 
du  lépreux  Naaman  dans  le  Jourdain,  dont  les  eaux  le  gué- 
rissent (2),  et  (iuel([ues- unes  desablutions  plus  merveilleuses 
encore  dont  nous  venons  de  parlei'.En  quelqueséglises,  nous 

(1)  Voir  III  lU'fj.,  vu,  ii. 

(2)  Voir  IV  liefj.,  v,  1  et  suq. 


CCS  points. 


300  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

avons  vu  S.  Rcmi  versant  l'eau  sur  le  (roui  de  Glovis  ;  ail- 
leurs, c'est  encore  le  Précurseur,  non  pas  baptisant, 
mais  prêchant  dans  une  campagne,  aux  bords  d'un  fleuve, 
et  préparant  an  baptême,  par  la  parole  de  Dieu ,  ce  peuple 
qu'il  exhorte  à  la  pénitence  :  ainsi  l'ont  représenté  S.  Mat- 
thieu, S.  Marc  et  S.  Luc  (4). 
Des  tombeaux       Gombieu  CCS  cîioses  sont  attachantes  avec  leur  coloris 

dans  les  églises,  et 

de  l'esprit  qu'on  d'autiquité  chrétienne  ,  avec  tout  ce  qu'elles  disent  à  l'âme 

devrait  y  garder.  ^ 

religieuse ,  qui  y  rencontre  les  éléments  primitifs  de  sa  foi 
et  des  preuves  de  ses  constantes  traditions  contre  les  men- 
songes de  l'hérésie  !  Ainsi  se  parcourt  toute  la  vie  humaine 
(3ntrc  SOS  luttes  laborieuses  qui  commencent  à  son  premier 
jour,  et  les  saintes  espérances  qui  la  consolent  par  delà  les 
appréhensions  du  tombeau  !  C'est  encore  pour  ramenei- 
l'âme  à  ces  vérités  salutaires  que,  sous  les  voûtes  mêmes  oîi 
se  recevait  le  baptême ,  se  multipliaient  aussi  les  images 
du  trépas,  le  souvenir  des  dernières  fins  de  l'homme.  Nous 
avons  dit  (2)  quel  esprit  devait  présider  à  ces  monuments 
Cunéraires,  que  nos  églises  du  moyen  âge  se  gardaient  bien 
de  dédaigner,  parce  qu'ils  y  étaient  une  leçon  non  moins 
éloquente  que  la  chaire  évangélique.  On  sait,  du  reste, 
comment  on  y  retrouvait  dans  tous  ses  caractères  l'ardeur 
de  la  foi,  la  simplicité  d'un  cœur  humble  et  la  confiance 
cJirétienne.  C'est  ici  le  lieu  d'insister  pour  que  jamais  d'au- 
tres idées  ne  viennent  s'y  rattacher  à  ces  derniers  souvenirs 


(1)  «  Venit  Joanneà  Daptista,  prœdicaus  in  deserto  Jiida3se  et  dicens  : 
Pœnilentiam  agile...  —  Timc  exibat  ad  eum  Jerosolyma  ,  et  omnis 
tegio  circa  Jordanem.»  {MatUt.,  m  ,  1  et  seq.)  —  «  Veuerunt  autein  et 
piiblicani...,  iuterrogabant  eum  et  milites.  »  {Luc,  lu,  3  et  seq.) — 
Tous  ces  détails  ont  servi  de  motif  au  font  qu'on  voit  encore  dans  l'église 
de  Mousson  (î\ieurthe;,  que  le  BidUtin  monumental  di  donné  dans  son 
treizième  volume,  p.  179.  —  Il  faut  observer  seulement  que  ce  travail 
tiè5-sym')oliqiie  n'est  pas  du  onzième  siècle,  comme  chercbe  à  l'établir 
M.  Digot,  mais  du  douzième  très-certainement,  d'après  sa  sculpture,  et 
surtout  les  empattements  qui  relient  les  bases  des  colonnes  à  leurs 
socles. 

(2)  Ci-dessus,  dans  ce  volume,  cli.  u,  p.  89. 


AMEUBLEMENT   DE   l'ÉGLISE.  —  TOMBEAUX.  'M\ 

de  riiomme  sur  la  terre,  qui  doivent  être  en  môme  temps 
conl'ormes  à  sa  nature  coupable  et  au  sentiment  du  besoin 
qu'il  a  de  son  pardon  devant  le  ti'ibnnal  on  il  a  déjà  paru. 
Il  a  fallu  l'orgueil  et  le  sensualisme  de  la  Renaissance 
païenne,  consonunée  à  Tépoque  de  Jean  lluss  et  de  Luther, 
pour  donner  à  des  morts  ces  airs  de  grandeur  empruntée 
qui  ne  sont  plus  que  la  ridicule  parodie  d'une  puissance  à 
jamais  perdue.  Voyez-les  se  dressant  par  une  vie  d'emprunt, 
en  lace  même  de  la  mort  qui  les  lie  ,  sur  un  marbi'e  où  se 
lisent  de  fastueuses  vertus  qu'ils  n'eurent  jamais  qu'à  moi-     Les  modèles  du 

^  Il  i  moyen  âofe  prefe- 

tié...  Comparez  ces  immobiles  prétentions,  cette  action  im-  rabies   en    tous 

^  '■  points. 

maine,  ces  gestes  impérieux,  en  un  mot  tous  ces  mensonges 
sculptés ,  avec  cette  pose  placide  et  naturelle  de  nos  héros 
des  douzième,  treizième  et  quatorzième  siècles  coucliés  sur 
la  pierre  connue  des  morts  véritables  et  attendant,  les  yeux 
li\és  vers  le  ciel,  ce  jour  éternel  ([u'ils  ont  toujours  espéré. 
Que  tout  cet  ensemble  est  chaste  et  respectueux!  comme 
cette  armure  du  chevalier,  ces  i*obes  de  la  châtelaine  ex- 
()riment  bien,  dans  leur  noble  agencement,  les  combats  mé- 
ritoires de  la  croisade  ou  les  vertus  tranquilles  du  foyer 
féodal  !  La  prière  n'est-elle  pas  dans  ce  cœur  qui  semble 
revivre  encore  sous  les  apparences  de  la  piété  recueillie? 
Ces  mains,  qui  défendirent  le  faible  contre  le  persécuteur, 
ou  l'État  contre  l'Anglais  ,  ou  l'Église  contre  les  routiers  de 
Montfort,  se  joignent  maintenant  pour  prier;  et  quel  que 
soit  celui  que  cette  tombe  renferme,  vous  reconnaissez  en  lui 
une  vie  surnaturelle,  que  ses  pieds  reposent  ou  sur  le  lion, 
emblème  du  courage  et  de  la  force,  ou  sur  le  lévrier  docile, 
qui  symbolise  encore  le  sentiment  de  la  fidélité  conjugale. 
Là,  rien  de  fastueux  ni  d'altier.  Si  parfois  des  armoiries  s'\ 
rencontrent ,  elles  sont  bien  plutôt  un  nom  propre ,  un 
tilrt;  de  famille,  qu'un  signe  d'ostentation  nobiliair(\  Quant 
à  l'épitaphe ,  éloge  funèbi-e  d'une  vanité  dont  on  n'avait 
pas  encore  le  secret,  vous  l'y  trouvez  rarement,  sinon 
pai   qu(M(fU('s  mois  indisponsablcs    (fuc    termine   toujours 


302  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

riiiimble  demande  d'une  prière  pour  l'âme  qui  n'est  plus  là. 
Combien  il  im-       Nous  voudrlons  que  ,  désabusés  des  prétextes  irréligieux 

porte  de  les  imi-  ^  i  <^ 

ter.  qui  exilèrent  nos  morts  de  l'église  où  ils  avaient  prié  et  où 

revenait  plus  souvent  pour  eux  le  tribut  de  la  prière 
commune ,  leurs  neveux ,  mieux  inspirés ,  leur  consacras- 
sent encore,  sous  le  regard  du  Sauveur  eucharistique,  non 
d'insignifiants  cénotaphes  parlant  moins  au  cœur  qu'à 
l'imagination,  mais  de  véritables  sépulcres  renfermant  les 
dépouilles  réelles  et  complétant  dans  nos  temples  catho- 
liques les  sublimes  leçons  que  l'humanité  doit  y  trouver. 
Si  ce  vœu  s'accomplit  un  jour  pour  un  peuple  revenu  à  la 
vérité ,  et  glorieusement  honteux  de  l'avoir  trop  longtemps 
délaissée ,  que  les  chefs  de  la  prière ,  que  les  Évoques ,  les 
Chapitres  veillent  pour  chaque  diocèse ,  et  chacun  dans  ses 
attributions  respectives  (^),  à  ranimer  ces  pieuses  habi- 
tudes de  nos  pères  ;  qu'ils  veillent ,  comme  on  devrait  le 
l'aire  depuis  longtemps ,  à  ne  rien  laisser  construire  dans 
le  Lieu  saint  qui  ne  soit  digne  de  lui ,  d'accord  avec  la 
sainteté  du  culte,  et  très-conforme  aux  pensées  de  l'Église 
sur  l'état  humble  et  suppliant  des  âmes  du  purgatoire.  En 
vain  on  invoquera  le  progrès  et  des  goûts  modernes  en  fa- 
veur de  ces  monuments  qui  dépassent  toutes  les  limites  des 
convenances  et  insultent  à  l'esprit  de  la  rehgion  :  ces  plaintes 
ne  viennent  jamais  que  des  mercenaires  intéressés  à  faire 
beaucoup  ,  et  à  qui  il  faut  apprendre  nécessairement  à  faire 
mieux.  Quelques  belles  œuvres  de  ce  genre  ont  d'ailleurs 
prouvé  tout  récemment  ce  qu'on  gagnait  à  se  régler  sur  le 

(1)  Nous  disons  dans  ses  atlributions  respectives  parce  que,  soit  dans 
les  cathédrales,  où  le  Chapitre  doit  toujours  être  consulté  pour  ce  qui 
regarde  leurs  biens  meubles  ou  immeubles,  et  dans  les  paroisses,  où 
les  fabriques  ont  un  droit  légal  d'administration  du  temporel ,  les 
évoques  ne  doivent  exclusivement  s'attribuer  en  rien  les  œuvres  de 
réparation  ou  de  restauration.  Le  droit  canonique  est  formel  sur  ce 
point,  qui,  mieux  observé,  eût  maintes  fois  préservé  les  plus  belle? 
églises  des  tristes  dévastations  qui  s'y  sont  faites  sous  prétexte  d'em- 
bellissement.—Voir  Laurenii  Forum  ecclesiaslicum,  tit.  x,  in  Décrétai. 
lib.  III,  quaest.  109,  —  et  Bouix  ,  Tractât,  de  Capitulis,  p.  388. 


AMEUBLEMENT  DE  l'ÉGLISE.  —  TOMBEAUX.      303 

moyen  âge ,  et  comme  le  style  roman  ou  ogival ,  dont  nous 
ne  pouvons  pas  sortir  pour  la  construction  de  nos  temples 
catholiques ,  s'allie  l)ien  plus  heureusement  avec  des  enfeux 
ou  des  statues  couchées  qu'avec  ces  amhitieux  cénotaplies 
qui,  dans  le  premier  style  venu,  rapetissent  jusqu'à  l'autel 
et  luttent  de  forme  et  de  travail  avec  les  magnificences  du 
tabernacle  !  iX'encomljrez  pas  le  sol  qui  doit  laisser  à  tout 
lidèle  un  libre  passage  ;  ne  cachez  pas  sous  les  altières 
sculptures  de  vos  monuments  funèbres  les  murs  qui  doi- 
vent se  parer  de  fresques  symboliques  ;  imitez  plutôt  ces 
belles  et  simples  sépultures,  aussi  peu  embarrassantes  qu'ad- 
mirables d'exécution ,  dont  s'ornèrent  au  treizième  siècle 
les  égUses  de  Cerisiers  et  de  Dillo,  dans  l'Yonne  (I),  et 
encore  cette  belle  tombe  que  la  cathédrale  de  Nîmes  éleva, 
en  1855,  aux  restes  de  son  évoque,  Us^  Gart ,  sur  les  plans 
de  M.  Revoit  (2). 
Ou  bien  cherchez  jusque  dans  les  catacombes  ces  pieuses       symboles  qui 

''        ^  A  peuvent  y  être  ap- 

alléaories  des  agneaux  ,  des  colombes  ,  des  croix ,  rangés  Piqués  de  notre 

o  n  7  7  o  temps. 

autour  du  chrisme  antique ,  et  les  plantes  vivaces  des  vertus 
les  plus  douces  :  la  rose  et  le  lis ,  le  palmier  et  le  cèdre  , 
l'ancre  de  l'espérance  et  du  salut ,  la  lyre  qui  prélude  aux 
concerts  éternels  ,  et  le  cerf  altéré ,  et  l'arche  de  Noé  ,  et  la 

barque  de  Pierre Quel  immense  champ  à  récolter  dans 

ces  chères  idées  des  premiers  âges  ! 

Et  pourffuoi ,  en  attendant  que  la  Loi  spirituelle  recon-  inscriptions  fu 
quière  pour  les  morts ,  dans  leur  propre  église  ,  une  place  aux  églises, 
f|ue  chacun  devrait  aspirer  à  leur  rendre  ,  pourquoi  ne  pas 
anticiper  sur  cette  réparation  tle  toute  justice,  en  obtenant 
des  fabriques  ,  moyennant  un  droit  proportionnel,  la  place 
de  quelqu(;s  pierres  tombales  à  incrustations,  à  inscriptions 
funéraires  qui  parleraient  encore,  sous  le  regard" de  Dieu  , 

(1)  Le  Bulle  lin  monumental  en  a  publié  des  gravures,  t.  Xin,p.2G2 
et  suiv.;  XIV,  409. 

(2)  Voyez-en  la  description  et  le  dessin  dans  la  Hevue  de  Varl  chré- 
tien, il,  70. 


304  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

des  âmes  absentes  qu'un  souvenir  ami  viendrait  soulager 
souvent ,  et  entin  délivrer?  Ces  modestes  hommages  de  la 
piété  s'encastreraient  dans  les  surfaces  des  murs ,  ne  ravi- 
raient aucun  espace  aux  cliapelles  ou  aux  nefs,  et  des  noms 
aimés,  dignes  de  la  mémoire  des  lions,  se  perpétueraient 
comme  un  nécrologe   lapidaire   sous  les  précieuses  in- 
fluences du  sacrifice  de  l'autel, 
pour  y  remplacer      Aiiisl  OU  obvlcrait,  autaut  que  possible,  aux  profanations 
n?bres"et"7es%é-  légalcs  quc  Ics  adiiiiiiistrations  urbaines  répètent  trop  fré- 
putuips.  quemment  en  bouleversant  les  places  étroites  des  cime- 

tières, au  mépris  des  dépouilles  dont  une  société  affaissée 
méconnaît  les  droits  sacrés  ;  ainsi,  dans  la  maison  de  Dieu, 
se  perpétuerait,  sans  aucun  risque  d'y  être  troublée,  la  vie 
de  ceux  qui  s'aimèrent  en  Jésus-Christ  pendant  le  court 
pèlerinage  de  la  terre;  ainsi  encore  l'intelligence  des  peuples 
se  nourrirait  chaque  jour  des  symboles  qui  l'intéressent  le 
plus,  et  apprendrait  à  y  lire,  comme  autrefois,  ses  plus 
intimes  croyances  et  ses  plus  utiles  leçons. 

Cette  idée ,  qui  a  servi  de  base  à  une  fondation  de  prières 
pour  les  morts  à  Saint-Jean-de-Montierneuf  de  Poitiers ,  s'y 
révèle  depuis  quelques  années  par  un  grand  nombre  d'ins- 
criptions funéraires.  Nous  louons  beaucoup  l'adoption  de 
cette  pensée  par  M.  le  curé  de  Montierneuf.  On  s'aperçoit 
déjà,  en  attachant  ses  regards  aux  parois  d'une  des  chapelles 
de  la  magnifique  abbatiale,  combien  l'attention  se  reposerait 
pieusement  sur  une  telle  série  de  commémoraisons ,  infini- 
ment plus  désirables  que  beaucoup  de  peintures  murales 
qu'on  n'est  pas  toujours  sûr 'd'y  réussir.  Puissent  d'autres 
églises  honorer  ainsi  la  mémoire  de  leurs  amis  par  un 
spectacle  non  moins  utile  que  touchant  î 


CHAPITRE  vm. 


DES     MODILLONS. 

Les  aperçus  généraux  que  nous  avons  donnés  sur  les 
nombreuses  images  décoratives  que  la  main  des  artistes 
jeta  sur  les  murs  de  nos  temples  n'étaient ,  nous  l'avons 
dit,  qu'une  vue  d'ensemble  préludant  alors  à  ce  que  nous 
devrions  exposer  des  intentions  de  l'arcbitecture  cbrétienne 
et  de  ses  moyens  d'action  sur  l'intelligence  (^).  Mais  nous 
avons  promis  de  revenir  sur  ce  vaste  objet  d'études  sérieuses, 
(jui  mérite  notre  attention  et  dont  nous  avons  maintenant 
à  développer  la  tliéorie. 

Lorsqu'en  ^849  nous  donnâmes  dans  notre  Histoire  de  la     Études  déjà  an- 

ciennes    de     l'au- 

cathédrale  de  Poitiers  (2)  l'explication  de  tous  les  modillons  teur  sur  ce  bujet , 
qui  en  décorent  si  élégamment  le  pourtour  intérieur ,  cer- 
tains critiques  nous  trouvèrent  au  moins  ingénieux ,  d'au- 
tres nous  accusèrent  de  trop  de  bardiesse...  On  est  bien 
revenu  aujourd'bui  de  ces  étonnements  et  de  ces  doutes. 
Un  savant  anglais  nous  disait  naguère  que  la  Société  des 
antiquaires  de  Londres ,  émue  de  la  netteté  de  nos  affir- 
mations ,  s'était  occupée  de  les  examiner,  et  nous  regardait 
comme  le  premier  divulgateur  de  ces  mystères.  En  effet , 
en  écrivant  sur  ce  sujet  dans  un  livre  où  l'bistoire  de  l'art 
s'associait  nécessairement  à  celle  de  la  basilique  poitevine, 
nous  ne  suivions  personne  qui  nous  eût  encore  précédé 

(1)  Ci-(lessu?,  cl).  III. 

(2)  T.  I,  ch.  IV  et  .suiv. 

T.  m.  20      * 


300  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

qui  a  trouvé  de  (jans  cctte  caiTière.  On  n'avait  pas  encore  traité  de  ces  petits 

nombreux  antago- 
nistes, sujets  ;  on  n'en  avait  écrit  que  quelques  lignes  dédaigneuses, 

uniquement  pour  en  signaler  la  prétendue  bizarrerie  ,  et 
déclarer  que ,  s'ils  «  répondaient  à  je  ne  sais  quelle  idée 
symbolique ,  on  ne  pouvait  guère  les  interpréter  que  par 
des  imaginations  et  des  conjectures.»  —  C'était  là  seulement 
à  quoi  croyaient  pouvoir  aspirer  des  esprits  droits,  mais 
timides ,  sur  un  point  dont  rien  ne  leur  avait  révélé  le  fond. 
D'autres  tâtonnaient,  il  est  vrai  ;  le  sentiment  mieux  inspiré 
de  quelques  consciences  chrétiennes  les  avertissait  que,  sous 
ces  formes  difficiles  à  traduire ,  se  cachaient  savamment 
autant  de  pensées  toutes  pleines  de  christianisme  (-1).  Mais 
d'autres ,  à  qui  les  Pères  et  la  Bible  n'étaient  pas  assez 
familiers ,  déclaraient  ne  rien  entendre  «  à  ce  sens  figuré,  » 
et  le  présentaient  «  comme  un  vaste  champ  d'énigmes  aux 
partisans  du  symbolisme  absolu  (2).  »  En  vain,  au  congrès 
scientifique  de  Tours ,  tenu  en  ]  847,  nous  avions  déjà  éla- 
boré toute  notre  doctrine.  Complètement  opposée  à  celle 
d'un  ou  deux  antagonistes,  zélés  partisans  d'idées  quiéblouis- 
saient  un  peu  trop  des  yeux  mal  exercés ,  en  vain  nous  y 
avions  été  entendu  par  des  soutenants  de  bonne  force  , 
armés  de  raisons  vraiment  admissibles  ;  il  fallut  encore 
quelques  années  pour  obliger  au  silence  et  probablement 
à  des  convictions  nouvelles  les  anti-symbolistes  que  nous 
mais  qui  n'en  peut  avlous  couibattus  (3).  Plus  dc  vlugt  aus  sc  sout  écoulés 
pusavou.  depuis  lors  ;  dans  ce  long  espace,  les  études  sont  devenues 

plus  attentives ,  des  découvertes  se  sont  faites,  et,  pour  ar- 
river au  point  où  nous  sommes  enfin  ,  c'est-à-dire  à  l'ad- 
mission définitive  d'une  théorie  qu'on  ne  peut  plus  nier  et 
qu'on  ne  discute  plus  que  sur  de  faibles  nuances  de  détail, 

(1)  Voir  une  dissertation  de  M.  de  Fleury,  imprimée  en  1843  dans  le 
compte  rendu  du  Congrès  archéologique  de  Poitiers,  Bidlel.  moniim., 
IX,  460  et  suiv. 

(2)  Congrès  archéologiques  de  Beauvais  et  de  Saintes,  Bullet., 
monum.,X,  318,  562. 

(3)  Congrès  scientifique  de  Tours,  t.  1,  p.  102;  t.  II,  p.  85. 


DES  MODILLONS.  307 

il  a  fallu  se  trouver  tout  simplement  forcé  d'adopter  nos 
vieilles  leçons,  de  reconnaître  comme  triple  source  des 
modillons  sculptés  l'Écriture ,  les  Pères  et  la  Légende  ;  et 
après  tout  ce  qu'on  a  dit  pour  ou  contre  notre  sentiment, 
nous  n'avons  qu'cà  poursuivre  notre  même  thèse,  appuyé 
de  plus  sur  le  curieux  et  décisif  ouvrage  de  S.Méliton ,  avec 
lequel  notre  lecteur  est  déjà  familiarisé,  et  que  nous  devrons 
avec  lui  retrouver  encore  plus  d'une  fois. 

Nous  n'avons  pas  à  nous  étendresur  l'origine  de  ce  genre  origine  et  objet 
d'ornementation  murale.  On  sait  qu'au  dehors  ou  à  l'inté- 
rieur des  temples,  sous  les  entahlements  et  les  corniches , 
il  représente  les  extrémités  des  poutres  qui  d'ahord  saillis- 
saient des  murs  pour  soutenir  les  profds.  La  part  du  génie 
dans  ce  que  nous  voyons  fut  de  trouver  à  utiliser  ces  moyens 
de  solidité  en  les  faisant  servir  comme  décoration  artistique, 
et  d'ajouter  par  là  ,  selon  la  pensée  dominante  de  l'art 
chrétien ,  un  auxiliaire  de  plus  à  l'ensemhle  de  ses  doc- 
trines théologiques.  Ainsi ,  de  matériaux  inutiles  en  appa- 
rence, et  en  effet  de  très-mauvais  goût,  l'architecte  se  créa 
une  nouvelle  ressource.  Toutes  ces  extrémités  disgracieuses 
d'arhres  écarris,  que  l'édifice  ne  pouvait  guère  dissimuler 
ou  que  des  formes  insignifiantes  laissaient  muettes  et  sans 
hut,  devinrent  autant  d'expressions  nouvelles  d'une  pensée  • 
philosophique,  autant  de  phrases  d'un  traité  de  morale  plus 
ou  moins  développé.  On  remarque  surtout  ce  soin  d'une 
parure  ingénieuse  dans  les  vieilles  éghses  de  Bretagne , 
dans  celles  mêmes  qui  ne  remontent  qu'au  seizième  siècle, 
et  parfois ,  comme  nous  l'avons  ohservé  à  Vannes  et  à 
Ploërmel,  les  chevrons  destinés  à  supporter  les  formes  ou 
les  entraits  de  la  charpente  en  bois  qui  forme  la  voûte 
s'avancent  au-dessus  de  la  nef  jusqu'à  -^0  ou  50  centimètres 
des  murs  d'où  ils  sortent ,  et  présentent  à  l'œil  comme  des 
gargouilles  dont  la  tête  varie  en  mille  expressions  diverses, 
presque  toutes  de  mauvais  génies  et  de  démons.  Il  a  dû 
sembler  piqujuil  à  d(!s  artistes  imhus  de  leur  rôle  de  faire 


308  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

supporter  le  temple  du  Dieu  vivant  par  l'auteur  de  la  mort 
éternelle.  Rien  n'étonne  donc  rintelligence  du  vrai  chré- 
tien dans  ces  leçons  publiques,  professées  à  l'aide  de  figures 
mystiques ,  il  est  vrai ,  mais  bien  moins  obscures  aux  con- 
temporains qu'on  n'a  bien  voulu  le  dire,  lorsqu'elles  étaient 
destinées,  comme  tant  d'autres ,  à  faire  cortège  à  tout  ce 
qu'avait  de  mystérieux  dans  le  temple  la  vie  cachée ,  et 
cependant  très-réelle,  du  Dieu  que  la  foi  sait  y  voir,  y  adorer 
et  y  prier. 
connus  des  Ro-  Mais  cc  u'cst  mômc  pas  le  Christianisme  qui  trouva  le 
mains  et  des  Juifs,  pj,gj^|gj,  ^g  ^^^^e  d'omementatiou  scientifique.  Les  décou- 
vertes modernes  en  ont  fait  sortir  des  fouilles  de  Jublains , 
et  ceux-ci  prouvent  que  l'architecture  romaine  en  parait 
l'intérieur  de  ses  temples  (^j.  Quoi  qu'il  en  soit,  et  pour 
rentrer  positivement  dans  l'idée  hiératique ,  le  temple  de 
Salomon ,  de  cet  écrivain  dont  toutes  les  pages  restent  les 
dépositaires  de  la  plus  haute  sagesse  antique,  et  qui  aimait 
à  proposer  des  problèmes  à  ses  illustres  correspondants  (2), 
s'embellissait ,  mille  ans  avant  notre  ère ,  de  sculptures  qui 
n'étaient  autres  que  nos  modillons,  et  qui  toutes  avaient  leur 
sens  déterminé  et  éminemment  religieux.  Des  murailles 
du  temple  semblaient  jaillir  des  palmes ,  des  figures  de 
chérubins  ,  et  autres  moulures  sculptées  qui  se  déta- 
chaient du  fond  et  que,  pour  cela,  on  appelait  des  anaglyphes 
et  naturellement  (ccyayALiqjw)  (3) .  Quclquc  varlés  quc  paraissent  ces  motifs,  ils 

(1)  Voir  Bullel.  monum.,  XIX,  590.  M.  de  Caumont  y  signale  sim- 
plement des  modillons  trouvés  dans  les  ruines  du  caslellam  élevé  par 
les  Romains  dans  le  Maine;  mais  il  n'en  donne  pas  la  description,  qu'on 
ne  devrait  jamais  omettre  en  pareil  cas  ,  puisqu'elle  ajouterait  aux  no- 
tions déjà  acquises,  et  servirait  utilement  l'étude  comparative^qui  de- 
vient impossible  avec  de  si  incomplets  renseignements. 

(2)  «  Omnesque  reges  terrarum  desiderabant  videre  faciem  Salo- 
monis  ut  audirent  sapientiam.  »  (III  Paralip.,  ix,  23.) —  «  Regina  Saba 
venit  tentare  eum  in  aenigmatibus...;  non  fuit  sermo  qui  regem  possit 
latere,  et  non  responderet  ei.  »  (III  Reg.,  x,  \  et  3.) 

(3)  «  Omnes  parietes  templi  per  circuitum  scripsit  variis  cœlaturis 
et  torno  ;  et  fecit  in  eis  cherubim,  ctpalmas,  et  picturas  varias  quasi 


DES   MODILLONS.  30!) 

faut  croire  qu'ils  ne  sont  indiqués  dans  le  li\rc  biblique  que  cStianisme.  '^ 
fort  succinctement  et  seulement  pour  donner  en  quelques 
traits  une  idée  du  tout.  Mais  la  religion  du  symbolisme  par 
excellence ,  celle  qui  a^ait  transporté  dans  ses  premières 
images  le  parallélisme  des  deux  Testaments,  qui  abritait  le 
nom  et  la  personnification  adorables  de  Jésus  sous  les  noms 
de  Moïse  ,  de  Jonas ,  et  déguisait  enfin  le  divin  encban- 
teur  des  âmes  sous  les  traits  factices  d'Orpliée  et  d'Apollon, 
ne  pouvait  se  contenter  de  si  peu.  Plus  contemplative,  plus 
préoccupée  des  rapports  chrétiens  entre  la  terre  et  le  ciel , 
elle  lit  passer  naturellement  dans  l'art  cette  métaphysique 
supérieure ,  et  recula  jusqu'aux  limites  infinies  du  possible 
le  domaine  de  la  pensée  et  les  conquêtes  de  l'imagination. 
De  là  cette  variété  inappréciable  de  symboles  empruntés  à 
tous  les  l'ègnes  de  la  nature,  à  tous  les  ordres  de  l'existence 
humaine  ou  surnaturelle ,  et  qui ,  toujours  plus  vive  et 
plus  féconde,  est  venue  peu  à  peu,  selon  que  l'architec- 
ture prit  un  essor  plus  vaste  ,  blasonner  de  ses  pièces  et  de 
ses  couleurs  toutes  les  idées  qui  devaient  servir,  dans  toutes 
les  pai-ties  du  temple  nouveau  ,  le  dogme  et  la  morale  de 
l'Évangile. 
La  marche  de  ce  moyen  plastique  s'est  montrée,  en  effet,    Marche  progrès 

'j  ^  ^  ^     give  de  ce  moyen 

presque  insensible  et  progressive.  A  en  juger  par  ce  qui  dans  rhistoire  de 
nous  reste  des  églises  les  plus  anciennes ,  telles  que  les 
temps  primitifs  de  nos  deux  premières  races  en  ont  laissé 
jusqu'à  nous  des  vestiges  plus  ou  moins  considérables  ,  on 
peut  certainement  établir  que  les  images  produites  par  le 
symbolisme  se  réduisirent  à  un  petit  nombre  souvent  répété 
et  ne  remplissant  qu'à  peine  des  surfaces  étroites.  A  l'époque 
carlovingienne ,  tout  empreinte  de  ce  qu'il  y  a  de  massif  et 

prominenles  de  pariete  eiegredienle.s...  Et  sculpsit  in  ostiis  picturam 
cherubim  et  pulmarum  species  ,  et  anaglyplia  valde  prominenlia...  » 
(III  Re(j.,  VI,  33  et  siiiv.)—  «  Anar/lypha  vox  est  graîca,  significans  ima- 
gines etpicturas  e  superficie  [larietis,  tahiilœ  vel  ostii  exstantes  et  pro-    . 
mineules.  »  (Kstius,  in  h.  loc;  Cornel.  à  Lapide,  Sanctius  etaiii.) 


3J0  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

de  lourd  dans  la  construction  architecturale ,  on  les  voit  se 
produire  sous  des  traits  qui,  pour  n'avoir  rien  de  gracieux, 
n'en  ont  pas  moins  un  langage  très-reconnaissable.  Les 
figures  d'animaux ,  les  signes  de  géométrie ,  les  fleurs ,  les 
astérisques,  les  entrelacs,  y  paraissent  presque  toujours 
isolés  un  à  un  sur  chaque  petite  pierre  dont  ils  ornent  la 
surface  ou  les  contours.  Ce  sont  évidemment  des  souvenirs 
des  textes  bibliques  réduits  à  leur  {)lus  simple  expression. 
La  face  humaine  n'y  est  pas  rare,  mais  c'est  un  type  de  peu 
d'effet,  sans  expression  arrêtée  peut-être,  mais  jouant  un 
rôle  évidemment  intentionnel  dans  l'ensemble  de  ces  scènes 
dont  on  ne  découvre  pas  facilement  la  pensée  dominante  : 
sans  doute  on  doit  ces  grimaces-là  à  une  moindre  entente 
des  artistes  bien  plus  qu'au  dessein  arrêté  de  l'inventeur. 
Une  période  de  trois  ou  quatre  cents  ans  se  maintient 
dans  cette  négligence  de  la  forme.  Le  onzième  siècle  lui- 
même,  en  dépit  de  son  élan  architectural,  ne  prodigua  point 
une  grande  variété  de  ces  figures  significatives,  quoique 
sous  le  nom  de  iêies  plates  on  les  reconnaisse  facilement  dans 
les  monuments  de  cette  époque.  Cependant,  quand  ce  siècle 
est  près  de  sa  tin  ,  on  voit  naître  à  ces  premières  données 
une  agréable  modification;  les  modillons  se  rejoignent  par 
des  arcades  saillantes,  au  fond  desquelles  saillissent  en 
ronde  bosse  d'autres  sujets  qui  ne  sont  peut-être  pas  sans 
rapport  avec  ceux  des  modillons  eux-mêmes  :  c'est  ce 
qu'on  appelle  des  métopes  {iui.ir6nin) .  Ils  sont  conservés  de 
l'ordre  dorique,  où  ils  représentaient  les  intervalles  des  tri- 
Eiie  se  déve-  glyphcs',  mals,  arrivant  le  douzième  siècle  avec  son  efflores- 

loppe  surtout    au  •    r'  i  ^■>    ^  ^  e      L•^       ^  i      i 

douzième  siècle,  ccuce  SI  fccoudc  ,  avcc  1  abondance  fertile  de  ses  symboles 
et  sa  théologie  appliquée  si  savamment  à  la  pierre  ,  comme 
à  la  peinture  murale  et  aux  vitraux,  nous  sommes  en 
présence  d'immenses  richesses  ;  les  motifs  antérieurs  ne 
sont  pas  entièrement  bannis  ;  on  les  voit  encore  se  mêlant , 
par  leurs  caprices  de  végétation,  avec  les  dents  de  scie  ,  les 
billettes  et  autres  fantaisies  du  roman ,  puis  épanchant  de 


DES  MODILLONS.  SU 

tous  côtés  un  ordre  d'idées  bien  supérieur  et  bien  mieux 

suivi.  Toute  la  métapbysinuc  du  srenre  se  plie  aux  tentatives  ^^  déchoit  au  qua- 

"  *■  torzième   avec   la 

du  ciseleur.  Le  treizième  et  le  quatorzième  siècle  suivent  simplicité    chré- 
tienne. 

la  même  tendance  avec  plus  de  perfection  dans  la  forme  , 
et ,  par  ce  dernier,  avec  une  certaine  licence  qu'il  ne  faut 
pas  omettre  de  signaler,  car  c'est  surtout  alors  que  la  plii- 
losophie  catholique  commence  à  déchoir  de  sa  pureté  doc- 
trinale dans  le  choix  des  symboles  ;  la  légende  y  pénètre 
avec  un  esprit  plus  mondain  ;  le  paganisme  s'y  répand 
avec  ses  personnages  et  ses  faits,  qui  sont  beaucoup  plus 
de  l'allégorie  que  du  symbolisme.  On  revient  presque  à  ce 
grossier  et  matériel  usage  des  Romains  qui  ornaient  de 
tètes  d'esclaves  ou  d'ennemis  vaincus  les  frises  ou  les  im- 
postes de  leurs  arcs  de  triomphe.  C'est  ainsi  que  le  Lai 
(VAristote^  dû  à  un  romancier  du  treizième  siècle,  a  jeté 
au  commencement  du  quatorzième,  sur  un  chapiteau  de 
la  nef  de  Saint-Pierre  de  Gacn,  à  Saint-Jean  de  Lyon  comme 
sur  la  grosse  tour  du  château  d'Amboise ,  le  philosophe 
réduit  à  marcher  sur  les  genoux  et  sur  les  mains,  et  prêtant 
son  dos  à  une  femme  qui  le  mène  par  la  bride  comme  un 
cheval. 

Ainsi  déjà,  vous  le  voyez,  le  fait  légendaire,  passable , 
à  la  rigueur,  dans  l'ornementation  du  monument  civil 
ou  militaire,  se  glisse  dans  le  temple  ,  où  il  n'avait  que 
faire.  Déjà  l'esprit  antichrétien  préludait  à  multiplier  les 
cultes  et  à  laïciser  la  religion.  Le  Roman  de  la  Rose  a 
Iburni  aussi  son  contingent  aux  imaginations  d'artistes 
fourvoyés  :  on  trouve  en  certaines  églises  le  Palmerih  de 
ce  poème  traversant  la  mer  sur  sa  bonne  épée.  Évidem- 
ment ce  sont  là  des  observations  que  le  bon  goût  n'eût  pas 
conseillées;  elles  sont  le  cachet  d'une  époque  de  décadence, 
et  pourtant  elles  n'en  prouvent  pas  moins  une  volonté  ar- 
rêtée ,  quoique  moins  religieuse  par  l'expression  ,  d'ensei- 
gnei-  comment  l'homme,  créature  raisonnable,  comme  un 
philosophe  devrait  l'être  toujours,  peut  s'abaisser  par  ses 


3^2  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

passions  au-dessous  des  conceptions  les  plus  frivoles  ;  et  le 
héros  de  Jehan  de  Meung  n'est-il  pas ,  de  son  côté ,  une 
allégorie  de  la  force  surnaturelle  d'une  âme  chrétienne 
entreprenant,  pour  arriver  à  sa  fin,  les  choses  les  plus  ardues 
et  les  plus  impossihles  en  apparence  (4)?  On  rencontre 
bien  d'autres  légendes  de  cette  force  au  quatorzième  siècle , 
et  la  cause  principale  de  ces  débauches  de  l'esprit  est  sur- 
tout dans  l'envahissement  que  nous  avons  signalé  plus  haut 
de  l'œuvre  sainte  par  la  franc-maçonnerie  laïque,  déjà  plus 
Le  treizième  est  OU  molus  révolutiomiaire.  Le  treizième,  encore  à  lui-même , 

bien  plus  théolo-  ,,  •         i  •  .»  i  ai 

gique.  et  ne  ressentant  qu  a  peme  les  premiers  symptômes  de  cette 

usurpation  malheureuse ,  était  bien  mieux  avisé.  Tout  en 
sortant  quelque  peu  de  l'idée  dogmatique  ,  préférée  par  le 
douzième ,  il  reste  cependant  encore  dans  le  cercle  sévère 
de  la  piété  catholique.  Son  iconographie  se  rattache  aux 
faits  des  deux  Testaments ,  à  la  vie  des  Saints ,  à  des  mi- 


(1)  Nous  rappelons  encore  ici  aux  antagonistes  du  symbolisme  qui  se 
servent  de  certaines  hardiesses  pour  nier  toute  son  action  raisonnable, 
que  nous  avons  toujours  distingué  ce  quatorzième  siècle,  où  l'art  chré- 
tien s'incline  vers  sa  décadence,  de  tous  ceux  qui  l'ont  précédé,  et  cela 
jusqu'à  le  répudier  et  jusqu'à  promettre  de  venger  la  religion,  comme 
nous  le  faisons  dans  ce  livre ,  du  peu  d'honneur  qu'il  lui  a  fait  sous  ce 
rapport.  (Voir  Congrès  scienlifique  de  Tours,  l,  iQi ,  ubi suprà.)  — 
M.  de  la  Sicotière,  qui  plaidait  alors  contre  nous,  et  tout  en  acceptant 
avec  joie  ce  qu'il  appelait  u?ie  concession  nouvelle,  prenait  acte  de  notre 
répudiation  du  quatorzième  siècle  et  nous  alléguait  comme  parfaite- 
ment étrangers  à  l'Écriture  et  aux  traditions  religieuses  les  deux  épi- 
sodes que  nous  citons  ici.  C'était  trop  s'en  rapporter  à  des  citations  de 
plusieurs  membres  du  congrès  qui  ne  savaient  pas  assez  considérer  que 
leur  objection  et  la  sienne  reposaient  précisément  sur  des  faits  engen- 
drés par  la  période  qui  se  trouvait  reniée  par  nous   deux.  Et ,  pour 
comble  d'inattention,  notre  adversaire  ajoutait  à  ces  traits  du  quator- 
zième siècle  la  licorne,  qui  se  trouve  très- peu  sur  les  monuments  de 
cette  dernière  époque,  mais  beaucoup  sur  ceux  du  siècle  précédent, 
comme  le  prouvent  S.  Isidore  de  Séville,  Hugues  de  Saint-Victor,  Vin- 
cent de  Beauvais,  Rabaii-Maur ,  Pierre  de  Capoue  ,  Alain  d'Auxerre  et 
bien  d'autres, tous  antérieurs  au  quatorzième  siècle.  (Voir  Spicilfg. 
Solesin.,  III,  57.)  —  On  était  donc  bien  préparé  alors  à  cette  grande 
question,  dont  un  prompt  avenir  devait  éclairer  si  vivement  les  obscu- 
rités prétendues.  Qu'a-t-on  trouvé  depuis?  tout  simplement  ce  que 
nous  soutenions  alors. 


DES   MODILLONS.  3^3 

racles  ,  à  des  traditions  niysti(|iies.  Ses  chapiteaux  et  ses 
inodillons  (car  les  uns  ne  sont  guère  séparables  des  autres 
quant  à  l'examen  de  l'œuvre  d'art)  gardent  encore  le  respect 
tidèle  des  règles  fondamentales  :  tout  y  est  pris  des  inva- 
riables notions  du  dogme  et  de  la  morale  évangéliques  ; 
et  pour  peu  qu'on  sache  l'une  et  l'autre  par  l'étude  des  Pères 
et  des  commentateurs  de  l'Écriture,  on  lit  sans  trop  de  diffi- 
culté ces  pages ,  dont  les  obscurités  apparentes  ne  voilent 
qu'à  demi  de  réelles  et  imposantes  beautés. 

C'est  pourquoi ,  préalablement  à  tous  détails  d'iconogra-  ^^S^df^a  mé- 
phie,  et  avant  de  nous  faire  im  classement  qui  divise  en  ca-  *^«^^  ^"^^'<^' 
tégories  distinctes  les  modillons  qui  doivent  servir  à  notre 
étude,  il  nous  faut  développer  quelques  idées  générales,  qui 
suffiraient  très-raisonnablement  à  expliquer  les  images  si 
nombreuses  dont  s'étonneraient  encore  certaines  imagina- 
tions arriérées.  N'oublions  pas  ,  tout  d'abord  ,  le  principe 
déjà  développé  plus  d'une  fois  dans  cet  ouvrage  :  l'impossi- 
bilité absolue  que  l'Église  ait  jamais  permis ,  surtout  dans 
nos  siècles  les  plus  hiératiques,  de  placer  au  hasard ,  sous 
les  yeux  de  la  foule,  des  sujets  d'observation  qui  n'y  pussent 
être  qu'une  distraction  frivole,  et  souvent  môme  des  invita- 
tions aux  vices  les  plus  détestés. 

Ceci  bien  entendu,  remontons  à  l'origine  de  ces  curieux  dans  ics  mormions 

,.  .  ,.  Il    1         t         '        f  isolés  de  tous  au- 

dessms  ,  mterrogeons-les  tour  à  tour,  et  d  abord  pris  sepa-  très. 
rément  et  comme  isolés  les  uns  des  autres.  Nous  disons 
qu'en  ne  les  considérant  qu'à  ce  point  de  vue,  on  trouverait 
dans  chacun  d'eux  ,  avec  l'unicjue  secours  de  l'Écriture  et 
des  Pères ,  un  sujet  de  réflexions  qui  ne  manquerait  pas 
d'amener  à  autant  d'interprétations  péremptoires.  Sans  ^ 
doute,  la  multitude  des  textes  scripturaires  exprimant  les 
mêmes  pensées  feraient  naître,  selon  le  génie  de  rintcrprète, 
des  explications  diverses  pour  une  même  ligure;  la  règle  d'op- 
position, que  nous  avons  plus  d'une  fois  exposée,  en  tirerait 
même  avec  un  égal  succès  le  germe  fécond  d'idées  contra- 
dictoires; mais  toujours  on  se  rendrait  compte  d'une  inten- 


su  HISTOIRE  DU  SYMBOLISME. 

tien  symbolique  ;  on  verrait  une  raison  à  ces  êtres  si  nom- 
breux et  si  variés.  Telle  fut  certainement  l'idée  mère  qui , 
avant  toute  méthode  arrêtée ,  dut  inspirer  à  un  artiste 
quelconque  l'envie  de  faire  de  chacune  de  ces  pierres 
d'ornementation  une  abstraction  capable  de  susciter  dans 
l'esprit  des  souvenirs  et  des  comparaisons  relatives  aux 
choses  de  la  foi. 
Cette  méthode      N'était-cc  pas  la  pensée  de  S.  Denys  l'Aréopaffite  quand  il 

puisée    dans     les  c  i.     >^  x 

Pères  : -S.  Denys  écrivalt  i  <(  G'cst  loucr  Dieu  diarnement  que  d'embrasser 

l'Aréopagite , 

dans  sa  louange  toutes  les  choses  créées ,  pourvu  que 
nous  les  considérions  toujours  dans  leurs  rapports  avec 
Lui  (^)  !  ))  Or  c'est  là  précisément  ce  qu'est  appelé  à  con- 
sidérer celui  qui  examine  tant  de  figures  suspendues  à  nos 
corniches,  et  dont  l'âme  cherche  toujours  à  se  rendre 
compte.  Ce  qui  doit,  avant  tout,  lui  paraître  incontestable, 
c'est  qu'elles  doivent  se  rapporter  aux  liens  qui  rattachent 
Dieu  à  la  créature.  N'est-ce  pas  Lui,  en  effet,  qui  fit  pour 
s.  Clément d'A-  ellcs,  sclou  la  rcmarquc  de  S.  Clément  d'Alexandrie,  tous 

lexandrie , 

ces  éléments ,  tous  ces  animaux  dont  le  plus  noble  a  reçu 
certains  caractères  tout  divins  ?  n'est-ce  pas  Lui  qui ,  ayant 
créé  cet  être  à  son  image ,  et  tant  d'autres  sur  lesquels  res- 
pire le  souffle  de  sa  Sagesse,  s'est  applaudi  dans  ses  œuvres 
s.  Théophile  en  voyant  que  tout  y  était  souverainement  bon  (2)  ?  S.  Théo- 
phile d'Antioche,  donnant  les  preuves  del'existence  de  Dieu, 

(1)  Nous  ne  Srivons  plus  d'où  est  tiré  ce  texte  de  S.  Denys  que  nous 
trouvons  parmi  les  notes  recueillies  pour  ce  travail,  mais  que  nous  em- 
pruntons à  VUnivers,  feuilleton  du  18  juin  1851. 

(2)  «  Ipse  uamque  opifex  et  Dominas  omnium  in  operibus  suis  exsul- 
tat.  Cœlum  enim  suprema  sua  potentia  stabilivit  illudque  incomprelien- 
sibili  sua  sapientia  ornavit.  Terram  quoque  ab  aqua  quae  illam  ambit, 
separavit...,  et  animalia  quœ  in  illa  versantur,  jussu  suo  praecepit  esse. 
Mare  etiam  et  quce  in  illo  vivunt  animalia,  cum  prius  creasset,  sua  po- 
tentia inclusit.  Prae  omnibus,  animal  excellentissimum  et  intellectu 
maximum ,  hominem  sacris  manibus  formavit,  imaginis  suœ  charac- 
terem...H8ec  omnia  cum  perfecisset,laudaviteaetbenedixit...Habentes 
itaque  hoc  exemplar,  impigre  ad  voluntatem  Ejus  accedamus;  exstatis 
viribus  nostris  operemur  opus  justitiae.  »  (S.  démentis  Ad  Corinlfi. 
Episl.,  opp.  t.  I,  p.  166.) 


d'Antioche  ; 


DES   MODILLONS.  3^5 

disait,  vers  le  même  temps,  à  Autolycus,  combien  (le\ait  nous 
convaincre  cette  diversité  de  choses  muettes  ou  animées  qui 
composent  rensem])le  de  cette  merveilleuse  nature  dont 
les  évolutions  sont  aussi  constantes  que  précises  ;  et  chaque 
mot,  pour  ainsi  dire,  de  cette  éloquente  apologie  de  la  Pro- 
vidence est  à  lui  seul  un  modillon  (i).  Ne  voyons-nous  et  dans  lÉcriture. 

^    ^  "^  —  Variété  infinie 

pas  ces  mêmes  images  transportées  de  ces  pages  attachantes  de  ses  sujets, 
sur  les  corbelets  de  nos  églises ,  sur  les  chapiteaux ,  dans 
les  archivoltes  des  fenêtres,  dans  les  cintres  des  portails? 
Au  onzième  siècle  surtout ,  dont  il  nous  reste  encore  beau- 
coup d'églises ,  ou  dans  la  sculpture  mérovingienne  ,  dont 
quelques  débris  se  prêtent  à  nos  recherches ,  voyez  comme 
se  montrent  à  nos  regards  ces  nombreux  sujets  isolés, 
poissons ,  oiseaux  ,  fleurs  ,  serpents  ,  quadrupèdes ,  têtes 
humaines,  posés  là  évidemment  pour  y  représenter  l'œuvre 
de  Dieu  et  nous  élever  jusqu'à  lui.  Et  le  Psalmiste,  dans  les 
poétiques  élans  de  son  enthousiasme ,  n'avait-il  pas  énu- 
méré  aussi  tous  ces  chefs-d'œuvre  de  la  création?  ne  les 
e\horte-t-il  pas  à  louer  leur  auteur,  comme  s'ils  avaient  le 
sentiment  et  la  vie  morale?  Et  que  font  autre  chose  aux 
murs  de  nos  temples  ces  arbres  et  ces  collines,  ces  fleuves 
ondulés ,  ces  soleils,  ces  étoiles  et  ces  croissants ,  ces  visages 
souriants  de  jeunes  filles  et  de  jeunes  hommes,  ces  rois 
couronnés  et  ces  juges  de  la  terre,  ces  instruments  de  mu- 
sique et  ces  têtes  d'anges  (2)  ?  Dites-nous  quel  est  le  sens  de 

(1)  «  Considéra...  tempestatum  vicissituflines...,mensium  et  annonim 
rite  descriptas  vices,  seminum,  plantarum  et  fructuum  amœnam  va- 
rietatem,  diverses  pecudum  fœtus,  qiiadrupedum,  volatilium,  repti- 
lium,  natatilium  thivialiura  et  marinorum...,  dulcium  et  perennoniin 
perenues  lluxus...,  corporuni  cœlestium  diverses  motus,  Lucifenim  ex- 
orientem  et  perfecti  astri  adverituin  pra;iiuutiantem...,ijuibus  omnibus 
multiplex  Dei  sapientia  propria  noraina  imposait...  »  (Theopliil., 
Antioch.  episc,  Ad  Auioly.  episl.  prima,  apud  S.  Justinum,  p.  3i() 
et  scq.) 

(2)  «  Laudate  Dominum,  sol  et  luna...,  montes  et  omnes  colles,  lijïna 
fructifera  et  omnes  cedri...,  bestiaî  et  universa  pecora...,  reges  et 
omnes  judices  terrae...,  juvenes  et  virgincs.  »  {Pf:.,  cxi^viii,  passim.)  — 


3^6  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

tout  cela: s'il  n'est  pas  une  émanation  des  Livres  sacrés, dont 
ils  semblent  une  traduction  aussi  fidèle  que  souvent  élé- 
gante, et  si  réellement  le  rôle  qui  leur  est  assigné  sur  tant  de 
pierres  n'est  pas  aussi  digne  du  sculpteur  que  du  poète  divin. 
prêchant  à  toute      Si  VOUS  doutlcz  cucorc    quc  telle  soit    l'intention   de 

créature. 

l'Eglise  ,  et  que  ce  ne  soit  pas  pour  nous  les  pages  et  comme 
les  chapitres  d'un  livre  profond  qui  nous  enseigne  et  nous 
anime ,  consultez  un  de  nos  oracles  qui  nous  a  parlé  tant 
de  ibis,  et  rendez-vous  du  moins  à  sa  doctrine  :  c'est  S.  Gré- 
Expiication  de  golrc  Ic  Graud.  Un  jour,  il  exposait  à  son  peuple,  avec  sa 

s.     Grégoire      le  .   .      ,.    .  ,         .        .^         .  ,  i  i       o 

Grand.  clartc  SI  judicieuse,  la  signification  des  paroles  du  Sauveur 

confiant  aux  Apôtres  ,  avant  son  ascension ,  leur  mission 
évangélique,  et,  sur  cette  parole  :  Prêchez  V Évangile  à  toute 
créature,  il  disait  :  (c  Qu'entendre  ici  par  ces  mots  à  toute 
créature  ?  ))  Est-ce  que  le  saint  Évangile  devait  être  annoncé 
aux  animaux  sans  intelligence  ,  aux  objets  inanimés?  Sans 
doute  ,  en  quelque  façon  ;  car  c'est  l'homme  lui-même  qui 
est  ainsi  désigné.  L'homme  participe  réellement  de  toute 
créature  :  n'a-t-il  pas  l'existence  comme  les  pierres  ,  la  vie 
végétative  de  la  plante  ,  les  sensatious  de  l'animal ,  l'intel- 
ligence de  l'Ange  ?  Or  avoir  quelque  chose  de  commun 
avec  toutes  ces  créatures-là ,  n'est-ce  pas  être  toute  créa- 
ture jusqu'à  un  certain  point?  Prêcher  aux  hommes  la 
bonne  .nouvelle  ,  c'est  donc  y  faire  participer  tous  les  êtres 
de  la  création  (I). 


«Cantate  Domino  canticumnovum...  In  choro,  in  tympano  et  psalte- 
rio...,  in  sono  tuljae...,  in  cilhara...,  in  cymljalis  bene  sonantibus..., 
omnis  spiritus  laudetDomiiiiini.  »  (P5.,cxlix,  passim.) 

(l)  «  xNiimquid,  fratres  mei ,  sanctum  Evangelium  vel  insensatis  ré- 
bus, vel  brutis  animalibiis  faerat  prsedicandum  ut  de  eo  discipulis  di- 
catur  :  Prxdicale  onini  crealurse  ?  Sed  omnis  creaiurx  nomine  signa- 
tar  homo.  Omnis  autem  creaturœ  aliquid  babet  homo  :  babet  namque 
commune  esse  cum  lapidibus,  videre  cum  arboribus,  seutire  cum  ani- 
malibus,  inLelligere  cum  Angelis.  Si  ergo  commune  habet  aliquid  cum 
omni  creatura  homo,  jiixta  aliquid  omnis  creatura  est  bomo  :  omni 
ergo  creaturae  prcedicatur  Evangelium,  cum  soli  homini  pnedicatur.  » 
(S.  Greg.  Magni  IJonnl.  xxix  w  Evanq.) 


DES   MODILLONS.  3-17 

Voyez-vous  mainlcnant  la  raison  tliéologiquc  de  tant  de 
créatures  diverses  rappelant  à  l'honinie ,  dans  ces  rangs 
qu'elles  occupent,  qu'il  est  l'abrégé  et  le  complément  de 
toute  la  création,  et  que,  si  le  ciel  et  la  terre  racontent  ainsi 
jusque  dans  une  église  la  gloire  de  Dieu^  à  qui  ils  appar- 
tiennent (i) ,  ce  roi  de  toutes  les  créatures,  pourvu  de  tant 
d'esprit  et  de  raison  ,  doit  d'autant  mieux  se  faire  le  fidèle 
adorateur  de  cette  Providence,  qui  veut  par-dessus  tout  ses 
louanges  ,  et  présente  ici  à  son  imitation  l'exemple  de  cette 
adoration  universelle  ? 

Gela  posé ,  et  le  principe  une  fois  admis  dans  ses  rudi-     ce  pian  générai 

*■  ^  particularisé  dans 

ments  les  plus  élémentaires ,  il  n'y  eut  rien  de  plus  naturel  son  application  à 

des    idées     com- 

que  de  lui  donner  toutes  ses  conséquences  relatives,  comme  piexes. 
en  eurent  toujours  les  découvertes  de  l'esprit  humain. 
Bientôt  donc ,  ce  ne  furent  plus  seulement  des  sujets  à  part 
qui  ne  présentaient  la  nature,  pour  ainsi  dire,  que  d'un  seul 
côté  ;  on  ne  s'en  tint  plus  à  une  invitation  générale  de  bénir 
l'Auteur  de  toutes  choses  ;  on  crut  possible  d'offrir  aux 
méditations  de  l'âme  une  série  abondante  de  considérations 
puisées  dans  tous  les  dogmes,  dans  toutes  les  idées  morales, 
dans  les  caractères  du  vice  et  de  la  vertu ,  dans  tout  ce 
qu'il  fallait  croire  ,  faire  ou  éviter  ;  ce  fut  une  grande  ex- 
tension donnée  à  la  pensée  primitive  ,  et  une  sorte  de  poé- 
tique appliquée  à  la  pratique  du  bien.  Une  suite  étudiée 
de  toutes  ces  petites  consoles  déroula,  avec  une  surpre- 
nante variété  de  poses ,  de  gestes  et  d'intention,  des  his- 
toires suivies,  et  comme  de  longs  traités  de  morale  qu'on 
n'a  jamais  assez  voulu  soupçonner  ni  reconnaître. 
On  ne  peut  plus  nier  ce  plan  ingénieux  qui  dessina ,  à  la     Méthode  d'étu- 

,  .  .1,  T     ^^^f  ^'  découver- 

la  suite  les  unes  des  autres  ,  ces  pages  vivantes  d  un  grand  tes  à  cet  égard. 

livre  ouvert  à  tous  les  regards,  avec  ses  épisodes  et  son 
imagerie.  Si  l'on  se  promène  autour  d'une  église  du  dou- 
zième siècle ,  que  le  roman  fleuri  a  parée  de  ces  mille 

{{]  «  Cœli  enarrant  gloriara  Dei.  >>  {Ps.,  xviii,  1.) —  «  Domini  est  terra, 
et  plénitude  ejus.  >»  {Ps.,  xxiii,  1.) 


3^8  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

figures  qui  nous  occupent,  ou  si  on  les  analyse  à  l'intérieur 
en  les  suivant  de  gauche  à  droite  comme  les  livres  d'une 
bibliothèque ,  il  sera  possible ,  après  une  revue  plus  ou 
moins  laborieuse,  de  reconnaître  une  suite  d'idées  corré- 
latives ,  déduites  les  unes  des  autres ,  et  offrant  un  long 
discours  plein  de  méthode  et  de  sens.  Nous  osons  affnmer 
que  ce  système  est  élaboré  partout  avec  la  même  persé- 
vérance ,  quoique  partout  il  ne  soit  pas  également  facile 
d'en  lire  les  phrases  ;  car,  deçà  et  delà,  au  milieu  de  ce  grand 
nombre  de  petits  sujets  qui  se  succèdent  sans  interruption 
d'une  travée  à  l'autre ,  comme  à  la  Cathédrale  et  à  Sainte- 
Radégonde  de  Poitiers ,  pourquoi  rencontrerait-on  souvent, 
comme  nous  l'avons  fait  observer  pour  le  premier  de  ces 
édifices ,  des  groupes  divers  dont  les  membres  se  relient 
nécessairement  et  indiquent,  sans  aucun  doute  possible, 
J'élaboration  d'un  sentiment,  d'un  dogme,  d'une  vérité 
consacrée  par  l'Écriture  ou  la  tradition ,  et  s'exprimant  par 
un  enchaînement  de  types  très-reconnaissables  ?  Ici ,  en 
effet ,  un  campagnard  armé  d'une  houe  en  dirige  un  coup 
violent  contre  une  tête  de  diable  qui  l'avoisine ;  là,  c'est  le 
Tétramorphe  s'espaçant  à  droite  et  à  gauche  du  Christ  assis 
et  bénissant  au  milieu  d'âmes  charmantes  ou  hideuses,  de 
visages  radieux  et  de  musiciens  pleins  d'une  joie  expansive  ; 
plus  loin  ,  c'est  le  jugement  dernier,  car  des  Anges  son- 
nent de  la  trompette  autour  des  tombeaux  d'oii  les  morts 
se  soulèvent  ;  ailleurs ,  c'est  encore  un  mélange  de  bons  et 
de  méchants  que  distinguent  la  douce  placidité  de  leurs 
traits  ou  des  contorsions  affectées  ;  un  homme  ,  symbole 
de  l'humanité  tout  entière,  blessé  au  pied  comme  la  nature 
humaine  qui  boite  depuis  le  péché  originel ,  et  la  femme 
divine  s'échappant  de  la  fleur  de  Jessé  pour  guérir  cette 
blessure  qui  nous  entrave  tous  ici-bas  (\).  N'y  a-t-il  pas  là 
évidence  quant  à  un  plan  donné  à  l'artiste ,  et  sont-ce  des 

(1)  Hist.  de  la  calhédr.  de  Poit.,  I,  252  et  puiv. 


DES  MODILLONS.  3^9 

jeux  du  hasard  que  tous  ces  détails  d'une  création  si  habile 
et  si  éloquente  ? 
Voilà  sans  doute  de  quoi  instituer  la  curiosité  scientifi-     combien  ces  ob- 

^  "  servaiions       sont 

(lue  de  plus  d'un  archéologue  et  surtout  des  architectes  qui  lignes  des  hom- 

*  "^  ^  *  mes  sérieux. 

ne  voudraient  pas  s'endormir  sur  ces  importantes  études. 
Nous  en  savons  plus  d'un,  cependant,  qui  n'hésitent  pas  à 
traiter  de  bizarres  et  d'inintelligibles  ces  formes  précieuses 
et  si  riches  de  la  pensée  chrétienne  au  moyen  âge.  Ils  ne 
comprendront  ce  qu'ils  calomnient  que  lorsqu'ils  l'auront 
étudié  ;  mais  nous  craignons  bien ,  d'après  ce  qui  se  passe 
depuis  si  longtemps  sous  nos  yeux  ,  que  cette  science  ne 
soit  ni  comprise  ni  justement  appliquée  que  du  moment 
où  le  clergé ,  seul  compétent  pour  de  telles  études ,  voudra 
s'emparer  encore  de  la  conception  ,  de  l'édification  ou  de 
la  surveillance  des  monuments  religieux. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  et  puisque ,  dès  à  présent ,  quelques 
prêtres  de  science  et  de  goût  se  donnent  çà  et  là  à  l'œuvre 
que  nous  recommandons  à  tous,  il  importe  de  vulgariser 
cette  méthode  d'enseignement  iconographique  dont  les  mo- 
dillons  nous  donnent  un  spécimen  des  plus  curieux  et  des 
plus  significatifs.  C'est  dans  ce  but  que  nous-même  avons 
voulu  en  donner  le  premier  exemplaire  aux  parties  nou- 
vellement reconstruites  de  l'église  archipresbytérale  de 
Chatellerault. 

Cette  égUse ,  dont  la  façade  fut  renouvelée  en  ^  863 ,  avait      composition  de 

,  ,  1  1     * .         1        1  1  .  •       l'auteur  en  ce  sens 

perdu ,  sous  les  morsures  du  salpêtre,  la  plus  grande  partie  pour  réguse  s«- 
de  sa  riche  ornementation.  Tout  en  ménageant  et  conser-  teuemuit.  ^ 
vant  avec  soin  les  charmantes  sculptures  qui ,  dans  les 
voussures  de  la  porte ,  avaient  gardé  quelque  chose  de 
la  pureté  et  des  gracieuses  formes  du  douzième  siècle ,  on 
pouvait  se  donner ,  dans  ce  vaste  champ  de  pierre ,  les 
éléments  d'un  travail  éloquent  et  instructif.  Le  Clirist , 
assis  au  plan  supérieur  et  entouré  du  Tétramorphe  tradi- 
tionnel ,  préside  le  sénat  des  douze  Apôtres ,  représentés 
comme  lui  de  grandeur  naturelle;  deux  clochers  flanquent 


320  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

majestueusement  les  abords  de  l'édifice  ,  et  se  couvrent  à 
tous  leurs  étages  d'une  efflorescence  d'idées  chrétiennes. 
Mais  les  zones  de  ces  tours ,  savamment  dessinées  par  un 
digne  et  intelligent  architecte  ,  M.  Godineau  ,  ne  pouvaient 
manquer  d'une  parure  qui  leur  fût  propre  :  on  ne  devait 
pas  priver  d'une  sorte  de  catéchèse  les  cordons  de  cette 
façade  luxuriante ,  dont  le  luxe  avait  besoin  de  se  spiritua- 
liser  comme  le  reste  ;  toutefois  fallait-il  y  attacher  des  sujets 
quelconques  pris  au  hasard,  ou  en  composer  de  nouveaux, 
et  leur  donner  sous  le  ciseau  un  sens  où  l'esthétique  vînt 
remplir  son  rôle ,  si  légitimement  exigé  de  la  pensée  reli- 
gieuse ? 

Tel  architecte ,  comme  on  en  voit  beaucoup,  n'étudiant 
que  la  matière  brute  à  poser  sur  le  mortier,  aurait  bientôt 
résolu  cette  question.  Au  lieu  de  se  casser  la  tête  sur  des 
difficultés  qu'il  ne  soupçonne  même  pas  ,  il  eût  jeté  à  dis- 
tances égales ,  sous  le  cordon  de  chaque  étage  ,  une  suite 
de  consoles  à  peine  ébauchées ,  au  profil  banal  et  ne  disant 
rien  ni  à  l'âme  ni  à  l'œil.  Un  prêtre  ne  pouvait  agir  ainsi. 
Solhcité  d'animer  ces  pierres  muettes ,  nous  nous  crûmes 
obligé ,  absolument  comme  au  moyen  âge ,  de  les  faire 
chanter  et  de  compléter,  comme  alors,  par  un  enseigne- 
ment de  plus ,  cette  grande  prédication  qui  s'épanchait  de 
toutes  parts  autour  de  nous. 
Diversités  des      Procédaut  par  analogie,  et  appuyé  sur  les  principes  déjà 
dwelses'^lî'denta^  émls  malutcs  fols ,  uous  avous  soutenu  les  cordons  qui  se 
meut.-LesTons  relient  sur  les  quatre  faces  du  clocher  septentrional  par  des 
angel!^  ""^"^^'^  tôtcs  dc  démoiis  aux  côtés  du  nord  et  du  couchant,  et  de 
bons  Anges  au  sud  et  au  levant;  celui  du  midi  a  reçu  de  la 
môme  manière  les  vices  ou  les  péchés  capitaux  et  les  vertus. 
Ces  motifs  se  rencontrent  partout  employés  de  la  sorte  : 
c'est  continuer  la  pensée  vive  des  temps  hiératiques  que  de 
les  reproduire  sur  les  constructions  qui  leur  succèdent. 
.  ,    ,         Une  telle  donnée  est  d'autant  plus  facile  à  ramener  que. 

Le  symbole  des 

Apôtres   exécuté  s'il  est  bou  d'être  fidèle  aux  enseignements  du  passé  ,  cette 


DKS    MOniLLONS.  -^21 

liclélité  n'est  pas  de  ritiveiitioii  capricieuse,  elle  n'a  pas  le  ^ê îeurs'l^a'u^s'"^* 
mérite  de  la  nouveauté  ;  mais  elle  vaut  mieux  qu'une  idée 
nouvelle  dont  l'origine  serait  moins  conforme  au\  tra- 
ditions. Il  lallait  autre  chose  pour  ce  grand  frontispice 
de  moyen  appareil  imbriqué,  sur  lequel  se  déroule  la 
scène  imposante  de  ce  Sénat  Apostolique  présidé  par  le  Fils 
de  Dieu.  Rien  ne  nous  a  paru  plus  convenable  à  installer 
entre  le  Collège  Sacré  et  la  vaste  porte  qui  ouvre  le  temple 
à  la  foule  que  les  douze  articles  du  Symbole,  dont  nous 
avons  vu  que  les  vieilles  légendes  attribuent  chacun  à  un 
Apôtre  différent  (]). 

Dans  notre  pensée,  cette  combinaison,  ([uoique  nouvelle, 
car  nous  ne  l'avons  vue  ainsi  rendue  nulle  part,  a  cepen- 
dant ses  analogies  dans  le  soin  (|ue  des  sculpteurs  du  moyeu 
âge  se  sont  donné  ,  comme  à  la  cathédrale  de  Poitiers  que 
je  citais  tout  à  l'heure  ,  de  relier  les  uns  aux  autres  ,  pour 
exprimer  une  pensée  commune,  d'intéressants  petits  sujets 
constituant  une  suite  de  phrases  distinctes ,  mais  con- 
nexes, formant  un  récit,  ou  une  maxime,  ou  l'énoncé  d'un 
enseignement  dogmatique.  C'est  ainsi  que  l'on  voit,  mêlés 
aux  modillons  que  j'ai  décrits  dans  l'histoire  de  ce  beau  mo- 
nument, d'horribles  figures  de  diables  répandues  autour  de 
figures  riantes  de  nos  bons  Anges  (2).  Comment  niei*  les 
rapports  calculés  de  ces  groupes  si  expressifs  ? 

Nous  étions  donc  fondé  à  ressusciter  ce  moyen  ,  et  nous 
avons  disposé  vingt-(juatre  scènes,  liées  entre  elles  par  leur 
connexion  théologique,  pour  rappeler  au  chrétien  les  fon- 
dements de  ses  croyances  dès  l'avenue  du  temple  oii  il  va 
prier.  De  ce  nombre,  les  seize  premières  occupent  une  ligne 
supérieure,  au-dessous  de  laquelle  courent  les  buit  autres. 
Ce  sont  donc  comme  autant  de  chapitres  du  catéchisme 
catholique.  Ces  chapitres  sont  quelquefois  doubles  pour  le 
même  sujet ,  selon  qu'il  a  dû  se  reiulre    par  l'expression 

(1)  Ci-dessus,  p.  142  et  179. 

i2j  liisl.  de  la  calhédr.  de  Poil.,  1,  2o7  et  suiv. 

T.    III.  21 


322  HISTOIRE   nu   SYMBOLISME. 

de  deux  idées ,  comme  la  création  du  ciel  et  de  la  terre , 
l'Annonciation  par  VAnge  à  Marie  ,  le  jugement  des  vivants 
et  des  morts  ;  enfin,  ces  deux  derniers,  qui,  représentent 
la  vie  éternelle^  ne  le  peuvent  qu'en  offrant  la  béatitude  des 
Élus  dans  le  sein  de  Dieu,  et  les  tourments  des  damnés  pré- 
cipités dans  les  flammes.  Tous  les  articles,  ainsi  sculptés 
d'après  la  touche  artistique  du  moyen  âge  ,  sont  précédés 
et  terminés  par  un  Ange  dont  l'un  ouvre  la  série  des  ta- 
bleaux en  déroulant  un  phylactère  où  se  lit  le  premier  mot 
du  Symbole  :  Credo;  l'autre  chante  sur  une  viole  l'éternel 
Amen  des  Élus ,  et  met  fin  à  cette  longue  suite  des  termes 
de  la  Foi. 
Le  style  de  ces      Et  cufin ,  pour  douucr  à  uos  sujcts  Ic  caractère  icono- 

coinpositions  nou-  . 

Telles  à  prendre  grapliiquc  dc  ccttc  graudc  époque ,  nous  avons  emprunté 

sur  celles  du  mo- 
yen âge.  aux  sources  originales ,  traduit  exactement  les  images  de 

nos  devanciers ,  et  demandé  communication  officielle  de 
leurs  pièces  aux  évêques ,  aux  abbés ,  aux  chanoines 
qui ,  au  Mans ,  à  Poitiers  ,  à  Bourges ,  à  Auxerre  et  bien 
ailleurs ,  avaient  composé  les  verrières ,  les  grandes  laçades 
ou  les  ciselures  de  nos  plus  belles  œuvres  arcJiitecturales. 
Ce  caractère  pouvait  seul  se  marier  à  l'ensemble  de  ce 
portai],  qui  tendait  à  retrouver  sa  beauté  première  dans 
la  seconde  ville  du  haut  Poitou.  Il  fut  très-bien  saisi 
d'ailleurs  par  M.  Bonneau ,  artiste  modeste  autant  qu'ha- 
bile ,  qui  plia  complètement  son  talent  de  sculpteur  aux 
Les  architectes  exigeuccs  quc  SI   pcu    d'autrcs   veulent    écouter.    C'est 

ne  doivent  pas  s'en  ,  ^ 

dispenser.  cncorc  Ic  licu  dc  conjurcr ,  à  ce  propos ,  ceux  qui  suivent 

la  même  carrière ,  les  architectes  surtout  qui  dessinent 
leurs  plans  sur  des  données  où  ils  oublient  trop  l'art  chré- 
tien pour  n'écouter  que  leurs  rêves  de  progrès  chiméri- 
ques; oui ,  il  faut  les  conjurer  de  se  reporter  à  la  vie  spi- 
rituelle, qu'ils  doivent  souffler  sur  la  moindre  pierre,  et  de 
bien  se  souvenir,  comme  base  de  leur  succès  en  ce  genre , 
qu'on  doit  tout  au  sentiment  chrétien ,  et  que  sans  lui  rien 
ne  marche  que  d'une  allure  impertinente  et  ridicule.  On 


DES  MODHJ.ONS.  323 

a  gâté  assez  de  belles  églises ,  assez  dépensé  de  sommes 
considérables  sans  fruits  réels,  pour  en  venir  au  moins, 
après  ces  coûteux  et  déplorables  apprentissages,  à  des 
œuvres  qui  parlent  un  langage  propre  ,  et  qui  procurent  à 
nos  contemporains  et  à  nos  neveux  autant  d'édification 
qu'elles  apportent  d'argent  et  de  bien-être  i\  ceux  qui  trop 
souvent  les  élaborent  malgré  nous  (I). 

Mais  revenons  à  nos  modillons,  en  résumant  avec  plus  de 
précision  les  diverses  époques  de  leur  existence,  et  répon- 
dons à  certaines  objections  qu'il  ne  faut  même  pas  dédai- 
gner malgré  leur  peu  de  valeur. 

On  a  vu  ,  par  ce  qui  précède ,  que  tout  d'abord  ce  genre      combien    ce 

'  ^  '^        '■  '     ^  *-*  g'enre  de  decora- 

d'ornement  l'ut  appliqué  aux  édifices  cbrétiens  dans  un  but  «on  donne  de  vie 

^  ^       ^  spirituelle    à     un 

qui  ne  pouvait  être  que  didactique.  Autoiu*  de  Dieu  tout  monument  chré- 
saisit,  riiomme  de  Dieu  lui-môme;  l'existence  de  l'un  ne 
peut  se  séparer  de  celle  de  l'autre  ,  sans  lequel  il  n'aurait 
ni  l'être  ,  ni  le  mouvement,  ni  la  vie  (2).  C'est  le  principe  • 
qui  sert  de  point  de  départ  à  l'œuvre  que  nous  traitons. 
Mais  ce  principe  s'est  vu  nécessairement  subordonné,  dans 
l'appplication,  aux  développements  de  l'art  plastique  :  de  là 
les  nombreuses  variations  de  la  forme  marcliant  de  con- 

(1)  Nous  avons  inséré,  dans  la  Revue  de  l'art  chrétien ,  t.  Jll ,  p.  178 
et  suiv.  (1859),  une  suite  d'observations  sur  le  faire  etles  profits  de  nos 
architectes  connus  sous  le  nom  de  diocésains.  Attirer  l'attention  du  gou- 
vernement sur  la  faute  qu'il  avait  faite  en  donnant  le  jour  à  cette  très- 
nuisible  institution  est  le  devoir  de  quiconque  sent  l'importance  de 
l'art  religieux;  mais  les  gouvernements  ne  reviennent  pas  facilement 
de  leurs  fautes,  et  un  ministre  d'alors  donna  pour  raison  de  cette  idée, 
sortie  tout  armée  du  cerveau  de  Jupiter,  «  qu'on  avait  ainsi  trouvé  en 
1848  un  moyen  de  se  débarrasser  de  trois  cents  jeunes  gens  qui  encom- 
braient l'école  d'architecture.  »—  C'est  un  expédient  de  première  force  ! 
encore  faudrait-il  que  l'emploi  de  ces  messieurs  atteignit  un  autre  but; 
restaurer  n'esii  point  gâter,  comme  il  arrive  le  plus  souvent,  et  l'on  peut 
voir  contre  les  résultats  de  cette  hardiesse  politique,  outre  ce  que  nout 
en  avons  noté  dans  la  Table  générale  du  Bulletin  monumental,  2»  sé- 
rie, p.  34  et  suiv.  {Architectes  modernes),  ce  qui  est  cité  par  l'ouvrage 
lui-même,  t.  XVI,  p.  155,  sur  tes  architectes  officiels  et  leurs  restaura- 
lions. 

(2)  «  In  ipso  enim  vivimus,  raovemur  et  suraus.  »  {Act.,  xvii,  28.) 


324  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

cert  avec  Fimmuable  stabilité  du  fond.  C'est  donc  ce  fond, 
toujours  invariable,  qu'il  faut  étudier  à  travers  les  diverses 
périodes  de  ses  reproductions  sensibles.  On  y  verra  la  pensée 
l'eligieuse  dominant  la  matière,  la  pliant  aux  besoins  de  sa 
philosophie  :  c'est  l'histoire  de  l'art  tout  entier  réduit,  dans 
un  but  de  propagande  spiritualiste  ,  à  ses  plus  minces  pro- 
portions. Il  est  arrivé  maintes  fois  qu'on  ait  trouvé  de 
fort  anciens  corbelets  sur  des  monuments  plus  modernes 
qu'eux  de  plusieurs  siècles.  Ce  n'était  pas  une  raison  à  quel- 
ques archéologues  de  prétendre  à  faire  remonter  ces  mo- 
numents au  temps  qui  avait  vu  sculpter  ces  figures  plus  ou 
moins  grotesques.  C'était  tout  au  plus  un  motif  de  croire 
que  le  constructeur  avait  employé ,  trois  ou  quatre  siècles 
après ,  les  débris  d'une  église  à  en  construire  une  autre  , 
sans  égard ,  comme  on  l'a  vu  souvent ,  à  la  différence 
des  styles  et  aux  progrès  que  l'ornementation  monumen- 
tale avait  pu  faire  entre  ces  deux  époques.  De  même ,  ii 
faudrait  attribuer  à  un  ciseau  plus  récent  les  sculptures 
imposées  à  un  monument  dont  la  date  évidente  accuse 
une  construction  antérieure  à  ses  sculptures  ;  car  il  est 
arrivé  plus  d'une  fois  qu'un  édifice  à  peu  près  achevé 
n'ait  reçu  que  bien  plus  tard  sa  parure  sculpturale. 
Erreurs  de  quel-      Mals  OU  rcconnaît  facilement  à  quelle  phase  de  l'art  appar- 

ques archéologues     ,.  .   i  ,    .  .     t,.,. ,  ,  n      «i      i  i 

appréciant  certai-  tiennent  Ics  scrics  SI  diilerentes  que  1  œil  observe  sous  les 

nés  difficultés  sans  •    i  i  ^  i  r  l^  i  i 

le  secours  de  la  comiclies  dc  iios  tcmplcs.  Leur  caractère  les  rapproche 
tant  de  l'épaisseur  des  murs ,  des  parcimonies  de  l'orne- 
mentation générale,  de  l'étroitesse  des  baies,  de  la  rudesse 
des  arcades  et  des  voûtes  encore  élémentaires,  qu'on  peut, 
sans  erreur  possible,  les  attribuer  aux  maîtres  ou  aux  ma- 
çons qui  construisirent  nos  plus  vieilles  églises ,  sous  les 
inspirations  de  l'architecture  romane  primitive.  La  séche- 
resse du  ton ,  l'aridité  de  la  pensée ,  qui  s'cAprime  à  peine 
par  monosyllabes ,  c'est-à-dire  ne  va  presque  jamais  d'un 
sujet  à  l'autre  pour  continuer  ou  étendre  l'idée  préconçue  ; 
la  grossière  réalisation  de  la  face  humaine ,  bien  plus  rare 


science. 


DKS    MODILLOXS.  325 

d'ailleurs  que  celle  des  animaux  qui  foisonnent,  ressem- 
blant à  peine  à  leurs  similaires  de  la  nature  animée  ; 
enfin  la  simple  expression  de  toutes  ces  botes  dont  on 
devine  à  peine  la  nature  personnelle  réduite  à  elle  seule, 
sans  adjonction  d'aucun  détail  de  vêtements  ni  de  harnais 
quelconque  :  voilà  à  quoi  parvint  ce  premier  âge  des  mo- 
dillons,  qu'on  distribua  cependant  d'une  façon  intelligente, 
en  plaçant ,  par  exemple  ,  à  la  poi'te  extérieure  du  temple 
ceux  des  animaux  que  les  traditions  bibliques  présentent 
conmie  impurs  ou  de  mauvaise  réputation ,  et  ces  têtes 
démoniaques  et  ces  idoles  bizarres  qui  se  trouvent  con- 
damnées dans  les  textes  de  Moïse  et  de  S.  Paul  (i);  on  y 
reconnaît  très-bien ,  quoique  assez  grossièrement  traduits , 
le  porc,  le  bouc,  le  chien,  le  taureau  et  mille  autres.  C'est 
aussi  l'époque  des  obscena,  dont  nous  parlerons  à  part ,  et 
qui ,  en  dépit  des  mœurs  devenues  plus  douces  et  des 
grands  développements  donnés  à  la  théologie  dans  les  meil- 
leurs siècles  de  notre  littérature  sacrée  ,  se  retrouvent  jus- 
qu'au treizième  ,  quoique  plus  rarement ,  mais  persistent 
à  y  prouver,  par  leur  présence  ,  qu'ils  sont  nés  du  symbo- 
lisme et  ne  mourront  qu'avec  lui. 
Mais,  à  mesure  que  tout  se  purifie,  que  l'art  reçoit  un       Les  modiiions 

,      .  ,  .  .  ,  ,  s'identifient    com- 

rayon  de  jour  plus  parlait  et  qu  on  s  avance  vers  sa  splen-   piétement  par  leur 

,    "  ,       .  •    1  1  / 1  •       ,  •  •  facture  au  style  de 

deur,  comme  on  adnure  aussi  les  délicatesses  qui  surgis-  rédifice  et  à  son 
sent  de  tous  côtés  dans  la  sculpture!  Les  modillons  mêmes  *^^" 
en  acquièrent  leur  part,  soit  qu'après  le  onzième  siècle  ils 
participent  au  mouvement  des  croisades  par  l'admission 
des  fleurs  ,  des  perles  et  des  entrelacs  qui  séduisirent  nos 
P'rancs  sur  les  rives  du  Bosphore  ,  soit  qu'à  la  fin  du  dou- 
zième et  dans  toute  la  durée  du  suivant,  les  scènes  s'ani- 

(1)  «  Haec  sunt  animalia...  «inae  inter  immunda  reputabitis  :  chœro- 
gryllus,  lepus  et  3u=...  »  [Uvitic,  xi,  4  et  seq.)  —  «  Foris  canes,  et  ve- 
nifici,  et  impiidici,  et  idolis  scrvientes...  »  (Apoc.,\xn  j  i^.)  —  Voir 
aussi  S.  Méliton,  cap.  ix,  De  BesUis;  —  Wolfgangi  Franzii  Anim.  hist. 
sncra,  p.  39;  —William  Carpenter,  Zootogia  sacra,  ap.  Script,  hisl. 
natuv.,  pars  m. 


326  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

ment ,  les  personnages  s'y  mêlent ,  et  que  tous  les  règnes 
de  la  nature ,  avec  leurs  naïves  persuasions  et  leur  science 
un  peu  fantastique  ,  viennent  former,  sous  le  regard  des 
fidèles ,  une  suite  d'images  dans  lesquelles  les  hagiographes 
et  les  Pères  salueraient  autant  de  réminiscences  de  leurs 
doctes  écrits. 
Objections  sans      Rcdisous  maintenant  (lue  ces  petits  modèles  ont  donc 

râleur  opposées  a  ,  ^  * 

^ïï^a^doSTè  ^^^JO^''^  ^^^"'  langage  symbolique  ,  et  que,  parmi  eux ,  il 
choix  des  sujets,  n'cu  faut  voir  aucun  qui  soit  privé  de  ce  type  respectable, 
très-propre  à  nous  réconcilier  avec  l'apparente  sauvagerie  , 
avec  l'espèce  de  négligence  qui  d'abord  présida  à  leur  con- 
fection. Laissons  le  champ  libre  aux  conjectures  des  savants 
sur  les  causes  plus  ou  moins  probables  du  peu  de  perfection 
des  têtes  humaines  ;  permettons-leur  de  disserter  sur  les 
simihtudes  ou  les  ressemblances  qui  s'établissent  pour 
l'observateur  entre  les  modillons  de  la  Normandie  et  ceux 
des  provinces  méridionales ,  questions  d'art  et  non  autres. 
Ce  que  nous  soutenons  ici ,  c'est  que  sous  ces  formes  d'écoles 
diverses  réside  une  pensée  rehgieuse.  Un  fruit  se  cache 
sous  cette  écorce  plus  ou  moins  séduisante  ;  il  s'agit  de  le  dé- 
couvrir, de  le  voir  de  près  et  de  le  goûter.  Nous  excepterons, 
si  l'on  veut ,  quelques  figures  historiques  placées  dans  le 
coin  d'une  tour  et  qu'on  appellera  arbitrairement  d'un 
nom  d'architecte  ou  de  celui  d'un  roi,  d'un  évêque  ou  d'un 
doyen  qui  n'a  jamais  pensé  à  s'y  faire  mettre  :  ce  seront  là 
des  jeux  d'esprit  et  des  énigmes  capables  de  défrayer  les 
imaginations  des  Salomons  de  notre  temps.  En  effet,  qu'un 
ouvrier  qui  ne  comprenait  pas  aussi  parfaitement  que  son 
maître  le  sens  d'une  image  qu'il  s'agissait  de  transporter 
du  parchemin  sur  la  pierre  ait  échappé  à  la  surveillance 
et  posé  là  un  de  ses  caprices  qu'il  espérait  soustraire  au 
contrôle ,  ce  serait  un  fait  des  plus  rares ,  une  exception 
que  la  hardiesse  d'un  travailleur  grossier  pourrait  expli- 
quer, mais  que  l'esprit  môme  du  moyen  âge  ,  avec  sa  sou- 
mission chrétienne  à  l'autorité  et  au  sentiment  rehgieux 


DES   M0D1LL0>S.  327 

ne  permet  pas  d'attribuer,  aussi  souvent  qu'on  l'a  fait ,  à 

un  homme  payé  pour  l'aire  tout  autrement.  Passons  donc     Le  baudet  d'Ar- 

,  ,  .  gentan. 

sur  ces  etrangetes  sans  miportance.  Nous  n'y  tenons  pas 
plus  qu'à  ce  pauvre  et  très-honoré  baudet  de  Saint-Germain 
d'Argentan,  lequel,  pour  avoir  porté  les  pierres  et  le  mortier 
des  constructeurs ,  reçut ,  avec  son  portrait  au  naturel ,  le 
droit  de  siéger  éternellement  sur  un  chapiteau  de  la  nef. 
Qu'une  tradition  populaire  lui  donne  rang  parmi  les  tra- 
vailleurs, personne  ne  s'en  scandalisera,  quoique  nul  n'en 
ait  la  preuve  authentique ,  et  nous  pourrons  toujours  re- 
courir, pour  l'expliquer,  à  d'autres  ânes  bien  plus  illustres 
qui  figurent  dans  maints  chapitres  de  la  Bible  ou  dans  les 
récits  de  Métaphrastc  et  de  Surius. 

N'omettons  pas  d'observer  aussi  que  c'est  avec  de  telles 
objections  que  les  adversaires  du  symbolisme  se  sont  armés 
contre  lui  d'un  ridicule  par  trop  facile ,  et  qu'il  ne  suffit 
pas ,  pour  gagner  une  cause  ,  d'avoir  en  sa  faveur  de  tels 
arguments.  N'a-t-on  pas  vu  des  archéologues  encore  peu 
avancés  s'autoriser  d'un  texte  de  Durant  de  Mende  rap- 
pelant que ,  de  son  temps  comme  toujours ,  les  artistes 
devaient  user,  dans  leurs  œuvres  ,  de  certaines  licences  de 
leur  génie,  pour  prouver  que,  par  conséquent,  au  moyen 
âge ,  avec  la  permission  et  de  l'aveu  d'un  grand  maître  , 
les  ouvriers  travaillaient  au  hasard  les  sculptures  de  nos 
éghses  ?  Comme  si  la  vraie  science  ne  prouverait  pas  le 
contraire!  comme  s'il  ne  fallait  pas  entendre  cette  liberté 
artistique  du  faire  et  de  la  disposition  du  sujet  plutôt  que 
du  sujet  lui-même!  En  face  de  ces  affirmations  trop  hardies, 
on  n'oubliera  donc  pas  qu'il  ne  peut  suffire  de  les  énoncer; 
on  en  doit  donner  d'autres  raisons  que  des  conjectures ,  et 
l'on  ne  doit  rien  admettre  qui  ne  soit  attesté  par  un  texte 
original  ou  par  un  dessin  fidèle.  Il  nous  est  plus  d'une  fois 
arrivé,  en  procédant  par  ce  moyen,  de  démontrer  le  contraire 
d'une  thèse  un  peu  trop  vite  conçue  et  hasardée  sans  assez 
de  discernement.  Nous  supposons  qu'il  en  sera  ainsi  très- 


328  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

Le  poulet  de  soiivcnt  eiicorc  quand  on  y  voudra  regarder  de  près.  Qui 

Saumont.  .  . 

ne  serait  curieux,  par  exemple,  de  voir  à  l'œil  nu  ce 
fameux  poulet  qu'on  signalait  au  congrès  archéologique  de 
Falaise  comme  figurant  sur  un  modillon  de  l'église  de 
Saumont  fCalvados) ,  «  prêt  à  être  mis  à  la  broche  (I)?  » 
ni  plus  ni  moins!  —  Ce  sont  de  ces  choses  dont  on  ne 
décide  rien  jusqu'à  plus  ample  informé,  et,  en  admettant 
une  telle  originalité  sans  en  tirer  de  conséquence  ,  nous  en 
montrerons  bien  d'autres ,  et  plus  sûres  et  plus  extraordi- 
naires ,  dont  l'explication  est  faite  depuis  longtemps. 

Ce  sujet  n'est  pas  épuisé  ;  mais,  parce  qu'il  est  identique 
par  son  iconographie  à  beaucoup  d'autres  motifs  d'orne- 
mentation qu'il  nous  reste  à  traiter,  nous  y  reviendrons 
forcément  à  l'occasion  des  chapiteaux  et  des  autres  déco- 
rations de  l'église  chrétienne ,  et  on  pourra  encore  leur 
appliquer  ce  que  nous  y  dirons. 

(i)  Bullet.monwn.,Xl]l,  ib2. 


CHAIMTIIK  IX. 


DES    CHAPITEAUX. 

L'arcliitocture  antique,  avec  toutes  les  ressources  de  ce      t.ps  ciiapiteaux 

i         '  distinguent      tout 

génie  crui  se  perfectionna  jusqu'à  nous  donner  les  Pronilées,   'raborrirarchitec- 

"  ^  '  J        1  1  '     turc  païenne  delà 

le  Panthéon  d'Agrippa  et  tant  d'autres  chefs-d'œuvre  dont  "«*•*«• 
nous  admirons  encore  les  restes, cette  architecture,  si  noble 
dans  sa  simplicité ,  devait  une  grande  partie  de  son  effet 
général  à  l'art  qu'avaient  eu  les  constructeurs  d'y  semer, 
comme  supports  indispensables  ou  coninie  ornements  des 
façades  et  des  pourtours,  un  grand  nombre  d'élégantes  co- 
lonnes, dont  le  jeu  naturel  ouïes  ombres,  jetés  sur  les  mu- 
railles, remplissaient  d'harmonie  les  abords  ou  l'intéi'ieui* 
du  monument.  C'étaient  de  magnifiques  choses  dont  l'or- 
donnance générale  saisissait ,  dont  les  proportions  gran- 
dioses commandaient  l'admiration  ,  mais  auxquelles  on 
n'avait  adapté  le  symbolisme  qu'avec  une  certaine  parci- 
monie qui  allait  souvent  jusqu'à  le  leur  refuser  entière- 
ment. C'est  là  un  des  caractères  principaux  qui  sépai'cnt 
l'architecture  païenne  de  celle  qui  s'inspira  plus  tard  de 
toute  la  pensée  du  Christianisme. 

Kt  cette  différence  ne  paraît  nulle  part  autant  que  dans    Fioi.if>nr4ucba 

^  ^  j  pitcau  corinthien. 

l'ornementation  des  colonnes.  Les  ordres  des  Grecs  et  des 
Romains,  tels  que  Vitruve  nous  les  a  décrits,  ne  manquaient 
certes  pas  de  dignité  et  d'élégance  ;  mais,  pour  ré[)ondre  à 
ces  frontons,  à  ces  atti(|ues  et  à  tout  ce  luxe  qni  sentait  tou- 
jours im  peu  la  recherche  et  la  prétention ,  on  est  obligé 
d'avouer  que  les  chapiteaux  étaient  d'une  simplicité  ex- 


330  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

trême.  II  n'y  avait  que  le  corinthien  (le  composite  n'en  étant 
qu'une  surcharge  moins  heureuse)  qui  s'alliât  bien  à  la  dé- 
licatesse des  frises  et  se  mariât  dignement  aux  nolîles  har- 
diesses des  grandes  constructions  ;  aussi  le  voyons-nous 
employé  presque  toujours  de  préférence  pour  les  édifices 
du  plus  haut  caractère.  Le  panthéon  d'Agrippa,  la  Maison- 
Carrée  de  Nîmes,  l'Arc-de-Triomphe  d'Orange,  et  tant 
d'autres  non  moins  remarquables  pour  la  hardiesse  du 
style,  n'avaient  rien  pu  concevoir  de  mieux  pour  leurs  cha- 
piteaux que  ces  deux  ou  trois  rangs  de  feuilles  d'acanthe 
superposées ,  gracieuses  il  est  vrai ,  mais  singulièrement 
monotones,  et  se  représentant  invariablement  sous  la  même 
forme  pour  tous  les  chapiteaux  d'un  même  temple,  et  n'hé- 
sitant pas  à  passer  d'un  édifice  à  l'autre  sans  aucune  modi- 
fication possible,  qui  fût  devenue  un  attentat  contre  les  in- 
flexibles règles  de  l'art. 
Lart  chrétien  le  Gc  systèuic  d'iinmobilité  ne  pouvait  convenir  aux  notions 
avantage,  et  le  fai"  chrétieniies.  Gcs  suifaccs ,  multipliées  à  l'infini  dans  les 

entrer    dans     ses      .,.  tt  iii  •-  xi  ■« 

piansd'esthétique.  égliscs  rcmplics  dc  svmbolcs,  devenaient  un  vaste  champ  a 
d'autres  symboles  sans  nombre,  réunissant  le  double  mérite 
de  l'élégance  artistique  et  d'un  reUgieux  enseignement.  Le 
ciseau  s'empara  donc  de  cette  révélation  et  en  reproduisit 
sur  des  corbeilles  nues  les  sujets,  qui  y  figurèrent  comme 
autant  de  pages  nouvelles  des  histoires  sacrées,  des  légendes 
ou  de  la  théologie  des  Pères  et  des  Docteurs  ;  c'était  moins 
froid  et  moins  insignifiant  que  le  feuillage  corinthien, 
c'était  bien  plus  conforme  au  prosélytisme  de  la  religion  et 
aux  besoins  de  ses  adeptes .  On  dut  à  ce  sentiment  l'incroyable 
variété  qui  régna  dans  les  motifs  sculptés  des  chapiteaux 
depuis  l'époque  où  ils  commencèrent  à  se  revêtir  de  cette 
remarquable  éloquence  ;  et  quand  ces  motifs  ne  furent  pas 
historiés,  c'est-à-dire  quand  ils  n'eurent  pas  pour  base  prin- 
cipale les  figures  d'hommes,  de  femmes  ou  d'animaux,  ou 
dfîs  scènes  qui  en  représentaient  les  actions  diverses,  ils 
furent  du  moins  remplacés,  sans  trop  de  désavantage,  par  la 


DES   CHAPITEAUX.  3S^ 

variété  des  formes  données  à  la  corbeille,  laquelle,  imitant 
les  ordres  antiques  et  s'en  appropriant  les  détails  ,  se  para 
avec  un  succès  nouveau  d'un  ensemble  jusqu'alors  inouï, 
soumit  à  ces  heureux  caprices  les  formes  absolues  des  sys- 
tèmes anciens ,  et  mêla  sur  une  même  pierre  toutes  les 
coupes  inventées  par  la  fantaisie ,  toutes  les  ressources  de 
l'imagination  européenne,  auxquelles  vinrent  bientôt  se 
mêler,  à  partir  du  onzième  siècle,  celles  que  les  Francs  r^ip- 
portèrent  des  plages  orientales. 
Le  chapiteau  dorique  ,  espèce  de  disque  privé  de  tout      origine  de  ce 

^  j         '         1  -IX  détail  d'ornemen- 

ornement  et  aplati  sous  un  tailloir  aussi  pauvre  que  lui,  se  tation. 
retrouve  souvent  dans  les  ruines  gallo-romaines  ;  mais  il 
montre  assez,  par  sa  nudité  môme,  qu'il  n'appartint  qu'à 
l'architecture  païenne  (I).  S'il  a  pénétré  dans  les  cata- 
combes, ce  n'est  qu'avec  certaines  modifications  peu  impor- 
tantes ,  il  est  vrai ,  mais  qui  le  montrent  souvent  allié  à  la 
corbeille  corinthienne, qu'il  surmonte  comme  unesuperfé- 
tation  d'assez  mauvais  goût.  Dans  ces  souterrains  véné- 
rables, au  reste,  on  ne  rencontre  pas  encore  le  symholisme 
appliqué  aux  ornements  de  l'architecture.  Il  est  tout  dans 
le  parallélisme  colorié  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament, 
dans  le  rapprochement  entre  Jésus  et  les  Patriarches  ou  les 
Prophètes,  dans  les  paraboles  du  Bon  Pasteur  et  de  la  vraie 
Vigne,  etc.  Aucun  autre  sujet  n'y  apparaît  à  titre  d'orne- 
mentation d'un  chapiteau  ou  d'une  frise.  Le  poisson,  qui  s'y     i^^'^,  poissons  ob- 

*■  1  A  ^     serves  comme  lun 

retrouve  si  souvent,  à  côté  d'une  épitaphe,  ne  figure  jamais  des  motifs  lespius 

i         >■         '  ^  ''  anciens   de  notre 

ailleurs.  Il  faut  donc,  pour  rencontrer  ce  genre  d'enseigne-  imagerie, 
ment ,  arriver  à  une  époque  postérieure.  Le  quatrième 
siècle  nous  semble  être  le  premier  qui  l'ait  essayé.  A  cette 
époque  on  construit  la  crypte  de  Jouarre,  dont  les  chapi- 
teaux de  style  roman  sont  d'un  beau  travail  et  habilement 
fouillés  selon  les  règles  des  ordres  composite  et  corinthien  ; 
mais  d'autres  indiquent  déjà  à  côté  d'eux  la  marche  nais- 

(1)  Dullet.  monum.,  XVIII,243. 


332  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

santé  du  symbolisme  imprimé  sur  ces  beaux  ornements  : 
ils  portent  des  poissons  affrontés  qui  semblent  boire  à  deux 
vases  posés  au-dessus  des  feuilles  d'acantbe  f^).  On  ne  peut 
méconnaître  en  cela  l'idée  du  baptême,  dont  les  poissons 
représentent  le  dogme,  et  cette  interprétation  se  confirme 
par  la  présence  d'autres  poissons  sculptés  sur  les  chapiteaux 
de  colonnes  de  marJire  dressées  en  avant  de  l'abside  orien- 
tale au  baptistère  Saint-Jean  de  Poitiers.  Quant  à  cette 
avidité  que  les  poissons  de  Jouarre  semblent  exprimer  en 
accostant  leur  bouche  aux  vases  qui  les  avoisinent,  on  voit 
évidemment  qu'ils  aspirent  aux  eaux  sacrées  de  la  grâce  et 
de  la  vie  spirituelle,  unique  désir  du  chrétien,  dont  ils  sont 
la  figure.  C'est  dans  ce  môme  sens  que  nous  voyons  plus 
tard,  surtout  aux  onzième  et  douzième  siècles,  les  colombes 
buvant  à  un  calice  ,  c'est-à-dire  les  âmes  justes  participant 
à  l'Eucharistie. 
H  ieî  ""feuiiks  A  ^^^^^  époquc  primitive  qui  nous  préoccupe  surtout  ici, 
?ragses.  apparalsscnt  encore  ,  soit  pour  décorer  des  lambris ,  soit 

pour  dissimuler  la  nudité  des  murailles ,  soit  enfin  pour 
parer  des  chapiteaux  à  surfaces  plates  ,  les  entrelacs,  dont 
l'art  roman  s'emparera  plus  tard  jusqu'à  en  faire  l'expres- 
sion symbolique  d'idées  abstraites  ,  de  bonnes  ou  de  mau- 
vaises passions.  Ces  dessins  se  reproduisent  également  pen- 
dant les  cinquième  et  sixième  siècles,  qu'il  est  bien  difficile 
de  distinguer,  à  cet  égard,  du  quatrième.  Là  on  voit  encore 
les  feuilles  grasses ,  expression  rudimentaire  de  cette  bell(^ 
végétation  qui  devait  se  développer  si  magnifique  ,  et  dont 
les  progrès  furent  plus  rapides  que  ceux  de  la  sculpture 
zoologique.  En  avançant  dans  les  progrès  de  l'art,  la  pensée 
se  développe  et  ne  se  contente  plus  de  sujets  dont  l'intention 
LatétehumahiR  ^estc  passablcmeut  coniecturale  ;  on  voit,  au  neuvième 

melee    aux    feuil-       ,  '  '' 

'«ces-  siècle,  une  tète  d'homme  apparaître  au  milieu  des  feuillages, 

et  ce  simple  exposé  de  la  vie  humaine  respirant  le  même 

{{)  BulU'L  iHunum.,  iX,  18o. 


DES   CHAPITKALX.  333 

air  que  les  plantes,  se  livrant  au  soin  de  leur  culture  provi- 
dentielle ,  éveille  d'autres  imaginations  qui  bientôt  vont 
attacher  des  histoires  et  des  drames  à  toutes  les  parties  de 
l'édifice  sacré.  Nous  allons  bientôt  revenir  sur  ce  fait. 

Cette  grande  suite  de  scènes,  bibliques  ou  autres ,  prend    ^^^^  ^^'^^  '>'•^"■ 
son  essor  le  plus  vif  au  onzième  siècle ,  à  cette  période  de      Développement 

,,,  y     t,       .  il-!  •!     «les  sujets  au  on- 

regenerescence  ou  1  art  monumental  sort  de  son  sommeil  zième  siècle. 
de  presque  tout  un  siècle  ,  et  dédommage  de  ce  trop  long 
engourdissement  l'œil  et  l'esprit,  qui  s'étaient  accoutumés  à 
ne  rien  deviner  et  à  ne  rien  voir.  Quelque  talonnées,  disons 
même  quelque  grossières  que  soient  les  premières  œuvres 
du  ciseau  (ou  de  la  peinture  ,  car  elle  remplace  parfois  lo 
travail  du  sculpteur  absent],  on  y  découvre  avant  tout  une 
intention  bien  arrêtée  d'interpréter  les  Livres  saints  ou  d'en 
reproduire  les  traits  principaux  :  c'est  le  sacrilice  d'Abraham, 
la  chute  du  premier  homme,  Daniel  et  ses  lions,  Nabucho- 
donosor  et  son  orgueil ,  tout  cela  mis  en  opposition  avec 
l'humble  naissance  du  Fils  de  Dieu,  la  foi  simple  des  ber- 
gers adorateurs,  la  ferveur  éclairée  des  mages,  la  réparation 
par  le  caUce  ou  par  la  croix.  Si  d'abord  ,  et  pendant  la  pre- 
mière période  de  La  sculpture  hiératique,  il  arrive  que  ces 
sujets  soient  traités  à  la  hâte,  pour  ainsi  dire,  et  l'estreints 
au  juste  nombre  de  personnages  indispensables,  peu  à  peu 
et  à  mesure  que  l'artiste  est  dirigé  par  une  intelligence  plus 
habile,  comme  au  douzième  siècle ,  où  le  clergé  s'adonne 
plus  zélé  aux  compositions  iconographiques  ,  les  scènes 
s'étendent,  les  actes  se  multiplient,  le  drame  se  développe 
et  s'achèN  e.  C'est  ainsi  que  nous  voyons  sur  un  chapiteau  du  '  L'histoire  d'A- 
beau  parv  is  de  Saint-Denoît-sur-Loire  trois  scènes  fort  recon-  nou-sm-LoIri. 
naissables  de  la  pi'emière  pliase  du  monde  primitif.  Trois 
personnages  y  paraissent,  dont  un  est  revêtu  d'une  longue 
l'obe  et  la  tête  entourée  du  nimbe  ;  les  deux  autres,  homme 
et  femme,  à  la  nudité  complète  mais  décente,  sont  devant  lui 
et  paraissent  l'écouter:  c'est  Dieu,  unissant  Adam  et  Eve  par  • 
le  mariage.  Derrière  ceux-ci  s'offre  la  tentation  :  vm  pommier 


33 i  HISTOIRE    Di:    SYMBOLISME. 

chargé  de  fruits  sert  de  support  à  un  serpent  qui  s*y  allonge 
en  spirale  et  s'adresse  à  la  femme  qui  va  succomber  ;  de 
l'autre  côté  est  Adam,  dont  le  sculpteur  n'a  pas  voulu 
confondre  le  degré  de  culpabilité  avec  celle  de  son  épouse, 
car  elle  est  nue  et  il  est  revêtu  d'une  sorte  de  chlamyde.  Cette 
idée  est  d'une  haute  théologie,  qui  fait  déjà  prévoir,  à  travers 
les  formes  peu  harmonieuses  d'une  facture  très-imparfaite, 
la  méthode  mystique  dont  le  douzième  siècle  fut  surtout  l'ex- 
pression très-remarquable.  Enfin  ,  nous  voyons  un  Ange , 
poussant  devant  lui  hors  du  Jardin  profané  le  couple  déso- 
béissant. Au-dessus  de  cette  trilogie  ,  trois  dragons  rephés 
sur  eux-mêmes  expriment,  dans  l'attitude  du  repos,  le  pai- 
sible succès  dont  ils  jouissent.  Ils  durent  assez  travailler  ; 
leur  proie  est  assurée,  ils  n'ont  plus  qu'à  s'endormir  dans 
La  Fuite  en  Icur  triomphc.  Non  loin  de  là  est  la  Fuite  en  Egypte  :  Marie, 
^^^*^'  portant  sur  ses  genoux  l'Enfant  Dieu  que  désigne  son  nimbe 

croisé,  est  montée  sur  un  âne  dont  S.  Joseph  tient  la  bride  ; 
au-devant  de  la  sainte  caravane  ,  un  soldat ,  l'un  des  satel- 
lites d'Hérode,  se  présente  armé  d'une  lance  et  d'une  épée  à 
deux  tranchants  ;  derrière  la  Vierge,  un  autre  monstre  de- 
vait chercher  aussi  à  entraver  les  pieux  pèlerins  :  c'est 
encore  le  dragon  infernal  ;  mais  un  Ange  le  terrasse  avec 
une  croix.  On  peut  bien  voir  d'intelUgents  symboles  dans 
les  expressions  diverses  et  très-significatives  de  ces  six  per- 
sonnages, dont  la  physionomie  se  prête  merveilleusement 
au  rôle  de  chacun  ;  mais  le  théologien  a  parlé  avec  ce  lan- 
Lamain  divine,  gage  d'artistc  un  autre  langage  bien  plus  élevé.  Quelle  est 

symbole   de    pro-  .  .  ;,,    ,  i  '    •  j         i         • 

tection.  cette  mam  qui  apparaît  dans  un  angle  supérieur  du  chapi- 

teau, bénissant  à  la  manière  latine  l'Enfant  qui  doit  sauver 
Israël  et  rendant  très-bien  la  parole  du  Père  céleste  :  «  Ce- 
lui-ci est  mon  Fils  bien-aimé  (I)  ?  )>  N'est-ce  pas  une  ingé- 
nieuse manière  de  rappeler  la  protection  divine  promise 


(1)  «  Et  ecce  vox  de  cœlîs  dicens  :  Hic  est  Filius  meus  dilectus,  in  quo 
mihi  bene  complacui.  »  {Matth.,  m,  17.) 


DES   CHAIMTK.vrX.  335 

par  l'Ange  de  la  vision?  Cet  Ange,  dans  la  pensée  de  l'ar- 
tiste, n'est-ce  pas  S.  Michel  lui-même  qui  tient  sa  promesse? 
Mais  un  autre  signe  complète  la  pensée.  Au  niveau  de  cette 
main  et  à  l'autre  côté  du  tableau ,  l'étoile  des  Mages  appa- 
raît, large  et  splendide  des  plus  beaux  rayons.  Rien  ne  parle,      Beiie  et  savante 

,  11,  11/»      esthétique  de  tout 

dans  le  texte  sacre,  de  ce  voyage  de  1  astre  subordonne  a  ce  morceau. 
celui  du  Sauveur  fugitif;  mais,  puisque  l'étoile  indiqua  aux 
rois  de  l'Arabie  la  demeure  de  Bethléem  et  la  présence  de 
l'Enfant  Dieu,  elle  vient  ici  attester  aussi  bien  sa  divinité.  Elle 
affirme,  avec  tous  les  autres  détails  de  cette  scène,  que  c'est 
bien  là  le  récit  de  S.  Matthieu,  et  cette  licence  du  sculpteur 
qui  ajoute  à  l'histoire  sans  manquer  au  sentiment  de  la 
vérité  est  du  symbohsme  par  excellence  et  l'une  des  plus 
ingénieuses  données  de  la  science  scripturaire.  C'est  encore 
le  sens  que  nous  avons  appelé  super  historique  (I). 

Ce  magnifique  poème  biblique  inscrit  dans  le  majestueux 
atrium  de  S.  Benoît  est  une  des  plus  riches  merveilles 
qu'on  puisse  étudier  en  ce  genre  ;  le  symbolisme  doctrinal 
s'y  déploie  avec  une  ravissante  exubérance.  Il  a  été  assez 
mal  compris  par  beaucoup  d'interprètes,  nous  l'avons  fait 
observer  ci-dessus  (2)  ;  nous  trouverons  occasion  d'y  revenir. 

Ce  que  nous  avons  remarqué  plusieurs  fois  de  l'ornemen-     Scènes  des  cha- 

...  1,111  »  »ii,  piteaux   graduées 

tation  sculpturale,  plus  luxueuse  a  mesure  qu  elle  s  avance  dans  leur  impor- 

1  -,  .        .  1/11»!  tance    en  se  rap- 

dans  le  sanctuaire  ,  ce  que  nous  avons  observe  de  1  adop-  prochant  du  sanc 
tion  des  sujets  spéciaux  qui  apparaissent  au  nord  ou  au  sud 
des  églises,  s'applique  également  aux  sculptures  des  chapi- 
teaux. Les  scènes  choisies  pour  le  sanctuaire  sont  ordinaire-    symboiea  eucha 
ment  celles  qui  parlent  plus  éloquemment  de  Jésus-Christ  v^gï^r'  ^  ^*'"" 
et  de  sa  sainte  Mère ,  soit  dans  leurs  rapports  immédiats 
avec  la  rédemption  des  hommes  ,  soit  dans  les  types  an- 
ciens qui  symbolisent  le  Sacrement  de  l'autel,  la  nour- 
riture par  excellence  de  l'âme  chrétienne.  Daniel  y  figure  bac^o"**^  **  *** 


(l)  Voir  ci-dessus,  t.  II,  238,  428,  462,  516,  559,  560,  565. 
(2;  Voir  ci-dessus,  p.  132  et  suiv. 


330  HISTOIRE   Dl    SYMBOLISME. 

entre  ses  lions,  mangeant  le  dîner  apporté  par  Habacuc  ; 
et  S.  Ambroise  y  voit  l'emblème  de   Fâme  fidèle  nourrie 
du  pain  des  forts  au  milieu  des  tentations  de  la  terre  (4). 
S.  Augustin  exprime  la  même   pensée  et  admire ,  à  ce 
propos,  comment  le  Sauveuj-  se  porte  dans  le  Pain  sacré 
à  ceux  qui  l'envient,  après  s'être  porté  soi-même  de  ses 
propres  mains  dans  Finstitiition  du  Sacrement  (2).  C'est 
dans  le  même  esprit  que  ces  mêmes  images  sont  tant  pro- 
diguées dans  les  catacombes,  où  Ton  dérobait  aux  païens 
Marie  et  l'En-  la  vuc  dcs  saliits  Mystèrcs.  Ce  n'est  donc  pas  sans  raison 
qu'elles  se  rencontrent  aux  chapiteaux  du  sanctuaire  à 
Saint-Pierre  de  Gliauvigny  (Vienne)  ;  les  chapiteaux  voisins 
du  môme  côté  sud  y  montrent  la  Vierge  Mère  présentant  le 
saint  Enfant  au  prêtre  qui  accomplit  à  Fautel  ses  grandes 
fonctions,  puis  l'étoile  des  Mages,  et  les  pasteurs  qu'elle 
éclaire  pendant  qu'ils  veillent  à  la  garde  de  leurs  troupeaux. 
A  côté  est  la  Babylone  prostituée,  l'esprit  du  monde  vaincu 
par  la  venue  du  Sauveur  ;  le  diable  pesant  inutilement  sur 
un  des  plateaux  de  la  balance  tenue  en  parfait  équilibre  par 
S.  Michel  :  c'est  le  salut  mérité  par  la  grâce,  en  dépit  de 
notre  plus  cruel  ennemi.  Du  côté  opposé ,  c'est-à-dire  au 
nord  de  ce  même  sanctuaire  et  à  la  gauche  du  prêtre  offi- 
ciant, le  démon  a  son  rôle  actif;  il  s'impose  sous  des  formes 
diverses  à  l'homme  qu'il  persécute  et  veut  faire  tomber.  Là 
sont  les  sauterelles  de  l'Apocalypse ,  ces  grandes  enchante- 
resses qui  perdent  les  âmes  par  les  inspirations  des  héré- 
sies (3)  ;  ou  deux  diables  hideux  s'efforçant  de  prévaloir 


La  pesée  de?^ 
âmes  ;  protection 
contre  Satan. 


Les  sauterellfS 
de  l'Apocalypse. 


(1)  tt  Quam  insuperabilis  Daniel  qui  circa  latera  sua  ragientôs  non 
expavil  leones  !  Fremebant  bestiee,  et  ille  epulabaUir.  »  (S.  Ambrosii 
lib.  1  Of'/lcior.,  cap.  xxxiii.) 

(2)  w  Vere  magnus  Dominus  et  misericordia  Ejus  !  Ferebatur  Jésus  in 
manibus  suis,  quia  cum  commendaret  Ipsum  et  Sanguinem  suum  , 
accepit  in  manus  suas  quod  norunt  fidèles,  et  Ipse  se  portabat  quodam- 
modo,  cum  diceret  :  Hoc  est  Corpus  meum.  »  (S.  Aug.,  Concio  secundo 
in  psalm.  xxxiii.) 

