HISTOIRE ET THEORIE
DU
SYMBOLISME RELIGIEUX
HISTOIRE ET THÉORIE
DU
SYMBOLISME RELIGIEUX
AVANT ET DEPUIS LE CHRISTIANISME
Contenant :
l'bXPUCATION DK tous LBS MOVENS symboliques KELIOIKUX employés dans L'AItr PLASTIQUE
MONUMEKTAL OU DÉCORATIF CHEZ LES ANCIENS ET LES MODKUNES
AVEC LES PBINCIPES DE LEUR APPLICATION A TOUTES LES PARTIES DE L*ART CHRÉTIEN
D'APRÈS LA BIBLE, LES ARTISTES PAÏENS, LES PÈRES DE L'ÉGLISE
LES LÉGENDES, ET LA PRATIQUE DU MOYEN AGE ET DE LA RENAISSANCK
PAR
M. l'Abbé AUBER
Chanoine de Poitiers
Historiographe du diocèse, Membre de plusieurs Académies
et Sociétés savantes
TOME TROISIEME
PARIS
LIBRAIRIE DE FÉCHOZ ET LETOUZEY
5, RUE DES SAINTS-PÈRES,
1884
ÏME JNSTITUTE CF Ife^EDîAFVAL STUt*:tS
10 ELMSLEV PLAC£
'^ '-^ G 1931
0
/6 63
HISTOIRE
ET THÉORIE
DU SVJIBOLISMË RELIGIEUX
TROISIÈME PARTIE.
SYMBOLISME ARCHITECTURAL ET DÉCORATIF.
CHAPITRE I.
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LE SYMBOLISME
ADAPTÉ A L'ARCHITECTURE CHRÉTIENNE , ET
FAITS HISTORIQUES QUI S'Y RATTACHENT.
Quand tout venait de changer dans le monde moral , et L-Égiise devait
que des hauteurs du Calvaire un Dieu , jetant à tous les pies chrétiens un
peuples une parole d'unité, les conviait aune vie nouvelle n^ueV^
dans un même culte et une même foi ; quand cette douhle
expression des premiers hesoins de l'humanité s'était ma-
nif(îstéc par d'innomhrahles symholes , ne fallait-il pas à
celte religion , qui lecueillait l'immense héritage de toutes
T. III. 1
2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
les âmes, des temples où respirât, comme dans ses dogmes
et ses prières , l'estliétique d'mi intime et mystérieux en-
seignement? Cette religion du cœur et de l'esprit ne pouvait
abjurer un droit qu'avaient usurpé sur ses primitives ins-
pirations les fausses doctrines du paganisme ; et si celui-ci,
comme nous l'avons établi déjà , variait les formes de son
arcliitecture religieuse d'après les caractères différents de
ses divinités (i) , comment les premiers maîtres du Gbris-
tianisme auraient-ils pu méconnaître l'importance d'une
leurs nombrcù- créatiou parallèle au profit de la véritable révélation ! Cet
l'Écrittre et les idéal ludispcnsable ne s'était-il pas d'ailleurs essayé , pour
ainsi dire , chez le peuple dépositaire des Prophéties , et ne
semblait-il pas encore indiquer de loin aux enfants de la
Promesse un tabernacle, nouveau comme tout le reste,
mais plus digne par son spiritualisme du Dieu qu'on y
devait adorer en esprit et en vérité (2), de ce Dieu qui réa-
lisait en sa personne le type des Patriarches (3) , qui avait
prescrit à Noé les moindres détails de l'arche libéra-
trice , et jusqu'à ses mesures diverses , dont les nombres
renferment des mystères symboliques (4) ? Devait-il faire
(1) Cf. ci-dessus, t. I, ch. ix, Symbolisme des arts chez les an-
ciens.
(2) « In ppiritu et veritate oportet adorare. » [Joan., iv, 24.)
(3) Voir Huet , Démonstration évangélkiue , ou Veteris Teslamenti
cum Novo parallelismus, apud Migne , Scripturœ sacrso cursus com-
pletus, t. II, col. 859.
(4) S. Isidore de Séville, qui vivait de 570 à 636, développe ainsi ces
rapprochements : « Noe per omnia omnesque actus ejus Christum si-
gnificat... Solus justus invenilur Noe in illa geute cui septem homines
donantur propter justitiam suam. Solus Christus justus est atque per-
fectus, cui septem Ecclesiee (scilicet Apocalypsis, cap. i) propter sep-
templicem spiritum illuminantem in unam Ecclesiam condonantur.
Noeperaquamet lignum liberatur : lignum quippe et aquacruorem dé-
signât et baptisma... — Arca Ecclesiam demonstrabat, quse natat in
fluctibus mundi hujus... Arca trecentibus cubitis longa est, ut sexties
quinquaginta compleantur, sicut sex œtatibus omne hujus saeculi tem-
pus extenditur in quibus Christus nunquam destitit prœdicari: in quin-
que per prophetiam..., in sexta per Evangelium... —Cubitis quinqua-
ginta latitudo (arcae) expanditur , sicut dixit Apostolus : Charitas Dei
SON APPLICATION A l'aRT CHRÉTIEN. 3
moins pour son Église , en qui tous les hommes doivent
être sauvés , et que rArclic représentait , au dire de tous
les interprètes (I)? — Il y avait plus : cette grande merveille
qu'on appela le Temple de Salomoh , qui ne s'était élevé
à si grands frais qu'afin de préfigurer l'Église et le Corps
sacré du Sauveur (2) , n'offrait rien qui ne fût symbolique,
depuis ses fondements inébranlables de marbre et de por-
phyre , jusqu'à ses plafonds de cèdre odoriférant , depuis
sa distribution extérieure jusqu'aux innombrables orne-
ments qui en décoraient les murs, jusqu'aux meubles et
diffusa est in cordihus nostris per Spirituni Sanctum qui datus est
7iû bis {Rom., \, 5). Quinquagesimo eiiim die post resurrectionem suam
Christus Spiritum Sanctum misit , quo corda fîdelium dilatavit... —
Altitudo in tringinta ciibitos surgit , quem numerum decies babet in
treceutis cubitis longitude, quia Cbristus altitudo nostra qui tringinta
annorum gerens setatem , doctrinam evangelicam consecravit, contes-
tans Legem non se venisse solvere, sed adimplere. Legis autem cor in
decem prœceptis agnoscitur. Unde decies tricenis arcse longitudo per-
ficitur, unde et ipse Noe ab Adam decimus computatur. » (S. Isidori,
Hispal. episc, Quxsliones in Velus Testam.; — In Genesim , cap. vu,
no8 1, 2, 3, 5, 6, 7 ; mihi, Migne,t. LXXXIII, col. 229 et seq.)— On n'ob-
jecterait point ici qu'il s'agit précisément, dans tout ce qui précède, de
l'Église comme corps moral et réunion mystique des fidèles; car on
sait que l'église matérielle est aussi la figure symbolique de celle-là.
(1) S. Augustin, De Civilale J)ei, lib. XV, cap. xxvi : « Procul dubio
figura est peregrinantis in hoc soeculo civitatis Dei , boc est Ecclesise,
quœ fît salva per lignum in quo pependit mediator Dei et hominum,
liomo Christus Jésus. » — Voir encore S. Jérôme, Contra rJovianum et
Gonlra Luciferum ; S. Cyprien, Serm. de Spiritu Sancto ; Origène,
fn Genesim, cap. vi et vu;— et Durant de Mende : « Sane non est nova
oratorii sive ecclesiœ institutio. Prœcepit namque Dominus Moysi in
monte Sinaï ut faceret tabernaculum de cortinis mirifice fabricatis...
Salomon œdificavit opère mirifico templum, duas habens parles...; ab
utraque vero nostra materialis ecclesia formam sumpsit: in cujus parte
anteriori populus audit et orat; in sanctuariovero clerus orat, pra^dicat,
jubilât et ministrat. » {Ration, div. Of/ic., cap. i.)
(2) « Salomon aedificare cœperat templum Domino, in typo quidem
et in figura Ecclesice et corporis Domini. » (S. August., Prœfat. in
psalm.c^x\i.)^(i Non ipse David, sed ejus filius templum aedificavit...
quoniam Christus, secundum carnem Davidis filius, erat aedificaturus
omnes ccclesias quee sunt in toto orbe terrarum. » (Theodoret, In lib. I
Paralipomenon, quœst. i.) Q. QT
V.3
/< HISTOIRE DU SYMBOLISMi:.
aux images qui servaient au culte ou à rembellissenient (I).
A suivre les Pères dans l'explication minutieuse qu'ils ont
donnée des particularités de cette majestueuse construction,
on voit bien que tous les mystères qu'elles expriment sont
applicables à des vérités spirituelles de la seconde Loi. C'est
dans S. Augustin surtout qu'il faut en chercher la preuve :
ce grand génie a tout résumé en quelques mots , soit de
ses œuvres oratoires., soit de ses commentaires sur les
Psaumes (2) ; et nous reviendrons à beaucoup de ses idées
quand nous devrons reproduire les nombreuses leçons que
l'Esprit-Saint a prodiguées sur cette matière.
Les traditions de l'architecture chrétienne étaient donc
toutes faites depuis longtemps à l'aurore dii Christianisme ;
la religion n'eut qu'à les prendre pour les continuer en les
perfectionnant.
Mais, avant d'épancher sur les vastes dimensions de ses
cathédrales et de ses églises monastiques les reflets de ce
génie divin qui y parle une langue si riche et si variée , il
lui fallut se rétrécir en de médiocres espaces. Le berceau
de l'art chrétien devait s'environner de ténèbres , sans
doute pour manifester d'autant plus à la lumière qui devait
les suivre la gloire trop longtemps contestée de cette éter-
nelle Sagesse, qui n'opère jamais plus évidemment que par
les contrastes.
(1) Voir les interprètes modernes d'après les Pères : Tirin,Estius,dom
Galmet , Sacy et autres. — M. Bâtissier reconnaît aussi ces analogies.
Histoire de Varl monumental, p. 361, in-8", Paris, 1848.— On sait par
Eusèbe que Constantin avait fait construire sur ce plan, à Byzance, la
magnifique église qu'il destinait à sa sépulture. — Voir Eusèbe, Vila
ConUant., lib. IV, cap, xviii, et Histor. eccles., lib. X, cap. iv.
(2) « Templum Régis ipsa Ecclesia. Unde struitur templum?De lio-
minibus qui intraut in templum. Lapides vivi qui sunt nisi fidèles Dei?
Templum Dei in unitate est, non ruinosum , non discissum , non divi-
sum. Junclura lapidum viventium charitas est. Tantum autem valet
junctura charitatis ut, quamvis multi lapides vivi in structuram tem-
pli Dei conveniant , unus lapis ex omnibus fiât. Templum hoc Deus
ubique coUocavit; fundamenta Prophetarum et Apostolorum ubique
iirmavit. » (S. August., In psalm. xxxix el xliv.)
S0.\ APPLICATION A L AHT CHRETIEN. o
En effet, c'est réellement dans les catacombes qu'il faut Los catacombes,
proinier type sym-
aller chercher le prototype de nos églises chrétiennes. Pour boiiquc. de nos
• 1 • églises ,
peu qu'on en veuille étudier le plan intérieur, on voit bien
quels rapports nos monuments sacrés gardent encore avec
ces lieux vénéral)les où se conservent nos plus religieux
souvenirs. La nefoblongue, souvent privée d'orientation ,
il est vrai , quand les dispositions géologiques des lieux
la rendaient impossible , mais terminée par une abside
cruciforme , garnie du trône épiscopal qu'entourent les
siég^es du Presbytère ; l'autel élevé sur une crypte où re-
posent les sacrées reliques des martyrs; les vides circu-
laires ménagés en voûte [monumenta arcuata) , et presque
toujours terminés eu\-mémes en hémicycles dans les parois
latérales, pour recevoir d'autres corps à mesure que les per-
sécutions les y envoyaient, et qui sont devenus, par la suite,
ces chapelles des bas-côtés inaugurées sous le vocable de
tant de Saints, ou môme ces arcatures continues décorant
les murs intérieurs de nos plus vieilles églises ; enfin ces
vestibules [Joculi^ cubicuîa) introduisant à la pièce princi-
pale, et qui représentaient fort exactement les annexées
qu'on appela plus tard le diaconiciim ou sacristie : tout
prête à comparer ces premiers sanctuaires à ceux qui s'ou-
vrent pour nous chaque jour, et dont nous savons que le
plan original n'a souffert que de légères modifications (I).
(1) Rnoul Rochette,, Tableau des Catacombes , p. 113, in-12, Paris,
1837. — On retrouve cette disposiliou décorative dans la crypte de
Sainte-Radégonde de Poitiers, qui date peut-être de la lin du sixième
siècle. L'art gothique, qui apparaissait déjà lors de la transition, s'em-
para de ce moyen et l'appliqua dans la magnifique nef de cette môme
église, aussi bien que dans la cathédrale voisine qui en avait été le
type. — Tant de relations mystérieuses mais évidentes persuadent aisé-
ment qu'un type émané des catacombes a dû se perpétuer jusqu'à ces
intéressantes époques de l'art chrétien , d'où il est parvenu jusqu'à
nous. On peut le conclure très-strictement des nouvelles observations
faites dans les catacombes par M. Louis Perret, dont le beau travail a
été publié en 1852. — Cf. Peintures des catacombes , p. 13 et 15, in-f<'.
— Voir encore VArckitcttura delta Roma sotlerranea . per cura di
G. Marchi, in-4", p. 177; puis la description et le plan de l'église Saint-
6 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
mieux et plus que Nous iic pouvoiis douc admettre, avec plusieurs écrivains
la basilique civile 15 i • i t • •
des Romains. dc Hotrc teuips , que 1 architecture catholique se soit ins-
pirée d'ahord des basiliques profanes de Rome païenne {]),
On rencontre , il est vrai , dans nos temples de frappantes
analogies avec ces édifices publics , et ce que nous venons
d'en dire convient, jusqu'à- un certain point, aux uns et aux
autres ; mais on a trop répété , comme fait archéologique ,
une erreur qui enlèverait absolument à la Rome souter-
raine son antériorité de date sur nos basiliques religieuses,
en la privant de l'influence directe qu'il faut lui accorder
sur celles-ci. Cette influence est manifeste , et, tout en ad-
mettant de frappantes ressemblances dans le plan général
de ces constructions si différentes par leur but ; en avouant
que rien ne dût paraître plus convenable aux exigences du
nouveau culte que ces vastes enceintes si commodes pour
une nombreuse assemblée , et dans lesquelles la religion
prenait si avantageusement la place de la magistrature
civile , on doit se garder d'oublier ces mêmes nefs , ce
même hémicycle absidal , cette même position du clergé
et du peuple indiqués tout d'abord dans les catacombes ,
dont nous avons vu l'origine dans l'Apocalypse, et à laquelle,
par cette double raison, on ne put renoncer plus tard (2).
Voilà , nous semble-t-il , et pour répondre à une question
Sébastien, à Rome, et des catacombes qui l'avoisiDent dans Aringhi,
Roma subierranea , t. I , p. 461 , la planche de la page 471 et celle du
tome II, p. 406 ; Roma, in-f», 1651, et Raoul Rochette, p. 281, note 94,.
et encore Marchi, uhi suprà, p. 175, 191 et 198.
(1) Voir Bâtissier, Hist. deVart monumental^ p. 359 et454, et avec lui
MM. Raoul Rochette, Renouvier, Schmitt et bien d'autres. On voit bien
que tous ces honorables écrivains n'ont étudié l'art du Christianisme
qu'au point de vue de la science humaine et sans comprendre le mys-
ticisme de ses intentions. Quand on en est là, on ne fait aucune diffi-
culté de répéter de vieilles redites , et l'on finit par faire pas.-;er pour
une vérité incontestable le fruit de singulières irréflexions. Nous ver-
rons d'autres singularités de cette force.
(2) Voyez ce que dit de cette abside primitive le P. Lupi, Disserla-
zioni e Letterefilologiche, etc., i^^ part., §§ xxii et xxvi, in-4°, Faenza,
11155, p. 15 et suiv.
SON APPLICATION A l'aUT CHRÉTIEN. 7
émise par un de nos savants collègues de la Société fran-
çaise d'archéologie, « comment il se fait que le Ghristia-
» nisme inclinât vers cette forme monumentale , et qu'il
» en ait même produit spontanément des spécimens durant
» l'ère orageuse des persécutions. )> Et qu'on n'aille pas
nous objecter que les catacombes, devenues le refuge des
chrétiens persécutés , purent bien être disposées par eux
sur le modèle des basiliques de la Ville supérieure. En fut-
il ainsi, cela prouverait tout au plus qu'il y avait quelques
rapports de hasard entre celles-ci et la description de l'Église
éternelle où Dieu s'était révélé à S. Jean. Mais comment
appuyer cette conjecture, et auquel de ces deux objets pense-
t-on que le Christianisme ait pu donner la préférence ? —
Nous irons plus loin : et de ce qu'il y avait dans la Rome
souterraine des lieux consacrés en formes diverses , sphé-
riques , oljlongs ou carrés (^1 ) , nous n'hésiterons pas à
expliquer par là comment ]}eaucoup d'églises ou de bap-
tistères célèbres ont pu adopter ces plans symboliques dont
on accuse trop légèrement la prétendue excentricité. Aussi,
dès que s'interrompirent les persécutions qui avaient forcé
les premiers fidèles de se cacher, les églises qu'ils purent
bâtir au grand jour n'eurent point d'autres formes. Quand
cette assertion manquerait des preuves positives qu'on peut
lui donner (2), on le conclurait très bien par induction,
puisqu'au rapport des historiens , les heux sacrés démolis
ou brûlés par les persécuteurs se relevant aussitôt que la
paix était revenue , les lois symbohques relatives à ces
^1) BoUari, Pillure c srMplurc sagre , eslraile dai cimitery di
Ronia, t. I, ijI. iv; t. II, p. 112, pi. xciv, et t. III, p. 91, 92, pi. CLVI et
CLXXXV.
(2) Voir M. de Roisin: Origines de la basilique chrétienne , Bulletin
vtonuuienUil , t. XXVI , p. 2G3. — Ces édifices , en effet , devaient être
assez simi)les et bien dilîérents des églises du mo3^en âge par leur
beauté architecturale, puisque S. Jean Chrysoslome disait au quatrième
siècle que les basiliques et les palais des princes l'emportaient de beau-
coup par la splendeur et la magnificence de l'architecture sur les
édifices élevés à la gloire des Saints. {Ilomil. xxvi in 2 ad Cor.,
no 5.)
8 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
constructions, et qui venaient des Apôtres (\) , forçaient
d'en reproduire l'ancienne ordonnance déjà consacrée (2).
Insuffisance du Rcmarquons d'ailleurs que l'ensemble si vanté des basi-
symbolisme de . , ,. ..i»i i>i i
celle-ci. liques romaines dut se plier tout d abord a de nombreuses
retouches pour s'accommoder à sa nouvelle destination,
soit qu'on ait utilisé aussitôt celles que Constantin donna
aux catholiques, soit qu'il ait fallu bientôt en élever d'autres
sur des places plus conformes aux développements de la
liturgie. Nous savons ce que devait être au quatrième siècle
la cathédrale de Trêves, dont les fouilles récentes ont révélé
la disposition primitive (3); ou encore cette église de
S. Hippolyte martyr, dont Prudence se plaît à décrire si exac-
tement les trois nefs , les chapelles latérales , l'abside avec
son siège épiscopal (4). Mais, quelque beaux édifices que
(1) Les canons des Apôtres, aussi bien que les décisions qui forment
l'ensemble du livre connu sous le titre de Conslituiions Apostoliques,
sont, de l'aveu de tous les critiques, d'une époque bien postérieure au
temps des Apôtres , et ne peuvent guère s'en rapprocher plus que le
commencement du quatrième siècle ou la fin du troisième. Mais on re-
connaît généralement qu'ils renferment des traditions remontant jus-
qu'au berceau du Christianisme, et qu'ils furent réunis en un seul corps
lorsque la paix rendue à l'Église permettait d'établir au grand jour le
droit ecclésiastique jusqu'alors tenu secret, aussi bien que les uscigesde
la liturgie. (Voir Biner, Apparat us juris canonici, pars 11, cap. iv.)
Ainsi les règles invoquées sous le nom d AposloliquesV oni toujours pu
être, et la continuité du respect qu'elles ont obtenu par toutes les
Églises constate sûrement la légitimité du nôtre. On peut donc s'en
faire une autorité en matière d'archéologie et d'histoire, et l'on saura
désormais, quand nous devrons nous appuyer sur elles, dans quel ?ens
orthodoxe nous persisterons à les citer. — Voir encore Bouix, Tractal.us
de Principiis ju7'is canonici, cap. m, § 3; et Fleury , InsUiiUion au
droit canonique, f^part., ch. i.
(2) Eusèbe, Hislor. ecclesiasl.,\ih.yi, cap.xxviii; Origène, M Mat-
theBum tractatus xxviii.
(3) Voir la description qu'en a donnée M. de Roisin, Bulletin des co-
mités historiques, 1849, 1. 1, archéologie, p. 233, Paris, in-S».
(4) Stat... templum..,
Parietibus celsum sublimibus, atque superba
Majestate potens...
Ordo columnarum geminus laquearia teeti
Sustinet, auratis suppositus trabibus.
Adduntur graciles tecto breviore recessus,
Qui laterum seriem jugitereximiant,
Et medios aperit tractus via latior alti
Culminis, exsurgens editiore apice.
Fi'onte sub ad versa gradibus sublime tribunal
Tollitur, Antistes prœdicat unde Deum.
(Prudentii Peristcphanon, hymn. xi, v. 215.)
SOA' APPLICATION A LART CHRÉTIEN. 0
fussent CCS palais de justice et ces prétoires, (jiii n'en étaient
pas moins quelquefois des lieux de transactions commer-
ciales, et même des promenades publiques (! ), il y avait loin
de ces usages de la vie pi'ofane aux grandes choses de la
religion. Plus celle-ci marchait, plus elle aspirait à d'autres
pensées : elle voulait avant tout que toutparlât, dansl'asile du
Sacrifice et de la prière, à l'esprit et au cœur de ses enfants.
Ce quadrilatère allongé, dont rien ne tempérait la sécheresse
que deux rangs de colonnes à chapiteaux insignifiants ; ces
fenêtres à plein cintre, distribuées symétriquement à la sur-
face des murs pour donner à un intérieur sans mystère un
jour dépourvu de toute éloquence religieuse ; cette achitravc
grecque, dont la masse , surmontée d'une frise dessinée au
hasard, alourdissait des portes aux lignes froidement per-
pendiculaires ou horizontales, tracées selon les règles strictes
de la ligne droite, et pesait sur des colonnes qui ne s'y
rattachaient que par un système muet et absolu : tout cela
n'était guère secourable à la pensée esthétique et n'expri-
mait pas mal d'ailleurs le matérialisme de l'art païen.
Si donc on admit d'abord des dispositions générales qu'on comment n fai-
* ^ ^ lut le compléter.
eût trouvées sans beaucoup d'efforts en sortant des souter-
rains sacrés, ce ne put être qu'à condition d'en changer les dé-
tails, et de tout reporter aux principes du spiritualisme nou-
veau. Et voilà comment on convint tout d'abord que l'église
chrétienne aurait la forme d'une nef ( de mos, vaisseau^ et
non de va6ç, temple) ; que l'autel y serait, d'après les Cons-
titutions Apostoliques (2), tourné vers l'orient; que l'axe
(1) Vitruve, De Arr/iitecL, lih. V, cap. i : « Uti supra basilicœ conti-
gnationem ambulantes ab negotialoribus ne conspiciantur. »
(2) « Primo quidem œdes sii oblonga, ad orientem versa, ex utraque
parte pastoi»horia versus orientem babens, et quœ navi sit similis. »
(Con^tilvt. Apo.stolir., lib. II, cap. Lvii,apud Cotelier : Paires œvi Apo-
stolki, t. I, p. 261, in-folio, 1672.)— Il faut bien ici remarquer ces im-
portants détails de l'orientation, des absidioles orientées comme l'ab-
side, et de cette forme de nef. Voilà tout une église comme le moyen
âge nous en a tant donné qui subsistent encore. — Voir S. Gregor.,
10 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
longitudinal, en sortant du sanctuaire, se briserait du nord
au sud par une brusque déviation de sa ligne naturelle (^ ) ;
que la forme de croix serait donnée au monument par le
double prolongement du transept à droite et àgaucbe (2).
11 n'y eut pas loin, un peu plus tard, de cette ordonnance
élémentaire à ses développements successifs, et ce que l'art
y ajouta dans l'intérêt de la pensée doctrinale devint une
conséquence de ce premier élan fondé sur les données posi-
tives de l'Écriture et delà Tradition. Qui ne voit aujourd'hui
l'application, aussi féconde que remarquable, de toutes ces
idées et de beaucoup d'autres dans la description si connue
qu'Eusèbe de Gésarée nous a donnée de l'église de Tyr,
relevée de ses ruines , en 3^ 5 , par son évoque Paulin ? Il
est clair, d'après ce texte, que l'importance attachée à chaque
détail de ce vaste et magnifique édifice venait des symboles
qui y traduisaient les vérités de la foi. C'est donc justement
qu'un docte écrivain de nos jours, constatant que toutes les
éghses bâties au quatrième siècle en Orient et en Occident
Turon. episc, Hist. Francor. , lib. II, cap. xvi, xvii;Ub. VII, cap. xxxvi;
lib. X, cap. XXXI ; — S. Venautii Fortunati opp., pars I, MiscelL, lib. I,
cap. XIII ; lib. II, cap. xiv, et alibi.
(1) Ce fait, peu remarqué dans les églises des premiers temps , est
fort sensible à Saint-Jean de Poitiers, qui date au plus tard du qua-
trième siècle. On a donc prétendu à tort que ce symbole n'avait apparu
qu'au onzième "ou douzième siècle. — Voir M. Trémollière , Encyclo-
pédie du dix-neuvième siècle, t. XXIII, au' mot symbolisme. Trop con-
fiant dans cette assertion, nous devons nous repentir de l'avoir adoptée
dans nos Reclierches sur l'église et la paroisse de So.int-Pierre-des-
Eglises, p. 8, et d'en avoir tiré une fausse conséquence. Si donc on ren-
contre du quatrième au onzième siècle quelques sanctuaires dépourvus
de ce caractère, il faut bien plutôt attribuer cette anomalie soit à un
oubli exceptionnel des constructeurs, soit à un remaniement postérieur
de la nef sans intelligence du plan primitif.
(2) Dans quelques basiliques, il est vrai, la croisée semblait exister
d'avance, comme on le voit dans ce qui nous reste de labasilique Émi-
lienne conservée par dom Montfaucon {Anliquilé expliquée, i. III, pi. c)^
mais toutes n'admettaient pas cette particularité d'une manière aussi
prononcée , et c'est vraiment l'Église (nous le verrons bientôt) qui l'a
voulu comme un symbole de sa pensée génératrice.
SON APPLICATION A LART CHRÉTIEN. If
conservaient alors les formes antérieures à la paix de Cons-
tantin, fait observer que les mystères cachés sous les parti-
cularités de la construction étaient connus du peuple fidèle
comme autant d'objets de renseignement religieux (1). En
effet, Eusèbe, que nous suivons ici, n'est pas seulement
l'historien de ce fait : il l'avait prêché au jour même de la
dédicace de cette égUse, et en avait exposé tout le symbo-
lisme devant une assistance considérable que présidaient un
grand nombre d'évèques.
On voit par là , du moins en partie, ce qu'était le style , Caractères sym-
^ X ' 1 «j bohqucs des cgli-
architectural des églises avant le onzième siècle , auquel il ses ant.'ricures au
^ ^ onzième siècle.
faut rapporter en plus grand nombre les plus anciennes
qui nous soient restées. Mais nous savons de plus quelles
formes a\ aient reçues ces monuments dès les premières
années du règne de Constantin. On sait, par les découvertes
récentes, qu'après ce règne ce qu'on est convenu d'appeler la
basilique latine persiste encore de longues années; et depuis
Prudence, qui écrivait à la fin du quatrième siècle, jusqu'à
S. Fortunat de Poitiers à la lin du sixième, on retrouve dans
les auteurs de cette période les traces fort reconnaissables
des magnificences de l'art romain ; mais il certain, par d'au-
tres témoignages, qu'une théorie nouvelle allait s'établir dès
lors, et il est facile de s'en convaincre par l'inspection d'un
petit nombre de spécimens très-CvXplicites, tels que la Basse-
œuvre de Beauvais, Saint-Eusèhe et Savenières en Anjou, le
baptistère de Saint-Jean à Poitiers, Saini-Pierre-des-Églises
près Chauvigny-sur- Vienne, Saint-Généroux et Saint-Jouin-
de-Marnes (Deux-Sèvres), Gravant et Saint-Martin-de-Vertou
en Bretagne, et d'autres encore. De ces édifices sacrés, quel-
ques-uns vont se perdre dans la nuit d'époques difficiles à
préciser; mais tous sont certainement de beaucoup antérieurs
au neuvième siècle, et deux surtout, que nous avons pu étu-
(l) Doin Guéranger , I ns Ululions lit urgifjii es , t. I, p. 04. — Fleury,
IJisl. eccles., lib. X, n" 'à, ad auii. 313 ; milii, p. 20U.
J{2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
dier de plus près, appartiennent sûrement à l'architecture
gallo-romaine , savoir : la petite paroissiale de Saint-Pierre-
des-Églises et le baptistère de Saint- Jean de Poitiers. Le
premier, avec son abside élargie en dehors des lignes de la
nef, ne fait pas même exception à la règle générale du plan
crucial, quoiqu'il semble manquer aujourd'hui de sa dévia-
tion longitudinale , probablement effacée par des remanie-
ments successifs ; le second, réunissant ces deux caractères
en des traits longtemps méconnus, mais devenus enfin,
et par suite de nos recherches personnelles, aussi évidents
que possible. On y observe, d'ailleurs, l'orientation normale
des fenêtres en meurtrières, l'abside en hémicycle (au moins
intérieur) où s'élève l'autel, et le soin qu'on a eu de couvrir,
dès le commencement, ce môme autel d'une voûte qui
d'abord fut exclusivement donnée au sanctuaire. Une rapide
comparaison de tous ces monuments, dans laquelle on
noterait surtout la forme générale de l'édifice, presque tou-
jours dessiné en parallélogramme allongé, convaincra aisé-
ment qu'il n'y eut jamais de différences considérables entre
ces premiers types et ceux de l'époque mérovingienne, l'ap-
pareil lui-même, composé de petit échantillon plus long que
large, restant le même et complétant partout cette descrip-
tion. —De ces œuvres passons à celles de la seconde race,
restées encore en assez grand nombre sur les bords duRhin,
où vivent, de nos jours, tant d'églises construites par Gharle-
magne. Nous arrivons, par ces degrés continus, à constater
les frappantes relations de ces temps rudimentaires avec les
travaux de l'école romane dont nous jouissons aujourd'hui,
et que le style ogival n'a gracieusement modifiés que par
des perfectionnements artistiques. C'est ainsi qu'en remon-
tant à travers les âges on reconnaît à chaque pas les mômes
et les plus incontestables notions du symbolisme appli-
quées à la demeure de Dieu.
Ces caractère" Et cc u'étalt pas sculemeut dans une contrée, et sous l'in-
partout et tou- i . • , i i i • , . • i i
jours observés, fiucnce limitée de quelques architectes imbus des capn-
SON APPLICATION A LAIIT CHUÉTIEN. -13
cieuses formalités de leurs tliéories personnelles : c'était par-
tout, aussi jjien dans les Gaules qu'en Italie, en Orient qu'en
Occident; et au milieu des diversités qu'imposent les pen-
sées de tant d'architectes divers, c'est toujours le principe
esthétique qui y dispose de tout. Ainsi , les basiliques
élevées en si grand nombre par Constantin reproduisent
la croix grecque ; la croix latine , déjà différente de celle-
ci par le prolongement de sa partie inférieure, est adaptée
à Saint-Pierre de Trêves avant le milieu du quatrième
siècle (I). — Les trois absides répondent au mystère du
Dieu en trois personnes , et , dans chacune d'elles encore
trois fenêtres symbolisent le même dogme et rappellent
à tous la même vérité fondamentale. L'orientation régu-
lière s'y fait aussi remarquer. Il en est de même à Sainte-
Sophie de Constant! uople, achevée, en5î8,par JustinienP'";
et cette même période voit construire à Ravenne par le saint
évêque Ecclesius la basili(|ue octogone de Saint-Vital ,
({n'avait précédée, sous la même ichnographie symbolique,
le baptistère de cette métropole (vers 451), et Sainte-Marie
in Cosmcdin, achevée en 520 (2). Enfin, l'une de nos plus
belles églises de France, Saint-Germain-des-Prés, recevait,
dans le même teuips encore (en 558), de Childebert P'", sa
forme cruciale, avec son premier vocable de Sainte-Croix,
à Poccasion d'une magnifique ctoix d'or apportée par lui
de Tolède, et qu'il donna à Péghse avec les reliques qu'elle
contenait (3).
Malheureusement ces monuments, et beaucoup d'autres mais pius oa
11», . . , , , moins riches sous
de la même époque, ne sont parvenus jusqu a nous quen rinfluence morale
dépit de beaucoup d'épreuves, de reconstructions considé- ques. '^^'^^^^ ^^'^'
râbles sinon presque totales, et surtout, hélas! frappés de
(1) Voir de Roisin, Notes, sur la restauration de la métropole de
Trêves, par AIM.le chanoine Wilmoski et l'architecte Schmitt,/»a//6'/i,'i
monumental, t. XV, p. 208.
(2') Couchaud, Églises byzantines en Grèce, in-4o, Paris, 1842.
(J; Bull, monum., t. Vil, p. lOG et 108.
44 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
restaurations dont la condition première fut trop souvent
d'en oublier le style primitif. Si l'on observe, en outre, que
nous n'avons bérité en ce genre d'aucune œuvre magistrale
aux vastes dimensions où se soient déployées les ressources
d'un art mieux senti, et qu'au contraire le temps ne nous a
guère laissé à examiner que des églises rurales, dont le né-
gligé de bâtisse et d'ornementation accuse l'inhabileté des
grossiers maçons qui les firent, on se persuadera peut-être
que cette architecture avait pu être mieux traitée au sein
Pauvreté du (jes ffraudcs cités que dans les campagnes {-1 ) . Ne soyons
dessin architectu- ° ^ ni, ? • •
rai dans la pé- douc Das trop cxplicltes contre elle : 1 ère mérovnigienne a
riode du qua- ^ ^ i t
trième siècle au pu avolr dcs chcfs-d Œuvrc plus dignes que nous ne sem-
dixième. , i / i • »
blons le croire de 1 attention des archéologues ; mais n ou-
blions pas que ce ne durent être que des exceptions et que,
si belles qu'on puisse les croire d'après les contemporains
qui les admirent, il faut reconnaître à leur faire général que
tous ces spécimens portent le cachet véritable d'une époque
tourmentée : édifices construits à la hâte , sous la menace
presque incessante des invasions et des incendies que mul-
tiphaient partout les guerres des barbares , et tout em-
preinte, en un mot, des inquiétudes de la société qui les
élevait. A partir de la fin du quatrième siècle, où le droit
de conquête remplace presque partout la paix donnée au
monde par le premier empereur chrétien, et que vint trou-
bler pour longtemps Julien l'Apostat, des ruines se font sous
les remparts des villes comme dans les champs. L'archi-
tecture romaine, avec ses colonnes de marbre, ses frontons
élégants, son appareil régulier, ses bases uniformes et ses
chapiteaux studieusement dessinés, n'existera plus qu'à
l'état de débris réservés aux fouilles savantes de l'avenir. Le
mélange de pierre et de bois qui va la remplacer sera l'ex-
(1) Dom Mabillon, Acta Ordin. Sancii-Bened., t. I, p. 256. C'est
aussi l'opinion de quelques archéologues fort expérimentés. — Voir
Notice de M. de Glanville sur les églises consacrées au treizième siècle
'par Odon Rigaud, archevêque de Rouen; BuUet» monum.i t. XV, p. 245.
SON APPLICATION A l'aRT CHRÉTIEN. I -i
pression d'une pensée tonte différente. La tristesse de ces
jours malheureux s'imprimera sur ses murs lourds et épais,
dans l'étroite ouverture de ces fenêtres et de ces portes où
une lumière parcimonieuse laissera deviner la crainte de
l'ennemi.
Il est vrai qu'on voudra compenser cette pauvreté par
des richesses factices. Dans quelques sanctuaires brillera
le marbre disposé en marqueterie d'arabesques et de mou-
lures courantes ; on tracera des sujets dogmatiques en petites
mosaïques de pierres colorées ou de verres peints. Mais ces
images mêmes, dégénérescence de l'art antique,- objets cu-
rieux aujourd'hui de nos études, comme jalons dispersés
de nos plus anciens souvenirs , restent en dehors de l'ar-
chitecture proprement dite et ne font qu'un faible dédom-
magement de tant de pertes les plus regrettables.
Tout près de là , au lieu de ces élégantes corbeilles d'a-
canthe ou de ces volutes gracieuses épanouies sous les ar-
chitraves et les frises des temples anciens ; au lieu de ces
diamètres absolus des colonnes mathématiquement me-
surées, des triglyphes et des métopes, et de tant d'autres
détails du ciseau des artistes , comme on les étudie
encore dans la crypte de Jouarre et à Saint-Jean de Poitiers,
vous ne verrez plus qu'un système sévère de lignes mono-
tones et hésitantes, de surfaces à qui toute tentative d'orne-
ments suivie est refusée. Quelques traits malhabiles, inscrits
d'une main sans expérience autour d'un cône renversé ,
feront toute la richesse d'un chapiteau ; deux ou trois tores,
arrondis au mépris du compas, seront des bases, et tout cela
aura pour fut un monolithe cylindrique, trapu et froid
comme tout le reste. Çà et là vous verrez courir à l'archi-
volte d'arcades hémisphériques certaines moulures qui se
réduisent à des dents de scie, à des corbclets presque tous
sans images ni significations apparentes, à des étoiles, à des
roses, distrijjuées comme à regret dans le champ mal
ratissé de cette composition équivoque.
46 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Il n'en a pas Et , Cependant , CCS rares motifs ont, pour la plupart,
moins ses motifs , , , • x i • -r» i* ^ '^n^^
symboliques. icurs caractèrcs mystérieux et des significations réelles.
Ils restent là comme des assertions isolées, mais sûres, d'une
science qui tient à la vie qu'on semble lui disputer. On voit
s'y associer parfois les feuillages enroulés de la vigne avec
son raisin eucharistique (i) ; des (leurs inconnues n'en ex-
priment pas moins la vigoureuse végétation de l'âme chré-
tienne (2) ; la croix, et même le chrisme plus savant, s*y
inscrivent dans un orbe qui est cekii du monde, dont ses
branches touchent et dominent les quatre points cardi-
naux (3) ; des crosses entrelacées rappellent maintefois la
houlette spirituelle des Pasteurs (4). Mais combien le mérite
du sculpteur est encore au-dessous de ces dessins à peine
ébauchés, môme à l'Ile-Barbe, dont on croit un peu trop
pouvoir attribuer les curieux détails à l'époque carlovin-
gienne (5). Déjà, faute de mieux sans doute, et grâce au
manque évident d'étude et de goût des maladroits ciseleurs,
la forme accidentelle reste méconnue ; la pensée fondamen-
tale est tout à elle seule, et l'art n'allégera plus la lourdeur
de cette méthode qu'aux jours encore éloignés où l'école
byzantine enverra à l'Europe ses élégantes images , pour
mêler ses rubans et ses perles aux symboliques expansions
du roman fleuri.
(1) « Quasi vitis fructiiicavi. » {Ecoles. j xxiv , 23.) — « Vitis frondosa
Israël. » (Oseâe, x, 1.)
(2) « Florete, flores, et date odorem. » {Eccles., xxxix, 19.) — « Plan-
tât! in atriis domus Dei nostri florebunt. » {Ps., xci, 14.)
(3) (( Dilataberis ad Orientem et Occidentem. » (Gen., xxviii, 14.) —
t(Ab Oriente adducam».. et abOceidente.DicamAquiloni:Da; etAustro:
Noli proliibere. » {Is.j xliii, iO.)
(4) « Super muros tuos, Jérusalem, constitui custodes. » (Is , lxii, 6.)
— « Cambuca, sive virga pastoralis...,ministerium signitîcat Doctorum,
quorum studio et prœdi cation e conversio geutium facta est. » (Hug. à
Sancto-Yictore, De Sacrainentis, lib. il, pars V, cap. m; apud Migne,
Pairolog., t. CLXXVI, col. 441.)
(5) Voir Précis historique sur rile-BarOe, par M. l'abbé Roux, Bullet.
monum., t. X, p. 80 et suiv.
SON APPLICATION A l'aRT CHRÉTIEN. 47
Il n'en était pas autrement de la peinture qu'on avait Lapeintureem-
^ * ployee alors pour
toujours employée dans l'ornementation des sanctuaires. suppi<er au tra-
vail du ciseau.
On prétendait certainement racheter par elle ce que la
consti-uclion avait de rigide; elle suppléait même à ce que
la sculpture ne pouvait qu'imparlaitement, et les Capitu-
Inires de Gliarles le Cliauve ordounèient plus d'une fois de
répai'er les églises maltraitées par la guerre, et de leur
rendre l'éclat perdu de leurs peintures mutilées (Ij. Mais,
quelque précieux que soient ces renseignements, puisés
aux sources contemporaines, ils ne suffisent pas à bien
déterminer pour nous la valeur de ces moyens iconogra-
phiques. C'est à l'époque suivante qu'il faut demander une
idée plus nette des progrès de l'art.
Cette époque n'arriva que lentement toutefois, s'élabo- Ruine .les mo-
, I, ,,. Il-'» .y numents aux hui-
rant sur les malheurs publics des huitième et neuvième tième et neuvième
siècles. On vit dans les sombres années de cette longue pé-
riode le sol de la Gaule envahi par les Arabes, les divisions
entre leè familles régnantes, le pillage des églises ruinées
par les spoliateui's, les ravages des Normands, qui , sans
cesse repoussés, revenaient sans cesse et n'en exerçaient
que mieux leur ^ engeance sur le sol et les monuments par
le double fléau du feu et de l'épée. Telles furent les causes
(jui se liguèrent successivement ou à la fois pour ne laisser
que des ruines calcinées à la place des plus vastes édifices
chrétiens (2). Le divième siècle voit la l^'rance débarrassée
de ces cruels dévastateurs , qu'elle incorpore à sa grande
famille ; mais les guerres intestines n'en durent pas moins,
et il faut arriver jusqu'à ses dernières années pour voir
inaugurer, avec le règne de Hugues Gapet, cette paix dont
l'Église va proliter pour s'élancer vers la première de ses
grandes réformes architecturales.
(1) Baluze, Copilularia rcgum Francorum, t. II, p. 53 et 54, in-folio,
1G77.
(2) Voir Fleury, Uisloire du Droit français, ch. xiV; parmi ses opus-
cules, t. IV, in-8", Nîmes, 1781.
T. m. 2
18 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Terreurs histori- Ici iioiis vcnoos iious lieurLcr coiilrc un fait qui nous
ques de l'an 1000, .,.,•<•< xi '• ^t^
et de leurpréten- scniblc avoii' cté piis loi't souveut trop au sérieux quant a
îaRenaiÏÏance'du ccrtalnes conséqucnccs historiques accréditées parmi les
onzième siècle. ^^^.^^^^^^ Q^ fj^lj. ^ quolquc étranger peut-être à l'oi3Jet de
ce livre, se rattache intimement à l'histoire de l'architec-
ture chrétienne , et le lecteur nous permettra cette digres-
sion en faveur d'une vérité jusqu'à présent obscurcie par
de fausses appréciations.
A entendre un certain nombre d'écrivains qui en ont
disserté depuis trente ans, il faudrait se persuader que l'ap-
préhension de la fin du monde aurait paralysé, aux appro-
ches de l'an 1000, tous les efforts des architectes, laissé
sans réparations les monuments vieillis et presque ruinés ,
et qu'enfin un retour soudain à l'activité première serait
venu reconstituer ces chefs-d'œuvre perdus , et donner à
l'art des constructions sacrées un nouvel élan, quand le
temps eut prouvé aux populations terrifiées qu'elles n'a-
vaient plus de catastrophe à redouter (I). En tout cela, un
examen plus attentif des sources contemporaines peut faire
aisément la part de la vérité et de l'erreur.
Témoignages, H cst bicii Vrai qu'aux approches de l'an 1000 , et même
sur ce point, des , . ., i . ••ni ' i •l^ '
meilleures auto- uii deiiu-siecle auparavaiit , une vieille donnée des millé-
naires , fondée sur deux passages mal compris des chapi-
tres xn et XX de l'Apocalypse , s'était réveillée en Europe.
Mais il ne faut pas oubher qu'elle ne fut admise que par
un certain nombre d'esprits plus crédules, comme on en
voit toujours dans la foule des ignorants , et que les hautes
intelligences combattaient ces craintes irréfléchies. Des
prédicateurs purent bien s'en servir d'une manière plus ou
moins positive comme moyen de rappeler à la vertu ou
d'y maintenir : on n'en pourrait conclure que ce fut alors
(1) Voir M. de Caumoiit, Histoire de VarchiiecUire au mcijen âge,
p. 52 et 63 , in-S", 1837 ; — Bâtissier, Histoire de Vart monumental,
p. 433.
rites contempo
raines
SON APPLICATION A L ART CHRÉTIEN. ^9
une doctrine généralement acceptée , et surtout qu'elle le
fut en des ternies absolus et définitifs. Nous en avons une
preuve par Abbou, (jui gouvernait alors la célèbre abbaye
de Fleury ou Saint-Benoît-sur-Loire. Ce saint personnage
raconte que, dans sa preniière jeunesse (c'est-à-dire vers 945,
où il pouvait avoir vingt ans), il avait entendu prèclier dans
la cathédrale de Paris l'avénenicnt prochain de l'iVntechrist,
([lie devnit suivre de près le jugement universel. « C'était,
dit-il, un bruit répandu partout que le monde finirait
((uaiid lAuuoneialion coïnciderait avec le Vendredi Saint.»
Ur cette rencontre se fit en 992, Pâques tombant le 27 mars ,
et, les faux calculs tirés de l'Apocalypse établissant que la
fm du monde aurait lieu pendant le cours de la troisième
année qui suivrait , on aurait dû , semble-t-il , se tran-
quilliser dès la fin de l'an 995 ; mais le vague de la pré-
tendue prophétie et la pensée persistante de l'année fatale
tinrent les esprits en suspens et firent attendre encore.
Abbon avait été chargé par Richard , abbé de Fleury , de
réfuter ces bruits dangereux, lorsque, vers 9G2, on les avait
vus s'accréditer de nouveau en Lorraine. Il y avait donc
répondu en s'appuyant sur le livre de Daniel, sur les Évan-
giles et sur l'Apocalypse elle-même , dont il donnait l'ex-
ph cation adoptée par l'Église dans les écrits des Pères. Il
renouvela son opposition à ces rumeurs publiques, lorsque,
dans V Apologie publiée peu de temps avant la fin du dixième
siècle pour la défense de son orthodoxie , il indiqua , au
nombre des abus de cette époque, ce qu'on pensait encore
sur le môme sujet (i). Nous voyons par là combien les
hommes graves s'éloignaient alors de la superstition po-
pulaire. Nous en aurons bien d'autres preuves si nous re-
cherchons dans l'histoire les traces de célèbres construc-
tions élevées ou refaites jusqu'à la fin môme du dixième
(1) Abbonis Apologia, à la suite du Codex canonum velus, publié par
PiUîOU, p. 400, Paris, 1687.
20 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
siècle , quand le péril suprême devait sembler plus immi-
nent.
Grand nombre Pour peu qu'ou veullle, (iii eiïet, recourir aux sources au-
nasfè?e?éi'etés"'dê tlieutiques, OU s'étonnera du crédit si longtemps accordé à
ïooo,^"^^ "^ '*" cette fabuleuse terreur de la fin du monde, laquelle n'a jamais
pu frapper les esprits d'un découragement général, puis-
qu'en aucun siècle peut-être on ne s'adonna plus à fonder
ou à restaurer les monastères, soit en France, soit en Alle-
magne, soit partout ailleurs. Pour être d'une irrépro-
cliable exactitude , nous avons voulu interroger un cata-
logue fidèle des établissements religieux qui furent, à celte
époque, dans notre pays l'objet de ce zèle fervent. Nous
n'avons pas voulu poser nos limites au delà de la seconde
moitié du dixième siècle , et nous marcbons seulement de
l'an 950 à l'an 1000 : c'est la période où l'agitation dut se
faire plus active ; et dans ce cadre si rétréci où il semble,
à en croire tant d'échos éperdus, que le marteau et la
truelle ne devaient plus servir qu'à tailler et sceller des
cercueils , nous ne comptons pas moins de cent douze des
plus célèbres abbayes ou monastères divers construits ou
réparés de toutes parts (-1). Dans ce nombre, nos infati-
gables Bénédictins en ont, à eux seuls, plus de soixante ,
et l'on sait que déjà ces studieux cénobites étaient des plus
éclairés , partant des plus capables d'apprécier la valeur
et vers l'an 1000 tliéologique dcs Idécs populaires. Ajoutons que , sur qua-
rante-buit de ces maisons dont on s occupe amsi dans le
court intervalle des vingt dernières années du dixième
siècle (de 980 à 1000) , dix-sept s'élèvent ou dans le cou-
rant même de cette millième année, ou à ses approclies
les plus immédiates , et portent dans les historiens la note
formelle : « Fondé vers l'an iOOO. >> Puis ils en citent, et
des mieux réputés, jusque dans les cinq dernières années,
{{) QaÎ. Annuaire h'htorique, publié par la Sociélé de l'Histoire de
France, t. H de la collection, 1838, p. 02 et suiv.
SOi\ APPLICATIOIV A LMVÎ CHRÉTIKN. 21
OÙ le inoiiNciiieiit est loin de se ralentir : tels, eu 09(>,i\otre-
Dame d'l^]taiiipes, Saint-Franibold de Seiilis, Saiut-Flour, qui
deviut plus tard uu siège d'évôché ; en 997, Ahun de Limoges
etSaiîit-André de Villeneuve-d'Avignon ; en 999, Notre-Dame
de Vernaison près Carcassonne, Nauffle-le- Vieux au diocèse
de Ciliartres, Saints-Gei'vais-et-Protais de Mende. C'est encore
pendant qu'on se serait acheminé à la fin de toutes choses
que le diocèse de Poitiers vit naître, en 96 1 , Saint-Liguaire ,
près Niort (alors relevant de Saintes), Airvault en 973, S. Léo-
nard de Ferrières en 979 , enfin Maillezais en 990. On osa
all(M' plus loin ; et quand l'année fatale se fut montrée ,
quand , au dire des prophètes de malheur, il n'y avait plus
que deux ans et demi entre le monde et son dernier jour,
on n'hésita pas à hfitir pour cette courte jouissance, à Sentis
l'ahbayede Saint-Régulus, Saint-Vivant à Autun, Saint-Pierre
de Générez près de Tarbes. D'autres s'exposèrent à un bail
de dix-huit mois, car c'est en i OOi que la ïouraine fonda son
monastère de Preuilly , et le Bigorre celui de Saint-Marthi
de Cani"ou. Voilà, certes, des témoignages d'une grande se- ^a «n du mondo
^ ' ' O D O jj,ggt signalée
curité : ils expliquent fort bien comment, parmi le grand alors que dans un
^ ^ 1 o petit nombre de
nombre de chartes et autres actes publies du môme temps chartes.
venus jusqu'à nous , il est relativement fort rare , quoi
qu'on en ait dit, d'en voir qui invoquent la pensée de la
fm prochaine de toutes choses pour motiver les donations
ou œuvres pies ainsi confirmées. C'est toujours, à quelques
exceptions près , leur propre mort que les donateurs voient
arriver : c'est dans le désir de se racheter eux-mêmes qu'ils
se montrent généreux envers les moines et le clergé (^).Et
(1) « Intérim rjum orbitca saeculi volvitur , et fabrica uniiiscujusquc
corporis anhelitu s[)iritus aspirât , tractare débet mens cujusquam cor-
poris (jualiler œruinuas hnjus saeculi pos-it évadera et bonis fnturi
s.7;culi non caiere... Idcirco eji^o..., pro anima mea meluens articnlum
morlis, et casus bumana:; fragilitatis » — Tel est, presque toi jours ou
en termes ('iiluivalents , le protocole des chartes ou actes publics do
cette époque et des temps antérieurs. Celui-ci a[)particut à une dona-
tion faite en 003 au chapitre de Saint-Hilaire de Poitiers. — Voir Besly,
IJisl. cks Cuinles de Puicluu, iu-folio, i». 292 et 293.
Rénovation
de l'architecture
chrétienne au
commencement
du onzième siè-
cle;
22 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
comment eussent-ils agi de la sorte s'ils avaient cru sé-
rieusement à une catastrophe qui eût dû confondre bientôt
dans une môme ruine les héritages et les successeurs?
Gomment lirions-nous encore autant de transactions , d'a-
chats et de ventes , d'échanges et d'arrangements de toute
espèce entre gens que la mort allait infailliblement saisir ?
et toutes ces écritures portant l'empreinte et la date môme
des années qui précèdent de plus près la plus redoutée de
toutes , jusqu'à l'an ] 003 , après lequel la plus obstinée
crédulité n'avait plus rien à craindre ?
Néanmoins la recrudescence architecturale de cette
époque est incontestable ; ses écrivains en font foi , et
le bénédictin Radulphe Glaber, dont la Chronique finit à
l'année 1046 , étabht qu'à la fin de ^1003 la France et l'Italie
brillèrent entre toutes les nations par une sainte ardeur à
relever les monastères et les églises (^). Cette date si précise
semble bien, il faut l'avouer, indiquer à dessein l'époque où
la prétendue prophétie commençait à ne plus, faire peur,
et atteste qu'en effet des préoccupations antérieures avaient
paralysé quelque peu le zèle qui reparut tout à coup. Mais
ces timidités, peu conciliables si on les généralisait trop
avec les faits historiques apportés ci-dessus, venaient bien
plus, comme nous l'avons dit, des malheurs accumulés sur
les populations de l'Europe occidentale depuis la mort de
Gharlemagne, que de l'attente certaine d'un bouleversement
universel, attente que Glaber, qui n'eût pu l'oublier, ne
(1) « Igiturinfra supra di«îtum millesimuiD, tertio jamfere imminente
anno , contigit in imiverso pêne terrarum orbe, prœcipue tamen in
Italia et in Galliis , innovari ecclesiarum basilicas, licet pleraeque de-
center locatae minime indiguissent. iEmulabatur tamen quœque gens
Christicolorum adversus alteram decentiore frui. Erat enim instar ac
si mundus excutiendo semel, rejecta vetustate, passim candidam eccle-
siarum vestem induceret. Tune denique episconalium sedium ecclesias
pêne universas, ac caetera quaeque diversorum Sanctorum monasteria,
seu minora villarum oratoria, in meliora quique permutare fidèles. »
(Glabri Radulli Uislorix , lib. III , cap. iv; apud Historias Francoruni
Pi bibliotheca Pitheei éditas, in-folio, FrancofurU, 1596, p. 27.
SON APPLICATION A LART CHRÉTlliPy. 23
mentionne même pas ! Mais quand l'avénenient dos Capétiens «^s causes vcrita-
bles dans les con-
a terminé tant de querelles sanglantes; lorsque la plupart quêtes du chm-
tianisinc,
des nations du Nord arrivent a la lumière pacifique du
Chi-istianisme (I) ; que l'Italie renaît par la docte et pater-
nelle influence de la papauté, sous Sylvestre II, Jean XVII et
Sergius IV (2 ; lorsqu enfin la France voit avec admiration
la piété du roi Robert s'intéresser aux choses de la liturgie
et honorer d'une égale attention tout ce qui se rattache au
culte de Dieu et de ses Saints, on conçoit qu'à l'abri de cette
paix de toutes parts revenue, l'élan put être donné à une
grande l'égénération monumentale , et comment les peuples
rivalisèrent d'y contribuer (3). On voit donc combien se
sont trompés quelques observateurs qui, sans craindre de
contredire toutes les chroniques locales et contemporaines,
ont avancé hardiment qu'à ce sujet il ne fallait pas les
prendre à la lettre. Il est clair que des écrivains aussi expli-
cites que ceux du onzième siècle n'ont pas voulu nous léguer
des contes, et doivent être les guides naturels de tous les
historiens à venir (4).
(1) Il faut rapporter à ce lemps-là la conversion des Normands , des
Hongrois, des Islandais_, des Suédois, des Danois, des Norwégiens. des
Polonais, etc.
(2) Duchesne, Histoire des Papes, p. 94 J, in-4", Paris, 1615.
(3) Comme Glaber, Guillaume de Malmesbury, qui écrivait peu après
(au douzième siècle), se complaît dans une longue liste des églises bâ-
ties au onzième en Normandie et en Angleterre, et ce qu'il dit des deux
pays peut s'appliquer à touLe l'Europe: « In diebus illis maxima pacis
tranquillitas lovebat habitantes in Normannia , et servi Dei a cunctis
habebantur in summa reverentia. Unusquisque optimatum certabat in
prœdio suo ecclesias œditicare et monachos qui pro se Deum orarent
rébus suis locupletare. » (De Gestis jionlificum Angloruni , lib. III ,
cap. XIII ; apud Seville, Anglicar. rerum scriplorespost Bedam , in-P,
Londini, J."J9G.)
(4) C'était l'opinion de M. Miclion, émise au congrès arcliéologique
d'Angouléme en 1847. 11 y réclamait aussi contre ce qu'on a cru jusqu'à
présent des ravages multipliés des Normands et des incendies faits par
eux des églises et des monastères. C'est là, s'il en fût jamais, un so-
[jhisrne, et de premier ordre. Le contraire se prouverait amplement
par les curieuses reproductions d'un manuscrit du quatorzième siècle,
24 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
et les nombreuses Uiic auLi'c causc (le Cet eiiipresscmeiit se dévoile encore.
translations de re- i -^t i - i> , i
liques. Durant les guerres des Normands, si funestes aux choses
sacrées, les monastères et les églises s'étaient l'ait un devoir
de porter au loin les riches et nombreuses reliques qu'ils
possédaient. Beaucoup d'entre elles étaient restées dans les
lieux qui les avaient protégées; d'autres s'étaient effacées du
souvenir des hommes après réversion des lieux saints et la
mort souvent violente de ceux qui les avaient confiées ou
reçues. Quand le temps parut favorable, on les réclama, et
il fallut de nouvelles éghses pour leur rendre une hospitalité
digne d'elles ; il fallut de nouveaux monastères pour gi-ouper
autour d'elles de fervents disciples de tant de Saints recon-
quis: c'est ce que Glaber assure encore (1). Parmi les
princes, le religieux successeur de Hugues Gapet entra, par
des efforts et des sommes considérables, dans ce soin des
constructions nationales. C'était pour lui comme une sorte
copié évidemment sur un autre bien plus ancien et qu'a publié M. Pei-
gné-Delacourt à la suite de ses Normands clans le Noyonnais , in-8",
Paris, 1868. Toutes les routes parcourues par ces terribles ravageurs^
toutes les églises pillées, y sont indiquées en nombre immense avec les
moyens qu'on y prit de soustraire aux pillards les reliques et autres
objets précieux de leurs trésors. Donc, pour s'entendre avec M. Michon,
il faudrait nier la valeur de ces documents ; il faudrait oublier en-
core tous les auteurs de cette époque, et surtout l'énergique résumé
qu'en faisaient alors les nations chrétiennes à qui ces païens du. Nord
en voulaient surtout: A furore Normannorum libéra nos, Domine.
Sans doute il resta des ruines, dont les derniers débris suffisent peut-
être à constater les caractères de l'architecture anlérieure au onzième
siècle; mais ces débris, comme le dit beaucoup mieux ce même M. Mi-
chon, servirent de bases à des constructions nouvelles. Il n'en est pas
moins établi que le zèle de reconstruction était devenu un mouvement
général de la société à cette période du moyen Age. — Voir Séances
générales de la Sociélé française d'archéologie tenues en 1847, in-8",
p. 303 et suiv., Paris, Derache, 1848.
(1) « Innovatis eccle.Viarum basilicis universo mundo, subsequenii
tempore,id estannooclavo post millesimumhumanœsalvationisannum,
revelata sunt diversorum argumentorum indiciis quorsum diu latue-
rant plurimorum Sanctorum pignora, Nam, veluti quoddam resurrec-
tionis decoramcn préestolantes, Dei nutu fidelium obtutibus patuere. »
(Glabri Radulfi, ubi suprà, cap. vi; mihi, p. 30.)
SON APPl.lCATIOX A L VUT CHRÉTIKN. 2:)
de seconde vocation attachée à celle de la royauté, et un
de ses historiens, témoin de son activité merveilleuse, se
plaît à en énumérer les fruits dans une page toute pleine
de noms de nos plus célèhres étahlissements (I). Le môme
entraînement se manifesta bientôt, par l'unique raison
d'avoir mieux. On refît le plus grand nombre des cathé-
drales; les abbayes, les prieurés, les simples paroisses de
campagne furent b. l'envi réédifiés; et ce qu'il y a de plus
curieux, c'est que, pour en venir là, il ne fallût pas même
que ces édifices eussent besoin de réparation ou d'agrandis-
sement. Les chroniques affirment que beaucoup d'entre
eux ne durent leur remise en œuvre qu'à la pensée, alors
dominante, d'embellir la maison de Dieu. Or en quoi cousis- Apparition du
^ grand appareil,
tèrent principalement ces améliorations univei'sellement
enviées, sinon en ce que les édifices sacrés devinrent plus
vastes, et furent maçonnés non plus en mélange de bois et
de moellons comme auparavant, mais en fortes murailles
composées d'un épais blocage de pierres et de ciment que
revêtait de toutes parts un grand appareil uniforme et
régulier, comme nous le voyons encore dans la plupart de
nos vieilles églises. Ce genre nouveau (2), signalé alors
comme une conquête de l'architecture religieuse (3), et
qui devait être emprunté aux forteresses de la féodalité,
attestait, par la noble et imposante fermeté de son style, les
grandes et immortelles pensées de ces peuples chrétiens
(1) « In aedificatiouibus ecclesiarum Dei hic temporal! simul ac s\)iri-
tuali iuunctus rex sanct'e benedictionis dono, suam potentiaiu et vo-
luiitatem adimplere desiderans, et ad œlernte beatitudiuis palmam
consequendam, aiihelans inter alia cogitare cœpit... Sancti Dei... qua
essent hoiioraûdi et extollendi laude. » (Helgaldi^Floriacensis raonacbi,
Epiloine Vilsd Roberti régis , e bibliotheca Pithaei , ubi supià; inihi ,
p. 77.)— Ce zèle du prince s'étendit à Paris, Orléans, Yitry, Senlis, Me-
lun, Ktarn[)es, Poissy, Autim, et Ijien d'autres lieux où certaines de ces
églises du onzième siècle existent encore.
(2) Bulk'lin vionuinenlal, t. IV, p. 176 et suiv.; t. V, p. 134.
(.'}) M. deCaunionlj [list. somtnuire de CanliUcrlure, p. 90 et suiv.,
imssim.
1000.
26 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
revenus à leurs plus solides espérances. Nétait-ce pas là
encore un symbole de l'imniutabilité de la foi ?
et des cryptes de Unc tcUc émulatiou sc prolougea bien au delà du règne
vastes dimensions. . . i » n i , > i
de Robert, qui en avait donne 1 exemple , et prépara ce beau
douzième siècle où les plus suaves fleurs de l'architecture
mystique s'épanouirent sur notre sol. Les cryptes, qu'on
n'avait guère songé à creuser encore en de grandes pro-
portions sous les grandes églises, et d'après une imitation
plus ou moins fidèle de leur plan, datent de ce temps de régé-
nération. En ^02i, Fulbert, évèque de Chartres, en ména-
geait une magnifique à sa cathédrale, reconstruite après un
incendie. Là encore est une idée mystérieuse dont nous
parlerons bientôt ('l).
Aucuns symbo- Établissous cufin , commc résumé de toutes nos raisons
les ne constatent ^ ^ . • x-t x^i.'"
la peur de l'an coutrc k famcusc tcrrcur, si gratuitement prêtée a nos
pères à propos de Fan 'lOOO , qu'après la sécurité revenue,
quand l'art sc reprit à ses droits par l'expansion plus abon-
dante de ses richesses sculptées, il ne constata par aucun
trait apparent le grand rôle qu'aurait eu ce sentiment
dans les affaires humaines de presque tout un siècle. Pas
un de ces monuments construits alors qui fasse la moin-
dre allusion sym])olique à la fin du monde, au bonheur
d'être éciiappé à ce naufrage redoutable! Si le onzième
siècle donne quelques types du jugement dernier, c'est en
de rares exemples , mais toujours sans aucun ressentiment
d'un passé si proche de lui, et qui aurait bien valu qu'on
en sculptât le souvenir.,.. — On ne prétendait y donner
qu'une leçon éloquente aux violences dont on avait souffert,
aux vices qui surgissent toujours du sein de la guerre, et à
toutes ces intempérances de la volonté entraînée à la suite
des mauvaises passions du cœur humahi (2).
(1) Voir notre Histoire de la cathédrale de Poitiers, t. I, p. 34, in-S»,
Paris, 1849. — Fulberti Carnot. episc, Epistola h, apud dom Bouquet.
Scriptores rerum. q allie, i. X, p. 469,
(2) Voir Bulletin monumental, t. VU, p. 520, et t. XIV, p. 102 et 226.
SON APPLICATIOIN A LAKT CHHÉTIEN. 27
Cependant, notre symbolisme allait gagner de pré- .iJ^^^'^y^fbTS^
cieux éléments. Dès le milieu du onzième siècle, l'essor f,f„VlrA'?S'o®
£111 OII0I6III6 SlCCiC*
donné à l'art de construire, les plans devenus plus vastes,
les niasses rendues plus imposantes , durent chercher
dans la sculpture des moyens de pallier la sévérité du
style nouveau. La théologie mystique \int exercer son
heureuse influence sur ces nouvelles inspirations. Les
portes principales ou secondaires des églises et des
cloîtres commencèrent à s'enfoncer sous deux ou trois
rangs d'archivoltes agréablement fouillées de dessins variés,
et retombèrent sur autant de colonnes dont les chapiteaux
épanchaient déjà quelques feuillages mieux galbés. Dans ce
travail, qui ne brille pas encore par d'insignes ressources,
et se contente souvent de sujets isolés, mais non tout à fait
dénués de significations symboliques, on pressent la pro-
chaine apparition de motifs plus diserts. Quelques tètes
d'hommes, diverses d'expression et de pensée, apparaissent
sous les corniches des façades , quelquefois môme, à l'inté-
rieur, sous les pendentifs des coupoles centrales, au-dessus
desquelles s'élève la tour du clocher. Bientôt des épisodes
bibliques se déroulent sur les larges circonférences des
cliapiteaux que charge l'arc triomphal; une végétation ex-
pressive rampe en guirlande continue à la naissance de la
voûte du sanctuaire ; des oiseaux y boivent à un même
calice, y becquettent le raisin d'une vigne mystique, ou
s'endorment paisiblement dans les branchages: âmes d'élite
qui se délectent dans la solitude du saint lieu. En un mot,
l'idée esthétique est là se mêlant aux minces détails de la
décoration, quand, depuis longtemps, la forme générale a
donné à l'ensemble un langage comui de tous. A mesure
que l'art se perfectioune en se transformant, et que le cise-
leur rivalise avec l'architecte, on a oit se multiplier les
manifestations du symbolisme, on sent que l'architecture
se plie aux influences des écrivains de ce temps , et qu'en
s'élevant jusqu'à la hauteur de leurs conceptions magis-
28 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
traies, elle s'étudie à les traduire sur la pierre, pour en faire
autant de leçons impérissables à la foule, autant de livres
pour ceux que ne pourrait aider la lecture des manuscrits.
Ces caractères brillent aujourd'hui en des proportions
diverses de tout le cliarme de leur vénérable antiquité dans
les belles cathédrales de Nantes, d'Évreux, du Mans, de
Luçon, de Bayeux, de Spire, de Worms, de Mayence ; dans
les abbatiales de Saint-Benoit-sur- Loire, de la Trinité
d'Ang^ers, de Saint-Étienne de Caen, de Saint-Sernin de
Toulouse, de Saint-Savin-sur-Gartempe, de Saint-Georges
de Bocberville, de Montierneuf de Poitiers. Cette dernière
ville a aussi ses collégiales de Saint-Hilaire, de Notre-Dame
et de Sainte-Badégonde, comme Gliauvigny-sur-Vienne a
Saint-Pierre , comme Parthenay en Gâtine Sainte-Croix,
comme partout enfin, dans nos villes et nos campagnes,
d'innombrables paroisses rappellent jusque dans la modeste
simplicité de leur intéressante iconographie ces temps de
véritable renaissance que tant d'éléments inconnus se prê-
tèrent à favoriser.
Maintenant , que conclure de ces documents positifs ,
sinon qu'après l'an ï 000 on vit s'établir dans la construction
des églises cette extrême rigueur normale qu'attestent les
savants? Mais aussi faut-il en abandonner quelques-uns,
comme nous délaissons M. Lenormand lui-même, lorsqu'il
affirme qu'antérieurement à cette époque les règles pro-
pres des constructions sacrées furent dominées par une
forte anarchie (-1). Les plans, au contraire, restèrent for-
mellement les mêmes, et les mêmes règles imposées de
tout temps par V Église furent constamment surveillées et
maintenues par Elle.
Influence excr- ^als , si Ics priiicipes dcmeurcnt intacts sous un tel
cee par la littera- ' ^
turc du douzième pati'ouage , toujours foiidé sur des vérités h répandre, la
(1) EiiairrÂnscinents sur la le^lUuHon de Véglise mérovingienne de
Sainl-Marluide Tour^, p. 457 du tome l^r de la Traduction de S. Gré-
goire de Tours, par MM. Guadet cl Taramie, in-S», 1838.
SON APPLICATION A L'aUT CHRÉTIEN. 2«)
pensée Imniaiuc, peu stcitioniiaire de sa nature, élai'p:it sans
cesse sa carrière, et rien ne la lui agrandit au même degré
que la littérature et les arts. L'Église n'a garde alors de
l'entraver : elle la protège et l'encourage. Aussi , sous ses
auspices, le douzième siècle, arrivant avec son grave et docte
cortège d'écrivains sérieux et positifs , donne aux lettres
sacrées un magnifique développement dans les écrits de
ces grands génies dont nous avons analysé les œuvres hié-
ratiques. Chose merveilleuse ! ce fut le signal d'un mou-
vement de plus vers la perfection du style architectonique :
la pensée dicta, et l'art écrivit à l'avenir ces témoignages
immortels de la puissance créatrice que nous y admirons
encore.
Ce douzième siècle, dont les écrivains s'étaient si stricte- Heureuses mno-
ment tenus aux doctrines théologiques et scripturaires pian générai des
^ . . églises romanes.
venues directement des Apôtres, s en tient aussi, pour 1 ar-
chitecture, aux règles faites : ses églises conservent leurs
formes reçues, leur symholisme est complet sous ce rap-
port; tout au plus, outre radjonction d'un latéral, et quel-
quefois de deux ou trois, de chaque côté de la nef médiane ;
outre les galeries supérieures qui les surmontent, et que
couronnent une helle suite de fenêtres formant le triforium^
et pour lesquelles on marie le plein-cintre à l'ogive ; outre
cela, disons-nous, on consacra d'heureuses innovations dans
la plus haute partie des clochers et dans le prolongement
des has-côtés autour du sanctuaire, qui commence dès lors
à s'isoler de l'ahsidc et à garnir le déambulatoire de cha-
pelles formant pour ce nouveau chevet soit un rayonne-
ment mystique, soit les trois branches symboliques du nimbe
croisé toujours donné à la tète de l'Homme-Dieu. Or, avec
ces quelques éléments s'opère tout un élan vers une révo-
lution architecturale. La vieille école qui règne depuis le
sixième siècle laisse absorber ses principes dans celle de
l'époque nouvelle, et celle-ci, à son tour, tend déjà, par
d'importantes modifications de son style, vers l'école ogivale,
30 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
qui deviendra bientôt la plus haute expression de l'art.
Les nombres sym- Nous ne savous jusqu'où dolt aller notre confiance en de
boliques y figii- . i, i , i i • i.
rent-iis? ccrtaincs protentions d archéologues modernes qui ont
attribué aux architectes romans une mystérieuse tendance
vers des combinaisons numérales ou géométriques dans le
tracé de leurs plans. A les entendre, ces génies méditatifs
auraient surtout clioisi le cube pour principe architecto-
nique , et de son développement régulier serait née la
figure d'une croix donnée à la jjasilique latine {\). S'il en
était ainsi, le moyen âge n'aurait eu que le mérite bien
secondaire d'appliquer le principe à des éléments qui lui
furent antérieurs de toute la durée du Christianisme. Il
est vrai que l'habile et regrettable dominicain Piel, dont la
science architecturale s'était nourrie des plus liantes pen-
sées de l'exégèse chrétienne , semble avoir eu sur ce point
un système que, malheureusement, il n'a pu exposer avant
de mourir (2). Mais pour lui, il ne se fut agi que d'appliquer
les nombres à la construction de nos grandes cathédrales,
beaucoup plus que de poser une théorie identique dans le
passé. Il marcliait néanmoins sur les vestiges des Pères, et
sans doute il nous eût donné en d'ingénieux rapproche-
(1) Cf. M. S<^hiiaase, Histoire de rarl,ciiè par B'idron , Annales
archéologiques , t. XII, p. 323. — Ce n'est pas que MM. Didrou et
Schnaase ne nous paraissent pas dédaigner de beaucoup trop le sym-
bolisme des nombres^ regardé comme très-sérieux partant de graves
autorités citées par nous dans le premier volume de cet ouvrage;
mais l'un et l'autre nous semblent dans le vrai quand ils refusent tout
crédit aux raisons données jusqu'à présent par l'érudition vaporeuse
d'outre-Illiin pour établir la réalité de leur système géométrique.
(2) Le 31 décembre 1837, Alexandre Piel, qui n'était pas encore entré
dans l'ordre de Saint-Dominique, écrivait à son père : « Je dispose un
autre travail sur les nombres impairs de l'Ancien Testament, qui me
servira plus tard pour une symbolique des nombres de toutes les an-
ciennes traditions, et qui conduira à dévoiler un des mystères encore
cachés de la synthèse des catbédrales catholiques.» —Voir Biographie
universelle de Michaud , t. LXXVII , p. 169 ; voir encore une de ses
lettres, sur l'art et l'influence qu'il reçoit du Christianisme, au t. IX,
p. 354, du Bulletin momimental.
SON VPPLICATION A i/aRT CHRÉTIEN, 3i
ments l'explicalioii de quchiiics mystèros peut-être encore
inaperçus. Cette marche grave et partout éclairée des lu-
mières de la patristiiiue n'aurait donc rien de conuTiun
avec les rêveries allemandes signalées par le docte
M. Schnaase, qui n'y croit pas et les bat en brèche. Gar-
dons-nous comme lui de ces abstractions chimériques : le
côté sérieux de la science est assez large pour nous res-
treindre à ses contins.
Toutefois ne faudrait-il pas attacher une importance Que dou-on re-
^ jeter ou admettre
réelle à des spéculations moins ambitieuses , et croire que <i^ ifur système
d'application ?
des calculs symboliques ont présidé aux dimensions géné-
rales des églises , à celles de leurs bas-côtés , à la hauteur
de leurs voûtes au-dessus du sol, à la symétrie ou à la répé-
tition trinairc ou septénaire de leurs fenêtres ou de leurs
portes, comme on a cru l'observer dans ce beau prieuré de
Saint-Gilles, bâti en 1 1 10 sur la terre si monumentale du
Languedoc (I)? Pourquoi non ?... Si l'on admet, comme il
(i) Voir la description de ce monument dans V Iconographie chré-
lienne de M. l'abbé Crosuier , p. loO et suiv., in-S»^ Paris, 1848. Il ter-
mine par cette observation ce qu'il nous apprend de l'intérieur :
« Si nous appliquons ici le symbolisme des nombres tel que les Pères
l'ont développé..., nous trouvons, dans la largeur de chaque travée,
17 pieds : la Loi accomplie par la grâce ; dans la lai geur des bas-
côtés, 14: l'union de la Loi ancienne à la Loi nouvelle; dans la largeur
totale de l'église, 77 : les 77 générations qui ont existé depuis Adam
jusqu'à Jésus- Christ, le nombre de la miséricorde et du pardon. Les
chapelles absidales nous offrent encore d'autres symboles : leur nombre
septénaire se trouve divisé en deux, quatre plus petites qui ne devaient
point être éclairées par des fenêtres, et trois plus grandes ayant cha-
cune leurs fenêtres trinitaires. En effet, la terre, indiquée par le nombre 4,
était dans les ténèbres, et si le Sauveur ne fût venu retracer dans le
cœur des hommes l'image de Dieu, ils seraient encore assis à l'ombre
de la mort. Les quatre chapelles obscures ont 10 pieds à leur ouver-
ture : c'est le nombre de la Loi de crainte; les chapelles trinitaires en
ont 14 : union de la Loi de crainte et de la Loi d'amour. »— On ne peut
nier ce qu'il y a d'heureusement combiné entre ces mesures et les
conséquences que le docte auteur veut en tirer. Une seule difficulté se
présente naturellement à qui réfléchit sur ces relations entre les nom-
bres et la matière à laquelle on les applique : c'est que le p/ec? n'avait
pas certainement au moyen Age , au douzième siècle , la même valeur
32 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
le faut bien , qu'il y ait une signification adoptée par tous
les symbolistes dans la plupart des nombres que men-
tionnent nos Livres saints , quoi d'étonnant qu'on y ait
trouvé des rapports possibles avec les parties de la maison
de Dieu, si nombreuses et si diverses par leur usage ? Après
ce que nous avons vu de l'arclie de Noé, rappelons-nous les
dimensions données, dans l'Apocalypse, à la Cité divine, le
nombre de ses colonnes, de ses portes , de ses fondements,
tous mystérieux, tous avoués pour tels par l'Église et si fré-
quemment reproduits dans sa liturgie si féconde : nous
serons peu étonnés, dès lors, en présence de ces révéla-
tions inattendues, que l'arcliitecture religieuse nuiltiplie à
nos regards; et si nous rejetons les théories idéales inven-
tées après coup par des chercheurs de fumée , nous n'ac-
cepterons qu'avec plus de respect des pratiques recom-
mandées par nos plus sérieuses traditions.
« Ge n'est donc pas assez , dirons-nous avec un archéo-
logue estimable, de constater l'emploi de certains nombres :
il faut les expliquer. Il ne suflit pas de prouver que les
proportions de plusieurs basiliques sont identiquement les
mêmes : il faut avoir établi l'unité de mesures, et découvrir
la raison de leur emploi. Si on l'emprunte, comme il paraît, à
la valeur numérique des lettres de l'alphabet hébreux, à la
pliilosophie transcendantale des Juifs, il est essentiel de dé-
montrer au préalable que ces traditions étaient connues,
acceptées , réahsées par les architectes et les confréries de
francs-maçons au moyen âge. Cette tâche une fois remplie,
que depuis j on sait que les mesures de longueur et de capacité, tout en
retenant les mêmes noms, ont varié maintes fois selon les peuples et
les époques; et, le pied n'eût41 différé que d'un pouce, que deviennent
les proportions si justes qu'on assigne aux détails de la fameuse église,
et comment s'y fier pour quelque autre que ce soit proposée comme
exemple du symbolisme , nous ne disons pas des nombres, qu'on ap-
plique justement de tant d'autres manières, mais des mesures, dont le
symbolisme n'est jamais possible à établir par comparaisons? On voit
qu'il faut beaucoup s'observer eu cette matière.
SOx\ APPmClTlON A L,'aRT CHRÉTIEN. 33
on pourra tirer parti des lumièi'es éparses çà et là , mais
pauvres daus leur isolemeat (I). »
Nous avons vu nai>uère par un écrit célèbre de S. Bernard, Fécondité .le
*^ i conograph'.o niys-
inort en 1 1 53, à quelle profusion d'images la sculpture était tique à répoque
' ^ * ^ * de s. Homard.
parvenue avant la première moitié du douzième siècle , et
(luelle étonnante variété de sujets symboliques s'attachait
au\ églises et aux cloîtres des monastères (2). On voit par
les reproches du saint Abbé à ses religieux pour ce luxe ,
peu convenai)le, selon lui, à des moines, qu'il le tolérait
phis volontiers dans les cathédrales et les collégiales du
clergé séculier. Nous aurions assez de ces observations pour
conclure, en l'absence des monuments eux-mêmes, à une
richesse décorative qui ferait de cette époque une des plus
belles pages de l'histoire du symbolisme. Pour nous, en
effet, rien n'est perdu de ce grave et saint héritage. Après
sept ou huit cents ans, ces nobles murailles, qui s'ouvrent
encore pour nous chaque jour, parlent à tous le même lan-
gage qu'à nos pères ; la seule différence (et elle est trop
grande), c'est que le vulgaire ne le comprend plus, l'homme
d'études lui-même n'en a, le plus souvent, qu'une imparfaite
appréciation. Tout n'y est pas moins plein de vie morale;
c'est une théologie complète, exposant l'histoire de l'âme
humaine dans ses rapports a\ec son présent si court et son
étei'uel avenir ; c'est la philosophie du Christianisme s'im-
misçant dans toutes les affaires de la vie du temps , au pro-
fit de celle, ])icn plus importante, qui viendra bientôt.
Le treizième siècle, qui devait atteindre la perfection du ce siooie pius
beau dans le svelte gracieux et l'élégante légèreté de son le suivant.
arcliitecture , ne dépassa point celui-ci pour l'expression de
la pensée symbolique. Ses dernières années même furent
témoins d'une certaine décroissance des principes, dont on
(1) M. l'abbé Godard-Saint-Jean, Essai sur le symbolisme archilec
luraL p. 15, in-8o, Paris, 1847.
(2) Voir ci-dessus, t. II, cli. xvil, p. 594.
T. m. 3
34 HISTOIRE UU SYMBOLISME.
commença à négliger la pnreté sévèie , et alors se firent
jour des tendances qui préludèrent insensiblement aux
fautes etauxalDcrrations de la Renaissance... C'est, liélas ! le
sort de toutes les grandes choses humaines de ne tomber
jamais que du plus haut qu'elles pouvaient atteindre. La
vie des arts, dont l'homme se montre si fier , est en cela
comme celle des peuples , et c'est une des plus grandes
leçons de la Providence que leur décadence et leur chute
soient toujours limitrophes de leur plus grande perfec-
tion.
L'art y complète, Lc douzlèmc sièclc, au coutrairc , s'élève devant Fobser-
par toutes ses for- i,,.,rii • o x» j
mes, l'embellisse - vatcur avcc toutc 1 autoritc de la science terme et sure des
dlTégHsT/ "^"*' génies qui nous le donnèrent. Inébranlable dans le dogme,
il le traduit partout, et les notions fondamentales y trouvent
en mille façons à crayonner leurs splendides synthèses.
Sous les inspirations de l'Église, mère et maîtresse de la
pensée catholique , on voit le temple divin se transformer
non moins dans ses parties que dans sa masse. C'est- alors
qu'apparaissent avec leurs vives couleurs et parés de toute
la doctrine théologique ces vitraux dont le champ, restreint
d'abord à de si humbles mesures , n'avait donné jusque-là
que des grisailles sans but ou des teintes sans enseigne-
ments. Dans la statuaire jetée avec une ravissante profusion
aux tympans et aux voussures des portails, aux chapiteaux
de l'intérieur ou aux pourtours du sanctuaire, on voit
revivre l'auguste Trinité , les Saints protecteurs du pays et
modèles du monde , les histoires de la Bible et les scènes
les plus douces comme les plus redoutables de la vie intel-
lectuelle de l'humanité. Le triomphe de l'Église sur l'hé-
résie , sa victoire sur le monde matérialiste , la puissance
de protection divine qui la soutient contre ses adversaires
abattus se manifestent aux yeux des peuples sous la figure
de Sam son déchirant l'énorme tête du bon qu'il enfourche
et domine , ou sous les traits du cavalier, maintenant bien
connu , dont la fière monture foule la tête d'un ennemi
SON APPLICATION A l'aRT CHRÉTIEN. 35
teri'assé (^). L'architecture néo-grecque, en nous apportant
des plages byzantines ses inspirations locales , les marie ,
par un agencement gracieux, aux formes pures et austères
de notre roman. Elle fait correspondre au triple portail de
ses façades la triple répétition des absides, que trois fenêtres
éclairent en même temps : symbole de la Trinité avec la-
quelle vous entrez dans le temple, et dont la lumière révélée
vous y instruit du dogme fondamental de la foi (2). Elle
surmonte les toitures de coupoles hardies , assouplit les
arcades en les surhaussant , et quelquefois oi'ne de lobes
courants leurs intrados. Elle revêt la statuaire de riches
et amples draperies aux bords galonnés , aux plis symé-
Iriques , aux somptueux ornements de perles et de brode-
ries orientales ; et des ciselures des tympans et des chapi-
teaux , cette beUe décoration passe aux verrières devenues
toutes rayonnantes de mille faits symboliques, aux surfaces
mui-ales où la peinture étale sur des fonds d'or ses naïves
légendes , aux voûtes encore surbaissées où brillent toutes
les étoiles du ciel azuré : c'est l'époque de la flore monu-
mentale apportant, avec les souvenirs de l'art antique dans
le chapiteau corinthien, et les guirlandes courantes et la
nomenclature plus vaste et plus expressive de ses plantes
indigènes, de ses couronnes de fleurs; prodiguant, sous les
formes les plus aimables et les plus variées, toutes les pen-
sées chrétiennes avec des branches de chêne , d'olivier , de
violette ou de nymphéa ; ornant les fonts baptismaux des
végétations touffues de nos rivières ; plantant le bon et le
mauvais arbre aux façades de l'enceinte sacrée où la foule
va recueilUr les fruits de la parole de Dieu ; parant enfin de
(1) On sait combien de longues discussions ont été faites à ce sujet.
Quelques raisons qu'aient données de part et d'autre les soutenants
des opinions les plus extraordinaires, on ne peut plus refuser d'y voir
le type que nous exprimons ici et dont nous avons donné les preuves
ci-dessus, t. II, ch. xv, p. 489. —Voir la Table générale, v» cavalier.
(•2) Cf. l'abbé Grosnier, Iconographie chrélienne, p. 153.
30
HISTOIRE DU SVMBOLISMK.
palmes , de roses et de lis les statues des Saints comme de
pieux et visibles symboles de leurs humbles et énergiques
et y rattache tout vertus (I ) . N'ost-ce pas eucoro un sy oibole de ce temps liiéra-
damentarde l'u- tlquc par excellcnce que cette unité parfaite de l'art roman,
accordant toutes les lignes de ses grandes œuvres dans un
ensemble majestueux, où rien de hasardé ni d'indécis ne
vient altérer la pureté du style aujourd'hui si méconnu par
les fades imitateurs du moyen âge ? Nous ne soutiendrons
pas sans doute que la pensée de l'architecte a vouhi rappro-
cher ce mérite de l'essence souvei'ainement une de Dieu ;
mais le philosophe chrétien, en exaurinant, par exemple, la
cathédrale de Valence , ou Saint-Sernin de Toulouse , ou
tout autre chef-d'œuvre plein, comme ceux-ci, d'une poésie
grave et d'une solennelle grandeur , n'élève-t-il pas son
âme vers l'Être unique dont le génie humain n'est qu'une
émanation sacrée? n'adore-t-il pas l'éternelle Unité qui
féconda la pensée de l'homme jusqu'à vouloir qu'il eu sor-
tît des temples dont l'eusemble fut l'image de Son in-
comparable Grandeur (2j ?
De ces nobles éléments allait naître cependant une
de ces révolutions calmes et raisonnées dont un progrès
véritable est toujours la conséquence immédiate. Depuis
plus de cent ans, l'élan donné à la pensée artistique avait
ménagé à l'architecture une tentative nouvelle , appliquée
isolément, il est vrai, mais assez bien déhnie pour faire
remonter sûrement sou origine au commencement du
onzième siècle (3) : forme timide et incertaine d'abord,
Apparition de
l'ogive, à la fois
architecturale et
symbolique.
(1) Voir, pour l'explication symbolique de ces diverses plantes cl
fleurs^ le chapitre xiii de ceUe troisième partie {De la Flore murale)
et tous les noms d'arbres et de fleurs quelconques de la TalLe analy-
ligue, à la fin de l'ouvrage.
(2) Voir l'abbé Jouve, Notice historique et descriptive sur la cathé-
drale de Valence en Dauphiné,i^. 35, in-S", Paris, 1848.
(3) L'ogive nous semble dater de cette époque dans le Poitou, où le
plus remarquable spécimen se montre à l'arc triomplial de Sainte-
Radégonde de Poitiers , qui certainement se rapproche beaucoup de
SON APPLICATIOxN A L'ART CHRÉTIEN. 37
mais bientôt appelée à devenir une loi fondamentale et à
régner entin sur les rnines d'un magnifique passé : nous
voulons parler de l'arc ogival, dont l'emploi a pu s'inspirer
peut-tHre des réminiscences de l'Orient, dont la forme ter-
naire aussi pourrait bien avoir paru un symbole divin (1) ,
mais qui n'en constitue pas moins un système arcbitectural,
ayant sa raison d'être dans une idée artistique , et se posant
comme première assise d'un genre nouveau (2). Cet art,
en maintenant la simplicité naturelle et la beauté d'en-
semble gardées par la méthode romane, pose régulièrement
ses arcades allongées sur le chapiteau des colonnes ou des
piliers, fonde ainsi une élégante unité du sol à la clef de
voûte; enfin il élève la pensée avec le point culminant de
ces voûtes mêmes, qui, vastes et profondes, forment un ciel à
part pour chaque travée. Cette heureuse innovation con-
stitue donc un mouvement en avant dans les routes de la
pratique. A quelque hasard qu'on veuille en attribuer la
première idée, elle n'en prend pas moins sa place dans les
plus belles coupes de toute construction. La voilà destinée
déjà, après s'être mêlée au plein-cintre pendant toute
l'époque de transition, à remplir seule toutes les conditions
l'an 1010, selon que le constate une inscription de cette année placée
au bas du p'.lier qui soutient cette arcade. — M. l'abbé Cochet a cité
l'église de Bures (Seiue-Inférieure), monostyle et d'un seul jet, tout
ogivale par ses moindres détails, et dont une inscription, gravée sur
la muraille du sanctuaire, atteste la consécration par Rotrou, arche-
vêque de Roueii, l'an 1168. Cette date ne nous étonne que médiocre-
ment : elle prouve de reste qu'en Normandie le style ogival, employé
dans un plan d'ensemble, est antérieur à ce qu'on peut remarquer ail-
leurs. Mais nous ne croyons pas qu'en dehors du Poitou on puisse re-
monter jusqu'à 1010 et au delà.
(1) « Dans cet élancement des parties vers le ciel, dit Af. de Cau-
monl, et dans la plupart des combinaisons usitées au treizième siècle,
on ne peut méconnaître l'expression d'une idée mystique ; qui sait
même si la forme triangulaire de l'ogive n'était point un symbole aux
yeux des architectes?» {Ilisl. de Varcliiiecl. au moyen âge,^. 174.)
(2) Voir la Défense de l'art ogival, par M. de Villers, contre les pré-
tentions malheureusement académiquesdo iM.Haoul Rochette. Uulleiin
Hwnu'ucnlfd, t. XII, p.oll et suiv.
38 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
de Tart : l'élégance , par le svelte hardi et gracieux de ses
élancements ; la solidité , par les points d'appui que lui
donnent ses nervures, ses savantes intersections et les
divisions nombreuses qui s'y contre-butent , et enfin la
beauté symbolique, par ses aspirations vers les sublimes
hauteurs où tendent toutes les âmes.
Rôle gracieux L'époQuc dc S. Tliomas , de S. François d'Assise, de
qu'elle donne aux ^ ^ ' ^ '
détails architecto- g, Louis ct dc Vinccut dc Beauvais, époque si ravissante de
niques. ^ ^
son noble et gracieux mélange de poésie et de raison, ne
pouvait guère s'exprimer autrement dans ses chefs-d'œuvre
de construction. « Il fallait à cette vive flamme de la foi, »
dirons-nous avec un grand archéologue de notre temps (4),
« le moyen de se transformer en pierres , et de se léguer
Esthétique de l'ar- alusl à k postérlté. Il faut aux Pontifes et aux architectes
chitecture qu'elle . t • • n • * , i ,
inspire; quclquc combmaisou nouvelle qui se prête et s adapte a
toutes les nouvelles richesses de l'esprit catholique. Ils la
trouvent en suivant ces colonnes qui s'élèvent vis-à-vis l'une
de l'autre, dans la basilique chrétienne, comme des prières
qui, en se rencontrant devant Dieu, s'inclinent et s'emliras-
sent comme des sœurs. Par son apparition, qui ne devient un
fait général qu'au treizième siècle, tout est modifié, non
pas dans le sens intime et mystérieux des édifices rehgieux ,
mais dans leur forme extérieure. Au lieu de s'étendre sur
la terre comme de vastes toits destinés à abriter les fidèles,
il faut que tout jailhsse et s'élance vers le Très-Haut. La
ligne horizontale disparaît peu à peu , tant l'idée de l'éléva-
tion, de la tendance au ciel domine ! A dater de ce moment,
plus de crypte , plus d'église souterraine ; la pensée chré-
tienne, qui n'a plus rien à craindre, se produira tout entière
au grand jour. » — « Dieu ne veut plus, dit le Tilurel, le
plus grand poème de l'époque où se formule l'idéal de l'ar-
chitecture chrétienne, Dieu ne veut plus que son cher peuple
(l) M. de Montalembert , Hislohx de S" Élisabelh , iutfoduclion ,
n. Lxvi.
S0>" APPLICATION A i/aRT CHUÉTIEX. 39
se rassemble d'une manière timide et honteuse dans des
trous et des cavernes. » (I)
Et bientôt comme ce symbolisme se développe dans toutes
les parties de ses incomparables productions! Si vous les
examinez successivement, vous ne pouvez qu'en admirer
l'harmonieuse concordance. Depuis la statuaire, qui , après
la seconde moitié du douzième siècle et pendant toute la
durée du treizième, unit les caractères d'une majesté suave
à ceu\ de la beauté mystique , jusqu'au tiers-point des
baies et à la légèreté des colonnes, plus hautes et plus légères
que jamais, vous sentez que l'architecte a voulu rendre la
grandeur morale par celle de la taille humaine, et que les
proportions de celle-ci indiquent à tout le reste du monu-
ment l'esprit de ses diverses comJjinaisons (2). Tout y est
donc régulier; tout y part du principe d'unité pour arriver
à la beauté morale, pour donner de Dieu, de ses Saints et de
leui" culte la plus haute idée possible (3).
C'est donc lentement, et après de savantes graduations , son apogée et sa
-, 1 , . . . ,,1, , 1 • <• .1 décadence,
que 1 art chrétien arriva jusqu a 1 apogée que lui reservait le
treizième siècle. Le plein-cintre céda toute sa place à l'ogive ;
la sculpture vit adoucir et perfectionner ses formes , et se
revêtit d'une délicatesse qui n'ôta rien à la gravité calculée
de son expression morale. Sans rejeter l'ornementation tradi-
tionnelle de la période précédente , elle abandonne le genre
(1) Boissérée, Essai sur la descriplion du temple du Sainl-Graal,
dans le 3^ chant du Tilurel, Munich, 183L (Note de M. de Montalem-
bert, iibi suprà, p. lxvii.)
(2) Nulle part ces observations ne se vérifient plus complètement que
dans la belle abbatiale de Saint-Julien de Tours _, profanée par la révo-
lution de 1793; et que S. Ém. le cardinal Morlot racheta, après soixante
ans de ruine, pour la rendre à sa sainte destination, qu'elle a eniiu
obtenue.
(3) Voir ces mêmes observations inspirées par la cathédrale d'Amiens
à MM. Jourdain et D\iv3.\,Bullelm monumental, t. XI, p. 300; XII, 292;
— à M. Digot, t. XIII, 189, par les sculptures d'un font baptisrnal du
douzième siècle. — Le portail de Yézelay po-sède aussi dans son beau
lynipan un saint Pierre , prince des Apôtres , dont la taille dépasse de
beaucoup celle de tous les personnages qui l'entourent.
.^0 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
néo-grec , se renferme en elle-même , et , remplaçant aux
chapiteaux les scènes historiées par les plus vivaces expres-
sions de la flore symholique, elle semhle réserver pour les
tympans de ses portes et les pourtours extérieurs des murs
sacrés le luxe des épisodes hibliques ou des légendes locales,
les terribles scènes qui se rattachent aux dernières fins de
l'homme, et la merveilleuse assemblée des Élus régnant dans
l'inaltérable sécurité de leur joie éternelle autour du trône
de l'Agneau. Et n'était-ce pas une convenable introduction
au Temple de Dieu que la triple considération des destinées
définitives de l'homme préparant à la prière humble et
sérieuse aux abords mêmes du lieu où elle va s'épancher?
Ensuite la peinture diaphane, qui multiplia aussi ses cffoi'ts
et orna tous les temples du temps de S. Louis, s'éleva au
plus haut point de l'interprétation scripturaire dans les
magnifiques verrières de Bourges , de Reims , du Mans ,
de Poitiers, d'Auxerre, de Strasbourg. Les flèches plus
aériennes portèrent jusqu'aux nuages le magnifique témoi-
gnage de la grandeur de Dieu et du génie de l'homme. Il
n'y eut plus rien de possible au delà de ces types impéris-
sables qui fleurirent sur le sol européen, et dont la France
et l'Angleterre avaient donné la noble envie à l'Italie, à
l'Allemagne, à la patrie de Pelage et du Gid. Mais cent ansà
peine écoulés, l'art religieux laissa tomber d'abord quelque
fleuron de cette incomparable couronne sous le vent empesté
des opinions novatrices ; puis il abdiqua le symbolisme avec
SCS traditions séculaires, ne vit plus dans la Bible que lalettre
morte, au détriment de l'esprit qui est la vérité et la vie ,
et alla perdant chaque jour quelque chose de sa beauté
simple et harmonique, jusqu'à ce qu'enfin, se dégradant
sans retour, il se flétrît tout entier dans la séclieresse insi-
gnifiante de l'art grec, dans les formes païennes et mor-
telles du siècle de Luther, de Garlostadt et de Galvin.
Examen de quel- H scralt tcuips dc rcvcuir maintenant au point de
ques opinions sur i ' , i • • ' ' < i t
les prétendues dcpart (Ic CCS pruicipcs gcueraux , et de nous reporter au
SON APPLICATION A L AUT CIIUÉTIEN. U
plan d'ensemble et aux détails de l'éfilise matérielle fantaisies de rart
* *- _ cliretien.
pom* en étudier le symbolisme avec ses plus intimes le-
çons et scruter les nombreuses étapes de cette longue
route que nous venons de parcourir. Mais d'abord, nous
avons besoin d'établir, comme vérité bistorique, un point
trop longtemps constesté par des boni mes auxquels des
études plus spéciales eussent fait éviter d'énormes erreurs.
Nous avons lu et entendu pendant de longues années des
arcbéologues assez malbeureux pour soutenir, avec toute la
fermeté de leurs convictions imaginaires, que l'art catbo-
lique n'avait jamais eu d'autres règles, dans la plupart de ses
images décoratives, que le caprice d'ouvriers sans idée.
D'autres, plus subtils, voyaient tout bonnement dans cer-
taines sculptures maintes satires des laïques contre le
clergé; ceux-ci encore d'équivoques cbapitres de roman,
exposés aux regards distraits de la foule qu'ennuyait la lon-
gueur des prières ou des offices !!! Et que n'a-t-on pas dit
aussi de certains obscena dont l'borreur imposait à tout le
moyen âge inie note si bien méritée d'infamie et d'immo-
ralité!...; sur tant de cboses, que d'excentricités ont été prodi-
guées ! Mais déjà ceux-lcà mômes qui s'en firent les bouillants
champions se repentent, nous l'espérons de leur bonne foi ,
d'avoir tranclié avec ce glaive équivoque des questions alors
trop .peu méditées , et qui n'ont plus d'obscurité aujour-
d'hui. Nous en réservons la preuve à ceux des chapitres
suivants, où nous parlerons des peintres et des sculpteurs.
Ouantà l'architecture, qui nous occupe seule à cette heure,
il est bonde rappeler quelle fut toujours la sainte autorité
de ses règles, et de constater par là combien peu fut pos-
sible, jusqu'aux siècles de décadence, l'intromission de la
fantaisie dansas constructions religieuses, non mohis que
dans le choix des sujets d'ornementation.
L'Église, n'eùt-elle été inspirée que par ce besoin d'estlié- présh'ier^àTa^V-
tique où gît toute sa vie spirituelle, aurait du songer, dès le t7n,pios%utsibKn
commencement do son aciion e\(érieui-e, à s'enii)arer de jï«'*^ieurconstruc-
42 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
l'art décoratif. Les Livres saints lui prouvaient de reste que
la pensée divine devait s'y refléter : l'arche d'alliance n'y
avait-elle pas ses mesures déterminées, ses tentures de
diverses couleurs prescrites ? n'y voyait-on pas la nature
des bois et celle des métaux indiquées pour chaque objet ,
et toutes ces prescriptions manqueraient-elles d'une signi-
fication mystérieuse , non plus que les différentes parties
du Tabernacle, ses chérubins d'or battu, sa table des obla-
tions, et son chandelier à sept branches, et son voile pour
séparer le sanctuaire du Saint des Saints (1 ) ? C'était la
raison que donnait déjà le pape Félix IV, mort en 529, pour
encourager les évêques à l'édification des églises (2) , et
Elle y a tenu Duraut dc Mcudc l'a dit plus expressément encore (3). Les
dès le commence- . . .
ment. prcmicrs temps chrétiens avaient donc sur ce point des
règles faites ; il ne s'agissait que de se les approprier, et les
Apôtres n'y manquèrent pas. Nous avons vu dans leurs Con-
stitutions la forme de vaisseau assignée d'une façon doctri-
nale aux éghses, qui la conservèrent toujours (4). Les
exceptions qui survinrent plus tard, sous Constantin et ses
successeurs, ne consacrèrent que des formes non moins
symboliques. Celle de rotonde, souvent préférée par ce
prince après que sa mèreS^^ Hélène l'eut inaugurée, comme
(1) « Tabernaculum vero ita faciès..., faciès et saga cilicina undecini.
— Longitudo sagi uniiis habebit triginta cubitos, et latitudo, quatuor...
Faciès et altare de lignis sethim... » (Cf. Exod., xxvi et xxvii.)
(2) « Si enim Judaîi qui umbree Legis deserviebaut baec faciebant,
multomagisnos quibusveritaspatefactaest etgratia per JesumChristum
data est, templa Doinino aediticare, et prout melius possumus ornare.
eaque divinis precibus et sanctis unctiouibus suis cum altaribus et
vasis.vestibus quoque et reliquis addivinum cultum expleudum usteii-
silibus dévote et solemniter sacrare... debemus. » (Decreti Gratiani
pars III, De Consecratione , dist. i, c. tabernaculum , ia-f» , Autuerp.,
1560, col. 1974.)
■ (3) « Quidquid autem Synagoga perLegem accepit,hoc nuncEccIesia
a Christo cujiis sponsa est per gratiam recepit et in melius commu-
tavit. )i (Duranti, praesulis Mimât., Raiionale div. Of'ficior.,'De Ecclesià
fit ejus partibus, lib. I; mihi, f" il, iii-4o gotb., 1494.)
f4) Voir, ci-dessus, la note 2 de la page 9.
SON APPLICATIOK A L'aRT CHRÉTIEN. 43
image du monde reconquis par le Sauveur, au Saint Sépulcre
de Jérusalem, était couronnée d'une coupole, pour rappeler
cette grande voûte de l'univers au sommet de laquelle est
placé le trône de Dieu (^ ) . La croix transversale à cette voûte,
et dont nous avons vu l'idée éclore des catacombes, diffé-
rencie suffisamment ces monuments chrétiens des édifices
païens, dont ils auraient pu sembler une imitation. Elle
n'était qu'une transmission indigène du monde latin légè-
rement modifiée, et conservant sur le sol hellénique toute
la force de son expression native, figurant le Sauveur étendu
sur l'instrument de sa mort, ayant la tète où est l'abside , les
bras où sont les latéraux , le corps où s'étend la nef mé-
diane, et quelquefois même appuyant ses pieds au suppe-
daneum figuré par la porte occidentale, arrondie à l'inté-
rieur du vaisseau, ou par le nartex qui la précède (2). Là
encore, aux douze colonnes qui supportaient l'architrave, il
était facile de reconnaître ces Apôtres du Christ, soutiens de
l'Église catholique, fondements de l'inébranlable vérité (3) .
La croix latine, qui ne diffère de celle des Grecs que par
la plus grande extension de sa partie inférieure , donnait
plus d'élégance aux édifices de l'Occident, outre qu'elle repré-
sentait plus exactement celle du Calvaire ; mais quelles que
fussent ses dimensions à Rome ou à Byzance , elle n'en
représentait pas moins bien, comme le dit M. Boissérée, la
base mystique sur laquelle le vaisseau spirituel devait
reposer (4). Nous verrons bientôt, en recherchant les ori-
gines symboliques de nos peintures sacrées, combien stricte
était la règle faite par l'autorité hiérarchique aux premiers
(1) BAlissier, p. 382.
(2) « Dispositio autem materialis ecclesiae modum humani corporis
tenet. Cancelliis namque, sive locus ubi altare est^caput rej^rœsentat ;
crux ex utraque parte, brachia et marms ; rcliqua pars ab Occidente,
quidquid corpori superesse videt. » (Guill. DxiVcmii, ubi suprà.)
(3) « Kstis fundati... super fiindamentam Apostolorum. » (Ephes., ii,
20.) — « Ecclesia..., colurana et firmameiitum veritatis. » (Tim , i, 3.)
(i) Monofjra/phie de la calhcdmle de Cologne.
44 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
artistes chrétiens. Serait-il croyable, en l'absence des pres-
criptions détaillées qui semblent nous manquer pour l'archi-
tecture , et dont nous citerons cependant ifn grand nom-
bre , que celle-ci n'eût pas été assujettie aux mêmes
règles, et se fût seule émancipée des surveillants naturels
que l'Église ne dut pas se dispenser de leur donner ?
Premières traces Quclqucs uuagcs douc qul cnveloppcnt, à cet égard, nos
l'histoire.*' *"" plus anciennes traditions, croyons bien qu'elles remontent
jusqu'au premier siècle, comme celles que les découvertes
de la science ont rattachées depuis trois cents ans aux autres
arts du dessin. Nous savons d'ailleurs , par des contempo-
rains de Trajan, quelle magnificence on admirait dans les
éghses construites avec tant d'empressement pendant les
quelques années qui séparèrent parfois les persécutions.
Lucien, entre autres, s'extasie sur les portes d'airain sculptées
et les dorures prodiguées jusqu'au plafond d'un temple
chrétien où il introduit un personnage de ses Dialogues {\ ).
Un peu après, on voit le pape S. CaUxte dédier à S*'' Marie,
au delà du Tibre, la première église que Rome ait possédée
au grand jour (2). On sait qu'au siècle suivant, un autre
souverain pontife, S. Sylvestre, construisit dans la Ville Éter-
nelle un grand nombre de basiliques dont l'ornementation
se fit par des mosaïques et des peintures indiquées par lui,
et au milieu desquelles l'Agneau sans tache , accompagné
de S. Jean, et tenant sous ses pieds le Livre évangélique,
avait la principale place dans l'abside centrale. Il avait fait
représenter ailleurs la Sainte Vierge, les apôtres S. Pierre et
S. Paul, les bienheureux martyrs Processus et Martinieii,
puis des palmiers chargés de leurs fruits, et qui semblaient
ombrager les restes des généreux Confesseurs : images fra-
(1) « Perlransivimus ferreas portas et serea limina, multisque jam
superatis scalis iu domnm auralo fastigio insignem ascendimus , qua-
lem HoiTierus Menelai fingit esse. Atqne ipse quidem omnia illa
contemplahar... » — Cité par Baronius , Annal, ecclcsiasl., ad ann. 57,
w^ 101.
(2) Idem Baronius, Annal.. 1. II, ad ann. 224, n« \.
SON AIMMJCVTION A 1. VHT CIIHKTIKN. V>
«iiles, mais ploiiios d'espérances, des Iriomplies éternels
promis anx Élus (1;.
Gc soin des premières exigences du culte dans les chefs " «e perpétue
par les conciles.
de l'Eglise n'était certainement qu'un écoulement de Tes- Les évêques obn-
îjfts de surveiller
prit Apostoli(iue ; les Evèques du monde chrétien l'avaient ces travaux.
reçu comme aux, et l'histoire se répand en laits du même
genre qui, de toutes parts, attestèrent ces mêmes inspira-
tions. C'est très-peu de temps après le règne pacili([iuî de
Constantin (juc les conciles formulent, comme une règle
indispensable, l'intervention des Évèques dans la construc-
tion de nouvelles égUses : le concile de Chalcédoine, tenu en
Î5I, l'exprime par son quatrième canon ; à Agde en oOG , à
(1) « Multas basilicas ijedifîcavit quas sacris imaginibus donisque, ac
inunerihus exornavit. » [Breviar. roni., in festo S. Sylvestri, xxxi dec,
lect. IV.) — « In foriiice niajoris ake , crux mira3 niagnitudinis variis
«listincta coloribus coutemplanda exhibetur, quae prœcipuum qiiidem
chrisUanorum inter exsurgeutis fidei primordia signum ac ornameu-
tiim esse cousueverat. Ibi pariter iu allero iiiferioris ordinis foruice
Cbristi salvatoris imago, una cum sanctorum Pavli apostoli et Pro-
cessi marlyris iuiaginibus od dex te r am cerniiur ; ad sinislrum autem
latus B, Peiri apostoii et Martiniani marlyris effigies coloribus adum-
bratur. lu cujusdam item arcuati foruicis prospectu, agnus média qui-
dem parte caudidus, qui Chrisli aymbolum est , Librum sub pedibus
prajferens..., quem a dexiris Joannes Prœcursor bis plane verbis velut
digito prœmoustrare videtur : Eccc Agnus Dei.-. Eiimdem vero ad
Ixoam Joannes Evangelisla illis itidem verbis praenotat : In pri?2cipio
eral Verbum... Pr8C.terea...sacerille locus quam pluribus Deiparae ima-
ginibus diversimode picLorum penicillo delineatis nobilitatur , sancta-
rum item virginum... In uibus locis quœ fornicem usque pertingunt,
Lres piilmarum arbores fruclibus onuslos... exbiberi : palmam quippe ,
Justorum symbolum esse nemo sanctae antiquitatis studiosus est qui
nesciat... «(Aringbi, Runia suùtc7i\, lib. IV, cjp. xliv, n» 7.)
Nous remarquons encore ici la droite donnée à S. Paul, ce fils de
Benjamin, sorti de ce peuple juif qui est passé à la droite du Sauveur
(juaud il a été appelé à ne faire plus qu'un avec les enfants de la pro-
messe; c'est un exemple de plus après ceux que nous avons donnés ci-
dessus, t. II, ch. XIV, p. 451. Nous soupçonnons bien ici que la même
raison a pu déterminer le peintre, guidé par le pontife, à idacer à droite
de l'agneau blanc (candidus) S.Jean le Précurseur, le dernier des Pro-
phètes de la Loi ancienne, et à gauche le disciple chéri, qui semble
aimer à s'effacer aussi devant cette grande fusion que sa charité doit
adorer avec bonheur.
/,(\ HISTOIRE bU SYMBOLISME.
Orléans en 51 1 , on la prescrit de nouveau ( I ), et bientôt cette
disposition passa dans le droit, où nous la voyons en vigueur
depuis cette époque reculée , et à travers le moyen âge ,
jusqu'à ceux de nos derniers conciles, qui rappelèrent les
Prescriptions d'u- inteutions de la discipline primitive. Cette règle, au reste,
sag^e sur ce point. ' ^
était d'une telle rigueur qu'on devait refuser de consacrer
toute église pour laquelle on ne l'aurait pas suivie (2). On
voulait aussi qu'en rebâtissant une église ruinée par quelque
cause que ce fût, on lui conservât son emplacement pri-
mitif, comme avait fait Paulin pour l'église de Tyr, dont
nous avons parlé (3). On voit donc que cette règle date
d'une époque bien rapprocliée des temps apostoliques :
c'étaient un souvenir des premiers oratoires secrets , sur
lesquels s'étaient élevés les temples publics, et une marque
de respect pour des fondements qu'avaient sanctifiés les
prières et les cérémonies de la liturgie. Ce respect, par la
même raison, affectait jusqu'aux matériaux anciens, qui,
ayant été bénis et môme consacrés par les onctions du Saint
Chrême, étaient replacés avec soin dans les murs de l'édi-
fice nouveau (4). Voilà bien des preuves que la foi de nos
pères attachait à ces détails autant d'importance qu'on en
peut mettre à de véritables titres de famille.
Les monastères Mals déjà vcrs cc tciups, Ics iiiouastères commençaient
qués àrart^^reil à flcuHr, ct Icur célébrité, qui leur était acquise par la
culture des études, s'accroissait encore de l'habileté qu'on
y montrait pour les arts. S. Benoît, premier instituteur de
(1) « Nemo eedificei aut constituât monasterium aut oratoriam do-
mum sine voluntate Episcopi urbis. » (Labbe, Conc, t. I, p. 507.) —
Les termes sont presque partout identiques dans les autres sources que
nous indiquons.
(2) « Nemo ecclesiam sedificet antequam Episcopus veniat..., et sic
domum œdiôcet. » {Decreium ^ pars III, De Gonsecratione, distinctio
prima, m-P, Autuerp., col. 1978.)
(3) Voir Eusèbe, Histor* eccles., lib. X, cap. m ; notre Histoire de la
cathédrale de Poitiers, 1. 1, p. 6.
(4) Voir la description de l'église de Saint-Amand de Goly , en Péri"
gord, Bullet. monum., t. I, p. 211.
gieux.
SON VPPI.ICVTION A l/.VRT CHRÉTIEN. '»'
la vie monastique en Occident, et ([ui acheva d'écrire sa
régie vers 530, y introduisit le travail des mains comme
une occupation salutaire à un religieux. Il y est parlé des
arts divers auxquels on pouvait s'appliquer sous l'obéis-
sance de l'Abbé ; on devait remplir ces œuvres avec humilité,
ce qui doit évidemment s'entendre des travaux où l'intelli-
gence avait sa part, comme Fa fait observer un éminent
archéologue {\] , et non de simples métiers^ comme
d'autres, avant lui, l'avaient écrit sans trop de réflexion.
-Mabillon n'hésite pas à dire que, dès ce temps-là même,
l'enseignement des lettres llorissait au Mont-Cassin, où le
saint Patriarche avait fondé son Ordre (2). Nous voyons
<|u'en Poitou S. Junien de Maire bâtit son premier monas-
tère à' l'aide seulement de ses nombreux cénobites (3).
S. Ouen, dans sa Vie de S. Éloi, parle, au sixième siècle, de
l'abbaye de Solignac comme d'une école où l'on s'occupait
de plus d'un genre d'industrie, outre la transcription des
livres, sans laquelle il n'y avait pas de congrégation reli-
gieuse (4). x\lors encore, on avait élevé autour du chevet de
la cathédrale de Strasbourg, fondée en 504 par Glovis, des
demeures pour l'évèque et les religieux qui vivaient en
commun avec lui, comme firent dans la suite les Chapitres
cathédraux (5) ; et Ton pense bien que cette identité de vie
(1) Voir M. de Montalembert, L'irf et les Moines , dans les Annales
archéologiques, t. VI, p. 122.
(2) VoirFleury, Hisl. écoles., lib. XXXII, n" 14, ad ann. 529; — Rohr-
l)acher j Ilisl.génér. de VEgl. cathoL, t. iX, p. 90; — VExplicalion de
la règle de S. BenoU, ch, xlviii et lvii, Paris, in-12, 1738 ; —Mabillon,
Traité des éludes nionasliques, 1. 1, p. 90, in-12, Paris, 1692.
(3) Cf. Bollandus, xii aug.; nos Vies des Saints de V Église de Poitiers,
p. 257, Poitiers, 1858.
(4) « Est autem congregatio magna diversis gratiarum tloribus ador-
nata; habentur ibi et artifices plurimi , diversarum artium perili. »
(Cité par M. de Caumont, flisl. de Van hit,, p. 59.) — Cf. l'abbé Texier,
Dictionnaire d'orfèvrerie chrétienne y col. 937, in-i», Migne, 1856; et
Histoire des argentiers et émailleurs de Limoges, in-S", Poitiers, 1849.
(5) Bulletin du Comité des aris et monuments , t. III, p. 351 et
811 i V .
^S mSTOIRK I)L' SYMROLISMK.
religieuse, cette réunion continue d'esprits appliqués aux
mêmes sujets d'études et de contemplation dut amener un
concours naturel de pensées laborieuses et d'efforts pratiques
au profit des constructions sacrées. On passait de la lecture
des Livres saints et de leurs commentaires savants à la con-
Nombreuxexem- structlou dcs plaus, aux calculs de leurs détails. Des intel-
bir lcno\Vda ligences nourries de la lettre et de l'esprit de la Bible ne
^^^^^^' pouvaient manquer d'en rattacher la substance aux di-
verses parties de l'édifice matériel et de les y appliquer
avec amoui", comme d'autres le faisaient dans leurs écrits :
de là le zèle à construire soi-même ou à diriger les travaux;
de là ces aptitudes d'abord exceptionnelles, et qui le furent
bientôt moins, en certains évêques pour les occupations
manuelles. S.Grégoire de Tours énumère dix-huit de ses
prédécesseui''s qui tous s'appliquèrent pendant leur épis-
copat à élever des basiliques à la gloire des saints Martyrs {\ ) .
L'un d'eux, qui avait gouverné l'abbaye de Saint-Martin,
excellait en plusieurs sortes de travaux, et, aimant surtout
la menuiserie, utilisait ses talents à faire des tours en bois
qu'il recouvrait de lames d'or pour servir de tabernacle à la
Sainte Eucharistie (2). Voilà donc une relation formelle par
les arts entre les monastères et lesévechés, qui, assez souvent
d'ailleurs, n'étaient presque qu'une seule et même chose,
l'Abbé devenant Évêque, et son monastère le Chapitre de la
cathédrale. Ainsi en fut-il la plupart du temps en Angleterre,
à Lobbes en Flandre , et, plus tard, à Maillczais en Poitou et
à Tulle en Limousin. Et , une fois engagé dans cette vie de
grosse tâche, ne croyez pas que le moine se contentât de
poser sur le parchemin les lignes symétriques de ses
(1) Cf. Histor. Francor., lib. X,cap. xxxi.
(2) « Léo... fuit vir strenuiis atqae utilis in fabrica operis Hgnarii.
{Ubi suprà, lib. III , cap. xvii.) — Tertius decimus Léo ex Abbate ba-
silicaB Saucti-Martiui ordinatur Episcopus. Fuit autem faber lignarius,
faciens etiam turres holochryso tectas, ex quibus quaedam apud nos re-
tinentur. In aliis etiam operibus elegaus fuit. » {Ibid.jVùi, X,cap« xxxi^
u<> 13.)
SON APPLICATION A L ART CHRÉTIEN. 49
crayons; le plan fait, il ne laissait pas à d'autres le soin
de l'exécuter. Des Abbés eux-mêmes se mêlaient à l'œuvre
lal)orieuse de tous les jours, heureux de contribuer à la
gloire de Dieu à titre de cimenteurs, après l'avoir cherchée
comme architectes, et de ne s'interrompre que pour aller
à l'autel ou au cliœur : ainsi furent bâties les abbayes éter-
nellement célèbres de Saint-Gall, du Bec, de Souvigny, et
tant d'autres, chez nous et ailleurs, où tous les arts rivali-
saient avec les lettres et les sciences exactes du irivium ou
du quadrivium (I).
Mais à ne considérer que les évoques, cette époque leur
devrait sa véritable gloire artistique. Beaucoup s'exercent
autant à la confection des vases sacrés qu'à la construction
des éghses, et insistent sur des détails secondaires d'orne-
mentation , de manière à nous en déceler l'importance.
S. Rémi de Reims, qui avait érigé révèché de Laon en 496,
y avait laissé un calice d'argent fait d'après ses idées, et sur
lequel était une inscription composée par lui. Un peu plus
tard, vers 533, il ordonne, par son testament, de faire d'un
vase d'or qu'il a reçu de Glovis une tour pour la Sainte Ré-
serve, puis un autre calice orné de ciselures et de la même
inscription (2). D'autres évêques suivaient cette voie ou-
(1) Cf., pour plus de détails, le beau et intéressant travail de M. de
Montalembert, « l'Art et les Moines, » dans les Annales archéologiques,
t. VI , p. 121 et suiv. Nous y renvoyons également pour tous les textes
ijui viennent à l'appui de ces assertions , qui sont celles du savant
écrivain. Mais un fait caractéristique en cette matière se trouve consi-
gné dans l'acte de consécration de l'église de l'abbaye de Champagne,
dans le Maine. Cet acle, daté du l^r novembre 1269, porte que l'évêque
du Mans, G. Freslon, l'abbé du monastère et plusieurs religieux avaient
travaillé au saint édifice d'esprit et de corps : Qui multum laborave-
runl corporaliter et spiritualiier in fabricaiura ecclesise. (Cf. M. Ru-
cher, Notice sur quelques monuments de la Sarthe, Bullet. monum.,
t. XVI, p. 358.)
(2) « Vas aureum decem librarum, quod mihi Clodovaeus rex donare
dignatus est, haeredi meae ecclesiae jubeo turriculum et imaginatum
calicem fabricari, et epigrammata quae Lauduni in argenteo... ipse di-
cavi in hoc quoque conscribi volo. » (Flodoard, apud Bouquet, Rerum
T. III. 4
oO HISTOIRE DU SYMBOLISME.
verte au zèle du clergé, que le père de notre histoire natio-
nale n'a garde d'oublier. Ainsi Agricole, à Chalon-sur-Saône,
élève des bâtiments claustraux autour de sa cathédrale
où les colonnes de marbre le disputent aux mosaïques ('l).
A Rhodez , Dalmatius mourait sans avoir pu achever la
sienne, parce qu'il l'avait recommencée très-souvent , dans
le désir de faire toujours mieux (2). A Clermont, Namatius
s'appliqua à faire de sa basilique épiscopale un édifice
remarquable par ses dimensions et la magnificence de sa
parure : le symbolisme y règne par son abside, par sa forme
de croix, le nombre de ses fenêtres, de ses colonnes et de
ses portes, le jour harmonieux qui s'y répand; « en sorte, dit
notre auteur, que tout y respirait les plus suaves parfums
de la piété. )> Et ne croyez pas que ce goût des bonnes choses
artistiques n'aille bien qu'à ces Saints de profession : les
femmes n'y demeurent pas étrangères. Pour qu'elles s'en oc-
cupent, il suffit qu'elles aient pris le voile religieux, et s'in-
téressent d'autant plus aux choses sacrées. Retirée du
monde en môme temps que Namatius , l'épouse de celui-ci
nous est signalée par S. Grégoire, s'occupant d'élever une
autre église en dehors de la ville, et dictant aux peintres
qui devaient la décorer les sujets qu'elle y voulait avoir, et
dont elle expliquait les motifs en s'aidant d'un livre ouvert
sur ses genoux (3 j . Que n'avons-nous encore un tel livre !
franc, scriplores, 1. 11, ad ann. 533; — Fleury, lib. XXX, n" 46, ad ann.
496.)
(1) « Agricola , Cabillonensis episcopus..., liomo valde elegans...,
multa in civitate aedificia fecit, domos composuit, ecclesiam fabricavit
quam columnis fulcivit, variavit marmore, musivo depinxit.» (S. Greg.
Turon., Hist. Franc, lib. V, cap. xlvi.)
(2) « Eo tempore (post ann. 541) et Dalmatius , Ruthenae civitatis
episcopus, migravit a sseculo... Ecclesiam coiistruxit; sed dum eam ad
emendatiouem ssepius destruxit, incompositam dereliquit. » {IbicL,
cap. XLVii.)
(3) « S. Namatius ecclesiam quse nuiic constat..., suo studio fa-
bricavit , babentem in longum pedes centum quinquaginta , in latum
pedes sexagiuta, in altum infra capsam usque cameram pedes quin-
SON APPLICATION A L'aRT CHRÉTIEN. 54
L'épiscopat ne se si"-iiale pas moins au siècle suivant. Il son zèie à favo-
■^ ^ <- j risor les progrès
s'est emparé de la matière , non moins fervent que le clergé de rarciutocture.
régulier, et, dans ces deux catégories , l'honnue de prière
ne voit rien de plus naturel que de régler les fondements
du culte public par le zèle de la maison de Dieu. Et pen-
dant (jue l'Occident s'anime ainsi à l'œuvre sainte , en
Orient S. Jean l'Aumônier, patriarche d'Alexandrie, envoie
d'innnenses ressources à Modeste, abbé deSaint-Tliéodose,
en Palestine , qui s'efforçait de relever à Jérusalem les
églises détruites en 615 par les Arabes (I).
Mais alors se Ut un progrès considérable , dû peut-être à
la présence et à l'exemple des Yisigotlis , qui régnaient
depuis cent ans sur le Midi de la France. A Gahors, en 630 ,
S. Didier use d'énormes pierres de taille pour son église :
c'est le grand appareil, qui ne cessera plus dans les con-
structions , et va désormais échelonner jusqu'à nous , à
travers le moyen âge et la Renaissance , toutes les périodes
de l'architecture européenne (2). Aussi vit-on bientôt les
peuples du Nord emprunter à la France et à l'Italie , où les
Goths s'étaient longtemps exercés, des ouvriers et des ar-
tistes capables d'y introduire cette méthode perfectionnée
quaginta : inante absidem rotundam habens,ab utroque latere ascellas
elegaiiti constructas opère, totumquefiedificium in modum crucis babet
Tenestras quadraginta duas , columnas septuaginta, ostia octo. Terror
namque ibidem Dei, et clarilas magna coiispicitur; et vere plerumqiie
inibi odor quasi aromatum suavissimus adveuire areligiosis seutitur.»
[IbicL, lib. II, cap. xvi et xvii.j — Ce livre, que l'bistorien ne désigne
pas, était peut-être la Bible; mais ce pouvait bien être aussi un clioix
des histoires bibliques accommodé aux besoins de l'art. M. Didron a
rencontré en Grèce des peintres qui travaillaient leurs fresques de la
même manière, en se faisant lire par des enfants un manuscrit qui les
renseignait à l'instant même, et qui n'était pas le livre sacré. (Cf. Ma-
nuel d'iconographie chrétienne j introduction , p. xxv , in-S», Paris,
1843.
(i) Robrbacber, Uist, universelle deV Église calholigue, lib. XLVIII,
ad ann. 615.
(2) « Non quidem nostro gallicano more, sed sicut antiquorum mu-
rorum ambitus magnisque quadrisque saxis exstrui solet. y){Kxrerpla
e Vita S. Desiderii; Bouquet, ubi suprù, t. HT, p. 331.)
:)2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
dont les Méridionaux avaient eu les prémices. On voit
S. Wilfrid, évêque d'York, Biscops, abbé de Waremouth,
venir eux-mêmes en Normandie , vers 675 , chercher des
constructeurs et des verriers qui travaillèrent bientôt en
Angleterre , et y laissèrent les notions et la pratique de ces
deux arts {\). Ces magnifiques élans que les évêques et les
moines inspiraient au monde en retour de ses religieux
respects et de sa filiale soumission durent hâter le déve-
loppement de l'iconographie symbolique , et de tels faits
peuvent être indiqués , croyons-nous , dans l'histoire de
l'art comme le point de départ de cette architecture méro-
vingienne qui diffère évidemment par tous ses caractères
de celle qui jusque-là n'avait donné que des édifices en
bois , toujours dévorés par l'incendie peu de temps après
leur construction , et qui ne se prêtaient , d'ailleurs , que
fort peu aux travaux symboliques de la sculpture.
Plan symbolique Uu fait intércssaut se rattache ici à la construction des
abbayes. Leur plan général, tout en se dessinant d'abord
à l'imitation des grandes habitations romaines , s'était plié
néanmoins aux exigences différentes de la vie régulière ,
et le symboUsme y avait pénétré avec les austères habitants
dont il remplissait la pensée. S. Éphrem , diacre d'Édesse ,
qui florissait dès le miheu du quatrième siècle, parle
du cloître comme d'une fidèle représentation du Ciel , où
tout est commun , où règne la paix des saintes extases et
de l'unique préoccupation de Dieu. Par suite , rien d'éton-
nant qu'on l'ait embelli dès lors et plus tard de sculptures
éloquentes, de peintures variées reproduisant les idées
exprimées dans les livres mystiques , dont la lecture s'y
(1) Émeric David, Mémoire sur la dénomination et les règles de l'ar-
chitecture dite gothique , "^(irmi ceux de l'Institut, 1838, passim. —
L'auteur, pour le dire en passant, s'y trompe plus d'une fois sur l'âge
des monuments dont il parle, et semble ne s'être pas souvenu, en
écrivant ce mémoire, de ce que le concile de Nicée lui avait appris sur
la direction donnée par le clergé aux architectes depuis l'origine de
l'architecture ecclésiastique.
des monastères.
SON APPLICATION A L ART CHRETIEN. 53
faisait tous les jours, comme ceux, par exemple, du Pasteur
d'Hermas et de V Échelle sainte de S. Jean Climaque. C'est
dans ce sens qu'il est parlé des monastères par Honorius
d'Autun au douzième siècle , et par Durant de Mendc au
treizième. Le Sauveur avait dit que dans la maison de son
Père on trouvait de nombreuses demeures distinctes les
unes des autres l'VoiLà les laures de la Tliébaïde , les cabanes
de branchages des solitaires de Saint-Maixent, de Ligugé et
de Marmoutier, enfin les cellules où chacun habite avec Dieu
seul, au milieu du silence et du recueillement. — S. Angil-
bert, au neuvième siècle, dotait la Picardie du célèbre monas-
tère de Saint-Riquier sur un plan triangulaire, et le nombre
trois s'y répétait systématiquement par celui des églises
renfermées dans l'enceinte sacrée , des autels , des portes
et des principaux Archanges qui en avaient le patronage.
Ceci était imité, dans le même temps, à Fleury-sur-Loire par
les moines qui y restauraient l'abbaye de Saint-Benoît. Livrés
aux considérations qui résultaient de ces dispositions mys-
tiques de leurs saintes habitations , les religieux devaient
regarder leur maison comme une sorte de sanctuaire ,
comme le Saint des Saints du Temple primitif, et ils lui en
donnaient le nom , selon qu'on le voit dans les Vies de
Ste Marie d'Oignies écrite par le cardinal de Vitry, de
Ste Paule par S. Jérôme , et de S^e Euphrasie, contempo-
raine de l'empereur Théodose {]).
On voit clairement combien était érigée en principe et La surveillance
des éveque» con-
comment se pratiquait cette continuelle surveillance des statée parie deu-
xième concile de
Pasteurs ; et quand bien même elle n eut pas été admise Nicée.
(l) Cf. Evang. S» Joan,, xiv, 2 ;— de Caumont,//û/. deVarchit. relig.,
[). 362 ; BuUet. mo?unn.,\l, 204;— S. Éphrero, De Compunciione cordis,
cap. II, parmi ses ouvrages de piété, traduits par Le Merre; -—l'abbé
Crosuier, konogr. chréi.,\). 77 et 78; — Honorius Aug., Gemma animx,
lib.I, cap. cxLix; — Duranti Mimât. RalvmaU, lib. I, cap. vi; — l'abbé
Godard-Saint-Jean, Essai sur le symbolisme archilectural des églises,
iu-8o, Gaen, 1847 ; — Cornélius à Lapide, Comment, in Exod., cap. xxvi,
V. 33.
54 HISTOIIIE UL' SYMBOLISME.
partout dès le commencement , elle serait devenue néces-
saire pour préserver l'Église des imaginations de mala-
droits ouvriers ; et ce fut une crainte fondée de voir déna-
turer la foi dans le plus sensible de ses éléments extérieurs
qui nous valut le plus décisif de tous les textes sur cette
matière. On sait les discussions soulevées au huitième siècle
par l'hérésie des Iconoclastes , et avec quelle énergie le ca-
tholicisme lui opposa ses conciles et ses martyrs. De ces
conciles , le deuxième de Nicée , tenu en 787, constate , en
termes exprès , ce qui avait été de tout temps à l'égard de
cette surveillance de l'Église sur les artistes qu'elle em-
ployait. Les ennemis des images se faisaient une objection
des erreurs possibles de quelques peintres qui , par leur
peu d'habileté, eussent compromis, disait-on, la dignité
du culte ou la gloire de Dieu et des Saints. « Mais comment,
)) observèrent les évoques, nos peintres pourraient-ils se
» tromper dans le plan et les détails de nos tableaux en
» suivant la tradition conservée dans toute l'Église? et ne
)) sait-on pas que tout y est dicté par les Pères dès la plus
» haute antiquité , que S. Basile regarde comme une preuve
» d'autorité irrécusa])le ? Eux seuls étaient les architectes
» ou les constructeurs de ces lieux vénérés où leurs regards
» se reposaient sur les saintes images , où leur cœur sa-
» cerdotal offrait à Dieu des prières agréables avec le Sa-
» criflce-non-sanglant. En tout cela, rien n'était du peintre
» que l'art dont il usait ; mais l'ordre et la disposition des
» sujets étaient bien des Pères de la sainte Église , qui déjà
« avaient élevé le monument (1). » La règle était donc
(l) «Non est imaginum structura pictorum iiiventio, sed Ecclesiaj
catholicse probata legisiatio et traditio. Nam quod vetustate excellit
venerandum est, ut inquit divus Basilius. Testatur hoc ipsa l'ernm anti-
quitas et Patrum nostrorum , qui Spiritu Sancto feruntur , doctrine.
Etenim, cum has in sacris templis conspicerent, ipsi quoque anime
propenso veneranclatempla exstruentes.in eis quidem gratas orationes
suas etincruenta Sacrificia Deo omnium rerum Domino offerunt. Atqui
consilium et traditio ista non est pictoris (ejus enim sola ars est), verum
S0> APPLICATION A l'aUT CHRÉTIEN. 55
vieille déjà , elle datait de la plus haute origine possible ;
mais aussi elle était absolue. Le peintre peignait, cinsait
de son art; il n'inventait pas, et, dans cette contrainte, il
se trouvait préservé des inconvénients qu'aurait entraînés
l'émancipation de son génie personnel , parfois peut-être
plus ou moins iconoclaste... Que faudrait-il de plus que
cette solennelle déclaration de l'Eglise pour signaler nos
premiers évéques, et leurs successeurs par une conséquence
naturelle , comme ayant eu toujours et partout la direction
des artistes religieux ? Émeric David , Gori et d'autres
l'avaient soupçonné sans en chercher les preuves : nous les
avons maintenant, et nous remontons sans obstacle jusqu'à
l'origine même des traditions chrétiennes, à la suite de
ces Pères de Nicée , qui devaient bien les savoir (-1).
ordinatio et dispositio Patrum nostroDim qui œdificaverunt. » (Labbe,
Conc, t. VU, col. 831; Synoct. Nicœna, ii.)
(1) Cf. Ém. David, ubisuprà, p. 73, où il cite Gibbon, historien de La
Décadence de Vempire romain , qui outre de beaucoup, sans en com-
prendre la cause esthétique, les difformités de la peinture religieuse des
Grecs au hiùtième siècle. — Gori s'exprime avec plus de respect et de
justesse dans sa Description de la chapelle de Saini-Anlonin , in-f»,
1728, et dans son Symbole liUéraire , t. II, in-8°, 1748, Floreutiae. —
M. nidron, que nous aimions beaucoup, mais dont nous ne pouvons
adopter ici toutes les idées, se trompe aussi peut-être lorsqu'en avouant
que nos artistes occidentaux du moyen âge ont toujours eu une véri-
table liberté dans leur allure artistique , il accuse l'Église d'Orient de
les avoir com[)rimés en d'étroites limites dont il croit trouver la preuve
dans le canon de Nicée. N'y voit-on pas, au contraire, que l'artiste grec
a pour lui son art, ejus enim sala ars est, c'est-à-dire l'exposition du
sujet désigné, ce qui est beaucoup pour son talent? Quant au dogme,
quant à l'exégèse scripluraire, c'est autre chose, et rien ne peut l'auto-
riser à les traiter de lui-même. Nous verrons que Rome ne se distingua
pas en cela de Byzance, puisque d'ailleurs ce n'est guère qu'au sixième
ou septième siècle que les deux écoles commencent à se donner quelques
points de divergence. — Durant de Mende, que M. Didron n'aimait pas
assez, n'a donc pas tort d'appliquer aux peintres chrétiens la maxime
d'Horace : Qaidliiet audendi... 11 est clair que Durant, qui savait par-
faitement de quoi il parlait et ce qu'on prétendait de son temps, ne
donne pas à ces mots: Divcrsx kistoria^ tam Novi quam Veleris Testa-
menti pro volunlate pictorum depingimtur , un sens aussi large que
notre savant et estimable ami paraissait le croire. Il dit cela après avoir
56 histoiup: du symbolisme.
Elle fortifie et Au milieu des ébranlements subis au dixième siècle par
perpétue ainsi les ^ . , i i a i • i • •
traditions. l'empire d Occident, la cliame de nos souvenirs bistoriques
ne perd pas un seul de ses anneaux. C'est encore le même
académicien qui nous l'affirme. Il nous montre l'art se
penchant vers sa décadence et menacé d'une ruine com-
plète si des évêques vertueux , de pieux cénobites ne l'a-
vaient protégé avec sollicitude dans les cloîtres pour l'orne-
ment des temples et des autels. Il se complaît à dresser une
liste d'évêques et d'abbés tout appliqués à orner et à con-
struire des sanctuaires; c'est à leur voix que s'élèvent les
murs sacrés, que se décorent (îes intérieurs de basiliques où
rivalisent de leur vif éclat les verres de couleur , les vastes
pages de peinture , les retables en orfèvrerie et les étoiles
d'or multipliées aux coupoles des absides et aux plafonds
des nefs. Auxerre, Autun , Reims, Fulde, Toul, Constance,
Rome et Milan , York et Cantorbéry , Aix-la-Chapelle et
Saint-Gall, prouvaient à l'envi qu'une pensée unique prési-
dait aux magnifiques éclosions de la pensée chrétienne (^l).
Là c'était tout le génie de l'ornementation ; ailleurs, comme
à Paris, à Clermont, à Angoulême , l'architecture s'éver-
tuait sur l'abbatiale de Saint-Germain-des-Prés, pour Notre-
Dame-du-Port, pour la belle cathédrale byzantine de Saint-
Pierre , et les architectes étaient encore les prélats, inspi-
rateurs des plans normaux , de l'imagerie sculptée aux
portails , des chapiteaux chargés de légendes locales, d'en-
roulements botaniques ou d'animaux hybrides préposés à
rappelé succinctement de quelle façon on représente le Paradis, l'Enfer,
la Synagogue. Quant aux scènes historiques, elles sont laissées au choix
peut-être, mais certainement à l'agencement du peintre, qu'on n'a pas
intérêt à diriger dans la distribution des scènes et la position des per-
sonnages. On se fût bien gardé de lui laisser la même liberté dans les
peintures où le symbolisme devait dominer la matière.— Voirie Manuel
d'iconographie cliréliemie , introduction, p. vu et viii; Durant, Ralio-
nale divin. Offic, lib. I, cap. m.
(1) Ibid., p. 81 et suiv., et Mémoire sur Varchileciure gothique , ubi
suprà.
SON APPLICATIOIV A l'ART CHRÉTIEN. -37
renseignement de qiiel(|ucs austères vérités (^). M. de
Montalembcrt a fait observer , à propos de cette application
du clergé aux choses de l'art , qu'en plein dixième siècle
l'éducation d'un clerc était assez complète en tout ce qui
regardait le bon goût de l'intelligence et l'habileté d'exé-
cution pour faire honte au pédantisme moderne, qui n'af-
fecte qu'un grossier mépris pour la prétendue ignorance
de ces temps méconnus (2).
Ceci nous amène à l'époque où les Chapitres, constitués .^^s chapitres
^ ^ ' ' entrent dans le
depuisl'origine en un corps diocésain et faisant vie commune mouvement artis-
l ^ ^ tique.
avec l'évèque, commencent à se faire des intérêts distincts,
séparent leur mense de la sienne, et s'appliquent d'eux-
mêmes aux soins de l'église cathédrale , qui devient la leur
propre autant que celle de leur chef hiérarchique (3).
L'épiscopat continue à se faire architecte , d'autant plus
entraîné vers les développements de l'art , que de toutes
parts les écoles d'architecture se sont recrutées , et qu'à
leur observance fidèle du symbolisme elles ont ajouté le
grandiose des formes architectoniques dans les admirables
constructions créées par les monastères les plus renommés.
(1) Reuouvier, Essai de classification des églises d'Auvergne, Bullet.
mouum., t. III, p. 377 et suiv.
(2) S. Bernard, évêque de Hildesheiin, avait été élevé, vers 950, dans
le monastère des bénédictins de cette ville. L'annaliste de l'Ordre, noire
célèbre Mabillon, indique en ces termes à quels arts s'appliquaient les
jeunes gens instruits à cette école et, bien entendu, dans toutes celles
qui vivaient sous les inspirations de la même règle : « In scribendo
apprime enituit; picturam etiam limate exercuit. Fabrili quoque scien-
tia et arte clusoria , omnique structura mirifice excelluit. » {Acia Ord.
Sancti Bcned., t. VIII, p. 181.) — Voici donc un seul homme, et avec lui
tous ceux qui venaient se soumettre à la même discipline, appliqué
en même temps aux travaux de la calligraphie, de la peinture, de l'or-
fèvrerie, y compris l'art d'j^ enchâsser les pierres précieuses, et enfin
l'architecture. De telles notions, il faut bien l'avouer, expliqueraient
seules comment a pu naître et se perpétuer le canon invariable suivi
si longtem[>s parnos artistes religieux. — Cf. Annales archéologiques,
t. VI, iihi suprà.
(3) Cf. l3ouix, Traclalus de Capilulis, pars 1, cap. i, §j5 5, G, 8; Fleury,
Institution, Impart., ch. xvii.
58 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Cette influence monastique , vivante dans toute la période
romano-byzantine, qui s'étend du sixième siècle au dou-
zième , se termine pendant le cours de celui-ci aux vastes
et saisissantes abbatiales des Glunistes et des Cisterciens,
dont on sait la supériorité incontestable {\). Mais pour ces
laborieux solitaires, un temps d'arrêt se fait ici, soit parce
qu'ils ont doté leurs nombreuses maisons conventuelles
d'églises aussi durables que magnifiques , soit parce que la
plus grande partie des Sièges épiscopaux occupés par des
membres de ces grandes familles tendent naturellement
dès lors à remplacer les abbayes dans l'impulsion que l'art
religieux doit encore recevoir. Voilà donc les évèques et les
chapitres unissant leurs efforts et leurs ricliesses pour
élever, à côté de Cluny , de Moissac et de Saint-Denis, de
Vézelay, de Fontverault et de Lerins, les basiliques épisco-
pales de Chartres, de Paris, de Rouen et de Poitiers. De
tous côtés, on voit surgir de nouveaux chefs-d'œuvre et
s'épanouir les nouvelles fleurs de l'architecture , d'autant
plus belles que l'art, parvenu à la possession de toutes ses
ressources possibles, se complète chaque jour par ses char-
mantes productions de tout ce que le compas de l'archi-
tecte peut offrir au pinceau intelligent de ses peintres et au
ciseau vraiment original de ses sculpteurs.
Preuves de ce qui La part cxclusive que le clergé a toujours prise dans la
"DPGCGcic dmis les
sculptures mêmes surveillancc , la direction , et fort souvent dans l'exécution
de nos églises , . , . , i j i
même des travaux, ne se voit pas seulement dans ces par-
faites ressemblances de types qu'on remarque partout où
fut le catholicisme : on la retrouve dans les plus minces
détails d'ornementation sculptée aux façades de nos temples
ou sous les corniches de leur intérieur (2). Là, maintes fois,
(1) Cf. Notice sur les écoles cfarchiieclure au mryen âge , par
M. l'abbé Crosnier, p. 2 et suiv.,iri-8% Caen, 1849.
(2) En Normandie , les modillons ornent rarement l'intérieur de
l'église, mais ils s'y trouvent souvent dans celles de l'Anjou, du Maine,
du Poitou, de la Touraiue et de beaucoup d'autres provinces.
S0> APPLICATION A L'aUT CHRÉTIEIN'. oO
au milieu des têtes grimaçantes et des personnages diver-
sement occupés qui soutiennent en longues rangées les
arcatures ou les entablements, on aperçoit certaines figures
placides attentives à un phylactère qu'elles déroulent , ou
assises près d'un volumen déployé , ou tenant le compas et
l'équerre , ou avoisinécs enfiu d'une petite église finement
taillée qu'elles contemplent avec amour ; presque toujours
ces figures sont couvertes de la cuculle du religieux ou du
capuce du chanoine. Non loin d'elles , un évéque revêtu de
ses insignes habituels , appuyé sur sa crosse , ou assis et
calme devant ces grandes nefs où il semble présider encore,
surveille , et assiste de son regard à tout ce qui s'est fait
autour de lui (^1). Soyez certain que ces témoins d'un autre
âge sont les créateurs de la pensée première qui a rassemblé
d'abord et dressé bientôt après tous ces matériaux. Là
est le maître de l'œuvre , ici le maître maçon , là encore le
consécrateur qui a donné leur valeur suprême à ces murs
bénis. Ne voyez-vous pas aussi, dans un costume plus dans phistoiie d«
" . , -11* • toutes ces fon-
simple , tenant d une main quelque attribut plus ou moins dations par les
11, II . 1 1 1 , confréries de ma-
intact de leur honorable mestwr , ces hommes obscurs de- çons;
pûtes là , pour y vivre en leur nom , par les ardentes con-
fréries qui bâtirent tant de sanctuaires sous la conduite des
prêtres : hommes de peine, au cœur chrétien , fouillant les
carrières , s'attelant aux chariots des transports , enthou-
siastes de leur tâche consommée pendant des années en-
tières au chant des cantiques et aux accents de leur compo-
sition ; généreux indigents payant de leurs peines sérieuses
à l'édifice commun cette riche souscription que le noble
lui-même et le seigneur ne secondent pas moins de leurs
généreuses fatigues (2)! Personne, en aucun temps, n'a
(1) Voir notre Histoire de la cathédrale de Poitiers, 1. 1, de la p. 210
à la p. 281 ; et pi. viii, nos lo, 28, 44, 45, 50, 53 et 54.
(2) Cf., sur les confréries de frères-maçons dirigées par le clergé aux
onzième, douzième et treizième siècles, le livre du docteur Schnaase,
déjà cité, et qui a trait à ce fait si intéressant de l'histoire architecturale
60 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
connu ni ces prolétaires ni ces prélats ; rien ne dit à côté
d'eux le moindre souvenir de leur vie privée. Mais eux-
mêmes suffisent à cette place , modestement enviée peut-
être, pour remplacer la théorie non écrite de leurs idées
artistiques ; ils disent hautement qu'ils ont pris part , dans
la sphère relative de leur zèle et de leur intelligence , à ce
travail commun dont vous voyez autour d'eux les saintes et
brillantes conceptions. Que dire déplus pour attester cette
collaboration sacrée? Voici les Docteurs et leurs disciples;
autour d'eux et de vous se déroulent les pages merveilleuses
de leur livre, où tout se lit, excepté leur nom ; mais, pour
ces doctes et sublimes chrétiens, un tel silence n'est qu'un
mérite de plus.
et l'exacte res- Ghosc étoniiantc ! l'architecturc n'a pas eu, dans toutes
semblance de tant
de types muiti- CCS cncyclopédies si curieuses et si savantes dont le moyen
plies à l'infini sans , . .
aucunes règles âgc sc glorihc a SI justc titrc , une seule page consacrée à
écrites. . . , / i i ^t ?
ses principes et a ses méthodes. Vous n en trouverez rien
ni dans Bède, ni dans Isidore de Se ville, ni dans Hugues de
Saint- Vicor, ni dans Vincent de Beauvais. Et cependant quels
rapports de ressemblance entre tous les monuments con-
daus le onzième volume des Annales archéologiques , p. 323. — C'est
une grosse erreur de ne dater l'apparition des frères-maçons que du
treizième siècle, comme l'a fait M, Weyer au congrès archéologique de
Strasbourg en 1842; et c'était encore un mauvais argument pour cette
thèse que le témoignage qu'on prétendait tirer des signes lapidaires
inconnus, disait-on, avant le treizième siècle: nous savons beaucoup
de monuments dans le Poitou où ils figurent dès le douzième; et d'ail-
leurs ces signes n'étaient que des marques de tâcherons, comme nous
l'avons expliqué ailleurs , et non des indices secrets se rapportant à
quelques idées d'une société travaillant eu dehors du clergé. C'est donc
plus de deux cents ans avant Erwin de Steiubach qu'il faut regarder
l'origine des associations d'ouvriers maçons; elles se formèrent sous la
direction des ecclésiastiques pour suppléer à l'insuffisance des ouvriers-
moines formés dans les monastères par les Abbés, et furent dès lors
un corps de métier ayant ses règles constitutives et ses droits reconnus.
— Voir encore HisL de la calhédrale de Poitiers , t. I, p. 286, pi. ix;
Bâtissier, Hist. de l'art monume?iial , p. 466 et suiv.; Renouvier et Ri-
card, Des Maîtres de pierre et autres artistes gothiques de Montpellier,
in4% p. 3, MontpelL, 1844.
SON APPLICATION A l'aRT CHRÉTIEN. <*»!
struits à tant d'époques diverses ! Quelle identité évidem-
ment calculée des dispositions principales et secondaires !
(domine il a fallu nécessairement que l'uni tç des règles lût
acceptée de toutes parts pour produire partout ce résultat
commun d'une pensée dominante ! Affirmons-le donc : ce
fait acquis consacre l'existence d'une maîtrise générale
d'autant moins soucieuse d'écrire, que le simple ouvrier,
ne sachant pas lire, n'eût eu que faire de manuscrits, et que
rarchitecte , pouvant communiquer de vive voix les prin-
cipes fondamentaux, n'avait pas de meilleurs moyens que
la pratique même pour introduire à la connaissance de l'art
les nombreux élèves formés par lui dans le silence du
cloître et la contemplation des monuments.
Il en était ainsi dans le système général d'ornementation comment les mi-
niatures des ma-
par l'imagerie , soit peinte, soit sculptée. Point de Guides nuscrits ont pu
suppléer aux tex-
composés pour ces travaux, où la pensée a presque toujours tes spéciaux pour
/ ^ ^ , . les arts d'orne-
le plus beau rôle ; et cependant que d ninombrables sujets, mentation.
toujours les mêmes partout quant au sens mystérieux qu'ils
représentent, diffèrent à peine çà et là par le faire du peintre
et du sculpteur ! Il est vrai qu'on possédait depuis les pre-
miers temps des modèles qu'il ne fallait qu'imiter : les
manuscrits étaient pleins de miniatures variées, où le sym-
bolisme des anciens ou des contemporains s'était exercé ,
et qui, pour beaucoup d'expressions à rendre, étaient des
sources abondantes et sûres. Combien on y rencontre de
fleurs , d'animaux , de bons et de mauvais anges qui se re-
produisent sur nos chapiteaux, dans nos verrières, aux
reliefs des bases et des entablements ! C'était toujours d'a-
près les notions de l'esthétique , reçues et sans cesse pro-
fessées dans les cloîtres , que travaillaient à ces images
précieuses de nos vieux parchemins les cénobites de l'un
et de l'autre sexe. C'est ainsi que furent composés la Bible
d'Alcuin et VOrtus deliciarum de l'abbesse Herrade de
Hohenbourg. Sans ces habiles mains, les ornementistes
eus -ont manqué de modèles , devenus autant de règles
62 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
permanentes et qui portaient avec elles leur professorat de
la pensée artistique. Voilà sans doute pourquoi, parmi tant
de livres recherchés dans les obscurités de nos bibliothèques
sur l'art et ses règles au moyen âge, on en trouve à peine
deux qui traitent de la partie technique de certaines indus-
tries ; et encore ne faut-il pas remonter au delà du douzième
siècle pour lire ces pages attachantes qu'on doit au moine
Théophile , l'humble et savant auteur de V Essai sur divers
arts {{) , ni s'éloigner beaucoup du quinzième pour tirer
du Guide grec de la peinture les procédés manuels et l'éco-
nomie spirituelle des saintes images (2).
Caprices dei'ar- Pour demièrc assertion nous voulons faire observer quelle
cliitGCtur6 civile
en regard de cette différeucc cxlstc cutrc l'architecture religieuse du moyen
lière des formes âgc ct l'arcliitecture civile de la même époque s'exerçant
aux habitations particulières, aux hôtels de ville ou aux
palais. Souvent , il est vrai, des rapports très-apparents se
manifestent entre ces éléments opposés, entre certains
bâtiments de grandes dimensions et quelques églises voi-
sines. Alors il faut, presque sans exceptions, considérer les
(1) Cf. Schedula diversarum artiiim, traduit par M, de l'Escalopier,
et ce qu'en dit l'intéressant article que notre regrettable abbé Texier
en a inséré dans son beau Dictionnaire d'orfèvrerie chrétienne,
vo Théophile.
(2) Le Guide de la peinture est du moine Denys, pieux et intelligent
artiste du couvent de Fourna, au Mont-Athos. Les moines grecs^ qui
s'en servent encore pour l'exécution des tableaux sur mur de leurs
églises, le croient du dixième ou du onzième siècle. Nous pensons,
avec M. Didron^que ce serait un peu haut. Mais le savant archéologue
le regarderait comme du quinzième ou du seizième siècle, et nous crai-
gnons que ce ne soit un peu bas. 11 y a, en effet, dans la diction de l'au-
teur grec une naïveté de pensée et d'expression qui se perd déjà par-
tout, nous semble-t-il^ au quatorzième. Au reste, on est forcé en lisant
ce livre de reconnaître une foule de traditions hiératiques rendues delà
même façon que nos peintres de l'Occident l'ont fréquemment compris.
C'est une raison de plus pour attribuer cette unité de méthode à une
source canonique très-ancienne. Gela prouve encore qu'entre tant de
différences par lesquelles on voudrait parfois distinguer les deux
grandes Écoles de peinture chrétienne, il en est beaucoup de fort conjec-
turales, et sur lesquelles il faut revenir de l'assurance qui les avait fait
affirmer.
SON APPLICATION A l'aRT CHRÉTIEN. 03
premiers comme étant l'œuvre des religieux qui construi-
sirent les secondes et qui les ont reliés mutuellement par
un air de famille; le style, des deux côtés , se rapproche
plus ou moins par quelques détails. C'est également , pour
les ouvertures , l'arcade cintrée ou ogivale , quelquefois la
colonne cylindrique et son chapiteau à feuillage ; parfois
aussi , dans les constructions purement nohiliaires, l'orne-
mentation s'élève par phis de luxe et de recherche ; mais
regardez hien , et toujours des traits saillants viendront
trahir à vos yeux la destination laïque de ces édifices et en
indiquer l'origine : ainsi le plus grand nombre d'entre eux
est en Lois ou en briques , au moins dans les villes ; de
même qu'ils y sont relativement très-peu vastes , l'enceinte
murale des fortifications ayant dû restreindre l'espace de la
cité. On voit bien encore, surtout au douzième siècle,
comme à Bazas, et au treizième, comme à Gluny, une arca-
ture continue formant galerie au second étage , puis une
projection de la toiture s'avançant en dehors du plan comme
un appendice destiné à garantir de la pluie les accoudoirs
des fenêtres et le seuil de la porte d'entrée. Mais toutes les
façades sont plates et sans aucun retrait ; les fenêtres, par-
fois à plein cintre, sont le plus souvent carrées , et coupées
par une croisée en pierre; enfin les faîtages à pente plus
ou moins rapide , où les épis ne paraissent pas encore , où
des tuyaux de cheminée, rivalisant d'une élégance arbi-
traire, signalent surtout l'action de la vie civile : voilà, certes,
des caractères bien éloignés de ceux d'une église , et qui
ne permettent pas de confondre les mains qui les édifièrent.
C'est donc le capi'ice de chacun qui a présidé à ces con-
structions laïques , si nombreuses et si variées , et c'est
raison , chacun se logeant selon son droit , et la société
n'ayant aucun intérêt à lui imposer des formes préférées.
Là, d'ailleurs, point de symbolisme à observer nécessaire-
ment , point de règles canoniques à suivre ; la rigoureuse
loi de l'alignement, qui, de nos jours, est parfois si ridicule-
6/| HISTOIRE DU SYMBOLISME.
ment absolue , n'empêche même pas le bâtisseur vulgaire
ni d'empiéter sur la voie publique ni de reculer vers son
jardin. L'église, au contraire, maison de tous, mais lieu
sacré destiné à la prière commune , doit se distinguer tout
d'abord au regard qui la rencontre ; elle frappe et saisit
par ses lignes et ses dessins convenus ; elle s'annonce à tous
par des tracés qui ne sont qu'à elle , par la môme raison
qu'une fois installés dans son enceinte vénérée, ses enfants
ont besoin que tout y parle à leur esprit et à leur cœur, que
tout arrive par le regard à ces deux moitiés de la vie
morale.
Rësumé et ré- i\ était douc indispeusablc de s'arrêter à un archétype
sultat logique . , .^ .
des considérations univcrscl , qul uc chaugcât poiut quaut aux significations
précédentes. . . »■ • i
plus ou moins nombreuses, mais toujours nécessaires, dont
la foi se nourrit. Donc, pour l'architecture chrétienne , non
plus que pour ses moyens d'ornementation et d'ameuble-
ment, point de ces prétendus caprices auxquels des préten-
tions irréfléchies ont quelquefois voulu faire croire ; point
de banalités dans ce plan des monuments, en tout le même,
et parlant toujours le même langage des traditions aposto-
liques sous l'influence du prêtre ; point de vagues étran-
getés dans cette flore pendante aux bords des chapiteaux ,
dans ces couleurs murales disant les mystères des faits
bibliques aux parois du temple ou à la voûte du sanctuaire ;
nulle fantaisie dans ces légendes sculptées , dans ces ver-
rières empreintes des histoires symboliques de tant de
générations , non plus que dans ces types consacrés , mais
inexplicables à l'ignorance qui n'y peut lire, à l'incrédulité
qui les nie , à la demi-science laïque s'égarant en des sen-
tiers qu'elle ne peut explorer complètement toute seule. Ce
sont là autant d'empreintes qui ne se voient en aucune
habitation séculière dans les siècles de foi , pas plus que de
notre temps , et qui , en constituant une différence tout
hiératique entre les monuments civils et ceux de l'ordre
religieux , attestent aussi bien pour les uns l'exemption
SON APPLICATIOiN A L*ART CHRÉTIEN. 65
complète de toutes règles positives que pour les autres uue
soumissiou normale à des conditions symboliques dont le
clergé seul était l'auteur et le gardien.
Ce que nous venons d'exposer pour établir cette influence
absolue et irrécusable de la pensée sacerdotale sur les diC-
férentcs brandies de l'art catholique se prolongerait à l'in-
fini; mais tout ce qui va suivre, en s'appuyant sur cette
vérité, ne fera qu'en multiplier les preuves. C'est que, pour
résumer ici avec de grands maîtres tout ce qui regarde cette
question , « dès le siècle des catacombes l'art chrétien devint
une religion comme tout le reste; il semble qu'une main
souverainement maîtresse ait tracé alors le premier mo-
dèle, que tant de mains serviles répétèrent depuis {\) ; )> et,
« quant aux moyens d'exécution, il est certain que les ecclé-
siastiques les plus distingués et les plus instruits faisaient
de l'architecture l'objet de leurs études : ils donnaient eux-
mêmes les plans de leurs églises, ils travaillaient à les con-
struire (2). » — Je ne terminerais pas si je voulais citer tous
ceux qui, pour cette sainte et noble tâche, vouèrent toute
leur vie aux œuvres de l'équerre, de la palette et du ciseau.
{{) Raoul Rochelle, Tablean des Catacombes, j). 165.
(2) M. de Caumont, f^ist. de Varchil., p. 59, 60.
T. m.
CHAP1TRI2 H.
L'ÉGLISE DANS SON ORIENTATION.— CIMETIÈRES.
Revenons maintenant sur nos pas : il est temps de con-
sidérer la maison de Dieu dans son plan d'ensemble , et
pour ainsi dire à l'extérieur, où nous apparaissent les formes
générales du lieu sacré, après quoi nous passerons le seuil,
nous aborderons le sanctuaire, nous parcourrons ses nefs ,
nous visiterons son transsept, ses absides et ses cbapelles ;
enfin nous chercherons encore dans tous les membres de
ce corps mystérieux les leçons silencieuses mais fécondes
de l'Épouse du Christ.
Préliminaires de G'cst dc lolu quc CCS Icçous préparent le saint édifice , et
La'^cîo^iï'pianté^ lougtemps avaut que les murs bénis n'aient reçu même
d'ï^i'rS^aS!"* leur première assise. Nous avons vu comme Fassentiment
de l'Évêque est nécessaire à l'érection du moindre espace
où se doit célébrer le Saint Sacrifice , la plus auguste des
fonctions religieuses, et vers laquelle toutes les autres con-
\ ergent. C'est à lui également qu'il appartient de désigner
ou d'accepter le terrain; car il est bon que, toujours par
une pensée mystique , le sol où sera posée cette Jérusalem
terrestre domine l'espace qui l'entoure , appelle de loin les
regards de l'humanité, et ouvre le cœur de l'homme aux can-
tiques de son exaltation éternelle. Nous savons, du reste, que
l'ÉgUse universelle , la société chrétienne tout entière est
figurée par ce temple : en réalité , c'est la Jérusalem d'En-
Haut. Il y a donc entre elle et lui des relations tropologiques
et morales qui doivent élever l'un, dans toute son existence
l'église dans son orientation. 67
ici-bas , vers le règne siuiiatiiiel et inébranlable de l'autre.
Les Prophètes sont pleins de cette similitude, qui leur revient
sans cesse (1), et, quoiqu'on n'en ait guère tiré une pres-
cription absolue quant à ces exhaussements du lieu choisi
pour une égUsc , on la verra cependant comprise et suivie
de toutes parts. Pour peu qu'on l'examine , dans le plus
grand nombre de nos monuments actuels on reconnaîtra
souvent que , lorsqu'elle semble oubliée , ce n'est que par
suite des transformations du sol modifié à travers les siècles,
et l'importance n'en a jamais été méconnue, puisqu'au sei-
zième siècle encore S. Charles prescrivait d'y obéir. On
comprend bien aussi que cette disposition nécessitait, pour
aborder le Lieu saint , l'usage de quelques degrés : c'était
un caractère de plus pour compléter le symbolisme de
cette ascension du chrétien vers le séjour de la paix ; là il
se trouvait d'autant plus séparé du monde, et, par une
autre raison tirée du respect qu'impriment aux nombres
impairs l'unité et la trinité de Dieu, ces marches devaient
être au nombre de trois , de cinq , de sept , etc. Cette re-
marque , confirmée encore par S. Charles , ne s'applique
pas moins aux chapelles baptismales et aux autels (2), dont
(1) « Fiindatur exsultatione universae terrae mons Sion...,civitas Dei
magni. » {Ps., xlvii, 3.)— « Fundamenta ejus in montibus sanctis. »
{Ps., Lxxxvi, 1.) — Voir S. Méliton, sur le mol mo?i< j apud Spiciley.
Solesm., t. U, p. 142.
(2) « Qua in re valde spectetur ut ubicumque (ecclesia) exstrualur,
loco editiori aliquanto fiât. » (S. Caroli Borromaei, Inslructionum fa-
bricx ecclesiasliccohh. l, cap. i, De Situ ecclesiee.) — Le saint évêque,
doué de ce zèle éclairé qui s'échappe toujours d'un cœur sacerdotal, va
plus loin, et n'abdique pas le droit de choisir lui-même ou d'approu-
ver l'architecte destiné à une œuvre de cette importance : « Ecclesia
cum œdificauda est, primum episcopi judicio, et de architecti quemis
adhibueril probarilve consilio, locus accommodatior eligi débet. »
{lbid.) — Qu[ ne comprendrait, en effet, que l'architecte dût dépendre
de celui qui a par son caractère la première et la plus haute surveil-
lance du tels travaux ? On était loin encore de nos architectes diocé-
sains... — Voir les notes très-judicieuses données par M. l'abbé Van
Drivai dans l'édition de S. Charles publiée par lui, Paris, 1855,
in-l8.
68 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
les degrés sont comme les Apôtres et les Martyrs , la parole
des uns et l'héroïque fermeté des autres ayant été comme
les fondements du dogme et la double voie des peuples (1)
pour arriver au salut,
lyempiacement; L'euccinte ayaut été ainsi désignée au préalable, et le
la première pierre, ,,•, ,. .i %i • i»»»
et ses conditions, plau gcueral tracc suivant les règles canoniques , 1 eveque
doit planter une croix à l'endroit même où devra s'élever
l'autel , image sensible de la Victime crucifiée. Cette croix
doit donc être nécessairement de bois , afin de représenter
plus vivement celle du Calvaire, centre de toutes les pensées
catholiques , symbole primitif d'où tous les autres ont dé-
coulé (2). C'est encore un souvenir des premiers autels
employés dans les catacombes , dont le bois fut remplacé
nécessairement ensuite par la pierre , comme nous aurons
à l'expliquer bientôt. Mais de toutes les pierres qui forme-
ront l'édifice , la première de toutes sera bénie ; on lui
donnera des dimensions et des ornements mystiques; sa
forme carrée sera celle de la Cité éternelle décrite dans
(1) « Gradus quibus ascenditur ad altare spiritualiter deraonstrant
Apostolos et Martyres Christi.qui pro amore Ejussanguinem suum fu-
derunt. » (Hug. à Sancio-Yiciore, Spéculum de mysteriis Ecclesim ,
cap. i; Migne, t. GLXXVII, col. 537.)— Durant ajoute, pour compléter
cette explication : « Quia... Sponsa in canticis amoris vocat eos ascen-
sum purpureum. » {Ration., cap. ii; mihi, f" vi.)
(2) « Pridie igiturlignea crux in loeo ubi débet esse altare, flgatur. »
{Pontificale romanum, pars II, p. 282, in-12, Mechliniœ, 1845.) — Cette
prescription était déjà vieille de plusieurs centaines d'années quand le
Pontifical en maintint la vigueur. Elle vient des Novelles de Justinien,
mort en 565, lesquelles étaient adressées soit à des magistrats, soit à
des évêques, et, dans la cent trente et unième, qui est de ces dernières,
le prince indique à observer une particularité qui prouve assez quel
intérêt les évêques attachaient à l'orientation : Episcopus, dii-i\, veniatj
ibidem crucem figat, puhlice atrium designet. (Gan. Nemo, De Gonse-
crat., distinct, i )— Désigner Valrium, le vestibule ou porche toujours
établi au-devant de l'église, c'était bien par cela même fixer l'orienta-
tion. A la fin du sixième siècle, on était donc revenu sur la prohibition
provisoire faite par le pape S. Léon le Grand , de 440 à 461 , unique-
ment pour déjouer les idées des Manichéens. —Voir De Perrière,
Histoire du droit romain, p. 307 , in-12, 1788; Labbe , Concil., t. 1,
p. 1480.
l'église dans son orientation. 69
l'Apocalypse (1), dont toutes les proportions se rapportent,
par le nombre quatre, h la perfection et à l'unité. Son plus
bel ornement sera la croix, profondément gravée à sa partie
centrale, éloquent témoignage de la foi nniverselle (2).
Elle sera posée ainsi dans un angle , pour répondre à la
pensée du Christ qu'elle représente, du Christ fondateur
de l'Église , pierre angulaire et base certaine de la société
catholique (3).
Toutes ces observances ne sont pas nouvelles : l'histoire
du quatrième siècle nous les montre suivies, avec quelques
autres tout aussi mystérieuses , par le pape S. Sylvestre ,
lorsqu'il présida à la fondation de la basihque vaticane par
l'empereur Constantin. Ce prince , tout plein encore de la
ferveur récente de son baptême, déposa son diadème en
signe d'humilité, s'arma d'une pioche avec laquelle il ouvrit
la terre , et , en ayant retiré douze corbeilles en souvenir
des douze Apôtres , il les répandit sur l'emplacement que
devait occuper le nouveau temple (4). On comprend de
reste toutes ces allégories.
Le plan par teire, ou ichnographie d'une église, en tourne Encore l'onen.
11 1-11 AT tation; son his-
le chevet au soleil levant. Nous avons vu que cette près- toire, «t ses rai-
• .• . 4 A , TVT . 1 son» d'être.
cription remonte aux Apôtres. Nous savons aussi que les
païens eux-mêmes attachaient une idée religieuse à l'orien-
tation de leurs temples et de leurs tombeaux. Ces faits
sont tellement vulgarisés aujourd'hui, que nous n'aurions
(1) Cf. ci-dessus , t. II , ch. xiii , notre explication du 16^ verset du
ch. XXI de l'Apocalypse.
(2) « Débet episcopus, seu sacerdos de ejus licentia, et primarium
lapidem cui impressa sit crux in fundamento ponere. » (Duranti,
episc. Mimât., Halionale, lib. 1 , cap. i; Pontificale romanum, ubi
siiprà.)
(3) « Angularis petra, Christus fundat urbis mœnia,» disait notre
ancienne prose de la Dédicace ; et le rit romain : « Bene fundata est
dômus Domini supra firmam petram. » {Offic. in Dedical. Eccle-
six.)
(4) Cf. Breviar. roman., 18 novemb. , in Dedicatione basiiicaruni
SS. apostol. Pétri et Pauli, lect.v.
70 HISTOIUE DU SYMBOLISME.
que faire d'en citer les preuves qui abondent partout , et
nous pouvons renvoyer, d'ailleurs , pour les connaître , à
ce que nous en avons dit ci-dessus {]). La question doit
donc se réduire ici à ce qui regarde l'Église chrétienne. Il
semble , selon la remarque d'un interprète moderne , que
Dieu ait tenu à garder pour les temples du Christianisme
cette coutume , toute relative à Celui que les Prophètes
nommèrent I'Orient par excellence; car, les Gentils se
tournant vers l'Orient pour leurs adorations superstitieuses,
les Hébi'eux ne pouvaient imiter ce rite sans partager en
apparence leur idolâtrie , et c'est pourquoi la Loi divine
dirigeait vers l'Occident les autels portatifs , comme plus
tard ceux du Tabernacle et du Temple de Jérusalem (2).
Mais aussi les Hébreux , toujours fidèles à la pensée de leur
Dieu , se tournaient , où qu'ils fussent pour la prière , vers
ceTemple,qui devenait le point central de leur plus légitime
affection , comme on le voit faire cà Daniel quand il veut
protester contre les impiétés de Darius (3). De leur côté,
les Apôtres, dispersés sur toute la terre, durent s'inspirer
du même sentiment; la Bible est pleine d'allusions qui les
y portaient. C'est donc à eux qu'il faut attribuer l'intro-
duction de cet usage , de ce langage si élevé du sanctuaire
chrétien , et nulle trace n'en existe avant celle qu'on leur
attribue si justement. « L'Orient , dit un judicieux obser-
vateur, n'était-il pas regardé comme la région des prodiges?
C'est de là que l'Étoile apparut aux Mages ; c'est là que le
Verbe s'est fait chair, et, s'il est la Lumière du monde ,
l'Orient est le symbole de cette Lumière incréée. » Sur la
(1) Voir t. 1, ch. IX, p. 223.
(2) Cf. Sacy, Comment . sur le c/i. viii cVÉzéchiel, et dom Calmet,
ibid.
(3) « Daniel..., fenestris apertis in cœnaculo suo contra Jérusalem
tribus temporibus in die flectebat genua sua et adorabat. » [Dan., \i,
10.)— Durant : « Daniel quoque in Babilonica captivitate et Judœi
similiter versus Templum orabant. » {Ralionale, lib. V, cap. ii; mihi,
fo vo cxx.)
F. ÉGLISE DV.\S S0.\ ORIEMATIO'. 7<
croix, Jésus regardait l'Occident , d'où il invitait les peuples
à venir à lui : ainsi encore, la croix, placée du côté de l'Est,
soit au jubé , soit à l'arc triomphal , soit dans la verrière
de l'abside , fait face aux fidèles réunis dans la nef occi-
dentale, et leur rappelle ainsi la mystérieuse disposition
du Calvaire. Au jour de la Pentecôte , les flammes célestes
descendirent de l'Orient dans le Cénacle ; enfin , suivant
une tj-adition innnémorialc , c'est de ce côté que le Christ
viendra au dernier jour présider à la Résurrection et au
Jugement {\).
N'est-ce pas aussi de ce côté qu'avait été le Paradis ter-
restre ? N'est-ce pas de là qu'est venue toute l'humanité ,
là aussi qu'elle est rappelée et qu'elle revient à travers les
régions de l'exil? A tant de raisons généralement recon-
nues , ajoutons-en une autre qui motive expressément la
pose d'une église dans le sens qu'on lui a toujours donné.
(iOmme l'Orient figure le règne de Dieu et de Jésus-Christ
son Fils , splendeur de la lumière éternelle (2) , étoile Lui-
(1) cr. .Iules GondoD, Du Mouvement religieux en Angleterre, p. 63,
iu-b° , Paris, 1842; Durant, Ration, divin. Offic, ubi suprà ; Socrate,
llist. ecLes., lib. II, cap. xxii ; Bergier , Dictionnaire de théologie,
v» Église.
(2) « Gandor est enim Lucis aeternsB, et spéculum sine macula Dei
majestalis. » (Sap., \u, 26.) — « Deus... locutus est nobis iD Filio...,qui
cum sit spleudor gloriae... » (IJebr., i . 3.) — L'Église , dans toutes les
fêtes de Noire-Seigneur, renouvelle ceUe pensée avec la plus riche va-
riété d'images et d'expressions. Elle dit à Noël : Deus qui hanc sacra-
tissima}n nocte\a veri Luminis fecisti illustralione clarescere... (Col-
lect. ^\iss.); — quia per Incarnati Verbi mysterium 7iova mentis nos-
trs oculis lux lux ciaritatis infulsit (Preefat. Miss.) ; à l'Epiphanie :
Nova nos immorlalitalis luce reparavit (Praefat. Miss.). — S. Am-
broise a développé cette pensée, avec toute la douceur habituelle de
sou style et toute l'abondance de son génie vif et fécond, au commen-
cement de son Commentaire sur S. Luc : « Magi de thesauris suis offe-
runt munera. Vultis scire quam bonum meritum habeant? Stella ^)
his videtur; et ubi Herodes est, non videtur : ubi Christus est, rursus
videtnr, et viam demonstrat. Ergo Stella haec via est, et via Christus ;
quia secundum Incarnationis mysterium Christus est Stella. Orietur
euim Stella ex Jacob, etexsurget Homo ex Israël. Denique ubi Christus,
fit Stella est, Ipse enim est stella splendida et matutina. Sua igitur Ipse
72 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
même montrant la route de la vie ; comme l'étoile des Mages
indiqua le chemin qui menait à Lui {]) , l'Occident désigne
fréquemment le règne de Satan, prince des ténèbres (2).