{2)  Voir  ci-dessus,  t.  Il ,  ch.  viii,  p.  199  et  suiv.,  exposition  du  eh.  ix 
de  l'Apocalypse. 


DES   CHAl'ITEAL.V.  337 

contre  un  homme  qui  résiste  par  son  immobilité  même; 
puis  un  autre  non  moins  embarrassé  par  deux  bétes  iden- 
tiques dont  l'une  s'élance  à  sa  tète  et  souffle  à  son  oreille  le 
langage  des  passions  qui  ont  l'orgueil  pour  principe,  l'ava- 
rice ,  l'ambition ,  la  vengeance,  tandis  que  l'autre,  s'atta- 
cliant  à  dé\olopper  les  passions  basses  et  dégoûtantes,  ex- 
prime ses  perlides  désirs  en  léchant  les  pieds  de  la  victime. 
Outre  l'averiissement  doinié  ici  de  la  résistance  aux  im-      La  loice  contre 

.  11,1.  los  tentations. 

pressions  du  mal ,  n  y  voit-on  pas  cet  éloquent  parallélisme 
([ui  répète  à  tous  que  les  blessures  faites  par  l'ennemi  peu- 
vent être  guéries,  et  que  notre  secours  doit  venir  de  l'Agneau 
qui  efface  les  péchés  du  monde? 
C'est  une  pensée  nettement  arrêtée,  et  que  nous  avons     Los  démons  for- 

cc'S  de  sorvir  ù  la 

signalée  à  la  cathédrale  de  Poitiers,  que,  pai'tout  où  devaient  gione  de  Dieu. 
être  des  autels,  soit  à  l'abside  oi'ientale  ,  soit  aux  chapelles 
latérales  du  transsept,  le  sculpteur  avait  eu  soin,  en  termi- 
nant son  œuvre,  d'orner  les  chapiteaux,  aussi  bien  que  les 
modillons,  de  sujets  qui  rappelaient  le  triomphe  de  la  foi 
sur  l'esprit  de  ténèbi'es.  Cette  l'ègle  apparaît  donc  aussi  à 
Chauvigny  ;  nous  la  retrouverons  partout  ailleurs.  C'est 
par  la  même  raison  que  les  tympans  de  nos  grandes  portes 
fourmillaient  de  chapiteaux  et  de  vastes  pages  où  les  démons 
affluaient  sous  toutes  les  formes  ,  non  pas  tant  à  l'état  de 
tentateurs  qu'en  qualité  de  coupables,  forcés,  en  dehors  de 
l'église ,  à  jouer  le  rôle  ignominieux  de  malfaiteurs  con- 
damnés au  pilori  :  c'est  le  triomphe  de  l'Église  sur  l'esprit 
du  mal;  c'est  la  reproduction  en  petit  des  vastes  bas-reliefs 
où  les  morts  ressuscitent  pour  être  jugés,  où  les  bons  et 
les  méchants  sont  séparés  par  les  Anges,  où  toute  vertu, 
comme  tout  vice,  reçoit  sa  récompense  ou  son  châtiment. 
Tel  est  le  but  réel  du  sculpteur  ,  interprète  fidèle  ,  comme     Étrange abena 

,,  ,|  T.-  iiixi'i*  "o"    ^^6   quelques 

nous  1  avons  prouve,  des  doctrines  morales  de  la  théologie,  archéoio-u^s  nu 
et  non,  comme  l'ont  voulu  MM.  Mérimée,  Michelet  et  autres 
fantaisistes  romantiques,  l'envie  d'épouvanter  les  popula- 
tions plutôt  que  de  les  persuader.  Dans  ces  intrépides  com- 
T.  III.  22 


turulistes , 


338  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

mentateurs ,  à  qui  la  première  idée ,  tant  absurde  soit-elle, 
sert  de  texte  contre  l'Église ,  on  ne  trouvera  jamais  plus  de 
justesse  que  de  bonne  foi ,  et  ce  n'est  pas  à  leurs  rêveuses 
folies  qu'il  faut  aller  demander  le  sens  véritable  de  nos 
mystères,  qu'ils  n'ont  jamais  sérieusement  étudiés...  Et  ce 
qu'il  y  aurait  de  pire  pour  l'arcbéologie  chrétienne  ,  si  de 
telles  autorités  pouvaient  la  compromettre ,  c'est  qu'à  la 
suite  de  ces  étranges  paladins  de  l'herméneutique  sacrée 
on  trouve  toujours  des  écuyers  prêts  à  vanter  leurs  exploits 
en  se  targuant  d'y  avoir  commis  leur  flamberge. 
en  opposition  avec       Revcnous  ,  à  l'égard  de  tant  d'images  singulières ,  aux 


l'histoire  de   l'ar- 


ehitecture  et  l'ac-   principcs  quc  uous  avons  poses  comme  incontestables  des 

tivo     surveillance     ^  ^  .,  .,.^,  i^rii- 

dr- l'Église  au  mo-  le  commeiicenient  dc  cc  livrc  :  1  nnpossibilite  que  liighse 

yen  âge.  .  ..       -,  ,        •     ,  ,  •  •       .    • 

chrétienne  ,  asile  des  graves  et  saintes  pensées,  inspiratrice 
•  des  plus  sérieuses  méditations ,  dépositaire  exclusive  de 

l'enseignement  divin,  ait  pu  jamais  permettre  un  seul 
instant  à  un  seul  imagier,  même  des  plus  habiles ,  l'énorme 
licence  de  remplacer  par  ses  idées  personnelles  l'expres- 
sion scrupuleuse  du  dogme  irrévocable  et  des  éternelles 
vérités.  Si ,  comme  on  n'en  doute  plus,  l'imagerie  était  au 
moyen  âge  le  livre  où  devaient  lire  les  ignorants,  on  com- 
prend fort  bien  qu'elle  ait  répandu  sur  toutes  les  parties 
du  temple  cette  science  que  tous  y  venaient  chercher  ; 
mais  comment  se  persuader  qu'à  droite  ou  à  gauche  de 
ces  théories  souverainement  exactes,  on  ait  pu  aller  jus- 
qu'à semer  des  petitesses  insignifiantes  ou  de  grossières 
caricatures ,  ou  de  prétendues  indécences  dont  nous  aurons 
à  parler?  Un  tel  système  d'opposition  était  une  preuve  d'ima- 
gination quand  il  fut  exposé,  il  y  a  trente  ans,  par  des 
hommes  plus  spirituels  que  bien  appris.  Nous  nous  rappe- 
lons parfaitement  qu'à  cette  époque  on  reniait  le  symbo- 
lisme, à  peine  visible,  disait-on  ;  on  croyait  avoir  écrit  un 
mémoire  irréfutable  en  annonçant  une  longue  suite  de 
questions  sur  lesquelles  on  s'évertuaitàproclamer  des  non- 
sens.  On  se  donnait  alors  le  plaisir  de  nier  l'objet  de  ses 


I)i:S   CIIAPITKAIX.  339 

vives  interrogations...,  et  la  cause  était  entendue.  11  n'en 
peut  être  ainsi  de  nos  jours.  Outre  l'intention  formelle ,  et 
([uo  nous  venons  d'établir,  de  poser  ses  sujets  dans  un  ordre 
méthodique  et  rationnel,  consacrant  au  lieu  le  plus  digne 
ceux  qui  s'y  rapportent  le  plus  naturellement,  on  ne  sortit 
[)as  plus  de  l'allégorie  dans  le  semis  ({u'on  sut  faire  par 
toutes  les  autres  portions  du  temple. 

U  ne  faut  pas  même  séparei'  de  celte  théorie  générale  un      Beiie  louatiou 

.  .  Il-  *^^^     chapiteaux . 

certam  choix  (fu  oji  lit  alors  pour  les  grands  chapiteaux  non  moins  exprès - 

,      ,        .  ■  r\  '  11        sive  que    tout    le 

il  une  végétation  partout  expressive.  On  sait  avec  quelle  reste. 
gracieuse  abondance  lurent  épanchées  ,  au  fond  et  au 
dehors  de  ces  charmantes  corbeilles,  les  feuilles  vraies  ou 
rantasti(|ues  destinées  à  leur  belle  et  ricJie  décoration.  Un 
motif  d'embellissement  ne  fut  pas  le  seul  qui  patronisa  ce 
moyen;  tout  en  l'empruntant  au  profit  des  murailles 
sacrées ,  de  ses  arcatures ,  de  ses  clefs  de  voûtes  et  de 
leurs  retombées,  on  prétendit  bien  y  rattacher  des  mys- 
tt'res  dont  l'Église  est  pleine  ,  et  fournir  à  chacun  de  quoi 
s'instruire  ou  s'édifier.  Les  fleurs,  les  feuillages  sont,  en  symbolisme  des 
général,  Temblème  des  grâces  spirituelles  et  de  la  bonne  fleurrdans .l'ÉcrT 
odeur  des  vertus  (I).  L'Écriture  les  compare  tantôt  aux 
justes  rassemblés  autour  de  la  Table  sacrée  dans  une  jeu- 
nesse éternelle  ,  ou  à  l'arbre  fructueux  planté  le  long  des 
eaux  ;  tantôt  aux  pécheurs,  qui  s'élèvent  et  disparaissent 
comme  l'herbe  de'ssécliée  (2).  Les  Prophètes  sont  pleins  de 
ces  fraîches  comparaisons.  Dieu  dit,  dans  Osée  ,  aux  Juifs 
(|ii'il  exhorte  à  revenir  vers  lui  :  «  Je  serai  comme  une 

(1)  L'évêque,  en  bénissant  le  Saint  Chrême  et  mêlant  à  l'iiuile  le 
baume  qui  en  exprime  mieux  la  vertu  sanctifiante,  dit  :  «  Hanc  odori- 
feram  sicci  corticis  lacrymam,  quee  felicis  virga;  protluendo  sudorem 
sfl^cerdotali  nos  firmat  unguento,  acceptabilem...  sanctifica.  »  (Pontif. 
rninan.,  in-8«,  p.  610.) 

(2)  «  Filii  lui  sieut  novellœ  olivaruni  in  circnitu  mensae  tuœ.  »  {Ps.. 
cxLiii.)  —  «  Vir  qui  non  abiit  in  concilio  impiorum  erit  tanquam 
ligniun  quod  plantatum  est  secus  decursus  aquarum,  quod  truntum 
suuui  dabit  in  tempore  suo.  »  {Ps.,  i.)  —  «  Homo,  sicut  fenum,  llos 
ejus...,  decidel  et  aresoet...;  peceatores  sicut  fenum.  »  {Ps.,  xci,  8.) 


340  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

rosée  sur  Israël;  il  germera  comme  le  lis;  ses  racines  seront 
profondes  comme  celles  des  arbres  du  Liban  ;  ses  rameaux 
s'étendront  au  loin  ;  sa  gloire  sera  comme  une  abondante 
récolte  d'oliviers  ;  elle  aura  des  parfums  comme  ceux  de 
ses  montagnes  {\).  »  Devant  ces  textes,  s'étonnera-t-on  de 
voir  le  ciseleur  planter  dans  l'église  les  branchages  et  les 
fleurs,  en  entourer  les  autels  de  Dieu  et  de  ses  Saints? 
Quoi  de  plus  conforme  au  sentiment  qui  faisait  répandre 
les  branches  verdoyantes  sous  les  pas  du  Sauveur  ?  quoi  de 
plus  intimement  lié  aux  sympathiques  idées  de  la  théologie 
chrétienne?  «  La  nature  ,  dit  Sacy,  est  l'image  de  la  grâce; 
l'esprit  de  Dieu  est  une  rosée  divine.  Toutes  les  vertus  sont 
comme  des  lis,  des  blés,  des  oUviers ,  des  vignes  qui  crois- 
sent dans  l'âme.  Ces  plantes  spirituelles  doivent  jeter  leurs 
racines  dans  le  cœur;  elles  ont  besoin  des  ministres  de 
Dieu  qui  les  plantent ,  les  arrosent ,  les  cultivent  ;  mais 
tout  dépend  des  pluies  volontaires  qui  viennent  de  nous, 
et  de  l'influence  de  Dieu  qui  donne  r accroissement  (2).  )) 
Ce  que  le  docte  commentateur  voyait  si  clairement  dans 
l'Écriture  comme  autant  de  symboles  frappants ,  il  ne  se 
doutait  pas  que,  pour  le  trouver  traduit  sur  la  pierre,  il  ne 
fallait  que  lever  les  yeux  un  peu  au-dessus  du  Tabernacle , 
pour  peu  qu'un  décorateur  de  son  époque  ne  se  fût  pas 
ingénié  à  le  voiler,  à  la  façon  moderne,  sous  les  plastiques  à 
demi  païens  d'un  retable  gigantesque,  ou  sous  l'épais  ba- 
digeon d'un  ignorant  barbouilleur. 
zachée  sur  le       Uu  dcs  tvpcs  Ics  plus  curicux  donués  à  nos  chapiteaux  , 

sycomore. — Signi- 
fication de  l'un  et  mals  aussl  l'un  des  plus  inaperçus,  et  dont  nous  ne  pensons 

de  l'autre.  -,       . 

pas  qu'un  autre  que  M.  le  comte  Auguste  de  Bastard  ait 
jamais  donné  l'interprétation  avant  nous  (3),  est  cepen- 

(1)  «  Ego  quasi  ros  Israël;  germinabit  sicut  lilium  et  erumpet  radix 
ejus  sicut  libani;  ibunt  rami  ejus,  et  erit  quasi  oliva  gloria  ejus,  et 
odor  ejus  sicut  libanus.  »  {Os.,  xiv,  i,  6  et  7.) 

(2)  Sacy,  Commentaire  sur  Osée. 

(3)  M.  le  comte  de  Bastard,  dans  sou  Rapport  sur  une  crosse  trouvée 
à  Tirnn  ,  a  développé  son  travail  jusqu'à  en  faire,  par  la  variété  et  le 


DES  CHMMTEUX.  341 

dant  répandu  très-fréquemment  du  onzième  au  quinàènic 
siècle.  Il  est  peu  d'éf^^lises  dans  lesquelles  la  décoratio!i 
joue  quelque  modeste  rôle  où  ne  se  voie  une  figure 
d'Iiomme  apparaissant  au  milieu  d'un  feuillage  touffu. 
Quel  mystère  est  caché  sous  cette  singularité  inexpliquée  ? 
Un  passage  de  S.  Ambroise  nous  a  fait  penser  à  Zacliée 
monté  sur  le  sycomore  pour  voir  passer  le  Sauveur  ;  et , 
en  effet ,  dans  la  plupart  de  ces  représentations ,  le  petit 
homme  qui  surgit  de  cette  végétation  lapidaire  dénote 
par  ses  traits  une  vive  attention,  et  de  ses  mains  se  cram- 
ponne fortement  aux  branches  qui  l'entourent  :  évidem- 
ment, il  cherche  à  voir  un  objet  quelconque,  et  cet  objet 
est  le  Christ.  Or  ce  Zacliée,  dit  le  docteur  de  Milan,  prenait 
place  déjà,  par  l'élévation  de  sa  foi  ,  parmi  les  fruits  des 
œuvres  nouvelles.  La  fécondité  des  siennes  paraissait  déjà 
dans  celle  de  cet  arbre.  Le  Sauveur  était  venu  pour  faire 
naître  des  liommes  de  l'arbre  do  la  croix,  et  non  plus  des 
fruits  ordinaires  (^  ) .  Ceci  s'explique  encore  par  un  passage  de 
Bède  sur  le  même  fait  évangélique  :  «  Zacliée,  dit-il,  signifie 
justifié;  il  représente  le  peuple  des  croyants  se  séparant 
des  Gentils  en  s'élevant  au-dessus  d'eux.  Cette  séparation 
est  indispensable  ;  l'idée  du  sycomore  se  rattache  d'ailleurs 


nombre  de  ses  observations,  aussi  bien  que  par  de  savantes  notes^  un 
livre  des  plus  intéressants  et  des  mieuK  raisonnes  sur  le  symbolisme. 
Il  refçarde  ces  hommes  tenant  les  feuilles  de  l'arbre  au  milieu  duquel 
ils  surgissent  comme  une  représentation  du  sage  de  l'Ecriture  s'atta- 
chaut  à  l'arbre  de  vie  et  y  trouvant  son  bonheur  :  Sapientia,  lignum 
vilêp,  est  hU  qui  apprehenderinl  Eam,  et  qui  tenacrit  Eam  bealm 
(Sap.,  III,  18;.  —  Rien  de  plus  naturel  que  cette  explication  :  le  paradis 
terrestre  existe  encore  ,en  elfel,  pour  l'àme  vertueuse,  et  plus  celle-ci 
s'attache  à  l'arbre  mystérieux,  qui  est  l'Église,  plus  elle  se  félicite  de  la 
paix  qu'elle  trouve  dans  le  saint  usage  de  ses  fruits.  —  Voir  Bulletin 
du  comité  de  la  l  incjue,  df  l'histoire  el  des  arts  de  la  France,  t.  IV, 
p.  784.  —  Paris,  1860. 

(1)  <(  Zachaeus  sublimi'ate  fidei  inler  fructus  novorum  operum,  velut 
fecunda  altitudine  eminebat...  Ad  hoc  enim  Christus  advenit  ut  ex  li- 
gnis  non  poraa,  sed  homiues  oascerentur.  »  (S.  Ambros.j  In  Lucavi) 
lib.  Vni,  sub  fine.) 


342  HiSTOir.K  bi:  syiMBOlisaie. 

à  celle  du  liguier,  dont  il  est  une  espèce  quoique  sauvage. 
Cet  ar])re  prend  un  double  rôle  à  l'égard  des  bons  et  des 
méchants  :  comme  la  croix,  il  nourrit  les  premiers  de  ses 
fruits  pleins  de  saveur,  et  il  devient  pour  les  seconds  un 
objet  de  dérision  ou  d'indifférence  (1). 
Transitiondr  ce       Cependant  cet  homme  dont  nous  parlons,  qui  surgit  plein 

sujet  à  lajiiandra-      _         .  ,  .  ,  •         ii  f •   t     .  •  i  i        , 

gore.  de  Vie  et  a  mi-corps  du  sein  d  une  loliation  abondante ,  a 

reçu  maintes  fois  une  variante  qui  des  chapiteaux  s'est 
transportée  tantôt  aux  miséricordes  des  stalles ,  tantôt  aux 
pendatifs  des  arcatures  ogivales  qui  en  décorent  les  hauts 
dossiers  ou  qui  forment  le  soubassement  des  vastes  façades 
de  nos  grandes  basiliques.  Là,  souvent,  une  figure  grima- 
çante, aux  larges  yeux  animés,  à  la  vaste  bouche,  aux  joues 
ridées  ,  s'épanouit  an  milieu  d'une  plante  à  feuilles  dente- 
lées comme  les  chicoracées ,  et  qui  l'entoure  comme  une 
longue  et  épaisse  chevelure.  C'est  la  mandragore  anthro- 
pomorphe, que  les  naturalistes  anciens  ont  encore  appelée 
pomme  d'amour,  d'après  ce  qu'on  croyait  de  ses  prétendues 
vprtus  ei  attri-  propi'létés.  Eu  cffct ,  lls  k  croyaient  bonne  pour  se  faire 

but^       cIb       cette 

plante.  aimcF,  ct  l'cmployaient  dans  leurs  philtres  pour  s'exciter  à 

cette  passion.  Julien  l'Apostat  écrivait  à  Calixène  qu'il  en 
buvait  le  jus  dans  ce  dessein.  Josèphe  lui  attribue  entre 
autres  vertus  de  chasser  les  démons,  qui  ne  pouvaient  sup- 
porter sa  présence  ni  son  odeur,  et  quittaient  les  possé- 
dés sur  lesquels  on  s'empressait  de  l'appliquer.  Ces  faits, 
énoncés  dans  les  auteurs  compétents,  indiquent  assez  que  la 
mandragore  figure  dans  notre  imagerie  à  plus  d'un  titre , 
et  soit  comme  le  symbole  d'un  vice  à  éviter ,  soit  comme 


(1)  «  Mystice  Zacliaeus^  qui  inlevi^treiaitur  jusiiftcatuSj  credentem  ex 
gentibus  populum  significat...  — Sycomorus...  ficus  fatua  dieitur.  Et 
eadem  dominicacrux  quœ  credentes  alit  ut  ficus,  ab  incredulis  irridetur 
ut  fatua.»  (Bed.,  lib.  V,  JnLuc,  cap.  lxxvii.)— On  peut  voir  S.  Augustin 
d'accord  avec  ces  pensées  dans  son  Commentaire  sur  S.  Luc,  prope 
fivem:  «  Zachseus  in  sycomoro,  novum  videlicet  temporis  pomum,  ut 
in  hoc  quoque  compleretur  illud  :  Arbor  fici  produxit  grosses  suos.  » 
(Cant.,  II,  13.) 


Oiseau  dans  les 
branches ,  co  - 
lombe  de  la  soli- 


J)KS   (MMPITKALX.  343 

invitation  d'une  lorcc  à  se  donner  contre  les  tentations  de  la 
chair  et  de  l'esprit.  La  Chine  aussi  a  sa  plante  identique 
nommée  gin-seng  ,  et  à  laquelle  les  savants  du  pays  attri- 
buent des  vertus  toutes  particulières  qui  n'échappent  à 
aucune  de  leurs  encyclopédies  (i). 

Quelquefois,  sur  le  sycomore  où  Zachée  a  paru  d'abord, 
vous  voyez,  au  lieu  d'une  tète  humaine,  celle  d'un  oiseau,  qui   ^  ,     .    «   , , 

"i       ^  '  'A  tude,  signifiant  la 

est  parfois  une  chouette,  et  semble  là  reposer  dans  son  nid,  ^'^  "°»tive. 
tranquille  spectateur  de  ce  qui  se  passe  au-dessous  de  lui, 
écliappant  par  la  solitude  aux  agitations  du  monde  :  là  cet 
oiseau  devient  le  symbole  de  la  sagesse  méditative  (2).  Ou 
bien  c'est  la  tendre  et  innocente  colombe  réfugiée  à  tire 
d'ailes  vers  les  hauts  lieux  où  elle  cache  ses  petits,  et  qui 
gémit  dans  son  exil  de  la  terre  (3).  S.  Méliton  indique  en 
effet  la  tourterelle  comme  le  symbole  de  la  chasteté  qui 
craint  les  regards  et  exprime  les  gémissements  des  âmes 
saintes  (5).  Rien  donc  que  de  bien  conforme  aux  pensées 
de  l'Éghse  dans  ceux  qui  ont  placé  de  tels  symboles  aux 
approches  du  sanctuaire  où  l'homme  semble  se  rapprocher 
davantage  du  Dieu  qu'il  y  cherche,  où  l'âme  plus  recueillie 
se  livre  à  de  plus  profondes  et  de  plus  douces  méditations. 
C'est  là  qu'est  la  vie  unitive;  c'est  elle  qu'on  retrouve  sous 
ces  emblèmes  aussi  touchants  que  mystérieux,  dont  l'étude, 
on  le  voit,  ne  manque  pas  plus  de  charmes  que  d'attraits. 

Mais  que  dire  de  ces  entrelacs  si  nombreux  et  si  variés 
qu'on  rencontre  si  fréquemment  sur  les  chapiteaux  les  plus 
anciens  ,  à  l'état  rudimentaire,  n'offrant  d'abord  à  nos  re- 
gards qu'un  ornement  sans  importance,  et  dont  on  ne  soup- 


ires entrelacs 
des  chapiteaux,  et 
leur»  variété.^. 


(1)  Cf.  Dom  Galmet ,  Cunimenlaire  littéral  sur  la  Genèse  ,  ch.  xxx. 
V.  14. 

(2)  «  Factus  sum  sicut  nycticorax  in  domicilio.  »  (Ps. ,  ci,  7.)  —  « Medi- 
labor  ut  colouiba.  »  {Is.,  xxxvjii,  14.) 

(3)  «  Ecce  elongavi  fiigiens,  et  mansi  in  solitudine.  »  {Ps.,  liv,  8.) 
—  «  luvenit  turtur  uidum  sibi  ubi  ponat  pullos  suos.  »  {Ps.,  lxxxiii,3.) 

(4)  «  Turtur  caslilatem,  vel  gemitum  Sanctorum  siguificat.»  (S.  Melit., 
Clavis,  De  Avibus,  cap.  xi.) 


341  HISTOIRE    bi:    SYMBOLISME. 

çonrierail  pas  le  sens  ;  dont  ia  simplicité  ne  llatte  les  yeux 
que  par  des  enroulements  plus  ou  moins  agréables,  mais 
qui,  à  mesure  qu'on  s'avance  vers  la  belle  époque,  devien- 
nent de  jolis  dessins,  de  véritables  rubans  mêlés  de  perles, 
de  tresses  et  de  guirlandes  qui  se  croisent  et  s'élancent  avec 
autant  d'iiarmonie  que  de  régularité?  Là,  direz-vous  sans 
doute,  le  symbolisme  fait  place  à  une  idée  moins  pro- 
fonde, et  le  sculpteur  s'est  contenté  de  jeter  sur  sa  corbeille 
un  tissu  quelconque,  dont  le  mérite  est  d'en  cacher  la  nu- 
dité. Mais  il  en  est  autrement  si  vous  contemplez  les  entre- 
lacs formés  par  les  enroulements  symétriques  des  queues 
de  léopards  ou  de  lions,  s'ils  enveloppent  de  leurs  contours 
des  oiseaux  fantastiques  aux  têtes  de  serpents  ou  de  griffons 
qui  s'y  joignent  :  alors  reconnaissez  à  ces  traits  l'hérésie, 
hostile  à  Dieu,  à  son  Église  et  à  ses  enfants.  Ce  sont  ces  sectes 
rebelles  excommuniées  par  Grégoire  IX  et  Innocent  IV, 
((  lesquelles,  sous  quelques  noms  qu'elles  se  produisent,  ca- 
thares, pauvres  de  Lyon,  arnaldistes  ou  autres,  se  revêtent 
de  faces  diverses  ,  mais  s'unissent  en  réalité  par  les  plis  de 
leurs  queues  et  s'entendent  très-bien  à  épancher  les  vaines 
théories  de  leurs  erreurs  (I).  »  C'est  le  treizième  siècle  qui 
s'exprime  ainsi  par  la  plume  de  deux  de  ses  grands  doc- 
teurs; au  douzième,  nous  avons  vu  S.  Bernard  attribuer  à 
des  hérétiques  entêtés  le  même  caractère  et  des  symboles 
semblables  (2).  Donc,  pour  tout  homme  de  bonne  foi  il  n'y  a 
plus  moyen  d'attribuer  à  des  caprices  sans  valeur  ces  figures 
demeurées  jusqu'à  présent  sans  explication.  N'est-ce  pas 


(1)  Cf.  l'abbé  Lecanu,  Ihsioire  de  Salan,  p.  268  et  suiv.,  in-8", 
Paris,  1861. 

(2)  «  Excommunicamus  et  auathematizamus  iiiiiversos  haerelicos,  Ca- 
tliaros...,  Pauperes  de  Lugduno...,  Arnaldistas,  et  alios  quibuscumque 
censeantur  :  faciès  quidem  habeiites  diversas,  sed  caudas  ad  invictm 
coUigatas,  quia  de  vanitate  conveniimt  in  idipsum.  »  (Décrétai.,  lib.  V, 
lit.  Vil,  cap.  XV,  Greg.  IX;  —  et  Innocent.  IV,  In  Sexl.  lib.  V,  tit.  m, 
cap.  II,  —  mihi,  Décret.,  p.  1834.)  -Voir  aussi  Densinger,  Enchiridion 
symbolorum  et  definitionuin,  in-12,  Wirceburgi,  1856,  p.  162. 


DEvS  {:h.vpitk\i\.  3/«:i 

siu"  beaucoup  de  nus  cliapileaux  (jiie  ces  paroles  soiil 
copiées,  ou  bien  ces  paroles  n'ont-clles  pas  inspii'é  beaucoup 
des  ouvriers  qui,  à  cette  époque,  se  sont  plu  à  les  reproduire 
avec  des  ^ariantes  qui  se  manifestent  dès  lors  sous  des  ca- 
prices de  i'ornies  si  irrégulièrement  fécondes?  et  quand  les 
Papes  du  treizième  siècle  ont  représenté  les  tortueuses 
façons  de  l'hérésie  avec  ces  caractères  si  décisifs,  pouvaient- 
ils  ne  pas  faire  allusion  à  ce  type,  déjà  vulgarisé  depuis 
longtemps,  du  mensonge  liypocrite  et  de  ses  perfides 
efforts  ? 
Si  de  ces  étonnantes  images,  maintenant  devinées,  nous      ij^norancc  de 

certains      savants 

passons  aux  grotesques  peu  connus  encore,  et  si  souvent  en  fait  de  religion 
attaqués  par  les  petits  de  la  science  comme  inexplicables  ou 
ridicules,  nous  étonnerons  .bien  davantage  en  assignajit  à 
chacun  son  rôle  propre,  et  démontrant  qu'il  n'y  a  en  eux , 
non  plus  que  dans  les  plus  simples,  rien  qui  ne  tende  à  im 
])ut  avéré.  Ainsi,  avant  de  dire,  comme  le  Comité  des  arts  et 
monuments  dans  ses  Instructions,  que  «  ces  motifs  étaient 
intligés  par  la  théodicée  bizarre  et  raffinée  du  moyen 
âge  (I),  »  il  aurait  fallu  bien  comprendre  les  éléments 
mêmes  de  cette  théodicée,  exposer  sa  propre  doctrine  sur 
Dieu  et  savoir  quel  enseignement  on  opposerait  bien  sur  ce 
sujet  à  celui  des  théologiens  de  ce  moyen  âge  si  orgueilleu- 
sement dédaigné.  Pauvres  connaisseurs!  qui  croient  savoir 
leur  moyen  âge  dont  ils  voudraient  faire  leur  chose,  et  qui 
n'ont  jamais  su  comprendre  que  cette  belle  époque  delà 
religion  et  de  l'art  avait  sa  manière  à  elle,  son  école  plasti- 
que ou  chronographi(iue,  où  s'enseignait  la  manière  de 
représenter  les  mystères  et  les  dogmes  de  la  religion  !  Ne 
serait-ce  pas  à  ces  demi-savants  qu'il  faudi-ait  reprocher 
plutôt  un  raffinement  de  critique  audacieuse  puisée  dans  les 
préjugés  qu'ont  accumulés,  dans  certains  esprits,  les  théo- 
ries du  calvinisme,  du  jansénisme  et  du  philosophismc?  Ne 

(1)  ln-4",  (t.  35,  82-84.  —  Cette  rédaction  est  de  M.  Mérimée. 


346  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

sont-ce  pas  eux  qui  ont  perdu  ou  abandonné,  jusqu'à  n'en 
plus  rien  savoir,  les  traces  vénérables  de  la  vérité  artistique 
et  la  simplicité  naïve  de  la  foi  de  nos  aïeux  ?  Quelles  études 
ont-ils  faites  de  ces  emblèmes,  si  difficiles  à  tout  autre  qu'au 
chrétien,  de  ces  énigmes  dont  l'obscurité  ne  disparait  qu'à 
la  lumière  de  l'Évangile?  Quand  ont-ils  passé  une  seule  de 
leurs  nuits  à  méditer  les  rapprochements  possibles  entre  les 
éléments  de  nos  sym])oles  parfois  si  éloignés  les  uns  des 
autres,  et  toujours  rapprochés  dans  un  but  sacré  de  sainte 
propagande  et  d'ardente  évangélisation? 
Méthode    (lin       C'est  pour  n'avoir  rien  appris  de  ces  principes  que  nos 

tuilion    pour    cps 

'Hudes,  aussi  diiii-  scigucurs  dc  la  prétendue  science  moderne  se  sont  hasar- 

ciles  que  sérieuses. 

dés  à  des  dissertations  plus  grotesques  sans  contredit  que 
beaucoup  des  symboles  qu'ils  calomnient.  Pour  nous  qui 
analysons  ces  figures  de  sang-froid ,  dans  le  calme  d'études 
attentives  et  prolongées,  nous  en  cherchons  la  pensée  intime 
et  nous  la  découvrons  à  ses  vraies  sources.  Nous  distinguons, 
à  la  faveur  de  cette  méthode,  les  époques  de  l'art,  les  livres 
qui  l'ont  inspiré,  l'action  de  l'Église  dans  tous  les  temps,  et 
son  active  surveillance  sur  ses  propres  affaires,  dont  aucunes 
jamais  ne  lui  furent  plus  importantes,  nous  l'avons  prouvé, 
que  la  construction  de  ses  temples  et  leur  embellissement. 
Revenons  un  peu  sur  ce  triple  sujet  d'observations. 
i/inspiration  e -  Quaiit  aux  époqucs  dlvcrscs  oîi  l'ai't  a  jeté  ses  radieuses 
Idon*^"L  "SèSes  expansions  sur  la  pierre  des  chapiteaux  et  des  modillons  , 
ou  sur  le  bois  des  stalles  aussi  bien  que  sur  le  parchemin 
des  manuscrits ,  nous  n'entendons  pas  juger  ici  ces  phases 
différentes  par  le  mérite  graphique  et  sculptural  des  œuvres 
du  talent  ou  du  génie  :  nous  voulons  parler  uniquement  du 
genre  d'inspiration  qui  souffla  sur  l'artiste  pour  faire  éclore 
de  ses  mains  les  images  plus  ou  moins  mystérieuses  que 
nous  lui  devons.  C'est  une  remarque  indispensable  au  juste 
discernement  des  motifs  traités  par  lui.  Les  onzième  et  dou- 
zième siècles,  en  effet ,  sont  tout  hiératiques  et  restent  dans 
une  gravité  qui  n'exclut  ni  la  variété  des  sujets  ni  la  richesse 


qu'elle  trayerse. 


DES    CHAPITEAl  \.  347 

de  riniagination.  Les  deux  siècles  suivants  ne  conservent 
pas  sans  (luelque  niodilicalion  ce  double  caractère.  Le 
champ  où  se  recueillent  les  chefs-d'œuvre  lapidaires  du 
symbolisme  s'est  élargi.  A  côté  des  écritures  sacrées,  de 
riiistoire  du  peuple  de  Dieu ,  une  littérature  nationale  s*est 
faite,  les  artistes  laï([ucs  sont  arrivés,  et  de  ces  deux  sources 
nouvelles  ont  surgi  des  idées  non  moins  instructives  ,  non 
moms  intelligibles,  mais  parées  d'une  sorte  de  dehors  pro- 
fane et  tout  d'abord  moins  convenable,  en  apparence,  à  la 
sainte  austérité  des  leçons  divines.  Mais,  en  fait  et  sous  ce 
revêtement  inusité,  on  aperçoit  le  fond  de  la  pensée  chré- 
tienne, et  l'on  voit  bien  que,  si  le  ciseau  devient  l'interprète 
des  poèmes  et  des  fabliaux,  c'est  toujours  au  profit  du  déca- 
logue,  dont  le  texte  vit  à  travers  ces  voiles  diaphanes. 

La  période  triséculaire  qui  s'écoula  entre  l'an  1000  et  les  «.iie  période  du 
premières  années  du  quatorzième  siècle  est  certainement  la  STrîiè  sî^cir* 
plus  remarquable  depuis  l'origine  du  Christianisme,  quant 
à  la  science  théologique  étudiée  sérieusement  dans  les  mo- 
nastères,  et  aux  aptitudes  qu'elle  enfanta  :  c'est  le  temps 
des  Pierre  Damien  et  des  Anselme  de  Gantorbéry,  des  Gra- 
tien  et  des  Pierre  Lombard,  des  Albert  le  Grand  et  des  Tho- 
mas d'Aijuin,  des  Bonaventure  et  des  Vincent  de  Beauvais. 
Ces  beaux  génies,  familiarisés  avec  les  plus  hautes  études  de 
leur  âge,  pouvaient  en  concevoir  le  mysticisme,  lui  appli- 
quer les  mystères  des  sciences  pprdues  aujourd'hui ,  telles 
que  la  cabale  et  la  gnose,  ceux  même  de  la  philosophie  an- 
tique, dont  quelques  Pères  ,  philosophes  avant  d'être  chré- 
tiens, comme  S.  Justin  et  S.  Clément  d'Alexandrie,  avaient 
laissé  les  traditions  dans  leurs  ouvrages.  On  avouera  que 
c'étaient  là  d'immenses  ressources  applicables  à  l'icono- 
graphie, et  que  cette  variété  de  connaissances  encyclopé- 
diques ne  put  demeurer  étrangère  à  l'art  chrétien,  non  phis 
qu'à  l'enseignement  théologique.  Ce  n'est  pas  à  dire,  avec    Action  des  scien- 

,        '  ccîs  et  de  la  dcmo- 

un  auteur  moderne  qui  I  a  suppose  trop  gratuitement ,  que  noio-ie   sur    la 

,  .  ,    ,  .     ,  "  ,  sculpture    de     ce 

des  sectes  cachées  conservant  les  croyances  et  les  mœurs  temps. 


348  HISTOIRE    DL    SYMBOLISME. 

des  giiustiqucs  se  soient  appliquées  à  eu  reproduire  les  er- 
reurs en  influençant  la  main  des  artistes  de  ce  temps  :  ce 
n'est  là  qu'une  supposition  sans  valeur  aucune.  Une  telle 
supercherie  était  impossible  sous  les  yeux  vigilants  qui  pré- 
sidaient à  leurs  travaux. 
Origine  des  H-       Mals,  daus  Ics  cxagératious  dogmatiques  de  ces  hérésies, 

"•ures         bizarres  .  ,.      ..  i  ,  «t  i  - 

d'hommes  et  d'ani-  qui,  tout  cu  S  Hitiltraut  au  uiilieu  des  erreurs  contempo- 

iiiaux     répandues  .  .,!•  i  r    ■^^  xi  x  «x 

dans  les  nefs  de  rauics,  avaicut  bicu  pcrdu  réellement  leur  autonomie  et 
uoscghses.  ^^^^^^  ^.^  propre,  on  trouvait  des  représentations  du  mal , 

des  expressions  vives  du  péché,  des  souvenirs  écrits  des 
mauvais  vouloirs  et  des  instincts  les  plus  blâmables  du 
cœur  humain  :  c'est  l'origine  véritable  de  tous  ces  masques 
d'hommes  ou  d'animaux  qui  se  partagent,  sous  des  traits 
si  divers,  l'espace  abandonné  aux  sculpteurs  soit  pour  les 
modillons  des  vastes  murailles ,  soit  pour  les  corbeilles 
des  chapiteaux.  Tant  de  grimaces  et  de  contorsions , 
quand  elles  n'accompagnent  pas  certains  signes  évidem- 
ment démoniaques,  lesquels  ont  encore  là,  nous  le  verrons, 
leur  raison  d'être ,  indiquent  sans  aucun  doute  les  mille 
hérésies  qui  se  sont  disputé  le  monde  spirituel  depuis  l'ap- 
parition du  Christianisme.  Ce  sont  celles  dont  Grégoire  IX 
et  Innocent  IV  disaient  tout  à  l'heure  l'excommunication. 
Ces  princes  des  impies  sont  là  comme  «  fixés  à  la  pierre  , 
écrasés  sur  ces  rocs,  figure  del'Éghse,  pierre  fatale  qu'ils, 
ont  voulu  ébranler  et  qui  les  broie  (^).  » 

Ces  doctrines  coupables,  qui  induisaient  les  âmes  dans 
les  plus  grossières  erreurs,  tenaient  aussi  de  la  magie  et 
rentraient  dans  celles  de  la  cabale,  qui  était  la  philosophie 
occulte  des  Juifs,  hostiles  à  l'Église  dès  son  berceau.  Ces 
chimériques  recherches,  toutes  fondées  sur  des  calculs 
erronés  et  de  fausses  traditions,  n'étaient  que  des  inspira- 

(1)  «  Absorpti  sunt  juncti  pétrie  jiidices  eorum.»  {Ps.,  cxl,  7.)--Voir, 
sur  ce  passage  et  la  iidèle  interprélation  que  nous  en  donnons  ici,  Ge- 
uebrard,  Co}niiu'?ilariuin  in  psalinus;  et  Berilùer ,  Notes  ti  réflexions 
sur  Us  psaumeSy  in  h.  loc. 


DKS   CIIAIMTKALX.  '^  V.) 

tions  diaboliques  propres  à  détourner  les  hommes  de  la 
Vérité  par  essence,  et,  si  les  docteurs  catlioliques  du  moyeu 
âge,  guides  inCaiHihles  de  l'art  religieux  ,  n'y  virent  qu'un 
fécond  élément  d'instruction  populaire  et  de  pures  allé- 
gories dont  le  but  était  de  dénoncer  le  mal  et  ses  fauteurs , 
il  est  vrai  cependant  que  les  plus  fortes  têtes,  à  l'expi- 
ration du  moyen  âge,  ne  cessèrent  pas  d'y  croire  et  d'en 
professer  la  valeur.  Trithème,  à  la  fin  du  quinzième  siècle, 
fut  l'un  de  ceux  qui  mirent  leur  confiance  dans  un  art 
cabalistique  dont  quelques  formules  magiques  pouvaient 
procurer  la  connaissance.  Au  seizième,  Pic  de  laMirandole, 
dans  sa  fameuse  thèse  De  omnire  scibili,  soutint  un  nions-  ' 
trueux  assemblage  de  toutes  sortes  de  propositions  tirées 
des  livres  cabalistiques.  Reuchlin,  qui,  tout  en  demeurant 
catholique,  subit  quelques  influences  du  protestantisme,  cl 
vit  condamner  à  Rome  son  traité  De  Arle  cabalistica  et 
ses  trois  livres  De  Verbo  mirifico  ,  avait  agencé  une  foule 
de  rêveries ,  d'après  celles  des  rabbins,  qu'il  avait  trop 
suivis  {\). 
Or  ces  savants  n'avaient  pas  inventé  leurs  fausses  et      r^a  cabaip  «t 

.  ..,-..,,  .  l'astrolog-ie      plus 

séduisantes  théories  ;  ils  n  en  étaient  que  les  continuateurs,   ou   moins  judi- 

•  1/  ^ll•^  ^  Il  11»  \        •        'îiaii'e    y     laissent 

et  leurs  idées  saluèrent  souvent  a  celles  de  1  astrologie  peut-être  aussi 
judiciaire^  si  fameuse  de  leur  temps ,  et  qui ,  beaucoup 
plus  ancienne  aussi ,  a  pu  laisser ,  nous  ne  le  nierons  pas 
absolument ,  quelques  traces  jetées  par  des  savants  de  bonne 
foi  dans  cette  foule  d'étoiles,  d'astérisques  et  autres  phéno- 
mènes célestes  qu'on  voit  encore  sur  nos  plus  vieux  chapi- 
teaux des  églises  romanes.  On  conçoit,  en  effet,  que,  l'idée 
de  Dieu,  de  la  création,  des  études  bibliques,  étant  insépa- 
rable de  telles  conceptions,  qui  en  naissaient  même  comme 
de  leur  source  plus  ou  moins  comprise,  ces  savants  à  ima- 
gination mobile  et  ardente  ont  pu  s'y  arrêter  comme  à  autant 


(1)  VoirPluquet,  Dictionn.  des  hérésies,  v»  cabale;  —  Au(3iu  ,  iJiH. 
de  Lcun  X,  II,  243,  249  et  suiv. 


leur  empreinte 


3o0  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

(le  symboles  propres  à  représenter  les  attributs  de  Dieu , 
son  action  sur  le  monde  matériel  et  sur  celui  des  intelli- 
gences. En  avait-il  été  autrement  des  Pères  eux-mêmes,  qui 
acceptaient  dans  le  môme  but  les  erreurs  populaires  d'Aris- 
(ote  ,  de  Pline  et  de  Platon  sur  la  métaphysique  et  sur  les 
merveilles  de  l'histoire  naturelle?  Lors  donc  môme  qu'on 
n'aurait  pas  toujours  la  clef  de  ces  figures  si  variées  de  ca- 
ractères et  d'expressions,  de  ces  horribles  laideurs  qui  les 
distinguent  de  remarquables  beautés  placées  à  côté  d'elles 
comme  un  contraste  significatif,  on  aurait  assez  de  ces  don- 
nées de  la  science  pour  n'être  jamais  autorisé  à  taxer  d'in- 
signifiante cette  suite  parfaitement  calculée  d'images 
sérieuses,  trop  pleines  de  sentiments  pour  n'être  pas  imbues 
d'une  vérité. 
et  jusqu'à  la  luy-       IJuc  autrc  preiivc  de  cette  influence  des  époques  sur  l'art 

thologie    païenne  .  ^      ^ 

qui  S'y  rattache,  coutemporaui,  qui  s'y  pliait  tout  en  servant  la  religion,  res- 
sort évidemment  de  ce  qui  se  passa  en  ce  genre  vers  la  fin 
du  quinzième  siècle,  et  ne  fit  que  s'accroître  pendant  toute 
la  durée  du  suivant,  avec  le  renouvellement  des  études 
grecques  et  romaines.  On  vit  l'idée  païenne,  patronisée  sous 
toutes  les  formes,  envahir  la  httérature  et  les  arts,  et  forcer 
les  répugnances  de  ceux-ci,  jusqu'à  leur  imposer  les  poé- 
tiques absurdités  de  la  mythologie.  On  sait  les  travaux 
d'Hercule  à  la  cathédrale  de  Limoges  et  à  Saint-Michel  de 
Dijon,  le  tombeau  de  l'évêque  Jean  Olivier  dans  la  cathé- 
drale d'Angers,  et  tout  cela  se  reproduisant  au  même  titre 
dans  les  chapiteaux,  qui  n'auraient  jamais  dû  s'en  souiller, 
sous  la  forme  d'arabesques,  d'animaux  capricieux  ou  de 
figures  humaines.  Il  est  vrai  que,  sous  ces  formes  fabuleuses, 
pouvaient  bien  subsister,  en  certaine  mesure,  des  intentions 
chrétiennes,  et  que  l'Hercule,  par  exemple,  qui  figure 
encore  dans  la  première  église  du  Limousin,  peut  être  con- 
sidéré comme  symbole  de  la  force,  dont  la  foi  nouvelle  a 
fait  une  vertu  cardinale  ;  ces  travaux  du  héros,  douze  fois 
vainqueur  d'obstacles  jugés  insurmontables,  symbolisaient 


DES  CHAPITEAUX.  3:^1 

évidemment  pour  la  philosophie  antique  Ténergie  humaine 
aux  prises  avec  la  nature  et  la  domptant  par  son  courage. 
Et  le  Giiristianisme,  que  demande-t-il  de  plus  à  l'homme 
entouré  des  mille  tentations  de  la  vie  du  monde  et  toujours 
assez  fort  par  la  grâce  pour  en  triomphei-  chaque  jour? 
Mais  ce  n'était  pas  moins  une  condamnahle  hardiesse  de 
remplacer  ainsi  la  doctrine  des  Pères  par  les  enseigne- 
ments d'Ovide  et  de  Lucien,  de  les  reproduire  en  scènes  peu 
chastes  dans  une  église,  et  d'ouvrir  ainsi  la  carrière  à  ces 
hordes  de  folles  idées  qui  devaient  envahir  le  domaine 
divin.  De  trop  prochaines  conséquences  le  firent  bien  voir. 
La  fantaisie  succéda  bientôt  à  ces  grossièretés  impies,  les 
égarements  de  l'imagination  s'emparèrent  avec  une  audace 
sans  frein  du  champ  où  le  symbolisme  chrétien  n'était  plus 
admis;  puis  bientôt  l'art  grec,  triomphant  partout  avec  ses 
froides  conceptions,  ramena  avec  lui,  pour  suprême  expres- 
sion du  symbolisme  religieux,  ce  chapiteau  corinthien  dont 
la  beauté  originelle  était  si  peu  faite  pour  patronner  un  mé- 
lange bizarre  autant  que  varié  de  motifs  sans  valeur  ni 
convenance. 

A  propos  de  ces  capricieux  essais  du  ciseau  qui  s'évertue,      sens  véritable, 
quand  apparaît  cette  décadence  de  l'art,  à  ne  plus  donner  JSmofns'Mvoies 
que  des  futilités  inexplicables,  il  faut  bien  se  garder  de  les  !?ences^"'^'*  *^^* 
confondre  avec  une  foule  de  sujets  très-sérieux  dont  la 
signification  a  pai'u  très-peu  symbolique  d'abord,  et  que 
nous  devons  néanmoins  signaler  comme  tels.  Tout  en 
avouant  que  beaucoup  de  modillons  et  des  chapiteaux  du 
quatorzième  siècle  appartiennent  bien  plus  à  l'ordre  des 
choses  naturelles  qu'à  celui  de  la  théologie  mystique,   on 
d(jit  reconnaître  aussi  qu'un  très-grand  nombre  ont  été 
regardés  plus  tard  comme  de  simples  jouets  d'une  pensée 
arbitraire,  qui  ont  cependant  leur  sens  profond,  dont  on  n'a 
pas  suffisamment  étudié  l'origine  et  le  but  :  c'est  ainsi  qu'en 
se  plaignant  du  renard  qui  prêche  les  poules  à  Saint-Ger- 
raaiii-des-Prés  de  Paris,  du  singe  habillé  en  moine  el  qui 


352  HISTOIRE   l)V    SYMBOLISME. 

joue  de  la  viole  à  Notre-Dame  de  Saint-Lô,  et  de  beaucoup 
d'autres  non  moins  choquants  en  apparence,  on  retrouve, 
pour  peu  qu'on  le  veuille  bien,  le  zèle  iiypocrite  de  Fhé- 
t'ésie  à  s'attribuer  la  parole  de  Dieu,  ou  les  futilités  du  monde 
qui  se  mêlent  en  trop  de  gens  aux  habitudes  extérieures  de 
la  vie  chrétienne.  On  n'a  donc  vu  que  le  côté  naturaliste  de 
ces  faits  plastiques,  au  lieu  d'en  considérer  le  sens  intime, 
qui  n'échappe  plus  à  personne  d'instruit. 

A  ces  observations  générales,  nous  pourrions,  on  le  voit 
hien,  ajouter  une  foule  de  détails  qui  ne  feraient  qu'en  main- 
tenir l'évidence  en  les  confirmant  de  plus  en  plus.  A  défaut 
d'un  plus  large  développement,  elles  indiquent  du  moins  un 
curieux  sujet  d'études  auxquelles  de  nombreux  volumes 
s'ouvriront  au  besoin,  et  c'est  ce  qu'il  nous  faut  indiquer 
rapidement,  comme  notre  second  moyen  de  discerner  le  tra- 
vail que  s'imposa  le  moyen  âge  en  faveur  de  sa  doctrine 
symbolistique. 
Comment  les  é-       Ou  s'cst  malutes  fols  étonué  de  n'avoir  rencontré  dans  les 
mS  dT^'moyeu  rccherches  suivies  des  livres  techniques  de  cette  époque 
2nsnv"S^eeS  aucuiie  théorie  du  symbolisme  indiquant  aux  adeptes  une 
'î"'^'-  règle  de  faire,  une  méthode  de  composition.  Mais  de  quoi 

eussent  donc  servi  de  tels  livres  quand  les  ouvriers  ne  sa- 
vaient pas  lire,  comme  le  prouvent  beaucoup  de  fautes  sur 
des  inscriptions  qu'ils  savaient  à  peine  mieux  imiter  que 
copier,  quand  les  clercs  seuls  disposaient,  en  les  leur  dictant, 
des  sujets  à  sculpter  où  à  peindre?  Les  manuscrits  peints 
et  dorés  par  les  calUgraphes  des  monastères  et  des  univer- 
sités suffisaient,  par  leurs  innombrables  images,  à  formuler 
toute  la  partie  spéculative  du  symboUsme,  et  nous  savons 
qu'ils  ne  s'en  faisaient  pas  faute. 
Le  livre  D«  ^rt^  Là,  cu  cffct,  11  u'y  avalt  qu'à  regarder  pour  imiter  sûre- 
phiie'"'""'  ^"'""  ment;  mais  il  n'en  fut  pas  ainsi  de  la  peinture  murale,  à  qui 
des  règles  positives  devenaient  indispensables  quant  à  la 
variété  de  ses  procédés,  aux  exigences  des  légendes  et  des 
traditions.  O'ost  pourquoi  le  moine  qui,  vers  le  douzième 


DKS  CHAPITEAUX.  353 

siècle,  se  donna  le  nom  syml)oli(]iie  de  Théophile,  écrivit 
son  curieux  Traité  des  arts,  dont  la  moitié  se  réduit  à  des 
recettes  soit  pour  ohtenir,  quant  à  la  peinture,  les  couleurs 
et  les  difTérents  effets  qui  en  résulleut,  soit  pour  le  bon 
emploi  des  instruments  mêmes  de  l'artiste  (I).  Nous  ne  par- 
lons ici  que  de  cet  objet,  quoique  daus  ce  beau  livre,  où  la 
foi  n'est  pas  moins  rcmarqual)le  que  le  génie,  tous  les  arts, 
comme  ledit  son  titre  {Diversarum  artium.scJiedula),  soient 
tour  à  tour  éclairés,  au  profit  de  l'Eglise  et  de  son  culte,  de 
tous  les  enseignements  qui  inspirèrent  tant  de  chefs-d'œu- 
vre pour  nos  tabernacles  et  nos  verrières.  Les  premières 
années  du  quatorzième  siècle  virent  aussi  un  moine  ano- 
nyme donuei',  à  la  suite  de  Théophile,  qu'il  cite  souvent, 
une  sorte  de  compilation  qu'il  intitula  Lumen  annnœ  : 
c'était  le  même  but,  avec  moins  d'étendue  mais  autant  de 
détails  techniques.  On  voit  bien  que  la  sculpture,  plus 
simple  dans  ses  moyens,  se  devait  contenter  de  données 
plus  nettes  et  plus  précises;  toutefois  il  lui  fallait  des 
sources  comme  à  tous  les  arts  d'imagination,  et  ces  sources 
s'ouvrirent  pour  elles  non  moins  larges,  non  moins  pro- 
fondes. 
En  outre  des  Pères  et  des  éciivains  ecclésiastiques  dont      ces  ouvrages 

doctrinaux     rem  - 

nous  avons  démontré  l'influence  etle  crédit  tout-puissant  sur  placés  par  laiitui» 

les  conceptions  artistiques,  le  monde  savant  eut  d'autres 

docteurs  adonnés  aux  méditations  de  la  philosophie  catho- 

li(iue,  et  dont  la  sculpture  sacrée  profita  à  certaines  époques 

pour  agrandir  le  champ  de  ses  doctes  méditations.  Puis 

vinrent  les  écrivains  liturgiques,  qui,  en  dissertant  sur  les 

cboscs  du  culte  public,  en  développèrent  les  raisons  et  se- 

mèient  à  pleines  mains  les  gracieux  symboles  qui  nous 

charment  encore  dans  leurs  hynnieset  leurs  séquences.  La 

poésie  ne  manquait  pas  dans  ces  belles  compositions,  et  ses 

(1)  V Essai  sur  les  divers  arts  a  et»'*  traduit  avec  le  texte  latin  en  re- 
gard par  M.  de  l'i^^scalopier^  iii-4",  Paris,  1843.  Ce  livre  est  précédé 
d'une  excellenle  introduction  par  M.  Giiichard. 

T.  m.  23 


354  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

créations,  aussi  riches  que  variées,  s'élancèrent  bientôt  de 
leurs  livres  aux  modillons,  aux  clefs  de  voûte  et  aux  cha- 
piteaux. Nous  avons  vu  Durand  de  Mende  et  Vincent  de 
Beauvais:  ajoutons,  à  propos  de  celui-ci,  que  toutes  ses  in- 
ductions des  faits  historiques  de  la  Bible  se  retrouvent  en 
mille  sculptures  de  la  cathédrale  de  Chartres.  S.  Thomas 
d'Aquin,  Adam  de  Saint-Victor,  ne  furent  ni  moins  féconds 
ni  moins  ingénieux  dans  l'enthousiasme  de  leurs  chants 
sacrés. 
Influence    de       Mals  uuc  voix  cucorc  incounuc ,  en  ce  qu'elle  n'était 

Dante  sur  l'orne-  ^ 

mentationdestrei-  l'écbo  dc  pcrsonue  ct  qu'uu  fféuic  tout  personnel  inspirait, 

zieme    et   quator-  x  t,  j  i 

zième  siècles.  à  k  fiu  du  treizième  siècle,  Dante,  la  gloire  de  Florence  et  la 
plus  sublime  expression  de  la  poésie  de  ce  temps,  devint 
surtout  Torgane  dusymbohsme  chrétien,  et  eut  ce  bonheur 
que  ses  chants  furent  mis  en  images  impérissables  par  les 
sculpteurs  et  les  peintres  de  la  phis  belle  époque  de  l'art. 
Après  avoir  analysé  au  point  de  vue  général  l'ensemble 
symbolistique  des  compositions  de  ce  grand  génie  (^),  il  est 
à  propos  de  faire  observer  ici  quels  détails  pleins  de  vie  il 
a  fournis  à  notre  décoration  monmnentale.  Sa  magnifique 
trilogie  semblait  faite  pour  inspirer  les  artistes  de  nos 
églises  gothiques,  et,  dans  la  longue  exposition  des  motifs 
prodigués  de  toutes  parts  à  leur  enceinte,  il  serait  difficile 
de  ne  pas  reconnaître  des  épisodes  nombreux- empruntés 
au  Paradis,  au  Purgatoire  et  à  V Enfer.  Pour  ne  citer  que 
le  Purgatoire,  ne  voit-on  pas  apparaître  sous  le  voile  de 
mystérieuses  allégories,  au  chant  xxix,  les  Patriarches  vêtus 
de  leurs  robes  blanches ,  les  vingt-quatre  Vieillards  c\)u- 
ronnés  de  lis,  le  Tétramorphe  évangéliqae,  l'Éghse  figurée 
par  un  char  à  deux  roues  que  traîne  un  griffon,  c'est-à-dire 
Jésus-Christ  symbolisé  dans  ce  mystérieux  animal  avec  sa 
double  nature  d'aigle  et  de  lion  ?  Le  chant  xxxii  exprime 
les  persécutions  souffertes  par  l'Église,  dont  les  cruels  en- 

(4)  Voir  ci-de3sus,  t.  II,  cli.  x'viii,  p.  663  et  suiv. 


DES  CHVPITKAUX.  355 

nemis  revotent  enseinl)le  ou  (oui-  à  tour  les  loimes  inat- 
tendues de  l'aigle,  du  renard,  du  dragon.  Que  de  fois 
beaucoup  se  sont  ari'ctés  devant  des  murailles  où  trônent 
sur  des  chapiteaux  ou  des  niodillons  ces  bètes  terribles, 
sans  qu'un  souvenir  de  cette  littérature  brillante  leur  ail 
divulgué  le  mystère  de  ces  représentations  étranges  !  Aux 
chants  \\i,  wii  et  xxv,  ne  reconnaissez-vous  pas  ces  démons 
«  féroces  d'aspect ,  »  aux  défenses  de  sanglier,  aux  ailes 
de  chauves-souris,  ces  damnés  aux  dents  qui  grincent, 
ces  grenouilles  se  tenant  à  Weuv  d'eau,  et  mille  autres 
motifs  empruntés  aux  mêmes  livres  et  rappelant  les 
déplorables  allégories  de  l'éternité  des  méchants?  Et,  si 
nous  pouvons  dire  avec  le  regrettable  interprète  de  Dante, 
Frédéric  Ozanam,  a  qu'au  treizième  siècle  la  poésie  n'était 
pas  réfugiée  dans  le  cœur  du  citoyen  de  Florence,  mais 
(jn'elle  était  partout  (1),  »  le  symbolisme  qui  prétait  tant 
de  richesse  à  cette  poésie  était  donc  partout  aussi,  et  ne 
dépassait  pas  la  portée  des  plus  ordinaires  intelligences.  Ce 
n'était  donc  pas  dans  le  but  de  faire  comprendre  aux  savants 
du  dix-septième  siècle  ces  éloquentes  paraholes  que  Flo- 
l'ence  fondait,  en  l()73,  une  chaire  de  son  Université  pour 
l'explication  de  ces  beaux  poèmes  (2).  Alors  encore,  la 
science  des  choses  saintes  les  révélait  aux  doctes  du  monde  : 
il  s'agissait,  dans  ces  leçons  puhliques,  hien  moins  du  côté 
religieux  de  La  Divine  Comédie  que  des  personnages  allé- 
goriques dont  l'identité  importait  à  l'iiistoire,  et  de  recon- 

(1)  Cf.  Oziinam  ,  Dante  pL  la  PhUosophie  catholique  au  treizième 
siècle^  p.  326,  in-S»,  Paris,  184ï.  —  Quelques  auteurs  catholiques,  nous 
le  savons,  ont  accusé  le  poète  d'erreurs  religieuses  et  de  passions  contre 
queUfiies  papes  de  son  temps.  .Mais  ces  reproches  tombent,  dans  ce 
qu'ils  ont  d«  plus  considérable,  pour  peu  qu'avec  Ozanam  on  observe  de 
{très  les  passages  qu'on  incrimine  le  plus.  Qu'on  lise  surtout  les  cha- 
pitres V  de  la  troisième  partie  et  i  de  la  quatrième  ,  et  l'on  se  réconci- 
liera aisément  avec  le  poêle,  qui  put  se  tromper  en  quelques  thèses 
philosophiques,  mais  qui  demeura  toujours  sincèrement  attaché  à  l'or- 
thodoxie catholique. 

(2)  Voir  Binqr.  univ.  deMichaud,  v»  Dante. 


336  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

naître,  a  l'aide  d'études  patientes  et  raisonnées,  sous  quels 
noms  y  étaient  cachés  les  partis  qui  se  disputaient  l'Italie  à 
la  suite  de  l'Empire  ou  de  la  Papauté.  Ce  qui  le  prouve  de 
reste,  c'est  que  l'art  italien  eut  aussi  dans  ses  églises  go- 
thiques, ruinées  plus  tard  par  les  guerres,  ses  modillons  et 
ses  chapiteaux  dantesques.  Il  n'y  a  pas  à  douter  que  les 
figures  contournées  qu'on  remarque  surtout  dans  les  mo- 
numents de  la  Sicile  ne  soient  là  pour  représenter  les 
intentions  du  grand  poète  {\]. 
Lutte  énergique  II  cst  vral  qu'à  l'époque  où  cette  nohle  idole  des  Italiens 
temps'^J?ntre*')'en^  joulssalt  d'uuc  tellc  voguc  qu'ou  chcrchalt  de  préférence 

vabissement     lai-  ,.  ,i  ,,  ,.  .•-•  ii--  » 

que  des  francs-  cu  lui  scul  Ics  decoratious  artistiqucs,  le  laicisme  s  empa- 
maoons.  ^^^^^  ^^.^  dcs  coustructions  sacrées,  et  la  franc-maçonnerie 

faisait  irruption  dans  le  domaine  de  rËghse,  où  elle  pré- 
ludait à  hien  d'autres  oppositions  que  nous  y  avons  vues 
et  d'une  tout  autre  importance  (2).  Mais  ce  n'était  encore 
qu'une  immixtion  sans  victoire  définitive  :  le  clergé,  luttant 
avec  énergie,  ne  cédait  rien  de  ses  droits  ;  il  continuait  de 
les  exercer  sur  les  matériaux  qu'il  spiritualisait;  il  mainte- 
nait donc  sa  suprématie  séculaire,  il  dirigeait  le  crayon,  il 
animait  la  pierre,  il  tenait  ouvert  le  livre  de  Théophile 
sous  les  yeux  de  ses  peintres,  et  le  symholisme  ne  perdait, 
rien  de  l'action  qu'il  lui  avait  toujours  imprimée.  Gene- 
hrard  raconte  (3),  à  ce  sujet,  un  fait  curieux  qui  caractérise 
trop  hien  le  temps  où  il  se  passe  et  le  crédit  ahsolu  que  le 
clergé  gardait  encore  sur  les  choses  de  l'art  pour  n'être 
Pierre  de  cu-  pas  rapporté  ici.  —  Pierre  de  Gugnières ,  dit-il ,  avocat 

ïrjiîpfAg     (ij      son 

marmouset.  '  général  au  parlement  de  Paris,  plaida  en  1325,  devant  Phi- 
Uppe  de  Valois,  en  faveur  du  droit  absolu  des  rois  sui- 
l'ÉgUse,  contre  Bertrandi,  évêque  d'Autun,  et  Pierre  Roger, 

(1)  Voir  Gally-Kuight,  Excursions  en  Sicile,  ch.  vu  etxxii;  —  BulL 
monum.,  \,  p.  125  et  215. 

(2)  Voir  ci-dessus,  p.  59  et  suiv. 

(3)  Chronogra'pliisd  lib.  IV,  ad  ann.  1329,  in-f»  ,  Paris,  1580;  cité 
dans  l'Univers,  feuilleton  du  27  mai  1847. 


DKS   CHAIMTKMX.  3:>7 

arcliovèque  de  Sons.  La  victoire   resta  aux  défenseurs  de 
l'E^iise  et  de  la  liberté  ;  le  roi  répondit  aux  évoques  protes- 
tant de  leur  attaclienient   in\iolablc,  et  jusqu'à  la  mort 
même,  aux  principes  de  l'Église ,  «  qu'il  ne  donnerait  à 
personne   l'exemple    de    la    molester...  »  Le  clergé  et  le 
peuple  mirent  la  statue  de  Philippe  au  portail  de  la  cathé- 
drale de  Sens,  tandis  qu'une  tète  en  marmouset,  sous  les 
traits  de  Pierre  de  Cugnières,  grimaçait  sous  les  murs  de 
Notre-Dame  de  Paris,  «  attirant  les  mocqueries  des  clercs  et 
des  écoliers.  »  —  Le  clergé  alors  était  donc  encore  dans  la 
plénitude  de  ses  droits.  Si  la  satire  dont  l'époque  reflétait 
les  tendances  nées  des  agitations  publiques  trouve  sa  place 
dans  ces  énergiques  protestations,  elle  n'en  pronve  que 
mieux  à  qni  appartenait  la  direction  des  idées   et  que  les 
choses  de  l'Église  ne  se  faisaient  qu'aux  mains  de  ses  maî- 
tres et  de  ses  docteurs.  Ceux-ci  étaient  donc  les  seuls  juges 
de    la    méthode   interprétative,  les   livres  vivants  ou  les 
échos  des  livres  écrits  d'où  sortaient  les  enseignements  et 
les  symboles.  Donc  encore,  quelque  étranges  que  puissent 
nous  paraître  aujourd'hui  certains  faits  plastiques  dont  le 
sens  nous  reste  muet,  nous  découvrons  çà  et  là,  par  l'étude 
ou  par  la  réflexion,  ce  qu'il  faut  en  penser;  les  figures  les 
plus  insolites  en  apparence  s'expliquent;  le  mystère  s'ef- 
face pour  laisser  place  à  l'évidence,  les  ténèbres  devien- 
nent le  jour;  on  conçoit  que  tous  les  êtres  peuvent  avoir  été 
réunis  en  un  vaste  concert  pour  rendre  hommage  à  Dieu, 
à  l'idée  religieuse,  à  leur  impression  sur  les  sens  et  l'ima- 
gination de  l'homme,  et  rien  ne  semble  plus  vrai,  après  ces 
intéressantes  découvertes,  que  la  pensée  que  nous  avons 
déjà  citée  de  S.  Denis  l'Aréopagite  :  «  C'est  louer  Dieu  digne- 
ment que  d'embrasser  dans  sa  louange  tous  les  résultats 
de  la  création,  pourvu  que  nous  les  considérions  toujours 
dans  leur  rapport  \érital)le  avec  lui.  » 

La  suite  de  nos  dissertations  va   nous  faire   briller  ces 
])rincipes  d'une  lumière  nouvelle. 


GHAPiTliE  X, 


DEMONOLOGIE. 

Objet  de  ce  ciia-  Nos  modiUoiis  et  nos  chapiteaux,  en  tant  qu'ils  se  prêtent 
à  reproduire  la  vie  mystique  de  l'ange  infernal,  n'offrent, 
dans  les  proportions  rétrécies  de  chaque  scène,  que  des  pa- 
ragraphes très- in  suffisants  de  son  histoire  générale.  Il  s'en 
faut  que  ce  soit  là  tout  ce-  que  l'art  nous  en  peut  donner, 
tout  ce  que  peut  représenter  l'action  incessante  de  cet 
ennemi  acharné  de  la  race  humaine.  D'autres  actes,  aussi 
nombreux  que  suffisants,  se  rattachent  encore  à  ce  grand 
drame  de  notre  vie  spirituelle,  et  il  faut  les  hre  et  les  étudier, 
il  faut  les  comprendre  afin  de  pouvoir,  au  besoin,  les  ex- 
pliquer. Ne  sont-ce  pas  autant  de  chapitres  encore  ignorés 
de  la  Bible,  des  légendes  sacrées ,  des  catéchèses  popu- 
laires? Nous  avons  tracé  rapidement  déjà  l'histoire  fatale 
du  mauvais  Ange  et  de  sa  chute  éternelle  (I)  ;  nous  l'avons 
retrouvé  ensuite  plus  d'une  fois  dans  l'Apocalypse  accom- 
plissant son  incessante  et  cruelle  mission  sur  la  race  perdue 
des  impies  et  des  prévaricateurs  (2).  Voyons  maintenant 
quelques-unes  de  ces  vastes  pages  où  il  se  révèle  sous  tant 
de  formes ,  et,  soit  par  l'exposé  de  sa  vie  plastique,  soit  par 
les  multiples  inductions  qui  en  peuvent  naître,  complétons 
tout  ce  que  la  théorie  de  l'art  cathohque  a  pu  nous  ap- 
pi'endre  de  ses  innombrables  étrangetés. 

Le  démon  si-       Avaut  dc  moutrcr  les  gravures  sur  pierre  consacrées  à  la 

(1)  Voir  ci-dessus,  t.  I,  ch.  x,  p.  247, 

(2)  Voir  t.  II,  ch.ix,  sur  les  ch.  xn,  xni  et  xiv  de  l'Apocalypse, 


teres 


DÉMOAOLOCilK.  350 

mémoire  de  l'Ange   maudit,  il  est  bonde  remonter  aux  smaié  paries  Apô- 

^  très  sous  diverses 

sources  de  ces  inspiiations  visibles,  afin  d'en  déduire  plus  former  et  carac 
irrévocablement  l'application  dans  le  domaine  de  l'art.  La 
révélation  de  S.  Jean  nous  le  représente  sous  mille  aspects 
tout  divers  et  propres  à  dévoiler  clairement  ses  multiples 
malices.  Toutes  les  images  les  plus  terribles  et  les  plus 
dégoûtantes  y  expriment  ses  intentions  perfides  et  ses  con- 
tinuelles persécutions  sur  l'iiomme  et  sur  la  société  :  c'est 
le  dragon  qui  cberclie  à  dévorer  le  Fils  divin  de  la  femme 
bénie  entre  toutes  (I).  Un  grand  combat  se  livre  entre  lui 
et  l'arcliange  S.  Micbel,  qui  le  terrasse  avec  ses  satellites 
et  l'exile  du  ciel  avec  eux  :  c'est  le  môme  que  cet  ancien  ser- 
pent que  tous  les  âges  ont  appelé  le  criminel  et  le  calom- 
niateur, l'adversaire  acharné,  Diabolus,  Satanas  [2).\Jdi- 
pôtre  S.  Jude,  parlant  du  respect  dû  sur  la  terre  aux  auto- 
rités constituées  de  Dieu,  rappelle  aux  fidèles  du  premier 
siècle  une  autre  altercation  qui  s'éleva  plus  anciennement, 
après  la  mort  de  Moïse,  entre  ce  même  Diable  qui  veut  faire 
ensevelir  le  corps  du  Patriarche  sur  le  mont  Nébo,  aux 
yeux  de  tout  Israël,  qu'il  espère  amener  par  là  à  l'idolâtrie, 
et  ce  même  Michel  qui,  pour  éviter  ce  malheur,  soustrait 
les  restes  vénérés  à  la  connaissance  des  hommes  (3).  Cette 
même  bête  à  sept  têtes  et  dix  cornes  (4),  elle  devient  la  mon- 
ture féroce  de  l'idolâtrie  personnifiée  dans  une  audacieuse 
prostituée  qui  tyrannise  l'Église  et  ses  Saints.  Les  ravages 

(1)  «  Ecce  draco  maguus  rufus...  stetit  ante  muliereui...^  ut  cum  pe- 
perisset,  Filium  Ejus  devoraret.  »  {Apoc.,\i\,  3  et  seq.) 

(2j  «  Michacl  et  Angeli  ejus  praîliabantur  cum  dracoue;  et  draco  pu- 
gnabat,  et  angeli  ejus  ,  et  non  valuerunt  ;  neque  locus  inventus  est  ani- 
plius  eoruui  in  cœlo.  Et  projectus  est...  serpens  autiquus  ,  qui  vocatur 
Diaboius  al  Salarias...,  et  projectus  est  in  terram.  »  (Apoc,  xn,  1  el 
seq.) 

(3)  Voir  Fromond,  In  Episi.  B.  JudcB  commenlarium ,  v.  9;  apud 
Migne,  Sacr.  Scripl.  cursus  couipL,  t.  XXV,  col.  987. 

(4)  Ces  assertions  étant  tirées  de  l'Apocalypse,  aussi  bien  que  beau- 
coup d'autres  que  nous  allons  citer,  nous  renvoyons  à  ce  que  nous  eu 
avons  exposé  ci-dessus,  sur  les  cli.  ix  et  x  de  ce  livre. 


360  HISTOIRE   DU    SYMBOLISM!:. 

qu'elle  fait  sur  la  terre  en  ouvrant  le  puits  de  l'abîme,  les 
(léaux  qu'elle  suscite  de  tous  côtés  parla  guerre,  la  famine 
et  la  peste,  cette  nuée  de  sauterelles  dévorantes,  de  cra- 
pauds impurs,  d'oiseaux  nocturnes ,  tant  d'autres  motifs 
enfin,  seuls  capables  de  symboliser  les  actes  et  les  inten- 
tions de  l'infatigable  ennemi  du  bien  et  delà  paix,  tout 
cela  s'est  traduit  mille  fois  dans  les  tympans  de  nos  églises 
et  dans  les  bas-reliefs  qui  en  décorent  les  façades  ou  les 
contours. 
fva?niVro''spTres"  ^^^^^  profuslou  d'iiiiagcs  sur  un  tel  sujet,  qui  tenait  de  si 
près  aux  pensées  intimes  et  habituelles  du  peuple  chrétien, 
entretenait  dans  toutes  les  âmes  la  croyance  active  au  dé- 
mon et  le  soin  de  se  gardei-  contre  ses  mahgnes  influences  ; 
la  peur  en  était  grande  parmi  eux,  et  le  nom  môme  de 
l'Esprit  mauvais  n'était  jamais  prononcé  sans  nécessité, 
à  plus  forte  raison  par  manière  d'imprécation  et  de  blas- 
phème. Nos  pères  du  treizième  siècle  étaient  surtout 
d'une  grande  délicatesse  sur  ce  point,  et  Joinville  affirme 
de  S.  Louis  que  «  jamais  ne  lui  ouyt  nommer  ne  appeler  le 
déable,  si  n'a  voit  esté  en  aulcun  livre ,  là  où  il  le  failHst 
nommer  par  exemple  (1).  »  C'est  dans  ce  môme  esprit  que 
les  Pères  de  l'Église  ont  affecté  de  le  qualifier  du  nom  de 
mauvais,  comme  on  le  voit  dans  Tertuiïien,  dans  S.  Gyprien, 
dans  S.  Paulin  et  dans  S.  Jean  Ghrysostome.  Celui-ci  assure, 
entre  autres,  que  si  nous  voyions  l'épouvantable  figure  du 
démon,  nous  en  serions  si  éperdus  et  si  transis  que  cela 
suffirait  pour  nous  ftiire  perdre  l'esprit  et  même  la  vie  (2)  : 
c'est  l'Ange  déchu,  d'abord  d'une  beauté  ravissante,  et  per- 
dant cette  splendeur  au  moment  où  le  péché  est  entré  dans 
son  cœur  et  a  perverti  sa  volonté.  Ainsi  la  lèpre,  qui  défigure 
liorriblement  sa  victime ,  passe  pour  le  symbole  le  plus 
(expressif  du  péché ,  maladie  suprême  de  l'âme.  Le  péché 


(1)  Joinville,  Mémoires. 

(2)  /npsalm.  xli. 


DÉMONOLOGli:.  3(vi 

obscurcit  les  yeu\  de  l'intelligence  et  l'aveugle,  dit  Isaie  (I). 
De  là  tant  d'aveugles  parmi  nos  sculptures;  d'autre  part,  le 
pécheur  est  fou,  sa  folie  perce  visiblement  dans  le  basard 
auquel  il  expose  son  éternité.  C'est  dans  ce  sens  qu'il  faut 
entendre  le  reprocbe  de  Moïse  :  Popule  stulte  et  insi- 
piens  (2). 
Ces  pensées  furent  très-bien  comprises  dès  les  premiers       Figures  bibii- 

^  *^  ^  qucs  dont   on   un 

jours  de  la  foi  ;  aussi  dut-on  prémunir  les  cbrétiens  contre  fait  autant  de  sym 

J  '  boles. 

cet  ennemi  commun  en  enseignant  de  lui  tout  ce  qu'il  en 
fallait  savoir,  et,  à  mesure  que  l'art  se  développa  chez  les 
peuples  formés  par  la  civilisation  nouvelle,  lui-même  dut 
contribuer  à  la  propagande  de  ce  dogme  en  lui  vouant  tous 
ses  genres  de  démonstrations  ;  tous  les  monuments  en  par- 
lèrent. Ces  sujets  y  devinrent  si  fréquents,  si  indispensables 
même,  qu'on  les  rencontre  partout  avec  le  même  caractère, 
et  que  les  variantes  qui  s'y  remarquent  ne  sont  que  des 
modifications  de  cette  idée,  mais  toujours  le  type  (Idèle  de 
cette  idée  même.  Il  est  remarquable  que  l'Écriture,  qui  a 
dû  souvent  revenir  aux  opérations  diaboliques  exercées 
sur  le  monde,  s'est  créé,  pour  les  réaliser  à  nos  yeux,  une 
foule  d'images  toutes  fîiciles  à  comprendre  ,  et  dont  les  ar- 
tistes n'ont  fait  faute  de  s'empai'er  :  c'est  en  cela  que  Dieu 
est  l'auteur  de  l'art  et  qu'on  l'outrage  en  le  profanant.  Les 
deux  Testaments  sont  pleins  de  ces  allusions  instructives. 
L'aspic  et  le  basilic  qui  ])lessent  le  voyageur,  le  lion  qui 
dévore,  le  dragon  qui  attaque  et  s'insinue,  le  sanglier  qui 
dévaste  un  héritage,  sont  dans  le  Psalmiste  autant  de  sou- 
venirs d'embûches  et  de  tentations  pour  l'homme  encore 
dans  la  voie  (3).  Job  l'avait  nommé  bien  antérieurement 
Béliémot,  la  bête  démesurée,  Léviathan  ou  la  légion,  de  ce 

(1)  «  Spiritum  soporis  et  veternum.  »  [h.,  xxix,  10.)—  Et  Sophonie: 
«  Ambulabunf  utcœci,  quia  Domino  peccaverunt.  »  (i,  17.) 

(2)  Dnutéronome,  xxxii,  6. 

(3)  «  Super  aspidem  etbasiliscum  ambulabis,  et  conculcabis  leonem 
fît  draconem.  »  (P.s..  xc,  Vi.)  —  «  Vineain  exterminavit  aper  de  silva.  » 
(Ps.,  LXXIX,  14.) 


Son  culte   daii!: 
le  paganisme. 


362  .  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

même  nom  que  Satan  se  donne  dans  S.  Marc,  lorsque  le 
Sauveur,  qui  veut  nous  instruire  par  cet  aveu,  lui  demande 
quel  nom  le  distingue  de  tant  d'autres  (I).  Enfin,  dès  le 
commencement  du  monde,  nous  le  voyons,  dans  le  récit  de 
la  Genèse,  se  présenter  à  la  première  femme  sous  les  appa- 
rences d'un  serpent,  le  plus  rusé  de  tous  les  animaux  (2j  ; 
c'est  un  des  rôles  qu'il  affectera  le  plus,  sous  lequel  il 
semble  voué  plus  souvent  aux  malédictions  divines,  et 
deviendra  dans  l'avenir  le  type  des  impies,  soit  qu'on  le 
considère  comme  le  premier  instigateur  du  mal,  soit  qu'on 
trouve  en  lui  le  principe  de  l'orgueil  originel  (3). 

Il  n'en  fallait  pas  plus  pour  que  l'idolâtrie  en  fît  un  de 
ses  dieux,  et  ce  même  génie  du  mal  qui  l'inspirait  y  trou- 
vait un  excellent  moyen  de  perpétuer  le  trophée  de  sa  vic- 
toire sur  les  hommes  :  on  sait  le  culte  qu'il  recevait  à  Épi- 
daure.  Les  dragons  sacrés  deviennent  communs  chez  les 
Égyptiens,  en  Phrygie  et  à  Babylone,  où  Daniel  dévoila  les 
perfides  mensonges  des  officiers  de  Bel,  la  vieille  idole,  et 
du  dragon  qui  la  remplaça  (4).  Ainsi,  le  Maudit  se  plie  à 
tous  les  rôles,  et  son  règne,  qui  se  continue  chez  les  na- 
tions sauvages ,  s'est  illustré  de  toutes  les  abominations 
dont  s'assouvissent  les  âmes  perverties  (5)  ;  mais  aussi  on 
lui  fera  payer  cher  cette  cruelle  complaisance  :  cette  forme 
qui  servit  son  premier  mensonge ,  on  la  lui  prodiguera 
dans  toutes  les  scènes  où  il  apparaîtra  à  la  race  humaine 
avec  son  caractère  de  tentateur,  et  les  nombreux  appen- 

■1}  «  Behemoth  ipse  et  rex  super  universos  filios  superbiije.  »  {Job, 
XLI,  25.)  —  «  Maledicunt  diei  fqua  natus  sum)  qui  parati  sunt  suscitare 
Leviathan,  »  [Ib.,  viii,  3.)—  «  Quod  tibi  nomeD  est?  Et  dixit  ei  :  Legio 
mihi  nomeii  est,  quia  multt  suiuus.  »  {Marc,  v,  9.) 

(2)  «  Serpens  eratcallidior  cunctis  animantibus.  »  {Gen.,  m,  1.) 

(3)  «Serpentes,  genimina  viperarum.  »  (Matlh.,  xxiii,  33.)  —  «  MuUer 
conteret  caput  tuum.  »  {Gen.,  m,  14.)  —  «  Supra  pectus  gradieris.  » 
[Ibid.) 

(4)  «  Et  erat  draco  magnus  in  loco  illo,  et  eolebant  eum  Babylonii.  » 
[Dan.,  XIV,  22.) 

(5)  Voir  Dici.  de  la  Bible  de  dom  Calrnet,  v»  serpent. 


DKMO.NOLOGIK.  363 

dices  qu'il  recevra  do  l'iconographie  l'eligieiise,  les  embel- 
lissements de  détail  destinés  à  dévoiler  toute  sa  laideur  in- 
time, vengeront  largement  riuiniaiiité  de  ses  antiques  per- 
fidies. 
Toutefois  d'autres  symboles,  en  grand  nombre,  généi'a-     Formes  symbo- 

.  .  "  liques  de  son  ico- 

iiseront  cette  vie  de  crimes  et  de  turpitudes  :  selon  qu'on  nogiaphie. 
\oudra  rappeler  un  vice,  une  mauvaise  tendance,  une  ex- 
pression quelconque  de  la  nature  corrompue,  on  la  revê- 
tira des  formes  animales  plus  capables  de  désigner  ces 
infernales  passions;  son  hypocrisie  se  traduira,  au  grand  singe  et  bouc. 
portail  de  la  cathédrale  d'Amiens,  par  un  singe  recevant, 
assis,  et  avec  la  pose  et  les  traits  d'une  indigne  moquerie,  les 
adorations  d'un  riche  personnage  stupidement  agenouillé 
devant  lui.  Cette  insolente  béte  semble  désignée  dans  Isaïe 
comme  celle  dont  la  race  doit  habiter  l'Idumée  après  la 
dispersion  de  ses  habitants.  Ce  serait  ,  d'après  quelques 
commentateurs,  le  pilosus  du  Prophète,  sinon  le  bouc  que 
d'autres  veuleut  voir  sous  cette  robe  velue  et  (jui  ne  vaut 
pas  uiieu\,  puisqu'il  aurait  la  signification  convenue  des 
sales  plaisirs  de  l'impureté,  et  celle  de  la  réprobation  in- 
faillible et  cruelle  qu'il  essuie (I). 

Voulez-vous  retrouver  un  autre  emblème  des  attaques  centaures  et  sa- 
violentes  du  démon,  de  ses  embûches  ouvertes  ou  de  ses 
inspiratious  cachées? voyez  ces  centaures  et  ces  sagittaires 
qui  n'en  sont  qu'une  variante,  se  déroulant  au\  voussoirs 
des  grandes  portes  d'entrée,  comme  à  Verville  et  à  Sainle- 
.Marie-dii-Mont,  en  Normandie.  Là  ils  décochent  leurs  Hè- 
ches  contre  un  cerf,  emblème  des  aniescjui  soupirent  après 
les  fontaines  du  Sauveur.  Aux  stalles  de  la  cathédrale  de 
Poitiers,  c'est  un  ange  qu'il  va  frapper  d'un  trait,  car  l'ange 
déchu  se  plaît  toujours  dans  sa  révolte  contre  la  sainteté  et 
la  justice.  (iCS  diverses  attaques  sont  toujours,  en  abrégé, 
une  de  ces  chasses  mystérieuses  que  nous  avons  déjà  signa- 

(1)  Voir  S.  Jérôme,  lettre  43"^  t.  Il,  p.  4fh 


cittaires. 


Renard. 


Crapauds  ou  grc 
nouilles. 


3(54  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

lées  ,  et  qui  résument  sans  cesse  la  piste  incessante  du  lion 
avide  toujours  prêt  à  nous  dévorer  (4). 

Une  autre  fois,  c'est  la  ruse  qui  domine  et  qui  triomphe. 
Voici  notre  renard,  déjà  bien  connu  :  on  Ta  vu  préclier  des 
poules  innocentes,  imbéciles  qui  se  laissent  prendre  à  ses 
discours,  comme  tant  d'autres;  ses  merveilleux  sermons 
les  ont  endormies,  et  le  moment  arrive  enfin  où  le  pauvre 
oiseau  se  voit  mangé  par  le  prédicateur,  comme  dans  quel- 
ques médaillons  de  la  catliédrale  d'Amiens.  Ainsi,  la  fable 
d'Ésope  est  ici  très-distinctement  sculptée;  d'après  elle, 
maître  renard  dévaste  le  poulailler  ,  comme  ailleurs  le 
fabliau  l'a  présenté  sous  une  autre  forme ,  et  toujours  dans 
le  même  but  (2). 

Nous  avons  vu,  au  chapitre  xvi  de  l'Apocalypse,  trois 
gTenouilles  ou  crapauds  (c'est  ici  tout  un) ,  esprits  impurs 
jetés  vers  les  dominateurs  impies  de  ce  monde  afin  d'y  souf- 
fler la  guerre  et  tous  les  maux  qui  doivent  précéder  le  dei- 
nier  avènement  du  Seigneur.  Ces  crapauds  signifient , 
d'après  S.  Méliton,  \es  démons  eux-mêmes,  et  on  le  devi- 
nerait aux  cruelles  fonctions  qu'ils  assument.  C/est,  en  effet, 
un  de  ces  horribles  reptiles  classés  par  le  Lévitique  au 
nombre  des  animaux  impurs  ;  il  a  quelque  chose  du  ser- 
pent dans  ses  habitudes  les  plus  vitales  :  il  rampe,  il  mange 
la  terre,  il  est  pour  tous  un  objet  d'horreur.  Les  autres 
symboles  dont  le  côté  principal  est  désavantageux  ont  tou- 
jours leur  opposition,  comme  le  serpent  lui-même,  qui,  en 
dépit  de  ses  caractères  iniques,  devient  au  moins  quelque- 
fois l'emblème  de  la  prudence,  et  celui  de  Notre-Seigneur 
dans  le  Serpent  d'airain  ;  la  grenouille,  au  contraire,  n'a 


(1)  MM.  .lourdain  etDuval,  dans  leur  savante  monographie  du  grand 
portail  de  la  cathédrale  d'Amiens  (Bulletin  monumental,  XI,  438),  ci- 
tent le  P.  Hector  Pinto  comme  l'un  de  ceux  qui  font  cette  remarque 
dans  son  Commentaire  sur  Isaïe,cli.xxiv.  Les  autres  commentateurs  ne 
sont  pas  moins  d'accord  sur  la  double  signilication  qu'on  peut  donner 
ici  à  ces  deux  animaux. 

(2)  \oir  Ballet,  monunu,  XIX,  232,295;  316. 


DKMONOLOGIE.  M-'^ 

aucun  bon  coté  qui  la  dédommage,  et  tous  les  commenta- 
teurs s'épuisent  en  traits  hideux  sur  son  compte  sans  lui 
rien  accorder  qui  nous  la  réconcilie  quelque  peu  (  I  ).  C'est  de  ser^pçj^'""\®  f^^l 
telles  notions  que  sont  venues,  dans  nos  bas-reliefs,  ces  ««-«pa"'!^- 
statues  si  nombreuses,  qui  ont  si  longtemps  excité  la  curiosité 
des  archéologues  (et  dont  le  sens  n'est  plus  mécomiaissable 
enfin),  de  femmes  allaitant  ou  des  crapauds  ou  des  serpents 
qui  s'élèvent  du  milieu  du  corps  à  la  poitrine,  et  par  lesquels 
on  a  voulu,  d'après  les  physiologues  du  moyen  âge,  ex- 
primer la  débauche  dans  ses  plus  honteux  excès  :  ainsi  les 
voit-on  à  Saint-Sernin  de  Toulouse ,  à  Moissac ,   à  vSaint- 
André  de  Bordeaux ,  à  la  chapelle  funéraire  de  Montnio- 
rillon  (2). 
Mais  en  dehors  de  ces  formes  animales  que  Satan  a  su      Le    serpent - 

.  ,     homma  du  paradis 

prendre  maintes  fois,  et  dont  tant  de  legendau^es  ont  trouve  terrestre, 
la  preuve  dans  rÉ\angile  même,  le  monstre  a  souvent  aussi 
revêtu  les  apparences  de  l'humanité,  comme  lors  de  la  ten- 
tation au  dései-t ,  et  môme  dans  la  tentation  du  premier 
homme  :  car  beaucoup  d'images,  par  une  ingénieuse  com- 
binaison d'idées  très-acceptables,  ont  montré  Satan,  au  Pa- 
i-adis  terrestre,  s'enroulant  à  l'arbre  par  toute  la  partie  infé- 
rieure de  son  corps,  qui  est  celui  d'un  serpent,  mais  ayant 
tout  le  buste  d'un  homme  et  une  tète  fort  gracieuse  dont 
le  i'egard  est  très-capable  de  séduire  la  malheureuse  créa- 
ture qui  va  l'écouter.  Du  douzième  au  quatorzième  siècle, 
les  manuscrits  à  miniatures  reproduisent  fréquemment  ce 
motif,  qui  résulte  évidemment  de  l'idée  que  c'est  encore  un 
ange  qui  est  là ,  dont  la  déchéance  n'a  pas  altéré  toute  la 
nature.  Quelquefois  même,  le  séducteur  ainsi  métamor- 

(1)  Voir  BuUel.  iiionu  .-.^XII,  100;  XIII;  G47;  XIV,  335. 

(2)  «  Ranœ,  daemones...,  hœretici,  qui  in  cœno  viiissimorum  sensuum 
commorantes,  vana  garrulitale  lalrare  non  desiuunt.  »  (S.  MclitonJB 
Clavis  Script.,  De  Bestiis,  lxvii;  apud  dom  Pitra,  Spiciley.,  III,  82  (;t 
aeq.)  —  «  Qui  tangit  reptile,  et  quodlibet  iramundura,  cujustactus  esl 
sordidus,  immundus  erit.  »  {Levitic.,xxu,o.) —  Ihillel.  mnniun.,  XI, 
192  .-t  suiv. 


Son  rôlo  au  ju- 
areraent  dernior  : 


rtu     lit    des   niou- 
rant'ï. 


30()  IlIvSTOlRE   Dr    SYMBOLISME. 

pliosé  cueille  de  sa  main  criminelle  le  fruit  qu'il  fait 
accepter  à  Eve,  comme  à  l'ancienne  abbaye  de  A'ézelay, 
comme  à  Lescure ,  non  loin  d'Albi.  Le  \oulez-vous  en 
liomme  complet  mais  pauvre,  malheureux,  épouvantable  à 
lorce  d'attributs  spéciaux  ?  lisez  dans  la  Légende  dorée  la 
vie  de  S.  Barthélémy  (1  )  il'y  voilà  en  nègre,  postéi'ité  de  fiham 
réprouvée  pour  ses  crimes  ;  une  tète  dont  la  chevelure  en 
désordre  retombe  jusqu'à  ses  pieds ,  une  longue  barbe 
épaisse  et  sale,  son  regard  animé  par  des  charbons  ardents, 
sa  bouche  vomissant  des  vapeurs  enflammées  complètent  le 
portrait  du  grand  criminel,  dont  les  mains  crispées  sont  re- 
tenues en  arrière  par  des  chaînes  de  feu.  Tel  est  le  beau 
génie  qui  animait,  invisible  mais  forcément  visible  bien- 
tôt, l'idole  d'Astarotb,  et  s'opposait  aux  succès  de  l'Apôtre. 
C'est  en  revanche  de  cette  opposition  satanique  à  la  rédemp- 
tion des  âmes  que  le  sculpteur  de  la  cathédrale  d'Amiens  a 
placé  l'ennemi  commun  sous  le  socle  qui  soutient  1^  statue 
du  premier  missionnaire  des  Indes.  Là  «  il  est  cornu,  velu, 
muni  d'une  ignoble  queue,  et  a  deux  ailes  prenant  nais- 
sance à  la  cheville  du  pied  (2)  »  ;  à  ses  grincements  de 
dents,  à  son  horrible  bouche  aux  lèvres  écartées,  on  devine 
ses  rugissements. 

C'est  dans  ce  bel  apparat,  le  corps  velu  comme  un  satyre, 
les  cornes  surmontant  sa  tète  de  chien,  le  postérieur  garni 
de  sa  queue  en  trompette,  l'air  triomphant  et  le  regard 
iiautain,  qu'on  le  voit,  dans  la  scène  du  jugement  dernier, 
chasser  devant  lui  ou  traîner  à  sa  suite,  au  moyen  d'une 
corde,  la  tourbe  malbeureuse  des  damnés  qui  deviennent 
son  domaine  incessible.  On  le  trouve  aussi  veillant  au  chevet 
du  moribond,  soit  pour  ménager  d'avance  au  profit  de  l'enfer 
une  conquête  qu'il  espère,  soit  pour  s'emparer,  au  sortir  du 
corps,  de  cette  âme  qu'en  effet  il  tire  avec  un  crochet  de  fer 


{\)  Legenda  aurea:\)e  S.  Bartholora.— PoH«î7  de  la  caih.  d'Amiens, 
Bullet.  monum.,  XI,  298. 
(2)  Cf.  Bullet.  wonum.,  XI,  192  et  suiv. 


de  la  bouche  béante  de  sa  victime.  D'autres  fois  il  pèse  les 
âmes,  comme  àChauvigiiy,  à  Bazas,ii  Argelès,à  Grisolles  et  à 
Autun  surtout,  où  l'imagination  de  l'artiste  s'est  évertuée  à 
créer  une  scène  aussi  curieuse  que  variée;  et  toujours,  en 
pareil  cas,  c'est  une  nature  hybride  telle  que  nous  venons  de 
lu  dépeindre  et  dont  l'ensemble  se  perfectionnera  encore  par 
une  face  d'homme  monstrueuse  qui  s'étend  sur  toute  In 
largeur  de  son  ventre,  et  quelquefois  sur  plusieurs  autres 
parties  du  corps.  Que  cette  prodigalité  de  traits  difformes      Raison  des  di- 

vorsos  fiffuros  dont 

et  révoltants  soit  destinée  à  multiplier,  au  grand  portail  de  son  corps  est quei- 

,,  1  11        •  »  Al  T  •     f>  I  •        '  quefois  couvert  ; 

Bourges,  les  allusions  a  cette  malice  nuernale  qui  règne 
dans  tout  l'esprit  réprouvé ,  nous  le  croirions  volontiers, 
comme  l'a  cru  un  habile  observateur  (I);  mais  il  nous  sem- 
ble aussi  plus  conforme  à  d'autres  notions  mieux  autorisées 
de  rattacher  cette  bizarrerie  apparente  à  l'action  funeste  de 
la  mandragore,  dont  nous  avons  parlé  au  chapitre  précédent, 
comme  employée  aux  philtres  diaboliques:  c'est  donc  là  un 
emblème  de  sa  nature  et  de  ses  instincts. 
Que  si,  là  ou  là,  vous  le  voyez  avec  trois  faces  horril)les,  doses  trois  têtes, 

.  111  4    ••  1  •  ..en  quelques  ima- 

autres   syml)oles    de  sa    triple  puissance  comme  esprit,   -es,  comme  tn- 
c'est  une  opposition  à  la  pensée  même  de  l'auguste  Trinité,   '"^'^  ''"  '"^'' 
qui,  étant  le  Bien  par  essence,  et  voyant  en  même  temps  le 
passé,  le  présent  et  l'avenir,  trouve  son  principe  adverse 
dans  cette  trinité  du  mal  pourvue,  en  une  certaine  mesure, 
de  ce  même  attribut.  Et  cette  idée  n'est  pas  seulement 
emblématique  et  de  convention,  c'est  de  bonne  et  pure 
théologie,  parfaitement    rendue  par    les  artistes  de  nos 
siècles  de  foi  savante.  Satan  est  le  principe  du  mal;  il  ne- 
vent  que  le  mal,  il  ne  fait  que  le  mal  auquel  seul,  dans 
ses  intentions  et  ses  efforts,  concourent  toutes  les  préoccu- 
pations de  son  monstrueux  génie;   il  le  voit  à  la  fois  de 
touï>  les  côtés:  de  là  ce   triple  regard  jeté   de  toutes  parts 
sur  le  monde  physique  et  moral,  comme  on  le  voit  dans  un 

» 

{{]  Mgr  Grosnier,  Iconographie  chrétienne,  ch.  xi. 


368  HISTOIRE   Dl    SYMBOLISME. 

médaillon  des  Emblemata  biblica  que  nous  avons  souvent 
interrogés  et  cités  précédemment.  Feu  Didron  en  a  repré- 
senté plusieurs,  dont  un  surtout   mérite  notre  attention 
parce  qu'il    résume    plusieurs   des    attributs  principaux 
donnés  au  malicieux  personnage.  Assis   sur  un   banc  à 
dossier  privé  de  tout  ornement,  et  encore  assez  bon  pour 
lui ,   ses  pieds ,  ornés  de  griffes  comme  ses  mains ,  sont 
enchaînés  au  marchepied  de  ce  siège  peu  commode  ;  de  ses 
trois  ligures  sortent  trois  langues,  tirées  autant  que  pos- 
sible, et  qui  indiquent  sa  manie  du  mensonge  hypocrite  et 
du  blasphème  audacieux  ;  sa  tète,  à  cheveux  ras,  qu  embel- 
lissent deux  oreilles  de  satyre,  est  surmontée  en  manière  de 
cornes  de  trois  bols  de  cerf  épineux  et  acérés  ;  son  corps, 
entièrement  ^  élu,  est  retenu  sur  son  trône  dérisoire  par  une 
chaîne  qui  s'y  rattache  de  côté  et  d'autre  en  ceignant  sa 
taille  fortement  proportionnée  :  il  est  ainsi  condamné  à 
une  immobilité  qui  repiésente  ici  l'éternité  de  son  supplice. 
Sa  poitrine,  à  la  moitié  de  sa  hairteur,  est  couverte  de  deux 
figures  qui  ne  valent  guère  mieux  que  la  sienne  ;  elles  se 
répètent  sur  chaque  genou,  mais  le  ventre  est  entièrement 
occupé  par  une  autre  face  bien  plus  horrible,  à  longue 
barbe,  à  bouche  ouverte  d'où  la  langue  se  répand,  et  uont 
les  yeux  expriment  la  méchanceté.  Cette  différence  de  ca- 
ractère entre  cette  physionomie  et  les  quatre  autres ,  sa 
ressemblance  avec  la  tète  principale  indiquent  suffisam- 
ment qu'à  une  telle  place  on  na  pas  enlaidi  pour  rien  ce 
masque  auquel  notre  idée  de  la  mandragore  paraîtra  d'au- 
tant moins  étrangère.  Pour  comble  de  symbolisme,  ce  roi 
des  ribauds,  dont  la  main  gauche  s'appuie  sur  son  cœur, 
soutient  de  la  droite  un  sceptre  qui  se  termine  à  une  autre 
image  de  sa  propre  trinité  :  ce  sont  deux  tètes  de  serpent 
tournées  de  droite  et  de  gauche  et  que  surmonte  une  figure 
qui  paraît  être ,  si  l'on  en  juge    d'après  ses    oreilles   et 
ses  cornes,   celle  d'un  taureau,  méchante  bête  que  les 
interprètes    nous    désignent    comme    le    type    reconnu 


nÉMONOLOGIE.  3(>1) 

de  l'orgueil ,  de  la  force  ijriitale  et  des  passions  indomp- 
tées (1). 
L'histoire  de  ces  transformations  serait  longue,  sons  quel-     loono^rapi.ipdu 

I  ,     .  1  1  1  • /■  "  ilémon    dans    ses 

ques  traits  que  le  mauvais  se  reproduise,  selon  les  dillerents  jormes  diverses; 
i)Uts  qn'il  se  propose.  Examinons-le  mainteuant  dans  ses 
diverses  fonctions  iconographiques. 

Entre  Nîmes  et  Aigues-Mortes,  on  voit  encore  la  magni-  inspirant  et  ven- 
tique  abhatiale  byzantine  de  Saint-Gilles,  ancienne  dépen-  Kei!  "^^"^"''^ 
dance  de  Cluny,  dont  le  portail  est  remarquable  par  la  beauté 
de  ses  sculptures  symboliques.  Dans  un  des  nombreux  mé- 
daillons dont  cette  façade  est  ouvragée,  Abel  offrant  ses  purs 
sacrifices  est  accompagné  de  son  Ange  gardien,  qui  lui 
uiontre  le  ciel  comme  la  dernière  fin  de  son  oblation.  Par 
opposition,  Cain  cède,  en  tuant  son  frère,  à  la  jalousie  que 
l'Ange  maudit  lui  inspire  ;  et  déjà  le  monstre  qui  a  soufflé  le 
crime  jouit  de  sa  perfidie.  Compagnon  du  coupable,  sous  la 
ligure  d'un  énorme  dragon  il  s'est  jeté  sur  lui  et  s'acharne 
à  le  déchirer  ;  ses  griffes  aiguës  s'enfoncent  dans  la  tête  du 
fratricide,  qui  cède  à  cette  force  cruelle  et  succombe  dans 
une  lutte  inutile  :  voilà  la  tentation  et  les  redoutables 
remords  qui  déchirent  l'àme  séduite  par  elle  (2;.  Mais  les 
Saints  à  qui  fut  confié  l'apostolat  des  peuples  infidèles  ont  • 
de  fréquents  triomphes,  dans  la  légende,  sur  l'ennemi  qui 
s'v  oppose  toujours.  Les  Bollandistes  nous  racontent,  au  soppo.ant à i-en- 

"^^  .     r,^  '  '  1,'  trée  de  S.  Taurin 

I  \  août,  comment  S.  laurin,  premier  evèque  d  Evreux,  s'ap-  à  Evreux. 
prochant  de  la  ville  encore  païenne  pour  la  convei'tir,  ren- 
contre aux  portes  mêmes  trois  démons  prenant  la  figure 
d'un  ours,  d'un  lion  et  d'un  buffle;  le  Saint  n'en  a  peur, 
il  entre  hardiment  et  malgré  eux,  en  leur  reprochant  de 
prendre  des  formes  de  viles  bêtes  après  avoir  été  de  la  cour 
du  Koi  des  rois.  Ces  trois  bêtes  n'en  étaient  pas  moins 
autant  de  symboles  des  vices  que  le  diable  allait  opposer 

(1)  Crosnier,  ubisuprà;  Didron,  Iconographie  chi'é tienne,  ip.  520  cl 
suiv. 

(2)  BuUef.  moniwi.,  XIV,  148,  t:i5,  323. 

T.  m.  24 


370  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

à  la  prédication  du  Saint  :  l'orgueil,  la  violence  et  la  luxure, 
qui  en  effet  furent  les  liens  dans  lesquels  se  maintinrent 
ceux  qui  résistèrent  à  la  grâce  de  sa  vision  (\). 
Labêtedei'Apo-       Gctte  bètc  dc  l'Apocalypse  que  nous  avons  montrée  ,  au 

calypse reproduite      ,.      ,       .   . 

avec  beaucoup  de  dix-huitieme  vcrsct  du  chapitre  xiii,  sous  un  nom  figuré  par 

variantes,  i  i   -pp 

des  chiffres  mystérieux  exprimant  le  nombre  06G,  devient 
la  monture  de  la  Babylone  symbolique  allant  par  le 
monde  pour  y  jeter  ses  influences  contre  la  foi  et  la  vertu  : 
c'est  la  grande  tentation  qui  résume  toutes  les  autres.  Pour 
comble  de  trahison, cette  femme  séduisante  est  couronnée; 
elle  veut  régner  sur  ce  monde  qu'elle  égare  ;  et  celui  qui 
la  produit  et  la  pousse  à  ses  conquêtes  d'iniquité,  afin  de 
mieux  tromper  les  regards  de  la  foule  étourdie,  a  re- 
vêtu chacune  de  ses  pattes  difformes  des  caractères  divers 
que  portent  celles  des  quatre  animaux  évangéliques  :  c'est 
Variété  de  ses  là  commc  la  marche  générale  de  l'esprit  tentateur.  Mais 

moyens  et  de  ses  1.1  »    nn      .  -, 

attaques.  cc  graud  ct  loug  voyage  ne  s  effectue  pas  sans  des  stations 

nombreuses  et  variées;  partout  donc  où  il  s'arrête,  il 
cherche  des  dupes,  et,  pour  les  prendre,  il  essaie  de  nou- 
veaux moyens.  A  Vézelay,  ces  scènes  de  son  métier  se  répè- 
tent sous  toutes  les  formes.  Il  a  pénétré  jusque  dans 
.  le  cloître;  car  personne,  hélas!  n'est  à  l'abri  de  ses  atta- 
ques, et  ici,  personnifié  par  deux  démons,  il  tourmente 
un  moine  en  le  tirant  par  la  barbe.  Là,  c'est  le  démon  du 
désespoir  qui  s'efforce  de  jeter  ce  sentiment  coupable  dans 
l'âme  d'une  femme  pécheresse  à  laquelle  s'applique  le  mot 
'time  inscrit  sur  le  chapiteau  ;  mais,  par  un  contraste  qui  se 
rattache  sans  doute  à  l'efficacité  de  la  confession,  un  prêtre 
est  là,  tenant  un  livre,  sans  doute  celui  des  formules 
sacrées,  et  lui  disant  :  spera,  langage  tout  divin  qui  fortifie 
l'âme  tombée  et  la  ramène  à  sa  réconciliation,  dont  la  con- 
dition essentielle  est  une  confiance  pleine  d'amour.  Plus 
loin,  une  femme  chaste  et  vêtue  reste  calme  non  loin  d'une 

(1)  Cf.  Bolland.,  loc.  cit. 


DKMONOLOGir:.  371 

autre  toute  dépouillée,  li\rée  au\  hupudk'ilésd'uu  démon; 
deux  musiciens  célèbrent  sur  leurs  instruments  cette  vic- 
toire immonde.  Au  musée  de  Mai"seille,on  peut  remarquer 
sur  un  sarcophage  un  serpent  enroulé  au  tronc  d'un  arbre 
dont  le  feuillage  abrite  un  nid  de  colombes  sur  lesquelles 
le  vilain  animal  daide  sa  langue  venimeuse.  A  Lescure, 
dont  nous  a\ons  déjà  parlé,  un  bonnne  s'entretient  avec 
une  femme  (jui  semble  la  sienne  ;  mais  vSatan  n'est  pas 
loin,  et  vient  lui  en  offrir  une  autre  que  ne  recouvre  aucun 
vêtement  :  n'est-ce  pas  une  tentation  d'adultère,  ou  un 
avertissement  contre  le  danger  de  certaines  fréquenta- 
tions (I)? 
En  fciit  de  tentation,  en  voici  un  tvpe  curieux  :  c'est  le  soin     ^}  persuade  le 

'  "  *■  mal  ; 

que  ce  criminel  inspirateur  se  donne  de  souffler  le  mal  au 
cœur  qu'il  veut  séduire  en  se  penchant  à  l'oreille  d'un  per- 
sonnage quelconque.  Aux  portes  de  bronze  de  l'abbaye 
d'Hildesheim,  et  dans  un  vitrail  de  la  cathédrale  de  Sens,  un 
petit  monstre  posé  sur  l'épaule  de  Pilate  paraît  lui  dicter  la 
sentence  du  Sauveur.  A  la  cathédrale  de  Poitiers,  le  portail 
du  nord  en  a  un  dans  la  même  position,  et  disant  tout  bas 
à  l'oieille  d'Hérode  comment  il  doit  engager  les  Mages  à 
revenir  lui  apporter  des  nouvelles  de  l'Enfant  qu'il  veut 
égorger  (2). 
Loin  de  persuadera  cet  ennemi  insatiable  une  modéra-     ii  saisit  rame  du 

moribond , 

tion  que  sa  nature  ne  peut  admettre,  la  mort  des  hommes 
active  son  zèle  cruel,  et  lui  fait  livrer  un  dernier  assaut  à 
cette  âme  qu'assiste  le  bon  Ange,  mais  que  l'Ange  prévari- 
cateur poursuivra  jusqu'à  la  fin.  11  se  tient  au  pied  du 
lit  et  ne  le  perd  pas  de  vue  ;  quelquefois  il  triomphe  aisé- 
ment de  la  perversité  du  moribond  que  la  justice  de 
Dieu  lui  abandonne  déjà,  et  il  se  saisit  de  l'àme  au  moment 
où  elle  s'exhale  de  sa  poiti'ine  sous  la  forme  d'une  petite 

(1)  Grosnier,  ubi  suprù. 

(2)  Voir  les  PP.  Martin  et  Cahier,  Vitraux  de  Bourges  y  p.  218,  n»  1  ; 
—  notre  Hùl.  de  la  caUiédr.  de  Poil.,  l,  105,  pi.  v. 


372  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

figure  humaine  ;  une  autre  fois,  c'est  l'Ange  gardien  qui 
emporte  cette  figure,  et  pendant  que  ses  mains  J3énies  Télé- 
vent  vers  le  ciel  qui  l'attend,  Satan  fuit  désespéré,  trahis- 
sant par  d'affreuses  grimaces  sa  colère  et  sa  déception.  Cette 
image  est  très-fréquente  et  ne  manque  pas  dans  les  ma- 
nuscrits. 
joue  de  la  viole  Mals  aussl  Ic  moustrc  a  ses  joies  de  mauvais  cœur  :  c'est 
(liade.  '^  lui  qui  joue  de  la  viole  au  portail  de  l'église  d'Ainay,  à 
Lyon,  pendant  cette  danse  d'Hérodiade  qui  va  coûter  la  vie 
à  S.  Jean-Baptiste;  ou  bien,  se  bornant  à  une  espièglerie 
dont  le  fond  est  bien  plus  sérieux  qu'il  ne  le  paraît,  il  éteint 
la  lampe  de  S*^  Gudule  travaillant  à  ourdir  une  tapisserie, 
ou  le  cierge  de  8*^  Geneviève  que  rallume  aussitôt  un  Ange 
béni.  Ces  feux  étaient  le  symbole  des  bonnes  œuvres,  de  la 
charité,  de  la  lumière  intérieure  ;  que  deviendront  les  Saints 
si  de  telles  lueurs  peuvent  leur  être  ravies  ! 
Les  tentations      Mals  11  arovc  Quc  CCS  tcntatious,  déjà  si  difficiles  à  sup- 

des  Saints  et  celle  ^  '        J  i 

de  S.  Antoine  en  portcr,  sc  changcnt  cu  d'autres  bien  plus  cruelles.  Des  vies 

particulier.  \  "  i,  ,     •        i  ru  •  i 

de  nos  Saints  sont  pleines  d  épisodes  ou  1  on  voit  un  ou  plu- 
sieurs diables  exercer  la  patience  d'immbles  anachorètes,  de 
faibles  femmes,  par  des  violences  où  les  verges  et  le  bâton 
jouent  un  rôle  des  plus  importants., On  sait  ]a  tentation  de 
S.  Antoine,  immortalisée  par  le  grotesque  burin  de  Callot, 
qu'avait  d'ailleurs  inspiré,  sans  qu'on  le  sache  beaucoup, 
le  récit  de  S.  Athanase  (i).  Beaucoup  d'autres  revivent 
dans  les  souvenirs  historiques  entourés  d'attributs  sem- 
blables ;  non  qu'il  faille  regarder  comme  purement  emblé- 
matiques ces  représentations  innombrables  de  bizarreries 
traditionnelles  :  on  ne  peut  douter  de  certains  faits  sem- 
blables racontés  par  des  hommes  graves  dont  beaucoup 
furent  des  Saints;  mais  il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  que 
ces  mille  animaux,  dont  chacun  a  sa  signification  par- 


(1)  Voir  Groiset,  Exercices  de  piété,  octobre,  p.  570,  in-12,  Lyon,  1745; 
—  Baillet.  21  octobre,  p.  310,  in4o  ;  14  mai,  p.  256. 


DÉMO>OF.Or.IK.  373 

ticiilière,.ces  innombrahlos  lutins  engagés  en  tant  d'actions 
inouïes,  ces  étranges  lantônics  répandus  sous  tant  de 
formes  diverses  autour  du  saint  solitaire,  sont  autant  d'allé- 
gories contre  les  plus  ou  moins  riches  imaginations  qui 
troublent  la  prière,  et  y  apportent  des  distractions  plus 
ou  moins  importunes  ;  c'est  là  le  côté  symbolique  de  la 
chose,  auquel  le  moyen  âge  avait  cédé  dans  les  représenta- 
tions de  ces  scènes  ingénieuses:  carCallot,  Breugel, Teniers 
et  d'autres  n'ont  rien  inventé  de  ces  tableaux  merveilleux  ; 
ils  ne  sont  que  la  réunion  des  richesses  empruntées  çà  et 
là  aux  bas-reliefs  des  monuments,  aux  pages  des  manus- 
crits de  nos  époques  calligrapliiques  et  aux  légendes  les 
plus  respectées.  On  lit  dans  les  hagiograplies  les  moins 
suspects,  tels  que  le  P.  Groiset  et  Baillet  lui-même,  que 
S.  Antoine  était  troublé  dans  son  désert  par  les  improvisa- 
tions les  plus  inattendues  :  c'étaient  tantôt  des  plaintes  lamen- 
tables de  petits  enfants  et  des  pleurs  de  femmes  désolées 
assiégeant  la  porte  de  sa  cellule  ;  tantôt  des  bêlements  de  bre- 
bis, des  mugissements  de  bœufs*,  des  rugissements  de  lions, 
des  hurlements  de  toute  nature.  Un  jour,  s'étant  mis  en 
oraison  la  tête  appuyée  contre  terre,  il  sentit  comme  le  poids 
d'un  homme  qui  le  foulait  aux  pieds  en  lui  disant  d'un  ton 
moqueur  :  a  Eh  quoi  !  tu  te  distrais,  tu  t'amuses  ;  »  des  loups 
en  hurlant,  des  renards  en  jappant,  sautaient  sur  lui.  Une 
fois,  en  chantant  ses  psaumes,  il  eut  pour  spectacle  un 
combat  de  gladiateurs  dont  l'un,  tombant  comme  mort  à 
ses  pieds,  le  priait  de  lui  donner  la  sépulture.  Vous  trou- 
veriez dans  les  vies  de  S.  Pacôme  ,  de  S.  Hilarion,  et  dans 
celles  de  beaucoup  d'autres  Pères  du  désert,  autant  de  faits 
analogues,  sans  lesquels  on  ne  pourrait  jamais  expliquer  les 
ti'avaux  légendaires  de  nos  cathédrales. 

Mais  il  serait  décourageant  pour  notre  pauvre  nature  de     commont  lu  y 
ne  la  montrer  jamais  que  livrée  à  sa  faiblesse  et  près  de 
succomber  à  ces  funestes  attaques  :  la  leçon  fût  restée  in- 
complète, et  ce  n'est  pas  le  défaut  de  l'Église  de  s'arrêter 


374  HISTOIRE   DU    SYMBOLlSMIi;. 

avant  d'avoir  fini.  En  beaucoup  de  tympans,  on  a  sculpté 
un  homme  debout,  repoussant  deux  griffons  ou  lions  ailés 
qui  s'élancent  sur  lui  de  chaque  côté,  la  gueule  béante  et 
l'œil  ardent.  L'air  calme  et  tranquille  de  cet  homme  indi- 
que bien  qu'il  compte  sur  la  victoire.  —  La  môme  résis- 
tance est  employée  à  Hérouville  (Calvados)  contre  deux  dra- 
gons dont  le  vainqueur  serre  la  tète  horrible  de  chacune 
de  ses  mains  ;  une  autre  fois,  ce  sont  deux  bêtes  hybrides 
s'efforçant  de  déraciner  un  arbre  vigoureux,  qui  n'en  garde 
pas  moins  sa  verdure  et  son  feuillage.  Et  où  n'a-t-on  pas  vu 
le  Christ  foulant  aux  pieds  le  lion  et  le  dragon,  et  des  Saints 
en  grand  nombre  affirmant,  par  ce  même  attribut,  leur 
force  surnaturelle?  C'est  pour  eux,  dit  S.  Hilaire  ,  que  le 
Sauveur  avait  prononcé  ces  consolantes  paroles  :  «  Je  vous  ai 
donné  d'écraser  du  pied  les  serpents  et  les  scorpfons;  vous 
foulerez  sous  vos  pieds  toute  la  puissance  de  votre  en- 
nemi (4  j .  ))  On  sait  aussi  la  lutte,  assez  fréquemment  repré- 
sentée, du  dragon  et  du  pélican  :  celui-ci,  emblème  du  Sau- 
veur, reste  victorieux  de  la  haine  infernale,  et  doit  l'être 
toujours  avec  les  serviteurs  de  Dieu.  L'athéisme,  s'attaquant 
à  Dieu  même  avec  sa  cynique  audace ,  explique  bien  ces 
combats,  etn'ôte  rien  à  la  placidité  de  nos  espérances. 
Tourments  des       U  y  a  plus,  Dlcu  a  daigné  quelquefois  manifester  à  ses 

démons.  ^  j.  j. 

Samts  les  horribles  tourments  des  démons.  S.  Jérôme  rap- 
porte, dans  l'éloge  de  S^^  Paule,  qu'elle  vit  dans  la  Palestine 
les  démons ,  tourmentés  de  divers  supplices ,  éclater  en 
plaintes  et  en  gémissements.  Sous  une  forme  humaine,  ils 
rendaient  tous  les  cr.is  des  bêtes  féroces  les  plus  exaspéi-ées  : 
c'étaient  à  la  fois  des  loups,  des  chiens,  des  lions,  des  ser- 
pents, des  taureaux  qui  fiurlaient,  aboyaient,  rugissaient, 
sifflaient,  beuglaient,  selon  l'espèce  qu'ils  avaient  revêtue. 


(1)  «  Ecce  dedi  vobis potestatein  calcare super  seipeutes el> scoi-piones , 
et  super  omnem  virtutem  inimici.  »  {Luc,  x,  19.)  —  S.  Hilarius  ,  In 
psalm.cxYui. 


nK!\I(K\()L()GiK.  37") 

D'autres,  se  pliant  en  deux,  touchaient  la  terre  de  leur  tète  à 
la  renverse,  puis  des  femmes  demeuraient  suspendues  par 
un  seul  pied  et  la  tète  en  bas  (^).  Qui  n'a  vu  tout  cela 
mille  fois  imprimé  sous  nos  corniches  et  nos  entablements? 

Cependant,  et  en  dépit  de  ces  allures  publiques  et  offi- 
cielles, si  nous  considérons  l'Ange  des  ténèbi-es  à  part  lui, 
et  dégagé  de  tout  rapport  avec  la  créature  qu'il  poursuit  de 
ses  fureurs,  non  lui  trouverons  des  attributs  qui  font  mieux 
ressortir  ou  son  caractère  propre  ou  les  prétentions  de  son 
orgueil.  * 

Et  d'abord,  il  affecte  souvent  la  forme  humaine,  par  cela      Ressemblances 

,  ,  ,  .  ,.T  .  •    1  •  extérieures       que 

même  que  les  bons  Anges ,  qu  il  veut  sniger  aussi  bien  vxnge  des  ténè- 
que  Dieu,  l'ont  revêtue  en  plus  d'une  occasion  que  men-  les  Anges  de  lu 
tionnc  l'Écriture  :  témoin  les  trois  Anges  qui  apparaissent 
à  Abraham  sous  le  chêne  démembré ,  le  Raphaël  du  jeune 
Tobie  ,  et  bien  d'autres.  Toutefois  ce  sont  là  des  beautés  de 
premier  ordre  ;  sur  ces  faces  célestes  brillent  la  lumière  el 
la  sérénité  ;  ils  ont  des  ailes,  comme  étant  d'une  vie  tout 
aérienne,  toute  spirituelle;  leur  tète  se  pare  d'un  bandeau 
ou  d'un  nimbe,  diadèmes  exceptionnels  qui  conviennent  à 
leur  titn^  de  princes  de  la  maison  du  Seigneur.  De  légers 
vêtements  llottent  sur  leur  corps  svelte  et  gracieux,  sur 
leurs  pieds  nus  qu'on  voit  bien  ne  tenir  en  rien  à  la  terre  et 
toujours  prêts  à  reprendre  la  route  du  ciel  (2).  Satan,  de  son 
côté,  veut  avoir  tout  cela,  mais  ce  serait  une  usurpation;  et 
depuis  que  son  crime  lui  a  ravi  sa  gloire,  s'il  conserve  quel- 
ques attributs  de  son  premier  état,  ce  n'est  qu'avec  un  mé- 
lange forcé  de  traits  si  différents,  que  personne  un  peu 
attentif  ne  s'y  trompera.  Lui  aussi  il  aura  donc  des  ailes, 
car  elles  indiquent  sa  nature  spirituelle  et  son  activité  à 
traverser  l'espace ,  à  pénétrer  jusqu'au  fond  du  cœur  insensé 

(1)  Crosnier,  ubi  suprà  ,  ch.  x.  —  liulUL.  ni  muni.,  XII ,  20  ,  206  et 
suiv.;  XIV,  114  et  suiv. 

(2)  Bull,  monunu,  ihid.,  p.  211;  XIV,  116,  68,  322;— Didrou,  Iconogr, 
clirct. 


376  HiSTOIRK  DU   SYMBOLISME. 

Le  nimbe  donné  q^^  s'ouvi'c  à  liil.  11  poi'te  uii  nimbe  ;  mais  le  nimbe  ,  dési- 

meme  au  mauvais      *  *■ 

Ange-  gnant  pour  les  Saints,  par  ses  rayons  d'or  ou  par  ses  cou- 

leurs variées,  d'bonorables  distinctions  toujours  symbo- 
liques, sera  pour  lui  un  signe  tout  opposé  d'opprobre  et 
d'infamie.  Nous  verrons  dans  la  suite  que  cet  attribut  n'a 
pas  été  seulement  réservé  à  la  sainteté,  et  que  certains 
peintres  des  écoles  reculées,  imités  par  les  écoles  suivantes, 
l'ont  donné  même  à  Judas  Iscariote,  dont  le  crime  n'avait 
pu  effacer  le  caractère  apostolique  :  c'est  pourquoi  le  diable 
lui-même  n'en  est  pas  toujours  privé;  mais,  par  une  ingé- 
nieuse idée  qui  tendait  à  ne  pas  le  laisser  confondre  avec  les 
Saints,  des  peintres,  qui  pouvaient  en  cela  mieux  faire  que 
les  sculpteurs,  l'ont  nimbé  de  noir,  couleur  du  deuil,  du 
remords  et  du  crime  confondu.  Observons  néanmoins  que 
les  sculpteurs  ont  évité  cette  même  erreur  quand  ils  ont 
nimbé  leurs  démons  sous  des  formes  animales  ou  avec  des 
caractères  diaboliques  auxquels  on  reconnaît  forcément  de 
quel  génie  il  est  question. 
î^'ouveiie  revue      n  est  asscz  rarc  que  ce  génie  destructeur  reste  isolé  sur 

de     quelques-uns  ^  ^ 

de  ses  types  les  nos  monumcuts  ct  s'y  voie  réduit  à  un  rôle  solitaire  ;  le  plus 

plus  curieux  : 

souvent,  il  s'y  mêle  à  la  vie  de  l'bomme,  il  y  épanche  la  libre 
expression  de  ses  vouloirs  pernicieux.  Cependant,  si  l'on 
regarde  bien,  on  le  rencontre  aussi  séparé  de  la  foule, 
s'exerçant  tout  seul  au  mal,  ou  accomplissant  quelque  office 
laborieux  sous  des  formes  qui,  d'abord,  n'auraient  pas 
semblé  les  siennes,  et  toujours  avec  des  apparences  qui  ne 

l'arbalétrier,  permettent  pas  de  le  méconnaître  :  tel  on  le  voit,  à  Saint- 
Jean  de  Nantes,  planté  sur  un  piédestal  d'où  il  tend,  avec  un 
mélange  d'efforts  et  de  grimaces,  un  arc  dont  la  flèche  est 
dirigée  vers  le  ciel.  Orné  d'une  double  queue  dont  l'une 
retombe  de  sa  tète  et  l'autre  d^ ailleurs,  démesurément 
joufflu,  griffé,  armé  d'un  ergot  de  coq  entre  le  talon  et  le 
mollet,  il  n'a  rien  d'équivoque,  pas  même  son  nez  de  per- 
l'oquetetune  sorte  de  joie  méchante  que  son  visage  ne  dis- 

les  consoiçs,         simulc  pas.  Tel  vous  le  verrez  au  tour  extérieur  des  églises. 


soutenant,  courbé  et  accablé  de  lati^ue,  le  poids  des  colonnes 
qu'il  voudrait  \ainenient  ébraulei-;  d'autres,  obligés  à  faire  ic=. gai^jouiiie*. 
l'oftice  de  gargouilles,  l'ejetlent  au  loiu  sur  le  pavé  de  la 
place,  comme  d'horribles  chiens  revenu.';  à  leurs  vomisse- 
ments (I),  les  eaux  pUniales  qui  nuiraient  à  la  maison  de 
Dieu.  Dans  beaucoup  d'édifices  romans,  comme  à  Fleury- 
sur-Loiie,  on  a  rempli  de  plomb  les  prunelles  évidées  des 
personnages,  mais  le  diable  y  a  toujours  un  point  de  char- 
bon formaut  sa  prunelle  et  lui  donnant  une  teinte  noire 
qui  le  rend  horrible;  il  décore  même  les  rampants  et  les  GogetMagog. 
crêtes  des  toitures,  étant  le  prince  de  l'air,  d'après  S.  Paul; 
et  les  architectes  l'ont  fixé  sur  ces  points  élevés,  par  allusion 
à  ces  peuples  de  Gog  etMagogqui  forment  rarmée  de  Satan 
au  XX®  chapitre  de  l'Apocalypse  :  il  est  juste  que  l'armée  soit 
là  où  reste  le  chef  (2).  k  Moissac,  le  voici  «  en  homme  de     ror.onniiication 

^  de  rhéivsie   et  clf» 

grande  taille,  monté  sur  un  animal  fantastique...;  il  porte  laïucuio. 
sur  sa  tète  des  serpents  au  lieu  de  cheveux,  et  de  l'autre  un 
crapaud  (3).  »  Ce  sout  les  symboles  de  l'hérésie  et  de  la 
luxure,  qui  ne  vont  guère  l'un  sans  l'autre. 
Une  page  à  ne  pas  oublier  dans  l'iiistoire  de  Satan,  c'est    sajan animant les 

loi  '  idoles  paionncs. 

celle  qui,  dès  les  premiers  temps  du  Christianisme,  nous 
montre  les  chrétiens,  imbus  en  cela  d'un  principe  bien  an- 
térieur au  Christianisme,  se  persuadant  que  toutes  les  idoles 
adorées  par  les  païens  étaient  animées  par  les  démous.  C'est  à 
ces  faux  di(Ui\  que  le  Psalmiste,  s'adressant  aux  Gentils, 
reprochait  d'immoler  jusqu'à  leurs  enfants;  S.  Paul  répète 
ce  reproche  dans  les  mêmes  termes  (^),  et  les  Pères  jetaient 
sui'  les  dieux  de  Rome  et  d'Athènes  un  ridicule  mordant 


(1)  «  Canis  qui  reverlitur  ad  vomilurn  suuiii,  sic  iinprudeDs  qui  itérât 
stultiliam  suam.  »  (Prov.,  xxvi,  1 1.) 

(2)  Voir  Bruno  Aslensis ,  In  Apocal. ,  cap.  xx  ;  —  le  P.  Cahier, 
Méla)if/es  darchéulngie,  d'histuire  cl  de  iitléralure,  I,  76  ;  —  Raymond 
Bordeaux,  Principes  d'a>'chéologie  pratique,  2"  part.,  cli.  iri. 

(3)  Bullet.  iiionum.,  WIU,  482. 

(4)  «  Immoiaverunt  filios  suos  et  filias  suas  dœmoniis.  »  (Ps.,  cv, 
37.)  —  «  Gentes  daemonihus  immolant  et  non  Deo.  »  (1  Cor.,  X;20.) 


et  par  le  pape  In- 
nocent 111. 


378  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

quand  ils  répondaient  aux  stupides  adorateurs  de  tant  de 

statues  par  des  descriptions  qu'on  dirait  reproduites  sur  nos 

Ses  caractères  modillous  et  nos  cliapiteaux.  Les  Romains  s'étaient  avisés 

Ecologiques       de-  •      i    i 

peints  par  Tertui-  de  représenter  le  Sauveur  avec  des  oreilles  d'âne,  un  pied  de 
corne,  un  livre  à  la  main,  et  vêtu  de  la  toge.  «  Nous  en  avons 
ri,  leur  disait  Tertullien  ;  mais,  en  vérité,  un  tel  monstre  con- 
venait bien  plus  parfaitement  comme  dieu  à  ceux  qui  ado- 
rent des  divinités  pourvues  de  têtes  de  lion  et  de  chien, 
de  cornes  de  chèvre  et  de  bélier  :  boucs  depuis  les  reins, 
serpents  depuis  les  cuisses,  portant  des  ailes  au  doè  ou  aux 
pieds  (1).  Et  le  grand  pape  Innocent  III  ne  semble-t-il  pas 
avoir  préparé  un  texte  à  nos  sculpteurs  quand,  après  avoir 
signalé  le  tentateur  comme  l'auteur  de  tous  nos  maux,  il 
énumère  de  combien  d'autres  avanies  nous  sommes 
éprouvés  ici-bas,  et  quels  monstres  semblent  se  hguer  contre 
notre  repos  dans  les  limites  rétrécies  de  la  nature  ?  «  Le 
sanglier  de  la  forêt  nous  dresse  ses  embûches;  chaque 
bête  sauvage  s'évertue  à  tout  dévorer  autour  de  nous  :  ici 
c'est  le  loup  et  l'ours,  le  léopard  et  le  lion,  le  tigre  et  l'âne 
sauvage,  le  crocodile  et  le  griffon,  la  vipère  et  l'aspic,  les 
scorpions  et  tous  les  reptils,  et  jusqu'aux  poissons  et  aux 
oiseaux.  Dieu  n'avait-il  pas  menacé,  en  effet,  les  rebelles 
à  sa  loi  d'être  livrés  aux  dents  des  bêtes,  et  de  nous  faire 
subir  les  morsures  de  tous  Jes  animaux  (2)  ?  » 

Antagonjfeme  <ie       Blcu  antérieurement ,   S.  Paul   l'avait  signalé  comme 


(1)  «  Risimus  elnoiiieD  et  foruiam.  Sed  illi  debebanl  adorare  siatim 
biforme  numeii,quia  et  caiiiuo  in  leonino  capite  commistos^  et  de  capro 
et  de  ariete  cornuto?,  et  a  lumbis  hircos,  et  a  cruribus  serpentes,  et 
planta  vel  tergo  alites  Deos  receperunt.  »  (Tertull.,yl/90^o^é;^,cap.  xvi.) 
—  Notons  ceci  pour  nous  en  souvenir  quand  nous  reviendrons  à  S.  Ber- 
nard. 

(2)  «  Insidiatur  aper  de  silva ,  et  singularis  férus  depascitur;  lupus 
et  ursus,  pardus  etleo,tigris  et  onager^  crocodilus  et  gryphus,  serpens 
et  coluber,  basiliscus  et  aspis,  cerasta  et  draco,  scorpiones  et  viperae..,, 
pisces  et  volucre3...Scriplum  est  enim  [Deut.,  xxx)  :  Dentés  bestiarum 
mittam  in  eos  ,  cum  furore  trahentium  super  terrain  atque  serpeu- 
tium.  »  (Inuocentii  papae  III,  De  Contemplu  mundi,  lib.  I ,  cap.  xviii.) 


nÉMONOLOGIE.  370 

riiomnie  de  péclié ,  le  fils  de  perdition  se  révélant  à  chaque  *^'^^j,^^7ui.  -""ce 
instantcomme  notre  ad\  crsaire,  s'élevant  contre  toute  parole  j^^'^j"   ^*'^"^  ^■ 
de  Dieu,  opposant  au  culte  divin  son  propre  culte ,  et  pous- 
sant l'audace  jusqu'à  s'asseoir  dans  le  temple  de  Dieu 
comme  s'il  était  Dieu  lui-même  (I).  Quand  le  Livre  de  Job  ot  job, 
nous  montre  un  juste  en  butte  aux  mécbancetés  de  Satan  , 
à  qui  Dieu  permet  d'éprouver  un  serviteur  tidèle  pour  faire 
éclater  sa  patience  et  encourager  les  faibles  dans  leurs  ten- 
tations ;  quand  l'ennemi  soulève  contre  ce  juste  les  tem- 
pêtes de  la  nature  et  les  plus  tristes  événements  domesti- 
ques ,  les  chrétiens  ont  pu  se  persuader  justement  que  ce 
même  ennemi  pouvait  se  faire  toujours  un  instrument  de 
supplice  pour  ceux  dont  il  voudrait  vaincre  la  fidélité  ,  et , 
haine  pour  haine  (il  n'y  en  eut  jamais  de  plus  légitime) ,  ils  lui 
ont  bien  rendu  ce  qu'il  s'est  plu  à  leur  ietei*.  Si  rÉglise  ,  si  suivie  par  toute  ri- 

*  '^  ,       conographie  chre- 

les  artistes  qui  Tout  secondée  se  sont -plu  à  dévoiler  ses  lai-  tienne.  ' 
deurs  et  ses  ruses  dans  son  iconographie  universelle ,  c'est 
autant  pour  le  ridiculiser  dans  ses  fonctions  détestables , 
dont  les  justes  n'ont  jamais  à  redouter  aucune  conséquence 
éternelle ,  que  pour  en  inspirer  l'horreur  et  la  crainte. 
11  a  pu  rire  aux  dépens  de  la  pauvre  humanité,  qui  lui  four- 
nit tant  de  victimes,  et  employer  à  loisir  contre  celles-ci, 
comme  on  le  voit  dans  le  vitrail  du  ^Mauvais  Kicbe  de  Dour- 
ges  (2), des  raffinements  de  cruauté  qui  aillent  jusqu'à  infuser 
dans  la  bouche  d'un  avare  damné  de  l'or  et  de  l'argent 
fondus;  on  s'en  est  bien  vengé,  et  ceux  qui  le  connaissent 
l'ont  chargé  de  rôles  diversifiés  à  l'infini  ,  capables  peut- 
être,  et  c'était  probablement  leur  intention,  d'ajouter  par 
la  confusion  de  son  orgueil  et  de  sa  méchanceté  au  sup- 
plice incessant  de  ses  souffrances  expiatoires. 
C'est  dans  ce  but  ({u'oii  l'a  mêlé,  comme  suppôt  forcé  et 

(1)  «  Homo  peccati  ,  filius  perditionis  qui  adversatr.r  et  extollitur 
supra  omue  quod  <Hcitur  Deus  ,  aut  quod  coliUir  ,  ita  ut  in  temple 
Dei  sedeat,  ostendensse  tauquaiii  sit  Deus.  »  (2  ThessaL,  m,  4.) 

(2)  Voir  Martin  et  Cahier,  Vilr.  de  Boim/.,  j».  236,  note  3, 


Les  reliquaires, 
les  croix,  les  chan- 
deliers , 


et  les  cros&eà  par 
torales. 


380  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

de  très-mauvaise  liumeur,  à  tout  ce  qui  devait  s'employer 
au  service  de  Dieu,  soil  pour  l'œuvre  du  Saint  Sacrifice , 
soit  pour  les  instruments  des  autres  sacrements  distribués 
aux  fidèles,  depuis  le  Baptême  jusqu'à  l'Extrème-Onction. 
En  proportion  que  la  pensée  du  démon  et  de  Tenfer  est 
très-salutaire  pour  interdire  le  péché  à  l'âme  qui  s'y 
abandonnerait  naturellement ,  on  la  prodiguait  partout 
par  des  images  toutes  plus  horribles  les  unes  que  les 
autres;  mais  nulle  part  on  ne  la  vit  exprimée  avec  plus 
de  prodigahté  à  la  fois  et  d'énergie  que  sur  les  reliquaires, 
où  elle  jaillissait  des  émaux  ou  des  nielles,  ou  au  pied 
des  croix  ,  dont  un  dragon  vaincu  mordait  le  pied  de  ses 
dents  impuissantes,  ou  dans  la  composition  des  beaux 
chandeliers  en  bronze ,  où  on  le  voyait  contourné  en  mille 
façons  et  obligé,  sous  un  châtiment  qui  punissait  son  amour 
de  la  nuit  et  des  ténèbres,  à  porter  la  lumière,  toujours  re- 
gardée comme  un  des  symboles  du  Christ.  Quelquefois  ce 
ne  sont  que  des  pieds  de  dragon ,  de  lion  ou  de  bêtes  hybri- 
des qui  servent  de  supports  à  un  flambeau  privé  de  tout 
autre  emblème  ;  mais  cette  simple  indication  suffit  à  expri- 
mer la  même  intention,  et  ne  doit  pas  être  méconnue;  sous 
ces  apparences ,  c'est  toujours  la  figure  du  serpent  qui  do- 
mine (Ij. 

Et  que  dire  de  ce  même  serpent  et  de  ses  enroulements 
de  si  bon  goût  et  de  si  riche  exécution  sur  les  crosses 
épiscopales  des  douzième,  treizième  et  quatorzième  siècles, 
aussi  riches  de  travail  que  de  pensée?  Là  se  représente 
toujours ,  avec  une  inépuisable  diversité  de  ressources ,  la 
pensée  fondamentale  de  la  rédemption  et  du  péché  ori- 
ginel :  deux  dogmes  inséparables  que  l'Agneau  n'exprime 
jamais  seul ,  non  plus  que  le  cerf,  mais  qu'il  oppose,  dans  sa 
placidité  pleine  de  douceur,  au  dragon,  dont  l'affreuse  gueule 


fl)  Voir  les  belles  planches  i,  xiv,  xxi,  xxin  et  xxiv  du  premier  vo- 
lume des  Mélanges  cV archéologie  des  PP.  Martin  et  Cahier. 


DKMO.NOlXXili:, 


as 


s'ouvre  vainement  pour  l'engloutir  (^j  ;  quelquefois  aussi 
le  loup  ravissant  joint  ses  elïorts,  conti'e  des  oiseaux  inoffen- 
sifs, à  ceux  que  le  dragon  multiplie  contre  la  Vierge  Mère 
et  l'Enfant  divin,  qui  le  regarde  sans  effroi.  Le  bronze,  l'ar- 
gent doré,  l'ivoire  ont  prêté  leurs  surfaces  à  ces  merveilles 
du  ciseleur.  Le  moindre  rôle  que  Satan  y  joue  se  borne  à 
exercer  sur  une  croix  la  rage  de  ses  morsures  :  on  le  repré- 
sente au(5si  sur  les  nœuds  de  la  hampe  en  sirène,  avec  une 
tète  de  bouc  ou  de  diable  cornu  Le  tau,  qui  parfois  remplace 
la  crosse,  n'était  pas  moins  remarquable  par  ses  bizarres 
inventions  zoologiques  à  l'endroit  de  notre  personnage  ;  mais 
c'est  surtout  aux  fonts  baptismaux  qu'il  convenait  de  l'at- 
tacher comme  un  esclave ,  et  nous  savons  qu'on  ne  lui  a 
pas  épargné  cet  honneur  (2). 
Les  idolâtres  mêmes,  n'ayant  de  hii  que  des  idées  juste-      satan  toujours 

'  ''  ^  "'  visible   dans  l'art 

ment  acquises ,  préféraient  pour  leurs  idoles  des  formes  pai>n . 
plus  capables  d'épouvanter  ses  adorateurs.  L'art  païen  ,  où 
avait-il  pris  chez  les  Grecs  et  les  Romains,  qu'on  aurait 
luoins  soupçonnés  de  cultiver  le  laid,  toutes  ces  recherches 
de  monstruosités  que  tant  de  découvertes  nous  ont  révélées 
dans  les  fouilles  de  leurs  villes  et  de  leurs  musées  ?  Cette 


(1)  Il  De  faut  pas  confondre ,  dans  ces  images  qui  décorent  la  volute 
de  certaines  crosses,  le  dragon,  ou  serpent  foulé  par  l'Agneau,  avec 
d'autres  serpents  solitaires,  qui  alors  sont  toujours  un  symbole  du  Sau- 
veur et  un  emblème  de  simplicité,  de  prudence  et  de  vie  retirée,  tel 
qu'il  convient  à  un  évoque  de  les  pratiquer  à  l'exemple  du  divin  Mo- 
dèle. Cette  attribution  est  bien  plus  sensible  si  le  serpent  tient  une 
croix  entre  ses  dents  ou  la  porte  comme  un  diadème  bienfaisant  au- 
dessus  du  front,  et  à  plus  forte  raison  si  le  reptile  a  reçu  de  l'artiste  une 
tête  d'agneau,  comme  on  l'a  cru  de  quelques  spécimens.  Une  telle  dis- 
tinction, qui  est  d'une  baute  importance  pour  éviter  toute  erreur,  n'a 
pas  été  né^'ligée  par  M.  le  comte  Auguste  de  Bastard  dans  son  beau 
travail,  déjà  cité,  sur  la  crosse  abbatiale  de  Tiron;  non  plus  que  par 
.M.  l'abbé  André,  qui,  dans  l'examen  de  ce  savant  ouvrage,  a  fait  juste- 
ment ressortir  l'habile  perspicacité  du  docte  antiquaire. —  Cf.  Bullelin 
du  Comité  dn  la  tangue,  de  l'histoire  et  des  arts  de  ta  France^  t.  1"V, 
1857,  p.  401  etsuiv. 

(2)  "Voir  Mél.  d'arrfiéol.  ,    ubi  ^uprd ,  t.  IV.   texte  et  planches  de.^ 
p.  18  i  à  250. 


382  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

prédilection  venait ,  à  n'en  pas  douter,  d'une  tendance  bien 
décidée  à  personnifier  le  mauvais  génie  dans  toutes  les  occa- 
sions où  la  crainte  des  maîtres  du  monde  était  bonne  à  in- 
spirer au  vulgaire  ;  ainsi ,  les  cbaises  curules ,  les  trônes  des 
empereurs  ou  des  consuls  ornés  de  têtes  hideuses- de  lion, 
de  léopard,  de  reptiles  quelconques,  tenaient  la  foule  en 
respect  en  donnant  une  sorte  de  caractère  redoutable  à  la 
magistrature  et  à  la  royauté.  L'Inde,  l'Egypte,  les  différents 
États  de  l'extrême  Orient,  ne  cultivent  guère  encore  que  de 
qui  le  transmet  tcls  symbolcs.  C'était  Satan,  sous  tel  nom  convenu,  qui  agi- 

aux  âçes  modei-  ,  ii-i  n  ^  i 

nés.  tait  ses  ailes  étendues  et  dardait  sa  langue  périme  au-dessus 

des  casques  des  guerriers,  comme,  à  l'époque  franque  et 
mérovingienne  ,  il  figurait  avec  d'iiorribles  contorsions  de 
ses  traits  grossiers  sur  des  agrafes  militaires  ou  sur  des  or- 
nements d'architecture  destinés  sans  doute  à  des  antéfixes, 
tels  qu'on  les  voit  dans  les  recherches  de  quelques  archéo- 
logues (^  ).  Si  on  le  voit  frappant  S.  Apollinaire  d'une  massue, 
aussi  bien  que  S.  Boniface,  on  lui  rappelle  sa  défaite  par 
S.  Michel,  qui  l'envoie  aux  flammes  préparées  pour  lui  et  ses 
satellites;  on  l'étend  humilié  sous  les  pieds  de  S^®  Margue- 
rite; sa  tête  est  écrasée  par  le  talon  de  la  Femme  bénie  qu'il 
ne  peut  éviter;  il  est  vaincu  sur  le  Calvaire  lorsqu'il  épuise 
en  vain  ses  derniers  efforts  sur  la  croix  où  Jésus  va  sauver 
ceux  qu'elle  attirera  à  sa  Rédemption. 
Ressource  contre       Ccs  imagcs  étaient  donc  fort  encourageantes  pour  les 

cathoHque.  '  ""^^"^  fidèlcs ,  Car ,  s'ils  devaient  redouter  les  assauts  de  leur  en- 
nemi mortel ,  ils  pouvaient  aussi  ranimer  leur  énergie  en 
voyant  que  la  foi  leur  devenait  une  force  de  résistance.  De 
son  côté,  et  tout  près  de  ces  démonstrations  salutaires  ,  l'É- 
glise avait  pour  ainsi  dire  placé  sa  liturgie ,  arsenal  habi- 
tuel où  se  gardaient  contre  lui  les  armes  de  la  prière  et  des 
sacramentaux.  L'ignorance  des  gens  du  monde,  celle  même 
des  chrétiens  dont  l'instruction  religieuse  n'a  été  soignée 

(l)  Voir  Bullet.  moniim.,  XXII,  487  et  suiv. 


DÉMONOLOr.lK.  383 

qu'à  demi,  rit  aujourd'hui  au  seul  noiu  de  possédés  et 
d'exorcismes ,  vieilles  redites  d'époques  où  l'esprit  de 
l'homme  acceptait  tout  sans  examen  et  se  laissait  tromper 
par  des  superstitions...  On  serait  moins  hardi  peut-être  à  de 
telles  négations  si  Fou  savait  que  les  protestants  ,  (jui  on( 
abandonné  en  tant  de  points  la  croyance  quinze  fois  sécu- 
laire de  leurs  ancêtres,  ont  nié  ce  dogme  comme  tant  d'au- 
tres, et  que  Becker,  l'un  des  plus  entêtés  parmi  eux,  a  vu 
son  livre  du  Monde  enchanté  savamment  réfufé  par  Stac- 
kouse  dans  son  Traité  sur  le  sens  littéral  de  VÉcriture 
sainte,  où  il  n'emploie  contre  le  protestantisme  que  l'Écri- 
ture même  ,  dont  Luther  et  Calvin  font  l'unique  règle  de 
leur  opposition.  iMais  la  foi  antique  ,  pour  être  dégénérée 
dans  ces  docteurs-là ,  n'en  vit  pas  moins  dans  les  dogmes , 
que  rien  n'a  changés,  et  les  arguments  logiques  ne  peuvent 
rien  perdre  de  leur  primitive  valeur. 

Dès  le  commencement  de  l'Église,  les  énergumènes  ,  Histoire  et  mar- 
c'est-à-dire  les  possédés  qui  ne  pouvaient  être  délivrés  du  murgie  à  cet 
démon  que  par  les  exorcismes,  apparaissent  en  grand  nom-  '^^"^  ' 
hre,  proportionnémentau\  efforts  que  l'esprit  de  mensonge 
opposait  plus  énergiquemcnt  à  la  diffusion  des  saintes  véri- 
tés. L'exemple  a\ait  été  donné  de  les  chasser  par  Noti^e- 
Seigneur,  qui  expulsait  le  démon  du  corps  des  possédés  ,  et 
donnait  ce  même  pouvoir  à  ses  Apôtres.  A  Philippes ,  à 
Éphèse,  S.  Paul  en  use,  et  les  Pères  des  quatre  premiers 
siècles,  qu'on  peut  interroger  contre  les  protestants,  puisque 
ceux-ci  prétendent  que  l'Église  conserva  pendant  tout  ce 
temps  la  vérité  inaltérée  ,  ces  Pères,  disons-nous,  sont  una- 
nimes à  constater  des  faits  analogues  contre  lesquels  on  ne 
pourrait  que  les  accuser  de  mensonge,  en  dépit  des  mille 
témoins  qu'ils  attestent.  Le  quatrième  concile  de  Carthage, 
si  célèhre  par  ses  canons  de  disciphne,  ordonna,  en  398  , 
que  les  énergumènes  balayeraient  le  pavé  de  l'église  (^1). 

{\)  Voir,  pour  preuves  de  toutes  ces  assertions  :  S.  Matthieu,  xu,  2G, 
43  ;— .V.  Lv(\  VIII, 27;  ix,l;  x,  il  ^^S . Marc,  x\i,  il  ;—Actesdes A2)olrf s, 


reproduites  dans 
les  sculptures  de 
nos  églises  , 


et    sur   la    scène 
des  théâtres  , 


384  HISTOIRE  DL    SYMBOLISME. 

Ne  seraient-ce  pas  ces  personnages  infortunés ,  soumis 
aux  convulsions  que  le  démon  ne  manquait  pas  de  leur  im- 
poser durant  les  exorcismes,  et  souvent  dans  les  intervalles 
de  ces  cérémonies ,  que  nos  sculpteurs  auraient  reproduits , 
entre  autres  motifs,  par  ces  figures  si  diversement  carac- 
térisées de  nos  têtes  démoniaques?  Tant  de  grimaces  ,  de 
contorsions ,  de  formes  hybrides ,  d'horribles  regards  jetés 
sur  la  foule  qui  fréquente  le  temple,  et  qui  semblent  autant 
d'insultes  à  sa  piété ,  qui  peuvent  être  aussi  l'expression  de 
leur  désespoir  en  se  voyant  forcés  aujourd'hui  de  soutenir 
les  pierres  du  sanctuaire ,  ne  sont-ce  pas  là  des  symboles 
encore  vivants  de  tant  de  scènes  antérieures  à  leur  repro- 
duction lapidaire,  et  qui  se  sont  continuées  ensuite  par  elle 
dans  l'histoire  du  monde  spirituel?  Le  théâtre  lui-même,  qui, 
à  son  origine,  eut  pour  but  de  former  les  mœurs  sur  la  doc- 
trine chrétienne,  n'avait  eu  garde ,  à  la  fm  du  moyen  âge  , 


XVI,  16;  XIX,  12  et  15  ;  -  S.  Paulin,  Vie  de  S.  Félix  de  Noie;—  Sulpice 
Sévère,  dialogue  m,  ch.  vi;  —ConcAl.  Co.rlhag.  iv,  apud  Labbe,  ad  ann, 
398,  H,  1207.  Voici  le  texte  :  «  Paviineuto  domorum  Dei  eriergumeni 
verrant.  »  (Gan.  91.)  —  Beaucoup  de  faits  plus  récents,  dispersés  dans 
tous  les  siècles  de  l'histoire  ecclésiastique,  ne  permettent  pas  de  douter 
de  faits  semblables,  reparaissant  à  toutes  les  époques  et  se  multipliant 
de  nouveau  au  seizième  siècle,  quand  le  démon  se  sentait  réveillé  en 
quelque  sorte  par  les  meuées  du  protestantisme.  C'a  été  une  des  plus 
perfides  séductions  employées  par  l'ennemi  du  salut  d'avoir  persuadé  à 
nos  contemporains,  au  moyen  des  iniques  dérisions  de  la  philosophie, 
devenue  enfin  l'athéisme,  que  la  magie,  la  sorcellerie  et  tout  ce  qui  en 
résulte  ne  sont  que  des  visions  d'esprits  rétrécis.  Reste  à  prouver  en- 
core par  ces  grands  génies  comment  les  tribunaux,  les  témoins  et  les 
hommes  les  plus  doctes  de  leur  temps  furent  tous  et  partout  assez  im- 
béciles pour  dénoncer,  condamner  et  exécuter  des  coupables  qui,  pres- 
que toujours,  se  dénonçaient  eux-nxâmes,  et  comment, par  conséquent, 
l'histoire  n'eût  été  sur  ce  point  qu'un  tissu  d'erreurs  absurdes  et  de 
mauvaise  foi.  Ne  serait-ce  pas  là  quelque  chose  de  i)lus  difficile  à  croire 
que  tous  les  miracles  du  monde  et  les  enchantements  les  plus  merveil- 
leux? Ajoutons  encore  que  les  savants  les  plus  sérieux,  comme  Martin 
del  Rio  dans  son  traité  des  Conlr  verses  et  Recherches  magiques,  ont 
écrit,  sur  la  théorie  et  les  moyens  de  la  démonologie,des  livres  où  rien 
n'échappe  à  leur  attention,  et  forcé  de  conclure  à  l'existence  d'une 
science  occulte  qu'il  faudrait  au  moins  étudier  un  peu  avant  d'en  rire 
et  de  la  ridiculiser. 


DÉMONOLOGII;:.  385 

de  relïiserà  la  scène  un  si  grand  élénienl  d'intérêt  et  d'émo- 
tions. Les  diables  y  avaient  nn  rôle  incessant  de  méchanceté 
qui  Unissait  toujours,  il  r^st  vrai,  par  se  voir  déçue  sous  la 
puissance  de  Dieu  (|ui  Irionqdiait.  Ils  y  apparaissaient  en 
plus  grand  nombre  que  possi])le,  sous  une  l'orme  humaine 
modiliée  des  appendices  que  nous  savons  ,  l'air  farouche  et 
rébarbatif,  tout  empreints  d'orgueil  et  de  désordres,  désbo- 
norés  d'avance  par  les  noms  bébreuA  qu'ils  ont  dans  la 
Uible  :  Lucifer,  Satan,  Astaroth ,  Belzébuth,  Béhal ,  et 
même  par  quel(|ues  autres  tirés  de  la  mythologie  ancienne, 
tels  que  Cerbère,  Jupiter,  Proserpine  ;  sans  compter  cer- 
taines idoles  figurant  au  milieu  de  cet  intéressant  personnel 
i)0ur  établir  imc  fois  de  plus  que  les  adorations  païennes 
se  reportaient  bien  aux  anges  infernaux  (i). 

Mais  revenons  à  nos  sculptures. 

On  remarque,  parmi  les  figures  qui  couvrent  les  mu-  aussi  bien  que  les 

^         '    ^  D  ^  barbares    et     les 

l'ailles  sacrées,  des  tètes  humaines  dont  les  cheveux  ,  tom-  persécuteurs. 
bant  en  deux  tresses  de  chaque  côté  des  oreilles  et  s'épan- 
ciiant  jusque  sur  la  poitrine,  indiquent  assez  qu'on  a  voulu 
donner  à  l'ennemi  universelles  traits  de  ces  païens  conqué- 
rants qui,  sous  le  titre  de  Germains,  de  Normands  ou  autres 
aussi  mal  famés,  étaient  devenus  la  terreur  des  populations 
chrétiennes,  lesquelles  s'en  vengèrent  un  peu  plus  tard  en 
leur  donnant  la  physionomie  et  la  place  qu'ils  ont  méritées. 
H  dut  en  être  ainsi  des  princes  persécuteurs  de  la  foi,  qui 
durent  être  classés  dans  nos  modillons  avec  leurs  tètes  cou- 
ronnées et  la  fatale  expression  de  douleur  et  de  difformité 
donnée  à  leurs  traits.  Comment  mieux  assigner  à  Hérode  , 
à  Néron  et  à  tous  les  rois  iconoclastes  la  place  qu'ils  méri- 
taient si  bien  pour  tant  d'exilés  et  de  martyrs? 
Les  exorcismes  figurent  aussi  très-souvent  dans  l'art  de     Exorcisme»  des 

vitraux   de  Bour- 

cette  époque ,  et  le  démoniaque  placé  par  Raphaël  sur  le  t^es. 
premier  plan  de  sa  Transfiguration  n'est  rien  en  compa- 

(1)  Voir  AnJinles  archèohgiqaes  :  Mystères  des  Apôtres,  XIV,  75. 

T.    IM.  25 


386  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

raison  de  ceux  que  le  dessin  du  moyen  âge  a  su  imprimer 
dans  ces  œuvres  pleines  de  génie  et  de  verve.  Sur  un  des 
vitraux  de  la  cathédrale  de  Bourges  ,  S.  Denys  exorcise  un 
possédé  ;  celui-ci  indique  très-bien  le  moment  où  Satan 
obéit  aux  injonctions  sacerdotales  en  s'échappant  par  des- 
sous la  robe  violette  de  la  victime  qu'il  est  forcé  d'aban- 
donner. On  voit  fort  bien  d'où  il  sort,  ce  qui  lui  est  peu 
honorable  ;  de  plus  il  semble  fort  éperdu  et  peu  content  de 
l'opération  ;  mais  là  on  observe  du  moins  en  action  une 
ressource  que  la  peinture  seule  pouvait  se  faire  et  qui  man- 
quait à  la  sculpture  :  les  couleurs  symbohques  des  person- 
nages ajoutent  à  l'idée  qu'il  faut  s'en  faire.  Le  saint  évêque 
est  revêtu  d'une  chasuble  blanche  comme  les  Élus  de  l'Apo- 
calypse ;  l'énergumène  a  une  robe  violette,  couleur  de  la 
Couleurs  sym-  péuiteuce  ct  du  dcull  ;  le  diable  qui  s'échappe  de  son  corps 

boliques    données  ^  ,  ,  -i        i      .    •     -        i 

aux  diables  selon  est  vcrt ,  commc  Ic  plus  souvcut ,  car  il  a  la  tenite  du  ser- 

leurs  fonctions  ico-  ,  ^  ^      -i       .  •        .•        x 

nographiques.  pcut ,  teuaut  quclquc  chose  de  la  terre  par  ses  nistmcts 
comme  par  son  origine.  Parfois  on  lui  a  varié  un  tel  agré- 
ment; ainsi,  à  Bourges  encore,  l'histoire  du  Mauvais  Riche 
nous  montre  un  certain  nombre  de  ces  satelhtes  de  Satan , 
attirant  avec  des  crochets  l'âme  de  ïépulon  ,  qui  s'exhale  de 
sa  poitrine  sous  la  forme  d'une  petite  figure  humaine.  Là, 
un  diable  vert  a  la  tête  rouge  couleur  de  feu  ;  un  autre  a 
la  sienne  blanche,  par  opposition  à  ses  habitudes  perfides, 
hypocrisie  qui  servit  peut-être  à  tenter  le  riche  avant  de  le 
tourmenter  dans  son  malheur.  Un  autre,  qui  a  la  tête 
rouge,  est  fauve  du  corps ,  ce  qui  le  range  parmi  les  bêtes 
féroces  ;  d'autres  sont  tout  rouges ,  comme  les  lueurs  de 
Les  mêmes  cou-  l'eufcr.  Il  cst  vral  que  les  Anges,  vêtus  de  rouge  et  de  vert , 

Anges  par  oppo-  accueilleut  l'âme  du  pauvre  et  bienheureux  Lazare  (1).  Mais 
nous  avons  vu  par  quel  système  d'opposition  les  mêmes 
couleurs  employées  dans  un  sens  fatal  l'étaient  aussi  dans 
un  sens  favorable  :  il  est  fort  ordinaire  de  voir  les  méchants 

(1)  Voir  Vilraitx  de  Bourges,  pL  ix  et  xil. 


sîtiou. 


DÉMONOLOGIE.  387 

coloriés  de  la  mc'^me  manière  que  les  bons  ,  et  alors ,  selon 
le  personnage  qn'elles  révèlent ,  ces  teintes  doivent  être 
interprétées  contrairement.  Nous  l'avons  expliqué  dans 
notre  première  partie  {\),  et  nous  savons  que  la  confusion 
n'est  pas  possible  entre  les  sujets  que  sépare  une  si  énorme 
différence  morale  :  A  fructibus  eoriim  cognoscetis  eos  (2). 
On  conçoit  que  l'imasination  des  symbolistes  avait  dû     Types  officiels 

^  ^  **  de   l'enfer    et  du 

résumer  tant  de  détails  en  un  ensemble  qui  unît  comme  purgatoire. 
une  formidable  cliaîne  tous  ces  anneaux  vivants  et  ani- 
més. La  pensée  théologique  de  l'enfer,  qui  avait  besoin 
aussi  d'une  forme  saisissable,  trouva  dans  un  si  grand 
nombre  d'images  de  quoi  se  matérialiser  aux  regards.  U En- 
fer et  le  Purgatoire  de  Dante  offraient  beaucoup  à  copier  ; 
nous  avons  vu  comment  on  avait  su  les  approprier  aux  arts 
du  dessin.  Le  Purgatoire  de  S.  Patrice,  qui  eut  une  2rrande      Le  Purgatoire 

de  s.  Patrice. 

vogue  au  moyen  âge ,  mais  qui  n'était  fondé  que  sur  une 
vision  plus  ou  moins  autorisée  du  saint  archevêque ,  n'en 
avait  pas  moins  aussi  ses  données  attachantes,  que  des  mi- 
niatures curieuses  nous  ont  conservées  et  qui  se  reprodui- 
sirent sur  la  pierre  en  plusieurs  épisodes  encore  vivants  (3). 
Au  reste ,  les  peines  du  purgatoire  et  celles  de  l'enfer  ne 
diffèrent,  d'après  la  foi ,  que  par  leur  durée,  qui  n'est  éter- 

(1)  Cf.  ci-dessus,  1. 1,  ch.  xii,  p.  303. 

(2)  S.MaUh.,\n,  16. 

(3)  Ce  purgatoire  était  lé  résultat  d'uue  vision  que  S.  Patrice,  arche- 
vêque d'Armach,  en  Irlande,  avait  eue,  disent  ses  biographes,  sur  les 
tourments  subis  en  l'autre  monde  par  les  âmes  qui  doivent  y  achever 
l'expiation  de  leurs  péchés.  Quoi  qu'en  aient  dit  des  critiques  peu  com- 
pétents sur  de  telles  matières,  cette  tradition,  qu'ils  attribuent  à  Denys 
le  Chartreux,  moine  du  quinzième  siècle,  doit  cire  aussi  ancienne  que 
celui  dont  elle  porte  le  nom  et  qui  évangélisa  l'Irlande  jusqu'en  404. 
Comme  le  Saint  avait  coutume  de  se  retirer  dans  une  caverne  déserte  du 
lue  Dearg  (Ulonie),  le  peuple  s'y  rassembla  après  sa  mort,  et  ce  qu'on 
savait  de  sa  vision,  rattaché  ii  ce  lieu  solitaire,  fît  croire  plus  tard  que 
c'était  là  l'entrée  du  purgatoire  dont  il  avait  parlé.  Quoi  qu'il  en  soit,  le 
récit  de  notre  Saint  ou  de  tout  autre  contient  une  description  des  tour- 
ments du  purgatoire,  qu'on  peut  voir  dans  Le  Monde  enchanté j  de 
M.  Ferdinand  Denys,  in-32,  1843,  p.  157  etsuiv.;  mais  surtout  dans  les 
Bollaudisles,  x\  ii  mars. 


388  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

nelle  que  pour  ce  dernier;  il  n'y  avait  pas  toujours  une  sen- 
sible différence  dans  l'expression  plastique  de  l'un  et  de 
La  gueule  du  l'autrc.  Ou  volt  cu  quclqucs  manuscrits,  et,  entre  autres, 

monstre  infernal. 

dans  un  de  ceux  de  la  Bibliotiièque  Richelieu,  ce  lieu  d'ex- 
piation représenté  par  l'énorme  gueule  d'un  monstre,  au 
dehors  de  laquelle  veille  un  démon  armé  d'une  sorte  de 
trident.  Cette  gueule  est  pleine  de  petites  figures  entassées 
derrière  les  dents  horribles  de  la  bete;  mais,  au  heu  de  se 
tourmenter  et  d'exprimer  leur  désespoir  par  des  contor- 
sions et  des  fureurs,  elles  gardent ,  comme  il  convient  à  des 
âmes  rachetées  et  sûres  de  leur  salut ,  une  attitude  paisible 
et  calme  :  c'est  le  caractère  de  l'Espérance  fondée  qui  se  ré- 
signe et  qui  attend  la  miséricorde  en  se  soumettant  à  la 
justice.  Quant  à  ce  gouffre  béant  des  cavernes  infernales, 
dont  nous  avons  déjà  dit  l'idée  originelle  et  l'expression 
si  énergique  (I),  rien  ne  pouvait  mieux  rendre  certai- 
nement et  l'avidité  du  monstre  éternel  et  les  angoisses  de 
la  gent  infortunée  engloutie  dans  cet  abîme  d'où  l'on  ne 
revient  pas  !...  On  le  trouve  aux  tympans  des  portes  cen- 
trales, dans  les  manuscrits ,  aux  chapiteaux,  aux  modillons; 
il  n'y  a  pas  une  scène  du  Jugement  dernier  où  il  n'ait  sa 
place  :  les  flammes  en  jaillissent,  saisissant  d'avance  les 
âmes  perdues  ,  que  les  satellites  de  Satan  s'empressent  d'y 
enfourner;  ces  cruels  serviteurs  les  apportent  par  centaines, 
les  poussent  à  coups  de  fourche,  et  la  bouche  insatiable  dé- 
vore tout  et  demande  encore,  sans  jamais  se  vider  ni  se 
remplir  ! 
Variété  artisti-       Duc  autre  causc  dut  multipliei',  en  les  variant,  les  repré- 

que  des  supplices  it-w  iit»-ii 

infernaux,  scutatious  de  suppliccs  étemcls.  Des  passages  de  la  Bible, 

entre  autres  de  Jérémie  et  de  l'Apocalypse,  avaient  persuadé 
à  quelques  interprètes  qu'il  fallait  attribuer  aux  réprouvés 
des  supplices  en  harmonie  avec  leurs  passions  dépravées  de 
la  terre  ;  ils  étaient  donc  punis  soit  par  les  mêmes  appétits 

(l)  Voir  ci-dessus,  t.  II,  p.  179,  324,  337;  III,  132. 


DÉMONOLOGIE.  389 

du  corps,  dont  la  privation  leur  était  continuellement  im- 
posée puisqu'ils  n'étaient  plus  que  des  esprits,  soit  en  gar- 
dant en  eux-mêmes,  pour  leur  propre  tourment,  le  caractère 
bestial  par  lequel  ils  s'étaient  avilis;  et  comme  il  y  a  tou- 
jours,  d'api-ès  de  savants  observateurs,  une  certaine  res- 
semblance que  nous  avons  reconnue  nous-méme  des  traits 
de  quelques  personnes  à  ceux  de  certains  animaux  dont 
elles  acceptent  les  instincts  ou  les  habitudes,  on  s'était  faci- 
lement persuadé  de  représenter  les  vices  parles  masques  ou 
la  pourtraicture  complète  des  bétes  dont  les  âmes  humaines 
avaient  imité  les  penchants  :  c'est  de  la  sorte  que  Vincent 
de  Beauvais  dépeint  les  genres  si  nombreux  et  si  divers  des 
supplices  infernaux  (I).  Il  s'agit  ici  des  révélations,  faites  à 
quelques  Saints,  de  ces  habitudes  d'outre-tombe  et  de  ceux 
à  qui  elles  sont  éternellement  imposées.  ((  Là  se  trouvaient 
diverses  personnes  religieuses  ,  moines  ,  nonnes,  évoques, 
prêtres  et  autres  clercs,  dont  les  uns  riaient  pendant  que  les 
autres  pleuraient;  ceux-ci  s'accablaient  de  reproches,  ceux- 
là  dévoraient  sans  cesse  des  aliments  qui  ne  les  rassasiaient 
jamais  ;  fl'autres  se  livraient  à  toutes  les  passions  ,  non  pas 
sans  doute  qu'après  la  mort  il  soit  encore  loisible  de  les 
satisfaire  :  ce  n'était  qu'une  détestable  représentation  de 
leurs  crimes  passés,  à  laquelle  ils  étaient  contraints  par  les 
démons  en  punition    des  excès  qu'ils  y  avaient  commis. 
Quanià  ces  démons,  ils  étaient  noirs  comme  des  charbons; 
leurs  yeux  lançaient,  comme  autant  de  lampes,  des  feux 
ardeîits  ;  leurs  dents  étaient  plus  blanclies  que  de  la  neige;  ils 
avaient  des  queues  comme  des  scorpions,  leurs  ongles  étaient 
des  crochets  très-aigus,  et  ils  portaient  des  ailes  de  vautour.  » 
Ce  morceau  n'est-il   pas  une   exacte  reproduction   des 
œuvres  artistiques,  et  ne  dirait-on  pas  que  lesai'tistes  s'en- 
tendaient avec  le  Dominicain  de  lîeauvais? 

n)  Vincent  de  Beauvais,  Uiblioiheca  mundi  :  De  Inferno,  §  De  Re- 
velutionibus,  —cité  par  M.  Lecoiutre-Dupant  dans  le  même  sens  que 
non,>  iri,  Mnm.  drsovfiff.  th  rOucaf,  X,  '♦56. 


390  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

La   magie  au       Quoi  Qu'il  Gii  soit,  l'Édise,  qui  fut  toujours  la  dépositaire 

temps  de  l'Eglise  «  -i  .,  ,  !.  ,       i 

primitive,  et  les  dcs  vcrites  etemellcs,  s  appliqua  des  le  berceau  de  sa  reli- 


exorcismes, 


gion  à  protéger  par  elle  ses  enfants  contre  les  malignités  de 
leur  ennemi  et  de  ses  suppôts  ;  car  la  magie  avait  reçu  une 
étonnante  activité  parmi  les  païens,  et,  soit  par  des  pactes 
formels  établis  entre  quelques-uns  d'eux  et  le  démon,  soit 
parles  croyances  superstitieuses  qui  les  portaient  à  vénérer 
son  crédit,  ils  persécutaient  les  chrétiens  pour  les  porter  au 
mal  ou  à  l'apostasie,  et  ils  allaient  jusqu'à  attribuer  à  des 
enchantements  les  miracles  dont  s'entourait  si  souvent  la 
mort  des  martyrs.  C'est  contre  ces  attaques  du  démon,  ou 
indirectes  par  les  hommes,  ou  directes  par  ses  propres  et 
personnnelles  incitations,  que  l'Église,  appuyée  sur  la  parole 
même  du  Sauveur,  établit  des  ministres  ayant  charge 
expresse  et  pouvoir  spirituel  de  conjurer  par  des  prières 
spéciales  son  action  momentanée  sur  les  fidèles,  action 
manifestée  soit  par  l'obsession  qui  agit  au  dehors  et  par 
des  moyens  extérieurs,  soit  par  la  possession  qui  s'exerce 
sur  l'intérieur,  reste  invisible  dans  son  principe  et  ne  se 
trahit  que  par  des  effets  dont  on  n'aperçoit  pas  la  cause 
sensible.  Ceux  qu'on  honore  de  ce  pouvoir  reçoivent  le 
troisième  des  Ordres  mineurs  ;  dès  le  principe,  ils  étaient 
appelés  exorcistes,  et  devaient  apprendre  dans  le  livre  des 
exorcismes  les  formules  dont  il  leur  fallait  user  dans  leurs 
souvent  représen-  fouctious.  Lcs  frcsqucs,  Ics  viti'aux,  Ics  manuscrlts,  et  aussi 

tés  dans  les  égli- 
ses, les  sculptures,  sont  pleins  de  sujets  puisés  dans  cette  idée; 

et  le  style  même  des  imprécations  sacrées,  telles  que  les 
gardent  encore  nos  rituels  et  pontificaux,  montre  assez  quel 
mépris  fait  l'Église  de  l'iVnge  rebelle  soumis  à  sa  puissance, 
et  quelle  autorité  elle  s'attribue  sur  ses  efforts  criminels. 
Mais  elle  n'emploie  pas  ces  adjurations  seulement  contre 
la  personne  de  Satan  ou  de  ses  complices  ;  elle  les  adapte 
aussi  à  toutes  les  créatures ,  dont  elle  veut  user  pour  la 
sanctification  des  fidèles.  Le  sel,  l'eau,  l'huile  ,  qui  devien- 
nent la  matière  ou  l'accompagnemerit  obligé  de  ses  sacre- 


Usage  très-fré- 
quent de  ces  der 
niers , 


DÉiMONOLOGIE.  39^ 

meiits,  sont  tout  d'abord,  avant  de  les  y  employer,  exorcisés, 
comme  entachés  ,  depuis  le  péché  originel,  d'un  principe 
mauvais  qui  s'empara  alors  de  la  matière  et  dont  il  faut  la 
purifier  préalablement.  On  exorcise  aussi  avant  de  les  bénir, 
et  par  la  même  raison,  la  première  pierre  des  églises,  le  mé- 
tal qui  doit  se  changer  en  cloches,  le  lit  nuptial,  dont  la  pro- 
fanation attire  de  si  terribles  châtiments,  comme  on  le  voit 
dans  le  Livre  deTobie  ;  les  animaux  eux-mêmes,  dont  certai- 
nes maladies  sont  justement  attribuées  aune  invasion  du  dé- 
mon, comme  on  en  voit  des  exemples  dans  l'Évangile;  enfin 
les  maisons  habitées  par  l'Esprit  infernal  s'efforçant  de  jeter 
l'inquiétude  dans  une  famille,  d'y  attirer  l'attention  sur  son 
pouvoir  chimérique,  et  de  soulever  toujours  ainsi  parmi  les 
incrédules  des  discussions  qui  n'ont  pour  résultat  que  de 
les  rendre  plus  coupables,  comme  on  le  voit  par  le  Uvre  si 
complet  et  si  concluant  de  M.  de  Mij^'ville  sur  les  manifes- 
tations des  esprits  (-1). 
Mais  rien  n'a  rendu  plus  vivement  autrefois  cette  grande  variés  encore  par 

d'autres    moyens 

excommunication  jetée  par  l'Eglise  sur  l'Ange  détesté  que  liturgiques. 
ces  dragons  monstrueux  connus  sous  les  noms  de  gar- 
gouille, de  tarasque,  de  grand'gueule,  et  autres  non  moins 
signilicatifs  donnés  à  celte  illustre  bête  qui  précédait  les 
processions  solennelles,  s'avançant  devant  la  croix,  dont 
elle  précédait  la  marche  triomphale,  et  qui  semblait  la 
pousser  comme  un  vaincu  destiné  à  lui  servir  de  trophée  ; 
c'était  surtout  à  la  fête  de  l'Ascension  et  aux  Rogations,  qui 
la  précèdent,  car  c'était  la  dernière  victoire  de  la  Croix  et 
du  divin  Crucifié.  A  Rouen,  à  Poitiers,  à  Tarascon,  et  bien 
ailleurs,  cette  grosse  vermine  avait,  aux  yeux  du  peuple , 

(1)  Des  Esprits  cl  de  leurs  Manifeslalions  diverses,  5  vol.  in-8",  Paris, 
1863.  —  Ce  livre  n'a  pu,  en  dépit  de  toutes  ses  preuves  les  plus  évi- 
dentes, arracher  à  rAcadéinic  des  sciences,  que  l'auteur  conjura  plus 
d'une  fois  de  s'en  occuper,  aucune  explication  de  ces  faits,  ([u'elle  s'obs- 
tine cependant  à  regarder  comme  naturels.  — Voir  encore  Tobie,  vi, 
VII  et  VIII,  puis  le  Mémoire  à  V Académie  formant  l'appendice  du  pre- 
mier volume  de  M.  de  Mirville. 


392  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

un  rôle  très-important  ;  car  elle  gardait  ses  traditions, 
variant  selon  le  pays,  et  représentait  réellement  le  gain 
de  quelque  grande  bataille  gagnée  sur  le  paganisme  par 
les  premiers  missionnaires  de  la  contrée  :  c'est  ce  qui 
avait  sans  doute  frappé  l'iiabile  dessinateur  des  gravures 
du  Bréviaire  de  Poitiers,  édité  en  Î765,  lorsqu'il  donna 
au  dragon  que  terrasse  et  foule  aux  pieds  le  grand  vain- 
queur de  l'arianisme  des  traits  et  des  contours  presque  iden- 
tiques à  ceux  de  la  grand'gueule,  rééditée  à  neuf  en  t677. 
Ce  symbole  a  disparu  avec  tant  d'autres,  parce  qu'on  avait 
fini  par  en  oublier  le  sens,  faute  de  notions  écrites  ;  de  lon- 
gues interruptions  firent  surgir  nécessairement  des  erreurs 
et  des  superstitions  que  l'Église  fit  sagement  d'abroger  {\). 
Ce  que  nous  avons  à  conclure  ici,  c'est  que  des  faits  pareils, 
qui  se  rattachent  à  cet  ordre  d'enseignements  théologiques, 
se  réitèrent  très-fréquemment  dans  l'iconographie  chré- 
tienne, et  qu'il  faut  tenir  compte  de  l'opinion  et  des  prati- 
ques de  l'Eglise  si  l'on  veut  en  avoir  le  sens  et  pénétrer  les 
mystères,  prétendus  inexplicables,  de  ces  curieuses  manifes- 
tations de  l'art.  Et  comme  les  formes  de  notre  héros  infer- 
nal prises  par  lui  en  maintes  occasions,  ou  inspirées  à  ses 
iconographes,  sont  toujours  bonnes  à  reconnaître,  finis- 
sons ce  chapitre  en  analysant  un  des  plus  curieux  ta])leaux 
qui  puissent  nous  mettre  sur  la  trace  de  sa  pliysionomie  et 
nous  le  signaler  sûrement  au  milieu  de  nos  laborieuses 
recherches. 
De  la  magie  et       Lgg  livrcs  dc  maiiic  ne  sont  pas  rares  ;  les  grandes  biblio- 

fle  son  action  con-  "-^  '  >  cj 

tre  la  société  chré-  thèoucs  out  eucoro  tous  CCS  vicux  traités  de  sciences  oc- 

tienne ,  ^ 

cultes,  dont  la  plupart,  en  se  faisant  l'interprète  de  supersti- 
tions ridicules,  étaient  cependant  plus  coupables  qu'on  n'a 
voulu  le  croire  et  méritaient  l'indignation  publique  antant 
que  la   sévéïité  des  magistrats.  Le  catholicisme,  qui  ne 


(l)  Voir  notre  Hisi.  de  lu  ralhèdr.  d<'.  Poil.,  Il,  'ÙO  el  siiiv.,  uù  nous 
avons  tracé  l'historiqnt;  de  cet  ussLiP. 


DÉMONOLOGIK.  393 

semble  plus  mériter  aujourd'liiii  ni  la  prolectioii  des  souve- 
rains ni  le  respect  des  légistes,  était  alors  la  loi  fondamen- 
tale de  loiUes  ciioses.  Jésus-Christ  était  le  Koi  des  rois,  et 
l'on  n'entendait  laisser  le  di'oit  de  l'insulter,  de  le  nier,  à 
aucun  de  ses  ennemis,  qui,  par  la  profession  ouverte  de 
riiérésie,  atlacjuaientlesi-acines  mêmes  de  l'arbre  social,  de- 
puis si  longtemps  fécondé  par  Lui  ;  à  plus  forte  raison  ne 
pouvait-on  permettre  à  la  raison  humaine  de  pactiser  avec 
le  hideux  antagoniste  de  Dieu  et  du  bien. 
Tant  que  l'Église  sulfit  à  cette  tâcbe  au  milieu  des  popu- 
.  lations  dociles  et  confiantes,  tant  qu'elle  ne  se  vit  pas  desti- 
tuée du  bras  séculier  institué  d'En-Haut  pour  seconder  sa 
mission,  ce  qu'on  sa^ait  du  démon  et  de  ses  menées,  ce 
({n'en  crurent  les  peuples  lidèles  se  borna  aux  notions 
nettes,  précises  et  purement  théologiques,  recueillies  de  la 
chaire  chrétienne  et  des  enseignements  écrits  des  Docteurs. 
Mais  vim'ent  les  temps  de  foi  moins  vive,  d'hérésies  anti- 
sociales, comme  celles  des  Albigeois,  des  Vaudois  et  autres 
illustres  devanciers  de  nos  illustres  démagogues  du  temps 
présent,  si  dignes  de  leurs  ancêtres,  et  qui  ne  les  justifient 
si  bien  dans  leurs  congrès  de  progressistes  que  parce  qu'ils  ** 
se  défendent  eux-mêmes  en  les  justifiant.  A  ces  époques 
fatales,  on  \\l  s'augmenter  la  tourbe  de  ces  esprits  égarés, 
qui  ne  mirent  plus  de  hont(3  à  s'ériger  en  sectes  rebelles, 
et  qui  prétendirent  à  une  résistance  dont  les  fruits  devaient 
être  si  amers. 
C'est  surtout  à  la  renaissance  des  lettres  nnti([ues,  et  à  surtout  aux  dixiè- 

'  me,   quinzième  et 

pai'tir  de  la  fin  du  (|Minzième  siècle,  que  le  génie  des  inno-  seizième  siècles. 
vations,  nous  l'avons  dit,  pLuia  sur  le  monde  avec  les  bypo- 
crites  figures  des  deux  grands  patriarches  de  la  Prétendue- 
Héforme.  On  vit  toutes  les  erreurs  diaboliques  faire  assaut 
de  hardiesse  contre  l'Eglise.  Trompcnirs  ou  ti"onq)és,  des 
esprits  perverlis  ou  égarés  s'adonnèrent  aux  pratiques 
démoniaques,  et  ce  devint  h*  jeu  de  hMU's  adeptes  de  nier 
audacieiiscnuMit  leur   p;ii'ti(i[)alion    réelle  aux  trames  de 


394  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

l'enfer,  pendant  que  l'examen  sérieux  de  leur  conduite , 
leurs  aveux  même  déterminaient  à  des  condamnations 
capitales  des  juges  qui  n'avaient  intérêt  qu'à  connaître  et  à 
punir  d'horribles  vérités,  plutôt  que  des  innocents  qui  ne 
leur  étaient  connus  d'aucune  autre  part.  La  gent  artiste, 
dont  la  tête  évaporée  aime  beaucoup  plus  les  passions  sans 
frein  que  le  calme  des  études  sérieuses,  ne  manqua  pas  aux 
antagonistes  de  l'Église  ;  elle  leur  vint  en  aide  au  moyen  de 
ses  pinceaux  et  de  ses  burins,  comme  les  lettres  par  le 
mensonge  et  la  satire  ;  elle  s'efforça,  en  des  pages  ardentes, 
à  dénaturer  le  vrai  en  l'exagérant,  et  le  déprécia  sous  les 
mille  formes  d'absurdités  incroyables  :  de  là  ces  livres  où  le 
diable  feignit  de  se  réfuter  lui-même,  ces  gravures  où  le 
crayon,  en  exagérant  les  grosses  ]}estialités  de  Satan  et  en 
forçant  le  type  de  ses  traits  sous  celui  des  monstres  les 
plus  impossibles,  parvint  à  ne  rien  laisser  dans  un  peuple 
frivole  de  ce  que  la  foi  y  avait  mis.  En  tout  cela  pourtant, 
Satan  s'était  fait  le  plus  beau  jeu  ;  on  n'avait  plus  peur  de 
lui  dès  lors  qu'on  se  le  représentait  comme  une  simple 
image  de  fantaisie,  et,  ainsi,  plus  on  se  moquait  de  lui,  plus 
*•  il  triomphait. 
Estampe  remar-      IJuc  dc  CCS  imagcs  Ics  plus  forcécs  fut  composéc  au  sei- 

quable    de    cette       .,  .,i  ,•,•  •       t        ,    i       j  -i 

époque.  zieme  siècle  par  un  artiste  inconnu,  mais  dont  le  travail 

fut  évidemment  inspiré  par  un  génie  satirique  disposé  à 
cet  excès  d'imagination  qui  calcule  ses  effets  et  compte  sur 
leurs  conséquences  {]).  Il  avait  voulu  représenter  une  de 

(1)  Cabinet  des  estampes  de  la  bibliothèque  Richelieu.  On  la  trouve 
aussi  reproduite  au  premier  volume  du  Moyen  âge  et  la  Renaissance, 
ouvrage  dont  les  planches  sont  fort  intéressantes,  mais  dont  le  texte,  à 
côté  d'une  érudition  souvent  douteuse  quand  il  s'agit  des  arts,  reste  trop 
souvent  au-dessous  de  l'ignorance  permise  quand  il  s'agit  de  dogme, 
de  morale,  de  croyances  ou  de  pratiques  chrétiennes.  On  dirait  que  les 
écrivains  de  cette  grande  et  chère  compilation  ont  voulu  créer  une  en- 
cyclopédie à  l'usage  des  demi-savants.  Encore  est-il  que,  lorsque  celle  du 
dix-huitième  siècle  voulut  se  faire  une  renommée,  elle  confia  sa  partie 
<héologiqne  à  un  estimable  théologien  qui  ne  manqua  guère  à  sa  mis- 
sion. Nous  protestons,  pour  notre  compte  ,  à  l'égard  de  cette  encyclo- 


des. 


DÉMOISOLOGIE.  395 

CCS  cérémonies  cal)alistiqiics  nommées  le  sabbat^  et  il  a 
groupé,  pour  cet  effet,  diverses  scènes  toutes  plus  ])izarres 
les  unes  que  les  autres,  mais  fort  instructives  pour  nous. 
Nous  y  retrouvons  tous  nos  animaux  symboliques  déjà 
connus,  avec  toutes  les  singularités  de  leurs  allures,  avec 
toute  l'excentricité  des  plus  drolatiques  modèles.  Au  pre-  scènes  du  sab- 
mier  plan,  deux  sorcières,  devant  une  chaudière  profonde  hombics  épiso- 
d'où  s'élève  une  double  colonne  d'épaisse  fumée,  s'occu- 
pent à  confectionner  un  philtre;  elles  jettent  dans  le  liquide 
bouillant  des  poignées  de  serpents,  des  crapauds  qu'elles 
écartèlent,  pendant  qu'une  troisième  active  d'un  énorme 
soufflet,  sous  la  cîiaudièi'e  magique,  le  feu  qui  s'entretient 
par  des  tètes  et  des  membres  disloqués  de  jeunes  enfants. 
En  arrière,  un  homme  nu,  couché  sur  le  flanc,  barbu,  éche- 
velé,  semble  attendre  le  sort  qui  l'appelle  à  subir  la  même 
opération,  et  déjà  il  en  reçoit  un  présage  dans  l'attitude 
menaçante  d'un  certain  reptile  arrêté  sous  ses  yeux  et  lan- 
çant vers  sa  personne  un  dard  non  moins  formidable  que 
toute  sa  nature  visible,  formée  du  lézard  par  sa  longue 
queue  squammée,  par  ses  reins  dont  une  suite  d'énormes 
vertèbres  partage  le  double  liémicycle,  et  qui  a  dans  sa  tète 
du  crapaud  et  du  serpent.  Deux  scènes  correspondent  à 
celte  première;  le  spectateur  y  voit  à  sa  gauche  un  étang 
fort  rapproclié  de  la  marmite,  où  de  jolis  enfants,  debout  ou 
assis  au  bord  de  l'eau,  semblent  préposés  à  la  garde  des  gre- 
nouilles ou  crapauds  qui  y  fourmillent.  On  devine  leurs  fonc- 
tions à  l'usage  que  chacun  d'eux  sait  faire  d'un  bâton  dont  on 
les  a  armés,  aux  gestes  par  lesquels  ils  montrent  fort  bien 

pédie  nouvelle,  contre  les  systèines  ut  les  f.iussetés  jetés  par  MM.  Paul 
Lacroix  et  Ferdinand  Denys  dans  les  articles  siiperslitùms,  sciences 
occultes,  etc.  Nous  en  citerions  bien  d'autres...;  mais,  en  conscience, 
pourquoi  attacher  des  noms  capal)les  de  mieux  s'honorer  à  un  livre  qui 
devrait  cire  plus  digne,  et  qui  n'a  pour  lui  ni  l'ordre,  ni  la  méthode, 
ni  la  véritable  érudition?  11  est  impossible  de  digérer  de  telles  études, 
qui ,  en  définitive,  n'a[»portent  aucun  profit  à  l'art  et  ne  servent  de 
rien  à  la  science. 


396  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

que  les  animaux  groupés  sur  le  rivage  ne  doivent  pas  s'en 
éloigner ,  puisqu'ils  sont  l'ingrédient  nécessaire  de  l'opé- 
ration principale.  Par  un  raffinement  de  perfidie,  ces  en- 
fants aux  jolies  petites  poses,  et  qui  semblent  prendre  avec 
une  charmante  naïveté  le  rôle  qu'on  leur  donne,  sont  des- 
tinés eux-mêmes  à  devenir  bientôt  les  victimes  de  ces  hor- 
ribles maléfices  ;  car  à  droite,  autour  d'une  table  dont  les 
plats  contiennent  encore  la  tète  et  d'autres  restes  d'un  en- 
fant de  leur  âge  cuit  pour  ce  détestable  festin,  siège  à  l'aise, 
dévorant  ces  mets  impies,  un  pêle-mêle  de  diables  et  de 
gens  destinés  à  le  devenir.  Femmes  de  toutes  conditions, 
dans  le  costume  de  leur  ordre,  depuis  la  grande  dame 
au  col  monté,  au  riche  vertugadin  et  dont  les  cheveux 
s'élèvent  sur  le  sommet  du  front,  comme  deux  cornes 
indubitables,  jusqu'à  l'humble  bourgeoise  aux  grossières 
étoffes,  sont  là  attablées  et  goûtant  avec  un  air  de  satis- 
faction visible  les  délices  de  ces  ossements  décharnés  qui 
paraissent  aux  mains  de  tous,  et  que  la  plupart  sucent  en- 
core dans  l'extase  de  leur  infernale  gourmandise.  Une  con- 
versation animée  semble  unir  d'étranges  propos  aux  autres 
mérites  d'un  tel  repas. 

Pas  un  homme  ne  s'est  adjoint  à  cette  réunion  féminine. 
Est-ce  une  malice  à  l'adresse  du  sexe,  toujours  admis  de 
préférence  dans  ces  réunions  sataniques?  Nous  l'ignorons, 
mais  il  faut  que  ces  femmes  qui  se  rassasient  ainsi  de 
jeunes  enfants  ne  songent  guère  aux  leurs,  surtout  en 
voyant  près  de  la  table,  dans  l'attitude  d'une  créature  fort 
occupée,  un  chien  ïlévorer  sa  part  de  cette  monstrueuse 
viande;  mais  si  les  hommes  sont  absents,  les  diables  ne 
manquent  pas  ici.  Grâce  à  la  rotondité  de  la  table,  le  peintre 
nous  les  montre  de  tous  leurs  beaux  côtés  :  horribles  faces 
de  bouc  sur  des  corps  de  femme,  corps  velus,  queues  de 
vache  ou  de  porc,  ailes  de  papillons  nocturnes  ou  de 
chauves-souris ,  visages  hagards  où  l'humanité  s'allie  au 
diabohsme  par  un  choix  d'oreilles  et  de  cornes  qui  accu- 


DKMONOLOGIE.  397 

sent  dans  chaque  indi\idii  le  caractère  de  la  bète  dont  il 
tient;  voilà  qui  peut  donner  au  premier  plan  une  idée  pré- 
liniinaii'C  de  ce  qui  va  se  passera  tous  les  autres. 

Le  milieu  du  second  plan  s'enveloppe  des  nuages  ascen- 
dants d'une  fumée  épaisse  qui  s'échappe  de  la  chaudière 
inférieure.  Cette  fumée  se  divise  en  trois  colonnes  de  spi- 
rales dont  l'inégalité  et  les  divagations  laissent  des  espaces 
vides  que  remplissent  à  l'envi  soit  des  sorciers  et  des  sor- 
cières ,  soit  des  personnes  ensorcelées ,  les  unes  trans- 
formées en  diablotins  qui  s'amusent  à  faire  voler  au  bout 
d'un  fil  des  papillons,  lesquels,  on  le  sait,  sont  le  symbole 
de  l'âme  ;  les  autres  traversent  seuls  les  airs,  qu'ils  fendent 
avec  une  indicible  rapidité,  ou  montent  des  chimères  qu'ils 
fouettent  avec  des  nœuds  de  serpents  ;  d'autres  enfin  ont 
enfourché  le  balai  traditionnel,  se  livrant  sur  cette  étrange 
monture  à  des  voyages  aériens,  dans  un  costume  plus  ou 
moins  réchauffant.  Deçà  et  delà,  traversent  l'atmosphère , 
en  retombant  sur  le  sol,  quelques-uns  de  ces  ossements  que 
sans  doute,  dans  la  i-apidité  imprévue  de  leur  départ,  les 
adeptes  avaient  emportés  de  la  table  où  ils  participaient  à 
l'exécrable  régal.  Quant  au  balai  que  nous  voyons  figurer 
ici,  on  l'attribue  à  une  dégénérescence,  créée  par  des  esprits 
peu  respectueux,  du  thyrse  de  Bacchus,  jusqu'auquel  on 
fait  remonter  l'origine  du  sabbat.  Ce  nom,  au  reste,  vien- 
drait de  2a€dJ<os,  nom  phrygien  du  dieu  Sabaz  (Sahazius), 
avec  lequel  le  Bacchus  des  Grecs  et  des  Latins  trouve 
dans  la  mythologie  antique  de  frappants  rapports  d'iden- 
tité (I). 


(1)  En  lisant  l'article  que  M.  Parisot  a  consacré  à  Sabaz  dans  sa  partie 
mythologique  de  la  Biographie  universelle  (t.  LV,  406),  on  reconnaît 
qu'en  effet  ces  assemblées  démoniaques  avaient  précédé  de  longtemps 
l'ère  chrétienne,  et  que  ,  pour  arriver  jusqu'à  nous,  elles  ont  dû  tra- 
verser les  orgies  du  paganisme  et  prendre  l'empreinte  de  ses  impuretés. 
Les  danses  lascives,  mentionnées  dans  les  assemblées  des  païens  ado- 
rateurs de  Bacchus,  se  reproduisent,  on  le  voit,  dans  les  scènes  de  la 
Renaissance  ,  et  nous  savons  très-pertinemment  qu'elles  ne  sont  pas 


398  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

Haine  du  Chris-       Mais  cctte  équitatioii  excentrique  n'est  pas  la  seule  qui 

tianisme,    de   ses  i,         »         i  .    >        *i.' 

vertus,  et  des  in-  étoiinG  daus  ccttc  page  devergonciee.  Au-dessous  et  a  cote 

stitutions sociales.  ,.  ,         ,  »  i  ,  .        .  •  i 

de  ces  cavaliers  des  deux  sexes  enfourchant  tout  ce  qui  leur 
reste  du  sceptre  primitif  du  dieu  des  orgies,  voici  d'autres 
vestiges  de  ces  désordres  où  les  mœurs  étaient  nécessaire- 
ment compromises  autant  que  la  raison.  A  droite,  et  dans  la 
partie  la  plus  élevée  de  notre  estampe,  figure  Satan  assis  dans 
une  sorte  de  trône  qui  ne  lui  laisse  montrer  que  son  buste, 
et  au-devant  duquel  pendent  ses  deux  jambes  de  bouc  ;  sa 
tête  de  chèvre  est  parée  de  quatre  cornes  et  surmontée  d'un 
globe  aux  rayons  lumineux.  Il  est  assisté  par  deux  femmes, 
assises  de  côté  et  d'autre,  tenant  chacune  uii  faisceau  de 
serpents  ;  Tune  est  couronnée  comme  une  reine,  l'autre  a 
un  simple  voile  qui  couvre  sa  tête  et  se  répand  sur  ses 
épaules  ;  toutes  deux  gardent  une  attitude  qui  ne  manque 
pas  d'une  certaine  dignité.  Nous  craignons  bien  que  l'une 
d'elles  ne  soit  une  indigne  parodie  d'un  des  plus  magni- 
fiques passages  des  Livres  saints,  où  la  Sagesse  divine  exalte 
ses  propres  beautés  en  termes  d'une  suavité  charmante  et 
d'une  éloquence  inimitable  (I  )  ;  l'autre  nous  semble  moins 
facile  à  deviner.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  dirait  que  toutes  deux 
représentent  dans  la  différence  de  leur  costume,  ou  très-riche 
ou  assez  simple,  et  une  reine  et  une  femme  de  condition 
plus  modeste,  lesquelles  feraient  encore  là  contribuer  les 
deux  extrêmes  de  la  société  humaine  aux  horreurs  de  ces 
abominables  sorcelleries.  Eu  effet,  au  pied  du  trône,  un  petit 
enfant  tout  nu  est  présenté  à  Satan  par  une  femme  et  par 

étrangères  aux  mœurs  actuelles  de  certaines  sectes  de  libertins  où, 
sans  invoquer  le  diable,  auquel  ces  aveugles  ne  croient  pas,  on  cède  à 
ses  seules  inspirations  en  mêlant  dans  les  orgies  ce  que  la  déhanche 
la  plus  dégoûtante  peut  allier  à  la  plus  révoltante  impiété. 

(1)  Voir  au  ch.  viii  des  Proverbes,  où  se  révèle  toute  la  science  des 
choses  physiques  et  surnaturelles,  telle  que  l'Esprit  de  Dieu  la  donnait 
à  ses  prophètes  plus  de  mille  ans  avant  Jésus-Christ.  Jamais  langue 
humaine  n'a  proféré  un  langage  empreint  d'une  aussi  haute  majesté 
et  d'une  doctrine  aussi  sûre.  On  sait  que  l'Église  a  reconnu  la  Sainte 
Vierge  symbolisée  dans  cette  Sagesse  du  Très-Haut. 


DÉMONOLOGIE.  399 

un  dùnion,  nus  comme  lui;  d'une  main  ils  lui  tiennent 
chaque  bras,  et  de  l'autre  lui  montrent  le  prétendu  dieu 
auquel  il  est  évident  par  leur  pose  qu'ils  veulent  déterminer 
le  pauvre  petit  à  se  consacrer  pour  devenir  bientôt  l'ali- 
ment de  riiomicide  repas  que  nous  avons  vu.  La  mallieu- 
reuse  créature  semble,  du  reste,  ne  céder  que  malgré  elle  : 
une  force  irrésistible  la  maintient  ;  mais  on  voit  bien,  à  la 
tournure  de  sa  tète  baissée,  qu'elle  ne  peut  se  défendre  et 
prévoit  son  sort.  Remarquons  qu'une  tonsure  fort  appa- 
rente couronne  le  sommet  de  sa  tête,  ce  qui  semble  indi- 
quer assez  clairement  ou  une  consécration  dérisoire  au 
maître  cruel  qui  le  condamne,  ou  une  allusion  au  clergé, 
que  les  Vaudois  aimaient  si  peu. 

Quoi  qu'il  en  soit,  cette  infâme  cérémonie  va  se  renou- 
veler, car  de  tels  sacrifices  appellent  des  victimes  nom- 
breuses, et  en  voici  d'autres  qu'un  messager  de  malheur 
entraîne  vers  le  tribunal  où  on  les  attend  :  c'est  une  femme 
échevelée,  les  mamelles  pendantes,  se  crispant  à  cheval  sur 
une  chèvre  dont  elle  serre  les  flancs  de  ses  jambes  et  les 
cornes  de  ses  deux  mains.  L'animal  est  lancé  à  toute  vi- 
tesse au  milieu  d'un  de  ces  nuages  de  fumée  fournis  par  la 
chaudière  du  premier  plan  ;  il  porte  en  croupe  deux  petits 
enfants  dépouillés  de  tout  vêtement,  dont  l'un  passe  ses 
mains  autour  du  corps  de  la  sorcière,  et  l'autre  s'enlace  à 
celui-ci.  Ce  petit  couple  est  sans  doute  de  ceux  que  nous 
avons  vus  faisant  la  garde  de  l'étang  aux  grenouilles,  et, 
en  effet,  si  l'on  se  reporte  vers  eux,  on  les  trouve  espacés 
au  bord  du  gouffre  de  façon  à  laisser  deviner  la  place 
vide  de  deux  ou  trois  autres  qui  y  manquent.  L'un  des 
absents  est  donc  celui  qui  figure  au  plat  du  festin  infernal  ; 
les  deux  autres  s'acheminent  sur  la  chèvre  à  une  même 
destinée.  Observons  ici  que  ce  crime  d'infanticide  fut  très- 
commun  de  la  part  des  sectes  qui  vouaient  leur  haine  à 
l'Église;  la  pensée  d'un  Dieu  enfant  leur  était  hostile,  et  ce 
n'est  pas  sans  y  trouver  une  grande  force  contre  les  philo- 


'lOO  HISTOIKE   DV    SYiMBOLlSME. 

sopiies,  toujours  prêts  à  nier  les  crimes  pourvu  qu'ils  soient 
le  fait  de  leurs  amis,  qu'on  voit  ce  signe  de  guerre  au 
Christianisme  apparaître  si  fréquemment  dans  les  récits  les 
plus  authentiques,  aussi  bien  que  dans  les  légendes  popu- 
laires. Les  annales  judiciaires  n'en  ont  pas  moins  que  la 
Chronique  de  Nuremberg  {]). 

Revenons  à  notre  sabbat. 

Gomme  dans  toutes  les  affaires  où  le  diable  a  ses  entrées 
libres,  l'immoraHté  devait  s'y  classer  à  côté  de  l'assassinat. 
Rien  n'y  ressort  mieux  que  ce  nouveau  caractère  de  la  plus 
basse  corruption  :  voilà ,  à  l'angle  supérieur  du  tableau  et 
à  gauche ,  un  groupe  de  quatre  musiciennes ,  les  unes 
assises,  les  autres  à  genoux,  jouant  de  la  flûte,  de  la  harpe, 
de  la  viole  et  d'une  sorte  de  basson ,  et  que  préside  une 
cinquième  aux  cheveux  encouleuvrés  et  dont  les  doigts 
s'exercent  sur  une  guitare.  Tout  ce  monde-là,  évidem- 
ment, est  encore  de  conditions  différentes,  très-reconnais- 
sables  à. la  variété  des  costumes  féminins;  elles  mènent 
une  de  ces  rondes  infernales  connues  chez  cette  nation  sous 
le  nom  de  grand-mezcle,  et  dont  la  condition  unique,  mais 
essentielle  ,  est  pour  elles  d'être  entièrement  nues  et  d'ex- 
primer le  plus  élionté  libertinage.  Elles  ont  pour  pendant, 
à  droite  et  non  loin  du  tribunal  de  Satan  indiqué  naguère , 
une  autre  danse  de  même  caractère  où  des  femmes,  alter- 
nativement habillées  ou  non,  sont  mêlées  avec  aussi  peu  de 
retenue  à  des  démons  ailés   affectant  la  forme  humaine 
ou  celle  des  satyres;  enfin,  en  revenant  aux  premières 
danseuses,  nous  remarquons,  au-dessous  du  plan  qu'elles 
occupent,  une  sorte  d'assemblée  fort  nombreuse  où  les 
deux  sexes  conservent  toutes  les  convenances  de  leur  cos- 
tume habituel  et  complet;  seulement  on  voit  bien  s'élever 

(1)  QAÎ.Chronic arum  Liber  cumfiguris  et  imaginibusMichaelis  Wol- 
gemuth  etWillelmi  Pleydeiiwurt,p8r  magistrum  Harman  Schedel,  doo 
torem  Patavinum ,  Nurebergensem,  p.  gcli  et  cclii,  in-fo,  Nurem- 
berge, 1493. 


DÉMONOLOGIE.  A0\ 

au-dessus  de  la  foule  quebjues  paires  de  cornes  et  certaines 
poitrines  découvertes  qui  témoignent  assez  que  le  diable 
s'en  mêle,  et  que  les  conversations  qu'on  écoute  de  lui  et  de 
ses  suppôts  avec  une  complaisance  visible  se  rapportent  à 
des  choses  de  haute  importance.  La  princesse,  avec  son  luxe 
d'atours  recherchés ,  la  paysanne ,  coiffée  de  sa  simple 
cornette,  la  boui'geoise  en  robe  retroussée,  sont  une 
fois  de  plus  convoquées  à  cette  réunion,  destinée  peut-être 
par  le  peintre  à  démontrer  que  toutes  les  classes  partici- 
pent avec  plus  ou  moins  d'entrain  à  ces  funestes  œuvres 
de  la  magie  noire.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  jeunes  enfants 
signalés  plus  haut  dont  les  vêtements  ne  trahissent  ou 
l'humble  état  ou  l'aisance  des  parents  auxquels  sans  doute 
on  les  a  ravis.  Il  y  a  plus  :  des  costumes  indiquent  parfois , 
au  milieu  de  ceux  qu'alors  on  portait  dans  la  France  de 
Charles  VIII ,  de  Louis  XII  et  de  François  I" ,  d'autres 
modes  qui  rappellent  des  peuples  étrangers  :  ainsi  on  voit 
en  première  hgne ,  parmi  les  rangs  de  cette  assemblée 
mondaine  qui  nous  semble  figurer  le  monde  avec  son  plus 
ou  moins  de  participation  à  l'œuvre  diabolique ,  on  voit , 
disons-nous  ,  deux  personnages ,  homme  et  femme  ,  dont 
le  costume  espagnol  trahit  nettement  dans  le  peintre  une 
intention  arrêtée.  Ainsi,  on  ne  peut  douter  que  cet  ensemble 
d'épisodes  si  divers ,  mais  tous  parfaitement  reliés  à  l'idée 
principale,  ne  soit  un  programme  complet  de  la  démono- 
manie  à  Vusage  de  tous  les  peuples  et  de  toutes  les  condi- 
tions sociales. 
Il  n'en  résulte  pas  moins,  quant  à  nos  études,  que  celle        conséquences 

*  ^  '     -^  morales  qm  en  de- 

qui  nous  occupe  dans  ce  chapitre  a  de  fortes  raisons  dans  la   coulent,  et  ses rap- 

*  ^  ^  ports  avec  le  sym- 

croyance  catholique  au  diable,  dans  ses  manifestations  per-   boiisme  démono- 

*'  1  .  '  r  logique, 

sonnelles  et  dans  l'enseignement  théologique  des  temps  chré- 
tiens. Cette  bizarre  représentation  que  nous  venons  d'ana- 
lyser dans  ses  moindres  détails  n'est  que  la  reproduction 
évidente  de  tant  de  scènes  démonologiques  de  nos  églises, 
qui ,  pour  y  être  écrites  moins  largement ,  n'en  sont  pas 
T.  ni.  26 


402  HISTOIRE    DU  SYMBOLISME. 

moins  les  fréquentes  redites  de  ce  que  la  loi  apprenait  à 
nos  pères  sur  le  purgatoire  ou  l'enfer.  Si,  dans  ces  siècles 
profondément  religieux,  le  peuple  avait  su  lire;  si  les  grands, 
qui  ne  le  savaient  guère  mieux  que  lui,  eussent  pu  chercher 
ailleurs  la  science  des  choses  éternelles ,  nous  ne  les  ver- 
rions pas  aujourd'hui  au  nomhre  de  celles  qu'on  étudie  à 
grand'peine  et  que  tant  d'incrédules  discutent  encore.  Tou- 
jours est-il  qu'on  ne  devra  jamais  confondre  l'origine  de 
ces  deux  catéchèses ,  dont  l'une  fut  longtemps  très-popu- 
laire au  profit  du  bien,  l'autre  ne  lui  succédant  si  généra- 
lement que  parce  que,  semblable  en  tout  au  génie  fatal  qui 
l'inspirait ,  elle  tendait  à  patroniser  son  pouvoir  au  moyen 
d'une  usurpation.  C'est  pour  avoir  méconnu  la  première 
que  la  seconde  règne  seule  aujourd'hui  sur  le  monde ,  fa- 
çonné par  la  main  des  factions  impies. 
et  avec  l'immora-       Eli  réfléchissaiit  sur  cc  tableau  de  la  Renaissance,  on  y 

lité       de       notre  ,  i     •       ,         i 

temps.  voit  le  germe  des  maux  qu  elle  nous  a  laisses  :  les  princes 

qu'elle  avait  corrompus  abandonnèrent  la  piété  catholique 
en  abdiquant  la  pureté  des  mœurs;  en  faillissant  à  l'Église, 
ils  apprirent  aux  peuples  à  ne  l'aimer  plus  autant,  et  de 
jour  en  jour  ils  en  sont  venus  à  no  pas  valoir  mieux  les 
uns  que  les  autres.  Ces  modes  désordonnées;  ces  lascivetés 
impies;  cet  homicide  des  âmes  dans  ia  personne  des  enfants, 
symboles  de  charmante  innocence  et  d'irréprochable  vertu  ; 
ces  danses  sans  pudeur,  ces  idolâtries  du  dieu  Satan  que 
suivent  et  propagent  à  l'envi  les  écervelés  du  pouvoir  ou 
la  foule  stupide  qui  les  imite  ,  tout  cela  n'était-il  pas 
comme  une  sorte  de  prophétie  où  se  reflétaient  d'avance 
les  habitudes  sensuelles ,  les  nudités  systématiques ,  les 
lubriques  plaisirs,  la  perversion  méthodique  et  gouver- 
nementale des  esprits  et  des  cœurs  ?  Oh  !  grands  philosophes 
de  notre  siècle ,  vous  faites  le  mal  en  niant  qu'il  existe  ; 
vous  n'aspirez  qu'à  une  vie  de  matériahsme  et  de  péchés 
capitaux  !  Vous  riez  des  esprits  mauvais  et  de  leur  chef, 
dont  vous  activez  d'autant  plus  le  triomphe!   C'est  que 


DÉMONOLOGIE.  403 

VOUS  uc  savez  rien  un  (iiie  vous  a^ez  tout  oublié!  Endor- 
mez-vous dans  ces  suprêmes  bonheurs  de  riiidifférence  et 
du  mépris,  jusciuà  ce  ([ue  ces  pierres  suspendues  à 
vos  regards  et  à  qui  vous  refusez  un  langage  prennent 
une  voix  pour  nous  confondre  et  s'ébranlent  pour  vous 
[)unir  ! 


CHAPITRE  XI. 


DES  OBSGŒNA. 


Jugements  er-      Après  tciiit  dc  tralts  saillaiits  de  sa  vie  intime  et  publique, 

roués  sur  ce  sujet.  ,  o    *  ti        i. 

nous  n  en  avons  pas  fini  encore  avec  Satan.  Il  est  un  genre 
de  prédication  que  l'art  chrétien  devait  tirer  de  ses  habi- 
tudes perverses,  et  qu'il  fallait  répéter  à  satiété  pour  mieux 
en  exprimer  l'horreur.  Nous  arrivons  au  point  de  notre 
travail  où  ces  grands  mystères  d'iniquité  si  peu  connus,  si 
mal  compris,  se  ré  vélei'ont  enfin  sous  leur  véritable  jour  ; 
le  temps  doit  être  passé  où  l'ignorance  croyait  bien  faire 
de  se  scandaliser,  heureuse  d'avoir  une  grave  animadver- 
sion  de  plus  pour  ses  attaques  envers  l'Église.  Combien 
cependant,  naguère  encore,  accusant  le  douzième  siècle 
d'une  dépravation  «  poussée  à  un  degré  incroyable,  »  au- 
raient dit,  avec  un  encyclopédiste  du  dix-huitième,  un  ana- 
thème  complet  «  aux  livres  de  dévotion ,  aux  ornements 
des  temples  et  des  chaires,  dont  les  peintures  et  les  sculp- 
tures étaient  si  obscènes  qu'on  serait  scandalisé  aujour- 
d'hui d'en  rencontrer  de  pareils,  même  dans  les  mauvais 
lieux  (1)  !  ))ÎVoilà  ce  que  c'est  :  les  faibles  se  scandalisent  ! 

(1)  Ces  belles  phrases  sont  élaborées  par  Sulzer  dans  sa  Théorie 
générale  des  beaux-orls,  dont  un  fragment  fut  inséré  dans  VEncydo- 
pédie  de  Diderot,  t.  111,  p.  470,  in-4°.  Sulzer  était  un  homme  de  talent, 
mais  jugeant  de  telles  choses  à  son  point  de  vue  luthérien,  outre  les 
préjugés  qu'il  empruntait  à  une  époque  aussi  éloignée  du  moyen  âge 
que  nous  le  sommes  de  la  primitive  Église.  —  Et  voilà  pourtant  les 
maîtres  que  le  public  de  notre  temps  a  crus  sur  parole,  et  dout  l'in- 
fluence inspire  aujourd'hui  les  jugements  sur  cette  matière  du  plus 
grand  nombre  des  érudits. 


DES  OBSCOENA.  405 

Pour  s'éviter  un  tel  inconvénient,  il  aurait  fallu  vouloir 
bien  apprécier  tout  d'abord  l'esprit  de  cette  Église  tant 
calomniée,  et  ensuite  juger  sans   prévention  arrêtée  les 
temps  qu'elle  a  traversés,  le  génie   des  peuples  qu'elle  a 
dirigés,  et  les  résultats  de  cette  direction  par  rapport  aux 
mœurs  et  aux   idées  de  ciiaque  époque.  On  se  serait  con- 
vaincu dès  lors  que  cette  dépositaire  la  plus  digne  et  la  plus 
élevée  de  toute  morale  n'avait  point  méconnu  la  Sagesse 
divine  qui  l'inspire,  et  que  les  populations  confiées  de  Dieu 
à  ses  maternelles  sollicitudes,  loin  de  souffrir  d'un  prétendu 
relâchement,  n'avaient  trouvé  sous  tant  de  formes  plasti- 
ques injustement  décriées  que  des  leçons  du  bon  et  du  bien 
aussi  profondes  que  sérieuses.  Ce  que  nous  avons  dit  du 
Cantique  de  Salomon  peut  s'appliquer  parfaitement  à   ce 
que  nous  allons  examiner  dans  ce  chapitre  ;  mais  avant  tout 
nous  devons  raisonner  sur  le  fond  des  touchantes  répu- 
gnances exprimées  avec  tantde  persistance  par  nos  puritains 
de  la  libre  pensée.  Ce  que  nous  avons  à  en  dire  servira 
après  tout,  en  temps  et  lieu,  à  raisonner  sur  toutes  les  ques- 
tions de  ce  genre. 


11  faut  admettre  avant  tout,  comme  une  vérité  incontes-     La  retenue  du 

langage  humain 
proportionnée  '( 
la  dépravation  des 
mœurs.  —  Origin* 
,        ,      ,  .       de  ce  sentiment, 

du  langage,  comme  la  convenance  et  la  reserve  des  iiabi- 


.  langage     humain 

table  appuvée  sur  les  plus  sévères  observations  de  l  his-  proportionnée    à 

^  ^      "  *■  ^  la  dépravation  des 

toire,  que  ce  qu'on  appelle  aujourd'iiui  la  pureté  morale  mœurs.— origine 

*^  -         .      -   .  de  ce  sentiment. 


tudes  privées  ou  publiques,  ne  s'est  formulé  en  règles  aus- 
tères et  précises  que  graduellement  et  en  proportion  que 
les  mœurs  ont  subi  les  atteintes  successives  qui  les  ont 
amenées  jusquà  la  décadence  où  nous  les  voyons  depuis 
trop  longtemps.  Cette  considération  vient  encore  prouver  la 
justesse  et  la  véracité  de  la  Genèse  quand,  après  avoir  ra- 
conté la  désobéissance  des  deux  premiers  époux,  elle  ajoute 
qu'aussitôt  «  leurs  yeux  s'ouvrirent,  ils  s'aperçurent  d'une 
nudité  qui  jusque-là  ne  les  avait  point  embarrassés,  et  ils 
se  firent  des  vêtements.  »  Et  encore  cette  première  in- 
dustrie de  la  pudeur  mi  leur  parut-elle  qu'insuffisante , 


406  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

puisque  bientôt  après  ils  se  cacliaient  aux  approclies  de 
Dieu,  et  rougissaient  devant  lui  de  leur  nudité  (\). 

Mais  à  côté  de  cette  honte  salutaire,  qui  devenait  une  sau- 
vegarde pour  l'avenir  contre  les  emportements  des  passions 
charnelles,  naquit  en  môme  temps  la  sainte  retenue  qui 
préludait  au  sixième  commandement,  jeté  dès  lors  en  germe 
dans  le  cœur  humain  :  retenue  qui,  n'ayant  pas  suffi  contre 
la  corruption  et  ses  excès,  dut  être  formulée  nettement  par 
le  législateur  du  Sinaï  comme  une  des  plus  importantes  pré- 
servations de  la  société  nouvelle  :  de  là,  dans  les  idées  sociales 
comme  dans  le  plus  intime  sentiment  des  deux  sexes,  un 
respect  naturel  pour  la  chasteté  ;  de  là  les  moyens  de  protec- 
tion qu'elle  reçut  partout  en  face  des  dangers  que  la  nature 
corrompue  lui  offrait  de  toutes  parts.  Ces  moyens  durent  être 
secondés  par  les  morahstes,  et  il  n'est  personne  qui  n'ait  lu 
souvent  et  admiré  l'éloge  aussi  doux  que  magnifique  épanché 
dans  le  livre  de  /a  Saçjesse  par  l'Esprit  divin  sur  cette  «  famille 
des  chastes  qui  brille  d'une  si  pure  splendeur  aux  regards 
de  Dieu  et  des  hommes  (2).  »  Or  il  faut  bien  croire  que  ces 
leçons  furent  entendues,  et  qu'en  présence  môme  des  trop 
nombreuses  exceptions  dont  la  race  d'Adam  subit  toujours 
plus  ou  moins  les  tristes  entraînements,  l'estime  et  la  pra- 
tique delà  vertu  durent  cependant  se  propager  et  se  main- 
tenir :  de  là  cette  retenue  du  langage  qui  n'admettait  pas 
d'exprimer  ce  qu'il  ne  fallait  pas  faire  ;  de  là  môme,  et  à 
plus  forte  raison,  cette  modestie  secrète  de  la  pensée  et  des 
habitudes  dont  les  intimes  rapports  avec  les  sens  conmian- 
daient  forcément  la  prudence  discrète  et  la  prévoyante 
circonspection.  Ces  règles  furent,  à  divers  degrés,  de  tous 

(i;  ((  Et  upcrti  suiit  ociili  amboiuiii;  cumque  coguovisseiit  se  esvse 
riudos,  coiisuerunt  fulia  (icuri  et  feceruut  .-^ibi  perizomata...  Yocavitqne 
Domicus  Adam,  qui  ait  :  Timui  eo  qnod  nudus  essem,  et  .'bscondi 
me.»  {Gen.,  ii\,  7  etseq.) 

(2)  «0  quaia  puiclira  est  casiu  gencralio  cuiii  cla;jia!e  !  Iiajuortalis 
est  enim  mcmoria  illius.  qnuiiiain  et  apiid  Denm  nota  est  et  apud  ho- 
mines.  »  (Snp.,]v,  l.) 


DES   OBSCŒNA.  407 

les  temps  et  chez  tous  les  peuples  ;  sans  elles,  on  n'eût  \u 
que  désordres  dans  le  monde  et  confusion  dans  la  société, 
où  la  famille  ne  se  fût  jamais  constituée. 
Et  c'est  pi'écisénient  de  ces  rè"rles  vénérables,  toutes  d'ins-  modifié  uécessai- 

"  rement  par   quel- 

titution  divine,  que  les  sa^es  durent  se  faire  un  rempart  ques  besoins  d« i» 

vie  sociale, 

contre  l'irruption  de  toute  pensée  déslionnète  dans  l'exposé 
ou  dans  la  discussion  de  certains  faits  matériels  qui  durent 
entrer  bientôt  dans  le  domaine  delà  science.  La  théologie, 
ne  fùt-elle  encore  que  la  simple  morale  naturelle  ;  la  mé- 
decine considérée  comme  science  pratique  ou  spéculative  ; 
l'esprit  humain  tout  seul  livré  à  ses  méditations  dans  ses 
rapports  de  conscience  avec  la  vertu,  eurent  besoin  d'ex- 
poser des  principes  dont  l'énoncé  n'était  pas  possible 
sans  des  termes  technicjues  et  spéciaux,  sans  des  idées  pro- 
pres et  déterminées.  Personne  donc  n'eut  à  s'effaroucher  de 
telles  choses  traitées  delà  sorte  et  par  de  tels  motifs.  Ainsi, 
l'àme  la  plus  honnête  dut  se  familiariser  avec  un  ordre 
d'idées  qu'elle  n'acceptait  que  dans  un  but  d'utilité  incontes- 
table. 
Mais  à  mesure  (jue  les  mauvais  penchants  élargirent  le  mais    ramené  à 

une    plus  grande 

chemin  du  vice,  et  que  la  pasion,  plus  envieuse  de  satis-  sévérité   par   u 

dépression        des 

factions  sensuelles,  s'en  préoccupa  jusqu'à  les  cherciier,  à  mœurs. 
défaut  des  faits  coupables,  dans  le  langage,  les  livres  ou  les 
égarements  de  la  rédexion,  les  habitudes  s'imposèrent 
nécessairement  plus  de  ménagements,  le  langage  affecta 
plus  de  délicatesse,  et  la  naïveté  primitive  s'effaça.  Les  crimes 
qui  avaient  amené  le  déluge  reparurent  bientôt  après  la 
dispersion  des  enfants  de  Xoé,  et  c'est  de  cette  époque  sur- 
tout qu'il  faut  dater  la  rechute  des  hommes  et  les  religions 

idola triques  nées  de  cette  seconde  rébellion.  La  grossièreté    superstitions  im- 
pures des  fau>se3 

des  mœurs,  suite  indispensable  de  l'oubli  de  Dieu,  s'accusa  reii-ions  de  ro- 

rlent,  contrastant 

plus  nettement  chez  les  nations  orientales,  dont  la  pensée  avecia  simplicité 

T     •  ,,,,.,,  1  HT      1  *^®  quelques   pcu- 

religieuse  dégénéra  jusqu  a  consacrer,  comme  dans  1  Inde,  pics  primihfs. 
l'Egypte  et  la  Syrie,  les  symboles  les  plus  étranges  à  la  véné- 
ration populaire.  Plus  touchés  de  leur  existence  terrestre 


408  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

que  d'aucun  autre  sentiment,  on  vit  ces  peuples  porter  en 
procession  avec  les  plus  grandes  marques  de  respect  les 
deux  organes  qu'ils  regardaient  comme  le  principe  de  la  vie. 
C'était  pour  eux  le  dieu  Chib ,  et  devant  lui  les  assistantes 
s'évertuaient  aux  postures  les  plus  indécentes.  Il  y  avait  loin 
de  ces  lascive  tés  superstitieuses  aux  naïves  amours  des  pa- 
triarches, aux  simples  et  naturelles  narrations  des  faits 
bibliques  en  quelques  chapitres  de  la  Genèse ,  et  au  bain 
d'Ulysse,  préparé  et  soigné  dans  tous  ses  détails  par  la  vieille 
Eurynome  (^).  A  cette  môme  époque,  ne  voit-on  pas  aussi 
«  le  jeune  Télémaque  conduit  au  bain  par  la  belle  Poly caste, 
la  plus  jeune  des  filles  de  Nestor,  »  puis  après  «  l'eau  pure 
et  les  parfums  précieux  qu'elle  répand  sur  lui,  »  n'est-ce  pas 
elle  encore  qui  «  le  revêt  d'une  fine  tunique  et  d'un  riche 
manteau  (2)  ?  »  Athénée,  comme  le  remarque  Bitaubé,  cite 
cet  usage  inséparable  de  l'hospitalité  comme  une  preuve  de 
la  pureté  des  mœurs  honorée  à  Pylos  (3).  Ainsi ,  pour  que 
les  mères  se  fussent  décidées  à  suspendre  le  Chih  susdit  au 
cou  de  leurs  enfants  contre  de  certains  maléfices ,  et  à  le 
porter  elles-mêmes  pour  obtenir  la  fécondité  ,  il  fallait  bien 
que  ces  remèdes,  que  ces  objets  de  parures  ne  blessassent 
en  rien  l'honnêteté  publique  (4).  On  en  était  venu  là ,  et  dès 
lors  on  pouvait  ne  plus  se  gêner,  et  de  telles  étrangetés  n'in- 
fluaient en  rien  sur  les  habitudes  de  la  vie  morale.  Si  des 
païens  peuvent  demeurer  calmes  devant  ces  spectacles  au 
moins  scabreux ,  à  plus  forte  raison  les  Juifs  adorateurs  du 
vrai  Dieu ,  mais  accoutumés  à  voir  professer  de  telles  singu- 
larités chez  les  nations  de  leur  voisinage  (ri). 

(1)  Voir  Odyssée^  ch.  xxiii. 

(2)  Ibid.,  ch.  III. 

(3)  Voir  Bilaubé^  Odyssée,  t.  1,  ch.  m,  et  les  notes  correspondautes. 

(4)  Voir  Mémoires  de  V Académie  des  sciences  de  Tovlovse,  t.  I, 
p.  110,  iD-40,  1782.—  Ezour  Vedam,  I,  p.  '23,  33  et  88,  éd.  in-12,Iver- 
dun,  1773. 

(5)  «  Manus  Doiuini  Azolhios  percnssit  in  secretiori  parte  natiiim... 
Et  posuenmt  arcam  Dei  super  plauytrum  et  capsellam,  quai  habebat 
^imilitudinesanorum...  »  (  I  Pieg.,  v  et  vi,  passini.) 


DES  OBSCŒNA.  409 

On  sait  l'histoire  des  anus  d'or  racontée  au  premier  livre 
des  Rois,  et  comment  les  Piiilistins,  frappés  de  Dieu  par  une 
maladie  intestinale  et  une  irruption  de  rats  qui  dévoraient 
tout,  en  punition  de  la  violation  de  l'Arche,  n'obtinrent  leur 
guérison  qu'en  offrant  en  sacrifice ,  avec  la  représentation 
de  ces  animaux,  celle  de  la  partie  oi!i  ils  souffraient  (I). 
L'histoire  profane  raconte  une  particularité  toute  semblable 
des  Athéniens,  qui,  ayant  mal  reçu  les  mystères  de  Bacchus, 
furent  affligés  par  ce  dieu  d'une  maladie  honteuse ,  dont  ils 
ne  se  guérirent  qu'en  portant,  en  l'honneur  du  dieu,  des 
figures  obscènes  conseillées  par  l'oracle  (2).  On  voit  assez 
par  ces  figures  ce  que  devaient  être  les  mystères  d'un  tel 
dieu.  Mais  nous  voyons  aussi,  par  les  œuvres  de  nos  propres 
ancêtres,  avec  quelle  bonhomie  ils  travaillèrent  ces  mêmes 
sujets  bibliques.  La  Bible  hlstoriale,  manuscrit  français  du 
quinzième  siècle,  conservé  à  la  Bibliothèque  Richelieu  (3) , 
montre,  dans  une  de  ses  miniatures,  quatre  Philistins  dont 
les  rats  dévorent  les  naches  [nales]^  et  le  texte  ,  sur  lequel 
nous  aurons  occasion  de  revenir,  indique  sous  ce  symbo- 
lisme ceux  qui  «  l'idole  de  péché  aourent,  et  Dieu  se  cour- 
rouce à  eulx ,  et  les  lessa  pourrir  en  vils  et  ords  crimes  qui 
ne  sont  mie  à  nommer.  »  De  leur  côté,  les  Prophètes,  dans 
les  énergiques  reproches  qu'ils  adressent  au  peuple  de  Dieu, 
invoquent  les  comparaisons  dont  nous  nous  garderions  fort 
aujourd'hui  :  témoin  entre  autres  le  chapitre  xvi  d'Ézéchiel, 
où  Dieu  expose  à  la  fille  de  Sion  avec  quelle  miséricorde 
paternelle  il  l'avait  relevée  de  l'abjection  de  ses  premiers 
jours.  Les  termes  de  cette  comparaison  sont  des  plus  vifs, 
des  plus  rebutants,  à  en  juger  d'après  nos  idées  actuelles  ; 
mais,  pour  n'appeler  ici  qu'un  témoignage ,  et  certes  des 


Idée  et  usage 
des  peuples  de  Ja 
Palestine  sur  co 
point. 


Langage  du 
Prophète  con- 
forme à  ces  usa- 
ges. 


Remarquable  ré- 
flexion de  Voltaire 
à  cet  égard. 


(1)  Voir  Dom  Calnet  cl  Smcliez  in  h.  loc.  —  N'était-ce  pas  là  udc 
contrefaçon  de  l'histoire  biblique  des  habitants  d'Azoth? 

(2)  Voir  Diodore  de  Sicile,  cité  par  Sabbathier,  Z^ic/tVmn.  des  auteurs 
class.,  t.  XXXV,  p.  2in. 

(3)  F"  60.  r«,  n"  1  et  2. 