Le Nord et le ^nc autrc opposltiou sc fait dans le même sens du Nord
Sud considères i a
quant à leur sym- g^^ ^|j(ji • ^ar Ic Nord , OÙ u'cst jamais le soleil, représente le
règne du mal, parle froid qui y domine, et la mort de toute
germination , qui ne peut y prospérer sans chaleur. C'est
là qu'au témoignage d'Isaie , l'Esprit infernal avait choisi
sa demeure préférée , comme étant , par rapport à la Cité
sainte , le pays de l'idolâtrie et de l'infidélité (3). L'Esprit-
Saint , au contraire, est le souflle du Midi, où habite toute
chaleur fécondante , d'où le soleil atteint à sa plus haute
élévation. Par analogie, l'Aquilon fut le côté des méchants;
les Justes gardèrent celui du Sud, et d'innombrables textes
scripturaires , commentés dans le même sens par l'univer-
salité des interprètes, dictèrent ainsi à l'iconographie sacrée
la distinction, qu'elle a toujours faite dans ses œuvres, des
symboles destinés au Sud ou au Nord de nos églises (4). On
luce se signât. » (S. Ambros., In Luc., lib. II, cap. ii.) — Par suite de
cette acception symbolique de l'étoile, elle signifie aussi, selon les dif-
férents passages des Ecritures où on la prend comme terme de compa-
raison j tantôt les Anges et les âmes justes de la terre , tantôt la Sainte
Vierge et les Pasteurs de l'Église. Enfin, et par opposition , elle peiit
figurer encore le démon et ses satellites_, quelques Anges étant devenus
mauvais , puis les mauvais chrétiens , les hérétiques et autres dissi-
dents, le dragon (dans l'Apocalypse, viii, 12) ayint précipité sur la terre
la troisième partie des étoiles (voir ci-dessus, t- II, notre exposit. de
l'Apocalypse, p. 193 et suiv.)— Ainsi s'expriment à cet égard S. Méliton
dans sa Clef, S. Euclier dans ses Petites Formules, et l'auteur des Dis-
tinclions monastiques. (Cf. SpicHeg. Sol'sm. , t. II, p. 67; t. III,
p. 405,451 et 483.)
(1) « Vidimus stellam Ejiis in Oriente, et venimus adorare Eum...;et
Stella antecedebat eos. » (Malth., i, 2, 9.)
^(2) « Induite vos armaturam Dei, ut possitis stare adversus insidias
diaboli, quoniam... estnobis colluctatio adversus mundi rectorestene-
brarum. » {Ephes., vi, 11, 12.)
(3) « Ponam sedem meam ad Aquilonem. » (/5.,xiv, 13.)
(4) Cf. Vitraux de Bourges, p. 94 et 95 , où les PP. Martin et Cahier
citent savamment, selon leur habitude, des textes fort complets d'Ho-
noriiis d'Autun, de S, Isidore de Séville, de S. Ambroise et de S. Jérôme
l'église dans son orientation. 73
conçoit, dès lois, coniiiieiit on a pu trouver indispensable
que le prêtre à l'autel, et les peuples en s'uuissant à lui pour
prier, pussent élever leurs regards vers le point du ciel le
plus favorable à la piété, et y diriger leurs sentiments d'une
manière facile en queloue sorte et plus directe. Il y a ^ Régie normal.^
11 • «J de rorientation
môme une règle d'orientation qui exprime parfaitement d'«nc église;
cette intention liturgique : c'est que le cbevet du saint
édifice se dirige, par une ligne droite, non vers le point du
ciel où le soleil se lève à répo(jue du solstice , mais vers
celui qu'il occupe lors de i'équateur. C'est que l'Église ,
vivante Épouse du Christ, dont l'église matérielle n'est
que le symbole , marchant ici-])as entre les prospérités de
la grâce et les rigueurs de l'épreuve, doit se tenir ferme ,
sans incliner de côté ni d'autre , se préservant également
des régions de l'ennemi et des vaines attaches aux douceurs
de la terre. La ligne équinoxiale forme pour elle une stricte
limite de séparation enti-e ces deux excès. Ce sont de grandes
autorités qui le disent, au moyen âge comme à présent (i).
On cite quelques exceptions, il est vrai, à cette règle si pourquoi on en
trouve des excep-
généralement comprise relies ne font que la confirmer, tionsenitaiie,
puisque, chaque fois qu'il s'en présente une seule, on a grand
soin de la faire remarquer et d'expliquer pourquoi on se
trouve alors en désaccord avec la pratique ordinaire (2).
qui établissent clairement ce même priûcipe. — Voir aussi dom Pitra,
SpicUeg. Soksni.,i. II, Clavis Melitonis, cap. m. nosxvii, xviii, xix, xx,
avec les commentaires qui s'y rattachent; et le résumé de Théodulphe
d'Orléans, n» 4, ibid., p. lxix.
(1) « Débet quoque sic fuiidari (ecclesia), ut caput recte iuspiciatur
versus Oricntem , verum vers;is ortum solis œquinoctialem, ad deno-
tandura quod Keclesia^qurTe in terris militât, temperare se débet aeqna-
nimiter in prosperis et in adversis; et non versus solstilialem , ut fa-
ciiint quidam. » ('Duranti, Mimât, episc, Ralinir., cap. i, f» il v.) —
Voir encore la dissertation des PP. Martin et Cahier, Mélanges d'ar-
chéoligie , t. I . p. 78 , avec les sources nombreuses qu'ils indiquent ;
— et M. ral)bé Godard-Saint-Jean, Aor/rx^ sur Véglise de Vignory, in-S»,
18'i9, p. 5.
(2) Cf. Encyclopédie du dix-neuvième siècle, v» symbolisme, par
M. Trémolière. — Cet auteur, que nous avons déjà cité, est un des pre-
74 HISTOIRE Ul" SYMBOLISME.
Nous indiquerons môme sinon toute l'Italie, comme on Ta
prétendu à tort (^), au moins la ville éternelle, Rome , re-
gardée à la fois comme la terre normale des usages litur-
giques et comme celle où se rencontrent de plus fréquentes
négligences à cet égard : mais ces négligences fort nom-
breuses ne sont là qu'une règle de plus. Dès le principe, on
put s'apercevoir qu'outre les païens qui adoraient Apollon et
quatre ou cinq autres soleils, certains philosophes, plus
nombreux à tlome qu'ailleurs, donnaient dans les rêveries
de Zoroastre et de Mithra, puis dans les erreurs analogues
de l'école d'Alexandrie. Les premiers hérétiques s'adon-
naient aussi à des superstitions venues de l'Egypte et de la
Perse, adoraient l'astre auquel ils attribuaient la vie de la
nature et se tournaient vers lui pour leurs coupables prati-
ques. Les Manichéens, au témoignage de l'éloquent évêque
d'Hippone, allaient jusqu'à regarder l'astre comme étant
miers qui aient traité cette question enhomrae d'études sérieuses, malgré
certaines réserves que nous devons faire sur quelques points de dé-
tail. Il cite, à propos de ce que nous disons ici, une de ces exceptions
mentionnées par S. Paulin de Noie (lettre xxx^ à S. Sulpice Sévère), et
relative à l'église de Saint-Félix qui s'ouvrait en face d'une autre régu-
lièrement orientée, et ne pouvait par conséquent l'être de la même
manière. — Le P. Cahier expose aussi les développements curieux de
cette question avec beaucoup de lucidité et de conviction dans son
JJée cfune basilique chrétienne des premiers siècles , travail remar-
quable inséré dans les Annales de philosuphie chrétienne , t. XIX,
p. 342.
(1) Ainsi le racontent toutes les histoires ecclésiastiques : c'est ce que
n'ont pas assez compris ceux qui se sont étonnés, sans se les expliquer,
de ces exceptions plus nombreuses à notre règle qu'on remarque à
Rome, où peut-être on s'est accoutumé à ne plus appliquer ce symbo-
lisme aux monuments plus modernes parce qu'on le voyait négligé
dans ceux de la plus haute antiquité. Car c'est du temps de S. Sylvestre
et de Constantin que furent bâties en plus grand nombre les églises non
orientées. De là on vit les idolâtres et les hérétiques du quatrième siècle
prétexter leur opposition formelle et énergique. Un mot de S. Jérôme,
contemporain de cette défense (331 à 420), prouverait seul qu'elle n'était
que locale et toute restreinte à la cité impériale : Sic versi ad Orientera,
dit ce Père, pactum inimus cw)i Sole justitix. [Comment, in 'proph.
Amos, VI, 15, lib. 111.)
L ÉGLISE DANS SOA ORIENTATlOxN. 7:>
Jcsus-Glirist lui-même (I). (Ven dut être assez pour inter-
dire aux chrétiens toute ressemblance avec eux dans l'orien-
tation des nouvelles églises (2) ; car, pour certaines âmes
encore trop accessibles aux e\tra^ agances du paganisme ,
il fallait préférer l'intégrité de la foi à l'observance trop scru-
puleuse des meilleures théories symboliques. x\ussi, quel-
que évidente que fût l'intention des Apôtres sur ce point,
elle dut rester inappliquée jusqu'au sixième siècle, puisque
ce fut le pape Vigile qui exigea le premier (de 537 à 555)
qu'on revînt à une pratique dont l'importance n'avait appa-
remment diminué en rien par le laps des temps (3).
(1) « Non desit qui dicat apud semetipsum : numquid forte Domiuus
Christus est sol iste qui ortu et occasu peragit dietn ? Non enim de-
fuerunt liaeretici qui ista senserunt. Manichaei solem istum oculis car-
neis visibilem, expositum et publicum non tautum honiiuibus, sed
etiaui pecoribus ad videndum Christum Dominum esse p itaverunt. »
(S. Aug., Tract, xxuv in Joan., post initium.)
(2) Cf. Bâtissier, Ilisi. de Vart. monum., p. 362. — On sait que les
empereurspaïeus, qui dominèrent l'Église pendant plus de trois siècles,
se vantaient de représenter le soleil; qu'ils furent plus d'une fois inau-
gurés sous ses traits dans leur apothéose , comme ils l'avaient été
vivants sur les monuments et les médailles. Parmi ces dernières, on a
des spécimens d'Héiiogabale et d'Aurélieu portant pour inscriptions :
Sancto Oeo soli, et Sol Dominas impcrii Romani, ou Domino soli. Un
obélisque, cité par Ammien Marcellin, portait cette consécration : Sol
Deus tnagnus, despotes cœ/i. Constantin lui-même, avant sa conversion,
bien eutendu, c'est-à-dire avant l'an 313, eut des types où le soleil figure
entouré des mots : Soli invicto Comiti. On comprend que c'était là un
souvenir trop récent ou un exemple trop dangereux pour que l'Église
ne cherchât point à eu détruire les moindres traces. —Voir Gruter,
Inscriptinnes a?itiqUcC,Vû).XX\U],cai\i. iv; Ammiani Mar coll., Hislo?nai\
lib. XVII.
(3) C'est notre liturgiste du treizième siècle qui atteste l'action du
pape Vigile sur ce fait, de sorte que, dans les églises mêmes dont la
porte était ouverte à l'Orient , le prêtre ne devait pas se tourner
vers le peuple pour le saluer avant les oraisons de la Messe; ce qui se
faisait, au contraire, dans celles ouvertes à l'Occident. C'était toujours
une orientation liturgique, et l'on suppléait ainsi très-symboliquement
à l'éfablissemeut régulier du plan par terre : « fJcet Deus sit ubique,
tamen sacerdos in altari, et in divinis Offl'iis, débet ex inslilutione Vi-
fjiliipapaj versus Orientem orare.n (Ubi suprà, lib. V, cap. ii.)— N'om'et-
tons pas , d'ailleurs, d'observer qu'en Italie même, à Anagui, j)ar
exemple, lorsqu'une nécessité du terrain a forcé de tourner malle plan
76 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Depuis ces temps reculés, ce même principe s'est perpétué
dans nos traditions sans jamais s'y endormir. C'est dans ce
sens que le Pontifical romain, recueilli à la fin du quinzième
siècle par ordre du pape Innocent YIII, mais dont les pres-
criptions et les formules sont de la plus haute antiquité, fait
tourner les douze prêtres qui contribuent avec l'évêque à
la confection des saintes Huiles vers l'autel majeur, toujours
placé lui-même vers l'Orient (1).
qui ne sont plus Dc taut dc documcuts, que nous abrégeons de tout ce
acceptables au- ., -i /. . i • ^ < i
jourd'hui. qu'on a écrit sur cette matière, il faut bien conclure a la
nécessité liturgique de l'orientation pour une église catho-
lique. On sait donc pourquoi cette loi se rattache à toutes les
constructions anciennes. Mais il ne suffit pas à l'ÉgUse que
cette loi ait été portée et suivie autrefois : son esprit demeu-
rant le même. Elle exige toujours le même respect pour ses
pensées, et rien n'autoriserait aujourd'hui l'oubU et, à plus
forte raison, le mépris de ses saintes prescriptions. C'est pour-
tant ce qui se fait quelquefois encore en certaines contrées,
absolument comme si les pieux désirs de nos pères n'avaient
pas traversé dix-neuf siècles pour venir jusqu'à nous. Nous
le comprenons, liélas! pour la Hollande, où le catholicisme
est traité sous Fiiifluence de tous les mauvais vouloirs d'un
gouvernement persécuteur, quoique en Angleterre, où les
idées religieuses ne valent guère mieux, les architectes ca-
tholiques prennent un meilleur soin de la loi chrétienne et
de leur propre réputation (2). Mais d'où vient qu'en France
de l'église, on s'en est dédommagé en orientant vers le point liturgique
l'autel, où le prêtre fait face dès lors aux fidèles et offre en leur nom
vers le point normal le Sacrifice pour tout le peuple, qu'il personnifie
devant Dieu. — Voir V Histoire de la cathédrale d'Anagni, par M. Bar-
bier de MontauU, chanoine de cette église, in-i», 1856, eh. n.
(1) « Posita siût scamna pro duodecim sacerdotibus , ita ut ibidem
sedentes faciès vertant ad altare... Faciès semper ad altare vertentes. »
{Pontificale ronumum , p. 606 et 607). — Cf. aussi Zacharia, De Usu
librorum Lilargicir., cap. ii.
(2) Cf. le livre de M. Pugins, traduit par M. Jules Gondon, Du
Mouvement religieux en Angleterre, Q,\iè plus haut, et la Revue de
l'art chrétien , t. I, p. 175.
L'ÉGLISE DANS SON ORIENTATION. 77
on prend si peu de souci, trop souvent, d'un principe qu'on
y connaît mieux que partout ailleurs, et que, pour le moin-
dre caprice d'une fabrique rurale ou d'une municipalité
ignorante, on consente à bouleverser l'orientation que de-
vrait prendre une église nouvelle, ou à déserter pour la re-
bâtir ses vieux fondements, dont il faudrait au moins garder
toujours la plus grande partie? D'où vient encore qu'on est
si peu attentif au principe, en certains Ordres religieux sur-
tout, dans le sein desquels on devrait s'attendre à trouver
pour cet objet un zèle qu'ils ne refusent à aucun autre?
Supplions nos évèques d'interposer en cela leur autorité
souveraine. L'iiistoire cite plus d'un de leurs pi'édécesseurs combien les é-
j 1,1 ' • 1 i » • • X 1 • vêques y ont tou-
dans 1 iierilage des x\potres qui tnirent a garder en ce pomt jours tenu.
les antiques prescriptions ; elles vont jusqu'à exiger une per-
mission épiscopale, dont la formule même est consacrée par
le droit, pour la démolition d'une église, ni plus ni moins
que pour la reconstruction d'un autel (^). Hors de là, en
effet, tout peut se déranger dans l'économie symbolique de
la Maison divine, et ce dérangement est presque une liérésie
contre laquelle s'élèvent nos plus respectables traditions.
L'orientation une fois méprisée, où est le Nord, où sont le Graves incon-
Midi et l'Occident, dont nous venons de voir l'importance? abandon.
où sont toutes les idées corrélatives qu'un principe reliait
comme le ciment unit les pierres mêmes de ce temple ? Le
grand Dieu que cherche l'âme chrétienne ne réside plus
que dans un sanctuaire de convention. Il n'y est plus éclairé
dès le matin par l'astre dont il a fait son tabernacle (2) ; il
semble privé de son nimbe le plus éclatant. Et, en suivant
jusqu'en ses dernières déductions ce sophisme d'une archi-
(1) A la fin du dix-septième siècle, Paultier de Novion, évêque d'É-
vreux, refusa longtemps de consacrer l'église des capucins de sa ville
épiscopale parce qu'elle n'était pas orientée. {Histoire du comté
iCÉvreuXy par Le Brasseur, ad ann. 1696.) — Voir encore Le Parfait
Notaire apostolique, t. I, p. 659 et 660, in-4o, Lyon, 1775; — d'Héricourt,
Loï'.v ecclésiastiques de France.
(2; « In sole posuit tubernaculum suum. » [Ps., xviif, G.)
78 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
lecture inintelligente, on peut regarder comme rejeté de
l'enceinte sacrée cliacun de ses symboles les plus chers :
« Le grand arc au-dessus de l'ambon n'est plus l'arc de
» triomphe ; on ne sort plus de la nef comme d'un ordre
)) inférieur pour entrer dans l'ordre suprême figuré par le
» chœur et le sanctuaire tendant vers l'Orient ; vous ne ferez
)) plus regarder l'Orient à vos morts quand, au son de la
» trompette du grand jour, ils lèveront la tête et demande-
» ront où réside leur espoir. Ils ne trouveront pas la vallée
» de Josaphat ; ils regarderont du côté de Valparaiso et de
» Surinam : —et les sauvages se riront de vous (4 )!...»— Et
vous n'aurez plus une égUse chrétienne !
L'orientation ne N'abaudonnous pas ce sujet sans parler d'un autre qui y
mSs'ïx cime! ticut daus Ic Ghristianismc par des relations nécessaires.
"^'"*''' L'Éghse, qui ne se sépare pas dans ses prières des âmes
qu'elle a guidées pendant cette vie, s'en préoccupe encore
après la mort : elle a donc toujours voulu que le séjour des
défunts ne fît qu'une môme demeure a^'cc celui où la prière
est plus solennelle; elle a placé ses cimetières soit dans les
temples mêmes, soit à l'abri de ces murs bénis, et là l'orien-
tation est encore de principe, sinon toujours observée au-
tant qu'il serait convenable depuis que- la liturgie y est
malheureusement déléguée aux soins exclusifs d'un fos-
soyeur. Son intention fut toujours de nous rappeler , par
cette identité ou ce voisinage, que la prière est un hen, une
communion entre nous et nos frères trépassés. Sur ce point
comme sur tant d'autres, les usurpations de la société civile
ont imposé l'abandon des règles vénérées de nos pères, et
bouleversé, avec le sol des cimetières, ce qu'ils avaient de
à l'égard desquels profondémcut rchgicux (2). Qu'eussent dit les païens de
(1) M. Fabbé Corblet , Revue de l'art chrétien, t. J , p. 176. — Voir
aussi M. Puglns, Du Mouvement religieux en Angleterre, p. 62.
(2) Les encyclopédistes du dix-huitième siècle, qui savaient donner
à leurs projets contre la religion un vernis d'ulililarisine (pardon de
('6 mot créé parleurs successeurs!), prétendaient qu'inhumer dans les
CIMETIÈRES. 79
rÉe-vpte, de la Grèce et de Rome, si fidèles à cette obser- eiie fut observée
chez les anciens,
vance, et dont les morts ne devaient être coucliés qu'en face ^t que les chré-
tiens appliquent
du soleil levant? Les Gaulois eux-mêmes tournaient leurs aux leurs.
dolmens vers ce point mystérieux, et le plus grand nombre
de ces monuments observés en France, en Bretagne, dans les
îles de la .Alancbe et, au delà de notre Océan, dans celles de
la Scandinavie et de l'Irlande, conservent cette position ; de
sorte que les exceptions, comparativement restreintes, ne
peuvent s'attribuer qu'à des causes inconnues mais très-
probablement symboliques, aussi bien que la règle géné-
rale (^]. Nous pouvons même nous persuader, envoyant
cette diversité affectée selon quelques lieux à cette obser-
vance des Geltes , que des raisons mystiques poussaient les
diverses peuplades vers tel ou tel point du ciel qui répondait
le mieux à une de leurs idées théologiques.
Les chrétiens, au contraire, partout et toujours, s*orien- Pourquoi nos ci-
metières avoisi-
tent dans la tombe comme dans leurs églises. Ils semblent nent nés églises.
chercher du regard de leur âme immortelle les plages d'où
est venu le Sauveur ; ils aspirent toujours, en attendant leur
résurrection promise^ aux rivages d'où jaillira pour eux
l'éternité : rangés autour de la croix de pierre ou de bois
églises c'était « profaner les temples et souiller le sanctuaire » (t. VllI ,
in-4°j "vo Cimetière). Passe encore d'avoir ainsi l'avis de tels juges;
mais comment ne pas regretter l'engouement qui se fit dans ce sens,
même parmi les hommes sincèrement religieux, dont la simplicité trop
peu prévoyante croyait devoir, avec d'excellentes intentions, seconder
ces attentats contre l'autorité et l'esprit de l'Église ? C'est ainsi qu'on
marchait docilement aux grandes réformes de 1789 et à la Constitution
civile de 1791. Un'yeut pas jusqu'aux évêques eux-mêmes qui consen-
tirent à sanctionner par des mandements cette mesure qui devait éloi-
gner les maladies, assurer la louQéwiié de l'espèce humaine..., et prouver
que la France avait à la fin du règne de Louis XV plus d'esprit et de
bon sens que dans ses âges d'honneur et de foi. Plus tard on verra
Paul-Louis Courier vanter dans sa Gazette de village les exploits de
la Bande-Noire, démolissant à plaisir sous la Restauration les églises
et les monastères épargnés par les apôtres de 93...
(i) Voir BullHin monumental, t. I, p. 54: III, 2, 347, 349; XII, 320;
XVI, 316, 31 7; XIX, 370.
80 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
qui symbolise encore leurs espérances, ils dorment du som-
meil de la paix sous des tombes de calcaire ou de tufau,
dans des sarcophages monolithes ou cloisonnés avec le mar-
teau et la truelle. Ce sont toujours les siècles chrétiens qui,
tout en variant la forme et l'ornementation de ces cercueils
impérissables, se sont préoccupés, comme d'un soin pieux,
de la conservation indéfinie de ces corps qui furent animés
Cercueils de bois par Ic soufilc dlvlu ct dcstliiés à une seconde vie. Les cer-
et de pierre.
cueils de bois, qui, employés à toutes les époques depuis
qu'on abandonna l'incinération (vers le commencement du
quatrième siècle), étaient cependant, autant que possible,
revêtus d'un sarcophage de pierre ( I ),ne furent adoptés seuls
et sans cet accompagnement si convenable que depuis la
décadence de nos mœurs religieuses, vers la fin du quin-
zième siècle. C'était abandonner aussi la marque la plus
sensible de la respectueuse tendresse des survivants envers
la génération qui s'écoulait devant eux, et dont la dispa-
rition préludait à celle de tant de principes sacrés et de
louables sentiments.
Symbolisme de Q'est éfifalemciit à nos temps modernes qu'il faut repro-
leur forme a deux '-' i x r
pentes. cher ces pierres plates qui ferment le coffre funèbre et qui
semblent une caricature dérisoire de l'affaissement de la
pensée symbolique, échappant au monde à mesure qu'il se
matérialise et s'endort. Au commencement, il n'en fut pas
ainsi. L'homme a semblé monter dans la vie , de l'enfance
à l'âge mûr, puis redescendre à l'opposite de sa carrière
vers le déclin de ses derniers jours. Gomme le soleil, il a eu
son lever et sa décadence : ainsi , reposant au fond de sa
demeure sépulcrale , on l'abrita d'un couvercle mystérieux
qui par son double versant rend bien encore cette dernière
ascension dont la certitude lui fut donnée, et cette autre ab-
sorption qui doit la suivre, et l'immergera bientôt dans une
(1) Voir BoUandus, Vilse S^<^ BadpgvniHs, ad xiii aug., et 6'*'» BathiUis
XXVI januar.
CIMETIÈRES. 81
vie de joie ou d'expialioii. Nous ne voyons guère eomment
expliquer, en dehors de ce synil)olisnie, cette persévérance
générale et reconnue à imposer aux sépulcres cette forme
unique si longtemps respectée, et dont nos cimetières nou-
veaux Regardent plus que des spécimens incompris et sans
conséquence mystique (I). Nous avons, au reste, parlé des
autres formes de tombeaux en décrivant la résurrection des
morts dans l'exposition du vingtième chapitre de l'Apoca-
lypse (2).
Il V avait, dès les premières années de la liberté de cimetièroscom-
" muas des premiers
l'Eglise, des cimetières communs où ces sarcophages repo- siècles chrétiens,
sent encore en grand nombre, mais qui s'en trouvent privés
(le plus en plus à mesure que triomphe la cupidité spécu-
lant sur les cendres jusqu'à l'oubli de la dignité humaine,
(^es grands rendez- vous de la mort étaient pourvus d'une
chapelle funéraire presque toujours dédiée à S. Pierre es
Liens, ce libérateur fidèle à qui les clefs du royaume d'En-
Haut étaient confiées , et qui, délivré autrefois par l'Ange
des fers d'Hérode , était imploré pour une délivrance bien
autrement importante par les captifs des ombres de la mort.
Ou bien, quand ce n'était pas au Prince des Apôtres, c'était pî-o^tectioirde s!
à rarchange S. Michel que la chapelle était dédiée , parce jifcbd .^" "^^ ^'
(1) CeUe forme des sarcophages à deux pentes s'observe depuis les pre-
miers temps chrétiens jusqu'au quinzième siècle. Elle avarié dans ses dé-
tails, se pliant maintes fois auxbesoins des cadavres par le rétrécissement
de la partie inférieure, par l'élargissement du côté de la tête, qui avait
elle-même son lieu de repos indiqué par un évasement arrondi; enfin
([uelquefois par une dépression dans la partie médiane, où s'apuyait
i'arrière-corps. Mais on trouve fort rarement une surface extérieure en-
lièrement plate et horizontale. Celles qui semblent l'avoir laissent tou-
jours apercevoir une sommité de l'axe longitudinal qui sauvait le prin-
cipe quanti la pierre n'avait pas toute l'épaisseur désirable. Il y a néces-
sairement exception, on le comprend bien, pour les tombeaux que re-
couvrirent, à partir du douzième siècle^ des statues funéraires à la lête
desquelles un coussin était soutenu par des anges, comme aux pieds
l)ar un lion pour les chevaliers, dont il symbolisait la valeur guer-
rière, et par un chien pour les femmes, en signe de leur fidélité conju-
gale.
(2) Ci-dessus, t. II, ch. xil, p. 344.
T. III. 6
82 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
que, dans l'Offertoire de la messe des défunts, il est supplié,
comme vainqueur du démon, d'ouvrir aux âmes les portes
du Ciel (\). Ainsi consacrés par un vocable protecteur, ces
lieux de repos et de prières furent d'abord privés de tout
ombrage ; car les superstitions des païens pour les arbres
les avaient fait bannir des cimetières comme pouvant y deve-
nir, pour quelques-uns , l'objet d'un culte réprouvé : on le
plantés d'arbres volt daus la Vie dc S. Martin (2). Plus tard, et vers le hui-
syrabo iques. x[q^q sièclc , quaud on n'eut plus à craindre les grossières
erreurs , on se montra moins difficile sur les plantations ;
on aima à s'abriter, aux abords de l'église, sous des arbres
qui jetaient une teinte de mélancolie autour des tombeaux
et semblaient y protéger le recueillement de la prière. De
préférence, on cboisit ceux qu'une verdure plus durable ou
un bois plus vivace rapprochait plus de nos désirs d'immor-
talité : c'étaient le cliene, dont la feuille flétrie parles hivers
ne tombe que pour faire place immédiatement à une végé-
tation nouvelle ; le cyprès au bois incorruptible , l'if dont le
pyramide s'élève vers le ciel, tous deux revêtus d'une ver-
dure foncée , mais plus forte que les frimats. Quelques-uns
de ces arbres sont devenus célèbres par leur vie de plusieurs
siècles : Saint-Pierre-des-Ifs, près Pont-Audemer, en con-
serve qui sont devenus énormes (3). Des traditions respec-
tables, et admises par de graves écrivains, attribuent à cer-
tains d'entre eux une vie non moins longue que celle de
l'église du onzième siècle qu'ils avoisinent. Si l'on en croit
^ quelques autres, on en trouverait encore du quatrième,
■ j ^ dont on peut suivre l'existence à travers ces quinze cents
ans par une suite non interrompue de documents aussi in-
téressants que sérieux (4).
(1) « Signifer S. Micbael repraesentet eas in lucem sanctaru.))— Voir
l'abbé Lebœuf, Disserl. sur les anc. cimet.
(2) Bolland., xi novemb.
(3) Voir M. Raymond Bordeaux, Traité de la réparât, des égt.f în-42,
p. 75.
(4) Voir Dubreuil, Cours d'arboriculture; et Gadebled, Dictionnaire
statistique de l'Eure, cités par M. R. Bordeaux, iibisiq^rà.
CIMETIÈRES. 83
Le moyen Age avait aimé aussi à placer ses morts dans n^J/i^^'""'' ™°"
l'enceinte des forêts, lorsqu'après leur avoir emprunté, un
vaste emplacement pour une église ou un monastère , le
cimetière était pratiqué autour d'eux sous les fraîches voûtes
de ces feuillages pleins de vie : c'est l'origine la plus ordinaire
des lieux appelés Épinay où l'Épine (spinetum). Là se retrou-
vent le plus souvent des cimetières francs ou gallo-romains,
comme à l'Épinay , près de Dieppe , où la chapelle sépul-
crale est encore dédiée à S. Pierre es Liens {\).
Outre la croix centi-ale, et non loin d'elle, s'élevaient, dans i^antemes des
le champ des morts, ces colonnes creuses connues sous le
nom de lampadaires, de fanaux ou de lanternes des morts ,
plus fréquentes dans le Poitou, l'Auvergne et les contrées
méridionales de la France. Quels motifs et quelles fonctions
u'a-t-on pas attrihués à ces monuments longtemps incon-
nus ! Ce qui n'était qu'un simple ohjet de dévotion ton- fau^fef^'opfnion,
chante, un honneur rendu aux défunts du Christianisme, émises à leur sujet,
n'aurait été, au dire de quelques chercheurs, qu'un reste
de superstitions grecques ou romaines, éclairant des danses
religieuses et mystiques auxquelles se livraient des femmes
<m certaines fêtes funéraires qu'on a hien soin de ne pas
déterminer ; ou hien c'était une sorte d'évocation de l'âme
des morts ; enfin c'était un feu toujours prêt où les habitants
d'un village venaient puiser tour à tour celui du foyer do-
mestique dans les temps de contagion, où chacun s'isolait
des habitudes de la vie commune (2). Voilà ce que c'est que
d'écrire des choses sacrées sans en avoir étudié les éléments. . .
Mieux inspirés furent ceux qui, venus plus tard et s'adon- toui?''chiS'
nant à une étude plus sérieuse, reconnurent dans ces cippes "®^*
élégants , dans la croix qui les [surmonta toujours avant
certains accidents qui les en privèrent, dans l'autel surtout
que les générations contemporaines avaient adapté à leur
{{) M. l'abbé Cochet, Sépultures trouvées à Saint-Pierre d' Épinay,
in-8o, iSil,passim.
(2) Voir M. Tailhaut, DulleL monura., t. V, p. 433.
84 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
base, les signes non équivoques de la religion , qui n'aime
pas moins les morts que les vivants (i). Au point supérieur
du petit édifice, en effet , était entretenue une lumière con-
tinuelle où l'huile se consumait comme celle du sanctuaire,
pareille à l'âme fidèle, vivant pour Dieu et s'élevant sans
cesse vers lui par les élans de sa pensée et de ses désirs.
C'était encore un honneur rendu aux corps couchés dans le
cercueil avec l'attitude de la prière, les mains jointes sur la
poitrine et les yeux tournés vers la lumière de l'aurore à
venir : c'était un avertissement aux habitants de la terre ,
lorsque le soir, attardés aux environs du village, ils se sen-
taient pressés par cette flamme éloquente de donner un
pieux souvenir de leur cœur à ceux qui dormaient sous la
colonne de feu. Le jour des Morts , ou à certains anniver-
saires, le curé offrait fadorable Victime sur cet autel rustique,
orné momentanément des chandeliers et de la croix de
métal. Enfin c'était le rendez-vous des diverses stations faites
au cimetière, soit lorsqu'après l'évangile des Rameaux on
attachait à la croix principale ïozane bénite, soit lorsqu'à
l'occasion de quelques services pour certains défunts de la
paroisse, le pasteur, s'élevant de cinq ou six degrés au-dessus
de la foule, lui recommandait les âmes de ses frères et ra-
menait ses pensées au seuil de son éternité.
Des symboles Dcs symbolcs s'attachaieut aussi à la pierre môme des
sirTes tomSux! tombeaux et y devenaient un langage extérieur en forme
^ig^n^diTopuia" d'hiéroglyphes sacrés. Nous ne parlerons pas de Vascia, ce
tions païennes. fameux iustrumeut jusqu'à présent incompris , de l'aveu
même des plus savants (2), en dépit de toutes les explications
(1) Voir M. le comte de Cha.sieiguev,Mém.des antiquaires de l'Ouest,
t. X,p.275.
(2) C'est l'opinion de M. de Caumont, qui fait observer que Vascia
fut usité dans les Gaules beaucoup plus qu'on ne le pense communé-
ment, mais qu'on ne le trouve que relatif à une époque ou l'incinéra-
tion était en usage. Le Christianisme n'a donc rien à voir ici. — Voir,
sur l'ascia^ Bulletin monumental , t. XVII, p. 152, et notre Table des
vingt premiers volumes. Nous croyons aussi avoir démontré dans le
riMETlÊRES. 85
(ju'on eu a voulu douuer : c'était là un signe païen repré-
sentant, d'ailleurs, beaucoup moins une idée mystique
qu'un usage destiné à diversifier l'importance de quelques
sépultures romaines : nous n'en voulons d'autre preuve que
le silence gardé sur son compte par toute l'antiquité catlio-
li([ue avant et pendant le moyen âge. Mais nos tombes chré-
tiennes étaient bien autrement éloquentes. Dès l'âge des Quels furent, dès
. .le principe, ceux
catacombes, et tout d abord dans ces glorieux souterrams du christianisme.
dépositaires des corps ou des membres mutilés des martyrs
ou de simples fidèles échappés à la persécution, les inscrip-
tions touchantes qui parlaient du mort s'accompagnaient
de quelques images, qui nous redisent dans un langage mys-
térieux et les combats de cette vie périssable, et les vertus
qu'on y avait pratiquées, et les espérances qui en avaient
consolé la lin. Le chrisme, la palme, l'olivier, la croix , les
instruments variés du martyre, les couronnes de laurier ou
de chêne, le poisson, la colombe, l'abeille (i), y devenaient
autant d'attributs dont nous savons l'explication (2). Quant unedessignm-
vol. XI des Bvl/etins des antiquaires de l'Ouest, p. 214 et 305, que
l'inhumation sub ascia, qu'on ne trouve jamais dans les cimetières
chrétiens, était une recommandation spéciale aux soins de quelque
employé funéraire , chargé de prendre un soin pieux de cette sépul-
ture. M. Guénebault s'est bien trompé à cet égard, p. 950.
(1) L'abeille est, par son vol très-éievé, le symbole du Christ res-
suscité : Apis Mherea, Christiis, dit Pierre de Capoue. Mais elle devient
aussi le symbole des juifs persécuteurs : Circumdederunt me sicut
apes, dit Is psaume 118. Dans Isaïe, elle est le type de l'hérésie : Sibi-
lavit apis assvrÇwu, 18); mais, laborieuse, prévoyante, produisant son
miel, aimant les fleurs, détestant toute souillure, elle ne représente
plus que des idées douces, gracieuses, aimables. Elle est le Christ, la
Vierge par excellence, la femme forte, l'Esprit de Dieu : Spiritus meus
super met dulcis {Ecclis., xxiv, 17). Elle passe pour ne pas dormir dans
le Physiolocfue des Annéni-ns (n» xxxiv), et devient par là l'exemple de
la vigilance chrétienne et du zèle pour l'acquisition de toutes les vertus :
llorrea replet ex 0)}inifjena omnium florum suaveolentia. (Cf. Spicil.
Solesia., Il, 512; III, 390.) — Et S.Ambroise n'appelle-t-il pas la jeune
vierge S" Agnès apis argumentosa , l'abeille pleine de sagesse?
(2) Voir les chapitres XLvn et xLviii du Homa subterranea , liv. VI,
passim.
86 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
catîona du pois- ail poisson Cependant, il ne faut pas le regarder unique-
SOUa
ment comme le symbole du Christ ou du chrétien , que la
rédemption lui associe : souvent il devient là , pour ceux
qui survivent, une leçon des incertitudes et de la brièveté
de la vie humaine, toujours exposée à quelque hameçon de
La résurrection l'ennemi ct aux subites épreuves de l'adversité fO. L'une
de Lazare aux ca- ^ ^ ^
tacombes. dcs plus curieuscs de ces épitaphes est citée par Aringhi , à
qui nous l'empruntons, pour faire comprendre ici, d'un seul
coup d'œil, jusqu'à quel système de complication allaient ces
grands enseignements de la mort dans le mystérieux lan-
gage de nos pères. Dans un cadre oblong, où tant d'objets
muets en apparence figurent cependant avec leurs rapports
mutuels , nous voyons d'abord , au-dessous du chrisme ,
placée avant tout par une consécration préalable, l'image de
Lazare cnsuairé à la manière du temps et couché dans son
tombeau : c'est à la fois la mort et la résurrection ; vient
ensuite le chandelier à sept branches, lumière symbolique
par laquelle le Seigneur doit scruter tous les recoins obscurs
de Jérusalem (2), et manifester aux yeux de tous sa justice
sur chacun de nous. Tenant le milieu , et comme la place
principale de cet ensemble, une maison sans ornements
quelconques, sans perspective aucune , à Içi toiture plate ,
dont la façade ne présente pour toute ouverture qu'une
porte et deux fenêtres : c'est la dernière demeure de l'homme,
telle que la mort la lui a faîte , dépourvue de tout ce qui
n'est pas absolument indispensable à ce suprême abri d'une
humanité déchue , qui ne peut plus rien goûter ni sentir ;
c'est même le symbole du corps humain emprunté à S. Paul
et à divers endroits de l'Écriture (3). Au-dessus planent dans
(1) « Nescit hoino finem suum ; sed sicut pisces capiuntur hamo, sic
capiuntur homines in tempore malo cum eis extemplo superveoerit »
(EccL, IX, 12.)
(2) « Scrutabor Ilierusalem in lucernis. » (Sophon., xii.)
(3) «Terrestris domus nostra hujus habltationis dissolvitur.»(2 Cor.,
V.) — « Ibit homo in clomum eeternitatis suse. » (Ecdis., xri.) - « Se-
pulcra eorum domus illorum in eeteruum. n{Ps., xlviif.)— Cf. Aringhi
CIMETIÈRES. 87
un strict équilibre les deux plateaux de cette balance dont
le Propbète avait dit à Baltbasar qu'il y avait été pesé et
trouvé sans poids (!) : terrible arrêt qui menace chacun de
nous. Enfin le poisson termine cette mystérieuse scène, et
proclame que, tôt ou tard, après la course agitée de cette
vie où l'homme n'a pas de repos, l'hameçon de la mort
nous prendra, et que cette pensée doit nous remplir d'une
sainte crainte et de salutaires précautions. Cette seule cita-
tion et cette explication si simple et si naturelle ne suffiraient-
elles pas à autoriser, pour les moins crédules , le système
interprétatif de S. Méliton, contemporain de ces vivantes
images, et dont le'i planches turent certainement dans les
catacombes avant d'être ailleurs ?
En fait de symboles, les sarcophages chrétiens n'en ont La croix et ses
jir, £''-' <ji 1 • différentes for-
pas de plus Irequemment répètes, surtout dans les premiers mes. instruments
, 1 • • I 1 1 • T * ^^^^ diverses pro-
temps, que la croix simple ou le chrisme. Le moyen âge, y fessions.
compris l'ère mérovingienne, y varia les sujets et leur donna
quelquefois de vastes développements, de sorte que, dans
les cimetières , les églises ou les cloîtres , souvent , à côté
d'une croix plus ou moins ornée, on put voir une épée che-
valeresque, ou des instruments plus humbles de l'artisan
loc. cit., lib. VI, cap. xlvii, n» 7. — Complétons maintenant l'inter-
prétation de cette curieuse lecture par la traduction du texte épigra-
phique, pour ceux de nos lecteurs qui sont peu familiers avec ce genre
d'érudition, et qui d'ailleurs ne la pourraient chercher dans Aringhi :
Calcvius (ou Calidius) a vendu à Avinius (ou Avienus) Remplacement
de trois sépultures où reposaient dans la poix Vinius (ou Vinicius),
Calvinius et Lucius, sous le consulat de Stilicon. Cette dernière par-
ticularité reporte ce petit monument à l'an 400 ou 405 de l'ère chré-
tienne, Stilicon ayant été consul deux fois. On voit encore dans ce
terme trisoinum, sépulture à trois places, un composé, quoique assez
mal dérivé, du mot domus. Ces places données à chacun étaient donc
dans les catacombes autant de maisons, de demeures suprêmes : c'est
bien le domum œlernilafis de l'Écriture. D'autres ont fait venir ce mot
de bis-homn; il faudrait donc tirer aussi trisomum de ter-fiomo? Même
dans les plus mauvais temps les étymologies ne se sont pas faites de la
sorte.
(1) « Appensus es in statera et inventus es minus habens, » (/?ano v,
2o.)
nées
88 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
OU du lajjoureur, comme on domia à l'architecte Libergier,
dans l'église de Reims : la règle, l'équerre et le compas, avec
une petite représentation de l'église même dans sa main
droite. Cet usage de rattaclier à la mémoire du mort les
objets qui avaient occupé sa vie est aussi ancien pour ainsi
dire que le monde, et s'est trouvé dans toutes les religions,
comme sur toutes les plages : Homère et Virgile ne se font
faute d'en orner leurs poèmes, dont l'un est un beau reflet
de l'autre. Maison doit se garder de confondre ces données
toutes païennes avec l'imitation que tout naturellement les
nations chrétiennes s'en sont permise , sans négliger toute-
fois le symbolisme inséparable d'autres images que presque
toujours elles mêlèrent à celles du spirituahsme le plus pur.
Scènes histo- Maîs Ics plus rcmarquablcs de ces souvenirs cédèrent de
beaucoup, dans les monuments funéraires proprement dits,
au luxe des grandes familles et des hommes illustres qu'elles
voulurent honorer. On représenta souvent sur les sarco-
phages de véritables tableaux sculptés en bas-reliefs, la
mort d'un personnage célèbre et quelques-unes de ses occu-
pations favorites : comme la chasse de Jovien, à Saint-Agri-
autant de sym- colc dc Rclms (t ) . Sous CCS envcloppcs agréables, les sujets les
beiïx. "^^^ *°°' phis mondains en apparence réservaient toujours quelque
leçon mystérieuse , et prouvaient de plus en plus, selon la
pensée d'un de nos guides les plus sûrs , que rien n'était
oiseux, pas un enseignement n'était oublié dans ce grand
nombre de faits iconographiques toujours offerts aux re-
gards du chrétien (2).
Résultat moral La pcuséc dc k uiort triomphait ainsi, pendant la vie du
de ces enseigne- , ,,. i ^ i» . i '4.
meuts élevés. chrctieu, dcs répugnances d une nature condamnée, et ne
se présentait jamais à l'homme qu'entourée des secours
visibles qui en adoucissaient l'amertume en multipliant les
(1) Voir t. H, ci-dessus, ch. viii, p. 457.
(2) « Ex quibus imaginibus, ut videre est, nil prorsus apud antiques
«"hristianos otiosum exstitisse, quod peculiare mysterium non pree-
ferret, probe lector ediscit. » (Aringhi, ubi suprà.)
CIMKTIÈRES. 89
souvenirs des proiiiesscs (Ji\iiics. Esl-cc que la croix sur-
montant le tombeau de nos proches et de nos amis ne con-
sole pas immédiatement de leur perte, éloignement passager,
exil d'un jour? Le matérialisme terrestre, le sensualisme
égoïste et charnel peuvent seuls demeurer froids et insen-
sibles devant ces catéchismes de la foi. Le paganisme lui-
même, qui se couronnait de roses tout en pensant à la
mort, était plus raisonnable que ce philosophisme digne de
la Renaissance. Xe croyant à rien, ou n'ayant que de vagues
incertitudes sur l'avenir de l'homme , il jouissait du présent
sous les inspirations d'Anacréon ou d'Horace, et s'en allait ,
victime aveugle d'une folie intrépide, rejoindre les disciples
de Sénèque et de Gicéron. Cette belle morale fut celle de
nos philosophes, jusqu'au moment où leur triomphe devint
le signal des sanguinaires orgies dont la fumée enivre en-
core leurs dociles amis (i).
Le chrétien fit toujours mieux. La mort ne devait pas le La pensée chré-
, , 1» r»p • • i . /■ •< » -11 tienne de la mort
surprendre et ne 1 enraya jamais. Accoutume a s agenouiller amène i-art jusque
sur des tombes où tant de traits divers, et jusqu'au majes- tières.
tueux silence de leurs ombrages , l'identifiaient à ceux qui
n'étaient plus, il voulut ajouter à ces symboles, à ceux
que les cérémonies funèbres remettaient à chaque instant
sous ses regards , des traits plus vastes et plus durables.
Dans ses chapelles funéraires, la large surface des voûtes
ou des murailles se couvrit des énergiques leçons de l'éter-
nité , et les cloîtres , encore si remarquables , qui entou-
rèrent quelques cimetières monastiques, reçurent du pin-
ceau des plus grands artistes les plus émouvantes pages de
la chute de l'homme, de sa punition par la mort, mais
aussi de sa réhabilitation par celle du Fils de Dieu. Ce sont
(1) ... Jouissons, vivons, mon cher Horace!
Sur le boni du tombeau je mettrai tous mes soins
A suivre les le(;ons de ta philosophie,
A mépriser la mort en savourant la vie,
A lire tes écrits pleins de verve et de sens
Comme on boit d'un vin vieux qui rajeunit les sens
(Voltaire.
90 HISTOIRE 1)L SYMBOLISME.
ces magnifiques scènes que la main d'iial)iles artistes jeta
«tÏ8%ro?s%?ïd« ^^^ milieu de ces arcades gothiques. En Poitou, une chapelle
régUged'Aatigny, ^q l'églisc parolsslalc d'Antigny (Vienne) , fondée en ^42-1,
par les seigneurs de Boismorand, voit encore ses voûtes cou-
vertes, entre autres peintures, de la vie de Notre-Seigneur
Jésus-Christ , qui se termine par la pesée des âmes à laquelle
correspond , dans un autre compartiment de la voûte , une
scène un peu dégradée par le temps, mais qu'on reconnaît
aisément pour l'épisode alors si populaire des Trois morts et
des trois vifs. Une inscription en lettres gothiques y fait lire :
« Vous qui passez.. ., priez pour nous ! w Ce sont, en effet, trois
morts qui sortent de leurs cercueils et se jettent, en pronon-
çant ces paroles, à la suite de trois cavaliers chevauchant
devant eux, et qu'à leur costume différent on reconnaît pour
un chevalier, une dame et un varlet. La dame donne sur son
poing l'appui à un faucon : c'est le signe de la vie noble et
riche ; et pendant que ces grands du monde , oublieux
peut-être des grands intérêts du ciel, vont lestement à
quelqu'une de leurs joies mondaines , la voix sévère du
trépas , les supplications lamentables des âmes qui souf-
frent en expiation des mêmes folies , leur deviennent , en
présence de Dieu et en face de son autel, un salutaire aver-
tissement. C'était une digne et généreuse pensée qui avait
persuadé à ces nobles seigneurs de laisser ainsi à leur
postérité , dans la chapelle où elle prierait après eux , une
exhortation à mépriser la vie et à se souvenir de ses ancê-
tres qui ne seraient plus.
Variante de cette A Joulié, uou lolu dc là, sur Ics mêmcs bords delà
sceno dans la cha-
pelle de jouhQ, Gartcmpc , et isolé de l'église près de laquelle il servait
de chapelle au cimetière , aujourd'hui disparu , un autre
oratoire s'élève encore, et contient une scène, bien plus
'complète et bien mieux conservée, de la même moralité.
Là, encore, le tal)leau de la mort est précédé de tous
les autres, dont il est le complément inévitable, depuis la
création jusqu'au dernier Jugement ; après quoi vient le
CIMETIKUES. 01
dict (les Trois morts ci des trois vifs. Cette fois, il n'v a pas lc dict des Trois
•^ \ morts et des trois
de dame; ce sont trois jeunes seigneurs, dont l'un se croise vifs.
avec les autres sur une route commune qui n'est que la
traversée large d'un cimetière. Leur costume élégant, le
bel harnachement de leurs chevaux indiquent toujours la
même pensée de cette félicité périssable dont la mort profite
tôt ou tard ; chacun , d'ailleurs , a son chien qui l'accom-
pagne; le faucon s'est déjà séparé de l'un d'eux, qui semble
le rappeler, tout en s'éloignant au galop d'une scène que
lui et son second compagnon paraissent s'empresser de
fuir. C'est que , en arrière du grand crucifix qui s'élève à
quelques pas d'eux , trois morts subitement sortis de leur
cercueil de pierre semblent les interpeller avec une ex- .
pression de sévérité à laquelle se mêle une évidente ironie.
Nos deux jouvenceaux ne se sauvent que plus vite , répon-
dant à ces importuns par un geste assez dédaigneux , pen-
dant que le troisième , calme et du pas le plus réglé de sa
monture, prend le chemin opposé et s'avance vers ces
étranges apparitions , que peut-être il ne voit pas. N'y
a-t-il pas , en effet , une grande portion de l'humanité qui
ferme les yeux pour ne pas voir, et marche aveuglément
à sa dernière heure, dont elle apporte la certitude en nais-
sant? ou bien est-ce vers la croix qu'il prétend s'ache-
miner ainsi, la regardant comme son refuge et cédant aux
bonnes inspirations qui lui viennent d'elle ? Quatre ou cinq
cartouches, autrefois chargés d'inscriptions, qui sans doute
exprimaient les dicts de chaque personnage, nous eussent
complété la légende si la disparition des caractères, de-
venus illisibles , ne nous forçait à en chercher le sens.
Ces peintures paraissent de la fin du quinzième siècle , et
sont probablement contemporaines de la fondation de la
chapelle où la noble et ancienne famille des Moussy de la
Contour avait sa sépulture. Si elles eussent été d'une époque
plus hiératique , du douzième siècle par exemple, nous y
trouverions, outre le symbolisme de cette moralité gêné-
92 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
raie , d'autres idées signiiicatives prises dans les couleurs
employées par le peintre. Les chevaux eussent eu les leurs,
choisies conformément à quelques caractères divers donnés
aux jeunes hommes , tels que certains vices plus particu-
liers à cet âge quand il vient à se séparer de la loi de Dieu.
Leur^ vêtements aussi n'eussent pas manqué d'avoir leur
même analogie symbolique. Ici le peintre s'est contenté de
vise;r à l'effet par les couleurs, dont l'agencement général
est du moins bien plus heureux que le dessin, et ne
manque pas d'une certaine harmonie {]).
mendie r^oZl ^^^^ ^^^^ chapclle de l'ancienne abbatiale de Fontenay-
RenaSncJ'^' ''^ sur-Omc (Calvados), aujourd'hui démolie, le même sujet
avait été peint au seizième siècle, avec des détails beaucoup
meilleurs d'exécution grapliique. C'était avec celui de Jouhé
toute la différence que pouvaient mettre dans leur œuvre
deux artistes, dont l'un possédait le talent que l'autre
n'avait pas. Mais, chose remarquable, le sentiment reli-
gieux l'emporte évidemment dans cette dernière, quoique
aux dépens delà vérité des poses et de la pureté du dessin. A
Fontenay, avec plus d'élégance et de savoir, les chevaux qui
se cabrent, l'habile tenue des cavaliers, leurs coiffures em-
panachées ou affectant le pittoresque d'un costume à effet,
donnent à l'ensemble un air de cavalcade populaire un peu
^harlatanesque. Les squelettes, mieux anatomisés, ont un
peu l'air de certaines gens arrêtant un voyageur au coin
d'un bois; le second, surtout, semble éprouver un refroi-
dissement qui le fait trembler. Ce que le seizième siècle a
touché de nos affaires est décidément tronqué dans l'essence
môme de la pensée religieuse.
Les danses nui- ^ "
cabres en général; Outrc cct luiposaut sujct dcs 7'rois mofts et (Us trois vifs
(1) M. de Longuemar , de la Société des antiquaires de l'Ouest, a
publié en 1852 une bonne planche lithochromiée de ces fresques re-
marquables dans un Essai sxir la chapelle de Jovlié. Nous différons
quelque peu dans l'appréciation de certains détails relativement aux
intentions du peintre.
CIMETIÈRES. 93
que M. Paulin Paris a retrouvé dans trois poèmes du trei-
zième siècle ( I ), on trouve au quatorzième la fameuse danse
des morts ou danse macabre, qui ne fut, à l'époque des mys-
tères ou moralités en action, que la mise en scène du poème
primitif. C'est, à proprement parler, la darise des cime-
tières (2), où l'on sait qu'à partir du (juatorzième siècle on
commença à prèclier par des représentations qu'inspiraient
des moralités fréquentes, les grands enseignements de la
mort. Un de ces drames les plus célèbres fut joué, en \ \l\,-àn
cimetière des Imiocents à i^aris. Beaucoup d'autres le sui-
virent, et il n'y eut guère d'églises, surtout dans les cime-
tières, où ne fussent répétés aux voûtes ou aux mui'ailles ces
actes solennels qui s'y épancliaient en d'innombrables allé-
gories, dont le fond était une danse fantastique et dans
lesquelles les acteurs rivalisaient par leurs déguisements à
exprimer les plus lugubres idées. On peut s'en faire une ceiiodeiachaise-
*^ ^ " ^ Dieu en particu-
complète de cet ensemble, moins bizarre en réalité qu'en ner,
apparence, par la danse peinte sur le nuu' du cbœur dans
le collatéral nord de l'abbatiale de la Gbaisc-Dieu, en Au-
vergne. Elle se compose de soixante-sept couples alternés
de morts et de vivants. Là le pape et le moine, l'enfant et le
vieillard, l'empereur et le bûclieron, prennent un rôle en
face d'Eve, qui enfante la Mort au pied de l'arbre d'Éden.
Nous Youdiionsque certains symbolistes de liasard, comme thétiques.
(1) Voir Bulletin monumental, xy, 137.
(2) De magbarahou magabir, qui en arabe si^mûeui cimetière. Celte
étymologie, rappx^ocliéo de bien d'autres données par Ducange, et qu'a
proposée en dernier lieu M. Van-Praët dans sou Catalogne des livres
imprimés sur vélin, nous paraît la seule raisonnable ; parce qu'elle
est la plus naturelle.— Voir une excellente dissertation de M. Branche
dans le Bulletin monumental , viii, 326. Nous lui avons emprunté ce
que nous disons sur ce sujet comme à celui qui nous semble l'avoir
étudié avec le plus de succès. — On s'était tellement persuadé pendant
longtemps que le mot macabre venait des Machabées, qu'à la cathé-
drale d'Amiens on s'était accoutumé à appeler chapelle des Machahées
ceili' où une dan.se macabr.' apparaissait sculptée au-dessus de la porte.
Celte sculpture était aussi du quatorzième siècle.
Oi tilStOmE DU SYMBOLISME.
il s'en rencontre toujours parmi les écrivains qu'un parti
pris porte à dénigrer le clergé du moyen âge et ses institu-
tions religieuses, dont ils parlent avec d'autant plus de pré-
jugés qu'ils en ont une plus grande ignorance; nous vou-
drions que ces érudits qui ont aimé à voir des satires
ardentes des moines et des prêtres dans l'iconograpliie des
mystères et des légendes étudiassent, avec ce morceau re-
marquable que la litliochromie nous a conservé, ce qu'il y
a de variantes significatives dans ces physionomies si di-
verses; et comme, en découvrant les sentiments qui s'y
expriment, on voit, à côté de l'effroi, de l'indifférence ou de
l'étonnement de chaque mortel saisi par son cruel parte-
naire, combien le peintre s'est efforcé de laisser au pape,
aux évêques, aux moines et aux religieuses le contraste
facial du calme placide, de la douceur pieuse, du recueil-
lement de la prière, et de la résignation du cœur. Quelle
dignité dans leurs gestes, dans leurs poses et jusque dans
la marche tranquille que leur imprime cet ennemi de tous,
que seuls ils semblent ne pas redouter! C'était là une élo-
quente leçon, mais aussi c'est un beau modèle pour les
•artistes chrétiens Nous ne croyons pas qu'aucune de
nos fameuses expositions annuelles nous ait donné depuis
leur retour périodique aucune toile qui , pour le senti-
ment religieux, vaille ces fresques si malheureusement per-
dues {\).
Voilà sans contredit l'esthétique de l'artiste. Mais ce
n'est encore qu'une portion du vaste tableau. Voyons le
reste.
Non loin de la mère des vivants, un Docteur, dans une
chaire, fait ressortir à l'intelligence de cette foule attentive
la justice divine et le sort qui attend l'humanité. Puis la
danse s'ébranle en une immense ronde, soit qu'on voulût
rappeler ainsi certaines maladies convulsionnaires de ce
(1) \o\T r Auvergne et le Vélay,aihs,\i]. 119, 120 et 121.
CIMETIKRKS. 95
temps, causes de deuils uonihreiiv dans les i'amilles, soit,
comme nous le croirions plus volontiers, qu'on prétendît
symboliser cette fatalité providentielle qui emporte tout si
rapidement en une sorte de tourbillon irrésistible. Quoiqu'il
en soit, l'action scénique avait besoin d'interprètes, et les
poètes du temps se cliargeaient de l'expliquer aux contem-
porains et, heureusement aussi, à la postérité, pour laquelle
les manuscrits sont plus durables que la peinture. Des car-
touches épars au-dessus de chaque scène en faisaient l'ap-
plication morale à chaque assistant, à toutes ces conditions
sociales qui se pressaient sur le théâtre, ou autour de lui,
pour en saisir les sérieuses admonitions. M. Branche nous
a copié les vers suivants, comme texte d'un poème de la
même époque : ils conviennent très-bien aux fresques de
la Chaise-Dieu, et ils sont le résumé de toutes les autres.
0 créature raysonnable
Qui désires vie éternelle,
Tu as cy doctrine notable
Pour bien fixer vie mortelle.
Cy lalf'dnse des morts t'appelle.
Que chascun a dancer aprent;
A home, à fême est naturelle:
Mort n'épargne petit ne grant.
En ce miroer chascun peut lire
Qui le convient ainsi danser :
Saige est celui qui bien s'i mire ;
La mort le vif fait avancer.
Tu veois les plus grauts commencer,
Car il n'est nul que mort ne fière ;
C'est piteuse chose y panser....
Jusque-là nous n'avons vu que les préliminaires ; mais
voici qu'un mort porte une bière à l'assistance effrayée :
alors la danse se met en train. Prières, menaces, rires,
pleurs s'exhalent à la fois de toutes parts : c'est l'étrange mu-
sique de cette ronde forcenée. Les cris, les plaintes, la ter-
reur s'expriment à la fois dans une confusion où se mêlent
ton les les appi'éhensions de chacun sur sa vie passée ; une
96 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
confession générale sort de la bouche de tous ces hommes,
de toutes ces femmes, qui exposent ainsi à la grande famille
l'examen détaillé des fautes possibles dans chaque \ocation.
Après quoi la Mort a la parole : elle résume tout, elle pro-
nonce ses arrêts , et quand le sort de chacun est décidé,
ehe termine par une tirade poétique :
Rien n'est d'hôme, qui bien y panse,
, C'est tout vent, chose transitoire;
Ghascun le veoit par ceste dance :
Pour ce, vous qui voyez l'histoire, .
Retenez-la bien en mémoire...
Le panser en est prouffitable :
Tel est huy qui mourra demain...
. . Mais aucuns sont à qui n'en chault.
Comme s'il ne fut paradis
Ne enfer. Las ! ils auront chault I
. . . Acquitez-vous qui cy passez!
Et faictes des biens. Plus n'eu diz :
Bienfait vault moult aux trépassez.
Autre variante Gcttc poéslc cst éncrgiquc ct élcvéc ; ces peintures, ces
donnée par la , , ,• , 1,1.. at
Chronique de Nu- represeutatious sont morales et reiigiefises. Nous avons vu,
V€}YlbBVQ ,
nous verrons encore ce qu'en aura fait la Renaissance^ en
qui l'esprit du protestantisme souffla l'abandon de toute
dignité surnaturelle. En attendant, voici un abrégé de la
danse macabre, que nous empruntons à la Chronique de
Nuremberg. Pendant qu'un mort se lève à peine de son tom-
beau, quatre autres ont déjà commencé le spectacle. L'un
d'eux, encore revêtu de son suaire, joue de la flûte. Les
trois autres dansent à grande force de contorsions. De ces
trois, deux sont de purs squelettes ; le dernier a encore sa
chair ; un long" et étroit linceul le drape fort économique-
ment de la tête aux pieds, il a le ventre ouvert, d'où
s'échappent ses entrailles en méandres horribles, dont
l'effet n'est comparable qu'à la grimace de sa tête déchar-
née. Au-dessous de l'image sont dix vers latins qui, pour
apporter leur contre-partie chrétienne à ce qu'on voit ici
CIMETIÈRES. 97
de répugnant à la nature, vantent les bienfaits du trépas,
qui remet tout à sa place et couronne la vie vertueuse des
récompenses qu'elle a su conquérir.
Morte nihil melius; vita nil pejus ioiqua.
Optima mors, bominum requies œterna laborum.
Tu seuile jiiguui, Domino voleute^ relaxas ,
Viuctorumque graves adimis cervice cateiias,
Kxiliumque levas, et carceris ostia frangis.
Eripis indignis, justis bona partibus œquans ,
Alque immola maues, uulla exorabilis arte.
A primo preeûxa die, tu cuncta quieto
Ferre jubés animo, promisso fine laborum.
Te sine supplicium vita est, carcerque perennis (i).
Avant d'en finir avec ce qui regarde la mort et les lieux convenance des
^ '^ ^ monuments lune-
chrétiens qu'elle consacre, ne devons-nous pas nous expri- maires dans lea
* ^ églises ,
mer sur la convenance des monuments funéraires dans
nos églises? Le symbolisme a perdu beaucoup , puisque la
sculpture est un de ses meilleurs éléments, à voir bannir
de nos temples les sépultures, qui n'y sont plus tolérées :
non que nous voulussions faire de cliaque église un lieu
profane , comme le Westminster de l'anglicanisme, où le
musée de l'bérésie remplace le tabernacle des temps chré-
tiens, où tout fatigue les yeux sans que rien parle au cœur.
Nous regrettons surtout ces tombes qui, sans encombre-
ment, élevées de quelques pieds au-dessus du sol, dans un
(1) C'est-à-dire : « Rien de meilleur que la mort, rien de pire qu'une
mauvaise vie. Chère mort, repos éternel des travaux de l'humanité,
c'est toi qui, sur un ordre divin, délivres le vieillard de son joug, romps
les lourdes chaînes des captifs, termines leur exil et brises les portes de
leur prison. Tu ravis au méchant ses biens mal acquis, exerçant une
impartiale répartition envers les justes : ta fermeté inébranlable ne se
laisse séduire par aucune prière. Annoncée à l'homme dès son premier
jour, tu lui enseignes à tout souffrir avec patience, en lui promettant
la fin de ses maux. Sans toi la vie ne serait qu'un long supplice et une
interminable captivité. »
Nous doutons que Gicéron ou Sénèque pussent offrir en aussi peu
de lignes autant de hautes pensées et d'aussi philosophiques consola-
tions, et que qui que ce soit les eussent rendues en de meilleurs vers.
T. m. 7
98 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
ciifeu aux arcades sévèrement ornementées, laissaient voir
aux vivants, dans une belle statue couchée les mains jointes,
les yeux fermés, les traits nobles et l'honorable souvenir
mal comprise de des bienfaiteurs du lieu saint. Nous redemandons ces ex-
l'art moderne. ,,.,,, i ^ i
pressions touchantes de la piete de nos pères, plus que ces
flatteuses prétentions de nos statuaires nouveaux, qui con-
fondent le grandiose de la pensée avec les dimensions d'un
monument, et qui croient avoir- tout fait quand ils garnis-
sent une éghse d'une scène massive en l'iionneur du maré-
chal de Saxe, comme à Saint-Thomas de Strasbourg, ou
d'une autre dont le dessin et le plan vont juqu'au ridicule,
sous prétexte d'immortaliser M^^' Affre , à Notre-Dame de
Paris {{). Ceci est digne tout au plus de ce pauvre cimetière
du Père-Lachaise , où les morts, entassés pele-mele, sans
distinction de juifs ou de chrétiens, de luthériens ou de
musulmans, semblent n'avoir plus au service de leurs
espérances que des pierres qui s'usent chaque jour, qu'un
i)ronze plus ou moins solide, le tout accompagné de poses
dramatiques et superbes, que rehaussent des inscriptions
(1) Sans doute le monument de Pigalle est un beau travail et se re-
commande surtout par l'harmonie et la noblesse du plan; mais à le
considérer dans ses détails, quoi de plus froid et de plus faux à la fois
que cette banale personnification du temps empêchant la mort d'up-
procher d'un héros qu'elle a déjà vaincu? quoi de plus commun que ce
lion qui pleure? et que dire de ce luthérien sybarite qui ne lève les
yeux au ciel qu'après son trépas?— Quanta l'œuvre de M. Debay,c'est du
paganisme s'il en fût, c'est du marbre sans vie et sans idée, où la croix
n'arrive qu'à la cachette, pour ainsi dire, et ne surmonte même j as le
cippe gréco-égyptien, qui manque autant de caractère monumental que
de dignité chrétienne. La pose forcée de la statue , dont la draperie
affectée augmente la lourdeur, n'est même pas rachetée par la ressem-
blance de sa figure. Le bas-relief n'a qu'un mouvement vulgaire,
comme son expression générale, et la distribution des personnages y
est mal calculée , isolant beaucoup trop du prélat les ecclésiastiques,
dont il ne devait pas être séparé. Pour le symbolisme, M, Debay ne
s'est pas douté qu'il existât. Il le fallait bien pour imposer ces formes
grecques à une cathédrale gothique ! De sorte qu'après avoir examiné
ce triste ensemble que les camarades ont cru louer en le qualifiant
sobre de détails, on se trouve aussi touché que devant un autel de Ju-
piter ou un peulven druidique...
CIMKTIKTÎKS. 90
françaises, dont trop souvent le nom de Dieu même est
exilé. 0 art moderne, tu ne symbolises que trop une époque
d'orgueil aveugle et de scepticisme mesquin!
Avouons (fue là encore la vie est dans le catholicisme, contraste ae ce
style païen avec
A travers tous les siècles, sa doctrine, toujours la même, l'importance et
•^ ' l'honneur que l'E-
resplendit au milieu des ténèbres de l'esprit humain, giisc donne à «o*
• > Il • 1 cimetières.
Elle explique tout, elle sanctifie tout, elle tient l homme
élevé sans cesse au glorieux niveau de sa nature régénérée
et de sa divine vocation. N'en jugeons que par ses pensées
à l'égard du cimetière chrétien. A l'instar même de ses
églises, elle le consacre (I), et, comme pour celles-ci, elle ne
man([ue pas d'inviter ses enfants, témoins de ces planta-
tions de croix, de ces encensements, de ces aspersions et
de ces lumières répandus sur la terre de leur repos, à goû-
ter le sens de sa helle et touchante liturgie : « 0 Dieu qui Beiie litur-ie de
A.i , . 1 . ■ «T „.■ leur bénédiction.
êtes le créateur de cet univers, et qui disposez parfaitement
(le toutes vos créatures, nous vous supplions humblement,
et dans toute la pureté de noîre cœur, de purifier, de bénir
et de sanctifier ce lieu destiné, après la fin de cette vie, à
réunir dans un repos commun les corps de vos serviteurs et
de vos servantes... Donnez la consolation éternelle à ceux
qui attendent la trompette de votre premier Archange...
Vous qui avez béni la terre achetée aux enfants d'Hébron
par Abraham pour sa sépulture, et accordé à Israël la terre
de promission pour en faire son héritage, soyez le gardien
de tous ceux dont les corps viendront chercher ici un lieu
de repos... Vous qui êtes le Pasteur éternellement glorieux,
lumière et honneur de toute sagesse; protecteur inébran-
lable de toute prudence, salut des infirmes, santé des forts,
consolation des affligés, vie des justes, gloire des humbles,
daignez purifier de toute souillure et des embûches des es-
prits immondes ce lieu où dormiront les corps de vos fidèles;
(1) « Hanc terram... ad usum sepultura? consecrare digneris. » [Oral,
in Pont if. Rom.)
^00 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
que tous ceux qui auront eu part au saint Baptême et per-
sévéré jusqu'à la fin dans la foi catholique reçoivent , quand
ils y seront éveillés par les trompettes de vos Anges, le gage
du bonheur éternel promis à leurs âmes et à leurs corps...
Ce corps, Seigneur Jésus-Christ, vous l'avez formé de la
terre pour réparer la perte des anges révoltés ; vous l'avez
pris vous-même pour notre Rédemption ; vous le réduisez
en poussière par une condition de sa chair périssable, et
vous le relèverez de cette terre pour ne plus mourir. Bénis-
sez-la donc, cette terre, et accordez-nous d'y dormir dans
ces saintes espérances, puisqu'elle a été achetée de votre
Sang. N'est-ce pas vous qui êtes notre jour sans fin, la
splendeur indéfectible, l'éternelle clarté? C'est vous qui
avez recommandé à qui veut vous suivre de marcher dans
la lumière, d'éviter ainsi les ténèbres de la nuit sans bornes,
et d'arriver heureusement à la lumineuse patrie. Votre
humanité a pleuré Lazare, votre divinité l'a rappelé à la
vie, comme elle a ressuscité le genre humain, accablé des
quatre coins du monde sous l'énorme poids de ses péchés.
Faites donc, ô Vie véritable et éternelle, que tous ceux qui
seront ensevelis dans cette enceinte consacrée se sentent,
au son de la trompette de vos Anges, délivrés des liens de
leurs fautes, et que, rendus à l'éternelle félicité, admis dans
l'assemblée de vos Saints, ils y célèbrent à jamais avec eux
les louanges qui vous sont dues comme à Fauteur de la
vie {\)\ »
Comme tout cela parle au cœur et à l'esprit ! Il manque
un sens à qui n'y sent pas le souffle de Dieu.
(1) Pontificale romanum, De cœmeterii Benedictione, passîm.
CHAPITHE m.
EXTÉRIEUR DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE.
De quelque distance qu'on aperçoive une église, et sur- L'Égiis© chré-
tienne «.toutes les
tout si on la considère à vol d'oiseau , rien de plus facile à marques spéciales
d'un édifice con-
l'observateur instruit que d'y reconnaître un ensemble sacré à Dieu,
d'idées toutes surnaturelles et dignes de la maison du Sei-
gneur. Le Dieu caché au fond du sanctuaire s'y révèle , y
parle , et de si loin s'attire déjà l'adoration des hommes.
Un premier fait à remarquer, indépendamment des raisons
qui ont pu, à travers les siècles, en modifier l'évidence
sensible , c'est le point relativement élevé choisi pour y
établir les fondements du saint édifice. Si l'on tient compte
des surexhaussements accidentels ou calculés qu'a subis
autour de lui le terrain qui le supporte , on verra bientôt
que les abords n'ont pu être changés que par des révolu-
tions successives et des bouleversements dont la cause est
plus ou moins appréciable , mais fort souvent historique.
Soit qu'on aborde l'éghse par une nombreuse suite de
degrés, soit qu'on n'en franchisse le seuil que par des
marches intérieures , destinées à corriger les inégalités du
sol , on se persuade , à l'examen des piHers, dont les bases
n'ont pas toujours la même hauteur au-dessus du pavé ,
que le niveau a dû céder plus d'une fois à des remanie-
ments. Les terres rapportées , l'adjonction des cimetières ,
les constructions qui sont venues se grouper plus tard
autour des murs sacrés, sont autant de causes qu'il ne faut
pas oublier quand on veut bien juger de la question.
^02 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
par l'élévation du ^out d'abord, donc, c'est l'éminence relative du plateau de
Kol qui la sup-
porte, l'église qui frappe les regards. Presque partout on constate
ce fait, qui n'a pu être négligé que par quelques raisons
locales et exceptionnelles. On s'est appliqué parfois à ce
symbolisme , jusqu'à créer en sa faveur , pour une église
à construire , une butte de terre rapportée , comme on le
voit au village de Souain , en Champagne {]). C'est que
l'église chrétienne est si bien la continuation morale du
temple de Jérusalem posé sur la montagne de Sion (2) ,
qu'en s'y dirigeant le chrétien s'élève dès lors vers le Ciel;
que de là sa pensée et son cœur doivent planer au-dessus
de tous les intérêts de ce monde et quitter tout contact vo-
lontaire de son esprit avec les intérêts matériels d'une terre
dont il doit se détacher (3). Ce soin symbolique de s'établir
bien haut garde, d'ailleurs, le saint lieu contre le bruit
extérieur, contre les eaux, les boues et les autres inimon-
(1) Voir Bullet. m.onum., XVII, 576,
(2) « Levavi oculos meos in montes unde veniet auxilium mihi. »
(Pu., cxx, 1). — Si les montagnes sont, par leur hauteur, le symbole
de Vorgueil, de Vamhition, et de la dureté du ("œîrr par les rochers
qu elles renferment^ elles ont aussi, par la bonne direction que l'âme
peut donner à sa fermeté et au sentiment de sa dignité religieuse , uue
signification favorable que les commentateurs ont savamment déve-
loppée. L'auteur, entre autres, des Disiinclions monasliques (liv. 111,
ch. cLxxvi), y trouve l'image de Jésus-Christ, des Anges, de la sainteté ,
de la vie religieuse, de r^.7/t'ie, de l'éminence des vertus. Certaines
montagnes souvent nommées dans l'Écri ure ont aussi leur enseigne-
ment spécial : la monlogne de Sion, ce sont les Elus; des Olives, c'est
la miséricorde; du Liban, la chasteté; du Cnrmel, la tempérance ; du
Thabcr, la glorification ; VOreb , c'est l'abstinence ; Gelboé est le séjour
des démons. On comprend tout de suite ces allégories, si l'on se re-
porte aux passages scripturaires où ces divers lieux sont rattachés à
des événements historiques. (Voir S. Melitonis Clavis , De Mundo,
cap. XV.)
(3) Voir à cet égard les instructions de S. Charles déjà citées (Ffl-
bricx ecclesiaslicsd instruction. , lib. I, cap. i) : « Cautio item sit ,
ut situs ejus modi quaeratur, ubi ecclesia exœdificari queat, insulee
instar. » — Il y a beaucoup d'exemples de cette situation, comme on
peut le voir en particulier dans le Bullet. monum,, t. XVII, p. .*i70 ,
571, 576 etsuiv., etXX, 305,
EXTÉRIEUR DE L ÉGLISE CHRÉTIENNE. i03
dices nui s'y écoulent plus facilement. Autour de lui, tout «^ sa séparation
1 «^ 1 ' norinalo des au-
devient plus digne de lui, et cet isolement, d'ailleurs, dont très habitations.
on ne doit plus faire une question, puisqu'elle a toujours
été résolue à son avanlage , cette séparation de toute habi-
tation humaine à l'égard de la demeure sacrée témoigne
d'une bien plus haute vénération pour celui qui daigne y
habiter avec nous (I). Quelque distinction qu'on puisse
objecter sur ce point entre les églises séculières et celles
des monastères , et tout en avouant que celles-ci , aussi
bien que les cathédrales, quand les Chapitres vivaient en
commun avec les Kvèques, avaient des motifs irrécu-
sables d'attenance a\ec les cloîtres ou autres lieux où
se passait la vie commune ; tout en reconnaissant que ces
conditions n'avaient rien qui blessât le respect dû au sanc-
tuaire devenu comme une portion même de la grande
maison ; sans oublier endn que les prescriptions de plusieurs
conciles éloignaient des murs sacrés toute appartenance
extérieure, qui devait en être séparés par quelque espace (2),
nous reconnaîtrons de combien de malheurs on se fût
affranchi maintes fois, combien d'incendies eussent épargné
la maison de piières, si le feu dévorant les bâtiments ad-
jacents avait trouvé un vide infranchissable entre eux et
la plus sainte partie d'eux-mêmes. Quand des constructions
en bois s'attachaient à des églises, où le bois est absolument
(1) Nous avous vu des églises auxquelles s'étaient accolées en cer-
taines villes des échoppes plus ou moins considérables que l'adminis-
tration municipale non plus que les fabriques n'y devraient jamais
permettre. Ces voisins , par trop entreprenants , creusaient des caves
au détriment des fondements de l'église; ils se procuraient des pla-
cards en démolissant l'épaisseur des murs ou des contreforts; ils bou-
chaient des fenêtres du monument et quelquefois en perçaient sur
une tribune intérieure. On ne saurait trop s'élever contre ces excès,
qui ne sont pas moins un scandale qu'un abus d'un prétendu droit
de propriété. — Voir nos Inslrur lions de la Commission archéologique
diocésaine de Poitiers, p. 9o, et le Trailé d'i la réparation des églises,
de AI. R. Bordeaux, ch. iv (Bullet. monum. , XVII, p. 537).
(2) GonciL Carlh., IV, can. xiv.
\0/t HISTOIRE DU SYMBOLISME.
nécessaire , ne fût-ce que pour la charpente , il était diffi-
cile d'échapper à ces funestes accidents. Et combien d'au-
tres raisons combattent encore ce mauvais système d'ad-
jonction ! Nous en avons parlé ailleurs, et ne nous arrêterons
^ pas davantage ici sur une question qui n'en peut plus être
une (1).
Les églises de gj ^ant dc couvenauces portaient à bâtir les églises sur
Samt-Michel ba- ^ ...
ties de préférence (jes poluts culmlnauts, il V avait une autre cause qui faisait
sur des hauteurs. ^ ' <i x
rechercher surtout cette position pour celles qu'on voulait
dédier à S. Michel ou à d'autres Anges. On sait le combat
de cet Archange et de la milice céleste contre les anges ré-
voltés , et l'opposition qu'il continue de leur faire dans leurs
tentatives contre l'innocence de l'homme (2) . Nous avons
vu dans l'Apocalypse (xii , 9) ce grand guerrier de Dieu
terrasser le dragon après un grand combat célébré par le
prophète de Pathmos. Le démon vaincu n'a pas cessé de
vouloir le mal ; il s'attache de préférence , et par un reste
de ses instincts orgueilleux autant que par ses regrets du
Ciel , aux lieux élevés , aux espaces aériens , ce qui le fait
nommer par S. Paul « le prince de l'atmosphère, » de cet
air ambiant dont il se sert comme d'un véhicule pour ses
mauvaises inspirations et ses doctrines perfides (3) : c'est
donc là, dans ces régions supérieures dont l'Archange a
dépossédé l'ennemi de Dieu et le nôtre, qu'il fallait placer
les églises dédiées à cet invincible défenseur. Un autre
motif a pu se trouver en certains endroits dans les sou-
venirs mythologiques de Mercure , qui , en qualité de m£s-
sager des dieux, et pourvu d'ailes comme on en a donné
(1) Voir nos Instructions de la Commission archéologique diocé-
saine de Poitiers, in-S», Poitiers^ 1851.
(2) « Princeps regni Persarum restititmihi.,., et ecce Michael, unus
de principibus primis, veûit in adjutorium meum. » [Dan., x, 13.)
(3) «... Peccatis vestris, in quibus aliquando ambulastis, secundum...
principem potestati? aeris hiijus. » (Ephes.,iï, 2.) — Voir S. Hilaire
sur ce passage , Spicileg, Solesm. , [ , 107.
EXTERIEUR DE L EGLISE CHRÉTIENNE. 105
aux Anges, dont le nom signifie envoyé, avait ses temples sur
les hauteurs {\). L'église de Saint-Michel-Mont-Mercure,
en Vendée; celle du Mont-Saint-Michel, en Normandie, •
attestent encore la consécration de ce principe, et montrent
comment le catholicisme a su ramener les populations au
culte de la vérité en les purifiant de leurs fausses croyances
dans le centre même des plus grossières superstitions.
La forme de croix n'est pas moins sensible à l'œil de ^a 'orme de
croix et fi66 Tft~
l'observateur dans le plan général que nous examinons, riétés.'
Deux grandes ailes, prolongeant le transsept au delà des li-
mites latérales tracées par les murs , donnent , en effet , à
l'édifice , qu'ils coupent par deux moitiés égales dans les
églises grecques , ou au tiers supérieur de sa hauteur dans
celles des architectes latins , une ressemblance frappante
avec l'instrument sacré du salut des hommes. C'est dès la
première constitution de la grande société chrétienne que
nous voyons cette forme placée au nombre des prescriptions
liturgiques : elle figura le plan envoyé, au quatrième siècle,
par Eudoxie, femme de l'empereur Théodose II, ài'évêque
de Gaza, S. Porphyre , qui lui avait demandé de faire cons-
truire une église pour sa ville épiscopalc sur les ruines d'un
temple des faux dieux (2). S. Grégoire de Tours nous parle
(1) Il est aisé de voir dans ce Mercure une défiguration de l'idée
primitive des Anges, dont le nom même et les fonctions de messager
(à-j'-^-iXc;) ont été attribués à celui qui est venu, dans la raison humaine
abaissée par les passions grossières , les remplacer aux yeux des géné-
rations détournées des enseignements divins.— Mais, à cette confusion
de la matière et du spiritualisme, les hommes semblaient avoir tou-
jours soin de mêler encore des caractères inséparables de l'erreur : ce
demi-Dieu qui faisait les plus détestables commissions et se rendait
l'intermédiaire des plus sales intrigues de la Cour céleste , était en
même temps, nous l'avons déjà observé, le protecteur du commerce...
et des voleurs! Le symbolisme n'est pas moins frappant en cela qu'en
bien d'autres choses; et quand nous serons complètement revenus au
paganisme, si les espérances de certains sages *se réalisent, le dieu
ancien n'aura pas besoin de revendiquer sa place, que no» mœurs
modernes lui ont gardée soigneusement à la Bourse et dans les boutiques.
(2) « Erat intra litteras descripta forma ecclesise in figurain crucis...,
ut convenieuter dictae figurée sancta conderetur ecclesia. Laelatus est
106 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
de la cathédrale de Glermont , bâtie à la lin du cinquième
siècle selon cette même prescription (^), puisée, au reste,
dans les traditions apostoliques. Nous comprendrons mieux,
dans l'intérieur du vaisseau , le sens profond de cette dis-
position mystique ; toujours est-il que , dès à présent , nous
en constatons l'apparence , et , si elle n'est pas également
sensible dans tous les monuments, s'il y a même un grand
nombre d'entre eux qui consistent dans une simple nef,
longue et étroite , sans aucune indication d'un retrait au
sud et au nord (2) , on ne rencontre guère ces rares ex-
ceptions que dans les églises qui précédèrent les neuvième
et dixième siècles. Après cette époque, la renaissance ar-
chitecturale , qui multiplie les signes mystiques au service
du culte , reprend généralement toutes ses traditions et
n'en rejette aucune. Les lignes cruciales ne s'effacent plus
sous aucun prétexte ; elles se dessinent partout entre la
nef et le sanctuaire , quelquefois encore à peine exprimé
par un retrait d'une profondeur très-peu considérable;
mais c'est le point de départ de ce progrès , qui bientôt , le
onzième siècle ari'ivant , se développe jusqu'à une figure
parfaitement accusée, et devient le type indispensable d'un
monument catholique. Ce type le distingue de toute construc-
tion séculière ; il l'élève par une dignité propre au-dessus
de tous les bâtiments profanes, et, si l'impiété des mauvais
jours le souille et le méconnaît , cette croix , incompatible
avec ces déplorables souillures, restera toujours un reproche
aux suppôts de l'esprit du mal (3).
autein S. Porphyrius ciim... vidisset formam descriptam : sciebat
enim hoc qiioque factum fuisse ex divina revelatione. » (Bollaiid. in
Vila S. Porphyr., xxvi februar.)— Ces derniers mots indiquent bien
quelle importance on attachait dès lors à ce symbole. — S. Porphyre
mourut en 420.
(1) S. Gregorii Turon. Hùtoria Francorum , lib. II, cap. xvi.
(2) « Les premiers architectes de nos églises avaient emprunté aux
plus anciennes de Rome leur plan basilical, modifié ensuite en croix
latine par le symbolisme reHgieux. » (L'abbé Jouve : Notice sur la
catliédr. de Valence, Bullei. monum., XIV, 559.)
(3) Il n'y a pas d'archéologues à qui cette forme, pour peu qu'ils
EXTÉRIEUR DE LÉGLISE CHRÉTIENNE. 107
Vous rencontrez cependant çà et là, et à peu près dans ^■^f^l^^^l^^^"''"'''
toutes les régions de l'Occident, des églises circulaires, dont
le dessin a été presque toujours conçu en souvenir du
Saint-Sépulcre de Jérusalem, Ceci était remarquable dans
notre magnifique et regrettable abbatiale de Gbarroux, si
célèbre par ses reliques du Sauveur, dont elle portait le
vocable; dans celle de Sainte-Croix de Quimperlé, dans la
cbapelle sépulcrale des Augustins de Montmorillon, et dans
plusieurs autres bâties par les Templiers à Metz , à Reims
près Carcassonne, à Cambridge, à Nortliampton et au Saint-
Sépulcre de Londres {]). Aussi ces monuments ne datent-
ils pas d'avant le douzième siècle , et plusieurs sont du
treizième, et se sont renouvelés en certain nombre à l'épo-
que des croisades. C'est l'opinion de M. de Caumont et
s'en aperçoivent dans un inonuinent , ne doive révéler son origine
chrétienne, en dépit des fausses attributions qu'ont pu lui donner des
traditions erronées. Avec un peu d'observation et de connaissance de
l'esthétique religieuse, ou n'aurait pas cru et répété si longtemps que
l'église Saint-Laurent de Grenoble était un temple d'Esciii'qie, ni l'église
Saint-Jean de Poitiers le tombeau de Claudia Varenilla.
Le serpent d'Adam et d'Eve ressemblait à celui du fils d'Apollon et de
Coronistout autant que l'inscription latine de la dame romaine prou-
vait, unefois transportée dans une enceinte catholique, la destination
païenne qu'on s'efforçait de prêter à celle-ci. —"V oir encore Biill.monuin .,
XX, 210, et la Di -sertation de M. Schweighauser sur l'église de Saint-
Matthias de Cobern (près Coblentz), même ouvrage , t. IX , p. 1 17.
(1) Voir notre Histoire de l'abbaye et des reliques de Charroux. —
M. de Lamonneraye, de l'Institut des provinces, a très-bien conjecturé
que l'abbatiale de Charroux avait reçu la forme circulaire de son chœur
des traditions de la Palestine, et ses observations ne s'y appliquent pas
moins justement qu'à celles des autres églises sur lesquelles il avait
des renseignements précis et qu'il cite dans son excellent Essai sur
l histoire de l'architecture en Bretagne. (Voir Bulletin monuin. ,
t. XV, p. 531.) — Sauf erreur, il nous semble que Sicardi, qui était
Italien, a le premier signalé, au commencement du treizième siècle,
la l'orme ronde comme une signification de l'expansion de l'Église dans
l'univers, et comme un encouragement pour nous à tendre du cercle de
ce monde à celui de la couronne éternelle. QuiV fiunt inmodum circuli,
Eccksiam dilataiam p(-r circtilum. orhis Hfjnifîrant: unde : In fines
orbis terrse verba eorum (ps. xviii); vel quod de circulo orbis pervc-
niamus ad circulum corons œlernilatis. (Mitrale, lilj. I , cap.iv.)
^08 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
d'architectes distingués (i ) . L'Italie en a plus que nous , et
presque toujours ce sont d'anciens temples païens, donnés au
Christianisme vers le temps de Constantin, et dont les idoles
chassées furent remplacées par la Croix. Le baptistère de
Florence, ceux de Saint-Jean de Latran, de Sainte-Constance
et de Sa,mt-ÈiiQnne-le-Rond à Rome, sont de ces conquêtes
dont on s'empara d'autant plus volontiers qu'elles repré-
sentèrent fort bien l'image de cet univers (orbis), à qui le
baptême devait être annoncé comme la bonne nouvelle de
ce monde (2). S. Augustin interprète par le monde cette
roue dont parle le Psalmiste : Vox tonitrui tui in rota (3).
Le plan octo- Unc autrc raison fit établir des plans octogones, comme
gont , et sa signi-
fication mystique, aux baptistèrcs dc la métropole à Ravenne, à Sainte-Marie in
Cosmedin et à Saint-Vital de la même ville, et ailleurs. Cette
raison a échappé à M. de Lassaulx, habile architecte prus-
sien, qui attribue simplement l'existence de ces églises au
désir qu'on eut d'abord de conserver ou d'imiter plus tard,
comme plus commodes pour placer la foule, les petits tem-
ples romains qu'on destinait au nouveau culte (4). Pour qui
s'est occupé du symbolisme des nombres, il est facile
d'arriver à une explication plus élevée. On sait ce que nous
Le nombre Awi« en avous dit, l'ou pcut y recourir (5). Qu'il nous suffise
(1) M. de Caumont, Histoire sommaire de V architecture au moyen
âge, p. 96 et suiv.— Bullet. monum., IV, 460, et VII, 305.
(2) \oiT Notes surles monuments de quelques villes d'Italie, i)3LTM.'Re-
iiouvier, in-S", 1841.— Voir aussi VBistoire de Vart de M. Schnaase,
et particulièrement ce chapitre dans les Annales archéologiques^ t. XII,
p. 320.
(.3) « Euntes in mundum universum , praedicate Evangelium omni
creaturae. » {Marc, xvi, 15.) — Le monde est symbolisé par un cercle
ou une roue : Rota, orbis, dit S. Eucher {Formulai minores, n® 288), —
et S. Augustin : « Vox sacrée doctrinse quœ terribiliter sonat... in toto
mundo, quia in omnem terram exivit sonus Apostolorum. » (S. Aug.,
opp. t. IV, p. 981, éd. Bened.)
(4) Voir Ballet, monum., IX, 118.— Montfaucon, dont l'époque était
fort peu archéologique, prenait l'octogone de Montmorillon pour un
temple de druides , et y trouvait à honorer les huit dieux de leur
mythologie ! {Anliq. expliq., préf. du Supplém. I^'- vol., et t. II, p. 223.)
(5) Voir ci-dessus, t. i, ch. vi.
EXTÉRIEUR DE l' ÉGLISE CHRÉTIENNE. -109
ici de rappeler le soin qu'a toujours mis l'Édise à célé])rer est encore appii-
i ^ i J o quo à d'autres
pendant une octave ses principales solennités. C'était monuments.
comme une prolongation de la joie sainte que suscitait la
pensée de l'Éternité, et dès le temps du concile de Nicée
(en 325), un auteur inconnu dont un court traité sur les
têtes hébraïques a été retrouvé par le cardinal Pitra, faisait
observer ([ue par la grâce des sept dons du Saint-Esprit
nous arrivons à mériter les huit béatitudes (I). Le regret-
table P. Martin, à qui la* théologie ne manqua pas plus que
le sens archéologique, a parfaitement compris ce symbo-
lisme, avant même que ce fragment ne nous fût connu.
Décrivant le dôme d'Aix-la-Chapelle, élevé parCharlemagne,
il en signale le plan comme un octogone inscrit dans un po-
lygone de seize cotés (2). Cet octogone semble avoir servi de
point de départ à toute l'ornementation dont les détails
variés se reproduisent par huit, tels que les chapelles circu-
laires, fermées chacune par un chancel paré de mosaïques
contemporaines de l'œuvre. La grande couronne de lumiè-
res, donnée par Frédéric Barberousse pour être suspendue
sur la châsse, forme dans ses quatre mètres de diamètre
une rose a huit lobes, dont les angles rentrants et les parties
saillantes sont armés de petits édifices romans renfermant
autrefois huit statuettes d'argent qui ont disparu; au des-
sous, liuit plaques de cuivre représentant en ciselures les
huit béatitudes, et huit des mystères de la vie du Sauveur.
(1) « Ab omni opère malo quieti par septiformis Ppiritus gratiam in *
octavae Beatitudinis numéros pervenire mereamur. » (Anonymus, De
Solemnitaiibus, Sabbatis el Neomeniis; ap. Spicileg. Solesm.,i.l,p. 12.)
(2) Ces seize côtés, que n'explique pas ce savant antiquaire, n'en
avaient pas moins aussi leur signification mystérieuse. Snze est un
nombre sacré; il indique, en multipliant 4 par 4, la propagation de3
quatre Évangiles aux quatre points du monde. Si on le compose autre-
ment de six ajouté à dix, il symbolise la Loi parfaite, car toutes les
œuvres du Seigneur se sont accomplies en six jours et étaient parfai-
tement bonnes, valde bona, et l'usage de toutes créatures a été réglé
par le Décalogue. Tout ceci est de S. Augustin, dans son commentaire
Dt Qcncn ad lit If ravi.
>HÔ MlSTOIftE DU SYMBOLISME.
(( Des vers gravés sur les huit lobes de la rose indiquent
qu'en faisant suspendre cette couronne au-dessus du tom-
beau de Charlemagne, la pensée de l'empereur Frédéric II
et de Béatrice, son épouse, était de rendre l'image de la
béatitude du Ciel (i). )> Un fait de cette importance établit
suffisamment l'intention des édifices à huit pans. C'est
probablement dans le même but symbolique qu'on trouve
un assez grand nombre d'églises des onzième et douzième
siècles dont l'abside est ainsi coupée.
Églises hexago- Sojcz assuré qu'à Saint-Matthieu de Gobern, l'hexagone
nés, et mysticisme . , .
du nombre s*ap. a aussi pour priucipc, comuic dans un certain nombre
d'autres églises de cette forme, un sens arithmétique dont
le mystère nous est bien connu. Là se manifeste encore une
consécration des six jours du grand œuvre de Dieu. Ce
nombre six est devenu, par cela même, un symbole de per-
fection et présidait, pour ainsi dire, à l'existence du monde
resté intact avant le péché. Quand cette règle est violée par
la désobéissance du premier homme, un autre nombre six
r se retrouve dans la réparation qu'en a faite le Fils de Dieu :
c'est à la sixième heure du jour, selon la méthode ancienne
de le diviser, que le Sauveur commença le Sacrifice qui
effaçait les péchés du monde (2). Nous avons vu beaucoup
d'absides qui, au douzième siècle, l'époque hiératique par
. excellence, ont pris la forme triangulaire, ce qui amenait
naturellement au fond du sanctuaire une triple ouverture
presque toujours d'é-gales dimensions,, pour rappeler les
trois personnes divines et leur parfaite égalité entre elles :
Très sunt qui testimonium dant in cœlo {\ Joan., v, 7). —
Nous reviendrons sur ce symbole en examinant l'intérieur
de l'église.
(1) Voir une très-intéressante description de ce beau meuble et leâ
magnifiques planches qui l'accompagnent dans les Mélanges d'archéo-
logie des PP. Cahier et Martin, t. III, p. 1 et suîy., — ou l'abrégé de ce
mémoire, Bullei. monum., t. X, p. 224.
(2) Voir S. Ambroise, Commentar. in Luc, lib. V, cap. v.
EXTÉRIEUR DE l'ÉGMSE CHRÉTIENNE. ^H
D*après le plan général ainsi reconnu pour avoir son Fomiem»nts.
r 1 o r Première pierre.
langage, se sont posés les rondements qui figurent, iné-
branlables et fixes , la foi cbrétiennc, adliérant sans aucune
hésitation ni faiblesse aux dogmes de la doctrine aposto-
li([ue (I). L'église nionuinentale s'y appuie, comme TÉglise
morale, sur le Christel les Apôtres, seuls et uniques fonde-
ments possi])les de funité et de la vérité (2). C'est donc sur
cette base solide dont la première pierre, nous l'avons dit
tout d'abord , a été bénite , incisée du signe de la Croix ,
et posée dans un des angles des premières assises de l'en-
ceinte, pour y tenir la place de Jésus-Christ lui-même, que
tout fédifice devra s'élever; car Jésus-Christ , c'est la pierre
angulaire^ fondement immuable des choses divines ici-bas,
leui" commencement et leur (in, principe^ accroissement et
consommation de toute œuvre louable (3). On voit, d'après
(1) La foi repose aussi, comme les fondements, sur des vérités
cachées, dit Durant de Mende : Fides quœ est de re non visa. {Hationale,
lib. 1; mihi, p. 4.)
(2) « Fundauieulum aliud nemo potest ponere prœter id quod posi-
tum est (1 Cor., m, H).— Estis cives Sanctorum, superaedifîcati super
fundamentum Apostolorum. » {Ephes., n, 19.) — Et enfin notre pensée
à cet égard est toute dans celte autre parole du même Apôtre : « Ut
sapiens architectus, per gratiam quae data est mihi fundamentum in
ea pono.))(l Cor., m, 10.) — Tous les Pères adoptent cette explicatiou_, et,
comme toujours, ils donnent à ce symbolisme favorable (qui cache sous
ses traits matériels Jésus-Christ, la foi, les Apôtres, et même les prédi-
cateurs qui leur succèdent et continuent leur tâche) son opposition
morale dans les ruissances ambitieuses de l'orgueil humain, dans les
délectations terrestres j({u\ n'aspirent qu'aux choses basses, tout en dis-
simulant leur origine. {Spicileg. Solesm., m, 187.) — 11 est bien clair que
ce n'est aucun des sens pris en mauvaise part qui doivent s'appliquer
au sujet qui nous occupe; c'est bien plutôt de cette maison de désordres
et de passions mauvaises des âmes infidèles et réprouvées qu'il est dit:
« Orientur in domibus eorum spinaî et urticœ, et replebunlur domus
eorum draconibus. » (Is., xiii, 21.)
(3) « Domine Jesu Christe qui es lapis angularis de monte sine ma-
nibus abscissus, etimmutabile fundamentum, et Tu qui es principium
et finis sis, quaesumus, principium et iiicrementura et consummatio
ipsius operis quod débet ad laudem et gloriaiii tui nominis inchoari. »
(Pontificale roman. , pars II, De Benedict. primarii Japidis; mihiy p. 288.)
— lingues de Saint-Victor, moins connu, mais (out aussi explicite, dit
\\2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
cette importance des fondements, et par les mystères qu'ils
expriment, combien fut motivée la loi déjà si ancienne qui
conservait à toute église reconstruite ses fondements pri-
mitifs et son premier emplacement (1). C'est donc un grand
tort, de la part de ceux que l'Église charge de maintenir ses
prescriptions et leur esprit, que de négliger une règle aussi
sérieuse. Ces murs cachés, étant eux-mêmes un symbole
sacré, ne doivent pas être abandonnés légèrement à l'oubli
et à la démolition.
Murailles, Maintenant, les murs n'ont plus qu'à se construire. Quels
mystères encore! Ce vaste appareil, ^ans son ensemble,
c'est l'humanité prise par le Verbe apparaissant à la terre
et, par le seul aspect de sa Personne et de sa mission, inspi-
rant l'admiration de l'esprit et le respect de l'âme qui le
voit, à travers ces masses épaisses , humilié mais tout-puis-
sant dans le martyre de l'autel. Que si nous considérons les
aussi : « In spiritaali templo structura parietum est processus yirtu-
tum. » {De Clausi7'o oniinx, lib. III, cap. xix, opp. t. II, col. 1122.)— On
voit que la place même à donner à cette première pierre ne peut être
qu'un angle des fondements, et non pas toute autre qui ferait mentir le
texte de la Loi. Nous avons plusieurs exemples d'églises où l'on n'a
pas craint, par un arbitraire inexplicable, de poser cette pierre angu-
laire soit à la base extérieure et visible d'une colonne, soit sous
l'autel majeur, où chacun peut encore en lire l'inscription. C'est là un
abus que l'autorité diocésaine ne peut tolérer, puisqu'il va à dénaturer
le sens d'une cérémonie dont le caractère antique est tout dans la
pierre angulaire, qui est le Christ. Sicardi, Durant et tous les litur-
gistes sont unanimes sur ce point, qui vaut bien la peine qu'on le res-
pecte. Pour ne citer que le premier : « Pontifex, cruce impressa, lapidem
m fundamento ponat, juxta illud : Super hanc Petram aedificabo Eccle-
siam meam » (Matth., xvi).— 11 est clair aussi que, puisqu'on commence
l'église par le chevet, la première pierre doit se placer à l'angle sud-est,
sans quoi elle ne serait pas la première ni angulaire. Écoutons encore
Adam de Saint-Victor chantant au douzième siècle dan» une séquence
pascale :
Lapis iste nunc elcctus
In tropheeum état orectus
Et in caput anguli.
— Cf. D. Guéranger, Temps pascal, ii, 136.
(1) Voir Eusèbe, Histor. eccles., lib. X, cap. m;— notre Hist. de la
cathédrale de Poitiers, t. F, ch. i,— -et un fait analogue dans le Bulletin
monumental, t. I, p. 208.
EXTÉRIEUR DE l'ÉGLISE CHRÉTIENNE. ^^3
quatre côtés Ibrmant un parallélogramme de dimensions
plus ou moins inégales, les murs deviennent l'emblème des
quatre vertus cardinales, basées sur la foi, et non moins sur
la cbarité du Fils de Dieu ; elles enveloppent la vie spiri-
tuelle d'un quadruple rempart qui la rend inaccessible aux
attaques des mauvaises passions; ou bien on peut y voir,
avec un des plus anciens commentateurs du poète Prudence,
les quatre Évan^élistes, fondements véritables et principaux
appuis de cet édilice, qui ne s'est construit que comme une
consé(iuence de leurs enseignements (Ij.
Mais les murs se composent de pierres, et celles-ci, réu- «tieurappareu.
nies de tant de carrières différentes ouvertes en tant de
lieux divers, expriment les gentils appelés des quatre points
du monde vers Jésus-Christ, et en même temps les fidèles
prédestinés à la vie et prenant leur place dans cette con-
struction de l'Église universelle, qui se continuera jusqu'à la
lin du monde. Hugues de Saint-Victor y voit la double per-
sonnalité des clers et des laïques, dont la réunion constitue
la société chrétienne, et qui se tiennent à la droite et à la
gauche du Christ, dont le corps est figuré par la longueur
du vaisseau sacré (2). Dans les grands édifices du moyen
âge, on dispose d'abord de beaux parements taillés et polis
au centre desquels se jette une masse compacte de pierres
brutes et plus petites : ce sont, avec les maîtres de la doc-
trine participant au travail commun et soutenant la vie
sociale par l'enseignement de la vérité, les âmes moins
(1) « Per quatuor igitur frontes non inconvenienter quatuor Evange-
listas intelligere possumus, x^raisidio quorum nisi hœc domus fulciatur,
procul dubio sui ruinam patitur. » (S. Prudentii, Trecensis episcopi,
Traclalus super œdificiuub Prudentii.)— Ce Saint fut évêque de Troyes
de 846 à 861, et fit un Commentaire sur la description qu'avait faite
d'une église le poète Prudence, son homonyme du quatrième siècle. —
Cf. Spicileg. Solcsm., III, 421, où se trouve ce fragment poétique avec
une explication du saint prélat qui n'est pas moins solide qu'ingénieuse.
(2j 0pp. t. Il, col. 417 : « De duobus parietihus Fxclesiœ, clericis et
laïcis, quasi duo latera corporis unius. »
T. m. 8
lu ce.
UA HISTOIRE DL SYMBOLISME.
fortes, qui ont besoin d'appui et le reçoivent toujours du
zèle dévoué de l'Église. Mais, à quelque degré d'utilité ou
d'édification que ces pierres mystérieuses soient appliquées,
elles ne seraient rien sans la cliarité qui doit les unir, et
cette cliarité est le ciment qui relie entre elles tant de parties
naturellement séparées (1).
Les contreforts. L'égllsc matérielle étant l'image de l'âme chrétienne, ses
contreforts que nous voyons s'élever le long des murs jus-
qu'à l'entablement , et les soutenir contre la pesée des
voûtes ou les ébranlements accidentels, rendent bien l'es-
pérance qui nous élève vers le ciel et la force morale qui
nous soutient contre les tentations de la vie. Des litur-
gistes y ont vu aussi « les puissances temporelles appelées
à protéger le pouvoir spirituel de leur épée et de leur in-
lluence (2). »
La nef et sa (oi- Et k ucf elle-môme, ce vaste espace allongé qui paraît
unique, lors môme qu'à l'intérieur il est accompagné de
nefs secondaires, parce' qu'une seule toiture ordinairement
recouvre le tout, cette nef n'a-t-elle pas la forme générale
d'un vaisseau, comme son nom l'exprime, et ne reproduit-
elle pas sur la mer de ce monde l'arche salutaire où la
famille des hommes évita le déluge sous la protection de
Noé (3) ? Il n'y a pas jusqu'à la toiture qui ne nous figure
par sa hauteur la sublimité de la contemplation, et ne nous
engage à y demeurer avec Dieu en dehors des affaires du
monde , comme le prophète se comparait au passereau
demeurant solitaire sur le toit qu'il s'est choisi (4) . C'est pour-
(1) Cf. Durant, Ration, divin. Offlc, lib. I, De Ecclesia et ejus par-
tibus; inihi,î^ 3;— M. l'abbé God-àrd-^fiint-JeSin, Essaisur le symbolisme
architectural, dans le Ballet, monum., t. XIII, p. 408.— C'est S. Paul
qui a dit (1 Cor., xiii^ 2) : Charitatem si non hahuero, nihil sum.
(2) L'abbé Ricard ^ Résumé du sijmbolisme architectural , dans la
Revue de Vart chrétien, 1. 111, p. 61; et tous les symbolistes.
(3) Voir l'opuscule de Hugues de Saint-Victor^/^e Arca Noe mystica,
opp. pars II, col. 681 (Migne).
(4) « iSicut passer solitarius in tecto. » (Ps., ci, 8.)
EXTÉRIFA'R DE l/ÉGLISE CHRÉTIENNE. M 5
(Iiloi S. Mélitoii, et après lui l'Anonyme anglais du douzième
siècle, nous l'épètent cette parole du Sauveur : « Que celui
qui est sur le toit de sa maison n'en descende pas, quand
viendra le jugement dernier, pour y rien prendre,» la
pensée de Dieu devenant alors la seule vraiment digne
d'attention (I). On en a fait aussi le symbole de la charité,
qui couvre la multitude des péchés, car c'est dans cet inté-
rieur, protégé contre les intempéries du monde visible, que
le cœur , après s'être régénéré dans l'onde baptismale ,
vient se puritier encore dans celle de la réconciliation, et
jeter sur ses fautes un voile que nul ne déchirera jamais (2).
C'est là que le manteau de l'Église met ses enfants à l'abri
de la vengeance céleste. Il y a plus: les tuiles mêmes ou les
ardoises qui recouvrent la charpente et la gardent contre
les pluies , la grêle et les autres inconvénients de l'at-
mosphère, sont regardées comme autant de soldats pré-
posés à défendre l'Église contre les païens, les hérétiques et
ses autres ennemis (3j.
Bien au-dessus de ce tout si éloquent, s'élèvent, dans leur i^es tours et les
. clochors.
élancement aérien, les tours romanes, les flèches gothiques,
dont les formes ajoutent à l'auguste majesté et à la gra-
cieuse beauté de l'édifice. D'abord, c'est du centre et d'au-
dessus du transsept qu'elles semblent porter à Dieu l'hom-
mage de la prière universelle , et comme cette portion de
(1) « Tectum, iDtentio cœlestis operationis (S. Melit. Clavis, cap. xi,
n» xvi). — Tectum sublimitas est contemplatiouis; uncieistud : Qui in
tecto est non descendat tollere de domo sua quidquara (Malth., xxiv,
17); quia qui in otio est vitse contemplative, nuUius terreni commodi
causa descendere débet ad laborem vitœ activas. » (Distinct, inoîiasl.,
lib. V, De Tecto.)
(2) « Tectum , charitas , quae operit multitudinem peccatorum. »
(Durant. Mimât., ubi suprà.) — Voir encore, pour le résumé de tous
ces aperçus ra[tides mais sûrs, Beautés du culte catliolique3^a,v M. l'abbé
Raffray, 1. 1, p. 123.
(3) « Tegulae tecti quae imbrem a domo pellunt, sunt milites qui
Ecclesiam a paganis et al» ho^libus protegunt. » (Dur. Mimât.; mihi,
Huhrica i.)
JiH) HISTOIRE UU SYMBOLISMK.
l'église, qui représente par son plan cruciforme le Sauveur
crucifié, correspond à la poitrine de Tauguste V'^ictime, on
voit tout de suite l'analogie qui s'est présentée aux symbo-
listes quand ils ont fait du clocher et des cloches elles-
mêmes le symbole des prédicateurs, dont les voix, écho de la
Voix divine, expression des enseignements du Cœur divin,
ont épanché de si haut sur le monde la grande pensée de la
foi intime et de la piété en action. N'est-ce pas aussi la vigi-
lance pastorale qui se révèle au monde par cette élévation
des tours et des flèches dominant les villes et les campa-
gnes, portant le signe de la croix qui les surmonte aussi
loin que le regard peut le saluer, et rappelant aux âmes que
les pasteurs veillent pour elles dans leur solhcitude active
et dans la prière de leur cœur? La parole sacrée est donc
naturellement figurée aussi par ces élégantes portions du
saint monument, car elle protège et défend comme une
tour fortifiée ; elle proclame sur les toits les vérités annon-
cées d'abord à un petit nombre, et dont le silence laisserait
retomber le monde dans la nuit de l'erreur et les incerti-
tudes de la philosophie païenne (^l) ; enfin, on a voulu en-
core , par ces appendices si magnifiques et si dignes d'at-
tention, indiquer l'Église même, qui remplit toutes ces fonc-
tions près de nous, et la S^e Vierge, qu'on voit toujours dans
les allégories où l'Éghse est engagée avec le même caractère
et les mêmes attributs (2).
(1) «Turres ecclesiee praedicatores suntet praelati, qui sunt muDiraen
et defensio ejus. Uûde Sponsus ad Sponsam in canticis amoris sic lo-
quitur : Gollumtuum sicut turris David cum propugnaculis.» (Durant,,
Ration.; mihi, f» m.)— Pierre de Capoue a développé tout cela fort net-
tement, ad. litler. xix, art. 101.
(2) « Turris, Virgo Maria, vel Ecclesia : Et tu sicut turris gregis per-
feeti, nebulosa fiiia Siou {Mich., iv, 8). Quidam autem hanc turrim Vir-
ginem Mariam intelligunt. » (S. Meliton. Clavis, De Givitate, cap. xi,
no 5.) — Et le même Pierre de Capoue : « Turris illa cœlestis, id est
Virgo Maria, construcla est ex lapidibus etiam politis, id est sanctis
personis quaeponantur ingenealogia ipsius... A Deoerecta est hsec tur-
ris, et ascendit in altum, ut in utero suo susciperet Unigenitum Dei
Yerbum manens in sinu Patris. » (Petr. Gap., ubi suprà.)
EXTÉRIEUR DE l/ÉGLISE CHRÉTIENNE. ^^7
Au point culminant, voyez encore, s'élevant même ylZ.^^"^-' '"'■^''1'
r ' j ' diverses signinca-
au-dessus de la croix (I), dont son chant semble annon- tio^s-
cer le triomphe , l'oiseau, que , dès le cinquième siècle,
S. Eucher , et après lui tant d'autres autorités avouées,
citait dans ses Formules au nombre des symboles de
la surveillance zélée , de la prédication pastorale et de
(i) Cette place au-dessus de la croix fut, en 1859, le sujet d'une polé-
mique eutre M. Joseph Bard, de Lyon, qui, pour être archéologue, n'en
traitait pas moins de travers beaucoup de questions liturgiques em-
brassées par lui sans une instruction suffisante , et tous les journaux,
de quelque opinion qu'ils fussent en politique, se rangèrent contre lui
d'une voix unanime. Mgr Crosuier, vicaire général de Nevers, le réfuta
victorieusement dans un mémoire où la vivacité du style n'ôte rien à
la solidité des raisons, et dans lequel, tout en =.'appuyant sur les textes
originaux des Docteurs dont s'autorisent les symbolistes modernes, il
cite tour à tour S. Ambroise, S. Grégoire le Grand, le V. Bède, Hono-
rius d'Autun, S. Bouaventure, Durant , Altiati, Aringhi; puis il venge,
contre les appréciations plus que hasardées de M. Bard, le célèbre
évêque de Jlende, qui, suivant sa bonne habitude , explique pourquoi
le coq doit surmonter la croix :« Vjrga ferrea in qua gallts sedet,
rectum représentai pr.vrticanli's sermonem vl non l quatur ex spi-
rilu hominis, sed Uei,juxla illud : Si quis loquitur, quasi sermones
Dei. Quod vero virga est supra crucem sea summitatem ecvlesix po-
sita, innuit sermonem S'ripturarum consummalum. esMe et confirma-
tum; unde Domiaus in passione : Consummatum est. » {Ration.; mihi,
f" III.) — Il suffit évidemment de ce passage pour établir solidement
qu'au treizième siècle on faisait ainsi et l'on raisonnait l'usage préféré;
et, s'il n'y a pas de loi positive imposant aux architectes cette place à
donner au coq, on voit qu'il y a des raisons valables pour ne pas la
lui ôter, et, qui plus est, beaucoup d'exemples, comme nous en avons
remarqué en beaucoup de lieux, en Normandie, en Poitou et ailleurs.
Ce qui est indubitable, c'est que le coq en lui-même a été prescrit
au sommet des clochers par des statuts diocésains et des canons des
conciles. Le Pastoral de Ghâlon-sur-Saône (IV" part., tit, m, ch. xxii)
le recommande absolument; S. Charles Borromée le veut aussi dans ses
Instructions (liv. II, ch. xxvi) prescrites à tout son clergé; il est vrai
qu'en requérant en cela l'observance du mystère symbolique, ut mys-
terii ratio pnslulat, il n'exige pas que le coq domine la croix ; il
suppose môme, d'après plus ou moins d'exemples de son pays, ou peut-
^tre parce qu'il n'avait pas eu occasion de se préoccuper du contraire,
que la croix doit être appuyée sur le coq : mais ce fait ne peut infir-
mer notre argumentation en général. On aura plaisir, du reste, à étu-
dier cette intéressante question dans les mémoires déjà cités, auxquels
il faut ajouter, comme étant l'un des plus concluants, celui du savant
vicaire général de Nevers^ Dullel. inonum., X\, 577.
us HISTOIRE DU SYMBOLISME.
l'apostolat évangélique, de Texcitation matinale à sortir
d'un sommeil, image de la mort, « revêtu de sa parure
d'or , résistant à tous les souffles du vent, qu'il brave sans
défaillance ; plus rapproché du ciel qu'aucune des parties
du saint édifice, caché môme souvent dans les nuages qui
s'abaissent jusqu'au-dessous de lui. Cette admirable créa-
ture de Dieu est l'intelligente figure de ce prêtre qui pré •
side au soin de la paroisse et se pose en sentinelle contre
les irruptions plus ou moins prochaines du mal ; elle rap-
pelle également au troupeau qu'il faut songer aux choses
du ciel, aimer la conversation des Anges et secouer toutes
les atteintes des paroles qui offenseraient le Seigneur (1). »
(1) Tous nos amis du moyen âge, S. Eucher, Pierre de Capoue, Ra-
ban-Maiir^ S. Grégoire, Pierre le Chantre, l'Anonyme anglais et celui
de Clairvaux, enfin S. Eucher et Honorius d'Autun, nous ont laissé
d'admirables commentaires sur la valeur symbolique de cette « admi-
rable créature de Dieu , » dont le rôle , contesté par quelques archéo-
logues moins éclairés , a été savamment défendu par d'autres mieux
inspirés et plus instruits. C'est pour les premiers que semblait écrire
l'auteur inconnu d'un poème trouvé dans un manuscrit de la cathé-
drale d'OErhingen. On croit ce manuscrit des premières années du
quinzième siècle, mais nous croyons personnellement le poème plus
ancien par sa facture et la tournure générale de sa versification. Nous
empruntons ce fragment à l'excellent livre de M. Bordeaux, que nous
avons déjà loué plusieurs fois {Principes (Varchéologie pratique ,
part. II, ch. m) :
Multi sunt presbyterî qui ignorant quare
Super domum Domini gallus solet stare ;
Quod propono breviter vobis explanare
Si vultis benevolas aures mihi dare .
Gallus est mirabilis Dei creatura,
Et rara presbyteri illius est figura
Qui prœest parochiae animarum cura,
Stans pro suis subditis contra uocitura.
Supra ecclesiam positus gallus contra ventum ,
Caput diligentius erlgit extentum ;
Sic sacerdos ubi scit dœmonis adventum,
Illuc se objiciat pro grege bidentuui.
Gallus inter caetera altilia cœlorum
Audit super sethera concentum Angelorum ;
Tune monet nos cxcutere verba malorum,
Gustare et percipere arcana supernorum.
Voir encore Spicileg. Solesm., II, 488; — Bullet. monument., t. XI,
p. 158, 162, 199 ;XiII,358 ; XIV, 216, 290, 500, et beaucoup d'autres mé-
EXTÉRIKIK l)i: l'K(;LISE CHKÉTIENNK. M 9
On sait romhion la place assignée aux clochors avarié ,.î''«»™';^ •»"'/'
* c? pliees des clo-
pendant les phases diverses du moyen âge. A de légers cam- chers;
paniers figurant une ou deux arcades, quelquefois trois
dont une superposée aux autres, et assez économiquement
ornementées de quelque colonnes passablement simples, on
voit succéder en plus grand nombre, au onzième siècle, ces
loui's carré(^s ou pol\ gones qu'une raison mystique dressa
au-dessus de la croisée de l'église (d); on les vit bien aussi,
en c(» temps, se poser au-dessus de l'entrée, où leur base
forma un porche ou nartex,et remplaça l'antique parvis pour
les néopiiytes et les pénitents. C'est là encore que doivent
s'arrêter les enfants qu'on présente au baptême, jusqu'après
les exorcismcs qui, en les délivrant de la puissance de Satan,
moires de cet intéressant recueil, cités dans nos Tables analytiques,
t. I, p. 89, et II, p. 175 ; — enfin Hugues de Saint-Victor, qui, dans son
Spéculum de mysteriis Ecrlesix, cap. présume tous ses devanciers et
semble avoir été copié littéralement par Durant de Mende, ce qui lave-
rait celui-ci des rigueurs de certains puristes, et l'autorise, au contraire,
dans les prétendues subtilités qu'ils lui reprochent. — Mais nous indi-
quons surtout un très-bon Mémoire de M. l'abbé Barraud , dans le sei-
zième volume, p. 277, de ce même Bulletin ;— et le Rational de Durant :
« Gallu? supra ecclesiam positus praedicatores désignât... Profundœ
noctis pervigil horas ejus cantu dividit; dormientes excitât, diem ap-
propinquantem praecinit , sed prius seipsum alarum verbere ad can-
taudum excitât. Haec singula mysterio non carent. Nox enim est hoc
sœcuhim; dormientes sunt filii huj us noctis in peccatis jacentes. Gallus
significat praedicatores, qui distincte prsedicant, et dormientes excitant
ut abjicinnt opéra tenebrarum clamantes: Vx dormienlibusl exsurr/e
qui dormis! lucem venturam pronuiitiant dum diem judicii et futurani
gloriam pncdicaut, et prudenter, antequam virtutes aliis praedicent,
se a sumno peccati excitantes corpus suum castigant. » (Ubi suprà ,
!'• m.) — Voir enfin Hugues de Saint-Victor, Spéculum de mysteriis Ec-
clesix, cap. i (Migne, t. CLXXV^II).
(1) Celte raison est tirée de la ressemblance qu'on avait voulu trouver
entre le transsept de l'église et la poitrine du Sauveur crucifié. En pla-
çant au-dessus de cet espace la tour d'où s'échappait la voix sym-
bolique de la cloche, c'était comme du cœur même du Christ ((ue pa-
raissait sortir cette prédication aérienne. — Nous ne savons plus d'où
nous vient cette explication, mais nous la tenons de nos études, et
nous la trouvons très-naturellement déduite des principes posés ci-
dessus.
!20 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
leur donnent le droit de s'avancer vers les fonts pour y rece-
voir le titre auquel ils aspirent. C'est donc une place d'au-
tant plus normale assignée au clocher, qu'en la lui choisis-
sant on ne s'est presque jamais départi d'en ajouter un autre
enté sur le transsept et portant une sonnerie moins solen-
nelle.
leur place nor- Hs'cu faut qu'aux époqucs suivautcs Ic postc qui Icur cst
maie, trop souvent . , . , , , , .
dérangée. douné corrcspoude aussi bien a une pensée théorique. Si
l'on suit encore, aux douzième et treizième siècles, les belles
traditions qui consacrèrent les temps hiératiques ; si alors
on avance les tours qui se doublent sur la façade de l'église,
comme pour en faire une sorte de rempart mystérieux et
de défense symbolique à la Jérusalem nouvelle, on aban-
donne bientôt ces considérations précieuses qui complé-
taient si poétiquement le plan de la Cité divine, et le sym-
bolisme, en s'en allant, laisse à l'ignorance dédaigneuse le
choix du point si important où s'élèveront ces organes si
éloquents des rendez-vous catholiques. Dès lors, on les voit
promener leurs incertitudes du nord au midi; nous en
avons vu même, par un oubli incroyable des plus sérieuses
considérations, appliquées de nos jours à l'abside d'une église
romane, retouchée en grande partie au quinzième siècle :
tant il est vrai qu'une fois un principe -abandonné, il n'est
pas d'absurdité dont l'intelligence humaine ne soit ca-
pable! S. Charles (mais il vivait à une époque où presque
toutes les églises ne se construisaient plus que sous l'in-
fluence des nouvelles données) écrit nettement que le clo-
cher doit se construire au-dessus de V atrium ou porche, et,
s'il n'y a pas de porche, à main di'oite de la porte d'entrée,
en observant de le séparer tellement de la masse de l'église,
qu'on puisse facilement circuler autour de lui {\). On ne
voit pas trop la raison de cet isolement qui détache du tout,
sans aucun profit pour la grâce monumentale, un annexe
(l) s. Caroli Jusiruct., pars II, cap. xxvj.
EXTÉRIEIIK DE LÉGLISE CHRÉTIENNE. VU
qui en est inséparable. Le service des cloches n'en pouvait
être plus commode, et l'architecture y perdrait un de ses
effets les plus gracieux. Nous aimons mieux, quoique nous
n'en voyions pas la raison symbolique, ces puissantes et
majestueuses masses flanquant l'un des côtés de l'édifice,
comme on l'a liiit souvent depuis le treizième siècle : elles y
contribuent au moins à la grandiose idée que doit tou-
jours donner d'elle-même la maison de Dieu.
Mais les voix sonores qui s'échappent de ces hautes sta- Los^ciochcs.
tions partagent avec elles le droit d'exprimer des choses
saintes. Comme Moïse avait donné aux prêtres des trom-
pettes d'argent dont ils devaient sonner pendant le Sacrifice
pour y réunir les tribus, et pendant sa durée afin d'exciter
leurs adorations ; comme féclat retentissant de cette mu-
sique sacrée, continuée devant l'arche d'alliance, fit tomber
les murs d'une viUe rebelle, il fallait au nouveau peuple de
Dieu un moyen de s'unir aussi dans une commune pensée,
de manifester ses triomphes sur l'ennemi des âmes, et de
marcher ensemble pour les combats de son voyage vers la
terre promise (I). Les cloches, d'abord si modestes par leurs
formes restreintes, devenues, dès le dixième siècle, bien plus
(1) « Deus qui per beatum Moysen... tubas argenteas fieri praBcepisti,
quibus.dum sacerdotes tempore Sacrificii clangerent.sonitu dulcedinis
populus monitus ad Te adorandum fieretpraiparatus, etadcelebranduni
sacrificia conveuiret , quarum clangore hortatus ad bellura molimina
prosterneret adversantium... ; Deus, qui ante arcam fœderis per clan-
gorem tubaruna rauroslapideos, quibus adversantium cingebatur exer-
citus, cadere fecisti, Tu hoc tintinnabulum cœlesti benedictione per-
funde , ut ante sonitum ejus longius effugantur ignita jacula inimici,
percussio fulminum, impetus lapidum, lœsio tempestatum...» (Pontif.
roman., De Benedictione campanaî, /7r7.v.sim.) — On volt que l'Église de-
mande ici, par le son delà cloche, l'éloignement et l'innocuité des
orages; mais bien entendu qu'KUe n'entend pas, avec cette physique
de fort bon aloi,et quoi qu'eu aient dit quelques docteurs qui n'ont
pas de plus grande joie ({ue de la contredire, favoriser les superstitions
elles maladresses dont on voit tant de victimes dans nos campagnes,
lorsqu'en dépit des enseignements, et oppositions du curé lui-même,
des paysans, imbus d'une routine entêtée, s'obstiueut à fendre, au lieu
de l'éloigner, la nuée d'où la foudre se précipite et les écrase.
^22 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
considérables (I ), et dont la fonte habile est enfin parvenue à
faire d'énormes chefs-d'œuvre, ont aussi leurs sens multiples
et populaires, comme le dit un archéologue de mérite, et que
le monde profane est peut-être fort peu disposé aujourd'hui
à recevoir sans sourire (2). Il n'en faut pas moins accepter,
avec les maîtres delà science, des interprétations dont nous
savons du reste comment apprécier la raison et la force.
Symbolisme do Volcl douc cc ouc discut Hugucs de Saint-Victor, le savant
leurs moindres i i- i • i
parties. cucyclopédiste du douzième siècle , et , à sa suite, beau-
coup de hturgistes plus rapprochés de nous : « Les clo-
ches, dont les sons éclatants convoquent le peuple à
l'église, sont la signification mystique des prédicateurs.
Fermes comme le métal, ces grandes voix se multiplient en
proportion de la multiplicité de leurs œuvres. Le battant est
comme leur langue qui, frappantaux deux bords, annonce àla
fois les vérités des deux Testaments. Le mouton de la cloche
qui la tient en suspens, c'est la croix ; les bandes de fer qui
rattachent l'une à l'autre sont la charité, que le prédicateur
ne ressent jamais mieux pour son auditoire que s'il est épris
de Jésus crucifié. La corde, toujours agitée, est la vie surna-
turelle et l'humilité du prédicateur. Comme elle, il s'élève
jusqu'à Dieu par la pensée, redescend jusqu'à son auditoire
par la parole, qu'il lui choisit simple et douce : l'Apôtre n'a-
t-il pas dit aux Corinthiens : « Soit que nous nous élevions
vers Dieu, soit que nous redescendions vers vous? » — Enfin,
les nœuds de la corde , ou l'anneau final qui en facihte
(1) Ou a des preuves historiques des progrès qu'avait faits l'art du
foudeurde cloches.bieii avant cette époque. Il est mention dans les
Actes de S. Pirmin, évêque régionnaire d'Al'einagne,morten 738, d'une
cloche remarquable par sa matière , sa grosseur et la beauté de ses
sons : « Campanum , quod ob electae materiae massam , et rite mixti
metalli temperaturam , magnam liabuit sonoritatis elegantiam , ora-
torio almo auferri... prœcepit... » (Mabillon. Annal. Ord. Bened. ,
saec. VIII. — Apud Novarini Schediasmata sacro-profana_, p. 29.)
(2) M. l'abbé Godard, Essai sur le symbolisme archilectural des
églises, Bullet. monum.,Xlll, 408.
EXTÉKIEUH DE l'ÉGLISE CHRÉTIENNE. 423
l'usage , c'est la persévérance à annoncer la vérité ou la cou-
ronne qui en sera le prix (I).
Ces hautes sianilications ont été adoptées par tous les Estime qucn fait
liturgistes : l'évèque de Mende ne les a pas négligées, et y
ajoute, dans nn chapitre spéciale de son livre, des dévelop-
pements aussi ingénieux qu'attachants (2). De là on com-
prend quel cas l'Église a toujours fait des cloches, et pour-
quoi elle en consacre l'usage par des hénédictions solen-
nelles. C'est la doctrine des maîtres qu'elle y confesse par
ses prières et ses chants ; et il n'est pas sans utilité à certains
esprits avances^ qui la regardent comme un peu arriérée, de
puhlier ([u'aucune des ^ ieilles croyances de nos pères sur
la cloche, ni les raisons de ses divers usages, ni les effets qu'on
a le droit d'en attendre, ne sont aholis dans les rituels ou
fornuilaires catholiques. Ce qu'on prétendait au moyen âge ^i^'H"^ '"y^té-
* ^ ' ^ '^ rieubcs de leurs
des vertus de ces sons mystérieux envoyés dans les airs sons.
contre les esprits mauvais qui y suscitent les tempêtes, les
tonnerres et toutes les calamités qui les suivent (3) ; cette
(1) « Gampanœ, quarum sonoritate populus ad ecclesiam convo-
catur, praedicatores mysticant , qui, quia ad inulta sunt necessarii ,
multis designantur vocabulis. Plectrum, quod ex utraque parte souuiii
elicit, lingua praedicatoris est, quae utrumque Testauaentum resonare
facit. Lignum, unde peudet carapaaa , crucem significat; ligatura cha-
ritatem, per quam proedicator cruci adstrictus gloriatur, juxta illud :
Mihi aulem absit gloriarinisi in cruce (Gai., vi). — Chordavita est et
huniilitas praedicatoris. Unde Apostolusqui propter alios eondescendit:
Sive excedimus propter Deum , sive condescendimus propter vos
(2 Cor., V, 13). — Anuuli, lu Une, perseverantia vel corona praemii. »
(Hug. à S.-Vict. Spéculum, ubi suprà.) — Nous avons cité ci-dessus,
t. II, p. 521, les mêmes termes , quoique abrégés, de Jean Béleth,litur-
giste du douzième siècle, et uu autre passage de Hugues de Saint-Victor.
(2) Lib.I, Rubrica iv, Ralinn. div. Ô/yïc.— Il peut se faire qu'on trouve
tout cela plus édifiant et plus ingénieux que solide, comme le dit
M. l'abbé Lecanu {Histoire de Saian , p. 2G1). Mais encore une fois,
ces efforts mêmes de quelques liturgistes, et (ju'il ne faut pas attribuer
seulement à Durant , puisque nous lui voyous bien d'autres complices ,
prouvent cerlainemeut que le symbolisme existait en ce temps dans
tous les esprits, et nous aurons oi;casion d'établir que M. Lecanu a été
trop loin, dans un sens contraire, quand il a nié la plupart des ensei-
gnements mystiques de nos pierres sculptées.
(3) C'est la croyance universelle de l'Kglise : que le son des cloches
Rites de leur
baptême.
124 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
joie des Anges mêlant leurs cantiques célestes aux saintes
émotions de la foule quand les modulations aériennes l'ap-
pellent aux solennités du Temple ou s'y mêlent aux accents
du Magnificat et du Te Deum., tout cela vit encore comme
aux jours de foi simple et fervente, où furent rédigés les
Eucologes et les Pontificaux (^). Ce sont autant d'assertions
que l'Eglise répète en bénissant ces vases admirables (hoc
vasculum) que le Pontife lave d'eau consacrée, qu'il honore
est utile à repousser la grêle, la foudre et les tempêtes qui les accompa-
gnent. Trop souvent on a répété que c'étaient là autant d'effets naturels
dus aux sons fortement réitérés del'airain agité dans les airs, et séparant
les nuages amoncelés sur les moissons ou les villages qu'ils menacent.
Dans la pensée liturgique, ces fléaux ne cèdent en réalité qu'à la prière,
à laquelle la cloche invite alors les fidèles, à l'usage d'un instrument
béni qui a de lui-même sa vertu propre et comme des effets sacra-
mentaux. C'est dans ce sens que les conciles en ont parlé , et c'est une
des raisons qu'ils donnent des cérémonies sacrées dont s'entoure la
bénédiction des cloches. (Voir Concil. Mediol., tenu par S. Charles
en 1576, constit. la part., de oratione; — Concil. Coloniens. ann. 1536,
De constitut. ecclesiee, art. 4.) — Ces excellentes vues n'empêchent pas
l'abus qu'on fait trop souvent dans les campagnes de ce moyen, qui,
pris trop strictement par suite de fausses opinions populaires, et sans
égard au principe chrétien, attire et fait éclater le danger qu'on voulait
éloigner. Les choses saintes doivent se traiter saintement, et Dieu ne
s'oblige pas à des miracles de sa bonté en faveur d'actes purement hu-
mains où l'on prétend ne se servir que de la matière. En pareil cas ,
la matière n'opère que selon sa nature ; et ce qu'il y a de plus simple
et de plus naturel quand on sonne en volée pendant qu'un nuage flotte
sur l'église qu'on eu veut préserver, c'est précisément que les ébran-
lements violents de l'atmosphère produisent l'effet contraire et soient
la cause immédiate de grands malheurs. Les exemples n'en manquent
pas, et seraient bien plus rares si l'on se contentait en pareil cas de
tinter pour exciter à une prière commune.
(1) « Domine..., ubicumque sonuerit hoc tintinnabulum, procul re-
cédât virtus insidiantium , umbra phantasmatum , incursio turbinum ,
percussio fulminum, lœsio tonitruorum , calamitas tempestatum ,
omnisque spiritus procellarum. Et cum clangorem illius audierint
fîlii christianorum , crescat in eis devotionis augmentum , ut festi-
nantes ad pise matris gremium, cantent Tibi in Ecclesia Sanctorum
canticum novum, déférentes in sono prseconium tubœ, modulationem
psalterii, suavitatem organi, exsultationem tympani, jucunditatem
cymbali; quatenus in templo sancto gloricc tuai suis obsequiis et pre-
cibus invilare valeant multitudinem exercitus Angelorum.» [Pontificale
TOmanum, De Beuedictione campante, passim.)
EXTÉRIEUR DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE. 425
d'onctions mystérieuses, soit avec l'huile des infirmes pour
effacer du métal les souillures que le péché originel a com-
muniquées à la matière, soit avec le Saint Chrême pour lui
imposer une sainteté qui le rende plus digne de son ohjet;
puis des encensements lui sont donnés dont la fumée ahon-
danle remplit l(î n ide entier de l'instrument glorieux de tant
de grâces. N'est-ce pas lui qui annoncera par de joyeuses
volées que des milliers d'âmes sont nées à l'Épouse du
Christ; qui par ses lamentations pourvoira aux secours
de la dernière heure de riiomme ; qui se mêlera à toutes
ses fêtes rehgieuses , et, par ses accents périodiquement
répétés, ou réitérés aux plus subUmes moments du Saint
Sacrifice, avertira, auprès et au loin, tout cœur fervent de
redire la Salutation angélique, ou de s'unir au cœur du
prêtre immolant la sainte Victime, aux chants d'actions de
grâces qui la célèbrent et aux supplications qui l'implo-
rent ? Tels sont les motifs qui ont fait des cloches un des
plus magiiitiques auxiliaires du culte; aussi l'Église n'a
rien omis dans les honneurs qu'elle leur rend de ce qui
peut relever leur dignité et en inspirer le respect. C'est
pourquoi leur bénédiction a certains caractères d'un bap-
tême: le signe de la croix leur est imposé et fait corps avec
leur matière précieuse ; elles reçoivent un nom que des par-
rains et marraines leur donnent; elles sont revêtues, pen-
dant leur inauguration, de la robe blanche des néophytes ;
on chante des psaumes de joie, auxquels viennent bientôt
se mêler leurs premiers accents. La cloche, en un mot, est
presque une personne, car elle ne se séparera plus de la
personnalité humaine; elle est comme son âme, amie et
dévouée, qui exhalera entre la terre et les cieux toutes les
émotions de la vie et de la mort.
Avec tout ce qui précède, l'extérieur de notre église n'est symbolisme de*
sculptures mu-
pas encore complètement apprécié. Ces murs, cette laçade, raies.
ces clochers eux-mêmes, ont leur parure et leurs beautés
de détails, dont le symbolisme est aussi vivant que partout
126 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
ailleurs. Que font au-dessous de ces entaJ)lements et de ces
corniches ces longues rangées de figures animées, aux ex-
pressions si diverses , aux poses si variées et parfois si
Variété de hurs étraugcs ? pourquol ces chapiteaux imposés aux colonnes
ïft. ™ plus ou moins élancées qui servent de contreforts à l'abside,
ou à d'autres qui, plus légères, semblent soutenir, adroite et
à gauche des fenêtres, les ordres successifs de la construction,
se parent-ils de tôtes qui rient , qui pleurent , qui grincent
des dents, qui se doublent sur un seul corps; qui, tenant de la
nature humaine , s'associent à un quadrupède, ou, par un
caprice contraire, relient la face d'un lion, d'un léopard ou
d'un oiseau au torse et aux jambes d'un chevalier ou d'un
moine, d'une femme ou d'un enfant? Nous dirons les signi-
fications multiples de ces singulières natures... D'autres se
présentent encore dont nous avons pu voir déjà le but sym-
bolique et le rôle avoué de tous. C'est le moment de nous
en expliquer. Ici nous voyons une chasse, et un sagittaire
perce de son trait un cerf qui l'emporte dans ses flancs ; là,
comme à l'abside de la cathédrale d'Angouleme, au milieu
des feuillages un autre cerf fuit à toutes jambes devant un
chien, et trouve un autre chien qui lui coupe le passage : c'est
l'âme faible et poursuivie de part et d'autre par ses ennemis
acharnés, se jetant de périls en périls : ceux-ci profitent de
sa timidité pour la perdre. Le bas-rehef du douzième siècle,
très-bien exécuté, est borné, de droite et de gauche, par deux
bons dans l'attitude de fimpassibilité ; ils regardent cette
scène sans en être émus et d'un air de majesté calme qui rend
bien, avec leur pose, l'état contraire de l'âme que fortifient
sa foi et son espérance (1). Ailleurs, une meute haletante
poursuit un lièvre innocent qu'elle va atteindre peut-être,
mais qui fuit vaillamment et pourra bien échapper aux
dents qui le menacent : n'est-ce pas encore cette autre âme
qui, plus avisée, évite la chute en fuyant devant la tentation?
(1) Voir BvUet. moniim., XIII, 353, 356; XV , 574; XIX, 141.
EXTÉRIEUR DE l'ÉGLISE CHRÉTIENNE. 427
Le singe sans pudeui-, le serpent astncieux, le chien refrogné
se trouvent réunis comme en un congrès équivoque de mal-
faiteurs privilégiés, pendant que, d'un autre côté, on remar-
que une pacifique série de mines gracieuses, de joyeux
volatiles, de Heurs épanouies, et jusqu'à des anges aux
grandes ailes éployées essayant, dirait-on, sur mille instru-
ments les louanges de Dieu et l'expression , suave comme
leurs traits, de leur éternelle béatitude!
En effet , ces hôtes des recoins obscurs des saintes savantes th^o-
murailles, ou de leurs protîls qu'éclaire le soleil de œuvrot,-^^
cha([ue jour, sont là comme autant de sentinelles pour
crier au passant de la vie humaine une leçon de vertu,
jusque dans les vices dont quelques-uns se font l'emblème
liideux. Ceux-ci apparaissent au côté nord de l'édifice ;
ils naissent d'un souffle de Satan, dont le cœur, privé
de l'amour de Dieu , inspire le froid de la mort à ses
suppôts avec ses affections coupables (I ). Au midi, les créa- leur distribution
calculée au sud et
tures bénies qui se réchauffent au soleil de justice, et pro- »« »or<L
duisent des œuvres pleines d'amour et de fécondité. M. de
Roisin, dans sa Description de la cathédrale de Cologne, atrès-
bien fait remarquer cette distinction, qu'avait signalée avant
lui M. Boissérée, aussi judicieux en cela qu'éminent archi-
tecte. Il y a plus: on a semé ordinairement moins de sculp-
tures sur ce côté fatal ; et, si d'assez nombreuses exceptions
se firent à ce qui nous semble , sur ce point, une règle bien
arrêtée, ce n'a été qu'à condition d'y installer le péché et
le vice exerçant leur redoutable empire sur les âmes qui les
préfèrent au bien.
On ne s'est pas départi de ce système pour le dehors de l'ab- Di^monoio^ie.
side. Comme, à l'intérieur, l'autel et le Saint des Saints repo-
sent le plus souvent dans l'hémicycle qui en est formé, et que
là se trouvent avec Lui de charmantes images qui l'y hono-
(1) Nous avons exxjliqu»^ ci-desus, t. Il , p. 200, 442 et 452, cette diff»'-
rence «le l'aquilon et du ?ud , et ses motifs symboliques.
-128 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
rent, à l'extérieur le démon semble s'y installer de préfé-
rence, et c'est lui, nous l'avons dit, qui, à la cathédrale d'Aii-
goulcme, à Saint-Pierre de Ghauvigny et bien ailleurs, se
déguise en chasseur pour faire sa proie des pauvres bêtes
qui, il faut leur rendre cette justice, détalent de toutes leurs
jambes à son aspect. Il est vrai aussi que, tout près de là,
l'auguste Patron de cette dernière collégiale se présente de-
bout avec ses deux clefs, comme pour protéger la faiblesse
des victimes contre la puissance du fort armé. Ici donc la
pensée est complète, et l'âme qui fuit l'ennemi ne manque
jamais du secours d'En-Haut.
Les vices ot les ^gg vlccs ct Ics vcrtus sc soiit fait une vie considérable
vertus.
dans l'ornementation du saint lieu : tour à tour ou simul-
tanément , ou par contraste et parallélisme , on les y voit
catéchiser le peuple, prêcher le sentiment du bien , l'hor-
reur du mal, et donner la plus juste idée des remords de la
conscience , des tourments finals du pécheur, comme de la
joie et du prix éternel donné aux Justes. Mais le vice ex-
clusif, le mal vu à nu dans sa laideur morale, agissant seul,
sans opposition de cette portion morale de l'existence hu-
maine qui console ici-bas et y représente les inspirations
de Dieu, ce vice, livré à ses instincts détestables et montré
dans tout le hideux de sa forme , fut presque toujours et
exclusivement gardé pour les parties du temple exposées
aux regards de l'homme extérieur : c'est, le plus souvent,
une traduction sur pierre soit des anathèmes de l'Apôtre
excluant de l'enceinte sacrée tous ceux dont le cœur de-
meure empreint d'impuretés , de blasphèmes , d'idolâtries
et d'homicide (^J, soit de ces âmes dont un autre ne parle
qu'en versant des larmes, et qui se font en tout les ennemis
Le chien dévo- dc k croix (2). Uii des exemples les plus frappants, et peut-
(1) « Foriscaues, et venefici; et impudici, et homicidœ , et idolia
servientes, et omnis qui amat et facit mendacium. » {Apoc, xxii , 15.)
(2) « Mulli ambulant quos ssepe dicebam vobis. nunc autem et flens
dicOj inimicos crucis Ghristi. » (Ephes., ni, 18.)
AlllTH^
i:\TERiKiK i)K i/kglisi: chrétienne. 129
être les moins compris de l'une de ces multiples excom- ''^'^^^Jf ^"'" '^*'
imiuicalions qui relèguent le mal au dehors du sanctuaire,
se retrouve souvent dans les églises de la Guienne. En
Poitou , nous en connaissons beaucoup : cherchez atten-
tivement parmi les modillons (jui décorent parfois la façade
au-dessus de la porte occidentale, mais plus fréquemment
le côté nord des églises de campagne, nous verrez une tète
de chien tenant en gueule un objet presque toujours mutilé
et qui, [)ai- cela même, dissimule sa nature véritable. Cet
objet ressort de côté et d'autre de cette gueule, fermée
comme si elle tenait entre ses dents la moitié d'un disque.
On ne de\ ine pas d'abord : l'objet et sa signification échap-
pent à l'analyse. Que de fois nous avons cherché à nous en
rendre compte î Mais un jour nous découvrîmes au nord de
l'église de Gourgé (Deux-Sèvres) ce même quadrupède ,
dont le disque saisi entre ses dents était parfaitement
rond, et de l'extrémité, restée entière, qui dépassait les
lèvres de l'animal , nous reconnûmes une ligne perpendi-
culaire qui partait du centre et descendait jusqu'au bord
inférieur. Gela ne manquait pas encore d'obscurité; mais
le nuage se dissipait, et c'était un pas de plus vers une dé-
couverte; car non loin de là , sur la façade principale , un
dis(jue figurait dans la série des douze ou quinze modillons
rangés au-dessous du premier cordon horizontal, et cette
fois il était timbré d'une croix à quatre branches égales ,
dégagé de tout appendice , fort visible, et donnant enfin la
fidèle reproduction des pains eucharistiques, tels que les
onzième et douzième siècles nous les exposaient dans toute
leur iconographie. Notre chien du voisinage en tenait donc
un dans sa gueule, qu'une mutilation cachait à l'observa-
teur, mais qui, d'abord, avait été des plus reconnaissables.
Il n'y avait pas moyen de se défendre du texte biblique
fohs canes , dont l'imagier s'était emparé pour rendre ,
sous des traits sensibles, la communion sacrilège , ni d'ou-
blier la parole du Sauveur, (ju'on ne doit pas donner aux
T. m. 9
<|30 HISTOIRE DU SYMBOLISMK.
chiens « le pain des enfants (-l) », paroles que S. Thomas
d'Aquin rendait expressément dans sa helle hymne de
l'Eucharistie :
Ecce panis Angelorum...
Non inittendus canibus.
Lebaruduvin Nous uc jctous ici quc des aperçus généraux sur cette
ique. gpn^j^fjg thèse des vertus et des vices , des hons anges et des
démons ; et nous n'en parlons que pour expliquer , avant
de passer outre, et dès qu'ils se présentent à nos regards
dans l'architecture du temple, le mystère de cette présence,
sur laquelle nous reviendrons bientôt en étudiant l'inté-
rieur. Mais n'omettons pas cependant de signaler, à cette
occasion , que , non loin de ce pain eucharistique invitant
le fidèle à la Table sainte , on voit souvent un charmant
petit baril dont le langage s'y associe très-convenablement,
car c'est encore le vin de l'Eucharistie , et c'est bien la
pensée du sculpteur, puisqu'après le treizième siècle , où la
communion sous une seule espèce devint générale , on
ne rencontre plus ce dernier motif (2). Poursuivons donc ,
(1) « Non est bonum sumere panem filiorum et miltere canibus. »
(Matih., XV, 26.) — Nous avons vu déjà l'attribution faite aux héréti-
ques, aux gentils et aux juifs, de la nature morale du chien, qui est sans
vergogne , sale, gourmant, querelleur. C'est dans ce sens que le Sau-
veur l'emploie à éprouver la foi humble et patiente de la pauvre Ghana-
néenne. S. Paul dit aussi aux Philippiens : Videte canes, viclete malos
operarios{iu ,2); et la Sagesse des Proverbes lui compare l'apostat
retournant, loin de la vérité qu'il avait reconnue et embrassée, aux
dégoûtantes erreurs et aux blasphèmes que sa bouche avait vomies
d'abord: Sicut canis rêver tilur ad vomilum , sic siultus ad stulti-
tiam. (Prov., xvi, 11.) — Voir les commentateurs dans S. Méliton ,
ch. IX, De Besliis, n» lix.)
(2) Deux barils, dont l'un est doré et l'autre argenté, sont disposés
aussi, avec deux pains parés de la même manière, pour l'offertoire de
de la messe lors de la consécration d'un évêque {Pontifie, roman.,
De Consecr. in episc.) : ils y sont le symbole de la puissance radicale
de consacrer résidant en l'évêque comme dans sa source. Le Blanc
{Traité historiq. des monnaies, p. 157) dit qu'il en était ainsi dans un
cérémonial du sacre des rois de France , dressé au douzième siècle par
ordre de Louis VII, et que l'usage s'en observait encore sous Henri II,
KXTKRIKIU \)K l/lUiLISK CHRÉTIENNE. ^3-1
cl, après a\oir promené nos études sur le chevet et sur les
murs latérau.v , arrêtons-nous devant ces façades que nous
connaissons déjà , il est vrai , par beaucoup de particula-
rités de leur plan général, mais où beaucoup d'autres aussi
nous restent à comprendre.
Et d'abord , les plus simples églises i-urales ont eu un . ]i^ p*""*^'»? ''^^
' l r D nglises rurales, et
porche ou auvent s'élevant un peu plus haut que la porte "^onusagre.
d'entrée qui s'y encadre, lequel, installé depuis le neu-
vième siècle surtout , lorsqu'on commença à baptiser dans
toutes les églises paroissiales, servit dès lors comme de lieu
d'attente au néophyte. Là se faisaient les exorcismes pré-
liminaires du sacrement , souvent en face même de ces
tètes de démon qui frémissent de rage à la vue de ces
conquêtes du Sauveur : c'était comme le vestibule de ce
ciel mystique ouvert à l'homme régénéré. La croix en
surmontait le faîte , comme le signe qui résume tout le
Christianisme. Au quatorzième siècle et au quinzième, on la ^^ '"^<^" sculpté
remplace souvent par une fleur à trois feuilles nommée
chou , et dont le choix ne reste pas étranger à la notion
fondamentale de la Trinité divine.
Quelquefois la maison de Dieu s'ouvre au sud , rarement ^ i^«»'^s ^l^ y^^'^'-
^ ' fice, et cote ou
au nord, (juand sa porte principale n'est pas à l'occident, pnes souvrent de
'■ i i 1 i preferonco.
Cette dernière position est la seule normale, puisqu'elle
s'inspire de l'orientation symljoHque du chevet : toute autre
n'a été qu'une anomalie imposée tantôt par une impossi-
bilité matérielle, tantôt par une raison particulière. Quant
aux monastères, par exemple, il y avait nécessairement d'au-
tres règles à suivre : les préaux ou cloîtres qui entouraient
ordinairement l'église indiquaient naturellement des portes
d'entrée à y percer selon la plus grande commodité des
religieux, qui s'y rendaient de rniit et de jour.
en 1545. (Voir Vély, Hist. de Fr-^u, 467.) — Dans ceUe dernière céré-
monie , c'était le signe de la promesse faite par le prince de protéger
la foi contre l'hérésie; ily communiait sous les deux espèces, usage qui
s'est perpétué jusqu'à Charles X.
1 ave
siècle .
132 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Le parvis, Il n'est pas rare que le porche antérieur à l'église y foruie
un véritable vestibule ou parvis couvert, où le symbolisme
étale toutes ses richesses aux chapiteaux et aux cintres des
arcades avec une profusion pleine de magnificence. Les
abbayes, surtout en France , se sont donné cette belle et
éloquente distinction, qui n'empêche pas d'orner des plus
or notamment ce- bclles sculpturcs le portall qul introduit de là dans la nef. Ce
lui (îo Saint-Be-
noît-sm-Loire. beau pérlstylc, qui n'a pas moins, à Saint-Benoît-sur-Loire, de
quinze mètres de large sur une profondeur égale, est soutenu
et divisé en trois nefs, que séparent seize colonnes rangées
par quatre. Ces colonnes se couronnent de chapiteaux d'un
grand luxe de sculpture, dont les scènes animées reprodui-
sent, avec certains faits historiques, comme la Fuite en Egypte
et la Visitation, des symboles évidents des tentations de la
sujeis variés de vlc extéricurc. On voit la main divine sortant d'un nua^e
SOS belles sculp- ^
iu douzième pour protéger pendant sa marche la Sainte Famille, à ren-
contre de laquelle un satelhte d'Hérode , sinon lui-même ,
vient se jeter, armé d'un glaive et d'une lance. Derrière les
saints voyageurs, S. Michel terrase le dragon infernal qui
les poursuivait. Ici des moines enchaînent par le cou deux
horribles spécimens du diable s'efforçant de saisir aux che-
veux un petit être humain debout sous un arbre et à moitié
caché par la gueule béante de l'enfer d'où les deux monstres
viennent de sortir, et où ils voudraient plonger leur victime ;
plus loin , ce sont des mondains prêtant l'oreille à des ser-
pents et à des quadrupèdes équivoques leur persuadant le
mal ; ou bien un ange disputant une petite créature sans
sexe, une âme quelconque , à un démon qui la tire à soi ;
puis diverses scènes de l'Apocalypse : S. Jean se prosternant
au pied du trône de Dieu, ou recevant le livre de ses révé-
lations ; enlin l'Agneau immolé, et, au-dessous de l'autel,
« les âmes de ceux qui avaient été tués » pour sa cause. On
voit qu'ici des enseignements chrétiens, soit comme his-
toires, soit comme symboles, deviennent une sorte d'intro-
duction à la vie illuminative que le fidèle va cliercher dans
FATÉRIEUR DR L ÉGLISE CHRÉTIEiVNE. ^ 33
l'enccinl(^ sacrée. Ce livre de S. Jean qui révèle les plus
hauts mystères de la vie sociale et individuelle ; cette Visi-
talion que nous allons faire cà Dieu et à sa Mère quand
l'heure de la prière nous ramène en face de Tautcl; ce pèle-
j'ina^^e de la Sainte Famille, devant laquelle tombèrent les
idoles de l'Egypte, et le vrai Dieu commença d'être connu ;
ces épreuves de la terre dont Satan se fait l'instrument
actif et perpétuel, et cette défense du bon Ange, image la
plus douce et lapins vraie de la i^rovidence, dont la grâce
ne permet pas à notre faiblesse de succomber, ni à l'ennemi
de i-égner sur nous : ne sont-ce pas Là autant de pages d'une
doctrine supérieure, et dont la méditation nous prépare
I)ien ^ rentrer, quand nous quittons la foule oublieuse ,
dans le sein du Père, qui nous attire chez Lui pour nous y
bénir?
Parfois, et pour mieux condenser toutes ces idées en une i/ima-e .i;-.
,1,. • 1 1 r-, /■ . •< 1 Sauveur devaut
seule, Innagc en pied du Sauveur se présentait seule aux la porte dcn'nv.
regards de la foule abordant le lieu saint. Elle garnissait la
porte principale, comme on le voyait, au dixième siècle, à
l'entrée du palais impérial de Gonstantinople, bâti sur les
plans des basiliques. Une telle statue semblait répéter à
chacun la parole du Maître rapportée au dixième cbapitre
de S. Jean : Ego sum ostium; per me siquis introierit, salva-
bitiir {\).
Devant certaineséglisesqui n'avaient pas ces beaux «^n?nw, Parais des ra
'^ ^ ^ thcdralps et des
on ménageait un parvis découvert, espace qui ne dépassait autres é-uses m» -
jeures.
pas ordinairement la largeur de la façade, et dont la pro-
fondeur égale donnait, par conséquent, un carré parfait.
C'était surtout un annexe des cathédrales, des abbayes et
des collégiales, quelquefois aussi des prieurés. Là se ren-
daient, à certains jours désignés, les décisions judiciaires ;
là se faisaient les monitoires et autres annonces. Les té- ^^^^ principal
emploi svmboli^»'
moms y étaient entendus , les causes jugées, et c'est à celte paricsiiJns.
M) Laharle, /ifscription fin palais impén'ol de Gimslanlinoplfi,\),f):h
434 HISTOIRE DU SYMBULISiMi:.
juridiction de haute, basse ou moyenne justice que se rap-
portaient ces figures délions qui, de côté et d'autre du juge
et de ses assesseurs, symbolisaient la justice, comme autrefois
au trône de Salomon. Ce souvenir du grand roi n'était pas
le seul qu'eût emprunté le moyen âge, où il finit par devenir
commun. Edouard II, roi d'Angleterre de ^307 à ^327, avait
un sceau où il était assis sur un trône dont deux lions grim-
pants formaient les côtés : ses pieds reposaient sur deux
autres {\). — Canova, en docte sculpteur qu'il était, n'avait
pas négligé cette idée. Il décora de deux lions le tombeau
de Clément XIII , et comme le Pontife avait résisté avec cou-
rage pendant tout son pontificat aux entrepi-ises et aux vio-
lences de la puissance laïque , l'un de ces lions, empreint
d'une douleur magnanime, verse les larmes de la souffrance
et de la tendresse outragée ; l'autre respire dans ses traits
une royale fermeté, et semble dire que l'athlète n'a pas
été vaincu (2). Mais pour ce qui touche aux parvis, dès le
onzième siècle on rencontre ces imposantes bêtes couchées
sur le mur d'enceinte de ce plaid respecté, ou assises à la
porte principale de l'église, ou supportant ses deux colonnes
latérales, pour indiquer que la justice est la base et le fon-
dement de l'édifice social. Quelquefois aussi le fier quadru-
pède retient sous ses griffes puissantes le serpent, génie de
la ruse perfide qui n'a rien à faire dans une conscience de
juge, et se replie vainement en efforts qui ne le peuvent
délivrer ; ou bien c'est un bouc ( et non un bélier, comme
on l'a trop répété), symbole des pécheurs et des réprouvés,
qu'il écrase de son poids et maintient en respect : voilà donc
le triomphe du Sauveur, du lion de Juda, sur l'injustice, la
méchanceté et la fraude (3j.
(1) Voir Ryiner, Fœdera, 1. 1, 1'^' part., pi. i.
(2) Le P. deRRvignsin,CléineiUXIII et Clà}ne?itXIV,-p.2'ô3, in-8'',1854.
(3) \oiT Spicileg. Solesm., t. III , 15 et suiv. ; 51 et suiv. — On voit
encore, Sur les bases de deux colonnes soutenant une des archivoltes
du portail méridional à Saint-Marc de Venise, deux griffons couchés
EXTERIEIR DK L EGLISE CHRÉTIENNE.
135
On a vu quelquefois aussi le lion, accompagné d'un bœuf, ,i/bœufVTdu non
servir parallèlement, sur la façade d'une édise, de base à ''"^ fa';adps de
'■ 7 ^ o ' quelques églises.
qui tiennent daii.s leurs paUes, luo uu homme, dans les yeux elle
visage duquel il enfonce ses griffes; l'autre, un bœuf moins maltraité
que l'homme. (M. .lulien Durant, Annal, archéologiq., XV, 403.)— Le
griffon est ici l'image de Satan maltraitant l'homme perverti au mo-
ment où il se disposait à entrer dans le lieu saint, dont il n'était pas
digne. Le traitement imposé au bœuf, image des Juifs, d'après S. Gré-
goire, et aussi du démon, d'après le même Docteur, ou enfin des ri-
chesses terrestres et animales, est un analogue et un parallélisme facile
à comprendre. (Voir Spicileg. Solesm. ,Ul , io.) — Mais toujours c'est
l'action infernale exerçant la tentation sur l'âme voyageuse , ou le châ-
timent sur l'âme arrivée à son terme. Enfin, nous voyons aussi quel-
quefois des lions accroupis sous une colonne qui sert de support à un
bénitier ou à un chandelier pascal, comme dans la basilique d'Anagni,
en Italie. Là, il faut bien changer la signification de l'animal symbo-
lique; il y est pris en mauvaise part, et il représente, à notre sens ,
l'esprit infernal obligé de s'abaisser sous les bénédictions de l'Église
qui l'y exorcise en une certaine manière, ou sous la lumière évangé-
lique , laquelle n'est pas autre que Jésus-Christ. (Voir Annal. archéoL,
ubi suprà, p. 244.) Il est vrai que Mabillon, cité dans ce même endroit,
et que suit M. l'abbé Barbier, regarde le lion comme l'emblème de la
résurrection, figurée aussi par le cierge pascal: c'est là une de ces in-
terprétations multiples par elles-mêmes et auxquelles les archéologues
peuvent s'arrêter diversement sans abandonner les principes fonda-
mentaux de la science. — Quant au bouc, il est le symbole des pé-
cheurs, placés à la gauche du Juge souverain au dernier jour, en
opposition avec les brebis fidèles qui passent à la droite (Matth., xxv,
33).— Voir S. Méliton,Z)e Besliis, n" xviii; et, quant aux parvis, beaucoup
de détails sur leurs divers emplois, dans notre Histoire de la cathédrale
de Poitiers, 1. 1, p. 173; — pour le lion, voir Hisloire symbolique et
iconographique du lion, par M. l'abbé Cros>uïer,BuUeL inonum. ,XIX,
283 et suiv. — On voit deux lions supportant les colonnes d'un tom-
beau à la cathédrale de Trêves. (Bullet. monum., XII, 699.) — Il est
clair (]ue le sens de ces animaux n'est plus ici le même. C'est bien le
démon vaincu par les vertus du défunt, d'autant plus que cette règle
d'opposition est parfaitement autorisée par les aii'reuses grimaces de
ces faces hideuses et refrognées. — Voir encore, sur les oppositions
symboliques et les significations diverses du lion, Bullet. monum.,
XIV, 328; XVI, 491 ; XX, 555. — Il pourrait bien se faire aussi que
cette signification de la justice, qui fut donnée dès le principe à ces
lions siégeant au parvis des églises, se fût détournée plus tard de
ce sens primitif et se transportât jusqu'aux simples portes d'entrée
sans aucun rapport à aucune juridiction , car la plupart des églises eu
étaient dépourvues ; mais alors le lion n'était plus là qu'un symbole
de Jésus-Christ lui-même, pierre fondamenlale et force morale des
institutions chrétiennes.
i36 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
des statues, et le portail en ruines de l'ancienne abbaye de
Moreaux, non loin de Poitiers, offre ce spécimen d'un façon
très-remarquable. Ge sont deux évêquesqui se sont succédé
sur le siège de cette ville au douzième siècle, et qui, ayant
fait du bien au monastère, reçurent des moines l'bonneur
de cette belle effigie {\). Une inscription tracée sur l'une
des voussures du tympan explique la présence des deux ani-
maux qui leur servent de piédestal par une réminiscence
du temple de Salomon, où lestions et les bœufs se répétaient
fréquemment dans l'ornementation monumentale, comme
dans celle du mobilier.
ut fuit introitus tenipli sancli Salomonis^
Sic est istius in inedio bovis atque leoni-.
Cette intention de reproduire un symbolisme de l'antique
monument des Juifs ne laisse aucun doute sur la signifi-
cation qu'il faut donnera celui-ci. Tous les auteurs s'accor-
dent à regarder dans le bœuf la force, la patience, l'amour
du travail utile, la gravité, la sociabilité douce et complai-
sante ; on comprend qu'avec la force parfois sévère du liou
on puisse composer de ces deux symboles un ensemble de
vertus sur lequel s'appuie solidement la vie des évêques et
des prélats, quels qu'ils soient. C'est cette pensée qu'ex-
primait dans ce distique un bénédictin du moyen âge qui
avait à se plaindre de son abbé :
Es leo terribilis, sed non es bos socialis,
Unde decens basis non es, bobus tibi rasis.
Formule : inter Pour cu rcvcuir à uotrc lion , cette attribution d'un tel
symbole à la juridiction judiciaire ne nous parait pas con-
testable, quoique d'érudits arcbéologues aient paru en
douter. La formule inter leones, qui se lit dans beaucoup
d'actes publics des onzième , douzième et treizième siècles,
n'est pas toujours, il est vrai , le témoignage de cette juri-
(1) Voir tlalM. nioriiuii. , l. XI , i>. .^03.
lennes.
i:xtkriei:r uk l'églisk chrétienne. 437
diction; mais elle est comme rindication d'un lieu pins véné-
rable , où une sentence a quelque caractère plus solennel
et plus sacré. C/est la seule explication possible du soin
qu'on avait parfois d'inscrire le mot leones au-dessus ou à
côté de la figure de ces animaux. A Saint-Porcliaire de
Poitiers, par exemple, le sculpteur qui a orné les cbapiteaux
du poi'tail de ces deux tètes majestueuses a écrit sur le
tailloir qui les domine : leones , en belles lettres onciales.
Quelques mécbanlsontpunous ranger de leur avis en sou-
tenant que cet artiste n'avait fait que prévoir le cas où ces
lions seraient pris, aux traits qu'il leur avait donnés, poui'
de simples cliats poitevins ; mais à prendre la cbose au sé-
rieux, nous pensons que le mot qui fait toute l'explication
de cette zoologie, en effet un peu équivoque, est là comme
mention d'un lieu consacré à des arrêts et décisions ayant
force de loi ; il y rentre dans les babitudes de ces tribunaux
dont nous pai-lions tout à l'beure, et ne peut être interprété
autrement. Nous ne pouvons donc adopter l'idée un peu
trop matérielle de M. Didron , expliquant nos lions aux
portes du temple dans le sens prosaïque d[i cave canem des
anciens, et faisant là, d'une façon un peu plus relevée pai-
la nature de l'animal , le rùle domestique et conventionnel
du quadrupède païen {\). ]l nous semble y avoir entre ces
deux symboles toute la différence d'une cbose comnunie et
sans dignité à une figure pleine d'enseignement et de no-
blesse. Si l'on a mis parfois des beurtoirs à tète de lion à la
porte de quelques églises, c'était plus prol)al)lement dans
la pensée qui avait amené là les lions dévorant le serpent ou
le bouc, et le cave canem n'y avail rieii à faire, pas même de
loin et par analogie.
Un Jàit intéressant s'ajoute, sur cette même façade de
Saint-Porcbaire, à celui que nous \enous de décrire. Au-
dessus de l'un de nos deux lions, un médaillon ovale sert de
(1) Annal, archênlnii., \\ . p. 2')i.
Image de la ic-
sistance aux ten-
tations sous l'ein-
blème duprophète
Daniel.
Ce même sujet
reproduit à Chau-
vigny,càTonBeri-o,
et à Amienr-; ,
lâS HISTOIRE DU SYMBOLISME.
cadre à l'image que voici : un homme debout prie les bras
en croix, comme on faisait encore au moyen âge, et comme
on le voit fréquemment dans les fresques des catacombes.
En dehors du médaillon, qui pourrait bien être une auréole,
un lion lèche doucement , de chaque côté , les pieds de cet
homme, qui est signalé par une inscription gravée autour de
cet ovale : Hic Daniel Domino [favente) vincit cœtum leoni-
num. A côté, le prophète Habacuc tient deux vases conte-
nant la nourriture qu'il avait préparée pour ses moisson-
neurs , et que , sur l'ordre de Dieu manifesté par la main
divine sortant du nuage au-dessus de sa tête, il avait portée
au prophète captif. On reconnaît là parfaitement le trait
historique rapporté par le prophète lui-même au quator-
zième chapitre de son livre [\). Or, on le voit bien, les lions
n'auraient que faire ici de leur rôle reconnu de judicature :
c'est bien plus pour rendre aux yeux du fidèle la puissance
de la prière contre les périls des tentations, qu'ils oublient
leur férocité naturelle, et rien n'allait mieux que cette
pensée aux abords d'une église. Aussi ne l'a-t-on pas exclu-
sivement consacrée à l'extérieur. On la retrouve souvent ,
surtout en Poitou , dans le sanctuaire même, d'où la prière
s'élève plus directement vers le Saint des Saints ; telle on la
voit sur un chapiteau de Sainte-Radégonde de Poitiers et
sur un autre de Saint-Pierre de Ghauvigny. Le tympan de
la porte occidentale de Saint-Pierre de Tonnerre encadre
un autre Daniel, qui prie comme celui de Poitiers ; les
lions, posés et calmes, semblent lécher ses mains en signe
de leur soumission miraculeuse (2). Au portail d'Amiens ,
(1) Nous avons A'u plnsieur.-^ descriptions de ce bas-relief hasardées
par des laïques à qui il ne manquait que d'avoir étudié un p£u leur
chapitre xiv de Daniel. L'un s'embarrassait fort des deux ampoules
portées par Habacuc ; l'autre voyait dans cette main nimbée un oiseau
dont quelques plis des nuages faisaient des ailes, etc. Et l'on impri-
mait de telles clioses!... Et Tonne se doutait pas du sens mystique
trouvé par les Pères dans cette image, où les lions ont bien leur motif
d'être, mais où Daniel et Habacuc n'ont pas moins le leur,
{^) M.. LQwmxive, Ammaire de V Yonne, Wi%.
EXTEKIEUU DE L EGLISE CHUETlENiNE.
139
un des médaillons si remarquables qui ornent la belle façade
de Notre-Dame, Daniel est assis, plus conformément au texte
sacré (I) , et quatre lions reposent placidenitint à sa droite
et à sa gaucbe , comme s'ils craignaient de troubler sa mé-
ditation (2). Enfin, comme dernier terme de comparaison,
voici une agrafe en bronze, qu'on peut croire du buitième
ou du neuvième siècle, représentant le même sujet, et oij
les lions, comme on les voit partout où ils doivent signifier
les mauvaises passions assujetties à l'iiomme par le saint
usage de la grâce, s'inclinent devant le Propbète et lècbent
ses pieds. Ceci est d'autant plus à considérer qu'on ne peut
refuser d'y voir l'explication de ces autres images où les
animaux, s'accolant de droite et de gauclieàun liomme de-
bout, tiennent absolument le môme rôle qu'on leur voit ici.
Ainsi s'élucident, les uns par les autres, les faits symboli-
ques pour l'étude desquels il faut procéder toujours pai'
l'esprit d'observation et de rapprociiement (3).
Mais après ces traits de détail qui nous ont retenu autour
de notre basilique plus ou moins spacieuse, il nous reste
encore à contempler la grande page qui annonce tout l'in-
térieur, et où se développent encore les austères catécbèses
de la religion. La variété des tableaux , le nombre des baies
y sont toujours proportionnés à l'importance de l'édifice. Si
modeste qu'il soit, un ou deux symboles au moins y appa-
raissent, et il est rare qu'une entrée d'église, si res-
treinte qu'on l'ait construite , ne signale pas une idée
rapproché de
quelques autres
pour confirmer
nos déductions
iconographiques.
Façades des
js^randes églises et
leur décoration
jriiindiose.
(1) « Surgeiisque DaDÎel, comedit. » (xiv, 38). — « Venit Rex..., ut
ecce Daniel sedcnx in medio leoniim. » (fb., 39.)
(2) Les sept lions figurent rarement dans les sculplures des cliapi-
leaux, nécessairement restreints par leurs dimension*, non pins que
dans des médaillons quadrilobcs, comme ceux d'Amiens. Mais le nombre
ne fait rien ici dans la pensée du tailleur d'images , et l'on citerait, en
pareil cas , maints pasteurs se tenant auprès d'un troupeau représenté
par une brebis, un porc : l'histoire fait deviner le reste.
(3) Voir M. l'abbé Crosnier, Ico?iographie chrétienne , p. 78.— Cf. ce
que nous avons dit d'après un texte de S. Isidore de Séville, ci-dessus,
t. I, p. 235 et 236 ; t. II , p. bOl, note 2.
UO HIvSTOIRE DU SYMBOLISME,
chrétienne par les oiseaux , ou les serpents , ou les figures
grimaçantes qui ramènent, sur le seuil môme qu'on va
franchir , aux religieuses préoccupations de la conscience
chrétienne. Mais afin de grouper sous les yeux du lecteur
la généralité de ces sujets instructifs , supposons que nous
avons jusqu'à présent examiné une de nos vastes et antiques
cathédrales des onzième, douzième ou treizième siècles;
arrêtons-nous devant ces étonnantes sculptures , en qui la
déhcatesse du travail le dispute à ce que peut avoir de plus
énergique l'enfantement de la pensée. Quels grandioses
tahleaux que ces façades de Reims, d'Amiens, de Paris,
de Chartres , de Bourges , de Poitiers ! Trois portes , dont
deux moyennes, s'y ouvrent immauquahlement, correspon-
dent à la triple nef de l'intérieur. C'est tout d'ahord , dans
cette unité pleine de tant d'harmonie, l'image préliminaire
de l'auguste Trinité, qui reviendra plus d'une fois dans ce
vaste ensemhle d'iconographie où tout parle de Dieu et de
he trumeau de l'âmc U). La plus amplc de ces haies, la porte royale , la
la porte médiane : i J '
ce qu'il fifiruic. porte médiane, est presque toujours partagée dans sa hau-
teur, pendant et après le douzième siècle , par un trumeau
orné d'une statue qui lui est adossée , et qui est ordinaire-
ment celle de Notre-Seigneur , de la Sainte Vierge ou du
patron. Quant au trumeau lui-même , il indique les deux
voies qui s'offrent à l'homme et qui mènent à deux vies hien
différentes sur la terre et au delà... Ce piher, que couronne
un chapiteau, ne doit donc jamais être supprimé, comme
on l'a fait maladroitement, sous prétexte de faire entrer
et sortir plus aisément l'énorme dais que nos ancêtres
(1) Voir les détails de l'église de Paray-le-Monial(Saône-et-Loire),où
toutest rédnitau nombre trois (Icon. c/ir., p. 77).— S. Paulin, décrivant
deux églises de son temps, dont l'une était agrandie par ses soins,
signale cette triple porte avec le symbolisme quenousy reconnaissons:
Aima domus ti'iplici patet ingredientibus arcu
Testaturque piam janua trina fidem.
, . . Una fides trino sub nomine quœ colLt unum,
Unanimes trino suscipit introitii.
(S. Paulin. Epist. xxxiil ad Sttlpit. Severum.)
EXTÉRIELU DE L ÉGLISE CHRÉTIENNE. \Ai
n'avaitMit pas le boiiJiour de comiailre. Ce qu'on a J^agné à
. cette suppression, c'est trop souvent rafïaisseinent de la plate-
bande ou linteau supérieur, et de là une dislocation inévi-
table dans cette iniportantci portion de la façade — Au-
dessus de ces meneaux se déroule le tympan principal avec
ses voussures nombreuses jetant autour des scènes bi-
bli(|ues leurs profondeurs, semblables à des liorizons diffé-
rents et que garnissent les savantes allégories des Vices
domptés par les Vertus, des Ordres de la biérarcliie sacrée,
des cliœurs des anges, ou d'oiseaux et de quadrupèdes, ou
des arbres ou des (leurs variées aux gracieux festons, aux
guirlandes délicatement fouillées par un ciseau cinq ou six
fois séculaire. Mais ce n'est là qu'une couronne de glorieux
assistants, et les courtisans célestes, ces nobles combattants
des jours d'épreuves, entourent le Roi des rois et procèdent
avec Lui au jugement éternel des grands et des petits de la
terre (-1). Au-dessus des morts qui ressuscitent, des Élus,
séparés déjà des impies, le Juge est assis. Son bras levé est
le signe de la puissance (jui va venger les mépris de la
croix, qu'il soutient de l'autre main ; à sa droite , côté le
plus digne et celui des brebis fidèles , Marie agenouillée
supplie. Mère de miséricorde; à gauche, S. Jean l'Évan-
géliste unit ses prières , et semble répéter avec la xMère du
Christ, devenue la sienne sur le Calvaire : Dieu est la charité.
Mais Dieu n'est pas moins la justice. Les pécheurs, qui
étaient condanuiés d'avance, s'en vont , traînés par les
maîtres horribles qu'ils ont préférés, au lieu éternel des
crimes et des aveuglements volontaires ; les Justes, passés
à la droite, entrent, sous la conduite de S. Pierre muni
de ses clefs ^'Mî ouvrent sans que personne puisse fermer^ dans
la Cité du bonheur, dont on voit, sur un autre plan, les tran-
quilles demeures, avec leurs tours éternelles et leurs reni-
Voussures sculp-
tée» dea tympans;
lour Jugement
flernier.