4iO  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

moins  suspects ,  en  faveur  d'une  telle  littérature,  nous  cite- 
rons un  des  plus  audacieux  profanateurs  des  pages  bibli- 
ques pris  dans  un  de  ses  bons  moments,  et  qui  pense  abso- 
lument comme  nous  à  cet  égard.  «  Ces  images,  dit  Voltaire, 
nous  paraissent  licencieuses  et  révoltantes  :  elles  n'étaient 
alors  que  naïves  ;  il  y  en  a  trente  exemples  dans  le  Cantique 
des  Cantiques ,  modèle  de  l'union  la  plus  cbaste.  Remarquez 
attentivement,  poursuit-il,  que  ces  expressions,  ces  images 
sont  toujours  très-sérieuses ,  et  que  dans  aucun  livre  de 
cette  haute  antiquité  vous  ne  trouverez  jamais  de  railleries 
sur  le  grand  objet  de  la  génération.  Quand  la  luxure  est 
condamnée,  c'est  avec  des  termes  peu  propres,  mais  ce  n'est 
jamais  ni  pour  exciter  la  volupté,  ni  pour  faire  la  moindre 
plaisanterie.  Cette  haute  antiquité  n'a  rien  ni  de  Martial, 
ni  de  Catulle,  ni  de  Pétrone  (i).  » 
Cynisme  de  la       Cette  obscrvatiou  est ,  en  effet ,  de  la  plus  grande  justesse. 

littérature    et    de  i  t  p 

l'art  des  anciens,  Lgs  autcurs  païcus  sout  dégoûtauts  de  crudités  aiireuses  : 

tout  inspirés  par  i       i        t  i  j         ,     •    >  i> 

leapasiions.  c'cst  pour  le  plaisu'  coupablc  de  dire  des  obscénités  et  d  en 
rassasier  avec  eux  des  lecteurs  plongés  dans  les  débauches 
de  leur  temps  qu'ils  abordent  certains  sujets  dont  un  esprit 
décent  n'a  que  faire.  TibuUe  ,  Catulle ,  Pétrone  ,  Martial , 
Ovide  et  autres  gens  de  cette  famille  éhontée  ne  se  vautrent- 
ils  pas  pour  le  plaisir  de  le  faire,  et  comme  des  pourceaux, 
dans  la  fange  de  leur  httérature  immonde?  Les  artistes 
de  ces  âges  antiques  ne  valurent  pas  mieux  très-souvent , 
et  il  est  clair  que  leurs  statues  de  dieux  et  de  déesses,  nus 
jusqu'au  cynisme  des  représentations  les  plus  provocantes , 
n'avaient  pour  ])ut  que  de  favoriser  de  honteuses  prostitu- 
tions. Vénus,  Pan,  Priape,  ce  dernier  surtout  dont  on  n'avait 
d'abord  institué  les  honneurs  divins  que  pour  symboliser  la 
génération  et  la  propagation  éternelle  de  l'espèce  humaine  (2) , 
enfin  tous  les  satyres  du  monde,  sans  compter  les  scènes 


^1)  Quesl/ions  stir  r Encyclopédie,  v»  emblème. 

(2)  Parisot,  MijUiologic  dans  la  Biogqaphie  imiverscllc  de  Michand. 


DES   OBSCŒNA.  AU 

niythologiffues  où  se  perpétuaient  les  amours  de  ce  que 

Lucien  appelait  la  canaille  céleste,  ont  toujours  fait  rougir 

la  vertu,  et  si  ce  sentiment  était  pour  quelque  chose  dans  le 

cœur  des  mères  de  l'aniille  de  Rome  et  de  la  Grèce,  on  ne 

voit  guère  cependant  que  ces  insolences  leur  déplussent,  au 

moins  pour  leurs  jeunes  enfants,  et  qu'elles  cherchassent 

à  en  détourner  leurs  regards. 

Peut-être  alors  l'habitude  créait-elle  une  espèce  d'in-      L'habitude  fa- 
miliarisait    alors 
différence,  ou  bien  de  telles  erreurs  du  sens  moral  n'ajou-  avec  los   objets 

d'art,  qu'elle  rend 

taient  rien  à  une  corruption  dont  on  ne  préservait  pas  moins  dangereux? 
même  l'âge  le  plus  tendre,  au  témoignage  d'un  certain 
passage  de  VAne  d'or.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que,  plus  ou 
moins  suivie,  la  chasteté  avait  (lussi  de  quoi  commander 
le  respect,  puisque  ces  nudités  sans  aucun  voile  figuraient 
alors,  comme  nous  le  verrons  plus  tard,  à  l'école  chré- 
tienne, dans  quelques  monuments  où  la  vertu  était  mise 
en  lionneur.  C'est  ainsi  (]ue  sur  une  urne  sépulcrale, 
découverte  et  publiée  par  Mautfaucon,  un  bas-relief  d'une 
exécution  très-remarquable  indique  une  femme  attaquée, 
en  présence  de  son  mari  et  de  ses  serviteurs ,  par  un 
audacieux  criminel  que  ceux-ci  ^iennent  de  terrasser 
et  s'apprêtent  à  punir  du  glaive  qu'il  a  trop  bien  mérité. 
Tous  ces  iiommes  sont  nus  à  la  manière  antique  ,  sauf  la 
feuille  de  liguier  dont  le  sculpteur  ne  les  a  point  privés  ; 
mais  i-ien  ne  protège  la  pudeur  de  la  femme  ,  qui  fuit  visi- 
blement toutefois  aux  ])ras  de  son  époux  qui  la  protège;  et 
celui-ci,  ({ui  lui  a  survécu,  en  faisant  représenter  cette 
action  sur  la  pierre  funéraire,  l'a  surmontée  d'une  inscrip- 
tion qui  célèbi'e  la  pudicifé  incomparable  et  la  singulière  mo- 
destie de  Li villa  llarmonia  (1).  Un  éloge  si  explicite  d'une 
vertu  si  estimable  eût  contrasté  singulièrement  avec  la  mo- 
destie de  la  jeune  femme,  exposée  d'une  tout  autre  manière 
que  nous  ne  le  ferions  aujoui^'liui,  si  la  vertu  eût  été  ])iessée 

(Ij  }\on\.{<xy\inn\,  Anliquilc  e.i:pliqnée,y ,  90.  pi.  l.xxiii. 


4^2  HISTOIRE   DU  SYMBOLISME. 

alors  par  de  telles  images  ;  et  il  faut  ajouter  que ,  dans  une 
foule  de  marbres  du  môme  genre,  on  ne  s'embarrasse  plus 
des  vêtements  ou  môme  des  plus  simples  voiles.  Une  preuve 
bien  plus  saillante  que  la  modestie  n'en  était  en  rien  bles- 
sée, c'est  que  les  premiers  artistes  chrétiens  ne  songèrent 
témoin  les  pein-  nullement  à  modifier  cette  méthode.  Les  murs  des  cata- 
combes,^* "^^  *  combes  reproduisent  le  plus  souvent  les  Prophètes,  les  trois 
enfants  de  Babylone  dans  une  complète  nudité  qui  n'offus- 
que pas  le  regard;  si  Adam  et  Eve  y  ont  quelque  appendice, 
c'est  comme  un  souvenir  de  leur  première  ceinture  du 
paradis  terrestre.  Mais  la  différence  entre  les  chrétiens  et 
les  païens  sur  cette  matière  n'en  existe  pas  moins  dans  les 
mœurs ,  qui  d'un  côté  gardaient  toute  la  corruption  d'une 
nature  dégradée,  et,  de  l'autre,  élevaient  jusqu'à  la  gloire 
du  martyre  l'honneur  de  la  virginité, 
et  les  écrits  des       Lcs  lubncités  dc  la  vie  païenne,  la  sainte  vertu  des  fidèles 

Pères  de  l'Église.  i       i  i  •         i  )       i 

étaient  donc  un  double  sujet  d  exhortations  ferventes  ou 
de  sévères  invectives  de  la  part  des  Pères  et  des  écri- 
vains ecclésiastiques  des  premiers  temps  ;  et  dans  ces  élo- 
quentes attaques ,  ils  suivaient  le  génie  de  leur  temps  et 
n'avaient  pas  plus  honte  des  termes  que  les  infidèles  ne  rou- 
gissaient de  leurs  actions.  S.  Jean  Ghrysostome  a  des  homé- 
lies où  l'expression  du  vice  qu'il  réprouve  est  nue  et  toute 
naïve.  Dans  l'une  d'elles,  il  va  jusqu'à  comparer  l'avare  pos- 
sédant tout  sans  en  jouir  à  une  sorte  d'impudique  inassouvi, 
dont  personne  ne  réprouvait  en  ce  cas  la  mise  en  scène  (i). 
Quoi  de  moins  caché  dans  ce  même  Père  que  l'étonnement 


(1)  «  QusB  igitur  est  diviliarum  voluptas?  Ego  molestias  video.  Et 
quse  molestiae  ?  inquies.  ^terna  sitis  et  dolor.  Num  si  quis  puellam 
complectatur,  nec  concupiscentiam  explere  possit,  extremo  dolore  cru- 
ciatur  ?  sic  etiam  dives  rerum  quidam  eopiam  habet,  illamque  com- 
plectitur,  cupiditatem  vero  suam  explere  nequit,  sed  item  coDtingit 
quod  ait  vir  sapiens  {EccL,  xx,  2)  :  (?Gupiditas  eumiclii  virginitatis  flo- 
»  rem  puellae  eripit.  Sicut  eunaclius  virginem  amplexus  ingemiscit, 
»  sic  divites  omnes.  »  (S.  Glirys.,  Homil.  Lxxxiii  in  Matlh.,  t.  VII, 
p.  793.) 


DES  OBSCOENA.  443 

qu'il  témoigne  en  termes  si  évidents  de  la  naissance  humaine 
du  Fils  de  Dieu  (  i  )  ?  Devant  un  tel  prédicateur  que  diront  les 
savants,  qui  n'ont  pas  eu  assez  d'anatlièmcs  contre  ceux 
beaucoup  moins  osés  du  seizième  siècle ,  Barlette,  le  petit 
père  André,  et  surtout  le  jésuite  Garasse  à  qui  ils  en  veulent 
bien  moins  qu'à  sa  Compagnie  ?  S.  Épiphane  dévoile,  en  les 
énumérant,  les  plus  détestables  infamies  des  gnostiques  : 
«  Pourquoi  craindrais-jc  de  dire  ce  que  vous  ne  craignez 
pas  d'accomplir?  en  parlant  ainsi  j'inculquerai  à  mes  audi- 
teurs l'horreur  des  abominations  que  vous  commettez  (2).» 
Ce  sont  à  peu  près  les  mêmes  expressions  qu'emploie 
S.  Cyrille  de  Jérusalem  pour  dénoncer  les  crimes  obscènes 
des  Manichéens.  «  L'Église  vous  parle  ainsi ,  disait-il  ;  elle 
fouille  dans  les  ordures  de  ces  impies  afin  de  vous  apprendre 
à  ne  vous  en  pas  souiller  ;  elle  dévoile  ces  blessures  hideuses 
pour  vous  en  garantir  vous-mêmes  (3).  »  Ne  voyez-vous  pas 
en  ce  peu  de  paroles  une  raison  de  tous  les  obcœna  reprochés 
à  nos  modillons?  Mais  n'anticipons  point,  et  voyons  le  lan- 
gage des  moralistes  catholiques  autoriser  ces  dessins  jusqu'à 
l'époque  même  où  la  décadence  des  mœurs  oblige  enfin 
à  tout  voiler. 

Il  semblerait  que  le  génie  de  la  langue  latine,  exclusive- 
ment employée  au  moyen  âge  dans  tout  l'Occident,  eût  laissé 
une  plus  grande  licence  à  la  parole,  et  ce  serait  le  sens  du 
fameux  vers  : 

Le  latin  dans  les  mots  brave  l'honnêtolé. 
Le  poète  aurait  pu  en  dire  autant  du  grec  et  de  l'hébreu  ; 


(1)  «  Admodum  stupendiim  est  Deum  ineffabilein...  Patri  aequalem 
per  Virginem  venisse  vulvam.  »  {Homil.  ii  in  cap.  i  Malth.,  n»  2.) 

(2)  «  Non  erubescam  dicere  quee  ipsi  facere  non  erubescunt,  ut 
modis  omnibus  horrorem  incutiam  audientibus  turpia  quœ  ab  ipsis 
perpetrantur  facinora.  »  (S.  Epiphan.,  Hxres.  xxvi.) 

(3,  «  Annuntiat  Ecclesia  hoc  et  docet,  attingitqae  sordes  illas  ut  tu 
non  polluaris,  dicit  vulnera  ut  tu  non  vulneraris.  »  (S.  Cyril.  Hierosol. 
Calech.  vi,  sub  fine.) 


Mêmes  exem- 
ples dans  la  litté- 
rature tUi  raoyen 
âge. 


A\A  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

mais  le  plus  ou  moins  de  liberté  tient  beaucoup  moins  à  la 
langue  qu'au  temps  où  elle  était  parlée  ,  aux  idées  morales 
des  peuples  qui  s'en  servaient  et  aux  exigences  variables  de 
sa  littérature.  Voyez  comme  S.  Augustin  hésite  peu  à 
exprimer  les  plus  vénérables  mystères  de  la  foi  en  décrivant 
ce  que  la  nature  a  de  plus  intime  et  de  plus  épineux  (I  ) .  Évi- 
demment, ce  n'était  pas  là  bracer  l'honnêteté,  mais  parler  un 
langage  clair  et  précis  pour  faire  comprendre  nettement 
qu'il  n'y  avait  rien  que  de  surnaturel  dans  l'Incat-nation  du 
Verbe  divin. 

Mais  pour  en  revenir  à  nous-mêmes,  n'est-il  pas  vrai 
que,  du  moment  où  la  langue  française  commence  à  se 
faire  et  qu'on  l'emploie  aux  fabliaux,  aux  mystères,  aux 
romans  et  aux  chansons  de  gestes,  les  traductions  qu'elle 
se  fait  des  auteurs  latins,  sacrés  ou  profanes,  ne  continueul 
pas  moins  de  s'exposer  à  l'intelligence  des  auteurs  a>  ec  la 
complète  naïveté  des  âges  précédents  ?  Nos  plus  vieux  ma- 
nuscrits le  témoignent  à  l'envi;  nos  premiers  livres,  im- 
primés trois  ou  quatre  siècles  après,  l'attestent  comme  eux. 
Ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  (aille  confondre  ,  quant  au  sujet  et 
à  la  chasteté  intentionnelle  du  discours,  le  roman  de  la  Roue 
avec  les  Loyales  et  pudiques  amours  de  Théagène ,  pas  plus 
que  la  charmante  simplicité  de  S.  François  de  Sales  avec  les 
grossièretés  cyniques  de  Uabelais  ;  mais  toujours  est-il  que 
si  l'on  examine  attentivement  les  influences  simultanées  de 
la  langue  et  des  mœurs  sur  notre  littérature,  on  verra  clai- 
■Le  Cantique  àe  rcmeut  quc  la  première  n'est  devenue  plus  timide  qu'en 


(1)  «  Die  mihi  jam,  quaîso,  saiicta  SaDctorum  Mater,  quemadmodum 
luaterni  odoiis  lilium  convallium  nivei  coloris  sine  suceo  liiimauaB 
propagiDis,  et  sine  imbrecarnalisserainis  in  sinu Ecclesiaî  germinasti... 
Qua  cogitatioiie  ad  hocpervenisti,  lit  sine  ulia  sui  mutabilitate  in  ute- 
rum  tuum  veuiens,  ita  castellum  castum  lui  ventris  incoleret,  ut  et 
ingrediens  non  laederet,  et  exiens  incolumem  custodiret?»  (  S.  Aug. 
Sermo  ii  de  luflivil.  Virginis.)  —  Et  encore  :  «  Intumescunt  ubera 
Virginis  ,  et  intacta  maneiit  genitalia  Matris.  »  {Ib.,  De  ViniinilaU; 
Marifg.) 


DES   OBSCOENV.  4-15 

r)roportioii  des  plus  grandes  hardiesses  de  celle-ci.  Il  fallait,   ivaueniobautrfl- 

*        *  ,  zienie  Biècle. 

(Iiloiqu'on  médise  du  moyen  âge  ,  une  grande  naïveté  au 
treizième  siècle  pour  qu'un  poème  que  nous  avons  déjà  cité 
de  l'Allemand  Frauenlob  (dj,  renommé  cependant  pour  la 
chasteté  de  ses  poésies  ,  ne  puisse  être  cité  par  son  éditeur 
du  dix-neuvième,  grâce  à  des  licences  et  à  des  nudités  qui 
ne  seraient  plus  de  notre  goût,  parce  qu'elles  blesseraient 
outre  mesure  les  convenances  littéraires  et  religieuses  :  et  ce 
poème,  après  tout,  n'est  qu'une  paraphrase  du  Cantique  de 
Salomon  ,  devant  lequel  on  sait  que  la  sainte  et  touchante 
chasteté  de  S.  Bernard  n'a  pas  reculé,  non  plus  que  celle  de 
tant  d'autres  (2).  Qui  ne  trouverait  étonnant,  appliqué  à  notre 
époque,  le  langage  de  S.  Louis  rapporté  par  Joinvillc,  et  ce 
roi  insistant  au  lit  de  mort,  dans  ses  avis  à  son  jeune  lils  sur 
cette  recommandation  textuelle  :  «  Fai  à  ton  pooir  les  b...  et 
les  autres  malgens  ch acier  de  ton  royaume  si  que  la  terre 
soit  de  ce  bien  purgée  (3).  » 
Ne  soyons  pas  plus  étonnés  de  lire  dans  les  bibles  françaises     Les  traductions 

,  .    ;,  .,    ,  .     ,  11.  .  .     "  <ie    la    Biblo   du 

du  seizième  siècle,  et,  qui  plus  est,  du  dix-septieme,  des  mots  seizième  siècle. 
et  des  choses  dont  il  faut  absolument  nous  abstenir  aujour- 
d'hui, quand  là  langue  n'a  plus  ses  allures  aussi  dégagées. 
Et  qu'on  n'objecte  pas  que  ces  livres  n'étaient  pas  lus  :  les 
familles  conservaient  encore  avec  soin  les  lectures  journa- 
lières de  la  doctrine  et  de  l'histoire  sacrées ,  et  toutes  nos 
présentes  observations  se  rattachent  à  une  édition  du  Nou- 
veau Testament  donnée  en  ^632 ,  quoique  le  style  en  soit 
beaucoup  plus  ancien,  et  dédiée  par  Sébastien  Kiivé  aux 
Révérendes  Mères  Supérieures  de  l'Ordre  de  la  Visitation  : 
de  sorte  que  voilà  toute  une  famille  de  pures  vierges  que 
la  moindre  mauvaise  pensée  eût  effrayées,  et  qui  pouvaient 
se  jeter  sans  le  moindre  péril  dans  les  deux  épîtres  aux 

(i)  Voir  ci-dessua,  t.  II,  ch.  v,  p.  120. 

(2j  Voir  feuillttoa  de  VUnivtrs,  5  juillet  1852,  article  de  M.  de  Ge- 
nouiilet. 
(3)  Mémoires  de  Joinvillr. 


446  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

*  Corinthiens  et  en  beaucoup  d'autres  endroits  qu'on  ne  sau- 

rait plus  rendre  qu'avec  l'indispensable  précaution  de  lon- 
gues périphrases. 
Les  prônes  du      Et  CCS  salutcs  lîlles  u'étaicut  pas  les  seules  nourries  de  ce 
q^a^  dix-^hui-  style  énergique.  Chaque  année,  depuis  le  mois  de  février 
tieme  siècle.         ^  ^^^^  ^^^^  ordonuauce  du  roi  Henri  II  était  lue,  le  troisième 
dimanche  del'Avent,  au  prône  de  chaque  messe  paroissiale, 
renouvelant  les  peines  portées  par  cet  édit  contre  les  femmes 
enceintes  qui  auraient  celé  leur  grossesse.  Ordre  était  donné 
de  cette  lecture  annuelle,  et  certes  personne  aujourd'hui  ne 
voudrait  se  charger  de  la  faire  dans  les  termes  du  texte  offi- 
ciel. Elle  fut  cependant  maintenue  jusqu'en  4  789,  sans  que 
personne  réclamât  jamais  contre  les  singularités  d'un  lan- 
gage qui,  en  traversant  plus  de  trois  siècles,  avait  cependant 
revêtu  un  air  d'étrangeté  incontestable  (I)  :  tels  étaient  alors 
la  simplicité  de  la  foi  et  le  calme  chrétien  des  consciences. 
C'était  l'équi-       De  tout  ce  qui  précède  il  faut  conclure,  avec  Piérius  Valé- 

valent  du  symbo-       .  ,.i  i  i  i  p  •  i    • 

lisme  des  obs-  riauus,  qu  il  cst  chez  tous  les  peuples  une  enfance  qui  laisse 
plus  de  calme  aux  passions,  pendant  laquelle  il  n'y  a  aucune 
honte  fondée  là  où  plus  tard  les  raffinements  de  la  civilisa- 
tion produisent  la  décadence  de  la  pensée  et  des  mœurs.  Le 
libertinage  a  donc  fini  par  remplacer  une  placide  et  respec- 
table philosopl^ie,  qui  ne  craignait  pas  d'énoncer  et  de  maté- 
rialiser par  les  arts  plastiques  des  pensées  qui,  môme  dans  le 
secret  de  l'âme  humaine,  ne  dépassaient  pas  les  bornes  assi- 
gnées par  l'honnêteté  de  la  conscience  aux  moindres  écarts 
de  l'imagination  (2).  Ce  que  l'écriture  égyptienne  avait 
admis  dans  ses  hiéroglyphes,  ce  que  les  nations  primitives 
avaient  adopté  pour  exprimer  les  idées  les  plus  élevées  et  les 
plus  sages  dut  passer  avec  elles  dans  l'Occident,  sans  changer 
de  signification.  Les  symboles,  si  commodes  en  eux-mêmes 
pour   exposer  brièvement  les  profondes  doctrines  de  la 

(1)  Voir  Rituel  du  diocèse  de  Poitiers,  in-4°.  1766^» p.  240. 

(2)  Voir  Pierii  Valeriani  Hierogîyphicorum  lib.  XXXIII ,  cap.  xx  et 
seq. 


DES    ORSCŒNA.  4^7 

métaphysique  et  de  la  morale  naturelle,  se  tirent  jour  et 
pénétrèrent  jusque  dans  la  théologie  catholique  ;  mais  là  il 
y  eut  cette  intention  de  beaucoup  supérieure  :  on  n'y  pou- 
vait prétendre  à  établir  par, des  images  spéciales  une  doc- 
trine superstitieuse  et  inutile  sur  la  génération  des  êtres, 
dont  le  public  chrétien  n'avait  pas  tant  à  s'occuper  que 
d'éviter  les  tentations  de  la  chair;  ce  Turent  celles-ci  qu'il 
fallut  combattre,  et  ce  genre  d'enseignement  trouva,  comme 
tous  les  autres,  de  graves  et  intelligents  professeurs.  En 
effet,  quand  le  langage  obligatoire  de  ces  matières  épineuses 
demeure  autant  innocent  que  possible  en  présence  du  besoin 
de  s'en  exprimer  ;  quand  des  livres  comme  ceux  d'Arnobe, 
de  S.  Augustin,  de  Ratramne,  de  Baronius  justifient  par 
leur  côté  sérieux  les  traités  écrits  sur  ces  clioses  par  des 
plumes  supérieures  que  nous  avons  invoquées  ailleurs  (^), 
il  faut  bien  se  ranger  de  leur  parti,  et  l'on  doit,  avec  de  telles 
autorités,  croire  posséder  le  véritable  sens  et  la  droite  opi- 
nion de  l'Église  :  c'était  celle  qu'exprimait  l'un  de  nos  plus 
célèbres  symbolistes.  Durant  de  Mende,  en  plein  moyen 
âge  ,  et  quand  tous  les  élans  de  l'art  religieux  se  portaient 
plus  ardemment  vers  ce  genre  d'allégories.  «  User  dans 
une  certaine  mesure  ,  disait-il,  des  peintures  pour  repré- 
senter le  mal  à  éviter  et  le  bien  à  faire  n'est  point  répré- 
hensible.  C'est  dans  cette  intention  que  le  Seigneur  disait  à 
Ézéchiel  :  Entre  dans  Jérusalem,  et  vois  toutes  les  détes- 
tables abominations  qui  s'y  pratiquent.  Et  il  y  vit  en  effet 
d'abominables  ressemblances  de  toutes  sortes  de  reptiles  et 
d'animaux,  et  sur  les  murs  étaient  représentées  toutes  les 
idoles  de  la  maison  d'Israël  (2).  » 

(1)  Voir  notre  llisloire  de  L'abbaye  de  Ctiarroux  cl  de  ses  reliques, 
où  nous  avons  traité  cette  question  par  rapport  au  saint  Prépuce  de 
Notre-Seigneur  qu'on  avait  cru  longtemps  reposer  dans  ce  monastère; 
eh.  XI,  §§  1-ix. 

(2)  «  Moderate  vero  uti  picturis  ad  reprœsentaLdum  mala  vitacda  et 
bona  incitanda  reprehensibile  non  est;  undeDominus  ad  Ezechieleni 
(VIII,  9)  :  Ingrederc  et  vide  abominationes  pessima»  quas  isti  faciuut. 

T.  ni.  %1 


qui  deyient  ponr 
Tan  ce  que  le 
style  était  à  une 
certaine  littéra  - 
ture. 


Ils  sont  un  mode 
d'enseignement.et 
rien  autre  cho?e 


Us  appartien- 
nent à  la  meil- 
leure époque  ùe la 
littérature  sacrée 
et  de  l'art  reli- 
ffieux . 


418  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

Maintenant,  il  s'agit  de  voir  appliqués  par  les  artistes 
chrétiens  les  principes  que  nous  venons  d'exposer ,  et  de 
conclure,  en  présence  des  étranges  sujets  devenus  enfin  très- 
intelligibles,  que  rien  n'y  blessait  la  chasteté ,  n'y  attaquait 
la  pudeur  quand  ils  furent  sculptés  aux  miu's  de  nos  tem- 
ples; que  tout,  au  contraire,  y  était  utile,  saint,  y  révélait 
l'expression  d'un  système  arrêté  d'enseignement  moral,  et 
une  prédication  de  vertu  par  des  maximes  comprises  et 
respectées  de  tout  le  monde. 

Cela  une  fois  bien  établi,  nous  savons  parfaitement  à  quoi 
nous  en  tenir  sur  les  nombreuses  et  très-évidentes  nudités 
offertes  aux  regards  des  fidèles  en  des  lieux  et  à  des  époques 
où  toutes  les  âmes  sont  pénétrées  d'un  religieux  respect 
pour  Dieu  et  son  culte.  C'est  qu'en  etïet  c'est  Dieu,  c'est  le 
culte  de  la  vertu  dont  il  s'agit  ;  rien  autre  chose  ne  pouvait 
inspirer  les  créateurs  de  ces  surprenantes  ressemblances. 
En  vaui  des  archéologues  dont  les  études  étaient  trop  hâtées 
ont  voulu  y  ^  oir  le  type  du  relâchement  moral  «  qui  s'était 
introduit  dans  les  monastères  ;  le  résultat  de  certains  ca- 
prices de  quelque  moine  travaiUeur  ayant  des  fantaisies 
comme  un  autre  ;  l'expression  d'une  littérature  qui  s'affais- 
sait dans  le  cloître  comme  ailleurs  (1).  «  De  telles  assertions 
ne  tiennent  pas  contre  l'histoire,  qui  nous  dépeint  les  dou- 
zième et  treizième  siècles,  où  naît  presque  toute  cette  ima- 
gerie, comme  ceux  où  les  lettres  ont  eu  le  plus  de  splen- 
deurs, où  l'art  a  eu  sa  plus  belle  efflorescence,  où  la  ferveur 
monastique,  renouvelée  au  souffle  de  S.  Bernard,  de 
S.  Thomas  et  de  tant  d'autres,  produit  ses  plus  remarquables 
effets  d'esthétique  et  de  piété.  Ainsi,  point  de  contraste,  mais 
au  contraire ,  dans  ces  temps-là  ,  fermes  et  nobles  harmo- 
nies entre  la  foi  et  Tart ,  entre  l'homme  de  la  prière  et 


Et  ingressus  vidit  omnem  similitudinem  reptilium  et  animalium  et 
•ribommationeru,  et  imiversa  idola  domus  Israël  depicta  in  pariete.  » 
fDur.  Mimât.,  Ration,  divin.  Officior.,  lit).  I,  cap.  m.) 

(1)  Voir  M.  ^chmià,  Manuel  à  architecture  religieuse,^.  70  et  suiv., 
Paris,  1845. 


te    et- 


DES  ««scne^ji.  419 

le  scalpteor  de  nos  plus  rastes  et  superbes    ba&îliqaes. 

La  conséquence  abscrfoe  de  ce  double  caractère  de  science  ^^ 
âerée  et  de  piété  ardente  est,  sans  contredit,  1  estime  et  la 
pratique  plus  austère  de  la  chasteté  chrétienne  dans  la  rie 
rdigîeuse.  Or  ne  le  perdons  pas  de  rue  :  alors  c'est  le  prêtre, 
c'est  le  nHMDe  qui  est  artiste,  et,  nous  ne  craignons  pas  de  le 
dire,  tout  ce  que  touche  leur  ciseau  se  diange  en  quelque 
chose  de  chaste  et  de  pur.  Consultez  toutes  les  œuvres  de 
cette  époque,  depuis  les  plus  simples  jusqu*au\  plus  remar- 
quables par  le  fini  de  leurs  détails,  pas  un  doute  ne  tous 
sera  laissé  sur  ce  point  :  sculptures,  ciselures,  manuscrits, 
enluminures,  étf^es,  ritraux ,  tout  ce  qui  est  du  domaine 
de  fart  rdUgKux  respire  le  sentiment  de  la  décence  la 
plus  scrupuleuse.  Si  larttste  se  troure  parfois  amené,  par  les 
nécessités  de  son  sujet ,  à  se  passer  de  ces  amples  et  riches 
draperies  qui  sont  alors  un  de  ses  ]dus  beaux  succès,  ce 
n'est  pas  sans  de  certaines  précautions  conroiues  qu'il  rend 
la  nature  humaine  à  sa  condition  natire.  Le  nu  y  est  égale 
ment  ménagé  sdon  les  eiigimces  de  llûstoire  et  conformé- 
ment  à  des  rè^es  de  décenee  que  le  génie  chrétien  pourait 
seul  iuTenter. 

Aioâ,  dans  ce  bel  Ârhrt  de  la  Vierge  identifié  à  la  cathé-  uv^x%  de  la 
drak  de  Jiilan  avec  l'inimitable  chandelier  dont  chacun  "''^  * 
sait  lliistoîre  et  le  symbolisme,  nous  Toyons  représentée 
merreiDeusement  et  entourée  de  toutes  nos  preuTes  la  scène 
complète  de  la  première  chute  et  de  la  perte  du  Paradis 
lerrestre.  Les  deux  coupables  y  sont  nus  :  comment  faire 
autrement  ?  mais  les  formes  les  i^us  redoutables  à  la  pudeur 
>  enlacent  si  bioi  aux  gracieux  enroulements  des  bran- 
chages, que  Fœfl  aperçoit  à  peine  quelques  traces  de  la 
ceinture  derenue  Tunique  Tètement  du  couple  prèrarica- 
teur;et,  en  dehors  de  leur  r&le,  toutes  les  autres  figures  des 
.Vnges,  des  Vertus  qui  s'allégorisent  dans  leurs  divers  em- 
plois contre  le  démon  ou  contre  les  rices  qui  Tont  naître  de 
lui,  sont  drapées  comfdélement ,  et  arec  cette  exquise 


420  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

retenue  dont  notre  esthétique  sacrée  ne  s'est  jamais  dépar- 
La  Madeleine  tie  (I).  A  SaintMaximiu  du  Var,  le  Saint  Pilon  soutient  une 

du  S.  Pilon,    à  .  , 

saint-Maximin.  Madeleine  en  extase,  supportée  par  quatre  Anges  au-dessus 
de  terre;  les  Anges,  que  notre  école  moderne  ont  faits  nus 
comme  des  vers,  sont  entièrement  recouverts  d'uue  longue 
tunique,  et  la  Sainte,  que  la  tradition  nous  représente  vivant 
dans  la  Sainte-Baume  privée  de  tout  vêtement,  est  voilée  ici 
de  sa  longue  chevelure ,  qui  ne  laisse  apercevoir  que  ses 

s«« Marie  Égyp-  tralts  (2).  G'cst  alusi  que  la  légende  de  S*^  Marie  Égyptienne 

tienne.  ,  ^  ,  .  ,  . 

la  représente  vêtue  de  ses  seuls  clieveux ,  et  priant  le  saint 
abbé  Zozime  qui  l'aborde  de  lui  jeter  son  manteau  pour 
plus  de  décence  avec  lui  (3). 
Les  Vierges-  Eu  cc  mèmc  treizième  siècle  dont  nous  parlons ,  cherchez 
iième  siècle,'^'  partout  OÙ  pcuvcut  être  les  images  de  Marie  et  du  petit  Jésus 
dont  on  la  fait  toujours  inséparable  :  rien  de  plus  chaste 
que  cette  pose  de  reine ,  que  ces  belles  étoffes  agencées 
avec  leurs  longs  et  vastes  plis  pour  dissimuler  toutes  les 
formes ,  que  ce  long  voile  surmonté  de  sa  précieuse  cou- 
ronne, retombant  sur  les  épaules  et  complétant  autour  de 
cette  pure  physionomie  le  beau  idéal  de  la  virginité.  Et  ce 
même  respect ,  n'est-il  pas  toujours  déféré  au  saint  Enfant 
qui  repose  sur  les  genoux  de  la  Mère  admirable?  sa  petite 
robe  ne  le  couvre-t-elle  pas  de  la  tête  aux  pieds?  n'y  ajoute- 
t-elle  pas  tout  ce  que  la  pensée  humaine  peut  y  mettre  de 
douce  amabilité  et  de  charme  pieux?  Sans  doute,  s'il  esta 
peine  né  dans  la  crèche ,  s'il  est  lavé  aussitôt  après  sa  nais- 
sance, d'après  la  naïve  coutume  de  quelques  peintres ,  qui 
croient  par  ce  détail  symboliser  d'autant  mieux  sa  divinité 
abaissée  jusqu'à  nous  ;  s'il  supporte  enfin  le  fer  de  la  circon- 
cision, la  pensée  de  l'artiste  rentre  dans  la  vérité  historique 
et  n'entoure  pas  moins  le  petit  Enfant  de  groupes  aux  cos- 

(1)  Voir  la  description  et  la  gravure  de  ce  beau  travail,  Annales  ar- 
chéùlog.,\ni,  5  et  177;  XIV,  341;  -  BulleL.  monum.,  XVII,  181. 

(2)  Voir  Bulletin  des  comités  archéologiques,  t.  II,  1850,  p.  108. 

(3)  Voir  Légende  dorée  et  tous  les  hagiographes. 


DES   OBSCOENV.  421 

tiinies  variés  d'après  leur  rôle ,  depuis  les  Bergers  jusqu'aux 
Anges  du  Gloria  in  excelsis.  Quant  à  Marie,  elle  est  là 
comme  Joseph ,  toujours  le  plus  parfait  modèle  de  la  beauté 
virginale  et  de  la  majesté  bénie  entre  toutes.  Quelle  diffé- 
rence entre  ces  types  vénérés  de  la  paisible  innocence  du 
cœur  et  ces  nudités  païennes  de  la  Kenaissance,  qui  n'at- 
testent plus  que  le  libertinage  des  peintres ,  traitant  l'au- 
guste Mère  comme  une  femme  équivoque,  et  son  cher 
petit  Jésus  comme  un  enfant-trouvé  !...  Ajoutons  que  cette  et  ses  autres  tra- 

/  ,       .  ,       .  .       -t  \  1  vaux       iconogra- 

réserve  n  est  pas  exclusivement  observée  pour  ces  deux  phiqucs. 
types  suréminents.  Parcourez  toutes  les  surfaces  auxquelles 
se  soient  appliqués  les  arts  du  dessin,  reliquaires,  émaux, 
découpures  quelconques  :  les  personnages,  quels  qu'ils 
soient,  y  révèlent  partout  et  toujours  ce  costume  grave 
qui  rend  si  dignes  les  personnages  de  ce  temps ,  et  qui 
associe  à  cette  dignité  magistrale  les  hommes  eux-mêmes, 
toujours  habillés  de  la  douhle  tunique  de  l'art  ancien.  Et  Les  personnages 
que  dire  encore  de  ce  soin  scrupuleux  qui,  presque  tou- 
jours (car  il  faut  reconnaître  aussi  sur  ce  point  des  excep- 
tions très-justifiables),  se  borne  systématiquement  à  nous 
traduire  la  natui-e  nue  par  des  personnages  sans  sexe,  soit 
dans  le  réveil  du  jugement  dernier,  soit  dans  les  rôles 
divers  qu'on  doit  donner  à  l'âme  ,  toujours  représentée 
ainsi?  Outre  ce  qu'il  y  a  de  logique  dans  cette  ingénieuse 
invention  ,  fondée  sans  doute  sur  la  parole  du  Sauveur , 
sur  celle  de  Job  (^),  n'y  a-t-il  pas  aussi  une  habileté  de 
délicatesse  dans  cette  mutilation  morale  qui  concilie  si 
étroitement  l'esthétique  et  la  pudeur?  Et  ne  voyez-vous  pas 
qu'il  y  eut  un  impardonnable  aveuglement  dans  certains 
docteurs  de  l'Institut  quand  ils  calomnièrent  le  moyen  âge 
jusqu'à  faire  contre  lui  une  déplorable  «  consommation  de 
malpropreté  (2)  ?  » 

(1)  «  In  resurrectione  cnim  ueque  nubent  neque  nubentur,  sed 
erunt  sicut  Angeli.  »  (Matlh.,  xxiii,  30.)—  «  Nudus  egressus  sum  ex 
utero...,  uudus  revertar.  »  {Jub,  il,  21.) 

(2)  Voir  la  prétendue  Hc/'uUftion  du  livre  de  M.  Veuillol  sur  le  droit 


sans  sexe. 


422  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

Cause  tout  es-      Non ,  la  foi ,  Ic  sciis  moral ,  la  vertu  enfin  qui  en  dé- 

thétique   des  ob$-  .  .  ^  •»,,■> 

cœna,  trop  peu  coulc  ct  qui  S  y  appuic ,  uc  manquèrent  pomt  a  cette  ère 
comprise.  ^^  génie  chrétien  ,  et  c'est  en  leur  nom  que  cette  sublime 

iconographie  s'empare  de  l'art  pour  en  faire  l'école  du 
bien  et  l'éclatant  reflet  de  ses  plus  augustes  leçons.  Donc  , 
lorsque  ces  leçons  eurent  changé  d'expression  visible ,  lors- 
qu'on les  étudia  sous  des  formes  qui ,  pour  être  restées 
longtemps  insolites ,  n'étaient  cependant  ni  trop  nouvelles 
ni  moins  comprises ,  on  ne  les  accusa  point  de  venir  sans 
raison  se  placer  à  côté  de  ce  qu'on  admirait  de  plus  saint 
et  de  plus  pur.  On  symbohsait  la  vertu  ,  il  fallait  symbo- 
liser le  vice  ,  et  la  distance  qui  les  sépare  fut  la  mesure  des 
données  nouvelles ,  comme  leur  différence  radicale  déter- 
mina des  moyens  tout  opposés  :  telle  est  la  cause  vraiment 
morale  et  l'origine  théologique  de  tant  de  figures  dont 
l'ignorance  s'est  scandahsée,  et  dont  l'intelligence  était 
pourtant  bien  facile ,  pour  peu  qu'on  se  fut  rappelé  ce  que 
disait  S.  Denys  d'Alexandrie  :  «  Que  la  cause  du  péché 
n'est  point  en  notre  corps,  mais  dans  le  mauvais  usage 
qu'on  en  fait  (1)  ;  »  mais  enfin  ce  mauvais  usage  est  trop 
fréquent,  il  jette  trop  de  désordres  dans  la  vie  des  sens 
pour  ne  lui  opposer  point  des  avertissements  sévères  et 
continuels.  On  voulut  donc  en  inspirer  l'horreur  en  mon- 
trant tour  à  tour  la  laideur  du  péché  honteux  ,  les  détes- 
tables égarements  où  il  pousse,  l'abime  creusé  par  lui 
sous  les  pas  de   l'Juimanité  quand  elle  s'en  rassasie    et 

du  seigneur,  par  Jules  Delpit.  C'est  à  propos  Je  cette  prétendue  réfu- 
tation que  cet  écrivain,  qui  n'est  point  de  l'Institut,  mais  qui  sentait 
peut-être  le  besoin  d'en  être,  s'allie,  en  l'honneur  de  ses  haines  contre 
le  moyen  âge  et  sa  civilisation,  à  d'autres  qui  en  sont  déjà,  lesquels 
n'usent  de  leur  grandeur  littéraire  que  dans  le  môme  but,  et  que  le 
monde  voltairien  connaît  trop  pour  que  nous  devions  les  nommer  ici. 
Des  romans  immoraux,  des  opéras  impies  ne  donnent  pas  le  droit  de 
dénigrer  l'Église  aux  dépens  de  la  justice  et  de  la  vérité.  —  Voir  aussi 
[q&  Annales  archi'ol  .giques ,  XVH,  327. 
(1)  Montesquieu  ne  disait-il  pas,  1300  ans  après  lui,  que  l'imagination 
^  déréglée  était  la  première  source  de  l'impureté  ? 


DES   OBSCOENA.  Î23 

l'adore.  Voilà  pourquoi  tous  les  crimes  de  la  chair,  que 
les  prédicateurs  hounissaicut  devant  des  auditoires  si  nom- 
breux et  si  attentifs,  durent  avoir  leurs  images  dans  ces 
sculptures,  dans  ces  peintures  murales,  dans  ces  verrières 
coloriées,  sur  ces  pages  enluminées  des  manuscrits ,  où 
l'érudition  chrétienne  s'accommodait  à  l'œil  et  à  l'esprit, 
sans  plus  craindre  de  les  blesser  que  la  parole  n'avait 
offensé  l'oreille  ou  affecté  des  cœurs  naturellement  do- 
ciles autant  que  chastes  par  devoir. 
En  vain  chercherait-on  à  combattre  cette  méthode  en      La  crudité  des 

1  i-x'     I  t.    ■  •    ,.  1»         ■^  sujets      est      une 

se  recriant  sur  la  crudité  de  certains  sujets;  ceux-là  mêmes  preuve  de  lour 
ne  sont  que  d'éloquents  reproches  aux  passions  qui  se  four-  "^'^^^*'  ^' 
voient,  ou  la  rigide  flagellation  imposée  aux  coupables  doc- 
trines des  hérétiques,  si  souvent  condamnés  par  FÉgiise. 
On  sait  de  quelles  abominations  se  souillaient  les  sectes 
impures  des  adamites,  des  cathares  et  toutes  les  branches 
de  gnostiques,  dont  le  sens  pervei'ti  ne  vivait  que  des  plus 
monstrueuses  incontinences.  Les  reproductions  murales  de  ciie  personnifie les 

1/    .        .  1'    1   •  !»•  •  .        passions  et  les  cri- 

ces  orgies  suppléaient  aux  catéchismes,  que  1  imprimerie  mes  honteux: 

ne  donnait  pas  alors  ;  et  ce  qu'il  ne  faut  pas  oublier  comme 

conséquence  de  cette  remarque  ,  c'est  qu'en  voyant  le 

peintre  ou  le  sculpteur  attacher  aux  surfaces  qu'il  travaille 

certaines  représentations  où  la  nature  agit  sans  aucun  voile 

ni  retenue,  ce  n'est  point  le  côté  permis  de  la  chose,  celui 

que  sanctifie  le  sacrement  du  mariage  que  vous  voyez  là, 

mais  bien  l'abus  et  l'excès ,  interdits  en  dehors  de  toute 

union  légitime. On  s'est  beaucoup  effrayé, par  exemple,  d'un  laduitère  à saint- 

chapiteau  placé  au  péristyle  de  Saint-Benoît-sur-Loire  ,  et  ^^"^'^"^""-^""^ ? 

(jui  se  trouve  accolé  à  une  scène  de  tentation  d'un  autre 

genre.  Deux  personnes  entièrement  nues  en  font  tous  les 

frais,  et  en  considérant  ce  qui  etitoure  ce  chapiteau,  on  ne 

peut  reconnaître  qu'un  contraste  médité  entre  les  plus 

saintes  leçons  du  dogme  et  les  plus  hideux  mépris  dq  la 

pureté  conjugale  ;  car  c'est  tout  près,  et  en  regard  des  divins 

mystères  de  la  sainte  Enfance,  de  la  virginité  de  Marie  et 


]a    prostituée    de 
l'Apocalypse  ; 


424  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

des  révélations  célestes  de  l'Apocalypse,  que  le  dessinateur 
expose  au  regard  l'action  môme  de  l'adultère  ou  de  la  for- 
nication (^  ) .  En  cela,  et  par  la  crudité  même  de  cet  acte  hon- 
teux, rien  d'étonnant  pour  qui  étudie  philosophiquement 
cette  page  inusitée  de  l'histoire  de  l'art.  L'Apocalypse,  nous 
l'avons  vu,  n'épuise-t-elle  pas  ses  saintes  invectives  contre 
les  prostitutions  de  Bahylone?  La  prostitution  n'est-elle  pas 
mille  fois,  là  et  dans  les  autres  Prophètes,  comparée  avec  la 
fornication  à  l'idolâtrie  ,  qui  n'est  autre  chose  que  la  né- 
gation du  dogme,  comme  l'impureté  ahsolue,  caractérisée 
par  cet  acte  que  n'atténue  aucune  des  moindres  règles  de 
la  pureté,  n'est  que  l'avilissement  de  la  morale  et  la  plus 
complète  abjuration  de  la  dignité  chrétienne?  Ne  lit-on  pas 
dans  la  Sagesse  ces  mêmes  pensées  rendues  dans  les  mêmes 
termes  (2j  ?  Jérémie  n'a-t-il  pas  reproché  à  Jérusalem  in- 
l'idèle  de  s'être  rendue  coupable  de  ce  crime  et  d'en  avoir 
les  chiens  et  les  chcrché  toutcs  Ics  occaslous  (3)? —  C'est  dans  le  même  but 

impudiques.  ,,i,  -,  «  /-t  ii  i/iit 

c{u  a  1  un  des  contre-iorts  méridionaux  de  la  catliedrale  du 
Mans,  se  tiennent,  dans  une  attitude  qui  défie  toute  descrip- 
tion, une  femme  et  un  homme  encapuchonné  qui,  très-certai- 
nement, n'y  sont,  et  toujours  en  dehors  de  l'église,  que  pour 
stigmatiser  ces  chiens,  et  ces  impudiques  abominables  que 
S.  Jean  ordonne  d'en  chasser  comme  autant  d'idolâtres  et 
style  énergique  d'empoisoiiueurs  (4).  —  S.  Paul  n'est  pas  moins  pressant. 


(1)  Voir  Marchand,  Sovvenirs  historiques  de  V ancienne  abbaye  de 
Sainl-BenoU-sur-Loire,^\.\,  in-S»,  Orléans,  1838.  —  Ce  livre,  qui 
n'a  aucun  mérite  ,  ni  comme  histoire  ni  comme  interprétation  de 
l'iconographie  du  monument,  que  l'auteur  n'a  pas  comprise,  est  inté- 
ressant par  les  planches,  dont  un  archéologue  expérimenté  reconnaîtra 
bien  mieux  aujourd'hui  le  sens  et  l'origine. 

(2)  «  Initium  fornicationis  est  exquisitio  idolorum  ,  et  adinventio 
eorum  corruptio  vitse  est.  »  (  Sap.,  xiv,  12.) 

(3)  «  Tu  fornicata  es  cnm  amatoribus  multis.  »  {Jerem.,  m,  1.)  — 
«  Sub  omni  ligno  frondoso  fornicata  es.  »  {Ib.,  6.) 

(4)  «  Foris  canes,  et  veuefici,  et  impudici,  ethomicidae,  et  idolis  ser- 
vientes  !...  »  (yl])0'".,  xxii,  15.) —  Nous  ne  voudrions  pas  ici  répondre 
du  personnage,  dont  les  apparences,  toutes  spécifiées  surtout  par  son 
capuchon,  pourraient  bien  tromper   l'observateur ,  cette   espèce    de 


DES   OBSCOENA.  425 

et  c'est  de  lui  nircst  sans  doute  empruntée  la  hardiesse  de  ?«  s  Paui  contre 

*  i  les  Koinains  et  les 

beaucoup  d'images  où  sont  traduits  les  crimes  dont  il  dé-  corinthiens. 
clare  les  auteurs  indignes  du  ciel  dans  sa  première  lettre  aux 
Corinthiens.  «  Ce  ciel,  dit-il,  n'est  fait  pour  les  débauchés 
d'aucune  sorte  ;  loin  de  lui  ceux  qui  se  livrent  aux  fornica- 
tions, aux  adultères,  aux  abominations  deSodome  ('l)  !  »  Les 
Romains  ne  valaient  pas  mieux,  et,  privés,  comme  on  le  voit 
par  les  conseils  que  l'Apotre  leur  adresse,  de  tout  sentiment 
des  vertus  morales,  ils  se  déshonorent  en  outre  par  la  stu- 
pide  habitude  des  plus  ignobles  excès  de  la  chair.  Point  de 
ciel  pour  de  tels  monstres  ;  ils  ne  méritent  que  la  mort  éter- 
nelle, car  ils  vivent  dans  des  crimes  pires  que  Tidolâtrie 
qu'ils  avaient  quittée  (2). 
Que  s'il  en  était  ainsi  de  ces  orsueilleux  conquérants    Leurs  crimes  re- 

'^  ^  nouveles    par  les 

du  monde,  dont  la  brutalité  sensuelle  ne  s'arrêtait  devant  barbares  envaiiis- 

seurs  (le  l'empire, 

aucun  attentat,  en  fut-il  autrement  de  ces  hordes  franques  et  par  les  Nor- 
mands. 

et  germaines  qui  les  chassèrent,  quatre  siècles  après,  du 
sol  qu'ils  avaient  déshonoré  ?  Ne  fut-ce  pas  les  mômes 
désordres  qu'apportèrent  les  Normands  aux  bords  de  nos 

couvre-chef  ayant  été  au  moyen  âge  d'un  usage  assez  général  en  dehors 
du  costume  monastique.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  suite  va  nons  montrer 
qu'il  est  très-possible  de  trouver  de  telles  images  offertes  en  leçons  mo- 
rales, et  non  pas,  comme  persistent  à  le  soutenir  quelques  penseurs 
trop  dociles  à  leurs  conceptions  préconçues,  en  preuves  critiques  d'une 
immoralité  religieuse  qu'on  s'étudie  à  grossir  systématiquement. 

(1)  «  Nolite  errare  :  neque  fornicarii,  neque  adulteri,  neque  molles, 
neque  masculorum  concubitores...,  regnum  Dei  possidebunt.  ))(1  Cor., 
vj,  9.) 

(2)  «Etmutaverunt  gloriam  incorruptibilisDei  in  similitudinem  ima- 
ginis  corruptibilis  hominis,  et  volucrum,  et  quadrupedium,  etserpen- 
tium.  Propler  quod  tradidit  illos  Deus  in  desideria  cordis  eurum,  in 
immunditiam  :  ut  contumeliisafliciant  corporasua  in  semetinsis;prop- 
terea  tradidit  illos  Deus  in  passiones  ignominiae.  Nam  feminee  eorum 
immulaveruut  naturalem  usum,  in  eum  usum  qui  est  contra  naturam. 
Similiter  autem  et  masculi,  rcliclo  naturali  usu  feinina:',  exarserunt  in 
desideriis  suis  in  invicem, masculi  in  masculosturpitudinem  opérantes, 
et  mercedem  quam  oportuit  erroris  sui  in  semetipsis  recipientes... 
Tradidit  illos  Deusinrcprobum  sensum,  ut  faciant  ea  quœ  non  conve- 
niuut...  Qui  talia  agunt,  digui  sunt  morte,  et  non  solum  qui  ea  fa- 
cinut,  sed    ctiam  qui  consenliunt  facientibus.  »  {Honi.,  i,  23  et  seq.) 


426  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

fleuves  et  sur  tout  notre  littoral  maritime  quand  ils  y 
débarquèrent,  au  neuvième  siècle,  pour  y  semer  avec  les 
ruines  matérielles  une  désolation  mille  fois  plus  terrible 
dans  le  ravage  des  mœurs  et  le  renouvellement  de  tous 
les  excès  que  le  Christianisme  avait  effacés  de  la  société 
nouvelle  ?  Ces  abominations  étaient  donc  revenues;  il  est 
certain  qu'une  recrudescence  de  ces  crimes  contre  nature 
s'était  manifestée  depuis  l'apparition  de  ces  colporteurs 
d'immoralité,  et  un  fait  arrivé  au  douzième  siècle,  et  que 
rapporte  un  de  ses  historiens,  montre  bien  à  la  fois  et 
jusqu'où  pouvait  aller  le  désordre  du  monde,  et  comment 
le  peuple  chrétien  le  détestait,  puisqu'un  Saint  pouvait  lui 
en  parler  ouvertement  sans  étonner  en  rien  son  nombreux 
auditoire.  S.  Bernard,  ayant  délivré  à  Nantes  une  femme  de 
l'une  des  plus  affreuses  obsessions,  dénonça  le  fait  aussitôt 
après,  dans  la  cathédrale,  à  la  foule  assemblée  à  qui  il  voulait 
en  inspirer  l'horreur  {]).  C'est  un  de  ces  mille  sujets  qui 
avaient  droit  cà  trouver  leur  place  dans  quelques  illustra- 
tions murales.  Bien  d'autres  de  genres  trop  variés  venaient 
souvent  augmenter  les  griefs  de  l'Église,  et  quoique  ses 
efforts  et  ses  justes  sévérités  y  eussent  mis  un  frein,  des 
traces  de  ces  funestes  maux  restaient  toujours,  et  c'étaient 
eux  qu'il  s'agissait  de  combattre  en  livrant  à  la  réprobation 
générale  ces  infamies  de  la  chair  et  leur  voie  corrompue. 
Raisons  de  quel-      Aussl  k  sculpturc  uc  fut  pas  iiiolus  fidèlc  à  flétrir  ces  infa- 

ques        modillons  ^  *■ 

spéciaux  et  d'au-  mlcs  quc  Ics  Doctcurs  à  les  honnir.  Gomme  pour  les  autres 

très  sculptures, 

expressions  du  mal  ou  du  bien,  l'artiste,  qui  n'avait  pas  tou- 
jours à  travailler  un  champ  de  vaste  espace,  dut  se  borner 
souvent  à  des  étendues  restreintes,  n'offrir  qu'une  pensée 
principale  au  lieu  d'un  drame  complet,  et  remplaça  des 
groupes  et  des  faits  par  un  objet  isolé  dont  la  vue  suffisait 
pour  rappeler  un  passage  scripturaire  avec  le  souvenir 
d'une  défense  divine,  et  sans  lequel  aurait  manqué  un  cha- 

(1)  s.  Beniardi  Upii.,  t.  1,  p.  25,  edit.  Horst.,  Lugduni. 


DES   OBSCOEXA.  427 

pitre  de  haute  importance  au  Décalogue  de  rarcliitecte  el 

du  sculpteur.  De  là,  à  l'église  de  Goui'gé  (Deux-Sèvres),  trois  à  ciour-é, 

modillous  se  partagent  une  même  action  au-dessous  d'un 

entablement  qui  règne  sur  la  porte  d'entrée.  Celui  du  milieu, 

composé  de  deux  objets  réunis,  ne  laisse  aucun  doute  quant 

à  sa  signification  dissolue  (^};  les  deux  autres  de  chaque 

côté  sont  un  homme  et  une  femme  grimaçant  à  loisir,  et 

dont  le  sentiment  ainsi  rendu  ne  reste  pas  étranger  à  cette 

vilenie.  De  même  à  Saint-Pompain  (Deux-Sèvres) ,  on  voit  à  saint-Ponij)ain 

1  ,.  T  .  ,  •>iii»«ri/«ct  ailleurs. 

deux  lemmes  se  livrant  séparément  a  des  lubricités  dégoû- 
tantes. Ceci  se  passe  au-dessous  de  trois  zones  arrondies  en 
ogives  et  couronnant  l'entrée  occidentale.  Ces  zones  offrent, 
parmi  les  motifs  variés  de  leur  riche  travail,  des  scènes  qui 
se  rapportent  à  celles-là,  tout  en  leur  opposant  des  idées 
contraires,  telles  que  deux  chevaliers,  la  force  et  la  pru- 
dence, terrassant  deux  anges  réprouvés  qu'ils  foulent  à 
leurs  pieds,  pendant  qu'eux-mêmes  reçoivent  sur  leur  tête, 
des  mains  de  deux  Anges  fidèles  penchés  sur  chacun  d'eux, 
la  couronne  de  leur  pieuse  victoire.  Le  zodiaque  est  là  lc  zodiaque. 
aussi  avec  ses  signes  célestes  correspondant ,  par  les  occu- 
pations de  chaque  mois,  à  la  pensée  de  ces  travaux  de  la 
terre  qui  font  éviter  le  péché  en  élevant  l'âme  vers  Dieu,  et 
mériter  le  ciel  par  la  fuite  des  mauvaises  passions.  Ces  idées 
si  diverses,  ces  expressions  si  opposées  du  vice  et  de  la  vertu 
ne  s'expliquent-elles  pas  mutuellement ,  et  ne  dévoilent- 
elles  pas  très-clairement  l'intention  de  ceux  qui  ne  craigni- 
rent pas  de  les  réunir  sous  les  mêmes  regards?  Les  autres 
obscœna  qu'on  voit  distribués  aux  modillous  extérieurs  de 
Villeneuve-d'Ornon  (Gironde),  dont  l'église  est  du  onzième 
siècle;  ceux  qu'a  recueillis  dans  plusieui's  églises  de 
basse  Xormandie  le  zélé  archéologue  M.  Dumoncel   (2), 

(1)  «  Partes  utriusqiie  sexus  coeuntes.  » 

(2)  BuUelin  monumental,  VIII,  p.  16  etsiiiv. —  Une  planche  accom- 
pagne ceUe  liste  et  reproduit  une  suite  de  130  sujets,  parmi  lesquels 
trois  ou  quatre  à  peine  sont  des  obscœna.^ous  disons  à  peine  parce  que, 


Prétendus  obs- 
cœna  qui  n'ont  ja- 
mais existé. 


428  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

ont  évidemment  le  môme  principe  et  tendent  à  la  même 
fin  ;  ils  sont  tous  aussi  d'une  époque  à  peu  près  identique, 
n'allant  guère  au  delà  des  onzième  et  douzième  siècles, 
comme  à  Saint-Sernin  de  Toulouse  et  à  l'abbatiale  de 
Moissac  ,  comme  aux  cathédrales  de  Bazas  et  de  Poitiers  ; 
mais  ils  ne  se  prolongent  guère  en  deçà  du  treizième, 
et  déjà,  dans  cette  dernière  période,  on  les  remarque  moins 
qu'au  siècle  précédent. 

Après  ce  que  nous  venons  de  reconnaître,  il  est  bon 
cependant  de  constater  que  plus  d'une  fois  on  a  cru  voir  des 
obscœna  où  jamais  il  n'y  en  avait  eu.  M.  Jouannet,  dans 
une  description ,  publiée  en  ]  824  ,  de  l'église  Sainte-Croix 
de  Bordeaux ,  faisait  justice,  à  l'égard  de  ce  monument,  de 
ce  qu'on  regardait  alors  comme  un  reproche  mérité.  Nous 
avons  dû  défendre  contre  cette  même  imputation ,  fort  peu 
comprise  encore  en  1849,  l'un  des  tympans  occidentaux 
de  notre  belle  cathédrale  de  Poitiers ,  où  de  mauvais  yeux 
avaient  pris  pour  tout  autre  chose  un  diable  jetant ,  tête  la 
première  ,  dans  la  gueule  de  l'enfer  un  damné  qu'il  y  por- 
tait sur  son  dos  (1);  mais  que  feraient  déplus  quelques 
scènes  mal  interprétées  ,  puisque  nous  savons  enfin  quelle 
interprétation  leur  donner  ? 
Ce»  sujets  furent-       Ccttc  objcction  rcsscmblc  beaucoup  à  celle  qui  faisait 

ils     jamais      des 

satires  contre  le  figurcr  dcs  évôqucs  ct  dcs  moiucs  livrés  au  mal  dans  ces 

clergé?  ^  ^ 


sur  ces  quatre,  deux  nous  paraissent  douteux.  Quoi  qu'il  en  soit, 
M.  Dumoncel  est  de  notre  avis  quand  il  pense  que  ce  sont  là  des 
moyens  d'inspirer  l'horreur  du  mal;  mais  nous  ne  pouvons  être  du 
sien  lorsqu'il  penche  à  croire  qu'on  aurait  voulu  aussi  bien  faire  le 
contraste  entre  le  bonheur  si  pur  d'aimer  Dieu  et  la  vertu,  et  l'affreuse 
jouissance  de  ces  plaisirs  immondes.  La  première  de  ces  idées  est  la 
seule  admissible,  car  la  seconde  serait  trop  métaphysique  et  d'une 
portée  trop  difficile  à  atteindre  par  la  foule.  On  voit  cependant  que 
ceux  mêmes  qui  n'ont  pas  de  profondes  études  théologiques  pensent 
qu'on  ne  peut  expliquer  que  par  la  théologie  ce  que  tant  d'autres 
aiment  mieux  condamner  que  de  se  taire. 

(1)  Voir  Bullet.  monum.,  XI,  id6;  —  Hist.  de  la  catliédr.  de  Poitiers, 
],  135. 


DES   OBSCOKNA.  '«2t) 

mêmes  scènes  que  nous  signalons  ici,  ou  jetés  en  enter 
clans  celles  du  jugement  dernier.  C'étaient  là,  d'après 
quelques-uns,  «  des  satires  hardies  autant  qu'amères 
des  laïques  constructeurs  contre  l'autorité  et  le  caractère 
ecclésiastiques  dont  la  puissance  pressurait  de  trop  près 
le  pauvre  peuple...  »  Tant  il  est  vrai  que  ce  peuple,  si 
tendrement  plaint  par  les  amis  qui  l'exploitent  en  calom- 
niant le  passé ,  doit  être  aveuglé  jusqu'au  bout  par  les 
démocrates  de  l'archéologie!  Eh  quoi!  ils  n'ont  pas  vu  que 
ces  justes  sévérités  n'étaient  qu'une  preuve  d'impartialité 
du  clergé  lui-même ,  qui,  au  douzième  siècle  ,  encore  un 
coup,  était  le  maître  de  ces  œuvres,  et  que  les  deux  siècles 
suivants  n'ont  fait  que  les  imiter  dans  le  même  but  ?  Ils  ou- 
blient que  la  loi  divine  est  faite  pour  tous ,  que  la  règle  des 
devoirs  est  la  mesure  des  châtiments  comme  des  récom- 
penses, et  que  plus  sont  élevés  ceux  qui  les  méprisent,  plus 
ils  seront  punis  pour  avoir,  par  leurs  mauvais  exemples  , 
perdu  tant  d'autres  avec  eux?  C'est  l'Esprit-Saint  qui  a  dit 
cela  a^ec  une  concision  aussi  redoutable  qu'énergique  (1). 
Quand  donc  rÉghse,  usant  d'un  des  moyens  les  plus  fruc-  xon,  mai?  de* 
tueux  contre  les  égarements  du  cœur  humain,  eût  voulu  vS*'"'  ''^^'*' 
lui  inspirer,  par  la  peur  des  peines  éternelles  ,  et  la  fuite 
du  péché  et  le  généreux  amour  de  la  vertu,  qu'y  verrait-on 
qu'une  habileté  pleine  de  tendresse  et  une  pieuse  industrie 
que  la  charité  ne  lui  recommandait  pas  moins  que  la  foi  ? 
Qu'était-ce  autre  chose  que  suivre  dans  cette  tâche  ferme- 
ment soutenue  les  exemples  donnés  par  S.  Bernard,  dans 
son  livre  De  la  Considération  adressé  à  un  Pape,  le  véné- 
rable Bède  ,  Pierre  de  Blois,  et  tant  d'autres? 

La  preuve  de  cette  vérité  qu'avait  dite  S.  Grégoire,  au  comme la peinture 

*■  ^  en  donnait  a  toua 

commencement  du  septième  siècle ,  sur  les  catéchismes 
donnés  au  peuple  par  les  peintres  et  les  sculpteurs,  se 
confirme  par  ce  que  versifiait,  au  milieu  du  quinzième, 

(1)  «  Potentes  potenter  lormenta  patieniur.  »  {Sap.,  vi,  7.) 


430  HiSTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

Ce  qu'en  disait  le  poètc  Villoii ,  (laiis  cctte  Hymne  à  la  Vierge,  qu'il  avait 
faite  pour  sa  mère,  et  dont  le  style  naïf  ajoute  singulière- 
ment au  mérite  du  fond  : 

Femme  je  suis^  paiivreUe  et  ancienne, 
Qui  riens  ne  sçays,  oncques  lettres  neleuZj 
Au  Moustier  voy,  dont  suis  paroissienne  , 
Paradis  peint,  où  sont  harpes  et  luz. 
Et  ung  enfer  où  dampnéz  sont  boulluz... 
L'ungme  fait  paour,  l'autre  joye  et  liesse...  (1). 

Voilà  donc  le  but  de  l'Église  rempli  par  ces  exhibitions 
partout  multipliées.  Les  simples  qui  oncques  lettres  ne  leu- 
rcnt ,  se  les  approprient  aussi  bien  que  les  magistrats  de  la 
république  des  lettres.  La  différence  entre  eux  est  peut-être, 
à  en  juger  par  Villon  lui-même,  que  les  petits  ont  paour  et 
liesse ,  et  que  les  grands  n'y  songent  pas  assez  ;  mais  c'est 
précisément  la  raison  qui  fait  ranger  ceux-ci  en  partie  du 
et  même  Virgile,  côté  dcs  âuies  pcrducs.  Gc  uiêmc  avertissement  ne  se  don- 
nait-il pas  du  temps  que  Virgile  écrivait  le  sixième  livre  de 
X Enéide  : 

Disciie  justiiiam  moniti,  el  non  iemnere  Divos? 

De  telles  leçons  furent  toujours  utiles,  car  elles  sont  insé- 
parables des  notions  d'une  autre  vie.  Leur  austérité  ne  s'af- 
faissa point,  bien  au  contraire,  quand  s'affaiblirent  les 
mœurs  clirétiennes,  et  nos  façades  du  quatorzième  siècle  , 
durant  lequel  tant  de  causes  vinrent  appauvrir  le  sens  reli- 
gieux ,  en  conservent  de  remarquables  spécimens.  Mais  le 
treizième ,  encore  si  profondément  imbu  des  principes  les 
plus  élevés,  n'en  avait  pas  moins,  et  jusque  dans  les  monas- 
L'enfer  des  re-  tèrcs ,  CCS  tcxtcs  quc  chacuu  savait  lii^e  et  s'appliquer.  A 

ligieuses  à  Sainte-  _  .       i         /-.i  i  .  ,  . 

Marie-des-cimses.  Saïute-Marie-des-Ghases,  en  Auvergne,  un  prieure,  aujour- 
d'hui effacé ,   avait  une  charmante  église  du   douzième 

(1)  Voir  un  intéressant  travail  de  M.  Ducliallais  dans  la  Bibiioth.  de 
V École  des  Chartes,2^  série,  t.  IV, p. 229  etsuiv.,  et  t.  V,  p.  424. 


DKS   OBSCOENA.  A3\ 

siècle  devenue  paroissiale  ,  et  dont  la  paroi  septentrionale 
avait  été  décorée,  au  treizième,  d'une  curieuse  fresque  repré- 
sentant, en  de  vastes  dimensions,  le  jugement  dernier.  Elle 
était  divisée  en  deux  plans,  dont  l'un  offrait  la  récompense 
donnée  par  le  Snuveur  aux  religieuses  fidèles  que  lui  pré- 
sentait la  Prieure.  Dans  l'autre,  au  dessous,  on  voyait  les 
religieuses  maudites  et  livrées  au  démon.  Un  dialile  «  à  bec 
d'oiseau,  aux  pieds  ongles,  à  la  queue  fourchue,  aux 
écailles  de  flammes ,  à  l'œil  ardent ,  a  fait  un  paquet  des 
damnées  qu'il  traîne  après  lui,  liées  par  une  corde.  D'autres 
petits  diables  s'agitent  autour  de  leur  chef,  emportant  une 
religieuse  à  califourchon  sur  leurs  épaules,  tandis  qu'un 
autre  suppôt  d'enfer  ouvre  la  gueule  de  la  fournaise  ,  d'où 
s'échappe  une  fumée  rouge.  Les  religieuses  prédestinées     Nudité  des  âmes. 

-  .  ,  .  —  Symbolisme  du 

ont  le  corps  entièrement  nu,  »  mais  sans  aucune  appa-  voiie religieux. 
rence  de  sexe,  comme  il  convient  à  des  âmes  ,  et  la  tête 
couverte  d'un  voile  noir,  car  ce  voile  est  le  symbole  con- 
servé de  la  vie  cachée  en  Jésus-Christ,  qu'elles  ont  sainte- 
ment suivie.  Les  religieuses  damnées,  au  contraire,  sont 
nues  également ,  mais  le  voile  dont  elles  ne  sont  plus  dignes 
leur  manque  :  elles  ont  la  tète  découverte  et  les  cheveux 
épars,  c'est-à-dire  que  pour  elles  il  n'y  a  plus  ni  de  modes- 
tie, ni  de  prière  ,  à  laquelle  S.  Paul  ne  voulait  pas  que  les 
femmes  se  livrassent  sans  être  voilées  (i). 

On  le  voit,  cette  fresque  résume  à  elle  seule  tout  ce  que 
nous  avons  établi  ci-dessus.  En  face  d'une  telle  composi- 
tion ,  on  explique  la  nudité  symbolisant  l'âme  dégagée  du 


(1)  Voir,  DuUel.  mmum.,  XII,  399,  une  Notice  de  M.  Branche  sur 
Sainte-Marie-des-Chases—  L'auteur  regarde  comme  singulier  ces  der- 
nières  circonstances  de  ia  nudité  symbolique  et  du  voile  donné  aux 
unes  et  refusé  aux  autres.  Pour  bien  comprendre  l'art  chrétien  il  faut 
avoir  nécessairement  des  éludes  liturgiques,  et  beaucoup  d'autres  dont 
la  Bible  et  les  Pères  sont  la  source.  —  Le  voile,  qui  fait  l'attribut  de  la 
vie  religieuse  des  femmes,  a  son  origine  dans  celte  phrase  de  S.  Paul  : 
Vos  ipsi  judicate  :  decel  mulierem  non  velalam  orare  Deumf  (1  Cor., 
XI,  13.) 


naissance, 


/|32  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

corps  charnel,  la  damnation  possible  des  personnes  vouées 
au  plus  saint  état,  l'intention  sérieuse  qui  préside  à  ces 
œuvres,  toujours  prises  dans  l'ordre  des  idées  surnaturelles, 
les  horribles  liesses  de  tant  de  diables  n'aspirant  qu'à  en- 
tasser des  victimes  ,  la  joie  calme  et  sereine  des  héritières 
du  royaume  éternel. 
Ces  caractères      Mals  comuic  CCS  doctrlues  théologiques  eurent  à  souffrir 

s'effacent    devant  ,..  ^xi  •/,/  in  - 

la  prétendue  Re-  dcs  egaremcnts  mondains  nnposes  a  la  société  par  la  timeste 
époque  dite  de  la  Renaissance ,  il  s'en  faut  bien  que  nous 
puissions  apphquer  à  ce  que  l'art  nous  donna  pendant  les 
quhizième  et  seizième  siècles  les  principes  que  nous  venons 
d'émettre.  A  cette  époque  on  voit  encore,  il  est  vrai,  surna- 
geant çà  et  là  au  naufrage  de  la  vie  morale ,  quelques 
preuves  que  parfois  c'est  encore  l'Église  qui  s'occupe  de  ses 
affaires ,  le  clergé  qui  dicte  ses  images  aux  sculpteurs  (I)  ; 
mais  de  toutes  parts  les  barbares  se  précipitent  et  hâtent 
à  l'envi ,  révolutionnaires  précurseurs,  la  ruine  du  sens 
chrétien  avec  celle  de  l'art  consacré  à  Dieu.  Alors  le  grotes- 
que s'empare  des  églises,  y  envahit  à  la  fois  vitraux,  stalles, 
peintures ,  sculptures  ;  le  désordre  règne  partout ,  grâce 
aux  grossières  inspirations  de  Luther  ;  à  l'immixtion  de  sa 
théologie  dans  le  monde  qu'il  paganise,  et  aussi  à  ce  pillage 
des  choses  saintes  livrées ,  sous  le  nom  de  commandes,  aux 

et  sont  remplacés  favoiûs  débaucliés  dcs  priuccs  chrétiens.  Tout  le  monde  s'en 

par     l'esprit      du  i  •  »r      i  i 

paganisme,  de  la  môlaut,   Ics  profaiiateurs  changeiit  jusqu  a  la  nature  des 

mondanité    et   liu  .  .  ,  ,        ,    . 

mauvais  goût.  clioscs  :  Ics  traditious  disparaissent,  les  règles  séculaires 
s'oublient  ;  la  toile,  avec  ses  vernis  chatoyants  ,  usurpe  la 
place  des  fresques  et  des  verrières  ;  les  plus  étranges  com- 
positions, non  plus  sous  une  forme  mystique,  mais  s'éver- 
tuant  à  prendre  leurs  symboles  dans  la  boue  des  passions 
éhontées  ,  s'emparent  du  temple  et  en  font  un  bazar  d'ha- 
giologie  traitée ,  à  la  façon  des  Romains  et  des  Grecs  ,  avec 

(1)  Voir,  Ballet,  monum,  XXU,  292,  le  «Marché  et  description  des 
sculptures  à  faire  dans  la  clôture  du  chœur  de  la  cathédrale  de 
Chartres,  »  par  Jean  Solas,  maître  maçon  à  Paris. 


DES  OBSCOENA.  -^33 

une  indécence  systématique,  au  caprice  d'ouvriers  dont  la 
vie  ne  valait  pas  mieux  que  la  pensée,  ets'inspirantpourle 
bon  Dieu  et  la  Madone  des  formes  homériques  ou  virgi- 
liennes  de  Jupiter  et  de  Vénus.  Les  nudités  inutiles  se  mul- 
tiplièrent alors  à  la  plus  grande  gloire  des  artistes ,  qui 
montraient  vaniteusement,  par  ce  moyen,  leurs  études 
anatomiques.  Par  un  bizarre  contraste,  le  mauvais  goût 
revêtit  les  statues  d'étoffes  et  de  brocarts,  dont  l'effet  les 
rendait  au  moins  ridicules;  l'art  tenait  ses  assises  chez 
les  marchands  de  drap  et  de  verroterie,  heureux  quand  il 
ne  descendait  pas  jusqu'à  donner  à  un  crucifix  un  costume 
suisse,  comme  il  arriva  plus  tard  à  Soleure,  et  à  d'autres 
une  perruque  par-dessus  la  couronne  d'épines  ,  comme 
l'avait  vu,  en  Sicile,  le  P.  Labat  (-1). 

Plus  de  cent  ans  passèrent  sur  toutes  ces  insultes  perma-  Le  conciie  de 
nentes  faites  au  culte  du  Sauveur,  de  sa  sainte  Mère  et  de  une  réformation. 
leurs  amis  couronnés  dans  le  Ciel.  Et  enfin,  quand  le  mal 
se  fut  étendu  jusqu'à  ne  plus  laisser  croire  qu'à  une 
décadence  complète  de  l'art  qui  avait  oublié  ses  destinées 
et  sa  fin,  l'Église  voulut  se  défendre  au  moins  contre 
l'envahissement  de  ce  barbare  qui  s'appropriait  ses  temples 
et  ses  autels,  ni  plus  ni  moins,  comme  les  soudards  de 
Goligny  et  de  Gondé.  Le  concile  de  Trente,  qui  se  termina 
en  ioùSy  s'occupa,  cette  année,  de  cette  question  impor- 
tante et  voulut  réformer  les  abus  qui  en  avaient  cor- 
rompu les  éléments.  Un  de  ses  décrets ,  renouvelant  sur  la 
matière  les  canons  du  septième  concile  général,  tenu  à 
Nicée  en  787,  obligea  les  pasteurs  à  n'introduire  dans  les 
lieux  saints  que  des  images  qui ,  en  quelque  matière 
qu'elles  fussent  faites ,  restassent  conformes  «  aux  proto- 
types ,  »  c'est-à-dire  aux  formes  adoptées  par  l'antiquité 
dès  les  temps  apostoliques  et  aux  règles  suivies  pour  cha- 
que sujet.  Le  cbncile  avait-il,  en  usant  de  ces  termes, 

(i)  Cf.  Voyage,  d'Espagne  et  d'Italie,  par  le  P.  Labat,  dommicain, 
t.  V,  p.  212,  Paris,  m-12, 1830. 

T.  m.  28 


434  HISTOÏKK    ni     SYMBOLISME. 

l'inteiition  de  prohiber  pour  l'avenir  les  oOscœna,  dont  le 
libertinage  de  son  temps  commençait  peut-être  à  abuser  V 
rien  ne  le  prouve.  Déjà  abandonné  depuis  longtemps  ,  ce 
genre  ,  d'ailleurs  très-bien  compris  par  tout  ce  que  l'uni- 
vers catholique  avait  de  Docteurs  les  plus  éclairés,  ne  devait 
pas  sembler  prêt  à  revenir ,  et  nous  verrons  bientôt  la 
preuve  qu'il  ne  faisait  encore  peur  à  personne.  En  admettant 
donc  qu'il  ne  fût  question,  dans, le  langage  des  Pères,  que  des 
tableaux  ou  sculptures  admissibles  à  tous  les  regards,  ils 
rappelaient  aux  maîtres  des  âmes  l'obligation  d'expliquer 
au  peuple  ces  images ,  dont  elles  étaient  la  lecture  sensible 
et  journahère  ;  aux  évêques ,  elle  disait  la  nécessité  de  ne 
laisser  exposer  aucune  image  sortant  de  ces  règles ,  même 
dans  les  monastères  exempts,  sans  qu'ils  lui  eussent  donné 
leur  approbation  (1).  Remarquons,  en  outre,  que  la  sainte 
et  docte  assemblée  insista  dans  ce  même  décret  pour  qu'on 
éloignât  du  culte  vénérable  des  saintes  images  toute  super- 
stition, et  que  rien  n'y  fût  traité  qu'avec  la  plus  grande  mo- 
destie (2).  Malheureusement,  le  torrent  qui  coulait  ne  fut 
pas  arrêté  par  cette  digue  ,  et ,  soit  que  le  concile  de  J rente 
ne  fût  pas  reçu  en  France,  comme  on  disait,  de  quoi  nous 
voyons  qu'on  eut  certes,  en  cela  comme  en  d'autres  choses, 
beaucoup  à  se  louer...,  soit  que  les  mœurs,  profondément 
altérées,  eussent  fait  subir  à  l'art  une  déchéance  qui  lepor- 

(1)  «  Non  soluin  autem  licere  iii  Ecclesia  imagines  habere,  et  illis 
lionorem  et  cultum  adhibere,  ostendet  parochus^  cum  bonos  qui  eis 
exbibetur,  referatur  ad  yrololypa...  Tanta  circa  heec  diligentia  et  cura 
ab  Episcopis  adbibeatur,  ut  nihil  iuordinatum_,  aut  praepostere  et  tu- 
muUuarie  accomniodatum,  niliil  profanum  nihilque  inbonestum  appa- 
reat^  «uniidomum  Dei  deceat  sanctitudo.  »  [Ccncil.  Tridait. ,&ess.xxy, 
De  invocat.  reliquiar.  et  sacris  imaginibus.) 

(2)  «  Omnis  superstitio  iii  Sanctorum  invocatione...  et  imaginum 
sacro  usutollatur...,  omuis  denique  lascivia  vitetur...  Quod  si  aliquis 
dubius  aut  difficilis  abusus  sit,  extirpendus...  Episcopus  antequam 
controversiam  dirimat,  metropolitani  et  comproviucialium  episeopo- 
rum  in  concilio  provinciali  sententiam  exspectat  ;  ita  tamen  ut  nihil, 
inconsulto  sanctissimo  romano  Pontifîce,  novum  aut  in  Ecclesia  hacte- 
nu3  inusitatum  decernatur.  »  (/d.,  ibid.) 


l)i:S   OBSCOENA.  535 

lait  vers  le  naturalisine  cl  \  eutraîuail  jusqu'aux  concep- 
tions religieuses,  toute  cette  discipline,  en  dépit  de  ces  véné- 
rables prescriptions,  fut  méprisée,  et  les  artistes,  n'écou- 
tant plus  que  leurs  fantaisies,  les  imposèrent  à  quiconque 
voulait  une  statue  ou  un  tableau. 
De  tels  désordres,  qui  ne  se  signalent  qu'cà  la  lonsue,     ,  ,^*f ^"^"V^il" 

^  '^  ^  o         '       d'Urbain   VIII 

finirent  cependant  par  s'attirer  de  nouvelles  animadversions    «ur  le  même 

*  '  sujet. 

officielles.  Quand  le  concile  de  Ti-ente  était  clos  depuis 
un  siècle ,  le  pape  Urbain  Vlll ,  allligé  d'en  voir  négliger 
les  canons,  traita  la  cliose  plus  radicalement,  ordonna  que 
les  tableaux,  statues  et  autres  représentations  de  Notre-  ^ 
Seigneur,  de  la  Sainte  Vierge,  des  Saints  onde  leur  histoire, 
fussent  traités,  quant  au  costume  et  aux  autres  détails  qui 
leur  sont  propres,  selon  les  seuls  usages  de  l'antiquité 
chrétienne ,  atin  de  rétabhr,  par  ce  retour  aux  temps  de 
foi,  une  dévotion  et  un  respect  sincères  envers  ces  dignes 
objets  de  notre  culte  {^), 
Si  cette  haute  sollicitude  a  pu  relever  l'honneur  des  arts     ces    prescrip- 

,       ,    .  ,  .  111.1  •  1        tions  ne  touchent 

chrétiens,  c  est  uniquement  dans  le  choix  des  sujets  et  la  en  rien  aux  obs- 

j  ,  ,  ,  .  ,^  1         '     •       ^^"^  <'6^  églises, 

décence  des  représentations,  rsous  savons  trop  que  le  génie 
des  statuaires  ou  des  peintres  n'y  a  rien  gagné;  mais  ce  qui 
n'est  pas  moins  certain,  c'est  que  ni  ce  même  concile ,  qui 
reconimandaitauxévéquesla  plus  stricte  surveillance  contre 
les  impiétés  de  l'iconographie  moderne,  ni  ce  pontife,  si 
explicite  dans  ses  prohibitions  comme  dans  ses  ordres, 
n'ont  pas  entendu  comprendre  dans  leurs  justes  anathèmes 
lesobscœna  ouïes  grotesques  de  nos  façades,  de  nos  boiseries 
et  de  nos  vitraux.  On  aurait  eu  cependant  quelque  prétexte 
de  soutenir  le  contraire  :  car,  tout  en  défendant  de  rien  faire 
exécuter,  à  l'avenir,  qui  ressemblât  aux  choses  proscrites  , 

(1;  «Nos  abusus  hujusmodi  tollere  pro  debito  pastoralis  officii  nos- 
tri  volentes...,  imagines  Uomini  nostri  Jesu  Christi,  Deiparœ  Virginis 
Marise,..,Sanctorum  quorunicumque  sculpere  autpingere...,aut  vestire 
cum  alio  habilu  et  forma  quam  in  catholica  et  apostolica  Ecclesia  ab 
aiiti(iuot(nnpore  consuevit...» —  Voir  GarôeUini ,  Dec rel a  authentica 
congrpg.  Sancl.  Hil.,  t.  1,  p.  241,  1856. 


436  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

ces  grandes  autorités  voulaient  qu'on  éloignât  du  Lieu  saint 
et  qu'on  n'y  pût  jamais  conserver  celles  de  même  genre  qu'on 
y  avait  admises  jusqu'alors  :  Imagines...  antehac  sculptas  , 
plctas  et  alias  quomodolibet  e/fictas  tenere.  Sans  doute,  si 
l'on  eût  ignoré  alors  le  sens  profond  attaché  depuis  trois  ou 
quatre  siècles  aux  sculptures  dont  nous  parlons  ici,  des 
moyens  eussent  été  pris  aussitôt  d'en  effacer  jusqu'au  sou- 
qu'ciies  n'avaient  vcuir.  OÙ  sout  douc  Ics  écrlts  liistoriqucs,  les  ordonnances 
condam^ef^  ^^  éplscopalcs  coustalant  qu'on  soit  parti  de  ce  texte  si  précis 
pour  condamner  à  une  radiation  générale  tant  d'objets  si 
^      onéreux  à  la  critique  moderne  ?  Si  vous  cherchez  ces  insi- 
gnes, vieillis  maintenant  de  sept  à  huit  siècles ,  aux  places 
que  leur  assigna  le  génie  de  nos  aïeux  ,  vous  les  y  trouvez 
encore,  sauf  peut-être  ceux  que  firent  hacher,  par  une  inno- 
cente pruderie ,  d'honnêtes  fabriciens  aussi  peu  au  fait  de 
leur  histoire  que  des  Pères  de  Trente  et  du  hullaire  d'Ur- 
bain VIII.  C'est  qu'en  effet  ces  éminents  organes  de  l'Éghse 
ne  pouvaient  confondre  avec  un  horrible  péché  l'éner- 
gique remède  apposé  à  ses  fatales  amorces  par  la  théologie 
architecturale  du  moyen  âge  ;  c'est  qu'aux  seizième  et  dix- 
septième  siècles,  si  l'art  s'était  corrompu  un  moment  sous 
les  étreintes  de  l'hérésie  qui  le  chassait  des  temples  pour  le 
jeter  dans  les  cours  sous  le  patronage  de  prince  irréligieux 
et  débauchés ,  il  y  avait  encore  dans  le  populaire  une  foi 
profonde  et  un  respect  des  choses  saintes  qui  ne  lui  permet- 
taient pas  de  s'y  tromper  ;  c'est  que  l'art  était  encore,  dans  nos 
églises,  le  livre  de  ceux  qui  ne  savaient  pas  lire,  et  ne  ces- 
sait pas,  au  milieu  de  ses  malheurs,  d'y  exercer  la  féconde 
influence  de  ses  enseignements;  c'est  qu'enfin,  quand  la 
science  symbolistique  périssait,  les  savants  ne  cessaient 
point  de  l'apprécier  et  n'oubliaient  rien  de  son  caractère , 
Ils  ne  seraient  dc  SOU  kugagc  ct  dc  SOU  but.  Nous  uc  dlsous  pas  que , 

pourtant    pas    de  .  «ta  t      i 

mise  aujourd'hui;  mêmc  abrités  par  ces  bonnes  raisons,  les  mêmes  symboles 
seraient  aujourd'hui  reproduits  sans  danger  et  au  même 
profit  de  l'enseignement  chrétien  dans  l'architecture  de  nos 


DES  OBSCQENÀ.  437 

églises  modernes.  Quels  architectes,  d'ailleurs,  savent  s'ins- 
pirer de  modillons  quelconques ,  parfaitement  ignorés  des 
plus  savants,  pour  décorer  les  monuments  religieux  qu'ils 
construisent  ?  Mais,  de  grâce,  messieurs  les  maîtres,  cessez 
d'en  accuser  vos  illustres  prédécesseurs  ;  ayez  assez  d'esprit 
pour  ne  pas  vous  en  faii'e  un  prétexte  contre  l'Église ,  à 
qui  vous  devez  tout ,  contre  cette  Église  qui ,  en  proscrivant 
les  inconvenances  futures  dont  vous  deviez  être  les  complices 
faciles  et  intéressés,  eût  bien  pu  ordonner,  s'il  y  en  eût  eu  de 
plus  anciennes,  qu'on  les  fît  disparaître  aussitôt  (^).  Désor- 
mais donc,  vous  saurez  quelle  interprétation  donner  à  ces 
images  calomniées;  celles  mômes  qui  scandalisèrent  le  plus 
votre  naïve  indignation  auront  pour  vous  un  sens  assez 
raisonnable  pour  commander  votre  indulgence,  sinon  votre 
respect;  et  surtout  vous  vous  garderez  bien  de  les  trouver 
déplacées  ou  insigniiîantes  dans  une  longue  série  de  modil- 
lons où  elles  jouent  un  rôle  utile,  où  elles  sont  une  parole 
significative,  et  complètent  un  raisonnement  ou  une  his- 
toire toujours  bonne  à  déchiffrer  et  à  savoir. 

En  résumant  ce  chapitre,  nous  sentons  le  besoin  de  nous 
rendre  le  témoignage ,  que  notre  lecteur  sanctionnera  sans 
doute,  d'avoir  écrit  chastement,  et  comme  il  convient  à 
notre  caractère ,  des  choses  fort  difficiles  que  l'ordre  de 
notre  ouvrage  devait  nous  faire  aborder.  Mais  aussi  une  joie 
nous  est  donnée  :  nous  croyons  avoir  vengé  l'Église  des  atta- 
ques de  ses  ennemis,  et  éclairé  ses  amis  sur  ce  qu'ils  doi- 
vent penser  de  ces  prétendus  scandales  que  beaucoup  ne 


ce  qui  n'autorisa 
les  architectes  ni 
à  les  mépriser  ni  à 
négliger  l'orne- 
mentation par  des 
corbelets  symbo- 
liques. 


Résumé  de  tout 
ce  chapitre , 


qui  se  conclut  en 
faveur  de  l'Église. 


(1)  Ce  que  Molanus  établit  à  l'égard  des  images  dont  parlait  le  cou- 
cile  de  Trente,  que  pas  une  jusque-là  n'avait  été  admise  dans  les  lieux 
sacrés  dont  le  sujet  pût  être  favorable  à  l'hérésie,  nous  pouvons  très- 
bien  le  dire  des  obscœna:  Concilium  Tridentinumnullam  mentionem 
de  ima(/inibus  qux  jam  habenlur  fecissc,  ubi  de  statuendis  dicit  :  ita 
ut  iulUx  falsi  dogmaiis  imar/incs,  et  rudibus  periculosi  errons  occa- 
sionem  préebenles,  staluantur.  Alioqui  facile  adjecisset  :  qvtae  autem 
slaLuls  SLinù  aboleantur.  (De  HlsLoria  sacrar.  imaginum ,  lib.  Il, 
cap.  XXV,  p.  7o.) 


438  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

savaient  comment  excuser.  Nous  avons  vu  les  jugements 
erronés  publiés  à  ce  sujet  par  tant  d'écrivains  d'une  science 
plus  qu'incertaine  ;  nous  avons  compris  que  l'étrangeté  ap- 
parente des  sujets  en  question  correspondait,  dans  chaque 
période  littéraire  ou  historique,  à  la  naïveté  du  langage  et , 
par  cela  même,  à  la  simplicité  des  mœurs.  Cette  observation 
a  clairement  expliqué  ce  qu'auraient  de  surprenant,  en  face 
de  nos  habitudes  modernes,  des  matières  dignes  de  tous  nos 
respects,  traitées  par  les  Pères  dans  un  style  aussi  légitime 
({u'il  est  clair.  Nous  avons  enfin  acquis  la  conviction,  née  de 
toutes  les  preuves  possibles,  querÉghse  n'avait  jamaisvoulu 
qu'élucider,  au  moyen  de  ces  figures  maladroitement  hon- 
nies, le  sixième  des  commandements  de  Dieu ,  l'un  de  ceux  qui 
touchent  le  plus  près  à  l'ordre  social ,  aux  premières  règles 
de  la  société  et  de  la  famille.  En  un  mot,  ce  ne  sont  là  que 
de  véritables  symboles  mis  au  service  de  l'innocence  et  de 
la  sainteté  des  mœurs  pour  les  protéger,  par  l'hori-eur  du 
mal ,  contre  les  attaques  des  plus  dangereuses  voluptés. 
L'Église  s'y  est-elle  trompée  ?  a-t-elle  pu  s'égarer  sur  les 
résultats  de  son  zèle  ?  le  mal  s'est-il  produit ,  au  lieu  du 
bien  qu'elle  attendait  de  ces  enseignements  ,  devenus  plus 
tard  impossibles?  Rien  n'autorise  à  le  penser.  L'histoire  des 
mœurs  n'a  laissé ,  depuis  le  onzième  siècle  jusqu'à  nous  , 
aucun  vestige  de  cette  déception,  dont  se  fussent  avidement 
emparés  les  libres  penseurs.  L'affaire  est  donc  entendue  et 
jugée.  Poursuivons  notre  marche  et  abordons  un  sujet  plus 
poétique  et  plus  riant. 


CHAPITRE  Xll. 


ZOOLOGIE. 


Le  symbolisme  est  tellement  un  langage  universel,  il  est  2ooî^gfe''"da*irs  1* 
si  bien  fait  pour  être  compris  de  tous ,  qu'il  a  fouillé  la  Jgn^''^'^"'^  ''^'■^' 
nature  entière  pour  y  trouver  les  éléments  de  ses  spécula- 
tions. Rien  n'a  échappé  à  ses  investigations  systématiques  , 
à  ses  applications  aussi  simples  que  vraies  et  intelligentes. 
Dans  son  ardeur  de  tout  dire,  il  a  observé  tous  les  règnes  de 
la  nature,  s'emparant  de  tous  les  sujets  qu'ils  possèdent 
pour  s'en  faire  des  objets  de  comparaison  et  des  indices  de 
sa  pensée.  Si  des  théories  aussi  compliquées  et  parfois  aussi 
subtiles  que  les  nombres  et  les  couleurs  ont  pu  lui  fournir 
de  si  vastes  champs  d'application ,  que  ne  devait-il  pas  ren- 
contrer dans  la  nature  animée,  où  tout  s'agite  avec  des 
formes  aussi  diverses  que  multiples,  où  la  plus  rude  intelli- 
gence découvre  des  relations  mystérieuses  autant  que  réelles 
entre  l'homme  et  tout  ce  que  le  Créateur  lui  a  soumis  !  Le 
royaume  zoologique  ,  où  l'homme  tient  le  sceptre ,  ne  se 
compose  pas  moins  d'êtres  qui  professent  chaque  jour  à  son 
égard  d'utiles  leçons,  et  les  sages  distributeurs  de  ces  œuvres 
de  pierre,  attachées  comme  de  radieux  bijoux  à  la  robe  de 
l'Église,  ont  su  parler  de  tout  au  moyen  de  ces  détails  ingé- 
nieux. Soit  que  nous  vivions  en  contact  avec  ces  innombra- 
bles bètes  qui  aident  à  nos  travaux,  partagent  notre  vie  et 
participent  de  nos  meilleures  affections ,  soit  qu'un  état 
habituel  d'hostilité  de  la  part  d'autres  sujets  rebelles  nous 
sépare  absolument  d'eux  par  un  sentiment  de  crainte  irré- 


440  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

fléchie  ou  d'horreur  instinctive ,  nous  les  avons  sous  nos 
yeux  ou  dans  notre  pensée  comme  autant  de  types  avoués 
des  meilleures  qualités,  des  vertus  les  plus  aimables  ou  des 
vices  les  plus  justement  détestés.  N'en  était-ce  pas  assez 
pour  leur  donner  mille  l'ôles  odieux  ou  attrayants  dans 
l'iconographie  symbolique  ? 
Les  animaux  y      Tcllc  cst,  cu  cffct,  Ic  douhlc  rôlc  qu'ou  Icur  attribue ,  et 

représentent     les  ,.,  .  .  .    .  ^ 

vices  ou  les  ver-  uous  uc  ci'oyous  pas  qu  il  puissc  y  en  avou'  un  troisième  , 
comme  l'ont  voulu  des  archéologues  pourtant  habiles,  mais 
qui ,  accordant  trop  au  caprice  possible  du  ciseau  et  se 
persuadant  que  beaucoup  de  ces  êtres  étaient  là  sans  plus  de 
prétention  que  d'importance,  en  concluaient  que  le  symbo- 
Usme  ne  pouvait  être  partout  :  comme  si  un  seul  type  ayant 
sa  synonymie  dans  quelqu'un  des  bons  ou  mauvais  senti- 
ments de  l'hujTianité  pouvait  rester  inutile  au  milieu  de  tant 
d'autres  à  qui  l'on  reconnaît  forcément  ces  attributions  ! 
Sans  doute  nous  devons  avouer  que  depuis  le  quatorzième 
siècle,  à  partir  de  l'ère  nouvelle  où  l'art  s'émancipe  trop  de 
la  direction  chrétienne,  la  fantaisie  se  mêle  pour  beaucoup 
à  ses  œuvres  ;  mais  c'est  là  une  essentielle  distinction  à  faire  : 
nous  ne  voulons  pas  appliquer  nos  principes  à  ces  esprits 
révolutionnaires  qui  arrachent  Fart  à  Dieu  et  ne  veulent 
plus  que  l'art  pour  l'art ,  comme  ils  l'affirment  dans  leur 
ridicule  jargon.  Est-ce  de  ce  temps  que  nous  voulons 
défendre  les  traditions  et  accepter  les  écarts  ?  A  Dieu  ne 
plaise!...  on  verra  au  contraire  quelle  estime  nous  en  fai- 
sons. Mais  en  ne  prenant  que  le  côté  réel  de  la  chose  et 
ne  consultant  que  les  périodes  les  plus  justement  renom- 
mées, on  n'a  plus  à  nier  l'évidente  pensée  qui  revêt  de  sym- 
l)olisme  tous  les  sujets  que  l'artiste  accumule  autour  de  lui. 
Pour  ce  qui  va  nous  occuper ,  et  en  considérant  l'accord 
général  qui  partout  donne  à  l'élément  zoologique  une  action 
vitale  et  déterminée  ,  remontons,  comme  toujours,  à  l'ori- 
gine; voyons  quelles  inductions  doivent  naître  de  cette 
unanimité  qui  n'est  pfas  moins  ici  que  dans  tous  nos  autres 


ZOOLOGIE.  44  ^ 

sujets  d'études,  et,  convaincus  par  cette  revue  générale  de 
la  création  dans  ses  rapports  avec  l'iiomme,  et  par  ceux  que 
nous  réservent  encore  nos  recherches  sur  la  flore  murale, 
nous  reconnaîtrons,  avec  un  savant  anglais,  que  «  tout  ce  qui 
reçut  de  Dieu  le  mouvement  et  la  vie,  et  contrihue  si  mer- 
veilleusement à  la  parure  du  monde,  devient  pour  nous  une 
inépuisable  source  de  louange  et  d'admiration  {\).  »  Une 
rehgion  divine  pouvait-elle  négliger  un  tel  moyen  d'élever 
notre  cœur  jusqu'à  l'Auteur  de  ces  glorieuses  merveilles? 
La  Bible,  livre  universel  dans  lequel  s'élaborent  avec  une     LaBibie  est  en- 

^  corc  la  source  de 

miraculeuse  profusion  toutes  les  données  de  la  science  ces  moyens  d'exé- 

^  gese  publique, 

lunuaine  et  des  besoins  de  la  conscience,  est  encore  le  plus 
ancien  livre  où  il  nous  faille  chercher  les  notions  philoso- 
pliiques  de  notre  zoologie  religieuse.  Ce  que  nous  en  avons 
dit  antérieurement  (2),  soit  sur  la  prophétie  de  Jacob,  soit 
sur  plusieurs  chapitres  de  l'Apocalypse,  nous  montre  assez 
que  les  vices  et  les  vertus  se  partagent  le  domaine  animal 
dans  ces  pages  immortelles.  De  cette  vaste  réserve,  ils  s'élan- 
cent, pour  ainsi  dire,  charmants  de  gracieuseté  ou  effrayants 
de  laideur,  vers  ces  régions  de  vie  active  et  spirituelle  que 
leur  ouvrent  nos  basiliques;  delà  ils  planent  sur  le  monde 
et  lui  rappellent,  ensemble  ou  tour  à  tour,  qu'il  a  le  choix 
entre  le  bien  et  le  mal,  entre  son  bonheur  et  son  malheur 
éternel.  C'est  afin  de  préciser  ces  deux  caractères  différentiels 
que  l'architecte  chrétien  a  toujours  assigné  une  orientation 
différente  à  l'extérieur  des  édifices,  ou  dans  leurs  nefs  laté- 
rales, aux  images  qui  nous  y  parlent  de  Dieu ,  de  la  nature 
et  de  nos  devoirs.  Le  Nord  et  l'Occident,  où  tout  reste  obscur  distnbu.'s  au  nora 
et  languit,  sont  les  côtés  assignés  aux  vices,  et  par  consé-  édifices,  sëiôn  lÏÏ 

.,.        .        ,  -o     j.    é-  115  '.   •     o  ^  •         caractères  OU  mau- 

quent  a  toutes  les  maniiestations  de  1  esprit  nuernal,  «  qui  a  vais  ou  bons. 

(1)  «  Ecce!  Variis  in  nostris  paginis  arridet  creatio,  suis  purissirais 
adornata  leporibiis.  Fluctus  et  venti,  fructiis  et  flores,  et  quidquid  vivit 
et  iiiovet,  aut  iniindum  exornat,  siinul  coDgregata  inexhaustam  admi- 
ratiouis  etlaudis  materiam  afferunt.  »  (Moutgomery,  cité  par  William 
Carpenler,  daDS  sa  Scriplurx  hisloria  naturalis,  init.) 

(2)  Voir  ci-dessus,  t.  Il,  ch.  iv,  vi  et  suiv. 


442  HISTOIRE   bV   SYMBOLISME. 

placé  son  tiône  à  l'Aquilon,  »  et  qui  éteint  toute  lumière  dans 
le  cœur  de  l'homme  en  y  faisant  les  ténèbres  du  péché.  Le 
Midi,  avec  ses  chaudes  ardeurs,  sa  lumière,  l'éclat  resplen- 
dissant qu'il  épanche  de  toutes  parts;  le  Levant,  qui  jette  la 
joie  à  l'univers  et  lui  rend  chaque  matin  la  verdure  de  ses 
feuillag-es,  le  chant  de  ses  oiseaux  et  le  parfum  de  ses  fleurs, 
deviennent,  sur  les  galeries  aériennes  des  tours  superposées, 
aux  angles  des  flèches ,  aux  frises  des  façades ,  le  rendez- 
vous  des  placides  vertus  que  personnifient  les  bons  Anges , 
les  animaux  aimés  de  l'homme,  et  jusqu'aux  étoiles  du  ciel 
et  aux  suaves  plantes  des  bois.  Tous  les  archéologues,  tous 
les  liturgistes  ,  Honoré  d'Autun,  Durant  de  Mende,  Béleth, 
Yves  de  Chartres,  et  ceux  qui  leur  ont  succédé,  sont  d'ac- 
cord sur  ces  points,  qui  n'ont  plus  besoin  de  preuves.  C'est 
d'ailleurs  l'Esprit  de  Dieu  qui  a  formulé  cette  séparation  et 
symbohsé  cette  différence  des  points  cardinaux  atmosphé- 
riques, lorsque,  comparant  l'homme  à  un  arbre  planté 
par  Dieu  ,  il  nous  avertit  que  cet  arbre  restera  au  sud  ou 
au  nord  dans  son  état  de  grâce  sanctifiante  ou  de  malheur 
éternel,  selon  que  sa  volonté  l'aura  maintenu  ou  fait  tomber 
à  droite  ou  à  gauche  (i). 
Le  Lévitique        Ouvrous  largcs  les  Livres  inspirés,  et,  comme  autrefois 
purs  ou    devant  Adam  ,  toutes  ces  natures  variées  vont  se  présenter 
sous  notre  regard  avec  leurs  noms  caractéristiques,  avec  les 

(1)  Dieu  dit  à  Satan  :  «  Quomodo  cecidisti  de  cœlo,  Lucifer...,  qui 
dicebas  : ...  Sedebo  in  lateribus  Aquilonis?  »  {Is.,  xiv,  12,  13.)— Il  dit  à 
son  peuple  dispersé  que  la  venue  du  Messie  le  fera  revenir  de  l'Occident  : 
«  Ab  Oriente  congregabo  te.  »  {/b.,  xun,  5.)  —  «  Occidens,  gentilitas  : 
Quantum  distat  Ortus  (Ghristus)  ab  Occidente  (diabolo)  !»  dit  VAno- 
mjme  de  Clairvaux.—S.  Melitonis  Clavis,  apud  Spicileg.  Solesm.,  11,82. 
—  a  Auster,  Spiritus  Sanctus,  fervor  spiritualis,  »  d'après  S.  Grégoire  le 
Grand  et  Alain  de  Bonneval.  {Ibid.,  p.  79.)—  «  Oriens,  Ghristus  :  Ecce 
vir  oriens.  »  {Zach.,wi,  12.)— «  Visitavit  nos  Oriens  ex  alto.  »  {Luc,  i, 
78.)— «  Sicecideriti<îgnumad  Aastrum,ubicuinque  ceciderit,  ibi  erit.  » 
{Eccles.,  XI,  3.)— Outre  ce  que  nous  en  avons  dit  en  maintes  occasions, 
nous  reviendrons  encore  sur  les  points  cardinaux  ,  qui  importent  beau- 
coup aux  artistes. 


a%'ec   ses     ani 

maux 

impurs 


ZOOLOGlt.  '«43 

mœurs  qui  pourraient  tout  d'abord  expliquer  la  place  qu'ils 
tiennent  dans  nos  monuments.  C'est  dans  le  Lévitique,  où 
s'exposent  les  fonctions  des  Lévites  et  les  cérémonies  de  la 
religion,  que  se  déroule  cette  longue  suite  des  animaux  que 
Moïse  distingue  en  purs  et  impurs,  désignant  par  ces  termes 
ceux  dont  les  Israélites  peuvent  manger  et  ceux  dont  ils 
doivent  s'abstenir.  Cette  distinction,  établie  par  le  législateur, 
non  pas  tant  par  suite  des  défectuosités  ou  des  qualités  re- 
connues à  ces  diverses  viandes  que  sur  un  système  pratique 
d'abstinence  religieuse,  n'avait  pas  moins,  d'après  S.  Aueus-     ,  i'V«'pï*^tation 

o  y  i  '  r  o  fies  Percs   a  cet 

tin,  S.  Irénée,  Origène,  S.  Cyrille  et  beaucoup  d'autres  com-  ^s-^""'^' 
mentateurs,  une  raison  symbolique  ;  elle  n'était  prescrite 
que  pour  instruire  les  Hébreux  de  ce  qu'ils  devaient  éviter  ou 
pratiquer  dans  leur  conduite  morale,  selon  que  les  animaux 
purs  ou  impurs  symbolisaient  des  vices  ou  des  vertus.  Nous 
pouvons  regretter  un  livre  perdu  de  Tertullien  où  ce  péné- 
trant esprit  nous  eût  probablement  laissé,  en  traitant  des 
animaux  purs  et  impurs  du  Lévitique,  des  idées  qui  eussent 
été  des  plus  anciennes.  Bien  d'autres,  beureusement,  en  ont 
écrit  et  peuvent  nous  en  dédommager  (I).  ïbéodoret,  dit 
un  savant  bénédictin,  observe  que  Dieu,  en  ordonnant  qu'on 
lui  sacrifiât  tels  ou  tels  animaux ,  cboisissait  précisément 
ceux  qui  étaient  adorés  des  autres  peuples  et  qui  vivaient  le 
plus  familièrement  avec  l'Iiomme  :  ainsi  le  bœuf,  le  bouc, 
le  béliei-,  la  colombe.  Au  contraij-e,  il  déclarait  impurs  les 
autres  animaux  vivant  à  l'état  sauvage.  Qui  se  serait  décidé, 
en  effet ,  quand  l'idolâtrie  était  de  toutes  parts  autour  du 
peuple  racbeté,  à  faire  des  dieux  soit  de  ces  animaux  qu'on 
immolait  sur  l'autel,  soit  de  ceux  (ju'on  regardait  comme 
souillés,  rt  dont  ils  ne  pouvaient  pas  même  user  pour  leur 
nouri'iturc  ^'2;? 

Ainsi   la  pureté  ou  l'inquirclé  légale  ii'affectait  pas  les 
animauv  en  vue  de  leur  nature  dangereuse  ou  nuisible,  ou 

({)  Cf.  Spiciley.  SoUsni.,  III,  320. 

(2)  Cf.  (loin  CaliiiHf,  Comnienlaire  .sur  Le  Lévitique,  ch.  xi. 


444  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

de  leur  utilité  à  l'égard  de  l'homme,  puisque  beaucoup 
d'entre  eux,  quoique  réputés  impurs,  eussent  pu  se  manger 
impunément  antérieurement  à  la  loi  ;  l'interdiction  n'en 
était  donc  faite  qu'en  vertu  d'une  idée  morale  que  voulait 
en  donner  le  législateur ,  et  dont  il  faisait  une  leçon  pour 
son  peuple.  Origène  va  plus  loin  :  il  croit  que  Moïse  déclare 
impurs  les  animaux  dont  les  mœurs  avaient  quelque  con- 
venance avec  les  démons ,  et  dont  les  Égyptiens  et  autres 
peuples  idolâtres  se  servaient  pour  leurs  augures.  Il  pense 
aussi  que  ces  distinctions  indiquées  par  Dieu  sont  évidem- 
ment figuratives,  puisque,  parmi  les  animaux  qu'il  est  dé- 
fendu de  manger ,  il  en  est  qui  ne  subsistent  point  dans  la 
nature,  comme  le  griffon  et  le  capricorne  ,  la  sirène  et  le 
sphynx,  et  dont  la  description  n'appartient  qu'à  des  animaux 
fabuleux  (1).  Ces  opinions  ,  plus  ou  moins  fondées  qu'elles 
soient,  autorisent  toujours  à  faire  de  toutes  ces  natures  bes- 
tiales autant  de  symboles  dont  purent  très-bien  s'emparer 
les  auteurs  sacrés  et,  après  eux,  les  Pères,  qui  remplirent 
Distinction  que  leui's  liomélics  de  ces  fécondes  allusions.  C'est,  au  reste,  une 

font  quelques-uns 

entre  les  bètes  et  rcmarquc  à  falrc,  et  qui  s'élucide  par  l'examen  du  neuvième 

le^  animaux.  i     t     . 

chapitre  de  La  Clef  m  S.  Méliton,que  la  symbolistique  an- 
cienne a  distingué  nettement  le  sens  qu'elle  donne  au  mot 
hête  et  au  mot  animal.  Les  animaux  y  semblent  une  espèce 
dont  les  individus  sont  presque  tous  pris  en  bonne  part  :  ce 
sont  les  êtres  domestiques  dont  la  douceur  et  les  habitudes 
modérées  commandent  l'estime ,  quadrupèdes  mis  au  ser- 
vice de  l'homme  et  qui  partagent  ses  voyages  et  ses  travaux. 
Les  bêtes ,  au  contraire,  y  forment  généralement  une  caté- 
gorie de  mauvais  aloi ,  tenant  plus  de  la  brute  par  leurs 
instincts  désordonnés  et  se  rapprochant  d'autant  plus  du 
démon,  dont  elles  expriment  le  plus  souvent  la  méchanceté 
et  l'esprit  de  destruction;  tandis  que  dans  ces  animaux  dont 
les  tendances  vont  mieux  aux  habitudes  chrétiennes  et  aux 

(1)  Voir  Origen.  lib.  IV  contra  Gels.:  —  PhilocaliâB,  cap.  i. 


ZOOLOGIE.  *  4^5 

vertus  qu'elles  manifestent ,  on  trouve  presque  toujours  le 
type  du  Sauveur  indujué  par  sa  vie  apostolique,  laborieuse, 
dévouée,  humble  et  patiente.  Les  pliysiologues  latins  ou 
grecs  sont  d'accord  sur  cette  donnée  et  distinguent  pai'fai- 
tement  ces  deux  nuances,  que  nous  ne  devions  pas  laisser 
échapper.  Observons  entin  que ,  pour  couronner  ce  cha- 
pitre IX,  dont  nous  indiquons  ici  l'un  des  plus  saillants  carac- 
tères, c'est  au  diable  qu'est  consacré  le  dernier  paragraphe  : 
il  compte  donc  parmi  les  betes  ;  il  y  est  désigné  comme  le 
chef  des  méchants  ou  le  principe  de  tout  mal,  caput 
omnium  malorum..  On  le  dissèque  de  façon  à  ne  laisser  au- 
cune partie  de  son  corps  sans  nne  explication  emblématique 
à  laquelle  se  rattache  très-bien  tout  ce  que  déjà  nous  savons 
de  lui  (i). 

Revenons  au  Lévitique. 

En  fait  donc,  comme  l'ont  observé  tous  les  archéolo-     Mauvaises  bêtes 

I    \       1      ,  1  1    ,  1,  placées    au     sep- 

gues  (2),  c  est  au  nord  que  vous  verrez  attaches,  pour  1  or-  tentwon. 
nementation  des  colonnes,  des  modillons,  des  chapiteaux  , 
des  frises,  des  encorbellements  ou  des  consoles,  ces  animaux 
déclarés  impurs  dans  le  Lévitique,  et  d'autres  qui  plus  tard, 
en  vertu  du  mauvais  instinct  qu'on  leur  reconnut,  méritè- 
rent de  venir  s'y  adjoindre  ;  les  exceptions  à  cette  règle  sont 
tellement  rares ,  s'il  en  existe ,  qu'elles  ne  feraient  que  la 
confirmer.  C'est  là  que  le  chien  hargneux  montre  ses  dents 
menaçantes,  que  le  dragon  exprime  par  ses  replis  les  astuces 
de  l'esprit  diabolique;  Téléphant,  par  sa  masse  énorme,  ces 
pécheurs  orgueilleux  à  qui  tout  doit  faire  place  en  ce 
monde  ;  les  boucs  et  les  porcs  y  sont  la  luxure  et  la  gour- 
mandise ;  le  crapaud  ,  le  scoi'pion ,  de  hideux  personnages 
dont  la  vue  ouïes  attaques  blessent  également  le  corps  etl'es- 


(1)  Voir  S.  Meiitonis  C  lavis ,  cap.  ix,  les  3G  premiers  paragraphes 
traitant  de  animalibus,  et  du  37*  au  82^  qui  parlent  de  besliis.  —  Dom 
Pitr;i  a  merveilleusement  annoté  toutes  ces  allégories. 

(2)  Voir  M.  l'abbé  Godard,  Essai  sur  le  symbolisme  archileclural,  §  2; 
—  liulleiin  monum.jXlU,  3oG. 


MO  HISTOIRE    1)1    SYMBOLISMK. 

prit.  Ici  le  tigre,  coiiimele  chat,  avec  les  taches  multipiesdc 
sapeaii  soyeuse  elles  souplesses  de  ses  mouvements  perfides, 
dénotel'hypocrisie  aux  heaux  dehors  et  aux  cœurs  méchants; 
la  taupe,  la  chauve-souris,  le  lézard  deviennent  à  côté  de  lui 
les  types  de  l'idolâtrie,  étant  le  méprisahle  ohjet  de  l'adora- 
tion de  quelques  peuplades  aveugles.  Là  c'est  le  sanglier  aux 
instincts  iéroces  et  dévastateurs,  s'efforçant  de  déraciner  un 
arbre  vigoureux  qui  représente  l'Église  de  Jésus-Christ;  ou 
bien  c'est  le  loup  qui  se  repaît  de  carnage ,  trop  souvent 
sous  les  apparences  de  la  brebis;  le  lion  qui  abuse  de  sa 
force  pour  déclarer  la  guerre  aux  hommes  et  aux  trou- 
peaux ;  le  singe,  de  la  famille  de  Satan,  que  de  nobles  pen- 
seurs modernes  inscrivent  obstinément  au  rang  de  leurs 
premiers  aïeux  ;  l'onagre  ou  âne  sauvage  qui  se  glorifie  de 
son  indépendance  et  reste  inutile  à  toutes  les  bonnes 
Certains  ois.  aux  ŒUvrcs.  —  Quc  si  VOUS  voycz  quelques  oiseaux  en  compagnie 

Ifup  sont  adjoints      ,  i  r   i  i  m 

dans  la  même  pcn-  dc  CCS  quadrupcdcs  et  de  ces  reptiles  ,  ce  seront  ou  des  dé- 
prédateurs, comme  le  vautour,  le  milan,  le  faucon,  l'aigle  , 
l'autruche,  ou  des  sots  orgueilleux,  comme  le  paon,  la 
huppe,  le  coq,  qui  pourtant  est  pris  en  bonne  part  dans  le  plus 
grand  nombre  de  ses  acceptions.  C'est  parmi  ces  bêtes  sep- 
tentrionales que  vous  rencontrerez  aussi  le  plus  souvent  des 
êtres  hybrides,  composés  de  deux  ou  trois  natures,  monstres 
imaginaires  dans  lesquels  on  a  réuni  à  plaisir  les  divers 
caractères  mauvais  qu'on  voulait  attribuer  à  un  vice  ou  à 
une  personne  vicieuse.  Cette  méthode  a  donné  lieu  de  com- 
poser, d'après  le  système  de  Loxus ,  dont  Lavater  a  su  pro- 
fiter, des  physionomies  mêlées  des  traits  de  l'homme  et  de 
certains  animaux,  qui  n'ont  pas  peu  servi  à  étendre  des  rap- 
ports symboliques  d'une  race  à  l'autre  (i  ) .  Tout  cela  abonde  à 


(1  )  Loxus, médecin ciLé par  dom  Pitra,  a éciit  une  physiognoraonie  dont 
le  but  est  moins  sérieux  qu'on  ne  le  croirait,  quoique  au  fond  l'on  en 
puisse  tirer  des  conséquences  fondées  sur  une  certaine  justesse  d'ob- 
servations,—Voir  Spicileg.  Soles  ni.,  III.  p.  lviii  et  321.  —  On  a  aussi 
d'Antoine  Porta^  savant  napolitain  des  seizième  et  dix-septième  siècles, 


ZOOI.OGIK.  î'«7 

la  catliédrale  de  l^oitieis,  à  celles  de  Bourges,  de  Chartres  et 
de  Rennes  ;  tout  cela  forme  une  l'a  m  111e  qu'on  ne  peut  jamais 
mieux  étudier  que  surplace,  et  dont  on  voit  chaque  membre 
fonctionner  comme  complice  ou  antagoniste  les  uns  des 
autres,  menant  une  vie  isolée  ou  s'alliant  pour  le  mal.  Nous 
en  citerions  bien  d'autres  à  l'égard  desquels  les  plus  expé- 
rimentés symbolistes  se  tiennent  d'accord  ,  comme  on  le 
reconnaîtra  pour  peu  qu'on  veuille  jeter  un  coup  d'œil  sur 
les  écrits  de  S.  Grégoire  le  Grand,  de  Raban-Maur,  de  Pierre 
de  Capoue  ,  et  comparer  les  Distinctions  du  moine  de  Cî- 
teaux  avec  S.  Méliton  et  les  Petites  formules  de  S.  Eucher  [\). 
Ces  brutes  immondes,  auxquelles  il  n'est  pas  rare  de  voir     Animaux  inno- 

^  *  oents  ou  utiles  pla- 

superposer  des  tètes  de  démon  qui  les  rendent  d'une  bor-  ces  au  sud. 
rible  difformité,  sont  dans  nos  églises  comme  les  boucs,  qui, 
au  dernier  jugement,  doivent  tenir  la  gauche  du  Juge  sou- 
verain :  c'est  donc  à  droite,  dans  la  partie  sud  du  monument, 
sous  les  influences  ferventes  du  Soleil  de  Justice,  aussi  bien 
qu'au  levant ,  d'où  ses  premiers  feux  ramènent  la  clarté 
d'En-Haut  sur  les  verrières  absidales ,  que  vous  verrez  se 
loger  les  bêtes  aimables,  quadrupèdes  et  oiseaux  ,  qui  s'y 
ébattent  joyeusement.  Et  ne  vous  étonnez  pas  de  quelques 
figures  observées  ailleurs,  et  que  certaines  bonnes  qualités 
ont  ramenées  au  milieu  de  ces  élus ,  comme  leur  nature 
peu  favorable  les  avait  confondus  parmi  les  boucs  et  les 
méchants.  Le  chien,  vorace  et  avare,  importun  ,  impudent 
en  beaucoup  de  cas,  n'en  est  pas  moins  l'ami  souvent  fidèle 

une  suite  d'observations  d'où  il  concluait,  de  la  forme  et  de  certaines 
apparences  données  par  la  nature  aux  hommes^  aux  animaux  et  même 
aux  plantes ,  les  défauts  ou  les  qualités  intimes  de  chacun  d'eux.  Il  s'en 
faut  que  tant  do  conjectures  soient  toujours  admissibles,  mais  elles  sont 
d'une  justesse  plus  remarquable  dans  les  rapprochements  établis  entre 
le  caractère  de  l'homme  et  celui  des  animaux  auxquels  il  ressemble 
plus.  Ce  curieux  livre  a  ]>our  titre  :  Phyiognomonica  oclo  libris  con- 
tenta, in  quibiis  nova  facillimaque  afferlur  metliodus  qua  plantnriun, 
animaliiim,  raelallorum ,  rerum  dcnique  omnium  ex  yritna  extimx 
facici  inspectione,  quivis  abdilas  vires  nssequilur,  in-f»,  Neapoli,  1583. 
(1)  Spicileg.  Solesm.,  t.  II  et  III. 


/|/i8  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

et  le  serviteur  obéissant  ;  le  paon  dont  la  superbe  semble  le 
défaut  capital,  n'en  est  pas  moins  le  gardien  de  la  ferme  et 
du  château,  qu'il  éveille  par  ses  cris  contre  les  invasions  des 
voleurs  ;  les  yeux  si  nombreux  de  son  merveilleux  éventail 
semblent  lui  attribuer  la  vertu  de  vigilance  ,  et  la  contem- 
plation des  choses  divines  :  on  l'a  vu  sous  le  bénéfice  de  cette 
pensée,  et  plus  d'une  fois,  en  adoration  devant  la  croix  en 
compagnie  de  l'Agneau  divin  (  0  •  On  peut  donc  bien  l'associer 
au  phénix,  qui  renaît  de  ses  cendres  et  indique  l'immorta- 
lité et  l'espérance  que  nous  en  avons  ici-bas ,  ou  au  pélican , 
qui  nourrit  ses  petits  de  son  sang,  comme  le  Sauveur  ses 
enfants  dans  l'Eucharistie  ,  et  devient  ainsi  la  figure  de  la 
charité.  Mais  le  bœuf  si  laborieux  et  si  puissant,  comme  les 
Apôtres,  par  la  fécondité  de  son  travail  ;  le  cerf  qu'une  soif 
ardente  attire  vers  la  fontaine  sacrée  ;  la  colombe  qui  médite 
et  gémit  solitaire ,  ou  boit  la  coupe  du  bonheur  éternel  ;  le 
cygne  avec  sa  Jjlancheur  virginale  ;  l'aigle  élevant  ses  re- 
gards jusqu'au  Soleil  de  Justice  ;  l'agneau,  enfin  ,  qui  rap- 
pelle l'idée  du  Dieu  sacrifié,  de  son  innocence  et  de  sa  dou- 
ceur, voilà  de  quoi  instruire  encore  et  reporter  à  des 
pensées  de  foi ,  d'espérance  et  de  charité. 
Union  de  plu-  Qc  u'cst  pas  quc  taut  de  sujets  apparaissent  toujours  seul 
mant  des  scènes  à  scul  ;  souvciit  uu  rôlc  cst  rempli  à  deux  ou  trois  person- 

d'ensemble.  ,  .     ,         ,  ,  i        i  • , 

nages  :  deux  ours  qui  s  embrassent  comme  des  hypocrites, 
prêts  à  se  déchirer  bientôt;  un  homme  frappant  de  sa  hache 
un  porc  qui  succombe,  comme  on  terrasse  les  instincts 
pervers  de  l'ivrognerie  ou  de  la  luxure ,  se  trouvent  sur 
beaucoup  de  corbelets  à  côté  de  cet  âne  qui  joue  de  la  harpe, 
de  cet  autre  qui  s'est  affublé  d'une  chape,  de  cette  truie  qui 
file,  et  de  tant  d'autres  sujets  non  moins  savants,  prouvant 
tout  au  plus  certaines  prétentions  de  l'orgueil  ridiculisé  au 
profit  de  qui  voudra  bien  les  comprendre.  Et  puis,  voici  Sam- 
son  enfourchant  le  lion  qu'il  domine  en  lui  déchirant  la 

(1)  Voir  un  intéressant  article  de  M.  Didron  sur  les  croix  orienlales 
(Annales  archéolog.,  V,  524  et  suiv,). 


ZOOLOGIE.  —  LES  ZODLiQLES.  449 

gueule  ;  ou  bien  le  Sauveur  qui  réalise  ce  type  en  foulant  l'as- 
pic et  le  basilic  du  Psalmiste  :  tout  cela  se  renouvelle  et  se 
modifie  à  l'infini.  Et  ce  qui  le  rend  plus  remarquable,  c'est 
que  de  pareils  types  ne  sont  pas  d'un  seul  pays  ni  d'un  seul 
monument  :  on  les  voit  partout,  en  Bretagne  et  en  Saintonge, 
en  Provence  et  en  Franclie-Gomté,  en  France  comme  en  An- 
gleterre ,  en  Espagne,  en  Italie,  au  delà  du  Rhin  comme  en 
Orient  même,  dans  ce  qui  y  reste  des  monuments  implantés 
par  les  Latins  à  l'époque  des  Croisades.  Tous  les  travaux: 
d'art,  depuis  la  sculpture  des  grandes  basiliques  jusqu'aux 
mosaïques  et  aux  émaux,  revêtent  les  mômes  caractères  et 
aftlrment  un  système  commun  de  symbolisme  et  d'inter- 
prétation. 
En  lait  de  groupes,  nous  arrivons  à  l'un  de  ceux  qu'on  a     Le  zodiaque  et 

<~>  i-       ^  A  son  histoire. 

le  moins  compris  jusqu'à  nos  jours.  N'est-ce  pas  une  des 
plus  curieuses  exhibitions  de  zoologie  sacrée  que  celle  du 
zodiaque,  dont  chaque  pièce,  comme  un  modillon  distinct 
des  autres ,  se  rattache  à  elles  néanmoins  ,  forme  avec 
ses  voisines  un  ensemble  d'idées  souvent  interrogé,  et  reste 
presque  toujours  muet  aux  archivoltes  des  grandes  portes 
de  nos  éghses  ?  C'est  de  quoi  il  nous  faut  parler  ici  pour 
en  déterminer  le  sens  autrement  que  par  des  suppo- 
sitions. 
Nous  ne  pouvons  qu'ébaucher  ce  sujet,  pour  lequel  nous      Antiquité  pré- 

^  ^  Ti     t<*ndue  de  celui  de 

aurions,  au  besoin,  les  matériaux  d'un  livre  intéressant.  Il  Dendérah. 
nous  faut  dire  pourtant,  et  avant  d'arriver  au  sens  religieux 
de  ces  singulières  sculptures,  quelques  mots  qu'on  ne  doit 
pas  nous  demander  en  vain.  Et  d'abord,  que  dire  de  l'anti- 
quité du  zodiaque?  On  sait  les  rêveries  de  Dupuis,  celles  de 
la  commission  d'Egypte,  et  l'enthousiasme  anti-chrétien 
qui  saluait  en  ^1822  les  prétentieuses  dissertations  sur  le 
zodiaque  de  Dendérah  {\).  A  en  croire  ces  graves  ennemis 

(1)  Notice  sur  le  zodiaque  de  Dendérah,  lue  à  l'Académie  des  inscrip- 
tions, par  M.  de  Saint-Marlinj  in-S».  —  L'auteur,  eu  battant  en  brèche 
les  opinions  voltairiennes  de  MM.  .lollois  et  Devilliers,  dessinateurs  et 

T.  m.  29 


450  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

de  la  foi  chrétienne,  on  aurait  découvert  avec  le  monu- 
ment égyptien  les  plus  redoutables  arguments  contre  les 
assertions  de  Moïse.  Le  malheur  pour  cette  thèse  fut  d'être 
examinée  au  flambeau  d'une  critique  sévère,  et  de  tomber 
devant  les  preuves  d'une  antiquité  qui  n'allait  guère  au 
delà  de  cinq  à  six  cents  ans  avant  l'ère  chrétienne.  Cette 
même  date  avait  été  assignée  déjà  à  l'invention  des  zodia- 
ques par  le  P.  Lemire,  lequel  la  démontra  en  1740  contre 
le  système  de  Pluche,  qui  l'attribuait  aux  premiers  des- 
cendants de  Noé  {\). 
Lo  zodiaque  fait      Dc  Icur  côté,  uos  cncvclopédistes  du  dix-huitième  siècle, 

partie    du    calen-  '^  ,  .         . 

diier  des  anciens,  qui  argumcntaieut  de  l'ancienneté  de  cet  épisode  scienti- 
fique pour  conclure  au  rejet  des  Livres  saints,  prétendaient 
voir,  dans  certains  des  caractères  représentatifs  des  bêtes 
zodiacales,  des  traces  d'origine  égyptienne  et  d'hiéroglyphes 
curiologiques  (2) .  Nous  adopterions  volontiers  cette  remar- 
que, en  dépit  de  ce  qu'elle  a  de  vague  et  de  peu  prouvé  (et 
sauf  examen  des  conséquences  qu'en  voudraient  tirer  nos 
philosophes),  car  elle  ne  ferait  remonter  l'existence  du 
zodiaque  guère  au  delà  de  cette  prophétie  de  Jacob  citée 
dans  notre  premier  volume  (3),  et  qui  prouve  de  reste  que 
le  patriarche  faisait  pour  chacun  de  ses  enfants  une  allu- 
sion évidente  à  cette  mystérieuse  zoologie  déjà  connue  de 
son  temps.  C'est  précisément  en  Egypte  qu'eut  lieu  cette 
scène  mémorable,  et  nous  ne  voyons  guère  ce  qu'elle  ap- 
porterait à  Dupuis  pour  étabhr  l'identité  de  Jésus-Christ  et 
du  soleil. 
Comment  les        Quol  qu'll  OU  solt,  l'usagc  du  zodiaque,  employé,  chez  les 

chrétiens  le  leur      ttw  •  ai  <  i 

empruntent  dès  Romaïus  cux-memcs,  sur  les  monuments  ou  sur  les  mu- 
interprètes  de  la  fameuse  pièce,  démontre  contre  eux  et  contre  Dupuis, 
dont  ils  tendaient  à  accréditer  le  système,  la  nouveauté  relative  d'un 
œuvre  qui,  à  leurs  yeux,  renversait  tous  les  calculs  de  la  Genèse. 

(1)  Cf.  Journal  de  Trévoux ,  1740,  p.  1181,  et  Pluche,  Hist.  du  ciel  y 
1. 1,  p.  6-11. 

(2)  Encydop.,  t.  XI,  in-4o,  p.  850,  v»  écriture. 

(3)  Ch.  IV,  p.  108. 


ZOOLOGIE.  —  LES  ZODLVQUES.  Aô\ 

railles  peintes,  pour  désigner  les  travaux  agricoles  ou  les  los^ premiers  siè- 
actions  les  plus  saillantes  de  la  vie  humaine  pendant  les 
divers  mois  de  l'année,  fut  adopté  par  les  peuples  chrétiens 
comme  motif  de  décorations  ;  mais  il  reçut  d'eux  un  ca- 
ractère d'utilité  morale.  Nous  en  trouvons  un  exemple 
dans  S.  Anastase  le  Sinaite,  mort  en  020,  lequel  expli- 
quait la  présence  des  douze  signes  dans  une  église  comme 
étant  un  symholisme  des  douze  Apôtres  comparés  dans 
leur  ensemhle  aux  douze  constellations  du  cercle  zodia- 
cal {\).  Il  paraîtrait  par  là  qu'à  cette  époque  cette  repré- 
sentation, au  moins  sous  les  yeux  du  saint  solitaire,  se 
réduisait  à  son  expression  la  plus  simple,  étant  dégagée  de 
toute  autre  image  secondaire,  et  si,  comme  il  nous  semble 
très-possible,  cette  allusion  aux  douze  Apôtres  correspon- 
dait à  chacun  d'eux  pour  la  représentation  de  chacun  des 
signes  usités,  il  en  résulterait  qu'il  y  avait  eu  entre  ces 
signes  et  eux  des  affinités  symboliques  dont  la  découverte 
ne  manquerait  pas  d'intérêt.  C'est  un  travail  que  nous  de- 
vons nous  contenter  d'indiquer  ici,  et  qui  demande  autant 
de  perspicacité  que  de  recherches.  Nous  manquerions 
encore  de  preuves  pour  en  établir  les  bases. 
Ce  qui  est  certain,  c'est  que  les  zodiaques  abondent  sur     Déauctions  mo- 

,.  -  ,  ..,.  1»!  raies  qu'ils   en  ti- 

nos  portes    d  églises ,  ou   dans   leur  mterieur ,   des   les  rent. 

onzième  et  douzième  siècles,  et  s'y  maintiennent  pendant 

les  deux  suivants.  Alors  on  leur  crée  des  complications  qui 

en  rendent  l'allégorie  plus  sensible  ;  le  zèle  devenu  plus  actif 

de  la  théologie  et  de  l'art  tire  parti  du  motif  principal,  comme 

il  s'empare  de  tant  d'autres,  et  y  ajoute  des  accessoires  au 

profit  de  l'esthétique  et  de  l'enseignement  religieux.  L'objet     ii  leur  rappelle 

,  ^  .  .        »       ,  1        .  •  1  l'action  divine  sur 

de  cet  enseignement  n  est  pas  douteux,  si  nous  le  voyons  les  biens  de  la 

terre 

exprimé  par    les  auteurs   contemporains ,  jaloux   d'ap- 

(1)  «  in  ecclesia  zodiacum  circulum  in  liuuc  modum  explicabat 
S.  Anastasius  Sinaïta  »  (lib.  IV  Ilexameron)  :  «  Zodiacus  circulus  Eccle- 
siœ,  nempe  duodecim  stellarum  Apostolicarum.  »  (Novarini  Schedias- 
mata,  lib.  XI,  cap.  lui.) 


452  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

prendre  aux  populations  rurales  que  leurs  travaux  agri- 
coles sont  bénis  de  Dieu,  qui  les  leur  impose  et  leur  en 
réserve  le  fruit  éternel.  Ce  principe  est  professé  par 
des  hommes  de  la  plus  haute  valeur  et  dont  l'autorité  ne 
saurait  être  récusée.  Car  voici  Pierre  de  Blois,  mort  en  'H  98, 
qui,  dans  un  commentaire  sur  le  Lévitique,  semble  avoir 
en  vue  les  indications  sculptées  aux  portes  de  certaines 
églises.  ((  La  loi,  dit-il,  voulait  qu'un  bœuf  fût  offert  pour 
le  sacrifice  à  la  porte  du  Tabernacle,  afin  que  ceux  qui 
travaiUent  à  cultiver  le  champ  du  Seigneur  puissent  en- 
H  suite  entrer  librement  dans  les  tabernacles  du  ciel  (i).  » 
S.  Laurent-Justinien ,  mort  au  milieu  du  quinzième  siècle, 
rappelle  avec  quelle  sollicitude  le  Sauveur  s'est  représenté 
maintes  fois  sous  les  traits  d'un  laboureur,  jetant  dans  le 
monde  les  semences  de  justice  et  de  sainteté  par  ses  prédi- 
et  la  loi  du  tra-    catious,  SCS  miraclcs  et  ses  exemples  (2).  Dès  le  quatrième 

vail    imposée    à         .  i        .    i 

l'homme.  sicclc,  S.  Basilc  avait  employé  la  même  comparaison  pour 

prouver  que  nous  ne  devions  jamais  désespérer  de  la  con- 
version des  pécheurs,  puisqu'à  force  de  culture  et  de  soins 
entendus  on  pouvait  ramener  la  fertilité  dans  un  champ 
longtemps  stérile  (3).  Enfin  nous  ne  doutons  pas  que  le 


(1)  «  Lex  de  sacrificils  praecipit  ut  bos  offeratur  ostio  tabernaculi , 
quia  qui  laborant  in  agro  dominicae  culturae,  libère  possunt  cœleste 
tabernaculum  introire.  »  (Petr.  Blés.,  Epist.  ix.) 

(2)  «  Veuit  Dei  Filius,  tauquam  agricola  doctissimus,  atque  verbis, 
miraculis  et  exemplis  in  agro  pressentis  sseculi  semina  jactavit,  ut 
sanctificaretur  justitiae  germen.  y^  (B.  Laur.  Justin.,  Fasclculiis  amoris, 
cap.  XV.) 

(3]  «  Nemo  de  homine  in  vitio  constituto  desperare  velit,  haud  ues- 
cius  agriculturam  stirpium  qualitatem  mutare;  curam  autem  ac  stu- 
dium  in  consequendis  virtutibus,  animi  omnes  vincere  morbos^  supe- 
rarequeposse.  »  (S.  Basil.,  Homil.  ii  m  Hexamer.) —  L'Apôtre  va  plus 
loin.  Selon  lui,  le  chrétien  est  le  champ  cultivé  par  Dieu,  et  comme  une 
maison  qu'il  a  élevée  et  construite:  Dei  aqriculLura  eslis,  Dei  œdifi- 
catio  estis  (i  Cor.,  m,  9.)  —  N'est-ce  pas  à  l'église  qu'on  vient  parles 
sacrements  cultiver  ce  champ  mystique,  cette  vigne  spirituelle  du 
cœur  humain,  et  réparer  et  entretenir  ce  temple  de  Dieu  «qui  est  dans 
l'homme»  :  lem'plam  Dei  quocl  estis  vos?  (1  Cor.,  m,  17.; 


ZOOLOGIE. —  LES  ZODLVQUES.  453 

dernier  venu  de  ces  remarquables  esprits,  Vincent  de  Beau- 
vais,  n'ait  résumé  toutes  ces  idées,  qui  étaient  le  point  de 
départ  des  sculpteurs  et  des  peintres  lorsqu'ils  s'occupaient 
d'un  zodiaque. 

En  eiïet,  le  livre  IV  de  son  Miroir  doctrinal  traite  de  l'éco- 
nomie domestique.  Il  y  entre  dans  tous  les  soins  qui  fondent 
une  propriété  rurale  et  la  font  fructifier.  A  partir  du  cha- 
pitre XLi,  De  rustici  operis  industria^  il  parle  surtout  des 
travaux  de  la  campagne  ,  et,  dans  les  suivants ,  jusqu'au 
cxLix'',  qui  est  le  dernier  de  ce  livre,  il  expose  les  travaux 
agricoles  qui  conviennent  à  chaque  mois  ;  il  représente  ces 
travaux  comme  une  œuvre  divine  tombée  aux  mains  de 
l'homme,  mais  protégée  de  Dieu,  qui  fait  lever  son  soleil  sur 
la  terre,  et  sans  lequel  nous  n'aurions  pour  elle  ni  humi- 
dité, ni  chaleur,  ni  semailles,  ni  moissons  (-1). 

Ces  données  paraissent  si  bien  d'accord  avec  les  repré-    convenance  d'un 

"^  "^  tel  symbole. 

sentations  de  nos  zodiaques  ;  la  marche  supposée  du  soleil 
par  les  espaces  successifs  assignés  dans  la  sphère  aux  douze 
constellations  a  toujours  semblé  si  conforme  aux  résultats 
que  l'esprit  de  l'homme  lui  attribue  sur  les  saisons  et  les 
soins  ramenés  par  elle  annuellement,  qu'on  ne  voit  guère 
comment  ce  genre  de  leçon  aurait  pu  échapper  à  ceux  qui, 
de  tout  temps,  s'efforcèrent  d'élever  les  masses  à  la  con- 
naissance de  Dieu  et  à  la  sanctification  de  leurs  devoirs 
d'ici-bas.  En  fait  de  symboles,  on  avouera  que  pas  un  ne 
l'emportait  sur  ceux-là,  qui  n'étaient  pas  seulement,  comme 
quelques-uns  l'ont  pu  croire,  une  sorte  de  calendrier  redi- 
sant froidement,  sous  douze  formes  diverses,  les  travaux  des 
douze  mois  de  l'année,  mais  une  prédication  visible  rappe- 
lant que  le  Dieu  qu'on  venait  adorer  dans  le  temple  était  le 
créateur  des  merveilles  célestes ,  l'auteur  de  leurs  in- 
fluences sur  la  terre  et  le  premier  principe  de  tout  ce  qui 
se  faisait  en  haut  et  en  bas.  La  conséquence  était,  pour 

(1)  Cf.  Vincent.  Bellov.  Opp,  édit.  Benedict.  Sanvadast.,  iu-f» ,  1624, 
t.  Jl,  p.  502-554. 


Christianisme , 


454  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

l'homme  des  champs,  de  sanctifier  ses  travaux  en  les  accom- 
plissant comme  un  ordre  de  Celui  qui  devait  payer  ses  ou- 
vriers à  la  dernière  heure,  d'en  supporter   les  fatigues 
comme  une  épreuve  utile  autant  que  passagère,  et  d'im- 
plorer de  ce  Maître,  en  face  de  l'autel  où  il  donne  l'exemple 
du  sacrifice,  ces  pluies  hienfaisantes  du  soir  et  du  matin  qui 
réjouissent  le  laboureur  et  préparent  Faccomplissement  de 
ses  espérances  {]).  C'est  sur  quoi  sont  tombés  d'accord  tous 
ceux  qui  joignent  un  peu  de  jugement  à  une  suffisante 
La  partie  mornie  conualssance  du  fait.  Il  y  a  plus  :  les  zodiaques  anciens, 
cLilt'TantTê  ceux  qui  nous  viennent  des  Chaldéens  ou  ceux  qu'élabo- 
rèrent les  Grecs,  s'en  étaient  tenus  à  la  simple  succession  des 
signes  consacrés  partout  et  reçus  de  temps  immémorial  avec 
quelques  variantes  ;  il  n'y   avaient  pas  ajouté,  que  nous 
sachions,  ces  autres  images  qui  reproduisent  les  soins  pro- 
digués à  la  terre  dans  le  cours  de  chaque  mois,  ni  ces  dis- 
tractions légitimes  consacrées  par  le  Christianisme  au  profit 
de  la  vie  de  famille  ;  et  quelque  symboUstes  que  se  fussent 
montrés  les  anciens  dans  leurs  peintures  des  mois  et  de 
leurs  attributs,  comme  on  les  voit  dans  un  calendrier  ro- 
main pubUé  par  Montfaucon  (2),  ils  n'avaient  pas  songé  à 
cette  union  de  tels  mythes,  si  ingénieux  qu'ils  fussent,  avec 
cette  zoologie  céleste  mise  en  rapport  avec  eux  par  la  reU- 
gion.  C'est  que  le  travail  n'était  qu'une  charge  de  la  vie  pour 
ces  païens ,  qui  l'abandonnaient  aux  esclaves  et  l'avilis- 

(1)  «  Lsetamini  in  Domino...,  quia...  descendere  faciet  ad  vos  imbrem 
raatutinum  et  serotinum.  »  {Joël,  u,  23.)—  Et  S.  Jacques  (v,  7)  :  «  Ecce 
agricola  exspectat  pretiosum  fructum  terroe ,  patienter  ferens  donec 
accipiat  temporaneum  et  serotinum...  Patientes  igitur  estote,  fratres, 
usque  ad  adventum  Domiui.  »  —  Il  est  clair  que  ces  textes,  si  souvent 
lus  ou  entendus,  se  rapportent  clairement  à  l'image  des  zodiaques,  et 
ce  dernier  semble  une  exhortation  non  plus  seulement  aux  habitants 
des  campagnes,  mais  à  tous  les  fidèles,  d'employer  le  temps  de  la  vie, 
pendant  lequel  Dieu  mesure  pour  tous  le  laps  des  mois  et  des  saisons, 
il  mériter,  dans  des  travaux  aussi  patients  que  consciencieux,  Varrivée 
du  Seigneur,  qui  leur  donnera  ^^5  fruits  de  la  terre  promise. 
(2)  Antiq,  cxpliq.,  supplém.,  1. 1,  p.  27  et  suiv. 


ZOOLOGIE. — LES  ZODLVQUES.  455 

salent  en  le  méprisant.  Ponr  ceux  qu'éclaire  rÉvangile,  au 
contraire,  c'est  une  rançon  du  péciié  ;  il  est  anobli  par  le 
souvenir  d'un  Dieu  dont  la  mission  fut  si  laborieuse,  et  il 
est  un  devoir  commun  à  quiconque  veut  marclier  en  toutes 
cboscs  sur  les  vestiges  de  Jésus-Gbrist  (I). 
Une  autre  preuve  de  cette  intention  doctrinale,  c'est  qu'en  qui  en  fait    un 

moyen  d'cnseig-ne- 

beaucoup  de  monuments  ornés  du  zodiaque,  on  l'accom-  ment  reii-ieux. 
pagne ,  comme  à  Saint-Marc  de  Venise,  des  vices  et  des 
vertus  qui  garnissent,  sous  leurs  formes  iconographiques 
bien  connues,  les  archivoltes  voisines  (2).  Il  n'y  a  donc 
pas  à  discuter  sur  le  but  que  le  sculpteur  s'est  proposé  en 
multipliant  ainsi  cette  méthode  d'enseignement  reli- 
gieux. 
Ici  une  remarque  est  nécessaire  pour  éclairer  les  observa-     Raisons  de  cer- 

,     .  ,  .  1  T  taincs       intervcr- 

teurs  sur  la  série  des  animaux  qui  composent  le  zodiaque,  sions  dans  lepia- 

CGniCîit  clos  si^^HCS 

Tout  en  demeurant  assez  généralement  les  mômes  pour  clia-  suries  mouuurcnts 
que  mois,  ils  changent  pourtant  quelquefois  de  place  nor- 
male, ce  qu'il  faut  attribuer  à  une  néghgence  des  ouvriers 
dans  la  pose  des  pierres,  qu'ils  sculptaient  parfois  en  dehors* 
du  plan  qu'elles  devaient  compléter.  Un  inconvénient  plus 
grave  dans  ce  désordre,  c'est  que  le  sujet  secondaire, l'image 
annexée  au  signe  déplacé ,  ne  suit  pas  toujours  celui-ci,  et 
reste  à  sa  place  normale  ou  elle  se  rattache  sans  raison  à 
un  autre  signe  qui  n'est  pas  le  sien.  Une  variante  non 
moins  sérieuse  résulte  d'une  sorte  d'interversion  qui  ferait 
parfois  commencer  le  cercle  et  la  suite  des  animaux  qui  le 
garnissent,  de  droite  à  gauche,  et  non  de  gauche  à  droite, 
comme  on  l'a  fait  généralement.  Qu'il  faille  attribuer  cette 
inexactitude  apparente  au  peu  d'importance  attaché  par 
l'artiste  à  la  distinction  faite  dans  toutes  les  cosmographies 
entre  les  signes  du  septentrion  ou  du  midi,  ce  serait  pos- 
sible ;  mais  ce  n'est  là,  on  le  voit,  qu'une  anomalie  de  peu 

(1)  «  Labora  sicut  bonus  miles  Chrisli  Jesu.  »  (2  Tim,  ii,  3.)—  «Tu 
vero  vigila,  in  omnibus  labora...  »  {Ibid.,  iv,  ti.) 

(2)  Voir  DidroD,  Annal,  archéol.,  XIV,  165. 


456  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

de  poids  ;  elle  n'ôte  rien  au  système  adopté  partout  et  tou- 
jours, et  il  n'en  faut  pas  conclure  qu'on  ait  méconnu,  en  la 
suivant,  l'ordre  naturel  des  mois,  qu'on  aurait  mal  à  propos 
établis  en  sens  inverse.  Il  s'agit  tout  simplement  alors  de 
commencer  l'étude  du  sujet  telle  que  l'a  suffisamment 
indiquée  la  main  de  l'ouvrier  (i).  Enfin  l'année,  sur  tous  ces 
calendriers,  ne  commence  pas  toujours  par  les  mêmes 
mois,  ce  qu'il  faut  attribuer  à  la  différence  qui  se  remarqua 
longtemps  pour  le  renouvellement  de  l'année,  laquelle  s'ou- 
vrit, selon  les  pays  et  les  époques,  soit  au  mois  de  janvier, 
soit  au  mois  de  mars.  C'est  cette  dernière  méthode  qu'on 
suit  plus  habituellement  dans  nos  zodiaques  sacrés. 
Vers  techniques      Commc  prcsquc  toutcs  les  notions  à  retenir  étaient  tra- 

sur  la  division  des      ^     -,  *  l      ^       -  i  ii 

signes  mensuels;  duitcs,  au  moycu  agc,  en  vers  techniques,  plus  capables 
d'aider  la  mémoire,  on  avait  groupé  en  un  distique  tous 
les  animaux  inscrits  au  zodiaque. 

Sunl  Aries,  Taurus,  Gemini,  Cancer ,  Léo,  Vij^go , 
Li')7'aque,  Scorpius,  Arcilenens,  Caper,  Aniphora,  Pisces{2). 

On  voit  que  l'année  commence  au  mois  de  mars  avec  le 
Bélier,  et  que  les  deux  derniers  mois  représentent  janvier 
et  février.  Cet  ordre  importe  peu  à  notre  objet.  Disons  donc 
tout  de  suite  quels  détails  de  la  vie  humaine  se  présentent 
à  côté  de  chaque  mois. 
autres  sur  les  oc-       D'autrcs   vcrs  tecliuiques  y  ont  pourvu  :  ils  rendent, 

cupations    qui    se,,  ,,  -.i  ••,  -ri  .»  11 

ratt/ichent  à  cha-  d  aprcs  dcs  mauuscrits  du  quinzième  siècle,  et  môme  d  après 
un  autre  du  quatorzième  à  nous  connu  (3),  ce  que  les 

(1)  Nous  soupçonnons  que  ce  renversement  de  l'usage  habituel  aurait 
pu  venir  d'ouvriers  qui,  arrivés  en  Europe  des  contrées  orientales,  ou 
copiant  des  dessins  qui  en  étaient  originaires,  s'y  seront  conformés  à 
l'usage  de  ces  pays  où,  l'écriture  se  traçant  à  rebours,  le  dessin  pou- 
vait se  ressentir  de  cette  habitude,  autant  qu'elle  ne  compromettait  en 
rien  la  ressemblance,  qui  est  sa  première  condition. 

(2)  C'est-à-dire:  le  Bélier,  le  Taureau,  les  Gémeaux,  l'Écrevisse,  le 
Lion,  la  Vierge,  — la  Balance,  le  Scorpion,  le  Sagittaire,  le  Capricorne, 
1c  Verseau  et  les  Poissons. 

(3)  Notre  bibliothèque. 


ZOOLOGIE.  —  LES  ZODIAQUES.  Î57 

sculpteurs  ont  historié  sur  leurs  pierres  bien  avant  ces  der- 
niers temps  du  moyen  âge.  Ces  vers,  au  nombre  de  quatre, 
comprennent  chacun  une  saison  de  l'année  et  sont  fidèle- 
ment reproduits  par  chacun  de  leurs  verbes  actifs,  soit  sur 
les  pages  de  parchemin  des  vieux  livres  ,  soit  môme  assez 
souvent  sur  le  calcaire  monumental,  quand  ils  n'y  sont  pas 
remplacés  par  le  nom  du  mois.  C'est  toujours  ce  mois  qui 
parle,  et  à  la  première  personne. 

PotOj—  Ligna  cremo,—  De  vile  super flaa  démo  ; 
Do  gramen  gratam,  —  MM  flos  sei  vit,  —  Mihi  praium  ; 
Fenuni  chclino,  —  Messes  melo,  —  Yina  propino; 
Semen huim  jacto,  —  Pasco  sues,  —  hivnUo  porcos  (1). 

Ainsi  la  première  saison,  l'hiver,  qui  a  commencé  dès  le 
mois  de  décembre,  est  indiquée  par  les  trois  premiers  mois 
de  l'année,  qui,  cette  fois,  s'ouvre  avec  celui  de  Janvier.  Ce 
dernier,  qui  s'est  toujours  trouvé  empêché  pour  les  travaux 
de  la  terre,  semble  s'en  délasser  par  les  plaisirs  de  la  maison, 
où  les  fêtes  se  multiplient  :  Poto^  je  bois,  mot  qui  résume  à 
lui  seul  les  fêtes  de  famille,  incomplètes  sans  lui.  On  voit 
donc  un  homme  à  table,  y  remplissant  avec  entrain  ses  at- 
trayantes fonctions,  pendant  qu'à  coté  un  vase  penché  laisse 
tomber  les  pluies  abondantes  dont  le  gourmet  semble  très- 
peu  s'inquiéter  :  c'est  le  verseau  ( A quarius),  qu'on  a  souvent 
dessiné  à  plus  de  frais  sous  les  traits  d'un  fleuve  ou  d'une 
femme  élégamment  drapée,  tous  deux  répandant  les  flots 
d'une  urne  antique.  Amphova  est  le  nom  que  lui  a  donné  le 
poète  du  moyen  âge,  prenant  ainsi  la  partie  pour  le  tout, 
l'objet  pour  le  personnage  qui  s'en  sert.  Les  pluies,  qui 
coïncident  avec  les  jours  oii  ce  signe  revient  vers  notre 
horizon ,  lui  ont  donné  le  nom  qu'il  porte  ,  semblable  ,  en 


Description  de 
chaque  mois  : 


Janvier. 
Fer  Scan. 


Le 


(I)       Je  bois,  —Je  me  chauffe,  —  Je  taille  la  vigne  ; 

Je  donne  le  gazon, — Jeiiie  pare  de  fleurs,— Je  verdis  les  prés; 
Je  fauche,  — Je  moisooune,  —  Je  vendange; 
Je  sème,  — Je  nourris  les  porcs,  —  Je  les  tue. 


458  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

effet,  à  une  urne  qui  s'épanclie  ou  à  un  homme  vidant  sur 
la  terre  le  vase  qui ,  en  lui  prodiguant  les  flots  des  sources 
et  de  la  mer,  aide  à  la  végétation  et  n'est  pas  moins  utile  à 
l'homme  qu'à  la  nature.  Nous  ne  savons  quelle  imagination 
poétique  a  fait  de  cette  constellation  le  Ganymèdc  qui  devint 
rçchanson  de  Jupiter  :  c'est  peu  ingénieux ,  selon  nous  ;  le 
maître  des  dieux  aurait  plutôt  donné  cette  charge  à 
Bacchus. 
Février.  —  Les      Ligna  cTemo  :  Février  n'est  guère  plus  propice  au  labou- 

Poissons 

rage;  on  continue  de  se  chauffer,  de  banqueter,  et  les  pois- 
sons (Pisces),  meilleurs  en  ce  temps,  défraient  la  table. 
Mars.-/.e  BcHcr      Mars  aiTlvc,  ct  Ic  pavsau  commence  à  tailler  la  vigne,  à 

et  le  vigneron.  i     t 

émonder  les  arbres  :  De  vite  super fiua  démo;  alors  le  bélier 
[Aries)  va  chercher  les  premières  herbes  des  prairies  à  la  tête 
des  brebis  nombreuses  dont  il  redevient  le  chef  et  l'époux. 
Quelquefois  aussi  on  greffe  les  arbres,  et  certains  zodiaques 
se  sont  bornés  à  ce  travail. 

fVyrii.-/.c  Tau-  Mals  Avdl  rcvêt  la  nature  d'une  verdeur  plus  vivante  : 
Do  gramen  gratum.  On  reprend  les  labours,  et  le  taureau 
(Taurus)  est  de  nouveau  attelé  à  la  charrue  ;  il  recommence, 
comme  avril  l'indique  (aperire),  à  ouvrir  la  terre,  qui,  grâce 
à  lui,  se  divise  en  nombreux  sillons. 

Mai.  —  Les  Ce-  Lcs  flcurs  arrivciit  avec  Mai  :  3Iiki  flos  servit.  Les  gémeaux 
{Gemini)  y  symbolisent  les  penchants  providentiels  qui  fé- 
condent la  nature  et  la  perpétuent  :  un  jeune  homme  y  tient 
un  bouquet  destiné  à  sa  fiancée. 

uïn.-Lecan-  La  cliassc ,  Ics  voyagcs ,  les  chevauchées  s'organisent  en 
Juin  :  Mihi  pratum.  On  part  donc  sur  un  beau  coursier,  dont 
le  cavalier  jeune  et  ardent  paraît  tout  fier;  et  cependant 
l'écrevisse  [Cancer) , annonçant  que  le  soleil  fait  déjà  quelques 
pas  en  arrière  de  sa  course,  ne  nous  dit-elle  pas  aussi  que 
la  vie  a  un  jour  où  commence  insensiblement  son  déclin? 

Juillet.- /.c  Lion  Juillet  appcllc  aux  fenaisons  :  Fenum  declino  :  c'est  ce 
que  fait  le  fauciiciir  pendant  que  le  lion  {Léo)  rugit  sous 
l'impression  des  chaleurs  tropicales. 


reau. 


meuux 


cer 


et  lea  faucheurs. 


ZOOLOGIE.  —  LES  ZODIAQUES.  -559 

Le  mois  de  la  Vierc:e  (  Virno)  est  ce  mois  d'Aoûi,  dérivation   Août.-A«  rierge 

^     \         ^    I  '  et  les  moissons. 

d' Aucjustus ,ii\\q\\Q\  les  Romains  l'ayaicnt  consacré.  Chez  les 
chrétiens,  ce  mois  paraîtrait  natnrellement  porter  le  nom 
de  la  Mère  de  Dieu,  dont  la  fête  la  plus  solennelle  se  célèbre 
le  -15;  mais  comme  cette  fête  ne  fut  instituée  qu'après  le 
troisième  concile  général,  tenu  à  Éplièse  en  43^  (I),  on  doit 
se  reporter  beaucoup  plus  loin,  et,  scmble-t-il,  à  la  création 
même  du  Zodiaque ,  pour  comprendre  le  rôle  qu'y  remplit 
cette  constellation  et  le  caractère  qu'elle  y  prend.  Les  anciens 
s'accordent  peu  sur  sa  personne  :  Hésiode,  Hygin,  Aratus  lui 
donnant  des  origines  diverses.  Il  suit  néanmoins  de  leurs 
divergences  mômes  qu'elle  doit  sa  place  à  la  vénération  des 
peuples  anciens,  qui  crurent  honorer  en  elle  ou  Gérés  ou  Éri- 
gone.  Nous  accepterions  plus  volontiers  la  première,  puis- 
qu'on lui  donne  un  épi  de  blé  pour  attribut  en  certaines  ima- 
ges. Cependant  sa  virginité,  toujours  maintenue  par  les  my- 
thologues, la  ferait  prendre  plutôt,  comme  Pluche  se  le  per- 
suade (2),  pour  une  de  ces  jeunes  glaneuses  qu'on  dirigeait 
vers  les  champs  après  la  moisson  afin  d'y  ramasser  les  der- 
niers épis.  Ce  titre  de  Vierge  a,  d'ailleurs,  toujours  paru  à 
tous  les  peuples  quelque  chose  d'auguste  et  de  sacré  :  c'est 
ce  qui  avait  fait  donner  à  celle-ci  le  privilège  d'affranchir 
une  licorne,  avec  laquelle  on  l'a  représentée  quelquefois, 
et  qui,  malgré  sa  nature  sauvage  et  très-offensive,  se  laisse 
prendre  par  elle  jusqu'à  se  réfugier  dans  son  sein  (3).  C'est 
pourquoi  la  licorne  fut  toujours  le  symbole  de  la  pureté. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  mois  d'Août  coupe  les  blés  :  Messes  meto, 
et  les  bat,  Tero ,  comme  le  disent  quelques  vignettes  de 
manuscrits  (4). 
Pourquoi  Septembre  a-t-il  le  signe  de  la  balance  (Libra)^     septomi^rc.-/.a 

(1)  Coi^lre  Nestorius,  qui  aUaquait  la  maternité  divine  de  Marie. 

(2)  Speclacle  de  la  nature,  t.  IV,  p.  313. 

(3)  Jaucourt  citait  eu  1778  {Ennjclop.,  XXXV,  423)  un  cam»';c  du  ca- 
hiiuit  (lu  duc  d'Orléans  où  éluit  gravé  ce  symbole,  représenté  sur  beau- 
coup d'autres  monuments  anliijueo  d'après  la  même  idée. 

(4)  Celui  de  notre  bibliothèque,  cité  plus  haut. 


460  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

^ffl/aHceetiesven-  sinoii  pour  Signifier  la  parfaite  égalité  des  jours  et  des 
nuits  ,  ou  Féquinoxe  ,  qui  arrive  dès  que  le  soleil  sort  du 
signe  de  la  Vierge  ?  Mais  c'est  le  temps  de  la  vendange,  c'est 
pourquoi  il  se  vante  de  nous  verser  à  boire  :  Vina  propino  ; 
et  il  a  raison,  quoiqu'on  lui  reproche  de  se  trop  presser  à 
recueillir  les  fruits  de  la  vigne  (i);  car,  à  l'époque  de  nos 
curieux  almanachs ,  la  maturité  ne  dépassait  pas  la  fin  de 
septembre  dans  nos  climats,  devenus  ensuite  plus  acces- 
sibles aux  influences  du  septentrion. 
Octobre.  -  Le      La  récoltc  est  faite,  il  faut  songer  déjà  à  celle  de  l'année 

Scorpion ,  les  se-  ^ 

mailles ,  et    les  suivautc,  ctlcs  enscmeucements  recommencent  en  Octobre  : 

chasses  d'hiver. 

Scmen  humijacto^  qui  ouvre  ainsi  les  travaux  de  l'automne. 
C'est  l'époque  des  maladies,  préparées  par  les  variations  des 
vents  et  de  Ja  chaleur  ;  aussi  le  scorpion  (Scorpius)  semble 
jeter  sur  la  terre,  en  môme  temps  que  les  grains  devenus 
son  espérance,  les  mortelles  influences  du  venin  qu'il  traîne 
après  lui,  et  de  ses  piqûres  malfaisantes  qui  en  ont  fait 
le  symbole  du  démon.  Et  puis  les  feuilles  tombent  sur 
les  champs  dépouillés ,  les  forêts  s'éclaircissent  comme 
le  sillon  :  le  chasseur  peut  donc  se  livrer  à  son  plaisir 
avec  plus  de  chances  et  sans  craindre  de  rien  endom- 
mager. D'ailleurs ,  rien  ne  se  reproduit  alors  dans  le 
règne  animal ,  qu'il  ne  faut  pas  non  plus  laisser  se  multi- 
pher  outre  mesure,  et  dont  la  chair  devient  à  l'homme  une 
ressource  nouvelle. 
Novembre.-  Le      Quaud  Novcmbre  est  venu,  la  chasse  dure  toujours,  et  le 

Sagittaire   et    la  '..    •        /  i       •.  ^    i    «x  -•    •  ■>  . 

giandée.  Sagittaire  [Arcitenens]  doit  encore  participer  a  cet  exercice. 

Quel  est  ce  personnage  que  les  uns  ont  pris  pour  le  centaure 
Chiron,  si  maltraité  par  Hercule,  les  autres  pour  Procus  , 
chasseur  de  profession,  et  fils  d'Eumène  la  nourrice  des 
Muses?  Ce  qui  semble  autoriser  celte  seconde  conjecture  , 
c'est  que  ,  dans  le  zodiaque  de  Vézelay,  cet  homme  couvre 
des  phs  de  son  manteau  un  enfant  qu'il  garde  contre  les 

(1)  Didron,  Annal.  archèoL,  W\ ,  28. 


ZOOLOGIE. —  LES   ZODIAQUES.  4<>l 

frimas.  Ce  dernier  trait  ressort  bien  de  ce  que  dit  la  Fable, 
que  les  Muses  firent  placer  leur  nourricier  parmi  les  astres. 
Mais  d'autres  soins  appellent  aussi  Fliomme  des  champs  : 
celui-ci  porte  sur  ses  épaules  un  fagot  de  bois  mort  ramassé 
dans  les  clairières  de  la  foret;  celui-là  y  surveille  des  trou- 
peaux de  porcs,  si  nombreux  au  moyen  âge,  Pasco  sues; 
d'autres  abattent  les  glands  au  pied  du  chêne,  comme  dans 
notre  manuscrit  déjà  cité. 
Décembre  nous  retient  encore  aux  occupations  del'inté-     Décembre.- /,e 

,  .         ,  111.  1  ,       Capricorne  et   la 

rieur;  alors  on  tue  le  porc,  on  en  sale  la  chair,  on  la  pré-  salaison  des  vian- 


des. 


pare  pour  les  repas  de  famille,  que  vont  ramener  les  solen- 
nités de  Noël  et  des  Rois  :  îmmolo  porcos.  Le  pauvre  animal 
est  assommé  d'une  hache  et  ne  sera  saigné  qu'après  :  c'est  un 
moyen  comme  un  autre  d'éviter  ses  brutales  résistances  et 
ses  stridentes  lamentations.  Pendant  ces  scènes  sanglantes, 
le  capricorne  [Caper)  ne  poursuit  pas  moins  sa  course  olym- 
pienne. Ses  habitudes  de  chèvre  sauvage  aimanta  grimper 
sur  les  rochers  de  la  colline  ou  à  tondre ,  en  s'élevant  vers 
eux,  les  derniers  brins  d'herbe  attardés  aux  arbustes  et  aux 
buissons ,  indiquent  bien  les  premiers  mouvements  de 
l'astre  qui  se  relève  insensiblement  vers  son  apogée  en 
(juittant  le  solstice  d'hiver. 
Telle  est  la  suite  de  nos  sisrnes  zodiacaux  ,  tels  ils  furent  ,  Caractères  sym- 

°  '  boliques  de    cha- 

créés  par  l'antiquité,  adoptés  par  les  chrétiens  avec  les  quel-  que  figne  en  par- 
ques variantes  que  nous  avons  dites.  Mais  accoutumés  que 
nous  sommes  à  voir  ressortir  de  notre  zoologie  monumen- 
tale des  instructions  qui  ne  pouvaient  manquer  de  se  faire 
jour  dans  l'emploi  de  ces  bétes  allégoriques,  les  fidèles  des 
siècles  qui  les  virent  arriver  ou  revenir  dans  l'art  religieux 
se  contentèrent-ils  d'y  voir  les  leçons  générales  que  nous 
avons  signalées  quant  à  la  nécessité  et  à  la  sanctification 
des  travaux  de  la  vie  terrestre  ?  Nous  ne  le  croyons  pas ,  et 
il  nous  reste  à  inscrire  au  front  de  chacun  de  ces  animaux 
les  caractères  spirituels  qu'ils  révélaient  à  nos  pères  du  haut 
de  la  tribune  publique  où  ils  siégeaient. 


462 


HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 


Symbolsmo  du 
Bélier, 


du  Taureau , 


des  Gémeaux 


du  Cancer, 


Reprenons-les  donc  selon  l'ordre  que  nous  leur  avons  re- 
connu, et,  comme  nous  sommes  familiarisés  déjà  avec  beau- 
coup d'entre  eux,  soyons  court  autant  que  précis.  Nous 
parlons  d'après  S.  Méliton,  sans  répéter  à  satiété  les  volumes 
et  les  pages  de  cet  auteur,  dont  la  table  suffirait  à  qui  vou- 
drait de  plus  amples  renseignements  (1). 

Le  Bélier  symbolise  Jésus-Christ,  chef  du  troupeau  choisi, 
et,  par  conséquent,  avec  lui  les  Apôtres  et  les  Princes  des 
peuples. 

Le  Taureau  est  l'orgueil  de  la  force,  la  confiance  outrée 
dans  sa  puissance  et  dans  ses  propres  conseils.  Mais  il  est 
aussi  le  travail  et  le  sacrifice  généreux  :  sous  ce  double  as- 
pect il  est  encore  le  Dieu  se  sacrifiant  jusqu'à  la  mort. 

Les  Gémeaux,  représentés  habituellement  comme  deux 
jeunes  enfants  qui  unissent  leurs  mains ,  ne  sont-ils  pas  la 
pensée  visible  d'une  amitié  innocente,  de  la  charité  frater- 
nelle, de  la  candeur  naïve  qui  fut  bénie  par  le  Christ  et 
proposée  par  lui  aux  Disciples  comme  le  modèle  de  la  sim- 
plicité du  cœur?  Ce  sont  «  les  humbles  d'esprit  ))  que  «  le 
Seigneur  garde,  parce  qu'ils  sont  ses  enfants  (2) ,  les  nou- 
veaux baptisés,  les  novices  de  la  vie  religieuse.  Un  père, 
une  mère,  un  pasteur  ne  pouvaient  s'y  tromper. 

Le  Cancer  ou  chancre,  ou  l'écrevisse  (les  artistes  ont  re- 
présenté l'un  et  l'autre),  sont  l'image  de  l'hérésie,  qui  rétro- 
grade dans  la  voie  du  bien  en  se  retirant  de  la  vérité.  En 
cela,  ils  participent  du  caractère  des  sauterelles,  qui  figurent 
le  démon  par  leurs  ravages,  et  les  méchants  par  leurs  allures 
brusques  et  leurs  élans  subits  et  inattendus.  Avides  de 
chair,  les  chancres  cherchent  les  poissons,  dont  ils  font  leur 
proie.  Cette  chasse  est  encore  une  des  occupations  de  Satan 
contre  les  âmes.  A  défaut  de  S.  Méhton,  qui  ne  parle  pas  du 


(1)  C'est  toujours  l'édition  in-4o  du  docte  cardinal  Pitra  renfermée 
dans  les  deuxième  et  troisième  volumes  de  son  Spicilegium. 

(2)  «  Custodiens  parvulos  Dominus  :  humiliatus  sum  et  liberavit  me.  » 
{Ps,,  cxiv,  6.) 


ZOOLOGIE.  —  LES  ZODIAQUES.  /|()3 

chancre,  nous  suivons  ici  ce  qu'en  a  dit  Franzius,  que  nous 
avons  cité  plus  d'une  fois  (-1). 

Que  parlerions-nous  du  Lion,  si  bien  compris  pour  ses  ^u  Lion, 
analogies  et  ses  attributs?  La  force,  la  vigilance,  la  majesté, 
le  courage,  la  prudence  le  rapprochent  du  Sauveur  des 
hommes;  mais  il  est  aussi  l'adversaire  qui  tend  ses  em- 
bûches au\^  âmes ,  l'ennemi  qui  disperse  les  troupeaux  , 
l'homme  méchant  qui,  du  fond  de  son  antre  qui  est  le 
monde,  en  jette  l'esprit  autour  de  lui  et  dévore  toujours 
ceux  qu'il  a  vaincus  :  donc,  il  est  toujours  un  avis  utile  à 
tous. 

Nous  avons  parlé  de  la  Vierge.  Rien  n'était  fabuleux  dans  <ip  la  vier^o, 
son  image  pour  des  spectateurs  qui  ne  savaient  rien  de  la 
Fable  et  invoquaient  tous  les  jours  la  Mère  du  Christ.  Évi- 
demment Gérés  ou  Érigone,  peu  vierges  d'ailleurs,  n'avaient 
là  rien  à  gagner. 

La  Balance  ne  laissait  rien  ignorer  de  sa  valeur  morale  à  iieiaBi.iancp, 
des  intelligences  qui  savaient  la  pesée  des  âmes  (2).  Balthazar 
pesé  est  trouvé  trop  léger  (3)  ;  des  malédictions  sont  pro- 
noncées par  la  loi  divine  contre  ceux  qui  trompent  sur  le 
poids  (4)  ;  on  avait  entendu  Job  demander  au  Seigneur 
d'essayer  sa  conscience  dans  la  balance  de  sa  justice  (5);  on 
comprenait  donc  très-bien  que  soi-même  on  serait  assigné 
au  même  tribunal,  et  l'on  voyait  là  un  élégant  emblème  du 
suprême  jugement. 

Le  Scorpion  représente  Satan  et  ses  suppôts  :  c'était  un  des  du  scorpion, 
reptiles  les  plus  redoutables  pour  sa  morsure;  et  quand  le 
Sauveur  veut  affirmer  aux  Apôtres  la  toute-puissance  de  son 
assistance  dans  l'Église,  il  leur  rappelle  «  qu'ils  ont  reçu  de 

(1)  Animalium  historia  sacra,  p.  491  et  suiv. 

(2)  Voir  ce  que  nous  avons  dit  de  ce  symbole,  ci-dessus,  t.  II,  p.  429, 
—  et  dans  ce  volume,  p.  90,  142,  209,  336  et  367. 

(3)  «  Appeusus   es   in  statera ,    et   inventus  es   minus   habens.   » 
{Dan.,  Y,  27.) 

(4)  «  Statera  dolosa  abominatio  est  apud  Dominum.  »  {Prov,,  xi,  1.) 
{"))  «  Appendat  me  in  statera  justa.  »  (Job,  xxxi,  0.) 


404  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

lui  le  pouvoir  d'écraser  sous  leurs  pieds  les  serpents  et  les 
scorpions  []).  » 

du  sa-ittairo,  Lc  Sagittaire  [Arciteiiens)  est  encore  une  figure  du  Christ 

triomphant  des  ennemis  de  son  Ëghse,  comme  nous  l'avons 
vu  au  premier  chapitre  de  l'Apocalypse ,  où  le  vainqueur 
mystérieux  est  armé  d'un  arc  par  tous  les  iconologistes. 
C'est  de  lui  que  le  Psalmiste  a  dit  :  Il  a  lancé  sGs  flèches,  et 
il  a  dissipé  ses  adversaires  (2)  ;  et  encore  :  0  Tout-Puissant, 
que  vos  flèches  sont  aiguës  !  avec  elles  vous  triompherez  de 
tous  les  peuples  (3). 

et  du  capiicorno.  Qul  uc  savait,  aux  temps  de  foi  vive  et  de  vertus  austères, 
que  la  chèvre  (ou  Capricorne),  avec  ses  goûts  pour  les  lieux 
sauvages,  était  l'emhlème  de  la  vie  contemplative  et  péni- 
tente? Mais  ces  écarts  du  désert  conviennent  aussi  aux 
pécheurs,  qui  s'éloignent  de  Dieu,  et  cette  douhle  leçon  ne 
pouvait  être  perdue  pour  les  âmes. 

Voilà  donc  en  quoi  consistait  le  zodiaque  chrétien  et 
artistique  du  moyen  âge  monumental.  Continuons  mainte- 
nant à  examiner  les  autres  curiosités  de  notre  zoologie. 
Origine  des  bêtes  Nous  avous  slgualé  uaguèrc  en  quelques  mots  l'action 
iconologique  des  hyhrides,  genre  mixte  auquel  nous  devons 
d'autant  plus  d'attention  qu'il  prouverait  à  lui  seul  combien 
la  théologie  artistique  avait  besoin  du  symbolisme,  puisque, 
par  eux,  à  défaut  d'une  expression  assez  complète,  elle  a 
réuni  souvent  en  un  seul  être  plusieurs  natures  corres- 
pondantes au  besoin  de  ce  langage  mystérieux. 

Ces  sortes  de  monstruosités ,  dont  Horace  n'avait  vu  que 
le  ridicule  sans  en  deviner  l'esthétique  (4) ,  ne  prirent  leur 

(1)  «  Dedi  vobis  potestatem  calcandi  super  serpentes  et  scorpioncs.  » 
{Luc,  1,  9.) 

(2)  Ps.,  XVII,  15.-  Cf.  ci-dessus,  t.  II,  p.  174. 

(3)  «  SagiUae  Tuse  acutse,  Potentissime;  populi  sub  Te  cadent.  » 
{Ps.,  LXIV,  6.) 

(4)  Humano  capiti  cervicem  pictor  equinam 
Jungere  si  velit,  et  varias  inducere  plumas 
Undique  coUatis  membris,  ut  turpiter  atrum 
Desinat  in  piscera  mulier  formosa  superne, 

Spectatum  admissi,  risura  teneatis,  amici?  —  {De  Art.  poet.,  init.) 

Les  peintres,  paraît-il,  n'avaient  pas  encore  hasardé  de  superposer  une 


ZOOLOGIE.  —  LES  HYBRIDES.  465 

rôle  en  Europe  qu'au  douzième  siècle  ,  et  sont  évidemment 
d'origine  orientale,  conmic  l'a  prouvé  M.  le  chanoine  Jouve, 
en  observant  que  toutes  les  églises  de  construction  byzan- 
tine affectaient  surtout  ce  genre  d'ornementation.  Les 
sphinx,  les  griffons,  les  sirènes,  quoique  admis  bien  anté- 
rieurement, comme  nous  l'avons  vu,  se  représentaient 
infailliblement  aux  cathédrales  de  Valence ,  de  Venise ,  de 
Périgueux ,  à  Saint-Vital  de  Ravenne ,  à  Sainte-Sophie  de 
Gonstantiuople,  point  de  départ  dos  conceptions  romano- 
byzantines  en  Occident  (I).  Une  foule  de  chimères  sans 
nom  rentrèrent  alors  dans  l'immense  catégorie  de  ces  mer- 
\  eilleuscs  singularités.  On  les  vit  partout ,  et  partout  elles 
s'apatrièrent, entrant  dans  l'ornementation  générale,  et  pro- 
diguées, ce  semble,  de  préférence  à  beaucoup  d'autres  ani- 
maux non  moins  significatifs,  et  dont  la  forme  moins  com- 
pliquée eût  moins  étonné  le  regard  et  l'esprit.  Les  peintures 
de  Saint-Savin  (Vienne)  offrent  de  curieux  spécimens  de  ce 
genre  fantastique.  Dans  un  des  compartiments  ménagés  aux 
intrados  des  arcades,  une  tête  de  femme  posée  sur  un  corps 
de  lion  mâle  indique  reffronteric  de  l'impudeur.  Non  loin 
de  là,  un  oiseau  à  long  bec  recourbé ,  à  la  crête  démesuré- 
ment allongée  jusqu'à  l'extrémité  de  son  bec  aiguisé,  est  une 
variété  diabolique.Ailleurs,des  griffons  appuient  leurs  pattes 
puissantes  sur  deux  dragons  qu'ils  ont  terrassés,  et  dont  ils 
engueulent  fortement  la  large  queue  :  on  devine  bien  ici  la 
victoire  de  la  foi  sur  la  tentation,  car,  si  le  griffon  est  le  sym- 
bole de  Satan  ,  le  rôle  qu'il  remplit  en  ce  cas  indique  net- 
tement que,  par  opposition,  il  a  revêtu  un  caractère  tout  dif- 
férent. Il  en  est  ainsi  de  la  sirène.  Si  son  chant  renommé 

U)ie  de  cheval  h  celle  d'un  homme,  ou  de  la  lui  accoler,  ce  qui  ne  paraît 
guère  plus  beau.  Mais  la  mythologie  grecque  et  latine,  qui  avait  ses 
faunes,  ses  centaures,  ses  satyres  et  ses  sirèueSjdont  le  type  est  ici  par- 
faitement décrit  par  le  quatrième  vers,  n'aurait  fait  rien  de  plus  extraor- 
difaaire  en  créaut  un  être  à  deux  têtes  si  différonte.i,  et  dont  nos  artistes 
chrétiens  se  seraient  aussi  bien  emparés  que  des  autres. 
(1)  Voir  Biillet.  })ionu>ii.,  XIV,  ;;")S. 

T.  111.  30 


466  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

lui  a  donné  souvent  les  funestes  succès  d'une  enchanteresse 
perfide;  si,  dans  une  acception  tout  opposée,  elle  a  pu  repré- 
senter parfois  le  Sauveurlui-même,  instituteur  du  baptême 
qui  régénère  l'iionime  déchu,  on  a  pu  en  faire  aussi  l'em- 
blème du  plus  redoutable  ennemi  du  chrétien ,  lorsque,  par 
exemple,  on  la  voit  au  cloître  de  Saint-Aubin  d'Angers, 
tenant  d'une  main  un  coutelas  dont  elle  va  frapper  un  pois- 
son qu'elle  tient  de  l'autre,  et  qui  n'est  que  le  type  consacré 
de  Notrc-Seigneur  Jésus-Christ  ou  de  ses  amis  baptisés. 
L'antagonisme  de  l'Église  et  du  monde  se  rend  par  un  évê- 
que  monté  sur  un  basilic  très-reconnaissable  à  ses  traits 
d'oiseau  et  de  serpent ,  mais  qui  a  cela  de  particuher  que  sa 
tête  d'homme  est  surmontée  d'une  couronne  royale,  ce  qui 
répond  bien  à  son  nom  de  roi  (Jèaaikîôç).  Les  exemples  abon- 
dent, et  reviennent  sans  cesse,  de  ces  inépuisables  imagina- 
tions, et,  chemin  faisant,  nous  en  rencontrerons  bien  d'au- 
tres que  nous  expliquerons  d'après  les  mêmes  autorités 
invoquées  ici  (J). 

Au  reste,  le  paganisme,  plus  docile  qu'il  ne  le  croyait  aux 
révélations  de  l'esprit  infernal ,  avait  prodigué  ces  images 
comme  autant  de  démonstrations  de  ses  adorations  mons- 
trueuses. La  vraie  religion ,  autant  pour  déconcerter  la 
curiosité  impie  des  païens  que  pour  nous  rendre  plus  facile 
l'accès  des  vérités  nouvelles,  n'avait  pas  hésité  d'adopter 
comme  symboles  des  mythes  dont  le  sens  s'appliquait 
parfaitement  aux  personn.es  ou  aux  mystères  du  Christia- 
nisme (2). 
Les  Prophètes  et      L'cxcmplc  cn  était  venu  de  bien  haut ,  puisque  les  Pro- 

(1)  Voir  même  recueil,  XVI,  489;  XX,  555.  — Quoique,  dans  le  grand 
nombre  de  rédacteurs  que  s'est  faits  cette  savante  revue,  il  y  en  ait  dont 
l'autorité  reste  de  beaucoup  au-dessous  de  celle  de  quelques  autres, 
ou  peut  regarder  cependant  leurs  observations  comme  habituellement 
d'QU  grand  poids,  et  leurs  opinions  comme  des  mieux  formées. 

(2)  Albert.  Magn.  opp.  De  Animalibus,  lib.  XXXI 11.  —  Voir  aussi  le 
P.  Cahier,  Mélang.  cVarchéol.  et  de  lillér.,  t.  II;  —  Hippeau,  Beslinire 
de  Gnillatirne   e  Normand,  p.  89  et  ?uiv. 


ZOOLOGIE   DE   L*ÉCR1TURE  ET   DES   PÈRES.  467 

phètes  et  le  Sauveur  lui-mônie  s'étaient  servis  des  ficrares  les  lÉvangiie   four- 

*■  '^  Dissent   des  types 

plus  capables  de  colorer  leurs  pensées  et  de  graver  plus  pro-  «^^  catacombes, 
fondement  leurs  instructions  dans  les  esprits.  Le  serpent 
apparaît  dès  l'origine  du  monde  comme  l'ennemi  de  la  race 
humaine  qu'il  a  trompée,  et  destiné  dans  l'avenir  à  être 
la  victime  d'une  femme  qui  lui  écrasera  la  tète  :  circon- 
stances qui  ne  signifieraient  rien  si  elles  étaient  prises  à  la 
lettre  seulement.  Isaïe,  prédisant  la  paix  que  la  venue  du 
Sauveur  apportera  parmi  les  liommes,  représente  les  ani- 
maux les  plus  opposés  par  leurs  mœurs  et  leurs  caractères, 
liabitant  ensemble  et  changeant  leurs  habitudes  féroces  en 
des  relations  toutes  pacifiques;  le  léopard  et  le  chevreau  , 
la  brebis  et  le  lion,  la  génisse  et  l'ours,  n'auront  plus  l'un 
de  l'autre  ni  crainte  ni  inimitié  ;  les  carnassiers  se  rédui- 
ront à  la  nourriture  des  ruminants  ;  et  voyez  si  de  telles 
associations,  si  inattendues,  ne  vous  ont  point  quelquefois 
étonné  sur  quelque  pierre  où  vous  ne  soupçonniez  pas  la 
cause  de  leur  présence.  Ézéchiel  nous  a  parlé  des  quatre 
animaux  évangéhques  dont  le  corps  était  couvert  d'yeux  , 
figui'c  de  l'intelligence  et  de  la  foi ,  dit  S.  Eucher,  —  indice 
de  la  nécessité  de  veiller  sur  ses  pensées  et  ses  actions  d'après 
S.  Grégoire.  Nous  savons  que  David  a  comparé,  dans  sa  per- 
sonne, le  Sauveur  futur  au  pélican  ,  au  hibou ,  au  passe- 
reau, à  la  colombe  ,  au  cerf  altéré  ,  et  aucun  de  ces  ani- 
maux n'est  rare  dans  nos  maisons  de  prière.  Jésus-Christ 
lui-même  ,  qui  ne  parlait  jamais  sans  parabole  ,  afin  ,  dit 
S.  Jérôme,  de  fixer  plus  solidement  ses  leçons  dans  les  sou- 
venirs de  ses  disciples  ,  s'est  reconnu  dans  Jouas  ,  disparu 
pendant  trois  jours,  comme  il  disparaîtra  lui-môme  depuis 
sa  mort  jusqu'à  sa  résurrection  ;  il  traite  l'astucieux  Ilérode 
de  renard;  il  ne  veut  point  qu'on  jette  des  perles  devant  les 
pourceaux ,  c'est-à-dire  la  doctrine  sainte  aux  Pharisiens 
qui  n'en  veulent  pas  ;  le  serpent  et  la  colombe  devienneTit , 
dans  sa  bouclie,  l'attribut  delà  prudence  et  de  la  simplicité, 
et  nous  savons  combien  de  fois  apparaît,  sous  une  double 


M',H  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

forme  de  reptile  et  d'oiseau ,  cet  animal  à  l'extérieur  pai- 
sible, et  buvant  maintes  fois  au  calice  de  l'Eucharistie  ,  ou 
s'y  préparant  en  ajustant  de  son  bec  les  plumes  de  ses  ailes, 
c'est-à-dire  les  dispositions  intérieures  d'une  âme  remplie 
de  respect  et  de  foi.  Enfin,  dans  le  langage  du  Seigneur,  les 
aigles  sont  les  âmes  fidèles  ;  elles  s'attacheront  au  corps  mys- 
tique du  Christ,  et  se  retrouveront  toujours  là  où  il  sera  {]). 
Cette  habitude  des  philosophes  chrétiens  de  comparer  aux 
botes  irraisonnables  l'homme  qui  se  profane  dans  les  dé- 
sordres des  sens  perce  très-souvent  dans  les  livres  cano- 
niques de  la  nouvelle  Loi.  S.  Paul  dit  que  l'homme  animal 
ne  perçoit  pas  les  choses  de  Dieu;  S.  Jacques  traite  de  ter- 
restre ,  de  diabolique  et  d'animale  la  sagesse  qui  s'oppose  à 
celle  de  Jésus-Christ ,  et  S.  Jude  taxe  les  impudiques  de 
gens  qui  n'ont  rien  de  l'Esprit  et  tout  de  l'animal  (2j. 


(1)  Nous  groupons  tous  les  textes  qui  confirment  ces  assertions  : 
«  Inimicitias  ponam  iuter  te  et  mulierein  ,  et  semen  tuum  et  se- 
nien  illius;  ipsa  couteiet  caput  tuum.  »  (Gen.,  irr ,  10.)  —  «  Habitabit 
lupus  cum  aguo,  et  pardus  cum  haedo  accubabit;  vitulus  et  leo  et  ovis 
siiuul  morabuntur,  et  puer  parviilus  niinabit  eos  Vitulus  et  iirsus 
pascentur  simul;  requiescent  catuli  eoiuni,  et  leo  quasi  bos  cojnedet 
paleas,  »  {Is.,  xi,  6  et  seq.)—  «  Et  omne  corpus,  et  colla  ,  et  mauus  et 
peuuœ^plena  erunt  oculis.»  {Ezech.,  i,  18  j x,  1 2.)  —Voir S .  Creg. inh. loc, 
llomil.  ui,  lib.  1;  Moral,,  lib.  IX,  cap.  vi,  —  et  l'explication  étendue 
de  ce  passage  dans  Sacy,  t.  XXX,  p.  514.  —  «  Similis  factus  sum  peli- 
cano  solitudinis.  »  {Ps.,ci,  7.)— «Sicutnycticoraxin  domicilio.  »  [Ibid.) 
—  «  Sicut  passer  solitarius  in  tecto.  »  {Ibid.,  8.)  —  «Quemadmodum 
desiderat  cervus  ad  fontes  aquarum.»  {Ps.,  xli,  1.)  —  «Sicut  fuit  Jonas 
in  ventre  ceti  tribus  diebus,  sic  erit  Filius  hominis  in  corde  terraj 
tribus  diebus  et  tribus  noctibus.  »  {MaUh.,  xii,  40.) —  «  Ite  et  dicite 
vulpi  illi  :  Kcce  ejicio  dcemonia...  »  {Luc,  xiii,  32.)  — «Neque  miltatis 
margaritas  vestras  ante  porcosj  ne  forte  conculcent  eas  pedibus  suis.  » 
{MoAth.,  VII,  6.)—  «  Estote  ergo  prudentes  sicut  serpentes,  et  simplices 
sicut  columbse.  »  {Moith.,  x,  16.)—  «  Ubi  erit  corpus,  illic  congrega- 
buntur  et  aquilai.  »  {Matlh.,  xkî\,  28;  Luc,  xvii,  37.) 

(2)  «  Animalis  liouio  non  percipit  ea  quae  sunt  Spiritus  Del;  stultitia 
enim  est  illi.  »  (1  Cuî\,  u,  14.) —  «Non  est  enim  ista  sapientia  desur- 
sum  descendens,  sed  terrena,  animalis,  diabolica.  »  {Jac,  m,  15.)  — 
«  Hi  sunt  qui  segregant  semetipsos...,  in  via  Gain  abierunt...  Quœ- 
cuiïique  autera  naturaliter,  tanquam  muta  animalia,  norunt,  in  liis  cor- 
rumpuntur...  animales,  Spiritum  nonbabentes.  »  {Jud.,  19.) 


ZOOLOGIE   DE   L'ÉCRITURE   ET   DES   PÈRES.  ï60 

Mais  de  rÉvanoilc,  des  écrits  apostoliques,  tant  d'idées  aussi  wen  «pe  la 

*-'  117  mythologie. 

fécondes  devaient  passer  dans  la  pratique  de  l'art,  qui  ne 
pouvait  manquer  de  vivifier  le  culte  nouveau.  L'âge  des  cata- 
combes fut  celui  de  ces  ingénieuses  inventions,  qui  ne  se 
prêtaient  pas,  comme  on  l'a  redit  trop  souvent,  cà  des  con- 
cessions d'une  valeur  contestable,  mais  prétendaient  réelle- 
ment utiliser,  en  faveur  de  la  vérité,  ce  que  d'antiques  men- 
songes pouvaient  avoir  encore  d'emblématique  et,  par  cela 
môme,  de  fond  sérieux.  Orphée,  dont  la  lyre  avait  charmé 
ses  contemporains  et  relevé  les  murs  de  Troie ,  y  repré- 
sentait le  Sauveur,  dont  le  Psalmiste  avait  dit  :  Diffma  est 
grada  in  lahiis  tuis  (]);  —  Andromède,  dévorée  par  un 
monstre  sous  forme  de  dragon  ,  n'était  autre  que  Jonas 
englouti  par  la  baleine  (2);  —  un  berger,  portant  sur  ses 
épaules  une  des  brebis  de  son  troupeau,  rappelait  le  Bon 
Pasteur,  dont  la  touchante  parabole  fait  aimer  le  cbapitre  x 
de  S.Jean.  Les  sirènes,  qui  s'y  montrent  aussi,  symbolisent, 
par  leur  tôte  liumaine  et  leur  arrière-corps  de  poisson,  l'hu- 
manité régénérée  dans  l'eau  du  baptême;  les  centaures  n'y 
étaient  pas  l'ares  et  représentaient  le  démon  ou  le  péché 
s'identifiant  à  l'homme  et  le  persécutant,  comme  cette  béte 
fantastique  poursuit  souvent  et  frappe  de  ses  traits  le  cerf 
qui  Fuit  de  toute  sa  vitesse,  comme  le  chrétien  doit  éviter 
le  mal. 
Les  plus   anciens  Pèies,  dont  nous  avons  les   écrits,      ^es  pèrcs  y 

trouvent  un  mo- 

n  eurent  donc  pas  de  peine  à  employer  ce  système  d'ensei-  yen  trensei^nc- 
gnement  dont  ils  voyaient  la  source  dans  l'Écriture  et  l'ap- 
plication dans  les  plus  anciens  monuments  de  leur  culte. 
Ils  étudièrent  ici  cette  partie  si  intéressante  de  l'histoire 
naturelle.  Familiarisés  par  leurs  doctes  veilles  avec  les  an- 
ciens qui  en  avaient  traité,  Aristote  et  Pline  surtout,  ils 
y  trouvèrent  une  moisson  de  réflexions  attachantes ,  et , 
dans  leurs  expositions  des  œuvres  de  Dieu,  envisageant 

M)   P.S.,  XLIV. 

:2)  Jm.,  XI. 


ment  religieux. 


Us  acceptent  les 
notions  d'histoire 
naturelle  reçues 
par  les  écrivains 
de  renom,  pour  en 
faire  une  suite 
d'autant  plus  fer- 
tile de  symboles, 


suivant  en  cela 
l'exemple  des 
poètes  païens. 


/|70  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

toujours  le  monde  physique  et  ses  détails  infinis  au  point  de 
vue  de  l'éternité,  ils  tirèrent  d'ingénieuses  comparaisons  et 
des  conséquences  pratiques  de  tout  ce  que  la  nature  leur 
offrit  de  propre  à  rapprocher  l'homme  du  Giel  ;  ils  lui  révé- 
lèrent ,  avec  la  nohlesse  de  son  origine ,  sa  prééminence 
sur  les  animaux.  En  notant  les  mœurs  et  les  hahitudes  con- 
nues de  ceux-ci ,  ils  ne  manquèrent  pas  d'en  tirer  des 
inductions  morales  et  créèrent  cette  haute  philosophie  qui 
développe  les  principes  absolus  de  la  loi  chrétienne  de 
façon  à  en  faire  le  code  universel  de  la  conduite  humaine. 
—  Et  ne  les  accusons  pas,  comme  ont  fait  des  sophistes  de 
l'école  moderne ,  d'avoir  donné  dans  une  crédulité  inex- 
cusable en  admettant,  avec  les  naturalistes  anciens ,  des 
notions  de  zoologie  qui  ne  soutiendraient  pas  d'examen 
sérieux.  Outre  qu'ils  ne  répondaient  pas  des  idées  scienti- 
fiques de  leur  temps,  suivies  depuis  des  siècles  par  des 
hommes  de  génie  auxquels  ils  pouvaient  croire  sans  trop 
manquer  aux  exigences  de  leur  propre  réputation ,  il  est 
très-probable  qu'ils  n'acceptèrent  pas  tous  les  on-dit  de  ces 
physiciens^  devenus  plus  illustres  par  leurs  travaux  que  par 
l'exactitude  de  leurs  assertions ,  et  que  s'ils  en  usèrent 
comme  point  de  comparaison ,  et  en  tant  qu'ils  devenaient 
pour  eux  autant  de  symboles  à  introduire  dans  leurs  caté- 
chèses, ce  ne  fut  pas  toujours  sans  en  comprendre  la  portée 
scientifique;  ils  purent  très-bien  savoir,  par  des  observa- 
tions subséquentes ,  la  valeur  de  certaines  traditions  des 
anciens,  modifier  ainsi  les  idées  qu'ils  en  auraient  acquises, 
et  cependant  adopter  ces  traditions  mêmes  dans  ce  qu'elles 
avaient  de  convenable  à  la  partie  symbolistique  de  l'ensei- 
gnement public. 

Nous  n'en  voudrions  pour  preuve  que  les  habitudes  de 
l'aigle ,  la  plupart  imaginaires ,  et  cependant  acceptées  pai* 
les  poètes,  comme  de  saisir  ses  petits  pour  leui*  faire  fixer 
1?  soleil  de  leurs  regards  naissants,  de  voir  lui-même  du 
haut  des  airs  les  plus  petits  poissons  apparaissant  à  la  sur- 


ZOOLOGIE   DE    l'eCRITURE   ET   DES   PÈRES.  471 

face  de  l'eau.  Tant  de  merveilles  et  bien  d'autres  iravaient 
pas  semble  méprisables  à  Olaudien ,  à  Silius  Italicus ,  à 
Lucain;  et,  après  eux,  pourquoi  les  mômes  idées  n'eussent- 
elles  pas  souri  comme  termes  de  comparaison  frappante 
à  des  orateurs  dont  le  but  était  bien  plus  élevé,  à  S.  Jérôme 
par  exemple,  à  S.  Clément  d'Alexandrie,  à  S.  Ambroise  (I)? 
Tous  pouvaient  dire  à  cet  égard  comme  S.  Basile  ,  qui,  en 
expliquant,  à  propos  de  l'œuvre  des  six  jours, les  caractères 
des  animaux  dans  leurs  rapports  avec  celui  de  l'homme, 
s'en  remet  complètement  aux  notions  reçues,  y  prend  ses 
allégories ,  et,  s'y  croit  autorisé  par  l'exemple  des  savants 
antérieurs ,  après  lesquels  il  avoue  n'avoir  rien  inventé  (2). 
En  effet,  ces  grands  génies  catlioliques,  outre  qu'ils  ne  se 
sentaient  pas  appelés  à  faire  des  cours  d'histoire  naturelle, 
pouvaient  très-bien  s'appuyer  sur  des  croyances  populaires 
pour  en  tirer  des  conséquences  qui  tournaient  toutes  à 
l'avantage  de  leurs  moralités.  Que  leur  importait  qu'en  réa- 
lité le  coq  ne  s'effrayât  point  dulion,  que  le  crocodile  fut  ac- 
cusé à  tort  de  pleurer  pour  attirer  les  enfants  sous  sa  dent 
cruelle,  que  le  porphyrion  d'Élien  et  d'Athénée  ne  mourut 
pas  de  compassion  quand  la  femme  de  son  maître  était 
infidèle  (3)  ?  de  tout  cela  on  n'en  concluait  pas  moins  que 
la  vigilance  nous  épargne  les  tentations,  quo  les  pièges 
trompeurs  de  l'ennemi  des  hommes  doivent  leur  inspirer 
de  la  méfiance,  et  que  l'adultère  était  un  grand  crime, 

(1)  Protinus  implumcs  convertit  ad  œthera  nidos 
Et  recto  flamnias  imperat  ore  pati. 

(Claud.,  De  tertio  consul.  Ilonorii,  prœfat.  ; 
mihi,  p.  145.) 

—  Voir  encore  Silius  liai.,  De  Dello  Pun.,  lib.  X;  —  Lucain,  Phanal., 
lib.  IX;  —  S.  Jérôme,  In  Abdiam,  i,  4;  —  S.  Clément  d'Alex.,  Co/urtat. 
ad  Gciilds,  cap.  x;  —  S.  Ambroise,  Exameron,  lib.  IV,  15. 

(2)  «  Novi  leges  allegoriarum ,  et  si  non  a  me  inventas  ,  ab  aliis 
tamen  elaboratîis  teneo.  »  'Jlexo mer'jn,\\om.  ix,  cité  par  M.  l'abbé  Cros- 
uier  dans  V Iconographie  chrélienne,  ch.xxxu;  —  Bull,  iiionum.,  XIV, 
289.) 

(3)  Cf.  Le  Monde  tnclwnlé,  de  M.  Ferdinand  Denis,  ch.  n ,  p.  14  et  30, 
in-32,  1843,  Paris. 


472  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

puisqu'il  désolait  jusqu'à  la  mort  le  cœur  affectueux  d'un 
animal  domestique.  C'est  ainsi  que  les  Pères  ont  procédé  : 
S.  x\ugustin  et  S.  Ambroise ,  S.  Grégoire  et  S.  Isidore  de 
Séville ,  et  tous  ceux  qui ,  avant  ou  après  eux,  s'emparèrent 
de  l'univers  entier  pour  faire  de  toutes  les  ressources  de  la 
création  un  hymne  à  la  gloire  de  son  auteur. 
Les  écrivains  du       Lcs  Doctcurs  du  movcu  âge  ne  furent  pas  plus  difficiles  ;  ils 

moyen  âge  les  ont  >j  ^ 

uivis  eux-mêiries.  tendirent  au  même  but  par  les  mêmes  moyens.  Les  plus  fa- 
buleuses fantaisies  de  l'histoire  naturelle,  prise  dans  toutes 
ses  branches,  ne  leur  coûtèrent  pas  à  vulgariser  pourvu 
qu'ils  en  pussent  tirer  une  leçon,  et  encore  ne  faudrait-il  pas 
trop  se  récrier  sur  beaucoup  de  ces  spécimens  accueillis  dans 
les  études  du  cabinet  par  des  savants  dont  ils  séduisaient 
Certaines  opi-  l'intelligeuce.  Est-il  bien  prouvé  que  tels  de  ces  sujets  dont 

nions   sur  la  zoo-  ,  ^  -^  ^ 

logie    pouvaient  uous  rious  u'out  jamals  existé  ?  Est-il  une  limite  si  absolue 

être  plus  fondées 

qu'on  ne  le  croit,  aux  phéiiomènss  dc  la  nature  que  nous  puissions  la  leur 
assigner  positivement,  et  rejeter  tout  ce  qui  semblerait  la 
dépasser  ?  La  science  moderne  protesterait  contre  de  sem- 
blables prétentions.  Il  y  a  longtemps  qu'un  homme  de  juge- 
ment et  d'esprit  disait  :  «  Notre  siècle  ,  plus  éclairé  que  les 
générations  précédentes ,  n'a-t-il  pas  justifié  Pline  l'Ancien 
sur  plusieurs  reproches  d'erreurs  et  de  mensonges  qu'on 
lui  faisait  il  y  a  1 50  ans  (1  )  ?  »  Les  contes  qu'on  a  faits  des 
dauphins  sur  leur  amitié  pour  l'iiomme  n'ont  pu  tenir  contre 
leur  abstention,  aujourd'hui  vingl  fois  séculaire,  du  plus 
petit  acte  d'humanité.  Mais  qui  pourrait  protester  définiti- 
vement contre  une  foule  d'assertions  qui  nous  ont  fait  rire 
des  naturalistes  grecs  et  latins ,  quand  les  plongeurs  de 
notre  époque,  munis  de  moyens  jadis  inconnus  ,  peuvent 
observer  au  fond  de  la  mer  des  poissons  qu'on  ne  voit  jamais 
à  sa  surface,  et  dont  les  têtes  sont  celles  du  cliat ,  du  chien 
et  de  l'écureuil  (2)  ?  Soyez  sûr  que  ,  dans  beaucoup  de  ces 

'1)  L'fihhé  Dubos,  Réflexions  syr  la  poésie  et  la  peinture ,  i.  Il, 
p.  50o,  Paris,  in  12,  1770. 

(2)  Voir  VUnivers  du  4  novembre  1868  :  Causeries  scientifiques; 
voir  aussi  le  P. Cahier,  Vitranx  de  Bounjes,  p.  97,  n"  8,  et  p.  79,  98,  n»  2. 


ZOOLOGIE    DU    MOYEN    AGE.  Î73 

faits  transmis  à  nos  rélloxions  par  les  laborieux  observateurs 
des  premières  époques  littéraires  ,  il  n'y  avait  pas  tant  d'er- 
reurs qu'on  veut  bien  le  dire,  et  que  ces  botes  curieuses, 
dont  quelques  espèces  d'ailleurs  ont  pu  se  perdre  ,  n'au- 
raient pas  tous  les  torts  qu'on  leur  a  reprocbés  s'il  leur  était 
donné  de  comparaître  devant  nous.  (Test  ainsi  que  peuvent 
s'expliquer  maintes  fois  les  prétendues  naïvetés  de  S.  Jé- 
rôme ,  de  S.  iVmbroise  ou  de  l'auteur  supposé  sous  son 
nom  ,  de  Pierre  Damien ,  de  Vincent  de  Beauvais  et  de 
beaucoup  d'autres  que  nous  avons  nommés ,  lesquels,  eus- 
sent-ils été  convaincus  de  leurs  dires ,  auraient  toujours 
pour  avocats  devant  le  bon  sens  les  auteurs  sans  nombre 
adoptés  et  cités  par  Pline  et  par  tous  ceux  qui  le  suivirent  à 
leur  tour  dans  la  môme  carrière.  Il  faut  sui'tout  se  reporter, 
pour  comprendi'e  la  position  littéraire  faite  à  ces  grands 
hommes,  à  l'état  des  sciences  naturelles  que  de  longs  voya- 
ges et  de  grosses  dépenses  n'avaient  pu  élever  encore  jus- 
qu'à la  hauteur  que  leur  ont  faite  les  observations  modernes. 
On  sait  que  cette  espèce  d'enfance  enveloppa  l'essor  de  la 
botanique  ,  de  la  chimie  et  des  autres  connaissances  pliy- 
siologiques  jusqu'au  seizième  siècle  de  notre  ère.  Montai- 
gne, x\myot ,  Budé,  Alciat  ne  furent  guère  plus  forts  qu'on 
ne  l'était  trois  cents  ans  avant  eux,  et  l'un  de  nos  derniers 
écrivains  de  cette  époque  ,  S.  François  de  Sales  ,  à  qui  l'on 
ne  refusera  pas  plus  le  jugement  que  le  style,  n'a  pas  hésité 
devant  de  nombreuses  comparaisons  que  nous  trouvons 
pleines  de  charme  autant  que  de  justesse ,  et  dont  le  fond 
pourtant  ne  serait  plus  de  mise  devant  les  graves  examina- 
1 3urs  de  nos  bacheliers. 
Cependant,  et  en  dépit  de  ces  crédulités  d'immortels  Doc-     Albert  le  Grand 

.  '  .  n'a;lmct  pas  toutes 

leurs,  nous  ne  devons  pas  omettre  de  Citer  ceux  qui  refu-  les  opinions   de 
sèrent  de  les  partager  et  professèrent  nettement  des  opi-  vâis."^ 
nions  opposées.  Ceu\  qui  s'occupaient  exclusivement  des 
sérieuses  matières  de  la  théologie  scolasti(|ue  eurent  bien 
garde,  en  présence  même  des  symbolistes  les  plus  renom- 


474  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

mes,  d'adopter  les  contes  savants  qu'ils  voyaient  accrédités 
de  toutes  parts.  Quand  Vincent  de  Beauvais  répétait  sur  la 
calandre ,  oiseau  mystérieux  qui  guérissait  la  jamiisse  en 
regardant  ceux  qu'elle  affectait ,  toutes  les  merveilles  qu'en 
racontent  Élien  ,  Suidas,  S.  Épiphanc  ,  et  tous  les  pliysio- 
logues  du  monde ,  son  contempoi-ain  Albert  le  Grand  n'y 
croyait  pas  plus  qu'aux  singularités  du  pélican  :  en  les 
indiquant ,  il  a  soin  d'infirmer  les  faits  par  une  déné- 
gation absolue.  Ce  savant  homme  ne  craignait  donc  pas  de 
s'élever  contre  les  opinions  reçues  ;  il  combattait  contre  ses 
devanciers  et  contre  ceux  de  son  temps,  dont  la  réputation 
n'a  cependant  souffert  en  rien  de  leurs  assertions,  et,  tout 
eu  les  combattant,  il  cédait  néanmoins  quelque  peu  aux 
préjugés  des  symbolistes ,  puisqu'il  ne  croyait  pas  pouvoir 
se  dispenser  d'indi([uer  leurs  idées,  tout  en  se  refusant  à 
les  accepter  (^1). 
Origine  du  bes-       Dc  cc  qul  précèdc  on  peut  conclure  sûrement  que  c'est 

tiaire ,  et  auteurs  iii  -i  in  •  ^       >    • 

qui  se  sont  donnés  au  doublc  pouit  dc  VUS  (XQ  1  enseiguemeut  cliretieu  et  des 

à  la  zoologie  mys-  ,,.       .        .  „  ,        . 

tique.  arts  d  imitation  que  turent  conçus  ces  nombreux  pJnjsio- 

logucs  ou  bestiaires  devenus,  pour  nos  artistes  comme  pour 
les  théologiens  et  les  prédicateurs,  une  source  inépuisable 
d'histoires  attachantes ,  de  légendes  instructives ,  destinées 
également  à  l'écrivain  et  à  l'imagier.  Nous  avons  parlé  de 
Tatien,  philosophe  hérétique  du  temps  de  S.  Justin  ,  et  qui 
fut  probablement  le  premier  rédacteur  de  ces  listes  com- 
parées des  caractères  de  l'homme  et  des  animaux.  Son  livre 
est  perdu ,  et  avec  lui  sans  doute  une  foule  d'attributions 
merveilleuses  reflétées  sur  ses  animaux  par  tous  ses  prédé- 
cesseurs (2).  Quel  qu'ait  été  l'esprit  dans  ce  livre  blâmé 
comme  hérétique  par  le  pape  Gélase ,  il  est  bien  clair  que 
cette  condamnation  ne  se  serait  pas  adressée  à  un  livre  où 
se  lût  traité  uniquement  un  cours  d'histoire  naturelle  ;  il 
fallait  bien  que  des  moralités  chrétiennes  en  ressortissent , 

(1)  Cf.  Albert.  Magu.,  opp.  De  Aidnialibus,  lib.  XXXIil. 

(2)  Voir  ci-dessus,  t.  Il,  p.  273. 


ZOOLOGIE.  —  LES    PHYSIOLOGUES   OU   BESïlAlUES.         î  /  ) 

et  avec  elles  des  interprétations  que  les  gnostiques  et  autres 
sectes  n'auraient  pas  plus  désavouées  que  Tauteui*  qui  par- 
tageait leurs  principes. — Après  Tatien,  ct.s'éclielonnant  dans 
la  suite  des  siècles,  viennent  se  ranger  sur  la  même  ligne , 
outre  les  Pères  déjà  nommés,  S.  Épipîiane,  auteur  présumé 
d'une  Phydolo'jic  mystique^  Hugues  de  Saint-Victor  dans 
ses  Institutions  monastiques,  puis  Guillaume  le  Normand  et 
Robert  de  Fournival,  auteurs  l'un  du  Bestiaire  divin,  l'autre 
de  celui  des  Sept  Vices  et  des  Sept  Vertus.  Le  trouvère  anglo- 
normand  Philippe  de  Thaun  eut  aussi  son  Physiologue  au 
commencement  du  douzième  siècle  ;  l'abbesse  Jïcrrade 
n'avait  pu  négliger  ce  mémo  sujet  dans  son  Ortus  dclicia- 
rum.  Il  est  rare  d'ailleurs  que  les  écrivains  qui  précédèrent 
Origène  jusqu'à  la  moitié  du  troisième  siècle  ne  citent  pas  un 
physiologue,  qui  apparaît  toujours  comme  une  autorité  sans 
laisser  aucun  autre  vestige  de  son  existence  et  de  son  ori- 
gine. Mais,  depuis  ces  premiers  temps,  beaucoup  d'autres 
s'en  sont  occupés  soit  en  prose  ,  soit  en  vers,  et  il  est  pro- 
bable que  tous  ne  sont  que  des  copies  plus  ou  moins  lidèles 
du  premier,  augmentées  par  chaque  nouvel  éditeur,  et 
devenues  ainsi  des  sources  abondantes  pour  les  imagiers  de 
nos  édifices  religieux  ou  de  nos  manuscrits  à  miniatures. 
Pour  ne  pas  trop  prolonger  ici  le  catalogue  de  ces  auteurs 
spécialistes,  sur  lesquels  le  savant  cardinal  Pitra  sera  con- 
sulté avec  fruit  dans  son  Spicilége  (1),  il  nous  suffira  de 
domier,  poui-  bien  constater  la  manière  de  ces  sortes 
d'ouvrages,  le  Physiologua  de  Théobald ,  dont  la  forme  et 
les  commentaires  sont  assez  lares  et  assez  courts,  pour 
trouver  dans  ce  livre  un  asile  qui  évitera  à  beaucoup  la 
[)eine,  peut-être  inutile,  de  le  chercher  ailleurs. 
L'identité  de  cet  auteur  serait  d'abord  à  rechercher  :  ceux      i'htpioio<jue  de 

Tliéobai'.l. 

qui  ont  parlé  de  lui  sont  peu  d'accord  sur  ce  point.  Le     incortitudos bio 

graphiques  sur  cet 

P.  iJeaugendre,  bénédictin,  (jui  donna  en  ^08  une  édition  auteur. 
(1)  Cf.  t.  i;i,  De  lie  S!/rnb(jlira,  cu[).  il,  ai  t.  :l,  pi.  lxxh  et  suiv. 


470  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

des  œuvres  de  Févêque  du  Mans  Hilde])crt,  mort  en  1 134  , 
attribua  ce  livre  à  ce  prélat,  et  l'inséra  parmi  ses  écrits.  On 
ne  voit  guère  d'où  .pouvait  venir  cette  attribution,  puisque 
le  nom  de  l'auteur  véritable  était  donné  à  son  physiologue 
dans  toutes  les  copies  qu'on  en  avait,  et  que  si  le  TheohaJdus 
eût  pu  devenir  un  Hildebertus  ,  ce  n'eût  été  que  par  une 
métamorphose  inexplicable.  Il  paraîtrait,  d'après  plusieurs 
auteurs ,  que  le  manuscrit  portant  le  nom  de  Thibault  se 
retrouvait  en  un  grand  nombre  de  bibliothèques,  ce  qui 
s'expliquait  par  l'obhgation  imposée  aux  clercs  de  lire,  pré- 
férablcment  à  tous  les  autres,  le  Physiologue  recommandé 
par  ce  nom,  et  qui  entrait  depuis  longtemps  dans  les  études 
ecclésiastiques ,  lorsque  Bebelius  mentionnait  ce  fait  dans 
ses  Opuscu/a  varia  (1).  Dire  sur  quoi  se  fonde  un  manuscrit 
de  la  bibliothèque  Riclielieu,  cité  par  M.  Paulin  Paris,  pour 
ajouter  au  nom  de  Théobald  l'épitliète  Placentinus ,  pour 
quoi  d'autres,  que  cite  sans  se  prononcer  l'illustre  cardinal 
Pitra,  lui  ont  assigné  le  siège  de  Sienne,  pour  patrie  la 
Lombardie ,  et  pour  époque  la  fin  du  onzième  siècle,  qui 
était  le  temps  où  florissait  Constantin  de  Garthage,  ce  n'est 
pas  facile  à  dire,  attendu  que  ces  auteurs  ne  s'appuient  que 
sur  des  conjectures.  Si  l'on  nous  permet  d'admettre  aussi 
les  nôtres,  nous  dirons  d'abord  que  rien  ne  prouve  que 
Théobald, surnommé  Placenfinus  (de  Plaisance), ou *S(?w^w.çz5 
(de  Sienne),  ait  jamais  été  évéque  de  l'une  de  ces  deux  villes, 
ou  des  deux  successivement;  que  les  savants  de  cette  époque 
prenaient  assez  souvent  le  nom  de  la  ville  où  ils  avaient 
étudié,  aussi  bien  que  du  lieu  de  leur  naissance,  et  qu'autour 


(1)  Opus:-iila  Bebeliana,  in4o,  Argentor.j  l.>13.  — Notre  vieil  et  savant 
ami  M.  C.  HippeaU;  secrétaire  des  comités  archéologiques  à  Paris,  cite, 
dans  l'introduction  de  l'édition  qu'il  a  donnée  du  Bestiaire  divin  de 
Guillaume  le  Normand  (p.  22,  iu-S»,  Caen,  1832),  ce  passage  de  Bebe- 
lius, et  deux  ou  trr^is  autres  auteurs  de  diverses  dates,  dont  les  textes 
prouvent  que  Théobald  l'emportait  de  beaucoup  par  sa  célébrité  sur 
plusieurs  autres  auteurs  qui  avaient  trailé  le  même  sujet.— Voir  encore 
SpicU  {/.  Soi  ■snu,  III,  lxxi;  -  lHUoire  littér.  de  la  France,  XIV,  407. 


ZOOLOGIE.  —  LE   PIIYSIOLOGUE   DE   THÈOBM.D.  'i77 

de  ce  nom  ainsi  produit  demeurent  forcément  jusqu'ici 
toutes  les  obscurités  possibles.  Aucun  biographe  n'en  parle, 
les  archéologues  mêmes  le  connaissent  peu  ;  il  n'y  a  pas  jus- 
qu'à ses  éditeurs  qui  n'aiment  mieux  s'étendre  sur  le  fond  de 
son  livre,  sa  portée  morale  et  le  mérite  relatif  de  son  exé- 
cution, que  sur  ce  qu'en  pourraient  attendre  les  érudits, 
curieux  de  connaître  un  homme  qui  les  intéresse  par  ses 
études  et  par  l'ingénieuse  tournure  de  ses  préceptes  en  vers. 
Il  nous  semble  donc  que  c'est  à  un  écrivain  français     opinion  qu'on 

peut  s'en  former. 

quil  faudrait  attribuer  ce  nom  tant  controversé,  et  quen 
observant  de  quelle  façon  procède  l'auteur  de  la  pré- 
face, qui  ne  doit  pas  s'éloigner  beaucoup  de  celui  du  texte, 
s'il  n'est  lui-même  ,  il  faudrait  reporter  celui-ci  seulement 
aux  onzième  et  douzième  siècles,  c'est-à-dire  le  rattacher  à 
la  physiologie  et  au  style  philosophique  de  ce  temps.  Ge 
serait  donc,  selon  nous,  ou  Thibauld,  évoque  de  Paris  vers 
M  40,  ou  Thibauld,  troisième  du  nom,  archevêque  de  Reims 
de  \]{yd  ki 204,  qui  aurait  composé  ce  poème.  Prose  et  vers, 
tout  nous  le  fait  penser  :  la  prose,  en  effet,  de  l'introduction 
susdite  se  ressent  des  distinctions  philosophiques  employées 
dans  les  disputes  animées  de  Gilbert  de  la  Porée  ,  d'Abai- 
lard  et  de  liérenger.  L'éditeur  s'étend  avec  une  sorte  de  com-  But  de  son  li- 
plaisance  sur  les  quatre  causes  de  ce  travail,  lesquelles,  dit- 
il,  sont  matérielle ,  formelle^  efficiente  et  finale.  La  cause 
finale  surioni  importe  ici  :  eUe  est  l'exposé  net  et  clair  du  but 
que  s'est  proposé  le  docteur  :  «  C'est  l'utihté  du  livre  ,  c'est 
que,  l'ayant  lu,  nous  apprenions  à  aimer  les  vertus,  à  détester 
le  vice  et  à  nous  former  aux  bonnes  mœurs.  Je  parle  ici , 
ajoute-t-il,  des  vertus  cardinales  :  la  prudence,  la  justice,  la 
tempérance  et  la  force.  Quant  aux  vices  ,  ce  sont  l'orgueil, 
l'avarice,  la  gourmandise,  la  luxure  et  les  autres  qui  s'expri- 
ment par  les  mœurs  de  différents  animaux.  Nous  y  recon- 
naîtrons donc  Jésus-Christ  sous  le  symbole  du  lion  ,  et  le 
diable  dans  celui  du  renard  ;  ainsi  des  autres.  Le  but  d'un  tel 
écrit  est ,  par  conséquent,  de  nous  apprendre  la  nature  de 


vre 


forme; 


478  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

douze  animaux  en  particulier,  afin  que,  munis  de  cette  con- 
naissance, nous  abordions  plus  sûrement  l'étude  des  divines 
Écritures,  dans  lesquelles  nous  les  retrouverons;  c'est  de  dé- 
crire ces  bêtes  intéressantes  ,  de  faire  jaillir  de  leur  nature 
leur  sens  figuratif,  de  porter  les  chrétiens  vers  ce  qui  est  bon, 
de  les  retirer  du  mal  et  leur  faire  pratiquer  les  vertus  fon- 
damentales :  voilà  ce  que  l'auteur  s'est  proposé.  )> 
sa  matière  et  sa  Ou  Ic  voît  douc  !  c'cst  proprement  un  catéchisme  destiné 
aux  fidèles,  à  l'aide  duquel  le  plus  simple  pourra  saisir  le  sens 
des  chapiteaux ,  des  modillons,  des  verrières,  des  peintures 
sur  parchemin,  qui,  à  défaut  d'être  lus,  seraient  du  moins 
compris  aussitôt  qu'exposés  aux  regards  Certes,  il  est  diffi- 
cile d'avoir  un  livre  plus  curieux  en  lui-même  et  un  témoi- 
gnage plus  irrécusable  de  la  pensée  qui,  au  moyen  âge,  pré- 
sidait à  l'iconogi'aphie  catholique.  Théobald  l'a  écrit  en  vers 
latins,  comme  d'autres  avaient  fait  en  vers  français.  Ses  vers 
ne  sont  pas  toujours  de  même  mesure.  Ils  se  partagent,  au 
nombre  de  305,  les  douze  petits  poèmes  consacrés  aux  douze 
animaux  choisis  par  le  poète,  et  sont  composés  tantôt  d'hexa- 
mètres, tantôt  de  distiques,  tantôt  de  saphiques  ou  d'élégia- 
ques.  Il  y  est  traité,  d'abord  et  tour  à  tour,  du  bon,  de  l'aigle, 
du  serpent  et  delà  fourmi.  Nous  verrons  comment  ces  quatre 
premiers  types  se  rattachent,  sous  sa  plume,  tantôt  à  la  per- 
sonnification du  Sauveur ,  tantôt  à  celle  de  l'homme  régé- 
néré par  le  baptême  ou  la  pénitence,  lequel  s'identifie  réel- 
lement par  là  au  Sauveur  lui-même.  Les  huit  autres  repré- 
sentent le  démon  et  les  mauvaises  passions  qu'il  inspire  : 
ce  sont  le  renard,  le  cerf,  l'araignée,  la  baleine,  la  sirène  , 
l'éléphant  (1);  enfin  il  faut  y  joindre  la  tourterelle  et  la 
panthère,  qui  ne  sont  prises  qu'en  bonne  part  (2).  Avant 

(1)  Nous  ne  savons  si  M.  Hippeau,  qui  cite  l'onocentaure  au  lieu  de 
l'éléphant,  a  eu  sous  les  yeux  une  variante  aussi  importante  et  que  rien 
n'expliquerait.  Nous  sommes  forcé  de  croire  de  sa  part  à  une  distrac- 
tion, que  nouo  ne  signalons  ici  que  pour  couvrir  notre  propre  respon- 
sabilité. 11  en  a  eu  une  autre,  nous  semble-t-il,  en  donnant  au  poème 
359  vers  :  nous  ne  lui  en  avons  trouvé  que  305. 

(2)  Nous  n'expliquons   pas   comment,  après  n'avoir   annoncé  que 


ZOOLOGIE.  —  LE   PIIYSIOLOGL'E   DE  ÏHÉOBALD.  î7i) 

d'aborder  avec  l'auteur  ces  matières  si  diverses,  nous  avons 
})csoin  de  dire  coninient  ce  livre ,  que  nous  ne  possédons 
pas,  nous  a  donné  sa  substance  même,  assez  complète,  pour 
que  nous  puissions  la  rééditer  ici. 

Le  pliysiologue  n'est  pas  resté  manuscrit;  il  fut  imprimé  f»»  'histoire. 
en  caractères  gothiques ,  in-8%  vers  la  fin  du  quinzième 
siècle  ou  au  commencement  du  seizième ,  autant  que  nous 
en  pûmes  juger,  lorsqu'il  y  a  trente  ans  nous  le  trouvâmes 
chez  un  libraire  de  Poitiers,  auquel  il  n'appartenait  plus.  Ce 
ii])raire  venait  de  le  vendre  à  un  étranger  qui  devait  le 
prendre  dans  quelques  jours,  et  nous  n'eûmes  que  la  res- 
source d'en  tirer  à  la  hâte  une  copie  reproduite  ici  dans 
toute  son  intégrité.  Il  se  composait  de  dix-sept  ieuillets  for- 
mant un  ensemble  de  trente-quatre  pages  non  chiffrées , 
sans  nulle  date  ni  aucun  nom  d'imprimeur  :  on  sait  que 
tous  ces  détails  font  remonter  jusqu'au  berceau  de  l'impri- 
merie. Il  est  bon  de  dire  que ,  soit  par  cet  éditeur,  soit  par 
quelque  autre  copiste  plus  ancien  (et  j'adopterais  plus  volon- 
tiers cette  dernière  conjecture),  des  notes  et  interprétations 
ont  été  ajoutées  après  chaque  partie  du  poème  ,  et  nous 
éclairent  sur  quelques  obscurités  que  tout  lecteur  n'eût  pas 
dissipées.  Nous  n'omettrons  pas  ces  gloses,  souvent  utiles,  et 
qui  d'ailleurs  donnent  une  juste  idée  de  la  méthode  exégé- 
tique  des  Pères  et  des  physiologues  qu'ils  ont  suivis.  Elles 
seront  indiquées  dans  le  texte  latin  par  des  renvois  en  lettres 
italiques ,  et  quelquefois  nous  y  ajouterons  nos  réflexions 
personnelles,  qui  figureront  comme  autant  de  notes  au- 
dessous  de  notre  traduction. 


douze  animaux,  Théobald  en  décrit  quatorze  :  c'est  son  affaire,  et  nous 
ne  sommes  ici  qu'un  fidèle  reproducteur  de  son  œuvre. 


PHYSIOLOGUS  THEOBALBI  EPISCOPI 

DE  NATURIS  DUODECIM  ANIMALIUIVI. 


De  Leone. 

Très  leo  naturas,  et  très  linic  inde  figuras , 
Qiias  ego,  Xp/aTÊ,  tiJji  bisseiio  carminé  scripsi. 
Altéra  divini  memorant  animalia  libri 
De  qiiibus  apposui  quae  rursiis  mystica  novi  ; 
Temptans  diversis,  si  possim,  scribere  metris, 
Et  numerum  solidiim  complent  aiiimab'a  solum. 

Ici  commence  le  rôle  du  commentateur.  Il  explique  son 
troisième  vers  par  cette  glose  : 

GLOSE   DU    PREMIER   ÉDITEUR. 

«  Divini  libri,  id  ost  tlieologici,  momorant  alia  animalia,  scilicet 
duodecim  Apostolos.  Unde,  sicut  duodecim  sunt  Apostoli,  sic  duo- 
decim  sunt  animalia  de  quibus  iii  pra?senti  libro  peragitur.  Et 
sicut  Christus  est  ti-edecimus  inter  Apostolos  ,  qui  est  eorum  rex 
et  Dominus,  sic  leo  est  rex  ferarum,  et  est  tredecimnm  animal 
inter  ista  duodecim  animalia.  » 

Gum  leo  stans  fortis  super  alta  cacumina  montis  (a) , 
Qualicumque  via  vallis  descendit  ad  ima , 
Si  venatorem  per  naris  sentit  odorem , 
Cauda  cuncta  linit  quœ  post  vestigia  fîgit , 
Quatenus  inde  suum  non  possit  cernere  lustrum  (6). 

(a)  Christus  in  altis  habitat,  ut  in  sap. 

{b)  Sic  Christus  quando  de  coelo  descendit  in  uterum  Virg.  Mar., 
sic  occultavit  se  quod  nullus  diabolorura  novit  esse  Filium  Dei  aut 
natnm  ex  Maria  Virgë". 


PHYSIOLOGUE  DE  L'ÉYÊQUE  THÉOBALD 

SUR  LES  DOUZE  NATURES  D'ANIMAUX. 


Du  Lion. 

Le  lion  comporte  trois  caractères  distincts ,  d*où  ressor-     n  traite  tour  ù 

11  .  A  /-.i      •  fT,i  tour  du  lion, 

tent  trois  symboles,  que  je  veux,  o  Christ,  célébrer  en  votre 
honneur  dans  chacun  de  mes  douze  poèmes.  Les  suivants 
développeront  les  mystères  d'autres  animaux  des  Livres 
saints  ;  je  les  développerai  en  vers  de  différentes  mesures , 
et  me  renfermerai  pour  eux  dans  un  nombre  parfait  (i). 


Quand  le  lion  descend  de  la  montagne  dans  la  vallée, 
si  son  odorat  lui  révèle  l'approche  d'un  chasseur,  il  efface 
des  mouvements  de  sa  queue  les  moindres  traces  de  ses 
pas ,  afin  qu'on  ne  reconnaisse  aucun  indice  de  son  pas- 


(1)  Et  numerum  solidum  comptent  animalia  solum. 

Ce  dernier  vers  est  assez  obscur;  il  signifie  que  le  nombre  douze,  qa\,  nous  le 
savons,  a  son  symbolisme  comme  tous  les  autres,  forme  un  poème  qui  par  lui  seul  ren- 
ferme Tessentiel  de  tout  ce  qu'on  peut  dire  dans  tous  les  bestiaires.  Le  nombre  douze  est 
appelé  ici  nombre  solide  ou  parfait.  Il  exprime  tous  les  Saints  en  général,  par  cela 
même  qu'il  convient  aux  Apôtres,  aux  douze  tribus  d'Israël,  figure  biblique  de  l'ÉgllBO 

T.    III.  31 


482  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

Natus  non  vigilat  dum  sol  se  tertio  gyrat , 
Sed  dans  rugitum  pater  ejus  suscitât  ipsum  ; 
Tune  quasi  viviscit  et  sensus  quinque  capessit, 
Et  quotiens  dormit, nunquam  sua  luminaclaudit  (c). 

Sic  Tibi,  qui  celsi  residens  in  culmine  cœli, 
Cum  liquit  {d)  tandem  terrenam  liseré  partcm , 
Ut  genus  humanum  renovares  crimine  lapsum, 
Non  penitusnotum  fuit  ulli  dœmoniorum. 
Viscera  Marias,  Tibi,  Ghriste,  fuere  cubile, 
Et  Qui  Te  genuit  triduum  post  surgere  fecit. 
Cum  mortis  vindex  mortem  crucis  inde  subires 
Ut  nos  custodes,  qui  nullo  tempore  dormis 
Pervigil  ut  pastor,  ne  deviat  a  grege  rector. 