(1) « Sedebitis et vos super sedes, judicante.-* tribus Israël.» {Matlh.,
XIX, 28.;
^42 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
parts que nulle main ne peut abattre ni ébranler. — Au reste,
tous ces types sont inspirés par l'Apocalypse , et représen-
tent tous, avec d'heureuses variantes, les images que nous en
avons décrites dans le précédent volume de cet ouvrage (4).
Autres motifs D'autrcs fois et ailleurs, la scène principale, le jugement,
iconographiques
partout répétés, gc modific par ses accesson^es : à Fribourg en Brisgaw,
c'est l'histoire du Christ , son crucifiement , avec la Syna-
gogue aux yeux bandés ; ou bien les Vierges sages et les
Vierges folles ; à Bazas, c'est le Pèsement des âmes, comme
à Autun , au Mans et à Amiens ; à Vézelay , c'est le Christ
triomphant qui verse de ses mains des rayons lumineux
sur la tête de ses Apôtres tenant chacun le Livre de la doc-
trine qu'ils doivent répandre. Ailleurs, il siège encore au
milieu des Douze, placés debout et tenant soit l'instrument
de leur martyre, soit un phylactère où s'inscrit l'article du
symbole que la tradition donne à chacun d'eux : là ils sont
les vrais fondements et les portes véritables de l'Église
mystique, comme les appelle S. Augustin (2).
Symboles et àt^ Ici uous dcvous ajoutcr, aux notions éparses déjà données
Apôtres. ^^ ""^'^ sur les Apôtres, l'explication des attributs fournis à chacun
d'eux par les artistes, et la place qu'ils occupent respective-
ment quand on les destine à une grande représentation d'en-
semble. Au portail principal de Chartres, ils accompagnent
l'image de Jésus-Christ; les Prophètes , véritables Apôtres
de l'ancienne Loi, posent un peu plus loin, mais sem-
blent tenir à leur droit de se survivre autour de Celui qu'ils
ont fidèlement attendu. Comme tous les Saints, les Apôtres
doivent toujours avoir leurs attributs spéciaux et l'instru-
ment de leur supplice ; quelquefois ils portent en même
temps, sur un parchemin déroulé, un des points dogmati-
ques de leur symbole. L'étude de leur représentation per-
sonnelle ferait un livre. Disons seulement ici, avec MM. Gros-
(1) Voir ci-dessus, t. II , ch. \\ et XIL
(2) « Apostoli fundaraenla et portse Ecclesiœ, » in Psatm. passim.
EXTÉRIEUR DE LÉGLISK CHRÉTIENNE. 143
nier et Jourdain, quels sont, pour cliacun, les attributs et la
sentence que les artistes doivent leur donner , en les indi-
quant dans l'ordre le plus habituel, bien plus que par tel rang
spécial qu'on ait généralement imposé à chacun d'eux (^1).
Les quelques diversités qui se rencontrent à cet égard dans
l'imagerie du moyen âge, les légères modifications qu'on en
retrouve dans les liturgistes et dans le Canon môme de la
Messe, qui cependant devrait faire autorité par son antiquité
plus reculée, sembleraient n'imposer aucune règle absolue
sur Tordre à suivre dans le placement de ces saints person-
nages ; nous préférons cependant celui que l'Église semble
avoir consacré par sa liturgie, puisque la partie des prières
du Saint Sacrifice où le Collège apostolique est invoqué tout
entier remonte au moins au quatrième siècle, comme l'in-
diquent les noms des SS. martyrs Jean et Paul, qui souffrirent
sous Julien l'Apostat (2) . Ce devrait être, en effet, une raison
d'adopter cet ordre, qui n'a rien d'arbitraire sans doute ,
puisque les traditions ecclésiastiques reposent toujours sur
des raisons souverainement sages, quoique nous ne les
sachions pas toujours.
4" S. Pierre, les pieds nus, comme tous les autres qui le s. piekre.
suivent, par la môme raison que Notre-Seigneur et les
Anges (3) ; le nimbe propre à tous les Saints, et dans lequel,
depuis le douzième siècle , on trouve parfois inscrit le nom
du personnage; la tète presque entièrement chauve, parce
qu'on lui attribue la loi ecclésiastique de la tonsure cléri-
cale. Quelquefois son coq est près de lui. Il tient les deux
clefs avant le quatorzième siècle ; plus tard , il n'en a
souvent qu'une seule ; il a aussi la croix de sa mort dans la
main droite. Sa devise est : Credo in unum Deum, patrem
omnipoteniem , creatorem cœli et terrœ.
(1) Grosnier , Iconographie chrétienne, p. 213 et suiv. — Jourdain,
Bill!, monum., XIII, 287 et suiv.
(2; Voir Benoît XIV, De Missx Sacriftcio, c-ap. xiu, n» 22.
(3) Voir ci-dessus, t. II, p. 234.
lii HisTOiUK dl: symbolisme.
s.pAtix.. 2** s. Paul. Nous avons dit pourquoi ii réside souvent
à la droite du Sauveur, dont S. Pierre n'obtient que la
gauche (^). Sa figure ovale, son nez légèrement aquilin,
la fermeté de son regard, son front large et serein, sa
longue barbe bien fournie comme ses cheveux, enfin la
vaste ampleur de son manteau, le désignent suffisamment :
c'est le grand philosophe devenu chrétien. 11 tient droite, et
la pointe renversée , l'épée qui termina ses jours , ou plutôt
ce glaive mystérieux auquel il compara lui-même la parole
divine, dont il fut le plus éloquent prédicateur (2). Il ne
. dit rien du symbole, qui , sans doute , était déjà formulé
lors de sa conversion , trois ans après l'ascension du Sau-
veur; aussi ne parait-il pas toujours dans les réunions
plastiques des Apôtres ; il est remplacé par :
S.André. 3*" S. André n'a pas un type personnel aussi caractérisé
que celui des deux précédents. En effet, les autres Apôtres,
moins connus de l'univers, dont ils n'évangélisèrent qu'une
partie, n'ont eu qu'une notoriété bien moins populaire.
On ne peut la comparer à celle du Chef du Sacré CoUége lais-
sant son empreinte dans les catacombes, à côté de celle de son
inséparable compagnon, devenu le prédicateur des Gentils.
Ils ne sont donc reconnaissables qu'aux seuls attributs que
leur a mérités une glorieuse mort. S.André a sa croix spé-
ciale , formée de deux bois croisés en diagonale (3). Il pour-
(1) Voir ci-dessusj t, II, p. 451.
(2) « Vivus est sermo Dei et efticax, et peuetrabilior oumi gladio
ancipiti, et pertingens usque ad divisiouem aniiuse ac spiritus, coin-
pagum quoque ac meduUarum, et discretor cogitationum ac inten-
tionum cordis. » {Heb/\, ïy, 12.) — Quelle abondance! et comme on y
ôent bien l'homme tout plein encore de la parole qui l'a terrassé de-
vant Damas, et l'a éclairé si vivement !
(3) Il parait que la croix en sautoir dite de Saint-André ne s'est guère
fait adopter que vers le quinzième siècle dans notre iconographie euro-
péenne. On l'y trouve rarement avant cette époque; et le P. Giry, qui
avait vu à l'abbaye de Saint-Victor de Marseille, visitée par lui eu 1067,
cette précieuse croix, qu'on y vénérait, dit qu'elle ne différait en rien
de la croix latine {Vie de S. André, 30 nov.).
EXTÉRIKLH UK l'ÉGLISK CHRÉTlExNNE. ^45
suit, après S. Pierre, son Irère par la cliair, par l'esprit
et par le supplice, le symbole de la foi, et semble dire : Et
in Jesum Christum^ Filium ejus unicum, Dominum nostrum.
5° S. Jacques le Majeur porta d'abord le fflaive qui lui s. jacqies le
^ o X Majeur.
trancha la tète ; mais depuis la célébrité acquise au pèleri-
nage de Compostelle , au neuvième siècle , on lui donne
une robe de pèlerin avec un camail garni de coquilles ; il
porte le bourdon et la panetière. — Qui conceptus est de Spi-
riiu Sancto ^ naliis ex Maria Virgine.
5° S.Jean est imberbe : c'est la personnification de la s. jean.
virginité, de la jeunesse candide, de l'innocence des mœurs
et de la pensée. Les Grecs , dont le schisme a défloré la
simplicité cin-étienne , n'ont pas senti cela , et chez eux il
est barbu comme les autres Apôtres, en qui la barbe est ,
d'ailleurs, le signe de la force , du cœur et de l'esprit {\).
Il est regardé comme le premier qui ait célébré les Saints
Mystères en habits sacerdotaux ; c'est pourquoi on les lui
donne assez ordinairement, aussi bien que la tonsure,
symbole de l'abandon des superfluités de la vie. C'est sans
doute par la même raison qu'il porte toujours un calice
auquel se réduisent le plus souvent ses signes distinctifs.
Nous aimons mieux cette explication que celle qu'on tire
de la Légende dorée, où le Saint avale un poison qui ne lui fait
aucun mal. Ce poison, néanmoins, pourrait bien être sym-
bolisé par le petit dragon qui semble s'envoler de la coupe,
et qu'on ne manque jamais de faire planer au-dessus d'elle
(d'autres l'en font sortir à moitié). Ce dragon est le symbole
très-avéré du démon , instigateur de tout mal, dont on peut
voir l'influence mauvaise dans l'action nuisible des créa-
tures sur la vie humaine , et qui doit s'en séparer forcément
dès lors qu'un acte de la protection divine s'interpose entre
le criminel et la victime. — L'aigle du Tétramorphe est
aussi le symbole de S. Jean, planant, comme cet oiseau, au-
(l) Voir BulL inonum., XI, p. 285.
T. IIJ 10
H6 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
dessus de toutes les générations humaines quand il raconte
la naissance éternelle du Verbe. Cet oiseau est tantôt auprès
de lui, supportant le livre de l'Apocalypse, tantôt au-dessus
de sa tête , tenant en son bec la plume immortelle du dis-
ciple bien-aimé. — Passus sub Ponfio Pilato , crucifixus ^
mortuus et sepultus.
S.Thomas. 6" S. Thomas fut lapidé, ct il coustruisît de nombreuses
églises aux Indes , qui reçurent son apostolat. Est-ce pour
cela qu'il tient en main une grosse pierre? Serait-ce la
raison qui l'aurait fait prendre pour patron par les archi-
tectes,et armer d'une équerre qu'on lui donne parfois? Rien
ne semble justifier ni condamner ces idées. Ce qui paraît
juste , c'est de renoncer à cette lapidation, car on s'accorde
à lui donner une lance dont ses Actes disent généralement
qu'il fut percé. Dès lors la grosse pierre, bien équarrie et
parfaitement régulière , que nous lui voyons en quelques
miniatures , demeurerait aux architectes comme un signe
de sa protection. Puisse-t-il les inspirer et donner son esprit,
qu'ils n'ont pas encore , à beaucoup de ceux qui s'adressent
à nos pauvres monuments ! — Ici se présente une difficulté
qui va prouver combien doit susciter de doutes l'arrange-
ment qu'on a fait des articles du symbole avec chaque
Apôtre en particulier. Durant de Mende , que nous suivons
pour cette partie de nos explications, place entre S.Jean,
que nous venons de quitter, et S. Thomas, dont nous par-
lons, deux autres Apôtres : S. Philippe et S. Barthélémy. Il
en résulte que la légende du Cr(?<io, prêtée à S. Thomas,
ne serait pas celle qui suit immédiatement le passus sub
Pontio , mais bien inde venturus est : c'est une interversion
du cinquième article au septième. Il faut bien reconnaître
dès lors ou que Durant s'est trompé , ou que la tradition
est erronée. Quoi qu'il en soit , nous constatons , tout en
suivant Tordre du Missel, comme plus vrai, cette contradic-
tion entre lui et les errements de quelques vieux livres.
On doit croire que cette erreur a eu aussi des variantes ;
EXTÉRIFAR DE l'ÉGLISE CHRÉTIENNE. 147
car, à Sainte-Cécile d'Alby, les Apôtres ne sont ni placés dans
le même ordre, ni, par conséquent, porteurs des mêmes
articles de foi (I). D'après le Missel, S. Thomas devrait donc
dire : Descendit ad infcros , lertia die resurrexit a mortuis,
au lieu de dire, comme le veut Durant : bidc venturus est
judicare vivos et mort nos.
V S. Jacques le Mineur , précipité du haut du temple
à Jérusalem , fut assommé par un foulon, dont la masse ou
bâton est deveiui son attribut. Il y tient la neuvième place
dans le Rational, et dit : Sanctam Ecclesiam catholicam, etc.;
la septième, qu'il occupe ici, lui donne réellement l'a^-
cendit ad cœlos, sedet ad dexteram Dei Patris Omnipofentis.
8* S. Philippe tient une croix triomphale ou à trois bran-
ches, parce qu'il fut crucifié à Hiéropolis , en Phrygie. Son
phylactère porte : Descendit ad inferos , tertia die resur-
rexit, etc., ce qui appartiendrait à S. Thomas et devrait être
remplacé ici par inde venturus est judicare vivos et mortuos,
9» S. Barthélémy fut-il écorché, comme le prétendaient les
peintres , qui lui mirent un coutelas à la main gauche ,
ou crucifié sur cette croix longue et mince qu'on lui voit
au portail d'Amiens? Ce sont des sujets controversés. On
est autorisé à lui donner l'un de ces attributs ; nous les lui
donnerions plus sûrement tous les deux. Reculant encore de
deux rangs, il doit dire : Credo in Spiritum Sanctum.
10" S. Matthieu fut percé d'une pique à l'autel, et il
la porte en triomplie : Sanctam Ecclesiam catholicam, Sanc-
torum communionem. Rien n'irait mieux à ce Martyr expi-
rant pour l'Église dans l'acte le plus solennel de la com-
munion des Saints.
ir S. Simon : Remissionem peccatorum. 11 fut scié par des
s. .Jacques le
MlNEl'B.
S. Philippe.
S. Barthélémy.
S. Matthieu.
S. Simon.
(1) Ces contrariétés pourraient bien venir d'une pose inintelligente
de quelques statues qui, ayant été sculptées séparément, ne furent
ensuite placées, par l'inadvertance d'ouvriers maladroits, qu'en dépit
des inscriptions déjà gravées peut-être sur les corniches ou linteaux qui
devaient les avoisiner.
448 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
prêtres du Soleil pendant son apostolat en Perse. La scie de
son supplice est entre ses mains.
s.JcDE. >i2o Sans trop savoir de quel supplice mourut S. Jude,
nommé autrement Thaddée , on a lieu de croire qu'il dût
être assommé, quelques-unes de ses anciennes images le
représentant avec une massue. On lui donne autrement une
palme et un livre , insignes habituels du martyre et de Ta-
postolit. Il prononce le carnis resurrectionem.
s. Matthias. Mals Icl uous rcstc encore S. Matthias , qui ne figure pas
au Missel parce qu'il ne fut pas des Apôtres contemporains
de la mission du divin Maître , ayant été élu par les onze
pour remplacer Judas (1). Nous soupçonnons un peu qu'on
l'aura mis après coup dans cette liste énumérée par l'évêque
de Mende , dont S. Paul était exclu, pour ne pas laisser sans
emploi le vitam œfernam qui termine le symbole. Nous
pourrions observer aussi que l'attribution de ces douze ar-
ticles a été quelque peu arbitraire ; car on remarque , en
les parcourant, qu'on a dû les réduire à ce nombre pour
en donner un à chaque Apôtre , mais qu'on aurait pu
utiliser, sans faire tort à l'ensemble, sept Apôtres déplus
et livrer à chacun d'eux: une banderole où eussent figuré
autant de duplicata faciles à distinguer. Pourquoi , par
exemple, n'avoir pas séparé, comme autant de dogmes
aussi réels que distincts, les traits suivants qu'on a forcé-
ment reliés à ceux qui les précèdent : Creatorem cœli et
terrœ; — natus ex Maria Virgine ; — crucifixus ; — mor-
tuus ; — et sepultus; — resurrexit amortuis; — sedet ad
dexteram Dei ; — Sanciorum communionem t — Cet examen
ébranle nécessairement la solidité d'une origine authen-
tique pour cette légende (2). On n'en est pas moins autorisé,
(1) Le Missel a dédommagé le saint Apôtre, aussi bien que S. Bar-
nabé, élu comme lui après l'Ascension, en les nommant, après le mt-
rnento des morts, avec les premiers martyrs de l'Eglise. Ils y viennent
immédiatement après S. Etienne.
(2) Ce qu'il y a d'important aussi à remarquer, c'est le peu de soin
EXTERIEUR DE L EGLISE CHRÉTIENNE.
U9
nous semble-t-il , à en prendre le fond pour orner une façade
ou des verrières, mais ce ne serait qu'à condition de rentrer
dans Tordre du Canon de la Messe , et d'y faire suivre, aux
versets du Credo , l'ordre correspondant à chacun des per-
sonnages apostoliques. — L'attribut de S. Matthias est une
cognée. preuve d'une
tradition univer-
Revenons maintenant aux traits de notre façade symbo- seiie inspirée par
1. /-w. ,,i,-ii ... 11/ les mêmes pensées
lique. On voit qu a 1 aide de ces ingénieux moyens de déco- de foi,
ration qui les animent et les vivifient, tous les motifs de ter-
reur ou de consolation se présentent, sur ces merveilleuses
pages sculptées, aux regards et aux méditations de l'homme ;
le texte en est inépuisable, aussi bien que les innombrables
symboles qui en surgissent. Ce que nous devons surtout re-
marquer dans cette étude tropologique de nos monuments ,
c'est que partout , chez toutes les nations où fleurit au
moyen âge la pensée chrétienne , les mêmes images se
retrouvent, les mêmes vérités s'enseignent par les mêmes
moyens graphiques , les mêmes symboles les expriment ;
et cependant il n'y avait pas de livres qui exposassent cette
théorie universelle; les traditions servaient seules le senti-
ment chrétien. Liberté entière était donnée à l'artiste, dont
le génie rendait avec plus ou moins de naïveté ou de per-
fection la longue et poétique série des sujets iconologiques ;
mais le fond restait le même : le ciel , le paradis, les vertus
et les péchés, les démons et les saints; l'histoire sainte et
les bestiaires revenaient sans cesse sous le regard , en deçà
ou au delà des mers , comme le fond lui-même des doc-
trines architecturales, comme la théologie catholique, dont
qu'on avait pris,
se conformer au
Saint- Hubert de
par des fresques
articles de foi. —
faut bien avouer
ne s'était mêlé
ration.
en diverses églises où ce système avait été adopté^ de
moins à une donnée unique. Il n'en était rien, et à
Waville, en Lorraine, les mêmes Apôtres, représentés
du (juinZ'èiiie siècle, ne triaient pas du tout les mêmes
Voir Bull, monnm., t. XIV, p. 220, et XX, 188. — Il
aussi que c'était là une nouvelle pr^'uve que le clergé
qu'incomplètement ou pas du tout de cette déco-
150 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
la puissante sève animait toutes les veines de l'art chrétien. . .
et qui était la véri- Qu'un peuple alusl composé de tant de famille's différentes
dïmoyen^T"*^ Gst fort ct dlguc a vcc cc lleu des âmes qui l'unit dans la même
morale et dans la même foi ! Nos rêveurs de nationalités
ne s'y tromperaient pas plus que nous-mêmes , si cette
unité prétendue , qu'ils veulent créer sans l'indispensable
ciment d'une foi commune , n'était pas un prétexte maudit
de tout renverser pour régner sur des ruines. Après la
ruine de l'art , que leurs fatales maximes ont consommée ,
ils ont détruit l'harmonie des âmes. Ils ne sont plus qu'en
dehors de l'Égiise , où ils réalisent les contorsions satani-
ques des inspirateurs de leur vie de désordres et d'agita-
tions. Qu'ils y demeurent, s'ils s'obstinent à n'y pas rentrer!
Nous n'en franchirons pas moins les saintes barrières pour
nous réjouir, dans le monde à part qui nous est fait , de
ces autres harmonies qui nous y attendent encore.
CHAPITHB IV.
INTÉRIEUR DE L'ÉGLISE.
Les sens spirituels que nous avons appliqués à la lettre de Le spiritualisme
plus actif dans
l'Ecriture sainte (1) sont également applicables a 1 église rinténeur de ré-
• ii-w 1 ^ •» 'iiJi fflise qu'au de-
inatérielle. Quand nous y entrons, la matière sensiJDle n est hors.
plus là pour nos âmes toutes spirituelles : c'est l'esprit qui
la recouvre de son enveloppe spéculative, et, sous ces appa-
rences visibles à l'œil du corps, quelque cbose existe de
plus élevé, de plus réel, que la foi fait comprendre, comme
elle fait adorer sous les espèces sacramentelles le Dieu qui
réside sur l'autel, victime substantielle. Personne parfaite,
Dieu et liomme à la fois, que les sens ne peuvent atteindre,
mais que le cœur contemple à travers les obscurités du
mystère et sous les faibles dehors d'un Pain qui n'est plus.
Ainsi, le vaisseau sacré renferme toutes les conditions sens muuipie
merveilleuses d'une figure mystique. Le symbolisme qui s'at- tiennerconsidérée
tache au\ moindres faits de la religion se dilate dans cet
espace où Dieu réside, et les enseignements doctrinaux n'y
parlent pas moins que dans les livres de nos Prophètes et
de nos Evangélistes. Toute église, pour peu remarquable
que la fasse sa nudité relative, n'en est donc pas moins
pour le fidèle une allégorie du divin Maître, et l'Église mili-
tante \e signe tropologique de l'âme clirétienne, un sou-
venir toujours vivant de la Jérusalem d'En-Haut à laquelle
aspirent nos plus chères espérances. Si tant de caractères
(1) Ci-dessus, t. 11, ch. m.
en elle-même.
Symbolisme de
la fenêtre orien-
tale ,
tlu pave ,
d'intailles ,
^52 HISTOIKE DU SYMBOLISME.
résultent de ce que nous avons déjà dit des dehors du Temple,
nous allons le voir bien plus distinctement encore en par-
courant ses nefs, son sanctuaire et ses chapelles.
Et d'abord, nos yeux aperçoivent dans le lointain une vaste
fenêtre d'où le soleil jaillit jusque sur nous-mêmes et inonde
de ses splendeurs les mille richesses de la maison de Dieu.
Prosternons-nous avant tout; et comme autrefois les pieux
croisés, à l'aspect de la ville sainte, baisèrent le sol qu'avaient
touché les pieds du Sauveur, inclinons notre tête, et, après
avoir franchi cette porte qui nous rappelle l'obéissance aux
commandements et dont le Sauveur a dit qu'il était lui-
même celle par laquelle on entre dans le salut (^l), imitons
dans un véritable abaissement de notre cœur ces âmes sim-
ples des siècles de foi, encore imitées de nos jours plus rare-
ment, mais avec d'autant plus de mérite, lesquelles n'en-
traient jamais dans le lieu béni parla présence divine sans
coller leurs lèvres au pavé qu'ils allaient fouler de leurs pas
respectueux. Aussi bien le pavé est le signe de l'humilité;
il est la plus basse composition de l'architecture, il est
pressé par tout le monde et souffre volontiers toutes les
sortes d'abjection. Il tient essentiellement à ces degrés de
la même pierre , par lesquels nous sommes descendus
peut-être sur ce plan partout égal où toutes les âmes se
d'ornements fout Ic mêmc ulvcau dcvaut Dieu (2). Là, selon que notre
(1) (t Ostium obedieutia , de qiia Domiiius inquit : Si vis ad vilam
ingredî, serva mandata, » (Durant. Mimât.. Ralionale,Uh. I; inihi,
fo III.) -- « Ostium Ecclesiee Cbristus est ; uDde : Ego sum ostium ;
per me si quis iutroierit salvabitur. Nemo enim vadit ad Patrem nisi
per Christum. » (Sicardi^ Cremon. episcopi, Mitrale, lib. I, cap. iv.)
(ï) « Pavimeatum quod pedibus calcatur, vulgus est, cujus laboribus
Ecclesia sustentatur. » (Sicardi, iibi iwpm.)— «Pavimentumhumilitas.
deqaaPsalmista: Adbsesitpaviaiento anima mea.n {DuTSiUL ,ub i sup7^à.)
-La plupart de nos assertions vont être tirées de ces deux auteurs, puis
d'Hugues de Saint-Victor, d'Isidore de Séville et des autres qui , dans
le même temps, ont écrit sur ces matières avec une remarquable una-
nimité de principes symbolistiques. Tous les détails sont expliqués par
eux dans le même sens; nous n'eu citerons donc plus le texte daq^ le
INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. -153
édifice est plus ou moins ancien et qu'il a mieuv conservé «"•'^•■^ dnbordd
'■ ^ !<( IIS symbolique.
ses ornements primitifs, ou qu'ils ont été remaniés à di-
verses époques de l'art, vous trouveriez des compartiments
en marbre de diverses couleurs, des mosaïques en matières
dures et en émail, ou, enfin, des pierres profondément
gravées et rehaussées dans leurs incises de mastics colorés
ou d'un coulage de plomb. Ailleurs c'était Vopus alexan-
drinum, composé de figures géométriques s'alliant entre
elles avec beaucoup de symétrie et de pureté, d'un grand
effet, quoique insignifiantes quant à leur but symbolique ,
soit qu'elles nous vinssent de l'Egypte, pourtant si préoc-
cupée de ses hiéroglyphes, soit qu'elles aient paru d'abord
sous le règne d'Alexandre Sévère, ce que nous supposons
plus volontiers : car c'est surtout dans les basiliques ro-
maines , aussi bien que dans les palais, qu'on les prodigua
vers la fin du deuxième siècle. Ce genre d'embellissement
suppléait aux tapis, sans se détériorer aussi vite qu'eux; il
n'excluait pas non plus, après avoir bordé les nefs en y sui-
vant les contours des pihers et les limites naturelles des la-
téraux du chœur et des chapelles, certains grands sujets
représentant des hommes, des animaux, des attributs reli-
gieux. A Saint-Laurent hors les murs, près Rome, le pape
Adrien P' avait, au commencement du neuvième siècle, doté
le pavé d'un guerrier à cheval, portant son étendard ; celui
de Sainte-Marie-Majeure garde les armoiries des Papes qui
la firent construire ou restaurer.
Mais l'art chrétien s'empara surtout de ces orrands ï'écondité de
A o cfs compositions;
espaces vers le douzième siècle, quand, dominant toute l'en- «l'^^ sontrempia-
^ ' 1 ' cppg pyr des alle-
ceintc sacrée, il voulut, en complétant le système général »<*"^s en mosaï-
de décoration qui s'attachait aux fenêtres par les vitraux
coloriés, aux voûtes et aux murs par les fresques, honorer
cours de ce chapitre, réservaot ce soin pour les autorités moins con-
nues.—Voir la description de la cathédrale de Bayeux, Bull, monum.,
XVII . 200.
J54 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
même jusqu'aux surfapes inférieures. La ferveur y pouvait
alors trouver des sujets de méditation partout autour
d'elle, soit qu'elle élevât ses regards vers Celui qui habite
dans les deux, soit qu'elle les rabaissât vers la terre pour
songer à son indignité et à son court pèlerinage : alors la
mosaïque se dessine en plus larges compartiments, et le
symbolisme y trouve, comme sur les fresques murales et
dans l'éclat des verrières, des histoires et des légendes. On
se rappelle avec quelle mauvaise humeur S. Bernard se
plaignait que l'on pût cracher dans la bouche des anges et
sur la face des saints. Plus convenables, à son goût, auraient
été (( ces animaux tranquilles ou luttants, lions, griffons,
paons et autres, » ces fleurs enfin et ces couronnes dont Pru-
dence semblait parler dès le quatrième siècle, lorsqu'il
décrivait, dans une église de Mérida, « les fleurs si agréable-
ment colorées, qu'on semblait invité à les recueillir dans une
corbeille, sur le vert tapis d'une prairie (1) ; ainsi encore
ce merveilleux mélange de végétation et de zoologie versé
avec tant de profusion, vers le milieu du septième siècle, sur
les dalles d'une petite église byzantine des environs de
l'ancienne Tyr (2). En Italie, c'est encore le grand luxe des
pavés dans les parties hautes des grandes églises, comme à
Novare et à Verceil. On voyait autrefois dans le chœur de
Sainte-Marie-Majeure de cette dernière ville un pavé mo-
saïque représentant plusieurs instrumentistes jouant et
dansant devant le roi David assis sur son trône. Ailleurs les
scènes des deux Testaments s'y multiphent avec une richesse
étonnante ;et y représentent à l'envi toutes les figures
(1) Saxscque cassa solum variant
Floribus, ut revoluta putes
Prata rubescere multimodis.
Carpite purpui*eas violas
Sanguineosque crocos metitc.
(Cité par M. Julien Durand, Annale%
archéologiques XV 224.
(2) Annal. arcJiéolog.,XX\, 151.
INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. ^ o5
bibliques du Saint Sacrifice. A la cathédrale de Sienne, où
le pavé n'est représenté tout entier que par des incrusta-
tions d'objets symboliques, la roue de fortune joue un des
principaux rôles de ce grand draine, et semble y faire
tourner avec elle des hommes victimes de leurs ambitieux
mais inutiles efforts. Dans celle d'Aoste, toutes les natures
d'animaux sontprodiguées: l'éléphant, symbole du grand pé-
cheur, l'ours toujours féroce, la chaste licorne, toutes sortes
d'animauxhybrides, et jusqu'aux quatre fleuves du paradis
terrestre (1). Mais surtout on y prodigue les types variés
des figures allégoriques ; alors le pavé parle, à l'instar des
murailles et de toute Fornementatioii sculpturale, un lan-
gage connu de la foule, au moyen des fleurs et des animaux.
Des oiseaux, des léopards, des cerfs, des arbres, des san-
gliers, des chasseurs à pied ou à cheval, des chiens lancés à
toute vitesse, tout en occupant des cases à part, mais rap-
prochées les unes des autres , concourent à une scène
d'ensemble dont l'intention symbolique n'est pas douteuse :
c'est encore la vie humaine exprimée par une roue tou-
jours mouvante, ou comparée à une chasse active pour la-
quelle le démon et ses satellites poursuivent sans inter-
ruption l'innocence , dont la fuite est le meilleur moyen de
salut (2).
Aux douzième et treizième siècles , viennent se mêler à Pierres tombales
des douzième et
cette parure les grandes pierres tombales, gravées en creux, treizième siècles.
des chevaliers, des dames , des évoques et abbés , des cha-
noines, des moines et des religieuses, lesquels, encadrés en
de magniiiques dais gotliiques, accompagnés deleursarmoi-
ries, revêtus de leurs costumes spéciaux et portant leurs
(1) Nous empruntons la plus grande partie de ces détails à M.Albert
Lenoir,qui les a consignés en 1841 dans le BuUelin du comité des arts
et monuments, 1. 1, p. 240,
(2) Voir la description complète et très-attachante de toute cette
iconographie dans un article intéressant de Didron , Ann. archéot.,
XVI, 38y;XX, ii7.
J56 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
attributs distinctifs, faisaient ainsi de chaque église une sorte
de registre monumental où se gardaient, avec des dates
certaines et des noms illustres, l'histoire et la physionomie
propre de ces temps d'héroïsme et de foi. Une cause
toute matérielle contribua peut-être alors à multiplier ce
genre de travail dont les ateliers des architectes. Le marbre,
épuisé en France, dont les carrières étaient fouillées depuis
l'introduction dans la Gaule de la civilisation romaine, fut
remplacé par ces belles pierres de liais dont le grain serré
et homogène avait le poli du marbre sans en avoir toute la
dureté, et se prêtait d'autant plus facilement au travail du
ciseau ; c'est sur de larges bancs de cette pierre que furent
tracés, dans les grandes nefs des églises, quelquefois les zo-
diaques, dont nous parlerons , et souvent les labyrinthes,
dont nous devons dire ici l'origine et la signification.
Labyrinthes. - A Polticrs, à Rclms, à Arras, à Saint-Bertin, on voyait au-
Leurs plans cli-
vers; trcfois, ct l'ou volt cucorc à Chartres, à Saint-Quentin et en
quelques autres églises, comme dans la salle capitulaire
de Bayeux, de grandes figures rondes, carrées ou octo-
gones, de superficie plus ou moins vaste, et présentant des
compartiments multipliés formés de hgnes affectant la
forme générale, Ugnes dont le fond se composait de pavés
en marbre ou émaillés, et qui, toutes revenant sur elles-
mêmes, aboutissaient, après maints détours, à un centre ou
une extrémité commune, et d'où l'on ne revenait qu'en
suivant la même voie déjà parcourue, jusqu'à l'entrée qui y
avait introduit. C'était ordinairement dans la nef médiane,
quelquefois dans l'une de ses adjacentes, que se développait
cette figure, tout d'abord énigmatique à l'observateur mo-
derne, mais dont nos pères savaient faire un excellent
leur but. emploi. En effet, par ces longs sentiers où ils trouvaient
incrustés, à des distances égales, des griffons, des cou-
ronnes, des fleurs, des croix et d'autres symboles à l'usage
des inteUigences fidèles, ils parcouraient en priant une voie
mystérieuse qui leur représentait celle que le Sauveur avait
IISTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. 157
suivie du tribunal de Pilate au Golgotlia, et qui, entreprise
par eux dans un esprit de pénitence et de satisfaction disci-
plinaire, remplaçait, avec l'assentiment de l'Église, les peines
canoniques remises depuis les croisades à ceux qui, en com-
pensation, s'obligeaient au pèlerinage guerrier de Jéru-
salem. Toutes ces bètes, toutes ces fleurs et ces couronnes
se trouvaient successivement sous ces genoux qui se fati-
guaient dans ces détours sinueux, et rappelaient à la ferveur
chrétienne ses combats de chaque jour et ses espérances de
l'avenir où elle aspirait, comme alors elle tendait à la croix
qui -terminait ce pèlerinage symbolique. Une dévotion plus lu se résument
1,, •jxi'iii 1 aujourd'hui dans
complète en apparence, mais dont le résultat ne parle pas ]e nucruds.
plus au cœur du fidèle que cette marche laborieuse d'autre-
fois, a pris la place, dans nos églises, de ce voyage de nos
aïeux : le Chemin de la croix arrête aujourd'hui à chacune
de ses stations le chrétien qui veut laver son âme dans la
méditation des souffrances divines, et prêterait encore à
nos saintes murailles une touchante éloquence, si nos ar-
tistes, en trop grand nombre, n'ignoraient pas absolument
le sens des choses surnaturelles (1) !
Ce luxe des pavés incrustés ou émaillés se manifesta sur- Spédmens de
tout au douzième siècle par des progrès dont les derniers Smc siècle,
restes nous sont parvenus. On conserve encore à Saint-Denis
quelques fragments curieux de l'époque de Suger, c'est-à-
dire de M 22 à \ \ 53 : ils sont en terre cuite, revêtus d'un
solide vernis et incrustés d'entrelacs, d'arabesques et d'au-
tres ornements de la seconde période romane. On voit donc
qu'à mesure que l'art chrétien se développait, on abandon-
nait les premiers errements qui pavaient les basiliques en
marbre et suppléaient parfois au symbohsme par la richesse
de la matière et les variétés des couleurs. On serait mal reçu mai suppléés par
aujourd'hui, quand la renaissance des meilleures traditions
brille de tout son éclat, à ramener dans nos cathédrales les
(1) Voir uotre Hiil. de la calhédr. de Poitiers, 1, pi. i.
>I58 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
pavés alternés de marbre noir et blanc, d'ardoises et de pierre
calcaire, comme on le ferait dans un vestibule d'honnête
maison. C'est la honte d'un architecte d'arriver à ces mai-
gres et muets résultats, quand, de toutes parts, les fabriques
lui offrent à l'envi d'heureuses reproductions du moyen
âge où les symboles revivent pour renouveler à l'inlelligence
des hommes les douces et sérieuses pensées de leurs devoirs
et de leur éternité.
Les murailles, et Mals pcudaut quc uous prcssous de nos pieds ce sol mys-
leur sens mysti- i i i •
que. ' térieux, nous nous sentons enveloppés de la paix ; nous respi-
rons un autre air, plus pur et plus léger, semble-t-il , dans
cette vaste et majestueuse enceinte. Que ces murs qui cir-
conscrivent notre regard ont eux-mêmes de majesté ! comme
leurs magnifiques dimensions se déroulent au loin en de
merveilleuses perspectives ! S'ils n'ont pas été déshonorés
par ce badigeon blanc ou jaune qui a fait longtemps
toutes les" déhces de nos malheureuses campagnes ; si la
teinte sombre de leur appareil, savamment taillé en grandes
pierres ou en petit échantillon, conserve à l'ensemble une
gravité vénérable et laisse arriver à l'âme un souvenir du
plus beau temple de l'univers ; si nous voyons dans ce tra-
vail de l'homme consacrant ses veilles et ses sueurs à la
gloire de Dieu une sensible image de cette divine charité'
qui nous a faits autant de pierres vivantes destinées à l'édifice
éternel, nous comprenons qu'il faut nous assoupUr à la
main de l'adorable Architecte qui, après nous avoir choisis,
nous élabore et nous polit dans la pénitence d'ici-bas, afin
de nous insérer un jour dans l'œuvre impérissable de la
céleste Cité (^).
Importance des Nous avous dit quc Ic cimeut doit être considéré comme
(1) Quisquis ambit hue venîre
Inserique mœnibus,
Ante duris hic probari
Debuit laboribus.
(Ancienne hymne du Bréviaire de Paris
et de Poitiers, aux vêpres de la Dédi-
T" cace.)
INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. I o9
fîoTurant runion des anies clans la société chrétienne. A ^««8 indiquées
Y ^ par le ciment dans
l'intérieur du temple, ce symbolisme devient plus sensible ; l'apparcii.
en effet, si rien ne nous le dérobe, si de méchantes cou-
ches de chaux ou d'habiles peintures ne l'ont pas entière-
ment effacé fet certains spécimens en restent toujours visi-
bles quelque part), on le voit diviser en compartiments
symétriques toutes les surfaces apparentes et témoigner de
la savante patience qui superposa lentement et avec tant
d'aplomb ces mille portions d'un tout si grandiose. Gomme
autrefois à l'abside de l'abbatiale du Ronceray, en Anjou,
aujourd'hui encore à la cathédrale de Poitiers , des lignes
transversales et perpendiculaires teintées en briques indi-
quent chaque pierre de l'appareil et en laissent ressortir les
mesures variées sur un fond général qui se marie très-
bien avec la teinte du calcaire siliceux : ainsi ressortent ces
épaisses couches de mortier inaltérable qui sont un carac-
tère monumental des onzième et douzième siècles.
A travers ces teintes extrêmement légères , un autre siçnes lapidai-
caractèrenon moins curieux, et toujours symbolique, nous ^^^'
transmet aussi un intéressant usage des maçons de nos
âges de foi. Répandus en autant de spécimens qu'il y a de
pierres formant le revêtement des murs, on voit d'innom-
brables signes lapidaires, imprimés à la pointe , variés à
l'infini par les nombreux ouvriers qui les avaient adoptés,
figurer comme autant de noms propres ou de signes conven-
tionnels, et attester une fois de plus, par le plus incontes-
table de tous les témoignages, comme le simple artisan
mettait à profit pour lui-même ses études symbolistiques,
auxquelles chaque jour l'engageait sans efforts et presque à
son propre insu. Au dehors ils apparaissent également, car ^^^^ but mieux
^ , ^ connu ,
ils appartiennent à des pierres taillées par diverses mains
de travailleurs, et servaient moins à déterminer leur place;
dans l'œuvre, comme on a pu le croire d'abord, qu'à con-
stater la tâche de chacun et le salaire qu'il en devait rece-
voir. Mais, quoiqu'ils y soient plus visibles parce qu'aucune
et leur emploi g'"
néralisé aux di-
vers genres d"iu'-
chitecture.
Les croix de con-
séeration.
Les portes; leur
nombre symboli-
que.
^60 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
couche de peinture ne nous les cache, ils y sont réellement
moins apparents que le long des nefs, où ils frappent plus
sûrement le regard sous un jour moinsvif et mieux ménagé.
C'est dans les églises du dixième au quinzième siècle que
ces symboles parlants furent surtout employés ; mais on les
trouve également aux édifices militaires et civils, aux châ-
teaux, aux murs d'enceinte des cités, aux maisons même
des particuHers, dont l'importance atteste qu'un grand
nombre d'ouvriers y furent commis. Outre des lettres alpha-
bétiques, véritables initiales du maçon, les instruments du
métier s'y répètent souvent par des équerres, des niveaux,
des crochets, des clous, des girouettes. Des animaux for-
ment probablement des noms de personnes, tels que l'oiseau,
le poisson, etc.; des trèfles, des étoiles, des feuilles d'eau,
des dards, des nœuds enlacés, font allusion à d'autres idées :
ce sont donc là de simples symboles, et non, comme on
avait pu le conjecturer, « un alphabet propre à éclairer un
jour la science (4). »
Bien plus importantes aux yeux de tous , et nécessaires
parmi les symboles d'une église , nous voyons les croix ,
signe de sa consécration, radier au nombre de douze, à des
distances "égales, ou sur la surface des murs ou sur les piliers
qui en soutiennent les voûtes. Nous en reparlerons bientôt ;
disons seulement qu'elles semblent se disséminer dans l'au-
guste enceinte comme la foi chrétienne dans toutes les par-
ties du monde, et répéter comme l'Apôtre aux enfants de
Dieu : Fides vestra annuntiatur universo mundo (2).
A ne consulter que le sens exprès des différents détails de
la sainte demeure , on ne devrait y ouvrir qu'une ou trois
portes au couchant, et ce dernier nombre, c'est, nous
l'avons dit, un symbole de la Trinité, représentée aussi par
(1) Voir, pour plus de détails sur ce point, notre Histoire de la ca-
thédrale de Poitiers, t. I, p. 287, pi. ix; — Annal, archéolog., Il, 246
et251.
(2) Rom-, I, 8. — Voir BuUet. moîium., XIII, 419.
INTÉRIEUR DE l'ÉGUSE. ^6^
les trois nefs qui divisent le plan intérieur; et ce nombre trois
a paru d'une si haute importance comme symbole que, dans
beaucoup d'églises où une seule baie est ouverte à l'occident,
on a souvent simulé par deu\ autres, aveuglées à droite et
à gauche, le complément (jui semblait leur manquer. On a
voulu, à tort , contester ce langage mystique de la Trinité ,
qui paraît si clairement dans une foule d'autres détails où
le nombre trois ne peut se répéter obstinément qu'avec une
intention évidente, et ceux qui prétendent infirmer cette
raison en lui opposant les cinq portes de la façade de Bourges
ne prouvent pas du tout qu'en les multipliant ainsi dans un
édifice à cinq nefs, on n'ait pas voulu symboliser la Trinité
par une façade qui n'en a que trois (1). Mais il a fallu aussi,
par d'autres raisons, ajouter aux ouvertures normales quel-
ques autres absolument nécessaires. Dans les grandes basi-
liques, il devient indispensable de se prêter au dégagement
du local et de donner plusieurs issues à la sortie d'une
foule plus considérable; peut-être d'ailleurs que les besoins
du service, la prévision des incendies et des réparations ne
sont pas restées étrangères à cette multiplicité d'ouver-
tures.
Néanmoins, quel que soit leur nombre, qu'aucune règle Riche omemen-
, . , 1 , , ,. ., -, tation tirée des
ne détermme absolument, le symbolisme qui les a ornées de faits historiques
" .ou des figures des
riches sculptures nous y montre encore des souvenirs de la deux Testaments.
Cité céleste décrite dans l'Apocalypse. Là, douze portes étaient
faites de douze pierres précieuses qui semblent bien être
les douze Apôtres, docteurs par excellence, dont la doctrine
est la seule qui puisse introduire au ciel. A chacune d'elles,
un ange était préposé; et comme leurs pierres étaient sculp-
tées et taillées avec un art admirable , nous pouvons bien
retrouver dans cette belle ornementation le type idéal de
(1) Voir cette objection faite par Didron dans ses Annales archéo-
logiques, t. XXI, p. 141.— Ce fait très-rare ne peut ici constituer
une règle, ni infirmer celle déjà reconnue et presque partout ob-
servée.
T. 111. H
^62 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
tous les sujets que, dans toutes les portes de nos églises, le
ciseau ingénieux du tailleur d'images s'est efforcé d'en
reproduire avec une infinie variété {\]. Ces sujets, au reste,
encadrés ainsi dans des tympans secondaires, sont toujours
quelque trait de la vie du Sauveur, ou de sa sainte Mère ,
ou du Patron ; ils n'étalent pas les enseignements de la vie
purgative à laquelle est convié, avant tout, quiconque veut
Les portes e- trouvcr Dlcu ct cutrcr dans l'intimité de son Tabernacle. Nous
trottes.
ne serions pas étonné que ces baies secondaires, bien moins
larges que celles de la façade, et destinées plus habituelle-
ment à l'entrée des fidèles , qui sortent plus volontiers par
les plus grandes, n'eussent dû reproduire l'invitation du
Sauveur à ceux qui cherchent la véritable vie, où la porte
large, la mollesse et la vie facile n'introduisent jamais (2).
Les Cavaliers Ici uous dcvous uous arrêter à un sujet de décoration
dea façades.
sculpturale, dont nous avons promis de nous occuper et
qu'il est temps d'éclaircir. Aucun archéologue n'ignore les
chaudes discussions soulevées en diverses revues ou assem-
blées scientifiques sur le fameux cavalier qui semble s'être
fièrement emparé, au douzième siècle, du tympan principal
de nos églises romanes.
Il était impossible, sur ce point comme sur tant d'autres,
que les esprits ne se fissent pas des thèses diverses appuyées
plutôt sur des conjectures que sur des recherches, sans les-
quelles, en fait de symbolisme, on ne découvre jamais rien.
Aussi les champions se sont-ils égarés quant au personnage
princier qui figure sur tant de façades éloquentes et y tient
(1) Voir notre explication du ch. xxide l'Apocalypse, ci-dessus, t. II,
ch. XIII. — S. Grégoire complète et développe toutes les idées symbo-
liques posées par le prophète de Pathmos : « Portas ejus posait in la-
pides sculp! os. lli quippe portée sunt Ecclesiee per quorum vitam atque
doctrinam intrat in eam multitude credentium. Qui pro etiam quod
magnis operibus poUent, et id quod loquentes asserunt, viventes osten-
dunt,nonpwri sed sculpli lapides esse memorantur. » (Moral, in Job;
Milleloqidum ; mihi, p. 257, in-f''.}
(2) « Quam angusta porta et arc ta via est quee ducit ad vitam, et
pauci sunt qui inveniunt eam! » {Matih., vu, i4.)
INTÉRIEUR DK LÉGLISE. -163
la place dlioiineui-. On a été de Constantin à Charlemagne,
d'Héliodore à S. Martin ; on a même été jusqu'à l'Ange de
l'Apocalypse : tous rapprochements auxquels on s'est aban-
donné sous prétexte d'un cavalier et de son cheval , mais
qui ne soutiennent pas l'examen pour peu qu'on les com-
pare avec les faits historiques trop gratuitement invoqués.
Mais pourquoi vouloir découvrir dans J'histoire ce qui fut
exclusivement inspiré par le symbolisme? En fait, c'est
vraiment le Christianisme vainqueur de ses antagonistes
qu'on représente ici sous les traits du seigneur chevalier,
la plus haute personnalité de la puissance humaine, défen-
seur-né de l'Église, figurant par ses attributs les plus hono-
rables Jésus-Clirist Im-mùme, par qui régnent les rois^ cou-
ronné , sortant en vainqueur pour suivre le cours de ses
victoires, et marquant ces victoires glorieuses par l'homme
renversé et foulé aux pieds de la noble monture, dont l'en-
colure , la marche et toute la pose semblent démontrer
qu'elle sent la dignité de son rôle et celle de l'illustre guer-
rier qui l'assouplit à sa main. Qui ne voit là, sans beaucoup
d'efforts, cette scène que nous avons décrite au chapitre vi de
l'Apocalypse (I), et partant le Sauveur lui-môme, représenté
ici sous les traits humains, comme dans le Livre sacré? Et par
cela ménu3 ne rentre-t-on pas dans l'esprit des convenances
chrétiennes, qui, du moment que l'esthétique s'empara des
façades d'églises pour y exercer le ciseau du sculpteur, s'est
appliqué à les parer toujours d'images bibliques , d'hagio-
graphies, de symboles enfin, mais jamais d'aucune person-
nalité qui ne fût pas honorée d'un culte public? — Il n'y a
donc plus à douter du caractère mystique du cavalier , si
controversé jusqu'à présent, et, pour en convaincre notre
lecteur, sans prolonger trop ici les développements de ce
sujet, nous osons le renvoyer avec confiance au travail pu-
blié par nous en ^865 , et dans lequel nous avons appuyé
(!) Voir ci-dessus, t. Il, p. 266.
164 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
cette opinion de toutes les preuves données par la science
de quelques-uns de nos devanciers (^).
Cependant poursuivons notre enquête.
Le symbolisme Q'est cu cxaminaut ce grand ensemble du Lieu saint ,
des nombres a-t-il . . i i i i -i •
été appliqué aux et cucorc indépendamment des innombrables détails qui en
mesures du lieu », » i i r ^ i
saint ?— Raisons fout la parurc, qu OU cherche a comprendre comment le
symbolisme des nombres a pu lui être appliqué. Nous avons
émis la raison de nos doutes à cet égard; nous répétons
qu'il faudrait être plus sûr que nous ne le sommes de la
juste valeur du pied et de ses parties aux diverses époques
de nos principales basiliques, et avoir des renseignements
écrits, dont nous manquons absolument, pour adopter défi-
nitivement les calculs de savants archéologues prononçant
carrément sur ce fait, que nous récusons encore. Voir dans
les 77 pieds de la largeur totale d'une église les 70 généra-
tions écoulées d'Adam à Jésus-Christ ; dans les ] 4 pieds des
latéraux, l'union de la Loi ancienne à la Loi nouvelle ; dé-
duire ainsi de beaucoup d'autres dimensions des symboles
qu'a multipliés à l'infini l'imagination philosophique de
l'architecte , c'est certainement fort ingénieux ; nous en
avons presque fait la concession , mais nous craignons
que ce ne soit pas aussi vrai que hardi (2). Que serait-il de
ces savantes témérités , si l'on venait à savoir un jour sûre-
ment la valeur comparative des mesures des solides , qui ,
aussi bien que les autres, ont varié dans le cours des siècles,
selon les temps et les pays, comme les coutumes locales et
les monnaies ? Il faudrait bien abandonner alors un sys-
tème qui, d'ailleurs, et tout d'abord, paraît évidemment
inadmissible. Il y a plus : d'habiles architectes ont comparé
les dimensions partielles d'un grand nombre d'éghses, et n'y
(1) Des Statues équestres sculptées au tympan de quelques églises
romanes, et de leur signi/îcation dans V esthétique chrétienne, in-S»,
Gaen, 1865.
(2) Voir M. l'abbé Crosnier , Iconographie chrétienne , cb. xiv,
p. 154.
iMÉRiEL'R f>K l'Église. ^65
ont pas trouvé cette docte et imaginaire théorie dont nous
parlent quelques archéologues modernes. Et il faut remar-
quer que ce système, émis d'ahord en Allemagne, où les
esprits révent assez facilement, y est entièrement réprouvé
par M. Schnaase , dont on sait la science et l'esprit ré-
fléchi.
Nous adopterions plus volontiers, avec M. le chanoine piut^^'ldEtbie
Devoucoux (^), qu'on eût voulu reproduire dans la compo- P^'Jg oSvance^
sition d'un plan général certains noms sacrés dont chaque
lettre, prise pour un chiffre, comme nous l'avons vu dans le
nom de Dioclétien , amenât un total correspondant aux
mesures linéaires de l'édifice ou de quelques-unes de ses
divisions. Ainsi la cathédrale d'Autun, d'après le savant ec-
clésiastique qui en a écrit l'histoire, aurait trouvé dans le
nom liéhreu de Dieu, EL , le nomhre de pieds (5 et 30} qui
séparent en tout sens les arcs-doubleaux de la coupole cen-
trale; Adonaï (^36 pieds) ferait la largeur totale de l'église,
et Jéhovah (100 pieds) celle de la nef médiane. Obligé de
nous en rapporter à ces données , qu'il n'est pas facile de
vérifier de loin , et sur ce que d'ailleurs l'auteur aurait fait
ces mêmes expériences dans un grand nombre d'autres
églises , nous ne pouvons mieux faire que de recommander
aux savants ce genre d'observation, qui corroborerait d'un
fait de plus, mais non absolument nécessaire, la thèse déve-
loppée et soutenue dans cet ouvrage. Noiis ne trouverions,
du reste , au point de vue de nos idées , rien de surprenant
dans cette application à une pareille matière des principes
émis de tout temps et en tous les heux où la pensée des
Pères a pu s'insinuer dans l'art chrétien.
Quoi qu'il en soit , les dimensions en elles-mêmes ont Rapprochement
, . , ... de cette méthode
toujours sérieusement paru a nos ecrivauis ecclésiastiques avec ce qu^ensei-
,. \ , 1 , , , , . . gnent les Écritu-
londecs sur quelque mystère qii on ne doit pas ignorer, res de i-arche de
(Ij Voir Mémoire sur la cathédrale d'Autun , par M. l'abbé Devou-
coux, parmi ceux de la Société Eduenne, 1838.
466 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
xoé. — Opinions pas dIus Qu'oii 116 les méconnaissait au moven âffe. Au
de S. Isidore de ^ '^ ^ -^ "
séviiie, septième siècle , Isidore de Séville , comparant l'Eglise à
l'arche de Noé , portée comme elle sur les flots de ce
monde, et ayant pour pilote le Juste, en qui il résume tous
les traits de Jésus-Christ , expose le symbolisme des di-
mensions providentielles du vaisseau miraculeux qui répara
le naufrage du monde : ce vaisseau avait trois cents cou-
dées de long, cinquante de large et trente de haut, c'est-
à-dire que sa largeur était le sixième de sa longueur , et
que le dixième de celle-ci formait son élévation totale. Ce
seraient là de belles et nobles proportions à suivre dans
l'édification d'ime église gothique, dont les voûtes sont tou-
jours plus élevées que celles du genre roman. Pour ce
dernier, il ne s'agirait que de quelques modifications inspi-
rées par le goût, d'autant plus que le plus grand nombre
des belles éghses du moyen âge constatent , par la diver-
sité de leurs mesures, qu'on se donnait à cet égard toute
licence , aucune règle positive n'ayant été imposée , tant à
cause des difficultés qu'y aurait parfois opposées la confi-
guration du terrain , que parce qu'on ne désapprouvait
point la forme ronde ou octogone , ni môme la croix
grecque , auxquelles il n'était pas facile d'assigner des me-
sures également réguhères partout. Mais en supposant
une église construite d'après les dimensions de l'arche ,
rien n'empêcherait de voir dans ce vaisseau (nef, navis]
qui sauve les Élus des derniers temps , et dans ses parties
principales , une complète allusion à la loi de Moïse et à la
loi de grâce. Dès lors, les trois cents coudées, dans lesquelles
on trouve six fois cinquante (ce nombre 50 consacré par la
Pentecôte chez les Juifs), représentent les six âges du monde,
pendant lesquels Notre-Seigneur n'a pas cessé de prêcher
soit, durant les cinq premiers, par les Prophètes, soit, du-
rant le sixième, par l'Évangile. — Les cinquante coudées de
large sont le signe de la charité qui dilatait le cœur de
l'Apôtre ; or cette charité vient dans nos cœurs par le Saint-
INTÉRIEUR DE L ÉGLISE. < 67
Esprit , qui nous a été donné cinquante jours après la résur-
rection. Quant aux trente coudées de la hauteur , c'est
Jésus-Glirist lui-même, par lequel l'Jiomme s'élève à toute
sa hauteur morale, et qui commença cette réforme salu-
taire à la trentième année de sa vie (^ ).
Les mêmes interprétations se reproduisent en d'autres tie Hugues de
1 o • TT. 1 1 T Saint-Victor,
termes dans Hugues de Samt-Victor, le grand symboliste du
douzième siècle. A son avis, la longueur de l'arche, qui est
toujours l'Ég-lise, arca Ecchsia, est^ dans ces trois cents cou-
dées, la connaissance parfaite de la Sainte Trinité se manifes-
tant à trois époques différentes, par l'action visible du Père
seul d'abord, puis du Fils dans l'Incarnation , et enfin du
Saint-Esprit quand le Fils est remonté vers son Père. La lar-
geur désigne l'effet des bonnes œuvres, l'action méritante en-
vers le prochain ; puis la hauteur indique l'excellence des
trois principales vertus , dites théologales , parce qu'elles
élèvent l'homme jusqu'à Dieu (2). Ces principes sont consa- J* ^« ^»>"ant dn
crés, à la fin du treizième siècle, par Durant, qui n'a donc pas
tant inventé que suivi les prétendues exagérations qu'on lui
reproche. « L'Église, dit-il, s'étend en long , en large et en
(1) « Arca Ecclesiam demonstrabat, quee natat in fluctibus mundi
hnjus... Treceiifis cubitis longa est, ut sexies quinquaginta coirplean-
tur, ?icuL sex a^tatibus omne hujiis saeculi tempus extenJitur, in quibiis
omnibus Christus iiunquam destitit pra^dicari, ia quinque per prophe-
tiam denuutiatus, in sexta per Evangelium diffamatus... — Quod vero
cubitis quinquaginta latitudo ejus expanditur, unde, nisi charitate spi-
rituali. l'ropter quod Apostolus dicit : « Chaiiias l'ei diffusa est iii
cordibus nuslris per Spirititm Sanclumqiii dalusest nobis (Rora.,v,5).
Quinquagesimo enim die post resurrectionemsnam Christus SpiritHUi
Siinctura luisit. — Quod autem altitude in triginta cubitos surgit...
quia Christus, altitudo uostra, qui triginta annorum gerens aetatem^
doctrinain evangelicam consecravit...» (S. Isid. Hispal,, Quxdt. iîi Gen.,
cap. vii; — t. V, Migue, lxxxfii, p. 230.)
{'!) « Arca, Kcch.'sia... Longitude arca3 est coguitio perlecta per tria
tempora Sanctae Trinitatis; latiliido, effectusin proximuui boni operis;
altiludo, excellentia triuui principaliuiu virtutum : fidei, spei, charita-
tis. » fflug. ci Sancto-Victore, Serin, lxii, Migne, t. clxxvii. col. 1090.)
—Voir aussi dans ce même auteur : De Arca Noe morali, lib. I, cap. iv,
sub fine.
468 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
» haut : ii faut voir dans ces trois sortes d'espaces la longa-
» nimité et la patience qui soutiennent l'Épouse du Christ
» dans sa marche vers la patrie, la charité qui dilate son
» cœur et lui fait aimer en Dieu ses amis et ses ennemis, et
» enfin l'espérance des récompenses futures qui lui fait ac-
» cepter également les hiens et les maux de cette vie, jus-
)) qu'au jour où elle recevra l'héritage du Seigneur dans la
» terre des vivants (^). »
Le crucifiement Au milicu dc CCS pFoportious quî ont toutes leur langage,
du Sauveur sym- ^ i ^ i /•
boiisé dans le plan uu autrc symholc apparaît et s y rattache a la lorme cru-
général de l'É- t»,i,'i l^i.^
ghse. ciale que nous avons exphquee et dont il complète le
sens. Ce n'était pas assez d'avoir voulu rappeler que la croix
était le salut et la vie : il fallait y clouer pour ainsi dire de
nouveau Celui qui s'y était fait victime, et dont le Sacrifice
journalier se perpétue dans le temple. Aussi regardez bien :
vous verrez que la disposition matérielle du monument
représente le corps d'un homme. Le chevet [caput] en est
la tète ; les bras de la croix sont les bras et les mains du cru-
cifié, et les jambes sont simulées par la partie occidentale
de la nef (2). De la sorte se reproduit très-bien la tradition,
déjà posée dans ce livre (3), que sur l'instrument de son
(1) « Ecclesia longa lataque surgit in altuni, id est in alta virtutum.
Longitude cujus ionganimitas est qua patienter adversa toleret donec
ad patriam perveniat. Latitudo charitas est, quae dilatione mentis ami-
cos in Deo et inimicos diligit propter Deum. — Altitudo vero spes
est future retributionis, quia prospéra et adversa contemnit, donec vi-
deat bona Domini in terra viventiuui. » [Ration., lib. I , lubr. i; mihi,
yo 3.) _ Isidore de Séville applique ces mêmes mesures mystiques à la
vie morale du chrétien, De Offtc. ecclfisiasl., lib. I, cap. xxx.
(2) « Dispositio autem ecclesiae materialis modum hiimani corporis
tenet. Cancellus enim, sive locus ubi altare est, caput reprsesentat. »—
(Du temps de l'auteur, el jusqu'au douzième siècle, l'autel était toujours
dans l'abside; on ne l'en sépara que vers cette époque, où commen-
cèrent les déambulatoires entre le chevet et l'autel qui s'en éloigna de
quelque distance.) — « Crux ex utraque parle brachia et manus; re-
liqua pars ab occidente quidquid corpori superesse videtur. » (Durant.,
ubi suprà.)
(3) Cf. ci-dessus , LU, p. 442; — et aussi Pastoral de S. Charles,
part. IV, tit. m", ch. vu.
INTFilRIEUR DE L'ÉGLISE. ^69
supplice le Christ a\ait le visage tourné vers roccident, d'où
il appelait vers lui les nations païennes. Des symbolistes
modernes ont môme regardé comme figurant les clous de
de la croix ces coupoles arrondies qui signalaient au dehors
les travées de la voûte; et les portes du sud, du nord et de
l'occident, comme les plaies des mains et des pieds (I). Il y
a plus : en certaines églises, une sorte de renflement se ma-
nifeste vers le milieu du vaisseau, pour mieux rendre
l'expansion de la région costale dans l'homme (2). Quoi
qu'en aient dit certains penseurs à qui le symbolisme n'était
pas assez connu il y a vingt ans, nous croyons avec d'autres,
bien plus autorisés par leurs études, qu'il faut attribuer ce
phénomène de construction bien plus à la pensée que nous
suivons ici qu'à un procédé de perspective qui peut en
résulter sans en avoir été le motif déterminant (3).
(1) Gretzer, De Sancla Cruce Clirisli, t. 1, lib.l, cap.xxvi, Ingolstad,
1616, in-fo. — Ce livre renferme beaucoup de choses curieuses^ comme
l'immense érudition de l'auteur sut en faire passer dans la plupart de
ses écrits, au milieu de ce dix-septième siècle, qui pourtant s'éloignait
ai fort des traditions de la vénérable antiquité. On ne lit plus ces ou-
vrages du savant jésuite : mais ceux qui osent les aborder y peuvent re-
cueillir une érudition solide et d'attachantes notions des choses sacrées.
(2) Ceci se rattache évidemment. à une époque où, d'après une tra-
dition que nous avons vue erronée (ci-dessas, t. II, pages 439, 452),
les deux pieds du Sauveur eussent été attachés à la croix par un seul
clou.— C'est ici le cas de faire observer combien M. VioUet-Leduc s'est
trompé dans son Dictionnaire d'architecture, lorsque, parlant de cette
forme donnée à nos cathédrales, il n'indique en rien le principe d'es-
thétique d'où elle est sortie. C'est là uu péché de matérialisme bien
involontaire sans doute dans l'habile architecte, mais il n'y apparaît
que par suite d'une étude incomplète de cette im[)ortante partie de
l'art religieux. — Au reste , Didron avait reconnu ce symbole en
traits frappants dans la cathédrale de Reims. Il remarque même que
l'exigniLé du chœur et du sanctuaire , relativement à la nef, qu'on
blâme à tort, faute d'en comprendre la raison mystique, représente
d'autant mieux la tête et le coude l'homme. {Yolr Annal, arcliéulug.,
XIII, 294.)
(3) M. l'abbé Godefroy , professeur d'écriture sainte au séminaire de
Nancy, attribuait ce caractère à l'un des canons apostoliques qui rap-
pelle dans l'église matérielle la forme du navire, symbole de l'Eglise
spirituelle. Cette explication, ôien qu'attrayante, dit-on, fut cembattue
no HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Déviation de Quelque forcés que puissent sembler à certains ces
l'axe longitudinal ^ ^ -a r
du nord au sud. apcrçus, pourtaut très-bien établis d'après maintes expé-
riences, il en est un autre sur lequel personne n'hésite plus,
et qui apparaît d'ailleurs trop évidemment pour n'être pas
généralement adopté : c'est la déviation systématique de
l'axe longitudinal qui se remarque en toutes les églises ,
si antérieures qu'elles soient au quatorzième siècle, et dont
on a faussement attribué l'extension à l'art ogival (^1). Cette
déviation, qui caractérise notre église Saint-Jean de Poitiers,
justement attribuée au quatrième siècle, est une incli-
naison de la ligne médiane du nord au sud, et part du
chevet en se continuant jusqu'à la porte occidentale. Par ce
moyen fort ingénieux, et qui parfait autant que possible
l'attitude plus ou moins cambrée d'un corps qui s'affaisse-
rait sur la croix, on a voulu certainement symboliser cet
autre affaissement de la tête du Sauveur rendant son dernier
soupir (2). La faire pencher vers le nord , c'était peut-être
une touchante pensée qui rapprochait les derniers regards
du Fils expirant, de ceux de sa Mère, debout, gémissante à ce
côté de la croix ; c'était probablement aussi, sans que nous
par des archéolof^ues naluralisles ,. comme il y en avait encore beau-
coup. Nous préférerions la pensée de M. Godefroy à la leur, parce
qu'elle a du moins l'avantage de rentrer dans les principes spiritua-
listes, qui ont partout et toujours présidé à l'architecture chré-
tienne.
Nous voyons, dans cet accord unanime à reconnaître le renflement
de la nef par le milieu , un des détails qui tiennent à l'intention si gé-
néralement reconnue de figurer dans toute l'étendue de la croix archi-
tecturale le corps humain, qui symbolise celui du Sauveur crucifié.—
Voir le compte rendu du congrès scientifique de Nancy tenu en 1850,
Annal, arrhéolng., X, 263. — Un peu plus tard , en 1853 , on vit M. Di-
dron, mieux inspiré par des études plus complètes, fortifier notre opi-
nion par les observations que constate cette page de ses Annales.
(1) M. l'ubbé Crosnier {Iconographie chrétienne , p. 93) nie ce prin-
cipe; presque toutes les églises romanes proclament le contraire, et
notre savant confrère de Nevers n'a pu faire qu'une inadvertance en
établissant comme un fait ce qui se trouve contredit par tous les mo-
numents de notre pays.
(2) « Et, inclinato capite, emisit spiritura, » (Joan,, xix, 30.)
INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. H^
en trouvions la preuve directe, mais par une idée qui ressort
bien des principes généraux admis sur le symbolisme de
l'orientation, exprimer cette soif du salut des nations perdues
dans les ténèbres, soif que le Sauveur venait de proclamer
bien haut par une de ses dernières paroles : Sitio {\ ).
Mais que dire de cette invention, par trop subtile, qui a fait certains archi-
^ i j i tectes exagèrent
croire à certains archéologues qu'on aurait pu forcer une si ce principe en
Poitou, en Berry
belle idée en l'appliquant au hasard à d autres qu'à Notre- et ailleurs.
Seigneur Jésus-Christ? Il est certain que cette règle de l'in-
flexion des églises, une fois généralisée, a subi quelques
imperfections de la part de tels ou tels architectes qui en ont
exagéré l'application, faisant subir à leurs plans une dévia-
tion si brusque et si mal ménagée, qu'au lieu d'y être l'objet
de réflexions sérieuses et scientifiques, elle n'accuse qu'une
imperfection considérable aux yeux de l'observateur ins-
truit, comme un défaut d'intelhgence architecturale pour
qui n'en a pas le secret. On aura trois exemples frappants,
entre un assez grand nombre, de cette aberration remar-
quable, si l'on entre à Notre-Dame de Montmorillon, à l'ab-
batiale de Saint-Savin ou à Saint-Génitoux du Blanc en
(1) Juan., XIX, 28. — Nous n'avons vu donner nulle part cette raison,
mais elle ressort trop évidemment des traditions chrétiennes sur les
points cardinaux pour n'être point devinée. Au reste, il est certain que
les figures de Noire-Seigneur crucifié faites au moyen âge et penchant
la tête sur l'épaule droite nout presque pas d'exceptions. 11 en est de
même de riuclinaison de l'axe des églises, qui toujours va du nord au
sud. Un ou deux exemples contraires, à nous inconnus, n'infirmeraient
pas le principe, qui s'appuie sur des notions piécises, sur d'exactes re-
cherches, Comme ou peut le voir dans une notice sur ce sujet qui , sans
être exempte d'erreurs qus nous combattons ici, est intéressante par le
fond de ses données sur la matière (voir Ballet, nionum., IX, ooO).
M. Blavignai-, auteur d'une bonne lllsloire de Varchileclure sacrée du
quatrième au dix ib ne siècle, ne s'est donc pas égaré en consacrant
comme une vérité cette excentricité de la ligne droite qui rejette un
peu de côté le tracé des voùles déjà admis dès le quatrième siècle ; et
DJdron, qui lui reproche avec raison de s'être trompé dans l'inter-
prétation forcée de certains autres symboles , aurait pu lui éviter , en
1854, une observation qu'il n'exprimerait pas aujourd'hui. — Voir Ann.
archéolog., XIV, 63.
Fausses consé-
quences qu'en ti-
rent quelques ar-
chéologues.
172 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Berry. Là on voit la ligne oblique se séparer violemment et
sans ménagement de la ligne droite, et cette anomalie scienti-
fique sort réellement des proportions gardées dans la généra-
lité des monuments religieux. A quoi attribuer un tel excès,
sinon à un léger défaut du plan, ou peut-être aune intention
d'en mieux accuser le symbolisme ? Mais prêter au maître
de l'œuvre une pensée qui détournerait ce motif architec-
tural de sa destination sacrée ; le séparer de la forme cru-
ciale de l'édifice, à laquelle il faut rattacher forcément le
supplice duFils de Dieu, pour faire de ce moyen une allusion
aux tourments d'un martyr, c'est ce qu'on n'admettra jamais
sans dénaturer le principe même aussi bien que l'histoire
de la science allégoristique, laquelle s'est fait, à l'égard de
Dieu ou de chacune des Personnes de la Trinité, des théories
exclusives et incommunicables : ainsi nous verrons le nimbe
crucifère uniquement réservé à ces trois Personnes, à qui
seules est due notre adoration, et qui, par un accord una-
nime, ont correspondu à l'œuvre de la Rédemption par
la croix {]). Mais se persuader que les prétendues contor-
sions du plan observées à Saint-Savin soient un symbole du
martyre souffert sur la roue par le patron de cette église ;
croire que ces mêmes errements suivis à Saint-Génitoux du
Blanc expriment, par une subite intersection entre le chevet
et la nef, la décapitation du saint Patron (2), cela est plus
(1) « Divisit sibi opus reparationis nostrae misericordia Trinitatis ;
ut Pater propitiaretur , Filius propitiaret, Spiritus Sanctus igniret...,
quoiiiam, sicut Apostolus {Gai., iv , 6) ait : Misit Deus Spiritum Filii
SUT in corda nosira. » (S. Léon pape, Serm. lxxvii; de Penlecosie, m.
— 0pp. 111,226.)
(2) Voir cette thèse soutenue avec trop d'ardeur au congrès archéo-
logique de Poitiers en 1843 , Bull'i. nionum., IX , 552. — L'auteur de
cette ingénieuse invention , qu'ont adoptée avec trop de confiance
d'autres archéologues de talent (ibid., XIII, 403), exagérait un peu les
prétendues contorsions du plan de Saint-Savin , dont la déviation ,
quoique très-sensible, comme tant d'autres, ne présente cependant pas
l'exagération outrée qu'il veut bien lui donner. On voit d'ailleurs très-
bien, dans le curieux ouvrage de Gallonius (De Crucialibus marlyrunif
p. 37, pi. ix), que les contorsions étaient impossibles au supplicié sur
la roue, où son corps avait forcément une position tour à tour perpen-
diculaire ou horizontale.
INTÉRIEUR DE L'ÉGLISE. ilS
qu'une illusion pure, puisque, d'un côté, le martyr attaché
sur la roue l'était en ligne droite, la tôte et les pieds succes-
sivement abaissés ou relevés par le mouvement continu
de rotation, et que, d'autre part, S. Génitoux, honoré au
Blanc, n'est pas un martyr, mais seulement un saint confes-
seur qui fut abbé en Berry au cinquième siècle (1). L'ima-
gination est une magnifique faculté, mais elle doit se subor-
donner à l'histoire, qui ne gagne rien à ses rêves les plus
subtils. Cette idée ne serait jamais venue à des architectes
aussi instruits des règles du mysticisme et de l'hagiologie
que l'étaient ces moines des onzième et douzième siècles,
dont l'œil surveillait de si près des plans travaillés par eux
avec une si profonde connaissance du spiritualisme chré-
tien.
Quoiqu'il en soit, on voit par tout ce qui précède quel Arcades murales.
soin s'étaient donné ces pieux constructeurs d'assigner à
ce vaste et bel ensemble une place d'honneur dans la
théorie générale du symbolisme architectural. Tout n'est
pas dit cependant sur cette merveilleuse harmonie entre
les parties et le tout; nous sommes ici protégés par une
voûte, éclairés par des fenêtres, entourés de chapelles laté-
rales ; nous pouvons passer de la nef médiane en des bas-
côtés qui, sans en être séparés, s'en distinguent au milieu de
piliers sveltes et élégants; peut-être môme des arcades
accolées aux murs et se répétant trois ou quatre fois sous
chaque travée y font-elles une ornementation mystérieuse,
à l'instar des portiques de la Cité divine dans l'Apocalypse.
(1) L'auteur , toujours dominé par la préoccupation scientifique ;
avait confondu, pour établir un fait docile à ses conjectures, S. Géniton
ou Genitour du Berry avec celui de Touraine. Celui-ci fut martyrisé, en
effet, au quatrième siècle, avec ses sept frères et leur mère S" Maure à
l'endroit où fut fondée ensuite la ville qui porte ce dernier nom. Il y
est honoré au 25 octobre , d'après les martyrologes de Châtelain et de
Saiiit-A liais. L'autre n'est que confesseur, et son culte se fait au Blanc,
dans une église paroissiale de son nom, le 30 octobre, d'après les mêmes
autorités.
]1Â HISTOIRE Dl SYMBOLISME.
Quant à celles qui supportent les voûtes , et dont les arcs-
doubleaux se dessinent en plein cintre ou en pointe ogivale,
ne sont-elles pas aussi comme ces demeures différentes dont
parle la Sagesse du Verbe et qui nous attendent, selon nos
mérites, dans la maison de son Père {\ ) ?
Chapelles laté- Qj^ cu pcut dire antaut de ces chapelles qui, se révélant
surtout au onzième siècle, où elles apparaissent au nombre
de trois au fond de l'église, se multiplient, à partir de l'époque
de transition, le long des nefs latérales et s'y avancent de plus
en plus vers l'ouest au quatorzième siècle, ramenant ainsi,
selon les besoins d'un plus grand nombre d'autels, à l'usage
consacré dans les catacombes par les confessions particu-
lières et les mémoires des martyrs (2j. 11 est vrai que le
grand nombre des Saints qui, dès le temps de S. Bernard,
envahissent le calendrier, jusqu'à deux ou trois pour le
même jour, nécessitait cette multiphcité des chapelles, qui
leur sont, dès lors, dédiées dans une même basilique. Iln'en
est pas moins vrai que ce sont encore comme autant de
haltes sacrées sur la route du palais éternel : ce sont des
retraites ménagées à la méditation au milieu de cet im-
mense intérieur où la foule va et vient. La piété y est plus
sohtaire et plus attentive; son recueillement y est moins
troublé, et le ciel qu'elle cherche y devient plus sensible à
Le» bas-côtés. SOU amour et à ses espérances.
Et ces nefs secondaires qui dépassent les chapelles pour
(1) « In domo Patris mei mansiones multae sunt, » [Joan., xiv, 2.)
'2) Voir Raoul Rocbette, Tableau des catacombes , p. 91 , où l'au-
teur, en constatant ce fait de la multiplication des arcuala dans la
Rome souterraine, comprend bien mal ce qu'elles avaient de touchant
et de religieux, et leur trouve l'immense défaut d'avoir rompu la ligne
droite, dont le brave académicien se montra toujours si jaloux. C'était
bien préluder au système qui proscrivait , dans un rapport officiel à
l'Académie des inscriptions et belles-lettres, l'emploi du style ogival
dans l'église projetée de Sainte-Clotilde de Paris : c'était raisonner en
homme qui ignorait jusqu'aux éléments de l'esthétique chrétienne. On
peut voir tout cet échafaudage de mauvaises raisons exposées par lui et
réfutées par des archéologues éminents dans le Bulletin monumental,
Xn, 543, 547 et suiv., 561, 564, 568; et XIII, 51.
INTÉRIEUR DE LÉGLISE. n5
mener jusqu'à Tabside destinée au tabernacle du Saint des
Saints, ne sont-elles pas, à la suite de ces portes plus étroites
qui y donnent accès, cette voie plus lar^e et plus facile qui
conduit l'âme voyag^euse par les diverses stations de la vie
humaine jusqu'au lieu de son repos pour toujours? Il n'y a
pas jusqu'aux tombeaux (ju'on y a souvent élevés qui ne
parlent un langaoe plein de leçons. Si de tout cela nous consi- ^o nombre trois
' ^ o 1 •■ symbolisant la
dérons maintenant l'ensemble, ne vovons-nous pas la ^^rande Trinité, toujours
ot partout.
et tbndamentale notion de la Trinité des Personnes dans un
seul Dieu, lorsqu'à la fois se présentent à nos regards ces
trois nefs qui, partant de trois portes, aboutissent à trois ab-
sides que trois fenêtres éclairent ? Ce nombre mystérieux
se reproduit ainsi toujours et partout. Une si haute conve-
nance a été sentie si nécessaire, que là où fut une seule ab-
side orientale, chacun des bras de la croix se termina pai"
une autre abside, et que la lumière éternelle sembla jailhi'
dans le temple par une triple voie dont il n'était pas pos-
sible de méconnaître l'intention : ainsi avait-on fait, dès le
i[uatrième siècle , à Saint-Jean de Poitiers. Il n'en fut pas
autrement des trois nefs. Quand l'espace fut trop étroi- preuve de cette
, , , , , . , . , . - prétention dans
tement donne a une église du onzième siècle, on poussa l'é-iise de la caii-
Ior6 60, V6ndé6
l'amour du symbolisme jusqu'à lui donner des bas-côtés , '
en dépit des dimensions générales qui s'y refusaient : telle
est l'église de la Gaillère, au diocèse de Luçon. Là , nous
avons observé avec étonnement un plan régulier d'église
romane à trois nefs, mais dont les deux latérales sont telle-
ment rétrécies qu'un homme n'y passe qu'à peine entre
les piliers et les murs d'enceinte ; les voûtes s'y dévelop-
pent tout au plus en un arc de dix degrés, et les bases des
colonnes se réunissent presque entièrement sur le pavé qui
les supporte. Evidemment, pour façonner ainsi un si petit
espace, et n'y vouloir pas sacrifier le principe ternaire, il a
fallu que la règle inspiiât un grand respect.
Ouelques églises, comme Sainl-IIilairc de Poitiers et Saint- Églises à sept
Sernin de Toulouse , ont reçu jusqu'à sept ou cinq nefs , à '''"'i"®»'
-176 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
l'exemple de quelques basiliques romaines. Nous ne recon-
naissons aucune raison symbolique à ce nombre, qu'auront
déterminé probablement les seules conceptions d'un plan
plus grandiose, lequel, il est vrai, en étendant l'espace, sem-
blait s'efforcer de donner une plusjuste idée de l'immensité
quelquefois à lieux dc Dicu. — Nous uc voyous pas assez par quelle raison les
seulement chez les ... ... ^ . • • ^ •^^ ^^ vi
Dominicains. Dommicaïus, origiuaircs du treizième siècle, ou les règles
architectoniques étaient si respectées dans leur sens ana-
logique , ont donné à leurs églises deux nefs seulement au
lieu de trois , dont l'existence se rattachait à tant d'autres
caractères significatifs. A Toulouse, à Paris, et bien ailleurs
en France et en Espagne, cette sorte d'exception se remar-
quait , et les deux nefs , séparées par un seul rang de
colonnes, aboutissaient à une abside commune : c'était peut-
être pour rendre plus exactement le texte de la Sagesse : Sa-
pieniia... excidit columnns septem {\ ) : trois nefs en auraient
nécessité quatorze... Mais ce puritanisme architectural, il
faut l'avouer, a mal réussi ; on s'est bien gardé de l'imiter
en Italie, où les trois nefs sont toujours conservées. D'ail-
leurs , l'effet d'une église à deux nefs n'est que peu com-
mode et fort disgracieux. Revenons donc à celles qui ont
respecté la méthode universelle.
Divers systèmes Au milicu dc ccttc vastUé, commc disait Montaigne, s'élè-
sur le nombre de
piliers; vcut douzc coloiiiies dans la plupart des édifices : c'est en
souvenir des douze Apôtres , colonnes et fondements de la
vérité ; quelquefois on en compte quatorze, comme à la ca-
(1) « Sapientia aedificavit sibi domum, excidit columnas septem. »
{Prov., IX, 1). — Ed examinant les interprétations propres à ce verset
des Proverbes, on y trouverait le motif probable qui a fait adopter par
les enfants de Saint-Dominique cette disposition des sept colonnes. Ce
nombre ayant paru aux commentateurs le symbole'des sept dons du
Saint-Esprit ou des sept sacrements que l'Église devait promulguer, il
aura peut-être semblé convenable à la nouvelle famille religieuse,
fondée au treizième siècle pour s'élever contre les hérésies et l'indiffé-
rence du siècle, et s'appliquer aux œuvres indiquées ici parla Sagesse
divine, d'en compléter l'expression en prenant à la lettre ce dernier
verset.
INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. 177
tliédrale de Poitiers , où peut-être alors elles symbolisent
la perl'eclioii (1) ; à moins (in'on ne préfère y voir le nombre
sept doublé à cbaque limite de la nef principale, et espaçant,
comme les sept jours de la création, les œuvres de la vie
spirituelle répandues dans le saint édilice avec une si géné-
reuse profusion. En effet, s'élcvant jusqu'aux retombées leu.- symbolisme
des nombreuses arcades qui séparent les nefs et les travées,
embellies daiis leurs élégants chapiteaux d'une foliation
dont les belles ciselures ne le disputent en mérite qu'aux
intelligentes légendes qui les y remplacent parfois ou qui
s'y mêlent ; ornées jusque dans leurs bases de légères den-
telures , de gracieux festons , de roses épanouies, de fleurs
fantastiques : soit qu'elles s'élancent, rondes et minces,
sous une > oùte du onzième siècle , soit qu'à leur masse
cai'rée viennent s'accoler , comme au douzième, des demi-
colonnes engagées , flanquées encore de plus petites dans
chacun des angles rentrants : on n'y peut méconnaître l'at-
tribut de cette force supérieure qui soutient l'œuvre admi-
rable du monde créé , non plus que cette vertu de l'âme
chrétienne qui s'élève de la terre au ciel, et ne résiste ici-bas
à toutes les tentations et à toutes les épreuves que par la
ferme espérance de /a roy«i^^e5'w/;i'awrapâ[5c?e/?w. Mais à les et ceiui do lems
déUiJs.
(1) Le nombre 14 est celui de la perfection parce qu'il signifie
rnnion de la Loi ancienne et de la Loi nouvelle : 10 représentant la
première par le D6calogue, et 4 la seconde par les quatre Évangiles.
14 multiplié par 10 produit 140, qui est le sommet de la perfection,
l'Église étant ligurée par le Tabernacle, dont Moïse compléta la déco-
ration par les dix rideaux ou courtines dont il l'enveloppa (Ëxjcod.,
XXXVI, 8) ; et 14 renferme l'un des mystères de la génération tempo-
relle du Verbe, étant le nombre des familles qui se comptent {Maith.,
I, 17) entre Abrabam et David. — C'est encore le nombre 7 multiplié
par 2 que S. Augustin appelle le nombre de la Loi de grâce {In psalin. cl).
Les sept sacrements, les sept dons du Saint-Esprit, sont les sept co-
lonnes élevées par la Sagesse divine dans la maison qu'Elle s'est con-
struite : Sapienlia xdificavil sibi domiun, excidit columnas septem
{Prov., IX, 1). — Ce sont encore les sept étoiles de l'Apocalypse (i, 16),
tenues dans la main du Fils de l'Homme. — Voir, sur tout cela, S. Mé-
liton, De Numéris, da.ns sa Clef de VEcrilure, n» vu (Spicileg.Solesm.,
IH, 285,286 et 288).
T. m. 12;
I7S inSTOlUK m SYMROI.lî^MK.
t'onsidihvr on parlicnlitM' ol dans lours ihMails , il lanl \o'\i
dans (vs snpports do la \oûlo lo sxnibolo dos ô\i\]nos, suo-
oossonrsdos AptMros, sonlonanl la \iodo ri\jilisopar la parolo
divino , oonuno otaiont, an diro do S. Panl, Jaot]nos, Piorn^
ot .loan , los iirands ol intivpidos prôdloalonrs dos ponplos
païons (O.liOsbavSossonI loshonunosaposioliipios. lospnMros
qui coop^ront A l'aolion fondaniontalodo l'ôpisoopal; onlin,
los ohapiloanx soni los parolos de V\\c\ iinro. (jni \ sonildont
iiiscritos par \ouv parure*, poinu* ou sonlptiS\ don dosi'tMi-
donlponr nons dos onstMiiiuMniMils à niodiUM" cl d(S r^iilos A
suivro : oo qui prouxcMail on('()ro (rc'^s-bion, an hosoin. ijno
rion do oos ornonionls ajionoos dans oos iiraoionsos oorhoillos
n'a jamais inan(|nô d'nn sons moral ol [oui spirilnol 2^.
Knoor«oos croix vis-;V\is (los oi)l(Mnios . SUT lo plal (los unn's , ol (inoliino-
*io oonstvnuion : i i i
fois snr K^s 0(^l(>nnos (^llos-nu^mos, ap}>araissonl , dans un
oorolo an fi^nd divorS(Mn(Mi( ('olorii^ , dos omi\ i^i'i^'ipios
d()nl los (•cnihMU's ol la d(>rnr(* ('(nilribnonl j^i lairt* un ri('lu»
orn(Mn<Mil : oo son! K^s plaocs (\>nsa('r(N*s par Tt^nolit^n du
Sainl ('lu't^no h^rs {\c la dodi(\u'(^ dn saint licMi . (M doni
nous a\ons doj;"^ dil un mol; loni" n(>ml)ro do dou/.o rappollo
onooro los Apoiros. (|ni, ou lo voil, ri^viomuMil sonvoni dans
la ponsi^o s\mbolisti(ino. Pour rondro pins onlit'^romonl
ootto ponst^'o, on a ôl(\ on mainlosôi^lisos, jns(]n'A fairo lonir
oos dou/o oroi\ par los di>n/.o ootupajinons dn San\onr;
ooiiosdoirt s.uni.> ainsi à la ï>ainto-('bapollo do Paris ol ;> ï^ainl-llnborl de'
otaoSrtùu' ihiborî \\ ar\ illo(.VIosollo). Dans co dornior oditioo.on dobadiiioouua,
(Ml iS'iT, tiHilo la soii(' dos nuMnbrosdn l'tdloiio aposloliquo.
Klcvés snr \c mur à sopt ou huil piiuts an-d(*ssns du sol .
obacun d'on\. los piods uns, portail nno lonuno robo ot nn
(1) « OolmniKV i\\\yV (hMimm fuK-iiuU :^unl Ispisoopi. (|ni luaohinain
Kcclcsia» verbe ot vita snslentaiit... .laoobus H Coi^hu;^ ot Joainvod, ut
ait Apotîtoluei {(uil., H, 0). viilobanhir os^o oohnuna\ ^> ^SioaiMi. loc.
cit.)
(2) « Haiîcs columnanim t^unt, aposlolioi viri, univor^aloni KoiMoj^ia^
niaobinain supporlaiito.*... CapiloUa sunt vorba sanota* Sori\>tnra\quo-
runi nuvlitatioui sub(iiiuur. ot obsorvanlia». » {l'hi supn).)
i\o \\:\r\mo.
brge mmîtm , lofdi» aakat aUemathaMat Uei» «i
é^enMie: one imcf^itm 4kul k«r MPM ea
as^ksns ée kar télé. QBdfwsMns^ $, fkrre «15. tad,
|arei«KfAe«fortûeBl#me mam %mr aftritatspédal;
4è FMlre, ik im.wtajft le 4iii|ae Ii0f4é 4e f^sie» et
fiiliii é( Umàn wiéei aè htiSÊàkaâ, ks ems d'or : ce
4mMV r/ik élail «HMé à dbaon, et fl soMMutk rM^
av^et on lefaMgf é'entraia et 4e 4içttté qoi igifiiraif, as
tretzîéa^fièek, b beik^ioiiae 4erait,4»M
fttft^tM» liirnlîiqpieii ; Htttf b dnss ea aiait f*^^
rcMOit 4étniJt feasenlile. ksi tpmàkÊm iiéde, <m Tarait
frfnêmàf etalorai,4ait§ mtggMe 4e peartre emtnat mmuk
hku tamâsnix^ que les f«été4eÉtes, «a t'était iosifvré 4e b
I^gea4e, et k» iMize^ iMit en firéKiilaja lean
eatoofées d'un €«rde ridbeMeat omé, fflrtaknt 4aas m
fhjbetére rartkk4aCra4$*, qœ dkaeiui était eewé arar
ré4i^. SMunetooley et toat biennaflûné, aoiis ftétete-
ma» b bctore 4a IreiziêMe »éck â cdk 4a qniityiêie.
Il^,eaee4emier teoq^. b dé'^î^r: -f^ f^n^pifiilii!»
ie binit senlir (l>.
Mats que ce»i>i^^v<aiéfaUesjgaiiikiKiitksfaiTb 4a _T<frMu<t
teflq4e oa s'aenkat ea sfatœi aox fâien çf dl» fKnwn-
nilkat far oa nooi sacié, DOS fieçud^ attires par ces haaies
et gracjgaaes coioones rers ks coulas saiantes fo'die»
atteâgneot prjor ks footeair, n*a4aiireat fos mcn» b buv
4ieaK 4» ones qœ riaâbfaablik attita4e 4es aoti». La
eaoore, toot park â fcsprit et aa œor 4a dbretifa. Araot
qœks routes eaoMeikiasTianeat sigaakr 4am Xn^Èà-
tettare on progRS 4e Fére oi^crrîngieaae, oa o'arait fias,
4ef«i§ ks çranieslttiibiaesrMnaiacs, qae4esfbfi9aâi ea
botf , fbts oo dniréi, d'un fraiafl ffais oa laoïiis altarfanif^
AOfei, «M»., XX, m et
480 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
•
mais auquel se mêlait toujours quelque mystérieuse
donnée : des serpents en colère sortaient des murs, au-
dessus de la simple et grossière corniche qui en terminait
l'élévation, pour engueuler des entraits jetés sur les cliapi-
Diversités de [^ux des pilicrs de la nef. Des anges semblaient, ailleurs,
leur ornementa- ^ '-'
tion peinte ou soutcuir lo faîtc de l'édifice, où ils entourent, invisibles, le
spulptee.
(abernacle du Fils de Dieu; les poinçons s'élevaient en co-
lonnes sculptées jusqu'au point intermédiaire de l'élégante
charpente, et ce que le ciseau du sculpteur en bois n'avait
pas exécuté, le pinceau l'avait représenté en coloriant les
oiseaux, les quadrupèdes, les fleurs, tous symboles dont les
l'ouïes s'émerveillaient, et dont on voit encore, en Bretagne
plus qu'ailleurs, les traditions reproduites en beaucoup de
Noûtes en bois du quinzième siècle. S. Grégoire de Tours
mentionne des ouvrages de ce genre qui, de son temps, fu-
rent jugés dignes d'admiration et conservés avec un soin
iehgieux ('l). Notre S. Fortunat louait presque en même
îemps Léontius, évêque de Saintes, d'avoir doté, dans sa ville,
i'église de Saint-Eutrope d'une voûte à caissons où des
figures yariées, taillées dans le bois, remplaçaient avanta-
geusement les effets de la peinture (2). Mais on abandonna
!)ientôt cette riche et belle ornementation quand on vint à
créer des arceaux de pierre dont les intervalles, remplis
d'un blocage de cailloux et de ciment, constituèrent une
force de plus et comme un lien ferme et stable entre les
Leurs principes partlcs dc la uiassc commune. Toutefois, ce n'était encore là
(1) Pepétue, évêque de Tours, le cinquième depuis S. Martin, voulut
élever à ce Saint, qui n'avait qu'une petite chapelle, une église digne
de lui, dont nous avons la description dans S. Grégoire, son succes-
seur {Hist. Franc., lib. II, cap. xiv). Le pieux écrivain nous apprend
qu'il ne voulut pas laisser périr la belle voûte en bois de cette cha-
pelle, et qu'il l'adapta à une autre église , construite par lui en l'hon-
neur de S. Pierre et de S. Paul.
(2) Hic sculptse camerse decus interrasile pendet;
Quos pictura solet ligna dedere jocos
Sumpsit imagineas paries simulando figuras;
CJuae neque tecta prias hœc modo picta nitent.
- - (S. Fortun. Pictav., /tfïsce/^an., lib. 1, 113.)
\
clefs.
INTÉRIEIR DE L'ÉGLISE. ^8^
qu'une œuvre Jjîen imnarl'aito, toujours srrossièrc à l'œil, et élémentaires sr
*■ 1 .1 o perfectionnent au
dont la surface, quand les fresques ne venaient pas en dis- douzième siècle.
simuler l'irrégularité, gardaient sans façon les traces des
planches qui leur avaient servi de moules (I). Le douzième
siècle mit ordre à ces expériences malhabiles. Son génie,
en développant la théorie du symbolisme religieux, créa des
éléments nouveaux à l'iconographie ; il distribua sur ses
pierres de taille si gracieusement combinées une efflorcs-
cence inconnue d'ornements expressifs. Dans la pureté de
ses lignes architecturales, dans l'exactitude mathématique
de ses courbes, dans le faire patient de ses chapiteaux et de
ses modillons, il compléta les vues de perfection qu'allait
atteindi-e l'époque de Suger , puis de S. Thomas d'Aquin. Il Richesse des
ne pouvait refusera ses voûtes le langage qu'il imprimait quVr*eçoivent'']es
partout ailleurs, et en leur donnant ces claveaux de tuf aussi
légers que solides, il sut encore leur imposer la gracieuse
parure de ces clefs sculptées, où les nervures ne semblent
aboutir que pour arrêter le regard sur une page de plus de
cet enseignement universel. Là ce fut la main divine sortant
d'un nimbe crucifère qui sembla épancher ses bénédictions
sur les foules priant dans les nefs, comme à notre ancienne
abbaye de la Réau ; ailleurs, comme à Saint-Pierre de Poi-
(1) Nous avons vu des églises tombées, sous prétexte de restaura-
tion, aux mains de nos architectes officiels, et dont les voûtes primi-
tives existent eucore, recevoir sur ces voûtes le complément d'une
parcimonieuse décoration au pinceau qui suit , avec un inexplicable
scrupule , les aberrations imposées à ces voûtes par l'inhabileté des
ouvriers du onzième siècle. Telle est la belle collégiale de Saint-Pierre
de Chauvigny , où les travées laissent apercevoir à l'œil de l'observa-
teur toutes les irrégularités des lignes architecturales. Il ne nous semble
pas que la peinture ait pour objet de, faire ressortir les défauts d'un
monument, et ce parti pris d'agir avec un puritanisme déraisonnable
ne répond que trop à la raison qui ht priver le clocher d'une croix
encore attendue. L'architecte s'obstina à la lui refuser, parce qu'il iw
lui paraissait pas dk.monthi': qu'au douzième siècle ce symbole de toute
la religion reçiit encore cette place. Pour s'appuyer de telles raisons
fallait avoir lu et vu bien peu de choses sur l'histoire de l'architec-
ture religieuse, qu'on maniait cependant tous les jours!...
filières travées.
^82 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
tiers, le chardon de la pénitence, les couronnes de fleurs ou
de branches de chêne, s'y mêlent aux figures aimables du
Sauveur, delà Vierge Mère, du prêtre présentant aux yeux
du fidèle Je Pain de la vie descendant du Ciel [\).
Abaissement suc- A cc symlioUsmc, uu autre bien préférable, quoique plus
Hqufde1eu?^prc: gravc, s'ajoutc cucorc, et nous prouve combien le sentiment
de l'esthétique présidait aux dessins de l'architecte. Les trois
premières travées qui abritent le sanctuaire et le chœur
sont plus basses que les suivantes, qui couvrent la nef pro-
prement dite. Par leur style de roman fleuri, elles diffèrent
de ces dernières, qui ont toute la légèreté du genre go-
thique, et qiielques-ims ont pu attribuer à une reprise
des travaux interrompus pendant une assez longue pé-
riode cette brusque transition et ce surexhaussement
inattendu. Mais, admettant qu'il faille goûter cette raison
([u'autorise effectivement l'histoire de cette belle archi-
tecture, il ne faut pas moins voir dans ces hauteurs iné-
gales un principe qui, jusqu'à l'ère de la transition, fut con-
sacré à la fois par fart et par la liturgie : l'abside était
dès lors plus basse que le chœur, pour former à l'évêque et
au presbytère le siège commun d'où ils présidaient à la réu-
nion des fidèles. La travée suivante, un peu plus haute, sem-
J)lait honorer la Sainte Réserve sur l'autel ou dans l'armoire
qui l'avoisinait, et la troisième s'élevait au-dessus des chan-
tres. Cette disposition se remarque en beaucoup d'éghses
rurales du Poitou, de l'Anjou et de la Normandie. L'habile
architecte anglais Pugins n'a eu garde, avec son entente de
la liturgie et du symbolisme, de négliger cette donnée dans
sa charmante église de Schéaldte. Durant dorme pour
raison de cette règle que le clergé et l'évoque, en voyant
s'abaisser au-dessus d'eux la plus haute partie du monu-
ment sacré, étaient ramenés à des pensées d'humilité dont
(1) Voir, pour plus de développements^ notre Histoire de !a caillé-
drale de Poitiers , 1 , 317 et suiv.
INTERIEUR I)K L EGLISE.
183
ils doivent donner l'exemple, en proportion de la grandeur
et de l'importance de leur dignité (I).
Outre ces grands moyens appliriués au plan d'ensemble, lcs modiuons,
^ J ir 1 X plus délicats en se
on savait aussi distribuer dans ce même sens les détails rapprochant du
d'ornementation , et le but de l'arcliitectc, dans cette diffu-
sion de ses belles sculptures soit à l'intérieur, soit à l'exté-
rieur de Tégiise, est toujours d'exposer et de prouver cette
pensée que tout devient plus parfait en se rapprochant de
Dieu. Richard de Saint-Victor reconnaît cette gradation
systématique, selon la judicieuse remarque d'un archéo-
logue distingué : « En avançant vers le sanctuaire, les clefs
de voûte sont mieux soignées, dit-il; les rinceaux se dérou"
lent, les luoulures se rafflnent, les corbeaux sculptés se
mêlent aux modillons en biseau, et à un tel point que par-
fois des personnes en prennent lieu d'imaginer des construc-
tions successives. La raison naturelle qui a dirigé l'ouvrier
ne détruit pas la raison mystique (2j. » Cette remarque ne
s'applique pas moins au caractère des modillons qu'à tout
le reste de la parure sculptée. A mesure qu'on s'avance de
la porte d'entrée vers l'autel dans les églises dont le pour-
tour est orné d'une série de corbelets, comme à la cathé-
drale de Poitiers, on devine que les sujets se rapprochent
plus des divins mystères ; le péché y lutte contre la vertu
secrète du tabernacle, et c'est là que se déroulent de pré-
férence, non plus des images à part dont chacune peut avoir
une personnification propre, mais celles qui doivent se grou-
per, comme pour rendi'e au Dieu du sanctuaire une ado-
ration plus empressée et plus universelle.
Mais que seraient ces beautés visibles ou mystérieuses si Les fenêtres
(l)« Gaucellas, id est caput ecclesiae, humilior reliquo corpore eccle-
siae , myslicai quanta humilitas debeat esse in clero seu prœlato, juxta
illud:Quanto majores, lantiun humilia le in omnibus. «(Durant. Mimât.,
Hation., lib. I, v» 4.) — Sicardi, que Durant cite maintes fois parmi ses
autorités, dit la même chose presque en mêmes termes (lib. I, cap. iv).
(2j M. l'abbé Godard-Saint-Jean , Essai sur le symbolisme a?'cliitcc-
lural des éylises; BuUet. monum., XIII ^ 3o6.
184 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
sont les saintes le joui' iic les lalsalt éclatei" au double regard du corps et
de l'esprit? Les fenêtres ont ce double privilège, et, tout en
servant l'intelligence et la foi, elles se revêtent elles-mêmes
d'un caractère qui les fait entrer dans ce concert où vit
tant d'iiarmonie et d'accord. Il n'y a qu'une voix parmi les
symbolistes pour trouver dans ces ouvertures, d'abord si
étroites et si basses de l'art roman, et bientôt après si
larges, si hautes et d'une coupe si exacte et d'une ornemen-
tation si variée et si riche, un symbole des saintes Écritures
qui s'opposent dans le monde moral à toute invasion des
les Docteurs, choscs nulsiblcs. Comme les vitres interceptent les vents et
la pluie dans la maison de Dieu, par cela môme elles sont
les Docteurs résistant aux tourbillons et à la grêle des hé-
résies et versant dans les cœurs fidèles une abondante
lumière de doctrine et de vérité : cette môme comparaison ne
leur va pas moins, parce qu'elles laissent tomber sur les assis-
tants les rayons lumineux de l'astre du jour. Leur évase-
ment intérieur représente le sens mystique, bien supérieur
au sens littéral, et plus lumineux, quelque respectable que
if s sens de l'hom- golt cclui-ci. Ou V voit cucorc, par la môme raison, les cinq
me spirituel , ^ i. ±
sens du corps humain, qui doivent se restreindre à l'égard des
choses extérieures pour mieux se refuser aux vanités de la
vie, et se dilater intérieurement pour s'ouvrir plus larges aux
la^cwité frater- dous dc l'Esprit-Saint. L'art décoratif a garni de deux co-
lonnes les abords intérieurs, et quelquefois même les arêtes
intérieures des fenêtres : ce sont les Apôtres envoyés deux
par deux à leur mission divine, et, par cela même, le double
et la force de î'É- préceptc dc k charitô envers Dieu et le prochain. Il n'y a
^! se militante. i j
pas jusqu'aux barres de fer qui protègent la fenestration
contre les assauts des tempêtes qui ne soient là comme des
prophètes ou des docteurs de l'Église mihtante (l ).
(1) « Fenestrâe. quœ tempestalem excludunt et lumen inducunt, sunt
Doctores qui haeresum turbini resistuct , et fidelibus Ecclesiœ lumen
infundunt; unde : En Ipse slal pod pnheleni nuslram, respicv'ns ver
feneslras » (Gant,, ii), dit Sicardi, ubi suprà. — « Feuestrse ecclesiee
ÎNTÉRIKIR DE l'kGLISE. ^S5
Nous ne voyons pas, après ces grands maîtres de la science
mystagogiquc, où d'autres allusions un peu autorisées pour-
raient se prendre sur ce suiet. Où donc M. Boissércc , ^ interprétations
r J hasardées de
qui, en général, a compris assez bien le symbolisme de la >'• Boissérée.
cathédrale de Cologne , a-t-il pu s'éclairer sur la part qu'il
donne au\ rois et aux empereurs dans l'interprétation
de ses verrières ? A l'entendre , « les longues fenêtres ogi-
vales , qui ne se séparent point des murailles , et n'entrent
point dans l'intérieur de l'église , ce sont les rois et les
empereurs, ces évoques du dehors, ces fidèles couronnés ,
revêtus de la pourpre des vitraux. Leur regard vigilant
pénètre le temple, et, par sa noble pi'otection, rassérène la
mystérieuse ol)scurité du sanctuaire M ). » Ce symbolisme ne
vitreiJB Scripturae suut divinee, quœ ventum et pluviam repellunt, id est
nociva prohibent, et, dum claritatem veri Solis in ecclesiam per dieiii
transmittunt , inhabitantes illuminant. » (Hug. à Sancto-Vict., Tî^adi-
lionis Uieologivœ in spéculum Ecclesiœ , cap. i.) — Durant expose le
même symbolisme en termes identiques. Il y ajoute : « Per caneellos
vero qui sunt ante fenestras, Prophetas , vel alios Doctores obscuro-^
intell igimus Ecclesiae militantis, in quibus ob duo caritatis prœcepta
quandoque duae columnae duplicantur, secundum quod Apostoli bini
ad praedicaudum mittuntur. » {Ration., loc. cit.)
Et quant à l'obliquité intérieure des embrasures , voici encore un
curieux passage de S. Grégoire le Grand, mort en 604, et qui prouve
qu'à cette époque, dont il ne nous reste qu'un très-petit nombre d'é-
glises , ce système de fenestration était le môme qu'aux onzième et
douzième siècles. Il y a plus : c'était celui qu'Ézéchiel , à 1700 ans de là,
avait vu dans le temple de Jérusalem, dont il prophétisait la recon-
struction, et S. Grégoire, qui voit ce système continué de son temps,
en applique linterprétation aux choses de l'Église universelle qu'il gou-
verne : « Per obliquas eteuiin fenestras lumen intrat, et fur non iu-
trat; quia bi qui vere speculatores sunt, semper sensum in humilitate
deprimunt, atqu3 ad eorum mentes intelligentiacoutemplationis intrat,
sed jactantia elatiouis non intrat. Et patent itaque fenestrae et munitaj
sunt, quia aperta est in mentibus eorum gratia qua replentur, et tamen
ad se adver.-arium ingredi ad superbiam non permittant. » (S. Greg.
Honiil. in Ezechiel. xvii.) — Ainsi, d'après le saint Docteur, l'humilité
arrive à notre âme avec la lumière évangélique; avec elle aussi on
peut se défendre de l'orgueil et de la vanité, qui y mêleraient des obscu-
rités nuisibles.
(1) Ce ne doivent pas être les termes de M. Boissérée, qu'il nous est
impossible de vérifier, et que cite de mémoire M. Mazure dans sa
Harmonie de leur
demi-jour avec la
destination mys-
tique du monu-
ment.
^86 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
serait donc que celui de l'art ogival du treizième siècle sur-
tout, où les vitraux de couleurs supposés ici parurent avec un
éclat qui seul peut les faire entrer dans le plan que s'est
fait le docte architecte. Tout ce que nous énonçons, au con-
traire, date des époques antérieures au gotliique, et quoi-
que nous en reconnaissions l'application tout aussi possible
aux œuvres du treizième siècle et des suivants, nous réser-
vons pour un chapitre spécial cette grande parure des
fenêtres, dont nous n'avons à examiner ici que les rapports
d'unité et de mysticisme avec le monument catholique.
Au reste, une remarque de haute valeur résulte de toute
cette méthode de lumière si savamment ménagée dans le
saint lieu : c'est que, dans ces demi-teintes tamisées par
de rares et étroites baies, la prière symbolisait elle-même
sa piété silencieuse et ses habituelles méditations (1). La
vie plus austère d'un monde où dominaient la foi et les graves
pensées se retrempait aux choses du ciel dans ce jour parci-
monieux tombant de bien haut sur l'âme attentive aux mys-
Philosophie des arts du dessin, excellent livre dont la thèse en faveur
du spiritualisme artistique est dignement acquise au symbolisme chré-
tien. (Voir son ch. vu : La cathédrale et le moyen âge, p. 287.)— Nous
ne disons pas qu'il n'y ait pas beaucoup d'imagination, et qu'il ne faille
pas y préférer quelque chose de plus positif sur les principes symbolis-
tiques; mais la tendance en est excellente, et, sauf certaines erreurs
d'appréciation dans l'étude de certains monuments que l'auteur juge-
rait aujourd'hui tout autrement, ce livre continuerait d'être utile au-
tant que d'une lecture attachante, s'il était ramené, clans une nouvelle
édition, à des notions d'archéologie monumentale et d'esthétique, encore
trop ignorées quand il fut publié, en 1838.
(1) « Horrorem... et inexplicabilem excitât pietalem , » dit S. Gré-
goire, qu'Émeric David traduit mal par « la terreur que doit inspirer
l'Être suprême. » — U inexplicabilem pietalem se rend plus naturelle-
ment par une piété qui n'est point distraite. — Dérouler sa piété , la
développer ,V étendre, n'est point se recueillir.— Prenons dans le même
sens ce que S. Grégoire de Tours dit de l'église cathédrale de Cler-
mont, bâtie par Tévêque Namatius, pour mieux faire ressortir que le
grand jour donné par ses quarante fenêtres et ses huit portes n'ôtait
rien à son caractère de majesté silencieuse et sombre : « Terror nam-
que ibidem Dei et claritas magna conspicitur. » (fJist. Franc, lib. 11,
cap. XVI.)
INTÉKIEIR DE LÉGLISE. 187
tèrcs du Christ, et ne pénétrait jusqu'à elle qu'à travers des
Nitraux où toute l'histoire de Dieu et dcriioinme se repro-
duisait pour la préoccuper et l'instruire. A uous qui savons
lire et qui voulons de V art pour l'art, il uous faut du soleil
aux rayons éclatants, et partout uue égale clarté pour le
vernis des toiles peintes et les dérisoires coquetteries de
nos modernes ameuhlemeuts... Nous avons bien dégénéré
de nos pères , et, grâce à ces progrès qu'on ne saurait assez
déplorer, nous n'apportons plus que des disti'actions sans
excuses là où la voix solennelle du chant liturgique s'al-
liait avec le demi-jour et l'auguste majesté de la demeure de
Dieu. \ous ornons nos églises comme nos salons, et par
cela même les églises abdiquent, bien malgré elles, hélas !
ce torî mystérieux qui s'accorde si parfaitement avec l'esprit
du grand Sacrifice, et qui traduit avec tant d'éloquence la vie
de combats et de tristesses de l'Église, comme la vie péni-
tente du chrétien.
De ce monument dont nous venons de décrire et d'expli- Les cryptes ,
quer, croyons-nous, toutes les parties matérielles , toutes ipurbu""^"^^
les inductions esthétiques, nous ne sortirons pas cependant
sans avoir visité cette autre église souterraine que son obs-
cui'ité et sa position ont fait nommer crypte, et qui fut en
usage depuis les premiers temps du Christianisme jusque
vers la fin du douzième siècle (I ) . Souvenirs des catacombes,
formées presque toujours d'après le plan de l'église supé-
rieure, quoique sur de bien moindres dimensions, ces cryptes
servirent d'abord de sépulture aux Martyrs et aux Saints,
dont les dépouilles sacrées furent ainsi conservées au-dessous
du grand autel, de façon à reproduire le célèbre texte apo-
calyptique où paraissent les âmes de ceux qui s'étaient laissé
tuer pour le nom du Seigneur (2) : telle fut l'origine des
(1) Sicardi, mort eu 1215, eu parle comme d'un annexe que , de son
temps, ou ne refuse pas à une église : Sic wdificalur ecclesia ut liabeut
pavimenhim cum suhterraneis crypHs. (Milrale, lib. 1, cap. iv.)
(2) « Vidi subtus allare auiinas interfectoruin proi)ter Verbum Dei et
propter Testimonium quod habebant.» {Apoc, \i, 9.) — Voirrexplica-
^88
HISTOIRE DU SYMBOLISME.
et de la vie con-
templative.
Images du Saint cryptes de Saint-Hilaire de Poitiers, où reposèrent d'abord,
au quatrième siècle, la femme et la fille du grand Docteur ;
de Sainte-Radég'onde de Poitiers, qui reçut ses restes au
sixième ; de Saint-Maixent, où furent déposées, au septième,
les reliques de S. Léger d'Autun , et de beaucoup d'autres.
Mais le rôle symbolique était bien plus élevé , puisqu'on
voyait dans chaque église souterraine un souvenir du Saint
Sépulcre , où le corps du Sauveur avait été enseveli :
c'était une allusion au texte de S. Marc (xv , 46) : Posuit
eum in monument o quod erat excisum de petra. Leur ob-
scurité presque complète les a fait regarder aussi comme
une figure de la vie contemplative des ermites {\). Quoi
qu'il en soit , cet espace , plus ou moins vaste , est aussi
plus ou moins orné. Sous de magnifiques églises, on voit
des chapelles souterraines privées de toute sculpture ;
d'autres en ont beaucoup , et alors la légende , les allé-
gories scriptuaires ont décoré les chapiteaux des piliers
qui partagent le plan en trois nefs , outre que des sarco-
phages magnifiques y attestent encore , comme à Saint-
Surin de Bordeaux (2), les illustres sépultures qui en aug-
mentèrent la réputation à l'époque gallo-romaine ou sous
les rois de la première race. En France, généralement, les
cryptes sont peu remarquables ; celles de Notre-Dame de
Chartres, de Saint-Eutrope de Saintes, quatre ou cinq autres,
sont de belles exceptions ; mais il faut citer surtout , pour
la richesse de ses détails symboliques, celle de Rolduc ,
de Roidu*c.°'°*^'''*' W^^ Bruxelles. Les seize colonnes qui la divisent en trois
tion de ce texte, ci-dessus, t. JI , p. 179, et Raoul Rochette, ch. ii de
son Tableau des catacombes (mihi, p. 76), où il décrit le tombeau
ainsi disposé de S" Prisca.
(1) « Cryptée, sive specus subtenaneae quae in quibusdam fiunt eccle-
siis, sunt eremitse, cultores siquidem secretioris vitee.» {Ration, divin.
Offîc., ubi suprà.) — On voit ici que beaucoup d'églises n'avaient pas
de cryptes.
(2) Voir le beau livre de M. l'abbé Cirot de la Ville sur cette église et
sur les Origines du Christianisme à Bordeaux, iu-i», Bordeaux, j869.
INTÉRIEUR DE l' ÉGLISE. i^^>
nets, en se prolongeant jnsqn'à l'auli^l , sont ornées sur
leurs fats et leurs cliapiteauv de majinitkiues sujets his-
toriés, entrelacés de végétations habiles et de gracieux con-
tours, tels qu'on les faisait vers 1 1 20. Là, une teinte sombre
et vigoureuse colore l'ensemble de l'oratoire et donne,
par son vague et son indécision, une ampleur et une gravité
heureusement calculées. Un certain cheval qu'un voyageur
fut accusé d'avoir volé, et qui reparut tout à coup au milieu
de l'assemblée où le prétendu voleur allait être jugé , con-
state, sur l'un des chapiteaux les mieux éclairés, un miracle
dont l'abbaye fut témoin au temps des fondations (-H04), et
devient un fait de plus à inscrire dans l'histoire de la sculp-
ture légendaire, appliquée assez souvent par les artistes à
remplacer le symbolisme proprement dit. C'est encore une
preuve que l'histoire locale peut seule , en de telles circon-
stances, éclairer l'archéologue sur la valeur d'un sujet ico-
nographique (I).
En exposant les sens mystérieux de tant de parties diffé- L'É-iise chré-
... tienne, image syiu-
rentes, reliées entre elles par une harmonie si majestueuse boiiquedeiÉgiise
et si profondément philosophique , nous avons signalé par-
fois, en quelques mots, le sens anagogique, reportant
notre pensée de l'édifice matériel à l'âme chrétienne , et
maintes fois , sans répéter ce que nous avons dit antérieu-
rement de cette méthode d'herméneutique biblique , nous
sommes passé indifféremment d'un sens à l'autre par rap-
port au même objet, laissant à l'intelligence du lecteur à
s'approprier lui-môme ce qu'il avait déjà appris en suivant
les phases successives de ce livre. Mais ce qui ressort parti-
culièrement de ce mysticisme aujourd'hui enfin reconnu,
c'est l'existence et la vie spirituelle de cette autre Église ,
Épouse du Christ , vaste construction dont les extrémités
atteignent aux quatre points du monde, dont Jésus-Christ est
(l, Voir Univers, 19 mai l8o2; — Hevue de l'art rkrélien, l. V, p. 21 4,
Ibtil; —M. de Caumout, L'ours d'antiquité monumenlalf , l, 71 et 1244
^90 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
la pierre angulaire, et les Apôtres le fondement, comme les
fidèles autant de pierres taillées (-1). Représentée d'abord
Traits mystiques par la Synagogue, dont Elle prend la couronne tombée. Elle
(le cette ressem- - ^ • • , , n, , i .. •. l' •
biance. se parc , Epouse choisie et preteree , des attraits extérieurs
qui attestent sa royauté. Toutes les beautés du temple maté-
riel se rapportent à Elle , s'animent de ses inspirations, re-
• présentent ses attributs , ses combats, ses victoires. Arche
de Noé ou barque de Pierre, Elle vogue sur l'océan de
ce monde, à travers les naufrages des âmes perdues, et,
sûre de ses agrès comme de ses pilotes , Elle s'avance , en
dépit des tempêtes , vers* le port où Elle arrivera ferme et
triomphante , pavoisée de toutes ses flammes et heureuse
des dépouilles de ses ennemis.
C'est à ce point de vue si varié , si riche et non moins
éloquent de significations métaphoriques ; c'est sous ces
aspects si pittoresques et si attrayants , que nous allons
maintenant étudier les nombreux objets qui complètent
l'ornementation de l'édifice religieux, aussi bien que ses
fêtes et les instruments sacrés du culte qui s'y accom-
Queiie profonde pUt. Daiis ccttc aualysc de tant de beautés surnaturelles,
théologie en res- ^^^ ygrra dc plus OU pUis k malu du clergé imprimée
sur les meubles du temple comme sur la distribution
de son plan , et quel génie tout divin a pu seul présider
à de si hautes concessions dans l'intérêt de l'humanité.
aussi bien que Qc quc uous vcuous dc dire n'est-il pas une dernière
ciergT''^ "^^ preuve irréfutable de cette vérité , déjà soutenue par nous,
que des théologiens seuls pouvaient inventer et exécuter
cet inimitable ensemble qu'on appelle une église catholi-
que, dont pas une pierre ne reste sans un rôle à part, où
toute chose matérielle exprime une vérité théologique; où ,
(l)«Estis cives Sanctorum, superaedifîcati super fundamentum Apos-
lolorum et Proplietarum . ipso summo angulari lapide Christo Jesu ;
in Quo omûis aedificatio constructa crescit in templum sanctum in
Domino; in Quo et vos coaedificamini in habitaculum Dei in Spiritu. »
{Ephes.,'u,2Q.)
INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. '19'f
comme dans Tblcriturc elle-mc^me, il ne l'aiU pas laiit voir
des lettres , des points , des syllabes , des noms ou des per-
sonnes, que des avertissements moraux cachés sous l'écorce
de la lettre (I)? Or ces exigences de l'Église primitive, à
laquelle a tant voulu nous ramener le protestantisme, qui
s*en repcnt aujourd'hui , n'ont pas cessé de se produire
jusque dans nos pastoraux mêmes du dix-septième siècle. Les
prescriptions des Pères y sont rapportées, citées comme de-
vant avoir encore leur exécution, et celui-là leur paraîtrait
manquer de zèle qui s'y soustrairait, au mépris des opinions
les plus justement vénérées (2).
En présence de ces faits, de ces doctrines et de ces prin- Théories sans
,,,,..,,. ^ ^ .^1 iT fondement de M.
cipes féconds d ou jailhrent au moyen âge tant de sublimes Deiéciuse sm-
choses, comment s'expliquer les théories hasardées de cer- chitecture au mo-
1 1 • . , . , , yen âge ,
tains docteurs de nos jours, qui, préjugeant des causes mo-
rales de ces intéressantes évolutions de l'architecture chré-
tienne opérées à ces époques de foi, les regardent comme
autant de phases d'un libéralisme chimérique dans lequel
on se complaît assez pour lui attribuer ces admirables mer-
veilles? A entendre^ par exemple , M. Deléchise dissert(H*
sur la féodalité et l'art gothique, confondre les instructions
chevaleresques avec la théocratie des douzième et treizième
•siècles , puis assigner les mômes causes à la décadence de ces
(1) Au cinquième siècle S. Pierre Ghrysologuc; disait à son auditoire
de Ravenne : « Quid tencmus, fralres? non apices , non litterœ, non
syllabae , non verbuni, non nomina, non personai in Kvangelio divinis
vacua suut figuris... » Et il le prouve par les expressions du prophète
Osée : « Sponsabo te in justitia et judicio, et in misericordia et in mi-
serationibus^ et desponsabo te mihi in fide. » {Os., \\, 19.)— Et il cite
encore S. Paul [Çor.^ xi, 2) : « Sponsavi vos uni Viro virginem castam
exhibere Christo. » — Voir S. Pétri Chrysol., Serm. cxLvi, De Joseph
Sponso.
(2) Cf. Pastoral du diocèse de Limoges, où l'on explique les obliga-
Lions des C'^clésiasliques et des pasteurs, t. 11, p. 140, iu-12, 1837.— Ce
livre, excellent sous bien des rapports, fut publié sous l'épiscopat et
par les ordres de Mgr d'Urfé, c'est-à-dire de 1676 à 1695. — Il s'appuie
beaucoup des décisions de S. Charles et de ses conciles de Milan tenus
de 1555 à 1582.
192 HISTOIRE D€ SYMBOLISME.
grandes créations sociales pendant les deux siècles suivants,
ne reconnait-on pas un homme à qui les préventions révo-
lutionnaires de notre temps bouchent les yeux sur la véri-
table portée comme sur l'histoire authentique des choses
dont il attribue dout 11 parlc ? A propos d'architecture , il s'empare contre
înents ruiu^pK nous , catliollques , au profit de ses utopies pohtiques, des
tfon^ïrbémi'e'.Vp^ia modltlcations qu'elle adopte , ou plutôt des humiliations
liberté humaino . ^^^,^^^^ ^^^-^^ ^^^ ^^^^^^^ ^^ l'hérésle ct du schismc ; il n'aper-
çoit pas le principe de cette chute dans l'esprit d'opposition
né des impiétés de Philippe le Bel, continué jusqu'à la nais-
sance du protestantisme en passant par les orgies de l'Arétin
pour aboutir aux folies de Jean Huss et de Luther. Il vante
les populations, encore si chrétiennes, d'avoir dédaigné enfin
ces vieilleries artistiques en même temps que leur pensée
s'émancipait au nom de la liberté !... Gomme si le laicisme,
arrivant à la faveur de tant de fautes des princes et dépouil-
lant l'Église de sa prépondérance maternelle, n'avait eu au-
cune action sur cette dégradation de l'art rehgieux ! Ah !
n'eussions-nous eu d'autre preuve de l'influence cléricale sur
nos chefs-d'œuvre plastiques du moyen âge , on serait bien
forcé de l'avouer en considérant l'abaissement des idées
artistiques sous la main des architectes néo-grecs et néo-
méconiiaissant rouiains. Quaud la force matérielle pèse sur l'Église et lui im-
rÉgîisèTt's'*" prï pose, avec la brutale maussaderie de ses violences, l'abâtar-
pie force vitale, dissemeut dc sa vie extérieure et temporelle, l'Église est bien
forcée de plier sa faiblesse physique à ces tyranniques pré-
tentions. Mais vienne le temps (qui revient toujours tôt ou
tard) où son entière liberté lui est laissée , où à force de
revendiquer ses droits Elle les recouvre , et alors vous la
voyez reprendre ses vieilles et chères traditions , resplendir
des vêtements de son antique beauté à mesure qu'Elle se
rapproche plus du foyer de Rome qu'on n'ose plus lui inter-
dire ; et sa main impose de nouveau à celles qui relèvent ses
édifices la règle et le compas de l'art roman ou gothique,
les deux seules formes qu'EUe veuille, parce qu'EUe y a im-
INTÉRIEUR DE L ÉGLISE. ^ 93
primé les caractères, iiicomnuiiiicables à toutes les autres,
de son spiritualisme immortel. C'est un malheur, sans
doute, que les gouvernements, toujours plus ou moins jaloux
de cette puissance morale, luttent contre Elle de tous les
efforts de leur rationalisme révoluliounair(3; qu'ils lui impo-
sent des architectes mal entendus dont l'orgueil et les intérêts
tirent parti de sa pau\reté méprisée: mais c'est aussi une
preuve de plus que si ou la laissait faire , de grandioses
beautés renaîtraient encore sous son influence , dégagées
des maladresses qu'y môle trop souvent la suffisance de nos
maîtres maçons. Quel est , en effet , aujourd'hui , le diocèse
où deux ou trois ecclésiastiques au moins ne pussent suffire
à la tache , — ramener, si on voulait le leur permettre, les
meilleures règles de l'art ancien trop longtemps oubliées, —
et prouver encore, au grand honneur de l'Église, une com-
pétence qu'on ne trouvera jamais ailleurs ni aussi complète
ni aussi désintéressée ?
Voilà ce que M. Delécluse ne paraissait pas avoir compris. L'insuffisance
' (les GtU<i6S lîl'lOU,6^
Etranger à l'esthétique, à la théologie, au droit canonique, mène à ce» fausses
autant qu'aux études sérieuses de l'architecture chrétienne, îerVommes' du
il ajoute à ses réflexions sur la prétendue politique du moyen "'"^^^^ ''^^*
âge les plus fausses idées sur les développements de l'art
pendant les siècles hiératiques. Au lieu de voir la cause de
ces magniliques progrès dans l'élan donné au monde euro-
péen par la couAcrsion des nations septentrionales, par les
écoles d'architecture créées dans les abbayes , par les croi-
sades et le goût des voyages qu'elles éveillent , enfin par la
paix intérieure qu'elles donnent à la France en unissant
sous le drapeau de la croix cette foule de grands seigneurs
qui s'y disputaient le territoire et s'emparaient des biens ec-
clésiastiques ; au lieu, disons-nous, d'ouvrir les yeux devant
ces témoignages de l'histoire, le savant critique attribue l'a-
grandissement exces}iif donné par le treizième siècle à nos
églises ( il oublie que Cluny, la plus vaste éghse du monde,
était du douzième), iiou pas ù un élan rehgieux dû à un
T. m. i3
i94 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
mouvement général de la pensée humaine , mais à l'accrois-
sement moral du pouvoir spirituel dans la papauté de Gré-
goire VII, d'Innocent III et d'Innocent IV... — Gomme si
ces temps de luttes contre la tyrannie impériale de Barbe-
rousse et d'Henri IV étaient bien favorables pour les papes
à des études d'architecture religieuse ! comme si , en pré-
sence de ces prétentions antichrétiennes du pouvoir tem-
porel , et au milieu des agitations des Guelfes et des Gibe-
lins, la papauté n'avait pas eu assez à faire de ses préoccu-
pations et de ses revers ! comme si, enfin , ces types tou-
jours et partout uniformes qui régnent de 1000 à 1100, et
de 4200 à 1300 dans toute l'Europe, pouvaient être sortis du
même moule , ou plutôt de trois moules différents, puisque
les têtes de trois papes , vivant à 1 00 et 4 50 ans de distance,
en auraient dû fournir l'archétype et le lancer, à trois re-
prises, sur ce monde étonné mais docile, qui nous en aurait
légué l'héritage ! — Ajoutez à ces judicieuses découvertes les
graves animadversions de notre académicien contre les
chapelles qui , plus nombreuses depuis la fin du douzième
siècle, rayonnent autour de nos grandes églises, soit comme
le nimbe de la tête divine, soit comme les épines de sa
couronne miséricordieuse d'ignominie (4) ! Il les accuse
de n'être qu'un défaut contre l'unité de la composition , de
sorte que les détails nuiraient à l'unité d'un grand en-
semble , et que les ailes de l'oiseau , par exemple, compro-
mettraient sa forme et sa naturel... Ce n'est pas tout, il
reproche aux architectes de ces inimitables monuments
d'avoir, par un trop grand nombre d'autels , divisé la pensée
cathohque du grand centre auquel elle doit se reporter, de
cet autel principal , lieu de repos du Saint des Saints. Une
telle objection vaut-elle mieux que les autres ? N'y avait-il
pas trois autels, bien avant le style ogival, dans chacune des
trois absides qui terminaient l'égUse à l'orient ? S. Grégoire
(1) Voir ci-dessus, p. 174,
INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. -195
le Grand, au sixième siècle, ne nientionne-t-il pas une église
de son temps (|ui en avait treize , selon le besoin d'un grand
nomljre de prêtres d'oiïrir chaque jour le Saint Sacrifice (Ij?
Kt la liturgie, afin précisément de ne pas mullipUer la Sainte
Réserve, dontrunilé dans chaque temple est une image de
celle de Dieu, n'a-t-elle pas prescrit un seul tabernacle où
elle (lit conservée , ramenant ainsi à un centre commun
les adorations des fidèles (2) ? Quelle intelligence des élé-
ments chrétiens! et pourquoi s'aventure-t-on avec cette
hardiesse inouïe dans une voie où rien n'est laissé à l'arbi-
traire , où tout est positif et normal (3) ?
On ne sait pas assez combien ces idées, mal cousues à la , , caractère de
*■ ' l'école rationa-
vérité, qui les réprouve, se sont implantées dans l'esprit de iiste,et desesef-
''■'■' A A forts a dénaturer
nos littérateurs,avecquelleassurance elles émerorent de leur l'histoire du ca-
* " tholioisme.
encre, et comme ils se sont faits ardents à fonder une école
où l'histoi re de l'art soit professée au détriment de la rehgion .
Quiconque a voulu une chaire dans cette école n'a eu qu'à
entrer : on s'est placé d'abord au feuilleton de la presse. De
cette tribune, on a préparé l'auditoire à tout accepter sur
;i) s. Gregor. Magni , lib. I, Epist. L, ad Palladium. — Cabassut,
Synopsis Conciliorum, t, III, p. 419, in-S», 1838.
(2) « Licet sacrosancto Domini Qostri Jesu Christi Corpori, omnium
sacramentorum fouti, prsecellentissimus ac nobilissimus omnium
locus in ecclesia couveniat..., tamen valde opportunum est ut illud non
collocetur in majoii vel in alio altari in quo episcopus vel alius solem-
niter est Missam seu Vesperas celebraturus; sed in alio sacello, vel loco
Diuatissimo, cum omui deceutiaet reverenlia ponatur. » ((7<a?remo7îiâ!/ô
Episcop., lib. I, cap. xii , n» 8.)— Ce texte est formel et exclut nette-
ment la multiplicité de la Sainte Réserve dans la même église. Que
devient la désolation de M. Delécluse, qui eût pu se l'éviter en ne trai-
tant point de choses qu'il ignorait?
(3) C'est dans le Journal des Débats du 19 septembre 1854 qu'on lit
ces singularités de M. Delécluse à propos du Dictionnaire d'archilec-
ture de M. Viollet-Leduc. C'était le tribut payé aux principes de 89 par
un enfant de ce grand dix-huitième siècle qui nous a valu, on le sait,
de si magnifiques théories sociales. Heureusement un rayon d'Eu-Haut
est venu éclairer cet esprit, qui portait la droiture jusque dans ses igno-
rances, et M. Delécluse, mourant en 18G3, est revenu à la vérité catho-
lique en trouvant dans la mauvaise foi de M. Renan le plus sûr argu-
ment qui pût démontrer la vie et la divinité de Jésus!
496 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
la parole du maître, et, ce premier effet une fois répandu
au loin, on a fait de ces beaux discours des livres que les
mômes journaux ont fraternellement recommandés. Et
l'opinion s'est ainsi formée sur l'art et les tendances du
moyen âge ; et, une fois de plus, les simples , incapables
d'examen et de discussion, ont salué le nouvel auteur et
proclamé son livre un chef-d'œuvre. Ce n'est pas que, dans
ce livre, il n'y ait du bon, mêlé parfois à ce mauvais et à ce
médiocre dont le poète latin ne se croyait pas exempt ('l) ;
mais le mauvais apparaît surtout dans cet esprit de système
qui travaille incessamment, Dieu sait par quel motif ! à dé-
nigrer les âges de foi et à exprimer forcément , de la sim-
plicité de leurs croyances naïves, les mensonges empoi-
sonnés des idées modernes.
Fausse histoire Uu autrc littérateur de notre temps n'a pas moins sacrifié
dfi ]a franc-ma- , • i ' ^ •>! i-i i ..
çonnerie, inventée cl CCS idces, dcvenucs a la uiodc il y a quelque trente ans.
erreur?/ '^ "^^^ M. Vitct vcut absolunieut que l'esprit d'émancipation po-
pulaire se soit fait jour jusque dans la pratique des arts,
et que la franc-maçonnerie , d'a])ord si innocente de ses
complots actuels , cette franc-maçonnerie si chrétienne
alors , et dont le but unique était d'élever des temples et
des autels que ses prétendus descendants voudraient in-
cendier aujourd'hui, il veut , disons-nous, que ces grandes
associations de Logeurs du bon Dieu et de Frères pontifes
aient profité de je ne sais quelle nouvelle idée pour se-
couer tout à coup le prétendu joug du clergé, et s'attri-
buer exclusivement la gloire de travailler à ces ravis-
santes cathédrales dont le treizième siècle nous a dotés.
On vous citera à l'appui de ce paradoxe une douzaine (tout
au plus) de noms célèbres, comme Pierre de Montreuil ,
Ewin de Steinbach, Robert de Luzarches, Villard de Hon-
necourt, qui s'emparent del'équerreet delà truelle, et qui,
(1) Sunt bona, sunt mala, sUnt etiam medioeria plura.
(Martial. Epigr.)
INTÉRIFA'R DE l'ÉGLISE. ^^7
laïques et bourgeois, sécularisent l'architecture au grand
dépit de ce pauvre clergé qui ne s'en mêlera plus. Le dom-
mage devant ces assertions toutes gratuites , c'est d'abord
de se trop presser de cent ans, et d'attribuer au siècle où
l'architecture chrétienne atteint son magnifique apogée une
évolution qui ne signale i*éellement que les quatorzième
et quinzième siècles , époque où précisément la l'ranc-
ma{;onnerie révolutionnaire prend son origine dans les
réunions secrètes des Templiers et perpétue les traditions
criminelles qu'avaient justement punies les bûchers de
Philippe le Bel (I). C'est uniquement à partir de cette pé-
riode historique, entre 1300 et ^320, que, pour être tombé
aux mains des laïques, dont la pensée sortit alors, en effet,
de sa dépendance reUgieuse, cet art divin que le principe
d'autorité et la science sacrée avaient élevé si haut
marcha rapidement vers sa décadence et abandonna peu à
peu, avec sa simplicité majestueuse, le symbolisme qu'il ne
comprenait plus. Si nous voyons, de 1200 à 1300, les plus et réfutée par
l'histoire même du
précieuses de nos églises arrivées à l'idéal du beau par la treizième siècle
,,,. ^ r> ' 1 qu'elle invoque.
gracieuse légèreté du style, la pureté des lignes, le fini de
la sculpture etl'éléNationdc la science symbolistique, soyez
sur que ces admirables caractères ne sont pas tant dus à ces
admirables ouvriers de génie dont vous nous faites une si
triomphante exhibition, qu'à ces traditions monacales plus
(1) Il ne faut pas oublier ceUe comcidence de l'affaire des Templiers
et de l'iudépendance atï'ectée des nouveaux architectes, qui, au com-
mencement du quatorzième siècle , se détachent des traditions esthé-
tiques et arrivent au paganisme de la Renaissance à travers les révoltes
de Jean Huss et de Luther.— C'est là, et seulement là, le berceau véri-
table des affiliations modernes, qui ne peut être plus vieux de 200 ans,
comme on voudrait le faire croire. Consultez Baluze , Vie des papeb
d'Avignon, t. I; — Rohrbacher, Hist.imiverselle de r Église, t. XV, p. 5H
et suiv., et le chevalier de Malet, Recherches sur l'existence d'une S'cle
révolutionnaire, in-S», 1817, p. 39.— Nous devons remarquer ici que
les Bulletins des Antiquaires de l'Ouest, t. X, p. 321, ne se sont pas
assez gardés contre les données fautives que nous y réfutons quelques
pages plus loin.
^98 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
sérieusement gardées que jamais, el aussi à l'immixtion dans
les arts sacrés du corps épiscopal qui, à cette époque, succéda
presque généralement aux moines et aux chapitres dans le
soin de construire les cathédrales. N'est-ce pas dans la plus
belle période du treizième siècle que Guillaume d'Au-
vergne, évéque de Paris (1228-1248) dirigeait la construc-
tion du magnifique portail de Notre-Dame, auquel se ratta-
chent des noms célèbres parmi ceux que nous avons cités?
Si le fait historique de cette intervention sacerdotale n'était
pas généralement admis , nous aurions pour le constater
l'opinion d'un érudit qui mérite quelque confiance, et qui
nous semble avoir étudié les choses de plus près que
M.Vitet(l).
(1) « Si nous jetons un coup d'œil sur la période romano-byzantiue,
nous sommes forcés de reconnaître pendant tout son cours l'influence
des moines, en sorte qu'on pourrait l'appeler période monacale. A la
fin du douzième siècle cette influence diminue et fait insensiblement
place à l'influence sacerdotale ou plutôt épiscopale; puis, vers la fin du
treizième, déjà on reconnaît quelques tendances laïques. » (M. l'abbé
Crosnier, iVoiicc^ sur les écoles d'archileciure au moyen âge j Bullet.
monum., XV, 414.)— M. Vitet, qui contrecarre nettement cesrenseipçne-
ments de l'histoire et de la science, comment peut-il s'être persuadé le
contraire et émettre les faux principes que nous réfutons ici ?
(Voir Noire-Dame de Noyon, dans le deuxième volume des Éludas sur
les beaux-arts,^. 301 et suiv., in-12, 1846.) — Tout en nous trouvant
obligé de rendre justice au talent d'écrivain de l'honorable auteur, il
nous permettra bien de réprouver des doctrines qui tendent à promul-
guer de? idées si peu admissibles. On sait que les suffrages acadé-
miques ne sont pas sans appel, et qu'indépendamment du mérite intrin-
sèque d'an livre de haute science , l'opinion publique trouve souvent
dans ce bon grain plus ou moins d'ivraie qui en altère singulière-
ment la valeur. Nous en disons autant d'un certain Mémoire sur
cette question, imprimé dans les t. XIH-XIV de la Société académique
de Maine-et-Loire , et qu'on a loué, sans assez de réflexion, dans les
Bulletins des antiquaires de VOuesl, dont nous parlions tout à l'heure
(X, 321). Sur la foi de ce qu'on y appelle « l'érudition allemande, »
on ne craint pas d'y faire remonter les francs-maçons de l'architec-
ture chrétienne jusqu'au nmDîè/nc siècle...-- C'est toujours de plus
fort en plus fort. Mais remarquons bien que « les documents allé-
» gués ne font pas connaître comment s'opéra parmi les constructeurs
» d'édifices une substitution qui ne dut pas être sans des luttes , et
» dont la trace se trouve petJt-êlre dans ces sculptures empreintes
INTÉRIEUR DE L'ÉGLISE. 499
On fait grand bruit, pour établir le crédit exclusif des impossibilité aux
, ..,.,,, laïques d'avoir,
arcliitet'tes laïques au treizième siècle, de ce que, pendant avec leur symbo-
, , , , lisme incomplet ,
cette longue phase de cent ans, on ne trouve que tres-peu créé les beaux mo-
,,,..., . , , , , numents de cette
darclntectos clercs signant leurs œuvres, etquau con- époque,
traire beaucoup de ces noms bourgeois qu'on salue de si
bon cœur se font connaître pour maîtres des grands ou-
M-ages du temps. Voudrait-on nous dire combien on trouve
de signatures monacales sur les constructions antérieures
à cette période, et si jamais les laïques, même pendant le
cours de celle qu'on leur attribue, se sont incrustés dans
les pierres cimentées par eux? L'humilité du religieux se
contentait d'un travail élevé à la gloire du Tout-Puissant :
c'est tout le secret de ce silence gardé par eux sur leurs pro-
pres églises. Le môme sentiment domine encore dans les sé-
culiers, et ce ne sont pas ceux qui élevèrent un petit nombre
des basiliques du ti-eizième siècle qui s'en firent connaître
pour auteurs : ils ne l'auraient pu d'ailleurs sans usur-
» d'un esprit d'hostilité contie les ordres religieux. » — Ainsi ou
nous apporte toujours les mêmes arguments, que nous avons ample-
ment réfutés dans le premier chapitre de cette troisième partie; mais,
comme toujours, on s'appuie sur d'inadmissibles conjectures, et l'on
n'apporte aucune preuve, « les documents du temps n'eu faisant pas
connaître. » — Eh bien ! ne sommes-nous pas fondé à vouloir ces preuves
avant d'adopter les rêves d'une scien'ce historique trop accoutumée à
plier la vérité à ses systèmes? Nous délions sans crainte ces grands
accapareurs d'idées nouvelles de nous apporter un seul témoignage
écrit, un seul texte décisif en faveur de leurs affirmations, et, jusqu'à ce
qu'ils parviennent à le produire, nous refuserons de croire à leur pré-
tendue érudition.
Ceci nous rappelle les assertions non moins équivoques d'HaIJam,
qui, dans son Europe au moyen «(jrc (IV, 231), attribueaux francs-maçons,
d'après l'opinion de sou devancier Hall (Essai sur Varchileclure go-
thique), l'invention de l'ogive. Ce serait en Allemagne , d'après ces
doctes juaitre.-, que l'architecture ogivale aurait germé et fleuri, et le
premier, tout en regrettant la perte des archives primitives de la franc-
raacounerie, croit qu'elles pourraient éclairer cette question d'origine,
encore très-obscure pour lui-même. En conscience, qui ne voit claire-
ment qu'on ne peut rien Conclure de toutes ces obscurités si nettement
reconnues, sinon que pour faire une vérité, c'est toujours trop peu de
myriades de conjectures?
200 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
per cette gloire à l'égard des plus beaux monuments , car
ils ne firent pour la plupart que les augmenter ou les finir.
Avant eux, on en avait fait le plus beau et le plus difficile.
C'est aux moines eux-mêmes qu'ils doivent d'avoir sauvé
leurs noms de l'oubli, soit dans les chroniques écrites seules
encore par des plumes religieuses, soit par la modeste et
glorieuse tombe qu'une gratitude désintéressée leur éle-
vait dans un coin honorable de l'église qu'ils avaient entre-
prise ou terminée (^1). Enfin peut-on avoir étudié la théorie
du symbolisme catholique sans comprendre que les con-
naissances théologiques pouvaient seules donner à une in-
telligence humaine le plan et le sens profond de l'icono-
graphie monumentale dont le treizième siècle ne se glorifie
pas moins que le douzième, et oserait-on soutenir aussi que
des hommes livrés aux obligations du monde et aux devoirs
de la famille purent atteindre à cette hauteur de conception
et à ces travaux de la pensée mystique si justement admirés
dans les vitraux de Bourges, d'xVuxerre, de Chartres, de
Poitiers et de Saint-Denis? On voit combien, lorsqu'on les
examine de près, ces nouvelles données de nos historiens
modernes du moyen âge accusent d'inattention ou de parti
pris ; ce qui n'empêche pas cette prétendue science d'avoir
ses adeptes et de trouver des écoliers disposés à l'applaudir
généreusement. Si bien que nous serions peu étonné, pour
l'audace avec laquelle nous défendons ici la vérité contre
leurs attaques, de voir bientôt quelques-uns de leurs cha-
leureux disciples, sinon eux-mêmes, signaler notre livre
aux grandes autorités de l'ère présente comme reléguant
leurs plus belles inventions dans lès ténèlji-es du temps
(1) On peut voir dans le Bulletin monumental, t. X, p. 260, une liste
des monuments élevés seulement dans les provinces rhénanes aux
treizième et quatorzième siècles : on y en trouve peu, relativement,
qu'on puisse attribuer à des architectes laïques, et encore beaucoup de
ceux-là sont-ils des monuments civils, tels que des hôtels de ville, des
halles et des châteaux.
INTÉRIEL'R DE LÉGLISE. 20^
passé Nous n'avons pas une telle prétention ; nous
sommes persuadé que l'ei-reur aura toujours des défenseurs
aveuglés et des victimes plus ou moins volontaires. Mais les
livres restent : les faux principes y demeurent comme les
plus lucides vérités. Nous laissons à l'avenir, qui jugera les
uns et les autres, de voir sans passion et de se prononcer
sur hi juste valeur des utopies dont on a voulu faire de la
science, ou des légitimes contradictions que l'Eglise leur
opposa (I).
(1) Entre autres suppositions mal fondées que M. Viteta émises dans
sa Xolre-DiDne de Noyon, remarquons de quelle façon il voudrait nantir
les francs-marons des quatorzième et quinzième siècles de toute la
fçloire qui , en fait d'architecture , appartient aux deux précédents.
Comme il a voulu leur attribuer les monuments du treizième siècle^ que
jamais personne ne leur accorda, il prononce magistralement et établit
pour incontestable l'hypothèse que voici : « Si ces associations n'appa-
raissent pour la première fois dans l'histoire qu'à la fin du quator-
zième siècle, elles n'en vivaient pas moins depuis au moins deux siècles
en confréries sccrèles. 11 est vrai que pendant cette longue période de
deux cents ans on ne les voit nulle part; mais il faut les deviner, jus-
qu'à ce qu'enfin, /eur inditulion se relâchant, elles commençaient à
divulguer elles-mêmes leur propre existence. Dans leurs nouveaux sta-
tuts, lesdits francs-maç3ns ne se recommandent si sévèrement le secret
que parce qu'ils se surprenaient sans doute à ne plus le garder. La for-
mation des loges allemandes du quinzième siècle passe donc à tort
pour la création d;s confréries maçonniques: elle nen est qu'une
réorganisation motivée probablemkxï par des symptômes de déca-
dence. » (Étude sur les beaux-arts, II, p. 303.) — En vérité, que dire de
pareilles assertions jetées à la tète du lecteur avec ces termes mêlés
d'autant de doutes que de confiance ? Quel peut donc être ce secret
gardé pendant 200 ans et plus par une association que personne n'au-
rait soupçonnée, et qu'il fallait deviner ? Quel besoin d'un tel secret
pour construire des églises et se laisser gouverner en humbles chré-
tiens par les prêtres, conducteurs des travaux, lors de la construction
de Notre-Dame de Chartres, par exemple, et de tant d'autres? Comment
ce secret divul','ué vers la fin du quatorzième siècle a-t-il été si bien
repris qu'on ri'j:nore encore de nos jours? Quelles preuves, enfin, autres
que les conjectures de M. Vitet, de ces trouvailles qu'on ne doit qu a
lui? Il faut avoir grande envie de former le moyen âge à l'image du
nôtre pour écrire de telles idées sur l'histoire de l'art, et décidément
c'est bien du temps d'Innocent lil et de Durant de Mende qu'il faut
dater les principes de 89 !
Finissons-en donc avec ce fameux secret, et disons, en un mot. qu'il
consistait non en des doctrines de quelque importance politique ou
202 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
tique pS'l'^Nn de ^^^ finissant ce chapitre, et après y avoir dit, comme une
i^rieur d'une continuatioii dcs deux précédents , tout ce qui regarde le
symbolisme de la construction , donnons encore, pour lui
servir de résumé, la preuve de ce qu'on en pensait dès le
cinquième siècle dans une lettre de S. Nil que nous
avions promise au cinquième chapitre du tome précédent.
xNémertius, homme lettré de son temps, lui avait demandé
l'expUcation de plusieurs symboles relatifs à l'église maté-
rielle, ce qui suppose que si quelques-uns manquaient de
cette science , d'autres pouvaient s'employer à la leur
donner. Le solitaire, selon sa coutume, y répond avec au-
tant de précision que de brièveté : « Vous m'avez prié, dit-
il, de vous donner la raison de quelques symboles de nos
égUses. Je vous réponds donc que les bénitiers indiquent la
purification de l'âme; les colonnes signifient les dogmes
divins; l'abside, qui reçoit la lumière de l'orient, caractérise
l'honneur rendu àla sainte, consubstantielle et adorable Tri-
nité ; les pierres représentent l'union des âmes fortement
établies et s'élevant toujours plus vers le ciel ; les sièges,
religieuse, mats dans ime suite de conseils formant un enseignement
géométrique à l'usage des tailleurs de pierres, d'après lequel ils pou-
vaient tracer sans calculs, avec des cercles et des ligues, certaines
iîguresplus difficiles, telles que le pentagone, et déduire, avec plus ou
moins de clarté et de succès, du triangle éqailatéral, ou du carré et du
cercle, la hase et l'édification de toutes les parties. Et encore, n'oublions
pas que le plus ancien livre qui traite de ces principes plus ou moins
praticables est le Geometria Deutsch (Géométrie allemande), qu'on at-
tribue à Hans Hosch de Gmûnd, et qui fut édité en J472; que le der-
nier est de Rivius, médecin de Nuremberg, qui traduisit, vers 1530, une
traduction italienne de Vitruve, avec des notes où furent développées
les prétendues doctrines secrètes des francs-maçons allemands. Voilà
donc les grandes et ténébreuses théories des treizième et quinzième
siècles réduites à ne vivre que dans un misérable traité d'industrie
facile, donné vingt-huit ans seulement avant le seizième siècle, et
deux ou" trois autres tout aussi forts qui apparaissent sous le règne de
Charles Quint; le tout parfaitement oublié depuis deux cent cinquante
ans au moins.— On trouvera la preuve de toutes ces assertions dans
M. Schnaase : Geschichle der bildenden Kùnsle, dont un intéressant
chapitre sur cette matière a été traduit dans les Annales arche dogi-
quiS , t. XU, p. 320 et suiv., et 363,
FNTÉRIEIR DE l'ÉGLISE. 203
les giadins et les bancs désigiieiit la diversité des âmes où
vivent les dons du Saiiit-Ksprit, et rappellent celles qui en-
tourèrent les Apôtres lorsqu'aux premiers jours les langues
de feu reposèrent sur leurs fronts ; le trône épiscopal qui
s'élève au milieu du chœur des prêtres rappelle la chaire
du Pontife suprême , Xotre-Seigneur Jésus-Christ. C'est là
tout ce que vous m'avez demandé : je m'arrête donc après
ce peu de mots (I). »
Si, dans un exposé aussi succinct, nous voyons quelques
symboles exprimés dans un sens qui semble différer un peu
de celui que nous avons donné déjà, on s'en étonnera peu
en se rappelant que la diversité des interprétations sur
un même objet n'est jamais une contradiction qui prouve
contre la science ; mais on en conclura sûrement nue fois
de plus que celui qui parlait un tel langage n'était pas aussi
étranger au symholisme qu'ont pu le faire croire ses répu-
gnances aux peintures de luxe ; et surtout ceux qui atta-
quaient, sous ce prétexte, l'existence d'une théorie symbo-
listique, voudront bien se souvenir qu'il s'agit encore ici du
cinquième siècle, d'une époque où cette théorie avait pris
tous ses développements, et qui devait s'emparer, dans un
prochain avenir, des moyens sensibles que la marche des
arts devait mettre au servia(Jde ses pieux empressements.
(l) « Qucedam EcclesiiB symbola iiiterpretari tibi rogasti. Propter
quod scribo quia luteres indicant piirgationem auimae. — Goluranae
autem diviua significant, dogmata. — Porta vero , quae illucescit ad
orientem , g'orificationem characlerizat sauclai et cousiibstanlialis ef
adorandif; Trinitatis, — At vero lapides stabilitaruin et proficientium ani-
ma! uni protestantnr collegiuui. — Porro Uironi et gradus atque sedilia
diversas animas désignant, in quibus Sancti Spiritus donaliones iusi-
dent, sicuti et prius in bis quae circa beatos erant Apostoios, super quo?
linguaG sederunt taiiquam ignis. — Caeterura episcopalis tbronus, qui in
medio cunctoruni presbyteroruni est, catbedram insinuât magni Pon-
titicis Domini nostri Jesu Cbrisii. — Usquead bsec consuluisti, et usque
ad hoc et ego couipeudio fere scripsi. » (S. Nili Senioris epist. ad Ne-
mertium..,; apud D. Pitra, Spicileg. Snlesm., III, ^{08.)
CHAPITHE V.
AMEUBLEMENT DE L'EGLISE.
Sièges primitifs Du quatrième siècle au onzième, la nef simple ou triple
du clergé.
de l'église se prolonge jusqu'à l'abside. Là se trouve le
■presb'ijterium ou suite de bancs placés circulairement au-
tour du siège de l'évêque. C'est de là que celui-ci surveille
et préside , selon le sens de son nom , selon le devoir et le
droit de sa dignité supérieure. De côté et d'autre, une autre
Places distinctes absldc plus pctitc, OU absicliole , se produit parallèlement ,
des femmes!"' "" à la limite des collatéraux , s'il en existe ; de ces deux nefs
secondaires , celle du nord recevait les femmes, celle du
sud appartenait aux hommes. Celle-ci était* surveillée par
Chapelle de la dcs dlacrcs , l'autrc par des diaconesses fi). La place des
rabsidioie^ ^du personnes du sexe au septentrion était naturellement as-
signée par la chapelle de la Sainte- Vierge, qui était l'absi-
diole de ce bas-côté, et celle-cWvait reçu une telle desti-
nation de la place même qu'agit occupée Marie au pied
de la croix, lorsque son divin Fils y expirait. C'est encore ,
des deux collatéraux, celui que S. Charles indique pour les
femmes (2). Durant de Mende atteste que cette division ,
(1) Cette séparation, qui doit dater de l'église même des Cata-
combes, est indiquée dans le Sacramentaire de S. Grégoire à la fin
du sixième siècle. S. Cyprien, qui écrivait dans la première moitié du
troisième , parle du baiser de paix qui se donnait à l'offertoire de la
Messe par les hommes aux hommes, et par les femmes aux femmes
{Epist.G'à). Clément d'Alexandrie le mentionne aussi dans son Péda-
gogue, ch. IX. — Ce rite suppose nécessairement que les deux sexes
occupaient des places séparées dans l'église. — Voir Fleury, Hist.
écriés., liv. XXXVI , n» 18, et Mœurs des chrétiens , n" xl.
(2) M Pars vero mulierum septentrioualis sit. nisi quibus in ecclesiis
nord.
AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. 2Ô.j
tbndée sur des motifs de convenance , et que le V. Bède in-
diquait de son temps comme déjà tort ancienne , avait
aussi pour raison de rappeler que Marie et Joseph s'en
étaient allés chacun de leur côté pour chercher Jésus, lors-
qu'il s'était arrêté parmi les Docteurs. Que cette raison soit
plus ou moins forcée et ^enue après coup, elle n'a pas
moins une certaine justesse qu'il faut lui reconnaître. Le
grand symholiste ajoute , au reste , d'autres motifs plus
concluants quand il parle des convenances que nous venons
d'exprimer, et alors il donne , croyons-nous, la véritable
pensée de l'Église (I) : ainsi nous devons voir avec lui les
deux portions de la société humaine s'acheminer, chacune
de son côté, vers le Jésus du Tabernacle, qui, de cette chaire
abritée dans le lieu le plus obscur de son temple , du mi-
lieu de ces ténèbres sacramentelles de l'Eucharistie , parle
aux doctes du monde et les attire encore , s'ils savent le
comprendre , par le charme de sa doctrine et les attraits
de son éloquente douceur. Par cette même raison, nous une chapeiie de
Saint-Joseph très-
voudrions que le culte de S. Joseph , qu on a trop oublié , romenabie dans
celle du sud. '
pro rationesituâ aliave causa episcopus aliter statuerit. » {Instruction.
lib. II , cap. XXV, p. 121.) — S. Charles suppose ici que l'évêque ordon-
nerait une autre place pour les femmes que celle du nord, si quelque
cause , en quelques églises , venait s'y opposer. On comprend que cette
cause pourrait tHre , par exemple, le changement d'orientation devenu
obligatoire par la disposition peu favorable du local, et boulever-
sant avec lui une foule de conséquences liturgiques nées de son
principe même. Alors il entre dans l'intention du saint cvêque de
laisser toujours aux femmes le côté de la Sainte Vierge, qui leur va
si bien.
(1) « In conventu ecclesiœ mulieres et viri seorsim habitant, quod
secundum Bedam a vetere consuetudine derivatum accipimus; et
inde fait quod Joseph et Maria Puerum derelinquoruut, quoniam
alter illum quem secum non cernebant cum altero esse putabant.
Causa autem divisionis est quia caro viri et mulieris, si propius ac-
cesserant, ad libidines accenduutur : unde, cum ibi peccata deflere
debeamus, necesse est tune eorura fomenta delectationes carnales
vilari. — Masculi autem in Australi, feminse autem in Boreali sive in
aquilonari i)arte manent, ut firmiores sanctos debere stare contra ma-
jores hujus sfficuli teulationes. » (Lib. I, f" v».)
200 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
reprît ses droits légitimes non loin de Jésus et de Marie , et
que sa chapelle spéciale fût celle de l'absidiole sud. Delà, il
semblerait présider au côté des hommes , auxquels il fau-
drait rendre son illustre et glorieux patronage. Ce côté ,
qui est celui de la force , dont l'auguste chef de la sainte
Famille donna de si nobles exemples, se mettrait bien sous
sa protection, tandis que la faiblesse du sexe se trouve
symbolisée par la nef septentrionale. A Ravenne, ou voyait
à Saint-ApoUinaire , église du quatrième siècle , visitée par
Mabillon en -1682, les Saints et les Saintes représentés en
mosaïque dans le môme ordre, pour indiquer, selon la pensée
du docte bénédictin, cette même séparation des deux sexes,
que les artistes ne devraient pas oublier (\). M. Flandrin ,
l'habile peintre qui décora à Paris , en 185G , la façade de
l'église de Saint-Vincent de Paul, a certainement suivi cette
inspiration des âges chrétiens lorsqu'il a placé à gauche
la longue et intéressante série des Saintes marchant vers
les portes du Ciel, et qu'aux Saints tendant au même but
il a réservé la droite, qui leur convenait exclusivement.
D'autre part, on le voit dans l'Apocalypse, la faiblesse du sexe
se trouve symbolisée par sa nef septentrionale , où tout lui
rappelle que les faibles doivent se maintenir plus forte-
ment contre les tentations de l'esprit infernal. D'autre part,
on voit dans l'Apocalypse (x, 2) que l'Ange posa sur la
mer son pied droit, c'est-à-dire la nef méridionale de l'église,
qui est à droite en entrant (2). Cette droite, aussi bien que
la gauche , dont nous avons déjà exposé les règles normales,
a donc varié parfois , selon l'idée particulière de chaque
écrivain (3); il est bon de ne pas l'oublier, pour bien com-
prendre les distinctions consacrées par la liturgie vraie ,
(1) Voir ChaviD de Mallan, Vie de D. Mabillon, p. 359.
(2) « Joannes viditAngelum fortem qui posuit suum pedem dextrum
super mare.Nam et fortiora membra majoribus periculis opponuntur.»
(Jd., ibid.)
(3) Voir Bultet, monum., XIII, 347; XIV, 142;— Schmit, Manuel de
farchileclure des monuments religieux , p. 443,
cnsties.
AMEUBLEMENT DE [/ÉGLISE. 207
(jui prond la droite pour celle du crucifix tourné de l'ab-
side orientale vers la porte du couchant.
L'ahsidiole nord, dans les premiers temps, servait de Premières sa-
sacraruiw, c'est-à-dire de dépôt des choses servant au culte,
tels que les vases sacrés, les livres liturgi(|ues, les vêtements
sacerdotaux : c'était , en un mot, ce que nous appelons
depuis longtemps la sacristie. Durant le douzième siècle,
les collatéraux se prolongent en hémicycle en avant du
rond-point oriental, entre l'abside et le sanctuaire, qui déjà
s'était séparé de celle-ci , et installé dans la chapelle absi-
dale , que venaient de quitter Fautel principal et la Sainte
Réserve qu'on y gardait. Alors on fit en beaucoup d'endroits
la chapelle do Marie de celle où n'était plus le principal
autel , et, quelque bien inspirée qu'ait paru cette substitu-
tion à des archéologues de grand poids , nous affirmons
croire que le symbohsme n'y a rien gagné : car n'était-ce
pas une touchante pensée de laisser la Mère aux abords du
sanctuaire de son Fils, aux extrémités orientales du temple,
n'ayant de supérieur à elle que ce Fils lui-même , dont le
trône était élevé de plusieurs marches et dominait tout le
reste dans l'enceinte sacrée? Elle y semblait aussi attendre le
pécheur, comme une dernière assurance de la charité divine ;
car on dirait qu'à cette place qu'elle avait choisie jadis
au pied de la croix , elle a hérité des tendresses de Jésus
pour les hommes, de la confiance que si souvent ce lieu
solitaire, à demi voilé dans l'architecture générale, avait
attirée et entendue en d'humbles et silencieuses prières.
Toutefois, on peut avoir aussi de très-bonnes raisons de
lui conserver cette extrême portion du temple. Il semble
que là , plus éloignée des créatures , et également du Sau-
veur , l'âme pécheresse vient s'offrir dans une humble
et douce espérance à la Mère de miséricorde, à la con-
solatrice des affligés. On peut donc, à ce double point
de vue, suivre les convenances locales, que ne contrarie
d'ailleurs aucune règle précise de la discipfine sacrée.
208 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
La sacristie L'absîde , siiuple ou triple , ayant ainsi trouvé une desti-
deTé^ife/" '"'* nation spéciale , et les trois autels ayant bientôt concouru
à former des chapelles pour quelques dévotions populaires,
il fallut chercher une autre sacristie , et l'on annexa au
bâtiment un appendice ou édicule qui fut placé au sud ,
côté des bons Anges , dignes gardiens des objets sacrés ,
non moins que pour la meilleure température dont on y
jouit, au grand profit des étoffes, que détérioreraient ailleurs
le froid et l'humidité. Les églises, ainsi disposées par le
fond , sont d'un majestueux aspect et d'une perspective ad-
mirable , laissant le jour s'épanouir dans leurs vides aérés,
les vitraux scintiller entre les hgnes diverses et les propor-
Merveiiieux as- tious régulièrcs dc l'œuvrc. Ce sanctuaire ,.élevé de trois
pectiye.''^"''''^''" marclies au-dessus du sol, et sur lequel repose encore, au-
dessus de trois autres , l'autel vers lequel convergent toute
l'attention et tout l'amour , s'entoure d'un ou plusieurs
rangs de colonnes qui s'y multiplient en nombre mysté-
rieux , s'y réunissent par des arcades , et supportent ou
une coupole, comme autrefois à Saint-Sauveur de Gliarroux,
ou une voûte en berceau, comme à Notre-Dame de Poitiers.
Dans cette disposition , et lorsqu'on a fait de la grande
abside la chapelle de la Sainte Vierge, se trouve une inten-
tion mystique tout aussi digne de notre attention que bien
d'autres. A travers tant de vides laissés à l'air et à la himière
dans ce fond du temple où règne le souvenir de Marie , on
aperçoit aussi de toutes parts, et de si loin que l'œil y
plonge, son image bénie , soit sculptée sur le fond du mur
terminal , soit coloriée sur la verrière que frappent les pre-
miers feux du matin. Ainsi, après son Dieu et le nôtre,
offert tout d'abord à l'adoration des fidèles au-dessous de la
coupole principale , la douce et toute sainte Protectrice de
Ses enfants leur apparaît de loin et ne les invite pas moins
que Lui-même à s'approcher et à prier (4).
(1) C'est là une preuve sérieuse que la chapelle du Saint-Sacrement,
AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. 209
Mais ce précieux effet qui saisit l'àme et la pénètre , en Bénitiers et eau
11- -11 • bénite.
entrant dans le Lieu saint, d une pieuse et attachante con-
tiance, nous doit inipriiner aussi une crainte salutaire, et
ce n'est pas sans une humble idée de soi-même que le chré-
tien, toujours plus ou moins pécheur , doit frapper sa poi-
trine avec le pubhcain d'autrefois, et provoquer la miséri-
corde du Maître en avouant l'indignité du disciple. C'est
dans ce but que l'âme introduite vers Dieu trouve, dès ses
premiers pas, l'eau lustrale qui lui rappelle son baptême et
l'invite à se purifier des moindres souillures contractées
dans les agitations de la vie mondaine. Gomme nous avons
vu aux murs extérieurs s'exercer, avec une sorte de liberté
dont il abuse, l'être satanique imbu des puissances du mal ;
comme l'esprit méchant est là dans son élément et dévo-
rant sa proie, cherchant même à interdire les abords du
temple par l'effroi qu'il y inspire et ses persécutions hai-
neuses, on voit souvent, dès le porche de l'église, cette action
mauvaise atténuée par des symboles de l'affaiblissement de
l'esprit du mal sous l'influence de la prière. Souvent l'ange
déchu est là, s'efforçant en vain, comme à Saint-Denis, d'enle-
ver au bonheur de laterre desvivants l'âme protégée de Dieu.
Là c'est la Femme bénie déjouant, en s'élevant vers le ciel, le
dragon qu'elle foule et méprise ; ailleurs, S. Michel pèse les
âmes, que- le cruel, même en tirant de toute sa force sur un
des plateaux de la balance, ne peut faire pencher à son profit.
Lue autre fois l'archange terrasse de son épée redoutable le
monstre, qui n'a aucun pouvoir sur l'Église de la terre, non
plus que jadis contre la demeure de Dieu. C'est par une
dans les églises où l'adorable mystère ne repose pas sur le grand
autel, devrait toujours être l'abside orientale : c'est laque converge
par les deux nefs l'afflucnce des fidèles, qui tout d'abord, en entrant
dans une église, y cherchent l'Objet de leur adoration. Là aussi semble
s'élever l'Étoile de Jacob, le Soleil de justice; là, enfin, la piété est
plus recueillie, se sent plus loin du monde, et moins exposée au
mouvement général qui se fait toujours plus ou moins dans les autres
parties du temple qui servent d'accès à celle-ci,
T. m. 14
2-10 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
juste conséquence de ces préliminaires que Feau bénite
nous est présentée dès notre premier pas dans la nef : c'est
encore une de ces concessions que l'Église a su faire, dès le
commencement, aux usages païens qu'Elle sanctifia en les
laissant subsister pour l'Orient, où les ablutions, aussi né-
cessaires que religieuses, entraient pour beaucoup dans les
rites sacrés. Les Juifs se lavaient les mains et la tête avant
de passer le seuil du Temple, et même avant leurs prières
particulières ; ces sortes de purifications paraissaient indis-
pensables, et les chrétiens n'en furent pas privés, de sorte
que l'Occident vit cette même coutume s'introduire dans
toutes ses églises. Tertullien en fait foi au deuxième chapitre
de son livre De la Prière. S. Paulin le mentionne aussi dans
sa douzième Lettre. Il n'en est pas moins certain que, pour
trouver l'origine de l'eau bénite, il faut remonter jusqu'aux
temps apostoliques, comme Baronius le constate au premier
livre de ses Annales. Le sel étant le symbole de la sagesse
et de la prudence, l'eau celui de la pureté, rien ne semble
plus naturel et plus convenable que de rendre l'homme, par
l'usage de cette double efficacité , plus digne de paraître
devant Dieu et de le prier saintement. Ce fut aussi une
double raison d'orner la cuve de pierre, de granit ou de
marbre, des beaux reliefs qu'on y vit surtout à partir du
douzième siècle. Les feuillages des plantes aquatiques, les
poissons, les colombes buvant au même calice, y font une
charmante et significative bordure, tandis que, sur la cir-
conférence, des traits évangéliques reproduisent les sou-
venirs de la prédication primitive ou quelque purification
biblique comme la Samaritaine, la Madeleine, ou le Pu-
blicain justifié. Des ornements analogues décqrentles béni-
tiers portatifs qui servent aux aspersions, aux bénédictions
ou aux exorcismes.
Le tronc des au- A côté OU au-dcssus dc cc grand vase , soit posté à cet
effet à l'extrémité occidentale de la grande nef, soit accolé à
chacun des deux premiers piliers qui la séparent des nefs
mones
AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. 2M
secondaires, est appendii le tronc des anmôncs où se jette
le denier de la veuve avec les générosités plus abondantes
des riches et des heureux de ce monde. L'emploi de ce petit
coffre, dans le but d'exciter et de recueillir les offrandes
des lldèlcs, fut généralisé en ^1200 par une disposition du
pape InnocentlII; mais ilavaiteu des précédents en France
et en Angleterre, dès l'an ^^66, en faveur des besoins de la
Terre Sainte (I). Comme l'eau benoiste, l'aumône est une
sainte supplication en faveur des péchés commis : elle pré-
dispose bien à la prière, elle efface les aberrations de l'âme
pendant le cours de la sainte liturgie : vous donnerez donc
de vos deniers à la Mère commune qui les distribue, soit
que vous veniez implorer les grâces d'En-Haut, soit que vous
quittiez le saint Lieu après les avoir obtenues; car l'aumône,
si elle est une demande, est aussi une action de grâces. C'est
pour rendre ce sentiment de la charité qu'on donnerait
bien au tronc , appelant ainsi notre attention dès les
abords de l'église, cette forme de pélican qu'on lui a vue à
Haarlem et à Douai. Le symbole du dévoùment qui va
jusqu'à se dépouiller pour autrui conviendrait bien à celui
qui dépense son avoir aux besoins des pauvres (2).
(1) Voir Raoul de Dicet et autres autorités cités par Ducange ,
\o truncus; ce qui prouve qu'une note donnée par M. Tudot à la Revue
de Vart chrétien, t. II, p. 429, établit une erreur évidente en disant que
ce tronc n'avait pas de mot équivalent dans la langue latine. Il nous
semble même que d'après ce nom on trouverait peut-être que le pre-
mier vase employé à quelque usage analogue pouvait très-bien n'avoir
été plus ou moins longtemps qu'une portion d'arbre creux dont l'art
aura ensuite modifié la forme.
(2) Ce n'est pas que nous croyions beaucoup à la destination de ces
deux pélicans dont parlent MM. Didron et de La Fons comme étant, l'un
dans le chœur de la cathédrale d'Haarlem, l'autre dans celui de Saint-
Amé de Douai [Annal, archéolog., XVI, 97 et 375). Ce n'était guère
dans le chœur de deux églises collégiales , là où les fidèles n'avaient
point d'accès , qu'on aurait placé le tronc des aumônes communes. Il
nous semble plutôt que, tout en servant de lutrin au lieu de l'aigle ,
ces deux beaux morceaux de dinanderio. recevaient plutôt la masse des
distributions à faire chaque mois ou chaque année aux membres du
Chapitre , en raison de leur présence au chœur ou des absences qu'ils
2\2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Fonts baptis- A gauclie en entrant, sinon et mieux sous le porche (qui
d'ailleurs n'existe pas toujours), doivent s'ouvrir les fonts
baptismaux : c'est leur côté normal ; ne sont-ce pas les âmes
du Septentrion que le Sauveur a introduites, par le sacre-
ment de la régénération divine, dans les douces régions de
Confessionnaux, la lumièrc ct dc la chaleur (^1) ? Al'opposite, un autre bap-
et leur histoire. m • ^
tistère, où l'âme déchue retrouve 1 honneur et la paix de sa
vie spirituelle, le confessionnal en un mot, trouve sa place
la mieux choisie : c'est de là que le pénitent réconcihé s'a-
vancera vers le sanctuaire, où la Table sainte est dressée
pour Jui. Rien de mieux que cette double disposition des
petits espaces d'où le païen christianisé, comme le pubUcain
justifié, s'élancent dans la pure région des réalités reli-
gieuses. On a tort d'oublier trop souvent de si éloquentes
convenances, et toute l'attention des Pasteurs devrait se
porter sur ces détails, et sur tant d'autres dont l'esprit et la
vie sont destinés à influencer si profondément la pensée
chrétienne et à la fortifier dans les cœurs.
A ce propos, disons que le confessionnal est un meuble du
plus haut intérêt et qui mérite d'autant plus l'attention de
l'archéologie sacrée qu'il remonte moins haut dans l'anti-
quité liturgique. Jusqu'au quatorzième ou quinzième siècle,
on le voit consister en une simple escabelle qui sert de siège
au prêtre ; le pénitent est à genoux à côté de lui, et si c'est une
pénitente qui se confesse, un simple voile les sépare : ainsi
est représentée l'administration du sacrement en de nom-
breuses miniatures des Livres d'heures et des Sacrameniaires
du moyen âge. Le concile de Milan de i565 exigea une
grille entre les deux personnes : c'était indiquer le meuble
en avaient faites. — Mais cela n'ôte rien à l'exécution possible d'un
pélican comme tronc à aumônes.
(1) C'est pourquoi les anciens baptistères , lorsqu'on les bâtissait à
part, et qu'ils formaient une véritable église, s'ouvraient vers le midi,
ce que S. Charles recommande encore {Instruci. lib, I, cap. xix). —
On peut voir, raisonnant dans le même sens, Catalani, Commentaire
sur le rite romain,— {Pontif, Roman., Il, 17, in-4o, 1851, Parisiis.)
AMEUBLEMENT DE LÉGLISE. 2^3
tel que nous l'avons enfin, et qu'il a dû se perfectionner peu
à peu (I). Il faut bien avouer que ce meuble, réduit à cette comment en
, . , . . 1 • 1 . *^*''"® *^® convena-
plus Simple expression, est presque toujours un hideux 7e bies quant au
wg5fl75 ^î/o/ façonné d'une détestable manière, et n'offrant
en permanence, dans la plupart de nos pauvres églises, que
le spectacle permanent d'un instrument fort indigne de sa
noble et touchante destination. Le dix-septième siècle avait
commencé à en faire un objet d'ornement par les recherches
de la sculpture ; mais ces recherches elles-mêmes ne parvin-
rent à produire que des motifs froids, insignifiants, affectant
les formes recherchées de la menuiserie, comme des cham-
bres à coucher et des salons. Point d'images, aucune idée
spéciale, nul symbolisme; tout était là comme dans l'archi-
tecture prétendue chrétienne de l'époque. Avec nos idées
nouvelles et le retour général aux pensées meilleures de l'art
rehgieux, il nous faut autre chose aujourd'hui, et quand on
meuble tant d'égUses, on doit y vouloir des confessionnaux
qui parlent de Dieu comme tout le reste. Nous ne voudrions
pas qu'on s'y appliquât au style du treizième siècle, qui, si
pur qu'il fût, aurait encore là trop de sa légèreté naturelle.
Il faut à cette enceinte mystérieuse, où se déposent les plus
graves secrets de la conscience et du cœur, où retentit, dans
le silence des plus austères enseignements, l'écho terrible
et consolant de la parole divine, il faut un aspect sérieux,
plein d'une dignité tempérée cependant par le sentiment de
la confiance et de la charité. On préférerait donc le style
du douzième siècle, qui réunit tous ces avantages soit par le
plan , où la sécheresse du plein-cintre est atténuée par les
modestes élans de l'ogive encore timide , soit par la richesse
de l'ornementation sculpturale, où peuvent s'étaler à divers
degrés toutes les ressources d'un symboUsme éloquent. Une
porte ajourée, en ménageant de l'air au confesseur, le dérobe
(1) Voir Labbe, Concil. Mediolan., pars II, lit. i;— Didron, Annal,
archéol., 1 , 265 ; — Bullel. monum., XIII , 405 ; XVII , 636.
2\A HISTOIRE DU SYMBOLISME.
suffisamment, parles entrelacs de feuillages significatifs, aux
regards du dehors, qui ne doivent ni l'épier ni le distraire.
On pourrait très-bien, au reste, remplacer ces entrelacs par
une couronne d'épines, traversée dans son diamètre des in-
struments de la Passion qui s'y prêteraient le mieux, comme
la croix, lalance, le roseau. Les deux compartiments latéraux,
laissant entrer le pénitent par des ouvertures ménagées de
biais, offriront sur leur surface une sorte d'appareil mural
sur lequel se développeront les meneaux d'une grande
fenêtre simulée. Les pendentifs pourront se remplir des
expansions de la Vigne mystique, dont les grappes se foulent
à l'intérieur sous le pressoir divin; ou bien ce seront des
roses avec leurs épines, qui rappellent les parfums d'une vie
nouvelle recueillis au milieu des saints efforts de la péni-
tence. Couronnez le tout d'une corniche courante entre-
lacée de branches de chêne et d'olivier , d'amandier, de
platane : vous aurez personnifié pour ainsi dire la force et
la paix, la douceur et la charité , fruits excellents qui font
toute la vie chrétienne (1) ; et si vous surmontez cela d'un
pignon à deux rampants qu'amortisse un élégant acrotère ,
comme la transition en mettait à l'extrémité supérieure de
tous ses monuments, la pensée ira avec ce gracieux et
sévère ensemble, sans efforts comme sans résistance, vers
ce séjour de Dieu dont vous aurez, non loin de l'autel,
esquissé d'avance une élégante image (2)..
(1) « Quercus, arbor dura etsolida, désignât fidei soliditatem...;» —
« Sancti robusti , » dit Pierre de Capoue. — « Oliva , » dit Raban-
Maur, (( testimonium conscientiae bonae; per amygdalum, arborera
temperatae naturse , mansuetudinis lenitas figuratur,» selon l'auteur
des Distinct, monastiq. — Enfin le platane (à tzIoltoç , quod est latum)
« caritatem significat, » dit le même auteur.— Voir S. Mé\iion,aiT^,Spi-
cileg. Solesm., II, 361, 380, 390.
(2) Nous avons fait exécuter un tel meuble d'après ce plan, dont le
point de départ a été la façade occidentale de la cathédrale de Lisieux,
telle qu'on la voit dans V Abécédaire d'archéologie de M. de Caumont ,
p. 210. Nous y avons apporté les modifications voulues par notre but ,
et, somme toute, ces détails ont fait un fort beau meuble, qu'on imi-
terait sans violer aucune règle d'archéologie imitative.
AMEUBLEMENT DE LÉGLISE. 2^5
Avançons. Voici la chaire : c'est une véritable tribune La chaire;
^, y , 1 1 -rw- ' HT- place normale.
(1 OU la parole de Dieu se répand sur 1 auditoire fidèle. Cette
destination dirait toute seule et sa position normale , et sa
forme, et son ornementation. Il n'est pas indifférent, en
effet , de lui assigner une place quelconque. Source d'ensei-
gnement et de lumière , c'est au sud de l'église , du côté de
l'épître , qu'elle doit s'élever, pour souffler de là vers les
régions de rignorancc et du froid la science de l'Esprit-Saint
et la féconde chaleur des inspirations divines. C'est la même
raison qui fait diriger vers le nord la voix du diacre annon-
çant l'Évangile, dont les homélies et les sermons ne sont
que d'amples et incessants commentaires. Ce n'est pas sans
avantage pour l'ameublement de l'égUse qu'on est parvenu
à faire de la chaire chrétienne comme une sorte de monu-
ment que son immobihté môme élève à ce titre. Quelque
ancienne qu'elle soit dans les usages de l'Église, puisqu'on
en voit que des traditions locales font remonter jusqu'aux
temps apostoliques (4), il ne faut pas se figurer qu'on lui
ait toujours donné cette importance monumentale. Mobile
d'abord et essentiellement transportable, ce n'est guère
qu'au treizième siècle, quand on sentit le besoin d'en faire
un ornement de plus pour nos vastes et riches églises , que
ses formes et son ornementation prirent des proportions mo-
numentales (2) ; et encore n'en connaît-on pas de plus an-
cienne que celle de la cathédrale de Strasbourg, dont l'abat-
voix est cependant d'une date beaucoup plus récente.
Ici, nous ne pouvons penser comme certains archéologues
qui prétendent priver les chaires d'abat-voix ou de draperies,
(1) M. Didron cite , à Salonique et à Corinthe, deux chaires où l'on
tient encore que S. Paul a prêché; d'autres sculptées au portail nord
de la cathédrale de Paris, ou peintes dans les verrières de celle de
Sens ; enfin une autre conservée depuis le douzième siècle à Saint-Bar-
théleniy de Pistoie, en Italie. {Annal, archéol., XIll, 239, et XVII, 315.)
(2) Voir Notice sur les chaires à prêcher , \)B.v M. l'abbé Barraud,
p. 29, in-8o, Caen, 1871 ; —M. de Cauraont, Hist. de Varchit. relig, au
moyen âge, p. 21.
2^6 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
SOUS le prétexte tout gratuit que le cérémonial romain ré-
serve cette distinction à la chaire de l'évêque seul (1 )• Où est-
ce, d'abord, que l'évêque a jamais eu une chaire à part, où
nul autre ne montât, ce qui supposerait qu'au moins dans les
cathédrales il y en aurait deux, l'une pour lui , l'autre pour
les prêtres ? Mais quand cette prescription serait formelle ,
ne faudrait-il pas considérer qu'elle serait comme toutes les
autres du même livre , d'une époque déjà fort reculée, où
l'art n'avait pas pris tous ses développements d'aujourd'hui,
et que cette règle , comme beaucoup d'autres moins stric-
tement suivies , pourrait sans inconvénients se modifier en
faveur du meilleur effet qu'on doit se proposera? Que ferait
au-dessous de nos voûtes élancées , au milieu des piliers
sveltes qui les supportent, une cuve mesquine, à peine aper-
cevable dans la vaste étendue d'un immense vaisseau ,
tout au plus aussi digne que celle destinée aux catéchismes
d'une chapelle ? Au contraire , donnez-lui cet appendice qui
la relève aux regards , qui complète sa vie monumentale ,
qui centuple l'importance de sa forme en se prêtant à une
ornementation habile et éloquente : dès lors vous mettez
cette chaire en harmonie avec tous les autres détails de
l'ameublement ; vous avez une voix de plus dans le temple,
voix que l'oreille du cœur écoute pendant que l'œil de l'es-
prit s'y complaît , lit et approuve. Quel dommage ne serait-ce
pas qu'un tel objet manquât, à peu près seul dans une église,
du symbolisme que nous aimons tant à y trouver en tout !
(1) Une chaire sans couronnement, et apparaissant tout isolée et
comme non achevée^ aura toujours l'air, dans une grande église, d'une
chaire roulante, manquant de style et de dignité; au contraire, dans
l'immobilité d'une masse monumentale , on retrouve la gravité sainte
delà Parole éternelle : Ve/ritas Domini manei inœlernum (ps. cxvi,2).
— Nous ne concevons donc pas comment des archéologues ont pu
s'élever contre un couronnement indispensable en alléguant une pré-
tendue défense du Cérémonial des évêques. Ce livre ne parle que du
dais ou baldaquin dont le trône épiscopal doit être recouvert, et encore
pourvu que le même honneur soit rendu au maître-autel. (Voir Csere-
rnon. episc, lib. Il , cap. viii; lib. III, cap. iv.)
Inconvenance
des chaires en
vre.
AMEUBLEMENT DE l'ÉGUSE. 217
Nous insistons, c'est ici lo lieu de le dire, pour qu'on no
s'avise jamais de construire une chaire en pierre, comme il p'^rre
est arrivé trop souvent, par un caprice qui confondrait
encore un meuble avec le monument môme, dont il ne doit
pas faire partie intégrante. Car, dans ce système, le meuble
est accolé aux parois de la nef, s'il n'y en a qu'une , et se
confond avec le mur qui la soutient. On avouera, avec un
peu de goût , que cet appendice se distinguera mieux de
rédifice s'il est construit en chêne , qu'on se gardera bien
de peindre, le temps devant se charger seul d'en foncer la
teinte. Il saillira bien plus convenablement du mur, ou bien
il s'élèvera entre deux des piliers qui distribuent l'église en
trois nefs, et y sera d'un effet digne et religieux. Nous parle-
rons plus loin de ses sculptures, qui peuvent varier à l'infini.
Vis-à-vis la chaire, on s'est évertué fort souvent à dresser J^e ^anc d'œu
un autre genre de meuble utile, nécessaire même dans les
grandes églises : c'est le banc d'œuvre dans lequel il est bon
que le clergé ait sa place distincte pendant les sermons.
Mais , comme la chaire doit s'isoler des piliers pour n'en
pas interrompre la majestueuse harmonie, en coupant brus-
quement les lignes architecturales qui s'y suspendent dans
toute leur belle pureté, le banc d'œuvre aussi doit rester
presque inaperçu dans le vaisseau, ne s'élevant donc qu'à
une hauteur inoffensive aux détails qui rentoureut, et tout
dépourvu de ces hauts dossiers qui restreignent le rayon
visuel , et cachent tous les objets d'art que l'œil rencontre
avec tant de bonheur dans l'étendue calculée de l'enceinte
«acrée. De grâce, ne gâtons rien sous prétexte d'embellis-
sement!
x\u delà de la chaire, s'éleva longtemps, comme un com- Lambon ou
plément nécessaire, l'ambon (aAcCwK) ou jubé, galerie plus
ou moins |Vaste , élevée au-dessus d'une arcade laissant
communication entre la nef et le chœur : c'est là que se
chantaient solennellement l'épître et l'évangile. De là aussi
s'adressaient au peuple les enseignements de la prédication,
jubé.
24 8 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
depuis l'époque antérieure au onzième siècle, où la foule com-
mença à choisir ses places à Téglise, souvent sans distinction
des sexes dans les deux collatéraux ; car c'est vers ce temps
que se multiplièrent les églises à trois nefs : pour celles-ci,
l'ambon avait été placé, comme à Saint-Clément de Rome,
où il l'est encore, à droite et à gauche du chœur ; on obser-
vait donc la coutume normale d'annoncer l'évangile du
côté nord , et l'épître, avec les leçons des Apôtres , vers le
sud, comme nous continuons de le pratiquer.
Jubés symboii- Un dcs plus curicux jubés qui se soient conservés jusqu'à
ques de Ravenne. ^ o x
nous , et des plus symboliques par son ornementation , est
celui de la métropole de Ravenne, qui date du sixième siècle,
et fut fait, comme l'indique une inscription qui lui sert de
frise , par l'évoque Agnellus; il est en marbre. La vaste am-
pleur de son développement a permis de diviser sa façade
carrée en trente-six compartiments, dont chacun renferme
un oiseau ou un quadrupède symbolique, toujours le même
pour chaque rang , et dont , par conséquent , chacun est
répété jusqu'à six fois , ce qui cache certainement une in-
tention où le nombre six a son rôle. On distingue donc
encore très-bien six agneaux , allusion au nom de l'évêque
et en même temps à celui du Sauveur ; six paons exprimant
l'immortalité espérée du chrétien ; six daims , rappelant le
mépris du monde par leur amour de la sohtude ; six co-
lombes , qui sont toujours l'innocence et la charité ; six
palmipèdes , bêtes aquatiques symbolisant le baptême , et
six poissons, dont nous savons l'analogie avecle chrétien(i ).
— Deux autres jubés du même siècle se voient encore en
deux autres églises de la même ville, dont l'un reproduit la
même série d'animaux symboliques donnée par Agnellus.
N'omettons pas d'observer que ce prélat pourrait bien avoir
travaillé de ses mains ces intéressantes sculptures , car son
inscription :
SERVVS XRI AGNELLVS HVNG PYRGVM FEGIT
(1) Bullet, monum., XXY, 685,
AMEUBLEMENT DE LÉGLISE. 2^9
permet de le supposer : ce serait donc un évoque artiste à
ajouter au Dalmatius et au Némertius du siècle de S. Gré-
goire de Tours, qui sans doute n'avait pas à s'occuper de
lui dans une Histoire des Francs.
Le beau jubé de Saint-Étienne-du-Mont, à Paris, était un , ceiui de saint-
Etienne-du-Mont ,
modèle parfait sous tous les rapports, et un cbarmant spé- à Paris.
cimen de Fart gotliique. Parvenu jusqu'à nous depuis le
seizième siècle et à travers le vandalisme de l'ignorance
qui, au dix-septième, le détruisit presque tout entier, on a
parlé de le ruiner avec tant d'autres, comme obstruant le
regard des fidèles vers l'autel et séparant trop les fidèles du
clergé officiant. Ce sont précisément les deux avantages
que la vieille liturgie, trop dénaturée aujourd'hui, voulait
se ménager. Pourquoi ne sait-on plus que jadis la riche souvenirs sym-
.,,.,,, . ,, ,. boliquos qui s'y
portière du jube s ouvrait au moment de la consécration, rattachent.
pour figurer le voile du Temple déchiré à l'instant solennel
où Jésus sauva les hommes par sa mort? N'y avait-il point
quelque enseignement encore dans ce recueillement du
sanctuaire, dans cette séparation entre le prêtre priant et
sacrifiant dans le silence, et ce peuple agenouillé au dehors,
aspirant à la possession de la Terre promise et de l'Église
éternelle? Conservons donc, partout où elles existent, ces
clôtures éloquentes, d'ailleurs si riches presque toujours du
plus beau langage sculpté ou peint; et si, dans le système
actuel de nos constructions rehgieuses, on s'obstine à se
passer de l'ambon et de tout ce qu'il pourrait ajouter de con-
venance au culte sans gêner l'aspect des cérémonies, du
moins gardons ceux qui n'ont pas été renversés par des
mains barbares, et respectons la pensée qui s'y manifesta
si longtemps (I).
(1) Voir l'abbé Ricard , Revue de iart chrétien, t. III, p. 282. — Ne
serait-il pas possible de ramener le jubé dans nos églises cons-
truites d'après les meilleurs plans du style gothique , en les établis-
sant au-de.-;su3 d'une vaste arcade qui laisserait une communication
suffisante entre la nef et le chœur? Ce serait une clôture grandiose ,
fermée après les offices, et qui, sans gêner en rien dans une vaste basi-
lique, en augmenterait singulièrement le caractère religieux.
Le transsept.
Le chœur.
Les stalles.
220 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Le transsept, en avant du chœur , forme les deux bras
de la vaste croix qui forme le plan général. Là sont ordi-
nairement deux chapelles , comme à la cathédrale de Poi-
tiers, et, presque toujours aussi, deux portes s'ouvrant sur
deux façades secondaires, mais surmontées, à l'intérieur,
de verrières coloriées où l'art et la liturgie ont rivalisé
d'efforts pour instruire l'âme en séduisant le regard. Nous
dirons quel choix de sujets convient mieux à ces baies élé-
gantes dont le coloris, savamment ménagé, amoindrit
convenablement le jour vers la partie supérieure de l'église,
où la prière a besoin de plus de mystère et de recueille-
ment.
Nous arrivons au chœur, limité à son extrémité occi-
dentale par une clôture quelconque, soit une simple grille
depuis la disparition des jubés, grille qui doit être d'autant
plus remarquable de dignité par ses proportions et son
beau travail qu'elle tient à un ordre de choses plus élevé
qui va se dérouler à nos méditations de chrétiens et d'ar-
tistes. Au delà , sont les stalles, garnitures d'une extrême
élégance, chefs-d'œuvre de menuiserie bien souvent,
depuis qu'au quatorzième siècle on s'évertua à les orner
de sculptures où, pendant trois cents ans, le symbolisme
s'est fait un rôle si large et si varié. On sait le mérite
des' magnifiques stalles de notre belle basihque de Poitiers,
dont les formes, avec leur ornementation si curieuse, furent
étabhes de 4236 à 4230. Ce sont les plus anciennes que l'ar-
chéologie connaisse en France, et nous ne craignons pas
de dire en Europe (4 ) . Durant de Mende , qui écrivait
quelques années plus tard, fait des stalles un avertissement
des faiblesses de cette vie, où la force active a besoin de
quelques intervalles d'allégement et doivent nous faire
aspirer au repos inaltérable de l'éternité (2). Sicardi de
(1) Voir la description et les dessins de ce bel œuvre de menuiserie
dans notre Histoire de la cathédrale de Poitiers , t. II , p. 30 et suiv.
(2) M Stalli ad sedendum in choro désignant quod aliquando corpus
AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. 224
Crémone fait de tant de places ditïérentes l'image de celles
du ciel, qui difléreront entre elles d'après les mérites divers
des Élus (1). Que dire de cette idée barbare que nous avons
entendu professer à Bordeaux et ailleurs sur le renverse-
ment nécessaire de cette magnifique ceinture, où les cha-
noines cherchèrent bien moins, quoi qu'on en ait osé dire,
un abri contre le froid des nuits passées au chœur qu'un
refuge contre les distractions du dehors et un recueille-
ment indispensable à l'esprit de prière ? N'était-ce pas dans
cet esprit que le ciseau des maîtres avait représenté sur
ces vastes et merveilleuses surfaces tant d'histoires sacrées,
tant de feuilles et d'animaux dont chacun savait parfaite-
ment alors la signification esthétique? Et, en admettant que
ces travaux de la main chrétienne n'aient point partout la
même valeur, ne sont-ils pas une décoration tout à fait
dans l'esprit de la chose? Voudrait-on nous dire ce que nous
aurons gagné à ce dégagernent de notre enceinte si conve-
nablement réservée , lorsque nos chanoines , mêlés pour
ainsi dire à la foule devenue si peu respectueuse dans le
Lieu saint, nous serons entraînés malgré nous, au milieu des
fonctions les plus sacrées, vers un mouvement général
incompatible avec les saintes préoccupations de l'âme con-
templative ; lorsque l'autel même où nous sacrifions sera,
contrairement à Tesprit de l'ÉgUse, exposé aux regards
curieux et trop souvent profanes de ces faux chrétiens, à
qui l'on devrait cacher les mystères, et qui viendront,
épiant nos moindres gestes liturgiques, saisir pour ainsi
dire sur nos hvres les incommunicables paroles de la re-
doutable Transsubstantiation? Gomment peut-on dégénérer
ainsi de ses pères, et apporter ses idées personnelles à la
place de si religieuses conceptions (2)?
recreandura est : quodque caret aeterna requie , durabile non est. «
{Rationale, lib. I: mihi , v» iv.)
(P Dorsalia sedentiiira raultœ manaiones in donio Patris, sicut in
Joun., XIV, legitur. n {Milrale , lib. I, cap. iv.)
(2) Nou3 aurions à signaler ici une sortie étonnante de feu l'abb^
222 HISTOIRE Dtl SYMBOLISME.
Le chœur {x<^?6ç) est l'espace destiné au clergé qui chante j
comme le sanctuaire à celui qui offre le sacrifice ou y con-
court par son action unie à celle du prêtre officiant. C'est
pour cela que le chœur, où se remplissent des fonctions plus
élevées que celles des simples assistants, est distingué du
sol de l'église par une élévation qui s'observe générale-
ment et dont les marches, comme S. Charles le remarque,
doivent toujours être en nombre impair : nous en savons
la raison mystique []). Plus beau de décor que la nef, moins
que le sanctuaire, on y arrive souvent, surtout dans les
églises du onzième siècle, où la forme cédait très-fréquem-
ment à l'idée mystique, par une arcade qui se rétrécit
beaucoup en comparaison de la nef, et parfois l'espace
même consacré au chœur et aux saints mystères n'a que
les mêmes dimensions de cette porte étroite. Une inscription
placée au-dessus de cette arcade amoindrie, dans l'église de
Tournebu (Calvados), exphque ce qu'il en faut penser là et
ailleurs : c'est la parole du Sauveur dans son discours sur
la montagne, rappelant comme il faut se faire petit et mul-
tiplier ses efforts pour entrer au ciel , dont la porte est si
étroite^ aussi bien que la voie qui ij conduit (2).
Arcade triom- Qg^g dcmière partie de l'égUse, formée du chœur et du
phale et crucifix. ^ *-"
sanctuaire, symbolise le Ciel, où sont les personnes et les
choses sacrées par excellence. La nef par elle-même n'est
aussi que l'image du monde inférieur qu'habitent les sim-
Pascal, qui, dans ses Origines et Raisons d« la lituy^gie catholique y
col. 317, prêche dans le sens du vandalisme moderne contre la conser-
vation de l'enceinte des chœurs. Il est au moins surprenant d'entendre
un prêtre parler en 1844 de l'Office canonial comme aboli et perdu , et
conclure de là que la raison d'être n'existe plus pour les hautes stalles,
comme si les Offices capitulaireis n'avaient pas été rétablis par le con-
cordat de 1802 en même temps que les Chapitres.
(1) Voir BulleU monwm., XllI, 552; XIV, 503; XVIII, 66; XX, 180,
260; — S. Caroli Instruction., lib. I , cap. ix, x , xi et xii.
(2) « Quam angusta porta , et arcta via est quae ducit ad vitam , et
paucisuntqui inveniunt eam ! » {Matth., vu, 14.) — Voir Bullet. mo-
num., XIII, 149.
AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. 223
pies fidèles, figure , en un mot, de l'Église militante ; et
comme on ne peut passer de ce monde à l'autre que par la
croix, on avait autrefois l'habitude, aujourd'hui presque
partout abandonnée en dépit de son caractère de tradition
apostolique, et d'autant plus regrettable, d'encadrer au
haut de l'arcade qui séparait les deux espaces un crucifix
de grandes proportions qui frappait sans cesse les yeux des
assistants (^) : c'est de là que l'arcade susdite avait reçu le
nom de triomphale , aussi bien que cette croix. En certains
lieux on ajoutait, non sans avantage pour la piété, comme
les architectes d'Angleterre en reprennent l'habitude dans
leurs églises catlioliques, d'adjoindre au Christ crucifié
.Marie et S. Jean, tels qu'on les représente sur le Calvaire (2).
Dans les cathédrales et autres grandes basiliques où les
dispositions de l'architecture ne se prêtaient pas à cet agen-
cement, on transportait ces dignes objets de la vénération
chrétienne dans la verrière terminale, où leurs belles cou-
leurs ajoutaient à l'effet des. sain tes images: tel on le voit
encore dans le beau vitrail du treizième siècle, à Saint-
Pierre de Poitiers.
Tout contribue à donner au chœur le sens mystique de L'aigie ou lu-
la Cité céleste. Pendant que, dans le sanctuaire où siège
l'Ëvèque, l'Agneau s'immole, et qu'autour de l'autel se déve-
loppent en couronne mystique les lévites qui secondent l'ac-
tion du Saint Sacrifice, les chants sacrés alternés ou simul-
tanés rappellent le§ cantiques des Esprits célestes répétant
à jamais ÏUozanna éternel, ou célébrant la paix apportée par
le Christ aux hommes de bonne volonté. Là se balancent
les couronnes de lumière jetant sur la fervente assemblée
l'éclat mystérieux de ce jour d'En-Haut , qui éclaire de sa
vérité quiconque aspire à la recevoir. Tci l'aigle déploie ses
ailes pour soutenir les livres d'où s'échappent les notes tristes
(1) Voir S. Charles, Instruct, fahricsB eccles. Ub. I, cap. n; — l'abbé
HafTray, Beautés du culle catholique, H, 44.
(;>) Durant, Ralionale^ ubi siiprà; — Bullet. vionum., XVIII, 68,
trin.
224 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
OU joyeuses de raction de grâces ou de la prière : c'est la
sublimité de ce vol de l'âme, exprimé si bien par la louange
divine et les ardentes supplications. Enfin les prêtres, les
clercs ont leurs places assignées par les prescriptions cano-
niques dans les hautes ou basses stalles , selon qu'ils sont
élevés ou non aux ordres majeurs, symbolisant l'ordre mer-
veilleux de la cour céleste , et unis aux saintes aspirations
de l'autel , participant de cœur "et d'esprit , par les alterna-
tives du silence et des cantiques, à l'œuvre incessante de la
communion des Saints.
Le sanctuaire. ^j^jg \q sauctuairc va s'ouvdr . . . Trois ou cinq degrés, nous
l'avons dit, y donnent accès : il est donc supérieur, par son
élévation au-dessus du sol, à tout ce qui l'environne, et ainsi
il témoigne de la haute supériorité des mystères qui s'y ac-
complissent. Par un autre symbolisme qui a le double avan-
tage d'annoncer à l'extérieur cet espace privilégié et de le
distinguer aussi nettement dans l'enceinte sacrée , la voûte
s'y abaisse plus encore que pour le chœur, et indique à tous
un lieu à part , et comme une église plus mystérieuse dans
l'église entière {\) : c'est un complément dQ la pensée qui
rétrécit cet espace et l'environne de plus de solitude et de
silence , de moins de mouvement et de jour. Là encore une
clôture doit entourer l'autel : moins élevée que la grande
grille du chœur , dont les dimensions doivent s'harmoniser
avec la majesté qu'elles défendent, elle sert d'appui au fidèle
qui vient chercher la nourriture eucharistique; mais elle
n'en a pas moins le sens d'une vérité morale, car elle dit au
clergé, avec l'abaissement même des voûtes, selon les litur-
(1) C'est une observation consignée dans toutes les descriptions d'é-
glises anciennes : cet usage était bien antérieur au onzième siècle; on
le pratique encore au douzième pendant la belle période dite de Iran-
silion , comme à la cathédrale de Poitiers. Il faudrait tenir à ce point
si convenable dans les constructions d'églises modernes. — Nous avons
fait remarquer cette importante disposition, quant à la cathédrale de
Poitiers, dans VHisloire de ce monument, 1,311, et dans le Bullet.
mo/iwm., II, 70, et IV, 325.
AMEIBLKMKNT DK l/ÉCLISK. 225
gistes (lu moyen âge, que plus il est élevé au-dessus du reste
des hoiîTmes, plus il doit s'humilier lui-môme dans son es-
prit et dans son cœur. Comme point de séparation, le chancel
indique réloip:nemont des choses de la terre et le désir du
bonheur qu'on ne trou\e qu'en Dieu (^). C'est là aussi, entre
cette table où il était \enu si souventpour nourrir lésâmes,
et l'autel où il prenait pour elles le Pain de vie, que le curé
reposait après sa mort, lorsque la pbilosophie friomphante
n'était pas encore parvenue à l'en exiler."
Le sanctuaire, (lue serait-il sans l'autel ? C'est vers ce der- L-amoi ef ^e*
'■ détails.
ïiier (jue se réunissent toutes les pensées de la Coi ; c'est en
vue de ce qui s'y passe et de ce qu'il contient que s'est fait
tout le reste. Si notre Dieu n'était pas là dans sa réalité
éternelle, dans son immolation qui ne cesse pas; s'il ne
s'y maintenait jusqu'à la consommation des temps pour
ceux à qui furent dites ses infaillibles promesses , combien
de choses manqueraient à l'ensemble d'une église ! com-
bien de symboles réunis à grands frais n'y eussent jamais
été ! et quelle raison de donner à cet étroit asile , où la Ma-
jesté infinie se voile et réside humblement, tous les carac-
tères de magnificence relative qui dépendent de la dévotion
de l'homme ! C'est ici l'occasion de regretter qu'en voulant Le tabe.naeie
p . , . , , 11 1 «i. mal à propos isolé
se conformer trop exactement a ce qu on appelle le rit ro- .lu gmnd «utei.
main, on se soit fait, dans beaucoup de paroisses, un devoir
mal entendu de priver l'autel majeur et principal de ce
qu'il avait de plus touchant et de 2)lus divin. En forçant le
texte du Cérémonial des Évéques, (jui ne parle que des céré-
monies épiscopales, on n'est parvenu qu'à isoler le Très-
Saint Sacrement du trône véritable qui convenait mieux à
sa gloire; les offices dont il est l'objet réel, les louanges qui
(1) « Cancellud, humilier reliquo corpore, mysticat quanla huiuilitas
debeat esse in clepo, juxtaillud : (Juanlo major es , lanlum humilia
le in omnibus. » (Eccli.^ ni.) — Hiip;. à Sancto-Victore, Spéculum dr
tnystcriis Eccksix , cap. i.— Et Durant, Ration, (uiihi, f» ni), ajoute :
M Cancelli vero quibus altare a clioro dividitur, separationem cœles-
lium significant a terrenis. »
T. ui. 13
226 HISTOiRK DL SYMBOLISME.
se rapportent toutes à lui, les cérémonies qui ont en lui
leur dernier terme et la raison de leur existence n'y man-
quent-elles pas de leur vie, n'y perdent-elles pas la plus
grande part de leur sens pieux et de leur religieuse appli-
cation ('l)?
Mais qu'il en est autrement lorsqu'on aborde en ce lieu
consacré l'autel où demeure le Saint des Saints ! Trois
marches le surexhaussent, car il doit être la plus haute ex-
pression d'un amour qui l'éponde à celui d'un Dieu, et la
(1) Le Cérémonial drs Eiêques a des prescriptions vénérables rela-
tives aux moindres détails des offices pontificaux, et auxquelles il
faut nécessairement s'en tenir quan J ces fonctions liturgiques s'accom-
plissent. L'évêque devant ôtre tantôt paré de sa mitre, tantôt la t»;l(!
nue, ou assis, on a cru plus convenable, soit pour ne pas mêler à
l'action générale des génuflexions' gênantes que la présence du Saint-
Sacrement exigerait, soit pour ne rien déranger à l'ordre des mouve-
ments prescrits, d'éloigner la Sainte Eucharistie de l'autel majeur où
se font les offices épiscopaux. Toutefois il faut bien observer que le
Cérémonial n'exige pas cet éloignement : il ne l'indique tout au plus
que comme très-opportun : vnlde opporlunum est. Aussi cet usage
n'était pas suivi en Franco, où les cérémonies étaient bien plus majes-
tueuses avant la reprise du rit romain, et encore , depuis cette reprise,
on le néglige en certains diocèses, où l'on aime mieux prier Dieu
devant Dieu lui-même. Quoiqu'il en soit, ce rite n'a plus la même
raisoji d'être dans les églises paroissiales, où rien ne s'oppose à ce
que l'autel principal conserve le pain sacré vers lequel doivent conve-
nablement aller toutes les adorations, toutes les prières qui se font au
<'.liœur. C'est là d'ailleurs que la piété des fidèles va naturellement
(chercher l'objet de ses adorations; c'est vers ce centre commun que
chacun s'orienle dans toutes ses stations à l'église : In sole idosiiii ia-
hernaculum suum (ps. xviii , G). Et n'est-ce pas manquer à ce sym-
bolisme, dont nous avons dit le sens admirable, que de placer la
Sainte Réserve, sans aucune attention à ce principe, dans la première
chapelle venue, au risque de ces innombrables ^J^occs^fo^^ du Saint-
Sacrement qui se répètent à chaque fois qu'on a consacré au grand
autel , ou qu'on y doit avoir le sahil? (Voir Cœrcmoniale Episeopor.,
!ib. 1, cap. xii^ n» 8.) — Remarquons encore que le Rituel romain
recommande aux curés (Matines, 1850, in-12 , p. 70) de conserver la
Sainte Réserve in allari inajori vel alio; d'où résulte certainement la
pins grande liberté à cet égard. Pourquoi donc s'imposer des coutumes
nonvelles , auxquelles l'Eglise n'oblige pas, quoi qu'on en dise, et
qui ont toujours pour regrettable conséquence de jeter le peuple dans
des incertitudes qui affligent ou ébranlent sa piété?
AMEUBLEMENT DE L*ÉGL1SE. 227
glorification de ses charitables abaissements. Ces marches
sont encore, d'après Hugues de Saint- Victor, les Apôtres et
les Martyrs ({ui ont répandu leur sang , en l'offrant pour
ainsi dire aux pieds de Jésus-Christ (I). L'or, les pierreries,
les couleurs, les images sculptées des deux Testaments , de
l'Apocalypse; tout l'éclat extérieur de cette table du nou-
veau cénacle , les nappes de fin lin , nouveau suaire , mais
couvertes de délicates broderies, revêtent cette masse oblon-
gue, véritable tombeau où reposent les reliques des mar-
tyrs, et consacrée par la liturgie avec autant de vénération
que l'église elle-même. Comme c'est un digne appui de la
\ictime céleste de chaque matin, c'est aussi le support na-
turel de ce tabernacle, refuge obscur de la Souveraine Gran-
deur. Si l'autel est la représentation du Sauveur lui-même ,
sans lequel aucune offrande n'est utilement présentée à son
Père, s'il est une sorte d'Église spirituelle, d'oii s'échappent
vers Lui Fencens des plus suaves prières (2), le Tabernacle
est la résidence véritable de l'Agneau de Dieu ; il est l'Arche
de l'alliance nouvelle qu'il a contractée avec les hommes
dans son Sang ; il est la continuation et le perfectionnement
de ce premier Tabernacle dont Moïse devint l'architecte par
ordre de Dieu, et dont chaque partie essentielle, comme
chaque ornement , devenait un souvenir des bienfaits divins
et une ligure prophéticjue de Celui où réside la Manne nou-
(l)«Gradus quibus ascenditur ad aUare, spocialiter demonstrant
Apostolos et Martyres qui pro araore Cliristi sunguiuem suum fude-
niDt. » {SpecuL de mijsler. Eccles., cap. i.) — Duraut marche toujours
A la suite de notre auteur et dit la mêine chose dans les mêmes
termes. Ils ajoutent l'un et l'autre la cause mystique de cette signiti-
l'ation: l'Épouse des Cantiques a^ipelle une inonléd de sang (ascenswn
purpureum) les degrés du temple de Jérusalem, où des Prophètes
avaient été massacrés. (Mihi, f*» vi, v», col. 2.)
(2) « AltareChristumsiguiticat, sine quo nuUum munus Palri oirerluj-
a»;ceplabile, Unde Ecclesia ad Palrem oratiunes solet dirigere per
Christum. » (Hug. à Sancto-Vict, et Durant, ubi suprù.)— Voir tous les
liturgistes, puis Raoul Rochette, Tableau des calacuinbes, j), GG, 72, 75
«t suiv. ; — l'abbé Raflray, Beautés du culle catliulique, 11^ 42 et suiv.;
— L'nivcrs, feuilleton du ■'» août ISoo.
'22S HISTOIRE DU symbolisai:.
velle (l).Oii sait les magiiiiiques rapproclieiiieiits qu'a faits
S. Paul entre ces deux Tabernacles, et combien il relève le
nouveau au-dessus du premier (2) : c'est pourquoi nous
aussi nous avons autour du corps mystique les lumières ,
emblèmes de l'intelligence éclairée par la foi , signe le plus
expressif de la lumière indéfectible apportée par le Gbrist ,
entretenue par l'Église; la lumière est ici, dans la lampe du
sanctuaire, la compagne fidèle et inséparable de la solitude
perpétuelle du Fils de Dieu, et, soit par la cire de l'abeille,
soit par l'iiuile de l'olivier, elle reproduit à son regard divin
la fidèle image de la candide pureté des vierges ou de la
charité qui se consume pour lui (3).
Mais quelque beaux et significatifs que puissent être tous
La croix. les objcts qul dépendent de l'autel et concourent à sa glori-
fication spirituelle , il n'en a pas de plus digne , de plus élo-
quent que la croix, signe par excellence du salut et du bon-
heur éternel. Elle brille comme l'étendard du grand Chef
partout où la rebgion commence, s'épanouit ou se termine :
c'est notre guide du baptême à la tombe. La liturgie n'a pas
de rite sans la croix ; on n'offre pas le Saint Sacrifice sur un
(1) Voir les ch. xxvi et xxvii de l'Exode, où se trouve la description
de ce tabernacle, pour rintelligence des rapports frappants établis
entre lai et nos sanctuaires chrétiens, et de quels respects la pensée de
Dieu même l'avait entouré par ses grands voiles qui dérobaient le
Saint des Saints aux regards curieux et profanes. N'en conclurons-
nous pas que nous dévions par trop de ces inspirations si révérencieu-
sement suivies par l'antiquité catholique , lorsque nous laissons à
découvert, comme des choses vulgaires, l'objet si digne de nos adora-
tions et de nos hommages?
(2) « Tabernaculum factum est primum...: quee parabola est tem-
poris instanlis Christus autem, assistens Pontifex futurorum
bonorum, per amplius et perfectius tabernaculum..., per proprium
sanguinem introivit semel in sancta, ceterna redemptione inventa. »
(Hebr., ix, 1, 9, Il et 12. )
(3) Voir la liturgie du feu sacré dans la bénédiction du feu nouveau
au samedi saint, où le cierge à trois branches, allumé au foyer bénit,
est appelé lumen Christi; — et comment S. Grégoire interprète de la
charité l'huile dont les vierges folles avaient laissé manquer leur
lampe (Homil. xii in Evang, S, Matth.).
i.*'
AMKLBLEMKM DE l/ÉGLISE. 220
autel qui n'en est pas pourvu, et c'est là particulièrement
qu'elle est appelée à briller d'une splendeur triomphante.
Sur l'autel, elle doit dominer tout ce qui l'entoure; elle
couronne le tabernacle; elle y maintient la pensée visible
du Fils de Dieu toujours immolé pour sa créature; elle s'é-
lance même au-dessus des lumières aussi indispensables
qu'elle. A l'arc tiiouiphal on a pu s'en passer et la laisser
tomber en désuétude; ici cette omission n'eut jamais de
prétexte : on omettrait plutôt le Saint Sacrifice, tant elle en
est l'imape vive et nécessaire, destinée à expliquer au regard
l'invisible immolation de la Victime pascale (1).
Sur les étroites surfaces de ce petit meuble, mille richesses
s\mboliques ont étalé à l'envi leurs enseignements scrip-
turaires et les recherches les plus savantes de l'art chrétien.
.Vous en parlerons pour dire quels sujets lui ont convenu
dans tous les âges , et doivent encore lui donner toujours
son langage sacré.
Sur le gradin qui , depuis le seizième siècle , s'étend de he^ chandeliers.
côté et d'autre du tabernacle, se placent des chandeliers
dont le nombre a varié, étant ordinairement de six aujour-
d'hui. Ils ne furent pas toujours non plus de hauteurs iné-
gales, comme on s'efforce généralement de l'observer (2). Ce
noml)re j-esta donc et demeura encore arbitraire : d'abord,
il ne lut (jue dun seul, comme le constatent les liturgistes
(lii treizième siècle, et il s'augmenta peu à peu avec la
longueur de l'autel, qui n'était guère d'abord que de trois
à quatre pieds , et que l'ordre actuel des cérémonies étend
de six à neuf, selon les dimensions du sanctuaire. Quoi qu'il
(1) Voir tous les Uitiiels.
'2) Observons encore (jne le nombre des chîuuleliers n est porté à
sept que pour le» seuls olfices épiscopaux : nous en avons dit la raison
voir t. 11, (h. VI, p. l.iU). — \ Home, on ne s'y astreint qu'à Saint-Pierre
(.'l à l'autel (lu Pape, nul autre (\nv, lui n'y ayant les honneurs complets
fie l'ôpiscopat. Tous l(;s autres autels n'ont ([ue six cierges, et de hau-
teur proizressive; ils peuvent même n'en avoir que deux d'éfiale hau-
teur. Tous ces détails ont été réglés par le Cérémonial des Êvêqiies,
lib. I, cap. xn. n"* li* et If».
230 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
en soit, ces flambeaux sont le symbole de la lumière morale
que l'apostolat a répandue dans le monde par la parole de
Jcsus-Gbrist {Vj.
r.piiiimircs. Entre les chandeliers , sur le gradin , et souvent dans
l'intérieur môme de ce gradin, où se trouvent ménagés des
jours garnis d'un cristal, on place souvent des reliquaires
contenus dans de petites châsses. Ces charmants petits
meubles peuvent devenir aussi l'objet de travaux remar-
quables où le symbolisme a un rôle très-déterminé. Les
emblèmes, les scènes historiques, les légendes du Saint
])euvenl trouver là un vaste essor que la gravure, les émaux,
les filigranes relèvent toujours plus ou moins richement ,
mais d'une façon aussi religieuse qu'attrayante. Nous avons
parlé des reliques introduites dans la table même de l'autel
comme indispensable condition de sa dédicace. On s'est
trop habitué à placer ces reliques dans un vase quelconque,
par exemple dans une boîte de ferblanc, qui s'oxyde et ex-
pose à une détérioration assez prompte les vénérables restes
qu'il est si important d'y conserver. Le moyen âge faisait
mieux : il figurait en un métal plus ou moins précieux ,
mais inoxydable , une petite châsse de telle ou telle forme
consacrée , et la déposait dans la pierre ouverte à cet effet,
garnie des reliques voulues. Une de ces châsses fut trouvée
en ^ 8^0 dans une chapelle en ruines du Loudunais ; elle
avait la forme d'une petitç église romane , était de plomb ,
parfaitement scellée, et renfermait des ossements de S. Geor-
ges , des SS. Innocents, et aliorum , que nous y trouvâmes
parfaitement intacts dans leurs enveloppes de soie rouge,
après sept cents ans. constatés très-bien parles caractères
(lu douzième siècle qui formaient les inscriptions (2).
(1) « Opoilet et ( allai e) liabere caudelabrum uL bonis operibuà
liiccat... Est opusbonum quod alios per bouiim exemplum acceudit. »
Durant. Mimat.^ iihi aw//}?'^.)— Hugues de Saint-Victor : Luminaria eccle-
siuî sunt illi quorum doctrina fiilget Ecclesia, ut sole luna ; quibus voce
Doinini dicitur: Vos estislux muudi «(Hug. à Saucto-Vict.,/oc. cit.)
(2) A^oir la description de celte découverte et <le ce curieux objet.
AMEIBLEMKM DE l/ÉGLlSE. 231
Nous revieiulmiis, dans notre avant-dernier chapitre, sur
tout ce qui regarde dans celui-ci l'orlëvi-erie ecclésiologique.
Mais à tout cela il faut un couronnement, et, dans ce lo baidaquiD on
ciboriuin.
but, l'autel est ordinairement surmonté d'un dais ou bal-
daquin tait ou recouvei-t de riches étoffes, dont une partie
s'échappe de tous cotés en courtines ou rideaux élégamment
drapés, et se reliant àquatre colonnes de matière précieuse,
bronze, marbre ou bois étranger tel que l'ébène, suscep-
tible d'un beau poli, ou d'ornements que peut relever
Tenrploi de l'or, des pierres , des éniaux et de l'ivoire. Cet
abri , ([ui parvient avec ces conditions à composer un en-
semble très-majestueux et digne , autant que possiWe, de
son enqiloi , est le même que nos vieux auteurs appellent
cibonum, ce qui indiqu(i très-nettement son but de servir
comme de timte à la Nourriture divine. Aussi n'est-il de
rigueur, dans l'Orch'e romain , que pour les autels dont le
tabernacle renferme habituellement la Sainte Eucharistie.
Donc, il tant s'en al)Stenir au-dessus d'un autel qui manque
de tal)ernacle et de la Sainte Réserve, si en quelques églises on
persiste à ne pas la garder au grand autel, par un système re-
grettable, comme nous l'avons dit, à tous égards {\). Encore
plus faut-il renoncer, partout où le ciborium est adopté , à
le suspendre à la voûte sans aucun appui inférieur, ce qui a
toujours autant de mauvaise grâce que peu de dignité. Uno
colombe brodée en or ou en argent sur le fond de ce
pavillon symbolique rappellerait bien les anciens ciboires
liuUetiii de la Soc. des AnlUiuaires de l'Ouest, t. IV, p. 2o7,— et Revue
de L'art chrétien, t. ni,p. 411. — Au ciiiquiciiie concile de Garthago,
en 2o4, le canon xiv décida qu'aucun autel ne serait consacré sans
reliques, et ordonna de renverser ceux qu'on trouverait n'en avoir
pas. Ceci fut renouvelé en 787 par le deuxième concile général de
Nicée, can, VII, et s'est toujours stri(;teuu;nt observé depuis. — Voir
Cabassut, Syn^ps. concilior., 11, 82; — Labbc, VII, col. 907.
(1) Rien ne s'oppose, dans les prescriptions liturgiques, à ce que le
Saint-Sacrement soit transporté ailleurs pour la duré:^ des cérémonient
épiscopalcs, et qu uu le rai)poiic à laulel central, dont il est la vie,
lorsque ces niéuics Oflices sont lermiiiés.
232 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
suspendus autrefois au-dessus de l'autel sous cette forme
mystérieuse; mais surtout on devrait y éviter , comme du
plus mauvais goût, ces couvertures plates et carrées bizar-
rement apposées , en manière de ciel de lit , et qui , aussi
mesquines par leurs vieilles étoffes poudreuses que ridi-
cules par leur effet, rappellent trop une chambre à coucher
de la plus modeste demeure d'un maire de village.
sipgo ëpiscopai. Bans les cathédrales, le siège épiscopal, d'où l'éghse
prend son nom {cathedra), doit être adossé au nord , afin
que le pasteur regarde et reçoive à pleins rayons la lumière
céleste , image sensible du Christ, qui est la splendeur de la
lumière éternelle de son Père. Ce siège, élevé de trois degrés
au-dessus du sol , peut être de bois ou de marbre , ou de
toute autre matière , mais ne peut être orné de drap d'or
que pour les évèques cardinaux, dont, par cela même, il
indique la dignité supérieure. C'est un de ses caractères
d'être fixe et immobile, pour indiquer l'inamovibihté du
pouvoir épiscopal , qui est celui-là môme du Sauveur {\j.
C'est donc un meuble tout d'une pièce , sans parties sépa-
rées , embelli de draperies , surmonté d'un dais de forme
noble et élégante , à moins que l'autel n'en eût pas , car
alors on ne devrait pas traiter ce siège mieux que celui où
s'abaisse le Seigneur lui-même (2) . Un usage des plus an-
ciens faisait recouvrir le siège épiscopal d'étoffes précieuses
qui le distinguaient des sièges communs, comme on le voit
de S. Cyprien dont les fidèles garnirent ainsi le banc sur
lequel il allait souffrir le mai'tyi'e, a afin, disent ses Actes ,
(1) s. Nil, dès le commencement du cinquième siècle, écrivait: « Epis-
copalis thronus qui in medio presbyterorum est, catliedram insinuât
magni pontificis Domini nostri Jesu Christi. » (Epist. ad Nemerlium,
Spicil. Solesm., III, 398.)
(2) « Sedes episcopalis erit locanda a lalere Evangelii; tribus gra-
dibus ad eam ascendatur. . . Forma erit prœaita et sublimis, sive ex ligno,
sive ex marmore, aut alia materia fabricata in modum cathedrse et
llironi immobilis... Super eam umbraculum... appendi poterit, dum-
modo aliud super altari sumptiosius appendatur. » (Cceremnii. Kpis-
copor. lib. 1, cap. xiii, n-' 2 et 3.)
AMELBLKMKNT DE L'KGLISE. 233
qu'il mourût avec les lioinieurs de l'épiscopat ( ly. » Tout
en gardant l'emploi d'ornements de soie pour garniture
d'ensemble de ce meuble important, le moyen âge lui con-
servait son coussin de laine , qu'on laisse exclusivement
aujourd'hui au président du parlement d'Angleterre , sans
songer qu'on s'est privé, en l'abandonnant, du symbole qui
lend le mieux, d'après les Écriturfts et les Pères, ce mélange
de simplicité , de douceur, de pureté d'intention et de force
morale (jui conviennent excellemment à celui qui, connne
ré\è(|U(', doit présider, juger et conduire (2).
Nous [le pouvons omettre ici de mentionner ce double
compartiment, creusé ordinairement dans le mur latéral
du côté de l'Épître, et qu'on appelle piscine, pourvu de
deux cuvettes conununiquant par un canal avec une sorte
fie puits-perdu ; on y déverse, d'un coté, l'eau qui a servi
au lavabo de la messe , de l'autre celle qui résulte de la
purification des linges sacrés. Les piscines de Notre-Dame
de Sénun-, de Saint-Urbain de Troyes , de Donfield en Angle-
terre, de la Sainte-Chapelle de Paris , sont des modèles des
treizième et quatorzième siècles qui réalisent , dans une
richesse ou une simplicité plus ou moins grande , tout ce
qu'on peut désirer de mieux en ce genre (3). L'architecture
religieuse n'avait pas plus négligé ce petit détail que tant
d'autres. 11 se rattachait , en eCfet , à des précautions dic-
tées par le respect des choses saintes ; car, outre les eaux
dont nous venons de parler, on y déversait encore les
,1; « Sedile erat lortuito linteo tectum, ut sub ictiini passionis ejùs-
copatus honore fnieretur. » (BoUand. ytc/r/, in 16 sept.)
(2) La laine pure est blanche et sans teinture : c'est la simplicité du
Juste; moelleuse et douce, on s'y repose commodément; objet du tra-
vail de la femme forte {apprehendit lanaiii et fusum (Prov., xxxi), elle
indique l'activité qui engeudrt; la vie utile. — Voir iuibau-Maur et
Pierre de Capoue dans le Commentaire de S. Mélitou, SpicUeij.
Solesni., III, 152.
(.'{) Voir les dessins de (;es beaux ouvrages dans les AnnaL arclico-
logiq.j l\,SH;\l\,:H};\, J8.!; XIX, 1(12 ; — et <kins ftUissier, Hisl.de
lari monum., p. 601.
Piscines.
234 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
cendies produites par la combustion des linges sacrés, qu'on
doit brûler quand ils sont liors de service , et ne jamais
employer à d'autres usages moins dignes. Les piscines, an-
térieures au treizième siècle , où Innocent III ordonna que
les ablutions n'y fussent plus jetées, mais consommées parle
prêtre, ne furent plus employées dès lors que pour les usages
indiqués ci-dessus , et c'est là qu'après la sainte Commu-
nion le prêtre descendait se laver les doigts , comme il le
fait encore à l'autel. L'iiabitude de purifier au coin de
J'Épîlre les doigts consacrés se prit au quatorzième siècle ;
aussi, depuis cette époque, ne voit-on que très-peu de
piscines aussi ornementées. Il n'est pas moins vrai que
l'emploi en est très-convenable, et constitue un des besoins
du culte qu'on doit bien se garder de négliger en construis
sant une église. C'est, d'ailleurs, aux abords de l'autel une
parure très-digne qu'on peut y sculpter selon le style du
nionument ou de l'autel lui-même , et qui convient parfai-
tement à compenser la nudité liabituelle du mur. Pour
ceux qui savent les choses de la foi , la piscine y gardera
toujours le symbolisme de la pénitence contiante ; c'est là
([ue le prêtre qui célèbre se rappelle les saintes paroles :
Lavabo inier innocentes manus meas (Ps.,xxv, G) ; et il aimera
mieux voir soustraire ces eaux bénites auxquelles se mêlent
plus ou moins les particules sacrées de l'Eucharistie , que
de les savoir exposées aux hasards d'un vase sans valeur
ou sur le pavé que foulent les pas inatteutifs des subalternes
d'une église (I).
Comme la piscine offre par son plan un fond et des con-
tours qu'on a souvent ornés de délicates sculptures, on peut
aussi l'embellir de peintures polychromes représentant
(l) « Prope altare, quod Cliiistum siguificat, collocatur pisciiia seu la-
v.icrum, id estCliristi misericordia, in qua manus lavantur adnotandum
<|aod in baptismo et pœnitentia, quœ per illam significantur^ a pec-
catornm sordibus diluimiir. » (DuranL, lib. 1; mihi, f" iv, y^, col. 2.) —
Voir un travail trôs-bieu résumé de l'histoire des piscines par Mgi' Cros-
nier, BullcL nionum., XV, 50 et suiv.
AMKIBLKMKM DE l'ÉGLISK. 235
soit quel(|iie Irait relatif au Saiiit-SacreiiHMil, comme celle
qu'on découvrit en isriS dans l'ancienne collégiale de Saint-
Uuentin ( '^ , soit de* scènes de l'Ancien ou du Nouveau
Testament, relatives à la miséricorde de Dieu, ou simplement
des ti2:es vivaces des plantes symbolisant ces dispositions
de l'âme. En tout parlons au cœur par le regard, à l'esprit
par les pieuses données de l'enseignement scripturaire et
artistique.
Avant de quitter le sanctuaire, il nous reste à parler de la
crédence, petite table placée non loin de l'autel, et du côté
(le l'Épître, pour recevoir jusqu'à l'Offertoire le calice garni
de riiostie à consacrer, et revêtu de son voile, puis les
burettes qui contiennent le vin et l'eau. Ces matières du
Saint Sacrifice rappellent, pour cette table à laquelle on les
confie (credere) le souvenir de cette autre table qui sup-
portait, dans le Tabernacle de Moïse, les pains de proposition.
On y dépose aussi l'encensoir, jusqu'à ce qu'il soit garni du
feu, et les livres contenant les épîtres et les évangiles, (jette
petite table, (t'après l'usage romain, doit être en bois,
revêtue, des fj^iatre côtés, d'une nappe qui en cache les pieds
jusqu'au bas, et ne doit pas être confondue avec celle qui sert
aux offices pontificaux et que le céi'éinonial romain se plaît
à décrire (2}. Il est clair qu'un tel objet est essentiellement
mobile et transitoire. Au contraire les crédences, dont nous
devons parler ici, demeurent en permanence dans le sanc-
tuaire; leur usage a précédé celui de la piscine. Embellies
de plus ou moins de décors, elles ont reçu le pain et le vin
(1) Voir Revue de l'art clirélien, 11, 4:>9.
(2) « Mensa, quani crcdentiam vucaiit..., in missis tautum solem-
nibus prieparari solet a latere opistola;, in piano presbyterii, si loci
disposilio pnlialur. » [Cxrem, Episcop. lib. I, cap. xn, n» 19.) — H est
rlair parce texte et par tous les autres objets auxquels cette table est
ilestin<''e. la mitre, la barrette, et jus({u'aux sandales épiscopales, qu'il
ne peut »'tre ici question d'un meuble qui reste en permanence dans le
sanctuaire, comme les (M'édences qui y servent cbaf[ue jour soit aux
messes basses, «oit aux messes solennelles.
Crcdcnce.
236 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
du vSaiut Sacritice , les vases destinés aux encensements et
aux ablutions. Plus tard, leurs formes se sont modifiées
selon les goûts de l'artiste ou les besoins des lieux ; au-
jourd'hui, elles sont devenues, pour la plupai't, de simples
tablettes supportées par un ou plusieurs pieds de forme
élégante ; on les a fixées au mur par des ferrures qui les
consolident. Le plus souvent elles sont placées au nombre
de deux, en regard l'une de l'autre, ou parallèlement à
l'autel, et sont devenues un ornement de ses abords ; car
on en trouve en de certaines églises qui sont de marbre
précieux, de métal ou de bois doré. On comprend de quelle
utilité elles sont ainsi, puisqu'elles remplacent, en quelques
circonstances et pour certains objets, ces armoires pra-
tiquées dans l'épaisseur de l'abside et qui renfermaient,
jusqu'à l'apparition des piscines, les vases sacrés, les livres
et quelquefois môme les liosties consacrées avec celles qui
n'étaient encore destinées qu'à le devenir : ainsi le prati-
quait-on chez les Chartreux et les Cisterciens. Mais depuis
l'adoption, qui semble rationnelle, de ces petites tables aussi
utiles que gracieuses, il est bon, quand on les -confectionne
exprès pour le service de l'autel, qu'on les ornemente et
les enrichisse de tous les genres de beautés les plus capa-
bles de symboliser quelques idées analogues à leur emploi.
i^'orguc. Un meuble , après cette longue énumération , semble
cependant nous manquer encore, non (|u1l soit indispen-
sable, mais parce qu'il est le complément de tout le reste,
et qu'outre son emploi, qui va directement au culte, il a
pour but secondaire d'embellir aussi une des parties les
plus apparentes de la ])asilique. Est-ce donc au fond du
sanctuaire, ou sous la rose occidentale, ou dans l'un des bras
du transsept, qu'il faut établir le grand et mélodieux instru-
mentqui prête toutes ses voix à nos fêtes, et s'y fait Y organe
éloquent de nos prières et de nos joies? Point dérègles à
cet égard, sinon celle de la perspective et de l'acoustique,
lesquelles sont donc subordonnées au local autant qu'aux
AMEIBLEMKM UE L ÉGLISE. 2;J7
formes plus ou uioius arlistuiues du grand bulïet et du
positif. Ce (jui nous iuipoile surtout, c'est rornementation
que l'orgue doit recevoii". En y évitant la peinture poly-
ehrome, qui accuserait la pauvreté de la constructiou, et en
lui donnant un bois solide, comme le chêne, et paré de sa
seule teinte naturelle, on lait acte de bon goût; et l'on n'a
plus qu'à auguienter l'effet parla sculpture, qui peut y dis-
tribuer les nombreux symboles de la musique sacrée, les
concerts d'esprits bienheureux, les histoires de l'Ancien
Testament (jui se rapjîortent à la musique. Une condition
essentielle est de conformer l'architecture de ce bel in- *
strument à celle du vaisseau qui le j-eçoit , par sa forme
ifénéiale, par ses moulures, ses divisions, ses amortisse-
ments; eu un mot, il se pUera, pour accomplir une grande
et pleine unité avec le style des voûtes, des piliers et des
chapiteaux, avec celui des stalles, de la chaire et des autres
meubles dont le bois est la matière obligée.
Nous n'avons fait, on le voit, qu'esquisser à grands traits Quel est l'e^prit
. . . 1 M 1 tlo rÉçlise dans le
dans ce chapitre les prnicipaux détails de rameiiblemenl -oin de tout ce
ecclésiologique, non sans intention de revenir, au besoin,
sur chaque objet en particulier, pour en mieux compléter
l'esprit et le sens, pour en indiquer les meilleures formes
et tracer le cercle des Jiautes convenances religieuses et
artisti([ues dont ils ne doivent jamais s'éloigner. Cet esprit
a été de tous les temps dans le catholicisme ; il n'y a que
ceux dont l'intelligence reste au-dessous de ces grandes
choses qui n'en sentent ni le mérite ni la nécessité. Voyez
cet immense catalogue du mobilier des églises des neuf
premiers siècles que nous a laissé Anastliase le Bibliothé-
caire sous le titre de Vies des Papes (I) : c'est un inventaire
minutieux des moindres objets, liturgiques ou autres, em-
ployés dans les usages ecclésiasti([ues ; on y voit comme
fl Liber Ponlificuiis, sive De Vilis smnnu Pn)Ui/ic.: <l.iiis Miiratoji,
Svript. rer. ilalic., au coiniiitMicement du t. III. in-f°.
qui précède.
238 HisTomr: dl' symbolisme.
les papes attachaient une grande importance à munir leurs
églises de ces objets, et quels caractères symboliques leur
étaient constamment donnés par eux. L'esprit de l'Église ne
change pas sur des pratiques de si haute importance, et c'est
une des hontes de notre temps de l'avoir oublié si générale-
ment, quoique tout près de nous encon; les Saints se soient
crus obhgés de le propager et de l'entretenir. Nous avons
maintes fois cité le zèle de S. Charles à l'endroit des
moindres portions de l'église ^t des choses de son ameu-
blement. Ce sont les mêmes principes qu'ont suivis, à la
même époque, Molina, de son Instruction des prêtres (1), et
le vénérable M. Ollier, l'une des dernières lumières qui
nous soient restées de ce siècle où la foi, encore si puissante,
gardait son foyer chaleureux dans le cœur d'un certain
nombre de bons prêtres , évidemmejit suscités de Dieu
pour conserver le feu sacré qui s'éteiguait de toutes parts.
Les siècles de la piété catholique so' maintenaient réelle-
ment dans cet homme de Dieu, cherchant, par son exemple,
à persuader au clergé son propre zèle en faveur de ces
meubles pleins de sens mystérieux, et indiquant par là dans
quels sentiments on doit les considérer et s'en servir (2).
Enfin, que dire des laïques de nos jours qui, en grand
nombre, participant à ce zèle que Dieu a mis dans tous les
cœurs touchés de l'honneur de sa maison, en cherchent la
beauté, y travaillent en des veilles laborieuses, et, aussi pieux
dans leur vie qu'intehigents dans leur génie de rénovation,
répondent à une vocation véritable par des écrits utiles à
l'Église, dont ils sont les athlètes dévoués (3) ? Marchons
(i) Traité IIL cli. xvi, in-l2, 1836; L 11, p. 235.
(2) Voir Vie de M. Ollier, in-8». — Paris, 1811, t. II, p. 243, 671, et
passinii
(3) Nous ne pouvons indiquer ici que bien sommairement les écrits
de MAL de Montalembert, de Caumont, DidroD, Schmilt, de Linas,
Raymond Bordeaux, et autres que nous sommes trop heureux de voir
dans nos rangs et qui se sont fait, en ces matières, une autorité
justem-^nt acquise.
AMELBLEMEXT DE LÉGLISË. 239
donc au moins avec oiix! Que nos pauvres églises si lon^i-
temps muettes et si souvent, hélas! mécoiniues et incom-
prises, se ravivent sous des elïorls intelligents, et ne reçoi-
vent pas moins de nous le lustre sacré et la vie spirituelle
dont, avant tous, nous sommes, par notre caractère et notre
loi, les instigateurs et les gardiens !
CHAPITHR VI.
DECORATION ARTISTIQUE DE L'ÉGLISE
PAR LA SCULPTURE.
Développements JVous avoiis VU à (fuel ffeiu'G (l'icoiioffrapliie encore res-
de l'art sculptural i o o i
au onzième siècle, treiiite Id périoclc arcliitecturale qui précéda le roman
lleuri s'était bornée dans la décoration des églises. C'étaient
tout au plus des ciiapiteaux à végétation élémentaire et peu
variée, comme l'acanthe et les feuilles d'eau; quelques
animaux aux tympans des grandes portes, rarement la
tîgure liumaine, plus rarement encore riiomme en action
et prenant un rôle quelconque dans la dramatique épopée
de la vie du temps ou de l'éternité. Après la Renaissance du
onzième siècle, quand tout se couvre d'églises nouvelles et
que cette activité môme suscite, en faveur de la beauté
visible des monuments, l'imagination créatrice, on ne se con-
tente plus des lignes tracées par l'architecte ; celle de l'ima-
gier va venir, et, sur ces pierres taillées avec soin, elle jettera
Son .araetèrê Ics multiplcs Imagcs des conceptions les plus savantes. Qui
encore rudimen- • • i • i i < , i ^
taire , u a VU CCS tmiidcs essais de sculpture encore attaches aux
nombreuses églises dont elles disent si bien la date, gri-
maçant surtout aux frises de la façade et paraissant se pen-
cher, avec leur expression aussi grossière de dessin que
variée de forme, sur le passant qui ne s'y intéi-esse plus au-
jourd'hui, faute de les comprendre, mais qui, s'il eiit vécu
au temps de leur apparition, aurait compris leur langage
qui a pourtant ct acccpté toutcs Icurs leçons ? Là figurent, en des actions
^on symbolisme, (^jy^rses, des tôtcs d'homuies et d'animaux qui, tantôt grou-
DÉCORATION SCULPTl'RVLE DE l'ÉGLISE. 24^
pées, tantôt alternées, résument dans un espace amoindri
beaucoup plus qu'elles ne semblent dire, et avec leurs cou-
ronnes, leurs gueules ouvertes, leurs yeux saillants ou
leurs dents allongées, leur nudité complète ou leurs dra-
peries équivoques, indiquent aux diiïérentes classes de ce
monde leurs titres à la gloire d'En-Haut elles passions mau-
vaises qui eu éloignent. Mais tout cela n'est encore qu'à
l'état de tâtonnement et d'incertitude. L'expression artis-
tique qui vient d'éclore est bien plus indécise que la pensée,
déjà aussi ^ieille que le Christianisme, et qui ne s'est pas
affaiblie comme l'art, parce que, durant le sommeil forcé-
ment imposé à celui-ci par trois siècles de persécutions et
six ou sept autres de dévastations et de barbarie, la science
symbolique ne vivait pas moins dans les écrits des Pères et
des Docteurs. Aussi l'essor se fait vite. L'art, à peine libre
de reparaître, s'exerce avec un zèle qui semble se dédom-
mager de ses trop longues entraves et se trouve bientôt
capable de reproduire, par des images d'une perfection pro-
gressive, tout ce que la science tliéologique va lui demandera
l'appui de ses enseignements. A mesure que le onzième siècle Pio^rèi mcr-
. veilleux de oette
s'avance, déjà le fau'e est meilleur ; le ciseau, plus assure, époque.
donne à ses œuvres un sens plus délicat et plus fin, de sorte
(ju'à l'époque où. cette période fait sa jonction avec la sui-
^ante, ce douzième siècle si beau, si esthétique, si pitto-
resque de formes visibles et si profond de spiritualisme,
s'est peu à peu manifesté et ne marche plus, dès ses pre-
mières années, qu'à la conquête assurée des plus réelles
beautés de la forme et de l'esprit. C'est cette élévation de la ueau prélude de
... , , l'ère og-ivftlc.
pensée, n en doutons pas, qui inspire alors l élancement
de l'arcade caractéristique, exhausse sa pointe et donne
une physionomie nouvelle aux portiques et aux voûtes,
et quand la transformation est achevée par l'applica-
tion, devenue générale, de ce principe qui distingue enfin
complètement le Christianisme des croyances païennes;
quand la religion de l'Europe catholique a trouvé son art
T. III. 1()
242 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
religieux propre et exclusif, l'iconographie s'inspire à son
tour, par un docile abandon, des joies triomphales de
l'Église, et, célébrant par ses ogives et ses roses l'avenue de
cette glorieuse période, elle exalte dans un même enthou-
siasme la victoire assurée de la société moderne sur le
monde païen ; elle devient autonome, et, comme si elle sur-
gissait des catacombes, ses images reprennent leur place
voulue dans le grandiose ensemble de constructions sa-
crées, d'où elles ne disparaîtront encore, hélas! qu'à l'ap-
proche de cette nouvelle ])arbai-ie dans laquelle, quatre
siècles après, le protestantisme s'efforcera de nous étouf-
fer (i).
La scuiptuie 1^» sculpturc, ic prcmicr des arts d'imitation par son im-
progrlr '"^ ''^' portance, puisqu'elle rend, outre les traits qui caractérisent
un objet, la vérité de ses contours et tout le saillant de sa
pose et de ses gestes, la sculpture est restée à cette hauteur
de mérite dans le soin qu'elle s'est donné de rendre, selon
les exigences de la religion, la pensée mystérieuse de ses
dogmes les plus abstraits. Nous l'avons vue, chez les an-
ciens (2), atteindre le sublime de la beauté plastique, el
montrer sous les plus saisissants dehors toutes les passions
de l'humanité. Ce necplus ultra de la forme se relevait encore
Ce qu'elle pieiui ^u seutimcnt moral que l'œil de l'âme y découvrait. Mais il
aior» de vie e«uié- g'^j-^ falMt blcu quc l'étudc du cœur humain y atteignît le
développement dont l'art chrétien avait besoin , et qu'il
s'efforce continuellement à inspirer. Nous savons comme
il a réussi; quelle plus grande variété de formes et de sen-
timents il a communiquée à la matière ; comme la vie
s'y est plus répandue et attachée en proportion de cette
multiplicité de sensations diverses qu'il fallait rendre, et de
tous les secrets du cœur humain qu'il était nécessaire d'ex-
(1) Voir le développement de ces idées dans un intéressant travail
de M. Aibertdingk Tliijm, catholique hollandais, inséré dans les
Annal, archéolog., X1V_, 47.
(2) Voir 1. 1, ch. x, Symbolisme de la statuaire antique.
DÉCORATION SCULPTURALE DE L ÉGLISE. 243
poser. L'art des nations païennes procédait par de grandes »* supériorité sur
* ^ 1 . . 1 *.^ l'antiquité païen-
allégories, d'une action rétrécie et peu profonde.. Le public «<?.
n'y comprenait pas toujours la finesse de l'artiste , et tout
était dit pour son intelligence (le cœur n'y entrait jamais
pour rien) quand il avait reconnu à quelques traits de con-
vention Jupiter ou Vénus, Neptune ou x\pollon, oijl quel-
ques-uns des demi-dieux de leur race. Chez nous, ce n'est p'*!" ^^ f^'condiié
^ ne sps enseig^iie-
pas seulement la pei'sonne qui figure et qui parle; ce sont "'«"^^
toutes les passions de l'âme, tout ce qu'elle pense et peut
vouloir : le bien, le mal, les vertus, les vices, les devoirs, les
occupations de la vie commune, les états multiples de la '
société chrétienne, et cette activité incessante qui agite
l'homme ici-bas comme dans un chemin qui le mène à
l'éternité par les mille embranchements où il s'engage. On
n'avait pas encore songé alors, comme nos libres penseurs
d'aujourd'hui , à séparer l'Église de l'État, le Christianisme
de la politique, les droits de l'homme de ses devoirs, Dieu
du gouvernement de ce monde ; et partout apparaissaient,
sous des traits devenus pour le philosopiiisme actuel des
mythes ridicules , les leçons de la foi en images tout em-
preintes d'originalité piquante et d'austères avertissements,
La nature entière était conviée à cette grande prédication
des âmes, et, dans tous les monuments sacrés, elle s'em-
parait d'elles en allégorisant jusqu'aux moindres objets de
ses trois règnes; ainsi, donnant à toutes les idées, môme les
plus métaphysiques, un corps, un esprit, un visage, elle
attirait l'attention par la curiosité, retenait FinteUigence
par le coloris de ses images, et popularisait pour les plus
simples de la foule le plus haut enseignement qui ait jamais
existé ! Cherchez dans le paganisme des efforts analogues :
vous n'en trouverez pas trace; tout s'y borne à des concep-
tions générales, à de grands effets d'ensemble. Il ne pouvait
être donné qu'à la vérité de se rapetisser jusqu'aux hum-
bles détails pour élever l'homme à sa hauteur. Une autre
preuve s'en trouve dans les hérésies et dans toutes les doc-
244 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
trines hétérodoxes, qui, hostiles au Christianisme, et par
conséquent incapables de la charité , bornent leur zèle à
parler beaucoup, mais n'agissent en rien pour rattacher à
Dieu le cœur des masses par les ingénieuses inventions
d'études sérieuses et dévouées. Voyez la froideur du pro-
testantisme, et ce qu'il a inventé depuis l'an ^51 7.
Disunction entre Nous avous à distluguer ici la statuaire de la sculpture
la statuaire et la ^ ^
sculpture propre- proprement dite , l'une représentant la figure humaine ,
ment dite. r r ' i o j
le corps de l'homme en action , et môme les animaux d'une
certaine taille ; l'auti'c reproduisant les bas-reliefs qui nous
rendent les scènes variées de l'histoire de la matière, et les
innombrables symboles qui les spiritualisent aux frises,
aux chapiteaux, aux entablements, sous le ciseau des or-
nementistes : deux sortes d'artistes que le moyen âge dési-
gna également sous ie nom d'imagiers , et qui ont laissé
dans nos temples tant d'incontestables témoignages de leur
riche et vaste imagination.
L'une agit d'à- Il v a , toutcfois , ccttc différence à noter entre ces deux
près lin type con- «^ '
j^enn et invaria- genrcs dc sculpturc : c'est que le statuaire semble agir
d'après ses propres inspirations , possédant en lui le type de
son œuvre, qu'il comprend, dispose et perfectionne bien
plus par ses idées personnelles qu'en vertu d'un thème
imposé d'avance, comme il arrivait pour le simple sculp-
teur. Ce n'est pas que le premier n'etit ses détails inva-
riables d'après lesquels il agissait comme par autant de
règles précises , indiquant pour tel personnage qui l'occu-
pait la pose , les attributs distinctifs, quelquefois même le
type facial, comme il arrive souvent de Notre-Seigneur, de
S. Pierre et de S. Jean. Ce sont là des faits dont les statuaires
l'autre suit un uc sc sout jamals affraucliis. Mais , à côté de ces quelques
ception prescrits pHUcipes rcçus dc tous ct dout il ne fallait s'écarter en rien,
vudabSlii-infinL tout Ic rcstc s'ébauchalt et s'achevait selon le génie qui gui-
dait une main plus ou moins habile. Chez le sculpteur, au
contraire, avec les mêmes différences de talent dans l'exé-
cution, il y a toujours l'obéissance à une pensée qui vient
DÉCORATION SCULPTURALE DE L'ÉGLISE. 24o
moins de lui que de rarcliitcctc. La variété de ses sujets ,
leur symbolisme absolu, supposent nécessairement un plan
arrêté d'avance jusque dans ses moindres effets; les groupes
et la place relative de leurs personnages, les poses toujours
significatives, le fond du sujet et ses rapports avec ce qui
précède ou ce qui suit, font l'objet d'une science véritable,
d'une philosophie en action, qu'on s'est acquises par l'étude
des Écritures et de leurs commentaires , et qu'un ouvrier
ordinaire n'aurait pas jetées de lui-même sur la pierre, où il
n'est que le traducteur d'une vaste pensée scientifique. Mais
ce traducteur rend presque toujours, surtout dans les mo-
numents de premier ordre , l'intention de l'inventeur avec
une précision et une entente qui vont jusqu'à la finesse du
sentiment et du bon goût. Quelque fini que fût le dessin pri-
mitif de telles œuvres, il fallait encore le comprendre et le
sentir pour l'exécuter comme on le fit souvent ; et dans ces '
pages éloquentes inscrites ainsi sur nos surfaces de pierre ,
le regard n'admire pas moins l'œuvre manuelle que l'esprit
n'en savoure l'idée morale et les ingénieuses conceptions.
Si l'on observe la marche de la sculpture à travers les ^^ sculpture
'■ toujours et par-
âafes , on lui trouve, chez les peuples qui s'en occupent , des ^^ut empreinte
^ X i A 1 ^(.,jjj caractère na-
rapports frappants avec leur caractère national , semblable t'on^i.
en cela à l'architecture elle-même , dont nous a\ons parlé
dans le même sens {\). L'Egypte , n'ayant que des sciences
exactes , est grave et mystérieuse dans les œuvres de ses
imagiers; la Grèce communique aux sciences la finesse et
le calme de sa littérature polie et tranquille; Rome, dans le
sein de laquelle les lettres ne fleurissent réellement de toute
leur beauté qu'au dernier siècle de sa gloire , a négligé pour
la guerre les arts que la paix alimente seule, et ses vastes
ouvrages d'ornementation, comme les monuments qu'ils
décorent, se remai-quent par le massif de la forme et la né-
gligence du travail. C'est cette lourdeur qu'on voit régner
(1) Voir t. I, chap. ix, Symbolisme des avis chez les anciens.
246 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
dans la période latine de l'art chrétien ; il conserve ce carac-
tère en dépit de la pensée symbolique imposée au choix des
sujets, jusqu'aux jours de résurrection où , se dégageant de
cette austérité quasi-barbare , il arrive au style fleuri d'où
naîtront les belles sculptures des treizième et quatorzième
siècles. N'allons pas plus loin , puisqu'aussi bien nous res-
f tons encore dans le moyen âge, et voyons maintenant com-
ment la statuaire s'y est faite un rôle toujours digne de son
emploi.
pnuvreie maté- Qu s'accordc à rcgardcr l'époque de la première statuaire
lieilc de notre ^ ^ '- ^
•ratuaiie romano- chrétienne, cu taut qu'elle est une portion de l'art monu-
liyzantinc.
mental, comme n'allant pas au delà de la dernière partie
du onzième siècle. Antérieurement, on se borne à la ronde-
bosse, qui ne donne que des bustes enclavés dans les modil-
ions des façades romanes, ou des faces humaines détachées
au centre d'un groupe de feuillages : mais jamais l'homme
agissant en entier et mêlant un rôle quelconque à la vie ex-
térieure ou spirituelle. Et encore quelles faces humaines !
On peut, dans les nombreux monuments qui nous restent
de cette école , s'extasier sur ces figures anguleuses, types
de formes bizarres et incorrectes, au regard fixe, aux yeux
remplis de charbons ou d'émail , là où la prunelle est censée
rayonner de jour et de lumière. La plupart de ces demi-
personnages, dont toute l'expression est barbare et repous-
sante, appartiennent aux chapiteaux ou à des bas-reliefs où
ils ne reçurent que des proportions restreintes. C'est à peine
si quelques statues assises, mais presque toujours d'une fort
médiocre épaisseur , ornent alors les façades relativement
assez simples de nos églises. De ces spécimens, on peut se
faire une idée exacte dans la bénédiction donnée à S*« Abre
par S. Hilaire au Musée lapidaire de Poitiers, et par le Christ
assis qu'on voit encore sous le porche intérieur de Sainte-
Radégonde de la môme ville.
Bizarre ascucc- Ccs sujcts sout Ordinairement , pendant cette période ,
ment du costume ^
et (le lacirapr^iio, rcmarquablcs par les caractères byzantins de leurs formes
DÉCORATION SCULPTURALE DE l'ÉGLISE. 247
et de leurs détails. La rudesse donnée à la (igure Jiumainc
se retrouve aussi dans les di'aperies saccadées et raides, dans
les poses du corps étroit et allongé, sur lesquels se dévelop-
pent d'amples vêtements dont la parure principale consiste
presque exclusivement en galons frangés et en perles pro- .
(liguées avec une riche abondance. Les plis de ces costumes
manquent de grâce et de souplesse, ne s'arrondissent jamais
qu'aux coudes et surtout aux genoux, et se distribuent de là
aux parties environnantes en des rayons difformes, droits et
guindés , qui ne s'y effacent qu'à pe'ne, et contribuent à
rendre tout ce dessin fort désagréable à l'œil.
Mais sous ces disgracieuses apparences persiste encore le influences par la
manière des Grecs
svmbolisme de cette taille qui tend à s'allonger outre me- de constantino-
pie,
sui'e, et de cette somptuosité de pierreries et d'agrafes dont
la richesse matérielle indique la valeur morale du person-
nage ainsi affublé : telle fut , au reste, l'intention des artistes
grecs, dont l'influence dut agir sur les nôtres lorsque s'opé-
rèrent maintes fois, du cinquième au neuvième siècle , les
migrations imposées aux catholiques par les persécutions
des tyrans de Constantinople (I). C'est ici qu'il faut réfuter bien pius que par
une opinion trop répandue qui attribue aux défenses faites, Franc?o!'t! ^
en 79 '«,*par le concile de Francfort, l'inaction de la statuaire
chrétienne en Occident. Les Pères de ce concile avaient
compris dans le sens le plus absolu Vadorafion que ceux
du deuxième concile de Nicée avaient apphijuée aux images
des Saints. Ils ne pouvaient pas, ignorant le grec, com-
prendre comme une salutation et un honneur extérieur
l'hommage conserve aux saintes imagespar le mot àffTra^oAteôa
(salutamus), et ils crurent rejeter une erreur en condam-
nant une vérité : de là pendant longtemps peut-être l'absten-
tion de toute sculpture de Saints. Mais en conclure, avec
((uelques archéologues, à une interdiction générale, ce
serait se mettre en contradiction avec l'histoire , avec tous
(1) Voir BuUelin monumental, XII, 224, 405; XIV, 8, 9, 132, 539.
24^5 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
les monuments qui , nombreux avant le onzième siècle ,
prouvent encore, par mille exemples, qu'il faut reconnaître
une autre cause à cette stagnation des arts du dessin. Voyons-
la plutôt dans les guerres incessantes qui désolent l'Europe
de toutes parts. L'Espagne et l'Italie envahies par les Sar-
rasins, la France tourmentée par les querelles de ses dynas-
ties, pouvaient-elles voir leurs artistes créer de ces chefs-
d'œuvre qui n'éclosent que dans la paix (I) ? Ce que nous
dirons de la peinture dans les églises et dans les manu-
scrits répond victorieusement d'avance à des persuasions
trop peu fondées, et si la statuaire s'est émue un peu plus et
a créé tant bien que mal ses nouvelles œuvres entre les
règnes de Hugues Capet et de Philippe-Auguste, nous
croyons fermement devoir en rapporter la raison à ces pè-
lerinages forcés des artistes d'outre-mer qui, en cherchant
le repos et la sécurité sur nos plages , y apportèrent , avec
leurs procédés, le type invariable qui les avait occupés dans
leur pays.
Action des croi- Cetlc mêmc influence se développa bien mieux encore
sades et des étu- i n • i r^ oo
des littéraires et par Ics Groisaocs. En effet, quand le onzième siècle s'achève
théologiques i^*' , » n
cette époque sur ct qu clles commenccnt , 1 art prend un-nouvel essor, l'é-
tude se perfectionne, et voilà notre belle statuaire byzan-
tine inaugurant le douzième siècle et s'avançant avec lui
vers des progrès qui font encore notre admiration. Rappro-
chons, d'ailleurs, cette marche* progressive du développe-
ment des études httéraires. C'est la théologie qui inspire l'ico-
nographie tout entière; jamais les légendes des Pères , les
symboles des commentateurs n'ont été si prodigues de détails
attachants. L'expression des bas-reliefs se perfectionne dans
les voussures et les archivoltes, dans les métopes, les mo-
dillons et les chapiteaux. Alors la statuaire se dégage de
ses formes trapues , la face humaine se rassérène, les vête-
ments s'assoupKssent , les poses et les gestes prennent de
(1) Voir J5i(//. inonum., 1. V, p. 213 et suiv.
Pa/t monumental.
DÉCORATION SCULPTURALE DE l'ÉGLLSE. 2^9
la dignité, et s'élèvent parfois jusqu'au grandiose. Alors les
statues surgissent de partout. On en flanque les portes des
églises , on les élève sur les pignons, on les dresse dans les
galeries au-dessus des principales entrées, on les adosse aux
piliers et aux trumeaux. Tout cela est encore byzantin ,
quoique beaucoup moins, jusqu'au milieu du douzième
siècle. Mais , vers la fui de cette période si remarquable ,
l'artiste se nationalise, abandonne les traditions étrangères,
et la statuaire, suivant la marche ascensionnelle de l'archi-
tecture , arrive à une imitation plus complète des formes
naturelles ; malheureusement , c'est aux dépens de ces ca-
ractères surnaturels qui rendaient plus visible le symbo-
lisme de la grandeur spirituelle. On sent , en comparant les
œuvres du treizième siècle, qui nous légua nos plus magni-
fiques cathédrales, avec celles du siècle précédent, que, si
l'église est plus belle , la statuaire plus séduisante , il y a
dans celle-ci moins de pensée, moins de profondeur intime ;
on ne s'en dédommage que par le développement, pour ainsi
dire sans limites, donné au plan général de l'iconographie,
où le symbolisme déroule toutes ses ressources avec une
ravissante prodigalité des plus hauts enseignements. Voyez
les splendides façades des basiliques de Reims, de Chartres,
d'Amiens, de Bourges, de Paris et decelle de Poitiers, que nous
citons toujours pour la dédommager d'une trop injuste indif-
férence ; comptez, s'il est possible , leurs statues éparses sur
les étages magnifiquement superposés et qui semblent se
multiplier à l'envipour recevoir un plus grand nombre de
personnages ; étudiez ces grandes formes de la vie humaine,
posées sur des bases où se tordent sous leurs pieds victorieux
les hideu\ symboles des péciiés ; ces médaillons où s'inscri-
vent les mille allégories des vices et des vertus ; cette belle
llor(^ qui court s'épanouissant aux corbeilles des colonnes ,
ou aux gorges des arcades ogivales ; ces myriades d'animaux
jouant leurs rôles divers dans cette création du génie ter-
restre ; étudiez ces livres aux pages naguère oubliées ,
250 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
aujourd'hui revivant pour nous avec leur langage mieux
compris : c'est la floraison de ce vaste champ de l'architec-
ture dont la moisson va se lever bientôt sous nos yeux dans
le dénombrement de leurs mystiques significations.
Le nu, honoré à Quaud uous couiparous la statuaire antique à celle des
erprosc'^rirpaÏÏe temps chrétieus, la principale différence n'est pas tant dans
la beauté des formes matérielles , par lesquelles Rome et
Athènes l'emportent évidemment, que dans le costume, qui
d'abord est presque entièrement oublié , les mœurs païen-
nes, peu difficiles, autorisant sur ce point toutes les hcences-,
([ue le Christianisme a si complètement condamnées. Les
premières images des catacombes , sauf quelques-unes
que nous réservons , se font remarquer par le soin du vête-
ment. Là, point de nu inutile ou dangereux : hommes et
femmes portent la chlamyde et la robe du temps, la
saye ou le manteau , selon leur rang et profession. Per-
sonne d'entre eux ne s'afflige de se trouver en une compa-
gnie plus qu'équivoque : c'était digne de ces mœurs aus-
tères qui se manifestaient, dès l'aurore de la loi nouvelle,
sous l'influence d'un Dieu né d'une Mère Vierge , et dont
un Apôtre exhortait tout le monde à la continence ou à la
Différence très- virgluité ('l). Nous pourHous donc établir ici cette diffé-
significative dans • i , <» i l o •
leur manière de rcucc nota])le comuie signalant, en laveur de notre loi, un
symboliser la , i t • • ^-\ •>•^ • i
chasteté. genre de symbolisme inconnu aux anciens. (Juils aient
sculpté la chasteté sous les traits d'une dame romaine por-
tant un sceptre et ayant deux colombes à ses pieds , c'est
là tout au plus la chasteté conjugale , modérant par son pou-
voir absolu les passions, même légitimes, et prenant pour
modèles les oiseaux de la fidéUté. Et puis cette vertu n'était
point tellement universelle que les Grecs en aient tiré la
moindre image des ateliers de leurs sculpteurs. Ce qui nous
est resté de leurs Vénus nous fait honte , et , s'il est vrai
(1) « Volo enim vos omnes esse sicut meipsum... Dico non nuptis et
viduis: bonum estillis si sic permaneant, sicut et ego.» (1 Cor. , vu, 7
et 8.)
DÉCORATION SCULPTURALE DE l'ÉGLISE. 2:^^
qu'ils aient toujours voilé Minerve sous les molles drape-
ries d'un vêtement complet, c'est qu'en vérité le sentiment
intime des convenances, qui n'abandonne pas môme les
libertins, leur faisait un devoir instinctif de ne pas déna-
turer l'idée même de la Sas^essc. Vous observerez toutefois faiias rt la
femme chrétienne.
que dans ce visage de Pallas qui garde quelque chose de
viril , dans cette pose guerrière qui représente la Sagesse
armée contre les mauvaises passions , on ne trouve rien de
comparable à ces tètes ravissantes où Giotto et Ange de
Fiesole ont épanché la pudeur chrétienne sous les noms de
.Marie, de Catherine de Sienne ou d'iVgnès. C'est là une
science qui est toute chrétienne, et qui distribue à la fois
sur tout visage de femme vouée à l'amour du Christ les
teintes merveilleuses de la candeur , de la placidité inté-
rieure , d'une incomparable innocence , tel que la vie spi-
rituelle le fait tous les jours encoi*e pour les âmes choi-
sies qu'embellit la sainte pureté du cœur. Si vous ajoutez à
ces traits une action propre qui détermine cette vertu
plutôt qu'une autre ; si, par exemple , vous lui faites ter-
rasser la luxure sous les traits d'un animal immonde, comme
à Montoiré (Loir-et-Cher), ou prendre sous sa protection
une licorne réfugiée en son giron , comme au portail
d'Anjiens et bien ailleurs, vous aurez posé l'idée complète
de la chasteté chrétienne, rayonnante d'une fierté modeste ,
belle de son maintien grave et digne, autant que de la
limpidité de son regard virginal.
Ci'est une des plus ingénieuses inventions dû Ghristia- Richesse d-invcn-
nismc (jue d'avoir, sans inspiration aucune de l'art antique, nôçrlpwr'^Vom-
formulé sur ses monuments l'histoire du peuple de Dieu, r^^Trornte^dc'St
la doctrine dogmatique et morale que nous enseigne l'auto- ^''*"^""
rite apostolique, les rites de ses cérémonies sacrées, et cette
innombrable foule d'allégories qui exposent tout cet en-
semble d'idées surnaturelles avec une précision d'où res-
sortcnt clairemeut une lliéoi-ie convenue et des règles
déterminées. Les temples païens avaient sans doute leurs
252 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
sculptures qui décoraient les colonnes et les chapiteaux, les
frises et les entablements ; les métopes étalaient une symé-
trie de petites figures qui avaient bien leur symbolisme
spécial ; des têtes de bœufs et de lions , des serpents en
spirale , des oiseaux et autres sujets , mais tous isolés et
sans aucune liaison mutuelle , complétaient la série assez
mesquine des ressources esthétiques de l'époque, lesquelles
peuvent bien avoir renfermé en germe l'idée , devenue si
féconde , de nos corbelets ou modillons. Après tout , on
n'y pouvait trouver ni une série de devoirs , ni une école
de vertus, ni des promesses éternelles auxquelles le monde
ne croyait plus , et qu'il n'aurait pu préconiser sans se
condamner lui-même. C'était à l'art chrétien de se donner
un tel livre dont les pages reproduisissent à l'œil de l'intel-
ligence ce que l'œil de la chair ne pouvait pas toujours lire
dans les Prophètes , les Évangélistes et les Docteurs ; et il
l'a fait avec une entente admirable du sens mystique des
sujets sacrés , des besoins du cœur de l'homme et de l'har-
monie nécessaire entre ses monuments de divers styles et
l'iconographie qui leur va le mieux.
Raisons contre Qu'ou uous permette de protester ici de nouveau en fa-
l'éclectisme ar-
chitectural pt ar- veur des vrais principes de l'archéologie chrétienne , et de
tistique dans la ,,,.,,., . . , . .
construction des 1 objct spccial qui uous occupc mamtenant , contre une
Son de ip'urs orne- écolc modcmc qul s'autorise trop de ses idées personnelles
sur le beau d'un système qui transformerait, au détriment
du sentiment chrétien , toutes les règles de l'imagerie mo-
numentale. Il n'est pas rare de rencontrer des hommes et
des livres qui professent une tendance déterminée soit à
l'éclectisme architectural, soit à l'emploi exclusif des formes
modernes du dessin dans l'exécution de notre statuaire
religieuse. Eh bien ! nous le répétons de toutes les convic-
tions de notre amour pour l'art : cette double théorie n'arri-
verait qu'à une impasse où toute notion du moyen âge ca-
thohque se perdrait dans le vague d'un art nouveau, sans
plus de signification chrétienne que celui d'Athènes et de
DÉCORATION SCLLPTIKALK DE i/ÉGLISK. 2^)3
.Memphis. Les arcliitcctes se persuadent vainement qu'ils
exprimeront la pensée de l'Eglise en des leniples mélangés
de toutes les inspirations de leur génie ennuyé. Les sta-
tuaires , et ceux qui les suivent dans les œuvres du crayon
et du pinceau, n'aboutiront qu'à de séduisantes bizarreries,
s'ils veulent donner à leurs personnages le ton et le faire
de notre école des beaux-arts. Les premiers ne réussiront,
après des essais sur lesquels la critique aura peut-être ter-
giyersé quelque temps , qu'à nous donner des Pantliéons
détestables d'ii-régularité et de froideur ; les autres auront
retrouvé , comme nous l'avons vu déjà, le secret d'asseoir
dans une église romane ou gotliique une Vierge aussi belle
que Miverve, un Père éternel qui aspirera à la majesté du
Jupiter Olvmpien. Et cependant la beauté dans l'art est- i/ait doit être
• 1 1 ^ ' • 1 • ?.'n et ne le serait
elle donc si absolue qu elle ne dépende pomt de certanies pas sans un par-
t'ii i fc Êiccord dô
convenances à chercher entre elle et les objets qui l'envi- .^lyie entre le mo-
.- . -, nument et son
ronnent ? Gomme il y a un certain agencement de couleurs imagerie.
({ui les fait mutuellement ressortir, et produit des effets
plus caressants à la vue , n'y a-t-il pas aussi entre mie
statue et le milieu qui la reçoit des relations de style et de
formes générales à consulter avant tout pour la bien placer ?
Soutiendra-t-on , en y réfléchissant bien , que rien d'har-
monique ne doit exister entre les plis de ses vêtements , les
encadrements qui l'enveloppent , et les arcades , les gale-
ries et les moulures qui régnent de toutes parts autour
d'elle dans l'enceinte plus ou moins vaste qu'on lui a des-
tinée? Ce serait méconnaître, pour des objets infiniment
plus dignes , les conditions qu'on exige pour tout ameuble-
ment, qui partout se subordonne au caractère de la pièce
(jui l'embellit. Dès lors , on garnirait forcément une église
romane de meubles gothiques^ sous prétexte que c'est plus
joli; d'autres, trouvant cette qualité au roman, lui donne-
raient la préférence : partant, plus aucune liarmonie dans
les formes ; et tous consacreraient ainsi do déplorables
anomalies nées du caprice de chacun.
imre
nôtre
254 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Les anciens plus Ainsi doiic Ics ancieiis auraient eu tort de distinguer cinq
sages sur ce point . , , ^
que certains artis- ordrcs d arcliitecture telleijient rigoureux dans leurs règles
tes moderiio-f, , n* , / , i i, » i» ,
de proportions que si 1 on se fut égare de 1 un a 1 autre, ce qui
n'eut pas d'exemple, on se fiît réclamé du singulier construc-
teur qui eût donné le premier cette preuve irrécusable d'une
impardonnable ignorance ou d'une hardiesse malheureuse.
On le voit bien par le composite qui, en combinant les élé-
ments des autres pour se créer un tout à soi, n'est parvenu
quoique leurs nio- qu'à fomicr quciquc chose de fort mauvais. Or, qui ne voit,
so™ent'pnvir(?,' à k uioindrc inspection d'une éghse chrétienne, que, dans
'""'^'' dans" les l'architecte qui en a combiné les merveilleuses idées, les
ordres sont avantageusement remplacés par les stijles , et
que la classification qui les distingue en autant d'époques
s'oppose nécessairement, dans l'intérêt de l'unité , qui res-
tera toujours une des premières conditions de l'art , à ce
mélange de proportions incohérentes , de formes inégales
qui ne sont qu'une réelle confusion? Une des plus grandes
beautés de l'architecture catholique, déjà si magnifique dans
les vastes basiliques des onzième et douzième siècles, c'est
d'avoir tendu au grandiose, de s'èti'e élevée à d'immenses hau-
teurs sans manquer jamais à l'unité de plan, défaut auquel les
Grecs et les Romains se voyaient forcés par les proportions
normales de 'leurs colonnes et la superposition de leurs
étages au moyen d'attiques, dont l'effet général étaitde mul-
tipher d'autres monuments les uns sur les autres. Quand
on a un aussi beau système que le nôtre , on se garde bien
de le gâter; on ne fait pas mépris du style jusqu'à en
brouiller les éléments; on s'en tient fidèlement aux données
de chaque époque ; on ne s'essaie pas en de mauvaises ten-
tatives à dresser des monuments, comme nous en voyons
partout s'évertuer depuis trente ans, dans l'unique but de
faire du nouveau en bravant les règles respectées des
hommes sérieux. Le beau génie qu'il faut avoir pour se
heurter ainsi, au hasard et sans aucun succès, à des impos-
sibilités tout à la fois matérielles et morales , démontrées
DÉCORATION SCULPTURALE DE l'ÉGLISE. 2^5
par tant d'exemples, étalées trop nombreuses sous nos yeux
pour confirmer les répugnances et les animadversions des
véritables artistes ! Cette question , avouons-le , se résout
donc presque toujours dans l'inintelligence des architectes;
quand on voudra la ^ider,il ne faudra que mettre en regard
la charmante église de Bon-Secours, près Rouen, due an
talent remarquable de M. Kartliélemy , et la Sainte-Clotilde
de Paris, dont le gotliique est de M. Gaud(l).
Sovons donc aussi en sculpture ce qu'est le style de nos couxci doivent
«j 11'} surtout être orne»
temples, ou byzantin, ou roman, ou ogival, et sachons pré- ;'«=>« i« styie de
i ^ •} ^ 7 0/ j. |p„,. construction.
férer, selon les exigences des lieux, le sérieux ou la grâce,
les formes courtes et ramassées ou hautes et sveltes dans
notre statuaire mystique. Si vous procédez à la restauration
d'une église, la première condition posée n'est-elle pas de
vous conformer strictement, pour les détails à lui rendre,
aux indications données par l'ensemble du monument?
Irez-vous remplacer la belle et grave coupe d'une fenêtre
du douzième siècle par les meneaux grêles, les minces colon-
(1) Qu'où examine encore la cathédrale et le baptistère de Pise, l'Aii-
nonciadede Gêues, et, on France, Saint- Eustache de Paris, Saint-Pierre •
lie Dreux, mais surtout les cathédrales de Luçon et de Bazas, particu-
lièi*cment dans leurs façades, et qu'on nous dise si, vraiment, ce ne sont
pas de fort malheureux témoignages en faveur de ce pot-pourri de
tous les styles implanté à diverses reprises sur un monument qui n'a
plus rien que d'excentrique et de faux? Comparez au contraire toutes
ces anomalies avec la belle cathédrale romano-byzantine de Valence
ou l'abbatiale de Pontiguy, et même avec notre belle cathédrale de la
transition qui fait une des gloires monumentales de Poitiers, et dites-
nous si l'âme n'y est pas autant séduite que le regard par la pureté de
leurs lignes, l'harmonie de leurs détails, qui tous correspondent si ma-
jestueusement à l'ensemble? Pourquoi donc chercher mieux que cela?
pourquoi se fatiguer à faire des livres, à dresser des théories contre
les lois arrêtées et admises jusqu'à nous, au risque de tout renverser
dans les nobles et gracieuses traditions de nos ancêtres? Nous le disons
encore : ces essais, ces prétentions ne réussiront pas; ils n'aboutiront
qu'à prouver que de petits esprits osent souvent se dresser contre le
génie; et les plus sagi;s parmi les artistes seront ceux qui, au lieu
de sacrifier aux idées modernes, resteront simples et fermes dans l'imi-
tation des siècles où le génie sut marier si noblement ses dignes aspi-
rations à celles de la foi.
256 HlSTOlllK DL SYMBOLISMK.
nettes et la tète trilobée d'une baie ogivale, ou par les
jlammes tourmentées du gothique fleuri ? Ainsi , donnez
donc à une statue, à un bas-relief qu'appelle un sanctuaire
du onzième siècle, la pose raide, les draperies sèches et an-
guleuses que nous signalions tout à l'heure. Plus tard, lors
(lu style de transition , yous deviendrez plus élégant, vous
vous dégagerez de cette manière embarrassée pour vous
conformer aux traditions du progrès ; vous arriverez, avec
des formes meilleures^ jusqu'aux magnifiques développe-
ments de l'ère gothique, et partout vous aurez gardé le
grand principe d'unité , vous aurez associé des parties
homogènes; votre éditice aura recouvré son caractère
propre, et rien n'y laissera croire, au détriment de sa
beauté réelle, qu'il s'est produit en plusieurs jets, à des in-
tervalles éloignés, semblables à certains autres dont le plan,
les matériaux , l'appareil , rornementation quelconque
attestent des reprises disgracieuses séparées par des inter-
valles bizarres de plusieurs siècles, reconnaissables à leurs
physionomies diverses et à leurs ridicules désaccords.
Les gargouiller, Uu genrc dc statuaire qui a bien son intérêt, tant par la
nUi^"' '■'"''"* variété de ses formes que par les nombreux symboles
qu'elles expriment, doit être signalé ici : ce sont les gar-
gouilles, dont la projection en sailUe sous les corniches est
un moyen de décoration aussi original qu'il est utile {\).
luette sorte de clieneau, que le style roman réduisait presque
ioujours à un conduit de pierre coupé dans sa plus grande
simplicité , prit de l'époque gothique uhe variété d'ex-
pressions dues aux nombreux symboles qu'on se plut à lui
imposer. Ce fut un champ fort large à l'imagination des
imagiers, qui s'évertua partout à rendre, par leur figure,
(1) Les gargouilles, dontle nom semble un peu arbitrairement formé
d'une onomatopée qui a produit aussi le verbe gargariser, le substan-
tif ^ar^om7/e)7îenf, et même gargarisme et gargouUer, sont effective-
ment_, d'après le docte Huet, une traduction de -^'àpppa et «v-ap-jàpïtv ,
l'une des nombreuses étymoloo;ies que Morin a oubliées dans' son Die-
liommire des mois français dérivés du grec.
DÉCOUATION SCULPTURALE DE l'ÉGLISE. 257
leur attitude et leur fonction même, les tortures de ces dé-
mons dont nous avons parlé déjà et dont nous parlerons
encore. Il est clair que les fonctions qu'on leur a données
autour et aux façades de nos édifices ne sont pas moins
significatives que tous leurs autres détails. Tout en déver-
sant loin des murs les eaux qui ne s'écouleraient pas sans
dommage sur leurs parois et dans leurs fissures , nos
monstres n'ouvrent pas seulement leur l)ouclie toujours
béante pour les cracher ou pour aspirer les mauvais in-
stincts de cet air du monde au milieu duquel ils semblent
vivre. Outre le sens favorable que nous avons vu à l'eau
dans maints endroits de cet ouvrage, nous savons aussi par
les Didinctlons monastiques le sens d'opposition qu'il faut
souvent lui donner selon les passages de la Bible où l'on
parle de cet élément de vie ou de mort , de vertu ou de
péché , de purification ou de souillure , de profit ou de
destruction. Ici , et en rapprochant l'action des eaux de
cette action des monslres qui les déversent, ne voit-on pas
([ue c'est en mauvaise part qu'il faut les prendre ? Nuisibles
aux toitures et à Féconomie générale de féglise, les pluies
doivent s'en écouler, et le Maître qui présida à l'établisse-
ment de cette maison de prières, et sans lequel les travail-
leurs eussent vainement essayé de la bâtir (I), force le dra-
gon infernal ou toute autre bêle qui le représente à s'uti-
liser dans ce but comme les peuples anciens employaient
les esclaves aux œuvres les plus pénibles , comme, dans
l'Eglise primitive, c'étaient les énergumènes qui balayaient
le Lieu saint. L'eau est donc prise, en ce cas, pour la pru-
dence de la chair, pour la sagesse mondaine, pour la doc-
trine folle et erronée des Pharisiens, pour les enseigne-
ments de l'hérésie (2) : toutes choses qu'il faut repousser
(1) « Nisi Dominus œdificaverit domura, in vanum liiboraverunt qui
aediàcant eam. » {Ps., cxxvi^ 1.)
(2) « Aqua spiritualis multiplex est... Kst aqua prudentiae carnis;
unde : Quid tibi cum via ÂigyptiyUt bihas aquam Geon turbidam? »
T. 111. 17
258 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
au loin, et dans lesquelles la pauvre intelligence humaine
risque si souvent de se noyer; aussi l'ennemi des âmes
semble-t-il s'efforcer de les inonder en dehors de l'enceinte
sacrée qu'il déteste. Sous mille figures hideuses, attachées
à la pierre au-dessous des entablements , entre chaque
contrefort, c'est tantôt le monstre hybride, grimaçant de
ses traits humains sur un corps de quadrupède fautastique ;
tantôt un chien, au furieux regard, rejetant quand il pleut
la bave de ses instincts hargneux, aboyant quand il ne
pleut pas. Nous avons exposé ailleurs, avec un soin inspiré
par nos propres observations sur la cathédrale de Poitiers,
le sens identique de ces mômes personnages de l'enfer, mul-
tipliés en gargouilles sous les traits variés du serpent, du
lion et d'autres quadrupèdes réprouvés {\).
Toutes ces faces animées ont donc une signification par-
ticulière qu'il n'y faut pas méconnaître comme l'ont fait
des archéologues de mérite (2), trop facilement entraînés à
des concessions que l'histoire de l'art ne nous semble pas
autoi'iser. Ces respectables écrivains n'ont pas assez distin-
gué le caprice de la forme , qu'il faut leur accorder bien
souvent, de l'idée mère qui dominait leur intention, et
nous préférons le sentiment de M. l'abbé Ricard (3) déve-
loppant le rôle indubitable des démons dans ces mêmes
(Jerem., ii, 18.) — « Est aqua sapientise sœcularis, quse est stultitia
apud Deum : Quid tibi cuni via Assyriorum, ul bibas aquam flumi-
nis?n (Ibid.) — « Doctrina haereticorum : AqusB furtivx dulciores sunt
(Prov., IX, 17), stultis scilicet qui adulationibus hœreticorum delectan-
Lur » — Voir Distinct, monastic, lib. l, xv, De Aqua; ~ Spicileg.
Solesm., III, 454.
(1) Dans notre Histoire de la cathédrale de Poitiers, se trouve
exposé en beaucoup de développements le sens de toutes les gargouilles
de la belle basilique; nous devions en effet nous efforcer d'y faire une
histoire de l'art chrétien aux douzième et treizième siècles, comme il
convient dans un ouvrage de ce genre, où la partie descriptive ne serait
pas comprise si on ne l'accompagnait de notions spéciales sur les idées
qui en furent le type originel (voir t. I, p. 87, 128 et 408).
(2) Voir M. l'abbé Godard, Cours d'archéologie sacrée, t. I, p. 409.
(3) Hevue de Vart chrétien, t. III, p. 66, année 1859.
DÉCORATU» SCULPTURALE DE l'ÉGLISE. 259
œuvres que nous analysions, il y a vingt ans, sous l'impul-
sion de la même pensée. C'est aussi l'opinion des architectes
et des savants les mieux initiés aux mystère? de nos études
esthétiques (I).
C'est prohahlenient en des images hien antérieures à
ces sculptures qu'il faut chercher leur origine quant à leur
application architecturale. Ce même nom de gargouilles fut
donné à des serpents fantastiques ou à d'autres monstres
imaginaires dont la tradition avait (ait le symhole du démon
dans son opposition primitive au Christianisme. En plusieurs
églises, comme à Rouen et à Tarascon, des sculptures d'ani-
maux hyhrides, de serpents volants et d'autres précédaient,
jusqu'à une époque encore peu éloignée de nous, toutes les
processions générales, et souvent même elles y étaient pré-
cédées de la croix, dont elles devenaient le trophée en signe
des victoires remportées enfin sur le paganisme vaincu lors
de l'étahlissement de nos premiers diocèses (2).
Quant à la Statuaire des has-reliefs ou des rondes-hosses, Étude etinteiu
,,. , .. , ,., ,, . 1,./ gence de la petit»
que nous appellerions volontiers la petite statuaire, dcstmee statuaire de» bas-
à se répandre sur les façades ou sur les murs latéraux , soit
en épisodes de la Bible ou de la légende , soit en des modil-
lons séparés , on sait combien il y a là encore d'observation
à exercer et de précaution à se faire. Pour les comprendre,
il faut d'abord s'être exercé à l'étude des Livres sacrés, des
Pères de l'Église , de l'histoire générale, des légendes locales
et des Vies des Saints. La liturgie n'y est-elle pas aussi avec
ses expressions si variées ? La flore symbolique , la zoologie
morale n'y ont-elles pas leur rôle comme dans un vaste
drame où s'exercent toutes les facultés , bonnes et mau-
vaises, de l'âme humaine? Que de pensées, que de souve-
(1) Voir Daly., Revue générale d'architecture, Vil, 206, - et Congrès
scienlifitiue de Bordeaux en 1861, 1. 1; — le P. Cahier, Mélanges d'ar-
chéologie et d'histoire, l, 74 et suiv.
(2) Voir encore notre liisl. de la calhédr, de Poitiers sur la Grand-
Gueule, II, 51, — et ci-dessus, t. II, p. 336.
260 HISTOIRE DV SYMBOLISME.
nirs il faut évoquer, et quels rapprochements ou doit se faire
pour arriver à l'intelligence de ces personnages ! Et que
d'erreurs dans ces interprétations, faute des connaissances
spéciales, toujours indispensables à qui veut traduire cette
langue si riche, si variée et si mystérieuse !
Clefs de voûte. Eutiu, Ics clcfs dc voùtc offrcut cucorc un puissant intérêt
à qui cherche le symbolisme de notre art plastique. Nous ne
parlons pas de celles qui , aux quinzième et seizième siècles,
modelées sur les prétentieux motifs de l'architecture abâ-
tardie , se plièrent trop fidèlement aux caprices d'une trans-
formation malheureuse. Il faut remonter à deux, cents ans
plus haut pour délecter son regard sur de petits chefs-
d'œuvre presque toujours inscrits en des médaillons circu-
laires où s'épanouissent des couronnes de fleurs , où de
petits anges portent tantôt les symboles des souffrances du
Christ, tantôt les vases sacrés de la Communion ; où le Sau-
veur apparaît sur les genoux de sa sainte Mère , où la Co-
lombe divine plane sur l'assemblée des fidèles (i). Là, rien
de moins qu'ailleurs pour nos études , et tout y parle bien
mieux que ces culs-de-lampe prolongés outre mesure, sculp-
tés en spirales , et qui semblent tomber de la voûte , dans
l'unique but d'étonner un spectateur profane ou d'offrir à
ses regards des écussons armoriés. Autant les uns sont dis-
tingués de pensée ingénieusement chrétienne, autant les
autres sont inutiles et vains dans l'accomplissement labo-
rieux de leurs tours de force. Si cela plaît à l'œil, rien n'y
parle à l'âme , et tout y concorde trop bien avec ce bas-
empire de l'art religieux qui s'acheminait à une déchéance
dont il n'est pas encore complètement guéri.
Après avoir parlé dans ce chapitre, en termes généraux,
des conditions essentielles d'une bonne sculpture religieuse,
il nous resterait à exposer beaucoup de détails d'exécution
(1) Voir ce même ouvrage, où nous avons décrit les charmants spé-
cimens de ce genre qu'on pourrait imiter partout avec succès, I, 317:
11,210,
DÉCORATION SCULPTURALE DE LÉGLISE. 26^
qui la rendent pratique, et à compléter la théorie de ses at-
tributs si nombreux. Mais ces principes se rattachent aux
notions d'iconographie générale dont nous devons traiter
bientôt en parlant de la peinture. Arrôtons-nous seulement,
puisque c'est la sculpture seule qui les crée et les dispose ,
à ce qui nous reste à dire de l'ornementation et de l'ameu-
blement d'une église. Le catholicisme, qui a suspendu ses
gargouilles et ses modillons aux portes élevées de nos tem-
ples, ne peut non plus demeurer indifférent à la forme de
ses autels, de ses baptistères, de ses bénitiers et de ses tom-
beaux. Étudions successivement ces intéressants détails do
la vie symbolique du monument chrétien.
CHAPITRE Vil.
(Suite du précédent.)
AUTELS,— TABERNACLES, — BAPTISTÈRES ,
— TOMBEAUX.
Revenons donc sur trois des détails que nous avons sim-
plement esquissés dans le chapitre V, et auxquels une place
a été assignée dans nos églises par des usages toujours
fondés sur des raisons symboliques. Ici, en effet, des no-
tions générales ne peuvent suffire ; il faut que chaque objet
en lui-même nous dévoile ses formes les plus convenables,
les détails mystiques de sa confection, la pensée spiritualistc
qui y préside et que le peuple , les artistes surtout , doivent
y lire pour les comprendre ou les imiter. — Examinons
d'abord ce qui regarde les autels.
Origine de l'au H est dc uotorlété conimunc que, dès le temps des cata-
combes, la célébration du Saint Sacrifice se fit sur le tom-
beau de quelques martyrs; c'est pourquoi nous nous per-
suadons beaucoup que ces auges en marbre , creusées eu
tombeaux, ornées du chrisme et d'autres sculptures sym-
boliques, tels qu'on en voit dans les cryptes de Saint-Surin de
Bordeaux, étaient primitivement des autels taillés à l'image
exacte de beaucoup de tombeaux des catacombes. On peut
s'en convaincre en jetant les yeux sur les belles et intéres-
santes gravures dont Bosio et Aringhi ont orné leur Rome
souterraine, et M. l'abbé Girot son Église de Saint- Surin.
Nécessité (l'y Remarquons aussi que bien ailleurs on choisit poui*
iiiscrGi' des vcli*
ques. autels ces mêmes tombeaux , oii souvent les martyrs repo-
saient encore , et que cet usage leur fut maintenu stric-
tement pendant les trois premiers siècles , si bien que le
Eucharistio.
4MEl'BLEMENT DE F.'ÉGLISE. — AUTELS. 263
pape S. Félix (2G9-27î) en fit une règle absolue {i). De
cette antique et touchante dévotion naquit cette prescrip-
tion liturgique dont nous avons parlé (2), de placer des
reliques de martyrs dans tous les autels , pour que l'hon-
neur insigne qu'on leur avait fait d'abord fût continué au\
serviteurs de Celui qui s'était volontairement sacrifié sur la
Croix. C'est pour cela aussi qu'un autel n'est jamais con-
sacré sans que le Saint Sacrifice n'y soit offert aussitôt. Il y on y a mênu'
placé dos frag-
a plus : c'était une coutume reçue encore du temps de monts de la sainte
Guillaume Durant que si l'on ne pouvait se procurer de
ces reliques lors de la consécration d'un autel , on devait y
suppléer par des fragments du Corps du Sauveur, c'est-à-
dire par des portions d'une hostie consacrée (3). Ceci au-
rait lieu de nous étonner s'il ne s'agissait , dans cette
prescription, des seuls autels fixes, qu'aucun déplacement
ne pouvait exposer à une profanation, et démontre jusqu'à
quel point l'autel s'identifiait dans l'Église avec Jésus-Christ,
dont il est la figure sensible (4). Des monuments anté-
rieurs nous montrent cet usage sous un aspect plus singu-
lier encore. Du temps d'Urbain II, qui siégeait en UOO, on
prenait trois portions de l'Hostie consacrée qu'on enfermait
dans l'autel avec de l'encens, et l'anonyme qui écrivit à
celte époque La Fie des abbés de Marmoutiers raconte que
ce pape en usa ainsi lorsqu'on 1 096 il fit la dédicace de l'église
de ce monastère (5). On voit que déjà, à deux cents ans de
,1) « Conslituit supra memorias martyrum missas celebraii, » dit le
Bréviaire romain , 30 mni, d'après Anastase le Bibliothécaire , Vita
S. Felicis, u» 2.
(2) Ci-dessus, t. 11, sur le ch. vi de l'Apocalypse.
(3) « Sine Sanctorum reliquiis, aut iibi illi haberi non possunt, sine
corpore Chrisli non Ut consecratio altaris fixi. » (Durant. Mimât.,
Ration, div. Offic, f° xviii.)
(i) « Altare signitîcat Chrisluai; sine quo munus nullum acceptabile
j'alri offertur. » {Ihid., v" 5.)
(o) Voir doin Chardon, Uisl. des sacrements, De l'Eucharistie, ch. ix ;
— dom Martenne, De Antiq. Ecoles. Ritib.j t, I, p. 440.— Dans un Sacra-
menlaire de S. Grégoire, écrit avant l'an 986 , se trouve le texte qui
Symbolisme du
xcputcre de l'au-
tel.
264 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
là, on n'avait apporté à cette rubrique qu'une très-légère
modification. Nous ne pouvons découvrir à quelle époque
antérieure au seizième siècle elle a disparu du Pontifical
romain.
Quoi qu'il en soit,c'est par allusion à ces tombeaux sacrés,
que l'autel n'a pas cessé de reproduire par son sens mysti-
que, qu'on a donné le nom de sépulcre à la cavité ménagée
dans la partie antérieure de sa table, et qui reçoit, pour l'y
cacher, la capse où les reliques sont déposées. Ce sépulcre
représente l'urne d'or remplie de la manne céleste que
Moïse avait placée dans l'Arche du témoignage (I) : preuve
de plus entre mille que l'Église retient autant que possible
quelque chose des anciens rites , qui lui semblent le type
divin de la Loi nouvelle.
Autels portatifs. Lc tciups dcs pcrsécutious ne permit pas toujours de cé-
lébrer sur des autels fixes , tels que les Confessions des
catacombes. Il fallait procurer ce plus grand des secours
religieux à des populations réunies ailleurs ; les voyages de
l'apostolat n'impliquaient pas moins la nécessité de trans-
porter la partie essentielle du mol)ilier sacré : de là les
établit formellement cette pratique comme suivie au dixième siècle :
« Id nome Ptris et Fil. et Spûs S^».— Pax tibi. — Respousiorum : Et cum
Spu tuo. — Et ponat très portiones corporis Domini intus , et très de
incenso. Recludantur tune reliquiae , canentes antipham : Exsultabunt
Sancti n gloria. — Psalmus, Laudate Domiuum de cœlis. Antiphâ, Sub
altare Dni sedes accepistis. » — Ce texte, dont le manuscrit est à la Bi-
bliothèque Richelieu, fond Saint-Germain latin, n^ 281 (olim Corhle,
n°587 , f° 13) , a, été reproduit en fac-similé par M. Nat. de Wailly ,
Traité de diplomatique , Il , p. 234 , pi. vi. — Observons qu'il y a long-
temps que cette pratique ne s'usite plus, car le Pontifical romain, édité
pour la première fois an seizième siècle, ne parle que de reliques in-
cluses dans le petit vase à ce destiné, lesquelles sont placées par l'évêque
dans le sépulcre de l'autel, pendant que les clercs chantent les mêmes
antiennes Exsultabunt et Sub altare. — Voir Pontif. roman., p. 409 et
suiv.
(1) « Secundum Tabernaculum..., habens... arcam Testament!..., in
qua... urna aurea habens manna. » (Hebr., ix, 4.)— « Sepulcrum vero,
siveforamen in quo reliquiae recondi debent, significat urnam auream
plenam manna quae in arca Testimonii posita erat.» (Durant,, Balion.:
mihi, f" xviii.)
AMEIBLKMENT DE l'ÉGLISE. — AUTELS. 265
autels portatifs, consistant le plus souvent en une sorte de
stèle en bois, ou en une pierre étroite : superaltarc , altare
viaticum, et quelquefois en une plaque de métal précieux
appelée propitiatoire , et dont s'accompagnait le prêtre,
aussi bien (rue du calice indispensable. Ce n'est pas qu'on commpnt on y
*■ supplée quclque-
n'eùt trouvé d'abord un moyen plus simple et surtout plus fois.
toucliant, car on avait ^ u des Évéques et des Prêtres réduits
à n'offrir les Saints Mystères que dans une solitude écartée,
poser le calice et le pain sur les mains ouvertes d'un Diacre,
et consommer ainsi sur un autel vivant le sacrifice auquel
ils étaient peut-être eux-mêmes réservés. Mais c'était le
temps où d'autres, non moins saintement inspirés, pre-
naient pour table sacrée, dans une prison où ils attendaient
le martyre, la poitrine nue d'un Confesseur étendu sur le
sol, et dont des ceps retenaient les pieds et les mains [\ ).
Mais ces remarquables exceptions prouvaient que les '"'^ ^"t«^« ^'^}-
1 Al ' vont être de
règles n'étaient pas encore absolument établies, et tout v'^"^-
d'abord on avait du se servir d'autels de bois, les Apôtres
ayant certainement consacré, connue Notre-Seigneur lui-
même, sur une table imitée de celle du Cénacle. On voit
encore dans l'église de Latran,àRome, l'autel dont S. Pierre
s'était servi ; et nul autre que le Souverain Pontife en per-
sonne n'y peut célébrer , depuis le pape S. Sylvestre, qui
l'ordonna ainsi. Mais depuis ce temps aussi, et par ordre du
même Pape, la liberté rendue à l'Église demandant une
matière plus solide et qui restât perpétuellement à l'abri
des injures de l'âge et des accidents, les autels ne purent
être consacrés qu'autant qu'ils seraient de pierre : c'est ainsi
que l'autel primitif ordonné par Dieu à Moïse, tout en se fai-
sant de bois pour la plus grande commodité du transport ,
devait être de bois desétliim, par cela même incorruptible,
ce qui rapprocbe, dans l'intention du divin législateur, l'idée*
antique de la nouvelle f2). Ce même Pape institua aussi les
(1) Voir Surius, AcL S. St'phani, die 2 aug.
(2) « Faciès et altare de lignis sethim. » {Kxod., xxvii, 1.) — Voir en-
266 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
cérémonies de la consécration des églises et des autels, dont
il usa pour la première fois lors de la dédicace de Saint-
Jean de Latran (i). Le droit canonique a plus d'une fois
renouvelé cette prescription ; les autels portatifs eux-mêmes
ne doivent plus être que de pierre, ou de marbre, ou d'ar-
doise. Une petite cavité ménagée à leur intérieur doit con-
tenir les mêmes reliques voulues pour les grands autels, et,
comme pour ceux-ci, c'est toujours l'Évêque seul qui en
peut faire la consécration (2) . Il faut même que la pierre
soit une et d'un seul morceau, afin de rappeler la base so-
lide de l'unité de l'Église, son inébranlable résistance aux
puissances du monde et de l'enfer, et sa perfection enfin
qui ne la laissera jamais diviser par les schismes et les héré-
sies (3) . Il est bien clair ici que ces significations symboliques
l'emportent dans l'esprit de l'Église sur toute autre consi-
dération, puisque la pierre consacrée ne peut servir qu'au-
core Durant sur ce texte , Lie altaris Consecrat.; mihi, f» xviii. —
Pierre de Riga donne une autre raison également symbolique :
De lignis altare sethim contexitur ; inde
Collige quod justis vita perennis erit.
(Aurora.^ in Exod., v. 1.439.)
(1) « lUtus quos in consecrandis ecclesiis romana servat Ecclesia,
beatus Sylvester papaprimus instituit. Nam, etsi jam ab Apostolorum
lemporeloca fuerantDeo dicata quaea quibusdam oratoria, ab aliis ec-
clesise dicebautur.,., non tamen ea adeo solemni ritu consecrabantur,
nec in eis adhuc in titulum erectum erat altare, quod chrismate deli-
butum, Domini nostri Jesu Christi, qui altare, hostia et sacerdos noster
est, figuram exprimerez. . — Beatus Sylvester postea in consecratione
altaris principis Apostolorum decrevit ut deinceps nisi ex lapide altaria
aedificarentur. » — Voir la curieuse légende des trois leçons du 2^ noc-
turne de la Dédicace de la basilique du Saint-Sauveur, Breviar. Rom.,
IX novemb,; — voir aussi Roma &ubterranea,i. \, p. 234 ; lib. il, cap. vi,
n°8.)
(2) « Altaria, si non fuerint lapides, chrismatis unctione non conse-
crentur. » (Cap. xxxi, De Consecrat., dist. i.)— « Lapis enim Cbristum
siguificat, » dit S. Thomas, sent, iv , dist, xiii , quaest. 1 , cap. il.) —
<< Altaria placuit non solum unctione chrismatis, sed etiam sacerdo-
tali (episcopali) benedictione sacrari. » (Can. xxxi , J[)e Consecrat..
dist. I.)
(3) Durant, Béleth, et les autres rubricaires.
AMEUBLEMENT DE LÉGLISE. — AUTELS. 267
tant qu'elle demeure entière, et que si les reliques s'en
étaient perdues, elle deviendrait également incapable de
son emploi. La multiplicité des autels dans une même
église, nécessitée depuis longtemps par les variantes appor-
tées dans le culte, a fait autoriser ces pierres de petites
dimensions encadrées dans la table supérieure d'un autel,
même de bois, qu'on tolère moyennant cette condition
essentielle; car le véritable autel est toujours cette portion
principale sur laquelle reposent le Corps et le Sang de la
sainte Victime. Le principe est dès lors observé : la pierre
est toujours là pour symboliser Jésus-Christ ; aussi la dédi-
cace en est faite sous les mêmes rites essentiels que celle
des autels fixes, quoique avec une moindre solennité.
Cette dédicace, intimement liée, nous l'avons dit, à celle , symbolisme de
' • ' ' leur consécration;
de l'Église, est, comme celle-ci, pleine d'enseignements sym-
boliques : tout s'y rapporte au Sauveur, dont il semble que
le Corps sacré soit réellement honoré par tous les détails de
la liturgie. La matière est purifiée par quatre choses très-
clficaces contre le démon : l'eau, qui signifie l'effusion des
saintes larmes dans la prière ; le vin, qui représente la joie
spirituelle; le sel, qui est la discrétion de la conduite
chrétienne, et la cendre l'humilité de la pénitence (\)\ les
encensements le parfument , les onctions du chrême lui
impriment la royauté du Christ et rappellent cette pierre
mystérieuse que Jacob inonda à Béthel de l'huile prophé-
tique qui en fit un monument sacré (2) ; les chants, les
oraisons, les signes de croix se multiplient : en tout, partout,
'ly « Circaaquae benediôtiouem uolainiuuj estquod hujiismodi aquae
exorcisatio fit ad efîugaudiim inde iniuiicum..., quouiam quatuor sunl
qui iniaiicum expellunt: lacrymarum effusio, quae per aquam ; spiri-
tualis ex.>nltatiOj per vinum; uaturalis discretio, per sal ; cinis, pœni-
tentiîc liiimilitas. » (Durant. Miniat., et les autres liturgistes.)
(2) « Jacob tulit lapidem... et crevit in titulum, fundens oleum de-
super..., appellavitque noinen urbis Bethel (doraus Dei). » (Gen .
xxviii , 18.) — Voir ces belles et majestueuses cérémonies dans le
Pontifical romain, part. FI, De eccl^six... et allaris consecratione.
268 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
les allusions aux souvenirs bibliques, à la mission de l'Église,
à l'immolation de l'Agneau sans tacbe.
]eur multiplicité, Jusqu'à la fiu du cinouième siècle, les ésrlises n'avaient
après le cinquième ^ ^ ' o
siècle, dans une généralement qu'un autel. On v voyait un signe d'unité, et
même église. ^ ' j d o 7
d'ailleurs on sentait moins le besoin d'en avoir plusieurs lors-
qu'on n'avait chaque jour qu'une messe dans chaque église,
comme il est encore d'usage en Orient. Mais dès le siècle
suivant, la multiphcité des messes, soit dans les monastères,
soit dans les grandes paroisses, appela celle des autels. Ma-
billon nous apprend qu'à Saint-Germain-des-Prés, consacré
en 358 , le roi Ghildebert en fit placer quatre, dont le plus
grand était d'une riche magnificence. Avant lui, Constantin
avait doté de sept autels d'argent l'église de Saint-Jean de
Latran, à laquelle il avait travaillé de ses propres mains (4).
Au douzième siècle , les autels secondaires furent placés
surtout dans les chapelles rayonnant autour de l'abside.
La dévotion aux saints et aux reliques entra pour beaucoup
aussi dans cette nouveauté , car elle coïncide avec les nom-
breuses translations d'objets précieux rapportés des pèle-
rinages de la Terre Sainte. Mais l'autel principal , l'autel
majeur, fut toujours le plus vénéré : c'est lui , en effet , qui
forme le point central du temple ; vers lui se rapportent
Symbolisme de les adoratious du cœur et ses pieux hommages. Il n'v a pas
leurs parements. . i t. « x
jusqu à ses parements qui ne soient pleins de significations
spirituelles. Les trois nappes qui en recouvrent la pierre et
la préservent des immondices et de la poussière doivent
être en nombre triple, pour parer aux inconvénients d'une
effusion accidentelle du Précieux Sang; mais surtout elles
doivent être de toile de fil , à l'exclusion du coton ou
autre matière , comme elles furent dès le commencement ,
parce qu'elles rappellent le linge très-pur dans lequel
(1) Mabillon, Acia ord. Sancti Bened., I, 201.— Eusèbe et Anastase le
Bibliothécaire j Vita Constant. — L'abbé Texier , Dictionn. (Vorfévr..
v AUTFX.
AMEL'BLEMENT DE LÉGLISE. — AUTELS. 209
.losepli (rArimatliie oiisevelit le corps du Seigneur (1). Le
lui est d'ailleuis, dans l'Écriture, le symbole de la pureté du
corps et de l'âme (2) : c'est aussi pourquoi il est prescrit
exclusivement dans les usages du Saint Sacrifice et dans
certains des vêtements sacerdotaux.
La pierre, indispensable comme matière, n'exclut pas i^îchesse des^u-
i ' i '1 tels au moyen âge;
cependant l'emploi d'autres substances comme accessoires
ou ornements. Le moyen âge ne pouvait négliger, sur ce
point , d'appeler l'art au secours du culte et d'y prodiguer
toutes les ricliesses dont un objet aussi important semblait
susceptible; mais la pierre n'en formait pas moins le fond,
et c'était alors un massif de maçonnerie sur lequel régnait
toute la table, et qu'on couvrait de toutes parts d'un revê-
tement d'or ou d'argent , de bronze ou de cuivre , auquel
s'appli(iuaicnt des plaques d'émail, des ornements de verro-
terie ou de mosaïque , et môme des pierres précieuses. Tel
était déjà, dès le quatrième siècle, la magnificence déployée
par Constantin pour l'autel de Sainte-Sophie , dont les au-
teurs byzantins nous ont laissé d'admirables descriptions (3j .
D'autres, en grand nombre, et qui nous restent encore en leur simplicité
,.,,,,,. , , » . , ,, • plus habituelle.
une loule d églises, attestent que la même richesse n était pas
possible partout. Mais dans leur simphcité, que dérobaient
certainement aux regards des parures que le temps leur a
enlevées , le symbolisme sévère des pierres cimentées que
surmontait leur table monolithe se relevait encore d'un ca-
ractère qui nous les rend toujours aussi respectables , en
(1) « Accepto corpore, Joseph involvit illud in sindone munda. »
{Mullk., xxvii, o9.)
(2; Ce qui indique dans la femme forte des Proverbes (QuâBsivit la-
nam et linum, el operala est [xxii, 13]) les deux qualités essentielles
d'une épouse : la foi , figurée par la laine , comme nous l'avons vu , et
l'intiolable pureté des mœurs. — Voir CiavU S. Melit., ap. Pitra, III ,
132 et 403.
(3) Voir Paul le Silenciaire , chroniqueur grec du sixième siècle,
commenté par Ducange, Descript. Constantinop. chrislian^e, lib. III,
û" li! ; — et Cedrenus, contemporain de Jiislinicn an ^^ixième siècle
dans son poème grec de L Église Sainlc-Sophie.
270 HISTOIRE l)i: SYMBOLISMK.
dépit de leur nudité. Sur la tranche de cette table, et par-
fois aussi sur les pilastres qui en ornaient les angles anté-
rieurs, se lisaient des inscriptions votives ou historiques par
lesquelles nous savons maintenant et l'âge de ces petits
monuments et leur vocable primitif. Notre belle basilique
poitevine de Saint-Savin (Vienne) est riche de ces pieux
souvenirs, qu'on retrouve aussi tout à fait identiques dans
l'abside de l'ancienne abbatiale de Saint-Denis , et un autre
non moins curieux fut découvert, en 184^ , dans une chapelle
ruinée de la ville de Vienne, en Daupliiné (1). D'autres fois
ces inscriptions étaient symboliques, ou bien de simples sen-
tences relatives aux saints mystères, et, au lieu d'être sur le
bord courant de l'autel, elles se distribuaient sur le devant,
sur les côtés, ou sur la base courante qui supportait la masse
totale. On peut lire ce que tous les archéologues ont écrit
en ce sens du célèbre autel d'or que l'empereur S. Henri
donna, vers 1020 (2), à l'église du Mont-Gassin, et qui est
aujourd'hui au musée de Gluny.
Celui de Mazf (ju îour, uous découvrîmcs dans une petite église rurale
rolles,en Poitou. t ■. / % i i •
de notre diocèse (3j un autel de pierre encore appliqué au
fond de l'étroite abside où, sans doute, il avait toujours été.
Cette abside était depuis longtemps cachée par un de ces re-
tables que le dix-septième siècle se plut à interposer si fré-
quemment entre le chœur et le sanctuaire , au grand dom-
mage de ce dernier, qui s'en rétrécit d'autant plus, et afin de
(1) Dessiné dans le Ballet, monum., VII, 615.
(2) CeUe description se trouve dans le Cours d'antiquités monumen-
tales, par M. de Caumont, VI, 14 et 151. — Lettre de M. l'abbé Cros-
nier dans les Annal, archéolog., III, 359, et IV, 245. — S'il fallait dis-
cuter le sens que le docte écrivain donne aux deux vers grecs-latins
qu'on lit sur cet autel , nous exposerions notre pensée, qui n'est pas
tout à fait la sienne, sur le mot grec oùoîaç et sur l'attribution qu'on
fait de la première interprétation à Mgf Cousseau , évêqiie d'Angou-
lême. — Voir encore une disser talion du colonel Theubet, in-S» ; —
enfin l'abbé Texier, Dictionn. d'orfévr., col. 199 et suiv., où ce beau et
regrettable meuble est décrit avec soin dans tous ses détails.
(3) A Mazerolles, près Lussac-les-Cbâteaux (Vienne).
AMEUBLEMENT DE l/ÉGLISE. — AUTELS. 271
se ménager une sacristie à peine suffisante , et qui dérobe
ainsi aux regards ce que l'intérieur sacré aNait de plus sym-
bolique et de plus curieux. Quoi qu'il en soit, notre petit autel
me parut être au moins du neuvième siècle, et certainement
n'est pas postérieur à cette épot{ue ; il pourrait même re-
monter beaucoup plus haut si l'on se rapporte à la fondation
du petit monastère qui était du sixième, et aux formes extrê-
mement élémentaires de l'objet. Il consiste en une simple
table de pierre de cinq à six centimètres d'épaisseur, longue
d'un mètre au plus, encastrée dans le chevet oriental par sa
partie postérieure , et posée sur deux colonnes placées
quelque peu en arrière du bord antérieur. Ce rare et curieux
petit monument est d'un grand prix , car il témoigne de
l'usage le plus ancien et d'un temps où les rites du Saint
Sacrifice n'avaient pas reçu encore les développements que
nous leur voyons depuis plusieurs siècles.
Il est à observer que ceux qu'on retrouve ainsi sont con- ^« remploi du
^ ^ marbre ,
stamment, et sans exception, de pierre plus ou moins polie,
mais prise dans les carrières du pays. Plus tard , le luxe
artisti(jue apporté à l'œuvre des églises depuis le onzième
siècle lit employer pour les autels, comme pour les pavés et
autres ornements , les marbres de couleurs variées , qui ,
alors , étaient fort communs en France. Mais dès le dou-
zième, et au treizième surtout, les carrières vinrent à n'y
plus suffire, et la pierre de liais, au grain délicat et poli ,
prêta ses surfaces élégantes au ciseau du sculpteur et aux
couleurs symboliques du peintre. .\ous avons donc à peine
un regret à donner au changement que nous signalons. Le p^'i arantageux
. " à roffpt ariistique.
marbre , aussi froid au regard qu au toucher, ne souffre
pas la peinture, et le plus habile ciseau ne lui donne qu'un
relief toujours insuffisant, dans lequel les ombres n'ont
qu'un nMe trop secondaire et presque nul d'effet et de pers-
pective. C'est aux autels portatifs , à ces pierres sacrées m&u très-eonve-
destinées aux voyages et aux églises momdres qu il faut portatifs.
laisser une telle matière , fort convenable par son poli et
272 HISTOIRE l)V SYMBOLISME.
sa dureté, et que, d'ailleurs, une règle expresse prescrit d'en-
\ elopper d'une toile sous laquelle on l'abrite contre les mains
profanes et les accidents. On a de nombreuses mentions, dans
les inventaires du onzième au seizième siècle , de pierres
sacrées en jaspe , en porpliyre et en marbres de diverses
couleurs , encadrées dans des châssis d'or ou d'argent (1).
Il n'est même pas sans exemple qu'en leur lieu et place on
se soit servi parfois de véritables boîtes d'or ou d'argent ,
enrichies de gravures , de gemmes et d'émaux , dans les-
quelles se renfermaient les reliques, et qui servaient d'au-
tels portatifs en les encastrant dans une table improvisée
au besoin (2). Mais nous dissuaderons toujours d'employer
le marbre, fût-il le plus magnifique, aux autels de quelque
importance : encore une fois, il est trop rebelle à toute dé-
coration, par conséquent à tout sentiment artistique. Toute-
fois, pour suppléer absolument à cette espèce de nuUité, nous
ne voyons guère que le mélange des marbres et des pierres
précieuses aux couleurs diverses , réalisant pour l'œil des
mosaïques distribuées en compartiments , en y encadrant
des sujets dont la science symbohque et le bon goût inspi-
reraient le nombre et le choix. Mais quelles dépenses , et
que de déceptions maintes fois sur l'exécution de telles
œuvres , qui ne sont assez ni de notre temps ni de notre
pays!
Autels en orfé- L'orfévrcrlc réussirait mieux à nous donner de riches
fiance ' de'^^qS- autcls , mals cucorc faudrait-il que les architectes , qui
époque ^""^"^ veulent absolument s'en mêler sans connaître les plus
minces éléments de la matière, se fissent un devoir d'en
étudier l'esprit et le sens. Ils nous préserveraient dès lors
de ces coffres insignifiants, brillants d'une dorure plus ou
(1) Voir, comme spécimen donnant une idée complète de ces mar-
bres et du luxe d'ornementation qui les décore, l'autel du trésor de
Conques des onzième et douzième siècles, Annal, archéolog., VIII, 77.
(2) Voir l'abbé Texier , Dictionn. d'orfévr. , v» autel, col. 208 et
iuiv.
AMF.UBLKMENT DE L'ÉGLISE. — AUTELS. 273
moins solide , guillocliés d'estampages symétriques d'un
dessin pauvre et monotone , où quelques fleurs sans idée
se distribuent sans plus de conception que de bonheur,
jurent aux yeux, ne disent rien à rànic, et dont l'ensemble,
en un mot , n'offre, à quelques pas, que le spectacle inerte
d'une masse jaune dépourvue de toute impression reli-
gieuse, et perdant chaque jour, sous une couche de plus
épaisse poussière, l'éphémère éclat de sa trompeuse beauté.
En dehors de ces merveilles inabordables au plus grand inspirations plus
' . heureuses a sui-
nombre des égUses , nous pouvons trouver des somptuosités vre.
(jui , pour être moins chères , n'en seront pas moins élo-
(luentes. Ce que l'art moderne a pu faire depuis vingt ans
au moyen du sculpteur et du peintre a réalisé , pour cer-
tains sanctuaires , des plans qui méritent l'attention et
rappellent aux solides pensées de la foi. Partout on ren-
contre aujourd'hui des dessins et des hthochromies dont
l'effet, en reproduisant les sujets du moyen âge, en reflète
l'idée symbolique, et rattache à l'autel les plus douces et
les plus graves pensées de la religion.
La sculpture, considérée comme moyen d'ornementa- conditions sym-
I ^ «^ bohquos.
tion , est, aussi bien que tous les autres genres de décora-
tion qu'on y doit employer, d'une haute importance dans
l'art chrétien, et il faut nous y arrêter, le symbolisme n'ayant
jamais été plus nécessaire ni plus convenablement admis
(jue dans l'exécution d'un pareil objet , le plus nécessaire
de toute la liturgie , et tous les jours mis en contact avec
le Dieu même de l'Eucharistie. Supposé donc, et tout
d'abord, le choix attentif d'une bonne pierre de liais, d'un
grain On et serré, d'autant moins accessible à l'action
de l'humidité et de l'air, cherchons à la décorer avec plus
ou moins de richesse , mais toujours sous l'inspiration des
symboles chrétiens. Combien ces symboles sont nombreux,
et quelles inlinies ressources ils ont offertes aux mains
iiabiles de nos vieux dessinateurs! Les Livres saints, tra- variété infinie
. . - des motifs esthé-
duits en ciselures ou en saillies; 1 Apocalypse, surtout, avec tiquea à sculpter
T. Ml. i8
274 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
ou à peindre sur ges allusioDS si claires au Fils de Dieu et aux promesses
unaulel.
éternelles; les Pères, avec leur génie iconographique ,
exposant en mille commentaires les vérités dogmatiques et
morales ; les Saints, dans les principaux traits de leur admi-
rable vie ; l'auguste Mère du Christ, les Apôtres , le Tétra-
morphe; enfin les emblèmes innombrables de l'Eucharistie,
ne sont-ils pas autant de sources inépuisables auxquelles ont
été faits d'heureux emprunts, et qui nous prêteront généra-
lement ou des imitations toujours heureuses , ou des com-
binaisons nouvelles que l'étude et l'intelligence ne man-
où en puiser les querout pas dc s'approprier? Le champ de l'imagerie reli-
bonnes données? '- ^ ii i i u
gieuse est si vaste chez nous , que partout il peut offrir à
l'artiste des motifs très-adaptables à nos autels. Les verrières,
les miniatures, les fresques ne sont-elles pas autant de sur-
faces à consulter , et qui se prêteront toujours , soit tout
entières , soit partiellement, au besoin de nos décorations
symboliques? N'avons-nous pas aussi ces sarcophages si pré-
cieux des premiers jours du Christianisme , dont les côtés
sont chargés de faits historiques fouillés dans le marbre ,
et tous se rapportant à quelques-uns des mystères évangé-
liques rapprochés des faits parallèles de l'ancienne Loi ?
l'adoration des Mages , Zachée regardant le Sauveur lors
de son entrée à Jérusalem , le Christ donnant sa mission
aux Apôtres , Daniel au milieu des lions , Moïse tirant du
rocher les eaux d'Oreb , l'aveugle guéri , les pains mul-
tipliés , Madeleine absoute dans sa pénitence, Jonas délivré
de la baleine , Abel offrant un sacrifice , la Samaritaine
écoutant le Prophète qui fui dit tout{\). Bien souvent, au
lieu de ce luxe des Saints ou des riches du monde, ce sont
de simples monogrammes du Christ, des palmes, des cou-
ronnes, des croix, des colombes portant au bec l'olivier
de la paix éternelle. Quels trésors pour les artistes ! etcom-
(1) « Venite et videte hominem qui dixit mihi omnia quaecumque
feci; numquid ipse est Christus? » {Joan,, iv,29.)
AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. — AUTELS. 275
ment s'étonner que ceux du moyen Tige soient devenus si
léconds, lorsqu'ils avaient de telles inspirations et de si
beaux modèles !
C'est encore au douzième siècle qu'il faudra emprunter Beaux modèles
* à choisir dans le
les éloquents motifs que réclament nos sanctuaires pour les moyen âge-,
églises romanes, dont le style s'y marie si complètement. A
celte époque favorite de l'art symbolistique, on voit tantôt
rélégance unie à la simplicité , tantôt la prodigalité des
ornements jointe à la profondeur du sens allégorique.
Toutes les ressources de la science se déploient dans des
arcades savamment élaborées, et la plus séduisante har-
monie se fait admirer dans l'agencement calculé de ces
détails , où l'iiabileté du sculpteur seconde parfaitement
les plus belles lignes architecturales. La charmante éghse
de Saint-Germer (Calvados) possède un autel cubique de
son époque dont la table, ornée d'une élégante et épaisse
moulure , repose sur une suite de quatre arcades cintrées , .
séparées par des palmettes doubles qui se posent perpen-
diculairement, et supportées par cinq colonnes à bases
attiques dont les chapiteaux se composent uniquement de
deux ou trois feuilles grasses d'un effet très-simple , mais
parfaitement d'accord avec le style grave et sévère du tout.
Cette sévérité est encore relevée par le fond de l'arcature ,
qui est plein et sans nulle ornementation aujourd'hui vi-
sible. Mais qu'on se représente ce beau meuble , imposant y . appuquer i»
comme masse , et si énei'gique dans son expression géné-
rale , qu'on se le représente , disons-nous , paré de tout
ce que l'or et les couleurs peuvent ajouter à la pierre
trop nue par elle-même , et qui réclame toujours cette
parure ; qu'on remplisse par des gemmes les petites mou-
lures creuses des archivoltes ; qu'on jette la verdure sur
ces feuilles palmées qui s'élèvent dans leurs intervalles ;
dorez les corbeilles et les bases en revotant les tailloirs et
les piédestaux de teintes plus sombres qui les fassent res-
sortir ; couvrez les lïits de jaspes , de porphyres , ou de
27G HISTOIRE DU SYMBOLISME.
marqueteries , ou d'émaux ; ornez les fonds plats de quel-
ques statuettes , ou de fleurs symboliques , ou de tous
autres emblèmes qui y ressortent d'accord avec l'idée
mère et la destination de cet autel, et nous doutons que,
même dans une cathédrale, on l'accuse d'un rôle trop in-
férieur. A Saint-Florent-des-Bois, en Vendée , nous l'avons
fait exécuter en bois sur de plus grandes proportions, et sa
forme générale y répond parfaitement , aussi bien que ses
décors, aux dimensions de lédifice et au digne objet de
sa destination.
A Avenas (Saône-et-Loire) , un cadre à peu près le même,
sauf la division en arcades, offre un sujet d'ornementation
plus riche et plus généralement adopté. Le Christ en occupe
tout le milieu, assis et bénissant, sur un tronc que circonscrit
un nimbe elhptique , et flanqué aux quatre côtés de l'un
des animaux du Tétramorphe; puis, sur deux lignes qui
se partagent horizontalement tout l'espace , à droite et à
gauche de ce grand médaillon , les douze Apôtres accom-
pagnent le divin Maître , assis comme lui, trois par trois {\),
dans chacun des quatre compartiments. Faites encore re-
vivre tout cela au moyen de la coloriation que le moyen
âge lui avait certainement donnée , et vous avez un mo-
dèle de plus à imiter.
Des retables; Au treizième et au quatorzième siècle, l'époque gothique
fit naître et maintint les retables pour les autels qui
n'avaient pas cessé d'être appliqués au fond de l'abside:
c'était un moyen d'ornementation dont on profita avec
une profusion étonnante, que le seizième siècle surtout dé-
y bien observer vcloppa puissammcut. Lcs modèlcs ne manquent pas en
théologiques. cc gcurc ; il faut seulement se méfier, surtout quant à
cette dernière époque, dite de la Renaissance, du laisser-
aller des artistes qui abandonnent la tradition , mêlent
leurs idées personnelles à celles des grands esthétiques du
(1) « Sedebitis et vos. » (Mnllh., xix, 28.)
AiMEUBLEMENT DE 'L'ÉGLISE. — AUTELS. 277
moyen âge, et déraiif^ent, avec l'ordre naturel des idées, le
sens si rationnel puisé par nos pères dans une plus pure
théologie. Citons pour exemple la donnée si connue de
l'arbre de Jessé. On en voit une gracieuse e\écution à la observation sur
un retable de
chapelle Sainte-Anne, dans l'église Xotre-Dame de Poitiers. Jessé, à Notrc-
^ . ' Dame de Poitiers.
liCrtainemcnt l'idée est fort gracieuse d'avoir choisi ce motif
pour ornementer l'autel consacré sous le vocable de la mère
de la Sainte Vierge. Rien de plus heureux, en pareil cas, que
cette tradition de famille exaltant l'efflorescence de la sainte
lignée du Fils de David. Mais une grosse faute est là , mal-
heureusement, diminuant la dignité de la conception artis-
tique et rabaissant l'effet principal que le même sujet pro-
duit mieux partout ailleurs. Pourquoi le sculpteur a-t-il pré-
féré aux autres modèles si nombreux celui où je ne sais quel
précurseur de Raphaël et de Michel-Ange, au lieu de
faire partir la racine symbolique du cœur de Jessé, la fait
sortir de ses reins, an grand détriment d'une pensée élevée
et chaste , et au profit d'une idée par trop naturelle et
toujours prise en mauvaise part (l)?La beauté générale
d'une telle composition n'est pas le seul mérite qu'il lui
faille : elle perd tout son charme sans la pensée intime qui
doit en dicter la donnée spirituelle, et, n'eussions-nous que
(l) Voyez, en effet, comme à cet égard le symbolisme s'est exprimé
clairement. Ne dirait-on pas que c'est relativement au point qui nous
occupe ici que le Psaliniste aurait chanté: Kruclavil cor vieum Verbum
bonum? {Ps., xliv, 2.) — S. Méliton l'a pensé , quand il ajoute : Co7\
secretum divinx generatvviis [Clavis, cap. v, De Homine, n» xl); et
Pierre de Capoue adopte fort bien et développe dans notre sens cette
interprétation {Spicileg. Solesm., U, lxxv). — Au contraire, les reins
sont le siège de la luxure et des passions ch irnelles : « Renés, carnalis
deiectatio, » dit ce méuie S. Méliton iibicL, n"* xlvii et suiv.). D'après le
Psalmiste: Ure rcn^s meos (ps. xxv, 2); « Renés mei comrautati sunt »
fps. Lxxii, 11); et Jérémie (xvr, 10): R>mes veslrus accingite. — Théo-
«lulphe d'Orléans dit aussi : w Lumbi, luxuria. » — Voir idem Spicileg.,
Il, 2')8. — N'esl-il pas évideut (jue l'artiste ((ui traite Jessé comme nous
venons de le voir s'est éloigné par troj» des véritables notions conve-
nables à une image du saint Patriarche, dont le sang fut la source du
sang très-pur du Sauveur et de ses parents selon la chair?
278 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
cet exemple à citer contre l'insuffisance des notions fonda-
mentales d'esthétique dans certains artistes , on compren-
drait parfaitement quel soin on doit prendre, pour mériter
ce titre , de méditer le fond des choses , et de ne pas s'ar-
rêter aux conditions matérielles du beau visible, au risque
de négliger l'âme pour le corps (i).
C'est dans le midi de la France , et en Belgique surtout ,
que l'art gothique a laissé un plus grand nombre de ses reta-
bles, vraiment attachants par la fécondité de leurs images
et le symbohsme de leur conception. Les dessins en sont
partout répandus, et il sera facile de leur emprunter pour
les travaux modernes des idées qu'on peut modifier à l'in-
fini , pourvu qu'on s'y attache strictement aux principes
de l'archéologie chrétienne qu'on y aura observés , ou qu'on
en rectifie les erreurs si quelques fautes étaient venues s'y
mêler à d'heureuses inspirations.
Les autels du moyen âge s'étaient fait et conservèrent
^^^'^- encore, jusqu'à la fin du seizième siècle, d'ingénieuses
(1) Nous venons de décrire une planche d'un de ces livres nouveaux
où le luxe de l'impression et des gravures brille presque toujours à
côté d'une érudition plus qu'équivoque et dont les éditeurs n'ont pas
tant de souci que de ce qui peut se vendre en séduisant le regard. Pour
prouver d'autant mieux sa haute intelligence du sujet, le savant re-
nommé qui s'était chargé d'expliquer cette planche n'y a vu qu'un
songe royal dans lequel le Psalmiste endormi écoute un concert cé-
leste !... C'est M. Paul Lacroix, autrement dit le bibliophile Jacob, qui
nous raconte cela au bas d'une gravure qu'il n'a pas comprise puisqu'il
y prend Jessé pour David, et toute la suite des rois de Juda, échelonnée
sur les rameaux de la tige symbolique, pour des musiciens célestes
charmant les loisirs du prétendu roi. Et voilà un livre (d'étrennes l)
qui, sous le- titre spécieux des Arts an moyen âge, « est destiné, » si
l'on en croit le prospectus, « à vulgariser des connaissances aussi utiles
qu'agréables , et restées trop longtemps du domaine exclusif des éru-
dits... » — Au reste , c'est le quinzième siècle qu'il faut accuser de ce
renversement des véritables idées. On peut voir dans Didron {Annal.
archéoL, VIll , 275) une fenêtre anglaise de cette époque où l'arbre
semble aussi s'échapper des relias du patriarche endormi. De grâce,
qu'on se garde bien de se régler d'après ces pauvres exemples que notre
savant archéologue n'indique, au reste, que pour en faire éclater la
bizarrerie et l'inconvenance.
Parements et
antipendiuvi mo-
AMEUBLEMENT DE l/ÉGLISE. — TABERNACLES. 279
ressources pour varier leur parure symbolique. On les ha-
billait , pour conserver ici l'expression des anciens temps ,
c'est-à-dire qu'on changeait à volonté l'ornementation de
la partie antérieure en cachant à volonté cette môme partie
au moyen de devants mobiles de soie, de tapisseries d'étoffes
quelconques où la broderie et même la peinture multi-
pliaient à l'envi des sujets fort remarquahles et toujours
symboliques. Ces tentures, connues sous le nom latin ^'anti-
pendium, étaient aussi quelquefois en cuir guilloché et doré,
ou bien des sculptures sur chêne , au fond d'or ou de cou-
leur , qu'on appliquait, au besoin, devant l'autel même , et
qui pouvaient suppléer aussi à la sculpture, toujours chère,
d'un autel de prix. On pouvait encore, par ce procédé si
simple et si économique, assortir aux ornements du prêtre
la couleur variable des offices journaliers. On comprend
de quelle riche décoration est susccptil)le , avec tous ces
changements à vue, ce meuble principal de l'église, vers
lequel tous les regards convergent , et que l'œil du fidèle
aime tant à voir parer de toutes ses beautés hturgiques.
Nous avons pu y ajouter quelquefois un cadre mobile que
de simples crochets rattachaient à la masse de l'autel. On
glissait alors dans des rainures de légères planchettes peintes
des couleurs liturgiques, soit à fond mat , soit chargées de
figures de Saints ou d'emblèmes ; on les changeait à vo-
lonté , on leur faisait exprimer des scènes variées. Un grand
effet résulte de ce stratagème, qui réussit merveilleusement
et se prête à une foule de combinaisons artistiques.
Il semble que, si l'autel exige toutes ces conditions de Des tabernacles;
leur histoire.
somptuosité relative et de pieux: embellissements, le taber-
nacle a bien plus de titres encore à nos soins et à notre at-
tention. Ici l'histoire est pleine d'intéressantes curiosités ,
et, quoique nous ne devions l'aborder que dans ses rapports
avec le symbolisme , la tâche du symboliste s'y trouve am-
plement unie à celle de l'historien. Et d'abord , autant que
nous comprenons par tabernacle cet édicule placé au mi-
280 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
lieu de l'autel , où la sainte Eucharistie est conservée , et
auquel, comme nous l'avons dit, se rapporte toute la magni-
ficence de celui-ci , il ne faut pas le chercher sous cette
forme dans l'antiquité ecclésiastique , pas même générale-
ment au moyen âge. Ce serait à l'expiration de cette période ,
au quinzième siècle au plus tôt, qu'il faudrait attribuer les
plus anciens , selon quelques archéologues. Cependant, dès
le treizième siècle , Guillaume Durant en parlait comme
admis en quelques églises, et représentant sur l'autel l'Arche
d'aUiance de la vieille Loi ('l). Antérieurement , ils étaient
d'abord séparés, mais non pas éloignés, de l'autel majeur.
Celui-ci, toujours (jusqu'au douzième siècle) placé dans
l'abside, était accompagné, à droite ou à gauche, d'une
petite armoire creusée dans le mur latéral, qu'il est facile
encore de reconnaître en un grand nombre de nos églises
romanes. Là étaient la Sainte Réserve et les hosties destinées
à la consécration , aussi bien que les vases sacrés et les
reliques (2). Devant la porte, un conopée, ou rideau de
soie, orné de broderies, épanchait ses plis et indiquait
l'humble demeure du Fils de Dieu; c'est de là qu'est venue
l'habitude, encore en vigueur, de couvrir le tabernacle d'une
enveloppe d'étoffe, à laquelle on pouvait tenir encore lorsque
plus tard on n'eut , en quelques pauvres églises , que des
tabernacles en bois dépourvus de toute parure artistique.
Combien les co- Mals uc scmblc-t-il pas qu'une fois admis et employé le luxe
nopées leui- sont
maintenant défa- si couvenablc quc Ic tabcmacle exige absolument, il n'y a
pas lieu à l'entourer d'une enveloppe qui y devient un
(1) « In quibusdam ecclesiis super altare coUocatur arca seu taber-
naculum inquo corpus Domini et reliquiae ponuntur.» {Rat. Off. divin.,
cap. V.)
(2) Ce fait a été établi de la manière la plus claire dans l'église d'Au-
treville (Vosges), où l'on voit du côté de l'Évangile, adossé au mur de
l'abside et dans l'épaisseur dudit mur , lui petit monument dont la
forme indique qu'il n'a jamais pu être placé ailleurs. Il est supporté
par un cul-de-lampe sur lequel se trouve un Ange tenant un phylac-
tère; on y lit : Ecce Panis Angelorum. C'est donc là qu'était la Sainte
Réserve. (BuUelin monumental, XVI, 508.)
AMEUBLEMEINT DE LÉGLISE. — TABERINACLES. 28^
contre-sens? S. Charles, dont les précautions en matière
liturgique indiquent un esprit tout sacerdotal, pieusement
occupé des moindres détails de son sujet, recommande le
plus grand soin et toute la somptuosité possible dans l'exé-
cution de cette vénérable demeure du Dieu caché ; il n'oublie
pas de prescrire l'étoffe de soie qui doit en garnir l'inté-
rieur (I). Nulle part il n'indique, par un seul mot, le rideau
extérieur, (jui ravirait aux regards les ornements de sculp-
ture , les dorures et les pierreries. Quant à la forme, le "^ doivent se
construire d'après
saint évéque demande, par un de ces principes de bon goût rarchitecture de
^ ' ^ ' ^ l'église et de Pau-
antérieurs à toute notion d'archéologie pratique, qu on 1 as- tei.
simile à celle de l'église (2) , c'est-à-dire aux dispositions
générales du sanctuaire, à ses moulures, à ses baies : preuve
de plus de l'excellence de notre thèse sur ce point , et du
tort que se donnent les architectes qui l'oublient.
Quoi qu'il arrive depuis le treizième siècle, où nous voyons. Leurs formes va-
d'après un témoin oculaire, que le tabernacle reposait déjà
sur l'autel , les boîtes ou pixides destinées à recevoir et à
garder la sainte Eucharistie eurent des formes variées ,
mais toutes symboliques, sans exceptions. Nous ne savons
si, dans les catacombes, le Sacrement était réservé d'un jour
à l'autre et gardé dans l'intervalle des messes : ce qu'il y
a d'incertain sur la liturgie du Saint Sacrifice à l'époque des
origines chrétiennes nous laisse dans une profonde obscu-
rité sur ce point; mais le symboUsme était déjà trop affermi
dans ces églises ignorées pour n'avoir pas , si besoin était ,
consacré sous des formes significatives les vases sanctifiés
(1) « Panno serico rubri coloris, si Ambrosiani ritus Kcclesia sit; aut
albi,si Romani, intus abomni parte vestituiii atque ornatum sit (laber-
niK-ulum). » (Instruction, fubricx erclesiasticv lib. I , cap. xiir.} —
Nous De pouvons trop engager à lire et relire cet excellent ouvrage,
«iont toutes les prescriptions sont parfaitement en riarmonie avec les
principes archéologiques, et que nul archéologue ne devrait ignorer.
(2; « Forma vel o(;tangiil:i, vel sexan-^Mila^ vel quadrata, vel rotunihi,
prout decentius et religiosius accommodatTa videbitur ad ecclesiae for-
mani. » (S. Caroli Instruct., ubi suprà.)
282 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
par le contact du Sauveur. iVous voyons, dès le sixième siècle,
S. Grégoire de Tours mentionner, aussi bien que S. Rémi,
des tours d'or pur ou de bois recouvertes de feuilles d'or ;
S. Fortunat de Poitiers loue S. Félix, évoque de Bourges
(de 568 à o80) , d'en avoir fait exécuter une toute d'or pour ,
en doter son église , et , au onzième , Flodoard parle d'un
autre bijou de ce genre que l'archevêque Laudon avait placé
(de 645 à 649) sur l'autel de sa métropole (^1). On comprend,
d'ailleurs, le mysticisme de cette forme choisie pour un em-
ploi si digne et si élevé , si l'on consulte nos sources habi-
tuelles. On voit nos saints ouvriers désigner , sous cet em-
blème, le Christ lui-même, dont il est dit que « son nom est
une tour fortifiée. » La Vierge Marie est comparée à « une
tour destinée à la garde d'un troupeau précieux : » c'est
pourquoi sans doute l'antiquité l'a nommée Tour d'ivoire,
Turris eburnea^ et pourquoi encore les tours eucharistiques
ont été façonnées quelquefois en cette matière précieuse, sym-
bole elle-même de la pureté de ce sein virginal qui renferma
]'Homme-Dieu pendant les neuf mois de sa formation corpo-
relle. C'est encore la vie parfaite, indiquée par la tour dont
parle le Sauveur , qu'un certain homme commença sans
s'être assuré des moyens de la finir ; c'est un refuge enfin.
(1) Ces faits, que nous retrouvons cités maintes fois par les archéo-
logaes, et notamment par l'abbé Texier^ Diclionn. d'orfév., col. 1410 ,
ne manquent pas d'analogues dans les auteurs de ces premiers temps;
mais on peut être embarrassé par quelques expressions des textes
qu'il est bon de faire observer ici comme importantes à comprendre.
Ainsi Fortunat dit dans son huitain adressé à S. Félix :
Quam bene juncta décent sacrati ut Corporis Agni
Margaritum ingens aurea dona ferant !
{Mhcellanea, pars I, lib. III, cap. xxv.)
Sur ce mot margaritum , le P. Brower, qui a édité et annoté utile-
ment le poète poitevin , remarque qu'on a donné , avec les Grecs mo-
dernes , le nom de margaritum à la Sainte Eucharistie, qui est la
perle précieuse par excellence . Mapi'apmç. - Ce mot est employé dans
le même sens par Prudence in Psychomackia. — Voir Flodoard ,
Chronic. Rem., lib. II, capjivi; — Greg. Turon,, Hisior. Francor., X ,
3i; — De Gloria martyr. ^ lib. II, cap. lxxxvi.
AMEUBLEMENT DE L'ÉGLISE. — TABERNACLES. 283
une défense, un asile où l'âme qui va chercher l'amour et la
confiance demeure calme et ferme, quoique entourée d'en-
nemis {■{}. Tout cela n'est-il pas applicahleauPain de vie, et
le symbolisme a-t-il trouvé nulle part plus que là une abon-
dante série de justes et faciles applications ?
S»* Claire, morte en 1258, est représentée ayant à la
main une tour, parce qu'elle mit en fuite les Sarrasins qui
envahissaient la ville d'Assise, où elle demeurait, en se
portant vers eux avec la tour eucharistique de son égUsc
conventuelle (2). La tour était en ivoire, et indique bien,
avec le texte déjà cité de Guillaume Durant , qu'au treizième
siècle cette forme était généralement gardée.
Les tours n'étaient pas toujours posées sur l'autel. Quel- suspendues au-
■^ '' ^ dessus de l'autel.
ques-unes étaient suspendues par des chaînes au-dessus de
la pierre sacrée , et devenaient ainsi visibles à tous , aspi-
rant pour ainsi dire les adorations ; et ces chaînes étaient
soutenues par une crosse dont la hampe partait soit de
l'autel, soit de la partie supérieure du retable ou du cibo-
rium. Cette crosse , que nous ne voyons signalée nulle part
comme symbolique , devait l'être cependant , et nous con-
firmons cette idée en observant que les ciboires ainsi sou-
tenus ne paraissent l'avoir été que dans les églises cathé-
drales et abbatiales. Si on a pu en voir en quelques autres ,
c'est probablement qu'elles y avaient été transportées depuis
la fin du dernier siècle , lorsque l'interruption révolution-
M) « Turris, Christus : Turris fortissima, nomen Domini.» (Prov.,
xvni, 10.) — « Virgo Maria vel Ecclesia : FA tu sicut turris gregis per-
fecti. » [Mirh. , i\ , 8.)— « Vita perfectionis : Quis ex vobis volens
turrim aedificare, non prius sedet. .?» (Luc, xiv, 28.)— AinsiS.Méliton
développe cette allusion toute biblique, cli. xi, De Civitate, n°s 5 et 6.
— Pierre de Capoue, qu'on peut lire parmi les commentateurs de nos
saintes Ecritures, développe d'une façon charmante sous combien
de face^ ce nom de Tour convient à Marie, Spicileg. Solesni., III , 175.
(2) Voir Boilaudus, Acla Sanclor. , 12 aug., et t. 111, jun., p. 27.
— Consulter aussi, sur les tours d'or, d'ivoire ou d'argent servant
de tabernacle, un article fort complet et très-érudit de M. l'abbé Cor-
blet, notre docte collaborateur de la Rtvite de l'art chrétien, II, 337
et suiv.
284 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
naire du culte catholique ferma un si grand nombre de
lieux: sacrés dont les richesses furent attribuées ensuite
à ceux qui leur survécurent (I). On ne verrait, en effet,
aucune raison de choisir cet insigne plutôt qu'un autre
partout où la juridiction d'un ordinaire n'aurait pas été en
vigueur.
métl^^'etTur raîl ^^^^^ ^ ^^^^ ^^ ^^ *^"*' semble avolr été parallèlement em-
son symbolique, ployéc, dès l'originc, la colombe de métal précieux dans la-
quelle on suspendait aussi bien la Sainte Réserve. On en a
un exemple remarquable dans la vie de S. Basile de Césarée,
qui , vers 360, se servit aussi d'une colombe d'or pour ren-
fermer le Pain qu'il avait consacré pendant la messe (2). On
en citerait beaucoup d'autres , et toutes les industries de
Fart aidèrent les orfèvres à rendre ces vases, si gracieux par
eux-mêmes , dignes de la haute pensée qui les inspirait.
L'or, l'argent, le cuivre doré se couvraient pour eux d'émail
et de pierreries. Tout concourait à en faire un objet d'ad-
miration et de respect. Nous ne savons ce qui a pu faire
croire à M. Viollet-Leduc que celle qu'il a vue en Bour-
gogne devait (c porter dans son bec la chaîne qui tenait
suspendue la pyxide eucharistique. » C'était la colombe
même qui était la pyxide dont les ailes, jouant par une
charnière , ouvraient ou fermaient à volonté le saint ré-
ceptacle. On peut s'en convaincre par la gravure qu'en ont
(1) Voir une note de M. An. de Barthélémy dans la Revue de l'art
chrétien, II, 333. — Il y est mention d'un jugement sévère porté, sur
l'usage de cette suspension dans l'ancienne abbaye de Saint-Maixent,
par feu M. de La Liborlière dans ses Souvenirs du vieux Poitiers
d'avant 89. Il n'avait pas tenu à nous, quand notre spirituel collègue
écrivit cette page, qu'il ne comprît bien l'erreur d'appréciation dans
laquelle il tombait, et que nous explicâmes dès 1849 eu parlant de la
suspension pratiquée dans notre cathédrale au seizième siècle (Voir
notre Histoire de ce monument, t. Il, p. 219); mais on risque toujours
de se tromper quand ou écrit sans études préalables sur un point
inattendu et qui se lie à des connaissances auxquelles les gens du
monde restent trop souvent étrangers.
(2) Voir Amphilochii, Icon. episc, S. Basilii Magni Vita, ap. Surium,
1 januar.
AMEUBLEMENT DE L ÉGLISE. — TABERNACLES. 28:)
publiée si souvent les Recueils d'archéologie sacrée {\).
Quoi qu'il en soit , le symbolisme de la colombe autorisait
bien le clioix de son image pour une telle destination.
Type de la simplicité , de l'amour chaste , des saints désirs
du ciel , de la vie intérieure et méditative , nos pères
avaient saisi nettement, d'après les Livres saints et les in-
terprètes ecclésiastiques, tout ce qui, dans cet oiseau, plein
de douceui* et de paix, convenait si bien au Sacrement où
Jésus appelle les âmes ainsi disposées (2). Mais elle devint,
au baptême du Christ, la forme visible de l'Esprit- Saint ,
et, dans ce sens , elle semble encore fixée au-dessus de nos
tètes, reposer, comme l'Esprit du Seigneur, sur les humbles
et les pacifiques , sur ceux qui écoutent dans une crainte
respectueuse les pensées et la parole de Dieu (3j.
S'il n'est pas facile de donner cette forme d'oiseau à nos q«î les ferait
très-bien emplo-
tabernacles , tels que nous les disposons aujourd'hui sur yor aussi comme
. , T . . 1 " . 1 ciboires.
l autel, on pourrait tres-bien y revenir, du moins, pour les
ciboires qu'on y renferme : on relèverait fort convenable-
ment les colombes en reUef sur leur circonférence, comme
sur celle des calices ou des ostensoirs , et nous ferions re-
vivre ainsi une des plus touchantes allégories de nos vieilles
et saintes traditions.
Quant aux tabernacles en eux-mêmes , les plans, nous le Formes choisies
, ,, • ' ^ V r- • n •* 1 à donner aux ta-
voyons , peuvent en être varies a linnni. Le serait donc bemacies.
(1) Annales archéolog., t. V, p. 193. — Revue de l'art chrétien , II,
391.
(2) Le Sauveur n'a-t-il pas dit : Etiole simplfccs sicut colwnbx ?
{Malth., X.) — La Sagesse Eternelle n'aime-t-elle pas à s'entretenir
avec les simples de cœur : Cum simplicibus serniocinalio cjus ?
(Prov., m.)
(3) « Super quem recjuiescet Spiritus meus nisi super humilem et
trementem sermones meos ? » (Av., xvi, 2.) — Cessiodore dit, en se
servant d'une mauvaise élymologie , mais en définissant très-bien
VoheaiM : » Culumha dicta est quasi cellœ aliunna, quae vitam sine
alterius gravamine peragit; avis innocens , mansueta , (juee in nullum
animal fellica voluntate consurgit (la colombe passait cbez les anciens
pour n'avoir pas de fiel), nec escis sordidis ullatenus accpiiescit. » [In
Mail II., cap. X.)
286 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
tantôt une tour, symbole de force et de sécurité, tantôt une
façade d'église , car Jésus-Christ s'est appelé la porte par
laquelle on entre dans le salut , et quand sommes-nous
plus sûrs de ce bonheur éternel que lorsque le Sauveur
descend dans notre âme et vient nous chercher? N'avez-
vous pas à y frapper vous-même en sollicitant l'entrée que
voulait de sa colombe le chaste Époux des cantiques {\ ) ?
Puis ne voyez-vous pas à travers ce voile artistique, derrière
cette porte mystérieuse , le divin Captif vous inviter au sa-
crement de sa charité? N'est-ce pas là encore ce seuil béni
pour les Élus que distingue le Sang de l'Agneau ? Enfin
n'est-ce pas en face de ce temple figuratif que vous pouvez
dire dans le recueillement de votre piété, en attendant le
jour des adorations éternelles : « Je vous adorerai près de
votre Temple {2)h} Aimez-vous mieux le Bon Pasteur comme
aux catacombes ? l'Ange de l'agonie confortant la Victime
des Oliviers ? l'Hostie resplendissant d'une auréole glo-
rieuse? la flamme qui brûle sans se consumer sur l'autel
où le prêtre doit l'entretenir en vue du sacrifice qui n'aura
pas de fin (3)? les Bergers entourant de leurs hommages
l'Enfant-Dieu , le Pain de vie de Bethléem? Quelle foule
d'images , et comme vous pouvez les unir avec succès aux
métaux , aux bois , à la pierre même , qu'enrichiront avec
de gracieuses sculptures toutes les beautés accessoires que
les gemmes et les couleurs rendent encore plus éloquentes,
puisque chacune d'elles, nous le savons, représente une
idée et parle d'une de nos vertus !
Mauvais goût Mals l'autcl seul avec son tabernacle n'est pas un tout
(1) « Ëgo sum ostium; per me si quis introierit salvabitur.» (Joan.,
X , 9.) — « Ecce sto ad ostium , et pulso. » (Apoc, ui , 20.) — « Aperi
mihi, soror mea. — Surrexl, et aperui Dilecto. » (Cant., y, 5 et 11.)
(2) « Compelle intrare. » — (Lac, xiv, 23.) — « De sanguine Agni
imponent in utraque poste. » {Exoci.,xu, 7.) — « Adorabo ad templum
- sanetum tuum. » [Ps., V, 8.)
(3) « Ignis autem in altare semper ardebit, quem nutriet sacerdos. »
{Levit., VI , 12.)
AMEUBLEMENT DE L*ÉGLISE. — TABERNACLES. 287
complet. Nous avons parlé de ces dais ou ciborium qui le >l<^^ ^iborim, ou
ir r i baldaquins no -
surmontent, et, en cela, il est*indispensal)le encore de *"^i«-
joindre aux exigences de la liturgie celle de l'art qu'elle
écoute toujours utilement. On s'évertue aujourd'hui , faute Déplorable nu-
dité qu'on fait au-
de goût, et souvent aussi parce qu'on suit trop des archi- jourdhui à no3
sanctuaires.
tectes qui en manquent , à combiner autour ou au-dessus
de l'autel des éléments capricieux , des matériaux hétéro-
gènes, d'où naît une ornementation insignifiante ou ridi-
cule. On s'éloigne ainsi, pour créer de l'arbitraire et du
nouveau , des grandes inspirations de la foi éclairée et de
la piété pleine d'amour. On dégage le Saint des Saints des Mauvais système
qui les découvre,
voiles qui feraient vénérer sa présence mystique. Au lieu quand iis de-
de commander le respect aux peuples par cette demi-obs- deia fouie.
curité du sanctuaire où la prière est si calme , si douce et
si aimable, on veut leur plaire en découvrant de toutes
parts l'autel à leurs yeux, en leur dévoilant les profondeurs
si précieuses du plus saint des rmj stères : hélas ! on n'y
gagne que de trivialiser les choses célestes , d'abaisser les
dogmes fondamentaux au niveau d'un spectacle vulgaire,
et d'accoutumer la foule inintelligente à mesurer de son
stupide regard les mouvements sacrés du prêtre et l'action
divine qu'elle épie sans la deviner. Oh ! combien mieux
faisaient nos ancêtres ! Ils entouraient leur autel de toute
l'ombre possible , de splendides tentures , de riches étoffes
qui en faisaient un autre tabernacle ayant son Arche d'al-
liance , dont les moindres détails, prévus et indiqués par
Dieu lui-même , montraient clairement quelle révérence
devait remplir ceux qui venaient adorer là en esprit et
en vérité. Le chœur, réservé au prêtre, n'était pas ouvert à
tout venant; ceux qui n'y devaient que prier et chanter les
louanges divines ne s'y trouvaient pas confondus en quelque
sorte à une foule même respectueuse et recueillie , et si
l'on eût osé alors, comme aujourd'hui, parcourir une église
comme une promenade publique, y regarder les rites sacrés
comme un spectacle plus ou moins curieux sur lequel on
cœur.
288 HISTOIRE DC SYMBOLISME.
se l)lasc sans inconvénients et sans scrupnles , au moins
d'heureux obstacles s'élevaient entre ces scandales et nos
regards , et l'âme sacerdotale se réfugiait vers le Dieu
caché pour y ravir sa prière aux influences malheureuses
de cette tumultueuse dissipation. Où est maintenant le Saint
des Saints. ? Voyez comme, dans toutes nos basiliques, on a
renversé toute barrière entre lui et les profanateurs! Là où
ces barrières existent encore , on se dispose à les dévaster ,
et nous donnons dans Y esprit moderne , comme si , dans
toutes ces funestes conséquences, l'Église elle-même, de
sa voix magistrale et infaillible, ne l'avait pas formellement
condamné !
Idée et plan Pour uous , qui voulons toujours, comme nos lecteurs le
d'un sanctuaire où ,, . ^ ^ , >t i l'.i
tout parle au veulcnt mamtcuaut , trouver a lire sur chaque objet du
culte une pensée qui nous y enchaîne et le fasse aimer de
plus en plus , nous demandons à ceux que leur caractère a
rendus compétents de donner à nos autels cette gloire im-
posante qui touche les cœurs , et dont le seul aspect est
un enseignement de foi active , et propage la piété dans
les âmes. Que, surveillé par eux, et noblement posé à
sa place triomphale , l'autel majeur s'élève dans un sanc-
tuaire supérieur au niveau de l'église , sous le point d'in-
tersection de la voûte abaissée à son intention et qui,
toute seule , peut lui servir de pavillon sacré et d'abri
liturgique, sans aucune adjonction d'autre couverture quel-
conque ne prenant là que l'importun caractère d'un double
emploi; que toute cette travée s'entoure d'une précieuse
enceinte qui protège le Dieu caché et l'honore par un silence
plus complet et plus mystérieux. L'art du sculpteur et du
peintre décorera d'insignes consacrés, de pieuses histoires^
cette clôture dont jadis de belles et éclatantes tapisseries
recouvraient au moins la nudité. Ces saints, ces emblèmes,
ces images riches d'expression, de souvenirs , de couleurs ,
d'or, de pierreries, de plaques ou de fleurs émaillées qui
pareront la face antérieure de l'autel et son retable, se
'K>
AMEUBLEMENT DE L ÉGLISE. — BAFfISTÈRES. 289
marieront, par un agencement Iiabile et des combinaisons
sérieusement étudiées, au reste de l'ameublement béni.