(rî)  Sic  Christus  nunquam  claudit  oculosmisericordiae.  Ecce  enim 
non  dormitabit  neque  dormiet  qui  custodit  Israël. 
{cl)  Licuit. 

De  Aquila. 


Esse  ferunt  aquilam  super  omne  volatile  primam. 

Quœ  se  sic  rénovât  qn  («)  senecta  gravât  : 
Fons  ubi  sic  querit  que  nunquam  surgere  desit  {bj , 

It  super  hune  cœlo  fîtque  propinqua  Deo  {c)  ; 
Tune  si  sol  ambas  accendit  fervidus  alas 

Et  minuit  grandes  alleviatque  graves  (d), 
Tune  quoque  caligo  consumitur  ignepropinquo, 

Quam  confert  oculis  vita  vetusta  suis  (e). 


(a)  Quando. 

{b)  Fontem  qui  nunquam  cessât  manare. 
(c)  Incipit  volare  versus  nubes,  juxta  spheram  ignis. 
{d)  Tune  facit  concussionem  alarum  suarum,  et  pennae  ejus  ex 
alarum  concussione  per  radios  solares  comburuntur. 
{e)  Oculi  ejus  amittunt  priorem  caliginem. 


ZOOLOGIE.  —  PIIYSIOLOGUE   DE   THÉOBALD.  483 

sage  (^).  Ses  yeux  restent  fermés  trois  jours  après  sa  nais- 
sance ;  alors  il  les  ouvre  aux  rugissements  que  son  père  fait 
entendre;  de  ce  moment  la  vie  commence  pour  lui,  et  dé- 
sormais il  dormira  toujours  les  yeux  ouverts. 

C'est  ainsi,  Seigneur,  qu'après  avoir  quitté  pour  cette  terre 
les  hauteurs  des  cieux ,  quand  vous  avez  voulu  renouveler 
l'homme  abîmé  dans  sa  chute,  vous  avez  soustrait  au  démon 
la  connaissance  de  ce  mystère.  Le  sein  de  Marie  devint  le  lit 
oîi  vous  reposâtes,  et,  après  vos  souffrances,  le  Père  éternel 
vous  ressuscita  au  troisième  jour.  Depuis  que  vous  avez 
opéré  notre  Rédemption  par  la  croix,  vous  nous  gardez  (2); 
pasteur  \  igilant ,  vous  ne  dormez  jamais  ;  jamais  vous  ne 
vous  séparez  de  votre  troupeau. 


De  FAîgle. 

L'aigle  passe  pour  le  roi  des  oiseaux.  Voici  comme  il  s*y  dei-aigie 
prend  dans  sa  vieillesse  pour  se  rajeunir  :  il  cherche  d'abord 
une  fontaine  d'eau  vive,  et  s'élève  au-dessus  d'elle  jusqu'aux 

et  de  toua  ses  enfants,  etc.  (Cf.  S.  Méliton,  Clavis,  cap.  xii,  De  Numéris.) —  On  voit  que 
le  nombre  des  douze  Apôtres  a  déterminé  l'écrivain  à  chercher,  parmi  la  grande  famille 
des  bêtes  symboliques ,  les  douze  qui  lui  paraissent  avoir  le  plus  d'analogie  avec  nos 
vices  et  nos  vertus.  Ce  choix  arrêté,  c'est  le  liftn  qui  commence  la  série,  parce  qu'il 
symbolise  le  Sauveur,  à  qui  s'adresse  cetto  dédicace.  Afin  de  ne  pas  interrompre  notre 
texte,  nous  lirons  sous  forme  de  glose  dans  la  même  page  les  observations  données  par 
le  commentateur  pour  l'intelligence  et  le  développement  de  certains  vers. 

(1)  Le  Uon,  effaçant  ses  propres  traces  du  fouet  de  sa  queue  pour  dépister  le  chasseur, 
restant  sans  vie  trois  jours  après  sa  naissance,  et  la  prenant  aux  rugissements  du  père 
enfin  dormant  les  yeux  ouverts ,  ne  perd  rien  de  ces  fabuleuses  attributions  dans  les 
divers  physiologues  :  elles  sont  empruntées  des  anciens.  L'application  que  le  symboliste 
y  fait  ici  de  la  venue  du  Très-Haut  parmi  les  hommes ,  du  soin  que  le  Verbe  divin  avait 
eu  de  cacher  son  incarnation  au  démon,  de  la  résurrection  du  Sauveur  trois  jours  après 
sa  mortjCSt  aussi  juste  que  précise,  et  c'est  cette  méthode  do  mystiques  rapprochements 
qui  va  s'adapter  à  tous  les  autres  animaux  dans  la  suite  du  Bestiaire  de  Théobald. 

(2)  Le  mot  custodes  du  texte  latin  est  sans  doute  pour  custodias,  quoique  le  vers 
en  devienne  faux.  Mais  nous  verron»  quel  'auteur  est  peu  scrupuleux  sur  ce  point. 


484  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

Mox  ruit  et  liquidis  se  mergit  fontis  in  undis, 

Utque  cadit  nido,  sic  nova  fit  subito. 
Est  autem  rostrum  quo  capitur  esca  rotundum  (  f)  ; 

Vix  valet  ex  aliquo  sumerc  pauca  cibo. 
Sed  feriens  petram ,  vel  mordens,  ut  solet,  escam 

Os  terit  obliquum  :  sic  capitinde  cibum. 
Est  homo  peccatis  q~  sunt  ab  origine  matris, 

Qualis  adest  aquila,  sed  renovatur  aqua  (g)  ; 
Nubes  transcendit,  solis  incendia  sentit, 

Mundum  cumpompis  despiciendo  suis. 
Fit  novus  in  Ghristo  inlermissus  gurgite  vivo  ; 

Desursum  vivus  fons  fuit  il  le  plus, 
Os  terit  obliquum  per  verba  precantia  Cbristum  (h). 

Cbristus  petra  sic  format  Apostolus  ista , 
Nam  novus  est  panis  super  omnia  mella  suavis. 

Panis,  id  est  Cbristus,  sit  sine  fine  cibus  ! 

(f)  Aquila  habet  quandoque  rostrum  rotundum  et  obliquum,  adeo 
quod  non  potest  comedere.  Tune  vadit  ad  petram,  et  percutit  ros- 
trum contra  eamdem,  et  mordet  velut  cibum ,  et  sic  curvitas  an- 
tiqui  rostri  deciditur,  et  sic  ipsa  juvenescit  et  potest  comedere. 

(g)  Per  aquilam intelligitur  quilibet  peccator  qui  deformis  est  des- 
pectusque  in  oculis  Dei  propter  senectam  suorum  peccatorum  in- 
veteratam.  Sed  quum  per  baptismum  secundam  agitpœnitentiam, 
renovatur  juventus  ejus  ut  aquilae.  Sic  per  alas  desiderii  trans- 
cendit ad  nubes,  cœlestia  sapit.Tunc  sentit  Solis  justitise  incendia. 

(h)  Peccator,  percutiendo  ad  petram ,  qu.'e  est  Cbristus,  per  ora- 
tionem  confîtendo  peccata  deponit  os  obliquum,  et  post  hoc  valet 
capere  cibum,  id  est  gratiam  Dei,  Panemque  omne  delectamentum 
in  se  habentem. 

De  Serpente. 

Jam  senex  serpens  novus  esse  gaudet 
Atque  jejunans  macrum  corpus  perborret  [a). 
Pellis  effeta  tremit  evacuata  ; 

{a)  Sorpcns,  quando  vult  juvencscere,  j(>junat  quadraginta  die- 
bus,  et  sic  in  tantum  maceratur  quod  pellis  ejus  efficitur  rugosa. 


ZOOLOGIE. —  PHYSIOLOGUE   DE   THÉOBALD.  AHo 

nuages;  alors  l'ardeur  du  soleil  embrase  ses  plumes,  le  feu 
consume  ce  qu'elles  avaient  de  trop  épais  et  de  trop  lourd  , 
et  lui  rend  môme  l'ancienne  perspicacité  de  son  regard  ; 
après  quoi  il  se  précipite  dans  la  fontaine  et  redevient  aus- 
sitôt plein  de  jeunesse  et  de  vigueur.  La  vieillesse  avait  ar- 
rondi son  bec  ,  à  peine  capable  de  saisir  sa  nourriture;  il 
parvient  à  lui  redonner  sa  force  et  son  aptitude  en  le  frot- 
tant contre  les  pierres  et  les  rochers. 

L'homme  ressemble  à  cet  oiseau.  Soumis  au  péché  dans 
le  sein  de  sa  mère,  il  se  renouvelle  dans  l'eau  du  baptême  ; 
il  s'élève  jusqu'au  Ciel ,  et  s'y  réchauffe  à  la  chaleur  du 
Soleil  divin  par  le  mépris  qu'il  fait  du  monde  et  de  ses 
attraits.  Les  eaux  vives  du  Christ  le  rajeunissent,  et  il  devient 
ainsi  lui-même  une  source  de  vie  et  de  piété.  Sa  bouche  se 
réforme  par  la  prière  qu'il  adresse  souvent  au  Christ ,  la 
pierre  fondamentale  de  FApostolat,  et  par  le  retour  fréquent 
au  Pain  qui  surpasse  toute  douceur.  Puisse  ce  Pain  devenir 
notre  nourriture  éternelle  ! 


Du  Serpent. 

Lorsque  le  serpent  est  devenu  vieux,  il  aspire  à  une  nou-  <Ju  serpent, 
vellc  jeunesse.  Dans  ce  but,  il  jeûne  si  complètement  que  sa 
peau  évidée  n'a  plus  de  consistance,  et  qu'il  ne  lui  reste  que 
les  nerfs  et  les  os.  En  cet  état  il  ciierche  dans  la  pierre  une 
cavité  fort  étroite  ;  il  s'y  tient  d'abord  immobile,  et  enfin  il 


486  HISTOIUE   DU   SYMBOLISME. 

Ossa  ciim  nervis  sola  manent  ; 

Quœrit  angustum  lapidisque  foramen, 

Vix  movens  se,  veniensque  tandem, 

Inde  pertransit,  spoliât  earumque  vetustatem. 

Quoslibet  rivos  repetens  aquarum 

Utsitim  pellat,  evomit  ille  virus  ante. 

In  aquis  ergo  minus  hunctimebis  absque  vcneno. 

Si  virum  quemquam  sine  veste  spectat, 

Longius  serpens  ut  ab  igné  recedit  ; 

Sed  videns  illum  qui  fert  amictum,  surgit  in  illo, 

Quem  viFut  vincat  persequiturque  multum. 

Colligens  caput  facit  inde  scutum 

Verticis  vero  tenet  usque  curans  ne  moriatur. 

Fonte  qui  sacro  semel  es  renovatus  (b) , 
Denuo  si  peccas,  tune  filicernus  (?)  extas. 
Ergo  sis  semper  imitator  (anguis),  dum  veterascis. 
Sit  cibus  parcus  ut  minuantur  artus. 
Unde  cum  mundis  pauperes  juvabis  ; 
Pœnitens  defle  ,  Dîio  quoque  saepe  die  miserere. 
Signât  liunc  callem  lapidis  foramen, 
Signât  et  Gliristum  petra,  namque  per  ipsum 
Fit  novus  quisquis  capitatque  vitam  fine  carentem. 
Cujus  ad  excelsum  veniendo  templum 
Utbibas  sacrum  beatumque  verbum, 
Evomas  primum  q.  habes  nocivum  corde  venenum  : 
Cordis  sunt  irœ  magis  angue  nocivae 
Etvelut  matres  odium  créantes; 
Corde  sunt  rixœ  bonae  non  amice  invidieque, 
Corde  conceptis  furiis  superbis, 
Et  coœquales  superosque  contemnis  venenis  ; 

(b)  Per  serpentemdesignatur  peccator,  qui,  cum  desiderat  inno- 
vari,  débet,  ad  modum  serpentis,  jejunare  quadraginta  diebus. 
Doindedebet  quaerere  petram,idestGhristum,velsacerdotem  Ejus, 
loco  Ghristi  positum,  cui  confiteatur  omnia  peccata  sua  :  fit  novu8 
in  Christo. 


ZOOLOGIE. —  PHYSIOLOGUE   DE   THÉOBALD.  /|87 

la  traverse  en  y  laissant  sa  dépouille.  Aussitôt,  pressé  par  la 
soif,  il  gagne  le  plus  proche  ruisseau  et  s'y  débari*asse  de  tout 
son  venin,  en  sorte  que  vous  n'avez  plus  rien  à  craindre  de 
lui  :  rencontre-t-il  un  homme  nu ,  il  s'en  éloigne  comme 
du  feu  ;  au  contraire,  il  s'élance  avec  colère  sur  celui  que 
couvrent  ses  vêtements,  et  le  poursuit  de  morsures  ardentes; 
au  besoin,  il  se  roule  sur  lui-môme,  et,  pour  sauver  sa  vie, 
il  cache  sa  tète  dans  ses  replis. 

Vous  qui  vous  êtes  une  fois  renouvelé  dans  la  fontaine 
sacrée,  si  vous  retombez  dans  le  péché  ,  vous  vous  amoin- 
drissez encore  (^  ) .  Donc  imitez  le  serpent  à  mesure  que  vous 
avancez  dans  la  vie  :  sachez  retrancher  de  votre  nourriture 
pour  nourrir  les  pauvres  ;  pleurez  vos  fautes ,  implorant  la 
miséricorde  divine.  Ce  sentier  de  la  pénitence  est  indi- 
qué ici  par  le  trou  de  la  pierre,  et  cette  pierre  elle-même 
signifie  Jésus-Christ.  C'est  se  renouveler  que  d'aspirer  à  la 
vie  éternelle.  Surtout,  quand  vous  abordez  le  temple  sublime 
du  Verbe  incarné  pour  y  boire  à  la  source  du  Précieux  Sang, 
commencez  par  vomir  hors  de  voti'e  cœur  tout  ce  qui  y 
serait  un  poison  mortel.  La  colère  y  fait  plus  de  mal  qu'un 
serpent  :  elle  y  enfante  les  haines  ,  la  jalousie  ,  les  concep- 
tions orgueilleuses,  qui  font  mépriser  trop  souvent  les  égaux 
et  les  supérieurs;  c'est  elle  qui  y  fait  naître  la  fraude  et 
l'avarice.  Si  vous  vous  dépouillez  de  vous-même  en  demeu- 


(1)  Le  mot  ftlicernus  mis  dans  le  texte  n'est  pas  latin  et  semble  composé  pour  le 
besoin  du  vers.  Nous  croyons  qu'il  peut,  dans  la  pensée  de  l'écrivain,  avoir  pour  racine 
le  mot  ftlix,  bruyère,  plante  très-petite  et  peu  estimée.  C'est  donc,  selon  le  sens  do 
l'auteur,  s'amoindrir,  comme  le  serpent  qui  diminue  en  hiver,  que  de  retomber  dans  le 
péché  après  en  avoir  été  délivré  par  le  baptême. 

L'auteur  profite  ici  de  ce  que  le  serpent  reçoit  d'extraordinaire  dans  les  descriptions 
fantastiques  pour  trouver  entre  lui  et  le  Christ  des  rapports  qui  descendent  ensuite  jus- 
qu'au chrétien.  Il  paraîtrait,  d'après  ce  que  dit  Elien  de  cette  bête  (De  Naturis  anima' 
liiim,  cap.  XII),  que  de  son  temps  on  attribuait  le  bien  ou  le  mal  à  certaines  espèces  plus 
ou  moins  nuisibles.  Ainsi  la  vipère,  par  sa  morsure  mortelle,  était  Pindice  d'une  méchante 
femme;  la  couleuvre,  timide  et  incapable  do  nuire,  n'effrayait  en  rien  et  n'avait  que  des 
caractères  inoffensifs  et  très-imitables.  C'est  un  sujet  de  cette  espèce  que  Théobald  s'est 
plu  à  décrire,  et  il  engage  le  chrétien  à  le  suivre  dans  tous  les  mouvements  do  sa  vie,  à 
changer  sa  vieille  nature,  à  aimer  la  solitude,  où  l'âme  se  refait  et  se  débarrasse  du  venin 
de  ses  péchés. 


488  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

Plena  siiul  istiis  aliisque  multis  corda. 
Corde  manet  fraus  etcupiditas  ubiqiie. 
His  quidem  piirus  quasi  veste  niidus 
Daemones  anguis  typicus  fugabis , 
Noctes  ut  cœcas  reprimit  tenebras 

Orbita  solis. 
Sed  tamen  magnas  patiere  pugnas. 
Unde  dum  vives  in  agone,  viges  author. 
Unde  serpentem  imitare  prudens  verticis  ; 
Vis  novam  vitam  sine  fine  dignam , 
Semper  illœsum  caput  habendum , 
Hocque  caput  dico  quod  babes  in  principe  Christo. 


De  Formica. 

Exemplum  nobis  prœbet  formica  laboris 
Quando  suo  solitum  portât  in  ore  cibum  ; 

In  quo  suis  factis  res  monstrat  spirituales, 
Quas  quia  Judœus  non  amat  inde  reus. 

Ut  valeat  brumœ  fieri  secura  futurœ, 
Dum  calor  in  terra ,  non  requiescit  ea. 

Nosque  laboremus,  fratres,  dum  tempus  habemus , 

Securi  fieritemporejudicii. 
Hœc  frumenta  legit;  si  comperit  hordea,  spernit  : 

Tuque  novam  Legem  collige,  non  veterem. 
Sed  ne  de  pluviis  aspersum  germinet  udis 

Aut  id  ne  pereat  esse  quod  hœc  nequeat, 
Granum  quodque  legit  prudens  formica ,  bipartit. 

Hoc  est  quod  binas  Lex  habet  una  vias. 
Quœ  terrena  sonat  simul  et  cœlestia  donat  ; 

Nunc  mentem  pascit,  et  modo  corpus  alit. 
Nos  ut  Lex  replcat,  famis  formido  recédât 

Tempore  judicii,  quod  simile  est  hiemi. 


ZOOLOGIE. —  l'HYSIOLOGUE   DE   THEOBALT).  iSl) 

raiit  pur,  le  serpent  infernal  fuira  devant  vous  ;  et  plus  vous 
fuirez  le  monde,  mieux  vous  dissiperez  les  ténèbres  de  votre 
esprit.  Cependant  attendez-vous  à  de  grands  combats;  mais 
ces  luttes  mêmes  seront  la  force  de  votre  vie.  Imitez  la  pru- 
dence du  serpent ,  et  si  vous  voulez  bonorer  votre  vie  nou- 
velle, gardez  soigneusement  votre  tète  de  toute  blessure,  et 
souvenez-vous  que  votre  tète  c'est  le  Christ  (i). 


De  la  Fourmi  (2). 

La  fourmi  nous  donne  l'exemple  du  travail  en  transpor-  «Je la  fourmi, 
tant  en  de  longs  trajets  sa  nourriture  de  chaque  joui'.  iWAlc 
conduite  est  pleine  pour  nous  d'enseignements  spirituels, 
dont  la  haine  rend  le  Juif  si  coupable  (3).  On  voit  donc  la 
fourmi  s'assurer  des  subsistances  pour  le  temps  des  brumes 
hivernales. 


(1)  Cette  comparaison  de  l'aigle  s'élevant  jusqu'au  soleil  convient  également  bien  au 
baptisé  ou  au  pénitent  régénéré  s'élevant  jusqu'au  Soleil  de  justice,  et  dont  les  efforts 
ont  pour  conséquence  la  possession  de  la  Céleste  Nourriture. 

(2)  Nous  trouvons  dans  l'édition  du  P.  Beaugendre  quelques  variantes  avec  le  texte 
(jue  nous  suivons;  elles  sont  trop  peu  importantes  pour  nous  arrêter.  L'essentiel  est  que 
le  fond  reste  le  même,  et  il  consacre  encore  los  mêmes  traditions.  Le  moyen  âge  les  a 
reçues  et  reproduites  par  tous  ses  physiologues.  Herrade,  dans  son  Ortus  deliciarum, 
a  douze  vers  que  cite  dom  Pitra  (Spicit.  Solesm.,  m,  84)  et  qui  diffèrent  peu,  parle  sens 
et  quant  aux  œuvres  de  la  fourmi,  de  ce  qu'en  dit  notre  poète.  On  voit  ici  que,  par  cela 
même  qu'elle  est  louée  comme  laborieuse,  elle  est  opposée  à  la  paresse,  l'un  des  péchés 
capitaux.  Elle  devient  aussi,  par  le  choix  qu'elle  sait  faire  de  ses  récoltes,  préférant  le 
froment  et  rejetant  les  grains  de  moindre  valeur,  elle  devient  le  symbole  du  chrétien 
prudent,  discernant  la  lettre  de  la  Loi  de  son  Esprit,  aimant  à  se  nourrir  des  vérités 
évangéliques,  et  faisant  dès  ce  monde  une  provision  de  mérites  pour  éviter,  quand 
viendra  l'hiver,  c'est-à-dire  la  dernière  saison  de  notre  existence  mortelle,  tous  les  repro- 
ches qu'auront  mérités  le  négligent  et  le  tiède. 

(3)  Le  texte  porte  "  que  le  Juif  est  coupable  de  ne  pas  aimer.  „ — C'est  ^qu'en  effet  la 
grande  faute  des  Juifs  est  de  no  pas  admettre  le  sens  spirituel  des  Ecritures,  qui 
vivifie,  dit  S.  Paul,  et  de  s'obstiner  dans  la  lettre,  gwi  tue.  C'était  la  pensée  du  Phyaio- 
logue  d'indiquer  ici  tous  ceux  qui  résistent  à  la  doctrine  chrétienne  par  les  Juifs,  qui, 
de  son  temps,  étaient  universellement  détestés,  et  dont  le  nom  offrait  le  synonyme  de 
tous  le»  contempteurs  de  l'Évangile. 


490  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 


De  Vulpe. 

Plena  dolis  multis  vocitatur  subdolavulpes; 

Hanc  fiigat  agricola,  nam  capit  altilia. 
Sin  habet  ille  famem  (quia  desimt),  invenit  artem 

Qiia  sibi  cantantes  prcndere  possit  aves. 
In  terram  scissam  se  tendit,  rictumque  supinum, 

Et  quasi  sit  mortua,  flamina  nulla  trahit  (a) . 
Gornix  aut  ater  corvus  putat  esse  cadaver  (6). 

Insidet  ut  comedat,  morsibus  excoriât  : 
Illa  levis  surgit,  subitoque  volatile  sumit 

Dcntibus  et  tristem  reddit  edendo  necem  (c). 
Unde  tenet  duplam,  quam  prodest  nosse,  figuram  : 

Est  Zabulo  similis,  par  aliquando  viris  (d). 

{a)  Extendit  se  jacendo  suprà  dorsum  veluti  mortua,  non  tra- 
hendo  anhelitum. 

(b)  Cadaver  dicitur  per  etymologiam  caro  data  vermibus. 

{(■)  Vulpes  est  qQoddam  animal  fraudulentum,  volubile  pedibus, 
raro  roctis  itineribus  procodens.  Et  dicitur  a  verbo  voluo  et  pes.  — 
In  vulpecula  diminutivum. 

(d)  Zabulus,  id  est  diabolus,  interpretatur  contrarius. 


ZOOLOGIE. —  PHYSIOLOGUE   DE   THÉOBALD.  40^ 

Travaillons  aussi,  ô  mes  frères,  pendant  que  nous  le  pou- 
vons, à  nous  assurer  contre  les  rigueurs  du  jugement  qui 
s'approche.  Gomme  le  petit  animal  choisit  le  froment  nou- 
veau et  dédaigne  celui  des  récoltes  passées  ,  ainsi  préférez 
la  nouvelle  Loi  à  l'ancienne.  Gomme  il  a  soin  de  préserver 
ses  provisions  de  l'humidité  ,  afin  de  mieux  garder  ce  qui 
dépasse  ses  besoins ,  il  fait  deux  parts  de  son  grain  ;  nous 
aussi,  nous  avons  à  suivre  ici-bas  une  double  voie,  dont 
l'une  est  celle  de  nos  devoirs  de  la  terre,  l'autre  de  nos  espé- 
rances du  Giel.  Dans  l'une  est  la  nourriture  du  corps,  dans 
l'autre  celle  de  l'esprit.  Suivons  la  Loi  divine  :  ce  sera  éviter 
la  famine  de  ce  temps  d'hiver  que  nous  figure  le  suprême 
jugement. 

Du  Renard. 

Expert  en  tromperies,  le  renard  est  plein  de  ressources  du  renard, 
frauduleuses.  Le  fermier  lui  fait  la  chasse,  comme  au  dévas- 
tateur de  ses  poulaillers.  Quand  il  a  faim  ,  il  n'y  a  pas  de 
ruses  qu'il  n'invente  pour  s'emparer  des  chantres  de  la 
basse-cour.  Il  s'étend  dans  un  sillon,  s'y  couche  sur  le  dos, 
tient  sa  gueule  ouverte  et  ne  souffle  pas  plus  qu'un  mort  (4). 
Les  corbeaux  et  autres  oiseaux  de  proie  croient  rencontrer 
un  cadavre  (2)  ;  ils  s'en  approchent  et  sautent  sur  lui  pour  le 
dévorer  à  belles  dents  :  soudain  la  hôte  se  lève,  s'empare  des 
oiseaux  et  leur  fait  de  tristes  funérailles  (3). 

11  y  a  ici  deux  symboles  à  méditer  :  le  renard  ressembe 

(1)  Encore  un  type  partout  connu  pour  une  image  sensible  de  Satan,  faux  et  ravisseur 
(les  âmes,  cruel  et  ne  les  cherchant  que  pour  les  dévorer.  Il  est  comparé  à  Hérode  par 
Notre-Seigneur  lui-même,  ce  que  notre  physiologue  n'a  pas  oublié.  Les  mêmes  sources 
nous  ont  fourni,  sur  la  nature  malicieuse  de  cet  animal,  des  données  qui  ne  lui  sont  jamais 
honorables. 

(2)  l'iitat  esse  cadaver. —  Notre  commentateur  s'amuse  ici  à  une  singulière  étymo- 
logie ,  si  tant  est  que  c'en  soit  une  ;  on  l'avait  attribuée  au  comte  Joseph  de  Maistro, 
pour  qui  elle  n'était  sans  doute  qu'une  réminiscence. 

(3)  Reddit  edendo  necem.  —  Ce  beau  commentaire  qui  ferait  venir  vulpes  de  votvere 
pedes  est  encore  une  étymologie  de  mémo  source  que  bien  d'autres.  Vulpes  descend 
bien  mieux  d'àXo)7:r/^,  rvcc  lequel  l'analogie  est  frappante. 


402  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

Mortuus  est  vere  qui  mortem  facit  habcrc  ; 

Nos  et  dissimilat  qui  mala  non  faciat. 
Gujus  edit  carne  qui  rem  facit  oris  inanem  , 

Hoc  est  peccatum  quodlibet  atque  malum. 
Quam  tune  déglutit  cum  secum  ad  tartara  ducit 

Dœmon  ab  insidiis,  vulpeculae  similis  1 
Et  cum  fraude  viri  sunt  vulpis  nomine  digni. 

Quales  hoc  omnes  tempore  sunt  homines  , 

Fautes  ore  bona,  sed  mala  corde  gerunt. 
Herodesque  fuit  qui  Ghristum  quœrere  jussit , 

Credere  se  simulans,  perdere  dissimulans. 

De  Cervo. 

Cervus  habere  duas  naturas  atque  figuras 

Dicitur  ap%sîo,  qui  docet  inde,  logo, 
Namque  suis  grandes  cum  naribus  attrahit  angues 

De  caveis  terrœ,  de  latebrisve  petrae. 
Quos  Yorat,  ac,  tetro  mox  fervescente  veneno, 

iEstuat  ad  liquidas  pergere  fontis  aquas. 
Quas  cum  fonte  bibit,  liis  plenus  toxica  vincit, 

Se  juvenemque  facit  cornua  quando  jacit. 

Nos  quoque,  cum  prisci  serpentis  fraude  revincti 

Virus  contrahimus,  orimur  et  facibus. 
Hœc  tibi  luxuriam  profert,  odiumque,  vel  iram, 

Aut  etiam  nimiam  ejus  avaritiam. 
Ad  fontem  vivum  debemus  currere  Ghristum , 

Qui,  cum  nos  mundat,  sumpta  venena  fugat. 
Et  sumus,  his  demptis,  juvenes,  fractisque  beati. 

Quae  quasi  cornua  sunt  cum  miseros  faciunt. 
Gornua  sunt  onera  quae  cervi  vertice  portant , 

Sed  non  dedecori  deinde  yidentur  haberi. 
Et  Uuvios  tranant  pariter  terramqueperagrant  ; 

Longius  et  pergunt  pascua  quando  petunt  ; 


ZOOLOGIE. —  PHYSIOLOGUE  DE  TIIÉOBALD.  493 

tantôt  au  démon  (^),  tantôt  à  certains  hommes  ;  car  celui-là 
est  bien  mort  qui  procure  la  mort  aux  âmes,  et  Fliomme  lui 
ressemble  d'autant  plus  qu'il  s'étudie  plus  à  faire  le  mal  (2j. 
On  peut  dire  aussi  qu'il  dévore  la  chair  de  celui  qui  commet 
le  péché  ,  et  qu'il  l'engloutit  avec  lui  dans  l'enfer.  Par  ses 
embûches,  le  démon  ressemble  donc  beaucoup  au  renard  ; 
mais  les  hommes  ne  sont  pas  moins  dignes  de  ce  nom  lors- 
qu'on les  voit,  comme  aujourd'hui,  en  si  grand  nombre, 
avoir  d'excellentes  choses  sur  les  lèvres  et  de  très-mauvaises 
dans  le  cœur  :  tel  Hérode  qui  fît  chercher  l'Enfant-Dieu  en 
feignant  de  croire  en  lui,  afin  de  le  trahir  plus  sûrement. 

Du  Cerf  (3). 

L'enseignement  de  notre  Phtjsio-logue  nous  montre  à  *^«cerf. 
l'égard  du  cerf  deux  natures  et  deux  symboles  différents  (4). 
On  dit  que,  des  puissantes  aspirations  de  ses  naseaux,  il  attire 
les  serpents  réfugiés  dans  les  antres  ou  dans  les  trous  des 
rochers,  il  les  avale,  et,  aussitôt  qu'il  ressent  l'effet  de  leur 
mortel  venin,  il  gagne  en  toute  vitesse  quelque  fontaine 
dont  l'eau,  en  le  désaltérant,  lui  sert  de  contre-poison.  On 
prétend  aussi  qu'en  changeant  de  bois  il  retrouve  les  forces 
d'une  jeunesse  nouvelle. 

Et  nous  aussi ,  lorsqu'enveloppés  dans  les  ruses  de  l'an- 
cien serpent  nous  acceptons,  avec  le  péché,  la  mort  de  nos 

(1)  Zahulus ,  parce  qu'il  est  le  contrariant ,  V adversaire ,  car  il  s'attaque  h  tous  et 
beaucoup,  comme  le  marquent  le  mot  original  [^âXXo),  je  jette,  et  l'augmentatif  ^a. 

(2)  Ces  trois  derniers  vers,  à  partir  de  Nos  et  dissimilat,  ne  sont  pas  faciles  à  com- 
prendre dans  un  pareil  latin,  et  il  y  a  ici ,  comme  bien  ailleurs,  plus  d'une  faute  de  co- 
piste. Le  cinquième  vers  après  celui-ci.  Fautes  ore  bona,  manque  aussi  de  son  hexamètre. 

(3)  Voir,  à  propos  du  cerf,  une  Notice  de  M.  Cartier  sur  le  sceau  du  chapitre  de  Saint- 
Chéron  de  Chartres.  Le  cerf  y  est,  d'après  S.  Jérôme,  Cassiodore  et  le  V.  Bède,  l'image 
du  chrétien  qui  détruit  le  péché  par  le  sacrement  de  pénitence,  ou  du  martyr  qui  obtient 
par  son  sacrifice  volontaire  une  jeunesse  éternelle.  Le  rapprochement  entre  cet  opuscule 
et  le  présent  traité  de  Théobald  est  fort  curieux.  Il  est  clair  que  celui-ci  avait  poétisé  une 
idée  reçue,  puisque  les  trois  auteurs  susdits  en  avaient  parlé  avant  lui.  Mais  M.  Cartier 
n'a  pas  connu  Théobald,  qu'il  n'eût  pas  manqué  do  citer.  Le  symbolisme  donne  donc 
encoio  sa  preuve  qu'il  était  une  science  publique  connue  de  tous. 

(4)  Dicitur  a  physio  ,  qui  docet  inde,  wQo.  —  Originalité  de  construction  propre  à  la 


494  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

Portant  suspensum  gradientes  ordine  mentum, 

Alter  in  alterius  clunibus  impositus. 
Hune  retinent  usum  si  sint  in  ordine  centum  ; 

Sed  qui  praecedit  fessus  ad  ima  redit. 
Sic  se  vertentes  cuncti,  mutuoque  ferentes, 

Nullo  defîciunt,  sicque  vitam  peragunt. 
Per  taies  mores  alienos  ferre  labores 

Cum  pietate  monent,  sicque  juvare  docent. 
Sic  lex  est  Ghristi  nostri  complenda  magistri , 

Gujus  qui  faciat,  pascua  et  inveniat. 


ZOOLOGIE. —  PHYSIOLOGUE  DE  THÉOBALD.  49  > 

âmes,  n'avalons-nous  pas  (  i  )  la  luxure,  ses  haines,  ses  colères, 
ses  cupidités  ?  Alors  ne  tardons  pas ,  hâtons-nous  de  courir 
vers  le  Christ,  la  source  des  eaux  vives  qui  nous  guérira  en 
chassant  de  notre  cœur  le  poison  fatal  ;  et,  à  mesure  qu'il 
nous  quitte ,  nous  nous  déharrassons  par  cela  môme  des 
superfluités  (des  bois  ou  cornes)  qui  nous  surchargeaient. 
Ces  bois,  en  effet,  sont  pour  le  cerf  de  véritables  fardeaux, 
imposés  à  sa  tète  ;  mais  ils  lui  deviennent  bientôt  un  orne- 
ment (2). — Les  cerfs  nagent  aussi  bien  qu'ils  courent,  et  vont 
chercher  parfois  des  pâturages  fort  éloignés.  Lorsqu'ils  tra- 
versent un  fleuve  dans  ce  but,  ils  se  suivent  tous ,  chacun 
reposant  l'extrémité  de  sa  tête  sur  la  croupe  du  précédent. 
Ils  vont  quelquefois  jusqu'à  cent  rangés  ainsi  à  la  suite  les 
uns  des  autres ,  et  quand  celui  qui  marche  le  premier  se 
sent  fatigué,  il  passe  à  la  suite  de  tous  les  autres.  Ils  se  prê- 
tent ainsi  un  mutuel  secours;  aucun  d'eux  ne  failUt,  et  cha- 
cun se  soutient  jusqu'au  terme  de  la  course  commune  (3). 
Ces  intéressants  animaux  nous  avertissent  donc  de  nous  sup- 
porter mutuellement,  et  de  nous  aider  dans  toutes  les  diffi- 
cultés de  cette  vie  :  c'est  la  loi  du  Christ  notre  maître  ; 
accomphssons-la,  et  nous  arriverons  aux  pâturages  de  notre 
éternité. 

versification  du  moyen  âge,  qui  y  trouvait  une  ressource  contre  les  mots  que  leur  quan- 
tité ne  permettait  pas  d'introduire  dans  un  vers  sans  les  démembrer,  mais  qui  rendait 
rarement  le  vers  meilleur.  On  verra  plus  loin  :  ut  cale-se-faciant.  (Voir,  ci-après,  De  Ceto.) 

(1)  Orimur  et/acibus.  —  Il  faudrait  /aucibus;  mais,  par  une  licence  qui  passe  les  bor- 
nes, le  poète  a  fait  un  mot  qui,  tout  en  gardant  la  quantité  voulue,  donne  un  non-sens  au 
lieu  de  l'idée  qu'il  voulait  exprimer.  Il  en  est  ainsi  du  verbe  orimur,  qui  n'est  pas  latin 
avec  une  telle  orthographe,  et  ne  s'applique  en  rien  aux  circonstances.  Il  est  clair  qu'on 
devait  lire  ici  :  haurimus  et  faucibus. 

(2)  Ainsi  no«  fautes,  une  fois  arrachées  de  notre  cœur  par  la  confession ,  servent  à 
notre  gloire  dans  la  mesure  de  notre  repentir.  Le  physiologue  no  dit  point  cela,  mais 
il  indique  assez  sa  pensée,  qui  ne  manque  peut-être  ici  que  faute  d'un  ou  deux  vers 
oubliés. 

(3)  Sicquevitam  peragunt.  —  Ce  vitam  est  certainement  encore  là  pour  iHatn.—  Au 
reste,  on  voit  ici  le  physiologue  se  plaire  à  tous  les  contes  populaires  et  n'en  manquer 
aucun,  comme  nous  l'avons  vu  sur  le  renard,  comme  il  les  a  répétés  sur  le  lion.  Mais 
aussi  des  moralités  se  tirent  naturellement  de  ces  erreurs  accréditées,  et  ici  nous  n'en 
manquons  pas. 


496  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

De  Aranea. 

Vermis  aranea  («),  licet  exiguus, 
Plurima  fila  nectit  assiduus. 
Texere  qui  studet  artificiis, 
Quœ  vivere  solet  liis  studiis. 
Sunl  ea  retia,  musca,  tibi, 
Ut  volitans  capiaris  ibi  : 
Dulcis  etutilis  escasibi. 
Hinc  placet  illud  opus  tenere, 
Et  sibi  nihil  valet  ut  fragile  : 
Quaelibet  aura  trahit  in  patulum, 
Rumpitur,  et  radit  in  nihilum. 
Hos  sequitur  liomo  vermiculos 
Decipiendo  suos  minimos, 
Quos  comedit  faciens  miseros, 
Et  placet  sibi  inde  nimium 
Quando  nocere  potest  alio. 
Ille  tanien  vitium^quodque  facit, 
Gum  moritur  quasi  tela  cadit, 
Quam  modo  dictus  aranea  agit. 

(a)  Per  araneam  inteiligitur  avarus  :  nam,  sicut  aranea  eviscerat 
miiscas,  sic  avarus  in  acquirendo  pecaniam  pauperes  eviscerat,  et 
ipsos  in  mortem  tradit.— Diabolus  nobis  tanquam  muscis  insidia- 
tur  semper  ponendo  nobis  in  via  liamos,  retia  et  laqucos  suos,  ut 
possit  nos  capere  per  peccatum;  et  dum  aliquem  capit  per  con- 
sensum  peccati  mortalis,  tune  eviscerat  et  privât  gratia,  nisi  per 
confessionem  et  pœnitentiam  récupérât  eam.  Et  sic  tela  diaboli 
est  quod  propria  voluntate  per  pœnitentiam  potest  homo  evadere 
eam.— Aranea  timet  solem  :  sic  diabolus  timet  sTam  EccTîam  vel 
honiëm  justum,  quia  soli  comparatur  justus.— Plus  solet  aranea  in 
nocte  texere  quam  die  :  sic  diabolus  quando  homo  justus  minus 
est  in  custodia. 


ZOOLOGIE.— PHYSIOLOGUE   DE  THÉOBALD.  497 

De  l'Araignée. 

L'araignée,  quoique  n'étant  qu'un  très-petit  animal,  niul-  '^^  l'araignée, 
tiplie  ses  fils  par  l'assiduité  de  ses  labeurs;  elle  passe  sa  vie 
tout  entière  à  ces  studieuses  industries.  Pauvre  mouche  !ce 
sont  là  autant  de  filets  oii  ton  vol  s'arrête,  où  tu  te  prends 
pour  devenir  sa  nourriture.  Cette  proie  devient  à  ton  en- 
nemie un  encouragement,  et  rien  ne  lui  sourit  mieux  que 
sa  toile,  pourtant  si  fragile,  que  le  moindre  vent  entraîne  au 
large  pour  la  rompre  et  la  réduire  à  rien  {\). 

L'homme  qui  suit  ce  funeste  exemple  trompe  quiconque 
est  moins  fort  que  lui  ;  il  dévore  les  malheureux  qu'il  a  faits, 
il  se  fait  un  cruel  bonheur  de  nuire  à  autrui,  il  s'abandonne 
à  tous  les  vices  ;  mais  bientôt  il  meurt,  il  tombe,  et  devient 
semblable  à  la  toile  de  notre  araignée. 


(1)  Et  radit  in  nihilum.  —  C'est  bien  vadit  et  non  radit  qu'il  faudrait  ici.  On  Toit  du 
reste,  dans  ces  rapports  entre  l'avare  et  l'araignée,  beaucoup  de  vérité,  de  goût  et  de 
justesse. 


T.  ni.  32 


498  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 


De  Ceto. 


Est  super  omiie  peciis,  qui  vivit  in  œquora,  cetus; 

Monstrum  grande  satis  dum  super  extat  aquis. 
Prospiciens  illum,  montem  putat  esse  marinus 

Aut  quod  in  oceano  insula  fit  medio. 
Hic  si  quando  famem,  quod  fert  sœpissime  grandem , 

AUeviare  cupit  :  callidus  os  aperit, 
Unde  velut  florum  sic  flatus  reddit  odorem 

Ad  se  pisciculos  ut  tradat  exiguos, 
Exiguum  tantum  quum  repreliendere  magnum 

Perfectumque  nequit  ;  sed  nec  ab  ore  premit 
Parvos  pisciculos,  claudit  déglutit  et  omnes, 

Non  sic  ut  quondam  sorbuit  ille  Jonam. 
Si  fit  tempestas,  cum  vadit  et  venit  œstus. 

Et  pelagus  fundum  turbidat  omne  suum, 
Gontinuo  summas  se  toUit  cetus  in  undas  : 

Est  promontorium  cernere  non  modicum. 
Huic  religare  citam  pro  tempestate  carinam 

Nautœ  festinant ,  utque  foris  saliant, 
Accendunt  vigilem  quœ  navis  portitat  ignem 

Utcale  se  faciant  aut  comedenda  coquant. 
Ille  Ibcum  sentit  ;  tune  se  fugiendo  remergit 
Unde  prius  venit,  sicque  carina  périt. 

Yiribus  est  Zabulus,  quasi  cetus  corpore,  magnus  (a), 
Ut  monstrant  magni,  quos  facit  ille,  magi. 


{à)  Magnis  est  viribus  diabolus,  seu  Zabulus,  ut  nigromantici  affir- 
mant, qui  virtute  diabolica  per  artem  magicam  magna  et  mirabilia 
iacere  videntur;  et  etiam  Yidentur  esse  montes  diaboli  in  pelago  , 
quia  suas  deceptiones  per  universum  mundum  diffundunt.— Dia- 
bolus per  suse  suggestionis  dulcedinem,  qu£e  est  in  longa  vita  et  con- 
cupiscentia  carnali,  attrahit  sibi  homines  parvos  et  modicos  in  fide 
et  in  bona  operatione;  vel  si  capitales,  non  tenet  eos,sed  evomit, 
sicut  hic  cetus  tenuit  Jonam  prophetam. 


ZOOLOGIE. —  PHYSIOLOGUE   DE  THÉOBALD.  499 


De  la  Baleine  (1). 

La  baleine  dépasse  par  sa  taille  tous  les  habitants  de  la  doiabaicine, 
mer  ;  elle  se  tient  sur  l'eau  en  des  proportions  monstrueuses. 
Les  marins  ,  la  voyant  de  loin,  la  prennent  pour  une  mon- 
tagne ou  une  île  jetée  au  milieu  de  l'océan.  Quand  elle  a 
faim,  il  lui  devient  diliicile  de  s'assouvir ,  et  elle  recourt  à 
une  ruse  :  elle  ouvre  son  énorme  gueule  et  en  fait  sortir  un 
souffle  semblable  à  un  parfum  de  fleurs  odorantes  qui  attire 
à  elle  les  petits  poissons;  elle  se  contente  de  ceux-là  quand 
elle  n'en  peut  avoir  de  plus  gros  ;  mais  elle  ne  les  écrase  pas 
de  ses  dents,  les  avale  tout  entiers,  comme  il  arriva  autrefois 
à  Jonas  (2).  Si,  au  temps  des  marées,  il  survient  une  tempête 
qui  trouble  la  mer  jusque  dans  ses  plus  intimes  profondeurs, 
la  baleine  s'élève  aussitôt  à  la  surface  des  eaux  et  y  apparaît 
comme  un  promontoire.  Les  nautonniers  se  hâtent  d'y  atta- 

(1)  On  voit  clairement,  par  ce  qui  est  dit  ici  de  la  baleine,  que  notre  versificateur  n'a 
fait  que  translater,  de  la  prose  accréditée  de  son  temps,  les  caractères  et  incidents  qu'il 
relate.  Il  n'y  a  rien  dans  ces  contes  venus  de  l'Orient,  amateur  de  merveilles,  qui  n'ait  été 
dit  par  les  bestiaires  du  passé.  Ces  exagérations  n'ont  pu  échapper  à  aucun  d'eux. — Voir 
Uippeau,  Best,  divin.,  p.  153;Bochard,  AnimaUa  sacra,  cap.  vii;  Wolfgangus  Franzius, 
ytnimalium  histor.  sacra,  lib.  III,  cap.  vu. — Nous  avons  remarqué  plusieurs  fois  que,  le  rôle 
principal  de  ce  monstre  étant  celui  du  démon,  les  énormes  proportions  de  sa  gueule  im- 
mense ont  paru  très-convenables  à  exprimer  l'ouverture  de  l'enfer,  si  souvent  reproduite 
pleine  de  flammes  et  d'âmes  qui  s'y  engouffrent,  jetées  par  les  démons,  ou  qui  en  sortent 
appelées  par  le  Fils  de  Dieu  qui  frappe  de  sa  croix  la  gueule  du  Léviathan.  Nos  manuscrits 
sont  pleins  de  ces  images,  aussi  bien  que  nos  vitraux  des  treizième  et  quatorzième  siècles. 
On  les  voit  sculptées  au  portail  des  cathédrales  d'Auxerre,  de  Poitiers,  d'autres  en 
grand  nombre,  et  sur  beaucoup  de  chapiteaux.  Cette  figure,  ainsi  dessinée  partout  sous 
les  mêmes  traits,  prouverait  assez,  contre  BocharJ  et  D.  Calmet,  qui  font  du  Léviathan  de 
Job  un  synonyme  du  crocodile,  que  c'est  réellement  à  la  baleine  que  le  saint  homme  don- 
nait ce  nom.  D'ailleurs,  il  n'y  a  pas  à  se  tromper  sur  le  poisson  auquel  est  empruntée  cotte 
vaste  gueule,  et  elle  ne  peut  convenir  qu'à  la  bête  qui  engloutit  Jonas  et  le  rendit  sain  e 
sauf.— Voir  Btill.  monum.,  XIV,  121, 123,  236,  304,  313,  et  le  Dict,  archéologique  de  la 
Bible,  par  William  Carpenter,  v"  Léviathaîî.  (Migne,  Scrip.  sac.  cursus  completus,  III, 
col.  1071.) — Voir  encore,  pour  l'explication  en  elle-même  de  cette  ouverture  de  l'enfer, 
ci-dessus,  t.  II,  ch.  xii,  p.  338. —  Ajoutons  seulement,  pour  ne  rien  laisser  manquer  aux 
notions  nécessaires  de  ce  sujet,  que,  quand  le  Sauveur  y  apparaît  frappant  de  sa  croix  lo 
monstre  qui  rend  les  âmes  au  lieu  de  les  engloutir,  c'est  la  représentation  de  la  des- 
cente du  Fils  de  Dieu  aux  limbes  et  de  la  délivrance  des  âmes  du  purgatoire. 

(2)  Non  sic  ut  quondam  sorbitit  ille  Jnnam.  —  Il  est  clair  qu'il  y  a  encore  ici  quelque 
faute  de  copiste,  car  ce  vers  exprimerait  le  contraire  do  ce  qui  arriva  à  Jonas,  lequel 
fut  absorbé  et  rendu  tout  entier  par  la  baleine.  —  Notre  traduction  rétablit  le  vrai 
sens  de  l'auteur. 


•JOO  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

Mentes  cunctorum  qui  mutât  ubiqiie  viroruni  : 
Esurit  atqiie  sitit,  quosque  potest  perimit, 

Et  modicos  fîdei  trahit  iii  dulcedine  verbi, 
Nam  fide  firmos  non  trahit  ille  viros. 

In  quo  confidit  quisquis,  et  spes  sibi  ponit , 
Ad  Styga  qui  rapitur,  quod  maie  deeipitur. 


De    Sirène. 

Sirènes  sunt  monstra  maris  resonantia  miris 
Vocibus,  et  moduUs  cantus  facientia  multis. 
Ad  quas  non  caute  veniunt  sœpissime  nautœ  («)  : 
Quœ  faciunt  sonitum  nimia  dulcedine  vocum, 
Et  modo  naufragium,  modo  dant  mortale  periclum. 
Nam  qui  viderunt  bas,  taies  esse  tulerunt  : 
Ex  umbilico  sunt  ut  pulcherrima  virgo, 
Quodque  facit  monstrum,  pisces  sunt  inde  retrorsum  (6j. 
Est  onocentaurus  eadem  natura  biformis  (c)  : 
In  quibus  est  asinus  humano  corpore  mixtus. 

Quam  plures  homines  sic  sunt  in  more  biformes, 
Unum  dicentes,  ahud  tibi  mox  facientes , 

(a)  Per  sirènes  intelligatur  diabolus,  et  per  nautas  homo.  Sic  dia- 
boliis  dulcia  promittit,  et  inducit  quibus  periclitari  facit  hominem 
in  œterna  damnatione. 

(h)  In  superiori  parte  corporis  sui  sirènes  habent  speciem  pul- 
chrae  virginis,  sed  ab  umbilico  inferius  habent  speciem  volucris  vel 
piscis. 

(c)  Onocentaurus  enim  est  monstrum  marinam,qui  suporius  dis- 
positus  est  sicut  homo^  et  inferius  siciit  asinus. 


ZOOLOGIE. —  PHYSIOLOGUL   DE   THÉOBALD.  oOI 

clicr  leur  navire,  y  débarquent  et  y  allument  du  feu  pour 
se  chauffer  ou  pour  faire  cuire  leurs  aliments.  La  bête,  qui 
se  sent  brûler,  rentre  alors  au  fond  de  la  mer  et  fait  périr 
l'équipage. 

Le  démon  est  aussi  une  grande  baleine,  remarquable  par 
sa  force,  comme  nous  le  disent  ses  adeptes  les  magiciens;  il 
s'est  toujours  emparé  de  l'esprit  des  hommes,  qu'il  change 
à  son  gré  ;  il  en  a  faim  et  soif,  il  perd  tous  ceux  qu'il  peut 
séduire,  alléchant  parla  feinte  douceur  de  ses  paroles  ceux 
dont  la  foi  est  chancelante,  mais  impuissant  contre  ceux  qui 
restent  fermes  dans  cette  foi.  Celui  qui  l'écoute  et  le  croit  se 
laisse  entraîner  par  lui  dans  l'abîme,  suite  déplorable  de  sa 
malheureuse  confiance. 

De  la  Sirène. 

Les  sirènes  sont  des  monstres  marins  dont  la  voix  est  de  i» sirène, 
merveilleuse  ;  leurs  chants  sont  pleins  d'harmonie.  Les  nau- 
tonniers  se  laissent  prendre  très-souvent  à  la  douceur  de 
ces  concerts  perfides  ;  ils  s'en  approchent ,  et  tombent  au 
milieu  d'écueils  qui  causent  leur  naufrage.  Ceux  qui  les  ont 
vues  assurent  que  toute  la  partie  supérieure  de  leur  corps 
est  celle  d'une  ])elle  jeune  fille,  la  partie  inférieure  est  celle 
d'un  poisson,  semblable  en  cela  à  l'onocentaure,  qui  a  aussi 
son  double  corps,  d'homme  et  d'âne  sauvage. 

Que  d'hommes  ont  ainsi  comme  deux  natures,  dont  l'une 
parle  en  sens  contraire  des  actions  de  l'autre  :  grands  par- 
leurs de  vertus,  et  pratiquants  de  débauches  (4)  !  Ne  sont-ce 
pas  là  des  infamies  dont  le  monde  se  fait  gloire  ? 

(1)  Ici  la  glose  de  notre  étymologiste  est  encore  en  défaut:  -/puao;  n'est  jamais  entré 
dans  la  composition  d'hypocrite,  qui  vient  d  Ûttcx.oÎvw,  feindre,  représenter  un  person- 
nage de  comédie.  —  Nous  ne  savons  non  plus  où  le  commentateur  de  Théobald  avait  pris 
que  l'onocentaure  était  un  animal  marin.  Aucun  bestiaire  n'en  parle  dans  ce  sens,  et  il 
l'aura  mal  induit  du  rapprochement  qu'en  font  les  symbolistes  avec  la  sirène  ,  qu'on 
regarde  comme  l'emblème  des  hypocrites,  ou  de  ceux  qui  trompent  par  leur  langage 
différent  de  leur  conduite,  à  cause  de  cette  double  nature  qu'on  attribue  h  l'un  et  à 
l'autre.  Les  physiologues  divers  connus  avant  ou  après  lui  parlent,  il  est  vrai,  de  ce 
monstre  en  même  temps  que  de  la  sirène,  et  à  son  occasion,  parce  qu'il  est,  comme  elle, 
fomposé  d'une  double  nature  physique;  mais  ils  ne  l'ont  jamais  fait  habitant  de  la  mer . 
ni  même  amphibie,  comme  on  peut  le  voir  dans  le  deuxième  volume  du  Spicilége  du  car- 


502  HISTOIRE   DU  SYMBOLISME. 

Qui  foris  ut  fantur ,  non  intus  sic  operantur, 

Ut  pote  sunt  muiti  qui  de  virtute  locuti, 

Glunibus  indulgent  his  !  0  quam  publica  fulgent  {d)  ! 

{d)  Sicetiam  sunt  aliqui  praedicatores,  hommes  docentes,  et  pr?e- 
cipientes  facere  bona  et  virtuosa;  ipsi  vero  faciunt  mala  et  crimi- 
nosa.  Taies  dicuntur  hypocritae ,  ab  ûtto,  quod  est  supra,  et  xP'^<^°m 
aurwn,  quasi  forinsecus  apparentes  ut  aurum ,  et  velut  homo  ra- 
tione  utens;  sed  intrinsecus  sunt  similes  asino,  ratione  carentes. 

De  Elephante. 

Gorpore  tam  grandes  apud  Indos  sunt  elep liantes 

Ut  bene  fîrmares  montibus  esse  pares. 
Hi  simul  incedunt  ut  oves,  dum  pascua  quœrunt  ; 

Aversi  coeunt  cum  sibi  conveniunt  ; 
Atque  semel  pariunt  quamvis  tôt  tempora  vivunt , 

Hoc  esttrecentum.  Nec  faciunt  genitum, 
Ast  unum  generans  et  per  duo  tempora  gestans 

Cum  parit,  in  magna,  ne  cadat,  extat  aqua  ; 
Non  babet  unde  surgat,  quia  nunquam  crura  recurvat. 

Si  qua  forte  ruit,  hocgenitrix  metuit, 
Dum  vult  pausare  vel  somno  se  recreare, 

Incumbit  ligno  arboris  exiguo, 
Quam  notât  atque  secat  venator,  et  obice  celât, 

Clamque  sedens  spectat  dum  requiem  répétât, 
nie  velut  quondam  securis  ad  arboris  umbram, 

Dum  venit,  incumbit  cumque  ruente  ruit. 
Sin  bomo  non  aderit,  gémit,  et  cum  denique  barrit, 

Tune  unus  currit  qui  relevare  cupit, 
Sed  nequit,  et  satagit  complorans  ;  tune  quoque  barrit. 

Multi  vel  magni  tune  veniunt  alii  ; 
Gum  nequeunt  omnes,  intendunt  mittere  voces. 

Ad  quos  it  subitus  parvulus  et  minimus, 
Gujus,  et  est  mirum,  provisio  sublevat  illum, 

Et  sicprœdictas  effugit  insidias. 


ZOOLOGIE.  — PHYSIOLOGUE   DE   THÉOBALD.  oOS 


De  l'Eléphant  (i). 

Au  pays  des  Indes,  on  voit  des  éléphants  si  énormes  qu'on  ^^  l'éiéphant, 
les  prendrait  pour  des  montagnes.  Ils  marchent  par  trou- 
peaux...; ils  vivent  trois  cents  ans,  pendant  lesquels  ils  n'ont 
jamais  qu'un  petit  qui  nait  dans  l'eau...  Gomme  l'éléphant  ne 
peut  plier  ses  jamhes ,  il  ne  peut  plus  se  relever  s'il  vient  à 
tomber;  c'est  pourquoi,  pour  se  reposer  ou  dormir,  il  s'ap- 
puie sur  le  tronc  d'un  arbre.  Le  chasseur  qui  l'a  remarqué 
fait  à  cet  arbre  une  large  coupure  qu'il  dissimule  ensuite  ; 
puis  il  va  se  cacher,  attendant  le  retour  de  la  bote  qui  revient 


djnal  Pitra,  p.  68,  350  et  381.  Tons  ces  auteurs,  latîn,  grec  ou  arménien,  traitent  d'ailleurs 
delà  sirène  et  de  l'onocentaure  comme  Théolîald  lui-même,  à  l'exception  des  interpré- 
tations morales,  dont  le  fond  est  simplement  indiqué  par  eux  et  longuement  développé, 
au  contraire,  par  celui-ci.  Toutefois  les  interprètes  arméniens  sont  plus  abondants,  aussi 
bien  que  les  gnostiques  ,  dont  l'herméneutique  ne  diffère  que  très-peu  de  celle  de  notre 
évêque.  Au  reste  ,  le  prophète  Isaïo  avait  parlé  de  la  sirène  et  de  l'onocentaure  comme 
de  types  démoniaques  imposant  leurs  mauvaises  inspirations  aux  peuples  punis  de  Dieu 
(voir  /s.,  XIII,  22;  xxix.  14):  de  là  tous  les  symboles  qui  s'y  rapportent  dans  les  Pères  et 
les  écrivains  ecclésiastiques. —  Quoi  qu'il  en  soit,  on  voit  qu'ici  le  commentateur,  évêque 
ou  prêtre,  ne  ménage  pas  plus  les  prédicateurs  infidèles  à  leurs  convictions  que  ne 
les  épargnaient  les  moralistes,  dont  nous  avons  observé  les  sévérités  artistiques  en  par- 
lant de  certains  modillons,  au  ch.  viii,  ci-dessus. 

(1)  Le  premier  éléphant  qui  parut  en  France  y  fut  envoyé  à  Chârlemftgne  par  le  calife 
Aaroun-al-Raschild,  en  802.  Ce  symbole  ne  pourrait  donc  guère  se  trouver  dans  la  sculp- 
ture monumentale  que  depuis  le  commencement  du  neuvième  siècle,  quoiqu'on  puisse  bien 
en  avoir  eu  quelque  idée  antérieure  par  les  bestiaires  mêmes.  Mais  cette  idée  fut-elle  dès 
lors  dans  les  monuments  par  la  sculpture  ou  les  autres  arts  du  dessin  ?  Nous  n'en 
avons  pas  d'exemple,  et  nous  ne  pensons  pas  qu'on  en  puisse  citer.  Il  n'en  est  que 
plus  curieux  d'observer  comme  les  symbolistes  s'en  emparèrent,  y  trouvèrent  des  ana- 
logies avec  le  Sauveur  par  suite  des  habitudes  de  l'animal,  ici  décrites  avec  plus  ou 
moins  de  crédulité,  pendant  que  d'autres,  comme  S.  Mcliton,  voyaient  on  lui  le  type  des 
grands  pécheurs  et  des  orguoilloui  à  cause  de  sa  taille  et  de  sa  fore»,  dont  il  lui  est  si 
facile  d'abuser. Pierre  de  Capoue  fait  de  l'ivoire  le  symbole  delà  chasteté  et  de  la  force 
morale  qui  résiste  aux  passions.  Il  le  donne  comme  une  sorte  d'attribut  à  S"  Agnès,  à 
S"  Agathe,  qui  préférèrent  la  mort  à  la  perte  de  leur  virginité  ;  à  S.  Paul  pour  sa  fermeté 
apostolique;  au  Sauveur,  enfin,  demeuré  incorruptibU  dans  U  tombeau  ;  Non  dahls 


504  HISTOIRE   DU  SYMBOLISME. 

De  qiio  pilis  ejiis  si  fit  siil)  domate  fiimus, 

Serpentes  cedunt  quaeque  venena  ferunt. 
Sic  homo  primus  Adam  per  ligniim,  sic  cecidit  jam  ; 

Quem  Moyses  voluittollere,non  potiiit. 
Post  liiinc  Prophetae  voluerunt,  nec  valuere. 

Ipsoriim  precibus  venit  ad  Jiimc  Dominus, 
Qui  cum  sit  parviis,  cum  Deus  est  homo  factiis , 

Sic  relevavit  eiim  in  comedendo  reum  (a)  ; 
Gujus  odorplenus  de  verbis  (scilicet?)  ejus  (6), 

Sic  cui  rite  venit,  ille  beatiis  erit  ; 
Omne  quod  est  vitium  fugiet  de  corde  per  ipsum  : 

Causa  dehinc  lethi  nulla  nocebit  ei. 

(a)  Adam  cecidit  in  mortem  cum  arbore  quam  venator ,  id  est 
diabolus,  sua  fraude ,  instigando  ad  transgressionem  inédit.  Moyses 
vero  eum  sublevare  non  potuit  (per  Legem),  et  alii  Prophetae  simi- 
liter  non  potuerunt.  Hi  ergo  simul  inceperunt  barrire,  id  est  fun- 
dere  suas  devotas  orationes  ad  Deum,  et  tandem  ad  preces  eorum 
venit  unus  Parvus  Elephas,  scilicet  Ghristus  Jésus  parvus,  id  est 
maxime  humilis,  et  sublevavit  istum  ,  dum  sua  morte  in  crucis 
patibulo  eum  redemit. 

(b)  Sic  per  odorem  dulcis  verbi  Dei  fugunt  cuncta  vitia,  nec  ulla 
mortis  causa  ad  venit  ei  qui  verbum  Dei  rite  audit  et  firmiter  cus- 
todit.  Boati  qui  audiunt  verbum  Dei  et  custodiunt  illudl 

De  Turture. 

Turtur  inane  nescit  amare  (a), 
Nam  semel  uni  juncta  marito 
Semper  adhœret  cum  simul  ipso. 
Nocte  dieque  juncta  rnanebit, 
Absque  marito  nemo  videbit  ; 
Sed  viduata  si  caret  ipso, 
Non  tamen  altro  nubit  amico  : 
Sola  volabit,  solascdebit, 
Opericnsque  cas  ta  manebit. 

{a)  Sed  ardenti  amore. 


ZOOLOGIE. —  PHYSIOLO'viUE   DE   THEOBALI).  iiO") 

pi'oiidie  son  repos  SOUS  ce  mèineai'bre(l),  s'y  appuie  et  tombe 
avec  lui.  S'il  ne  survient  personne  pour  s'emparer  de  lui,  il 
se  meta  gémir,  puis  ses  cris  deviennent  perçants.  Beaucoup 
d'autres  éléphants  arrivent  alors,  jettent  de  grands  cris  qui 
en  attirent  encore  ;  et  tous,  grands  et  petits,  par  une  admi- 
rable entente ,  réussissent  à  soulever  leur  pauvre  ami,  qui , 
grâce  à  ce  secours,  parvient  à  éviter  la  mort.  Le  poil  de 
l'éléphant  a  cette  vertu  remarquable  que,  s'il  est  brûlé  dans 
une  maison,  il  en  éloigne  les  serpents,  très-venimeux  dans  ce 
pays. 

Adam,  notre  premier  père,  était  tombé  de  la  sorte.  Moïse 
et  les  Prophètes  ne  purent  réparer  sa  cliute  ;  mais  leur  prière 
appela  vers  lui  le  Seigneur,  qui  se  rapetissa  jusqu'à  se  faire 
homme  et  le  releva  de  son  abjection  en  se  donnant  à  lui 
pour  nourriture.  Heureux  donc  celui  qui  se  laissera  attirer 
à  l'odeur  de  sa  parole  !  par  elle  son  cœur  sera  dégagé  de 
toute  influence  vicieuse  ;  il  n'aura  plus  en  soi  aucune  cause 
de  mort.  Toutes  les  nations  l'ont  suivie  par  la  foi  ;  l'ancien 
serpent,  notre  cruel  ennemi ,  est  le  seul  qui  la  fuie ,  qui  se 
cache  devant  ce  Dieu,  et  qui  n'ose,  en  sa  présence,  attaquer 
ceux  que  daigne  protéger  et  défendre  Celui  qui  doit  régner 
éternellement  sur  eux. 

De  la  Tourterelle  (2). 

La  tourteielle  ne  sait  point  aimer  au  hasard;  car,  une  fois  de  la  tomtcroiip, 
attachée  à  un  époux,  elle  ne  veut  plus  que  lui  seul  ;  elle  lui 

Sunclutn  tuum  videre  comiptionem  (ps.  xxi,  10).  —  Ce  dernier  trait  devrait  faire  pré- 
férer de  beaucoup  les  crucifix  en  ivoire  à  ceux  de  toute  autre  matière,  indépendamment 
ilu  prix  intrinsèque  de  celle-ci.  C'est  une  pensée  que  les  artistes  no  doivent  pas  oublier. 
(Voir  Spicit.  Solesm.,  III,  59.) 

(1)  Seccris  ad  arboris  umbravi.  Il  faut  certainement  securus. 

(2)  Ces  vers  sur  la  tourterelle  sont  charmants  ;  leur  douceur  mélancolique  sied  parfaite- 
ment au  sujet;  leur  simplicité  gracieuse  n'eût  pas  été  désavouée  par  Catulle. —  Au  reste, 
nous  avonR  à  observ(>r  sur  cet  oiseau  qu'il  est  admirablement  traité  comme  le  symbole  de 
la  chasteté  conjugale,  de  la  paix  intérieure,  de  la  douceur  inaltérable,  parles  SS.  Pères, 
qui  virent  tour  à  tour  en  lui  le  Sauveur,  l'Eglise  sa  fidèle  Epouse,  l'âme  chrétienne,  dont 
l'amour  se  repose  en  Dieu  seul,  comme  daiis  la  solitude  chérie,  qu'elle  préfère  au  monde 
et  à  «es  dangereuses  sédu'îtions.  Ce  ciiarmant  oiseau  n'a  .jamais  eu  son  opposition  chez 
les  symbolistes;  il  a  toujours  été  pris  en  bonne  part.  S.  Fran<;ois  de  Sales  rappelle, 
d'après  les  anciens  naturalistes,  qu'il  n'a  pas  de  fiel,  et  le  propose  comme  modèle  de  la 
mansuétude  chrétienne  unie  au  saint  éclat  d'une  chasteté  incorruptible,  (t^ie  dévote.) 


o06  HISTOIRE    DU    SYMBOLISME. 

Sic  anima  extat  quœque  fidelis, 
Facta  virili  fœdere  felix, 
Namque  maritus  est  sibi  Ghristiis, 
Gum  sua  de  se  pectora  replet  ; 
Si  bene  vivit,  semper  adhaeret, 
Non  alienum  quœrit  amiciim. 
QuamliJ)et  orcus  sumpserit  illiim , 
Quem  superesse  crédit  in  œthere, 
Unde  futur um  spectat  eumdem 
Ut  microcosmum  {b)  judicet  omnem. 

(b)  Ici  est  hominem. 

De  Panthère. 

Est  quadrupes  panther  quo  non  est  pulchrior  alter  : 
Qui  magis  ex  albo  conspergitur  orbiculato. 
Diversis  pastus,  venatibus  et  satiatus , 
Se  recipit  dormitque  cavo  prostratus  in  antro; 
Post  triduum  surgit  :  tune  vero  denique  rugit... 
Exit  odor  talis  de  gutture,  tamque  suavis, 
Qui  virtute  sua  superabit  aromata  cuncta, 
Ad  quem  vox  tendit  quae  vocem  bellua  sentit. 
Sic  imitatur  eum  fletus  dulcedine  plénum  : 
vSic  faciunt  omnes  soli  panthera  dracones, 
Gum  sonat  :  aut  fugiunt  aut  segnes  corpore  iîunt, 
In  caveisque  latent  nec  longo  tempore  patent. 

Est  autem  Ghristus  panther  allegorice  dictus, 
Qui  super  est  homines  forma  collatus  ad  omnes  (a), 
Et  satur  ille  fuit  qui  tôt  quos  vult  sibi  sumit  ; 
Somnum  tune  cepit  quum  nos  moriendo  redemit. 

(a)  Siciit  panther  satiatus  tribus  diebus  dormit,  ita  Ghristus  oppro- 
briis  et  contumcliis,  (^t  diversis  afflictionibus  affectus,  tribus  diebus 
(luievitinsepu'cro.etpostquamresurrexitjVociferaiisdulcissimum 
odorem  nmisit,  dicons  :  Fax  vobis,  nolite  timoré. 


ZOOLOGIE. —  PHYSIOLOGUK   DE   THÉOBALD.  oOT 

restera  fidèle  nuit  et  jour;  on  ne  la  verra  jamais  sans  lui,  et 
si  elle  en  est  privée  par  la  mort,  elle  n'aura  point  d'autre 
ami  (1),  restant  seule,  parcourant  seule  les  ])ois  qui  cache- 
ront le  mystère  de  son  chaste  veuvage. 

Ainsi  l'âme  tîdèle  lui  ressemble;  heureuse  des  liens  qui 
l'attachent  au  Christ  son  Époux  ,  elle  remplit  son  cœur  de 
Lui  seul,  et  garde  la  sainteté  de  sa  vie  dans  sa  fidélité,  qui  ne 
lui  permet  pas  d'autre  affection;  si  la  mort  semble  l'en  sé- 
parer, elle  sait  qu'il  doit  un  jour  l'appeler  au  Ciel ,  d'où  il 
viendra  juger  ce  petit  monde  qu'on  appelle  l'homme  (2). 


De  la  Panthère  (3). 

La  panthère  est  un  des  plus  jolis  animaux;  sa  peau  est  deia  panthère. 
taclietée  de  noir  et  de  blanc;  elle  se  nourrit  surtout  de  sa 
chasse ,  et,  après  s'être  rassasiée ,  couchée  dans  son  antre 
profond  et  retiré  ,  elle  dort  pendant  trois  jours  ,  après  quoi 
elle  se  réveille  ;  elle  se  met  à  rugir  ,  et  soudain  sa  gueule 
exhale  une  odeur  dont  la  suavité  l'emporte  sur  les  parfums 
les  plus  exquis.  Alors,  d'aussi  loin  que  sa  voix  est  entendue, 
toutes  les  autres  hôtes  accourent  vers  elle,  les  dragons  seuls 
s'y  refusent,  ou  mis  en  fuite  ou  terrifiés  par  sa  voix  ,  qui  les 
arrête  et  les  fait  rentrer  pour  longtemps  dans  leurs  repaires. 


(1)  Il  faut  lire  sans  doute  altro  pour  altero. 

(2)  Un  ancien  philosophe  a  dit  que  l'homme  était  un  monde  en  raccourci. 

(3)  La  panthère  est  sauvage  et  cruelle  de  son  iia'urel.  Il  a  donc  fallu  lui  trouver  des 
qualités  éminentes  pour  oser  l'assimiler  au  Sauveur,  et  nous  les  voyons  ici  développées  au 
profit  de  l'une  des  bêtes  les  moins  commodes  de  tout  le  règne  animal.  Quoique  la  panthère 
soit  différente  du  léopard,  dont  l'Écriture  parle  souvent,  notamment  dans  l'Ecclésiastique 
(XXXI,  24),  comme  étant  l'emblème  du  démon;  quoiqu'on  l'ait  considérée  comme  l'image  de 
la  persévérance  dans  le  mal,  que  Jérémie  désigne  par  l'immutabilité  de  sa  peau  (xiii,  23), 
on  peut  regarder  que,  dans  les  Livres  saints,  où  le  mot  do  panthère  ne  figure  pas  une  seule 
fois,  ce  quadrupède  paraît  sous  le  nom  de  léopard,  et  que  leurs  attributs  sont  identiques. 
—  Quoi  qu'il  soit  dos  opinions  des  savants,  longuement  discutées,  sans  conclusion  bien 
évidente,  dans  le  Hiirozoicou  de  Bochard,  on  s'accorde  généralement  sur  tout  ce  qui  est 
dit  par  Théobald  do  la  panthère ,  dont  les  symbolistes  n'ont  voulu  prendre  que  le  bon 
côt«. 


'J08  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

Rugitum  misit  postquam  de  morte  rcvixit 
Cœlos  ascendens  Qui  régnât  ciim  Pâtre  pns  (6), 
Quem  gentes  cimctae  sicsunt  credendo  secutœ  (c). 
Qui  fugit  atque  latet,  nec  in  ipso  tenipore  patet, 
Serpens  antiquus ,  qui  nobis  est  inimicus  ; 
Namque  palam  audet  jam  f allere  multos , 
Quos  cum  defendatQui  secula  p"omnia  régnât. 

(b)  Scrlens  ad  dextoram  Patris,  odorem  suavissimum  emisit,  scili- 
cet  Paracletum  quem  discipulis  infudit. 

(c)  Homines  devoti  credendo  Eum  sequimtur,  prœter  soliim  dra- 
conem  diabolum  qui  timct  Ghristum,  etc.— Sicut  draco  abscondit 
se  ne  vocem  pantlieris  audiat,  sic  homines  diabolo  servientes 
tïigiunt  et  abhorrent  verba  Ghristi  et  suorum.  —  Item  ,  sicut  pellis 
pantheris  diversum  habet  colorem,  ita  pro  omnibus  bonis  ope- 
ribus  diversa  habet  meritoria  retribuenda  Spiritualis  Panther. 


FINIT  l'HVSIOLOGUS 
DE    DUODBCIM    ANIMALIUM    NATUKIS. 


ZOOLOGIE. —  PUVSiOLOGUE   DE   THÉOBALD.  jOI) 

Le  Christ  est  allégorisé  par  cette  paiitliùre  ;  il  s'est  assimilé 
à  tous  les  hommes  en  prenant  leur  humanité  :  il  avait  de 
nous  une  faim  qu'il  a  rassasiée  en  complétant  le  nomhre  de 
ses  Élus ,  puis  il  nous  a  rachetés  par  son  sommeil  de  trois 
jours  dans  le  tomheau.  Après  sa  résurrection,  il  a  rempli  la 
terre  du  vaste  rugissement  de  la  parole  évangélique ,  et  il 
est  remonté  aux  Cieux,  où  il  règne  tout-puissant  avec  son 
Père(l).  Mais  ensuite  toutes  les  nations  sont  accourues  vers 
Lui  par  la  foi  ;  le  démon  seul ,  notre  ennemi  et  le  sien  ,  a 
disparu  et  s'est  caché  depuis  sa  venue,  et  il  n'ose  plus  atta- 
quer ouvertement  ceux  que  défend  contre  ses  méchancetés 
le  Dieu  dont  le  règne  ne  peut  être  éjjranlé  (2). 


(1)  Régnât  cum  Pâtre  pns,  c'est-à-dire  prasms ,  et  mieux  potens  en  dépit  de  la 
mesure. 

(2)  Qui  taenia  p  mnnia  régnât.  Ce  p  est  ici  pour  la  préposition  per,  qui,  se  confon- 
dant avec  le  mot  suivant,  comme  si  on  eût  dû  prononcer  pomnia,  laissait  le  ver»  dans  sa 
mesure  et  s'entendait  fort  bien  par  les  lettrés. 


FIN    DU    l'UYSIOLOGUE   SUR  LES   DOUZE  ANIMAUX. 


5^0  HISTOIRE  DU  SYMBOLISME. 

Observations  sur      Qi!  a  dû  Comprendre  à  de  tels  vers  latins  que  le  poète  y 

le  l'hysiotogiie  et  i  i.  i       t,  x    i 

la  traduction  pré-  avait  mis  quelque  négligence,  et  les  amateurs  du  beau  style 
s'y  seront  peut-être  un  peu  scandalisés.  Disons  toutefois,  à  la 
décharge  de  l'auteur,  que,  pour  expliquer  les  nombreuses 
infractions  aux  règles  de  la  prosodie  et  de  l'élégance,  il  faut 
tenir  compte  des  nombreuses  copies  qui  durent  en  être 
faites  avant  la  première  édition,  lesquelles,  en  se  multipliant, 
devinrent  forcément  plus  ou  moins  fautives.  Le  premier 
éditeur  qui  voulut  en  exposer  le  mysticisme  ne  se  donna 
point  la  peine  d'y  ajouter  ses  réflexions  littéraires,  et  livra  à 
son  public ,  encore  peu  difficile  sur  ce  point ,  un  texte  tel 
quel  et  susceptible  de  beaucoup  trop  d'errata.  En  dépit  de 
ces  raisons,  et  tout  en  indiquant  des  corrections  essentielles, 
nous  avons  tenu  cependant  à  ne  pas  défigurer  l'original ,  à 
lui  laisser  autant  que  possible  sa  physionomie  primitive , 
aidant  seulement  de  nos  propres  observations  l'intelligence 
des  passages  qui  paraissaient  offrir  plus  d'obscurité.  Quant 
à  notre  traduction,  nous  l'avons  faite  très-librement,  n'ayant 
pu  a\oir  pour  but  en  l'écrivant  que  de  satisfaire  à  la  juste 
curiosité  de  quelques  lecteurs  à  qui  elle  serait  indispensable, 
et  de  leur  rendre  la  pensée  de  l'auteur  latin  plutôt  que  le 
caractère  de  sa  diction. 
De  ce  livre  même      Api'ès  ccttc  Iccturc,  qu'ou  pourralt  regarder  comme  le 
que^iïuteu"^  "ne   résumé  dc  toutc  la  théologie  mystique  de  l'art  chrétien  ap- 
s  abusait  pa^^p^us  pj-^^^^g  ^  j^  zoologlc  dc  SCS  monumcuts  et  de  ses  livres ,  on 

Fa^fakur^dr leurs  u'a  guèrc  bcsolu  dc  poursuivre  une  étude  d'où  jaillissent 
opimons  zoo  o-i-  j^g^^^A^  l'évidencc  et  la  nature  du  symbolisme  et  l'étendue 
de  ses  moyens  d'action  sur  l'esprit  humain.  On  n'en  conclura 
pas ,  avec  certains  antagonistes  des  Pères ,  que  beaucoup 
d'écrivains  mystiques  s'étaient  fait  une  sorte  de  zoologie 
fabuleuse ,  pour  y  trouver  de  plus  faciles  allusions  aux 
choses  chrétiennes.  On  voit  qu'ils  n'ont  fait  qu'admettre  des 
notions  mythiques,  il  est  vrai ,  mais  dont  ils  n'étaient  point 
dupes ,  afin  d'en  tirer  le  même  profit  que  d'autres  avaient 
fait  avant  eux.  Les  écrivains  protestants,  d'ailleurs,  ne  sont 


ZOOLOGIE. —  PHYSIOLOGIE    DE   THEOBALD. 


:ili 


pas  restés  étrangers  à  ce  mélange  de  vérité  et  d'erreur. 
Franzius,  que  nous  avons  souvent  allégué,  ne  s'est  pas  con- 
tenté des  données  incontestables  des  naturalistes ,  il  en  a 
cité  aussi  les  plus  bizarres  imaginations,  et,  en  dépit  de  ses 
applications  injurieuses  contre  les  catboliques,  et  surtout 
contre  les  jésuites  (que  de  tels  adversaires  avaient  quelques 
raisons  trop  dogmatiques  de  baïr),  il  n'a  pas  moins  usé, 
dans  l'intérêt  de  son  livre,  de  maintes  révélations  dont  l'or- 
thodoxie scientifique  n'était  point  sans  reproche.  Mais 
n'avons-nous  pas  vu  les  Docteurs  de  l'Église  s'entendre 
universellement  sur  les  mêmes  points?  L'unanimité  des 
principes  symbolistiques  ressort  beaucoup  plus  de  cet  ac- 
cord que  de  toutes  les  études  possibles  ;  et  comment  douter 
de  cette  conformité  de  tous  les  temps  quand  on  voit  les 
types  se  multiplier  sur  les  monuments  de  tous  les  âges  ? 

Pour  en  revenir  à  nos  animaux,  n'oublions  pas  que  tous 
ne  sont  pas  aussi  méchants  ni  aussi  bons  que  Théobald  nous 
les  représente  d'après  les  auteurs  qu'il  devait  suivre.  Qui- 
conque voudra  consulter  les  livres  spéciaux  que  nous  avons 
ouverts  devant  nos  lecteurs  ,  comme  sources  de  preuves , 
verra,  parles  détails  particuUcrs  à  chaque  hôte,  que  les  sym- 
bolistes sont  parfaitement  compréhensibles  quand  ils  par- 
lent diversement  du  même  sujet,  en  lui  attribuant  tantôt  des 
quahtés,  tantôt  des  vices  qui  sont  parfois  très-réels  et  par- 
fois seulement  de  convention.  Pour  bien  établir  ce  genre 
d'opposition  et  comprendre  complètement  tout  ce  qui  se  rat- 
tache, dans  la  théorie  du  symbolisme  zoologique,  à  chaque 
animai  en  particulier ,  il  faudrait  qu'une  plume  sérieuse 
écrivît,  sous  forme  de  dictionnaire,  une  histoire  générale  de 
ces  citoyens  libres  de  tous  les  mondes  connus,  réels  ou  fan- 
tastiques, hybrides  ou  naturels,  créés  par  la  toute-puissance 
de  Dieu  ou  par  l'imagination  de  l'homme.  On  en  trouverait 
les  éléments  principaux  dans  La  Clef  de  S.  Méliton,  dans  les 
différents  bestiaires  que  nous  avons  cités,  dans  les  homélies 
et  les  ouvrages  dogmatiques  des  Pères  et  des  écrivains  ecclé- 


'L'opposition 
symbolique  n'e- 
xiste pas  moins 
sur  ce  point  que 
sur  tous  les  autres 
de  noire  tliéorie 
générale. 


Utilité  d'un  dic- 
tionnaire symbo- 
lique d'histoire  na- 
turelle. —  Abon- 
dance de  ses  ma- 
tériaux. 


6i2  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

siastiques.  Nos  travaux  en  ce  genre  nous  procureraient  la 
grande  joie  d'offrir  à  qui  entreprendrait  ce  travail,  aussi 
utile  que  curieux,  d'abondantes  notes  que  nous  n'aurions  pu 
faire  entrer  dans  celui-ci  sans  le  grossir  considérablement  : 
ce  serait  une  partie  très-importante  de  l'iconographie  géné- 
rale. Sans  accorder  à  ce  sujet  les  développements  que 
M.  l'abbé  Grosnier  a  donnés  à  son  Histoire  du  lion,  insérée 
au  dix-neuvième  volume  du  Bulletin  monumental,  on  pren- 
drait cette  savante  composition  pour  point  de  vue;  que  si 
l'on  ajoutait  aux  espèces  vivantes  ce  qui  regarde  la  bota- 
nique, dans  laquelle  nous  allons  entrer  au  chapitre  suivant, 
puis  les  pierres  précieuses,  dont  nous  avons  traité  dans  un 
des  chapitres  de  l'Apocalypse  (i),  ce  qui  regarde  la  mer  et 
•  tous  ses  adjacents ,  fleuves  et  rivières ,  la  terre  avec  ses 
divers  aspects  et  les  variétés  de  sa  forme  en  villes  et 
plaines ,  en  montagnes  et  en  vallées  ,  enfin  les  astres  et  les 
richesses  astronomiques,  dont  le  sens  allégorique  se  repro- 
duit avec  tant  de  profusion  dans  la  Bible  et  dans  les  Docteurs 
des  âges  chrétiens ,  on  formerait  un  Dictionnaire  archéolo- 
gique  d'histoire  naturelle,  dont  les  gens  du  monde  auraient 
eux-mêmes  beaucoup  à  profiter  pour  leur  instruction  reli- 
gieuse, presque  toujours  superficielle,  et  que  ne  dédaigne- 
raient pas  les  érudits,  à  qui  un  tel  livre  épargnerait  beau- 
coup de  recherches  et  de  temps.  Sur  ce  point  il  n'y  aurait 
plus  de  questions  controversées  :  toutes  se  trouveraient 
éclairées  et  résolues  par  le  témoignage  scientitîque  des 
meilleures  autorités  (2). 
Ce  genre  de      Cc  vastc  champ ,  tout  cu  Comprenant  les  matériaux  que 

beautés  mamfeste  ^  ^  ^ 

surtout  dans  les  préscntc  déjà  ccttc  Histoire  et  théorie,  en  recueillerait  cepen- 

psaumes    vai     et  ^ 

txLvm.  dant  beaucoup  plus  encore  dans  les  innombrables  détails 


(1)  Cf.  ci-dessuSj  t.  II,  ch.  xiil. 

(2)  On  doit  à  Mgr  de  la  Bouillerie,  évêque  de  Carcassonne,  des  Études 
sur  le  symbolisme  de  la  nature,  qui  réalisent  une  partie  de  ce  plan  et 
dont  nous  aurons  occasion  de  parler  encore.  Le  docte  prélat  y  montre 
combien  il  serait  capable  d'en  réaliser  l'eusemble. 


ZOOLOGIE.— PHYSIOLOGUE   DE   THÉOBALD. 


513 


que  nous  sommes  forcé  d'abandonner.  Quelle  récolte  à 
faire,  par  exemple,  dans  les  psaumes  vni  et  cxlviii,  de 
tout  ce  que  la  nature,  l'homme,  les  mille  espèces  animées 
de  la  terre  et  des  eaux  nous  y  offrent  de  grandiose  poésie  et 
de  merveilleux  contrastes  !  Toute  la  nature  est  là  inspirée 
de  Dieu  ,  palpitante  au  souffle  créateur  et  se  groupant  par 
tous  les  êtres  au  pied  de  son  trône  pour  lui  rendre  l'hom- 
mage universel  de  ses  louanges  et  de  ses  adorations.  Les 
oiseaux  des  cieux,  les  dragons  de  l'abîme  viennent  s'y 
ranger  à  la  parole  du  Poète  divin  sous  l'œil  de  l'homme,  qui 
prend  sa  part  de  cet  harmonieux  concert,  en  sorte  qu'on  ne 
sait  plus  guère  si  l'univers  est  un  temple,  ou  si  le  génie 
chrétien  a  fait  de  ses  temples,  où  ces  magnifiques  tableaux 
se  reproduisent ,  un  monde  entier  qui  reflète  la  vie  et  les 
prodiges  du  dehors. 

Donc  ,  en  terminant  ce  chapitre ,  résumons-le  dans  une 
profonde  pensée  de  S.  Pierre.  L'Apôtre,  écrivant  aux  pre- 
miers chrétiens,  dont  les  mœui's  avant  leur  conversion 
avaient  été  si  différentes ,  s'efforce  de  les  attacher  plus 
étroitement  aux  vertus  nouvelles  en  leur  montrant  ce  que 
les  peuples  encore  païens  professent  d'horribles  habitudes, 
s'abandonnant  à  toutes  les  souillures  des  voluptés  char- 
nelles ,  prostituant  leurs  âmes  dans  le  vol  et  l'adultère  ,  se 
faisant,  à  force  de  désordres,  des  fils  de  malédiction  éternelle, 
blasphémant  ce  qu'ils  ignorent ,  et  s'abaissant  par  tant  de 
crimes  au-dessous  de  ces  troupeaux  de  hôtes  sans  raison 
qui  courent  les  campagnes  sans  aucun  sentiment  de  leur 
Créateur  (-1).  Cette  abjection  a  toujours  été  la  grande  peur 


Conclusion  de 
ce  chapitre  dans 
une  leçon  donnée 
par  S.  Pierre  aux 
liommos  que  leui-s 
passions  gros- 
sières assimilent 
aux  animaux. 


(1)  «  Novit  Dominus...  iniquos  in  diem  judicii  reservare  cruciandos, 
magis  autem  eos  qui  post  caruem  iu  concupisceiitia  imnmuditia;  am- 
bulant...— Illi,  veliit  irraliunabilia  pecora...,  quai  ignorant  blasphé- 
mantes, in  corruptione  sua  peribunt,  percipientes  mercedem  justitiae, 
voluptatem  exisliinautes  diei  dulicias,  coiuquinaliones,  et  luaeulai  deli- 
ciis  affluentes,  in  conviviis  luxuriantes,  oculos  babentes  plenos  adulte- 
riis...,  pellicieutes  animas  instabiles,  cor  exercitatum  avaritia  babentes, 
maledictionis  filii.  »  (S.  Pelri  Epist.  Il,  ii,  9  et  seq.)—  Tout  cela  encore 
n'est-il  pas  comme  un  programme  de  beaucoup  de  nos  images 
sacrées? 


T.  m. 


33 


:>|/i  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

de  l'Église  ;  elle  ne  redoute  rien  tant  que  de  voir  les  âmes, 
qu'elle  doit  conduire  à  la  vie  par  le  digne  usage  de  leurs 
facultés  spirituelles,  s'enfoncer  dans  le  bourbier  du  vice  par 
les  égarements  de  la  raison.  C'est  pourquoi  cette  Épouse  du 
nouveau  Salomon  demande  toujours  et  par-dessus  tout,  pour 
ses  enfants,  que  rien  ne  les  fasse  déchoir  du  glorieux  héritage 
de  l'intelligence  et  de  la  foi.  «  Dieu  Tout-Puissant,  s'écrie- 
t-elle,  faites-nous  la  grâce  d'avoir  toujours  présents  les  en- 
seignements de  la  raison,  afin  que  nos  œuvres  comme  nos 
paroles  restent  toujours  d'accord  avec  votre  loi  (-l).  »  Nous 
le  voyons  :  tout  est  dans  cet  humble  aveu  de  notre  faiblesse  et 
de  notre  premier  besoin.  C'est  là  ce  que  l'immortelle  Église 
de  Jésus-Christ  a  voulu  enseigner  de  tout  temps  par  tous  ses 
moyens.  Dans  ce  but,  elle  a  spiritualisé  la  matière ,  elle  a 
trouvé  dans  toute  la  création  de  quoi  rappeler  la  première 
des  créatures  à  la  dignité  de  son  origine  et  de  sa  fin.  Après 
avoir  vu  cette  vérité  appliquée  au  règne  zoologique,  il  nous 
reste  à  la  voir  dans  ses  applications  à  la  mystérieuse  bota- 
nique de  ses  édifices  sacrés. 


(1)  «  Prsesta,  quaesumus,  omnipotens  Deus,  ut  semper  ralionabilia 
méditantes ,  quae  Tibi  sunt  placita,  et  dictis  exequamur  et  factis.  » 
(Orais.  du  sixième  dimanche  après  l'Epiphanie.)  — Soit  dit  en  passant, 
voilà  une  preuve  que  l'Église,  en  voulant  la  foi,  n'abdique  pas  la  raison. 
Elle  sait  bien  que  la  raison  conduira  l'homme  à  la  foi  lorsqu'elle  sera 
dégagée  des  préjugés,  des  passions  et  de  tous  les  faux  prétextes  que 
l'impie  accumule  contre  la  soumission  de  l'esprit  à  la  révélation 
divine. 


GHAPITIÎE  XIII. 


FLORE  MURALE. 


Dieu  venait  de  tirer  la  terre  du  chaos  et  de  l'obscurité  ;     Harmonie  de  la 

végétation  et   du 

les  mers  avaient  reçu  leurs  limites,  et,  pour  être  com-  cœur  de  l'homme. 
plètes ,  ces  deux  belles  portions  de  son  œuvre  réclamaient 
une  parure  qui  les  rendit  utiles  à  l'homme,  appelé  bientôt 
à  les  posséder,  agréables  à  ses  regards,  qui  devaient  y  trou- 
ver leurs  voluptés  les  plus  pures  :  et  une  parole  nouvelle  de 
la  Providence ,  qui  se  jouait  dans  le  monde,  revêtit  les  plai- 
nes ,  les  montagnes  et  les  vallées  de  leur  verdure ,  de  leurs 
forets  et  de  leurs  fleurs.  Quelle  admirable  variété  !  quels 
charmes  à  l'homme  appelé  plus  tard  à  jouir  de  ces  beautés 
ravissantes  ,  à  les  savoir  créées  pour  lui ,  capables  de  satis- 
faire tous  ses  sens  ,  qui  n'avaient  encore  abusé  de  rien  ! 
Longtemps  peut-être  il  put  les  contempler  avant  la  chute 
de  son  innocence ,  profiter  de  ces  ombres  épaisses  qui  tem- 
péraient pour  lui  l'ardeur  de  jours  sans  nuages ,  admirer 
les  touchants  contrastes  des  arbres  majestueux  et  des  splen- 
deurs modestes  des  roseaux  de  ses  rivages,  des  touffes  odo- 
rantes qui  lui  jetaient  leurs  parfums.  Les  animaux,  paisi- 
bles et  doux,  mêlaient  à  ces  diversités  aimables  l'élan  de  leurs 
jeunes  gracieusetés.  Ils  remplissaient  de  joie  et  de  mouve- 
ment ce  vaste  ensemble  où  leur  obéissance  marquait  d'un 
caractère  suréminent  le  front  de  la  seule  créature  que  le 
Tout-Puissant  eût  faite  à  son  image.  Quel  beau  domaine  Beauté  de  i'é- 
pour  celle-ci ,  et  quel  règne  tranquille  que  celui-là,  ordonne 


.516  HISTOIRE   bl    SYMBOLISME. 

de  la  main  de  Dieu  avec  la  miraculeuse  et  iuCaillible  éco- 
nomie de  toutes  ses  richesses,  avec  un  empire  absolu  donné 
au  roi  de  tant  de  choses  sur  les  êtres  qui  partageaient  son 
existence  et  contribuaient  à  son  bonheur  !  Les  poissons  de 
la  mer  et  des  fleuves  préféraient  par  instinct  leurs  silencieux 
rivages,  les  oiseaux  s'élevaient  jusqu'à  l'empyrée,  ou  gazouil- 
laient dans  leurs  branchages  les  chants  interrompus  de  la 
création;  les  reptiles  et  les  quadrupèdes  s'agitaient  sans 
crainte,  se  reposaient  autour  de  l'homme,  et  tout  semblait 
jouir  avec  lui,  dans  une  heureuse  dépendance,  de  sa  supré- 
matie et  d'une  paix  que  rien  ne  devait  altérer.  Que  de  raisons 
pour  appeler  ce  heu  favorisé  du  nom  de  ses  déhcieux  om- 
brages ,  devenus  le  type  du  Paradis  éternel  !  Quel  doux 
travail ,  quelle  facile  vigilance  que  celle  imposée  à  l'homme 
contre  les  seules  inadvertances  des  hôtes  sans  raison  de  ces 
solitudes  bénies  !...  Culture  sans  fatigue,  source  de  pure  joie 
et  de  plaisir  innocent  au  milieu  de  ces  fleuves  dont  la  course, 
lente  ou  rapide ,  versait  aux  bois ,  aux  prairies  et  aux  par- 
terres la  perpétuelle  fraîcheur  de  leurs  fécondes  sinuo- 
sités ('i)! 


(1)  Voirie  premier  ot  le  second  chapitre  de  la  Genèse  commentés 
par  S.  Jean  Chrysostome,  et  par  Cornélius  à  Lapide  d'après  lui.  De 
leur  côté,  S.  Basile  et  S.Augustin  expliquent  le  genre  de  conservation 
et  de  travail  imposé  à  Adam  pour  le  Paradis  terrestre,  d'une  culture 
sans  peine  et  d'une  surveillance  peu  difficile  sur  les  animaux,  dont  les 
ravages  eussent  pu  détruire  l'ordre  et  la  beauté  du  Paradis  terrestre. 
C'est,  en  effet,  la  seule  interprétation  possible  de  cet  ordre  divin  in- 
diqué par  la  Genèse  :  Tulit  ergo  Dominus  Deiis  hominem  et  posuii 
eum  in  Paradiso  voluplatis  ut  oyeraretur  et  custocliret  illum.  Cette 
surveillance  était  inséparable  d'un  travail  dont  elle  devait  protéger  les 
conséquences  :  l'un  était  donné  à  l'homme  comme  une  nécessité  de  sa 
vie,  dont  l'inaction  absolue  eût  fait  un  ennui  continuel  ;  l'autre  comme 
exercice  de  son  intelligence,  qui  ne  pouvait  abandonner  le  soin  des 
choses  qui  l'occupaient  chaque  jour.  —  Une  observation  qui  ressort 
bien  de  notre  sujet,  c'est  l'identité  qui  se  trouve  entre  le  nom  donné 
au  fleuve  du  Tigre,  l'un  des  quatre  du  Paradis  terrestre,  et  à  l'animal 
ainsi  nommé.  D'après  leur  étymologie  hébraïque,  l'un  tire  cette  appel- 
lation d'une  ressemblance  que  la  rapidité  de  son  cours  fit  trouver  avec 
celle  des  mouvements  vifs  et  impétueux  de  l'autre  :  fleuve  et  animal 


FLORK   MURALE.  ol7 

Mais  soudain  tant  de  charmes,  sans  disparaître  entière-  «*  ^*  déchéance, 
ment,  furent  de  beaucoup  effacés  parla  première  faute.  Le 
printemps  éternel  souffrit  des  atteintes  mortelles  d'une  au- 
tomne inattendue  et  d'un  hiver  qui  le  suivit,  traînant  avec  . 
lui  raftligeante  image  de  la  mort.  La  nature  ne  fut  plus  im- 
muable ;  son  éclat  se  ternit  comme  la  jeunesse  d'Adam.  Les 
brutes  semblèrent  comprendre  cette  déchéance  ;  elles  vou- 
lurent, à  son  exemple,  une  liberté  que  n'entravât  aucune 
obéissance;  elles  se  révoltèrent ,  et  avec  ce  sentiment  nou- 
veau se  développèrent  en  elles  et  les  ruses  de  la  faiblesse 
et  les  violences  de  la  force  et  de  la  férocité.  Les  plantes  se 
ressentirent  forcément  de  cette  fatale  révolution.  Les  épines 
et  les  ronces  s'accrurent  sur  la  terre  {\],  les  forêts  s'en  rem- 
plirent; il  n'y  eut  pas  jusqu'à  la  rose,  dit  S.  Basile ,  qui  ne 
s'en  entourât,  comme  pour  nous  rappeler  que  le  péché  mêla 
d'amertumes  toutes  nos  délices  (2).  Les  arbres  eux-mêmes, 
les  fleurs  les  plus  séduisantes  par  l'attrait  de  leurs  couleurs 
et  de  leurs  fruits,  acquirent  des  propriétés  nuisibles  :  l'om- 

parurent  se  convenir  par  ceUe  analogie.  Quant  au  Paradis,  nous  savons 
que  les  Orientaux,  portés  par  leur  climat  à  rechercher  surtout  les  om- 
brages, appelaient  ainsi  un  lieu  planté  d'arbres,  ou  assez  herbeux  pour 
y  conserver  une  grande  fraîcheur  ,  ce  qui  revenait  à  VEden  des 
Hébreux.  —  On  peut  voir  dans  les  commentaires  cités  plus  haut  le  sens 
allégorique  et  anagogique  donné  par  les  Pères  au  Paradis  terrestre, 
qui  est  tantôt  l'Église  de  la  terre  et  tantôt  le  ciel  des  Bienheureux. 
(Apud  Migne,  Scripl.  sacr.  curs.,  V,  col,  218  et  seq.) 

(1)  «  Maledicta  terra  in  opère  tuo...spinas  et  tribulos  germinabit 
tibi.  »  (Gen.,  m,  17.) 

(2)  Voici  le  charmant  passage  du  saint  évéque  de  Césarée  que  nous 
ne  pouvons  nous  refuser  le  plaisir  de  citer  :  «  Rosa  hic  spinis  est  con- 
juncta,  tantuni  non  aperta  nos  voce  contestans  et  dicens:  Quîe  jucunda 
vobis  sunt,  o  homines,  tristibuspermixta  suut.  Nam  vere  in  humanis 
ita  comparatum  est,  ut  nuUum  eorum  sincerum  sit,  sed  confestim 
laetiticB  et  hilaritati  conglutinetur  mœstitia,  conjugio  viduitas,  puero- 
rum  educationi  cura  et  sollicitudo  ,  fecuuditati  abortus,  vitae  splen- 
dori  ignominia,  prosperis  successibus  dispeudia ,  deliciis  satietas, 
sanitali  infirmitas.Florida  quidemest  rosa,  sed  mihi  tristitiam  infligit. 
Quoties  florem  hune  video,  peccati  mei  admoneor,  propter  quod  terra, 
ut  spiuas  et  tribulos  proferret,  coudemnata  est.»  (S.  Basil.  Homilia  de 
Paradi.so.< 


518  HISTOIRE  DU  SYMBOLISME. 

brage  de  quelques-uns  devint  mortel  à  l'homme,  et,  dans 
les  baies  charmantes  de  quelques  autres ,  dans  leurs  fibres 
les  plus  cachées,  se  distillèrent  des  poisons. 
Le  symbolisme      Douc  ,  là  cucore,  Ic  bicu  et  le  mal ,  le  plaisir  et  le  danger, 

biblique   des    ar-  i  ^ 

bres  et  des  fleurs,  j^  distincliou  eutrc  Ics  quaUtés  bonnes  ou  mauvaises;  et, 
dans  l'esprit  observateur  de  l'homme ,  autant  de  termes  de 
comparaisons,  autant  d'allégories  applicables  aux  choses  de 
la  conduite  et  de  la  foi.  Et ,  d'abord,  quoi  de  plus  semblable 
à  la  vie  humaine  que  cette  vie  végétative  de  la  plante , 
nourrie  des  principes  constitutifs  de  l'atmosphère,  des 
sucs  du  sol ,  des  influences  du  soleil  et  des  fraîches  émana- 
tions de  l'élément  humide  ?  Ces  relations ,  mystérieuses 
dans  leurs  causes  premières ,  mais  saisissables  au  jugement 
de  tous,  n'ont  pas  échappé  aux  poètes  inspirés  de  la  Bible. 
Pour  eux  le  juste,  paré  de  l'efflorescence  de  sa  vertu ,  est 
un  arbre  planté  le  long  des  eaux ,  auquel  les  feuilles  ne 
manquent  pas,  et  qui  ne  refuse  jamais  ses  fruits  à  la  saison 
qui  les  espère  ;  son  épouse  est  «  une  vigne  féconde  aux  vastes 
rameaux ,  aux  pampres  toujours  verts  tapissant  les  murs 
de  sa  maison  ;  »  ses  enfants,  «  des  plants  d'oliviers  rangés 
autour  du  foyer  domestique.  »  Et  cette  même  vigne,  toute 
glorieuse  d'une  signification  favorable ,  devient  l'image  de 
l'âme  stérile  quand  Isaïe  la  compare  au  peuple  ingrat  que 
Dieu  avait  planté  dans  la  terre  promise,  environné  de  tous 
ses  soins  et  de  sa  protection  comme  d'un  rempart,  et  qui  n'a 
donné  en  son  temps  que  des  raisins  sauvages  et  amers  (I). 
L'arbre  de  Na-       Uue  dcs  plus  méiiiorables  applications  du  symbolisme 

buchodonosor.  ,  -«rv'ii.r.  ii 

des  arbres  est  donnée  en  songe  a  Daniel ,  et  ligure  les  deux 
phases  si  différentes  du  règne  de  Nabuchodonosor.  Le  pro- 
phète avait  vu  un  arbre  d'une  hauteur  excessive.  La  force 
du  tronc,  l'immense  portée  de  ses  branches  relevaient  jus- 
qu'aux cieux  et  lui  faisaient  couvrir  toute  la  terre  au  milieu 
de  laquelle  il  était  planté.  Ses  feuilles  étaient  magnifiques  ; 

(1)  Voir  Ps.)i  et  cxxvii;  —  Is.,  v,  4. 


FLORE    MURALE.  oi9 

ses  fruits  abondants  suCfîsaient  à  rassasier  le  monde ,  outre 
les  oiseaux  nombreux  qu'il  abritait  et  les  animaux  qui 
se  reposaient  à  son  ombre.  Mais  voilà  que  le  Saint  des 
Saints,  celui  qui  veille  sur  toutes  clioses,  descendit  du  Ciel  : 
il  donna  ordre,  d'une  voix  éclatante,  de  couper  l'arbre  par  le 
pied,  d'abattre  ses  rameaux  ^  d'arraclier  son  feuillage  et  de 
disperseï' autour  tous  ses  fruits. . .  ;  et  en  même  temps  on  chassa 
les  animaux  et  les  oiseaux  qui  en  avaient  fait  leur  asile  (i). 
Il  y  avait  donc  là  un  mystère  qui  regardait  en  même  temps 
l'état  florissant  de  l'empire  chaldéen  et  la  décadence  qui 
devait  le  frapper  bientôt.  C'est  pourquoi,  nous  dit  un 
savant ,  les  arbres  nous  proposent  toujours  quelque  sens  à 
deviner  dans  les  travaux  d'art  chrétien.  Ils  n'y  sont  pas  seu- 
lement une  parure  ;  il  faut  toujours  y  voir  un  motif  d'in- 
struction pour  notre  esprit  (2). 

Ainsi ,  cet  arbre  dont  le  Psalmiste  parlait  tout  à  l'heure  , 
dont  les  eaux  redétaient  la  tête  fructueuse  et  baignaient  le 
pied ,  peut  devenir  stérile ,  et  mériter  par  là ,  comme  l'hu- 
manité "sourde  aux  avis  du  Tout-Puissant ,  que  le  Maître 
somerain  prenne  la  cognée  et  l'attaque  jusque  dans  ses  plus 
profondes  racines.  C'est  le  Sauveur  lui-même  qui  emploie 
cette  métaphore  (3).  N'est-ce  pas  Lui  aussi  qui  condamne  le 
figuier  inutile  à  tomber  sous  la  hache  (A)  ;  qui  compare  la 
doctrine  évangélique  au  grain  de  sénevé  devenu  un  grand 
arbre  où  se  reposent  les  oiseaux  du  Ciel,  c'est-à-dire  les 
nations  accourues  dans  le  sein  de  l'Église  (5)?  Ainsi,  dans 
cette  bouche  sacrée,  cet  ordre  des  choses  appelées  à  l'appui 
de  ses  préceptes  sert  encore  à  en  propager  l'esprit  et  à  les 
faire  comprendre.  Comment  les  symbohstesnes'en  seraient- 
ils  pas  emparés,  et ,  par  suite ,  comment  l'art  chrétien  eùt-il 


(1)  Voir  Daniel,  i\,  8. 

(2)  Aringlii,  Roma  subterr.,  lib.  VI,  cap.  XLI,  u'  1. 

(3)  \oir  Matlli.,  m,  G. 

(4)  Ibid.,  XXI,  19. 
(o)  Ibid.,  XIII,  31. 


320  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

délaissé  un  de  ses  motifs  les  plus  gracieux ,  les  plus  féconds 
et  les  plus  significatifs  ? 
Les  Apôtres  et      Lcs  Pèrcs  nc  pouvaieut  l'omettre,  pas  plus  crue  ne  l'avaient 

les  Pères  s'en  em- 
parent, oublié  les  écrivains  sacrés  du  Nouveau  Testament.  S.  Paul 

avait  dit  que  si  nous  consentions  à  être  entés  en  Jésus-Christ 
par  la  ressemblance  de  sa  mort ,  nous  lui  resterions  entés 
de  la  même  sorte  par  celle  de  sa  résurrection  {\).  Origène, 
expliquant  ce  passage ,  assure  que  Jésus-Christ ,  «  la  force 
et  la  sagesse  visible  de  Dieu,  »  est  l'arbre  de  vie  ;  que,  pour 
rester  uni  à  lui ,  il  faut  devenir  une  de  ses  branches,  comme 
devant  trouver  la  vie  en  lui  seul  et  autant  que  nous  serons 
insérés  à  ce  tronc  sacré  (2).  C'est  une  réminiscence  de  la 
parole  évangélique  :  «  Je  suis  la  vigne  et  vous  êtes  les  pam- 
pres. Celui  qui  s'unit  à  moi  porte  beaucoup  de  fruits  ;  mais 
sans  moi  vous  ne  pouvez  rien  (3).  » 

D'après  S.  Augustin,  le  sénevé  que  nous  voyions  naguère 
apphqué  à  l'Église  est  aussi  l'image  de  Jésus-Christ ,  qui , 
«  d'abord  petit  comme  cette  graine,  par  son  humble  nais- 
sance dans  l'humanité ,  devint  un  arbre  superbe  par  son 
exaltation  dans  le  Ciel.  Cet  arbre  a  aussi  ses  rameaux  ,  que 
nous  devons  voir  dans  S.  Paul,  dans  S.  Laurent,  dans  les 
Apôtres  et  les  Martyrs  (4 j .  » 

Ainsi ,  et  par  un  symboHsme  adopté  universellement  , 
les  Apôtres  ont  eu  leur  part  de  cette  touchante  compa- 
raison. S.  Ambroise,  S.  Hilaire  de  Poitiers  les  regardent 


(1)  Rom.yYi,  5. 

(2)  «  Christus  ergo  Dei  virtus,  et  Dei  sapientia.  Ipse  est  arbor  vitae, 
cui  complantari  debemus,  et  novo  quoclam  atque  admirabili  dono 
mors  illius  arbor  vitse  efficitur.  »  (OrigeD,,  in  h.  loc.) 

(3)  «  Ego  sum  vitis,  vos  palmites.  Qui  manet  in  me  et  ego  in  eo,  hic 
fert  fructmn  mnltum,  quia  siue  me  nihil  potestis  facere.  »  (Joan., 
XV,  5.) 

(4)  «  Arbitror  hoc  ipsi  Christo  Domino  dicere  et  rectius  comparare  : 
quia  nascendo  in  homine,  humiliatus  ut  granum  est  j  adscendendo 
ad  cœlum,  exaltatus  ut  arbor  est.  —  Ramus  est  Paulus,  ramus  est  Lau- 
rentius,  rami  sunt  omnes  apostoli  et  martyres  Salvatoris.  »  ^S.  Aug. 
Serin,  xxviii  in  S.  Laurcniii  [est.) 


ILOllK    MLUALfc:.  o2{ 

comme  des  branches  du  grand  arbre  cliargées  des  fruits  de 
la  rédemption ,  protégeant  le  monde  de  leur  ombre.  «  Ces 
branches,  dit  ce  dernier  Père,  sont  quelquefois  agitées  vio- 
lemment par  les  tourmentes  des  vents  furieux  ,  c'est-à-dire 
par  les  tentations  de  l'enfer  et  les  persécutions  contre  les 
Saints;  mais  ceux-ci  n'ont  rien  à  craindre  tant  qu'ils  se 
tiennent  fermes  ,  cachés  sous  cet  abri  protecteur,  et  savent 
résister  à  la  tempête  (^  ) .  »  C'est  pourquoi  on  voyait  déjà  sur     Mystères  de»  ca- 

ir  \    J  II  .j  j  tacoinbes    en    ce 

les  murs  des  catacombes  le  Sauveiu'  figuré  au  milieu  d'un  ge»«"c. 
arbre  dont  les  branchages  supportaient  les  images  de  ses 
Apôtres  ;  ou  bien ,  bon  pasteur  et  chargé  de  la  brebis  re- 
trouvée ,  il  avait  de  chaque  coté  deux  arbres  sur  lesquels  se 
reposai(^nt  des  oiseaux.  Le  sens  de  ces  symboles,  qui  échap- 
pait aux  païens,  était  bien  compris  des  fidèles;  et  de  là  allait 
se  répandre  dans  tout  le  monde ,  à  l'exemple  et  sous  la  pro- 
tection de  Constantin ,  l'art  d'exprimer  sous  des  formes  et 
des  couleurs  emblématiques  l'histoire,  le  dogme  et  la  mo- 
l'ale  de  la  doctrine  qu'une  lutte  de  trois  siècles  avait  élevée 
au-dessus  du  trône  des  Césars. 

Au  pied  de  ces  grands  spécimens  de  la  végétation,  plantés  uo|'J'^jic*^/"[J;*er 
par  la  main  de  Dieu  pour  l'utihté  de  l'homme  et  pour  char- 
mer son  exil  de  la  terre ,  les  (leurs  créées  pour  son  seul 
agrément  par  cette  môme  volonté  acquéraient  autant  de 
droits  à  notre  reconnaissance  qu'à  notre  admiration.  La 
poésie ,  qui  vit  toujours  plus  ou  moins  dans  la  pensée  hu- 
maine ,  mais  plus  que  partout  ailleurs  dans  les  Livres  bibli- 
ques ,  pouvait-elle  ne  pas  cueillir  ces  fraîches  couronnes , 
inimitables  de  formes  et  de  couleurs?  C'est  là  que  le  Christ 
et  la  Vierge  Mère  sont  «  la  (leur  des  champs  et  le  lis  des 
vallées  ;  »  les  Saints  sont  «  des  fleurs  qui  se  sont  montrées  à 
la  tei're.  »  C'est  aux  vierges,  «  qui  fleurissent  dans  l'Église 


(l)  «Apostolos  ex  Cliristi  virtute  prolensos  et  mundum  inumbrantes, 
in  ramis  intelligiraus,  in  quos  gentes  in  spera  vitœ  advolabant.  Et 
auraruni  turbine,  id  est  diaboli  spiritu  tlaluquo  vexatis,  tauqiiam  iii 
ramis  arborié  requiescuiit.  ))(S.  Ililar.  Piciav.,  In  M"lUi..  ean.  lo.) 