Les quatre piliers qui manfuent les limites du sanctuaire ,
soit ([u'ils l'isolent des bas-cotés , soit qu'ils s'engagent dans
les murs latéraux d'une nef unique, supporteront la voûte
abaissée symboli(iucment pourlormer la couronne du sanc-
tuaire et de l'autel. Donnez-leur une action dans ce grand et
bel ensemble ; couv rez leur surface des nuances variées des
douze pierresprécieuses, dont cbacunea sa signification éner-
gique; faites courir sur toute leur hauteur le jaspe de la foi,
la sardoine du martyre , la topaze des vertus surnaturelles ,
et toutes les autres, qui figureront si bien autour de l'Homme-
Uieu (I); donnez une vie plus abondante à leurs chapiteaux
en colorant leurs oiseaux , leurs feuillages et leurs fruits ;
(fue le tabernacle, de qui tout cela relève, surmonte la table
sacrée de son élancement svelte ou de ses formes plus sé-
vères, selon le style de l'édifice; mettez-y toute la somptuo-
sité que permettent les ressources locales, pour qu'il se
rapproche autant que possible de la grandeui* de son objet;
que les chandeliers qui l'accompagnent, que la lampe dont
la lumière n'y doit jamais cesser se mettent, par les détails
de leurs ciselures et de leurs reliefs , en harmonie avec ce
grand tout; et quand le fidèle, agenouillé devant lui, exha-
lera son cœur vers le Dieu qui l'y attire , que l'infidèle lui-
même, ignorant des saines doctrines de la foi, comprenne
aussi que sous ces mystérieuses apparences qu'il admire
il y a un langage secret qui touche l'ame, et que peut-être
un Dieu n'est pas loin de là.
Passons au Baptistère. Des Baptistères,
Là encore se résume tout ce que le culte chrétien a observef'f"^ " ^
(1) « Jaspis, fldes, viror «lesiderii : Ponam jaspidis propiignacula
liia. » (/5., Liv, 12.) — « Sardonyx 7'ubri ùohris est et désignât
(riioreui ChrislL » — « Topazius, virluUhvs plena , habet duos
colores, mnini sionlnunim, alleriiin (inar^i <'(nlmn. » — s. Meliton.
Dr M' IfiUis , ciip. Lviii (il seq.}
T. III 1!»
290 ' HISTOIRE DU SYMBOLISME.
d'intime et de pénétrant ; là donc on a aimé à reproduire
ipur histoire dans le luxe dcs grandioses pensées de la foi. Ce furent d'abord
l'antiquité et au . i i , t i r n i r i •
moyen âge. dc Véritables églises, succursales réelles des catbedrales,
dans lesquelles seules le baptême était administré par un
droit réservé à l'évêque (0, et la liturgie y exigeant d'abord
un vaste emplacement pour la cuve , puis pour les caté-
chumènes, toujours très-nombreux, et auxquels il fallait des
lieux distincts selon leur sexe, afin d'y quitter et reprendre
leurs vêtements. Mais ces grandes chapelles ne pouvaient
être antérieures à Constantin, et les plus anciennes qu'on
ait encore , en petit nombre , ne datent pas d'avant le qua-
souvenir de celui irièiiie slèclc , coinnie l'église Saint-Jean de Poitiers. On
de Constantin à i . • i / i
saint-Jeande La- sait,par Euscbc ct Ics autrcs historiens de cette époque, de
quelles richesses le grand empereur avait doté le baptistère
de Saint- Jean de Latran. Les murs en étaient recouverts
de porphyre ; la cuve baptismale était d'argent , et recevait
l'eau de la bouche d'un agneau en or dans lequel on la
versait au préalable. Ce symbole de la douceur chrétienne
et de l'innocence de l'âme purifiée avait à sa droite et à sa
gauche deux statues en argent, l'une du Sauveur, auteur
du baptême, dans lequel ses mérites nous sont appliqués ;
l'autre du saint Précurseur qui avait l)aptisé en son nom ;
enfin , distribués à distances égales autour de ce riche
bassin, des cerfs en argent, au nombre mystérieux de
sept , image des sept dons de l'Esprit-Saint reçus avec le
baptême (2) , contribuaient à verser l'eau de concert avec
(1) Un concile de Verneuil, en 755 , rappelle qu'il ne doit y avoir de
baptistères que dans les lieux désignés par l'évêque. C'est que dès
lors, quoiqu'ils se fussent nécessairement multipliés par les conquêtes
mêmes du Christianisme sur les populations païennes, on ne trouvait
pas opportun de doubler ainsi les églises, même rurales, d'une seconde
église, qui compliquait la surveillance épiscopale. Quand cessa le
baptême par immersion, au douzième siècle, on commença à le
donner plus généralement dans les paroisses. — Voir Labbe , Gonc. ad
ann. cit., t. VI, p. 1664; — Rohrbacher, Hist. de V Église, XI, 141.
(2) « Septenarius ad septiformam gratiam Spiritus Sancti , qui siint
sepiem Spiritns Dei missi per omnem terrain. » (Apoc, v, 6.) — Dans
AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. — RAPTISTÈRES. 201
rAgncau qui efface les péchés du inonde, comme l'avait dit le
fils de Zacliarie , dont la présence semblait rappeler natu-
rellement ces consolantes paroles (I). Ajoutez à ce riche
groupe , tout d'or et d'argent, les peintures et les mosaïques
resplendissant de toutes parts au dedans et au dehors , et
vous aurez une idée de l'importance qu'on mettait à re-
lever le mystère sacramentel par tout ce qui pouvait flatter
le regard, en attirant les méditations sérieuses de l'esprit,
dans ces beaux monuments des premiers âges de la foi.
On les bâtissait toujours, d'ailleurs, près des églises mères,
dans les cités épiscopales , comme on le voit par un sarco-
phage fort ancien qu'a décrit Raoul Rochette (2). Tous ceux
que nous possédons encore à notre époque sont des rénova-
tions faites au moyen âge, et presque tous appartiennent à
l'Italie. On les retrouve, datant du neuvième au quinzième
siècle, à Volterra, à Lucques , à Crémone, à Padoue, à Pise,
à Orviète (3). Dans ces édifices, le symbolisme s'intronisait
par les peintures, comme dans tous les sanctuaires : ainsi,
à Poitiers , on voit encore , non loin des chapiteaux de
marbre où nagent les dauphins, reproduits maintes fois
sur des sarcophages primoséculaires, le paon, aussi ancien
que les catacombes , et dont la signification se rattache tout
aussi bien aux mystères de la naissance chrétienne que nos
âmes doivent au baptême (4).
ce sens de missi, les cerfs sont pris aussi pour Jes Apôtres : « Vox
Domini perficientis cervos» (Ps., xxviii, 8); et enfin pour les hommes
spirituels, remplis des saints désirs de la vie éternelle : « Sicut desi-
derat cervus ad fontes aquarum , ita desiderat anima mea ad le,
IJeus » {Ps., XLI, 2).— On voit tout de suite quels rapports a le nombre
sppt avec ces diverses catégories des Saints de la terre. — Voir ce que
nous avons dit de ce nombre, ci-dessus, t. 1, cli. vi, et II, passin) ;—
puis S. Méliton, De Numéris j cap. vin; — D. Pitra , Spicileg. Snlesni.,
III, G8,38o, 389 et 401.
(1) Voir Auastas. Biblioth., De Vilis Homan. Pontif., in Vita S.Si/l-
veslïi.
(2) Tableau des Calac, p. 216 et suiv.
(3) Tableau stalislique el chronologique des églises d'Italie , i)ar
Willis {Bullel. monuin., VII , iiO et suiv.).
(4) Le daui)liin passait pour le roi des poissons, et plein de ((ualités
uiorales qui inpiuorliaicut ?(»u iuslinct de la raison Jiuniaiue guidée
292 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Soins à se don- Cgg données primitives, et tout à fait adoptées par les
ner pour la clia- .
pelle (les fonts meiHeiircs périodes du svmbolisme, indiquent assez quels
dans les églises "" , . .
de notre temps, sujets l'iconograpiiie peut choisir pour ornementer nos
baptistères actuels ; car, si la discipline ecclésiastique a dû
changer avec les temps et arriver à ne plus restreindre
l'administration du premier sacrement à des enceintes
privilégiées , il n'en faut pas moins , d'après les plus sages
prescriptions (^), entourer de tout le respect possible cette
par le Christianisme. II aimait l'homme et le sauvait des naufrages; il
recherchait les eaux les plus élevées et les plus pures , évitant le sable
et la vase; il poussait sur le rivage, pour les y ensevelir, ceux d'entre les
naufragés qui mouraient au sein des mers. Ces traditions, recueillies
par Pline (IlisL nntur., lib. IX, cap, viii) et Aristote {De Ilisl. onimnL,
lib. IX, cap. XLvni), adoptées sans examen par la bonne foi populaire,
suffisaient pour autoriser à voir en de si nobles animaux le symbole
des vertus chrétiennes, de la charité dévouée, de lapurelé: n'était-ce
pas aussi par cela même l'emblème du Sauveur, et les eaux où se pas
sait leur vie ne pouvaient-elles pas représenter celles du baptême, dans
lequel tst la source de tous nos biens spirituels? — De son côté, le paon,
considéré dans le retour de ses nuances riches et diaprées à chaque
printemps, était resté pour les chrétiens ce qu'il était déjà pour les re-
ligions idolâtriques, le signe de l'immortalité et de la résurrection.
Celte attribution si ancienne se retrouve dans un sermon de S. Antoine
de Padoue (mort en 1231) : In generali 7'esurrecAiorie qua oninrs arbo-
re^,idest omnesSancli, incîpiimt virescere, pavo ille... percnlor... qvi
morlaliiaiis pennas abjecil, immurialitalispennm recipiel (Serm. fe-
riae v post Trinitatem). Ainsi encore ce pécheur , qui est parfois le
symbole de l'orgueil et de la vanité quand il étale avec tant de com-
plaisance l'éclat de son plumage renouvelé, devient , par opposition,
l'idéal du plus grand bien désirable, par cette transmutation de la mort
dont parle l'Apôtre : « Oportet mortale hoc induere immortalitatem »
(1 Cor., XV, 53).— C'est la raison qui fait figurer des paons sur le tom-
beau de marbre de Gauthier, évêque de Bemberg au treizième siècle,
lequel tombeau se voit encore dans la cathédrale de cette ville. (Cf.
les PP. Cahier et Martin , Mélanges d'archéologie , t. il, p. 259.) — 11
pourrait se faire toutefois que ces paons fussent des perroquets ou des
oiseaux du Paradis, ou tous autres, dont l'iconographie de cette époque
ne se targue pas de traduire les formes très-distinctement. Nous re-
parlerons de ces oiseaux et des fleurs qui s'y trouvent mêlées, en ob-
servaut toutefois, dès à présent, que les paons dont M, de Caumont
attribue la découverte au P. Martin ne sont réellement, d'après celui-ci
Hoc. cil.) , que de véritables perroquets {BulleL monum., XI, 210).
(1) « Baptisterium cum sacrario in singulis cathedralibus , et item
(ut in conciliis nostris provincialibas prœscriptum est) parochialibus,
VMRl'BLKMKNT Di: L'K(;LISI:. — BAPTISTKnES. 203
portion de ('lin(|ii(^ (''^iisc où l'onde rcj;énératrice rst con-
servée , où elle coule sur le front des nouveau~nés.
Si, depuis le septième siècle, nous n'avons plus besoin
d'églises spéciales, qm cessèrent alors généralement de se
hàtir à pari, il n'en faut pas moins dans toute église parois-
siale un lieu distinct, une chapelle consacrée au baptême,
et dont la structure et l'ornementation rappellent par tous
leurs détails et les premières pensées delà liturgie et les
enseignements qu'elle nous conserve. Il y a à rougir de
honte en présence de ces espèces d'enceintes carrées dont
l'ieii n'annonce le caractère sacré, sinon une assez mauvaise
toile de S. Jean-Baptiste et une cuve quelconque presque
toujours aussi insignifiante que mal tenue : voilà, le plus
habituellement, ce qu'on appelle une chapelle des fonts. Et
vraiment, qui devinerait à cette parure sans goût, à cet
espace si étroit, à ces murs poussiéreux , à ce pavé noir et
humide, que là s'accomplit le premier des adorables mys-
tères de la vie chrétienne? Après l'autel rien ne devrait
mériter nos soins à l'égal de ce lieu privilégié. Nous en
devi-ions faire une petite église dans la grande et la rap-
prociier autant que possible, par son plan et sa décoration,
des premiers baptistères du Christianisme ; car si tout alors
y indiquait, par un enseignement dogmatique , le but que
le sacerdoce proposait au néophyte , le même but doit être
cherché toujours, puisque rien n'a changé dans nos dogmes,
pas plus que dans les conditions de son enseignement. Cii- Rcgie» symho
1 . . 15 • Ti' 1 1 'j- *• liqucs à y obser-
culau'es, pour exprmier 1 universalité delà prédication ver.
évangélique,dontle baptême est le premier bienfait, ou octo-
gones, comme le plus grand nombre de ceux qu'a observés la
science archéologique en France, en Italie et en Angleterre,
cett(i dernière forme sem])le préférable, d'après le sens que
lesPènîs ont donné symboliquement au nombre Aznï.Nous
atifue in aliis ftiam quibusvis enclesiis, iihi vel animarum cura geri-
tur, vel faciiliaUi ah (;i>iscui)0 ol» caiiàain data, illud constitui conces-
siim est.-» (S. Gtirol. Inslrucl., lil). I, cap. xix.)
294 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
savons déjà que ce nombre est celui de la Résurrection ,
qui s'est opérée le dimanche , premier jour de la semaine
que le Christianisme a suhstitué au septième pour l'ohser-
vance du quatrième commandement. S. Augustin est, sur
ce point, d'accord avec S. Ambroise, qui, par la môme
raison, symbolise par ce même chiffre la régénération
spirituelle ; c'est d'ailleurs en lui que se trouvent aussi les
l)éatitudes louées et promises par le Sauveur. Ces grandes
idées, que nous avons développées et motivées (4 ), subsistent
toujours et doivent garder leur influence.
Élevez donc un noble et imposant monument de cette
forme préférable, soit sous le nartex de votre éghse, soit sous
sa première travée de l'intérieur du côté nord, comme nous
l'avons dit au chapitre précédent; ouvrez-en l'entrée au midi,
vers les rayons resplendissants du Soleil de Justice, qui, tout
en pénétrant l'intérieur du petit temple , pourra verser sur
le néophyte sa mystérieuse lumière et sa vivifiante chaleur.
Au milieu, sur une base massive et soUde, qui nous repré-
sente bien la stabilité de la grâce et le droit immuable
qu'elle donne à l'éternité des biens futurs, posez la piscine
sacrée, source des eaux qui jaillissent jusqu'à la vie du ciel :
non un de ces vases mesquins trop souvent semblables à un
bénitier ou à un lavoir que soutient sans grâce un pédicule-
sans dignité , mais un autre octogone dont chaque pan ,
aussi bien que ses bords , offre autant de surfaces à des
images infiniment variées et qui parlent à tous des saints
engagements de l'homme et des divines récompenses de sa
fidéhté. La loi de Moïse et celle du Christ n'ont-elles pas
des traits saillants que l'antiquité a savamment distribués
sur ses baptistères, comme à Florence et ailleurs? Les frises,
les chapiteaux de ce petit monument , ses colonnes , ses
bases n'y sont-elles pas couvertes de r chefs empruntés aux
(1) Voir ci-dessus , t. J , ch. vi , Symbolisme des nombres; voir aussi
une excellenle Élude sur les fonts baptismaux, par M. l'abbé Van Dri-
vai, dans la Revue de Cari chrétien^ t. II, p. 18 et suiv.
AMEUHLEMEM DE l'ÉGLISE. — BAPTISTÈRES. 21>5
feuilles de nos rivières, aux palmipèdes qui les fréquentent,
aux poissons qui les peuplent? Ne garnira-t-on pas avec
raison ses parois extérieures, ses entre-colonnements et ses
arcades des mystérieuses images des vertus chrétiennes ,
des péchés anéantis , de la prédication évangélique , des
différents haptémes céléhrés dans l'Écriture ? Il n'y a pas
jusqu'au couvercle de cette piscine, devenue si précieuse ,
qui ne s'élève avec grâce en une pyramide sculptée, et qui
ne puisse devenir encore une large page d'enseignements
doguiatiques. — Quant au sacellum lui-même et à son plan
d'élévation , quels ornements toui* à tour gracieux et aus-
tères ne recevront pas ses colonnes , ses frontons et tout
cet intérieur où tant de feuillets de la Bihle peuvent dépose]'
un trait significatif , une leçon parlante, depuis la chute
originelle jusqu'au couronnement des Élus dans la Jéru-
salem céleste ! Mille modèles nous en sont donnés aujour-
d'hui. Avec eux on ne peut ouhlier les règles, on n'est plus
excusahle de ne pas les savoir, si , contrairement à l'esprit
qui doit animer un prêtre, on n'a pas dédaigné une des ex-
cellentes puhlications qui, chaque mois, en France, eu An- •
gleterre et en Allemagne, étahlissent sur toutes les choses
archéologiques des principes trop longtemps négligés.
S. Charles , dont les Instructions , nous l'avons dit , sont importance <ies
,, ,-,i,n /.. i-ii 1 ' Instructions de
d nue exactitude et d une précision admirahlcs , a donne s. charies sur ce
les règles qui toutes résument, sur ce point, les hahitudes
liturgiques et artistiques du moyen âge : il veut donc tout
ce que nous venons d'exiger pour tous les haptistères qui
ne sont pas construits en dehors de l'église et séparés
d'elle, comme il n'est plus possihle que nous les ayons.
Mais quant aux usages adoptés depuis longtemps, et d'après
les([uels nous avons écrit ce qui précède , le Saint reste
parfaitement d'accord avec l'esprit des Pères et des Docteurs,
que nous ne faisons que letracer. Il n'ouhlie même pas de
recommander pour la cuve haptismale la forme d'un sarco-
phage ou tomheau , comme lappelant mieux le mystère de
point.
20(> HISTOIRE DU SYMBOLISME.
renseveiissement symbolique du baptisé, qui meurt au
monde avec Jésus-Gbrist, et dont la triple immersion,
encore suivie dans le rite ambroisien , rappelle les trois
jours que le Sauveur passa dans le sépulcre. Ces principes
sont conformes aux textes de S. Paul (I) et des Pères , qui
Font expliqué avec S. Denis l'Aréopagite, S. Justin , Ter-
tullien, Origène et toute l'École tliéologique (2). C'est donc
encore une idée à réaliser que celle exprimée en ce sens
par le saint évoque. N'oublions pas non plus qu'on peut
établir la piscine sur un plan carré, le nombre quatre étant
celui de la perfection absolue, de Dieu lui-même, égal dans
tous ses attributs (3). Toutefois, n'al)andonnons jamais
l'ordre recommandé par le bon goût comme par toutes nos
règles d'archéologie pratique , et modelons toujours les
formes de l'accessoire sur celles du principal : Forma autem
sit rotonda vel ociangula, vel alia quœ cum forma capella'
conveniet.
Du tableau à Eufin , uu autcl proportlouné à l'intérieur de cette clia-
dè''rettrchài?èîîe! P^le dolt cu complétcr le caractère et rappeler d'autant
mieux les baptistères primitifs. Ses conditions seront celles
de tous les autres autels quant à la matière , à la forme , à
la balustrade qui l'entoure, à l'ornementation qui le décore.
Surtout il doit être orienté comme l'église, et au dessus on
veut un tableau de S. Jean-Baptiste versant l'eau du Jour-
dain sur le Sauveur. S. Jean-Baptiste est le grand patron
des baptisés, et a toujours été décoré de cet honneur. Ce
tableau est indispensable , car il est là l'expression la plus
sensible du mystère , et il devrait toujours y figurer , lors
môme que l'autel y deviendrait impossible eu égard à l'é-
(1) « Gonsepulti eiiim suiiius cum lUo per baptisimiiu in inorLem :
uL quoraodo Christus sarrexit a mortuis..., ita et nos innuvilale vilèr
ambulemus. » (Rom., vi, 4.)
(2) Voir S. Ca.ro\i Inslruct., iib. I^cap. xix; — Dioiiys. Areopag., Z^c?
Divina Hierarcli.; — Tertuil., De Corouamiliiis; — Origen. Iib. \ In
Epist. ad Rum.
(3) Voir le ch. vi du t. 1, ci-dessus.
et des éléments de
sa composition.
VMELBLEMEKT l)i: l'ÉGLISK. — BAPTISTÈRES. 2!)7
troitcsse du lieu (I). D'est ce sujet, eneiïet, qu'on i'ctrou\c
pour exprimer le sacrement dans les plus anciens cime-
tières de Rome, particulièrement dans celui de S. Pontien,
où une fresque représente cette mémorable scène avec des
traits qui ont mérité les éloges de Bosio et d'Aringiii (2).
L'Église, sortie des catacombes, conserva cette prédilection
pour le Précurseur, et, entre autres exemples, nous voyons
S^® Odile , fondatrice du célèbre couvent d'Hohenburg ,
illustré plus tard par l'abbesse Herrade , fonder vers 61)0
une cbapelle dédiée au Saint en souvenir du miracle qu'il lui
avait accordé lorsqu'elle recouvra la vue au jour de son
baptême (3). On n'a plus à discuter maintenant sur la com-
position d'un pareil tableau. Il faudra y éviter les eri'eurs
mêmes des grands maîtres, tels que Raphaël et Poussin ,
qui se sont trop éloignés de la simplicité historique du fait,
en posant le Sauveur sur le rivage à genoux devant le Pré-
curseur, qui le baptise par infusion. On sent jjien que là
manque le symbolisme essentiel de cette immersion , l'c-
gardée par S. Paul comme un type de notre mort spirituelle.
Lebrun a mieux fait en représentant le Christ del)out au
(1) « Forma autem reliqiiorum altaniiiii;, et modo praytinilo fiât,
muniatiir, sopiatur , iiislruatur, atque ornetur... ad orienlem versimi,
super quo in pariete expressa sit sacra historia S. Joannis Baptist.ft
Christum Domiuum baptizaiitis. Si vero ne altare (luidem exslrui polcsl,
illiiis Sfiltem loco sit pictnra. » (S. CaroL, 'ubi suprà.)
(2) « Picta itidem in pariete sanctissimi Joannis Baptistae Praecur-
soris Chrislum baptismatibiis aquis in Jordanis iilveo abliieutis histo-
ria exprimitur. » {Iloina sublert\, t. 1, p. 370; lib. H , cap. x\n, n" 8 ,
et iib. VI, cap. IV, p. 526.) — L'abbé Pascal, qui semblait né pour les
assertions les plus paradoxales, a nié qu'avant le cinquième ou sixième
siècle on eût représenté le sujet que nous traitons ici comme nous le
voyons partout: les catacoml)es lui donnent un démenti formel ,
comme l'a fait M. l'abbé Van Drivai dan^ une analyse très-concluante
des « institutions de l'art chrétien» {lievue de VarlchrcLien, II, 7H)« —
Voyez encore ce même .M. Pascal, t. I, p. 142 et 143, démentant, parées
(!xemples qu'il cite , le principe absolu qu'il a posé d'abord sur le
baptême donné uniquement par immersion.
(3) Cf. M. le vicomte de Bussière, Histoire de S" Odile , in-12, I8ri3 .
p. 101.
298 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
milieu du fleuve, dont les eaux montent jusqu'à sa ceinture,
et Jean s'y tenant avec lui et versant l'eau sur la tôte di-
vine. Cette double application de l'élément sanctifié par le
contact sacré du Sauveur est autorisée par de très-anciens
monuments soit peints, soit sculptés, que citent Cata-
lani et Mabillon [i].
Types de scuip Lc moycu âgc ii'a pas failli à cet enseignement ; il nous
pour les fonts. a Mssé dcs clicfs-d'œuvrc de sculpture, de dinanderie,
ou de peinture murale , parmi lesquels on peut choisir
des motifs pour rendre ce grand sujet du baptême donné
par le saint Précurseur. Citons comme modèles de fonts
détachés , pour les paroisses qui ne peuvent faire de
grandes dépenses, mais qui doivent toujours tenir à n'avoir
que des meubles convenables, ceux de Magneville (Manche),
de Chéreng (Nord) , puis celui de Saint-Evroult-de-Mont-
fort (Seine-Inférieure) , dont la cuve en plomb a pour relief
des sujets tirés du Zodiaque , travaux de la vie humaine
indiquant à l'homme arrivé au premier pas de sa vie qu'elle
devra s'écouler dans le travail ; enfin un autre fort curieux,
caché dans une paroisse rurale du diocèse d'Évreux : il est
du quatorzième siècle, plus ornementé et convenant bien à
une église ogivale , car on y voit une suite de frontons
aigus à ogives trilobées , puis des têtes sortant de feuilles
d'acantlie et encore entourées du bandeau dont on garnit
la tète du baptisé après l'onction du saint Chrême (2).
Les fonts de [jn trait tiré de la légende de S. Jean l'Évangéliste a ins-
Liège. pii'é , au douzième siècle , le beau relief en cuivre qui
ornait autrefois Saintc-Marie-aux-Fonts , église de la ville
de Liège, et qui reçoit, depuis n93 , l'hospitahté dans
(1) Voir un assez grand nombre de ces spécimens dans le Cows d'an-
tiquités de M. de Camnont, sixième partie, — et dans le Bulletin mo-
numental, t. XI, p. 56; XII, 296 et 347; XVIII, 423.
(2) Voir un intéressant article de M. Didron sur ce sujet, enrichi de
fort belles gravures dans les Annales archéologiques , t. V, p. 21 et
suiv.
AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. — B APTISTÈUES. 2!)!>
colle de s. Barthélémy : c'est une cuve sur laquelle est re-
présentée rinimersiou de Graton le Philosophe par le Dis-
ciple hieii-aimé: celui-ci pose sa maiu droite sur la tète du
haptisé, plongé à moitié-corps daus cette belle piscine ; une
autre scène y montre le Fils de Zacharic opérant de la
même façon sur le Fils de Dieu qu'ombrage la colombe et
que des Anges assistent tenant ses vêtements qu'ils vont lui
rendre; puis vient encore le baptême de Corneille par
S. Pierre. Dans deux: de ces scènes , la colombe symbo-
lique est remplacée par la main divine perçant le nuage et
dirigeant vers le néophyte des rayons qui expriment la
présence de la grâce donnée par l'Esprit-Saint. La cuve sur
laquelle tout cela est battu et ciselé se pose sur douze bœufs
de magnifique aspect, image en môme temps des douze
Piophètes de l'ancienne Loi et des douze Apôtres de la nou-
velle , réunissant ainsi la double pensée du baptême et d(^
la circoncision qui en était l'annonce , et faisant aussi de
la belle vasque baptismale un souvenir de cette mer d'airain
que Salomon avait consacrée dès l'entrée de son temple à
la purification légale, où se préfigurait notre baptême ciiré-
ticn (1).
Ce sont là de beaux motifs, et très-variés, pour créer des Liberté laisséo
tableaux destinés à une chapelle baptismale ; car, tout en rE^ibè'sur toul
respectant fort la scène du Jourdain et les personnages qui
la composent, nous ne savons aucune loi qui ordonne de
s'en tenir à elle exclusivement. Nous voyons ici comment
on poui'rait bien choisir un des baptêmes devenus célèbres
dans nos Livres saints. Une décoration générale de toute
une chapelle appellerait avantageusement le parallélisme de
l'ancien et du nouveau Testament: par exemple, l'ablution
du lépreux Naaman dans le Jourdain, dont les eaux le gué-
rissent (2), et (iuel([ues- unes desablutions plus merveilleuses
encore dont nous venons de parlei'.En quelqueséglises, nous
(1) Voir III lU'fj., vu, ii.
(2) Voir IV liefj., v, 1 et suq.
CCS points.
300 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
avons vu S. Rcmi versant l'eau sur le (roui de Glovis ; ail-
leurs, c'est encore le Précurseur, non pas baptisant,
mais prêchant dans une campagne, aux bords d'un fleuve,
et préparant an baptême, par la parole de Dieu , ce peuple
qu'il exhorte à la pénitence : ainsi l'ont représenté S. Mat-
thieu, S. Marc et S. Luc (4).
Des tombeaux Gombieu CCS cîioses sont attachantes avec leur coloris
dans les églises, et
de l'esprit qu'on d'autiquité chrétienne , avec tout ce qu'elles disent à l'âme
devrait y garder. ^
religieuse , qui y rencontre les éléments primitifs de sa foi
et des preuves de ses constantes traditions contre les men-
songes de l'hérésie ! Ainsi se parcourt toute la vie humaine
(3ntrc SOS luttes laborieuses qui commencent à son premier
jour, et les saintes espérances qui la consolent par delà les
appréhensions du tombeau ! C'est encore pour ramenei-
l'âme à ces vérités salutaires que, sous les voûtes mêmes oîi
se recevait le baptême , se multipliaient aussi les images
du trépas, le souvenir des dernières fins de l'homme. Nous
avons dit (2) quel esprit devait présider à ces monuments
Cunéraires, que nos églises du moyen âge se gardaient bien
de dédaigner, parce qu'ils y étaient une leçon non moins
éloquente que la chaire évangélique. On sait, du reste,
comment on y retrouvait dans tous ses caractères l'ardeur
de la foi, la simplicité d'un cœur humble et la confiance
cJirétienne. C'est ici le lieu d'insister pour que jamais d'au-
tres idées ne viennent s'y rattacher à ces derniers souvenirs
(1) « Venit Joanneà Daptista, prœdicaus in deserto Jiida3se et dicens :
Pœnilentiam agile... — Timc exibat ad eum Jerosolyma , et omnis
tegio circa Jordanem.» {MatUt., m , 1 et seq.) — « Veuerunt autein et
piiblicani..., iuterrogabant eum et milites. » {Luc, lu, 3 et seq.) —
Tous ces détails ont servi de motif au font qu'on voit encore dans l'église
de Mousson (î\ieurthe;, que le BidUtin monumental di donné dans son
treizième volume, p. 179. — Il faut observer seulement que ce travail
tiè5-sym')oliqiie n'est pas du onzième siècle, comme chercbe à l'établir
M. Digot, mais du douzième très-certainement, d'après sa sculpture, et
surtout les empattements qui relient les bases des colonnes à leurs
socles.
(2) Ci-dessus, dans ce volume, cli. u, p. 89.
AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. — TOMBEAUX. 'M\
de riiomme sur la terre, qui doivent être en môme temps
conl'ormes à sa nature coupable et au sentiment du besoin
qu'il a de son pardon devant le ti'ibnnal on il a déjà paru.
Il a fallu l'orgueil et le sensualisme de la Renaissance
païenne, consonunée à Tépoque de Jean lluss et de Luther,
pour donner à des morts ces airs de grandeur empruntée
qui ne sont plus que la ridicule parodie d'une puissance à
jamais perdue. Voyez-les se dressant par une vie d'emprunt,
en lace même de la mort qui les lie , sur un marbi'e où se
lisent de fastueuses vertus qu'ils n'eurent jamais qu'à moi- Les modèles du
^ Il i moyen âofe prefe-
tié... Comparez ces immobiles prétentions, cette action im- rabies en tous
^ '■ points.
maine, ces gestes impérieux, en un mot tous ces mensonges
sculptés , avec cette pose placide et naturelle de nos héros
des douzième, treizième et quatorzième siècles coucliés sur
la pierre connue des morts véritables et attendant, les yeux
li\és vers le ciel, ce jour éternel ([u'ils ont toujours espéré.
Que tout cet ensemble est chaste et respectueux! comme
cette armure du chevalier, ces i*obes de la châtelaine ex-
()riment bien, dans leur noble agencement, les combats mé-
ritoires de la croisade ou les vertus tranquilles du foyer
féodal ! La prière n'est-elle pas dans ce cœur qui semble
revivre encore sous les apparences de la piété recueillie?
Ces mains, qui défendirent le faible contre le persécuteur,
ou l'État contre l'Anglais , ou l'Église contre les routiers de
Montfort, se joignent maintenant pour prier; et quel que
soit celui que cette tombe renferme, vous reconnaissez en lui
une vie surnaturelle, que ses pieds reposent ou sur le lion,
emblème du courage et de la force, ou sur le lévrier docile,
qui symbolise encore le sentiment de la fidélité conjugale.
Là, rien de fastueux ni d'altier. Si parfois des armoiries s'\
rencontrent , elles sont bien plutôt un nom propre , un
tilrt; de famille, qu'un signe d'ostentation nobiliair(\ Quant
à l'épitaphe , éloge funèbi-e d'une vanité dont on n'avait
pas encore le secret, vous l'y trouvez rarement, sinon
pai qu(M(fU('s mois indisponsablcs (fuc termine toujours
302 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
riiiimble demande d'une prière pour l'âme qui n'est plus là.
Combien il im- Nous voudrlons que , désabusés des prétextes irréligieux
porte de les imi- ^ i <^
ter. qui exilèrent nos morts de l'église où ils avaient prié et où
revenait plus souvent pour eux le tribut de la prière
commune , leurs neveux , mieux inspirés , leur consacras-
sent encore, sous le regard du Sauveur eucharistique, non
d'insignifiants cénotaphes parlant moins au cœur qu'à
l'imagination, mais de véritables sépulcres renfermant les
dépouilles réelles et complétant dans nos temples catho-
liques les sublimes leçons que l'humanité doit y trouver.
Si ce vœu s'accomplit un jour pour un peuple revenu à la
vérité , et glorieusement honteux de l'avoir trop longtemps
délaissée , que les chefs de la prière , que les Évoques , les
Chapitres veillent pour chaque diocèse , et chacun dans ses
attributions respectives (^), à ranimer ces pieuses habi-
tudes de nos pères ; qu'ils veillent , comme on devrait le
l'aire depuis longtemps , à ne rien laisser construire dans
le Lieu saint qui ne soit digne de lui , d'accord avec la
sainteté du culte, et très-conforme aux pensées de l'Église
sur l'état humble et suppliant des âmes du purgatoire. En
vain on invoquera le progrès et des goûts modernes en fa-
veur de ces monuments qui dépassent toutes les limites des
convenances et insultent à l'esprit de la rehgion : ces plaintes
ne viennent jamais que des mercenaires intéressés à faire
beaucoup , et à qui il faut apprendre nécessairement à faire
mieux. Quelques belles œuvres de ce genre ont d'ailleurs
prouvé tout récemment ce qu'on gagnait à se régler sur le
(1) Nous disons dans ses atlributions respectives parce que, soit dans
les cathédrales, où le Chapitre doit toujours être consulté pour ce qui
regarde leurs biens meubles ou immeubles, et dans les paroisses, où
les fabriques ont un droit légal d'administration du temporel , les
évoques ne doivent exclusivement s'attribuer en rien les œuvres de
réparation ou de restauration. Le droit canonique est formel sur ce
point, qui, mieux observé, eût maintes fois préservé les plus belle?
églises des tristes dévastations qui s'y sont faites sous prétexte d'em-
bellissement.—Voir Laurenii Forum ecclesiaslicum, tit. x, in Décrétai.
lib. III, quaest. 109, — et Bouix , Tractât, de Capitulis, p. 388.
AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. — TOMBEAUX. 303
moyen âge , et comme le style roman ou ogival , dont nous
ne pouvons pas sortir pour la construction de nos temples
catholiques , s'allie l)ien plus heureusement avec des enfeux
ou des statues couchées qu'avec ces amhitieux cénotaplies
qui, dans le premier style venu, rapetissent jusqu'à l'autel
et luttent de forme et de travail avec les magnificences du
tabernacle ! iX'encomljrez pas le sol qui doit laisser à tout
lidèle un libre passage ; ne cachez pas sous les altières
sculptures de vos monuments funèbres les murs qui doi-
vent se parer de fresques symboliques ; imitez plutôt ces
belles et simples sépultures, aussi peu embarrassantes qu'ad-
mirables d'exécution , dont s'ornèrent au treizième siècle
les égUses de Cerisiers et de Dillo, dans l'Yonne (I), et
encore cette belle tombe que la cathédrale de Nîmes éleva,
en 1855, aux restes de son évoque, Us^ Gart , sur les plans
de M. Revoit (2).
Ou bien cherchez jusque dans les catacombes ces pieuses symboles qui
'' ^ A peuvent y être ap-
alléaories des agneaux , des colombes , des croix , rangés Piqués de notre
o n 7 7 o temps.
autour du chrisme antique , et les plantes vivaces des vertus
les plus douces : la rose et le lis , le palmier et le cèdre ,
l'ancre de l'espérance et du salut , la lyre qui prélude aux
concerts éternels , et le cerf altéré , et l'arche de Noé , et la
barque de Pierre Quel immense champ à récolter dans
ces chères idées des premiers âges !
Et pourffuoi , en attendant que la Loi spirituelle recon- inscriptions fu
quière pour les morts , dans leur propre église , une place aux églises,
f|ue chacun devrait aspirer à leur rendre , pourquoi ne pas
anticiper sur cette réparation tle toute justice, en obtenant
des fabriques , moyennant un droit proportionnel, la place
de quelqu(;s pierres tombales à incrustations, à inscriptions
funéraires qui parleraient encore, sous le regard" de Dieu ,
(1) Le Bulle lin monumental en a publié des gravures, t. Xin,p.2G2
et suiv.; XIV, 409.
(2) Voyez-en la description et le dessin dans la Hevue de Varl chré-
tien, il, 70.
304 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
des âmes absentes qu'un souvenir ami viendrait soulager
souvent , et entin délivrer? Ces modestes hommages de la
piété s'encastreraient dans les surfaces des murs , ne ravi-
raient aucun espace aux cliapelles ou aux nefs, et des noms
aimés, dignes de la mémoire des lions, se perpétueraient
comme un nécrologe lapidaire sous les précieuses in-
fluences du sacrifice de l'autel,
pour y remplacer Aiiisl OU obvlcrait, autaut que possible, aux profanations
n?bres"et"7es%é- légalcs quc Ics adiiiiiiistrations urbaines répètent trop fré-
putuips. quemment en bouleversant les places étroites des cime-
tières, au mépris des dépouilles dont une société affaissée
méconnaît les droits sacrés ; ainsi, dans la maison de Dieu,
se perpétuerait, sans aucun risque d'y être troublée, la vie
de ceux qui s'aimèrent en Jésus-Christ pendant le court
pèlerinage de la terre; ainsi encore l'intelligence des peuples
se nourrirait chaque jour des symboles qui l'intéressent le
plus, et apprendrait à y lire, comme autrefois, ses plus
intimes croyances et ses plus utiles leçons.
Cette idée , qui a servi de base à une fondation de prières
pour les morts à Saint-Jean-de-Montierneuf de Poitiers , s'y
révèle depuis quelques années par un grand nombre d'ins-
criptions funéraires. Nous louons beaucoup l'adoption de
cette pensée par M. le curé de Montierneuf. On s'aperçoit
déjà, en attachant ses regards aux parois d'une des chapelles
de la magnifique abbatiale, combien l'attention se reposerait
pieusement sur une telle série de commémoraisons , infini-
ment plus désirables que beaucoup de peintures murales
qu'on n'est pas toujours sûr 'd'y réussir. Puissent d'autres
églises honorer ainsi la mémoire de leurs amis par un
spectacle non moins utile que touchant î
CHAPITRE vm.
DES MODILLONS.
Les aperçus généraux que nous avons donnés sur les
nombreuses images décoratives que la main des artistes
jeta sur les murs de nos temples n'étaient , nous l'avons
dit, qu'une vue d'ensemble préludant alors à ce que nous
devrions exposer des intentions de l'arcbitecture cbrétienne
et de ses moyens d'action sur l'intelligence (^). Mais nous
avons promis de revenir sur ce vaste objet d'études sérieuses,
(jui mérite notre attention et dont nous avons maintenant
à développer la tliéorie.
Lorsqu'en ^849 nous donnâmes dans notre Histoire de la Études déjà an-
ciennes de l'au-
cathédrale de Poitiers (2) l'explication de tous les modillons teur sur ce bujet ,
qui en décorent si élégamment le pourtour intérieur , cer-
tains critiques nous trouvèrent au moins ingénieux , d'au-
tres nous accusèrent de trop de bardiesse... On est bien
revenu aujourd'bui de ces étonnements et de ces doutes.
Un savant anglais nous disait naguère que la Société des
antiquaires de Londres , émue de la netteté de nos affir-
mations , s'était occupée de les examiner, et nous regardait
comme le premier divulgateur de ces mystères. En effet ,
en écrivant sur ce sujet dans un livre où l'bistoire de l'art
s'associait nécessairement à celle de la basilique poitevine,
nous ne suivions personne qui nous eût encore précédé
(1) Ci-(lessu?, cl). III.
(2) T. I, ch. IV et .suiv.
T. m. 20 *
300 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
qui a trouvé de (jans cctte caiTière. On n'avait pas encore traité de ces petits
nombreux antago-
nistes, sujets ; on n'en avait écrit que quelques lignes dédaigneuses,
uniquement pour en signaler la prétendue bizarrerie , et
déclarer que , s'ils « répondaient à je ne sais quelle idée
symbolique , on ne pouvait guère les interpréter que par
des imaginations et des conjectures.» — C'était là seulement
à quoi croyaient pouvoir aspirer des esprits droits, mais
timides , sur un point dont rien ne leur avait révélé le fond.
D'autres tâtonnaient, il est vrai ; le sentiment mieux inspiré
de quelques consciences chrétiennes les avertissait que, sous
ces formes difficiles à traduire , se cachaient savamment
autant de pensées toutes pleines de christianisme (-1). Mais
d'autres , à qui les Pères et la Bible n'étaient pas assez
familiers , déclaraient ne rien entendre « à ce sens figuré, »
et le présentaient « comme un vaste champ d'énigmes aux
partisans du symbolisme absolu (2). » En vain, au congrès
scientifique de Tours , tenu en ] 847, nous avions déjà éla-
boré toute notre doctrine. Complètement opposée à celle
d'un ou deux antagonistes, zélés partisans d'idées quiéblouis-
saient un peu trop des yeux mal exercés , en vain nous y
avions été entendu par des soutenants de bonne force ,
armés de raisons vraiment admissibles ; il fallut encore
quelques années pour obliger au silence et probablement
à des convictions nouvelles les anti-symbolistes que nous
mais qui n'en peut avlous couibattus (3). Plus dc vlugt aus sc sout écoulés
pusavou. depuis lors ; dans ce long espace, les études sont devenues
plus attentives , des découvertes se sont faites, et, pour ar-
river au point où nous sommes enfin , c'est-à-dire à l'ad-
mission définitive d'une théorie qu'on ne peut plus nier et
qu'on ne discute plus que sur de faibles nuances de détail,
(1) Voir une dissertation de M. de Fleury, imprimée en 1843 dans le
compte rendu du Congrès archéologique de Poitiers, Bidlel. moniim.,
IX, 460 et suiv.
(2) Congrès archéologiques de Beauvais et de Saintes, Bullet.,
monum.,X, 318, 562.
(3) Congrès scientifique de Tours, t. 1, p. 102; t. II, p. 85.
DES MODILLONS. 307
il a fallu se trouver tout simplement forcé d'adopter nos
vieilles leçons, de reconnaître comme triple source des
modillons sculptés l'Écriture , les Pères et la Légende ; et
après tout ce qu'on a dit pour ou contre notre sentiment,
nous n'avons qu'cà poursuivre notre même thèse, appuyé
de plus sur le curieux et décisif ouvrage de S.Méliton , avec
lequel notre lecteur est déjà familiarisé, et que nous devrons
avec lui retrouver encore plus d'une fois.
Nous n'avons pas à nous étendresur l'origine de ce genre origine et objet
d'ornementation murale. On sait qu'au dehors ou à l'inté-
rieur des temples, sous les entahlements et les corniches ,
il représente les extrémités des poutres qui d'ahord saillis-
saient des murs pour soutenir les profds. La part du génie
dans ce que nous voyons fut de trouver à utiliser ces moyens
de solidité en les faisant servir comme décoration artistique,
et d'ajouter par là , selon la pensée dominante de l'art
chrétien , un auxiliaire de plus à l'ensemhle de ses doc-
trines théologiques. Ainsi , de matériaux inutiles en appa-
rence, et en effet de très-mauvais goût, l'architecte se créa
une nouvelle ressource. Toutes ces extrémités disgracieuses
d'arhres écarris, que l'édifice ne pouvait guère dissimuler
ou que des formes insignifiantes laissaient muettes et sans
hut, devinrent autant d'expressions nouvelles d'une pensée •
philosophique, autant de phrases d'un traité de morale plus
ou moins développé. On remarque surtout ce soin d'une
parure ingénieuse dans les vieilles éghses de Bretagne ,
dans celles mêmes qui ne remontent qu'au seizième siècle,
et parfois , comme nous l'avons ohservé à Vannes et à
Ploërmel, les chevrons destinés à supporter les formes ou
les entraits de la charpente en bois qui forme la voûte
s'avancent au-dessus de la nef jusqu'à -^0 ou 50 centimètres
des murs d'où ils sortent , et présentent à l'œil comme des
gargouilles dont la tête varie en mille expressions diverses,
presque toutes de mauvais génies et de démons. Il a dû
sembler piqujuil à d(!s artistes imhus de leur rôle de faire
308 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
supporter le temple du Dieu vivant par l'auteur de la mort
éternelle. Rien n'étonne donc rintelligence du vrai chré-
tien dans ces leçons publiques, professées à l'aide de figures
mystiques , il est vrai , mais bien moins obscures aux con-
temporains qu'on n'a bien voulu le dire, lorsqu'elles étaient
destinées, comme tant d'autres , à faire cortège à tout ce
qu'avait de mystérieux dans le temple la vie cachée , et
cependant très-réelle, du Dieu que la foi sait y voir, y adorer
et y prier.
connus des Ro- Mais cc u'cst mômc pas le Christianisme qui trouva le
mains et des Juifs, pj,gj^|gj, ^g ^^^^e d'omementatiou scientifique. Les décou-
vertes modernes en ont fait sortir des fouilles de Jublains ,
et ceux-ci prouvent que l'architecture romaine en parait
l'intérieur de ses temples (^j. Quoi qu'il en soit, et pour
rentrer positivement dans l'idée hiératique , le temple de
Salomon , de cet écrivain dont toutes les pages restent les
dépositaires de la plus haute sagesse antique, et qui aimait
à proposer des problèmes à ses illustres correspondants (2),
s'embellissait , mille ans avant notre ère , de sculptures qui
n'étaient autres que nos modillons, et qui toutes avaient leur
sens déterminé et éminemment religieux. Des murailles
du temple semblaient jaillir des palmes , des figures de
chérubins , et autres moulures sculptées qui se déta-
chaient du fond et que, pour cela, on appelait des anaglyphes
et naturellement (ccyayALiqjw) (3) . Quclquc varlés quc paraissent ces motifs, ils
(1) Voir Bullel. monum., XIX, 590. M. de Caumont y signale sim-
plement des modillons trouvés dans les ruines du caslellam élevé par
les Romains dans le Maine; mais il n'en donne pas la description, qu'on
ne devrait jamais omettre en pareil cas , puisqu'elle ajouterait aux no-
tions déjà acquises, et servirait utilement l'étude comparative^qui de-
vient impossible avec de si incomplets renseignements.
(2) « Omnesque reges terrarum desiderabant videre faciem Salo-
monis ut audirent sapientiam. » (III Paralip., ix, 23.) — « Regina Saba
venit tentare eum in aenigmatibus...; non fuit sermo qui regem possit
latere, et non responderet ei. » (III Reg., x, \ et 3.)
(3) « Omnes parietes templi per circuitum scripsit variis cœlaturis
et torno ; et fecit in eis cherubim, ctpalmas, et picturas varias quasi
DES MODILLONS. 30!)
faut croire qu'ils ne sont indiqués dans le li\rc biblique que cStianisme. '^
fort succinctement et seulement pour donner en quelques
traits une idée du tout. Mais la religion du symbolisme par
excellence , celle qui a^ait transporté dans ses premières
images le parallélisme des deux Testaments, qui abritait le
nom et la personnification adorables de Jésus sous les noms
de Moïse , de Jonas , et déguisait enfin le divin encban-
teur des âmes sous les traits factices d'Orpliée et d'Apollon,
ne pouvait se contenter de si peu. Plus contemplative, plus
préoccupée des rapports chrétiens entre la terre et le ciel ,
elle lit passer naturellement dans l'art cette métaphysique
supérieure , et recula jusqu'aux limites infinies du possible
le domaine de la pensée et les conquêtes de l'imagination.
De là cette variété inappréciable de symboles empruntés à
tous les l'ègnes de la nature, à tous les ordres de l'existence
humaine ou surnaturelle , et qui , toujours plus vive et
plus féconde, est venue peu à peu, selon que l'architec-
ture prit un essor plus vaste , blasonner de ses pièces et de
ses couleurs toutes les idées qui devaient servir, dans toutes
les pai-ties du temple nouveau , le dogme et la morale de
l'Évangile.
La marche de ce moyen plastique s'est montrée, en effet, Marche progrès
'j ^ ^ ^ give de ce moyen
presque insensible et progressive. A en juger par ce qui dans rhistoire de
nous reste des églises les plus anciennes , telles que les
temps primitifs de nos deux premières races en ont laissé
jusqu'à nous des vestiges plus ou moins considérables , on
peut certainement établir que les images produites par le
symbolisme se réduisirent à un petit nombre souvent répété
et ne remplissant qu'à peine des surfaces étroites. A l'époque
carlovingienne , tout empreinte de ce qu'il y a de massif et
prominenles de pariete eiegredienle.s... Et sculpsit in ostiis picturam
cherubim et pulmarum species , et anaglyplia valde prominenlia... »
(III Re(j., VI, 33 et siiiv.)— « Anar/lypha vox est graîca, significans ima-
gines etpicturas e superficie [larietis, tahiilœ vel ostii exstantes et pro- .
mineules. » (Kstius, in h. loc; Cornel. à Lapide, Sanctius etaiii.)
3J0 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
de lourd dans la construction architecturale , on les voit se
produire sous des traits qui, pour n'avoir rien de gracieux,
n'en ont pas moins un langage très-reconnaissable. Les
figures d'animaux , les signes de géométrie , les fleurs , les
astérisques, les entrelacs, y paraissent presque toujours
isolés un à un sur chaque petite pierre dont ils ornent la
surface ou les contours. Ce sont évidemment des souvenirs
des textes bibliques réduits à leur {)lus simple expression.
La face humaine n'y est pas rare, mais c'est un type de peu
d'effet, sans expression arrêtée peut-être, mais jouant un
rôle évidemment intentionnel dans l'ensemble de ces scènes
dont on ne découvre pas facilement la pensée dominante :
sans doute on doit ces grimaces-là à une moindre entente
des artistes bien plus qu'au dessein arrêté de l'inventeur.
Une période de trois ou quatre cents ans se maintient
dans cette négligence de la forme. Le onzième siècle lui-
même, en dépit de son élan architectural, ne prodigua point
une grande variété de ces figures significatives, quoique
sous le nom de iêies plates on les reconnaisse facilement dans
les monuments de cette époque. Cependant, quand ce siècle
est près de sa tin , on voit naître à ces premières données
une agréable modification; les modillons se rejoignent par
des arcades saillantes, au fond desquelles saillissent en
ronde bosse d'autres sujets qui ne sont peut-être pas sans
rapport avec ceux des modillons eux-mêmes : c'est ce
qu'on appelle des métopes {iui.ir6nin) . Ils sont conservés de
l'ordre dorique, où ils représentaient les intervalles des tri-
Eiie se déve- glyphcs', mals, arrivant le douzième siècle avec son efflores-
loppe surtout au • r' i ^■> ^ ^ e L•^ ^ i i
douzième siècle, ccuce SI fccoudc , avcc 1 abondance fertile de ses symboles
et sa théologie appliquée si savamment à la pierre , comme
à la peinture murale et aux vitraux, nous sommes en
présence d'immenses richesses ; les motifs antérieurs ne
sont pas entièrement bannis ; on les voit encore se mêlant ,
par leurs caprices de végétation, avec les dents de scie , les
billettes et autres fantaisies du roman , puis épanchant de
DES MODILLONS. SU
tous côtés un ordre d'idées bien supérieur et bien mieux
suivi. Toute la métapbysinuc du srenre se plie aux tentatives ^^ déchoit au qua-
" *■ torzième avec la
du ciseleur. Le treizième et le quatorzième siècle suivent simplicité chré-
tienne.
la même tendance avec plus de perfection dans la forme ,
et , par ce dernier, avec une certaine licence qu'il ne faut
pas omettre de signaler, car c'est surtout alors que la plii-
losophie catholique commence à déchoir de sa pureté doc-
trinale dans le choix des symboles ; la légende y pénètre
avec un esprit plus mondain ; le paganisme s'y répand
avec ses personnages et ses faits, qui sont beaucoup plus
de l'allégorie que du symbolisme. On revient presque à ce
grossier et matériel usage des Romains qui ornaient de
tètes d'esclaves ou d'ennemis vaincus les frises ou les im-
postes de leurs arcs de triomphe. C'est ainsi que le Lai
(VAristote^ dû à un romancier du treizième siècle, a jeté
au commencement du quatorzième, sur un chapiteau de
la nef de Saint-Pierre de Gacn, à Saint-Jean de Lyon comme
sur la grosse tour du château d'Amboise , le philosophe
réduit à marcher sur les genoux et sur les mains, et prêtant
son dos à une femme qui le mène par la bride comme un
cheval.
Ainsi déjà, vous le voyez, le fait légendaire, passable ,
à la rigueur, dans l'ornementation du monument civil
ou militaire, se glisse dans le temple , où il n'avait que
faire. Déjà l'esprit antichrétien préludait à multiplier les
cultes et à laïciser la religion. Le Roman de la Rose a
Iburni aussi son contingent aux imaginations d'artistes
fourvoyés : on trouve en certaines églises le Palmerih de
ce poème traversant la mer sur sa bonne épée. Évidem-
ment ce sont là des observations que le bon goût n'eût pas
conseillées; elles sont le cachet d'une époque de décadence,
et pourtant elles n'en prouvent pas moins une volonté ar-
rêtée , quoique moins religieuse par l'expression , d'ensei-
gnei- comment l'homme, créature raisonnable, comme un
philosophe devrait l'être toujours, peut s'abaisser par ses
3^2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
passions au-dessous des conceptions les plus frivoles ; et le
héros de Jehan de Meung n'est-il pas , de son côté , une
allégorie de la force surnaturelle d'une âme chrétienne
entreprenant, pour arriver à sa fin, les choses les plus ardues
et les plus impossihles en apparence (4)? On rencontre
bien d'autres légendes de cette force au quatorzième siècle ,
et la cause principale de ces débauches de l'esprit est sur-
tout dans l'envahissement que nous avons signalé plus haut
de l'œuvre sainte par la franc-maçonnerie laïque, déjà plus
Le treizième est OU molus révolutiomiaire. Le treizième, encore à lui-même ,
bien plus théolo- ,, • i • .» i ai
gique. et ne ressentant qu a peme les premiers symptômes de cette
usurpation malheureuse , était bien mieux avisé. Tout en
sortant quelque peu de l'idée dogmatique , préférée par le
douzième , il reste cependant encore dans le cercle sévère
de la piété catholique. Son iconographie se rattache aux
faits des deux Testaments , à la vie des Saints , à des mi-
(1) Nous rappelons encore ici aux antagonistes du symbolisme qui se
servent de certaines hardiesses pour nier toute son action raisonnable,
que nous avons toujours distingué ce quatorzième siècle, où l'art chré-
tien s'incline vers sa décadence, de tous ceux qui l'ont précédé, et cela
jusqu'à le répudier et jusqu'à promettre de venger la religion, comme
nous le faisons dans ce livre , du peu d'honneur qu'il lui a fait sous ce
rapport. (Voir Congrès scienlifique de Tours, l, iQi , ubi suprà.) —
M. de la Sicotière, qui plaidait alors contre nous, et tout en acceptant
avec joie ce qu'il appelait u?ie concession nouvelle, prenait acte de notre
répudiation du quatorzième siècle et nous alléguait comme parfaite-
ment étrangers à l'Écriture et aux traditions religieuses les deux épi-
sodes que nous citons ici. C'était trop s'en rapporter à des citations de
plusieurs membres du congrès qui ne savaient pas assez considérer que
leur objection et la sienne reposaient précisément sur des faits engen-
drés par la période qui se trouvait reniée par nous deux. Et , pour
comble d'inattention, notre adversaire ajoutait à ces traits du quator-
zième siècle la licorne, qui se trouve très- peu sur les monuments de
cette dernière époque, mais beaucoup sur ceux du siècle précédent,
comme le prouvent S. Isidore de Séville, Hugues de Saint-Victor, Vin-
cent de Beauvais, Rabaii-Maur , Pierre de Capoue , Alain d'Auxerre et
bien d'autres, tous antérieurs au quatorzième siècle. (Voir Spicilfg.
Solesin., III, 57.) — On était donc bien préparé alors à cette grande
question, dont un prompt avenir devait éclairer si vivement les obscu-
rités prétendues. Qu'a-t-on trouvé depuis? tout simplement ce que
nous soutenions alors.
DES MODILLONS. 3^3
racles , à des traditions niysti(|iies. Ses chapiteaux et ses
inodillons (car les uns ne sont guère séparables des autres
quant à l'examen de l'œuvre d'art) gardent encore le respect
tidèle des règles fondamentales : tout y est pris des inva-
riables notions du dogme et de la morale évangéliques ;
et pour peu qu'on sache l'une et l'autre par l'étude des Pères
et des commentateurs de l'Écriture, on lit sans trop de diffi-
culté ces pages , dont les obscurités apparentes ne voilent
qu'à demi de réelles et imposantes beautés.
C'est pourquoi , préalablement à tous détails d'iconogra- ^^S^df^a mé-
phie, et avant de nous faire im classement qui divise en ca- *^«^^ ^"^^'<^'
tégories distinctes les modillons qui doivent servir à notre
étude, il nous faut développer quelques idées générales, qui
suffiraient très-raisonnablement à expliquer les images si
nombreuses dont s'étonneraient encore certaines imagina-
tions arriérées. N'oublions pas , tout d'abord , le principe
déjà développé plus d'une fois dans cet ouvrage : l'impossi-
bilité absolue que l'Église ait jamais permis , surtout dans
nos siècles les plus hiératiques, de placer au hasard , sous
les yeux de la foule, des sujets d'observation qui n'y pussent
être qu'une distraction frivole, et souvent môme des invita-
tions aux vices les plus détestés.
Ceci bien entendu, remontons à l'origine de ces curieux dans ics mormions
,. . ,. Il 1 t ' f isolés de tous au-
dessms , mterrogeons-les tour à tour, et d abord pris sepa- très.
rément et comme isolés les uns des autres. Nous disons
qu'en ne les considérant qu'à ce point de vue, on trouverait
dans chacun d'eux , avec l'unicjue secours de l'Écriture et
des Pères , un sujet de réflexions qui ne manquerait pas
d'amener à autant d'interprétations péremptoires. Sans ^
doute, la multitude des textes scripturaires exprimant les
mêmes pensées feraient naître, selon le génie de rintcrprète,
des explications diverses pour une même ligure; la règle d'op-
position, que nous avons plus d'une fois exposée, en tirerait
même avec un égal succès le germe fécond d'idées contra-
dictoires; mais toujours on se rendrait compte d'une inten-
su HISTOIRE DU SYMBOLISME.
tien symbolique ; on verrait une raison à ces êtres si nom-
breux et si variés. Telle fut certainement l'idée mère qui ,
avant toute méthode arrêtée , dut inspirer à un artiste
quelconque l'envie de faire de chacune de ces pierres
d'ornementation une abstraction capable de susciter dans
l'esprit des souvenirs et des comparaisons relatives aux
choses de la foi.
Cette méthode N'était-cc pas la pensée de S. Denys l'Aréopaffite quand il
puisée dans les c i. >^ x
Pères : -S. Denys écrivalt i <( G'cst loucr Dieu diarnement que d'embrasser
l'Aréopagite ,
dans sa louange toutes les choses créées , pourvu que
nous les considérions toujours dans leurs rapports avec
Lui (^) ! )) Or c'est là précisément ce qu'est appelé à con-
sidérer celui qui examine tant de figures suspendues à nos
corniches, et dont l'âme cherche toujours à se rendre
compte. Ce qui doit, avant tout, lui paraître incontestable,
c'est qu'elles doivent se rapporter aux liens qui rattachent
Dieu à la créature. N'est-ce pas Lui, en effet, qui fit pour
s. Clément d'A- ellcs, sclou la rcmarquc de S. Clément d'Alexandrie, tous
lexandrie ,
ces éléments , tous ces animaux dont le plus noble a reçu
certains caractères tout divins ? n'est-ce pas Lui qui , ayant
créé cet être à son image , et tant d'autres sur lesquels res-
pire le souffle de sa Sagesse, s'est applaudi dans ses œuvres
s. Théophile en voyant que tout y était souverainement bon (2) ? S. Théo-
phile d'Antioche, donnant les preuves del'existence de Dieu,
(1) Nous ne Srivons plus d'où est tiré ce texte de S. Denys que nous
trouvons parmi les notes recueillies pour ce travail, mais que nous em-
pruntons à VUnivers, feuilleton du 18 juin 1851.
(2) « Ipse uamque opifex et Dominas omnium in operibus suis exsul-
tat. Cœlum enim suprema sua potentia stabilivit illudque incomprelien-
sibili sua sapientia ornavit. Terram quoque ab aqua quae illam ambit,
separavit..., et animalia quœ in illa versantur, jussu suo praecepit esse.
Mare etiam et quce in illo vivunt animalia, cum prius creasset, sua po-
tentia inclusit. Prae omnibus, animal excellentissimum et intellectu
maximum , hominem sacris manibus formavit, imaginis suœ charac-
terem...H8ec omnia cum perfecisset,laudaviteaetbenedixit...Habentes
itaque hoc exemplar, impigre ad voluntatem Ejus accedamus; exstatis
viribus nostris operemur opus justitiae. » (S. démentis Ad Corinlfi.
Episl., opp. t. I, p. 166.)
d'Antioche ;
DES MODILLONS. 3^5
disait, vers le même temps, à Autolycus, combien (le\ait nous
convaincre cette diversité de choses muettes ou animées qui
composent rensem])le de cette merveilleuse nature dont
les évolutions sont aussi constantes que précises ; et chaque
mot, pour ainsi dire, de cette éloquente apologie de la Pro-
vidence est à lui seul un modillon (i). Ne voyons-nous et dans lÉcriture.
^ ^ "^ — Variété infinie
pas ces mêmes images transportées de ces pages attachantes de ses sujets,
sur les corbelets de nos églises , sur les chapiteaux , dans
les archivoltes des fenêtres, dans les cintres des portails?
Au onzième siècle surtout , dont il nous reste encore beau-
coup d'églises , ou dans la sculpture mérovingienne , dont
quelques débris se prêtent à nos recherches , voyez comme
se montrent à nos regards ces nombreux sujets isolés,
poissons , oiseaux , fleurs , serpents , quadrupèdes , têtes
humaines, posés là évidemment pour y représenter l'œuvre
de Dieu et nous élever jusqu'à lui. Et le Psalmiste, dans les
poétiques élans de son enthousiasme , n'avait-il pas énu-
méré aussi tous ces chefs-d'œuvre de la création? ne les
e\horte-t-il pas à louer leur auteur, comme s'ils avaient le
sentiment et la vie morale? Et que font autre chose aux
murs de nos temples ces arbres et ces collines, ces fleuves
ondulés , ces soleils, ces étoiles et ces croissants , ces visages
souriants de jeunes filles et de jeunes hommes, ces rois
couronnés et ces juges de la terre, ces instruments de mu-
sique et ces têtes d'anges (2) ? Dites-nous quel est le sens de
(1) « Considéra... tempestatum vicissituflines...,mensium et annonim
rite descriptas vices, seminum, plantarum et fructuum amœnam va-
rietatem, diverses pecudum fœtus, qiiadrupedum, volatilium, repti-
lium, natatilium thivialiura et marinorum..., dulcium et perennoniin
perenues lluxus..., corporuni cœlestium diverses motus, Lucifenim ex-
orientem et perfecti astri adverituin pra;iiuutiantem...,ijuibus omnibus
multiplex Dei sapientia propria noraina imposait... » (Theopliil.,
Antioch. episc, Ad Auioly. episl. prima, apud S. Justinum, p. 3i()
et scq.)
(2) « Laudate Dominum, sol et luna..., montes et omnes colles, lijïna
fructifera et omnes cedri..., bestiaî et universa pecora..., reges et
omnes judices terrae..., juvenes et virgincs. » {Pf:., cxi^viii, passim.) —
3^6 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
tout cela: s'il n'est pas une émanation des Livres sacrés, dont
ils semblent une traduction aussi fidèle que souvent élé-
gante, et si réellement le rôle qui leur est assigné sur tant de
pierres n'est pas aussi digne du sculpteur que du poète divin.
prêchant à toute Si VOUS doutlcz cucorc quc telle soit l'intention de
créature.
l'Eglise , et que ce ne soit pas pour nous les pages et comme
les chapitres d'un livre profond qui nous enseigne et nous
anime , consultez un de nos oracles qui nous a parlé tant
de ibis, et rendez-vous du moins à sa doctrine : c'est S. Gré-
Expiication de golrc Ic Graud. Un jour, il exposait à son peuple, avec sa
s. Grégoire le . . ,. . , . .^ . , i i o
Grand. clartc SI judicieuse, la signification des paroles du Sauveur
confiant aux Apôtres , avant son ascension , leur mission
évangélique, et, sur cette parole : Prêchez V Évangile à toute
créature, il disait : (c Qu'entendre ici par ces mots à toute
créature ? )) Est-ce que le saint Évangile devait être annoncé
aux animaux sans intelligence , aux objets inanimés? Sans
doute , en quelque façon ; car c'est l'homme lui-même qui
est ainsi désigné. L'homme participe réellement de toute
créature : n'a-t-il pas l'existence comme les pierres , la vie
végétative de la plante , les sensatious de l'animal , l'intel-
ligence de l'Ange ? Or avoir quelque chose de commun
avec toutes ces créatures-là , n'est-ce pas être toute créa-
ture jusqu'à un certain point? Prêcher aux hommes la
bonne .nouvelle , c'est donc y faire participer tous les êtres
de la création (I).
«Cantate Domino canticumnovum... In choro, in tympano et psalte-
rio..., in sono tuljae..., in cilhara..., in cymljalis bene sonantibus...,
omnis spiritus laudetDomiiiiini. » (P5.,cxlix, passim.)
(l) « xNiimquid, fratres mei , sanctum Evangelium vel insensatis ré-
bus, vel brutis animalibiis faerat prsedicandum ut de eo discipulis di-
catur : Prxdicale onini crealurse ? Sed omnis creaiurx nomine signa-
tar homo. Omnis autem creaturœ aliquid babet homo : babet namque
commune esse cum lapidibus, videre cum arboribus, seutire cum ani-
malibus, inLelligere cum Angelis. Si ergo commune habet aliquid cum
omni creatura homo, jiixta aliquid omnis creatura est bomo : omni
ergo creaturae prcedicatur Evangelium, cum soli homini pnedicatur. »
(S. Greg. Magni IJonnl. xxix w Evanq.)
DES MODILLONS. 3-17
Voyez-vous mainlcnant la raison tliéologiquc de tant de
créatures diverses rappelant à l'honinie , dans ces rangs
qu'elles occupent, qu'il est l'abrégé et le complément de
toute la création, et que, si le ciel et la terre racontent ainsi
jusque dans une église la gloire de Dieu^ à qui ils appar-
tiennent (i) , ce roi de toutes les créatures, pourvu de tant
d'esprit et de raison , doit d'autant mieux se faire le fidèle
adorateur de cette Providence, qui veut par-dessus tout ses
louanges , et présente ici à son imitation l'exemple de cette
adoration universelle ?
Gela posé , et le principe une fois admis dans ses rudi- ce pian générai
*■ ^ particularisé dans
ments les plus élémentaires , il n'y eut rien de plus naturel son application à
des idées com-
que de lui donner toutes ses conséquences relatives, comme piexes.
en eurent toujours les découvertes de l'esprit humain.
Bientôt donc , ce ne furent plus seulement des sujets à part
qui ne présentaient la nature, pour ainsi dire, que d'un seul
côté ; on ne s'en tint plus à une invitation générale de bénir
l'Auteur de toutes choses ; on crut possible d'offrir aux
méditations de l'âme une série abondante de considérations
puisées dans tous les dogmes, dans toutes les idées morales,
dans les caractères du vice et de la vertu , dans tout ce
qu'il fallait croire , faire ou éviter ; ce fut une grande ex-
tension donnée à la pensée primitive , et une sorte de poé-
tique appliquée à la pratique du bien. Une suite étudiée
de toutes ces petites consoles déroula, avec une surpre-
nante variété de poses , de gestes et d'intention, des his-
toires suivies, et comme de longs traités de morale qu'on
n'a jamais assez voulu soupçonner ni reconnaître.
On ne peut plus nier ce plan ingénieux qui dessina , à la Méthode d'étu-
, . .1, T ^^^f ^' découver-
la suite les unes des autres , ces pages vivantes d un grand tes à cet égard.
livre ouvert à tous les regards, avec ses épisodes et son
imagerie. Si l'on se promène autour d'une église du dou-
zième siècle , que le roman fleuri a parée de ces mille
{{] « Cœli enarrant gloriara Dei. >> {Ps., xviii, 1.) — « Domini est terra,
et plénitude ejus. >» {Ps., xxiii, 1.)
3^8 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
figures qui nous occupent, ou si on les analyse à l'intérieur
en les suivant de gauche à droite comme les livres d'une
bibliothèque , il sera possible , après une revue plus ou
moins laborieuse, de reconnaître une suite d'idées corré-
latives , déduites les unes des autres , et offrant un long
discours plein de méthode et de sens. Nous osons affnmer
que ce système est élaboré partout avec la même persé-
vérance , quoique partout il ne soit pas également facile
d'en lire les phrases ; car, deçà et delà, au milieu de ce grand
nombre de petits sujets qui se succèdent sans interruption
d'une travée à l'autre , comme à la Cathédrale et à Sainte-
Radégonde de Poitiers , pourquoi rencontrerait-on souvent,
comme nous l'avons fait observer pour le premier de ces
édifices , des groupes divers dont les membres se relient
nécessairement et indiquent, sans aucun doute possible,
J'élaboration d'un sentiment, d'un dogme, d'une vérité
consacrée par l'Écriture ou la tradition , et s'exprimant par
un enchaînement de types très-reconnaissables ? Ici , en
effet , un campagnard armé d'une houe en dirige un coup
violent contre une tête de diable qui l'avoisine ; là, c'est le
Tétramorphe s'espaçant à droite et à gauche du Christ assis
et bénissant au milieu d'âmes charmantes ou hideuses, de
visages radieux et de musiciens pleins d'une joie expansive ;
plus loin , c'est le jugement dernier, car des Anges son-
nent de la trompette autour des tombeaux d'oii les morts
se soulèvent ; ailleurs , c'est encore un mélange de bons et
de méchants que distinguent la douce placidité de leurs
traits ou des contorsions affectées ; un homme , symbole
de l'humanité tout entière, blessé au pied comme la nature
humaine qui boite depuis le péché originel , et la femme
divine s'échappant de la fleur de Jessé pour guérir cette
blessure qui nous entrave tous ici-bas (\). N'y a-t-il pas là
évidence quant à un plan donné à l'artiste , et sont-ce des
(1) Hist. de la calhédr. de Poit., I, 252 et puiv.
DES MODILLONS. 3^9
jeux du hasard que tous ces détails d'une création si habile
et si éloquente ?
Voilà sans doute de quoi instituer la curiosité scientifi- combien ces ob-
^ " servaiions sont
(lue de plus d'un archéologue et surtout des architectes qui lignes des hom-
* "^ ^ * mes sérieux.
ne voudraient pas s'endormir sur ces importantes études.
Nous en savons plus d'un, cependant, qui n'hésitent pas à
traiter de bizarres et d'inintelligibles ces formes précieuses
et si riches de la pensée chrétienne au moyen âge. Ils ne
comprendront ce qu'ils calomnient que lorsqu'ils l'auront
étudié ; mais nous craignons bien , d'après ce qui se passe
depuis si longtemps sous nos yeux , que cette science ne
soit ni comprise ni justement appliquée que du moment
où le clergé , seul compétent pour de telles études , voudra
s'emparer encore de la conception , de l'édification ou de
la surveillance des monuments religieux.
Quoi qu'il en soit , et puisque , dès à présent , quelques
prêtres de science et de goût se donnent çà et là à l'œuvre
que nous recommandons à tous, il importe de vulgariser
cette méthode d'enseignement iconographique dont les mo-
dillons nous donnent un spécimen des plus curieux et des
plus significatifs. C'est dans ce but que nous-même avons
voulu en donner le premier exemplaire aux parties nou-
vellement reconstruites de l'église archipresbytérale de
Chatellerault.
Cette égUse , dont la façade fut renouvelée en ^ 863 , avait composition de
, , 1 1 * . 1 1 1 . • l'auteur en ce sens
perdu , sous les morsures du salpêtre, la plus grande partie pour réguse s«-
de sa riche ornementation. Tout en ménageant et conser- teuemuit. ^
vant avec soin les charmantes sculptures qui , dans les
voussures de la porte , avaient gardé quelque chose de
la pureté et des gracieuses formes du douzième siècle , on
pouvait se donner , dans ce vaste champ de pierre , les
éléments d'un travail éloquent et instructif. Le Clirist ,
assis au plan supérieur et entouré du Tétramorphe tradi-
tionnel , préside le sénat des douze Apôtres , représentés
comme lui de grandeur naturelle; deux clochers flanquent
320 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
majestueusement les abords de l'édifice , et se couvrent à
tous leurs étages d'une efflorescence d'idées chrétiennes.
Mais les zones de ces tours , savamment dessinées par un
digne et intelligent architecte , M. Godineau , ne pouvaient
manquer d'une parure qui leur fût propre : on ne devait
pas priver d'une sorte de catéchèse les cordons de cette
façade luxuriante , dont le luxe avait besoin de se spiritua-
liser comme le reste ; toutefois fallait-il y attacher des sujets
quelconques pris au hasard, ou en composer de nouveaux,
et leur donner sous le ciseau un sens où l'esthétique vînt
remplir son rôle , si légitimement exigé de la pensée reli-
gieuse ?
Tel architecte , comme on en voit beaucoup, n'étudiant
que la matière brute à poser sur le mortier, aurait bientôt
résolu cette question. Au lieu de se casser la tête sur des
difficultés qu'il ne soupçonne même pas , il eût jeté à dis-
tances égales , sous le cordon de chaque étage , une suite
de consoles à peine ébauchées , au profil banal et ne disant
rien ni à l'âme ni à l'œil. Un prêtre ne pouvait agir ainsi.
Solhcité d'animer ces pierres muettes , nous nous crûmes
obligé , absolument comme au moyen âge , de les faire
chanter et de compléter, comme alors, par un enseigne-
ment de plus , cette grande prédication qui s'épanchait de
toutes parts autour de nous.
Diversités des Procédaut par analogie, et appuyé sur les principes déjà
dwelses'^lî'denta^ émls malutcs fols , uous avous soutenu les cordons qui se
meut.-LesTons relient sur les quatre faces du clocher septentrional par des
angel!^ ""^"^^'^ tôtcs dc démoiis aux côtés du nord et du couchant, et de
bons Anges au sud et au levant; celui du midi a reçu de la
môme manière les vices ou les péchés capitaux et les vertus.
Ces motifs se rencontrent partout employés de la sorte :
c'est continuer la pensée vive des temps hiératiques que de
les reproduire sur les constructions qui leur succèdent.
. , , Une telle donnée est d'autant plus facile à ramener que.
Le symbole des
Apôtres exécuté s'il est bou d'être fidèle aux enseignements du passé , cette
DKS MOniLLONS. -^21
liclélité n'est pas de ritiveiitioii capricieuse, elle n'a pas le ^ê îeurs'l^a'u^s'"^*
mérite de la nouveauté ; mais elle vaut mieux qu'une idée
nouvelle dont l'origine serait moins conforme au\ tra-
ditions. Il lallait autre chose pour ce grand frontispice
de moyen appareil imbriqué, sur lequel se déroule la
scène imposante de ce Sénat Apostolique présidé par le Fils
de Dieu. Rien ne nous a paru plus convenable à installer
entre le Collège Sacré et la vaste porte qui ouvre le temple
à la foule que les douze articles du Symbole, dont nous
avons vu que les vieilles légendes attribuent chacun à un
Apôtre différent (]).
Dans notre pensée, cette combinaison, ([uoique nouvelle,
car nous ne l'avons vue ainsi rendue nulle part, a cepen-
dant ses analogies dans le soin (|ue des sculpteurs du moyeu
âge se sont donné , comme à la cathédrale de Poitiers que
je citais tout à l'heure , de relier les uns aux autres , pour
exprimer une pensée commune, d'intéressants petits sujets
constituant une suite de phrases distinctes , mais con-
nexes, formant un récit, ou une maxime, ou l'énoncé d'un
enseignement dogmatique. C'est ainsi que l'on voit, mêlés
aux modillons que j'ai décrits dans l'histoire de ce beau mo-
nument, d'horribles figures de diables répandues autour de
figures riantes de nos bons Anges (2). Comment niei* les
rapports calculés de ces groupes si expressifs ?
Nous étions donc fondé à ressusciter ce moyen , et nous
avons disposé vingt-(juatre scènes, liées entre elles par leur
connexion théologique, pour rappeler au chrétien les fon-
dements de ses croyances dès l'avenue du temple oii il va
prier. De ce nombre, les seize premières occupent une ligne
supérieure, au-dessous de laquelle courent les buit autres.
Ce sont donc comme autant de chapitres du catéchisme
catholique. Ces chapitres sont quelquefois doubles pour le
même sujet , selon qu'il a dû se reiulre par l'expression
(1) Ci-dessus, p. 142 et 179.
i2j liisl. de la calhédr. de Poil., 1, 2o7 et suiv.
T. III. 21
322 HISTOIRE nu SYMBOLISME.
de deux idées , comme la création du ciel et de la terre ,
l'Annonciation par VAnge à Marie , le jugement des vivants
et des morts ; enfin, ces deux derniers, qui, représentent
la vie éternelle^ ne le peuvent qu'en offrant la béatitude des
Élus dans le sein de Dieu, et les tourments des damnés pré-
cipités dans les flammes. Tous les articles, ainsi sculptés
d'après la touche artistique du moyen âge , sont précédés
et terminés par un Ange dont l'un ouvre la série des ta-
bleaux en déroulant un phylactère où se lit le premier mot
du Symbole : Credo; l'autre chante sur une viole l'éternel
Amen des Élus , et met fin à cette longue suite des termes
de la Foi.
Le style de ces Et cufin , pour douucr à uos sujcts Ic caractère icono-
coinpositions nou- .
Telles à prendre grapliiquc dc ccttc graudc époque , nous avons emprunté
sur celles du mo-
yen âge. aux sources originales , traduit exactement les images de
nos devanciers , et demandé communication officielle de
leurs pièces aux évêques , aux abbés , aux chanoines
qui , au Mans , à Poitiers , à Bourges , à Auxerre et bien
ailleurs , avaient composé les verrières , les grandes laçades
ou les ciselures de nos plus belles œuvres arcJiitecturales.
Ce caractère pouvait seul se marier à l'ensemble de ce
portai], qui tendait à retrouver sa beauté première dans
la seconde ville du haut Poitou. Il fut très-bien saisi
d'ailleurs par M. Bonneau , artiste modeste autant qu'ha-
bile , qui plia complètement son talent de sculpteur aux
Les architectes exigeuccs quc SI pcu d'autrcs veulent écouter. C'est
ne doivent pas s'en , ^
dispenser. cncorc Ic licu dc conjurcr , à ce propos , ceux qui suivent
la même carrière , les architectes surtout qui dessinent
leurs plans sur des données où ils oublient trop l'art chré-
tien pour n'écouter que leurs rêves de progrès chiméri-
ques; oui , il faut les conjurer de se reporter à la vie spi-
rituelle, qu'ils doivent souffler sur la moindre pierre, et de
bien se souvenir, comme base de leur succès en ce genre ,
qu'on doit tout au sentiment chrétien , et que sans lui rien
ne marche que d'une allure impertinente et ridicule. On
DES MODHJ.ONS. 323
a gâté assez de belles églises , assez dépensé de sommes
considérables sans fruits réels, pour en venir au moins,
après ces coûteux et déplorables apprentissages, à des
œuvres qui parlent un langage propre , et qui procurent à
nos contemporains et à nos neveux autant d'édification
qu'elles apportent d'argent et de bien-être i\ ceux qui trop
souvent les élaborent malgré nous (I).
Mais revenons à nos modillons, en résumant avec plus de
précision les diverses époques de leur existence, et répon-
dons à certaines objections qu'il ne faut même pas dédai-
gner malgré leur peu de valeur.
On a vu , par ce qui précède , que tout d'abord ce genre combien ce
' ^ '^ '■ ' ^ *-* g'enre de decora-
d'ornement l'ut appliqué aux édifices cbrétiens dans un but «on donne de vie
^ ^ ^ spirituelle à un
qui ne pouvait être que didactique. Autoiu* de Dieu tout monument chré-
saisit, riiomme de Dieu lui-môme; l'existence de l'un ne
peut se séparer de celle de l'autre , sans lequel il n'aurait
ni l'être , ni le mouvement, ni la vie (2). C'est le principe •
qui sert de point de départ à l'œuvre que nous traitons.
Mais ce principe s'est vu nécessairement subordonné, dans
l'appplication, aux développements de l'art plastique : de là
les nombreuses variations de la forme marcliant de con-
(1) Nous avons inséré, dans la Revue de l'art chrétien , t. Jll , p. 178
et suiv. (1859), une suite d'observations sur le faire etles profits de nos
architectes connus sous le nom de diocésains. Attirer l'attention du gou-
vernement sur la faute qu'il avait faite en donnant le jour à cette très-
nuisible institution est le devoir de quiconque sent l'importance de
l'art religieux; mais les gouvernements ne reviennent pas facilement
de leurs fautes, et un ministre d'alors donna pour raison de cette idée,
sortie tout armée du cerveau de Jupiter, « qu'on avait ainsi trouvé en
1848 un moyen de se débarrasser de trois cents jeunes gens qui encom-
braient l'école d'architecture. »— C'est un expédient de première force !
encore faudrait-il que l'emploi de ces messieurs atteignit un autre but;
restaurer n'esii point gâter, comme il arrive le plus souvent, et l'on peut
voir contre les résultats de cette hardiesse politique, outre ce que nout
en avons noté dans la Table générale du Bulletin monumental, 2» sé-
rie, p. 34 et suiv. {Architectes modernes), ce qui est cité par l'ouvrage
lui-même, t. XVI, p. 155, sur tes architectes officiels et leurs restaura-
lions.
(2) « In ipso enim vivimus, raovemur et suraus. » {Act., xvii, 28.)
324 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
cert avec Fimmuable stabilité du fond. C'est donc ce fond,
toujours invariable, qu'il faut étudier à travers les diverses
périodes de ses reproductions sensibles. On y verra la pensée
l'eligieuse dominant la matière, la pliant aux besoins de sa
philosophie : c'est l'histoire de l'art tout entier réduit, dans
un but de propagande spiritualiste , à ses plus minces pro-
portions. Il est arrivé maintes fois qu'on ait trouvé de
fort anciens corbelets sur des monuments plus modernes
qu'eux de plusieurs siècles. Ce n'était pas une raison à quel-
ques archéologues de prétendre à faire remonter ces mo-
numents au temps qui avait vu sculpter ces figures plus ou
moins grotesques. C'était tout au plus un motif de croire
que le constructeur avait employé , trois ou quatre siècles
après , les débris d'une église à en construire une autre ,
sans égard , comme on l'a vu souvent , à la différence
des styles et aux progrès que l'ornementation monumen-
tale avait pu faire entre ces deux époques. De même , ii
faudrait attribuer à un ciseau plus récent les sculptures
imposées à un monument dont la date évidente accuse
une construction antérieure à ses sculptures ; car il est
arrivé plus d'une fois qu'un édifice à peu près achevé
n'ait reçu que bien plus tard sa parure sculpturale.
Erreurs de quel- Mals OU rcconnaît facilement à quelle phase de l'art appar-
ques archéologues ,. . i , . . t,.,. , , n «i i i
appréciant certai- tiennent Ics scrics SI diilerentes que 1 œil observe sous les
nés difficultés sans • i i ^ i r l^ i i
le secours de la comiclies dc iios tcmplcs. Leur caractère les rapproche
tant de l'épaisseur des murs , des parcimonies de l'orne-
mentation générale, de l'étroitesse des baies, de la rudesse
des arcades et des voûtes encore élémentaires, qu'on peut,
sans erreur possible, les attribuer aux maîtres ou aux ma-
çons qui construisirent nos plus vieilles églises , sous les
inspirations de l'architecture romane primitive. La séche-
resse du ton , l'aridité de la pensée , qui s'cAprime à peine
par monosyllabes , c'est-à-dire ne va presque jamais d'un
sujet à l'autre pour continuer ou étendre l'idée préconçue ;
la grossière réalisation de la face humaine , bien plus rare
science.
DKS MODILLOXS. 325
d'ailleurs que celle des animaux qui foisonnent, ressem-
blant à peine à leurs similaires de la nature animée ;
enfin la simple expression de toutes ces botes dont on
devine à peine la nature personnelle réduite à elle seule,
sans adjonction d'aucun détail de vêtements ni de harnais
quelconque : voilà à quoi parvint ce premier âge des mo-
dillons, qu'on distribua cependant d'une façon intelligente,
en plaçant , par exemple , à la poi'te extérieure du temple
ceux des animaux que les traditions bibliques présentent
conmie impurs ou de mauvaise réputation , et ces têtes
démoniaques et ces idoles bizarres qui se trouvent con-
damnées dans les textes de Moïse et de S. Paul (i); on y
reconnaît très-bien , quoique assez grossièrement traduits ,
le porc, le bouc, le chien, le taureau et mille autres. C'est
aussi l'époque des obscena, dont nous parlerons à part , et
qui , en dépit des mœurs devenues plus douces et des
grands développements donnés à la théologie dans les meil-
leurs siècles de notre littérature sacrée , se retrouvent jus-
qu'au treizième , quoique plus rarement , mais persistent
à y prouver, par leur présence , qu'ils sont nés du symbo-
lisme et ne mourront qu'avec lui.
Mais, à mesure que tout se purifie, que l'art reçoit un Les modiiions
, . , . . , , s'identifient com-
rayon de jour plus parlait et qu on s avance vers sa splen- piétement par leur
, " , . • 1 1 / 1 • , • • facture au style de
deur, comme on adnure aussi les délicatesses qui surgis- rédifice et à son
sent de tous côtés dans la sculpture! Les modillons mêmes *^^"
en acquièrent leur part, soit qu'après le onzième siècle ils
participent au mouvement des croisades par l'admission
des fleurs , des perles et des entrelacs qui séduisirent nos
P'rancs sur les rives du Bosphore , soit qu'à la fin du dou-
zième et dans toute la durée du suivant, les scènes s'ani-
(1) « Haec sunt animalia... «inae inter immunda reputabitis : chœro-
gryllus, lepus et 3u=... » [Uvitic, xi, 4 et seq.) — « Foris canes, et ve-
nifici, et impiidici, et idolis scrvientes... » (Apoc.,\xn j i^.) — Voir
aussi S. Méliton, cap. ix, De BesUis; — Wolfgangi Franzii Anim. hist.
sncra, p. 39; —William Carpenter, Zootogia sacra, ap. Script, hisl.
natuv., pars m.
326 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
ment , les personnages s'y mêlent , et que tous les règnes
de la nature , avec leurs naïves persuasions et leur science
un peu fantastique , viennent former, sous le regard des
fidèles , une suite d'images dans lesquelles les hagiographes
et les Pères salueraient autant de réminiscences de leurs
doctes écrits.
Objections sans Rcdisous maintenant (lue ces petits modèles ont donc
râleur opposées a , ^ *
^ïï^a^doSTè ^^^JO^''^ ^^^"' langage symbolique , et que, parmi eux , il
choix des sujets, n'cu faut voir aucun qui soit privé de ce type respectable,
très-propre à nous réconcilier avec l'apparente sauvagerie ,
avec l'espèce de négligence qui d'abord présida à leur con-
fection. Laissons le champ libre aux conjectures des savants
sur les causes plus ou moins probables du peu de perfection
des têtes humaines ; permettons-leur de disserter sur les
simihtudes ou les ressemblances qui s'établissent pour
l'observateur entre les modillons de la Normandie et ceux
des provinces méridionales , questions d'art et non autres.
Ce que nous soutenons ici , c'est que sous ces formes d'écoles
diverses réside une pensée rehgieuse. Un fruit se cache
sous cette écorce plus ou moins séduisante ; il s'agit de le dé-
couvrir, de le voir de près et de le goûter. Nous excepterons,
si l'on veut , quelques figures historiques placées dans le
coin d'une tour et qu'on appellera arbitrairement d'un
nom d'architecte ou de celui d'un roi, d'un évêque ou d'un
doyen qui n'a jamais pensé à s'y faire mettre : ce seront là
des jeux d'esprit et des énigmes capables de défrayer les
imaginations des Salomons de notre temps. En effet, qu'un
ouvrier qui ne comprenait pas aussi parfaitement que son
maître le sens d'une image qu'il s'agissait de transporter
du parchemin sur la pierre ait échappé à la surveillance
et posé là un de ses caprices qu'il espérait soustraire au
contrôle , ce serait un fait des plus rares , une exception
que la hardiesse d'un travailleur grossier pourrait expli-
quer, mais que l'esprit môme du moyen âge , avec sa sou-
mission chrétienne à l'autorité et au sentiment rehgieux
DES M0D1LL0>S. 327
ne permet pas d'attribuer, aussi souvent qu'on l'a fait , à
un homme payé pour l'aire tout autrement. Passons donc Le baudet d'Ar-
, , . gentan.
sur ces etrangetes sans miportance. Nous n'y tenons pas
plus qu'à ce pauvre et très-honoré baudet de Saint-Germain
d'Argentan, lequel, pour avoir porté les pierres et le mortier
des constructeurs , reçut , avec son portrait au naturel , le
droit de siéger éternellement sur un chapiteau de la nef.
Qu'une tradition populaire lui donne rang parmi les tra-
vailleurs, personne ne s'en scandalisera, quoique nul n'en
ait la preuve authentique , et nous pourrons toujours re-
courir, pour l'expliquer, à d'autres ânes bien plus illustres
qui figurent dans maints chapitres de la Bible ou dans les
récits de Métaphrastc et de Surius.
N'omettons pas d'observer aussi que c'est avec de telles
objections que les adversaires du symbolisme se sont armés
contre lui d'un ridicule par trop facile , et qu'il ne suffit
pas , pour gagner une cause , d'avoir en sa faveur de tels
arguments. N'a-t-on pas vu des archéologues encore peu
avancés s'autoriser d'un texte de Durant de Mende rap-
pelant que , de son temps comme toujours , les artistes
devaient user, dans leurs œuvres , de certaines licences de
leur génie, pour prouver que, par conséquent, au moyen
âge , avec la permission et de l'aveu d'un grand maître ,
les ouvriers travaillaient au hasard les sculptures de nos
éghses ? Comme si la vraie science ne prouverait pas le
contraire! comme s'il ne fallait pas entendre cette liberté
artistique du faire et de la disposition du sujet plutôt que
du sujet lui-même! En face de ces affirmations trop hardies,
on n'oubliera donc pas qu'il ne peut suffire de les énoncer;
on en doit donner d'autres raisons que des conjectures , et
l'on ne doit rien admettre qui ne soit attesté par un texte
original ou par un dessin fidèle. Il nous est plus d'une fois
arrivé, en procédant par ce moyen, de démontrer le contraire
d'une thèse un peu trop vite conçue et hasardée sans assez
de discernement. Nous supposons qu'il en sera ainsi très-
328 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Le poulet de soiivcnt eiicorc quand on y voudra regarder de près. Qui
Saumont. . .
ne serait curieux, par exemple, de voir à l'œil nu ce
fameux poulet qu'on signalait au congrès archéologique de
Falaise comme figurant sur un modillon de l'église de
Saumont fCalvados) , « prêt à être mis à la broche (I)? »
ni plus ni moins! — Ce sont de ces choses dont on ne
décide rien jusqu'à plus ample informé, et, en admettant
une telle originalité sans en tirer de conséquence , nous en
montrerons bien d'autres , et plus sûres et plus extraordi-
naires , dont l'explication est faite depuis longtemps.
Ce sujet n'est pas épuisé ; mais, parce qu'il est identique
par son iconographie à beaucoup d'autres motifs d'orne-
mentation qu'il nous reste à traiter, nous y reviendrons
forcément à l'occasion des chapiteaux et des autres déco-
rations de l'église chrétienne , et on pourra encore leur
appliquer ce que nous y dirons.
(i) Bullet.monwn.,Xl]l, ib2.
CHAIMTIIK IX.
DES CHAPITEAUX.
L'arcliitocture antique, avec toutes les ressources de ce t.ps ciiapiteaux
i ' distinguent tout
génie crui se perfectionna jusqu'à nous donner les Pronilées, 'raborrirarchitec-
" ^ ' J 1 1 ' turc païenne delà
le Panthéon d'Agrippa et tant d'autres chefs-d'œuvre dont "«*•*«•
nous admirons encore les restes, cette architecture, si noble
dans sa simplicité , devait une grande partie de son effet
général à l'art qu'avaient eu les constructeurs d'y semer,
comme supports indispensables ou coninie ornements des
façades et des pourtours, un grand nombre d'élégantes co-
lonnes, dont le jeu naturel ouïes ombres, jetés sur les mu-
railles, remplissaient d'harmonie les abords ou l'intéi'ieui*
du monument. C'étaient de magnifiques choses dont l'or-
donnance générale saisissait , dont les proportions gran-
dioses commandaient l'admiration , mais auxquelles on
n'avait adapté le symbolisme qu'avec une certaine parci-
monie qui allait souvent jusqu'à le leur refuser entière-
ment. C'est là un des caractères principaux qui sépai'cnt
l'architecture païenne de celle qui s'inspira plus tard de
toute la pensée du Christianisme.
Kt cette différence ne paraît nulle part autant que dans Fioi.if>nr4ucba
^ ^ j pitcau corinthien.
l'ornementation des colonnes. Les ordres des Grecs et des
Romains, tels que Vitruve nous les a décrits, ne manquaient
certes pas de dignité et d'élégance ; mais, pour ré[)ondre à
ces frontons, à ces atti(|ues et à tout ce luxe qni sentait tou-
jours im peu la recherche et la prétention , on est obligé
d'avouer que les chapiteaux étaient d'une simplicité ex-
330 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
trême. II n'y avait que le corinthien (le composite n'en étant
qu'une surcharge moins heureuse) qui s'alliât bien à la dé-
licatesse des frises et se mariât dignement aux nolîles har-
diesses des grandes constructions ; aussi le voyons-nous
employé presque toujours de préférence pour les édifices
du plus haut caractère. Le panthéon d'Agrippa, la Maison-
Carrée de Nîmes, l'Arc-de-Triomphe d'Orange, et tant
d'autres non moins remarquables pour la hardiesse du
style, n'avaient rien pu concevoir de mieux pour leurs cha-
piteaux que ces deux ou trois rangs de feuilles d'acanthe
superposées , gracieuses il est vrai , mais singulièrement
monotones, et se représentant invariablement sous la même
forme pour tous les chapiteaux d'un même temple, et n'hé-
sitant pas à passer d'un édifice à l'autre sans aucune modi-
fication possible, qui fût devenue un attentat contre les in-
flexibles règles de l'art.
Lart chrétien le Gc systèuic d'iinmobilité ne pouvait convenir aux notions
avantage, et le fai" chrétieniies. Gcs suifaccs , multipliées à l'infini dans les
entrer dans ses .,. tt iii •- xi ■«
piansd'esthétique. égliscs rcmplics dc svmbolcs, devenaient un vaste champ a
d'autres symboles sans nombre, réunissant le double mérite
de l'élégance artistique et d'un reUgieux enseignement. Le
ciseau s'empara donc de cette révélation et en reproduisit
sur des corbeilles nues les sujets, qui y figurèrent comme
autant de pages nouvelles des histoires sacrées, des légendes
ou de la théologie des Pères et des Docteurs ; c'était moins
froid et moins insignifiant que le feuillage corinthien,
c'était bien plus conforme au prosélytisme de la religion et
aux besoins de ses adeptes . On dut à ce sentiment l'incroyable
variété qui régna dans les motifs sculptés des chapiteaux
depuis l'époque où ils commencèrent à se revêtir de cette
remarquable éloquence ; et quand ces motifs ne furent pas
historiés, c'est-à-dire quand ils n'eurent pas pour base prin-
cipale les figures d'hommes, de femmes ou d'animaux, ou
dfîs scènes qui en représentaient les actions diverses, ils
furent du moins remplacés, sans trop de désavantage, par la
DES CHAPITEAUX. 3S^
variété des formes données à la corbeille, laquelle, imitant
les ordres antiques et s'en appropriant les détails , se para
avec un succès nouveau d'un ensemble jusqu'alors inouï,
soumit à ces heureux caprices les formes absolues des sys-
tèmes anciens , et mêla sur une même pierre toutes les
coupes inventées par la fantaisie , toutes les ressources de
l'imagination européenne, auxquelles vinrent bientôt se
mêler, à partir du onzième siècle, celles que les Francs r^ip-
portèrent des plages orientales.
Le chapiteau dorique , espèce de disque privé de tout origine de ce
^ j ' 1 -IX détail d'ornemen-
ornement et aplati sous un tailloir aussi pauvre que lui, se tation.
retrouve souvent dans les ruines gallo-romaines ; mais il
montre assez, par sa nudité môme, qu'il n'appartint qu'à
l'architecture païenne (I). S'il a pénétré dans les cata-
combes, ce n'est qu'avec certaines modifications peu impor-
tantes , il est vrai , mais qui le montrent souvent allié à la
corbeille corinthienne, qu'il surmonte comme unesuperfé-
tation d'assez mauvais goût. Dans ces souterrains véné-
rables, au reste, on ne rencontre pas encore le symholisme
appliqué aux ornements de l'architecture. Il est tout dans
le parallélisme colorié de l'Ancien et du Nouveau Testament,
dans le rapprochement entre Jésus et les Patriarches ou les
Prophètes, dans les paraboles du Bon Pasteur et de la vraie
Vigne, etc. Aucun autre sujet n'y apparaît à titre d'orne-
mentation d'un chapiteau ou d'une frise. Le poisson, qui s'y i^^'^, poissons ob-
*■ 1 A ^ serves comme lun
retrouve si souvent, à côté d'une épitaphe, ne figure jamais des motifs lespius
i >■ ' ^ '' anciens de notre
ailleurs. Il faut donc, pour rencontrer ce genre d'enseigne- imagerie,
ment , arriver à une époque postérieure. Le quatrième
siècle nous semble être le premier qui l'ait essayé. A cette
époque on construit la crypte de Jouarre, dont les chapi-
teaux de style roman sont d'un beau travail et habilement
fouillés selon les règles des ordres composite et corinthien ;
mais d'autres indiquent déjà à côté d'eux la marche nais-
(1) Dullet. monum., XVIII,243.
332 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
santé du symbolisme imprimé sur ces beaux ornements :
ils portent des poissons affrontés qui semblent boire à deux
vases posés au-dessus des feuilles d'acantbe f^). On ne peut
méconnaître en cela l'idée du baptême, dont les poissons
représentent le dogme, et cette interprétation se confirme
par la présence d'autres poissons sculptés sur les chapiteaux
de colonnes de marJire dressées en avant de l'abside orien-
tale au baptistère Saint-Jean de Poitiers. Quant à cette
avidité que les poissons de Jouarre semblent exprimer en
accostant leur bouche aux vases qui les avoisinent, on voit
évidemment qu'ils aspirent aux eaux sacrées de la grâce et
de la vie spirituelle, unique désir du chrétien, dont ils sont
la figure. C'est dans ce môme sens que nous voyons plus
tard, surtout aux onzième et douzième siècles, les colombes
buvant à un calice , c'est-à-dire les âmes justes participant
à l'Eucharistie.
H ieî ""feuiiks A ^^^^^ époquc primitive qui nous préoccupe surtout ici,
?ragses. apparalsscnt encore , soit pour décorer des lambris , soit
pour dissimuler la nudité des murailles , soit enfin pour
parer des chapiteaux à surfaces plates , les entrelacs, dont
l'art roman s'emparera plus tard jusqu'à en faire l'expres-
sion symbolique d'idées abstraites , de bonnes ou de mau-
vaises passions. Ces dessins se reproduisent également pen-
dant les cinquième et sixième siècles, qu'il est bien difficile
de distinguer, à cet égard, du quatrième. Là on voit encore
les feuilles grasses , expression rudimentaire de cette bell(^
végétation qui devait se développer si magnifique , et dont
les progrès furent plus rapides que ceux de la sculpture
zoologique. En avançant dans les progrès de l'art, la pensée
se développe et ne se contente plus de sujets dont l'intention
LatétehumahiR ^estc passablcmeut coniecturale ; on voit, au neuvième
melee aux feuil- , ' ''
'«ces- siècle, une tète d'homme apparaître au milieu des feuillages,
et ce simple exposé de la vie humaine respirant le même
{{) BulU'L iHunum., iX, 18o.
DES CHAPITKALX. 333
air que les plantes, se livrant au soin de leur culture provi-
dentielle , éveille d'autres imaginations qui bientôt vont
attacher des histoires et des drames à toutes les parties de
l'édifice sacré. Nous allons bientôt revenir sur ce fait.
Cette grande suite de scènes, bibliques ou autres , prend ^^^^ ^^'^^ '>'•^"■
son essor le plus vif au onzième siècle , à cette période de Développement
,,, y t, . il-! •! «les sujets au on-
regenerescence ou 1 art monumental sort de son sommeil zième siècle.
de presque tout un siècle , et dédommage de ce trop long
engourdissement l'œil et l'esprit, qui s'étaient accoutumés à
ne rien deviner et à ne rien voir. Quelque talonnées, disons
même quelque grossières que soient les premières œuvres
du ciseau (ou de la peinture , car elle remplace parfois lo
travail du sculpteur absent], on y découvre avant tout une
intention bien arrêtée d'interpréter les Livres saints ou d'en
reproduire les traits principaux : c'est le sacrilice d'Abraham,
la chute du premier homme, Daniel et ses lions, Nabucho-
donosor et son orgueil , tout cela mis en opposition avec
l'humble naissance du Fils de Dieu, la foi simple des ber-
gers adorateurs, la ferveur éclairée des mages, la réparation
par le caUce ou par la croix. Si d'abord , et pendant la pre-
mière période de La sculpture hiératique, il arrive que ces
sujets soient traités à la hâte, pour ainsi dire, et l'estreints
au juste nombre de personnages indispensables, peu à peu
et à mesure que l'artiste est dirigé par une intelligence plus
habile, comme au douzième siècle , où le clergé s'adonne
plus zélé aux compositions iconographiques , les scènes
s'étendent, les actes se multiplient, le drame se développe
et s'achèN e. C'est ainsi que nous voyons sur un chapiteau du ' L'histoire d'A-
beau parv is de Saint-Denoît-sur-Loire trois scènes fort recon- nou-sm-LoIri.
naissables de la pi'emière pliase du monde primitif. Trois
personnages y paraissent, dont un est revêtu d'une longue
l'obe et la tête entourée du nimbe ; les deux autres, homme
et femme, à la nudité complète mais décente, sont devant lui
et paraissent l'écouter: c'est Dieu, unissant Adam et Eve par •
le mariage. Derrière ceux-ci s'offre la tentation : vm pommier
33 i HISTOIRE Di: SYMBOLISME.
chargé de fruits sert de support à un serpent qui s*y allonge
en spirale et s'adresse à la femme qui va succomber ; de
l'autre côté est Adam, dont le sculpteur n'a pas voulu
confondre le degré de culpabilité avec celle de son épouse,
car elle est nue et il est revêtu d'une sorte de chlamyde. Cette
idée est d'une haute théologie, qui fait déjà prévoir, à travers
les formes peu harmonieuses d'une facture très-imparfaite,
la méthode mystique dont le douzième siècle fut surtout l'ex-
pression très-remarquable. Enfin , nous voyons un Ange ,
poussant devant lui hors du Jardin profané le couple déso-
béissant. Au-dessus de cette trilogie , trois dragons rephés
sur eux-mêmes expriment, dans l'attitude du repos, le pai-
sible succès dont ils jouissent. Ils durent assez travailler ;
leur proie est assurée, ils n'ont plus qu'à s'endormir dans
La Fuite en Icur triomphc. Non loin de là est la Fuite en Egypte : Marie,
^^^*^' portant sur ses genoux l'Enfant Dieu que désigne son nimbe
croisé, est montée sur un âne dont S. Joseph tient la bride ;
au-devant de la sainte caravane , un soldat , l'un des satel-
lites d'Hérode, se présente armé d'une lance et d'une épée à
deux tranchants ; derrière la Vierge, un autre monstre de-
vait chercher aussi à entraver les pieux pèlerins : c'est
encore le dragon infernal ; mais un Ange le terrasse avec
une croix. On peut bien voir d'intelUgents symboles dans
les expressions diverses et très-significatives de ces six per-
sonnages, dont la physionomie se prête merveilleusement
au rôle de chacun ; mais le théologien a parlé avec ce lan-
Lamain divine, gage d'artistc un autre langage bien plus élevé. Quelle est
symbole de pro- . . ;,, , i ' • j i •
tection. cette mam qui apparaît dans un angle supérieur du chapi-
teau, bénissant à la manière latine l'Enfant qui doit sauver
Israël et rendant très-bien la parole du Père céleste : « Ce-
lui-ci est mon Fils bien-aimé (I) ? )> N'est-ce pas une ingé-
nieuse manière de rappeler la protection divine promise
(1) « Et ecce vox de cœlîs dicens : Hic est Filius meus dilectus, in quo
mihi bene complacui. » {Matth., m, 17.)
DES CHAIMTK.vrX. 335
par l'Ange de la vision? Cet Ange, dans la pensée de l'ar-
tiste, n'est-ce pas S. Michel lui-même qui tient sa promesse?
Mais un autre signe complète la pensée. Au niveau de cette
main et à l'autre côté du tableau , l'étoile des Mages appa-
raît, large et splendide des plus beaux rayons. Rien ne parle, Beiie et savante
, 11, 11/» esthétique de tout
dans le texte sacre, de ce voyage de 1 astre subordonne a ce morceau.
celui du Sauveur fugitif; mais, puisque l'étoile indiqua aux
rois de l'Arabie la demeure de Bethléem et la présence de
l'Enfant Dieu, elle vient ici attester aussi bien sa divinité. Elle
affirme, avec tous les autres détails de cette scène, que c'est
bien là le récit de S. Matthieu, et cette licence du sculpteur
qui ajoute à l'histoire sans manquer au sentiment de la
vérité est du symbohsme par excellence et l'une des plus
ingénieuses données de la science scripturaire. C'est encore
le sens que nous avons appelé super historique (I).
Ce magnifique poème biblique inscrit dans le majestueux
atrium de S. Benoît est une des plus riches merveilles
qu'on puisse étudier en ce genre ; le symbolisme doctrinal
s'y déploie avec une ravissante exubérance. Il a été assez
mal compris par beaucoup d'interprètes, nous l'avons fait
observer ci-dessus (2) ; nous trouverons occasion d'y revenir.
Ce que nous avons remarqué plusieurs fois de l'ornemen- Scènes des cha-
... 1,111 » »ii, piteaux graduées
tation sculpturale, plus luxueuse a mesure qu elle s avance dans leur impor-
1 -, . . 1/11»! tance en se rap-
dans le sanctuaire , ce que nous avons observe de 1 adop- prochant du sanc
tion des sujets spéciaux qui apparaissent au nord ou au sud
des églises, s'applique également aux sculptures des chapi-
teaux. Les scènes choisies pour le sanctuaire sont ordinaire- symboiea eucha
ment celles qui parlent plus éloquemment de Jésus-Christ v^gï^r' ^ ^*'""
et de sa sainte Mère , soit dans leurs rapports immédiats
avec la rédemption des hommes , soit dans les types an-
ciens qui symbolisent le Sacrement de l'autel, la nour-
riture par excellence de l'âme chrétienne. Daniel y figure bac^o"**^ ** ***
(l) Voir ci-dessus, t. II, 238, 428, 462, 516, 559, 560, 565.
(2; Voir ci-dessus, p. 132 et suiv.
330 HISTOIRE Dl SYMBOLISME.
entre ses lions, mangeant le dîner apporté par Habacuc ;
et S. Ambroise y voit l'emblème de Fâme fidèle nourrie
du pain des forts au milieu des tentations de la terre (4).
S. Augustin exprime la même pensée et admire , à ce
propos, comment le Sauveuj- se porte dans le Pain sacré
à ceux qui l'envient, après s'être porté soi-même de ses
propres mains dans Finstitiition du Sacrement (2). C'est
dans le même esprit que ces mêmes images sont tant pro-
diguées dans les catacombes, où Ton dérobait aux païens
Marie et l'En- la vuc dcs saliits Mystèrcs. Ce n'est donc pas sans raison
qu'elles se rencontrent aux chapiteaux du sanctuaire à
Saint-Pierre de Gliauvigny (Vienne) ; les chapiteaux voisins
du môme côté sud y montrent la Vierge Mère présentant le
saint Enfant au prêtre qui accomplit à Fautel ses grandes
fonctions, puis l'étoile des Mages, et les pasteurs qu'elle
éclaire pendant qu'ils veillent à la garde de leurs troupeaux.
A côté est la Babylone prostituée, l'esprit du monde vaincu
par la venue du Sauveur ; le diable pesant inutilement sur
un des plateaux de la balance tenue en parfait équilibre par
S. Michel : c'est le salut mérité par la grâce, en dépit de
notre plus cruel ennemi. Du côté opposé , c'est-à-dire au
nord de ce même sanctuaire et à la gauche du prêtre offi-
ciant, le démon a son rôle actif; il s'impose sous des formes
diverses à l'homme qu'il persécute et veut faire tomber. Là
sont les sauterelles de l'Apocalypse , ces grandes enchante-
resses qui perdent les âmes par les inspirations des héré-
sies (3) ; ou deux diables hideux s'efforçant de prévaloir
La pesée de?^
âmes ; protection
contre Satan.
Les sauterellfS
de l'Apocalypse.
(1) tt Quam insuperabilis Daniel qui circa latera sua ragientôs non
expavil leones ! Fremebant bestiee, et ille epulabaUir. » (S. Ambrosii
lib. 1 Of'/lcior., cap. xxxiii.)
(2) w Vere magnus Dominus et misericordia Ejus ! Ferebatur Jésus in
manibus suis, quia cum commendaret Ipsum et Sanguinem suum ,
accepit in manus suas quod norunt fidèles, et Ipse se portabat quodam-
modo, cum diceret : Hoc est Corpus meum. » (S. Aug., Concio secundo
in psalm. xxxiii.)
{2) Voir ci-dessus, t. Il , ch. viii, p. 199 et suiv., exposition du eh. ix
de l'Apocalypse.
DES CHAl'ITEAL.V. 337
contre un homme qui résiste par son immobilité même;
puis un autre non moins embarrassé par deux bétes iden-
tiques dont l'une s'élance à sa tète et souffle à son oreille le
langage des passions qui ont l'orgueil pour principe, l'ava-
rice , l'ambition , la vengeance, tandis que l'autre, s'atta-
cliant à dé\olopper les passions basses et dégoûtantes, ex-
prime ses perlides désirs en léchant les pieds de la victime.
Outre l'averiissement doinié ici de la résistance aux im- La loice contre
. 11,1. los tentations.
pressions du mal , n y voit-on pas cet éloquent parallélisme
([ui répète à tous que les blessures faites par l'ennemi peu-
vent être guéries, et que notre secours doit venir de l'Agneau
qui efface les péchés du monde?
C'est une pensée nettement arrêtée, et que nous avons Los démons for-
cc'S de sorvir ù la
signalée à la cathédrale de Poitiers, que, pai'tout où devaient gione de Dieu.
être des autels, soit à l'abside oi'ientale , soit aux chapelles
latérales du transsept, le sculpteur avait eu soin, en termi-
nant son œuvre, d'orner les chapiteaux, aussi bien que les
modillons, de sujets qui rappelaient le triomphe de la foi
sur l'esprit de ténèbi'es. Cette l'ègle apparaît donc aussi à
Chauvigny ; nous la retrouverons partout ailleurs. C'est
par la même raison que les tympans de nos grandes portes
fourmillaient de chapiteaux et de vastes pages où les démons
affluaient sous toutes les formes , non pas tant à l'état de
tentateurs qu'en qualité de coupables, forcés, en dehors de
l'église , à jouer le rôle ignominieux de malfaiteurs con-
damnés au pilori : c'est le triomphe de l'Église sur l'esprit
du mal; c'est la reproduction en petit des vastes bas-reliefs
où les morts ressuscitent pour être jugés, où les bons et
les méchants sont séparés par les Anges, où toute vertu,
comme tout vice, reçoit sa récompense ou son châtiment.
Tel est le but réel du sculpteur , interprète fidèle , comme Étrange abena
,, ,| T.- iiixi'i* "o" ^^6 quelques
nous 1 avons prouve, des doctrines morales de la théologie, archéoio-u^s nu
et non, comme l'ont voulu MM. Mérimée, Michelet et autres
fantaisistes romantiques, l'envie d'épouvanter les popula-
tions plutôt que de les persuader. Dans ces intrépides com-
T. III. 22
turulistes ,
338 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
mentateurs , à qui la première idée , tant absurde soit-elle,
sert de texte contre l'Église , on ne trouvera jamais plus de
justesse que de bonne foi , et ce n'est pas à leurs rêveuses
folies qu'il faut aller demander le sens véritable de nos
mystères, qu'ils n'ont jamais sérieusement étudiés... Et ce
qu'il y aurait de pire pour l'arcbéologie chrétienne , si de
telles autorités pouvaient la compromettre , c'est qu'à la
suite de ces étranges paladins de l'herméneutique sacrée
on trouve toujours des écuyers prêts à vanter leurs exploits
en se targuant d'y avoir commis leur flamberge.
en opposition avec Revcnous , à l'égard de tant d'images singulières , aux
l'histoire de l'ar-
ehitecture et l'ac- principcs quc uous avons poses comme incontestables des
tivo surveillance ^ ^ ., .,.^, i^rii-
dr- l'Église au mo- le commeiicenient dc cc livrc : 1 nnpossibilite que liighse
yen âge. . .. -, , • , , • • . •
chrétienne , asile des graves et saintes pensées, inspiratrice
• des plus sérieuses méditations , dépositaire exclusive de
l'enseignement divin, ait pu jamais permettre un seul
instant à un seul imagier, même des plus habiles , l'énorme
licence de remplacer par ses idées personnelles l'expres-
sion scrupuleuse du dogme irrévocable et des éternelles
vérités. Si , comme on n'en doute plus, l'imagerie était au
moyen âge le livre où devaient lire les ignorants, on com-
prend fort bien qu'elle ait répandu sur toutes les parties
du temple cette science que tous y venaient chercher ;
mais comment se persuader qu'à droite ou à gauche de
ces théories souverainement exactes, on ait pu aller jus-
qu'à semer des petitesses insignifiantes ou de grossières
caricatures , ou de prétendues indécences dont nous aurons
à parler? Un tel système d'opposition était une preuve d'ima-
gination quand il fut exposé, il y a trente ans, par des
hommes plus spirituels que bien appris. Nous nous rappe-
lons parfaitement qu'à cette époque on reniait le symbo-
lisme, à peine visible, disait-on ; on croyait avoir écrit un
mémoire irréfutable en annonçant une longue suite de
questions sur lesquelles on s'évertuaitàproclamer des non-
sens. On se donnait alors le plaisir de nier l'objet de ses
I)i:S CIIAPITKAIX. 339
vives interrogations..., et la cause était entendue. 11 n'en
peut être ainsi de nos jours. Outre l'intention formelle , et
([uo nous venons d'établir, de poser ses sujets dans un ordre
méthodique et rationnel, consacrant au lieu le plus digne
ceux qui s'y rapportent le plus naturellement, on ne sortit
[)as plus de l'allégorie dans le semis ({u'on sut faire par
toutes les autres portions du temple.
U ne faut pas même séparei' de celte théorie générale un Beiie louatiou
. . Il- *^^^ chapiteaux .
certam choix (fu oji lit alors pour les grands chapiteaux non moins exprès -
, , . ■ r\ ' 11 sive que tout le
il une végétation partout expressive. On sait avec quelle reste.
gracieuse abondance lurent épanchées , au fond et au
dehors de ces charmantes corbeilles, les feuilles vraies ou
rantasti(|ues destinées à leur belle et ricJie décoration. Un
motif d'embellissement ne fut pas le seul qui patronisa ce
moyen; tout en l'empruntant au profit des murailles
sacrées , de ses arcatures , de ses clefs de voûtes et de
leurs retombées, on prétendit bien y rattacher des mys-
tt'res dont l'Église est pleine , et fournir à chacun de quoi
s'instruire ou s'édifier. Les fleurs, les feuillages sont, en symbolisme des
général, Temblème des grâces spirituelles et de la bonne fleurrdans .l'ÉcrT
odeur des vertus (I). L'Écriture les compare tantôt aux
justes rassemblés autour de la Table sacrée dans une jeu-
nesse éternelle , ou à l'arbre fructueux planté le long des
eaux ; tantôt aux pécheurs, qui s'élèvent et disparaissent
comme l'herbe de'ssécliée (2). Les Prophètes sont pleins de
ces fraîches comparaisons. Dieu dit, dans Osée , aux Juifs
(|ii'il exhorte à revenir vers lui : « Je serai comme une
(1) L'évêque, en bénissant le Saint Chrême et mêlant à l'iiuile le
baume qui en exprime mieux la vertu sanctifiante, dit : « Hanc odori-
feram sicci corticis lacrymam, quee felicis virga; protluendo sudorem
sfl^cerdotali nos firmat unguento, acceptabilem... sanctifica. » (Pontif.
rninan., in-8«, p. 610.)
(2) « Filii lui sieut novellœ olivaruni in circnitu mensae tuœ. » {Ps..
cxLiii.) — « Vir qui non abiit in concilio impiorum erit tanquam
ligniun quod plantatum est secus decursus aquarum, quod truntum
suuui dabit in tempore suo. » {Ps., i.) — « Homo, sicut fenum, llos
ejus..., decidel et aresoet...; peceatores sicut fenum. » {Ps., xci, 8.)
340 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
rosée sur Israël; il germera comme le lis; ses racines seront
profondes comme celles des arbres du Liban ; ses rameaux
s'étendront au loin ; sa gloire sera comme une abondante
récolte d'oliviers ; elle aura des parfums comme ceux de
ses montagnes {\). » Devant ces textes, s'étonnera-t-on de
voir le ciseleur planter dans l'église les branchages et les
fleurs, en entourer les autels de Dieu et de ses Saints?
Quoi de plus conforme au sentiment qui faisait répandre
les branches verdoyantes sous les pas du Sauveur ? quoi de
plus intimement lié aux sympathiques idées de la théologie
chrétienne? « La nature , dit Sacy, est l'image de la grâce;
l'esprit de Dieu est une rosée divine. Toutes les vertus sont
comme des lis, des blés, des oUviers , des vignes qui crois-
sent dans l'âme. Ces plantes spirituelles doivent jeter leurs
racines dans le cœur; elles ont besoin des ministres de
Dieu qui les plantent , les arrosent , les cultivent ; mais
tout dépend des pluies volontaires qui viennent de nous,
et de l'influence de Dieu qui donne r accroissement (2). ))
Ce que le docte commentateur voyait si clairement dans
l'Écriture comme autant de symboles frappants , il ne se
doutait pas que, pour le trouver traduit sur la pierre, il ne
fallait que lever les yeux un peu au-dessus du Tabernacle ,
pour peu qu'un décorateur de son époque ne se fût pas
ingénié à le voiler, à la façon moderne, sous les plastiques à
demi païens d'un retable gigantesque, ou sous l'épais ba-
digeon d'un ignorant barbouilleur.
zachée sur le Uu dcs tvpcs Ics plus curicux donués à nos chapiteaux ,
sycomore. — Signi-
fication de l'un et mals aussl l'un des plus inaperçus, et dont nous ne pensons
de l'autre. -, .
pas qu'un autre que M. le comte Auguste de Bastard ait
jamais donné l'interprétation avant nous (3), est cepen-
(1) « Ego quasi ros Israël; germinabit sicut lilium et erumpet radix
ejus sicut libani; ibunt rami ejus, et erit quasi oliva gloria ejus, et
odor ejus sicut libanus. » {Os., xiv, i, 6 et 7.)
(2) Sacy, Commentaire sur Osée.
(3) M. le comte de Bastard, dans sou Rapport sur une crosse trouvée
à Tirnn , a développé son travail jusqu'à en faire, par la variété et le
DES CHMMTEUX. 341
dant répandu très-fréquemment du onzième au quinàènic
siècle. Il est peu d'éf^^lises dans lesquelles la décoratio!i
joue quelque modeste rôle où ne se voie une figure
d'Iiomme apparaissant au milieu d'un feuillage touffu.
Quel mystère est caché sous cette singularité inexpliquée ?
Un passage de S. Ambroise nous a fait penser à Zacliée
monté sur le sycomore pour voir passer le Sauveur ; et ,
en effet , dans la plupart de ces représentations , le petit
homme qui surgit de cette végétation lapidaire dénote
par ses traits une vive attention, et de ses mains se cram-
ponne fortement aux branches qui l'entourent : évidem-
ment, il cherche à voir un objet quelconque, et cet objet
est le Christ. Or ce Zacliée, dit le docteur de Milan, prenait
place déjà, par l'élévation de sa foi , parmi les fruits des
œuvres nouvelles. La fécondité des siennes paraissait déjà
dans celle de cet arbre. Le Sauveur était venu pour faire
naître des liommes de l'arbre do la croix, et non plus des
fruits ordinaires (^ ) . Ceci s'explique encore par un passage de
Bède sur le même fait évangélique : « Zacliée, dit-il, signifie
justifié; il représente le peuple des croyants se séparant
des Gentils en s'élevant au-dessus d'eux. Cette séparation
est indispensable ; l'idée du sycomore se rattache d'ailleurs
nombre de ses observations, aussi bien que par de savantes notes^ un
livre des plus intéressants et des mieuK raisonnes sur le symbolisme.
Il refçarde ces hommes tenant les feuilles de l'arbre au milieu duquel
ils surgissent comme une représentation du sage de l'Ecriture s'atta-
chaut à l'arbre de vie et y trouvant son bonheur : Sapientia, lignum
vilêp, est hU qui apprehenderinl Eam, et qui tenacrit Eam bealm
(Sap., III, 18;. — Rien de plus naturel que cette explication : le paradis
terrestre existe encore ,en elfel, pour l'àme vertueuse, et plus celle-ci
s'attache à l'arbre mystérieux, qui est l'Église, plus elle se félicite de la
paix qu'elle trouve dans le saint usage de ses fruits. — Voir Bulletin
du comité de la l incjue, df l'histoire el des arts de la France, t. IV,
p. 784. — Paris, 1860.
(1) <( Zachaeus sublimi'ate fidei inler fructus novorum operum, velut
fecunda altitudine eminebat... Ad hoc enim Christus advenit ut ex li-
gnis non poraa, sed homiues oascerentur. » (S. Ambros.j In Lucavi)
lib. Vni, sub fine.)
342 HiSTOir.K bi: syiMBOlisaie.
à celle du liguier, dont il est une espèce quoique sauvage.
Cet ar])re prend un double rôle à l'égard des bons et des
méchants : comme la croix, il nourrit les premiers de ses
fruits pleins de saveur, et il devient pour les seconds un
objet de dérision ou d'indifférence (1).
Transitiondr ce Cependant cet homme dont nous parlons, qui surgit plein
sujet à lajiiandra- _ . , . , • ii f • t . • i i ,
gore. de Vie et a mi-corps du sein d une loliation abondante , a
reçu maintes fois une variante qui des chapiteaux s'est
transportée tantôt aux miséricordes des stalles , tantôt aux
pendatifs des arcatures ogivales qui en décorent les hauts
dossiers ou qui forment le soubassement des vastes façades
de nos grandes basiliques. Là, souvent, une figure grima-
çante, aux larges yeux animés, à la vaste bouche, aux joues
ridées , s'épanouit an milieu d'une plante à feuilles dente-
lées comme les chicoracées , et qui l'entoure comme une
longue et épaisse chevelure. C'est la mandragore anthro-
pomorphe, que les naturalistes anciens ont encore appelée
pomme d'amour, d'après ce qu'on croyait de ses prétendues
vprtus ei attri- propi'létés. Eu cffct , lls k croyaient bonne pour se faire
but^ cIb cette
plante. aimcF, ct l'cmployaient dans leurs philtres pour s'exciter à
cette passion. Julien l'Apostat écrivait à Calixène qu'il en
buvait le jus dans ce dessein. Josèphe lui attribue entre
autres vertus de chasser les démons, qui ne pouvaient sup-
porter sa présence ni son odeur, et quittaient les possé-
dés sur lesquels on s'empressait de l'appliquer. Ces faits,
énoncés dans les auteurs compétents, indiquent assez que la
mandragore figure dans notre imagerie à plus d'un titre ,
et soit comme le symbole d'un vice à éviter , soit comme
(1) « Mystice Zacliaeus^ qui inlevi^treiaitur jusiiftcatuSj credentem ex
gentibus populum significat... — Sycomorus... ficus fatua dieitur. Et
eadem dominicacrux quœ credentes alit ut ficus, ab incredulis irridetur
ut fatua.» (Bed., lib. V, JnLuc, cap. lxxvii.)— On peut voir S. Augustin
d'accord avec ces pensées dans son Commentaire sur S. Luc, prope
fivem: « Zachseus in sycomoro, novum videlicet temporis pomum, ut
in hoc quoque compleretur illud : Arbor fici produxit grosses suos. »
(Cant., II, 13.)
Oiseau dans les
branches , co -
lombe de la soli-
J)KS (MMPITKALX. 343
invitation d'une lorcc à se donner contre les tentations de la
chair et de l'esprit. La Chine aussi a sa plante identique
nommée gin-seng , et à laquelle les savants du pays attri-
buent des vertus toutes particulières qui n'échappent à
aucune de leurs encyclopédies (i).
Quelquefois, sur le sycomore où Zachée a paru d'abord,
vous voyez, au lieu d'une tète humaine, celle d'un oiseau, qui ^ , . « , ,
"i ^ ' 'A tude, signifiant la
est parfois une chouette, et semble là reposer dans son nid, ^'^ "°»tive.
tranquille spectateur de ce qui se passe au-dessous de lui,
écliappant par la solitude aux agitations du monde : là cet
oiseau devient le symbole de la sagesse méditative (2). Ou
bien c'est la tendre et innocente colombe réfugiée à tire
d'ailes vers les hauts lieux où elle cache ses petits, et qui
gémit dans son exil de la terre (3). S. Méliton indique en
effet la tourterelle comme le symbole de la chasteté qui
craint les regards et exprime les gémissements des âmes
saintes (5). Rien donc que de bien conforme aux pensées
de l'Éghse dans ceux qui ont placé de tels symboles aux
approches du sanctuaire où l'homme semble se rapprocher
davantage du Dieu qu'il y cherche, où l'âme plus recueillie
se livre à de plus profondes et de plus douces méditations.
C'est là qu'est la vie unitive; c'est elle qu'on retrouve sous
ces emblèmes aussi touchants que mystérieux, dont l'étude,
on le voit, ne manque pas plus de charmes que d'attraits.
Mais que dire de ces entrelacs si nombreux et si variés
qu'on rencontre si fréquemment sur les chapiteaux les plus
anciens , à l'état rudimentaire, n'offrant d'abord à nos re-
gards qu'un ornement sans importance, et dont on ne soup-
ires entrelacs
des chapiteaux, et
leur» variété.^.
(1) Cf. Dom Galmet , Cunimenlaire littéral sur la Genèse , ch. xxx.
V. 14.
(2) « Factus sum sicut nycticorax in domicilio. » (Ps. , ci, 7.) — « Medi-
labor ut colouiba. » {Is., xxxvjii, 14.)
(3) « Ecce elongavi fiigiens, et mansi in solitudine. » {Ps., liv, 8.)
— « luvenit turtur uidum sibi ubi ponat pullos suos. » {Ps., lxxxiii,3.)
(4) « Turtur caslilatem, vel gemitum Sanctorum siguificat.» (S. Melit.,
Clavis, De Avibus, cap. xi.)
341 HISTOIRE bi: SYMBOLISME.
çonrierail pas le sens ; dont ia simplicité ne llatte les yeux
que par des enroulements plus ou moins agréables, mais
qui, à mesure qu'on s'avance vers la belle époque, devien-
nent de jolis dessins, de véritables rubans mêlés de perles,
de tresses et de guirlandes qui se croisent et s'élancent avec
autant d'iiarmonie que de régularité? Là, direz-vous sans
doute, le symbolisme fait place à une idée moins pro-
fonde, et le sculpteur s'est contenté de jeter sur sa corbeille
un tissu quelconque, dont le mérite est d'en cacher la nu-
dité. Mais il en est autrement si vous contemplez les entre-
lacs formés par les enroulements symétriques des queues
de léopards ou de lions, s'ils enveloppent de leurs contours
des oiseaux fantastiques aux têtes de serpents ou de griffons
qui s'y joignent : alors reconnaissez à ces traits l'hérésie,
hostile à Dieu, à son Église et à ses enfants. Ce sont ces sectes
rebelles excommuniées par Grégoire IX et Innocent IV,
(( lesquelles, sous quelques noms qu'elles se produisent, ca-
thares, pauvres de Lyon, arnaldistes ou autres, se revêtent
de faces diverses , mais s'unissent en réalité par les plis de
leurs queues et s'entendent très-bien à épancher les vaines
théories de leurs erreurs (I). » C'est le treizième siècle qui
s'exprime ainsi par la plume de deux de ses grands doc-
teurs; au douzième, nous avons vu S. Bernard attribuer à
des hérétiques entêtés le même caractère et des symboles
semblables (2). Donc, pour tout homme de bonne foi il n'y a
plus moyen d'attribuer à des caprices sans valeur ces figures
demeurées jusqu'à présent sans explication. N'est-ce pas
(1) Cf. l'abbé Lecanu, Ihsioire de Salan, p. 268 et suiv., in-8",
Paris, 1861.
(2) « Excommunicamus et auathematizamus iiiiiversos haerelicos, Ca-
tliaros..., Pauperes de Lugduno..., Arnaldistas, et alios quibuscumque
censeantur : faciès quidem habeiites diversas, sed caudas ad invictm
coUigatas, quia de vanitate conveniimt in idipsum. » (Décrétai., lib. V,
lit. Vil, cap. XV, Greg. IX; — et Innocent. IV, In Sexl. lib. V, tit. m,
cap. II, — mihi, Décret., p. 1834.) -Voir aussi Densinger, Enchiridion
symbolorum et definitionuin, in-12, Wirceburgi, 1856, p. 162.
DEvS {:h.vpitk\i\. 3/«:i
siu" beaucoup de nus cliapileaux (jiie ces paroles soiil
copiées, ou bien ces paroles n'ont-clles pas inspii'é beaucoup
des ouvriers qui, à cette époque, se sont plu à les reproduire
avec des ^ariantes qui se manifestent dès lors sous des ca-
prices de i'ornies si irrégulièrement fécondes? et quand les
Papes du treizième siècle ont représenté les tortueuses
façons de l'hérésie avec ces caractères si décisifs, pouvaient-
ils ne pas faire allusion à ce type, déjà vulgarisé depuis
longtemps, du mensonge liypocrite et de ses perfides
efforts ?
Si de ces étonnantes images, maintenant devinées, nous ij^norancc de
certains savants
passons aux grotesques peu connus encore, et si souvent en fait de religion
attaqués par les petits de la science comme inexplicables ou
ridicules, nous étonnerons .bien davantage en assignajit à
chacun son rôle propre, et démontrant qu'il n'y a en eux ,
non plus que dans les plus simples, rien qui ne tende à im
])ut avéré. Ainsi, avant de dire, comme le Comité des arts et
monuments dans ses Instructions, que « ces motifs étaient
intligés par la théodicée bizarre et raffinée du moyen
âge (I), » il aurait fallu bien comprendre les éléments
mêmes de cette théodicée, exposer sa propre doctrine sur
Dieu et savoir quel enseignement on opposerait bien sur ce
sujet à celui des théologiens de ce moyen âge si orgueilleu-
sement dédaigné. Pauvres connaisseurs! qui croient savoir
leur moyen âge dont ils voudraient faire leur chose, et qui
n'ont jamais su comprendre que cette belle époque delà
religion et de l'art avait sa manière à elle, son école plasti-
que ou chronographi(iue, où s'enseignait la manière de
représenter les mystères et les dogmes de la religion ! Ne
serait-ce pas à ces demi-savants qu'il faudi-ait reprocher
plutôt un raffinement de critique audacieuse puisée dans les
préjugés qu'ont accumulés, dans certains esprits, les théo-
ries du calvinisme, du jansénisme et du philosophismc? Ne
(1) ln-4", (t. 35, 82-84. — Cette rédaction est de M. Mérimée.
346 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
sont-ce pas eux qui ont perdu ou abandonné, jusqu'à n'en
plus rien savoir, les traces vénérables de la vérité artistique
et la simplicité naïve de la foi de nos aïeux ? Quelles études
ont-ils faites de ces emblèmes, si difficiles à tout autre qu'au
chrétien, de ces énigmes dont l'obscurité ne disparait qu'à
la lumière de l'Évangile? Quand ont-ils passé une seule de
leurs nuits à méditer les rapprochements possibles entre les
éléments de nos sym])oles parfois si éloignés les uns des
autres, et toujours rapprochés dans un but sacré de sainte
propagande et d'ardente évangélisation?
Méthode (lin C'est pour n'avoir rien appris de ces principes que nos
tuilion pour cps
'Hudes, aussi diiii- scigucurs dc la prétendue science moderne se sont hasar-
ciles que sérieuses.
dés à des dissertations plus grotesques sans contredit que
beaucoup des symboles qu'ils calomnient. Pour nous qui
analysons ces figures de sang-froid , dans le calme d'études
attentives et prolongées, nous en cherchons la pensée intime
et nous la découvrons à ses vraies sources. Nous distinguons,
à la faveur de cette méthode, les époques de l'art, les livres
qui l'ont inspiré, l'action de l'Église dans tous les temps, et
son active surveillance sur ses propres affaires, dont aucunes
jamais ne lui furent plus importantes, nous l'avons prouvé,
que la construction de ses temples et leur embellissement.
Revenons un peu sur ce triple sujet d'observations.
i/inspiration e - Quaiit aux époqucs dlvcrscs oîi l'ai't a jeté ses radieuses
Idon*^"L "SèSes expansions sur la pierre des chapiteaux et des modillons ,
ou sur le bois des stalles aussi bien que sur le parchemin
des manuscrits , nous n'entendons pas juger ici ces phases
différentes par le mérite graphique et sculptural des œuvres
du talent ou du génie : nous voulons parler uniquement du
genre d'inspiration qui souffla sur l'artiste pour faire éclore
de ses mains les images plus ou moins mystérieuses que
nous lui devons. C'est une remarque indispensable au juste
discernement des motifs traités par lui. Les onzième et dou-
zième siècles, en effet , sont tout hiératiques et restent dans
une gravité qui n'exclut ni la variété des sujets ni la richesse
qu'elle trayerse.
DES CHAPITEAl \. 347
de riniagination. Les deux siècles suivants ne conservent
pas sans (luelque niodilicalion ce double caractère. Le
champ où se recueillent les chefs-d'œuvre lapidaires du
symbolisme s'est élargi. A côté des écritures sacrées, de
riiistoire du peuple de Dieu , une littérature nationale s*est
faite, les artistes laï([ucs sont arrivés, et de ces deux sources
nouvelles ont surgi des idées non moins instructives , non
moms intelligibles, mais parées d'une sorte de dehors pro-
fane et tout d'abord moins convenable, en apparence, à la
sainte austérité des leçons divines. Mais, en fait et sous ce
revêtement inusité, on aperçoit le fond de la pensée chré-
tienne, et l'on voit bien que, si le ciseau devient l'interprète
des poèmes et des fabliaux, c'est toujours au profit du déca-
logue, dont le texte vit à travers ces voiles diaphanes.
La période triséculaire qui s'écoula entre l'an 1000 et les «.iie période du
premières années du quatorzième siècle est certainement la STrîiè sî^cir*
plus remarquable depuis l'origine du Christianisme, quant
à la science théologique étudiée sérieusement dans les mo-
nastères, et aux aptitudes qu'elle enfanta : c'est le temps
des Pierre Damien et des Anselme de Gantorbéry, des Gra-
tien et des Pierre Lombard, des Albert le Grand et des Tho-
mas d'Aijuin, des Bonaventure et des Vincent de Beauvais.
Ces beaux génies, familiarisés avec les plus hautes études de
leur âge, pouvaient en concevoir le mysticisme, lui appli-
quer les mystères des sciences pprdues aujourd'hui , telles
que la cabale et la gnose, ceux même de la philosophie an-
tique, dont quelques Pères , philosophes avant d'être chré-
tiens, comme S. Justin et S. Clément d'Alexandrie, avaient
laissé les traditions dans leurs ouvrages. On avouera que
c'étaient là d'immenses ressources applicables à l'icono-
graphie, et que cette variété de connaissances encyclopé-
diques ne put demeurer étrangère à l'art chrétien, non phis
qu'à l'enseignement théologique. Ce n'est pas à dire, avec Action des scien-
, ' ccîs et de la dcmo-
un auteur moderne qui I a suppose trop gratuitement , que noio-ie sur la
, . , , . , " , sculpture de ce
des sectes cachées conservant les croyances et les mœurs temps.
348 HISTOIRE DL SYMBOLISME.
des giiustiqucs se soient appliquées à eu reproduire les er-
reurs en influençant la main des artistes de ce temps : ce
n'est là qu'une supposition sans valeur aucune. Une telle
supercherie était impossible sous les yeux vigilants qui pré-
sidaient à leurs travaux.
Origine des H- Mals, daus Ics cxagératious dogmatiques de ces hérésies,
"•ures bizarres . ,. .. i , «t i -
d'hommes et d'ani- qui, tout cu S Hitiltraut au uiilieu des erreurs contempo-
iiiaux répandues . .,!• i r ■^^ xi x «x
dans les nefs de rauics, avaicut bicu pcrdu réellement leur autonomie et
uoscghses. ^^^^^^ ^.^ propre, on trouvait des représentations du mal ,
des expressions vives du péché, des souvenirs écrits des
mauvais vouloirs et des instincts les plus blâmables du
cœur humain : c'est l'origine véritable de tous ces masques
d'hommes ou d'animaux qui se partagent, sous des traits
si divers, l'espace abandonné aux sculpteurs soit pour les
modillons des vastes murailles , soit pour les corbeilles
des chapiteaux. Tant de grimaces et de contorsions ,
quand elles n'accompagnent pas certains signes évidem-
ment démoniaques, lesquels ont encore là, nous le verrons,
leur raison d'être , indiquent sans aucun doute les mille
hérésies qui se sont disputé le monde spirituel depuis l'ap-
parition du Christianisme. Ce sont celles dont Grégoire IX
et Innocent IV disaient tout à l'heure l'excommunication.
Ces princes des impies sont là comme « fixés à la pierre ,
écrasés sur ces rocs, figure del'Éghse, pierre fatale qu'ils,
ont voulu ébranler et qui les broie (^). »
Ces doctrines coupables, qui induisaient les âmes dans
les plus grossières erreurs, tenaient aussi de la magie et
rentraient dans celles de la cabale, qui était la philosophie
occulte des Juifs, hostiles à l'Église dès son berceau. Ces
chimériques recherches, toutes fondées sur des calculs
erronés et de fausses traditions, n'étaient que des inspira-
(1) « Absorpti sunt juncti pétrie jiidices eorum.» {Ps., cxl, 7.)--Voir,
sur ce passage et la iidèle interprélation que nous en donnons ici, Ge-
uebrard, Co}niiu'?ilariuin in psalinus; et Berilùer , Notes ti réflexions
sur Us psaumeSy in h. loc.
DKS CIIAIMTKALX. '^ V.)
tions diaboliques propres à détourner les hommes de la
Vérité par essence, et, si les docteurs catlioliques du moyeu
âge, guides inCaiHihles de l'art religieux , n'y virent qu'un
fécond élément d'instruction populaire et de pures allé-
gories dont le but était de dénoncer le mal et ses fauteurs ,
il est vrai cependant que les plus fortes têtes, à l'expi-
ration du moyen âge, ne cessèrent pas d'y croire et d'en
professer la valeur. Trithème, à la fin du quinzième siècle,
fut l'un de ceux qui mirent leur confiance dans un art
cabalistique dont quelques formules magiques pouvaient
procurer la connaissance. Au seizième, Pic de laMirandole,
dans sa fameuse thèse De omnire scibili, soutint un nions- '
trueux assemblage de toutes sortes de propositions tirées
des livres cabalistiques. Reuchlin, qui, tout en demeurant
catholique, subit quelques influences du protestantisme, cl
vit condamner à Rome son traité De Arle cabalistica et
ses trois livres De Verbo mirifico , avait agencé une foule
de rêveries , d'après celles des rabbins, qu'il avait trop
suivis {\).
Or ces savants n'avaient pas inventé leurs fausses et r^a cabaip «t
. ..,-..,, . l'astrolog-ie plus
séduisantes théories ; ils n en étaient que les continuateurs, ou moins judi-
• 1/ ^ll•^ ^ Il 11» \ • 'îiaii'e y laissent
et leurs idées saluèrent souvent a celles de 1 astrologie peut-être aussi
judiciaire^ si fameuse de leur temps , et qui , beaucoup
plus ancienne aussi , a pu laisser , nous ne le nierons pas
absolument , quelques traces jetées par des savants de bonne
foi dans cette foule d'étoiles, d'astérisques et autres phéno-
mènes célestes qu'on voit encore sur nos plus vieux chapi-
teaux des églises romanes. On conçoit, en effet, que, l'idée
de Dieu, de la création, des études bibliques, étant insépa-
rable de telles conceptions, qui en naissaient même comme
de leur source plus ou moins comprise, ces savants à ima-
gination mobile et ardente ont pu s'y arrêter comme à autant
(1) VoirPluquet, Dictionn. des hérésies, v» cabale; — Au(3iu , iJiH.
de Lcun X, II, 243, 249 et suiv.
leur empreinte
3o0 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
(le symboles propres à représenter les attributs de Dieu ,
son action sur le monde matériel et sur celui des intelli-
gences. En avait-il été autrement des Pères eux-mêmes, qui
acceptaient dans le môme but les erreurs populaires d'Aris-
(ote , de Pline et de Platon sur la métaphysique et sur les
merveilles de l'histoire naturelle? Lors donc môme qu'on
n'aurait pas toujours la clef de ces figures si variées de ca-
ractères et d'expressions, de ces horribles laideurs qui les
distinguent de remarquables beautés placées à côté d'elles
comme un contraste significatif, on aurait assez de ces don-
nées de la science pour n'être jamais autorisé à taxer d'in-
signifiante cette suite parfaitement calculée d'images
sérieuses, trop pleines de sentiments pour n'être pas imbues
d'une vérité.
et jusqu'à la luy- IJuc autrc preiivc de cette influence des époques sur l'art
thologie païenne . ^ ^
qui S'y rattache, coutemporaui, qui s'y pliait tout en servant la religion, res-
sort évidemment de ce qui se passa en ce genre vers la fin
du quinzième siècle, et ne fit que s'accroître pendant toute
la durée du suivant, avec le renouvellement des études
grecques et romaines. On vit l'idée païenne, patronisée sous
toutes les formes, envahir la httérature et les arts, et forcer
les répugnances de ceux-ci, jusqu'à leur imposer les poé-
tiques absurdités de la mythologie. On sait les travaux
d'Hercule à la cathédrale de Limoges et à Saint-Michel de
Dijon, le tombeau de l'évêque Jean Olivier dans la cathé-
drale d'Angers, et tout cela se reproduisant au même titre
dans les chapiteaux, qui n'auraient jamais dû s'en souiller,
sous la forme d'arabesques, d'animaux capricieux ou de
figures humaines. Il est vrai que, sous ces formes fabuleuses,
pouvaient bien subsister, en certaine mesure, des intentions
chrétiennes, et que l'Hercule, par exemple, qui figure
encore dans la première église du Limousin, peut être con-
sidéré comme symbole de la force, dont la foi nouvelle a
fait une vertu cardinale ; ces travaux du héros, douze fois
vainqueur d'obstacles jugés insurmontables, symbolisaient
DES CHAPITEAUX. 3:^1
évidemment pour la philosophie antique Ténergie humaine
aux prises avec la nature et la domptant par son courage.
Et le Giiristianisme, que demande-t-il de plus à l'homme
entouré des mille tentations de la vie du monde et toujours
assez fort par la grâce pour en triomphei- chaque jour?
Mais ce n'était pas moins une condamnahle hardiesse de
remplacer ainsi la doctrine des Pères par les enseigne-
ments d'Ovide et de Lucien, de les reproduire en scènes peu
chastes dans une église, et d'ouvrir ainsi la carrière à ces
hordes de folles idées qui devaient envahir le domaine
divin. De trop prochaines conséquences le firent bien voir.
La fantaisie succéda bientôt à ces grossièretés impies, les
égarements de l'imagination s'emparèrent avec une audace
sans frein du champ où le symbolisme chrétien n'était plus
admis; puis bientôt l'art grec, triomphant partout avec ses
froides conceptions, ramena avec lui, pour suprême expres-
sion du symbolisme religieux, ce chapiteau corinthien dont
la beauté originelle était si peu faite pour patronner un mé-
lange bizarre autant que varié de motifs sans valeur ni
convenance.
A propos de ces capricieux essais du ciseau qui s'évertue, sens véritable,
quand apparaît cette décadence de l'art, à ne plus donner JSmofns'Mvoies
que des futilités inexplicables, il faut bien se garder de les !?ences^"'^'* *^^*
confondre avec une foule de sujets très-sérieux dont la
signification a pai'u très-peu symbolique d'abord, et que
nous devons néanmoins signaler comme tels. Tout en
avouant que beaucoup de modillons et des chapiteaux du
quatorzième siècle appartiennent bien plus à l'ordre des
choses naturelles qu'à celui de la théologie mystique, on
d(jit reconnaître aussi qu'un très-grand nombre ont été
regardés plus tard comme de simples jouets d'une pensée
arbitraire, qui ont cependant leur sens profond, dont on n'a
pas suffisamment étudié l'origine et le but : c'est ainsi qu'en
se plaignant du renard qui prêche les poules à Saint-Ger-
raaiii-des-Prés de Paris, du singe habillé en moine el qui
352 HISTOIRE l)V SYMBOLISME.
joue de la viole à Notre-Dame de Saint-Lô, et de beaucoup
d'autres non moins choquants en apparence, on retrouve,
pour peu qu'on le veuille bien, le zèle iiypocrite de Fhé-
t'ésie à s'attribuer la parole de Dieu, ou les futilités du monde
qui se mêlent en trop de gens aux habitudes extérieures de
la vie chrétienne. On n'a donc vu que le côté naturaliste de
ces faits plastiques, au lieu d'en considérer le sens intime,
qui n'échappe plus à personne d'instruit.
A ces observations générales, nous pourrions, on le voit
hien, ajouter une foule de détails qui ne feraient qu'en main-
tenir l'évidence en les confirmant de plus en plus. A défaut
d'un plus large développement, elles indiquent du moins un
curieux sujet d'études auxquelles de nombreux volumes
s'ouvriront au besoin, et c'est ce qu'il nous faut indiquer
rapidement, comme notre second moyen de discerner le tra-
vail que s'imposa le moyen âge en faveur de sa doctrine
symbolistique.
Comment les é- Ou s'cst malutes fols étonué de n'avoir rencontré dans les
mS dT^'moyeu rccherches suivies des livres techniques de cette époque
2nsnv"S^eeS aucuiie théorie du symbolisme indiquant aux adeptes une
'î"'^'- règle de faire, une méthode de composition. Mais de quoi
eussent donc servi de tels livres quand les ouvriers ne sa-
vaient pas lire, comme le prouvent beaucoup de fautes sur
des inscriptions qu'ils savaient à peine mieux imiter que
copier, quand les clercs seuls disposaient, en les leur dictant,
des sujets à sculpter où à peindre? Les manuscrits peints
et dorés par les calUgraphes des monastères et des univer-
sités suffisaient, par leurs innombrables images, à formuler
toute la partie spéculative du symboUsme, et nous savons
qu'ils ne s'en faisaient pas faute.
Le livre D« ^rt^ Là, cu cffct, 11 u'y avalt qu'à regarder pour imiter sûre-
phiie'"'""' ^"'"" ment; mais il n'en fut pas ainsi de la peinture murale, à qui
des règles positives devenaient indispensables quant à la
variété de ses procédés, aux exigences des légendes et des
traditions. O'ost pourquoi le moine qui, vers le douzième
DKS CHAPITEAUX. 353
siècle, se donna le nom syml)oli(]iie de Théophile, écrivit
son curieux Traité des arts, dont la moitié se réduit à des
recettes soit pour ohtenir, quant à la peinture, les couleurs
et les difTérents effets qui en résulleut, soit pour le bon
emploi des instruments mêmes de l'artiste (I). Nous ne par-
lons ici que de cet objet, quoique daus ce beau livre, où la
foi n'est pas moins rcmarqual)le que le génie, tous les arts,
comme ledit son titre {Diversarum artium.scJiedula), soient
tour à tour éclairés, au profit de l'Eglise et de son culte, de
tous les enseignements qui inspirèrent tant de chefs-d'œu-
vre pour nos tabernacles et nos verrières. Les premières
années du quatorzième siècle virent aussi un moine ano-
nyme donuei', à la suite de Théophile, qu'il cite souvent,
une sorte de compilation qu'il intitula Lumen annnœ :
c'était le même but, avec moins d'étendue mais autant de
détails techniques. On voit bien que la sculpture, plus
simple dans ses moyens, se devait contenter de données
plus nettes et plus précises; toutefois il lui fallait des
sources comme à tous les arts d'imagination, et ces sources
s'ouvrirent pour elles non moins larges, non moins pro-
fondes.
En outre des Pères et des éciivains ecclésiastiques dont ces ouvrages
doctrinaux rem -
nous avons démontré l'influence etle crédit tout-puissant sur placés par laiitui»
les conceptions artistiques, le monde savant eut d'autres
docteurs adonnés aux méditations de la philosophie catho-
li(iue, et dont la sculpture sacrée profita à certaines époques
pour agrandir le champ de ses doctes méditations. Puis
vinrent les écrivains liturgiques, qui, en dissertant sur les
cboscs du culte public, en développèrent les raisons et se-
mèient à pleines mains les gracieux symboles qui nous
charment encore dans leurs hynnieset leurs séquences. La
poésie ne manquait pas dans ces belles compositions, et ses
(1) V Essai sur les divers arts a et»'* traduit avec le texte latin en re-
gard par M. de l'i^^scalopier^ iii-4", Paris, 1843. Ce livre est précédé
d'une excellenle introduction par M. Giiichard.
T. m. 23
354 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
créations, aussi riches que variées, s'élancèrent bientôt de
leurs livres aux modillons, aux clefs de voûte et aux cha-
piteaux. Nous avons vu Durand de Mende et Vincent de
Beauvais: ajoutons, à propos de celui-ci, que toutes ses in-
ductions des faits historiques de la Bible se retrouvent en
mille sculptures de la cathédrale de Chartres. S. Thomas
d'Aquin, Adam de Saint-Victor, ne furent ni moins féconds
ni moins ingénieux dans l'enthousiasme de leurs chants
sacrés.
Influence de Mals uuc voix cucorc incounuc , en ce qu'elle n'était
Dante sur l'orne- ^
mentationdestrei- l'écbo dc pcrsonue ct qu'uu fféuic tout personnel inspirait,
zieme et quator- x t, j i
zième siècles. à k fiu du treizième siècle, Dante, la gloire de Florence et la
plus sublime expression de la poésie de ce temps, devint
surtout Torgane dusymbohsme chrétien, et eut ce bonheur
que ses chants furent mis en images impérissables par les
sculpteurs et les peintres de la phis belle époque de l'art.
Après avoir analysé au point de vue général l'ensemble
symbolistique des compositions de ce grand génie (^), il est
à propos de faire observer ici quels détails pleins de vie il
a fournis à notre décoration monmnentale. Sa magnifique
trilogie semblait faite pour inspirer les artistes de nos
églises gothiques, et, dans la longue exposition des motifs
prodigués de toutes parts à leur enceinte, il serait difficile
de ne pas reconnaître des épisodes nombreux- empruntés
au Paradis, au Purgatoire et à V Enfer. Pour ne citer que
le Purgatoire, ne voit-on pas apparaître sous le voile de
mystérieuses allégories, au chant xxix, les Patriarches vêtus
de leurs robes blanches , les vingt-quatre Vieillards c\)u-
ronnés de lis, le Tétramorphe évangéliqae, l'Éghse figurée
par un char à deux roues que traîne un griffon, c'est-à-dire
Jésus-Christ symbolisé dans ce mystérieux animal avec sa
double nature d'aigle et de lion ? Le chant xxxii exprime
les persécutions souffertes par l'Église, dont les cruels en-
(4) Voir ci-de3sus, t. II, cli. x'viii, p. 663 et suiv.
DES CHVPITKAUX. 355
nemis revotent enseinl)le ou (oui- à tour les loimes inat-
tendues de l'aigle, du renard, du dragon. Que de fois
beaucoup se sont ari'ctés devant des murailles où trônent
sur des chapiteaux ou des niodillons ces bètes terribles,
sans qu'un souvenir de cette littérature brillante leur ail
divulgué le mystère de ces représentations étranges ! Aux
chants \\i, wii et xxv, ne reconnaissez-vous pas ces démons
« féroces d'aspect , » aux défenses de sanglier, aux ailes
de chauves-souris, ces damnés aux dents qui grincent,
ces grenouilles se tenant à Weuv d'eau, et mille autres
motifs empruntés aux mêmes livres et rappelant les
déplorables allégories de l'éternité des méchants? Et, si
nous pouvons dire avec le regrettable interprète de Dante,
Frédéric Ozanam, a qu'au treizième siècle la poésie n'était
pas réfugiée dans le cœur du citoyen de Florence, mais
(jn'elle était partout (1), » le symbolisme qui prétait tant
de richesse à cette poésie était donc partout aussi, et ne
dépassait pas la portée des plus ordinaires intelligences. Ce
n'était donc pas dans le but de faire comprendre aux savants
du dix-septième siècle ces éloquentes paraholes que Flo-
l'ence fondait, en l()73, une chaire de son Université pour
l'explication de ces beaux poèmes (2). Alors encore, la
science des choses saintes les révélait aux doctes du monde :
il s'agissait, dans ces leçons puhliques, hien moins du côté
religieux de La Divine Comédie que des personnages allé-
goriques dont l'identité importait à l'iiistoire, et de recon-
(1) Cf. Oziinam , Dante pL la PhUosophie catholique au treizième
siècle^ p. 326, in-S», Paris, 184ï. — Quelques auteurs catholiques, nous
le savons, ont accusé le poète d'erreurs religieuses et de passions contre
queUfiies papes de son temps. .Mais ces reproches tombent, dans ce
qu'ils ont d« plus considérable, pour peu qu'avec Ozanam on observe de
{très les passages qu'on incrimine le plus. Qu'on lise surtout les cha-
pitres V de la troisième partie et i de la quatrième , et l'on se réconci-
liera aisément avec le poêle, qui put se tromper en quelques thèses
philosophiques, mais qui demeura toujours sincèrement attaché à l'or-
thodoxie catholique.
(2) Voir Binqr. univ. deMichaud, v» Dante.
336 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
naître, a l'aide d'études patientes et raisonnées, sous quels
noms y étaient cachés les partis qui se disputaient l'Italie à
la suite de l'Empire ou de la Papauté. Ce qui le prouve de
reste, c'est que l'art italien eut aussi dans ses églises go-
thiques, ruinées plus tard par les guerres, ses modillons et
ses chapiteaux dantesques. Il n'y a pas à douter que les
figures contournées qu'on remarque surtout dans les mo-
numents de la Sicile ne soient là pour représenter les
intentions du grand poète {\].
Lutte énergique II cst vral qu'à l'époque où cette nohle idole des Italiens
temps'^J?ntre*')'en^ joulssalt d'uuc tellc voguc qu'ou chcrchalt de préférence
vabissement lai- ,. ,i ,, ,. .•-• ii-- »
que des francs- cu lui scul Ics decoratious artistiqucs, le laicisme s empa-
maoons. ^^^^^ ^^.^ dcs coustructions sacrées, et la franc-maçonnerie
faisait irruption dans le domaine de rËghse, où elle pré-
ludait à hien d'autres oppositions que nous y avons vues
et d'une tout autre importance (2). Mais ce n'était encore
qu'une immixtion sans victoire définitive : le clergé, luttant
avec énergie, ne cédait rien de ses droits ; il continuait de
les exercer sur les matériaux qu'il spiritualisait; il mainte-
nait donc sa suprématie séculaire, il dirigeait le crayon, il
animait la pierre, il tenait ouvert le livre de Théophile
sous les yeux de ses peintres, et le symholisme ne perdait,
rien de l'action qu'il lui avait toujours imprimée. Gene-
hrard raconte (3), à ce sujet, un fait curieux qui caractérise
trop hien le temps où il se passe et le crédit ahsolu que le
clergé gardait encore sur les choses de l'art pour n'être
Pierre de cu- pas rapporté ici. — Pierre de Gugnières , dit-il , avocat
ïrjiîpfAg (ij son
marmouset. ' général au parlement de Paris, plaida en 1325, devant Phi-
Uppe de Valois, en faveur du droit absolu des rois sui-
l'ÉgUse, contre Bertrandi, évêque d'Autun, et Pierre Roger,
(1) Voir Gally-Kuight, Excursions en Sicile, ch. vu etxxii; — BulL
monum., \, p. 125 et 215.
(2) Voir ci-dessus, p. 59 et suiv.
(3) Chronogra'pliisd lib. IV, ad ann. 1329, in-f» , Paris, 1580; cité
dans l'Univers, feuilleton du 27 mai 1847.
DKS CHAIMTKMX. 3:>7
arcliovèque de Sons. La victoire resta aux défenseurs de
l'E^iise et de la liberté ; le roi répondit aux évoques protes-
tant de leur attaclienient in\iolablc, et jusqu'à la mort
même, aux principes de l'Église , « qu'il ne donnerait à
personne l'exemple de la molester... » Le clergé et le
peuple mirent la statue de Philippe au portail de la cathé-
drale de Sens, tandis qu'une tète en marmouset, sous les
traits de Pierre de Cugnières, grimaçait sous les murs de
Notre-Dame de Paris, « attirant les mocqueries des clercs et
des écoliers. » — Le clergé alors était donc encore dans la
plénitude de ses droits. Si la satire dont l'époque reflétait
les tendances nées des agitations publiques trouve sa place
dans ces énergiques protestations, elle n'en pronve que
mieux à qni appartenait la direction des idées et que les
choses de l'Église ne se faisaient qu'aux mains de ses maî-
tres et de ses docteurs. Ceux-ci étaient donc les seuls juges
de la méthode interprétative, les livres vivants ou les
échos des livres écrits d'où sortaient les enseignements et
les symboles. Donc encore, quelque étranges que puissent
nous paraître aujourd'hui certains faits plastiques dont le
sens nous reste muet, nous découvrons çà et là, par l'étude
ou par la réflexion, ce qu'il faut en penser; les figures les
plus insolites en apparence s'expliquent; le mystère s'ef-
face pour laisser place à l'évidence, les ténèbres devien-
nent le jour; on conçoit que tous les êtres peuvent avoir été
réunis en un vaste concert pour rendre hommage à Dieu,
à l'idée religieuse, à leur impression sur les sens et l'ima-
gination de l'homme, et rien ne semble plus vrai, après ces
intéressantes découvertes, que la pensée que nous avons
déjà citée de S. Denis l'Aréopagite : « C'est louer Dieu digne-
ment que d'embrasser dans sa louange tous les résultats
de la création, pourvu que nous les considérions toujours
dans leur rapport \érital)le avec lui. »
La suite de nos dissertations va nous faire briller ces
])rincipes d'une lumière nouvelle.
GHAPiTliE X,
DEMONOLOGIE.
Objet de ce ciia- Nos modiUoiis et nos chapiteaux, en tant qu'ils se prêtent
à reproduire la vie mystique de l'ange infernal, n'offrent,
dans les proportions rétrécies de chaque scène, que des pa-
ragraphes très- in suffisants de son histoire générale. Il s'en
faut que ce soit là tout ce- que l'art nous en peut donner,
tout ce que peut représenter l'action incessante de cet
ennemi acharné de la race humaine. D'autres actes, aussi
nombreux que suffisants, se rattachent encore à ce grand
drame de notre vie spirituelle, et il faut les hre et les étudier,
il faut les comprendre afin de pouvoir, au besoin, les ex-
pliquer. Ne sont-ce pas autant de chapitres encore ignorés
de la Bible, des légendes sacrées , des catéchèses popu-
laires? Nous avons tracé rapidement déjà l'histoire fatale
du mauvais Ange et de sa chute éternelle (I) ; nous l'avons
retrouvé ensuite plus d'une fois dans l'Apocalypse accom-
plissant son incessante et cruelle mission sur la race perdue
des impies et des prévaricateurs (2). Voyons maintenant
quelques-unes de ces vastes pages où il se révèle sous tant
de formes , et, soit par l'exposé de sa vie plastique, soit par
les multiples inductions qui en peuvent naître, complétons
tout ce que la théorie de l'art cathohque a pu nous ap-
pi'endre de ses innombrables étrangetés.
Le démon si- Avaut dc moutrcr les gravures sur pierre consacrées à la
(1) Voir ci-dessus, t. I, ch. x, p. 247,
(2) Voir t. II, ch.ix, sur les ch. xn, xni et xiv de l'Apocalypse,
teres
DÉMOAOLOCilK. 350
mémoire de l'Ange maudit, il est bonde remonter aux smaié paries Apô-
^ très sous diverses
sources de ces inspiiations visibles, afin d'en déduire plus former et carac
irrévocablement l'application dans le domaine de l'art. La
révélation de S. Jean nous le représente sous mille aspects
tout divers et propres à dévoiler clairement ses multiples
malices. Toutes les images les plus terribles et les plus
dégoûtantes y expriment ses intentions perfides et ses con-
tinuelles persécutions sur l'iiomme et sur la société : c'est
le dragon qui cberclie à dévorer le Fils divin de la femme
bénie entre toutes (I). Un grand combat se livre entre lui
et l'arcliange S. Micbel, qui le terrasse avec ses satellites
et l'exile du ciel avec eux : c'est le môme que cet ancien ser-
pent que tous les âges ont appelé le criminel et le calom-
niateur, l'adversaire acharné, Diabolus, Satanas [2).\Jdi-
pôtre S. Jude, parlant du respect dû sur la terre aux auto-
rités constituées de Dieu, rappelle aux fidèles du premier
siècle une autre altercation qui s'éleva plus anciennement,
après la mort de Moïse, entre ce même Diable qui veut faire
ensevelir le corps du Patriarche sur le mont Nébo, aux
yeux de tout Israël, qu'il espère amener par là à l'idolâtrie,
et ce même Michel qui, pour éviter ce malheur, soustrait
les restes vénérés à la connaissance des hommes (3). Cette
même bête à sept têtes et dix cornes (4), elle devient la mon-
ture féroce de l'idolâtrie personnifiée dans une audacieuse
prostituée qui tyrannise l'Église et ses Saints. Les ravages
(1) « Ecce draco maguus rufus... stetit ante muliereui...^ ut cum pe-
perisset, Filium Ejus devoraret. » {Apoc.,\i\, 3 et seq.)
(2j « Michacl et Angeli ejus praîliabantur cum dracoue; et draco pu-
gnabat, et angeli ejus , et non valuerunt ; neque locus inventus est ani-
plius eoruui in cœlo. Et projectus est... serpens autiquus , qui vocatur
Diaboius al Salarias..., et projectus est in terram. » (Apoc, xn, 1 el
seq.)
(3) Voir Fromond, In Episi. B. JudcB commenlarium , v. 9; apud
Migne, Sacr. Scripl. cursus couipL, t. XXV, col. 987.
(4) Ces assertions étant tirées de l'Apocalypse, aussi bien que beau-
coup d'autres que nous allons citer, nous renvoyons à ce que nous eu
avons exposé ci-dessus, sur les cli. ix et x de ce livre.
360 HISTOIRE DU SYMBOLISM!:.
qu'elle fait sur la terre en ouvrant le puits de l'abîme, les
(léaux qu'elle suscite de tous côtés parla guerre, la famine
et la peste, cette nuée de sauterelles dévorantes, de cra-
pauds impurs, d'oiseaux nocturnes , tant d'autres motifs
enfin, seuls capables de symboliser les actes et les inten-
tions de l'infatigable ennemi du bien et delà paix, tout
cela s'est traduit mille fois dans les tympans de nos églises
et dans les bas-reliefs qui en décorent les façades ou les
contours.
fva?niVro''spTres" ^^^^^ profuslou d'iiiiagcs sur un tel sujet, qui tenait de si
près aux pensées intimes et habituelles du peuple chrétien,
entretenait dans toutes les âmes la croyance active au dé-
mon et le soin de se gardei- contre ses mahgnes influences ;
la peur en était grande parmi eux, et le nom môme de
l'Esprit mauvais n'était jamais prononcé sans nécessité,
à plus forte raison par manière d'imprécation et de blas-
phème. Nos pères du treizième siècle étaient surtout
d'une grande délicatesse sur ce point, et Joinville affirme
de S. Louis que « jamais ne lui ouyt nommer ne appeler le
déable, si n'a voit esté en aulcun livre , là où il le failHst
nommer par exemple (1). » C'est dans ce môme esprit que
les Pères de l'Église ont affecté de le qualifier du nom de
mauvais, comme on le voit dans Tertuiïien, dans S. Gyprien,
dans S. Paulin et dans S. Jean Ghrysostome. Celui-ci assure,
entre autres, que si nous voyions l'épouvantable figure du
démon, nous en serions si éperdus et si transis que cela
suffirait pour nous ftiire perdre l'esprit et même la vie (2) :
c'est l'Ange déchu, d'abord d'une beauté ravissante, et per-
dant cette splendeur au moment où le péché est entré dans
son cœur et a perverti sa volonté. Ainsi la lèpre, qui défigure
liorriblement sa victime , passe pour le symbole le plus
(expressif du péché , maladie suprême de l'âme. Le péché
(1) Joinville, Mémoires.
(2) /npsalm. xli.
DÉMONOLOGli:. 3(vi
obscurcit les yeu\ de l'intelligence et l'aveugle, dit Isaie (I).
De là tant d'aveugles parmi nos sculptures; d'autre part, le
pécheur est fou, sa folie perce visiblement dans le basard
auquel il expose son éternité. C'est dans ce sens qu'il faut
entendre le reprocbe de Moïse : Popule stulte et insi-
piens (2).
Ces pensées furent très-bien comprises dès les premiers Figures bibii-
^ *^ ^ qucs dont on un
jours de la foi ; aussi dut-on prémunir les cbrétiens contre fait autant de sym
J ' boles.
cet ennemi commun en enseignant de lui tout ce qu'il en
fallait savoir, et, à mesure que l'art se développa chez les
peuples formés par la civilisation nouvelle, lui-même dut
contribuer à la propagande de ce dogme en lui vouant tous
ses genres de démonstrations ; tous les monuments en par-
lèrent. Ces sujets y devinrent si fréquents, si indispensables
même, qu'on les rencontre partout avec le même caractère,
et que les variantes qui s'y remarquent ne sont que des
modifications de cette idée, mais toujours le type (Idèle de
cette idée même. Il est remarquable que l'Écriture, qui a
dû souvent revenir aux opérations diaboliques exercées
sur le monde, s'est créé, pour les réaliser à nos yeux, une
foule d'images toutes fîiciles à comprendre , et dont les ar-
tistes n'ont fait faute de s'empai'er : c'est en cela que Dieu
est l'auteur de l'art et qu'on l'outrage en le profanant. Les
deux Testaments sont pleins de ces allusions instructives.
L'aspic et le basilic qui ])lessent le voyageur, le lion qui
dévore, le dragon qui attaque et s'insinue, le sanglier qui
dévaste un héritage, sont dans le Psalmiste autant de sou-
venirs d'embûches et de tentations pour l'homme encore
dans la voie (3). Job l'avait nommé bien antérieurement
Béliémot, la bête démesurée, Léviathan ou la légion, de ce
(1) « Spiritum soporis et veternum. » [h., xxix, 10.)— Et Sophonie:
« Ambulabunf utcœci, quia Domino peccaverunt. » (i, 17.)
(2) Dnutéronome, xxxii, 6.
(3) « Super aspidem etbasiliscum ambulabis, et conculcabis leonem
fît draconem. » (P.s.. xc, Vi.) — « Vineain exterminavit aper de silva. »
(Ps., LXXIX, 14.)
Son culte daii!:
le paganisme.
362 . HISTOIRE DU SYMBOLISME.
même nom que Satan se donne dans S. Marc, lorsque le
Sauveur, qui veut nous instruire par cet aveu, lui demande
quel nom le distingue de tant d'autres (I). Enfin, dès le
commencement du monde, nous le voyons, dans le récit de
la Genèse, se présenter à la première femme sous les appa-
rences d'un serpent, le plus rusé de tous les animaux (2j ;
c'est un des rôles qu'il affectera le plus, sous lequel il
semble voué plus souvent aux malédictions divines, et
deviendra dans l'avenir le type des impies, soit qu'on le
considère comme le premier instigateur du mal, soit qu'on
trouve en lui le principe de l'orgueil originel (3).
Il n'en fallait pas plus pour que l'idolâtrie en fît un de
ses dieux, et ce même génie du mal qui l'inspirait y trou-
vait un excellent moyen de perpétuer le trophée de sa vic-
toire sur les hommes : on sait le culte qu'il recevait à Épi-
daure. Les dragons sacrés deviennent communs chez les
Égyptiens, en Phrygie et à Babylone, où Daniel dévoila les
perfides mensonges des officiers de Bel, la vieille idole, et
du dragon qui la remplaça (4). Ainsi, le Maudit se plie à
tous les rôles, et son règne, qui se continue chez les na-
tions sauvages , s'est illustré de toutes les abominations
dont s'assouvissent les âmes perverties (5) ; mais aussi on
lui fera payer cher cette cruelle complaisance : cette forme
qui servit son premier mensonge , on la lui prodiguera
dans toutes les scènes où il apparaîtra à la race humaine
avec son caractère de tentateur, et les nombreux appen-
■1} « Behemoth ipse et rex super universos filios superbiije. » {Job,
XLI, 25.) — « Maledicunt diei fqua natus sum) qui parati sunt suscitare
Leviathan, » [Ib., viii, 3.)— « Quod tibi nomeD est? Et dixit ei : Legio
mihi nomeii est, quia multt suiuus. » {Marc, v, 9.)
(2) « Serpens eratcallidior cunctis animantibus. » {Gen., m, 1.)
(3) «Serpentes, genimina viperarum. » (Matlh., xxiii, 33.) — « MuUer
conteret caput tuum. » {Gen., m, 14.) — « Supra pectus gradieris. »
[Ibid.)
(4) « Et erat draco magnus in loco illo, et eolebant eum Babylonii. »
[Dan., XIV, 22.)
(5) Voir Dici. de la Bible de dom Calrnet, v» serpent.
DKMO.NOLOGIK. 363
dices qu'il recevra do l'iconographie l'eligieiise, les embel-
lissements de détail destinés à dévoiler toute sa laideur in-
time, vengeront largement riuiniaiiité de ses antiques per-
fidies.
Toutefois d'autres symboles, en grand nombre, généi'a- Formes symbo-
. . " liques de son ico-
iiseront cette vie de crimes et de turpitudes : selon qu'on nogiaphie.
\oudra rappeler un vice, une mauvaise tendance, une ex-
pression quelconque de la nature corrompue, on la revê-
tira des formes animales plus capables de désigner ces
infernales passions; son hypocrisie se traduira, au grand singe et bouc.
portail de la cathédrale d'Amiens, par un singe recevant,
assis, et avec la pose et les traits d'une indigne moquerie, les
adorations d'un riche personnage stupidement agenouillé
devant lui. Cette insolente béte semble désignée dans Isaïe
comme celle dont la race doit habiter l'Idumée après la
dispersion de ses habitants. Ce serait , d'après quelques
commentateurs, le pilosus du Prophète, sinon le bouc que
d'autres veuleut voir sous cette robe velue et (jui ne vaut
pas uiieu\, puisqu'il aurait la signification convenue des
sales plaisirs de l'impureté, et celle de la réprobation in-
faillible et cruelle qu'il essuie (I).
Voulez-vous retrouver un autre emblème des attaques centaures et sa-
violentes du démon, de ses embûches ouvertes ou de ses
inspiratious cachées? voyez ces centaures et ces sagittaires
qui n'en sont qu'une variante, se déroulant au\ voussoirs
des grandes portes d'entrée, comme à Verville et à Sainle-
.Marie-dii-Mont, en Normandie. Là ils décochent leurs Hè-
ches contre un cerf, emblème des aniescjui soupirent après
les fontaines du Sauveur. Aux stalles de la cathédrale de
Poitiers, c'est un ange qu'il va frapper d'un trait, car l'ange
déchu se plaît toujours dans sa révolte contre la sainteté et
la justice. (iCS diverses attaques sont toujours, en abrégé,
une de ces chasses mystérieuses que nous avons déjà signa-
(1) Voir S. Jérôme, lettre 43"^ t. Il, p. 4fh
cittaires.
Renard.
Crapauds ou grc
nouilles.
3(54 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
lées , et qui résument sans cesse la piste incessante du lion
avide toujours prêt à nous dévorer (4).
Une autre fois, c'est la ruse qui domine et qui triomphe.
Voici notre renard, déjà bien connu : on Ta vu préclier des
poules innocentes, imbéciles qui se laissent prendre à ses
discours, comme tant d'autres; ses merveilleux sermons
les ont endormies, et le moment arrive enfin où le pauvre
oiseau se voit mangé par le prédicateur, comme dans quel-
ques médaillons de la catliédrale d'Amiens. Ainsi, la fable
d'Ésope est ici très-distinctement sculptée; d'après elle,
maître renard dévaste le poulailler , comme ailleurs le
fabliau l'a présenté sous une autre forme , et toujours dans
le même but (2).
Nous avons vu, au chapitre xvi de l'Apocalypse, trois
gTenouilles ou crapauds (c'est ici tout un) , esprits impurs
jetés vers les dominateurs impies de ce monde afin d'y souf-
fler la guerre et tous les maux qui doivent précéder le dei-
nier avènement du Seigneur. Ces crapauds signifient ,
d'après S. Méliton, \es démons eux-mêmes, et on le devi-
nerait aux cruelles fonctions qu'ils assument. C/est, en effet,
un de ces horribles reptiles classés par le Lévitique au
nombre des animaux impurs ; il a quelque chose du ser-
pent dans ses habitudes les plus vitales : il rampe, il mange
la terre, il est pour tous un objet d'horreur. Les autres
symboles dont le côté principal est désavantageux ont tou-
jours leur opposition, comme le serpent lui-même, qui, en
dépit de ses caractères iniques, devient au moins quelque-
fois l'emblème de la prudence, et celui de Notre-Seigneur
dans le Serpent d'airain ; la grenouille, au contraire, n'a
(1) MM. .lourdain etDuval, dans leur savante monographie du grand
portail de la cathédrale d'Amiens (Bulletin monumental, XI, 438), ci-
tent le P. Hector Pinto comme l'un de ceux qui font cette remarque
dans son Commentaire sur Isaïe,cli.xxiv. Les autres commentateurs ne
sont pas moins d'accord sur la double signilication qu'on peut donner
ici à ces deux animaux.
(2) \oir Ballet, monunu, XIX, 232,295; 316.
DKMONOLOGIE. M-'^
aucun bon coté qui la dédommage, et tous les commenta-
teurs s'épuisent en traits hideux sur son compte sans lui
rien accorder qui nous la réconcilie quelque peu ( I ). C'est de ser^pçj^'""\® f^^l
telles notions que sont venues, dans nos bas-reliefs, ces ««-«pa"'!^-
statues si nombreuses, qui ont si longtemps excité la curiosité
des archéologues (et dont le sens n'est plus mécomiaissable
enfin), de femmes allaitant ou des crapauds ou des serpents
qui s'élèvent du milieu du corps à la poitrine, et par lesquels
on a voulu, d'après les physiologues du moyen âge, ex-
primer la débauche dans ses plus honteux excès : ainsi les
voit-on à Saint-Sernin de Toulouse , à Moissac , à vSaint-
André de Bordeaux , à la chapelle funéraire de Montnio-
rillon (2).
Mais en dehors de ces formes animales que Satan a su Le serpent -
. , homma du paradis
prendre maintes fois, et dont tant de legendau^es ont trouve terrestre,
la preuve dans rÉ\angile même, le monstre a souvent aussi
revêtu les apparences de l'humanité, comme lors de la ten-
tation au dései-t , et môme dans la tentation du premier
homme : car beaucoup d'images, par une ingénieuse com-
binaison d'idées très-acceptables, ont montré Satan, au Pa-
i-adis terrestre, s'enroulant à l'arbre par toute la partie infé-
rieure de son corps, qui est celui d'un serpent, mais ayant
tout le buste d'un homme et une tète fort gracieuse dont
le i'egard est très-capable de séduire la malheureuse créa-
ture qui va l'écouter. Du douzième au quatorzième siècle,
les manuscrits à miniatures reproduisent fréquemment ce
motif, qui résulte évidemment de l'idée que c'est encore un
ange qui est là , dont la déchéance n'a pas altéré toute la
nature. Quelquefois même, le séducteur ainsi métamor-
(1) Voir BuUel. iiionu .-.^XII, 100; XIII; G47; XIV, 335.
(2) « Ranœ, daemones..., hœretici, qui in cœno viiissimorum sensuum
commorantes, vana garrulitale lalrare non desiuunt. » (S. MclitonJB
Clavis Script., De Bestiis, lxvii; apud dom Pitra, Spiciley., III, 82 (;t
aeq.) — « Qui tangit reptile, et quodlibet iramundura, cujustactus esl
sordidus, immundus erit. » {Levitic.,xxu,o.) — Ihillel. mnniun., XI,
192 .-t suiv.
Son rôlo au ju-
areraent dernior :
rtu lit des niou-
rant'ï.
30() IlIvSTOlRE Dr SYMBOLISME.
pliosé cueille de sa main criminelle le fruit qu'il fait
accepter à Eve, comme à l'ancienne abbaye de A'ézelay,
comme à Lescure , non loin d'Albi. Le \oulez-vous en
liomme complet mais pauvre, malheureux, épouvantable à
lorce d'attributs spéciaux ? lisez dans la Légende dorée la
vie de S. Barthélémy (1 ) il'y voilà en nègre, postéi'ité de fiham
réprouvée pour ses crimes ; une tète dont la chevelure en
désordre retombe jusqu'à ses pieds , une longue barbe
épaisse et sale, son regard animé par des charbons ardents,
sa bouche vomissant des vapeurs enflammées complètent le
portrait du grand criminel, dont les mains crispées sont re-
tenues en arrière par des chaînes de feu. Tel est le beau
génie qui animait, invisible mais forcément visible bien-
tôt, l'idole d'Astarotb, et s'opposait aux succès de l'Apôtre.
C'est en revanche de cette opposition satanique à la rédemp-
tion des âmes que le sculpteur de la cathédrale d'Amiens a
placé l'ennemi commun sous le socle qui soutient 1^ statue
du premier missionnaire des Indes. Là « il est cornu, velu,
muni d'une ignoble queue, et a deux ailes prenant nais-
sance à la cheville du pied (2) » ; à ses grincements de
dents, à son horrible bouche aux lèvres écartées, on devine
ses rugissements.
C'est dans ce bel apparat, le corps velu comme un satyre,
les cornes surmontant sa tète de chien, le postérieur garni
de sa queue en trompette, l'air triomphant et le regard
iiautain, qu'on le voit, dans la scène du jugement dernier,
chasser devant lui ou traîner à sa suite, au moyen d'une
corde, la tourbe malbeureuse des damnés qui deviennent
son domaine incessible. On le trouve aussi veillant au chevet
du moribond, soit pour ménager d'avance au profit de l'enfer
une conquête qu'il espère, soit pour s'emparer, au sortir du
corps, de cette âme qu'en effet il tire avec un crochet de fer
{\) Legenda aurea:\)e S. Bartholora.— PoH«î7 de la caih. d'Amiens,
Bullet. monum., XI, 298.
(2) Cf. Bullet. wonum., XI, 192 et suiv.
de la bouche béante de sa victime. D'autres fois il pèse les
âmes, comme àChauvigiiy, à Bazas,ii Argelès,à Grisolles et à
Autun surtout, où l'imagination de l'artiste s'est évertuée à
créer une scène aussi curieuse que variée; et toujours, en
pareil cas, c'est une nature hybride telle que nous venons de
lu dépeindre et dont l'ensemble se perfectionnera encore par
une face d'homme monstrueuse qui s'étend sur toute In
largeur de son ventre, et quelquefois sur plusieurs autres
parties du corps. Que cette prodigalité de traits difformes Raison des di-
vorsos fiffuros dont
et révoltants soit destinée à multiplier, au grand portail de son corps est quei-
,, 1 11 • » Al T • f> I • ' quefois couvert ;
Bourges, les allusions a cette malice nuernale qui règne
dans tout l'esprit réprouvé , nous le croirions volontiers,
comme l'a cru un habile observateur (I); mais il nous sem-
ble aussi plus conforme à d'autres notions mieux autorisées
de rattacher cette bizarrerie apparente à l'action funeste de
la mandragore, dont nous avons parlé au chapitre précédent,
comme employée aux philtres diaboliques: c'est donc là un
emblème de sa nature et de ses instincts.
Que si, là ou là, vous le voyez avec trois faces horril)les, doses trois têtes,
. 111 4 •• 1 • ..en quelques ima-
autres syml)oles de sa triple puissance comme esprit, -es, comme tn-
c'est une opposition à la pensée même de l'auguste Trinité, '"^'^ ''" '"^''
qui, étant le Bien par essence, et voyant en même temps le
passé, le présent et l'avenir, trouve son principe adverse
dans cette trinité du mal pourvue, en une certaine mesure,
de ce même attribut. Et cette idée n'est pas seulement
emblématique et de convention, c'est de bonne et pure
théologie, parfaitement rendue par les artistes de nos
siècles de foi savante. Satan est le principe du mal; il ne-
vent que le mal, il ne fait que le mal auquel seul, dans
ses intentions et ses efforts, concourent toutes les préoccu-
pations de son monstrueux génie; il le voit à la fois de
touï> les côtés: de là ce triple regard jeté de toutes parts
sur le monde physique et moral, comme on le voit dans un
»
{{] Mgr Grosnier, Iconographie chrétienne, ch. xi.
368 HISTOIRE Dl SYMBOLISME.
médaillon des Emblemata biblica que nous avons souvent
interrogés et cités précédemment. Feu Didron en a repré-
senté plusieurs, dont un surtout mérite notre attention
parce qu'il résume plusieurs des attributs principaux
donnés au malicieux personnage. Assis sur un banc à
dossier privé de tout ornement, et encore assez bon pour
lui , ses pieds , ornés de griffes comme ses mains , sont
enchaînés au marchepied de ce siège peu commode ; de ses
trois ligures sortent trois langues, tirées autant que pos-
sible, et qui indiquent sa manie du mensonge hypocrite et
du blasphème audacieux ; sa tète, à cheveux ras, qu embel-
lissent deux oreilles de satyre, est surmontée en manière de
cornes de trois bols de cerf épineux et acérés ; son corps,
entièrement ^ élu, est retenu sur son trône dérisoire par une
chaîne qui s'y rattache de côté et d'autre en ceignant sa
taille fortement proportionnée : il est ainsi condamné à
une immobilité qui repiésente ici l'éternité de son supplice.
Sa poitrine, à la moitié de sa hairteur, est couverte de deux
figures qui ne valent guère mieux que la sienne ; elles se
répètent sur chaque genou, mais le ventre est entièrement
occupé par une autre face bien plus horrible, à longue
barbe, à bouche ouverte d'où la langue se répand, et uont
les yeux expriment la méchanceté. Cette différence de ca-
ractère entre cette physionomie et les quatre autres , sa
ressemblance avec la tète principale indiquent suffisam-
ment qu'à une telle place on na pas enlaidi pour rien ce
masque auquel notre idée de la mandragore paraîtra d'au-
tant moins étrangère. Pour comble de symbolisme, ce roi
des ribauds, dont la main gauche s'appuie sur son cœur,
soutient de la droite un sceptre qui se termine à une autre
image de sa propre trinité : ce sont deux tètes de serpent
tournées de droite et de gauche et que surmonte une figure
qui paraît être , si l'on en juge d'après ses oreilles et
ses cornes, celle d'un taureau, méchante bête que les
interprètes nous désignent comme le type reconnu
nÉMONOLOGIE. 3(>1)
de l'orgueil , de la force ijriitale et des passions indomp-
tées (1).
L'histoire de ces transformations serait longue, sons quel- loono^rapi.ipdu
I , . 1 1 1 • /■ " ilémon dans ses
ques traits que le mauvais se reproduise, selon les dillerents jormes diverses;
i)Uts qn'il se propose. Examinons-le mainteuant dans ses
diverses fonctions iconographiques.
Entre Nîmes et Aigues-Mortes, on voit encore la magni- inspirant et ven-
tique abhatiale byzantine de Saint-Gilles, ancienne dépen- Kei! "^^"^"''^
dance de Cluny, dont le portail est remarquable par la beauté
de ses sculptures symboliques. Dans un des nombreux mé-
daillons dont cette façade est ouvragée, Abel offrant ses purs
sacrifices est accompagné de son Ange gardien, qui lui
uiontre le ciel comme la dernière fin de son oblation. Par
opposition, Cain cède, en tuant son frère, à la jalousie que
l'Ange maudit lui inspire ; et déjà le monstre qui a soufflé le
crime jouit de sa perfidie. Compagnon du coupable, sous la
ligure d'un énorme dragon il s'est jeté sur lui et s'acharne
à le déchirer ; ses griffes aiguës s'enfoncent dans la tête du
fratricide, qui cède à cette force cruelle et succombe dans
une lutte inutile : voilà la tentation et les redoutables
remords qui déchirent l'àme séduite par elle (2;. Mais les
Saints à qui fut confié l'apostolat des peuples infidèles ont •
de fréquents triomphes, dans la légende, sur l'ennemi qui
s'v oppose toujours. Les Bollandistes nous racontent, au soppo.ant à i-en-
"^^ . r,^ ' ' 1,' trée de S. Taurin
I \ août, comment S. laurin, premier evèque d Evreux, s'ap- à Evreux.
prochant de la ville encore païenne pour la convei'tir, ren-
contre aux portes mêmes trois démons prenant la figure
d'un ours, d'un lion et d'un buffle; le Saint n'en a peur,
il entre hardiment et malgré eux, en leur reprochant de
prendre des formes de viles bêtes après avoir été de la cour
du Koi des rois. Ces trois bêtes n'en étaient pas moins
autant de symboles des vices que le diable allait opposer
(1) Crosnier, ubisuprà; Didron, Iconographie chi'é tienne, ip. 520 cl
suiv.
(2) BuUef. moniwi., XIV, 148, t:i5, 323.
T. m. 24
370 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
à la prédication du Saint : l'orgueil, la violence et la luxure,
qui en effet furent les liens dans lesquels se maintinrent
ceux qui résistèrent à la grâce de sa vision (\).
Labêtedei'Apo- Gctte bètc dc l'Apocalypse que nous avons montrée , au
calypse reproduite ,. , . .
avec beaucoup de dix-huitieme vcrsct du chapitre xiii, sous un nom figuré par
variantes, i i -pp
des chiffres mystérieux exprimant le nombre 06G, devient
la monture de la Babylone symbolique allant par le
monde pour y jeter ses influences contre la foi et la vertu :
c'est la grande tentation qui résume toutes les autres. Pour
comble de trahison, cette femme séduisante est couronnée;
elle veut régner sur ce monde qu'elle égare ; et celui qui
la produit et la pousse à ses conquêtes d'iniquité, afin de
mieux tromper les regards de la foule étourdie, a re-
vêtu chacune de ses pattes difformes des caractères divers
que portent celles des quatre animaux évangéliques : c'est
Variété de ses là commc la marche générale de l'esprit tentateur. Mais
moyens et de ses 1.1 » nn . -,
attaques. cc graud ct loug voyage ne s effectue pas sans des stations
nombreuses et variées; partout donc où il s'arrête, il
cherche des dupes, et, pour les prendre, il essaie de nou-
veaux moyens. A Vézelay, ces scènes de son métier se répè-
tent sous toutes les formes. Il a pénétré jusque dans
. le cloître; car personne, hélas! n'est à l'abri de ses atta-
ques, et ici, personnifié par deux démons, il tourmente
un moine en le tirant par la barbe. Là, c'est le démon du
désespoir qui s'efforce de jeter ce sentiment coupable dans
l'âme d'une femme pécheresse à laquelle s'applique le mot
'time inscrit sur le chapiteau ; mais, par un contraste qui se
rattache sans doute à l'efficacité de la confession, un prêtre
est là, tenant un livre, sans doute celui des formules
sacrées, et lui disant : spera, langage tout divin qui fortifie
l'âme tombée et la ramène à sa réconciliation, dont la con-
dition essentielle est une confiance pleine d'amour. Plus
loin, une femme chaste et vêtue reste calme non loin d'une
(1) Cf. Bolland., loc. cit.
DKMONOLOGir:. 371
autre toute dépouillée, li\rée au\ hupudk'ilésd'uu démon;
deux musiciens célèbrent sur leurs instruments cette vic-
toire immonde. Au musée de Mai"seille,on peut remarquer
sur un sarcophage un serpent enroulé au tronc d'un arbre
dont le feuillage abrite un nid de colombes sur lesquelles
le vilain animal daide sa langue venimeuse. A Lescure,
dont nous a\ons déjà parlé, un bonnne s'entretient avec
une femme (jui semble la sienne ; mais vSatan n'est pas
loin, et vient lui en offrir une autre que ne recouvre aucun
vêtement : n'est-ce pas une tentation d'adultère, ou un
avertissement contre le danger de certaines fréquenta-
tions (I)?
En fciit de tentation, en voici un tvpe curieux : c'est le soin ^} persuade le
' " *■ mal ;
que ce criminel inspirateur se donne de souffler le mal au
cœur qu'il veut séduire en se penchant à l'oreille d'un per-
sonnage quelconque. Aux portes de bronze de l'abbaye
d'Hildesheim, et dans un vitrail de la cathédrale de Sens, un
petit monstre posé sur l'épaule de Pilate paraît lui dicter la
sentence du Sauveur. A la cathédrale de Poitiers, le portail
du nord en a un dans la même position, et disant tout bas
à l'oieille d'Hérode comment il doit engager les Mages à
revenir lui apporter des nouvelles de l'Enfant qu'il veut
égorger (2).
Loin de persuadera cet ennemi insatiable une modéra- ii saisit rame du
moribond ,
tion que sa nature ne peut admettre, la mort des hommes
active son zèle cruel, et lui fait livrer un dernier assaut à
cette âme qu'assiste le bon Ange, mais que l'Ange prévari-
cateur poursuivra jusqu'à la fin. 11 se tient au pied du
lit et ne le perd pas de vue ; quelquefois il triomphe aisé-
ment de la perversité du moribond que la justice de
Dieu lui abandonne déjà, et il se saisit de l'àme au moment
où elle s'exhale de sa poiti'ine sous la forme d'une petite
(1) Grosnier, ubi suprù.
(2) Voir les PP. Martin et Cahier, Vitraux de Bourges y p. 218, n» 1 ;
— notre Hùl. de la caUiédr. de Poil., l, 105, pi. v.
372 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
figure humaine ; une autre fois, c'est l'Ange gardien qui
emporte cette figure, et pendant que ses mains J3énies Télé-
vent vers le ciel qui l'attend, Satan fuit désespéré, trahis-
sant par d'affreuses grimaces sa colère et sa déception. Cette
image est très-fréquente et ne manque pas dans les ma-
nuscrits.
joue de la viole Mals aussl Ic moustrc a ses joies de mauvais cœur : c'est
(liade. '^ lui qui joue de la viole au portail de l'église d'Ainay, à
Lyon, pendant cette danse d'Hérodiade qui va coûter la vie
à S. Jean-Baptiste; ou bien, se bornant à une espièglerie
dont le fond est bien plus sérieux qu'il ne le paraît, il éteint
la lampe de S*^ Gudule travaillant à ourdir une tapisserie,
ou le cierge de 8*^ Geneviève que rallume aussitôt un Ange
béni. Ces feux étaient le symbole des bonnes œuvres, de la
charité, de la lumière intérieure ; que deviendront les Saints
si de telles lueurs peuvent leur être ravies !
Les tentations Mals 11 arovc Quc CCS tcntatious, déjà si difficiles à sup-
des Saints et celle ^ ' J i
de S. Antoine en portcr, sc changcnt cu d'autres bien plus cruelles. Des vies
particulier. \ " i, , • i ru • i
de nos Saints sont pleines d épisodes ou 1 on voit un ou plu-
sieurs diables exercer la patience d'immbles anachorètes, de
faibles femmes, par des violences où les verges et le bâton
jouent un rôle des plus importants., On sait ]a tentation de
S. Antoine, immortalisée par le grotesque burin de Callot,
qu'avait d'ailleurs inspiré, sans qu'on le sache beaucoup,
le récit de S. Athanase (i). Beaucoup d'autres revivent
dans les souvenirs historiques entourés d'attributs sem-
blables ; non qu'il faille regarder comme purement emblé-
matiques ces représentations innombrables de bizarreries
traditionnelles : on ne peut douter de certains faits sem-
blables racontés par des hommes graves dont beaucoup
furent des Saints; mais il ne faut pas oublier non plus que
ces mille animaux, dont chacun a sa signification par-
(1) Voir Groiset, Exercices de piété, octobre, p. 570, in-12, Lyon, 1745;
— Baillet. 21 octobre, p. 310, in4o ; 14 mai, p. 256.
DÉMO>OF.Or.IK. 373
ticiilière,.ces innombrahlos lutins engagés en tant d'actions
inouïes, ces étranges lantônics répandus sous tant de
formes diverses autour du saint solitaire, sont autant d'allé-
gories contre les plus ou moins riches imaginations qui
troublent la prière, et y apportent des distractions plus
ou moins importunes ; c'est là le côté symbolique de la
chose, auquel le moyen âge avait cédé dans les représenta-
tions de ces scènes ingénieuses: carCallot, Breugel, Teniers
et d'autres n'ont rien inventé de ces tableaux merveilleux ;
ils ne sont que la réunion des richesses empruntées çà et
là aux bas-reliefs des monuments, aux pages des manus-
crits de nos époques calligrapliiques et aux légendes les
plus respectées. On lit dans les hagiograplies les moins
suspects, tels que le P. Groiset et Baillet lui-même, que
S. Antoine était troublé dans son désert par les improvisa-
tions les plus inattendues : c'étaient tantôt des plaintes lamen-
tables de petits enfants et des pleurs de femmes désolées
assiégeant la porte de sa cellule ; tantôt des bêlements de bre-
bis, des mugissements de bœufs*, des rugissements de lions,
des hurlements de toute nature. Un jour, s'étant mis en
oraison la tête appuyée contre terre, il sentit comme le poids
d'un homme qui le foulait aux pieds en lui disant d'un ton
moqueur : a Eh quoi ! tu te distrais, tu t'amuses ; » des loups
en hurlant, des renards en jappant, sautaient sur lui. Une
fois, en chantant ses psaumes, il eut pour spectacle un
combat de gladiateurs dont l'un, tombant comme mort à
ses pieds, le priait de lui donner la sépulture. Vous trou-
veriez dans les vies de S. Pacôme , de S. Hilarion, et dans
celles de beaucoup d'autres Pères du désert, autant de faits
analogues, sans lesquels on ne pourrait jamais expliquer les
ti'avaux légendaires de nos cathédrales.
Mais il serait décourageant pour notre pauvre nature de commont lu y
ne la montrer jamais que livrée à sa faiblesse et près de
succomber à ces funestes attaques : la leçon fût restée in-
complète, et ce n'est pas le défaut de l'Église de s'arrêter
374 HISTOIRE DU SYMBOLlSMIi;.
avant d'avoir fini. En beaucoup de tympans, on a sculpté
un homme debout, repoussant deux griffons ou lions ailés
qui s'élancent sur lui de chaque côté, la gueule béante et
l'œil ardent. L'air calme et tranquille de cet homme indi-
que bien qu'il compte sur la victoire. — La môme résis-
tance est employée à Hérouville (Calvados) contre deux dra-
gons dont le vainqueur serre la tète horrible de chacune
de ses mains ; une autre fois, ce sont deux bêtes hybrides
s'efforçant de déraciner un arbre vigoureux, qui n'en garde
pas moins sa verdure et son feuillage. Et où n'a-t-on pas vu
le Christ foulant aux pieds le lion et le dragon, et des Saints
en grand nombre affirmant, par ce même attribut, leur
force surnaturelle? C'est pour eux, dit S. Hilaire , que le
Sauveur avait prononcé ces consolantes paroles : « Je vous ai
donné d'écraser du pied les serpents et les scorpfons; vous
foulerez sous vos pieds toute la puissance de votre en-
nemi (4 j . )) On sait aussi la lutte, assez fréquemment repré-
sentée, du dragon et du pélican : celui-ci, emblème du Sau-
veur, reste victorieux de la haine infernale, et doit l'être
toujours avec les serviteurs de Dieu. L'athéisme, s'attaquant
à Dieu même avec sa cynique audace , explique bien ces
combats, etn'ôte rien à la placidité de nos espérances.
Tourments des U y a plus, Dlcu a daigné quelquefois manifester à ses
démons. ^ j. j.
Samts les horribles tourments des démons. S. Jérôme rap-
porte, dans l'éloge de S^^ Paule, qu'elle vit dans la Palestine
les démons , tourmentés de divers supplices , éclater en
plaintes et en gémissements. Sous une forme humaine, ils
rendaient tous les cr.is des bêtes féroces les plus exaspéi-ées :
c'étaient à la fois des loups, des chiens, des lions, des ser-
pents, des taureaux qui fiurlaient, aboyaient, rugissaient,
sifflaient, beuglaient, selon l'espèce qu'ils avaient revêtue.
(1) « Ecce dedi vobis potestatein calcare super seipeutes el> scoi-piones ,
et super omnem virtutem inimici. » {Luc, x, 19.) — S. Hilarius , In
psalm.cxYui.
nK!\I(K\()L()GiK. 37")
D'autres, se pliant en deux, touchaient la terre de leur tète à
la renverse, puis des femmes demeuraient suspendues par
un seul pied et la tète en bas (^). Qui n'a vu tout cela
mille fois imprimé sous nos corniches et nos entablements?
Cependant, et en dépit de ces allures publiques et offi-
cielles, si nous considérons l'Ange des ténèbi-es à part lui,
et dégagé de tout rapport avec la créature qu'il poursuit de
ses fureurs, non lui trouverons des attributs qui font mieux
ressortir ou son caractère propre ou les prétentions de son
orgueil. *
Et d'abord, il affecte souvent la forme humaine, par cela Ressemblances
, , , . ,.T . • 1 • extérieures que
même que les bons Anges , qu il veut sniger aussi bien vxnge des ténè-
que Dieu, l'ont revêtue en plus d'une occasion que men- les Anges de lu
tionnc l'Écriture : témoin les trois Anges qui apparaissent
à Abraham sous le chêne démembré , le Raphaël du jeune
Tobie , et bien d'autres. Toutefois ce sont là des beautés de
premier ordre ; sur ces faces célestes brillent la lumière el
la sérénité ; ils ont des ailes, comme étant d'une vie tout
aérienne, toute spirituelle; leur tète se pare d'un bandeau
ou d'un nimbe, diadèmes exceptionnels qui conviennent à
leur titn^ de princes de la maison du Seigneur. De légers
vêtements llottent sur leur corps svelte et gracieux, sur
leurs pieds nus qu'on voit bien ne tenir en rien à la terre et
toujours prêts à reprendre la route du ciel (2). Satan, de son
côté, veut avoir tout cela, mais ce serait une usurpation; et
depuis que son crime lui a ravi sa gloire, s'il conserve quel-
ques attributs de son premier état, ce n'est qu'avec un mé-
lange forcé de traits si différents, que personne un peu
attentif ne s'y trompera. Lui aussi il aura donc des ailes,
car elles indiquent sa nature spirituelle et son activité à
traverser l'espace , à pénétrer jusqu'au fond du cœur insensé
(1) Crosnier, ubi suprà , ch. x. — liulUL. ni muni., XII , 20 , 206 et
suiv.; XIV, 114 et suiv.
(2) Bull, monunu, ihid., p. 211; XIV, 116, 68, 322;— Didrou, Iconogr,
clirct.
376 HiSTOIRK DU SYMBOLISME.
Le nimbe donné q^^ s'ouvi'c à liil. 11 poi'te uii nimbe ; mais le nimbe , dési-
meme au mauvais * *■
Ange- gnant pour les Saints, par ses rayons d'or ou par ses cou-
leurs variées, d'bonorables distinctions toujours symbo-
liques, sera pour lui un signe tout opposé d'opprobre et
d'infamie. Nous verrons dans la suite que cet attribut n'a
pas été seulement réservé à la sainteté, et que certains
peintres des écoles reculées, imités par les écoles suivantes,
l'ont donné même à Judas Iscariote, dont le crime n'avait
pu effacer le caractère apostolique : c'est pourquoi le diable
lui-même n'en est pas toujours privé; mais, par une ingé-
nieuse idée qui tendait à ne pas le laisser confondre avec les
Saints, des peintres, qui pouvaient en cela mieux faire que
les sculpteurs, l'ont nimbé de noir, couleur du deuil, du
remords et du crime confondu. Observons néanmoins que
les sculpteurs ont évité cette même erreur quand ils ont
nimbé leurs démons sous des formes animales ou avec des
caractères diaboliques auxquels on reconnaît forcément de
quel génie il est question.
î^'ouveiie revue n est asscz rarc que ce génie destructeur reste isolé sur
de quelques-uns ^ ^
de ses types les nos monumcuts ct s'y voie réduit à un rôle solitaire ; le plus
plus curieux :
souvent, il s'y mêle à la vie de l'bomme, il y épanche la libre
expression de ses vouloirs pernicieux. Cependant, si l'on
regarde bien, on le rencontre aussi séparé de la foule,
s'exerçant tout seul au mal, ou accomplissant quelque office
laborieux sous des formes qui, d'abord, n'auraient pas
semblé les siennes, et toujours avec des apparences qui ne
l'arbalétrier, permettent pas de le méconnaître : tel on le voit, à Saint-
Jean de Nantes, planté sur un piédestal d'où il tend, avec un
mélange d'efforts et de grimaces, un arc dont la flèche est
dirigée vers le ciel. Orné d'une double queue dont l'une
retombe de sa tète et l'autre d^ ailleurs, démesurément
joufflu, griffé, armé d'un ergot de coq entre le talon et le
mollet, il n'a rien d'équivoque, pas même son nez de per-
l'oquetetune sorte de joie méchante que son visage ne dis-
les consoiçs, simulc pas. Tel vous le verrez au tour extérieur des églises.
soutenant, courbé et accablé de lati^ue, le poids des colonnes
qu'il voudrait \ainenient ébraulei-; d'autres, obligés à faire ic=. gai^jouiiie*.
l'oftice de gargouilles, l'ejetlent au loiu sur le pavé de la
place, comme d'horribles chiens revenu.'; à leurs vomisse-
ments (I), les eaux pUniales qui nuiraient à la maison de
Dieu. Dans beaucoup d'édifices romans, comme à Fleury-
sur-Loiie, on a rempli de plomb les prunelles évidées des
personnages, mais le diable y a toujours un point de char-
bon formaut sa prunelle et lui donnant une teinte noire
qui le rend horrible; il décore même les rampants et les GogetMagog.
crêtes des toitures, étant le prince de l'air, d'après S. Paul;
et les architectes l'ont fixé sur ces points élevés, par allusion
à ces peuples de Gog etMagogqui forment rarmée de Satan
au XX® chapitre de l'Apocalypse : il est juste que l'armée soit
là où reste le chef (2). k Moissac, le voici « en homme de ror.onniiication
^ de rhéivsie et clf»
grande taille, monté sur un animal fantastique...; il porte laïucuio.
sur sa tète des serpents au lieu de cheveux, et de l'autre un
crapaud (3). » Ce sout les symboles de l'hérésie et de la
luxure, qui ne vont guère l'un sans l'autre.
Une page à ne pas oublier dans l'iiistoire de Satan, c'est sajan animant les
loi ' idoles paionncs.
celle qui, dès les premiers temps du Christianisme, nous
montre les chrétiens, imbus en cela d'un principe bien an-
térieur au Christianisme, se persuadant que toutes les idoles
adorées par les païens étaient animées par les démous. C'est à
ces faux di(Ui\ que le Psalmiste, s'adressant aux Gentils,
reprochait d'immoler jusqu'à leurs enfants; S. Paul répète
ce reproche dans les mêmes termes (^), et les Pères jetaient
sui' les dieux de Rome et d'Athènes un ridicule mordant
(1) « Canis qui reverlitur ad vomilurn suuiii, sic iinprudeDs qui itérât
stultiliam suam. » (Prov., xxvi, 1 1.)
(2) Voir Bruno Aslensis , In Apocal. , cap. xx ; — le P. Cahier,
Méla)if/es darchéulngie, d'histuire cl de iitléralure, I, 76 ; — Raymond
Bordeaux, Principes d'a>'chéologie pratique, 2" part., cli. iri.
(3) Bullet. iiionum., WIU, 482.
(4) « Immoiaverunt filios suos et filias suas dœmoniis. » (Ps., cv,
37.) — « Gentes daemonihus immolant et non Deo. » (1 Cor., X;20.)
et par le pape In-
nocent 111.
378 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
quand ils répondaient aux stupides adorateurs de tant de
statues par des descriptions qu'on dirait reproduites sur nos
Ses caractères modillous et nos cliapiteaux. Les Romains s'étaient avisés
Ecologiques de- • i i
peints par Tertui- de représenter le Sauveur avec des oreilles d'âne, un pied de
corne, un livre à la main, et vêtu de la toge. « Nous en avons
ri, leur disait Tertullien ; mais, en vérité, un tel monstre con-
venait bien plus parfaitement comme dieu à ceux qui ado-
rent des divinités pourvues de têtes de lion et de chien,
de cornes de chèvre et de bélier : boucs depuis les reins,
serpents depuis les cuisses, portant des ailes au doè ou aux
pieds (1). Et le grand pape Innocent III ne semble-t-il pas
avoir préparé un texte à nos sculpteurs quand, après avoir
signalé le tentateur comme l'auteur de tous nos maux, il
énumère de combien d'autres avanies nous sommes
éprouvés ici-bas, et quels monstres semblent se hguer contre
notre repos dans les limites rétrécies de la nature ? « Le
sanglier de la forêt nous dresse ses embûches; chaque
bête sauvage s'évertue à tout dévorer autour de nous : ici
c'est le loup et l'ours, le léopard et le lion, le tigre et l'âne
sauvage, le crocodile et le griffon, la vipère et l'aspic, les
scorpions et tous les reptils, et jusqu'aux poissons et aux
oiseaux. Dieu n'avait-il pas menacé, en effet, les rebelles
à sa loi d'être livrés aux dents des bêtes, et de nous faire
subir les morsures de tous Jes animaux (2) ? »
Antagonjfeme <ie Blcu antérieurement , S. Paul l'avait signalé comme
(1) « Risimus elnoiiieD et foruiam. Sed illi debebanl adorare siatim
biforme numeii,quia et caiiiuo in leonino capite commistos^ et de capro
et de ariete cornuto?, et a lumbis hircos, et a cruribus serpentes, et
planta vel tergo alites Deos receperunt. » (Tertull.,yl/90^o^é;^,cap. xvi.)
— Notons ceci pour nous en souvenir quand nous reviendrons à S. Ber-
nard.
(2) « Insidiatur aper de silva , et singularis férus depascitur; lupus
et ursus, pardus etleo,tigris et onager^ crocodilus et gryphus, serpens
et coluber, basiliscus et aspis, cerasta et draco, scorpiones et viperae..,,
pisces et volucre3...Scriplum est enim [Deut., xxx) : Dentés bestiarum
mittam in eos , cum furore trahentium super terrain atque serpeu-
tium. » (Inuocentii papae III, De Contemplu mundi, lib. I , cap. xviii.)
nÉMONOLOGIE. 370
riiomnie de péclié , le fils de perdition se révélant à chaque *^'^^j,^^7ui. -""ce
instantcomme notre ad\ crsaire, s'élevant contre toute parole j^^'^j" ^*'^"^ ^■
de Dieu, opposant au culte divin son propre culte , et pous-
sant l'audace jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu
comme s'il était Dieu lui-même (I). Quand le Livre de Job ot job,
nous montre un juste en butte aux mécbancetés de Satan ,
à qui Dieu permet d'éprouver un serviteur tidèle pour faire
éclater sa patience et encourager les faibles dans leurs ten-
tations ; quand l'ennemi soulève contre ce juste les tem-
pêtes de la nature et les plus tristes événements domesti-
ques , les chrétiens ont pu se persuader justement que ce
même ennemi pouvait se faire toujours un instrument de
supplice pour ceux dont il voudrait vaincre la fidélité , et ,
haine pour haine (il n'y en eut jamais de plus légitime) , ils lui
ont bien rendu ce qu'il s'est plu à leur ietei*. Si rÉglise , si suivie par toute ri-
* '^ , conographie chre-
les artistes qui Tout secondée se sont -plu à dévoiler ses lai- tienne. '
deurs et ses ruses dans son iconographie universelle , c'est
autant pour le ridiculiser dans ses fonctions détestables ,
dont les justes n'ont jamais à redouter aucune conséquence
éternelle , que pour en inspirer l'horreur et la crainte.
11 a pu rire aux dépens de la pauvre humanité, qui lui four-
nit tant de victimes, et employer à loisir contre celles-ci,
comme on le voit dans le vitrail du ^Mauvais Kicbe de Dour-
ges (2), des raffinements de cruauté qui aillent jusqu'à infuser
dans la bouche d'un avare damné de l'or et de l'argent
fondus; on s'en est bien vengé, et ceux qui le connaissent
l'ont chargé de rôles diversifiés à l'infini , capables peut-
être, et c'était probablement leur intention, d'ajouter par
la confusion de son orgueil et de sa méchanceté au sup-
plice incessant de ses souffrances expiatoires.
C'est dans ce but ({u'oii l'a mêlé, comme suppôt forcé et
(1) « Homo peccati , filius perditionis qui adversatr.r et extollitur
supra omue quod <Hcitur Deus , aut quod coliUir , ita ut in temple
Dei sedeat, ostendensse tauquaiii sit Deus. » (2 ThessaL, m, 4.)
(2) Voir Martin et Cahier, Vilr. de Boim/., j». 236, note 3,
Les reliquaires,
les croix, les chan-
deliers ,
et les cros&eà par
torales.
380 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
de très-mauvaise liumeur, à tout ce qui devait s'employer
au service de Dieu, soil pour l'œuvre du Saint Sacrifice ,
soit pour les instruments des autres sacrements distribués
aux fidèles, depuis le Baptême jusqu'à l'Extrème-Onction.
En proportion que la pensée du démon et de Tenfer est
très-salutaire pour interdire le péché à l'âme qui s'y
abandonnerait naturellement , on la prodiguait partout
par des images toutes plus horribles les unes que les
autres; mais nulle part on ne la vit exprimée avec plus
de prodigahté à la fois et d'énergie que sur les reliquaires,
où elle jaillissait des émaux ou des nielles, ou au pied
des croix , dont un dragon vaincu mordait le pied de ses
dents impuissantes, ou dans la composition des beaux
chandeliers en bronze , où on le voyait contourné en mille
façons et obligé, sous un châtiment qui punissait son amour
de la nuit et des ténèbres, à porter la lumière, toujours re-
gardée comme un des symboles du Christ. Quelquefois ce
ne sont que des pieds de dragon , de lion ou de bêtes hybri-
des qui servent de supports à un flambeau privé de tout
autre emblème ; mais cette simple indication suffit à expri-
mer la même intention, et ne doit pas être méconnue; sous
ces apparences , c'est toujours la figure du serpent qui do-
mine (Ij.
Et que dire de ce même serpent et de ses enroulements
de si bon goût et de si riche exécution sur les crosses
épiscopales des douzième, treizième et quatorzième siècles,
aussi riches de travail que de pensée? Là se représente
toujours , avec une inépuisable diversité de ressources , la
pensée fondamentale de la rédemption et du péché ori-
ginel : deux dogmes inséparables que l'Agneau n'exprime
jamais seul , non plus que le cerf, mais qu'il oppose, dans sa
placidité pleine de douceur, au dragon, dont l'affreuse gueule
fl) Voir les belles planches i, xiv, xxi, xxin et xxiv du premier vo-
lume des Mélanges cV archéologie des PP. Martin et Cahier.
DKMO.NOlXXili:,
as
s'ouvre vainement pour l'engloutir (^j ; quelquefois aussi
le loup ravissant joint ses elïorts, conti'e des oiseaux inoffen-
sifs, à ceux que le dragon multiplie contre la Vierge Mère
et l'Enfant divin, qui le regarde sans effroi. Le bronze, l'ar-
gent doré, l'ivoire ont prêté leurs surfaces à ces merveilles
du ciseleur. Le moindre rôle que Satan y joue se borne à
exercer sur une croix la rage de ses morsures : on le repré-
sente au(5si sur les nœuds de la hampe en sirène, avec une
tète de bouc ou de diable cornu Le tau, qui parfois remplace
la crosse, n'était pas moins remarquable par ses bizarres
inventions zoologiques à l'endroit de notre personnage ; mais
c'est surtout aux fonts baptismaux qu'il convenait de l'at-
tacher comme un esclave , et nous savons qu'on ne lui a
pas épargné cet honneur (2).
Les idolâtres mêmes, n'ayant de hii que des idées juste- satan toujours
' '' ^ "' visible dans l'art
ment acquises , préféraient pour leurs idoles des formes pai>n .
plus capables d'épouvanter ses adorateurs. L'art païen , où
avait-il pris chez les Grecs et les Romains, qu'on aurait
luoins soupçonnés de cultiver le laid, toutes ces recherches
de monstruosités que tant de découvertes nous ont révélées
dans les fouilles de leurs villes et de leurs musées ? Cette
(1) Il De faut pas confondre , dans ces images qui décorent la volute
de certaines crosses, le dragon, ou serpent foulé par l'Agneau, avec
d'autres serpents solitaires, qui alors sont toujours un symbole du Sau-
veur et un emblème de simplicité, de prudence et de vie retirée, tel
qu'il convient à un évoque de les pratiquer à l'exemple du divin Mo-
dèle. Cette attribution est bien plus sensible si le serpent tient une
croix entre ses dents ou la porte comme un diadème bienfaisant au-
dessus du front, et à plus forte raison si le reptile a reçu de l'artiste une
tête d'agneau, comme on l'a cru de quelques spécimens. Une telle dis-
tinction, qui est d'une baute importance pour éviter toute erreur, n'a
pas été né^'ligée par M. le comte Auguste de Bastard dans son beau
travail, déjà cité, sur la crosse abbatiale de Tiron; non plus que par
.M. l'abbé André, qui, dans l'examen de ce savant ouvrage, a fait juste-
ment ressortir l'habile perspicacité du docte antiquaire. — Cf. Bullelin
du Comité dn la tangue, de l'histoire et des arts de ta France^ t. 1"V,
1857, p. 401 etsuiv.
(2) "Voir Mél. d'arrfiéol. , ubi ^uprd , t. IV. texte et planches de.^
p. 18 i à 250.
382 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
prédilection venait , à n'en pas douter, d'une tendance bien
décidée à personnifier le mauvais génie dans toutes les occa-
sions où la crainte des maîtres du monde était bonne à in-
spirer au vulgaire ; ainsi , les cbaises curules , les trônes des
empereurs ou des consuls ornés de têtes hideuses- de lion,
de léopard, de reptiles quelconques, tenaient la foule en
respect en donnant une sorte de caractère redoutable à la
magistrature et à la royauté. L'Inde, l'Egypte, les différents
États de l'extrême Orient, ne cultivent guère encore que de
qui le transmet tcls symbolcs. C'était Satan, sous tel nom convenu, qui agi-
aux âçes modei- , ii-i n ^ i
nés. tait ses ailes étendues et dardait sa langue périme au-dessus
des casques des guerriers, comme, à l'époque franque et
mérovingienne , il figurait avec d'iiorribles contorsions de
ses traits grossiers sur des agrafes militaires ou sur des or-
nements d'architecture destinés sans doute à des antéfixes,
tels qu'on les voit dans les recherches de quelques archéo-
logues (^ ). Si on le voit frappant S. Apollinaire d'une massue,
aussi bien que S. Boniface, on lui rappelle sa défaite par
S. Michel, qui l'envoie aux flammes préparées pour lui et ses
satellites; on l'étend humilié sous les pieds de S^® Margue-
rite; sa tête est écrasée par le talon de la Femme bénie qu'il
ne peut éviter; il est vaincu sur le Calvaire lorsqu'il épuise
en vain ses derniers efforts sur la croix où Jésus va sauver
ceux qu'elle attirera à sa Rédemption.
Ressource contre Ccs imagcs étaient donc fort encourageantes pour les
cathoHque. ' ""^^"^ fidèlcs , Car , s'ils devaient redouter les assauts de leur en-
nemi mortel , ils pouvaient aussi ranimer leur énergie en
voyant que la foi leur devenait une force de résistance. De
son côté, et tout près de ces démonstrations salutaires , l'É-
glise avait pour ainsi dire placé sa liturgie , arsenal habi-
tuel où se gardaient contre lui les armes de la prière et des
sacramentaux. L'ignorance des gens du monde, celle même
des chrétiens dont l'instruction religieuse n'a été soignée
(l) Voir Bullet. moniim., XXII, 487 et suiv.
DÉMONOLOr.lK. 383
qu'à demi, rit aujourd'hui au seul noiu de possédés et
d'exorcismes , vieilles redites d'époques où l'esprit de
l'homme acceptait tout sans examen et se laissait tromper
par des superstitions... On serait moins hardi peut-être à de
telles négations si Fou savait que les protestants , (jui on(
abandonné en tant de points la croyance quinze fois sécu-
laire de leurs ancêtres, ont nié ce dogme comme tant d'au-
tres, et que Becker, l'un des plus entêtés parmi eux, a vu
son livre du Monde enchanté savamment réfufé par Stac-
kouse dans son Traité sur le sens littéral de VÉcriture
sainte, où il n'emploie contre le protestantisme que l'Écri-
ture même , dont Luther et Calvin font l'unique règle de
leur opposition. iMais la foi antique , pour être dégénérée
dans ces docteurs-là , n'en vit pas moins dans les dogmes ,
que rien n'a changés, et les arguments logiques ne peuvent
rien perdre de leur primitive valeur.
Dès le commencement de l'Église, les énergumènes , Histoire et mar-
c'est-à-dire les possédés qui ne pouvaient être délivrés du murgie à cet
démon que par les exorcismes, apparaissent en grand nom- '^^"^ '
hre, proportionnémentau\ efforts que l'esprit de mensonge
opposait plus énergiquemcnt à la diffusion des saintes véri-
tés. L'exemple a\ait été donné de les chasser par Noti^e-
Seigneur, qui expulsait le démon du corps des possédés , et
donnait ce même pouvoir à ses Apôtres. A Philippes , à
Éphèse, S. Paul en use, et les Pères des quatre premiers
siècles, qu'on peut interroger contre les protestants, puisque
ceux-ci prétendent que l'Église conserva pendant tout ce
temps la vérité inaltérée , ces Pères, disons-nous, sont una-
nimes à constater des faits analogues contre lesquels on ne
pourrait que les accuser de mensonge, en dépit des mille
témoins qu'ils attestent. Le quatrième concile de Carthage,
si célèhre par ses canons de disciphne, ordonna, en 398 ,
que les énergumènes balayeraient le pavé de l'église (^1).
{\) Voir, pour preuves de toutes ces assertions : S. Matthieu, xu, 2G,
43 ;— .V. Lv(\ VIII, 27; ix,l; x, il ^^S . Marc, x\i, il ;—Actesdes A2)olrf s,
reproduites dans
les sculptures de
nos églises ,
et sur la scène
des théâtres ,
384 HISTOIRE DL SYMBOLISME.
Ne seraient-ce pas ces personnages infortunés , soumis
aux convulsions que le démon ne manquait pas de leur im-
poser durant les exorcismes, et souvent dans les intervalles
de ces cérémonies , que nos sculpteurs auraient reproduits ,
entre autres motifs, par ces figures si diversement carac-
térisées de nos têtes démoniaques? Tant de grimaces , de
contorsions , de formes hybrides , d'horribles regards jetés
sur la foule qui fréquente le temple, et qui semblent autant
d'insultes à sa piété , qui peuvent être aussi l'expression de
leur désespoir en se voyant forcés aujourd'hui de soutenir
les pierres du sanctuaire , ne sont-ce pas là des symboles
encore vivants de tant de scènes antérieures à leur repro-
duction lapidaire, et qui se sont continuées ensuite par elle
dans l'histoire du monde spirituel? Le théâtre lui-même, qui,
à son origine, eut pour but de former les mœurs sur la doc-
trine chrétienne, n'avait eu garde , à la fm du moyen âge ,
XVI, 16; XIX, 12 et 15 ; - S. Paulin, Vie de S. Félix de Noie;— Sulpice
Sévère, dialogue m, ch. vi; —ConcAl. Co.rlhag. iv, apud Labbe, ad ann,
398, H, 1207. Voici le texte : « Paviineuto domorum Dei eriergumeni
verrant. » (Gan. 91.) — Beaucoup de faits plus récents, dispersés dans
tous les siècles de l'histoire ecclésiastique, ne permettent pas de douter
de faits semblables, reparaissant à toutes les époques et se multipliant
de nouveau au seizième siècle, quand le démon se sentait réveillé en
quelque sorte par les meuées du protestantisme. C'a été une des plus
perfides séductions employées par l'ennemi du salut d'avoir persuadé à
nos contemporains, au moyen des iniques dérisions de la philosophie,
devenue enfin l'athéisme, que la magie, la sorcellerie et tout ce qui en
résulte ne sont que des visions d'esprits rétrécis. Reste à prouver en-
core par ces grands génies comment les tribunaux, les témoins et les
hommes les plus doctes de leur temps furent tous et partout assez im-
béciles pour dénoncer, condamner et exécuter des coupables qui, pres-
que toujours, se dénonçaient eux-nxâmes, et comment, par conséquent,
l'histoire n'eût été sur ce point qu'un tissu d'erreurs absurdes et de
mauvaise foi. Ne serait-ce pas là quelque chose de i)lus difficile à croire
que tous les miracles du monde et les enchantements les plus merveil-
leux? Ajoutons encore que les savants les plus sérieux, comme Martin
del Rio dans son traité des Conlr verses et Recherches magiques, ont
écrit, sur la théorie et les moyens de la démonologie,des livres où rien
n'échappe à leur attention, et forcé de conclure à l'existence d'une
science occulte qu'il faudrait au moins étudier un peu avant d'en rire
et de la ridiculiser.
DÉMONOLOGII;:. 385
de relïiserà la scène un si grand élénienl d'intérêt et d'émo-
tions. Les diables y avaient nn rôle incessant de méchanceté
qui Unissait toujours, il r^st vrai, par se voir déçue sous la
puissance de Dieu (|ui Irionqdiait. Ils y apparaissaient en
plus grand nombre que possi])le, sous une l'orme humaine
modiliée des appendices que nous savons , l'air farouche et
rébarbatif, tout empreints d'orgueil et de désordres, désbo-
norés d'avance par les noms bébreuA qu'ils ont dans la
Uible : Lucifer, Satan, Astaroth , Belzébuth, Béhal , et
même par quel(|ues autres tirés de la mythologie ancienne,
tels que Cerbère, Jupiter, Proserpine ; sans compter cer-
taines idoles figurant au milieu de cet intéressant personnel
i)0ur établir imc fois de plus que les adorations païennes
se reportaient bien aux anges infernaux (i).
Mais revenons à nos sculptures.
On remarque, parmi les figures qui couvrent les mu- aussi bien que les
^ ' ^ D ^ barbares et les
l'ailles sacrées, des tètes humaines dont les cheveux , tom- persécuteurs.
bant en deux tresses de chaque côté des oreilles et s'épan-
ciiant jusque sur la poitrine, indiquent assez qu'on a voulu
donner à l'ennemi universelles traits de ces païens conqué-
rants qui, sous le titre de Germains, de Normands ou autres
aussi mal famés, étaient devenus la terreur des populations
chrétiennes, lesquelles s'en vengèrent un peu plus tard en
leur donnant la physionomie et la place qu'ils ont méritées.
H dut en être ainsi des princes persécuteurs de la foi, qui
durent être classés dans nos modillons avec leurs tètes cou-
ronnées et la fatale expression de douleur et de difformité
donnée à leurs traits. Comment mieux assigner à Hérode ,
à Néron et à tous les rois iconoclastes la place qu'ils méri-
taient si bien pour tant d'exilés et de martyrs?
Les exorcismes figurent aussi très-souvent dans l'art de Exorcisme» des
vitraux de Bour-
cette époque , et le démoniaque placé par Raphaël sur le t^es.
premier plan de sa Transfiguration n'est rien en compa-
(1) Voir AnJinles archèohgiqaes : Mystères des Apôtres, XIV, 75.
T. IM. 25
386 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
raison de ceux que le dessin du moyen âge a su imprimer
dans ces œuvres pleines de génie et de verve. Sur un des
vitraux de la cathédrale de Bourges , S. Denys exorcise un
possédé ; celui-ci indique très-bien le moment où Satan
obéit aux injonctions sacerdotales en s'échappant par des-
sous la robe violette de la victime qu'il est forcé d'aban-
donner. On voit fort bien d'où il sort, ce qui lui est peu
honorable ; de plus il semble fort éperdu et peu content de
l'opération ; mais là on observe du moins en action une
ressource que la peinture seule pouvait se faire et qui man-
quait à la sculpture : les couleurs symbohques des person-
nages ajoutent à l'idée qu'il faut s'en faire. Le saint évêque
est revêtu d'une chasuble blanche comme les Élus de l'Apo-
calypse ; l'énergumène a une robe violette, couleur de la
Couleurs sym- péuiteuce ct du dcull ; le diable qui s'échappe de son corps
boliques données ^ , , -i i . • - i
aux diables selon est vcrt , commc Ic plus souvcut , car il a la tenite du ser-
leurs fonctions ico- , ^ ^ -i . • .• x
nographiques. pcut , teuaut quclquc chose de la terre par ses nistmcts
comme par son origine. Parfois on lui a varié un tel agré-
ment; ainsi, à Bourges encore, l'histoire du Mauvais Riche
nous montre un certain nombre de ces satelhtes de Satan ,
attirant avec des crochets l'âme de ïépulon , qui s'exhale de
sa poitrine sous la forme d'une petite figure humaine. Là,
un diable vert a la tête rouge couleur de feu ; un autre a
la sienne blanche, par opposition à ses habitudes perfides,
hypocrisie qui servit peut-être à tenter le riche avant de le
tourmenter dans son malheur. Un autre, qui a la tête
rouge, est fauve du corps , ce qui le range parmi les bêtes
féroces ; d'autres sont tout rouges , comme les lueurs de
Les mêmes cou- l'eufcr. Il cst vral que les Anges, vêtus de rouge et de vert ,
Anges par oppo- accueilleut l'âme du pauvre et bienheureux Lazare (1). Mais
nous avons vu par quel système d'opposition les mêmes
couleurs employées dans un sens fatal l'étaient aussi dans
un sens favorable : il est fort ordinaire de voir les méchants
(1) Voir Vilraitx de Bourges, pL ix et xil.
sîtiou.
DÉMONOLOGIE. 387
coloriés de la mc'^me manière que les bons , et alors , selon
le personnage qn'elles révèlent , ces teintes doivent être
interprétées contrairement. Nous l'avons expliqué dans
notre première partie {\), et nous savons que la confusion
n'est pas possible entre les sujets que sépare une si énorme
différence morale : A fructibus eoriim cognoscetis eos (2).
On conçoit que l'imasination des symbolistes avait dû Types officiels
^ ^ ** de l'enfer et du
résumer tant de détails en un ensemble qui unît comme purgatoire.
une formidable cliaîne tous ces anneaux vivants et ani-
més. La pensée théologique de l'enfer, qui avait besoin
aussi d'une forme saisissable, trouva dans un si grand
nombre d'images de quoi se matérialiser aux regards. U En-
fer et le Purgatoire de Dante offraient beaucoup à copier ;
nous avons vu comment on avait su les approprier aux arts
du dessin. Le Purgatoire de S. Patrice, qui eut une 2rrande Le Purgatoire
de s. Patrice.
vogue au moyen âge , mais qui n'était fondé que sur une
vision plus ou moins autorisée du saint archevêque , n'en
avait pas moins aussi ses données attachantes, que des mi-
niatures curieuses nous ont conservées et qui se reprodui-
sirent sur la pierre en plusieurs épisodes encore vivants (3).
Au reste , les peines du purgatoire et celles de l'enfer ne
diffèrent, d'après la foi , que par leur durée, qui n'est éter-
(1) Cf. ci-dessus, 1. 1, ch. xii, p. 303.
(2) S.MaUh.,\n, 16.
(3) Ce purgatoire était lé résultat d'uue vision que S. Patrice, arche-
vêque d'Armach, en Irlande, avait eue, disent ses biographes, sur les
tourments subis en l'autre monde par les âmes qui doivent y achever
l'expiation de leurs péchés. Quoi qu'en aient dit des critiques peu com-
pétents sur de telles matières, cette tradition, qu'ils attribuent à Denys
le Chartreux, moine du quinzième siècle, doit cire aussi ancienne que
celui dont elle porte le nom et qui évangélisa l'Irlande jusqu'en 404.
Comme le Saint avait coutume de se retirer dans une caverne déserte du
lue Dearg (Ulonie), le peuple s'y rassembla après sa mort, et ce qu'on
savait de sa vision, rattaché ii ce lieu solitaire, fît croire plus tard que
c'était là l'entrée du purgatoire dont il avait parlé. Quoi qu'il en soit, le
récit de notre Saint ou de tout autre contient une description des tour-
ments du purgatoire, qu'on peut voir dans Le Monde enchanté j de
M. Ferdinand Denys, in-32, 1843, p. 157 etsuiv.; mais surtout dans les
Bollaudisles, x\ ii mars.
388 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
nelle que pour ce dernier; il n'y avait pas toujours une sen-
sible différence dans l'expression plastique de l'un et de
La gueule du l'autrc. Ou volt cu quclqucs manuscrits, et, entre autres,
monstre infernal.
dans un de ceux de la Bibliotiièque Richelieu, ce lieu d'ex-
piation représenté par l'énorme gueule d'un monstre, au
dehors de laquelle veille un démon armé d'une sorte de
trident. Cette gueule est pleine de petites figures entassées
derrière les dents horribles de la bete; mais, au heu de se
tourmenter et d'exprimer leur désespoir par des contor-
sions et des fureurs, elles gardent , comme il convient à des
âmes rachetées et sûres de leur salut , une attitude paisible
et calme : c'est le caractère de l'Espérance fondée qui se ré-
signe et qui attend la miséricorde en se soumettant à la
justice. Quant à ce gouffre béant des cavernes infernales,
dont nous avons déjà dit l'idée originelle et l'expression
si énergique (I), rien ne pouvait mieux rendre certai-
nement et l'avidité du monstre éternel et les angoisses de
la gent infortunée engloutie dans cet abîme d'où l'on ne
revient pas !... On le trouve aux tympans des portes cen-
trales, dans les manuscrits , aux chapiteaux, aux modillons;
il n'y a pas une scène du Jugement dernier où il n'ait sa
place : les flammes en jaillissent, saisissant d'avance les
âmes perdues , que les satellites de Satan s'empressent d'y
enfourner; ces cruels serviteurs les apportent par centaines,
les poussent à coups de fourche, et la bouche insatiable dé-
vore tout et demande encore, sans jamais se vider ni se
remplir !
Variété artisti- Duc autre causc dut multipliei', en les variant, les repré-
que des supplices it-w iit»-ii
infernaux, scutatious de suppliccs étemcls. Des passages de la Bible,
entre autres de Jérémie et de l'Apocalypse, avaient persuadé
à quelques interprètes qu'il fallait attribuer aux réprouvés
des supplices en harmonie avec leurs passions dépravées de
la terre ; ils étaient donc punis soit par les mêmes appétits
(l) Voir ci-dessus, t. II, p. 179, 324, 337; III, 132.
DÉMONOLOGIE. 389
du corps, dont la privation leur était continuellement im-
posée puisqu'ils n'étaient plus que des esprits, soit en gar-
dant en eux-mêmes, pour leur propre tourment, le caractère
bestial par lequel ils s'étaient avilis; et comme il y a tou-
jours, d'api-ès de savants observateurs, une certaine res-
semblance que nous avons reconnue nous-méme des traits
de quelques personnes à ceux de certains animaux dont
elles acceptent les instincts ou les habitudes, on s'était faci-
lement persuadé de représenter les vices parles masques ou
la pourtraicture complète des bétes dont les âmes humaines
avaient imité les penchants : c'est de la sorte que Vincent
de Beauvais dépeint les genres si nombreux et si divers des
supplices infernaux (I). Il s'agit ici des révélations, faites à
quelques Saints, de ces habitudes d'outre-tombe et de ceux
à qui elles sont éternellement imposées. (( Là se trouvaient
diverses personnes religieuses , moines , nonnes, évoques,
prêtres et autres clercs, dont les uns riaient pendant que les
autres pleuraient; ceux-ci s'accablaient de reproches, ceux-
là dévoraient sans cesse des aliments qui ne les rassasiaient
jamais ; fl'autres se livraient à toutes les passions , non pas
sans doute qu'après la mort il soit encore loisible de les
satisfaire : ce n'était qu'une détestable représentation de
leurs crimes passés, à laquelle ils étaient contraints par les
démons en punition des excès qu'ils y avaient commis.
Quanià ces démons, ils étaient noirs comme des charbons;
leurs yeux lançaient, comme autant de lampes, des feux
ardeîits ; leurs dents étaient plus blanclies que de la neige; ils
avaient des queues comme des scorpions, leurs ongles étaient
des crochets très-aigus, et ils portaient des ailes de vautour. »
Ce morceau n'est-il pas une exacte reproduction des
œuvres artistiques, et ne dirait-on pas que lesai'tistes s'en-
tendaient avec le Dominicain de lîeauvais?
n) Vincent de Beauvais, Uiblioiheca mundi : De Inferno, § De Re-
velutionibus, —cité par M. Lecoiutre-Dupant dans le même sens que
non,> iri, Mnm. drsovfiff. th rOucaf, X, '♦56.
390 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
La magie au Quoi Qu'il Gii soit, l'Édise, qui fut toujours la dépositaire
temps de l'Eglise « -i ., , !. , i
primitive, et les dcs vcrites etemellcs, s appliqua des le berceau de sa reli-
exorcismes,
gion à protéger par elle ses enfants contre les malignités de
leur ennemi et de ses suppôts ; car la magie avait reçu une
étonnante activité parmi les païens, et, soit par des pactes
formels établis entre quelques-uns d'eux et le démon, soit
parles croyances superstitieuses qui les portaient à vénérer
son crédit, ils persécutaient les chrétiens pour les porter au
mal ou à l'apostasie, et ils allaient jusqu'à attribuer à des
enchantements les miracles dont s'entourait si souvent la
mort des martyrs. C'est contre ces attaques du démon, ou
indirectes par les hommes, ou directes par ses propres et
personnnelles incitations, que l'Église, appuyée sur la parole
même du Sauveur, établit des ministres ayant charge
expresse et pouvoir spirituel de conjurer par des prières
spéciales son action momentanée sur les fidèles, action
manifestée soit par l'obsession qui agit au dehors et par
des moyens extérieurs, soit par la possession qui s'exerce
sur l'intérieur, reste invisible dans son principe et ne se
trahit que par des effets dont on n'aperçoit pas la cause
sensible. Ceux qu'on honore de ce pouvoir reçoivent le
troisième des Ordres mineurs ; dès le principe, ils étaient
appelés exorcistes, et devaient apprendre dans le livre des
exorcismes les formules dont il leur fallait user dans leurs
souvent représen- fouctious. Lcs frcsqucs, Ics viti'aux, Ics manuscrlts, et aussi
tés dans les égli-
ses, les sculptures, sont pleins de sujets puisés dans cette idée;
et le style même des imprécations sacrées, telles que les
gardent encore nos rituels et pontificaux, montre assez quel
mépris fait l'Église de l'iVnge rebelle soumis à sa puissance,
et quelle autorité elle s'attribue sur ses efforts criminels.
Mais elle n'emploie pas ces adjurations seulement contre
la personne de Satan ou de ses complices ; elle les adapte
aussi à toutes les créatures , dont elle veut user pour la
sanctification des fidèles. Le sel, l'eau, l'huile , qui devien-
nent la matière ou l'accompagnemerit obligé de ses sacre-
Usage très-fré-
quent de ces der
niers ,
DÉiMONOLOGIE. 39^
meiits, sont tout d'abord, avant de les y employer, exorcisés,
comme entachés , depuis le péché originel, d'un principe
mauvais qui s'empara alors de la matière et dont il faut la
purifier préalablement. On exorcise aussi avant de les bénir,
et par la même raison, la première pierre des églises, le mé-
tal qui doit se changer en cloches, le lit nuptial, dont la pro-
fanation attire de si terribles châtiments, comme on le voit
dans le Livre deTobie ; les animaux eux-mêmes, dont certai-
nes maladies sont justement attribuées aune invasion du dé-
mon, comme on en voit des exemples dans l'Évangile; enfin
les maisons habitées par l'Esprit infernal s'efforçant de jeter
l'inquiétude dans une famille, d'y attirer l'attention sur son
pouvoir chimérique, et de soulever toujours ainsi parmi les
incrédules des discussions qui n'ont pour résultat que de
les rendre plus coupables, comme on le voit par le Uvre si
complet et si concluant de M. de Mij^'ville sur les manifes-
tations des esprits (-1).
Mais rien n'a rendu plus vivement autrefois cette grande variés encore par
d'autres moyens
excommunication jetée par l'Eglise sur l'Ange détesté que liturgiques.
ces dragons monstrueux connus sous les noms de gar-
gouille, de tarasque, de grand'gueule, et autres non moins
signilicatifs donnés à celte illustre bête qui précédait les
processions solennelles, s'avançant devant la croix, dont
elle précédait la marche triomphale, et qui semblait la
pousser comme un vaincu destiné à lui servir de trophée ;
c'était surtout à la fête de l'Ascension et aux Rogations, qui
la précèdent, car c'était la dernière victoire de la Croix et
du divin Crucifié. A Rouen, à Poitiers, à Tarascon, et bien
ailleurs, cette grosse vermine avait, aux yeux du peuple ,
(1) Des Esprits cl de leurs Manifeslalions diverses, 5 vol. in-8", Paris,
1863. — Ce livre n'a pu, en dépit de toutes ses preuves les plus évi-
dentes, arracher à rAcadéinic des sciences, que l'auteur conjura plus
d'une fois de s'en occuper, aucune explication de ces faits, ([u'elle s'obs-
tine cependant à regarder comme naturels. — Voir encore Tobie, vi,
VII et VIII, puis le Mémoire à V Académie formant l'appendice du pre-
mier volume de M. de Mirville.
392 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
un rôle très-important ; car elle gardait ses traditions,
variant selon le pays, et représentait réellement le gain
de quelque grande bataille gagnée sur le paganisme par
les premiers missionnaires de la contrée : c'est ce qui
avait sans doute frappé l'iiabile dessinateur des gravures
du Bréviaire de Poitiers, édité en Î765, lorsqu'il donna
au dragon que terrasse et foule aux pieds le grand vain-
queur de l'arianisme des traits et des contours presque iden-
tiques à ceux de la grand'gueule, rééditée à neuf en t677.
Ce symbole a disparu avec tant d'autres, parce qu'on avait
fini par en oublier le sens, faute de notions écrites ; de lon-
gues interruptions firent surgir nécessairement des erreurs
et des superstitions que l'Église fit sagement d'abroger {\).
Ce que nous avons à conclure ici, c'est que des faits pareils,
qui se rattachent à cet ordre d'enseignements théologiques,
se réitèrent très-fréquemment dans l'iconographie chré-
tienne, et qu'il faut tenir compte de l'opinion et des prati-
ques de l'Eglise si l'on veut en avoir le sens et pénétrer les
mystères, prétendus inexplicables, de ces curieuses manifes-
tations de l'art. Et comme les formes de notre héros infer-
nal prises par lui en maintes occasions, ou inspirées à ses
iconographes, sont toujours bonnes à reconnaître, finis-
sons ce chapitre en analysant un des plus curieux ta])leaux
qui puissent nous mettre sur la trace de sa pliysionomie et
nous le signaler sûrement au milieu de nos laborieuses
recherches.
De la magie et Lgg livrcs dc maiiic ne sont pas rares ; les grandes biblio-
fle son action con- "-^ ' > cj
tre la société chré- thèoucs out eucoro tous CCS vicux traités de sciences oc-
tienne , ^
cultes, dont la plupart, en se faisant l'interprète de supersti-
tions ridicules, étaient cependant plus coupables qu'on n'a
voulu le croire et méritaient l'indignation publique antant
que la sévéïité des magistrats. Le catholicisme, qui ne
(l) Voir notre Hisi. de lu ralhèdr. d<'. Poil., Il, 'ÙO el siiiv., uù nous
avons tracé l'historiqnt; de cet ussLiP.
DÉMONOLOGIK. 393
semble plus mériter aujourd'liiii ni la prolectioii des souve-
rains ni le respect des légistes, était alors la loi fondamen-
tale de loiUes ciioses. Jésus-Christ était le Koi des rois, et
l'on n'entendait laisser le di'oit de l'insulter, de le nier, à
aucun de ses ennemis, qui, par la profession ouverte de
riiérésie, atlacjuaientlesi-acines mêmes de l'arbre social, de-
puis si longtemps fécondé par Lui ; à plus forte raison ne
pouvait-on permettre à la raison humaine de pactiser avec
le hideux antagoniste de Dieu et du bien.
Tant que l'Église sulfit à cette tâcbe au milieu des popu-
. lations dociles et confiantes, tant qu'elle ne se vit pas desti-
tuée du bras séculier institué d'En-Haut pour seconder sa
mission, ce qu'on sa^ait du démon et de ses menées, ce
({n'en crurent les peuples lidèles se borna aux notions
nettes, précises et purement théologiques, recueillies de la
chaire chrétienne et des enseignements écrits des Docteurs.
Mais vim'ent les temps de foi moins vive, d'hérésies anti-
sociales, comme celles des Albigeois, des Vaudois et autres
illustres devanciers de nos illustres démagogues du temps
présent, si dignes de leurs ancêtres, et qui ne les justifient
si bien dans leurs congrès de progressistes que parce qu'ils **
se défendent eux-mêmes en les justifiant. A ces époques
fatales, on \\l s'augmenter la tourbe de ces esprits égarés,
qui ne mirent plus de hont(3 à s'ériger en sectes rebelles,
et qui prétendirent à une résistance dont les fruits devaient
être si amers.
C'est surtout à la renaissance des lettres nnti([ues, et à surtout aux dixiè-
' me, quinzième et
pai'tir de la fin du (|Minzième siècle, que le génie des inno- seizième siècles.
vations, nous l'avons dit, pLuia sur le monde avec les bypo-
crites figures des deux grands patriarches de la Prétendue-
Héforme. On vit toutes les erreurs diaboliques faire assaut
de hardiesse contre l'Eglise. Trompcnirs ou ti"onq)és, des
esprits perverlis ou égarés s'adonnèrent aux pratiques
démoniaques, et ce devint h* jeu de hMU's adeptes de nier
audacieiiscnuMit leur p;ii'ti(i[)alion réelle aux trames de
394 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
l'enfer, pendant que l'examen sérieux de leur conduite ,
leurs aveux même déterminaient à des condamnations
capitales des juges qui n'avaient intérêt qu'à connaître et à
punir d'horribles vérités, plutôt que des innocents qui ne
leur étaient connus d'aucune autre part. La gent artiste,
dont la tête évaporée aime beaucoup plus les passions sans
frein que le calme des études sérieuses, ne manqua pas aux
antagonistes de l'Église ; elle leur vint en aide au moyen de
ses pinceaux et de ses burins, comme les lettres par le
mensonge et la satire ; elle s'efforça, en des pages ardentes,
à dénaturer le vrai en l'exagérant, et le déprécia sous les
mille formes d'absurdités incroyables : de là ces livres où le
diable feignit de se réfuter lui-même, ces gravures où le
crayon, en exagérant les grosses ]}estialités de Satan et en
forçant le type de ses traits sous celui des monstres les
plus impossibles, parvint à ne rien laisser dans un peuple
frivole de ce que la foi y avait mis. En tout cela pourtant,
Satan s'était fait le plus beau jeu ; on n'avait plus peur de
lui dès lors qu'on se le représentait comme une simple
image de fantaisie, et, ainsi, plus on se moquait de lui, plus
*• il triomphait.
Estampe remar- IJuc dc CCS imagcs Ics plus forcécs fut composéc au sei-
quable de cette ., .,i ,•,• • t , i j -i
époque. zieme siècle par un artiste inconnu, mais dont le travail
fut évidemment inspiré par un génie satirique disposé à
cet excès d'imagination qui calcule ses effets et compte sur
leurs conséquences {]). Il avait voulu représenter une de
(1) Cabinet des estampes de la bibliothèque Richelieu. On la trouve
aussi reproduite au premier volume du Moyen âge et la Renaissance,
ouvrage dont les planches sont fort intéressantes, mais dont le texte, à
côté d'une érudition souvent douteuse quand il s'agit des arts, reste trop
souvent au-dessous de l'ignorance permise quand il s'agit de dogme,
de morale, de croyances ou de pratiques chrétiennes. On dirait que les
écrivains de cette grande et chère compilation ont voulu créer une en-
cyclopédie à l'usage des demi-savants. Encore est-il que, lorsque celle du
dix-huitième siècle voulut se faire une renommée, elle confia sa partie
<héologiqne à un estimable théologien qui ne manqua guère à sa mis-
sion. Nous protestons, pour notre compte , à l'égard de cette encyclo-
des.
DÉMOISOLOGIE. 395
CCS cérémonies cal)alistiqiics nommées le sabbat^ et il a
groupé, pour cet effet, diverses scènes toutes plus ])izarres
les unes que les autres, mais fort instructives pour nous.
Nous y retrouvons tous nos animaux symboliques déjà
connus, avec toutes les singularités de leurs allures, avec
toute l'excentricité des plus drolatiques modèles. Au pre- scènes du sab-
mier plan, deux sorcières, devant une chaudière profonde hombics épiso-
d'où s'élève une double colonne d'épaisse fumée, s'occu-
pent à confectionner un philtre; elles jettent dans le liquide
bouillant des poignées de serpents, des crapauds qu'elles
écartèlent, pendant qu'une troisième active d'un énorme
soufflet, sous la cîiaudièi'e magique, le feu qui s'entretient
par des tètes et des membres disloqués de jeunes enfants.
En arrière, un homme nu, couché sur le flanc, barbu, éche-
velé, semble attendre le sort qui l'appelle à subir la même
opération, et déjà il en reçoit un présage dans l'attitude
menaçante d'un certain reptile arrêté sous ses yeux et lan-
çant vers sa personne un dard non moins formidable que
toute sa nature visible, formée du lézard par sa longue
queue squammée, par ses reins dont une suite d'énormes
vertèbres partage le double liémicycle, et qui a dans sa tète
du crapaud et du serpent. Deux scènes correspondent à
celte première; le spectateur y voit à sa gauche un étang
fort rapproclié de la marmite, où de jolis enfants, debout ou
assis au bord de l'eau, semblent préposés à la garde des gre-
nouilles ou crapauds qui y fourmillent. On devine leurs fonc-
tions à l'usage que chacun d'eux sait faire d'un bâton dont on
les a armés, aux gestes par lesquels ils montrent fort bien
pédie nouvelle, contre les systèines ut les f.iussetés jetés par MM. Paul
Lacroix et Ferdinand Denys dans les articles siiperslitùms, sciences
occultes, etc. Nous en citerions bien d'autres...; mais, en conscience,
pourquoi attacher des noms capal)les de mieux s'honorer à un livre qui
devrait cire plus digne, et qui n'a pour lui ni l'ordre, ni la méthode,
ni la véritable érudition? 11 est impossible de digérer de telles études,
qui , en définitive, n'a[»portent aucun profit à l'art et ne servent de
rien à la science.
396 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
que les animaux groupés sur le rivage ne doivent pas s'en
éloigner , puisqu'ils sont l'ingrédient nécessaire de l'opé-
ration principale. Par un raffinement de perfidie, ces en-
fants aux jolies petites poses, et qui semblent prendre avec
une charmante naïveté le rôle qu'on leur donne, sont des-
tinés eux-mêmes à devenir bientôt les victimes de ces hor-
ribles maléfices ; car à droite, autour d'une table dont les
plats contiennent encore la tète et d'autres restes d'un en-
fant de leur âge cuit pour ce détestable festin, siège à l'aise,
dévorant ces mets impies, un pêle-mêle de diables et de
gens destinés à le devenir. Femmes de toutes conditions,
dans le costume de leur ordre, depuis la grande dame
au col monté, au riche vertugadin et dont les cheveux
s'élèvent sur le sommet du front, comme deux cornes
indubitables, jusqu'à l'humble bourgeoise aux grossières
étoffes, sont là attablées et goûtant avec un air de satis-
faction visible les délices de ces ossements décharnés qui
paraissent aux mains de tous, et que la plupart sucent en-
core dans l'extase de leur infernale gourmandise. Une con-
versation animée semble unir d'étranges propos aux autres
mérites d'un tel repas.
Pas un homme ne s'est adjoint à cette réunion féminine.
Est-ce une malice à l'adresse du sexe, toujours admis de
préférence dans ces réunions sataniques? Nous l'ignorons,
mais il faut que ces femmes qui se rassasient ainsi de
jeunes enfants ne songent guère aux leurs, surtout en
voyant près de la table, dans l'attitude d'une créature fort
occupée, un chien ïlévorer sa part de cette monstrueuse
viande; mais si les hommes sont absents, les diables ne
manquent pas ici. Grâce à la rotondité de la table, le peintre
nous les montre de tous leurs beaux côtés : horribles faces
de bouc sur des corps de femme, corps velus, queues de
vache ou de porc, ailes de papillons nocturnes ou de
chauves-souris , visages hagards où l'humanité s'allie au
diabohsme par un choix d'oreilles et de cornes qui accu-
DKMONOLOGIE. 397
sent dans chaque indi\idii le caractère de la bète dont il
tient; voilà qui peut donner au premier plan une idée pré-
liniinaii'C de ce qui va se passera tous les autres.
Le milieu du second plan s'enveloppe des nuages ascen-
dants d'une fumée épaisse qui s'échappe de la chaudière
inférieure. Cette fumée se divise en trois colonnes de spi-
rales dont l'inégalité et les divagations laissent des espaces
vides que remplissent à l'envi soit des sorciers et des sor-
cières , soit des personnes ensorcelées , les unes trans-
formées en diablotins qui s'amusent à faire voler au bout
d'un fil des papillons, lesquels, on le sait, sont le symbole
de l'âme ; les autres traversent seuls les airs, qu'ils fendent
avec une indicible rapidité, ou montent des chimères qu'ils
fouettent avec des nœuds de serpents ; d'autres enfin ont
enfourché le balai traditionnel, se livrant sur cette étrange
monture à des voyages aériens, dans un costume plus ou
moins réchauffant. Deçà et delà, traversent l'atmosphère ,
en retombant sur le sol, quelques-uns de ces ossements que
sans doute, dans la i-apidité imprévue de leur départ, les
adeptes avaient emportés de la table où ils participaient à
l'exécrable régal. Quant au balai que nous voyons figurer
ici, on l'attribue à une dégénérescence, créée par des esprits
peu respectueux, du thyrse de Bacchus, jusqu'auquel on
fait remonter l'origine du sabbat. Ce nom, au reste, vien-
drait de 2a€dJ<os, nom phrygien du dieu Sabaz (Sahazius),
avec lequel le Bacchus des Grecs et des Latins trouve
dans la mythologie antique de frappants rapports d'iden-
tité (I).
(1) En lisant l'article que M. Parisot a consacré à Sabaz dans sa partie
mythologique de la Biographie universelle (t. LV, 406), on reconnaît
qu'en effet ces assemblées démoniaques avaient précédé de longtemps
l'ère chrétienne, et que , pour arriver jusqu'à nous, elles ont dû tra-
verser les orgies du paganisme et prendre l'empreinte de ses impuretés.
Les danses lascives, mentionnées dans les assemblées des païens ado-
rateurs de Bacchus, se reproduisent, on le voit, dans les scènes de la
Renaissance , et nous savons très-pertinemment qu'elles ne sont pas
398 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Haine du Chris- Mais cctte équitatioii excentrique n'est pas la seule qui
tianisme, de ses i, » i . > *i.'
vertus, et des in- étoiinG daus ccttc page devergonciee. Au-dessous et a cote
stitutions sociales. ,. , , » i , . . • i
de ces cavaliers des deux sexes enfourchant tout ce qui leur
reste du sceptre primitif du dieu des orgies, voici d'autres
vestiges de ces désordres où les mœurs étaient nécessaire-
ment compromises autant que la raison. A droite, et dans la
partie la plus élevée de notre estampe, figure Satan assis dans
une sorte de trône qui ne lui laisse montrer que son buste,
et au-devant duquel pendent ses deux jambes de bouc ; sa
tête de chèvre est parée de quatre cornes et surmontée d'un
globe aux rayons lumineux. Il est assisté par deux femmes,
assises de côté et d'autre, tenant chacune uii faisceau de
serpents ; Tune est couronnée comme une reine, l'autre a
un simple voile qui couvre sa tête et se répand sur ses
épaules ; toutes deux gardent une attitude qui ne manque
pas d'une certaine dignité. Nous craignons bien que l'une
d'elles ne soit une indigne parodie d'un des plus magni-
fiques passages des Livres saints, où la Sagesse divine exalte
ses propres beautés en termes d'une suavité charmante et
d'une éloquence inimitable (I ) ; l'autre nous semble moins
facile à deviner. Quoi qu'il en soit, on dirait que toutes deux
représentent dans la différence de leur costume, ou très-riche
ou assez simple, et une reine et une femme de condition
plus modeste, lesquelles feraient encore là contribuer les
deux extrêmes de la société humaine aux horreurs de ces
abominables sorcelleries. Eu effet, au pied du trône, un petit
enfant tout nu est présenté à Satan par une femme et par
étrangères aux mœurs actuelles de certaines sectes de libertins où,
sans invoquer le diable, auquel ces aveugles ne croient pas, on cède à
ses seules inspirations en mêlant dans les orgies ce que la déhanche
la plus dégoûtante peut allier à la plus révoltante impiété.
(1) Voir au ch. viii des Proverbes, où se révèle toute la science des
choses physiques et surnaturelles, telle que l'Esprit de Dieu la donnait
à ses prophètes plus de mille ans avant Jésus-Christ. Jamais langue
humaine n'a proféré un langage empreint d'une aussi haute majesté
et d'une doctrine aussi sûre. On sait que l'Église a reconnu la Sainte
Vierge symbolisée dans cette Sagesse du Très-Haut.
DÉMONOLOGIE. 399
un dùnion, nus comme lui; d'une main ils lui tiennent
chaque bras, et de l'autre lui montrent le prétendu dieu
auquel il est évident par leur pose qu'ils veulent déterminer
le pauvre petit à se consacrer pour devenir bientôt l'ali-
ment de riiomicide repas que nous avons vu. La mallieu-
reuse créature semble, du reste, ne céder que malgré elle :
une force irrésistible la maintient ; mais on voit bien, à la
tournure de sa tète baissée, qu'elle ne peut se défendre et
prévoit son sort. Remarquons qu'une tonsure fort appa-
rente couronne le sommet de sa tête, ce qui semble indi-
quer assez clairement ou une consécration dérisoire au
maître cruel qui le condamne, ou une allusion au clergé,
que les Vaudois aimaient si peu.
Quoi qu'il en soit, cette infâme cérémonie va se renou-
veler, car de tels sacrifices appellent des victimes nom-
breuses, et en voici d'autres qu'un messager de malheur
entraîne vers le tribunal où on les attend : c'est une femme
échevelée, les mamelles pendantes, se crispant à cheval sur
une chèvre dont elle serre les flancs de ses jambes et les
cornes de ses deux mains. L'animal est lancé à toute vi-
tesse au milieu d'un de ces nuages de fumée fournis par la
chaudière du premier plan ; il porte en croupe deux petits
enfants dépouillés de tout vêtement, dont l'un passe ses
mains autour du corps de la sorcière, et l'autre s'enlace à
celui-ci. Ce petit couple est sans doute de ceux que nous
avons vus faisant la garde de l'étang aux grenouilles, et,
en effet, si l'on se reporte vers eux, on les trouve espacés
au bord du gouffre de façon à laisser deviner la place
vide de deux ou trois autres qui y manquent. L'un des
absents est donc celui qui figure au plat du festin infernal ;
les deux autres s'acheminent sur la chèvre à une même
destinée. Observons ici que ce crime d'infanticide fut très-
commun de la part des sectes qui vouaient leur haine à
l'Église; la pensée d'un Dieu enfant leur était hostile, et ce
n'est pas sans y trouver une grande force contre les philo-
'lOO HISTOIKE DV SYiMBOLlSME.
sopiies, toujours prêts à nier les crimes pourvu qu'ils soient
le fait de leurs amis, qu'on voit ce signe de guerre au
Christianisme apparaître si fréquemment dans les récits les
plus authentiques, aussi bien que dans les légendes popu-
laires. Les annales judiciaires n'en ont pas moins que la
Chronique de Nuremberg {]).
Revenons à notre sabbat.
Gomme dans toutes les affaires où le diable a ses entrées
libres, l'immoraHté devait s'y classer à côté de l'assassinat.
Rien n'y ressort mieux que ce nouveau caractère de la plus
basse corruption : voilà , à l'angle supérieur du tableau et
à gauche , un groupe de quatre musiciennes , les unes
assises, les autres à genoux, jouant de la flûte, de la harpe,
de la viole et d'une sorte de basson , et que préside une
cinquième aux cheveux encouleuvrés et dont les doigts
s'exercent sur une guitare. Tout ce monde-là, évidem-
ment, est encore de conditions différentes, très-reconnais-
sables à. la variété des costumes féminins; elles mènent
une de ces rondes infernales connues chez cette nation sous
le nom de grand-mezcle, et dont la condition unique, mais
essentielle , est pour elles d'être entièrement nues et d'ex-
primer le plus élionté libertinage. Elles ont pour pendant,
à droite et non loin du tribunal de Satan indiqué naguère ,
une autre danse de même caractère où des femmes, alter-
nativement habillées ou non, sont mêlées avec aussi peu de
retenue à des démons ailés affectant la forme humaine
ou celle des satyres; enfin, en revenant aux premières
danseuses, nous remarquons, au-dessous du plan qu'elles
occupent, une sorte d'assemblée fort nombreuse où les
deux sexes conservent toutes les convenances de leur cos-
tume habituel et complet; seulement on voit bien s'élever
(1) QAÎ.Chronic arum Liber cumfiguris et imaginibusMichaelis Wol-
gemuth etWillelmi Pleydeiiwurt,p8r magistrum Harman Schedel, doo
torem Patavinum , Nurebergensem, p. gcli et cclii, in-fo, Nurem-
berge, 1493.
DÉMONOLOGIE. A0\
au-dessus de la foule quebjues paires de cornes et certaines
poitrines découvertes qui témoignent assez que le diable
s'en mêle, et que les conversations qu'on écoute de lui et de
ses suppôts avec une complaisance visible se rapportent à
des choses de haute importance. La princesse, avec son luxe
d'atours recherchés , la paysanne , coiffée de sa simple
cornette, la boui'geoise en robe retroussée, sont une
fois de plus convoquées à cette réunion, destinée peut-être
par le peintre à démontrer que toutes les classes partici-
pent avec plus ou moins d'entrain à ces funestes œuvres
de la magie noire. Il n'est pas jusqu'aux jeunes enfants
signalés plus haut dont les vêtements ne trahissent ou
l'humble état ou l'aisance des parents auxquels sans doute
on les a ravis. Il y a plus : des costumes indiquent parfois ,
au milieu de ceux qu'alors on portait dans la France de
Charles VIII , de Louis XII et de François I" , d'autres
modes qui rappellent des peuples étrangers : ainsi on voit
en première hgne , parmi les rangs de cette assemblée
mondaine qui nous semble figurer le monde avec son plus
ou moins de participation à l'œuvre diabolique , on voit ,
disons-nous , deux personnages , homme et femme , dont
le costume espagnol trahit nettement dans le peintre une
intention arrêtée. Ainsi, on ne peut douter que cet ensemble
d'épisodes si divers , mais tous parfaitement reliés à l'idée
principale, ne soit un programme complet de la démono-
manie à Vusage de tous les peuples et de toutes les condi-
tions sociales.
Il n'en résulte pas moins, quant à nos études, que celle conséquences
* ^ ' -^ morales qm en de-
qui nous occupe dans ce chapitre a de fortes raisons dans la coulent, et ses rap-
* ^ ^ ports avec le sym-
croyance catholique au diable, dans ses manifestations per- boiisme démono-
*' 1 . ' r logique,
sonnelles et dans l'enseignement théologique des temps chré-
tiens. Cette bizarre représentation que nous venons d'ana-
lyser dans ses moindres détails n'est que la reproduction
évidente de tant de scènes démonologiques de nos églises,
qui , pour y être écrites moins largement , n'en sont pas
T. ni. 26
402 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
moins les fréquentes redites de ce que la loi apprenait à
nos pères sur le purgatoire ou l'enfer. Si, dans ces siècles
profondément religieux, le peuple avait su lire; si les grands,
qui ne le savaient guère mieux que lui, eussent pu chercher
ailleurs la science des choses éternelles , nous ne les ver-
rions pas aujourd'hui au nomhre de celles qu'on étudie à
grand'peine et que tant d'incrédules discutent encore. Tou-
jours est-il qu'on ne devra jamais confondre l'origine de
ces deux catéchèses , dont l'une fut longtemps très-popu-
laire au profit du bien, l'autre ne lui succédant si généra-
lement que parce que, semblable en tout au génie fatal qui
l'inspirait , elle tendait à patroniser son pouvoir au moyen
d'une usurpation. C'est pour avoir méconnu la première
que la seconde règne seule aujourd'hui sur le monde , fa-
çonné par la main des factions impies.
et avec l'immora- Eli réfléchissaiit sur cc tableau de la Renaissance, on y
lité de notre , i • , i
temps. voit le germe des maux qu elle nous a laisses : les princes
qu'elle avait corrompus abandonnèrent la piété catholique
en abdiquant la pureté des mœurs; en faillissant à l'Église,
ils apprirent aux peuples à ne l'aimer plus autant, et de
jour en jour ils en sont venus à no pas valoir mieux les
uns que les autres. Ces modes désordonnées; ces lascivetés
impies; cet homicide des âmes dans ia personne des enfants,
symboles de charmante innocence et d'irréprochable vertu ;
ces danses sans pudeur, ces idolâtries du dieu Satan que
suivent et propagent à l'envi les écervelés du pouvoir ou
la foule stupide qui les imite , tout cela n'était-il pas
comme une sorte de prophétie où se reflétaient d'avance
les habitudes sensuelles , les nudités systématiques , les
lubriques plaisirs, la perversion méthodique et gouver-
nementale des esprits et des cœurs ? Oh ! grands philosophes
de notre siècle , vous faites le mal en niant qu'il existe ;
vous n'aspirez qu'à une vie de matériahsme et de péchés
capitaux ! Vous riez des esprits mauvais et de leur chef,
dont vous activez d'autant plus le triomphe! C'est que
DÉMONOLOGIE. 403
VOUS uc savez rien un (iiie vous a^ez tout oublié! Endor-
mez-vous dans ces suprêmes bonheurs de riiidifférence et
du mépris, jusciuà ce ([ue ces pierres suspendues à
vos regards et à qui vous refusez un langage prennent
une voix pour nous confondre et s'ébranlent pour vous
[)unir !
CHAPITRE XI.
DES OBSGŒNA.
Jugements er- Après tciiit dc tralts saillaiits de sa vie intime et publique,
roués sur ce sujet. , o * ti i.
nous n en avons pas fini encore avec Satan. Il est un genre
de prédication que l'art chrétien devait tirer de ses habi-
tudes perverses, et qu'il fallait répéter à satiété pour mieux
en exprimer l'horreur. Nous arrivons au point de notre
travail où ces grands mystères d'iniquité si peu connus, si
mal compris, se ré vélei'ont enfin sous leur véritable jour ;
le temps doit être passé où l'ignorance croyait bien faire
de se scandaliser, heureuse d'avoir une grave animadver-
sion de plus pour ses attaques envers l'Église. Combien
cependant, naguère encore, accusant le douzième siècle
d'une dépravation « poussée à un degré incroyable, » au-
raient dit, avec un encyclopédiste du dix-huitième, un ana-
thème complet « aux livres de dévotion , aux ornements
des temples et des chaires, dont les peintures et les sculp-
tures étaient si obscènes qu'on serait scandalisé aujour-
d'hui d'en rencontrer de pareils, même dans les mauvais
lieux (1) ! ))ÎVoilà ce que c'est : les faibles se scandalisent !
(1) Ces belles phrases sont élaborées par Sulzer dans sa Théorie
générale des beaux-orls, dont un fragment fut inséré dans VEncydo-
pédie de Diderot, t. 111, p. 470, in-4°. Sulzer était un homme de talent,
mais jugeant de telles choses à son point de vue luthérien, outre les
préjugés qu'il empruntait à une époque aussi éloignée du moyen âge
que nous le sommes de la primitive Église. — Et voilà pourtant les
maîtres que le public de notre temps a crus sur parole, et dout l'in-
fluence inspire aujourd'hui les jugements sur cette matière du plus
grand nombre des érudits.
DES OBSCOENA. 405
Pour s'éviter un tel inconvénient, il aurait fallu vouloir
bien apprécier tout d'abord l'esprit de cette Église tant
calomniée, et ensuite juger sans prévention arrêtée les
temps qu'elle a traversés, le génie des peuples qu'elle a
dirigés, et les résultats de cette direction par rapport aux
mœurs et aux idées de ciiaque époque. On se serait con-
vaincu dès lors que cette dépositaire la plus digne et la plus
élevée de toute morale n'avait point méconnu la Sagesse
divine qui l'inspire, et que les populations confiées de Dieu
à ses maternelles sollicitudes, loin de souffrir d'un prétendu
relâchement, n'avaient trouvé sous tant de formes plasti-
ques injustement décriées que des leçons du bon et du bien
aussi profondes que sérieuses. Ce que nous avons dit du
Cantique de Salomon peut s'appliquer parfaitement à ce
que nous allons examiner dans ce chapitre ; mais avant tout
nous devons raisonner sur le fond des touchantes répu-
gnances exprimées avec tantde persistance par nos puritains
de la libre pensée. Ce que nous avons à en dire servira
après tout, en temps et lieu, à raisonner sur toutes les ques-
tions de ce genre.
11 faut admettre avant tout, comme une vérité incontes- La retenue du
langage humain
proportionnée '(
la dépravation des
mœurs. — Origin*
, , , . de ce sentiment,
du langage, comme la convenance et la reserve des iiabi-
. langage humain
table appuvée sur les plus sévères observations de l his- proportionnée à
^ ^ " *■ ^ la dépravation des
toire, que ce qu'on appelle aujourd'iiui la pureté morale mœurs.— origine
*^ - . - . de ce sentiment.
tudes privées ou publiques, ne s'est formulé en règles aus-
tères et précises que graduellement et en proportion que
les mœurs ont subi les atteintes successives qui les ont
amenées jusquà la décadence où nous les voyons depuis
trop longtemps. Cette considération vient encore prouver la
justesse et la véracité de la Genèse quand, après avoir ra-
conté la désobéissance des deux premiers époux, elle ajoute
qu'aussitôt « leurs yeux s'ouvrirent, ils s'aperçurent d'une
nudité qui jusque-là ne les avait point embarrassés, et ils
se firent des vêtements. » Et encore cette première in-
dustrie de la pudeur mi leur parut-elle qu'insuffisante ,
406 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
puisque bientôt après ils se cacliaient aux approclies de
Dieu, et rougissaient devant lui de leur nudité (\).
Mais à côté de cette honte salutaire, qui devenait une sau-
vegarde pour l'avenir contre les emportements des passions
charnelles, naquit en môme temps la sainte retenue qui
préludait au sixième commandement, jeté dès lors en germe
dans le cœur humain : retenue qui, n'ayant pas suffi contre
la corruption et ses excès, dut être formulée nettement par
le législateur du Sinaï comme une des plus importantes pré-
servations de la société nouvelle : de là, dans les idées sociales
comme dans le plus intime sentiment des deux sexes, un
respect naturel pour la chasteté ; de là les moyens de protec-
tion qu'elle reçut partout en face des dangers que la nature
corrompue lui offrait de toutes parts. Ces moyens durent être
secondés par les morahstes, et il n'est personne qui n'ait lu
souvent et admiré l'éloge aussi doux que magnifique épanché
dans le livre de /a Saçjesse par l'Esprit divin sur cette « famille
des chastes qui brille d'une si pure splendeur aux regards
de Dieu et des hommes (2). » Or il faut bien croire que ces
leçons furent entendues, et qu'en présence môme des trop
nombreuses exceptions dont la race d'Adam subit toujours
plus ou moins les tristes entraînements, l'estime et la pra-
tique delà vertu durent cependant se propager et se main-
tenir : de là cette retenue du langage qui n'admettait pas
d'exprimer ce qu'il ne fallait pas faire ; de là môme, et à
plus forte raison, cette modestie secrète de la pensée et des
habitudes dont les intimes rapports avec les sens conmian-
daient forcément la prudence discrète et la prévoyante
circonspection. Ces règles furent, à divers degrés, de tous
(i; (( Et upcrti suiit ociili amboiuiii; cumque coguovisseiit se esvse
riudos, coiisuerunt fulia (icuri et feceruut .-^ibi perizomata... Yocavitqne
Domicus Adam, qui ait : Timui eo qnod nudus essem, et .'bscondi
me.» {Gen., ii\, 7 etseq.)
(2) «0 quaia puiclira est casiu gencralio cuiii cla;jia!e ! Iiajuortalis
est enim mcmoria illius. qnuiiiain et apiid Denm nota est et apud ho-
mines. » (Snp.,]v, l.)
DES OBSCŒNA. 407
les temps et chez tous les peuples ; sans elles, on n'eût \u
que désordres dans le monde et confusion dans la société,
où la famille ne se fût jamais constituée.
Et c'est pi'écisénient de ces rè"rles vénérables, toutes d'ins- modifié uécessai-
" rement par quel-
titution divine, que les sa^es durent se faire un rempart ques besoins d« i»
vie sociale,
contre l'irruption de toute pensée déslionnète dans l'exposé
ou dans la discussion de certains faits matériels qui durent
entrer bientôt dans le domaine delà science. La théologie,
ne fùt-elle encore que la simple morale naturelle ; la mé-
decine considérée comme science pratique ou spéculative ;
l'esprit humain tout seul livré à ses méditations dans ses
rapports de conscience avec la vertu, eurent besoin d'ex-
poser des principes dont l'énoncé n'était pas possible
sans des termes technicjues et spéciaux, sans des idées pro-
pres et déterminées. Personne donc n'eut à s'effaroucher de
telles choses traitées delà sorte et par de tels motifs. Ainsi,
l'àme la plus honnête dut se familiariser avec un ordre
d'idées qu'elle n'acceptait que dans un but d'utilité incontes-
table.
Mais à mesure (jue les mauvais penchants élargirent le mais ramené à
une plus grande
chemin du vice, et que la pasion, plus envieuse de satis- sévérité par u
dépression des
factions sensuelles, s'en préoccupa jusqu'à les cherciier, à mœurs.
défaut des faits coupables, dans le langage, les livres ou les
égarements de la rédexion, les habitudes s'imposèrent
nécessairement plus de ménagements, le langage affecta
plus de délicatesse, et la naïveté primitive s'effaça. Les crimes
qui avaient amené le déluge reparurent bientôt après la
dispersion des enfants de Xoé, et c'est de cette époque sur-
tout qu'il faut dater la rechute des hommes et les religions
idola triques nées de cette seconde rébellion. La grossièreté superstitions im-
pures des fau>se3
des mœurs, suite indispensable de l'oubli de Dieu, s'accusa reii-ions de ro-
rlent, contrastant
plus nettement chez les nations orientales, dont la pensée avecia simplicité
T • ,,,,.,, 1 HT 1 *^® quelques pcu-
religieuse dégénéra jusqu a consacrer, comme dans 1 Inde, pics primihfs.
l'Egypte et la Syrie, les symboles les plus étranges à la véné-
ration populaire. Plus touchés de leur existence terrestre
408 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
que d'aucun autre sentiment, on vit ces peuples porter en
procession avec les plus grandes marques de respect les
deux organes qu'ils regardaient comme le principe de la vie.
C'était pour eux le dieu Chib , et devant lui les assistantes
s'évertuaient aux postures les plus indécentes. Il y avait loin
de ces lascive tés superstitieuses aux naïves amours des pa-
triarches, aux simples et naturelles narrations des faits
bibliques en quelques chapitres de la Genèse , et au bain
d'Ulysse, préparé et soigné dans tous ses détails par la vieille
Eurynome (^). A cette môme époque, ne voit-on pas aussi
« le jeune Télémaque conduit au bain par la belle Poly caste,
la plus jeune des filles de Nestor, » puis après « l'eau pure
et les parfums précieux qu'elle répand sur lui, » n'est-ce pas
elle encore qui « le revêt d'une fine tunique et d'un riche
manteau (2) ? » Athénée, comme le remarque Bitaubé, cite
cet usage inséparable de l'hospitalité comme une preuve de
la pureté des mœurs honorée à Pylos (3). Ainsi , pour que
les mères se fussent décidées à suspendre le Chih susdit au
cou de leurs enfants contre de certains maléfices , et à le
porter elles-mêmes pour obtenir la fécondité , il fallait bien
que ces remèdes, que ces objets de parures ne blessassent
en rien l'honnêteté publique (4). On en était venu là , et dès
lors on pouvait ne plus se gêner, et de telles étrangetés n'in-
fluaient en rien sur les habitudes de la vie morale. Si des
païens peuvent demeurer calmes devant ces spectacles au
moins scabreux , à plus forte raison les Juifs adorateurs du
vrai Dieu , mais accoutumés à voir professer de telles singu-
larités chez les nations de leur voisinage (ri).
(1) Voir Odyssée^ ch. xxiii.
(2) Ibid., ch. III.
(3) Voir Bilaubé^ Odyssée, t. 1, ch. m, et les notes correspondautes.
(4) Voir Mémoires de V Académie des sciences de Tovlovse, t. I,
p. 110, iD-40, 1782.— Ezour Vedam, I, p. '23, 33 et 88, éd. in-12,Iver-
dun, 1773.
(5) « Manus Doiuini Azolhios percnssit in secretiori parte natiiim...
Et posuenmt arcam Dei super plauytrum et capsellam, quai habebat
^imilitudinesanorum... » ( I Pieg., v et vi, passini.)
DES OBSCŒNA. 409
On sait l'histoire des anus d'or racontée au premier livre
des Rois, et comment les Piiilistins, frappés de Dieu par une
maladie intestinale et une irruption de rats qui dévoraient
tout, en punition de la violation de l'Arche, n'obtinrent leur
guérison qu'en offrant en sacrifice , avec la représentation
de ces animaux, celle de la partie oi!i ils souffraient (I).
L'histoire profane raconte une particularité toute semblable
des Athéniens, qui, ayant mal reçu les mystères de Bacchus,
furent affligés par ce dieu d'une maladie honteuse , dont ils
ne se guérirent qu'en portant, en l'honneur du dieu, des
figures obscènes conseillées par l'oracle (2). On voit assez
par ces figures ce que devaient être les mystères d'un tel
dieu. Mais nous voyons aussi, par les œuvres de nos propres
ancêtres, avec quelle bonhomie ils travaillèrent ces mêmes
sujets bibliques. La Bible hlstoriale, manuscrit français du
quinzième siècle, conservé à la Bibliothèque Richelieu (3) ,
montre, dans une de ses miniatures, quatre Philistins dont
les rats dévorent les naches [nales]^ et le texte , sur lequel
nous aurons occasion de revenir, indique sous ce symbo-
lisme ceux qui « l'idole de péché aourent, et Dieu se cour-
rouce à eulx , et les lessa pourrir en vils et ords crimes qui
ne sont mie à nommer. » De leur côté, les Prophètes, dans
les énergiques reproches qu'ils adressent au peuple de Dieu,
invoquent les comparaisons dont nous nous garderions fort
aujourd'hui : témoin entre autres le chapitre xvi d'Ézéchiel,
où Dieu expose à la fille de Sion avec quelle miséricorde
paternelle il l'avait relevée de l'abjection de ses premiers
jours. Les termes de cette comparaison sont des plus vifs,
des plus rebutants, à en juger d'après nos idées actuelles ;
mais, pour n'appeler ici qu'un témoignage , et certes des
Idée et usage
des peuples de Ja
Palestine sur co
point.
Langage du
Prophète con-
forme à ces usa-
ges.
Remarquable ré-
flexion de Voltaire
à cet égard.
(1) Voir Dom Calnet cl Smcliez in h. loc. — N'était-ce pas là udc
contrefaçon de l'histoire biblique des habitants d'Azoth?
(2) Voir Diodore de Sicile, cité par Sabbathier, Z^ic/tVmn. des auteurs
class., t. XXXV, p. 2in.
(3) F" 60. r«, n" 1 et 2.
4iO HISTOIRE DU SYMBOLISME.
moins suspects , en faveur d'une telle littérature, nous cite-
rons un des plus audacieux profanateurs des pages bibli-
ques pris dans un de ses bons moments, et qui pense abso-
lument comme nous à cet égard. « Ces images, dit Voltaire,
nous paraissent licencieuses et révoltantes : elles n'étaient
alors que naïves ; il y en a trente exemples dans le Cantique
des Cantiques , modèle de l'union la plus cbaste. Remarquez
attentivement, poursuit-il, que ces expressions, ces images
sont toujours très-sérieuses , et que dans aucun livre de
cette haute antiquité vous ne trouverez jamais de railleries
sur le grand objet de la génération. Quand la luxure est
condamnée, c'est avec des termes peu propres, mais ce n'est
jamais ni pour exciter la volupté, ni pour faire la moindre
plaisanterie. Cette haute antiquité n'a rien ni de Martial,
ni de Catulle, ni de Pétrone (i). »
Cynisme de la Cette obscrvatiou est , en effet , de la plus grande justesse.
littérature et de i t p
l'art des anciens, Lgs autcurs païcus sout dégoûtauts de crudités aiireuses :
tout inspirés par i i t i j , • > i>
leapasiions. c'cst pour le plaisu' coupablc de dire des obscénités et d en
rassasier avec eux des lecteurs plongés dans les débauches
de leur temps qu'ils abordent certains sujets dont un esprit
décent n'a que faire. TibuUe , Catulle , Pétrone , Martial ,
Ovide et autres gens de cette famille éhontée ne se vautrent-
ils pas pour le plaisir de le faire, et comme des pourceaux,
dans la fange de leur httérature immonde? Les artistes
de ces âges antiques ne valurent pas mieux très-souvent ,
et il est clair que leurs statues de dieux et de déesses, nus
jusqu'au cynisme des représentations les plus provocantes ,
n'avaient pour ])ut que de favoriser de honteuses prostitu-
tions. Vénus, Pan, Priape, ce dernier surtout dont on n'avait
d'abord institué les honneurs divins que pour symboliser la
génération et la propagation éternelle de l'espèce humaine (2) ,
enfin tous les satyres du monde, sans compter les scènes
^1) Quesl/ions stir r Encyclopédie, v» emblème.
(2) Parisot, MijUiologic dans la Biogqaphie imiverscllc de Michand.
DES OBSCŒNA. AU
niythologiffues où se perpétuaient les amours de ce que
Lucien appelait la canaille céleste, ont toujours fait rougir
la vertu, et si ce sentiment était pour quelque chose dans le
cœur des mères de l'aniille de Rome et de la Grèce, on ne
voit guère cependant que ces insolences leur déplussent, au
moins pour leurs jeunes enfants, et qu'elles cherchassent
à en détourner leurs regards.
Peut-être alors l'habitude créait-elle une espèce d'in- L'habitude fa-
miliarisait alors
différence, ou bien de telles erreurs du sens moral n'ajou- avec los objets
d'art, qu'elle rend
taient rien à une corruption dont on ne préservait pas moins dangereux?
même l'âge le plus tendre, au témoignage d'un certain
passage de VAne d'or. Ce qui est certain, c'est que, plus ou
moins suivie, la chasteté avait (lussi de quoi commander
le respect, puisque ces nudités sans aucun voile figuraient
alors, comme nous le verrons plus tard, à l'école chré-
tienne, dans quelques monuments où la vertu était mise
en lionneur. C'est ainsi (]ue sur une urne sépulcrale,
découverte et publiée par Mautfaucon, un bas-relief d'une
exécution très-remarquable indique une femme attaquée,
en présence de son mari et de ses serviteurs , par un
audacieux criminel que ceux-ci ^iennent de terrasser
et s'apprêtent à punir du glaive qu'il a trop bien mérité.
Tous ces iiommes sont nus à la manière antique , sauf la
feuille de liguier dont le sculpteur ne les a point privés ;
mais i-ien ne protège la pudeur de la femme , qui fuit visi-
blement toutefois aux ])ras de son époux qui la protège; et
celui-ci, ({ui lui a survécu, en faisant représenter cette
action sur la pierre funéraire, l'a surmontée d'une inscrip-
tion qui célèbi'e la pudicifé incomparable et la singulière mo-
destie de Li villa llarmonia (1). Un éloge si explicite d'une
vertu si estimable eût contrasté singulièrement avec la mo-
destie de la jeune femme, exposée d'une tout autre manière
que nous ne le ferions aujoui^'liui, si la vertu eût été ])iessée
(Ij }\on\.{<xy\inn\, Anliquilc e.i:pliqnée,y , 90. pi. l.xxiii.
4^2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
alors par de telles images ; et il faut ajouter que , dans une
foule de marbres du môme genre, on ne s'embarrasse plus
des vêtements ou môme des plus simples voiles. Une preuve
bien plus saillante que la modestie n'en était en rien bles-
sée, c'est que les premiers artistes chrétiens ne songèrent
témoin les pein- nullement à modifier cette méthode. Les murs des cata-
combes,^* "^^ * combes reproduisent le plus souvent les Prophètes, les trois
enfants de Babylone dans une complète nudité qui n'offus-
que pas le regard; si Adam et Eve y ont quelque appendice,
c'est comme un souvenir de leur première ceinture du
paradis terrestre. Mais la différence entre les chrétiens et
les païens sur cette matière n'en existe pas moins dans les
mœurs , qui d'un côté gardaient toute la corruption d'une
nature dégradée, et, de l'autre, élevaient jusqu'à la gloire
du martyre l'honneur de la virginité,
et les écrits des Lcs lubncités dc la vie païenne, la sainte vertu des fidèles
Pères de l'Église. i i i • i ) i
étaient donc un double sujet d exhortations ferventes ou
de sévères invectives de la part des Pères et des écri-
vains ecclésiastiques des premiers temps ; et dans ces élo-
quentes attaques , ils suivaient le génie de leur temps et
n'avaient pas plus honte des termes que les infidèles ne rou-
gissaient de leurs actions. S. Jean Ghrysostome a des homé-
lies où l'expression du vice qu'il réprouve est nue et toute
naïve. Dans l'une d'elles, il va jusqu'à comparer l'avare pos-
sédant tout sans en jouir à une sorte d'impudique inassouvi,
dont personne ne réprouvait en ce cas la mise en scène (i).
Quoi de moins caché dans ce même Père que l'étonnement
(1) « QusB igitur est diviliarum voluptas? Ego molestias video. Et
quse molestiae ? inquies. ^terna sitis et dolor. Num si quis puellam
complectatur, nec concupiscentiam explere possit, extremo dolore cru-
ciatur ? sic etiam dives rerum quidam eopiam habet, illamque com-
plectitur, cupiditatem vero suam explere nequit, sed item coDtingit
quod ait vir sapiens {EccL, xx, 2) : (?Gupiditas eumiclii virginitatis flo-
» rem puellae eripit. Sicut eunaclius virginem amplexus ingemiscit,
» sic divites omnes. » (S. Glirys., Homil. Lxxxiii in Matlh., t. VII,
p. 793.)
DES OBSCOENA. 443
qu'il témoigne en termes si évidents de la naissance humaine
du Fils de Dieu ( i ) ? Devant un tel prédicateur que diront les
savants, qui n'ont pas eu assez d'anatlièmcs contre ceux
beaucoup moins osés du seizième siècle , Barlette, le petit
père André, et surtout le jésuite Garasse à qui ils en veulent
bien moins qu'à sa Compagnie ? S. Épiphane dévoile, en les
énumérant, les plus détestables infamies des gnostiques :
« Pourquoi craindrais-jc de dire ce que vous ne craignez
pas d'accomplir? en parlant ainsi j'inculquerai à mes audi-
teurs l'horreur des abominations que vous commettez (2).»
Ce sont à peu près les mêmes expressions qu'emploie
S. Cyrille de Jérusalem pour dénoncer les crimes obscènes
des Manichéens. « L'Église vous parle ainsi , disait-il ; elle
fouille dans les ordures de ces impies afin de vous apprendre
à ne vous en pas souiller ; elle dévoile ces blessures hideuses
pour vous en garantir vous-mêmes (3). » Ne voyez-vous pas
en ce peu de paroles une raison de tous les obcœna reprochés
à nos modillons? Mais n'anticipons point, et voyons le lan-
gage des moralistes catholiques autoriser ces dessins jusqu'à
l'époque même où la décadence des mœurs oblige enfin
à tout voiler.
Il semblerait que le génie de la langue latine, exclusive-
ment employée au moyen âge dans tout l'Occident, eût laissé
une plus grande licence à la parole, et ce serait le sens du
fameux vers :
Le latin dans les mots brave l'honnêtolé.
Le poète aurait pu en dire autant du grec et de l'hébreu ;
(1) « Admodum stupendiim est Deum ineffabilein... Patri aequalem
per Virginem venisse vulvam. » {Homil. ii in cap. i Malth., n» 2.)
(2) « Non erubescam dicere quee ipsi facere non erubescunt, ut
modis omnibus horrorem incutiam audientibus turpia quœ ab ipsis
perpetrantur facinora. » (S. Epiphan., Hxres. xxvi.)
(3, « Annuntiat Ecclesia hoc et docet, attingitqae sordes illas ut tu
non polluaris, dicit vulnera ut tu non vulneraris. » (S. Cyril. Hierosol.
Calech. vi, sub fine.)
Mêmes exem-
ples dans la litté-
rature tUi raoyen
âge.
A\A HISTOIRE DU SYMBOLISME.
mais le plus ou moins de liberté tient beaucoup moins à la
langue qu'au temps où elle était parlée , aux idées morales
des peuples qui s'en servaient et aux exigences variables de
sa littérature. Voyez comme S. Augustin hésite peu à
exprimer les plus vénérables mystères de la foi en décrivant
ce que la nature a de plus intime et de plus épineux (I ) . Évi-
demment, ce n'était pas là bracer l'honnêteté, mais parler un
langage clair et précis pour faire comprendre nettement
qu'il n'y avait rien que de surnaturel dans l'Incat-nation du
Verbe divin.
Mais pour en revenir à nous-mêmes, n'est-il pas vrai
que, du moment où la langue française commence à se
faire et qu'on l'emploie aux fabliaux, aux mystères, aux
romans et aux chansons de gestes, les traductions qu'elle
se fait des auteurs latins, sacrés ou profanes, ne continueul
pas moins de s'exposer à l'intelligence des auteurs a> ec la
complète naïveté des âges précédents ? Nos plus vieux ma-
nuscrits le témoignent à l'envi; nos premiers livres, im-
primés trois ou quatre siècles après, l'attestent comme eux.
Ce n'est pas à dire qu'il (aille confondre , quant au sujet et
à la chasteté intentionnelle du discours, le roman de la Roue
avec les Loyales et pudiques amours de Théagène , pas plus
que la charmante simplicité de S. François de Sales avec les
grossièretés cyniques de Uabelais ; mais toujours est-il que
si l'on examine attentivement les influences simultanées de
la langue et des mœurs sur notre littérature, on verra clai-
■Le Cantique àe rcmeut quc la première n'est devenue plus timide qu'en
(1) « Die mihi jam, quaîso, saiicta SaDctorum Mater, quemadmodum
luaterni odoiis lilium convallium nivei coloris sine suceo liiimauaB
propagiDis, et sine imbrecarnalisserainis in sinu Ecclesiaî germinasti...
Qua cogitatioiie ad hocpervenisti, lit sine ulia sui mutabilitate in ute-
rum tuum veuiens, ita castellum castum lui ventris incoleret, ut et
ingrediens non laederet, et exiens incolumem custodiret?» ( S. Aug.
Sermo ii de luflivil. Virginis.) — Et encore : « Intumescunt ubera
Virginis , et intacta maneiit genitalia Matris. » {Ib., De ViniinilaU;
Marifg.)
DES OBSCOENV. 4-15
r)roportioii des plus grandes hardiesses de celle-ci. Il fallait, ivaueniobautrfl-
* * , zienie Biècle.
(Iiloiqu'on médise du moyen âge , une grande naïveté au
treizième siècle pour qu'un poème que nous avons déjà cité
de l'Allemand Frauenlob (dj, renommé cependant pour la
chasteté de ses poésies , ne puisse être cité par son éditeur
du dix-neuvième, grâce à des licences et à des nudités qui
ne seraient plus de notre goût, parce qu'elles blesseraient
outre mesure les convenances littéraires et religieuses : et ce
poème, après tout, n'est qu'une paraphrase du Cantique de
Salomon , devant lequel on sait que la sainte et touchante
chasteté de S. Bernard n'a pas reculé, non plus que celle de
tant d'autres (2). Qui ne trouverait étonnant, appliqué à notre
époque, le langage de S. Louis rapporté par Joinvillc, et ce
roi insistant au lit de mort, dans ses avis à son jeune lils sur
cette recommandation textuelle : « Fai à ton pooir les b... et
les autres malgens ch acier de ton royaume si que la terre
soit de ce bien purgée (3). »
Ne soyons pas plus étonnés de lire dans les bibles françaises Les traductions
, . ;, ., , . , 11. . . " <ie la Biblo du
du seizième siècle, et, qui plus est, du dix-septieme, des mots seizième siècle.
et des choses dont il faut absolument nous abstenir aujour-
d'hui, quand là langue n'a plus ses allures aussi dégagées.
Et qu'on n'objecte pas que ces livres n'étaient pas lus : les
familles conservaient encore avec soin les lectures journa-
lières de la doctrine et de l'histoire sacrées , et toutes nos
présentes observations se rattachent à une édition du Nou-
veau Testament donnée en ^632 , quoique le style en soit
beaucoup plus ancien, et dédiée par Sébastien Kiivé aux
Révérendes Mères Supérieures de l'Ordre de la Visitation :
de sorte que voilà toute une famille de pures vierges que
la moindre mauvaise pensée eût effrayées, et qui pouvaient
se jeter sans le moindre péril dans les deux épîtres aux
(i) Voir ci-dessua, t. II, ch. v, p. 120.
(2j Voir feuillttoa de VUnivtrs, 5 juillet 1852, article de M. de Ge-
nouiilet.
(3) Mémoires de Joinvillr.
446 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
* Corinthiens et en beaucoup d'autres endroits qu'on ne sau-
rait plus rendre qu'avec l'indispensable précaution de lon-
gues périphrases.
Les prônes du Et CCS salutcs lîlles u'étaicut pas les seules nourries de ce
q^a^ dix-^hui- style énergique. Chaque année, depuis le mois de février
tieme siècle. ^ ^^^^ ^^^^ ordonuauce du roi Henri II était lue, le troisième
dimanche del'Avent, au prône de chaque messe paroissiale,
renouvelant les peines portées par cet édit contre les femmes
enceintes qui auraient celé leur grossesse. Ordre était donné
de cette lecture annuelle, et certes personne aujourd'hui ne
voudrait se charger de la faire dans les termes du texte offi-
ciel. Elle fut cependant maintenue jusqu'en 4 789, sans que
personne réclamât jamais contre les singularités d'un lan-
gage qui, en traversant plus de trois siècles, avait cependant
revêtu un air d'étrangeté incontestable (I) : tels étaient alors
la simplicité de la foi et le calme chrétien des consciences.
C'était l'équi- De tout ce qui précède il faut conclure, avec Piérius Valé-
valent du symbo- . ,.i i i i p • i •
lisme des obs- riauus, qu il cst chez tous les peuples une enfance qui laisse
plus de calme aux passions, pendant laquelle il n'y a aucune
honte fondée là où plus tard les raffinements de la civilisa-
tion produisent la décadence de la pensée et des mœurs. Le
libertinage a donc fini par remplacer une placide et respec-
table philosopl^ie, qui ne craignait pas d'énoncer et de maté-
rialiser par les arts plastiques des pensées qui, môme dans le
secret de l'âme humaine, ne dépassaient pas les bornes assi-
gnées par l'honnêteté de la conscience aux moindres écarts
de l'imagination (2). Ce que l'écriture égyptienne avait
admis dans ses hiéroglyphes, ce que les nations primitives
avaient adopté pour exprimer les idées les plus élevées et les
plus sages dut passer avec elles dans l'Occident, sans changer
de signification. Les symboles, si commodes en eux-mêmes
pour exposer brièvement les profondes doctrines de la
(1) Voir Rituel du diocèse de Poitiers, in-4°. 1766^» p. 240.
(2) Voir Pierii Valeriani Hierogîyphicorum lib. XXXIII , cap. xx et
seq.
DES ORSCŒNA. 4^7
métaphysique et de la morale naturelle, se tirent jour et
pénétrèrent jusque dans la théologie catholique ; mais là il
y eut cette intention de beaucoup supérieure : on n'y pou-
vait prétendre à établir par, des images spéciales une doc-
trine superstitieuse et inutile sur la génération des êtres,
dont le public chrétien n'avait pas tant à s'occuper que
d'éviter les tentations de la chair; ce Turent celles-ci qu'il
fallut combattre, et ce genre d'enseignement trouva, comme
tous les autres, de graves et intelligents professeurs. En
effet, quand le langage obligatoire de ces matières épineuses
demeure autant innocent que possible en présence du besoin
de s'en exprimer ; quand des livres comme ceux d'Arnobe,
de S. Augustin, de Ratramne, de Baronius justifient par
leur côté sérieux les traités écrits sur ces clioses par des
plumes supérieures que nous avons invoquées ailleurs (^),
il faut bien se ranger de leur parti, et l'on doit, avec de telles
autorités, croire posséder le véritable sens et la droite opi-
nion de l'Église : c'était celle qu'exprimait l'un de nos plus
célèbres symbolistes. Durant de Mende, en plein moyen
âge , et quand tous les élans de l'art religieux se portaient
plus ardemment vers ce genre d'allégories. « User dans
une certaine mesure , disait-il, des peintures pour repré-
senter le mal à éviter et le bien à faire n'est point répré-
hensible. C'est dans cette intention que le Seigneur disait à
Ézéchiel : Entre dans Jérusalem, et vois toutes les détes-
tables abominations qui s'y pratiquent. Et il y vit en effet
d'abominables ressemblances de toutes sortes de reptiles et
d'animaux, et sur les murs étaient représentées toutes les
idoles de la maison d'Israël (2). »
(1) Voir notre llisloire de L'abbaye de Ctiarroux cl de ses reliques,
où nous avons traité cette question par rapport au saint Prépuce de
Notre-Seigneur qu'on avait cru longtemps reposer dans ce monastère;
eh. XI, §§ 1-ix.
(2) « Moderate vero uti picturis ad reprœsentaLdum mala vitacda et
bona incitanda reprehensibile non est; undeDominus ad Ezechieleni
(VIII, 9) : Ingrederc et vide abominationes pessima» quas isti faciuut.
T. ni. %1
qui deyient ponr
Tan ce que le
style était à une
certaine littéra -
ture.
Ils sont un mode
d'enseignement.et
rien autre cho?e
Us appartien-
nent à la meil-
leure époque ùe la
littérature sacrée
et de l'art reli-
ffieux .
418 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Maintenant, il s'agit de voir appliqués par les artistes
chrétiens les principes que nous venons d'exposer , et de
conclure, en présence des étranges sujets devenus enfin très-
intelligibles, que rien n'y blessait la chasteté , n'y attaquait
la pudeur quand ils furent sculptés aux miu's de nos tem-
ples; que tout, au contraire, y était utile, saint, y révélait
l'expression d'un système arrêté d'enseignement moral, et
une prédication de vertu par des maximes comprises et
respectées de tout le monde.
Cela une fois bien établi, nous savons parfaitement à quoi
nous en tenir sur les nombreuses et très-évidentes nudités
offertes aux regards des fidèles en des lieux et à des époques
où toutes les âmes sont pénétrées d'un religieux respect
pour Dieu et son culte. C'est qu'en etïet c'est Dieu, c'est le
culte de la vertu dont il s'agit ; rien autre chose ne pouvait
inspirer les créateurs de ces surprenantes ressemblances.
En vaui des archéologues dont les études étaient trop hâtées
ont voulu y ^ oir le type du relâchement moral « qui s'était
introduit dans les monastères ; le résultat de certains ca-
prices de quelque moine travaiUeur ayant des fantaisies
comme un autre ; l'expression d'une littérature qui s'affais-
sait dans le cloître comme ailleurs (1). « De telles assertions
ne tiennent pas contre l'histoire, qui nous dépeint les dou-
zième et treizième siècles, où naît presque toute cette ima-
gerie, comme ceux où les lettres ont eu le plus de splen-
deurs, où l'art a eu sa plus belle efflorescence, où la ferveur
monastique, renouvelée au souffle de S. Bernard, de
S. Thomas et de tant d'autres, produit ses plus remarquables
effets d'esthétique et de piété. Ainsi, point de contraste, mais
au contraire , dans ces temps-là , fermes et nobles harmo-
nies entre la foi et Tart , entre l'homme de la prière et
Et ingressus vidit omnem similitudinem reptilium et animalium et
•ribommationeru, et imiversa idola domus Israël depicta in pariete. »
fDur. Mimât., Ration, divin. Officior., lit). I, cap. m.)
(1) Voir M. ^chmià, Manuel à architecture religieuse,^. 70 et suiv.,
Paris, 1845.
te et-
DES ««scne^ji. 419
le scalpteor de nos plus rastes et superbes ba&îliqaes.
La conséquence abscrfoe de ce double caractère de science ^^
âerée et de piété ardente est, sans contredit, 1 estime et la
pratique plus austère de la chasteté chrétienne dans la rie
rdigîeuse. Or ne le perdons pas de rue : alors c'est le prêtre,
c'est le nHMDe qui est artiste, et, nous ne craignons pas de le
dire, tout ce que touche leur ciseau se diange en quelque
chose de chaste et de pur. Consultez toutes les œuvres de
cette époque, depuis les plus simples jusqu*au\ plus remar-
quables par le fini de leurs détails, pas un doute ne tous
sera laissé sur ce point : sculptures, ciselures, manuscrits,
enluminures, étf^es, ritraux , tout ce qui est du domaine
de fart rdUgKux respire le sentiment de la décence la
plus scrupuleuse. Si larttste se troure parfois amené, par les
nécessités de son sujet , à se passer de ces amples et riches
draperies qui sont alors un de ses ]dus beaux succès, ce
n'est pas sans de certaines précautions conroiues qu'il rend
la nature humaine à sa condition natire. Le nu y est égale
ment ménagé sdon les eiigimces de llûstoire et conformé-
ment à des rè^es de décenee que le génie chrétien pourait
seul iuTenter.
Aioâ, dans ce bel Ârhrt de la Vierge identifié à la cathé- uv^x% de la
drak de Jiilan avec l'inimitable chandelier dont chacun "''^ *
sait lliistoîre et le symbolisme, nous Toyons représentée
merreiDeusement et entourée de toutes nos preuTes la scène
complète de la première chute et de la perte du Paradis
lerrestre. Les deux coupables y sont nus : comment faire
autrement ? mais les formes les i^us redoutables à la pudeur
> enlacent si bioi aux gracieux enroulements des bran-
chages, que Fœfl aperçoit à peine quelques traces de la
ceinture derenue Tunique Tètement du couple prèrarica-
teur;et, en dehors de leur r&le, toutes les autres figures des
.Vnges, des Vertus qui s'allégorisent dans leurs divers em-
plois contre le démon ou contre les rices qui Tont naître de
lui, sont drapées comfdélement , et arec cette exquise
420 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
retenue dont notre esthétique sacrée ne s'est jamais dépar-
La Madeleine tie (I). A SaintMaximiu du Var, le Saint Pilon soutient une
du S. Pilon, à . ,
saint-Maximin. Madeleine en extase, supportée par quatre Anges au-dessus
de terre; les Anges, que notre école moderne ont faits nus
comme des vers, sont entièrement recouverts d'uue longue
tunique, et la Sainte, que la tradition nous représente vivant
dans la Sainte-Baume privée de tout vêtement, est voilée ici
de sa longue chevelure , qui ne laisse apercevoir que ses
s«« Marie Égyp- tralts (2). G'cst alusi que la légende de S*^ Marie Égyptienne
tienne. , ^ , . , .
la représente vêtue de ses seuls clieveux , et priant le saint
abbé Zozime qui l'aborde de lui jeter son manteau pour
plus de décence avec lui (3).
Les Vierges- Eu cc mèmc treizième siècle dont nous parlons , cherchez
iième siècle,'^' partout OÙ pcuvcut être les images de Marie et du petit Jésus
dont on la fait toujours inséparable : rien de plus chaste
que cette pose de reine , que ces belles étoffes agencées
avec leurs longs et vastes plis pour dissimuler toutes les
formes , que ce long voile surmonté de sa précieuse cou-
ronne, retombant sur les épaules et complétant autour de
cette pure physionomie le beau idéal de la virginité. Et ce
même respect , n'est-il pas toujours déféré au saint Enfant
qui repose sur les genoux de la Mère admirable? sa petite
robe ne le couvre-t-elle pas de la tête aux pieds? n'y ajoute-
t-elle pas tout ce que la pensée humaine peut y mettre de
douce amabilité et de charme pieux? Sans doute, s'il esta
peine né dans la crèche , s'il est lavé aussitôt après sa nais-
sance, d'après la naïve coutume de quelques peintres , qui
croient par ce détail symboliser d'autant mieux sa divinité
abaissée jusqu'à nous ; s'il supporte enfin le fer de la circon-
cision, la pensée de l'artiste rentre dans la vérité historique
et n'entoure pas moins le petit Enfant de groupes aux cos-
(1) Voir la description et la gravure de ce beau travail, Annales ar-
chéùlog.,\ni, 5 et 177; XIV, 341; - BulleL. monum., XVII, 181.
(2) Voir Bulletin des comités archéologiques, t. II, 1850, p. 108.
(3) Voir Légende dorée et tous les hagiographes.
DES OBSCOENV. 421
tiinies variés d'après leur rôle , depuis les Bergers jusqu'aux
Anges du Gloria in excelsis. Quant à Marie, elle est là
comme Joseph , toujours le plus parfait modèle de la beauté
virginale et de la majesté bénie entre toutes. Quelle diffé-
rence entre ces types vénérés de la paisible innocence du
cœur et ces nudités païennes de la Kenaissance, qui n'at-
testent plus que le libertinage des peintres , traitant l'au-
guste Mère comme une femme équivoque, et son cher
petit Jésus comme un enfant-trouvé !... Ajoutons que cette et ses autres tra-
/ , . , . . -t \ 1 vaux iconogra-
réserve n est pas exclusivement observée pour ces deux phiqucs.
types suréminents. Parcourez toutes les surfaces auxquelles
se soient appliqués les arts du dessin, reliquaires, émaux,
découpures quelconques : les personnages, quels qu'ils
soient, y révèlent partout et toujours ce costume grave
qui rend si dignes les personnages de ce temps , et qui
associe à cette dignité magistrale les hommes eux-mêmes,
toujours habillés de la douhle tunique de l'art ancien. Et Les personnages
que dire encore de ce soin scrupuleux qui, presque tou-
jours (car il faut reconnaître aussi sur ce point des excep-
tions très-justifiables), se borne systématiquement à nous
traduire la natui-e nue par des personnages sans sexe, soit
dans le réveil du jugement dernier, soit dans les rôles
divers qu'on doit donner à l'âme , toujours représentée
ainsi? Outre ce qu'il y a de logique dans cette ingénieuse
invention , fondée sans doute sur la parole du Sauveur ,
sur celle de Job (^), n'y a-t-il pas aussi une habileté de
délicatesse dans cette mutilation morale qui concilie si
étroitement l'esthétique et la pudeur? Et ne voyez-vous pas
qu'il y eut un impardonnable aveuglement dans certains
docteurs de l'Institut quand ils calomnièrent le moyen âge
jusqu'à faire contre lui une déplorable « consommation de
malpropreté (2) ? »
(1) « In resurrectione cnim ueque nubent neque nubentur, sed
erunt sicut Angeli. » (Matlh., xxiii, 30.)— « Nudus egressus sum ex
utero..., uudus revertar. » {Jub, il, 21.)
(2) Voir la prétendue Hc/'uUftion du livre de M. Veuillol sur le droit
sans sexe.
422 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Cause tout es- Non , la foi , Ic sciis moral , la vertu enfin qui en dé-
thétique des ob$- . . ^ •»,,■>
cœna, trop peu coulc ct qui S y appuic , uc manquèrent pomt a cette ère
comprise. ^^ génie chrétien , et c'est en leur nom que cette sublime
iconographie s'empare de l'art pour en faire l'école du
bien et l'éclatant reflet de ses plus augustes leçons. Donc ,
lorsque ces leçons eurent changé d'expression visible , lors-
qu'on les étudia sous des formes qui , pour être restées
longtemps insolites , n'étaient cependant ni trop nouvelles
ni moins comprises , on ne les accusa point de venir sans
raison se placer à côté de ce qu'on admirait de plus saint
et de plus pur. On symbohsait la vertu , il fallait symbo-
liser le vice , et la distance qui les sépare fut la mesure des
données nouvelles , comme leur différence radicale déter-
mina des moyens tout opposés : telle est la cause vraiment
morale et l'origine théologique de tant de figures dont
l'ignorance s'est scandahsée, et dont l'intelligence était
pourtant bien facile , pour peu qu'on se fut rappelé ce que
disait S. Denys d'Alexandrie : « Que la cause du péché
n'est point en notre corps, mais dans le mauvais usage
qu'on en fait (1) ; » mais enfin ce mauvais usage est trop
fréquent, il jette trop de désordres dans la vie des sens
pour ne lui opposer point des avertissements sévères et
continuels. On voulut donc en inspirer l'horreur en mon-
trant tour à tour la laideur du péché honteux , les détes-
tables égarements où il pousse, l'abime creusé par lui
sous les pas de l'Juimanité quand elle s'en rassasie et
du seigneur, par Jules Delpit. C'est à propos Je cette prétendue réfu-
tation que cet écrivain, qui n'est point de l'Institut, mais qui sentait
peut-être le besoin d'en être, s'allie, en l'honneur de ses haines contre
le moyen âge et sa civilisation, à d'autres qui en sont déjà, lesquels
n'usent de leur grandeur littéraire que dans le môme but, et que le
monde voltairien connaît trop pour que nous devions les nommer ici.
Des romans immoraux, des opéras impies ne donnent pas le droit de
dénigrer l'Église aux dépens de la justice et de la vérité. — Voir aussi
[q& Annales archi'ol .giques , XVH, 327.
(1) Montesquieu ne disait-il pas, 1300 ans après lui, que l'imagination
^ déréglée était la première source de l'impureté ?
DES OBSCOENA. Î23
l'adore. Voilà pourquoi tous les crimes de la chair, que
les prédicateurs hounissaicut devant des auditoires si nom-
breux et si attentifs, durent avoir leurs images dans ces
sculptures, dans ces peintures murales, dans ces verrières
coloriées, sur ces pages enluminées des manuscrits , où
l'érudition chrétienne s'accommodait à l'œil et à l'esprit,
sans plus craindre de les blesser que la parole n'avait
offensé l'oreille ou affecté des cœurs naturellement do-
ciles autant que chastes par devoir.
En vain chercherait-on à combattre cette méthode en La crudité des
1 i-x' I t. ■ • ,. 1» ■^ sujets est une
se recriant sur la crudité de certains sujets; ceux-là mêmes preuve de lour
ne sont que d'éloquents reproches aux passions qui se four- "^'^^^*' ^'
voient, ou la rigide flagellation imposée aux coupables doc-
trines des hérétiques, si souvent condamnés par FÉgiise.
On sait de quelles abominations se souillaient les sectes
impures des adamites, des cathares et toutes les branches
de gnostiques, dont le sens pervei'ti ne vivait que des plus
monstrueuses incontinences. Les reproductions murales de ciie personnifie les
1/ . . 1' 1 • !»• • . passions et les cri-
ces orgies suppléaient aux catéchismes, que 1 imprimerie mes honteux:
ne donnait pas alors ; et ce qu'il ne faut pas oublier comme
conséquence de cette remarque , c'est qu'en voyant le
peintre ou le sculpteur attacher aux surfaces qu'il travaille
certaines représentations où la nature agit sans aucun voile
ni retenue, ce n'est point le côté permis de la chose, celui
que sanctifie le sacrement du mariage que vous voyez là,
mais bien l'abus et l'excès , interdits en dehors de toute
union légitime. On s'est beaucoup effrayé, par exemple, d'un laduitère à saint-
chapiteau placé au péristyle de Saint-Benoît-sur-Loire , et ^^"^'^"^""-^""^ ?
(jui se trouve accolé à une scène de tentation d'un autre
genre. Deux personnes entièrement nues en font tous les
frais, et en considérant ce qui etitoure ce chapiteau, on ne
peut reconnaître qu'un contraste médité entre les plus
saintes leçons du dogme et les plus hideux mépris dq la
pureté conjugale ; car c'est tout près, et en regard des divins
mystères de la sainte Enfance, de la virginité de Marie et
]a prostituée de
l'Apocalypse ;
424 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
des révélations célestes de l'Apocalypse, que le dessinateur
expose au regard l'action môme de l'adultère ou de la for-
nication (^ ) . En cela, et par la crudité même de cet acte hon-
teux, rien d'étonnant pour qui étudie philosophiquement
cette page inusitée de l'histoire de l'art. L'Apocalypse, nous
l'avons vu, n'épuise-t-elle pas ses saintes invectives contre
les prostitutions de Bahylone? La prostitution n'est-elle pas
mille fois, là et dans les autres Prophètes, comparée avec la
fornication à l'idolâtrie , qui n'est autre chose que la né-
gation du dogme, comme l'impureté ahsolue, caractérisée
par cet acte que n'atténue aucune des moindres règles de
la pureté, n'est que l'avilissement de la morale et la plus
complète abjuration de la dignité chrétienne? Ne lit-on pas
dans la Sagesse ces mêmes pensées rendues dans les mêmes
termes (2j ? Jérémie n'a-t-il pas reproché à Jérusalem in-
l'idèle de s'être rendue coupable de ce crime et d'en avoir
les chiens et les chcrché toutcs Ics occaslous (3)? — C'est dans le même but
impudiques. ,,i, -, « /-t ii i/iit
c{u a 1 un des contre-iorts méridionaux de la catliedrale du
Mans, se tiennent, dans une attitude qui défie toute descrip-
tion, une femme et un homme encapuchonné qui, très-certai-
nement, n'y sont, et toujours en dehors de l'église, que pour
stigmatiser ces chiens, et ces impudiques abominables que
S. Jean ordonne d'en chasser comme autant d'idolâtres et
style énergique d'empoisoiiueurs (4). — S. Paul n'est pas moins pressant.
(1) Voir Marchand, Sovvenirs historiques de V ancienne abbaye de
Sainl-BenoU-sur-Loire,^\.\, in-S», Orléans, 1838. — Ce livre, qui
n'a aucun mérite , ni comme histoire ni comme interprétation de
l'iconographie du monument, que l'auteur n'a pas comprise, est inté-
ressant par les planches, dont un archéologue expérimenté reconnaîtra
bien mieux aujourd'hui le sens et l'origine.
(2) « Initium fornicationis est exquisitio idolorum , et adinventio
eorum corruptio vitse est. » ( Sap., xiv, 12.)
(3) « Tu fornicata es cnm amatoribus multis. » {Jerem., m, 1.) —
« Sub omni ligno frondoso fornicata es. » {Ib., 6.)
(4) « Foris canes, et veuefici, et impudici, ethomicidae, et idolis ser-
vientes !... » (yl])0'"., xxii, 15.) — Nous ne voudrions pas ici répondre
du personnage, dont les apparences, toutes spécifiées surtout par son
capuchon, pourraient bien tromper l'observateur , cette espèce de
DES OBSCOENA. 425
et c'est de lui nircst sans doute empruntée la hardiesse de ?« s Paui contre
* i les Koinains et les
beaucoup d'images où sont traduits les crimes dont il dé- corinthiens.
clare les auteurs indignes du ciel dans sa première lettre aux
Corinthiens. « Ce ciel, dit-il, n'est fait pour les débauchés
d'aucune sorte ; loin de lui ceux qui se livrent aux fornica-
tions, aux adultères, aux abominations deSodome ('l) ! » Les
Romains ne valaient pas mieux, et, privés, comme on le voit
par les conseils que l'Apotre leur adresse, de tout sentiment
des vertus morales, ils se déshonorent en outre par la stu-
pide habitude des plus ignobles excès de la chair. Point de
ciel pour de tels monstres ; ils ne méritent que la mort éter-
nelle, car ils vivent dans des crimes pires que Tidolâtrie
qu'ils avaient quittée (2).
Que s'il en était ainsi de ces orsueilleux conquérants Leurs crimes re-
'^ ^ nouveles par les
du monde, dont la brutalité sensuelle ne s'arrêtait devant barbares envaiiis-
seurs (le l'empire,
aucun attentat, en fut-il autrement de ces hordes franques et par les Nor-
mands.
et germaines qui les chassèrent, quatre siècles après, du
sol qu'ils avaient déshonoré ? Ne fut-ce pas les mômes
désordres qu'apportèrent les Normands aux bords de nos
couvre-chef ayant été au moyen âge d'un usage assez général en dehors
du costume monastique. Quoi qu'il en soit, la suite va nons montrer
qu'il est très-possible de trouver de telles images offertes en leçons mo-
rales, et non pas, comme persistent à le soutenir quelques penseurs
trop dociles à leurs conceptions préconçues, en preuves critiques d'une
immoralité religieuse qu'on s'étudie à grossir systématiquement.
(1) « Nolite errare : neque fornicarii, neque adulteri, neque molles,
neque masculorum concubitores..., regnum Dei possidebunt. ))(1 Cor.,
vj, 9.)
(2) «Etmutaverunt gloriam incorruptibilisDei in similitudinem ima-
ginis corruptibilis hominis, et volucrum, et quadrupedium, etserpen-
tium. Propler quod tradidit illos Deus in desideria cordis eurum, in
immunditiam : ut contumeliisafliciant corporasua in semetinsis;prop-
terea tradidit illos Deus in passiones ignominiae. Nam feminee eorum
immulaveruut naturalem usum, in eum usum qui est contra naturam.
Similiter autem et masculi, rcliclo naturali usu feinina:', exarserunt in
desideriis suis in invicem, masculi in masculosturpitudinem opérantes,
et mercedem quam oportuit erroris sui in semetipsis recipientes...
Tradidit illos Deusinrcprobum sensum, ut faciant ea quœ non conve-
niuut... Qui talia agunt, digui sunt morte, et non solum qui ea fa-
cinut, sed ctiam qui consenliunt facientibus. » {Honi., i, 23 et seq.)
426 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
fleuves et sur tout notre littoral maritime quand ils y
débarquèrent, au neuvième siècle, pour y semer avec les
ruines matérielles une désolation mille fois plus terrible
dans le ravage des mœurs et le renouvellement de tous
les excès que le Christianisme avait effacés de la société
nouvelle ? Ces abominations étaient donc revenues; il est
certain qu'une recrudescence de ces crimes contre nature
s'était manifestée depuis l'apparition de ces colporteurs
d'immoralité, et un fait arrivé au douzième siècle, et que
rapporte un de ses historiens, montre bien à la fois et
jusqu'où pouvait aller le désordre du monde, et comment
le peuple chrétien le détestait, puisqu'un Saint pouvait lui
en parler ouvertement sans étonner en rien son nombreux
auditoire. S. Bernard, ayant délivré à Nantes une femme de
l'une des plus affreuses obsessions, dénonça le fait aussitôt
après, dans la cathédrale, à la foule assemblée à qui il voulait
en inspirer l'horreur {]). C'est un de ces mille sujets qui
avaient droit cà trouver leur place dans quelques illustra-
tions murales. Bien d'autres de genres trop variés venaient
souvent augmenter les griefs de l'Église, et quoique ses
efforts et ses justes sévérités y eussent mis un frein, des
traces de ces funestes maux restaient toujours, et c'étaient
eux qu'il s'agissait de combattre en livrant à la réprobation
générale ces infamies de la chair et leur voie corrompue.
Raisons de quel- Aussl k sculpturc uc fut pas iiiolus fidèlc à flétrir ces infa-
ques modillons ^ *■
spéciaux et d'au- mlcs quc Ics Doctcurs à les honnir. Gomme pour les autres
très sculptures,
expressions du mal ou du bien, l'artiste, qui n'avait pas tou-
jours à travailler un champ de vaste espace, dut se borner
souvent à des étendues restreintes, n'offrir qu'une pensée
principale au lieu d'un drame complet, et remplaça des
groupes et des faits par un objet isolé dont la vue suffisait
pour rappeler un passage scripturaire avec le souvenir
d'une défense divine, et sans lequel aurait manqué un cha-
(1) s. Beniardi Upii., t. 1, p. 25, edit. Horst., Lugduni.
DES OBSCOEXA. 427
pitre de haute importance au Décalogue de rarcliitecte el
du sculpteur. De là, à l'église de Goui'gé (Deux-Sèvres), trois à ciour-é,
modillous se partagent une même action au-dessous d'un
entablement qui règne sur la porte d'entrée. Celui du milieu,
composé de deux objets réunis, ne laisse aucun doute quant
à sa signification dissolue (^}; les deux autres de chaque
côté sont un homme et une femme grimaçant à loisir, et
dont le sentiment ainsi rendu ne reste pas étranger à cette
vilenie. De même à Saint-Pompain (Deux-Sèvres) , on voit à saint-Ponij)ain
1 ,. T . , •>iii»«ri/«ct ailleurs.
deux lemmes se livrant séparément a des lubricités dégoû-
tantes. Ceci se passe au-dessous de trois zones arrondies en
ogives et couronnant l'entrée occidentale. Ces zones offrent,
parmi les motifs variés de leur riche travail, des scènes qui
se rapportent à celles-là, tout en leur opposant des idées
contraires, telles que deux chevaliers, la force et la pru-
dence, terrassant deux anges réprouvés qu'ils foulent à
leurs pieds, pendant qu'eux-mêmes reçoivent sur leur tête,
des mains de deux Anges fidèles penchés sur chacun d'eux,
la couronne de leur pieuse victoire. Le zodiaque est là lc zodiaque.
aussi avec ses signes célestes correspondant , par les occu-
pations de chaque mois, à la pensée de ces travaux de la
terre qui font éviter le péché en élevant l'âme vers Dieu, et
mériter le ciel par la fuite des mauvaises passions. Ces idées
si diverses, ces expressions si opposées du vice et de la vertu
ne s'expliquent-elles pas mutuellement , et ne dévoilent-
elles pas très-clairement l'intention de ceux qui ne craigni-
rent pas de les réunir sous les mêmes regards? Les autres
obscœna qu'on voit distribués aux modillous extérieurs de
Villeneuve-d'Ornon (Gironde), dont l'église est du onzième
siècle; ceux qu'a recueillis dans plusieui's églises de
basse Xormandie le zélé archéologue M. Dumoncel (2),
(1) « Partes utriusqiie sexus coeuntes. »
(2) BuUelin monumental, VIII, p. 16 etsiiiv. — Une planche accom-
pagne ceUe liste et reproduit une suite de 130 sujets, parmi lesquels
trois ou quatre à peine sont des obscœna.^ous disons à peine parce que,
Prétendus obs-
cœna qui n'ont ja-
mais existé.
428 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
ont évidemment le môme principe et tendent à la même
fin ; ils sont tous aussi d'une époque à peu près identique,
n'allant guère au delà des onzième et douzième siècles,
comme à Saint-Sernin de Toulouse et à l'abbatiale de
Moissac , comme aux cathédrales de Bazas et de Poitiers ;
mais ils ne se prolongent guère en deçà du treizième,
et déjà, dans cette dernière période, on les remarque moins
qu'au siècle précédent.
Après ce que nous venons de reconnaître, il est bon
cependant de constater que plus d'une fois on a cru voir des
obscœna où jamais il n'y en avait eu. M. Jouannet, dans
une description , publiée en ] 824 , de l'église Sainte-Croix
de Bordeaux , faisait justice, à l'égard de ce monument, de
ce qu'on regardait alors comme un reproche mérité. Nous
avons dû défendre contre cette même imputation , fort peu
comprise encore en 1849, l'un des tympans occidentaux
de notre belle cathédrale de Poitiers , où de mauvais yeux
avaient pris pour tout autre chose un diable jetant , tête la
première , dans la gueule de l'enfer un damné qu'il y por-
tait sur son dos (1); mais que feraient déplus quelques
scènes mal interprétées , puisque nous savons enfin quelle
interprétation leur donner ?
Ce» sujets furent- Ccttc objcction rcsscmblc beaucoup à celle qui faisait
ils jamais des
satires contre le figurcr dcs évôqucs ct dcs moiucs livrés au mal dans ces
clergé? ^ ^
sur ces quatre, deux nous paraissent douteux. Quoi qu'il en soit,
M. Dumoncel est de notre avis quand il pense que ce sont là des
moyens d'inspirer l'horreur du mal; mais nous ne pouvons être du
sien lorsqu'il penche à croire qu'on aurait voulu aussi bien faire le
contraste entre le bonheur si pur d'aimer Dieu et la vertu, et l'affreuse
jouissance de ces plaisirs immondes. La première de ces idées est la
seule admissible, car la seconde serait trop métaphysique et d'une
portée trop difficile à atteindre par la foule. On voit cependant que
ceux mêmes qui n'ont pas de profondes études théologiques pensent
qu'on ne peut expliquer que par la théologie ce que tant d'autres
aiment mieux condamner que de se taire.
(1) Voir Bullet. monum., XI, id6; — Hist. de la catliédr. de Poitiers,
], 135.
DES OBSCOKNA. '«2t)
mêmes scènes que nous signalons ici, ou jetés en enter
clans celles du jugement dernier. C'étaient là, d'après
quelques-uns, « des satires hardies autant qu'amères
des laïques constructeurs contre l'autorité et le caractère
ecclésiastiques dont la puissance pressurait de trop près
le pauvre peuple... » Tant il est vrai que ce peuple, si
tendrement plaint par les amis qui l'exploitent en calom-
niant le passé , doit être aveuglé jusqu'au bout par les
démocrates de l'archéologie! Eh quoi! ils n'ont pas vu que
ces justes sévérités n'étaient qu'une preuve d'impartialité
du clergé lui-même , qui, au douzième siècle , encore un
coup, était le maître de ces œuvres, et que les deux siècles
suivants n'ont fait que les imiter dans le même but ? Ils ou-
blient que la loi divine est faite pour tous , que la règle des
devoirs est la mesure des châtiments comme des récom-
penses, et que plus sont élevés ceux qui les méprisent, plus
ils seront punis pour avoir, par leurs mauvais exemples ,
perdu tant d'autres avec eux? C'est l'Esprit-Saint qui a dit
cela a^ec une concision aussi redoutable qu'énergique (1).
Quand donc rÉghse, usant d'un des moyens les plus fruc- xon, mai? de*
tueux contre les égarements du cœur humain, eût voulu vS*'"' ''^^'*'
lui inspirer, par la peur des peines éternelles , et la fuite
du péché et le généreux amour de la vertu, qu'y verrait-on
qu'une habileté pleine de tendresse et une pieuse industrie
que la charité ne lui recommandait pas moins que la foi ?
Qu'était-ce autre chose que suivre dans cette tâche ferme-
ment soutenue les exemples donnés par S. Bernard, dans
son livre De la Considération adressé à un Pape, le véné-
rable Bède , Pierre de Blois, et tant d'autres?
La preuve de cette vérité qu'avait dite S. Grégoire, au comme la peinture
*■ ^ en donnait a toua
commencement du septième siècle , sur les catéchismes
donnés au peuple par les peintres et les sculpteurs, se
confirme par ce que versifiait, au milieu du quinzième,
(1) « Potentes potenter lormenta patieniur. » {Sap., vi, 7.)
430 HiSTOIRE DU SYMBOLISME.
Ce qu'en disait le poètc Villoii , (laiis cctte Hymne à la Vierge, qu'il avait
faite pour sa mère, et dont le style naïf ajoute singulière-
ment au mérite du fond :
Femme je suis^ paiivreUe et ancienne,
Qui riens ne sçays, oncques lettres neleuZj
Au Moustier voy, dont suis paroissienne ,
Paradis peint, où sont harpes et luz.
Et ung enfer où dampnéz sont boulluz...
L'ungme fait paour, l'autre joye et liesse... (1).
Voilà donc le but de l'Église rempli par ces exhibitions
partout multipliées. Les simples qui oncques lettres ne leu-
rcnt , se les approprient aussi bien que les magistrats de la
république des lettres. La différence entre eux est peut-être,
à en juger par Villon lui-même, que les petits ont paour et
liesse , et que les grands n'y songent pas assez ; mais c'est
précisément la raison qui fait ranger ceux-ci en partie du
et même Virgile, côté dcs âuies pcrducs. Gc uiêmc avertissement ne se don-
nait-il pas du temps que Virgile écrivait le sixième livre de
X Enéide :
Disciie justiiiam moniti, el non iemnere Divos?
De telles leçons furent toujours utiles, car elles sont insé-
parables des notions d'une autre vie. Leur austérité ne s'af-
faissa point, bien au contraire, quand s'affaiblirent les
mœurs clirétiennes, et nos façades du quatorzième siècle ,
durant lequel tant de causes vinrent appauvrir le sens reli-
gieux , en conservent de remarquables spécimens. Mais le
treizième , encore si profondément imbu des principes les
plus élevés, n'en avait pas moins, et jusque dans les monas-
L'enfer des re- tèrcs , CCS tcxtcs quc chacuu savait lii^e et s'appliquer. A
ligieuses à Sainte- _ . i /-.i i . , .
Marie-des-cimses. Saïute-Marie-des-Ghases, en Auvergne, un prieure, aujour-
d'hui effacé , avait une charmante église du douzième
(1) Voir un intéressant travail de M. Ducliallais dans la Bibiioth. de
V École des Chartes,2^ série, t. IV, p. 229 etsuiv., et t. V, p. 424.
DKS OBSCOENA. A3\
siècle devenue paroissiale , et dont la paroi septentrionale
avait été décorée, au treizième, d'une curieuse fresque repré-
sentant, en de vastes dimensions, le jugement dernier. Elle
était divisée en deux plans, dont l'un offrait la récompense
donnée par le Snuveur aux religieuses fidèles que lui pré-
sentait la Prieure. Dans l'autre, au dessous, on voyait les
religieuses maudites et livrées au démon. Un dialile « à bec
d'oiseau, aux pieds ongles, à la queue fourchue, aux
écailles de flammes , à l'œil ardent , a fait un paquet des
damnées qu'il traîne après lui, liées par une corde. D'autres
petits diables s'agitent autour de leur chef, emportant une
religieuse à califourchon sur leurs épaules, tandis qu'un
autre suppôt d'enfer ouvre la gueule de la fournaise , d'où
s'échappe une fumée rouge. Les religieuses prédestinées Nudité des âmes.
- . , . — Symbolisme du
ont le corps entièrement nu, » mais sans aucune appa- voiie religieux.
rence de sexe, comme il convient à des âmes , et la tête
couverte d'un voile noir, car ce voile est le symbole con-
servé de la vie cachée en Jésus-Christ, qu'elles ont sainte-
ment suivie. Les religieuses damnées, au contraire, sont
nues également , mais le voile dont elles ne sont plus dignes
leur manque : elles ont la tète découverte et les cheveux
épars, c'est-à-dire que pour elles il n'y a plus ni de modes-
tie, ni de prière , à laquelle S. Paul ne voulait pas que les
femmes se livrassent sans être voilées (i).
On le voit, cette fresque résume à elle seule tout ce que
nous avons établi ci-dessus. En face d'une telle composi-
tion , on explique la nudité symbolisant l'âme dégagée du
(1) Voir, DuUel. mmum., XII, 399, une Notice de M. Branche sur
Sainte-Marie-des-Chases— L'auteur regarde comme singulier ces der-
nières circonstances de ia nudité symbolique et du voile donné aux
unes et refusé aux autres. Pour bien comprendre l'art chrétien il faut
avoir nécessairement des éludes liturgiques, et beaucoup d'autres dont
la Bible et les Pères sont la source. — Le voile, qui fait l'attribut de la
vie religieuse des femmes, a son origine dans celte phrase de S. Paul :
Vos ipsi judicate : decel mulierem non velalam orare Deumf (1 Cor.,
XI, 13.)
naissance,
/|32 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
corps charnel, la damnation possible des personnes vouées
au plus saint état, l'intention sérieuse qui préside à ces
œuvres, toujours prises dans l'ordre des idées surnaturelles,
les horribles liesses de tant de diables n'aspirant qu'à en-
tasser des victimes , la joie calme et sereine des héritières
du royaume éternel.
Ces caractères Mals comuic CCS doctrlues théologiques eurent à souffrir
s'effacent devant ,.. ^xi •/,/ in -
la prétendue Re- dcs egaremcnts mondains nnposes a la société par la timeste
époque dite de la Renaissance , il s'en faut bien que nous
puissions apphquer à ce que l'art nous donna pendant les
quhizième et seizième siècles les principes que nous venons
d'émettre. A cette époque on voit encore, il est vrai, surna-
geant çà et là au naufrage de la vie morale , quelques
preuves que parfois c'est encore l'Église qui s'occupe de ses
affaires , le clergé qui dicte ses images aux sculpteurs (I) ;
mais de toutes parts les barbares se précipitent et hâtent
à l'envi , révolutionnaires précurseurs, la ruine du sens
chrétien avec celle de l'art consacré à Dieu. Alors le grotes-
que s'empare des églises, y envahit à la fois vitraux, stalles,
peintures , sculptures ; le désordre règne partout , grâce
aux grossières inspirations de Luther ; à l'immixtion de sa
théologie dans le monde qu'il paganise, et aussi à ce pillage
des choses saintes livrées , sous le nom de commandes, aux
et sont remplacés favoiûs débaucliés dcs priuccs chrétiens. Tout le monde s'en
par l'esprit du i • »r i i
paganisme, de la môlaut, Ics profaiiateurs changeiit jusqu a la nature des
mondanité et liu . . , , , .
mauvais goût. clioscs : Ics traditious disparaissent, les règles séculaires
s'oublient ; la toile, avec ses vernis chatoyants , usurpe la
place des fresques et des verrières ; les plus étranges com-
positions, non plus sous une forme mystique, mais s'éver-
tuant à prendre leurs symboles dans la boue des passions
éhontées , s'emparent du temple et en font un bazar d'ha-
giologie traitée , à la façon des Romains et des Grecs , avec
(1) Voir, Ballet, monum, XXU, 292, le «Marché et description des
sculptures à faire dans la clôture du chœur de la cathédrale de
Chartres, » par Jean Solas, maître maçon à Paris.
DES OBSCOENA. -^33
une indécence systématique, au caprice d'ouvriers dont la
vie ne valait pas mieux que la pensée, ets'inspirantpourle
bon Dieu et la Madone des formes homériques ou virgi-
liennes de Jupiter et de Vénus. Les nudités inutiles se mul-
tiplièrent alors à la plus grande gloire des artistes , qui
montraient vaniteusement, par ce moyen, leurs études
anatomiques. Par un bizarre contraste, le mauvais goût
revêtit les statues d'étoffes et de brocarts, dont l'effet les
rendait au moins ridicules; l'art tenait ses assises chez
les marchands de drap et de verroterie, heureux quand il
ne descendait pas jusqu'à donner à un crucifix un costume
suisse, comme il arriva plus tard à Soleure, et à d'autres
une perruque par-dessus la couronne d'épines , comme
l'avait vu, en Sicile, le P. Labat (-1).
Plus de cent ans passèrent sur toutes ces insultes perma- Le conciie de
nentes faites au culte du Sauveur, de sa sainte Mère et de une réformation.
leurs amis couronnés dans le Ciel. Et enfin, quand le mal
se fut étendu jusqu'à ne plus laisser croire qu'à une
décadence complète de l'art qui avait oublié ses destinées
et sa fin, l'Église voulut se défendre au moins contre
l'envahissement de ce barbare qui s'appropriait ses temples
et ses autels, ni plus ni moins, comme les soudards de
Goligny et de Gondé. Le concile de Trente, qui se termina
en ioùSy s'occupa, cette année, de cette question impor-
tante et voulut réformer les abus qui en avaient cor-
rompu les éléments. Un de ses décrets , renouvelant sur la
matière les canons du septième concile général, tenu à
Nicée en 787, obligea les pasteurs à n'introduire dans les
lieux saints que des images qui , en quelque matière
qu'elles fussent faites , restassent conformes « aux proto-
types , » c'est-à-dire aux formes adoptées par l'antiquité
dès les temps apostoliques et aux règles suivies pour cha-
que sujet. Le cbncile avait-il, en usant de ces termes,
(i) Cf. Voyage, d'Espagne et d'Italie, par le P. Labat, dommicain,
t. V, p. 212, Paris, m-12, 1830.
T. m. 28
434 HISTOÏKK ni SYMBOLISME.
l'inteiition de prohiber pour l'avenir les oOscœna, dont le
libertinage de son temps commençait peut-être à abuser V
rien ne le prouve. Déjà abandonné depuis longtemps , ce
genre , d'ailleurs très-bien compris par tout ce que l'uni-
vers catholique avait de Docteurs les plus éclairés, ne devait
pas sembler prêt à revenir , et nous verrons bientôt la
preuve qu'il ne faisait encore peur à personne. En admettant
donc qu'il ne fût question, dans, le langage des Pères, que des
tableaux ou sculptures admissibles à tous les regards, ils
rappelaient aux maîtres des âmes l'obligation d'expliquer
au peuple ces images , dont elles étaient la lecture sensible
et journahère ; aux évêques , elle disait la nécessité de ne
laisser exposer aucune image sortant de ces règles , même
dans les monastères exempts, sans qu'ils lui eussent donné
leur approbation (1). Remarquons, en outre, que la sainte
et docte assemblée insista dans ce même décret pour qu'on
éloignât du culte vénérable des saintes images toute super-
stition, et que rien n'y fût traité qu'avec la plus grande mo-
destie (2). Malheureusement, le torrent qui coulait ne fut
pas arrêté par cette digue , et , soit que le concile de J rente
ne fût pas reçu en France, comme on disait, de quoi nous
voyons qu'on eut certes, en cela comme en d'autres choses,
beaucoup à se louer..., soit que les mœurs, profondément
altérées, eussent fait subir à l'art une déchéance qui lepor-
(1) « Non soluin autem licere iii Ecclesia imagines habere, et illis
lionorem et cultum adhibere, ostendet parochus^ cum bonos qui eis
exbibetur, referatur ad yrololypa... Tanta circa heec diligentia et cura
ab Episcopis adbibeatur, ut nihil iuordinatum_, aut praepostere et tu-
muUuarie accomniodatum, niliil profanum nihilque inbonestum appa-
reat^ «uniidomum Dei deceat sanctitudo. » [Ccncil. Tridait. ,&ess.xxy,
De invocat. reliquiar. et sacris imaginibus.)
(2) « Omnis superstitio iii Sanctorum invocatione... et imaginum
sacro usutollatur..., omuis denique lascivia vitetur... Quod si aliquis
dubius aut difficilis abusus sit, extirpendus... Episcopus antequam
controversiam dirimat, metropolitani et comproviucialium episeopo-
rum in concilio provinciali sententiam exspectat ; ita tamen ut nihil,
inconsulto sanctissimo romano Pontifîce, novum aut in Ecclesia hacte-
nu3 inusitatum decernatur. » (/d., ibid.)
l)i:S OBSCOENA. 535
lait vers le naturalisine cl \ eutraîuail jusqu'aux concep-
tions religieuses, toute cette discipline, en dépit de ces véné-
rables prescriptions, fut méprisée, et les artistes, n'écou-
tant plus que leurs fantaisies, les imposèrent à quiconque
voulait une statue ou un tableau.
De tels désordres, qui ne se signalent qu'cà la lonsue, , ,^*f ^"^"V^il"
^ '^ ^ o ' d'Urbain VIII
finirent cependant par s'attirer de nouvelles animadversions «ur le même
* ' sujet.
officielles. Quand le concile de Ti-ente était clos depuis
un siècle , le pape Urbain Vlll , allligé d'en voir négliger
les canons, traita la cliose plus radicalement, ordonna que
les tableaux, statues et autres représentations de Notre- ^
Seigneur, de la Sainte Vierge, des Saints onde leur histoire,
fussent traités, quant au costume et aux autres détails qui
leur sont propres, selon les seuls usages de l'antiquité
chrétienne , atin de rétabhr, par ce retour aux temps de
foi, une dévotion et un respect sincères envers ces dignes
objets de notre culte {^),
Si cette haute sollicitude a pu relever l'honneur des arts ces prescrip-
, , . , . 111.1 • 1 tions ne touchent
chrétiens, c est uniquement dans le choix des sujets et la en rien aux obs-
j , , , . ,^ 1 ' • ^^"^ <'6^ églises,
décence des représentations, rsous savons trop que le génie
des statuaires ou des peintres n'y a rien gagné; mais ce qui
n'est pas moins certain, c'est que ni ce même concile , qui
reconimandaitauxévéquesla plus stricte surveillance contre
les impiétés de l'iconographie moderne, ni ce pontife, si
explicite dans ses prohibitions comme dans ses ordres,
n'ont pas entendu comprendre dans leurs justes anathèmes
lesobscœna ouïes grotesques de nos façades, de nos boiseries
et de nos vitraux. On aurait eu cependant quelque prétexte
de soutenir le contraire : car, tout en défendant de rien faire
exécuter, à l'avenir, qui ressemblât aux choses proscrites ,
(1; «Nos abusus hujusmodi tollere pro debito pastoralis officii nos-
tri volentes..., imagines Uomini nostri Jesu Christi, Deiparœ Virginis
Marise,..,Sanctorum quorunicumque sculpere autpingere...,aut vestire
cum alio habilu et forma quam in catholica et apostolica Ecclesia ab
aiiti(iuot(nnpore consuevit...» — Voir GarôeUini , Dec rel a authentica
congrpg. Sancl. Hil., t. 1, p. 241, 1856.
436 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
ces grandes autorités voulaient qu'on éloignât du Lieu saint
et qu'on n'y pût jamais conserver celles de même genre qu'on
y avait admises jusqu'alors : Imagines... antehac sculptas ,
plctas et alias quomodolibet e/fictas tenere. Sans doute, si
l'on eût ignoré alors le sens profond attaché depuis trois ou
quatre siècles aux sculptures dont nous parlons ici, des
moyens eussent été pris aussitôt d'en effacer jusqu'au sou-
qu'ciies n'avaient vcuir. OÙ sout douc Ics écrlts liistoriqucs, les ordonnances
condam^ef^ ^^ éplscopalcs coustalant qu'on soit parti de ce texte si précis
pour condamner à une radiation générale tant d'objets si
^ onéreux à la critique moderne ? Si vous cherchez ces insi-
gnes, vieillis maintenant de sept à huit siècles , aux places
que leur assigna le génie de nos aïeux , vous les y trouvez
encore, sauf peut-être ceux que firent hacher, par une inno-
cente pruderie , d'honnêtes fabriciens aussi peu au fait de
leur histoire que des Pères de Trente et du hullaire d'Ur-
bain VIII. C'est qu'en effet ces éminents organes de l'Éghse
ne pouvaient confondre avec un horrible péché l'éner-
gique remède apposé à ses fatales amorces par la théologie
architecturale du moyen âge ; c'est qu'aux seizième et dix-
septième siècles, si l'art s'était corrompu un moment sous
les étreintes de l'hérésie qui le chassait des temples pour le
jeter dans les cours sous le patronage de prince irréligieux
et débauchés , il y avait encore dans le populaire une foi
profonde et un respect des choses saintes qui ne lui permet-
taient pas de s'y tromper ; c'est que l'art était encore, dans nos
églises, le livre de ceux qui ne savaient pas lire, et ne ces-
sait pas, au milieu de ses malheurs, d'y exercer la féconde
influence de ses enseignements; c'est qu'enfin, quand la
science symbolistique périssait, les savants ne cessaient
point de l'apprécier et n'oubliaient rien de son caractère ,
Ils ne seraient dc SOU kugagc ct dc SOU but. Nous uc dlsous pas que ,
pourtant pas de . «ta t i
mise aujourd'hui; mêmc abrités par ces bonnes raisons, les mêmes symboles
seraient aujourd'hui reproduits sans danger et au même
profit de l'enseignement chrétien dans l'architecture de nos
DES OBSCQENÀ. 437
églises modernes. Quels architectes, d'ailleurs, savent s'ins-
pirer de modillons quelconques , parfaitement ignorés des
plus savants, pour décorer les monuments religieux qu'ils
construisent ? Mais, de grâce, messieurs les maîtres, cessez
d'en accuser vos illustres prédécesseurs ; ayez assez d'esprit
pour ne pas vous en faii'e un prétexte contre l'Église , à
qui vous devez tout , contre cette Église qui , en proscrivant
les inconvenances futures dont vous deviez être les complices
faciles et intéressés, eût bien pu ordonner, s'il y en eût eu de
plus anciennes, qu'on les fît disparaître aussitôt (^). Désor-
mais donc, vous saurez quelle interprétation donner à ces
images calomniées; celles mômes qui scandalisèrent le plus
votre naïve indignation auront pour vous un sens assez
raisonnable pour commander votre indulgence, sinon votre
respect; et surtout vous vous garderez bien de les trouver
déplacées ou insigniiîantes dans une longue série de modil-
lons où elles jouent un rôle utile, où elles sont une parole
significative, et complètent un raisonnement ou une his-
toire toujours bonne à déchiffrer et à savoir.
En résumant ce chapitre, nous sentons le besoin de nous
rendre le témoignage , que notre lecteur sanctionnera sans
doute, d'avoir écrit chastement, et comme il convient à
notre caractère , des choses fort difficiles que l'ordre de
notre ouvrage devait nous faire aborder. Mais aussi une joie
nous est donnée : nous croyons avoir vengé l'Église des atta-
ques de ses ennemis, et éclairé ses amis sur ce qu'ils doi-
vent penser de ces prétendus scandales que beaucoup ne
ce qui n'autorisa
les architectes ni
à les mépriser ni à
négliger l'orne-
mentation par des
corbelets symbo-
liques.
Résumé de tout
ce chapitre ,
qui se conclut en
faveur de l'Église.
(1) Ce que Molanus établit à l'égard des images dont parlait le cou-
cile de Trente, que pas une jusque-là n'avait été admise dans les lieux
sacrés dont le sujet pût être favorable à l'hérésie, nous pouvons très-
bien le dire des obscœna: Concilium Tridentinumnullam mentionem
de ima(/inibus qux jam habenlur fecissc, ubi de statuendis dicit : ita
ut iulUx falsi dogmaiis imar/incs, et rudibus periculosi errons occa-
sionem préebenles, staluantur. Alioqui facile adjecisset : qvtae autem
slaLuls SLinù aboleantur. (De HlsLoria sacrar. imaginum , lib. Il,
cap. XXV, p. 7o.)
438 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
savaient comment excuser. Nous avons vu les jugements
erronés publiés à ce sujet par tant d'écrivains d'une science
plus qu'incertaine ; nous avons compris que l'étrangeté ap-
parente des sujets en question correspondait, dans chaque
période littéraire ou historique, à la naïveté du langage et ,
par cela même, à la simplicité des mœurs. Cette observation
a clairement expliqué ce qu'auraient de surprenant, en face
de nos habitudes modernes, des matières dignes de tous nos
respects, traitées par les Pères dans un style aussi légitime
({u'il est clair. Nous avons enfin acquis la conviction, née de
toutes les preuves possibles, querÉghse n'avait jamaisvoulu
qu'élucider, au moyen de ces figures maladroitement hon-
nies, le sixième des commandements de Dieu , l'un de ceux qui
touchent le plus près à l'ordre social , aux premières règles
de la société et de la famille. En un mot, ce ne sont là que
de véritables symboles mis au service de l'innocence et de
la sainteté des mœurs pour les protéger, par l'hori-eur du
mal , contre les attaques des plus dangereuses voluptés.
L'Église s'y est-elle trompée ? a-t-elle pu s'égarer sur les
résultats de son zèle ? le mal s'est-il produit , au lieu du
bien qu'elle attendait de ces enseignements , devenus plus
tard impossibles? Rien n'autorise à le penser. L'histoire des
mœurs n'a laissé , depuis le onzième siècle jusqu'à nous ,
aucun vestige de cette déception, dont se fussent avidement
emparés les libres penseurs. L'affaire est donc entendue et
jugée. Poursuivons notre marche et abordons un sujet plus
poétique et plus riant.
CHAPITRE Xll.
ZOOLOGIE.
Le symbolisme est tellement un langage universel, il est 2ooî^gfe''"da*irs 1*
si bien fait pour être compris de tous , qu'il a fouillé la Jgn^''^'^"'^ ''^'■^'
nature entière pour y trouver les éléments de ses spécula-
tions. Rien n'a échappé à ses investigations systématiques ,
à ses applications aussi simples que vraies et intelligentes.
Dans son ardeur de tout dire, il a observé tous les règnes de
la nature, s'emparant de tous les sujets qu'ils possèdent
pour s'en faire des objets de comparaison et des indices de
sa pensée. Si des théories aussi compliquées et parfois aussi
subtiles que les nombres et les couleurs ont pu lui fournir
de si vastes champs d'application , que ne devait-il pas ren-
contrer dans la nature animée, où tout s'agite avec des
formes aussi diverses que multiples, où la plus rude intelli-
gence découvre des relations mystérieuses autant que réelles
entre l'homme et tout ce que le Créateur lui a soumis ! Le
royaume zoologique , où l'homme tient le sceptre , ne se
compose pas moins d'êtres qui professent chaque jour à son
égard d'utiles leçons, et les sages distributeurs de ces œuvres
de pierre, attachées comme de radieux bijoux à la robe de
l'Église, ont su parler de tout au moyen de ces détails ingé-
nieux. Soit que nous vivions en contact avec ces innombra-
bles bètes qui aident à nos travaux, partagent notre vie et
participent de nos meilleures affections , soit qu'un état
habituel d'hostilité de la part d'autres sujets rebelles nous
sépare absolument d'eux par un sentiment de crainte irré-
440 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
fléchie ou d'horreur instinctive , nous les avons sous nos
yeux ou dans notre pensée comme autant de types avoués
des meilleures qualités, des vertus les plus aimables ou des
vices les plus justement détestés. N'en était-ce pas assez
pour leur donner mille l'ôles odieux ou attrayants dans
l'iconographie symbolique ?
Les animaux y Tcllc cst, cu cffct, Ic douhlc rôlc qu'ou Icur attribue , et
représentent les ,., . . . . ^
vices ou les ver- uous uc ci'oyous pas qu il puissc y en avou' un troisième ,
comme l'ont voulu des archéologues pourtant habiles, mais
qui , accordant trop au caprice possible du ciseau et se
persuadant que beaucoup de ces êtres étaient là sans plus de
prétention que d'importance, en concluaient que le symbo-
Usme ne pouvait être partout : comme si un seul type ayant
sa synonymie dans quelqu'un des bons ou mauvais senti-
ments de l'hujTianité pouvait rester inutile au milieu de tant
d'autres à qui l'on reconnaît forcément ces attributions !
Sans doute nous devons avouer que depuis le quatorzième
siècle, à partir de l'ère nouvelle où l'art s'émancipe trop de
la direction chrétienne, la fantaisie se mêle pour beaucoup
à ses œuvres ; mais c'est là une essentielle distinction à faire :
nous ne voulons pas appliquer nos principes à ces esprits
révolutionnaires qui arrachent Fart à Dieu et ne veulent
plus que l'art pour l'art , comme ils l'affirment dans leur
ridicule jargon. Est-ce de ce temps que nous voulons
défendre les traditions et accepter les écarts ? A Dieu ne
plaise!... on verra au contraire quelle estime nous en fai-
sons. Mais en ne prenant que le côté réel de la chose et
ne consultant que les périodes les plus justement renom-
mées, on n'a plus à nier l'évidente pensée qui revêt de sym-
l)olisme tous les sujets que l'artiste accumule autour de lui.
Pour ce qui va nous occuper , et en considérant l'accord
général qui partout donne à l'élément zoologique une action
vitale et déterminée , remontons, comme toujours, à l'ori-
gine; voyons quelles inductions doivent naître de cette
unanimité qui n'est pfas moins ici que dans tous nos autres
ZOOLOGIE. 44 ^
sujets d'études, et, convaincus par cette revue générale de
la création dans ses rapports avec l'iiomme, et par ceux que
nous réservent encore nos recherches sur la flore murale,
nous reconnaîtrons, avec un savant anglais, que « tout ce qui
reçut de Dieu le mouvement et la vie, et contrihue si mer-
veilleusement à la parure du monde, devient pour nous une
inépuisable source de louange et d'admiration {\). » Une
rehgion divine pouvait-elle négliger un tel moyen d'élever
notre cœur jusqu'à l'Auteur de ces glorieuses merveilles?