322  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

comme  le  lis ,  qui  y  répandent  leur  odorant  parfum  avec 
l'amabilité  de  leur  parure ,  d'entonner  les  cantiques  de 
louanges  et  de  bénir  le  Seigneur  dans  ses  œuvres  ;  »  c'est  à 
ces  âmes  qui  se  donnent  à  Dieu  dès  le  commencement  de 
leur  vie  et  avec  leur  chaste  intégrité,  que  l'Époux  «  jette  à 
profusion  les  fleurs  de  ses  parterres  divins.  »  Mais ,  hélas  ! 
ces  pures  images  peuvent  changer  de  caractère  pour  ceux 
qui  les  profanent  et  en  abusent.  L'impie  se  pare  de  roses 
qui  se  faneront  avec  ses  plaisirs  ;  l'homme  est  une  tige  pas- 
sagère qui  disparaît  souvent  au  soir  de  son  premier  jour  (\  ) . 
Nous  n'ajoutons  rien  ici  à  ces  traits  généraux  ,  les  détails 
devant  nous  revenir  à  propos  des  symboles  sous  lesquels 
l'Église  s'est  toujours  plu  à  reproduire  les  augustes 'person- 
nalités du  Sauveur ,  de  la  sainte  Vierge  et  des  Saints.  Il  est 
temps  de  voir  comment  notre  botanique  surnaturelle  a  fait 
son  office  dans  la  décoration  sacrée ,  dans  la  liturgie  et 
dans  la  philosophie  du  Christianisme. 
Plantes  des  ci-       Et ,  d'abord ,  pour  remonter,  selon  notre  habitude ,  à  nos 

juetières  romains.        ,  .  ,  .  •  i  •  .  •  ^ 

-  Ornements  des  puis  ancicus  monumcuts,  nous  pouvons  tirer  des  cimetières 
romains  des  trois  premiers  siècles  d'incontestables  témoi- 
gnages que  là,  soit  en  peinture,  soit  dans  la  sculpture  prodi- 
guée aux  sarcophages,  la  flore  monumentale  fut  prodiguée, 
et  toujours  dans  une  intention  symbolique.  Il  est  rare  que 
les  tombeaux  n'y  soient  pas  ornés  de  fleurs  et  de  guir- 
landes. Les  bergers  y  apportaient  à  l'Enfant  Jésus  des  cou- 
ronnes de  fleurs  ou  des  vases  pleins  de  bouquets ,  ce  qu'au- 
cun des  textes  évangéliques  ne  raconta  jamais  (2).  Les 
palmiers,  les  cyprès,  le  laurier  y  croissent  à  l'envi  de  beau- 
coup d'autres  arbres,  et  souvent  une  simple  branche  d'un 
de  ces  arbres  verts  parle  de  l'immortalité  chrétienne  sur 
une  tombe  marquée  d'un  seul  nom.  Souvent,  près  d'une 
ou  deux  maisons  délabrées ,  sculptés  sur  une  pierre  sépul- 


(1)  Voir  S.  Melitonis  Clavis  :  De  Lignis  et  Floribus,  cap.  lxi. 
'2)  Voir  Arinshi,  t.  1,  p.  617. 


FLORE   MURALE.  523 

craie,  et  qui  signifient  un  ou  deux  corps  qu'elle  recouvre  , 
on  voit  s'élever  autant  de  cyprès,  qui  deviennent  le  symbole 
de  l'âme,  destinée  comme  lui  à  reverdir  un  jour.  C'est  au 
milieu  ou  d'un  bois  touffu  ou  de  deux  arbres  isolés  qu'ap- 
paraît toujours  le  divin  Orphée  du  Christianisme.  Les  chapi- 
teaux des  colonnes  sculptées  sur  les  sarcophages  sont  parés 
de  feuilles  de  fougère  ou  de  feuilles  grasses  plus  ou  moins 
capricieusement  exécutées,  comme  celles  de  nos  premières 
colonnes  romanes ,  et  qui ,  dans  leur  simplicité ,  étaient 
évidemment  employées  comme  signe  de  vie  et  d'immor- 
talité. Le  fût  des  colonnes  y  est  quelquefois  décoré  d'une 
tige  de  vigne  qui  serpente  en  spirale  dans  toute  sa  hauteur. 
De  môme  on  ne  peut  se  tromper,  quant  au  motif  allégorique, 
lorsqu'on  voit  le  divin  Maître  debout  au  milieu  de  ses  Apô- 
tres ,  s'élançant  vers  lui  sur  un  fond  tapissé  de  pampres  et 
de  raisins  murs ,  indice  de  leur  union  et  de  la  fécondité  dont 
elle  est  le  principe.  C'est  de  ces  premiers  temps  que  nous 
vient  l'usage  partout  adopté  de  faire  servir  aux  grandes 
fêtes  les  fleurs  et  les  branches  d'arbres  à  l'embellissement 
de  nos  temples.  Dans  sa  troisième  Lettre  à  lléliodore,  S.  Jé- 
rôme, louant  Népoticn  du  zèle  qu'il  avait  toujours  mis  au 
soin  de  l'Église  dont  il  était  chargé,  mentionne  l'empresse- 
ment qu'il  mettait  à  parer  les  basiliques  de  fleurs  variées  , 
de  branches  d'arbres  et  de  pampres  verts.  Écrivant  à  l^am- 
maque ,  l'auguste  solitaire  parle  des  couronnes  de  fleurs 
avec  lesquelles  on  ensevelissait  les  martyrs.  En  leur  hon- 
neur on  parait  la  basilique  de  riantes  guirlandes  de  roses  , 
de  lis,  de  sarments  de  vignes  dont  l'aspect  et  l'odeur  con- 
solaient et  réjouissaient  les  cœurs  chrétiens  par  toutes  les 
espérances  de  leur  foi.  Ils  voyaient  dans  cette  verdure  le 
symbole  delà  victoire,  comme,  dans  les  feuilles  de  laurier 
qu'ils  étendaient  au  fond  des  sépulcres,  un  signe  de  l'im- 
mortel héritage.  On  sait,  enfin,  que  souvent  on  enfermait      lc  trèfle  dans 

les  tombeai^jç, 

dans  le  cercuen  des  grames  de  li-èfle  qui  s'y  sont  conser- 
\écs  quinze  siècles  durant ,  au  rapport  de  savants  qui.  les 


524  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

ayant  trouvées  dans  des  sépultures  des  troisième  ou  qua- 
trième, les  ont  vues  germer  peu  après  et  produire  l'espèce 
attendue.  Pouvait-on  se  faire  un  symbole  plus  éloquent  de 
l'éternelle  résurrection  ,  en  même  temps  que  de  la  Trinité, 
dont  on  affirmait  ainsi  la  croyance  protectrice  {\)  ? 
Les  plantes  dé-       Gcs  odgincs  durcut  avoir  leurs  développements  ,  et  la 

coratives  empnin-  10  >  ,  iti  'iut^t  i 

téesài'ait antique  flore  uiuralc  fut  créée  avec  la  liberté  de  1  Eglise,  avec  la 

par  les  chrétiens.  .      .  ,  ,  ,  .  i      ^ -•  i 

permission  donnée  par  le  premier  empereur  chrétien  de 
construire  des  basiliques  appelées  à  remplacer  les  temples 
des  faux  dieux.  Ces  temples  eux-mêmes  n'avaient-ils  pas  eu 
leurs  frises,  leurs  frontons,  leurs  chapiteaux,  leurs  colonnes 
même  chargés  de  festons  et  de  palmes  ?  L'Inde  ,  l'Egypte , 
les  mythologies  grecque  et  romaine ,  l'ancienne  Perse,  les 
Ismaélites ,  et  les  Arabes  qui  viennent  d'eux ,  n'eurent-ils 
pas  leur  flore  symbolique ,  dont  presque  tous  les  motifs  eu- 
rent une  origine  religieuse  (2)  ?  L'acanthe  n'était-elle  pas 
devenue  le  plus  bel  ornement  de  l'ordre  corinthien  ?  Les 
monuments  funéraires  semés  le  long  des  voies  romaines 
n'avaient-ils  pas  reçu,  avec  plus  ou  moins  de  profusion,  les 
images  fidèlement  imitées  des  plantes  symboliques  de  la 
mort  et  de  l'éternité?  Enfin  le  laurier,  l'olive,  les  diadèmes 
de  fleurs  n'entouraient-ils  pas  jusque  sur  leurs  médailles 
les  empereurs  et  les  patriciens  dont  la  mémoire  se  rattachait 
à  des  hauts-faits  militaires  ou  à  des  triomphes  qui  devaient 
les  immortaliser?  Tant  de  symboles  étaient  donc  convenus 
et  acceptés  d'avance.  Il  ne  fallait  que  des  mains  habiles 
pour  les  transporter,  en  les  y  multipliant ,  des  édifices  pro- 
fanes aux  murs  consacrés  par  le  sacerdoce  nouveau. 
La  botanique       ^{^Is  CCS  malus  liabilcs  ne  s'essayèrent  pas  longtemps  à 

murale  ,      traitée  "^  ^  o  i 

d;abord  hans  suc-  (Je  tcllcs  Œuvrcs  \  admettant  qu'ehes  eussent  existé,  comme 

ces  artistique  dans 

les  églises;  'i\  ji'cst  pas  doutcux  ,  daiis  nos  premiers  édifices  religieux , 

les  ravages  des  barbares  les  ont  enfouies  peu  de  temps  après 


(1)  Voir  Buliei,  monmn.,  I,  138  ;  XIIF,  161. 

(2)  Voir  Portai,  Couleurs  njnibvliques,  p.  22  et  suiv. 


FLORE   MURALE.  ^>25 

dans  les  ruines  des  églises  détruites  par  eux.  Les  plus  an- 
ciens éciiantillons  qui  nous  en  restent,  outre  quelques  débris 
qu'il  est  diflicilc  de  faire  sûrement  remonter  à  une  époque 
certaine,  sont  quelques  chapitaux  ou  gallo-romains  ou 
mérovingiens,  dont  les  feuillages  fort  modestes  n'attestent 
qu'un  ciseau  encore  peu  expérimenté  au  sortir  d'un  long 
sommeil  de  l'art.  Nous  ne  pensons  pas  qu'il  y  ait  dans  ces 
simplesfeuilles  d'acanthe  aucun  symbolisme  bien  déterminé, 
sinon  celui  de  la  verdure  en  général,  dont  l'idée  est  celle  de 
l'espérance ,  et  qui  peut  bien  s'être  effacé  sous  l'intention 
unique  de  coiffer  une  colonne  d'une  riche  et  gracieuse  or- 
nementation. 
Jusqu'à  la  fm  du  dixième  siècle  on  se  borne  assez  gêné-  <>»e  se  déveiopp* 

■^  au  onzième  siècle , 

ralement  à  cette  foliation ,  dans  laquelle  on  ne  doit  guère 
chercher  de  symbolisme  ,  si  ce  n'est  peut-être  les  branches 
courantes  de  la  vigne ,  qu'on  voit  alors  assez  fréquemment 
mêlées  à  des  palme ttes  ou  à  des  feuilles  dont  le  caprice 
détermine ,  bien  plus  que  la  nature,  les  formes  bizarres  et 
hasardées.  C'est  à  peine  si  l'on  peut  distinguer  d'une  arête 
de  poisson  la  feuille  de  fougère,  qui  se  répète  souvent  alors 
sur  quelques  chapiteaux  à  peine  ébauchés.  Le  onzième 
siècle  lui-même  use  peu  de  cette  parure,  que  remplacent 
des  moulures  très-variées  et  qui  parlent  beaucoup  moins  à 
la  pensée  qu'au  regard.  On  cherche  l'effet  dans  les  façades , 
on  couvre  les  accessoires  de  frises  et  de  zigzags ,  de  méan- 
dres et  de  chevrons  brisés  ;  quelques  têtes  plates  se  mêlent 
à  cela  et  semblent  préluder  par  leurs  grimaces  ou  leur  phy- 
sionomie plus  que  suspecte  à  la  zoologie  qui  va  venir. 
La  botanique  n'apparaît  en  rien  là  où  déjà  règne  une  cer- 
taine prétention  à  des  exhibitions  plus  ou  moins  significa- 
tives de  bêtes  hybrides  ,  aux  manières  contournées  et  aux 
regards  peu  rassurants.  Il  faut  arriver  au  douzième  siècle 
pour  trouver  un  ensemble  de  motifs  symboliques ,  d'où 
ressortent  avec  un  égal  succès  et  la  zoologie  mystique  et  la 
flore  la  plus  complète  et  la  plus  attachante.  C'est  alors  que 


o2{j  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

tout  a  sa  signification  ;  on  voit  clairement  que  la  renais- 
sance des  études ,  venue  surtout  du  mouvement  imprimé 
par  les  croisades  ,  a  provoqué  et  secondé  la  renaissance  de 
et  devient  meii-  fart.  Mals  à  cctte  période  même  il  est  bon  de  distinguer 
cZde  moitié!  *     deux  faires  bien  différents ,  lesquels  distinguent  nettement 
la  première  de  la  seconde  moitié  de  cette  centurie.  Nous 
n'en  voudrions  pour  exemple  que  Fancienne  abbatiale  de 
Saint-Germain-en-Bray  (Oise),  qui,  bâtie  dans  la  première 
moitié  du  onzième  siècle,  a  des  chapiteaux  ornés  de  feuilles 
en  volutes  tellement  douteuses  et  indécises  ,  qu'on  ne  sait 
si  ce  sont  des  végétaux  ou  des  serpents.  On  en  citerait  bien 
d'autres.  Toutes  celles,  au  contraire,  qui  datent  de  la  fin  de 
ce  même  siècle ,  font  remarquer  en  elles  une  charmante 
végétation,  dont  le  mérite  n'est  pas  moins  dans  leur  exécu- 
tion attentive  que  dans  la  pensée  esthétique  de  leurs  auteurs. 
Plantes  aquati-       lluc  autrc  rcmarquc  à  faire,  c'est  que  les  églises  rurales 
grand  nombre^sur  qul  uc  furcut  ul  dcs  abbaycs  ni  des  prieurés  sont  ordinai- 

les        monimientg  ,    i  •  i  /!•/  •<.!  Ji5i.x 

élevés  au  bord  rcmcut  bicu  plus  neghgees  au  point  de  vue  de  1  art ,  et  que 
des  rivières.  l'ornementation  s'y  est  faite  en  des  conditions  beaucoup 
moins  larges ,  et  bien  moins  soignées  ;  celles  qui  s'échelon- 
nent, en  grand  nombre,  le  long  des  rivières,  se  distinguent 
aussi  par  une  préférence  pour  les  feuilles  aquatiques  ,  dont 
le  voisinage  a  fourni  tout  naturellement  des  motifs  de  sculp- 
Le  nénuphar,  turc.  Ou  y  voit  le  uéiiupliar,  symbole  de  la  charité ,  dont 

les      roseaux,    le  .n  «r»  •  i      «n       i 

platane.  trois  OU  quatrc  feuilles  suffisent  a  couvrir  une  corbeille;  les 

roseaux  fleuris  épanchant  leurs  touffes  pour  représenter 
l'efflorescence  de  l'âme  juste  ,  vivant  des  eaux  de  la  grâce  ; 
ou  bien  un  de  ces  grands  platanes  du  rivage  toujours  fer- 
mes et  y  croissant  sous  l'œil  de  Dieu  pour  donner  au  fidèle 
une  idée  de  sa  grandeur  morale  et  exciter  ses  aspirations 
vers  le  ciel  :  il  est  presque  toujours  représenté  facilement 
par  une  ou  deux  de  ses  larges  feuilles.  Le  Poitou,  l'Anjou  et 
la  Bretagne  sont  surtout  favorisés  de  ces  belles  tiges  lo- 
cales ,  auxquelles  la  déhcatesse  du  ciseau  ajoute  une  grâce 
qu'on  trouve  aussi  bien  dans  leurs  épanouissements  va- 


FLORE   MURALE.  ■')'21 

ries.  Mais  cette  magnificence   apparaît  surtout  dans  les     Richosso  c.»  o.- 

point  dos  édifices 

basiliques  de  nos  cités  ou  des  riches  ép^lises  des  monas-  monastiques    et 

.  ^  de8  cathédrales. 

teres.  La  rien  de  plus  varié  que  les  arbres,  les  fleurs  et  les 
fruits;  on  y  en  voit  partout.  On  les  admire  aux  chapiteaux  , 
aux  clefs  de  voûte ,  aux  bases  des  colonnes  groupées  ; 
elles  courent  le  long  des  entablements,  des  arcs-doubleaux, 
des  tores,  des  tableaux  des  fenêtres  :  elles  animent  les 
verrières  de  leurs  splendides  couleurs.  En  un  mot,  cette 
belle  période  du  moyen  âge  est  celle  qui  le  représente  le 
plus  dignement,  tant  par  ce  qu'y  enfantent  de  délicat 
et  de  fini  les  arts  du  dessin  ,  que  par  tout  ce  que  repré- 
sentent de  plus  élevé  Festlié tique  du  plan  général  des 
églises  et  les  surprenantes  ressources  de  son  histoire  natu- 
relle. C'est  à  cette  époque,  en  effet,  qu'on  vit  s'exercer  la      ^a   théologie 

moralo    s'en    em- 

vive  et  pourtant  très-sérieuse  imagination  de  frère  Laurent,  pare. 
dominicain  qui  fut ,  pense-t-on ,  confesseur  de  Philippe  le 
Hardi,  aux  treizième  et  quatorzième  siècles.  Auteur  d'une 
Somme  de  théologie,  ou  plutôt  d'un  Traité  spécial  des  péchés 
capitaux,  il  y  expose  dans  tous  leurs  détails  les  sept  péchés, 
indiqués  chacun  par  une  des  sept  tètes  de  la  bète  apocalyp- 
tique. Il  y  appelle  leurs  dérivations  et  variantes  «  des  raci- 
nes, des  branches  et  brancliètes  principaus.  )>  On  y  voit 
même  énumérés ,  comme  symboles  des  simples  imperfec- 
tions ou  péchés  moindres ,  «  les  moult  petits  rincelas  ou 
rameaux  qui  en  issent,  »  et  jusqu'aux  «  jettons  et  aux  feuilles 
qui  bourgeonnent  sur  ces  rinceaux  (-i).  »  Ce  symbohsme-là 
n'est-il  pas  copié  de  nos  chapiteaux  à  feuillages  et  à  enrou- 
lements ? 

Mais  l'étude  que  doit  faire  l'archéologue  de  cette  belle 
partie  de  l'histoire  monumentale  exige ,  comme  pour  les 
temps  antérieurs,  des  notions  très-précises  de  la  philosophie 
des  sciences.  Les  plantes  furent  traitées  par  les  natura- 
listes comme  la  zoologie  elle-même,  dont  nous  avons  vu 

(1)  Voir  Revue  de  l'art  chrétien,  \\\\,  349  et  suiv. 


528  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

les  prodigieuses  mais  fécondes  et  curieuses  aberrations. 
Erreurs  scienti-      Pliuc,  daus  SOU  viugt-sixième  livre,  parle  de  plusieurs 

fiques  de  certains  ,  ,  ,      i         ,  i  •  i 

botanistes     an-  plautes  commc  ayant  ete  douées  par  ses  devanciers  de 


ciens. 


vertus  auxquelles  il  ne  croit  pas.  Ceux  qui  l'ont  suivi  ont 
maintes  fois  été  plus  faciles  ;  ils  se  sont  fait  des  théories  soit 
sur  la  nature  môme  de  certains  arbres,  soit  sur  leurs  vertus 
médicinales,  et  l'on  trouverait  dans  S.  Isidore  de  Séville  et 
dans  Vincent  de  Beau  vais  de  grosses  persuasions  que  per- 
sonne aujourd'hui  ne  voudrait  admettre,  mais  qui  n'en 
eurent  pas  moins  assez  de  crédit  pour  influencer  générale- 
origine  orien-  meut  uos  Œuvrcs  sculpturalcs.  Une  des  causes  les  plus 

taie  de  plusieurs.  '  *■ 

actives  de  la  bonne  foi  qui  fit  accepter  par  le  moyen  âge 
ces  préjugés  scientifiques  se  trouve  dans  les  nombreux 
voyages  qui  se  firent  en  Orient  depuis  le  commencement 
du  onzième  siècle.  Ces  expéditions  d'outre-mer,  d'où  nous 
rapportâmes  beaucoup  d'étoffes  où  figuraient  des  animaux 
fantastiques  aussi  bien  que  des  plantes  d'imagination, 
implantèrent  avec  elles  les  procédés  de  fabrication  ;  et 
nos  ateliers  de  tapisseries  nationales ,  qui  jouirent  d'une 
grande  réputation  à  l'étranger,  imitèrent  ces  bizarreries 
avec  assez  de  bonheur  pour  qu'on  pût  se  passer  bientôt  des 
productions  exotiques.  Mais  ces  étrangetés  n'en  eurent  pas 
moins  leurs  significations  mystiques,  et  passèrent  dans  la 
sculpture  sacrée,  où  nous  les  retrouvons  encore. 
Le  hom ,  arbre      Un  dcs  olus  curicux  spécimcus  de  ce  genre  est  l'arbre, 

dévie  des  Orien-  ^  '  i  r^ 

taux ,  naturalisé  d'origluc  arabc,  nommé  hom,  et  qui,  pour  les  Orientaux, 

dans  la  flore  chré-  ^  ini  i-itat 

tienne,  était  uuc  traditioii  dégénérée  de  larnre  de  vie  du  Paradis 

terrestre.  Déjà  célèbre  en  Perse  durant  le  second  empire 
des  Sassanides ,  qui  dura  de  223  à  652 ,  il  nous  arriva 
comme  une  expression  de  l'idée  primitive  de  la  chute  de 
l'homme  et  de  sa  réparation,  et  comme  l'arbre  véritable 
recommandé  à  Adam.  On  le  rattacha  donc  atout  ce  qui 
avait  été  dit  de  ce  bois  mystérieux  et  salutaire  dans  la 
divine  Écriture,  et  développé  dans  les  écrits  des  Pères  et  des 
Docteurs.  On  ferait  un  livre  aussi  intéressant  que  considé- 


FLORE   MURALE. —  LE   HOM.  529 

rable  de  tout  ce  qui  s*est  produit  sur  ce  point  à  travers  les 
âges  de  la  tradition  calliolique,  si  l'on  réunissait  toutes  les 
données  émises  à  ce  sujet  ;  les  savants  auteurs  des  Vitraux 
de  Bourges  (1)  en  ont  fait  une  remarquable  moisson  dans 
leur  magnifique  ouvrage,  que  nous  nous  bornons  à  indiquer 
ici  sur  ce  point.  Ce  qui  nous  importe  spécialement,  c'est  de  comme  un  sym- 

1  1,      /  ,  .      ,      ^.,       boledelaCroix. 

Signaler  ces  rapports  entre  1  arbre  persan  et  la  croix  du  Fus 
de  Dieu,  rapports  qui  l'ont  fait  adopter  par  nos  sculpteurs 
autant  que  par  nos  interprètes  scripturaires.  En  effet,  cet 
arbre,  par  les  variantes  nombreuses  qu'on  lui  vit  sur  les  tis- 
sus orientaux,  mais  qui  toutes  se  rapportaient  à  la  Croix,  dut 
servir  admirablement  et  l'estbétique  chrétienne,  toujours 
jalouse  d'augmenter  le  nombre  de  ses  expressions  sym- 
boliques,  et  l'imagination  du  sculpteur,  dont  le  caprice 
artistique,  assez  contraint  par  l'absolutisme  doctrinal  qu'il 
doit  respecter  avant  tout ,  aime  à  opposer  des  formes 
diverses  à  la  monotone  répétition  des  mômes  motifs.  Nous 
sommes  persuadé,  pour  notre  compte,  qu'il  y  avait  dans  cet 
arbre  et  dans  ses  accessoires  obligés  une  idée  de  culte  et 
d'adoration.  Les  Perses  l'accompagnaient  toujours  de  deux 
lions  ou  de  deux  léopards,  dont  l'attitude  fière  et  respec- 
tueuse indiquait  assez  de  quel  rôle  digne  et  sérieux  ils 
étaient  chargés.  Quelquefois  le  hom  est  remplacé,  au  milieu 
de  ces  deux  animaux,  par  un  pyrée  ou  autel  oii  le  feu  sacré 
était  adoré  chez  ces  peuples  comme  symbole  de  Dieu  lui- 
même,  principe  et  auteur  de  la  vie  et  de  la  fécondité  uni- 
verselle. Il  ne  fut  pas  difficile  de  détourner  quelque  peu  ces 
signes  d'idolâtrie  pour  rattacher  l'objet  principal  au  culte 
du  vrai  Dieu  et  à  l'adoration  de  la  Croix,  qui,  d'ailleurs,  on 
le  sait,  avait  laissé  de  vagues  souvenirs  dans  la  pensée  des 


(1)  Voir  VUr.  de  Bourg.,  pour  ces  rapports  entre  la  Croix  et  l'arbre 
du  I*aradis  terrestre,  p.  40  et  suiv.,  p.  102,  n"  4,  et  209,  n»  4.  —  11 
faudra  bien  que  nous  revenions  nous-même  bientôt,  et  en  son  lieu  et 
place,  sur  cette  remarquable  union  des  deux  Testaments  en  une 
pensée  si  fondamentale. 

T.  III.  34 


530  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

Orientaux  idolâtres,  et  restait  pour  certaines  contrées  un 
objet  d'adoration  et  un  symbole  de  salut  []). 
Spécimens  va-      Si  le  dIus  aucien  de  ces  arbres  sacrés  qu'on  ait  vu  en  France 

ries    de    ce   sym-  ,    , 

boie.  fut  celui  qui  figurait  sur  un  vase  d  argent  doré  envoyé  a 

Charlemagne  par  Aaroun-al-Raschild ,  vers  la  fin  du  hui- 
tième siècle,  il  était  sans  doute  depuis  longtemps  populaire 
lorsqu'au  douzième  on  s'avisa  de  le  faire  entrer  dans  l'écono- 
mie générale  de  notre  ornementation  ;  car  c'est  alors  qu'on 
fit  à  l'antiquité,  surprise,  pour  ainsi  dire,  dans  ses  tendances 
chrétiennes,  cet  emprunt  de  plus,  et  les  lions  ou  d'autres 
animaux  symboliques  apparurent  dans  l'imagerie  romano- 
byzantine  avec  une  attitude  et  sous  des  formes  qu'on  ne 
leur  avait  jamais  vues.  Accroupis  devant  le  hom,  ils  sem- 
blaient veiller  sur  la  plante  mystérieuse  ;  il  y  a  plus,  on  les 
voit  souvent  engueulant  une  de  ses  branches,  ce  que  l'art 
ancien  n'avait  pas  inventé  :  ce  qui  prouve  de  reste  que 
dans  la  pensée  de  l'artiste  chrétien  l'arbre  de  vie  était  là, 
nourrissant  les  âmes  généreuses  de  ses  sucs  qui  donnent 
l'immortalité.  Quand  ce  ne  sont  pas  des  lions,  dont  nous 
savons  la  signification  favorable  (les  justes,  les  fidèles  imi- 
tateurs du  Lion  de  Juda)^  ce  sont  d'autres  bêtes  qui  leur 
ressemblent  sans  en  avoir  les  formes  bien  déterminées,  ou 
quelques-uns  des  oiseaux  qui  sont  toujours  pris  en  bonne 
part.  Il  fallait  bien,  au  reste,  qu'on  voulût  faire  de  cet  arbre 
mystique  un  équivalent  de  la  Croix  pour  l'avoir  placé  au 

(1)  Bien  antérieurement  au  Christianisme,  la  Croix,  dont  la  pensée 
est  rappelée  maintes  fois  comme  prophétie  dans  la  Bible,  devient  pour 
les  Chinois,  les  Égyptiens  et  autres  peuples  du  Levant  un  objet  de 
culte  et  de  vénération.  C'est  le  fond  d'un  curieux  Mémoire  de  M.  Saint- 
Félix  Maurémont,  inséré  en  1840  dans  le  troisième  volume  de  ceux  de  la 
Société  archéologique  du  Midi  de  la  France,  et  que  nous  avons  ana- 
lysé, en  1841,  dans  le  t.  II  des  Bulletins  des  antiquaires  de  l'Ouest  y 
p.  34.  Des  découvertes  confirmant  ces  observations  furent  faites  en 
en  1807,  au  Mexique,  par  le  capitaine  Duplaix,  chargé  par  la  cour 
d'Espagne  de  rechercher  les  antiquités  de  ce  pays.  Ce  navigateur 
trouva  dans  la  ville  ruinée  de  Palanqué,  que  Balbi  désigne  sous  le 
nom  de  Culfiuacen,  la  Croix  placée  dans  un  sanctuaire  comme  l'objet 
d'une  adoration  populaire. 


à 


FLORE   MURALE.—  LE   HOM.  534 

tympan  des  églises,  entouré  de  ces  témoignages  de  dévotion 
que  leur  rendent  ces  bètes  intelligentes.  Ainsi,  à  Marigny  et 
à  Collevillc,  dans  le  Calvados,  le  môme  sujet  est  rendu  avec 
quelque  différence  qui  n'empéclie  pas  d'y  reconnaître  la 
môme  intention.  L'un  représente  notre  arbre,  consistant, 
selon  les  données  fréquemment  suivies  à  cette  époque,  en 
un  tronc  vigoureux  couronné  de  quatre  belles  feuilles 
superposées  et  dont  les  deux  plus  basses  aboutissent  à  la 
gueule  de  deux  lions  qui  appuient  fortement  leurs  pattes 
antérieures  sur  le  pied  de  la  plante  ;  l'autre  se  compose  de 
branches  élégamment  entrelacées,  ornées  de  perles,  dont 
les  seules  extrémités  affectent  la  forme  de  feuilles  enroulées, 
mais  dont  l'ensemble,  disposé  en  une  certaine  forme  de 
croix,  atteste  bien  l'idée  fondamentale.  Deux  êtres  hybrides 
tenant  du  dragon  et  de  l'oiseau,  union  (dont  nous  avons 
parlé  naguère)  de  la  colombe  et  du  serpent,  s'inclinent 
devant  cette  belle  tige  et  saisissent  de  leur  large  gueule 
chacun  l'extrémité  d'une  des  branches. — Or  une  remarque 
est  à  faire  sur  cette  double  composition  :  c'est  que  dans 
l'une  et  dans  l'autre  la  queue  des  animaux,  agréablement 
étalée  pour  remplir  sur  la  pierre  des  vides  que  le  sculpteur 
a  voulu  y  éviter,  se  termine  par  une  ou  plusieurs  feuilles 
de  môme  nature  que  celles  de  l'arbre  môme.  Cette  attention 
dans  le  second  de  nos  tympans  a  été  jusqu'à  garnir  les  enrou- 
lements de  cette  queue  des  mêmes  perles  qui  pointillent  le 
tronc.  Cette  particularité  deux  fois  répétée  ainsi  ne  peut 
être  l'effet  d'un  double  hasard.  Elle  doit  indiquer  une 
transformation  de  la  nature  animale  en  celle  de  la  plante, 
laquelle,  donnant  la  vie  véritable,  la  vie  du  ciel,  les  fruits 
de  l'éternité,  comme  nous  l'avons  vu  au  chapitre  xxn  de 
l'Apocalypse,  communique  dès  ce  monde  à  qui  en  cherche 
les  fruits  quelque  chose  d'elle-même  :  ce  que  l'artiste  a  fort 
ingénieusement  exprimé  par  cette  assimilation  si  curieuse 
et  jusqu'à  présent,  croyons-nous,  inexpliquée,  de  ces  deux 
natures  dans  un  seul  individu. 


532  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

Iconographie  des       Quoi  qu'il  611  soit,  cettc  naturalisation  du  hom  dans  l'Eu- 
restreinte  à  quel-  rope  du  douzième  siècle  coïncide  singulièrement  avec  la 

qu'une     de    leurs  ,      r       i  i  ,  *  i  i 

parties.  fomic  généralement  adoptée  au  moyen  âge  pour  les  arnres 

dans  les  arts  du  dessin.  Presque  toujours  nous  les  voyons 
rendus  par  des  tiges  à  double  épanouissement  avec  un  ap- 
pendice intermédiaire,  enlaçant  des  branches  contournées 
et  perlées  :  arbres  de  convention  s'il  en  fût,  dont  les  feuil- 
lages seuls,  se  découpant  en  palmes  plus  ou  moins  touffues, 
n'affectent  aucune  forme  spéciale  ,  et  sont  le  plus  souvent 
chargés  de  fruits  semblables  à  la  pomme  de  pin,  qui,  elle- 
même,  sert  de  raisin  fort  souvent  lorsqu'on  l'attache  à  des 
pampres  plus  ou  moins  fidèles,  mais  qui,  en  réalité,  figure- 
raient bien  mieux  les  fruits  de  l'arum. 
Réfutations  du      Mals  l'arum  n'a  que  faire  ici.  Cette  fleur,  ou  plutôt  ce 

système     de     M.  .  »  •     ,  i 

woiiiez  sur    les  fruit,  qu  OU  prêterait  a  tous  les  arbres,  ne  leur  va  que  fort 
'  gratuitement,  en  dépit  de  toute  une  théorie  inventée  il  y  a 

quelque  trente  ans  par  uq  archéologue  de  Picardie.  M.  Eu- 
gène Woillez,  avantageusement  connu  par  son  Archéologie 
des  monuments  religieux  du  Beatwoisis ,  publiée  en  iSAO, 
donna  en  4848  une  Iconographie  des  plantes  aroïdes  figurées 
au  mogen  âge  en  Picardie.  L'auteur,  après  y  avoir  posé 
comme  base  de  ses  idées  sur  le  symbolisme  l'idée  bien 
arrêtée  au  moyen  âge  de  représenter  par  des  signes  toutes 
les  vérités  de  l'enseignement  catholique,  excluant  le  caprice 
si  souvent  objecté  de  toutes  les  œuvres  des  artistes,  et  ne 
reconnaissant  l'arbitraire  que  dans  l'exécution  manuelle, 
que  personne  ne  prétendit  jamais  assujettir  à  une  méthode 
officielle,  l'auteur,  disons-nous,  sortit  de  ces  voies  raisonna- 
bles, où  nous  nous  trouvions  dès  lors  fort  sympathiques  l'un 
à  l'autre,  pour  se  lancer  à  corps  perdu  dans  un  système  ab- 
solu d'interprétation  tout  imaginaire  et  dont  on  se  demande 
plus  que  jamais  comment  il  put  poindre  chez  un  homme 
d'un  talent  incontesté.  Outre  que  M.  Woillez  voulait  prouver 
que  le  fruit  en  question  était  l'origine  de  la  fleur  de  lis,  ce 
qu'on  ne  pouvait  soutenir  qu'à  défaut  des  données  élémen- 


FLORE  MURALE.  —  LES  AROIDES.  533 

taires  qui  la  lîrciit  toujours  voir  ailleurs,  il  alla  jusqu'à  faire 
de  toutes  ces  plantes  élégantes  et  vivaces,  aux  larges  feuilles 
lancéolées,  à  la  tige  droite  et  ferme,  à  la  tête  molle  et 
formée  de  baies  purpurines  serrées  en  grappe,  l'original  de 
toutes  les  ressemblances  plus  ou  moins  exactes  qu'elle  pou- 
vait trouver  dans  l'universalité  des  fruits  de  convention 
associés  comme  autant  de  gracieux  appendices  aux  arbres 
de  toute  nature.  Il  y  a  plus  :  ces  rêveries,  jusque-là  sans 
autre  conséquence  qu'une  erreur  archéologique  où  le  sym- 
bolisme n'était  nullement  intéressé^  s'étendirent  jusqu'à 
des  prétentions  aussi  insoutenables  qu'inouïes,  quand  il 
s'avisa  de  professer  que  cet  ensemble  de  forme  et  de  couleur 
était  le  type  artistique  d'un  obscœna,  qui,  en  conscience,  ne 
peut  en  rien  être  invoqué  dans  la  cause. 

Cet  égarement  fut  signalé  par  de  hautes  autorités  comme 
une  «  conclusion  ridicule  et  peu  décente  (4),  »  et  personne 

(1)  Ce  fut  le  jugement  et  le  style  même  de  M.  Lenormand  et  de  la 
commission  des  antiquités  de  la  France^  préposée  par  l'Académie  des 
inscriptions  à  l'examen  des  ouvrages  sur   les    antiquités   nationales 
concourant  en  1830  pour  le  prix  annuel.  Nous  avouons  que   ce  juge- 
ment était  le  nôtre,  dès   que  nous  eûmes  lu,  antérieurement  à  cette 
séance  solennelle,  les  rêves  symboliques  du  savant  docteur  que  nous 
devions  réfuter  ici.  Mais  aurions-nous  pu  croire  que  des  observations, 
sinon  un  blâme  formel,  à  peu  près  aussi  sévères  que  celles  imposées  à 
M.  Woillez,  eussent  résulté  d'un  examen  attentif  de  notre  IHsloire  de 
la  cathédrale  de  Poitiers,  offerte  au  même  concours  ?   Si  les  doctes 
académiciens  deviennent  les  censeurs  autorisés  de  qui  les  aborde  avec 
l'espéiance  d'un  succès  qui  ne  tient  qu'à  leur  avis,  encore  faudrait-il 
qu'ils  eussent  étudié  les  rcatières  qu'ils  critiquent.  Nous  reconnaissons 
tout  ce  que  leur  donnait  de  prise  contre  lui-même  le  système  des 
aroïdes,  et  ce  qu'il  avait  de  scandaleusement  inouï.  Mais  quel  rappro- 
chement eût  paru  possible  entre  ses  prétentions  faussement  scienti- 
fiques et  la  thèse   développée  dans  VHistoire  de   la  cathédrale  de 
Poitiers  sur  les  sujets  symboliques  répandus  dans  ses  verrières,  sur  ses 
chapiteaux  et  ses  modillons,  dont  le  sens,  donné  par  nous,  fut  adopté 
bientôt  en  France   et  en  Angleterre,  par   les   archéologues  les  plus 
compétents,  comme  l'expression  d'une  découverte  dont  on  voulut  bien 
nous  faire  honneur?  Qui  pouvait  forcer  la  commission  de  l'Institut  et 
M.  Lenormand,  qu'elle  avait  fait   son  interprète ,  de  se    récrier   sur 
notre  attribution   de  certains  sujets  à  des  souvenirs  du  gnosticisme, 
condamné  par  l'Église,  et  de  se  persuader  que  l'auteur,  trop  confiant 


534  HISTOIRE  DU  SYMBOLISME. 

de  ceux  dont  ce  blâme  trop  mérité  attira  Tattention  ne  se 
rangea  du  parti  de  l'auteur.  Gontentons-nous  ici  de  signaler 

dans  leur  science,  s'engageait  sur  une  pente  qui  devait  le  conduire 
jusqu'aux  aberrations  de  M.  Woillez  ?  11  fallait  avoir  bien  peu  étudié 
l'histoire  du  symbolisme  pour  ne  pas  savoir  que  l'Église ,  «  qui  avait 
tant  de  fois  anathématisé  les  gnostiques,»  s'était  permis  de  flétrir  une 
fois  de  plus  leurs  doctrines,  en  montrant  aux  fidèles,  comme  autant 
d'objets  d'horreur,  soit  leurs  figures  repoussantes,  soit  des  sujets  ca- 
pables de  les  faire  détester.  Ce  que  nous  avions  dit  là  causait  «  un 
grand  étonnement  »  à  ces  messieurs;  et,  après  avoir  écrit  directe- 
ment à  M.  Lenormand  pour  nous  plaindre  de  ce  procès  de  tendance, 
dont  notre  caractère  bien  connu  aurait  dû  nous  dispenser,  on  nous 
répondit  très-poliment  qu'on  n'avait  été  que  l'organe  de  la  commission, 
qui  avait  chargé  expressément  son  rapporteur  d'indiquer  cet  écueil, 
et  qu'on  n'en  persistait  pas  moins,  après  notre  observation,  dans  ce 
jugement  sans  appel.  C'est  à  dire  que  rien  ne  peut  laisser  croire  au 
docte  aréopage  qu'il  doive  jamais  se  déjuger  devant  les  meilleures  rai- 
sons !  —  Voilà  donc  où  en  était  l'archéologie,  en  1850,  à  l'Institut 
nationale  de  France,  s'obstinant  dans  les  vieilles  doctrines  archéo- 
logiques et  architecturales,  dissertant  du  gothique  sous  les  données  de 
Fénelon,  ne  sachant  du  gnostique  rien  de  ce  qu'en  disaient  les  dic- 
tionnaires d'hérésies,  et  croyant  fermement  que  la  théologie  n'était  pas 
nécessaire  à  bien  disserter  sur  les  monuments  inspirés  par  le  catho- 
licisme. Heureusement ,  le  public  éclairé  sait  à  quoi  s'en  tenir 
aujourd'hui,  et,  sur  ce  point,  comme  sur  beaucoup  de  questions  histo- 
riques, on  a  vu  les  membres  les  plus  distingués  de  l'Institut  revenir 
aux  vérités  qu'ils  avaient  trop  longtemps  combattues.  Au  reste , 
M.  Lenormand  devait  payer  un  peu  plus  tard  le  tribut  à  la  faiblesse 
humaine...  et  archéologique.  Lui  qui,  presque  toujours  depuis  long- 
temps, était  choisi  comme  rapporteur  de  la  commission  susdite,  et  qui 
s'était  fait  accuser  assez  pertinemment  d'épargner  autant  que  possible 
ses  éloges  aux  ouvrages  de  province  (  voir  Bulletin  monumental,  XI, 
602),  et  de  pousser  quelquefois  ce  système  jusqu'à  l'excès  (i&irf.,  XIX, 
479) ,  M.  Lenormand,  disons-nous,  n'a-t-il  pas  prouvé  que  lui-même 
pouvait  tomber  en  une  grosse  erreur,  quand  il  soutint  contre  tous 
qu'il  avait  découvert,  nous  ne  savons  plus  où,  un  cimetière  mérovin- 
gien que  tous  les  savants  lui  contestèrent  avec  raison,  et  certains  gra- 
phites ne  lui  ont-ils  pas  semblé  meilleurs  à  prendre  qu'ils  ne  l'étaient 
réellement  ? 

Nous  devons  dire  en  toute  impartialité  que  M.  Woillez  a  trouvé 
sinon  des  archéologues,  au  moins  un  que  nous  connaissons,  à  la  science 
duquel  nous  aimons  à  rendre  justice,  et  qui  a  trouvé  que  notre  confrère 
de  Picardie  a  démontré  la  complète  analogie  de  ses  aroïdes  et  de  la 
fleur  de  lis  (Revue  de  Vart  chrélien.  Vil,  30).  Cette  démonstration  est 
peu  rigoureuse,  à  en  juger  môme  par  les  seuls  termes  du  docte 
critique,  lesquels  prouvent  que  cette  démonstration  n'est  rien  moins 
que  prouvée,  et  qu'on  a  voulu  la  tirer  de  beaucoup  trop  loin. 


FLORE  MURALE. —  LES  AROÏDES.  535 

ce  qu'avait  de  chimérique  une  telle  assertion  :  elle  aurait  pu 
s'appliquer  à  tous  les  prétendus  arums  du  monde  répandlis 
sur  les  pierres  sculptées  de  nos  temples,  et  dès  lors  il  n'y 
aurait  plus  eu  qu'un  symbole,  et  quel  symbole!  et  pour 
quelles  raisons?  G  était  déjcà  trop  de  vouloir  que  tous  ces 
motifs  d'ornementation  si  nombreux,  et  partout  si  ressem- 
blants, se  rapportent  à  une  seule  et  même  plante,  dont  rien 
ne  justifie  l'assimilation  prétendue,  car  jamais  il  n'y  en  eut 
moins  entre  son  objet  et  ceux  qu'il  lui  compare.  Les  tiges 
de  l'arum  sont  inflexibles,  cannelées;  les  feuilles  radicales 
hastées,  légèrement  sinueuses.  Celles  de  la  plupart  de  nos 
chapiteaux,  qu'on  les  choisisse  en  Beauvoisis  comme  en 
Normandie  ou  en  Poitou,  sont  au  contraire  élégamment 
arrondies  ,  s'entrelacent  souvent ,  et  sont  presque  toujours 
sans  découpures  sur  leurs  bords  ;  rien  de  plus  flexible  que 
leurs  tiges,  rien  qui  y  rappelle  les  cannelures  qui  distin- 
guent l'arum.  A  cet  égard,  les  propres  dessins  de  M.  Woillez, 
dans  lesquels  il  prodigue  un  luxe  remarquable  de  types 
très-diversifiés,  démentent  à  plaisir  ses  convictions  person- 
nelles en  prouvant  très-bien,  par  cette  diversité  même,  que 
la  main  du  sculpteur  n'a  certainement  pas  voulu  créer  un 
syml>ole  dont  il  eût  le  modèle  invariable. 

D'autres  archéologues,  aux  opinions  respectées,  aux  succès  confondues  avec 
largement  établis,  tels  que  M.  de  Gaumont  et  M.  Gharles  Des-  raisilï"^ 
moulins  (i),  en  dépit  de  leurs  journalières  familiarités  avec 
la  botanique ,  n'ont  jamais  vu  l'arum  dans  cette  charmante 
végétation,  mais  des  variantes  de  la  vigne  ou  de  la  pomme 
de  pin ,  types  communs ,  il  est  vrai ,  mais  dont  le  carac- 
tère devient  toujours  reconnaissable  soit  par  le  sarment 
qui  l'attache ,  soit  par  les  arbres  auquel  il  tient ,  mais  qui 
le  plus  souvent  représente  comme  ornement  un  fruit  quel- 

(1)  Cf.  Hist.  de  Varchilecture  religieuse,  par  M.  de  Caumont,  t.  II 
du  Bullelin  monumenlal,i^.'SlS;—  et  les  Considéralions  deM.  Charles 
DesmouliDs  sur  la  flore  monw)/?eM^«/o,  dans  le  même  recueil,  XI, 
'm. 


536  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

conque  destiné  à  compléter  une  flore  de  pure  convention. 
A  Bourges,  comme  partout ,  les  arbres,  dans  les  vitraux  de 
la  cathédrale,  sont  simplement  représentés  par  une  tige  plus 
ou  moins  droite  ou  sinueuse  à  laquelle  sont  assujetties  ou 
des  expansions  parallèles ,  ou  des  branches  s'épanouissant 
comme  le  nid  d'un  oiseau ,  ou  enfin  des  têtes  rondes  ou 
ovoïdes  semées  de  feuilles  trifoliées  et  mêlées  de  grappes 
nombreuses.  D'autres  s'élancent  avec  deux  têtes  parallèles 
et  de  couleurs  variées  sur  un  pédicule  unique  qui  se  bifur- 
que à  son  sommet.  Ses  bordures  contiennent  une  suite  de 
bouquets  dont  les  feuilles  romanes  ressemblent  beaucoup  à 
celles  que  M.  Woillez  donne  pour  des  feuilles  d'aroides.  A 
Sens,  le  même  type  se  retrouve  avec  de  gracieuses  variétés. 
On  y  voit  une  verrière  de  l'Enfant  prodigue  avec  de  char- 
mantes bordures  offrant  des  feuilles  de  vignes  courantes  et 
on  ne  peut  mieux  caractérisées,  avec  leurs  grappes  dont  la 
forme  tantôt  ronde,  tantôt  ovale,  prouve  assez  qu'on  diver- 
sifiait ses  contours  comme  la  nature  elle-même  (4). 

Cette  erreur  ré-  Ou  VOlt  dOUC  OU  tOUS  CCS  CXCmplCS,  Ct  UOUS  pOUrHoUS  CU 

ies^%?rTguiarués  cltcr  mille  autres,  les  formes  générales  de  la  végétation 
menrboîaniques'.  composer  au  treizième  siècle  un  type  un  et  comme  absolu, 
en  dehors  duquel  il  ne  faut  chercher  la  nature  vraie  que 
lorsque  cent  ans  après  on  s'est  accoutumé  à  vouloir  bien  plus 
la  réalité  que  l'esthétique,  et  la  forme  extérieure  que  les  con- 
templations de  l'esprit.  Mais  en  a-t-on  mieux  réussi  plus  tard 
à  rendre  toujours  le  naturel  de  la  pose  et  la  vérité  de  l'expres- 
sion dans  la  flore  postérieure?  Hélas  !  nous  devons  le  nier,  et 
c'est  une  des  grandes  difficultés  des  observations  archéolo- 
giques que  cette  inexactitude  de  dessin  qui  nous  jette  en  de 
si  fréquents  embarras  sur  le  sens  d'un  grand  nombre  de  re- 
présentations végétales.  On  connaît  les  excentricités  si 
variées  de  l'acanthe  corinthienne,  la  cerise  équivoque,  à 


(1)  Voir  Monogr.  des  vitraux  de  Bourges,  pi.  ii,  m,  iv,  —  étud.  xi, 
— -  et  pi.  V,  —  et  dans  les  grisailles  de  la  cathédrale  de  Strasbourg. 


FLORE   MURALE. —  LES  AROÏDES.  ^337 

moitié  cachée  sous  sa  feuille  dans  notre  beau  Saint-Pierre  de 
Ghauvigny,  les  faux  crochets  si  capricieux  du  treizième  siècle, 
les  choux  frisés  et  les  chardons  de  la  décadence  ogivale.  Qui- 
conque a  beaucoup  observé  les  magnilicences  plastiques  de 
nos  églises  ajouterait  une  liste  prodigieuse  à  ces  artistiques 
infidélités,  et  pourrait  contester  aux  sculpteurs  ,  sous  pré- 
texte de  non-ressemblance,  leurs  plus  incontestables  inten- 
tions. Il  faut  bien  qu'une  raison  peut-être  encore  inconnue.      Raisons  de  ces 

,  ,    .        ,,         1     iT      I  infirlélités    artisti- 

mais  que  nous  supposons  dans  le  desir  d  embelhr  leurs  ques. 
œuvres  d'innovations  faites  pour  l'œil ,  ou  de  recourir  à  des 
moyens  d'exécution  qui  hâtaient  le  travail  en  le  simplifiant, 
ait  séduit  nos  ancêtres  et  présidé  à  ce  parti  pris  de  ne  donner 
à  certains  objets  que  telles  formes  convenues  et  immuables, 
puisqu'on  les  retrouve  partout  les  mômes,  et  que  nulle  part 
à  la  môme  époque  on  n'a  tenté  de  s'y  soustraire. 
Cette  observation  se  fortifie  de  l'exacte  beauté  qu'on  a     Exactitude  pius 

,  ,  .  ,  remarquable      au 

donnée  dans  le  même  temps  a  certaines  plantes  devenues  treizième    siècle 

•       •  1      /»       '11       1        1  ?  1  qu'aux  siècles  pré- 

irreprochables  :  ainsi  la  feuille  de  chêne,  seul  végétal,  disent  cédents, 
d'éminents  archéologues  que  nous  citions  tout  à  l'heure  , 
qu'on  ait  prodigué  au  treizième  siècle  avec  une  remar- 
quable fidéhté.  D'où  vient  cette  différence?  \  notre  avis,  il 
faut  la  voir  d'abord  en  ce  que  cette  charmante  feuille,  plus 
vieille  d'un  siècle  que  la  plupart  des  autres  qui  florissentau 
douzième,  atteint  un  degré  de  perfection  d'autant  plus  élevé 
qu'elle  remplace  presque  absolument  l'ornementation  zoo- 
logique. On  l'applique  d'autant  mieux  à  la  flore  de  ce  temps, 
qu'elle  semble  absorber  toute  l'attention  et  tous  les  efforts. 
Les  grandes  fenêtres  ogivales  appellent  plus  de  jour  dans 
les  églises;  on  pourrait  bien  s'être  aperçu  que  cette  condi- 
tion demandait  plus  de  soins  dans  le  travail  du  ciseau  ;  de 
là  peut-être  aura-t-on  cru  qu'une  plus  grande  application 
à  la  forme  devait  succéder  aux  négligences  du  passé  et  à 
l'expression  restreinte  de  ces  ornements,  qui,  presque  tou- 
jours destinés  à  une  position  élevée  et  moins  favorisés  du 
jour,  ne  se  devaient  juger  qu'à  distance,  et  ne  former  pour 


538  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

le  regard  que  des  masses  dont  l'imagination  se  chargerait 
de  corriger  les  réelles  irrégularités.  Et  cette  licence ,  une 
fois  adoptée  pour  quelques  objets,  n'aura-t-elle  point  passé 
dans  la  pratique  générale,  de  manière  qu'on  s'y  soit  moins 
occupé  de  la  forme  que  de  l'idée,  comme  on  le  faisait  dans 
la  statuaire  des  onzième  et  douzième  siècles  ,  dans  le  but 
avéré  de  rabaisser  la  matière  au-dessous  de  l'esprit  ? 
quicependantiais-  Et  qu'ou  uc  uous  objcctc  pas  coutrc  ccttc  coujecturc  qu'en 
mîde^sur  ia"ïa-  l'émcttaut  uous  oublions  notre  théorie  symboHstique  des 

ture   des    plantes       ,.,  ,  >i-'  i  i.*x  •* 

sculptées,  objets;  que  ces  a  peu  près  adoptes  par  les  artistes  auraient 

confondu  tous  les  fruits  de  façon  à  leur  enlever  leur  signi- 
fication individuelle  :  et  que  partant,  plus  de  symbohsmeà 
y  chercher.  Une  telle  réflexion  n'a  pas  de  base  ici,  car,  si 
accoutumé  qu'on  fût  à  cette  variété  si  fréquente ,  on  devait 
forcément  reconnaître  un  raisin  dans  le  fruit  qui  pendait 
aux  rameaux  de  la  vigne ,  à  d'autres  branchages  un  fruit 
quelconque  avec  sa  signification  générale  de  bien  ou  de 
mal,  d'abondance,  de  récompense  ou  de  succès.  Il  y 
a  même  des  arbres,  dans  nos  innombrables  décorations 
sculptées  ou  peintes ,  qui ,  à  leurs  élancements  et  à  ces 
pommes  de  pin  qui  s'échappent  de  leurs  branches ,  ap- 
partiennent évidemment  à  la  famille  des  arbres  résineux. 
Au  reste ,  il  y  a  aussi  des  vignes  qui  ne  seraient  pas  plus 
reconnaissables  sans  quelque  bonne  volonté  que  les  rai- 
sins qu'elles  portent,  et  que  cependant  on  ne  peut  prendre 

aussi   bien   que  pour  autrc  cliosc.  Nous  n'en  voulons  pour  exemples  que 

dans      beaucoup  .  ,       ,i  iy  ^'    r      ^^>  t     . 

d'objets  plus  an-  dcux  speciiîiens  tres-eloquents ,  1  un  tire  d  un  linteau 
d'une  ancienne  maison  de  la  petite  ville  de  Gluny ,  où  se 
trouve ,  au  miheu  des  prétendues  aroides ,  un  vendangeur 
qui  coupe  de  sa  serpe  et  reçoit  dans  un  panier  des  grappes 
pendantes ,  représentées  sous  la  forme  qui  nous  occupe  ; 
l'autre,  d'une  date  qui  n'est  pas  postérieure  à  celle  de  l'art 
païen,  est  un  diptyque  en  ivoire  conservé  à  la  bibhothèque 
de  Sens ,  dont  les  ciselures  semblent  reproduire  une 
fête  de  Bacchus,  et  dont  une  scène  représentant  des  hom- 


ciens  : 


FLORE  MLRALE. —  LES  AROÏDES.  539 

mes  foulant  la  vendange  offre ,  dans  la  cuve  et  dans  les 
paniers  qu'ils  avoisincnt ,  des  raisins  d'une  ressemblance 
frappante  avec  les  aroïdes-fleurs-de-lis  de  M.  Woillez  (4). 
Concluons  de  ce  qui  précède  que  le  fruit  que  nous  venons  doù  l'on  doitcon- 

t      11       '  .••^•i'  1  «».  dure  que  M.  Woil- 

de  décnre,  et  qui  nitervient  si  souvent  dans  nos  forets  simu-  lez   s'est   égaré 

,,  -l'i/  .  .  1       .  ,  1         dans  une   théorie 

lees  ou  sur  nos  arbres  isoles  ,  est  un  type  adopté  par  les  inadmissible, 
artistes  pour  embellir  la  foliation  de  leurs  plantes  ou  pour 
y  ajouter  une  idée  symbolique  d'agrément  ou  d'utilité.  On 
voit  de  toutes  parts  des  oiseaux  becquetant  cette  grappe 
inclinée  dans  le  feuillage  des  treilles  factices  ,  ou  perchés 
sur  des  arbres  où  ils  s'en  nourrissent ,  les  uns  se  rassasiant 
déjà ,  les  autres  accourant  pour  prendre  leur  part  de  ce 
repas,  qui  ne  peut  être  sans  quelque  portée  mystique.  Bien 
plus ,  son  importance  comme  ornement  n'a  fait  que  grandir 
à  mesure  que  l'art  a  reçu  ses  développements.  On  ne  s'est 
pas  contenté  de  l'indiquer  aux  sculpteurs  ,  aux  peintres  et 
aux  miniaturistes.  L'orfèvre,  le  serrurier,  le  menuisier, 
l'émailleur  l'ont  répandu  avec  une  profusion  devant  laquelle 
on  sent  bien  que  le  système  de  M.  Woillez  est  insoutenable. 
Yoyez-en  la  preuve  dans  les  belles  gravures  données  par 
M.  Didron  en  ses  Annales  archéologiques,  par  les  PP.  Martin 
et  Cahier  dans  leurs  Mélanges  d'archéologie,  d'histoire  et  de 
littérature;  dans  toutes  les  Revues  spéciales  publiées  depuis 
trente  ans,  et  où  se  multiplient  à  l'envi  les  châsses  émaillées, 
les  instruments  de  tout  genre,  les  dossiers  de  stalles ,  les 
peintures  de  portes.  Ces  dernières  surtout  sont  le  plus  sou- 
vent, au  treizième  siècle  ,  de  jobs  enroulements  dans  les- 
quels se  jouent  les  fruits  dont  nous  parlons  ,  et  où  toujours 
ils  sont  d'un  charmant  effet. 
Et  si  nous  disons,  pour  en  finir  sur  cet  article  qui  nous  condamnée    jus- 

-  .  ^  que  dans  les  cata- 

a  déjà  retenu  trop  longtemps,  que  les  peintures  mêmes  combes. 

(1)  Cf.  Architecture  civile  et  domestique  au  moyen  âge  et  à  la  Re- 
7iaissance,i[)aTM.  Aymar  Verdier  elle  Dr  Cattois,  p.80  et  82,  in-4o, 
Paris,  Didron,  18u5  ;  —  et  le  Magasin  pittoresque,  XXXV,  132, 
1857. 


540  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

des  catacombes  reproduisent  très-souvent  ie  type  du 
moyen  âge  pour  exprimer  les  fruits  des  arbres  symbo- 
liques ,  on  sera  peu  tenté  d'y  aller  chercher  un  argument 
en  faveur  du  savant  que  nous  réfutons.  Et  après  tout, 
qu'on  nous  permette  une  conjecture  que  ne  démentirait 
aucun  des  instincts  suivis  depuis  le  commencement  par  les 
artistes  chrétiens.  On  voit  souvent,  sur  les  premiers  tom- 
beaux des  fidèles,  un  cœur  déposé  là  comme  l'expression 
d'un  souvenir  religieux  ;  ce  cœur ,  auquel  on  a  ajouté  un 
appendice  en  forme  de  queue,  devient  facilement,  sur 
d'autres  sépulcres ,  une  simple  feuille  qui  dissimulait  aux 
profanes  l'intention  pieuse  qu'elle  exprimait.  On  sait  aussi 
que,  chez  les  Romains  de  cette  époque,  les  mères  attachaient 
au  col  de  leurs  enfants  un  cœur  d'or  ou  d'argent ,  comme 
emblème  de  la  sincérité  de  leur  âge  et  de  la  candeur  qu'ils 
devaient  toujours  garder  :  est-on  bien  sûr  que  ce  ne  serait 
pas  là  une  véritable  origine  de  nos  expansions  végétales  , 
devenues  plus  ou  moins  semblables  à  la  pomme  de  pin 
par  les  stries  croisées  à  leur  surface ,  ou  à  un  raisin  quand 
ces  stries  auront  été  plus  ou  moins  arrondies  par  un  effort 
bien  facile  du  ciseau  joint  à  la  volonté  de  modifier  sa  pre- 
mière expression?  Nous  laissons  aux  compétents  le  soin  et 
la  grande  liberté  d'accepter  ou  de  rejeter  cette  idée  ,  après 
avoir  lu  néanmoins  Aringhi,  qui  pourrait  bien  appuyer 
notre  doctrine  {\). 
Le  lis  et  son       Lcs  flcurs  dc  lis ,  dout  nous  venons  de  parler  par  occa- 

symbolisme ,  i  t 

sion,  méritent  que  nous  leur  donnions  quelques  hgnes,  car 
elles  sont  un  symbole,  et  souvent  reproduit  sur  les  monu- 
ments de  tout  genre.  Le  sceptre  des  rois,  celui  de  la  Sainte 
Vierge  considérée  comme  reine ,  les  traverses  et  le  haut  de 
la  croix ,  les  vêtements  princiers  ,  les  monnaies  de  France 
et  beaucoup  d'Angleterre  ,  les  étoffes  enfin ,  les  tapisseries 
et  les  ornements  sacerdotaux  ,  les  armoiries  surtout,  attes- 

(1)  Rom.svbter.,  11,690. 


FLORE   MURALE.  —  LA    KLEUR   DE   LIS.  ^>41 

tent  quel  usage  on  en  a  fait  de  toutes  parts  et  toujours.  Mais 
d'où  nous  viennent-elles?  quelle  est  leur  véritable  origine? 
C'est  une  question  qu'il  ne  faut  aborder  qu'après  quelques 
remarques  préalables  sur  la  Heur  elle-même,  telle  que  nous 
la  voyons  dans  nos  jardins. 
Le  lis  est  un  symbole  qui  a  l'heureux  privilège  de  n'être  dans    l'antiquité 

chrétienne   et   au 

jamais  pris  en  mauvaise  part.  11  n  a  pas  son  opposition  moyen  âge. 
comme  tant  d'autres.  Il  se  rattache  d'abord  à  Jésus  et  à 
Marie  sa  mère ,  d'après  les  Livres  saints,  qui  l'ont  pris  pour 
terme  de  comparaison,  et  toujours  appliqué  à  ces  deux  types 
glorieux  de  toutes  vertus.  S.  MéUton  rapporte,  pour  le  prou- 
ver ,  le  texte  du  Cantique  représentant  le  Bien-Aimé  de 
l'Épouse  «  aimant  à  se  repaître  parmi  les  lis.  )>  Déjà ,  du 
temps  de  Moïse ,  on  en  parait  le  tabernacle  ,  où  ils  s'épa- 
nouissaient comme  un  indice  de  la  béatitude  céleste.  Pierre 
le  Chantre,  l'illustre  professeur  de  Paris,  trouvait  dans  cette 
charmante  fleur  une  parfaite  image  de  Marie,  car  elle  a  sa 
candeur  immaculée  ;  elle  répand  autour  de  sa  tige  la  sua- 
vité de  son  odeur ,  elle  guérit  les  blessures ,  elle  naît  sans 
culture  et  comme  d'elle-même.  Qui  ne  voit  le  sens  notoire 
de  ces  manifestes  applications  ?  Le  moine  anglais ,  resté  in- 
connu ,  qui  dans  son  abbaye  de  Cîtcaux  écrivait,  au  com- 
mencement du  treizième  siècle,  ses  Distinctions  monastiques^ 
a  disserté  avec  autant  de  science  que  d'agrément  sur  la  fleur 
dont  le  Sauveur  avait  dit  que  Salomon  dans  toute  sa  gloire 
n'avait  pas  atteint  sa  splendeur.  Il  établit  aussi  les  rapports 
spirituels  trouvés  entre  elle  et  les  modèles  sans  tache  du 
chrétien.  11  remarque  surtout  qu'elle  se  divise  en  six  pétales, 
comme  ses  étamines  ;  que  ce  nombre  six,  étant  un  nombre 
parfait ,  devient  dans  celte  fleur  une  note  de  perfection ,  et 
qu'en  se  doublant  en  elle  par  ses  douze  parties  les  plus  appa- 
rentes ,  elle  rend  très-l)ien ,  en  tant  qu'elle  est  applicable 
au  Christ ,  la  double  perfection  de  sa  divinité  et  de  son  lui-  C'est  tour  à  tour 
manité.  Le  lis,  ajoute-t-il,  est  aussi  agréable  par  sa  forme  l'ÉgUse. 
extérieure  qu'utile  par  ses  propriétés  intimes ,  dont  l'une 


o42  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

des  plus  importantes  est  d'apaiser  les  inflammations.  C'est 
par  là  qu'on  en  fait  l'emblème  de  la  sainte  Mère  de  Dieu, 
qui ,  dans  sa  fécondité  virginale,  est  devenue  aussi  utile  au 
monde  qu'aimable  à  chacun . — Voulez- vous  considérer  le  lis 
comme  une  allégorie  de  l'Église  ou  de  l'âme  fidèle  ?  voyez 
si ,  comme  lui,  l'une  et  l'autre  ne  restent  pas  sans  tache  au 
milieu  des  fanges  de  la  terre,  douces  au  milieu  des  épines  du 
monde,  et  y  montrant  d'autant  plus  de  mansuétude  qu'elles 
y  sont  plus  éprouvées  par  les  contradictions  et  les  revers. 
C'est  encore  la  gloire  de  l'immortaUté  :  ce  qui  a  fait  dire  à 
un  poète  que  le  Dieu  ressuscité  au  troisième  jour  s'était 
montré  comme  un  lis  qui  surgit  de  son  germe  caché  dans 
la  terre  ('l). 

I^l  /®"''^  ^"  ^^^  fleurs  sont  indiquées  par  S.  Ambroise,  par  S.  Gyprien, 
par  TertulUen  et  beaucoup  d'autres  Pères  comme  le  symbole 
de  la  virginité  si  précieuse  à  l'Église,  si  recommandable  par 
elle-même ,  et  que  l'Esprit  de  Dieu  relève  en  de  si  magni- 
fiques éloges  au-dessus  de  tout  dans  nos  Livres  sapientiaux. 
«  L'Église,  dit  le  premier  de  ces  Docteurs,  est  un  champ 
riche  d'une  abondante  végétation  ;  la  fleur  des  vierges  s'y 
pare  de  toutes  les  beautés  du  printemps,  w 

L'hymne  de  S»      L'Églisc  dc  Polticrs  couscrve  une  hymne  du  neuvième 

Florence.  "^ 

siècle,  toute  pleine  de  cette  suavité,  prise  dans  un  sujet  que 
nous  ne  saurions  oublier  ici.  A  cette  époque  ,  les  reliques 
de  Ste  Florence,  venue  de  Phrygie  avec  S.  Hilaire,  vers  365, 
et  conservées  depuis ,  mais  perdues  dans  la  cathédrale  par 
suite  des  grands  bouleversements  qu'avait  soufferts  cet  édi- 
fice, y  furent  retrouvées  et  rendues  à  la  dévotion  des  fidèles. 
Son  culte  y  fut  renouvelé ,  et  on  lit,  parmi  les  composi- 
tions liturgiques  faites   à  cette  occasion ,  ces  gracieuses 


(1)  «  Dilectus  meus  mlhi  qui  pascitur  inter  lilia.  »  —  {Cant,,  il,  16.) 

—  «  Lilia  ex  ipso  procedentia.»  {Exod,,  xxv,  31.)  —  «  Nec  Salomon  in 
omni  gloria  sua  coopertus  fuit  sicut  unum  ex  istis.»  (Mallh.,  vi,  28.) 

—  Voir  encore  S.  Méliton  et  Dist.  monast.,  apud  dom.  Pitra,  Spicileg. 
Solesm.,  Il,  406  ;  III,  475  et  seq. 


FLORE   MURALE. —  LA    1-LEL'R    DE   LIS.  543 

strophes  que  nous  chantons  encore  au  jour  de  sa  fête  : 

«  Réjouissons-nous  et  rendons  nos  louanges  au  Seigneur  : 
c'est  le  jour  qu'il  a  consacré  cà  la  gloire  de  son  auguste 
vierge  Florence ,  dont  le  nom  significatif  convient  si  bien 
à  celle  qui  fut  toute  florissante  de  l'iionneur  de  sa  vertu. 

»  Née  d'une  famille  païenne ,  elle  était  d'abord  un  arbre 
stérile.  Elle  devint  fertile  aussitôt  qu'elle  eut  été  transplan- 
tée à  Poitiers. 

))  Notre  grand  Docteur  l'arracha  à  l'olivier  sauvage ,  et 
inséra  ses  branches  dans  l'olivier  franc. 

))  Alors,  dans  l'efflorescence  de  sa  jeunesse,  elle  produisit 
des  fruits  savoureux ,  et  rendit  au  double  à  son  maître  le 
talent  qu'elle  en  avait  reçu  (^).  » 

Thomas  de  Cantimpré,  dominicain  du  treizième  siècle  et     Le  iis  est  encore 

^  la  virginité  chré- 

Tun  des  derniers  interprètes  de  S.  Méliton ,  n'est  pas  moins  tienne. 
séduit  par  le  charme  de  ces  poétiques  idées.  «  La  bienheu- 
reuse virginité  est  comparée  au  lis,  d'abord  à  cause  de  sa  blan- 
cheur de  neige  ,  et  aussi  parce  que  le  cœur  de  cette  fleur, 
protégé  par  ses  six  enveloppes,  semble  se  garder  de  tout  con- 
tact des  dangers  extérieurs.  Cette  beauté  si  touchante  devient 
comme  nos  bonnes  œuvres ,  dont  Notre-Seigneur  veut  que 
l'éclat  se  répande  au  dehors  pour  l'édification  d'autrui ,  de 
façon  qu'en  réunissant  les  vertus  de  l'âme  à  la  modestie  de 
nos  habitudes,  nous  donnions  à  tous  une  plus  grande  estime 
de  cette  virginité  si  pleine  de  dignité  et  de  grandeur  (2) .  » 
L'ingénieux  auteur  se  plaît  à  résumer  ainsi  en  beaucoup 
d'autres  allégories  ce  qu'ont  dit  ses  doctes  prédécesseurs  , 
et  peut  devenir  d'une  lecture  fort  agréable  à  qui  voudra  es- 
saver  de  sa  connaissance.  C'est  ainsi  que  le  lis  figure  avec     L'attribut  de  s. 

'■  ^  Joseph, 

honneur  dans  toutes  les  pages  ascétiques  où  arrive  le  nom 

(1)  Propriuin  Pictav.  1  decemb.,  hymn.  ad  maliUin. 

(2)  «  0  quam  pulchra  estcasta  generatio  cum  claritate  !  procul  et  de 
ultimis  finibus  pretium  ejus.  »  {Sap.,  iv,  10.)  —  Cf.  S.  Ambroise,  lib.  III, 
De  Virginitate.  —  Thom.  Cantiprat.,  lib.  II,  cap.  xxix,  et  lib.  XVII, 
cap.  VII. 


544  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

de  S.  Joseph,  et  c'est  afin  de  montrer  par  lui  l'homme  fidèle 
en  tout  à  la  pureté  du  cœur,  à  la  vie  intérieure  et  au  calme 
parfait  de  l'âme  et  des  sens  que  les  peintres  lui  donnentpour 
attribut  une  branche  de  hs.  Observons  toutefois  que  cet  attri- 
but ne  l'accompagne  guère  avant  le  seizième  siècle  ;  c'est- 
à-dire  qu'on  le  lui  a  donné  vers  le  temps  où  les  traditions 
mystiques  du  moyen  âge  perdaient  leur  importance  aux 
regards  d'artistes  que  le  positivisme  envahissait.  Au  trei- 
zième siècle,  on  ne  représente  guère  S.  Joseph  sans  un  ap- 
pendice portatif;  mais  aJors  ce  n'est  pas  un  lis  qu'il  nous 
offre,  c'est  un  bâton  fleuri  par  le  haut,  comme  serait  la 
verge  d'Aaron ,  et  qu'une  vieille  légende  rattache  à  un  mi- 
racle qui  aurait  fait  préférer  Joseph  à  d'autres  rivaux  pour 
son  mariage  avec  Marie  (^i).  Ce  n'était  donc ,  dans  le  prin- 
cipe, qu'un  simple  rameau  vert,  remarquable  par  sa  florai- 
son :  la  tradition  en  parlait  comme   d'un  témoignage  de 
sa  virginité,  dont  S.  Augustin,  Pierre  Damien,  Gerson, 
avec  l'universalité  des  Docteurs,  ne  veulent  pas  qu'on  puisse 
ctceiui  des  Justes,  doutcr.  Et  quaud  môme  cette  verge  fleurie  n'eût  été  d'abord 
qu'une  allusion  au  titre  de  Juste  par  excellence  que  l'Écri- 
ture donne  à  S.  Joseph  (2),  en  souvenir  de  la  parole  du 
Psalmiste  (3),  ce  juste  n'en  serait  pas  moins  regardé  avec 
raison  comme  digne  de  ce  lis ,  qui  ajoute  à  ses  vertus 
d'homme  juste  l'honneur  spécial  de  sa  virginité ,  puisque 
d'un  commun  accord  les  Pères  et  les  autorités  ecclésiasti- 
ques conviennent  que  dans  l'union  sacrée  qui  s'opéra  entre 
Marie  et  Joseph  par  un  mariage  devenu  indispensable  aux 
desseins  de  la  Providence ,  ce  fut  une  virginité  qui  s'unit  à 
l'autre  :  Virginitas  nupsit  (4).  Ce  serait  donc  avec  raison 

(1)  Voir  Guénebaud,  Dictionn.  iconograph.,  in-S»,  Migne,  col.  329; 
—  Bullet.  monurn.,  XIV,  338. 

(2)  «  Joseph  autem  cum  esset  justus...  »  (Matth.j  ï,  19.) 

(3)  «Justus  ut  palma  florebit.  »  (Ps.,  xci,  13.) 

(4)  Cf.Molanus,  De  Historia  sacrarum  imaginum,  lib.  II,  cap.  xxix  ; 
mihi,  p.  88.  —  S.  Augustin  :  «  Habet  Joseph  cum  Maria  conjuge  com- 
munera   virginitatem.  »   {Episl.  ii  aâ  Nicol.  papam;  m  cap.  i  Epist. 


FLORE   MURALE. —  LA   FLEUR  DE  LIS.  545 

qu'on  lui  appliquerait  le  texte  prophétique  d'Osée  :  «Israël 
germera  comme  uu  lis,  et  ses  racines  s'étendront  comme 
celles  d'un  cèdre  sur  le  Liban  (i).  » 
Mais  comment  cette  fleur  si  célèJDre  a-t-elle  passé  dans  et  de  la  puissance 

royale  eu  France. 

les  usages  de  la  vie  civile ,  et  d'abord  est-elle  bien ,  dès 
l'époque  des  origines  franques ,  un  insigne  de  la  puissance 
royale?  Rien  de  plus  controversé  que  cette  question,  qui  ne 
semblerait  pas  devoir  l'être  encore  ;  car  si  nous  remontons 
jusqu'aux  premiers  insignes  de  pouvoir  public  indiqués  sur 
les  seuls  monuments  qui  nous  restent  des  Gaulois  nos  an- 
cêtres ,  nous  reconnaîtrons  sur  leurs  vieilles  monnaies  des 
caractères  auxquels  il  n'est  plus  possible  de  se  méprendre. 
Un  des  savants  rédacteurs  de  la  Revue  de  numismatique ,  origine  de  ce 
M.  de  La  Saussaye,  a  donné  dans  ce  sagace  recueil  des  types  pîiîuë/"'"^'  "^' 
de  médailles  gauloises ,  sur  l'une  desquelles  on  remarque, 
au-dessous  du  sanglier  national,  une  fleur  épanouie  à  trois 

branches,  qui  n'est  autre  que  celle  du  lotus  ou  nymphéa.  On     opinions  diver- 
ses à  ce  sujet. 
a  pu  se  tromper,  après  dix-huit  ou  vingt  siècles,  et  par  suite 

d'une  obhtération  imposée  par  eux  à  cette  monnaie,  sur  la 

pensée  du  monétaire,  qui  voulait  bien  graver  dans  son 


ad  Galat.)  —  Virginitas  nnpsit  est  de  Gerson,  opusc.  de  conjug. 
Maria  et  Joseph.  —  Molanus  {ubi  suprà)  est  ici  trop  expressif  sur 
le  côté  historique  de  la  légende.  Il  discute  sur  le  bâton  fleuri,  comme 
si  l'iconographie  religieuse  ,  «lui  ne  vit  pas  moins  de  symbolisme 
que  des  vérités  écrites  ,  ne  devait  pas  s'emparer  de  tout  ce  qui  nous 
récrée  en  nous  instruisant  des  croyances  et  des  habitudes  des  siècles 
passés  !  C'est  de  la  légende,  et  l'art  ne  pourra  jamais  s'en  passer.  Une 
telle  rigueur  chasserait  l'allégorie  au  détriment  de  la  vérité,  qu'elle 
indique  sous  des  voiles  toujours  assez  transparents.  Lui  refuser  son 
action  dans  l'art  comme  dans  la  poésie  serait  tuer  l'un  et  l'autre. 
Molanus  ne  le  comprenait  pas  assez,  et  par  là  même  a  outré  souvent 
des  principes  très-bons  en  eux-mêmes.  L'abbé  Pascal  a  donné  dans  la 
même  erreur,  mais  il  en  est  beaucoup  moins  excusable,  ayant  vécu 
dans  un  milieu  où  son  jugement  aurait  dû  se  former  aux  vrais  prin- 
cipes de  l'archéologie  chrétienne.  Il  eût  fait  ainsi  un  bon  livre  de  ses 
/nstitulions  de  Varl  chrétien,  qui  n'instituent  rien,  sinon  le  renverse- 
ment de  toutes  les  idées  reçues  en  fait  d'archéologie  et  d'esthétique. 

(1)  «  Israël  germinabit  sicut  lilium,  et  erumpet  radix  ejus  ut  Libani.  » 
{Os.,  XIV,  6.) 

T.  m.  35 


546  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

champ  une  fleur  ,  et  qui  semblerait  aujourd'hui  n'y  avoir 
vouhi  qu'un  fer  de  lance  ;  mais,  outre  que  cet  instrument  y 
serait  encore  beaucoup  trop  prononcé  par  ses  deux  branches 
tombant  de  chaque  côté  comme  une  véritable  expansion 
végétale,  on  trouve  une  telle  ressemblance  entre  ce  prétendu 
fer  et  la  fleur  d'une  des  espèces  du  lotus  qu'on  n'hésite  pas 
à  y  voir  l'emblème  soit  de  la  perfection  que  l'Egypte  y  voyait 
à  cause  de  la  forme  circulaire  de  la  feuille ,  s' ouvrant  de 
plus  en  plus  selon  qu'elle  recevait  plus  les  rayons  du  soleil, 
soit  de  la  pureté,  par  suite  de  son  éclatante  blancheur,  qui  eut 
toujours  et  partout  le  même  sens  symbolique  (i). 

Ne  serait-on  pas  tenté  aussi ,  en  se  rappelant  un  passage 
d'Homère,  au  neuvième  chant  de  l'Odyssée,  de  prendre  le 
lotus  sur  la  monnaie  et  le  sceptre  des  rois  de  France  pour  un 
emblème  de  leur  première  patrie,  abandonnée  pour  la  seconde 
qu'ilsétaientvenusfonderendeçàdu  Rhin  (2)  ?  Cette  fleur,  au 
reste,  est  répandue  sur  tous  les  rivages  ;  nos  fleuves  de  l'Eu- 
rope l'ont  comme  le  Nil  ;  elle  abonde  en  France,  et  la  médaille 
citée  par  M.  de  La  Saussaye  était  frappée  chez  les  Santons, 
dont  le  littoral  en  était  garni.  Quoi  d'étonnant  que  les  chefs 
venus  des  bords  de  la  Sala  et  du  Véser  se  soient  donné  pour 
signe  de  leur  puissance ,  qui  tendait  toujours  à  s'élever ,  la 
fleur,  d'ailleurs  si  gracieuse,  qui  symbolisait  la  perfection  de 
l'autorité  et  du  pouvoir  ?  C'est  aussi  la  pensée  de  M.  Adalbert 
de  Beaumont,  et  c'est  la  seule  origine  que  nous  puissions  lui 
reconnaître  ,  en  dépit  de  toutes  les  autres  qu'on  s'est  plu  à 
imaginer  si  souvent.  Personne  n'ignore  quels  furent  sur  ce 
point  les  sentiments  contraires  de  maints  auteurs.  Le  fer  de 
lance  des  Celtes,  préconisé  par  Lacurne  de  Sainte-Palaye,  ne 
vaut  pas  mieux,  à  notre  avis,  que  l'angon  mérovingien  dont 
Sainte-Foix  veut  faire  le  premier  sceptre  de  nos  rois,  non 

(1)  Recherches  sur  rorigine  du  blason,  cité  dans  la  Revue  de  Vart 
chrétien,  iW,  582. 

(2)  Voir  Sanchez,  Commeniaria  in  Andreœ  Alciali  emblemata, 
euiblem.  cxiv,  apud.  Franc.  Sanctii  opp.,  III,  227,  in-8»,  Geuev.,  1766. 


quième  siècle. 


FLORE  MURALE.  —  LA  FLEUR  DE  LIS.  547 

plus  que  les  abeilles  de  Childéric  P"",  préconisées  par  Jacques 
Ghifflet ,  non  plus  enfin  que  les  lis  d'or  à  trois  feuilles  que 
Robert  de  Helsen  a  rêvés  sur  les  bords  du  Lis  (qu'il  faudrait 
appeler  la  Lis),  d'où  Pbilippe-Auguste  les  aurait  cueillis  le 
premier  pour  en  parer  son  manteau  et  son  écu  {\  ) .  Les  décou- 
vertes faites  en  \  653  dans  le  tombeau  de  Childéric  n'étaient 
pas  tant  un  attribut  de  la  royauté  qu'un  symbole  adopté  par 
ce  prince,  ou  enseveli  avec  lui  pour  exprimer  la  sagesse,  la 
vigilance  et  le  travail  (2).  De  tels  symboles  n'étaient  point 
héréditaires  ;  ils  prenaient  place  dans  la  sépulture  de  tout 
grand  personnage  avec  beaucoup  d'autres  objets ,  et  y  va- 
riaient d'après  l'objet  de  préférence  que  le  défunt  avait 
adopté  pendant  sa  vie. 

Ce  que  la  science  nous  apprend  de  cette  découverte  du  Le  hs  confondu 
fameux  roi  franc  enseveli  à  Tournay  en  48 1  a  fort  éclairé  la  fleJavecks^abeîi- 
question  de  l'origine  des  fleurs  de  lis ,  sur  laquelle  chaque  chiidlric  ar^cfn- 
historien  faisait  son  thème.  Fauche t ,  Du  Tillet ,  Mézeray, 
les  Sainte-Marthe,  différaient  d'opinion  ou  ne  s'accordaient 
que  pour  se  tromper  mutuellement  quant  au  fond  et 
quant  aux  détails.  Lors  de  la  découverte  du  tombeau  qui  est 
resté  jusqu'à  notre  époque  môme  un  sujet  de  dissertation 
laborieuse  pour  les  antiquaires,  Jacques  Ghifflet,  qui  exerçait 
la  médecine  avec  distinction  dans  les  Pays-Bas ,  fut  chargé 
par  l'archiduc  Léopold,  qui  savait  son  érudition,  de  lui  faire 
un  rapport  sur  les  objets  qui  entouraient  le  squelette  du  roi 
des  Francs.  Ce  fut  le  docte  médecin  qui  voulut  faire  des 
fleurs  de  lis  des  trois  ou  quatre  cents  abeilles  d'or  qui  sans 

(1)  Helsen,  Diction,  de  la  France,  v»  lis. 

(2)  Cf.  sur  cette  question,  et  pour  les  preuves  du  sentiment  que  noui 
préférons  ici,  Clavis  S.  Meliton.,  apud.  Spicil.  Solesm.,  II,  406  :«  Li- 
lium  :  virtus,  castitas,  munditia;»  —  etZ)e/lî;i&U5,  cap.  viii,no  xxxviii; 

—  ibid.,  Spicil.,  II,  512  :  «Apis, forma  sapientiœ...,diligentiam  et  sub- 
tilitatem  significat;  »  —  un  Mémoire  sur  le  lotus,  donné  par  M.  Delille 
dans  la  Description  de  la  grande  expédition  d'Egypte  de  119B;  — Revue 
de  numismatique,  1840,  244,  et  Mem.  des  anliq.  de  VOuest,  V,  149  ;  — 
Lacurne    de  Sainte-Palaye ,  Mém.  sur  l'ancienne  chevalerie,  I,  294; 

—  Saiute-Foix,  Essai  sur  Paris,  II,  84,  in-12, 1769. 


548  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

doute  avaient  orné  le  manteau  royal.  Il  fallait  forcer  sa 
pensée  pour  en  venir  là  et  s'appuyer  de  singulières  conjec- 
tures. A  l'entendre ,  les  abeilles,  mal  rendues  par  les  dessi- 
nateurs et  les  peintres,  étaient  devenues  «  des  fleurs  de  lis, 
lorsqu'au  douzième  siècle,  nos  rois  qui  avaient  continué  de 
s'en  parer,  les  prirent  pour  pièces  définitives  de  leur  blason.» 
Une  telle  imagination  ne  vaut  pas  mieux  que  celles  qui 
voyaient  trois  crapauds  d'or  sur  champ  de  sable ,  ou  trois 
grenouilles  sur  azur  dans  un  prétendu  écusson  qui  n'exista 
jamais  pour  les  rois  de  France  (I).  Tout  cela  fut  réfuté  vic- 
torieusement quant  aux  abeilles,  par  Ferrand,  dans  son 
Triomphe  des  lis  contre  Jacques  Chifflet  (2). 
Les  lis  du  tom-  Quoi  qu'il  en  soit  des  notions  plus  ou  moins  justes  émises 
gomieau  s£èmê  par  Ics  liistodens  et  les  héraldistes  sur  ce  symbole,  il  est 
*'^^'^'  certain  qu'au  tombeau  de  Frédégonde ,  morte  en  597  et  en- 

terrée à  Saint-Germain-des-Prés,  on  voyait  encore,  avant  les 
dévastations  de  ^  793,  la  statue  couchée  de  cette  reine,  la  tête 
ceinte  d'une  couronne  fleurdelisée;  son  sceptre  même  se 
terminait  par  une  branche  de  lis  au  naturel.  Cette  œuvre , 
de  cuivre  et  de  marqueterie,  était  originale,  au  jugement  de 
ceux  qui  l'avaient  vue  en  ^778.  Ces  mêmes  auteurs  citaient 
plusieurs  manuscrits  de  la  bibliothèque  du  roi  et  de  celle  de 
Golbert ,  oii  des  peintres  reproduisaient  les  figures  de 
Charles  le  Chauve  ,  dont  la  couronne  portait  de  véritables 
du  sceptre  de  Da-  flcurs  dc  lls  (3).  Uu  autrc  fait  digne  de  remarque  est  rap- 

gobert  au  sixième, 

(1)  Q,i.C\Ai^e,i.,  Anasiasis  Childerici  I,  Francorum  régis,  sive  Thé- 
saurus sepulcralis  Tornaci  Nerviorum  effossi,  et  commentario  illuS' 
tratus,  Antuerpise^  1655,  in-4o  ;  —  puis  la  défense  de  son  opinion  sur 
le  lis  :  Lilium  Francicum  verilate  historica,  botanica  el  heraldica 
illuslratum,  Antuerp.,  1658,  in-f»  ;  —  Sainte-Marthe,  Traité  historique 
des  armes  de  France  et  de  Navarre,  et  de  leur  origme,  in-12,  Paris, 
1673. 

(2)  R.  P.  Ferrandi  Epinicion  pro  liliis ,  sive  pro  aureis  Francise 
liliis,  adversus  Jac.  ChiffletiurUy  Lugd.,  1663,  in-4o.  —  Ce  Ferrand  ne 
figure  dans  aucune  biographie  que  nous  connaissions. 

(3)  Le  chev.  de  Jaucourt,  dans  l'Encyclopédie  du  xyiu^  siècle,  XIV, 
p.  612.  —  Tout  son  article,  à  l'exception  de  ce  qui  regarde  Henschenius, 


FLORE   MURALE. —  LA    FLEUR   DE   LIS.  549 

porté  par  le  P.  Henschcniiis,  l'un  des  premiers  BoUandistes. 
A  propos  d'un  ancien  sceau  dont  il  parle,  et  sur  lequel  Dago- 
bert  !'■■  (63i-638j  est  représenté  tenant  trois  sceptres,  ce 
savant  religieux  prétend  que  ces  trois  sceptres,  liés  ensemble 
par  le  bas,  ressemblent  à  la  Heur  de  la  plante  nommée  iris 
en  français,  et  que  les  AHemands  ,  à  cause  de  ses  rapports 
avec  le  lis  blanc  ,  nommenf  lisch-blume  ^  c'est-à-dire  fleur 
de  lis.  Si  l'on  ajoute,  avec  le  même  auteur,  que,  cet  emblème 
une  fois  accepté,  on  le  peignit  d'or,  parce  que  cette  première 
fleur  était  jaune,  et  que,  naissant  ordinairement  dans  l'eau, 
qui  paraît  bleue,  ce  fut  une  raison  de  l'établir  sur  champ 
d'azur ,  nous  avouerons  toutes  nos  sympathies  pour  ces  in- 
génieuses conjectures ,  sans  vouloir  nous  y  appuyer  beau- 
coup. Toutefois  nous  ne  saurions  comment  réfuter  le  triple 
sceptre  de  Dagobert,  et  nous  croyons  qu'il  vient  représenter 
la  fleur  de  lis  au  septième  siècle  ,  comme  Frédégonde  et 
Charles  le  Chauve  posent  en  faveur  du  sixième  et  du  neu-  et  de  charies  le 

/-w  ••  m-  1/1'-  t        t       •       Chauve    au    neu- 

vième. Que  SI  aujourd  hui,  maigre  le  témoignage  des  écri-  vième. 

vains  du  dix-huitième  siècle,  on  devait  infirmer  le  tombeau 
de  Frédégonde  détruit  par  les  révolutionnaires  de  93,  avec 
tant  d'autres ,  hélas,  comment  révoquer  en  doute  des  ma- 
nuscrits encore  conservés  à  la  bibliothèque  de  Paris  ? 
Voilà  donc  les  deux  premières  races  parées  de  cet  insigne     i-is  des  rois  de 

.  .la  troisième  race  ; 

qui  leur  appartient  exclusivement.  Par  ce  qui  précède  ,  on 
voit  que  les  princes  de  ces  lignées  successives  se  l'étaient 
transmis  sans  interruption.  Nul  doute  aussi  qu'il  ne  se  soit 
perpétué  jusqu'à  la  troisième  dynastie,  puisque  Louis  VII , 
qui  en  avait  chargé  son  sceau  et  la  bannière  blanche  de  la 
France ,  en  fit  semer  le  manteau  et  la  cotte  de  mailles  de 
Philippe-Auguste,  quand  il  se  fit  sacrer  à  Reims  de  son 
vivant  en  4179.  C'était  particulièrement  dès  les  premières  iis  deviennent  ré- 
années  de  ce  douzième  siècle  que,  les  Croisades  ayant  fait 

a  été  copié,  sans  aucune  mention  de  cette  source,  par  M.  de  Corcelies 
dans  son  Dictionnaire  universel  (quoiqu'il  le  soit  très-peu)  de  la  no- 
blesse de  France,  t.  III,  p,  212,  in-S",  Paris,  1821. 


330  HISTOIRE  DU  SYMBOLISME. 

comprendre  aux  seigneurs  bardés  de  fer  la  nécessité  de  se 
reconnaître  mutuellement  par  leurs  armures,  le  blason 
s'étendant  à  toutes  les  familles  nobles ,  Louis  VII  adopta  les 
fleurs  de  lis  sans  nombre,  que  Charles  VI  réduisit  à  trois  en 
l'honneur  de  la  Sainte  Trinité.  Depuis  lors  elles  furent  por- 
tées d'or  sur  champ  d'azur  par  la  plus  noble  et  la  plus  an- 
cienne famille  du  monde.  Ainsi  le  lis  devint  pour  elle  un 
auguste  symbole  de  loyauté  et  de  bravoure,  comme  de  ma- 
jesté et  d'honneur.  Tout  cela  se  reportait  à  Dieu  dans  la 
pensée  du  monarque.  Une  médaille  française  frappée  en 
4380,  à  l'avènement  de  Charles  VI,  porte  en  exergue  :  Cla- 
rescunt  lilia  trina  {]). 
et  de  beaucoup  de  De  l'écussou  royal  la  belle  fleur  passa  à  quelques  armoi- 
ries particulières,  devenues  de  plus  en  plus  nombreuses  soit 
par  des  alliances  avec  les  premières  familles  de  France,  soit 
par  des  concessions  honorables  faites  pour  des  services  ren- 
dus à  l'État  ou  de  belles  actions  dont  ces  familles  s'étaient 
illustrées  avec  le  temps.  Avant  même  l'époque  de  S.  Louis, 
qui  fut  celle  de  la  plus  grande  élégance  de  cet  emblème ,  on 
y  avait  ajouté  le  lien  inférieur,  qui  en  modifia  la  forme  ,  et 
semblerait  un  appendice  privé  de  toute  raison  d'être,  si  nous 
n'en  trouvions  pas  l'origine  dans  les  vitraux  romans ,  où  il 
contribua  à  former  les  compartiments  des  grisailles.  En 
effet,  que  l'on  considère  celles  qu'a  publiées  l'abbé  Texier,  et 
qui  seules  nous  restent  de  l'ancien  monastère  d'Obazine 
(Corrèze)  :  on  verra  les  charmantes  fleurs  de  lis  du  dou- 
zième siècle,  dont  les  pétales  se  relient  par  des  anneaux  de 
plomb,  évidemment  destinés  à  en  consolider  les  parties,  mais 
qui  ont  sans  aucun  doute  motivé ,  bientôt  après,  dans  la 
peinture ,  ce  même  lien  devenu  un  simple  ornement  (2). 
Cette  forme  ,  une  fois  consacrée,  distingua  si  bien  la  belle 

(1)  Scévole  et  Louis  de  Sdiinte-Marthe,  Hisl.  généalog.  delà  maison 
de  France,  I,  26,  iu-4o,  1619.  —  Mézeray,  Hist,  de  France,  U,  88  ;  et  I, 
1032. 

(2)  y o\v  Annales  archéologiques,  X,81. 


FLORE   MURALE. —  LA    FLEUR    DE    LIS.  55^ 

fleur  française ,  qu'il  ue  lut  plus  possible  de  s'y  tromper. 
Bientôt  on  la  vit  envahir ,  surtout  à  partir  du  treizième  et  paf5scnt  ontin 

dans  rorncmenta- 

siècle ,  toutes  les  surfaces  où  l'art  pouvait  prodiguer  ses  t'on  ^les  meubics 

^  ^  et  des  maisons , 

cliarmantes  habiletés  :  les  meubles,  les  tapisseries  ,  les  ma- 
nuscrits ,  les  vitraux  des  maisons  particulières,  et  jusqu'à 
leurs  pavés  de  terre  cuite  et  aux  softîtes  de  leurs  plafonds, 
en  reçurent  les  formes  gracieuses  ou  les  vives  couleurs.  Il 
n'y  eut  pas  jusqu'aux  ornements  d'église  qui  la  reprodui- 
sirent presque  à  satiété.  Nous  ne  pouvons  nous  en  plaindre,  «t  jusque   dans 

celle  des  oblets  sa~ 

car,  outre  qu'elles  ne  firent  cette  sorte  d'invasion  que  pour  crés.-  Raison  de 

.  .11  .       CG  dernier  emploi. 

y  devenir  la  preuve  et  comme  un  souvenu'  des  hautes  muni- 
ficences qui  prétendaient  établir  ou  leur  juridiction  ou  leur 
droit  à  de  certaines  prières,  en  les  brodant  sur  les  étoffes 
d'or  et  de  soie,  en  les  gravant  sur  les  calices,  les  reliquaires, 
et  jusque  sur  la  hampe  des  bâtons  cantoraux ,  d'autres  rai- 
sons plus  élevées  inspirèrent  souvent  cette  profusion.  Là  se 
trouvait  le  symbolisme  de  la  Trinité ,  application  déjà  fort 
ancienne ,  comme  nous  l'avons  vu ,  d'un  signe  reconnu  de 
tous  au  mystère  fondamental  du  Christianisme.  Mais  là  aussi 
était  une  pensée  de  patriotisme  qui  aimait  à  identifier  à  la 
religion  ce  vieil  emblème  de  la  France  et  de  cette  longue 
suite  de  monarques  dont  le  sceptre  et  les  bannières  s'en 
étaient  embellis,  et  qui  de  là  avait  passé  et  fleuri  sur  tous 
ses  monuments. 
Il  est  d'ailleurs  remarquable  que,  les  formes  plus  ou     Les  types  de  la 

.  j        fleur  de  lis  divers 

moins  complètes,  plus  ou  moins   sveltes  ou  trapues  de  avec  les  époques, 

rt  iTP  •  ./<'  1-ni  •     1.         et  propres  à  faire 

notre  fleur  de  lis  française  ayant  ete  modifiées  maintes  distinguer  cciies- 

„   .  1  ...  .  ,  1     •    •  .    1        •  y    1  •  <    1         ci  dans  les  monu- 

fois  par  les  artistes  qui  la  reproduisirent  de  siècle  en  siècle,  ments. 
on  peut  conclure  de  ces  modifications  mêmes  pour  affirmer 
l'époque  approximative  de  ces  objets,  comme  on  l'a  observé 
à  l'égard  des  hermines  ,  qui ,  dans  l'écusson  de  Bretagne, 
ont  souvent  aussi  changé  de  forme.  Le  treizième  siècle 
nous  la  montre  légère  et  dégagée ,  plus  longue  que  large  ; 
l'inflorescence,  tout  en  n'offrant  qu'une  division  du  calice 
en  trois  pétales,  sépare  celles-ci  de  manière  à  laisser  un  vide 


552 


HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 


entre  chacune  d'elles;  comme  l'architecture  de  cet  âge, 
elle  semble  aspirer  à  prendre  par  son  élancement  gracieux 
la  majesté  et  l'élévation  du  style  ogival.  Au  quatorzième,  elles 
s'abaissent  et  s'élargissent,  mais  conservent  beaucoup  d'élé- 
gance et  de  netteté.  Quelque  chose  de  plus  lourd,  à  quel- 
ques charmantes  exceptions  près  {]},  indique  le  quinzième  ; 
alors,  sans  avoir  perdu  toute  sa  légèreté,  elle  tend  à  s'épaissir 
encore  et  perd  de  sa  délicatesse  et  de  son  essor;  on  voit 
même  le  caprice  du  brodeur  ou  du  sculpteur  percer  dans 
l'exécution  de  son  caractère  d'ensemble.  Plus  tard  ce  caprice 
prend  ses  aises  bien  plus  larges,  et  va,  au  dix-septième  siècle, 
dans  l'église  des  Carmes  de  Gaen ,  jusqu'à  rattacher  à  la 
pétale  intermédiaire  deux  dauphins  recourbés  qui  en  for- 
ment les  pétales  accessoires.  Il  est  vrai  que  cette  originalité 
pouvait  être  un  symbole  se  rattachant  aux  traditions  de  ce 
monastère. —  Enfin,  du  seizième  siècle  jusqu'au  nôtre, 
elles  se  sont  fait  des  contours  et  des  proportions  définitives 
qui  n'en  valent  pas  mieux  pour  avoir  une  certaine  prétention 
à  être  plus  classiques.  Changeront-elles  encore  ?  C'est  peu 
probable ,  à  moins  que  sous  un  descendant  de  S.  Louis  elles 
ne  retrouvent  encore  leur  forme  svelte  et  majestueuse  en 
rajeunissant  une  des  plus  glorieuses  périodes  de  notre  his- 
toire. 
Les   artistes,       Dc  CCS  uombreuscs  mutatious  il  faut  conclure  que  les 

pour    les    repro -  .  ,  ,  .  i  i 

duire ,     doivent  peiutrcs,  Ics  sculptcurs  ct  autrcs  artistes  charges  de  repro- 

donc  se  reporter      i     .         •       n  i      t  •  ^  -i 

aux  temps  dont  ils  duu'c  la  ilcur  dc  hs  coiTime  ornement  ou  comme  pièce  de 
tions.  '  ^'"  blason,  devront  bien  étudier  ses  formes  afin  de  les  accorder 
avec  le  style  des  œuvres  caractérisées  par  chaque  siècle.  Il 
serait  par  trop  ridicule  de  voir  semer  des  fleurs  de  lis  de 
Louis  XVIII  et  de  Charles  X  une  chapelle  du  seizième  siècle,  ou 
d'y  imposer  les  abeilles  de  Chilpéric,  comme  nous  l'avons  vu 


(1)  On  en  voit  un  fort  joli  spécimen  dans  la  Revue  de  Vart  chrétien, 
II,  221.  Il  faisait  partie  du  pavage  de  l'ancien  château  des  évoques 
d'Avranches,  dont  Louis  de  Bourbon  avait  occupé  le  siège  vers  la  fin 
du  qiiiuzièmt  siècle. 


FLORE   MURALE.  —  LA    FLEUR   DE   LIS. 


553 


pratiquer.  L'unité  artistique  n'est  pas  moins  à  observer  en 
cela  que  dans  tout  autre  genre  de  décoration  ,  et  c'est  une 
impardonnable  faute  que  de  mêler  toutes  les  époques  de 
l'art  dans  nue  confusion  qui  se  ressentira  toujours  trop  de 
l'éclectisme  révolutionnaire  ,  et  tendrait  comme  lui  à  tout 
méconnaître  et  à  tout  ruiner.  Et  puis,  contemporains  d'une 
époque  agitée  de  si  étranges  tempêtes,  disons-le  encore  bien 
haut  à  ces  intelligences  fourvoyées  qui  cèdent  à  leur  passion 
de  vengeances  démocratiques  avec  la  même  frénésie  qu'aux 
plus  grossiers  emportements  de  leurs  sens  :  quelles  que 
soient  les  vicissitudes  imposées  par  la  Providence  aux  dynas- 
ties, leurs  insignes  ne  doivent  pas  devenir  comme  elles  les 
jouets  de  la  malicieuse  stupidité  des  hommes.  A  moins  de 
déchirer  l'histoire,  de  brûler  dans  les  archives  publiques  les 
actes  de  leur  puissance  ,  le  plus  souvent  protectrice  et  jus- 
tement honorée  ;  à  moins  d'effacer  des  souvenirs  nationaux 
les  longues  et  glorieuses  traces  que  tant  de  règnes  y  laisse- 
ront à  jamais,  on  ne  voit  pas  quel  autre  motif  que  le  barbare 
aveuglement  d'une  sotte  ignorance  viendrait  exercer  sur 
des  monuments  très-innocents  par  eux-mêmes  un  genre  de 
mutilation  dont  les  révolutions  ne  savent  jamais  rougir.  Que 
de  titres  perdus,  que  de  monuments  outragés,  parce  que 
les  lis  y  conservaient  l'empreinte  encore  tout  héroïque  de 
générosités  princières  ou  des  juridictions  de  la  féodalité! 
Ah  !  ce  sont  là  les  fleurs  qu'on  fait  croître  aujourd'hui  sur 
la  tombe  des  rois  ou  sur  le  chemin  de  leur  exil  !...  Mais  que 
les  peuples  follement  victorieux  de  ces  grandeurs  déchues 
comprennent  aussi  leur  décadence  prochaine  à  ces  excès 
d'un  vandalisme  hébété;  plus  on  les  y  accoutume,  plus 
l'abrutissement  se  consomme  :  outrager  ses  aïeux,  détrôner 
ses  maîtres,  dégrader  les  monuments  de  sa  patrie,  c'est 
montrer  jusqu'à  l'évidence  qu'on  n'est  plus  digne  d'en 
avoir. 

Après  nous  être  arrêté  longtemps  sur  la  ilein"  royale,  dont 
il  nous  semble  qu'on  n'avait  pas  encore  suffisamment  pré- 


Grossières  per- 
sécutions révolu- 
tionnaires contre 
cet  insigne  d'une 
ancienne  royauté , 


et  leurs  suites  fu- 
nestes à  la  science 
historique. 


8yni))oli8nio  de 
la  flore  mytholo- 
gique. 


554  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

cisé  l'origine  et  le  rôle  symbolique,  revenons  à  notre  mys- 
ticisme religieux ,  et  considérons  notre  flore  sous  les  mul- 
tiples aspects  que  nous  en  donne  la  liturgie  catholique.  Ce 
sont  des  aperçus  dont  il  serait  difficile  de  ne  pas  tenir 
un  grand  compte.  Il  n'était  guère  possible  que  les  idées  si 
gracieuses  et  si  douces  qui  naissent  de  la  contemplation  de 
la  nature  et  des  plus  ravissantes  merveilles  de  son  Auteur 
n'entrassent  pas  pour  beaucoup  dans  les  offrandes  à  lui 
faire  et  dans  les  embellissements  de  ses  temples.  La  flore  et 
la  pomone  des  païens ,  leur  Gérés ,  leur  Triptolème  et  leur 
Janus ,  indiquent  assez  quelles  étaient  leurs  pensées  à  cet 
égard.  Ils  eurent  des  arbres  et  des  fleurs  consacrés,  par  suite 
d'une  foule  de  riantes  allégories ,  aux  souvenirs  de  leurs 
dieux  et  aux  pratiques  du  culte  public.  Le  chêne  de  Jupiter, 
le  laurier  d'Apollon  sont  assez  connus  comme  symboles  ;  on 
sait  la  couronne  d'épis  de  la  mère  de  Proserpine ,  la  verveine 
sacrée  formant  celle  des  druides ,  et  que  cette  ingénieuse 
idolâtrie  n'avait  pas  moins  de  protecteurs  pour  ses  jardins 
que  pour  ses  champs.  C'étaient  tantôt  la  contemplation  de  ces 
beautés  visibles  qui  charmaient  les  hommes,  depuis  l'agri- 
culteur jusqu'au  poète,  tantôt  l'usage  des  fruits  delà  terre, 
l'ombre  de  ses  bois  sacrés  ou  l'emploi  des  substances  natu- 
relles aux  cérémonies  de  la  rehgion  qui  témoignaient  du 
penchant  de  l'humanité  pour  ces  innocentes  jouissances,  ou 
de  sa  gratitude  envers  le  Ciel,  qui  les  lui  avait  données 
comme  un  principe  de  paix  intime  ou  des  plus  suaves  élé- 
comment    le  vatious  dc  son  cŒur.  Ce  que  l'homme  animal  goûtait  ainsi. 

Christianisme  dut    ,^....  •       t        ,      ,  ii  <•  «xi 

s'en  emparer.  le  Christianismc,  qui  adopte  tous  les  bons  sentiments  et  les 
purifie ,  ne  pouvait  manquer  de  le  comprendre  avec  une 
bien  plus  haute  intelligence.  On  vit  ses  plus  grands  esprits 
s'apphquer  à  saisir  et  à  exphquer  les  relations  morales  des 
plantes  à  l'âme  humaine  cultivée  comme  eUes  par  la  rosée 
de  la  grâce  ,  éclairée  et  réchauffée  aux  rayons  du  Soleil  de 
Justice,  nourrie  ici-bas  des  sucs  fructueux  des  sacrements, 
et  appelée  à  une  terre  promise,  jardin  de  délices  éternelles 


FLORE   MURALE.  555 

OÙ  couleront  pour  elle  d'intarissables  ruisseaux  de  lait  et  de 
miel(l). 
De  telles  méditations  produisirent   des    œuvres    litté-      ses  organes  au 

!•  ij««i  t  -1  moyen  âge. 

raires  pleines  de  iraiclieur  et  de  naïves  beautés,  ecloses  à 
l'ombre  des  cloîtres ,  dans  ce  moyen  âge ,  qui  l'emportait 
d'autant  plus  par  le  sentiment  et  la  hauteur  de  la  pensée 
qu'il  connaissait  moins  les  aspirations  des  scnsualistes  et 
des  libres  penseurs.  Les  recueils  de  principes  chrétiens  ap- 
pliqués aux  besoins  de  la  vie  spirituelle  ,  les  maximes  de  la 
Sagesse  éternelle  proposées  aux  spéculations  religieuses  des 
solitaires  ou  des  gens  du  monde,  s'épanouissaient  au  souffle 
des  mille  génies  cachés  dans  les  maisons  bénies  de  la  prière 
et  du  travail.  Nous  avons  encore  ces  manuscrits  précieux  où 
les  symboles  abondent,  où  la  lettre  des  Écritures  exhale  de 
toutes  leurs  pages  les  parfums  de  l'Esprit  divin.  C'est  Her- 
rade,  l'abbesse  de  Sainte-Odile,  rassemblant  dans  son  Jardin 
de  délices,  sous  l'emblème  des  plus  douces  fleurs,  tout  ce  qui 
peut  parler  du  Sauveur,  de  sa  Mère,  de  ses  Saints  et  de  leurs 
attributs  (2)  ;  c'est  le  bénédictin  Hermann  de  Werden ,  ex- 
pliquant dans  son  Jardin  de  délices  de  Salo7non,  dont  il 
emprunte  l'idée  à  l'illustre  abbesse ,  la  morale  des  Livres 
sapientiaux  (3)  ;  c'est  Philippe  le  Solitaire ,  plus  connu  par 
son  livre  que  par  lui-môme,  écrivant  son  Paradis  spirituel  et 
décrivant  ses  plantes  qu'on  y  admire  avec  les  fruits  qu'on  y 
goûte  (4),  ou  bien  ce  sont  des  Vergers  où  s'exposent  les  vertus 
des  herbes ,  ou  les  douze  rameaux  de  F  arbre  de  vie ,  ou  les 
fleurs  du  paradis,  ou  le  bouquet  mystique ,  et  tant  d'autres 


(1)  «  Nunc  oli'ero  primitias  l'rugum  terrae  quam  Dominus  dédit 
mihi...,  qui  tradidit  nobis  terram  lacté  et  melle  maDantera.»  Dexiinr., 
XXVI,  9.) — Tous  les  interprètes  voient  dans  ces  paroles  une  allégorie 
de  la  vie  future. 

(2)  Nous  connaissons  Herrade  d'Hohonbourg  et  sou  Orius  delicia- 
rum  par  ce  que  nous  en  avons  dit  au  tome  II  de  cet  ouvrage,  p.  199. 

(3)  Cité  par  dom  Pitra,  Spicileg.  Solesm.,  IJ,  401. 

(4)  Philippe  le  Solitaire,  De  Paradiso  iniellcclualij  cl  de  planlis  alque 
f'ruclibus  qux  ibi  conspiciunlur. 


556 


HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 


li^Hortus  deli- 
ciarum  d'Her  - 
luann  de  Werden. 


pleins  d'agréments,  en  effet,  comme  ces  titres  le  font  sup- 
poser, et  dans  lesquels  on  sent  que  le  rliythme,  en  dépit  des 
inévitables  difficultés  de  sa  marche  parfois  raboteuse ,  est 
souvent  aussi  plein  d'harmonie,  et  rachète  toujours  ses  im- 
perfections par  la  poésie,  la  pensée  et  la  déhcatesse  du  trait  ; 
voyez-en  une  preuve  dans  cette  introduction  d'Her mann,  que 
nous  ne  pouvons  nous  refuser  à  citer  : 

INGIPIT  HORTUS   DELIGIARUM   SALOMONIS   : 

Auster,  adesto  calens,  Aquilonis  ut  ira  recédât, 

Ut  possit  sterilis  hortulus  esse  virens , 
lllius  ut  flores  crescant,  et  aromata  stillent , 

Et  fructus  faciant  imbre  rigata  tuo. 
Plantavit  Salomon  hune  Horium  deliciaruiii, 

Delicias  capiens  deliciosus  homo  ; 
«  Nulla  meis  oculis,  inquit  rex,  ipse  negavi 

»  Quse  cordi  poterant  esse  décora  meo.  » 
Altior  hic  cedras  et  virgula  balsama  stillant; 

Hic  vitis,  pabna,  nux  et  oliva  virent. 
Hic  crocus,  hic  aloë,  cinamomum,  fistula,  nardus, 

Flos  campi  crescit,  myrrha,  cupressus  ibi, 
Populus  etlaurus,  ficus  et  castanea,  buxus 

Et  pirus;  et  malo  punica  mala  rubenl. 
Hic  rosa  purpurea,  candentia  lilia,  parvee 

Hic  violfB  redolent,  hyssopus,  herbabrevis, 
Regem  quidquid  odore,  sapore,  décore  potentem 

Delectare  potest,  hortulus  iste  parit  (1). 


(1)  «Vent  du  midi,  reviens  avec  tes  chaudes  haleines,  éloigne  de 
nous  les  rigueurs  de  l'Aquilon.  Remplace  ainsi  par  la  verdure  la  stéri- 
lité de  mon  petit  jardin;  ramènes-yles  fleurs,  fais-y  couler  de  nouveau 
les  gouttes  de  mille  parfums,  et  qu'inondé  de  ta  féconde  humidité,  il 
me  rende  les  fruits  de  chaque  année.  C'est  Salomon  qui  a  fait  de  toi  un 
Jardin  de  délices  ;  il  y  a  trouvé  toutes  les  sciences,  homme  vraiment 
délicieux.  «  Ah  !  disait  ce  prince,  je  n'ai  rien  refusé  à  mes  yeux  ni  à 
»  mes  désirs  de  ce  qui  pouvait  les  combler.»  —  En  effet,  je  vois  s'éle- 
ver ici  le  cèdre  majestueux;  le  baume  y  distille  ses  gouttes  précieuses; 
la  vigne  y  reverdit  à  côté  du  palmier,  et  l'olive  près  de  la  noix;  c'est 
un  mélange  de  safran  et  d'aloès,  de  cinnamome  et  de  nard;  la  simple 
fleur  des  champs  s'y  trouve  avec  la  myrrhe  et  le  cyprès;  là  croissent 
ensemble  le  peuplier  et  le  laurier,  la  figue  et  la  châtaigne,  puis  le  poi- 
rier et  le  buis,  avec  le  grenadier  couvert  de  ses  fruits  vermeils.  Voici 
la  rose  purpurine,  le  lis  éclatant  de  blancheur;  ici  l'humble  violette 
répand  son  odeur  suave;  là  surgit  l'hysope,  encore  plus  humble.  Tout 


FLUKE  MURALE.  557 

Est-ce  que  dix  peintres  ou  sculpteurs  de  talent  ne  trou- 
veraient pas  dans  ces  belles  images  la  matière  d'une  char- 
mante ornementation  ?  N'y  admire-t-on  pas  la  lumière  et 
l'ombre,  les  clairières  et  les  profondeurs,  l'air  qui  se  joue  à 
travers  ces  grands  arbres,  et  ces  humbles  fleurs  des  bois  et 
des  prairies  se  balancer  mollement  aux  bords  des  eaux  silen- 
cieuses du  vallon?  Tout  autre  que  Salomon  se  plairait  encore 
dans  ce  jardin  délicieux  ;  et  ne  voyez-vous  pas  que  la  plu- 
part de  nos  cliapitaux  du  moyen  âge  ne  sont  que  des  cor- 
beilles où  s'est  reproduite  toute  cette  merveilleuse  végé- 
tation ?  Chez  nous,  tous  les  sculpteurs  de  nos  éghses  auraient 
donc  pu  inscrire  aux  chapiteaux  enrichis  par  eux,  comme 
au  couvent  grec  d'Iviron  :  «  C'est  moi  qui  les  ai  fleuris  (1).  » 

Cette  antique  habitude,  partout  répandue  à  cette  époque ,  i^nteg^deTautir! 
d'emprunter  à  la  botanique  un  titre  pour  les  œuvres  de  phi-  s'^e, 
losophie  religieuse ,  devint  une  source  d'allusions  dont 
l'Église  dut  se  servir  dans  l'expression  de  ses  pensées  litur- 
giques. Ses  chants,  ses  offices  retentissent  tous  les  jours  de 
comparaisons  aussi  justes  que  poétiques.  Rien  n'était  plus 
naturel  que  d'en  puiser  le  sentiment  dans  les  livres  bibli- 
ques, oi!i  le  pain  et  la  vie  prophétisés  si  longtemps  d'avance 
étaient  venus,  à  la  dernière  cène  du  Christ,  symboliser,  en  la 
consommant,  l'union  intime  et  mystérieuse  de  la  nature  et 
de  la  substance  divine  avec  la  nature  et  la  substance  de 
l'humanité.  De  là,  autour  de  nos  tabernacles,  sur  nos  calices  <^t,  à  ce  propos,  le 

bois   préférable  à 

et  nos  linges  d'autel ,  sont  venus  se  grouper  les  épis  et  les  la  pierre  pour  les 

^  '  or  V  tabernacles. 

gerbes ,  les  pampres  et  les  raisins  ;  mais  de  là  aussi,  dans 
l'admirable  office  du  Saint  Sacrement,  qui  restera  le  chef- 
d'œuvre   de  S.  Thomas  d'Aquin,   l'inimitable  séquence, 

ce  qu'un  roi  puissant  peut  souhaiter  d'odeurs  suaves,  de  fruits  savou- 
reux et  de  gracieux  au  regard,  mon  petit  jardin  me  le  donne.  »  —  On 
voit  bien  qu'ici  le  véritable  Salomon  est  Jésus-Christ  et  que  toutes  les 
plantes  indiquées  par  le  poète  sont  autant  de  symboles  de  ses  vertus, 
comme  il  est  facile  de  s'en  convaincre  en  cherchant  sur  chacune  d'elles 
ce  que  les  symbolistes  en  ont  dit,  et  nous-mi-me  dans  ce  travail. 
(1)  Voir  Didron,  An7ial.  archéolog.,  XXI,  273. 