La Bible, livre universel dans lequel s'élaborent avec une LaBibie est en-
^ corc la source de
miraculeuse profusion toutes les données de la science ces moyens d'exé-
^ gese publique,
lunuaine et des besoins de la conscience, est encore le plus
ancien livre où il nous faille chercher les notions philoso-
pliiques de notre zoologie religieuse. Ce que nous en avons
dit antérieurement (2), soit sur la prophétie de Jacob, soit
sur plusieurs chapitres de l'Apocalypse, nous montre assez
que les vices et les vertus se partagent le domaine animal
dans ces pages immortelles. De cette vaste réserve, ils s'élan-
cent, pour ainsi dire, charmants de gracieuseté ou effrayants
de laideur, vers ces régions de vie active et spirituelle que
leur ouvrent nos basiliques; delà ils planent sur le monde
et lui rappellent, ensemble ou tour à tour, qu'il a le choix
entre le bien et le mal, entre son bonheur et son malheur
éternel. C'est afin de préciser ces deux caractères différentiels
que l'architecte chrétien a toujours assigné une orientation
différente à l'extérieur des édifices, ou dans leurs nefs laté-
rales, aux images qui nous y parlent de Dieu , de la nature
et de nos devoirs. Le Nord et l'Occident, où tout reste obscur distnbu.'s au nora
et languit, sont les côtés assignés aux vices, et par consé- édifices, sëiôn lÏÏ
.,. . , -o j. é- 115 '. • o ^ • caractères OU mau-
quent a toutes les maniiestations de 1 esprit nuernal, « qui a vais ou bons.
(1) « Ecce! Variis in nostris paginis arridet creatio, suis purissirais
adornata leporibiis. Fluctus et venti, fructiis et flores, et quidquid vivit
et iiiovet, aut iniindum exornat, siinul coDgregata inexhaustam admi-
ratiouis etlaudis materiam afferunt. » (Moutgomery, cité par William
Carpenler, daDS sa Scriplurx hisloria naturalis, init.)
(2) Voir ci-dessus, t. Il, ch. iv, vi et suiv.
442 HISTOIRE bV SYMBOLISME.
placé son tiône à l'Aquilon, » et qui éteint toute lumière dans
le cœur de l'homme en y faisant les ténèbres du péché. Le
Midi, avec ses chaudes ardeurs, sa lumière, l'éclat resplen-
dissant qu'il épanche de toutes parts; le Levant, qui jette la
joie à l'univers et lui rend chaque matin la verdure de ses
feuillag-es, le chant de ses oiseaux et le parfum de ses fleurs,
deviennent, sur les galeries aériennes des tours superposées,
aux angles des flèches , aux frises des façades , le rendez-
vous des placides vertus que personnifient les bons Anges ,
les animaux aimés de l'homme, et jusqu'aux étoiles du ciel
et aux suaves plantes des bois. Tous les archéologues, tous
les liturgistes , Honoré d'Autun, Durant de Mende, Béleth,
Yves de Chartres, et ceux qui leur ont succédé, sont d'ac-
cord sur ces points, qui n'ont plus besoin de preuves. C'est
d'ailleurs l'Esprit de Dieu qui a formulé cette séparation et
symbohsé cette différence des points cardinaux atmosphé-
riques, lorsque, comparant l'homme à un arbre planté
par Dieu , il nous avertit que cet arbre restera au sud ou
au nord dans son état de grâce sanctifiante ou de malheur
éternel, selon que sa volonté l'aura maintenu ou fait tomber
à droite ou à gauche (i).
Le Lévitique Ouvrous largcs les Livres inspirés, et, comme autrefois
purs ou devant Adam , toutes ces natures variées vont se présenter
sous notre regard avec leurs noms caractéristiques, avec les
(1) Dieu dit à Satan : « Quomodo cecidisti de cœlo, Lucifer..., qui
dicebas : ... Sedebo in lateribus Aquilonis? » {Is., xiv, 12, 13.)— Il dit à
son peuple dispersé que la venue du Messie le fera revenir de l'Occident :
« Ab Oriente congregabo te. » {/b., xun, 5.) — « Occidens, gentilitas :
Quantum distat Ortus (Ghristus) ab Occidente (diabolo) !» dit VAno-
mjme de Clairvaux.—S. Melitonis Clavis, apud Spicileg. Solesm., 11,82.
— a Auster, Spiritus Sanctus, fervor spiritualis, » d'après S. Grégoire le
Grand et Alain de Bonneval. {Ibid., p. 79.)— « Oriens, Ghristus : Ecce
vir oriens. » {Zach.,wi, 12.)— « Visitavit nos Oriens ex alto. » {Luc, i,
78.)— « Sicecideriti<îgnumad Aastrum,ubicuinque ceciderit, ibi erit. »
{Eccles., XI, 3.)— Outre ce que nous en avons dit en maintes occasions,
nous reviendrons encore sur les points cardinaux , qui importent beau-
coup aux artistes.
a%'ec ses ani
maux
impurs
ZOOLOGlt. '«43
mœurs qui pourraient tout d'abord expliquer la place qu'ils
tiennent dans nos monuments. C'est dans le Lévitique, où
s'exposent les fonctions des Lévites et les cérémonies de la
religion, que se déroule cette longue suite des animaux que
Moïse distingue en purs et impurs, désignant par ces termes
ceux dont les Israélites peuvent manger et ceux dont ils
doivent s'abstenir. Cette distinction, établie par le législateur,
non pas tant par suite des défectuosités ou des qualités re-
connues à ces diverses viandes que sur un système pratique
d'abstinence religieuse, n'avait pas moins, d'après S. Aueus- , i'V«'pï*^tation
o y i ' r o fies Percs a cet
tin, S. Irénée, Origène, S. Cyrille et beaucoup d'autres com- ^s-^""'^'
mentateurs, une raison symbolique ; elle n'était prescrite
que pour instruire les Hébreux de ce qu'ils devaient éviter ou
pratiquer dans leur conduite morale, selon que les animaux
purs ou impurs symbolisaient des vices ou des vertus. Nous
pouvons regretter un livre perdu de Tertullien où ce péné-
trant esprit nous eût probablement laissé, en traitant des
animaux purs et impurs du Lévitique, des idées qui eussent
été des plus anciennes. Bien d'autres, beureusement, en ont
écrit et peuvent nous en dédommager (I). ïbéodoret, dit
un savant bénédictin, observe que Dieu, en ordonnant qu'on
lui sacrifiât tels ou tels animaux , cboisissait précisément
ceux qui étaient adorés des autres peuples et qui vivaient le
plus familièrement avec l'Iiomme : ainsi le bœuf, le bouc,
le béliei-, la colombe. Au contraij-e, il déclarait impurs les
autres animaux vivant à l'état sauvage. Qui se serait décidé,
en effet , quand l'idolâtrie était de toutes parts autour du
peuple racbeté, à faire des dieux soit de ces animaux qu'on
immolait sur l'autel, soit de ceux (ju'on regardait comme
souillés, rt dont ils ne pouvaient pas même user pour leur
nouri'iturc ^'2;?
Ainsi la pureté ou l'inquirclé légale ii'affectait pas les
animauv en vue de leur nature dangereuse ou nuisible, ou
({) Cf. Spiciley. SoUsni., III, 320.
(2) Cf. (loin CaliiiHf, Comnienlaire .sur Le Lévitique, ch. xi.
444 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
de leur utilité à l'égard de l'homme, puisque beaucoup
d'entre eux, quoique réputés impurs, eussent pu se manger
impunément antérieurement à la loi ; l'interdiction n'en
était donc faite qu'en vertu d'une idée morale que voulait
en donner le législateur , et dont il faisait une leçon pour
son peuple. Origène va plus loin : il croit que Moïse déclare
impurs les animaux dont les mœurs avaient quelque con-
venance avec les démons , et dont les Égyptiens et autres
peuples idolâtres se servaient pour leurs augures. Il pense
aussi que ces distinctions indiquées par Dieu sont évidem-
ment figuratives, puisque, parmi les animaux qu'il est dé-
fendu de manger , il en est qui ne subsistent point dans la
nature, comme le griffon et le capricorne , la sirène et le
sphynx, et dont la description n'appartient qu'à des animaux
fabuleux (1). Ces opinions , plus ou moins fondées qu'elles
soient, autorisent toujours à faire de toutes ces natures bes-
tiales autant de symboles dont purent très-bien s'emparer
les auteurs sacrés et, après eux, les Pères, qui remplirent
Distinction que leui's liomélics de ces fécondes allusions. C'est, au reste, une
font quelques-uns
entre les bètes et rcmarquc à falrc, et qui s'élucide par l'examen du neuvième
le^ animaux. i t .
chapitre de La Clef m S. Méliton,que la symbolistique an-
cienne a distingué nettement le sens qu'elle donne au mot
hête et au mot animal. Les animaux y semblent une espèce
dont les individus sont presque tous pris en bonne part : ce
sont les êtres domestiques dont la douceur et les habitudes
modérées commandent l'estime , quadrupèdes mis au ser-
vice de l'homme et qui partagent ses voyages et ses travaux.
Les bêtes , au contraire, y forment généralement une caté-
gorie de mauvais aloi , tenant plus de la brute par leurs
instincts désordonnés et se rapprochant d'autant plus du
démon, dont elles expriment le plus souvent la méchanceté
et l'esprit de destruction; tandis que dans ces animaux dont
les tendances vont mieux aux habitudes chrétiennes et aux
(1) Voir Origen. lib. IV contra Gels.: — PhilocaliâB, cap. i.
ZOOLOGIE. * 4^5
vertus qu'elles manifestent , on trouve presque toujours le
type du Sauveur indujué par sa vie apostolique, laborieuse,
dévouée, humble et patiente. Les pliysiologues latins ou
grecs sont d'accord sur cette donnée et distinguent pai'fai-
tement ces deux nuances, que nous ne devions pas laisser
échapper. Observons entin que , pour couronner ce cha-
pitre IX, dont nous indiquons ici l'un des plus saillants carac-
tères, c'est au diable qu'est consacré le dernier paragraphe :
il compte donc parmi les betes ; il y est désigné comme le
chef des méchants ou le principe de tout mal, caput
omnium malorum.. On le dissèque de façon à ne laisser au-
cune partie de son corps sans nne explication emblématique
à laquelle se rattache très-bien tout ce que déjà nous savons
de lui (i).
Revenons au Lévitique.
En fait donc, comme l'ont observé tous les archéolo- Mauvaises bêtes
I \ 1 , 1 1 , 1, placées au sep-
gues (2), c est au nord que vous verrez attaches, pour 1 or- tentwon.
nementation des colonnes, des modillons, des chapiteaux ,
des frises, des encorbellements ou des consoles, ces animaux
déclarés impurs dans le Lévitique, et d'autres qui plus tard,
en vertu du mauvais instinct qu'on leur reconnut, méritè-
rent de venir s'y adjoindre ; les exceptions à cette règle sont
tellement rares , s'il en existe , qu'elles ne feraient que la
confirmer. C'est là que le chien hargneux montre ses dents
menaçantes, que le dragon exprime par ses replis les astuces
de l'esprit diabolique; Téléphant, par sa masse énorme, ces
pécheurs orgueilleux à qui tout doit faire place en ce
monde ; les boucs et les porcs y sont la luxure et la gour-
mandise ; le crapaud , le scoi'pion , de hideux personnages
dont la vue ouïes attaques blessent également le corps etl'es-
(1) Voir S. Meiitonis C lavis , cap. ix, les 3G premiers paragraphes
traitant de animalibus, et du 37* au 82^ qui parlent de besliis. — Dom
Pitr;i a merveilleusement annoté toutes ces allégories.
(2) Voir M. l'abbé Godard, Essai sur le symbolisme archileclural, § 2;
— liulleiin monum.jXlU, 3oG.
MO HISTOIRE 1)1 SYMBOLISMK.
prit. Ici le tigre, coiiimele chat, avec les taches multipiesdc
sapeaii soyeuse elles souplesses de ses mouvements perfides,
dénotel'hypocrisie aux heaux dehors et aux cœurs méchants;
la taupe, la chauve-souris, le lézard deviennent à côté de lui
les types de l'idolâtrie, étant le méprisahle ohjet de l'adora-
tion de quelques peuplades aveugles. Là c'est le sanglier aux
instincts iéroces et dévastateurs, s'efforçant de déraciner un
arbre vigoureux qui représente l'Église de Jésus-Christ; ou
bien c'est le loup qui se repaît de carnage , trop souvent
sous les apparences de la brebis; le lion qui abuse de sa
force pour déclarer la guerre aux hommes et aux trou-
peaux ; le singe, de la famille de Satan, que de nobles pen-
seurs modernes inscrivent obstinément au rang de leurs
premiers aïeux ; l'onagre ou âne sauvage qui se glorifie de
son indépendance et reste inutile à toutes les bonnes
Certains ois. aux ŒUvrcs. — Quc si VOUS voycz quelques oiseaux en compagnie
Ifup sont adjoints , i r i i m
dans la même pcn- dc CCS quadrupcdcs et de ces reptiles , ce seront ou des dé-
prédateurs, comme le vautour, le milan, le faucon, l'aigle ,
l'autruche, ou des sots orgueilleux, comme le paon, la
huppe, le coq, qui pourtant est pris en bonne part dans le plus
grand nombre de ses acceptions. C'est parmi ces bêtes sep-
tentrionales que vous rencontrerez aussi le plus souvent des
êtres hybrides, composés de deux ou trois natures, monstres
imaginaires dans lesquels on a réuni à plaisir les divers
caractères mauvais qu'on voulait attribuer à un vice ou à
une personne vicieuse. Cette méthode a donné lieu de com-
poser, d'après le système de Loxus , dont Lavater a su pro-
fiter, des physionomies mêlées des traits de l'homme et de
certains animaux, qui n'ont pas peu servi à étendre des rap-
ports symboliques d'une race à l'autre (i ) . Tout cela abonde à
(1 ) Loxus, médecin ciLé par dom Pitra, a éciit une physiognoraonie dont
le but est moins sérieux qu'on ne le croirait, quoique au fond l'on en
puisse tirer des conséquences fondées sur une certaine justesse d'ob-
servations,—Voir Spicileg. Soles ni., III. p. lviii et 321. — On a aussi
d'Antoine Porta^ savant napolitain des seizième et dix-septième siècles,
ZOOI.OGIK. î'«7
la catliédrale de l^oitieis, à celles de Bourges, de Chartres et
de Rennes ; tout cela forme une l'a m 111e qu'on ne peut jamais
mieux étudier que surplace, et dont on voit chaque membre
fonctionner comme complice ou antagoniste les uns des
autres, menant une vie isolée ou s'alliant pour le mal. Nous
en citerions bien d'autres à l'égard desquels les plus expé-
rimentés symbolistes se tiennent d'accord , comme on le
reconnaîtra pour peu qu'on veuille jeter un coup d'œil sur
les écrits de S. Grégoire le Grand, de Raban-Maur, de Pierre
de Capoue , et comparer les Distinctions du moine de Cî-
teaux avec S. Méliton et les Petites formules de S. Eucher [\).
Ces brutes immondes, auxquelles il n'est pas rare de voir Animaux inno-
^ * oents ou utiles pla-
superposer des tètes de démon qui les rendent d'une bor- ces au sud.
rible difformité, sont dans nos églises comme les boucs, qui,
au dernier jugement, doivent tenir la gauche du Juge sou-
verain : c'est donc à droite, dans la partie sud du monument,
sous les influences ferventes du Soleil de Justice, aussi bien
qu'au levant , d'où ses premiers feux ramènent la clarté
d'En-Haut sur les verrières absidales , que vous verrez se
loger les bêtes aimables, quadrupèdes et oiseaux , qui s'y
ébattent joyeusement. Et ne vous étonnez pas de quelques
figures observées ailleurs, et que certaines bonnes qualités
ont ramenées au milieu de ces élus , comme leur nature
peu favorable les avait confondus parmi les boucs et les
méchants. Le chien, vorace et avare, importun , impudent
en beaucoup de cas, n'en est pas moins l'ami souvent fidèle
une suite d'observations d'où il concluait, de la forme et de certaines
apparences données par la nature aux hommes^ aux animaux et même
aux plantes , les défauts ou les qualités intimes de chacun d'eux. Il s'en
faut que tant do conjectures soient toujours admissibles, mais elles sont
d'une justesse plus remarquable dans les rapprochements établis entre
le caractère de l'homme et celui des animaux auxquels il ressemble
plus. Ce curieux livre a ]>our titre : Phyiognomonica oclo libris con-
tenta, in quibiis nova facillimaque afferlur metliodus qua plantnriun,
animaliiim, raelallorum , rerum dcnique omnium ex yritna extimx
facici inspectione, quivis abdilas vires nssequilur, in-f», Neapoli, 1583.
(1) Spicileg. Solesm., t. II et III.
/|/i8 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
et le serviteur obéissant ; le paon dont la superbe semble le
défaut capital, n'en est pas moins le gardien de la ferme et
du château, qu'il éveille par ses cris contre les invasions des
voleurs ; les yeux si nombreux de son merveilleux éventail
semblent lui attribuer la vertu de vigilance , et la contem-
plation des choses divines : on l'a vu sous le bénéfice de cette
pensée, et plus d'une fois, en adoration devant la croix en
compagnie de l'Agneau divin ( 0 • On peut donc bien l'associer
au phénix, qui renaît de ses cendres et indique l'immorta-
lité et l'espérance que nous en avons ici-bas , ou au pélican ,
qui nourrit ses petits de son sang, comme le Sauveur ses
enfants dans l'Eucharistie , et devient ainsi la figure de la
charité. Mais le bœuf si laborieux et si puissant, comme les
Apôtres, par la fécondité de son travail ; le cerf qu'une soif
ardente attire vers la fontaine sacrée ; la colombe qui médite
et gémit solitaire , ou boit la coupe du bonheur éternel ; le
cygne avec sa Jjlancheur virginale ; l'aigle élevant ses re-
gards jusqu'au Soleil de Justice ; l'agneau, enfin , qui rap-
pelle l'idée du Dieu sacrifié, de son innocence et de sa dou-
ceur, voilà de quoi instruire encore et reporter à des
pensées de foi , d'espérance et de charité.
Union de plu- Qc u'cst pas quc taut de sujets apparaissent toujours seul
mant des scènes à scul ; souvciit uu rôlc cst rempli à deux ou trois person-
d'ensemble. , . , , , i i • ,
nages : deux ours qui s embrassent comme des hypocrites,
prêts à se déchirer bientôt; un homme frappant de sa hache
un porc qui succombe, comme on terrasse les instincts
pervers de l'ivrognerie ou de la luxure , se trouvent sur
beaucoup de corbelets à côté de cet âne qui joue de la harpe,
de cet autre qui s'est affublé d'une chape, de cette truie qui
file, et de tant d'autres sujets non moins savants, prouvant
tout au plus certaines prétentions de l'orgueil ridiculisé au
profit de qui voudra bien les comprendre. Et puis, voici Sam-
son enfourchant le lion qu'il domine en lui déchirant la
(1) Voir un intéressant article de M. Didron sur les croix orienlales
(Annales archéolog., V, 524 et suiv,).
ZOOLOGIE. — LES ZODLiQLES. 449
gueule ; ou bien le Sauveur qui réalise ce type en foulant l'as-
pic et le basilic du Psalmiste : tout cela se renouvelle et se
modifie à l'infini. Et ce qui le rend plus remarquable, c'est
que de pareils types ne sont pas d'un seul pays ni d'un seul
monument : on les voit partout, en Bretagne et en Saintonge,
en Provence et en Franclie-Gomté, en France comme en An-
gleterre , en Espagne, en Italie, au delà du Rhin comme en
Orient même, dans ce qui y reste des monuments implantés
par les Latins à l'époque des Croisades. Tous les travaux:
d'art, depuis la sculpture des grandes basiliques jusqu'aux
mosaïques et aux émaux, revêtent les mômes caractères et
aftlrment un système commun de symbolisme et d'inter-
prétation.
En lait de groupes, nous arrivons à l'un de ceux qu'on a Le zodiaque et
<~> i- ^ A son histoire.
le moins compris jusqu'à nos jours. N'est-ce pas une des
plus curieuses exhibitions de zoologie sacrée que celle du
zodiaque, dont chaque pièce, comme un modillon distinct
des autres , se rattache à elles néanmoins , forme avec
ses voisines un ensemble d'idées souvent interrogé, et reste
presque toujours muet aux archivoltes des grandes portes
de nos éghses ? C'est de quoi il nous faut parler ici pour
en déterminer le sens autrement que par des suppo-
sitions.
Nous ne pouvons qu'ébaucher ce sujet, pour lequel nous Antiquité pré-
^ ^ Ti t<*ndue de celui de
aurions, au besoin, les matériaux d'un livre intéressant. Il Dendérah.
nous faut dire pourtant, et avant d'arriver au sens religieux
de ces singulières sculptures, quelques mots qu'on ne doit
pas nous demander en vain. Et d'abord, que dire de l'anti-
quité du zodiaque? On sait les rêveries de Dupuis, celles de
la commission d'Egypte, et l'enthousiasme anti-chrétien
qui saluait en ^1822 les prétentieuses dissertations sur le
zodiaque de Dendérah {\). A en croire ces graves ennemis
(1) Notice sur le zodiaque de Dendérah, lue à l'Académie des inscrip-
tions, par M. de Saint-Marlinj in-S». — L'auteur, eu battant en brèche
les opinions voltairiennes de MM. .lollois et Devilliers, dessinateurs et
T. m. 29
450 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
de la foi chrétienne, on aurait découvert avec le monu-
ment égyptien les plus redoutables arguments contre les
assertions de Moïse. Le malheur pour cette thèse fut d'être
examinée au flambeau d'une critique sévère, et de tomber
devant les preuves d'une antiquité qui n'allait guère au
delà de cinq à six cents ans avant l'ère chrétienne. Cette
même date avait été assignée déjà à l'invention des zodia-
ques par le P. Lemire, lequel la démontra en 1740 contre
le système de Pluche, qui l'attribuait aux premiers des-
cendants de Noé {\).
Lo zodiaque fait Dc Icur côté, uos cncvclopédistes du dix-huitième siècle,
partie du calen- '^ , . .
diier des anciens, qui argumcntaieut de l'ancienneté de cet épisode scienti-
fique pour conclure au rejet des Livres saints, prétendaient
voir, dans certains des caractères représentatifs des bêtes
zodiacales, des traces d'origine égyptienne et d'hiéroglyphes
curiologiques (2) . Nous adopterions volontiers cette remar-
que, en dépit de ce qu'elle a de vague et de peu prouvé (et
sauf examen des conséquences qu'en voudraient tirer nos
philosophes), car elle ne ferait remonter l'existence du
zodiaque guère au delà de cette prophétie de Jacob citée
dans notre premier volume (3), et qui prouve de reste que
le patriarche faisait pour chacun de ses enfants une allu-
sion évidente à cette mystérieuse zoologie déjà connue de
son temps. C'est précisément en Egypte qu'eut lieu cette
scène mémorable, et nous ne voyons guère ce qu'elle ap-
porterait à Dupuis pour étabhr l'identité de Jésus-Christ et
du soleil.
Comment les Quol qu'll OU solt, l'usagc du zodiaque, employé, chez les
chrétiens le leur ttw • ai < i
empruntent dès Romaïus cux-memcs, sur les monuments ou sur les mu-
interprètes de la fameuse pièce, démontre contre eux et contre Dupuis,
dont ils tendaient à accréditer le système, la nouveauté relative d'un
œuvre qui, à leurs yeux, renversait tous les calculs de la Genèse.
(1) Cf. Journal de Trévoux , 1740, p. 1181, et Pluche, Hist. du ciel y
1. 1, p. 6-11.
(2) Encydop., t. XI, in-4o, p. 850, v» écriture.
(3) Ch. IV, p. 108.
ZOOLOGIE. — LES ZODLVQUES. Aô\
railles peintes, pour désigner les travaux agricoles ou les los^ premiers siè-
actions les plus saillantes de la vie humaine pendant les
divers mois de l'année, fut adopté par les peuples chrétiens
comme motif de décorations ; mais il reçut d'eux un ca-
ractère d'utilité morale. Nous en trouvons un exemple
dans S. Anastase le Sinaite, mort en 020, lequel expli-
quait la présence des douze signes dans une église comme
étant un symholisme des douze Apôtres comparés dans
leur ensemhle aux douze constellations du cercle zodia-
cal {\). Il paraîtrait par là qu'à cette époque cette repré-
sentation, au moins sous les yeux du saint solitaire, se
réduisait à son expression la plus simple, étant dégagée de
toute autre image secondaire, et si, comme il nous semble
très-possible, cette allusion aux douze Apôtres correspon-
dait à chacun d'eux pour la représentation de chacun des
signes usités, il en résulterait qu'il y avait eu entre ces
signes et eux des affinités symboliques dont la découverte
ne manquerait pas d'intérêt. C'est un travail que nous de-
vons nous contenter d'indiquer ici, et qui demande autant
de perspicacité que de recherches. Nous manquerions
encore de preuves pour en établir les bases.
Ce qui est certain, c'est que les zodiaques abondent sur Déauctions mo-
,. - , ..,. 1»! raies qu'ils en ti-
nos portes d églises , ou dans leur mterieur , des les rent.
onzième et douzième siècles, et s'y maintiennent pendant
les deux suivants. Alors on leur crée des complications qui
en rendent l'allégorie plus sensible ; le zèle devenu plus actif
de la théologie et de l'art tire parti du motif principal, comme
il s'empare de tant d'autres, et y ajoute des accessoires au
profit de l'esthétique et de l'enseignement religieux. L'objet ii leur rappelle
, ^ . . » , 1 . • 1 l'action divine sur
de cet enseignement n est pas douteux, si nous le voyons les biens de la
terre
exprimé par les auteurs contemporains , jaloux d'ap-
(1) « in ecclesia zodiacum circulum in liuuc modum explicabat
S. Anastasius Sinaïta » (lib. IV Ilexameron) : « Zodiacus circulus Eccle-
siœ, nempe duodecim stellarum Apostolicarum. » (Novarini Schedias-
mata, lib. XI, cap. lui.)
452 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
prendre aux populations rurales que leurs travaux agri-
coles sont bénis de Dieu, qui les leur impose et leur en
réserve le fruit éternel. Ce principe est professé par
des hommes de la plus haute valeur et dont l'autorité ne
saurait être récusée. Car voici Pierre de Blois, mort en 'H 98,
qui, dans un commentaire sur le Lévitique, semble avoir
en vue les indications sculptées aux portes de certaines
églises. (( La loi, dit-il, voulait qu'un bœuf fût offert pour
le sacrifice à la porte du Tabernacle, afin que ceux qui
travaiUent à cultiver le champ du Seigneur puissent en-
H suite entrer librement dans les tabernacles du ciel (i). »
S. Laurent-Justinien , mort au milieu du quinzième siècle,
rappelle avec quelle sollicitude le Sauveur s'est représenté
maintes fois sous les traits d'un laboureur, jetant dans le
monde les semences de justice et de sainteté par ses prédi-
et la loi du tra- catious, SCS miraclcs et ses exemples (2). Dès le quatrième
vail imposée à . i . i
l'homme. sicclc, S. Basilc avait employé la même comparaison pour
prouver que nous ne devions jamais désespérer de la con-
version des pécheurs, puisqu'à force de culture et de soins
entendus on pouvait ramener la fertilité dans un champ
longtemps stérile (3). Enfin nous ne doutons pas que le
(1) « Lex de sacrificils praecipit ut bos offeratur ostio tabernaculi ,
quia qui laborant in agro dominicae culturae, libère possunt cœleste
tabernaculum introire. » (Petr. Blés., Epist. ix.)
(2) « Veuit Dei Filius, tauquam agricola doctissimus, atque verbis,
miraculis et exemplis in agro pressentis sseculi semina jactavit, ut
sanctificaretur justitiae germen. y^ (B. Laur. Justin., Fasclculiis amoris,
cap. XV.)
(3] « Nemo de homine in vitio constituto desperare velit, haud ues-
cius agriculturam stirpium qualitatem mutare; curam autem ac stu-
dium in consequendis virtutibus, animi omnes vincere morbos^ supe-
rarequeposse. » (S. Basil., Homil. ii m Hexamer.) — L'Apôtre va plus
loin. Selon lui, le chrétien est le champ cultivé par Dieu, et comme une
maison qu'il a élevée et construite: Dei aqriculLura eslis, Dei œdifi-
catio estis (i Cor., m, 9.) — N'est-ce pas à l'église qu'on vient parles
sacrements cultiver ce champ mystique, cette vigne spirituelle du
cœur humain, et réparer et entretenir ce temple de Dieu «qui est dans
l'homme» : lem'plam Dei quocl estis vos? (1 Cor., m, 17.;
ZOOLOGIE. — LES ZODLVQUES. 453
dernier venu de ces remarquables esprits, Vincent de Beau-
vais, n'ait résumé toutes ces idées, qui étaient le point de
départ des sculpteurs et des peintres lorsqu'ils s'occupaient
d'un zodiaque.
En eiïet, le livre IV de son Miroir doctrinal traite de l'éco-
nomie domestique. Il y entre dans tous les soins qui fondent
une propriété rurale et la font fructifier. A partir du cha-
pitre XLi, De rustici operis industria^ il parle surtout des
travaux de la campagne , et, dans les suivants , jusqu'au
cxLix'', qui est le dernier de ce livre, il expose les travaux
agricoles qui conviennent à chaque mois ; il représente ces
travaux comme une œuvre divine tombée aux mains de
l'homme, mais protégée de Dieu, qui fait lever son soleil sur
la terre, et sans lequel nous n'aurions pour elle ni humi-
dité, ni chaleur, ni semailles, ni moissons (-1).
Ces données paraissent si bien d'accord avec les repré- convenance d'un
"^ "^ tel symbole.
sentations de nos zodiaques ; la marche supposée du soleil
par les espaces successifs assignés dans la sphère aux douze
constellations a toujours semblé si conforme aux résultats
que l'esprit de l'homme lui attribue sur les saisons et les
soins ramenés par elle annuellement, qu'on ne voit guère
comment ce genre de leçon aurait pu échapper à ceux qui,
de tout temps, s'efforcèrent d'élever les masses à la con-
naissance de Dieu et à la sanctification de leurs devoirs
d'ici-bas. En fait de symboles, on avouera que pas un ne
l'emportait sur ceux-là, qui n'étaient pas seulement, comme
quelques-uns l'ont pu croire, une sorte de calendrier redi-
sant froidement, sous douze formes diverses, les travaux des
douze mois de l'année, mais une prédication visible rappe-
lant que le Dieu qu'on venait adorer dans le temple était le
créateur des merveilles célestes , l'auteur de leurs in-
fluences sur la terre et le premier principe de tout ce qui
se faisait en haut et en bas. La conséquence était, pour
(1) Cf. Vincent. Bellov. Opp, édit. Benedict. Sanvadast., iu-f» , 1624,
t. Jl, p. 502-554.
Christianisme ,
454 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
l'homme des champs, de sanctifier ses travaux en les accom-
plissant comme un ordre de Celui qui devait payer ses ou-
vriers à la dernière heure, d'en supporter les fatigues
comme une épreuve utile autant que passagère, et d'im-
plorer de ce Maître, en face de l'autel où il donne l'exemple
du sacrifice, ces pluies hienfaisantes du soir et du matin qui
réjouissent le laboureur et préparent Faccomplissement de
ses espérances {]). C'est sur quoi sont tombés d'accord tous
ceux qui joignent un peu de jugement à une suffisante
La partie mornie conualssance du fait. Il y a plus : les zodiaques anciens,
cLilt'TantTê ceux qui nous viennent des Chaldéens ou ceux qu'élabo-
rèrent les Grecs, s'en étaient tenus à la simple succession des
signes consacrés partout et reçus de temps immémorial avec
quelques variantes ; il n'y avaient pas ajouté, que nous
sachions, ces autres images qui reproduisent les soins pro-
digués à la terre dans le cours de chaque mois, ni ces dis-
tractions légitimes consacrées par le Christianisme au profit
de la vie de famille ; et quelque symboUstes que se fussent
montrés les anciens dans leurs peintures des mois et de
leurs attributs, comme on les voit dans un calendrier ro-
main pubUé par Montfaucon (2), ils n'avaient pas songé à
cette union de tels mythes, si ingénieux qu'ils fussent, avec
cette zoologie céleste mise en rapport avec eux par la reU-
gion. C'est que le travail n'était qu'une charge de la vie pour
ces païens , qui l'abandonnaient aux esclaves et l'avilis-
(1) « Lsetamini in Domino..., quia... descendere faciet ad vos imbrem
raatutinum et serotinum. » {Joël, u, 23.)— Et S. Jacques (v, 7) : « Ecce
agricola exspectat pretiosum fructum terroe , patienter ferens donec
accipiat temporaneum et serotinum... Patientes igitur estote, fratres,
usque ad adventum Domiui. » — Il est clair que ces textes, si souvent
lus ou entendus, se rapportent clairement à l'image des zodiaques, et
ce dernier semble une exhortation non plus seulement aux habitants
des campagnes, mais à tous les fidèles, d'employer le temps de la vie,
pendant lequel Dieu mesure pour tous le laps des mois et des saisons,
il mériter, dans des travaux aussi patients que consciencieux, Varrivée
du Seigneur, qui leur donnera ^^5 fruits de la terre promise.
(2) Antiq, cxpliq., supplém., 1. 1, p. 27 et suiv.
ZOOLOGIE. — LES ZODLVQUES. 455
salent en le méprisant. Ponr ceux qu'éclaire rÉvangile, au
contraire, c'est une rançon du péciié ; il est anobli par le
souvenir d'un Dieu dont la mission fut si laborieuse, et il
est un devoir commun à quiconque veut marclier en toutes
cboscs sur les vestiges de Jésus-Gbrist (I).
Une autre preuve de cette intention doctrinale, c'est qu'en qui en fait un
moyen d'cnseig-ne-
beaucoup de monuments ornés du zodiaque, on l'accom- ment reii-ieux.
pagne , comme à Saint-Marc de Venise, des vices et des
vertus qui garnissent, sous leurs formes iconographiques
bien connues, les archivoltes voisines (2). Il n'y a donc
pas à discuter sur le but que le sculpteur s'est proposé en
multipliant ainsi cette méthode d'enseignement reli-
gieux.
Ici une remarque est nécessaire pour éclairer les observa- Raisons de cer-
, . , . 1 T taincs intervcr-
teurs sur la série des animaux qui composent le zodiaque, sions dans lepia-
CGniCîit clos si^^HCS
Tout en demeurant assez généralement les mômes pour clia- suries mouuurcnts
que mois, ils changent pourtant quelquefois de place nor-
male, ce qu'il faut attribuer à une néghgence des ouvriers
dans la pose des pierres, qu'ils sculptaient parfois en dehors*
du plan qu'elles devaient compléter. Un inconvénient plus
grave dans ce désordre, c'est que le sujet secondaire, l'image
annexée au signe déplacé , ne suit pas toujours celui-ci, et
reste à sa place normale ou elle se rattache sans raison à
un autre signe qui n'est pas le sien. Une variante non
moins sérieuse résulte d'une sorte d'interversion qui ferait
parfois commencer le cercle et la suite des animaux qui le
garnissent, de droite à gauche, et non de gauche à droite,
comme on l'a fait généralement. Qu'il faille attribuer cette
inexactitude apparente au peu d'importance attaché par
l'artiste à la distinction faite dans toutes les cosmographies
entre les signes du septentrion ou du midi, ce serait pos-
sible ; mais ce n'est là, on le voit, qu'une anomalie de peu
(1) « Labora sicut bonus miles Chrisli Jesu. » (2 Tim, ii, 3.)— «Tu
vero vigila, in omnibus labora... » {Ibid., iv, ti.)
(2) Voir DidroD, Annal, archéol., XIV, 165.
456 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
de poids ; elle n'ôte rien au système adopté partout et tou-
jours, et il n'en faut pas conclure qu'on ait méconnu, en la
suivant, l'ordre naturel des mois, qu'on aurait mal à propos
établis en sens inverse. Il s'agit tout simplement alors de
commencer l'étude du sujet telle que l'a suffisamment
indiquée la main de l'ouvrier (i). Enfin l'année, sur tous ces
calendriers, ne commence pas toujours par les mêmes
mois, ce qu'il faut attribuer à la différence qui se remarqua
longtemps pour le renouvellement de l'année, laquelle s'ou-
vrit, selon les pays et les époques, soit au mois de janvier,
soit au mois de mars. C'est cette dernière méthode qu'on
suit plus habituellement dans nos zodiaques sacrés.
Vers techniques Commc prcsquc toutcs les notions à retenir étaient tra-
sur la division des ^ -, * l ^ - i ii
signes mensuels; duitcs, au moycu agc, en vers techniques, plus capables
d'aider la mémoire, on avait groupé en un distique tous
les animaux inscrits au zodiaque.
Sunl Aries, Taurus, Gemini, Cancer , Léo, Vij^go ,
Li')7'aque, Scorpius, Arcilenens, Caper, Aniphora, Pisces{2).
On voit que l'année commence au mois de mars avec le
Bélier, et que les deux derniers mois représentent janvier
et février. Cet ordre importe peu à notre objet. Disons donc
tout de suite quels détails de la vie humaine se présentent
à côté de chaque mois.
autres sur les oc- D'autrcs vcrs tecliuiques y ont pourvu : ils rendent,
cupations qui se,, ,, -.i ••, -ri .» 11
ratt/ichent à cha- d aprcs dcs mauuscrits du quinzième siècle, et môme d après
un autre du quatorzième à nous connu (3), ce que les
(1) Nous soupçonnons que ce renversement de l'usage habituel aurait
pu venir d'ouvriers qui, arrivés en Europe des contrées orientales, ou
copiant des dessins qui en étaient originaires, s'y seront conformés à
l'usage de ces pays où, l'écriture se traçant à rebours, le dessin pou-
vait se ressentir de cette habitude, autant qu'elle ne compromettait en
rien la ressemblance, qui est sa première condition.
(2) C'est-à-dire: le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, l'Écrevisse, le
Lion, la Vierge, — la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne,
1c Verseau et les Poissons.
(3) Notre bibliothèque.
ZOOLOGIE. — LES ZODIAQUES. Î57
sculpteurs ont historié sur leurs pierres bien avant ces der-
niers temps du moyen âge. Ces vers, au nombre de quatre,
comprennent chacun une saison de l'année et sont fidèle-
ment reproduits par chacun de leurs verbes actifs, soit sur
les pages de parchemin des vieux livres , soit môme assez
souvent sur le calcaire monumental, quand ils n'y sont pas
remplacés par le nom du mois. C'est toujours ce mois qui
parle, et à la première personne.
PotOj— Ligna cremo,— De vile super flaa démo ;
Do gramen gratam, — MM flos sei vit, — Mihi praium ;
Fenuni chclino, — Messes melo, — Yina propino;
Semen huim jacto, — Pasco sues, — hivnUo porcos (1).
Ainsi la première saison, l'hiver, qui a commencé dès le
mois de décembre, est indiquée par les trois premiers mois
de l'année, qui, cette fois, s'ouvre avec celui de Janvier. Ce
dernier, qui s'est toujours trouvé empêché pour les travaux
de la terre, semble s'en délasser par les plaisirs de la maison,
où les fêtes se multiplient : Poto^ je bois, mot qui résume à
lui seul les fêtes de famille, incomplètes sans lui. On voit
donc un homme à table, y remplissant avec entrain ses at-
trayantes fonctions, pendant qu'à coté un vase penché laisse
tomber les pluies abondantes dont le gourmet semble très-
peu s'inquiéter : c'est le verseau ( A quarius), qu'on a souvent
dessiné à plus de frais sous les traits d'un fleuve ou d'une
femme élégamment drapée, tous deux répandant les flots
d'une urne antique. Amphova est le nom que lui a donné le
poète du moyen âge, prenant ainsi la partie pour le tout,
l'objet pour le personnage qui s'en sert. Les pluies, qui
coïncident avec les jours oii ce signe revient vers notre
horizon , lui ont donné le nom qu'il porte , semblable , en
Description de
chaque mois :
Janvier.
Fer Scan.
Le
(I) Je bois, —Je me chauffe, — Je taille la vigne ;
Je donne le gazon, — Jeiiie pare de fleurs,— Je verdis les prés;
Je fauche, — Je moisooune, — Je vendange;
Je sème, — Je nourris les porcs, — Je les tue.
458 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
effet, à une urne qui s'épanclie ou à un homme vidant sur
la terre le vase qui , en lui prodiguant les flots des sources
et de la mer, aide à la végétation et n'est pas moins utile à
l'homme qu'à la nature. Nous ne savons quelle imagination
poétique a fait de cette constellation le Ganymèdc qui devint
rçchanson de Jupiter : c'est peu ingénieux , selon nous ; le
maître des dieux aurait plutôt donné cette charge à
Bacchus.
Février. — Les Ligna cTemo : Février n'est guère plus propice au labou-
Poissons
rage; on continue de se chauffer, de banqueter, et les pois-
sons (Pisces), meilleurs en ce temps, défraient la table.
Mars.-/.e BcHcr Mars aiTlvc, ct Ic pavsau commence à tailler la vigne, à
et le vigneron. i t
émonder les arbres : De vite super fiua démo; alors le bélier
[Aries) va chercher les premières herbes des prairies à la tête
des brebis nombreuses dont il redevient le chef et l'époux.
Quelquefois aussi on greffe les arbres, et certains zodiaques
se sont bornés à ce travail.
fVyrii.-/.c Tau- Mals Avdl rcvêt la nature d'une verdeur plus vivante :
Do gramen gratum. On reprend les labours, et le taureau
(Taurus) est de nouveau attelé à la charrue ; il recommence,
comme avril l'indique (aperire), à ouvrir la terre, qui, grâce
à lui, se divise en nombreux sillons.
Mai. — Les Ce- Lcs flcurs arrivciit avec Mai : 3Iiki flos servit. Les gémeaux
{Gemini) y symbolisent les penchants providentiels qui fé-
condent la nature et la perpétuent : un jeune homme y tient
un bouquet destiné à sa fiancée.
uïn.-Lecan- La cliassc , Ics voyagcs , les chevauchées s'organisent en
Juin : Mihi pratum. On part donc sur un beau coursier, dont
le cavalier jeune et ardent paraît tout fier; et cependant
l'écrevisse [Cancer) , annonçant que le soleil fait déjà quelques
pas en arrière de sa course, ne nous dit-elle pas aussi que
la vie a un jour où commence insensiblement son déclin?
Juillet.- /.c Lion Juillet appcllc aux fenaisons : Fenum declino : c'est ce
que fait le fauciiciir pendant que le lion {Léo) rugit sous
l'impression des chaleurs tropicales.
reau.
meuux
cer
et lea faucheurs.
ZOOLOGIE. — LES ZODIAQUES. -559
Le mois de la Vierc:e ( Virno) est ce mois d'Aoûi, dérivation Août.-A« rierge
^ \ ^ I ' et les moissons.
d' Aucjustus ,ii\\q\\Q\ les Romains l'ayaicnt consacré. Chez les
chrétiens, ce mois paraîtrait natnrellement porter le nom
de la Mère de Dieu, dont la fête la plus solennelle se célèbre
le -15; mais comme cette fête ne fut instituée qu'après le
troisième concile général, tenu à Éplièse en 43^ (I), on doit
se reporter beaucoup plus loin, et, scmble-t-il, à la création
même du Zodiaque , pour comprendre le rôle qu'y remplit
cette constellation et le caractère qu'elle y prend. Les anciens
s'accordent peu sur sa personne : Hésiode, Hygin, Aratus lui
donnant des origines diverses. Il suit néanmoins de leurs
divergences mômes qu'elle doit sa place à la vénération des
peuples anciens, qui crurent honorer en elle ou Gérés ou Éri-
gone. Nous accepterions plus volontiers la première, puis-
qu'on lui donne un épi de blé pour attribut en certaines ima-
ges. Cependant sa virginité, toujours maintenue par les my-
thologues, la ferait prendre plutôt, comme Pluche se le per-
suade (2), pour une de ces jeunes glaneuses qu'on dirigeait
vers les champs après la moisson afin d'y ramasser les der-
niers épis. Ce titre de Vierge a, d'ailleurs, toujours paru à
tous les peuples quelque chose d'auguste et de sacré : c'est
ce qui avait fait donner à celle-ci le privilège d'affranchir
une licorne, avec laquelle on l'a représentée quelquefois,
et qui, malgré sa nature sauvage et très-offensive, se laisse
prendre par elle jusqu'à se réfugier dans son sein (3). C'est
pourquoi la licorne fut toujours le symbole de la pureté.
Quoi qu'il en soit, le mois d'Août coupe les blés : Messes meto,
et les bat, Tero , comme le disent quelques vignettes de
manuscrits (4).
Pourquoi Septembre a-t-il le signe de la balance (Libra)^ septomi^rc.-/.a
(1) Coi^lre Nestorius, qui aUaquait la maternité divine de Marie.
(2) Speclacle de la nature, t. IV, p. 313.
(3) Jaucourt citait eu 1778 {Ennjclop., XXXV, 423) un cam»';c du ca-
hiiuit (lu duc d'Orléans où éluit gravé ce symbole, représenté sur beau-
coup d'autres monuments anliijueo d'après la même idée.
(4) Celui de notre bibliothèque, cité plus haut.
460 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
^ffl/aHceetiesven- sinoii pour Signifier la parfaite égalité des jours et des
nuits , ou Féquinoxe , qui arrive dès que le soleil sort du
signe de la Vierge ? Mais c'est le temps de la vendange, c'est
pourquoi il se vante de nous verser à boire : Vina propino ;
et il a raison, quoiqu'on lui reproche de se trop presser à
recueillir les fruits de la vigne (i); car, à l'époque de nos
curieux almanachs , la maturité ne dépassait pas la fin de
septembre dans nos climats, devenus ensuite plus acces-
sibles aux influences du septentrion.
Octobre. - Le La récoltc est faite, il faut songer déjà à celle de l'année
Scorpion , les se- ^
mailles , et les suivautc, ctlcs enscmeucements recommencent en Octobre :
chasses d'hiver.
Scmen humijacto^ qui ouvre ainsi les travaux de l'automne.
C'est l'époque des maladies, préparées par les variations des
vents et de Ja chaleur ; aussi le scorpion (Scorpius) semble
jeter sur la terre, en môme temps que les grains devenus
son espérance, les mortelles influences du venin qu'il traîne
après lui, et de ses piqûres malfaisantes qui en ont fait
le symbole du démon. Et puis les feuilles tombent sur
les champs dépouillés , les forêts s'éclaircissent comme
le sillon : le chasseur peut donc se livrer à son plaisir
avec plus de chances et sans craindre de rien endom-
mager. D'ailleurs , rien ne se reproduit alors dans le
règne animal , qu'il ne faut pas non plus laisser se multi-
pher outre mesure, et dont la chair devient à l'homme une
ressource nouvelle.
Novembre.- Le Quaud Novcmbre est venu, la chasse dure toujours, et le
Sagittaire et la '.. • / i •. ^ i «x -• • ■> .
giandée. Sagittaire [Arcitenens] doit encore participer a cet exercice.
Quel est ce personnage que les uns ont pris pour le centaure
Chiron, si maltraité par Hercule, les autres pour Procus ,
chasseur de profession, et fils d'Eumène la nourrice des
Muses? Ce qui semble autoriser celte seconde conjecture ,
c'est que , dans le zodiaque de Vézelay, cet homme couvre
des phs de son manteau un enfant qu'il garde contre les
(1) Didron, Annal. archèoL, W\ , 28.
ZOOLOGIE. — LES ZODIAQUES. 4<>l
frimas. Ce dernier trait ressort bien de ce que dit la Fable,
que les Muses firent placer leur nourricier parmi les astres.
Mais d'autres soins appellent aussi Fliomme des champs :
celui-ci porte sur ses épaules un fagot de bois mort ramassé
dans les clairières de la foret; celui-là y surveille des trou-
peaux de porcs, si nombreux au moyen âge, Pasco sues;
d'autres abattent les glands au pied du chêne, comme dans
notre manuscrit déjà cité.
Décembre nous retient encore aux occupations del'inté- Décembre.- /,e
, . , 111. 1 , Capricorne et la
rieur; alors on tue le porc, on en sale la chair, on la pré- salaison des vian-
des.
pare pour les repas de famille, que vont ramener les solen-
nités de Noël et des Rois : îmmolo porcos. Le pauvre animal
est assommé d'une hache et ne sera saigné qu'après : c'est un
moyen comme un autre d'éviter ses brutales résistances et
ses stridentes lamentations. Pendant ces scènes sanglantes,
le capricorne [Caper) ne poursuit pas moins sa course olym-
pienne. Ses habitudes de chèvre sauvage aimanta grimper
sur les rochers de la colline ou à tondre , en s'élevant vers
eux, les derniers brins d'herbe attardés aux arbustes et aux
buissons , indiquent bien les premiers mouvements de
l'astre qui se relève insensiblement vers son apogée en
(juittant le solstice d'hiver.
Telle est la suite de nos sisrnes zodiacaux , tels ils furent , Caractères sym-
° ' boliques de cha-
créés par l'antiquité, adoptés par les chrétiens avec les quel- que figne en par-
ques variantes que nous avons dites. Mais accoutumés que
nous sommes à voir ressortir de notre zoologie monumen-
tale des instructions qui ne pouvaient manquer de se faire
jour dans l'emploi de ces bétes allégoriques, les fidèles des
siècles qui les virent arriver ou revenir dans l'art religieux
se contentèrent-ils d'y voir les leçons générales que nous
avons signalées quant à la nécessité et à la sanctification
des travaux de la vie terrestre ? Nous ne le croyons pas , et
il nous reste à inscrire au front de chacun de ces animaux
les caractères spirituels qu'ils révélaient à nos pères du haut
de la tribune publique où ils siégeaient.
462
HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Symbolsmo du
Bélier,
du Taureau ,
des Gémeaux
du Cancer,
Reprenons-les donc selon l'ordre que nous leur avons re-
connu, et, comme nous sommes familiarisés déjà avec beau-
coup d'entre eux, soyons court autant que précis. Nous
parlons d'après S. Méliton, sans répéter à satiété les volumes
et les pages de cet auteur, dont la table suffirait à qui vou-
drait de plus amples renseignements (1).
Le Bélier symbolise Jésus-Christ, chef du troupeau choisi,
et, par conséquent, avec lui les Apôtres et les Princes des
peuples.
Le Taureau est l'orgueil de la force, la confiance outrée
dans sa puissance et dans ses propres conseils. Mais il est
aussi le travail et le sacrifice généreux : sous ce double as-
pect il est encore le Dieu se sacrifiant jusqu'à la mort.
Les Gémeaux, représentés habituellement comme deux
jeunes enfants qui unissent leurs mains , ne sont-ils pas la
pensée visible d'une amitié innocente, de la charité frater-
nelle, de la candeur naïve qui fut bénie par le Christ et
proposée par lui aux Disciples comme le modèle de la sim-
plicité du cœur? Ce sont « les humbles d'esprit )) que « le
Seigneur garde, parce qu'ils sont ses enfants (2) , les nou-
veaux baptisés, les novices de la vie religieuse. Un père,
une mère, un pasteur ne pouvaient s'y tromper.
Le Cancer ou chancre, ou l'écrevisse (les artistes ont re-
présenté l'un et l'autre), sont l'image de l'hérésie, qui rétro-
grade dans la voie du bien en se retirant de la vérité. En
cela, ils participent du caractère des sauterelles, qui figurent
le démon par leurs ravages, et les méchants par leurs allures
brusques et leurs élans subits et inattendus. Avides de
chair, les chancres cherchent les poissons, dont ils font leur
proie. Cette chasse est encore une des occupations de Satan
contre les âmes. A défaut de S. Méhton, qui ne parle pas du
(1) C'est toujours l'édition in-4o du docte cardinal Pitra renfermée
dans les deuxième et troisième volumes de son Spicilegium.
(2) « Custodiens parvulos Dominus : humiliatus sum et liberavit me. »
{Ps,, cxiv, 6.)
ZOOLOGIE. — LES ZODIAQUES. /|()3
chancre, nous suivons ici ce qu'en a dit Franzius, que nous
avons cité plus d'une fois (-1).
Que parlerions-nous du Lion, si bien compris pour ses ^u Lion,
analogies et ses attributs? La force, la vigilance, la majesté,
le courage, la prudence le rapprochent du Sauveur des
hommes; mais il est aussi l'adversaire qui tend ses em-
bûches au\^ âmes , l'ennemi qui disperse les troupeaux ,
l'homme méchant qui, du fond de son antre qui est le
monde, en jette l'esprit autour de lui et dévore toujours
ceux qu'il a vaincus : donc, il est toujours un avis utile à
tous.
Nous avons parlé de la Vierge. Rien n'était fabuleux dans <ip la vier^o,
son image pour des spectateurs qui ne savaient rien de la
Fable et invoquaient tous les jours la Mère du Christ. Évi-
demment Gérés ou Érigone, peu vierges d'ailleurs, n'avaient
là rien à gagner.
La Balance ne laissait rien ignorer de sa valeur morale à iieiaBi.iancp,
des intelligences qui savaient la pesée des âmes (2). Balthazar
pesé est trouvé trop léger (3) ; des malédictions sont pro-
noncées par la loi divine contre ceux qui trompent sur le
poids (4) ; on avait entendu Job demander au Seigneur
d'essayer sa conscience dans la balance de sa justice (5); on
comprenait donc très-bien que soi-même on serait assigné
au même tribunal, et l'on voyait là un élégant emblème du
suprême jugement.
Le Scorpion représente Satan et ses suppôts : c'était un des du scorpion,
reptiles les plus redoutables pour sa morsure; et quand le
Sauveur veut affirmer aux Apôtres la toute-puissance de son
assistance dans l'Église, il leur rappelle « qu'ils ont reçu de
(1) Animalium historia sacra, p. 491 et suiv.
(2) Voir ce que nous avons dit de ce symbole, ci-dessus, t. II, p. 429,
— et dans ce volume, p. 90, 142, 209, 336 et 367.
(3) « Appeusus es in statera , et inventus es minus habens. »
{Dan., Y, 27.)
(4) « Statera dolosa abominatio est apud Dominum. » {Prov,, xi, 1.)
{")) « Appendat me in statera justa. » (Job, xxxi, 0.)
404 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
lui le pouvoir d'écraser sous leurs pieds les serpents et les
scorpions []). »
du sa-ittairo, Lc Sagittaire [Arciteiiens) est encore une figure du Christ
triomphant des ennemis de son Ëghse, comme nous l'avons
vu au premier chapitre de l'Apocalypse , où le vainqueur
mystérieux est armé d'un arc par tous les iconologistes.
C'est de lui que le Psalmiste a dit : Il a lancé sGs flèches, et
il a dissipé ses adversaires (2) ; et encore : 0 Tout-Puissant,
que vos flèches sont aiguës ! avec elles vous triompherez de
tous les peuples (3).
et du capiicorno. Qul uc savait, aux temps de foi vive et de vertus austères,
que la chèvre (ou Capricorne), avec ses goûts pour les lieux
sauvages, était l'emhlème de la vie contemplative et péni-
tente? Mais ces écarts du désert conviennent aussi aux
pécheurs, qui s'éloignent de Dieu, et cette douhle leçon ne
pouvait être perdue pour les âmes.
Voilà donc en quoi consistait le zodiaque chrétien et
artistique du moyen âge monumental. Continuons mainte-
nant à examiner les autres curiosités de notre zoologie.
Origine des bêtes Nous avous slgualé uaguèrc en quelques mots l'action
iconologique des hyhrides, genre mixte auquel nous devons
d'autant plus d'attention qu'il prouverait à lui seul combien
la théologie artistique avait besoin du symbolisme, puisque,
par eux, à défaut d'une expression assez complète, elle a
réuni souvent en un seul être plusieurs natures corres-
pondantes au besoin de ce langage mystérieux.
Ces sortes de monstruosités , dont Horace n'avait vu que
le ridicule sans en deviner l'esthétique (4) , ne prirent leur
(1) « Dedi vobis potestatem calcandi super serpentes et scorpioncs. »
{Luc, 1, 9.)
(2) Ps., XVII, 15.- Cf. ci-dessus, t. II, p. 174.
(3) « SagiUae Tuse acutse, Potentissime; populi sub Te cadent. »
{Ps., LXIV, 6.)
(4) Humano capiti cervicem pictor equinam
Jungere si velit, et varias inducere plumas
Undique coUatis membris, ut turpiter atrum
Desinat in piscera mulier formosa superne,
Spectatum admissi, risura teneatis, amici? — {De Art. poet., init.)
Les peintres, paraît-il, n'avaient pas encore hasardé de superposer une
ZOOLOGIE. — LES HYBRIDES. 465
rôle en Europe qu'au douzième siècle , et sont évidemment
d'origine orientale, conmic l'a prouvé M. le chanoine Jouve,
en observant que toutes les églises de construction byzan-
tine affectaient surtout ce genre d'ornementation. Les
sphinx, les griffons, les sirènes, quoique admis bien anté-
rieurement, comme nous l'avons vu, se représentaient
infailliblement aux cathédrales de Valence , de Venise , de
Périgueux , à Saint-Vital de Ravenne , à Sainte-Sophie de
Gonstantiuople, point de départ dos conceptions romano-
byzantines en Occident (I). Une foule de chimères sans
nom rentrèrent alors dans l'immense catégorie de ces mer-
\ eilleuscs singularités. On les vit partout , et partout elles
s'apatrièrent, entrant dans l'ornementation générale, et pro-
diguées, ce semble, de préférence à beaucoup d'autres ani-
maux non moins significatifs, et dont la forme moins com-
pliquée eût moins étonné le regard et l'esprit. Les peintures
de Saint-Savin (Vienne) offrent de curieux spécimens de ce
genre fantastique. Dans un des compartiments ménagés aux
intrados des arcades, une tête de femme posée sur un corps
de lion mâle indique reffronteric de l'impudeur. Non loin
de là, un oiseau à long bec recourbé , à la crête démesuré-
ment allongée jusqu'à l'extrémité de son bec aiguisé, est une
variété diabolique.Ailleurs,des griffons appuient leurs pattes
puissantes sur deux dragons qu'ils ont terrassés, et dont ils
engueulent fortement la large queue : on devine bien ici la
victoire de la foi sur la tentation, car, si le griffon est le sym-
bole de Satan , le rôle qu'il remplit en ce cas indique net-
tement que, par opposition, il a revêtu un caractère tout dif-
férent. Il en est ainsi de la sirène. Si son chant renommé
U)ie de cheval h celle d'un homme, ou de la lui accoler, ce qui ne paraît
guère plus beau. Mais la mythologie grecque et latine, qui avait ses
faunes, ses centaures, ses satyres et ses sirèueSjdont le type est ici par-
faitement décrit par le quatrième vers, n'aurait fait rien de plus extraor-
difaaire en créaut un être à deux têtes si différonte.i, et dont nos artistes
chrétiens se seraient aussi bien emparés que des autres.
(1) Voir Biillet. })ionu>ii., XIV, ;;")S.
T. 111. 30
466 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
lui a donné souvent les funestes succès d'une enchanteresse
perfide; si, dans une acception tout opposée, elle a pu repré-
senter parfois le Sauveurlui-même, instituteur du baptême
qui régénère l'iionime déchu, on a pu en faire aussi l'em-
blème du plus redoutable ennemi du chrétien , lorsque, par
exemple, on la voit au cloître de Saint-Aubin d'Angers,
tenant d'une main un coutelas dont elle va frapper un pois-
son qu'elle tient de l'autre, et qui n'est que le type consacré
de Notrc-Seigneur Jésus-Christ ou de ses amis baptisés.
L'antagonisme de l'Église et du monde se rend par un évê-
que monté sur un basilic très-reconnaissable à ses traits
d'oiseau et de serpent , mais qui a cela de particuher que sa
tête d'homme est surmontée d'une couronne royale, ce qui
répond bien à son nom de roi (Jèaaikîôç). Les exemples abon-
dent, et reviennent sans cesse, de ces inépuisables imagina-
tions, et, chemin faisant, nous en rencontrerons bien d'au-
tres que nous expliquerons d'après les mêmes autorités
invoquées ici (J).
Au reste, le paganisme, plus docile qu'il ne le croyait aux
révélations de l'esprit infernal , avait prodigué ces images
comme autant de démonstrations de ses adorations mons-
trueuses. La vraie religion , autant pour déconcerter la
curiosité impie des païens que pour nous rendre plus facile
l'accès des vérités nouvelles, n'avait pas hésité d'adopter
comme symboles des mythes dont le sens s'appliquait
parfaitement aux personn.es ou aux mystères du Christia-
nisme (2).
Les Prophètes et L'cxcmplc cn était venu de bien haut , puisque les Pro-
(1) Voir même recueil, XVI, 489; XX, 555. — Quoique, dans le grand
nombre de rédacteurs que s'est faits cette savante revue, il y en ait dont
l'autorité reste de beaucoup au-dessous de celle de quelques autres,
ou peut regarder cependant leurs observations comme habituellement
d'QU grand poids, et leurs opinions comme des mieux formées.
(2) Albert. Magn. opp. De Animalibus, lib. XXXI 11. — Voir aussi le
P. Cahier, Mélang. cVarchéol. et de lillér., t. II; — Hippeau, Beslinire
de Gnillatirne e Normand, p. 89 et ?uiv.
ZOOLOGIE DE L*ÉCR1TURE ET DES PÈRES. 467
phètes et le Sauveur lui-mônie s'étaient servis des ficrares les lÉvangiie four-
*■ '^ Dissent des types
plus capables de colorer leurs pensées et de graver plus pro- «^^ catacombes,
fondement leurs instructions dans les esprits. Le serpent
apparaît dès l'origine du monde comme l'ennemi de la race
humaine qu'il a trompée, et destiné dans l'avenir à être
la victime d'une femme qui lui écrasera la tète : circon-
stances qui ne signifieraient rien si elles étaient prises à la
lettre seulement. Isaïe, prédisant la paix que la venue du
Sauveur apportera parmi les liommes, représente les ani-
maux les plus opposés par leurs mœurs et leurs caractères,
liabitant ensemble et changeant leurs habitudes féroces en
des relations toutes pacifiques; le léopard et le chevreau ,
la brebis et le lion, la génisse et l'ours, n'auront plus l'un
de l'autre ni crainte ni inimitié ; les carnassiers se rédui-
ront à la nourriture des ruminants ; et voyez si de telles
associations, si inattendues, ne vous ont point quelquefois
étonné sur quelque pierre où vous ne soupçonniez pas la
cause de leur présence. Ézéchiel nous a parlé des quatre
animaux évangéhques dont le corps était couvert d'yeux ,
figui'c de l'intelligence et de la foi , dit S. Eucher, — indice
de la nécessité de veiller sur ses pensées et ses actions d'après
S. Grégoire. Nous savons que David a comparé, dans sa per-
sonne, le Sauveur futur au pélican , au hibou , au passe-
reau, à la colombe , au cerf altéré , et aucun de ces ani-
maux n'est rare dans nos maisons de prière. Jésus-Christ
lui-même , qui ne parlait jamais sans parabole , afin , dit
S. Jérôme, de fixer plus solidement ses leçons dans les sou-
venirs de ses disciples , s'est reconnu dans Jouas , disparu
pendant trois jours, comme il disparaîtra lui-môme depuis
sa mort jusqu'à sa résurrection ; il traite l'astucieux Ilérode
de renard; il ne veut point qu'on jette des perles devant les
pourceaux , c'est-à-dire la doctrine sainte aux Pharisiens
qui n'en veulent pas ; le serpent et la colombe devienneTit ,
dans sa bouclie, l'attribut delà prudence et de la simplicité,
et nous savons combien de fois apparaît, sous une double
M',H HISTOIRE DU SYMBOLISME.
forme de reptile et d'oiseau , cet animal à l'extérieur pai-
sible, et buvant maintes fois au calice de l'Eucharistie , ou
s'y préparant en ajustant de son bec les plumes de ses ailes,
c'est-à-dire les dispositions intérieures d'une âme remplie
de respect et de foi. Enfin, dans le langage du Seigneur, les
aigles sont les âmes fidèles ; elles s'attacheront au corps mys-
tique du Christ, et se retrouveront toujours là où il sera {]).
Cette habitude des philosophes chrétiens de comparer aux
botes irraisonnables l'homme qui se profane dans les dé-
sordres des sens perce très-souvent dans les livres cano-
niques de la nouvelle Loi. S. Paul dit que l'homme animal
ne perçoit pas les choses de Dieu; S. Jacques traite de ter-
restre , de diabolique et d'animale la sagesse qui s'oppose à
celle de Jésus-Christ , et S. Jude taxe les impudiques de
gens qui n'ont rien de l'Esprit et tout de l'animal (2j.
(1) Nous groupons tous les textes qui confirment ces assertions :
« Inimicitias ponam iuter te et mulierein , et semen tuum et se-
nien illius; ipsa couteiet caput tuum. » (Gen., irr , 10.) — « Habitabit
lupus cum aguo, et pardus cum haedo accubabit; vitulus et leo et ovis
siiuul morabuntur, et puer parviilus niinabit eos Vitulus et iirsus
pascentur simul; requiescent catuli eoiuni, et leo quasi bos cojnedet
paleas, » {Is., xi, 6 et seq.)— « Et omne corpus, et colla , et mauus et
peuuœ^plena erunt oculis.» {Ezech., i, 18 j x, 1 2.) —Voir S . Creg. inh. loc,
llomil. ui, lib. 1; Moral,, lib. IX, cap. vi, — et l'explication étendue
de ce passage dans Sacy, t. XXX, p. 514. — « Similis factus sum peli-
cano solitudinis. » {Ps.,ci, 7.)— «Sicutnycticoraxin domicilio. » [Ibid.)
— « Sicut passer solitarius in tecto. » {Ibid., 8.) — «Quemadmodum
desiderat cervus ad fontes aquarum.» {Ps., xli, 1.) — «Sicut fuit Jonas
in ventre ceti tribus diebus, sic erit Filius hominis in corde terraj
tribus diebus et tribus noctibus. » {MaUh., xii, 40.) — « Ite et dicite
vulpi illi : Kcce ejicio dcemonia... » {Luc, xiii, 32.) — «Neque miltatis
margaritas vestras ante porcosj ne forte conculcent eas pedibus suis. »
{MoAth., VII, 6.)— « Estote ergo prudentes sicut serpentes, et simplices
sicut columbse. » {Moith., x, 16.)— « Ubi erit corpus, illic congrega-
buntur et aquilai. » {Matlh., xkî\, 28; Luc, xvii, 37.)
(2) « Animalis liouio non percipit ea quae sunt Spiritus Del; stultitia
enim est illi. » (1 Cuî\, u, 14.) — «Non est enim ista sapientia desur-
sum descendens, sed terrena, animalis, diabolica. » {Jac, m, 15.) —
« Hi sunt qui segregant semetipsos..., in via Gain abierunt... Quœ-
cuiïique autera naturaliter, tanquam muta animalia, norunt, in liis cor-
rumpuntur... animales, Spiritum nonbabentes. » {Jud., 19.)
ZOOLOGIE DE L'ÉCRITURE ET DES PÈRES. ï60
Mais de rÉvanoilc, des écrits apostoliques, tant d'idées aussi wen «pe la
*-' 117 mythologie.
fécondes devaient passer dans la pratique de l'art, qui ne
pouvait manquer de vivifier le culte nouveau. L'âge des cata-
combes fut celui de ces ingénieuses inventions, qui ne se
prêtaient pas, comme on l'a redit trop souvent, cà des con-
cessions d'une valeur contestable, mais prétendaient réelle-
ment utiliser, en faveur de la vérité, ce que d'antiques men-
songes pouvaient avoir encore d'emblématique et, par cela
môme, de fond sérieux. Orphée, dont la lyre avait charmé
ses contemporains et relevé les murs de Troie , y repré-
sentait le Sauveur, dont le Psalmiste avait dit : Diffma est
grada in lahiis tuis (]); — Andromède, dévorée par un
monstre sous forme de dragon , n'était autre que Jonas
englouti par la baleine (2); — un berger, portant sur ses
épaules une des brebis de son troupeau, rappelait le Bon
Pasteur, dont la touchante parabole fait aimer le cbapitre x
de S.Jean. Les sirènes, qui s'y montrent aussi, symbolisent,
par leur tôte liumaine et leur arrière-corps de poisson, l'hu-
manité régénérée dans l'eau du baptême; les centaures n'y
étaient pas l'ares et représentaient le démon ou le péché
s'identifiant à l'homme et le persécutant, comme cette béte
fantastique poursuit souvent et frappe de ses traits le cerf
qui Fuit de toute sa vitesse, comme le chrétien doit éviter
le mal.
Les plus anciens Pèies, dont nous avons les écrits, ^es pèrcs y
trouvent un mo-
n eurent donc pas de peine à employer ce système d'ensei- yen trensei^nc-
gnement dont ils voyaient la source dans l'Écriture et l'ap-
plication dans les plus anciens monuments de leur culte.
Ils étudièrent ici cette partie si intéressante de l'histoire
naturelle. Familiarisés par leurs doctes veilles avec les an-
ciens qui en avaient traité, Aristote et Pline surtout, ils
y trouvèrent une moisson de réflexions attachantes , et ,
dans leurs expositions des œuvres de Dieu, envisageant
M) P.S., XLIV.
:2) Jm., XI.
ment religieux.
Us acceptent les
notions d'histoire
naturelle reçues
par les écrivains
de renom, pour en
faire une suite
d'autant plus fer-
tile de symboles,
suivant en cela
l'exemple des
poètes païens.
/|70 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
toujours le monde physique et ses détails infinis au point de
vue de l'éternité, ils tirèrent d'ingénieuses comparaisons et
des conséquences pratiques de tout ce que la nature leur
offrit de propre à rapprocher l'homme du Giel ; ils lui révé-
lèrent , avec la nohlesse de son origine , sa prééminence
sur les animaux. En notant les mœurs et les hahitudes con-
nues de ceux-ci , ils ne manquèrent pas d'en tirer des
inductions morales et créèrent cette haute philosophie qui
développe les principes absolus de la loi chrétienne de
façon à en faire le code universel de la conduite humaine.
— Et ne les accusons pas, comme ont fait des sophistes de
l'école moderne , d'avoir donné dans une crédulité inex-
cusable en admettant, avec les naturalistes anciens , des
notions de zoologie qui ne soutiendraient pas d'examen
sérieux. Outre qu'ils ne répondaient pas des idées scienti-
fiques de leur temps, suivies depuis des siècles par des
hommes de génie auxquels ils pouvaient croire sans trop
manquer aux exigences de leur propre réputation , il est
très-probable qu'ils n'acceptèrent pas tous les on-dit de ces
physiciens^ devenus plus illustres par leurs travaux que par
l'exactitude de leurs assertions , et que s'ils en usèrent
comme point de comparaison , et en tant qu'ils devenaient
pour eux autant de symboles à introduire dans leurs caté-
chèses, ce ne fut pas toujours sans en comprendre la portée
scientifique; ils purent très-bien savoir, par des observa-
tions subséquentes , la valeur de certaines traditions des
anciens, modifier ainsi les idées qu'ils en auraient acquises,
et cependant adopter ces traditions mêmes dans ce qu'elles
avaient de convenable à la partie symbolistique de l'ensei-
gnement public.
Nous n'en voudrions pour preuve que les habitudes de
l'aigle , la plupart imaginaires , et cependant acceptées pai*
les poètes, comme de saisir ses petits pour leui* faire fixer
1? soleil de leurs regards naissants, de voir lui-même du
haut des airs les plus petits poissons apparaissant à la sur-
ZOOLOGIE DE l'eCRITURE ET DES PÈRES. 471
face de l'eau. Tant de merveilles et bien d'autres iravaient
pas semble méprisables à Olaudien , à Silius Italicus , à
Lucain; et, après eux, pourquoi les mômes idées n'eussent-
elles pas souri comme termes de comparaison frappante
à des orateurs dont le but était bien plus élevé, à S. Jérôme
par exemple, à S. Clément d'Alexandrie, à S. Ambroise (I)?
Tous pouvaient dire à cet égard comme S. Basile , qui, en
expliquant, à propos de l'œuvre des six jours, les caractères
des animaux dans leurs rapports avec celui de l'homme,
s'en remet complètement aux notions reçues, y prend ses
allégories , et, s'y croit autorisé par l'exemple des savants
antérieurs , après lesquels il avoue n'avoir rien inventé (2).
En effet, ces grands génies catlioliques, outre qu'ils ne se
sentaient pas appelés à faire des cours d'histoire naturelle,
pouvaient très-bien s'appuyer sur des croyances populaires
pour en tirer des conséquences qui tournaient toutes à
l'avantage de leurs moralités. Que leur importait qu'en réa-
lité le coq ne s'effrayât point dulion, que le crocodile fut ac-
cusé à tort de pleurer pour attirer les enfants sous sa dent
cruelle, que le porphyrion d'Élien et d'Athénée ne mourut
pas de compassion quand la femme de son maître était
infidèle (3) ? de tout cela on n'en concluait pas moins que
la vigilance nous épargne les tentations, quo les pièges
trompeurs de l'ennemi des hommes doivent leur inspirer
de la méfiance, et que l'adultère était un grand crime,
(1) Protinus implumcs convertit ad œthera nidos
Et recto flamnias imperat ore pati.
(Claud., De tertio consul. Ilonorii, prœfat. ;
mihi, p. 145.)
— Voir encore Silius liai., De Dello Pun., lib. X; — Lucain, Phanal.,
lib. IX; — S. Jérôme, In Abdiam, i, 4; — S. Clément d'Alex., Co/urtat.
ad Gciilds, cap. x; — S. Ambroise, Exameron, lib. IV, 15.
(2) « Novi leges allegoriarum , et si non a me inventas , ab aliis
tamen elaboratîis teneo. » 'Jlexo mer'jn,\\om. ix, cité par M. l'abbé Cros-
uier dans V Iconographie chrélienne, ch.xxxu; — Bull, iiionum., XIV,
289.)
(3) Cf. Le Monde tnclwnlé, de M. Ferdinand Denis, ch. n , p. 14 et 30,
in-32, 1843, Paris.
472 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
puisqu'il désolait jusqu'à la mort le cœur affectueux d'un
animal domestique. C'est ainsi que les Pères ont procédé :
S. x\ugustin et S. Ambroise , S. Grégoire et S. Isidore de
Séville , et tous ceux qui , avant ou après eux, s'emparèrent
de l'univers entier pour faire de toutes les ressources de la
création un hymne à la gloire de son auteur.
Les écrivains du Lcs Doctcurs du movcu âge ne furent pas plus difficiles ; ils
moyen âge les ont >j ^
uivis eux-mêiries. tendirent au même but par les mêmes moyens. Les plus fa-
buleuses fantaisies de l'histoire naturelle, prise dans toutes
ses branches, ne leur coûtèrent pas à vulgariser pourvu
qu'ils en pussent tirer une leçon, et encore ne faudrait-il pas
trop se récrier sur beaucoup de ces spécimens accueillis dans
les études du cabinet par des savants dont ils séduisaient
Certaines opi- l'intelligeuce. Est-il bien prouvé que tels de ces sujets dont
nions sur la zoo- , ^ -^ ^
logie pouvaient uous rious u'out jamals existé ? Est-il une limite si absolue
être plus fondées
qu'on ne le croit, aux phéiiomènss dc la nature que nous puissions la leur
assigner positivement, et rejeter tout ce qui semblerait la
dépasser ? La science moderne protesterait contre de sem-
blables prétentions. Il y a longtemps qu'un homme de juge-
ment et d'esprit disait : « Notre siècle , plus éclairé que les
générations précédentes , n'a-t-il pas justifié Pline l'Ancien
sur plusieurs reproches d'erreurs et de mensonges qu'on
lui faisait il y a 1 50 ans (1 ) ? » Les contes qu'on a faits des
dauphins sur leur amitié pour l'iiomme n'ont pu tenir contre
leur abstention, aujourd'hui vingl fois séculaire, du plus
petit acte d'humanité. Mais qui pourrait protester définiti-
vement contre une foule d'assertions qui nous ont fait rire
des naturalistes grecs et latins , quand les plongeurs de
notre époque, munis de moyens jadis inconnus , peuvent
observer au fond de la mer des poissons qu'on ne voit jamais
à sa surface, et dont les têtes sont celles du cliat , du chien
et de l'écureuil (2) ? Soyez sûr que , dans beaucoup de ces
'1) L'fihhé Dubos, Réflexions syr la poésie et la peinture , i. Il,
p. 50o, Paris, in 12, 1770.
(2) Voir VUnivers du 4 novembre 1868 : Causeries scientifiques;
voir aussi le P. Cahier, Vitranx de Bounjes, p. 97, n" 8, et p. 79, 98, n» 2.
ZOOLOGIE DU MOYEN AGE. Î73
faits transmis à nos rélloxions par les laborieux observateurs
des premières époques littéraires , il n'y avait pas tant d'er-
reurs qu'on veut bien le dire, et que ces botes curieuses,
dont quelques espèces d'ailleurs ont pu se perdre , n'au-
raient pas tous les torts qu'on leur a reprocbés s'il leur était
donné de comparaître devant nous. (Test ainsi que peuvent
s'expliquer maintes fois les prétendues naïvetés de S. Jé-
rôme , de S. iVmbroise ou de l'auteur supposé sous son
nom , de Pierre Damien , de Vincent de Beauvais et de
beaucoup d'autres que nous avons nommés , lesquels, eus-
sent-ils été convaincus de leurs dires , auraient toujours
pour avocats devant le bon sens les auteurs sans nombre
adoptés et cités par Pline et par tous ceux qui le suivirent à
leur tour dans la môme carrière. Il faut sui'tout se reporter,
pour comprendi'e la position littéraire faite à ces grands
hommes, à l'état des sciences naturelles que de longs voya-
ges et de grosses dépenses n'avaient pu élever encore jus-
qu'à la hauteur que leur ont faite les observations modernes.
On sait que cette espèce d'enfance enveloppa l'essor de la
botanique , de la chimie et des autres connaissances pliy-
siologiques jusqu'au seizième siècle de notre ère. Montai-
gne, x\myot , Budé, Alciat ne furent guère plus forts qu'on
ne l'était trois cents ans avant eux, et l'un de nos derniers
écrivains de cette époque , S. François de Sales , à qui l'on
ne refusera pas plus le jugement que le style, n'a pas hésité
devant de nombreuses comparaisons que nous trouvons
pleines de charme autant que de justesse , et dont le fond
pourtant ne serait plus de mise devant les graves examina-
1 3urs de nos bacheliers.
Cependant, et en dépit de ces crédulités d'immortels Doc- Albert le Grand
. ' . n'a;lmct pas toutes
leurs, nous ne devons pas omettre de Citer ceux qui refu- les opinions de
sèrent de les partager et professèrent nettement des opi- vâis."^
nions opposées. Ceu\ qui s'occupaient exclusivement des
sérieuses matières de la théologie scolasti(|ue eurent bien
garde, en présence même des symbolistes les plus renom-
474 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
mes, d'adopter les contes savants qu'ils voyaient accrédités
de toutes parts. Quand Vincent de Beauvais répétait sur la
calandre , oiseau mystérieux qui guérissait la jamiisse en
regardant ceux qu'elle affectait , toutes les merveilles qu'en
racontent Élien , Suidas, S. Épiphanc , et tous les pliysio-
logues du monde , son contempoi-ain Albert le Grand n'y
croyait pas plus qu'aux singularités du pélican : en les
indiquant , il a soin d'infirmer les faits par une déné-
gation absolue. Ce savant homme ne craignait donc pas de
s'élever contre les opinions reçues ; il combattait contre ses
devanciers et contre ceux de son temps, dont la réputation
n'a cependant souffert en rien de leurs assertions, et, tout
eu les combattant, il cédait néanmoins quelque peu aux
préjugés des symbolistes , puisqu'il ne croyait pas pouvoir
se dispenser d'indi([uer leurs idées, tout en se refusant à
les accepter (^1).
Origine du bes- Dc cc qul précèdc on peut conclure sûrement que c'est
tiaire , et auteurs iii -i in • ^ > •
qui se sont donnés au doublc pouit dc VUS (XQ 1 enseiguemeut cliretieu et des
à la zoologie mys- ,,. . . „ , .
tique. arts d imitation que turent conçus ces nombreux pJnjsio-
logucs ou bestiaires devenus, pour nos artistes comme pour
les théologiens et les prédicateurs, une source inépuisable
d'histoires attachantes , de légendes instructives , destinées
également à l'écrivain et à l'imagier. Nous avons parlé de
Tatien, philosophe hérétique du temps de S. Justin , et qui
fut probablement le premier rédacteur de ces listes com-
parées des caractères de l'homme et des animaux. Son livre
est perdu , et avec lui sans doute une foule d'attributions
merveilleuses reflétées sur ses animaux par tous ses prédé-
cesseurs (2). Quel qu'ait été l'esprit dans ce livre blâmé
comme hérétique par le pape Gélase , il est bien clair que
cette condamnation ne se serait pas adressée à un livre où
se lût traité uniquement un cours d'histoire naturelle ; il
fallait bien que des moralités chrétiennes en ressortissent ,
(1) Cf. Albert. Magu., opp. De Aidnialibus, lib. XXXIil.
(2) Voir ci-dessus, t. Il, p. 273.
ZOOLOGIE. — LES PHYSIOLOGUES OU BESïlAlUES. î / )
et avec elles des interprétations que les gnostiques et autres
sectes n'auraient pas plus désavouées que Tauteui* qui par-
tageait leurs principes. — Après Tatien, ct.s'éclielonnant dans
la suite des siècles, viennent se ranger sur la même ligne ,
outre les Pères déjà nommés, S. Épipîiane, auteur présumé
d'une Phydolo'jic mystique^ Hugues de Saint-Victor dans
ses Institutions monastiques, puis Guillaume le Normand et
Robert de Fournival, auteurs l'un du Bestiaire divin, l'autre
de celui des Sept Vices et des Sept Vertus. Le trouvère anglo-
normand Philippe de Thaun eut aussi son Physiologue au
commencement du douzième siècle ; l'abbesse Jïcrrade
n'avait pu négliger ce mémo sujet dans son Ortus dclicia-
rum. Il est rare d'ailleurs que les écrivains qui précédèrent
Origène jusqu'à la moitié du troisième siècle ne citent pas un
physiologue, qui apparaît toujours comme une autorité sans
laisser aucun autre vestige de son existence et de son ori-
gine. Mais, depuis ces premiers temps, beaucoup d'autres
s'en sont occupés soit en prose , soit en vers, et il est pro-
bable que tous ne sont que des copies plus ou moins lidèles
du premier, augmentées par chaque nouvel éditeur, et
devenues ainsi des sources abondantes pour les imagiers de
nos édifices religieux ou de nos manuscrits à miniatures.
Pour ne pas trop prolonger ici le catalogue de ces auteurs
spécialistes, sur lesquels le savant cardinal Pitra sera con-
sulté avec fruit dans son Spicilége (1), il nous suffira de
domier, poui- bien constater la manière de ces sortes
d'ouvrages, le Physiologua de Théobald , dont la forme et
les commentaires sont assez lares et assez courts, pour
trouver dans ce livre un asile qui évitera à beaucoup la
[)eine, peut-être inutile, de le chercher ailleurs.
L'identité de cet auteur serait d'abord à rechercher : ceux i'htpioio<jue de
Tliéobai'.l.
qui ont parlé de lui sont peu d'accord sur ce point. Le incortitudos bio
graphiques sur cet
P. iJeaugendre, bénédictin, (jui donna en ^08 une édition auteur.
(1) Cf. t. i;i, De lie S!/rnb(jlira, cu[). il, ai t. :l, pi. lxxh et suiv.
470 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
des œuvres de Févêque du Mans Hilde])crt, mort en 1 134 ,
attribua ce livre à ce prélat, et l'inséra parmi ses écrits. On
ne voit guère d'où .pouvait venir cette attribution, puisque
le nom de l'auteur véritable était donné à son physiologue
dans toutes les copies qu'on en avait, et que si le TheohaJdus
eût pu devenir un Hildebertus , ce n'eût été que par une
métamorphose inexplicable. Il paraîtrait, d'après plusieurs
auteurs , que le manuscrit portant le nom de Thibault se
retrouvait en un grand nombre de bibliothèques, ce qui
s'expliquait par l'obhgation imposée aux clercs de lire, pré-
férablcment à tous les autres, le Physiologue recommandé
par ce nom, et qui entrait depuis longtemps dans les études
ecclésiastiques , lorsque Bebelius mentionnait ce fait dans
ses Opuscu/a varia (1). Dire sur quoi se fonde un manuscrit
de la bibliothèque Riclielieu, cité par M. Paulin Paris, pour
ajouter au nom de Théobald l'épitliète Placentinus , pour
quoi d'autres, que cite sans se prononcer l'illustre cardinal
Pitra, lui ont assigné le siège de Sienne, pour patrie la
Lombardie , et pour époque la fin du onzième siècle, qui
était le temps où florissait Constantin de Garthage, ce n'est
pas facile à dire, attendu que ces auteurs ne s'appuient que
sur des conjectures. Si l'on nous permet d'admettre aussi
les nôtres, nous dirons d'abord que rien ne prouve que
Théobald, surnommé Placenfinus (de Plaisance), ou *S(?w^w.çz5
(de Sienne), ait jamais été évéque de l'une de ces deux villes,
ou des deux successivement; que les savants de cette époque
prenaient assez souvent le nom de la ville où ils avaient
étudié, aussi bien que du lieu de leur naissance, et qu'autour
(1) Opus:-iila Bebeliana, in4o, Argentor.j l.>13. — Notre vieil et savant
ami M. C. HippeaU; secrétaire des comités archéologiques à Paris, cite,
dans l'introduction de l'édition qu'il a donnée du Bestiaire divin de
Guillaume le Normand (p. 22, iu-S», Caen, 1832), ce passage de Bebe-
lius, et deux ou trr^is autres auteurs de diverses dates, dont les textes
prouvent que Théobald l'emportait de beaucoup par sa célébrité sur
plusieurs autres auteurs qui avaient trailé le même sujet.— Voir encore
SpicU {/. Soi ■snu, III, lxxi; - lHUoire littér. de la France, XIV, 407.
ZOOLOGIE. — LE PIIYSIOLOGUE DE THÈOBM.D. 'i77
de ce nom ainsi produit demeurent forcément jusqu'ici
toutes les obscurités possibles. Aucun biographe n'en parle,
les archéologues mêmes le connaissent peu ; il n'y a pas jus-
qu'à ses éditeurs qui n'aiment mieux s'étendre sur le fond de
son livre, sa portée morale et le mérite relatif de son exé-
cution, que sur ce qu'en pourraient attendre les érudits,
curieux de connaître un homme qui les intéresse par ses
études et par l'ingénieuse tournure de ses préceptes en vers.
Il nous semble donc que c'est à un écrivain français opinion qu'on
peut s'en former.
quil faudrait attribuer ce nom tant controversé, et quen
observant de quelle façon procède l'auteur de la pré-
face, qui ne doit pas s'éloigner beaucoup de celui du texte,
s'il n'est lui-même , il faudrait reporter celui-ci seulement
aux onzième et douzième siècles, c'est-à-dire le rattacher à
la physiologie et au style philosophique de ce temps. Ge
serait donc, selon nous, ou Thibauld, évoque de Paris vers
M 40, ou Thibauld, troisième du nom, archevêque de Reims
de \]{yd ki 204, qui aurait composé ce poème. Prose et vers,
tout nous le fait penser : la prose, en effet, de l'introduction
susdite se ressent des distinctions philosophiques employées
dans les disputes animées de Gilbert de la Porée , d'Abai-
lard et de liérenger. L'éditeur s'étend avec une sorte de com- But de son li-
plaisance sur les quatre causes de ce travail, lesquelles, dit-
il, sont matérielle , formelle^ efficiente et finale. La cause
finale surioni importe ici : eUe est l'exposé net et clair du but
que s'est proposé le docteur : « C'est l'utihté du livre , c'est
que, l'ayant lu, nous apprenions à aimer les vertus, à détester
le vice et à nous former aux bonnes mœurs. Je parle ici ,
ajoute-t-il, des vertus cardinales : la prudence, la justice, la
tempérance et la force. Quant aux vices , ce sont l'orgueil,
l'avarice, la gourmandise, la luxure et les autres qui s'expri-
ment par les mœurs de différents animaux. Nous y recon-
naîtrons donc Jésus-Christ sous le symbole du lion , et le
diable dans celui du renard ; ainsi des autres. Le but d'un tel
écrit est , par conséquent, de nous apprendre la nature de
vre
forme;
478 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
douze animaux en particulier, afin que, munis de cette con-
naissance, nous abordions plus sûrement l'étude des divines
Écritures, dans lesquelles nous les retrouverons; c'est de dé-
crire ces bêtes intéressantes , de faire jaillir de leur nature
leur sens figuratif, de porter les chrétiens vers ce qui est bon,
de les retirer du mal et leur faire pratiquer les vertus fon-
damentales : voilà ce que l'auteur s'est proposé. )>
sa matière et sa Ou Ic voît douc ! c'cst proprement un catéchisme destiné
aux fidèles, à l'aide duquel le plus simple pourra saisir le sens
des chapiteaux , des modillons, des verrières, des peintures
sur parchemin, qui, à défaut d'être lus, seraient du moins
compris aussitôt qu'exposés aux regards Certes, il est diffi-
cile d'avoir un livre plus curieux en lui-même et un témoi-
gnage plus irrécusable de la pensée qui, au moyen âge, pré-
sidait à l'iconogi'aphie catholique. Théobald l'a écrit en vers
latins, comme d'autres avaient fait en vers français. Ses vers
ne sont pas toujours de même mesure. Ils se partagent, au
nombre de 305, les douze petits poèmes consacrés aux douze
animaux choisis par le poète, et sont composés tantôt d'hexa-
mètres, tantôt de distiques, tantôt de saphiques ou d'élégia-
ques. Il y est traité, d'abord et tour à tour, du bon, de l'aigle,
du serpent et delà fourmi. Nous verrons comment ces quatre
premiers types se rattachent, sous sa plume, tantôt à la per-
sonnification du Sauveur , tantôt à celle de l'homme régé-
néré par le baptême ou la pénitence, lequel s'identifie réel-
lement par là au Sauveur lui-même. Les huit autres repré-
sentent le démon et les mauvaises passions qu'il inspire :
ce sont le renard, le cerf, l'araignée, la baleine, la sirène ,
l'éléphant (1); enfin il faut y joindre la tourterelle et la
panthère, qui ne sont prises qu'en bonne part (2). Avant
(1) Nous ne savons si M. Hippeau, qui cite l'onocentaure au lieu de
l'éléphant, a eu sous les yeux une variante aussi importante et que rien
n'expliquerait. Nous sommes forcé de croire de sa part à une distrac-
tion, que nouo ne signalons ici que pour couvrir notre propre respon-
sabilité. 11 en a eu une autre, nous semble-t-il, en donnant au poème
359 vers : nous ne lui en avons trouvé que 305.
(2) Nous n'expliquons pas comment, après n'avoir annoncé que
ZOOLOGIE. — LE PIIYSIOLOGL'E DE ÏHÉOBALD. î7i)
d'aborder avec l'auteur ces matières si diverses, nous avons
})csoin de dire coninient ce livre , que nous ne possédons
pas, nous a donné sa substance même, assez complète, pour
que nous puissions la rééditer ici.
Le pliysiologue n'est pas resté manuscrit; il fut imprimé f»» 'histoire.
en caractères gothiques , in-8% vers la fin du quinzième
siècle ou au commencement du seizième , autant que nous
en pûmes juger, lorsqu'il y a trente ans nous le trouvâmes
chez un libraire de Poitiers, auquel il n'appartenait plus. Ce
ii])raire venait de le vendre à un étranger qui devait le
prendre dans quelques jours, et nous n'eûmes que la res-
source d'en tirer à la hâte une copie reproduite ici dans
toute son intégrité. Il se composait de dix-sept ieuillets for-
mant un ensemble de trente-quatre pages non chiffrées ,
sans nulle date ni aucun nom d'imprimeur : on sait que
tous ces détails font remonter jusqu'au berceau de l'impri-
merie. Il est bon de dire que , soit par cet éditeur, soit par
quelque autre copiste plus ancien (et j'adopterais plus volon-
tiers cette dernière conjecture), des notes et interprétations
ont été ajoutées après chaque partie du poème , et nous
éclairent sur quelques obscurités que tout lecteur n'eût pas
dissipées. Nous n'omettrons pas ces gloses, souvent utiles, et
qui d'ailleurs donnent une juste idée de la méthode exégé-
tique des Pères et des physiologues qu'ils ont suivis. Elles
seront indiquées dans le texte latin par des renvois en lettres
italiques , et quelquefois nous y ajouterons nos réflexions
personnelles, qui figureront comme autant de notes au-
dessous de notre traduction.
douze animaux, Théobald en décrit quatorze : c'est son affaire, et nous
ne sommes ici qu'un fidèle reproducteur de son œuvre.
PHYSIOLOGUS THEOBALBI EPISCOPI
DE NATURIS DUODECIM ANIMALIUIVI.
De Leone.
Très leo naturas, et très linic inde figuras ,
Qiias ego, Xp/aTÊ, tiJji bisseiio carminé scripsi.
Altéra divini memorant animalia libri
De qiiibus apposui quae rursiis mystica novi ;
Temptans diversis, si possim, scribere metris,
Et numerum solidiim complent aiiimab'a solum.
Ici commence le rôle du commentateur. Il explique son
troisième vers par cette glose :
GLOSE DU PREMIER ÉDITEUR.
« Divini libri, id ost tlieologici, momorant alia animalia, scilicet
duodecim Apostolos. Unde, sicut duodecim sunt Apostoli, sic duo-
decim sunt animalia de quibus iii pra?senti libro peragitur. Et
sicut Christus est ti-edecimus inter Apostolos , qui est eorum rex
et Dominus, sic leo est rex ferarum, et est tredecimnm animal
inter ista duodecim animalia. »
Gum leo stans fortis super alta cacumina montis (a) ,
Qualicumque via vallis descendit ad ima ,
Si venatorem per naris sentit odorem ,
Cauda cuncta linit quœ post vestigia fîgit ,
Quatenus inde suum non possit cernere lustrum (6).
(a) Christus in altis habitat, ut in sap.
{b) Sic Christus quando de coelo descendit in uterum Virg. Mar.,
sic occultavit se quod nullus diabolorura novit esse Filium Dei aut
natnm ex Maria Virgë".
PHYSIOLOGUE DE L'ÉYÊQUE THÉOBALD
SUR LES DOUZE NATURES D'ANIMAUX.
Du Lion.
Le lion comporte trois caractères distincts , d*où ressor- n traite tour ù
11 . A /-.i • fT,i tour du lion,
tent trois symboles, que je veux, o Christ, célébrer en votre
honneur dans chacun de mes douze poèmes. Les suivants
développeront les mystères d'autres animaux des Livres
saints ; je les développerai en vers de différentes mesures ,
et me renfermerai pour eux dans un nombre parfait (i).
Quand le lion descend de la montagne dans la vallée,
si son odorat lui révèle l'approche d'un chasseur, il efface
des mouvements de sa queue les moindres traces de ses
pas , afin qu'on ne reconnaisse aucun indice de son pas-
(1) Et numerum solidum comptent animalia solum.
Ce dernier vers est assez obscur; il signifie que le nombre douze, qa\, nous le
savons, a son symbolisme comme tous les autres, forme un poème qui par lui seul ren-
ferme Tessentiel de tout ce qu'on peut dire dans tous les bestiaires. Le nombre douze est
appelé ici nombre solide ou parfait. Il exprime tous les Saints en général, par cela
même qu'il convient aux Apôtres, aux douze tribus d'Israël, figure biblique de l'ÉgllBO
T. III. 31
482 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Natus non vigilat dum sol se tertio gyrat ,
Sed dans rugitum pater ejus suscitât ipsum ;
Tune quasi viviscit et sensus quinque capessit,
Et quotiens dormit, nunquam sua luminaclaudit (c).
Sic Tibi, qui celsi residens in culmine cœli,
Cum liquit {d) tandem terrenam liseré partcm ,
Ut genus humanum renovares crimine lapsum,
Non penitusnotum fuit ulli dœmoniorum.
Viscera Marias, Tibi, Ghriste, fuere cubile,
Et Qui Te genuit triduum post surgere fecit.
Cum mortis vindex mortem crucis inde subires
Ut nos custodes, qui nullo tempore dormis
Pervigil ut pastor, ne deviat a grege rector.
(rî) Sic Christus nunquam claudit oculosmisericordiae. Ecce enim
non dormitabit neque dormiet qui custodit Israël.
{cl) Licuit.
De Aquila.
Esse ferunt aquilam super omne volatile primam.
Quœ se sic rénovât qn («) senecta gravât :
Fons ubi sic querit que nunquam surgere desit {bj ,
It super hune cœlo fîtque propinqua Deo {c) ;
Tune si sol ambas accendit fervidus alas
Et minuit grandes alleviatque graves (d),
Tune quoque caligo consumitur ignepropinquo,
Quam confert oculis vita vetusta suis (e).
(a) Quando.
{b) Fontem qui nunquam cessât manare.
(c) Incipit volare versus nubes, juxta spheram ignis.
{d) Tune facit concussionem alarum suarum, et pennae ejus ex
alarum concussione per radios solares comburuntur.
{e) Oculi ejus amittunt priorem caliginem.
ZOOLOGIE. — PIIYSIOLOGUE DE THÉOBALD. 483
sage (^). Ses yeux restent fermés trois jours après sa nais-
sance ; alors il les ouvre aux rugissements que son père fait
entendre; de ce moment la vie commence pour lui, et dé-
sormais il dormira toujours les yeux ouverts.
C'est ainsi, Seigneur, qu'après avoir quitté pour cette terre
les hauteurs des cieux , quand vous avez voulu renouveler
l'homme abîmé dans sa chute, vous avez soustrait au démon
la connaissance de ce mystère. Le sein de Marie devint le lit
oîi vous reposâtes, et, après vos souffrances, le Père éternel
vous ressuscita au troisième jour. Depuis que vous avez
opéré notre Rédemption par la croix, vous nous gardez (2);
pasteur \ igilant , vous ne dormez jamais ; jamais vous ne
vous séparez de votre troupeau.
De FAîgle.
L'aigle passe pour le roi des oiseaux. Voici comme il s*y dei-aigie
prend dans sa vieillesse pour se rajeunir : il cherche d'abord
une fontaine d'eau vive, et s'élève au-dessus d'elle jusqu'aux
et de toua ses enfants, etc. (Cf. S. Méliton, Clavis, cap. xii, De Numéris.) — On voit que
le nombre des douze Apôtres a déterminé l'écrivain à chercher, parmi la grande famille
des bêtes symboliques , les douze qui lui paraissent avoir le plus d'analogie avec nos
vices et nos vertus. Ce choix arrêté, c'est le liftn qui commence la série, parce qu'il
symbolise le Sauveur, à qui s'adresse cetto dédicace. Afin de ne pas interrompre notre
texte, nous lirons sous forme de glose dans la même page les observations données par
le commentateur pour l'intelligence et le développement de certains vers.
(1) Le Uon, effaçant ses propres traces du fouet de sa queue pour dépister le chasseur,
restant sans vie trois jours après sa naissance, et la prenant aux rugissements du père
enfin dormant les yeux ouverts , ne perd rien de ces fabuleuses attributions dans les
divers physiologues : elles sont empruntées des anciens. L'application que le symboliste
y fait ici de la venue du Très-Haut parmi les hommes , du soin que le Verbe divin avait
eu de cacher son incarnation au démon, de la résurrection du Sauveur trois jours après
sa mortjCSt aussi juste que précise, et c'est cette méthode do mystiques rapprochements
qui va s'adapter à tous les autres animaux dans la suite du Bestiaire de Théobald.
(2) Le mot custodes du texte latin est sans doute pour custodias, quoique le vers
en devienne faux. Mais nous verron» quel 'auteur est peu scrupuleux sur ce point.
484 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Mox ruit et liquidis se mergit fontis in undis,
Utque cadit nido, sic nova fit subito.
Est autem rostrum quo capitur esca rotundum ( f) ;
Vix valet ex aliquo sumerc pauca cibo.
Sed feriens petram , vel mordens, ut solet, escam
Os terit obliquum : sic capitinde cibum.
Est homo peccatis q~ sunt ab origine matris,
Qualis adest aquila, sed renovatur aqua (g) ;
Nubes transcendit, solis incendia sentit,
Mundum cumpompis despiciendo suis.
Fit novus in Ghristo inlermissus gurgite vivo ;
Desursum vivus fons fuit il le plus,
Os terit obliquum per verba precantia Cbristum (h).
Cbristus petra sic format Apostolus ista ,
Nam novus est panis super omnia mella suavis.
Panis, id est Cbristus, sit sine fine cibus !
(f) Aquila habet quandoque rostrum rotundum et obliquum, adeo
quod non potest comedere. Tune vadit ad petram, et percutit ros-
trum contra eamdem, et mordet velut cibum , et sic curvitas an-
tiqui rostri deciditur, et sic ipsa juvenescit et potest comedere.
(g) Per aquilam intelligitur quilibet peccator qui deformis est des-
pectusque in oculis Dei propter senectam suorum peccatorum in-
veteratam. Sed quum per baptismum secundam agitpœnitentiam,
renovatur juventus ejus ut aquilae. Sic per alas desiderii trans-
cendit ad nubes, cœlestia sapit.Tunc sentit Solis justitise incendia.
(h) Peccator, percutiendo ad petram , qu.'e est Cbristus, per ora-
tionem confîtendo peccata deponit os obliquum, et post hoc valet
capere cibum, id est gratiam Dei, Panemque omne delectamentum
in se habentem.
De Serpente.
Jam senex serpens novus esse gaudet
Atque jejunans macrum corpus perborret [a).
Pellis effeta tremit evacuata ;
{a) Sorpcns, quando vult juvencscere, j(>junat quadraginta die-
bus, et sic in tantum maceratur quod pellis ejus efficitur rugosa.
ZOOLOGIE. — PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. AHo
nuages; alors l'ardeur du soleil embrase ses plumes, le feu
consume ce qu'elles avaient de trop épais et de trop lourd ,
et lui rend môme l'ancienne perspicacité de son regard ;
après quoi il se précipite dans la fontaine et redevient aus-
sitôt plein de jeunesse et de vigueur. La vieillesse avait ar-
rondi son bec , à peine capable de saisir sa nourriture; il
parvient à lui redonner sa force et son aptitude en le frot-
tant contre les pierres et les rochers.
L'homme ressemble à cet oiseau. Soumis au péché dans
le sein de sa mère, il se renouvelle dans l'eau du baptême ;
il s'élève jusqu'au Ciel , et s'y réchauffe à la chaleur du
Soleil divin par le mépris qu'il fait du monde et de ses
attraits. Les eaux vives du Christ le rajeunissent, et il devient
ainsi lui-même une source de vie et de piété. Sa bouche se
réforme par la prière qu'il adresse souvent au Christ , la
pierre fondamentale de FApostolat, et par le retour fréquent
au Pain qui surpasse toute douceur. Puisse ce Pain devenir
notre nourriture éternelle !
Du Serpent.
Lorsque le serpent est devenu vieux, il aspire à une nou- <Ju serpent,
vellc jeunesse. Dans ce but, il jeûne si complètement que sa
peau évidée n'a plus de consistance, et qu'il ne lui reste que
les nerfs et les os. En cet état il ciierche dans la pierre une
cavité fort étroite ; il s'y tient d'abord immobile, et enfin il
486 HISTOIUE DU SYMBOLISME.
Ossa ciim nervis sola manent ;
Quœrit angustum lapidisque foramen,
Vix movens se, veniensque tandem,
Inde pertransit, spoliât earumque vetustatem.
Quoslibet rivos repetens aquarum
Utsitim pellat, evomit ille virus ante.
In aquis ergo minus hunctimebis absque vcneno.
Si virum quemquam sine veste spectat,
Longius serpens ut ab igné recedit ;
Sed videns illum qui fert amictum, surgit in illo,
Quem viFut vincat persequiturque multum.
Colligens caput facit inde scutum
Verticis vero tenet usque curans ne moriatur.
Fonte qui sacro semel es renovatus (b) ,
Denuo si peccas, tune filicernus (?) extas.
Ergo sis semper imitator (anguis), dum veterascis.
Sit cibus parcus ut minuantur artus.
Unde cum mundis pauperes juvabis ;
Pœnitens defle , Dîio quoque saepe die miserere.
Signât liunc callem lapidis foramen,
Signât et Gliristum petra, namque per ipsum
Fit novus quisquis capitatque vitam fine carentem.
Cujus ad excelsum veniendo templum
Utbibas sacrum beatumque verbum,
Evomas primum q. habes nocivum corde venenum :
Cordis sunt irœ magis angue nocivae
Etvelut matres odium créantes;
Corde sunt rixœ bonae non amice invidieque,
Corde conceptis furiis superbis,
Et coœquales superosque contemnis venenis ;
(b) Per serpentemdesignatur peccator, qui, cum desiderat inno-
vari, débet, ad modum serpentis, jejunare quadraginta diebus.
Doindedebet quaerere petram,idestGhristum,velsacerdotem Ejus,
loco Ghristi positum, cui confiteatur omnia peccata sua : fit novu8
in Christo.
ZOOLOGIE. — PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. /|87
la traverse en y laissant sa dépouille. Aussitôt, pressé par la
soif, il gagne le plus proche ruisseau et s'y débari*asse de tout
son venin, en sorte que vous n'avez plus rien à craindre de
lui : rencontre-t-il un homme nu , il s'en éloigne comme
du feu ; au contraire, il s'élance avec colère sur celui que
couvrent ses vêtements, et le poursuit de morsures ardentes;
au besoin, il se roule sur lui-môme, et, pour sauver sa vie,
il cache sa tète dans ses replis.
Vous qui vous êtes une fois renouvelé dans la fontaine
sacrée, si vous retombez dans le péché , vous vous amoin-
drissez encore (^ ) . Donc imitez le serpent à mesure que vous
avancez dans la vie : sachez retrancher de votre nourriture
pour nourrir les pauvres ; pleurez vos fautes , implorant la
miséricorde divine. Ce sentier de la pénitence est indi-
qué ici par le trou de la pierre, et cette pierre elle-même
signifie Jésus-Christ. C'est se renouveler que d'aspirer à la
vie éternelle. Surtout, quand vous abordez le temple sublime
du Verbe incarné pour y boire à la source du Précieux Sang,
commencez par vomir hors de voti'e cœur tout ce qui y
serait un poison mortel. La colère y fait plus de mal qu'un
serpent : elle y enfante les haines , la jalousie , les concep-
tions orgueilleuses, qui font mépriser trop souvent les égaux
et les supérieurs; c'est elle qui y fait naître la fraude et
l'avarice. Si vous vous dépouillez de vous-même en demeu-
(1) Le mot ftlicernus mis dans le texte n'est pas latin et semble composé pour le
besoin du vers. Nous croyons qu'il peut, dans la pensée de l'écrivain, avoir pour racine
le mot ftlix, bruyère, plante très-petite et peu estimée. C'est donc, selon le sens do
l'auteur, s'amoindrir, comme le serpent qui diminue en hiver, que de retomber dans le
péché après en avoir été délivré par le baptême.
L'auteur profite ici de ce que le serpent reçoit d'extraordinaire dans les descriptions
fantastiques pour trouver entre lui et le Christ des rapports qui descendent ensuite jus-
qu'au chrétien. Il paraîtrait, d'après ce que dit Elien de cette bête (De Naturis anima'
liiim, cap. XII), que de son temps on attribuait le bien ou le mal à certaines espèces plus
ou moins nuisibles. Ainsi la vipère, par sa morsure mortelle, était Pindice d'une méchante
femme; la couleuvre, timide et incapable do nuire, n'effrayait en rien et n'avait que des
caractères inoffensifs et très-imitables. C'est un sujet de cette espèce que Théobald s'est
plu à décrire, et il engage le chrétien à le suivre dans tous les mouvements do sa vie, à
changer sa vieille nature, à aimer la solitude, où l'âme se refait et se débarrasse du venin
de ses péchés.
488 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Plena siiul istiis aliisque multis corda.
Corde manet fraus etcupiditas ubiqiie.
His quidem piirus quasi veste niidus
Daemones anguis typicus fugabis ,
Noctes ut cœcas reprimit tenebras
Orbita solis.
Sed tamen magnas patiere pugnas.
Unde dum vives in agone, viges author.
Unde serpentem imitare prudens verticis ;
Vis novam vitam sine fine dignam ,
Semper illœsum caput habendum ,
Hocque caput dico quod babes in principe Christo.
De Formica.
Exemplum nobis prœbet formica laboris
Quando suo solitum portât in ore cibum ;
In quo suis factis res monstrat spirituales,
Quas quia Judœus non amat inde reus.
Ut valeat brumœ fieri secura futurœ,
Dum calor in terra , non requiescit ea.
Nosque laboremus, fratres, dum tempus habemus ,
Securi fieritemporejudicii.
Hœc frumenta legit; si comperit hordea, spernit :
Tuque novam Legem collige, non veterem.
Sed ne de pluviis aspersum germinet udis
Aut id ne pereat esse quod hœc nequeat,
Granum quodque legit prudens formica , bipartit.
Hoc est quod binas Lex habet una vias.
Quœ terrena sonat simul et cœlestia donat ;
Nunc mentem pascit, et modo corpus alit.
Nos ut Lex replcat, famis formido recédât
Tempore judicii, quod simile est hiemi.
ZOOLOGIE. — l'HYSIOLOGUE DE THEOBALT). iSl)
raiit pur, le serpent infernal fuira devant vous ; et plus vous
fuirez le monde, mieux vous dissiperez les ténèbres de votre
esprit. Cependant attendez-vous à de grands combats; mais
ces luttes mêmes seront la force de votre vie. Imitez la pru-
dence du serpent , et si vous voulez bonorer votre vie nou-
velle, gardez soigneusement votre tète de toute blessure, et
souvenez-vous que votre tète c'est le Christ (i).
De la Fourmi (2).
La fourmi nous donne l'exemple du travail en transpor- «Je la fourmi,
tant en de longs trajets sa nourriture de chaque joui'. iWAlc
conduite est pleine pour nous d'enseignements spirituels,
dont la haine rend le Juif si coupable (3). On voit donc la
fourmi s'assurer des subsistances pour le temps des brumes
hivernales.
(1) Cette comparaison de l'aigle s'élevant jusqu'au soleil convient également bien au
baptisé ou au pénitent régénéré s'élevant jusqu'au Soleil de justice, et dont les efforts
ont pour conséquence la possession de la Céleste Nourriture.
(2) Nous trouvons dans l'édition du P. Beaugendre quelques variantes avec le texte
(jue nous suivons; elles sont trop peu importantes pour nous arrêter. L'essentiel est que
le fond reste le même, et il consacre encore los mêmes traditions. Le moyen âge les a
reçues et reproduites par tous ses physiologues. Herrade, dans son Ortus deliciarum,
a douze vers que cite dom Pitra (Spicit. Solesm., m, 84) et qui diffèrent peu, parle sens
et quant aux œuvres de la fourmi, de ce qu'en dit notre poète. On voit ici que, par cela
même qu'elle est louée comme laborieuse, elle est opposée à la paresse, l'un des péchés
capitaux. Elle devient aussi, par le choix qu'elle sait faire de ses récoltes, préférant le
froment et rejetant les grains de moindre valeur, elle devient le symbole du chrétien
prudent, discernant la lettre de la Loi de son Esprit, aimant à se nourrir des vérités
évangéliques, et faisant dès ce monde une provision de mérites pour éviter, quand
viendra l'hiver, c'est-à-dire la dernière saison de notre existence mortelle, tous les repro-
ches qu'auront mérités le négligent et le tiède.
(3) Le texte porte " que le Juif est coupable de ne pas aimer. „ — C'est ^qu'en effet la
grande faute des Juifs est de no pas admettre le sens spirituel des Ecritures, qui
vivifie, dit S. Paul, et de s'obstiner dans la lettre, gwi tue. C'était la pensée du Phyaio-
logue d'indiquer ici tous ceux qui résistent à la doctrine chrétienne par les Juifs, qui,
de son temps, étaient universellement détestés, et dont le nom offrait le synonyme de
tous le» contempteurs de l'Évangile.
490 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
De Vulpe.
Plena dolis multis vocitatur subdolavulpes;
Hanc fiigat agricola, nam capit altilia.
Sin habet ille famem (quia desimt), invenit artem
Qiia sibi cantantes prcndere possit aves.
In terram scissam se tendit, rictumque supinum,
Et quasi sit mortua, flamina nulla trahit (a) .
Gornix aut ater corvus putat esse cadaver (6).
Insidet ut comedat, morsibus excoriât :
Illa levis surgit, subitoque volatile sumit
Dcntibus et tristem reddit edendo necem (c).
Unde tenet duplam, quam prodest nosse, figuram :
Est Zabulo similis, par aliquando viris (d).
{a) Extendit se jacendo suprà dorsum veluti mortua, non tra-
hendo anhelitum.
(b) Cadaver dicitur per etymologiam caro data vermibus.
{(■) Vulpes est qQoddam animal fraudulentum, volubile pedibus,
raro roctis itineribus procodens. Et dicitur a verbo voluo et pes. —
In vulpecula diminutivum.
(d) Zabulus, id est diabolus, interpretatur contrarius.
ZOOLOGIE. — PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. 40^
Travaillons aussi, ô mes frères, pendant que nous le pou-
vons, à nous assurer contre les rigueurs du jugement qui
s'approche. Gomme le petit animal choisit le froment nou-
veau et dédaigne celui des récoltes passées , ainsi préférez
la nouvelle Loi à l'ancienne. Gomme il a soin de préserver
ses provisions de l'humidité , afin de mieux garder ce qui
dépasse ses besoins , il fait deux parts de son grain ; nous
aussi, nous avons à suivre ici-bas une double voie, dont
l'une est celle de nos devoirs de la terre, l'autre de nos espé-
rances du Giel. Dans l'une est la nourriture du corps, dans
l'autre celle de l'esprit. Suivons la Loi divine : ce sera éviter
la famine de ce temps d'hiver que nous figure le suprême
jugement.
Du Renard.
Expert en tromperies, le renard est plein de ressources du renard,
frauduleuses. Le fermier lui fait la chasse, comme au dévas-
tateur de ses poulaillers. Quand il a faim , il n'y a pas de
ruses qu'il n'invente pour s'emparer des chantres de la
basse-cour. Il s'étend dans un sillon, s'y couche sur le dos,
tient sa gueule ouverte et ne souffle pas plus qu'un mort (4).
Les corbeaux et autres oiseaux de proie croient rencontrer
un cadavre (2) ; ils s'en approchent et sautent sur lui pour le
dévorer à belles dents : soudain la hôte se lève, s'empare des
oiseaux et leur fait de tristes funérailles (3).
11 y a ici deux symboles à méditer : le renard ressembe
(1) Encore un type partout connu pour une image sensible de Satan, faux et ravisseur
(les âmes, cruel et ne les cherchant que pour les dévorer. Il est comparé à Hérode par
Notre-Seigneur lui-même, ce que notre physiologue n'a pas oublié. Les mêmes sources
nous ont fourni, sur la nature malicieuse de cet animal, des données qui ne lui sont jamais
honorables.
(2) l'iitat esse cadaver. — Notre commentateur s'amuse ici à une singulière étymo-
logie , si tant est que c'en soit une ; on l'avait attribuée au comte Joseph de Maistro,
pour qui elle n'était sans doute qu'une réminiscence.
(3) Reddit edendo necem. — Ce beau commentaire qui ferait venir vulpes de votvere
pedes est encore une étymologie de mémo source que bien d'autres. Vulpes descend
bien mieux d'àXo)7:r/^, rvcc lequel l'analogie est frappante.
402 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Mortuus est vere qui mortem facit habcrc ;
Nos et dissimilat qui mala non faciat.
Gujus edit carne qui rem facit oris inanem ,
Hoc est peccatum quodlibet atque malum.
Quam tune déglutit cum secum ad tartara ducit
Dœmon ab insidiis, vulpeculae similis 1
Et cum fraude viri sunt vulpis nomine digni.
Quales hoc omnes tempore sunt homines ,
Fautes ore bona, sed mala corde gerunt.
Herodesque fuit qui Ghristum quœrere jussit ,
Credere se simulans, perdere dissimulans.
De Cervo.
Cervus habere duas naturas atque figuras
Dicitur ap%sîo, qui docet inde, logo,
Namque suis grandes cum naribus attrahit angues
De caveis terrœ, de latebrisve petrae.
Quos Yorat, ac, tetro mox fervescente veneno,
iEstuat ad liquidas pergere fontis aquas.
Quas cum fonte bibit, liis plenus toxica vincit,
Se juvenemque facit cornua quando jacit.
Nos quoque, cum prisci serpentis fraude revincti
Virus contrahimus, orimur et facibus.
Hœc tibi luxuriam profert, odiumque, vel iram,
Aut etiam nimiam ejus avaritiam.
Ad fontem vivum debemus currere Ghristum ,
Qui, cum nos mundat, sumpta venena fugat.
Et sumus, his demptis, juvenes, fractisque beati.
Quae quasi cornua sunt cum miseros faciunt.
Gornua sunt onera quae cervi vertice portant ,
Sed non dedecori deinde yidentur haberi.
Et Uuvios tranant pariter terramqueperagrant ;
Longius et pergunt pascua quando petunt ;
ZOOLOGIE. — PHYSIOLOGUE DE TIIÉOBALD. 493
tantôt au démon (^), tantôt à certains hommes ; car celui-là
est bien mort qui procure la mort aux âmes, et Fliomme lui
ressemble d'autant plus qu'il s'étudie plus à faire le mal (2j.
On peut dire aussi qu'il dévore la chair de celui qui commet
le péché , et qu'il l'engloutit avec lui dans l'enfer. Par ses
embûches, le démon ressemble donc beaucoup au renard ;
mais les hommes ne sont pas moins dignes de ce nom lors-
qu'on les voit, comme aujourd'hui, en si grand nombre,
avoir d'excellentes choses sur les lèvres et de très-mauvaises
dans le cœur : tel Hérode qui fît chercher l'Enfant-Dieu en
feignant de croire en lui, afin de le trahir plus sûrement.
Du Cerf (3).
L'enseignement de notre Phtjsio-logue nous montre à *^«cerf.
l'égard du cerf deux natures et deux symboles différents (4).
On dit que, des puissantes aspirations de ses naseaux, il attire
les serpents réfugiés dans les antres ou dans les trous des
rochers, il les avale, et, aussitôt qu'il ressent l'effet de leur
mortel venin, il gagne en toute vitesse quelque fontaine
dont l'eau, en le désaltérant, lui sert de contre-poison. On
prétend aussi qu'en changeant de bois il retrouve les forces
d'une jeunesse nouvelle.
Et nous aussi , lorsqu'enveloppés dans les ruses de l'an-
cien serpent nous acceptons, avec le péché, la mort de nos
(1) Zahulus , parce qu'il est le contrariant , V adversaire , car il s'attaque h tous et
beaucoup, comme le marquent le mot original [^âXXo), je jette, et l'augmentatif ^a.
(2) Ces trois derniers vers, à partir de Nos et dissimilat, ne sont pas faciles à com-
prendre dans un pareil latin, et il y a ici , comme bien ailleurs, plus d'une faute de co-
piste. Le cinquième vers après celui-ci. Fautes ore bona, manque aussi de son hexamètre.
(3) Voir, à propos du cerf, une Notice de M. Cartier sur le sceau du chapitre de Saint-
Chéron de Chartres. Le cerf y est, d'après S. Jérôme, Cassiodore et le V. Bède, l'image
du chrétien qui détruit le péché par le sacrement de pénitence, ou du martyr qui obtient
par son sacrifice volontaire une jeunesse éternelle. Le rapprochement entre cet opuscule
et le présent traité de Théobald est fort curieux. Il est clair que celui-ci avait poétisé une
idée reçue, puisque les trois auteurs susdits en avaient parlé avant lui. Mais M. Cartier
n'a pas connu Théobald, qu'il n'eût pas manqué do citer. Le symbolisme donne donc
encoio sa preuve qu'il était une science publique connue de tous.
(4) Dicitur a physio , qui docet inde, wQo. — Originalité de construction propre à la
494 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Portant suspensum gradientes ordine mentum,
Alter in alterius clunibus impositus.
Hune retinent usum si sint in ordine centum ;
Sed qui praecedit fessus ad ima redit.
Sic se vertentes cuncti, mutuoque ferentes,
Nullo defîciunt, sicque vitam peragunt.
Per taies mores alienos ferre labores
Cum pietate monent, sicque juvare docent.
Sic lex est Ghristi nostri complenda magistri ,
Gujus qui faciat, pascua et inveniat.
ZOOLOGIE. — PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. 49 >
âmes, n'avalons-nous pas ( i ) la luxure, ses haines, ses colères,
ses cupidités ? Alors ne tardons pas , hâtons-nous de courir
vers le Christ, la source des eaux vives qui nous guérira en
chassant de notre cœur le poison fatal ; et, à mesure qu'il
nous quitte , nous nous déharrassons par cela môme des
superfluités (des bois ou cornes) qui nous surchargeaient.
Ces bois, en effet, sont pour le cerf de véritables fardeaux,
imposés à sa tète ; mais ils lui deviennent bientôt un orne-
ment (2). — Les cerfs nagent aussi bien qu'ils courent, et vont
chercher parfois des pâturages fort éloignés. Lorsqu'ils tra-
versent un fleuve dans ce but, ils se suivent tous , chacun
reposant l'extrémité de sa tête sur la croupe du précédent.
Ils vont quelquefois jusqu'à cent rangés ainsi à la suite les
uns des autres , et quand celui qui marche le premier se
sent fatigué, il passe à la suite de tous les autres. Ils se prê-
tent ainsi un mutuel secours; aucun d'eux ne failUt, et cha-
cun se soutient jusqu'au terme de la course commune (3).
Ces intéressants animaux nous avertissent donc de nous sup-
porter mutuellement, et de nous aider dans toutes les diffi-
cultés de cette vie : c'est la loi du Christ notre maître ;
accomphssons-la, et nous arriverons aux pâturages de notre
éternité.
versification du moyen âge, qui y trouvait une ressource contre les mots que leur quan-
tité ne permettait pas d'introduire dans un vers sans les démembrer, mais qui rendait
rarement le vers meilleur. On verra plus loin : ut cale-se-faciant. (Voir, ci-après, De Ceto.)
(1) Orimur et/acibus. — Il faudrait /aucibus; mais, par une licence qui passe les bor-
nes, le poète a fait un mot qui, tout en gardant la quantité voulue, donne un non-sens au
lieu de l'idée qu'il voulait exprimer. Il en est ainsi du verbe orimur, qui n'est pas latin
avec une telle orthographe, et ne s'applique en rien aux circonstances. Il est clair qu'on
devait lire ici : haurimus et faucibus.
(2) Ainsi no« fautes, une fois arrachées de notre cœur par la confession , servent à
notre gloire dans la mesure de notre repentir. Le physiologue no dit point cela, mais
il indique assez sa pensée, qui ne manque peut-être ici que faute d'un ou deux vers
oubliés.
(3) Sicquevitam peragunt. — Ce vitam est certainement encore là pour iHatn.— Au
reste, on voit ici le physiologue se plaire à tous les contes populaires et n'en manquer
aucun, comme nous l'avons vu sur le renard, comme il les a répétés sur le lion. Mais
aussi des moralités se tirent naturellement de ces erreurs accréditées, et ici nous n'en
manquons pas.
496 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
De Aranea.
Vermis aranea («), licet exiguus,
Plurima fila nectit assiduus.
Texere qui studet artificiis,
Quœ vivere solet liis studiis.
Sunl ea retia, musca, tibi,
Ut volitans capiaris ibi :
Dulcis etutilis escasibi.
Hinc placet illud opus tenere,
Et sibi nihil valet ut fragile :
Quaelibet aura trahit in patulum,
Rumpitur, et radit in nihilum.
Hos sequitur liomo vermiculos
Decipiendo suos minimos,
Quos comedit faciens miseros,
Et placet sibi inde nimium
Quando nocere potest alio.
Ille tanien vitium^quodque facit,
Gum moritur quasi tela cadit,
Quam modo dictus aranea agit.
(a) Per araneam inteiligitur avarus : nam, sicut aranea eviscerat
miiscas, sic avarus in acquirendo pecaniam pauperes eviscerat, et
ipsos in mortem tradit.— Diabolus nobis tanquam muscis insidia-
tur semper ponendo nobis in via liamos, retia et laqucos suos, ut
possit nos capere per peccatum; et dum aliquem capit per con-
sensum peccati mortalis, tune eviscerat et privât gratia, nisi per
confessionem et pœnitentiam récupérât eam. Et sic tela diaboli
est quod propria voluntate per pœnitentiam potest homo evadere
eam.— Aranea timet solem : sic diabolus timet sTam EccTîam vel
honiëm justum, quia soli comparatur justus.— Plus solet aranea in
nocte texere quam die : sic diabolus quando homo justus minus
est in custodia.
ZOOLOGIE.— PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. 497
De l'Araignée.
L'araignée, quoique n'étant qu'un très-petit animal, niul- '^^ l'araignée,
tiplie ses fils par l'assiduité de ses labeurs; elle passe sa vie
tout entière à ces studieuses industries. Pauvre mouche !ce
sont là autant de filets oii ton vol s'arrête, où tu te prends
pour devenir sa nourriture. Cette proie devient à ton en-
nemie un encouragement, et rien ne lui sourit mieux que
sa toile, pourtant si fragile, que le moindre vent entraîne au
large pour la rompre et la réduire à rien {\).
L'homme qui suit ce funeste exemple trompe quiconque
est moins fort que lui ; il dévore les malheureux qu'il a faits,
il se fait un cruel bonheur de nuire à autrui, il s'abandonne
à tous les vices ; mais bientôt il meurt, il tombe, et devient
semblable à la toile de notre araignée.
(1) Et radit in nihilum. — C'est bien vadit et non radit qu'il faudrait ici. On Toit du
reste, dans ces rapports entre l'avare et l'araignée, beaucoup de vérité, de goût et de
justesse.
T. ni. 32
498 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
De Ceto.
Est super omiie peciis, qui vivit in œquora, cetus;
Monstrum grande satis dum super extat aquis.
Prospiciens illum, montem putat esse marinus
Aut quod in oceano insula fit medio.
Hic si quando famem, quod fert sœpissime grandem ,
AUeviare cupit : callidus os aperit,
Unde velut florum sic flatus reddit odorem
Ad se pisciculos ut tradat exiguos,
Exiguum tantum quum repreliendere magnum
Perfectumque nequit ; sed nec ab ore premit
Parvos pisciculos, claudit déglutit et omnes,
Non sic ut quondam sorbuit ille Jonam.
Si fit tempestas, cum vadit et venit œstus.
Et pelagus fundum turbidat omne suum,
Gontinuo summas se toUit cetus in undas :
Est promontorium cernere non modicum.
Huic religare citam pro tempestate carinam
Nautœ festinant , utque foris saliant,
Accendunt vigilem quœ navis portitat ignem
Utcale se faciant aut comedenda coquant.
Ille Ibcum sentit ; tune se fugiendo remergit
Unde prius venit, sicque carina périt.
Yiribus est Zabulus, quasi cetus corpore, magnus (a),
Ut monstrant magni, quos facit ille, magi.
{à) Magnis est viribus diabolus, seu Zabulus, ut nigromantici affir-
mant, qui virtute diabolica per artem magicam magna et mirabilia
iacere videntur; et etiam Yidentur esse montes diaboli in pelago ,
quia suas deceptiones per universum mundum diffundunt.— Dia-
bolus per suse suggestionis dulcedinem, qu£e est in longa vita et con-
cupiscentia carnali, attrahit sibi homines parvos et modicos in fide
et in bona operatione; vel si capitales, non tenet eos,sed evomit,
sicut hic cetus tenuit Jonam prophetam.
ZOOLOGIE. — PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. 499
De la Baleine (1).
La baleine dépasse par sa taille tous les habitants de la doiabaicine,
mer ; elle se tient sur l'eau en des proportions monstrueuses.
Les marins , la voyant de loin, la prennent pour une mon-
tagne ou une île jetée au milieu de l'océan. Quand elle a
faim, il lui devient diliicile de s'assouvir , et elle recourt à
une ruse : elle ouvre son énorme gueule et en fait sortir un
souffle semblable à un parfum de fleurs odorantes qui attire
à elle les petits poissons; elle se contente de ceux-là quand
elle n'en peut avoir de plus gros ; mais elle ne les écrase pas
de ses dents, les avale tout entiers, comme il arriva autrefois
à Jonas (2). Si, au temps des marées, il survient une tempête
qui trouble la mer jusque dans ses plus intimes profondeurs,
la baleine s'élève aussitôt à la surface des eaux et y apparaît
comme un promontoire. Les nautonniers se hâtent d'y atta-
(1) On voit clairement, par ce qui est dit ici de la baleine, que notre versificateur n'a
fait que translater, de la prose accréditée de son temps, les caractères et incidents qu'il
relate. Il n'y a rien dans ces contes venus de l'Orient, amateur de merveilles, qui n'ait été
dit par les bestiaires du passé. Ces exagérations n'ont pu échapper à aucun d'eux. — Voir
Uippeau, Best, divin., p. 153;Bochard, AnimaUa sacra, cap. vii; Wolfgangus Franzius,
ytnimalium histor. sacra, lib. III, cap. vu. — Nous avons remarqué plusieurs fois que, le rôle
principal de ce monstre étant celui du démon, les énormes proportions de sa gueule im-
mense ont paru très-convenables à exprimer l'ouverture de l'enfer, si souvent reproduite
pleine de flammes et d'âmes qui s'y engouffrent, jetées par les démons, ou qui en sortent
appelées par le Fils de Dieu qui frappe de sa croix la gueule du Léviathan. Nos manuscrits
sont pleins de ces images, aussi bien que nos vitraux des treizième et quatorzième siècles.
On les voit sculptées au portail des cathédrales d'Auxerre, de Poitiers, d'autres en
grand nombre, et sur beaucoup de chapiteaux. Cette figure, ainsi dessinée partout sous
les mêmes traits, prouverait assez, contre BocharJ et D. Calmet, qui font du Léviathan de
Job un synonyme du crocodile, que c'est réellement à la baleine que le saint homme don-
nait ce nom. D'ailleurs, il n'y a pas à se tromper sur le poisson auquel est empruntée cotte
vaste gueule, et elle ne peut convenir qu'à la bête qui engloutit Jonas et le rendit sain e
sauf.— Voir Btill. monum., XIV, 121, 123, 236, 304, 313, et le Dict, archéologique de la
Bible, par William Carpenter, v" Léviathaîî. (Migne, Scrip. sac. cursus completus, III,
col. 1071.) — Voir encore, pour l'explication en elle-même de cette ouverture de l'enfer,
ci-dessus, t. II, ch. xii, p. 338. — Ajoutons seulement, pour ne rien laisser manquer aux
notions nécessaires de ce sujet, que, quand le Sauveur y apparaît frappant de sa croix lo
monstre qui rend les âmes au lieu de les engloutir, c'est la représentation de la des-
cente du Fils de Dieu aux limbes et de la délivrance des âmes du purgatoire.
(2) Non sic ut quondam sorbitit ille Jnnam. — Il est clair qu'il y a encore ici quelque
faute de copiste, car ce vers exprimerait le contraire do ce qui arriva à Jonas, lequel
fut absorbé et rendu tout entier par la baleine. — Notre traduction rétablit le vrai
sens de l'auteur.
•JOO HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Mentes cunctorum qui mutât ubiqiie viroruni :
Esurit atqiie sitit, quosque potest perimit,
Et modicos fîdei trahit iii dulcedine verbi,
Nam fide firmos non trahit ille viros.
In quo confidit quisquis, et spes sibi ponit ,
Ad Styga qui rapitur, quod maie deeipitur.
De Sirène.
Sirènes sunt monstra maris resonantia miris
Vocibus, et moduUs cantus facientia multis.
Ad quas non caute veniunt sœpissime nautœ («) :
Quœ faciunt sonitum nimia dulcedine vocum,
Et modo naufragium, modo dant mortale periclum.
Nam qui viderunt bas, taies esse tulerunt :
Ex umbilico sunt ut pulcherrima virgo,
Quodque facit monstrum, pisces sunt inde retrorsum (6j.
Est onocentaurus eadem natura biformis (c) :
In quibus est asinus humano corpore mixtus.
Quam plures homines sic sunt in more biformes,
Unum dicentes, ahud tibi mox facientes ,
(a) Per sirènes intelligatur diabolus, et per nautas homo. Sic dia-
boliis dulcia promittit, et inducit quibus periclitari facit hominem
in œterna damnatione.
(h) In superiori parte corporis sui sirènes habent speciem pul-
chrae virginis, sed ab umbilico inferius habent speciem volucris vel
piscis.
(c) Onocentaurus enim est monstrum marinam,qui suporius dis-
positus est sicut homo^ et inferius siciit asinus.
ZOOLOGIE. — PHYSIOLOGUL DE THÉOBALD. oOI
clicr leur navire, y débarquent et y allument du feu pour
se chauffer ou pour faire cuire leurs aliments. La bête, qui
se sent brûler, rentre alors au fond de la mer et fait périr
l'équipage.
Le démon est aussi une grande baleine, remarquable par
sa force, comme nous le disent ses adeptes les magiciens; il
s'est toujours emparé de l'esprit des hommes, qu'il change
à son gré ; il en a faim et soif, il perd tous ceux qu'il peut
séduire, alléchant parla feinte douceur de ses paroles ceux
dont la foi est chancelante, mais impuissant contre ceux qui
restent fermes dans cette foi. Celui qui l'écoute et le croit se
laisse entraîner par lui dans l'abîme, suite déplorable de sa
malheureuse confiance.
De la Sirène.
Les sirènes sont des monstres marins dont la voix est de i» sirène,
merveilleuse ; leurs chants sont pleins d'harmonie. Les nau-
tonniers se laissent prendre très-souvent à la douceur de
ces concerts perfides ; ils s'en approchent , et tombent au
milieu d'écueils qui causent leur naufrage. Ceux qui les ont
vues assurent que toute la partie supérieure de leur corps
est celle d'une ])elle jeune fille, la partie inférieure est celle
d'un poisson, semblable en cela à l'onocentaure, qui a aussi
son double corps, d'homme et d'âne sauvage.
Que d'hommes ont ainsi comme deux natures, dont l'une
parle en sens contraire des actions de l'autre : grands par-
leurs de vertus, et pratiquants de débauches (4) ! Ne sont-ce
pas là des infamies dont le monde se fait gloire ?
(1) Ici la glose de notre étymologiste est encore en défaut: -/puao; n'est jamais entré
dans la composition d'hypocrite, qui vient d Ûttcx.oÎvw, feindre, représenter un person-
nage de comédie. — Nous ne savons non plus où le commentateur de Théobald avait pris
que l'onocentaure était un animal marin. Aucun bestiaire n'en parle dans ce sens, et il
l'aura mal induit du rapprochement qu'en font les symbolistes avec la sirène , qu'on
regarde comme l'emblème des hypocrites, ou de ceux qui trompent par leur langage
différent de leur conduite, à cause de cette double nature qu'on attribue h l'un et à
l'autre. Les physiologues divers connus avant ou après lui parlent, il est vrai, de ce
monstre en même temps que de la sirène, et à son occasion, parce qu'il est, comme elle,
fomposé d'une double nature physique; mais ils ne l'ont jamais fait habitant de la mer .
ni même amphibie, comme on peut le voir dans le deuxième volume du Spicilége du car-
502 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Qui foris ut fantur , non intus sic operantur,
Ut pote sunt muiti qui de virtute locuti,
Glunibus indulgent his ! 0 quam publica fulgent {d) !
{d) Sicetiam sunt aliqui praedicatores, hommes docentes, et pr?e-
cipientes facere bona et virtuosa; ipsi vero faciunt mala et crimi-
nosa. Taies dicuntur hypocritae , ab ûtto, quod est supra, et xP'^<^°m
aurwn, quasi forinsecus apparentes ut aurum , et velut homo ra-
tione utens; sed intrinsecus sunt similes asino, ratione carentes.
De Elephante.
Gorpore tam grandes apud Indos sunt elep liantes
Ut bene fîrmares montibus esse pares.
Hi simul incedunt ut oves, dum pascua quœrunt ;
Aversi coeunt cum sibi conveniunt ;
Atque semel pariunt quamvis tôt tempora vivunt ,
Hoc esttrecentum. Nec faciunt genitum,
Ast unum generans et per duo tempora gestans
Cum parit, in magna, ne cadat, extat aqua ;
Non babet unde surgat, quia nunquam crura recurvat.
Si qua forte ruit, hocgenitrix metuit,
Dum vult pausare vel somno se recreare,
Incumbit ligno arboris exiguo,
Quam notât atque secat venator, et obice celât,
Clamque sedens spectat dum requiem répétât,
nie velut quondam securis ad arboris umbram,
Dum venit, incumbit cumque ruente ruit.
Sin bomo non aderit, gémit, et cum denique barrit,
Tune unus currit qui relevare cupit,
Sed nequit, et satagit complorans ; tune quoque barrit.
Multi vel magni tune veniunt alii ;
Gum nequeunt omnes, intendunt mittere voces.
Ad quos it subitus parvulus et minimus,
Gujus, et est mirum, provisio sublevat illum,
Et sicprœdictas effugit insidias.
ZOOLOGIE. — PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. oOS
De l'Eléphant (i).
Au pays des Indes, on voit des éléphants si énormes qu'on ^^ l'éiéphant,
les prendrait pour des montagnes. Ils marchent par trou-
peaux...; ils vivent trois cents ans, pendant lesquels ils n'ont
jamais qu'un petit qui nait dans l'eau... Gomme l'éléphant ne
peut plier ses jamhes , il ne peut plus se relever s'il vient à
tomber; c'est pourquoi, pour se reposer ou dormir, il s'ap-
puie sur le tronc d'un arbre. Le chasseur qui l'a remarqué
fait à cet arbre une large coupure qu'il dissimule ensuite ;
puis il va se cacher, attendant le retour de la bote qui revient
djnal Pitra, p. 68, 350 et 381. Tons ces auteurs, latîn, grec ou arménien, traitent d'ailleurs
delà sirène et de l'onocentaure comme Théolîald lui-même, à l'exception des interpré-
tations morales, dont le fond est simplement indiqué par eux et longuement développé,
au contraire, par celui-ci. Toutefois les interprètes arméniens sont plus abondants, aussi
bien que les gnostiques , dont l'herméneutique ne diffère que très-peu de celle de notre
évêque. Au reste , le prophète Isaïo avait parlé de la sirène et de l'onocentaure comme
de types démoniaques imposant leurs mauvaises inspirations aux peuples punis de Dieu
(voir /s., XIII, 22; xxix. 14): de là tous les symboles qui s'y rapportent dans les Pères et
les écrivains ecclésiastiques. — Quoi qu'il en soit, on voit qu'ici le commentateur, évêque
ou prêtre, ne ménage pas plus les prédicateurs infidèles à leurs convictions que ne
les épargnaient les moralistes, dont nous avons observé les sévérités artistiques en par-
lant de certains modillons, au ch. viii, ci-dessus.
(1) Le premier éléphant qui parut en France y fut envoyé à Chârlemftgne par le calife
Aaroun-al-Raschild, en 802. Ce symbole ne pourrait donc guère se trouver dans la sculp-
ture monumentale que depuis le commencement du neuvième siècle, quoiqu'on puisse bien
en avoir eu quelque idée antérieure par les bestiaires mêmes. Mais cette idée fut-elle dès
lors dans les monuments par la sculpture ou les autres arts du dessin ? Nous n'en
avons pas d'exemple, et nous ne pensons pas qu'on en puisse citer. Il n'en est que
plus curieux d'observer comme les symbolistes s'en emparèrent, y trouvèrent des ana-
logies avec le Sauveur par suite des habitudes de l'animal, ici décrites avec plus ou
moins de crédulité, pendant que d'autres, comme S. Mcliton, voyaient on lui le type des
grands pécheurs et des orguoilloui à cause de sa taille et de sa fore», dont il lui est si
facile d'abuser. Pierre de Capoue fait de l'ivoire le symbole delà chasteté et de la force
morale qui résiste aux passions. Il le donne comme une sorte d'attribut à S" Agnès, à
S" Agathe, qui préférèrent la mort à la perte de leur virginité ; à S. Paul pour sa fermeté
apostolique; au Sauveur, enfin, demeuré incorruptibU dans U tombeau ; Non dahls
504 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
De qiio pilis ejiis si fit siil) domate fiimus,
Serpentes cedunt quaeque venena ferunt.
Sic homo primus Adam per ligniim, sic cecidit jam ;
Quem Moyses voluittollere,non potiiit.
Post liiinc Prophetae voluerunt, nec valuere.
Ipsoriim precibus venit ad Jiimc Dominus,
Qui cum sit parviis, cum Deus est homo factiis ,
Sic relevavit eiim in comedendo reum (a) ;
Gujus odorplenus de verbis (scilicet?) ejus (6),
Sic cui rite venit, ille beatiis erit ;
Omne quod est vitium fugiet de corde per ipsum :
Causa dehinc lethi nulla nocebit ei.
(a) Adam cecidit in mortem cum arbore quam venator , id est
diabolus, sua fraude , instigando ad transgressionem inédit. Moyses
vero eum sublevare non potuit (per Legem), et alii Prophetae simi-
liter non potuerunt. Hi ergo simul inceperunt barrire, id est fun-
dere suas devotas orationes ad Deum, et tandem ad preces eorum
venit unus Parvus Elephas, scilicet Ghristus Jésus parvus, id est
maxime humilis, et sublevavit istum , dum sua morte in crucis
patibulo eum redemit.
(b) Sic per odorem dulcis verbi Dei fugunt cuncta vitia, nec ulla
mortis causa ad venit ei qui verbum Dei rite audit et firmiter cus-
todit. Boati qui audiunt verbum Dei et custodiunt illudl
De Turture.
Turtur inane nescit amare (a),
Nam semel uni juncta marito
Semper adhœret cum simul ipso.
Nocte dieque juncta rnanebit,
Absque marito nemo videbit ;
Sed viduata si caret ipso,
Non tamen altro nubit amico :
Sola volabit, solascdebit,
Opericnsque cas ta manebit.
{a) Sed ardenti amore.
ZOOLOGIE. — PHYSIOLO'viUE DE THEOBALI). iiO")
pi'oiidie son repos SOUS ce mèineai'bre(l), s'y appuie et tombe
avec lui. S'il ne survient personne pour s'emparer de lui, il
se meta gémir, puis ses cris deviennent perçants. Beaucoup
d'autres éléphants arrivent alors, jettent de grands cris qui
en attirent encore ; et tous, grands et petits, par une admi-
rable entente , réussissent à soulever leur pauvre ami, qui ,
grâce à ce secours, parvient à éviter la mort. Le poil de
l'éléphant a cette vertu remarquable que, s'il est brûlé dans
une maison, il en éloigne les serpents, très-venimeux dans ce
pays.
Adam, notre premier père, était tombé de la sorte. Moïse
et les Prophètes ne purent réparer sa cliute ; mais leur prière
appela vers lui le Seigneur, qui se rapetissa jusqu'à se faire
homme et le releva de son abjection en se donnant à lui
pour nourriture. Heureux donc celui qui se laissera attirer
à l'odeur de sa parole ! par elle son cœur sera dégagé de
toute influence vicieuse ; il n'aura plus en soi aucune cause
de mort. Toutes les nations l'ont suivie par la foi ; l'ancien
serpent, notre cruel ennemi , est le seul qui la fuie , qui se
cache devant ce Dieu, et qui n'ose, en sa présence, attaquer
ceux que daigne protéger et défendre Celui qui doit régner
éternellement sur eux.
De la Tourterelle (2).
La tourteielle ne sait point aimer au hasard; car, une fois de la tomtcroiip,
attachée à un époux, elle ne veut plus que lui seul ; elle lui
Sunclutn tuum videre comiptionem (ps. xxi, 10). — Ce dernier trait devrait faire pré-
férer de beaucoup les crucifix en ivoire à ceux de toute autre matière, indépendamment
ilu prix intrinsèque de celle-ci. C'est une pensée que les artistes no doivent pas oublier.
(Voir Spicit. Solesm., III, 59.)
(1) Seccris ad arboris umbravi. Il faut certainement securus.
(2) Ces vers sur la tourterelle sont charmants ; leur douceur mélancolique sied parfaite-
ment au sujet; leur simplicité gracieuse n'eût pas été désavouée par Catulle. — Au reste,
nous avonR à observ(>r sur cet oiseau qu'il est admirablement traité comme le symbole de
la chasteté conjugale, de la paix intérieure, de la douceur inaltérable, parles SS. Pères,
qui virent tour à tour en lui le Sauveur, l'Eglise sa fidèle Epouse, l'âme chrétienne, dont
l'amour se repose en Dieu seul, comme daiis la solitude chérie, qu'elle préfère au monde
et à «es dangereuses sédu'îtions. Ce ciiarmant oiseau n'a .jamais eu son opposition chez
les symbolistes; il a toujours été pris en bonne part. S. Fran<;ois de Sales rappelle,
d'après les anciens naturalistes, qu'il n'a pas de fiel, et le propose comme modèle de la
mansuétude chrétienne unie au saint éclat d'une chasteté incorruptible, (t^ie dévote.)
o06 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Sic anima extat quœque fidelis,
Facta virili fœdere felix,
Namque maritus est sibi Ghristiis,
Gum sua de se pectora replet ;
Si bene vivit, semper adhaeret,
Non alienum quœrit amiciim.
QuamliJ)et orcus sumpserit illiim ,
Quem superesse crédit in œthere,
Unde futur um spectat eumdem
Ut microcosmum {b) judicet omnem.
(b) Ici est hominem.
De Panthère.
Est quadrupes panther quo non est pulchrior alter :
Qui magis ex albo conspergitur orbiculato.
Diversis pastus, venatibus et satiatus ,
Se recipit dormitque cavo prostratus in antro;
Post triduum surgit : tune vero denique rugit...
Exit odor talis de gutture, tamque suavis,
Qui virtute sua superabit aromata cuncta,
Ad quem vox tendit quae vocem bellua sentit.
Sic imitatur eum fletus dulcedine plénum :
vSic faciunt omnes soli panthera dracones,
Gum sonat : aut fugiunt aut segnes corpore iîunt,
In caveisque latent nec longo tempore patent.
Est autem Ghristus panther allegorice dictus,
Qui super est homines forma collatus ad omnes (a),
Et satur ille fuit qui tôt quos vult sibi sumit ;
Somnum tune cepit quum nos moriendo redemit.
(a) Siciit panther satiatus tribus diebus dormit, ita Ghristus oppro-
briis et contumcliis, (^t diversis afflictionibus affectus, tribus diebus
(luievitinsepu'cro.etpostquamresurrexitjVociferaiisdulcissimum
odorem nmisit, dicons : Fax vobis, nolite timoré.
ZOOLOGIE. — PHYSIOLOGUK DE THÉOBALD. oOT
restera fidèle nuit et jour; on ne la verra jamais sans lui, et
si elle en est privée par la mort, elle n'aura point d'autre
ami (1), restant seule, parcourant seule les ])ois qui cache-
ront le mystère de son chaste veuvage.
Ainsi l'âme tîdèle lui ressemble; heureuse des liens qui
l'attachent au Christ son Époux , elle remplit son cœur de
Lui seul, et garde la sainteté de sa vie dans sa fidélité, qui ne
lui permet pas d'autre affection; si la mort semble l'en sé-
parer, elle sait qu'il doit un jour l'appeler au Ciel , d'où il
viendra juger ce petit monde qu'on appelle l'homme (2).
De la Panthère (3).
La panthère est un des plus jolis animaux; sa peau est deia panthère.
taclietée de noir et de blanc; elle se nourrit surtout de sa
chasse , et, après s'être rassasiée , couchée dans son antre
profond et retiré , elle dort pendant trois jours , après quoi
elle se réveille ; elle se met à rugir , et soudain sa gueule
exhale une odeur dont la suavité l'emporte sur les parfums
les plus exquis. Alors, d'aussi loin que sa voix est entendue,
toutes les autres hôtes accourent vers elle, les dragons seuls
s'y refusent, ou mis en fuite ou terrifiés par sa voix , qui les
arrête et les fait rentrer pour longtemps dans leurs repaires.
(1) Il faut lire sans doute altro pour altero.
(2) Un ancien philosophe a dit que l'homme était un monde en raccourci.
(3) La panthère est sauvage et cruelle de son iia'urel. Il a donc fallu lui trouver des
qualités éminentes pour oser l'assimiler au Sauveur, et nous les voyons ici développées au
profit de l'une des bêtes les moins commodes de tout le règne animal. Quoique la panthère
soit différente du léopard, dont l'Écriture parle souvent, notamment dans l'Ecclésiastique
(XXXI, 24), comme étant l'emblème du démon; quoiqu'on l'ait considérée comme l'image de
la persévérance dans le mal, que Jérémie désigne par l'immutabilité de sa peau (xiii, 23),
on peut regarder que, dans les Livres saints, où le mot do panthère ne figure pas une seule
fois, ce quadrupède paraît sous le nom de léopard, et que leurs attributs sont identiques.
— Quoi qu'il soit dos opinions des savants, longuement discutées, sans conclusion bien
évidente, dans le Hiirozoicou de Bochard, on s'accorde généralement sur tout ce qui est
dit par Théobald do la panthère , dont les symbolistes n'ont voulu prendre que le bon
côt«.
'J08 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Rugitum misit postquam de morte rcvixit
Cœlos ascendens Qui régnât ciim Pâtre pns (6),
Quem gentes cimctae sicsunt credendo secutœ (c).
Qui fugit atque latet, nec in ipso tenipore patet,
Serpens antiquus , qui nobis est inimicus ;
Namque palam audet jam f allere multos ,
Quos cum defendatQui secula p"omnia régnât.
(b) Scrlens ad dextoram Patris, odorem suavissimum emisit, scili-
cet Paracletum quem discipulis infudit.
(c) Homines devoti credendo Eum sequimtur, prœter soliim dra-
conem diabolum qui timct Ghristum, etc.— Sicut draco abscondit
se ne vocem pantlieris audiat, sic homines diabolo servientes
tïigiunt et abhorrent verba Ghristi et suorum. — Item , sicut pellis
pantheris diversum habet colorem, ita pro omnibus bonis ope-
ribus diversa habet meritoria retribuenda Spiritualis Panther.
FINIT l'HVSIOLOGUS
DE DUODBCIM ANIMALIUM NATUKIS.
ZOOLOGIE. — PUVSiOLOGUE DE THÉOBALD. jOI)
Le Christ est allégorisé par cette paiitliùre ; il s'est assimilé
à tous les hommes en prenant leur humanité : il avait de
nous une faim qu'il a rassasiée en complétant le nomhre de
ses Élus , puis il nous a rachetés par son sommeil de trois
jours dans le tomheau. Après sa résurrection, il a rempli la
terre du vaste rugissement de la parole évangélique , et il
est remonté aux Cieux, où il règne tout-puissant avec son
Père(l). Mais ensuite toutes les nations sont accourues vers
Lui par la foi ; le démon seul , notre ennemi et le sien , a
disparu et s'est caché depuis sa venue, et il n'ose plus atta-
quer ouvertement ceux que défend contre ses méchancetés
le Dieu dont le règne ne peut être éjjranlé (2).
(1) Régnât cum Pâtre pns, c'est-à-dire prasms , et mieux potens en dépit de la
mesure.
(2) Qui taenia p mnnia régnât. Ce p est ici pour la préposition per, qui, se confon-
dant avec le mot suivant, comme si on eût dû prononcer pomnia, laissait le ver» dans sa
mesure et s'entendait fort bien par les lettrés.
FIN DU l'UYSIOLOGUE SUR LES DOUZE ANIMAUX.
5^0 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Observations sur Qi! a dû Comprendre à de tels vers latins que le poète y
le l'hysiotogiie et i i. i t, x i
la traduction pré- avait mis quelque négligence, et les amateurs du beau style
s'y seront peut-être un peu scandalisés. Disons toutefois, à la
décharge de l'auteur, que, pour expliquer les nombreuses
infractions aux règles de la prosodie et de l'élégance, il faut
tenir compte des nombreuses copies qui durent en être
faites avant la première édition, lesquelles, en se multipliant,
devinrent forcément plus ou moins fautives. Le premier
éditeur qui voulut en exposer le mysticisme ne se donna
point la peine d'y ajouter ses réflexions littéraires, et livra à
son public , encore peu difficile sur ce point , un texte tel
quel et susceptible de beaucoup trop d'errata. En dépit de
ces raisons, et tout en indiquant des corrections essentielles,
nous avons tenu cependant à ne pas défigurer l'original , à
lui laisser autant que possible sa physionomie primitive ,
aidant seulement de nos propres observations l'intelligence
des passages qui paraissaient offrir plus d'obscurité. Quant
à notre traduction, nous l'avons faite très-librement, n'ayant
pu a\oir pour but en l'écrivant que de satisfaire à la juste
curiosité de quelques lecteurs à qui elle serait indispensable,
et de leur rendre la pensée de l'auteur latin plutôt que le
caractère de sa diction.
De ce livre même Api'ès ccttc Iccturc, qu'ou pourralt regarder comme le
que^iïuteu"^ "ne résumé dc toutc la théologie mystique de l'art chrétien ap-
s abusait pa^^p^us pj-^^^^g ^ j^ zoologlc dc SCS monumcuts et de ses livres , on
Fa^fakur^dr leurs u'a guèrc bcsolu dc poursuivre une étude d'où jaillissent
opimons zoo o-i- j^g^^^A^ l'évidencc et la nature du symbolisme et l'étendue
de ses moyens d'action sur l'esprit humain. On n'en conclura
pas , avec certains antagonistes des Pères , que beaucoup
d'écrivains mystiques s'étaient fait une sorte de zoologie
fabuleuse , pour y trouver de plus faciles allusions aux
choses chrétiennes. On voit qu'ils n'ont fait qu'admettre des
notions mythiques, il est vrai , mais dont ils n'étaient point
dupes , afin d'en tirer le même profit que d'autres avaient
fait avant eux. Les écrivains protestants, d'ailleurs, ne sont
ZOOLOGIE. — PHYSIOLOGIE DE THEOBALD.
:ili
pas restés étrangers à ce mélange de vérité et d'erreur.
Franzius, que nous avons souvent allégué, ne s'est pas con-
tenté des données incontestables des naturalistes , il en a
cité aussi les plus bizarres imaginations, et, en dépit de ses
applications injurieuses contre les catboliques, et surtout
contre les jésuites (que de tels adversaires avaient quelques
raisons trop dogmatiques de baïr), il n'a pas moins usé,
dans l'intérêt de son livre, de maintes révélations dont l'or-
thodoxie scientifique n'était point sans reproche. Mais
n'avons-nous pas vu les Docteurs de l'Église s'entendre
universellement sur les mêmes points? L'unanimité des
principes symbolistiques ressort beaucoup plus de cet ac-
cord que de toutes les études possibles ; et comment douter
de cette conformité de tous les temps quand on voit les
types se multiplier sur les monuments de tous les âges ?
Pour en revenir à nos animaux, n'oublions pas que tous
ne sont pas aussi méchants ni aussi bons que Théobald nous
les représente d'après les auteurs qu'il devait suivre. Qui-
conque voudra consulter les livres spéciaux que nous avons
ouverts devant nos lecteurs , comme sources de preuves ,
verra, parles détails particuUcrs à chaque hôte, que les sym-
bolistes sont parfaitement compréhensibles quand ils par-
lent diversement du même sujet, en lui attribuant tantôt des
quahtés, tantôt des vices qui sont parfois très-réels et par-
fois seulement de convention. Pour bien établir ce genre
d'opposition et comprendre complètement tout ce qui se rat-
tache, dans la théorie du symbolisme zoologique, à chaque
animai en particulier , il faudrait qu'une plume sérieuse
écrivît, sous forme de dictionnaire, une histoire générale de
ces citoyens libres de tous les mondes connus, réels ou fan-
tastiques, hybrides ou naturels, créés par la toute-puissance
de Dieu ou par l'imagination de l'homme. On en trouverait
les éléments principaux dans La Clef de S. Méliton, dans les
différents bestiaires que nous avons cités, dans les homélies
et les ouvrages dogmatiques des Pères et des écrivains ecclé-
'L'opposition
symbolique n'e-
xiste pas moins
sur ce point que
sur tous les autres
de noire tliéorie
générale.
Utilité d'un dic-
tionnaire symbo-
lique d'histoire na-
turelle. — Abon-
dance de ses ma-
tériaux.
6i2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
siastiques. Nos travaux en ce genre nous procureraient la
grande joie d'offrir à qui entreprendrait ce travail, aussi
utile que curieux, d'abondantes notes que nous n'aurions pu
faire entrer dans celui-ci sans le grossir considérablement :
ce serait une partie très-importante de l'iconographie géné-
rale. Sans accorder à ce sujet les développements que
M. l'abbé Grosnier a donnés à son Histoire du lion, insérée
au dix-neuvième volume du Bulletin monumental, on pren-
drait cette savante composition pour point de vue; que si
l'on ajoutait aux espèces vivantes ce qui regarde la bota-
nique, dans laquelle nous allons entrer au chapitre suivant,
puis les pierres précieuses, dont nous avons traité dans un
des chapitres de l'Apocalypse (i), ce qui regarde la mer et
• tous ses adjacents , fleuves et rivières , la terre avec ses
divers aspects et les variétés de sa forme en villes et
plaines , en montagnes et en vallées , enfin les astres et les
richesses astronomiques, dont le sens allégorique se repro-
duit avec tant de profusion dans la Bible et dans les Docteurs
des âges chrétiens , on formerait un Dictionnaire archéolo-
gique d'histoire naturelle, dont les gens du monde auraient
eux-mêmes beaucoup à profiter pour leur instruction reli-
gieuse, presque toujours superficielle, et que ne dédaigne-
raient pas les érudits, à qui un tel livre épargnerait beau-
coup de recherches et de temps. Sur ce point il n'y aurait
plus de questions controversées : toutes se trouveraient
éclairées et résolues par le témoignage scientitîque des
meilleures autorités (2).
Ce genre de Cc vastc champ , tout cu Comprenant les matériaux que
beautés mamfeste ^ ^ ^
surtout dans les préscntc déjà ccttc Histoire et théorie, en recueillerait cepen-
psaumes vai et ^
txLvm. dant beaucoup plus encore dans les innombrables détails
(1) Cf. ci-dessuSj t. II, ch. xiil.
(2) On doit à Mgr de la Bouillerie, évêque de Carcassonne, des Études
sur le symbolisme de la nature, qui réalisent une partie de ce plan et
dont nous aurons occasion de parler encore. Le docte prélat y montre
combien il serait capable d'en réaliser l'eusemble.
ZOOLOGIE.— PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD.
513
que nous sommes forcé d'abandonner. Quelle récolte à
faire, par exemple, dans les psaumes vni et cxlviii, de
tout ce que la nature, l'homme, les mille espèces animées
de la terre et des eaux nous y offrent de grandiose poésie et
de merveilleux contrastes ! Toute la nature est là inspirée
de Dieu , palpitante au souffle créateur et se groupant par
tous les êtres au pied de son trône pour lui rendre l'hom-
mage universel de ses louanges et de ses adorations. Les
oiseaux des cieux, les dragons de l'abîme viennent s'y
ranger à la parole du Poète divin sous l'œil de l'homme, qui
prend sa part de cet harmonieux concert, en sorte qu'on ne
sait plus guère si l'univers est un temple, ou si le génie
chrétien a fait de ses temples, où ces magnifiques tableaux
se reproduisent , un monde entier qui reflète la vie et les
prodiges du dehors.
Donc , en terminant ce chapitre , résumons-le dans une
profonde pensée de S. Pierre. L'Apôtre, écrivant aux pre-
miers chrétiens, dont les mœui's avant leur conversion
avaient été si différentes , s'efforce de les attacher plus
étroitement aux vertus nouvelles en leur montrant ce que
les peuples encore païens professent d'horribles habitudes,
s'abandonnant à toutes les souillures des voluptés char-
nelles , prostituant leurs âmes dans le vol et l'adultère , se
faisant, à force de désordres, des fils de malédiction éternelle,
blasphémant ce qu'ils ignorent , et s'abaissant par tant de
crimes au-dessous de ces troupeaux de hôtes sans raison
qui courent les campagnes sans aucun sentiment de leur
Créateur (-1). Cette abjection a toujours été la grande peur
Conclusion de
ce chapitre dans
une leçon donnée
par S. Pierre aux
liommos que leui-s
passions gros-
sières assimilent
aux animaux.
(1) « Novit Dominus... iniquos in diem judicii reservare cruciandos,
magis autem eos qui post caruem iu concupisceiitia imnmuditia; am-
bulant...— Illi, veliit irraliunabilia pecora..., quai ignorant blasphé-
mantes, in corruptione sua peribunt, percipientes mercedem justitiae,
voluptatem exisliinautes diei dulicias, coiuquinaliones, et luaeulai deli-
ciis affluentes, in conviviis luxuriantes, oculos babentes plenos adulte-
riis..., pellicieutes animas instabiles, cor exercitatum avaritia babentes,
maledictionis filii. » (S. Pelri Epist. Il, ii, 9 et seq.)— Tout cela encore
n'est-il pas comme un programme de beaucoup de nos images
sacrées?
T. m.
33
:>|/i HISTOIRE DU SYMBOLISME.
de l'Église ; elle ne redoute rien tant que de voir les âmes,
qu'elle doit conduire à la vie par le digne usage de leurs
facultés spirituelles, s'enfoncer dans le bourbier du vice par
les égarements de la raison. C'est pourquoi cette Épouse du
nouveau Salomon demande toujours et par-dessus tout, pour
ses enfants, que rien ne les fasse déchoir du glorieux héritage
de l'intelligence et de la foi. « Dieu Tout-Puissant, s'écrie-
t-elle, faites-nous la grâce d'avoir toujours présents les en-
seignements de la raison, afin que nos œuvres comme nos
paroles restent toujours d'accord avec votre loi (-l). » Nous
le voyons : tout est dans cet humble aveu de notre faiblesse et
de notre premier besoin. C'est là ce que l'immortelle Église
de Jésus-Christ a voulu enseigner de tout temps par tous ses
moyens. Dans ce but, elle a spiritualisé la matière , elle a
trouvé dans toute la création de quoi rappeler la première
des créatures à la dignité de son origine et de sa fin. Après
avoir vu cette vérité appliquée au règne zoologique, il nous
reste à la voir dans ses applications à la mystérieuse bota-
nique de ses édifices sacrés.
(1) « Prsesta, quaesumus, omnipotens Deus, ut semper ralionabilia
méditantes , quae Tibi sunt placita, et dictis exequamur et factis. »
(Orais. du sixième dimanche après l'Epiphanie.) — Soit dit en passant,
voilà une preuve que l'Église, en voulant la foi, n'abdique pas la raison.
Elle sait bien que la raison conduira l'homme à la foi lorsqu'elle sera
dégagée des préjugés, des passions et de tous les faux prétextes que
l'impie accumule contre la soumission de l'esprit à la révélation
divine.
GHAPITIÎE XIII.
FLORE MURALE.
Dieu venait de tirer la terre du chaos et de l'obscurité ; Harmonie de la
végétation et du
les mers avaient reçu leurs limites, et, pour être com- cœur de l'homme.
plètes , ces deux belles portions de son œuvre réclamaient
une parure qui les rendit utiles à l'homme, appelé bientôt
à les posséder, agréables à ses regards, qui devaient y trou-
ver leurs voluptés les plus pures : et une parole nouvelle de
la Providence , qui se jouait dans le monde, revêtit les plai-
nes , les montagnes et les vallées de leur verdure , de leurs
forets et de leurs fleurs. Quelle admirable variété ! quels
charmes à l'homme appelé plus tard à jouir de ces beautés
ravissantes , à les savoir créées pour lui , capables de satis-
faire tous ses sens , qui n'avaient encore abusé de rien !
Longtemps peut-être il put les contempler avant la chute
de son innocence , profiter de ces ombres épaisses qui tem-
péraient pour lui l'ardeur de jours sans nuages , admirer
les touchants contrastes des arbres majestueux et des splen-
deurs modestes des roseaux de ses rivages, des touffes odo-
rantes qui lui jetaient leurs parfums. Les animaux, paisi-
bles et doux, mêlaient à ces diversités aimables l'élan de leurs
jeunes gracieusetés. Ils remplissaient de joie et de mouve-
ment ce vaste ensemble où leur obéissance marquait d'un
caractère suréminent le front de la seule créature que le
Tout-Puissant eût faite à son image. Quel beau domaine Beauté de i'é-
pour celle-ci , et quel règne tranquille que celui-là, ordonne
.516 HISTOIRE bl SYMBOLISME.
de la main de Dieu avec la miraculeuse et iuCaillible éco-
nomie de toutes ses richesses, avec un empire absolu donné
au roi de tant de choses sur les êtres qui partageaient son
existence et contribuaient à son bonheur ! Les poissons de
la mer et des fleuves préféraient par instinct leurs silencieux
rivages, les oiseaux s'élevaient jusqu'à l'empyrée, ou gazouil-
laient dans leurs branchages les chants interrompus de la
création; les reptiles et les quadrupèdes s'agitaient sans
crainte, se reposaient autour de l'homme, et tout semblait
jouir avec lui, dans une heureuse dépendance, de sa supré-
matie et d'une paix que rien ne devait altérer. Que de raisons
pour appeler ce heu favorisé du nom de ses déhcieux om-
brages , devenus le type du Paradis éternel ! Quel doux
travail , quelle facile vigilance que celle imposée à l'homme
contre les seules inadvertances des hôtes sans raison de ces
solitudes bénies !... Culture sans fatigue, source de pure joie
et de plaisir innocent au milieu de ces fleuves dont la course,
lente ou rapide , versait aux bois , aux prairies et aux par-
terres la perpétuelle fraîcheur de leurs fécondes sinuo-
sités ('i)!
(1) Voirie premier ot le second chapitre de la Genèse commentés
par S. Jean Chrysostome, et par Cornélius à Lapide d'après lui. De
leur côté, S. Basile et S.Augustin expliquent le genre de conservation
et de travail imposé à Adam pour le Paradis terrestre, d'une culture
sans peine et d'une surveillance peu difficile sur les animaux, dont les
ravages eussent pu détruire l'ordre et la beauté du Paradis terrestre.
C'est, en effet, la seule interprétation possible de cet ordre divin in-
diqué par la Genèse : Tulit ergo Dominus Deiis hominem et posuii
eum in Paradiso voluplatis ut oyeraretur et custocliret illum. Cette
surveillance était inséparable d'un travail dont elle devait protéger les
conséquences : l'un était donné à l'homme comme une nécessité de sa
vie, dont l'inaction absolue eût fait un ennui continuel ; l'autre comme
exercice de son intelligence, qui ne pouvait abandonner le soin des
choses qui l'occupaient chaque jour. — Une observation qui ressort
bien de notre sujet, c'est l'identité qui se trouve entre le nom donné
au fleuve du Tigre, l'un des quatre du Paradis terrestre, et à l'animal
ainsi nommé. D'après leur étymologie hébraïque, l'un tire cette appel-
lation d'une ressemblance que la rapidité de son cours fit trouver avec
celle des mouvements vifs et impétueux de l'autre : fleuve et animal
FLORK MURALE. ol7
Mais soudain tant de charmes, sans disparaître entière- «* ^* déchéance,
ment, furent de beaucoup effacés parla première faute. Le
printemps éternel souffrit des atteintes mortelles d'une au-
tomne inattendue et d'un hiver qui le suivit, traînant avec .
lui raftligeante image de la mort. La nature ne fut plus im-
muable ; son éclat se ternit comme la jeunesse d'Adam. Les
brutes semblèrent comprendre cette déchéance ; elles vou-
lurent, à son exemple, une liberté que n'entravât aucune
obéissance; elles se révoltèrent , et avec ce sentiment nou-
veau se développèrent en elles et les ruses de la faiblesse
et les violences de la force et de la férocité. Les plantes se
ressentirent forcément de cette fatale révolution. Les épines
et les ronces s'accrurent sur la terre {\], les forêts s'en rem-
plirent; il n'y eut pas jusqu'à la rose, dit S. Basile , qui ne
s'en entourât, comme pour nous rappeler que le péché mêla
d'amertumes toutes nos délices (2). Les arbres eux-mêmes,
les fleurs les plus séduisantes par l'attrait de leurs couleurs
et de leurs fruits, acquirent des propriétés nuisibles : l'om-
parurent se convenir par ceUe analogie. Quant au Paradis, nous savons
que les Orientaux, portés par leur climat à rechercher surtout les om-
brages, appelaient ainsi un lieu planté d'arbres, ou assez herbeux pour
y conserver une grande fraîcheur , ce qui revenait à VEden des
Hébreux. — On peut voir dans les commentaires cités plus haut le sens
allégorique et anagogique donné par les Pères au Paradis terrestre,
qui est tantôt l'Église de la terre et tantôt le ciel des Bienheureux.
(Apud Migne, Scripl. sacr. curs., V, col, 218 et seq.)
(1) « Maledicta terra in opère tuo...spinas et tribulos germinabit
tibi. » (Gen., m, 17.)
(2) Voici le charmant passage du saint évéque de Césarée que nous
ne pouvons nous refuser le plaisir de citer : « Rosa hic spinis est con-
juncta, tantuni non aperta nos voce contestans et dicens: Quîe jucunda
vobis sunt, o homines, tristibuspermixta suut. Nam vere in humanis
ita comparatum est, ut nuUum eorum sincerum sit, sed confestim
laetiticB et hilaritati conglutinetur mœstitia, conjugio viduitas, puero-
rum educationi cura et sollicitudo , fecuuditati abortus, vitae splen-
dori ignominia, prosperis successibus dispeudia , deliciis satietas,
sanitali infirmitas.Florida quidemest rosa, sed mihi tristitiam infligit.
Quoties florem hune video, peccati mei admoneor, propter quod terra,
ut spiuas et tribulos proferret, coudemnata est.» (S. Basil. Homilia de
Paradi.so.<
518 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
brage de quelques-uns devint mortel à l'homme, et, dans
les baies charmantes de quelques autres , dans leurs fibres
les plus cachées, se distillèrent des poisons.
Le symbolisme Douc , là cucore, Ic bicu et le mal , le plaisir et le danger,
biblique des ar- i ^
bres et des fleurs, j^ distincliou eutrc Ics quaUtés bonnes ou mauvaises; et,
dans l'esprit observateur de l'homme , autant de termes de
comparaisons, autant d'allégories applicables aux choses de
la conduite et de la foi. Et , d'abord, quoi de plus semblable
à la vie humaine que cette vie végétative de la plante ,
nourrie des principes constitutifs de l'atmosphère, des
sucs du sol , des influences du soleil et des fraîches émana-
tions de l'élément humide ? Ces relations , mystérieuses
dans leurs causes premières , mais saisissables au jugement
de tous, n'ont pas échappé aux poètes inspirés de la Bible.
Pour eux le juste, paré de l'efflorescence de sa vertu , est
un arbre planté le long des eaux , auquel les feuilles ne
manquent pas, et qui ne refuse jamais ses fruits à la saison
qui les espère ; son épouse est « une vigne féconde aux vastes
rameaux , aux pampres toujours verts tapissant les murs
de sa maison ; » ses enfants, « des plants d'oliviers rangés
autour du foyer domestique. » Et cette même vigne, toute
glorieuse d'une signification favorable , devient l'image de
l'âme stérile quand Isaïe la compare au peuple ingrat que
Dieu avait planté dans la terre promise, environné de tous
ses soins et de sa protection comme d'un rempart, et qui n'a
donné en son temps que des raisins sauvages et amers (I).
L'arbre de Na- Uue dcs plus méiiiorables applications du symbolisme
buchodonosor. , -«rv'ii.r. ii
des arbres est donnée en songe a Daniel , et ligure les deux
phases si différentes du règne de Nabuchodonosor. Le pro-
phète avait vu un arbre d'une hauteur excessive. La force
du tronc, l'immense portée de ses branches relevaient jus-
qu'aux cieux et lui faisaient couvrir toute la terre au milieu
de laquelle il était planté. Ses feuilles étaient magnifiques ;
(1) Voir Ps.)i et cxxvii; — Is., v, 4.
FLORE MURALE. oi9
ses fruits abondants suCfîsaient à rassasier le monde , outre
les oiseaux nombreux qu'il abritait et les animaux qui
se reposaient à son ombre. Mais voilà que le Saint des
Saints, celui qui veille sur toutes clioses, descendit du Ciel :
il donna ordre, d'une voix éclatante, de couper l'arbre par le
pied, d'abattre ses rameaux ^ d'arraclier son feuillage et de
disperseï' autour tous ses fruits. . . ; et en même temps on chassa
les animaux et les oiseaux qui en avaient fait leur asile (i).
Il y avait donc là un mystère qui regardait en même temps
l'état florissant de l'empire chaldéen et la décadence qui
devait le frapper bientôt. C'est pourquoi, nous dit un
savant , les arbres nous proposent toujours quelque sens à
deviner dans les travaux d'art chrétien. Ils n'y sont pas seu-
lement une parure ; il faut toujours y voir un motif d'in-
struction pour notre esprit (2).
Ainsi , cet arbre dont le Psalmiste parlait tout à l'heure ,
dont les eaux redétaient la tête fructueuse et baignaient le
pied , peut devenir stérile , et mériter par là , comme l'hu-
manité "sourde aux avis du Tout-Puissant , que le Maître
somerain prenne la cognée et l'attaque jusque dans ses plus
profondes racines. C'est le Sauveur lui-même qui emploie
cette métaphore (3). N'est-ce pas Lui aussi qui condamne le
figuier inutile à tomber sous la hache (A) ; qui compare la
doctrine évangélique au grain de sénevé devenu un grand
arbre où se reposent les oiseaux du Ciel, c'est-à-dire les
nations accourues dans le sein de l'Église (5)? Ainsi, dans
cette bouche sacrée, cet ordre des choses appelées à l'appui
de ses préceptes sert encore à en propager l'esprit et à les
faire comprendre. Comment les symbohstesnes'en seraient-
ils pas emparés, et , par suite , comment l'art chrétien eùt-il
(1) Voir Daniel, i\, 8.
(2) Aringlii, Roma subterr., lib. VI, cap. XLI, u' 1.
(3) \oir Matlli., m, G.
(4) Ibid., XXI, 19.
(o) Ibid., XIII, 31.
320 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
délaissé un de ses motifs les plus gracieux , les plus féconds
et les plus significatifs ?
Les Apôtres et Lcs Pèrcs nc pouvaieut l'omettre, pas plus crue ne l'avaient
les Pères s'en em-
parent, oublié les écrivains sacrés du Nouveau Testament. S. Paul
avait dit que si nous consentions à être entés en Jésus-Christ
par la ressemblance de sa mort , nous lui resterions entés
de la même sorte par celle de sa résurrection {\). Origène,
expliquant ce passage , assure que Jésus-Christ , « la force
et la sagesse visible de Dieu, » est l'arbre de vie ; que, pour
rester uni à lui , il faut devenir une de ses branches, comme
devant trouver la vie en lui seul et autant que nous serons
insérés à ce tronc sacré (2). C'est une réminiscence de la
parole évangélique : « Je suis la vigne et vous êtes les pam-
pres. Celui qui s'unit à moi porte beaucoup de fruits ; mais
sans moi vous ne pouvez rien (3). »
D'après S. Augustin, le sénevé que nous voyions naguère
apphqué à l'Église est aussi l'image de Jésus-Christ , qui ,
« d'abord petit comme cette graine, par son humble nais-
sance dans l'humanité , devint un arbre superbe par son
exaltation dans le Ciel. Cet arbre a aussi ses rameaux , que
nous devons voir dans S. Paul, dans S. Laurent, dans les
Apôtres et les Martyrs (4 j . »
Ainsi , et par un symboHsme adopté universellement ,
les Apôtres ont eu leur part de cette touchante compa-
raison. S. Ambroise, S. Hilaire de Poitiers les regardent
(1) Rom.yYi, 5.
(2) « Christus ergo Dei virtus, et Dei sapientia. Ipse est arbor vitae,
cui complantari debemus, et novo quoclam atque admirabili dono
mors illius arbor vitse efficitur. » (OrigeD,, in h. loc.)
(3) « Ego sum vitis, vos palmites. Qui manet in me et ego in eo, hic
fert fructmn mnltum, quia siue me nihil potestis facere. » (Joan.,
XV, 5.)
(4) « Arbitror hoc ipsi Christo Domino dicere et rectius comparare :
quia nascendo in homine, humiliatus ut granum est j adscendendo
ad cœlum, exaltatus ut arbor est. — Ramus est Paulus, ramus est Lau-
rentius, rami sunt omnes apostoli et martyres Salvatoris. » ^S. Aug.
Serin, xxviii in S. Laurcniii [est.)
ILOllK MLUALfc:. o2{
comme des branches du grand arbre cliargées des fruits de
la rédemption , protégeant le monde de leur ombre. « Ces
branches, dit ce dernier Père, sont quelquefois agitées vio-
lemment par les tourmentes des vents furieux , c'est-à-dire
par les tentations de l'enfer et les persécutions contre les
Saints; mais ceux-ci n'ont rien à craindre tant qu'ils se
tiennent fermes , cachés sous cet abri protecteur, et savent
résister à la tempête (^ ) . » C'est pourquoi on voyait déjà sur Mystères de» ca-
ir \ J II .j j tacoinbes en ce
les murs des catacombes le Sauveiu' figuré au milieu d'un ge»«"c.
arbre dont les branchages supportaient les images de ses
Apôtres ; ou bien , bon pasteur et chargé de la brebis re-
trouvée , il avait de chaque coté deux arbres sur lesquels se
reposai(^nt des oiseaux. Le sens de ces symboles, qui échap-
pait aux païens, était bien compris des fidèles; et de là allait
se répandre dans tout le monde , à l'exemple et sous la pro-
tection de Constantin , l'art d'exprimer sous des formes et
des couleurs emblématiques l'histoire, le dogme et la mo-
l'ale de la doctrine qu'une lutte de trois siècles avait élevée
au-dessus du trône des Césars.
Au pied de ces grands spécimens de la végétation, plantés uo|'J'^jic*^/"[J;*er
par la main de Dieu pour l'utihté de l'homme et pour char-
mer son exil de la terre , les (leurs créées pour son seul
agrément par cette môme volonté acquéraient autant de
droits à notre reconnaissance qu'à notre admiration. La
poésie , qui vit toujours plus ou moins dans la pensée hu-
maine , mais plus que partout ailleurs dans les Livres bibli-
ques , pouvait-elle ne pas cueillir ces fraîches couronnes ,
inimitables de formes et de couleurs? C'est là que le Christ
et la Vierge Mère sont « la (leur des champs et le lis des
vallées ; » les Saints sont « des fleurs qui se sont montrées à
la tei're. » C'est aux vierges, « qui fleurissent dans l'Église
(l) «Apostolos ex Cliristi virtute prolensos et mundum inumbrantes,
in ramis intelligiraus, in quos gentes in spera vitœ advolabant. Et
auraruni turbine, id est diaboli spiritu tlaluquo vexatis, tauqiiam iii
ramis arborié requiescuiit. ))(S. Ililar. Piciav., In M"lUi.. ean. lo.)
322 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
comme le lis , qui y répandent leur odorant parfum avec
l'amabilité de leur parure , d'entonner les cantiques de
louanges et de bénir le Seigneur dans ses œuvres ; » c'est à
ces âmes qui se donnent à Dieu dès le commencement de
leur vie et avec leur chaste intégrité, que l'Époux « jette à
profusion les fleurs de ses parterres divins. » Mais , hélas !
ces pures images peuvent changer de caractère pour ceux
qui les profanent et en abusent. L'impie se pare de roses
qui se faneront avec ses plaisirs ; l'homme est une tige pas-
sagère qui disparaît souvent au soir de son premier jour (\ ) .
Nous n'ajoutons rien ici à ces traits généraux , les détails
devant nous revenir à propos des symboles sous lesquels
l'Église s'est toujours plu à reproduire les augustes 'person-
nalités du Sauveur , de la sainte Vierge et des Saints. Il est
temps de voir comment notre botanique surnaturelle a fait
son office dans la décoration sacrée , dans la liturgie et
dans la philosophie du Christianisme.
Plantes des ci- Et , d'abord , pour remonter, selon notre habitude , à nos
juetières romains. , . , . • i • . • ^
- Ornements des puis ancicus monumcuts, nous pouvons tirer des cimetières
romains des trois premiers siècles d'incontestables témoi-
gnages que là, soit en peinture, soit dans la sculpture prodi-
guée aux sarcophages, la flore monumentale fut prodiguée,
et toujours dans une intention symbolique. Il est rare que
les tombeaux n'y soient pas ornés de fleurs et de guir-
landes. Les bergers y apportaient à l'Enfant Jésus des cou-
ronnes de fleurs ou des vases pleins de bouquets , ce qu'au-
cun des textes évangéliques ne raconta jamais (2). Les
palmiers, les cyprès, le laurier y croissent à l'envi de beau-
coup d'autres arbres, et souvent une simple branche d'un
de ces arbres verts parle de l'immortalité chrétienne sur
une tombe marquée d'un seul nom. Souvent, près d'une
ou deux maisons délabrées , sculptés sur une pierre sépul-
(1) Voir S. Melitonis Clavis : De Lignis et Floribus, cap. lxi.
'2) Voir Arinshi, t. 1, p. 617.
FLORE MURALE. 523
craie, et qui signifient un ou deux corps qu'elle recouvre ,
on voit s'élever autant de cyprès, qui deviennent le symbole
de l'âme, destinée comme lui à reverdir un jour. C'est au
milieu ou d'un bois touffu ou de deux arbres isolés qu'ap-
paraît toujours le divin Orphée du Christianisme. Les chapi-
teaux des colonnes sculptées sur les sarcophages sont parés
de feuilles de fougère ou de feuilles grasses plus ou moins
capricieusement exécutées, comme celles de nos premières
colonnes romanes , et qui , dans leur simplicité , étaient
évidemment employées comme signe de vie et d'immor-
talité. Le fût des colonnes y est quelquefois décoré d'une
tige de vigne qui serpente en spirale dans toute sa hauteur.
De môme on ne peut se tromper, quant au motif allégorique,
lorsqu'on voit le divin Maître debout au milieu de ses Apô-
tres , s'élançant vers lui sur un fond tapissé de pampres et
de raisins murs , indice de leur union et de la fécondité dont
elle est le principe. C'est de ces premiers temps que nous
vient l'usage partout adopté de faire servir aux grandes
fêtes les fleurs et les branches d'arbres à l'embellissement
de nos temples. Dans sa troisième Lettre à lléliodore, S. Jé-
rôme, louant Népoticn du zèle qu'il avait toujours mis au
soin de l'Église dont il était chargé, mentionne l'empresse-
ment qu'il mettait à parer les basiliques de fleurs variées ,
de branches d'arbres et de pampres verts. Écrivant à l^am-
maque , l'auguste solitaire parle des couronnes de fleurs
avec lesquelles on ensevelissait les martyrs. En leur hon-
neur on parait la basilique de riantes guirlandes de roses ,
de lis, de sarments de vignes dont l'aspect et l'odeur con-
solaient et réjouissaient les cœurs chrétiens par toutes les
espérances de leur foi. Ils voyaient dans cette verdure le
symbole delà victoire, comme, dans les feuilles de laurier
qu'ils étendaient au fond des sépulcres, un signe de l'im-
mortel héritage. On sait, enfin, que souvent on enfermait lc trèfle dans
les tombeai^jç,
dans le cercuen des grames de li-èfle qui s'y sont conser-
\écs quinze siècles durant , au rapport de savants qui. les
524 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
ayant trouvées dans des sépultures des troisième ou qua-
trième, les ont vues germer peu après et produire l'espèce
attendue. Pouvait-on se faire un symbole plus éloquent de
l'éternelle résurrection , en même temps que de la Trinité,
dont on affirmait ainsi la croyance protectrice {\) ?
Les plantes dé- Gcs odgincs durcut avoir leurs développements , et la
coratives empnin- 10 > , iti 'iut^t i
téesài'ait antique flore uiuralc fut créée avec la liberté de 1 Eglise, avec la
par les chrétiens. . . , , , . i ^ -• i
permission donnée par le premier empereur chrétien de
construire des basiliques appelées à remplacer les temples
des faux dieux. Ces temples eux-mêmes n'avaient-ils pas eu
leurs frises, leurs frontons, leurs chapiteaux, leurs colonnes
même chargés de festons et de palmes ? L'Inde , l'Egypte ,
les mythologies grecque et romaine , l'ancienne Perse, les
Ismaélites , et les Arabes qui viennent d'eux , n'eurent-ils
pas leur flore symbolique , dont presque tous les motifs eu-
rent une origine religieuse (2) ? L'acanthe n'était-elle pas
devenue le plus bel ornement de l'ordre corinthien ? Les
monuments funéraires semés le long des voies romaines
n'avaient-ils pas reçu, avec plus ou moins de profusion, les
images fidèlement imitées des plantes symboliques de la
mort et de l'éternité? Enfin le laurier, l'olive, les diadèmes
de fleurs n'entouraient-ils pas jusque sur leurs médailles
les empereurs et les patriciens dont la mémoire se rattachait
à des hauts-faits militaires ou à des triomphes qui devaient
les immortaliser? Tant de symboles étaient donc convenus
et acceptés d'avance. Il ne fallait que des mains habiles
pour les transporter, en les y multipliant , des édifices pro-
fanes aux murs consacrés par le sacerdoce nouveau.
La botanique ^{^Is CCS malus liabilcs ne s'essayèrent pas longtemps à
murale , traitée "^ ^ o i
d;abord hans suc- (Je tcllcs Œuvrcs \ admettant qu'ehes eussent existé, comme
ces artistique dans
les églises; 'i\ ji'cst pas doutcux , daiis nos premiers édifices religieux ,
les ravages des barbares les ont enfouies peu de temps après
(1) Voir Buliei, monmn., I, 138 ; XIIF, 161.
(2) Voir Portai, Couleurs njnibvliques, p. 22 et suiv.
FLORE MURALE. ^>25
dans les ruines des églises détruites par eux. Les plus an-
ciens éciiantillons qui nous en restent, outre quelques débris
qu'il est diflicilc de faire sûrement remonter à une époque
certaine, sont quelques chapitaux ou gallo-romains ou
mérovingiens, dont les feuillages fort modestes n'attestent
qu'un ciseau encore peu expérimenté au sortir d'un long
sommeil de l'art. Nous ne pensons pas qu'il y ait dans ces
simplesfeuilles d'acanthe aucun symbolisme bien déterminé,
sinon celui de la verdure en général, dont l'idée est celle de
l'espérance , et qui peut bien s'être effacé sous l'intention
unique de coiffer une colonne d'une riche et gracieuse or-
nementation.
Jusqu'à la fm du dixième siècle on se borne assez gêné- <>»e se déveiopp*
■^ au onzième siècle ,
ralement à cette foliation , dans laquelle on ne doit guère
chercher de symbolisme , si ce n'est peut-être les branches
courantes de la vigne , qu'on voit alors assez fréquemment
mêlées à des palme ttes ou à des feuilles dont le caprice
détermine , bien plus que la nature, les formes bizarres et
hasardées. C'est à peine si l'on peut distinguer d'une arête
de poisson la feuille de fougère, qui se répète souvent alors
sur quelques chapiteaux à peine ébauchés. Le onzième
siècle lui-même use peu de cette parure, que remplacent
des moulures très-variées et qui parlent beaucoup moins à
la pensée qu'au regard. On cherche l'effet dans les façades ,
on couvre les accessoires de frises et de zigzags , de méan-
dres et de chevrons brisés ; quelques têtes plates se mêlent
à cela et semblent préluder par leurs grimaces ou leur phy-
sionomie plus que suspecte à la zoologie qui va venir.
La botanique n'apparaît en rien là où déjà règne une cer-
taine prétention à des exhibitions plus ou moins significa-
tives de bêtes hybrides , aux manières contournées et aux
regards peu rassurants. Il faut arriver au douzième siècle
pour trouver un ensemble de motifs symboliques , d'où
ressortent avec un égal succès et la zoologie mystique et la
flore la plus complète et la plus attachante. C'est alors que
o2{j HISTOIRE DU SYMBOLISME.
tout a sa signification ; on voit clairement que la renais-
sance des études , venue surtout du mouvement imprimé
par les croisades , a provoqué et secondé la renaissance de
et devient meii- fart. Mals à cctte période même il est bon de distinguer
cZde moitié! * deux faires bien différents , lesquels distinguent nettement
la première de la seconde moitié de cette centurie. Nous
n'en voudrions pour exemple que Fancienne abbatiale de
Saint-Germain-en-Bray (Oise), qui, bâtie dans la première
moitié du onzième siècle, a des chapiteaux ornés de feuilles
en volutes tellement douteuses et indécises , qu'on ne sait
si ce sont des végétaux ou des serpents. On en citerait bien
d'autres. Toutes celles, au contraire, qui datent de la fin de
ce même siècle , font remarquer en elles une charmante
végétation, dont le mérite n'est pas moins dans leur exécu-
tion attentive que dans la pensée esthétique de leurs auteurs.
Plantes aquati- lluc autrc rcmarquc à faire, c'est que les églises rurales
grand nombre^sur qul uc furcut ul dcs abbaycs ni des prieurés sont ordinai-
les monimientg , i • i /!•/ •<.! Ji5i.x
élevés au bord rcmcut bicu plus neghgees au point de vue de 1 art , et que
des rivières. l'ornementation s'y est faite en des conditions beaucoup
moins larges , et bien moins soignées ; celles qui s'échelon-
nent, en grand nombre, le long des rivières, se distinguent
aussi par une préférence pour les feuilles aquatiques , dont
le voisinage a fourni tout naturellement des motifs de sculp-
Le nénuphar, turc. Ou y voit le uéiiupliar, symbole de la charité , dont
les roseaux, le .n «r» • i «n i
platane. trois OU quatrc feuilles suffisent a couvrir une corbeille; les
roseaux fleuris épanchant leurs touffes pour représenter
l'efflorescence de l'âme juste , vivant des eaux de la grâce ;
ou bien un de ces grands platanes du rivage toujours fer-
mes et y croissant sous l'œil de Dieu pour donner au fidèle
une idée de sa grandeur morale et exciter ses aspirations
vers le ciel : il est presque toujours représenté facilement
par une ou deux de ses larges feuilles. Le Poitou, l'Anjou et
la Bretagne sont surtout favorisés de ces belles tiges lo-
cales , auxquelles la déhcatesse du ciseau ajoute une grâce
qu'on trouve aussi bien dans leurs épanouissements va-
FLORE MURALE. ■')'21
ries. Mais cette magnificence apparaît surtout dans les Richosso c.» o.-
point dos édifices
basiliques de nos cités ou des riches ép^lises des monas- monastiques et
. ^ de8 cathédrales.
teres. La rien de plus varié que les arbres, les fleurs et les
fruits; on y en voit partout. On les admire aux chapiteaux ,
aux clefs de voûte , aux bases des colonnes groupées ;
elles courent le long des entablements, des arcs-doubleaux,
des tores, des tableaux des fenêtres : elles animent les
verrières de leurs splendides couleurs. En un mot, cette
belle période du moyen âge est celle qui le représente le
plus dignement, tant par ce qu'y enfantent de délicat
et de fini les arts du dessin , que par tout ce que repré-
sentent de plus élevé Festlié tique du plan général des
églises et les surprenantes ressources de son histoire natu-
relle. C'est à cette époque, en effet, qu'on vit s'exercer la ^a théologie
moralo s'en em-
vive et pourtant très-sérieuse imagination de frère Laurent, pare.
dominicain qui fut , pense-t-on , confesseur de Philippe le
Hardi, aux treizième et quatorzième siècles. Auteur d'une
Somme de théologie, ou plutôt d'un Traité spécial des péchés
capitaux, il y expose dans tous leurs détails les sept péchés,
indiqués chacun par une des sept tètes de la bète apocalyp-
tique. Il y appelle leurs dérivations et variantes « des raci-
nes, des branches et brancliètes principaus. )> On y voit
même énumérés , comme symboles des simples imperfec-
tions ou péchés moindres , « les moult petits rincelas ou
rameaux qui en issent, » et jusqu'aux « jettons et aux feuilles
qui bourgeonnent sur ces rinceaux (-i). » Ce symbohsme-là
n'est-il pas copié de nos chapiteaux à feuillages et à enrou-
lements ?
Mais l'étude que doit faire l'archéologue de cette belle
partie de l'histoire monumentale exige , comme pour les
temps antérieurs, des notions très-précises de la philosophie
des sciences. Les plantes furent traitées par les natura-
listes comme la zoologie elle-même, dont nous avons vu
(1) Voir Revue de l'art chrétien, \\\\, 349 et suiv.
528 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
les prodigieuses mais fécondes et curieuses aberrations.
Erreurs scienti- Pliuc, daus SOU viugt-sixième livre, parle de plusieurs
fiques de certains , , , i , i • i
botanistes an- plautes commc ayant ete douées par ses devanciers de
ciens.
vertus auxquelles il ne croit pas. Ceux qui l'ont suivi ont
maintes fois été plus faciles ; ils se sont fait des théories soit
sur la nature môme de certains arbres, soit sur leurs vertus
médicinales, et l'on trouverait dans S. Isidore de Séville et
dans Vincent de Beau vais de grosses persuasions que per-
sonne aujourd'hui ne voudrait admettre, mais qui n'en
eurent pas moins assez de crédit pour influencer générale-
origine orien- meut uos Œuvrcs sculpturalcs. Une des causes les plus
taie de plusieurs. ' *■
actives de la bonne foi qui fit accepter par le moyen âge
ces préjugés scientifiques se trouve dans les nombreux
voyages qui se firent en Orient depuis le commencement
du onzième siècle. Ces expéditions d'outre-mer, d'où nous
rapportâmes beaucoup d'étoffes où figuraient des animaux
fantastiques aussi bien que des plantes d'imagination,
implantèrent avec elles les procédés de fabrication ; et
nos ateliers de tapisseries nationales , qui jouirent d'une
grande réputation à l'étranger, imitèrent ces bizarreries
avec assez de bonheur pour qu'on pût se passer bientôt des
productions exotiques. Mais ces étrangetés n'en eurent pas
moins leurs significations mystiques, et passèrent dans la
sculpture sacrée, où nous les retrouvons encore.
Le hom , arbre Un dcs olus curicux spécimcus de ce genre est l'arbre,
dévie des Orien- ^ ' i r^
taux , naturalisé d'origluc arabc, nommé hom, et qui, pour les Orientaux,
dans la flore chré- ^ ini i-itat
tienne, était uuc traditioii dégénérée de larnre de vie du Paradis
terrestre. Déjà célèbre en Perse durant le second empire
des Sassanides , qui dura de 223 à 652 , il nous arriva
comme une expression de l'idée primitive de la chute de
l'homme et de sa réparation, et comme l'arbre véritable
recommandé à Adam. On le rattacha donc atout ce qui
avait été dit de ce bois mystérieux et salutaire dans la
divine Écriture, et développé dans les écrits des Pères et des
Docteurs. On ferait un livre aussi intéressant que considé-
FLORE MURALE. — LE HOM. 529
rable de tout ce qui s*est produit sur ce point à travers les
âges de la tradition calliolique, si l'on réunissait toutes les
données émises à ce sujet ; les savants auteurs des Vitraux
de Bourges (1) en ont fait une remarquable moisson dans
leur magnifique ouvrage, que nous nous bornons à indiquer
ici sur ce point. Ce qui nous importe spécialement, c'est de comme un sym-
1 1, / , . , ^., boledelaCroix.
Signaler ces rapports entre 1 arbre persan et la croix du Fus
de Dieu, rapports qui l'ont fait adopter par nos sculpteurs
autant que par nos interprètes scripturaires. En effet, cet
arbre, par les variantes nombreuses qu'on lui vit sur les tis-
sus orientaux, mais qui toutes se rapportaient à la Croix, dut
servir admirablement et l'estbétique chrétienne, toujours
jalouse d'augmenter le nombre de ses expressions sym-
boliques, et l'imagination du sculpteur, dont le caprice
artistique, assez contraint par l'absolutisme doctrinal qu'il
doit respecter avant tout , aime à opposer des formes
diverses à la monotone répétition des mômes motifs. Nous
sommes persuadé, pour notre compte, qu'il y avait dans cet
arbre et dans ses accessoires obligés une idée de culte et
d'adoration. Les Perses l'accompagnaient toujours de deux
lions ou de deux léopards, dont l'attitude fière et respec-
tueuse indiquait assez de quel rôle digne et sérieux ils
étaient chargés. Quelquefois le hom est remplacé, au milieu
de ces deux animaux, par un pyrée ou autel oii le feu sacré
était adoré chez ces peuples comme symbole de Dieu lui-
même, principe et auteur de la vie et de la fécondité uni-
verselle. Il ne fut pas difficile de détourner quelque peu ces
signes d'idolâtrie pour rattacher l'objet principal au culte
du vrai Dieu et à l'adoration de la Croix, qui, d'ailleurs, on
le sait, avait laissé de vagues souvenirs dans la pensée des
(1) Voir VUr. de Bourg., pour ces rapports entre la Croix et l'arbre
du I*aradis terrestre, p. 40 et suiv., p. 102, n" 4, et 209, n» 4. — 11
faudra bien que nous revenions nous-même bientôt, et en son lieu et
place, sur cette remarquable union des deux Testaments en une
pensée si fondamentale.
T. III. 34
530 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Orientaux idolâtres, et restait pour certaines contrées un
objet d'adoration et un symbole de salut []).
Spécimens va- Si le dIus aucien de ces arbres sacrés qu'on ait vu en France
ries de ce sym- , ,
boie. fut celui qui figurait sur un vase d argent doré envoyé a
Charlemagne par Aaroun-al-Raschild , vers la fin du hui-
tième siècle, il était sans doute depuis longtemps populaire
lorsqu'au douzième on s'avisa de le faire entrer dans l'écono-
mie générale de notre ornementation ; car c'est alors qu'on
fit à l'antiquité, surprise, pour ainsi dire, dans ses tendances
chrétiennes, cet emprunt de plus, et les lions ou d'autres
animaux symboliques apparurent dans l'imagerie romano-
byzantine avec une attitude et sous des formes qu'on ne
leur avait jamais vues. Accroupis devant le hom, ils sem-
blaient veiller sur la plante mystérieuse ; il y a plus, on les
voit souvent engueulant une de ses branches, ce que l'art
ancien n'avait pas inventé : ce qui prouve de reste que
dans la pensée de l'artiste chrétien l'arbre de vie était là,
nourrissant les âmes généreuses de ses sucs qui donnent
l'immortalité. Quand ce ne sont pas des lions, dont nous
savons la signification favorable (les justes, les fidèles imi-
tateurs du Lion de Juda)^ ce sont d'autres bêtes qui leur
ressemblent sans en avoir les formes bien déterminées, ou
quelques-uns des oiseaux qui sont toujours pris en bonne
part. Il fallait bien, au reste, qu'on voulût faire de cet arbre
mystique un équivalent de la Croix pour l'avoir placé au
(1) Bien antérieurement au Christianisme, la Croix, dont la pensée
est rappelée maintes fois comme prophétie dans la Bible, devient pour
les Chinois, les Égyptiens et autres peuples du Levant un objet de
culte et de vénération. C'est le fond d'un curieux Mémoire de M. Saint-
Félix Maurémont, inséré en 1840 dans le troisième volume de ceux de la
Société archéologique du Midi de la France, et que nous avons ana-
lysé, en 1841, dans le t. II des Bulletins des antiquaires de l'Ouest y
p. 34. Des découvertes confirmant ces observations furent faites en
en 1807, au Mexique, par le capitaine Duplaix, chargé par la cour
d'Espagne de rechercher les antiquités de ce pays. Ce navigateur
trouva dans la ville ruinée de Palanqué, que Balbi désigne sous le
nom de Culfiuacen, la Croix placée dans un sanctuaire comme l'objet
d'une adoration populaire.
à
FLORE MURALE.— LE HOM. 534
tympan des églises, entouré de ces témoignages de dévotion
que leur rendent ces bètes intelligentes. Ainsi, à Marigny et
à Collevillc, dans le Calvados, le môme sujet est rendu avec
quelque différence qui n'empéclie pas d'y reconnaître la
môme intention. L'un représente notre arbre, consistant,
selon les données fréquemment suivies à cette époque, en
un tronc vigoureux couronné de quatre belles feuilles
superposées et dont les deux plus basses aboutissent à la
gueule de deux lions qui appuient fortement leurs pattes
antérieures sur le pied de la plante ; l'autre se compose de
branches élégamment entrelacées, ornées de perles, dont
les seules extrémités affectent la forme de feuilles enroulées,
mais dont l'ensemble, disposé en une certaine forme de
croix, atteste bien l'idée fondamentale. Deux êtres hybrides
tenant du dragon et de l'oiseau, union (dont nous avons
parlé naguère) de la colombe et du serpent, s'inclinent
devant cette belle tige et saisissent de leur large gueule
chacun l'extrémité d'une des branches. — Or une remarque
est à faire sur cette double composition : c'est que dans
l'une et dans l'autre la queue des animaux, agréablement
étalée pour remplir sur la pierre des vides que le sculpteur
a voulu y éviter, se termine par une ou plusieurs feuilles
de môme nature que celles de l'arbre môme. Cette attention
dans le second de nos tympans a été jusqu'à garnir les enrou-
lements de cette queue des mêmes perles qui pointillent le
tronc. Cette particularité deux fois répétée ainsi ne peut
être l'effet d'un double hasard. Elle doit indiquer une
transformation de la nature animale en celle de la plante,
laquelle, donnant la vie véritable, la vie du ciel, les fruits
de l'éternité, comme nous l'avons vu au chapitre xxn de
l'Apocalypse, communique dès ce monde à qui en cherche
les fruits quelque chose d'elle-même : ce que l'artiste a fort
ingénieusement exprimé par cette assimilation si curieuse
et jusqu'à présent, croyons-nous, inexpliquée, de ces deux
natures dans un seul individu.
532 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Iconographie des Quoi qu'il 611 soit, cettc naturalisation du hom dans l'Eu-
restreinte à quel- rope du douzième siècle coïncide singulièrement avec la
qu'une de leurs , r i i , * i i
parties. fomic généralement adoptée au moyen âge pour les arnres
dans les arts du dessin. Presque toujours nous les voyons
rendus par des tiges à double épanouissement avec un ap-
pendice intermédiaire, enlaçant des branches contournées
et perlées : arbres de convention s'il en fût, dont les feuil-
lages seuls, se découpant en palmes plus ou moins touffues,
n'affectent aucune forme spéciale , et sont le plus souvent
chargés de fruits semblables à la pomme de pin, qui, elle-
même, sert de raisin fort souvent lorsqu'on l'attache à des
pampres plus ou moins fidèles, mais qui, en réalité, figure-
raient bien mieux les fruits de l'arum.
Réfutations du Mals l'arum n'a que faire ici. Cette fleur, ou plutôt ce
système de M. . » • , i
woiiiez sur les fruit, qu OU prêterait a tous les arbres, ne leur va que fort
' gratuitement, en dépit de toute une théorie inventée il y a
quelque trente ans par uq archéologue de Picardie. M. Eu-
gène Woillez, avantageusement connu par son Archéologie
des monuments religieux du Beatwoisis , publiée en iSAO,
donna en 4848 une Iconographie des plantes aroïdes figurées
au mogen âge en Picardie. L'auteur, après y avoir posé
comme base de ses idées sur le symbolisme l'idée bien
arrêtée au moyen âge de représenter par des signes toutes
les vérités de l'enseignement catholique, excluant le caprice
si souvent objecté de toutes les œuvres des artistes, et ne
reconnaissant l'arbitraire que dans l'exécution manuelle,
que personne ne prétendit jamais assujettir à une méthode
officielle, l'auteur, disons-nous, sortit de ces voies raisonna-
bles, où nous nous trouvions dès lors fort sympathiques l'un
à l'autre, pour se lancer à corps perdu dans un système ab-
solu d'interprétation tout imaginaire et dont on se demande
plus que jamais comment il put poindre chez un homme
d'un talent incontesté. Outre que M. Woillez voulait prouver
que le fruit en question était l'origine de la fleur de lis, ce
qu'on ne pouvait soutenir qu'à défaut des données élémen-
FLORE MURALE. — LES AROIDES. 533
taires qui la lîrciit toujours voir ailleurs, il alla jusqu'à faire
de toutes ces plantes élégantes et vivaces, aux larges feuilles
lancéolées, à la tige droite et ferme, à la tête molle et
formée de baies purpurines serrées en grappe, l'original de
toutes les ressemblances plus ou moins exactes qu'elle pou-
vait trouver dans l'universalité des fruits de convention
associés comme autant de gracieux appendices aux arbres
de toute nature. Il y a plus : ces rêveries, jusque-là sans
autre conséquence qu'une erreur archéologique où le sym-
bolisme n'était nullement intéressé^ s'étendirent jusqu'à
des prétentions aussi insoutenables qu'inouïes, quand il
s'avisa de professer que cet ensemble de forme et de couleur
était le type artistique d'un obscœna, qui, en conscience, ne
peut en rien être invoqué dans la cause.
Cet égarement fut signalé par de hautes autorités comme
une « conclusion ridicule et peu décente (4), » et personne
(1) Ce fut le jugement et le style même de M. Lenormand et de la
commission des antiquités de la France^ préposée par l'Académie des
inscriptions à l'examen des ouvrages sur les antiquités nationales
concourant en 1830 pour le prix annuel. Nous avouons que ce juge-
ment était le nôtre, dès que nous eûmes lu, antérieurement à cette
séance solennelle, les rêves symboliques du savant docteur que nous
devions réfuter ici. Mais aurions-nous pu croire que des observations,
sinon un blâme formel, à peu près aussi sévères que celles imposées à
M. Woillez, eussent résulté d'un examen attentif de notre IHsloire de
la cathédrale de Poitiers, offerte au même concours ? Si les doctes
académiciens deviennent les censeurs autorisés de qui les aborde avec
l'espéiance d'un succès qui ne tient qu'à leur avis, encore faudrait-il
qu'ils eussent étudié les rcatières qu'ils critiquent. Nous reconnaissons
tout ce que leur donnait de prise contre lui-même le système des
aroïdes, et ce qu'il avait de scandaleusement inouï. Mais quel rappro-
chement eût paru possible entre ses prétentions faussement scienti-
fiques et la thèse développée dans VHistoire de la cathédrale de
Poitiers sur les sujets symboliques répandus dans ses verrières, sur ses
chapiteaux et ses modillons, dont le sens, donné par nous, fut adopté
bientôt en France et en Angleterre, par les archéologues les plus
compétents, comme l'expression d'une découverte dont on voulut bien
nous faire honneur? Qui pouvait forcer la commission de l'Institut et
M. Lenormand, qu'elle avait fait son interprète , de se récrier sur
notre attribution de certains sujets à des souvenirs du gnosticisme,
condamné par l'Église, et de se persuader que l'auteur, trop confiant
534 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
de ceux dont ce blâme trop mérité attira Tattention ne se
rangea du parti de l'auteur. Gontentons-nous ici de signaler
dans leur science, s'engageait sur une pente qui devait le conduire
jusqu'aux aberrations de M. Woillez ? 11 fallait avoir bien peu étudié
l'histoire du symbolisme pour ne pas savoir que l'Église , « qui avait
tant de fois anathématisé les gnostiques,» s'était permis de flétrir une
fois de plus leurs doctrines, en montrant aux fidèles, comme autant
d'objets d'horreur, soit leurs figures repoussantes, soit des sujets ca-
pables de les faire détester. Ce que nous avions dit là causait « un
grand étonnement » à ces messieurs; et, après avoir écrit directe-
ment à M. Lenormand pour nous plaindre de ce procès de tendance,
dont notre caractère bien connu aurait dû nous dispenser, on nous
répondit très-poliment qu'on n'avait été que l'organe de la commission,
qui avait chargé expressément son rapporteur d'indiquer cet écueil,
et qu'on n'en persistait pas moins, après notre observation, dans ce
jugement sans appel. C'est à dire que rien ne peut laisser croire au
docte aréopage qu'il doive jamais se déjuger devant les meilleures rai-
sons ! — Voilà donc où en était l'archéologie, en 1850, à l'Institut
nationale de France, s'obstinant dans les vieilles doctrines archéo-
logiques et architecturales, dissertant du gothique sous les données de
Fénelon, ne sachant du gnostique rien de ce qu'en disaient les dic-
tionnaires d'hérésies, et croyant fermement que la théologie n'était pas
nécessaire à bien disserter sur les monuments inspirés par le catho-
licisme. Heureusement , le public éclairé sait à quoi s'en tenir
aujourd'hui, et, sur ce point, comme sur beaucoup de questions histo-
riques, on a vu les membres les plus distingués de l'Institut revenir
aux vérités qu'ils avaient trop longtemps combattues. Au reste ,
M. Lenormand devait payer un peu plus tard le tribut à la faiblesse
humaine... et archéologique. Lui qui, presque toujours depuis long-
temps, était choisi comme rapporteur de la commission susdite, et qui
s'était fait accuser assez pertinemment d'épargner autant que possible
ses éloges aux ouvrages de province ( voir Bulletin monumental, XI,
602), et de pousser quelquefois ce système jusqu'à l'excès (i&irf., XIX,
479) , M. Lenormand, disons-nous, n'a-t-il pas prouvé que lui-même
pouvait tomber en une grosse erreur, quand il soutint contre tous
qu'il avait découvert, nous ne savons plus où, un cimetière mérovin-
gien que tous les savants lui contestèrent avec raison, et certains gra-
phites ne lui ont-ils pas semblé meilleurs à prendre qu'ils ne l'étaient
réellement ?
Nous devons dire en toute impartialité que M. Woillez a trouvé
sinon des archéologues, au moins un que nous connaissons, à la science
duquel nous aimons à rendre justice, et qui a trouvé que notre confrère
de Picardie a démontré la complète analogie de ses aroïdes et de la
fleur de lis (Revue de Vart chrélien. Vil, 30). Cette démonstration est
peu rigoureuse, à en juger môme par les seuls termes du docte
critique, lesquels prouvent que cette démonstration n'est rien moins
que prouvée, et qu'on a voulu la tirer de beaucoup trop loin.
FLORE MURALE. — LES AROÏDES. 535
ce qu'avait de chimérique une telle assertion : elle aurait pu
s'appliquer à tous les prétendus arums du monde répandlis
sur les pierres sculptées de nos temples, et dès lors il n'y
aurait plus eu qu'un symbole, et quel symbole! et pour
quelles raisons? G était déjcà trop de vouloir que tous ces
motifs d'ornementation si nombreux, et partout si ressem-
blants, se rapportent à une seule et même plante, dont rien
ne justifie l'assimilation prétendue, car jamais il n'y en eut
moins entre son objet et ceux qu'il lui compare. Les tiges
de l'arum sont inflexibles, cannelées; les feuilles radicales
hastées, légèrement sinueuses. Celles de la plupart de nos
chapiteaux, qu'on les choisisse en Beauvoisis comme en
Normandie ou en Poitou, sont au contraire élégamment
arrondies , s'entrelacent souvent , et sont presque toujours
sans découpures sur leurs bords ; rien de plus flexible que
leurs tiges, rien qui y rappelle les cannelures qui distin-
guent l'arum. A cet égard, les propres dessins de M. Woillez,
dans lesquels il prodigue un luxe remarquable de types
très-diversifiés, démentent à plaisir ses convictions person-
nelles en prouvant très-bien, par cette diversité même, que
la main du sculpteur n'a certainement pas voulu créer un
syml>ole dont il eût le modèle invariable.
D'autres archéologues, aux opinions respectées, aux succès confondues avec
largement établis, tels que M. de Gaumont et M. Gharles Des- raisilï"^
moulins (i), en dépit de leurs journalières familiarités avec
la botanique , n'ont jamais vu l'arum dans cette charmante
végétation, mais des variantes de la vigne ou de la pomme
de pin , types communs , il est vrai , mais dont le carac-
tère devient toujours reconnaissable soit par le sarment
qui l'attache , soit par les arbres auquel il tient , mais qui
le plus souvent représente comme ornement un fruit quel-
(1) Cf. Hist. de Varchilecture religieuse, par M. de Caumont, t. II
du Bullelin monumenlal,i^.'SlS;— et les Considéralions deM. Charles
DesmouliDs sur la flore monw)/?eM^«/o, dans le même recueil, XI,
'm.
536 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
conque destiné à compléter une flore de pure convention.
A Bourges, comme partout , les arbres, dans les vitraux de
la cathédrale, sont simplement représentés par une tige plus
ou moins droite ou sinueuse à laquelle sont assujetties ou
des expansions parallèles , ou des branches s'épanouissant
comme le nid d'un oiseau , ou enfin des têtes rondes ou
ovoïdes semées de feuilles trifoliées et mêlées de grappes
nombreuses. D'autres s'élancent avec deux têtes parallèles
et de couleurs variées sur un pédicule unique qui se bifur-
que à son sommet. Ses bordures contiennent une suite de
bouquets dont les feuilles romanes ressemblent beaucoup à
celles que M. Woillez donne pour des feuilles d'aroides. A
Sens, le même type se retrouve avec de gracieuses variétés.
On y voit une verrière de l'Enfant prodigue avec de char-
mantes bordures offrant des feuilles de vignes courantes et
on ne peut mieux caractérisées, avec leurs grappes dont la
forme tantôt ronde, tantôt ovale, prouve assez qu'on diver-
sifiait ses contours comme la nature elle-même (4).
Cette erreur ré- Ou VOlt dOUC OU tOUS CCS CXCmplCS, Ct UOUS pOUrHoUS CU
ies^%?rTguiarués cltcr mille autres, les formes générales de la végétation
menrboîaniques'. composer au treizième siècle un type un et comme absolu,
en dehors duquel il ne faut chercher la nature vraie que
lorsque cent ans après on s'est accoutumé à vouloir bien plus
la réalité que l'esthétique, et la forme extérieure que les con-
templations de l'esprit. Mais en a-t-on mieux réussi plus tard
à rendre toujours le naturel de la pose et la vérité de l'expres-
sion dans la flore postérieure? Hélas ! nous devons le nier, et
c'est une des grandes difficultés des observations archéolo-
giques que cette inexactitude de dessin qui nous jette en de
si fréquents embarras sur le sens d'un grand nombre de re-
présentations végétales. On connaît les excentricités si
variées de l'acanthe corinthienne, la cerise équivoque, à
(1) Voir Monogr. des vitraux de Bourges, pi. ii, m, iv, — étud. xi,
— - et pi. V, — et dans les grisailles de la cathédrale de Strasbourg.
FLORE MURALE. — LES AROÏDES. ^337
moitié cachée sous sa feuille dans notre beau Saint-Pierre de
Ghauvigny, les faux crochets si capricieux du treizième siècle,
les choux frisés et les chardons de la décadence ogivale. Qui-
conque a beaucoup observé les magnilicences plastiques de
nos églises ajouterait une liste prodigieuse à ces artistiques
infidélités, et pourrait contester aux sculpteurs , sous pré-
texte de non-ressemblance, leurs plus incontestables inten-
tions. Il faut bien qu'une raison peut-être encore inconnue. Raisons de ces
, , . ,, 1 iT I infirlélités artisti-
mais que nous supposons dans le desir d embelhr leurs ques.
œuvres d'innovations faites pour l'œil , ou de recourir à des
moyens d'exécution qui hâtaient le travail en le simplifiant,
ait séduit nos ancêtres et présidé à ce parti pris de ne donner
à certains objets que telles formes convenues et immuables,
puisqu'on les retrouve partout les mômes, et que nulle part
à la môme époque on n'a tenté de s'y soustraire.
Cette observation se fortifie de l'exacte beauté qu'on a Exactitude pius
, , . , remarquable au
donnée dans le même temps a certaines plantes devenues treizième siècle
• • 1 /» '11 1 1 ? 1 qu'aux siècles pré-
irreprochables : ainsi la feuille de chêne, seul végétal, disent cédents,
d'éminents archéologues que nous citions tout à l'heure ,
qu'on ait prodigué au treizième siècle avec une remar-
quable fidéhté. D'où vient cette différence? \ notre avis, il
faut la voir d'abord en ce que cette charmante feuille, plus
vieille d'un siècle que la plupart des autres qui florissentau
douzième, atteint un degré de perfection d'autant plus élevé
qu'elle remplace presque absolument l'ornementation zoo-
logique. On l'applique d'autant mieux à la flore de ce temps,
qu'elle semble absorber toute l'attention et tous les efforts.
Les grandes fenêtres ogivales appellent plus de jour dans
les églises; on pourrait bien s'être aperçu que cette condi-
tion demandait plus de soins dans le travail du ciseau ; de
là peut-être aura-t-on cru qu'une plus grande application
à la forme devait succéder aux négligences du passé et à
l'expression restreinte de ces ornements, qui, presque tou-
jours destinés à une position élevée et moins favorisés du
jour, ne se devaient juger qu'à distance, et ne former pour
538 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
le regard que des masses dont l'imagination se chargerait
de corriger les réelles irrégularités. Et cette licence , une
fois adoptée pour quelques objets, n'aura-t-elle point passé
dans la pratique générale, de manière qu'on s'y soit moins
occupé de la forme que de l'idée, comme on le faisait dans
la statuaire des onzième et douzième siècles , dans le but
avéré de rabaisser la matière au-dessous de l'esprit ?
quicependantiais- Et qu'ou uc uous objcctc pas coutrc ccttc coujecturc qu'en
mîde^sur ia"ïa- l'émcttaut uous oublions notre théorie symboHstique des
ture des plantes ,., , >i-' i i.*x •*
sculptées, objets; que ces a peu près adoptes par les artistes auraient
confondu tous les fruits de façon à leur enlever leur signi-
fication individuelle : et que partant, plus de symbohsmeà
y chercher. Une telle réflexion n'a pas de base ici, car, si
accoutumé qu'on fût à cette variété si fréquente , on devait
forcément reconnaître un raisin dans le fruit qui pendait
aux rameaux de la vigne , à d'autres branchages un fruit
quelconque avec sa signification générale de bien ou de
mal, d'abondance, de récompense ou de succès. Il y
a même des arbres, dans nos innombrables décorations
sculptées ou peintes , qui , à leurs élancements et à ces
pommes de pin qui s'échappent de leurs branches , ap-
partiennent évidemment à la famille des arbres résineux.
Au reste , il y a aussi des vignes qui ne seraient pas plus
reconnaissables sans quelque bonne volonté que les rai-
sins qu'elles portent, et que cependant on ne peut prendre
aussi bien que pour autrc cliosc. Nous n'en voulons pour exemples que
dans beaucoup . , ,i iy ^' r ^^> t .
d'objets plus an- dcux speciiîiens tres-eloquents , 1 un tire d un linteau
d'une ancienne maison de la petite ville de Gluny , où se
trouve , au miheu des prétendues aroides , un vendangeur
qui coupe de sa serpe et reçoit dans un panier des grappes
pendantes , représentées sous la forme qui nous occupe ;
l'autre, d'une date qui n'est pas postérieure à celle de l'art
païen, est un diptyque en ivoire conservé à la bibhothèque
de Sens , dont les ciselures semblent reproduire une
fête de Bacchus, et dont une scène représentant des hom-
ciens :
FLORE MLRALE. — LES AROÏDES. 539
mes foulant la vendange offre , dans la cuve et dans les
paniers qu'ils avoisincnt , des raisins d'une ressemblance
frappante avec les aroïdes-fleurs-de-lis de M. Woillez (4).
Concluons de ce qui précède que le fruit que nous venons doù l'on doitcon-
t 11 ' .••^•i' 1 «». dure que M. Woil-
de décnre, et qui nitervient si souvent dans nos forets simu- lez s'est égaré
,, -l'i/ . . 1 . , 1 dans une théorie
lees ou sur nos arbres isoles , est un type adopté par les inadmissible,
artistes pour embellir la foliation de leurs plantes ou pour
y ajouter une idée symbolique d'agrément ou d'utilité. On
voit de toutes parts des oiseaux becquetant cette grappe
inclinée dans le feuillage des treilles factices , ou perchés
sur des arbres où ils s'en nourrissent , les uns se rassasiant
déjà , les autres accourant pour prendre leur part de ce
repas, qui ne peut être sans quelque portée mystique. Bien
plus , son importance comme ornement n'a fait que grandir
à mesure que l'art a reçu ses développements. On ne s'est
pas contenté de l'indiquer aux sculpteurs , aux peintres et
aux miniaturistes. L'orfèvre, le serrurier, le menuisier,
l'émailleur l'ont répandu avec une profusion devant laquelle
on sent bien que le système de M. Woillez est insoutenable.
Yoyez-en la preuve dans les belles gravures données par
M. Didron en ses Annales archéologiques, par les PP. Martin
et Cahier dans leurs Mélanges d'archéologie, d'histoire et de
littérature; dans toutes les Revues spéciales publiées depuis
trente ans, et où se multiplient à l'envi les châsses émaillées,
les instruments de tout genre, les dossiers de stalles , les
peintures de portes. Ces dernières surtout sont le plus sou-
vent, au treizième siècle , de jobs enroulements dans les-
quels se jouent les fruits dont nous parlons , et où toujours
ils sont d'un charmant effet.
Et si nous disons, pour en finir sur cet article qui nous condamnée jus-
- . ^ que dans les cata-
a déjà retenu trop longtemps, que les peintures mêmes combes.
(1) Cf. Architecture civile et domestique au moyen âge et à la Re-
7iaissance,i[)aTM. Aymar Verdier elle Dr Cattois, p.80 et 82, in-4o,
Paris, Didron, 18u5 ; — et le Magasin pittoresque, XXXV, 132,
1857.
540 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
des catacombes reproduisent très-souvent ie type du
moyen âge pour exprimer les fruits des arbres symbo-
liques , on sera peu tenté d'y aller chercher un argument
en faveur du savant que nous réfutons. Et après tout,
qu'on nous permette une conjecture que ne démentirait
aucun des instincts suivis depuis le commencement par les
artistes chrétiens. On voit souvent, sur les premiers tom-
beaux des fidèles, un cœur déposé là comme l'expression
d'un souvenir religieux ; ce cœur , auquel on a ajouté un
appendice en forme de queue, devient facilement, sur
d'autres sépulcres , une simple feuille qui dissimulait aux
profanes l'intention pieuse qu'elle exprimait. On sait aussi
que, chez les Romains de cette époque, les mères attachaient
au col de leurs enfants un cœur d'or ou d'argent , comme
emblème de la sincérité de leur âge et de la candeur qu'ils
devaient toujours garder : est-on bien sûr que ce ne serait
pas là une véritable origine de nos expansions végétales ,
devenues plus ou moins semblables à la pomme de pin
par les stries croisées à leur surface , ou à un raisin quand
ces stries auront été plus ou moins arrondies par un effort
bien facile du ciseau joint à la volonté de modifier sa pre-
mière expression? Nous laissons aux compétents le soin et
la grande liberté d'accepter ou de rejeter cette idée , après
avoir lu néanmoins Aringhi, qui pourrait bien appuyer
notre doctrine {\).
Le lis et son Lcs flcurs dc lis , dout nous venons de parler par occa-
symbolisme , i t
sion, méritent que nous leur donnions quelques hgnes, car
elles sont un symbole, et souvent reproduit sur les monu-
ments de tout genre. Le sceptre des rois, celui de la Sainte
Vierge considérée comme reine , les traverses et le haut de
la croix , les vêtements princiers , les monnaies de France
et beaucoup d'Angleterre , les étoffes enfin , les tapisseries
et les ornements sacerdotaux , les armoiries surtout, attes-
(1) Rom.svbter., 11,690.
FLORE MURALE. — LA KLEUR DE LIS. ^>41
tent quel usage on en a fait de toutes parts et toujours. Mais
d'où nous viennent-elles? quelle est leur véritable origine?
C'est une question qu'il ne faut aborder qu'après quelques
remarques préalables sur la Heur elle-même, telle que nous
la voyons dans nos jardins.
Le lis est un symbole qui a l'heureux privilège de n'être dans l'antiquité
chrétienne et au
jamais pris en mauvaise part. 11 n a pas son opposition moyen âge.
comme tant d'autres. Il se rattache d'abord à Jésus et à
Marie sa mère , d'après les Livres saints, qui l'ont pris pour
terme de comparaison, et toujours appliqué à ces deux types
glorieux de toutes vertus. S. MéUton rapporte, pour le prou-
ver , le texte du Cantique représentant le Bien-Aimé de
l'Épouse « aimant à se repaître parmi les lis. )> Déjà , du
temps de Moïse , on en parait le tabernacle , où ils s'épa-
nouissaient comme un indice de la béatitude céleste. Pierre
le Chantre, l'illustre professeur de Paris, trouvait dans cette
charmante fleur une parfaite image de Marie, car elle a sa
candeur immaculée ; elle répand autour de sa tige la sua-
vité de son odeur , elle guérit les blessures , elle naît sans
culture et comme d'elle-même. Qui ne voit le sens notoire
de ces manifestes applications ? Le moine anglais , resté in-
connu , qui dans son abbaye de Cîtcaux écrivait, au com-
mencement du treizième siècle, ses Distinctions monastiques^
a disserté avec autant de science que d'agrément sur la fleur
dont le Sauveur avait dit que Salomon dans toute sa gloire
n'avait pas atteint sa splendeur. Il établit aussi les rapports
spirituels trouvés entre elle et les modèles sans tache du
chrétien. 11 remarque surtout qu'elle se divise en six pétales,
comme ses étamines ; que ce nombre six, étant un nombre
parfait , devient dans celte fleur une note de perfection , et
qu'en se doublant en elle par ses douze parties les plus appa-
rentes , elle rend très-l)ien , en tant qu'elle est applicable
au Christ , la double perfection de sa divinité et de son lui- C'est tour à tour
manité. Le lis, ajoute-t-il, est aussi agréable par sa forme l'ÉgUse.
extérieure qu'utile par ses propriétés intimes , dont l'une
o42 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
des plus importantes est d'apaiser les inflammations. C'est
par là qu'on en fait l'emblème de la sainte Mère de Dieu,
qui , dans sa fécondité virginale, est devenue aussi utile au
monde qu'aimable à chacun . — Voulez- vous considérer le lis
comme une allégorie de l'Église ou de l'âme fidèle ? voyez
si , comme lui, l'une et l'autre ne restent pas sans tache au
milieu des fanges de la terre, douces au milieu des épines du
monde, et y montrant d'autant plus de mansuétude qu'elles
y sont plus éprouvées par les contradictions et les revers.
C'est encore la gloire de l'immortaUté : ce qui a fait dire à
un poète que le Dieu ressuscité au troisième jour s'était
montré comme un lis qui surgit de son germe caché dans
la terre ('l).
I^l /®"''^ ^" ^^^ fleurs sont indiquées par S. Ambroise, par S. Gyprien,
par TertulUen et beaucoup d'autres Pères comme le symbole
de la virginité si précieuse à l'Église, si recommandable par
elle-même , et que l'Esprit de Dieu relève en de si magni-
fiques éloges au-dessus de tout dans nos Livres sapientiaux.
« L'Église, dit le premier de ces Docteurs, est un champ
riche d'une abondante végétation ; la fleur des vierges s'y
pare de toutes les beautés du printemps, w
L'hymne de S» L'Églisc dc Polticrs couscrve une hymne du neuvième
Florence. "^
siècle, toute pleine de cette suavité, prise dans un sujet que
nous ne saurions oublier ici. A cette époque , les reliques
de Ste Florence, venue de Phrygie avec S. Hilaire, vers 365,
et conservées depuis , mais perdues dans la cathédrale par
suite des grands bouleversements qu'avait soufferts cet édi-
fice, y furent retrouvées et rendues à la dévotion des fidèles.
Son culte y fut renouvelé , et on lit, parmi les composi-
tions liturgiques faites à cette occasion , ces gracieuses
(1) « Dilectus meus mlhi qui pascitur inter lilia. » — {Cant,, il, 16.)
— « Lilia ex ipso procedentia.» {Exod,, xxv, 31.) — « Nec Salomon in
omni gloria sua coopertus fuit sicut unum ex istis.» (Mallh., vi, 28.)
— Voir encore S. Méliton et Dist. monast., apud dom. Pitra, Spicileg.
Solesm., Il, 406 ; III, 475 et seq.
FLORE MURALE. — LA 1-LEL'R DE LIS. 543
strophes que nous chantons encore au jour de sa fête :
« Réjouissons-nous et rendons nos louanges au Seigneur :
c'est le jour qu'il a consacré cà la gloire de son auguste
vierge Florence , dont le nom significatif convient si bien
à celle qui fut toute florissante de l'iionneur de sa vertu.
» Née d'une famille païenne , elle était d'abord un arbre
stérile. Elle devint fertile aussitôt qu'elle eut été transplan-
tée à Poitiers.
)) Notre grand Docteur l'arracha à l'olivier sauvage , et
inséra ses branches dans l'olivier franc.
)) Alors, dans l'efflorescence de sa jeunesse, elle produisit
des fruits savoureux , et rendit au double à son maître le
talent qu'elle en avait reçu (^). »
Thomas de Cantimpré, dominicain du treizième siècle et Le iis est encore
^ la virginité chré-
Tun des derniers interprètes de S. Méliton , n'est pas moins tienne.
séduit par le charme de ces poétiques idées. « La bienheu-
reuse virginité est comparée au lis, d'abord à cause de sa blan-
cheur de neige , et aussi parce que le cœur de cette fleur,
protégé par ses six enveloppes, semble se garder de tout con-
tact des dangers extérieurs. Cette beauté si touchante devient
comme nos bonnes œuvres , dont Notre-Seigneur veut que
l'éclat se répande au dehors pour l'édification d'autrui , de
façon qu'en réunissant les vertus de l'âme à la modestie de
nos habitudes, nous donnions à tous une plus grande estime
de cette virginité si pleine de dignité et de grandeur (2) . »
L'ingénieux auteur se plaît à résumer ainsi en beaucoup
d'autres allégories ce qu'ont dit ses doctes prédécesseurs ,
et peut devenir d'une lecture fort agréable à qui voudra es-
saver de sa connaissance. C'est ainsi que le lis figure avec L'attribut de s.
'■ ^ Joseph,
honneur dans toutes les pages ascétiques où arrive le nom
(1) Propriuin Pictav. 1 decemb., hymn. ad maliUin.
(2) « 0 quam pulchra estcasta generatio cum claritate ! procul et de
ultimis finibus pretium ejus. » {Sap., iv, 10.) — Cf. S. Ambroise, lib. III,
De Virginitate. — Thom. Cantiprat., lib. II, cap. xxix, et lib. XVII,
cap. VII.
544 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
de S. Joseph, et c'est afin de montrer par lui l'homme fidèle
en tout à la pureté du cœur, à la vie intérieure et au calme
parfait de l'âme et des sens que les peintres lui donnentpour
attribut une branche de hs. Observons toutefois que cet attri-
but ne l'accompagne guère avant le seizième siècle ; c'est-
à-dire qu'on le lui a donné vers le temps où les traditions
mystiques du moyen âge perdaient leur importance aux
regards d'artistes que le positivisme envahissait. Au trei-
zième siècle, on ne représente guère S. Joseph sans un ap-
pendice portatif; mais aJors ce n'est pas un lis qu'il nous
offre, c'est un bâton fleuri par le haut, comme serait la
verge d'Aaron , et qu'une vieille légende rattache à un mi-
racle qui aurait fait préférer Joseph à d'autres rivaux pour
son mariage avec Marie (^i). Ce n'était donc , dans le prin-
cipe, qu'un simple rameau vert, remarquable par sa florai-
son : la tradition en parlait comme d'un témoignage de
sa virginité, dont S. Augustin, Pierre Damien, Gerson,
avec l'universalité des Docteurs, ne veulent pas qu'on puisse
ctceiui des Justes, doutcr. Et quaud môme cette verge fleurie n'eût été d'abord
qu'une allusion au titre de Juste par excellence que l'Écri-
ture donne à S. Joseph (2), en souvenir de la parole du
Psalmiste (3), ce juste n'en serait pas moins regardé avec
raison comme digne de ce lis , qui ajoute à ses vertus
d'homme juste l'honneur spécial de sa virginité , puisque
d'un commun accord les Pères et les autorités ecclésiasti-
ques conviennent que dans l'union sacrée qui s'opéra entre
Marie et Joseph par un mariage devenu indispensable aux
desseins de la Providence , ce fut une virginité qui s'unit à
l'autre : Virginitas nupsit (4). Ce serait donc avec raison
(1) Voir Guénebaud, Dictionn. iconograph., in-S», Migne, col. 329;
— Bullet. monurn., XIV, 338.
(2) « Joseph autem cum esset justus... » (Matth.j ï, 19.)
(3) «Justus ut palma florebit. » (Ps., xci, 13.)
(4) Cf.Molanus, De Historia sacrarum imaginum, lib. II, cap. xxix ;
mihi, p. 88. — S. Augustin : « Habet Joseph cum Maria conjuge com-
munera virginitatem. » {Episl. ii aâ Nicol. papam; m cap. i Epist.
FLORE MURALE. — LA FLEUR DE LIS. 545
qu'on lui appliquerait le texte prophétique d'Osée : «Israël
germera comme uu lis, et ses racines s'étendront comme
celles d'un cèdre sur le Liban (i). »
Mais comment cette fleur si célèJDre a-t-elle passé dans et de la puissance
royale eu France.
les usages de la vie civile , et d'abord est-elle bien , dès
l'époque des origines franques , un insigne de la puissance
royale? Rien de plus controversé que cette question, qui ne
semblerait pas devoir l'être encore ; car si nous remontons
jusqu'aux premiers insignes de pouvoir public indiqués sur
les seuls monuments qui nous restent des Gaulois nos an-
cêtres , nous reconnaîtrons sur leurs vieilles monnaies des
caractères auxquels il n'est plus possible de se méprendre.
Un des savants rédacteurs de la Revue de numismatique , origine de ce
M. de La Saussaye, a donné dans ce sagace recueil des types pîiîuë/"'"^' "^'
de médailles gauloises , sur l'une desquelles on remarque,
au-dessous du sanglier national, une fleur épanouie à trois
branches, qui n'est autre que celle du lotus ou nymphéa. On opinions diver-
ses à ce sujet.
a pu se tromper, après dix-huit ou vingt siècles, et par suite
d'une obhtération imposée par eux à cette monnaie, sur la
pensée du monétaire, qui voulait bien graver dans son
ad Galat.) — Virginitas nnpsit est de Gerson, opusc. de conjug.
Maria et Joseph. — Molanus {ubi suprà) est ici trop expressif sur
le côté historique de la légende. Il discute sur le bâton fleuri, comme
si l'iconographie religieuse , «lui ne vit pas moins de symbolisme
que des vérités écrites , ne devait pas s'emparer de tout ce qui nous
récrée en nous instruisant des croyances et des habitudes des siècles
passés ! C'est de la légende, et l'art ne pourra jamais s'en passer. Une
telle rigueur chasserait l'allégorie au détriment de la vérité, qu'elle
indique sous des voiles toujours assez transparents. Lui refuser son
action dans l'art comme dans la poésie serait tuer l'un et l'autre.
Molanus ne le comprenait pas assez, et par là même a outré souvent
des principes très-bons en eux-mêmes. L'abbé Pascal a donné dans la
même erreur, mais il en est beaucoup moins excusable, ayant vécu
dans un milieu où son jugement aurait dû se former aux vrais prin-
cipes de l'archéologie chrétienne. Il eût fait ainsi un bon livre de ses
/nstitulions de Varl chrétien, qui n'instituent rien, sinon le renverse-
ment de toutes les idées reçues en fait d'archéologie et d'esthétique.
(1) « Israël germinabit sicut lilium, et erumpet radix ejus ut Libani. »
{Os., XIV, 6.)
T. m. 35
546 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
champ une fleur , et qui semblerait aujourd'hui n'y avoir
vouhi qu'un fer de lance ; mais, outre que cet instrument y
serait encore beaucoup trop prononcé par ses deux branches
tombant de chaque côté comme une véritable expansion
végétale, on trouve une telle ressemblance entre ce prétendu
fer et la fleur d'une des espèces du lotus qu'on n'hésite pas
à y voir l'emblème soit de la perfection que l'Egypte y voyait
à cause de la forme circulaire de la feuille , s' ouvrant de
plus en plus selon qu'elle recevait plus les rayons du soleil,
soit de la pureté, par suite de son éclatante blancheur, qui eut
toujours et partout le même sens symbolique (i).
Ne serait-on pas tenté aussi , en se rappelant un passage
d'Homère, au neuvième chant de l'Odyssée, de prendre le
lotus sur la monnaie et le sceptre des rois de France pour un
emblème de leur première patrie, abandonnée pour la seconde
qu'ilsétaientvenusfonderendeçàdu Rhin (2) ? Cette fleur, au
reste, est répandue sur tous les rivages ; nos fleuves de l'Eu-
rope l'ont comme le Nil ; elle abonde en France, et la médaille
citée par M. de La Saussaye était frappée chez les Santons,
dont le littoral en était garni. Quoi d'étonnant que les chefs
venus des bords de la Sala et du Véser se soient donné pour
signe de leur puissance , qui tendait toujours à s'élever , la
fleur, d'ailleurs si gracieuse, qui symbolisait la perfection de
l'autorité et du pouvoir ? C'est aussi la pensée de M. Adalbert
de Beaumont, et c'est la seule origine que nous puissions lui
reconnaître , en dépit de toutes les autres qu'on s'est plu à
imaginer si souvent. Personne n'ignore quels furent sur ce
point les sentiments contraires de maints auteurs. Le fer de
lance des Celtes, préconisé par Lacurne de Sainte-Palaye, ne
vaut pas mieux, à notre avis, que l'angon mérovingien dont
Sainte-Foix veut faire le premier sceptre de nos rois, non
(1) Recherches sur rorigine du blason, cité dans la Revue de Vart
chrétien, iW, 582.
(2) Voir Sanchez, Commeniaria in Andreœ Alciali emblemata,
euiblem. cxiv, apud. Franc. Sanctii opp., III, 227, in-8», Geuev., 1766.
quième siècle.
FLORE MURALE. — LA FLEUR DE LIS. 547
plus que les abeilles de Childéric P"", préconisées par Jacques
Ghifflet , non plus enfin que les lis d'or à trois feuilles que
Robert de Helsen a rêvés sur les bords du Lis (qu'il faudrait
appeler la Lis), d'où Pbilippe-Auguste les aurait cueillis le
premier pour en parer son manteau et son écu {\ ) . Les décou-
vertes faites en \ 653 dans le tombeau de Childéric n'étaient
pas tant un attribut de la royauté qu'un symbole adopté par
ce prince, ou enseveli avec lui pour exprimer la sagesse, la
vigilance et le travail (2). De tels symboles n'étaient point
héréditaires ; ils prenaient place dans la sépulture de tout
grand personnage avec beaucoup d'autres objets , et y va-
riaient d'après l'objet de préférence que le défunt avait
adopté pendant sa vie.
Ce que la science nous apprend de cette découverte du Le hs confondu
fameux roi franc enseveli à Tournay en 48 1 a fort éclairé la fleJavecks^abeîi-
question de l'origine des fleurs de lis , sur laquelle chaque chiidlric ar^cfn-
historien faisait son thème. Fauche t , Du Tillet , Mézeray,
les Sainte-Marthe, différaient d'opinion ou ne s'accordaient
que pour se tromper mutuellement quant au fond et
quant aux détails. Lors de la découverte du tombeau qui est
resté jusqu'à notre époque môme un sujet de dissertation
laborieuse pour les antiquaires, Jacques Ghifflet, qui exerçait
la médecine avec distinction dans les Pays-Bas , fut chargé
par l'archiduc Léopold, qui savait son érudition, de lui faire
un rapport sur les objets qui entouraient le squelette du roi
des Francs. Ce fut le docte médecin qui voulut faire des
fleurs de lis des trois ou quatre cents abeilles d'or qui sans
(1) Helsen, Diction, de la France, v» lis.
(2) Cf. sur cette question, et pour les preuves du sentiment que noui
préférons ici, Clavis S. Meliton., apud. Spicil. Solesm., II, 406 :« Li-
lium : virtus, castitas, munditia;» — etZ)e/lî;i&U5, cap. viii,no xxxviii;
— ibid., Spicil., II, 512 : «Apis, forma sapientiœ...,diligentiam et sub-
tilitatem significat; » — un Mémoire sur le lotus, donné par M. Delille
dans la Description de la grande expédition d'Egypte de 119B; — Revue
de numismatique, 1840, 244, et Mem. des anliq. de VOuest, V, 149 ; —
Lacurne de Sainte-Palaye , Mém. sur l'ancienne chevalerie, I, 294;
— Saiute-Foix, Essai sur Paris, II, 84, in-12, 1769.
548 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
doute avaient orné le manteau royal. Il fallait forcer sa
pensée pour en venir là et s'appuyer de singulières conjec-
tures. A l'entendre , les abeilles, mal rendues par les dessi-
nateurs et les peintres, étaient devenues « des fleurs de lis,
lorsqu'au douzième siècle, nos rois qui avaient continué de
s'en parer, les prirent pour pièces définitives de leur blason.»
Une telle imagination ne vaut pas mieux que celles qui
voyaient trois crapauds d'or sur champ de sable , ou trois
grenouilles sur azur dans un prétendu écusson qui n'exista
jamais pour les rois de France (I). Tout cela fut réfuté vic-
torieusement quant aux abeilles, par Ferrand, dans son
Triomphe des lis contre Jacques Chifflet (2).
Les lis du tom- Quoi qu'il en soit des notions plus ou moins justes émises
gomieau s£èmê par Ics liistodens et les héraldistes sur ce symbole, il est
*'^^'^' certain qu'au tombeau de Frédégonde , morte en 597 et en-
terrée à Saint-Germain-des-Prés, on voyait encore, avant les
dévastations de ^ 793, la statue couchée de cette reine, la tête
ceinte d'une couronne fleurdelisée; son sceptre même se
terminait par une branche de lis au naturel. Cette œuvre ,
de cuivre et de marqueterie, était originale, au jugement de
ceux qui l'avaient vue en ^778. Ces mêmes auteurs citaient
plusieurs manuscrits de la bibliothèque du roi et de celle de
Golbert , oii des peintres reproduisaient les figures de
Charles le Chauve , dont la couronne portait de véritables
du sceptre de Da- flcurs dc lls (3). Uu autrc fait digne de remarque est rap-
gobert au sixième,
(1) Q,i.C\Ai^e,i., Anasiasis Childerici I, Francorum régis, sive Thé-
saurus sepulcralis Tornaci Nerviorum effossi, et commentario illuS'
tratus, Antuerpise^ 1655, in-4o ; — puis la défense de son opinion sur
le lis : Lilium Francicum verilate historica, botanica el heraldica
illuslratum, Antuerp., 1658, in-f» ; — Sainte-Marthe, Traité historique
des armes de France et de Navarre, et de leur origme, in-12, Paris,
1673.
(2) R. P. Ferrandi Epinicion pro liliis , sive pro aureis Francise
liliis, adversus Jac. ChiffletiurUy Lugd., 1663, in-4o. — Ce Ferrand ne
figure dans aucune biographie que nous connaissions.
(3) Le chev. de Jaucourt, dans l'Encyclopédie du xyiu^ siècle, XIV,
p. 612. — Tout son article, à l'exception de ce qui regarde Henschenius,
FLORE MURALE. — LA FLEUR DE LIS. 549
porté par le P. Henschcniiis, l'un des premiers BoUandistes.
A propos d'un ancien sceau dont il parle, et sur lequel Dago-
bert !'■■ (63i-638j est représenté tenant trois sceptres, ce
savant religieux prétend que ces trois sceptres, liés ensemble
par le bas, ressemblent à la Heur de la plante nommée iris
en français, et que les AHemands , à cause de ses rapports
avec le lis blanc , nommenf lisch-blume ^ c'est-à-dire fleur
de lis. Si l'on ajoute, avec le même auteur, que, cet emblème
une fois accepté, on le peignit d'or, parce que cette première
fleur était jaune, et que, naissant ordinairement dans l'eau,
qui paraît bleue, ce fut une raison de l'établir sur champ
d'azur , nous avouerons toutes nos sympathies pour ces in-
génieuses conjectures , sans vouloir nous y appuyer beau-
coup. Toutefois nous ne saurions comment réfuter le triple
sceptre de Dagobert, et nous croyons qu'il vient représenter
la fleur de lis au septième siècle , comme Frédégonde et
Charles le Chauve posent en faveur du sixième et du neu- et de charies le
/-w •• m- 1/1'- t t • Chauve au neu-
vième. Que SI aujourd hui, maigre le témoignage des écri- vième.
vains du dix-huitième siècle, on devait infirmer le tombeau
de Frédégonde détruit par les révolutionnaires de 93, avec
tant d'autres , hélas, comment révoquer en doute des ma-
nuscrits encore conservés à la bibliothèque de Paris ?
Voilà donc les deux premières races parées de cet insigne i-is des rois de
. .la troisième race ;
qui leur appartient exclusivement. Par ce qui précède , on
voit que les princes de ces lignées successives se l'étaient
transmis sans interruption. Nul doute aussi qu'il ne se soit
perpétué jusqu'à la troisième dynastie, puisque Louis VII ,
qui en avait chargé son sceau et la bannière blanche de la
France , en fit semer le manteau et la cotte de mailles de
Philippe-Auguste, quand il se fit sacrer à Reims de son
vivant en 4179. C'était particulièrement dès les premières iis deviennent ré-
années de ce douzième siècle que, les Croisades ayant fait
a été copié, sans aucune mention de cette source, par M. de Corcelies
dans son Dictionnaire universel (quoiqu'il le soit très-peu) de la no-
blesse de France, t. III, p, 212, in-S", Paris, 1821.
330 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
comprendre aux seigneurs bardés de fer la nécessité de se
reconnaître mutuellement par leurs armures, le blason
s'étendant à toutes les familles nobles , Louis VII adopta les
fleurs de lis sans nombre, que Charles VI réduisit à trois en
l'honneur de la Sainte Trinité. Depuis lors elles furent por-
tées d'or sur champ d'azur par la plus noble et la plus an-
cienne famille du monde. Ainsi le lis devint pour elle un
auguste symbole de loyauté et de bravoure, comme de ma-
jesté et d'honneur. Tout cela se reportait à Dieu dans la
pensée du monarque. Une médaille française frappée en
4380, à l'avènement de Charles VI, porte en exergue : Cla-
rescunt lilia trina {]).
et de beaucoup de De l'écussou royal la belle fleur passa à quelques armoi-
ries particulières, devenues de plus en plus nombreuses soit
par des alliances avec les premières familles de France, soit
par des concessions honorables faites pour des services ren-
dus à l'État ou de belles actions dont ces familles s'étaient
illustrées avec le temps. Avant même l'époque de S. Louis,
qui fut celle de la plus grande élégance de cet emblème , on
y avait ajouté le lien inférieur, qui en modifia la forme , et
semblerait un appendice privé de toute raison d'être, si nous
n'en trouvions pas l'origine dans les vitraux romans , où il
contribua à former les compartiments des grisailles. En
effet, que l'on considère celles qu'a publiées l'abbé Texier, et
qui seules nous restent de l'ancien monastère d'Obazine
(Corrèze) : on verra les charmantes fleurs de lis du dou-
zième siècle, dont les pétales se relient par des anneaux de
plomb, évidemment destinés à en consolider les parties, mais
qui ont sans aucun doute motivé , bientôt après, dans la
peinture , ce même lien devenu un simple ornement (2).
Cette forme , une fois consacrée, distingua si bien la belle
(1) Scévole et Louis de Sdiinte-Marthe, Hisl. généalog. delà maison
de France, I, 26, iu-4o, 1619. — Mézeray, Hist, de France, U, 88 ; et I,
1032.
(2) y o\v Annales archéologiques, X,81.
FLORE MURALE. — LA FLEUR DE LIS. 55^
fleur française , qu'il ue lut plus possible de s'y tromper.
Bientôt on la vit envahir , surtout à partir du treizième et paf5scnt ontin
dans rorncmenta-
siècle , toutes les surfaces où l'art pouvait prodiguer ses t'on ^les meubics
^ ^ et des maisons ,
cliarmantes habiletés : les meubles, les tapisseries , les ma-
nuscrits , les vitraux des maisons particulières, et jusqu'à
leurs pavés de terre cuite et aux softîtes de leurs plafonds,
en reçurent les formes gracieuses ou les vives couleurs. Il
n'y eut pas jusqu'aux ornements d'église qui la reprodui-
sirent presque à satiété. Nous ne pouvons nous en plaindre, «t jusque dans
celle des oblets sa~
car, outre qu'elles ne firent cette sorte d'invasion que pour crés.- Raison de
. .11 . CG dernier emploi.
y devenir la preuve et comme un souvenu' des hautes muni-
ficences qui prétendaient établir ou leur juridiction ou leur
droit à de certaines prières, en les brodant sur les étoffes
d'or et de soie, en les gravant sur les calices, les reliquaires,
et jusque sur la hampe des bâtons cantoraux , d'autres rai-
sons plus élevées inspirèrent souvent cette profusion. Là se
trouvait le symbolisme de la Trinité , application déjà fort
ancienne , comme nous l'avons vu , d'un signe reconnu de
tous au mystère fondamental du Christianisme. Mais là aussi
était une pensée de patriotisme qui aimait à identifier à la
religion ce vieil emblème de la France et de cette longue
suite de monarques dont le sceptre et les bannières s'en
étaient embellis, et qui de là avait passé et fleuri sur tous
ses monuments.
Il est d'ailleurs remarquable que, les formes plus ou Les types de la
. j fleur de lis divers
moins complètes, plus ou moins sveltes ou trapues de avec les époques,
rt iTP • ./<' 1-ni • 1. et propres à faire
notre fleur de lis française ayant ete modifiées maintes distinguer cciies-
„ . 1 ... . , 1 • • . 1 • y 1 • < 1 ci dans les monu-
fois par les artistes qui la reproduisirent de siècle en siècle, ments.
on peut conclure de ces modifications mêmes pour affirmer
l'époque approximative de ces objets, comme on l'a observé
à l'égard des hermines , qui , dans l'écusson de Bretagne,
ont souvent aussi changé de forme. Le treizième siècle
nous la montre légère et dégagée , plus longue que large ;
l'inflorescence, tout en n'offrant qu'une division du calice
en trois pétales, sépare celles-ci de manière à laisser un vide
552
HISTOIRE DU SYMBOLISME.
entre chacune d'elles; comme l'architecture de cet âge,
elle semble aspirer à prendre par son élancement gracieux
la majesté et l'élévation du style ogival. Au quatorzième, elles
s'abaissent et s'élargissent, mais conservent beaucoup d'élé-
gance et de netteté. Quelque chose de plus lourd, à quel-
ques charmantes exceptions près {]}, indique le quinzième ;
alors, sans avoir perdu toute sa légèreté, elle tend à s'épaissir
encore et perd de sa délicatesse et de son essor; on voit
même le caprice du brodeur ou du sculpteur percer dans
l'exécution de son caractère d'ensemble. Plus tard ce caprice
prend ses aises bien plus larges, et va, au dix-septième siècle,
dans l'église des Carmes de Gaen , jusqu'à rattacher à la
pétale intermédiaire deux dauphins recourbés qui en for-
ment les pétales accessoires. Il est vrai que cette originalité
pouvait être un symbole se rattachant aux traditions de ce
monastère. — Enfin, du seizième siècle jusqu'au nôtre,
elles se sont fait des contours et des proportions définitives
qui n'en valent pas mieux pour avoir une certaine prétention
à être plus classiques. Changeront-elles encore ? C'est peu
probable , à moins que sous un descendant de S. Louis elles
ne retrouvent encore leur forme svelte et majestueuse en
rajeunissant une des plus glorieuses périodes de notre his-
toire.
Les artistes, Dc CCS uombreuscs mutatious il faut conclure que les
pour les repro - . , , . i i
duire , doivent peiutrcs, Ics sculptcurs ct autrcs artistes charges de repro-
donc se reporter i . • n i t • ^ -i
aux temps dont ils duu'c la ilcur dc hs coiTime ornement ou comme pièce de
tions. ' ^'" blason, devront bien étudier ses formes afin de les accorder
avec le style des œuvres caractérisées par chaque siècle. Il
serait par trop ridicule de voir semer des fleurs de lis de
Louis XVIII et de Charles X une chapelle du seizième siècle, ou
d'y imposer les abeilles de Chilpéric, comme nous l'avons vu
(1) On en voit un fort joli spécimen dans la Revue de Vart chrétien,
II, 221. Il faisait partie du pavage de l'ancien château des évoques
d'Avranches, dont Louis de Bourbon avait occupé le siège vers la fin
du qiiiuzièmt siècle.
FLORE MURALE. — LA FLEUR DE LIS.
553
pratiquer. L'unité artistique n'est pas moins à observer en
cela que dans tout autre genre de décoration , et c'est une
impardonnable faute que de mêler toutes les époques de
l'art dans nue confusion qui se ressentira toujours trop de
l'éclectisme révolutionnaire , et tendrait comme lui à tout
méconnaître et à tout ruiner. Et puis, contemporains d'une
époque agitée de si étranges tempêtes, disons-le encore bien
haut à ces intelligences fourvoyées qui cèdent à leur passion
de vengeances démocratiques avec la même frénésie qu'aux
plus grossiers emportements de leurs sens : quelles que
soient les vicissitudes imposées par la Providence aux dynas-
ties, leurs insignes ne doivent pas devenir comme elles les
jouets de la malicieuse stupidité des hommes. A moins de
déchirer l'histoire, de brûler dans les archives publiques les
actes de leur puissance , le plus souvent protectrice et jus-
tement honorée ; à moins d'effacer des souvenirs nationaux
les longues et glorieuses traces que tant de règnes y laisse-
ront à jamais, on ne voit pas quel autre motif que le barbare
aveuglement d'une sotte ignorance viendrait exercer sur
des monuments très-innocents par eux-mêmes un genre de
mutilation dont les révolutions ne savent jamais rougir. Que
de titres perdus, que de monuments outragés, parce que
les lis y conservaient l'empreinte encore tout héroïque de
générosités princières ou des juridictions de la féodalité!
Ah ! ce sont là les fleurs qu'on fait croître aujourd'hui sur
la tombe des rois ou sur le chemin de leur exil !... Mais que
les peuples follement victorieux de ces grandeurs déchues
comprennent aussi leur décadence prochaine à ces excès
d'un vandalisme hébété; plus on les y accoutume, plus
l'abrutissement se consomme : outrager ses aïeux, détrôner
ses maîtres, dégrader les monuments de sa patrie, c'est
montrer jusqu'à l'évidence qu'on n'est plus digne d'en
avoir.
Après nous être arrêté longtemps sur la ilein" royale, dont
il nous semble qu'on n'avait pas encore suffisamment pré-
Grossières per-
sécutions révolu-
tionnaires contre
cet insigne d'une
ancienne royauté ,
et leurs suites fu-
nestes à la science
historique.
8yni))oli8nio de
la flore mytholo-
gique.
554 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
cisé l'origine et le rôle symbolique, revenons à notre mys-
ticisme religieux , et considérons notre flore sous les mul-
tiples aspects que nous en donne la liturgie catholique. Ce
sont des aperçus dont il serait difficile de ne pas tenir
un grand compte. Il n'était guère possible que les idées si
gracieuses et si douces qui naissent de la contemplation de
la nature et des plus ravissantes merveilles de son Auteur
n'entrassent pas pour beaucoup dans les offrandes à lui
faire et dans les embellissements de ses temples. La flore et
la pomone des païens , leur Gérés , leur Triptolème et leur
Janus , indiquent assez quelles étaient leurs pensées à cet
égard. Ils eurent des arbres et des fleurs consacrés, par suite
d'une foule de riantes allégories , aux souvenirs de leurs
dieux et aux pratiques du culte public. Le chêne de Jupiter,
le laurier d'Apollon sont assez connus comme symboles ; on
sait la couronne d'épis de la mère de Proserpine , la verveine
sacrée formant celle des druides , et que cette ingénieuse
idolâtrie n'avait pas moins de protecteurs pour ses jardins
que pour ses champs. C'étaient tantôt la contemplation de ces
beautés visibles qui charmaient les hommes, depuis l'agri-
culteur jusqu'au poète, tantôt l'usage des fruits delà terre,
l'ombre de ses bois sacrés ou l'emploi des substances natu-
relles aux cérémonies de la rehgion qui témoignaient du
penchant de l'humanité pour ces innocentes jouissances, ou
de sa gratitude envers le Ciel, qui les lui avait données
comme un principe de paix intime ou des plus suaves élé-
comment le vatious dc son cŒur. Ce que l'homme animal goûtait ainsi.
Christianisme dut ,^.... • t , , ii <• «xi
s'en emparer. le Christianismc, qui adopte tous les bons sentiments et les
purifie , ne pouvait manquer de le comprendre avec une
bien plus haute intelligence. On vit ses plus grands esprits
s'apphquer à saisir et à exphquer les relations morales des
plantes à l'âme humaine cultivée comme eUes par la rosée
de la grâce , éclairée et réchauffée aux rayons du Soleil de
Justice, nourrie ici-bas des sucs fructueux des sacrements,
et appelée à une terre promise, jardin de délices éternelles
FLORE MURALE. 555
OÙ couleront pour elle d'intarissables ruisseaux de lait et de
miel(l).
De telles méditations produisirent des œuvres litté- ses organes au
!• ij««i t -1 moyen âge.
raires pleines de iraiclieur et de naïves beautés, ecloses à
l'ombre des cloîtres , dans ce moyen âge , qui l'emportait
d'autant plus par le sentiment et la hauteur de la pensée
qu'il connaissait moins les aspirations des scnsualistes et
des libres penseurs. Les recueils de principes chrétiens ap-
pliqués aux besoins de la vie spirituelle , les maximes de la
Sagesse éternelle proposées aux spéculations religieuses des
solitaires ou des gens du monde, s'épanouissaient au souffle
des mille génies cachés dans les maisons bénies de la prière
et du travail. Nous avons encore ces manuscrits précieux où
les symboles abondent, où la lettre des Écritures exhale de
toutes leurs pages les parfums de l'Esprit divin. C'est Her-
rade, l'abbesse de Sainte-Odile, rassemblant dans son Jardin
de délices, sous l'emblème des plus douces fleurs, tout ce qui
peut parler du Sauveur, de sa Mère, de ses Saints et de leurs
attributs (2) ; c'est le bénédictin Hermann de Werden , ex-
pliquant dans son Jardin de délices de Salo7non, dont il
emprunte l'idée à l'illustre abbesse , la morale des Livres
sapientiaux (3) ; c'est Philippe le Solitaire , plus connu par
son livre que par lui-môme, écrivant son Paradis spirituel et
décrivant ses plantes qu'on y admire avec les fruits qu'on y
goûte (4), ou bien ce sont des Vergers où s'exposent les vertus
des herbes , ou les douze rameaux de F arbre de vie , ou les
fleurs du paradis, ou le bouquet mystique , et tant d'autres
(1) « Nunc oli'ero primitias l'rugum terrae quam Dominus dédit
mihi..., qui tradidit nobis terram lacté et melle maDantera.» Dexiinr.,
XXVI, 9.) — Tous les interprètes voient dans ces paroles une allégorie
de la vie future.
(2) Nous connaissons Herrade d'Hohonbourg et sou Orius delicia-
rum par ce que nous en avons dit au tome II de cet ouvrage, p. 199.
(3) Cité par dom Pitra, Spicileg. Solesm., IJ, 401.
(4) Philippe le Solitaire, De Paradiso iniellcclualij cl de planlis alque
f'ruclibus qux ibi conspiciunlur.
556
HISTOIRE DU SYMBOLISME.
li^Hortus deli-
ciarum d'Her -
luann de Werden.
pleins d'agréments, en effet, comme ces titres le font sup-
poser, et dans lesquels on sent que le rliythme, en dépit des
inévitables difficultés de sa marche parfois raboteuse , est
souvent aussi plein d'harmonie, et rachète toujours ses im-
perfections par la poésie, la pensée et la déhcatesse du trait ;
voyez-en une preuve dans cette introduction d'Her mann, que
nous ne pouvons nous refuser à citer :
INGIPIT HORTUS DELIGIARUM SALOMONIS :
Auster, adesto calens, Aquilonis ut ira recédât,
Ut possit sterilis hortulus esse virens ,
lllius ut flores crescant, et aromata stillent ,
Et fructus faciant imbre rigata tuo.
Plantavit Salomon hune Horium deliciaruiii,
Delicias capiens deliciosus homo ;
« Nulla meis oculis, inquit rex, ipse negavi
» Quse cordi poterant esse décora meo. »
Altior hic cedras et virgula balsama stillant;
Hic vitis, pabna, nux et oliva virent.
Hic crocus, hic aloë, cinamomum, fistula, nardus,
Flos campi crescit, myrrha, cupressus ibi,
Populus etlaurus, ficus et castanea, buxus
Et pirus; et malo punica mala rubenl.
Hic rosa purpurea, candentia lilia, parvee
Hic violfB redolent, hyssopus, herbabrevis,
Regem quidquid odore, sapore, décore potentem
Delectare potest, hortulus iste parit (1).
(1) «Vent du midi, reviens avec tes chaudes haleines, éloigne de
nous les rigueurs de l'Aquilon. Remplace ainsi par la verdure la stéri-
lité de mon petit jardin; ramènes-yles fleurs, fais-y couler de nouveau
les gouttes de mille parfums, et qu'inondé de ta féconde humidité, il
me rende les fruits de chaque année. C'est Salomon qui a fait de toi un
Jardin de délices ; il y a trouvé toutes les sciences, homme vraiment
délicieux. « Ah ! disait ce prince, je n'ai rien refusé à mes yeux ni à
» mes désirs de ce qui pouvait les combler.» — En effet, je vois s'éle-
ver ici le cèdre majestueux; le baume y distille ses gouttes précieuses;
la vigne y reverdit à côté du palmier, et l'olive près de la noix; c'est
un mélange de safran et d'aloès, de cinnamome et de nard; la simple
fleur des champs s'y trouve avec la myrrhe et le cyprès; là croissent
ensemble le peuplier et le laurier, la figue et la châtaigne, puis le poi-
rier et le buis, avec le grenadier couvert de ses fruits vermeils. Voici
la rose purpurine, le lis éclatant de blancheur; ici l'humble violette
répand son odeur suave; là surgit l'hysope, encore plus humble. Tout
FLUKE MURALE. 557
Est-ce que dix peintres ou sculpteurs de talent ne trou-
veraient pas dans ces belles images la matière d'une char-
mante ornementation ? N'y admire-t-on pas la lumière et
l'ombre, les clairières et les profondeurs, l'air qui se joue à
travers ces grands arbres, et ces humbles fleurs des bois et
des prairies se balancer mollement aux bords des eaux silen-
cieuses du vallon? Tout autre que Salomon se plairait encore
dans ce jardin délicieux ; et ne voyez-vous pas que la plu-
part de nos cliapitaux du moyen âge ne sont que des cor-
beilles où s'est reproduite toute cette merveilleuse végé-
tation ? Chez nous, tous les sculpteurs de nos éghses auraient
donc pu inscrire aux chapiteaux enrichis par eux, comme
au couvent grec d'Iviron : « C'est moi qui les ai fleuris (1). »
Cette antique habitude, partout répandue à cette époque , i^nteg^deTautir!
d'emprunter à la botanique un titre pour les œuvres de phi- s'^e,
losophie religieuse , devint une source d'allusions dont
l'Église dut se servir dans l'expression de ses pensées litur-
giques. Ses chants, ses offices retentissent tous les jours de
comparaisons aussi justes que poétiques. Rien n'était plus
naturel que d'en puiser le sentiment dans les livres bibli-
ques, oi!i le pain et la vie prophétisés si longtemps d'avance
étaient venus, à la dernière cène du Christ, symboliser, en la
consommant, l'union intime et mystérieuse de la nature et
de la substance divine avec la nature et la substance de
l'humanité. De là, autour de nos tabernacles, sur nos calices <^t, à ce propos, le
bois préférable à
et nos linges d'autel , sont venus se grouper les épis et les la pierre pour les
^ ' or V tabernacles.
gerbes , les pampres et les raisins ; mais de là aussi, dans
l'admirable office du Saint Sacrement, qui restera le chef-
d'œuvre de S. Thomas d'Aquin, l'inimitable séquence,
ce qu'un roi puissant peut souhaiter d'odeurs suaves, de fruits savou-
reux et de gracieux au regard, mon petit jardin me le donne. » — On
voit bien qu'ici le véritable Salomon est Jésus-Christ et que toutes les
plantes indiquées par le poète sont autant de symboles de ses vertus,
comme il est facile de s'en convaincre en cherchant sur chacune d'elles
ce que les symbolistes en ont dit, et nous-mi-me dans ce travail.
(1) Voir Didron, An7ial. archéolog., XXI, 273.
558 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
les magnifiques hymnes où sont préconisés le Froment des
Élus et le Vin qui protège la pureté des âmes et y fait éclore
la virginité. Tous les chrétiens comprennent cela et l'ont
Le cèdre, sur- mlllc fols admiré. Disons à ce propos que le cèdre est un bois
p7r ' soi ^^ symbo- incorruptiblc et parfumé ; il est préférable pour les taber-
lisme.
nacles de nos autels, qu'on fait trop souvent en pierre au-
jourd'hui , sans songer que cette matière , très-symbolique
pour les autels, ne l'est pas du tout quant au service qu'on
lui demande à l'égard de la Sainte Réserve. On concevrait
d'ailleurs combien un bois résineux, que n'attaquent ni les
vers ni l'humidité, est préférable pour un tel emploi, quand
bien môme la pierre n'y serait pas dangereuse par l'attrac-
tion qu'elle a pour l'hydrogène, qui est le principe humide
de l'air. Mais la meilleure raison que nous puissions donner
ici, c'est que le cèdre est dans les Saintes Écritures l'image
de Notre-Seigneur par l'élévation et la majesté de son port ,
celle de l'Église , dont la puissance spirituelle correspond
bien, dans les spacieuses proportions qui embrassent toute
la terre, à l'étendue de ces verts et larges rameaux. Les
Justes, comparés aux oiseaux du Giel, se reposent sur ses
branches ; autour de lui les peuples se multiplient comme
ses fortes et vastes racines {]).
.Pourquoi l'hy- Alusl Ic Gliristianisme a eu le secret de tout sanctifier en
dans les aspe^r- duimant tout. Scs cérémoiiies les plus populaires, comme les
plus intimes profondeurs de ses Sacrements, offrent à nos
méditations des sujets aussi riants qu'instructifs. Chaque
dimanche il répand sur les fidèles , comme préparation au
Saint Sacrifice, l'eau purifiante où nos pères avaient cou-
tume de tremper l'hysope , plante modeste , dont la vertu
purgative, aussi bien que la vie cachée, symbolise la péni-
tence et l'humilité qui nous élèvent jusqu'à Dieu en nous
(1) « Gedrus , Christus : Sicut Cedrus exaltata sum in Libano. »
{Eccles., xxiY, 17.) — «Cedri Libaniquas plantasti : illic passeres nidi-
ficabunt. » (Ps., cm, 18.) — «Celsitudo cœlestis gloriee : Justus sicut
cedrus Libani multiplicabitur. » {Ps., xci, 13.)
FLORE MURALE. ^Jo'è
purifiant. L'usage de cette plaute n'a pas été entièrement
abandonnée, et elle sert encore à l'aspersion des murs d'une
église nouvelle, quand l'évèque procède aux cérémonies de
sa consécration. Durant de Mende l'indique ainsi dans son
Rational du treizième siècle, avec les mêmes attributs sym-
boliques indiqués avant lui par toutes les traditions , car
c'était déjà sous l'ancienne Loi la pensée du Prophète répétée
dans le chant liturgique où nous comprenons, avec le sou-
venir de l'hysope , que c'est Dieu qui nous purifie, et que
par ce renouvellement qu'il opère en nous l'âme devient
blanche comme la neige , nonobstant toutes les souillures
antérieures (^l).
Les sacrements n'ont de vertu qu'en Jésus-Christ, leur La flore mysti-
Quo (les SACr6~
auguste auteur ; et quand ils opèrent dans nos âmes , c'est menta.
par sa grâce, par son assistance invisible, mais sûre, autant
que nous y apportons les dispositions qui les fécondent. Les
signes sensibles, les éléments qui constituent ces sacrements
et en manifestent extérieurement l'efficacité invisible, ont
donc tous un sens mystérieux tiré des vertus et qualités de
la matière choisie par l'Église. L'olivier, qui dans nosÉcri- L'oiivier et le
,,..,„,., . , , baume du Bap -
tures désignait le Lhrist a venir comme devant porter des tême, de lacon-
firmation, de l'Ex-
iruits pleins de saveur, comme un arbre lertile, dont le nom trême^^onction et
est plein d'une onction sacrée, rappelle en effet que ce nom
du Sauveur, au dire des Saints , est comme une huile qui
coule dans le cœur religieux avec toute la douceur qui for-
tifie , qui guérit et qui console. Cette huile que le Sauveur,
sous les traits du bon Samaritain , versait lui-môme sur les
plaies du pauvre blessé de Jéricho , devait trouver sa place
dans ces applications divines de l'infinie miséricorde aux
besoins du pécheur (2) ; aussi est-elle devenue, dès les pre-
(1) « Asperges me hyssopo, et mundabor; lavabis me, et super nivera
(Jealbabor. » (Ps., l, 9.) — Voir Pontifie. Roman., p. 300, in-S»; — Du-
rant. Mim. Rationale div. Offic; mihi, f^xvi, v»».
(2) « Ego autem sicut oliva fructifera.» [Ps., li, 10.) — « Sicut oliva
speciosa, frucUfera, vocavit Dominas nomen tuum. » {Jerem., xi, IG.) —
de l'Ordre.
560 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
miers jours , le plus actif symbole de la réconciliation hu-
maine, de sa force pour bien mourir, de sa guérison même,
si cette guérison doit servir à la gloire de Dieu. Cette doctrine
de S. Jacques, dans laquelle la tradition perpétuelle nous a
appris l'institution de l'Extrême-Onction et ses effets dans
l'âme du mourant , établit l'efflcacité de l'huile tirée de
l'olivC;, qui est la matière nécessaire et unique du sacre-
ment (t).
Cette huile est d'abord exorcisée par l'évêque, qui supplie
la toute-puissance divine de préparer dignementpar FEsprit-
Saint cette liqueur onctueuse tirée de l'olive, par cette même
puissance qui en a fécondé les rameaux. Et comme cette
huile va bientôt devenir aussi l'un des éléments du Chrême,
qui consacrera les baptisés et les rois par une sorte de
sacerdoce, aussi bien que les prêtres par un caractère spé-
cial et plus élevé qui leur conférera les pouvoirs de Jésus-
Christ et le plein exercice de sa puissance sur les âmes, l'of-
ficiant fait mention de toutes ces grandes choses dans
Foraison qui bénit cette huile mystérieuse (2). Après un
magnifique chant préparatoire où le clergé exalte Farbre
béni et lumineux qui nous a donné une si précieuse sub-
stance , où il offre au pontife, et au nom de la foule pieuse
qui Fentoure, cette huile sacrée, comme autrefois le peuple
hébreux jetait sur les pieds du Sauveur triomphant les
palmes vertes qu'il venait de cueillir en son honneur,
Févêque mêle à cette huile limpide une portion de baume,
« Samaritanus... alligavit vulnera ejus, infundens oleum et vinum. »
{Luc, X, 34.) — « Oleum effiisum nomen tuum. « {Canl., i, 1.)
(1) « Infirmatur quis in vobis..., inducat presbyteros..., et orent super
eum, ungentes eum oleo..., etoratio fidei salvabit infirmum ; et alle-
viabit eum Dominus, et si in peccatis sit, remittentur ei. » {Jac, y, 14.)
(2) « Emitte Spiritum Sanctum tuum de cœlis in hanc pinguedi-
nem olivae, quam de viridi ligno producere dignatus es..., ut sit omni
hoc unguento cœlestis mediciuee peruncto tutamen mentis et cor-
poris..., unde unxisti sacerdotes, reges, prophetas et martyres, sit
chrisma tuum perfectum, Domine, nobis a Te benedictum...» {Pontifie.
Roman... De Ofâcio in feria v majoris hebdom.)
FLORE MURALE. 56^
autre produit d'un arbre biblique empreint d'un parfum
suave et doux. C'est ce mélange qui constitue le Chrême
employé dans le Baptême, dans la Confirmation et dans l'or-
dination des pontifes et des prêtres. Toutes sortes d'allusions
aussi justes qu'agréables ressortent ici de la parole sacer-
dotale. Cet arbre précieux, dont l'écorce a laissé échapper la
riche récolte de ce baume qui ornait autrefois les vignes
d'Engaddiy est un heureux contraste avec cet arbre devenu
pour nos premiers pères un sujet de désobéissance et un
instrument de mort : l'un avait causé notre perte , l'autre
nous rend le salut. — Ce beau sujet d'action de grâces se dé-
veloppe aussitôt dans une admirable préface que chaule
l'évêquc consécrateur, où il fait ressortir toutes les circon-
stances de l'ancienne Loi qui semblaient prédire au peuple
nouveau le saint usage de tant de plantes merveilleuses
adopté par l'Église pour régénérer ou sanctifier ses enfants.
N'est-ce pas cette huile que David annonçait comme un par-
fum de joie destiné à remplacer nos tristesses par une douce
sérénité? la branche d'olivier rapportée par la colombe du
déluge , une de ces herbes indiquées par Dieu à Moïse , et
dont Aaron devait composer l'aromate destiné à la consé-
cration sacerdotale (I) ? Que de pensées, que d'élévation, et
(1) Cf. Pontif. Roman., ubi suprà. — Quant au baume, qui nous im-
porte surtout ici, c'est une substance gommeuse et de couleur rou-
geâtre qu'on extiait par incision des branches d'un arbrisseau qui se
cultive à peu près comme la vigne, ne s'élève guère au-dessus de la
taille du grenadier, et vient surtout de l'Arabie, où il croit aux environs
de La Mecque et de Médine. Fort connu des anciens, il est devenu, dès
l'époque des Apôtres, un des ingrédients nécessaires du Saint Chrême,
parce que sans doute on y trouva des propriétés qui, par son
odeur et sa nature onctueuse, rappelèrent certains passages de l'Ecri-
ture où l'on peut voir de justes symboles de ses eCfets sur le corps et
sur l'âme. Innocent III (I DecreLaL, tit. xv. De Sacra Unctione, cap. i)
dit très-clairement : « Conficitur chrisma, quod ex oleo fit et balsamo,
mystica ratioue. Per oleum euim nitor conscienciae designatur, juxta
quod legitur : Prudentes virgines acceperunl uleum in vasis cum
lampacUhus suis. Per balsamumodor bon.Te famac exprimitur, propter
quod dicitur : SicaU balsamwu aromalicani oclorem cledi.»— S.Mé-
T. ni. 30
562 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
quelle source inépuisable de spiritualisme et de science
divine !
Divers symboles Le palmier est un des plus beaux arbres de l'Orient. Son
tires du palmier; ^ ^
et de la procès- trouc droit ct réffulier, srarni de son écorce rugueuse, a paru
sion des Rameaux. o o •^ ±
à s. Grégoire le Grand une image de la Croix, dont les appa-
rences sont rudes et ardues , mais dont les fruits, comme
ceux de l'arbre de l'Idumée, sont doux et savoureux à qui
sait les goûter. Est-ce dans cette prévision que Salomon
avait orné le temple de colonnes en forme de palmiers ,
comme semble le croire Pierre de Gapoue et Raban-Maur?
Quoi qu'il en soit, l'Écriture le signale mille fois comme un
symbole de victoire , de triomphe , d'immortalité , comme
l'image fidèle de l'homme juste orné de ses vertus, des dis-
ciples fidèles du Christ, de l'Église même dont les jours, au
dire de Job , seront multipUés comme les innombrables
rameaux de cet arbre aux ombrages touffus, aux fruits
excellents. Dans l'Apocalypse, l'Apôtre nous montre les Élus
vêtus de robes blanches et portant dans leurs mains les
palmes, qui sont restées l'attribut particulier du martyre. La
marche triomphale du Sauveur lors de son entrée à Jéru-
salem fut honorée par les branches de palmier et d'olivier
répandues sur son passage. L'Église a conservé la mémoire
de cette manifestation qu'elle renouvelle chaque année au di-
manche des Rameaux. Les beaux vers de Théodulfe rendent
bien fenthousiasme de ce triomphe, aussi bien que le chant
de l'Évangile, où il est raconté avec une simplicité si tou-
chante. Durant voit encore dans la dernière partie du rite
observé au dimanche//e5 Palmes, quand les portes de féglise
s'ouvrent enfin après la troisième injonction de l'officiant ,
une image de l'entrée victorieuse de Jésus dans le Ciel au
-^
liton a oublié dans sa (J/e/" le baume, dont il ne parle pas, quoiqu'il se
trouve deux fois indiqué dans l'Ecclésiastique comme symbole des
vertus, et de bonne renommée à laquelle nous le voyons appliqué par
Innocent III. —Cf., sur le baume, Vitasse, Tract, de confirmaiione,
quaest. ii, art. 3, § 11; — dom Calmet, Dici. de la Bible.
FLORE MURALE. 563
jour de son ascension, lorsque les Anges, comme ici-bas les
enfants munis de leurs palmes vertes, le reçurent dans le
Ciel au chant de leurs cantiques et de leurs joyeuses accla-
mations (I).
Ajoutons ici une observation qui nous est personnelle. La Représentation
*' ^ *■ artistique de cet
plupart de nos cbapiteaux du treizième siècle sont ornés arbre dans les
^ colonnes et leurs
d'une belle chevelure de feuilles recourbées retombant chapiteaux.
gracieusement autour de leur charmante corbeille , super-
posée elle-même à une colonne svelte et légère qui rappelle
très-bien celles de Salomon. Une telle décoration ne manque
pas plus de sens que beaucoup d'autres aussi peu symbo-
liques en apparence. Si la palme, comme nous venons de le
voir, est un symbole de gloire et un hommage au Dieu fait
homme, où convient-elle mieux que plantée autour de l'au-
tel où ce môme Dieu résida pour nous dans ses glorieuses
humiliations de l'Eucharistie ? Il y a plus : nous la voyons, au
chevet de la cathédrale de Poitiers, couronnant cette même
colonne , que soutient avec effort un de ces trois démon*
adjoints à la pierre [juncti peirx), et dont la rage semble se
déverser sur les passants par des grimaces forcenées. C'est
encore le triomphe de la force divine dominant le tentateur
et l'obligeant de se courber éternellement sous le poids
immense de sa majesté et de sa gloire. C'est ainsi que l'ar-
chitecture et l'ornementation reçoivent en même temps les
inspirations de l'esthétique et de la liturgie.
Obligé de nous borner, dans l'exposé de ce qui regarde ce signification mo-
^ 7 I -1 o j,^jg ^gg plantes
sujet, à ses éléments principaux et de hâter la lin de ce cha- d'ornementation.
pitre, nous aurons suffi à donner une idée complète de cette
importante portion de la science symbohstique, si nous grou-
pons ici, en finissant , et comme en un bouquet terminal ,
(1) « Crux Christi, quae rigida quiJem et bispida, videtur ïn osten-
sione corticis, sed dulcissiinos fructus liabet iu exhibitione salutis ;
unde Spiritus in cantico dicil : «Ascendam in palmam, et appreben-
dam fructus ejus. » — Ce texte est de S. Grégoire, cité dansle^ptci/^^gr.
Solesm., II, 376 et suiv.— Le consulter pour toutes nos assertions de ce
passage sur le palmier.
564 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
l'heureux assemblage des plantes destinées à répandre leurs
moralités mystiques sur les monuments qu'elles doivent
embellir. Nous choisirions de préférence pour les grandes
églises celles qui, par leur ampleur naturelle, contribuent
mieux à faire des colonnes, isolées ou engagées, comme des
arbres dont la tête majestueuse avec sa chevelure ciselée
semble se balancer au-dessus des nefs. Le figuier de la Pa-
lestine, aux fruits savoureux , si souvent mentionnés dans
l'Écriture ; le palmier, avec ses idées de fécondité et d'hon-
neur ; la vigne , image de Jésus-Christ et de nous-mêmes ,
ses branches fidèles, vivant de Lui; le chêne aux rameaux
épais, au tronc vigoureux, à la vie longue et incorruptible ;
le peuplier et ses variétés si nombreuses, rappellent les eaux
de la grâce et le bonheur de l'homme qui s'y abreuve ; et le
lierre aussi , que les anciens cultivaient sous la forme d'un
arbre véritable, et qui, paré de sa verdure éternelle et de ses
mordantes attaches, ne se fait pas moins, en embrassant les
élégants contours de nos piliers , le riant symbole de notre
immortalité que la fidèle expression d'une charité impéris-
sable.
Comment la Gcs cliarmaiites expressions de tant de pensées reli-
sculpture moder- . , • di • ^ *x x •
ne doit traiter ces gicuscs pcuvcut bcaucoup gagucr aujourd hui a être trai-
deïoinîrde peT- técs par k malu de nos sculpteurs modernes. Ceux du
fection que ja- j^^^gj^ ^gg ^ g^j^ ^^j. inhabileté à rendre une parfaite res-
semblance de la flore usuelle, soit parce qu'ils la sculptaient
souvent ou de mémoire ou sur de mauvais modèles, n'arri-
vaient , à travers des tâtonnements , qu'à produire souvent
de très-mauvaises copies de la nature. Il faut donc juger
maintes fois beaucoup plus l'intention de l'artiste que
son faire et deviner plutôt que reconnaître l'objet qu'il a
voulu représenter. Nous sommes loin de ces essais. L'habi-
tude d'un travail bien dirigé, exécuté par des ouvriers spé-
ciaux qui excellent du moins à reproduire de beaux des-
sins, sinon, hélas ! à les comprendre, sont autant de condi-
tions favorables à une louable ornementation de nos églises
FLORE MURALE. ^65
nouvelles. Nous adniirous ces belles foliations, ces fouillures ^^''^ s'écarter né-
' anmoms du sym-
exquises, ces délicatesses ciselées, qui de toutes parts , en boiisme insépara-
* '1 ï^ ' ble de l'architec-
notre temps, concourent à rembellissenient de ces beaux *""•« religieuse,
édilices; nous n'en repi'ocherons pas moins aux arcliitectes
de négliger trop, en cela comme dans les grandes études
arcbitecturales, l'estbétique et le surnaturalisme, qu'ils ne
sentent jamais assez. Pourquoi, quand ils s'obstinent à faire m confondre les
fiji .. T i-n époques indiquées
au leur clans la construction proprement dite, au lieu d en par remploi de
.T l'.-ix 11 1.1 1 tels OU tels motifs
•emprunter les détails a ces grands hommes dont les plans de la flore muraie.
immortels subsistent encore dans les magnifiques monu-
ments de nos siècles hiératiques, s'adonnent-ils, pour les
plantes d'ornement, à une minutieuse et intelligente repro-
duction des feuilles grasses, qui ne disent rien à l'œil ni à
l'esprit, ou de cette végétation sans éloquence qui consiste
en quelques feuilles recourbées , toujours les mômes , tou-
jours muettes, et dont on prodigue l'uniforme élégance sur
tous les chapiteaux de deux ou trois nefs? Ce n'est pas là
de la vie et du spiritualisme ; c'est un effet qui , au pre-
mier aspect , charme l'œil et atteste un habile ouvrier ;
mais au fond tout est vide, en ce chef-d'œuvre d'adresse ,
d'inspiration chrétienne et du sentiment qui devait s'y
attacher.
Ici, cependant, le caprice ne vaudrait pas mieux qu'ail- choix despian-
^ tes , et leurs pro-
leurs , et il ne faudrait pas prendre au hasard des plantes portions à garder
selon lo plus ou
quelconques pour en faire des motifs de décoration arbi- moins d'étendue
T 1 1 T r» 1 1 *^®^ édifices ,
traire également applicables aux édifices de tous les styles.
Comme chaque siècle a eu son genre de construction , il a
aussi adopté un genre à part de parure iconographique , et
telles plantes qui figurent aux douzième et treizième siècles
sont remplacées pour les suivants par une tout autre végé-
tation. Le treizième, par exemple, qui abandonne les sujets
historiques, dont les précédents se sont fait une si riche
sculpture, adopte le chêne avec ses glands , affectionne les
arbres aux vastes branches , et les varie par d'élégants
crochets, qui ne sont pas tant des symboles botaniques en
566 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
réalité que des espèces de draperies jetées avec d'élégants
boutons sur la corbeille de ses magnifiques chapiteaux.
Mais de là nous nous acheminons à des modèles nouveaux
qui nous apparaissent d'une époque à l'autre avec des formes
tout inattendues , et qui , sans augmenter de beaucoup le
champ de nos ressources esthétiques , nous donnent au
moins quelques parures déplus. Tels sont le lierre avec ses
baies qui couronne nos piliers du quatorzième, le houx qui
revient souvent au quinzième , avec les choux frisés ; les*
guirlandes , enfin, qui à la même époque courent dans les
gorges et semblent le résultat de difficultés vaincues par la
profondeur des fouilles et la délicatesse des détails. Ces har-
diesses amenèrent, il est vrai , une ère nouvelle pour l'or-
nementation ciselée. Elles arrivèrent jusqu'au seizième
siècle, en perdant de plus en plus les traces naguère si res-
pectées du symbohsme, et ces plantes inouïes, ces fieurs
traitées à la façon de Mignard , loin de parler à l'esprit , ne
s'adressèrent plus qu'aux yeux , et finirent par n'être plus
que de jolis riens.
et le lieu qu'elles Au rcstc, CCS graudcs compositlous que nous empruntions
tout à l'heure aux ombrages de nos forêts, aux bords de nos
rivières ou aux champs et aux vallées historiques de l'an-
cien monde, conviennent surtout à couronner de hautes
colonnes supportant les voûtes basilicales, et dont l'excessive
élévation appelle de vastes branchages qui restent dans les
proportions de leur nature. Nous préférerions les fleurs et
les fruits pour les édifices moins vastes, où l'œil peut avoir
partout sa portée habituelle et bien distinguer le langage
de leur luxe charmant et varié. Pourquoi la rose de Saron
et de Jéricho, blanche pour les vierges, rouge pour les mar-
tyrs , irait-elle se cacher , avec le joli dessin de ses feuilles
dentelées, aux angles obscurs d'une travée inabordable, ou
même au-dessous d'un tailloir inaccessible à l'attention ?
Ces humbles et odorantes violettes qui se glissent dans la
solitude, mais doivent y apparaître pour y devenir l'encou-
y doivent occuper.
FLORE MURALE. 567
rarement des âmes justes à la pratique du bien désintéressé
autant qu'édifiant , pourquoi les attacher à ces fûts élancés
qui llanquent les plus hautes fenêtres, où le rayon visuel
n'arrivera jamais à leur diamètre borné ? Ainsi , propor-
tionnez par sa position chaque symbole de votre flore
murale à l'étendue du saint Heu. Réservez pour les petites
églises , pour les chapelles où le regard se trouve borné
malgré lui à des surfaces restreintes , ces roses et ces vio-
lettes qui ne représentent pas moins le Christ et sa sainte
Mère que la modestie des vierges et l'humble vie des con-
fesseurs; jetez sur les murs avoisinant le tribunal de la
pénitence et dans la sculpture du confessionnal soit la ronce
piquante, soit le chardon aux mille dards, qui symbolisent le
repentir avec la mortification qui l'exprime ; parez vos fonts
baptismaux du nymphéa des rivières et du trèfle de la Tri-
nité, vos chapelles funéraires de lierres et de cyprès; envi-
ronnez les instruments de la passion des roseaux qui rap-
pellent les humiliations de la royauté divine, ou du myrte
qui tempère les douleurs et signifie la compassion (l),et
encore de cette couronne d'épines qui fut un des supphces
du Sauveur, et dont, au milieu des savantes discussions qui
n'ont rien éclairci, on ignore toujours à quel arbre elle fut
empruntée (2).
(1) « Rosae martyres, rubore sanguinis. » (S. Meliton.) — « Rose
martyrum, rosa rirginum. » (Petrus Capuanus.) — « Dicitur Christus
et flos violae per bumilitatem. Viola enim flos est qui terrœ adhaeret, et
purpureus est... Fuit ergo flos violae in passione quando humiliavit
semetipsum.... » ( Petr. Capuan.) — «Violae, confessores. » (S. Melit.)
— « Arundo, lucarnatio, vel Scriptura. » (M.) — « Spina, aculei timoris
vel compunctionis. » {/d.) — « Myrtus, quia temperativae virtutis est,
eos significat quiafflictionibus proximorum compati sciunt, eorunique
tribulalionem compatiendo tempérant. » (S. Greg. Magni Formulx
ipiriluales, ap. Spicileg. Solesm., III, 413.)
(2) Les botanistes el les voyageurs ont beaucoup discuté sur l'arbuste
qui fournit aux soldats la couronne d épines. Buffon croit que ce fut le
r/r/mnj/.$ (nerprun) ; plus récemment on a penché pour le ziziphus;
M.Hasselquist déclare que ce fut le nakba (note du vingt et unième vol.
des Annales aixliéolog., p. 365). — D. Calmet {Uitt. de la Bible) rap-
568 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
Gomme conclusion morale de cet exposé des principes sur
la question, n'oublions pas que le caprice qu'on a tant et si
mal attesté contre la théorie iconographique de nos maisons
de prières ne doit jamais plus entrer dans leur décoration
florale qu'il n'y fut admis autrefois. La pensée d'un homme
d'autant plus compétent qu'il fut témoin oculaire du moyen
âge doit être toujours pratiquée : « On peint des fleurs et
des arbres dans les églises avec des fruits pour représenter
les fruits des bonnes œuvres , qui poussent par les racines
des vertus et s'élèvent sur leurs tiges (1). »
Cette théorie Aussi Ic choix u'cst pas douteux quant aux détails de
serait le sujet d'un , i . ,
livre important, ccttc ctflorescence daus nos monuments de pierre consacres
à la gloire de Dieu et aux prières de ses adorateurs catho-
liques. Un livre, nous le redisons, pourrait s'écrire sur cette
matière avec d'immenses développements; mais d'autres
livres existent qu'il faudra toujours ouvrir pour en tirer la
porte les différentes opinions qui tiennent pour l'aubépine, le gro-
seillier, le jonc marin ou l'acacia; Molanus tient pour le nerprun
{7'hamnua) et l'appuie du témoignage du savant voyageur Pierre Belou,
qui crut le reconnaître d'autant plus sûrement aux abords de Jérusa-
lem, qu'aucun autre genre d'épines n'y croissait. Ce savant homme s'ap-
puie aussi de cette raison qu'en Italie le rhamnus porte le nom popu-
laire de spina sanla (voir Molanus, De Hist. sacr. imagin., lib. IV,
cap. VII). — Il y a plus : les Arabes eux-mêmes donnent au rhamnus
le nom d'alhansegi, qui correspond à la spina sanla des Italiens. —
Voilà une foule d'opinions diverses qui embarasseront d'autant plus,
jusqu'à ce qu'on arrive à la vérité. Si l'on y parvient, on abandoDuera
la plupart de ces données, comme celle qui repose sur la prétendue
découverte du triacanthos, auquel des naturalistes expérimentés ,
comme M. Desmoulins, ne croient plus {Bullel. monum., XI, 352). Il
y aurait cependant, croyons-nous, un moyen d'arriver à une solution
de ce mystère. Ce serait, puisqu'on possède en divers endroits quel-
ques épines de la couronne du Sauveur, de les comparer avec celles
des arbustes présumés plus haut, et de reconnaître auquel d'entre eux
elles appartiennent : jusque-là on sera parfaitement libre, en peignant
ou en sculptant la couronne d'épines, de la représenter, comme jusqu'à
présent, sans trop s'arrêter forcément à aucun type particulier. Ce-
pendant, pour ce qui est de notre avis particulier, l'opinion de Belon
nous paraît mieux fondée, et nous pencherions pour le rhamnus, ou
nerprun.
(1) Ration, divin. Offic. , lib. I, cap. m, n» xxi.
FLORE MURALE. 369
botanique sacrée, dont nous ne cessons pas d'avoir besoin, et
qu'il faut absolument mieux comprendre qu'on ne l'a fait jus-
qu'ici depuis la renaissance arcbéologique à laquelle nous as-
sistons. Ces livres, nous ne disons pas qu'ils sont partout avec
de si amples caractères et im luxe àlllusfration aussi savant
et aussi fécond : du moins partout on en trouve quelques pages
isolées , aux traits admirables , aux planches dignes de toute
notre application ; mais la perfection, l'abondance, le choix
intelligent, vous les trouverez surtout en France , dans les
basiliques de Reims, l'honneur de la Champagne, dans celle
d'Amiens , la perle de Picardie travaillée avec tant de déli-
catesse et de distinction. Si nous parcourons la première Exemple» de
avec notre regrettable Didron (^), nous serons avec lui tout Reims ; — immen-
stupéfaits de ces innombrables arbres, plantes et fleurs distri- botanique sacrée,
hués en dehors et au dedans sur les corbeilles des chapiteaux,
dans les cadres du grand portail , aux clefs de voûtes, aux
gorges des moulures. Le nénuphar, la fougère, le fraisier,
la pariétaire et la giroflée sont là transportant leurs goûts et
leurs habitudes naturelles, et symbolisant l'eau , la terre et
l'air qu'ils aiment, et que rappellent avec eux, en présence du
Créateur, ces charmants spécimens de sa bonté toute-puis-
sante. Le sculpteur parait avoir donné ses soins de préférence
aux arbrisseaux, tels que le lierre, le laurier, l'olivier, le houx;
le rosier et la vigne vierge, avec ses raisins déliés, s'enlacent,
par une exception très-intelligente, aux crochets des chapi-
teaux que le treizième siècle mettait en vogue, mais qui par-
tout ailleurs sont nus et livrés à eux seuls. Le fruit et la
fleur s'étalent aux branches de l'érable et du peuplier , de
l'orme et du chêne , du châtaignier et du figuier. Les plus
modestes herbes, les fleurs les plus délicates se mêlent aux
larges lis du nymphéa , aux roses de l'églantier. Et toute
cette végétation si vive et si luxeuse , c'est la campagne de
Reims qui la fournit ; elle se balance aux coteaux voisins
(1) Voir Didron, Annal. nvchèoL, XIH, 292.
570 HISTCMRE DU SYMBOLISME.
de la vieille cité gauloise ; on la voit serpenter ou s'élever
bien haut sur toutes les voies qui la relient aux cités pro-
chaines. Et cependant on n'a pas séparé de cette prédilection
patriotique l'idée du symbolisme , partout triomphante à
l'époque où naissait le magnifique monument. Vous n'y
voyez aucune plante qui ne soit mentionnée et symbolisée
dans la Clef de Méliton et dans les savants commentaires
qu'a réunis à chacun de ses chapitres notre docte et labo-
rieux cardinal Pitra.
at de celle d'A- Nous avous aussl parlé de la basilique d'Amiens. Consul-
miens, avec les ^ ,, i i »i , n » i ,
vertus figurées par tous, sur sa florc muralc et le rôle qu elle s y est donnée, une
des fleurs , , . , i • i i i ' •
tres-mteressante monographie de deux savants ecclésias-
tiques dont le talent de description n'y brille pas moins que
la doctrine sacrée. MM. Jourdain et Duval y ont observé et
reconnu avec autant de sagacité que de goût l'antagonisme,
établi parle sculpteur du treizième siècle, entre les animaux
vicieux foulés aux pieds du Sauveur au grand portail de la
cathédrale, et les gracieuses vertus qui l'entourent sous les
formes charmantes de la vigne, de la rose et du lis, symbo-
lisant la grâce , la vérité et le bien. Ce ne sont donc pas là
de simples ornements ni une parure de plus ou moins de
valeur sensible. Ces branches, ces fleurs, ces fruits soit jetés
sur les murs, soit plantés en des vases qui rendent plus sen-
sible encore le svelte élancement de leur tige, sont évidem-
ment un contraste tropologique imposé par le mysticisme
chrétien. Si l'on rapproche ces aimables inventions de l'art,
comme l'ont fait les théologiens que nous suivons ici , d'un
traité spécial de S. Bernard {\), on rencontre et un nouvel
exemple de la douceur attrayante de ce Père et une nouvelle
preuve de la piété vive et touchante dont nos aïeux savaient
user dans ces grands travaux de la pensée esthétique. On
reconnaît le grand docteur traitant tour à tour de la fleur
(1) Vitis mystica, seu Tractalus de passione Domini super : « Ego
sum vitis vera.» (In 0pp. t. II, éd. Benedict.)
FLORE MURALE. 571
des champs, du lis des vallées , de la rose de la patience et
de la charité. C'est toujours la théologie catholique, dont le
caractère plein d'aménité s'attache aux murs hénis, et in-
troduit dans leur enceinte, où est tempérée par les plus
consolantes espérances l'austère sévérité d'une doctrine qui
ne cède rien aux passions humaines.
C'est à x\miens aussi que se trouvent le bon et le mauvais «* «a parabole <iu
^ bon et du mauvais
arbre représentés dans toute leur différence. Le premier , a'ij'f^-
avec son feuillage et toutes ses fleurs qui semblent d'un
olivier, tient suspendues à ses branches vigoureuses deux
lampes prêtes à recevoir l'huile qui doit en découler : c'est
la richesse, la prospérité, la gloire , la lumière de l'homme
de bien, fidèle à Dieu et à ses devoirs. Quelle différence avec
ce tronc desséché , ces branchages dénudés de toute ver-
dure que l'arbre opposé nous montre comme autant de
signes de sa stérilité malheureuse ! Déjà la cognée entame
son tronc amaigri, dernier trait auquel on reconnaît la para-
bole évangélique (i) : c'est l'homme inutile, négligeant les
talents qu'il a reçus de Dieu, mauvais arbre s'il en fût,
coupé par le maître et jeté au feu éternel (2).
Ainsi, de toutes parts, à l'aide de cette floraison spirituelle, Ainsi la flore
murale se ratta-
surgissent des motifs inépuisables d ornementation artis- che à tout le sys-
... ^ o tènie d'ornemen-
tique et de dévotes inspirations. Sous toutes les tormes, ra- tation catholique,
vissantes partout de leurs ornements natui'els, les herbes
les plus tenues, les arbres les plus majestueux , les plus ai-
mables fleurs, embelhssent la maison de Dieu , revêtent de
leur éclat les autels, les chapelles, les fenestrations par les
verrières ; les écussons nobiliaires signalent par elles les
vertus antiques des familles ; les arbres généalogiques
étalent leurs aUiances, et quelquefois la main d'un artiste ,
en créant un olivier, a posé sur chacune de ses branches un
membre de cette famille auguste, alliée par l'Incarnation
(1) « Jam securis ad radicem posita est» (Mat th., m, 10, — Liic.t
m, 9.)
(2) Voir BiUlet. Dionuni., XI, i4o ctsuiv., XII, 96, 269 et suIt,
572 HISTOIRE DU SYMBOLISME.
divine au Ciel et à la terre, dominée par l'image du Dieu qui
apporta la paix parmi les hommes (^). Rien donc que le
génie humain puisse inventer , et qui ne se couronne bien
de ces fraîches et immortelles guirlandes. Nous parlerons
de Y arbre de Jessé et de celui de la Vierge en leur lieu, que
nous allons bientôt aborder. Bornons-nous sur ce sujet si
vaste, et que nous n'avons pu qu'ébaucher ici, à ces données
générales, si capables pourtant de jeter la lumière sur une
foule d'obscurités.
(1) Dans l'église de Touriiebu,près Falaise. — Voir Bullet. monwm.^
XIII, 161.
FIN DU TOME III.
OUTRAGES DE M. LE CHANOINR AUBER.
Histoire de la cathédrale de Poitiers.— 2 volumes gros in-8^ ornés
de 30 planches. — Poitiers , 1848-1849. — Couronné par l'In-
stitut 15 fr.
Recherches historiques sur l'ancienne seigneurie de la Roclie-sur-
Yon, nommée ensuite Bourbon-Vendée, puis Napoléon-Vendée.
— Volume in-S°.— Poitiers, 1849 3 fr. 50
Recherches historiques et archéologiques sur Péglise et la paroisse
de Saint-Pierre-des-Églises, près Chauvigny-sur-Vienne. — l vo-
lume in-8% planche.— Paris, Didron, 1852.— Couronné par l'In-
stitut , . . 3 fr. 50
Mélanges d'archéologie, d'histoire et de littérature. — 3 volumes
in-8o.— Extraits des journaux et recueils scientifiques auxquels
Pauteur a coopéré, tels que les Mémoires de plusieurs Sociétés
savantes, le Bulletin monumental; celui du Comité des Arts et
Monuments; la Revue de Vart chrétien; VArt e7i province, et autres.
— Épuisé 30 fr.
Biographie de Jacques de Hillerin, Poitevin ot consoiller-clerc au
Parlement de Paris. — In-8°.— Poitiers, 1850 2 fr.
Biographie de j\I. Guerry-Champncuf, avocat au barreau de Poi-
tiers.—In-8o.— Poitiers, 185-2 1 fr.
Biographie de Girouard, sculpteur poitevin. — In-S». — Poitiers,
1641 1 fr. 50
Recherches sur la vie de Simon de Cramaud, Cardinal, Évèque de
Poitiers.— 1 volume in-8°. — Poitiers, 1841, complétées (en 1857)
par une relation de la découverte des restes du Cardinal dans la
cathédrale de Poitiers.— In-8o.— Portrait. 4 fr.
Instruction de la Commission archéologique diocésaine établie à
l'uitiers, sur la construction, les restnurations, l'entretien et la
décoration des églises, adressée par Monseigneur rHvôque, Pré-
574 OUVRAGES
sident, au clergé de son diocèse. — l volume in-8*. — Poitiers,
1851 3 fr.
Vies des Saints de l'Église de Poitiers, avec des réflexions et des
prières à la suite de chaque Vie.— In-8°. — Poitiers, 1858 (avec
une Table générale analytique et raisonnée, imprimée seulement
pour deux cents exemplaires) 2 fr.
Table générale, analytique et raisonnée du Bulletin monumental.
— 1 volumes in-8°. — Paris, Derache et Didron, 1846 et 1861.—
Ouvrage couronné par la Société française d'archéologie. 12 fr.
Histoire de S. Martin, abbé de Vertou et de Saint-Jouin-de-Marnes,
et de ses fondations en Bretagne, en Vendée et dans les pays
adjacents. — 1 volume in-8° de vi-'2.23 pages, avec 3 planches. —
Poitiers, 1869 3 fr. 50
■— Deuxième édition, in-18 de 300 pages 1 fr. 50
Notice sur un reliquaire de l'époque romane.— In-8% planches. —
Poitiers, 1845; Amiens, 1860 1 fr.
Notice sur un poignard du xvi^ siècle , et sur la famille de Blac-
Wood. — Poitiers, in-S°, 1843, avec une planche. . . 1 fr. 50
Comme quoi la fameuse Mélusine n'est autre chose que Geneviève
deBrabant. — In-8''. — Poitiers, 1842 1 fr.
De la Signification du mot huru, et du sens qui lui revient dans
les inscriptions votives du Vieux Poitiers, d'Alise et de Nevers.
— Poitiers, in-S^, 1859, avec 2 planches 2 fr.
Essai de Critique littéraire, théologi que, politique, historique et
grammaticale sur un volume de 56 pages in-8°, de M. Poupot, pas-
teur, ayant pour titre : Lettre à M. l'abbé Auber, en réponse à
trois articles sur Calvin insérés dans le Journal de la Vienne, etc.
— In-8°.— Poitiers, 1842. .' 1 fr.
Adolphe et Mélanie, ou de la Persévérance après la première com-
munion.-lvolumein-l8.-ParisetPoitiers,1835;2«éd.,l841.1 fr. 50
Les Trois Vocations , lettres dédiées aux mères chrétiennes. —
l volume in-12.— Paris, Gaume, 1837 2 fr.
Vingt Examens particuliers sur les principaux exercices de la per-
fection chrétienne. — 1 volume in-32.— Poitiers, 1837. . 60 c.
Aventures de Télémaque... Édition classique, réimprimée sur les
plus correctes qui ont paru jusqu'à ce jour, à l'usage des collèges,
séminaires et pensionnats des deux sexes, avec un discours sur
l'usage de ce livre dans les classes; des notes sur l'histoire, la
mythologie, la géographie comparée; la distinction, en carac-
tères italiques, des maximes les plus importantes du texte ; une
Dl<: M. LK CHANOINE AUBER. TiTTi
table des discours, descriptions, narrations et portraits qui peu-
vent servir do modèles do compositions françaises, et un résumé,
au commencement de chaque livre , des principes moraux qui
en découlent. — l voîumo in-l-2.— Paris et Lyon, 1838, 1844, et
plusieurs autres éditions • . . . . 1 Ir. 50
Consolations du Sanctuaire, ou Méditations avant et après la Com-
munion, tirées des offices de l'Église , de l'Écriture sainte et des
SS. Pères, pour les prêtres et les fidèles. — Dédiées à Monsei-
gneur do Beaurogard, évêque d'Orléans.— 2 volumes in-l8.—
Paris et Lyon, 1839. . . : 3 fr.
Un Martyr, ou le Saconloce catholique à la Chine, poème en cinq
chants, tiré des Annales des Missions étrangères.— 1 volume in-12.
— Paris et Lyon, 1830 2 fr.
Dissertation sur l'idsr/a. — ln-8°.— Poitiers, 1860 1 fr.
Histoire et Théorie du Symbolisme religieux. — 4 vol. in-8". . 24 fr.
Étude sur les historiens du Poitou depuis ses origines connues
jusqu'au milieu du xixe siècle.— l volume grand in-8°, tiré à
100 exemplaires. — >'iort, Clouzot, 1871 10 fr.
TABLE.
TROISIÈME PARTIE.
SYMBOLISME ARCHITECTURAL ET DÉCORATIF.
CHAPITRE PREMIER.
Considérations générales sur le symbolisme adapté à rarchitecture
chrétienne, et faits historiques qui s'y rattachent.
L'Église devait imprimer aux temples chrétiens un caractère
symbolique, 1;— leurs nombreuses figures dans l'Écriture et les
Pères, 2.— Les catacombes, premier type symbolique de nos
églises, 5, — mieux et plus que la basilique civile des Romains, G.
— Insuffisance du symbolisme de celle-ci, 8 ; — comment il fallut le
compléter, 9.— Caractères symboliques des églises antérieures au
onzième siècle. 11; — ces caractères partout et toujours observés,
1-2,— mais plus ou moins riches sous l'influence morale des diverses
époques, 13.— Pauvreté du dessin architectural dans la période du
quatrième siècle au dixième, li. —Il n'en a pas moins ses motifs
symboliques, 16.— La peinture employée alors pour suppléer au
travail du ciseau, 17. — Ruine des monuments aux huitième et
neuvième siècles, 17.— Terreurs historiques de l'an 1000, et de leur
prétendue influence sur la renaissance du onzième siècle, 18.—
T. III. 37
578 TABLE.
Témoignages, sur ce point, des meilleures autorités contempo-
raines, 18. — Grand nombre d'églises et de monastères élevés de
l'an 950 à l'an mil, 20,— et vers l'an 1000 lui-même, 20. — La fin du
monde n'est signalée alors que dans un petit nombre de chartes,
21.- Rénovation de l'architecture chrétienne au commencement
du onzième siècle, 22; — ses causes véritables dans les conquêtes
du Christianisme, 23, — et les nombreuses translations de reli-
ques, 24. — Apparition du grand appareil, 25,— et des cryptes de
vastes dimensions, 26. — Aucuns symboles ne constatent la peur
de l'an mil, 26.— Développements du symbolisme dans la sculp-
ture au onzième siècle, 27. — Influence exercée par la littérature
du douzième siècle , 28. — Heureuses innovations dans le plan
général des églises romanes, 29.— Les nombres symboliques y
figurent-i!s? 30. — Que doit-on rejeter ou admettre de leur sys-
tème d'application? 31. — Fécondité de l'iconographie mystique à
l'époque de S. Bernard, 33. — Ce siècle plus riche en cela que le
suivant, 33.— L'art y complète, par toutes ses formes, l'embellis-
sement symbolique de l'église, 34, — et y rattache tout au principe
fondamental de l'Unité divine, 36.— Apparition de l'ogive, à la fois
architecturale et symbolique , 36. — Rôle gracieux qu'elle donne
aux détails architectoniques, 38.— Esthétique de l'architecture
qu'elle inspire, 38; — son apogée et sa décadence, 39.— Examende
quelques opinions sur les prétendues fantaisies de l'art chrétien ,
40.— La religion a dû présider à la décoration de ses temples, aussi
bien qu'à leur construction, 41 ;— elle y a tenu dès le commence-
ment, 42. — Premières traces de ce fait dans l'histoire, 44. —Il se
perpétue par les conciles, 45.— Les évêques obligés de surveiller ces
travaux, 45.— Prescriptions d'usage sur ce point, 46.— Les monas-
tères non moins appliqués à l'art religieux, 46.— Nombreux exem-
ples de cette double action du clergé, 48; —son zèle à favoriser les
progrès de l'architecture, 51.— Plan symbolique des monastères,
52.— La surveillance des évêques constatée par le deuxième con-
cile de Nicée, 53 ; —elle fortifie et perpétue ainsi les traditions, 5'6.
— Les Chapitres entrent dans le mouvement artistique, 57.—
Preuves de ce qui précède dans les sculptures mêmes de nos
églises, 58, — dans l'histoire de toutes ces fondations par les con-
fréries de maçons, 59; — et l'exacte ressemblance de tant de types
multipliés à l'infini sans aucunes règles écrites , 60. — Comment
les miniatures des manuscrits ont pu suppléer aux textes spéciaux
pour les arts d'ornementation, 61.— Caprices de l'architecture ci-
vile en regard de cette discipline régulière des formes sacrées, 62.
— Résumé et résultat logique des considérations précédentes, 64.
\
TABLE. 579
CHAPITRE IL
L'église dans son orientation. — Cimetières.
Préliminaires de la construction, 66 ; — la croix plantée sur l'em-
placement du grand autel, 06.— L'emplacement; la première
pieri-e, et ses conditions, G8. — Encore l'orientation; son histoire,
et ses raisons d'être , 69.— Le Nord et le Sud considérés quant à
leur symbolisme, 7-2.— Règle normale de l'orientation d'une église,
73; — pourquoi on en trouve dos exceptions en Italie, 73, — qui ne
sont plus acceptables aujourd'hui, 76. — Combien les évoques y
ont toujours tenu, 77.— Graves inconvénients de son abandon, 77.
— L'orientation ne s'applique pas moins aux cimetières, 78, — à
l'égard desquels elle fut observée chez les anciens , et que les
chrétiens appliquent aux leurs, 78.— Pourquoi nos cimetières avoi-
sinent nos églises, 79.— Cercueils de bois et de pierre, 80. — Sym-
bolisme de leur forme à deux pentes, 80. — Cimetières communs
des premiers siècles chrétiens, 81 ,— placés sous la protection de
S. Pierre ou de S. Michel, 81,— plantés d'arbres symboliques, 82.
— Cimetières monastiques, 83. — Lanternes des morts, 83.— Réfu-
tation des fausses opinions émises à leur sujet, 83,— et leurs rai-
sons toutes chrétiennes, 83.— Des symboles divers sculptés sur les
tombeaux; l'ascia n'est qu'un signe des populations païennes, 84.
— Quels furent, dès le principe, ceux du Christianisme, 85.— Une
des significations du poisson, 85.— La résurrection de Lazare aux
catacombes, 86.— La croix et ses différentes formes; instruments
des diverses professions, 87.— Scènes historiées, 88: — autant de
symboles des tombeaux , 88. — Résultat moral de ces enseigne-
ments élevés, 88. — La pensée chrétienne de la mort amène l'art
jusque dans les cimetières, 89. — Les trois morts et les trois vifs de
l'église d'Antigny, 90. — Variante de cette scène dans la chapelle
de Jouhet, 90.— Le dict des Trois morts et des trois vifs, 91 ; — autre
en Normandie, moins bien traité par la Renaissance, 92. — Les
danses macabres en général, 92; — celle de la Chaise-Dieu en par-
ticulier, 93;— ses caractères esthétiques, 93. — Autre variante
donnée par la Chronique de Nuremberg, 96.— Convenance des mo-
numents funéraires dans les églises, 97, — mal comprise de l'art
moderne, 98. — Contraste de ce style païen avec l'importance et
l'honneur que l'Église donne à ses cimetières, 99. — Belle liturgie
de leur bénédiction, 99.
580 TABLE.
CHAPITRE III.
Extérieur de l'église chrétienne.
L'église chrétienne a toutes les marques spéciales d'un édifice
consacré à Dieu, 101, — par l'élévation du sol qui la supporte, 102,
—et sa séparation normale des autres habitations, 103.— Les églises
de Saint-Michel bâties de préférence sur des hauteurs, 104. — La
forme de croix, et ses variétés, 105.— Églises de forme circulaire,
107. — Le plan octogone , et sa signification mystique , 108. — Le
nombre huit est encore appliqué à d'autres monuments, 108.—
Églises hexagones, et mysticisme du nombre six, IIO. — Fonde-
ments, m. — Première pierre, 111.— Murailles, 112,— et leur ap-
pareil, 113.— Les contreforts, 114.— La nef et sa toiture, 114. — Les
tours et les clochers, 115.— Le coq, et ses diverses significations,
117.— Formes multipliées des clochers, 119; — leur place normale,
trop souvent dérangée, 120.— Les cloches, 121.— Symbolisme de
leurs moindres parties, 122.— Estime qu'en fait l'Église, 123.— Ver-
tus mystérieuses de leurs sons, 123.— Rites de leur baptême, 124.
— Symbolisme des sculptures murales, 125. — Variétés de leurs
innombrables motifs, 126.— Savantes théories de ces belles œuvres,
127; —leur distribution calculée au sud et au nord, 127.— Démo-
nologie, 127.— Les vices et les vertus, 128. — Le chien dévorant le
Pain des Anges, 128.— Le baril du vin eucharistique, 130.— Le
porche des églises rurales, et son usage, \:A. — Le chou sculpté
en acrotère, 131.— Portes de l'édifice, et côté où elles s'ouvrent de
préférence, 131.- Le parvis , 132,— et notamment celui de Saint-
Benoît-sur-Loire, 132.— Sujets variés de ces belles sculptures du
douzième siècle, 132. — L'image du Sauveur devant la porte d'en-
trée, 133.— Parvis des cathédrales et des autres églises majeures,
133;— leur principal emploi symbolisé par les lions, 133.— Action
mystique du bœuf et du lion aux façades de quelques églises, 135.
— Formule : inler leones, 136.— Image de la résistance aux tenta-
tions sous l'emblème du prophète Daniel, 138.— Ce môme sujet
reproduit à Ghauvigny, à Tonnerre, 138, — et à Amiens, 138,— rap-
proché de quelques autres pour confirmer nos déductions icono-
graphiques, 139.— Façades des grandes églises et leur décoration
grandiose, 139. — Le trumeau de la porte médiane; ce qu'il figure,
140.— Voussures sculptées des tympans, 141; —iQMvJugeinent der-
nier, 141.— Autres motifs iconographiques partout répétés. 142.™
\
TABLE. 584
Symboles et attributs des douze Apôtres, IW.— S. l'ierre, 143. —
S. Paul, 144.— S. André, 144.— S. Jacques le Majeur, 145. — S. Jean,
liô.-S. Thomas, 146.— S. Jacques IcMiutnir, 147.— S. Philippe, 147.
— S. Barthélémy, 147. - S. Matthieu, 147.— S. Simon, 147.— S. Jude,
148.— S. Matthias, 148. — Preuve d'une tradition universelle inspi-
rée par les mêmes pensées de toi, 149, — et qui était la véritable
nationalité du moyen âge, 150.
CHAPITRE IV.
Intérieur de l'église.
Le spiritualisme plus actif dans l'intérieur de l'église qu'au
dehors, 151.— Sens multiple de l'église chrétienne, considérée en
elle-même, 151.— Symbolisme de la fenêtre orientale; 15-2,- du
pavé, orné d'intailles, 152, — ou d'ornements privés d'abord de
sens symbolique, 152.— Fécondité de ces compositions; elles sont
remplacées par les allégories en mosaïques, 153. — Pierres tom-
bales des douzième et treizième siècles, 155. — Labyrinthes , 156;
— leurs plans divers, 156; —leur but, 156.— Ils se résument au-
jourd'hui dans le Via crucis, 157. — Spécimens de pavés du dou-
zième siècle, 157, — mal suppléés par le marbre, 157.— Les
murailles, et leur sens mystique, 158.— Importance des lignes in-
diquées par le ciment dans l'appareil, 158.— Signes lapidaires, 159;
— leur but mieux connu , 159, — et leur emploi généralisé aux
divers genres d'architecture, 160.— Les croix de consécration, 160.
— Los portes; leur nombre symbolique, 100.— Riche ornemen-
tation tirée des faits historiques ou des figures des deux Testa-
ments, 161.— Les portes élroiies , 162. — Les Cavaliers des façades,
162.— Le symbolisme des nombres a-t-il été appliqué aux mesures
du lieu saint? 164; — raisons d'en douter, 164.— Autre système plus
admissible par rapport à cette observance, 165.— Rapprochement
de cette méthode avec ce que les Écritures enseignent de l'arche de
Noé, 165; —opinion de S* Isidore de Séville, 166,— de Hugues de
Saint-Victor, 167, — et de Durant de Monde, 167.— Le crucifiement
du Sauveur, symbolisé dans le plan général de l'église, 168.— Dévia-
tion de l'axe longitudinal du nord au sud , 170. — Certains archi-
tectes exagèrent ce principe en Poitou, en Borry et ailleurs, 171.
— Fausses conséquences qu'on liront quolquos archéologuos, 172.
382 TABLE.
— Arcades murales, 173. ~ Chapelles latérales, 174.— Les bas-côtés,
î74.__Le nombre trois symbolisant la Trinité, toujours et partout,
175. __ Preuve de cette prétention dans l'église de la Caillére , en
Vendée, 175 — Églises à sept et à cinq nefs, 175, — quelquefois à
deux seulement chez les Dominicains, 176.— Divers systèmes sur
le nombre de piliers, 176; — leur symbolisme général, 177,— et
celui de leurs détails, 177.— Encore les croix de consécration, 178;
— celles de la Sainte-Chapelle de Paris et de Saint-Hubert de War-
ville, 173.— Voûtes, et leurs détails symboliques, 179.— Diversités
de leur ornementation peinte ou sculptée, 180.— Leurs principes
élémentaires se perfectionnent au douzième siècle, 180.— Richesse
des motifs sculptés qu'y reçoivent les clefs, 181.— Abaissement
successif et symbolique de leurs premières travées, 182.— Les mo-
dillons plus délicats en se rapprochant du sanctuaire, 183.— Les
fenêtres sont les saintes Écritures, 18 'i,— les Docteurs, 184,— les
sens de l'homme spirituel, I8i, — la charité fraternelle, 184, —et la
force de l'Église militante, 185.— Interprétations hasardées de
M. Boissérée, 185.— Harmonie de leur demi-jour avec la destination
mystique du monument, 186.— Les cryptes, leur origine et leur
but, 187; — images du Saint Sépulcre, 188, — et de la vie contempla-
tive, 188.— Crypte modèle de Rolduc, 189.— L'église chrétienne,
image symbolique de l'Église universelle, 189.— Traits mystiques
de cette ressemblance, 190;— quelle profonde théologie en ressort,
191,— aussi bien que l'influence du clergé, 191.— Théorie sans fon-
dement de M. Delécluse sur l'histoire de l'architecture au moyen
âge, 191,— dont il attribue les développements à une prétendue
émancipation libérale de la liberté humaine, 192, — méconnaissant
ainsi l'action de l'Église et sa propre force vitale, 192.— L'insuffi-
sance des études laïques mène à ces fausses idées sur l'art et les
hommes du moyen âge, 193.— Caractère de l'école rationaliste, et
de ses efforts à dénaturer l'histoire du catholicisme, 196. —Fausse
histoire de la franc-maçonnerie, inventée au profit de ces erreurs,
196, — et réfutée par l'histoire même du treizième siècle qu'elle
invoque, 198. — Impossibilité aux laïques d'avoir, avec leur sym-
bolisme incomplet, créé les beaux monuments de cette époque,
199.— Explication mystique par S. Nil da l'intérieur d'une église,
203.
TABLE. 583
CHAPITRE V.
Ameublement de l'église.
Sièges primitifs du clorgé , ^Oi.— Places distinctes des hommes
et dos femmes, 20'i.— Chapelle de la Sainte-Vierge dans l'absidiole
du nord, 204.— Une chapelle de Saint-Joseph très-convenable dans
celle du sud, 205. — Premières sacristies, 207.— La sacristie trans-
férée au sud de Féglise, 208. — Merveilleux aspect de cette pers-
pective, 208.— Bénitiers et eau bénite, 209.— Le tronc des aumônes,
210.— Fonts baptismaux, 212. — Confessionnaux, et leur histoire,
212.— Comment en faire de convenables quant au symbolisme?
213. — La chaire; sa place normale, 215. — Inconvenance des
chaires en pierre, 217. — Le banc d'oeuvre, 217.— L'ambon ou jubé,
217. — Jubés symboliques de Ravenne , 218;— celui de Saint-
Étienne-du-Mont, à Paris, 219.— Souvenirs symboliques qui s'y rat-
tachent, 219.— Le transsept, 220.— Le chœur, 220.— Les stalles, 220.
— Arcade triomphale et crucifix, 222.— L'aigle ou lutrin , 223.— Le
sanctuaire, 224.— L'autel et ses détails, 225.— Le tabernacle mal à
propos isolé du grand autel, 225.— La croix, 228.— Les chandeliers,
229. — Reliquaires, 230. — Le baldaquin ou ciborium , 1i[ . — Siégo,
épiscopal, 232.— Piscines, 233.— Crédence, 235.— L'orgue, 236. - Quel
est l'esprit de l'Église dans le soin de tout ce qui précède, 237.
CHAPITRE VI.
Décoration artistique de l'église par la sculpture.
Développements de l'art sculptural au onzième siècle, 240.—
Son caractère encore rudimentaire,240,— qui a pourtant son sym-
bolisme, 240. — Progrès merveilleux de cette époque, 241.— Beau
prélude de Père ogivale , 211. — La sculpture participe de ce pro-
grès, 242.— Ce qu'elle prend alors de vie esthétique, 242;— sa su-
périorité sur Pantiquité païenne, 243, — par la fécondité de ses
enseignements, 243.— Distinction entre la statuaire et la sculpture
proprement dite, 244.— L'une agit d'après un type convenu et in-
584 TABLE.
variable, 244 ; — l'autre suit un plan et une conception prescrits
d'avance, mais variables à l'infini, 244.— La sculpture toujours et
partout empreinte d'un caractère national, 245. — Pauvreté maté-
rielle de notre statuaire romano-byzantine, 246.— Bizarre agence-
ment du costume et de la draperie,247,— influencés par la manière
des Grecs de Gonstantinole,247,— bien plus que par le concile de
Francfort , 247. — Action des Croisades et des études littéraires et
théologiques de cette époque sur l'art monumental, 248.— Le nu,
honoré à l'époque païenne, et proscrit par le Christianisme, 250.
— Différence très-signiflcative dans leur manière de symboliser la
chasteté, 250. — Pallas et la femme chrétienne, 251. — Richesse
d'invention de notre iconographie comparée à la froideur res-
treinte de l'art païen , 251. — Raisons contre l'éclectisme architec-
tural et artistique dans la construction des églises et l'exécution
de leurs ornements, 252. — L'art doit être un et ne le serait pas
sans un parfait accord de style entre le monument et son ima-
gerie, 253. — Les anciens plus sages sur ce point que certains ar-
tistes modernes, 254, — quoique leurs monuments fussent souvent
privés de l'unité qu'on admire dans les nôtres, 254.— Ceux-ci doi-
vent surtout être ornés dans le style de leur construction, 255. —
Les gargouilles, et leur symbolisme, 256.— Étude et intelligence de
la petite statuaire des bas-reliefs, 259.— Clefs de voûte, 260.
CHAPITRE VIL
(Suite du précédent.)
Autels. — Tabernacles. — Baptistères. — Tombeaux.
Origine de l'autel chrétien, 262.— Nécessité d'y insérer des reli-
ques, 262.— On y a même placé des fragments de la sainte Eucha-
ristie, 263.— Symbolisme du sépulcre de l'autel, 264.— Autels porta-
tifs, 264.— Comment on y supplée quelquefois, 265. — Les autels
doivent être de pierre, 265. — Symbolisme de leur consécration ,
267 ; —leur multiplicité, après le cinquième siècle, dans une même
église, 268. — Symbolisme de leurs parements, 268. — Richesse des
autels au moyen âge, 269; —leur simplicité plus habituelle, 269.
— Celui de Mazerolles, en Poitou , 270. — De l'emploi du marbre ,
271; —peu avantageux à l'effet artistique, 271, — mais très-conve-
nable aux autels portatifs, 271. — Autels en orfèvrerie; insigni-
fiance de quelques-uns de notre époque, 272. — Inspirations plus
TABLE. 585
heureuses à suivre, •273.— Conditions symboliques , lis. — Variété
infinie des motifs esthétiques à sculpter ou à peindre sur un autel,
273.— Où en puiser les bonnes données? 274.— Beaux modèles à
choisir dans le moyen âge, 275 ; — y appliquer la peinture, 275. —
Des retables, 276; — y bien observer les convenances théologiques,
276.— Observation sur un retable de Jcssé à Notre-Dame de Poi-
tiers, 277.— Parements et antipendhim mobiles, 278.— Des taber-
nacles; leur histoire, 279.— Comment les conopées leur sont main-
tenant défavorables, 280.— Ils doivent se construire d'après l'archi-
tecture de l'église et de l'autel, 281. — Leurs formes variées : les
tours, 281,— suspendues au-dessus de l'autel, 283.— Les colombes
en métal , et leur raison t^ymbolique, 284,— qui les ferait très-
bien employer aussi comme ciboires, 285,— Formes choisies à
donner aux tabernacles, 285. — Mauvais goût des cihorium ou bal-
daquins actuels, 286.— Déplorable nudité qu'on fait aujourd'hui à
nos sanctuaires, 287.— Mauvais système qui les découvre, quand
ils devraient être isolés de la foule, 287. — Idée et i)lan d'un sanc-
tuaire où tout parle au cœur, 288.— Des baptistères, et des plans à
y observer, 289.— Histoire des baptistères au moyen âge , 290.—
Souvenir de celui de Constantin à Saint-Jean de Latran, 290.— Soins
à se donner pour la chapelle des fonts dans les églises de notre
temps, 292.— Règles symboliques à y observer , 293.— Importance
des Inslruclions de S. Charles sur ce point, 295.— Du tableau à
placer sur l'autel de cette chapelle, et des éléments de sa compo-
sition, 296.— Types de sculptures symboliques pour les fonts, 298.
— Les fonts de Sainte-Marie de Liège, 29S. — Liberté laissée aux ar-
tistes par l'Église sur tous ces points, 299.— Des tombeaux dans les
églises, et de l'esprit qu'on devrait y garder, 300.— Les modèles du
moyen âge préférables en tous points, 301. — Combien il importe
de les imiter, 302. — Symboles qui peuvent y être appliqués de
notre temps, 303. — Inscriptions funéraires à restituer aux églises,
303,— pour y remplacer les monuments funèbres et les sépul-
tures, 304.
CHAPITRE VllI.
Des modillons.
Etudes déjà anciennes de l'auteur sur ce sujet, 305,— qui a
trouvé de nombreux antagonistes, 306,— mais qui n'en peut plus
586 TABLE.
avoir, 306.~ Origine et objet des modilloiis, 307,— connus des
Romains et des Juifs, 308, — et naturellement adoptés par le
Christianisme, 308.— Marche progressive de ce moyen dans l'his-
toire de l'art, 309. — Elle se développe surtout au douzième siècle,
310, — et déchoit au quatorzième avec la simplicité chrétienne,
311.— Le treizième est bien plus théologique, 312.— Exposition géné-
rale de la méthode suivie, 313, — dans les modillons isolés de tous
autres, 313.— Cette méthode puisée dans les Pères, 314 : — S. Denys
l'Aréopagite, 314, — S. Clément d'Alexandrie, 314; — S. Théophile
d'Antioche, 314; — et dans l'Écriture, 315. — Variété infinie de ses
sujets, 315,— prêchant à toute créature, 316. — Explication de
S. Grégoire le Grand, 316.— Ce plan général particularisé dans son
application à des idées complexes, 317.— Méthode d'études, et dé-
couvertes à cet égard, 317.— Combien ces observations sont dignes
des hommes sérieux, 319.— Composition de l'auteur en ce sens
pour l'église Saint-Jacques de Châtellerault , 319.— Diversités des
sujets selon les diverses orientations du monument, 320. — Les
bons et les mauvais Anges, 320.— Le symbole des Apôtres exécuté
en modillons près de leurs statues, 320.— Le style de ces compo-
sitions nouvelles à prendre sur celles du moyen âge, 322. — Les
architectes ne doivent pas s'en dispenser, 323.— Combien ce genre
de décoration donne de vie spirituelle à un monument chrétien,
323.— Erreurs de quelques archéologues appréciant certaines dif-
ficultés sans le secours de la science, 324. — Les modillons s'iden-
tifient complètement par leur facture au style de l'édifice et à son
âge, 325.— Objections sans valeur opposées à l'esprit général qui a
dominé le choix des sujets, 326.— Le baudet d'Argentan, 327.— Le
poulet de Saumont, 328.
CHAPITRE IX.
Des chapiteaux.
Les chapiteaux distinguent tout d'abord l'architecture païenne
de la nôtre, 329. — Froideur du chapiteau corinthien, 329.— L'art
chrétien le modifie à son avantage, et le fait entrer dans ses plans
d'esthétique, 330.— Origine de ce détail d'ornementation, 331. —
Les poissons observés comme l'un des motifs les plus anciens de
notre imagerie, 331, — puis les entrelacs et les feuilles grasses, 332.
à
TABLE. 587
— La tète humaine mêlée aux feuillages, 33-2.— Les faits bibliques,
333.— Développement des sujets au onzième siècle, 333.— L'his-
toire d'Adam à Saint-Benoît-sur-Loire, 333.— La Fuite en Egypte, 33^i.
—La main divine, symbole de protection , 334.— Belle et savante
esthétique de tout ce morceau, 335.— Scènes des chapiteaux gra-
duées dans leur importance en se rapprochant du sanctuaire, 335.
—Symboles eucharistiques à Chauvigny, 335.— Daniel et Habacuc,
335. — Marie et l'Enfant-Dieu, 336.— La pesée des âmes ; protection
contre Satan, 336.— Les sauterelles de l'Apocalypse, 336.— La force
contre les tentations, 337.— Les démons forcés de servir à la gloire
de Dieu, 337. — Étrange aberration de quelques archéologues na-
turalistes, 337,— en opposition avec l'histoire de l'architecture et
l'active surveillance de l'Église au moyen âge, 331— Belle foliation
des chapiteaux , non moins expressive que tout le reste , 339. —
Symbolisme des arbres et des fleurs dans l'Écriture, 339. — Zachée
sur le sycomore, 340; — signification de l'un et de l'autre, 340.—
Transition de ce sujet à la mandragore, 342. — Vertus et attributs
de cette plante, 342.- Oiseau dans les branches, colombe de la soli-
tude, signifiant la vie unitive, 343.— Les entrelacs des chapiteaux,
et leurs variétés, 343. — Ignorance de certains savants en fait de
religion et d'art chrétien , 345. — Méthode d'intuition pour ces
études, aussi difficiles que sérieuses, 346. — L'inspiration esthé-
tique variant selon les siècles qu'elle traverse, 346.— Belle période
du onzième au quatorzième siècle, 347.— Action des sciences et de
la démonologie sur la sculpture de ce temps, 347. — Origine des
figures bizarres d'hommes et d'animaux répandues dans les nefs
de nos églises, 3i8.— La cabale et l'astrologie plus ou moins judi-
ciaire y laissent peut-être aussi leur empreinte , 349, — et jusqu'à
la mythologie païenne qui s'yrattache,350.— Sens véritable, cepen-
dant, de sujets moins frivoles que leurs apparences, 351. — Com-
ment les écoles architecturales du moyen âge enseignaient sans
livres techniques, 35-2.- Le livre Des Arts du moine Théophile, 352.
— Ces ouvrages doctrinaux remplacés par la liturgie et la poésie,
353.— Influence de Dante sur l'ornementation des treizième et qua-
torzième siècles, 354.— Lutte énergique du clergé de ce temps
contre l'envahissement laïque des francs-maçons, 356.— Pierre de
Cugnières et son marmouset, 356.
588 TABLE.
CHAPITRE X.
Démonologie.
Objet (le ce chapitre, 358.— Le démon signalé par les Apôtres
sous diverses formes et caractères, 358; — grande peur qu'en
avaient nos pères, 360.— Figures bibliques dont on lui fait autant
de symboles, 361. — Son culte dans le paganisme , 362.— Formes
symboliques de son iconographie, 363.— Singe et bouc, 363.— Cen-
taures et sagittaires, 363.— Renard, 364.— Crapauds ou grenouilles,
364.— La femme aux serpents et aux crapauds, 365. — Le serpent-
homme du paradis terrestre, 365; — son rôle au jugement dernier,
366, — au lit des mourants, 366. - Raison des diverses figures dont
son corps est quelquefois couvert, 367; — de ses trois têtes, en
quelques images, comme trinité du mal, 367. — Iconographie du
démon dans ses formes diverses, 369; —inspirant et vengeant le
fratricide d'Abel , 369 , — s'opposant à l'entrée de S. Taurin à
Évrcux, 369. — Labête de l'Apocalypse reproduite avec beaucoup
de variantes, 370.— Variété de ses moyens et de ses attaques,
370. — Il persuade le mal, 371; — il saisit l'àme du moribond,
371^ _ joue de la viole au bal d'Hérodiade, 372.— Les tentations des
Saints et celle de S. Antoine en particulier, 372; — comment
ils y résistent, 373.— Tourments des démons, 374.— Ressem-
blances extérieures que l'Ange des ténèbres se donne avec les
Anges de lumière, 375.— Le nimbe donné même au mauvais Ange,
376.— Nouvelle revue de quelques-uns de ses types les plus cu-
rieux, 376 : - l'arbalétrier, 37G, — les consoles, 376.', — les gar-
gouilles, 377.— Gog etfMagog, 377. - Personnification de l'hérésie
et de la luxure, 377. — Satan animant les idoles païennes, 377.—
Ses caractères zoologiques dépeints par Tertullien , 378 , — et
par le pape Innocent III , 378. — Antagonistes de tous les siècles
contre lui, 378; - ce qu'en disent S. Paul, 379, - et Job, 379,- sui-
vis par toute l'iconographie chrétienne, 379.— Les reliquaires, les
croix, les chandeliers, 380,— les crosses pastorales , 380. — Satan
toujours visible dans l'art païen, 381,— qui le transmet aux âges
modernes, 382. — Ressource contre lui dans la liturgie catho-
lique, 382.— Histoire et marche séculaire de la liturgie à cet égard,
383, — reproduites dans les sculptures de nos églises, 384, — et sur
la scène des théâtres, 384, —aussi bien que les barbares et les per-
sécuteurs, 385. -Exorcismes des vitraux de Bourges, 385.— Couleurs
TABLE. :i89
symboliques données aux diables selon leurs fonctions iconogra-
phiques, 386.— Les mêmes couleurs données aux Anges par oppo-
sition, 386.— Types officiels de l'enfer et du purgatoire, 387.— Le
Purgatoire de S. Patrice, 387.- La gueule du monstre infernal, 388.
— Variété artistique des supplices infernaux, 388.— La magie au
temps de l'Église primitive, et les exorcismes, 390,— souvent re-
présentés dans les églises, 390. —Usage très-fréquent de ces der-
niers, 390, — variés encore par d'autres moyens liturgiques, 391.—
De la magie et de son action contre la société chrétienne, 391,-
surtout aux dixième, quinzième et seizième siècles, 393.— Estampe
remarquable de cette époque, 394.- Scènes du sabbat avec tous ses
horribles épisodes, 395.— Haine du Christianisme, de ses vertus,
et des institutions sociales , 39 ^>.— Conséquences morales qui en
découlent, et ses rapports avec le symbolisme démonologique,
401,— et avec l'immoralité de notre temps, 402.
CHAPITRE XL
Des obscœna.
Jugements erronés sur ce sujet, 404.— La retenue du langage
humain proportionnée à la dépravation des mœurs, 405; — origine
de ce sontiment, 405, — modifié nécessairement par quelques
besoins de la vie sociale, 407, — mais ramené à une plus grande
sévérité parla dépression des mœurs, 407. — Superstitions impures
des fausses religions de l'Orient, contrastant avec la simplicité de
quelques peuples primitifs, 407. — Idée et usage des peuples de la
Palestine sur ce point, 409.— Langage du Prophète conforme à ces
usages, 409.— Remarquable réflexion de Voltaire à cet égard, 409.
— Cynisme de la littérature et de l'art des anciens, tout inspirés
par les passions, 410.— L'habitude familiarisait alors avec les objets
d'art, qu'elle rend moins dangereux, 411 , —témoin les peintures
des catacombes , 412, — et les écrits des Pères de PÉglise, 412.—
Mêmes exemples dans la littérature du moyen âge, 414.— Le Can-
tique de Frauenlob au treizième siècle, 414.— Les traductions de la
Rible du seizième siècle, 415.— Les prônes du dimanche jusqu'au
dix-huitième siècle, 416.— C'était Péquivalent du symbolisme des
obscœna, 416,— qui devient pour l'art ce que le stylo était à une
certaine littérature, 418.— Hs sont un mode d'enseignement, et
rien autre chose, 418. — Ils appartiennent à la meilleure époque
de la littérature sacrée et de l'art religieux, 41S, — qui resjiectent
590 TABLE.
et pratiquent le mieux la décence, 419,— et gardent une grande
modeiitie jusque dans leurs nudités nécessaires, 419.— L'arbre de la
Vierge à Milan, 419. —La Madeleine du Saint Pilon à Saint-Maximin-
du-Var, 420.— S" Marie Égyptienne, 420.— Les Vierges-Mères du trei-
zième siècle, 420,— et ses autres travaux iconographiques, 421.— Les
personnages sans sexe, 421.— Cause tout esthétique des obscœna, trop
peu comprise, 422.— La crudité des sujets est une preuve de leur
nécessité, 423; — elle personnifie les passions et les crimes hon-
teux, 423 : -l'adultère à Saint-Benoît-sur-Loire, 423;— la prostituée
de l'Apocalypse, 424; — les chiens et les impudiques, 424. — Style
énergique de S. Paul contre les Romains et les Corinthiens, 424.—
Leurs crimes renouvelés parles barbares envahisseurs de l'em-
pire, et par les Normands, 425. — Raisons de quelques modillons
spéciaux et d'autres sculptures, 426, — à Gourgé, 427,— à Saint-
Pompain et ailleurs, 427.— Le zodiaque, 427.— Prétendus obscœna qui
n'ont jamais existé, 428. — Ces sujets furent-ils jamais des satires
contre le clergé? 428; —non, mais des leçons sur ses devoirs, 429,
— comme la peinture en donnait à tous, 429. — Ce qu'en disait Vil-
lon, 430,— et même Virgile, 430.— L'enfer des religieuses à Sainte-
Marie-des-Chases, 430.— Nudité des âmes, 431.- Symbolisme du
voile religieux, 431.— Ces caractères s'effacent devant la prétendue
Renaissance, 432,— et sont remplacés par l'esprit du paganisme,
de la mondanité et du mauvais goût, 432. — Le concile de Trente
décrète une réformation, 433.— Constitution d'Urbain VIII sur le
même sujet, 435. — Ces prescriptions ne touchent en rien aux
obscœna des églises, 435, — qu'elles n'avaient aucun motif de con-
damner, 436.— Ils ne seraient pourtant pas de mise aujourd'hui,
436; — ce qui n'autorise les architectes ni à les mépriser ni à pri-
ver nos monuments religieux de corbelets symboliques, 437.— Ré-
sumé de tout ce chapitre, 437, — qui se conclut en faveur de
l'Église, 437.
CHAPITRE XII.
Zoologie.
Raison de la zoologie dans le symbolisme chrétien, 439. — Les
animaux y représentent les vices ou les vertus, 440.— La Bible est
encore la source de ces moyens d'exégèse publique, 441,— distri-
bués au nord ou au midi des édifices, selon les caractères ou
mauvais ou bons, 441.— Le Lévitique avec ses animaux purs ou
TABLE. 594
impurs, 442.— Interprétation des Pères à cet égard, 443.— Distinc-
tion que font quelques-uns entre les iêtes et les animaux, 444.—
Mauvaises bêtes placées au septentrion, 445.— Certains oiseaux leur
sont adjoints dans la môme pensée , 446. - Animaux innocents ou
utiles placés au sud, 447. — Union de plusieurs types formant des
scènes d'ensemble, 448.— Le zodiaque et son histoire, 449. — Anti-
quité prétendue de celui de Dendérah, 450.— Le zodiaque fait partie
du calendrier des anciens, 450. — Gomment les chrétiens le leur
empruntent dès les premiers siècles, 450. — Distinctions morales
qu'ils en firent, 451.— Il leur rappelle l'action divine sur les biens
de la terre, 451, — et la loi du travail imposée à l'homme , 452. —
Convenance d'un tel symbole, 453. —La partie morale du zodiaque
inconnue avant le Christianisme, 454,— qui en fait an moyen d'en-
seignement religieux, 455.— Kaisons de certaines interversions
dans le placement des signes sur les monuments modernes, 455.
—Vers techniques sur la division des signes mensuels, 456 ;— autres
sur les occupations qui se rattachent à chacun d'eux, 456, — Des-
cription de chaque mois, 457 : — Janvier : le Verseau, 457 ; — Février :
les Poissons, 458; — Mars : le Bélier et le vigneron, 458; — Avril : le
Taureau, 458 ; — Mai : les Gémeaux, 458 ; — Juin : le Cancer y 458 ; —
Juillet : le Lion et les faucheurs , 458 ; — Août : la Vierge et les
moissons, 459;— Septembre : la Balance et les vendangeurs, 459 ; —
Octobre : le Scorpion, les semailles, et les chasses d'hiver, 4G0; —
Novembre : le Sagitlaire et la glandée, 460;— Décembre : le Capri-
corne et la salaison des viandes, 461.— Caractères symboliques de
chaque signe en particulier, 461 : — symbolisme du Bélier, 462,—
du Taureau, 462, — des Gémeaux, 462, — du Cancer, 462, — du Lion,
463 , — de la Vierge, 463, — de la Balance, 463, — du Scorpion, 463 , —
du Sagittaire, 464, — et du Capricorne, 464. — Origine des bêtes hy-
brides, 464.— Les Prophètes et l'Évangile fournissent des types aux
catacombes, 466, — aussi bien que la mythologie, 469.— Les Pères y
trouvent un moyen d'enseignement religieux, 469.— Ils acceptent
les notions d'histoire naturelle reçues par les écrivains de renom,
pour en faire une suite d'autant plus fertile de symboles, 470,—
suivant en cela l'exemple des poètes païens, 470.— Les écrivains
du moyen âge les ont suivis eux-mêmes, 472.— Certaines opinions
sur la zoologie pouvaient être plus fondées qu'on ne le croit, 472.
— Albert le Grand n'admet pas toutes les opinions de Vincent de
Beauvais, 473.— Origine du bestiaire, et autenrs qui se sont donnés
à la zoologie mystique, m.— Physiologue de Théobald, 475.— Incer-
titudes biographiques sur cet auteur, 475. - Opinion qu'on peut
592 TABLE.
s'en former, 477.— But de son livre, 477; — sa matière et sa forme,
478; — son histoire, 479. — II traite tour à tour du lion, 481, — de
l'aigle, 483, — du serpent , 485, — de la Fourmi, 489,— du renard,
491, — du cerf, 493, — de l'araignée, 497, — de la baleine, 499, — de
la sirène, 601,— de l'éléphant, S03,— de la tourterelle , 505,— de la
panthère, 507. — Observations sur le Physlologue et la traduction
précédente, 510.— De ce livre même on peut conclure que l'auteur
ne s'abusait pas plus que les autres physiologues sur la valeur de
ses opinions zoologiques, ^[Q.— U opposition symbolique n'existe
pas moins sur ce point que sur tous les autres de notre théorie
générale, 511.— Utilité d'un dictionnaire symbolique d'histoire na-
turelle, 511; —abondance de ses matériaux 511.— Ce genre de
beautés manifesté surtout dans les psaumes viii et gxlviii, 512. —
Conclusion de ce chapitre dans une leçon donnée par S. Pierre
aux hommes que leurs passions grossières assimilent aux animaux,
513.
CHAPITRE XIII.
Flore murale.
Harmonie de la végétation et du cœur de l'homme, 515.— Beauté
de rÉden, 515, — et sa déchéance, 517. — Le symbolisme biblique
des arbres et des fleurs, 518. — L'arbre de Nabuchodonosor, 518.
— Les Apôtres et les Pères s'en emparent, 520. — Mystères des
catacombes en ce genre, 521.— Les fleurs, symbole des vierges,
521. — Plantes des cimetières romains, 522. — Ornements des
églises, 522.— Le trèfle dans les tombeaux, 523.— Les plantes
décoratives empruntées à Part antique par les chrétiens, 524.
— La botanique murale , traitée d'abord sans succès artistique
dans les églises , 524 ; — elle se développe au onzième siècle ,
525 , — et devient meilleure dans sa seconde moitié, 526. —
Plantes aquatiques, en plus grand nombre sur les monuments
élevés au bord 'des rivières, 526. — Le nénuphar, les roseaux, le
platane, 526. — Richesse en ce point des édifices monastiques et
des cathédrales, 527.— La théologie morale s'en empare, 527. — Er-
reurs scientifiques de certains botanistes anciens, 528.— Origine
orientale de plusieurs, 528. — Le hom, arbre de vie des Orientaux,
naturalisé dans la flore chrétienne, 528, — comme un symbole de la
Croix, 529.— Spécimens variés de ce symbole, 530. — Iconographie
des arbres, souvent restreinte à quelqu'une de leurs parties, 532,
— Réfutations du système de M. Woillez sur les aroïdes, 532, —con-
TABLE. oî)3
fondues avoc la vigne et ses raisins, 535. — Cette erreur rélutéepar
les seules irrégularités de certains spécimens botaniques, 536. —
Raisons de ces infidélités artistiques, 537.— Exactitude plus remar-
quable au treizième siècle qu'aux siècles précédents , 537, — qui
cependant laissent peu d'incertitude sur la nature des plantes
sculptées, 538, -— aussi bien ([ue dans beaucoup d'objets plus an-
ciens, 538;— d'où l'on doit conclure que M. AVoillez s'est égaré
dans une théorie inadmissible, 539, — condamnée jusque dans les
catacombes, 539. — Le lis et son symbolisme, 540, — dans l'antiquité
chrétienne et au moyen âge, 541.— C'est tour à tour Jésus, Marie,
et l'Église, 541. — Les fleurs en général, 5 i2.— L'hymne de S" Flo-
rence, 542.— Le lis est encore la virginité chrétienne, 543,— l'at-
tribut de S. Joseph, 543, — et celui des Justes, 544, — et de la puis-
sance royale en France, 545.— Origine de ce symbole ainsi ap-
pliqué, 545. — Opinions diverses à ce sujet, 545.— Le lis confondu
par Jacques Ghifflet avec les abeilles que portait Childéric au cin-
quième siècle , 547. — Les lis du tombeau de Frédégonde au
sixième siècle, 548, — du sceptre de Dagobert au sixième, 548, — et
de Charles le Chauve au neuvième, 549.— Lis des rois de la troi-
sième race, 549.— Ils deviennent l'écusson de France, 549,— et de
beaucoup de familles, 550,— et passent enfin dans l'ornementation
des meubles et des maisons, 551, — et jusque dans celle des objets
sacrés, 551; — raison de ce dernier emploi, 551. — Les types de la
fleur de lis divers avec les époques, et propres à faire distinguer
celles-ci dans les monuments, 551.— Les artistes, pour les repro-
duire, doivent donc se reporter aux temps dont ils imitent les tra-
ditions, 552. — Grossières persécutions révolutionnaires contre cet
insigne d'une ancienne royauté, 553,— et leurs suites funestes à
la science historique, 553.— Symbolisme de la flore mythologique,
553.— Comment le Christianisme dut s'en emparer, 554. — Ses
organes au moyen âge, 555. — LHortiis deliciarum d'Hermann de
NVerden, 556. — Les fleurs et les plantes de la liturgie, 557, — et, à
ce propos, le bois préférable à la pierre pour les tabernacles, 557. —
Le cèdre, surtout, lui convient par son symbolisme, 558.— Pourquoi
l'hysope employé dans les aspersions? 558. — La flore mystique
des sacrements, 559.— L'olivier et le baume du Baptême, de la Con-
firmation, de l'Extrême-Onction et de l'Ordre, 559. — Divers sym-
boles tirés du palmier; et de la procession des hameaux, 562. —
Représentation artistique de cet arbre dans les colonnes et leurs
chapit(!aux, 563.— Signification morale des plantes d'ornementa-
tion, 563.— Comment la sculpture moderne doit traiter ces objets
avec plus de soin et de perfection que jamais, 564, — sans s'écarter
T. III. :i8
59 i TABLE.
uc-aiimoins du symbolisme inséparable do raicliitecture religieuse,
o65,— ni confondre les époques indiquées par l'emploi de tels ou
tels motifs de la flore murale, 565. — Choix des plantes, et leurs
proportions à garder selon le pinson moins d'étendue des édifices,
§65, — et le lieu qu'elles y doivent occuper, 566.— Cette théorie
serait le sujet d'un livre important, 568.— Exemples de la basilique
de Reims, 569; — immenses variétés de sa botanique sacrée, 569, —
et de celle d'Amiens, avec les vertus figurées par des fleurs, 570,
— et sa parabole du bon et du mauvais arbre, 571.— Ainsi la flore
murale se rattache à tout le système d'ornementation catholique,
S71.
PIN DE LA TABLK DU TOMf: llf.
I^oitiers. — Typ. (Je A. Du?râ.
o
a
Ci
•H
rH
O
,Û
CO
a
en
iH
3^*fe
TJ
© M
•H
M
M
n f " "y — 'T t "•> f
THE
!N5^T!TUTE OF MFOlAIVa' STl
0 ELMSLEY PLA
TORONTO 5, CANADA.
/6é3 .
.'C'
LS
1
>
'V*^!
• ■■:?■-; .^
'^'■■
■■Ê^^
..i;-^
&l^''*^
■ vi >
>-^^i^^J
iiBÈtgm£V\â'.