558  HISTOIRE   DU    SYMBOLISME. 

les  magnifiques  hymnes  où  sont  préconisés  le  Froment  des 

Élus  et  le  Vin  qui  protège  la  pureté  des  âmes  et  y  fait  éclore 

la  virginité.  Tous  les  chrétiens  comprennent  cela  et  l'ont 

Le  cèdre,  sur-   mlllc  fols  admiré.  Disons  à  ce  propos  que  le  cèdre  est  un  bois 

p7r  '  soi  ^^  symbo-  incorruptiblc  et  parfumé  ;  il  est  préférable  pour  les  taber- 


lisme. 


nacles  de  nos  autels,  qu'on  fait  trop  souvent  en  pierre  au- 
jourd'hui ,  sans  songer  que  cette  matière ,  très-symbolique 
pour  les  autels,  ne  l'est  pas  du  tout  quant  au  service  qu'on 
lui  demande  à  l'égard  de  la  Sainte  Réserve.  On  concevrait 
d'ailleurs  combien  un  bois  résineux,  que  n'attaquent  ni  les 
vers  ni  l'humidité,  est  préférable  pour  un  tel  emploi,  quand 
bien  môme  la  pierre  n'y  serait  pas  dangereuse  par  l'attrac- 
tion qu'elle  a  pour  l'hydrogène,  qui  est  le  principe  humide 
de  l'air.  Mais  la  meilleure  raison  que  nous  puissions  donner 
ici,  c'est  que  le  cèdre  est  dans  les  Saintes  Écritures  l'image 
de  Notre-Seigneur  par  l'élévation  et  la  majesté  de  son  port , 
celle  de  l'Église ,  dont  la  puissance  spirituelle  correspond 
bien,  dans  les  spacieuses  proportions  qui  embrassent  toute 
la  terre,  à  l'étendue  de  ces  verts  et  larges  rameaux.  Les 
Justes,  comparés  aux  oiseaux  du  Giel,  se  reposent  sur  ses 
branches  ;  autour  de  lui  les  peuples  se  multiplient  comme 
ses  fortes  et  vastes  racines  {]). 
.Pourquoi  l'hy-  Alusl  Ic  Gliristianisme  a  eu  le  secret  de  tout  sanctifier  en 
dans  les  aspe^r-  duimant  tout.  Scs  cérémoiiies  les  plus  populaires,  comme  les 
plus  intimes  profondeurs  de  ses  Sacrements,  offrent  à  nos 
méditations  des  sujets  aussi  riants  qu'instructifs.  Chaque 
dimanche  il  répand  sur  les  fidèles ,  comme  préparation  au 
Saint  Sacrifice,  l'eau  purifiante  où  nos  pères  avaient  cou- 
tume de  tremper  l'hysope  ,  plante  modeste  ,  dont  la  vertu 
purgative,  aussi  bien  que  la  vie  cachée,  symbolise  la  péni- 
tence et  l'humilité  qui  nous  élèvent  jusqu'à  Dieu  en  nous 

(1)  «  Gedrus ,  Christus  :  Sicut  Cedrus  exaltata  sum  in  Libano.  » 
{Eccles.,  xxiY,  17.) —  «Cedri  Libaniquas  plantasti  :  illic  passeres  nidi- 
ficabunt.  »  (Ps.,  cm,  18.) —  «Celsitudo  cœlestis  gloriee  :  Justus  sicut 
cedrus  Libani  multiplicabitur.  »  {Ps.,  xci,  13.) 


FLORE  MURALE.  ^Jo'è 

purifiant.  L'usage  de  cette  plaute  n'a  pas  été  entièrement 
abandonnée,  et  elle  sert  encore  à  l'aspersion  des  murs  d'une 
église  nouvelle,  quand  l'évèque  procède  aux  cérémonies  de 
sa  consécration.  Durant  de  Mende  l'indique  ainsi  dans  son 
Rational  du  treizième  siècle,  avec  les  mêmes  attributs  sym- 
boliques indiqués  avant  lui  par  toutes  les  traditions ,  car 
c'était  déjà  sous  l'ancienne  Loi  la  pensée  du  Prophète  répétée 
dans  le  chant  liturgique  où  nous  comprenons,  avec  le  sou- 
venir de  l'hysope ,  que  c'est  Dieu  qui  nous  purifie,  et  que 
par  ce  renouvellement  qu'il  opère  en  nous  l'âme  devient 
blanche  comme  la  neige  ,  nonobstant  toutes  les  souillures 
antérieures  (^l). 
Les  sacrements  n'ont  de  vertu  qu'en  Jésus-Christ,  leur     La  flore  mysti- 

Quo      (les      SACr6~ 

auguste  auteur  ;  et  quand  ils  opèrent  dans  nos  âmes  ,  c'est  menta. 

par  sa  grâce,  par  son  assistance  invisible,  mais  sûre,  autant 

que  nous  y  apportons  les  dispositions  qui  les  fécondent.  Les 

signes  sensibles,  les  éléments  qui  constituent  ces  sacrements 

et  en  manifestent  extérieurement  l'efficacité  invisible,  ont 

donc  tous  un  sens  mystérieux  tiré  des  vertus  et  qualités  de 

la  matière  choisie  par  l'Église.  L'olivier,  qui  dans  nosÉcri-     L'oiivier  et  le 

,,..,„,.,  .  ,  ,  baume    du    Bap  - 

tures  désignait  le  Lhrist  a  venir  comme  devant  porter  des  tême,  de  lacon- 

firmation,  de  l'Ex- 

iruits  pleins  de  saveur,  comme  un  arbre  lertile,  dont  le  nom  trême^^onction  et 
est  plein  d'une  onction  sacrée,  rappelle  en  effet  que  ce  nom 
du  Sauveur,  au  dire  des  Saints  ,  est  comme  une  huile  qui 
coule  dans  le  cœur  religieux  avec  toute  la  douceur  qui  for- 
tifie ,  qui  guérit  et  qui  console.  Cette  huile  que  le  Sauveur, 
sous  les  traits  du  bon  Samaritain ,  versait  lui-môme  sur  les 
plaies  du  pauvre  blessé  de  Jéricho  ,  devait  trouver  sa  place 
dans  ces  applications  divines  de  l'infinie  miséricorde  aux 
besoins  du  pécheur  (2)  ;  aussi  est-elle  devenue,  dès  les  pre- 


(1)  «  Asperges  me  hyssopo,  et  mundabor;  lavabis  me,  et  super  nivera 
(Jealbabor.  »  (Ps.,  l,  9.)  —  Voir  Pontifie.  Roman.,  p.  300,  in-S»;  —  Du- 
rant. Mim.  Rationale  div.  Offic;  mihi,  f^xvi,  v»». 

(2)  «  Ego  autem  sicut  oliva  fructifera.»  [Ps.,  li,  10.) —  «  Sicut  oliva 
speciosa,  frucUfera,  vocavit  Dominas  nomen  tuum.  »  {Jerem.,  xi,  IG.)  — 


de  l'Ordre. 


560  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

miers  jours ,  le  plus  actif  symbole  de  la  réconciliation  hu- 
maine, de  sa  force  pour  bien  mourir,  de  sa  guérison  même, 
si  cette  guérison  doit  servir  à  la  gloire  de  Dieu.  Cette  doctrine 
de  S.  Jacques,  dans  laquelle  la  tradition  perpétuelle  nous  a 
appris  l'institution  de  l'Extrême-Onction  et  ses  effets  dans 
l'âme  du  mourant ,  établit  l'efflcacité  de  l'huile  tirée  de 
l'olivC;,  qui  est  la  matière  nécessaire  et  unique  du  sacre- 
ment (t). 

Cette  huile  est  d'abord  exorcisée  par  l'évêque,  qui  supplie 
la  toute-puissance  divine  de  préparer  dignementpar  FEsprit- 
Saint  cette  liqueur  onctueuse  tirée  de  l'olive,  par  cette  même 
puissance  qui  en  a  fécondé  les  rameaux.  Et  comme  cette 
huile  va  bientôt  devenir  aussi  l'un  des  éléments  du  Chrême, 
qui  consacrera  les  baptisés  et  les  rois  par  une  sorte  de 
sacerdoce,  aussi  bien  que  les  prêtres  par  un  caractère  spé- 
cial et  plus  élevé  qui  leur  conférera  les  pouvoirs  de  Jésus- 
Christ  et  le  plein  exercice  de  sa  puissance  sur  les  âmes,  l'of- 
ficiant fait  mention  de  toutes  ces  grandes  choses  dans 
Foraison  qui  bénit  cette  huile  mystérieuse  (2).  Après  un 
magnifique  chant  préparatoire  où  le  clergé  exalte  Farbre 
béni  et  lumineux  qui  nous  a  donné  une  si  précieuse  sub- 
stance ,  où  il  offre  au  pontife,  et  au  nom  de  la  foule  pieuse 
qui  Fentoure,  cette  huile  sacrée,  comme  autrefois  le  peuple 
hébreux  jetait  sur  les  pieds  du  Sauveur  triomphant  les 
palmes  vertes  qu'il  venait  de  cueillir  en  son  honneur, 
Févêque  mêle  à  cette  huile  limpide  une  portion  de  baume, 

«  Samaritanus...  alligavit  vulnera  ejus,  infundens  oleum  et  vinum.  » 
{Luc,  X,  34.)  —  «  Oleum  effiisum  nomen  tuum.  «  {Canl.,  i,  1.) 

(1)  «  Infirmatur  quis  in  vobis...,  inducat  presbyteros...,  et  orent  super 
eum,  ungentes  eum  oleo...,  etoratio  fidei  salvabit  infirmum  ;  et  alle- 
viabit  eum  Dominus,  et  si  in  peccatis  sit,  remittentur  ei.  »  {Jac,  y,  14.) 

(2)  «  Emitte  Spiritum  Sanctum  tuum  de  cœlis  in  hanc  pinguedi- 
nem  olivae,  quam  de  viridi  ligno  producere  dignatus  es...,  ut  sit  omni 
hoc  unguento  cœlestis  mediciuee  peruncto  tutamen  mentis  et  cor- 
poris...,  unde  unxisti  sacerdotes,  reges,  prophetas  et  martyres,  sit 
chrisma  tuum  perfectum,  Domine,  nobis  a  Te  benedictum...»  {Pontifie. 
Roman...  De  Ofâcio  in  feria  v  majoris  hebdom.) 


FLORE  MURALE.  56^ 

autre  produit  d'un  arbre  biblique  empreint  d'un  parfum 
suave  et  doux.  C'est  ce  mélange  qui  constitue  le  Chrême 
employé  dans  le  Baptême,  dans  la  Confirmation  et  dans  l'or- 
dination des  pontifes  et  des  prêtres.  Toutes  sortes  d'allusions 
aussi  justes  qu'agréables  ressortent  ici  de  la  parole  sacer- 
dotale. Cet  arbre  précieux,  dont  l'écorce  a  laissé  échapper  la 
riche  récolte  de  ce  baume  qui  ornait  autrefois  les  vignes 
d'Engaddiy  est  un  heureux  contraste  avec  cet  arbre  devenu 
pour  nos  premiers  pères  un  sujet  de  désobéissance  et  un 
instrument  de  mort  :  l'un  avait  causé  notre  perte  ,  l'autre 
nous  rend  le  salut. —  Ce  beau  sujet  d'action  de  grâces  se  dé- 
veloppe aussitôt  dans  une  admirable  préface  que  chaule 
l'évêquc  consécrateur,  où  il  fait  ressortir  toutes  les  circon- 
stances de  l'ancienne  Loi  qui  semblaient  prédire  au  peuple 
nouveau  le  saint  usage  de  tant  de  plantes  merveilleuses 
adopté  par  l'Église  pour  régénérer  ou  sanctifier  ses  enfants. 
N'est-ce  pas  cette  huile  que  David  annonçait  comme  un  par- 
fum de  joie  destiné  à  remplacer  nos  tristesses  par  une  douce 
sérénité?  la  branche  d'olivier  rapportée  par  la  colombe  du 
déluge ,  une  de  ces  herbes  indiquées  par  Dieu  à  Moïse ,  et 
dont  Aaron  devait  composer  l'aromate  destiné  à  la  consé- 
cration sacerdotale  (I)  ?  Que  de  pensées,  que  d'élévation,  et 


(1)  Cf.  Pontif.  Roman.,  ubi  suprà.  —  Quant  au  baume,  qui  nous  im- 
porte surtout  ici,  c'est  une  substance  gommeuse  et  de  couleur  rou- 
geâtre  qu'on  extiait  par  incision  des  branches  d'un  arbrisseau  qui  se 
cultive  à  peu  près  comme  la  vigne,  ne  s'élève  guère  au-dessus  de  la 
taille  du  grenadier,  et  vient  surtout  de  l'Arabie,  où  il  croit  aux  environs 
de  La  Mecque  et  de  Médine.  Fort  connu  des  anciens,  il  est  devenu,  dès 
l'époque  des  Apôtres,  un  des  ingrédients  nécessaires  du  Saint  Chrême, 
parce  que  sans  doute  on  y  trouva  des  propriétés  qui,  par  son 
odeur  et  sa  nature  onctueuse,  rappelèrent  certains  passages  de  l'Ecri- 
ture où  l'on  peut  voir  de  justes  symboles  de  ses  eCfets  sur  le  corps  et 
sur  l'âme.  Innocent  III  (I  DecreLaL,  tit.  xv.  De  Sacra  Unctione,  cap.  i) 
dit  très-clairement  :  «  Conficitur  chrisma,  quod  ex  oleo  fit  et  balsamo, 
mystica  ratioue.  Per  oleum  euim  nitor  conscienciae  designatur,  juxta 
quod  legitur  :  Prudentes  virgines  acceperunl  uleum  in  vasis  cum 
lampacUhus  suis.  Per  balsamumodor  bon.Te  famac  exprimitur,  propter 
quod  dicitur  :  SicaU  balsamwu  aromalicani  oclorem  cledi.»—  S.Mé- 
T.  ni.  30 


562  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

quelle  source  inépuisable  de  spiritualisme  et  de  science 
divine  ! 
Divers  symboles       Le  palmier  est  un  des  plus  beaux  arbres  de  l'Orient.  Son 

tires  du  palmier;  ^  ^ 

et  de  la  procès-  trouc  droit  ct  réffulier,  srarni  de  son  écorce  rugueuse,  a  paru 

sion  des  Rameaux.  o  o  •^  ± 

à  s.  Grégoire  le  Grand  une  image  de  la  Croix,  dont  les  appa- 
rences sont  rudes  et  ardues ,  mais  dont  les  fruits,  comme 
ceux  de  l'arbre  de  l'Idumée,  sont  doux  et  savoureux  à  qui 
sait  les  goûter.  Est-ce  dans  cette  prévision  que  Salomon 
avait  orné  le  temple  de  colonnes  en  forme  de  palmiers , 
comme  semble  le  croire  Pierre  de  Gapoue  et  Raban-Maur? 
Quoi  qu'il  en  soit,  l'Écriture  le  signale  mille  fois  comme  un 
symbole  de  victoire  ,  de  triomphe  ,  d'immortalité  ,  comme 
l'image  fidèle  de  l'homme  juste  orné  de  ses  vertus,  des  dis- 
ciples fidèles  du  Christ,  de  l'Église  même  dont  les  jours,  au 
dire  de  Job ,  seront  multipUés  comme  les  innombrables 
rameaux  de  cet  arbre  aux  ombrages  touffus,  aux  fruits 
excellents.  Dans  l'Apocalypse,  l'Apôtre  nous  montre  les  Élus 
vêtus  de  robes  blanches  et  portant  dans  leurs  mains  les 
palmes,  qui  sont  restées  l'attribut  particulier  du  martyre.  La 
marche  triomphale  du  Sauveur  lors  de  son  entrée  à  Jéru- 
salem fut  honorée  par  les  branches  de  palmier  et  d'olivier 
répandues  sur  son  passage.  L'Église  a  conservé  la  mémoire 
de  cette  manifestation  qu'elle  renouvelle  chaque  année  au  di- 
manche des  Rameaux.  Les  beaux  vers  de  Théodulfe  rendent 
bien  fenthousiasme  de  ce  triomphe,  aussi  bien  que  le  chant 
de  l'Évangile,  où  il  est  raconté  avec  une  simplicité  si  tou- 
chante. Durant  voit  encore  dans  la  dernière  partie  du  rite 
observé  au  dimanche//e5  Palmes,  quand  les  portes  de  féglise 
s'ouvrent  enfin  après  la  troisième  injonction  de  l'officiant , 
une  image  de  l'entrée  victorieuse  de  Jésus  dans  le  Ciel  au 

-^ 

liton  a  oublié  dans  sa  (J/e/"  le  baume,  dont  il  ne  parle  pas,  quoiqu'il  se 
trouve  deux  fois  indiqué  dans  l'Ecclésiastique  comme  symbole  des 
vertus,  et  de  bonne  renommée  à  laquelle  nous  le  voyons  appliqué  par 
Innocent  III.  —Cf.,  sur  le  baume,  Vitasse,  Tract,  de  confirmaiione, 
quaest.  ii,  art.  3,  §  11;  —  dom  Calmet,  Dici.  de  la  Bible. 


FLORE  MURALE.  563 

jour  de  son  ascension,  lorsque  les  Anges,  comme  ici-bas  les 
enfants  munis  de  leurs  palmes  vertes,  le  reçurent  dans  le 
Ciel  au  chant  de  leurs  cantiques  et  de  leurs  joyeuses  accla- 
mations (I). 
Ajoutons  ici  une  observation  qui  nous  est  personnelle.  La      Représentation 

*'  ^  *■  artistique   de   cet 

plupart  de  nos  cbapiteaux  du  treizième  siècle  sont  ornés  arbre   dans   les 

^  colonnes  et  leurs 

d'une  belle  chevelure  de  feuilles  recourbées  retombant  chapiteaux. 
gracieusement  autour  de  leur  charmante  corbeille  ,  super- 
posée elle-même  à  une  colonne  svelte  et  légère  qui  rappelle 
très-bien  celles  de  Salomon.  Une  telle  décoration  ne  manque 
pas  plus  de  sens  que  beaucoup  d'autres  aussi  peu  symbo- 
liques en  apparence.  Si  la  palme,  comme  nous  venons  de  le 
voir,  est  un  symbole  de  gloire  et  un  hommage  au  Dieu  fait 
homme,  où  convient-elle  mieux  que  plantée  autour  de  l'au- 
tel où  ce  môme  Dieu  résida  pour  nous  dans  ses  glorieuses 
humiliations  de  l'Eucharistie  ?  Il  y  a  plus  :  nous  la  voyons,  au 
chevet  de  la  cathédrale  de  Poitiers,  couronnant  cette  même 
colonne ,  que  soutient  avec  effort  un  de  ces  trois  démon* 
adjoints  à  la  pierre  [juncti  peirx),  et  dont  la  rage  semble  se 
déverser  sur  les  passants  par  des  grimaces  forcenées.  C'est 
encore  le  triomphe  de  la  force  divine  dominant  le  tentateur 
et  l'obligeant  de  se  courber  éternellement  sous  le  poids 
immense  de  sa  majesté  et  de  sa  gloire.  C'est  ainsi  que  l'ar- 
chitecture et  l'ornementation  reçoivent  en  même  temps  les 
inspirations  de  l'esthétique  et  de  la  liturgie. 
Obligé  de  nous  borner,  dans  l'exposé  de  ce  qui  regarde  ce    signification  mo- 

^  7  I  -1  o  j,^jg    ^gg    plantes 

sujet,  à  ses  éléments  principaux  et  de  hâter  la  lin  de  ce  cha-  d'ornementation. 
pitre,  nous  aurons  suffi  à  donner  une  idée  complète  de  cette 
importante  portion  de  la  science  symbohstique,  si  nous  grou- 
pons ici,  en  finissant ,  et  comme  en  un  bouquet  terminal , 

(1)  «  Crux  Christi,  quae  rigida  quiJem  et  bispida,  videtur  ïn  osten- 
sione  corticis,  sed  dulcissiinos  fructus  liabet  iu  exhibitione  salutis  ; 
unde  Spiritus  in  cantico  dicil  :  «Ascendam  in  palmam,  et  appreben- 
dam  fructus  ejus.  » —  Ce  texte  est  de  S.  Grégoire,  cité  dansle^ptci/^^gr. 
Solesm.,  II,  376  et  suiv.— Le  consulter  pour  toutes  nos  assertions  de  ce 
passage  sur  le  palmier. 


564  HISTOIRE  DU   SYMBOLISME. 

l'heureux  assemblage  des  plantes  destinées  à  répandre  leurs 
moralités  mystiques  sur  les  monuments  qu'elles  doivent 
embellir.  Nous  choisirions  de  préférence  pour  les  grandes 
églises  celles  qui,  par  leur  ampleur  naturelle,  contribuent 
mieux  à  faire  des  colonnes,  isolées  ou  engagées,  comme  des 
arbres  dont  la  tête  majestueuse  avec  sa  chevelure  ciselée 
semble  se  balancer  au-dessus  des  nefs.  Le  figuier  de  la  Pa- 
lestine, aux  fruits  savoureux ,  si  souvent  mentionnés  dans 
l'Écriture  ;  le  palmier,  avec  ses  idées  de  fécondité  et  d'hon- 
neur ;  la  vigne ,  image  de  Jésus-Christ  et  de  nous-mêmes  , 
ses  branches  fidèles,  vivant  de  Lui;  le  chêne  aux  rameaux 
épais,  au  tronc  vigoureux,  à  la  vie  longue  et  incorruptible  ; 
le  peuplier  et  ses  variétés  si  nombreuses,  rappellent  les  eaux 
de  la  grâce  et  le  bonheur  de  l'homme  qui  s'y  abreuve  ;  et  le 
lierre  aussi ,  que  les  anciens  cultivaient  sous  la  forme  d'un 
arbre  véritable,  et  qui,  paré  de  sa  verdure  éternelle  et  de  ses 
mordantes  attaches,  ne  se  fait  pas  moins,  en  embrassant  les 
élégants  contours  de  nos  piliers  ,  le  riant  symbole  de  notre 
immortalité  que  la  fidèle  expression  d'une  charité  impéris- 
sable. 
Comment    la       Gcs  cliarmaiites  expressions  de   tant    de  pensées   reli- 

sculpture   moder-        .  ,  •  di       •    ^      *x        x      • 

ne  doit  traiter  ces  gicuscs  pcuvcut  bcaucoup  gagucr  aujourd  hui  a  être  trai- 
deïoinîrde  peT-  técs  par  k  malu  de  nos  sculpteurs  modernes.  Ceux  du 
fection  que  ja-  j^^^gj^  ^gg  ^  g^j^  ^^j.  inhabileté  à  rendre  une  parfaite  res- 
semblance de  la  flore  usuelle,  soit  parce  qu'ils  la  sculptaient 
souvent  ou  de  mémoire  ou  sur  de  mauvais  modèles,  n'arri- 
vaient ,  à  travers  des  tâtonnements ,  qu'à  produire  souvent 
de  très-mauvaises  copies  de  la  nature.  Il  faut  donc  juger 
maintes  fois  beaucoup  plus  l'intention  de  l'artiste  que 
son  faire  et  deviner  plutôt  que  reconnaître  l'objet  qu'il  a 
voulu  représenter.  Nous  sommes  loin  de  ces  essais.  L'habi- 
tude d'un  travail  bien  dirigé,  exécuté  par  des  ouvriers  spé- 
ciaux qui  excellent  du  moins  à  reproduire  de  beaux  des- 
sins, sinon,  hélas  !  à  les  comprendre,  sont  autant  de  condi- 
tions favorables  à  une  louable  ornementation  de  nos  églises 


FLORE    MURALE.  ^65 

nouvelles.  Nous  adniirous  ces  belles  foliations,  ces  fouillures  ^^''^  s'écarter  né- 

'  anmoms  du  sym- 

exquises,  ces  délicatesses  ciselées,  qui  de  toutes  parts  ,  en  boiisme  insépara- 

*  '1  ï^  '  ble  de  l'architec- 

notre  temps,  concourent  à  rembellissenient  de  ces  beaux  *""•«  religieuse, 

édilices;  nous  n'en  repi'ocherons  pas  moins  aux  arcliitectes 

de  négliger  trop,  en  cela  comme  dans  les  grandes  études 

arcbitecturales,  l'estbétique  et  le  surnaturalisme,  qu'ils  ne 

sentent  jamais  assez.  Pourquoi,  quand  ils  s'obstinent  à  faire  m  confondre  les 

fiji  ..  T  i-n  époques  indiquées 

au  leur  clans  la  construction  proprement  dite,  au  lieu  d  en  par  remploi   de 

.T  l'.-ix  11  1.1  1  tels  OU  tels  motifs 

•emprunter  les  détails  a  ces  grands  hommes  dont  les  plans  de la  flore  muraie. 
immortels  subsistent  encore  dans  les  magnifiques  monu- 
ments de  nos  siècles  hiératiques,  s'adonnent-ils,  pour  les 
plantes  d'ornement,  à  une  minutieuse  et  intelligente  repro- 
duction des  feuilles  grasses,  qui  ne  disent  rien  à  l'œil  ni  à 
l'esprit,  ou  de  cette  végétation  sans  éloquence  qui  consiste 
en  quelques  feuilles  recourbées  ,  toujours  les  mômes  ,  tou- 
jours muettes,  et  dont  on  prodigue  l'uniforme  élégance  sur 
tous  les  chapiteaux  de  deux  ou  trois  nefs?  Ce  n'est  pas  là 
de  la  vie  et  du  spiritualisme  ;  c'est  un  effet  qui ,  au  pre- 
mier aspect ,  charme  l'œil  et  atteste  un  habile  ouvrier  ; 
mais  au  fond  tout  est  vide,  en  ce  chef-d'œuvre  d'adresse  , 
d'inspiration  chrétienne  et  du  sentiment  qui  devait  s'y 
attacher. 
Ici,  cependant,  le  caprice  ne  vaudrait  pas  mieux  qu'ail-     choix  despian- 

^  tes ,  et  leurs  pro- 

leurs  ,  et  il  ne  faudrait  pas  prendre  au  hasard  des  plantes  portions  à  garder 

selon    lo  plus  ou 

quelconques  pour  en  faire  des  motifs  de  décoration  arbi-  moins    d'étendue 

T      1  1  T  r»  1  1  *^®^  édifices , 

traire  également  applicables  aux  édifices  de  tous  les  styles. 
Comme  chaque  siècle  a  eu  son  genre  de  construction ,  il  a 
aussi  adopté  un  genre  à  part  de  parure  iconographique  ,  et 
telles  plantes  qui  figurent  aux  douzième  et  treizième  siècles 
sont  remplacées  pour  les  suivants  par  une  tout  autre  végé- 
tation. Le  treizième,  par  exemple,  qui  abandonne  les  sujets 
historiques,  dont  les  précédents  se  sont  fait  une  si  riche 
sculpture,  adopte  le  chêne  avec  ses  glands  ,  affectionne  les 
arbres  aux  vastes  branches ,  et  les  varie  par  d'élégants 
crochets,  qui  ne  sont  pas  tant  des  symboles  botaniques  en 


566  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

réalité  que  des  espèces  de  draperies  jetées  avec  d'élégants 
boutons  sur  la  corbeille  de  ses  magnifiques  chapiteaux. 
Mais  de  là  nous  nous  acheminons  à  des  modèles  nouveaux 
qui  nous  apparaissent  d'une  époque  à  l'autre  avec  des  formes 
tout  inattendues ,  et  qui ,  sans  augmenter  de  beaucoup  le 
champ  de  nos  ressources  esthétiques ,  nous  donnent  au 
moins  quelques  parures  déplus.  Tels  sont  le  lierre  avec  ses 
baies  qui  couronne  nos  piliers  du  quatorzième,  le  houx  qui 
revient  souvent  au  quinzième ,  avec  les  choux  frisés  ;  les* 
guirlandes  ,  enfin,  qui  à  la  même  époque  courent  dans  les 
gorges  et  semblent  le  résultat  de  difficultés  vaincues  par  la 
profondeur  des  fouilles  et  la  délicatesse  des  détails.  Ces  har- 
diesses amenèrent,  il  est  vrai ,  une  ère  nouvelle  pour  l'or- 
nementation   ciselée.   Elles  arrivèrent  jusqu'au  seizième 
siècle,  en  perdant  de  plus  en  plus  les  traces  naguère  si  res- 
pectées du  symbohsme,  et  ces  plantes  inouïes,  ces  fieurs 
traitées  à  la  façon  de  Mignard ,  loin  de  parler  à  l'esprit ,  ne 
s'adressèrent  plus  qu'aux  yeux  ,  et  finirent  par  n'être  plus 
que  de  jolis  riens. 
et  le  lieu  qu'elles      Au  rcstc,  CCS  graudcs  compositlous  que  nous  empruntions 
tout  à  l'heure  aux  ombrages  de  nos  forêts,  aux  bords  de  nos 
rivières  ou  aux  champs  et  aux  vallées  historiques  de  l'an- 
cien monde,  conviennent  surtout  à  couronner  de  hautes 
colonnes  supportant  les  voûtes  basilicales,  et  dont  l'excessive 
élévation  appelle  de  vastes  branchages  qui  restent  dans  les 
proportions  de  leur  nature.  Nous  préférerions  les  fleurs  et 
les  fruits  pour  les  édifices  moins  vastes,  où  l'œil  peut  avoir 
partout  sa  portée  habituelle  et  bien  distinguer  le  langage 
de  leur  luxe  charmant  et  varié.  Pourquoi  la  rose  de  Saron 
et  de  Jéricho,  blanche  pour  les  vierges,  rouge  pour  les  mar- 
tyrs ,  irait-elle  se  cacher ,  avec  le  joli  dessin  de  ses  feuilles 
dentelées,  aux  angles  obscurs  d'une  travée  inabordable,  ou 
même  au-dessous  d'un  tailloir  inaccessible  à  l'attention  ? 
Ces  humbles  et  odorantes  violettes  qui  se  glissent  dans  la 
solitude,  mais  doivent  y  apparaître  pour  y  devenir  l'encou- 


y  doivent  occuper. 


FLORE   MURALE.  567 

rarement  des  âmes  justes  à  la  pratique  du  bien  désintéressé 
autant  qu'édifiant ,  pourquoi  les  attacher  à  ces  fûts  élancés 
qui  llanquent  les  plus  hautes  fenêtres,  où  le  rayon  visuel 
n'arrivera  jamais  à  leur  diamètre  borné  ?  Ainsi ,  propor- 
tionnez par  sa  position  chaque  symbole   de    votre  flore 
murale  à  l'étendue  du  saint  Heu.  Réservez  pour  les  petites 
églises ,  pour  les  chapelles  où  le  regard  se  trouve  borné 
malgré  lui  à  des  surfaces  restreintes ,  ces  roses  et  ces  vio- 
lettes qui  ne  représentent  pas  moins  le  Christ  et  sa  sainte 
Mère  que  la  modestie  des  vierges  et  l'humble  vie  des  con- 
fesseurs; jetez  sur  les  murs  avoisinant  le  tribunal  de  la 
pénitence  et  dans  la  sculpture  du  confessionnal  soit  la  ronce 
piquante,  soit  le  chardon  aux  mille  dards,  qui  symbolisent  le 
repentir  avec  la  mortification  qui  l'exprime  ;  parez  vos  fonts 
baptismaux  du  nymphéa  des  rivières  et  du  trèfle  de  la  Tri- 
nité, vos  chapelles  funéraires  de  lierres  et  de  cyprès;  envi- 
ronnez les  instruments  de  la  passion  des  roseaux  qui  rap- 
pellent les  humiliations  de  la  royauté  divine,  ou  du  myrte 
qui  tempère  les  douleurs  et  signifie  la  compassion  (l),et 
encore  de  cette  couronne  d'épines  qui  fut  un  des  supphces 
du  Sauveur,  et  dont,  au  milieu  des  savantes  discussions  qui 
n'ont  rien  éclairci,  on  ignore  toujours  à  quel  arbre  elle  fut 
empruntée  (2). 


(1)  «  Rosae  martyres,  rubore  sanguinis.  »  (S.  Meliton.) —  «  Rose 
martyrum,  rosa  rirginum.  »  (Petrus  Capuanus.)  —  «  Dicitur  Christus 
et  flos  violae  per  bumilitatem. Viola  enim  flos  est  qui  terrœ  adhaeret,  et 
purpureus  est...  Fuit  ergo  flos  violae  in  passione  quando  humiliavit 
semetipsum....  »  (  Petr.  Capuan.)  —  «Violae,  confessores.  »  (S.  Melit.) 
—  «  Arundo,  lucarnatio,  vel  Scriptura.  »  (M.)  —  «  Spina,  aculei  timoris 
vel  compunctionis.  »  {/d.)  —  «  Myrtus,  quia  temperativae  virtutis  est, 
eos  significat  quiafflictionibus  proximorum  compati  sciunt,  eorunique 
tribulalionem  compatiendo  tempérant.  »  (S.  Greg.  Magni  Formulx 
ipiriluales,  ap.  Spicileg.  Solesm.,  III,  413.) 

(2)  Les  botanistes  el  les  voyageurs  ont  beaucoup  discuté  sur  l'arbuste 
qui  fournit  aux  soldats  la  couronne  d  épines.  Buffon  croit  que  ce  fut  le 
r/r/mnj/.$  (nerprun)  ;  plus  récemment  on  a  penché  pour  le  ziziphus; 
M.Hasselquist  déclare  que  ce  fut  le  nakba  (note du  vingt  et  unième  vol. 
des  Annales  aixliéolog.,  p.  365).  —  D.   Calmet  {Uitt.  de  la  Bible)  rap- 


568  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

Gomme  conclusion  morale  de  cet  exposé  des  principes  sur 
la  question,  n'oublions  pas  que  le  caprice  qu'on  a  tant  et  si 
mal  attesté  contre  la  théorie  iconographique  de  nos  maisons 
de  prières  ne  doit  jamais  plus  entrer  dans  leur  décoration 
florale  qu'il  n'y  fut  admis  autrefois.  La  pensée  d'un  homme 
d'autant  plus  compétent  qu'il  fut  témoin  oculaire  du  moyen 
âge  doit  être  toujours  pratiquée  :  «  On  peint  des  fleurs  et 
des  arbres  dans  les  églises  avec  des  fruits  pour  représenter 
les  fruits  des  bonnes  œuvres  ,  qui  poussent  par  les  racines 
des  vertus  et  s'élèvent  sur  leurs  tiges  (1).  » 
Cette   théorie      Aussi  Ic  choix  u'cst  pas  douteux  quant  aux  détails  de 

serait  le  sujet  d'un  ,      i         .  , 

livre  important,  ccttc  ctflorescence  daus  nos  monuments  de  pierre  consacres 
à  la  gloire  de  Dieu  et  aux  prières  de  ses  adorateurs  catho- 
liques. Un  livre,  nous  le  redisons,  pourrait  s'écrire  sur  cette 
matière  avec  d'immenses  développements;  mais  d'autres 
livres  existent  qu'il  faudra  toujours  ouvrir  pour  en  tirer  la 

porte  les  différentes  opinions   qui  tiennent   pour  l'aubépine,  le  gro- 
seillier, le  jonc  marin    ou  l'acacia;  Molanus  tient  pour    le  nerprun 
{7'hamnua)  et  l'appuie  du  témoignage  du  savant  voyageur  Pierre  Belou, 
qui   crut  le  reconnaître  d'autant  plus  sûrement  aux  abords  de  Jérusa- 
lem, qu'aucun  autre  genre  d'épines  n'y  croissait.  Ce  savant  homme  s'ap- 
puie aussi  de  cette  raison  qu'en  Italie  le  rhamnus  porte  le  nom  popu- 
laire de   spina  sanla  (voir  Molanus,  De  Hist.  sacr.  imagin.,  lib.  IV, 
cap.  VII). —  Il  y  a  plus  :  les  Arabes  eux-mêmes  donnent  au  rhamnus 
le  nom  d'alhansegi,  qui  correspond  à  la  spina  sanla  des  Italiens.  — 
Voilà  une  foule  d'opinions  diverses  qui  embarasseront  d'autant  plus, 
jusqu'à  ce  qu'on  arrive  à  la  vérité.  Si  l'on  y  parvient,  on  abandoDuera 
la  plupart  de  ces  données,  comme  celle  qui  repose  sur  la  prétendue 
découverte   du  triacanthos,   auquel   des   naturalistes  expérimentés  , 
comme  M.  Desmoulins,  ne   croient  plus   {Bullel.  monum.,  XI,  352).  Il 
y  aurait  cependant,  croyons-nous,  un  moyen  d'arriver  à  une  solution 
de  ce  mystère.  Ce  serait,  puisqu'on  possède  en  divers  endroits  quel- 
ques  épines  de   la  couronne  du  Sauveur,  de  les  comparer  avec  celles 
des  arbustes  présumés  plus  haut,  et  de  reconnaître  auquel  d'entre  eux 
elles  appartiennent  :  jusque-là  on  sera  parfaitement  libre,  en  peignant 
ou  en  sculptant  la  couronne  d'épines,  de  la  représenter,  comme  jusqu'à 
présent,  sans  trop  s'arrêter  forcément   à  aucun  type  particulier.  Ce- 
pendant, pour  ce  qui  est  de  notre  avis  particulier,  l'opinion  de  Belon 
nous  paraît  mieux  fondée,  et  nous  pencherions  pour  le  rhamnus,  ou 
nerprun. 
(1)  Ration,  divin.  Offic. ,  lib.  I,  cap.  m,  n»  xxi. 


FLORE  MURALE.  369 

botanique  sacrée,  dont  nous  ne  cessons  pas  d'avoir  besoin,  et 
qu'il  faut  absolument  mieux  comprendre  qu'on  ne  l'a  fait  jus- 
qu'ici depuis  la  renaissance  arcbéologique  à  laquelle  nous  as- 
sistons. Ces  livres,  nous  ne  disons  pas  qu'ils  sont  partout  avec 
de  si  amples  caractères  et  im  luxe  àlllusfration  aussi  savant 
et  aussi  fécond  :  du  moins  partout  on  en  trouve  quelques  pages 
isolées ,  aux  traits  admirables ,  aux  planches  dignes  de  toute 
notre  application  ;  mais  la  perfection,  l'abondance,  le  choix 
intelligent,  vous  les  trouverez  surtout  en  France  ,  dans  les 
basiliques  de  Reims,  l'honneur  de  la  Champagne,  dans  celle 
d'Amiens ,  la  perle  de  Picardie  travaillée  avec  tant  de  déli- 
catesse et  de  distinction.  Si  nous  parcourons  la  première  Exemple»  de 
avec  notre  regrettable  Didron  (^),  nous  serons  avec  lui  tout  Reims  ; —  immen- 
stupéfaits  de  ces  innombrables  arbres,  plantes  et  fleurs  distri-  botanique  sacrée, 
hués  en  dehors  et  au  dedans  sur  les  corbeilles  des  chapiteaux, 
dans  les  cadres  du  grand  portail ,  aux  clefs  de  voûtes,  aux 
gorges  des  moulures.  Le  nénuphar,  la  fougère,  le  fraisier, 
la  pariétaire  et  la  giroflée  sont  là  transportant  leurs  goûts  et 
leurs  habitudes  naturelles,  et  symbolisant  l'eau ,  la  terre  et 
l'air  qu'ils  aiment,  et  que  rappellent  avec  eux,  en  présence  du 
Créateur,  ces  charmants  spécimens  de  sa  bonté  toute-puis- 
sante. Le  sculpteur  parait  avoir  donné  ses  soins  de  préférence 
aux  arbrisseaux,  tels  que  le  lierre,  le  laurier,  l'olivier,  le  houx; 
le  rosier  et  la  vigne  vierge,  avec  ses  raisins  déliés,  s'enlacent, 
par  une  exception  très-intelligente, aux  crochets  des  chapi- 
teaux que  le  treizième  siècle  mettait  en  vogue,  mais  qui  par- 
tout ailleurs  sont  nus  et  livrés  à  eux  seuls.  Le  fruit  et  la 
fleur  s'étalent  aux  branches  de  l'érable  et  du  peuplier ,  de 
l'orme  et  du  chêne ,  du  châtaignier  et  du  figuier.  Les  plus 
modestes  herbes,  les  fleurs  les  plus  délicates  se  mêlent  aux 
larges  lis  du  nymphéa ,  aux  roses  de  l'églantier.  Et  toute 
cette  végétation  si  vive  et  si  luxeuse ,  c'est  la  campagne  de 
Reims  qui  la  fournit  ;  elle  se  balance  aux  coteaux  voisins 

(1)  Voir  Didron,  Annal.  nvchèoL,  XIH,  292. 


570  HISTCMRE   DU   SYMBOLISME. 

de  la  vieille  cité  gauloise  ;  on  la  voit  serpenter  ou  s'élever 
bien  haut  sur  toutes  les  voies  qui  la  relient  aux  cités  pro- 
chaines. Et  cependant  on  n'a  pas  séparé  de  cette  prédilection 
patriotique  l'idée  du  symbolisme ,  partout  triomphante  à 
l'époque  où  naissait  le  magnifique  monument.  Vous  n'y 
voyez  aucune  plante  qui  ne  soit  mentionnée  et  symbolisée 
dans  la  Clef  de  Méliton  et  dans  les  savants  commentaires 
qu'a  réunis  à  chacun  de  ses  chapitres  notre  docte  et  labo- 
rieux cardinal  Pitra. 

at  de  celle  d'A-       Nous  avous  aussl  parlé  de  la  basilique  d'Amiens.  Consul- 
miens,    avec  les    ^  ,,  i  i        »i  ,   n      »  i  , 

vertus  figurées  par  tous,  sur  sa  florc  muralc  et  le  rôle  qu  elle  s  y  est  donnée,  une 

des  fleurs ,  ,      .       ,  i  •        i        i  i  '    • 

tres-mteressante  monographie  de  deux  savants  ecclésias- 
tiques dont  le  talent  de  description  n'y  brille  pas  moins  que 
la  doctrine  sacrée.  MM.  Jourdain  et  Duval  y  ont  observé  et 
reconnu  avec  autant  de  sagacité  que  de  goût  l'antagonisme, 
établi  parle  sculpteur  du  treizième  siècle,  entre  les  animaux 
vicieux  foulés  aux  pieds  du  Sauveur  au  grand  portail  de  la 
cathédrale,  et  les  gracieuses  vertus  qui  l'entourent  sous  les 
formes  charmantes  de  la  vigne,  de  la  rose  et  du  lis,  symbo- 
lisant la  grâce ,  la  vérité  et  le  bien.  Ce  ne  sont  donc  pas  là 
de  simples  ornements  ni  une  parure  de  plus  ou  moins  de 
valeur  sensible.  Ces  branches,  ces  fleurs,  ces  fruits  soit  jetés 
sur  les  murs,  soit  plantés  en  des  vases  qui  rendent  plus  sen- 
sible encore  le  svelte  élancement  de  leur  tige,  sont  évidem- 
ment un  contraste  tropologique  imposé  par  le  mysticisme 
chrétien.  Si  l'on  rapproche  ces  aimables  inventions  de  l'art, 
comme  l'ont  fait  les  théologiens  que  nous  suivons  ici ,  d'un 
traité  spécial  de  S.  Bernard  {\),  on  rencontre  et  un  nouvel 
exemple  de  la  douceur  attrayante  de  ce  Père  et  une  nouvelle 
preuve  de  la  piété  vive  et  touchante  dont  nos  aïeux  savaient 
user  dans  ces  grands  travaux  de  la  pensée  esthétique.  On 
reconnaît  le  grand  docteur  traitant  tour  à  tour  de  la  fleur 


(1)  Vitis  mystica,  seu  Tractalus  de  passione  Domini  super  :  «  Ego 
sum  vitis  vera.»  (In  0pp.  t.  II,  éd.  Benedict.) 


FLORE   MURALE.  571 

des  champs,  du  lis  des  vallées  ,  de  la  rose  de  la  patience  et 
de  la  charité.  C'est  toujours  la  théologie  catholique,  dont  le 
caractère  plein  d'aménité  s'attache  aux  murs  hénis,  et  in- 
troduit dans  leur  enceinte,  où  est  tempérée  par  les  plus 
consolantes  espérances  l'austère  sévérité  d'une  doctrine  qui 
ne  cède  rien  aux  passions  humaines. 
C'est  à  x\miens  aussi  que  se  trouvent  le  bon  et  le  mauvais  «*  «a  parabole  <iu 

^  bon  et  du  mauvais 

arbre  représentés  dans  toute  leur  différence.  Le  premier  ,  a'ij'f^- 
avec  son  feuillage  et  toutes  ses  fleurs  qui  semblent  d'un 
olivier,  tient  suspendues  à  ses  branches  vigoureuses  deux 
lampes  prêtes  à  recevoir  l'huile  qui  doit  en  découler  :  c'est 
la  richesse,  la  prospérité,  la  gloire ,  la  lumière  de  l'homme 
de  bien,  fidèle  à  Dieu  et  à  ses  devoirs.  Quelle  différence  avec 
ce  tronc  desséché ,  ces  branchages  dénudés  de  toute  ver- 
dure que  l'arbre  opposé  nous  montre  comme  autant  de 
signes  de  sa  stérilité  malheureuse  !  Déjà  la  cognée  entame 
son  tronc  amaigri,  dernier  trait  auquel  on  reconnaît  la  para- 
bole évangélique  (i)  :  c'est  l'homme  inutile,  négligeant  les 
talents  qu'il  a  reçus  de  Dieu,  mauvais  arbre  s'il  en  fût, 
coupé  par  le  maître  et  jeté  au  feu  éternel  (2). 
Ainsi,  de  toutes  parts,  à  l'aide  de  cette  floraison  spirituelle,      Ainsi  la  flore 

murale    se   ratta- 

surgissent  des  motifs  inépuisables  d  ornementation  artis-  che à  tout  le  sys- 

...  ^        o  tènie    d'ornemen- 

tique  et  de  dévotes  inspirations.  Sous  toutes  les  tormes,  ra-  tation  catholique, 
vissantes  partout  de  leurs  ornements  natui'els,  les  herbes 
les  plus  tenues,  les  arbres  les  plus  majestueux  ,  les  plus  ai- 
mables fleurs,  embelhssent  la  maison  de  Dieu ,  revêtent  de 
leur  éclat  les  autels,  les  chapelles,  les  fenestrations  par  les 
verrières  ;  les  écussons  nobiliaires  signalent  par  elles  les 
vertus  antiques  des  familles  ;  les  arbres  généalogiques 
étalent  leurs  aUiances,  et  quelquefois  la  main  d'un  artiste  , 
en  créant  un  olivier,  a  posé  sur  chacune  de  ses  branches  un 
membre  de  cette  famille  auguste,  alliée  par  l'Incarnation 

(1)  «  Jam  securis  ad  radicem  posita  est»  (Mat th.,  m,  10,  —  Liic.t 
m,  9.) 

(2)  Voir  BiUlet.  Dionuni.,  XI,  i4o  ctsuiv.,  XII,  96,  269  et  suIt, 


572  HISTOIRE   DU   SYMBOLISME. 

divine  au  Ciel  et  à  la  terre,  dominée  par  l'image  du  Dieu  qui 
apporta  la  paix  parmi  les  hommes  (^).  Rien  donc  que  le 
génie  humain  puisse  inventer ,  et  qui  ne  se  couronne  bien 
de  ces  fraîches  et  immortelles  guirlandes.  Nous  parlerons 
de  Y  arbre  de  Jessé  et  de  celui  de  la  Vierge  en  leur  lieu,  que 
nous  allons  bientôt  aborder.  Bornons-nous  sur  ce  sujet  si 
vaste,  et  que  nous  n'avons  pu  qu'ébaucher  ici,  à  ces  données 
générales,  si  capables  pourtant  de  jeter  la  lumière  sur  une 
foule  d'obscurités. 


(1)  Dans  l'église  de  Touriiebu,près  Falaise.  —  Voir  Bullet.  monwm.^ 
XIII,  161. 


FIN   DU   TOME   III. 


OUTRAGES  DE  M.  LE  CHANOINR  AUBER. 


Histoire  de  la  cathédrale  de  Poitiers.— 2  volumes  gros  in-8^  ornés 
de  30  planches.  —  Poitiers ,  1848-1849.  —  Couronné  par  l'In- 
stitut  15  fr. 

Recherches  historiques  sur  l'ancienne  seigneurie  de  la  Roclie-sur- 
Yon,  nommée  ensuite  Bourbon-Vendée,  puis  Napoléon-Vendée. 

—  Volume  in-S°.— Poitiers,  1849 3  fr.  50 

Recherches  historiques  et  archéologiques  sur  Péglise  et  la  paroisse 

de  Saint-Pierre-des-Églises,  près  Chauvigny-sur-Vienne.  —  l  vo- 
lume in-8%  planche.—  Paris,  Didron,  1852.—  Couronné  par  l'In- 
stitut  ,    .    .      3  fr.  50 

Mélanges  d'archéologie,  d'histoire  et  de  littérature.  — 3  volumes 
in-8o.— Extraits  des  journaux  et  recueils  scientifiques  auxquels 
Pauteur  a  coopéré,  tels  que  les  Mémoires  de  plusieurs  Sociétés 
savantes,  le  Bulletin  monumental;  celui  du  Comité  des  Arts  et 
Monuments;  la  Revue  de  Vart  chrétien;  VArt  e7i  province,  et  autres. 

—  Épuisé 30  fr. 

Biographie  de  Jacques  de  Hillerin,  Poitevin  ot  consoiller-clerc  au 

Parlement  de  Paris.  — In-8°.— Poitiers,  1850 2  fr. 

Biographie  de  j\I.  Guerry-Champncuf,  avocat  au  barreau  de  Poi- 
tiers.—In-8o.— Poitiers,  185-2 1  fr. 

Biographie  de  Girouard,  sculpteur  poitevin.  —  In-S».  —  Poitiers, 
1641 1  fr.  50 

Recherches  sur  la  vie  de  Simon  de  Cramaud,  Cardinal,  Évèque  de 
Poitiers.—  1  volume  in-8°.  —  Poitiers,  1841,  complétées  (en  1857) 
par  une  relation  de  la  découverte  des  restes  du  Cardinal  dans  la 
cathédrale  de  Poitiers.— In-8o.— Portrait. 4  fr. 

Instruction  de  la  Commission  archéologique  diocésaine  établie  à 
l'uitiers,  sur  la  construction,  les  restnurations,  l'entretien  et  la 
décoration  des  églises,  adressée  par  Monseigneur  rHvôque,  Pré- 


574  OUVRAGES 

sident,  au  clergé  de  son  diocèse.  — l  volume  in-8*.  —  Poitiers, 
1851 3  fr. 

Vies  des  Saints  de  l'Église  de  Poitiers,  avec  des  réflexions  et  des 
prières  à  la  suite  de  chaque  Vie.— In-8°.  —  Poitiers,  1858  (avec 
une  Table  générale  analytique  et  raisonnée,  imprimée  seulement 
pour  deux  cents  exemplaires) 2  fr. 

Table  générale,  analytique  et  raisonnée  du  Bulletin  monumental. 

—  1  volumes  in-8°.  —  Paris,  Derache  et  Didron,  1846  et  1861.— 
Ouvrage  couronné  par  la  Société  française  d'archéologie.    12  fr. 

Histoire  de  S.  Martin,  abbé  de  Vertou  et  de  Saint-Jouin-de-Marnes, 
et  de  ses  fondations  en  Bretagne,  en  Vendée  et  dans  les  pays 
adjacents.  —  1  volume  in-8°  de  vi-'2.23  pages,  avec  3  planches.  — 

Poitiers,  1869 3  fr.  50 

■—  Deuxième  édition,  in-18  de  300  pages 1  fr.  50 

Notice  sur  un  reliquaire  de  l'époque  romane.—  In-8%  planches.  — 
Poitiers,  1845;  Amiens,  1860 1  fr. 

Notice  sur  un  poignard  du  xvi^  siècle ,  et  sur  la  famille  de  Blac- 
Wood.  —  Poitiers,  in-S°,  1843,  avec  une  planche.    .    .      1  fr.  50 

Comme  quoi  la  fameuse  Mélusine  n'est  autre  chose  que  Geneviève 
deBrabant.  —  In-8''.  —  Poitiers,  1842 1  fr. 

De  la  Signification  du  mot  huru,  et  du  sens  qui  lui  revient  dans 
les  inscriptions  votives  du  Vieux  Poitiers,  d'Alise  et  de  Nevers. 

—  Poitiers,  in-S^,  1859,  avec  2  planches 2  fr. 

Essai  de  Critique  littéraire,  théologi que,  politique,  historique  et 

grammaticale  sur  un  volume  de  56  pages  in-8°,  de  M.  Poupot,  pas- 
teur, ayant  pour  titre  :  Lettre  à  M.  l'abbé  Auber,  en  réponse  à 
trois  articles  sur  Calvin  insérés  dans  le  Journal  de  la  Vienne,  etc. 

—  In-8°.—  Poitiers,  1842.    .' 1  fr. 

Adolphe  et  Mélanie,  ou  de  la  Persévérance  après  la  première  com- 

munion.-lvolumein-l8.-ParisetPoitiers,1835;2«éd.,l841.1  fr.  50 

Les  Trois  Vocations ,  lettres  dédiées  aux  mères  chrétiennes.  — 

l  volume  in-12.— Paris,  Gaume,  1837 2  fr. 

Vingt  Examens  particuliers  sur  les  principaux  exercices  de  la  per- 
fection chrétienne.  — 1  volume  in-32.—  Poitiers,  1837.    .    60  c. 

Aventures  de  Télémaque...  Édition  classique,  réimprimée  sur  les 
plus  correctes  qui  ont  paru  jusqu'à  ce  jour,  à  l'usage  des  collèges, 
séminaires  et  pensionnats  des  deux  sexes,  avec  un  discours  sur 
l'usage  de  ce  livre  dans  les  classes;  des  notes  sur  l'histoire,  la 
mythologie,  la  géographie  comparée;  la  distinction,  en  carac- 
tères italiques,  des  maximes  les  plus  importantes  du  texte  ;  une 


Dl<:   M.    LK   CHANOINE   AUBER.  TiTTi 

table  des  discours,  descriptions,  narrations  et  portraits  qui  peu- 
vent servir  do  modèles  do  compositions  françaises,  et  un  résumé, 
au  commencement  de  chaque  livre  ,  des  principes  moraux  qui 
en  découlent. —  l  voîumo  in-l-2.—  Paris  et  Lyon,  1838,  1844,  et 

plusieurs  autres  éditions •    .    .    .     .      1  Ir.  50 

Consolations  du  Sanctuaire,  ou  Méditations  avant  et  après  la  Com- 
munion, tirées  des  offices  de  l'Église ,  de  l'Écriture  sainte  et  des 
SS.  Pères,  pour  les  prêtres  et  les  fidèles.  —  Dédiées  à  Monsei- 
gneur do  Beaurogard,  évêque  d'Orléans.—  2  volumes  in-l8.— 
Paris  et  Lyon,  1839.  .    .    : 3  fr. 

Un  Martyr,  ou  le  Saconloce  catholique  à  la  Chine,  poème  en  cinq 
chants,  tiré  des  Annales  des  Missions  étrangères.—  1  volume  in-12. 
—  Paris  et  Lyon,  1830 2  fr. 

Dissertation  sur  l'idsr/a.  —  ln-8°.— Poitiers,  1860 1  fr. 

Histoire  et  Théorie  du  Symbolisme  religieux.  —  4  vol.  in-8".  .    24  fr. 

Étude  sur  les  historiens  du  Poitou  depuis  ses  origines  connues 
jusqu'au  milieu  du  xixe  siècle.—  l  volume  grand  in-8°,  tiré  à 
100  exemplaires.  — >'iort,  Clouzot,  1871 10  fr. 


TABLE. 


TROISIÈME  PARTIE. 
SYMBOLISME  ARCHITECTURAL  ET  DÉCORATIF. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Considérations  générales  sur  le  symbolisme  adapté  à  rarchitecture 
chrétienne,  et  faits  historiques  qui  s'y  rattachent. 

L'Église  devait  imprimer  aux  temples  chrétiens  un  caractère 
symbolique,  1;—  leurs  nombreuses  figures  dans  l'Écriture  et  les 
Pères,  2.—  Les  catacombes,  premier  type  symbolique  de  nos 
églises,  5,  —  mieux  et  plus  que  la  basilique  civile  des  Romains,  G. 
—  Insuffisance  du  symbolisme  de  celle-ci,  8  ;  —  comment  il  fallut  le 
compléter,  9.— Caractères  symboliques  des  églises  antérieures  au 
onzième  siècle.  11;  —  ces  caractères  partout  et  toujours  observés, 
1-2,— mais  plus  ou  moins  riches  sous  l'influence  morale  des  diverses 
époques,  13.—  Pauvreté  du  dessin  architectural  dans  la  période  du 
quatrième  siècle  au  dixième,  li.  —Il  n'en  a  pas  moins  ses  motifs 
symboliques,  16.—  La  peinture  employée  alors  pour  suppléer  au 
travail  du  ciseau,  17.  —  Ruine  des  monuments  aux  huitième  et 
neuvième  siècles,  17.—  Terreurs  historiques  de  l'an  1000,  et  de  leur 
prétendue  influence  sur  la  renaissance  du  onzième  siècle,  18.— 
T.  III.  37 


578  TABLE. 

Témoignages,  sur  ce  point,  des  meilleures  autorités  contempo- 
raines, 18.  —  Grand  nombre  d'églises  et  de  monastères  élevés  de 
l'an  950  à  l'an  mil,  20,—  et  vers  l'an  1000  lui-même,  20.  —  La  fin  du 
monde  n'est  signalée  alors  que  dans  un  petit  nombre  de  chartes, 
21.- Rénovation  de  l'architecture  chrétienne  au  commencement 
du  onzième  siècle,  22;  —  ses  causes  véritables  dans  les  conquêtes 
du  Christianisme,  23,  —  et  les  nombreuses  translations  de  reli- 
ques, 24.  —  Apparition  du  grand  appareil,  25,—  et  des  cryptes  de 
vastes  dimensions,  26.  —  Aucuns  symboles  ne  constatent  la  peur 
de  l'an  mil,  26.—  Développements  du  symbolisme  dans  la  sculp- 
ture au  onzième  siècle,  27.  —  Influence  exercée  par  la  littérature 
du  douzième  siècle ,  28.  —  Heureuses  innovations  dans  le  plan 
général  des  églises  romanes,  29.—  Les  nombres  symboliques  y 
figurent-i!s?  30.  —  Que  doit-on  rejeter  ou  admettre  de  leur  sys- 
tème d'application?  31.  —  Fécondité  de  l'iconographie  mystique  à 
l'époque  de  S.  Bernard,  33.  —  Ce  siècle  plus  riche  en  cela  que  le 
suivant,  33.— L'art  y  complète,  par  toutes  ses  formes,  l'embellis- 
sement symbolique  de  l'église,  34,  —  et  y  rattache  tout  au  principe 
fondamental  de  l'Unité  divine,  36.— Apparition  de  l'ogive,  à  la  fois 
architecturale  et  symbolique  ,  36.  —  Rôle  gracieux  qu'elle  donne 
aux  détails  architectoniques,  38.—  Esthétique  de  l'architecture 
qu'elle  inspire,  38;  —  son  apogée  et  sa  décadence,  39.—  Examende 
quelques  opinions  sur  les  prétendues  fantaisies  de  l'art  chrétien , 
40.—  La  religion  a  dû  présider  à  la  décoration  de  ses  temples,  aussi 
bien  qu'à  leur  construction,  41  ;—  elle  y  a  tenu  dès  le  commence- 
ment, 42.  —  Premières  traces  de  ce  fait  dans  l'histoire,  44.  —Il  se 
perpétue  par  les  conciles,  45.— Les  évêques  obligés  de  surveiller  ces 
travaux,  45.—  Prescriptions  d'usage  sur  ce  point,  46.—  Les  monas- 
tères non  moins  appliqués  à  l'art  religieux,  46.— Nombreux  exem- 
ples de  cette  double  action  du  clergé,  48;  —son  zèle  à  favoriser  les 
progrès  de  l'architecture,  51.— Plan  symbolique  des  monastères, 
52.— La  surveillance  des  évêques  constatée  par  le  deuxième  con- 
cile de  Nicée,  53  ;  —elle  fortifie  et  perpétue  ainsi  les  traditions,  5'6. 

—  Les  Chapitres  entrent  dans  le  mouvement  artistique,  57.— 
Preuves  de  ce  qui  précède  dans  les  sculptures  mêmes  de  nos 
églises,  58,  —  dans  l'histoire  de  toutes  ces  fondations  par  les  con- 
fréries de  maçons,  59;  —  et  l'exacte  ressemblance  de  tant  de  types 
multipliés  à  l'infini  sans  aucunes  règles  écrites ,  60.  —  Comment 
les  miniatures  des  manuscrits  ont  pu  suppléer  aux  textes  spéciaux 
pour  les  arts  d'ornementation,  61.—  Caprices  de  l'architecture  ci- 
vile en  regard  de  cette  discipline  régulière  des  formes  sacrées, 62. 

—  Résumé  et  résultat  logique  des  considérations  précédentes, 64. 


\ 


TABLE.  579 

CHAPITRE  IL 

L'église  dans  son  orientation.  —  Cimetières. 

Préliminaires  de  la  construction,  66  ;  —  la  croix  plantée  sur  l'em- 
placement du  grand  autel,  06.—  L'emplacement;  la  première 
pieri-e,  et  ses  conditions,  G8.  —  Encore  l'orientation;  son  histoire, 
et  ses  raisons  d'être  ,  69.—  Le  Nord  et  le  Sud  considérés  quant  à 
leur  symbolisme,  7-2.—  Règle  normale  de  l'orientation  d'une  église, 
73;  —  pourquoi  on  en  trouve  dos  exceptions  en  Italie,  73,  —  qui  ne 
sont  plus  acceptables  aujourd'hui,  76.  —  Combien  les  évoques  y 
ont  toujours  tenu,  77.—  Graves  inconvénients  de  son  abandon,  77. 

—  L'orientation  ne  s'applique  pas  moins  aux  cimetières,  78,  —  à 
l'égard  desquels  elle  fut  observée  chez  les  anciens  ,  et  que  les 
chrétiens  appliquent  aux  leurs,  78.— Pourquoi  nos  cimetières  avoi- 
sinent  nos  églises,  79.—  Cercueils  de  bois  et  de  pierre,  80.  —  Sym- 
bolisme de  leur  forme  à  deux  pentes,  80.  —  Cimetières  communs 
des  premiers  siècles  chrétiens,  81 ,—  placés  sous  la  protection  de 
S.  Pierre  ou  de  S.  Michel,  81,—  plantés  d'arbres  symboliques,  82. 

—  Cimetières  monastiques,  83.  —  Lanternes  des  morts,  83.— Réfu- 
tation des  fausses  opinions  émises  à  leur  sujet,  83,—  et  leurs  rai- 
sons toutes  chrétiennes,  83.—  Des  symboles  divers  sculptés  sur  les 
tombeaux;  l'ascia  n'est  qu'un  signe  des  populations  païennes, 84. 

—  Quels  furent,  dès  le  principe,  ceux  du  Christianisme,  85.— Une 
des  significations  du  poisson,  85.—  La  résurrection  de  Lazare  aux 
catacombes,  86.—  La  croix  et  ses  différentes  formes;  instruments 
des  diverses  professions,  87.—  Scènes  historiées,  88:  —  autant  de 
symboles  des  tombeaux ,  88.  —  Résultat  moral  de  ces  enseigne- 
ments élevés,  88.  —  La  pensée  chrétienne  de  la  mort  amène  l'art 
jusque  dans  les  cimetières,  89.  —  Les  trois  morts  et  les  trois  vifs  de 
l'église  d'Antigny,  90.  —  Variante  de  cette  scène  dans  la  chapelle 
de  Jouhet,  90.— Le  dict  des  Trois  morts  et  des  trois  vifs,  91  ;  —  autre 
en  Normandie,  moins  bien  traité  par  la  Renaissance,  92.  —  Les 
danses  macabres  en  général,  92;  —  celle  de  la  Chaise-Dieu  en  par- 
ticulier, 93;—  ses  caractères  esthétiques,  93. —  Autre  variante 
donnée  par  la  Chronique  de  Nuremberg,  96.—  Convenance  des  mo- 
numents funéraires  dans  les  églises,  97,  — mal  comprise  de  l'art 
moderne,  98.  —  Contraste  de  ce  style  païen  avec  l'importance  et 
l'honneur  que  l'Église  donne  à  ses  cimetières,  99.  —  Belle  liturgie 
de  leur  bénédiction,  99. 


580  TABLE. 

CHAPITRE  III. 

Extérieur  de  l'église  chrétienne. 

L'église  chrétienne  a  toutes  les  marques  spéciales  d'un  édifice 
consacré  à  Dieu,  101,  — par  l'élévation  du  sol  qui  la  supporte,  102, 
—et  sa  séparation  normale  des  autres  habitations,  103.—  Les  églises 
de  Saint-Michel  bâties  de  préférence  sur  des  hauteurs,  104. —  La 
forme  de  croix,  et  ses  variétés,  105.— Églises  de  forme  circulaire, 
107.  —  Le  plan  octogone ,  et  sa  signification  mystique ,  108.  —  Le 
nombre  huit  est  encore  appliqué  à  d'autres  monuments,  108.— 
Églises  hexagones,  et  mysticisme  du  nombre  six,  IIO.  —  Fonde- 
ments, m.  —  Première  pierre,  111.— Murailles,  112,—  et  leur  ap- 
pareil, 113.— Les  contreforts,  114.— La  nef  et  sa  toiture,  114. —  Les 
tours  et  les  clochers,  115.— Le  coq,  et  ses  diverses  significations, 
117.— Formes  multipliées  des  clochers,  119; —  leur  place  normale, 
trop  souvent  dérangée,  120.—  Les  cloches,  121.—  Symbolisme  de 
leurs  moindres  parties,  122.— Estime  qu'en  fait  l'Église,  123.— Ver- 
tus mystérieuses  de  leurs  sons,  123.— Rites  de  leur  baptême,  124. 

—  Symbolisme  des  sculptures  murales,  125.  —  Variétés  de  leurs 
innombrables  motifs,  126.—  Savantes  théories  de  ces  belles  œuvres, 
127;  —leur  distribution  calculée  au  sud  et  au  nord,  127.— Démo- 
nologie,  127.— Les  vices  et  les  vertus,  128.  — Le  chien  dévorant  le 
Pain  des  Anges,  128.—  Le  baril  du  vin  eucharistique,  130.— Le 
porche  des  églises  rurales,  et  son  usage,  \:A.  —  Le  chou  sculpté 
en  acrotère,  131.—  Portes  de  l'édifice,  et  côté  où  elles  s'ouvrent  de 
préférence,  131.-  Le  parvis  ,  132,—  et  notamment  celui  de  Saint- 
Benoît-sur-Loire,  132.— Sujets  variés  de  ces  belles  sculptures  du 
douzième  siècle,  132.  —  L'image  du  Sauveur  devant  la  porte  d'en- 
trée, 133.—  Parvis  des  cathédrales  et  des  autres  églises  majeures, 
133;—  leur  principal  emploi  symbolisé  par  les  lions,  133.—  Action 
mystique  du  bœuf  et  du  lion  aux  façades  de  quelques  églises,  135. 

—  Formule  :  inler  leones,  136.—  Image  de  la  résistance  aux  tenta- 
tions sous  l'emblème  du  prophète  Daniel,  138.—  Ce  môme  sujet 
reproduit  à  Ghauvigny,  à  Tonnerre,  138,  —  et  à  Amiens,  138,— rap- 
proché de  quelques  autres  pour  confirmer  nos  déductions  icono- 
graphiques, 139.—  Façades  des  grandes  églises  et  leur  décoration 
grandiose,  139.  —  Le  trumeau  de  la  porte  médiane;  ce  qu'il  figure, 
140.— Voussures  sculptées  des  tympans,  141;  —iQMvJugeinent  der- 
nier, 141.— Autres  motifs  iconographiques  partout  répétés.  142.™ 


\ 


TABLE.  584 

Symboles  et  attributs  des  douze  Apôtres,  IW.— S.  l'ierre,  143.  — 
S.  Paul,  144.— S.  André,  144.— S.  Jacques  le  Majeur,  145. —  S.  Jean, 
liô.-S.  Thomas,  146.— S.  Jacques  IcMiutnir,  147.— S.  Philippe,  147. 
—  S.  Barthélémy,  147.  -  S.  Matthieu,  147.— S.  Simon,  147.— S.  Jude, 
148.—  S.  Matthias,  148.  —  Preuve  d'une  tradition  universelle  inspi- 
rée par  les  mêmes  pensées  de  toi,  149,  —  et  qui  était  la  véritable 
nationalité  du  moyen  âge,  150. 


CHAPITRE  IV. 

Intérieur  de  l'église. 

Le  spiritualisme  plus  actif  dans  l'intérieur  de  l'église  qu'au 
dehors,  151.— Sens  multiple  de  l'église  chrétienne,  considérée  en 
elle-même,  151.—  Symbolisme  de  la  fenêtre  orientale;  15-2,-  du 
pavé,  orné  d'intailles,  152, —  ou  d'ornements  privés  d'abord  de 
sens  symbolique,  152.— Fécondité  de  ces  compositions;  elles  sont 
remplacées  par  les  allégories  en  mosaïques,  153.  — Pierres  tom- 
bales des  douzième  et  treizième  siècles,  155.  —  Labyrinthes  ,  156; 

—  leurs  plans  divers,  156;  —leur  but,  156.—  Ils  se  résument  au- 
jourd'hui dans  le  Via  crucis,  157.  —  Spécimens  de  pavés  du  dou- 
zième siècle,  157,  —  mal  suppléés  par  le  marbre,  157.—  Les 
murailles,  et  leur  sens  mystique,  158.— Importance  des  lignes  in- 
diquées par  le  ciment  dans  l'appareil,  158.— Signes  lapidaires,  159; 

—  leur  but  mieux  connu  ,  159,  —  et  leur  emploi  généralisé  aux 
divers  genres  d'architecture,  160.— Les  croix  de  consécration,  160. 

—  Los  portes;  leur  nombre  symbolique,  100.—  Riche  ornemen- 
tation tirée  des  faits  historiques  ou  des  figures  des  deux  Testa- 
ments, 161.— Les  portes  élroiies ,  162.  — Les  Cavaliers  des  façades, 
162.— Le  symbolisme  des  nombres  a-t-il  été  appliqué  aux  mesures 
du  lieu  saint?  164;  — raisons  d'en  douter,  164.— Autre  système  plus 
admissible  par  rapport  à  cette  observance,  165.— Rapprochement 
de  cette  méthode  avec  ce  que  les  Écritures  enseignent  de  l'arche  de 
Noé,  165;  —opinion  de  S*  Isidore  de  Séville,  166,—  de  Hugues  de 
Saint-Victor,  167, —  et  de  Durant  de  Monde,  167.— Le  crucifiement 
du  Sauveur,  symbolisé  dans  le  plan  général  de  l'église,  168.— Dévia- 
tion de  l'axe  longitudinal  du  nord  au  sud  ,  170.  —  Certains  archi- 
tectes exagèrent  ce  principe  en  Poitou,  en  Borry  et  ailleurs,  171. 

—  Fausses  conséquences  qu'on  liront  quolquos  archéologuos,  172. 


382  TABLE. 

—  Arcades  murales,  173. ~  Chapelles  latérales,  174.— Les  bas-côtés, 
î74.__Le  nombre  trois  symbolisant  la  Trinité,  toujours  et  partout, 
175.  __  Preuve  de  cette  prétention  dans  l'église  de  la  Caillére  ,  en 
Vendée,  175  —  Églises  à  sept  et  à  cinq  nefs,  175,  —  quelquefois  à 
deux  seulement  chez  les  Dominicains,  176.— Divers  systèmes  sur 
le  nombre  de  piliers,  176;  —  leur  symbolisme  général,  177,—  et 
celui  de  leurs  détails,  177.— Encore  les  croix  de  consécration,  178; 

—  celles  de  la  Sainte-Chapelle  de  Paris  et  de  Saint-Hubert  de  War- 
ville,  173.— Voûtes,  et  leurs  détails  symboliques,  179.—  Diversités 
de  leur  ornementation  peinte  ou  sculptée,  180.—  Leurs  principes 
élémentaires  se  perfectionnent  au  douzième  siècle,  180.— Richesse 
des  motifs  sculptés  qu'y  reçoivent  les  clefs,  181.— Abaissement 
successif  et  symbolique  de  leurs  premières  travées,  182.— Les  mo- 
dillons  plus  délicats  en  se  rapprochant  du  sanctuaire,  183.—  Les 
fenêtres  sont  les  saintes  Écritures,  18 'i,—  les  Docteurs,  184,—  les 
sens  de  l'homme  spirituel,  I8i,  —  la  charité  fraternelle,  184,  —et  la 
force  de   l'Église  militante,  185.— Interprétations  hasardées  de 
M.  Boissérée,  185.—  Harmonie  de  leur  demi-jour  avec  la  destination 
mystique  du  monument,  186.— Les  cryptes,  leur  origine  et  leur 
but,  187;  —  images  du  Saint  Sépulcre,  188,  —  et  de  la  vie  contempla- 
tive, 188.— Crypte  modèle  de  Rolduc,  189.— L'église  chrétienne, 
image  symbolique  de  l'Église  universelle,  189.— Traits  mystiques 
de  cette  ressemblance,  190;— quelle  profonde  théologie  en  ressort, 
191,—  aussi  bien  que  l'influence  du  clergé,  191.— Théorie  sans  fon- 
dement de  M.  Delécluse  sur  l'histoire  de  l'architecture  au  moyen 
âge,  191,—  dont  il  attribue  les  développements  à  une  prétendue 
émancipation  libérale  de  la  liberté  humaine,  192, — méconnaissant 
ainsi  l'action  de  l'Église  et  sa  propre  force  vitale,  192.— L'insuffi- 
sance des  études  laïques  mène  à  ces  fausses  idées  sur  l'art  et  les 
hommes  du  moyen  âge,  193.—  Caractère  de  l'école  rationaliste,  et 
de  ses  efforts  à  dénaturer  l'histoire  du  catholicisme,  196.  —Fausse 
histoire  de  la  franc-maçonnerie,  inventée  au  profit  de  ces  erreurs, 
196,  —  et  réfutée  par  l'histoire  même  du  treizième  siècle  qu'elle 
invoque,  198.  — Impossibilité  aux  laïques  d'avoir,  avec  leur  sym- 
bolisme incomplet,  créé  les  beaux  monuments  de  cette  époque, 
199.— Explication  mystique  par  S.  Nil  da  l'intérieur  d'une  église, 
203. 


TABLE.  583 


CHAPITRE  V. 

Ameublement  de  l'église. 

Sièges  primitifs  du  clorgé  ,  ^Oi.—  Places  distinctes  des  hommes 
et  dos  femmes,  20'i.—  Chapelle  de  la  Sainte-Vierge  dans  l'absidiole 
du  nord,  204.— Une  chapelle  de  Saint-Joseph  très-convenable  dans 
celle  du  sud,  205.  —  Premières  sacristies,  207.— La  sacristie  trans- 
férée au  sud  de  Féglise,  208. —  Merveilleux  aspect  de  cette  pers- 
pective, 208.— Bénitiers  et  eau  bénite,  209.— Le  tronc  des  aumônes, 
210.— Fonts  baptismaux,  212.  —  Confessionnaux,  et  leur  histoire, 
212.— Comment  en  faire  de  convenables  quant  au  symbolisme? 
213.  —  La  chaire;  sa  place  normale,  215.  —  Inconvenance  des 
chaires  en  pierre,  217.  — Le  banc  d'oeuvre,  217.—  L'ambon  ou  jubé, 
217.  —  Jubés  symboliques  de  Ravenne  ,  218;—  celui  de  Saint- 
Étienne-du-Mont,  à  Paris,  219.—  Souvenirs  symboliques  qui  s'y  rat- 
tachent, 219.— Le  transsept,  220.— Le  chœur,  220.— Les  stalles,  220. 
—  Arcade  triomphale  et  crucifix,  222.—  L'aigle  ou  lutrin ,  223.—  Le 
sanctuaire,  224.—  L'autel  et  ses  détails,  225.—  Le  tabernacle  mal  à 
propos  isolé  du  grand  autel,  225.— La  croix,  228.— Les  chandeliers, 
229.  —  Reliquaires,  230.  —  Le  baldaquin  ou  ciborium ,  1i[ .  —  Siégo, 
épiscopal,  232.— Piscines, 233.— Crédence,  235.— L'orgue,  236.  -  Quel 
est  l'esprit  de  l'Église  dans  le  soin  de  tout  ce  qui  précède,  237. 

CHAPITRE    VI. 

Décoration  artistique  de  l'église  par  la  sculpture. 

Développements  de  l'art  sculptural  au  onzième  siècle,  240.— 
Son  caractère  encore  rudimentaire,240,— qui  a  pourtant  son  sym- 
bolisme, 240.  —  Progrès  merveilleux  de  cette  époque,  241.— Beau 
prélude  de  Père  ogivale ,  211.  —  La  sculpture  participe  de  ce  pro- 
grès, 242.— Ce  qu'elle  prend  alors  de  vie  esthétique,  242;—  sa  su- 
périorité sur  Pantiquité  païenne,  243,  — par  la  fécondité  de  ses 
enseignements,  243.— Distinction  entre  la  statuaire  et  la  sculpture 
proprement  dite,  244.— L'une  agit  d'après  un  type  convenu  et  in- 


584  TABLE. 

variable,  244  ;  —  l'autre  suit  un  plan  et  une  conception  prescrits 
d'avance,  mais  variables  à  l'infini,  244.—  La  sculpture  toujours  et 
partout  empreinte  d'un  caractère  national,  245.  — Pauvreté  maté- 
rielle de  notre  statuaire  romano-byzantine,  246.— Bizarre  agence- 
ment du  costume  et  de  la  draperie,247,— influencés  par  la  manière 
des  Grecs  de  Gonstantinole,247,—  bien  plus  que  par  le  concile  de 
Francfort ,  247.  —  Action  des  Croisades  et  des  études  littéraires  et 
théologiques  de  cette  époque  sur  l'art  monumental,  248.—  Le  nu, 
honoré  à  l'époque  païenne,  et  proscrit  par  le  Christianisme,  250. 
—  Différence  très-signiflcative  dans  leur  manière  de  symboliser  la 
chasteté,  250.  —  Pallas  et  la  femme  chrétienne,  251.  — Richesse 
d'invention  de  notre  iconographie  comparée  à  la  froideur  res- 
treinte de  l'art  païen ,  251.  —  Raisons  contre  l'éclectisme  architec- 
tural et  artistique  dans  la  construction  des  églises  et  l'exécution 
de  leurs  ornements,  252.  —  L'art  doit  être  un  et  ne  le  serait  pas 
sans  un  parfait  accord  de  style  entre  le  monument  et  son  ima- 
gerie, 253.  —  Les  anciens  plus  sages  sur  ce  point  que  certains  ar- 
tistes modernes,  254,  —  quoique  leurs  monuments  fussent  souvent 
privés  de  l'unité  qu'on  admire  dans  les  nôtres,  254.— Ceux-ci  doi- 
vent surtout  être  ornés  dans  le  style  de  leur  construction,  255.  — 
Les  gargouilles,  et  leur  symbolisme,  256.— Étude  et  intelligence  de 
la  petite  statuaire  des  bas-reliefs,  259.— Clefs  de  voûte,  260. 


CHAPITRE    VIL 
(Suite  du  précédent.) 

Autels.  —  Tabernacles.  —  Baptistères.  —  Tombeaux. 

Origine  de  l'autel  chrétien,  262.— Nécessité  d'y  insérer  des  reli- 
ques, 262.—  On  y  a  même  placé  des  fragments  de  la  sainte  Eucha- 
ristie, 263.— Symbolisme  du  sépulcre  de  l'autel,  264.— Autels  porta- 
tifs, 264.— Comment  on  y  supplée  quelquefois,  265.  —  Les  autels 
doivent  être  de  pierre,  265.  —  Symbolisme  de  leur  consécration  , 
267  ;  —leur  multiplicité,  après  le  cinquième  siècle,  dans  une  même 
église,  268.  —  Symbolisme  de  leurs  parements,  268.  — Richesse  des 
autels  au  moyen  âge, 269; —leur  simplicité  plus  habituelle,  269. 
—  Celui  de  Mazerolles,  en  Poitou ,  270.  —  De  l'emploi  du  marbre , 
271;  —peu  avantageux  à  l'effet  artistique,  271,  — mais  très-conve- 
nable aux  autels  portatifs,  271.  —  Autels  en  orfèvrerie;  insigni- 
fiance de  quelques-uns  de  notre  époque,  272.  —  Inspirations  plus 


TABLE.  585 

heureuses  à  suivre,  •273.— Conditions  symboliques  ,  lis.  —  Variété 
infinie  des  motifs  esthétiques  à  sculpter  ou  à  peindre  sur  un  autel, 
273.— Où  en  puiser  les  bonnes  données? 274.—  Beaux  modèles  à 
choisir  dans  le  moyen  âge,  275  ;  —  y  appliquer  la  peinture,  275.  — 
Des  retables,  276;  —  y  bien  observer  les  convenances  théologiques, 
276.— Observation  sur  un  retable  de  Jcssé  à  Notre-Dame  de  Poi- 
tiers, 277.— Parements  et  antipendhim  mobiles,  278.— Des  taber- 
nacles; leur  histoire,  279.— Comment  les  conopées  leur  sont  main- 
tenant défavorables,  280.— Ils  doivent  se  construire  d'après  l'archi- 
tecture de  l'église  et  de  l'autel,  281.  — Leurs  formes  variées  :  les 
tours,  281,— suspendues  au-dessus  de  l'autel,  283.— Les  colombes 
en  métal ,  et  leur  raison  t^ymbolique,  284,— qui  les  ferait  très- 
bien  employer  aussi  comme  ciboires,  285,—  Formes  choisies  à 
donner  aux  tabernacles,  285.  —  Mauvais  goût  des  cihorium  ou  bal- 
daquins actuels,  286.— Déplorable  nudité  qu'on  fait  aujourd'hui  à 
nos  sanctuaires,  287.— Mauvais  système  qui  les  découvre,  quand 
ils  devraient  être  isolés  de  la  foule,  287.  —  Idée  et  i)lan  d'un  sanc- 
tuaire où  tout  parle  au  cœur,  288.— Des  baptistères,  et  des  plans  à 
y  observer,  289.—  Histoire  des  baptistères  au  moyen  âge  ,  290.— 
Souvenir  de  celui  de  Constantin  à  Saint-Jean  de  Latran,  290.—  Soins 
à  se  donner  pour  la  chapelle  des  fonts  dans  les  églises  de  notre 
temps,  292.— Règles  symboliques  à  y  observer  ,  293.— Importance 
des  Inslruclions  de  S.  Charles  sur  ce  point,  295.— Du  tableau  à 
placer  sur  l'autel  de  cette  chapelle,  et  des  éléments  de  sa  compo- 
sition, 296.—  Types  de  sculptures  symboliques  pour  les  fonts,  298. 
—  Les  fonts  de  Sainte-Marie  de  Liège,  29S.  — Liberté  laissée  aux  ar- 
tistes par  l'Église  sur  tous  ces  points, 299.— Des  tombeaux  dans  les 
églises,  et  de  l'esprit  qu'on  devrait  y  garder,  300.— Les  modèles  du 
moyen  âge  préférables  en  tous  points,  301.  — Combien  il  importe 
de  les  imiter,  302.  —  Symboles  qui  peuvent  y  être  appliqués  de 
notre  temps,  303.  — Inscriptions  funéraires  à  restituer  aux  églises, 
303,— pour  y  remplacer  les  monuments  funèbres  et  les  sépul- 
tures, 304. 

CHAPITRE   VllI. 

Des  modillons. 

Etudes  déjà  anciennes  de   l'auteur  sur  ce  sujet,  305,—  qui  a 
trouvé  de  nombreux  antagonistes,  306,—  mais  qui  n'en  peut  plus 


586  TABLE. 

avoir,  306.~  Origine  et  objet  des  modilloiis,  307,—  connus  des 
Romains  et  des  Juifs,  308,  —  et  naturellement  adoptés  par  le 
Christianisme,  308.— Marche  progressive  de  ce  moyen  dans  l'his- 
toire de  l'art,  309.  — Elle  se  développe  surtout  au  douzième  siècle, 
310, —  et  déchoit  au  quatorzième  avec  la  simplicité  chrétienne, 
311.— Le  treizième  est  bien  plus  théologique,  312.— Exposition  géné- 
rale de  la  méthode  suivie,  313, —  dans  les  modillons  isolés  de  tous 
autres,  313.—  Cette  méthode  puisée  dans  les  Pères,  314  :  —  S.  Denys 
l'Aréopagite,  314,  — S.  Clément  d'Alexandrie,  314;  —  S.  Théophile 
d'Antioche,  314;  —  et  dans  l'Écriture,  315.  —  Variété  infinie  de  ses 
sujets,  315,—  prêchant  à  toute  créature,  316.  — Explication  de 
S.  Grégoire  le  Grand,  316.— Ce  plan  général  particularisé  dans  son 
application  à  des  idées  complexes,  317.— Méthode  d'études,  et  dé- 
couvertes à  cet  égard,  317.—  Combien  ces  observations  sont  dignes 
des  hommes  sérieux,  319.—  Composition  de  l'auteur  en  ce  sens 
pour  l'église  Saint-Jacques  de  Châtellerault ,  319.—  Diversités  des 
sujets  selon  les  diverses  orientations  du  monument,  320.  —  Les 
bons  et  les  mauvais  Anges,  320.— Le  symbole  des  Apôtres  exécuté 
en  modillons  près  de  leurs  statues,  320.— Le  style  de  ces  compo- 
sitions nouvelles  à  prendre  sur  celles  du  moyen  âge,  322.  —  Les 
architectes  ne  doivent  pas  s'en  dispenser,  323.— Combien  ce  genre 
de  décoration  donne  de  vie  spirituelle  à  un  monument  chrétien, 
323.— Erreurs  de  quelques  archéologues  appréciant  certaines  dif- 
ficultés sans  le  secours  de  la  science,  324.  —  Les  modillons  s'iden- 
tifient complètement  par  leur  facture  au  style  de  l'édifice  et  à  son 
âge,  325.—  Objections  sans  valeur  opposées  à  l'esprit  général  qui  a 
dominé  le  choix  des  sujets,  326.— Le  baudet  d'Argentan,  327.—  Le 
poulet  de  Saumont,  328. 


CHAPITRE  IX. 
Des  chapiteaux. 

Les  chapiteaux  distinguent  tout  d'abord  l'architecture  païenne 
de  la  nôtre,  329.  — Froideur  du  chapiteau  corinthien,  329.— L'art 
chrétien  le  modifie  à  son  avantage,  et  le  fait  entrer  dans  ses  plans 
d'esthétique,  330.—  Origine  de  ce  détail  d'ornementation,  331.  — 
Les  poissons  observés  comme  l'un  des  motifs  les  plus  anciens  de 
notre  imagerie,  331,  —  puis  les  entrelacs  et  les  feuilles  grasses,  332. 


à 


TABLE.  587 

—  La  tète  humaine  mêlée  aux  feuillages,  33-2.— Les  faits  bibliques, 
333.— Développement  des  sujets  au  onzième  siècle,  333.—  L'his- 
toire d'Adam  à  Saint-Benoît-sur-Loire,  333.— La  Fuite  en  Egypte,  33^i. 
—La  main  divine,  symbole  de  protection  ,  334.—  Belle  et  savante 
esthétique  de  tout  ce  morceau,  335.—  Scènes  des  chapiteaux  gra- 
duées dans  leur  importance  en  se  rapprochant  du  sanctuaire,  335. 
—Symboles  eucharistiques  à  Chauvigny,  335.—  Daniel  et  Habacuc, 
335.  —  Marie  et  l'Enfant-Dieu,  336.—  La  pesée  des  âmes  ;  protection 
contre  Satan,  336.—  Les  sauterelles  de  l'Apocalypse,  336.—  La  force 
contre  les  tentations,  337.— Les  démons  forcés  de  servir  à  la  gloire 
de  Dieu,  337.  — Étrange  aberration  de  quelques  archéologues  na- 
turalistes, 337,—  en  opposition  avec  l'histoire  de  l'architecture  et 
l'active  surveillance  de  l'Église  au  moyen  âge,  331— Belle  foliation 
des  chapiteaux ,  non  moins  expressive  que  tout  le  reste  ,  339.  — 
Symbolisme  des  arbres  et  des  fleurs  dans  l'Écriture,  339.  —  Zachée 
sur  le  sycomore,  340;  —  signification  de  l'un  et  de  l'autre,  340.— 
Transition  de  ce  sujet  à  la  mandragore,  342.  —  Vertus  et  attributs 
de  cette  plante,  342.- Oiseau  dans  les  branches,  colombe  de  la  soli- 
tude, signifiant  la  vie  unitive,  343.— Les  entrelacs  des  chapiteaux, 
et  leurs  variétés,  343.  —  Ignorance  de  certains  savants  en  fait  de 
religion   et  d'art  chrétien ,  345.  —  Méthode  d'intuition  pour  ces 
études,  aussi  difficiles  que  sérieuses,  346.  —  L'inspiration  esthé- 
tique variant  selon  les  siècles  qu'elle  traverse,  346.— Belle  période 
du  onzième  au  quatorzième  siècle,  347.— Action  des  sciences  et  de 
la  démonologie  sur  la  sculpture  de  ce  temps,  347.  —  Origine  des 
figures  bizarres  d'hommes  et  d'animaux  répandues  dans  les  nefs 
de  nos  églises,  3i8.— La  cabale  et  l'astrologie  plus  ou  moins  judi- 
ciaire y  laissent  peut-être  aussi  leur  empreinte  ,  349,  — et  jusqu'à 
la  mythologie  païenne  qui  s'yrattache,350.— Sens  véritable, cepen- 
dant, de  sujets  moins  frivoles  que  leurs  apparences,  351.  — Com- 
ment les  écoles  architecturales  du  moyen  âge  enseignaient  sans 
livres  techniques,  35-2.- Le  livre  Des  Arts  du  moine  Théophile,  352. 
—  Ces  ouvrages  doctrinaux  remplacés  par  la  liturgie  et  la  poésie, 
353.— Influence  de  Dante  sur  l'ornementation  des  treizième  et  qua- 
torzième siècles,  354.—  Lutte  énergique  du  clergé  de  ce  temps 
contre  l'envahissement  laïque  des  francs-maçons,  356.— Pierre  de 
Cugnières  et  son  marmouset,  356. 


588  TABLE. 

CHAPITRE  X. 

Démonologie. 

Objet  (le  ce  chapitre,  358.— Le  démon  signalé  par  les  Apôtres 
sous  diverses  formes  et  caractères,  358;  —  grande  peur  qu'en 
avaient  nos  pères,  360.—  Figures  bibliques  dont  on  lui  fait  autant 
de  symboles,  361.  —  Son  culte  dans  le  paganisme  ,  362.— Formes 
symboliques  de  son  iconographie,  363.— Singe  et  bouc,  363.— Cen- 
taures et  sagittaires,  363.—  Renard,  364.—  Crapauds  ou  grenouilles, 
364.—  La  femme  aux  serpents  et  aux  crapauds,  365.  —  Le  serpent- 
homme  du  paradis  terrestre,  365;  —  son  rôle  au  jugement  dernier, 
366,  —  au  lit  des  mourants,  366.  -  Raison  des  diverses  figures  dont 
son  corps  est  quelquefois  couvert,  367;  — de  ses  trois  têtes,  en 
quelques  images,  comme  trinité  du  mal,  367.  — Iconographie  du 
démon  dans  ses  formes  diverses,  369; —inspirant  et  vengeant  le 
fratricide  d'Abel ,  369 ,  —  s'opposant  à  l'entrée  de  S.  Taurin    à 
Évrcux,  369.  —  Labête  de  l'Apocalypse  reproduite  avec  beaucoup 
de  variantes,  370.—  Variété  de  ses  moyens  et  de   ses  attaques, 
370.  —  Il  persuade  le  mal,  371;  —  il  saisit  l'àme  du  moribond, 
371^  _  joue  de  la  viole  au  bal  d'Hérodiade,  372.— Les  tentations  des 
Saints  et  celle  de   S.  Antoine   en   particulier,  372;  —  comment 
ils  y  résistent,  373.—  Tourments  des   démons,  374.— Ressem- 
blances extérieures  que  l'Ange  des  ténèbres  se  donne  avec  les 
Anges  de  lumière,  375.—  Le  nimbe  donné  même  au  mauvais  Ange, 
376.—  Nouvelle  revue  de  quelques-uns  de  ses  types  les  plus  cu- 
rieux, 376  :  -  l'arbalétrier,  37G,  —  les  consoles,  376.',  —  les  gar- 
gouilles, 377.— Gog  etfMagog,  377.  -  Personnification  de  l'hérésie 
et  de  la  luxure,  377.  — Satan  animant  les  idoles  païennes,  377.— 
Ses  caractères  zoologiques   dépeints  par  Tertullien ,   378  ,  —  et 
par  le  pape  Innocent  III ,  378.  —  Antagonistes  de  tous  les  siècles 
contre  lui,  378;  -  ce  qu'en  disent  S.  Paul,  379,  -  et  Job,  379,- sui- 
vis par  toute  l'iconographie  chrétienne, 379.—  Les  reliquaires,  les 
croix,  les  chandeliers,  380,—  les  crosses  pastorales ,  380.  — Satan 
toujours  visible  dans  l'art  païen,  381,—  qui  le  transmet  aux  âges 
modernes,  382.  —  Ressource  contre   lui  dans  la  liturgie    catho- 
lique, 382.—  Histoire  et  marche  séculaire  de  la  liturgie  à  cet  égard, 
383,  — reproduites  dans  les  sculptures  de  nos  églises,  384,  —  et  sur 
la  scène  des  théâtres,  384,  —aussi  bien  que  les  barbares  et  les  per- 
sécuteurs, 385. -Exorcismes  des  vitraux  de  Bourges,  385.—  Couleurs 


TABLE.  :i89 

symboliques  données  aux  diables  selon  leurs  fonctions  iconogra- 
phiques, 386.— Les  mêmes  couleurs  données  aux  Anges  par  oppo- 
sition, 386.— Types  officiels  de  l'enfer  et  du  purgatoire,  387.—  Le 
Purgatoire  de  S.  Patrice, 387.- La  gueule  du  monstre  infernal, 388. 

—  Variété  artistique  des  supplices  infernaux,  388.— La  magie  au 
temps  de  l'Église  primitive,  et  les  exorcismes,  390,—  souvent  re- 
présentés dans  les  églises,  390.  —Usage  très-fréquent  de  ces  der- 
niers, 390,  —  variés  encore  par  d'autres  moyens  liturgiques,  391.— 
De  la  magie  et  de  son  action  contre  la  société  chrétienne,  391,- 
surtout  aux  dixième,  quinzième  et  seizième  siècles,  393.— Estampe 
remarquable  de  cette  époque,  394.-  Scènes  du  sabbat  avec  tous  ses 
horribles  épisodes,  395.— Haine  du  Christianisme,  de  ses  vertus, 
et  des  institutions  sociales  ,  39  ^>.—  Conséquences  morales  qui  en 
découlent,  et  ses  rapports  avec  le  symbolisme  démonologique, 
401,—  et  avec  l'immoralité  de  notre  temps,  402. 

CHAPITRE   XL 
Des  obscœna. 

Jugements  erronés  sur  ce  sujet,  404.— La  retenue  du  langage 
humain  proportionnée  à  la  dépravation  des  mœurs,  405;  —  origine 
de  ce  sontiment,  405,  —  modifié  nécessairement  par  quelques 
besoins  de  la  vie  sociale,  407,  —  mais  ramené  à  une  plus  grande 
sévérité  parla  dépression  des  mœurs,  407.  — Superstitions  impures 
des  fausses  religions  de  l'Orient,  contrastant  avec  la  simplicité  de 
quelques  peuples  primitifs,  407.  —  Idée  et  usage  des  peuples  de  la 
Palestine  sur  ce  point,  409.— Langage  du  Prophète  conforme  à  ces 
usages,  409.—  Remarquable  réflexion  de  Voltaire  à  cet  égard,  409. 

—  Cynisme  de  la  littérature  et  de  l'art  des  anciens,  tout  inspirés 
par  les  passions,  410.—  L'habitude  familiarisait  alors  avec  les  objets 
d'art,  qu'elle  rend  moins  dangereux, 411 , —témoin  les  peintures 
des  catacombes  ,  412,  —  et  les  écrits  des  Pères  de  PÉglise,  412.— 
Mêmes  exemples  dans  la  littérature  du  moyen  âge,  414.—  Le  Can- 
tique de  Frauenlob  au  treizième  siècle,  414.—  Les  traductions  de  la 
Rible  du  seizième  siècle,  415.—  Les  prônes  du  dimanche  jusqu'au 
dix-huitième  siècle,  416.—  C'était  Péquivalent  du  symbolisme  des 
obscœna,  416,—  qui  devient  pour  l'art  ce  que  le  stylo  était  à  une 
certaine  littérature,  418.—  Hs  sont  un  mode  d'enseignement,  et 
rien  autre  chose,  418.  —  Ils  appartiennent  à  la  meilleure  époque 
de  la  littérature  sacrée  et  de  l'art  religieux,  41S,  —  qui  resjiectent 


590  TABLE. 

et  pratiquent  le  mieux  la  décence,  419,—  et  gardent  une  grande 
modeiitie  jusque  dans  leurs  nudités  nécessaires,  419.— L'arbre  de  la 
Vierge  à  Milan,  419.  —La  Madeleine  du  Saint  Pilon  à  Saint-Maximin- 
du-Var,  420.— S"  Marie  Égyptienne,  420.— Les  Vierges-Mères  du  trei- 
zième siècle,  420,—  et  ses  autres  travaux  iconographiques,  421.— Les 
personnages  sans  sexe,  421.— Cause  tout  esthétique  des  obscœna,  trop 
peu  comprise,  422.— La  crudité  des  sujets  est  une  preuve  de  leur 
nécessité,  423;  —  elle  personnifie  les  passions  et  les  crimes  hon- 
teux, 423  :  -l'adultère  à  Saint-Benoît-sur-Loire,  423;—  la  prostituée 
de  l'Apocalypse,  424;  —  les  chiens  et  les  impudiques, 424.  —  Style 
énergique  de  S.  Paul  contre  les  Romains  et  les  Corinthiens,  424.— 
Leurs  crimes  renouvelés  parles  barbares  envahisseurs  de  l'em- 
pire, et  par  les  Normands,  425.  —  Raisons  de  quelques  modillons 
spéciaux  et  d'autres  sculptures,  426, —  à  Gourgé,  427,—  à  Saint- 
Pompain  et  ailleurs,  427.— Le  zodiaque,  427.— Prétendus  obscœna  qui 
n'ont  jamais  existé,  428.  —  Ces  sujets  furent-ils  jamais  des  satires 
contre  le  clergé?  428;  —non,  mais  des  leçons  sur  ses  devoirs,  429, 
—  comme  la  peinture  en  donnait  à  tous,  429.  —  Ce  qu'en  disait  Vil- 
lon, 430,—  et  même  Virgile,  430.— L'enfer  des  religieuses  à  Sainte- 
Marie-des-Chases,  430.— Nudité  des  âmes,  431.-  Symbolisme  du 
voile  religieux,  431.— Ces  caractères  s'effacent  devant  la  prétendue 
Renaissance,  432,—  et  sont  remplacés  par  l'esprit  du  paganisme, 
de  la  mondanité  et  du  mauvais  goût,  432.  — Le  concile  de  Trente 
décrète  une  réformation,  433.—  Constitution  d'Urbain  VIII  sur  le 
même  sujet,  435.  —  Ces  prescriptions  ne  touchent  en  rien  aux 
obscœna  des  églises,  435,  —  qu'elles  n'avaient  aucun  motif  de  con- 
damner, 436.—  Ils  ne  seraient  pourtant  pas  de  mise  aujourd'hui, 
436;  — ce  qui  n'autorise  les  architectes  ni  à  les  mépriser  ni  à  pri- 
ver nos  monuments  religieux  de  corbelets  symboliques,  437.— Ré- 
sumé de  tout  ce  chapitre,  437,  — qui  se  conclut  en  faveur  de 
l'Église,  437. 

CHAPITRE   XII. 
Zoologie. 

Raison  de  la  zoologie  dans  le  symbolisme  chrétien,  439.  —  Les 
animaux  y  représentent  les  vices  ou  les  vertus,  440.—  La  Bible  est 
encore  la  source  de  ces  moyens  d'exégèse  publique,  441,—  distri- 
bués au  nord  ou  au  midi  des  édifices,  selon  les  caractères  ou 
mauvais  ou  bons,  441.—  Le  Lévitique  avec  ses  animaux  purs  ou 


TABLE.  594 

impurs,  442.— Interprétation  des  Pères  à  cet  égard,  443.— Distinc- 
tion que  font  quelques-uns  entre  les  iêtes  et  les  animaux,  444.— 
Mauvaises  bêtes  placées  au  septentrion,  445.— Certains  oiseaux  leur 
sont  adjoints  dans  la  môme  pensée  ,  446.  -  Animaux  innocents  ou 
utiles  placés  au  sud,  447. —  Union  de  plusieurs  types  formant  des 
scènes  d'ensemble,  448.— Le  zodiaque  et  son  histoire,  449.  — Anti- 
quité prétendue  de  celui  de  Dendérah,  450.— Le  zodiaque  fait  partie 
du  calendrier  des  anciens,  450.  — Gomment  les  chrétiens  le  leur 
empruntent  dès  les  premiers  siècles,  450.  —  Distinctions  morales 
qu'ils  en  firent,  451.— Il  leur  rappelle  l'action  divine  sur  les  biens 
de  la  terre,  451,  —  et  la  loi  du  travail  imposée  à  l'homme  ,  452.  — 
Convenance  d'un  tel  symbole,  453.  —La  partie  morale  du  zodiaque 
inconnue  avant  le  Christianisme,  454,— qui  en  fait  an  moyen  d'en- 
seignement religieux,  455.—  Kaisons  de  certaines  interversions 
dans  le  placement  des  signes  sur  les  monuments  modernes,  455. 
—Vers  techniques  sur  la  division  des  signes  mensuels,  456  ;—  autres 
sur  les  occupations  qui  se  rattachent  à  chacun  d'eux,  456,  —  Des- 
cription de  chaque  mois,  457  :  —  Janvier  :  le  Verseau,  457  ;  —  Février  : 
les  Poissons,  458;  —  Mars  :  le  Bélier  et  le  vigneron,  458;  —  Avril  :  le 
Taureau,  458  ;  —  Mai  :  les  Gémeaux,  458  ;  —  Juin  :  le  Cancer  y  458  ;  — 
Juillet  :  le  Lion  et  les  faucheurs ,  458  ;  —  Août  :  la  Vierge  et  les 
moissons,  459;— Septembre  :  la  Balance  et  les  vendangeurs,  459  ;  — 
Octobre  :  le  Scorpion,  les  semailles,  et  les  chasses  d'hiver,  4G0;  — 
Novembre  :  le  Sagitlaire  et  la  glandée,  460;—  Décembre  :  le  Capri- 
corne et  la  salaison  des  viandes,  461.— Caractères  symboliques  de 
chaque  signe  en  particulier,  461  :  —  symbolisme  du  Bélier,  462,— 
du  Taureau,  462,  —  des  Gémeaux,  462,  —  du  Cancer,  462,  —  du  Lion, 
463 ,  —  de  la  Vierge,  463,  —  de  la  Balance,  463,  —  du  Scorpion,  463 ,  — 
du  Sagittaire,  464,  —  et  du  Capricorne,  464.  —  Origine  des  bêtes  hy- 
brides, 464.— Les  Prophètes  et  l'Évangile  fournissent  des  types  aux 
catacombes,  466,  —  aussi  bien  que  la  mythologie,  469.—  Les  Pères  y 
trouvent  un  moyen  d'enseignement  religieux,  469.— Ils  acceptent 
les  notions  d'histoire  naturelle  reçues  par  les  écrivains  de  renom, 
pour  en  faire  une  suite  d'autant  plus  fertile  de  symboles,  470,— 
suivant  en  cela  l'exemple  des  poètes  païens,  470.— Les  écrivains 
du  moyen  âge  les  ont  suivis  eux-mêmes,  472.— Certaines  opinions 
sur  la  zoologie  pouvaient  être  plus  fondées  qu'on  ne  le  croit,  472. 
—  Albert  le  Grand  n'admet  pas  toutes  les  opinions  de  Vincent  de 
Beauvais,  473.— Origine  du  bestiaire,  et  autenrs  qui  se  sont  donnés 
à  la  zoologie  mystique,  m.—  Physiologue  de  Théobald,  475.— Incer- 
titudes biographiques  sur  cet  auteur,  475.  -  Opinion  qu'on  peut 


592  TABLE. 

s'en  former,  477.—  But  de  son  livre,  477;  —  sa  matière  et  sa  forme, 
478;  —  son  histoire,  479.  —  II  traite  tour  à  tour  du  lion,  481,  —  de 
l'aigle,  483,  —  du  serpent , 485,  —  de  la  Fourmi,  489,—  du  renard, 
491,  —  du  cerf,  493,  —  de  l'araignée,  497,  —  de  la  baleine,  499,  —  de 
la  sirène,  601,— de  l'éléphant,  S03,—  de  la  tourterelle  ,  505,—  de  la 
panthère,  507.  — Observations  sur  le  Physlologue  et  la  traduction 
précédente,  510.—  De  ce  livre  même  on  peut  conclure  que  l'auteur 
ne  s'abusait  pas  plus  que  les  autres  physiologues  sur  la  valeur  de 
ses  opinions  zoologiques,  ^[Q.—  U opposition  symbolique  n'existe 
pas  moins  sur  ce  point  que  sur  tous  les  autres  de  notre  théorie 
générale,  511.— Utilité  d'un  dictionnaire  symbolique  d'histoire  na- 
turelle, 511;  —abondance  de  ses  matériaux  511.—  Ce  genre  de 
beautés  manifesté  surtout  dans  les  psaumes  viii  et  gxlviii,  512.  — 
Conclusion  de  ce  chapitre  dans  une  leçon  donnée  par  S.  Pierre 
aux  hommes  que  leurs  passions  grossières  assimilent  aux  animaux, 
513. 

CHAPITRE  XIII. 
Flore  murale. 

Harmonie  de  la  végétation  et  du  cœur  de  l'homme,  515.— Beauté 
de  rÉden,  515,  —  et  sa  déchéance,  517.  —  Le  symbolisme  biblique 
des  arbres  et  des  fleurs,  518.  —  L'arbre  de  Nabuchodonosor,  518. 

—  Les  Apôtres  et  les  Pères  s'en  emparent,  520.  —  Mystères  des 
catacombes  en  ce  genre,  521.—  Les  fleurs,  symbole  des  vierges, 
521.  —  Plantes  des  cimetières  romains,  522.  —  Ornements  des 
églises,  522.—  Le  trèfle  dans  les  tombeaux,  523.—  Les  plantes 
décoratives  empruntées  à  Part  antique  par  les  chrétiens,  524. 

—  La  botanique  murale  ,  traitée  d'abord  sans  succès  artistique 
dans  les  églises ,  524  ;  —  elle  se  développe  au  onzième  siècle , 
525  ,  —  et  devient  meilleure  dans  sa  seconde  moitié,  526.  — 
Plantes  aquatiques,  en  plus  grand  nombre  sur  les  monuments 
élevés  au  bord 'des  rivières,  526.  — Le  nénuphar,  les  roseaux,  le 
platane,  526.  — Richesse  en  ce  point  des  édifices  monastiques  et 
des  cathédrales,  527.—  La  théologie  morale  s'en  empare,  527.  —  Er- 
reurs scientifiques  de  certains  botanistes  anciens,  528.— Origine 
orientale  de  plusieurs,  528.  — Le  hom,  arbre  de  vie  des  Orientaux, 
naturalisé  dans  la  flore  chrétienne,  528,  — comme  un  symbole  de  la 
Croix,  529.— Spécimens  variés  de  ce  symbole,  530.  — Iconographie 
des  arbres,  souvent  restreinte  à  quelqu'une  de  leurs  parties,  532, 

—  Réfutations  du  système  de  M.  Woillez  sur  les  aroïdes,  532,  —con- 


TABLE.  oî)3 

fondues  avoc  la  vigne  et  ses  raisins,  535.  — Cette  erreur  rélutéepar 
les  seules  irrégularités  de  certains  spécimens  botaniques,  536.  — 
Raisons  de  ces  infidélités  artistiques,  537.— Exactitude  plus  remar- 
quable au  treizième  siècle  qu'aux  siècles  précédents ,  537,  —  qui 
cependant  laissent  peu  d'incertitude  sur  la  nature  des  plantes 
sculptées,  538,  -—  aussi  bien  ([ue  dans  beaucoup  d'objets  plus  an- 
ciens, 538;—  d'où  l'on  doit  conclure  que  M.  AVoillez  s'est  égaré 
dans  une  théorie  inadmissible,  539, —  condamnée  jusque  dans  les 
catacombes,  539. —  Le  lis  et  son  symbolisme,  540,  — dans  l'antiquité 
chrétienne  et  au  moyen  âge,  541.— C'est  tour  à  tour  Jésus,  Marie, 
et  l'Église,  541.  — Les  fleurs  en  général,  5 i2.— L'hymne  de  S"  Flo- 
rence, 542.— Le  lis  est  encore  la  virginité  chrétienne,  543,—  l'at- 
tribut de  S.  Joseph,  543,  — et  celui  des  Justes,  544, —  et  de  la  puis- 
sance royale  en  France,  545.—  Origine  de  ce  symbole  ainsi  ap- 
pliqué, 545. —  Opinions  diverses  à  ce  sujet,  545.— Le  lis  confondu 
par  Jacques  Ghifflet  avec  les  abeilles  que  portait  Childéric  au  cin- 
quième siècle ,  547.  —  Les  lis  du  tombeau  de  Frédégonde  au 
sixième  siècle,  548,  —  du  sceptre  de  Dagobert  au  sixième,  548,  —  et 
de  Charles  le  Chauve  au  neuvième,  549.— Lis  des  rois  de  la  troi- 
sième race,  549.— Ils  deviennent  l'écusson  de  France,  549,—  et  de 
beaucoup  de  familles,  550,—  et  passent  enfin  dans  l'ornementation 
des  meubles  et  des  maisons,  551,  — et  jusque  dans  celle  des  objets 
sacrés,  551;  —  raison  de  ce  dernier  emploi,  551.  —  Les  types  de  la 
fleur  de  lis  divers  avec  les  époques,  et  propres  à  faire  distinguer 
celles-ci  dans  les  monuments,  551.— Les  artistes,  pour  les  repro- 
duire, doivent  donc  se  reporter  aux  temps  dont  ils  imitent  les  tra- 
ditions, 552. —  Grossières  persécutions  révolutionnaires  contre  cet 
insigne  d'une  ancienne  royauté,  553,—  et  leurs  suites  funestes  à 
la  science  historique,  553.— Symbolisme  de  la  flore  mythologique, 
553.—  Comment  le  Christianisme  dut  s'en  emparer,  554.  —  Ses 
organes  au  moyen  âge,  555.  —  LHortiis  deliciarum  d'Hermann  de 
NVerden,  556.  — Les  fleurs  et  les  plantes  de  la  liturgie,  557,  — et,  à 
ce  propos,  le  bois  préférable  à  la  pierre  pour  les  tabernacles,  557.  — 
Le  cèdre,  surtout,  lui  convient  par  son  symbolisme,  558.— Pourquoi 
l'hysope  employé  dans  les  aspersions?  558.  —  La  flore  mystique 
des  sacrements,  559.— L'olivier  et  le  baume  du  Baptême,  de  la  Con- 
firmation, de  l'Extrême-Onction  et  de  l'Ordre,  559.  — Divers  sym- 
boles tirés  du  palmier;  et  de  la  procession  des  hameaux,  562.  — 
Représentation  artistique  de  cet  arbre  dans  les  colonnes  et  leurs 
chapit(!aux,  563.— Signification  morale  des  plantes  d'ornementa- 
tion, 563.— Comment  la  sculpture  moderne  doit  traiter  ces  objets 
avec  plus  de  soin  et  de  perfection  que  jamais,  564,  — sans  s'écarter 
T.  III.  :i8 


59 i  TABLE. 

uc-aiimoins  du  symbolisme  inséparable  do  raicliitecture  religieuse, 
o65,— ni  confondre  les  époques  indiquées  par  l'emploi  de  tels  ou 
tels  motifs  de  la  flore  murale,  565.  — Choix  des  plantes,  et  leurs 
proportions  à  garder  selon  le  pinson  moins  d'étendue  des  édifices, 
§65,  — et  le  lieu  qu'elles  y  doivent  occuper,  566.— Cette  théorie 
serait  le  sujet  d'un  livre  important,  568.— Exemples  de  la  basilique 
de  Reims,  569;  —  immenses  variétés  de  sa  botanique  sacrée,  569,  — 
et  de  celle  d'Amiens,  avec  les  vertus  figurées  par  des  fleurs,  570, 
—  et  sa  parabole  du  bon  et  du  mauvais  arbre,  571.— Ainsi  la  flore 
murale  se  rattache  à  tout  le  système  d'ornementation  catholique, 
S71. 


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